Psychiatrie clinique : Approche bio-psycho-sociale Tome 2, Spécialités psychiatriques et traitements [2, 4e édition ed.] 2765047693, 9782765047698

Cette quatrième édition du premier manuel de psychiatrie québécois fait suite aux trois éditions précédentes (1980, 1988

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Psychiatrie clinique : Approche bio-psycho-sociale Tome 2, Spécialités psychiatriques et traitements [2, 4e édition ed.]
 2765047693, 9782765047698

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DR P L DR Gg-F. P et collaborateurs

DSM-5

PSYCHIATRIE CLINIQUE Approche bio-psycho-sociale m  Spécialités psychiatriques et traitements

4 e édition

DR P L DR Gg-F. P et collaborateurs

PSYCHIATRIE CLINIQUE Approche bio-psycho-sociale

4 e édition

m  Spécialités psychiatriques et traitements

Psychiatrie clinique Approche bio-psycho-sociale, 4 e édition

Des marques de commerce sont mentionnées ou illustrées dans cet ouvrage. L’Éditeur tient à préciser qu’il n’a reçu aucun revenu ni avantage conséquemment à la présence de ces marques. Celles-ci sont reproduites à la demande des auteurs en vue d’appuyer le propos pédagogique ou scientifique de l’ouvrage.

DR Pierre Lalonde DR Georges-F. Pinard et collaborateurs © 2016 TC Média Livres Inc. © 2001, 1988, 1980 gaëtan morin éditeur ltée Conception éditoriale : André Vandal Édition : Guy Bonin, Karine Demoors, Daphné Marion-Vinet, Marie Victoire Martin, Annie Ouellet Coordination : Marie-Michèle Martel, Marylène Leblanc-Langlois et Alexandra Soyeux Révision linguistique : Diane Robertson et Jean-Pierre Regnault Correction d’épreuves : Natacha Auclair Conception graphique : Christian Campana Conception de la couverture : Gianni Caccia

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Lalonde, Pierre, 1941 mars 2Psychiatrie clinique : une approche bio-psycho-sociale Édition originale : 1999-2001. Comprend des références bibliographiques et un index. Sommaire : t. 1. Déterminants bio-psycho-sociaux, syndromes cliniques et organisation des soins – t. 2. Spécialités psychiatriques et traitements. ISBN 978-2-7650-4770-4 (vol. 1) ISBN 978-2-7650-4769-8 (vol. 2) 1. Psychiatrie. 2. Psychopathologie. 3. Psychiatrie biologique. 4. Psychiatrie sociale. 5. Maladies mentales – Traitement. i. Pinard, GeorgesFranck, 1961- . ii. Lalonde, Pierre, 1941 mars 2- . Déterminants biopsycho-sociaux, syndromes cliniques et organisation des soins. iii. Lalonde, Pierre, 1941 mars 2- . Spécialités psychiatriques et traitements. iv. Psychiatrie clinique. v. Titre. RC456.L34 2016

616.89

C2016-940327-0

Les cas présentés dans les mises en situation de cet ouvrage sont fictifs. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant déjà existé n’est que pure coïncidence.

La thérapeutique évolue continuellement. La recherche et le développement produisent des traitements et des pharmacothérapies qui perfectionnent constamment la médecine et ses applications. Nous présentons au lecteur le contenu du présent ouvrage à titre informatif uniquement. Il ne saurait constituer un avis médical. Il incombe au médecin traitant et non à cet ouvrage de déterminer la posologie et le traitement appropriés pour chaque patient en particulier. Nous recommandons également de lire attentivement la notice du fabricant de chaque médicament pour vérifier les indications, les mises en garde et les précautions, les interactions médicamenteuses, les effets secondaires et mesures à prendre, la posologie recommandée, la méthode et la durée d’administration, ainsi que les contre-indications avant de prescrire. TC Média Livres Inc., les auteurs et leurs collaborateurs se dégagent de toute responsabilité concernant toute réclamation ou condamnation passée, présente ou future, de quelque nature que ce soit, relative à tout dommage, à tout incident – spécial, punitif ou exemplaire – y compris de façon non limitative, à toute perte économique ou à tout préjudice corporel ou matériel découlant d’une négligence, et à toute violation ou usurpation de tout droit, titre, intérêt de propriété intellectuelle résultant ou pouvant résulter de tout contenu, texte, photographie ou des produits ou services mentionnés dans cet ouvrage.

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TOUS DROITS RÉSERVÉS. Toute reproduction du présent ouvrage, en totalité ou en partie, par tous les moyens présentement connus ou à être découverts, est interdite sans l’autorisation préalable de TC Média Livres Inc. Toute utilisation non expressément autorisée constitue une contrefaçon pouvant donner lieu à une poursuite en justice contre l’individu ou l’établissement qui effectue la reproduction non autorisée. ISBN 978-2-7650-4769-8 Dépôt légal : 2e trimestre 2016 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada Imprimé au Canada 1

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Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.

Les auteurs Sous la direction de : Pierre Lalonde, M.D., FRCPC, psychiatre, Institut universitaire en santé mentale de Montréal Georges-F. Pinard, M.D., FRCPC, psychiatre, Hôpital Maisonneuve-Rosemont, Montréal Responsable de la section « Traitements biologiques » : Nancy Légaré, B. Pharm., M. Sc., Pharm., D. BCPP, BCPS, pharmacienne, Institut Philippe-Pinel de Montréal Responsable de la section « Pédopsychiatrie » : Nathalie Gingras, M.D., FRCPC, M. Sc., psychiatre, fondatrice de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Centre hospitalier universitaire de Québec Responsable de la section « Gérontopsychiatrie » : Isabelle Paquette, M.D., M. Sc., FRCPC, gérontopsychiatre, Institut universitaire en santé mentale de Montréal Avec la collaboration de : Amal Abdel-Baki, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences biomédicales)

Chantal Caron, M.D., FRCPC, M. Sc. (épidémiologie)

Diane Allaire, Ph. D. (psychologie)

Félix Carrier, M.D., FRCPC

Wendi Arminjon, M.A. (sexologie)

Hélène Carrier, LL. B.

Pierre Assalian, M.D.

Yvon Chagnon, Ph. D. (biologie moléculaire)

Patrick Barabé, M.D.

Laury Chamelian, M.D., FRCPC

Céline Bard, M.D., FRCPC

Florence Chanut, M.D., FRCPC

Philippe Baruch, M.D., M. Sc. (pharmacologie moléculaire)

Maryse Charron, M.D., FRCPC

Serge Beaulieu, M.D., FRCPC, Ph. D. (physiologie)

Jean-Marc Chianetta, M.D., FRCPC

Kim Bédard-Charrette, M.D., FRCPC

Marie-Julie Cimon, M.D., FRCPC

Manon Bélair, M.D., FRCPC

Richard Cloutier, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences biomédicales)

Michèle Bélanger, M.D., FRCPC, M. Sc. (physiologiebiochimie)

Prometheas Constantinides, M.D., FRCPC

Marie-Claude Bélisle, M.D., FRCPC, T.C.F.

Jocelyne Cournoyer, M.D., FRCPC

Sylvie Belleville, Ph. D. (psychologie)

Chantal Cyr, Ph. D. (psychologie)

Nicolas Bergeron, M.D., FRCPC

Joanne Cyr, M.D., FRCPC

Jacques Bernier, M.D., FRCPC

Andrée Daigneault, M.D., FRCPC

Christiane Bertelli, M.D., FRCPC Félix-Antoine Bérubé, M.D., FRCPC

Hélène Côté, T.C.F., M.A. (sexologie)

Pierre David, M.D., FRCPC

Louise Blais, Ph. D. (sciences humaines appliquées)

Luigi De Benedictis, M.D., FRCPC, AKC, M. Sc. (sciences biomédicales ; mental health service and population research)

Claude Blondeau, M.D., FRCPC, M. Ps.

Guy Deleu, M.D.

Bernard Boileau, M.D.

Aïcha-Nora Dembri, Ph. D. (psychologie)

Johanne Boivin, M.D., FRCPC

Jean-François Denis, M.D., CRCPC

Michel Bolduc, M.D., FRCPC

Julie-Anne Denis, M.D., B. Ing., M. Sc. A.

François Borgeat, M.D., FRCPC, M. Sc. (psychophysiologie)

Marie Désilets, bibliothécaire

Maurice Boudreault, M.D., CSPQ, LMCC Donald Bouthillier, Ph. D. (psychologie)

Monique Desjardins, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences biomédicales)

Richard Boyer, Ph. D. (santé publique)

Marc-Simon Drouin, Ph. D. (psychologie)

Michel Brabant, M.D.

Jean-Luc Dubreucq, M.D., FRCPC

Pierre Brassard, M. Ps. (psychologie)

Christiane Dufour, Ph. D. (psychologie)

Véronique Brazzini-Poisson, M.D., M. Sc. (sciences biomédicales)

Alexandre Dumais, M.D., FRCPC, Ph. D. (sciences biomédicales)

Suzanne Brissette, M.D., M. Sc. (sciences biomédicales)

Gilles Dupuis, Ph. D. (psychologie)

Anick Brisson, M. Ps., Ph. D. (psychologie)

Marie-Josée Filteau, M.D., FRCPC, M. Sc. (neurobiologie)

Vanessa Forgues, B.A. (sexologie) Linda Fortier, M. Sc. (service social)

Alain D. Lesage, M.D., FRCPC, M. Phil. (épidémiologie et évaluation)

Nicolas Franck, M.D., Ph. D. (neurosciences)

Paul Lespérance, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences neurologiques)

Renée Fugère, M.D., FRCPC

Geneviève Létourneau, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences biomédicales)

Mathieu Gagné, M.A. (sociologie) Pierre Gagné, M.D., FRCPC Jacques Gagnon, M.D., FRCPC Jean-Philippe Gagnon, M.A. (histoire) Nathalie Gagnon, B. Sc. (ergothérapie), M. Sc. (santé communautaire) Pierre R. Gagnon, M.D., FRCPC Marie-Anne Gariépy, B.A. (psychologie) Serge. Gauthier, M.D., FRCPC Angela Geloso, M.D., FRCPC Maryse Gervais, M.D., FRCPC Andréanne Gignac, M.D., FRCPC Martin Gignac, M.D., FRCPC Roger Godbout, Ph. D. (psychologie) Claire-Anne Grégoire, M.D., FRCPC Christine Grou, Ph. D. (psychologie), M.A. (bioéthique) Stéphane Guay, Ph. D. (psychologie) Jean-Marc Guilé, M.D., FRCPC, M. Sc. (anthropologie médicale) Setrak Ishak, M.D., FRCPC Hani Iskandar, M.D. Christian Joyal, Ph. D. (neuropsychologie)

Marie-Noëlle Levaux, Ph. D. (sciences psychologiques) Sylvie Lévesque, M.D., FRCPC David Luck, Ph. D. (neurosciences) Sonia Lupien, Ph. D. (neurosciences) Françoise S. Maheu, Ph. D. (psychologie) Stéphanie Mailloux, M.D., FRCPC André Marchand, Ph. D. (psychologie) Jean-Jacques Marier, M.D., FRCPC Marie-France Marin, Ph. D. (neurosciences) Stéphanie Marsan, M.D., CMFC Michel Maziade, M.D., FRCPC Valenti Mbekou, Ph. D. (psychologie clinique) Chantal Mérette, Ph. D. (biostatistiques) Simon Morand-Beaulieu, M. Sc. (sciences biomédicales) Louis Morissette, M.D., FRCPC Laurent Mottron, M.D., Ph. D. (psycholinguistique) Carole Murphy, M.D., FRCPC Lucie Nadeau, M.D., FRCPC, M. Sc. (psychiatrie transculturelle) anh-Lan Ngô, M.D., FRCPC, M. Sc. (thérapie cognitivocomportementale) Tuong-Vi Nguyen, M.D., FRCPC, M. Sc. (psychiatrie)

Didier Jutras-Aswad, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences biomédicales)

Luc Nicole†, M.D, FRCPC, M. Sc. (sciences biomédicales)

Nick Kates, M.D., FRCPC

François Noël, M.D., FRCPC

Édith Labonté, M.D., FRCPC

omas Paccalet, Ph. D. (biochimie; biologie cellulaire)

Joane Labrecque, Ph. D. (psychologie)

Crystalia Papamarkakis, M.D., FRCPC

Hans Lamarre, M.D., FRCPC

Jean Parratte, M.D., FRCPC

Suzanne Lamarre, M.D., FRCPC

Simon Patry, M.D., FRCPC

Louis Lamothe, B. Ps. (éducation)

Jean-François Pelletier, Ph. D. (sciences politiques)

Pierre Landry, M.D., FRCPC, Ph. D. (neurophysiologie)

Marie-Chantal Pelletier, M.D., LL. B.

Jean-Roch Laurence, Ph. D. (psychologie)

Yvan Pelletier, M.D.

Françoise Lavallée, Ph. D. (psychologie)

Stéphane Potvin, Ph. D. (psychologie)

Marc-E. Lavoie, Ph. D. (sciences biomédicales)

Marie-Josée Poulin, M.D., FRCPC

Gérard Leblanc, M.D., FRCPC Jacinthe Leblanc, DPH, BCPP, BCPT

François Primeau, M.D., FRCPC, B. Ph. (philosophie), C. (théologie)

Jean Leblanc, M.D.

Sébastien Proulx, M.D., FRCPC, LL. B.

Laurent Lecardeur, Ph. D. (recherche clinique, innovation technologique, santé publique)

Stéphane Proulx, M.D., FRCPC

Claude Leclerc, INF., Ph. D. (sciences biomédicales)

Monelly Radouco-omas, M.D., FRCPC

Conrad Lecomte, Ph. D. (psychologie)

Carole Ratté, M.D., FRCPC

Tania Lecomte, Ph. D. (psychologie)

François Renaud, M.A. (sexologie)

Andrée Legendre, M.D., FRCPC, Ph. D. (sciences neurologiques)

Johanne Renaud, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences biomédicales)

Pierre Léoure, M.D.

Suzane Renaud, M.D., FRCPC

Jean-Maxime Leroux†, BA (enseignement)

Marie-Ève R. Riopel, M.D., FRCPC

iv

Les auteurs

Rosita Punti, M.D., FRCPC

Jacynthe Rivest, M.D., FRCPC

Danielle St-Laurent, M. Sc. (épidémiologie)

Georges Robitaille, M.D., FRCPC

Emmanuel Stip, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences neurologiques)

Michelle Rochon, M.D., FRCPC, M. Sc. (orthophonie et audiologie)

Geneviève Tellier, M.D., FRCPC

Pierre-Paul Rompré, Ph. D. (psychologie)

Smadar Valérie Tourjman, M.D., FRCPC, M. Sc. (pharmacologie)

Nancie Rouleau, Ph. D. (neuropsychologie)

Julie Tremblay, M.D., FRCPC, M. Sc. (neurobiologie)

Cécile Rousseau, M.D., FRCPC, M. Sc. (psychiatrie transculturelle)

Dominique Trépanier, D. Ps. (psychologie)

Marc-André Roy, M.D., FRCPC, M. Sc. (épidémiologie)

Jean-François Trudel, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences biomédicales)

Mario Roy, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences neurologiques) Renée Roy, M.D., FRCPC Daniel Saint-Laurent, M.D., FRCPC Marc Sasseville, M.D., FRCPC Geneviève Sauvé, M. Sc. (sciences biomédicales) Monique Séguin, Ph. D. (psychologie clinique) Nathalie Shamlian, M.D., FRCPC Hugues Simard, M.D. François Sirois, M.D., Ph. D. (philosophie) Jean-Paul Soucy, M.D., FRCPC, M. Sc. (neurosciences) Martin St-André, M.D., FRCPC

Christo Todorov, M.D., M. Sc. (psychiatrie)

Gustavo Turecki, M.D., FRCPC, Ph. D. (neurosciences ; génétique) Claude Vanier, M.D., FRCPC Nancy Vasil, M.D., FRCPC Pierre Verrier, M.D. Pascale Vézina, B.A. (psychologie) Annick Vincent, M.D., FRCPC, M. Sc. (neurobiologie) Philippe Vincent, BCPP, M. Sc. (pharmacothérapie avancée) Hubert Wallot, M.D., FRCPC, Ph. D. (management), MPH (santé publique) Michel White, M.D., FRCPC, M. Mus., M. Sc. (sciences biomédicales)

Les auteurs

v

Remerciements En plus des auteurs qui ont rédigé les chapitres, plusieurs personnes ont été engagées, de près ou de loin, dans le processus de publication de cet ouvrage. Nous leur exprimons notre gratitude d’avoir contribué à cette œuvre magistrale. Nos remerciements vont plus particulièrement : • aux superviseures de sections : Dre Natalie Gingras (pédopsychiatrie), Dre Nancy Légaré (psychopharmacologie) et Dre Isabelle Paquette ; • à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, qui a contribué nancièrement à ce grand projet ; • à l’alliance Otsuka-Lundbeck, à la Fondation et au CMDP de l’IUSMM qui ont généreusement oert une subvention pour soutenir la révision de ce manuel ; • à Pauline Bonenfant, technicienne en communication, pour sa abilité, sa disponibilité, et pour avoir assuré le lien entre les auteurs et les directeurs de la publication ; • à Karine Demoors, éditrice, qui, avec un dévouement inlassable, a su parfaire et harmoniser l’écriture des divers chapitres de ce manuel ; • aux auteurs des chapitres des éditions antérieures de ce manuel dont le travail a servi de base pour la rédaction de plusieurs chapitres de cette 4e édition ; • aux nombreux collaborateurs de Chenelière Éducation, qui ont mené ce livre à sa phase nale ; • à nos familles et à celles de nos collaborateurs, qui ont fait preuve de beaucoup de patience et qui nous ont soutenus dans ce projet collectif ; • à nos patients et à leur famille, qui sont notre meilleure source de formation, nous posant chaque jour le dé de développer nos connaissances pour améliorer leur qualité de vie.

Note au lecteur Dans cet ouvrage, le masculin est utilisé comme représentant des deux sexes, sans discrimination à l’égard des hommes et des femmes, et dans le seul but d’alléger le texte. Sauf quand le contexte l’exige autrement, la plupart des observations concernent autant les hommes que les femmes. Les descriptions cliniques des diverses psychopathologies dont traite ce manuel se fondent sur les critères diagnostiques établis dans la 5e édition du Diagnostic and Statistical Manual (DSM-5) de l’American Psychiatric Association. Pour chacune des psychopathologies, le lecteur peut aisément comparer les éléments des deux nosographies DSM-5/DSM-IV-TR, à la lumière desquelles le médecin pose un diagnostic psychiatrique. Les cas présentés dans les mises en situation cliniques de cet ouvrage sont ctifs. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant déjà existé n’est que pure coïncidence. Chaque chapitre a fait l’objet de plusieurs révisions méticuleuses an d’en vérier le contenu. Toutefois, en raison des avancées rapides des sciences médicales, la recherche et le développement produisent des données scientiques, des traitements et des pharmacothérapies qui perfectionnent constamment la médecine et ses applications. Le contenu du présent manuel est présenté à titre informatif uniquement. Il ne saurait constituer un avis médical. Il incombe au médecin prescripteur et non à cet ouvrage de déterminer la médication et la posologie appropriées pour chaque patient en particulier. Des marques de commerce sont mentionnées ou illustrées dans cet ouvrage. L’Éditeur tient à préciser qu’il n’a reçu aucun revenu ni avantage conséquemment à la présence de ces marques. Celles-ci sont reproduites à la demande des auteurs ou des directeurs en vue d’appuyer le propos pédagogique ou scientique de l’ouvrage.

Préface En cette année (2016) de parution de la quatrième édition du manuel Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale, le Département de psychiatrie de l’Université de Montréal est dans une démarche d’anniversaire. Il vient de fêter les 50 ans de sa constitution sous forme de département. Auparavant, il y avait quelques cours de psychiatrie oerts par la Faculté de médecine. Les Drs Pierre Lalonde et Georges-F. Pinard, membres de notre corps professoral, nous orent le plus beau des cadeaux, un ouvrage qui sert à transmettre la science et l’art : un livre de deux tomes. Ils font, avec tous leurs collaborateurs, le travail d’intermédiaire entre une science en évolution et un savoir-faire au service d’une population, elle aussi, en mutation. Depuis de très nombreuses décennies, la psychiatrie francophone ne s’est jamais trouvée démunie de manuels reétant l’ensemble des connaissances du moment. Lorsque nos étudiants me demandaient de leur indiquer où ils pourraient trouver des bases théoriques et essentielles de la psychiatrie, il m’est souvent arrivé de leur répondre : « Lisez le Lalonde et Grunberg. Vous y trouverez tout ce qu’un livre peut enseigner. C’est l’essentiel de ce qu’un professeur honnête peut partager avec vous. Pour le reste, l’autre grand professeur, c’est le malade lui-même ; donc, lisez et fréquentez-le. » Un manuel est en eet avant tout un instrument de travail. Sa qualité première est la clarté, dont on a déjà dit qu’elle est la politesse des philosophes. On voit ici qu’elle peut aussi être celle des psychiatres lucides. Qu’ils en soient remerciés. Le succès des trois premières éditions de ce manuel de psychiatrie est probablement dû à la combinaison des caractéristiques d’œuvres similaires anglo-saxonnes et françaises. Nous avons souvent été à même de constater combien de manuels nés à Boston, à Paris ou à Londres dièrent dans les concepts et les abords des problèmes. Il est habituel d’armer que, plus que dans toute autre théorie médicale, la clinique et la théorie reètent, en psychiatrie, la culture et la société dans laquelle elle se développe. De plus, elle est empreinte désormais d’un souci de ne pas s’éloigner de la médecine apodictique, c’est-à-dire de la médecine basée sur les données probantes. Il n’y aurait ainsi de bonne pratique psychiatrique que celle fondée sur l’administration de la preuve. Ne penser la clinique qu’en se référant aux « faits démontrés » est une ambition prétentieuse qui fait d’ailleurs débat au sein même de notre département, car la vraie clinique fait vaciller le dogme. Les auteurs réunis par Pierre Lalonde et Georges-F. Pinard ont fait preuve avec humilité de ce souci, à l’égard d’un savoir exponentiel, enrichi des neurosciences et ancré dans les humanités. Ils sont demeurés pragmatiques, désireux de transmettre un savoir d’emblée utile et opérant. En dépit du nombre remarquable de collaborateurs (près de 200), l’ouvrage a le mérite de rester homogène grâce au travail éditorial rigoureux des Drs Lalonde et Pinard. Il n’est pas non plus une juxtaposition froide, mais plutôt un raisonnement synthétique qui témoigne de l’eort soutenu des responsables de la rédaction et en particulier du talent, installé dans l’histoire de notre département de psychiatrie, de mon mentor Pierre Lalonde, professeur émérite, vulgarisateur né, amoureux de la recherche clinique et toujours soucieux de « l’aller mieux » de ses patients. L’ouvrage montre aussi comment la psychiatrie moderne a pris au sein de la médecine une place essentielle dans la promotion d’une approche bio-psycho-sociale, aussi utile pour le soin de grands brûlés, pour celui d’un diabétique ou pour un patient sourant d’une schizophrénie. Nous voici maintenant à la quatrième édition de ce manuel (1980, 1988, 2001) et cette nouvelle parution vient souligner la tradition, la crédibilité et l’importance de l’œuvre qui a été engagée par ces auteurs, en particulier le Dr Lalonde, fondateur de cette initiative, et que le Dr Pinard pourra poursuivre. L’ensemble de la communauté d’auteurs a réussi à susciter une tradition d’écriture au Québec pour valider, consigner et clarier la pensée psychiatrique québécoise. Cette collaboration d’un grand nombre de psychiatres et de chercheurs québécois témoigne d’un dynamisme et d’une pensée au carrefour d’une tradition francophone alimentée par les courants d’une psychiatrie française et par celui d’une psychiatrie américaine, dont est issue d’ailleurs la classication DSM-5 qui va être reliée à une nosographie, agissant comme un squelette de l’œuvre de ce manuel. Il serait naturel de se poser la question du pourquoi d’un manuel de psychiatrie au Québec, et la réponse viendrait tout naturellement à l’esprit, car c’est au Québec qu’il existe un amalgame de la pensée des psychiatries française et anglo-saxonne. C’est ici que nous avons élaboré et développé une réexion, une présentation originale aussi bien dans les problèmes théoriques que dans les approches pragmatiques. On doit également souligner que ce manuel n’est pas le fruit d’une traduction de l’anglais, mais bien celui d’une véritable création.

viii

Préface

Cette parution montre également qu’une diusion de la psychiatrie québécoise en Europe francophone est possible, puisque l’ouvrage sera apprécié en France, en Suisse et en Belgique, de même qu’au Maghreb et dans le reste de l’Afrique francophone. Il servira également lors des collaborations essentielles que nous avons établies entre le Québec et Haïti dans nos responsabilités récentes et durables de l’enseignement. La psychiatrie arme sa place dans la conception de l’intervention auprès des maladies mentales. Ce livre témoigne des choix importants que fait la psychiatrie en garantissant une approche scientique qu’elle met en valeur au côté d’une approche humaniste nécessaire au développement d’une société. Les directeurs de ce manuel, par leur travail acharné et méticuleux, ont bien reété ce que nous armons souvent, à savoir que la psychiatrie est une science plutôt centripète qui s’alimente à ses marges issues des autres disciplines (génétique, philosophie, neurosciences, anthropologie, etc.). Ainsi, l’ouvrage témoigne des progrès récents accomplis dans ces disciplines, et les auteurs ont pris soin de ramener cet enrichissement périphérique au sein de la pratique clinique à travers les chapitres, de sorte qu’un étudiant en médecine ou en sciences de la santé et tout clinicien pourra facilement actualiser sa pratique bio-psycho-sociale avec les notions exposées dans ce manuel. Je me plais souvent à dire que la psychiatrie n’est pas une discipline de la médecine, mais plutôt que la médecine est une discipline de la psychiatrie. C’est en eet la discipline qui s’occupe de l’humain dans sa globalité, dans ses multiples dimensions biologiques, psychiques, sociales, spirituelles. Les branches de la médecine vont ainsi se spécialiser vers le cœur lorsqu’il s’agit de cardiologie, vers l’incision lorsqu’il s’agit de la chirurgie, vers le cerveau lorsqu’il s’agit de la neurologie. Ces disciplines arrivent parfois même à oublier la dimension psychique ou sociale de l’être vivant. La psychiatrie valide la nécessité d’un transfert de connaissances axé sur l’ensemble des dimensions en dehors de l’étude propre d’un organe et de ses défaillances. Les deux directeurs scientiques qui ont réussi à réunir et à réviser l’ensemble de ces chapitres ont fait un travail extraordinaire. On pourrait enn se questionner sur l’eort nécessaire ou sur le parti pris de s’appuyer sur le DSM-5, qui a même, en quelque sorte, ponctué l’échéancier de la parution de ce manuel. En eet, avec le DSM-5, on a assisté à une entreprise de médicalisation de certains comportements en société, ou qui apparaissent au décours d’événements de la vie normale, comme un deuil qui se prolonge. On sait que, malgré l’apparent souci d’être athéorique, le trouble obsessionnel, par exemple, a changé de place dans la nosographie à la suite de l’émergence d’explications biologiques crédibles. Outre le fait que phénoménologiquement, on y voyait plus un trouble encontinuum avec le trouble délirant qu’avec les troubles anxieux, en faisant cette modication, on s’aperçoit que l’on change nos paradigmes, par exemple en se déplaçant du psychodynamisme vers le biologique. Ce n’est pas si athéorique que cela. Pour les prodromes de la schizophrénie, qualiés hypothétiquement de « trouble psychotique atténué », l’insertion ocielle de ce nouveau diagnostic (encore à l’étude) dans le DSM-5 n’a pas été conrmée, car elle aolait le monde des actuaires américains. Que nalement les actuaires aient contribué, en même temps que les cliniciens et les chercheurs en psychiatrie, à cette vaste entreprise de classication du DSM-5 à laquelle les Drs Lalonde et Pinard se réfèrent reète en fait notre société actuelle. Il nous faut alors appliquer un esprit critique et pratique pour que chacun des chapitres soit utile dans le champ clinique. Ils ont réussi ce pari. Que ce soit dans la cohérence d’un manuel comme le Henri Ey ou dans le menu détaillé d’un Kaplan & Sadock, la psychiatrie crée des mythes. Libre à nous, enseignants, de nous y référer pour transmettre des connaissances. Nous avons cependant l’exigence de demeurer lucides. Lucides de la construction du contenu. Sinon, c’est un danger de destruction, comme le mythe grec de la Déesse aime Troie (DSM-III). Le cheval athéorique est entré dans la ville fortiée, puis les actuaires, les fondamentalistes biologiques sont sortis et ont tout détruit. Ce qui me rassure dans le manuel de psychiatrie de Lalonde et Pinard, c’est le souci d’aborder les classications diagnostiques avec un esprit critique et de s’ancrer, chapitre après chapitre, dans la clinique quotidienne enrichie de la vision duelle du Québec qui, par sa nature et son ambivalence connue à se sentir intégrée ou autonome, donne la garantie que rien n’est achevé. Ainsi arrivera un jour une autre édition. Je félicite avec un grand respect les deux directeurs de cette publication et tous les auteurs. La besogne a été longue, ardue et monumentale. Le résultat est entre les mains des étudiants, des praticiens et des enseignants. L’intégration bio-psycho-sociale est très réussie.

Emmanuel Stip, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences neurologiques) Psychiatre, professeur titulaire, directeur du Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Préface

ix

Table des matières TOME 2

PARTIE 5

PARTIE 6

Spécialités psychiatriques

Situations de crise CHAPITRE 49

Urgences psychiatriques........................... 1083

50

Suicide ........................................................... 1118

51

Agression, violence et dangerosité ........ 1138

Psychiatrie légale CHAPITRE 52

Psychiatrie légale – droit civil.................. 1167

53

Psychiatrie légale – droit criminel et pénal ............................ 1187

54

Éthique et psychiatrie ................................ 1200

Pédopsychiatrie CHAPITRE 55

Évaluation pédopsychiatrique .................. 1214

Traitements

Traitements biologiques CHAPITRE 66

Psychopharmacologie ............................... 1429

67

Anxiolytiques et hypnotiques ................... 1443

68

Antipsychotiques......................................... 1459

69

Antidépresseurs .......................................... 1481

70

Potentialisateurs cognitifs, psychostimulants et non-stimulants ................... 1511

71

Stabilisateurs de l’humeur ....................... 1535

72

Électroconvulsivothérapie et neuromodulation .................................... 1553

Traitements psychosociaux CHAPITRE 73

Fondements de la psychothérapie.......... 1566

74

Thérapie psychodynamique ..................... 1587

75

Thérapie comportementale ...................... 1609

76

Thérapie cognitive ...................................... 1640

56

Évaluation neuropsychologique en pédopsychiatrie ..................................... 1229

57

Décience intellectuelle ............................ 1238

77

Remédiation cognitive ............................... 1666

58

Autismes ....................................................... 1264

78

Thérapie interpersonnelle ......................... 1680

59

Troubles de l’attachement ........................ 1288

79

Thérapie psychoéducative ........................ 1689

60

Décit de l’attention avec/sans hyperactivité, comportements perturbateurs et tics .................................. 1302

80

Thérapie motivationnelle ......................... 1707

81

Thérapie familiale ....................................... 1724

82

Thérapie expérientielle-humaniste......... 1739

83

Relaxation, hypnose, méditation ............. 1750

84

Réadaptation et rétablissement .............. 1767

85

Thérapie de soutien .................................... 1786

61

Troubles des apprentissages ................... 1331

62

Troubles anxieux chez l’enfant et l’adolescent ............................................. 1363

Gérontopsychiatrie CHAPITRE 63

Enjeux du vieillissement ........................... 1379

64

Approche gérontopsychiatrique .............. 1389

65

Gérontopsychiatrie clinique...................... 1401

Références ................................................................................... R2 Index des auteurs ...................................................................... I1 Index des médicaments .......................................................... I17 Index des sujets ......................................................................... I23 Crédits ......................................................................................... C2

TOME 1

PARTIE 1

Introduction à la psychiatrie

CHAPITRE 1

Psychiatrie bio-psycho-sociale

26

Douleur chronique

27

Troubles neurocognitifs

28

Troubles mentaux dus à une affection médicale

29

Facteurs psychologiques inuençant des une affection médicale

2

Relation médecin-patient

3

Examen psychiatrique

30

Troubles factices

4

Évaluation neuropsychologique

31

Troubles des conduites alimentaires

32

Troubles du sommeil et de la vigilance

PARTIE 2

Déterminants bio-psycho-sociaux

33

CHAPITRE 5

Sexualité normale et dysfonctions sexuelles

Génétique

34

Dysphories de genre

6

Neurobiologie

35

Paraphilies

7

Imagerie cérébrale

36

8

Psychophysiologie et neurophysiologie

Troubles du contrôle des impulsions et dépendances comportementales

9

Développement de la personnalité

37

Troubles liés à l’usage de l’alcool

10

Couples et familles

38

Toxicomanies

11

Culture et migration

39

Toxicomanies et maladies mentales

12

Travail et invalidité

40

Troubles de la personnalité

13

Sociologie et maladies mentales

41

Différences reliées au sexe

14

Épidémiologie

PARTIE 4

Organisation des soins

CHAPITRE 42

Interdisciplinarité et travail d’équipe

PARTIE 3 CHAPITRE 15

Syndromes cliniques psychiatriques Troubles psychotiques brefs

43

Réseaux et partenariats

16

Troubles délirants

44

Soins en collaboration

17

Schizophrénies

45

18

Troubles bipolaires

Maladie psychiatrique sévère et persistante

19

Dépressions

46

Aspects psychiatriques des soins palliatifs

20

Troubles anxieux, panique, phobies

47

Évaluation de la qualité des soins et maintien de la compétence

21

Trouble obsessionnels-compulsifs

48

Évolution des services psychiatriques

22

Troubles de l’adaptation

23

Troubles liés au stress

24

Dissociations

25

Troubles à symptomatologie somatique

Références Index des auteurs Index des médicaments Index des sujets Crédits

Table des matières

xi

Abréviations 3MS : Modied mini-mental state 5-HIAA : 5-hydroxy-indol-acetic acid, acide 5-hydroxyindol acétique 5-HT : 5-hydroxytryptamine (sérotonine) A1G : Antipsychotique de 1re génération A2G : Antipsychotique de 2e génération A3G : Antipsychotique de 3e génération AA : Alcooliques Anonymes AAMR : American Association on Mental Retardation, association américaine pour le retard mental AAI : Adult attachment interview AC : Activation comportementale ACBT : Aective cognitive behavioral erapy, thérapie cognitivo-

comportementale centrée sur l’émotion ACh : Acétylcholine AChE : Acétylcholinestérase ACR : American College of Rhumatology ACS : American College of Surgeons ACT : Assertive community treatment, suivi communautaire intensif ACTH : Adrenocorticotropic hormone, hormone corticotrope hypophysaire, adrénocorticotrophine ADH : Alcool déshydrogénase ADN : Acide désoxyribonucléique ADOS : Autism diagnosis observation schedule AETMIS : Agence d’évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé AIMS : Abnormal involuntary movement scale AINS : Anti-inammatoire non stéroïdien ALDH : Aldéhyde déshydrogénase ALT : Alanine aminotransférase AMC : Association médicale canadienne AMH : Adult mental health AMH : Hormone antimüllérienne AMLFC : Association des médecins de langue française du Canada AMP : Adénosine monophosphate AMPc : Adénosine monophosphate cyclique AMPA : Α-amino-3-hydroxy-5-methyl4-isoxazolepropionic acid AMPH : Amphétamine AMPQ : Association des médecins psychiatres du Québec AMPS : Assessment of Motor and Process Skills AMRP : Association mondiale pour la réadaptation psychosociale ANOVA : Analyse de la variance

APA : American Psychiatric Association APA : American Psychological Association APC : Association des psychiatres du Canada APS : American Pain Society AQPPEP : Association québécoise des programmes pour les premiers épisodes psychotiques ARN : Acide ribonucléique ASAM : American Society of Addiction Medicine ASEX : Arizona sexual experience AST : Aspartate aminotransférase ATP : Adénosine triphosphate ATC : Antidépresseurs tricycliques AUDIT : Alcohol use disorder identication test AVC : Accident vasculaire cérébral AVD : Activités de la vie domestique AVQ : Activités de la vie quotidienne BADS : Behavioural Assessment of the Dysexecutive Syndrome BCG : Bacille Calmette-Guérin BCM : Bilan comparatif des médicaments BCT : Behavioural couple therapy,

thérapie conjugale comportementale BDI : Beck depression inventory BDNF : Brain-derived neurotropic factor, facteur neurotrophique dérivé du cerveau BID : Bis in die, deux fois par jour BPAP : Bilevel positive airway pressure BPQ : Borderline personality questionnaire BPRS : Brief psychiatric rating scale BUN : Blood urea nitrogen, azotémie C.c.Q : Code civil du Québec CADASIL : Cerebral autosomal dominant arteriopathy with sub-cortical infarcts and leukoencephalopathy CAGE : Cut down, annoyed, guilty, eyeopener CANMAT : Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments CANTAB : Cambridge neuropsychological test automated battery CBIS : Cognitive behavioural interpersonal skills CCAÉS : Conseil canadien d’agrément des établissements de santé CCAH : Conseil canadien d’agrément des hôpitaux CCASS : Conseil canadien d’agrément des services de santé CCK : Cholécystokinine

CCMHI : Canadian collaborative mental health initiative CDI : Clinical diagnostic interview CDR : Clinical dementia rating scale CDT : Carbohydrate decient transferrin, transferrine déciente en hydrate de carbone CEMCQ : Conseil d’éducation médicale continue du Québec CFTMEA : Classication française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent CGI : Clinical global impression CH : Centre hospitalier CHA : Centre hospitalier alié ChAT : Choline-acétyltransférase CHSGS : Centres hospitaliers de soins généraux et spécialisés CHSLD : Centre d’hébergement et de soins de longue durée CHU : Centre hospitalier universitaire CIDI : Composite international diagnostic interview CIDN : Contrôle inhibiteur dius nociceptif CIM : Classication internationale des maladies CIP : Comité d’inspection professionnelle CIWA-AR : Clinical Institute for Withdrawal Assessment for Alcohol Revised CLPS : Collaborative longitudinal personality study CLSC : Centre local de services communautaires Cmax : Concentration maximale CMDP : Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens CMFC : Collège des médecins de famille du Canada CMQ : Collège des médecins du Québec CMV : Cytomégalovirus CNRS : Centre national de la recherche scientique COMT : Catéchol-o-méthyl-transférase CPAP : Continuous positive airway pressure CPK : Créatine phosphokinase CPT : Continuous performance test CRA : Community reinforcement approach CRDI : Centre de réadaptation en décience intellectuelle CRF : Corticotropin-releasing factor, substance libératrice de la corticotrophine, corticolibérine

CRH : Corticostimuline CRM : Conseil de recherches médicales du Canada CRMCC : Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada CRSSS : Conseil régional de la santé et des services sociaux CSSS : Centre de santé et de services sociaux CSST : Commission de la santé et de la sécurité au travail CTF : Corticotrophine CT-scan : Computerized tomography, tomodensitométrie CYP : Cytochrome pigment DA : Dopamine DAE : Direction de l’amélioration de l’exercice DAPP-BQ : Dimensional Assessment of Personality Pathology – Basic Questionnaire DCL : Démence à corps de Lewy DDASS : Direction départementale de l’action sanitaire et sociale DDM : Date des dernières menstruations DÉBA-A/D : Dépistage/évaluation du besoin d’aide-alcool/drogues DES : Dissociative experiences scale DFT : Démence frontotemporale DGS : Direction générale de la santé DI : Décience intellectuelle DIB-R : Diagnostic Interview for Borderline DIE : Une fois par jour DIN : Diagnostic Interview for Narcissism DIPD : Diagnostic Interview for DSM-IV Personality Disorders DIS : Diagnostic interview schedule DI-TED : Décience intellectuelle avec trouble envahissant du développement DIU : Dispositif intra-utérin D-KEFS : Delis-kaplan executive function system DMT : Diméthyltryptamine DOM : 2,5-diméthoxy-4-méthylamphétamine DOPAC : Acide dihydroxyphénylacétique DPC : Développement professionnel continu DPJ : Direction de la protection de la jeunesse DS : Désensibilisation systématique DSM : Diagnostic and Statistical Manual (of Mental Disorders) DT : Delirium tremens DTA : Démence de type Alzheimer DTi : Diusion tensor imaging DUP : Duration of untreated psychosis

DV : Démence vasculaire EBM : Evidence based medecine ECA : Epidemiologic catchment area ECD : Éthylène cystéinate dimer ECG : Électrocardiogramme ECT : Électroconvulsivothérapie EDSS : Expanded disability status scale EE : Émotionalité exprimée EEG : Électroencéphalogramme EGF : Échelle d’évaluation globale du fonctionnement = GAF : Global assessment of functioning EHS : Entrainement aux habiletés sociales ÉMC : Éducation médicale continue EMDR : Eye movement desensitization and reprocessing EMG : Électromyographie, électromyogramme EOG : Électrooculographie, électrooculogramme ESA : État de stress aigu ESCCAD : Enquête de surveillance canadienne de la consommation d’alcool et de drogues ESPT : État de stress post-traumatique ETP : Équivalent temps plein EULAR : European league against rheumatism fee : Faible expression émotive FEE : Forte expression émotive FOCUS : Freedom from obsessions and compulsions using special tools FRCPC : Fellow of the Royal College of Physician Canada FSC : Formule sanguine complète FSH : Follicle stimulating hormone, hor-

mone folliculo-stimulante GABA : Gamma amino-nutyric acid, acide γ-aminobutyrique GAD : Acide glutamique décarboxylase GAF : Global assessment of functioning = EGF : Évaluation globale du

fonctionnement GGT : γ-glutamyltransférase GMF : Groupe de médecine de famille GnRH : Gonadolibérine, hormone libératrice de gonadotrophine HAART : Highly active antiretroviral therapy HAND : HIV-associated cognitive disorders HBIGDA : Harry Benjamin International Gender Dysphoria Association HDS : HIV dementia scale HHS : Axe hypothalamo-hypophysosurrénalien HLM : Habitation à loyer modique hMG : Gonadotrophine humaine de la ménopause

HMO : Health maintenance organization HMPAO : Hexaméthyl propylène amine oxime HS : Hora somni, à l’heure du coucher HVA : Acide homovanillique IChE : Inhibiteur de la cholinestérase IEPA : International Early Psychosis Association IG : Immunogloguline IM : Intramusculaire IMAO : Inhibiteur de la monoamineoxydase IMC : Indice de masse corporelle IPCF : Institut de psychiatrie communautaire et familiale IPD : Identique par descendance IPDE : International personality disorder examination IPT : Integrated psychological therapy IRM : Imagerie par résonance magnétique IRMA : Immuno-radio-metric assay, dosage radio-immunométrique IRMAO : Inhibiteur réversible de la monoamine-oxydase IRMAO-A : Inhibiteur réversible de la monoamine-oxydase de type A IRMf : Imagerie par résonance magnétique fonctionnelle IRMN : Imagerie par résonance magnétique nucléaire IRMNf : Imagerie par résonance magnétique nucléaire fonctionnelle voir IRMf IRMs : Spectroscopie IRM IRND : Inhibiteur du recaptage de la noradrénaline et de la dopamine IRSN : Inhibiteur du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline ISAM : International Society of Addiction Medicine ISO : International Standards Organization, Organisation internationale de normalisation ISRS : Inhibiteur sélectif du recaptage de la sérotonine ISRSN : Inhibiteur sélectif du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline ISSTD : International Society for the Study of Trauma and Dissociation ITSS : Infections transmissibles sexuellement et par le sang IV : Intraveineux IVAC : Indemnisation aux victimes d’actes criminels JCAHO : Joint Commission on Accreditation of Health Care Organisations JP : Jeu pathologique K-FTDS : Kiddie formal thought disorder rating scale

Abréviations

xiii

K-SADS : Kiddie Schedule for Aective Disorders and Schizophrenia LCR : Liquide céphalorachidien L-DOPA : Lévo-dihydroxyphénylalanine LED : Lupus érythémateux disséminé LESCA : Leucoencéphalopathie d’origine artériosclérotique LH : Luteinizing hormone, hormone lutéinisante LSD : Diéthylamide de l’acide lysergique MAB : Maladie aective bipolaire MacCAT-T : Macarthur competence assessment tool-treatment MADRS : Montgomery-Asberg depression rating scale MAST : Michigan alcoholism screening test MATRICS : Measurement And Treatment Research to Improve Cognition in Schizophrenia MBT : Mentalization-based treatment MCMI-III : Millon clinical multiaxial inventory – iii MCV : Maladies cardiovasculaires MDA : Méthylènedioxyamphétamine MDMA : 3-4 méthylène-dioxyméthamphétamine mÉq : Milliéquivalent MHPG : Méthoxy-hydroxy-phényl-glycol MIBG : Méta-iodo-benzyl-guanidine MID : Multidimensional Inventory of Dissociation mmol : Millimole MMPI-2 : Minnesota multiphasic personality inventory MMPI-II-RF : Minnesota Multiphasic Personality Inventory – 2nd Edition – restructured form MMRM : Mixed-eect model repeated measure MMSE : Mini-mental state examination (Folstein) MoCA : Montreal cognitive assessment MOR : Mouvements oculaires rapides = REM : Rapid eye movement MP : Maladie de Parkinson MPH : Méthylphénidate MRI : Mental research institute MSAD : McLean Study of Adult Development MSH : Melanocyte-stimulating hormone, hormone mélanotrope NA : Narcotiques Anonymes NA : Noradrénaline NAA : N-acétyl-aspartate NAC: Noyau accumbens NCS : National Comorbidity Study NCSR : National Comorbidity Study

replication

xiv

Abréviations

NEO-PI-R : Neopersonality inventory-

revised NESARC : National Epidemiologic Survey of Alcohol and Related Conditions NGF : Nerve growth factor, facteur de croissance neuronale NHSCRD : National Health Services’ Centre for Reviews and Dissemination NIA : National Institute on Aging NIMH : National Institute of Mental Health NLAES : National longitudinal alcohol epidemiologic survey NMDA : N-méthyl-D-aspartate NNH : Number needed to harm NNT : Number needed to treat NPY : Neuropeptide Y NRL : Neuroleptique NSA : Negative symptoms assessment NSDUH : National Survey on Drug Use and Health ODC : Obsession d’une dysmorphie corporelle ODIN : Outcome of Depression International Network OICS : Organe international de contrôle des stupéants OMS : Organisation mondiale de la santé ONG : Organisation non gouvernementale OPTSQ : Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec ORL : Otorhinolaryngologie P.A. : Pression artérielle PACT : Program of Assertive Community Treatment PAN : Personnalité apparemment normale PANDAS : Pediatric autoimmune neuropsychiatric disorders associated with streptococcal infections PANSS : Positive and Negative Symptoms of Schizophrenia PASM : Plan d’action en santé mentale PCL-R : Psychopathy checklist – revised PCP : 1-1-phényl-cyclohexyl piperidine, phencyclidine PDQ-4 : Personality diagnostic questionnaire – 4 PE : Personnalité émotionnelle PET-scan : Positron emission tomography scan = TEP : Tomographie par émission de positrons PGRO : Psychothérapie gestaltiste des relations d’objet PHQ : Patient health questionnaire PII : Plan d’intervention interdisciplinaire PLT : Potentialisation à long terme PNI : Pathological narcissism inventory PO : Per os, par la bouche

POR : Pratiques organisationnelles requises PR : Prévention de la réponse PREM : Plan régional d’eectifs médicaux PRI : Plan de services individualisés PROS : Plan régional d’organisation de service PROSSM : Plans régionaux d’organisation de services en santé mentale PRPP : Perceive, Plan and Perform Assessment PSG : Polysomnographie PSI : Plan de soins individualisé PSP : Période de sommeil paradoxal, voir aussi REM QALY : Quality adjusted life year Q.I. : Quotient intellectuel QID : Quater in die, quatre fois par jour RAMQ : Régie de l’assurance-maladie du Québec RC : Réponse conditionnelle RDA : Renforcement diérentiel d’un comportement alternatif RDB : Renforcement diérentiel d’un comportement à basse fréquence RDC : Renforcement diérentiel de comportements RDI : Renforcement diérentiel d’un comportement incompatible REM : Rapid eye movement, mouvements oculaires rapides, voir aussi PSP RI : Réponse inconditionnelle RIA : Radioimmuno assey, dosage radio-immunologique RLS : Réseaux locaux de services RMP : Relaxation musculaire progressive ROAE : Règlement sur l’organisation et l’administration des établissements RRASOR : Rapid Risk Assessment for Sexual Oence Recidivism RRSSS : Régie régionale de la santé et

des services sociaux RSC : Réassignement sexuel chirurgical RUIS : Réseau universitaire intégré de santé SAAQ : Société de l’assurance automobile du Québec SAF : Syndrome d’alcoolisation fœtale SADS : Schedule for aective disorders and schizophrenia SAS : Social adjustment scale SBNT : Social behaviour and network therapy SC : Stimulus conditionnel SC : Sous-cutané SCAN : Schedules for clinical assessment in neuropsychiatry SCID : Structured Clinical Interview for DSM-IV Axis 1 Disorders

SCID-D-R : Structured Clinical Interview for DSM-IV Dissociative Disorders Revised SCID-II : Structured Clinical Interview for DSM-IV Axis II Personality Disorders SCMA : Société canadienne de médecine de l’addiction SCP : Stimulation cérébrale profonde SCSM : Soins de collaboration en santé

mentale

SEP : Sclérose en plaques SERM : Selective estrogen receptor modulator SI : Stimulus inconditionnel SIADH : Syndrome de sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique SIDA : Syndrome d’immunodécience acquise SIDP-IV : Structured Interview for DSM-IV Personality Disorders SIPS : Structured Interview of Prodromal Syndromes SL : Sommeil lent SMTr : Stimulation magnétique transcrânienne répétitive SN : Stimulus neutre SNA : Système nerveux autonome SNAP : Schedule of nonadaptative and adaptative personality SNAP : Système nerveux autonome parasympathique SNAS : Système nerveux autonome sympathique SNC : Système nerveux central SNP : Single nucleotide polymorhpism SNP : Système nerveux périphérique SONAR : Sex oender need assessment rating SOPS : Scale of prodromal symptoms SORAG : Sex oence risk appraisal guide SP : Sommeil paradoxal, sommeil REM, voir aussi REM SPECT : Single photon emission computed tomography, tomographie mono-

photonique SPM : Syndrome prémenstruel S-R : Stimulus-réponse SR : Slow release, à libération prolongée SS : Score standard STAT : Statim, immédiatement

STEP-BD : Systematic treatment enhancement program for bipolar disorder STEPPS : Systems training for emotional predictability and problem solving STOPPP: Stockholm Outcome of Psychoanalysis and Psychotherapy Project SVR-20 : Sexual violence risk-20 T3 : Triiodothyronine T4 : yroxine TAE : érapie appuyée empiriquement TAG : Trouble anxiété généralisée TAM : Trouble aectif majeur TAT : ematic apperception test TB : Trouble bipolaire TC : érapie cognitive TCC : érapie cognitivo-comportementale TCC : Traumatisme craniocérébral TCCp: érapie cognitivo-comportementale pour la psychose TCI : Trouble du contrôle des impulsions TCI-R : Temperament and Character Inventory – Revised TCL : Trouble cognitif léger TD : Trouble dissociatif TDA/H : Trouble décit de l’attention avec/sans hyperactivité tDCS : Transcranial direct-current stimulation, stimulation électrique corticale transcrânienne TDI : Trouble dissociatif de l’identité TDPM : Trouble dysphorique prémenstruel TEI : Trouble explosif intermittent TEMP : Tomographie d’émission monophotonique = SPECT : Single

photon emission computed tomography TENS : Transcutaneous electrical nerve stimulation TEP : Tomographie par émission de positons = PET scan : Positron emission tomography scan TERV : érapie d’exposition par réalité virtuelle THC : Δ9-tétrahydrocannabinol TID : ter in die, trois fois par jour TIP : érapie interpersonnelle Tmax : Temps d’atteinte de la concentration maximale C

TOC : Trouble obsessionnel-compulsif TP : Trouble de la personnalité TPAT : Trouble psychotique aigu et transitoire TPB : érapie psychodynamique brève TPB : Trouble psychotique bref TPH : Tryptophane hydroxylase TPL : érapie psychodynamique long-terme TRH : yrotropin releasing hormone, hormone de libération de la thyréostimuline, thyréolibérine TPL : Trouble de la personnalité limite TSH : yroid stimulating hormone, hormone thyréotrope, thyréostimuline, thyréotropine TSPT : Trouble de stress post-traumatique TSS : Trouble à symptomatologie somatique TSST : Trier social stress test UDS : Unité de détresse subjective UGT : Uridine diphosphate glucuronosyltransferase, UDP-glucuronosyltransférases UMF : Unité de médecine familiale UPI : Usage problématique d’Internet VBM : Whole brain voxel based morphometry VDRL : Veneral disease research laboratory VGM : Volume globulaire moyen VIH : Virus de l’immunodécience humaine VOTP : Violent oender treatment program VRSO-SO : Violence Risk Scale – Sex Oender version VTA : Aire tegmentale ventrale WAIS-R : Wechsler adult intelligence scale revised WAS : World Association of Sexology WCST : Wisconsin card sorting test WFSBP : World Federation of Societies of Biological Psychiatry WISC : Wechsler Intelligence Scale for Children WPATH : World Professional Association for Transgender Health ZAN-BPD : Zanarini Rating Scale for Borderline Personality Disorder

Abréviations

xv

PARTI E

Spécialités psychiatriques Situations de crise

52 Psychiatrie légale – droit civil .................. 1167 53 Psychiatrie légale – droit criminel et pénal ........................................................ 1187 54 Éthique et psychiatrie................................ 1200

Décience intellectuelle............................ 1238 Autismes...................................................... 1264 Troubles de l’attachement......................... 1288 Décit de l’attention avec/sans hyperactivité, comportements perturbateurs et tics .................................. 1302 61 Troubles des apprentissages ..................... 1331 62 Troubles anxieux chez l’enfant et l’adolescent ............................................. 1363

Pédopsychiatrie

Gérontopsychiatrie

55 Évaluation pédopsychiatrique.................. 1214 56 Évaluation neuropsychologique en pédopsychiatrie..................................... 1229

63 Enjeux du vieillissement ........................... 1379 64 Approche gérontopsychiatrique .............. 1389 65 Gérontopsychiatrie clinique..................... 1401

49 Urgences psychiatriques ........................... 1083 50 Suicide ......................................................... 1118 51 Agression, violence et dangerosité .......... 1138

Psychiatrie légale

57 58 59 60

5

CHA P ITR E

49

Urgences psychiatriques MARC SASSEVILLE, M.D., FRCPC

HANI ISKANDAR, M.D.

Psychiatre, chef médical, Urgence psychiatrique, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Psychiatre, directeur médical, Urgence psychiatrique, Institut universitaire en santé mentale Douglas (Montréal)

Professeur agrégé de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeur adjoint de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université McGill (Montréal)

ÉDITH LABONTÉ, M.D., FRCPC

SUZANNE LAMARRE, M.D., FRCPC

Psychiatre, Urgence psychiatrique, Centre hospitalier universitaire de Québec

Psychiatre, chef du service des urgences psychiatriques et de crise, Centre hospitalier de St. Mary (Montréal)

Professeure agrégée de clinique, Département de psychiatrie et neurosciences, Faculté de médecine, Université Laval (Québec)

Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université McGill (Montréal)

49.1 Évaluation clinique en situation d’urgence psychiatrique.............................................. 1084 49.1.1 Lieu de l’évaluation.............................................. 1084 49.1.2 Documentation de la situation ......................... 1084 49.1.3 Examen mental .................................................... 1086 49.1.4 Diagnostic ............................................................. 1087 49.1.5 Évaluation complémentaire............................... 1087 49.2 Patient suicidaire ......................................................... 1088 49.2.1 Syndrome et risque suicidaire........................... 1088 49.2.2 Évaluation clinique.............................................. 1092 49.2.3 Dilemme suicidaire ............................................. 1093 49.2.4 Estimation du risque suicidaire ........................ 1093 49.2.5 Intervention en situation d’urgence................. 1094 49.3 Situations cliniques ..................................................... 1095 49.3.1 Patient avec une aection médicale ................ 1095 49.3.2 Patient confus....................................................... 1096 49.3.3 Patient intoxiqué.................................................. 1097 49.3.4 Patient agité et violent........................................ 1099 49.3.5 Patient réticent à s’exprimer.............................. 1102 49.3.6 Patient psychotique............................................. 1104

49.3.7 Patient anxieux .................................................... 1105 49.3.8 Patient déprimé ................................................... 1107 49.3.9 Patient présentant un trouble de la personnalité ................................................ 1108 49.3.10 Patient simulateur ou présentant un trouble factice................................................. 1109 49.4 Problèmes iatrogéniques des psychotropes............. 1110 49.5 Intervention de crise ................................................... 1112 49.5.1 Aperçu historique................................................ 1113 49.5.2 Intervention de crise en situation d’urgence psychiatrique ..................................... 1113 49.6 Aspects médicolégaux pertinents aux situations d’urgence ............................................. 1115 49.6.1 Garde préventive ................................................. 1115 49.6.2 Garde provisoire en vue d’une évaluation psychiatrique ......................... 1115 49.6.3 Garde en établissement...................................... 1115 49.6.4 Mesures urgentes sans consentement............. 1116 49.6.5 Requête d’autorisation de soins........................ 1116 Lectures complémentaires .................................................... 1117

L

es urgences psychiatriques constituent un ensemble de conditions cliniques, psychologiques et souvent sociales qui amènent les gens ou leur entourage à consulter dans le but d’obtenir une aide spécialisée immédiate. Cette demande d’aide urgente peut être formulée par diverses personnes (le patient lui-même, son entourage, les services publics de police ou de soutien communautaire, un médecin de famille, etc.) et peut prendre diverses formes (symptômes psychiatriques ou physiques, désorganisation comportementale, problèmes sociaux, etc.). Il arrive souvent que l’urgence d’une situation soit d’abord jugée comme telle par la personne qui la vit, même si son immédiateté peut parfois être considérée comme relative par l’équipe de psychiatrie des urgences. Néanmoins, il faut procéder à une évaluation clinique méthodique, globale, tenant compte des principales dimensions bio-psycho-sociales de la situation présentée et, autant que possible, tenter d’orir un soulagement rapide à la sourance exprimée. Ce chapitre expose les conditions cliniques les plus fréquemment rencontrées en psychiatrie d’urgence. Elles sont décrites selon leur mode de présentation et permettent de déterminer la démarche à privilégier dans l’évaluation clinique, les examens complémentaires pertinents et les interventions reconnues à appliquer. Certaines de ces conditions cliniques peuvent aussi se manifester dans d’autres contextes qu’à la salle d’urgence, notamment lors d’une rencontre en clinique ambulatoire ou dans les unités d’hospitalisation. Il est donc possible de transposer les démarches d’évaluation et d’intervention décrites ici à d’autres contextes hospitaliers ou communautaires.

libre, mais si un clinicien s’interpose entre lui et la porte, il y a risque de bousculade ou même d’agression. Un bouton de secours est souvent installé dans les bureaux servant aux entrevues psychiatriques, de telle sorte qu’une équipe d’intervention d’urgence peut être appelée en cas de violence imminente. Si la disposition des lieux ne permet pas de respecter ces principes, le patient peut être rencontré à la civière, en compagnie d’un membre du personnel de la salle d’urgence. La condentialité peut être plus dicile à respecter dans ce cas et l’entrevue s’en trouver partiellement altérée, mais en situation d’urgence, devant une personne inconnue, imprévisible ou agitée, la sécurité doit passer avant toute autre considération. Il est toujours possible de revenir ultérieurement sur les sujets plus délicats qui n’ont pu être approfondis lors de cette entrevue initiale. Enn, il ne faut pas négliger la possibilité d’être accompagné d’une tierce personne pour faire l’entrevue. Cela peut grandement apaiser le patient, que la présence d’un proche, d’un inrmier, d’un préposé, voire d’un agent de sécurité peut rassurer. Dans un tel cas, il aimera que tous les moyens soient mis à contribution pour lui assurer qu’il gardera le contrôle de lui-même.

49.1.2 Documentation de la situation Pour bien documenter la situation du patient an de l’orienter vers les services appropriés à sa condition, l’évaluation psychiatrique d’urgence doit permettre de recueillir plusieurs renseignements le concernant (voir le tableau 3.1).

Identication du patient

49.1 Évaluation clinique en situation d’urgence psychiatrique L’évaluation clinique d’un patient en situation d’urgence psychiatrique doit d’abord se faire dans un contexte où chaque personne présente se sent en sécurité. Ainsi, en priorité, la sécurité du patient de même que celle du clinicien (médecin, inrmière, travailleur social ou autre) doivent être assurées par divers moyens concrets (sécurisation de la salle d’évaluation, utilisation d’un bouton de secours, etc.). Par exemple, si le médecin (ou un autre professionnel) ne se sent pas en sécurité ou a peur d’être agressé par un patient psychotique (déjà très sensible à l’état d’esprit du clinicien), cela peut contribuer à accroître l’inconfort, l’agitation ou même la dangerosité de ce patient.

49.1.1 Lieu de l’évaluation Avant toute rencontre avec un patient en salle d’urgence, ou même dans un bureau d’entrevue, un survol rapide des lieux doit permettre de s’assurer qu’aucun objet ne peut être projeté ou servir d’arme potentielle (ciseaux, seringues, patère, lampe, objets décoratifs ou autres). Également, le lieu d’entrevue doit idéalement comporter deux portes, de manière à permettre à chacune des deux personnes (le clinicien et le patient) de se retirer si elle se sent en danger. Dans le cas où la salle d’entrevue n’est dotée que d’une seule porte, le clinicien doit se placer près de celle-ci, sans toutefois s’interposer entre le patient et la porte si celui-ci veut sortir. Il faut laisser la voie libre pour que le patient puisse partir si la tension monte. Un patient en colère sortira en claquant la porte si le chemin est

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Les données sociodémographiques font partie de l’évaluation de tout patient en psychiatrie. Elles doivent préciser l’état civil, la présence d’enfants, l’occupation ou la source de revenus, le statut légal (tutelle, curatelle, sous la juridiction du tribunal administratif du Québec), le milieu de vie et toutes autres informations pertinentes à la compréhension de l’environnement dans lequel évolue le patient, son réseau de soutien et ses possibles dicultés. En situation d’urgence, ces informations s’avèrent d’une utilité particulière, alors que l’on doit travailler avec le patient pour soulager au mieux ses problèmes tout en essayant de le maintenir dans son milieu de vie, évitant l’hospitalisation autant que possible. La connaissance de son milieu de vie peut aussi aider à dépister d’autres personnes en besoin de soutien, si ce n’est de protection (enfants, conjoint, proches ou autres).

Raison et circonstances de la consultation La raison de la consultation ainsi que le mode d’arrivée du patient à la salle d’urgence constituent des informations de base de l’évaluation. Elles ciblent d’emblée ses préoccupations principales (ou celles de son entourage) et permettent souvent d’évaluer avec précision la gravité de la situation. Par exemple, un patient qui a été conduit à l’urgence par quatre policiers après avoir été intercepté pour agitation sur la voie publique – même s’il se montre calme et collaborateur lors de l’entrevue – présente un potentiel de dangerosité qui doit être pris en compte pour l’entrevue d’évaluation et la prescription des examens complémentaires (p. ex., la recherche de drogues dans les urines).

Réseau de soutien An de permettre au patient de résoudre la situation d’urgence dans laquelle il se trouve tout en favorisant son maintien dans

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Spécialités psychiatriques

son milieu habituel, les proches, la famille, les personnes ou les organismes de soutien auxquels il a recours ont avantage à être connus et contactés. Il est aussi simplement possible de rencontrer les personnes qui accompagnent le patient ; elles ont habituellement quelque chose de pertinent à mentionner sur les circonstances actuelles ou sur les événements des dernières semaines. Lors de ces rencontres, on perçoit d’emblée le système dans lequel le patient évolue, les relations qu’il établit avec l’entourage. On peut alors obtenir de l’information complémentaire et faire un suivi avec ce qui a été documenté et recommandé antérieurement. Les coordonnées des médecins et autres intervenants (psychologue, travailleur social, inrmière, etc.) impliqués dans le suivi du patient sont précieuses, de même que les dates des rendez-vous récents et à venir. Ces cliniciens peuvent orir une information précieuse an de moduler les décisions qui seront prises en n d’entrevue. Contrairement à une opinion répandue, il n’est pas nécessaire de demander l’autorisation du patient pour rencontrer ses proches et obtenir de l’information de son entourage. En fait, le clinicien doit s’en tenir à deux principes fondamentaux : 1. Respecter la condentialité sur les révélations que le patient a faites. Quand les relations sont bonnes, il sut de rencontrer le patient et ses proches ensemble ; ainsi, il n’y a plus de problèmes de condentialité puisque ce sont les personnes concernées qui s’échangent de l’information. 2. Obtenir l’information la plus complète possible (de la part du patient et de l’entourage) an de prendre des décisions cliniques éclairées. Parfois, quand les relations sont tendues, il est préférable de rencontrer séparément le patient et ses proches, qui peuvent donner des informations discordantes. Le clinicien doit alors faire un tri judicieux, basé sur la crédibilité des renseignements fournis. Il faut aussi respecter la condentialité sur les révélations des proches. Il n’est pas convenable de dire au patient : « Vos parents (votre conjoint) viennent de me dire que… » Cependant, il est bien utile de revoir le patient et de se servir de ces informations additionnelles pour lui poser candidement des questions supplémentaires. On peut alors voir si le patient élabore davantage ou cherche à dissimuler en éludant ces questions. Il est important d’être délicat dans l’utilisation des commentaires obtenus de l’entourage an de préserver la relation entre le patient et ses proches. Certaines informations s’avèrent essentielles à une compréhension complète de la situation (p. ex., pour savoir si le patient a proféré des menaces envers son entourage, s’il a exprimé des idées de mort, s’il a bien pris sa médication, etc.). Il s’agit de questionner l’entourage sur des faits plutôt que sur des opinions, par exemple : « Que fait-il de ses journées ? Et la nuit ? Reste-t-il au lit toute la journée ? Pleure-t-il ? S’alimente-t-il comme d’habitude ? » plutôt que « Est-il déprimé ? » Il est rassurant pour les proches de constater que le médecin tient compte de leurs observations pour mieux comprendre la situation dans sa globalité. Il y a cependant une exception au principe de condentialité : si le patient a exprimé une intention précise de blesser ou de tuer quelqu’un, le médecin est tenu d’aviser cette personne du risque qu’elle encourt.

Antécédents psychiatriques Connaître les antécédents psychiatriques est très utile pour déterminer si la condition actuelle est tout à fait nouvelle ou en lien avec des problèmes antérieurs. Il est pertinent de savoir si le patient a déjà consulté en psychiatrie, en psychologie ou auprès

d’un autre professionnel. Cependant, si le patient a eu plusieurs hospitalisations, il peut avoir de la diculté à en préciser le nombre, les motifs d’admission, les traitements ecaces et inecaces. Il est donc préférable de chercher l’information dans les dossiers antérieurs et, si nécessaire, auprès des professionnels concernés et de documenter les diagnostics déjà posés, les hospitalisations antérieures, les gestes d’automutilation, les tentatives de suicide ou les gestes de violence en lien ou non avec une altération de l’état mental, ainsi que les traitements reçus. Il est aussi important de faire la distinction entre un geste suicidaire et un geste automutilateur ou un appel à l’aide que le patient a pu faire dans le passé, car ils peuvent avoir des signications cliniques bien diérentes.

Antécédents médicaux et chirurgicaux En situation d’urgence, les antécédents médicaux et chirurgicaux sont de grande importance. Environ 10 à 15 % des patients venant aux urgences pour des symptômes d’apparence psychiatrique présentent en fait une aection médicale expliquant en tout ou en partie leur tableau clinique, ce qui requiert une intervention médicale immédiate. Plusieurs aections médicales peuvent présenter des symptômes d’allure psychiatrique. C’est le cas, par exemple : • de l’apathie ou d’un ralentissement psychomoteur reliés à de l’hypothyroïdie ; • de l’anxiété ou d’une psychose reliées à de l’hyperthyroïdie ou à de l’hypercorticisme. Les personnes sourant de troubles psychiatriques présentent aussi une forte comorbidité avec diverses pathologies physiques, qui peuvent être déstabilisées et contribuer à exacerber leur aection psychiatrique. Par exemple : • une agitation reliée à un infarctus du myocarde (chez un patient sourant de schizophrénie) ; • des complications ou des eets indésirables de certains médicaments (p. ex., manie induite par la prise de corticostéroïdes, dépression induite par la prise d’interféron).

Antécédents de consommation de substances psychoactives Plusieurs tableaux cliniques s’apparentant à des aections psychiatriques peuvent être en lien avec la prise de substances psychoactives (drogues). Cela peut être le cas : • en phase aiguë de consommation (p. ex., tableau maniaque durant une intoxication aiguë à la cocaïne, tableau dépressif en phase active de consommation d’alcool) ; • en phase de sevrage ou d’arrêt récent de consommation (p. ex., tableau dépressif dans les heures et les jours suivant l’arrêt de cocaïne ou de stimulants). Certains tableaux psychiatriques peuvent aussi avoir été induits par la prise ou le sevrage de substances psychoactives et persister au-delà des périodes d’intoxication ou de sevrage (p. ex., manie ou trouble psychotique induits par des amphétamines). Il importe donc de connaître la consommation actuelle et antérieure de substances psychoactives, le moment de la dernière consommation ainsi que ses eets. Pour ce faire, le dépistage de substances psychoactives dans les urines et un dosage de l’alcoolémie sont souvent très pertinents dès l’arrivée du patient aux urgences.

Antécédents judiciaires Les antécédents judiciaires permettent de savoir jusqu’à quel point les comportements peuvent être aectés par les problèmes Chapitre 49

Urgences psychiatriques

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psychiatriques, psychologiques, médicaux ou de consommation de substances psychoactives. Ils peuvent aussi donner des indices sur la présence d’une personnalité antisociale. Par exemple, les gestes antérieurs de violence constituant bien souvent un prédicteur de violence future, un patient sourant de schizophrénie qui a déjà été judiciarisé pour des gestes de violence envers autrui verra certainement son plan de soins tenir compte de cette violence potentielle. Notons que la violence non judiciarisée doit aussi être considérée dans l’évaluation du risque hétéroagressif du patient.

Antécédents familiaux Il est pertinent de connaître les antécédents médicaux et psychiatriques des membres de la famille biologique élargie (parents, grands-parents, fratrie, oncles et tantes, cousins et cousines), car plusieurs maladies physiques et psychiatriques ont une composante héréditaire (chorée de Huntington, trouble aectif bipolaire, schizophrénie et autres). La présence de l’une ou l’autre de ces maladies chez un membre de la famille peut aider à établir un diagnostic, en particulier pendant les manifestations initiales d’une maladie. La présence de suicide dans la famille de même que les moyens employés pour passer à l’acte peuvent aussi aider à évaluer le niveau de risque suicidaire du patient.

Habitudes de vie Les habitudes de consommation de tabac, de café, de thé, de boissons énergisantes, d’alcool et de substances psychoactives sont à documenter, car ces substances peuvent toutes contribuer à la condition clinique du patient. Le délai depuis la dernière consommation doit être noté.

Médication actuelle Il y a lieu de documenter les médicaments pris, avec ou sans ordonnance. De préférence, cela doit être fait en vérifiant auprès du pharmacien ou dans le dossier médical afin de connaître les posologies exactes prises par le patient. La délité au traitement doit être estimée dans chaque cas, la mauvaise observance comme les usages abusifs ou erronés aectant les aections médicales et psychiatriques. Enn, il faut vérier l’usage de produits naturels, dont certains peuvent interagir avec les médicaments.

Maladie actuelle En situation d’urgence, l’accent est mis sur l’historique actuel et récent de la condition clinique du patient. Cela implique donc de comprendre : • la chronologie et la uctuation des symptômes ; • les eets des traitements récents sur l’épisode ayant mené à la consultation ; • les facteurs ayant pu contribuer à l’éclosion de l’épisode aigu ; • les facteurs ayant précipité la consultation à l’urgence. Les éléments plus anciens peuvent être explorés, particulièrement la recherche de signes d’exposition antérieure à des stress psychologiques ou à des agents physiques (p. ex., toxiques) ainsi que la présence de symptômes ou de signes suggérant une cause médicochirurgicale. L’incidence de telles causes et la gravité de plusieurs d’entre elles sont susamment élevées pour justier ce questionnaire. Les symptômes et les signes suggérant une cause médicochirurgicale (pathologie organique) sont mentionnés dans l’encadré 49.1.

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ENCADRÉ 49.1 Indices de la présence d’une pathologie

organique pouvant mimer un syndrome psychiatrique

À l’historique • Absence d’antécédents psychiatriques personnels • Apparition brusque de symptômes • Âge inhabituel (trop précoce ou tardif) • Changement dans le mode de présentation clinique habituel • Changement de la personnalité À l’examen • Ataxie, tremblements • Dysarthrie • Labilité affective • Niveau de vigilance altéré ou uctuant • Hallucinations olfactives, visuelles, cénesthésiques ou illusions • Atteinte cognitive • Désorientation temporelle ou spatiale

En situation d’urgence, on doit tenter de corroborer l’historique recueilli auprès du patient par des sources extérieures. Certains patients sont peu ables sur la chronologie des événements et certaines conditions cliniques peuvent masquer des éléments importants pour poser le diagnostic et pour assurer l’intervention la plus juste possible. Cela peut survenir dans les cas suivants : • une perte de contact avec la réalité (psychose, manie) ; • un manque d’introspection ; • des distorsions cognitives (dépression, anxiété graves) ; • des atteintes cognitives (delirium, démence). Dans de telles situations, il est particulièrement utile d’obtenir des informations complémentaires à propos du patient : • en faisant une lecture attentive du dossier médical de l’urgence (notes de triage, notes médicales et inrmières, signes vitaux, résultats des examens de laboratoire, etc.) ; • en lisant les notes récentes du suivi externe et les résumés des hospitalisations antérieures (en psychiatrie et dans d’autres disciplines médicochirurgicales, si c’est le cas) ; • en obtenant des informations auprès d’un proche ou d’un professionnel impliqué dans le suivi du patient. L’information complémentaire permet le plus souvent de valider les éléments rapportés par le patient. Elle révèle parfois de nouveaux indices qui vont clarier le diagnostic ou encore permettre d’élucider l’origine réelle de la crise (épuisement du milieu, conséquences de la pathologie du patient sur son entourage, conjoint et enfants en particulier, etc.) et mieux caractériser le degré de dangerosité pour le patient et pour les autres. Ces informations complémentaires permettent d’obtenir un portrait plus juste de la situation et d’adapter les interventions en conséquence.

49.1.3 Examen mental Un examen mental détaillé, soigneusement consigné au dossier, doit faire partie de l’évaluation de tout patient se présentant aux urgences avec des symptômes d’allure psychiatrique. Le but de cet examen est d’observer les diérentes sphères d’activité psychique du patient, de s’assurer de la concordance entre les signes cliniques objectivables pendant l’entretien et les symptômes qu’il

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rapporte, et de déceler des signes d’atteinte par un trouble médicochirurgical (désorientation, altération de la vigilance, aphasie, mouvements anormaux). L’élocution, l’activité psychomotrice et les mouvements du patient (démarche, mouvements involontaires) doivent aussi être observés. Ceux-ci peuvent mettre sur la piste de problèmes médicaux (dysarthrie et tremblements dans des cas d’intoxication au lithium, d’accident vasculaire cérébral ou autres). L’examen mental est présenté en détail au chapitre 3, à la section 3.6. L’examen mental permet aussi d’évaluer l’aect (état aectif ) en ce qui a trait à ses caractéristiques principales (tristesse, anxiété, etc.), sa concordance avec l’humeur décrite ainsi que le discours du patient. Une labilité (instabilité) de l’aect peut suggérer une atteinte cérébrale (accident vasculaire, démence). Une discordance peut être remarquée dans des cas de psychose, où l’aect peut être très inapproprié. Une discordance entre l’aect et l’humeur, le contenu de la pensée ou les symptômes rapportés permet également quelquefois de démasquer une tentative de simulation (p. ex., hallucinations et délires décrits sans émotion ni souffrance apparentes) chez une personne semblant rechercher des gains secondaires (avantages ou privilèges secondaires à la maladie, comme un congé de maladie, une exemption pour comparaître à la cour, etc.) à travers une consultation en psychiatrie. Un diagnostic de simulation de la part du patient n’est à envisager qu’avec une grande prudence, car il s’agit d’un diagnostic d’exclusion (retenu après avoir exclu les autres hypothèses diagnostiques plausibles). Lors de l’examen mental, une attention particulière doit être portée aux fonctions cognitives (vigilance, orientation, attention, mémoire), dont l’atteinte suggère une cause médicale. Lorsque le patient peut y collaborer, le test de Folstein et celui de l’horloge peuvent être administrés rapidement et conrmer ces premières impressions cliniques. Le test de Folstein est présenté en détail au chapitre 24. Le test de l’horloge est présenté en détail au chapitre 67. L’examen mental doit en outre couvrir le champ des idées suicidaires et des idées hétéroagressives. La présence d’idées de mort, d’automutilation, de suicide ou de gestes agressifs doit être explorée spéciquement de même que les raisons de poser de tels actes, les raisons de ne pas le faire et le sentiment de contrôle du patient sur ces idées. Les antécédents médicaux et psychiatriques (personnels et familiaux) donnent aussi une idée du niveau de risque à long terme pour le patient. La vérication détaillée en phase aiguë permet d’apprécier l’immédiateté de l’actualisation de ce risque. Il est bon de se prononcer sur le niveau de risque suicidaire ou hétéroagressif tel qu’il est perçu au cours de l’examen mental (voir la section 49.2).

49.1.4 Diagnostic La synthèse des données recueillies à l’histoire, à l’examen mental et auprès des proches ou des professionnels concernés devrait permettre de se faire une idée sur la condition clinique aiguë du patient, mais aussi d’apprécier sa situation dans son environnement bio-psycho-social. Cette synthèse permet de poser un diagnostic médical et psychosocial sur la situation de crise et d’intervenir pour soulager la sourance exprimée.

49.1.5 Évaluation complémentaire La manifestation initiale de certaines maladies physiques par des symptômes de type psychiatrique, la comorbidité reconnue entre les maladies psychiatriques et physiques, la très grande prévalence de problèmes de consommation de substances psychoactives et les eets indésirables ou iatrogènes des médicaments (psychotropes ou non) justient le besoin de compléter l’évaluation clinique d’urgence d’une condition d’apparence psychiatrique par une évaluation physique. Cela inclut un questionnaire axé sur les principaux systèmes physiologiques, un examen physique ciblé selon la nature des antécédents médicaux et les réponses au questionnaire médical, et un examen neurologique sommaire. Dans la plupart des urgences psychiatriques, l’examen physique est fait par un omnipraticien et il devrait être d’autant plus minutieux que le patient n’est pas nécessairement able dans les réponses qu’il fournit et qu’il pourrait ne pas exprimer les malaises qu’il ressent, dissimulant ainsi une maladie physique, qu’il faut alors dépister par des examens paracliniques. En situation d’urgence psychiatrique, il faut toujours se questionner quant à la présence d’une urgence physique, notamment de delirium. En conséquence, au besoin, il est possible de prescrire des tests de laboratoire visant à documenter des anomalies pouvant expliquer le tableau clinique présenté ou y contribuer. Ces examens permettent aussi de dépister ou de suivre des aections médicales présentes de façon concomitante avec la maladie psychiatrique connue (p. ex., un diabète chez un patient sourant de schizophrénie), cela en raison de la comorbidité fréquente chez certaines populations et de la diculté de nombreux patients à eectuer un suivi régulier de leur aection médicale. Enn, les patients sourant de maladies psychiatriques prennent des médicaments qui peuvent avoir des eets iatrogènes (p. ex., neutropénie secondaire à la clozapine, atteinte rénale ou thyroïdienne secondaire au lithium), qu’il faut dépister, suivre et pour lesquels des changements de médication peuvent parfois s’imposer. Ces médicaments peuvent aussi être en surdosage (volontaire ou non), d’où la nécessité d’en réajuster la posologie. Les tests de laboratoire peuvent inclure, selon les indications cliniques : • l’analyse d’urine ; • le dépistage urinaire de substances psychoactives ; • la formule sanguine complète ; • la glycémie ; • le dosage des électrolytes et du calcium ; • le dosage de l’urée et de la créatinine ; • un bilan hépatique ; • un bilan thyroïdien ; • le dosage de la créatine phosphokinase (CPK) ; • la prolactinémie et un bilan lipidique, en raison des eets endocriniens et métaboliques des neuroleptiques ; • la quantité de tout médicament (psychotrope ou non) utilisé de façon régulière par le patient et mesurable dans le sang devrait être évaluée systématiquement à l’arrivée aux urgences pour s’assurer qu’il n’y a pas surdosage (volontaire ou accidentel) : lithium, acide valproïque, carbamazépine, clozapine, tricycliques. Pour une estimation plus précise du taux sanguin d’un médicament, une autre mesure peut être prise 12 heures postdose, à moins que le résultat à l’arrivée n’ait montré un surdosage ou une absence complète dans le sang. Chapitre 49

Urgences psychiatriques

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TABLEAU 49.1 Interventions administratives et bio-psycho-sociales à l’urgence

Interventions

Évaluations complémentaires

Interventions thérapeutiques

Administratives

• Lecture du dossier antérieur pour noter les événements saillants • Demande de dossiers d’autres établissements • Demande de consultation spécialisée

• • • •

Biologiques

• Recherche de substances psychoactives dans les urines • Tests de laboratoire ciblés

• Médication d’action rapide pour : – obtention d’une sédation – correction des symptômes aigus

Psychologiques

• Échelles d’évaluation standardisées (p. ex., test de Folstein et test de l’horloge)

• Réassurance sur la bénignité d’un symptôme • Clarication de la situation du patient • Psychoéducation

Sociales

• Rencontre avec les proches pour un complément d’information

• • • •

D’autres examens paracliniques, comme l’électrocardiogramme et la recherche de troponines cardiaques, l’électroencéphalogramme ou la tomodensitométrie cérébrale, peuvent être considérés selon les symptômes cliniques que présente le patient. Le tableau 49.1 résume les principales interventions administratives et bio-psycho-sociales à faire à l’urgence en complément de l’évaluation clinique du patient.

Planication du suivi externe Période d’observation Hospitalisation volontaire ou garde en établissement Mesures de surveillance

Écoute et soutien des proches Mesures de sécurité pour le patient et l’entourage Mobilisation du réseau de soutien Prise de contact avec des ressources de suivi ou d’hébergement

Le médecin joue un rôle important dans l’estimation du risque suicidaire. Plusieurs personnes qui se suicident ont vu leur médecin ou un autre professionnel de la santé dans l’année, les mois et parfois les jours précédant leur geste. Un grand nombre de patients vus en situation d’urgence psychiatrique présentent des idées suicidaires à divers degrés. Si la prévalence d’idées suicidaires est très élevée, le suicide est quant à lui un phénomène beaucoup moins fréquent. Lorsqu’on considère la prévalence des appels à l’aide (nommés aussi pseudo-suicides) et des idées suicidaires au cours de la vie, près de 8 Québécois sur 100 ont admis avoir pensé à se suicider, alors que 3,6 % des Québécois ont déjà attenté à leur vie à un moment donné (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 1992). L’évaluation du risque suicidaire est importante, complexe et dicile à quantier. Le syndrome suicidaire, qui consiste en l’ensemble des signes et symptômes permettant d’en reconnaître les risques, est ici abordé sous deux angles : l’évaluation du patient suicidaire et l’estimation du risque suicidaire, en distinguant autant que possible le patient suicidaire et le patient pseudo-suicidaire qui fait un appel à l’aide.

provient de son patron qui lui en veut pour un grief défendu il y a trois ans. La femme du patient raconte au médecin que son mari est diérent depuis quelques semaines, qu’il n’a plus le goût à rien, qu’il délaisse leurs activités et loisirs usuels, qu’il rentre du travail pour se coucher et qu’il se fâche pour des choses plutôt futiles. Le matin même, il a corrigé assez sévèrement leur ls parce que celui-ci tardait à se préparer pour l’école. Comme le médecin interroge le patient pour comprendre ce qui se passe, celui-ci répond qu’il est tanné de tout et que s’il mourait, cela ne dérangerait plus personne. Ensuite, il dit de façon détachée que la semaine dernière, il est allé dans le garage pour voir s’il pourrait s’y pendre. Patient pseudo-suicidaire (appel à l’aide) : Christine, dans la trentaine, est dirigée aux urgences psychiatriques pour une évaluation du risque suicidaire. Son conjoint l’accompagne à la suite d’une dispute particulièrement violente. La patiente s’est enfermée dans la salle de bain, et le conjoint, après avoir enfoncé la porte, l’a retrouvée avec des lacérations aux poignets. Il arme qu’elle a besoin d’être hospitalisée et évoque une séparation. La patiente insiste pour partir de l’hôpital, « elle n’en peut plus » et « ne sait pas ce qu’elle va faire ». Elle soutient qu’elle est « maniacodépressive » et qu’actuellement, elle vit une phase dépressive. L’alternance entre les hauts (high) et les bas (down) survient plusieurs fois par semaine à la suite de situations frustrantes. Elle aurait fait plusieurs « tentatives suicidaires » dans le passé, mais changeait d’idée après son geste et appelait un ami ou une ligne d’aide téléphonique pour obtenir du soutien. Aucune symptomatologie psychotique n’est mise en évidence. Le médecin ressent un vague malaise en entrevue, avec l’impression d’être piégé dans un conit conjugal, où le geste suicidaire de la femme vise à atteindre le conjoint.

Étude de cas

49.2.1 Syndrome et risque suicidaire

49.2 Patient suicidaire

Patient suicidaire : Laurent, âgé de 39 ans, travaille dans un centre de mécanique automobile, où il est très impliqué dans le syndicat. Après plusieurs heures de négociations avec sa femme, il accepte de se rendre aux urgences psychiatriques. Depuis quelque temps, un mauvais sommeil lui cause souvent des retards le matin et la fatigue qui persiste l’amène à faire des erreurs mineures. Selon lui, la cause de cet état de fatigue

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Un syndrome consiste en un ensemble de signes et de symptômes composant une entité reconnaissable sans égard à l’étiologie sous-jacente. L’état suicidaire est avant tout un syndrome dans la mesure où il constitue une manifestation clinique pouvant être engendrée par de multiples entités psychopathologiques diérentes. Un syndrome suicidaire survient habituellement chez un

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individu présentant un trouble mental ou de la personnalité. En examinant le cas des suicidés (individus décédés d’un suicide), il est fréquent (92 %) de retrouver une psychopathologie à la suite d’une autopsie psychologique (Lesage & al., 1994). Cette autopsie est menée en questionnant les proches sur les symptômes qu’ils ont observés avant le décès. Le groupe des suicidés comprend une grande proportion de patients sourant de : • schizophrénie (dont les voix impérieuses leur disent de se tuer ou qui sont exaspérés par les voix qui les harcèlent) ; • paranoïa (qui veulent fuir leurs persécuteurs dans la mort) ; • dépression majeure (qui veulent expier une culpabilité délirante ou une indignité intolérable) ; • toxicomanies ou d’alcoolisme (qui ont un eet désinhibant, incitant au passage à l’acte). Parmi les suicidaires (accusant des idéations suicidaires et présentant un potentiel de passage à l’acte) vus dans le contexte des urgences, il faut distinguer : • le patient avec idées suicidaires : cela n’implique pas nécessairement une action, un passage à l’acte ; • le patient suicidaire : cela ne veut pas dire qu’il va nécessairement se suicider. Le plus souvent, les patients présentant des idées suicidaires éprouvent, comme facteur précipitant, des problèmes situationnels tels que des conits conjugaux, une peine d’amour, un deuil, un échec professionnel ou une perte quelconque qui entraînent une crise psychologique s’ajoutant à une psychopathologie, qu’il faut aussi identier. Les expressions « patient suicidaire »

et « état suicidaire » sont employées assez libéralement. On s’en sert pour justier une consultation ou une hospitalisation, souvent dans un contexte contraignant (garde en établissement). La précision du vocabulaire utilisé et leur description constituent une première étape de l’estimation du risque (voir le tableau 49.2). L’expression d’idées suicidaires, de propos suicidaires, et l’élaboration d’un plan sont présentes dans la plupart des cas de suicide. L’élaboration d’un plan peut être soupçonnée lorsqu’il y a eu récemment achat de matériel (corde, arme), rédaction d’un nouveau testament ou demande d’un nouveau contrat d’assurance vie, particulièrement lorsque ces actions s’accompagnent d’un don d’objets ou d’éléments auxquels la personne semble attachée (p. ex., euthanasie d’un animal domestique pour un motif futile). La révélation d’une lettre d’adieu suggère évidemment la possibilité d’un plan suicidaire en cours. La plupart des suicidés (70 à 80 %) laissent des indices avant de passer à l’acte. C’est pourquoi il faut rechercher ces signes activement lors de l’entrevue psychiatrique en situation d’urgence. De plus, il ne faut pas confondre deux types de risques suicidaires : 1. Le risque suicidaire médical, qui est relié à la létalité du moyen (p. ex., les armes à feu et la pendaison sont plus létales que les pilules et les coupures) ; 2. Le risque suicidaire psychologique, qui réfère au potentiel de létalité que le patient attribue au plan suicidaire, sans qu’il y ait vraiment corrélation avec le risque médical réel. Par exemple, 30 comprimés de benzodiazépine

TABLEAU 49.2 Description des termes liés à l’évaluation du risque suicidaire

Termes

Description

Comportement suicidaire

Se traduit par un style de vie qui amène à courir certains dangers sans avoir une intention ferme et immédiate de mourir (p. ex., omission d’un traitement médical, conduite dangereuse, abus d’alcool et de drogues).

Idée ou idéation suicidaire

S’applique à un patient qui pense qu’il pourrait s’enlever la vie, mais qui n’a pas vraiment l’intention de le faire et n’a pas de plan précis. De nombreux patients ne dépassent pas ce stade.

Velléités suicidaires

Consistent en une volonté faible, hésitante, une intention fugitive, non suivie d’acte suicidaire.

Ruminations suicidaires

Consistent en des idées suicidaires récurrentes et insistantes.

Intention suicidaire

S’applique à un patient qui a pris la décision d’attenter à ses jours. Il pense au suicide, au moyen qu’il prendra. Il veut passer à l’acte et peut avoir pris des dispositions en ce sens. Il arrive même qu’il apparaisse plus serein après avoir pris sa décision.

Plan suicidaire

Décrit les moyens que le patient compte utiliser.

Automutilation

Peut apparaître comme un geste suicidaire, mais ne traduit pas toujours un désir de mourir. C’est souvent un besoin de ressentir la douleur ou d’attirer l’attention, un souhait d’être aimé et pris en charge, un appel à l’aide.

Tentative ou geste suicidaire

Représente un degré de gravité plus important et repose sur des moyens dont la létalité peut varier. Le patient va au bout de son geste et ne peut être sauvé que par hasard ou par erreur de calcul dans son plan, ou encore il change d’idée à la dernière minute et appelle à l’aide.

Raptus suicidaire

Consiste en une impulsion violente et soudaine pouvant conduire un patient délirant et très souffrant à commettre un acte grave entraînant sa mort.

Risque suicidaire

C’est l’estimé que le patient et le médecin font du risque de mort associé au geste. Il est relié au moyen et au scénario suicidaire.

Source : Adapté de Denis (1984).

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Urgences psychiatriques

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et 30 comprimés de lithium n’impliquent pas le même risque létal. L’important est donc d’examiner quelle était l’intention du patient quand il absorbait ces pilules. En utilisant un ton de voix et une attitude empathiques, il est possible de lui poser la question : « Quand vous avez posé ce geste, pensiez-vous vraiment qu’il pourrait vous faire mourir ? » L’estimation du risque peut se faire selon l’approche épidémiologique (ou statistique) et l’approche clinique. Ces deux approches étant indissociables dans le processus clinique, leur distinction n’a ici qu’un but didactique. Les données

épidémiologiques concernent des populations et proviennent de groupes de personnes décédées par suicide ; elles ont une valeur statistique. Certaines variables sont toutefois retrouvées dans la plupart des suicides complétés et doivent être recherchées lors de l’évaluation clinique du patient suicidaire. Une approche clinique individualisée et bio-psycho-sociale concerne un patient spécique, en état de crise, présentant des idées suicidaires ; elle complète nécessairement l’approche épidémiologique. Plusieurs facteurs diérencient les suicidés de ceux qui survivent à leur tentative de suicide (voir le tableau 49.3).

TABLEAU 49.3 Facteurs de risque du suicide

Facteurs de risque

Risque suicidaire important

Appel à l’aide

Facteurs biologiques Sexe

• Trois fois plus de suicides chez les hommes

• Trois fois plus de tentatives de suicide chez les femmes

Âge

• Les 45 à 54 ans et les hommes de 75 ans et plus • Les jeunes de 15 à 35 ans (2e cause de mort)

Maladie physique

• • • •

Moyen

• Rapide et efcace • Risque létal élevé : arme à feu, pendaison, substance toxique (monoxyde de carbone)

• Lent et peu efcace • Risque létal minime : substances non toxiques, coupures supercielles • Fait connaître sa détresse

Historique psychiatrique

• Tentative suicidaire antérieure, automutilation répétée • Idée suicidaire persistante et appels à l’aide non entendus • Histoire d’abus physiques et psychologiques • Séparation, perte précoce de personnes signicatives • Sentiment d’injustice depuis le jeune âge

• Risque de nouvelles tentatives ou de suicide réussi par erreur de scénario anticipé

État mental

• Mutique, inquiet, dépressif, désespéré, agité, irritable, angoissé, intoxiqué • Idées suicidaires et planication de moyens

• Vif, expressif • Assuré, contrôlant, parfois arrogant • Dépendant

Signes

• Se défaire de ses biens, régler ses comptes • Se retire, s’isole • Soudainement serein (après une période dépressive)

• Attirer l’attention, besoin de spectateur

Rôle

• Victime de lui-même, a « peur de lui-même »

• Agresseur de lui-même, se « prend en otage » et demande à son interlocuteur d’être son garde du corps

But, n envisagée

• Solution à un problème chronique et personnel • Inéluctable : la mort est la solution recherchée à des problèmes perçus comme insurmontables, à un sentiment d’indignité

• Appel à l’aide, en réaction à une situation interpersonnelle désagréable, récente et concrète • La mort est conditionnelle : le geste vise à changer quelqu’un ou un aspect de son entourage

Dyade

• Perception négative de soi internalisée • Perte de conance en soi et aux autres • N’établit pas de relation avec l’entourage ni avec le médecin

• • • •

Chronique avec douleur Maladie débilitante Cancer récemment diagnostiqué Insomnie

Facteurs psychologiques

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Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Une personne de la vie courante est visée Relations conictuelles Satisfait de la crainte inspirée par ses menaces Ouvert plus rapidement aux offres d’aide

Spécialités psychiatriques

TABLEAU 49.3 Facteurs de risque du suicide (suite)

Facteurs de risque

Risque suicidaire important

Appel à l’aide

Facteurs psychologiques (suite) Diagnostic associé

• • • • •

Dépression bipolaire Usage de drogues et d’alcool Schizophrénie Trouble obsessionnel-compulsif Panique

• Troubles de l’adaptation • Personnalité limite

Facteurs sociologiques Ressources

• Réseau social pauvre

• Réseau social dysfonctionnel

Facteurs précipitants

• • • •

• Rejet • Blessure narcissique

Situation socioéconomique

• Perte d’emploi, chômage • Pauvreté

Historique familial

• Suicide d’un proche

Facteurs sociaux

• Six à onze fois plus de suicides chez les autochtones et les homosexuels

Facteurs géographiques

• Plus de suicides dans les régions rurales qu’urbaines • Région avec histoire de suicide récent

Séparation récente Décès d’un conjoint Isolement Problèmes récents avec la justice

• Perte d’identité par désœuvrement

Source : Adapté de APA (2003).

Le tableau 49.4 illustre l’interaction de plusieurs facteurs qui peuvent mener au suicide ainsi que des éléments de protection à orir. Ce modèle inclut les quatre principaux domaines visés dans l’évaluation du risque suicidaire : le diagnostic psychiatrique et les facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. Certains

facteurs peuvent se retrouver à plusieurs étapes selon le seuil de tolérance à la sourance ou à la douleur psychologique. Les facteurs précipitants peuvent être une accumulation graduelle, non dramatique, de plusieurs facteurs de risque qui ne sont pas nécessairement intenses et dramatiques.

TABLEAU 49.4 Facteurs de risque et de protection du suicide

Facteurs de risque prédictifs

Facteurs prédisposants

Facteurs précipitants

Facteurs protecteurs

Diagnostic psychiatrique

• Historique de dépression • Vulnérabilité • Tentative de suicide • Schizophrénie • Trouble affectif • Dépression • Utilisation de substances • Trouble de la personnalité • Psychose • Trouble panique

• Traitements • Médication • Mobilisation du milieu

Facteur biologique : antécédents familiaux, génétique

• • • •

• Bonne santé physique

Facteur psychologique : personnalité

Facteur social : situation économique et culturelle

Âge Sexe Race Histoire familiale de suicide

• Utilisation de drogues et d’alcool • Mauvais état de santé

• 5-HIAA bas • Utilisation de drogues et d’alcool • Maladie physique • Douleur

• Perception négative de soi • Délire d’indignité • Perte de conance en soi et aux autres

• • • •

Impulsivité Rigidité cognitive Colère Idées suicidaires

• Perte d’espoir • Espoir • Vision de la mort comme • Souplesse cognitive porte de sortie • Habileté d’adaptation • Vengeance

• Violence sociale • Parents abusifs • Maltraitance

• • • •

Isolement Difcultés conjugales Difcultés au travail Anomie

• Accès à une méthode létale • Stress • Perte d’objet • Retraite

• • • • •

Hospitalisation Soutien social Mariage Enfant Croyances religieuses

Source : Adapté de Maris & al. (1992).

Chapitre 49

Urgences psychiatriques

1091

Parmi les facteurs de protection, notons aussi :

• un accès facilité aux services de santé mentale et physique et aux services pour la toxicomanie ;

• un accès limité aux moyens létaux (armes à feu, accumulation de médicaments) ; • des habiletés dans la gestion de problème et la résolution des conits sans violence ; • des liens familiaux et communautaires rapprochés, un engagement social de toute nature, pour autant que l’interaction avec autrui soit bénéque. Inversement, l’isolement augmente le risque. C’est pourquoi une attention particulière doit être portée au phénomène d’isolement en prison. Le suicide est une des causes principales de décès en milieu carcéral ; • des croyances culturelles et religieuses qui découragent les solutions suicidaires et encouragent l’entraide dans la survie. Plus une religion encourage les liens communautaires, favorise la rencontre, les rituels, permet une discussion des dicultés des individus et un encadrement social, plus elle protège ses adhérents contre le suicide. Il faut toutefois porter attention à certaines croyances spéciques liées à des sectes pouvant favoriser le suicide, comme celles qui ont la conviction d’une apocalypse imminente. On note que 90 % des hommes âgés de plus de 60 ans qui font une tentative de suicide réussissent la première fois. Le choix du moyen et sa létalité potentielle dièrent selon le sexe, les hommes ayant tendance à utiliser des moyens à létalité plus élevée, tels que la pendaison ou les armes à feu, et les femmes privilégiant souvent l’intoxication médicamenteuse. Une minorité (15 %) de ceux qui ont posé un geste pseudo-suicidaire (appel à l’aide) en meurt. Par ailleurs, 35 à 40 % de tous les suicidés sourent d’une maladie physique, notamment une épilepsie, un cancer, des problèmes gastro-intestinaux (constipation opiniâtre) et des problèmes du système locomoteur comme l’arthrite et la lombalgie (Maris & al., 1992). L’alcoolisme et la toxicomanie sont des facteurs de risque majeur. Une ingestion de médicaments, d’alcool ou de drogues, conduisant à un état d’intoxication, favorise le passage à l’acte par désinhibition et manque de jugement, sans qu’il y ait eu nécessairement présence d’intention létale.

49.2.2 Évaluation clinique Le suicide survient au moment où le niveau de douleur psychique dépasse le seuil de tolérance de l’individu. Le processus de l’évaluation clinique du risque suicidaire consiste essentiellement à déterminer jusqu’où la sourance ressentie se rapproche de ce seuil de tolérance. La sourance et le seuil de tolérance peuvent varier en fonction de diérents facteurs, dont la fatigue, l’insomnie, le degré d’intoxication à l’alcool et aux drogues, etc. La présence d’une maladie ou d’une douleur chronique peut abaisser le seuil suicidaire de façon graduelle et progressive. Un événement imprévu, réel ou imaginé, peut l’abaisser rapidement. Le seuil de tolérance et la sourance sont ainsi en variation constante selon les événements de vie d’un individu. Contrairement à ce que véhiculent certains préjugés, aborder avec ouverture le thème des idées suicidaires et questionner le patient an de rechercher les facteurs de risque ne peut pas provoquer un suicide. Au contraire, le patient se sent soulagé d’exprimer sa sourance à un clinicien empathique. Omettre cette investigation peut constituer une erreur clinique et avoir des

1092

répercussions médicolégales. De la même façon que le chirurgien palpe un abdomen aigu et observe la douleur chez son patient, le médecin doit être capable de demeurer réceptif à la douleur psychique engendrée par la crise et au risque suicidaire associé. Il y a également lieu de considérer les aspects cliniques suivants : • le scénario suicidaire : le patient est isolé ou souhaite accéder à de l’aide ; • la létalité médicale du moyen envisagé par rapport à l’intention du patient vis-à-vis de ce moyen ; autrement dit, le degré de conviction que le patient a en l’ecacité létale du moyen qu’il compte utiliser ; • la gradation de l’intention en fonction de la progression suivante (de la moins grave à la plus importante) : – l’arontement de dangers potentiellement mortels ; – la prise de risques, le fait de laisser le hasard décider (p. ex., traverser la rue sans regarder) ; – l’idée de mort passive : « J’aimerais autant être mort demain, que le Bon Dieu vienne me chercher » ; – les idées fugaces, les velléités de mort ; – les idées récurrentes, envahissantes ; – les idées suicidaires accompagnées de l’élaboration d’un plan ; – les hallucinations impérieuses, le délire de persécution, le délire d’indignité ; – le suicide altruiste (le fait d’amener ses proches dans la mort pour les sortir de la misère actuelle), le pacte suicidaire. Le médecin doit aussi tenter : • de détecter et d’amplier les instincts de vie : « Vous pensez à poser ce geste, mais vous ne le faites pas parce qu’il y a quelque chose qui vous retient. Qu’est-ce qui vous retient ? » Le patient peut alors exprimer les choses et les personnes qui le rattachent à la vie, ce qui permet au médecin de renchérir sur leur importance ; • de détecter les instincts de mort (p. ex., fantaisies de réunion avec le conjoint ou un parent décédé) ; • d’évaluer le tonus psychologique, l’énergie pour poser le geste. Le patient est ensuite invité à décrire en détail les événements de sa journée en commençant par son réveil pour en arriver au moment précis où est apparue l’idée de mort ou l’idée suicidaire. Ce processus vise à recréer le contexte de l’idée ou du geste suicidaire, à reconnaître l’aect qui y était relié, à replacer le patient dans l’état émotionnel où il se trouvait. La reconstitution minutieuse des événements ayant mené à l’idée ou au geste suicidaire permet de mettre en lumière les enjeux personnels et relationnels qui répondent aux questions fondamentales « pourquoi maintenant ? en ces circonstances ? où ? quand ? et comment ? ». Au cours de l’évaluation, le patient prend une distance envers cette idée ou ce geste suicidaire et remet en perspective des événements de sa journée. Il peut alors centrer son énergie sur la véritable problématique, dont les idées émises ou le geste posé sont le symptôme. Cette démarche permet à la fois de recueillir les éléments d’évaluation pertinents et de soulager le patient, qui peut raconter son tourment en toute conance. Les patients collaborent habituellement bien à l’évaluation du risque suicidaire, ce qui permet souvent de se faire une opinion valable de la dangerosité. Il n’y a rien de magique. Il s’agit d’écouter le patient, de lui parler avec empathie, de s’enquérir de ses préoccupations récentes et actuelles, ce qui a souvent pour

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

eet de le soulager. L’état suicidaire possède son histoire et sa mécanique, et il est souvent déconcertant de voir avec quelle facilité, devant un médecin empathique, le patient s’ouvre sur ces éléments. C’est le scénario qui le sous-tend qu’il faut élucider.

49.2.3 Dilemme suicidaire Il peut être tentant de croire que des intentions suicidaires sont pathognomoniques d’un état dépressif. Il s’agit là d’une erreur commune qui oblige à nuancer les mots « geste suicidaire », « intention suicidaire » et « dépression », puisqu’un geste n’implique pas nécessairement une intention suicidaire et une intention suicidaire n’est pas nécessairement synonyme de dépression (voir la gure 49.1). FIGURE 49.1 Risque suicidaire

C’est quand il y a interaction des trois facteurs que le risque suicidaire peut augmenter. Parmi tous les suicidaires, les personnes sourant de dépression majeure sont en minorité. La majorité des patients ayant des idées suicidaires présentent une variété de psychopathologies incluant la psychose, un trouble de l’adaptation, un trouble de la personnalité ou des abus de substances. L’idée suicidaire, qui implique habituellement un désir de changement, peut être à dessein : • autoplastique, lorsqu’une modication (la mort) est visée. La recherche de visées autoplastiques permet de se centrer sur le désir du patient et le sens qu’il donne à une situation. L’idée suicidaire, au plan psychique, constitue un des moyens que le patient utilise pour communiquer que quelque chose doit changer, que la situation est devenue intolérable et qu’il pense à disparaître pour laisser place à un nouvel équilibre. Ce message symbolique peut donc être envisagé comme une demande de changement. Cette façon d’aborder les idées suicidaires est un outil très utile pour la recherche et l’évaluation du message que le patient s’adresse à lui-même ou adresse à son entourage ; • alloplastique, lorsqu’une modication du milieu environnant est souhaitée. Les idéations à dessein alloplastique cherchent plus clairement à envoyer un message à une personne de l’entourage. Il existe un continuum entre ces deux polarités de l’intention de létalité. Il n’est pas exclu qu’un patient se déplace, dans le temps, le long de ce continuum, bien que le mode de présentation puisse paraître identique lors de diérentes consultations.

Une tentative échouée ne fait pas nécessairement du patient un pseudo-suicidaire. De la même façon, un suicide complété ne conrme pas obligatoirement une intention suicidaire réelle ; il peut s’agir d’une mauvaise planication ou d’un manque de jugement (le conjoint ne rentre pas au moment prévu ou la corde est trop solide pour casser). Ce sont les conditions dans lesquelles l’action a été posée et non pas les résultats qui déterminent si un patient était préalablement suicidaire ou pseudo-suicidaire. Deux objectifs principaux sont poursuivis durant l’entrevue : 1. Procéder à une évaluation de l’état mental et du potentiel de dangerosité que le patient présente pour lui-même et les autres personnes de sa famille. 2. Analyser la situation de crise an de la clarier aux yeux même du patient et de l’aider à trouver d’autres options à ses dicultés. Il est erroné d’attribuer d’emblée des intentions malveillantes au patient présentant des attitudes ou des comportements manipulateurs. Ils peuvent être l’expression malhabile d’une sourance psychique véritable. Le contre-transfert négatif qu’ils suscitent doit être considéré comme un élément parmi un ensemble de données cliniques et empiriques. Il faut prendre chaque menace suicidaire au sérieux, en détectant l’appel à l’aide, même si, de toute évidence, il s’agit d’une intention pseudo-suicidaire. Il faut aussi porter attention au « patient connu » pour ses idées ou tentatives suicidaires à répétition, à qui on peut être tenté de donner congé après une évaluation trop sommaire. C’est en attachant de l’importance à la menace suicidaire que l’élément manipulatoire peut être mis en évidence et la sourance sous-jacente mise à jour. La référence aux comportements issus de telles idéations est fréquente et ceux-ci sont appelés péjorativement « manipulatoires ». En ce sens, deux types de manipulations sont catégorisées : 1. La manipulation inconsciente apparaît lorsqu’un gain secondaire est obtenu de l’entourage, mais n’est pas recherché de façon volontaire et consciente par le patient. L’idée ou le geste suicidaire est ici une manière inconsciente de se relier aux autres, d’obtenir l’attention d’autrui. C’est le cas dans un trouble factice, par exemple, où un patient exprime des symptômes dans le but inconscient d’assumer le rôle de malade pour bénécier de l’attention et de la considération des soignants. 2. La manipulation consciente se retrouve chez le patient qui parle de suicide ou pose un geste lorsque ses demandes, habituellement très précises, ne sont pas satisfaites. Il poursuit alors un objectif clair, conscient et non suicidaire. Il peut, par une telle attitude, désirer obtenir une ressource d’hébergement ou tenter d’échapper aux conséquences légales d’un acte posé.

49.2.4 Estimation du risque suicidaire Une évaluation clinique attentive permet une compréhension globale et complète, bio-psycho-sociale de la problématique individuelle du patient. L’évaluation du risque suicidaire demeure celle d’un comportement hypothétique pour lequel il n’existe, malgré toutes les notions mentionnées ci-dessus, aucun marqueur pathognomonique able ni aucune certitude prédictive absolue. En fait, le facteur déterminant du suicide est la sourance psychologique ressentie comme intolérable par le patient. C’est cette sourance, jumelée à une tension intense et à une perturbation importante du fonctionnement, menant à des idées suicidaires, qui génère la perception que les horizons sont bouchés. La prévention du suicide réside alors dans l’apaisement de la sourance et l’ouverture de perspectives. Chapitre 49

Urgences psychiatriques

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Malgré ces incertitudes, le médecin doit proposer une estimation du risque en fonction de son intensité et de son imminence. Le risque peut être faible, moyen, élevé ou chronique. On considère que la personne présente un risque faible si elle : • désire parler et est à la recherche de communication ; • cherche des solutions à ses problèmes ; • pense au suicide, mais n’a pas de scénario suicidaire précis ; • est sourante psychologiquement, mais ne présente pas un trouble psychiatrique majeur ; • a établi un lien de conance avec le clinicien ; • a un entourage qui la soutient et qui est able. On considère que la personne présente unrisque moyen si elle : • présente un équilibre émotionnel fragile ; • envisage le suicide avec une intention claire ; • envisage un scénario suicidaire, mais dont l’exécution est reportée ; • ne voit d’autre recours que le suicide pour cesser de sourir ; • a besoin d’aide et exprime directement ou indirectement son désarroi. On considère que la personne présente un risque élevé si elle : • est décidée : sa planication est claire et le passage à l’acte est prévu pour les jours qui viennent ; • est coupée de ses émotions ou rationalise sa décision, ou au contraire, est très émotive, agitée ou troublée ; • se sent complètement immobilisée par la dépression ou, au contraire, dans un état de grande agitation fébrile ; • éprouve une douleur et une sourance envahissantes ou complètement tues ; • détient un accès direct et immédiat à un moyen de se suicider ; • a le sentiment d’avoir tout fait et tout essayé ; • est très isolée. Il faut également tenir compte de l’élément de dangerosité lié à l’accumulation de facteurs de risque, notamment l’âge (plus de 75 ans), la présence de comorbidité médicale ou d’abus de substances et les antécédents multiples.

Les stratégies d’intervention développées pour les patients présentant des idées suicidaires aiguës ne seraient pas ecaces pour la suicidabilité chronique. Il existe souvent un risque chronique, imprévisible. Certaines personnes pensent fréquemment à la mort, qu’elles perçoivent comme une solution à leurs multiples problèmes. Dans ces cas, il est bien dicile de prédire si elles deviendront assez désespérées pour commettre un geste létal ou si elles poseront plutôt un geste signalant un appel à l’aide. Par exemple, les patients qui sourent de trouble de la personnalité limite (borderline) et qui font souvent des gestes d’automutilation représentent un dé clinique principalement en raison de leur tendance chronique au suicide et de leur mode de vie relationnel tumultueux (Paris, 2008). La recherche à long terme montre qu’environ 10 % des patients présentant des troubles de la personnalité limite nissent par réussir leur suicide, mais il reste dicile de prédire lesquels sont le plus à risque. Des recommandations cliniques suggèrent qu’il faut éviter que l’accent principal de la thérapie soit la discussion des idées suicidaires souvent utilisée comme mode relationnel et de résistance à l’approfondissement d’autres dimensions. Comme il n’y a pas de données probantes indiquant que l’hospitalisation prévient la réussite du suicide, l’approche ambulatoire est probablement la plus utile.

49.2.5 Intervention en situation d’urgence La décision de recourir à des mesures visant à protéger, contre son gré, un patient contre lui-même ou autrui demeure teintée de subjectivité. Un sentiment d’inconfort et de doute peut ainsi envahir le médecin habitué à appuyer ses décisions sur des critères objectifs. Au-delà des connaissances théoriques, l’expérience permet l’apprivoisement d’un certain doute inhérent à la pratique psychiatrique d’urgence et à la prise de décisions adéquates et sécuritaires. Il faut tenir compte de l’ensemble des facteurs bio-psychosociaux. L’intervention vise à les modier et à prévoir des dispositions s’ils ne peuvent être modiés. Le plan de traitement et les dispositions sont reliés à l’imminence du risque, soit à l’estimation du délai dans lequel un geste suicidaire pourrait se produire. C’est le contexte dans lequel se situe le patient qui détermine l’intensité et l’imminence (voir le tableau 49.5).

TABLEAU 49.5 Interventions en fonction de l’imminence du risque de suicide

Imminence

Interventions

Risque imminent ou élevé (48 h ou moins)

• • • •

Assurer la sécurité par une surveillance étroite. Proposer une hospitalisation volontaire si le patient accepte. Considérer l’hospitalisation involontaire dans le cas d’un refus (garde préventive et garde en établissement). Considérer une surveillance constante (un à un) jusqu’à ce que le plan d’intervention soit organisé ou complet.

Risque à court terme ( jours ou semaines)

• Évaluer la présence de comorbidité médicale ou psychiatrique, tout particulièrement la dépression, l’anxiété et l’utilisation de substances : – si une affection médicale est identiée, référer pour traitement ; – si dépression ou anxiété, entreprendre le traitement avec médication à indice thérapeutique élevé ; – si abus de substances, référer au programme spécique en toxicomanie. • Mobiliser le réseau de soutien (incluant conjoint, famille proche, famille étendue, etc.). • Restreindre l’accès à des armes à feu ou à tout autre moyen létal.

Risque à long terme faible (semaines ou mois)

• Évaluer la présence de comorbidité médicale ou psychiatrique, tout particulièrement la dépression, l’anxiété et l’utilisation de substances. • Identier le stress psychologique contributif. • Mobiliser le réseau de soutien (incluant conjoint, famille proche, famille étendue, etc.).

Source : Adapté de Hirschfeld (1998), p. 127.

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Spécialités psychiatriques

Hospitalisation L’hospitalisation est une mesure ultime. Parfois incontournable, elle est de plus en plus réservée à la protection des patients ou à l’instauration de traitements qui ne peuvent se faire que sur une base interne. Elle peut avoir des eets négatifs en empêchant le patient de mobiliser ses ressources personnelles ou même en altérant son estime de soi (narcissisme), ce qui constitue un autre facteur précipitant. Elle doit, comme toute autre intervention à haut bénéce et haut risque, être utilisée avec discernement et parcimonie (voir l’encadré 49.2). ENCADRÉ 49.2 Critères d’hospitalisation Indications d’hospitalisation Automutilation répétée (mais l’hospitalisation peut être contre-indiquée dans le contexte d’un trouble de la personnalité limite*) Geste suicidaire à faible létalité chez un patient atteint de maladie mentale aiguë Tentative de suicide récente, haut potentiel de létalité Idées suicidaires persistantes Présence d’un plan Désespoir, horizon bouché Hallucinations impérieuses Délire de culpabilité ou de mort imminente Douleur chronique * Voir Paris (1994). Source : APA, (2003).

Devant une problématique d’ordre psychiatrique, chez un patient alerte et coopératif, l’évaluation biologique doit être guidée par les signes qui annoncent une pathologie sous-jacente et qui invitent à pousser l’investigation. Comme les analyses de routine en situation d’urgence procurent peu de résultats, elles ne nécessitent pas de faire partie de l’évaluation d’urgence. Il s’agit plutôt de faire des analyses sélectives s’il y a des signes d’appel, car même des résultats anormaux sont la plupart du temps non cliniquement signicatifs. En présence d’abus d’alcool et d’autres substances, une surveillance médicale s’impose si l’intoxication est grave. Chez les patients qui expriment des idées suicidaires, il faut prendre en considération le risque de surdose de substances.

Traitement pharmacologique Le traitement pharmacologique de la dépression ou d’autres troubles mentaux doit être considéré lorsque cela est indiqué. Le médecin peut soit l’entreprendre ou le poursuivre. Il vaut mieux éviter les antidépresseurs tricycliques et les inhibiteurs de la monoamine oxydase qui, bien qu’ils soient ecaces, présentent un risque de létalité. Certains nouveaux antidépresseurs (ISRS et IRSN) sont ecaces et sécuritaires. Tout antidépresseur a cependant un délai d’action de deux à quatre semaines. Il y a donc lieu de faire une psychoéducation sur ce report d’ecacité et sur leurs eets indésirables. L’anxiété et l’insomnie sont associées à une augmentation des tentatives suicidaires. Ces symptômes peuvent être soulagés par un anxiolytique ou un hypnotique. Une prescription d’antipsychotiques est pertinente pour traiter les symptômes psychotiques. Bien que la plupart des médicaments soient ecaces pour traiter une aection psychiatrique, les antidépresseurs, les

anxiolytiques et la majorité des antipsychotiques ne préviennent pas le suicide, la seule exception étant l’antipsychotique atypique clozapine, ecace pour la prévention à long terme du suicide chez les patients sourant de schizophrénie (Meltzer & al., 2003).

Traitement psychosocial Les rapports des experts recommandent une intervention de crise puis un suivi à long terme ainsi que la prise en charge du patient associée à une implication de son entourage familial et social (Douglas & al., 2003). Il faut envisager un suivi psychosocial et organiser la continuité des soins dès que la sortie de l’urgence est considérée. Il s’agit alors d’évaluer les recours disponibles dans le milieu ou de la part des intervenants ou de l’entourage du patient, l’alliance thérapeutique et l’adhésion aux soins proposés : prise de rendez-vous, accompagnement du patient dans sa démarche par la famille ou un intervenant. Dans la mesure du possible, il faut faire en sorte que le suivi soit assuré par une personne déjà impliquée auprès du patient. L’objectif général est de modier les facteurs qui peuvent l’être an de diminuer la sourance et le stress, et de mettre en place un let de sécurité en mobilisant le réseau du patient.

49.3 Situations cliniques Les psychiatres sont susceptibles d’être appelés en consultation pour des problèmes qui se manifestent par des symptômes psychiques relevant de causes médicales auxquelles il faut porter une grande attention. Les troubles mentaux associés à des affections médicales sont présentés en détail au chapitre 28. La section qui suit présente une série de situations cliniques d’urgence, répertoriées non par catégories diagnostiques, mais selon certaines caractéristiques du comportement ou de l’attitude du patient. Ces situations cliniques nécessitent une évaluation et une intervention d’urgence structurées, notamment en raison de la possibilité de la présence de problèmes médicaux fréquemment associés à certains des troubles psychiatriques.

49.3.1 Patient avec une affection médicale Étude de cas

Agathe, 56 ans, est conduite à l’urgence par les ambulanciers. Elle circulait en robe de nuit, pieds nus, à la porte de son appartement, tenant des propos bizarres à contenu religieux. À son arrivée à l’hôpital, elle est agitée et désorientée. Elle ne répond pas aux questions posées. Elle soliloque (monologue), répète en boucle des prières et résiste activement aux tentatives faites pour l’installer dans un fauteuil roulant. L’examen physique est dicile à eectuer. On note toutefois que les signes vitaux sont normaux de même que l’auscultation pulmonaire et cardiaque. Les résultats des prélèvements sanguins eectués à l’arrivée sont normaux. La patiente est donc dirigée vers l’urgence psychiatrique avec un diagnostic provisoire de psychose. Le dossier antérieur révèle que la patiente n’a aucun antécédent psychiatrique. Par contre, elle a un diagnostic d’épilepsie et elle n’est pas dèle à sa médication. Un électroencéphalogramme fait à l’urgence conrme la présence d’activité épileptiforme.

Chapitre 49

Urgences psychiatriques

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Comme il a été démontré dans la situation clinique précédente, plusieurs pathologies ou aections organiques peuvent présenter des symptômes d’allure psychiatrique, notamment des hallucinations, des idées délirantes, des changements de l’humeur et du comportement. Le médecin doit suspecter une cause médicale : • lorsque l’âge d’apparition des symptômes est inhabituel (plus de 40 ans) ; • en présence de désorientation ou d’altération de la conscience ; • en présence d’hallucinations visuelles, olfactives, gustatives ou tactiles ; • lorsque le tableau clinique débute brusquement et uctue rapidement ; • lorsque la présentation aiguë dière de celle des épisodes antérieurs. L’analyse de l’ensemble des renseignements fournis par le patient ou son entourage (l’anamnèse), l’examen physique et l’examen mental doivent être rigoureux an de détecter les signes et les symptômes pouvant conduire à une cause médicale sous-jacente. Le diagnostic diérentiel de problèmes médicaux dont les symptômes peuvent laisser croire à des troubles psychiatriques est résumé à l’encadré 49.3.

Intervention en situation d’urgence Selon la nature de la cause médicale découverte chez le patient, une collaboration étroite doit être établie avec le médecin de famille ou le spécialiste approprié an d’établir un plan de traitement conjoint, permettant la résolution des symptômes psychiatriques et de la cause sous-jacente.

49.3.2 Patient confus Étude de cas

Gilles, un homme de 75 ans, est conduit à l’urgence par l’inrmière de sa résidence pour « confusion », alors qu’il a tenté ce matin de traverser la rue en pantoues « pour aller à la banque », disait-il. Ces derniers jours, il parle constamment d’argent, répétant de façon continuelle qu’il va en manquer et qu’il doit faire ses comptes. Il est anxieux, se réveille la nuit et, ce matin, sans aviser personne, il s’apprêtait à traverser la rue en chancelant. L’inrmière le décrit comme très diérent de ce qu’il est d’habitude. Le dossier antérieur ne révèle pas d’historique psychiatrique, mais une hospitalisation en cardiologie le mois précédent pour infarctus du myocarde. Il y est indiqué qu’au cours de son hospitalisation, le patient a fait un épisode de delirium rapidement contrôlé avec un traitement pharmacologique à base d’halopéridol. Selon les notes au dossier, il a quitté l’hôpital asymptomatique. Le patient est interrogé par le médecin de l’urgence, qui réussit dicilement à comprendre ses propos évasifs. Bien qu’il paraisse très nerveux, il se dit bien, il ne comprend pas pourquoi on lui pose des questions, nie tout symptôme et veut rentrer chez lui. Ses signes vitaux sont normaux de même que l’examen physique sommaire. Il est envoyé en psychiatrie pour évaluation plus approfondie de ses fonctions mentales. L’examen clinique montre un homme faisant son âge, bien vêtu mais en pantoues, légèrement agité sur le plan psychomoteur, avec des mouvements anormaux sous forme de stéréotypies (il boutonne et déboutonne son blouson). L’aect est légèrement anxieux. Il est désorienté dans le temps et dans l’espace. Même

1096

s’il est hypervigilant, il ne se souvient pas des événements de la journée. Il répond brièvement aux questions dans un langage dysarthrique. Le contenu de sa pensée révèle une préoccupation centrée sur le désir de rentrer chez lui et il nie avoir eu des inquiétudes au sujet de son argent. Il est impossible d’en savoir davantage sur ses symptômes, car il nie tout problème, tant physique que psychiatrique. Il n’est pas vraiment able. Le Folstein donne un résultat de 21/30. Le patient ne semble pas halluciné. Une investigation physique est eectuée, comportant un électrocardiogramme, des bilans sanguins cardiaques et une radiographie pulmonaire, en plus d’un bilan de base. Les résultats montrent une augmentation des troponines et une légère surcharge pulmonaire. Il est admis de nouveau en cardiologie. Le delirium est une fois de plus traité avec de l’halopéridol. ENCADRÉ 49.3 Diagnostic différentiel des

problèmes médicaux pouvant se traduire par des symptômes psychiatriques

Maladies neurologiques Maladies dégénératives sous-corticales : • Chorée de Huntington • Convulsions et épilepsie • Démence • Hydrocéphalie normotensive

Maladie de Parkinson Sclérose en plaques Traumatisme crânien (hématome sous-dural)

Maladies infectieuses Encéphalite Infection urinaire Méningite

Neurosida Pneumonie Sepsie

Troubles métaboliques Carence vitaminique (acide folique, thiamine, B6, B12) Déséquilibre électrolytique (Na+, Ca++, K+, CI-) Encéphalopathies métaboliques acquises et congénitales (p. ex., maladie de Wilson)

Troubles endocriniens Diabète, hypoglycémie Dysfonction parathyroïdienne

Dysfonction surrénalienne (Addison, Cushing) Dysfonction thyroïdienne

Maladies inammatoires Lupus érythémateux

Vasculites

Néoplasies Inltration méningée Phénomène paranéoplasique

Tumeur cérébrale

Troubles cardiovasculaires Accident vasculaire cérébral Arythmie

Infarctus du myocarde Insufsance cardiaque

Troubles hématologiques Anémie

Porphyrie aiguë intermittente

Intoxication β-bloquant (propranolol) Alcool et drogues Anticholinergiques Antiviraux Benzodiazépines Cimétidine Immunodépresseurs

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Digoxine Lévodopa Métaux lourds : plomb, mercure Narcotiques Pénicilline (par voie intraveineuse) Stéroïdes

Spécialités psychiatriques

La confusion est une altération de la conscience dans laquelle la réactivité aux stimuli de l’environnement est inappropriée et où l’on note de la désorientation par rapport au temps, au lieu ou aux personnes. Cette confusion peut s’accompagner de uctuations de la vigilance et de symptômes délirants, hallucinatoires (plus souvent visuels ou tactiles plutôt qu’auditifs) et comportementaux (agitation, impulsivité, agressivité, etc.). Ce tableau est connu sous le nom de « delirium », que le DSM-5 nomme « état confusionnel ». Un tel état relève toujours d’une cause médicale, et il y a lieu de procéder à une évaluation physique et paraclinique exhaustive en collaboration avec les médecins d’autres disciplines médicales an de de trouver cette cause. Le plus souvent, il existe plusieurs causes conjuguées (p. ex., infarctus du myocarde, médication trop élevée, débalancement métabolique, hypoxie secondaire à la surcharge pulmonaire, début de démence, etc.). Le delirium est présenté en détail au chapitre 27, à la section 27.1.

Intervention en situation d’urgence L’intervention dans un cas de delirium comprend d’abord le traitement de la cause sous-jacente. L’aection médicale sousjacente oriente l’intervention et son évolution sera observée et traitée en collaboration avec les spécialistes concernés. Le traitement spécique des symptômes du delirium se fait avec des neuroleptiques et des benzodiazépines.

49.3.3 Patient intoxiqué Étude de cas

Jack est un quinquagénaire divorcé. La veille, vers 3 heures du matin, il appelle la police et dit être victime de harcèlement de la part de voyous. Une fois sur les lieux, les policiers ne voient rien de louche alors que l’homme insiste, arme les apercevoir cachés devant son logement sous la banquette d’une voiture. Les policiers notent la transpiration abondante de Jack, trouvent ses propos bizarres et décident de l’emmener à l’urgence. Au médecin, Jack raconte avec conviction, dans un langage dysarthrique, les raisons plutôt vagues de ce harcèlement. Son haleine dégage une odeur d’alcool et il admet boire fréquemment, « mais sans exagération ». Il transpire abondamment et présente une tachycardie à 110 pulsations par minute. Il tremble et a de la diculté à saisir un crayon. Beaucoup de patients se présentent ou sont amenés au service des urgences dans un contexte de consommation ou de sevrage de substances psychoactives. La consommation ou le sevrage de substances psychoactives peuvent entraîner des symptômes qui miment plusieurs troubles mentaux. Dans cette situation, il n’est pas toujours facile de diérencier ce qui relève de l’eet de ces substances ou de la présence d’une pathologie psychiatrique ou physique sous-jacente. De plus, la comorbidité entre les problèmes de consommation de substances et les maladies psychiatriques est très élevée, si bien qu’il faut toujours considérer la possibilité qu’un patient sourant d’un trouble psychiatrique connu puisse se présenter à l’urgence dans un état de psychose, de manie ou de grande détresse émotionnelle aggravé par de telles substances. Il est également possible qu’une aection médicale mime un état d’intoxication à une substance, l’alcool notamment, comme le présente le tableau 49.6.

TABLEAU 49.6 Conditions pouvant mimer

une intoxication alcoolique

Haleine forte

Ataxie

Acidocétose diabétique (odeur fruitée) Défaillance hépatique (odeur de poisson) Infection respiratoire (odeur fétide) Insufsance rénale (odeur d’ammoniac ou d’urine) Intoxication par le cyanure (odeur d’amande) Intoxication par le formaldéhyde (odeur de solvant)

Accident vasculaire cérébelleux Labyrinthite Encéphalite Hydrocéphalie normotensive Sclérose en plaques Tumeur cérébrale Hypothyroïdie Intoxication par benzodiazépine, anticonvulsivant ou lithium

Le sevrage de substances psychoactives est présenté en détail aux chapitres 37 et 38. De plus, il est possible que le questionnaire d’un patient intoxiqué ou en sevrage ne soit pas able. La personne peut avoir du mal à avouer sa consommation ou encore croire avoir consommé une substance alors que la drogue fournie par le revendeur était d’une autre nature. L’état de conscience n’est pas non plus toujours optimal, rendant la collaboration aléatoire ou impossible. Le patient est en outre souvent confus, désorienté, anxieux ou irritable. Il peut parfois déranger les autres patients ou ne pas écouter les consignes. Il peut aussi indisposer par son arrogance, sa désinhibition ou son indiérence. Certains individus deviennent belliqueux et d’autres, dangereusement insouciants. Combinée à une humeur dépressive, cette désinhibition peut favoriser l’expression d’idées suicidaires et un passage à l’acte. Ainsi, il importe de s’informer, auprès du malade ou d’un tiers, de l’importance réelle de la consommation récente et habituelle. A-t-il déjà eu un syndrome de sevrage ? des convulsions ? un delirium ? Dans le cas d’un sevrage alcoolique, les premiers symptômes peuvent se manifester de quatre à six heures après l’arrêt de la consommation. Ils évoluent ensuite progressivement pour atteindre leur maximum de 48 à 72 heures après cette interruption. Le sevrage alcoolique, volontaire ou par suite d’une incapacité à se procurer la substance (p. ex., au cours d’une hospitalisation), comporte parfois des risques d’apparition de troubles graves tels que crises convulsives, delirium tremens ou hallucinose. Dans le cas d’un patient intoxiqué aux drogues, l’examen physique peut aussi renseigner sur le type de substances consommées. Par exemple, la prise de cannabis et de cocaïne s’accompagne d’une mydriase (dilatation de la pupille), alors que l’on peut observer un myosis (rétrécissement de la pupille) avec un opiacé. En plus de ces observations cliniques, pour conclure à un diagnostic de consommation de substances psychoactives, il est recommandé de procéder presque systématiquement à une recherche de drogues dans les urines. Ces tests, de nature qualitative, indiquent la présence ou l’absence de drogues qui peuvent avoir été consommées dans les dernières heures, de 24 à 48 heures pour la cocaïne et les stimulants, jusqu’à 30 jours pour le cannabis ou la phencyclidine (PCP) (voir le tableau 38.3). L’alcootest, avec un appareil à pile électrochimique, précise aisément la quantité d’alcool. Les tests sanguins de nature quantitative orent plus

Chapitre 49

Urgences psychiatriques

1097

de précision et permettent de mieux estimer la consommation en quantité et dans le temps. Il faut ensuite apprécier, selon la nature et la chronologie d’apparition des symptômes, ce qui peut relever de la consommation et ce qui peut relever d’une pathologie psychiatrique sous-jacente.

Intervention en situation d’urgence En cas d’agitation chez un patient en sevrage d’alcool, l’emploi de neuroleptiques n’est pas toujours le premier choix, car certains d’entre eux abaissent le seuil convulsif. L’emploi d’une benzodiazépine à action prolongée (p. ex., le chlordiazépoxide) est donc à privilégier. En cas de convulsions, on peut administrer lentement, par voie parentérale, du diazépam ou du lorazépam (traitement intraveineux administré par l’urgentologue). Pour les carences alimentaires reliées à l’usage chronique de l’alcool, des vitamines du complexe B (thiamine 100 à 300 mg/jour) sont indiquées. Le tableau 49.7 fait un survol des complications psychiatriques aiguës de l’abus d’alcool et de leur traitement d’urgence. Dans la plupart des cas, l’intervention d’urgence vise à assurer un milieu sécuritaire, à traiter l’intoxication et à

prévenir le sevrage, puis à diriger le patient vers un traitement spécialisé. Le traitement pharmacologique des intoxications est présenté en détail au chapitre 38. Lorsqu’un patient présente un problème de consommation de substances sans évidence de pathologie psychiatrique surajoutée, l’altération du fonctionnement peut perdurer un bon moment avant de l’inciter à requérir des traitements appropriés. La sourance aiguë, la découverte de répercussions de la consommation sur sa santé ou sur son entourage peuvent favoriser sa motivation pour obtenir un traitement. En confrontant le patient avec la réalité de ses comportements ébrieux, en lui montrant l’aspect chronique et répétitif de sa dépendance de même que les conséquences sociales de ses abus, le médecin favorise une plus grande capacité d’autocritique. Une approche motivationnelle est toujours préférable à une attitude réprobatrice. Bien que le traitement de la dépendance à l’alcool ou aux drogues ne soit pas du ressort de l’équipe d’urgence, il importe d’informer le patient de la nature de la maladie dont il soure et de l’orienter vers un traitement. Le médecin doit indiquer au patient les ressources de

TABLEAU 49.7 Complications psychiatriques aiguës de l’abus d’alcool

Symptômes et signes

Diagnostic

Traitement d’urgence

• Troubles du comportement avec : – dysarthrie ; – incoordination ; – ataxie ; – nystagmus ; – hyperhémie cutanée.

Intoxication

• Comportement verbal agressif ou violence physique à la suite d’une faible consommation d’alcool (la quantité pouvant être aussi faible qu’une seule bière ou un seul verre de vin).

Intoxication alcoolique • Traitement identique à celui de l’intoxication simple. pathologique (intoxica- • Attention particulière au risque d’assaut physique. tion idiosyncrasique) • Administration d’un antipsychotique atypique (olanzapine à dissolution orale rapide) au besoin.

• Apparition de l’un ou plusieurs de ces symptômes dans les 24 à 72 heures après une réduction de la quantité d’alcool consommée : – tremblements grossiers ; – nausées et vomissements ; – malaise et faiblesse ; – anxiété, dysphorie et irritabilité ; – hallucinations ou illusions transitoires ; – céphalées et insomnie ; – tachycardie, hypertension ; – diaphorèse ; – convulsions. • Disparition des symptômes dans les 5 à 7 jours.

Sevrage

1098

• Surveillance et précautions pour prévenir agression ou accident. • Administration de faibles doses d’antipsychotique incisif ou atypique pour calmer l’agitation : halopéridol 2 à 5 mg PO ou IM ou olanzapine à dissolution orale rapide 5 mg, répétables toutes les heures, jusqu’à un maximum de 15 à 20 mg/j pour chaque molécule. • Dans des cas d’intoxication légère : lorazépam 1 à 2 mg PO ou IM, répétable toutes les 60 min au besoin, pour un maximum de 4 mg/j. • Utilité du dosage de l’alcoolémie pour déterminer la sévérité de l’intoxication et guider le choix de traitement. N. B. : Les effets dépresseurs des benzodiazépines sur le système nerveux central (SNC) peuvent s’ajouter à ceux de l’alcool et causer une dépression respiratoire chez des personnes sensibles ou en cas d’intoxication grave. À n’utiliser qu’en cas de grande agitation.

• Bonne hydratation. • Correction des anomalies électrolytiques s’il y a lieu ( y compris calcium et magnésium). • Traitements préventifs pour les complications neurologiques : – thiamine 100 à 300 mg IM ou IV STAT ; – puis thiamine, vitamine B12 et acide folique à forte dose pendant une semaine. • Sédation : – chlordiazépoxide (25 à 100 mg PO QID) ; – ou lorazépam (1 à 2 mg PO ou IM QID), si la fonction hépatique est anormale ; – ajustement de la posologie selon les symptômes et réduction sur 5 à 10 jours.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

TABLEAU 49.7 Complications psychiatriques aiguës de l’abus d’alcool (suite)

Symptômes et signes

Diagnostic

Traitement d’urgence

• Apparition de l’un ou plusieurs de ces sympDelirium de sevrage tômes de 3 à 5 jours après la réduction de la (delirium tremens) consommation d’alcool : – état confusionnel de delirium ; – diminution de l’attention, perturbations de la mémoire, de la perception (illusions, hallucinations) ; – pensée désorganisée ; – désorientation ; – troubles moteurs ; – troubles du rythme veille-sommeil ; – troubles dysautonomiques. • Symptômes d’une durée habituelle de 2 à 3 jours.

• • • • • • •

• Apparition de l’un ou plusieurs de ces symptômes de 1 à 2 jours après la réduction ou la cessation de la consommation d’alcool : – hallucinations visuelles ou auditives persistantes. • Durée très variable, parfois chronique.

Hallucinose alcoolique

• Vitaminothérapie préventive, comme pour le sevrage. • Si des symptômes de sevrage sont présents, traitement avec des benzodiazépines. • Prescription d’un antipsychotique incisif (halopéridol) ou atypique (olanzapine).

• Confusion. • Ataxie et ophtalmoplégie (nystagmus, paralysie du VIe nerf crânien, etc.). • Parfois hypothermie, hypotension, anomalies pupillaires, neuropathies et apathie plutôt qu’agitation.

Encéphalopathie de Wernicke

• Référence en médecine spécialisée (neurologie ou médecine interne). • Thiamine par voie parentérale pendant quelques jours, puis par voie orale.

traitement qui paraissent le mieux correspondre à ses besoins. Une liaison immédiate avec des services en toxicomanie est idéale, notamment en établissant un premier contact à l’urgence même. Cela stimule la prise de conscience et l’engagement rapide dans une démarche favorisant le retour à la sobriété. En ce sens, à l’urgence, il est très aidant de pouvoir compter sur les services d’une inrmière de liaison spécialisée en toxicomanie, qui peut déjà intervenir auprès du patient par une approche motivationnelle, puis le diriger vers le traitement externe ou interne le plus approprié. Pour les patients présentant une double problématique d’abus de substance et de trouble psychiatrique, il faut favoriser l’orientation vers un traitement intégré, où les problèmes psychiatriques et de toxicomanie sont pris en compte en même temps et, de préférence, par la même équipe (p. ex., la clinique CormierLafontaine à Montréal). Bien souvent, au service des urgences, on rencontre des patients qui, sous l’eet d’une intoxication aiguë, ont parlé de suicide ou ont même posé des gestes en ce sens. Une fois l’intoxication résolue, ils se sentent souvent apaisés, non suicidaires et en bon contrôle d’eux-mêmes. Le rôle du médecin consiste alors à évaluer leur condition psychiatrique et psychologique an d’exclure la présence d’un trouble dépressif ou psychotique et à les orienter ensuite vers les services appropriés pour leur problème de consommation. Un travail psychoéducatif est nécessaire pour qu’ils prennent conscience des eets dépresseurs et désinhibiteurs de ces substances. Ces patients présentent un risque chronique de passage à l’acte en état d’intoxication ou en état de sevrage, que seul l’arrêt de la consommation peut réduire.

Urgence médicale : diriger vers un urgentologue ou un interniste. Surveillance intensive du comportement et des signes vitaux. Surveillance des signes de sevrage. Hydratation IV et diète à haute teneur calorique. Vitaminothérapie. Benzodiazépine, sauf si le patient est somnolent. Antipsychotique.

49.3.4 Patient agité et violent Étude de cas

Pierre, 40 ans, arrive à l’urgence, accompagné par les policiers et les ambulanciers. Quelques minutes plus tôt, un commerçant s’était plaint que cet individu menaçait et harcelait d’autres clients. Peu de temps après son inscription auprès du service d’accueil de l’hôpital, le patient doit être maîtrisé par les gardiens de sécurité et l’urgentologue est appelé. Un gardien explique que l’homme a commencé à s’agiter, à crier devant la fenêtre en faisant de grands gestes, puis a menacé de mort un employé, exigeant qu’on le laisse partir immédiatement. Au cours de l’évaluation par le médecin, le patient arme sur un ton agressif qu’il ne répondra pas aux questions tant qu’il sera sous contentions. L’équipe médicale d’urgence ne dispose d’aucun renseignement sur lui. Personne ne l’accompagne et il n’a pas de dossier dans cet hôpital. L’agitation est une perturbation de l’activité motrice perçue tant sur les plans quantitatif (augmentation) que qualitatif (inadéquation par rapport à la situation). Elle constitue une traduction motrice de la souffrance et de la désorganisation psychiques ressenties lorsque les moyens d’élaboration mentale sont débordés. Elle s’associe donc souvent à une perte de contrôle des actes, de la parole et de la pensée. Elle peut s’accompagner de violence verbale et comportementale, avec des gestes dirigés contre soi, contre les objets ou contre les autres personnes. L’agitation représente environ 10 % des demandes de consultation au service des urgences psychiatriques. La violence et la dangerosité sont présentées en détail au chapitre 51.

Chapitre 49

Urgences psychiatriques

1099

La prise en charge initiale de l’agitation comporte deux objectifs majeurs : 1. La maîtrise de la situation de façon sécuritaire pour tous : dès qu’elle perçoit des signes de dangerosité, l’équipe d’urgence et le médecin doivent tenter de prévenir les actes de violence et prendre tous les moyens nécessaires an d’assurer le confort et la sécurité du patient et des autres personnes présentes. Parmi les signes précurseurs de violence, il faut noter : • l’agitation, la nervosité, la fébrilité, la marche de long en large (pacing) d’un air préoccupé ; • les comportements désorganisés et bizarres, le changement subit de comportement ; • la rage, la colère, les cris ; • l’incohérence du langage ; • la tentative de fuite. L’examen doit idéalement se faire en un lieu ouvert et aisément accessible au personnel du service de sécurité. Dans des conditions prévues et aménagées en fonction de sa sécurité et de celle du patient, le médecin, comme les autres membres de l’équipe, peut mieux exercer son jugement sans être inuencé par l’anticipation d’un arontement physique. Son attitude doit reéter l’assurance, le respect et le calme. Il doit parfois être ferme, sans être à son tour menaçant. Le travail des soignants doit s’accomplir dans un cadre où le patient sent la fermeté du médecin et la présence de limites claires à ses excès. Devant un comportement susceptible de tourner en acte violent, le médecin doit signier clairement au patient menaçant quels comportements ne peuvent être tolérés dans le milieu hospitalier et quelles mesures de contrôle seront appliquées, le cas échéant. Il est parfois utile de l’aviser qu’un processus judiciaire sera enclenché s’il commet des actes violents ou délictueux (menaces, voies de fait, bris de matériel). Il est essentiel de savoir mettre un terme à une entrevue avant que le patient ne puisse plus contenir son agressivité. Des mesures cognitivo-comportementales, pharmacologiques et, ultimement, de contrôle (isolement ou contentions) peuvent aider à gérer et à traiter l’agitation. Le tableau 49.8 indique les principaux paramètres de l’évaluation du risque de violence. 2. L’identication de la cause du comportement agité ou violent : après avoir assuré le confort et la sécurité du patient, il faut s’empresser de déterminer l’origine de l’agitation. Les informations déjà consignées dans le dossier (s’il est disponible) constituent

un bon point de départ pour prendre connaissance des antécédents de gestes agressifs, car la violence est un phénomène qui tend à se reproduire. Trouver la cause de l’agitation ou de l’agressivité exige une démarche structurée, dont le but est d’abord de dépister une cause médicale ou toxique avant de conclure à la présence d’un trouble psychiatrique. Les étapes diagnostiques habituelles (questionnaire, examen physique et mental, tests de laboratoire et examens paracliniques) peuvent être inversées, selon la collaboration oerte. Il est cependant préférable de procéder à l’évaluation physique du patient avant de le diriger en consultation psychiatrique. De cette manière, on s’assure de détecter rapidement la présence d’un problème médical grave et d’intervenir de façon diligente. L’agressivité peut être l’expression de diverses émotions (peur, révolte, irritation, culpabilité, déception), engendrées elles-mêmes par diérentes cognitions : • « Un danger (réel ou imaginaire) me menace » ; • « Le destin est injuste » ; • « Ce que vous faites n’est pas bon » ; • « Ce que j’ai fait n’est pas bon » ; • « Ce que j’espérais n’est pas arrivé ». La communication et l’établissement d’une relation d’aide, lorsque c’est possible, permettent d’explorer la signication de l’agressivité et d’en favoriser l’expression verbale. Les causes d’un comportement agité et agressif sont en outre regroupées en deux sous-groupes : 1. Les causes médicales : • Lorsqu’une affection médicale est responsable d’un état d’agitation, le patient a tendance à présenter une altération des fonctions cognitives : altération du niveau de conscience, désorientation temporospatiale, onirisme et confusion mentale. • Dans une étude rétrospective multicentrique, Bultel et ses collaborateurs (1995) ont mis en évidence que 3,5 % des cas d’agitation à l’urgence étaient dus à des causes médicales, dont l’hypoglycémie, les accidents vasculaires cérébraux, l’infarctus du myocarde et l’insusance respiratoire aiguë. Sont également rapportées : l’hypoxie, l’hypercapnie, l’épilepsie, une hémorragie méningée, une tumeur cérébrale, une méningo-encéphalite, une rétention urinaire aiguë. • Dans les cas de démence, l’agitation émaille le plus souvent l’évolution d’une maladie constituée. La symptomatologie

TABLEAU 49.8 Paramètres de l’évaluation du risque de violence

Antécédents • Antécédents personnels de violence • Antécédents judiciaires • Historique de trouble de conduite durant l’enfance • Faible tolérance à la frustration

1100

Altération de l’état mental • • • • • • •

Agitation Nervosité Fébrilité Hallucinations impérieuses Délire de persécution Catatonie Consommation de drogues et d’alcool

Affections associées à la violence

Déterminants spéciques • Distinction entre fantaisie, idée et intention et geste agressif • Présence d’un plan d’agression • Disponibilité de moyens • Cible identiée et atteignable • Caractère envahissant des pensées hétéroagressives • Égosyntonie ou égodystonie des pensées agressives • Faible tolérance à la frustration • Perception par le patient de sa propre capacité de contrôle

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• Schizophrénie (paranoïde, catatonique) • Delirium (causes diverses) • Intoxication (alcool, stimulants, PCP) • Trouble de la personnalité (antisociale, limite) • Trouble de la personnalité organique • Épilepsie

Spécialités psychiatriques

polymorphe associe aux troubles cognitifs des modications du caractère, des épisodes de turbulence nocturne, des troubles de la conscience avec onirisme et des actes agressifs dont les motivations paraissent plutôt obscures. • La recherche systématique de toxiques dans les urines montre que les patients agités sont souvent sous l’eet de stimulants (amphétamines et ses dérivés, cocaïne, ecstasy), cannabis ou PCP. Tous les états de dépendance à une substance psychoactive sédative (alcool, anxiolytiques, opiacés) peuvent déclencher des manifestations d’anxiété et d’agitation lors d’un sevrage brutal. • En raison de leur eet désinhibiteur, les benzodiazépines peuvent accroître l’agressivité, de même que les inhibiteurs du recaptage de la sérotonine et les antidépresseurs tricycliques (voir la sous-section 49.2.1). 2. Les causes psychiatriques : • La schizophrénie ou le trouble psychotique bref : ces diagnostics sont évoqués lorsque l’agitation s’associe à des interprétations délirantes, des hallucinations, des symptômes dissociatifs, des troubles du cours de la pensée et un aect méant, perplexe ou inapproprié. L’agitation est souvent au premier plan d’une exacerbation psychotique. • La manie : ce diagnostic est à considérer devant une humeur expansive (exaltation, grandiosité et un aect exubérant, souvent labile, pouvant passer rapidement de l’euphorie à l’hostilité ou aux pleurs). La manie s’accompagne aussi d’une excitation physique et psychique caractérisée par l’agitation, l’irritabilité et même la colère, une hyperactivité ludique, une désinhibition globale, de la tachypsychie et de la logorrhée. Le patient est facilement distrait, attiré par tous les stimuli. • La dépression majeure : il s’agit d’une agitation motrice qui, en fait, est plus un « nervosisme ». Le patient paraît inconfortable, bouge sur sa chaise, marche de long en large, l’air hagard. L’agitation est souvent déclenchée par une anxiété importante ou des symptômes psychotiques associés. Elle peut alimenter et précipiter un raptus (impulsion) suicidaire. • L’attaque de panique : survenue brutale d’une peur intense et sans objet, accompagnée d’un sentiment de mort imminente, de la peur de devenir fou ou de la crainte d’une catastrophe. Des signes somatiques associés peuvent prédominer et masquer le tableau psychique : sensation d’étouement, oppression thoracique, palpitations, diaphorèse, tremblements, nausées, vomissements, sensations de vertige de même qu’une agitation psychique et motrice. • L’agitation caractérielle : crise explosive chez une personne impulsive, intolérante à la frustration. L’agitation est généralement réactionnelle à un événement stresseur. L’agressivité et l’attitude menaçante se retrouvent surtout chez les patients avec des traits de personnalité limite et antisociale. Les causes d’un comportement agité et agressif sont donc nombreuses et peuvent diérer selon que l’on se trouve : • dans un secteur de soins psychiatriques (urgence psychiatrique, unité d’hospitalisation), la pathologie psychotique (70 %) et la maladie bipolaire (13 %) constituant la majorité des diagnostics rencontrés. L’usage de substances toxiques, à l’exclusion de l’alcool, est rapporté dans 15 à 20 % des cas ; • dans une urgence générale, l’abus d’alcool rendant compte de la majorité (59 %) des diagnostics des cas d’agitation. La

pathologie psychiatrique aiguë (psychose, manie ou autre) compte pour 14 % des cas d’agitation, les troubles dépressifs, pour 10 % et les crises anxieuses, pour 7 %.

Intervention en situation d’urgence Toute expression d’agressivité ne doit pas automatiquement conduire à la mise en œuvre de moyens de contrôle pharmacologiques ou physiques. Toutefois, si les mesures cognitivo-comportementales ne permettent pas de désamorcer l’agitation, l’usage d’une médication sédative peut-être utile (voir le tableau 49.9) et l’eort de communication peut être repris ultérieurement. En cas d’échec de la communication verbale et d’une médication appropriée, l’isolement en chambre sécuritaire peut parfois être utilisé an de permettre au patient de se calmer grâce à la réduction des stimuli extérieurs. Lorsque l’isolement s’avère insusant (p. ex., en cas d’agressivité extrême ou lorsque le comportement de l’individu menace sa propre intégrité), l’usage de contentions physiques peut être indiqué temporairement, pourvu qu’elles soient employées dans le respect des droits et de la dignité de la personne et en conformité avec les protocoles de l’établissement. Le recours ultime à des moyens de contention physique exige certaines précautions : • disposer d’au moins cinq intervenants pour procéder à la mise sous contention d’un patient agité ; • expliquer au patient les raisons de la mise en place des contentions ; • prendre soin de ne pas comprimer les membres du patient ; • administrer une médication sédative pour calmer l’anxiété ou l’agressivité ; • assurer une surveillance étroite du patient, le réexaminer périodiquement, retirer les contentions graduellement dès le retour au calme. La grande majorité des études sur la sédation des patients agités a été réalisée chez des malades psychotiques. Aucune étude montrant un niveau de preuve élevé ne permet la comparaison de la prise de médicaments dans des situations cliniques autres que dans des cas de psychose. Ainsi, il subsiste beaucoup d’interrogations et d’attitudes contradictoires concernant la conduite à tenir. Le but du traitement pharmacologique est d’obtenir rapidement une sédation et de la conserver sans nécessairement endormir le patient : il faut maintenir la communication an de permettre une évaluation diagnostique diligente et optimale et de garder un contact rassurant avec le patient. Le médicament idéal devrait présenter les caractéristiques suivantes : • début d’action rapide ; • sécurité d’emploi (peu de risque d’eets extrapyramidaux, faible incidence d’eets cardiopulmonaires, pas de sédation excessive) ; • mode d’administration (PO ou IM) adapté à la situation où survient l’état d’agitation ; • eet cumulatif nul ; • fenêtre thérapeutique large ; • évaluation possible de l’état de conscience du patient. Les médicaments mis à la disposition du médecin pour traiter l’agitation sont essentiellement les benzodiazépines et les antipsychotiques. Les benzodiazépines, les anticholinergiques ou les β-bloquants (propranolol) sont utilisés dans le traitement de l’akathisie (voir les tableaux 49.9 et 49.10). Chapitre 49

Urgences psychiatriques

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TABLEAU 49.9 Médicaments fréquemment utilisés en cas d’agitation selon les conditions cliniques

Étiologie de l’agitation

Médication

Épisode maniaque

• Antipsychotique avec benzodiazépine et/ou diphenhydramine PO ou IM – en urgence • Thymorégulateurs : lithium, acide valproïque – pour un traitement à long terme

État psychotique

• Antipsychotique avec benzodiazépine et/ou diphenhydramine PO ou IM • Zuclopenthixol acétate IM

État toxique

• Benzodiazépine PO ou IM

Syndrome démentiel

• Antipsychotique atypique • Benzodiazépine à éviter

Trouble comportemental dans la décience intellectuelle

• Antipsychotique atypique avec benzodiazépine et/ou diphenhydramine PO ou IM

Trouble de la personnalité

• Benzodiazépine avec ou sans antipsychotique atypique

Symptômes extrapyramidaux (dystonie/akathisie)

• • • •

Anxiété, panique

• Benzodiazépines

Benztropine PO ou IM Diphenhydramine PO ou IM Procyclidine PO Propranolol PO jusqu’à BID

Source : Adapté de Guedj-Bourdiau & al. (2008).

TABLEAU 49.10 Médication et posologie dans le traitement de l’agitation

Médication Antipsychotiques atypiques

Benzodiazépines

Antiparkinsoniens

Antipsychotiques classiques

Thymorégulateurs (médication d’entretien, en association avec un antipsychotique)

Posologie Olanzapine à dissolution orale rapide

5 à 10 mg, répétable q. 1 h PRN, max. 20 mg/j

Olanzapine IM

5 à 10 mg, répétable 2 h après la première IM, max. 20 mg/j – attention à l’hypotension (Note : ne pas donner de benzodiazépine IM avec l’olanzapine IM.)

Quétiapine

50 à 200 mg PO, répétable q. 1 à 2 h, max. 600 mg/j

Asénapine

10 à 20 mg sublinguale, répétable q. 1 à 2 h, max. 30 mg/j

Lorazépam

0,5 à 2 mg PO ou IM, répétable q. 1 h, max. 8 mg/j

Clonazépam

0,5 à 1 mg PO, répétable q. 1 h, max. 4 mg/j

Diphenhydramine

25 à 50 mg PO ou IM, répétable q. 1 h PRN, max. 200 mg/j

Benztropine

2 mg PO ou IM ad TID

Halopéridol

0,5 à 5 mg PO ou IM, répétable q. 1 h PRN, max. 20 mg/j

Loxapine

12,5 à 50 mg IM, répétable q. 4 à 6 h PRN, max. 100 mg/j

Zuclopenthixol acétate

50 à 150 mg IM (une dose est efcace pour 3 à 4 jours). Jusqu’à 8 h avant d’être efcace. Donner une benzodiazépine en attendant l’effet.

Lithium

Débuter à 300 mg ou 600 mg PO BID. Posologie nale à déterminer selon le dosage sérique.

Acide valproïque

Débuter à 250 mg PO TID. Posologie nale à déterminer selon le dosage sérique.

49.3.5 Patient réticent à s’exprimer Étude de cas

Mélanie, une femme de 35 ans, est amenée par ambulance. Elle a avisé elle-même le service d’appels d’urgence qu’elle saignait abondamment après s’être coupée accidentellement. Les ambulanciers ont pansé sur place son poignet

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gauche profondément et largement entaillé, puis l’ont conduite à l’hôpital. Malgré les questions du médecin sur l’origine de cette lacération, elle persiste à dire que cela est arrivé bêtement en cuisinant et refuse de répondre à d’autres questions. Devant le psychiatre demandé en consultation, la patiente conserve la

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

même attitude. Elle refuse de collaborer et dit : « Je ne vois pas pourquoi je répondrais à vos questions ! C’est personnel. » Elle accepte de révéler son âge et son adresse, mais refuse de donner le numéro de téléphone d’un membre de sa famille. Elle arme être très fatiguée et exige son congé immédiat. L’attitude réticente, méante de certains patients représente un dé de taille pour le clinicien. Comme la décision de garder un patient contre son gré exige un minimum d’éléments pour que le médecin justie cette mesure contraignante, ce type de situation le pousse parfois aux limites de son questionnement éthique et de sa capacité à tolérer l’incertitude. La réticence à communiquer témoigne d’un besoin de rester maître d’une situation pour laquelle l’individu n’entrevoit pas d’issue. L’enjeu d’une évaluation médicale peut ne pas être perçu de la même façon par les acteurs en présence : le médecin a une vision curatrice de son intervention, que ne partage probablement pas le patient circonspect. Beaucoup craignent de dire des choses qui pourraient être utilisées contre eux, par exemple pour les contraindre à une hospitalisation ou leur faire prendre un médicament contre leur gré. Dans les cas d’un trouble délirant ou psychotique, la certitude que le médecin ou l’hôpital font partie d’une quelconque organisation hostile et malfaisante peut aussi être présente. Par ailleurs, l’anxiété provoquée par l’intrusion d’un tiers – ici le système médical – dans une situation de crise peut sure pour entraîner le repli défensif du patient. La crainte du ridicule, du non-respect de la condentialité ou de la stigmatisation consécutive à l’étiquette psychiatrique peut également amener le patient à refuser de communiquer ouvertement. La méance se traduit parfois par du mutisme, ce qui complique l’évaluation psychiatrique, cet état pouvant être engendré par diérents troubles psychiques, soit la psychose, le ralentissement lié à la dépression, l’alogie liée à l’hypofrontalité et des syndromes d’origine organique. Ainsi, le refus de collaborer ne dénote pas nécessairement la présence de méance. C’est le cas, notamment, du patient : • en colère, qui peut se taire pour éviter d’exploser ; • déprimé, qui peut refuser de partager l’intérêt du médecin pour sa propre situation ; • passif-agressif, qui peut remettre entre les mains du médecin la responsabilité de trouver une solution à ses problèmes sans avoir à les expliquer ; • dépendant, qui peut se sentir réconforté de voir un médecin s’eorcer de le sortir de son inactivité ; • narcissique, qui peut se valoriser devant l’échec du thérapeute impuissant à comprendre la situation ; • présentant un trouble de la personnalité, qui peut traduire son immaturité ou son opposition par du mutisme.

La collaboration du patient peut également être entravée, malgré sa volonté, par des pathologies psychiatriques ou physiques altérant le niveau de conscience (p. ex., stupeur), le jugement, le processus et la structure de la pensée, le langage (p. ex., aphasie), les fonctions cognitives et la sphère motrice (p. ex., mutisme akinétique, syndrome d’enfermement [locked-in syndrome], catatonie, syndrome malin des neuroleptiques, etc.). La façon dont le patient reçoit et interprète le langage, la façon dont il le produit, sa réactivité générale à l’environnement et la présence d’autres signes et symptômes physiques peuvent fournir de précieux indices sur l’étiologie de son mutisme et de son manque de collaboration. Il faut y être attentif, puisqu’il peut s’agir d’une urgence médicale. Malgré la diculté évidente occasionnée par le fait que le patient ne réussit pas à s’exprimer, le médecin ne doit pas abandonner l’espoir d’obtenir une meilleure collaboration. Le temps est un facteur important qui joue en faveur de la mise en place d’une relation d’aide, le patient se rassurant par l’absence d’événements nuisibles à ses yeux et s’adaptant graduellement au milieu et à la présence des intervenants. Il faut donc éviter de prendre des décisions sous le coup de l’impatience et de l’agacement. Si l’on veut instaurer un lien de conance, il importe plutôt d’être prudent et de bien mesurer ses propos et ses attitudes. La formulation des questions et les interventions doivent viser l’établissement d’une communication dans laquelle le patient ne sent pas son intégrité physique et psychique menacée. Le tableau 49.11 donne des exemples de formulations potentiellement provocantes et sécurisantes pour le patient.

Intervention en situation d’urgence Lorsqu’il lui est impossible de franchir la barrière communicationnelle, le médecin peut avoir recours à des informations fournies par des tiers, à l’observation du comportement du patient (p. ex., un mutisme sélectif, la présence de bizarreries) et à l’examen physique (en particulier neurologique, avec l’échelle de Glasgow) an de déterminer les dispositions thérapeutiques à prendre. Pour vérier la concordance de certaines informations, la famille, les amis, les personnes qui amènent le patient au service des urgences de même que les gens qui vivent avec lui et le côtoient habituellement sont des sources utiles qu’il faut solliciter activement. Si cela est possible, il est préférable de rencontrer ces tiers en compagnie du patient. Son refus d’une telle rencontre est un élément qui conrme parfois la nature troublante et plus systémique de sa situation. Enn, si on suspecte la présence d’un risque suicidaire ou hétéroagressif, en l’absence d’informations susantes pour assurer la sécurité du patient et d’autrui, il convient de garder le patient à l’hôpital, le temps de clarier la situation, que ce soit avec son accord ou contre son gré, en le plaçant en garde préventive.

i

Un supplément d’information sur l’échelle de Glasgow est disponible au www.sfar.org/scores/glasgow.php.

TABLEAU 49.11 Exemples de formulations provocantes et sécurisantes

Formulations potentiellement provocantes

Formulations sécurisantes

Pourquoi avez-vous été amené ici contre votre gré ?

Vous semblez avoir été amené ici contre votre gré et on ne vous a pas laissé la chance de vous exprimer…

Pourquoi ces gens veulent-ils que vous rencontriez un psychiatre ?

Vous ne semblez pas d’accord avec ces gens qui vous ont amené, vous devez avoir vos raisons…

Si vous ne m’en dites pas plus, je devrai vous garder.

Quand je ne sais pas, je trouve difcile de prendre une décision, alors je dois attendre.

Chapitre 49

Urgences psychiatriques

1103

49.3.6 Patient psychotique Étude de cas

Exemple clinique 1 : Sébastien, 22 ans, vient d’entreprendre ses études en génie à l’université. Depuis le début de l’année, il est convaincu que ses collègues se moquent de lui, qu’ils toussent ou qu’ils se mouchent aussitôt qu’il entre en classe. Il croit que ses voisins le surveillent et qu’une caméra cachée enregistre ses activités. Il s’enferme dans sa chambre pendant des heures et mange peu. Il circule dans la maison pendant la nuit. Il a récemment coné à son père que les voix qu’il entend sont produites par des machines que les voisins actionnent dans le quartier. Il a rompu récemment avec sa petite amie, sans explications. À la suite de cette séparation, il a appelé la police pour les informer qu’elle avait été kidnappée et qu’il avait besoin de son aide pour résoudre le problème de l’enlèvement. Les parents, qui l’accompagnent à l’urgence, conrment que depuis cette séparation, sa performance à l’université s’est détériorée de façon importante. Ils trouvent ses comportements bizarres et sont inquiets de la situation. Ils ont eu recours à une ordonnance de la cour pour évaluation psychiatrique, car Sébastien ne se considérait pas comme malade et refusait de consulter. Il a été conduit à l’urgence par la police et les ambulanciers. Exemple clinique 2 : Claude, 42 ans, arrive à l’urgence accompagné par les policiers et les ambulanciers. Quelques heures plus tôt, il a frappé et menacé de mort une voisine dans son immeuble, alléguant qu’elle captait ses pensées et lui criait des insultes à travers les murs. Pendant son inscription à l’accueil de l’hôpital, Claude s’agite de nouveau et doit être maîtrisé par les agents de sécurité. Il est en colère et exige qu’on le laisse quitter immédiatement l’hôpital. Le médecin doit intervenir rapidement pour le rassurer et le calmer. Claude arme sur un ton agressif qu’il ne répondra pas aux questions tant qu’il ne sera pas relâché. Le médecin a été informé que le patient soure de schizophrénie et qu’il a cessé ses médicaments depuis un mois. Il ne s’est pas présenté à son suivi en externe non plus. Le dossier antérieur conrme sa non-observance aux traitements et l’agressivité qui s’ensuit habituellement. La présence de symptômes psychotiques n’est pas en soi une urgence psychiatrique. L’urgence du trouble psychiatrique dépend du caractère envahissant et perturbateur des croyances délirantes, de leur évolution dans le temps, de la capacité du patient de les mettre à distance, de fonctionner en dehors de leur inuence et de garder un contact avec la réalité. Une perspective longitudinale et l’appréciation de la situation sous un angle évolutif permettent d’évaluer le niveau d’adaptation du patient à ses symptômes psychotiques et le degré d’imprévisibilité de ses comportements, intimement liés au potentiel de dangerosité associé à un état psychotique. Les autres conséquences possibles de la psychose doivent également faire l’objet d’une investigation : conits conjugaux et sociaux, idées suicidaires, agression, actes criminels, abus de substances, marginalité et réclusion, stigmatisation, pauvreté, itinérance, inanition, etc. La psychose n’est pas d’emblée synonyme de danger ou de perte d’autonomie. L’aptitude du patient à s’occuper de lui-même peut demeurer adéquate et intègre malgré ses symptômes psychotiques. Les symptômes psychotiques sont présentés en détail aux chapitres 15 à 17. Aux personnes qui accompagnent le patient, le médecin doit demander de préciser, exemples à l’appui, ce qu’elles appellent

1104

des « comportements bizarres » et essayer de comprendre, à la lumière de l’entrevue clinique et de l’observation directe, quel état psychique engendre ces comportements. Dans les deux cas cités, on note la présence d’hallucinations auditives, de délires de persécution bizarres, d’une altération du fonctionnement social et de comportements grossièrement désorganisés. La principale caractéristique de la psychose est la perte de contact avec la réalité. Cet état comporte une perturbation du contenu de la pensée (idées de référence, idées délirantes) et des troubles de la perception (hallucinations, illusions). Des anomalies de la structure de la pensée (incohérence) peuvent aussi être présentes. L’évaluation de ces perturbations est parfois dicile en raison d’une mauvaise collaboration du patient lors de l’entrevue. Il peut être agité, mutique ou replié sur lui-même ; mais l’observation du comportement, de l’expression aective (perplexe, méante ou inappropriée), du discours incohérent et tenu en soliloque révèle des indices diagnostiques précieux. Il peut parfois être dicile de juger du caractère délirant des propos d’un patient. Certaines personnes tiennent un discours inspiré de lectures mystiques, professent des croyances ésotériques ou des idées marginales. Un patient peut aussi rapporter des faits d’apparence plausible que le médecin croit simplement exagérés. Par ailleurs, le niveau de fonctionnement d’un patient ne peut à lui seul conrmer le diagnostic de psychose. Ainsi, un patient atteint d’une maladie psychotique chronique, partiellement réfractaire aux traitements, peut quand même vivre d’une façon relativement adaptée tout en cultivant des croyances délirantes et en expérimentant des phénomènes hallucinatoires. Il en va de même de la capacité d’autocritique. Certains patients sont capables d’introspection et de reconnaître certains de leurs symptômes comme étant anormaux, hors de leur volonté, étrangers à leur expérience (égodystones), bien que l’absence d’insight caractérise plus fréquemment la psychose. Enn, l’évolution dans le temps peut connaître un cours variable : la situation peut apparaître brutalement, évoluer rapidement et se résorber en peu de temps ou suivre une progression lente et persistante. La psychose est désarmante pour le médecin qui ne systématise pas sa procédure d’évaluation et d’intervention. Il est alors aux prises avec certains questionnements, dont les deux plus fréquents sont les suivants : 1. Doit-il entrer dans le délire du patient, faire semblant d’y croire ? Non. Il doit plutôt chercher à le caractériser, à en connaître l’étendue. 2. Doit-il contredire ou conrmer les distorsions psychotiques du patient ? Ni l’un ni l’autre. Il lui faut plutôt évaluer et comprendre la signication que leur donne le patient. Conrmer ou inrmer les croyances du patient n’apparaît ni nécessaire ni utile à la collecte de données et peut nuire à l’établissement de la relation thérapeutique. Le médecin doit montrer respectueusement qu’il perçoit la réalité diéremment du patient, sans contester que celui-ci puisse percevoir les choses autrement. Le patient qui perçoit de l’intérêt et une ouverture bienveillante (sans critiques, sans reproches, sans argumentation) chez le clinicien est habituellement plus enclin à livrer le contenu de ses pensées. Être attentif, s’investir dans l’entrevue, orienter le dialogue sans être autoritaire ni moralisateur sont les meilleures façons d’établir un lien de conance avec le patient psychotique. Il vaut mieux souligner l’anxiété et la crainte éprouvées par le patient et lui permettre de s’exprimer librement.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

« Qu’est-ce qui vous fait croire ça ? », « Que craignez-vous qu’il arrive ? » ou encore « Je crois comprendre que vous vous sentez dans une position inconfortable qui vous fait craindre que l’on ne tienne pas compte de ce que vous avez à dire » sont autant de questions ou d’observations qui peuvent être exprimées. À l’urgence, l’approche du patient psychotique se caractérise par : • l’évaluation détaillée des symptômes et des signes aigus, incluant leur contexte d’apparition, les facteurs déclencheurs, leur durée et leur évolution ; • la recherche d’une cause médicale (en particulier neurologique ou métabolique) ; • la recherche d’abus de substances ; • la documentation des antécédents personnels et familiaux ; • le traitement de l’anxiété, de l’agitation et de l’exaltation. L’épisode psychotique aigu peut relever de diverses étiologies : pathologies organiques, prise de substances, trouble psychotique bref, premier ou énième épisode de schizophrénie, trouble de l’humeur avec caractéristiques psychotiques, épisode psychotique associé à un trouble de personnalité ou secondaire à un stress.

Intervention en situation d’urgence Pour établir un plan de traitement d’urgence de la psychose, il faut être en mesure de juger de l’inuence des symptômes psychotiques sur le fonctionnement du patient. En mesure d’urgence, après avoir exclu toute aection médicale aiguë ou en avoir obtenu un traitement adéquat, il faut traiter rapidement les symptômes de psychose (en particulier l’agitation) pour le confort et la sécurité du patient et d’autrui. L’agitation peut être traitée par : • des mesures pharmacologiques (voir les tableaux 49.9 et 49.10) ; • la mise en place d’un milieu sécuritaire de moindre stimulation, tout en gardant certains repères (repères temporels [p. ex., calendrier, horloge], accompagnants, etc.) ; • l’établissement d’une relation d’aide ; • la verbalisation des pensées, des émotions, des croyances, etc. ; • la clarication des étapes à venir (entrevue, examens et autres) ; • la mention des comportements attendus et acceptables ; • une restructuration cognitive (rassurer le patient sur nos intentions) ; • des mesures d’isolement ou, ultimement, de contentions, si les mesures précédentes ont échoué et que l’agitation psychotique se poursuit au point d’être dangereuse pour le patient ou pour autrui. Le médecin peut tenter de corriger les craintes du patient en lui expliquant, de façon respectueuse, certaines distorsions entre ses perceptions et la réalité de l’environnement où il se trouve, les raisons pour lesquelles il est conné à une salle d’isolement ou maintenu dans son lit par des contentions, le but des interventions actuelles, etc. Malgré leur état désorganisé, la plupart des patients sont capables de comprendre la nalité des interventions les concernant. Leur collaboration et leur aptitude à établir une relation de conance doivent toujours être sollicitées dans la relation thérapeutique. Une fois le patient apaisé, il est plus facile d’établir une alliance thérapeutique, de limiter la désorganisation et de favoriser un meilleur contact avec la réalité.

Enn, il est toujours important d’établir un contact avec la famille ou l’entourage. Cette alliance est plus facilement acquise en cas d’antécédents familiaux similaires ou d’épuisement de la famille. L’alliance avec l’entourage est favorisée par la qualité de l’accueil à l’urgence et la disponibilité des cliniciens à écouter ses tourments. Elle peut être plus dicile s’il existe des conits dans la famille ou des discordances idéologiques à propos du diagnostic ou des interventions préconisées.

49.3.7 Patient anxieux Étude de cas

Patrick, 25 ans, se présente au service des urgences en croyant faire une crise cardiaque. Depuis plusieurs mois, il se plaint d’étourdissements, de palpitations ainsi que d’une certaine tension musculaire, qu’il croit reliée à son travail de menuisier. Avant de venir à l’urgence, Patrick regardait un lm d’action à la télévision lorsque, subitement, il s’est senti la poitrine oppressée et la bouche sèche pendant que des sueurs lui coulaient dans le dos et que ses mains tremblaient et s’engourdissaient. En l’espace de quelques minutes, sa respiration est devenue laborieuse, rapide et supercielle. Il a composé le 911 pour être transporté à l’urgence. En haletant, il raconte au médecin qui l’accueille qu’il est convaincu d’avoir fait une attaque cardiaque, tellement le malaise à la poitrine est intense. Il rapporte que son père a eu une crise cardiaque dont il a été témoin il y a trois ans et que, depuis ce temps, il surveille son alimentation, ne fume plus et pratique toutes sortes de sports pour éviter que cela ne lui arrive. Après une évaluation physique, un électrocardiogramme (ECG) et un bilan biochimique, le médecin pose un diagnostic de trouble panique. Il explique, en mots simples, l’augmentation subite de noradrénaline (un neurotransmetteur dans le cerveau) qui survient spontanément lors d’une expérience stressante. Il tente de rassurer Patrick en lui expliquant la diérence entre une attaque de panique et une crise cardiaque à partir de ses propres symptômes, de ses antécédents personnels, de ses prédispositions et des résultats de ses examens. Il mentionne aussi à Patrick qu’une interprétation psychodynamique faisant le lien entre ses craintes et la maladie cardiaque de son père peut également être pertinente. Néanmoins Patrick reste réticent à considérer qu’il s’agit simplement de l’amplication d’une sensation désagréable mais bénigne. L’anxiété est un malaise psychique engendré par le sentiment d’imminence d’un événement déplaisant ou dangereux, réel ou imaginaire. Cet événement appréhendé est souvent indéni et son anticipation est plus ou moins consciente. L’anxiété prend plusieurs formes et peut être d’intensité variable. Les symptômes somatiques sont fréquents, le plus souvent cardiovasculaires et respiratoires. Ils peuvent parfois prédominer et même précéder l’apparition d’un trouble panique. La sensation de perdre le contrôle est une manifestation fréquemment associée à cet état. L’anxiété peut être envahissante et altérer le jugement pratique. Elle peut exacerber certains comportements ou mécanismes de défense. Elle peut faire adopter des attitudes régressées ou hostiles. L’anxiété se retrouve au premier plan dans plusieurs pathologies psychiatriques. Il est parfois dicile d’en déterminer la cause : un trouble anxieux primaire ou en comorbidité d’un autre trouble psychiatrique, voire physique. C’est pourquoi l’anamnèse détaillée et l’examen physique complet font partie de l’évaluation de base des troubles anxieux. Par ailleurs, une personne anxieuse peut se mettre à consommer un produit reconnu pour ses eets

Chapitre 49

Urgences psychiatriques

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anxiolytiques (p. ex., alcool, cannabis, benzodiazépines ou autres) mais, par la suite, en raison d’un eet rebond, ce même produit peut aggraver la symptomatologie anxieuse et enclencher un cercle vicieux. Ainsi, on accorde une importance particulière aux éléments suivants : • les conditions d’apparition des symptômes, leur historique, l’évolution du tableau clinique et les répercussions sur le fonctionnement psychosocial ; • les causes médicales pouvant induire des symptômes anxieux aigus : – les maladies cardiovasculaires ; – les aections pulmonaires : asthme, pneumothorax, embolie ; pneumonie, maladie pulmonaire obstructive chronique ; – les troubles endocriniens : hyperthyroïdie ; – les troubles neurologiques, etc. ; • la consommation et le sevrage d’alcool, d’opiacés ou d’autres substances psychoactives ; • les intoxications aiguës aux stimulants, aux hallucinogènes, au cannabis ou les empoisonnements alimentaires ; • les stratégies que le patient a mises en œuvre en vue de se soulager (p. ex., méditation, exercice, relaxation, psychothérapie ou autres). Au service des urgences, l’anxiété généralisée, le trouble de stress post-traumatique et les troubles de l’adaptation sont des diagnostics fréquemment retenus chez les patients consultant pour anxiété. Les symptômes dissociatifs, tels que la dépersonnalisation et la déréalisation, accompagnent parfois les manifestations anxieuses et peuvent être engendrés par l’hyperventilation et l’augmentation de noradrénaline consécutive à une expérience stressante. Les liens entre l’anxiété et la dépression sont étroits, et l’on retrouve souvent des symptômes anxieux comorbides avec des symptômes dépressifs, amenant nombre de médecins à parler de syndrome anxiodépressif. L’anxiété est aussi fréquente dans la dépression majeure. Les connaissances actuelles sur le système sérotoninergique, impliqué dans les troubles anxieux et la dépression, conrment les liens observés entre ces deux entités. L’anxiété est également présente dans les troubles psychotiques aigus. Elle prend alors une intensité et une tonalité qui amènent le médecin à parler d’angoisse psychotique morcelante (angoisse psychotique vécue comme un éclatement du corps, une désagrégation, une fragmentation). L’akathisie consécutive à la prise de neuroleptiques peut aussi se présenter sous forme d’anxiété. Des symptômes aigus d’anxiété peuvent enn se greer sur un trouble de la personnalité ou le révéler (personnalité évitante, dépendante, obsessionnelle-compulsive et limite).

Intervention en situation d’urgence Quelle que soit la cause de la manifestation anxieuse, certaines interventions s’avèrent fort ecaces pour apaiser le patient et doivent être utilisées rapidement. L’état anxieux est caractérisé par l’appréhension d’un danger potentiel, par le questionnement répété du patient et de son entourage : « Qu’est-ce qui m’arrive ? Un danger me menace ; quel est ce danger ? » Il est donc essentiel de clarier le diagnostic en cause, d’en informer le patient et de le rassurer sur son état de santé en évitant de lui dire, de façon désinvolte : « C’est dans votre tête. Ce sont vos nerfs. » Dans le cas clinique décrit ci-dessus, une approche psychoéducative (clarication, explication, réassurance) est tout à fait pertinente. Le médecin explique avec empathie et délicatesse que les symptômes peuvent être consécutifs à une situation stressante, être provoqués par des changements neurophysiologiques dans son cerveau. En situation de danger, une augmentation de noradrénaline provoque un surplus d’énergie permettant de se défendre ou de fuir, mais si elle survient de façon inopinée, sans danger réel, elle provoque plutôt de l’angoisse. Une attaque de panique est un phénomène à la fois psychique et physique, erayant et sourant, mais jamais dangereux, qui se corrige naturellement dans un intervalle de 20 à 30 minutes. Cette approche psychoéducative, qui permet d’informer, de dédramatiser la situation, s’avère très ecace. Enn, le médecin peut rassurer le patient en lui exposant les traitements spéciques qui existent, tant sur les plans pharmacologique que psychothérapeutique. Les traitements spéciques des troubles anxieux sont présentés en détail au chapitre 20, à la section 20.7. Le traitement médicamenteux permet d’apaiser ponctuellement et rapidement la symptomatologie anxieuse aiguë, qui peut devenir intolérable (voir le tableau 49.12). La médication agit tant sur la composante psychique que sur la composante somatique de l’anxiété. Les benzodiazépines constituent le traitement le plus ecace à utiliser en mesure d’urgence. Toutefois, elles doivent être administrées avec parcimonie, puisque leur grande ecacité et leur action sur les récepteurs GABAergiques leur confèrent un potentiel addictif. Elles ne devraient être utilisées que pour une brève période, des options (p. ex., les ISRS comme la paroxétine [PaxilMD] ou les IRSN comme la venlafaxine [EexorMD]) étant à privilégier pour le traitement à plus long terme. Une prescription valable pour sept jours, à prendre régulièrement ou au besoin (PRN), renouvelable jusqu’au prochain rendez-vous médical, est une formule prudente en situation d’urgence. L’hospitalisation est parfois indiquée, surtout en présence de comorbidité dépressive ou psychotique. À plus long terme, le traitement comprend une prise en charge psychothérapeutique ambulatoire par une thérapie

TABLEAU 49.12 Types de médicaments pour traiter l’anxiété

Médicament Lorazépam

(AtivanMD)

Prise orale ou sublinguale

Posologie

Fréquence

PO ou sublingual

0,5 à 2 mg

PRN 1 à 3 fois par jour

Clonazépam (RivotrilMD)

PO

0,25 à 1 mg

PRN 1 à 2 fois par jour

Diazépam (ValiumMD)

PO

2 à 5 mg

PRN 1 à 2 fois par jour

Oxazépam (SeraxMD)

PO

15 à 30 mg

PRN 1 à 3 fois par jour

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Spécialités psychiatriques

cognitivo-comportementale, incluant des techniques de relaxation, et une médication (anxiolytique ou antidépresseur de type ISRS ou IRSN).

49.3.8 Patient déprimé Étude de cas

Lise, 33 ans, travaille comme secrétaire depuis plus de trois ans. Elle est mère d’un garçon de 9 ans. Elle est séparée de son mari, après un mariage ayant duré 11 ans. Depuis trois semaines, elle se sent bien triste et épuisée. Elle en a parlé à son médecin de famille qui, préoccupé par la détérioration rapide de sa condition et par la situation de son ls, l’a dirigée à l’urgence. Le bilan médical est normal. La patiente présente une humeur dépressive presque tous les jours, une diminution marquée de l’intérêt pour toutes ses activités, une fatigue persistante et des troubles de concentration qui l’amènent à faire des erreurs au travail. Elle se sent anxieuse, a peur de perdre son emploi, surtout du fait qu’elle est monoparentale et que son ex-mari ne l’aide pas. Depuis quelque temps, elle dort mal et arrive souvent en retard le matin. Elle rentre du travail épuisée, se couche rapidement après avoir fait manger son ls. Elle se fâche pour des riens, alors qu’elle était auparavant aimable et avenante. Le matin de la visite à l’urgence, Lise a réprimandé assez durement son ls parce qu’il tardait à se préparer pour l’école. Elle se sent incapable de le superviser dans ses activités et se reproche d’être une mauvaise mère. En entrevue, la patiente se dit fatiguée de tout, « tout est une montagne », ne sait plus quoi faire. Elle arme que sa mort ne dérangerait personne. Elle ajoute avoir « pensé à se faire du mal », mais précise qu’elle ne le ferait jamais, car son ls a besoin d’elle. Cet exemple illustre un cas typique d’épisode dépressif majeur isolé, d’intensité modérée, caractérisé par un changement de l’état affectif, la présence de pensées négatives et des symptômes neurovégétatifs associés. Devant un tableau dépressif, le diagnostic de dépression majeure n’est toutefois pas le seul diagnostic à envisager, car il peut aussi s’agir d’un état de crise chez un patient atteint d’un trouble de la personnalité ou d’un trouble d’adaptation relié à des événements de vie difficiles. Aux urgences psychiatriques, il est courant d’évaluer des personnes référées pour « dépression ». La présentation clinique peut être variable selon les individus. Il faut donc bien connaître les critères diagnostiques du trouble dépressif majeur, tels qu’ils sont décrits dans le DSM-5. Il faut se rappeler qu’une humeur dépressive n’est pas synonyme de dépression majeure et que la sourance morale n’est pas un symptôme spécique de la dépression majeure. Le patient sourant d’une dépression majeure peut parfois être calme, réservé et éprouver une sourance interne dicile à percevoir ou, au contraire, être accaparant ou insistant. Par contraste, un individu avec un trouble de la personnalité peut décrire ses états d’âme de façon amboyante et dramatique et émettre des idées suicidaires alors qu’il n’est pas déprimé. Les critères diagnostiques du trouble dépressif majeur sont présentés en détail au chapitre 19, à la section 19.4. Au cours de l’évaluation, le médecin détaille les circonstances de la consultation. Il doit fonder son jugement sur les éléments les plus objectifs de l’historique an de ne pas se laisser submerger

par l’intensité des émotions exprimées car, en situation d’urgence, le patient ou sa famille exercent parfois une forte pression en vue d’une action rapide. Il lui faut rechercher les faits plus que les interprétations et les opinions. Dans l’évaluation des patients atteints de dépression majeure, il importe de rechercher la présence et d’évaluer la sévérité de symptômes mélancoliques et psychotiques, car ils sont associés à une dépression de forte intensité et à un risque suicidaire élevé. Les indices de désengagement social et aectif, parfois subtils, peuvent annoncer un geste autodestructeur délibéré, souvent à visée autoplastique. Il faut donc s’informer si le patient est porté à s’isoler des personnes signicatives pour lui, s’il a donné des objets ayant une valeur aective à ses yeux, s’il a délaissé ce qui pouvait auparavant lui procurer un certain plaisir. L’évaluation doit préciser s’il s’agit d’un premier épisode dépressif ou d’un épisode récurrent, s’il y a des antécédents d’épisode maniaque ou hypomaniaque et documenter les traitements antérieurs et leurs eets. Il faut souligner que chez les femmes en postpartum, les symptômes dépressifs peuvent évoluer rapidement vers la psychose. Une dépression majeure survenant après un accouchement constitue une urgence psychiatrique et nécessite une attention immédiate de même qu’un suivi serré. Le risque de suicide et d’infanticide ainsi que le risque de violence et de négligence doivent être évalués spéciquement.

Intervention en situation d’urgence Dans un cas de dépression, même majeure, on cherche à privilégier les soins ambulatoires, qui devraient inclure une approche globale de la dépression, avec psychothérapie et/ou pharmacothérapie. Un traitement symptomatique de l’anxiété et de l’insomnie peut être instauré, avec une approche incluant des interventions cognitivo-comportementales et, si cela est requis, une médication anxiolytique ou hypnotique. Une entrevue d’urgence approfondie ou une courte période d’observation à l’urgence ore la possibilité : • d’expliquer les bienfaits potentiels de la médication et de l’entreprendre ; • d’amorcer une intervention psychoéducative et psychothérapeutique ; • de solliciter la participation des proches ; • d’arrimer un suivi en clinique ambulatoire ou auprès des services de 1re ligne (médecin de famille, psychologue, etc.) ; • de mettre en place un let thérapeutique proportionnel au risque suicidaire évalué. Les patients sourant de dépression présentent fréquemment des velléités ou des idéations suicidaires qui ne sont pas en soi une indication d’hospitalisation. L’hospitalisation est indiquée pour les formes graves, soit : • en présence de signes mélancoliques ou psychotiques ; • en situation de risque suicidaire ou hétéroagressif élevé ; • en cas d’un manque de soutien de l’entourage, dans le cas d’une personne âgée ou isolée ; • en présence d’un échec aux traitements ambulatoires ; • en cas d’une mauvaise adhésion ou d’une résistance aux traitements ; • en présence d’une indication d’électroconvulsivothérapie (ECT).

Chapitre 49

Urgences psychiatriques

1107

Le traitement de la dépression est une démarche globale, étalée dans le temps, que ne saurait assurer pleinement l’intervention au service des urgences ou des services de consultation sans rendez-vous. Après les premières recommandations faites à l’urgence, il est important d’instaurer un suivi régulier et étroit.

49.3.9 Patient présentant un trouble de la personnalité Étude de cas

Brigitte, une jeune femme de 22 ans, est amenée à l’urgence par les policiers qu’elle a appelés en se disant suicidaire. À leur arrivée au domicile de la patiente, ils l’ont trouvée gisant sur le sol, le poignet gauche lacéré superciellement. Au moment où ils ont tenté de la soulever, la patiente est devenue agitée et s’en est prise à un des policiers en le griant au bras. Comme elle refusait de se calmer, elle a dû être menottée pour être conduite à l’urgence, où elle a asséné un coup de poing au préposé aux bénéciaires. Elle a dû être placée sous contentions et médication pour qu’elle puisse retrouver son calme et que sa plaie soit nettoyée et pansée. Plusieurs heures plus tard, une fois l’eet de la sédation passé, le médecin rencontre Brigitte. Elle explique présenter de telles crises à répétition, toujours dans des contextes où elle se sent seule et abandonnée. Elle a réellement des idées suicidaires au moment où elle appelle à l’aide, mais la vue des policiers provoque chez elle un grand besoin d’attention, aussitôt suivi d’une grande colère, ce qui mène à ces comportements d’agression. Ce besoin d’attention est explicable, selon elle, par une carence aective de longue date qu’elle aurait aimé combler auprès d’une personne à la présence rassurante, ce que lui rappelle la vue des personnes en uniforme. Toute la vie relationnelle de Brigitte est marquée par ce tiraillement entre un besoin de rapprochement et la colère (dirigée contre les personnes qui l’approchent, mais aussi contre elle-même), l’idéalisation et la dévalorisation des autres, la tristesse et la rage mélangées à des pulsions suicidaires devant la solitude, aussitôt ressentie comme un abandon, un intolérable sentiment de vide. La patiente reprend généralement le contrôle de ses pulsions suicidaires et agressives en quelques heures et peut être libérée de l’urgence. Elle est en traitement actif dans un programme spécique pour personnes atteintes de troubles de la personnalité. Le trouble de personnalité le plus souvent rencontré au service des urgences est le trouble de personnalité limite. Ces personnes expriment des émotions intenses couplées à un faible contrôle pulsionnel. Elles présentent des caractéristiques cognitives, aectives et comportementales mal adaptées pour aronter les situations diciles de la vie courante et entretenir des relations interpersonnelles harmonieuses, en raison de leur diculté autant à se rapprocher des autres qu’à s’en éloigner. Leur façon tumultueuse d’entrer en relation, manifeste dès l’adolescence ou le début de l’âge adulte, entraîne une vie ponctuée de crises auxquelles contribue leur faible capacité d’adaptation. Ces patients sont vus au service des urgences pour une humeur dépressive, des idées ou des gestes suicidaires ou d’automutilation, des idées ou des gestes hétéroagressifs, ou encore pour de brefs épisodes psychotiques. Pour les patients qui consomment des substances psychoactives, les crises peuvent aussi se traduire par des conséquences néfastes de cette consommation (p. ex., geste suicidaire après une arrestation pour conduite avec facultés aaiblies).

1108

À l’urgence, la rencontre avec ce type de patient est souvent dicile en raison de l’intensité des émotions ressenties par la personne en crise. Elle est envahie par des émotions négatives et le contact avec un médecin ou autre professionnel, dont l’approche est plutôt rationnelle, s’avère exigeant. Le médecin doit adopter une attitude neutre et bienveillante visant à faire verbaliser le patient sur la crise qu’il vit et, ainsi, l’amener sur un terrain plus rationnel. Il se peut que cette approche d’inspiration cognitivo-comportementale ne soit applicable que plusieurs heures après l’arrivée à l’urgence, comme dans le cas clinique décrit ci-dessus, où l’intensité émotive et pulsionnelle, trop élevée à l’arrivée, a dû, pour des raisons de sécurité, être contrôlée par une sédation adéquate. L’évaluation initiale d’un patient se présentant avec de telles manifestations doit considérer la présence d’une problématique médicale ou d’un trouble psychiatrique surajouté au trouble de la personnalité. Les troubles de la personnalité sont présentés en détail au chapitre 40. Certains patients présentant des traits ou un trouble de la personnalité antisociale peuvent aussi se présenter à l’urgence en crise suicidaire, en crise hétéroagressive ou en lien avec leur consommation de substances psychoactives. Ces patients peuvent utiliser les services d’urgence pour assurer leur protection contre un geste suicidaire ou hétéroagressif en situation de détresse aiguë (souvent secondaire à une perte) ou parce qu’ils sont amenés en état d’intoxication ou de sevrage. Parfois, ils viennent consulter à l’urgence pour obtenir des bénéces secondaires, comme : • des médicaments non indiqués pour leur condition (p. ex., benzodiazépines, narcotiques) ; • un congé de maladie pour des absences injustiées au travail ou à la cour (p. ex., pour une comparution en lien avec des conditions de probation non respectées) ou un certicat d’invalidité ; • un moyen de se déresponsabiliser pour des actions commises et qu’ils aimeraient bien faire reconnaître comme un symptôme d’un problème psychiatrique. Certains patients peuvent aussi amener les personnes de leur entourage à croire qu’ils ne sont pas responsables de leurs comportements et de leurs décisions. Une connivence du médecin avec le patient quant à son incapacité à gérer sa vie – la pseudoirresponsabilité – et la totale prise en charge qui s’ensuit logiquement sont à la source d’impasses thérapeutiques fréquentes. Le médecin est aux prises avec des réactions contre-transférentielles négatives, souvent inavouables, et peut en éprouver une culpabilité qui favorise l’adoption d’une attitude de surinvestissement thérapeutique. À l’opposé, il peut répondre aux demandes du patient par un rejet brutal. Le clivage, où les membres de l’équipe médicale s’opposent entre la surprotection et le rejet hostile, est fréquemment induit par ce type de trouble de personnalité. Les proches du patient, également pris dans cette dynamique, peuvent exercer une pression sur le médecin an qu’il trouve au plus tôt un traitement ecace. S’il apparaît un doute selon lequel le patient pourrait simuler des symptômes ou rechercher un bénéce secondaire de sa visite à l’urgence, une attention particulière doit être portée à la recherche de contradictions entre les éléments décrits et les éléments observés ainsi qu’au contexte que vit cette personne. Une corroboration des informations livrées par le patient doit être recherchée auprès de tiers. La réaction du patient à la demande du médecin de contacter une tierce personne peut l’éclairer sur la

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

nature faussée de la demande de consultation, le patient pouvant refuser ou simplement quitter les lieux.

Intervention en situation d’urgence L’intervention en situation d’urgence vise à bien comprendre avec le patient, parfois aussi avec ses proches ou son réseau de soutien, la situation de crise vécue, à explorer les solutions possibles et à procéder à une intervention de recadrage et de soutien de nature cognitivo-comportementale. En valorisant les compétences du patient à résoudre son problème, on renforce son estime de soi, ce qui peut avoir un grand eet rassérénant. En reconnaissant ses propres limites, en avouant parfois son impuissance, en particulier lorsque le patient met en échec toute ore d’aide, le médecin mobilise le patient et renforce sa capacité à se prendre lui-même en charge. Cela est souvent susant pour apaiser la dysphorie et les idées auto ou hétéroagressives. Une médication anxiolytique ponctuelle est parfois utile pour calmer la tension intolérable et l’agitation ou pour assurer un bon sommeil. Par exemple, une benzodiazépine, comme le lorazépam, ou de la quétiapine à petites doses peut être prescrite pour quelques jours. Enn, il peut être aidant pour de tels patients d’être mis en lien avec des ressources communautaires aptes à les soutenir lors d’autres crises similaires (p. ex., lignes d’écoute, centres de crise, etc.). Un bref séjour dans une de ces ressources permet bien souvent de compléter, dans la communauté, l’intervention de crise entreprise à l’urgence. L’hospitalisation n’est habituellement utilisée qu’en de rares occasions où la sécurité du patient ou d’autres personnes ne peut être assurée autrement ou dans les cas de psychopathologie surajoutée (psychose, dépression majeure), dont le traitement en externe serait impossible. Cette tendance à limiter les durées de séjour vient du fait que certains patients sourant de troubles de la personnalité ont tendance à régresser pendant leur séjour à l’hôpital et peuvent prolonger une hospitalisation pendant des semaines, voire des mois. À l’annonce d’un congé prochain, ils recommencent à manifester des perturbations qui obligent à prolonger l’hospitalisation. De plus, les hospitalisations répétées nissent par limiter leur capacité d’adaptation et de résolution de problèmes liés à la vie courante. Les patients sourant d’un trouble de la personnalité limite peuvent être dirigés à l’hôpital de jour pour la gestion de la crise aiguë, souvent caractérisée par une impulsivité accrue. Il y a lieu de les responsabiliser en regard des actions qu’ils posent. Cela peut se faire en indiquant au patient que le médecin ne peut pas cautionner ses absences au travail ou à la cour en invoquant des causes médicales, en lui précisant qu’il est en parfait contact avec la réalité et qu’il est pleinement responsable de ses propos ou gestes menaçants. Enn, une référence vers des services spécialisés en traitement des troubles de la personnalité s’inscrit dans une approche thérapeutique plus globale. Mise à part une confrontation respectueuse de la part du médecin sur ses impressions, l’aide pertinente doit tout de même être oerte à un patient présentant une personnalité limite ou antisociale et qui serait aux prises avec un problème de consommation de substances ou un autre problème psychiatrique surajouté à son trouble de la personnalité (bien que cette ore puisse être refusée par le patient). En entrevue avec un patient sourant d’un trouble de personnalité et qui se montre menaçant, on doit lui signier, dès les premières manifestations d’hostilité ou de menaces, les limites du comportement attendu à la salle d’urgence. Cela inclut le rappel de la présence de préposés, voire le recours aux agents de sécurité

pour protéger le personnel et la possibilité de porter plainte, le cas échéant. L’exposition de ces règles a souvent un eet dissuasif et sut à contenir les comportements intempestifs. Il faut bien sûr faire preuve de cohérence et appliquer les conséquences annoncées en cas de débordement comportemental. Non seulement en va-t-il de la protection des membres de l’équipe de l’urgence, mais cela s’inscrit dans la démarche de responsabilisation qui doit être appliquée aux personnes adoptant des conduites antisociales.

49.3.10 Patient simulateur ou présentant un trouble factice Étude de cas

Hortense, une dame de 60 ans, se dit déprimée depuis deux semaines et, selon elle, en crise suicidaire le jour de sa venue à l’urgence. La patiente se dit triste, désintéressée de tout, insomniaque, sans appétit, fatiguée, déconcentrée, habitée de pensées négatives de dévalorisation et de culpabilité. Elle demande à être hospitalisée. Alors qu’Hortense se livre spontanément en entrevue et met l’accent sur les symptômes décrits précédemment, elle s’impatiente quand on lui pose des questions pour approfondir son histoire. L’examen mental ne relève aucune particularité, si ce n’est de la tristesse pendant l’entrevue, qui s’atténue nettement quand Hortense interagit avec les inrmières ou d’autres patients présents à la salle d’urgence. Le dossier montre de multiples visites à l’urgence, la patiente réclamant chaque fois divers examens jugés non pertinents par l’urgentologue (prises de sang, gastroscopie, scintigraphie, radiographies et autres). On trouve une hospitalisation en psychiatrie pour dépression, améliorée en quelques jours seulement. À cette occasion, la patiente, qui travaillait en laboratoire, a reconnu s’être rendue anémique (en se faisant des saignées et en ingérant des produits hémolysants) dans le but d’obtenir à l’hôpital l’attention et la sollicitude qu’elle n’arrivait pas à trouver par ailleurs dans sa vie personnelle. Confrontée respectueusement à cette hospitalisation précédente et à ses conclusions, la patiente se voit orir un suivi psychiatrique en externe, mais elle refuse. Une vaste majorité des patients qui se rendent au service des urgences pour une consultation sourent réellement d’un problème aigu. Ils sont désireux de recevoir des soins appropriés et décrivent honnêtement ce qu’ils vivent. Mais il arrive occasionnellement que le portrait clinique d’un patient soulève des doutes quant à l’authenticité des symptômes rapportés. Les tableaux cliniques atypiques ou inhabituels doivent faire l’objet d’une démarche diagnostique bio-psycho-sociale tout aussi rigoureuse que les tableaux classiques, malgré des présentations parfois fantaisistes. Certaines caractéristiques du portrait clinique peuvent suggérer que le patient simule des symptômes, soit dans le but d’obtenir des bénéces secondaires (un congé de maladie, des médicaments, une déresponsabilisation pour des actes antisociaux), comme dans le cas de la simulation, soit dans le but inconscient d’obtenir des bénéces dits primaires (de l’attention à titre de personne malade), comme dans le cas des personnes sourant de trouble factice. Il est souvent dicile de dépister la simulation de symptômes. La plupart du temps, on déduit que le patient simule sa situation clinique lorsque plusieurs indices sont regroupés, dont aucun pris isolément n’est susant pour en arriver à cette conclusion. Ce regroupement d’indices est présenté dans l’encadré 49.4. Le trouble factice est présenté en détail au chapitre 30.

Chapitre 49

Urgences psychiatriques

1109

Intervention en situation d’urgence

• Si le patient cherche à être hospitalisé parce qu’il se retrouve

Devant un cas de simulation, il faut tenter de saisir la demande exacte du patient et statuer clairement sur ce qu’il est possible de faire pour lui. En voici certains exemples : • Si le patient recherche des médicaments du fait qu’il présente un trouble relié à l’utilisation de substances psychoactives ou à des médicaments, il faut lui orir l’aide spécique qu’il requiert pour ce problème (p. ex., groupes Narcotiques anonymes, sevrage graduel). ENCADRÉ 49.4 Indices de simulation de symptômes 1. Le patient décrit sa condition en énumérant les critères diagnostiques d’une pathologie, témoignant d’une connaissance plutôt théorique ou livresque de la maladie. 2. Il existe des incohérences dans l’histoire de la maladie. 3. Il existe une discordance entre l’histoire rapportée et l’examen mental, particulièrement sur le plan de l’affect (absent ou exagéré en regard des symptômes allégués). 4. Le patient réagit fortement à la remise en question de certains éléments de l’histoire ou de l’examen et peut quitter abruptement s’il se sent sur le point d’être démasqué. 5. Le patient cherche à obtenir des bénéces secondaires en faisant des demandes précises et soutenues de médicaments à potentiel d’abus, d’un congé de maladie apparaissant non justié sur le plan médical, d’une attestation de maladie à la suite d’actions antisociales ou irresponsables (agression, délit, absences au travail, etc.). 6. Le patient fait des demandes pressantes d’hospitalisation et d’investigations médicales ou de traitements précis pouvant même être invasifs. 7. Le patient refuse que l’on contacte un tiers pour obtenir de l’information ou qu’on fasse venir ses dossiers d’un autre hôpital. 8. Il existe des incohérences entre l’histoire du patient et l’information obtenue auprès de tiers. 9. Le dossier médical du patient révèle de multiples visites antérieures à l’urgence pour des demandes similaires. Sources : Adapté de Glick & al. (2008) ; Guedj-Bourdiau & al. (2008) ; Petit (2004) ; Riba & Ravindranath (2010).

sans domicile, le service social peut l’aider à trouver un milieu d’hébergement. • Si le patient tente de se soustraire à ses responsabilités (travail, conséquences judiciaires de comportements antisociaux), il faut le responsabiliser et l’aider à aronter les situations qu’il cherche à éviter. Devant un patient souffrant de trouble factice, une fois exclue toute autre pathologie physique et psychiatrique, le médecin peut exposer son impression selon laquelle il lui semble être en présence d’une grande détresse, pour laquelle il peut offrir une référence en suivi ambulatoire pour mieux la comprendre et la traiter. Il est cependant probable que cette offre soit refusée. En tout temps, il faut s’eorcer de maîtriser le contre-transfert négatif que peuvent provoquer de telles rencontres, car aucun médecin n’aime être manipulé ou se faire mentir, et cela peut conduire au rejet du patient sans égard à sa condition réelle, qui peut quand même requérir une aide ou une orientation particulière.

49.4 Problèmes iatrogéniques des psychotropes Les médicaments psychotropes sont fréquemment utilisés en psychiatrie. Certains de leurs eets indésirables peuvent avoir des répercussions sérieuses pour les patients. Les personnes âgées sont particulièrement à risque de tels eets en raison des changements de métabolisme dus à l’âge et de la polypharmacie fréquente dans cette population, cause d’interactions médicamenteuses. Le tableau 49.13 fait état des diverses réactions indésirables qui peuvent survenir avec l’usage des psychotropes ainsi que des traitements d’urgence qui doivent s’appliquer.

TABLEAU 49.13 Possibles réactions indésirables à des médicaments fréquemment prescrits en psychiatrie

et traitements d’urgence

Médicament

Symptômes et signes

Diagnostic

Traitement d’urgence

Benzodiazépines (BZD) • • • • •

Somnolence Apathie Baisse de la concentration Dysarthrie, ataxie Désinhibition

Intoxication aiguë ou chronique aux • Retrait de la BZD ; si intoxication aiguë, faire BZD (chez les personnes âgées) appel à un urgentologue et surveiller les fonctions vitales et neurologiques. • Attention au risque de syndrome de sevrage subséquent chez les patients dépendants.

• • • • • • •

Nausées, vomissements Malaise, anxiété Insomnie Hypertension, tachycardie Sudation Tremblements, convulsions Delirium

Sevrage aux BZD (voir la soussection 38.5.5 )

• Si la dose équivaut à moins de 15 mg/j de diazépam, cesser la BZD. • Si la dose équivaut à 15 à 40 mg/j de diazépam, changer pour une BZD à longue demi-vie (p. ex., diazépam), puis diminuer la dose de 10 % chaque jour, ou plus lentement selon la tolérance. • Si la dose équivaut à plus de 40 mg/j, envisager une hospitalisation pour sevrage.

Rétention urinaire (effet anticholinergique)

• Urgence médicale si intoxication aiguë : faire appel à un urgentologue. • Cathétérisme intermittent ou sonde à demeure.

Antidépresseurs tricycliques

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Douleur abdominale et dysurie

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

TABLEAU 49.13 Possibles réactions indésirables à des médicaments fréquemment prescrits en psychiatrie

et traitements d’urgence (suite)

Médicament Antidépresseurs tricycliques (suite)

Symptômes et signes

Diagnostic

Traitement d’urgence

Douleur à l’œil, vue brouillée, halo visuel

Crise de glaucome aiguë (effet anticholinergique)

• Urgence ophtalmologique : faire appel à un spécialiste.

Étourdissements, chutes

Hypotension orthostatique (due à un blocage α-noradrénergique)

• Conseiller de se lever lentement, de bien s’hydrater, d’ajouter du sel à la diète. • Port de bas de soutien. • Diminuer la dose de l’antidépresseur ou changer de médicament.

Palpitations, perte de conscience

Arythmie • Urgence cardiologique : faire appel à un spécialiste. • effet quinidine/antiarythmique à dose thérapeutique • effet arythmogène à dose toxique

Antidépresseurs ( ISRS, IMAO) Agonistes du 5HT1 Clomipramine Stimulants du SNC L-tryptophane Opiacés

• • • • • • • • •

Fièvre, sudation Nausées, vomissements Diarrhées, crampes abdominales Céphalées Hypotension Agitation Tremblements, rigidité musculaire Hyperréexie, clonus musculaire Confusion, delirium

Syndrome sérotoninergique survenant après un changement d’antidépresseur ou par suite d’une combinaison de médicaments augmentant la sérotonine cérébrale

Inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO)

• • • • •

Nausées, vomissements Sudation Hypertension artérielle Céphalées (surtout occipitales) Raideur de la nuque

Crise hypertensive survenant • Urgence médicale : faire appel à un urgentoaprès l’ingestion d’aliments contelogue ou à un interniste. nant de la tyramine • Cesser le ou les médicaments (IMAO ou à l’occasion d’un usage concomiet médicaments en interaction). tant d’agents sympathicomimétiques ou autres (péthidine [DemerolMD], certains anesthésiques, etc.).

Neuroleptiques

• Fièvre, diaphorèse • Tremblements, agitation • Rigidité musculaire (en tuyau de plomb) • Instabilité du système nerveux autonome • Confusion, sensorium altéré • Delirium

Syndrome malin des neuroleptiques survenant habituellement dans les 10 jours suivant le début du neuroleptique

• Bilan de laboratoire : – FSC (leucocytose) – CPK (créatine phosphokinase très élevée >1000 IU/ml) – créatinine – enzymes hépatiques – LDH – électrolytes – ferritine (abaissée) • Urgence médicale grave : faire appel à un urgentologue ou à un interniste. • Cesser le neuroleptique. • Surveiller les fonctions vitales et la diurèse. • Réhydrater abondamment et rafraîchir le patient. • Donner un relaxant musculaire (benzodiazépine, dantrolène).

• • • • •

Dystonie aiguë

• Benztropine (CogentinMD) 1 à 2 mg PO ou IM toutes les 15 à 30 min, max. 6 mg • Diphenhydramine 25 (BenadrylMD) à 50 mg PO ou IM toutes les 15 à 30 min, max. 200 mg • Lorazépam (AtivanMD) 1 à 2 mg PO ou IM toutes les 60 min, max. 6 mg, jusqu’à résolution des symptômes. • Prescrire ensuite un antiparkinsonien régulièrement pour prévenir les crises subséquentes ou modier la prescription d’antipsychotique (réduire la dose ou changer de molécule). • En cas de détresse respiratoire (dystonie laryngée), faire appel à un urgentologue.

Crampes et raideurs musculaires Protrusion de la langue Crise oculogyre Opisthotonos Détresse respiratoire (spasmes du larynx ou du pharynx)

• Urgence médicale : faire appel à un urgentologue ou à un interniste. • Cesser le médicament ou la combinaison de médicaments. Note : La cessation brusque de certains ISRS (paroxétine en particulier) peut entraîner un syndrome de sevrage. Les symptômes sont comparables à ceux du syndrome sérotoninergique. Traitement : réintroduire le médicament puis le retirer graduellement.

Chapitre 49

Urgences psychiatriques

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TABLEAU 49.13 Possibles réactions indésirables à des médicaments fréquemment prescrits en psychiatrie

et traitements d’urgence (suite)

Médicament

Symptômes et signes

Diagnostic

Respiration irrégulière, toux Dysphagie Mouvements choréo-athéosiques Balancement des jambes Piétinement, bougeotte Sensation de tremblement à l’intérieur du corps (akathisie subjective) • Agitation avec sensorium clair • Irritabilité

Dyskinésie de retrait survenant après une cessation ou une diminution rapide du neuroleptique

• Reprendre le neuroleptique à la dose antérieure puis le diminuer lentement sur plusieurs mois.

Akathisie

Lithium

• • • • •

Nausées, vomissements, diarrhée Tremblements, ataxie, agitation Hyperréexie Hyperextension des extrémités Delirium, convulsions, coma

Intoxication au lithium (Même en présence d’une lithémie normale, le lithium intracellulaire peut être trop haut.)

Acide valproïque Carbamazépine Phénytoïne

• • • • • • • • • • •

Nausées, vomissements Tremblements Baisse de la concentration Somnolence, apathie Nystagmus Ataxie, dysarthrie Coma Fièvre Pharyngite Infections diverses Ulcération péribuccale ou anale

Intoxication

• Réduire, si possible, la dose du neuroleptique. • Changer pour un antipsychotique atypique. • Ajouter : – lorazépam (AtivanMD) 1 à 2 mg TID ; – propranolol (InderalMD) 10 à 40 mg TID ; – benzotropine (CogentinMD) 2 mg BID ; – procyclidine (KemadrinMD) 5 mg BID. • Dosage sérique et intraérythrocytaire du lithium. • Bilan de laboratoire incluant : FSC, électrolytes, urée, créatinine, analyse d’urine. • ECG. • Faire appel à un urgentologue ou à un interniste. • Dosage sérique, diminuer la dose quotidienne ou cesser. • Dosage de B12 et acide folique et suppléer au besoin. • Faire appel à un urgentologue ou à un interniste.

Neuroleptiques (suite)

Clozapine Carbamazépine Tricycliques

Agents muscariniques • Antiparkinsoniens • Tricycliques • Neuroleptiques

• • • • • •

• • • • • • • • • • •

Fièvre, peau rouge et chaude Peau et muqueuses sèches Céphalées Mydriase, xérostomie, xérophtalmie Tachycardie Constipation, iléus Rétention urinaire, dysurie ou anurie Troubles de la mémoire Désorientation, confusion, agitation Hallucinations Convulsions, delirium

Leucopénie (leucocytes < 3,5 × 109/L) Granulocytopénie (polynucléaires neutrophiles < 1,5 × 109/L)

Agranulocytose (polynucléaires neutrophiles < 0,5 × 109/L) Syndrome anticholinergique

49.5 Intervention de crise L’intervention de crise consiste à mobiliser des ressources an d’intervenir auprès d’une personne qui est aux prises avec un événement auquel elle ne peut faire face adéquatement. Les intervenants se concentrent alors sur les réactions du patient aux événements qui ont causé la crise actuelle et sur ses capacités d’adaptation. Caplan (1964) distingue quatre phases possibles dans l’évolution d’une crise :

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Traitement d’urgence

• Habituellement bénigne, poursuivre le médicament. • Formule sanguine complète chaque semaine. • Cesser le médicament. • Surveillance médicale et hématologique. • Formule sanguine complète deux fois par semaine. • Urgence médicale : consultation en hématologie. • Urgence médicale : faire appel à un urgentologue ou à un interniste. • Cesser le médicament. • Surveillance médicale étroite, en particulier de l’ECG. • BZD pour l’agitation.

1. L’individu qui aronte une situation menaçant son équilibre émotionnel tente de la résoudre en mettant en œuvre ses moyens d’adaptation habituels ; 2. L’échec des mécanismes habituels engendre de l’anxiété et entraîne l’apparition de divers symptômes : insomnie, tension, fatigue ; 3. Devant la persistance de l’échec, l’individu explore de nouvelles façons d’aborder le problème qui peuvent mener à sa résolution ou, si elles sont incomplètes ou mal adaptées, à la chronicisation des symptômes ;

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4. Les capacités d’adaptation de l’individu sont complètement dépassées, ce qui engendre une désorganisation plus ou moins grande selon les vulnérabilités préalables de la personnalité de l’individu.

49.5.1 Aperçu historique En comprenant comment est née l’intervention de crise et comment elle a évolué, le médecin peut mieux cerner l’approche à préconiser pour une personne en crise, en particulier dans un service d’urgences psychiatriques. Roberts & Yeager (2009), dans leur guide sur l’intervention de crise, résument les fondements de cette intervention en soulignant l’apport de deux médecins chercheurs : Lindemann et Caplan. Lindemann (1944) a décrit les diérentes étapes psychologiques du deuil à partir de son expérience avec les survivants de l’incendie d’une boîte de nuit, le Cocoanut Grove à Boston, au cours duquel 493 personnes ont péri. Ses notes cliniques portant sur les réactions des endeuillés sont à l’origine de l’intervention de crise. En eet, il a observé que les personnes ayant un rôle clé dans la communauté, comme les prêtres, les rabbins, les pasteurs et les cliniciens, pouvaient devenir, chacun dans son domaine, d’excellents intervenants dans des situations de crise et prévenir ainsi des séquelles pathologiques. Caplan (1964) a quant à lui, construit une théorie de la crise qui comporte les éléments suivants : • Tout individu doit faire face à certains événements qui rompent son équilibre émotionnel. • Ces déséquilibres momentanés sont normaux et non nécessairement pathologiques. • La crise est limitée dans le temps et son évolution est prévisible. • La crise met souvent en relief certains conits antérieurs non résolus. • Les périodes de crise sont souvent propices à la résolution de conits antérieurs. • L’intervention est brève et d’autant plus ecace qu’elle est précoce. Durant cette même période sont apparus, avec la psychiatrie communautaire, les centres de crise et de prévention du suicide. C’est à cette époque que le travail en milieu de vie du patient a commencé et que de nouvelles approches se sont imposées. Erik Erikson (1963) décrit huit étapes du développement de l’être humain et propose le concept de crises transitionnelles (voir la sous-section 9.2.2). Pour lui, l’individu doit résoudre chaque crise avant d’être en mesure d’aronter la crise suivante, et la non-résolution d’une crise peut donner lieu à une inadaptation sur les plans cognitif, physique et social. Aguilera & Messick (1982) proposent un modèle d’intervention de crise fondé sur la délisation au traitement ou, autrement dit, l’engagement du patient aux traitements proposés. Ils sont en quelque sorte les précurseurs du mouvement suscité par la publication du DSM-III, qui a mené les médecins à poser un diagnostic et à proposer un traitement des symptômes plutôt que d’inciter les patients à chercher des solutions pour régler eux-mêmes leur situation de crise. Dans le texte qui suit, nous proposons, à l’inverse, des approches orientées non plus vers le seul traitement de la maladie, mais vers des solutions que le

patient peut appliquer lui-même et vers un nouveau mode de gestion des problèmes favorisant l’émergence de solutions appropriées au contexte.

49.5.2 Intervention de crise en situation d’urgence psychiatrique L’intervention de crise commence au service des urgences psychiatriques et doit se continuer avec une équipe aectée à la crise. Roberts & Yeager (2009) regroupent les urgences psychiatriques selon trois étiologies possibles : 1. L’abus à l’égard de soi se manifestant par des tentatives de suicide et des surdoses médicamenteuses ; 2. L’agression envers les autres se manifestant par un besoin de contrôler les autres ; 3. L’incapacité de se prendre en charge se manifestant par des troubles de la pensée, comme les idées bizarres, de grandeur ou d’autodévalorisation dépressive, les délires somatiques, les idées de référence et les hallucinations. Roberts a également proposé un modèle d’intervention de crise en sept étapes fondé sur les solutions. Ce modèle se présente ainsi : 1. Faire une évaluation bio-psycho-sociale et une évaluation de la dangerosité. 2. Établir un rapport de collaboration avec le patient et ses proches. 3. Identier les principaux problèmes, incluant les causes qui ont précipité la crise actuelle. 4. Faire une exploration des sentiments et des émotions. 5. Explorer les divers mécanismes d’adaptation et quelques solutions disponibles. 6. Rétablir un fonctionnement adapté en organisant un plan d’action. 7. S’entendre sur le suivi et sur une période déterminée d’intervention. Suzanne Lamarre (2008) et ses collaborateurs (2006) a quant à elle proposé un modèle systémique contextuel. Elle décrit comment soumettre aux acteurs un nouveau mode de gestion des interrelations fondé sur la collaboration, qui permet de dénouer de multiples doubles contraintes (double bind) dans lesquelles le clinicien peut s’enliser s’il ne tient pas compte de la nature du contexte relationnel existant. La double contrainte est un concept des théoriciens de la communication Bateson et ses collaborateurs (1956), qui décrivent un type d’interactions complexes, verbales et non verbales, contradictoires et menant à une impasse dans une relation intime du genre « Tu as tort si tu le fais et tu as aussi tort si tu ne le fais pas » (Damn if you do ! Damn if you don’t). Ils apportent l’exemple suivant, où un jeune homme souffrant de schizophrénie reçoit la visite de sa mère à l’hôpital. Elle lui dit : « Pourquoi ne manifestes-tu pas ton affection à ta mère ? » Heureux, il met son bras autour de ses épaules. La mère se raidit et se détourne. Perplexe, il retire son bras et sa mère lui demande : « Tu n’aimes plus ta mère ? » Il rougit de cette remarque. La mère continue : « Mon chéri, tu ne dois pas te sentir embarrassé ni rougir de tes sentiments. » Il arrive souvent qu’un clinicien se retrouve dans des situations complexes où il n’y a plus de terrain d’entente entre un patient et ses proches, ni entre ces derniers et les professionnels concernés. Chapitre 49

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Si le clinicien prend parti, il resserre les nœuds de la discorde. S’il ignore ces éléments relationnels en se limitant au traitement de la maladie, il ne fait qu’établir les bases pour une nouvelle crise. Ce contexte de double contrainte, s’il n’est pas assaini, rend la collaboration, essentielle à toute intervention thérapeutique, impossible à installer. Pour Lamarre, il existe deux grands pôles relationnels : 1. Les relations de contrôle, qui entraînent un processus de victimisation chez les personnes concernées, tant chez les contrôleurs que chez les contrôlés. Cette mécanique de victimisation dans les relations de contrôle est à l’origine de l’apparition et surtout du maintien de multiples symptômes et troubles psychiatriques. La relation protectionniste en est le prototype. 2. Les relations de collaboration qui, à l’inverse, favorisent la santé plutôt que l’apparition et le maintien de comportements inadaptés et pathologiques. Les doubles contraintes sont au cœur des relations de contrôle. Dans un contexte d’obligation d’agir pour sauver son identité de personne autonome (non contrôlée), la personne interpellée peut choisir l’une des options suivantes : • blâmer l’autre pour le faire se sentir coupable ou honteux ; • le disqualier en le diabolisant (pour le rejeter) ; • le dire trop malade pour décider pour lui-même (« Traitez-le, sinon vous serez à blâmer si quelque chose arrive ! »). C’est la mécanique de la victimisation. Tous sont victimes les uns des autres. Tous peuvent s’enliser dans cette relation de contrôle si elle n’est pas mise à jour par un tiers, le thérapeute. Pour dénouer l’impasse (la double contrainte), le clinicien adopte une position basse d’impuissance (plutôt qu’une position d’autorité), d’incapacité à travailler dans un tel rapport, et propose à tous une participation en fonction des limites de chacun. Les solutions possibles émergeront sans que les uns et les autres se blâment mutuellement ou se disqualient. Il s’agit alors que chacun reconnaisse ses handicaps sans se dénir soi-même comme une personne handicapée. Dans ce modèle systémique, Lamarre regroupe les sept étapes de l’intervention de crise de Roberts en trois parties, à aborder simultanément pour installer et maintenir la collaboration : 1. Le processus d’évaluation de la dangerosité pour assurer la sécurité physique de tous lors du processus d’évaluation bio-psycho-sociale, avec la collaboration de tous (les étapes 1 et 2 du modèle de Roberts) : a) Faire l’évaluation bio-psycho-sociale avec le réseau du patient. b) Stabiliser l’état physique et mental de la personne malade. c) Évaluer s’il est nécessaire d’hospitaliser le patient contre son gré. d) Identier les acteurs impliqués et ceux qui pourraient s’impliquer ; s’engager à travailler en collaboration avec eux et le patient jusqu’à la résolution de la crise. e) Distinguer, avec les acteurs, ce qui relève de la condentialité et ce qui appartient à tous, en particulier les facteurs de stress et de sécurité. 2. Le processus d’évaluation du problème avec les acteurs impliqués et ceux qui pourraient s’impliquer (les étapes 3, 4 et 5 de Roberts). Ici, ce qui est visé n’est pas de trouver des solutions

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dans le contexte actuel, mais de susciter un nouveau contexte propice à la résolution de problèmes. Voici les étapes pour y parvenir : a) Clarier l’impossibilité pour les soignants de résoudre le problème sans la collaboration des membres du réseau de soutien du patient et des professionnels déjà impliqués ou qui pourraient s’impliquer. S’il y a refus, on remet en question la possibilité de mettre n à la crise actuelle et aux crises ultérieures. b) Discuter des volets : – biologique (disease) : qui relève des professionnels de la santé ; – psychologique : qui relève de la personne, laquelle peut assumer sa maladie sereinement (wellness) ou dans un état catastrophique (illness) ; – social : qui relève de l’entourage ; comme il est touché par la crise, il a avantage à s’impliquer non par culpabilité, mais pour mettre n à sa détresse. c) Déceler les éléments de la relation protectionniste (le fait de surcompenser – en faire plus qu’il n’en faut – pour la personne en diculté) pour en arriver à un contexte de collaboration. Cela suppose de : – reconnaître la sourance d’être dans la surcompensation, le rejet et les doubles contraintes du protectionnisme ; – reconnaître l’impossibilité pour chacun de parler de ses limites sans susciter de nouvelles crises ; – s’entendre sur la possibilité de clarier, chacun, ses limites, en éliminant dorénavant tout blâme envers soi, envers les autres ou de la part des autres, et en s’autorisant des répits (time-out) dans les échanges pour éviter les escalades. 3. Le processus d’implication avec les acteurs pour continuer à substituer, au cours des prochains mois, la règle de la collaboration à celle du protectionnisme. Voici les étapes pour y parvenir : a) Adopter les moyens et les valeurs de la réciprocité, de l’interdépendance et du respect de l’autonomie pour gérer les conits sans explosion, ce qui suppose : – un engagement de la part des acteurs à ne plus utiliser de moyens violents, comme le suicide, pour gérer un problème ; – une entente sur les répits (time-out) lors des tensions et l’élimination du blâme ; – une entente sur le respect des limites personnelles et des territoires de chacun des partenaires ; – une entente sur un plan d’urgence s’il y a régression, comme celui d’appeler un centre de crise ou l’intervenant pivot. b) Désigner l’intervenant pivot pour le suivi des indicateurs de la mise en place d’un contexte de collaboration. Cela inclut, entre autres, de mettre n aux blâmes ou aux discours sur qui a tort et qui a raison, pour s’informer mutuellement de ses limites et favoriser un processus de réorganisation à partir de ces limites. c) Proposer quelques rencontres de concertation dans les mois à venir, jusqu’à ce que tous aient appris à gérer les problèmes dans la collaboration.

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La psychothérapie orientée vers les solutions proposée par Roberts, mais également par De Shazer (1988), relève d’un concept et d’une pratique centrés sur les personnes et la conrmation de leurs compétences. Il en est de même pour le modèle systémique contextuel de Lamarre. En changeant le cadre relationnel, en substituant les relations de contrôle par des relations de collaboration, cette approche vise à donner à tous à la fois un sentiment de participation à la résolution des problèmes et un nouveau mode de gestion des interrelations, que chacun sera à même d’utiliser dans le futur.

49.6 Aspects médicolégaux pertinents aux situations d’urgence En situation d’urgence, le médecin peut être appelé à intervenir rapidement pour assurer la santé et la sécurité des patients ou de leur entourage de même qu’à poser des actions qui peuvent être contraignantes an d’en arriver à un diagnostic ou à prodiguer des soins de base. Au Québec, ces mesures d’exception sont encadrées par le Code civil du Québec et la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui (ci-après désignée LPPEM).Les paragraphes qui suivent traitent des aspects de cette législation qui s’appliquent particulièrement au contexte de l’urgence. Ces aspects sont présentés en détail au chapitre 52, à la section 52.3.

49.6.1 Garde préventive La LPPEM prévoit que tout médecin (omnipraticien ou spécialiste) pratiquant dans un établissement désigné peut garder un patient contre son gré pour une durée maximale de 72 heures, s’il croit que son état mental présente un danger grave et immédiat pour lui-même ou pour autrui. Le médecin qui voit le patient et constate ce danger relié à un état mental altéré remplit le formulaire prévu pour la garde préventive dans son établissement et l’achemine au directeur des services professionnels, en prenant soin d’y indiquer avec précision ce qui rend cette personne dangereuse. Il doit s’assurer que tous les éléments démontrant le danger grave et immédiat sont présents : • une altération de l’état mental (delirium, psychose, dépression ou autre maladie) ; • un danger grave de suicide, de violence ou de détérioration de sa condition physique (p. ex., un diabétique insulinodépendant cessant ses injections d’insuline pour des raisons délirantes ; un patient atteint de schizophrénie qui ne se présente plus à ses rendez-vous pour recevoir son injection d’antipsychotique et qui devient menaçant pour son entourage) ; • un danger immédiat (dans les prochaines heures ou les prochains jours) ; • un risque imminent de passage à l’acte. Cette garde préventive, qui est en vigueur pour une durée de 72 heures, est le seul moyen dont le médecin dispose pour garder sur-le-champ un patient contre son gré. Il doit lever la garde préventive en tout temps s’il constate que la dangerosité

grave et immédiate est résolue. À l’issue des 72 heures, le patient doit être libéré, à moins qu’une démarche judiciaire n’ait été entreprise pour qu’une garde en établissement puisse être légalement entérinée par un juge. Pendant ce délai de 72 heures de la garde préventive, si la personne consent de manière éclairée à subir une évaluation psychiatrique, il faut que deux psychiatres fassent, indépendamment, un examen du patient en vue d’établir la pertinence (ou non) d’une garde en établissement.

49.6.2 Garde provisoire en vue d’une évaluation psychiatrique Si le patient placé en garde préventive à l’hôpital refuse de collaborer avec les psychiatres, l’établissement doit, à l’intérieur de ce délai de 72 heures, entreprendre des démarches pour qu’une garde provisoire soit prononcée par le juge an que le patient soit soumis à une évaluation psychiatrique contre son gré. Le juge doit avoir des motifs sérieux de croire que la personne représente un danger pour elle-même ou pour autrui en raison de son état mental, d’où l’importance de bien documenter la condition du patient dans les rapports qui sont présentés à la cour. Suivant une ordonnance de garde provisoire émise après une garde préventive, les deux examens psychiatriques doivent être eectués dans les 48 heures. La LPPEM prévoit que cette requête de garde provisoire peut aussi être demandée pour un patient en externe. Tout membre de l’entourage ou toute personne intéressée (médecin, travailleur social ou autre) peut s’inquiéter de l’état mental d’un individu s’il estime qu’une dangerosité pourrait découler de son état mental altéré et de ses répercussions, pour la personne elle-même ou pour autrui (p. ex., un risque d’agir sous l’impulsion d’un délire, un risque de suicide découlant d’un état dépressif, une incapacité à se nourrir ou à assumer ses besoins de base, etc.). Des organismes communautaires et des centres locaux de services communautaires (CLSC) dans les diérentes régions du Québec peuvent soutenir les proches dans leur démarche en vue d’accéder à une évaluation psychiatrique. Il s’agit d’adresser une demande à la cour an qu’un juge émette une ordonnance de garde provisoire pour que la personne se soumette à cette évaluation psychiatrique, si elle avait jusque-là refusé de le faire. La personne est alors amenée à l’urgence (par des policiers chargés d’exécuter l’ordonnance, si nécessaire) an d’y subir un examen psychiatrique. De plus, l’article 8 de la LPPEM reconnaît aux policiers le pouvoir d’amener à l’urgence une personne contre son gré, sans l’autorisation du tribunal, s’il appert qu’elle représente un danger grave et immédiat pour elle-même ou pour autrui.

49.6.3 Garde en établissement À la suite d’une ordonnance de garde provisoire en vue de procéder à une évaluation psychiatrique, la personne doit subir un premier examen psychiatrique dans les 24 heures suivant sa prise en charge à l’urgence. Si ce premier examen conclut à la nécessité de placer le patient sous garde en établissement, il doit subir un second examen, au plus tard dans les 96 heures suivant sa prise en charge par l’établissement, pour conrmer ou inrmer la conclusion du premier examen. Ces deux examens psychiatriques doivent consigner de façon détaillée la symptomatologie du patient et étayer la

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dangerosité reliée à son état mental perturbé. Par la suite, les résultants des deux examens sont soumis au juge, qui décide si le patient doit être gardé en établissement contre son gré ou libéré. Pendant tout le temps de la procédure et jusqu’au jugement ordonnant la garde en établissement, le patient est sous garde provisoire. La dangerosité requise pour placer un patient en garde en établissement n’a pas besoin d’être grave et immédiate comme dans le cas de la garde préventive. La jurisprudence de la Cour d’appel mentionne qu’il doit alors s’agir « d’un danger important ou d’un potentiel de danger élevé (qui n’a pas à être imminent), mais qui doit certainement être, sinon probable, du moins clairement envisageable dans le présent ou dans un avenir relativement rapproché » (Cour d’appel, dans l’arrêt A. c. Hôpital St. Mary, 2007 QCCA 1382 [CA]). La garde en établissement est prononcée pour une durée déterminée par le juge, habituellement de 21 à 30 jours. En tout temps, la garde doit être levée par le psychiatre si le patient ne présente plus de dangerosité. La loi prévoit que le patient peut aussi demander une révision de sa mise sous garde en établissement auprès du Tribunal administratif du Québec (TAQ) et qu’il peut être secondé par un avocat pour ce faire. Tous les patients placés en garde doivent recevoir le Document d’information sur les droits et recours d’une personne sous garde, conformément à l’article 16 de la LPPEM. Ils doivent aussi être soutenus dans leur démarche de contestation (accès au téléphone, transport vers la cour, etc.). Lorsque le tribunal a xé la durée de la garde à plus de 21 jours, la personne sous garde doit être soumise à des examens périodiques destinés à vérier si la garde est toujours nécessaire, soit à 21 jours du jugement et tous les 3 mois par la suite. À défaut de ces examens périodiques, la garde tombe automatiquement. La mise sous garde en établissement permet que le patient soit hospitalisé contre son gré à des ns de sécurité, mais n’autorise pas l’administration d’un traitement sans son consentement, sauf en situation d’urgence (s’il risque de se blesser ou de blesser autrui). Si le patient refuse catégoriquement le traitement requis par sa condition ou qu’il est jugé inapte à consentir aux soins (ou à les refuser), une requête d’autorisation de soins contre le gré doit être déposée à la Cour supérieure. L’autorisation de soins est présentée en détail au chapitre 52, à la section 52.4.

49.6.4 Mesures urgentes sans consentement L’importance de procéder à l’évaluation bio-psycho-sociale la plus exhaustive possible a déjà été exposée précédemment. Il peut arriver qu’en raison de la perturbation de leur état mental (delirium, délire de persécution, etc.), certains patients refusent de procéder aux investigations nécessaires à l’établissement de leur diagnostic médical. Dans ce contexte d’inaptitude et de refus de consentir à ces examens, il est tout de même possible de procéder, sans le consentement du patient et selon la condition clinique présente, à certains examens de base urgents an de lui sauver la vie ou de préserver son intégrité (p. ex., une prise de sang pour la glycémie ou un dosage de troponine, un ECG, etc.). Par exemple, un patient ivre ou confus qui refuserait de subir une tomographie cérébrale après une chute avec traumatisme à la

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tête peut être contraint de passer cet examen sous sédation an d’exclure la présence d’une condition potentiellement mortelle comme un hématome sous-dural. Dans une telle situation, il est prudent de discuter de la situation d’urgence et de demander un consentement substitué à un proche du patient, si cela peut être fait rapidement. Il peut aussi arriver que des traitements d’urgence soient administrés à un patient contre son gré si sa vie est en danger ou son intégrité (ou celle des autres), menacée et que son consentement ne peut être obtenu en temps utile. Par exemple, un patient psychotique agité et agressif peut recevoir une médication sédative intramusculaire an d’éviter qu’il se cause des lésions ou blesse quelqu’un d’autre, si les mesures non pharmacologiques (incitation au calme) préalablement appliquées ont échoué pour l’apaiser et s’il refuse de prendre une médication par la bouche. Par contre, un traitement régulier ou une médication intramusculaire à longue action ne peuvent être donnés contre le gré du patient, à moins qu’une autorisation de soins n’ait été prononcée par un juge. Ces mesures diagnostiques et thérapeutiques d’urgence constituent une exception, dont le seul but est de protéger le patient ou son entourage, le cas échéant.

49.6.5 Requête d’autorisation de soins Quand une personne soumise à un jugement d’autorisation de soins est amenée à l’urgence, il est recommandé de lire attentivement le libellé du jugement an d’en connaître les détails et de s’assurer de la conformité des interventions prévues. Ces jugements incluent habituellement l’obligation du patient de se soumettre au traitement recommandé (rendez-vous médicaux, médication, abstinence de drogues), mais aussi aux examens de laboratoire requis par sa condition, incluant des dépistages de drogues, ainsi qu’à des conditions d’hébergement dans certains cas.

La personne qui se rend au service des urgences pour un problème psychiatrique se trouve souvent à un moment déterminant de sa vie. Il est nécessaire de lui orir une évaluation et une intervention les plus exhaustives possible, tenant compte des dimensions bio-psycho-sociales de la situation qu’elle traverse. L’intervention qui lui est proposée doit l’aider à résoudre un problème aigu dans le respect de ses capacités, de son autonomie et en continuité avec son parcours de vie et de soins. Une situation de crise est un moment privilégié de changement, qu’il incombe au médecin et à toute l’équipe de l’urgence de mettre à prot pour amener la personne à une meilleure adaptation. La pratique de la psychiatrie d’urgence est exigeante, mais très stimulante. Elle se situe au conuent de la médecine physique, de la psychiatrie, de la psychologie, des sciences du comportement et de l’intervention systémique. Elle garde le médecin en contact avec divers champs de connaissance, le surprenant chaque jour par la diversité des situations rencontrées. Elle ore au professionnel des rencontres avec des patients en crise et en détresse, mais également déterminés à utiliser toutes les ressources possibles pour retrouver leur équilibre. Elle ore au médecin une chance unique de rencontre avec soi-même dans la relation d’aide qu’il établit avec des patients en situation de sourance.

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Spécialités psychiatriques

Lectures complémentaires A, M. H. & al. (2005). « Treatment of behavioral emergencies », Journal of Psychiatric Practice, 11(suppl. 1), p. 5-108. D Sz, S. & D, Y. (2007). More than Miracles : e State of the Art of Solution-Focused Brief erapy, Binghamton, NY, Haworth Press.

Gdj-Bd, M. J. (2011). Urgences psychiatriques, Paris, Elservier Masson. L, J. & al. (2008). Urg’ Psychiatrie. Toutes les situations d’urgence psychiatriques en poche !, Arnette.

S, C. S. (2007). La conduite de l’entretien psychiatrique, l’art de la compréhension, Paris, Elservier.

CHAPITRE 49

Urgences psychiatriques

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CHA P ITR E

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Suicide Johanne Renaud, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences biomédicales) Psychiatre de l’enfant et de l’adolescent, chef médicale, Centre Standard Life pour les avancées en prévention de la dépression et du suicide chez les jeunes, Institut universitaire en santé mentale Douglas (Montréal)

Professeur agrégé, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université McGill (Montréal)

Monique Séguin, Ph. D. (psychologie clinique) Psychologue, Groupe McGill d’études sur le suicide (Montréal)

Professeure agrégée, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université McGill (Montréal)

Professeure, Département de psychologie, Université du Québec en Outaouais (Gatineau)

Alain D. Lesage, M.D., FRCPC, M. phil. (épidémiologie ; recherche évaluative)

Valentin Mbekou, Ph. D. (psychologie clinique)

Psychiatre, Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Psychologue, Clinique externe des troubles dépressifs et suicidaires (section jeunes), Institut universitaire en santé mentale Douglas (Montréal)

Professeur titulaire, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Danielle St-Laurent, M.A., M. Sc. (Épidémiologie) Épidémiologiste, chef d’unité scientique, Direction de l’analyse et de l’évaluation des systèmes de soins et services, Institut national de santé publique du Québec (Québec)

Professeur, Département de psychologie, Université du Québec à Montréal

Richard Boyer, Ph. D. (santé publique) Chercheur, Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Mathieu Gagné, M.A. (sociologie)

Professeur agrégé sous octroi, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Agent de planication, de programmation et de recherche, Direction de l’analyse et de l’évaluation des systèmes de soins et services, Institut national de santé publique du Québec (Québec)

Lucie Nadeau, M.D., FRCPC, M. Sc. (psychiatrie transculturelle)

Gustavo Turecki, M.D., FRCPC, Ph. D. (neurosciences ; génétique) Psychiatre, directeur, Groupe McGill d’études sur le suicide, Institut universitaire en santé mentale Douglas (Montréal)

50.1 Historique et modèle actuel ....................................... 1119 50.2 Épidémiologie et moyens utilisés .............................. 1119 50.2.1 Prévalence selon les groupes d’âge................... 1121 50.2.2 Moyens utilisés selon les groupes d’âge .......... 1121 50.3 Facteurs de risque et de protection........................... 1125 50.3.1 Facteurs génétiques............................................. 1125 50.3.2 Facteurs développementaux.............................. 1125 50.3.3 Facteurs psychiatriques...................................... 1127 50.3.4 Facteurs liés aux services oerts ...................... 1127 50.4 Évaluation et interventions spéciques du comportement suicidaire...................................... 1128 50.4.1 Évaluation du risque suicidaire......................... 1128

Psychiatre, Centre universitaire de santé McGill, Hôpital général juif (Montréal), Centre de santé Inuulitsivik (Puvirnituq) Professeure adjointe, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université McGill (Montréal)

50.4.2 Intervention de crise et gestion de cas............ 1128 50.4.3 érapie comportementale dialectique .......... 1129 50.5 Prévention .................................................................... 1129 50.6 Postvention................................................................... 1132 50.6.1 Interventions psychothérapeutiques ............... 1133 50.6.2 Activités en milieu communautaire ................ 1133 50.6.3 Réactions des thérapeutes et des équipes....... 1134 50.7 Populations particulières ........................................... 1134 50.7.1 Enfants et adolescents ........................................ 1134 50.7.2 Aînés ...................................................................... 1135 50.7.3 Populations autochtones.................................... 1136 Lectures complémentaires .................................................... 1137

L

e suicide constitue un enjeu clinique considérable et préoccupant pour les cliniciens. Une meilleure connaissance des données empiriques portant sur le suicide et les comportements suicidaires permet d’aborder cet aspect de la pratique clinique de manière judicieuse et sensible.

50.1 Historique et modèle actuel L’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère le suicide comme un problème de santé publique majeur, mais en grande partie évitable. Le suicide est actuellement à l’origine de près de la moitié de toutes les morts violentes. Il est responsable de pas moins d’un million de décès annuels dans le monde et son coût économique se chire en milliards de dollars, chaque suicide entraînant des coûts directs (p. ex., soins de santé oerts) et indirects (p. ex., perte de productivité) d’un million de dollars pour chaque suicide au Canada (Clayton & Barcel, 1999). Selon les estimations, le nombre annuel de décès dus au suicide dans le monde pourrait passer à 1,5 million d’ici 2020. Au Québec, malgré une diminution signicative du taux de suicide depuis les années 2000 (Gagné & St-Laurent, 2010), il demeure encore parmi les plus élevés des provinces canadiennes (Légaré & al., 2013). Au cours des dernières années, le débat idéologique entourant le suicide quant à l’importance à accorder aux facteurs de risque biologiques comparativement aux facteurs psychosociaux a heureusement fait place à une compréhension beaucoup plus large et inclusive des facteurs bio-psycho-sociaux dans une perspective individuelle et populationnelle. Depuis le début des années 2000, au Québec, le Groupe McGill d’études sur le suicide

a certainement contribué à l’élaboration d’un modèle éclectique du suicide sur le plan individuel (voir la gure 50.1). Il s’inspire du modèle vulnérabilité/stress (voir la gure 17.1) et représente tant les facteurs biologiques et génétiques de base inuencés par les événements traumatisants durant l’enfance que les facteurs médiateurs (tels que les traits de personnalité ou les comportements impulsifs/agressifs) ou les événements de vie adverses plus récents. Les facteurs psychopathologiques agissent comme déclencheurs du suicide en lien avec les facteurs modérateurs (p. ex., sexe masculin versus féminin) dans le risque de passage à l’acte suicidaire. Malgré ces avancées, le clinicien reste parfois bien démuni devant un patient suicidaire. Ce chapitre vise à le guider dans sa pratique grâce à une meilleure connaissance des données épidémiologiques du suicide, en fonction des étiologies avancées, des mesures thérapeutiques et préventives actuellement reconnues sur les plans individuel et populationnel et des particularités associées aux populations touchées par ce problème de santé publique. L’aspect clinique de l’évaluation du risque suicidaire est présenté en détail au chapitre 49.

50.2 Épidémiologie et moyens utilisés À l’échelle mondiale, l’OMS évalue le taux de suicide à 14,5 décès pour 100 000 personnes (OMS, 2002). De manière générale, ce taux est plus élevé dans les pays de l’Europe de l’Est et plus faible dans les pays d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud

FIGURE 50.1 Modèle explicatif du suicide du Groupe McGill d’études sur le suicide

Source : McGirr & Turecki (2007), p. 462.

Chapitre 50

Suicide

1119

(Nock & al., 2008). Cependant, les procédures liées à la certication et à l’enregistrement des causes de décès varient d’un pays à l’autre, pouvant faire obstacle à une comparaison précise entre les taux de suicide nationaux. La fréquence des autopsies ou des enquêtes médicolégales, les critères utilisés pour dénir un suicide, voire le choix d’une date butoir pour la publication des statistiques ocielles peuvent également modier les estimations rapportées. Le taux de suicide est de trois à quatre fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes, à l’exception des pays asiatiques, où cette diérence est moindre (OMS, 2002), et même inversée en ce qui concerne les milieux ruraux chinois (Phillips & al., 2002). Au cours de la seconde moitié du 20e siècle, le taux de suicide dans le monde est demeuré relativement stable, bien que le taux chez les hommes ait légèrement augmenté, notamment chez les adolescents et les jeunes hommes (Liu, 2009). Depuis le début des années 1990, les taux de suicide ont diminué dans la plupart des pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, 2009), et ce, d’une manière particulièrement marquée chez les jeunes hommes (Biddle & al., 2008). En contrepartie, aux États-Unis, le taux de suicide s’est accru de 3 % annuellement dans la population blanche âgée de 40 à 64 ans de 1999 à 2005 (Hu & al., 2008). Au Canada, malgré une baisse du taux de mortalité par suicide depuis le début des années 2000, le suicide représente la dixième

cause de décès en importance et compose un peu moins de 2 % des décès survenus en 2009 (Statistique Canada, 2012). En 2009, parmi les provinces canadiennes, le Québec achait le second plus haut taux de mortalité (21 décès pour 100 000 personnes) par suicide chez les hommes, une situation comparable à celles des années passées. C’est au Manitoba que les femmes présentaient le taux le plus élevé parmi les provinces canadiennes. Au Québec, le taux ajusté de décès par suicide chez les hommes se situe parmi les pays achant des taux élevés (voir la gure 50.2), comme la France (23 décès pour 100 000 personnes), le Japon (31 décès pour 100 000 personnes) ou la Hongrie (36 décès pour 100 000 personnes). Du côté des femmes, la situation du Québec sur le plan international semble légèrement meilleure (voir la gure 50.3). Au Québec, la montée du suicide a été particulièrement forte au cours de la seconde moitié du 20e siècle, notamment chez les jeunes des générations d’après-guerre (Morissette & Bourbeau, 1983). À l’exemple d’autres pays, l’augmentation du suicide s’est poursuivie d’une manière soutenue au cours des années 1980 et 1990, plus spécialement chez les hommes (Gagné & St-Laurent, 2008) (voir la gure 50.4). Tousignant et ses collaborateurs (2005) ont publié une étude montrant un lien entre la couverture médiatique du suicide de Gaétan Girouard, journaliste d’enquête et animateur, et la hausse du nombre de Québécois qui ont mis n à leurs jours dans les mois suivant ce

FIGURE 50.2 Taux ajusté* de mortalité par suicide au Québec (hommes) comparé à d’autres pays

* Taux ajustés selon la structure par âge de la population canadienne en 1991. Le taux ajusté permet de contrôler les effets d es différences liées à la structure par âge de la population. Cette procédure permet de réaliser des comparaisons temporelles et géographiques. La structure d’âge utilisée pour ajuster les taux est celle de la population canadienne totale en 1991. Sources : Lesage. & al. (2012a) ; Statistique Canada (2010).

1120

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

FIGURE 50.3 Taux ajusté de mortalité par suicide au Québec (femmes) comparé à d’autres pays

Sources : MSSS, Fichier des décès de 2007 ; Lesage & al. (2012a) ; Statistique Canada (2010).

suicide en 1999. Depuis lors, quand est annoncé ce type d’événement, on prend soin d’indiquer des ressources d’aide pour des personnes fragiles qui pourraient être incitées à poser un geste suicidaire par imitation. Depuis le sommet de 1999, le taux de suicide québécois a reculé en moyenne de 4 % annuellement, d’une manière plus importante chez les hommes que chez les femmes (Gagné & St-Laurent, 2010).

50.2.1 Prévalence selon les groupes d’âge L’assertion générale selon laquelle le taux de suicide tend à augmenter avec l’âge mérite d’être nuancée. Au Québec, pour la période 2008-2009 (voir les gures 50.5 et 50.6), on observe : • chez les hommes de 35 à 49 ans, le taux de suicide le plus élevé (34,9 décès par 100 000 personnes) ; • chez les adolescents de 15 à 19 ans, le taux le plus bas (11,4 décès par 100 000 personnes) ; • chez les femmes de 50 à 64 ans, le taux le plus élevé (11,3 décès par 100 000 personnes) ; • chez les adolescentes de 15 à 19 ans, l’un des taux les plus bas (4,9 décès par 100 000 personnes). L’une des caractéristiques les plus remarquables de la tendance relative à la mortalité par suicide est le recul considérable des taux chez les hommes âgés de 15 à 19 ans et de 20 à 34 ans depuis le milieu des années 1990. Chez les adolescents, le taux de suicide s’est réduit de presque 60 %, alors qu’à l’opposé, la baisse constatée dans la population âgée de 50 à 64 ans a été plutôt modeste

(Gagné & St-Laurent, 2010). Nous discuterons des explications possibles à la section 50.5, dans la perspective de santé publique de prévention du suicide. Combiné à l’augmentation du poids démographique des strates plus âgées de la population québécoise, le recul marqué des décès par suicide chez les adolescents et les jeunes adultes a eu pour eet de redistribuer l’importance relative des diérents groupes d’âge parmi l’ensemble des décès par suicide. L’importance considérable des individus âgés de moins de 35 ans a progressivement diminué entre le début des années 1980 et le milieu des années 2000, alors qu’à l’inverse, celle des personnes de 35 et 64 ans s’est accrue (Gagné & St-Laurent, 2010) (voir la gure 50.7).

50.2.2 Moyens utilisés selon les groupes d’âge De manière générale, les hommes et les femmes emploient des moyens diérents pour se suicider. Chez les hommes, la proportion des pendaisons (incluant les strangulations et les asphyxies) s’est accrue entre 1978 et 2009, alors que la part des suicides par armes à feu a diminué presque de moitié (voir la gure 50.8). Chez les femmes, la proportion des pendaisons a augmenté jusqu’au début des années 2000 et s’est mise à diminuer par la suite. En contrepartie, la part des suicides par intoxication à l’aide de substances solides ou liquides s’est récemment accrue (voir la gure 50.9).

Chapitre 50

Suicide

1121

FIGURE 50.4 Taux ajusté de suicide au Québec selon le sexe, 1978 à 2009

Source : Lesage & al. (2012a).

FIGURE 50.5 Taux de mortalité par suicide au Québec (hommes) selon les groupes d’âge, 1978 à 2009*

* Moyennes mobiles calculées sur des périodes de trois ans. Sources : MSSS, Fichier des décès de 1978 à 2009 ; MSSS, Perspectives démographiques basées sur le recensement de 2006.

1122

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

FIGURE 50.6 Taux de mortalité par suicide au Québec (femmes) selon les groupes d’âge, 1978 à 2009*

* Moyennes mobiles calculées sur des périodes de trois ans. Sources : MSSS, Fichier des décès de 1978 à 2009 ; MSSS, Perspectives démographiques basées sur le recensement de 2006.

FIGURE 50.7 Répartition des décès par suicide au Québec (sexes réunis) selon le groupe d’âge, 1978 à 2009

Source : Adapté de Institut national de santé publique du Québec (2010), p. 8.

Chapitre 50

Suicide

1123

FIGURE 50.8 Répartition des décès par suicide au Québec (hommes) selon le moyen utilisé, 1978 à 2009

Source : MSSS, Fichier des décès de 1978 à 2009.

FIGURE 50.9 Répartition des décès par suicide au Québec (femmes) selon le moyen utilisé, 1978 à 2009

Source : MSSS, Fichier des décès de 1978 à 2009.

1124

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

50.3 Facteurs de risque et de protection Selon une perspective populationnelle, la santé publique au Québec reconnaît, pour l’ensemble des maladies ou conditions comme le suicide, les déterminants suivants (Bernard & al., 2003) : génétiques, environnementaux, liés aux habitudes de vie (p. ex., consommation d’alcool et de drogues) et liés aux services disponibles. Certains de ces facteurs individuels sont élaborés plus spéciquement ci-après. Quant aux facteurs de risque sociétaux et culturels, ils sont abordés aux sections 50.5, 50.6 et 50.7.

50.3.1 Facteurs génétiques An d’explorer les facteurs génétiques, comportementaux et neurobiologiques, des études ont comparé les familles des personnes décédées par suicide à celles de personnes en dépression, mais vivantes (McGirr & al., 2008a). Les résultats montrent que la vulnérabilité (ou diathèse) au suicide se retrouve chez plusieurs membres d’une même famille et que cela peut être relié à de hauts niveaux de comportements impulsifs/agressifs. Le modèle présenté à la gure 50.1 comporte une dimension développementale où s’inscrivent diérents facteurs. Les facteurs de prédiction et les facteurs associés aux comportements suicidaires ont été étudiés dans des cohortes représentatives de la population du Québec en collaboration avec le Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant (GRIP) de l’Université de Montréal. Ces études soulignent le rôle des comportements impulsifs/agressifs comme facteur de prédiction des comportements suicidaires, particulièrement quand ils sont stables et graves, durant le développement de l’enfant et de l’adolescent. Ces études établissent aussi le rôle des comportements impulsifs/agressifs ultérieurs comme médiateurs entre les comportements suicidaires et les événements traumatisants ou néfastes durant l’enfance (p. ex., l’impact de la négligence parentale précoce). Selon certaines recherches (Lalovic & Turecki, 2002), les comportements impulsifs/agressifs, la dépression et les comportements suicidaires ont été associés à des anomalies du système sérotoninergique (5-HT) cérébral. Les études moléculaires des marqueurs situés sur les récepteurs sérotoninergiques 5-HT2A et sur le ligand kétansérine de ce récepteur suggèrent que le nombre de récepteurs 5-HT2A est médié génétiquement. Actuellement, il n’est toutefois pas encore possible de connaître la proportion exacte de suicides ayant une prédisposition génétique. Une association entre les comportements suicidaires, les comportements impulsifs/agressifs et le cholestérol est aussi étudiée. Lalovic et ses collaborateurs (2004) se sont penchés sur les porteurs d’une maladie rare du métabolisme du cholestérol, le syndrome de Smith-Lemli-Opitz, caractérisé par des niveaux anormalement bas de cholestérol résultant de mutations dans le gène codant pour l’enzyme 7-déhydrocholestérol réductase. Ils ont montré que les comportements suicidaires étaient plus fréquents chez les porteurs de ce gène que chez les porteurs d’autres maladies innées du métabolisme. En outre, les mécanismes cérébraux d’expression génétique et épigénétique peuvent-ils expliquer un lien entre gènes, neurotransmetteurs et comportements impulsifs/agressifs, dépression

et suicide ? Des études portant sur diérentes régions cérébrales d’hommes décédés par suicide (avec ou sans dépression présuicidaire) et chez des témoins décédés accidentellement (p. ex., accident de travail) ont montré des patrons particuliers d’expression génétique (régions altérées) dans le système limbique et dans le cortex préfrontal (Sequeira & al., 2007). Ces résultats appuient l’hypothèse que des anomalies au niveau du système limbique (p. ex., dans l’hippocampe) contribuent au développement de la dépression majeure et des comportements suicidaires. Au-delà de la sérotonine, le système polyaminergique (agmatine, spermine/ spermidine) peut être relié au suicide et à la dépression. Des études épigénétiques menées sur des populations animales ont pu déterminer le rôle de la méthylation des promoteurs des gènes, comme les récepteurs glucocorticoïdes dans l’hippocampe, dans la programmation de l’activité génique en réponse à la variation du rôle parental et de l’environnement (p. ex., les eets d’un attachement parental décient envers son enfant) (Weaver & al., 2004). Les mêmes mécanismes de méthylation ont été retrouvés dans les cas de suicide.

50.3.2 Facteurs développementaux Les études d’autopsies psychologiques se basent sur la rencontre avec les proches d’une personne s’étant suicidée. Elles procèdent à une analyse rétrospective par une recherche ne des facteurs marquant son histoire au cours de la période qui a précédé son décès en matière de psychopathologie, d’événements de vie, d’antécédents familiaux, de services reçus, etc. Ces autopsies psychologiques ont identié, depuis la n des années 1950, plusieurs événements spéciques agissant comme déclencheurs de conduites suicidaires. Par exemple, chez les hommes qui se sont suicidés, on retrouve fréquemment, comme événements proximaux, une rupture amoureuse, une séparation, des dicultés légales, des dicultés à trouver du travail, des problèmes nanciers ou un deuil récent. Les autopsies psychologiques tentent aussi d’identier des facteurs distaux comme la séparation des parents pendant l’enfance. L’identication des facteurs de risque distaux et proximaux et la compréhension de leur enchaînement aux troubles mentaux (p. ex., dépression, troubles d’utilisation de substances, troubles de la personnalité) et aux conduites suicidaires sont essentielles aux activités de prévention et d’intervention, puisqu’il s’agit de cibler et de modier les facteurs de risque an d’en diminuer l’impact sur la vie. Certaines variables distales peuvent également jouer un rôle direct ou indirect : • Rôle direct : certaines variables augmentent directement le risque suicidaire. Par exemple, les caractéristiques de la personnalité et du tempérament (impulsivité/agressivité) peuvent contribuer aux dicultés interpersonnelles au cours de l’adolescence et devenir un facteur de risque quant au développement de la psychopathologie et à l’émergence de conduites suicidaires. • Rôle indirect : certaines variables inuencent l’exposition à des facteurs de risque ou de protection. Par exemple, un environnement familial dans lequel l’encadrement instable pourra causer une désorganisation chez l’enfant peut augmenter graduellement les dicultés interpersonnelles intra et extrafamiliales au cours de l’adolescence, et jouer ultérieurement un rôle central dans le développement d’une psychopathologie et l’émergence de conduites suicidaires. Chapitre 50

Suicide

1125

Des études antérieures ont permis de développer une méthodologie permettant de faire l’étude des trajectoires de vie (Séguin & al., 2007, 2011). Cette approche permet de tracer, selon une perspective développementale, le cumul de fardeaux d’adversité (et donc la baisse des facteurs de protection) survenus au cours du développement. C’est ainsi qu’avec l’utilisation d’un calendrier de vie, il est possible de retracer, pour chacune des grandes sphères du développement (p. ex., relation parents-enfant, relations aectives, vie scolaire ou professionnelle, etc.), les événements qui ont jalonné la vie des individus. La compilation de tous ces facteurs, par tranche de cinq années, mène à l’attribution d’une cote spécique qui représente, selon le jugement clinique d’experts, le fardeau d’adversité supporté par la personne ; le cumul de facteurs de risque en fonction de la gravité des dicultés constitue le fardeau d’adversité. La gure 50.10 illustre deux exemples de trajectoires de vie. Ces deux types de trajectoires sont jalonnés de périodes d’adversité et de crises qui entraînent des conduites suicidaires chez ces individus à risque. Une courbe descendante indique un accroissement du fardeau (plus de périodes d’adversité et moins de facteurs de protection). La ligne pointillée représente l’idéal statistique et la ligne pleine représente la courbe des données. Ainsi, lorsque les lignes sont près l’une de l’autre, le modèle statistique est adéquat. La trajectoire de vie de type I (voir la gure 50.10, ligne du bas) indique la présence très précoce de dicultés du développement, qui peuvent s’expliquer par la présence d’abus, de négligences ou de violences physiques et sexuelles. Elles surviennent très tôt dans la vie, puis jalonnent un parcours dont le fardeau d’adversité est important. Ce type de trajectoire développementale peut se caractériser par l’apparition d’un ou de plusieurs événements qui trouvent écho les uns à la suite des autres : dicultés d’attachement, maltraitance, dicultés relationnelles avec les

pairs, cumul graduel de dicultés et d’échecs scolaires, vagues successives de pertes, séparations et placements en familles d’accueil ou en institutions, expériences sexuelles précoces, et ce, souvent en concomitance avec l’usage d’alcool ou de drogues à l’adolescence. Chez ces personnes, les dicultés psychosociales deviennent plus évidentes lors de l’apparition de troubles de santé mentale, ce qui conrme le fait que le développement de troubles mentaux survient rarement dans un ciel clair. Au contraire, ils se manifestent plus particulièrement chez des personnes ayant connu des trajectoires personnelles, familiales, psychologiques et sociales diciles depuis l’enfance. Cette trajectoire explique environ 45 % des décès par suicide (Séguin & al., 2007). Bien qu’il soit possible de décrire relativement bien les facteurs de risque, de comprendre la trame développementale et de reconnaître les personnes qui correspondent à la trajectoire de type I, les facteurs de risque précoces, dont les abus physiques et sexuels, sont plus diciles à identier car ce sont des événements subis par l’individu en raison du manque de protection dans son milieu de vie. Il existe des éléments à la base de comportements perturbateurs (disruptive behaviours), dont une réactivité émotionnelle ou la présence de certains traits de personnalité, qui peuvent être des indicateurs de plus grande vulnérabilité psychologique et qui contribuent à augmenter la détresse des individus ayant subi ce type d’adversité et conséquemment à provoquer des conduites suicidaires en bas âge. C’est dans ce sous-groupe qu’on peut retrouver des conduites suicidaires précoces, incluant des pensées et des tentatives suicidaires en bas âge. Cependant, les personnes ayant vécu de tels abus ne sont pas toutes suicidaires. Il est possible que certains individus possèdent des capacités d’adaptation plus grandes que d’autres. Cette capacité fait appel au concept de la résilience.

FIGURE 50.10 Exemples d’évolution de deux trajectoires de vie, en fonction des facteurs de protection,

chez une population de personnes décédées à la suite d’un suicide

Note : Facteur de protection : 6 = beaucoup de protection/peu de risque ; 1 = beaucoup de risque/peu ou pas de protection. Source : Séguin & al. (2007), p. 1579.

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Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

La trajectoire de vie de type II (voir la gure 50.10, ligne du haut) s’explique par des dicultés d’adaptation (coping) et un processus d’eritement graduel. Dans ce cas, la vie commence plutôt bien, mais se dégrade progressivement sans que la personne s’en rende véritablement compte. Cet eritement survient en raison de l’utilisation de stratégies d’adaptation inecaces ; elles génèrent chez la majorité des individus des troubles reliés aux substances et à l’utilisation de substances (alcool, drogues) qui, associés aux échecs des tentatives personnelles pour y remédier, ont pour conséquence d’augmenter la perte d’estime de soi. Cette trajectoire est caractérisée par une chute lente, mais graduelle, ampliée par l’apparition à l’âge adulte de troubles mentaux, particulièrement les troubles reliés aux substances et à l’utilisation de substances et les troubles aectifs. Cette trajectoire explique environ 55 % des décès par suicide (Séguin & al., 2007). Les personnes qui ont la trajectoire de type II vivent souvent en couple, ont une famille, un travail au moment du décès. Leur adaptabilité n’est que supercielle et, souvent, le suicide aecte de manière dramatique les proches désemparés par un acte qu’ils n’ont même pas imaginé. La séquence d’apparition des événements dans le temps est moins bien dénie que dans la trajectoire de type I. Il est plus dicile de repérer, d’identier et de traiter les personnes qui correspondent à la trajectoire de type II de même que de les comprendre sur le plan étiologique. À première vue, elles ont moins de troubles de santé mentale et des troubles moins complexes, si bien qu’un repérage précoce des personnes ayant des troubles courants de santé mentale constituerait une intervention importante. Cependant, si les troubles mentaux et les troubles reliés aux substances ou à l’utilisation de ces substances sont des facteurs bien démontrés, une minorité de ces individus se suicident pour ces raisons. Pour la dépression, par exemple, qui peut toucher 1 personne sur 10 au cours de sa vie, un suicide ne survient que dans 4 % des cas, mais quand même quatre fois plus souvent que dans la population générale (Blaiwest & al., 1997). Dans ce cas, le principal facteur de risque peut être le traitement inadéquat des troubles mentaux ou d’utilisation des substances. Mais il existe de nombreux autres facteurs de risque spéciques : des événements de vie récents comme une séparation conjugale, des dicultés nancières subites, etc. Même si ces événements ne sont pas exceptionnels et ne peuvent représenter des cibles spéciques de prévention du suicide, il est tout de même indiqué d’orir du soutien dans ces situations. Il s’agit en fait de cibles générales de santé des populations qui nécessitent des stratégies

populationnelles universelles diérentes de celles qui sont propres à la prévention du suicide.

50.3.3 Facteurs psychiatriques Le suicide est un phénomène complexe, relié à divers facteurs de risque dont la maladie mentale est de loin le plus inuent. Ainsi, deux méta-analyses indépendantes (Arsenault-Lapierre & al., 2004 ; Cavanagh & al., 2003) conrment la présence d’au moins un trouble mental dans 90 % des cas par rapport à 27 % pour les cas témoins. Dans les maladies associées au suicide, Cavanagh et ses collaborateurs rapportent un trouble aectif dans 43 % des cas, un trouble relié aux substances et à l’utilisation de substances dans 26 % des cas, un trouble de la personnalité dans 16 % des cas ou une schizophrénie dans 9 % des cas. Cette étude a aussi permis de mesurer l’apport considérable des troubles mentaux comme cause du suicide – apport nommé « risque attribuable dans la population » dans la recherche en santé publique. Les troubles mentaux représentent de 47 à 74 % du risque attribuable au suicide dans la population. De plus, la comorbidité de troubles psychiatriques est fréquemment associée au suicide. En particulier, la combinaison de troubles de l’humeur à d’autres troubles comme les troubles reliés aux substances et les troubles de la personnalité. Les traits de personnalité les plus fréquents sont l’impulsivité, l’agressivité et la délinquance. Chez les adolescents, on peut retrouver des troubles des conduites. McGirr et ses collaborateurs (2008b) ont également rapporté des associations selon l’âge. Par exemple, la caractéristique d’impulsivité-agressivité est plus souvent associée aux décès chez les moins de 40 ans que chez les plus de 40 ans.

50.3.4 Facteurs liés aux services offerts Assurément, les services oerts par le système de santé et de services sociaux en matière de promotion, de prévention et de traitement sont des déterminants de la santé des populations. De façon globale, le système de santé et de services sociaux vise à assurer une meilleure santé à l’ensemble de la population. Une étude menée au Nouveau-Brunswick sur tous les cas consécutifs de suicide survenus dans une année (Lesage & al., 2008) montre une prévalence plus élevée de troubles reliés à l’utilisation de substances, équivalente à celle des troubles dépressifs. Le tableau 50.1 illustre le prol d’utilisation des services au cours de la vie, dans la dernière année, voire le dernier mois. On constate que les médecins généralistes sont aussi consultés que les services

TABLEAU 50.1 Utilisation antérieure des services pour 102 cas de suicide au Nouveau-Brunswick, 2002-2003

À vie (%)

Auparavant (%)

Dernière année (%)

Dernier mois (%)

Médecins généralistes

Services

86

81

49

18

Services psychosociaux

57

44

33

19

Services spécialisés

91

84

53

34

Organismes sans but lucratif

34

28

16

8

Tous les services

97

95

77

51

Source : Lesage & al. (2008), p. 673.

Chapitre 50

Suicide

1127

spécialisés de santé mentale et de toxicomanies. Mais les services non gouvernementaux, comme les lignes d’écoute, sont moins consultés dans la dernière année. On observe plutôt des contacts avec les services spécialisés de santé mentale dans près de 50 % des cas, mais peu de contacts avec les services spécialisés de toxicomanies (5 % dans la dernière année, mais plus de 25 % dans les années précédentes). Au Québec, plus de 75 % de la population générale a vu un médecin de famille dans la dernière année, alors qu’un trouble mental a été décelé dans 20 % des cas (Ouadahi & al., 2009). Il n’en demeure pas moins un risque de sous-détection et surtout de qualité insusante de la gestion thérapeutique des troubles mentaux courants et des toxicomanies en raison d’une faible acceptabilité à aller consulter lorsque l’on souffre d’un trouble mental ou d’une toxicomanie. Cependant, si l’utilisation générale des services spécialisés est moindre (moins de 1,5 % de la population québécoise a vu un psychiatre dans la dernière année ; 3 % ont vu un psychologue et moins de 1 % a vu un intervenant en toxicomanie), les personnes se suicidant ont été plus souvent en contact avec les services spécialisés (Lesage & al., 2006). L’étude menée au Nouveau-Brunswick a aussi analysé les décits dans les interventions et les services au cours de l’année précédente. Elle conclut à ce qui suit : • Dans la moitié des cas, des décits sont constatés dans le dépistage, la référence et le traitement des troubles mentaux, des toxicomanies et des risques suicidaires par les services de 1re ligne médicale et psychosociale. Des patients présentant des troubles mentaux et des situations de crise courants, mais plus complexes que prévus, auraient pu répondre aux traitements et à la gestion thérapeutique connus en 1re ligne avec un soutien des services spécialisés. • Dans plus du tiers des cas, il s’agit de patients bien connus des services spécialisés en santé mentale et en toxicomanies, des urgences ou des services policiers. Mais ce sont des malades difficiles à engager dans le traitement, présentant des comorbidités (troubles de la personnalité, dépression, toxicomanies). Le risque suicidaire élevé et le besoin d’une concertation et d’un suivi serré, coordonnés entre les services spécialisés, peuvent alors ne pas être assez pris en compte. Il appert aussi que la psychopathologie demeure une condition non détectée et non traitée dans une large proportion chez les enfants et des adolescents décédés par suicide, qu’ils proviennent de la population générale ou qu’ils reçoivent des services ou soient hébergés dans des centres jeunesse. Alors qu’au moins 20 % des jeunes de la population générale (Breton & al., 1999) sourent de maladie mentale, moins de 50 % des décédés par suicide ont été en contact avec des services de santé mentale dans l’année précédente. Ainsi, 46 % avaient été en contact avec un intervenant en santé mentale ou un psychiatre durant cette période et 19 % avaient eu ce contact dans le dernier mois. Pourtant, 66 % des jeunes décédés avaient rencontré un médecin dans la dernière année, mais moins de la moitié pour des raisons de santé mentale (Renaud & al., 2009). Les raisons du non-dévoilement des problèmes de santé mentale restent variées (p. ex., peur de partager cette information, temps de consultation restreint, sentiment de ne pouvoir être aidé – helplessness).

1128

50.4 Évaluation et interventions spéciques du comportement suicidaire Dans leur travail de tous les jours, les médecins sont appelés à évaluer le risque suicidaire et à intervenir dans des situations individuelles auprès de leurs patients. Ils peuvent s’appuyer sur une connaissance adéquate des bases théoriques et des données épidémiologiques ainsi que des données provenant d’études sur les facteurs de risque du suicide, mais le sens clinique demeure essentiel.

50.4.1 Évaluation du risque suicidaire L’évaluation du risque suicidaire demeure un enjeu de tous les jours pour les cliniciens des milieux de la santé et des services sociaux ainsi que pour les intervenants des milieux scolaires, des milieux de travail et des ressources en toxicomanie. Il importe de départager le risque à partir des données statistiques provenant d’études de groupes d’individus à risque. Par contre, le risque individuel repose non pas sur la statistique, mais sur l’art de l’entrevue clinique. Selon la profession de chacun, l’évaluation est plus ou moins spécialisée, mais toujours intimement liée à la relation entre le patient et l’intervenant, où chacun détient sa part de responsabilité. On s’attend à ce qu’un intervenant puisse évaluer le risque avec pertinence et prendre des mesures plus ou moins spécialisées en fonction de sa profession (écoute, surveillance, soutien, réconfort, etc.), le psychiatre devant avoir les meilleures compétences en ce domaine. L’évaluation du risque suicidaire est présentée en détail au chapitre 49.

50.4.2 Intervention de crise et gestion de cas Généralement, le risque suicidaire exige une intervention urgente qui tient compte des facteurs de risque et de protection propres à chaque patient. La plupart des approches sont liées au type de psychopathologie et aux facteurs de risque identiés. Les mesures d’intervention envers un patient suicidaire portent sur plusieurs aspects : • le traitement spécique de la maladie psychiatrique ; • la restriction des moyens envisagés pour s’enlever la vie (prescrire la médication pour une semaine à la fois, retirer l’accès aux armes à feu, aux couteaux, etc.) ; • la mise en place d’un let de sécurité, habituellement en collaboration avec les proches (surveillance) ; • l’identication des services d’urgence et des centres de crise à consulter au besoin. De plus, la gestion de cas (case management) de patients à risque dans la communauté est de plus en plus utilisée auprès des patients diciles à maintenir dans les services (p. ex., premiers épisodes psychotiques), mais demeurant à risque suicidaire. Au cours des deux dernières décennies, certaines interventions faisant appel aux approches cognitives et comportementales se sont développées pour viser plus spéciquement la problématique

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

suicidaire, dont la thérapie comportementale dialectique élaborée par Masha Linehan (1993) (voir la sous-section suivante). Ce type d’approche est particulièrement ecace en cas de troubles de la personnalité limite, mais aussi utile auprès d’adolescents présentant des traits de personnalité limite en émergence, des troubles des conduites, de l’impulsivité et des composantes dépressives, ainsi que les toxicomanies associées. Les troubles de la personnalité limite sont présentés en détail au chapitre 40.

50.4.3 Thérapie comportementale dialectique Les patients suicidaires qui consultent en clinique ambulatoire forment deux sous-groupes : • Des patients présentant principalement un épisode de dépression majeure avec idéation suicidaire. Plusieurs traitements psychosociaux sont disponibles pour leur venir en aide comme des thérapies cognitivo-comportementales, psychodynamiques et interpersonnelles. • Des patients qui, en plus de sourir d’un épisode dépressif, présentent aussi un trouble de la personnalité, particulièrement celui limite. Dans ces cas, peu d’interventions psychosociales ecaces sont disponibles. La rareté des types d’interventions possibles s’explique en grande partie par la diculté d’établir et de maintenir une alliance thérapeutique avec ces patients ainsi que par la complexité et la gravité de la symptomatologie qu’ils présentent. La thérapie comportementale dialectique prend en compte l’ensemble de ces dicultés en visant principalement

la diminution des comportements suicidaires et des comportements interférant avec le processus thérapeutique. L’accent est mis sur l’utilisation de stratégies d’acceptation, l’apprentissage de la pleine conscience (mindfulness) et l’importance pour le thérapeute de travailler sur certaines de ses attitudes (p. ex., l’observation de ses limites personnelles). La thérapie comportementale dialectique a recours à cinq modalités d’intervention : la thérapie individuelle, l’entraînement aux compétences, le suivi téléphonique, la supervision d’équipe et l’évaluation de l’ecacité (voir la gure 50.11). La thérapie comportementale dialectique est décrite en détail au chapitre 40.

50.5 Prévention Bien que le corpus de données issues de recherches biologiques, génétiques, psychiatriques, épidémiologiques et psychosociales permet maintenant d’extraire un portrait relativement cohérent des facteurs de risque menant aux diérentes trajectoires suicidaires, il existe peu de données probantes permettant de déterminer quelles sont les stratégies ecaces ayant véritablement un eet sur la réduction des taux de suicide (Mann & al., 2005). Deux programmes populationnels globaux et stratégiques ont cependant montré une réduction de 25 % du taux de suicide : l’un mené par l’armée de l’air des États-Unis (Knox & al., 2003, 2010) et l’autre par l’Alliance européenne contre la dépression. Le programme utilisé par l’armée américaine comprend une

FIGURE 50.11 Modalités d’intervention de la thérapie comportementale dialectique

Chapitre 50

Suicide

1129

stratégie qui inue tant sur l’ensemble du système militaire et des niveaux de l’organisation que sur les individus et leurs familles. En plus de réduire le taux de suicide, elle permet également une diminution de la violence conjugale et des homicides conjugaux ou familiaux. La stratégie est basée sur 11 éléments d’intervention : 1. La formation des dirigeants ; 2. L’incorporation de la prévention du suicide dans le curriculum de formation pour l’ensemble du personnel ; 3. L’accroissement de l’accessibilité des militaires à l’évaluation de leurs problèmes de santé mentale ; 4. L’accroissement des rôles de prévention du personnel en santé mentale ; 5. Le développement et la formation de sentinelles (c.-à-d. des observateurs au sein du personnel, aptes à détecter les risques suicidaires) ; 6. L’apport de changements dans les politiques pour mesurer le potentiel suicidaire des militaires faisant l’objet d’une enquête pour problèmes judiciaires ; 7. La mise en place d’une équipe multidisciplinaire pour répondre aux événements traumatisants (incluant les suicides des collègues) ; 8. La mise en place d’un système complet de services psychosociaux et de traitements, incluant des programmes destinés aux familles, des cliniques de santé mentale, des services pour enfants et adultes et des services de consultation spirituelle ; 9. L’assurance de la condentialité ; 10. L’enquête régulière auprès des responsables à propos de leurs préoccupations concernant la prévention du suicide ; 11. L’enquête régulière chez les membres de l’armée de l’air à propos des facteurs de risque comportementaux, sociaux et psychologiques et la prise d’actions en fonction des résultats. Le programme de l’armée de l’air des États-Unis a permis d’écarter les obstacles obstruant souvent la consultation auprès de professionnels. En outre, le programme ne se limite pas qu’à la dépression, mais touche également d’autres manifestations de détresse percevables chez les militaires (p. ex., l’agressivité, les troubles reliés aux substances) ainsi que d’autres facteurs de risque fortement associés au suicide de même qu’à la violence et à l’homicide conjugaux. Pour sa part, le programme de l’Alliance européenne contre la dépression (Hegerl & al., 2006), réalisé dans la ville de Nuremberg en Allemagne (480 000 habitants), a montré une réduction de 25 % du taux de suicide. Ce programme comporte quatre volets : 1. La formation des médecins de famille ; 2. Une campagne publique d’information sur la dépression et l’accessibilité à la consultation ; 3. La formation de « facilitateurs communautaires » (enseignants, prêtres, personnel des services sociaux et de santé de 1re ligne et des organismes communautaires, médias locaux), une modalité que Mann et ses collaborateurs (2005) ont classée comme « la formation de sentinelles », c’est-à-dire des observateurs au sein du personnel, aptes à détecter les risques suicidaires ; 4. Le soutien pour les activités d’entraide auprès des groupes à risque élevé.

1130

Le programme de l’Alliance européenne contre la dépression procède d’une logique plus simple que celui de l’armée de l’air des États-Unis, prenant appui sur les connaissances décrites précédemment sur les troubles mentaux : • Le suicide est largement associé aux troubles mentaux, en particulier à la dépression. • L’identication et la qualité des soins ainsi que le renforcement de la motivation à aller consulter sont les principaux enjeux visés par les trois premières stratégies. • La coordination de la suite des services pour les patients vus dans les urgences après une tentative suicidaire est souvent déciente. Parmi ces programmes globaux, il est possible de dégager certaines stratégies clés. C’est ce qu’ont fait Gunnell & Frankel (1994) en revoyant diverses stratégies populationnelles de prévention du suicide. Le tableau 50.2 reprend ces stratégies avec le niveau de preuve disponible pour l’ecacité de la stratégie et de la réduction potentielle du taux ou du risque de suicide basé sur des études dans la population britannique ou certaines études internationales. Ils indiquent aussi à qui s’applique le programme d’intervention, selon la classication anglaise USI ainsi traduite (Mrazek & Haggerty, 1994) : • universel (universal programs) ; • sélectif (selective programs) ; • ciblé (indicated programs). L’étude systématique plus récente de Mann et de ses collaborateurs (2005) a examiné les interventions suivantes : • la sensibilisation et l’éducation du public, des médecins généralistes et des sentinelles ; • le dépistage en avisant, par exemple, les professeurs et les élèves des indices à surveiller et des moyens à prendre ; • les interventions thérapeutiques (médication, psychothérapie, suivi après une tentative de suicide) ; • la restriction d’accès aux moyens de suicide (armes à feu, clôtures protectrices sur les ponts, substances toxiques) ; • les normes pour les médias : éviter de publiciser les suicides (les moyens, le lieu, etc.). S’il faut parler du suicide d’un personnage important, en proter pour faire de l’éducation populaire en mentionnant les ressources d’aide. Cette étude conrme une des quatre stratégies du programme de l’Alliance européenne contre la dépression et situe également à 25 % le potentiel de réduction du suicide par restriction d’accès aux moyens de suicide. Toutefois, les résultats de cette dernière stratégie varient selon la prévalence du moyen utilisé. Par exemple, sur un total de plus de 1 100 suicides par année à Montréal, 15 surviennent dans le métro, soit de 1 à 2 % de l’ensemble des suicides (Mishara, 1999). Prévenir tous les suicides survenant dans le métro ne diminuerait donc pas beaucoup le taux de suicide au Québec. Au Canada et au Québec, le contrôle important des armes à feu peut expliquer le déclin de ce mode de suicide au Québec, comme démontré dans les gures 50.8 et 50.9 (Caron & al., 2008). Si on prend l’exemple de la Chine, cette fois, le taux de suicide chez les femmes en milieu rural, où vit la majorité de la population, est comparable à celui des hommes et il est souvent associé à l’utilisation de pesticides. Ainsi, le fait de limiter l’accès à ces produits permettrait d’augmenter considérablement

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Spécialités psychiatriques

TABLEAU 50.2 Potentiel de stratégies populationnelles de prévention du suicide

Degré d’exposition/ classication USI

Réduction potentielle du taux de suicide (%)

Qualité de la preuve*

Tests de dépistage

Toute la population/universel

0

II

Promotion de la santé (exercice, consommation modérée d’alcool, gestion du stress)

Toute la population/universel

Incertain

III

Population au chômage/ universel

1à2

III

Disponibilité des médicaments mis en dosette quotidienne

Sélectif

2

III

Prescription judicieuse des antidépresseurs

Sélectif

4

III

Ciblé

25

II/III

Sélectif

1à2

III

Ciblé

1

III

Sélectif

1

IV

Ciblé

0

III/IV

Intervention

Stratégies de réduction du chômage

Formation des médecins au traitement de la dépression Sécurisation des endroits à risque Renforcement des lignes de conduite des médias concernant leurs propos sur le suicide Soutien et counseling par des centres de prévention du suicide Relance des patients à risque

* I = Études randomisées ; II = Études de cas témoins, de cohorte ou de séries ; III = Études descriptives ou opinions respecté es ; IV = Preuve insufsante Source : Adapté de Gunnell & Frankel (1994).

le potentiel de réduction populationnelle du suicide (Conner & al., 2005). Dans le domaine de la pédopsychiatrie, qui étudie la santé mentale des enfants, des adolescents et de leurs familles, il existe des activités et des programmes de prévention des troubles mentaux qui ont démontré une ecacité potentielle (Waddell & al., 2007). Citons les exemples suivants : • Le programme des garderies à 5 $ adopté au Québec sous l’impulsion des travaux du professeur Camil Bouchard, auteur du rapport Un Québec fou de ses enfants. Ce programme limiterait la transmission intergénérationnelle de la dépression (Herba & al., 2013). • Les programmes destinés aux enfants des milieux défavorisés, qui sont oerts sous forme de visites à domicile pré et postnatales ciblant l’adaptation psychosociale et le soutien à l’enfant et à sa mère (Waddell & al., 2005). • Les programmes préscolaires et scolaires d’accroissement de la résilience devant l’adversité, qui ont fait leurs preuves de façon concluante aux États-Unis ; ils produisent un eet immédiat et à long terme sur la performance scolaire, le décrochage, les troubles des conduites, l’hyperactivité, la consommation de drogues et les grossesses chez les adolescentes (Waddell & al., 2005). • Des programmes plus ciblés, comme des modules de psychoéducation, qui ont été mis en œuvre avec succès pour les familles et les milieux scolaires des enfants présentant des troubles anxieux (Waddell & al., 2007). Toutefois, les quelques évaluations réalisées jusqu’à maintenant n’apportent pas susamment de données pour conclure à l’ecacité ou à l’inecacité de ces programmes quant à leur impact spécique sur les taux de suicide.

Cependant, en général au Canada, le taux de suicide chez les adolescents s’est réduit, avec des variations plus importantes et récentes au Québec (Skinner & McFaull, 2012). En eet, depuis 2000 au Québec, le taux de suicide a diminué de 25 % pour la population générale et même de 50 % chez les moins de 18 ans (voir la gure 50.5). Quelles stratégies peuvent en être responsables, notamment chez les adolescents ? Au Québec, il a été démontré que le traitement de la dépression s’est amélioré dans cette population après que Santé Canada eut mis à jour un risque accru d’idées ou de tentatives suicidaires associé aux antidépresseurs prescrits aux adolescents (Katz & al., 2008). S’en est suivie une amélioration des lacunes observées en 2000, notamment chez les garçons, réduisant ainsi le taux de suicide (Tournier & al., 2010). D’autres stratégies ont aussi été mises en place auprès des adolescents depuis 2000 au Québec : • Le protocole d’intervention en centres jeunesse (Association des centres jeunesse du Québec, 1999). En 1995, à la suite des recommandations du coroner consécutives au suicide d’un adolescent suivi dans un centre jeunesse, un comité spécial a été mis sur pied par le Protecteur du citoyen an d’étudier la question ; le travail de ce comité a permis l’élaboration d’un protocole visant à mieux déceler le risque suicidaire et à guider les intervenants dans les étapes d’intervention auprès d’adolescents avec des idées suicidaires en centres jeunesse. • Le projet d’intervention concertée dans la communauté auprès des jeunes aux prises avec de graves dicultés d’adaptation sociale et aective. Toujours en fonction d’un travail de collaboration entre les diérents acteurs du réseau de la santé et des services sociaux, un projet de concertation réunissant les intervenants de tous les milieux an de discuter de situations cliniques complexes mettant en cause des enfants ou des adolescents ayant des idées suicidaires a été mis sur

Chapitre 50

Suicide

1131

pied. Ce projet visait en particulier le développement d’un langage commun et la possibilité d’échanges cliniques an d’augmenter les chances d’une meilleure compréhension et d’une meilleure intervention coordonnées auprès de cette clientèle et des familles concernées. • La position clinique des pédopsychiatres du Québec sur les comportements suicidaires (Renaud & Marquette, 2002). Ce document clinique, faisant oce de recommandation ocielle, a été élaboré par les chefs de pédopsychiatrie des diérents départements universitaires du Québec. Il fait état de la position clinique découlant d’une consultation de l’ensemble des pédopsychiatres de la province et de diérents autres intervenants (psychiatres, pédiatres, omnipraticiens et intervenants travaillant dans les centres jeunesse) visant à améliorer les stratégies de prévention et d’intervention des médecins. Le document conclut que la concertation avec d’autres groupes d’intervenants en santé mentale peut diminuer de façon sensible le nombre de décès par suicide chez les jeunes Québécois. L’implantation de ces propositions auprès des groupes à risque fait appel à des stratégies d’intervention s’apparentant à celles démontrées dans le programme de l’armée de l’air des États-Unis. La prévention des troubles mentaux, qui sont reconnus en tant que facteurs de risque liés au suicide, peut donc être considérée comme relativement ecace pour sa prévention. Plusieurs de ces propositions d’intervention peuvent être non spéciques, car elles ne ciblent pas directement et uniquement les troubles mentaux ou le suicide, mais elles visent plutôt à améliorer l’état de santé et le bien-être social général, tout en reconnaissant un large potentiel d’eets sur la santé physique, la santé mentale, les performances scolaires et sociales.

50.6 Postvention Le terme « postvention » a été employé initialement par Shneidman (1973) pour expliciter l’ensemble des actions postsuicides, qui ont pour but d’éviter l’apparition de réactions de panique, de diminuer l’impact de la crise, de prévenir l’installation des troubles émotifs persistants et de favoriser un retour aux activités quotidiennes pour les proches. C’est pourquoi des activités de postvention peuvent s’appliquer dans une intervention clinique individuelle,

en groupe de soutien ou de psychothérapie ou dans un contexte institutionnel (école, communauté) à la suite d’un suicide. Le deuil est l’un des événements les plus stressants de la vie, pouvant avoir des conséquences sur la santé physique et psychologique ainsi que sur le bien-être des personnes (Silverman & al., 2000). Les données tirées d’études scientiques suggèrent que le deuil augmente le risque de dépression majeure (Zisook & al., 1994), de troubles anxieux, le nombre de consultations médicales, la consommation de tabac et d’alcool ainsi que, dans certains cas, le risque de décès par suicide ou l’apparition de symptômes d’un trouble de stress post-traumatique (Parkes, 1990). Malgré tout, seulement 6,7 % des personnes endeuillées vivront ce type d’ajustement plus problématique, comme le deuil pathologique (Kersting & al., 2011). Ainsi, selon les différents sous-groupes et leur degré de vulnérabilité, le type d’intervention devrait varier en fonction de la gravité de la symptomatologie. Il est donc important que des services soient disponibles et accessibles pour les personnes endeuillées en fonction du type de soutien nécessaire. Les activités déjà existantes peuvent être classées en trois catégories (voir la gure 50.12) : 1. Les interventions qui mobilisent le soutien social telles que le parrainage, les groupes d’entraide et les groupes de soutien ; 2. Les interventions de psychothérapies plus classiques, qu’elles soient individuelles ou familiales ; 3. Les interventions auprès des milieux communautaires. Ces approches ont en commun la mobilisation du soutien social lors de moments de vie où les personnes endeuillées par suicide sourent de stigmatisation sociale, d’isolement. Cette forme de soutien, existant depuis plus de 50 ans dans des situations de veuvage, s’est développée au sein de groupes associatifs presque partout au monde. Les actions de ces milieux ou organismes s’articulent généralement autour de plusieurs axes (Séguin & Castelli-Dransart, 2006) : • le soutien direct aux endeuillés par le suicide d’un proche ; • l’information (publication de documents sur le deuil) ; • l’échange (groupes d’entraide) ; • la psychoéducation et la formation ; • le travail de réseautage entre diérents organismes ; • le travail de sensibilisation à la prévention du suicide ; • la défense des intérêts de personnes endeuillées.

FIGURE 50.12 Approches thérapeutiques du deuil

1132

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

50.6.1 Interventions psychothérapeutiques Les conclusions des études actuelles suggèrent que les personnes qui vivent des complications associées au deuil sont celles qui bénécient le plus d’interventions pour surmonter leur deuil (Shear, 2012). Le deuil étant un processus qui évolue naturellement et qui est généralement limité dans le temps, les personnes recevant une intervention de soutien progressent parallèlement à celles qui reçoivent une psychothérapie de deuil. Les études indiquent peu d’ecacité du traitement chez les personnes qui ont des réactions de deuil « normales », sans indices de psychopathologie surajoutée (Schut & al., 2001). Les résultats sont plus positifs pour les interventions destinées aux personnes ayant des réactions de deuil pathologique. Le deuil pathologique se distingue du deuil « normal » par le développement d’aections et de troubles mentaux se manifestant, comme conséquences spéciques du deuil, chez des patients qui ne présentaient pas cette symptomatologie avant la perte. Deux grands courants d’intervention émergent à cet eet, proposant deux approches distinctes. La première approche favorise des interventions centrées sur des dimensions interpersonnelles et dynamiques, basées sur l’exploration de la relation et l’interprétation des conits (relationally focused treatment). Elles protent surtout aux personnes ayant eu des relations plus complexes ou ambivalentes avec la personne décédée. La seconde approche favorise des interventions centrées sur des dimensions cognitives et comportementales comme les approches basées sur la résolution de problèmes. Les personnes ayant moins d’habiletés et de capacités relationnelles bénécient plus de thérapies centrées sur le soutien immédiat, la résolution des conits et la résolution des problèmes actuels. Les résultats montrent que ces deux types d’approches peuvent être ecaces dans la mesure où elles s’adressent à des groupes distincts (Regher, 2001). D’autres études ont montré que les thérapies qui se concentrent sur l’organisation de la vie quotidienne, tout en évitant d’aborder des souvenirs douloureux associés au deuil, peuvent conduire à la résolution du travail de deuil (Bonanno, 2004). Enn, Shear et ses collaborateurs (2001) ont évalué une thérapie interpersonnelle avec des personnes endeuillées et ont conclu que cette thérapie n’est pas nécessairement supérieure aux approches évitant d’aborder les souvenirs douloureux associés au deuil, particulièrement pour les personnes vivant un deuil complexe et traumatique. De manière générale, les résultats actuels suggèrent que les personnes vivant un deuil traumatique seront celles qui pourront bénécier le plus d’une thérapie de deuil. Les personnes ayant des conflits relationnels non résolus pourront tirer prot de thérapies centrées sur la relation d’objet, alors que les approches de type cognitivo-comportementales semblent être ecaces pour les individus qui ont moins d’habiletés relationnelles. Enn, les personnes ayant vécu des pertes traumatiques pourront subir une augmentation de la symptomatologie et de la détresse psychologiques lors du traitement du deuil (Regher, 2001).

50.6.2 Activités en milieu communautaire En milieu communautaire, plusieurs recherches ont relevé un eet d’imitation possible chez les pairs à la suite d’un suicide (Brent & al., 1993). Ainsi, la mise en place de programmes de

postvention vise la prévention d’autres suicides, soit la diminution ou l’arrêt de l’eet de contagion ou d’imitation du comportement suicidaire, particulièrement dans les milieux scolaires. Certains de ces programmes mettent l’accent sur l’aide à apporter aux jeunes en vue de les amener à développer des stratégies adéquates d’adaptation à la perte et de prévenir le recours à des moyens autodestructeurs. Les programmes de postvention prévoient la mise en place d’activités dès que le suicide est connu. La durée des interventions dière d’un programme à l’autre, allant de quelques semaines à plusieurs mois. Les activités incluent le dépistage et l’identication des dicultés chroniques, ou apparaissant à long terme. Il est pertinent, dans la prévention du suicide chez les pairs, d’eectuer une recherche active de personnes ayant des troubles simples ou concomitants de dépression, d’anxiété ou des troubles reliés aux substances et à l’utilisation de substances, exacerbés ou apparaissant plusieurs mois après le traumatisme. Séguin et ses collaborateurs (2013) proposent des interventions qui prennent ancrage sur la capacité du milieu à déceler, à identier et à traiter les troubles courants de santé mentale auprès de la population du milieu touché par le suicide. Leur programme inclut diverses interventions psychologiques permettant le dépistage des personnes à risque et l’intervention auprès des personnes qui sourent de troubles aigus, ainsi que le suivi des personnes vulnérables qui pourraient développer des troubles à plus long terme et de manière plus chronique. Plusieurs stratégies doivent être incluses dans un programme de postvention, dont une dimension d’autonomisation (empowerment) s’appuyant sur la résilience des personnes endeuillées, même s’il ne faut pas croire pour autant que tous s’en sortiront avec le temps. Ainsi, l’élaboration d’activités de littéracie sociale permet d’augmenter la maîtrise des compétences sociales et une attitude de vigilance favorise la poursuite des activités de dépistage à travers des initiatives de marketing social (application de stratégies de marketing élaborées dans le secteur commercial pour résoudre des problèmes sociaux) et d’autodépistage (application d’autotests) des jeunes vulnérables. D’après Séguin et ses collaborateurs (2013), ce programme devrait se poursuivre durant de nombreux mois suivant la tragédie, bien qu’il requière également d’adapter les interventions selon le développement et l’apparition des problèmes de santé mentale. Selon Leenaars & Wenckstern (1999), les stratégies de postvention à la suite du suicide d’un jeune doivent inclure non seulement les personnes endeuillées proches de la personne décédée, mais aussi toutes les personnes à risque d’éprouver des dicultés à la suite de ce décès ou de poser un geste suicidaire par imitation. Les facteurs suivants permettent de cibler les personnes vulnérables : • un passé suicidaire (menaces ou tentatives de suicide antérieures) ; • la présence d’impulsivité, d’un trouble aectif antérieur ou actuel, de divers traumatismes (p. ex., abus psychologiques, physiques ou sexuels) ; • des hospitalisations antérieures pour des problèmes de santé mentale ; • plusieurs pertes récentes ; • l’abus d’alcool et de drogues ; Chapitre 50

Suicide

1133

• des dicultés associées à une famille dysfonctionnelle (ayant •

causé des abus, de la violence physique ou sexuelle) ; l’isolement social, etc.

50.6.3 Réactions des thérapeutes et des équipes La perte d’un patient à la suite d’un suicide fait partie des événements stressants qui peuvent se produire au cours de la vie professionnelle. Les professionnels en santé mentale courent le risque de devoir aronter un jour ou l’autre la perte d’un patient par suicide (PPS). Les résultats de certaines études indiquent que de 22 % à 39 % des psychologues (Howard, 2000) et de 51 % à 82 % des psychiatres (Alexander & al., 2000) ont rapporté le décès par suicide d’un de leurs patients au cours de leur carrière professionnelle. Ces taux peuvent varier beaucoup selon les types de pratique. Par exemple, les psychiatres œuvrant dans les urgences sont plus exposés que leurs collègues œuvrant dans les services ambulatoires avec des patients connus dont l’état mental est stabilisé. Malgré le sentiment de tristesse vécu par les cliniciens, ils doivent rester disponibles pour soutenir les proches dans le drame qui les aecte. Les conséquences subies par les cliniciens peuvent avoir des répercussions jusque dans leur pratique professionnelle. Le suicide d’un patient provoque des sentiments de remise en question personnelle, d’insécurité et d’incertitude quant à ses propres sentiments de compétence, une certaine désillusion quant à la toute-puissance thérapeutique et la peur du jugement ou des reproches de la part des collègues. Les études ayant évalué la symptomatologie postsuicide chez les cliniciens montrent parfois la présence d’un état de stress temporaire pouvant même aller, dans une moindre mesure, à un trouble de stress aigu (Foster & McAdams, 1999). Bien que peu de cliniciens rapportent des réactions à des seuils d’intensité cliniquement signicatifs, les conséquences évoquées s’avèrent plus importantes sur le plan de la pratique professionnelle que sur celui de la santé mentale. Ces réactions personnelles peuvent se traduire par des comportements variés, que ce soit en évitant de traiter des patients ayant des idées suicidaires, en exerçant une vigilance accrue quant à l’évaluation du risque suicidaire ou en appliquant des interventions excessives (références, hospitalisation, etc.) aux patients présentant un risque suicidaire. Tous ces impacts sont susceptibles d’altérer la qualité des soins oerts par les professionnels et d’engendrer des coûts sociaux importants. Au-delà de la perte d’un patient par suicide, ces résultats illustrent l’inuence considérable que peuvent avoir les idéaux thérapeutiques et le style autorégulatoire des cliniciens – leur « idéal du Moi » professionnel – sur l’assimilation qu’ils font de leurs expériences de stress, voire d’échecs professionnels importants (Wittenberg & Norcross, 2001).

50.7 Populations particulières Le suicide touche toutes les couches de la société, tous les âges et tous les milieux. Toutefois, certaines caractéristiques et interventions sont propres à diérents groupes d’âge, dont les plus jeunes et les plus âgés. Enn, certains groupes culturels, les populations autochtones notamment, sont touchés diéremment de la majorité de la population, ce qui mérite une attention particulière.

1134

50.7.1 Enfants et adolescents Au Québec, le suicide est l’une des principales causes de mortalité (un tiers des décès) chez les enfants et les adolescents. Parmi les 15 à 19 ans, le suicide est la deuxième cause de décès, après les accidents par véhicule moteur. Chez les 10 à 14 ans, il représente la troisième cause de décès après les accidents et les tumeurs. Le ratio moyen est de 1 lle pour 2,5 garçons. Depuis 2002, une baisse signicative du suicide chez les 10 à 19 ans est observée au Québec, mais les raisons possibles de cette baisse, discutées précédemment, demeurent controversées (Lesage & al., 2012b). Toutefois, il est certain que la connaissance de cette problématique s’est améliorée depuis 10 ans et que diverses démarches, tant cliniques que scientiques, ont inuencé ces résultats. En 1998-1999, les statistiques montraient qu’au moins le tiers des jeunes âgés de moins de 18 ans décédés par suicide au Québec avaient reçu les services des centres jeunesse (Renaud & al., 2005 ; 2006), indiquant vraisemblablement un départ dicile dans la vie. Ces jeunes présentaient donc un risque cinq fois plus élevé de décès par suicide, comparativement à la population générale (Renaud & al., 2006). En étudiant les trajectoires de vie et de santé mentale dans cette population, Renaud et ses collaborateurs (2005) ont constaté plus d’indices de dépression, de troubles reliés aux substances et à l’utilisation de substances et de troubles de comportement, en plus de nombreux événements de vie (perte d’un être cher, abus sexuels ou physiques, rupture amoureuse, etc.). Ces résultats soulignent le besoin de mieux dépister les jeunes dans ces institutions et l’importance de mettre en place une organisation de soins articulée. Parallèlement, une autre étude a été eectuée à partir des chiers médicaux informatisés provinciaux de tous les jeunes de moins de 19 ans décédés par suicide entre 1992 et 1996. Elle montre que seule une faible proportion de ces jeunes (12 %) avaient reçu des services pour des problèmes psychiatriques dans l’année précédant leur décès, et que la proportion de ceux qui avaient rencontré un psychiatre était moindre (10 %) (Farand & al., 2004). À partir de la méthodologie d’autopsie psychologique, une étude de grande envergure a été élaborée chez les jeunes décédés par suicide entre 2000 et 2003 (Renaud & al., 2008). Les résultats de cette étude reètent les mêmes facteurs de risque de suicide que dans les études américaines et européennes. Une majorité (plus de 90 %) des jeunes décédés présentaient au moins un trouble mental au moment de leur décès (notamment les maladies aectives, les troubles de comportement perturbateur et les troubles reliés aux substances et à l’utilisation de substances). De plus, 60 % des jeunes décédés présentaient des troubles comorbides, et les antécédents familiaux (1er et 2e degrés) de suicide et de tentatives de suicide étaient plus fréquents parmi les décédés par suicide que chez les personnes témoins. Une proportion plus élevée de traits d’impulsivité/agressivité a aussi été retrouvée. Une autre étude portant sur l’eet de l’âge et menée dans un échantillon de 645 personnes décédées par suicide chez des individus de 11 à 87 ans conrme que plus l’âge du décès augmente, moins les traits d’impulsivité/agressivité sont présents chez les décédés (McGirr & al., 2008b). Une étude explorant les enjeux de l’orientation sexuelle dans le suicide des jeunes Québécois ainsi que l’impact de l’intimidation et de l’acceptation n’a pas démontré de risques accrus de décès par suicide pour ces populations (Renaud & al., 2010). Toutefois, la relation entre l’orientation sexuelle et les comportements suicidaires est bien établie (Haas & al., 2011).

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Spécialités psychiatriques

Encore aujourd’hui, la question du traitement de la dépression par les antidépresseurs chez les jeunes et les inquiétudes relatives aux risques accrus de provoquer une augmentation des idées et des gestes suicidaires ou automutilatoires (Santé Canada, 2004) continuent de susciter des interrogations auprès des médecins. Sur le plan biologique, l’augmentation de l’impulsivité (à poser un geste suicidaire) reliée à une baisse de sérotonine dans les synapses est connue. Et les jeunes, généralement jusque vers l’âge de 25 ans, sont plus enclins à l’impulsivité (Steinberg, 2008). Or, l’antidépresseur met quelques semaines à accroître les niveaux de sérotonine synaptique. C’est donc en début de traitement aux antidépresseurs que le risque de suicide est accru : la dépression est alors encore présente et sourante, mais le patient commence à émerger de son ralentissement psychomoteur et son énergie (pour poser un geste suicidaire) augmente graduellement. D’où l’importance d’un suivi rapproché en début de traitement pour tous les patients, et non uniquement pour les jeunes (voir la section 50.5). Des études épigénétiques sont nécessaires an de mieux comprendre pourquoi, chez certains jeunes, les antidépresseurs provoquent plus d’agitation et de comportements suicidaires ou automutilatoires, bien que les connaissances pointent déjà vers des traitements individualisés, soulignant la variabilité individuelle des eets indésirables associés aux antidépresseurs (Uher, 2011 ; Gibbons & al., 2012). De plus, la mise en évidence de la prépondérance de situations d’adversité précoce (abus psychologiques, physiques ou sexuels et négligences de toutes sortes) chez les jeunes en lien avec un risque de gestes suicidaires et de suicide plus élevé établit le besoin de mettre en place des approches thérapeutiques individualisées et des mesures de prévention auprès des familles, dès la petite enfance. Enn, le deuil des parents qui perdent un enfant par suicide, en particulier à un âge précoce, reste un traumatisme grave et dicilement vécu. Le suicide a des répercussions sur tous les membres de la famille (fratrie) et sur l’entourage scolaire. Plusieurs facteurs amplient l’eet traumatique du deuil (Tal Young & al., 2012) : le vide aectif lié à la perte d’un enfant, l’absence de l’enfant décédé lorsqu’il habitait encore auprès de sa famille, le poids de la responsabilité et de la culpabilité qui repose sur les parents, l’endroit du décès (à la maison), pour n’en nommer que quelques-uns. Des années plus tard, il arrive souvent que la chambre de l’enfant décédé soit encore physiquement maintenue. Il est alors essentiel d’appliquer des stratégies de postvention, par exemple orir aux survivants un suivi systématique visant à prévenir des décès subséquents par suicide, à l’image des suivis des familles aux prises avec certains cancers à forte hérédité.

50.7.2 Aînés Le suicide chez les personnes de 60 ans et plus est un important problème de santé publique, qui risque de s’accroître avec le vieillissement de la population, d’autant plus que la létalité des tentatives de suicide semble plus élevée chez les personnes âgées qu’au sein de la population plus jeune. En eet, on observe un ratio de 200 tentatives de suicide pour 1 suicide létal chez les jeunes de 15 à 24 ans, alors que ce ratio diminue à 4 tentatives de suicide pour 1 suicide létal chez les personnes âgées (De Leo & al., 2001). Il est important de savoir que les aînés ayant des idées suicidaires communiquent souvent leurs intentions aux membres de leur famille ou à leurs amis, et il semble que près des trois

quarts des aînés à risque suicidaire rendent visite à leur médecin généraliste au cours du mois et même de la semaine précédant leur suicide (Préville & al., 2005a). De nombreux facteurs associés à l’âge seraient impliqués dans l’apparition du comportement suicidaire chez les personnes âgées du fait qu’elles doivent faire face à de nombreuses pertes au l des ans : • les pertes sur le plan social (revenu, retraite, divorce, éloignement géographique du réseau familial) ; • le décès du conjoint et l’inadaptation au veuvage (les veufs âgés se suicident sept fois plus que les femmes, surtout dans la première année de veuvage) ; • la solitude (le taux de suicide est beaucoup plus élevé chez les personnes âgées vivant seules) ; • la perte d’autonomie physique et mentale ; • la maladie physique, surtout lorsqu’elle est chronique et associée à la douleur. Le suicide chez les personnes âgées fragiles serait néanmoins mieux expliqué par des facteurs psychologiques et sociaux que par la maladie physique, les études donnant des résultats contradictoires en ce qui concerne l’impact des problèmes d’ordre physique. • En Nouvelle-Zélande, Beautrais (2002) rapporte une prévalence de maladies physiques de 26 % chez les personnes âgées qui se suicident. Toutefois, le risque de suicide associé à ces maladies n’était pas plus élevé que celui observé dans la population constituant le groupe de comparaison. • En Suède, Rubenowitz et ses collaborateurs (2001) signalent que la maladie somatique ne caractérise pas davantage les personnes âgées décédées par suicide que les personnes âgées du groupe témoin. • Aux États-Unis, Turvey et ses collaborateurs (2002) rapportent que le nombre de maladies chroniques est plus élevé chez les personnes âgées décédées par suicide que chez les personnes âgées composant le groupe témoin de la population générale. Toutefois, le statut d’autonomie fonctionnelle ne dière pas entre les personnes âgées décédées par suicide et celles du groupe témoin. • En Scandinavie, Waern et ses collaborateurs (2002) constatent que, comparativement à des personnes âgées dans la population générale, les hommes sourant de graves maladies physiques présentent un risque accru de suicide, mais pas les femmes. La variabilité des résultats de ces recherches s’explique probablement par des diérences méthodologiques, particulièrement par la composition des groupes témoins, ceux-ci étant essentiels à l’interprétation des facteurs de risque associés à une maladie physique. Par ailleurs, comme pour des populations plus jeunes, la majorité des études sur le suicide chez les personnes âgées supportent l’hypothèse d’une plus forte prévalence de maladies mentales, alors que de 50 à 80 % des personnes âgées s’étant suicidées auraient souert de dépression au moment de commettre l’acte (Cattell, 1988). Préville et ses collaborateurs (2005b) ont mené une étude de type autopsie psychologique an d’évaluer le risque associé aux maladies physiques et aux troubles mentaux en comparant 95 personnes âgées décédées par suicide à un groupe témoin composé de 95 personnes d’âge et de sexe comparables, décédées de causes naturelles. L’étude a tenu compte d’une série de 13 cofacteurs prédisposants et facilitants, Chapitre 50

Suicide

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fréquemment cités dans la littérature comme étant associés au suicide chez les personnes âgées. Au moyen d’analyses multivariées, qui permettent de tenir compte de l’ensemble de ces informations simultanément, cette étude a montré que dans les cas de suicide, les personnes ne diéraient pas des personnes du groupe témoin en ce qui concerne le nombre de problèmes de santé chroniques et qu’elles présentaient même plus d’autonomie fonctionnelle, six mois avant le décès. En outre, dans les cas de suicide, les personnes n’étaient pas plus isolées de leur réseau social ou de leur famille au cours des six mois avant le décès. Enn, c’est seulement en tenant compte des cas de dépression, même mineure, que l’étude a pu conclure que près de 75 % des suicides étaient reliés à un trouble de santé mentale, comparativement à 13 % dans le groupe témoin. Ultimement, l’analyse multivariée a démontré que, lorsque l’on tient compte de l’ensemble des variables hypothétiquement associées au suicide gériatrique, la maladie mentale semble être l’élément le plus déterminant du processus suicidaire chez les aînés. Puisque les aînés atteints de troubles mentaux consultent généralement un médecin de famille pour ces problèmes, la détection des troubles psychiatriques, principalement la dépression, devrait être incluse dans l’évaluation de base des soins de 1re ligne an de prévenir le suicide.

50.7.3 Populations autochtones Évoquer le phénomène du suicide ne va pas sans discuter des taux alarmants de suicide dans les populations autochtones. Le terme « autochtone » désigne par convention l’ensemble des Premières Nations, Inuits et Métis. Au Canada, les autochtones représentaient 4,3 % de la population et, au Québec, 1,8 % lors du recensement de 2011 (Statistique Canada, 2011). Les autochtones du Québec se répartissent en 11 nations et en 55 communautés, vivant pour la plupart en région éloignée des grands centres urbains. Par ordre décroissant de population, les 11 nations sont les Innus, les Cris, les Mohawks, les Inuits, les Algonquins (Anichinabés), les Attikameks, les Micmacs, les Hurons-Wendats, les Abénaquis, les Malécites et les Naskapis.

Épidémiologie On évoque pour le Canada, des taux de suicide de deux à six fois plus élevés chez les autochtones que chez les non-autochtones et les chires pour certaines nations peuvent grimper jusqu’à 10 ou 11 fois ces taux, comme c’est le cas actuellement chez les Inuits (Kirmayer & al., 2007). Ces taux sont généralement élevés, également, dans les populations autochtones ailleurs dans le monde. Le groupe d’âge le plus touché est celui des jeunes (de 15 à 24 ans) comparativement aux non-autochtones, où les taux les plus élevés se retrouvent chez les adultes de 35 à 49 ans (Goldston & al., 2008). Les nations autochtones déplorent la perte de cette jeunesse qui représente leur avenir. Les garçons se suicident davantage, mais on note un ratio plus élevé chez les lles que dans la population générale, et les femmes font davantage de tentatives de suicide que les hommes (Ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux, 2006). Tenter une description générale pour tous les autochtones renvoie toutefois à une vision biaisée de la réalité, puisque les recherches ont montré que la situation peut diérer énormément d’une nation autochtone à l’autre, d’une communauté à l’autre au sein d’une même nation, ou dans le temps pour une

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communauté. Certaines communautés autochtones ont un taux de suicide inférieur à la moyenne nationale, voire presque égal à zéro (Chandler & al., 2010). Au Québec, dans les dernières années, les Cris ont eu un taux plus bas que la moyenne du Québec, tandis que les Inuits et les Innus ont eu à déplorer des taux beaucoup plus élevés (Kirmayer & al., 2007).

Facteurs de vulnérabilité On doit tenir compte, chez les autochtones, des éléments décrits précédemment pour la population générale comme facteurs de risque ou facteurs de protection. Toutefois, il est reconnu que les déterminants sociopolitiques occupent une place importante dans la survenue de la sourance à l’origine de l’agir suicidaire chez les autochtones (Chachamovich & al., 2013 ; Warry, 1998). La pauvreté, des conditions sociosanitaires diciles marquées par le surpeuplement des habitations et un état de désœuvrement, en particulier chez les jeunes, font très souvent partie de leur réalité quotidienne. La colonisation a également façonné ce quotidien en laissant plusieurs traces liées aux traumatismes vécus dans les pensionnats, aux déplacements ou à la sédentarisation forcés, à l’acculturation (Warry, 1998). En eet, entre les années 1820 et 1990, en lien avec la Loi sur les Indiens, de nombreux enfants autochtones ont été envoyés dans des pensionnats loin de leur communauté. Ils y ont vécu de nombreux traumatismes : on fait état d’abus physiques, sexuels, de travaux forcés, de dénigrement de l’identité autochtone. Le regard souvent discriminatoire porté sur eux ajoute aux enjeux avec lesquels les autochtones doivent composer, en plus de celui de la transformation rapide de la société autour d’eux. Les dicultés passées et présentes entraînent de la vulnérabilité dans les communautés autochtones et une prévalence accrue de violence, d’abus d’alcool et de drogues et de problèmes familiaux. Plusieurs suicides surviennent d’ailleurs sous l’eet de l’alcool ou de drogues.

Facteurs de protection Ce constat très sombre ne doit toutefois pas mettre dans l’ombre les capacités de résilience des communautés autochtones, où entrent en jeu des valeurs traditionnelles (telles que les valeurs collectives de solidarité, la spiritualité, le rapport avec la nature) et des pratiques culturelles (telles que les modes [us et coutumes] et les activités traditionnelles comme la chasse, la pêche et la broderie), ni faire oublier l’ingéniosité dont elles peuvent faire preuve pour trouver des stratégies de soutien. Des initiatives (p. ex., le projet Wapikoni mobile, qui vient en soutien à la production de courts métrages par de jeunes cinéastes autochtones) permettent aussi aux communautés autochtones de s’inscrire à la fois dans la modernité et la tradition, en complémentarité plutôt qu’en opposition, ce qui est particulièrement porteur pour les jeunes. Chandler & Lalonde (1998) suggèrent que la continuité culturelle, qui peut être dénie comme le « degré de cohésion sociale et culturelle au sein d’une communauté » (Reading & Wien, 2009), peut agir comme un facteur de protection important pour la santé mentale des jeunes de ces communautés. Les liens traditionnels intergénérationnels, issus de la cohésion familiale et de l’engagement des aînés, sont centraux dans ce concept de continuité culturelle. Aussi, un lien positif envers la culture et les valeurs collectives traditionnelles autochtones est souvent considéré comme porteur de bien-être. Par ailleurs, le niveau de contrôle qu’exerce une communauté sur sa propre organisation interne est considéré comme relié à la santé mentale (Kirmayer & al., 2007).

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Spécialités psychiatriques

Soins La réponse à apporter au problème du suicide en milieu autochtone est complexe. L’importance des déterminants sociopolitiques et l’éloignement de plusieurs communautés font en sorte que cette réponse ne peut pas être l’apanage des cliniciens en santé mentale, car elle dépasse leur champ d’action. Mais les cliniciens sont appelés à rencontrer individuellement des autochtones suicidaires et à leur prodiguer des soins qui doivent intégrer cette complexité. Le concept d’espace de sécurité (cultural safety) – qui provient du milieu maori en Nouvelle-Zélande – met l’accent sur l’importance de concevoir le contexte des soins de telle sorte que ceux à qui ils s’adressent puissent s’approprier cet environnement, alors jugé culturellement non discriminatoire et conforme à leurs besoins. La vision autochtone du bien-être est écosystémique : elle reète une volonté de se soucier de façon concomitante des sphères mentale (cognitive), spirituelle, émotionnelle et physique, ce qui est rappelé dans le modèle du cercle autochtone. Ce modèle considère l’humain dans une circularité où s’inscrit le bien-être, qui se dénit dans un équilibre des diérents éléments du cercle : les âges de la vie, les saisons et les points cardinaux. La situation de soins de santé chez les autochtones est tributaire des ententes et des lois locales les régissant. Ainsi, au Québec, ces soins peuvent relever du gouvernement fédéral, du gouvernement provincial et de décisions des nations. La Convention de la Baie-James et du Nord québécois, signée en 1975 par les Cris et les Inuits, et la Convention du Nord-Est québécois, signée en 1978 par les Naskapis avec le gouvernement du Québec, régissent les soins pour ces nations, qui dépendent donc du provincial. Les autres nations du Québec relèvent du gouvernement fédéral pour les soins de 1re ligne, alors que les soins des 2e et 3e lignes relèvent des hôpitaux, étant pris en charge par le système de soins provincial. Cela signie, par exemple, que la disponibilité des médicaments dière d’une nation à l’autre et n’est pas nécessairement équivalente à celle de la population québécoise générale. Les soins de santé mentale d’approche individuelle sont souvent nécessaires lorsque le risque suicidaire est élevé ou si la psychopathologie importante. Il y a toutefois un manque agrant de ressources dans les milieux autochtones pour répondre à ces besoins. Par exemple, plusieurs communautés n’ont pas de service de psychologie. Devant ce constat, et parce que la sourance est aussi de nature collective, diverses initiatives communautaires visant la problématique du suicide se sont développées. L’approche communautaire est essentielle à la résolution de cette problématique, mais les ingrédients clés d’initiatives ecaces sont encore à déterminer.

Des déterminants culturels et politiques comparables ont aussi été évoqués pour expliquer la montée du suicide chez les francophones du Québec depuis les années 1960 de la Révolution tranquille jusqu’au pic de 1999 (Caron, 2002). Le rôle de l’impasse politique nationaliste est également exploré dans la remarquable autopsie psycho-socio-politico-culturelle du suicide de l’écrivain indépendantiste québécois Hubert Aquin par le montréalais Gordon Sheppard (2003).

Le suicide peut être vu dans une perspective médicale et de santé publique comme une complication des troubles mentaux, rare mais certaine, en particulier de la dépression, des toxicomanies, des troubles de la personnalité et de la schizophrénie. Mais la compréhension du suicide et de son étiologie, comme pour tous les troubles mentaux et de toxicomanies qui y sont associés, implique une compréhension bio-psycho-sociale à deux niveaux : 1. Le niveau individuel : la compréhension des facteurs génétiques, développementaux et psychosociaux ; 2. Le niveau populationnel : la compréhension des facteurs macrosociaux, culturels, politiques et économiques comme le chômage, mais aussi les services de santé et les services sociaux. Le suicide peut être prévenu sur les plans individuel aussi bien que populationnel. Tous les cliniciens peuvent contribuer à prévenir le suicide, en accroissant leur collaboration dans les soins des troubles mentaux et des toxicomanies (p. ex., à travers les soins partagés en santé mentale ou par la coordination entre les services spécialisés de santé et ceux de toxicomanies) (Lesage, 2005). Par ailleurs, des stratégies populationnelles multimodales sélectives et ciblées ont montré leur ecacité. Leur généralisation dans un pays demeure encore à démontrer, même si, de facto, au Québec, entre 2000 et 2010, on a constaté une diminution de 25 % du taux de suicide. Quelles stratégies clés se sont montrées les plus ecaces ? Lesquelles devraient être retenues dès maintenant ? La planication gouvernementale a certainement fait appel à des stratégies équivalentes à celles décrites dans les programmes de l’armée de l’air des États-Unis ou de l’Alliance européenne contre la dépression. Bref, il y a eu démonstration d’un eort collectif de résilience et d’ingéniosité, général, sélectif et ciblé, assorti de messages largement diusés de solidarité et de valorisation des individus. Ils ont été relayés par des organisations non gouvernementales menant des programmes et des événements de prévention tels que « Solidaires pour la vie » et « Le suicide n’est pas une option ».

Lectures complémentaires L, B. & T, G. (2012). « Épigénétique : un lien entre l’environnement et le génome », Santé Mentale au Québec, 37(2), p. 31-44. L, A. D. & M, J.-C. (2011). Solidaires pour la vie, un

programme efficace de littératie en santé mentale : analyse et recommandations, [en ligne], http:// reseausuicide.qc.ca/documents/ Solidaires_pour_la_vie-un_

programme_efficace_de_litteratie_ en_sante_mentale.pdf. K, K. (2014). « Approaching suicide as a public health issue », Annals of Internal Medicine, 161(2), p. 151-152.

Chapitre 50

Suicide

1137

CHA P ITR E

51

Agression, violence et dangerosité Georges-F. Pinard, M.D., FRCPC Psychiatre, Clinique ambulatoire de santé mentale, Hôpital Maisonneuve-Rosemont (Montréal) Professeur agrégé de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

51.1 Historique et évolution des concepts ....................... 1039 51.2 Épidémiologie .............................................................. 1041 51.3 Étiologies ...................................................................... 1042 51.3.1 Étiologies biologiques......................................... 1142 51.3.2 Étiologies psychologiques.................................. 1150 51.3.3 Étiologies socio-environnementales................ 1150 51.4 Évaluation du risque de violence (dangerosité)....... 1151 51.5 Outils diagnostiques ................................................... 1157 51.6 Description clinique.................................................... 1158 51.6.1 Violence aux urgences ........................................ 1158 51.6.2 Violence en cours d’hospitalisation ................. 1160 51.6.3 Impacts de la violence sur les victimes et le personnel soignant ..................................... 1160

51.7 Traitements .................................................................. 1163 51.7.1 Traitements biologiques .................................... 1163 51.7.2 Traitements psychologiques ............................. 1164 51.7.3 Interventions sociales......................................... 1164 51.7.4 Prévention............................................................. 1165 51.8 Évolution et pronostic................................................. 1165 Lectures complémentaires .................................................... 1166

L’

histoire de la psychiatrie est ponctuée d’observations de patients présentant un comportement agité, furieux, violent ou dangereux (Quétel, 2012). D’ailleurs, des expressions du langage telles que « fou furieux », « fou à lier », « forcené », « déséquilibré », « insensé », « maniaque », « sadique » et des entités diagnostiques comme « excitation catatonique », « rage maniaque » et « manie furieuse » laissent entendre que certaines formes de troubles mentaux peuvent s’accompagner de comportements violents. Les comportements parfois bizarres, l’agitation, l’humeur changeante, les délires, les hallucinations, l’imprévisibilité, l’impulsivité ainsi que le manque de jugement et d’introspection (insight) que peuvent parfois présenter certains malades, de même que le portrait qu’a pu en faire l’industrie cinématographique, contribuent à faire d’eux des gens qui inquiètent, de qui il faut se méer et garder ses distances. Ce chapitre traite de la violence et plus particulièrement des comportements violents parfois manifestés par des personnes atteintes de maladie mentale. La violence physique associée à des activités antisociales et criminelles (p. ex., délinquance, trac de drogues, gangs) n’est pas l’objet de ce chapitre.

51.1 Historique et évolution des concepts L’agression et la violence, étroitement liées à la survie de l’espèce, font partie intégrante du répertoire des comportements humains. Leur origine se perd dans la nuit des temps. Au site préhistorique d’Atapuerca (Espagne), un crâne d’Homo heidelbergensis daté de 430 000 ans porte des marques de mort violente. Il s’agirait de la plus ancienne victime connue d’un homicide volontaire. Par ailleurs, la nature de la relation entre l’aliénation mentale et la violence est l’objet de questionnements depuis longtemps. L’historienne J. Colaizzi (1989) a étudié la période de 1800 à 1985, qu’elle subdivise et appelle ainsi :

Période de 1800 à 1840 : ébauche des frontières théoriques de la dangerosité En 1800, après l’attentat par Hadeld contre le roi George III d’Angleterre, le Criminal Lunatics Act est voté, qui légalise la détention indénie des « déments » pour cause d’aliénation. L’étude de la folie relève de la médecine et les médecins commencent à la classer en sous-types et en maladies diverses. Ainsi, à cette époque, le terme « manie » réfère à des états de fureur persistante et de psychose aiguë. En 1809, P. Pinel (17451826) utilise l’expression « manie sans délire », qui se rapproche d’autres concepts de son temps comme la «moral insanity », et la « folie lucide » ou « folie raisonnante » pour décrire un sousgroupe de personnes ayant commis des actes insensés, mais qui, par ailleurs, semblent fonctionner normalement. Le marquis de Sade en est un exemple. L’expression « monomanie homicide » est utilisée pour expliquer des crimes sordides et sans motifs apparents. Progressivement, des criminels présentant des crises de folie ponctuelles ou sourant d’aliénation mentale partielle sont jugés non responsables, dans la mesure où il y a un lien entre leur crime et l’objet de leur délire. Le traitement de la folie incombe aux médecins et seuls les malades dangereux doivent être enfermés.

Période de 1840 à 1870 : du cerveau statique à la neurophysiologie dynamique En 1843, à la suite d’une tentative d’assassinat par D. McNaghten du premier ministre britannique Robert Peel, les règles de McNaghten sont établies. Pour établir une défense sur le fondement de l’insanité, il faut prouver clairement qu’au moment de commettre l’acte, l’accusé était sous l’empire d’un défaut de raison, d’une maladie de l’esprit, qu’il ne connaissait pas la nature et la qualité de l’acte qu’il accomplissait ou que, s’il les connaissaient, il ne savait pas que ce qu’il faisait était mal. À partir de 1850, les théories de l’hérédité tentent d’expliquer une prédisposition innée à certains comportements et aux maladies mentales. En 1857, B. A. Morel (1809-1873) publie son Traité des dégénérescences à partir duquel le concept de « dégénéré » aura une grande inuence sur la psychiatrie européenne jusque vers 1918. La folie est une maladie du cerveau et on passe graduellement d’une conception phrénologique à une conception neurodynamique de cet organe. Ainsi pour H. Maudsley (1835-1918), le cerveau est une unité physiologique et toute dysfonction qui le rend instable est susceptible d’entraîner de l’imprévisibilité et une possible dangerosité chez le malade. Durant cette période, les accusés jugés non responsables pour cause d’aliénation mentale sont internés à l’asile, tandis que les criminels dangereux sont sévèrement condamnés et emprisonnés.

Période de 1870 à 1910 : liaison de la folie homicide à une instabilité du système nerveux Durant cette période, on estime que la dangerosité peut provenir de délires (surtout), d’hallucinations impérieuses, d’un manque de sens moral, d’impulsions homicides, de manie, de frénésie ou d’épilepsie. On assiste à l’internement des fous homicides dans les asiles, la naissance de la psychiatrie psychodynamique (psychanalyse) et à la montée de la criminologie médicale. Ces deux approches expliquent le geste homicide à leur façon et interviennent différemment sur lui. Avec l’émergence de la perspective criminologique, qui se veut plus scientique, la conception morale des crimes et des criminels disparaît.

Période de 1910 à 1960 : dangerosité somatique et dynamique Durant cette période, on conçoit qu’une dangerosité potentielle peut être associée aux délires de la psychose postpartum, de la paranoïa et de la schizophrénie, aux idées impérieuses, à la personnalité psychopathique et à l’épilepsie temporale. L’introduction de la pharmacothérapie entraîne la diminution des patients dans les hôpitaux psychiatriques et favorise la naissance de la psychiatrie communautaire. D’autres points saillants de cette période sont : • l’avènement de la garde en établissement (cure fermée) pour contrer la dangerosité ; • la recherche de prédicteurs pour anticiper les risques de violence. En 1976, le cas Taraso v. Regents of the University of California connaît un retentissement considérable. Poddar, un étudiant à Berkeley, s’était mis à croire que Tatiana Taraso était éprise de lui parce qu’elle l’avait embrassé le soir du jour de l’An. Devant le désintérêt subséquent de Tatiana, Poddar devint déprimé, il pleurait, négligeait son apparence et ses études. Poddar cona à son psychologue son intention de tuer Tatiana ; il fut hospitalisé

Chapitre 51

Agression, violence et dangerosité

1139

brièvement, puis relâché, mais personne n’avisa Tatiana ni sa famille de ces menaces. Quelques mois plus tard, Poddar poignarda Tatiana Taraso à mort. Depuis le jugement de la Cour suprême des États-Unis, un clinicien qui a des raisons valables de croire qu’un patient présente un danger imminent de blesser d’autres personnes doit en avertir les victimes potentielles (duty to warn). À partir des années 1980, dans un courant de déstigmatisation des malades mentaux, des recherches visent à déterminer si les patients psychiatriques sont vraiment plus dangereux que les autres membres de la communauté. Ce sont les débuts de la MacArthur Study of Mental Disorder and Violence de J. Monahan et de ses collaborateurs (voir la section 51.2), qui tentent de mieux évaluer le risque de violence chez les patients psychiatriques. Par la suite, des chercheurs tentent d’élaborer des outils de prédiction des comportements violents. Harris et ses collaborateurs (1993) élaborent un premier outil actuariel,

TABLEAU 51.1

le Violence Risk Appraisal Guide (VRAG). Puis d’autres outils d’évaluation sont créés : • le Historical-Clinical-Risk Management-20 (HCR-20, Webster & al., 1997) ; • la version révisée de la Hare Psychopathy Checklist (PCL-R, Hare, 2003). Des ouvrages portant sur les résultats de deux études longitudinales majeures sont publiés : • la MacArthur Study of Mental Disorder and Violence (Monahan & al., 2001) ; le Stockholm Metropolitan Project (Hodgins & Janson, 2001) (voir la section 51.2). Apparaissent aussi des ouvrages sur l’évaluation et la gestion du risque de violence chez les personnes atteintes de troubles mentaux (Blumenthal & Lavender, 2000 ; Hodgins,

Termes à différencier dans le spectre de la violence Termes

Dénitions

Agitation

« Trouble se manifestant par des mouvements désordonnés » (Larousse, 2015, p. 56).

Agression

« Attaque non provoquée et brutale » (Larousse, 2015, p. 57), ou encore comportement hostile, injurieux ou destructeur émis avec l’intention de blesser psychologiquement ou physiquement une personne.

• Agression réactive ou émotionnelle

agression qui naît d’une frustration ou d’un manque de contrôle émotionnel.

• Agression proactive ou instrumentale agression qui naît d’une tentative planiée pour obtenir un objet ou un résultat désiré. Agressivité

« Disposition à manifester de l’hostilité » (Larousse, 2015, p. 57).

Colère

« État affectif violent et passager résultant du sentiment d’avoir été agressé ou offensé ; emportement » (Larousse, 2015, p. 268), ou encore état émotionnel négatif (inconfortable), caractérisé par un antagonisme envers quelqu’un ou quelque chose, qui résulte souvent de la perception d’une injustice personnelle signicative. Elle constitue fréquemment un précurseur à un comportement agressif ou violent.

Cruauté

« Penchant à faire souffrir » (Larousse, 2015, p. 327), ou encore malveillance, manque d’empathie, associés au sadisme.

Dangerosité

« État d’une personne estimée comme susceptible de commettre un acte violent » (Larousse, 2015, p. 339). Terme avant tout de nature légale, manquant de précision pour plusieurs, il a eu tendance depuis plusieurs années à être remplacé par l’expression « risque de violence ».

• Dangerosité psychiatrique

Dangerosité qui découle d’une maladie mentale grave (troubles psychotiques comme la schizophrénie, le trouble délirant paranoïde et les troubles de l’humeur comme l’épisode dépressif majeur ou le trouble bipolaire en phase maniaque). Au cours d’un épisode dépressif majeur, la personne peut être dangereuse pour elle-même (risque suicidaire) et pour autrui (risque d’homicide des proches).

• Dangerosité criminologique

Risque que présente un individu de commettre une infraction contre les personnes ou les biens. Elle est associée essentiellement aux troubles de la personnalité comme le trouble de la personnalité limite ou antisociale, la psychopathie (une forme particulière de personnalité antisociale, caractérisée par une plus grande froideur affective et un manque d’empathie et de remords envers les victimes).

Impulsivité

« Caractère de quelqu’un qui a tendance à accomplir un acte de façon spontanée et irrééchie » (Larousse, 2015, p. 606), ou encore prédisposition d’un individu à des réactions rapides, non planiées, en réponse à des stimuli internes ou externes, avec une considération diminuée pour les conséquences négatives (Moeller & al., 2001).

Irritabilité

« Caractère d’une personne qui se met facilement en colère ; irascibilité » (Larousse, 2015, p. 634), ou encore faible tolérance à la frustration, disposition d’un individu porté à réagir avec intensité à la suite d’une provocation réelle ou perçue.

Rage

« Mouvement violent de dépit, de colère ; fureur » (Larousse, 2015, p. 964), ou encore forme extrême de colère.

Violence

« Abus de la force physique » (Larousse, 2015, p.1208), ou encore utilisation de force physique (ou psychologique) avec l’intention de contraindre, de dominer, de maltraiter, de blesser physiquement une personne, voire d’entraîner sa mort. Le concept de violence regroupe un ensemble de comportements hétérogènes. p. ex., harcèlement moral

• Violence psychologique

1140

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

TABLEAU 51.1

Termes à différencier dans le spectre de la violence (suite) Termes

Dénitions

• Violence verbale

p. ex., insultes, menaces

• Violence physique : – envers les objets – envers les personnes – dirigée envers soi – dirigée envers autrui

destruction de biens matériels p. ex., voies de fait et blessures, agression sexuelle, homicide ou violence envers les animaux automutilation, tentative suicidaire et suicide violence interpersonnelle

La violence peut aussi être une combinaison de ces facteurs (p. ex., intimidation [bullying], violence envers la conjointe, maltraitance d’un enfant, abus d’une personne âgée et, dans les cas extrêmes, terrorisme, guerre et génocide). Les comportements violents sont habituellement considérés comme des actions illégales et sont punis par la loi.

2000 ; Pinard & Pagani, 2001) et d’autres sur l’impulsivité ou sur des populations particulières (p. ex., jeunes contrevenants, délinquants avec des besoins spéciaux). Certains termes, parfois utilisés à mauvais escient, sont définis dans le tableau 51.1.

51.2 Épidémiologie Les données sur la violence proviennent généralement d’études épidémiologiques et de statistiques colligées par le système de justice criminelle. Selon les connaissances scientiques disponibles, la société dans laquelle nous vivons ne serait pas plus violente qu’auparavant (Mucchielli, 2011) et diérents facteurs pourraient expliquer une augmentation apparente (p. ex., une plus grande médiatisation et un accès plus rapide à une information plus vaste). Il demeure que l’agression et la violence sont classées parmi les préoccupations sérieuses concernant la santé (serious health concerns) par le Center for Disease Control Prevention aux États-Unis. La violence est aussi un important problème de santé publique selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). De façon préoccupante, les victimes sont souvent des gens vulnérables : enfants, femmes, membres de minorités et personnes âgées. Deux études épidémiologiques d’envergure permettent de mieux comprendre la relation pouvant exister entre la maladie mentale et la violence : 1. La MacArthur Study of Mental Disorder and Violence (Monahan & al., 2001), réalisée sur plusieurs années, à grande échelle et multicentrique, a évalué de façon approfondie 1000 patients gardés en établissement, qui ont ensuite obtenu leur congé et sont retournés dans la communauté. Diérentes dimensions, comme une histoire de violence antérieure ainsi que la présence de psychopathie, telle qu’elle est dénie par la Psychopathy Checklist-Revised (PCL-R, Hare, 2003), étaient corrélées avec la survenue d’un comportement violent ultérieur. La présence d’un trouble mental majeur n’était pas en soi une variable prédictive très forte. Toutefois, l’association d’un trouble mental majeur et d’un abus de substances augmentait de façon marquée le risque de survenue d’un comportement violent. Selon cette étude, la voie de l’avenir consiste à comprendre comment les variables actuarielles et dynamiques (celles qui peuvent changer) se combinent et interagissent entre elles, pour une personne donnée. 2. Le Stockholm Metropolitan Project (Hodgins & Janson, 2001) disposait d’une très vaste banque de données concernant

15 117 personnes nées dans cette capitale scandinave, colligées sur de nombreuses années, allant de leur développement prénatal jusqu’à l’âge de 30 ans. Cette étude a fait ressortir que certaines variables présentes durant l’enfance, comme de faibles résultats scolaires et des problèmes de comportement, continuent d’avoir un impact toute la vie. Une étude récente, le Projet national des trajectoires des personnes déclarées non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux (NCRTM) au Canada (Crocker & al., 2015), a examiné les caractéristiques psychologiques, sociales et criminologiques de 1 800 hommes et femmes déclarés NCRTM au Québec (n = 1094), en Ontario (n = 484) et en Colombie-Britannique (n = 222), les trois provinces les plus peuplées du Canada, de mai 2000 à avril 2005, et les a suivis jusqu’en décembre 2008. Cette étude a permis d’établir les constats suivants : • Le diagnostic le plus fréquent était un trouble psychotique comme une schizophrénie (65,9 % au Québec). • Un tiers de ces personnes souraient d’une maladie mentale grave et d’un trouble concomitant lié à l’utilisation de substances (comorbidité) (27,0 % au Québec). • Près des trois quarts (72,4 %) avaient déjà été hospitalisés au moins une fois en psychiatrie. • Les deux tiers des infractions commises étaient des infractions contre la personne, de niveaux de gravité variables. Les infractions graves avec violence comme le meurtre ou les tentatives de meurtre (4,6 % des infractions au Québec) ou les agressions sexuelles (1,7 % des infractions au Québec) représentaient une faible proportion. • Les membres de la famille (34,6 % au Québec), puis des intervenants comme les agents de police (12,7 % au Québec) et les travailleurs en santé mentale (9,1 % au Québec) étaient les victimes les plus fréquentes. Il est à noter qu’il y a beaucoup de similitudes entre les contrevenants avec troubles mentaux par rapport aux criminels récidivistes, notamment pour ce qui est d’une histoire d’abus d’alcool et de substances. Une histoire de comportement antisocial durant l’enfance ou l’adolescence et d’associations avec des pairs criminalisés caractérise davantage le second groupe (Mills & al., 2011). Plus que toute autre substance psychoactive, l’alcool est relié à diérents types de comportements agressifs et violents (Beck & al., 2014), notamment à cause de sa grande accessibilité et de son eet désinhibiteur sur le comportement. À travers diérents pays, les études épidémiologiques indiquent que l’alcool est impliqué Chapitre 51

Agression, violence et dangerosité

1141

dans environ 60 % de tous les crimes violents : assaut physique, violence envers la conjointe, agression sexuelle, récidivisme violent et homicide.

51.3 Étiologies Plusieurs théories apportent leur contribution à la compréhension de la violence humaine, que nous abordons selon une perspective bio-psycho-sociale et pas nécessairement par ordre d’importance. Il ne s’agit pas de catégories hermétiques, mais plutôt d’interactions dynamiques entre diérents facteurs et l’environnement. De plus, ces théories ont un poids relatif diérent pour ce qui est d’expliquer la survenue de comportements violents pour une personne donnée.

51.3.1 Étiologies biologiques Théorie évolutionniste et anthropologie biologique Reposant sur le darwinisme, la théorie évolutionniste postule que l’évolution a façonné l’ensemble de notre répertoire comportemental. Si un comportement de nos ancêtres a persisté jusqu’à nous, à travers le processus de la sélection naturelle, c’est qu’il a montré son utilité à la survie de notre espèce d’une quelconque façon. Un comportement peut être adaptatif à une période donnée. Ainsi, dans l’environnement hostile de l’Âge de pierre, on peut facilement imaginer que l’individu plus compétitif et agressif a davantage de chances d’accumuler diverses ressources nécessaires à sa subsistance, de mieux se défendre en cas de danger, d’être le mâle dominant d’un groupe, d’avoir accès à plusieurs partenaires sexuelles, ce qui lui ore une plus grande chance de propager ses gènes et, en l’occurrence, ces mêmes caractéristiques de compétitivité et d’agressivité à sa progéniture. Shackelford & Weekes-Shackelford (2012) présentent diérents comportements violents humains selon leurs perspectives évolutionnistes. Un comportement peut cependant cesser d’être adaptatif dans le contexte d’une société civilisée. En eet, il y a d’autres moyens de régler un conit interpersonnel que par la violence physique. À travers les âges, les sociétés se sont donc dotées de lois et de sanctions, précisément pour punir et décourager les débordements agressifs allant à l’encontre de la cohésion et de la survie de la communauté.

Aspects éthologiques L’étude des animaux dans leur habitat naturel s’avère pertinente pour mieux comprendre les racines profondes de l’agression et de la violence chez l’humain. L’expression des comportements d’agression est très diversiée dans le monde animal. À partir des différents types d’agressions physiologiques décrits par l’éthologiste K. E. Moyer (1976) et repris par Volavka (2002), ainsi que de leurs variations, on peut retenir : • L’agression territoriale, qui est une réaction de défense, habituellement intraspécique (entre deux animaux de la même espèce), d’un animal territorial envers un intrus. Le défenseur ache un comportement menaçant et dissuasif. Si l’intrus adopte un comportement similaire, un arontement survient, habituellement remporté par le défenseur. Dans certaines circonstances, comme un manque de ressources, l’animal peut aussi chercher à accroître les limites de son territoire aux dépens de ses voisins. Chez l’humain, l’expansionnisme et le désir de s’approprier les ressources naturelles d’un autre

1142

pays constituent des exemples maintes fois illustrés par les guerres durant l’histoire. • L’agression prédatrice, qui est habituellement interspécique (entre deux animaux d’espèces diérentes) et qui consiste en une attaque stéréotypée (se déroulant toujours de la même façon) dont la fonction est de chasser pour se nourrir. L’animal approche calmement et furtivement de sa proie naturelle. Il s’embusque, planie l’attaque et, au moment choisi, il fonce vers elle avec une ecacité redoutable. Le siège de cette agression est l’hypothalamus latéral : la seule présence de la proie déclenche cette attaque, particulièrement si l’animal a faim ou que la nourriture se fait rare. Le mâle comme la femelle peuvent participer à ce type d’agression. La proie peut riposter pour se défendre (agression antiprédatrice). L’humain est un grand prédateur de nombreuses espèces animales, pouvant aussi chasser et tuer pour le simple plaisir. L’agression prédatrice chez l’humain est une agression instrumentale planiée, c’est-à-dire ayant pour but d’obtenir quelque chose, l’intention première n’étant pas nécessairement de blesser la victime, bien que des traumatismes physiques et psychologiques puissent en découler. On la rencontre plus souvent chez les antisociaux et les psychopathes. Le voleur à la tire qui bouscule une vieille dame au sortir d’un guichet automatique en est un exemple. Chez l’humain, on décrit aussi l’agression proactive, qui comprend des comportements comme la contrainte, les menaces directes ou les attaques destinées à atteindre un but. L’agression défensive (ou réactive) est une réponse agressive de protection contre une provocation, une menace perçue ou une attaque. Ayant son siège dans l’hypothalamus médian, elle s’accompagne d’une activation autonomique (p. ex., horripilation). • L’agression induite par la crainte, qui est la réponse défensive d’un animal qui ne peut se sauver d’un danger. Acculé, il se défend alors avec toute l’ardeur nécessaire pour assurer sa survie, d’où l’expression « se battre avec l’énergie du désespoir » chez l’humain. • L’agression irritable, qui survient à la suite d’une frustration, d’une douleur, d’un manque de nourriture, d’eau, de sommeil ou de contacts sociaux. Plus souvent manifestée par les mâles, on peut la retrouver chez les femelles selon les rythmes de leur système reproducteur. La cible de ce genre d’attaque est non spécique, pouvant s’agir autant d’un autre animal que d’un objet. Le coup de poing dans un mur lors d’une frustration ou encore l’irritabilité pouvant accompagner le syndrome prémenstruel en constituent des exemples chez l’humain. • L’agression impulsive, qui est caractérisée par une désinhibition comportementale et une instabilité aective, peut être dirigée envers les autres ou envers soi. Fréquemment observée chez les patients sourant de troubles neurologiques (voir la section Antécédents personnels médicochirurgicaux, à la page 1151) ou psychiatriques, elle n’indique pas nécessairement un trouble de la personnalité antisociale. D’autres types d’agression concernent plus spéciquement les comportements reproducteurs : • L’agression intermâle : intraspécique, a pour but de garantir la dominance d’un mâle à l’intérieur d’un groupe. Elle résulte habituellement de la compétition pour l’accès aux femelles. Cet arontement peut être ritualisé avec des démonstrations de supériorité (menaces intimidantes, parades et postures de combat) de part et d’autre. L’engagement prend n lorsque l’un des protagonistes adopte une attitude de soumission

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques







ou s’enfuit. La mort du rival n’est habituellement pas le but recherché, mais elle peut en résulter. Les relations de dominance/soumission contribuent à l’ordre social hiérarchique du groupe tout en garantissant l’accès privilégié du mâle alpha aux femelles. Chez l’humain, les altercations physiques entre deux rivaux pour une même femme ne sont pas chose rare et peuvent parfois tourner au drame. L’agression liée à la reproduction : les mâles peuvent parfois menacer ou attaquer des femelles dans le but de s’accoupler avec elles, mais dans la plupart des cas, ces dernières ne subissent que des blessures mineures. Ce type d’agression est propre au comportement reproducteur de l’espèce animale considérée. Les agressions sexuelles chez l’humain ne sont pas liées à la reproduction, mais plutôt à des enjeux de pouvoir, de domination, de contrôle et de colère envers la victime. L’agression maternelle : elle se produit lorsqu’un intrus s’approche trop près de la progéniture ou s’interpose entre la progéniture et la mère, typiquement en période de lactation. Ce phénomène est assez prévalent chez les mammifères (p. ex., l’ourse et ses petits). L’infanticide : survenant parfois dans certaines circonstances (p. ex., nouveau-né malade dans une portée, déclenchement d’un nouveau cycle reproducteur chez une femelle an de

TABLEAU 51.2

recevoir les gènes d’un nouveau mâle dominant), il peut être commis par une femelle ou un mâle d’une espèce animale. Chez l’humain, il résulte habituellement d’un épisode dépressif majeur, d’une psychose, ou encore d’un trouble sévère de la personnalité dans un contexte de rupture relationnelle. La primatologie suggère une forte composante biologique à la violence humaine, notamment par l’étude des chimpanzés, nos plus proches parents avec lesquels nous partageons 98,4 % de notre ADN. Jusqu’aux travaux de J. Goodall à Gombe Stream (Tanzanie) dans les années 1960, la plupart des gens croyaient que ces singes étaient des animaux ludiques, tout au plus tapageurs et querelleurs. Plusieurs autres observations en milieu naturel (De Waal, 2005) sont depuis venues ternir le mythe de ce « bon singe », comme la description d’attaques létales sur des membres connus du groupe (adultes, mais aussi des cas d’infanticide) et de raids organisés, avec destruction intergroupe incluant parfois du cannibalisme. Le tableau 51.2 répertorie les principaux types d’agression physiologique, les stimuli qui les déclenchent, et précise leurs bases neurologiques et endocriniennes. À des ns pratiques, Quanbeck (2006) et Stahl & Morrissette (2014) distinguent trois principaux types d’agression chez l’humain (voir le tableau 51.3). Les traitements sont discutés plus en détail à la section 51.8.

Substrats physiologiques de différents types d’agression

Type d’agression et son stimulus

Substrats physiologiques Bases neurologiques

Bases endocriniennes

Agression prédatrice (la proie naturelle pour l’animal, p. ex., le chevreuil pour le loup)

Structures cérébrales ayant un rôle facilitateur : • Thalamus • Hypothalamus latéral • Système réticulé du diencéphale • Amygdale dorsolatérale (noyau latéral, portion dorsale) • Hippocampe ventral • Bulbe olfactif Structures cérébrales ayant un rôle inhibiteur : • Thalamus • Amygdale baso-médio-latérale (noyau latéral, partie médiane et noyau basal, partie latérale) • Hippocampe dorsal • Septum

Relativement peu connues

Agression induite par la crainte (le fait de se retrouver coincé dans une situation sans issue)

Structures cérébrales ayant un rôle facilitateur : • Hypothalamus • Amygdale (certains noyaux) • Hippocampe • Septum (lésions) • Mésencéphale Structures cérébrales ayant un rôle inhibiteur : • Amygdale (amygdalectomie bilatérale) • Cingulum (lésions)

Peu connues

Agression irritable (frustration, douleur, manque de nourriture, d’eau, de sommeil, de contact social)

Structures cérébrales ayant un rôle facilitateur : • Hypothalamus (antérieur et médian, lésions des noyaux ventromédians) • Amygdale (rôle complexe) • Hippocampe • Septum (lésions) • Bulbe olfactif • Cingulum

Hormones ayant un rôle facilitateur : • Androgènes

Chapitre 51

Agression, violence et dangerosité

1143

TABLEAU 51.2

Substrats physiologiques de différents types d’agression (suite) Substrats physiologiques Bases neurologiques

Type d’agression et son stimulus

Structure cérébrale ayant un rôle facilitateur : • Hypothalamus (portion antérieure)

Agression intermâle (compétition avec un autre mâle pour l’accès aux femelles)

Bases endocriniennes

Facteurs ayant un rôle facilitateur : • Maturité sexuelle • Niveaux d’androgènes endogènes • Traitement androgénique • Diminution de l’ACTH Facteurs ayant un rôle inhibiteur : • Castration • Augmentation de l’ACTH • Stress • Œstrogènes et progestérone

Note : Il peut y avoir des variations selon les espèces. Voir les gures supplémentaires pour localiser les structures anatomiques mentionnées dans ce tableau. Source : Adapté de Moyer (1976).

TABLEAU 51.3

Principaux types d’agression chez l’humain Agression impulsive

Synonymes

• • • • • •

Fréquence approximative

Réactive Défensive Affective Hostile Émotionnelle Manifeste

Agression antisociale ou psychopathique

Agression psychotique • Désorganisée • Bizarre

• • • • • • • • •

63 %

20 %

17 %

Associée à

• Émotions négatives (p. ex., irritabilité, colère, hostilité ou crainte)

• Symptômes positifs de psychose (typiquement, hallucinations impérieuses ou délires)

• Comportement planié (p. ex., utilisation d’une arme) avec un but précis externe (biens, argent) ou interne (dominance)

En réponse à

• Provocation, stress perçu

• Altération du contact avec la réalité, hallucinations impérieuses ou délire

• Typiquement non provoquée ou bien frustration, provocation, menace mineure

Exemples de diagnostics

• Trouble de la personnalité limite • Trouble de stress post-traumatique • Trouble lié à l’utilisation de substances • Trouble explosif intermittent • TDA/H

• • • • •

• Trouble de la personnalité antisociale • Psychopathie

État physiologique

• Hauts niveaux d’activation autonomique, agitation

• Variable

• Peut ne pas être accompagnée d’activation autonomique, en contrôle

Mécanismes

• Hyperactivité limbique • Inhibition frontale déciente

• Hyperactivité striatale • Inhibition frontale déciente (hypofrontalité)

• Hypoactivité limbique • Inhibition frontale déciente

Traitement pharmacologique

• Selon le trouble : – Antidépresseurs – Stabilisateurs de l’humeur – Benzodiazépines – Psychostimulants

• Antipsychotiques

• Pas de traitement pharmacologique spécique

Schizophrénie Trouble schizoaffectif Trouble délirant Trouble bipolaire Trouble lié à l’utilisation de substances

Proactive Offensive Prédatrice Instrumentale Préméditée Voilée Cognitive Contrôlée Organisée

Sources : Adapté de Quanbeck (2006), p. 745 ; Stahl & Morrissette (2014), p. 2, 34, 50.

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Spécialités psychiatriques

Facteurs démographiques Bien qu’on puisse retrouver des comportements violents à tout âge et chez les deux sexes, ils sont surtout le fait de jeunes adultes de sexe masculin. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer les taux de criminalité plus élevés chez les hommes : • La sécrétion d’androgènes gonadiques est 10 fois plus élevée chez l’homme que chez la femme. • Les attributs physiques masculins (taille, masse musculaire, force et vitesse) jouent un rôle indéniable dans les crimes violents. • Le pic de criminalité observé chez les adolescents correspond à la période de plus grande production d’hormones sexuelles durant la puberté (Neave, 2008). Les taux d’homicides doubleraient en fonction de la testostérone durant cette période (Wilson & al., 2009). Boyd (2000) explique l’apogée du potentiel pour l’agression et la violence durant l’adolescence de la façon suivante : – La poussée de testostérone arrive pour ces jeunes à une période de maturation encore incomplète de leurs lobes frontaux (siège des fonctions exécutives régulatrices). – La poussée hormonale, mal canalisée, entraînerait chez eux de l’irritabilité, de la colère et un risque accru d’agression et de violence. – Les préoccupations typiques de cette étape développementale sont présentes, telles qu’un besoin d’armation, de dominance, une recherche identitaire, un sentiment d’incompréhension et parfois de déception. – Les jeunes adultes sont aussi davantage impulsifs (également le reet d’une maturation incomplète de leurs lobes frontaux), pensant généralement moins aux conséquences à long terme de leurs gestes, alors que les adultes plus âgés savent qu’ils ont davantage à perdre sur les plans professionnel et familial (p. ex., casier judiciaire, perte de revenus, séparation).

Facteurs génétiques

• Anomalies chromosomiques : Dans les années 1960, Jacobs et ses collaborateurs ont trouvé une prévalence plus élevée du caryotype 47, XYY parmi des prisonniers, comparativement à la population générale. Rapidement, le chromosome Y additionnel a été identié au « chromosome du crime ». En fait, le syndrome du double Y mâle (47, XYY) est une anomalie chromosomique relativement fréquente, présente chez 1/840 nouveau-nés de sexe masculin. Une majorité des hommes atteints ont un phénotype normal, mais les autres présentent des anomalies communes variables parmi les suivantes (Jones, 2006) : – une grande taille et une mauvaise coordination motrice ne ; – de l’acné nodulokystique prononcé à l’adolescence ; – un quotient intellectuel (QI) global dans les limites normales, bien qu’habituellement plus bas que chez les autres membres de la fratrie ; – des dicultés d’apprentissage (50 % des cas) ; – de la distractibilité, de l’hyperactivité ; – une tendance à l’agressivité : des crises de colère (temper tantrums) sont présentes durant l’enfance et le début de

l’adolescence, mais ces garçons apprennent à gérer leur colère en vieillissant. • Anomalies occasionnelles : parmi celles-ci, on retrouve : – des anomalies génitales : cryptorchidisme, petit pénis, hypospadias ; – d’autres anomalies : anomalies à l’électroencéphalogramme (EEG), agénésie du corps calleux, ventricules latéraux élargis. On sait aujourd’hui que des biais de sélection méthodologiques (p. ex., des études en milieu carcéral où il y a une prévalence plus élevée de gens agressifs) et certaines caractéristiques présentées par ces hommes, comme de faibles conditions socio-économiques, ont pu faire en sorte qu’ils se retrouvent davantage en prison (Stochholm & al., 2012). La génétique est une science extrêmement complexe qui ne se limite pas aux anomalies chromosomiques. Ainsi, certaines caractéristiques comme l’impulsivité, la prise de risques, des dicultés à s’autocontrôler, l’agressivité, le trouble décit de l’attention/hyperactivité (TDA/H), les troubles des conduites, dont le trouble oppositionnel avec provocation, et une intelligence inférieure sont des facteurs de risque de comportement violent, en partie transmis génétiquement (Rafter, 2008). L’impulsivité est aussi associée à : • de bas niveaux de sérotonine et de noradrénaline ; • un rythme cardiaque lent au repos et une faible conductance cutanée ; • une atteinte des fonctions exécutives du cortex préfrontal (dysfonction des cortex cingulaire antérieur et préfrontal orbitomédian). Un polymorphisme génétique (variante d’un gène) du transporteur de la sérotonine a été associé à l’agression chez des personnes déprimées et non déprimées. Des niveaux diminués (activité basse) de l’enzyme monoamine oxydase A (MAOA, enzyme impliquée dans le métabolisme des monoamines [sérotonine, noradrénaline et dopamine]) sont associés à de l’impulsivité, à des comportements à risque, à des troubles des conduites durant l’enfance, à de l’hyperactivité, à l’utilisation de substances, à la psychopathie, à l’agression, à une violence accrue et à des crimes violents. Un déficit en MAO-A et du gène de la circuiterie sérotoninergique, impliqué dans la régulation de la sérotonine, semblent tous deux interagir avec le stress en bas âge (p. ex., maltraitance durant l’enfance) pour favoriser la survenue de comportements violents ultérieurs. Ces déficiences en MAO-A et en sérotonine ont été rapportées chez des hommes violents. Un polymorphisme de la MAO-A a été associé à l’impulsivité (Dorfman & al., 2014). C’est pourquoi le gène de la MAO-A a parfois été appelé le « gène de l’agressivité ». Il y aurait aussi une certaine héritabilité des traits de la personnalité. Ni un chromosome ni un gène ne sont directement responsables du comportement violent. À l’heure actuelle, il est encore très dicile de comprendre comment les gènes et leurs variantes (polymorphisme) interagissent avec l’environnement (épigénétique) pour augmenter le risque d’une personne de développer des comportements violents ou antisociaux ultérieurement.

Chapitre 51

Agression, violence et dangerosité

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Facteurs prénataux, congénitaux et périnataux Plusieurs facteurs de risque ont été associés au développement ultérieur de l’agression et de la violence (LaPrairie & al., 2011). Parmi ceux-ci gurent : • une exposition prénatale à l’alcool , aux drogues et au tabagisme maternel ; • un stress psychologique maternel durant la grossesse ; • des troubles cérébraux congénitaux (p. ex., une décience intellectuelle) ; • des malformations physiques mineures (signes dysmorphiques) ou plus importantes ; • des complications obstétricales (anoxie, pré-éclampsie, prématurité et petit poids à la naissance).

Facteurs endocriniens Les androgènes, dont la testostérone en particulier, sont les hormones qui ont été les plus étudiées dans le but d’établir un lien avec les comportements agressifs et violents. Durant la vie fœtale et néonatale, ces hormones ont un eet organisateur important, notamment sur les plans de la diérenciation sexuelle des organes génitaux et du dimorphisme sexuel de certaines structures cérébrales. Les recherches sur les eets organisateurs des androgènes se sont surtout attardées à étudier le comportement d’hommes ayant présenté un syndrome génitosurrénal (hyperplasie surrénalienne congénitale) et de ceux ayant été exposés à un apport exogène de testostérone, de progestérone (qui peut être convertie en testostérone) ou de diéthylstilbestrol (médicament censé prévenir les avortements spontanés et les accouchements prématurés interdit au Canada depuis 1976 en raison de ses eets indésirables), durant la période prénatale. En plus de causer des malformations génitales de degré variable, l’exposition prénatale à ces substances semble entraîner une légère augmentation de l’agressivité physique et du besoin de se dépenser dans les jeux vigoureux et l’athlétisme, chez ces garçons et ces lles (Christiansen, 2004). Les inuences hormonales sur le comportement humain seraient toutefois moins importantes que chez l’animal, notre comportement étant modulé de façon prédominante par des facteurs neuroanatomiques (développement accru des lobes frontaux), intrapsychiques (p. ex., la personnalité), sociaux et culturels. C’est surtout à partir des années 1970 que les recherches portant sur les eets activateurs de la testostérone sur l’agression humaine apparaissent dans la littérature. Des études ont mesuré les niveaux de testostérone chez des hommes sélectionnés pour leurs comportements agressifs ou violents (p. ex., des prisonniers ayant commis des crimes violents) ou bien chez des garçons, des adolescents à la puberté et des adultes non violents. Des échantillons d’hommes ayant des comportements agressifs ont aussi été comparés à des échantillons d’hommes non agressifs. Le comportement d’hommes avec des niveaux élevés de testostérone a été étudié. De plus, à la suite de manipulations expérimentales, des recherches ont porté sur les eets tant de l’augmentation des niveaux de testostérone chez des sujets sains que de leur diminution sur l’agressivité d’hommes violents, par castration physique ou chimique (médicaments antiandrogéniques). Les résultats

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suivants, tirés de Christiansen (2004), résument plus de 30 ans de recherche sur le sujet : 1. Relation entre la testostérone et le comportement : Contrairement à la conception initiale où l’on pensait que la testostérone inuençait directement le comportement, on sait aujourd’hui que cette relation est bidirectionnelle, le comportement pouvant aussi altérer les niveaux de testostérone. L’agression humaine et l’activité endocrinienne sont mutuellement dépendantes. 2. Hypothèse de la compétition (challenge) chez l’humain : Selon Neave (2008), les comportements agressifs/compétitifs chez les humains s’inscrivent dans le contexte des nombreux dés intraspéciques auxquels ils ont dû faire face au cours de l’évolution. Ainsi, les hommes répondent à la compétition (challenge) par une augmentation de la testostérone, ce qui augmente le risque de survenue de comportements agressifs. 3. Relation entre la testostérone endogène et l’agression : La majorité des études utilisant des mesures comportementales et des autoévaluations rapportent une relation positive signicative entre la testostérone endogène circulante et l’agression, chez les deux sexes. Moins d’études rapportent une relation positive non signicative et très peu d’études rapportent que cette relation est négative. Certaines parmi l’ensemble de ces études présentent des problèmes méthodologiques : faible taille des échantillons, absence de mesure de la testostérone libre (forme biologiquement active de l’hormone) versus celle liée, laps de temps écoulé qui n’est pas équivalent entre le geste agressif et la mesure de la testostérone, etc. 4. Relation entre la testostérone exogène et l’agression : Pour ce qui est de l’administration de testostérone, de la thérapie de remplacement de la testostérone ou de l’utilisation de stéroïdes anabolisants, à peu près toutes les études ayant examiné la nature de la relation entre les eets de la testostérone exogène et l’agression sont basées sur des autoévaluations ou des entrevues. La majorité des études rapportent une relation positive, qu’elle soit signicative ou non, entre la testostérone exogène et l’agression, chez les deux sexes. Très peu d’études rapportent que cette relation est négative. 5. Relation entre la diminution de la testostérone et l’agression : La diminution de la testostérone, obtenue par castration chirurgicale ou chimique, réduirait de façon assez marquée les crimes de violence sexuelle. Dans certains cas, la castration peut entraîner une diminution importante de l’agression sexuelle et de la pédophilie, mais elle semble n’avoir que peu ou pas d’eet sur les crimes non sexuels, y compris les crimes violents. Cette constatation fait dire à certains (Boyd, 2000) que si les agressions sexuelles sont sous-tendues par des enjeux de pouvoir et de domination envers les victimes, elles présentent aussi une dimension sexuelle biologique indéniable. Les crimes de nature sexuelle (paraphilies) sont présentés en détail au chapitre 35. 6. Autres rôles de la testostérone dans l’agression : La testostérone jouerait un rôle dans les comportements de dominance sociale (armation de soi et dominance agressive) et cette relation serait aussi bidirectionnelle. De plus, la testostérone exercerait une action positive sur les habiletés visuospatiales,

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la vitesse de perception et la mémoire pour les deux sexes, ce qui s’avère très utile en situation de danger. Une revue récente de la littérature sur les mécanismes hormonaux et neurobiologiques du comportement agressif chez l’humain et les autres primates (de Almeida & al., 2015) conclut que la testostérone : • augmente la dominance et la compétitivité, l’« eet gagnant » et la préparation aux confrontations, l’activité de l’amygdale, l’impulsivité, l’irritabilité et la colère, le risque de comportement violent et l’agression (à des niveaux élevés de testostérone) ; • diminue l’activité du cortex orbitofrontal, la connectivité entre ce cortex et l’amygdale et la synthèse d’alloprégnanolone. Pour ce qui est des autres aspects endocriniens, l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS) a également été étudié (voir les gures supplémentaires). Le cortisol, hormone glucocorticoïde de la réponse neuroendocrinienne au stress, entraîne les eets suivants (de Almeida & al., 2015) : • augmente l’agression, la violence et a été associé à des traits de personnalité psychopathique (à des niveaux diminués de cortisol) ; • altère l’activité du cortex préfrontal ; • diminue les fonctions gonadiques, la synthèse des stéroïdes sexuels et l’activité de l’amygdale ; • interagit avec les eets de la testostérone ; • peut interférer avec le système sérotoninergique. La déhydroépiandrostérone (DHEA) et le sulfate de DHEA, des stéroïdes androgènes surrénaliens, augmentent l’agression et interagissent avec les eets de la testostérone (Soma & al., 2015), mais l’évidence de leur rôle serait encore plus faible que dans le cas de la testostérone. Les hormones féminines ont également fait l’objet de recherches, quoiqu’à un niveau moindre que les androgènes, dans les comportements violents. Les niveaux d’œstrogènes et de progestérone, qui connaissent des variations naturelles au cours du cycle menstruel, ont été mesurés à diérentes étapes du développement féminin. Ils ont aussi été l’objet de manipulations expérimentales. Le syndrome prémenstruel commence quatre jours avant le début des menstruations et se termine quatre jours après (période paramenstruelle). Ce syndrome ou sa forme plus sévère, le trouble dysphorique prémenstruel, se manifestent par de l’irritabilité, une humeur dépressive et des troubles du raisonnement. Les œstrogènes sont aussi impliqués dans la pathogenèse de la dépression postpartum et de la psychose postpartum, ces aections pouvant être associées à des comportements violents (infanticide et suicide).

Facteurs neuroendocriniens Les comportements violents pourraient résulter d’interactions anormales entre les systèmes hormonaux et de neurotransmission. Par exemple la testostérone régule l’expression de la MAO-A. La testostérone et la sérotonine sont impliquées dans l’agression impulsive. Un niveau de testostérone élevé, un niveau de cortisol bas et une neurotransmission sérotoninergique abaissée entraîneraient un comportement violent (Stahl & Morrissette, 2014). Les eets précis de ces substances au niveau du système nerveux central (SNC), sur le déclenchement ou le maintien des comportements agressifs, demeurent toutefois à être précisés.

Neurobiologie de la régulation de l’agression et de la violence Plusieurs circuits neuronaux et structures cérébrales sont impliqués dans la genèse et la régulation des comportements d’agression et de violence (LaPrairie & al., 2011). Diérents neurotransmetteurs (noradrénaline, dopamine, acétylcholine, sérotonine) participent à la régulation du comportement. L’intégrité du système limbique est importante pour la régulation des émotions en général. • L’amygdale : Au sein du système limbique, l’amygdale (ou complexe amygdalien) joue un rôle central dans l’évaluation émotionnelle des stimuli sensoriels et dans les réponses comportementales associées en particulier à la peur et à l’anxiété (fear conditioning) (Whalen & Phelps, 2009). Une dysfonction de l’amygdale peut se manifester par une absence de conditionnement par la peur ou, au contraire, un conditionnement par la peur excessif. Des lésions de l’amygdale chez l’humain suggèrent l’implication de cette structure dans l’attribution d’une valence (valeur positive ou négative) à un événement vécu, pour pouvoir y répondre par une émotion et un comportement appropriés. L’amygdale est impliquée dans la violence impulsive, c’est-à-dire avec peu de préoccupations quant aux conséquences (LaPrairie & al., 2011). L’amygdale reçoit des informations via plusieurs aérences (Watson & al., 2010) dont le thalamus qui est impliqué dans la réponse à la provocation. Ces informations sont relayées vers d’autres structures cérébrales et, de l’amygdale, partent des eérences notamment vers : – deux régions corticales : le cortex préfrontal (régulation du comportement) et le cortex d’association polymodal (cognition) ; – l’hypothalamus (régulation du système nerveux autonome [SNA] et des fonctions endocriniennes). Le cortex frontal inhibe les circuits de l’hypothalamus qui augmentent l’agression. Au milieu du siècle dernier, des lésions de l’hypothalamus ont été utilisées pour diminuer l’agressivité excessive de certains patients. • L’hippocampe : En lien avec le cortex préfrontal, l’hippocampe est impliqué dans la mémoire des événements personnels émotionnellement signicatifs (p. ex., les reviviscences du trouble de stress post-traumatique). • Le cortex cingulaire antérieur (cingulum) : Il fait également partie du système limbique et joue un rôle dans le traitement cognitif et émotionnel de l’information. Sa partie dorsale est impliquée dans l’expérience subjective de la colère à la suite d’une provocation directe (insulte ou autre attitude irrespectueuse). Des lésions du cingulum antérieur peuvent entraîner de l’inattention, une dysrégulation autonomique (de la pression artérielle et du rythme cardiaque) et une instabilité émotionnelle (LaPrairie & al., 2011). • Le cortex préfrontal : Les lobes frontaux exercent une action médiatrice sur le système limbique, et plus spéciquement, le cortex préfrontal module le comportement sous-cortical en inhibant les connexions entre l’amygdale et l’hypothalamus. Dans son ensemble, il est responsable du traitement cognitivoperceptuel de l’information et d’un bon fonctionnement exécutif. Des atteintes préfrontales peuvent résulter de traumatismes, de tumeurs ou de troubles métaboliques. Une dysfonction des régions préfrontales peut entraîner une altération de la capacité Chapitre 51

Agression, violence et dangerosité

1147

à interpréter la réalité, un trouble de la capacité à ressentir les expériences subjectives, une dysrégulation des réponses aectives, une réduction de l’inhibition de l’agression (avec augmentation de la violence émotionnelle, de l’agression réactive ou impulsive) ainsi qu’une incapacité à ressentir de la culpabilité ou des remords (p. ex., pensées insensibles et cruelles). Une telle dysfonction serait présente à divers degrés chez les utilisateurs de substances, les antisociaux ou sociopathes, les auteurs de délits sexuels, diérents types de criminels incarcérés, mais aussi chez les victimes de stresseurs répétés et de suicide. De façon plus spécique, le cortex préfrontal peut être subdivisé en trois régions, et des dysfonctions de ces régions entraînent des manifestations neurocomportementales variées : – Le cortex orbitofrontal est impliqué dans les processus aectifs et motivationnels, à savoir le contrôle du système limbique (contrôle des impulsions). Des anomalies structurales de ce cortex (p. ex., un dommage cérébral en bas âge, une diminution de la matière grise) ont été associées à des troubles des conduites. Des traumatismes craniocérébraux, des maladies dégénératives (p. ex., certaines démences frontotemporales) et des AVC peuvent aecter cette région (Blake & Grafman, 2006). Une dysfonction à ce niveau entraîne un syndrome de désinhibition comportementale avec perte du jugement social pouvant prendre diérentes formes : langage grossier, troubles du comportement sexuel (hypersexualité et comportements sexuels aberrants) et agression ou violence impulsive. Le tout est accompagné d’une faible capacité d’empathie. Une dysfonction orbitofrontale sous-tendrait aussi l’utilisation de substances et le jeu compulsif. – Le cortex préfrontal ventromédian joue un rôle clé pour activer les comportements d’entraide, en faisant des associations entre les émotions et la cognition. Une dysfonction à ce niveau entraîne une inhibition de la crainte, un traitement TABLEAU 51.4

décitaire des indices sociaux spéciques à l’espèce (p. ex., des traits psychopathiques), un risque accru de réagir aux frustrations par des comportements agressifs ou violents. – Le cortex préfrontal dorsolatéral est impliqué dans des processus cognitifs complexes tels que le contrôle exécutif comprenant la planication, le raisonnement déductif et la prise de décision. Une dysfonction à ce niveau entraîne un syndrome dysexécutif qui se manifeste par des symptômes : a) cognitifs : des problèmes d’attention, des mémoires de travail et à court terme, des problèmes d’abstraction, des dicultés à comprendre le point de vue de l’autre et un trouble du jugement social ; b) émotionnels : une diculté à inhiber diérents types d’émotions comme la frustration et la colère ; c) comportementaux : des réponses sociales inappropriées, de l’impulsivité, pouvant mener à une agression. Un traumatisme craniocérébral ou un AVC peuvent être à l’origine de ce syndrome. Une telle dysfonction serait aussi présente chez certains individus antisociaux.

Dysfonction des neurotransmetteurs et des neuropeptides Les neurotransmetteurs (ou neuromédiateurs) sont des substances impliquées dans l’activation ou l’inhibition comportementale, et les expériences prénatales et précoces de la vie auraient une inuence déterminante sur les systèmes de neurotransmetteurs impliqués dans l’agression chez les mammifères (Yanowitch & Coccaro, 2011). Diérents neurotransmetteurs (ou neuromédiateurs) et neuropeptides (ou neuromodulateurs) jouent un rôle important dans la physiologie de plusieurs fonctions du corps humain. Une dysfonction de certains d’entre eux est impliquée dans l’agressivité et la violence (voir le tableau 51.4 et les gures supplémentaires).

Rôles physiologiques et effets sur l’agressivité ou la violence de différents neurotransmetteurs et neuropeptides Neurotransmetteurs (ou neuromédiateurs) Rôles physiologiques Effets sur l’agressivité ou la violence

Sérotonine (5-HT)

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• Action inhibitrice au niveau du SNC • Régulation de l’humeur, des impulsions, de l’agressivité (Bartolato & al., 2013) et du cycle veille-sommeil • Augmentation du cortisol et peut augmenter l’alloprégnanolone • Modulation de son action par les stéroïdes sexuels

• De bas niveaux de sérotonine (dans les cortex cingulaire antérieur et orbitofrontal) ont été associés : – à de l’irritabilité – à de l’impulsivité – à de l’agression (réactive et instrumentale) – à de la violence – à des comportements criminels (Quadros & al., 2010) – à différents diagnostics psychiatriques (dépression, schizophrénie, troubles des conduites) et troubles de la personnalité antisociale • Une plus grande densité des récepteurs 5-HT1a (dans les cortex orbitofrontal, préfrontal ventromédian et cingulaire antérieur) est aussi associée avec l’agression • La sérotonine diminue l’agressivité induite par la testostérone et la vasopressine • De bas niveaux de son métabolite, le 5-HIAA (ayant également une action inhibitrice), ont été associés : – à une désinhibition comportementale – à la personnalité et à des comportements antisociaux – à la cruauté envers les animaux – à l’agression – à l’homicide – aux comportements suicidaires et au suicide

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

TABLEAU 51.4

Rôles physiologiques et effets sur l’agressivité ou la violence de différents neurotransmetteurs et neuropeptides (suite) Neurotransmetteurs (ou neuromédiateurs) Rôles physiologiques Effets sur l’agressivité ou la violence

Dopamine

• Action excitatrice au niveau du SNC • Régulation de l’attention, de l’apprentissage, du plaisir-récompense (euphorie), des pulsions et des mouvements

• De hauts niveaux de dopamine (dans le cortex préfrontal et le striatum) ont été associés : – au comportement agressif – à la violence physique – à la criminalité – à la dépendance aux drogues – au TDA/H adulte

Noradrénaline

• Action excitatrice au niveau du SNC • Régulation de l’état d’éveil, de l’attention, de la vigilance, de l’intérêt, de l’énergie et de l’alimentation

• La noradrénaline joue un rôle dans : – l’impulsivité – la recherche de sensations – la prise de risques – l’agitation – l’agression (affective) – la criminalité

GABA

• Principal neurotransmetteur inhibiteur du SNC (effet anxiolytique et relaxant) • Contrebalance les effets excitateurs du glutamate

• Des niveaux intermédiaires de GABA (dans l’amygdale et l’hippocampe) augmentent le risque d’agression

Acétylcholine et glutamate

• Action excitatrice au niveau du SNC • Régulation de la mémoire et de l’apprentissage

• De hauts niveaux (dans l’amygdale et l’hippocampe) augmentent le risque d’agression

Alloprégnanolone

• Effet anxiolytique par sa xation aux récepteurs GABAA

• Effet anti-agressif

Neuropeptides (ou neuromodulateurs) Vasopressine

• Hormone neurohypophysaire sexuellement dimorphique • Interaction avec les effets de la testostérone et avec l’axe HHS • Peut interagir avec le système sérotoninergique

• Augmentation de l’impulsivité et l’agression

Ocytocine

• Hormone de l’attachement, essentielle à la vie en groupe (social bonding) chez les mammifères (De Dreu & Kret, 2015) : – empathie envers les autres membres du groupe – conformité aux normes et aux pratiques culturelles du groupe – conance et coopération, contribuant à une meilleure défense du groupe – régulation du stress et, ultimement, favorise la santé mentale

• Des expériences précoces défavorables altéreraient les comportements sociaux régulés par l’ocytocine et la vasopressine

Source : Adapté de Almeida & al. (2015) (en plus des références citées dans le tableau).

Enn, il faut aussi considérer les interactions de ces neurotransmetteurs entre eux et le rôle que les substances psychoactives (troubles liés à l’utilisation d’alcool et de drogues) exercent sur ces systèmes pour en altérer le fonctionnement.

Psychophysiologie Diérents états d’activation corporels peuvent être détectés par diverses mesures psychophysiologiques : • Mesures de la réponse autonomique : Certains psychopathes et d’autres personnes antisociales ont un rythme cardiaque



lent au repos de même qu’une faible activité électrodermale au test de conductance cutanée. Cela traduit un hypofonctionnement du SNA (faible réponse autonomique) et expliquerait pourquoi ces personnes rechercheraient les sensations fortes pour compenser leur sous-stimulation chronique. Mesures de la réponse électrocorticale (EEG) : Pour ce qui est de l’électroencéphalographie, les trouvailles sont variées et inconsistantes selon les études. Si des anomalies épileptiformes sont mises en évidence à l’EEG, le geste violent doit être en lien avec l’activité épileptique.

Chapitre 51

Agression, violence et dangerosité

1149

Neuro-imagerie Des techniques d’imagerie cérébrale (CT­scan, IRM, IRMf, TEP, SPECT­scan) ont été utilisées chez diérentes catégories de délin­ quants violents (violent oenders) : antisociaux, psychopathes, meurtriers, patients de psychiatrie légale et patients violents. Ces catégories, assez hétérogènes en elles­mêmes, donnent lieu à des résultats variés, dicilement interprétables et généralisables. Les trouvailles les plus rapportées sont une activité réduite du cortex préfrontal reétée par un métabolisme du glucose diminué à la tomographie à émission de positons (TEP) et une dysfonction de l’hémisphère droit à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf ) (van der Gronde & al., 2014).

51.3.2 Étiologies psychologiques Les neurosciences cognitives s’intéressent aux mécanismes neurobiologiques qui sous­tendent la cognition. Les recherches dans ce domaine montrent que des problèmes de la mère durant la grossesse (malnutrition, tabagisme, utilisation de substances), une expérience précoce de maltraitance ou un traumatisme craniocérébral peuvent entraîner une dysfonction cérébrale chez l’enfant. Plusieurs personnes violentes à l’âge adulte présentent un QI moindre (notamment sur les plans des habiletés mathématiques et verbales), des dicultés d’attention, des dysfonctions exécutives (dysfonction du cortex préfrontal), des troubles d’apprentissage durant leur parcours scolaire et des troubles cognitifs. D’autres facteurs psychologiques ayant été associés à des comportements violents gurent au tableau 51.5. TABLEAU 51.5 Facteurs psychologiques ayant été associés

à des comportements violents

Facteurs psychologiques

Exemples

États émotionnels négatifs

• • • • •

Caractéristiques de la personnalité

• Tendance à : – l’interprétation, la suspicion, la méance – l’externalisation, la projection sur autrui – l’impulsivité • Personnalités : – antisociale, psychopathique – paranoïde – limite – narcissique

Frustration, irritabilité Colère Envie, jalousie morbide Faible estime de soi Désespoir

Motivations/cognitions • Volonté d’exercer une dominance sur et rationalisations les autres • Sens de justice personnelle, revanche planiée • Égocentrisme Symptômes et troubles • Délire paranoïde et hallucinations impépsychiatriques rieuses dans la schizophrénie paranoïde Comportements

• Non-observance du traitement pharmacologique • Excitation, agitation

Source : Adapté de Flannery (2009), p. 57.

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51.3.3 Étiologies socio-environnementales Les neurosciences sociales s’intéressent aux mécanismes neuro­ biologiques qui sous­tendent les relations interpersonnelles. Elles s’attardent : • à l’attachement et à la régulation aective ; • aux facteurs motivationnels et émotionnels et aux processus cérébraux impliqués dans la façon dont nous évaluons les informations et les situations sociales (p. ex., situation de conance ou de menace, de coopération ou de compétition, xénophobie) ; • au développement du sens moral (équité envers les autres) et aux émotions morales : – l’empathie : capacité à ressentir les émotions de l’autre (cortex préfrontal médian et cingulaire antérieur) ; – l’altruisme : capacité à donner, voire à se sacrier pour l’autre (cortex préfrontal ventromédian). Des dysfonctions au niveau du cortex préfrontal peuvent interférer avec l’habileté de la personne à développer la théorie de l’esprit, c’est­à­dire à être capable de concevoir ce que l’autre peut penser, de détecter ses intentions. Le tableau 51.6 rapporte d’autres facteurs socio­environne­ mentaux ayant été associés à des comportements violents. TABLEAU 51.6 Facteurs socio-environnementaux

ayant été associés à des comportements violents

Facteurs socioenvironnementaux

Exemples

Caractéristiques sociodémographiques

• Faible niveau socio-économique • Manque de soutien social • Faible scolarité, être sans emploi

Antécédents développementaux

• Dans l’environnement familial précoce : – style parental violent – maltraitance et victimisation • Durant l’enfance (négligence, violences diverses)

Conditionnement et apprentissage

• Exposition à des modèles déviants ou violents

Attitudes

• Valorisation d’un stéréotype masculin violent • Misogynie, intérêt pour la pornographie • Attitudes favorables de la personne envers la criminalité et la violence

Relations avec les pairs

• Appartenance à un groupe de pairs criminalisés • Pression des pairs (p. ex., gangs de rue)

Habiletés sociales

• Habiletés sociales décitaires

Contexte situationnel

• Instabilité, conit interpersonnel • Facteurs stresseurs et stimuli précipitant la violence

Interactions dans la dyade agresseur-agressé

• Séquence et escalade des événements (incident => insultes => menaces de violence => agression physique)

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

TABLEAU 51.6 Facteurs socio-environnementaux

ayant été associés à des comportements violents (suite)

Facteurs socioenvironnementaux Inuences diverses

Exemples • Culture • Médias • Accès à des moyens létaux (p. ex., armes à feu) • Exposition à des substances toxiques : – alcool, drogues – plomb, manganèse • Décience en fer

Source : Adapté de Flannery (2009), p. 53-56.

51.4 Évaluation du risque de violence (dangerosité) Dans le cadre de son travail, le psychiatre a souvent à évaluer le risque de violence (dangerosité) pour un patient donné. Cette évaluation peut être relativement rapide et succincte lorsqu’il s’agit d’octroyer des sorties à un patient hospitalisé connu qui se rétablit ou de demander une ordonnance de garde en établissement pour un patient agité en psychose paranoïde aiguë amené par la police. Elle est plus élaborée lorsqu’elle est requise par un tiers, par exemple en vue d’une audience devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ), pour justier la nécessité d’une détention stricte ou d’un mandat en ambulatoire assorti de conditions d’encadrement, ou encore pour appuyer une demande d’ordonnance de traitement contre le gré d’un patient en Cour supérieure. Le psychiatre aborde les grandes rubriques de l’anamnèse psychiatrique, à cette diérence qu’il s’attarde plus particulièrement à la présence de certains facteurs de risque de violence, dont les principaux sont mentionnés dans le tableau 51.6. Ces facteurs ne se retrouvent pas tous chez une même personne, mais leur présence doit signaler au clinicien la possibilité d’un risque accru de violence du patient. L’anamnèse psychiatrique est présentée en détail au chapitre 3 et au chapitre 53, à la section 53.3. Les facteurs de risque sont des variables qui ont été associées empiriquement à la probabilité qu’un comportement violent se produise. • Les facteurs de risque statiques sont des variables historiques ou qui ne sont habituellement pas modiables par une intervention donnée (p. ex., le sexe, l’âge ou le statut socio-économique). • Les facteurs de risque dynamiques sont des variables sujettes à changer avec le temps ou qui sont modiables par une intervention donnée (p. ex., les symptômes cliniques, l’utilisation de substances psychoactives ou l’observance du traitement). – Identication : cette section permet de remarquer certains facteurs de risque démographiques classiques de comportement violent : être une personne jeune (de 15 à 24 ans

en particulier et de moins de 35 ans), de sexe masculin, célibataire, provenant d’un milieu socio-économique désavantagé, ayant une faible scolarité et étant sans emploi. Les hommes sont plus susceptibles de commettre un crime, un crime violent, un homicide, d’aller en prison ou dans un hôpital psychiatrique à la suite d’une ordonnance d’examen mental, sur la base du risque qu’ils posent (Bartlett, 2010). Les femmes incarcérées, quant à elles, présentent une prévalence élevée d’utilisation de substances, de trouble de stress post-traumatique, de trouble de la personnalité et d’abus sexuels durant l’enfance. Elles ont souvent une faible scolarisation. – Antécédents personnels médicochirurgicaux : certaines affections médicales, particulièrement lorsqu’elles touchent le SNC, sont susceptibles d’être associées à des comportements violents (voir le tableau 51.6). Ces agressions peuvent résulter de différents facteurs : a) agitation psychomotrice, désinhibition comportementale et perte de jugement social ; b) faible tolérance à la frustration (irritabilité) et impulsivité accrue ; c) dysfonction exécutive ; d) diminution de la capacité à résoudre des problèmes. Généralement, ces agressions ont tendance à présenter les caractéristiques suivantes (Flannery, 2009) : a) Elles sont disproportionnées par rapport aux stimuli insigniants ou anodins qui les ont déclenchées. b) Elles sont habituellement non planiées. c) Elles n’ont pas pour but d’obtenir de gains et ne visent pas d’objectifs à long terme. d) Elles ont un début soudain et une n abrupte. e) Elles contrastent avec de longues périodes de calme relatif. f ) Après l’incident, les patients sont fâchés, préoccupés, embarrassés et peuvent parfois exprimer du regret. – Antécédents personnels judiciaires : l’étude des antécédents judiciaires de la personne est particulièrement importante étant donné que le meilleur prédicteur de comportements violents futurs demeure encore l’histoire de violence antérieure. Les comportements violents commencent typiquement durant l’enfance ou la jeune adolescence et peuvent en rester là. Mais les personnes qui présentent un pattern persistant sont plus sujettes à l’agression et aux délits sérieux. En plus du délit actuel, s’il y a lieu, le psychiatre cherche donc à mettre en évidence une histoire de délinquance juvénile, de comportements violents à l’adolescence et à l’âge adulte. Il cherche à détailler l’histoire criminelle tant violente que non violente. Il regarde l’adaptation en institution si la personne a été incarcérée ou hospitalisée et le comportement lors des libérations antérieures dans la communauté. – Habitudes de vie : La consommation d’alcool entraîne diérents eets chez les utilisateurs, ceux-ci étant habituellement dépendants de la dose ingérée : a) une altération du traitement cognitif de l’information provenant de l’environnement ; Chapitre 51

Agression, violence et dangerosité

1151

b) des eets émotionnels, comme une augmentation de la susceptibilité, de l’irritabilité, pouvant aller jusqu’à de la paranoïa ; c) une désinhibition comportementale sous forme d’impulsivité. L’alcoolisme chronique, tout comme l’hyperalcoolisation rapide (binge drinking), indépendamment de la présence d’autres diagnostics, accroît le risque non seulement de manifester des comportements violents, mais aussi d’être victime de violence. Il en va de même pour l’utilisation de substances (drogues) (voir le tableau 51.7). – Médicaments et traitements : le médecin s’enquiert des médicaments pris par la personne et de son observance du traitement. C’est aussi l’occasion de savoir quels traitements ont déjà été ecaces ou non. – Histoire personnelle : durant son développement, le patient peut avoir été soumis à diérents types d’abus tant psychologiques que physiques (être témoin de violence intrafamiliale ou dans la communauté, être victime de maltraitance physique, d’abus sexuels, survivre à des accidents sérieux). Il peut en résulter un dommage cérébral entraînant des symptômes neuropsychiatriques associés à des agirs violents ultérieurs. Une exposition à la violence durant l’enfance, en tant que témoin ou victime, augmente le risque de : a) troubles internalisés (troubles où prédominent des symptômes anxieux, dépressifs ou somatiques) ; b) troubles anxieux (p. ex., trouble de stress posttraumatique) ; c) dépression, de même que la gravité et la chronicité des dépressions ; d) problèmes physiques ; – troubles externalisés (troubles où prédominent l’impulsivité, les troubles des conduites et l’utilisation de substances) :

a) b) c) d)

dicultés dans les relations avec les pairs ; problèmes à l’école ; trouble lié à l’utilisation de substances ultérieur ; relations de fréquentations (dating) ou intimes violentes, en tant que victime ou agresseur ; e) problèmes de parentage et de maltraitance de ses propres enfants ; f ) perpétration d’agressions. – Histoire scolaire et professionnelle : elle peut mettre en évidence des dicultés scolaires, des troubles des conduites et des problèmes dans les relations interpersonnelles. Les raisons de cessation d’emploi informent souvent sur la personnalité du patient. – Développement et comportement psychosexuels : cette rubrique est surtout abordée dans le contexte de violence sexuelle. Les paraphilies sont présentées en détail au chapitre 35. – Histoire relationnelle : elle permet aussi de mettre en évidence des problèmes dans les relations interpersonnelles. Là encore, les raisons de n de relations renseignent souvent sur la personnalité du patient. Durant son anamnèse, le psychiatre a avantage à reconnaître diérents facteurs de risque de violence présents chez un patient. Les principaux gurent dans le tableau 51.7. De la même façon, les facteurs de risque de violence sont remarqués lors de l’examen mental du patient. Ils sont organisés dans le tableau 51.8 en fonction des grandes rubriques de l’examen mental. Les comportements violents ne correspondent pas à un diagnostic spécique et une majorité de diagnostics du DSM-5 peuvent être associés à un risque de violence accru (voir le tableau 51.9).

TABLEAU 51.7 Facteurs de risque de violence à reconnaître lors de l’anamnèse

Rubriques de l’anamnèse et facteurs de risque

Commentaires cliniques

Identication et caractéristiques socio-démographiques • Jeune adulte (de 15 à 24 ans et de moins de 35 ans), de sexe masculin • Faible statut socio-économique

• Il s’agit du portrait type, mais, bien sûr, des comportements violents peuvent survenir dans toutes les catégories d’âges.

Sources d’informations utilisées • • • •

Entrevue(s) structurée(s) avec le patient Entrevue(s) collatérale(s) avec des proches Consultation des dossiers Documentation ofcielle (p. ex., rapport de police, jugement de cour)

• Utiliser toutes les sources d’informations disponibles légalement, pour obtenir un portrait le plus détaillé possible.

Avertissement concernant les limites de la condentialité • Aviser la personne des limites de la condentialité avant d’amorcer l’entretien : – possibilité que ses propos apparaissent dans le rapport qui sera rédigé – obligation du psychiatre de rapporter une situation (signalement) concernant les Centres jeunesse – possibilité qu’il soit relevé de son secret professionnel par un juge d’une cour criminelle

1152

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

TABLEAU 51.7 Facteurs de risque de violence à reconnaître lors de l’anamnèse (suite)

Rubriques de l’anamnèse et facteurs de risque

Commentaires cliniques

Antécédents personnels médicochirurgicaux • État confusionnel (delirium) • Traumatismes craniocérébraux

• • • • • •

Épilepsie temporale Accidents vasculaires cérébraux (AVC) Infections du SNC Maladies inammatoires Maladies dégénératives Troubles du mouvement

• • • •

Tumeurs du SNC Hydrocéphalie à pression normale Intoxication ou sevrage de substances Substances toxiques

• Parasomnies • Troubles endocriniens, troubles électrolytiques

• Les troubles médicaux, à leur origine, sont d’étiologies variées. • Agression impulsive et agression épisodique, particulièrement lorsque les régions suivantes sont affectées : – cingulum antérieur – cortex médian (surtout ventromédian), préfrontal dorsolatéral et orbitofrontal • Peut être à l’origine d’agressions ictale, postictale et interictale • Ischémie et hypoxie cérébrale • Encéphalite herpétique (HSV-1), au VIH, rage • Sclérose en plaques • Démence de type Alzheimer, vasculaire, frontotemporale • Maladie de Parkinson, maladie de Wilson, maladie de Huntington, syndrome de Gilles de la Tourette, akathisie secondaire à la médication • Tumeur hypothalamique • Triade confusion, ataxie, incontinence • Alcool, drogues • Intoxication au plomb pouvant entraîner des troubles cognitifs, de l’impulsivité et des comportements agressifs • Dans de rares cas, agression, violence envers la partenaire, agression sexuelle, autres crimes sexuels et même homicides ont été décrits • Étiologies variées

Antécédents personnels psychiatriques • • • • •

Histoire de troubles des conduites durant l’enfance et l’adolescence Trouble oppositionnel avec provocation Antécédents de psychose Réponse antérieure au traitement Mauvaise collaboration antérieure au traitement (attitude négative, non-observance)

• Permettent de documenter des problèmes ayant déjà été présents chez le patient, leur âge de survenue et leur évolution.

Antécédents personnels judiciaires • Début précoce de la violence • Histoire antérieure de violence et de comportements impulsifs : – violence envers les personnes, les animaux et les biens matériels – nature et circonstances avec autant de détails que possible • Menaces et fantaisies violentes • Attitudes antisociales, criminelles, violentes • Justication donnée pour la violence, minimisation, projection sur autrui • Histoire de criminalité non violente

• Règle générale, l’histoire antérieure de comportements violents demeure le meilleur prédicteur de violence future. • Établir si les comportements violents sont apparus précocement, ont constitué une période circonscrite dans la vie de la personne ou s’il s’agit d’un pattern persistant.

Antécédents familiaux médicochirurgicaux Si pertinents, p. ex., une maladie génétique transmissible avec symptomatologie comportementale Antécédents familiaux psychiatriques Rechercher leur présence systématiquement Antécédents familiaux criminels • Criminalité parentale

• Renseigne sur l’environnement dans lequel la personne a grandi.

Allergies Si pertinent

Chapitre 51

Agression, violence et dangerosité

1153

TABLEAU 51.7 Facteurs de risque de violence à reconnaître lors de l’anamnèse (suite)

Rubriques de l’anamnèse et facteurs de risque

Commentaires cliniques

Habitudes • Utilisation, abus, intoxication, delirium, dépendance, sevrage de substances (alcool, drogues, médicaments)

• Pour l’alcool, on recherche une implication dans des bagarres, des voies de fait, des arrestations. • Conduite en état d’ébriété • Perte d’emploi • Symptômes de sevrage (tremblements, delirium tremens, hallucinose alcoolique) ou périodes d’amnésie (blackouts) qui renseignent sur l’importance de la consommation • Son effet chez le patient (désinhibition, irritabilité, paranoïa) • En plus de l’alcool, rechercher particulièrement l’utilisation des substances suivantes : – cocaïne – amphétamine – PCP – cannabis – opiacés – benzodiazépines – hallucinogènes (LSD et MDMA) – stéroïdes anabolisants

Médicaments et traitements • Observance du traitement

• Reète souvent si le trouble psychiatrique est bien contrôlé et le degré d’introspection (insight) par rapport à la présence d’une maladie.

Histoire personnelle • Provenance d’un milieu socialement désavantagé • Histoire de victimisation (abus, maltraitance durant l’enfance) • Victimisation récente

• Renseigne sur le milieu dans lequel la personne a grandi. • Une histoire de victimisation, quelle qu’elle soit, est un facteur important de risque de violence futur.

Histoire scolaire et professionnelle • Faible scolarité et problèmes d’emploi

• Renseigne sur de possibles problèmes d’apprentissage, la constance au travail et des problèmes avec les pairs ou l’autorité.

Développement psychosexuel Abordé dans le contexte de violence sexuelle. Histoire relationnelle • • • •

Absence de relation affective ou ruptures multiples Instabilité affective Faible réseau et manque de soutien social Association avec des pairs antisociaux, criminalisés

• Peut renseigner sur la présence de problèmes d’attachement, de traits ou de troubles de la personnalité.

Sources : Adapté de Clark & Natarajan (2011), p. 68-81 ; Tardiff & Hughes (2011), p. 335-339.

La violence sexuelle est présentée en détail au chapitre 35. TABLEAU 51.8

Facteurs de risque de violence à reconnaître lors de l’examen mental Rubriques et facteurs de risque

Commentaires cliniques

Orientation • Désorientation

• Considérer un delirium ou un autre trouble neurocognitif, une intoxication à une substance.

Apparence et comportement • Agitation

• Il ne s’agit pas d’un diagnostic comme tel, et les causes d’agitation sont nombreuses (voir la section 51.1).

Affect • Irritabilité, colère, méance (suspicion)

1154

• Ces états affectifs précèdent souvent une agression.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

TABLEAU 51.8

Facteurs de risque de violence à reconnaître lors de l’examen mental (suite) Rubriques et facteurs de risque

Commentaires cliniques

Pensée • Symptômes dépressifs : – idées suicidaires – idées suicidaires altruistes, c.-à-d. pour que l’autre « ne souffre pas », « pour quitter un monde mauvais » • Symptômes psychotiques : – délires de persécution (paranoïdes) – délires de menace/de contrôle (threat/control override symptoms) – jalousie morbide (syndrome d’Othello) – délires de fausses reconnaissances (misidentication syndromes)

• Plus que les diagnostics psychiatriques comme tels, ce sont surtout les symptômes de cette rubrique qui sont associés à un risque de violence accru envers soi-même ou les autres.

Perception • Hallucinations auditives impérieuses (command ou mandatory hallucinations) et capacité de la personne d’y résister

• Peuvent être un facteur important de passage à l’acte chez les patients psychotiques.

Questions plus spéciques à la violence • Qui ? (la ou les victimes potentielles) – l’employeur – un membre de la famille – un personnage en vue – un inconnu

• Relations du patient avec la ou les victimes potentielles

• Quoi ? (la nature du comportement violent) : – pensées, idées et fantaisies violentes – violence ou menaces de violence – gravité, ampleur – faisabilité, réalisme – probabilité, niveau de risque – fréquence – signes avant-coureurs – peur d’agir (p. ex., phobie d’impulsion) vs intention, désir d’agir – perception que la personne a de son autocontrôle vs de son risque de passer à l’acte

• Menaces voilées (vagues) ou claires (explicites) • Victimes et moyens accessibles (armes)

• Quand ? (le moment de survenue)

• Récemment • Prochainement : imminence, court terme, long terme

• Où ? (l’endroit)

• Dans la rue, au travail, au domicile

• Pourquoi ? (les raisons, les motivations)

• Ressentiment, vengeance, jalousie

• Comment ? (la façon, le plan d’action)

• Degré de planication • Pattern répétitif

Sources : Adapté de Clark & Natarajan (2011), p. 68-81 ; Tardiff & Hughes (2011), p. 335-339 ; Webster & al. (2014), p. 33-46.

TABLEAU 51.9 Diagnostics du DSM-5 pouvant être associés à un risque de violence accru

Catégories diagnostiques

Commentaires cliniques

Troubles neurodéveloppementaux • Décience intellectuelle • Trouble du spectre de l’autisme • TDA/H

• Un changement de routine ou les moments de transition peuvent constituer un stresseur signicatif pour ces patients. • Manque de jugement et impulsivité

Chapitre 51

Agression, violence et dangerosité

1155

TABLEAU 51.9 Diagnostics du DSM-5 pouvant être associés à un risque de violence accru (suite)

Catégories diagnostiques

Commentaires cliniques

Spectre de la schizophrénie et autres troubles psychotiques • • • • • • • •

Troubles délirants paranoïde, érotomaniaque, à type de jalousie Trouble psychotique bref Trouble schizophréniforme Schizophrénie Trouble schizoaffectif Trouble psychotique induit par une substance/un médicament Trouble psychotique dû à une autre affection médicale Catatonie

• • • • • • • • • •

Histoire criminelle Comportement hostile, faible contrôle des impulsions Agitation psychomotrice Altération variable du contact avec la réalité Délire de persécution et surtout si un persécuteur est identié, délire de jalousie, degré d’envahissement du délire Syndrome d’inuence avec ordre de violence, dysfonction cognitive, manque d’introspection (insight ) Non-observance des traitements psychologiques et de la médication, Trouble d’utilisation de substances récent La victime est souvent un membre de la famille. Rechercher une cause médicale en cas de catatonie

Troubles bipolaires et apparentés • Trouble bipolaire • Trouble bipolaire et apparenté induit par une substance/un médicament • Trouble bipolaire et apparenté dû à une autre affection médicale

• Agitation psychomotrice, irritabilité, manque de jugement, délire mégalomaniaque et surtout si contrarié par un tiers • Il y aurait un sous-type de manie dans lequel l’agression serait une caractéristique centrale.

Troubles dépressifs • • • • •

Trouble disruptif avec dysrégulation émotionnelle Trouble dépressif majeur Trouble dysphorique prémenstruel Trouble dépressif induit par une substance/un médicament Trouble dépressif dû à une autre affection médicale

• Un épisode dépressif majeur d’intensité sévère avec idées d’incurabilité et idées suicidaires peut être vécu par le patient comme la seule issue à une situation perçue comme insupportable. • Les victimes sont souvent des membres de la famille (p. ex., suicide élargi à d’autres personnes ou homicide-suicide).

Troubles obsessionnels-compulsifs et apparentés Lorsque le patient est contrarié dans ses rituels. Troubles liés à des traumatismes ou à des facteurs de stress • Trouble de stress post-traumatique • Trouble de stress aigu • Trouble de l’adaptation avec perturbation des conduites

• Un indice environnemental semblable à ceux présents lors de l’exposition au stresseur peut entraîner des reviviscences et déclencher une réaction agressive. • La réaction agressive peut aussi résulter d’un cumul de facteurs de stress.

Troubles dissociatifs • Dépersonnalisation

• Perte de contact avec la réalité

Troubles de l’alternance veille-sommeil • Rarement, certaines parasomnies peuvent s’accompagner de gestes violents (voir le tableau 51.6). Troubles disruptifs, du contrôle des impulsions et des conduites • • • •

Trouble oppositionnel avec provocation Trouble explosif intermittent Trouble des conduites Pyromanie

• Ces diagnostics sont fréquemment retrouvés à l’histoire des patients violents.

Troubles liés à l’utilisation de substances et dépendances • Troubles liés : – à l’alcool – au cannabis – aux hallucinogènes (PCP) – aux inhalants – aux opiacés – aux sédatifs, aux hypnotiques ou aux anxiolytiques – aux stimulants (amphétamines, cocaïne)

1156

• Selon la ou les substances : désinhibition, troubles de l’humeur, altération du contact avec la réalité et paranoïa

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

TABLEAU 51.9 Diagnostics du DSM-5 pouvant être associés à un risque de violence accru (suite)

Catégories diagnostiques

Commentaires cliniques

Troubles neurocognitifs • • • • • • • • • • • • •

État confusionnel (delirium) Trouble neurocognitif dû à la maladie d’Alzheimer Trouble neurocognitif frontotemporal Trouble neurocognitif avec corps de Lewy Trouble neurocognitif vasculaire Trouble neurocognitif dû à une lésion cérébrale traumatique (traumatisme craniocérébral) Trouble neurocognitif induit par une substance/un médicament Trouble neurocognitif dû à une infection par le VIH Trouble neurocognitif dû à une maladie à prions Trouble neurocognitif dû à la maladie de Parkinson Trouble neurocognitif dû à la maladie de Huntington Trouble neurocognitif dû à une autre affection médicale Trouble neurocognitif dû à des étiologies multiples

• Symptômes : – Désorientation – Agitation psychomotrice – Manque de jugement – Désinhibition, impulsivité – Troubles cognitifs – Paranoïa

Troubles de la personnalité • • • • •

Paranoïaque Antisociale (dont la psychopathie) Limite Narcissique Changement de la personnalité dû à une autre affection médicale : – Types labile, désinhibé, agressif, paranoïde

• Symptômes : – Manque de tolérance aux frustrations – Irritabilité, uctuations de l’humeur – Paranoïa – Recherche de gains secondaires (chez les personnalités antisociale et psychopathique) – Rage (chez les personnalités borderline et narcissique)

Troubles paraphiliques • P. ex., pédophilie, sadisme sexuel Effets indésirables induits par un médicament • Akathisie induite par un médicament Autres situations pouvant faire l’objet d’un examen clinique • Cette section du DSM-5 regroupe un ensemble de situations ayant trait, notamment, aux sévices et à la négligence, et des problèmes liés à la criminalité ou à une interaction avec la justice. Sources : Adapté de Witt & al. (2013) ; APA (2015).

51.5 Outils diagnostiques Ronan et ses collaborateurs (2014) ont recensé près de 130 instruments d’évaluation, conçus pour mesurer diérentes dimensions de la colère (36 instruments), de l’agression (37 instruments) et de la violence (54 instruments). Ces instruments peuvent être utiles pour le clinicien, mais la plupart sont surtout utilisés en recherche et en contexte médicolégal. Il existe diérentes approches pour l’évaluation du risque de violence : • L’approche clinique non structurée, ou jugement professionnel non structuré, est basée uniquement sur le jugement du clinicien, à la suite de son évaluation. Elle n’utilise pas d’outils d’évaluation ni d’indicateurs de risque clinique. Elle est hautement subjective, puisqu’elle dépend essentiellement de son expérience clinique et de ses impressions. Cette approche seule peut ne pas être susamment précise pour évaluer le risque de violence.

• L’approche actuarielle utilise des méthodes d’évaluation formelles telles que des outils comme le HCR-20 (Webster & al., 1997) ou des algorithmes cliniques. De l’information est obtenue sur un nombre de variables prédictives spéciées et ensuite combinée en utilisant une formule préétablie pour fournir une estimation du risque nal. Il existe des instruments actuariels statiques et des instruments actuariels statiques et dynamiques, selon la nature des variables considérées.

• Le jugement professionnel structuré, ou évaluation clinique structurée, combine : – les données factuelles (évidence existante) concernant des facteurs de risque identiés ; – une évaluation structurée du patient ; – une dénition des problèmes identiés ; – un plan de gestion du risque (plan de traitement de ces problèmes).

Chapitre 51

Agression, violence et dangerosité

1157

Les formes d’évaluation structurées du risque de violence auraient une plus grande validité prédictive que les évaluations cliniques non structurées. Il n’y a pas actuellement de consensus concernant la forme d’évaluation structurée du risque de violence ayant la plus grande validité prédictive. Parmi les outils les plus fréquemment utilisés dans l’évaluation structurée du risque de violence, mentionnons les suivants : • le HCR-20 (Historical Clinical Risk, Webster & al., 1997) : outil qui considère le risque et les besoins du patient ; • la PCL-R (Hare Psychopathy Checklist-Revised, Hare, 2003) : outil diagnostic de la psychopathie, telle qu’elle est dénie par cette échelle, qui augmente signicativement le risque de diérents types de violence et de récidives violentes ; • le VRAG (Violence Risk Appraisal Guide, Harris & al., 1993) et le COVR (Classication of Violence Risk, Monahan & al., 2005) : outils actuariels orientés sur la prédiction ; • le DA (Danger Assessment, Campbell, 1995) et le SARA (Spousal Assault Risk Assessment Guide, Campbell, 2007) : outils pouvant être utilisés dans les cas de violence conjugale ; • les instruments d’évaluation intégrés comme le LS/CMI (Level of Service/Case Management Inventory, Andrews & al., 2012) : outil actuariel, qui en plus du risque, considère les besoins du délinquant et sa réceptivité au traitement (capacité d’apprentissage, motivation et forces). Les approches actuarielles et le jugement professionnel structuré sont similaires dans la sélection des données et leur codication, mais dièrent dans la combinaison de ces données. Ces deux approches sont soutenues empiriquement à des niveaux comparables (précision des prédictions). Toutefois, le jugement professionnel structuré, ou évaluation clinique structurée, semble obtenir la faveur d’un bon nombre de cliniciens. On peut aussi ajouter, lorsque cela est pertinent, d’autres tests psychométriques qui peuvent apporter un complément utile à l’évaluation du risque pour un patient donné (évaluation de l’intelligence et des capacités de compréhension, évaluation cognitive de base, évaluation de la mémoire, du langage, du calcul, des praxies, de la représentation spatiale, de la détérioration, des fonctions exécutives, de la coopération du patient et de sa personnalité). En résumé, pour améliorer la validité prédictive de l’évaluation du risque de violence, il faut : • identier et répertorier les facteurs de risque chez le patient ; • utiliser un outil structuré d’évaluation du risque et, au besoin, d’autres tests psychométriques, pour préciser les dicultés ou les décits observés ; • intégrer et interpréter les données (cliniques et actuarielles) obtenues ; • conclure en générant une estimation du risque et en précisant les situations à risque élevé pour le patient (contextes dans lesquels il présente plus de risques d’être violent). Le raisonnement qui mène aux conclusions doit être évident dans la documentation écrite. Enn, il faut recommander un plan de traitement (gestion du risque) personnalisé et réaliste, axé sur les facteurs dynamiques (propices au changement) présents chez le patient. Un rapport écrit permet de consigner les résultats de l’évaluation, puis de les communiquer aux personnes ou aux autorités concernées.

1158

51.6 Description clinique En dehors des études épidémiologiques menées dans la communauté, les comportements violents de patients psychiatriques ont été davantage étudiés aux urgences et aux unités d’hospitalisation.

51.6.1 Violence aux urgences Les urgences d’un hôpital constituent un des lieux de prédilection pour la survenue de comportements agressifs et violents. En plus du fait que des patients psychiatriques y arrivent en phase aiguë, parfois amenés par la police contre leur gré, les raisons recensées sont diverses : • Les patients semblent plus malades avec les années. En eet, les cliniciens qui travaillent depuis longtemps aux urgences remarquent que les patients psychiatriques qui y sont dirigés sont malades plus jeunes, que leur maladie est plus grave, qu’ils utilisent plus fréquemment des substances psychoactives illicites (cocaïne, amphétamines, PCP et cannabis, plus concentré en THC qu’auparavant) et qu’il n’y a plus vraiment de « périodes creuses » dans les demandes de consultation pour les patients durant l’année (p. ex., l’été). • Il peut exister un problème de surpopulation (départements d’urgence achalandés avec augmentation des délais d’attente pour une clientèle rendue plus impatiente et irritable en raison de la maladie). • On peut aussi constater un manque de ressources en personnel inrmier et en médecins. Allen (2009) décrit cinq grandes catégories de personnes qui font des menaces ou sont à l’origine de comportements violents dans les départements d’urgence aux États-Unis : 1. Le patient psychiatrique, particulièrement celui qui n’observe pas son traitement pharmacologique ; 2. Le toxicomane qui recherche des drogues ou agit sous l’eet d’une intoxication ou d’un sevrage de substances ; 3. Le patient (ou un membre de sa famille) qui s’emporte et agresse un membre du personnel pour diverses raisons, la principale étant souvent les longs délais d’attente avant d’obtenir une attention médicale ; 4. L’individu au tempérament colérique qui se perçoit comme une victime et qui recherche des occasions spéciques de se quereller, d’agresser ou de blesser d’autres personnes. Cet individu a souvent une histoire de trouble de la personnalité antisociale et de comportements violents ; 5. Le membre d’un gang de rue qui peut se comporter de manière hostile. L’identication, dès leur inscription au triage de l’urgence, de patients présentant certaines caractéristiques, dont les suivantes, peut permettre au personnel de prédire un potentiel de geste violent et de prendre les précautions qui s’imposent pour le prévenir : • un homme, âgé de 30 ans ou moins (ce critère peut être susant à lui seul) ; • une histoire de comportements violents ou d’impulsivité connue ; • des facteurs déclencheurs connus pour un patient donné (p. ex., une frustration telle qu’un refus, pour un patient insistant, d’aller fumer une cigarette l’extérieur) ;

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

• • • • •

un trouble d’utilisation de substances (alcool ou drogues) ; une maladie psychiatrique grave ou une psychose aiguë ; un traumatisme craniocérébral ; un trouble de la personnalité antisociale ; un manque d’observance des rendez-vous et du traitement pharmacologique pour un trouble de santé mentale ; • une arrivée du patient contre son gré, amené par la police (p. ex., suite à une ordonnance d’examen psychiatrique ou après qu’il ait commis un geste violent à l’extérieur) ; • une histoire antérieure d’admission dans des environnements plus sécuritaires (p. ex., soins intensifs psychiatriques, institution médicolégale, prison ou pénitencier) ; • une combinaison de ces facteurs. Les membres du personnel doivent connaître les signes de l’escalade de la violence allant de l’anxiété à l’agression verbale,

puis physique. L’acronyme STAMP proposé par Luck (2007) est une façon pratique de se rappeler les indices d’un risque de violence imminent :

• • • •

Soutient le regard ; Ton agressif et volume de la voix élevé ; Anxiété ou agitation ; Marmonne, ce qui peut traduire de l’impatience ou la présence d’hallucinations auditives auxquelles le patient répond (soliloquie) ;

• Pacing (fait les 100 pas avec une attitude préoccupée ou renfrognée). Les urgences sont également un lieu où peuvent se présenter les victimes de divers types de violence, qu’il faut savoir reconnaître (voir le tableau 51.10).

TABLEAU 51.10 Caractéristiques des types de violence rencontrés aux urgences

Types de violence Violence envers les jeunes

Victime(s) Enfants et adolescents

Commentaires cliniques, aspects à évaluer Reconnaitre les signes de : • négligence : – mauvaise hygiène, vêtements sales, non appropriés à la température ; – poids, croissance et développement insufsant ; – faim constante, sous-alimentation ; – dit que personne ne s’occupe de lui ; • abus psychologiques ou émotionnels : – intimidation, menaces de blessures ; – retrait ou comportement agressif, perturbateur ; – docilité excessive ; – craintes inhabituelles, phobies ; – retard de croissance ; – tentative de suicide ; • abus physique : – présence de blessures non justiées par les explications données ; – présence de nombreuses blessures à diverses étapes de guérison ; – présence de blessures sur une longue période ; – présence de blessures au visage ; – présence de blessures ne correspondant pas à l’âge de l’enfant ou à son stade de développement ; – donne des explications incohérentes ou dit ne pas se rappeler l’origine de ses blessures ; – tressaille lorsqu’on le touche sans qu’il s’y attende ; – a peur de ses parents, craint les adultes ; – éprouve de l’appréhension quand d’autres personnes pleurent ; – a peur de rentrer à la maison ; • abus sexuel : – blessures, démangeaisons inhabituelles ou excessives dans la région génitale ou anale ; – sous-vêtements tâchés ou souillés de sang ; – difculté à marcher ou à s’asseoir ; – maladie vénérienne ; – douleur pour uriner, infections urinaires ; – connaissances ou jeux sexuels non appropriés à l’âge de l’enfant ; – comportement délinquant ou fugues ; – dit avoir été agressé sexuellement par la personne qui s’occupe de lui ; – diminution du rendement scolaire ; – troubles du sommeil ; – comportement agressif ; – automutilation.

Chapitre 51

Agression, violence et dangerosité

1159

TABLEAU 51.10 Caractéristiques des types de violence rencontrés aux urgences (suite)

Types de violence

Victime(s)

Commentaires cliniques, aspects à évaluer

Violence domestique

Le plus souvent une femme, mais peut aussi être un homme

Violence de fréquentation (dating violence)

Adolescentes et jeunes femmes adultes

Violence au travail

Autres employés ou patrons

• L’agresseur peut être : – un employé qui victimise d’autres collègues au travail ; – un employé mécontent qui a été congédié et qui en veut à son ex-patron ou à d’anciens collègues.

Violence envers les personnes âgées

Personnes âgées de la famille ou institutionnalisées

• Reconnaître les signes de négligence, d’abus psychologique et nancier, et d’abus physique, voire sexuel. • Les facteurs de risque d’abus d’une personne âgée peuvent être catégorisés de la façon suivante (Wang & al., 2015) : – caractéristiques de la personne âgée victime d’abus : troubles cognitifs, problèmes de comportement, maladie psychiatrique ou problèmes psychologiques, dépendance fonctionnelle (aide nécessaire pour les activités de la vie quotidienne), en mauvaise santé physique ou frêle, traumatisme ou abus antérieur ; – caractéristiques de l’agresseur : fardeau ou stress, problèmes psychologiques ou maladie psychiatrique chez l’aidant ; – caractéristiques du milieu : dysharmonie familiale, peu de soutien social.

i

• Caractéristiques d’un partenaire potentiellement abusif : – hypersensibilité et jalousie extrême ; – comportement contrôlant ; – variations d’humeur imprévisibles et colères explosives ; – utilisation d’alcool ou de drogues ; – surinvestissement intrusif dans les affaires de sa conjointe ; – tentative d’isoler la victime de sa famille ou de ses amis ; – utilisation de la force physique durant une dispute ; – rigidité concernant les rôles sexuels traditionnels (machisme, misogynie) ; – tendance à blâmer autrui pour ses problèmes et ses émotions négatives. Lorsqu’une femme se présente accompagnée de son conjoint aux urgences, il est important de la voir seule d’abord pour éviter qu’elle ne soit intimidée par la présence d’un conjoint abusif.

Un supplément d’information sur les considérations méthodologiques inhérentes à la recherche sur les comportements violents aux urgences psychiatriques est disponible dans Pinard (2000).

51.6.2 Violence en cours d’hospitalisation Puri & Treasaden (2008) ainsi que Steinert (2006) se sont intéressés aux comportements violents à l’interne. L’unité d’hospitalisation constitue un autre lieu de soins où des comportements violents peuvent survenir, les patients, encore en phase aiguë, y étant dirigés depuis les urgences. Une agression physique survenant rarement dans un ciel clair, il y a souvent un contexte interpersonnel aux assauts physiques, qui peuvent être : • réactifs, en réponse à une frustration ; • intimidants, dans le but d’obtenir quelque chose ; • psychotiques, secondaires à de l’agitation, à un délire paranoïde, à une fausse reconnaissance, à des hallucinations auditives impérieuses de violence ou visuelles erayantes ; • une combinaison de ces types. On peut analyser le risque d’un agir violent à l’unité d’hospitalisation en fonction de diérents facteurs (voir le tableau 51.11). Le tableau 51.12 mentionne les principaux signes précurseurs d’un passage à l’acte imminent qu’il est important de reconnaître.

1160

51.6.3 Impact de la violence sur les victimes et le personnel soignant Une agression physique a un impact variable selon la victime, en particulier selon la gravité de l’agression, son exposition antérieure à la violence, ses mécanismes d’adaptation et sa résilience. La résilience varie beaucoup d’un individu à l’autre. À la suite d’une menace ou d’un geste violent, la réaction à court et à long terme est bien diérente. L’agression a aussi un impact sur les autres membres de l’équipe traitante. En plus des blessures physiques, l’agression peut entraîner diérentes conséquences à court et à long terme, telles que : • de la colère ou de la peur envers le patient qui a agressé ; • une perte de conance en soi, en sa capacité à travailler avec la clientèle psychiatrique ; • un trouble anxieux : trouble d’anxiété généralisé, un trouble panique, une phobie sociale ; • de la démoralisation, un épuisement professionnel (burn-out), une dépression ; • un trouble lié au traumatisme ou au facteur de stress : trouble de l’adaptation, un trouble de stress aigu, un trouble de stress post-traumatique ; • un problème de consommation de substances ; • une augmentation des jours de maladie et de l’absentéisme ; • une réaectation ou un changement d’emploi éventuel.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

TABLEAU 51.11

Facteurs de risque de violence en cours d’hospitalisation

Type de facteurs Facteurs liés au patient • Facteurs historiques

Description • Comportement violent antérieur (constitue un bon prédicteur de violence) par exemple : – en préadmission, en arrivant à l’hôpital, dans la salle d’attente – à l’extérieur, avant la venue à l’hôpital – lors d’une hospitalisation antérieure – lors d’une tentative suicidaire violente (Ceci est rapporté dans certaines études chez les patients avec troubles de la personnalité. C’est moins le cas, cependant, chez ceux souffrant de troubles psychotiques.) – lors d’arrestations antérieures pour violence • Autres éléments de l’histoire à considérer : – avoir été victime d’abus physique durant l’enfance ou d’autres types de maltraitance – nombre d’hospitalisations antérieures et longueur totale de l’hospitalisation

• Facteurs démographiques

• Personnes jeunes, hommes ou femmes • Faible niveau socio-économique

• Facteurs médicaux et biologiques

• Décience intellectuelle • Troubles neurologiques (p. ex., démence, traumatisme craniocérébral, signes neurologiques discrets, anomalies à l’EEG)

• Facteurs psychopathologiques

• Symptômes psychotiques positifs aigus, particulièrement délires de menace ou de contrôle (délires paranoïdes ou de passivité) • Hallucinations auditives impérieuses • Trouble de la pensée formelle pouvant mener à des problèmes de communication • Colère associée à une admission involontaire

• Facteurs diagnostiques

• • • • • •

• Facteurs comportementaux

• Manque d’habiletés sociales • Refus de participer aux activités de l’unité d’hospitalisation • Demandes requérant une gratication ou une attention immédiate • Demandes répétées ou qui ne peuvent être accordées • Confusion • Irritabilité • Turbulence • Menaces verbales • Menaces physiques • Attaques contre les objets (Le comportement violent se produit en général dans les premiers jours de l’hospitalisation.)

Facteurs liés au personnel

• • • • •

Facteurs situationnels et interactions

• • • • • •

Schizophrénie Maladie chronique Trouble d’utilisation de substances (alcool ou drogues) Trouble du contrôle des impulsions Trouble de la personnalité Trouble bipolaire

Ratio de personnel-patients insufsant Manque de personnel permanent Manque de leadership à l’unité, le personnel improvise, n’étant pas sufsamment encadré Niveau de surveillance relâché Manque d’expérience et d’habiletés (p. ex., le personnel a reçu peu de formation en prévention et en gestion des agressions ou se sent insufsamment formé) • Comportement et attitudes du personnel (p. ex., intolérance rigide, directives intransigeantes, style autoritaire, voire irrespectueux envers le patient) • Traits de personnalité individuels Problèmes de communication personnel-patient Provocations ou conits avec un membre du personnel ou un autre patient Refus de privilèges (sorties ou congés) Établissement de limites arbitraires (limit-setting) Contacts physiques et à risque élevé (p. ex., donner des soins d’hygiène à un patient réticent) Changements ou ajustements de médication

Chapitre 51

Agression, violence et dangerosité

1161

TABLEAU 51.11

Facteurs de risque de violence en cours d’hospitalisation (suite)

Type de facteurs

Description

Facteurs liés à l’environnement (l’unité de soins)

• Environnement physique : unité mal dessinée ou mal planiée (dimensions, chambre, mobilier, absence d’endroit privé, environnement surchauffé l’été) • Nourriture qui laisse à désirer • Atmosphère qui reète une faible qualité de vie en général : – règlements abusifs – surpopulation – grande proportion de patients avec comorbidité (utilisation de substances ou troubles de la personnalité) – manque d’activités structurées entraînant un niveau d’ennui élevé – manque de respect de l’intimité

TABLEAU 51.12 Signes avant-coureurs d’un passage à l’acte violent

Caractéristiques

Observations cliniques

Variables démographiques

• Sexe masculin, moins de 35 ans : c’est la présentation la plus fréquente.

Apparence

• Négligée : pour différentes raisons, le patient n’a pas pris soin de sa personne dernièrement (psychose, trouble liés aux substances, dépression)

Orientation

• Désorientation : delirium, intoxication par une substance

Comportement verbal

• Tous les comportements verbaux suivants peuvent précéder une agression physique : – ton élevé – esprit de contradiction (argumentativeness) – fait de chercher querelle, de se disputer – hostilité verbale – menaces verbales – expression de l’intention de blesser quelqu’un – verbalisation de la crainte de perdre le contrôle

Comportement physique

• • • • • •

Désinhibition comportementale : intoxication, psychose, syndrome frontal Comportements intrusifs (dans l’espace personnel) : s’approcher très près (ne respecte pas la zone de confort de l’autre) Être assis anxieusement Tension, agitation : facteur non spécique Fait de serrer les poings, de brandir le poing : tension, menace Menace avec un objet contondant, une arme

Affect, émotions

• • • • •

Yeux vitreux : alcoolisme ou trouble d’utilisation de substances Expressions faciales tendues (tension) Euphorie extrême : manie, trouble d’utilisation de substances Irritabilité, colère, hostilité Paranoïa qui se manifeste par : – suspicion extrême, regard paranoïde – port inapproprié de lunettes fumées – grande nervosité avec une apparence fâchée

Contenu de la pensée

• Cognitions : – sentiments et ruminations colériques – préoccupation par des fantaisies violentes • Délires de persécution : psychose, intoxication

Perception

• Marmonnement, soliloquie, attitudes d’écoute • Hallucinations auditives, en particulier si impérieuses à thème de violence

Diagnostics

• • • • •

Psychose : schizophrénie Trouble de la personnalité : antisociale, limite Trouble neurocognitif : delirium, démence, organicité cérébrale Trouble neurodéveloppemental : décience intellectuelle, autisme Trouble lié aux substances : alcool, drogues

Sources : Adapté de Flannery (2009), p. 39 ; Hart (2014), p. 36-37.

1162

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

Il est important de faire un retour sur l’événement en équipe, non pas pour chercher un responsable parmi les membres du personnel, mais plutôt pour ventiler et prévenir d’autres incidents similaires. D’où la nécessité de tenter d’identier précocement les patients potentiellement violents dès leur arrivée à l’hôpital.

51.7 Traitements À l’urgence et durant l’hospitalisation, la sécurité, la surveillance et l’encadrement d’une personne potentiellement violente sont essentiels. La gestion de la violence aiguë aux urgences doit prendre en compte les paramètres suivants : • précautions à prendre avant l’entrevue avec le patient (p. ex., disposer d’un bureau d’entrevue avec deux portes, s’assurer qu’il n’y a pas, dans la salle d’entrevue, d’objets que le patient pourrait lancer) ; • établissement rapide d’un diagnostic et d’un diagnostic différentiel ; • interventions verbales pour calmer le patient (p. ex., résumer ce que le patient vient d’expliquer pour lui montrer qu’on a compris) ; • interventions pharmacologiques pour le calmer et éviter qu’il ne se blesse ou ne blesse autrui ; • recours à l’isolement et aux contentions dans les cas d’agitation grave, pour éviter qu’il ne se blesse ou ne blesse autrui. La gestion de la violence aux urgences est présentée en détail au chapitre 49, sous-section 49.3.4. Durant l’hospitalisation, la gestion adéquate des patients violents nécessite un travail d’équipe requérant la prévention, la communication et la collaboration des professionnels des diérentes disciplines. Le traitement doit tenir compte des caractéristiques biopsycho-sociales du patient et en particulier des facteurs dynamiques, ceux-ci pouvant être modiés par une intervention thérapeutique. Au départ du patient de l’hôpital, son plan de traitement doit être détaillé par écrit et sa prise en charge en clinique ambulatoire doit se faire rapidement. Il ne faut pas hésiter à augmenter la fréquence des rendez-vous en clinique ambulatoire quand le patient est plus fragile, et il doit savoir qu’il peut se présenter aux urgences 24 heures sur 24, sept jours sur sept s’il craint de perdre le contrôle. L’établissement d’une bonne alliance thérapeutique l’amène à penser qu’il y sera bien accueilli.

51.7.1 Traitements biologiques Le traitement de la violence résultant d’une psychose aiguë ou d’une agitation comprend diérentes approches pharmacologiques (Heller & Byrne, 2013 ; Horn & Dubin, 2013). Des médicaments peuvent aussi être employés pour diminuer le risque de comportements violents à plus long terme (Stahl & Morrissette, 2014). Les médicaments qui suivent sont abordés par classes. Pour chacun d’eux, il importe d’en connaître les indications et contre-indications, la posologie, les eets indésirables, les mises en garde et les précautions, ainsi que les interactions avec d’autres médicaments avant de prescrire. Il est recommandé au lecteur de se référer à la monographie du produit. De plus,

un eet secondaire habituellement jugé indésirable, comme la sédation, peut précisément être l’eet recherché du traitement pharmacologique dans ces situations. Les antipsychotiques devraient être utilisés lorsque l’agression est causée ou exacerbée par des symptômes psychotiques actifs. • Antipsychotiques typiques : ils sont habituellement utilisés pour traiter l’agitation aiguë. Ils sont aussi préférés aux atypiques chez les patients déments agités. – Halopéridol : c’est l’antipsychotique intramusculaire le plus fréquemment utilisé. Il peut aussi être administré PO ou IV. Principaux eets indésirables : Dystonies, troubles du mouvement, prolongation de l’intervalle QTc. – Zuclopenthixol acétate IM : l’eet sédatif dure de trois à quatre jours. • Antipsychotiques atypiques : ils peuvent être utiles dans le contrôle de la violence à court et à plus long terme. Leur utilisation n’est pas recommandée chez les patients âgés atteints de démence. – Olanzapine à dissolution rapide : Principaux eets secondaires : sédation, hypotension orthostatique, ne pas utiliser avec d’autres dépresseurs du SNC. – Quétiapine : surtout chez les patients présentant un trouble bipolaire, une schizophrénie ou un delirium aux soins intensifs. C’est le choix le plus facile et le plus fréquemment utilisé parmi les atypiques. Principaux eets secondaires : sédation, hypotension orthostatique, prolongation du QTc. – Rispéridone : médicament plus incisif que la quétiapine. Principaux eets secondaires : sédation, dystonie, hypotension orthostatique. – Ziprasidone : Principaux eets secondaires : sédation parfois mais le plus souvent c’est une fébrilité (nervosisme) qui ressemble à de l’akathisie, hypotension orthostatique, prolongation du QTc. – Aripiprazole, asénapine et lurasidone : Principaux eets secondaires : sédation, parfois nervosisme qui ressemble à de l’akathisie. – Clozapine : N’est pas utilisé en urgence, mais très ecace chez les patients agressifs de façon récurrente ou chronique, qui n’ont pas répondu à d’autres antipsychotiques. Une fois la phase aiguë résolue, on peut insister auprès du patient pour qu’il accepte un antipsychotique sous forme injectable à longue action an d’optimiser l’observance au traitement pharmacologique. Dans le cas d’une histoire de comportements violents répétitifs, secondaires à des décompensations dues à de nombreux arrêts de la médication, il y a lieu de demander une ordonnance de traitement contre le gré du patient en Cour supérieure. • Benzodiazépines : elles sont à la fois sécuritaires et ecaces pour le traitement de l’agitation aiguë dans la plupart des cas. Ce sont des modulateurs de la transmission GABAergique. Elles peuvent diminuer le comportement agressif impulsif (Gillies & al., 2013). Les patients âgés peuvent cependant être à risque d’agitation paradoxale et de delirium. Les benzodiazépines ne doivent pas être utilisées en combinaison avec l’olanzapine IM en raison du risque de dépression cardiorespiratoire. – Lorazépam : il ore un eet tranquillisant rapide du patient agité. Il a l’avantage de pouvoir être administré PO, IM ou IV. Il est souvent utilisé avec les antipsychotiques en Chapitre 51

Agression, violence et dangerosité

1163

raison de sa bonne absorption intramusculaire. Principaux eets secondaires : sédation, dépression respiratoire voire arrêt respiratoire à hautes doses, il faut monitorer son administration. – Diazépam et clonazépam : ils sont également de bons choix parmi les benzodiazépines. • Stabilisateurs de l’humeur : ils ne sont pas utilisés pour calmer l’agitation aiguë en urgence, mais plutôt à long terme dans le trouble bipolaire. Ils peuvent aussi diminuer l’irritabilité et contrôler une épilepsie. – Acide valproïque et carbamazépine : augmentent la neurotransmission GABAergique et diminuent la neurotransmission glutamatergique. – Lamotrigine : diminue la neurotransmission glutamatergique. – Lithium : augmente la neurotransmission GABAergique, diminue la neurotransmission glutamatergique et dopaminergique. Le lithium et la lamotrigine peuvent aussi être combinés à la clozapine pour traiter les patients schizophrènes réfractaires agressifs. • Antidépresseurs : parmi les ISRS, la uoxétine, le citalopram et la sertraline auraient des eets antiagressifs. • Bloqueurs adrénergiques : les β-bloquants entraînent une réduction de la neurotransmission noradrénergique corticale (réduction de l’activité limbique). Ils sont ecaces contre l’agression chez les traumatisés crâniens. – Propranolol : il est utilisé pour calmer l’agitation reliée à l’akathisie ou chez les traumatisés crâniens. – Pindolol : c’est un agoniste partiel des récepteurs βadrénergiques, il a l’avantage de prévenir un ralentissement du rythme cardiaque et une chute de pression artérielle. • Psychostimulants : ils augmentent les niveaux de dopamine et de noradrénaline dans le cortex préfrontal. Ils sont utilisés dans le TDA/H, où leur eet sur l’agitation s’observe lors de leur utilisation prolongée. Des médicaments appelés « séréniques » (venant du mot sérénité), spéciquement conçus pour réduire l’irritabilité et l’agressivité en promouvant l’empathie émotionnelle et les comportements prosociaux, sont en développement depuis plusieurs années. Ils agiraient notamment en augmentant la sérotonine, la dopamine et l’oxytocine et en diminuant la vasopressine. À ce jour cependant, leur utilisation clinique n’est toujours pas disponible.

51.7.2 Traitements psychologiques Une combinaison de traitements pharmacologiques et non pharmacologiques constitue la formule la plus ecace pour prévenir le risque d’agression chez un patient donné. Il existe diérentes thérapies psychologiques pour aider les agresseurs violents (Van Hasselt & Hersen, 1999), favoriser leur réhabilitation (Craig & al., 2013) et réduire leurs récidives (Latessa & al., 2014). Ces thérapies individualisées doivent cibler les décits des patients, mais aussi miser sur leurs points forts. Ces modalités comprennent : • l’établissement puis le maintien de l’alliance thérapeutique ;

1164

• le traitement de l’alcoolisme et des autres dépendances par des approches motivationnelles ;

• le développement d’habiletés sociales (p. ex., dans l’agression impulsive) ; • la gestion du stress, qui puise dans un vaste ensemble de techniques et d’interventions psychothérapeutiques cognitives visant à contrôler le niveau de stress d’une personne, en particulier le stress chronique, pour améliorer son fonctionnement quotidien. Parmi les modalités utilisées, on peut mentionner : – les techniques de relaxation (p. ex., relaxation progressive de Jacobson, training autogène de Schultz, exercices respiratoires) ; – l’apprentissage de la résolution de problèmes et de conits ; • la gestion de la colère (Fernandez, 2013), qui peut être ecace dans l’agression impulsive ; • la prévention de la récidive ; • la psychothérapie, le plus souvent selon une approche cognitivo-comportementale qui a montré une certaine ecacité dans le traitement des trois types d’agression (impulsive, psychotique et antisociale) ; • la milieu thérapie et les approches de groupe, qui peuvent être particulièrement aidantes ; • les principes RNR (Risk, Needs, Responsivity) (Andrews & Bonta, 2010), qui considèrent non seulement le risque de récidive posé par le patient, mais aussi ses besoins spéciques en tant que cibles des interventions thérapeutiques et son niveau de réceptivité au traitement. L’évidence de l’ecacité des traitements est plus limitée dans le cas de l’agression psychopathique.

51.7.3 Interventions sociales Les interventions sociales portent sur l’entraînement aux habiletés sociales, l’amélioration des relations de couple et familiales, le développement d’un réseau de soutien social et l’amélioration de la qualité de vie en général. Les interventions sociales ont aussi un eet dans la prévention de la violence et comprennent (Donnelly & Ward, 2015) : • Les approches en milieu scolaire : enseignement d’habiletés prosociales et de résolution de conits (p. ex., programmes au préscolaire et au primaire, qui encouragent la résolution de conits et la médiation par les pairs), programmes de prévention de l’intimidation (bullying), programmes de prévention des agressions sexuelles. • Les approches auprès de la famille : visites d’un intervenant du CLSC à domicile à la suite de la naissance de chaque enfant, programmes d’intervention auprès de familles à risque, prévention de la violence conjugale, programme pour aider les proches d’un patient violent tel celui oert par l’Association québécoise pour la schizophrénie. • Les approches orientées vers la communauté : prévention de la maltraitance sous toutes ses formes, campagnes pour consommer de l’alcool de façon responsable et prévenir les toxicomanies. • Les approches orientées vers les soignants, telle la formation Oméga qui a été développée par l’association du de l’Institut

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Spécialités psychiatriques

universitaire en santé mentale de Québec et l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, du Centre hospitalier de Charlevoix et de l’A SSTSAS (Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur aaires sociales). En quatre jours intensifs, elle propose des exposés, des exercices, des discussions de groupe, des simulations visant à développer chez l’intervenant des habiletés et des modes d’intervention pour assurer sa sécurité et celle des autres en situation d’agressivité. Les objectifs de la formation Oméga sont : – d’identier les éléments à risque présents dans son milieu de travail ; – de choisir et de prendre les dispositions de protection physique appropriées à la situation ; – de sélectionner et d’appliquer le mode d’intervention verbale ou psychologique le plus approprié à l’agressivité exprimée ; – de communiquer ecacement avec ses collègues dans un objectif de résolution de crise d’agressivité ; – d’appliquer des techniques simples de dégagement et d’immobilisation.

51.7.4 Prévention Allen (2009) identie diverses stratégies pour prévenir la violence aux urgences : • procéder à une autoévaluation du risque de violence dans les salles d’urgence ; • avoir une politique de tolérance zéro concernant la violence ; • se doter d’un plan de sensibilisation et de prévention de la violence. La sécurité doit être préventive, proactive et l’aaire de tous ; • contrôler l’accès du personnel, des visiteurs et du public 24 heures sur 24, sept jours sur sept, en ajoutant des agents de sécurité et du personnel ; • installer des détecteurs de métaux ; • installer des alarmes de panique dans des endroits stratégiques ou encore porter une alarme personnelle ; • former l’ensemble du personnel à des techniques de désamorçage et de gestion des agressions (formation Oméga) ; • avoir une chambre d’isolement et disposer d’une politique institutionnelle pour le recours à l’isolement et aux contentions au besoin ; • former le personnel au triage ; • diminuer le niveau de frustration des patients dans la mesure du possible (p. ex., un écran diusant des émissions de télévision divertissantes). Parmi les mesures de prévention à l’interne, il y a lieu de retenir les éléments suivants : • pour les patients et l’environnement : – sécuriser l’environnement par une observation accrue ; – utiliser des PRN (sédatifs et anxiolytiques oerts au besoin) de façon préventive lorsqu’un patient est sourant ou plus fragile ; – recourir de façon judicieuse au retrait, puis à l’isolement et aux contentions si nécessaire (pour éviter que le patient ne se blesse ou ne blesse autrui) ;

• pour le personnel : – avoir suivi un programme de formation à la prévention et à la gestion des agressions (p. ex., formation Oméga) ; – favoriser une gestion verbale des conits (c.-à-d. pacique, non physique) et le désamorçage (deescalation) pour calmer le patient ; – améliorer ses habiletés à maîtriser un patient agité ; – soins postincidents : la ou les victimes doivent recevoir les soins physiques et le soutien psychologique appropriés à la suite d’un geste violent. Un retour sur l’incident violent doit être fait par le personnel pour ventiler et diminuer les risques de survenue d’un événement similaire ultérieur.

51.8 Évolution et pronostic Sans reprendre la liste des nombreux facteurs de risque de violence énumérés dans ce chapitre, il est bon de rappeler les facteurs suivants, qui sont particulièrement associés à un mauvais pronostic : • un début de la violence à un âge précoce et un pattern persistant ; • un manque d’introspection (insight) concernant l’existence d’une maladie mentale ; • une non-observance du traitement pharmacologique et des rendez-vous ; • un trouble lié à l’utilisation de substances (alcool ou drogues) ; • des récidives au cours de mesures de surveillance ou de supervision (p. ex., lors d’un mandat du TAQ, d’une probation) ; • des traits antisociaux et psychopathiques marqués.

La violence nous entoure, sous différentes formes, au quotidien. Pour le professionnel de la santé mentale, il est important : • de connaître les principaux facteurs de risque de violence identiés par la recherche et identiables cliniquement ; • d’identier rapidement les patients à risque de violence ; • de connaître les principaux facteurs contribuant à la violence en milieu psychiatrique ; • de reconnaître les signes avant-coureurs d’un passage à l’acte violent chez un patient ; • d’être au courant des lois qui balisent la conduite professionnelle en pareilles circonstances ; • de consulter un collègue pour avoir son opinion et ses conseils ou de discuter d’un cas complexe en réunion de service ; • de contribuer au développement d’une culture organisationnelle axée sur la prévention par l’observation attentive et la circulation de l’information pertinente ; • de développer ses connaissances et ses compétences par des lectures et des formations continues sur la prévention des agressions et le traitement des patients violents.

Chapitre 51

Agression, violence et dangerosité

1165

Lectures complémentaires Abh, T. (1998). Criminologie et psychiatrie, Paris, Ellipses. G, L. (2010). Juger la folie : La folie criminelle devant les Assises au XIXe siècle, Paris, Presses Universitaires de France. Lz, G. & C, G. (2014). L’expertise pénale psychologique et psychiatrique en 32 notions, Paris, Dunod. Mz, M. (2011). Dictionnaire de la violence, Paris, Quadrige/Presses Universitaires de France.

1166

Mh, F. & D, D. (2015). Comprendre la violence des enfants : L’apport des neurosciences, Paris, Dunod. Mh, Y. (2012). La violence, Paris, Presses Universitaires de France. M, F. (2009). Le passage à l’acte : Aspects cliniques et psychodynamiques, 2e éd., Paris, Masson. N, G. (2011). Évaluation de la dangerosité et du risque de récidive, Paris, L’Harmattan.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

R, L. & Dzb, P. (2003). Les comportements violents et dangereux : Aspects criminologiques et psychiatriques, Paris, Masson. S, J.-L. & V, M. (2013). Psychiatrie légale et criminologie clinique, Issy-les-Moulineaux, Elsevier Masson. Vh-T, M.-N. & al. (2010). La prise en charge des états réputés dangereux, Issy-lesMoulineaux, Elsevier Masson.

Spécialités psychiatriques

CHA P ITR E

52

Psychiatrie légale – droit civil Sébastien Proulx, M.D., FRCPC, LL. B.

Hélène Carrier, LL. B.

Psychiatre légiste, avocat, responsable médical, Services de psychiatrie légale, Institut universitaire en santé mentale de Québec

Juge à la Cour du Québec

Professeur de clinique, Département de psychiatrie et neurosciences, Faculté de médecine, Université Laval (Québec)

52.1 Changements dans la pratique clinique ................... 1168 52.2 Consentement.............................................................. 1168 52.2.1 Personne apte à consentir aux soins................ 1169 52.2.2 Personne mineure ............................................... 1169 52.2.3 Personne inapte à consentir aux soins ............ 1170 52.3 Garde en établissement .............................................. 1174 52.3.1 Garde préventive ................................................. 1176 52.3.2 Garde provisoire.................................................. 1176 52.3.3 Garde en établissement...................................... 1178 52.3.4 Dangerosité........................................................... 1178 52.3.5 Droit à l’information et à la communication... 1178 52.3.6 Procédure.............................................................. 1179 52.4 Autorisation de soins .................................................. 1179 52.4.1 Urgence ................................................................. 1179 52.4.2 Ordonnance d’autorisation de soins................ 1180 52.4.3 Durée de l’ordonnance ....................................... 1181 52.4.4 Suivi de l’ordonnance de soins .......................... 1181

52.5 Responsabilité du psychiatre ..................................... 1182 52.5.1 Responsabilité légale........................................... 1182 52.5.2 Responsabilité civile............................................ 1182 52.5.3 Responsabilité déontologique........................... 1183 52.5.4 Secret professionnel............................................ 1184 52.5.5 Témoignage dans un litige de garde d’enfants................................................ 1185 52.5.6 Recherche clinique en psychiatrie ................... 1186 Lectures complémentaires .................................................... 1186

L

a psychiatrie légale est reconnue à titre de surspécialité médicale par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada et de spécialité médicale par le Collège des médecins du Québec. Elle est dénie comme une discipline où l’expertise scientique et médicale est utilisée dans le cadre juridique, en vue de résoudre des questions d’ordre civil, criminel ou pénal, correctionnel ou législatif. La psychiatrie légale englobe également l’évaluation et le traitement de populations particulières, telles que les jeunes délinquants, les délinquants sexuels et les délinquants violents. Les aspects médicolégaux ont une incidence croissante sur la pratique des psychiatres, qui doivent donc acquérir et maintenir une connaissance du cadre normatif dans lequel ils exercent leurs activités. Ils peuvent ainsi relever et appliquer les obligations découlant des normes qui leur sont imposées, lesquelles prennent notamment leurs sources dans diérentes lois et dans la jurisprudence établie par les tribunaux. La « médicolégalisation » accrue de situations cliniques peut avoir un impact signicatif sur le plan de la pratique des médecins, qui sont susceptibles d’éprouver un sentiment d’alourdissement et de complexication de leur exercice, de la prise en charge de leurs patients et de la gestion des cas qui leur sont soumis.

52.1 Changements dans la pratique clinique La société et la réalité clinique ont connu des changements importants au cours des dernières décennies, se traduisant notamment par une importance accrue des droits individuels. Ainsi, d’une société où prévalait une forme de paternalisme médical, des changements majeurs sur les plans des valeurs sociales, des modes d’organisation des services et des soins de santé ainsi que des lois en cette matière ont contribué à une intervention plus importante des institutions judiciaires dans la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux, leur hospitalisation et la prestation des soins qu’elles requièrent. Des principes fondamentaux touchant l’inviolabilité de la personne, son droit à l’autodétermination et à la protection de son intégrité, sont maintenant mieux reconnus et protégés. En pratique psychiatrique, ces enjeux s’illustrent de façon courante en matière de consentement aux soins, de mesures d’hospitalisation involontaire ou encore d’ouverture et de mise en place de régimes de protection. Ainsi, comparativement à une époque antérieure où le médecin était davantage susceptible de statuer sur le bien du patient et la conduite des traitements, la société moderne, par ses institutions et les lois qui les gouvernent, a évolué vers une reconnaissance accrue de l’autonomie de la personne, encadrant et limitant ainsi le pouvoir et le contrôle des soignants dans leur pratique et leurs conduites. Le Code civil du Québec (C.c.Q.), inspiré du code Napoléon français, est bien diérent des lois des autres provinces canadiennes qui, elles, s’inspirent de la common law britannique. Les interventions en matière de soins de santé sont assujetties, entre autres, aux règles générales contenues dans : • la Charte des droits et libertés de la personne, qui reconnaît les droits fondamentaux : le droit à la vie, à l’intégrité, à la sécurité et à la liberté de toute personne ainsi que le droit à la sauvegarde de sa dignité ; • le C.c.Q., qui reconnaît aussi le droit de toute personne à son intégrité en plus de consacrer le principe fondamental de son

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inviolabilité. De plus, il édicte qu’aucune personne ne peut être soumise à des soins sans son consentement, quelle qu’en soit la nature, qu’il s’agisse d’examens, de prélèvements, de traitements ou de toute autre intervention ; la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui (LPPEM), qui reconnaît, entre autres, aux policiers le pouvoir d’amener contre son gré une personne dans un hôpital sans autorisation de la cour dès qu’il appert qu’elle représente un danger grave et immédiat pour elle-même ou pour autrui ; la Loi sur les services de santé et les services sociaux (Recueil des lois et des règlements du Québec – RLRQ, chapitre S-42), s’appliquant à tous les établissements de santé du Québec, qui reconnaît à l’usager le droit de participer à toute décision aectant son état de santé et notamment de participer à l’élaboration de son plan de services.

52.2 Consentement L’article 10 du Code civil du Québec (C.c.Q.) constitue le fondement des règles de la protection de l’intégrité de la personne : « Toute personne est inviolable et a droit à son intégrité. Sauf dans les cas prévus par la loi, nul ne peut lui porter atteinte sans son consentement libre et éclairé ». Nul ne peut être soumis sans son consentement à des soins, quelle qu’en soit la nature. Si l’intéressé est inapte à donner ou à refuser son consentement à des soins, une personne autorisée par la loi ou par un mandat donné en prévision de son inaptitude peut le remplacer. Le consentement, s’il est libre et éclairé, fait en sorte que la personne visée autorise, de son propre chef, une atteinte à son intégrité en acceptant de recevoir des soins médicaux (voir aussi la sous-section 4.3.8). Les trois critères du consentement sont les suivants : 1. La personne doit être informée par son médecin de sa condition, de façon à prendre une décision en pleine connaissance de cause. 2. La personne doit être capable de recevoir et de comprendre l’information. 3. La personne doit être en mesure de prendre une décision et de l’exprimer. Pour que ce consentement soit : • libre, il doit être exempt de toute contrainte, pression ou inuence ; • éclairé, il faut que la personne concernée ait obtenu toute l’information nécessaire pour prendre une décision en toute connaissance de cause. À cet eet, la personne concernée doit être informée des éléments suivants (Deleury & Goubau, 2008) : • la nature de sa maladie (diagnostic) ; • la nature et l’objectif de l’intervention ou du traitement envisagé ; • les chances de réussite ou d’échec de l’intervention ou du traitement ; • les risques encourus ; • les eets escomptés de l’intervention ou du traitement ;

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• les autres choix thérapeutiques possibles (les solutions de rechange) ;

• les conséquences d’un refus d’intervention ou de traitement. Ainsi, en matière d’hospitalisation, la personne doit en comprendre la nature et les conséquences an que son consentement soit valide. Elle doit être informée du but de l’évaluation et de l’hospitalisation, de son droit de consentir ou de refuser et des conséquences de sa décision. La validité du consentement repose « sur la connaissance et la compréhension par la personne des renseignements transmis » (Lesage-Jarjoura & Philips-Nootens, 2001, p. 157).

52.2.1 Personne apte à consentir aux soins En droit civil québécois, une personne majeure est présumée apte à décider pour elle-même et à faire les choix de vie qui lui semblent les plus appropriés (Institut Philippe-Pinel de Montréal c. Blais). En matière de soins de santé, le respect de la décision de la personne majeure saine d’esprit est un principe bien établi. Ainsi, une personne majeure peut, en connaissance de cause, refuser des soins, même si cela peut entraîner la mort. Une décision éclairée n’est pas nécessairement synonyme d’une décision raisonnable ; il ne s’agit pas pour le médecin de se prononcer sur la décision elle-même, mais bien de porter un jugement sur l’intégrité des processus permettant la prise d’une telle décision. Par exemple, si un témoin de Jéhovah refuse toute transfusion de sang sur la base de ses principes religieux, le médecin doit respecter son choix, même si cette décision peut provoquer sa mort. Son choix doit cependant être fait en toute connaissance de cause suivant un consentement libre et éclairé (Nancy B. c. Hôtel-Dieu de Québec ; Manoir de la Pointe Bleue c. Corbeil1). Le refus exprimé l’emporte alors sur l’obligation du médecin de lui fournir des soins.

52.2.2 Personne mineure Dans le cas d’un mineur, le consentement aux soins doit être donné par le titulaire de l’autorité parentale ou par son tuteur.

Mineur de moins de 14 ans Le mineur de moins de 14 ans ne peut consentir seul aux soins requis par son état de santé. Le consentement du titulaire de l’autorité parentale ou du tuteur est exigé. Celui-ci peut donc contraindre le mineur à recevoir les soins requis même si ce dernier s’y oppose sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’autorisation de la cour. En cas d’empêchement ou de refus injustié de la part du titulaire de l’autorité parentale ou du tuteur de consentir aux soins requis, ceux-ci ne peuvent lui être prodigués sans l’obtention de l’autorisation de la cour, sauf en cas d’urgence (Centre hospitalier universitaire de Québec c. A. ; Protection de la jeunesse – 087 ; B. (R.) c. Children’s Aid Society

1. Dans l’aaire Nancy B. c. l’Hôtel-Dieu de Québec, le juge accorde à Nancy B., atteinte du syndrome de Guillain-Barré, le droit de faire débrancher le respirateur qui la maintient en vie depuis deux ans et demi. Dans l’aaire Manoir de la Pointe Bleue c. Corbeil, un homme âgé de 35 ans, quadriplégique à la suite d’un accident, demande de ne recevoir ni soins ni alimentation, de façon à accélérer son décès.

of Metropolitan Toronto2). Généralement, cette démarche juridique sera entreprise par l’établissement de santé. Le titulaire de l’autorité parentale ou le tuteur peut consentir aux soins non requis par l’état de santé du mineur de moins de 14 ans ou les refuser, par exemple une rhinoplastie esthétique. Toutefois, pour ce type de soins, il faut qu’il obtienne l’autorisation de la cour si ces soins, qui ne visent ni à prévenir, ni à soigner, ni à pallier une maladie, présentent un risque sérieux pour la santé du mineur ou s’ils peuvent avoir des eets graves et permanents.

Mineur de 14 ans et plus L’article 14 du C.c.Q. prévoit une exception à cette règle en ce qui a trait au mineur âgé de 14 ans ou plus. En eet, l’âge de 14 ans a été choisi comme étape charnière dans la reconnaissance d’une certaine autonomie, selon qu’il s’agit de soins requis ou de soins non requis par l’état de santé (p. ex., refuser l’accès de son dossier à ses parents, accepter ou refuser de participer à une recherche, accepter une transfusion de sang à l’encontre de l’avis de ses parents). Le mineur de 14 ans et plus qui est apte peut consentir seul aux soins requis (p. ex., une appendicectomie ou un avortement) ou non requis (p. ex., une plastie purement esthétique du nez) par son état de santé. S’il s’agit de soins requis par son état de santé et que le mineur de 14 ans et plus les refuse, on peut passer outre à ce refus en obtenant l’autorisation de la cour. L’intérêt de l’enfant doit guider la cour dans sa décision. En cas d’urgence, si sa vie est en danger ou son intégrité est menacée, on peut passer outre au refus du mineur en obtenant le consentement du titulaire de l’autorité parentale ou du tuteur, s’il peut être obtenu en temps utile. Toutefois, devant un refus du titulaire de l’autorité parentale ou du tuteur de consentir, les soins requis peuvent être prodigués, s’il y a urgence. S’il n’y a pas urgence, l’autorisation de la cour est requise. Le refus du mineur de 14 ans ou plus n’a pas à être catégorique comme dans le cas d’un majeur inapte ; il sut qu’il soit injustié par rapport à son intérêt supérieur. Il n’est pas nécessaire que la vie du mineur soit en danger ou son intégrité menacée (Hôpital de Montréal pour enfants c. J. (D)). Lorsque le mineur séjourne plus de 12 heures dans un établissement de santé ou de services sociaux, le titulaire de l’autorité parentale ou le tuteur doit en être informé. Le mineur de 14 ans et plus qui accepte des soins non requis par son état de santé, telle une chirurgie esthétique, doit donner son consentement par écrit. Si les soins non requis présentent un risque sérieux pour la santé de l’adolescent et peuvent lui causer des eets graves et permanents, il est nécessaire d’obtenir le consentement du titulaire de l’autorité parentale ou du tuteur. Il appartient au médecin de déterminer si les risques reliés aux soins qui ne sont pas requis par l’état de santé du mineur âgé de 14 ans et plus 2. Dans l’aaire du Centre hospitalier universitaire de Québec c. A., le juge Jean Bouchard a autorisé le centre hospitalier à procéder aux transfusions de produits sanguins requis par l’état de santé de deux bébés naissants dont les parents étaient témoins de Jéhovah. Dans l’aaire de la Protection de la jeunesse, la mère d’un enfant de 13 ans, porteur d’une maladie extrêmement rare, s’opposait aux traitements proposés par les médecins, préférant une médecine naturelle au lieu d’une médecine traditionnelle. Dans la décision concernant B.(R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, la Cour suprême était saisie d’un pourvoi visant à déterminer les droits des parents d’un enfant d’un mois qui refusaient, en raison de leurs convictions religieuses, que les médecins lui administrent des transfusions sanguines.

Chapitre 52

Psychiatrie légale – droit civil

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sont sérieux. La prudence commande qu’en cas d’incertitude, le consentement du titulaire de l’autorité parentale soit obtenu. Le mineur de 14 ans et plus peut, en tout temps, refuser les soins non requis par son état de santé (p. ex., une adolescente peut refuser de prendre la pilule contraceptive), qui ne peuvent en aucun cas lui être imposés. Ainsi, une jeune lle de 16 ans peut consentir seule à un examen pour une douleur abdominale (soins requis), mais ne peut pas consentir seule à une chirurgie esthétique (soins non requis) qui représente un risque sérieux pour sa santé pouvant lui causer des eets graves et permanents.

Tutelle au mineur Au Québec, l’âge de majorité est xé à 18 ans. Tant que le mineur n’a pas atteint l’âge de la majorité, il n’a pas la capacité de jouissance et d’exercice de ses droits civils, sauf en cas d’émancipation. L’émancipation est un acte qui met n à l’incapacité du mineur (p. ex., en cas de mariage). Le mineur émancipé devient ainsi majeur avant ses 18 ans. Il acquiert quasiment les mêmes droits que les adultes. Cependant, il ne peut pas voter, ni acheter de produits du tabac ou d’alcool. La charge tutélaire doit être assumée par une personne physique majeure, apte à l’exercer. En vertu de la loi, la tutelle est légale ou dative et elle peut être exercée envers les biens ou la personne. • La tutelle légale est celle qui est exercée conjointement par les parents à l’égard de leur enfant. Si l’un des deux parents décède, le parent survivant pourra agir seul. • La tutelle dative (du latin dativus, signie « qui est donné ») est celle qui est attribuée par le père et/ou la mère ou par la cour (p. ex., en cas de décès des parents). Elle peut se faire par testament, par un mandat donné en prévision de l’inaptitude des parents ou par une déclaration transmise au curateur public3. Ce droit de nommer un tuteur appartient au dernier survivant des deux parents, qui, au jour de son décès, avait toujours la tutelle légale de son enfant ou au dernier des deux, apte à assumer l’exercice de la tutelle. Dans tous les cas, la tutelle prend n à la majorité ou au décès du mineur. Le tableau 52.1 dénit les diérents contextes de consentement aux soins selon le statut légal du patient.

52.2.3 Personne inapte à consentir aux soins Les dispositions législatives actuelles n’ont pas déni l’inaptitude à consentir aux soins. Par conséquent, on doit s’en remettre aux décisions jurisprudentielles. La Cour d’appel, dans l’aaire Institut Philippe-Pinel c. A.G. et Hôpital Charles-Lemoyne c. Forcier, a établi le principe en cette matière en y reprenant les critères énoncés à l’article 52(2) du Hospitals Act de la Nouvelle-Écosse (ci-après « les critères de la Nouvelle-Écosse ») et en proposant un test en cinq volets, à savoir : 3. En sciences comme en droit, il y a toujours des nouveautés. Le nouveau code de procédure civile est entré en vigueur le 1er janvier 2016. Cela entraîne une nouvelle numérotation des articles et certains changements : les ordonnances de soins et de garde en établissement sont maintenant visés par les articles 395 à 397 inclusivement.

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1. La personne comprend-elle la nature de la maladie pour laquelle un traitement lui est proposé ? 2. Comprend-elle la nature et le but du traitement ? 3. Comprend-elle les risques du traitement si elle le subit ? 4. Comprend-elle les risques de ne pas subir le traitement ? 5. Sa capacité de consentir est-elle aectée par sa maladie ? Les tribunaux en réfèrent régulièrement à ce test proposé par la Cour d’appel. Toutefois, ces critères, qui ne sont pas cumulatifs, doivent être considérés dans leur ensemble. L’inaptitude de la personne à consentir aux soins s’apprécie en fonction de son autonomie décisionnelle au moment où les soins sont requis. Il appartient à celui qui allègue l’inaptitude de la prouver. Le plus souvent, c’est le psychiatre qui, lors de son témoignage, va étayer l’applicabilité des critères d’inaptitude au patient. L’inaptitude à consentir aux soins ne se rattache pas au fait que la personne soit ou non soumise à un régime de protection. D’ailleurs, le juge Jacques Delisle, dans l’aaire Institut Philippe Pinel c. A.G., mentionnait ce qui suit : L’aptitude à consentir à des soins médicaux donnés est soumise à une évaluation particulière qui, si la personne concernée est sous le coup d’un régime de protection, peut s’avérer différente de l’évaluation dont a fait l’objet la raison pour laquelle un tel régime lui a été ouvert […].

De plus, le fait pour une personne de ne pas accepter le diagnostic donné par son médecin (Hôpital Maisonneuve-Rosemont c. R.D.), ou encore le fait d’être atteinte d’une maladie mentale (Centre de santé et de services sociaux de la Haute-Yamaska c. M.H.) ou le fait de recevoir des traitements psychiatriques (Cité de la santé de Laval c. Lacombe), ne constituent pas en eux-mêmes une preuve d’inaptitude.

Consentement substitué aux soins L’inaptitude de la personne à consentir aux soins ou à les refuser entraîne le recours au consentement substitué. L’article 15 du C.c.Q. stipule : Lorsque l’inaptitude d’un majeur à consentir aux soins requis par son état de santé est constatée, le consentement est donné par le mandataire, le tuteur ou le curateur. Si le majeur n’est pas ainsi représenté, le consentement est donné par le conjoint, qu’il soit marié ou en union de fait ou, à défaut de conjoint ou en cas d’empêchement de celui-ci, par un proche parent ou par une personne qui démontre pour le majeur un intérêt particulier.

À la lecture de l’article 15 du C.c.Q., on constate que le législateur a établi un ordre hiérarchique au sujet des personnes pouvant donner un consentement substitué. La personne habilitée à fournir un tel consentement doit agir dans le seul intérêt de la personne représentée en tenant compte, dans la mesure du possible, des volontés que cette dernière a pu manifester. Elle doit s’assurer que les soins seront bénéques, malgré la gravité et la permanence de certains de leurs eets, qu’ils sont opportuns dans les circonstances et que les risques présentés ne sont pas hors de proportion avec le bienfait qu’on en espère. Évidemment, la personne habilitée à donner un consentement substitué doit recevoir l’information nécessaire an de pouvoir exprimer un consentement libre et éclairé. Si elle est dans l’impossibilité d’agir ou qu’elle refuse de consentir aux soins et que ce refus est injustié dans les circonstances,

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TABLEAU 52.1 Consentement aux soins Personne

Soins requis par l’état de santé Exemples : • hospitalisation • appendicectomie • médication antipsychotique chez un patient atteint de schizophrénie • électroconvulsivothérapie chez un patient déprimé • interruption volontaire de grossesse (avortement)

Soins non requis par l’état de santé Exemples : • implatation de prothèses mammaires • tatouage • chirurgie esthétique • stérilisation par ligature de trompe ou vasectomie

Majeur apte

Peut consentir seul.

Peut consentir seul. Consentement donné par écrit Consentement toujours révocable, même verbalement

Majeur inapte

Consentement donné par le mandataire, le tuteur ou le curateur ; sinon par le conjoint, qu’il soit marié ou en union de fait ; à défaut par un proche parent ou une personne qui montre un intérêt pour le majeur.

Consentement donné par le mandataire, le tuteur ou le curateur Consentement donné par écrit Autorisation de la cour nécessaire si les soins présentent un risque sérieux pour la santé ou peuvent causer des effets graves et permanents.

Mineur de 14 ans et plus

Peut consentir seul. Nécessité d’informer le titulaire de l’autorité parentale ou le tuteur si son état exige qu’il demeure dans un établissement de santé ou de services sociaux plus de 12 heures.

Peut consentir seul. Consentement donné par écrit Consentement nécessaire du titulaire de l’autorité parentale ou du tuteur si les soins présentent un risque sérieux pour la santé et peuvent causer des effets graves et permanents. Consentement toujours révocable, même verbalement

Mineur de moins de 14 ans

Consentement donné par le titulaire de l’autorité parentale ou par le tuteur

Consentement donné par le titulaire de l’autorité parentale ou par le tuteur Consentement donné par écrit Consentement toujours révocable, même verbalement Autorisation de la cour nécessaire si les soins présentent un risque sérieux pour la santé ou peuvent causer des effets graves et permanents.

Source : C.c.Q., articles 11 à 18.

il faut obtenir l’autorisation de la cour an de passer outre à ce refus. Si elle accepte les soins requis, mais que la personne majeure inapte refuse catégoriquement de les recevoir, l’autorisation de la cour est nécessaire an de passer outre à ce refus, à moins qu’il ne s’agisse de soins d’hygiène ou d’un cas d’urgence. L’article 16 du C.c.Q. stipule ce qui suit : L’autorisation du tribunal est nécessaire en cas d’empêchement ou de refus injustié de celui qui peut consentir à des soins requis par l’état de santé d’un mineur ou d’un majeur inapte à donner son consentement ; elle l’est également si le majeur inapte à consentir refuse catégoriquement de recevoir les soins, à moins qu’il ne s’agisse de soins d’hygiène ou d’un cas d’urgence. Elle est, enn, nécessaire pour soumettre un mineur âgé de 14 ans et plus à des soins qu’il refuse, à moins qu’il n’y ait urgence et que sa vie ne soit en danger ou son intégrité menacée, auquel cas le consentement du titulaire de l’autorité parentale ou du tuteur sut.

Après un constat d’inaptitude et un refus catégorique ou injustié, et s’il y va de l’intérêt de la personne d’être assujettie aux soins que proposent les experts, la cour doit s’assurer que les soins seront avantageusement bénéques malgré les risques de gravité et de permanence de certains eets indésirables. Dans l’armative, c’est en fonction de cette analyse que la cour précise la forme et la durée de l’autorisation de soins imposés dits « forcés ». Dans certains cas complexes, il peut être opportun de solliciter un avis extérieur par une demande de consultation de la part d’un

collègue, ou encore de recourir à un éthicien dans la discussion d’équipe ou de faire appel à un comité d’éthique et de discuter du cas avec l’avocat des services juridiques de l’hôpital. Certains hôpitaux peuvent requérir, au-delà des exigences légales, deux avis médicaux indépendants concordants à l’appui de la demande d’autorisation de soins. Le tableau 52.2 dénit les diérents contextes de refus des soins selon le statut légal du patient.

Régimes de protection au majeur Toute personne est présumée apte à exercer pleinement ses droits civils, mais dans certains cas, la loi prévoit un régime de protection ou d’assistance. La capacité du majeur ne peut être limitée que par une disposition expresse de la loi ou par un jugement prononçant l’ouverture d’un des quatre régimes de protection du majeur. Un curateur ou un tuteur au majeur peut être nommé pour le représenter, ou un conseiller pour l’assister, dans la mesure où le majeur est inapte à prendre soin de lui-même ou à administrer ses biens. Un mandat en cas d’inaptitude peut aussi être prévu. Cette inaptitude peut découler d’une maladie, d’une décience ou d’un aaiblissement dû à l’âge qui altère ses facultés mentales ou son aptitude physique à exprimer sa volonté. Les régimes de protection du majeur sont établis dans son intérêt et ils sont destinés à assurer la protection de sa personne, l’administration de son patrimoine et, en général, l’exercice de ses droits civils.

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TABLEAU 52.2 Refus de soins Personne

Soins requis par l’état de santé Exemples : • antipsychotique chez un patient atteint de schizophrénie • hébergement imposé dans un établissement

Soins non requis par l’état de santé Exemple : rhinoplastie esthétique

Majeur apte

Peut refuser tout soin requis par son état de santé, même si son refus peut compromettre sa vie ou son intégrité (p. ex., refus d’une transfusion sanguine).

Peut refuser tout soin non requis par son état de santé.

Majeur inapte

Autorisation prononcée par un juge de la cour supéObligation de respecter son refus de soins. rieure nécessaire s’il refuse catégoriquement de recevoir les soins requis par son état de santé, sauf pour des soins d’hygiène (p. ex., une douche hebdomadaire) ou en cas d’urgence (p. ex., vie en danger ou intégrité menacée). La cour peut passer outre à ce refus. En cas de refus de consentement aux soins requis, toute personne intéressée (p. ex., un centre hospitalier) peut s’adresser à la cour supérieure an d’en obtenir l’autorisation.

Mineur de 14 ans et plus

Autorisation prononcée par un juge de la cour supérieure nécessaire pour le soumettre à des soins requis qu’il refuse, sauf en cas d’urgence (p. ex., vie en danger ou intégrité menacée), auquel cas le consentement du titulaire de l’autorité parentale ou du tuteur suft.

Obligation de respecter son refus de soins (p. ex., s’il ne veut pas effacer son tatouage).

Mineur de moins de 14 ans

Aucun effet juridique ne découle de son refus de recevoir des soins requis par son état de santé (p. ex., chimiothérapie pour un cancer). Le titulaire de l’autorité parentale ou le tuteur peut donner son consentement aux soins. En cas de refus de consentement aux soins requis de la part du titulaire de l’autorité parentale ou du tuteur, toute personne intéressée (p. ex., un centre hospitalier) peut s’adresser à la cour supérieure an d’en obtenir l’autorisation, le juge passera outre à ce refus s’il n’est pas justié.

Aucun effet juridique ne découle de son refus de recevoir des soins non requis par son état de santé. Le titulaire de l’autorité parentale ou le tuteur peut donner son consentement. Les soins ne doivent cependant pas présenter un risque sérieux pour sa santé ou être susceptibles de lui causer des effets graves et permanents. Dans un tel cas, l’autorisation prononcée par un juge de la cour supérieure est nécessaire. Cependant, en tout temps, le juge respectera ce refus.

Source : C.c.Q., articles 11 à 18.

Pour tout régime de protection, l’inaptitude se dénit comme l’incapacité d’une personne à poser des actes, à exercer ses droits. L’ouverture d’un régime de protection au majeur est prononcée par la cour. Lorsqu’un majeur reçoit des soins ou services dans un établissement de santé ou de services sociaux, l’ouverture d’un régime de protection est subordonnée à la production, pour le curateur public, d’un rapport d’évaluation signé par le directeur général de l’établissement, qui peut être délégué au directeur des services professionnels (DSP). Le rapport doit contenir une évaluation médicale et psychosociale produite par les professionnels qui ont examiné le majeur. Il démontre que le majeur est inapte à prendre soin de lui-même ou à administrer ses biens et qu’il a besoin d’être représenté ou assisté dans l’exercice de ses droits civils suivant des motifs déterminés, par exemple une personne qui a de la diculté à administrer son budget, à payer ses comptes. Le rapport doit aussi faire état de la nature et du degré d’inaptitude de la personne, de l’étendue de ses besoins, de l’ensemble des circonstances de sa condition ainsi que de l’opportunité d’ouvrir un régime de protection. Il mentionne également, s’ils sont connus, les noms des personnes qui ont qualité pour demander l’ouverture du régime de protection. Le majeur lui-même, son conjoint, ses proches parents et alliés, toute personne qui montre pour le majeur un intérêt particulier ou tout autre intéressé, y compris le mandataire désigné par le majeur ou le curateur public, peuvent demander l’ouverture d’un régime

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de protection. Les établissements de santé ou de services sociaux ne peuvent pas demander l’ouverture d’un régime de protection pour l’un de leurs usagers. Ils sont plutôt dans l’obligation d’aviser le curateur public lorsqu’un majeur, à qui ils dispensent des soins ou des services, a besoin d’être assisté ou représenté dans l’exercice de ses droits civils en raison de son isolement, de la durée prévisible de son inaptitude, de la nature ou de l’état de ses aaires ou parce qu’aucun mandataire désigné par lui n’assure une assistance ou une représentation adéquate. La demande d’ouverture d’un régime de protection doit être signiée au majeur, à une personne raisonnable de la famille et au curateur public. La cour, saisie de la demande d’ouverture d’un régime de protection, prend en considération, outre l’avis des personnes susceptibles d’être appelées à former le conseil de tutelle, les preuves médicales et psychosociales, les volontés exprimées par le majeur dans un mandat qu’il a pu donner en prévision de son inaptitude mais qui n’a pas été homologué, ainsi que le degré d’autonomie de la personne pour laquelle on demande l’ouverture du régime. Elle doit donner au majeur l’occasion d’être entendu, personnellement ou par un représentant, si son état de santé le requiert, sur le bien-fondé de la demande et, le cas échéant, sur la personne qui sera chargée de le représenter ou de l’assister. Rappelons qu’il existe quatre régimes de protection du majeur : la curatelle, la tutelle, le conseiller et le mandat en cas d’inaptitude (dorénavant appelé « mandat de protection »).

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Curatelle au majeur La cour ouvre une curatelle s’il est établi que l’inaptitude du majeur à prendre soin de lui-même et à administrer ses biens est totale et permanente, et qu’il a besoin d’être représenté dans l’exercice de ses droits civils. Elle nomme alors un curateur qui est habituellement un proche parent, allié, ou toute personne qui démontre un intérêt particulier, sinon c’est le curateur public. Le majeur en curatelle ne peut : • passer de conventions matrimoniales ; • tester ni par lui-même ni par représentation ; • donner ses biens, si ce n’est ceux de peu de valeur ou des cadeaux d’usage ; • n’être administrateur ni d’une personne morale ni du bien d’autrui. Le curateur au majeur pourvu d’un régime de protection a la responsabilité de sa garde et de son entretien, de même que celle de voir à son bien-être moral et matériel. Il est tenu de s’assurer que le majeur, pourvu d’un régime de protection, sera soumis à une évaluation médicale et psychosociale tous les cinq ans. L’acte fait seul par le majeur en curatelle peut être annulé ou les obligations qui en découlent, réduites sans qu’il soit nécessaire d’établir un préjudice, par exemple le fait de donner sa voiture en cadeau ou de faire une promesse d’achat sur une maison. Les actes faits antérieurement à la curatelle peuvent être annulés ou les obligations qui en découlent réduites sur la seule preuve que l’inaptitude était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés. Tel serait le cas d’une personne atteinte d’une démence qui distribue des biens d’importance à son entourage ou à des inconnus (p. ex., sa voiture ou son chalet).

Tutelle au majeur La cour ouvre une tutelle s’il est établi que l’inaptitude du majeur à prendre soin de lui-même ou à administrer ses biens est partielle ou temporaire et qu’il a besoin d’être représenté dans l’exercice de ses droits civils. Toutefois, la personne conserve une certaine autonomie. La cour nomme un tuteur à la personne et aux biens ou un tuteur soit à la personne, soit aux biens. À l’ouverture de la tutelle ou postérieurement, la cour peut déterminer le degré de capacité du majeur en tutelle, en prenant en considération l’évaluation médicale et psychosociale et, selon le cas, l’avis du conseil de tutelle ou des personnes susceptibles d’être appelées à en faire partie. La cour indique alors les actes que la personne en tutelle peut accomplir elle-même, seule ou avec l’assistance du tuteur, ou ceux qu’elle ne peut faire sans être représentée. Par exemple, dans l’aaire Lévesque c. Ouellet, la Cour supérieure « ordonne que l’intimée conserve l’administration de ses revenus de pensions fédérale et provinciale au montant de 629,88 $ par mois ou qu’un montant similaire soit mensuellement mis à sa disposition pour ses dépenses personnelles et selon sa volonté, dans un compte bancaire à part si elle le demandait ». Ou encore, dans l’aaire Carrière c. Carrière, la cour « interdit à l’intimé de plaider, transiger, investir, emprunter, recevoir un capital immobilier et en donner décharge, d’aliéner ou de grever ses biens d’hypothèque ou de les nantir sans avoir obtenu l’autorisation préalable du tuteur et sans que ce dernier n’intervienne à la transaction ». Le majeur en tutelle conserve habituellement la gestion du produit de son travail, à moins que la cour n’en décide autrement. Le tuteur est tenu de s’assurer que le majeur pourvu d’un régime de tutelle sera soumis à une évaluation

médicale et psychosociale tous les trois ans. Les actes faits antérieurement à la tutelle peuvent être annulés ou les obligations qui en découlent, réduites sur la seule preuve que l’inaptitude était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés. L’acte fait seul par le majeur alors qu’il est visé par un régime de tutelle ou fait par le tuteur sans l’autorisation du conseil de tutelle, alors que celle-ci est requise par la nature de l’acte, ne peut être annulé ou les obligations qui en découlent, réduites, à la demande du majeur, que s’il en subit un préjudice, par exemple une donation de sa résidence ou d’importantes sommes d’argent l’empêchant ainsi de subvenir à ses besoins de base.

Conseiller au majeur La cour nomme un conseiller au majeur si celui-ci, bien que généralement ou habituellement apte à prendre soin de lui-même et à administrer ses biens, a besoin pour certains actes d’être assisté ou conseillé temporairement dans l’administration de ses biens (p. ex., pour procéder à l’achat ou à la vente d’une voiture, d’une maison ou d’une entreprise). Le conseiller n’a qu’un rôle d’assistance et non de représentation ou d’administration. L’acte fait seul par le majeur, alors que l’intervention de son conseiller était requise, ne peut être annulé ou les obligations qui en découlent, réduites que si le majeur en subit un préjudice (p. ex., le majeur a acheté une voiture luxueuse alors que ses moyens nanciers ne le lui permettaient pas, ce qui fait qu’il n’est plus en mesure d’assumer ses besoins de base). Le conseiller au majeur est tenu de s’assurer que le majeur pourvu d’un régime de protection sera soumis à une évaluation médicale et psychosociale tous les trois ans. Les régimes de protection précités cessent par l’eet d’un jugement de mainlevée ou par le décès du majeur protégé. Ils cessent également à l’expiration du délai prévu pour contester le rapport qui atteste la cessation de l’inaptitude.

Mandat en cas d’inaptitude Le mandat donné en prévision de l’inaptitude est la création d’un régime de protection privé fait devant un notaire ou devant deux témoins. De cette façon, pendant qu’elle est en possession de toutes ses facultés mentales, une personne peut faire un acte prévoyant coner à une personne de conance qu’elle a choisie, la gestion de ses biens, la protection de sa personne, ou les deux, dans l’éventualité où ses capacités mentales se dégraderaient. C’est la personne elle-même qui détermine les limites des pouvoirs qu’elle cone à son mandataire. « La particularité de cette forme de représentation est qu’elle résulte des volontés de la personne représentée, volontés qui ont été exprimées alors qu’elle était apte. » (Allard, 2009, p. 52) Si l’inaptitude survient, le mandataire doit d’abord faire homologuer l’acte par la cour avant d’assumer la gestion du mandat qui lui a été coné. La demande d’homologation du mandat doit être accompagnée d’une évaluation médicale et psychosociale constatant l’inaptitude du mandant et d’une copie du mandat. Les actes faits antérieurement à l’homologation du mandat peuvent être annulés ou les obligations qui en découlent réduites sur la seule preuve que l’inaptitude était notoire ou connue du cocontractant à l’époque où les actes ont été passés. Le mandat cesse d’avoir eet lorsque la cour constate que le mandant est redevenu apte ; ce dernier peut alors, s’il le juge approprié, révoquer son mandat. En 2016, la loi a modié ce régime qui est devenu le « mandat de protection ».

Chapitre 52

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Capacité de tester Selon l’article 703 du C.c.Q., toute personne ayant la capacité requise peut faire un testament. La capacité du testateur est considérée au temps où le testament a été rédigé. Ainsi, lorsque le testateur est apte lors de la rédaction de son testament, celui-ci reste valide, même si, au moment de son décès, il est devenu inapte. « La capacité de tester s’apprécie non seulement par celle de répondre à des questions familières et usuelles, mais aussi par l’aptitude à comprendre le sens et la portée des dispositions testamentaires. » (Baudoin & Renaud, 2012, par. 703/10) Le testateur doit jouir de ses facultés intellectuelles au point d’être capable d’envisager et de considérer les divers éléments qui le guident à disposer de ses biens d’une manière plutôt que d’une autre, d’en comprendre le sens et de mesurer la portée de la disposition qu’il va faire et de s’y arrêter volontairement. (Brière, 2002, p. 171)

Par exemple, un majeur ayant la capacité de tester peut léguer la totalité de ses biens et de ses avoirs à un organisme de charité plutôt qu’à ses enfants. Quant aux majeurs protégés : • Le majeur en curatelle ne peut pas tester. • Le majeur en tutelle peut faire un testament qui sera reconnu si les circonstances et la nature des dispositions démontrent qu’au moment de la rédaction du testament, il était apte à comprendre la portée de cet acte. • Le majeur pourvu d’un conseiller peut tester sans être assisté.

52.3 Garde en établissement La garde en établissement vise l’hébergement d’une personne dont l’état mental présente un danger pour elle-même ou pour autrui. Elle permet de garder une personne contre son gré dans un établissement de santé désigné4 dans le but de la protéger contre elle-même ou de protéger les autres. Cette mesure constitue donc une atteinte à la liberté de la personne, puisque la règle est la suivante : « Nul ne peut être gardé dans un établissement de santé ou de services sociaux […] sans son consentement ou sans que le tribunal ou la loi ne l’autorise. » (C.c.Q., art. 26). Le Code civil du Québec (C.c.Q.) édicte en eet l’exigence du consentement de la personne ou de son représentant pour tout acte ou intervention à caractère médical (hospitalisation, prise de médicaments) portant atteinte à la liberté ou à l’intégrité de la personne. Il importe de préciser que toute personne possède d’emblée la capacité juridique. Ainsi, la capacité constitue la règle et l’incapacité constitue l’exception. En présence d’une personne qui ne peut manifester sa volonté, le consentement est donné, suivant l’article 26 du C.c.Q., par le titulaire de l’autorité parentale ou, lorsque la personne est majeure, par son mandataire, son tuteur ou son curateur. Le consentement d’une personne intéressée qui n’a pas la qualité de mandataire, tuteur ou curateur ne sut pas. À défaut 4. LPPEM, L.R.Q., c. P-38.001. Article 6 : « Seuls les établissements exploitant un centre local de services communautaires disposant des aménagements nécessaires ou un centre hospitalier peuvent être requis de mettre une personne sous garde préventive ou sous garde provisoire an de lui faire subir un examen psychiatrique. »

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d’un représentant légal, l’autorisation de la cour est requise. De plus, le consentement du représentant légal ne vaut, le cas échéant, que si la personne ne s’oppose pas à la garde. Si elle s’y oppose, l’autorisation de la cour est toujours requise, sauf s’il s’agit d’un danger grave et immédiat justiant une garde préventive pour une durée limitée (72 heures). Les gures 52.1 à 52.3 illustrent l’algorithme des séquences d’intervention pour la garde en établissement selon la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui (LPPEM) et le C.c.Q. Pour illustrer les processus expliqués dans les gures 52.1, 52.2 et 52.3, voici un exemple clinique qui illustre que toutes ces interventions peuvent s’entrecouper avant qu’une garde en établissement soit autorisée par un juge.

Étude de cas

François, âgé de 29 ans, est connu des services psychiatriques pour être atteint d’une schizophrénie paranoïde. L’équipe traitante est avisée par les proches que l’état de François s’est détérioré au cours des dernières semaines à la suite de l’arrêt de sa médication. Les parents arment qu’il est devenu injurieux et grossier, irritable, voire agressif envers son entourage, désorganisé à son domicile (p. ex., il chaue son appartement avec plusieurs chandelles et brise du matériel), multipliant les altercations avec le voisinage. Sa famille, qui n’a pu le convaincre de consulter, se montre très inquiète. Un intervenant du centre de crise, dépêché sur place, demande aux policiers de conduire François à l’hôpital en raison de son état. (Notez qu’il serait aussi possible que son père ou sa mère s’adresse à la cour an qu’un juge émette une ordonnance de garde provisoire à l’égard de François pour qu’il se soumette à une évaluation psychiatrique, qu’il refuse de faire de son plein gré. Dans ce cas, des organismes communautaires et des CLSC dans les diérentes régions du Québec peuvent soutenir les proches an de les aider à eectuer cette démarche judiciaire dicile à assumer pour des parents.) À l’urgence, le médecin constate une décompensation psychotique grave, avec de la méance, de l’imprévisibilité et une attitude belliqueuse. Comme le patient lui semble présenter une dangerosité grave et immédiate et qu’il refuse de rester à l’hôpital, l’omnipraticien ou l’urgentologue le place en garde préventive. Il rédige aussitôt l’avis au Directeur des services professionnels en indiquant les risques qu’il perçoit et le lui achemine. Dans les 72 heures de la garde préventive et de l’admission de François à l’hôpital, l’avocat de l’hôpital présente une requête pour garde provisoire en vue d’une évaluation psychiatrique. Après le jugement de garde provisoire, une première évaluation psychiatrique a lieu dans les 24 heures de l’ordonnance et une deuxième évaluation, par un autre psychiatre, dans les 48 heures de l’ordonnance. Cliniquement, l’état mental de François reste inquiétant ; il va jusqu’à agresser et mordre un préposé. Les deux évaluations psychiatriques sont eectuées, de sorte qu’une requête pour garde en établissement est présentée devant un juge de la Cour du Québec, et ce, dans un délai maximal de 48 heures de la dernière évaluation psychiatrique. Le juge ordonne ensuite à l’hôpital de garder François pour 30 jours. Le médecin doit toutefois faire une réévaluation de la dangerosité au vingt-et-unième jour de l’ordonnance. Pendant ce temps, François a accepté de reprendre sa médication, de sorte que son état s’est rapidement amélioré et la garde a pu être levée avant son échéance, soit au dixseptième jour. L’hospitalisation de François s’est poursuivie de façon volontaire par la suite.

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FIGURE 52.1 Algorithme d’application de la LPPEM et du C.c.Q. dans le cas d’une personne déjà à l’hôpital

qui souhaite quitter l’établissement

Source : Adapté du C.c.Q., articles 26 à 31 et LPPEM.

Chapitre 52

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FIGURE 52.2 Algorithme d’application de la LPPEM et du C.c.Q. dans le cas d’une personne dans la communauté

présentant un danger grave et immédiat pour elle-même et pour autrui amenée par un agent de la paix dans un établissement

Source : Adapté de la LPPEM, chap. P-38.001, article 8.

Si le patient ne comprend pas la pertinence de rester à l’hôpital, étant convaincu qu’il n’est pas malade ou qu’il ne présente pas de danger, il faut alors faire appel à la cour pour imposer la garde en établissement. Le but fondamental de ces dispositions législatives est de protéger la personne dangereuse contre elle-même ou autrui en raison de son état mental, tout en cherchant à minimiser, autant que faire se peut, les atteintes à sa liberté. Par conséquent, il ne s’agit pas de mesures répressives ou punitives. Ces dispositions législatives doivent être interprétées de façon restrictive, c’est-à-dire de façon stricte et prudente. Toute interprétation large et libérale de ces articles de loi est exclue. Tel qu’expliqué dans les gures 52.1, 52.2 et 52.3, il existe trois types de garde en établissement : la garde préventive, la garde provisoire et la garde autorisée en établissement.

52.3.1 Garde préventive La garde préventive permet à tout médecin, spécialisé en psychiatrie ou non, de garder une personne dans un établissement de santé contre son gré, s’il considère que son état mental présente un danger grave et immédiat pour elle-même ou pour autrui. Dans ce cas, il n’est pas nécessaire d’obtenir le consentement de la personne ou d’autrui, ni d’avoir l’autorisation de la cour ni de faire un examen psychiatrique. Cette garde préventive ne peut durer plus de 72 heures. Dès l’expiration de ce délai, le patient doit être libéré, à moins que la cour n’ait ordonné que la garde soit prolongée an de lui faire subir une évaluation psychiatrique. Ce délai peut être

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prolongé si la période se termine un samedi, un jour non juridique (incluant un dimanche) ou qu’aucun juge compétent ne peut agir. Pendant ce délai de 72 heures, la cour peut émettre une ordonnance pour autoriser une évaluation psychiatrique transformant la garde préventive en garde provisoire. En l’absence d’une ordonnance de garde provisoire, une fois la garde préventive échue, l’établissement de santé pourrait se faire reprocher d’avoir gardé cette personne de façon illégale. La garde préventive est indiquée lorsqu’un patient répond aux critères de la dangerosité et refuse d’être hospitalisé (p. ex., un patient très désorganisé et agressif, ou encore un patient mutique qui refuse ou est incapable de répondre aux questions, tout en paraissant menaçant ou suicidaire).

52.3.2 Garde provisoire La garde provisoire doit être ordonnée par un juge de la Cour du Québec5 à la suite d’une demande d’un médecin (qui peut avoir 5. Article 36.2 du Code de procédure civile : « En application des articles 26 à 31 du C.c.Q., la Cour du Québec autorise, à l’exclusion de la Cour supérieure, de toute demande pour faire subir une évaluation psychiatrique à une personne qui la refuse ou pour qu’elle soit gardée contre son gré par un établissement visé par la LPPEM. En cas d’urgence, cette demande peut aussi être portée devant un juge des cours municipales des villes de Montréal, Laval ou Québec, ayant compétence dans la localité où se trouve cette personne. » En d’autres termes, la Cour du Québec a une compétence exclusive pour entendre les requêtes pour garde provisoire et garde autorisée en établissement.

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FIGURE 52.3 Algorithme d’application de la LPPEM et du C.c.Q. dans le cas d’une personne dans la communauté

présentant un danger pour elle-même ou pour autrui en raison de son état mental, lorsque les démarches judiciaires peuvent être entreprises par une personne intéressée

Source : Adapté du C.c.Q., articles 26 à 31.

instauré une garde préventive) ou d’un intéressé (qui présente une requête pour une ordonnance d’examen psychiatrique) an qu’une personne soit gardée dans un établissement pour y subir une évaluation psychiatrique. La cour doit cependant avoir des motifs sérieux de croire que la personne représente un danger pour elle-même ou pour autrui en raison de son état mental. Si la demande est refusée par la cour, elle ne peut être présentée de nouveau que si d’autres faits sont allégués. Lorsque le juge ordonne une mise sous garde provisoire en vue d’une évaluation psychiatrique, un premier examen psychiatrique doit avoir lieu dans un délai de 24 heures de la prise en charge de la personne – ou de l’ordonnance de la cour si cette personne était déjà sous garde préventive. Si ce premier examen conclut à la nécessité d’une garde en établissement, un deuxième examen doit être eectué par un psychiatre diérent : • dans les 96 heures de la prise en charge par l’établissement ; • dans les 48 heures de l’ordonnance de la cour, si la personne était initialement en garde préventive.

Si les deux psychiatres, certiés spécialistes en psychiatrie par le Collège des médecins du Québec, concluent à la nécessité de la garde, le patient peut être maintenu sous garde pour un maximum de 48 heures, sans son consentement, en attendant l’ordonnance de garde en établissement autorisée par la cour. Il faut noter que si le deuxième psychiatre conclut que la garde n’est pas nécessaire, la personne doit être libérée immédiatement. À noter aussi qu’« un résident en psychiatrie n’est pas habilité au sens de la loi à signer un rapport d’examen ; et le fait que son rapport soit entériné a posteriori par un psychiatre qui n’a pas eectué l’examen conjointement ne valide pas l’exercice » (Deleury & Goubau, 2008, p. 217). La garde provisoire n’est pas nécessaire lorsque la personne accepte d’être évaluée et qu’elle est en mesure de donner un consentement libre et éclairé à cette n. Si elle accepte l’évaluation, mais refuse l’hospitalisation, il faut demander à un juge de la Cour du Québec une ordonnance pour autoriser une garde

Chapitre 52

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en établissement dans les 72 heures de la garde préventive. En pratique, il importe de s’assurer que la personne qui refuse d’être hospitalisée accepte néanmoins d’être évaluée sur une base volontaire, ce qui n’est pas toujours le cas.

52.3.3 Garde en établissement La garde autorisée en établissement – autrefois nommée « cure fermée », mais aujourd’hui plus souvent appelée « garde en établissement » ou « garde régulière » – est consécutive aux deux évaluations psychiatriques attestant qu’elle est requise et au jugement de la cour l’autorisant. Vu l’absence de consentement du patient à l’hospitalisation, cette garde ne peut avoir lieu qu’avec l’autorisation de la cour. Les conditions préalables à l’ordonnance de garde autorisée sont prévues à l’article 30 du C.c.Q. La garde en établissement ne peut être établie que si les deux conditions suivantes sont réunies : 1. Les deux rapports d’examen psychiatrique concluent à la nécessité de cette garde. 2. Le juge a lui-même des motifs sérieux de croire que la personne est dangereuse et que sa garde est nécessaire, quelle que soit par ailleurs la preuve qui pourrait lui être présentée et même en l’absence de toute contre-expertise. Les deux rapports d’examen doivent être signés par les psychiatres ayant réalisé l’évaluation et préciser les informations suivantes : • la date à laquelle ils ont procédé aux examens ; • leur diagnostic, même provisoire, sur l’état mental de la personne ; • leur opinion sur la gravité de son état mental et ses conséquences probables (p. ex., « À cause de son imprévisibilité marquée, ce patient est à risque élevé de poser des gestes impulsifs dommageables », « Absence de jugement et d’autocritique susceptible de l’amener à se placer dans des situations à risque et poser des gestes dangereux », « Entend des voix qui lui disent de commettre un homicide – ou un suicide ») ; • les motifs et les faits nécessaires à la conclusion de la dangerosité sur lesquels ils fondent leur opinion et leur diagnostic et, parmi les faits mentionnés, ceux qu’ils ont eux-mêmes observés et ceux qui leur ont été communiqués par d’autres personnes (p. ex., des membres de la famille ou des amis ou le personnel de l’hôpital) ; • l’aptitude de la personne à prendre soin d’elle-même ou à administrer ses biens et, le cas échéant, l’opportunité d’ouvrir un régime de protection.

52.3.4 Dangerosité Le juge qui entend la demande de garde considère les rapports des deux psychiatres, appuyés par l’avocat de l’hôpital, la version de témoins de faits, le cas échéant, ainsi que les arguments de la personne qui peut aussi être représentée par un avocat. Il n’est pas lié par les conclusions des rapports d’examens psychiatriques, qu’il peut écarter, s’il a des motifs valables pour le faire. Un diagnostic de maladie mentale ne crée en soi aucune présomption de dangerosité. La juge France ibault de la Cour d’appel du Québec dans l’aaire Centre de santé et de services sociaux Pierre-Boucher c. A.G. (note 28, par. no 35) s’exprimait comme suit : [Je] rappelle qu’il n’est pas de connaissance judiciaire qu’une personne chez qui un diagnostic de psychose est

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posé soit dangereuse pour elle ou pour les autres et que cela justie sa garde en établissement. La seule mention par deux psychiatres du fait que l’intimé soit dangereux ne sut pas pour fonder une telle requête parce que ce procédé aurait pour eet de détourner le sens de l’article 30 du C.c.Q., qui cone aux juges la responsabilité de se former leur propre opinion sur le sujet.

Le juge doit être convaincu que la personne visée présente un état mental qui la rend dangereuse au point de nécessiter sa garde. L’expertise médicale occupe néanmoins une place déterminante dans le jugement que rend la cour. Le juge doit donc former sa propre opinion sur deux éléments : 1. Le caractère dangereux de la personne, dont on cherche à limiter la liberté, pour elle-même ou pour autrui. 2. La nécessité de cette garde. La détermination de l’existence du danger doit reposer sur une assise factuelle sérieuse. La Cour d’appel du Québec dans l’aaire N.B. c. Centre hospitalier alié universitaire de Québec mentionnait ce qui suit : Tant la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui que le Code civil témoignent de la ferme intention du législateur de ne pas subordonner la liberté des citoyens à l’expression d’avis non détaillés ni motivés, fussent-ils ceux de psychiatres.

Le C.c.Q. est cependant muet quant à la nature du danger que doit présenter la personne dont on demande la garde en établissement. La juge Marie-France Bich de la Cour d’appel dans l’aaire A. c. Centre hospitalier St. Mary6 décrit la nature du danger qui peut fonder une privation de liberté de la façon suivante : De même la nature du danger que l’on redoute doit-elle être précisée et explicitée. Il doit également s’agir d’un danger important ou d’un potentiel de danger élevé. Le danger ainsi appréhendé n’a peut-être pas à être imminent (comme ce serait le cas lors d’une garde préventive) […], mais il doit certainement être, sinon probable, du moins clairement envisageable dans le présent ou dans un avenir relativement rapproché, ce qui justie une mise sous garde immédiate. Le tribunal qui conclut à l’existence d’un tel danger doit s’en expliquer.

52.3.5 Droit à l’information et à la communication En tout temps, la personne visée par la garde préventive, la garde provisoire en vue d’une évaluation psychiatrique et la garde en établissement autorisée à la suite d’une évaluation psychiatrique 6. Dans cette aaire, la requérante, Mme A., avait été mise sous garde pour une période de 14 jours. Elle a porté ce jugement en appel et a demandé la suspension de l’instance jusqu’à ce que l’appel soit entendu par la Cour d’appel. Mme A., âgée de 78 ans, sourait d’alcoolisme et de démence. La juge MarieFrance Bich, j.c.a., explique que le juge qui rend une ordonnance de garde doit faire état de ses motifs tant sur le danger que l’on redoute et que l’on cherche à prévenir que sur la nécessité de la garde. Dans cette aaire, le juge de première instance avait accordé une garde de 14 jours, mais sans expliquer vraiment sur quoi il fondait sa décision. La juge Bich explique également les conditions pour l’obtention d’une suspension d’instance et elle donne droit à la demande de Mme A.

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doit être informée du lieu où elle est gardée, du motif de cette garde et de son droit de communiquer avec ses proches et avec un avocat.

52.3.6 Procédure Quand un juge de la Cour du Québec reçoit une demande de garde, il est tenu d’interroger la personne concernée par la demande à moins qu’elle soit introuvable ou en fuite ou qu’il soit manifestement inutile d’exiger son témoignage en raison de son état de santé ou si cela devait lui être nuisible (p. ex., une personne faisant l’objet de mesures d’isolement ou de contention et qui ne peut pas être transférée de façon sécuritaire à la cour). Si tel est le cas, le juge doit expliquer et justier par preuve factuelle la raison pour laquelle il serait manifestement inutile de l’entendre. Il arrive aussi qu’un patient refuse, de son propre chef, de se présenter devant le juge, auquel cas le jugement est prononcé en son absence. La personne visée peut aussi décider de se représenter seule devant le juge ou requérir l’assistance d’un avocat. Le psychiatre traitant peut être appelé à témoigner et à faire part de son évaluation et de ses recommandations. Lorsque la cour conclut à la nécessité de garder la personne contre son gré en établissement, elle doit xer la durée de la garde, habituellement de 21 à 45 jours. Le jugement ordonnant la garde en établissement est exécutoire immédiatement, mais il peut faire l’objet d’un appel de plein droit à la Cour d’appel. Le délai d’appel est de cinq jours de la date de la décision. Avant l’audition de la demande devant la Cour d’appel, un juge de cette cour peut, dans l’intérêt de la justice, suspendre l’exécution de ce jugement. Si, avant le délai décrété par le juge, le psychiatre estime que le patient n’est plus dangereux, il doit le libérer. Le patient peut alors décider de rester à l’hôpital de son plein gré. Toute garde requise au-delà de la durée xée par le jugement doit de nouveau être autorisée par la cour selon la même procédure. Lorsque la cour a xé la durée d’une garde à plus de 21 jours, le patient sous garde doit être soumis à des examens psychiatriques destinés à vérier si la garde est toujours nécessaire. Les rapports doivent être établis aux échéances suivantes : • 21 jours à compter de la décision prise par la cour en application de l’article 30 du C.c.Q. ; • tous les trois mois, par la suite. La garde prend n automatiquement : • si aucun rapport d’examen psychiatrique n’a été produit à l’expiration du délai prescrit ; • dès la n de la période xée dans le jugement qui l’a ordonnée ; • par décision du Tribunal administratif du Québec (TAQ) ou d’un tribunal judiciaire. De plus, toute personne qui n’est pas satisfaite du maintien d’une garde ou d’une décision prise au sujet d’une personne qu’elle représente ou au sujet d’une personne pour laquelle elle démontre un intérêt particulier, peut contester, devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ), le maintien de cette garde ou cette décision. Le TAQ peut également agir d’oce et réviser le maintien de toute garde. Le TAQ est composé de trois personnes, dont un avocat, un psychiatre et un autre professionnel de la santé (psychologue ou travailleur social). Il tient ses auditions dans l’établissement où le patient qui conteste la garde est contraint à l’hospitalisation. Il entend le témoignage du psychiatre et du patient, qui peut être assisté ou non d’un avocat.

Il faut noter que la garde en établissement n’autorise pas l’imposition à un patient d’un traitement contre son gré, sauf en cas d’urgence, de là l’application des règles relatives au consentement aux soins.

52.4

Autorisation de soins

La situation d’urgence constitue une exception à l’exigence du consentement. L’article 13 du Code civil du Québec (C.c.Q.) stipule ce qui suit : « En cas d’urgence, le consentement aux soins médicaux n’est pas nécessaire lorsque la vie de la personne est en danger ou son intégrité menacée et que son consentement ne peut être obtenu en temps utile. »

52.4.1 Urgence L’urgence peut se décrire comme une situation où les soignants doivent faire face à un état de nécessité justiant leur intervention immédiate an de sauver la vie ou l’intégrité de la personne (Kouri & Philips-Nootens, 2005, p. 351). L’urgence doit être telle qu’il serait impossible, en temps utile, d’obtenir le consentement de la personne, faisant ainsi référence à l’immédiateté. La situation doit faire en sorte que ni la personne, ni un représentant légal, ni un mandataire, ni un proche, ni la cour ne soient disponibles ou en mesure de donner un consentement dans le délai requis. Dans un contexte psychiatrique, l’urgence peut être vue comme une situation qui « implique vraisemblablement un état de dangerosité immédiat pour la personne ou pour autrui et qui nécessite l’emploi de la force. Par ailleurs, la notion d’urgence ne s’étend pas à un état où, en l’absence de traitement, le malade subira une détérioration de son état physique et mental, ce qui est souvent le cas en psychiatrie » (Lesage-Jarjoura & Philips-Nootens, 2001, p. 212). L’urgence doit donc être telle que la détérioration de l’état physique ou mental du patient met en danger sa vie ou son intégrité de façon immédiate. L’urgence constitue une situation exceptionnelle, qui doit être interprétée restrictivement et qui doit être prouvée. De la doctrine et de la jurisprudence, on peut dégager trois balises qui permettent de juger si une situation est urgente ou non : 1. Il y a urgence lorsque la vie de la personne est en danger ou que son intégrité est menacée et que son consentement ne peut être obtenu en temps utile (p. ex., un patient qui a cessé de manger et de s’hydrater depuis quelques jours ou bien qui s’est inigé des coupures graves dans un but suicidaire). 2. Il y a urgence lorsqu’une situation ou un concours de circonstances menacent de façon immédiate la vie d’un être humain ou risquent d’entraîner des séquelles en l’absence de soins professionnels immédiats (p. ex., un patient psychotique qui exprime des menaces et un plan hétéroagressif envers son persécuteur) ; il faut qu’on intervienne avec célérité pour éviter un péril. 3. En cas de doute sur le caractère urgent de la situation, le recours au tribunal s’impose pour en décider. Somme toute, le principe du danger pour la vie du patient demeure le plus souvent assez simple à évaluer. Il en va autrement du principe de la menace à l’intégrité. Selon la Cour suprême (Curateur public du Québec c. Syndicat national des employés de l’Hôpital St-Ferdinand) : Le sens courant du mot « intégrité » laisse sous-entendre que l’atteinte à ce droit doit laisser des marques, des séquelles

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qui, sans nécessairement être physiques, ou permanentes, dépassent un certain seuil. L’atteinte doit aecter de façon plus que fugace l’équilibre physique, psychologique ou émotif de la victime.

Il faut donc en déduire qu’un état psychotique temporaire, lors d’une crise par exemple, mais qui ne dure pas et ne risque pas de causer de séquelles au-delà d’un « certain seuil » ne saurait vraisemblablement être considéré comme une situation d’urgence nécessitant des soins, passant outre au consentement du patient. Ainsi, plusieurs sont d’avis que le simple délai de traitement d’une psychose débutante peut certes entraîner des séquelles, mais que ce délai ne justie pas que l’on puisse invoquer l’urgence pour imposer un traitement immédiat et contre le gré du patient. L’appréciation de l’urgence, de l’immédiateté et des soins requis demeure la responsabilité du médecin. En psychiatrie, si un traitement est administré en urgence, il doit s’agir d’un traitement avec des eets à court terme (p. ex., des contentions ou une sédation pharmacologique, en cas d’agitation). Donc, on ne devrait pas administrer, invoquant l’urgence, un antipsychotique à longue action. Après l’administration d’un traitement en urgence, il faut chercher à obtenir un consentement libre et éclairé.

52.4.2 Ordonnance d’autorisation de soins Étude de cas

Claude est un homme de 28 ans qui cumule 12 hospitalisations en raison d’une schizophrénie paranoïde. Au niveau de ses antécédents, on constate qu’après une certaine atténuation de ses hallucinations et de ses délires, il obtient, le plus souvent, son congé de l’hôpital, mais il quitte fréquemment l’hébergement supervisé oert à sa sortie et se retrouve dans la rue. Il cesse à répétitions sa médication et, à cause de ses bizarreries inquiétantes, il est facilement remarqué par les policiers qui le ramènent à l’hôpital. Un juge avait déjà accordé une ordonnance de traitement et d’hébergement pour deux ans, échue depuis un certain temps. À l’histoire actuelle, le patient s’est de nouveau enfui de son foyer de groupe pour partir en errance et a laissé sa médication derrière lui. Comme il est ramené à l’hôpital, le psychiatre rédige un rapport médical (qui peut être destiné au DSP) en vue de solliciter une nouvelle ordonnance de soins pour une durée de trois ans, visant, entre autres le plan de soins suivant : • recevoir un antipsychotique retard (à action prolongée) par voie intramusculaire (p. ex., palmitate de palipéridone [Sustenna] toutes les quatre semaines) ; • recevoir un correcteur antiparkinsonien et autres médicaments adjuvants ; • aller habiter un milieu de vie approuvé par l’hôpital. À la cour, le psychiatre (à qui le juge a accordé sans objection le titre de témoin expert) explique, à la satisfaction du tribunal, que le patient : • manifeste un déni psychotique de sa maladie ; • cesse rapidement sa médication, convaincu qu’il n’en a pas besoin ; • est inapte à refuser les soins oerts selon les critères de a Nouvelle-Écosse ; • refuse catégoriquement les soins requis par son état de santé.

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À son tour, le patient explique au juge qu’il n’est pas malade et qu’il refuse de prendre les « drogues » prescrites par son médecin, parce que ça lui enlève ses pouvoirs surnaturels de diriger le monde entier. En conclusion, le juge explique brièvement au patient les raisons qui l’amènent à accepter la requête et rend jugement en tenant compte des conclusions de la requête pour ordonnance de soins, en s’assurant de contrôler la légalité du plan de soins et en motivant les conclusions de sa décision. Il importe de préciser que la dangerosité d’une personne ne fait pas partie des critères préalables à une demande d’ordonnance d’autorisation de soins. Il sut donc que le patient soit inapte à consentir aux soins requis et qu’il les refuse catégoriquement pour justier une telle mesure. Cependant, si une certaine dangerosité est présente, on peut penser qu’il est pertinent de soumettre ce fait à la cour, laquelle devra en apprécier l’importance, surtout si une demande de sauvegarde est sollicitée : il s’agit là d’une demande d’ordonnance provisoire qui permet de traiter le patient pour une courte période d’ici le jugement nal, par exemple an de lui permettre d’expliquer son point de vue et d’être représenté par un avocat ou an de procéder à une contre-expertise en vue de contester la requête ultérieurement. La demande relative à des soins se fait par requête présentée devant un juge de la Cour supérieure dans la région du domicile de la personne visée. Elle peut également être portée devant la cour du lieu de l’établissement où le patient est gardé. L’avis d’au moins un expert est joint à la requête, qui doit être signiée à la personne visée, si elle est âgée de 14 ans et plus, ainsi qu’à son représentant légal. Si la personne visée n’est pas pourvue d’un tuteur, d’un curateur ou d’un mandataire, la requête doit être signiée au Curateur public du Québec7 (art. 776 C.p.c. et art. 13 (3°) de la Loi sur le curateur public [RLRQ, chapitre C-81]). Le délai de signication et de présentation est de cinq jours. Si le temps presse et que la condition du patient le justie, cela mériterait d’être porté à la connaissance de la cour ; une demande d’abréger les délais de signication pourrait être présentée ainsi qu’une demande an de rendre le jugement exécutoire dès son prononcé (rendu applicable immédiatement). Le C.c.Q. prévoit que, lors de l’audition, la cour prend l’avis d’experts, du titulaire de l’autorité parentale, du mandataire, du tuteur ou du curateur et du conseil de tutelle, de même que celui de toute personne qui montre un intérêt particulier pour le majeur. Elle est aussi tenue, sauf impossibilité, de recueillir l’avis de la personne visée. Le témoignage du psychiatre peut être requis devant la Cour supérieure, qui doit préciser les paramètres du traitement autorisé. À cette n, le rapport médical et la requête doivent être susamment précis. Il faut aussi prouver que ces soins ont été refusés catégoriquement, ce qui ne peut être le cas si le traitement visé par l’ordonnance recherchée n’a pas encore été oert, envisagé et discuté. Dans la décision F.D. c. Centre universitaire de santé McGill, la Cour d’appel fournit une grille d’analyse des paramètres d’une demande d’autorisation de soins. Après avoir vérié la présence de l’inaptitude à consentir et du refus catégorique, qui fondent la compétence du tribunal, ce dernier doit contrôler la légalité du plan de soins proposé. Pour ce faire, il doit questionner les divers intervenants et sa tâche peut s’avérer plus exigeante en présence d’un dossier non contesté. En exerçant un choix pour autrui, le 7. Le curateur public peut intervenir d’oce.

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tribunal questionnera si les soins sont requis et, le cas échéant, décrits avec susamment de précision. Les soins doivent être eectivement requis (et non ceux qui pourraient l’être), dans le seul intérêt de la personne, en tenant compte dans la mesure du possible des volontés que cette dernière a pu manifester, et être opportuns dans les circonstances. Le tribunal évaluera si les eets bénéques à tirer des soins proposés dépassent leurs eets néfastes, évaluera la durée de l’ordonnance et éventuellement les autres conclusions recherchées. À titre d’illustration, voici quelques paramètres thérapeutiques qui ont déjà été accordés par les tribunaux : • Traitements autorisés : – administration de médicaments antipsychotiques ; – administration de médicaments pour atténuer les eets indésirables des médicaments antipsychotiques ; – administration de médicaments thymorégulateurs (stabilisateurs de l’humeur) ; – administration de médicaments antidépresseurs ; – administration d’un contraceptif, tel le Dépo-ProveraMD (Institut universitaire en santé mentale de Québec c. E.C.) ; – jusqu’à un nombre prédéterminé de traitements d’électroconvulsivothérapie (ECT) (p. ex., 12 à 20 traitements) en phase aigüe, à raison d’un maximum de trois traitements par semaine ; – un certain nombre de traitements d’ECT en phase d’entretien ; – traitement d’une pathologie physique (laquelle doit être précisée), par exemple une biopsie chirurgicale sous anesthésie générale visant à déterminer la nature cancéreuse ou non de masses suspectes aux seins, ou pour une extraction dentaire. • Tests autorisés : – examens de laboratoire de routine : prises de sang, analyse d’urine ; certains dosages de médicaments (p. ex., lithémie, clozapinémie) nécessaires au suivi de patients recevant de tels médicaments an d’ajuster la dose, d’en surveiller les eets indésirables et de vérier la concentration sanguine de la médication ; – tests de dépistage urinaires de drogues ; – tests pour évaluer la condition physique du patient : examens physiques et examens de laboratoire, dont prises de sang, investigation radiologique, électrocardiogramme (ECG), électroencéphalogramme (EEG), imagerie cérébrale. • Suivis spéciés : – lieux de traitement (p. ex., clinique ambulatoire, CLSC) ; – fréquence du suivi en externe ; – suivi intensif dans la communauté, visites à domicile ; – thérapie en interne dans un centre de traitement spécialisé en toxicomanie8 ; – hébergement dans un milieu de vie approprié. D’autres modalités pourraient être sollicitées, dans la mesure où elles sont justiées telles des clauses de réhospitalisation, de communication de renseignements (discussion avec des proches ou intervenants, accès à des dossiers médicaux) ou de cessation de bail (en cas d’hébergement). Étant donné que les ordonnances d’autorisation de soins constituent une exception au principe de l’inviolabilité de la

personne, la cour ne doit pas accorder un plan de traitement de type « chèque en blanc ». Par conséquent, des recommandations telles que celles de traiter « toute pathologie physique », d’obliger quelqu’un à se soumettre à « toute décision de son psychiatre quant à son plan de soins et son milieu de vie » ne sont pas recevables. L’autorisation ne peut valoir que pour les soins requis actuellement par le patient et non pour ceux qu’il pourrait requérir dans le futur (Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke – Hôtel-Dieu c. L.D.). Il en est de même pour une demande d’hébergement imposé. Il faut qu’au moment de la demande, l’hébergement soit nécessaire (Centre hospitalier de l’Université de Montréal c. C.R.).

8. Une telle ordonnance peut cependant être plus dicile à appliquer. Voir Centre hospitalier Robert-Giard c. W.K.

9. Voir aussi Centre de santé et de services sociaux du Sud de Lanaudière (Clinique Charlemagne) c. J.R., 2010 QCCS 2168, par. no 8-9.

52.4.3 Durée de l’ordonnance La durée des ordonnances émises par les tribunaux est généralement de un, deux ou trois ans. Les tribunaux ont refusé d’autoriser une ordonnance de soins sans terme. Dans l’aaire Curateur public du Québec c. Centre de santé et de services sociaux de Laval, la Cour d’appel mentionnait ce qui suit : Le législateur n’a pas voulu laisser au milieu de la santé le mandat de trancher des situations comme celle de l’espèce. Sans remettre en cause la compétence et le dévouement de ce milieu, le législateur a opté pour une méthode indépendante qui consiste à demander aux tribunaux d’agir en cette matière. Ceux-ci ne peuvent à leur tour retourner le dossier au milieu de la santé sans abandonner leur rôle. […] La seule façon véritable pour le tribunal de s’assurer d’accomplir sa mission, c’est de xer un terme à son ordonnance. L’on s’assure ainsi que la personne ne sombre pas dans l’oubli. À première vue, on pourrait croire qu’une telle mesure entraînera une judiciarisation à outrance, mais à mon avis, ce ne sera pas le cas.

Dans l’aaire F.D. c. Centre universitaire de santé McGill, la Cour d’appel établit que l’ordonnance ne devrait être accordée que pour la période susante pour s’assurer que le traitement produise les eets bénéques escomptés et ne devrait pas avoir une durée indéterminée, à supposer même que la preuve révèle que l’état va nécessairement perdurer. Une durée de cinq ans pour une ordonnance de traitement avait été accordée, puis jugée excessive, et a été réduite à trois ans, ce qui a fait jurisprudence. La cour a précisé que le C.c.Q. prévoit un rôle actif de la part du tribunal et, même si ce rôle implique un retour devant la cour, la balance des avantages et des inconvénients penche en faveur de cet examen régulier. Néanmoins, la Cour d’appel du Québec a reconnu que le tribunal, saisi d’une requête pour soins, peut, dans une situation exceptionnelle, user de sa discrétion pour prolonger la durée « normale » d’une autorisation de soins. Ainsi, dans l’aaire Québec (Curateur public) c. CSSS de Drummond 9, la Cour d’appel a conrmé un terme de cinq ans. S’agissant d’une dame de 85 ans diagnostiquée avec un délire et une maladie d’Alzheimer, ayant été sujette à deux ordonnances de soins antérieures pour des périodes cumulant quatre années, la Cour d’appel a jugé qu’il s’agissait d’une situation exceptionnelle, compte tenu d’une maladie constante et dénitive, et du fait que l’ordonnance en était à son troisième renouvellement.

52.4.4 Suivi de l’ordonnance de soins Les tribunaux, lorsqu’ils autorisent l’administration de soins, confèrent le suivi du traitement au Conseil des médecins,

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dentistes et pharmaciens (CMDP) de l’établissement où aura lieu le traitement. Ils ordonnent au médecin traitant de soumettre au CMDP un rapport écrit périodique sur les traitements administrés, les réactions du patient à ces traitements et sa condition générale. Ils ordonnent également de porter à la connaissance de la cour tout conit ou toute divergence d’opinions entre le CMDP et le médecin traitant. Le jugement qui autorise les soins devient caduc s’il n’est pas donné suite à l’autorisation dans les six mois ou dans tout autre délai xé par le juge (C.c.Q., art. 777, al. 1.).

52.5 Responsabilité du psychiatre Le psychiatre est investi de plusieurs responsabilités et doit respecter certains codes et cadres normatifs.

52.5.1 Responsabilité légale Un psychiatre, comme tout médecin, peut faire l’objet d’une poursuite par un patient ou un membre de la famille pour une faute professionnelle ou une inconduite dans l’exercice de sa profession. L’Association canadienne de protection médicale (ACPM) est une mutuelle de défense représentant plus de 86 000 médecins membres dans l’ensemble du Canada, dont plus de 17 000 au Québec. Elle rapporte que les demandes de conseils et d’assistance ont augmenté en 2012 par rapport à l’année précédente, ce qui témoigne à la fois de l’augmentation continue du nombre de membres et de la complexité grandissante du contexte médicolégal dans lequel les médecins exercent leur profession. Selon les informations publiées dans le rapport annuel de l’ACPM (2012), le nombre des nouvelles actions en justice a diminué au cours de la dernière décennie. Le total des nouvelles actions en justice a diminué puis s’est stabilisé à moins de 900 ces dernières années (881 en 2012). Le nombre de dossiers juridiques ouverts par 1000 membres n’a cessé de diminuer au cours de la dernière décennie, passant de 17 en 2003 à 10 en 2012, bien inférieur au nombre record de 25 dossiers par 1 000 membres en 1995. Le nombre de médecins qui demandent de l’assistance en lien avec les plaintes déposées auprès des organismes de réglementation a connu une hausse depuis une dizaine d’années, avant de se stabiliser autour de 50 plaintes par 1 000 membres en 2012. • De façon générale, la tendance du résultat des actions en justice demeure relativement stable. Des 1 031 actions en justice au civil conclues en 2012 à l’échelle du Canada, il appert que dans 514 cas, les actions ont été rejetées ou abandonnées, alors qu’un règlement hors cour est intervenu dans 444 cas. • Parmi les actions qui se sont rendues à une décision de la cour, un jugement a été prononcé en faveur du demandeur dans 10 cas seulement, comparativement à 63 cas où le jugement a été prononcé en faveur du médecin défendeur. La situation est d’ailleurs comparable au Canada et au Québec où une minorité de décisions judiciaires sont rendues en faveur des demandeurs plutôt qu’en faveur du médecin (2 contre 21 en 2012). L’ACPM observe une augmentation considérable des coûts médians des compensations au Canada, à l’exception du Québec. Le coût médian des compensations nancières au Canada se chirait à 182 000 $ pour les dossiers conclus en 2012, une augmentation de près de 35 % par rapport au coût médian de 2011.

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Les frais judiciaires médians engagés pour une action en justice ont augmenté de façon constante, reétant leur complexité et le marché des services juridiques : ils sont passés de 35 000 $ par cas en 2008 à 41 000 $ en 2012. Enn, la durée médiane des cas demeurait stable en 2011, soit approximativement de 40 mois du début des procédures jusqu’à leur conclusion. La cotisation annuelle d’adhésion payée à cette mutuelle de protection (ACPM) par les psychiatres québécois pour une assistance en responsabilité professionnelle est établie à 2 511,36 $ pour l’année 2014 ; le tarif varie selon les risques associés aux diverses spécialités et par province au Canada. De façon générale, la cotisation des psychiatres québécois se situe sous le niveau de la cotisation moyenne canadienne. Il faut souligner que les psychiatres demeurent parmi les moins poursuivis dans les spécialités médicales et chirurgicales au Canada. Les actions en justice à l’encontre des psychiatres portent sur les fautes suivantes : • suicide d’un patient ; • garde en établissement inappropriée ; • rapport médical (écrit) inapproprié ; • inconduite sexuelle ; • médication inappropriée ; • violence d’un patient contre un tiers ; • autres inconduites (p. ex., bris du secret professionnel, manquement au diagnostic, manquement au traitement).

52.5.2 Responsabilité civile C’est en fonction de la notion de faute professionnelle ayant causé un préjudice qu’un psychiatre peut faire l’objet d’une poursuite en responsabilité civile, selon les règles du droit civil et, plus particulièrement, les dispositions du Code civil du Québec (C.c.Q.) entré en vigueur en 1994 et modié en 2016. Le C.c.Q. édicte en eet les règles de la responsabilité civile, qui intègrent trois éléments indispensables à la réussite d’une action en justice : 1. La faute, dénie comme un manquement à une obligation préexistante (p. ex., la négligence à diagnostiquer ou à traiter la dépression d’un patient ou à évaluer ou à gérer adéquatement son risque suicidaire) ; 2. Un dommage (p. ex., le décès par défenestration du patient) ; 3. Un lien de causalité entre la faute et le dommage. Le régime de la responsabilité civile médicale vise à réparer un préjudice subi par un patient qui en est la victime. Le plaignant a cependant le fardeau de prouver l’existence d’une faute ayant causé ce préjudice, aussi bien en ce qui concerne la démonstration de la faute qu’en ce qui concerne la démonstration du lien de causalité entre la faute alléguée, le préjudice subi et son étendue. En droit civil, contrairement au droit criminel, la force probante requise est celle de la preuve par prépondérance des probabilités et non la preuve hors de tout doute raisonnable. Une poursuite civile est accueillie lorsque la preuve réussit à faire pencher la balance en faveur d’une des parties. Ainsi, généralement, le doute favorise la partie qui est poursuivie. Le manquement à une obligation professionnelle (p. ex., en matière d’obligation à renseigner le patient ou à lui fournir des soins de qualité) doit être apprécié par rapport aux normes de la profession et aux standards d’un médecin normalement prudent, compétent et diligent, ayant la

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même formation et qui aurait exercé dans les mêmes circonstances. Le manquement à toute obligation, qu’elle soit légale ou contractuelle, est toujours une question de fait et peut donc être prouvé par tout moyen, notamment en faisant appel au dossier médical, à des témoins et, en particulier, grâce à l’intervention d’un médecin témoin expert. L’action en responsabilité civile médicale est assujettie à un délai de prescription légale de trois ans. À titre d’exemple, c’est généralement un proche qui, en cas de suicide, engage l’action en justice. Le ou les psychiatres visés sont alors assistés et représentés par un avocat. En général, il n’est pas facile de réussir une poursuite contre un psychiatre en alléguant une faute professionnelle qui aurait contribué à un suicide, car la prévisibilité d’un tel acte demeure dicile à établir. Ainsi, il faut en arriver à prouver qu’il y a eu faute et établir qu’il existe un lien de causalité avec le suicide. An d’être en mesure de s’assurer la meilleure défense possible en cas de poursuite, le psychiatre a avantage : • à évaluer et à préciser, au cours de son examen, les idées suicidaires de son patient ; • à apprécier les facteurs de risque d’un passage à l’acte suicidaire ; • à faire ressortir les facteurs protecteurs ; • à s’assurer d’une gestion adéquate du niveau de risque, en matière de surveillance, de traitement, de soutien et de réévaluation. L’ACPM rappelle d’ailleurs que la documentation au dossier des soins prodigués constitue un élément déterminant d’une défense réussie. En plus d’une bonne tenue du dossier médical, le psychiatre gagne à lire les notes du personnel clinique et à entretenir une bonne communication avec les proches et les intervenants du patient.

52.5.3 Responsabilité déontologique Le psychiatre, comme tout médecin au Québec, doit respecter le Code de déontologie des médecins, dont la version actuelle est entrée en vigueur en janvier 2015. Ce code intègre diérents chapitres qui énumèrent les devoirs généraux du médecin et leurs devoirs et obligations envers le patient, le public et la profession (voir aussi la sous-section 47.1.3). Outre ce règlement, le médecin doit également respecter les autres règlements qui encadrent la pratique de la médecine au Québec, notamment : • le Règlement sur les dossiers, les lieux d’exercice et la cessation d’exercice d’un médecin ; • le Règlement sur les normes relatives aux ordonnances faites par un médecin ; • le Règlement sur l’assurance responsabilité professionnelle des médecins. Lorsque des interrogations sont soulevées concernant l’exercice d’un médecin, que ce soit à la suite d’une plainte d’un patient ou encore d’informations reçues notamment d’un professionnel de la santé tel qu’un médecin, un pharmacien ou un psychologue, d’un coroner ou d’un établissement, le Bureau du syndic du Collège des médecins décidera s’il y a lieu de mener enquête dans le but de s’assurer que le médecin visé respecte les lois et règlements qui encadrent la pratique de la médecine. Le principal mandat du syndic est d’assurer la protection du public. Au cours des dernières années, le nombre d’enquêtes menées par un syndic est passé de 743 en 2010 à 848 en 2014. De ce nombre, on comptait 43 enquêtes menées auprès d’un psychiatre pour l’année 2010 et 65 pour l’année 2014. Bien que cette

augmentation soit signicative, il faut tenir compte du fait que les eectifs médicaux au Québec se sont accrus durant cette période : • au 31 décembre 2009, il y avait 18 152 médecins actifs, dont 1 156 psychiatres ; • au 31 décembre 2013, il y avait 19 818 médecins actifs, dont 1 231 psychiatres. Les enquêtes menées concernent diérentes problématiques et, à l’occasion, plus d’un type de problèmes. En 2013-2014, les problématiques soulevées concernaient la qualité de l’exercice dans près de 50 % des dossiers, l’attitude du médecin ou la relation médecin-patient dans plus de 20 % des cas. De ce nombre, 12 enquêtes ont été menées à la suite d’allégations d’inconduite de nature sexuelle de la part d’un médecin, soit 1,8 % des enquêtes eectuées. Près de 30 % des enquêtes concernaient un non-respect de la réglementation, notamment des problèmes reliés : • à une mauvaise tenue des dossiers ; • à l’accessibilité des dossiers pour les patients ou un tiers ; • à l’indépendance professionnelle du médecin et les situations potentielles de conit d’intérêts ; • à la publicité permise aux médecins ; • à l’organisation de la pratique du médecin ; • à un manque de collaboration du médecin avec les ociers du Collège des médecins. Au terme de ces enquêtes, le syndic a conclu que l’exercice du médecin était conforme dans 53,2 % des dossiers, alors que des problèmes ont été relevés dans 45,3 % des dossiers et que dans 13 dossiers (1,5 %), l’enquête n’a pas été complétée, principalement lorsque le médecin visé par l’enquête n’exerçait plus. Avant de recourir au processus disciplinaire, le Bureau du syndic utilise divers moyens pour aider les médecins à exercer leur profession conformément aux obligations réglementaires et déontologiques. Pour la majorité des demandes d’enquêtes où un problème a été décelé, les solutions aux problèmes décrits résident souvent dans les moyens énumérés ci-après : • l’envoi de remarques ou de recommandations à caractère incitatif au médecin visé ; • l’évaluation de la pratique du médecin par la Direction de l’amélioration de l’exercice, telle une visite d’inspection professionnelle ; • l’acceptation du médecin de se soumettre à un stage d’évaluation ou de perfectionnement ; • la limitation volontaire de son exercice par le médecin ; • le recours au Programme d’aide aux médecins du Québec pour certains problèmes de santé physique ou mentale ; • l’inscription volontaire du nom du médecin sur la liste restrictive de Santé Canada, limitant son droit de prescrire une ou plusieurs catégories de médicaments contrôlés ; • la cessation de pratique du médecin. Le nombre de plaintes disciplinaires a augmenté au cours des dernières années. Pour l’année 2010, 14 enquêtes ont amené le syndic au dépôt d’une plainte contre des médecins, comparativement à 25 dossiers pour l’année 2014. En ce qui concerne les psychiatres, la situation uctue : on note une plainte disciplinaire pour chacune des années 2010, 2013 et 2014, deux plaintes pour l’année 2011 et aucune plainte pour l’année 2012. La question de l’inconduite sexuelle fait souvent les manchettes et se retrouve fréquemment au centre des débats. Le Bureau du

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syndic a répertorié l’ensemble des décisions disciplinaires rendues à l’endroit des professionnels de tous les ordres depuis janvier 2005 (Collège des médecins du Québec, 2013). On constate que ces plaintes ont été déposées principalement contre des profession­ nels de la santé. Les médecins sont les plus souvent concernés, suivis des psychologues, des inrmières et des inrmiers. Au cours des cinq dernières années, 23 plaintes disciplinaires ont été adressées au conseil de discipline par un syndic du Collège des médecins. De ce nombre, on compte 11 médecins de famille et trois psychiatres. Le Collège des médecins, comme bien des ordres professionnels, promeut d’ailleurs une politique de « tolé­ rance zéro », ce qui signie que le Bureau du syndic intervient systématiquement pour que le médecin soit sanctionné lorsqu’une preuve susante démontre un comportement fautif. De tels manquements, s’ils sont prouvés, peuvent conduire à des conséquences disciplinaires et parfois même mener à une sanction pénale et criminelle. En toute circonstance, il revient au médecin de respecter le Code de déontologie, et le Collège des médecins rappelle qu’il appartient au médecin d’assumer la responsabilité des limites à xer dans la relation avec son patient. Les conseils de discipline ont invoqué à maintes reprises les raisons qui justient l’interdiction des relations sexuelles entre un profes­ sionnel et un malade. Parmi celles­ci, ils ont principalement noté : • l’extrême vulnérabilité du patient ; • l’autorité que le médecin exerce sur son patient en état de dépendance ; • la responsabilité du thérapeute qui, en contrepartie du pri­ vilège que lui confère son statut de membre d’un groupe professionnel, accepte d’accorder la priorité aux intérêts du patient et d’éviter ainsi tout conit d’intérêts ; • les conséquences désastreuses que de telles relations produisent sur le patient. La durée de la relation professionnelle a fait l’objet de plu­ sieurs débats tant devant les conseils de discipline que devant les tribunaux d’appel. Selon les experts cités dans les décisions disciplinaires, on doit retenir que le psychothérapeute doit être informé, à titre de professionnel, de l’existence du phénomène transférentiel dans le contexte de la psychothérapie et qu’il doit en tenir compte. Quant à l’éventualité d’une relation intime entre un thérapeute et un client, certains experts sont d’avis qu’il ne devrait jamais en être question lorsqu’il s’agit d’une psychothé­ rapie analytique alors que dans d’autres types de psychothérapie, un délai minimal de deux ans après la n de la thérapie devrait être respecté. Il faut également rappeler que la vulnérabilité des patients teinte la nature de la relation professionnelle à long terme. Dans bien des cas, cette relation se poursuit au­delà du départ des patients de l’hôpital ou après la période de suivi externe. Selon la littérature sur le sujet, certains aspects du scénario suivant sont susceptibles de se manifester graduellement en cas d’inconduite sexuelle : • érosion progressive de la position de neutralité du thérapeute ; • apparition de signes de familiarité (p. ex., tutoiement) ; • dérive des sessions de thérapie qui deviennent moins cliniques et plus sociales ; • divulgation de renseignements personnels par le thérapeute ; • prise de contrôle sur le patient habituellement par la mani­ pulation du transfert et de la médication ;

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mouvement vers le contact physique ; extension des durées d’entrevue ; déplacement de l’horaire en n de journée ; rencontres dans des occasions plus sociales (restaurants, bars, etc.) ; • évolution vers une promiscuité et une intimité accrues jusqu’au contact sexuel. Simon (2003a, 2003b) propose un certain nombre de recom­ mandations et de lignes de conduite de façon à maintenir l’inté­ grité du processus thérapeutique, particulièrement en matière psychothérapeutique. Ainsi, il est suggéré d’éviter les relations sociales entre psychiatre et patient. Le médecin conserve la responsabilité de relever les indices de situations à risque où des limites sont en voie d’être transgressées. Il doit demeurer vigilant à l’apparition d’attitudes susceptibles de mener à des transgres­ sions mineures qui, progressivement, peuvent évoluer vers des comportements plus inappropriés en matière de séduction et de contacts sexuels (Gagné, 2009). Le médecin doit également s’eorcer de déceler les patients plus à risque (p. ex., personnalité limite [borderline] ou trouble réactionnel de l’attachement) et reconnaître ses propres vulnérabilités. En cas de doute ou de dicultés, il devrait consulter un collègue ou encore envisager d’orienter le patient vers un autre thérapeute.

52.5.4 Secret professionnel Au Québec, la protection des données de nature condentielle est assurée par un ensemble de dispositions légales qui imposent aux médecins de respecter le secret professionnel. De cette façon, on vise à préserver la vie privée du patient ainsi que sa conance envers la profession médicale. Le patient, qui est titulaire du droit au secret professionnel, peut s’il le désire donner son consentement à la divul­ gation de renseignements le concernant. Il peut aussi avoir accès à son dossier médical, sauf à de rares exceptions, le plus souvent liées à son état mental, que le médecin est tenu de justier. La loi accorde par ailleurs une certaine protection aux renseignements fournis par des tiers, renseignements qui sont susceptibles d’être soustraits du dossier avant que le patient n’y ait accès. Par ailleurs, des tiers (p. ex., des proches, d’autres intervenants, l’employeur, une compagnie d’assurance, des policiers (Association canadienne de protection médicale, 2011), des agents de probation ou encore la cour) peuvent tenter de solliciter du psychiatre des renseigne­ ments concernant le patient. Il faut alors obtenir le consentement du patient avant d’y donner suite, à moins d’y être tenu, c’est­à­ dire par la loi ou de bénécier d’une forme de justication légale comme un mandat de perquisition ou une ordonnance de la cour relevant formellement le médecin de son secret professionnel. Il est exceptionnellement possible aux médecins de transmettre des informations à des tiers sans le consentement du patient (p. ex., lorsqu’il existe une raison impérative et juste ayant trait à la santé ou à la sécurité du patient ou de son entourage). Il en est ainsi en cas de risque suicidaire pour la personne ou encore de risque de passage à l’acte violent envers une personne ciblée par le patient (duty to warn). Dans l’arrêt Smith c. Jones (1999), qui concernait l’évaluation réalisée par un psychiatre, mais mettait en cause le secret professionnel de l’avocat, la Cour suprême du Canada a établi les critères autorisant la divulgation de renseignements condentiels et statué que, dans des circonstances particulières, la nécessité de protéger le public devait avoir préséance :

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• il doit exister un risque clair qu’une personne ou un groupe identiable soit exposé à un danger ; • le risque doit être sérieux que la victime soit gravement blessée ou tuée ; • le danger doit être imminent. Ainsi, la divulgation pourra être autorisée si elle répond aux exigences de clarté, de gravité et d’imminence du danger potentiel. La divulgation devrait se limiter aux informations nécessaires à la protection de la sécurité du public. On peut penser que cette divulgation pourra être transmise à la victime potentielle ou aux autorités concernées. Le Code des professions (Recueil des lois et des règlements du Québec – RLRQ c. C-26) sanctionne ces principes et précise les conditions où la communication de renseignements condentiels est ainsi autorisée, lorsqu’il existe un motif raisonnable de croire qu’un danger imminent de mort ou de blessures graves menace une personne ou un groupe de personnes identiable. Il limite la communication à la ou aux personnes exposées, à leur représentant ou aux personnes susceptibles de leur porter secours. Le Code de déontologie des médecins précise d’ailleurs les modalités à respecter dans ces cas de communication où un renseignement protégé par le secret professionnel est transmis pour une raison impérative et juste ayant trait à la santé ou à la sécurité du patient ou de son entourage. Le médecin doit alors indiquer dans le dossier du patient : • la date et l’heure de la communication ; • le nom de la personne exposée au danger ; • le nom de la personne à qui la communication a été faite ; • l’acte de violence qu’il visait à prévenir ; • le danger et l’imminence du danger qu’il avait décelés ; • la nature des renseignements communiqués. D’autres dérogations normatives sont prévues au secret professionnel, par exemple en matière de protection de la jeunesse, alors que le médecin a l’obligation de signaler les situations où la sécurité ou le développement d’un enfant peuvent être compromis (p. ex., en cas d’abandon, de négligence ou d’abus envers l’enfant). Dans certaines situations, la réglementation impose en eet au médecin une obligation de divulguer certains renseignements : c’est le cas, par exemple, des maladies à déclaration obligatoire (infection contagieuse ou maladie pouvant provenir d’une source de contamination). En matière de sécurité routière, les tribunaux tendent à faire du pouvoir discrétionnaire du médecin une obligation de signaler l’inaptitude à conduire (Collège des médecins, 2010). Il y a aussi des règles que le médecin doit connaître pour guider sa conduite, notamment en vue de répondre aux demandes de patients qui cherchent à acquérir des armes à feu. Par ailleurs, le médecin doit s’eorcer de concilier ces considérations et restrictions avec la responsabilité qui lui incombe de chercher à recueillir les meilleures informations possible, de façon à établir son diagnostic et à planier un traitement adéquat. À titre d’exemple, dans le cas d’un patient qui s’oppose à la communication de renseignements avec l’entourage, le médecin doit l’assurer qu’il va respecter son obligation de condentialité, mais il reste quand même possible et souhaitable d’écouter les proches an d’obtenir l’information qu’ils veulent bien transmettre à l’équipe de soins et, éventuellement leur orir du soutien. Selon les circonstances, on aurait même avantage à proposer au patient

une entrevue conjointe avec ses proches, dans la mesure où il accepte de collaborer. Ainsi, l’entourage a l’occasion d’exposer ses observations et ses inquiétudes. Le médecin ou d’autres membres de l’équipe de soins peuvent alors faciliter les échanges et comparer les informations discutées, sans pour autant révéler les condences ni transgresser la condentialité. Dans ce cas, c’est en eet le patient lui-même qui donne l’information à ses proches. Il reste primordial que le clinicien gère bien les interactions pour éviter que cette rencontre ne tourne en arontement dont les participants garderaient un goût amer. Dans cet entretien, il s’agit donc de favoriser un échange d’information en vue d’orir de meilleurs soins, non de se livrer à un réquisitoire acrimonieux ni de porter une série d’accusations qui placent les participants sur la défensive. Il faut que tous sortent de cette entrevue, soulagés d’avoir été compris et soutenus par l’équipe soignante.

52.5.5 Témoignage dans un litige de garde d’enfants En raison de la fragilité de la famille nucléaire, les psychiatres (dont les pédopsychiatres), les médecins et d’autres professionnels (psychologues, travailleurs sociaux) sont appelés à témoigner dans des litiges de divorce et de séparation, mais surtout dans des enjeux quant à la garde d’enfants. Suivant l’article 2843 du C.c.Q. : « Le témoignage est la déclaration par laquelle une personne relate les faits dont elle a eu personnellement connaissance ou par laquelle un expert donne son avis. » Il existe deux types de témoins : 1. Le témoin ordinaire (ou témoin des faits) doit relater à la cour les faits qu’il a lui-même constatés. Il ne peut pas formuler d’opinion. Ainsi, le médecin appelé à comparaître comme témoin ordinaire dans une cause de garde d’enfants, de séparation ou de divorce est tenu de respecter le secret professionnel à l’égard de son patient ou ex-patient, partie dans le litige. Mais le patient (et lui seulement) peut autoriser son médecin à révéler à la cour des informations cliniques ou autres le concernant. 2. Le témoin expert témoigne sur des faits dont il a eu connaissance ou non (le ouï-dire), mais il peut, de plus, exprimer son opinion, ses conclusions, dans la mesure où ils sont pertinents à la résolution du litige. Pour que la cour admette le témoignage d’un expert, il doit être utile et nécessaire. Pour obtenir le statut d’expert, le témoin doit décliner ses qualications et son expérience dans le domaine pour lequel le juge devrait lui reconnaître une expertise. Bien entendu, l’expert sera interrogé, contre-interrogé, et peut même être contredit. Le rôle de l’expert devant la cour est le suivant : « Les experts aident le juge à arriver à une conclusion en appliquant à un ensemble de faits, des connaissances scientiques particulières que ne possèdent ni le juge ni le jury, et en exprimant alors une opinion sur les conclusions que l’on peut en tirer » (R. c. Howard). La cour n’est pas liée par les recommandations de l’expertise et peut former sa propre opinion. La décision de la cour est basée sur l’ensemble de la preuve, dont l’expertise n’est qu’un des éléments. L’expertise psychosociale est devenue un élément de preuve incontournable dans le cas de gardes d’enfants hautement contestées. Des psychiatres, des psychologues et des travailleurs sociaux sont appelés à témoigner. En matière familiale,

Chapitre 52

Psychiatrie légale – droit civil

1185

l’objectif, qui est la recherche de l’intérêt supérieur de l’enfant, impose à la cour de décider des modalités de garde ou d’accès les plus propices à l’épanouissement de l’enfant, tout en prenant en considération les éléments décrits à l’article 33 du C.c.Q. : « Les décisions concernant l’enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits. Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, aectifs et physiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation. » Dans la recherche de l’intérêt supérieur de l’enfant, la capacité des parents à prendre soin de leurs enfants doit être évaluée. L’expertise doit éclairer la cour sur les aspects suivants, notamment, mais non limitativement (Guillet, 2009), à savoir : • du côté de l’enfant : – les besoins de l’enfant ; – la stabilité de l’enfant ; – la santé physique et mentale de l’enfant ; – la relation aective entre l’enfant et les parents ; – la relation aective entre l’enfant et les autres membres de la famille ; – le désir de l’enfant ; • du côté des parents : – la capacité parentale de répondre aux besoins de l’enfant ; – la disponibilité réelle du parent à s’occuper de son enfant ; – les habitudes de vie des parents, si celles-ci ont une incidence directe sur l’enfant ; – la santé physique et mentale de celui qui revendique la garde de l’enfant ; – l’environnement psychosocial de l’enfant ;

– la non-séparation de la fratrie ; – la disposition à favoriser la relation avec l’autre parent. L’expertise se veut donc un moyen objectif d’éclairer la cour an qu’elle rende la décision dans l’intérêt supérieur de l’enfant eu égard aux modalités de garde et d’accès.

52.5.6 Recherche clinique en psychiatrie Dans le cadre d’activités de recherche clinique, le médecin doit respecter un certain nombre de règles. En plus des exigences spéciques inhérentes au contexte de la recherche clinique et de celles du comité d’éthique qui les balise, il demeure assujetti à des obligations légales, déontologiques et réglementaires (Collège des médecins, 2007). De cette façon, on vise à assurer que les risques encourus pour le patient n’excèdent pas les bénéces escomptés de la recherche pour le patient lui-même et pour la société. Les conditions dans lesquelles s’exerce la recherche clinique sont assujetties aux règles du consentement, à la politique des organismes subventionnaires ainsi qu’à l’approbation de comité d’éthique. L’éthique en psychiatrie est présentée en détail au chapitre 54.

L’évolution sociale et juridique témoigne d’une inuence accrue d’aspects légaux dans la pratique clinique psychiatrique. Le médecin doit suivre l’évolution des balises et des règles médicolégales applicables à ses activités, visant au respect des droits et libertés de son patient. Il maintient une conduite professionnelle qui répond aux besoins du patient, aux normes applicables et aux valeurs sociales.

Lectures complémentaires B, E. (2009). « Le droit à l’information des patients gardés en établissement : un instrument essentiel de promotion des valeurs démographiques et du statut du citoyen », Revue de droit de McGill, 54(3), p. 547-577. C, S. & al. (2009). La garde en établissement : une loi de protection… une pratique d’oppression, AGIDD-SMQ. C    Q. (2007). L’inconduite de nature sexuelle : relation médecin-patient(e), Montréal, Service des communications du Collège des médecins du Québec. D, P. (2012). « Intégrité de la personne », Juriclasseur Québec – Droit

1186

des personnes, LexisNexis Canada, fascicule 2. D    . (2011). Rapport d’enquête sur les dicultés d’application de la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, Ministère de la Santé et des Services sociaux, Gouvernement du Québec, janvier 2011. Lz, J. (2003). « L’application judiciaire de la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui : pour un plus grand respect des droits fondamentaux », Revue de droit

de l’Université de Sherbrooke, 33(1), p. 219-316. M, J.-P. (2007). « Les requêtes en autorisation de traitements : enjeux et diculté importantes à l’égard des droits des personnes », Service de la formation continue du Barreau du Québec 2007 : Autonomie et protection, 261, p. 317-339. P  . (2011). Rapport concernant les dicultés d’application de la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, Assemblée nationale du Québec, février 2011.

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CHA P ITR E

53

Psychiatrie légale – droit criminel et pénal RENÉE ROY, M.D., FRCPC

KIM BÉDARD-CHARETTE,

Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

M.D., FRCPC Psychiatre légiste, Institut Philippe-Pinel (Montréal) Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

RENÉE FUGÈRE,

PIERRE GAGNÉ,

Psychiatre légiste, Institut Philippe-Pinel (Montréal)

M.D., FRCPC

M.D., FRCPC

Psychiatre, membre fondatrice de psychiatrie légale, Institut Philippe-Pinel (Montréal)

Psychiatre, membre fondateur de psychiatrie légale, Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke

Professeure agrégée de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeur agrégé, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Sherbrooke

53.1 Processus judiciaire..................................................... 1188

53.3 Évaluation psychiatrique ............................................ 1189 53.3.1 Évaluation de l’aptitude à comparaître............ 1190 53.3.2 Évaluation de la responsabilité criminelle...... 1192 53.3.3 Évaluation présentencielle................................. 1193 53.3.4 Autres rapports.................................................... 1194

53.5 Ordonnances de la Commission d’examen des troubles mentaux .................................................. 1196 53.5.1 Audiences.............................................................. 1196 53.5.2 Verdict d’inaptitude à subir un procès ............ 1197 53.5.3 Verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux ...................... 1197 53.5.4 Rapport psychiatrique présenté à la CETM ............................................................. 1197 53.5.5 Délégation de pouvoir ........................................ 1198

53.4 Tribunaux du Québec et du Canada ......................... 1195

Lectures complémentaires .................................................... 1199

53.2 Réforme du Code criminel, section des troubles mentaux .................................... 1189

D

ans le cadre de la pratique psychiatrique, les médecins sont quotidiennement aux prises avec divers enjeux légaux auxquels leurs patients sont soumis. Il sut de mentionner, par exemple, le consentement aux soins, les mesures d’hospitalisation, l’évaluation du risque de violence envers soi et autrui et les obligations qui en découlent. Outre les enjeux de la psychiatrie légale en droit civil, les aspects en lien avec le droit criminel font aussi partie intégrante de la pratique psychiatrique. Contrairement au Code civil qui ne s’applique qu’au Québec, le Code criminel, qui relève du gouvernement fédéral, s’applique à l’ensemble du Canada incluant le Québec. Le Code criminel traite des comportements les plus graves applicables concernant les personnes de 12 ans et plus. Outre une description des infractions, on y trouve les règles de procédure concernant les poursuites judiciaires criminelles et les peines applicables en cas de condamnation. Les règles d’application du droit criminel proviennent de jugements antérieurs rendus au l des années par des juges ; c’est la jurisprudence. Seul le gouvernement fédéral peut édicter ou modier des lois, tandis que les juges ont comme tâche d’appliquer ces lois avec discernement. Les enjeux de la psychiatrie légale en droit civil sont présentés en détail au chapitre 52. Le droit pénal est une sphère du droit qui traite des peines (les sentences) en cas de comportements nuisibles à la société (les infractions). Il possède ses propres règles de procédure et de preuve. En droit pénal, les poursuites sont menées par l’État – et non par la personne victime de l’infraction – contre la personne accusée. L’État est représenté par des avocats appelés « procureurs aux poursuites criminelles et pénales ». La victime est considérée comme témoin de l’infraction. L’existence d’une personne victime n’est d’ailleurs pas nécessaire au dépôt d’une accusation pour une infraction criminelle. Ainsi, en matière de trac de drogue ou d’exploitation d’un commerce sans permis d’aaires, il n’y a pas de victime identiable précisément, si ce n’est l’ensemble des citoyens, mais le comportement n’en est pas moins interdit.

53.1 Processus judiciaire Lorsque survient un geste illégal tel qu’il est déni par le Code criminel (p. ex., des voies de fait simples, une menace, un méfait), la police peut appréhender un suspect et le placer en état d’arrestation. Dans les cas où les policiers estiment évident qu’il s’agit d’un individu avec un problème psychiatrique aigu, ils peuvent le conduire à l’hôpital pour qu’il soit soumis à un examen psychiatrique. En cas d’infraction mineure, la police peut vouloir savoir si l’individu doit être incarcéré ou hospitalisé. Si, après évaluation, le médecin considère que ce délit mineur ne relève pas d’une maladie mentale, l’individu est ramené en prison par les policiers pour que le processus judiciaire suive son cours. Le dossier de la police est acheminé à la direction locale des poursuites criminelles pour que l’individu comparaisse dans les délais prévus par la loi. Le juge doit alors décider si l’individu sera maintenu en détention ou remis en liberté et, dans ce cas, à quelles conditions, par exemple : • demeurer à une adresse connue de la cour ; • ne pas se présenter chez la victime du délit présumé ; • comparaître à la cour lors des prochaines audiences xées.

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Si l’individu est considéré comme dangereux par le juge ou si on soupçonne qu’il est susceptible de s’enfuir et de ne plus se présenter devant la cour, il est envoyé vers un centre de prévention, où il demeure jusqu’à sa prochaine comparution. C’est souvent à cette étape des procédures légales que la question de l’état mental de l’accusé peut être soulevée soit par le procureur (l’avocat) de l’accusé, soit par le procureur aux poursuites criminelles, soit par le juge et, à l’occasion, par l’accusé lui-même. On s’interroge alors sur la capacité de l’individu à subir un procès et sur sa responsabilité criminelle en rapport avec les délits dont il est accusé. Le procès est suspendu jusqu’à l’obtention de réponses à ces questions. Dans les dossiers où la santé mentale de l’accusé n’est pas remise en question, le processus judiciaire suit son cours habituel. L’individu peut être gardé en détention si on craint pour la sécurité du public ou si on craint qu’il omette de comparaître à la date prévue. Il peut y avoir une enquête préliminaire visant à déterminer si les preuves obtenues sont susantes pour retenir l’accusation. Dans tous les cas, une date de procès est xée. Le système judiciaire criminel du Canada découle du droit britannique. L’accusé est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire, et c’est à la poursuite de faire la preuve de sa culpabilité. À la n du processus, c’est le juge ou le jury qui établit l’innocence ou la culpabilité de l’accusé. Le jury est composé d’un groupe de douze personnes, sélectionnées à partir d’un ensemble de citoyens retenus au hasard parmi la population de la ville où se déroule le procès. Le choix des jurés se fait en fonction de critères élaborés par les deux procureurs. Les procès devant jury sont limités à des causes où les accusations sont graves, comme les homicides ou les agressions sexuelles. Alors que c’est le juge ou le jury qui établit si l’individu est coupable, il appartient au juge seul de prononcer la sentence, laquelle est établie en fonction de la gravité du délit et de la jurisprudence. Tout verdict peut être porté en appel par la défense ou la poursuite. Pendant ce temps, s’il a été déclaré coupable, l’accusé peut demander à être remis en liberté en attente d’une décision de la Cour supérieure, qui peut casser un jugement rendu par un tribunal de première instance, ordonner un nouveau procès ou modier la nature de la sentence. Une des trois parties, soit la défense, la poursuite ou le juge, peut, avant qu’une décision ne soit rendue après un verdict de culpabilité, demander la rédaction d’un rapport présentenciel ou d’un rapport psychiatrique ou psychologique visant à éclairer la cour sur les meilleures dispositions à prendre relativement à la problématique spécique de l’accusé. Les sentences de détention sont réservées aux individus qui présentent un risque pour la société. Certains délits (p. ex., un crime avec une arme à feu) entraînent des périodes de détention minimales obligatoires. • Les peines d’emprisonnement de moins de deux ans sont purgées dans des établissements sous autorité provinciale ; ces peines y sont administrées par le Service correctionnel du Québec et la Commission québécoise des libérations conditionnelles. • Les peines de deux ans et plus sont prises en charge par les établissements fédéraux, qui sont choisis pour leur niveau de sécurité (de minimum à maximum) en vertu du risque de violence de l’individu. Elles sont assorties de durées minimale et maximale xées par la loi.

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Aux périodes de détention peuvent s’ajouter, pour les peines de moins de deux ans, des périodes de probation d’une durée maximale de trois ans. Cette probation s’eectue, selon la décision du tribunal, avec ou sans suivi par un agent de probation, représentant du système judiciaire L’individu est alors soumis à diverses conditions qu’il doit respecter sous peine de se voir accusé d’omission de se conformer à une condition d’une promesse ou d’un engagement, par exemple un délit qui le ramène devant le tribunal. Les conditions usuelles sont : • garder la paix ; • se conformer à un suivi spécialisé dans un domaine qui relève de sa dynamique délictuelle (p. ex., une schizophrénie, une toxicomanie, une paraphilie) ; • respecter les recommandations du médecin traitant. Un suivi probatoire ne peut être ajouté à une peine de plus de deux ans. Il existe une exception dans le cas d’un individu reconnu coupable d’une accusation grave : il peut faire l’objet d’une requête de la part de la poursuite criminelle an qu’il soit déclaré délinquant dangereux ou délinquant à contrôler avant que la sentence n’ait été prononcée. Il peut alors, si la cour acquiesce à la requête, être placé en surveillance obligatoire pour une période maximale de 10 ans, après avoir purgé sa peine de détention d’un minimum de 2 ans. La déclaration de délinquant dangereux peut entraîner une incarcération dans un établissement fédéral pour une durée indéterminée. Dans le cas d’une première sentence pour un délit mineur nécessitant un certain encadrement dans la communauté, un autre type de sentence peut être prononcé, soit le sursis à l’emprisonnement, où le juge impose un cadre tel que : • l’utilisation d’un couvre-feu ; • des appels téléphoniques ou des visites à domicile à l’improviste par des agents de surveillance ; • l’interdiction de contact avec les victimes concernées par l’infraction ; • l’interdiction d’aller dans certaines zones à proximité du lieu où le délit a été commis. Un non-respect de ces conditions peut éventuellement donner lieu à un séjour en prison pour toute la durée restante du sursis. L’individu peut aussi faire l’objet de peines plus légères telles qu’une amende ou des travaux compensatoires. L’individu peut aussi être placé sous condamnation avec sursis. Pendant trois ans ou moins, selon ce que détermine le tribunal, il doit alors se soumettre à des conditions. S’il ne respecte pas ces conditions, il comparaît de nouveau devant la cour, qui précise la peine dont il fera l’objet. Il est alors susceptible d’être incarcéré pour la période initialement établie, en plus de recevoir une peine additionnelle si une accusation nouvelle a été portée, reliée à un autre délit. Le processus judiciaire criminel, principalement lors d’accusations graves, s’accompagne souvent de multiples comparutions avec remises, un processus qui peut dépasser un an.

53.2 Réforme du Code criminel, section des troubles mentaux Certains dossiers judiciaires lorsqu’ils sont portés en appel, entraînent des révisions de lois en profondeur. Il en a été ainsi en 1991 pour le cas de M. Swain (Cournoyer & Ouimet, 2012). Celui-ci

avait été accusé de voies de fait et de voies de fait graves à l’endroit de sa conjointe et de ses deux jeunes enfants. Après avoir subi un traitement psychiatrique en milieu hospitalier, il a été remis en liberté sous caution. Par la suite, pendant son procès, le procureur de la Couronne a soulevé la question de l’état mental au moment du délit (responsabilité criminelle). Cette défense a été retenue malgré le fait que l’accusé ne voulait pas invoquer cette stratégie de défense – il ne voulait pas être considéré comme malade mental. Il a donc été envoyé dans un hôpital sous mandat du lieutenant-gouverneur. Il a ensuite interjeté appel à la Cour d’appel de l’Ontario, puis à la Cour suprême du Canada, contestant le fait d’être privé de sa liberté pour une période indénie. La Cour suprême a déterminé que les pratiques de détention en vigueur à la suite d’un acquittement pour cause d’aliénation mentale étaient inconstitutionnelles, en violant les sections 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés (Gouvernement du Canada, 1982). « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale » (section 7). « Chacun a droit à la protection contre la détention et l’emprisonnement arbitraires » (section 9). Ce cas a entraîné une révision en profondeur du Code criminel en 1992, avec obligation de révisions annuelles des ordonnances et un pouvoir décisionnel aux commissions d’examen des troubles mentaux (CETM) en remplacement du lieutenant-gouverneur. Depuis les modifications du Code criminel faisant suite à l’arrêt Swain en 1991, trois modalités peuvent être oertes aux accusés selon l’article 16 : une détention, une libération conditionnelle ou une libération inconditionnelle. Auparavant, il n’y avait d’autre choix que la détention prolongée « selon le bon vouloir du lieutenant-gouverneur ». Depuis lors, les avocats utilisent davantage la défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, ce qui fait que plus de patients se retrouvent devant la CETM. Lorsque la cour demande une expertise concernant l’aptitude à subir un procès, elle peut être faite dans la plupart des hôpitaux du Québec. L’expertise concernant la responsabilité criminelle s’eectue dans quelques hôpitaux désignés au Québec. Si un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux est retenu et que l’accusé n’est pas libéré inconditionnellement, la garde et le traitement peuvent être administrés dans la plupart des hôpitaux du Québec ; le psychiatre traitant doit ensuite produire un rapport pour la CETM selon les normes précisées à la sous-section 53.5.3. Divers changements sont ainsi survenus à la suite de la mise en application de ces révisions (Carver & Langlois-Klassen, 2006 ; Desmarais & al., 2008). Une période d’adaptation a été nécessaire aux médecins et aux juristes avant qu’ils puissent mieux saisir tous les impacts de cette nouvelle loi encadrant les demandes d’évaluation ainsi que les ordonnances pour inaptitude à comparaître et pour non-responsabilité criminelle. Les impacts les plus évidents se sont fait sentir dans l’utilisation de la notion de l’évaluation du risque de violence envers autrui comme critère central de décision de la CETM quant au type d’encadrement à privilégier.

53.3 Évaluation psychiatrique Quand le recours au psychiatre expert est jugé nécessaire, ses services sont généralement retenus par l’une des parties dans le litige (la défense ou la poursuite). Au Québec comme dans le reste

Chapitre 53

Psychiatrie légale – droit criminel et pénal

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du Canada, il est rare que ce soit le juge qui retienne les services d’un psychiatre en particulier. Le juge émet des ordonnances pour un établissement hospitalier. L’administration de l’hôpital s’assure d’assigner les évaluations aux psychiatres à qui on a coné cette tâche clinique dans la distribution du travail. Dans de tels contextes, le rôle du psychiatre est d’éclairer le demandeur et non pas d’agir dans les intérêts supérieurs de l’expertisé. Il faut en eet signaler que le rôle du psychiatre est diérent de celui de l’avocat qui représente la partie en cause. L’avocat doit agir dans l’intérêt supérieur de son client. Par contre, le psychiatre doit exposer, sans parti pris, les faits qu’il a recueillis lors de son examen et de l’étude des dossiers qui lui ont été transmis. Il présente ses opinions et ses conclusions de façon impartiale pour éclairer les juges, les arbitres ou le jury an de les aider à rendre des décisions justes et équitables. Après avoir lu le rapport du psychiatre qu’il a mandaté, l’avocat de la défense peut décider de ne pas l’utiliser s’il n’est pas favorable à la partie qu’il représente. Généralement, avant son témoignage devant la cour, le psychiatre doit avoir examiné l’accusé et rédigé un rapport écrit qui devient la base de son témoignage si le litige aboutit à un procès. Il existe quelques exceptions comme l’expertise sur la capacité de faire un testament d’une personne qui est décédée et qu’on ne peut évidemment plus examiner. L’expertise se fait alors à partir des dossiers médicaux et des informations qui ont été fournies. Le médecin expert doit faire part des limites d’une telle opinion dans son rapport ou son témoignage. Ces opinions sans examen direct de l’individu sont traitées au mérite par la cour. Néanmoins, il faut que le juge reconnaisse l’expertise du psychiatre dans chaque cause où il est impliqué, car seule la cour peut déterminer le statut d’expert du psychiatre qui est appelé à témoigner devant elle. Dans son document intitulé La médecine d’expertise, guide d’exercice, le Collège des médecins du Québec (2006) spécie, entre autres, les conditions nécessaires et les repères déontologiques de la pratique de l’expertise médicolégale : • le consentement libre et éclairé du patient dans le contexte de l’expertise ; • les diérences entre médecin traitant et médecin expert ; • les obligations particulières du médecin expert agissant pour le compte d’un tiers (articles 65 à 69 du Code de déontologie des médecins) ; • les normes de rédaction d’un rapport d’expertise. Le document du Collège des médecins du Québec indique que, dans une expertise psychiatrique, le psychiatre expert doit faire une évaluation du développement bio-psycho-social de l’expertisé, surtout si un diagnostic de trouble de la personnalité est retenu. Le médecin expert doit émettre son opinion et ses interprétations assorties d’explications détaillées. Il ne doit pas jouer le rôle de décideur, mais doit plutôt fournir des explications médicales permettant d’éclairer la cour. Il doit s’abstenir de toute révélation ou interprétation non pertinente à l’objet de l’expertise (p. ex., l’orientation sexuelle de l’expertisé, si cette information est non pertinente au litige). Dans le contexte souvent très polarisé de la psychiatrie légale, où une opinion est demandée par deux parties en opposition dans un système adversatif, il est important pour l’expert d’exprimer son opinion en respectant celle de ses collègues. En psychiatrie légale, le psychiatre doit aussi être conscient du fait que son évaluation peut avoir de graves conséquences sociales pour la personne évaluée, avec des impacts sur sa liberté, son autonomie,

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ses relations avec sa famille, sa vie professionnelle, ses revenus et la jouissance de ses biens. Le psychiatre est appelé à rendre une opinion par rapport à diérentes questions posées par le système pénal. Les questions les plus fréquentes ont trait : • à l’aptitude à comparaître ; • à la responsabilité criminelle ; • aux recommandations présentencielles. Le psychiatre doit parfois évaluer d’autres possibilités comme : • une libération sous caution avant la n des procédures ; • une libération conditionnelle en cours d’incarcération ; • une prolongation de l’incarcération jusqu’à la n du troisième tiers de la peine (Loi sur le système correctionnel et la liberté sous caution, article 129). Ces trois derniers types d’évaluation se concentrent plus particulièrement sur l’évaluation du risque de violence d’un individu envers autrui. Un autre type de rapport peut être demandé, généralement par le procureur de la défense, quant au caractère libre et volontaire de la déclaration faite par l’accusé aux policiers. Lorsqu’un psychiatre rencontre une personne dans le cadre d’une expertise, il est primordial qu’il lui fasse une mise en garde, dès la première entrevue, de façon à clarier l’objectif de la rencontre, notamment le fait que l’information qu’elle lui transmet sert à rédiger un rapport à la demande d’un tiers et que les règles usuelles de la condentialité médecin-patient en sont altérées. En eet, les informations données par l’accusé sont susceptibles d’être communiquées à la personne qui en a fait la demande, avec copie à la défense et à la poursuite si la demande provient de la cour.

53.3.1 Évaluation de l’aptitude à comparaître Il existe un principe fondamental en droit qui établit que l’accusé doit être dans un état mental lui permettant de se défendre, ce qui signie qu’il lui faut : • comprendre de quoi il est accusé, c’est-à-dire la nature et l’objet des poursuites et les conséquences qui peuvent en découler ; • comprendre le contexte judiciaire dans lequel il se trouve, c’est-à-dire le fonctionnement du tribunal et le rôle des avocats, du juge et parfois du jury ; • pouvoir communiquer avec son avocat an de se prévaloir d’une défense pleine et entière. C’est l’article 2 du Code criminel qui dénit l’inaptitude à subir un procès si on constate que l’accusé ne répond pas à ces critères en raison de troubles mentaux (Whittemore & Oglo, 1994). Lorsqu’on se questionne en cour sur la capacité à comparaître, l’accusé peut faire l’objet d’une ordonnance d’examen psychiatrique en vertu de l’article 672.11 du Code criminel. La défense et, exceptionnellement, la poursuite et le juge peuvent soulever la question de l’inaptitude à toutes les étapes des procédures, avant que le verdict ne soit rendu. Le juge qui préside le procès émet alors une ordonnance pour qu’une évaluation de l’état mental de l’accusé soit faite an de déterminer son aptitude à subir son procès. L’ordonnance d’évaluation précise : • par qui ou par quel service l’examen doit être fait, habituellement un expert ou un service à l’intérieur d’un centre hospitalier ; bien que le Code criminel ne précise pas par qui l’examen doit être eectué, il s’agit de psychiatres dans la quasi-totalité des cas ;

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• pour quelle période de temps : la durée de l’examen est souvent

• sa capacité de communiquer d’une façon rationnelle avec son

xée à 5 jours, avec des remises qui peuvent se prolonger jusqu’à un maximum de 60 jours ; • si l’examen doit être fait sous garde en établissement ou en liberté sous réserve de conditions. Au Québec, il est rare que cet examen psychiatrique soit fait dans un contexte de liberté. En pratique, les cas sont évalués dans des centres désignés, dont la liste a été établie par décret par le ministère de la Santé et des Services sociaux. L’ordonnance d’examen visant à déterminer l’aptitude d’un accusé à subir son procès peut être l’occasion de procéder à son évaluation en profondeur pour préciser un diagnostic psychiatrique, réviser les traitements, proposer de nouveaux éléments de solution à une problématique souvent complexe. Les accusés référés par la cour ont parfois cheminé longtemps à travers le système de santé. Le système judiciaire, qui dirige l’accusé malade vers une équipe en santé mentale, souhaite souvent être informé des mesures appropriées qui tiennent compte des traitements disponibles. L’expert qui fait l’examen doit soumettre un rapport écrit à la cour. Dans les cas contestés, l’auteur du rapport peut être requis de témoigner devant la cour. L’ordonnance d’évaluation n’autorise pas le traitement de l’individu contre son gré. Par contre, après un examen qui conclut à l’inaptitude, l’accusé peut faire l’objet d’une ordonnance de traitement par le juge qui préside le procès, lorsqu’un psychiatre témoigne du fait : • que la personne qu’il a examinée présente un état mental qui la rend inapte à subir son procès ; • qu’un traitement psychiatrique ou tout autre traitement médical qu’il précise (à l’exception de la chirurgie du cerveau et des électrochocs) la rendra vraisemblablement apte à subir son procès dans un délai maximal de 60 jours ; • que les traitements n’entraîneront pas pour l’accusé un risque démesuré compte tenu des bénéces espérés ; • que le traitement précisé est le moins sévère et le moins privatif de liberté dans les circonstances. Les causes d’inaptitude autres que la maladie mentale, telles que la surdité ou les barrières linguistiques, sont rarement retenues par la cour. Elle utilise alors tous les moyens nécessaires, un interprète par exemple, pour faciliter la compréhension de l’accusé. Le rapport doit, de toute évidence, répondre à la question posée par la cour en donnant une opinion claire concernant la capacité de l’accusé à subir son procès, mais c’est au juge qu’appartient le pouvoir de rendre un verdict d’aptitude ou d’inaptitude. En plus des éléments consignés au tableau 53.1, le rapport du psychiatre doit également énoncer les symptômes observés (détaillés dans l’examen mental) et leur impact sur : • la capacité de la personne : – à comprendre ce dont elle est accusée ; – à apprécier la gravité des accusations portées contre elle ; – à reconnaître les conséquences éventuelles d’un verdict de culpabilité ; • sa connaissance du rôle des protagonistes en présence à la cour (l’avocat de la défense, l’avocat de la couronne, le juge), qui pourrait être compromise, par exemple si le patient atteint de paranoïa a l’impression que ces protagonistes sont des persécuteurs ;

avocat (son procureur) dans le but de choisir une défense. Sur ce dernier point, on note que le seul fait, pour la personne, de choisir de ne pas faire appel à un avocat ne peut faire en sorte qu’elle soit considérée comme inapte à subir son procès. Il est à noter que, lors de la rédaction d’un rapport portant sur l’aptitude à comparaître, il faut omettre de discuter des points suivants : • les antécédents judiciaires de l’accusé ; • la version qu’il peut avoir donnée concernant les événements ayant conduit à son arrestation ; • les jugements de valeur sur l’accusé susceptibles de biaiser les décisions de la cour ; • les opinions du psychiatre sur la question de la responsabilité. Il faut se rappeler que la question posée par la cour porte uniquement sur l’état mental présent de l’accusé et son impact sur sa capacité à subir son procès. La période de l’évaluation psychiatrique étant terminée, l’accusé retourne devant la cour et écoute le verdict rendu par le juge. • S’il s’agit d’un verdict d’aptitude à subir un procès, les procédures continuent. Si l’état mental de l’accusé change, l’aptitude à subir son procès peut faire de nouveau l’objet d’un questionnement au cours du procès et entraîner une nouvelle ordonnance d’examen portant sur cette question. • S’il s’agit d’un verdict d’inaptitude à subir un procès, l’accusé est alors placé sous l’autorité de la CETM. Le juge de la cour ou la CETM peuvent décider de remettre l’individu en liberté avec des conditions ou de le maintenir à l’hôpital s’il s’y trouvait déjà au moment du verdict. Lorsque la CETM aura déterminé que l’accusé est devenu apte à subir un procès, elle en avisera la cour, et l’accusé sera transféré pour subir son procès. Exceptionnellement, si on croit que l’accusé peut devenir inapte à subir son procès s’il quitte l’hôpital, une demande peut être adressée à la cour an qu’il continue à être hospitalisé et à recevoir des traitements jusqu’à la n du procès. Une ordonnance est alors émise en ce sens. Par contre, il ne pourra être traité contre son gré à moins d’être de nouveau reconnu inapte à subir son procès ou de faire l’objet d’une ordonnance de traitement à la suite d’une démarche auprès de la Cour supérieure. La loi prévoit que les personnes ayant reçu un verdict d’inaptitude à subir leur procès doivent voir leur cas réévalué par la cour, au plus tard deux ans après ce verdict et tous les deux ans par la suite, pour déterminer s’il existe toujours susamment d’éléments de preuve pour ordonner que l’accusé subisse son procès. À la suite d’une décision de la Cour suprême du Canada dans l’aaire opposant R. et Demers concernant les inaptes permanents, une révision du code criminel a été mise en vigueur en 2006. Depuis lors, la cour (et non la CETM) est autorisée à ordonner l’arrêt des procédures à l’égard d’un accusé inapte à subir son procès : • s’il est improbable que l’accusé devienne apte ; • si l’accusé ne constitue pas une menace importante à la sécurité du public ; • si la suspension de l’instance est dans l’intérêt de la bonne administration de la justice.

Chapitre 53

Psychiatrie légale – droit criminel et pénal

1191

TABLEAU 53.1 Divers types de rapports d’évaluation en psychiatrie légale

Éléments à inclure dans le rapport

Aptitude

Responsabilité

Présentenciel

CETM

Identication et statut légal

X

X

X

X

Raison de l’évaluation

X

X

X

X

Provenance de la demande

X

X

X

Mise en garde

X

X

X

Contexte et méthodologie de l’évaluation

X

X

X

Antécédents psychiatriques (personnels et familiaux)

X

X

X

X

Antécédents médicaux et chirurgicaux contributifs

X

X

X

X

Habitudes de consommation

X

X

X

X

Antécédents judiciaires

Omettre

Si indiqué

X

Si indiqué

Médication actuelle

X

X

X

X

Anamnèse

X

X

X

X

Évolution en cours d’hospitalisation (ou depuis la dernière audience)

X

X

X

X

Si indiqué

X

X

X

Examen de l’état mental

X

X

X

X

Diagnostic psychiatrique

X

X

X

X

Opinion médicolégale

X

X

Si indiqué

X

Résultat des évaluations complémentaires (p. ex., tests psychologiques, HCR-20)

Évaluation du risque de violence (envers autrui) Plan de traitement/recommandations

53.3.2 Évaluation de la responsabilité criminelle Pour qu’un individu soit tenu responsable de ses actes, il doit connaître et apprécier la nature des actes en question. En eet, selon l’article 16(1) du Code criminel : La responsabilité criminelle d’une personne n’est pas engagée à l’égard d’un acte ou d’une omission de sa part, survenu alors qu’elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l’acte ou de l’omission, ou de savoir que l’acte ou l’omission était mauvais.

Lorsque des doutes subsistent quant à l’état mental de l’accusé au moment du délit présumé, le juge peut rendre une ordonnance d’évaluation pour examiner la question de la responsabilité criminelle. Cette ordonnance d’évaluation spécie les points suivants : • l’expert ou le service ou l’hôpital où doit se faire l’évaluation ; • le contexte de l’ordonnance (remise en liberté ou poursuite de la période de prévention) ; • le délai à l’intérieur duquel l’évaluation doit être produite, généralement de moins de 30 jours, pouvant être prolongé jusqu’à un maximum de 60 jours dans des circonstances exceptionnelles. Ce type d’évaluation psychiatrique est plus complexe que l’évaluation de l’aptitude à subir son procès. La responsabilité criminelle concerne l’état mental au moment du délit présumé. Cette question est parfois soulevée plusieurs mois, voire plus d’un an après le délit en question. L’évaluation peut alors être étayée par : • des informations fournies par l’accusé lui-même ;

1192

Si indiqué X

X

X

X

• • • •

le rapport de police ; des déclarations obtenues de la part de témoins et de l’accusé ; la révision de ses dossiers psychiatriques antérieurs ; une entrevue auprès de l’entourage. Il faut procéder à une évaluation détaillée de l’état mental présumé de l’individu au moment du délit en établissant un diagnostic psychiatrique basé sur les antécédents et l’évolution de l’individu en cause. Alors que la plupart des évaluations psychiatriques, bien que complexes, sont relativement claires et entraînent des réponses nettes quant à la responsabilité criminelle, d’autres situations sont beaucoup plus polarisées. Par exemple, les patients sourant de dépression majeure avec élément psychotique peuvent présenter des troubles de jugement les amenant à poser des gestes homicidaires altruistes. Ainsi, une mère peut tuer son enfant avant de tenter de se suicider elle-même an d’éviter de graves tourments qu’elle appréhende dans le contexte d’un délire de catastrophe relié à un épisode dépressif majeur. Les patients porteurs d’un grave trouble de la personnalité peuvent commettre des délits dans un contexte de psychose induite par des substances. Ainsi, un jeune adulte sans antécédent psychiatrique qui s’intoxique pour la première fois au LSD peut développer un délire religieux qui l’amène à commettre des voies de fait à l’encontre d’un camarade, convaincu qu’il est possédé du démon. Dans ces types de situations, la responsabilité criminelle est plus dicile à trancher. Il faut alors s’abstenir de porter un jugement moral sur la situation et être au fait des derniers jugements et de la jurisprudence. Il faut par ailleurs souligner que l’intoxication volontaire aux drogues et à l’alcool (p. ex., la conduite en état d’ébriété) de même que la psychose

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induite par des substances au moment de la commission d’un délit ont notamment fait l’objet de décisions telles que celle de R. c. Bouchard-Lebrun (Cournoyer & Ouimet, 2012), qui ont été portées en appel, entraînant des restrictions importantes dans le recours à la défense de non-responsabilité criminelle dans ces cas. Plusieurs changements dans la dénition de la responsabilité criminelle sont apparus à partir de la réforme de la section du Code criminel portant sur les troubles mentaux en 1992. Les nouveaux termes choisis sont « non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux » au lieu d’« acquittement pour cause d’aliénation mentale ». Pour dénir la non-responsabilité criminelle, les hallucinations et le délire ne sont plus mentionnés spéciquement, ces symptômes faisant partie intégrante de plusieurs troubles mentaux majeurs. Et il faut encore faire la preuve que l’accusé a commis l’acte ou l’omission qui lui est reproché. Dans le rapport psychiatrique portant sur la question de la responsabilité criminelle, les recommandations fournies en conclusion doivent porter sur les modalités de l’ordonnance (de détention ou de libération), en fonction du niveau de risque posé par l’individu. Le rapport mentionne aussi les conditions les moins sévères et les moins privatives de liberté possible (article 672.54 du Code criminel). Il propose l’hôpital auquel l’ordonnance doit être conée dans l’éventualité d’un verdict de non-responsabilité criminelle pour troubles mentaux. Si l’accusé fait déjà l’objet d’un suivi psychiatrique à son hôpital de proximité ou qu’il y a été traité récemment, l’ordonnance peut être conée à cet hôpital. Si l’individu n’est pas connu des services de psychiatrie d’un hôpital, l’ordonnance peut être conée à l’hôpital situé à proximité de son lieu de résidence. L’Institut Philippe-Pinel de Montréal accueille un certain nombre de cas complexes pour évaluation de la responsabilité criminelle ainsi que pour le suivi psychiatrique qui en découle, à la suite du procès. Dans le cas d’une libération conditionnelle, les modalités doivent être suggérées selon leur pertinence dans la prévention de gestes de violence chez l’individu en cause. Elles portent habituellement sur les obligations (conditions) suivantes : • habiter dans un lieu connu et approuvé par le responsable de l’hôpital ; • suivre le traitement prescrit par le psychiatre traitant ; • s’abstenir de consommer des drogues ou de l’alcool ; • s’abstenir d’entrer en contact avec la victime du délit en cause ; • garder la paix. Lorsque la cour retient la non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, le patient est placé sous ordonnance du Tribunal administratif du Québec (TAQ). Le juge peut alors déterminer d’emblée le cadre à l’intérieur duquel s’exercera l’ordonnance jusqu’à la première audience du TAQ (désigné Commission d’examen des troubles mentaux aux ns du Code criminel) : • détention (sans modalité ou avec modalités permettant au patient de s’absenter temporairement de l’hôpital) ; • libération conditionnelle avec spécication des modalités ; • libération inconditionnelle, rarement déterminée d’emblée par la cour. L’ordonnance ne peut cependant imposer un traitement pharmacologique. Si le patient le refuse, le psychiatre traitant doit

eectuer des démarches légales pour requérir une ordonnance de traitement (voir la sous-section 52.4.2). La première audience devant le TAQ survient ensuite de 45 à 90 jours suivant la décision de la cour, le délai de 45 jours étant respecté si la cour n’a pas statué sur le cadre de l’ordonnance. La jurisprudence dénit plus précisément le seuil du risque signicatif pour la sécurité du public, en l’absence duquel un individu trouvé non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux doit être libéré inconditionnellement. Il doit y avoir un risque réel de blessure physique ou psychologique envers les personnes dans la société et ce risque doit être sérieux. De plus, si la cour ou le TAQ ne peuvent pas prouver que l’individu sourant de troubles mentaux constitue un risque signicatif pour la sécurité du public, une libération inconditionnelle doit lui être accordée.

53.3.3 Évaluation présentencielle Les rapports couvrant les stratégies juridiques déjà énumérées visent à préciser l’état mental au moment de la commission des actes présumés, pouvant mitiger la responsabilité de l’accusé sans pour autant lui mériter un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. Lorsque l’accusé est trouvé coupable, la cour peut demander un rapport susceptible de l’éclairer sur le type de sentence à privilégier, à l’intérieur de ce que prévoit le Code criminel pour un tel délit. Les délits mineurs font rarement l’objet de ce genre de rapport, sauf si leur caractère répétitif interpelle la cour, qui souhaite être informée des enjeux cliniques et environnementaux liés à la récidive. À l’opposé, les délits les plus graves (p. ex. le meurtre prémédité) n’entraînent aucun questionnement, la seule sentence possible au Canada étant l’emprisonnement à perpétuité (jusqu’à la mort), avec l’examen de l’éligibilité à une libération conditionnelle après de nombreuses années (p. ex., 10 ou 15 ans pour un meurtre au deuxième degré, 25 ans pour un meurtre prémédité). De façon générale, le rapport présentenciel doit éclairer la cour sur la nature des problèmes psychiatriques ou psychologiques de l’accusé. Il se penche sur toute mesure thérapeutique susceptible d’aider à la résolution des dicultés relevées, tout en précisant l’impact de ces mesures sur la récidive et sur la gestion du risque de violence de l’individu. Ce rapport est fait à la demande du Service de probation ou de la cour et doit aussi répondre à toutes les questions contenues dans la demande. La cour cherche souvent à obtenir des précisions sur : • la dynamique délictuelle ; • la dangerosité de l’individu ; • le cadre à maintenir autour de l’individu ; • l’indication d’un traitement psychiatrique spécifiant les objectifs, les modalités, les chances de succès ; • l’indication d’un hébergement en milieu spécialisé, axé sur des problématiques spéciques, comme la toxicomanie, la séropositivité. Le psychiatre se garde bien de déterminer la sentence, celle-ci relevant du juge, mais il prévoit des mesures thérapeutiques indiquées selon les diverses possibilités de sentence. Le rapport présentenciel est parfois demandé pour conrmer l’impression de la cour quant à l’absence de problèmes psychiatriques susceptibles d’avoir inuencé la dynamique délictuelle ou d’avoir un impact sur le parcours ultérieur de l’accusé.

Chapitre 53

Psychiatrie légale – droit criminel et pénal

1193

Par opposition aux évaluations portant sur les questions de l’aptitude à comparaître et de la responsabilité criminelle, au sujet desquelles la littérature est riche et diversiée, les évaluations présentencielles sont, pour leur part, peu étudiées par les chercheurs. Quelques recherches ont porté sur l’impact des recommandations présentencielles sur les décisions légales qui sont suivies par la cour dans 56 à 92 % des cas. Ces études ont été eectuées dans des juridictions diérentes, pour la plupart aux États-Unis et en Angleterre, de 1957 à 1975. Selon ces recherches, l’inuence des recommandations est donc signicative. Par ailleurs, une littérature empirique américaine plus récente (Redding & Murrie, 2006), dans le domaine de la psychologie, souligne l’inverse, soit le peu d’impact de l’opinion clinique sur le juge, qui rend plutôt la sentence en fonction de la prépondérance des faits, du sérieux des gestes posés et des antécédents criminels. Les auteurs sont d’avis que des facteurs sociaux et moraux liés à la culture américaine inuencent plusieurs jugements.

– son hébergement en ressource spécialisée ; – son engagement dans une thérapie axée sur la prévention de la rechute de consommation de drogue ou d’alcool. Le rapport portant sur l’application de la loi sur les criminels dangereux ou à contrôler est un type d’évaluation poussée visant à quantier le risque d’une récidive chez un individu dont les gestes illégaux entraînent un préjudice grave pour les victimes. Il s’agit le plus souvent de récidivistes avec une longue feuille de route à la fois délictuelle et carcérale. Ils ont une histoire de criminalité polymorphe incluant des actes de violence contre des personnes. Alors que de telles évaluations ont été prévues au départ pour les délinquants sexuels récidivistes, des amendements au projet initial ont permis aux procureurs de la poursuite de faire une demande d’évaluation pour tout individu impliqué dans un crime violent contre autrui, même s’il s’agit d’une première faute de cette nature. Cette évaluation nécessite : – la révision exhaustive des documents pertinents au dossier en cause ; – l’évaluation du risque de violence à l’aide d’une entrevue clinique structurée ; – l’utilisation d’échelles de risque actuarielles (basées sur des items statiques, non susceptibles de changement, qui ont été déterminés à la faveur de recherches empiriques : a) le Static-99 (Hanson & ornton, 1999) ; b) le Violence Risk Appraisal Guide (VRAG) (Harris & al., 1993) ; – l’utilisation d’échelles cliniques qui incluent des items cliniques présents au moment de l’évaluation ; – l’utilisation de l’échelle de psychopathie révisée (PCL-R) de Hare (1991) ; – l’utilisation d’échelles de risque (projection dans le futur), outils qui permettent un jugement clinique structuré et dont certains items sont modiables : a) le Risk for Sexual Violence Protocol (RSVP) (Hart & al., 2003) ; b) le Historical Clinical Risk Management (HCR-20) (Webster & al., 1997) ; – l’utilisation d’échelles de protection susceptibles d’inuencer le risque à la baisse. Il faut alors préciser à la cour les conditions susceptibles d’amenuiser ce risque pour qu’il puisse être assumé en société, en précisant : – les facteurs de risque du patient ; – sa motivation au traitement et ses objectifs de vie ; – les modalités thérapeutiques disponibles et les niveaux d’interventions préconisés ; – les résultats escomptés de tels traitements ; – toute autre recommandation pertinente à la poursuite de tels traitements dans la communauté.



53.3.4 Autres rapports En plus des rapports précités, d’autres types de rapports apportent des réponses à diverses questions juridiques à toutes les étapes du processus judiciaire, mais ceux-ci dépassent cependant le cadre du présent chapitre : • Un rapport peut être demandé lors d’une demande de remise en liberté. • Des rapports peuvent venir étayer diverses stratégies utilisées par l’avocat de la défense, par exemple l’automatisme ou l’intoxication. La défense d’automatisme fait appel à des situations où l’accusé est aux prises avec une maladie qui l’amène à agir sans exercer sa volonté, d’une façon inconsciente ou involontaire. Par exemple, elle peut être invoquée lorsque l’accusé soure d’épilepsie ou de somnambulisme. La conséquence de ce type de défense, si elle est retenue par la cour, est un acquittement, sauf si l’automatisme est en lien avec une maladie mentale et, dans ce cas, c’est la défense selon l’article 16 qui s’applique. Dans la défense d’intoxication, le comportement de l’individu qui a consommé de grandes quantités de drogue ou d’alcool peut être tellement aecté par la substance en cause qu’il est incapable d’évaluer la portée de ses gestes. Ce type de défense ne peut s’appliquer qu’aux plus graves accusations et donne lieu à un verdict de culpabilité à un délit moins grave. • Un rapport peut être requis lors d’un infanticide. Tout rapport rédigé pour une remise en liberté doit statuer sur le potentiel de violence de l’accusé et les risques de récidive. Le prévenu devant être présent lors d’une prochaine comparution, il faut statuer sur le risque de sa non-présence à la cour ; dans cette hypothèse, il peut y avoir objection à sa remise en liberté. Les conditions de remise en liberté doivent aussi être énoncées. À la suite d’un plaidoyer ou d’une reconnaissance de culpabilité par la cour, un rapport peut être demandé à des ns présentencielles ou à la suite de l’incarcération en vue de la libération du détenu. • Le rapport prélibératoire vise à préciser la nature des problèmes psychiatriques du détenu pour faire les recommandations qui s’imposent an de gérer ces problèmes ainsi que le risque qu’il représente quand il retournera dans la société, par exemple : – sa participation à un suivi psychiatrique ;

1194

i

Un supplément d’information sur le Static-99 est disponible au www.static99.org. Un supplément d’information sur le Violence Risk Appraisal Guide (VRAG) est disponible au www.tn.gov/mental/policy/ forms/MHDDvrag.pdf. Un supplément d’information sur l’échelle de psychopathie révisée (PCL-R) de Hare est disponible au www.hare.org/ scales/pclr.html.

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Un supplément d’information sur le Risk for Sexual Violence Protocol (RSVP) est disponible au www. violenceriskassessment. com/rsvp.php. Un supplément d’information sur le Historical Clinical Risk Management (HCR-20) est disponible au http:// kdouglas.wordpress.com/HCR-20. En dehors des situations énoncées dans ce chapitre, qui relèvent du droit criminel, les psychiatres sont souvent sollicités par leurs patients ou par des tiers afin de produire des rapports d’évaluation pour divers organismes publics ou privés (p. ex., la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST), le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (aide sociale), la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), les compagnies d’assurance, etc.). Il faut, bien sûr, obtenir d’abord l’autorisation écrite du patient avant de divulguer toute information. Même s’il ne s’agit pas, dans ces cas, de rapports d’expertise, les informations qu’ils renferment peuvent quand même avoir un impact légal. Le psychiatre traitant, qui cherche à intervenir dans l’intérêt de son patient, peut se trouver quelque peu piégé par ces demandes de rapports, où il révèle des informations confidentielles. Néanmoins, il est essentiel qu’il demeure le plus objectif possible dans la rédaction de ces rapports destinés à des tiers, afin d’éviter la complaisance qui contreviendrait au Code de déontologie des médecins.

53.4 Tribunaux du Québec et du Canada Il y a 87 cours municipales réparties sur tout le territoire du Québec, présidées par des juges municipaux. Elles ont une compétence limitée et exercent dans le domaine des réclamations de taxes. En matière pénale, elles ont compétence en ce qui concerne les infractions aux règlements municipaux et les infractions aux lois québécoises tel le Code de la sécurité routière. Elles ont également compétence pour entendre et juger les infractions visées par la partie XXVII du Code criminel, soit les infractions criminelles punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. (Justice Québec, 2011) [La Chambre de la jeunesse] entend toutes les causes impliquant un mineur, relatives à la sécurité ou au développement des jeunes de moins de 18 ans, en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse. Elle entend également les causes d’adoption. En matière criminelle, la Chambre de la jeunesse applique la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Elle entend, en première instance, les causes des jeunes de 12 à 18 ans qui sont accusés d’infractions au Code criminel (y compris de meurtre) et à certaines lois fédérales. En matière pénale, cette chambre est chargée de l’application du Code de procédure pénale en ce qui concerne les infractions aux lois ou aux règlements du Québec ou aux règlements municipaux, commises par un jeune âgé de 14 à 18 ans. (Justice Québec, 2009)

Le Tribunal de santé mentale ore une option pour les accusés de délits moins graves atteints de troubles mentaux (punissables sur déclaration sommaire de culpabilité, réglementation municipale, sécurité routière). Le recours à cette cour vise à limiter

le recours à l’emprisonnement, à orienter ces individus vers le système de soins, à diminuer le risque de récidive et les délais dans le traitement de leurs dossiers. Ceux-ci sont souvent compliqués par l’incompréhension des accusés et par la diculté des intervenants légaux à composer avec les déciences causées par la maladie mentale. À la Cour du Québec (2014), les juges entendent en première instance le plus grand volume d’aaires judiciaires au Québec. Ils sont compétents en matières civile, criminelle et pénale ainsi qu’en matière de jeunesse. Ils siègent également en matière administrative ou en appel dans les cas prévus par la loi. Cette cour est aussi une cour d’archives. Bien que le Tribunal des professions (2014), qui siège en matière de déontologie professionnelle, et le Tribunal des droits de la personne (2014), chargé d’entendre les recours basés sur la discrimination, ne soient pas intégrés à la Cour du Québec, les juges qui en sont membres sont des juges de la Cour du Québec. La Cour supérieure du Québec (2014), à titre de tribunal de droit commun au Québec, est saisie en première instance, et parfois en appel, de tous les litiges ne relevant pas expressément d’un autre tribunal ou organisme. Ils regroupent : • les aaires civiles et commerciales dont l’enjeu est de 70 000 $ ou plus ; • les litiges en matières administrative et familiale de même qu’en faillite ; • les procès devant jury en matière pénale ; • les appels en matière de poursuites sommaires. Cette catégorie d’infractions réfère à des délits de gravité moindre. L’accusation doit être portée dans les six mois suivant l’infraction. La sentence doit être prononcée à l’intérieur de paramètres spéciés. De plus, sauf dans les cas prévus spéciquement par la loi, la Cour supérieure exerce un pouvoir de surveillance et de réforme de tous les tribunaux ou organismes du Québec, à l’exception de la Cour d’appel. En vertu de la loi, la Cour supérieure du Québec compte, à l’heure actuelle, 144 postes réguliers de juges répartis entre deux divisions, Montréal et Québec. À ces postes, il faut ajouter des juges surnuméraires, dont le nombre peut varier. La Cour d’appel du Québec (2014) est le plus haut tribunal du Québec. « Sa vocation est distincte de celle des autres cours d’appel du pays en ce qu’elle est la gardienne de l’intégrité et du développement du droit civil du Québec. Elle agit en dernier ressort dans plus de 99 % des aaires. » La Cour d’appel fédérale (2013) est un tribunal qui ore ses services dans les deux langues ocielles du Canada. Elle est également bijuridique, parce qu’elle administre les deux systèmes juridiques de common law et de droit civil. Les deux cours sont de nature itinérante, en ce sens qu’elles siègent et instruisent des causes n’importe où au Canada dans le but de se rapprocher le plus possible des parties. La Cour suprême du Canada (2014) est la juridiction d’appel dénitif du pays, le dernier tribunal auquel peuvent s’adresser les parties à un procès, qu’il s’agisse de particuliers ou de gouvernements. Sa compétence comprend à la fois le droit civil du Québec et la common law des autres provinces et des territoires.

Chapitre 53

Psychiatrie légale – droit criminel et pénal

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53.5 Ordonnances de la Commission d’examen des troubles mentaux Le Tribunal administratif du Québec (TAQ) (2014) a été créé par la Loi sur la justice administrative adoptée par l’Assemblée nationale en 1996. Il exerce divers rôles, dont celui que le Code criminel dénit sous le vocable de « Commission d’examen des troubles mentaux (CETM) ». Deux types d’individus peuvent être placés sous ordonnance du Tribunal administratif du Québec : • les accusés qui ont été trouvés inaptes à subir leur procès ; • les accusés qui ont été trouvés non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux. De 1992 à 2004, Latimer & Lawrence (2006) ont eectué dans cinq provinces et deux territoires canadiens (Île-du-PrinceÉdouard, Québec, Ontario, Alberta, Colombie-Britannique, Nunavut et Yukon) une étude portant sur les cas de nonresponsabilité criminelle et d’inaptitude à subir un procès. Ils ont constaté que c’est dans une proportion de 1,8 individu sur 1 000 traduits devant les tribunaux pour adultes que ces types de cas ont donné lieu à une ordonnance du TAQ au Québec (ou du Review Board dans les autres provinces). Parmi l’ensemble des cas relevés, une majorité d’entre eux (84 %) concernait des individus de sexe masculin. Le diagnostic le plus fréquent était la schizophrénie. Dans la cohorte des ordonnances de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux : • 76,5 % sont des cas en lien avec des délits violents ; • 58,5 % sont des individus trouvés inaptes à subir un procès. Lors de la première audition devant le TAQ des patients sous ordonnance de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux : • 52 % ont été gardés en détention ; • 35 % ont été libérés sous réserve de modalités ; • 13 % ont été libérés inconditionnellement. Chez les patients sous ordonnance pour inaptitude à subir un procès : • 49 % ont été gardés en détention ; • 42 % ont été trouvés aptes à subir leur procès et renvoyés devant la cour ; • 9 % ont été libérés sous réserve de modalités. Comme on peut le constater, il est rare que les personnes trouvées non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux soient d’emblée libérées inconditionnellement. Un cadre légal permet de s’assurer de la gestion du risque de violence qu’elles représentent pour l’entourage. Pour ce qui est des personnes trouvées inaptes à subir un procès, près de la moitié sont rapidement en mesure de retourner à la cour à la suite d’une évaluation et d’un traitement. Le TAQ est une instance provinciale dont les membres sont nommés par le premier ministre du Québec en conseil. Il doit être constitué d’au moins cinq membres ; ce nombre est beaucoup plus élevé dans les provinces où la population est plus

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nombreuse, comme le Québec, où plusieurs auditions ont lieu au même moment, à travers toute la province. Il exerce diverses fonctions, dont l’une concerne la mise en liberté ou la détention de personnes sourant d’un trouble mental qui ont été accusées d’avoir commis une infraction criminelle et qui ont reçu d’une cour criminelle un verdict d’inaptitude à subir leur procès ou un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de trouble mental. Lorsque le TAQ assume ce type de compétence, il est désigné comme étant la CETM. Son équivalent, dans les autres provinces, est le Review Board.

53.5.1 Audiences La CETM tient ses audiences dans un hôpital. C’est le centre hospitalier qui doit fournir les locaux appropriés et s’assurer de la présence d’un représentant de l’hôpital en plus de celle du clinicien traitant. Il s’assure également, par l’entremise du médecin traitant, de la présence du patient et d’autres professionnels lorsque cela est indiqué (p. ex., la travailleuse sociale ou l’inrmière). Enn, il doit voir à la sécurité des lieux en fournissant le personnel requis. Lors de l’audition, trois membres de la CETM doivent siéger : • le président, généralement un avocat ; • un psychiatre ; • un autre professionnel de la santé mentale (psychologue, travailleur social, criminologue). Selon les statistiques du Tribunal administratif du Québec (2013-2014), on constate une augmentation des auditions au cours des années : • en 2007-2008 : 1 758 auditions ; • en 2008-2009 : 1 893 auditions ; • en 2009-2010 : 2 130 auditions. Depuis 2013, une diminution de 6 % est notée, soit 1 981 auditions. Les audiences de la CETM, quoique se déroulant d’une façon moins formelle qu’à la cour, sont intégralement enregistrées au cas où l’accusé déciderait de faire appel à la Cour d’appel du Québec. Le patient est présent pendant toute la durée de l’audience à moins que le président ne l’exclue parce que son comportement est dérangeant pour la tenue de l’audience ou parce que sa présence pourrait être préjudiciable à sa santé (p. ex., lors de désorganisation majeure du comportement avec un risque d’automutilation grave ou à la sécurité d’un tiers, comme quand l’accusé ne peut tolérer d’être dans la même pièce que sa victime sans se montrer menaçant envers elle). Le patient sous ordonnance et toutes les parties concernées (dont l’hôpital et la victime du délit en cause) ont le droit d’être représentés par un avocat. Lorsqu’il s’agit d’une ordonnance pour inaptitude à subir un procès, la loi exige que l’accusé soit représenté par un avocat. Selon l’article 672.54 du Code criminel, lorsqu’un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux a été rendu à l’égard de l’accusé, le tribunal ou la CETM peut rendre sur-le-champ la décision la moins sévère et la moins privative de liberté parmi celles qui suivent. Le tribunal ou la CETM prend en compte la nécessité de protéger le public contre les personnes dangereuses ainsi que l’état mental de l’accusé et

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ses besoins, notamment la nécessité de sa réinsertion sociale. Le tribunal ou la CETM peut rendre trois types de décisions :

• si cette personne demande la révision de l’ordonnance pour

a) lorsqu’un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux a été rendu à l’égard de l’accusé, une décision portant libération inconditionnelle de celui-ci si le tribunal ou la commission est d’avis qu’il ne représente pas un risque important pour la sécurité du public ; b) une décision portant détention de l’accusé sous réserve des modalités que le tribunal ou la commission juge indiquées ; c) une décision portant détention de l’accusé dans un hôpital sous réserve des modalités que le tribunal ou la commission jugent indiquées. (Cournoyer & Ouimet, 2012, p. 1307)

• après que la CETM ait été informée qu’une peine d’emprisonne-

53.5.2 Verdict d’inaptitude à subir un procès Si un accusé est placé sous mandat du TAQ pour inaptitude à subir son procès, le TAQ doit, lors de l’audience, déterminer si l’individu est devenu apte à subir son procès. Le psychiatre traitant doit produire un rapport écrit, dont il fait la lecture devant ce tribunal. Le contenu de ce rapport s’apparente à celui de l’expertise portant sur la question de l’aptitude à subir un procès (voir la soussection 53.3.1). L’accusé est maintenu sous ordonnance d’inaptitude tant qu’il n’est pas déclaré apte par le TAQ à subir son procès. « Une partie ne peut ordonner la présence d’un témoin à l’audition, mais peut demander au tribunal ou au président de la commission d’examen de le faire » (Cournoyer & Ouimet, 2012, article 672.5(12), p. 1300). Toute partie peut présenter des éléments de preuve, faire des observations, oralement ou par écrit, appeler des témoins et contre-interroger les témoins que les autres parties ont appelés et, si un rapport d’évaluation a été présenté par écrit au tribunal ou à la commission d’examen peut, après en avoir demandé l’autorisation, en contre-interroger l’auteur. (Cournoyer & Ouimet, 2012, article 672.5(11), p. 1300)

Si la commission d’examen détermine que l’individu est devenu apte à comparaître, elle entreprend alors les démarches pour qu’il revienne devant la cour an qu’y soit réexaminée son aptitude à subir son procès. Pendant la période entre l’audience qui conclut à l’aptitude et la conrmation de celle-ci par le juge de la cour, la CETM peut ordonner la poursuite de l’hospitalisation si elle a des motifs qui lui permettent de croire que l’accusé redeviendra inapte à subir son procès s’il est remis en liberté (p. ex., si le patient a l’habitude de cesser sa médication après avoir été libéré). Si le juge conclut à l’aptitude – la preuve se faisant selon la prépondérance des probabilités –, les procédures judiciaires reprennent leur cours.

53.5.3 Verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux Après une première audience tenue 45 à 90 jours après la décision de la cour, la CETM doit rencontrer, au moins une fois par année, l’individu qui fait l’objet d’une ordonnance. Des audiences supplémentaires peuvent se tenir : • si la personne responsable du lieu où l’accusé est détenu ou doit se présenter a procédé à un resserrement important des privations de liberté du patient pendant une période supérieure à sept jours ;

en modier les modalités ; ment a été inigée à l’accusé à l’égard d’une autre infraction ; • à la demande de l’accusé ou de toute autre partie. Quand il présente son rapport devant la CETM, le psychiatre doit proposer des recommandations basées sur des arguments cliniques au regard du risque de violence présenté par le patient. La CETM rend ensuite une décision à la majorité des membres présents, après une période de délibération variant de quelques minutes à quelques semaines. Si un délai additionnel s’avère nécessaire, la décision antérieure reste en vigueur jusqu’à ce que la nouvelle décision soit rendue. Cette décision peut être : • la détention, avec ou sans modalités, permettant des sorties à l’extérieur de l’hôpital et même des essais dans une ressource d’hébergement externe ; • la libération conditionnelle, sous réserve de modalités ; • la libération inconditionnelle. Des exemples de modalités sont mentionnés à la soussection 53.3.2. La décision de la CETM est révisée tous les ans jusqu’à l’obtention de la libération inconditionnelle.

53.5.4 Rapport psychiatrique présenté à la CETM L’audience devant la CETM fournit l’occasion d’une réévaluation annuelle globale de l’évolution du patient par l’équipe traitante. Le patient est avisé du contenu du rapport et des orientations préconisées. Si le patient n’est pas d’accord, il est encouragé à faire valoir les raisons de son désaccord lors de l’audience plutôt que de s’engager dans un arontement avec l’équipe traitante, susceptible d’entraver son implication dans le traitement. Cette façon de procéder appuie la démarche d’autonomisation du patient et favorise sa responsabilisation dans son traitement. Les dissensions portent souvent sur la poursuite ou non de l’hospitalisation, sur les conditions de la prise en charge en clinique ambulatoire, sur la poursuite ou non de l’ordonnance. Lors de situations très polarisées, la CETM dénit le cadre du traitement en fonction des éléments qui lui sont présentés. L’équipe traitante, avec le patient, doit ensuite organiser le traitement à l’intérieur des modalités déterminées par la CETM. À chaque audition, la CETM requiert un rapport écrit du médecin traitant, qui doit en faire la lecture et répondre aux questions qui lui sont adressées par les diérentes parties. Pour la première audience après un verdict de non-responsabilité criminelle ou d’inaptitude à subir un procès, il est recommandé d’inclure dans le rapport une histoire longitudinale du patient. Pour les audiences suivantes, le rapport porte principalement sur l’évolution depuis la dernière rencontre avec la CETM. On doit retrouver dans les rapports une description de l’état mental récent du patient, de son observance du traitement, la présence de facteurs de risque de violence envers les autres et une recommandation au regard de la disposition que pourrait prendre la CETM : une libération inconditionnelle, une libération avec modalités ou la détention à l’hôpital. Il est de mise de faire parvenir à l’avance une copie du rapport au patient et à son procureur (son avocat) ainsi qu’à la CETM. À la suite de la décision rendue par le tribunal ou la CETM, un appel peut être interjeté à la Cour d’appel du Québec sur un point de droit (interprétation des lois et règlements), ou de fait

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(interprétation des faits), ou sur les deux, dans un délai de 15 jours de la réception de la décision. Le patient et l’hôpital peuvent ainsi en appeler d’une décision de la CETM (Cournoyer & Ouimet, 2012, article 672.72(1) et (2)).

53.5.5 Délégation de pouvoir Lorsque la CETM rencontre un patient sous ordonnance en vue d’un changement de statut de la détention vers la libération conditionnelle, il est pertinent d’examiner la possibilité de recommander une délégation de pouvoir, telle qu’elle est dénie dans l’article 672.56 (1) et (2) du Code criminel canadien (Cournoyer & Ouimet, 2012). Cette mesure est accordée par la CETM lorsque le processus de réinsertion sociale risque d’être complexe, ponctué par des rechutes et des hospitalisations, pour un patient chez qui le risque de violence peut augmenter rapidement dans sa communauté, en lien avec des éléments spéciques de sa dynamique délictuelle connus de l’équipe traitante. Seule la CETM a l’autorité d’octroyer une délégation de pouvoir, le tribunal ne pouvant le faire. La commission d’examen qui rend une décision à l’égard d’un accusé en vertu des alinéas 672.54 b) ou c) peut déléguer au responsable de l’hôpital le pouvoir d’assouplir ou de resserrer les privations de liberté de l’accusé à l’intérieur des limites prévues par l’ordonnance et sous réserve des modalités de celle-ci ; toute modication qu’ordonne ainsi ce responsable est, pour l’application de la présente loi, réputée être une décision de la commission d’examen. La personne qui, en conformité avec le pouvoir qui lui est délégué en vertu du paragraphe (1), décide de resserrer d’une façon importante les privations de liberté de l’accusé est tenue de porter cette décision au dossier de l’accusé ; elle est tenue, dès que cela est réalisable, d’en aviser l’accusé et, si le resserrement des privations demeure en vigueur pendant plus de sept jours, d’en aviser aussi la commission d’examen. (Cournoyer & Ouimet, 2012, p. 1312)

Au cours des dernières années, divers cas de jurisprudence ont modié les décisions de la CETM. On peut les résumer ainsi, à l’aide d’extraits du Code criminel annoté de Cournoyer & Ouimet (2012, p. 1307-1309) : • En 2003, dans R. c. Owen : [La] cour en est venue à la conclusion que lorsque le détenu ne prend pas les mesures ecaces pour renoncer à l’abus d’alcool et d’autres drogues qui avait été le catalyseur de ses actes de violence antérieurs, il n’est pas déraisonnable pour la commission de conclure que le maintien en détention de cet accusé est la décision la moins privative de liberté. Le patient représente un risque pour la société et la commission est alors convaincue qu’on ne peut guère espérer contrôler ecacement les habitudes de consommation du détenu avec la surveillance ponctuelle qui peut être exercée sur lui après sa libération dans la collectivité.

• En 2006, dans Mazzei c. Colombie-Britannique : Les commissions d’examen ont le pouvoir de lier les autorités hospitalières et de xer des modalités contraignantes concernant (mais qui ne prescrivent ni n’imposent) le traitement médical d’un accusé non responsable criminellement ou qui ont pour objet la supervision de ce traitement.

• En 2010, dans R. c. Conway : [Tant] qu’il n’est pas libéré inconditionnellement, le patient non responsable criminellement peut quand même être

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détenu ou libéré sous conditions. La commission d’examen a le pouvoir d’assortir son ordonnance des modalités qu’elle juge indiquées. Le caractère indiqué des modalités est lié, du moins en partie, à l’obligation de rendre la décision la moins sévère et la moins privative de liberté compte tenu de la sécurité du public, de l’état mental du patient et de ses besoins, et de la nécessité de la réinsertion sociale. Il n’est pas loisible à la commission d’examen de prescrire ou d’imposer un traitement à un patient non responsable criminellement. Toutes les conditions qu’elle xe doivent résister à un examen fondé sur la Charte […]. [La commission d’examen] possède en outre un pouvoir étendu d’assortir ses ordonnances de libération ou de détention de conditions exibles, individualisées et créatives.

À la suite de décisions des dernières années, la CETM ne peut plus prendre une décision à deux volets telle que de prévoir une libération conditionnelle lorsqu’une ressource d’hébergement sera disponible pour un patient détenu à l’hôpital. Le patient doit plutôt être maintenu en détention, puis être revu quelques mois plus tard, lorsque sa place dans la ressource d’hébergement est conrmée ; ainsi, une possibilité de libération conditionnelle est examinée ultérieurement par la CETM. La décision de libération inconditionnelle est très rarement prise par le tribunal. En eet, les juges de première instance renvoient plutôt cette décision devant la CETM, lors de sa première audition au dossier, avec le recul d’une période maximale de 90 jours. L’ordonnance (détention ou libération) de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux ne constitue pas une ordonnance de traitement. Si le patient refuse le traitement proposé, il faut appliquer les modalités prévues au Code civil an d’obtenir l’autorisation de la Cour supérieure en vue de traiter ce patient contre son gré. Les mesures à prendre dans le cas d’un patient qui refuserait un traitement sont présentées en détail au chapitre 52, à la sous-section 52.4.2.

Ce chapitre fait le survol des aspects du droit criminel et pénal pouvant se retrouver dans le cadre d’une pratique psychiatrique. Il évoque les grandes lignes du Code criminel qui apparaissent d’intérêt pour le psychiatre ainsi que les étapes du processus judiciaire. L’accent est mis sur la réforme du Code criminel, section des troubles mentaux, pour laquelle le cas Swain, en raison de son inconstitutionnalité, a entraîné une réforme en profondeur. Ces modications ont favorisé l’augmentation du recours à une défense de non-responsabilité criminelle, occasionnant une demande accrue auprès des ressources médicales. Le contenu de ce chapitre éclaire les médecins sur la pratique d’expertise en matière d’aptitude à subir son procès et d’évaluation de la non-responsabilité criminelle tout en reétant leurs obligations liées aux dispositions lors de verdicts d’inaptitude ou de non-responsabilité. D’autres types de rapports sont brièvement mentionnés. Les auteurs souhaitent que la lecture de ce chapitre ait permis de faciliter la compréhension du travail de la médecine d’expertise auprès des médecins et qu’il démystie le monde judiciaire, où les psychiatres sont invités de plus en plus fréquemment.

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Lectures complémentaires B, E. (2006). La relation complexe du juge et de l’expertpsychiatre, mémoire de maîtrise, Montréal, Faculté de droit, Université de Montréal, [en ligne], http://hdl. handle.net/1866/2413. B, H. & S, R. D. (2006). « Criminal responsibility », dans Mental Disorder and the Law : A Primer for

Legal and Mental Health Professionals, Toronto, Irwin Law, p. 109-138. B, H. & S, R. D. (2013). Law and Mental Disorder : A Comprehensive and Practical Approach, Toronto, Irwin Law. G, F. (1986). « Reflection on the specificity of psychiatry »,

Chapitre 53

The Canadian Journal of Psychiatry, 31(9), p. 799-805. J, A. & al. (2009). « Au croisement de la justice et de la santé mentale : Objectifs, enjeux et limites des tribunaux de santé mentale », Santé mentale au Québec, 34(2), p.171-197. P, H. & D, J. (2003). Traité de droit criminel, Montréal, émis.

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CHA P ITR E

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Éthique et psychiatrie François Primeau, M.D., FRCPC, B. Ph. (philosophie), C. (théologie)

FÉLIX CARRIER, M.D., FRCPC

Gérontopsychiatre, membre fondateur, directeur, Service de gérontopsychiatrie, Centre de santé et de services sociaux Alphonse-Desjardins, Centre hospitalier alié universitaire de Lévis

Psychiatre, Centre de santé et de services sociaux Alphonse-Desjardins, Centre hospitalier universitaire de Lévis Chargé d’enseignement, Département de psychiatrie et neurosciences, Faculté de médecine, Université Laval (Québec)

Professeur agrégé de clinique, Département de psychiatrie et neurosciences, Faculté de médecine, Université Laval (Québec)

54.1 Fondements historique et théorique ........................ 1201 54.1.1 Dénition et survol historique ......................... 1201 54.1.2 Déontologie et code de déontologie ................ 1202 54.1.3 Éthique, droit et philosophie............................. 1203

54.4 Enseignement de l’éthique.......................................... 1208 54.4.1 Objectifs ................................................................ 1208 54.4.2 Ressources disponibles....................................... 1208 54.4.3 Contenu et modalités de l’enseignement........ 1208

54.2 Psychiatrie clinique et questions éthiques ............... 1204 54.2.1 Condentialité ..................................................... 1204 54.2.2 Aptitude et consentement ................................. 1204 54.2.3 Coercition ............................................................. 1204 54.2.4 Frontières thérapeutiques.................................. 1204 54.3 Éthique de la recherche en psychiatrie ..................... 1205 54.3.1 Consentement à la participation à la recherche......................................................... 1205 54.3.2 Comités d’éthique de la recherche................... 1207 54.3.3 Éthique clinique................................................... 1207

54.5 Euthanasie, suicide assisté et psychiatrie ................. 1209 54.6 Autres sujets de réexion éthique............................. 1212 Lectures complémentaires .................................................... 1213 Quelques sites Internet utiles pour une formation spécialisée en éthique ............................................................ 1213

S

elon le psychiatre français Henri Ey (Ey & al., 1978), le trouble mental est la pathologie de la liberté. En eet, sans liberté, il n’y a pas de questions éthiques, car l’action éthique présuppose une personne libre qui agit. Puisque la nalité de la psychiatrie réside dans la restauration de la liberté au patient, chaque intervention thérapeutique en ce domaine revêt un caractère éthique plus marqué que dans toute autre discipline médicale. Parce qu’elle pense, la personne humaine peut se livrer à une réexion éthique. Le psychisme sous-tend donc les conditions nécessaires à l’énonciation du discours éthique. Un intérêt renouvelé pour l’éthique, comme catalyseur de la pratique clinique et de la réflexion sur la psychiatrie contemporaine, se manifeste avec plus d’acuité depuis les 30 dernières années. Cet intérêt est soutenu par les efforts des organisations médicales, professionnelles et universitaires, afin d’établir un curriculum en éthique au sein de la formation médicale, d’en définir les objectifs, la matière ainsi que les modalités d’évaluation. À cause de ses multiples ramifications sur les plans professionnel, légal et universitaire (enseignement et recherche), l’éthique demeure un élément constitutif de la psychiatrie du 21e siècle. Néanmoins, elle apparaît trop souvent comme une discipline déroutante, aux affirmations contradictoires, à la remorque de l’opinion publique ou de la jurisprudence.

54.1 Fondements historique et théorique En fait, la réflexion éthique est à la base de l’élaboration des paramètres guidant l’action, que le législateur traduit en règles de droit. L’analyse comparée de l’éthique selon les perspectives nord-américaine et européenne continentale permet de dégager certaines différences dans l’articulation de l’éthique et du droit. La tradition anglo-saxonne, tributaire de la common law, accorde une place prépondérante à la jurisprudence. Par exemple : • La Cour suprême des États-Unis (Roe c. Wade) a légalisé l’avortement en 1973. • La Cour suprême du New Jersey, dans le cas de Karen Quinlan, a consacré la cessation des systèmes de soutien assisté, en 1976, pour cette patiente dans un état végétatif. L’approche européenne continentale défend le principe de l’intervention juridique minimale en bioéthique. Ainsi, en France, le Comité consultatif national d’éthique, créé par François Mitterrand en 1983, privilégie une démarche d’abord anthropologique (philosophique), puis juridique. La jurisprudence française envahit moins la réflexion éthique qu’aux États-Unis, comme il en sera question à la soussection 54.1.3. Un eort de réexion éthique préalable s’avère nécessaire pour clarier les impératifs de l’action clinique. Ce chapitre espère contribuer à son approfondissement. Trois thèmes nourrissent cette réexion : 1. Par sa défense de l’intégralité de la personne humaine, l’éthique favorise un dialogue entre les courants de la

psychiatrie actuelle (le matérialisme biologique1 et l’idéalisme psychologique2). 2. L’éthique permet de mieux structurer l’obligation du respect de l’humanité en chaque personne qui, momentanément ou durablement blessée dans son esprit, demeure un membre à part entière de la communauté humaine. 3. Par son questionnement anthropologique et philosophique, l’éthique doit aronter la question suivante en psychiatrie : quelle humanité voulons-nous être ? Dans notre société, on peut prétendre que le patient sourant d’un trouble mental représente le paradigme de la personne vulnérable au 21e siècle :

• soit un objet, esclave d’une civilisation déshumanisante ; • soit un sujet appartenant à une civilisation plus humaine au service de la personne. C’est la nalité éthique de l’action du psychiatre, selon Viktor Frankl (1905-1997) : le but de la profession, pour le psychiatre, est d’aider ses patients à trouver le sens de leur propre vie (Winslade, 2006).

54.1.1 Dénition et survol historique Étymologiquement, le mot « éthique », dérivé du mot grec êthos, signie « manière d’agir, usages, mœurs ». Le terme « morale » vient du latin mos, moris, et renvoie littéralement aux mœurs ou coutumes, au comportement. Les deux vocables, éthique et morale, sont en principe des synonymes. L’usage contemporain veut réserver la notion d’« éthique » à une morale laïque, sans référence normative ; la notion de « morale » implique alors une tradition religieuse spécique imposant ses normes et principes. Il n’est pas possible de trancher ce débat ici. Observons néanmoins qu’« éthique » recouvre diverses acceptions. En Amérique du Nord, l’éthique biomédicale, discipline hybride, tient à la fois de la philosophie, de la théologie, du droit et de la médecine. L’Europe continentale situe le plus souvent l’éthique dans la partie générale de la philosophie morale. Les champs concrets d’application de l’éthique donnent alors lieu à autant d’éthiques spéciales (p. ex., l’éthique de l’environnement, l’éthique des aaires, l’éthique du vivant [bioéthique]). En s’inspirant de Lévy-Bruhl (1971), philosophe, sociologue et anthropologue français, on peut donc délimiter ainsi le champ de l’éthique : la science des mœurs humaines ou du comportement humain. L’idée de norme ne semble pas étrangère à cette science, puisque toute science est œuvre de la raison, en recherche d’armations à portée universelle. Aux ns de ce chapitre, concluons provisoirement par cette dénition de l’éthique : la science normative du comportement humain, comprenant les principes, les règles et les balises qui guident et animent l’action humaine vers son but droit et juste. Cette dénition de l’éthique ne doit pas occulter les métamorphoses successives qu’a connues ce 1. Courant de la pensée contemporaine qui privilégie une conception matérialiste de la personne ; cette conception ancrée dans les aspects biologiques nie la réalité d’aspects spirituels chez la personne (p. ex., la neurobiologie). 2. Courant de la pensée contemporaine qui privilégie une conception de la personne centrée plutôt sur les phénomènes intrapsychiques (p. ex., la psychanalyse).

Chapitre 54

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concept dans le domaine biomédical. Pellegrino (1993) partage l’histoire de l’éthique biomédicale en quatre périodes : 1. Jusqu’au début des années 1960 se déroule la période hippocratique, dont la tradition témoigne de l’inuence des diverses écoles de la philosophie grecque. Cette tradition insiste sur des préceptes éthiques fondamentaux de l’action thérapeutique (faire le bien, éviter le mal) ; elle condamne l’avortement, l’euthanasie et les relations sexuelles entre le médecin et le patient. La vertu essentielle en est la phronesis, jugement pratique éclairé pour distinguer le bien et guider l’action. L’évolution rapide de la médecine et de la société a remis en cause cette tradition en suscitant une nouvelle réexion philosophique. 2. Durant les années 1960, la période de redénition philosophique a mis de l’avant certains principes (voir la sous-section 54.1.3) et a favorisé l’essor de l’utilitarisme3. Aranchies de la tradition hippocratique, les questions fondamentales (nature du bien, fondement et épistémologie de la morale) ont été reléguées au second plan. Le nouvel édice de l’éthique biomédicale a été construit sur les quatre pierres angulaires suivantes : a) autonomie (autodétermination de la personne) ; b) bienveillance (obligation de faire le bien) ; c) non-malveillance (pondération des inuences négatives) ; d) justice (souci d’équité individuelle et collective). Il faut noter que ces quatre principes ne sont pas hiérarchisés ; il est souvent dicile en clinique de savoir lequel des principes a la préséance (p. ex., entre l’autonomie du patient et la bienveillance du psychiatre). 3. Dans les années 1980, la période d’analyse critique de ces principes a été nourrie par cette faille conceptuelle (absence de hiérarchisation des quatre principes précités), ce qui a contribué à la résurgence de la casuistique4, méthode d’analyse pour les cas cliniques. Depuis le début des années 1990, la période de crise, qui prévaut toujours à l’heure actuelle, fait en sorte qu’il semble quasi impossible d’ignorer principes et obligations pour inspirer l’action clinique. La question demeure : sur quelles bases philosophiques cohérentes peut-on construire un discours éthique adapté au 21e siècle ? On voit mal comment échapper au scepticisme5 et au nihilisme6 ambiants, à moins de redécouvrir une anthropologie respectueuse de la personne dans toute sa dignité.

3. Doctrine philosophique, dont les principaux représentants sont J. Bentham et J. S. Mill. Ils font de l’utilité (comprise comme la tendance de quelque chose à engendrer bien-être, joie, avantages ou bonheur) le principe et la norme de toute action individuelle ou sociale. 4. À l’origine, partie de la théologie morale catholique qui a pour objet la résolution des cas de conscience en appliquant les principes moraux théoriques aux situations concrètes de la vie ; actuellement, dans le contexte de la clinique, examen d’un cas particulier à la lumière des principes de l’éthique. 5. Doctrine philosophique qui nie qu’une vérité puisse être atteinte avec certitude (du grec skeptikos, « qui examine »). Son but est d’atteindre la quiétude (ataraxia). Dans l’Antiquité, un de ses principaux représentants fut le philosophe sceptique Pyrrhon. 6. Doctrine philosophique qui nie toute valeur absolue et tout fondement aux valeurs morales. Il n’y a rien (en latin, nihil) pour fonder les valeurs morales.

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54.1.2 Déontologie et code de déontologie La déontologie, du grec déôn, « ce qu’il faut faire », et logos, « discours », est la science qui traite des devoirs à remplir et qui propose une réexion sur les exigences éthiques inhérentes à la pratique d’une profession donnée. Pour plusieurs, les expressions « code de déontologie » et « code d’éthique » s’emploient indistinctement. Tout en soulignant certains principes éthiques, la déontologie s’intéresse surtout aux règles de l’exercice professionnel. L’objet de son étude se trouve plus restreint que celui de l’éthique. De plus, sous la pression des nombreuses poursuites judiciaires en Amérique du Nord, le risque est grand d’un inéchissement de l’éthique vers la déontologie, ce qui réduit l’éthique au respect de normes professionnelles en évacuant la réexion éthique. Il faut éviter de réduire l’éthique à la seule dimension déontologique, an de préserver un sain questionnement philosophique à l’éthique biomédicale contemporaine. En 1978, le conseil d’administration de l’Association des psychiatres du Canada (APC) adoptait le Code de déontologie de l’A ssociation médicale canadienne (AMC). Les annotations propres à la psychiatrie datent de 2002 (Neilson, 2002) et portent sur la version 1996 du Code de déontologie de l’AMC. Le Code de déontologie actuel de l’AMC date de 2004 (Association médicale canadienne, 2004). Il s’applique à l’ensemble des médecins et est fondé sur cinq idées directrices : 1. Responsabilités fondamentales (p. ex., être axé sur le mieuxêtre du patient) ; 2. Responsabilités envers le patient (p. ex., s’abstenir d’exploiter les patients à des ns personnelles) ; 3. Responsabilités envers la société (p. ex., utiliser judicieusement les ressources consacrées aux soins de santé) ; 4. Responsabilités envers la profession (p. ex., être disposé à enseigner aux étudiants et autres collègues et professionnels de la santé et à apprendre d’eux) ; 5. Responsabilités envers soi-même (p. ex., protéger et améliorer sa propre santé et son propre mieux-être). L’APC reconnaît la pertinence de ces cinq idées directrices pour guider la pratique de la psychiatrie ; elle en éclaire certains aspects par 34 annotations adoptées dans l’énoncé de principes de 2002 (Neilson, 2002). Ces annotations s’appliquent spéciquement à la pratique de la psychiatrie et couvrent divers sujets, par exemple : • la relation psychiatre-patient, pivot du traitement ; le psychiatre n’utilisera pas cette relation pour satisfaire ses besoins émotionnels, nanciers ou sexuels ; • les droits du patient, dont celui de rechercher une deuxième opinion ; une vigilance constante s’impose an d’assurer la condentialité des échanges ; • la continuité des soins : le patient n’est pas l’objet d’une cessation arbitraire des suivis, et les autres avenues thérapeutiques sont discutées en détail ; • l’objection de conscience : un psychiatre soucieux de l’éthique reconnaît ses positions morales personnelles et utilise son jugement professionnel dans le traitement d’une pathologie psychiatrique ; il en informe le patient ; • le respect, par le psychiatre, des intentions d’un patient inapte, telles qu’elles sont exprimées par le mandat en cas d’inaptitude ; tout conit éventuel à propos de soins psychiatriques

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Spécialités psychiatriques

doit être exploré avec les patients aptes par une discussion sur le mandat en cas d’inaptitude ;

• le refus du psychiatre de participer à des pratiques qui violent les droits fondamentaux de la personne ; la privation de liberté pour l’évaluation et le traitement psychiatriques est strictement encadrée par des dispositions législatives ;

• la coopération avec les professionnels de l’équipe multidisciplinaire orientée vers le rétablissement du patient ; le partage des responsabilités doit être clairement explicité pour tous, incluant le patient ;

• la nécessité, pour le psychiatre, de voir à son propre bien-être, an de remplir ses obligations professionnelles ; la maladie, même psychiatrique, n’épargne pas le psychiatre, qui doit veiller à obtenir promptement les soins appropriés.

54.1.3 Éthique, droit et philosophie Le savoir scientique ne fournit pas, à lui seul, les règles éthiques de son emploi technique. En proposant certaines balises pour guider l’action, les discours éthique et juridique apportent leurs contributions à ce débat. En dépit de la confusion entretenue en Amérique du Nord, ces deux types de discours ne se situent pas sur le même plan. Dans le domaine biomédical, la réexion éthique peut s’enrichir des principes juridiques. Une analyse du droit comparé met en relief certaines diérences :

• En Europe continentale, l’inviolabilité (caractère de ce qui est inviolable, de ce qui ne doit jamais être outragé) de la personne et l’inaliénabilité (caractère de ce qui ne peut être transféré à un autre propriétaire : le corps humain n’est pas un bien commercial) du corps humain sont des valeurs prédominantes.

• L’approche anglo-saxonne, façonnée par le libéralisme individualiste (doctrine des partisans de la libre entreprise qui soutient que les citoyens conservent une part d’autonomie que l’État doit sauvegarder), privilégie le principe d’autodétermination. De même, la jurisprudence fait souvent allusion à des principes éthiques. Les relations entre l’éthique et le droit sont complexes et mutuellement fécondes. Si le droit représente une source de la réexion éthique, celle-ci ne doit pas lui être asservie. Quant à la philosophie, elle permet d’approfondir la réexion éthique biomédicale. En Amérique du Nord, les théories philosophiques les plus en vogue sont l’utilitarisme et une déontologie inspirée des devoirs prima facie7 de William Ross (1877-1971), surtout centrée sur l’autonomie. D’autres approches permettent aussi d’articuler les rapports entre l’éthique et la philosophie, dans le souci du respect de la personne (p. ex., le personnalisme8 7. Devoirs qui s’imposent « à leur face même », de prime abord : parmi ceux-ci, le devoir de respecter l’autonomie. 8. Philosophie dont la valeur essentielle est le respect de la personne humaine ; le principe moral fondamental du personnalisme s’énonce comme suit : une action est bonne dans la mesure où elle respecte la personne, mauvaise dans le cas contraire ; son principal représentant au 20e siècle a été le philosophe français Emmanuel Mounier.

de Mounier [1905-1950] ou la réexion anthropologique de Levinas9 [1906-1995]). Les deux théories inuentes dans le monde anglo-saxon se présentent comme suit : 1. L’utilitarisme tente de concrétiser la recherche du bonheur du plus grand nombre par la vérication de critères pragmatiques. Est moral ce qui est utile, protable à l’individu et à la société. En l’absence de consensus sur les valeurs dans notre société contemporaine, il paraît ardu de choisir ce qui est utile à chacun, surtout dans un contexte d’individualisme outrancier. 2. Le principisme, structuré selon les quatre principes décrits précédemment (voir la sous-section 54.1.1), a été développé, entre autres, par Beauchamp & Childress (2009). D’après l’acception commune, l’autonomie s’entend dans son sens étymologique : est autonome celui qui se donne (autos) ses propres lois (nomos). Cette conception est fort éloignée de la pensée de Kant sur l’autonomie de la volonté (Beauchamp, 1982), qui se détermine d’après le caractère universel de la loi morale selon la raison, contrairement à l’éthique de situation, basée uniquement sur l’intuition ou l’émotion de l’autonomie, que la personne dénit selon ses propres références subjectives, en dehors de tout cadre objectif à portée universelle. L’autonomie n’est donc pas une liberté sans lois ni limites. Cependant, selon Ross (Beauchamp, 1982), un devoir prima facie est une obligation morale qui détermine l’action du psychiatre en toute circonstance, sauf en présence d’une obligation plus importante. Néanmoins, la théorie des devoirs prima facie ne permet pas de hiérarchiser les principes et, dans un cas concret (p. ex., imposer une limite à la liberté d’un patient évalué comme dangereux pour lui-même ou pour autrui par une garde en établissement), ne peut résoudre un conit entre l’autonomie du patient qui désire sa liberté et la bienfaisance du clinicien qui obéit à l’obligation déontologique de restreindre cette liberté. L’autonomie et la bienfaisance, qui s’opposent l’une à l’autre, ont valeur égale, car ces concepts ne sont pas hiérarchisés. Le principe de bienfaisance se décline en quatre éléments : 1. Ne pas faire le mal (primum non nocere ou non-malfaisance) ; 2. Prévenir le mal (p. ex., la médecine préventive pour prévenir les commotions cérébrales dans le sport) ; 3. Extirper le mal (p. ex., tous les eorts de la médecine curative) ; 4. Promouvoir le bien (p. ex., tous les eorts pour inculquer de saines habitudes de vie, an d’éviter les complications métaboliques à long terme des antipsychotiques atypiques). Intimement liées depuis l’origine de la tradition hippocratique, bienfaisance et non-malveillance (ou non-malfaisance) constituent la pierre angulaire de toute action médicale. Le principe de justice (caractère de ce qui est juste, équitable, conforme au droit ou à la loi) est diversement interprété selon les théories : • L’égalitarisme insiste sur un accès universel aux biens essentiels (p. ex., l’accès universel aux soins dans un régime universel de soins de santé). 9. Philosophe français d’origine lituanienne ; sa philosophie de l’existence est une anthropologie centrée sur la réexion sur autrui et l’interpellation éthique inscrite sur le visage de l’autre qui requiert mon attention, mon aide et ma compassion.

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• Le libéralisme se préoccupe plutôt des mécanismes qui permettent aux droits de la personne d’être reconnus dans une structure économique donnée (p. ex., l’autonomie valorisée dans le système de soins de santé qui a cours aux États-Unis, où l’individu est encouragé à exercer diverses options de choix pour sa couverture d’assurance maladie).

54.2 Psychiatrie clinique et questions éthiques Dans son projet d’éducation à la bioéthique, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (1999) propose plusieurs exposés et présentations de cas sur des sujets liés à la pratique médicale. La plupart de ces sujets soulèvent des enjeux pertinents à la psychiatrie au même titre qu’aux autres spécialités médicales. Mentionnons :

• la compétence professionnelle (p. ex., l’expertise du psychiatre dans le diagnostic et le traitement des psychopathologies graves) ; • le dévoilement d’erreurs ou de complications (p. ex., une neutropénie dans le traitement avec la clozapine) ; • la prise de décision, où le psychiatre sollicite la collaboration du patient dans une prise de décision partagée ; • le professionnalisme, qui guide le psychiatre dans une pratique respectueuse du code de déontologie ; • la gestion de conits d’intérêts (p. ex., en recherche, le fait d’informer un participant éventuel, ou son mandataire, de la source du nancement et de la nature de la participation du chercheur, y compris de toute rémunération). Certains problèmes se rencontrent toutefois plus fréquemment ou plus particulièrement en psychiatrie ; ils sont inhérents aux troubles mentaux ou sont l’objet de demandes de consultation ou d’avis psychiatriques.

54.2.1 Condentialité La condentialité est une caractéristique fondamentale de la relation entre le médecin et son patient. Le serment d’Hippocrate y faisait déjà référence dans l’Antiquité. C’est notamment sur elle que se base la conance nécessaire à l’examen, au diagnostic et à la prise en charge médicale et psychiatrique. La condentialité s’appuie notamment sur le principe de bienveillance. En eet, la qualité des soins oerts au patient nécessite qu’il dévoile des renseignements personnels. Une attitude qui minerait cette conance ne saurait être bienveillante. Par ailleurs, un manquement à la condentialité peut porter préjudice à la réputation d’un patient et lui nuire dans sa vie publique ou privée, et ainsi contrevenir au principe de non-malveillance. Dans certaines circonstances, le médecin doit enfreindre son obligation à la condentialité et peut même y être tenu par la loi. En psychiatrie, il s’agit principalement des situations de dangerosité (menaces de suicide ou d’homicide) et de sévices à l’endroit d’un enfant. Dans ces situations, la responsabilité de protéger le public, y compris le patient, demeure primordiale. Des dispositions à l’égard de la condentialité sont présentes dans le Code de déontologie des médecins adopté par

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le Collège des médecins du Québec (2010), dans la Loi sur la santé et les services sociaux en 1991 et dans le Code civil du Québec en 1994.

54.2.2 Aptitude et consentement Les textes législatifs fournissent des balises concernant l’aptitude, selon qu’une personne est majeure ou mineure. De plus, diérents régimes existent pour pallier les incapacités une fois qu’elles sont déclarées, que ce soit pour la gestion des biens ou de la personne elle-même (conseiller au majeur, tutelle, curatelle, mandataire, etc.). Les psychiatres sont souvent appelés à évaluer les questions d’aptitude, particulièrement celle à consentir aux soins, et fréquemment pour des patients atteints de troubles psychotiques comme la schizophrénie, ou pour des patients atteints de troubles neurocognitifs. Le trouble mental en soi ne détermine pas d’emblée une inaptitude. C’est la tâche du psychiatre d’évaluer si les symptômes ou les décits mettent en jeu l’aptitude à consentir et dans quelle mesure ils l’aectent. Les critères de la Nouvelle-Écosse peuvent servir d’appui à cette réexion délicate, puisqu’il est souhaitable que le patient soit, autant que possible, au centre des décisions thérapeutiques qui le concernent. L’aptitude d’une personne mineure et les critères de la Nouvelle-Écosse sont présentés en détail au chapitre 52.

54.2.3 Coercition Une autre question à la fois fréquente et complexe en psychiatrie est la limitation de l’autonomie du patient lorsqu’on l’hospitalise ou lui administre des traitements contre son gré. Dans ces cas, la coercition prend appui sur la bienveillance du psychiatre au prix d’une privation de liberté du patient. Soulignons néanmoins les dilemmes du médecin qui doit soupeser les impératifs médicaux, les besoins et croyances du patient, l’atteinte à sa dignité, l’expérience vraisemblablement traumatisante de cette coercition, les eets délétères pour la relation thérapeutique, etc. En situation d’urgence et pour des raisons de dangerosité pour le patient ou pour un tiers, les mesures coercitives nécessaires (garde en établissement, contentions, sédation) peuvent être appliquées, en attendant une évaluation et une prise en charge psychiatriques appropriées. Ces mesures coercitives sont d’ailleurs rigoureusement réglementées au Québec. De plus, une ordonnance de garde en établissement ne permet pas d’emblée d’imposer des traitements au patient contre son gré. Il s’agit là d’une autre réexion psychiatrique spécique en vue d’une requête d’ordonnance de traitement, le cas échéant. Même si la décision dénitive revient au juge, il faut reconnaître le rôle prépondérant de l’évaluation psychiatrique dans l’instigation et la justication de cette requête. Cela réarme l’importance pour le psychiatre de savoir soupeser les principes discutés dans ce chapitre.

54.2.4 Frontières thérapeutiques Les transgressions des frontières thérapeutiques, notamment en ce qui concerne les relations sexuelles avec les patients, sont un enjeu crucial pour les psychiatres, qui doivent demeurer vigilants

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

du fait des relations privilégiées qui se créent dans les suivis psychothérapeutiques. Interdites par le code de déontologie, elles sont contraires à la bienfaisance et proprement nuisibles aux patients comme à la profession. Un aspect plus délicat de ce débat réside dans l’éventuelle licéité d’une relation qu’un clinicien nouerait avec un expatient en faisant valoir le droit d’une personne autonome à entretenir une relation privée. Dans tous les cas, le type et la durée du suivi, les circonstances et le temps écoulé depuis la fin de la thérapie, l’histoire personnelle du patient et les aspects transférentiels doivent être prudemment soupesés avant qu’il soit possible de se prononcer, et ce, pour chaque cas particulier.

54.3 Éthique de la recherche en psychiatrie L’éthique de la recherche en médecine a été marquée par le code de Nuremberg, promulgué en 1947 à la suite des atrocités nazies de la Seconde Guerre mondiale. Au Canada, l’énoncé de principes qui guide l’approche éthique de la recherche impliquant des participants humains est celui dit des « trois Conseils », mis à jour en 2010 (Conseil de recherches en sciences humaines du Canada & al., 2010). Il est composé des organismes suivants :

• les instituts de recherche en santé du Canada ; • le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada ;

• Le Conseil de recherches en sciences humaines. Ce document intitulé Énoncé de politique des trois Conseils : Éthique de la recherche avec des êtres humains – 2 e édition (EPTC2) insiste sur l’importance du consentement libre et éclairé, sur le respect et le bien-être des personnes et sur la justice. La déclaration d’Helsinki de l’Association médicale mondiale adoptée en 1964 distingue :

• la recherche clinique thérapeutique (p. ex., les recherches sur les traitements psychopharmacologiques) ; le consentement doit être donné par le patient s’il est apte ou par son mandataire en cas d’inaptitude ; • la recherche non thérapeutique (p. ex., une recherche sur le métabolisme des triglycérides chez des volontaires sains) ; dans ce cas, il n’y a aucune dérogation pour passer outre au consentement du sujet lui-même. La déclaration d’Helsinki a été modiée en 1975 à Tokyo par l’Association médicale mondiale an d’encourager la création de comités d’éthique de la recherche, qui donnent leur autorisation avant que tout genre de recherche ne soit entrepris dans tous les établissements de santé. Aux États-Unis, les conclusions du rapport Belmont (National Commission for the Protection of Human Subjects of Biomedical and Behavioral Research, 1978) ont eu un important retentissement dans la communauté scientique. Il propose trois règles régissant la recherche : 1. Le consentement libre et éclairé du participant ;

2. L’évaluation des risques et des bénéfices (la balance bénéces-risques devant être positive) ; 3. La répartition équitable du fardeau de la recherche (éviter de choisir les sujets parmi les mêmes populations, en particulier les populations pauvres et défavorisées). Malgré ces lignes directrices, la recherche en psychiatrie pose des problèmes délicats concernant : • le consentement libre et éclairé du sujet, en toute connaissance des risques inhérents à l’étude et des bénéces qu’il peut en retirer ; • la condentialité maintenue dans les limites permises par la loi durant l’étude et dans les publications ou les présentations scientiques éventuelles ; • l’intégrité de la méthodologie scientique (p. ex., essai randomisé ou non, simple ou double insu, méthodologie prospective ou rétrospective) du protocole de recherche, composante essentielle de l’éthique de la recherche ; • l’intégrité du chercheur (médecin ou thérapeute), qui doit gérer les conits potentiels entre ses devoirs de médecin et ses obligations de chercheur et éviter les conits d’intérêts avec les organismes subventionnaires, surtout si les subventions proviennent de l’industrie privée. Certains principes généraux orientent la réexion sur ces dicultés. La recherche du savoir est une valeur importante, certes, mais non absolue. Le principe fondamental, dans la recherche comme dans la clinique, demeure le respect de la valeur intrinsèque de la personne humaine (Conseil de recherches en sciences humaines du Canada & al., 2010). Ce principe motive, justie et limite la portée de toute recherche impliquant des êtres humains. Cependant, le consentement libre et éclairé ne décharge pas les chercheurs de leur responsabilité morale et scientique. En somme, une éthique de la recherche suppose à la fois une éthique de la démarche scientique et une éthique des droits de la personne.

54.3.1 Consentement à la participation à la recherche Les assises éthiques du consentement libre et éclairé résident dans le principe de bienfaisance, le respect de l’autonomie et le principe de justice. D’un point de vue juridique, les fondements en sont le droit à l’autodétermination et l’inviolabilité de la personne. Néanmoins, il existe cinq situations où le consentement du patient n’est pas requis : 1. La situation d’urgence en santé publique dans les situations de crise où toute une population est menacée (p. ex., décisions de santé publique lors d’une épidémie, comme pour le syndrome respiratoire aigu sévère [SRAS] à Toronto en 2003) ; 2. L’urgence médicale, une situation de crise où la vie ou la santé d’un individu est gravement menacée (p. ex., une chirurgie d’urgence pour sauver la vie d’un polytraumatisé ou encore la mise en garde préventive d’un patient suicidaire désirant quitter précipitamment l’hôpital) ; 3. L’inaptitude du patient à consentir ; il faut alors obtenir le consentement d’une tierce personne intéressée au patient, comme un parent, le tuteur ou le curateur, selon les dispositions

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stipulées par la loi (p. ex., pour un patient présentant des troubles neurocognitifs et inapte à consentir) ; 4. Le privilège thérapeutique dans une situation qui permet au médecin de se soustraire à l’obligation de renseigner son patient, car l’information communiquée lui serait nuisible ; ce privilège est de plus en plus controversé et limité sur le plan juridique et rarement utilisé en clinique (p. ex., ne pas communiquer un diagnostic de néoplasie au patient, an de préserver l’espoir, disait-on) ; 5. Le renoncement du patient à exercer son droit au consentement (situation où le patient exerce son autonomie pour s’en remettre à son médecin ou à son thérapeute : « Si vous étiez dans ma situation, que feriez-vous ? »). Tout doit être mis en œuvre pour éviter la coercition dans l’obtention du consentement. L’information transmise au patient, dans un langage clair, doit lui permettre d’opérer un choix quant à sa participation éventuelle à une recherche. L’énoncé de principes des trois Conseils (Conseil de recherches en sciences humaines du Canada & al., 2010) recommande que le participant à une recherche soit informé des aspects suivants. Avant la recherche :

• l’information à propos de l’invitation faite au participant de prendre part à un projet de recherche ;

• la raison d’être, le but de l’étude ; • la méthode utilisée (p. ex., devis avec groupe expérimental et • • • • • • • •

groupe témoin) ; l’identification des chercheurs et des soutiens financiers éventuels ; la durée et la nature de la participation ; les procédures qui seront appliquées (p. ex., questionnaires, prises de sang, examen d’imagerie médicale) ; les responsabilités du participant (p. ex., prise régulière de la médication) ; les bienfaits anticipés pour le sujet et la société ainsi que les risques prévisibles ; l’absence d’obligation de participer à l’étude ; l’identité et les coordonnées d’un représentant qualié, désigné pour expliquer les aspects scientiques du protocole aux participants ; la nature des informations colligées et leur but ; les précisions sur les personnes ayant accès à ces informations. Pendant la recherche :

• les mesures pour assurer la condentialité ; • l’assurance de pouvoir se retirer du projet sans pénalité (révocabilité du consentement) ;

• dans les protocoles de recherche clinique, l’information sur les procédures de cessation et de retrait du participant par la décision du chercheur. Après la recherche :

• l’information sur le droit du participant de retirer ses données •

ou son matériel biologique (p. ex., sang, salive, sperme) de la banque de données ; l’information sur la possibilité de commercialisation des résultats de recherche ainsi que sur les conits d’intérêts des chercheurs, leurs institutions et les commanditaires ;

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• les moyens de dissémination des résultats pour assurer l’anonymat des participants ;

• l’information sur le paiement ou le remboursement des dépenses des participants et les compensations nancières si un préjudice est encouru ; • un document remis au patient et qui stipule que le consentement n’exclut pas la possibilité de recours légal par le participant si un préjudice relié à la recherche est encouru. De plus, si la participation à l’étude est susceptible d’avoir une incidence sur les soins que reçoit ou pourrait recevoir le sujet, d’autres renseignements doivent lui être fournis, soit : • le pronostic sans l’intervention proposée ; • les autres interventions possibles ; • les aspects expérimentaux (p. ex., un agent pharmacologique utilisé en recherche hors indication) des interventions proposées ; • les interventions dont le patient ne pourra plus bénécier du fait qu’il participe à la recherche dans des conditions contrôlées (p. ex., l’obligation d’interrompre certains médicaments avant de commencer la recherche sur un nouveau médicament) ; • une mise au point sur les possibilités de réussite et les risques d’échec de toutes les interventions oertes et refusées ; • la diérence exacte entre les techniques exposées dans le protocole de recherche et celles qui feraient normalement partie des soins prodigués au patient. Il faut souligner que le consentement est un processus continu. L’étendue de la divulgation des eets néfastes doit être proportionnelle à la probabilité et à la gravité des préjudices éventuels (p. ex., protocole qui utilise un médicament entraînant une défaillance hépatique, voire la mort). Cependant, toute possibilité de préjudice, même très faible, doit être signalée (p. ex., un protocole avec un médicament pouvant causer des réactions bénignes de photosensibilité). Comme le stipule le code de Nuremberg, le consentement est volontaire et implique la compréhension de la nature, du but et des risques inhérents au protocole. On peut néanmoins s’interroger sur la compréhension « réelle » de l’information chez les patients sourant de troubles mentaux. Le problème se pose avec une acuité particulière lorsqu’il s’agit de patients inaptes à consentir en raison de troubles psychotiques comme la schizophrénie ou de troubles neurocognitifs. Pour des recherches à visée thérapeutique, le consentement peut être donné par le mandataire (tuteur ou curateur). L’assentiment du sujet demeure néanmoins indispensable. L’assentiment n’est pas le consentement ; il s’agit d’un acte qui exprime l’absence de refus (p. ex., un patient présentant des troubles neurocognitifs qui tend le bras pour une prise de sang – assentiment – sans comprendre les risques et les bénéces de cette intervention – consentement). Une recherche dans laquelle la participation est imposée par la force ne peut jamais être qualiée d’éthique. Le débat reste cependant entier en ce qui concerne la recherche non thérapeutique. Par ailleurs, des mécanismes doivent être mis en place pour protéger les personnes vulnérables qui collaborent à la recherche psychiatrique, faute de quoi elle ne peut pas progresser dans plusieurs domaines (p. ex., les troubles cognitifs ou le delirium).

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

54.3.2 Comités d’éthique de la recherche Les comités d’éthique de la recherche (CÉR) sont la conscience des institutions de recherche. Les CÉR doivent réviser les protocoles de recherche, de façon indépendante et non partisane. Ces comités ont pour fonction :

• d’évaluer le degré de risque encouru par les participants ; • de veiller à la protection de la liberté, de la sécurité et de la dignité des sujets en s’assurant du respect des modalités prévues pour le consentement ; • de s’assurer de la pertinence scientique du projet proposé et de la compétence des chercheurs. Les trois Conseils (Conseil de recherches en sciences humaines du Canada & al., 2010) recommandent d’inclure, dans la composition d’un CÉR :

• au moins cinq personnes, incluant des hommes et des femmes ; • au moins deux membres possédant l’expertise des disciplines de recherche revues par le CÉR ; • au moins un membre avec une expertise en éthique ; • au moins un membre avec une expertise sur les lois pertinentes, autre que l’avocat du contentieux de l’institution ; • au moins un membre de la communauté sans aliation avec l’institution. An de garantir l’indépendance des décisions du CÉR, les membres de la haute direction de l’institution ne sont pas nommés au CÉR.

54.3.3 Éthique clinique Depuis l’arrêt de la Cour suprême de l’État du New Jersey en 1976 dans le cas de Karen Quinlan, les comités d’éthique clinique ont connu un essor grandissant en Amérique du Nord et en Europe. Cette jeune femme de 21 ans était dans un état végétatif à la suite d’un arrêt respiratoire après l’ingestion de diazépam, d’alcool et de dextropropoxyphène (DarvonMD) lors d’une soirée en 1975. L’année suivante, après qu’elle eut passé plusieurs mois sous respirateur, ses parents s’étaient adressés à la Cour et avaient obtenu le retrait du respirateur. Néanmoins, la patiente a survécu neuf autres années dans un état végétatif, avant de décéder d’une pneumonie en 1985. En plus de leurs missions consultative et éducative, les comités d’éthique clinique, dont la composition est multidisciplinaire, ont porté le plus souvent leur attention sur les problèmes suivants :

• le consentement libre et éclairé (p. ex., préciser les règles de



• •

consentement dans les cas où le patient est atteint de troubles cognitifs passagers ou permanents (delirium, démence) ; clarier le consentement d’un patient avec dépression mélancolique psychotique auquel est proposée une électroconvulsivothérapie) ; la réanimation cardiopulmonaire (p. ex., aider les cliniciens dans leur prise de décision concernant les niveaux de soins pour les patients âgés sourant de multiples pathologies graves engageant le pronostic vital) ; les soins de n de vie (p. ex., décider ou non de procéder à une gastrostomie pour un patient avec démence qui refuse de manger) ; la fécondation in vitro (p. ex., clarier les aspects éthiques de cette pratique dans le cas de couples de même sexe, ou de

femmes seules ou d’un âge plus avancé que la moyenne des femmes recevant usuellement cette intervention) ; • les testaments biologiques (p. ex., faciliter les directives anticipées dans le mandat en cas d’inaptitude pour un patient sourant de démence). Les cas cliniques soumis aux comités d’éthique ont souvent connu leur dénouement avant même qu’aient eu lieu les délibérations du comité (p. ex., le décès du patient aux soins intensifs est déjà survenu avant que le comité d’éthique se réunisse pour délibérer sur le retrait de soins disproportionnés comme un respirateur). Depuis le début des années 1990, des services de consultation en éthique clinique ont été créés en Amérique du Nord pour évaluer, au chevet du patient, auprès de sa famille et de l’équipe soignante, le problème soulevé pour la consultation éthique. Chaque institution doit trouver l’approche de consultation en éthique clinique adaptée à ses particularités. Le modèle le plus largement répandu s’inspire de celui développé par Mark Siegler (Jonsen & al., 2010), interniste, adapté selon le contexte local. En 1984, le docteur Siegler a mis sur pied, à l’Université de Chicago, le MacLean Center for Clinical Medical Ethics, où prévaut le modèle médical traditionnel de consultation. Le plus souvent, il s’agit d’une demande de consultation adressée à un éthicien, coordonnateur du service de consultation éthique, par un clinicien, à la suggestion de l’équipe soignante (p. ex., pour un retrait de respiration assistée aux soins intensifs). Plusieurs possibilités existent pour faire une demande (p. ex., directement par le médecin traitant, par l’entremise de l’inrmière ou par celle d’un autre membre de l’équipe multidisciplinaire). Il y a aussi divers modes de fonctionnement des services de consultation éthique (p. ex., le fonctionnement basé sur le modèle de la consultation médicale où l’éthicien consultant est seul, ou encore un modèle où l’éthicien est entouré de divers membres possédant des compétences spéciques en santé, en droit). En général, l’éthicien consultant (souvent un diplômé en médecine, en sciences inrmières, en droit ou en philosophie) sollicite le consentement du patient avant de l’évaluer, il documente l’évolution du problème et il en protège la condentialité prévalant dans les soins de santé et les codes de déontologie. Dans cette démarche, il collabore avec une équipe multidisciplinaire. La consultation éthique s’appuie sur une grille d’analyse conceptuelle structurée autour de quatre éléments (Jonsen & al., 2010) : 1. La clarication de l’état clinique du patient, de son diagnostic et des interventions thérapeutiques considérées ; 2. Les préférences du patient (ou de son représentant légal, si l’inaptitude est constatée) ; 3. L’évaluation de la qualité de vie, c’est-à-dire des particularités propres à la vie du patient, avant et après le traitement, dans la mesure où ces éléments sont pertinents à la prise de décision clinique ; 4. Les inuences reliées au contexte dans son ensemble, qu’elles soient familiales, sociales, institutionnelles, nancières, légales ou religieuses. Cette approche se veut éminemment pratique et structurée, an de circonscrire puis d’analyser la question éthique soulevée par l’équipe traitante et de proposer une solution raisonnable assortie de recommandations pour guider l’action clinique des professionnels engagés auprès du patient et de sa famille.

Chapitre 54

Éthique et psychiatrie

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Certains éléments caractérisent la modalité d’exercice de la consultation en éthique clinique (Aulisio & al., 2000) :

gestionnaire, de promoteur de la santé, d’érudit et de professionnel (Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, 2014).

• une approche facilitatrice plutôt qu’autoritaire faite par des cliniciens habiles en communication ; • un ensemble de compétences de base (connaissances, habiletés et attitudes) ; • des lignes directrices sur l’accessibilité à ce service, l’information communiquée au patient, la documentation et la révision des cas ; • la divulgation des conits d’intérêts pour éviter les abus de pouvoir ; • le soutien institutionnel à ce service ; • l’évaluation du processus de consultation, des résultats obtenus à la suite de la consultation et des compétences des consultants en éthique. Par exemple, une consultation éthique serait appropriée et bénéque à la résolution de conit dans le cas de la situation clinique d’un patient âgé, aux soins intensifs, sous respirateur, pour qui le pronostic de quitter les soins intensifs est nul ; une partie de la famille est d’accord avec la recommandation médicale du retrait du respirateur et une autre partie de la famille refuse le retrait du respirateur. Bien que la plupart des centres hospitaliers soient dotés de comités d’éthique de la recherche, plusieurs n’ont pas encore de service de consultation en éthique clinique, ce qui fait que l’ecience en ce domaine est très variable d’un centre hospitalier à l’autre. Il faut en souhaiter la systématisation et la généralisation à tous les centres hospitaliers.

54.4 Enseignement de l’éthique Bien que la pertinence de l’éthique en psychiatrie se manifeste avec plus d’acuité dans le contexte général des avancées technologiques des dernières décennies, peu de cliniciens se sentent à l’aise pour enseigner l’éthique. Le plus souvent, des éthiciens (philosophes, professeurs de droit, etc.) se chargent de cet enseignement. Il n’y a pas de cursus uniforme pour devenir éthicien, bien que plusieurs programmes spécialisés existent (voir les sites Internet suggérés à la n du chapitre pour une formation spécialisée en éthique). Depuis une vingtaine d’années, l’éthique constitue en eet un sujet inscrit au programme pour l’obtention du doctorat en médecine et de la certication qui couronne les études postdoctorales spécialisées.

54.4.1 Objectifs Dans l’énoncé de principe du Comité d’accréditation portant sur l’éthique biomédicale, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (2004) précise les objectifs de l’enseignement de l’éthique (Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, 2003). Ces objectifs s’inscrivent dans le contexte plus large des objectifs généraux de la formation en psychiatrie établis en 2007 par le Collège royal : ils spécient que le médecin doit intégrer à sa pratique et apprécier avec professionnalisme les questions qui touchent à l’éthique. Cette intégration de l’éthique se réalise transversalement dans le cadre des compétences CanMEDS dénies en 2005 par le Collège royal, grâce à la maîtrise des rôles d’expert médical, de communicateur, de collaborateur, de

1208

Le cadre de compétences est présenté en détail au chapitre 1, à la section 1.6. Les objectifs se déclinent en connaissances et habiletés qui favorisent une compréhension satisfaisante de l’éthique biomédicale ainsi que le développement d’attitudes éthiques appropriées à la pratique clinique psychiatrique. Il est essentiel que le résident en arrive à pouvoir relever les problématiques éthiques rencontrées en psychiatrie (p. ex., le respect de la condentialité, le respect des frontières thérapeutiques, l’évaluation de la coercition potentielle comme la possibilité qu’un patient présentant une personnalité dépendante soit toujours enclin à suivre les recommandations du psychiatre, du fait de sa dépendance aective, même si, dans certaines situations, il pourrait s’y opposer). Il doit aussi engager une discussion cohérente par rapport à ces aspects éthiques, qu’il intègre à l’évaluation et au plan de traitement de la situation clinique envisagée.

54.4.2 Ressources disponibles L’éventail des ressources disponibles pour l’enseignement de l’éthique biomédicale en psychiatrie est trop vaste pour être exposé en détail dans ce chapitre. Cependant, il est utile de présenter certains repères incontournables pour cet enseignement. Les codes de déontologie canadien et provinciaux doivent être revus en détail. En ce qui concerne la formation postdoctorale en psychiatrie au Québec, le Code de déontologie du Collège des médecins du Québec (2010) ainsi que celui de l’Association médicale canadienne (2004) demeurent des lignes directrices fondamentales pour la formation, l’enseignement et la pratique de la psychiatrie. Il faut également mentionner les annotations propres à la psychiatrie d’une version antérieure (1996) du Code de déontologie de l’AMC (Neilson, 2002). En ce qui concerne l’enseignement de l’éthique clinique par discussion de cas, les superviseurs et les étudiants peuvent se référer aux 47 cas cliniques et aux 10 modules interactifs en ligne développés par le Projet d’éducation en bioéthique du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (1999), dont une version antérieure a été publiée. Des cas cliniques ont également fait l’objet d’une série d’articles parus dans le Journal de l’Association médicale canadienne.

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Un supplément d’information est disponible au www. royalcollege.ca/bioethics et au www.cma.ca/cmaj/series/ bioethic.htm.

54.4.3 Contenu et modalités de l’enseignement L’enseignement de l’éthique peut aborder les principes et la pratique de l’éthique en psychiatrie (Primeau, 2002). L’essentiel est de favoriser la cohérence du comportement éthique des superviseurs et des étudiants avec l’enseignement de l’éthique ; une analyse rationnelle fondée sur la littérature scientique, philosophique et morale doit être favorisée (Primeau, 2012). L’enseignement des principes de l’éthique peut comprendre :

• la dénition de l’éthique ; • les perspectives historiques ;

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

• les théories déontologiques10 et téléologiques11 ; • l’étude des codes de déontologie, des éléments d’éthique comparés (p. ex., entre l’Europe et l’Amérique du Nord) ;

• la consultation en éthique clinique ; • l’éthique de la recherche. L’enseignement de la pratique de l’éthique en psychiatrie peut s’inspirer des modules interactifs en ligne proposés par le Collège royal des médecins et des chirurgiens du Canada sur :

• • • • •

la pratique professionnelle compétente ; la divulgation d’erreurs ou d’eets indésirables ; les traitements de soutien médical maximal en soins intensifs ; le respect des diérences et de la diversité ; le temps d’attente et l’accessibilité aux soins.

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Un supplément d’information sur les modules interactifs proposés par le Collège royal des médecins et des chirurgiens du Canada est disponible au www.royalcollege.ca/bioethics.

On peut aussi utiliser les études de cas qui traitent de la prise de décision clinique, de la communication, du professionnalisme et du système de santé. Les dix modules propres à la psychiatrie publiés par les Annales du Collège royal et remis à jour en 2004 abordent des sujets d’intérêt pour les superviseurs et les résidents en psychiatrie :

• le consentement, l’aptitude à consentir et le consentement substitut ; la condentialité ; l’allocation des ressources de façon équitable ; l’hospitalisation contre le gré du patient (garde en établissement) ; le transfert et le contre-transfert ; le suicide ; l’inconduite professionnelle ; l’éthique de la recherche psychiatrique. Les modalités de l’enseignement de l’éthique en psychiatrie sont variées, à l’image de la diversité des lieux et des pratiques. Il peut s’agir d’enseignement formel portant sur l’éthique lors de conférences académiques, de cours aux étudiants et aux résidents ou de présentations lors de congrès scientiques. L’enseignement de l’éthique peut aussi s’incorporer aux activités de l’équipe interdisciplinaire dans les unités hospitalières. La supervision clinique ou universitaire se prête favorablement à un mentorat, an de maximiser l’interaction entre le superviseur et le résident en tous lieux où s’exerce une activité clinique de formation :

• • • • • • •

• • • • •

en unité d’hospitalisation ; en clinique ambulatoire ou communautaire ; en soins de longue durée ; en famille d’accueil ; en centre de jour. La participation du résident à un comité d’éthique de la recherche (ou à un comité d’éthique clinique) représente une occasion privilégiée pour l’enseignement de l’éthique dans un

10. Relatif à l’ensemble des règles et devoirs qui régissent l’exercice d’une profession. 11. Relatif à une théorie éthique centrée sur l’idée de nalité (téléologie), sur l’étude des conséquences.

contexte appliqué. Enn, un stage optionnel en éthique peut donner au résident l’occasion d’approfondir la littérature en éthique et de participer à des comités d’éthique, sous la supervision d’un mentor pouvant réunir, idéalement, des compétences en psychiatrie et en éthique. Actuellement, de tels stages sont oerts dans de trop rares milieux d’enseignement universitaire au Québec.

54.5 Euthanasie, suicide assisté et psychiatrie Il ne convient pas de refaire ici l’argumentation pour ou contre l’euthanasie et le suicide assisté. En 2010 et 2011, une commission de l’Assemblée nationale du Québec sur la question spéciale de « mourir dans la dignité » a tenu une consultation générale et des auditions publiques dans plusieurs villes du Québec. Elle a été l’occasion d’une prise de parole citoyenne et d’une mobilisation de la population importante et tout à fait inusitée pour ce genre d’exercice. La Commission spéciale « Mourir dans la dignité » (2012, p. 84) et la Loi concernant les soins de n de vie, adoptée le 5 juin 2014 par l’Assemblée nationale à 94 voix contre 22, recommandent la possibilité de procéder à l’euthanasie pour des personnes aux prises avec « des sourances physiques ou psychologiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans les conditions qu’elles jugent tolérables » en respectant les critères qui suivent. Concernant le malade :

• • • •

Il doit être résident du Québec. Il doit être majeur. Il doit être apte à consentir. Il doit être capable d’une décision libre et éclairée. – La demande d’euthanasie doit être exprimée par le patient lui-même. – La demande d’euthanasie est faite par écrit dans un formulaire signé. – La demande est ensuite réitérée dans un délai jugé raisonnable (durée non précisée par la Commission). Selon l’expertise du médecin :

• La maladie est grave et incurable. • La situation clinique se traduit par une déchéance avancée, sans perspective d’amélioration. Une deuxième opinion médicale indépendante est requise quant au respect des critères de recevabilité de la demande ; le médecin qui émet la deuxième opinion est compétent quant à la pathologie en cause. Le médecin traitant doit remplir une déclaration formelle d’euthanasie. Le psychiatre peut être consulté pour évaluer l’aptitude ou les sourances psychologiques du patient. Les sondages à ce sujet sont appréciés diversement selon l’idéologie des uns et des autres et sont l’occasion de constater la confusion qui règne dans les esprits entre euthanasie et cessation de soins disproportionnés. Il est opportun de rappeler huit faits susceptibles d’éclairer ce débat, souvent chargé d’émotions, qui obscurcissent l’analyse rationnelle. 1. Il peut paraître surprenant à tout psychiatre soucieux de fonder sa pratique sur les données probantes qu’il n’y ait pas de dénition scientiquement acceptée de la douleur et de

Chapitre 54

Éthique et psychiatrie

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la sourance intolérable dans le contexte d’une démarche d’euthanasie ou de suicide assisté (Dees & al., 2010). Cette impasse scientique constitue une aporie12 dans le contexte de projets de loi qui proposent la légalisation de ces pratiques pour les cas de « douleurs physiques ou mentales aiguës » sans perspective de soulagement. Le projet de loi C-384 visant à décriminaliser l’euthanasie a nalement été rejeté par le Parlement fédéral le 14 avril 2010 par 225 voix contre 59. 2. La polysémie13 du concept de dignité donne lieu à des glissements de sens : les partisans et les opposants de ces pratiques invoquent la dignité pour appuyer leur argumentation. Pour plusieurs, la dignité est conditionnée par le regard porté sur sa personne par autrui ou soi-même. Cette visée réductrice de la dignité oublie l’analyse rigoureuse de la philosophie comme l’a proposée Kant et qu’a retenue la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Ainsi comprise, la dignité renvoie à la valeur inconditionnelle de la personne, à son intangibilité14, à sa valeur absolue en sa singularité15 (Ricot, 2010). Ce sens ontologique16 plus profond possède une valeur axiologique17 qui ne peut confondre dignité et liberté ou perte de dignité et maladie avancée. L’appréciation subjective que le patient fait de sa propre dignité, ou encore l’état de maladie, quel qu’il soit, ne peut diminuer ou eacer la dignité du malade, que ce dernier possède du simple fait qu’il est un être humain. « Toute vie jouit d’une qualité objective, même si la perception que s’en fait le sujet varie à l’inni […]. La dignité ne se dilue pas avec les accidents de l’existence biologique ou psychologique » (Bruguès, 2002, p. 169). Cette polysémie du concept de dignité est à l’origine de malentendus et d’équivoques qui ne servent pas la rigueur exigée par la gravité des enjeux débattus au sujet de ces pratiques de n de vie. Par son intérêt pour la totalité de la personne humaine, le psychiatre est prédisposé à en parfaire sa compréhension philosophique et anthropologique. 3. Les fondements juridiques de ces pratiques doivent être réexaminés, en particulier aux Pays-Bas, où la légalisation est survenue en 2002 après plus de 30 années de tolérance tacite. Buisjen explique bien cet état de fait au sujet de la Convention sur la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales : [Il] faut rappeler les suppositions erronées du gouvernement néerlandais au cours de la procédure législative. La Convention repose sur le principe de la dignité humaine, non sur le droit à l’autodeétermination. Autrement dit, tous les droits et libertés garantis par la Convention ne sont pas aliénables. Le droit à la vie constitue bien un droit inaliénable [en eet, le droit à la vie est enchâssé dans les chartes canadienne, québécoise et internationale]. Il s’agit 12. Contradiction insoluble dans un raisonnement. 13. Propriété d’un mot qui présente plusieurs sens. 14. Caractère de ce qui doit rester intact, inviolable. 15. Valeur absolue d’une personne qui se distingue de toutes les autres par ce qui en fait un être unique et irremplaçable. 16. Relatif à l’ontologie, qui est l’étude de l’être en tant qu’être ; ici, le sens est centré sur l’être même de la personne. 17. Relatif à l’axiologie, qui est la science des valeurs morales (du grec axios, « valable », et logos, « discours ») ; ici, valeur morale fondamentale.

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même de la valeur suprême dans la hiérarchie des droits de l’homme. (Buijsen, 2005, p. 167-168)

Cela veut tout simplement dire qu’il faut être en vie pour être titulaire de droits ; la vie est donc au sommet de la hiérarchie des droits de la personne. On peut refuser un droit (de vote, p. ex.), mais abandonner la vie par demande d’euthanasie signie quitter le fondement (la vie) qui permet l’existence des droits. Le droit à la vie est le fondement de l’exercice de tous les autres droits, puisque la vie est la condition première et nécessaire à la qualité de titulaire de droits et à l’exercice de ces droits de la personne. Au contraire, le droit à la mort n’existe dans aucune constitution ou charte des droits, même si on a légalisé l’euthanasie dans trois pays européens. Il faut rappeler les suppositions erronées du gouvernement néerlandais au cours de la procédure législative. La Convention repose sur le principe de la dignité humaine, non sur le droit à l’autodétermination. Autrement dit, tous les droits et libertés garantis par la Convention ne sont pas aliénables. Le droit à la vie constitue bien un droit inaliénable [en eet, le droit à la vie est enchâssé dans les chartes canadienne, québécoise et internationale]. Il s’agit même de la valeur suprême dans la hiérarchie des droits de l’homme. (Buijsen, 2005, p. 167-168)

4. Aux Pays-Bas, la méconnaissance des facteurs psychiatriques et psychologiques dans ce débat est plutôt stupéante. La prévalence des troubles dépressifs chez les patients en phase terminale d’une maladie cancéreuse varie de 20 % à 50 % ; le traitement de ces troubles dépressifs n’atteint pas 5 %. De plus, les patients atteints de troubles dépressifs sont susceptibles de demander l’euthanasie de quatre à cinq fois plus souvent que ceux qui ne le sont pas (Van der Lee & al., 2005). Il est assez troublant pour un psychiatre d’apprendre que depuis le cas Chabot aux Pays-Bas (478-1993), la jurisprudence néerlandaise reconnaît les troubles dépressifs comme un motif légitime pour demander l’euthanasie. Ce fait est navrant, puisque les troubles dépressifs sont des pathologies traitables et réversibles, dont la phénoménologie peut comprendre justement des souhaits de mort et des idées suicidaires. Comme il se doit, les psychiatres se font les promoteurs de la santé de leurs patients en traitant les troubles dépressifs, les souhaits de mort et les idées suicidaires selon les lignes directrices de la littérature scientique. Les faits publiés annuellement par les statistiques néerlandaises révèlent une croissance quantitative et qualitative de ces pratiques. En 2010, il y a eu 3 136 cas d’euthanasie, soit une augmentation de 19 % par rapport à 2009, où le nombre de 2 636 décès par euthanasie représentait déjà une augmentation de 45 % par rapport à 2003. Ces chires ne comprennent pas les quelques centaines de suicides assistés par année, les 550 cas d’euthanasie sans consentement ni les 23 % de cas d’euthanasie non rapportés (Onwuteaka-Philipsen & al., 2012). Qualitativement, au l des ans, l’élargissement des indications de ces pratiques est passé des patients en phase terminale aux mineurs de moins de 12 ans, aux patients sourant de troubles dépressifs, aux nouveau-nés handicapés, puis aux patients avec troubles neurocognitifs légers (ociellement 6 cas en 2009, 21 cas en 2010). Enn, les partisans de l’euthanasie aux Pays-Bas réclament l’indication d’euthanasie pour la solitude, les personnes âgées de 70 ans et « fatiguées de vivre » !

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

5. Les données publiées en Oregon, où le suicide assisté est légal depuis 1997 avec obligation d’évaluation psychiatrique, font état d’une augmentation des cas de suicide assisté et d’une diminution des références en psychiatrie pour l’évaluation de ces demandes (Oregon Public Health Division, 2011). En eet, en 2009, 59 personnes sont décédées par suicide assisté (ingestion de médications létales sur prescription) et aucune n’a été orientée vers une évaluation psychiatrique. En 2011, 71 personnes sont décédées dans les mêmes conditions et une seule a été dirigée vers une évaluation psychiatrique. 6. Au Canada, il faut se rappeler les nombreux cas qui ont poussé à un approfondissement de la réexion éthique sur l’euthanasie. En 1983, la Commission de réforme du droit (Parlement fédéral canadien) se prononce contre la décriminalisation de l’euthanasie. En 1992, le cas de Nancy B., sourant du syndrome de Guillain-Barré et sous respirateur depuis deux ans et demi, est entendu par la Cour supérieure du Québec ; le retrait du respirateur à la demande de la patiente est autorisé, puisqu’il ne s’agit ni d’un suicide ni d’un homicide, car la mort de la patiente résulte de sa maladie. En 1993, la Cour suprême du Canada rejette l’appel de Sue Rodriguez, sourant de sclérose latérale amyotrophique ; l’aide au suicide demeure criminelle. En 1994, Robert Latimer est trouvé coupable de meurtre au deuxième degré de sa lle de 12 ans gravement handicapée par une paralysie cérébrale. En 1997, un nouveau procès le reconnaît de nouveau coupable de meurtre, mais en réduisant sa peine à deux ans moins un jour. Le rapport du Comité sénatorial canadien publié en 1995 avait d’ailleurs recommandé de conserver le caractère criminel de l’euthanasie. En 2014, au Canada, le caractère criminel de l’euthanasie se trouve maintenu, mais les peines imposées par les décisions judiciaires sont limitées. Enn, le 15 octobre 2014, dans le cas Carter contre Canada, la Cour Suprême du Canada a entendu les arguments pour et contre la constitutionnalité de l’interdiction du suicide assisté selon le Code criminel canadien en vigueur. La décision qui est attendue à ce sujet en 2015 pourrait orienter la suite du débat sur l’euthanasie et le suicide assisté de manière décisive au Canada et au Québec. 7. Au Québec, la question des balises est régulièrement avancée pour encadrer la légalisation de ces pratiques. Ce sujet doit intéresser le psychiatre au plus haut point, car plusieurs intervenants à la Commission, dont le Barreau du Québec et l’Association québécoise de prévention du suicide, ont plus ou moins directement évoqué la nécessité d’une évaluation psychiatrique ou psychologique pour valider la demande de ces pratiques. Le Barreau recommande explicitement qu’une consultation en psychiatrie soit obtenue pour clarier l’aptitude à consentir, conrmer l’absence de maladie psychiatrique et la présence de la sourance psychique sans options thérapeutiques autres que l’euthanasie ou le suicide assisté. Une deuxième consultation dans la spécialité concernée devait conclure ce qui suit : « La condition du patient rencontre les situations exceptionnelles prévues par la loi et le patient exprime son choix librement et en toute connaissance de cause » (Barreau du Québec, 2010, p. 129). Il semble donc approprié de vouloir diagnostiquer et traiter les troubles dépressifs dans ce contexte, an de clarier les demandes d’euthanasie (p. ex., il s’agit de savoir si la requête d’euthanasie procède d’un état suicidaire ou d’un souhait de mort tributaire d’une dépression majeure. Par ailleurs, on peut s’interroger sur

l’à-propos d’instrumentaliser le psychiatre comme régulateur de ces pratiques par l’évaluation de l’aptitude à y consentir : veut-on vraiment évaluer et traiter la dépression du patient qui a fait une requête d’euthanasie, ou veut-on plutôt réconforter le médecin traitant (p. ex., l’oncologue) par l’opinion corroborative du psychiatre, qui donne son aval au processus d’euthanasie ? Cette situation soulève le problème de la double allégeance dont il est question par la suite. 8. Dans son Rapport (2012), la Commission spéciale « Mourir dans la dignité », sur la question particulière dont elle faisait l’objet, a retenu l’expression « aide médicale à mourir » pour signier l’euthanasie, terme utilisé usuellement pour désigner l’acte qui provoque « intentionnellement la mort d’une personne » (Commission spéciale « Mourir dans la dignité », 2012, p. 17). Cette expression nouvelle, « aide médicale à mourir », prête à confusion et ne se retrouve dans aucun autre texte jurisprudentiel ou article de la littérature scientique, qui exige pourtant de la transparence dans les termes utilisés (Flegel & Hébert, 2010). Dans les mécanismes de contrôle invoqués par la Commission, le médecin traitant doit obligatoirement consulter un second médecin, et un psychiatre « s’il éprouve des dicultés particulières à évaluer l’aptitude ou, le cas échéant, les sourances psychologiques du patient » (Commission spéciale « Mourir dans la dignité », 2012, p. 86). À l’heure actuelle, il n’existe aucune ligne directrice pour guider l’évaluation de l’aptitude à demander l’euthanasie pas plus que pour l’évaluation des sourances psychologiques « constantes, insupportables » (Commission spéciale « Mourir dans la dignité », 2012, p. 83). En eet, la littérature scientique ne fait actuellement état d’aucune ligne directrice, même pour la douleur physique intolérable (Dees & al., 2010). Étant donné l’adoption de la Loi concernant les soins de n de vie en 2014 au Québec, la décision attendue de la Cour Suprême du Canada en 2015 dans le cas Carter et l’évolution de la jurisprudence (à la suite des litiges prévisibles sur l’accessibilité aux pratiques euthanasiques et de suicide assisté), le psychiatre doit demeurer vigilant sur ces questions de n de vie. Sous la pression politico-médiatique, il faut constater une « dérive totalitaire du libéralisme18 » (Schooyans, 2006, p. 141) faisant suite à une conception positiviste et volontariste du droit19. Le droit « crée » sa vision de la personne au fur et à mesure des consensus éphémères ; la personne concrète n’est plus la norme objective qui inspire le droit. Le droit ainsi conçu « n’a plus la justice pour objet ; son objet, c’est la loi. Étrange

18. Dérive de l’idéologie néolibérale où dominent les lois du marché capitaliste et une autonomie sans contraintes de l’individu perçu comme « capital humain ». Au nom de la tolérance et en négation de tout fondement éthique dans l’être même de la personne, cette idéologie en arrive à faire imposer par l’État une position éthique, reet du consensus obtenu grâce aux pressions les plus fortes qui prévalent, d’où le qualicatif totalitaire. 19. Conception du droit qui s’éloigne d’une conception réaliste (où le droit reète la réalité des droits antérieurs à la loi, fondés sur la dignité inaliénable de la personne) pour créer des lois procédant de la volonté du plus fort, selon la « majorité » éphémère d’un moment, d’où des droits nouveaux en lien avec une vision de la personne construite par la loi elle-même : la loi « invente » des droits selon l’opinion dominante du moment. Ses représentants les plus connus sont Hobbes (1588-1679) et Kelsen (1881-1973).

Chapitre 54

Éthique et psychiatrie

1211

paradoxe : le droit, rempart des faibles nit par s’asservir à la volonté des plus forts ; il se met dans l’impossibilité de protéger les plus vulnérables » (Schooyans, 2006, p. 142). Cette situation résulte de l’abandon progressif de l’éthique de conviction20 avec les catégories du bien et du mal en faveur de la généralisation de l’éthique de responsabilité21 marquée par l’ecacité et la justice procédurale. Ce dualisme éthique (conviction versus responsabilité), exposé par le sociologue allemand Max Weber (1864-1920), a grandement coloré la pensée du philosophe américain contemporain John Rawls. Selon cette pensée, l’éthique est procédurale : ce qui est correct ou faux s’établit donc par décision consensuelle, sans référence à un paradigme moral objectif ou à une vision anthropologique cohérente qui respecte, outre l’autonomie, la personne dans la totalité de sa pluridimensionnalité. La Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme de l’UNESCO, adoptée en 2005, et les soins palliatifs reconnaissent quatre dimensions qui témoignent de la richesse de cette pluridimensionnalité : les dimensions physique, psychologique, sociale et spirituelle (Marie Curie Palliative Care Institute, 2010). Cette préoccupation de la dimension spirituelle comme facteur de résilience devant le trouble mental (et comme élément à intégrer au plan de soins psychiatriques) a fait l’objet de publications au Québec, au Canada et aux États-Unis (Peteet & al., 2011). Dans la contribution du psychiatre au débat sur l’euthanasie et le suicide assisté, l’approfondissement de ces aspects anthropologiques s’avère donc essentiel (Primeau, 2011), puisque les patients sourant d’un trouble mental sont trop fréquemment stigmatisés et comptent souvent parmi les personnes les plus vulnérables de la société. An de promouvoir la santé des patients aux prises avec un trouble mental ou en n de vie, le psychiatre doit s’impliquer dans ce débat de société et apporter la contribution unique de son expertise scientique, éthique et clinique (Naudts & al., 2006), an de sauvegarder la dignité des personnes les plus vulnérables. Face à une liberté conçue sur le mode d’une extension indénie du Moi, bornée par la seule liberté d’autrui, la dignité vient rappeler la limite à l’intérieur de laquelle l’humanité de l’homme doit être préservée. […] La question de la dignité ne se limite pas aux rapports individuels avec ceux qui sont dans un état de vulnérabilité extrême, elle concerne toute une société, toute une culture et, pour ainsi dire, toute une politique. (Ricot, 2010, p. 42-43)

54.6 Autres sujets de réexion éthique Quelques autres sujets méritent d’être examinés pour compléter ce panorama des questions éthiques en psychiatrie, notamment :

• les conséquences de la rationalisation des choix budgétaires •

en ce qui touche le traitement des troubles mentaux ; l’avortement et la stérilisation des patients présentant une psychopathologie grave (incluant la décience intellectuelle) ;

20. Éthique où la conduite est réglée selon des valeurs supérieures, philosophiques ou religieuses. 21. Éthique où la personne n’a à répondre de ses actes que devant elle-même ; la volonté politique est source unique de la loi.

1212

• l’utilisation des testaments biologiques et des mandats en cas d’inaptitude (advance directives aux États-Unis) ;

• les problèmes éthiques liés aux aspects multiculturels de la pratique psychiatrique ;

• le rôle de la psychiatrie et du psychiatre dans la société :

• •

– régulateur des phénomènes psychopathologiques « anormaux » ; – promoteur engagé des personnes rejetées à cause de leur psychopathologie ; – membre d’un groupe corporatiste cherchant à protéger ses intérêts ; l’atteinte à la dignité de la personne en raison des préjugés à l’endroit de la maladie mentale ; l’interaction entre les psychiatres et les compagnies pharmaceutiques. Il convient d’élaborer deux sujets :

1. Le vaste champ de la neuroéthique s’est ouvert grâce aux avancées des neurosciences qui tentent d’expliquer le fonctionnement cérébral et de prédire, voire d’inuencer l’activité du cerveau et du système nerveux. Des questions éthiques peuvent surgir sur les modalités d’investigation et la façon d’appliquer les connaissances acquises. La neuroéthique s’intéresse au comportement individuel, mais soulève des problématiques sociopolitiques plus larges ainsi que des références anthropologiques : a) Sommes-nous plus que des mécanismes cérébraux complexes ? b) La conscience est-elle une illusion ? Ces questions ne peuvent laisser le psychiatre indiérent. Les progrès passionnants des neurosciences permettent d’espérer des lumières nouvelles touchant le lien espritcerveau, que William James appelait the ultimate of ultimate problems, et qui constitue un des domaines où le dialogue entre savants et philosophes s’impose le plus manifestement. (DeKoninck, 2008, p. 170)

2. L’épineuse question de la double allégeance du psychiatre envers son patient et envers la société pose aussi problème. Bien qu’il soit convenu qu’un psychiatre ne puisse pas toujours agir dans le meilleur intérêt d’un patient, surtout dans un contexte médicolégal, il ne peut jamais laisser tomber les principes éthiques de bienfaisance et de non-malfaisance d’Hippocrate. Cela signifie qu’un psychiatre ne peut pas mettre en danger la santé et la vie d’un patient. (Grunberg, 2002)

Historiquement, l’asservissement du psychiatre aux volontés de l’État a donné lieu à de grands scandales : a) l’extermination des patients atteints d’un trouble mental sous le régime nazi ; b) l’incarcération, en hôpitaux psychiatriques, des dissidents politiques soviétiques sous prétexte de troubles mentaux ; c) la participation de psychiatres à l’évaluation de condamnés à mort avant leur exécution aux États-Unis. Il faut espérer que la légalisation éventuelle de l’euthanasie et du suicide assisté au Canada n’entraînera pas une nouvelle instrumentalisation des psychiatres.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

• certains raffinements psychopharmacologiques (p. ex., Comme le rappelait le docteur Albert Schweitzer, prix Nobel de la paix en 1952, « l’éthique, c’est la reconnaissance de notre responsabilité envers tout ce qui vit. » (Schweitzer, 1962, p. 196) L’éthique ne peut prétendre à une crédibilité dans la société et la communauté scientique que si elle interpelle la responsabilité du patient, de sa famille, des professionnels et des administrateurs de la santé, avec la même vigueur qu’elle déploie pour la promotion de l’autonomie et des droits de la personne. Le psychiatre et les autres professionnels œuvrant dans le champ de la santé mentale doivent se sentir responsables des implications éthiques de leurs actions cliniques. Au travers de la pratique de la psychiatrie se dessine une certaine conception de la personne humaine. Il faut insister sur l’importance d’une réexion anthropologique en faveur du respect de la personne. Ce respect doit être d’autant plus ardemment défendu par le médecin et les autres cliniciens que leurs voix sont souvent les seules à s’élever, avec celles des familles et des organismes communautaires, pour défendre l’humanité de patients aigés de troubles mentaux graves et persistants ou de maladies dégénératives comme les troubles neurocognitifs. Que dire des problèmes éthiques liés, entre autres, aux questions suivantes :

• l’éventuel dépistage génétique de troubles psychiatriques (p. ex., le dépistage éventuel des troubles neurocognitifs par l’apolipoprotéine) ou les atteintes à la vie privée par la géno­ mique qui déterminera l’avenir d’une personne ;

l’abus historique des neuroleptiques en Union soviétique pour contrôler les opposants politiques ou le contrôle de plus en plus sophistiqué des personnes par les substances psychotropes) ; • les abus potentiels en lien avec le développement des neuro­ sciences (des romans futuristes sont déjà basés sur le contrôle des cerveaux) ; • les tensions entre les systèmes public et privé dans la dispen­ sation des soins de santé ; • les dicultés d’accessibilité aux soins psychiatriques dans le contexte de la répartition géographique des eectifs. Ces situations, qui interpellent sur le plan éthique, sauront­elles respecter la personne ? La psychiatrie ne peut se réduire uniquement à des connaissances biochimiques, génétiques, psychopharmacologiques, psychodynamiques ou épidémiologiques. En chaque patient, même le plus diminué mentalement, la psychiatrie entrevoit un mystère qui dépasse la science. C’est au respect de ce mystère qu’ultimement, l’éthique convie la psychiatrie. Une telle motivation, soucieuse de la per­ sonne dans ses dimensions physique, psychologique, sociale, voire métaphysique, peut animer les eorts de tous ceux qui sont engagés dans les nombreux dés que la psychiatrie contem­ poraine doit relever.

Lectures complémentaires A, B. M. & al. (2006). « Mental Health : Ethical Perspectives », dans Ashley, B. M. & al. (dir.), Health Care Ethics, 5e éd., Washington, Geor­ getown University Press, chap. 5, p. 125­161.

B, S. & G, S. A. (2009). Psychiatric Ethics, 4e éd., New York, Oxford University Press. DK, T. (2002). De la dignité humaine, Paris, Presses universitaires de France.

L, R. H. (2009). « Ethics in Psychiatry », dans Sadock, B. J. & al. (dir.), Kaplan and Sadock’s Comprehensive Textbook of Psychiatry, 9e éd., vol. II, Philadel­ phie, Lippinscott Williams & Wilkins, p. 4439­4449.

Quelques sites Internet utiles pour une formation specialisée en éthique Centre de bioéthique, Université de Toronto : www.jointcentrefor­ bioethics.ca. Chaire d’éthique appliquée, Université de Sherbrooke : www.usherbrooke. ca/philosophie/recherche/ chaire­dethique­appliquee.

Institut d’éthique appliquée, Université Laval : Programme de bioéthique, Université de www.idea.ulaval.ca. Montréal : www.bioethique.umontreal. ca/index.shtml. MacLean Center for Clinical Medical Ethics : www.macleanethics.uchicago.edu. Unité d’éthique biomédicale, Université McGill : www.mcgill.ca/ Programme d’éthique, Université du Québec biomedicalethicsunit. à Rimouski : www.uqar.ca/ethique.

Chapitre 54

Éthique et psychiatrie

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CHA P ITR E

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Évaluation pédopsychiatrique GENEVIÈVE TELLIER, M.D., FRCPC

MARTIN ST-ANDRÉ, M.D., FRCPC

Psychiatre, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (Montréal)

Psychiatre, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (Montréal)

Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeur agrégé de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

JOHANNE BOIVIN, M.D., FRCPC Psychiatre, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (Montréal) Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

55.1 Évaluation et entretien psychiatriques......................1215 55.1.1 Identication.......................................................... 1215 55.1.2 Raison de consultation ....................................... 1215 55.1.3 Antécédents personnels..................................... 1215 55.1.4 Antécédents familiaux........................................ 1216 55.1.5 Habitudes de vie .................................................. 1216 55.2 Histoire de la maladie actuelle ...................................1216 55.2.1 Facteurs prédisposants et fonctionnement de base ................................ 1216 55.2.2 Facteurs précipitants .......................................... 1218 55.2.3 Facteurs perpétuants .......................................... 1219 55.2.4 Symptômes psychiatriques spéciques........... 1219 55.3 Histoire longitudinale .................................................1220 55.4 Examen mental.............................................................1220 55.4.1 Apparence générale et attitude......................... 1221 55.4.2 Activité psychomotrice et mouvements particuliers ............................................................ 1221 55.4.3 Humeur et aect.................................................. 1221 55.4.4 Pensée .................................................................... 1222 55.4.5 Sensorium et fonctions cognitives ................... 1224 55.4.6 Troubles perceptuels........................................... 1225 55.4.7 Observations des interactions parent-enfant........................................................ 1225 55.4.8 Autocritique ......................................................... 1226

55.5 Formulation de synthèse ............................................ 1226 55.6 Diagnostic diérentiel ................................................ 1227 55.7 Diagnostic selon le DSM-5......................................... 1227 55.8 Plan de traitement ....................................................... 1227 Lectures complémentaires .................................................... 1228

L

a pédopsychiatrie a connu des changements importants au cours des 15 à 20 dernières années. Elle est d’ailleurs reconnue aujourd’hui comme une surspécialité par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. L’apport des neurosciences et les nouvelles connaissances ont procuré des avantages certains à la pédopsychiatrie, qui est progressivement devenue une discipline plus scientifique, fondée sur une approche médicale et biologique. La démarche médicale et scientique basée sur des études contrôlées a fait progresser les connaissances et a permis de mieux préciser les diérentes pathologies pédopsychiatriques selon des critères plus clairs. Cette approche scientique a également permis de soumettre les diérentes thérapies à une évaluation plus précise, contribuant ainsi à mieux montrer leur ecacité ou leur inecacité. Les enfants et les adolescents peuvent maintenant proter d’approches pharmacologiques ou psychothérapeutiques spéciques souvent beaucoup plus ecaces qu’antérieurement, contribuant à un mieux-être parfois impressionnant. Ces avancées ont suscité intérêt, enthousiasme et espoirs de guérison chez le médecin désireux de trouver une réponse aux nombreuses sourances de l’enfant et de sa famille. L’urgence de maîtriser ces connaissances, de poser rapidement le bon diagnostic et de prescrire la bonne thérapie pour soulager la sourance de l’enfant ou de sa famille a parfois, malheureusement, entraîné une certaine négligence des aspects développementaux, relationnels ou familiaux (Tellier & Boivin, 2009). Le but de l’évaluation pédopsychiatrique est d’amener le médecin à une compréhension globale des dicultés de l’enfant. L’enfant évolue au l des ans et de ses expériences. Il dépend des adultes et peut réagir intensément aux changements qui surviennent dans son milieu familial, scolaire ou même son réseau d’amis, lesquels prennent de plus en plus de place au cours de sa croissance. Plus l’enfant est jeune et plus l’inuence de son milieu familial, social et scolaire a des répercussions sur l’ensemble de son fonctionnement et sur les symptômes qu’il présente. Les symptômes doivent être interprétés en fonction de l’expression du développement, des aspects relationnels et des réactions à des particularités de l’environnement. La recherche de symptômes spéciques d’un diagnostic est également essentielle. L’évaluation inclut la description des dicultés de l’enfant par lui-même et par ses parents ou son entourage et un examen mental avec observation de l’enfant et de ses relations avec ses parents et avec le médecin. L’évaluation pédopsychiatrique représente un dé pour le médecin, qui doit non seulement adopter une démarche diagnostique rigoureuse, mais également prendre en compte les aspects du développement, puisqu’un même symptôme peut être normal à un âge et pathologique à un autre. Par exemple, une capacité d’attention limitée est normale avant l’âge de 5 ans, mais peut devenir pathologique par la suite. Si la capacité d’attention est jugée limitée, cette particularité peut s’expliquer par un décit d’attention, mais également par un niveau de stress inhabituel ou un abus de substances. Seul le jugement clinique permet de diérencier ces diérents aspects. Le médecin doit aussi être sensible aux aspects relationnels, familiaux, sociaux et culturels qui peuvent expliquer, à eux seuls, une symptomatologie même grave.

55.1 Évaluation et entretien psychiatriques L’évaluation pédopsychiatrique peut se faire de diérentes façons, selon les préférences et l’expérience du médecin. Habituellement, elle dure environ une heure et demie et se déroule en deux temps. L’enfant est d’abord rencontré en présence de ses parents, puis seul, à moins qu’il ne soit trop jeune. Dans le cas de l’évaluation d’un adolescent, il est habituellement rencontré seul d’abord. Dans l’éventualité d’une mésentente entre l’adolescent et l’un de ses parents, le fait de le rencontrer directement en présence de son parent peut lui donner l’impression d’une collusion entre adultes et empêcher l’établissement d’un lien de conance entre le médecin et l’adolescent. L’observation de l’enfant est un outil précieux pour l’évaluation psychiatrique. Le médecin note, par exemple, son attitude et sa capacité ou même sa trop grande facilité à se lier à un adulte qu’il ne connaît pas. Les points mentionnés plus bas servent à la rédaction organisée de l’histoire de cas. Cependant, au cours de l’entretien, il est mieux de suivre le récit spontané du patient et de son parent. Par contre, la rédaction de l’évaluation suit un schéma préétabli, proche de celui utilisé en psychiatrie adulte. Le schéma préétabli pour l’évaluation psychiatrique d’un adulte est présenté en détail au chapitre 3.

55.1.1 Identication L’identication comprend le nom, l’âge, la situation familiale et scolaire de l’enfant. Toute information jugée pertinente peut être ajoutée, en lien, par exemple, avec ses origines culturelles, son statut familial ou migratoire.

Étude de cas

Sophie, 12 ans, parents séparés, aînée d’une famille de deux enfants. Elle vit avec sa mère, Catherine, le conjoint de celle-ci, Jérémie, et sa sœur Flore, âgée de 10 ans. Une n de semaine sur deux, elle visite son père, qui vit en couple et qui est père d’un enfant d’un an. Elle est en 1re secondaire en classe régulière.

55.1.2 Raison de consultation La raison de consultation, qui a avantage à être formulée brièvement, inclut la source de la référence et le ou les symptômes principaux.

Étude de cas

Sophie est référée par son enseignant. Il demande d’évaluer la possibilité non seulement de problèmes physiques, mais également de facteurs psy chologiques ou psychiatriques contributifs à ses maux de ventre intermittents qui l’empêchent d’aller à l’école.

55.1.3 Antécédents personnels Les antécédents personnels comprennent les antécédents médicaux, psychiatriques et psychosociaux.

Chapitre 55

Évaluation pédopsychiatrique

1215

Étude de cas

Antécédents personnels :

• antécédents médicaux : hospitalisation à 1 an pour gastro­ entérite avec déshydratation ;

• antécédents psychiatriques : premier contact en psychiatrie ; • antécédents psychosociaux : vue par la psychoéducatrice de l’école en 3e année pour isolement social.

55.1.4 Antécédents familiaux Le médecin doit rechercher les antécédents ou la suspicion d’antécédents psychiatriques familiaux. Cette information est essentielle, puisqu’il s’agit d’un facteur biologique prédisposant aux troubles mentaux.

Étude de cas • •

Antécédents psychiatriques familiaux : côté maternel : mère : connue et suivie pour trouble panique ; côté paternel : grand­père paternel : connu pour trouble bipolaire.

55.1.5 Habitudes de vie Il s’agit de s’informer sur la prise d’alcool, de substances (tabac, drogues, boissons énergisantes) et de médicaments, prescrits ou en vente libre.

Étude de cas

Habitudes : boissons énergisantes une ou deux

fois par semaine.

55.2 Histoire de la maladie actuelle La maladie actuelle, avec la description des symptômes de l’enfant, doit idéalement être abordée à un moment où il se sent le plus à l’aise en entrevue. Il s’agit d’obtenir la description et l’histoire chronologique d’apparition des symptômes. De façon parallèle, le médecin eectue son évaluation en portant une attention particulière aux facteurs prédisposants, préci­ pitants ainsi qu’aux facteurs perpétuants ou de maintien de la symptomatologie. Cette compréhension de la problématique, qui va au­delà du diagnostic pédopsychiatrique, permet alors d’identier des facteurs importants et d’agir sur eux dans le suivi thérapeutique de l’enfant. La recherche de symptômes spéciques d’une pathologie psychiatrique complète l’histoire de la maladie actuelle. S’il y a possibilité d’un trouble anxieux, par exemple, le médecin s’inté­ resse à la réaction de l’enfant envers la nouveauté ou à la présence possible de scénarios catastrophiques suivant la survenue d’évé­ nements anodins. Des questions bien ciblées aident le médecin à conrmer ou à inrmer son hypothèse diagnostique : « Comment réagit votre enfant lorsqu’il doit aller pour la première fois à un cours de natation ? Comment réagit­il lorsque sa mère arrive en retard à la maison ? A­t­il des peurs spéciques comme la peur de vomir ou une peur des animaux ? » Cette recherche de symptômes spéciques se retrouve aussi lors de l’évaluation d’un adulte, mais l’évaluation pédopsychia­ trique comporte une particularité, celle de devoir bien diérencier la normalité en fonction du développement et les symptômes pertinents d’une pathologie particulière. Ainsi, la peur du renvoi

1216

d’eau du bain à 2 ans, celle des monstres à 4 ans, celle des voleurs à 8 ans ou la peur non paralysante ou contrôlée des exposés oraux à l’adolescence sont répertoriées comme normales et non comme des symptômes d’un trouble anxieux. La notion de rupture avec le fonctionnement habituel est très importante et peut signier le début d’un trouble psychiatrique. On s’attend alors, après identication de la pathologie et application d’une approche thérapeutique, à une reprise du fonctionnement de base consécutive à une bonne réponse au traitement.

55.2.1 Facteurs prédisposants et fonctionnement de base Le médecin doit évaluer le fonctionnement de base de l’enfant avec ses vulnérabilités et ses forces. L’enfant qui présente un équilibre entre diérentes capacités (p. ex., tolérer la frustra­ tion et s’armer) montre une force lui permettant de s’adapter à diérentes situations. L’évaluation des capacités de base de l’enfant se centre donc le plus possible sur cet équilibre entre diérentes capacités. L’évaluation psychiatrique est une source de stress pour l’en­ fant, qui sait bien qu’on parlera de ce qui ne va pas, mais aussi pour les parents qui, eux, craignent d’apprendre une mauvaise nouvelle ou d’être jugés. Dans ce contexte, le fait d’aborder directement les dicultés de l’enfant par le biais de la raison de consultation peut parfois être dicile autant pour l’enfant que pour le parent. Dans ces circonstances, après que le médecin ait vérié que la raison de consultation est bien connue de tous, il procède à l’évaluation du fonctionnement de base de l’enfant, avant la recherche de critères diagnostiques spéciques, ce qui lui permet d’établir un contact et de situer l’enfant dans son contexte de vie. Généralement, un climat non menaçant s’établit et favorise l’alliance thérapeutique. Cette partie de l’évaluation peut même être source de plaisir pour l’enfant, puisque ses forces (p. ex., sa capacité d’autonomie) sont soulignées autant que ses vulnérabilités (p. ex., sa diculté à tolérer les frustrations). Le médecin évalue les capacités de l’enfant dans les trois secteurs de sa vie : • le fonctionnement à la garderie ou en milieu scolaire ; • le fonctionnement à l’intérieur de la famille ; • le fonctionnement avec les pairs. Le parent est simplement invité à décrire son enfant : « Pou­ vez­vous me décrire votre enfant ? Quel genre de garçon est­il ? » L’enfant ou même l’adolescent est généralement désireux d’en­ tendre ce que son parent dit de lui. On l’invite à ajouter ses impres­ sions et commentaires. Il est souvent surprenant de constater que l’enfant en vient même parfois à parler spontanément de ses fragilités et des symptômes qu’il présente. Un enfant, vu pour possibilité de décit d’attention avec hyperactivité et impulsivité, par exemple, peut répondre spontanément : « En tout cas, je ne suis pas patient. » Chez l’enfant plus jeune, il est possible de demander aux parents de décrire une journée typique, en portant attention à l’alimentation, au sommeil et aux transitions, c’est­à­dire aux passages entre les diverses étapes de sa journée. Certains jeunes enfants, par exemple, réagissent intensément à leur arrivée à la garderie, au retour du parent ou au passage de l’éveil au sommeil.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

Étude de cas

Lorsque Sophie est invitée à se décrire, sans qu’on lui fasse de suggestions, elle répond qu’elle aime l’école et que ce n’est pas pour ça qu’elle n’y va pas. Elle ajoute qu’elle aime beaucoup ses parents et qu’elle n’est pas une adolescente rebelle. Ses parents, présents à l’entrevue, sont d’accord et ajoutent que leur lle a toujours été une « colleuse » qui n’aime pas beaucoup s’éloigner, mais que cela ne lui a jamais causé de dicultés. Ils se demandent aujourd’hui si l’entrée au secondaire n’est pas dicile pour elle, ouvrant ainsi la porte à la poursuite de l’évaluation.

Fonctionnement en garderie ou en milieu scolaire Chez le jeune enfant qui fréquente la garderie, on s’intéresse particulièrement à la qualité des interactions avec les éducateurs, à la capacité d’accepter une routine et de s’adapter ou non aux changements dans cette routine, à la capacité de tolérer les frustrations, aux réactions au départ et au retour du parent de même qu’à la présence d’un contraste entre le fonctionnement à domicile et en milieu de garde. La réaction à l’entrée à la maternelle renseigne sur la capacité de l’enfant à se distancier de ses parents. Les réactions transitoires d’anxiété de séparation à l’entrée à l’école sont relativement fréquentes. Elles n’indiquent pas d’emblée une pathologie, mais peuvent être un indice à considérer dans la prédisposition au développement d’un trouble anxieux. Certains enfants qui n’ont jamais fréquenté la garderie et qui mobilisent beaucoup d’attention des adultes de la famille, y compris les grands-parents, peuvent vivre une période de transition dicile avec troubles de comportement, régression ou somatisation au moment de l’entrée à l’école. Le rendement scolaire de l’enfant, s’il est normal ou dans la moyenne, rassure le médecin sur ses habiletés cognitives, probablement préservées, ainsi que sur sa capacité à fournir un eort. Un rendement très supérieur à la moyenne peut indiquer soit une grande facilité d’apprentissage ou, au contraire, des résultats obtenus au prix d’eorts possiblement intenses ou même excessifs, par exemple chez un enfant perfectionniste ou désireux de satisfaire des parents exigeants ou perçus comme tels. Cette information amène donc le médecin à vérier à quel prix ce rendement est atteint. Par contre, l’échec scolaire d’un enfant l’oblige à considérer toutes sortes d’explications possibles, allant par exemple d’un manque de capacités cognitives à un manque d’encadrement parental en passant par un manque de concentration, un trouble spécique d’apprentissage ou une non-disponibilité à l’apprentissage pour des raisons aectives. Le fonctionnement scolaire ne se limite évidemment pas aux performances scolaires ; il inclut aussi le comportement général de l’enfant et, plus particulièrement, sa capacité ou son incapacité à tolérer la frustration, à établir des relations d’amitié et à partager l’attention du professeur avec d’autres enfants. Les troubles des apprentissages sont présentés en détail au chapitre 61.

Fonctionnement à l’intérieur de la famille Le médecin doit évaluer les forces et les vulnérabilités de l’enfant à l’intérieur de sa famille. Il tient compte, au cours de cette évaluation, des forces et des fragilités des parents de même que de leurs valeurs et croyances culturelles relativement au développement de l’enfant (p. ex., en lien avec l’expression de la colère ou de la sexualité). L’incapacité d’un enfant de 1 an, par

exemple, à s’autoréguler ou à se calmer ou celle d’un enfant de 6 ans à se distancier de son parent peuvent heurter le parent qui, à son tour, peut entretenir, sans le vouloir, les dicultés de l’enfant. Une attention particulière est portée aux conduites d’attachement de l’enfant, c’est-à-dire à sa capacité d’explorer l’environnement et de trouver du réconfort auprès de son parent lorsqu’il est très jeune. Par la suite, cette attention est portée sur la capacité de l’enfant à se distancier pour investir les jeux à l’extérieur de la maison et, bien sûr, pour socialiser. Certains enfants se montrent plus explorateurs et d’autres privilégient plutôt une certaine proximité avec le parent, sans qu’il s’agisse de pathologie. Bien sûr, l’âge de l’enfant est pris en considération. Il doit montrer une capacité à se distancier de son parent qui s’équilibre avec une capacité à se rapprocher de lui pour y retrouver du réconfort. Habituellement, un enfant de moins de 2 ans réagit à la présence d’un étranger et il s’oppose à délaisser son parent pour rester avec un inconnu. Lorsque le médecin l’invite à le suivre dans son bureau, même l’enfant le plus explorateur va s’informer de l’accord de son parent en le regardant. Les enfants gravement négligés montrent parfois une absence de période de réchauement envers un étranger et peuvent accepter sans diculté apparente l’invitation d’une personne inconnue, ce qui laisse présager non pas une force, mais des dicultés sur le plan du lien d’attachement. L’équilibre entre la capacité de l’enfant à tolérer la frustration et sa capacité à s’armer est important à évaluer. Encore ici, certains enfants montrent une plus grande tendance à s’armer et même à s’opposer à leurs parents et d’autres à se conformer. La période du coucher illustre particulièrement bien cette tendance à se conformer au désir du parent ou à s’y opposer. Une simple question comme « Comment se passe la période du coucher ? » renseigne sur cette capacité à tolérer la frustration tout en exprimant son mécontentement. Elle peut, en même temps, permettre de révéler des peurs comme celle du noir, des cauchemars, des voleurs, ou une anxiété de séparation d’avec son parent, habituellement la mère. En entrevue, certains enfants se montrent capables de s’exprimer, de donner leur avis, parfois même de façon exagérée, alors que d’autres ont besoin d’une approbation exagérée du parent.

Étude de cas

Sophie a toujours eu beaucoup de diculté à s’éloigner de ses parents sans cependant qu’il y ait de dysfonctionnement franc. Ainsi, elle a toujours refusé de fréquenter les camps de vacances et les camps de jour l’été. Elle n’a jamais eu beaucoup d’amis, mais jouait tout de même avec sa petite voisine, étant plus jeune. Elle préférait cependant que ce soit sa voisine qui vienne jouer chez elle plutôt que l’inverse. Elle a toujours aimé l’école et y allait avec plaisir, bien que l’entrée à la maternelle ait été quelque peu dicile. Elle s’intégrait bien aux autres. Elle a toujours bien toléré la frustration et montrait une capacité normale de s’opposer à ses parents, par exemple à l’heure du coucher. Par contre, elle ne s’est jamais opposée à quelqu’un d’autre, que ce soit une tante, un enseignant ou une amie. On remarque donc un élément de vulnérabilité, chez cette enfant, dans sa capacité à établir une distance d’avec sa famille sans qu’il ne soit question de pathologie. On parle ici de facteur prédisposant à un trouble éventuel.

Chapitre 55

Évaluation pédopsychiatrique

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La relation avec la fratrie représente un type de relation bien particulier qui renseigne sur d’autres aspects ou capacités de l’enfant. L’enfant a habituellement une relation avec son frère ou sa sœur où s’expriment : • des sentiments de rivalité qui apparaissent ou s’intensient lorsque le parent est préoccupé et accaparé par les besoins d’un frère ou d’une sœur, par exemple s’il est malade ou s’il a particulièrement bien réussi quelque chose ; • des sentiments de complicité qui sont habituellement bien présents même si la plupart des enfants ne les admettent pas spontanément. Ce sont généralement les parents qui racontent les jeux complices de leurs enfants ainsi que leur complicité si eux-mêmes deviennent plus exigeants. Par exemple, des parents peuvent être incapables de savoir qui des frères ou des sœurs a fait une bêtise, chacun disant qu’il n’a rien fait.

Étude de cas

Sophie parle de sa jeune sœur Flore en disant qu’elle est bien « bébé et énervante ». Les parents ajoutent que les deux lles ont tout de même beaucoup de plaisir ensemble et qu’elles s’ennuient l’une de l’autre dès qu’elles sont séparées plus de quelques jours. Cela informe sur la relation fraternelle normale entre les deux sœurs.

Fonctionnement avec les pairs L’évaluation du fonctionnement de l’enfant sur le plan social porte sur sa capacité de se lier aux autres, à initier des contacts et à maintenir un lien à long terme. L’enfant établit généralement des liens avec d’autres jeunes de son âge avec un écart de plus ou moins deux ans. Une tendance à toujours établir des liens avec des enfants plus jeunes peut laisser suspecter une décience intellectuelle, une certaine immaturité aective ou un besoin exagéré de contrôle. Un besoin de côtoyer des enfants plus âgés laisse suspecter une pseudomaturité, un besoin de transgresser les règles, une dépendance envers un aîné, un manque d’encadrement parental ou des capacités cognitives élevées avec un grand besoin d’être stimulé. Une difficulté à initier de nouveaux contacts peut faire suspecter une problématique de timidité ou un manque d’habiletés sociales. Il peut toutefois s’agir d’une variante de la normale sans qu’il ne soit question de pathologie psychiatrique, mais s’il y a des répercussions sur le fonctionnement ou une souffrance significative, il est alors important de compléter l’évaluation par un questionnaire spécifique mettant en lumière un trouble d’anxiété sociale ou un trouble neurodéveloppemental. Une diculté à maintenir une relation à long terme avec un ami peut laisser suspecter une diculté à partager, un manque d’empathie ou une problématique de brusquerie avec impulsivité. L’évaluation d’un dysfonctionnement possible oriente la poursuite de l’évaluation vers la recherche d’un décit d’attention avec hyperactivité, d’un trouble oppositionnel avec provocation ou d’un trouble de la personnalité en émergence. Habituellement, l’enfant doit montrer une capacité à partager, mais également à s’armer ou à revendiquer ce qui lui appartient. L’enfant qui se situe à l’une des deux extrémités de ce continuum se trouve souvent en zone de vulnérabilité. Par exemple, un enfant gentil qui accepte facilement de partager, mais

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qui s’arme dicilement vis-à-vis des autres, montre un point faible de son fonctionnement. Il peut éventuellement être amené en consultation auprès d’un médecin pour des somatisations à l’entrée au secondaire. L’entrée à l’école secondaire correspond à une période de transition dicile pour un enfant ayant des dicultés à se distancier de sa famille et à s’armer vis-à-vis des jeunes de son âge.

Étude de cas

Sophie a toujours facilement partagé ses jouets avec les autres. Ceux-ci en protent et Sophie s’en plaint alors à sa mère. Elle garde un lien positif avec sa voisine depuis plusieurs années. Par contre, elle se montre timide et a beaucoup de dicultés à initier de nouveaux contacts. L’entrée au secondaire a été dicile parce qu’elle ne connaissait personne.

Fonctionnement chez l’enfant très jeune Chez le très jeune enfant, cette partie de l’évaluation demeure très importante. À travers une écoute du récit des parents à propos des routines de vie de l’enfant, le médecin s’intéresse à ses acquisitions, à ses réponses aectives de même qu’à son tempérament. La curiosité générale de l’enfant ainsi que ses diverses compétences dans les domaines du langage, de la motricité et de la sensibilité aux stimuli sont des points importants à évaluer. Puisque le fonctionnement du très jeune enfant tend parfois à varier selon la personne auprès de qui il se trouve, le médecin évalue les forces particulières de l’enfant à l’intérieur de relations spéciques, par exemple avec sa mère, son père, l’éducatrice de la garderie, les grands-parents ou d’autres personnes signicatives. Déjà, un très jeune enfant peut être questionné par le médecin sur ses centres d’intérêt de même que sur certains des dés auxquels il doit faire face.

55.2.2 Facteurs précipitants Les facteurs précipitants sont ceux qui contribuent à l’émergence ou à l’exacerbation des symptômes. Les stresseurs n’ont pas le même impact selon l’âge de l’enfant, certains stresseurs étant plus souvent retrouvés à un âge particulier. Par exemple, l’entrée à l’école à 5 ans représente un facteur de stress non négligeable pour un enfant ayant des dicultés à se séparer de sa famille ou pour celui ayant des décits en habiletés sociales, des dicultés à xer son attention ou à réprimer son envie de bouger. Le début du secondaire représente un dé pour un préadolescent ayant du mal à s’organiser, car on exige de lui plus d’autonomie. Les ruptures amoureuses sont fréquentes à l’adolescence et causent parfois une détresse importante, particulièrement grande chez un jeune avec un passé de négligence ou de grands besoins de dépendance. Le médecin doit observer comment il se sent soutenu par ses parents ou d’autres adultes signicatifs dans ces circonstances. Les stresseurs n’ont pas le même impact selon la pathologie de l’enfant. La tempête de verglas survenue en 1998 dans la région de Montréal, avec l’obligation d’être conné avec sa famille dans un hébergement nouveau, hors du domicile, avec chauage et éclairage minimaux, a parfois provoqué une importante exacerbation de troubles de comportement chez de jeunes enfants présentant un trouble neurodéveloppemental en raison de leur grande sensibilité aux changements dans leur routine de vie. Par contre, pour l’enfant présentant un trouble anxieux, c’est plutôt la n du verglas qui a

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Spécialités psychiatriques

été associée à une grande détresse, précipitée par l’obligation de retourner à l’école et de dormir seul, désormais. La menace d’un changement de famille d’accueil contribue à l’exacerbation de symptômes de troubles du comportement surtout chez les enfants présentant un trouble réactionnel de l’attachement, ceux-ci étant beaucoup plus sensibles au rejet, qu’il soit réel ou perçu comme tel. Les changements impliquant la famille sont souvent contributifs à l’exacerbation de dicultés chez l’enfant, par exemple la migration de la famille d’une région ou d’un pays à un autre, le divorce parental ou le début d’une nouvelle relation pour l’un des parents, qui vient conrmer la permanence de la séparation parentale. La recomposition familiale est également souvent dicile pour les enfants qui, eux, n’ont pas choisi le nouveau parent ou les nouveaux frères et sœurs.

55.2.3 Facteurs perpétuants Les facteurs perpétuants sont ceux qui contribuent au maintien du ou des symptômes. Il peut s’agir de bénéces secondaires possibles ou encore d’éléments environnementaux (p. ex., une mésentente chronique des parents avec altercations fréquentes). Cette partie de l’évaluation représente souvent un point d’ancrage pour le suivi thérapeutique de l’enfant. Il s’agit d’une partie de l’évaluation parfois dicile à aborder pour le médecin, qui doit le faire avec tact, l’enfant ou ses parents pouvant se sentir jugés et ainsi collaborer plus difficilement au plan de traitement. Certains facteurs perpétuants sont plus souvent associés à une pathologie spécique. L’incohérence entre les parents au sujet de l’encadrement de l’enfant est un facteur régulièrement relevé chez l’enfant oppositionnel. L’utilisation d’évitement de situations anxiogènes, rendue possible par un parent sensible à la détresse de son enfant, voire surprotecteur, est souvent retrouvée comme facteur perpétuant des symptômes anxieux. Lorsqu’il est question d’enfants très jeunes, l’attitude des parents envers les diérents comportements de l’enfant (p. ex., un refus alimentaire) demeure un des points les plus importants à évaluer, sans qu’il s’agisse de chercher un coupable aux dicultés de l’enfant. Des dicultés qui lui sont propres peuvent aussi être identiées. Par exemple, des dicultés d’autorégulation ou de modulation sensorielle peuvent être le point de départ d’un trouble relationnel parent-enfant, si ces dicultés ont une résonance particulière pour le parent (p. ex., un fort sentiment d’échec dans son rôle parental).

55.2.4 Symptômes psychiatriques spéciques Le médecin doit compléter l’histoire de la maladie actuelle par la recherche de symptômes psychiatriques spéciques essentiels à l’établissement du diagnostic. La suspicion d’un décit d’attention, par exemple, nécessite d’évaluer les symptômes possibles d’inattention : « Votre enfant fait-il de nombreux oublis ? Évite-t-il les activités exigeant des eorts de concentration ? Éprouve-t-il de grandes dicultés à s’organiser pour suivre sa routine du matin, sans rappel à répétition ? » La symptomatologie spécique des différents troubles pédopsychiatriques est présentée aux chapitres 57 à 62.

Étude de cas

Pour Sophie, les douleurs abdominales sont apparues il y a trois mois, soit au début d’octobre. Ces douleurs, d’abord décrites comme d’intensité moyenne, étaient alors accompagnées de nausées et de vomissements. Le médecin a diagnostiqué une gastroentérite et a suggéré un congé scolaire de quelques jours, jusqu’à l’amélioration des symptômes. Les symptômes sont disparus après trois jours, de telle sorte que Sophie a pu retourner à l’école. L’école a communiqué avec les parents, dès le premier jour du retour en classe, pour qu’ils viennent la chercher en raison de douleurs importantes. En eet, au bureau du secrétariat, Sophie semblait très sourante et pleurait en se tenant le ventre. Par la suite, quelques tentatives de retour en classe se sont toutes soldées par un échec. Les parents ont insisté pour que le médecin examine la jeune lle, mais l’évaluation extensive et les examens se sont avérés négatifs. Ils n’ont accepté de consulter en pédopsychiatrie qu’avec beaucoup de réticence. Sophie n’est pas particulièrement inquiète de ses douleurs, mais se dit toutefois incapable de retourner à l’école. Elle voudrait bien que son médecin trouve ce qu’elle a et lui donne le bon traitement. Elle est très fâchée contre lui et en parle avec émotion, les yeux dans l’eau. Elle a l’impression qu’il ne la croit pas et elle insiste pour dire qu’elle a réellement mal. Sophie est une préadolescente qui s’est toujours sentie bien à la maison avec sa famille. Elle réussit à l’école sans effort exagéré. Ses professeurs l’apprécient. Elle n’a, par contre, que très peu investi dans les relations amicales et les activités à l’extérieur de la maison. On note, comme facteur précipitant possible, le début du secondaire. Sophie explique qu’elle était contente de passer au secondaire avec les grands, même si elle appréhendait ce changement. Elle ajoute qu’elle trouve les élèves immatures parce qu’ils sont dissipés, qu’ils rient pour rien, « ne pensent qu’aux garçons » et n’écoutent pas les enseignants. Elle a entendu certains d’entre eux parler de drogues et elle décrit des pensées catastrophiques à ce sujet ; on pourrait l’obliger à en prendre et elle pourrait devenir folle. Elle reconnaît, en pleurant, qu’elle a de la difficulté à s’intégrer aux autres, qui la traitent de « bollée ». Il y a des facteurs perpétuants possibles, les parents acceptant l’absentéisme scolaire, de crainte que le médecin ne soit passé à côté de quelque chose. Ils sont généralement moins exigeants avec leur fille. Sa mère lui masse le ventre à l’occasion pour l’aider à apaiser la douleur. On note des symptômes spéciques de la lignée anxieuse, soit une diculté à dormir seule qui s’est transformée, depuis deux semaines, en un refus catégorique de le faire. Sophie a même de la diculté à aller à son cours de violon et elle exige que sa mère demeure dans la salle d’attente. La mère ajoute même que sa lle vérie à une ou deux reprises si elle est bien là. Elle refuse de demeurer seule à la maison le jour. Elle est capable de s’occuper seule dans sa chambre à des jeux vidéo. On note la présence de cauchemars sur le thème de la séparation. Elle a rêvé que sa mère était morte et une autre fois qu’elle avait été enlevée, ce qui explique son refus de dormir seule. Il n’y a pas d’anxiété sociale franche ni d’inquiétudes sur sa santé. Elle s’inquiète que sa mère ne soit victime d’un accident. Le sommeil et l’appétit sont bien conservés.

Chapitre 55

Évaluation pédopsychiatrique

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55.3 Histoire longitudinale Les informations concernant l’histoire développementale de l’enfant peuvent avoir un impact sur l’évolution de la maladie actuelle, sur le diagnostic diérentiel ou sur le pronostic. La période périnatale est un moment important de l’histoire d’un enfant. • Sur le plan biologique, le médecin évalue des vulnérabilités précoces : grande prématurité, autre affection médicale, exposition in utero à l’alcool ou aux drogues, etc. • Sur le plan psychologique, il s’intéresse à la mise en place de la relation parent-enfant : dicultés relationnelles précoces en lien avec les caractéristiques de l’enfant (p. ex., un tempérament dicile) ou encore en lien avec l’établissement du rôle parental (p. ex., une dépression périnatale chez l’un des deux parents) ou un lien aectif dicile à établir entre le parent et l’enfant. • Sur le plan social, les diérents événements de la petite enfance, de l’enfance, de la vie scolaire et éventuellement de l’adolescence aident le médecin à identier le mode relationnel du patient, sa relation avec ses parents et la dynamique familiale.

Étude de cas

Dans le cas de Sophie, la grossesse et l’accouchement de la mère se sont bien déroulés. La période périnatale a été idyllique pour elle, Sophie étant un bébé particulièrement facile et gratiant. Elle n’a pas fréquenté la garderie et s’est bien développée. L’entrée à la maternelle a été très dicile pour Sophie, qui a pleuré tous les matins pendant deux mois. Après le départ de sa mère, toutefois, elle se consolait et prenait plaisir aux activités d’apprentissage. Par la suite, chaque rentrée scolaire a été dicile, mais seulement pour deux ou trois jours. Sophie a toujours refusé d’aller dans des camps d’été et elle n’a jamais couché en dehors de chez elle, sauf chez sa grand-mère et chez une de ses cousines. L’histoire familiale d’un enfant et celle de chacun de ses parents sont souvent précieuses et nécessaires à la compréhension des dicultés de l’enfant. Cette compréhension demeure utile par la suite dans le suivi thérapeutique. L’histoire de la famille (séparation parentale, reconstitution familiale, nouvelle naissance, mort d’un parent ou d’un grandparent, déménagement, migration) aide parfois à comprendre la réaction d’un enfant lorsqu’il est question d’un nouveau changement dans sa vie. Par exemple, chez un enfant de 10 ans qui a vécu plusieurs placements en famille d’accueil, l’annonce du départ en vacances de son éducateur préféré peut exacerber, de façon marquée, des comportements d’opposition et d’agressivité. L’histoire personnelle de chacun des parents est parfois nécessaire pour mieux comprendre la dynamique et possiblement la genèse du symptôme de l’enfant. Le médecin doit évaluer l’histoire du parent alors qu’il était lui-même enfant et donc les forces et vulnérabilités parentales. Le parent est très souvent inuencé par sa propre histoire alors qu’il était lui-même enfant. D’une part, il peut répéter les modes de parentage appris dans son enfance et perpétuer un cycle malsain de dicultés. D’autre part, surtout si le parent est sourant à l’évocation de souvenirs d’enfance diciles, il peut adopter un mode de parentage à l’opposé de celui qu’il a connu. C’est ainsi qu’un père élevé sévèrement peut être plus ou moins incapable d’encadrer son ls, qui en a

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pourtant bien besoin. De la même façon, une mère, délaissée par sa propre mère, dépassée par de trop nombreux enfants ou aux prises avec une dépression, peut évoluer vers un mode de parentage surprotecteur conduisant à une anxiété de séparation d’avec sa propre lle.

Étude de cas

Catherine, la mère de Sophie, raconte qu’elle a eu une enfance relativement heureuse, grâce à sa sœur aînée, Gabrielle, qui l’a beaucoup maternée. Sa propre mère a eu des dicultés la rendant plus ou moins incapable de répondre aux besoins de ses enfants. Catherine s’est alors bien promis d’être elle-même toujours pour ses propres enfants. Le père raconte qu’il a eu lui aussi une enfance heureuse. C’est sa mère qui assurait des soins aux enfants, son père correspondant plutôt au modèle traditionnel distant et peu aectueux du père, à cette époque.

55.4 Examen mental Tandis que l’histoire de la maladie actuelle permet de rapporter les symptômes décrits par le patient ou son parent, l’examen mental permet de rapporter des signes ou des faits directement observables par le médecin en entrevue. Une connaissance du développement normal de l’enfant est essentielle pour que le médecin puisse tirer une conclusion de ses observations. Un enfant de 3 ans, par exemple, montre souvent de la diculté à s’éloigner de sa mère, alors que cette distanciation est usuelle à 10 ans. Une crise de colère peut apparaître durant une entrevue où un enfant de 2 ans est frustré. Ce même comportement est nettement plus inhabituel à 16 ans. Le développement normal de l’enfant est présenté en détail au chapitre 61 (voir le tableau 61.1). Parmi les observations possibles, le médecin examine le développement moteur, celui du langage, la capacité ou non à tolérer la frustration, la capacité à jouer seul sans l’aide du parent ou la capacité à partager son plaisir avec celui-ci. Une très grande majorité des enfants cherchent à montrer à leur parent un jouet ou un dessin tout juste réalisé. La réaction du parent peut aussi être révélatrice. En eet, les interactions entre les parents et entre l’enfant et ses parents sont utiles à observer. Le parent prend généralement plaisir à regarder la réalisation de son enfant, mais doit en même temps lui imposer des limites raisonnables pour permettre la poursuite de l’entrevue. L’observation du rapprochement parent-enfant, même bref, et celle de l’établissement de limites raisonnables, y compris la réaction de l’enfant à celles-ci, sont précieuses, informant souvent sur les dicultés présentes à la maison. La rédaction de l’examen mental suit le format adopté en psychiatrie adulte avec quelques modications. Il est souvent pertinent d’ajouter une section où le médecin peut consigner quelques observations clés au sujet des interactions familiales ou noter diérentes observations comme un renversement de rôle, des réactions imprévisibles, de l’irritabilité, de la sous-stimulation ou de la surstimulation, etc. La rédaction de l’examen mental en psychiatrie adulte est présentée en détail au chapitre 3.

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Spécialités psychiatriques

Alors que le principal outil utilisé en psychiatrie adulte pour eectuer l’examen est le langage dans la relation médecin-patient, ceux utilisés en pédopsychiatrie sont plus nombreux et variés. Il n’est pas nécessaire de disposer d’un matériel sophistiqué pour procéder à l’examen mental d’un nourrisson, d’un enfant ou d’un adolescent. Il est, par contre, préférable de disposer d’une salle susamment vaste pour que l’enfant puisse circuler et choisir l’endroit où il s’installe. En eet, la place occupée par l’enfant par rapport à celle des parents est souvent révélatrice. S’asseoir sur les genoux de sa mère tout au cours d’une longue entrevue, alors qu’un espace de jeu est disponible, est révélateur du besoin de contact de l’enfant avec sa mère et de la diculté possible de celle-ci à le laisser aller. Alors que le psychiatre d’un patient adulte concentre son observation sur celui-ci et sur les signes possibles associés à un trouble mental, le pédopsychiatre doit diviser son attention entre les propos rapportés par le parent et l’observation du jeune. A-t-il la capacité de s’occuper seul ? Réagit-il aux émotions parfois vives exprimées par son parent ? Son jeu élaboré durant le temps consacré à la collecte des données illustre-t-il son propre vécu par rapport aux symptômes présentés ? Par exemple, un enfant amené pour anxiété de séparation possible exprimera ce qu’il vit dans une telle situation, non pas avec des mots, surtout s’il est très jeune, mais en mettant sur papier un dessin de la famille où tous sont absents, à l’exclusion, bien sûr, de la mère ou de la gure d’attachement principale dont il n’arrive pas à se séparer. Le matériel nécessaire à l’évaluation du monde imaginaire de l’enfant est relativement simple et peu coûteux. Cette partie de l’évaluation est habituellement réservée au pédopsychiatre, bien que le médecin de 1re ligne puisse orir à l’enfant un matériel de base où il peut s’exprimer durant la collecte de données. Une table de dessin avec crayons de couleur demeure un incontournable. Des gurines ou marionnettes représentant les diérents personnages familiaux ou thématiques tels que le père, la mère, la petite lle, le petit garçon, le bébé, le policier, le médecin et un monstre sont habituellement susantes pour entreprendre un jeu avec un enfant, surtout s’il est âgé de moins de 9 ans. Les enfants plus âgés et les adolescents utilisent, tout comme les adultes, le langage pour décrire leurs symptômes et exprimer ce qu’ils vivent. Du côté du très jeune enfant, y compris le bébé, le meilleur outil est l’observation bienveillante et attentive, à laquelle s’ajoutent le jeu et l’observation de l’interaction spontanée entre le parent et lui. Le médecin porte une attention particulière aux moments de transition comme le réveil, l’allaitement ou encore l’habillage à la n de l’entrevue. Des objets sensorimoteurs comme un hochet, des cubes de couleur ou une clochette peuvent permettre d’entrer en interaction avec un très jeune enfant et d’observer sa capacité de réciprocité sociale, son humeur, sa motivation à jouer, sa motricité, son attention de même que sa réactivité sensorielle.

55.4.1 Apparence générale et attitude Comme avec un patient adulte, on s’attarde à décrire l’apparence du jeune et son attitude en entrevue. Le patient paraît-il son âge chronologique ? Y a-t-il des signes de négligence parentale ? Le jeune enfant ou l’adolescent recroquevillé sur lui-même et cherchant à tout prix à éviter l’interaction avec le médecin est fort diérent de celui adoptant une attitude théâtrale et

recherchant avidement à entrer en contact, à se faire remarquer. Ces observations peuvent être essentielles à l’établissement du diagnostic, le premier patient, si incapable de se mobiliser tout au long de l’entrevue, étant probablement plus préoccupant pour le médecin que le second, même s’il arme ne pas avoir d’idées suicidaires. En pédopsychiatrie, il s’ajoute à ces observations celles de l’attitude de l’enfant ou de l’adolescent envers son parent ainsi que l’observation de son niveau de développement, tant sur le plan du langage que sur celui de la motricité ne et grossière. Le spécialiste note, par exemple, l’endroit où l’enfant s’assoit, la recherche de contact physique avec son parent de même que la capacité du parent à répondre aux besoins exprimés plus ou moins ouvertement par lui.

55.4.2 Activité psychomotrice et mouvements particuliers L’activité psychomotrice est un indice précieux dans l’évaluation de patients présentant une problématique psychiatrique aiguë. Il est bien sûr important de tenir compte de l’âge de l’enfant. L’enfant très jeune tolère mal de devoir rester sans bouger sans qu’il s’agisse d’une anomalie. On note un ralentissement psychomoteur chez le patient sourant d’une dépression ou de l’agitation chez celui présentant une manie aiguë. On s’attend, généralement à ce qu’un enfant de 6 ans réussisse à demeurer assis pour une bonne partie de l’entrevue. L’activité est augmentée chez l’enfant présentant un décit de l’attention/hyperactivité (TDA/H). La qualité de cette hyperactivité, qui est bien diérente, est qualiée de désorganisée, c’est-à-dire que, malgré une activité nettement augmentée, l’enfant n’arrive pas à terminer un seul jeu, dessin ou construction. Les diérents jouets se retrouvent éparpillés à travers la pièce de telle sorte qu’il est préférable qu’ils ne soient pas trop nombreux. L’observation de mouvements particuliers, dont les tics simples, complexes, les stéréotypies, les dystonies, les mouvements dyskinétiques ou autres, est particulièrement importante pour l’établissement du diagnostic diérentiel. Les tics simples sont des mouvements répétitifs, brefs et souvent simples comme le clignement des yeux ou un mouvement de exion du cou vers l’arrière. Ils peuvent être complexes si plus d’un groupe musculaire est impliqué (p. ex., un mouvement de révulsion des yeux associé à une contraction de la mâchoire). Les stéréotypies sont souvent stables d’un examen à l’autre. Elles sont souvent symétriques et font appel à plusieurs groupes musculaires (p. ex., un mouvement de battement latéral des mains associé à des gémissements).

55.4.3 Humeur et affect L’humeur est dénie par l’émotion prédominante qui colore la vie émotionnelle générale du patient. On peut parler, par exemple, d’humeur triste, euphorique, irritable ou perplexe. L’aect, quant à lui, réfère plutôt à la modulation émotionnelle qui colore les propos du patient au cours de l’entrevue. Le caractère mobilisable ou non de l’aect ainsi que sa congruence ou non au discours sont tout aussi importants à considérer qu’en clinique adulte. L’expression de l’aect à un très jeune âge est souvent indifférenciée et dépend du contact relationnel. En grandissant, l’enfant développe la capacité à exprimer des émotions de plus en plus diérenciées, comme la joie et la tristesse, puis de plus en plus nuancées.

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Évaluation pédopsychiatrique

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Certaines caractéristiques de l’humeur et de l’aect sont en relation avec des psychopathologies spéciques. Par exemple, la capacité d’expression émotive est limitée chez l’enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme et doit être diérenciée de la tristesse, de la morosité du patient sourant d’une dépression ou de l’aect émoussé du patient présentant une psychose. La labilité émotionnelle est souvent notée chez l’enfant présentant un TDA/H ou un syndrome de Gilles de la Tourette.

55.4.4 Pensée Comme en psychiatrie adulte, la pensée réfère à l’organisation des idées, à leur contenu ainsi qu’à la façon de les communiquer. On observe donc son cours et son contenu. Les modalités d’observation d’un enfant peuvent varier par rapport à celles utilisées avec un adulte. Le cours de la pensée réfère au processus d’association des idées. Il est évalué chez un adulte à partir du langage parlé. Le psychiatre peut observer, par exemple, un relâchement de l’association des idées d’un patient confronté à l’émergence d’un processus

psychotique. Cette même désorganisation des idées peut s’observer dans le dessin d’un jeune enfant pour qui cette modalité d’expression est plus facile et spontanée que la parole. Les trois dessins suivants montrent : 1) la pensée normale d’un enfant de 9 ans (voir la gure 55.1) ; 2) une pensée désorganisée (voir la gure 55.2) ; 3) une pauvreté de la pensée (voir la gure 55.3). Les enfants dont la pensée est désorganisée exécutent habituellement un dessin lui aussi désorganisé et dont les diérentes parties ont peu de liens entre elles. Le contenu de la pensée réfère aux différentes idées, préoccupations et pensées du patient. Il peut être question de préoccupations anxieuses, comme la peur du jugement d’autrui ou la crainte d’être séparé de son parent, ou de peurs normales pour l’âge, comme la peur des monstres chez un enfant de 4 ou 5 ans ou celle des voleurs entre l’âge de 6 et 11 ans. Il peut aussi s’agir de centres d’intérêt conformes à l’âge de l’enfant (les princesses chez une fillette de 4 ans) ou inhabituels pour l’âge (les émissions ou livres de Caillou pour un enfant de 12 ans). Il peut être question de centres d’intérêt

FIGURE 55.1 Dessin réalisé par un enfant normal de 9 ans

Note : Les différents éléments sont reliés entre eux de façon logique, suggérant une pensée organisée.

1222

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

FIGURE 55.2 Dessin réalisé par un enfant de 11 ans évalué pour anxiété sévère et comportement désorganisé

Note : L’enfant, à qui on a demandé de dessiner une famille, s’exécute en dessinant deux parents et un enfant à l’envers. Il ne se soucie pas d’expliquer son choix, mais parle d’un plongeon, puis d’un chien qui se transforme en poisson. L’enfant a de la difculté à relier les éléments du dessin verbalement et visuellement. Le dessin suggère des difcultés d’organisation de la pensée de même qu’une anxiété difcile à contenir.

restreints (p. ex., un intérêt envahissant pour les itinéraires de voyage), d’idées délirantes, d’obsessions (p. ex., la peur de la contamination), de contenu post-traumatique (p. ex., des images intrusives de violence conjugale vécue en bas âge) et d’idées de mort passives, suicidaires ou hétéroagressives. Les idées suicidaires avant l’âge de 11 ans sont possibles, mais le développement cognitif des enfants au sujet de la mort et de ce qui la provoque fait en sorte que ces idées sont souvent exprimées différemment. Ainsi, les enfants de moins de 12 ans expriment parfois le désir de se jeter sous les roues d’une voiture, d’arrêter de respirer, de s’étouffer avec un oreiller ou de s’enfoncer un couteau dans l’abdomen ; les adolescents parlent plus fréquemment de prendre volontairement des médicaments, de se couper les veines, de se pendre ou de s’enlever la vie par arme à feu. Le contenu de la pensée peut être évalué par le langage parlé si l’âge du patient le permet. Le dessin et le jeu permettent aussi d’évaluer cette modalité en incluant l’aspect aectif. Le dessin de la famille est un des sujets classiquement demandés à l’enfant. Il permet parfois de renseigner le médecin sur les émotions ou les sentiments de l’enfant envers son ou ses parents ainsi qu’envers sa fratrie. Un enfant vivant des sentiments particulièrement intenses de rivalité fraternelle peut, par exemple, « oublier de dessiner » son frère ou sa sœur et venir montrer avec plaisir son dessin à son parent. De la même façon, un enfant vivant une anxiété de séparation intense peut dessiner une mère qui occupe toute la feuille de dessin, ne laissant plus de place pour les autres membres de la famille. Le dessin peut également montrer une grande pauvreté du contenu, comme chez un enfant sourant de troubles cognitifs ou présentant une problématique psychotique avec troubles cognitifs secondaires, comme le montrent les gures 55.3 et 55.4.

L’interprétation des observations recueillies se fait toujours à la lumière de l’ensemble de l’évaluation. Il est donc important de demander à l’enfant d’expliquer ou de commenter son dessin, puisqu’il n’est pas possible d’analyser un dessin d’enfant isolément et d’en tirer des conclusions hâtives et incomplètes. Le tout doit constituer un ensemble cohérent qui revêt du sens pour l’évaluateur, le patient et sa famille. Par exemple, un enfant de 8 ans amené en consultation pour une possibilité de dépression a vécu le deuil douloureux de son jeune frère d’une maladie brève et FIGURE 55.3 Dessin réalisé par une jeune lle de 12 ans sur

le thème de la famille

Note : Les personnages sans visage de même que leur corps très schématique suggèrent une pauvreté de la pensée et de l’affectivité.

Chapitre 55

Évaluation pédopsychiatrique

1223

FIGURE 55.4 Dessin réalisé par un garçon de 10 ans atteint

d’une maladie physique chronique et vivant plusieurs échecs scolaires, à qui l’on a demandé de dessiner le personnage de son choix

peut se représenter tout petit ou, au contraire, en superhéros monté sur une estrade (gure 55.4). Le dessin permet aussi d’évaluer l’enfant sur le plan du développement. L’enfant de 3 ans imite bien un cercle tandis que celui de 4 ans dessine un personnage « têtard » et celui de 5 ans un personnage comprenant huit éléments (tête, corps, yeux, nez, bouche, bras, jambes, mains ou pieds). L’utilisation du jeu avec des gurines de personnages ou d’animaux permet à l’enfant de mettre en scène ses préoccupations. Il peut, par exemple, rejouer une scène traumatique à répétition et sans grande élaboration.

55.4.5 Sensorium et fonctions cognitives

Note : Il exécute un personnage couronné sur un podium. Le dessin peut suggérer une fantaisie compensatoire tout comme une manifestation d’un désir de réussite à soutenir.

fulgurante. Il sourait, en même temps, de la réaction de sa mère moins disponible parce qu’elle était elle aussi ébranlée par le décès de son ls. Son père, de son côté, réagissait en s’isolant dans le travail. Le dessin de la famille de ce garçon évoquait le souvenir du frère, son désir de partager ce souvenir et son isolement, puisqu’il se représentait à l’extrémité de la feuille et isolé par une clôture. Le dessin du personnage est aussi souvent intéressant. L’enfant avec une faible estime de soi

L’évaluation subjective des capacités cognitives de base d’un enfant peut être entreprise par le médecin. L’évaluation du niveau de développement de l’enfant en fonction de son âge chronologique fait partie intégrante de l’évaluation, surtout pour la population des 0 à 5 ans. À cet effet, à partir des observations du médecin, une attention particulière est portée au langage, à la motricité fine et grossière ainsi qu’au niveau général d’adaptation. La démarche ou la capacité d’alterner les pas dans un escalier représentent des observations rapides faites dès la rencontre avec l’enfant dans la salle d’attente. Du côté du langage, les volets compréhension, réception et articulation sont observés tout au long de l’entrevue à partir des verbalisations avec le médecin, mais également avec chacun des parents. En complément, l’utilisation d’échelles de dépistage de retard de développement comme le Denver, pour les enfants de 2 mois à 6 ans, est fort utile (Frankenburg & al., 1992). Ce dépistage n’est pas nécessairement prédictif des habiletés intellectuelles futures de l’enfant, leur évaluation plus précise et complète nécessitant l’utilisation d’autres instruments (voir le tableau 55.1). L’évaluation des habiletés intellectuelles se fait à l’aide de diérents instruments administrés par un psychologue. Elle est essentielle surtout en présence d’une possible décience intellectuelle. Une attention particulière est portée à la capacité de jeu imaginaire qui se développe rapidement à partir de l’âge de 3 ans. Le jeu imaginaire réfère à la capacité de l’enfant de créer des scénarios, par exemple une histoire amoureuse entre deux marionnettes.

TABLEAU 55.1 Échelle d’évaluation du quotient intellectuel (QI)

Abréviation

Échelle

Âge

Paramètres mesurés

WISC-IV

Weschler Intelligence Scale for Children (Wechsler, 2003)

De 6 à 16 ans

WAIS

Wechsler Adult Intelligence Scale

De 16 ans à l’âge adulte

WPPSI

Wechsler Preschool and Primary Scale of Intelligence

De 4 à 6 ans

K-ABC

Kaufman Assessment Battery for Children (KABC-II) (Kaufman & al., 2004)

De 2 à 12 ans

• • • •

Quotient global, verbal, perceptif ; Mémoire de travail ; Vitesse de traitement de l’information ; Habiletés spéciques évaluées au moyen de sous-échelles.

• Potentiel intellectuel ; • Processus séquentiel et simultané équivalent en âge et percentiles.

Source : Adapté de Sadock & Sadock (2010).

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Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

L’utilisation d’échelles de dépistage avant l’entrevue est utile pour mieux couvrir l’ensemble des entités cliniques (Sadock & Sadock, 2010). Le Conners est souvent utilisé pour le dépistage du décit d’attention et le CHAT (Checklist for Autism in Toddlers) est utilisé pour le dépistage du trouble du spectre de l’autisme, même si une évaluation clinique est essentielle pour conrmer ou inrmer le diagnostic. De la même façon, l’utilisation d’entrevues structurées ou semi-structurées, comme le K-SADS (Kiddie Schedule for Aective Disorders and Schizophrenia) ou le DISC-R (Diagnostic Interview Schedule for Children-Revised), augmente le niveau d’information nécessaire à l’établissement d’un diagnostic, mais laisse moins de place à la spontanéité de l’évaluateur pour se centrer sur les aspects développementaux, relationnels ou familiaux. Les informations recueillies à partir de diérentes sources peuvent être contradictoires, mais reéter divers aspects de l’enfant. Le choix de l’une ou l’autre approche, clinique ou avec utilisation d’échelles structurées ou en combinaison, est donc laissé à la discrétion du médecin selon son type d’approche ou le problème présenté par l’enfant. Les capacités cognitives de l’enfant évoluent avec son développement et sont donc en relation avec son âge. Il peut être nécessaire de les évaluer si l’entourage a noté un changement. Un très jeune enfant hospitalisé aux soins intensifs pour une pathologie médicale grave et qui reçoit une médication lourde peut aussi présenter une altération de ses capacités cognitives. Le sensorium et la vigilance sont évalués par observation directe. Une attention particulière est portée à une trop grande facilité d’endormissement alternant avec de l’agitation. L’inquiétude des parents qui les amènent à trop stimuler l’enfant peut parfois contribuer à exacerber cette agitation. L’identication d’un delirium exige la même vigilance en pédopsychiatrie qu’en gérontopsychiatrie, le delirium étant retrouvé surtout aux deux extrémités de la vie. En pédopsychiatrie, l’évaluation des fonctions cognitives doit tenir compte de l’âge de l’enfant. Une bonne connaissance du développement en fonction de l’âge, des observations ciblées et l’aide du parent permettent généralement de suspecter un diagnostic d’un trouble des fonctions cognitives. En ce qui concerne l’évaluation de l’orientation dans le temps, un enfant de 5 ans est généralement incapable de dire la date exacte ni même le mois de l’année, mais on s’attend à ce qu’il soit capable de se situer avant ou après la fête de Noël si l’entrevue se déroule autour de cette date. D’autres périodes peuvent également être utilisées comme Pâques, la période des vacances estivales ou l’Halloween. La concentration, souvent évaluée chez l’adulte à l’aide de calculs simples, peut l’être de la même façon avec les enfants d’un certain âge, mais en adaptant le niveau de diculté. La mémoire à court terme n’est généralement pas évaluée par la rétention de trois mots, surtout si l’enfant est encore jeune. Par contre, il est capable de nommer facilement ce qu’il a mangé pour dîner, qui l’a visité la veille ou ce qu’il a reçu en cadeau s’il est hospitalisé. La mémoire à plus long terme peut être évaluée par la connaissance de son anniversaire ou des prénoms de ses frères et sœurs. La présence du parent tout au long de cette évaluation est essentielle, puisque c’est lui qui connaît le mieux le degré de connaissances habituel de son enfant.

55.4.6 Troubles perceptuels Comme en psychiatrie adulte, les enfants peuvent présenter des troubles perceptuels en relation avec un trouble psychotique, même si la prévalence d’un tel trouble est rare avant 12 ans. Par contre, la présence d’hallucinations en relation avec des troubles non psychotiques, généralement un trouble anxieux ou des dicultés aectives, est possible. L’observation du jeune est très importante, puisqu’il ne verbalise pas spontanément sur ses hallucinations ou illusions, mais il peut tenter d’attraper des objets ou paraître erayé sans raison. En pédopsychiatrie, il est important de diérencier ces observations pathologiques des comportements normaux des jeunes enfants, par exemple la présence d’un compagnon imaginaire ou des fabulations entre l’âge de 3 et 6 ans. Dans l’observation du très jeune enfant, le médecin doit porter une attention particulière à ses réponses perceptuelles, notamment l’hyporéactivité ou l’hyperréactivité à certains stimuli (bruits, mouvements, toucher, etc.) ou encore à une recherche constante de sensations (St-André & al., 2009).

55.4.7 Observations des interactions parent-enfant L’examen mental de l’enfant comporte cette particularité très importante d’inclure l’observation de son interaction avec son ou ses parents. Il s’agit parfois d’un parent de famille d’accueil ou d’un éducateur de foyer de groupe, mais l’observation des interactions demeure tout aussi importante pour un jeune souvent fragilisé par des abandons. L’observation de l’interaction parent-enfant comprend la perception que le parent a de l’enfant (p. ex., un futur sportif, un sauveur ou un criminel en puissance), les aects du parent envers l’enfant (p. ex., de la tendresse ou une tendance à faire peur à l’enfant) ainsi que les conduites du parent envers l’enfant (p. ex., une réactivité normale lorsqu’un jeune enfant fait une chute en marchant versus une précipitation anxieuse vers ce dernier). On note enn la présence d’interactions concordantes ou discordantes entre les diérents donneurs de soin de l’enfant. Dans le bureau, le médecin remarque d’abord l’endroit où l’enfant s’assoit et la recherche de proximité avec son ou ses parents. Sa capacité à valider son action en croisant le regard du parent, à se rapprocher, à demander de l’aide ou encore un besoin exagéré d’approbation sont des données importantes qui reètent autant une capacité qu’un point de vulnérabilité selon le contexte. La recherche d’attention exclusive avec un des parents, couplée à une attitude de mise à distance de l’autre parent, peut également être observée et conrmer une impression diagnostique faite à partir des données recueillies à l’histoire. À l’inverse, la capacité à se distancier ou à s’armer envers son parent ainsi que la capacité à tolérer une frustration sont des observations possibles pour documenter le diagnostic. Tout en demeurant attentif aux observations concernant l’enfant, le médecin note la capacité du parent à s’ajuster aux besoins exprimés par le jeune. L’observation de la dyade parent-enfant prend encore plus d’importance chez le très jeune enfant, en particulier le besoin du parent que ressent l’enfant pour s’apaiser, besoin qui peut être adéquat ou exagéré. La capacité du parent à répondre aux besoins d’apaisement de son jeune enfant est bien sûr observée et une attention particulière est portée également à ses réactions aectives ou à sa façon de décoder les besoins de son enfant.

Chapitre 55

Évaluation pédopsychiatrique

1225

55.4.8 Autocritique L’évaluation de l’autocritique est plus difficile qu’en psychiatrie adulte, puisqu’il faut tenir compte du développement cognitif de l’enfant. La reconnaissance du caractère irrationnel de certains symptômes, comme celle des symptômes anxieux, est souvent absente chez l’enfant de moins de 12 ans. Le DSM-5 spécifie, par exemple, que les jeunes enfants peuvent être incapables de formuler les buts des comportements ou actes mentaux.

Étude de cas

Sophie est une préadolescente paraissant son âge, collaborant très bien à l’entrevue. Elle choisit de s’asseoir tout près de sa mère, avec qui elle garde d’ailleurs le contact en lui touchant discrètement le bras. Elle attend souvent son approbation lorsqu’on la questionne directement et la mère intervient très souvent pour la soutenir. Elle est un peu timide en début d’entrevue, mais se détend rapidement. Elle est de contact agréable jusqu’à ce qu’il soit question de retour à l’école, ce à quoi elle s’oppose alors énergiquement en pleurant. L’activité psychomotrice est restreinte et aucun tic moteur ou sonore ni stéréotypie ne sont observés. L’humeur de base est euthymique et l’aect est bien modulé, facilement mobilisable et congruent aux propos tenus. Le discours est bien organisé, facile à suivre et assez abondant. Au contenu de la pensée, on note une diculté à reconnaître la possible inuence de facteurs psychologiques pouvant contribuer à la symptomatologie des douleurs abdominales. On note l’expression d’inquiétudes envahissantes concernant la sécurité de la mère, la patiente craignant un accident ou une maladie grave comme un cancer. L’avenir l’inquiète parce qu’elle ne veut pas que sa mère meure avant elle. Elle ne s’inquiète pas d’être elle-même malade, mais elle craint de perdre le contrôle, d’être forcée de prendre des drogues. Elle décrit un rêve répétitif où elle est victime d’enlèvement. En début d’entrevue, elle eectue spontanément un dessin de sa famille à l’intérieur duquel la mère occupe presque tout l’espace sur la feuille, elle-même est toute petite et le père est absent. Elle n’est pas préoccupée par le jugement des autres et ne présente pas d’anxiété de performance concernant les examens ou les sports.

En ce qui a trait à sa situation actuelle, elle préfèrerait changer d’école pour intégrer l’école que fréquente sa voisine. Malgré un désir franc de reprendre l’école, elle réagit intensément dès qu’il est fait mention d’y retourner. Elle exprime alors une grande détresse avec des sentiments de colère intense. Les centres d’intérêt sont bien préservés, mais correspondent plutôt à ceux d’un enfant plus jeune. Elle mentionne spontanément le désir de redevenir un bébé. Il n’y a pas d’autodévalorisation, ni d’idées suicidaires ou hétéroagressives, ni d’idées délirantes. L’intelligence est dans la moyenne. Le langage est uide, les fonctions cognitives semblent bien préservées et il n’y a pas de trouble perceptuel.

55.5 Formulation de synthèse La formulation de synthèse correspond non pas à un résumé de la problématique, mais plutôt à une compréhension de la genèse du symptôme ou d’un ensemble de symptômes en lui attribuant des facteurs prédisposants, précipitants, protecteurs et perpétuants autant sur les plans biologique que psychologique et social. Une compréhension globale de la situation permet au médecin de mettre en place un suivi centré idéalement sur l’ensemble de ces facteurs ou, du moins, sur ceux sur lesquels il est possible d’exercer un certain contrôle (voir le tableau 55.2).

Étude de cas

Sophie est une jeune lle qui a toujours eu de la diculté à s’éloigner de sa famille. L’entrée à l’école secondaire, avec les exigences sur les plans de l’autonomie et des rapprochements habituels avec les pairs, semble avoir été vécue dicilement. L’apparition d’une gastroentérite banale justiant un court absentéisme scolaire a procuré un apaisement par un évitement des dicultés qu i a conduit cette préadolescente à adopter un rôle de malade. L’évitement scolaire de même que l’attention bienveillante d’une mère sensible à la détresse de sa lle ont contribué à exacerber la détresse associée à l’éloignement de la gure maternelle, rendant le retour en classe de plus en plus dicile. Diagnostic : Anxiété de séparation.

TABLEAU 55.2 Formulation de synthèse du cas de Sophie

Facteurs

Biologiques

Psychologiques

Sociaux

Prédisposants

Antécédents familiaux de trouble anxieux et de l’humeur

Difculté à se distancier de sa famille

Faible socialisation

Précipitants

Gastroentérite

Crainte de l’autonomie Insécurité

Entrée à l’école secondaire avec augmentation des exigences autour de l’autonomie Nouvel environnement social à l’école

Protecteurs

Bon état de santé

Attachement sécure

Parents présents Bonne alliance parentale

Besoin de rapprochement avec les parents Bénéces secondaires au rôle de malade

Absentéisme scolaire Surprotection par la mère

Perpétuants

1226

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

55.6 Diagnostic différentiel Le diagnostic diérentiel complète le diagnostic principal. Il consiste à citer les principaux autres diagnostics possibles en spéciant ce qui est en faveur et en défaveur de ces autres possibilités diagnostiques. Par exemple, un adolescent peut présenter tous les symptômes d’un épisode dépressif majeur, mais la présence de stresseurs signicatifs laisse suspecter la possibilité d’un trouble de l’adaptation ou celui d’un trouble de la personnalité en émergence. De la même façon, l’évolution rapide vers une normalisation du fonctionnement oriente vers une absence de diagnostic psychiatrique formel ou une problématique en relation avec des éléments de développement normal. La capacité du médecin à remettre en question son diagnostic principal en fonction de l’évolution fait partie de l’expertise médicale.

Étude de cas

On doit évoquer, chez Sophie, la possibilité d’un trouble d’anxiété sociale (phobie sociale), bien que l’apparente absence de préoccupation sur le jugement dépréciatif que d’autres adolescents pourraient porter sur elle milite en défaveur d’un tel diagnostic. De la même façon, le trouble d’anxiété généralisée peut être évoqué, mais l’absence de préoccupations anxieuses, sauf lors de la séparation de la gure d’attachement, ne plaide pas en faveur d’un tel diagnostic. Une absence de diagnostic psychiatrique aurait été possible si la détresse et le refus de fréquentation scolaire n’étaient pas accompagnés d’une détresse associée spéciquement à la séparation de la gure d’attachement principale, tel que noté par les préoccupations anxieuses exagérées concernant la gure maternelle et les cauchemars sur le thème de la séparation. La symptomatologie s’explique alors par une impasse développementale reliée au passage au secondaire et aux enjeux qui s’y rattachent.

55.7 Diagnostic selon le DSM-5 L’évaluation pédopsychiatrique se conclut par l’établissement d’un diagnostic selon le DSM-5 (APA, 2015), qui propose une évaluation dimensionnelle. Le terme « dimension » réfère à un continuum du symptôme, par opposition à sa présence ou à son absence. Le médecin évalue systématiquement le patient sur l’ensemble des symptômes expérimentés et leur sévérité

par catégorie (sévère, grave, modéré et léger). Cette évaluation permet de qualier et de quantier l’amélioration possible du patient à la suite du traitement, même si le diagnostic est toujours présent. Dans le DSM-5, plusieurs critères diagnostiques sont différenciés selon l’âge du patient. Certains troubles, comme les troubles neurodéveloppementaux, dont fait partie la décience intellectuelle, apparaissent, par dénition, durant le développement et sont donc habituellement diagnostiqués durant l’enfance. Si le diagnostic est posé à l’âge adulte, ces symptômes doivent obligatoirement être apparus durant l’enfance. Chez le très jeune enfant, la classication diagnostique DC : 0-3R (Zero to ree, 2005), utilisée internationalement, permet de compléter la formulation du DSM-5 par l’ajout éventuel d’affections mises en évidence chez le très jeune enfant, notamment les troubles de régulation des processus neurosensoriels et les troubles de la relation parent-enfant.

55.8 Plan de traitement La conduite à tenir doit inclure des recommandations dans les domaines de l’évaluation et de l’approche thérapeutique sur les plans biologique, psychologique et social (voir le tableau 55.3). L’examen physique par exemple, peut se compléter d’un bilan pour éliminer une contribution physique aux symptômes gastro-intestinaux ou un bilan prémédication si une psychopharmacologie est envisagée. L’évaluation sur le plan psychologique, pour sa part, peut comporter une évaluation cognitive ou aective avec tests projectifs ou une deuxième entrevue centrée sur des éléments plus précis, par exemple un questionnaire plus poussé au sujet d’une possible anxiété sociale. Le besoin d’évaluations complémentaires peut mener à une évaluation en orthophonie, en ergothérapie, en orthopédagogie, en neuropsychologie, en psychomotricité ou autre. L’intervention, de son côté, cherche à corriger un symptôme ou un ensemble de symptômes à l’aide de diérentes thérapies, qui peuvent inclure une médication, une psychothérapie, une référence vers des professionnels spécialisés (orthophoniste, ergothérapeute, psychoéducateur) ou un suivi centré sur une intervention parentale ou familiale. Selon la problématique, le suivi est eectué par les services de 1re ligne, de 2e ligne, ou par les centres jeunesse s’il y a non-collaboration des parents, si on soupçonne un abus ou si le développement de l’enfant est compromis.

TABLEAU 55.3 Exemple de plan de traitement

Plan de traitement

Évaluations complémentaires

Interventions

Administratif

Obtenir les évaluations des enseignants.

Faire le suivi en clinique ambulatoire.

Biologique

Limiter la recherche de cause médicale du symptôme.

Réévaluer la possibilité d’un traitement avec un ISRS après la réintégration scolaire.

Psychologique

Évaluation cognitive ou affective avec tests projectifs

Réévaluer l’aspect psychologique après le retour à l’école.

Social

Obtenir des informations du professeur ou du psychologue scolaire.

Établir le contact avec l’école pour maintenir le retour en classe. Recommander la psychoéducation et le soutien aux parents pour s’assurer de leur collaboration au suivi.

Chapitre 55

Évaluation pédopsychiatrique

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Étude de cas

Pour Sophie, un pédopsychiatre pourrait recommander les cinq interventions suivantes : 1. Une psychoéducation avec la patiente et ses parents sur l’importance du retour en classe. L’absentéisme scolaire amenant un soulagement de la détresse, celui-ci peut contribuer à maintenir le symptôme. 2. L’établissement d’un contact avec l’école pour s’assurer de sa collaboration au sujet du retour en classe. 3. Une rencontre avec les parents dans une semaine pour s’assurer de leur soutien au sujet de l’importance de refuser les demandes d’évitement de leur fille, entre autres en ce qui a trait au refus scolaire, au coucher et aux cours de musique. 4. Une réévaluation avec Sophie dans deux semaines au sujet du retour en classe et de l’indication d’un suivi cognitivocomportemental axé sur les préoccupations anxieuses et le recours à l’évitement. 5. Aucune indication immédiate de pharmacothérapie, à réévaluer après le retour en classe.

L’évaluation pédopsychiatrique représente un dé pour le médecin parce qu’elle exige : • un niveau adéquat de connaissances fondamentales et cliniques ; • une bonne connaissance du développement normal et pathologique de l’enfant ; • un bon sens de l’observation ; • une grande sensibilité à la sourance des enfants ; • de bonnes habiletés relationnelles autant avec les enfants et les adolescents qu’avec leurs parents ; • la capacité de travailler en interdisciplinarité pour le suivi, dans un cadre souple qui tient compte des aspects individuels, familiaux et culturels. Il s’agit là d’un travail stimulant et gratiant pour le médecin parce que son évaluation des jeunes et son intervention auprès d’eux peuvent entraîner une modication bénéque de leur trajectoire de vie et l’actualisation de leur meilleur potentiel.

Lectures complémentaires D, M. K. & L, M. (2012). Concise Guide to Child and Adolescent Psychiatry, 4e éd., Arlington, American Press Publishing. D, J. E. (2013). Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, 4e éd., Paris, De Boeck Supérieur. Hz, L. (2014). Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent : Une approche

1228

basée sur les preuves, Paris, De Boeck Supérieur. L, M. (2014). Forces et sourances psychiques de l’enfant (tome 1), Paris, Érès. L, M. (2015). Forces et sourances psychiques de l’enfant (tome 2), Paris, Érès. L, M. (2016). Forces et sourances psychiques de l’enfant (tome 3), Paris, Érès.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

M, A. & al. (2007). Lewis’s Child and Adolescent Psychiatry : A Comprehensive Textbook, 4e éd., Philadelphie, Lippincott, Williams and Wilkins. T, C. & G, A. (2012). L’évaluation en clinique du jeune enfant : le bébé et ses parents, 90 tests, échelles et questionnaires, dépistage et diagnostic, clinique et recherche, Paris, Dunod.

Spécialités psychiatriques

CHA P ITR E

56

Évaluation neuropsychologique en pédopsychiatrie MARIE-ANNE GARIÉPY, B.A. (psychologie)

NANCIE ROULEAU, Ph. D. (neuropsychologie)

Étudiante au doctorat en psychologie recherche/intervention, neuropsychologie, École de psychologie, Faculté des sciences sociales, Université Laval (Québec)

Neuropsychologue, chercheuse, Laboratoire de neuropsychopathologie développementale, Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec

PASCALE VÉZINA, B.A. (psychologie)

Professeure titulaire, École de psychologie, Faculté des sciences sociales, Université Laval (Québec)

Étudiante au doctorat en psychologie recherche/intervention, neuropsychologie, École de psychologie, Faculté des sciences sociales, Université Laval (Québec)

56.1 Fondements théoriques de l’évaluation neuropsychologique pédiatrique ............................... 1230 56.1.1 Objectifs et démarche ......................................... 1230 56.1.2 Particularités .........................................................1230 56.1.3 Cadre conceptuel .................................................1231 56.2 Principales fonctions cognitives évaluées................. 1232 56.2.1 Attention................................................................1232 56.2.2 Mémoire.................................................................1233 56.2.3 Fonctions exécutives............................................1233 56.2.4 Praxies ....................................................................1233

56.3 Impact des troubles cognitifs...................................... 1234 56.4 Motifs de la consultation ............................................. 1234 56.4.1 Support au diagnostic .........................................1235 56.4.2 Support à l’intervention ...................................... 1235 56.5 Psychopathologie cognitive ........................................ 1235 56.5.1 Psychoses à début précoce ................................. 1235 56.5.2 Trouble du décit de l’attention/hyperactivité .. 1236 Lectures complémentaires ..................................................... 1237

L

a neuropsychologie clinique, qui se caractérise par l’étude des relations entre le fonctionnement cérébral, la cognition et le comportement, est une pratique maintenant bien intégrée au sein des équipes interdisciplinaires œuvrant dans les milieux de pédopsychiatrie. L’évaluation neuropsychologique réalisée auprès d’enfants sourant de divers troubles mentaux permet une compréhension plus complète de leur situation et contribue à orienter les soins et les services qui leur sont oerts tant sur les plans du suivi thérapeutique que du cheminement scolaire. La neuropsychologie clinique est une discipline qui était traditionnellement présente en neurologie. Son émergence en pédopsychiatrie étant relativement récente, ce chapitre vise à présenter ses particularités et à en démontrer la pertinence.

56.1 Fondements théoriques de l’évaluation neuropsychologique pédiatrique L’apport de la neuropsychologie clinique en pédopsychiatrie repose avant tout sur la pertinence de l’objectif d’une évaluation neuropsychologique et de ses spécicités, tant dans sa visée que dans la façon dont elle contribue à la compréhension de la psychopathologie. Ces spécicités de même qu’un cadre conceptuel de la psychopathologie seront abordés dans la section suivante.

56.1.1 Objectifs et démarche L’objectif principal de l’évaluation neuropsychologique auprès des enfants est généralement d’établir leur prol cognitif, c’est-à-dire de déterminer quels sont les fonctions cognitives préservées, les forces et les décits, de même que les interactions entre les diérents processus cognitifs. Cette évaluation permet de comprendre le fonctionnement cognitif du jeune et la façon dont son prol cognitif (c.-à-d. ses forces et décits cognitifs) inuence ses comportements, ses apprentissages et ses activités de la vie quotidienne. Une telle évaluation permet d’orienter la démarche diagnostique et de suggérer des moyens de compensation pour les décits relevés, en se basant notamment sur les forces identiées. Une telle analyse permet également de sensibiliser l’enfant et son entourage au prol particulier qu’il présente, de guider ses apprentissages et de mettre en place, au besoin, une remédiation cognitive an de pallier les dicultés ciblées. En vue d’atteindre cet objectif, une démarche d’évaluation systématique doit être mise de l’avant, basée sur une connaissance préalable du développement cognitif normal de l’enfant et de l’adolescent. L’évaluation neuropsychologique repose sur la collecte d’informations de diverses provenances (l’enfant, les parents, les enseignants, etc.) et de nature multiple (l’entrevue, l’observation directe, des questionnaires, les tâches psychométriques). Il importe ainsi de se rappeler que le bilan neuropsychologique n’est en aucune manière limité à la passation d’épreuves psychométriques, qui ne sont que des outils dans la démarche hypothético-déductive mise en place. Si la maîtrise des outils psychométriques s’avère une compétence essentielle chez le neuropsychologue, elle n’en demeure pas moins un instrument au service d’une réexion plus poussée sur le fonctionnement cognitif, laquelle repose sur

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une compréhension approfondie de l’architecture cognitive de l’enfant. L’administration de tests psychométriques validés et normés permet d’évaluer une variété de processus cognitifs et ore un point de comparaison entre le jeune et un groupe de référence (généralement un groupe d’enfants du même âge), en plus de fournir une indication de ses forces et de ses faiblesses personnelles. L’analyse des résultats aux tâches proposées se fait donc en fonction de deux points de comparaison : 1. Une comparaison interpersonnelle (par rapport à une norme) ; 2. Une comparaison intrapersonnelle (par rapport à l’enfant lui-même). Les résultats aux diérentes épreuves administrées ne constituent jamais une n en soi. Le neuropsychologue se charge d’interpréter les résultats obtenus en fonction de la nature de la tâche, des patterns d’erreurs commises et de tous les éléments qualitatifs qui peuvent s’avérer informatifs (p. ex., l’eort, le niveau d’anxiété lors de l’évaluation, la prise ou les changements de médication). Ce n’est qu’au terme de ce processus systématique et exhaustif qu’il est en mesure de se prononcer quant à la présence et à la nature d’un trouble cognitif, d’établir un pronostic et de recommander diverses interventions. L’évaluation neuropsychologique chez l’adulte est présentée en détail au chapitre 4.

56.1.2 Particularités Contrairement à l’évaluation neuropsychologique réalisée chez l’adulte, celle de l’enfant et de l’adolescent s’inscrit dans une perspective développementale. La prise en compte des trajectoires développementales typiquement attendues constitue donc une base fondamentale pour le travail du neuropsychologue pédiatrique. L’altération de la trajectoire développementale, un retard ou une absence de développement d’une fonction cognitive sont tous des éléments considérés et détaillés lors de l’évaluation. La compréhension de ces trajectoires inuence d’ailleurs le pronostic émis et le choix des interventions à privilégier. Le choix des stratégies de rééducation mises en place (p. ex., stratégies compensatoires, réorganisation ou aménagement de l’environnement) seront ainsi déterminées par le neuropsychologue en fonction de plusieurs facteurs, tels l’âge, l’étiologie du décit, des variables personnelles, ainsi que la trajectoire développementale identiée. Une autre particularité de l’évaluation neuropsychologique de l’enfant réside dans les nombreux partenariats qu’elle exige. • L’évaluation de l’enfant nécessite la participation de sa famille, et ce, à toutes les étapes de l’évaluation et de l’intervention, que ce soit lors de la collecte d’informations sur les premières années de vie ou de la mise en place des recommandations. Une collaboration positive avec la famille permet également de mieux comprendre la dynamique familiale dans laquelle évolue l’enfant. En eet, si la dynamique familiale inuence l’expression des symptômes (p. ex., en diminuant l’expression de l’anxiété par un cadre stable et prévisible), il est aussi vrai que la présence de symptômes chez le jeune modie en retour cette dynamique (p. ex., la présence d’un trouble oppositionnel chez le jeune peut mener à une dynamique de conit et de confrontation dans la famille). • Le milieu scolaire doit également être un partenaire clé dans le processus d’évaluation, puisque les divers intervenants scolaires ont un regard unique sur l’évolution et le fonctionnement du

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jeune dans un contexte social et d’apprentissage. De plus, l’école est un collaborateur majeur quant à l’implantation et l’ajustement des recommandations formulées, puisque la présence d’atteintes cognitives se répercute nécessairement sur l’évolution des apprentissages et sur le fonctionnement scolaire.

56.1.3 Cadre conceptuel La neuropsychologie clinique dispose d’un cadre conceptuel au sein duquel vient s’ancrer la démarche d’évaluation. Une compréhension juste du rôle du neuropsychologue au sein d’une équipe pédopsychiatrique nécessite la compréhension globale de ce cadre. L’évaluation de l’enfant en pédopsychiatrie est un processus complexe présentant de multiples niveaux d’intérêt selon la formation du professionnel concerné. À des ns de synthèse, il est possible de considérer l’évaluation de l’enfant comme un processus en quatre niveaux d’analyse distincts, mais indéniablement interreliés (voir la gure 56.1). 1. Le niveau génétique constitue le centre d’intérêt du généticien, dont l’objet clinique est de rechercher la possibilité d’une anomalie au niveau du génome de l’enfant qui pourrait expliquer une présentation clinique atypique. C’est sur le plan génétique que sont établies certaines particularités de l’enfant, comme la présence de troubles génétiques tels le syndrome de Down (trisomie 21), le syndrome du X fragile, la phénylcétonurie, etc. 2. Le niveau neurologique a comme intérêt d’évaluation principal la présence de lésions cérébrales et d’anomalies neurologiques ou neurochimiques qui peuvent inuencer le fonctionnement de l’enfant (p. ex., épilepsie, paralysie cérébrale, petit mal, absence, tumeur cérébrale, accident vasculaire).

3. Le niveau cognitif est évalué par le neuropsychologue, qui détaille le fonctionnement de divers processus cognitifs (p. ex., l’attention, la mémoire, le fonctionnement exécutif, etc.) de même que par l’orthophoniste, dont l’objet d’étude est le langage, et par l’orthopédagogue, qui s’intéresse aux apprentissages. Le neuropsychologue relie le niveau cognitif aux niveaux neurologique et comportemental-aectif, par exemple en explicitant l’impact cognitif fonctionnel d’une lésion identiée en neuro-imagerie ou en détaillant l’impact au quotidien d’une atteinte cognitive. 4. Le niveau comportemental et aectif constitue généralement le point d’intérêt du psychologue ou du médecin, qui examinent les particularités du comportement de l’enfant, telles que les manifestations d’anxiété, de dépression, les oublis, etc. C’est à ce niveau qu’interviennent diérents professionnels au sein des équipes interdisciplinaires, comme l’éducateur spécialisé, le travailleur social ou l’inrmière. Le comportement est évidemment inuencé par les autres niveaux d’analyse, mais cette influence est bidirectionnelle. En effet, un trouble cognitif (p. ex., un trouble de la mémoire) peut amener des manifestations comportementales particulières (p. ex., des oublis fréquents). Cependant, un trouble sur le plan du comportement ou de l’aect (p. ex., une anxiété élevée) peut également nuire à un fonctionnement cognitif optimal en portant par exemple atteinte au fonctionnement attentionnel malgré un bon potentiel cognitif. Ces quatre niveaux d’analyse ne sont donc pas d’ordre séquentiel, mais constituent plutôt quatre angles d’approche qui peuvent être abordés d’un front commun an d’étoer la compréhension de la situation menant à la consultation. L’exemple de la schizophrénie peut illustrer les quatre niveaux d’analyse.

FIGURE 56.1 Niveaux d’analyse dans l’évaluation de l’enfant

Source : Adapté de Rouleau (2010), p. 68.

Chapitre 56

Évaluation neuropsychologique en pédopsychiatrie

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1. Au niveau génétique, le point d’intérêt porte sur les anomalies génétiques qui causent la schizophrénie ou y prédisposent ainsi que sur l’héritabilité de la maladie et la compréhension de l’agrégation familiale au sein du trouble. 2. Le niveau neurologique s’intéresse davantage aux anomalies neurobiologiques, comme les signes discrets (soft signs), l’hypofrontalité, les dérèglements neurochimiques en dopamine ou encore la réduction du volume cortical en imagerie. 3. Au niveau cognitif, l’intérêt porte plutôt sur les décits cognitifs propres à la maladie, notamment l’attention, la mémoire épisodique, la mémoire de travail et les fonctions exécutives (voir la section 56.2). 4. Le niveau comportemental et aectif s’intéresse aux symptômes (hallucinations, délires, etc.), aux comorbidités et au fonctionnement quotidien du patient. Ces diérentes pistes font ressortir l’importance du travail de collaboration et de concertation au sein de l’équipe œuvrant en pédopsychiatrie, an qu’elle en arrive à une compréhension détaillée de tous les niveaux d’analyse lui permettant de dresser un prol complet et adéquat du fonctionnement d’un enfant. Ainsi, l’investigation des divers niveaux d’analyse pourrait par exemple permettre de mieux comprendre la présence d’anxiété chez un enfant, laquelle peut être due à un trouble anxieux primaire (p. ex., un trouble d’anxiété généralisée), mais peut également être secondaire à un trouble cognitif (p. ex., une dyslexie) qui génère de l’anxiété chez le jeune lorsqu’il est confronté à l’échec scolaire. Cette anxiété peut également découler d’un fonctionnement neurochimique ou biologique anormal ou encore d’une interaction entre toutes ces hypothèses. Seule la considération simultanée de tous les niveaux d’analyse permet en ce sens un diagnostic diérentiel optimal.

56.2 Principales fonctions cognitives évaluées L’évaluation neuropsychologique est généralement justiée à partir de 3 ou 4 ans, puisqu’avant cet âge, la majorité des fonctions cognitives évaluées ne se sont pas encore développées, mis à part le langage qui est davantage évalué en orthophonie. Les sous-sections qui suivent proposent un aperçu des principales fonctions cognitives évaluées lors du bilan neuropsychologique et une illustration de leur rôle dans la vie quotidienne d’un enfant ou d’un adolescent. Les principales fonctions cognitives évaluées lors du bilan neuropsychologique sont présentées en détail au chapitre 4.

56.2.1 Attention L’attention est une fonction cognitive sous-jacente à l’ensemble des activités de la vie quotidienne. Une atteinte des capacités attentionnelles peut donc se révéler dans de multiples domaines de la vie de l’enfant, comme les apprentissages, la socialisation, le fonctionnement à la maison, les routines de vie, etc. Le fonctionnement attentionnel est également à la base du traitement de l’information et se reète dans la performance à l’ensemble des tests cognitifs. Il est donc crucial de considérer les capacités

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attentionnelles dans l’interprétation des résultats avant de conclure à tout autre décit cognitif. Pour ce faire, il importe d’abord de distinguer deux niveaux d’attention : 1. L’attention, d’un point de vue comportemental, peut être considérée comme la capacité d’un enfant à présenter un comportement attentif, c’est-à-dire à rester tranquille, à écouter les consignes et à être consciencieux dans son travail. Un tel comportement est observable au quotidien et peut être évalué par l’observation en classe et en clinique, lors des entrevues et au moyen de certains questionnaires comportementaux (p. ex., Conners). 2. L’attention, d’un point de vue cognitif, est une fonction mesurable au moyen de tâches cognitives et n’est pas automatiquement liée à un comportement attentif. Un comportement inattentif peut en eet s’expliquer par d’autres décits cognitifs que des décits attentionnels, que ce soit sur les plans de l’inhibition de l’action, de la planication, etc. (ces autres systèmes cognitifs sont expliqués plus loin dans cette section). Il peut même n’être lié à aucune anomalie cognitive. Un comportement attentif et l’attention évaluée sur le plan cognitif sont donc situés à deux niveaux d’analyse diérents, et ils ne doivent pas être confondus, car plusieurs prols cognitifs distincts peuvent mener à des manifestations d’inattention sur le plan comportemental. Par ailleurs, l’attention évaluée au niveau cognitif ne constitue pas un phénomène unitaire, mais est plutôt conçue comme un ensemble de composantes modulaires qui peuvent être atteintes indépendamment les unes des autres (Leclercq & Zimmerman, 2000) : • L’attention sélective réfère à la capacité de sélectionner l’information pertinente à la réalisation d’une action quelconque, tout en ignorant les éléments distrayants qui peuvent nuire au traitement ecace de l’information. C’est cette fonction qui est sollicitée, par exemple en classe, lorsqu’un enfant porte attention à la consigne de l’enseignant, tout en ignorant les bruits des chaises, des bureaux et des autres enfants ou l’activité extérieure observable par la fenêtre de la classe. • L’attention soutenue réfère à la capacité de maintenir son attention sur une longue période de temps. Un enfant ayant des dicultés en attention soutenue est en mesure de maintenir son attention sur une courte période, mais est plus fatigable, en ce sens que par rapport à un enfant au développement typique, il a tendance à devenir plus distrait et à commettre davantage d’erreurs avec le passage du temps, que ce soit en classe ou lors de toute activité demandant une attention prolongée (p. ex., suivre un cours, visiter un musée, écouter une histoire). • L’attention divisée consiste à partager ses ressources attentionnelles entre deux tâches diérentes. Cette fonction est requise, par exemple, lorsque l’enfant doit écouter son enseignant et prendre des notes simultanément ou lorsqu’il écoute une émission de télévision et que ses parents lui parlent en même temps. Un décit à ce niveau peut entraîner plus d’erreurs chez l’enfant lorsqu’il doit faire deux choses à la fois alors qu’il peut réaliser correctement chaque tâche individuellement, ou encore se manifester par une tendance à se centrer sur une seule activité au détriment de l’autre en raison de la surcharge cognitive alors engendrée.

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56.2.2 Mémoire



La mémoire est une fonction cognitive cruciale dans le développement de l’enfant, puisqu’elle contribue à l’élaboration d’un bagage de connaissances et d’expériences, permet le développement d’une identité personnelle et est intimement associée aux apprentissages sociaux et scolaires (Van der Linden & al., 2000). • La mémoire de travail, parfois appelée « mémoire à court terme », permet de maintenir et de manipuler mentalement l’information sur une période de quelques secondes seulement (voir les gures supplémentaires). La mémoire de travail agit au sein de la cognition comme une zone tampon où l’information provenant de l’environnement est maintenue le temps d’être traitée, comprise ou encore emmagasinée en mémoire à long terme. La mémoire de travail est sollicitée, par exemple, lorsqu’une personne retient mentalement un numéro de téléphone pendant quelques secondes, le temps de le composer sur l’appareil, lorsqu’un enfant exécute un calcul mental ou se répète mentalement les étapes à suivre pour résoudre un problème mathématique ou encore pour soutenir la compréhension d’une conversation ou d’une lecture. Cette fonction cognitive est aussi liée aux habiletés langagières, puisque c’est notamment par le maintien et la manipulation mentale que l’enfant apprend : – d’abord à parler en utilisant des phonèmes, c’est-à-dire des unités de son d’une langue (p. ex., les sons « p » ou « t ») ; – puis à lire et à écrire en utilisant des graphèmes, c’està-dire des unités graphiques d’un système d’écriture (p. ex., les lettres « p » ou « t »). La mémoire de travail est donc une fonction cognitive très importante qui, lorsqu’elle est décitaire, est susceptible d’interférer avec les apprentissages scolaires, le développement de l’enfant et son fonctionnement social. • La mémoire épisodique est la mémoire des événements qui sont rattachés à un épisode vécu et à un contexte temporel et spatial précis, par exemple le souvenir de ce qu’un jeune faisait l’été précédent ou encore de l’endroit où il était lorsqu’il a appris une nouvelle marquante. Si ce système est atteint, il est possible que le jeune n’arrive pas à emmagasiner de nouvelles informations ou, encore, qu’il soit incapable de la récupérer sur demande, par exemple lors d’examens, ce qui risque fort d’entraver son cheminement scolaire et de contribuer à certains symptômes psychiatriques et comportementaux. • La mémoire sémantique se dénit comme la mémoire des connaissances qui ne sont pas liées à un épisode particulier dans la vie de l’individu. La signication des mots, certains faits historiques et dates importantes de même que certaines conventions sociales (p. ex., formules de politesse, comportements à adopter dans certaines situations comme attendre son tour dans une le d’attente) font partie de ce système de mémoire. Par exemple, tous savent que la fête de Noël a lieu chaque année le 25 décembre. Or, il serait bien dicile pour la plupart des personnes de se rappeler à quel moment de leur vie elles ont appris cette information, à quel endroit elles étaient et qui le leur a dit. C’est une connaissance générale faisant en quelque sorte partie d’une banque d’informations qui n’est liée à aucun souvenir d’un épisode de vie. Chez l’enfant, le développement du langage et celui de la mémoire sémantique sont intrinsèquement liés et permettent d’enrichir la compréhension et l’expression verbale.

Chapitre 56

La mémoire procédurale est sollicitée dans l’apprentissage d’habiletés perceptivomotrices. Ce type d’apprentissage est généralement réalisé de manière implicite et est dicilement verbalisable à une autre personne. L’apprentissage de la bicyclette, le laçage des souliers ou la manipulation requise pour brasser un jeu de cartes sont des exemples d’habiletés qui découlent de la mémoire procédurale.

56.2.3 Fonctions exécutives Les fonctions exécutives réfèrent aux fonctions cognitives supérieures qui permettent à un individu de coordonner son activité mentale lorsqu’il fait face à des situations nouvelles, inhabituelles ou complexes, qui requièrent de s’adapter an de mettre en place une nouvelle façon de procéder. Les fonctions exécutives comprennent entre autres l’inhibition, la planication et la exibilité.

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Un supplément d’information sur le modèle théorique des fonctions exécutives est disponible dans Shallice (2002).

1. L’inhibition est la fonction exécutive sollicitée lorsqu’une réponse automatique doit être freinée au prot d’une réponse contrôlée et mieux adaptée à la situation. Par exemple, un enfant qui commence à apprendre l’écriture cursive fait appel à ses processus inhibiteurs, car il doit constamment inhiber son réexe d’écriture en script, qu’il utilisait auparavant et qui est plus automatique pour lui. Ce sont aussi les processus d’inhibition qui sont requis lorsqu’un enfant doit respecter une nouvelle règle à laquelle il n’est pas habitué dans un jeu qu’il connaît par ailleurs bien ou lorsqu’il se retient de dire une parole blessante à l’endroit d’un camarade. 2. La planication consiste en la mise en place volontaire et consciente d’une séquence d’actions orientée vers un but précis. Les habiletés de planication de l’enfant sont sollicitées, par exemple, lorsqu’il entame sa période de devoirs le soir, en décidant par quelle matière il débute et dans quel ordre il va faire ses travaux. La planication est aussi impliquée dans la résolution de problèmes, lorsque le jeune organise sa démarche mathématique pour arriver à la solution d’un problème. 3. La exibilité se dénit comme la capacité de passer d’une représentation mentale à une autre en s’ajustant notamment aux rétroactions de l’environnement et aux exigences parfois changeantes d’une situation donnée. C’est par la mise en place d’une réexion souple et adaptable qu’il devient possible de rééchir « en dehors du cadre » et d’envisager des façons de faire originales qui dièrent de la manière habituelle de procéder. Par exemple, un enfant limité sur le plan de la exibilité mentale peut éprouver de la diculté et même de l’anxiété à voir ses routines de vie changées. Il peut trouver dicile de mettre en place une méthode de travail diérente de ce qu’il fait habituellement, ce qui peut se manifester par des comportements opposants ou par de l’argumentation. Le développement normal de l’enfant de la naissance à 6 ans est décrit en détail au chapitre 6 (voir le tableau 61.1).

56.2.4 Praxies Les praxies sont la composante cognitive impliquée dans la production de mouvements moteurs et correspondent à l’organisation et Évaluation neuropsychologique en pédopsychiatrie

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à la coordination des séquences d’actions motrices volontaires. Un développement atypique de ces fonctions peut conduire à diverses dicultés chez l’enfant sur les plans de son autonomie ou de son fonctionnement global. La détection précoce d’une dyspraxie permet donc une prise en charge rapide. À titre indicatif, un enfant présentant une dyspraxie peut paraître maladroit, avoir une écriture grossière, être incapable de réaliser certaines actions impliquant des objets (p. ex., utiliser des ciseaux, faire un casse-tête) ou même éprouver de la diculté à se vêtir, et ce, en l’absence d’un diagnostic de trouble moteur primaire comme une paralysie ou une dystonie. Les troubles du développement de la coordination motrice sont présentés en détail au chapitre 61, à la section 61.3.

56.3 Impact des troubles cognitifs Bien que l’évaluation neuropsychologique et la compréhension du fonctionnement cognitif constituent le champ d’expertise du neuropsychologue, tous les intervenants amenés à côtoyer la clientèle pédiatrique, qu’il s’agisse du médecin traitant, de l’enseignant ou des parents, jouent un rôle critique dans la démarche d’évaluation et dans la mise en place des interventions subséquentes. En eet, le médecin, qu’il soit généraliste ou pédiatre, est l’un des premiers consultés en présence d’une suspicion de trouble émotionnel, comportemental ou cognitif chez un enfant. Cela lui confère un rôle privilégié dans la détection précoce de problèmes cognitifs, et ce, particulièrement chez les jeunes enfants qui ne fréquentent pas encore le milieu scolaire. Il importe donc que ces intervenants soient alertes et informés sur les signes d’appel qui peuvent mener à une référence en neuropsychologie, puisqu’une détection et une prise en charge précoces peuvent entraîner un pronostic plus favorable. Il est également important que tous les intervenants considèrent les particularités cognitives interférant avec le fonctionnement de l’enfant an de limiter les impacts des dicultés cognitives au quotidien. Comparativement aux handicaps physiques, les décits cognitifs sont moins facilement perceptibles de telle sorte qu’ils peuvent passer inaperçus ou être confondus avec des troubles comportementaux tels de l’opposition, de la passivité ou un manque de motivation. Ainsi, il est facile de conclure à un manque de volonté ou d’eorts de la part d’un enfant qui a de la diculté à rester concentré plus de quelques minutes, alors qu’il peut plutôt être aux prises avec une réelle limite cognitive. Une absence de considération pour les limites cognitives de l’enfant peut ainsi mener à une conclusion erronée quant aux causes du comportement et compromettre l’ecacité des stratégies visant à en diminuer la manifestation. Il peut même en résulter une augmentation des dicultés cliniques observées chez le jeune, par exemple en provoquant une anxiété de performance, une baisse d’estime de soi ou du découragement. C’est dans ce contexte que, suite à son évaluation, le neuropsychologue peut faire des suggestions pertinentes sur les façons appropriées d’intervenir auprès du jeune, en tenant compte de ses capacités et de ses handicaps. Par exemple, le travail auprès d’un enfant qui présente une atteinte cognitive nécessite des adaptations qui doivent tenir compte de ses caractéristiques neuropsychologiques an d’optimiser l’ecacité de la prise en charge. Ainsi, un adolescent atteint d’un TDA/H peut également présenter un trouble neuropsychologique de mémoire comorbide. Or, en

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supposant qu’une médication psychostimulante soit entreprise an de l’aider à gérer les symptômes d’inattention, la présence simultanée d’une atteinte mnésique est susceptible d’avoir des conséquences sur l’adhésion au traitement, le jeune pouvant oublier de prendre sa médication. An d’éviter que les troubles cognitifs interfèrent avec l’ecacité de la prise en charge, le médecin doit adapter sa pratique en modiant la façon dont il transmet ses recommandations, en s’assurant, par exemple, qu’un proche est présent pour assister le jeune dans ce processus de compréhension du plan de traitement proposé. De plus, an de compenser un trouble mnésique, le médecin peut suggérer aux parents d’utiliser des stratégies favorisant un suivi médical optimal, par exemple un signal sonore programmé chaque jour à la même heure pour rappeler la prise de médication. En somme, si le médecin ne tient compte que du diagnostic médical en ignorant le prol neuropsychologique, le plan d’intervention mis de l’avant a signicativement moins de chance de succès. Finalement, les atteintes cognitives peuvent aussi inuencer la manière dont certaines interventions sont abordées. Cela peut être observé, entre autres, dans le cas d’une intervention familiale auprès d’un enfant qui présente un trouble exécutif sur le plan de la exibilité cognitive, c’est-à-dire qui a de la diculté à s’adapter et à modier son comportement dans des situations changeantes. Le thérapeute peut alors devoir faire face à un enfant qui, au cours de l’entrevue familiale, montre une incapacité à modier sa perception d’une situation ou à envisager d’autres manières d’interpréter ce qu’il vit. Toutefois, en portant attention à la présence du trouble cognitif, le thérapeute peut présenter le processus réexif diéremment au jeune, par exemple en lui expliquant d’emblée le déroulement de la rencontre et en lui exposant clairement les diérentes interprétations qui seront analysées au lieu de demander au jeune d’élaborer lui-même des interprétations diérentes de la sienne.

56.4 Motifs de la consultation Une compréhension précise du motif de la consultation en neuropsychologie s’avère essentielle dans le contexte de l’évaluation, puisqu’il s’agit de l’élément central qui détermine l’orientation du processus d’évaluation, le choix des techniques utilisées, l’interprétation des résultats et, ultimement, la formulation de recommandations appropriées. Les motifs de consultation susceptibles d’être évoqués en neuropsychologie pédiatrique sont semblables à ceux observés pour l’adulte, soit une demande de contribution au diagnostic, soit une demande de bilan fonctionnel des capacités et limitations cognitives. Toutefois, dans le contexte pédiatrique, la plainte concerne rarement un seul domaine cognitif, et survient régulièrement en présence d’un retard de développement, de dicultés d’apprentissage persistantes malgré l’implantation d’interventions traditionnelles en milieu scolaire ou de troubles émotionnels et comportementaux graves. La fréquentation scolaire occupant une place importante dans le quotidien des enfants et des adolescents, l’objectivation du fonctionnement cognitif en lien avec les apprentissages et le fonctionnement scolaires constitue d’ailleurs l’un des motifs de l’évaluation neuropsychologique pédiatrique les plus fréquemment évoqués. Par ailleurs, la présence de dicultés cognitives est susceptible d’avoir des impacts qui s’étendent au-delà

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des dicultés d’apprentissage, interférant avec le fonctionnement global de l’enfant. De plus, tout comme chez l’adulte, l’évaluation neuropsychologique de l’enfant ne sert pas uniquement à la description du fonctionnement cognitif, mais a également pour objectif de formuler des recommandations visant la mise en place d’interventions ecaces et appropriées. Le mandat de l’évaluation se veut donc un support aussi bien au diagnostic qu’à l’intervention.

56.4.1 Support au diagnostic Bien que l’évaluation neuropsychologique pédiatrique puisse à certains moments permettre de renseigner sur la localisation cérébrale et l’étendue d’une atteinte neurobiologique (p. ex., l’épilepsie), son apport au diagnostic est d’abord d’ordre fonctionnel. En eet, elle vise à décrire le fonctionnement cognitif de l’enfant et ses impacts sur les activités quotidiennes. Ainsi, une référence en neuropsychologie pédiatrique est indiquée lorsque le médecin suspecte une étiologie cognitive à partir de manifestations comportementales ou psychiatriques, lorsqu’il se questionne sur la présence de troubles d’apprentissage ou encore lorsqu’il est informé de la présence d’anomalies neurobiologiques ou neuroanatomiques pouvant avoir un eet sur la cognition. La description du fonctionnement cognitif peut alors aider à clarier l’origine et la dynamique des dicultés présentées et ainsi supporter le diagnostic médical ou psychiatrique. Par exemple, un trouble du déficit de l’attention/hyperactivité (TDA/H) peut être suspecté chez un enfant qui présente de faibles performances scolaires et qui est décrit comme étant distrait et semblant peu motivé ou opposant. Or, une évaluation complémentaire en neuropsychologie peut mettre en évidence des capacités intellectuelles et cognitives très supérieures à la moyenne, soulevant plutôt l’hypothèse d’une douance. Ainsi, bien que ces deux troubles puissent paraître similaires en ce qui a trait à leurs manifestations comportementales, les prols cognitifs y étant associés dièrent, de telle sorte qu’une évaluation neuropsychologique peut permettre de préciser la validité du diagnostic. Voici quelques exemples de questions pouvant être adressées au neuropsychologue dans un contexte diagnostique : • Y a-t-il présence d’éléments cognitifs pouvant appuyer un diagnostic, par exemple une dyslexie ? • Les dicultés d’apprentissage observées ont-elles une origine cognitive ou sont-elles attribuables à de l’anxiété ou un TDA/H ? • Y a-t-il des atteintes cognitives associées à une aection psychiatrique, par exemple un début de psychose ?

56.4.2 Support à l’intervention L’évaluation neuropsychologique pédiatrique sert également à guider la mise en place des interventions eectuées par les diérents professionnels de l’équipe thérapeutique. En premier lieu, la description du prol cognitif au moyen d’une évaluation rigoureuse permet de formuler des recommandations concrètes et spéciques en fonction des besoins et des caractéristiques de l’enfant. Par exemple, l’identication de décits cognitifs peut donner lieu à des recommandations en vue d’une remédiation cognitive ou la mise en place de stratégies compensatoires et adaptatives, telle l’utilisation d’un agenda pour pallier un trouble mnésique. De la même manière, l’objectivation des forces d’un patient peut mener au choix d’une intervention plutôt qu’une autre an d’en faciliter la mise en place, puisque toute stratégie d’intervention doit s’appuyer

Chapitre 56

sur des fonctions intactes. Ainsi, en présence d’un trouble mnésique, il apparaîtrait préférable de miser sur l’utilisation de rappels externes (p. ex., alarmes, signaux des parents, etc.) pour un jeune ayant également un trouble exécutif comorbide. Par ailleurs, l’utilisation d’un agenda peut être plus appropriée pour un jeune dont les capacités de planication sont relativement préservées. En second lieu, une évaluation neuropsychologique peut être recommandée an de documenter les eets de l’introduction d’un traitement pharmacologique ou psychothérapeutique sur la cognition. En eet, diérentes formes de traitement sont susceptibles d’inuencer le fonctionnement cognitif en raison de leurs eets sur la neurotransmission, la plasticité cérébrale ou grâce aux possibilités d’apprentissage qu’ils fournissent au patient. D’une part, les médicaments modiant la neurotransmission peuvent inuencer directement l’humeur, le comportement ainsi que la cognition. D’autre part, une médication qui cible les symptômes psychiatriques peut aussi, indirectement, avoir un eet bénéque sur la cognition. Par exemple, un enfant présentant un TDA/H et dont les symptômes d’agitation diminuent par la prise d’un psychostimulant peut également améliorer sa capacité à retenir les consignes en classe, étant alors plus disponible pour les écouter au moment où elles lui sont transmises. Voici quelques exemples de questions en lien avec le support à l’intervention auxquelles une évaluation neuropsychologique peut apporter une réponse : • En fonction du prol cognitif, quelles mesures familiales, scolaires ou comportementales peuvent être mises en place an d’optimiser les apprentissages ? • Quelles sont les caractéristiques cognitives susceptibles d’interférer avec la mise en place d’une intervention thérapeutique ? • L’introduction d’une médication a-t-elle eu pour eet d’améliorer les capacités cognitives ? • La mise en place d’interventions cognitives a-t-elle permis d’améliorer le comportement ou de diminuer les symptômes d’un enfant présentant un trouble oppositionnel ?

56.5 Psychopathologie cognitive L’approche de la psychopathologie cognitive est une spécialisation en neuropsychologie qui s’intéresse à la contribution de la cognition dans les troubles psychiatriques en tant qu’hypothèse étiologique de la maladie et de la symptomatologie. De nombreux troubles ont été étudiés sous cet angle, comme les troubles du spectre de l’autisme ou le trouble obsessionnel-compulsif. La compréhension du lien entre psychopathologie et cognition permet d’illustrer la contribution de la neuropsychologie en pédopsychiatrie, puisque les décits cognitifs sont un volet incontournable de certains troubles mentaux. Deux psychopathologies rencontrées durant l’enfance et l’adolescence et pour lesquelles les décits cognitifs sont bien documentés sont brièvement présentées an d’illustrer cette approche.

56.5.1 Psychoses à début précoce Les décits neuropsychologiques sont maintenant bien reconnus comme étant au cœur de la psychose, tant au stade de prodrome (c.-à-d. avant l’apparition d’un premier épisode de schizophrénie)

Évaluation neuropsychologique en pédopsychiatrie

1235

qu’en début d’évolution et en phase chronique (Mesholam-Gately & al., 2009 ; Bora & al., 2014). Chez des adolescents en début de psychose, en comparaison avec des adolescents typiques, plusieurs équipes de recherche ont fréquemment identié des décits neuropsychologiques de l’attention, de la mémoire épisodique et des fonctions exécutives (Boutin & al., 2010 ; Doré & al., 2007 ; Zabala & al., 2010). Par ailleurs, la chronicité et la gravité de la psychose, son impact majeur sur la qualité de vie des patients et de leur famille de même que le lien entre la gravité de la maladie et la durée du trouble non traité ont mis en lumière le besoin d’intervenir en détection précoce. Dans cette optique, plusieurs auteurs se sont intéressés à la manière d’identier les personnes à risque de développer un épisode psychotique, suggérant un prol développemental particulier sur le plan de la cognition en lien avec le phénomène. Ces recherches s’appuient notamment sur un modèle neurodéveloppemental de la schizophrénie, qui postule que les décits cognitifs sont une manifestation d’un dérèglement cérébral qui précède l’émergence de la psychose (Rapoport & al., 2005). Suivant ce modèle, diérentes études ont tenté d’identier des indicateurs cognitifs de psychose avant l’apparition formelle de la maladie, c’est-à-dire des éléments cognitifs permettant de prédire quels individus à haut risque peuvent développer la maladie. On note ainsi que des atteintes cognitives précoces (vitesse de traitement de l’information, mémoire de travail et mémoire épisodique) sont fréquemment observées chez des individus qui vont évoluer vers la psychose (Correll & al., 2010). Ces décits, qui sont les mêmes que ceux retrouvés pendant et après le premier épisode psychotique, apparaissent en ce sens identiables bien avant l’apparition des premiers symptômes psychotiques. L’étude du lien entre la symptomatologie clinique et la cognition a également été mise de l’avant au cours des dernières années. D’un point de vue cognitif, les hallucinations sont conceptualisées comme découlant d’une méprise sur le caractère réel d’un événement (voix, visions, sensations), ce qui relève de la dénition même du phénomène. Aleman & Laroi (2008) ont proposé un modèle des hallucinations qui s’intègre dans l’approche de la psychopathologie cognitive. Ce modèle propose que les hallucinations peuvent émerger d’un traitement de l’information inadéquat se manifestant par une méprise sur l’origine d’une information générée par l’individu lui-même, mais qui serait attribuée, à tort, à une source externe. Ces attributions erronées peuvent expliquer, par exemple, l’impression vécue par les patients aux prises avec des hallucinations d’entendre une voix étrangère, alors qu’il s’agit de leur propre discours intérieur qui est pensé ou prononcé par eux-mêmes, sous forme de subvocalisations. Cette erreur d’attribution cognitive découle d’une interaction entre des facteurs émotionnels, motivationnels et cognitifs qui peut fausser le processus décisionnel permettant de statuer sur le caractère réel ou imaginé, interne ou externe, d’un événement. Une conception théorique sous-jacente à cette hypothèse est celle de la mémoire de source, développée par Johnson et ses collaborateurs (1993). Cette théorie présente la mémoire de source comme une composante de la mémoire épisodique, responsable de l’attribution de la source d’une information, c’est-à-dire de l’attribution d’une origine à divers événements. Par exemple, un événement (un accident d’automobile) a-t-il été vu à la télévision, observé par soi ou raconté par autrui, lu dans

1236

un livre ? Des décits en mémoire de source ont été relevés chez des patients sourant de schizophrénie et ont été corrélés aux symptômes positifs de la schizophrénie, appuyant l’idée que les troubles en mémoire de source sont une composante étiologique du symptôme d’hallucination (Brébion & al., 2013). En somme, il appert que l’étude de la cognition représente une avenue incontournable dans l’étude de la psychose. Ce champ d’étude permet non seulement une meilleure compréhension de la présentation clinique du trouble, mais ouvre la voie vers une compréhension plus étoée des symptômes eux-mêmes et des trajectoires évolutives de la maladie, du prodrome à la chronicité, permettant de nouvelles pistes d’intervention et de prévention auprès de cette clientèle.

56.5.2 Trouble du décit de l’attention/ hyperactivité Le TDA/H est l’un des troubles neurodéveloppementaux les plus fréquemment observés chez les enfants d’âge scolaire. Dans le DSM-5, le diagnostic de TDA/H repose sur l’évaluation de manifestations comportementales pouvant s’inscrire dans trois grandes catégories, soit l’inattention, l’hyperactivité et l’impulsivité (APA, 2015). Parallèlement aux symptômes d’inattention, d’hyperactivité et d’impulsivité caractéristiques au trouble, près de 70% d’individus avec un TDA/H présenteront un autre trouble de santé mentale ou des troubles associés tels des dicultés d’apprentissage au cours de leur vie (Jensen & al., 2001). Le TDA/H étant généralement diagnostiqué tôt à l’enfance, certains auteurs émettent l’hypothèse que dans certains cas, les symptômes de TDA/H pourraient s’avérer être des manifestations primaires d’autres psychopathologies amenées à se développer ultérieurement, comme la psychose ou le trouble bipolaire, et dans lesquelles un haut taux de TDA/H à l’enfance a été rapporté (Brown, 2009). Le trouble du décit de l’attention avec/sans hyperactivité est présenté en détail au chapitre 60, à la partie A. Par ailleurs, il est reconnu que le TDA/H peut s’accompagner de décits cognitifs. Le fonctionnement exécutif dans la population pédiatrique présentant un TDA/H a fait l’objet de nombreuses études au cours des dernières années. L’observation d’une ressemblance entre certaines manifestations comportementales du TDA/H et celles observées chez des patients ayant subi des lésions frontales ont amené plusieurs auteurs à suspecter la présence de décits exécutifs chez ces derniers. De nombreux travaux visant à caractériser le fonctionnement cognitif dans le TDA/H ont permis l’observation d’une grande variété de décits exécutifs chez ces patients, particulièrement en ce qui a trait au contrôle inhibiteur, à la planication et à la mémoire de travail (Willcutt & al., 2005). Néanmoins, bien que le fonctionnement exécutif constitue le domaine cognitif ayant été le plus étudié auprès d’enfants présentant un TDA/H, des décits attentionnels, moteurs et du traitement temporel des stimuli ont également été documentés (Nigg, 2006). Bien qu’il semble assez clair que des décits cognitifs peuvent être observés parallèlement aux symptômes comportementaux du TDA/H, les troubles cognitifs ne sont actuellement pas considérés dans les critères diagnostiques du DSM-5 (Sonuga-Barke & al., 2008). En eet, même si de nombreuses

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

études rapportent la présence de performances cognitives signicativement inférieures chez les enfants sourant d’un TDA/H comparativement aux enfants à développement typique, l’étude des données individuelles montre que pour une mesure spécique (p. ex., les erreurs d’inhibition au test de Stroop), rarement plus de la moitié des patients présente un décit cognitif signicatif sur le plan clinique. De plus, il est clairement montré qu’une certaine proportion d’enfants (variant de 20 à 30 % selon les études) ne présente aucun décit cognitif, suggérant ainsi qu’un sous-groupe d’enfants puisse avoir un fonctionnement cognitif préservé, malgré la présence des symptômes comportementaux caractéristiques du TDA/H (Nigg & al., 2005). Il semble donc qu’aucun des décits cognitifs n’ayant été associés au TDA/H ne soit systématiquement observé chez tous ces patients. Cette constatation a amené certains auteurs à soulever l’hypothèse que ce trouble neurodéveloppemental est caractérisé par divers marqueurs cognitifs plutôt qu’un seul, pouvant ainsi donner lieu à une variété de prols neuropsychologiques (Nigg & al., 2005). L’évaluation neuropsychologique apparaît alors comme une source d’information essentielle et complémentaire au diagnostic, puisque le fonctionnement cognitif des enfants présentant un TDA/H est susceptible de diérer grandement de l’un à l’autre. Comparativement à certains troubles comme la psychose, pour lesquels l’approche de la psychopathologie cognitive a permis d’éclaircir l’origine étiologique de certaines manifestations psychiatriques, l’étude du fonctionnement cognitif en lien avec les symptômes du TDA/H est encore récente et peu étoée. Nigg & Casey (2005) proposent un modèle intégrant les neurosciences aectives et cognitives, dans lequel ils lient les niveaux neuroanatomique, cognitif et comportemental du TDA/H. Dans ce modèle, ils décrivent une trajectoire pouvant conduire à l’expression du phénotype du TDA/H et qui cible spéciquement l’implication de la cognition en lien avec les symptômes. Ils proposent qu’un dysfonctionnement des voies frontostriatale et frontocérébelleuse, dans lesquelles des anomalies neurobiologiques ont été observées chez des enfants atteints d’un TDA/H, soit associé à un faible contrôle cognitif (c.-à-d. à une diculté à adapter leur comportement en fonction de l’environnement ou de la situation). Conséquemment, cela entraîne une variété de décits cognitifs qui peuvent être associés aux manifestations comportementales d’inattention et de désorganisation couramment observées dans cette pathologie. Des résultats empiriques appuient cette hypothèse et montrent que les décits cognitifs retrouvés dans le TDA/H sont associés aux symptômes d’inattention et qu’ils ne contribuent que très peu à l’hyperactivité et à l’impulsivité (Willcutt & al., 2005).Toutefois, le processus par

lequel ils sont impliqués dans l’expression des symptômes est inconnu. De plus, les corrélations entre les symptômes d’inattention et la performance à des tâches exécutives sont de faible magnitude, ce qui suggère que l’intensité des atteintes cognitives n’est pas liée à l’intensité des symptômes comportementaux (Willcutt & al., 2005). Autrement dit, les enfants atteints d’un TDA/H et présentant des décits cognitifs objectivés à l’aide de tests neuropsychologiques ne sont pas nécessairement ceux présentant les symptômes d’inattention et d’hyperactivité/impulsivité les plus marqués, résultat corroboré par Lambek et ses collaborateurs (2010). À ce jour, il n’existe donc pas de lien clair entre les niveaux cognitif et comportemental du TDA/H. En eet, aucun élément du prol cognitif tel qu’il est évalué en neuropsychologie ne permet de statuer sur la présence ou l’absence du TDA/H. Le médecin ne peut donc pas conclure à la présence ni à la gravité de décits cognitifs uniquement à partir des symptômes de TDA/H présentés par l’enfant. Toutefois, ces deux facettes de la psychopathologie étant susceptibles de s’inuencer mutuellement et d’entraîner des dicultés au quotidien, il importe de considérer à la fois le comportement et la cognition an d’orienter la prise en charge et de suggérer des interventions répondant aux besoins réels et spéciques de l’enfant atteint. Des recherches sont nécessaires an de permettre une meilleure compréhension des prols cognitifs associés au TDA/H et de leurs liens avec les symptômes, ce qui permettrait de préciser les origines étiologiques de la pathologie et aiderait ainsi à déterminer le type de prise en charge à privilégier.

i

Un supplément d’information sur cette question de méthodologie clinique est disponible dans Sonuga-Barke & al. (2008).

La neuropsychologie clinique en pédopsychiatrie est une discipline dont l’apport est indispensable au sein des équipes médicales. Une meilleure connaissance, par le médecin, du rôle du neuropsychologue de même que des situations pouvant justier une référence à ce professionnel permet de maximiser la compréhension des situations vécues par les patients et d’optimiser le suivi qui leur est oert. L’étude de la cognition apporte aujourd’hui un regard nouveau sur le fonctionnement des enfants et des adolescents atteints de troubles de santé mentale, mais également sur la psychopathologie en soi. Ces nouvelles connaissances guident la démarche préventive et favorisent la mise en place d’interventions valides et plus circonscrites à certains aspects des troubles psychopathologiques.

Lectures complémentaires B, R. A. (2012). Executive Functions : What ey Are, How ey Work, and Why ey Evolved, New York, Guilford Press. C, G. & V  L, M. (2008). Traité de psychopathologie cognitive, tome II, États psychopathologiques, Marseille, Solal.

P, M. & al. (2009). Traité de neuropsychologie de l’enfant, Marseille, Solal. S, X. & V  L, M. (2013). Traité de neuropsychologie clinique de l’adulte, tome I, Évaluation, 2e éd., Marseille, Solal.

Chapitre 56

S, E. & al. (2006). A Compendium of Neuropsychological Tests : Administration, Norms, and Commentary, 3e éd., New York, Oxford University Press. V  L, M. & C, G. (2008). Traité de psychopathologie cognitive, tome I, Bases théoriques, Marseille, Solal.

Évaluation neuropsychologique en pédopsychiatrie

1237

CHA P ITR E

57

Décience intellectuelle Monelly Radouco-Thomas, M.D., FRCPC

Pierre Brassard, M. Ps. (psychologie)

Psychiatre, Institut universitaire en santé mentale de Québec Chargée d’enseignement clinique, Département de psychiatrie et neurosciences, Université Laval (Québec)

Psychologue, ex-coordonnateur, programme Décience intellectuelle – troubles du spectre de l’autisme et troubles mentaux, Institut universitaire en santé mentale de Québec

Anick Brisson, M. Ps., Ph. D. (psychologie)

Louis Lamothe, B. Ps. (éducation)

Psychologue-neuropsychologue, Institut universitaire en santé mentale de Québec

Psychoéducateur, Institut universitaire en santé mentale de Québec

Professeure de clinique, École de psychologie, Université Laval (Québec)

Dominique Trépanier, D. Ps. (psychologie)

Michel Bolduc, M.D., FRCPC Psychiatre responsable, programme Décience intellectuelle – troubles du spectre de l’autisme et troubles mentaux, Institut universitaire en santé mentale de Québec

Psychologue, Institut universitaire en santé mentale de Québec

Marie-Ève R. Riopel, M.D., FRCPC Psychiatre de l’enfant et de l’adolescent, Centre de pédopsychiatrie, Centre hospitalier universitaire de Québec

Chargé d’enseignement clinique, Département de psychiatrie et neurosciences, Université Laval (Québec)

Chargée d’enseignement clinique, Département de psychiatrie et neurosciences, Université Laval (Québec)

57.1 57.2 57.3 57.4 57.5

57.8 Diagnostic diérentiel et comorbidités..................... 1256 57.9 Traitements ................................................................... 1257 57.9.1 Traitements biologiques pour aections psychiatriques comorbides.................................1258 57.9.2 Traitements psychologiques et interventions sociales......................................1259 57.9.3 Intervention individuelle adaptée .....................1262 57.9.4 Consentement, consensus et cohérence..........1263 57.9.5 Prévention..............................................................1263 Lectures complémentaires ..................................................... 1263

Historique...................................................................... 1239 Épidémiologie ............................................................... 1239 Étiologies ....................................................................... 1241 Description clinique..................................................... 1241 Variété diagnostique .................................................... 1243 57.5.1 Troubles de comportement ................................1243 57.5.2 Modèle fonctionnel multimodal ........................1245 57.5.3 Problèmes médicaux............................................1248 57.5.4 Troubles psychiatriques ......................................1248 57.6 Évaluation...................................................................... 1249 57.6.1 Aspects culturels ...................................................1250 57.6.2 Exemples d’évaluation de patients présentant une décience intellectuelle ...........1251 57.7 Outils diagnostiques .................................................... 1253 57.7.1 Évaluation du fonctionnement intellectuel .....1253 57.7.2 Évaluation du fonctionnement adaptatif..........1255 57.7.3 Évaluation de l’histoire du développement......1255

L

a décience intellectuelle (trouble du développement intellectuel1) est un décit généralement irréversible apparaissant en cours du développement, donc avant l’âge adulte, entraînant une atteinte chronique des fonctions intellectuelles et adaptatives. Les causes en sont multiples et, dans plus de la moitié des cas, elles sont inconnues. Les décits sont le plus souvent légers, mais peuvent aussi être plus importants. Ainsi, certaines personnes peuvent être relativement autonomes avec la mise en place de mesures de soutien, comme avoir un travail ou vivre en appartement, alors que d’autres ne peuvent développer l’usage de la parole et demeurent en fauteuil roulant toute leur vie. Une majorité d’entre elles ne sont pas dirigées en psychiatrie ; certaines le sont, non en raison de leur décience intellectuelle, mais pour des troubles de comportement et d’importantes dicultés de fonctionnement. Le diagnostic et le traitement des troubles de comportement et des troubles psychiatriques associés à la décience intellectuelle sont des tâches diciles et souvent laborieuses, ces personnes, peu importe leur âge, ayant des besoins complexes et disposant souvent de peu de moyens pour les exprimer. Dans le domaine des émotions, de la pensée, des comportements humains, il n’existe nul thermomètre, prise de sang ou radiographie pouvant fournir une réponse simple à la raison pour laquelle une personne soure et encore moins, à la façon de l’aider. Il n’existe ni recette ni formule « tout inclus ». Seule existe, et avec toute sa force, lorsqu’elle est exhaustive, une démarche clinique qui cherche à comprendre la personne présentant une décience intellectuelle dans le contexte complexe et global que sont sa vie, son environnement, ses forces, ses limitations, son monde. Le travail eectué auprès de cette clientèle constitue un dé de taille pour le clinicien qui doit souvent reconsidérer ses hypothèses et réviser régulièrement son plan de traitement, tant psychiatrique que comportemental. La démarche clinique présentée dans ce chapitre vise à fournir les connaissances et les outils pour permettre de relever ce dé. Le l conducteur de cette démarche est la tentative pour donner ou redonner à la personne présentant une décience intellectuelle le maximum de bien-être au quotidien, de contrôle sur sa vie, et permettre aux personnes signicatives de son entourage de l’accompagner adéquatement dans ce processus. Bien que le DSM-5 utilise le terme « handicap intellectuel » pour traduire intellectual disability, les auteurs de ce manuel ont opté pour « décience intellectuelle », terme privilégié par la traduction autorisée de Schalock et ses collaborateurs (2011) et celui qui fait consensus dans le contexte québécois. Parfois, des références sont faites au terme retard mental, tel qu’utilisé avant 2010.

57.1 Historique Pourquoi évoquer le passé ? Pratiques révolues, internements, étiquettes que l’on n’ose même plus utiliser dans le langage courant. « Importance du passé, parce que c’est du présent tel qu’il a survécu à la mémoire. » Ces mots de Marguerite Yourcenar ne 1. L’American Association on Intellectual and Developmental Disabilities (AAIDD) (2010) utilise le terme « décience intellectuelle » qui a une signication similaire au terme « handicap intellectuel » (American Psychiatric Association [APA], 2015). Voir aussi la traduction autorisée de Schalock et ses collaborateurs (2011).

sauraient être mieux choisis pour répondre à cette question. Il faut évoquer le passé pour éviter de le reproduire, pour ne pas oublier qu’il y a eu des heures de camisole de force, d’exclusion, de crimes eugénistes, de stérilisations systématiques dont ont été victimes ceux que l’on appelait « idiots », « imbéciles ». Pour réaliser également les bénéces du traitement moral par l’activité et le travail, le dévouement de générations de religieuses qui tenaient les asiles. Enn pour reconnaître les abus pharmacologiques, les mesures excessives de contrôle, mais aussi les bienfaits des méthodes actuelles de réadaptation. C’est parce que certains ont dit non à des façons de faire inacceptables, c’est parce que d’autres ont cru que l’on pouvait faire autrement qu’il est possible aujourd’hui d’aborder ce chapitre dans une perspective humaniste. Jusque dans les années 1950, les personnes présentant une décience intellectuelle étaient considérées comme incurables, inéducables du fait de leur atteinte cérébrale, et étaient de façon quasi systématique placées en institution. Progressivement, à partir des années 1960, s’est amorcée une remise en question de la condition réservée à ces personnes. Une majorité d’entre elles ont quitté les asiles dans le mouvement de désinstitutionnalisation avec des résultats très variables en matière d’intégration sociale. Groupes de pression, décisions judiciaires, actes législatifs sont venus armer leur droit à des soins adaptés à leurs besoins et à l’intégration dans la société. Intégration physique, certes, avec des objectifs d’intégration sociale et communautaire qui étaient cependant loin d’être toujours atteints. Longtemps, l’approche auprès des personnes présentant une décience intellectuelle a été de les contrôler, en général dans des foyers de groupe, pour qu’elles dérangent le moins possible, et ce, en utilisant les moyens disponibles de gestion de l’environnement, de contention physique ou chimique. À partir des années 1980, un mouvement amorcé aux États-Unis a commencé à se centrer sur la réponse aux besoins de ces personnes souvent incapables de les exprimer autrement que par des comportements inappropriés, qu’il ne susait plus simplement de contrôler, mais de comprendre. On tente à présent de saisir les fonctions des comportements et d’y répondre dans une approche bio-psycho-sociale, et ce, pour chaque individu dans son unicité et son contexte propre. Le rôle du psychiatre est devenu celui d’évaluer la possibilité de la présence d’une maladie mentale chez une personne présentant une décience intellectuelle et de la traiter, non plus de calmer, sur une base non spécique et souvent éphémère, des comportements dérangeants. Chez l’enfant, c’est aussi de faire le diagnostic, incluant un diagnostic diérentiel avec d’autres troubles comme dysphasie, autisme, négligence. À l’aube du 21e siècle, la contention dite « chimique » se pratique malheureusement encore beaucoup, et les médecins sont régulièrement sollicités pour calmer, tranquilliser ces patients à l’aide de médicaments. Mais, de plus en plus, il existe des équipes multidisciplinaires organisées et compétentes permettant à chacun des intervenants de jouer son véritable rôle. Ce travail est dicile, demande patience, énergie et humilité, mais est réalisable, comme désire en témoigner ce chapitre.

57.2 Épidémiologie La dénition de la décience intellectuelle (DI) se fonde sur une frontière arbitraire ; on considère que l’on est en présence d’une DI lorsque les facultés cognitives et d’adaptation sont situées

Chapitre 57

Décience intellectuelle

1239

sous une norme, habituellement un quotient intellectuel (QI) inférieur à 70, la moyenne se situant à 100. Lorsque ces décits se manifestent avant l’âge adulte, donc durant le développement, on juge que les critères sont réunis pour statuer sur le diagnostic de décience intellectuelle. D’aucune façon, la décience intellectuelle, en tant qu’entité diagnostique établie, ne délimite une population homogène. Lorsque l’on parle de personnes présentant une déficience intellectuelle, on se doit de réaliser qu’il s’agit d’une population hétérogène. Suivant les standards actuellement utilisés, on estime généralement que 1 % de la population présente une décience intellectuelle (QI < 70). Une prévalence allant jusqu’à 3 % a également été avancée si l’on ne tient compte que du QI pour établir le diagnostic. La réalité se situe probablement entre ces deux estimations. La prévalence est plus élevée au sein de la population d’âge scolaire, période où la présence de dicultés d’apprentissage permet de dépister les personnes présentant une décience intellectuelle légère. Selon l’Enquête québécoise sur les limitations d’activités, les maladies chroniques et le vieillissement de 2010-2011 (Institut de la statistique Québec, 2013), 1,4 % des hommes et 0,6 % des femmes de 15 ans et plus ont une incapacité liée à un diagnostic de décience intellectuelle avec trouble du spectre de l’autisme (TSA). Toujours pour la même population, Statistique Canada (2006) rapportait que 0,5 % des Canadiens, soit 136 570 individus, vivaient avec une décience intellectuelle en 2006. Dans toutes les régions du Québec, des centres de réadaptation en décience intellectuelle (CRDI) et des services locaux de 1re ligne ont la responsabilité de desservir les personnes présentant une DI. Le tableau 57.1 présente la répartition des personnes avec une DI selon le QI.

TABLEAU 57.1 Répartition des personnes DI selon le QI

Niveau de décience intellectuelle

Quotient intellectuel QI

Répartition des personnes DI

50-55 à 70

Environ 85 %

Modérée

35-40 à 50-55

10 %

Grave

20-25 à 35-40

3 à 4%

< 20-25

1 à 2%

Légère

Profonde

Note : Le DSM-5 propose de classier les niveaux de décience sur la base du fonctionnement adaptatif, considérant que ce type de fonctionnement détermine le soutien requis (APA, 2015). Source : Adapté de APA (2004), p. 49-51.

Considérant leurs vulnérabilités, on comprend que les personnes présentant une DI vivent toutes sortes de problèmes d’adaptation, de comportement, de santé, et ce, de façon nettement plus fréquente que dans la population générale. En présence de troubles de comportement et de problématiques psychiatriques associés à la décience intellectuelle, on parle de double diagnostic, ce qui peut aecter de 30 à 50 % des personnes présentant une DI. Ce n’est pas en raison de la DI en soi que ces personnes requièrent des services psychiatriques, mais bien en raison des dicultés liées à leur comportement, à leur fonctionnement, à leurs émotions et à leur façon de penser dans une perspective de diagnostic diérentiel, particulièrement chez les plus jeunes. Le dé en tant qu’intervenant de la santé est de tenter de départager les causes sous-jacentes de ces perturbations.

TABLEAU 57.2 Facteurs étiologiques de la décience intellectuelle

Types d’anomalie

Exemples

Facteurs liés à l’hérédité (5 % des cas)

Prénatale (environ 35 % des cas)

1240

Erreurs innées du métabolisme

• Phénylcétonurie • Galactosémie • Maladie de Tay-Sachs

Anomalies monogéniques

• Sclérose tubéreuse de Bourneville • Dystrophie musculaire

Aberrations chromosomiques

• Syndrome du X fragile • Trisomie 21 par translocation

Syndromes polygéniques familiaux

• Coexistence d’anomalies mentales, antisociales et développementales dans une famille, possiblement par combinaison de facteurs génétiques

Facteurs liés à des altérations précoces du développement embryonnaire Facteurs associés à la grossesse et à des problèmes de la mère (30 % des cas) Malformations congénitales

• Anomalies du tube neural • Traumatismes chez la mère

Changements chromosomiques

• Trisomie 21 par non-disjonction chromosomique

Exposition à des toxines

• • • •

Infections (rubéole) Syndrome d’alcoolisation fœtale Consommation d’alcool ou de drogues Malnutrition

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

TABLEAU 57.2 Facteurs étiologiques de la décience intellectuelle (suite)

Types d’anomalie

Exemples

Facteurs liés l’accouchement Périnatale (environ 10 % des cas)

• Prématurité • Complications à l’accouchement • Anoxie Facteurs associés à des problèmes physiques survenus pendant la petite enfance et l’enfance (environ 5 % des cas)

Postnatale (environ 20 % des cas)

Infections Exposition à des toxines Atteintes neurologiques

• Méningite, encéphalite • Par exemple, le plomb • Traumatismes, tumeur cérébrale

Facteurs associés à des troubles mentaux ou des inuences environnementales (de 15 à 20 % des cas) Causes psychiatriques et sociales

• Troubles mentaux graves (p. ex., autisme) • Carence dans la relation mère-enfant • Manque de stimulation sociale et linguistique

Inconnues (de 30 à 50 % des cas) Affections potentiellement réversibles par un traitement approprié : • hypothyroïdie congénitale ; • phénylcétonurie ; • hyperbilirubinémie néonatale grave ; • décit en biotinidase ; • décit en acyl-coenzyme A déshydrogénase des acides gras à chaîne moyenne. Au Québec, le programme de dépistage néonatal sanguin évalue, chez tous les nouveau-nés, s’il y a présence de phénylcétonurie, d’hypothyroïdie congénitale et de tyrosinémie de type I (cette dernière condition étant associée à une insufsance hépatique et non à une décience intellectuelle). Source : Adapté de APA (2004), p. 52. (Notons que ces informations n’ont pas été reconduites dans le DSM-5 [APA, 2015].)

57.3 Étiologie Dans 30 à 50 % des cas (Owen & MacFarland, 2002), la cause de la décience intellectuelle est inconnue et, dans la grande majorité des cas, même lorsqu’elle est identiée, elle ne reçoit pas de traitement ecace. Les causes identiables sont habituellement catégorisées suivant leur moment présumé d’apparition dans le développement prénatal, périnatal ou postnatal (voir le tableau 57.2). Il est plus fréquent de pouvoir documenter l’étiologie, généralement prénatale, lorsque le décit intellectuel est plus important et se présente plus tôt dans le développement, que ce n’est possible de le faire chez les personnes présentant un décit intellectuel léger, décelé souvent plus tard durant le développement, sous le couvert de dicultés d’apprentissage scolaire. Une évaluation médicale adéquate s’impose dans tous les cas. La section 57.4 fournit les balises générales de l’évaluation médicale requise en présence d’un retard dans le développement intellectuel.

57.4 Description clinique Sommairement, la décience intellectuelle (autrefois appelée « retard mental ») est dénie en 2010 par l’AAIDD, antérieurement l’American Association on Mental Retardation (AAMR), comme une limitation signicative du fonctionnement intellectuel,

concomitante à une limitation signicative du fonctionnement adaptatif, observée dans les habiletés (voir la page 1255). Ces limitations doivent être survenues avant l’âge de 18 ans. De plus, cinq principes sont essentiels à l’application de cette dénition (AAIDD) : 1. L’établissement d’une limitation actuelle dans le fonctionnement doit tenir compte du contexte et de l’environnement de l’individu (pairs et culture). 2. Une évaluation valide doit considérer la langue et la culture de l’individu, autant que ses particularités, en regard des facteurs de communication, sensoriels, moteurs et comportementaux. 3. Les limitations coexistent avec des forces. 4. Les limitations sont bien décrites an de développer un prol de besoin de soutien. 5. Le fonctionnement au quotidien est généralement amélioré avec un soutien approprié. Le tableau 57.3 expose la dénition de la décience intellectuelle selon l’AAIDD (2010), les critères diagnostiques de la décience intellectuelle du DSM-5 (APA, 2015) et du DSMIV-TR (APA, 2004). De façon générale, les critères diagnostiques du DSM-5 rejoignent la dénition de l’AAIDD, avec la notion de fonctionnement adaptatif « statistiquement décitaire ». Cependant, il faut retenir que cela ne s’applique pas aux mêmes regroupements de variables. La tradition veut que les critères diagnostiques du

Chapitre 57

Décience intellectuelle

1241

retard mental du DSM s’adaptent aux dénitions de l’AAIDD. Actuellement, le DSM-5 endosse la dernière révision des critères émis par l’AAIDD, avec une consistance entre les directives dans l’évaluation d’une limitation signicative du fonctionnement

adaptatif (critère B). Ainsi, la diérence entre ces deux guides pour l’évaluation de la décience intellectuelle disparaît et cesse de causer une ambiguïté pour la mesure de ce critère (Brisson, 2014).

TABLEAU 57.3 Dénition et critères diagnostiques de la décience intellectuelle

DSM-5

DSM-IV-TR

AAIDD

317-318 (F70 à F73) Handicap intellectuel (trouble du développement intellectuel)

Retard mental

Décience intellectuelle

Le handicap intellectuel (trouble du développement intellectuel) est un trouble débutant pendant la période du développement, fait de décits tant intellectuels qu’adaptatifs dans les domaines conceptuels, sociaux et pratiques. Les trois critères suivants doivent être présents :

La caractéristique essentielle du retard mental est un fonctionnement intellectuel général signicativement inférieur à la moyenne (Critère A), qui s’accompagne de limitations signicatives du fonctionnement adaptatif dans au moins deux des secteurs d’aptitudes suivants : communication, autonomie, vie domestique, aptitudes sociales et interpersonnelles, mise à prot des ressources de l’environnement, responsabilité individuelle, utilisation des acquis scolaires, travail, loisirs, santé et sécurité (Critère B). Le début doit survenir avant l’âge de 18 ans (Critère C).

La décience intellectuelle est caractérisée par une limitation signicative du fonctionnement intellectuel concomitante à une limitation signicative du fonctionnement adaptatif observée dans les habiletés conceptuelles, pratiques et sociales. Ces limitations doivent être survenues avant l’âge de 18 ans. De plus, cinq principes sont essentiels à l’application de cette dénition : 1. L’établissement d’une limitation actuelle dans le fonctionnement doit tenir compte du contexte et de l’environnement de l’individu (pairs et culture). 2. Une évaluation valide doit considérer la langue et la culture de l’individu autant que ses particularités en regard des facteurs de communication, sensoriels, moteurs et comportementaux. 3. Chez une même personne, les limitations coexistent souvent avec des forces. 4. Une description des limitations est nécessaire an de développer un prol de besoin de soutien. 5. Le fonctionnement au quotidien est généralement amélioré avec un soutien approprié.

A. Décit des fonctions intellectuelles comme le raisonnement, la résolution de problèmes, la planication, l’abstraction, le jugement, l’apprentissage scolaire et l’apprentissage par l’expérience, conrmés par l’évaluation clinique et les tests d’intelligence individuels standardisés.

A. Fonctionnement intellectuel général signicativement inférieur à la moyenne : niveau de QI d’environ 70 ou au-dessous, mesuré par un test de QI passé de façon individuelle (pour les enfants très jeunes, on se fonde sur un jugement clinique de fonctionnement intellectuel signicativement inférieur à la moyenne).

A. Un QI approximativement à deux écartstypes sous la moyenne, considérant l’erreur de mesure et les forces et faiblesses de l’instrument.

B. Décit des fonctions adaptatives qui se B. Décits concomitants ou altérations du traduit par un échec dans l’accession aux fonctionnement adaptatif actuel (c.-à-d. de la normes habituelles de développement capacité du sujet à se conformer aux normes socioculturel permettant l’autonomie et la escomptées à son âge dans son milieu culturesponsabilité sociale. Sans assistance au rel) concernant au moins deux des secteurs long cours, les décits adaptatifs limitent le suivants : fonctionnement dans un ou plusieurs champs • communication ; d’activité de la vie quotidienne comme : • autonomie ; • la communication ; • vie domestique ; • la participation sociale ; • aptitudes sociales et interpersonnelles ; • l’indépendance, dans des environnements • mise à prot des ressources variés tels que la maison, l’école, le de l’environnement ; travail, la collectivité. • responsabilité individuelle ; • utilisation des acquis scolaires ; • travail ; • loisirs ; • santé et sécurité.

1242

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

B. Performance à une échelle de fonctionnement adaptatif standardisée auprès d’une population générale incluant des personnes avec et sans décience intellectuelle à deux écarts-types ou moins sous la moyenne : a) dans un des trois domaines d’habiletés adaptatives : conceptuel, social et pratique ; ou b) au résultat global de l’échelle standardisée mesurant les habiletés conceptuelles, sociales et pratiques.

Spécialités psychiatriques

TABLEAU 57.3 Dénition et critères diagnostiques de la décience intellectuelle (suite)

DSM-5

DSM-IV-TR

AAIDD

317-318 (F70 à F73) Handicap intellectuel (trouble du développement intellectuel)

Retard mental

Décience intellectuelle

C. Début du décit intellectuel et adaptatif pendant la période du développement.

C. Début avant l’âge de 18 ans.

C. Début avant l’âge de 18 ans.

Spécier la sévérité actuelle : [voir le tableau 57.4] : 317 (F70) Léger 318.0 (F71) Moyen 318.1 (F72) Grave 318.2 (F73) Profond [Dans le DSM-5, les] différents degrés de sévérité sont dénis sur la base du fonctionnement adaptatif et non plus sur la cote au QI, parce que c’est le fonctionnement adaptatif qui détermine le niveau d’assistance requis. De plus les mesures du QI sont moins valides pour les cotes les plus basses.

Code, en fonction du degré de sévérité, reétant Niveaux selon le fonctionnement adaptatif, ce qui le niveau du décit intellectuel : indique le soutien requis. F70x [317] Retard mental léger : niveau de QI de 50-55 à 70 environ F71x [318.0] Retard mental moyen : niveau de QI de 35-40 à 50-55 F72x [318.1] Retard mental grave : niveau de QI de 20-25 à 35-40 F73x [318.2] Retard mental profond : niveau de QI inférieur à 20-25 F79x [319] Retard mental, sévérité non spéciée : lorsqu’il existe une forte présomption de Retard mental mais que l’intelligence du sujet ne peut être mesurée par des tests standardisés.

Retard global du développement : Ce diagnostic est réservé aux enfants de moins de 5 ans quand le degré de sévérité clinique ne peut être évalué avec certitude pendant la première enfance. Cette catégorie est diagnostiquée quand un enfant n’accède pas aux stades attendus de son développement dans plusieurs domaines du fonctionnement intellectuel et s’applique aux enfants qui sont incapables de satisfaire aux évaluations systématiques du fonctionnement intellectuel, incluant des enfants qui sont trop jeunes pour subir des tests standardisés. Cette catégorie requiert une réévaluation ultérieure. Handicap intellectuel (trouble du développement intellectuel) non spécié : Cette catégorie est réservée aux personnes de plus de 5 ans quand l’évaluation du degré de handicap intellectuel (trouble du développement intellectuel) au moyen des méthodes disponibles est rendue difcile, voire impo ssible en raison d’altérations sensorielles ou physiques, comme lors de cécité, de surdité précédant l’acquisition du langage, de troubles locomoteurs ou de la présence de gr aves problèmes de comportement ou d’un trouble mental associé. Cette catégorie ne devrait être utilisée que dans des circonstances exceptionnelles et requiert une réé valuation ultérieure. Sources : Adapté de APA (2015), p. 35-36 ; APA (2004), p. 55-56 ; AAIDD (2010), p. 27. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

Le tableau 57.4 décrit le fonctionnement adaptatif observé pour les trois domaines d’habiletés (conceptuelles, pratiques et sociales) selon le degré de sévérité de la décience intellectuelle (trouble du développement intellectuel), ce qui permet d’illustrer les compétences développementales ciblées pour chacun des domaines et les acquis développementaux des personnes ayant une décience intellectuelle. Carr et ses collaborateurs (2007) proposent une grille permettant de reconnaître les acquis développementaux selon l’âge d’acquisition, ce qui soutient le clinicien dans l’évaluation clinique de l’âge d’apparition des retards développementaux.

57.5 Variété diagnostique C’est généralement pour des troubles de comportement que sont dirigées en psychiatrie adulte les personnes présentant une décience intellectuelle (DI). Les enfants atteints d’une décience intellectuelle sont envoyés en pédiatrie ou en pédopsychiatrie pour diérentes raisons :

• un ou plusieurs retards dans le développement (global, moteur, • • •

langage et communication, interaction sociale) ; des dicultés en lien avec le sommeil ou l’appétit ; des particularités sur le plan de l’attachement ; un niveau d’activité inhabituel ;

• de l’irritabilité ; • des troubles de comportement. Lorsqu’il s’agit d’un trouble de comportement, le travail du médecin consiste à chercher à comprendre la ou les causes possibles pouvant expliquer les dicultés présentées. Une documentation concrète et détaillée (en fréquence, en intensité et en durée) de ce qui se passe – le comment – peut permettre de poser des hypothèses sur le pourquoi.

57.5.1 Troubles de comportement Un trouble de comportement est déni comme une « action, ou un ensemble d’actions, jugée problématiques parce qu’elle s’écarte des normes sociales, culturelles ou développementales et qui est préjudiciable à la personne ou à son environnement social et physique et dont la gravité ou l’impact se situe sur un continuum ». De plus, « un trouble de comportement est jugé grave s’il met en danger, réellement ou potentiellement, l’intégrité physique ou psychologique de la personne, d’autrui ou de l’environnement ou qu’il compromet sa liberté, son intégration ou ses liens sociaux » (Tassé & al., 2010, p. 64). Agressions, menaces, automutilations, cris, fugues, bris de matériel sont des exemples de troubles de comportement, non spéciques en soi. Les personnes ayant une DI présentent par dénition une limitation de leurs capacités cognitives ainsi que des dicultés d’adaptation dans leur quotidien.

Chapitre 57

Décience intellectuelle

1243

TABLEAU 57.4 Fonctionnement adaptatif selon le niveau de sévérité de la décience intellectuelle

Niveau de sévérité

Domaine conceptuel

Domaine social

Domaine pratique

Léger

Chez les enfants d’âge préscolaire, il peut ne pas y avoir de différence évidente au plan intellectuel. Pour les enfants d’âge scolaire et les adultes, il existe des difcultés à acquérir des compétences scolaires telles que la lecture, l’écriture, le calcul, l’apprentissage de l’heure, la valeur de l’argent, avec besoin d’aide dans un ou plusieurs domaines pour satisfaire aux attentes en rapport avec l’âge. Chez l’adulte, l’abstraction, les fonctions exécutives (c.-à-d. planication, élaboration de stratégies, classement par priorité, exibilité cognitive), la mémoire à court terme tout autant que l’utilisation des compétences scolaires (p. ex., lecture, gestion de l’argent) sont altérées. Il existe une approche plutôt concrète des problèmes et des solutions par rapport aux adultes du même âge.

Comparativement aux adultes du même âge, [la personne] est immature dans ses interactions sociales. Par exemple, [elle] peut avoir des difcultés à percevoir avec acuité les codes sociaux. La communication, la conversation, le langage sont plus concrets ou immatures que ce qui est attendu pour son l’âge. [Elle] peut y avoir des difcultés à contrôler l’émotion et le comportement de façon appropriée à l’âge ; ces difcultés sont remarquées par les autres dans la vie sociale. [La personne] a une compréhension limitée des risques dans les situations sociales ; son jugement y est immature, et [elle] court le risque d’être manipulé[e] par les autres (crédulité).

[La personne] peut agir de manière appropriée à son âge pour les soins personnels. [Elle] nécessite cependant, plus que ses pairs, une assistance pour les tâches plus complexes de la vie quotidienne. À l’âge adulte, les aides concernent surtout les achats alimentaires, les transports, la prise en charge des enfants et de la maison, la préparation de repas équilibrés, la gestion des comptes et de l’argent. L’aptitude aux loisirs est peu différente des [personnes] du même âge, bien que l’appréciation des aspects relatifs au bien-être et à l’organisation durant les distractions nécessite une aide. À l’âge adulte, [la personne] peut réussir à trouver un emploi en milieu normal, mais dans des fonctions qui ne mettent pas en avant les compétences intellectuelles. Ces personnes ont généralement besoin d’aide pour prendre des décisions médicales et légales, et pour pouvoir mettre à prot avec compétence une formation professionnelle. Un soutien est habituellement nécessaire pour élever une famille.

Moyen

Tout au long du développement, les capacités intellectuelles [de la personne] restent largement en deçà de celles de ses pairs. Pour les enfants non encore scolarisés, le langage et les compétences préscolaires se développent lentement. Pour les enfants scolarisés, les acquisitions en lecture, écriture, calcul, la compréhension de l’heure et la gestion de l’argent progressent lentement au l des années de scolarité mais sont manifestement limitées par rapport aux autres élèves. Chez les adultes, le développement des capacités intellectuelles reste manifestement à un niveau élémentaire, et une aide est nécessaire pour toute application des apprentissages scolaires dans le monde du travail ou la vie personnelle. Une assistance au long cours est requise pour mener à bien des tâches conceptuelles du quotidien, et il peut s’avérer nécessaire que d’autres en assurent la pleine responsabilité à la place de la personne.

[La personne], au cours de son développement, montre de grandes différences par rapport aux autres dans la communication et les comportements sociaux. Le langage parlé reste d’évidence le premier moyen de communication mais à un niveau de complexité nettement inférieur à celui des pairs. La capacité de lier des relations est manifeste avec la famille et des amis ; [la personne] peut même au cours de sa vie arriver à établir des relations amicales durables voire des relations amoureuses à l’âge adulte. Cependant, [les personnes] peuvent ne pas percevoir ou interpréter avec nesse les codes sociaux. Le jugement social et les capacités décisionnelles sont limités et des aidants doivent assister la personne dans les décisions importantes de la vie. Les relations amicales avec des pairs non handicapés sont souvent affectées par une communication et une sociabilité limitées. Une aide soutenue, tant au niveau social que relationnel, est nécessaire pour réussir dans le monde du travail.

[La personne] arrivé[e] à l’âge adulte peut assurer ses besoins personnels pour ce qui est de la nourriture, de l’habillage, de l’élimination sphinctérienne, de la toilette, bien qu’une période prolongée d’éducation pour accéder à l’autonomie dans ces domaines soit nécessaire et que des rappels soient parfois indispensables. De même, la participation à toutes les tâches domestiques peut être acquise à l’âge adulte, bien qu’une période prolongée d’éducation soit nécessaire et que des aides suivies soient typiquement indispensables pour accéder à un niveau de performance adulte. Un travail autonome dans des emplois requérant des aptitudes intellectuelles et de communication limitées peut être exercé, mais un soutien considérable de la part des collègues de travail, de l’encadrement et des autres est nécessaire pour satisfaire aux attentes sociales, aux difcultés du travail et aux exigences annexes telles que les horaires, les transports, les soins, la gestion de l’argent. La personne peut accéder à des activités de loisir variées. Cela bien sûr requiert une aide complémentaire et des possibilités d’accès à l’apprentissage sur une période plus longue. Pour une minorité signicative, un comportement inadapté est la cause de problèmes sociaux.

1244

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

TABLEAU 57.4 Fonctionnement adaptatif selon le niveau de sévérité de la décience intellectuelle (suite)

Niveau de sévérité

Domaine conceptuel

Domaine social

Domaine pratique

Grave

L’acquisition des compétences conceptuelles est limitée. [La personne] a habituellement peu de compréhension du langage écrit et des notions impliquant des nombres, des quantités, le temps et l’argent. Les aidants doivent fournir une aide substantielle pour résoudre les problèmes tout au long de la vie.

Le langage parlé est assez limité en termes de vocabulaire et de grammaire. Le discours peut se résumer à des mots ou phrases simples et être complété par des moyens de suppléance. Le discours et la communication sont centrés sur « l’ici et le maintenant » des événements quotidiens. Le langage est plus utilisé à des ns de communication sociale qu’à de l’explication. Les [personnes] comprennent un discours simple et la communication gestuelle. Les relations avec les membres de la famille et des proches sont une source de plaisir et d’aide.

[La personne] a besoin d’aide pour toute activité du quotidien, ce qui inclut les repas, l’habillage, la toilette, l’élimination. [Elle] nécessite une surveillance de tous les instants. La personne ne peut pas prendre de décisions responsables concernant son bien-être ou celui des autres. À l’âge adulte, la participation à des tâches ménagères, aux distractions et au travail requiert une aide et une assistance permanentes. L’acquisition de compétences en tout domaine nécessite un enseignement prolongé et une aide constante. Un comportement inadapté, incluant l’autoagressivité, est présent chez une minorité signicative de [personnes].

Profond

Les compétences intellectuelles sont essentiellement centrées sur le monde physique plutôt que sur le monde symbolique. [La personne] peut utiliser des objets de façon appropriée pour prendre soin [d’elle], travailler ou se distraire. Quelques compétences visuospatiales, comme assortir et trier des objets selon leurs caractéristiques physiques, peuvent être acquises. Cependant, des décits sensorimoteurs associés peuvent interdire l’utilisation des objets.

[La personne] a une compréhension très limitée de la communication symbolique, qu’elle soit orale ou gestuelle. [Elle] peut comprendre des instructions ou des gestes simples. La personne exprime très largement ses désirs et ses émotions dans la communication non verbale et non symbolique. Elle trouve du plaisir dans les relations avec les membres de sa famille qu’elle connaît bien, les soignants, les proches, et amorce ou répond aux interactions sociales par des signes gestuels ou émotionnels. Des décits sensorimoteurs associés peuvent interdire un grand nombre d’activités sociales.

[La personne] est dépendant[e] des autres pour tous les aspects du soin quotidien, de sa santé et de sa sécurité bien qu’[elle] puisse aussi être capable de participer à quelquesunes de ces activités. Les [personnes] indemnes d’atteintes physiques graves peuvent aider à certaines tâches domestiques du quotidien, comme servir à table. Des actions simples utilisant des objets peuvent servir de base de participation à des activités professionnelles qui nécessitent néanmoins de hauts niveaux d’assistance soutenue. Les activités de loisir comprennent le plaisir à écouter de la musique, regarder des lms, se promener, participer à des activités aquatiques, toujours avec un soutien extérieur. Des décits physiques et sensoriels associés sont de fréquentes entraves à la participation (au-delà d’observer), à ces activités domestiques, de loisirs ou professionnelles. Un comportement inadapté est présent chez une minorité signicative.

Source : APA (2015), p. 37-39. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved.

Les vulnérabilités inhérentes à ces limitations et à ces dicultés expliquent en partie la fréquence accrue de leurs troubles de comportement. Les dicultés et les décits de communication sont souvent au premier plan de ces vulnérabilités. Les gestes et les comportements deviennent fréquemment en soi une façon de communiquer lorsque la communication verbale est altérée, voire inexistante. Le trouble de comportement chez un DI n’est pas une maladie ni un diagnostic ; il est non spécique, pouvant représenter une réponse, un symptôme, un moyen de communiquer. Dans le contexte où une personne refuse une activité prévue à son horaire et qu’elle se met à hurler, les questions suivantes devraient être soulevées :

• Est-ce un élément de l’environnement qui déclenche le comportement (p. ex., le bruit, la promiscuité) ?

• Est-ce un moyen d’exprimer un manque d’intérêt (p. ex., un mauvais choix d’activité en fonction des préférences et des champs d’intérêt) ?

• Est-ce un symptôme d’une affection interne (p. ex., une manifestation anxieuse ou dépressive, une douleur, de la constipation) ?

57.5.2 Modèle fonctionnel multimodal Initialement, il importe de bien comprendre l’étiologie de ces troubles pour mieux les traiter. L’utilisation d’un modèle d’analyse pour évaluer, formuler des objectifs et traiter fait partie de la gestion des troubles de comportement chez les personnes ayant une décience intellectuelle avec troubles psychiatriques comorbides. Ce modèle d’analyse permet d’abord de donner une direction à l’évaluation diagnostique et ensuite de développer des stratégies de traitement visant les conditions à la fois biomédicales et psychosociales qui inuencent la fréquence, la sévérité, la variabilité et la persistance de ces comportements (Gardner, 2007). De plus, la compréhension des fonctions de

Chapitre 57

Décience intellectuelle

1245

ces comportements est un élément essentiel au développement d’un plan d’intervention ecace (Carr & al., 2007 ; Tassé, 2006). Plusieurs modèles de compréhension pour évaluer la présence de troubles mentaux et de troubles de comportement chez les personnes présentant une décience intellectuelle ont été proposés dans la littérature, un des plus utilisés étant le modèle fonctionnel multimodal (Multimodal Functional Model, MFM) développé par Gardner (Gardner & Whalen, 1996 ; Hunter & al., 2008). Selon Tassé (2006), chaque modèle d’analyse inclut :

• • • • •

une histoire personnelle et sociale ; une histoire et une évaluation médicales ; une évaluation de la médication ; une évaluation psychiatrique ; une analyse fonctionnelle du comportement (Functional Behavior Assessment, FBA). Le modèle fonctionnel multimodal est un modèle de compréhension des causes des comportements non désirés permettant un traitement adapté et personnalisé, dépassant le simple paradigme médical de « diagnostiquer et traiter ». Il contribue de plus à identier les problèmes associés à la décience et à réduire les agressions. Selon Griths et ses collaborateurs (2002), cette méthode d’analyse permet de mettre en place les conditions optimales, le soutien et les interventions amenant la personne ayant une décience intellectuelle à délaisser le recours à des comportements agressifs pour se faire comprendre, obtenir de l’aide ou éviter une situation déplaisante, par exemple. Conséquemment, l’utilisation de méthodes restrictives envers elle est de moins en moins requise. Qu’elle soit de nature biomédicale, psychologique ou environnementale, une intervention à elle seule sut très rarement à faire diminuer de façon signicative un comportement inadéquat et, encore plus rarement, à l’éliminer complètement. Le but de l’approche comportementale chez les personnes ayant une décience intellectuelle, associée ou non à des troubles psychiatriques, est de modier le comportement inadéquat pour le rendre plus adapté à son environnement (Gardner, 2005). Il ne sut toutefois pas de traiter simplement chaque domaine indépendamment, car il existe une dynamique ou une interaction des inuences qui contribuent aux symptômes comportementaux et émotionnels. Par exemple, on pourrait voir, chez une personne ayant une DI et présentant une vulnérabilité (p. ex., un décit cognitif d’allure frontale), un risque exacerbé de manifester des comportements problématiques lorsqu’elle est exposée à certaines conditions, comme le bruit et le changement. Pour orir une approche thérapeutique intégrée, il est précieux de déterminer le rôle joué par chacune des inuences dans les comportements. Il s’agit ici de cerner et d’évaluer l’aspect fonctionnel qui réfère à l’adaptation du patient à son environnement. Cette approche incite à développer des hypothèses quant aux causes du comportement et à mettre en place des interventions pour ensuite en évaluer l’eet. L’objectif est donc d’atténuer des comportements inadéquats par des interventions comportementales et psychologiques ciblées, basées sur une compréhension de ces comportements, pour ensuite proposer des options et des façons socialement appropriées d’exprimer les besoins identiés et d’y répondre. Hunter et ses collaborateurs (2008) proposent une application de ce modèle d’analyse en trois étapes :

1246

1. Identier un comportement cible, c’est-à-dire relever l’ensemble des symptômes qui constituent le comportement concerné. Ceux-ci doivent être dénis opérationnellement, soit à partir d’informations observables telles la fréquence, l’intensité, la durée et la variabilité (également dans Carr & al., 2007 ; Tassé, 2006). 2. Décrire les conditions internes et externes qui produisent ce trouble de comportement en analysant : a) la dimension interne : les inuences médicales, biologiques, génétiques, psychologiques et cognitives ; b) la dimension externe : les inuences sociales, environnementales et contextuelles (également dans Carr & al., 2007). 3. Identier les vulnérabilités : a) primaires (ou discriminantes), provoquant l’apparition de comportement ; elles précèdent immédiatement le comportement (p. ex., les objets ou personnes liés à un traumatisme antérieur [agression, abus], un malaise physique intense) ; b) secondaires (ou contributives), qui prédisposent ou annoncent un comportement ; c’est le couplement de deux ou de certains facteurs qui font apparaître le comportement (p. ex., le niveau de bruit, le niveau de diculté d’une tâche) ; c) tertiaires (ou décits, limitations et pathologies) en lien avec les facteurs de risque bio-psycho-sociaux propres à chaque individu (p. ex., décits, limitations et pathologies) ; il peut s’agir de déciences sensorielles, de troubles psychiatriques, etc. On peut ainsi formuler des hypothèses causales à partir de l’analyse des antécédents et des conséquences du comportement ainsi que de leurs fonctions communicatives, en spéciant si le comportement est émis pour communiquer un besoin, prendre le contrôle socio-environnemental (en matière de gains ou d’évitement d’interactions ou d’activités) ou exprimer un inconfort physique ou mental. De plus, cette analyse permet de bien comprendre comment les conditions font augmenter, diminuer ou maintenir la fréquence, l’intensité, la durée et la variabilité du comportement non désiré (Tassé, 2006). La grille multimodale fonctionnelle d’hypothèses causales (voir la gure 57.1) (Multimodal functional causal hypotheses worksheet) développée par Hunter et ses collaborateurs (2008) permet à l’évaluateur :

• • • • • •

de faire une collecte de données ; de formuler des hypothèses en lien avec l’analyse fonctionnelle ; d’identier un enchaînement des causes ; d’émettre des hypothèses ; d’eectuer une seconde collecte de données ; de développer un plan d’intervention multimodal intégré (Multimodal Integrated Intervention Plan). À l’intérieur de ce plan d’intervention multimodal intégré, on doit retrouver :

• • • • •

les hypothèses causales ; les stratégies d’intervention ; les étapes de l’intervention (staging plan) ; les objectifs en regard des résultats à obtenir ; une collecte de données permettant les comparaisons et les échéanciers de réalisation des étapes du plan (voir les études de cas aux pages 1251 à 1253).

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

Chapitre 57

Décience intellectuelle

1247

Motivation

Personnalité

Habiletés de communication

Sociale/ apprentissages

Motrice

Perceptuelle

Cognitive

Affective

Biomédicale

Psychosociale

Physique

Source : Hunter & al. (2008), p. 11-25.

Personnelles

Environnementales

Sphères

Primaire (discriminante)

Secondaire (contributive)

Inuences Tertiaire (décits/ limitations, pathologies)

Stimulus agréable présenté

FIGURE 57.1 Grille multimodale et fonctionnelle d’hypothèses causales dans la DI

Stimulus désagréable retiré

Stimulation sensorielle

Conséquences/fonctions Autres

Traitement

Gestion de crise Contrôle

Interventions

57.5.3 Problèmes médicaux Les personnes présentant une décience intellectuelle (DI) ne réussissent pas toujours bien, et souvent pas du tout, à communiquer leurs malaises ou leurs symptômes physiques. Toute diculté de fonctionnement ou de comportement doit faire l’objet d’un questionnement et d’une évaluation médicale complète. La constipation, les infections, la douleur, les dysfonctions thyroïdiennes, l’épilepsie, les fractures ne sont que des exemples d’aections médicales fréquemment rapportées comme pouvant être une cause sous-jacente à des dicultés de comportement. Le comportement devient ainsi un moyen d’expression d’un malaise physique, qu’il faut examiner. L’évaluation et les examens complémentaires étant parfois plus diciles chez ce type de clientèle, il faut souvent insister auprès des consultants pour que les composantes d’ordre médical soient bien évaluées. Il n’est pas rare de constater que, lorsqu’un problème médical, si banal soit-il, est traité, l’état général de la personne s’améliore et les troubles de comportement s’estompent.

57.5.4 Troubles psychiatriques Jusque dans les années 1970, la décience intellectuelle et la maladie psychiatrique étaient vues comme des conditions mutuellement exclusives : les « décients » n’étaient pas considérés comme « assez intelligents » pour être déprimés, psychotiques ou anxieux (Reiss, 1990). La clientèle déciente intellectuelle était pourtant celle qui recevait le plus d’antipsychotiques pour contrôler ses troubles de comportement. Le psychiatre Robert Sovner (Sovner & Hurley, 1983), pionnier dans le concept de double diagnostic chez les personnes ayant une DI, armait qu’elles pouvaient non seulement présenter des troubles psychiatriques, mais que cette population était plus vulnérable et plus à risque de présenter des troubles psychiatriques que la population générale. Les anomalies cérébrales fréquentes sont autant de facteurs de vulnérabilité pour ces personnes ayant, par dénition, des dicultés d’adaptation dans leur fonctionnement au quotidien (voir le tableau 57.2). La prévalence des diérents troubles psychiatriques reste très variable selon les études, et ce, tant chez les adultes que chez les enfants et les adolescents. Brisson et ses collaborateurs (2012, 2014) relèvent les éléments qui viennent souvent complexier l’évaluation des troubles mentaux en décience intellectuelle : 1. Le chevauchement des pathologies2 (Lussier & Flessas, 2009) ; 2. Les décits en compréhension verbale (langage expressif et réceptif ) généralement rencontrés chez cette population (Sovner & Lowry, 1990) ; 3. La présence d’ombrage diagnostique, « diagnostic overshadowing » (Reiss, 1990). Ce dernier élément permet d’illustrer le fait qu’un diagnostic de DI peut cacher la présence de symptômes s’apparentant à de la maladie psychiatrique (Fletcher & al., 2007 ; Reiss, 1990). Depuis les dernières années, diérentes tentatives pour adapter les critères habituels du DSM à cette clientèle ont conduit à une première synthèse exhaustive dans le livre DM-ID (Diagnostic Manual – Intellectual Disability ; NADD, 2007). Carr et ses 2. Coexistence d’un trouble de comportement, d’un décit cognitif et d’une problématique aective.

1248

collaborateurs (2007) ainsi que Stavrakaki (2002) proposent un exercice similaire à celui de Fletcher et ses collaborateurs (2007) sur l’évaluation de l’état mental d’une personne présentant une DI à partir des critères diagnostiques de certains troubles mentaux. La diculté reste entière quant à la possibilité d’un trouble psychiatrique, le médecin ne devant ni la sous-estimer, comme par le passé, ni la surestimer. La présentation souvent explosive, bizarre, voire inhabituelle des troubles de comportement chez ces personnes peut en eet être facilement mise sur le compte d’une maladie mentale. Le diagnostic psychiatrique ne doit se poser qu’après une analyse adéquate des comportements telle qu’elle est détaillée dans la sous-section 57.5.2 et après avoir exclu d’autres variables sous-jacentes à ces manifestations, notamment un problème médical non diagnostiqué. L’histoire clinique doit être complétée auprès de la personne, de ses proches, des intervenants et du milieu scolaire, le cas échéant, an de bien saisir la chronologie, la nature, la durée, la fréquence, le contexte, la présence de stresseurs et le type de problèmes. Il faut rechercher les conits possibles mal gérés par la personne, voire les abus potentiels non exprimés. Il faut se demander quel était le fonctionnement antérieur et optimal de la personne. Des grilles simples comme celle du tableau 57.5 sont des outils permettant d’objectiver les dicultés rapportées pour documenter l’horaire et le contexte des comportements. Il est parfois utile d’évaluer la personne dans un autre contexte de vie, souvent plus encadré, ce qui permet d’obtenir des observations détaillées sur les problèmes présentés, puisque les manifestations cliniques d’un trouble psychiatrique majeur sont habituellement constantes, invariables dans les diérents milieux de vie. Il est important de vérier les perturbations du sommeil, de l’appétit et du poids, indices fréquemment altérés en présence d’un trouble psychiatrique important. Le tableau 57.5 détaille les signes et symptômes cliniques les plus susceptibles d’évoquer un trouble psychiatrique. Mentionnons que, tout comme dans la population générale, les troubles anxieux et les troubles de l’humeur sont beaucoup plus fréquents et sous-diagnostiqués chez cette clientèle que les troubles psychotiques, malheureusement surdiagnostiqués, favorisant l’utilisation excessive d’antipsychotiques. Lorsque le diagnostic psychiatrique de la personne est relativement évident et qu’il n’est pas associé à des problèmes de comportement, on adopte une conduite clinique similaire à celle qui serait requise pour tout autre patient en étant attentif à la nécessité d’obtenir un consentement éclairé, compte tenu de ses limites cognitives. Des mesures de gestion de crise doivent, bien sûr, être envisagées et utilisées lors de comportements qui, parfois, mettent en danger la personne et son entourage. Dans certaines situations incontrôlables bien circonscrites, des médicaments sédatifs ou neuroleptiques peuvent être utilisés temporairement et, au besoin, en association avec un encadrement clair et cohérent du patient. Si des mesures de contrôle (comme l’isolement et la contention) sont nécessaires dans des contextes ponctuels, elles doivent être bien planiées au préalable par l’équipe, mais ne doivent pas constituer des moyens de modier les comportements des personnes à long terme. Outre les risques de blessures pour le patient et les intervenants, il n’est pas rare de constater que les mesures de contrôle peuvent s’avérer inecaces à moyen ou long terme et entraîner parfois une augmentation d’autres

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Spécialités psychiatriques

TABLEAU 57.5 Signes et symptômes cliniques susceptibles d’évoquer un trouble psychiatrique chez un patient

présentant une DI

Signes ou symptômes

Tableau clinique

Variation des paramètres neurovégétatifs (sommeil, appétit, poids, libido, énergie)

Épisode de manie ou de dépression (semblable à la population générale)

Perte drastique d’autonomie, diminution marquée du fonctionnement adaptatif

Épisode dépressif

Perte d’intérêt pour les activités favorites

Épisode dépressif

Diminution marquée des interactions sociales

Épisode dépressif

Exagération subite par l’individu de ses capacités (p. ex., croyance qu’il peut Épisode de manie conduire un véhicule, alors qu’il n’en a pas la capacité) Attitude intrusive, séductrice et taquine inhabituelle envers autrui

Épisode de manie

Évitement de situations antérieurement tolérées ou appréciées

Trouble anxieux

Désorganisation spécique en présence d’une personne en particulier ou d’une situation sociale dénie

Trouble de stress post-traumatique

Augmentation drastique du niveau de base des troubles de comportement

Non spécique d’un diagnostic en particulier, mais pouvant signaler le début d’un trouble psychiatrique

Soliloque

Non spécique de la psychose et pouvant être normal selon le niveau de développement

Agressivité et automutilation

Cause fréquente de consultation, spécique d’aucun diagnostic et pouvant se présenter en l’absence de trouble psychiatrique

Ce tableau ne donne qu’une idée générale des symptômes fréquents et de leur mode de présentation. L’état clinique doit toujours être comparé au fonctionnement habituel de la personne évaluée an d’éviter l’exagération des symptômes. Source : NADD (2007), p. 14-16, 249-256, 274-279, 285-288, 320-324.

comportements préjudiciables que l’individu ne présentait pas avant l’utilisation de telles méthodes. Retenons que le moyen d’y arriver est de tenter de comprendre la cause des troubles de comportement et d’agir en fonction des hypothèses formulées. En cas d’échec ou d’hypothèses cliniques qui ne semblent pas se vérier, les modalités d’intervention, peu importe leur nature, doivent être appliquées de façon systématique sur des périodes limitées, en vue de tester leur ecacité.

57.6 Évaluation Dans le DSM-5, la décience intellectuelle fait partie de la catégorie des troubles neurodéveloppementaux qui incluent aussi les troubles du langage et les troubles du spectre de l’autisme (TSA). Les troubles du spectre de l’autisme (TSA) et les troubles du langage sont respectivement présentés en détail au chapitre 58 et au chapitre 61, à la section 61.1. C’est habituellement en présence d’un retard global dans le développement sur les plans moteur, du langage et de la socialisation, observé au quotidien dans les interactions avec des adultes et d’autres enfants, à travers les jeux et les explorations, ou en raison de dicultés sur le plan scolaire qu’on soupçonne la présence d’une décience intellectuelle chez l’enfant. À une extrémité du spectre se présente un nouveau-né avec une ou des dysmorphies (faciès plat, oreilles implantées basses et

ourlées, épicanthus proéminent, fentes palpébrales étroites, sillon nasolabial inexistant ou hypoplasique) qui attirent l’attention de son entourage immédiat et des médecins. Rapidement, il y a évaluation dans le but de préciser l’étiologie de ces particularités : consultation en génétique, recours à des techniques cytogénétiques et recherche de marqueurs précis. La présence d’un syndrome spécique permet d’établir un pronostic concernant l’évolution longitudinale attendue, la présence d’une décience intellectuelle, et d’élaborer une prise en charge adéquate pour favoriser un développement optimal. À l’autre extrémité du spectre, l’enfant qui naît et évolue apparemment sans histoire particulière, mais qui présente des dicultés d’apprentissage à son entrée à l’école, avec une accentuation progressive de celles-ci. Après l’évaluation de ces dicultés, un diagnostic de décience intellectuelle légère est parfois reconnu, alors suivi d’examens dans le but de préciser l’étiologie lorsque celle-ci ne peut être aisément déterminée. Des facteurs biologiques et psychosociaux s’entremêlent fréquemment, inuençant le tableau clinique global. Chez l’adulte, la question se pose en présence d’évidences laissant soupçonner une limitation cognitive légère qui, pour toutes sortes de raisons, n’a pas été évaluée plus tôt. L’évaluation médicale de base ainsi que les évaluations complémentaires sont résumées dans le tableau 57.6. Ces évaluations visent à mettre en évidence l’étiologie de la décience intellectuelle et à exclure d’autres aections médicales sous-jacentes ou associées. Elles doivent être eectuées chez l’adulte lorsqu’elles ne l’ont pas été au cours de l’enfance.

Chapitre 57

Décience intellectuelle

1249

TABLEAU 57.6 Évaluation médicale de base

et complémentaire

Antécédents familiaux

• • • • •

Histoire périnatale

• Grossesse • Accouchement – APGAR*

Histoire développementale

• • • • • •

Consanguinité Décience intellectuelle Troubles d’apprentissage Épilepsie et autres troubles neurologiques Maladies dégénératives

Motricité grossière et ne Langage Alimentation Acquisition de la propreté Interactions sociales Scolarisation

Antécédents médicaux et psychiatriques

• Hospitalisation, chirurgies et traitements • Histoire psychiatrique • Histoire pharmacologique

Examen physique

• Recherche de signes dysmorphiques suggestifs d’un syndrome spécique • Paramètres : taille, poids, périmètre crânien, courbe de croissance • Examen neurologique

Autres examens (selon pertinence)

• • • • • •

Dépistages génétiques spéciques Dépistages métaboliques spéciques Imagerie cérébrale EEG, ECG Caryotype – X fragile Radiographies, biopsies musculaires

Consultations complémentaires (selon pertinence)

• • • • • •

Audiologie Optométrie Psychométrie Neurologie Neuropsychologie Génétique

* Note globale attribuée au nouveau-né suite à l’évaluation de cinq éléments spéciques : la couleur de la peau, le rythme cardiaque, la réactivité réexe, le tonus musculaire et la respiration. Source : NADD (2007), p. 16-26.

La trisomie 21 est la première cause de décience intellectuelle d’origine génétique. On note des anomalies : • craniofaciales (brachycéphalie, occiput plat, microcéphalie légère, faciès rond) ; • des yeux (fentes palpébrales étroites, épicanthus proéminent, petites taches blanches autour de l’iris nommées taches de Brusheld avec hypoplasie périphérique de l’iris) ; • des oreilles (petites, implantées basses) ; • du cou (apparence courte) ; • des mains (phalanges et métacarpes courts, pli simien) ; • des pieds (espace signicatif entre le premier et le deuxième orteil). Le syndrome du X fragile est la première cause de décience intellectuelle d’origine héréditaire et la deuxième cause de

1250

décience intellectuelle après la trisomie 21. Parmi les anomalies possibles, soulignons :

• • • • • •

un visage long ; une hypoplasie faciale médiane ; des oreilles proéminentes ; des fentes palpébrales élargies ; une petite stature ; une macroorchidie. La sclérose tubéreuse de Bourneville est une maladie monogénétique autosomique dominante, qui peut être fortement suspectée en présence des anomalies suivantes :

• des angiobromes faciaux ; • des macules mélanodermiques ; • des taches de Shagreen (zones de la peau coriace épaisse qui sont prolées comme un zeste d’orange) ;

• des hamartomes nodulaires rétiniens. Le syndrome d’alcoolisation fœtale résulte d’une exposition intra-utérine à l’alcool et s’observe par :

• • • • • • • •

une petite taille ; une microcéphalie ; une hypoplasie faciale médiane ; des fentes palpébrales courtes ; la lèvre supérieure mince ; un philtrum long et plat ; une rétrognathie ; un petit nez avec narines rétroversées. Il existe de nombreux autres syndromes d’origine génétique ou non reliés à la décience intellectuelle. Le lecteur peut se référer à la littérature médicale traitant spéciquement de ce sujet particulièrement en lien avec le processus diagnostique et les traitements associés.

57.6.1 Aspects culturels Dans les dernières années, le Québec a connu un accroissement de ses minorités ethniques, ce qui soulève l’importance d’adapter les pratiques d’évaluation des aspects intellectuel et adaptatif. Le DSM-5 énonce maintenant une formulation culturelle, contenant une série de questions, pour mieux cerner les aspects culturels en cause. Selon López (2002), l’évaluation en contexte multiculturel nécessite une base conceptuelle solide an : • de prendre en compte la nature complexe et dynamique de la culture ; • de considérer l’importance des inuences socioculturelles ; • d’éviter les inférences basées sur des étiquettes sociales ; • de formuler et de valider des hypothèses spéciquement liées à la culture ; • de considérer la scolarité et le soutien des parents. Il importe d’ajuster les pratiques et de relativiser les conclusions pour tenir compte de l’inuence potentielle des caractéristiques culturelles du patient sur l’évaluation. L’évaluation de l’acculturation (qui se dénit comme un processus d’apprentissage et de changement culturel agissant chez un individu à la suite d’un contact interculturel prolongé) est un point de départ essentiel du processus évaluatif. Cependant, il n’existe, à ce jour, aucune

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Spécialités psychiatriques

mesure universelle de l’acculturation (Arends-Tόth & Van de Vijver, 2007). Berry & Sabatier (2011) proposent un modèle bidimensionnel de l’acculturation qui repose sur les deux postulats suivants : 1. Le niveau auquel les individus souhaitent maintenir, voire modier, leur culture d’origine et leur identité ; 2. Le niveau auquel les individus souhaitent socialiser et participer avec les personnes de la culture hôte. Le processus de l’acculturation émerge vers quatre modalités : 1. Lorsque les individus expriment une préférence à ne pas évoluer selon leur culture d’origine et souhaitent plutôt participer à la société d’accueil, l’assimilation est considérée. 2. À l’inverse, lorsque des individus désirent continuer d’évoluer selon leur culture d’origine et ne pas participer à la société d’accueil, c’est la séparation qui est alors considérée. 3. Lorsque des individus maintiennent à la fois leur culture d’origine et participent à la société d’accueil, l’intégration est ici considérée. 4. Et à l’opposé, lorsqu’il existe à la fois un faible désir de maintenir la culture d’origine et de ne pas participer à la société d’accueil, on parle de marginalisation. Les quatre modalités du processus qu’est l’acculturation sont illustrées à la gure 57.2 selon les deux grands pôles (identication à la société d’accueil et identification à la société d’origine) (Brisson, 2008). Dans un contexte d’évaluation multiculturelle, l’évaluateur doit ainsi :

• connaître la population évaluée ; • connaître les forces et les faiblesses de chaque instrument utilisé ;

• incorporer les considérations culturelles pertinentes dans l’interprétation des résultats ; • considérer les éléments de l’histoire du patient et les évaluations antérieures. De plus, si l’évaluateur observe un écart franc avec l’évaluation actuelle, il doit procéder à une recherche sur la source de celui-ci, incluant la reconnaissance de biais (Van de Vijver, 2000). L’évaluateur doit : FIGURE 57.2 Quatre modalités du processus d’acculturation

• documenter les capacités langagières du patient tenant compte de la langue parlée à la maison ;

• justier le choix des instruments utilisés en fonction de la langue et de l’attitude liée à l’acculturation ; • préciser les facteurs culturels qui ont pu inuencer le processus d’évaluation. An d’évaluer le fonctionnement intellectuel le plus justement possible chez des personnes pour lesquelles le niveau d’acculturation le permet, on peut utiliser, en complémentarité d’un test de type Wechsler, l’échelle Beta-III (Kellogg & Morton, 1999), soit une échelle d’intelligence non verbale. De plus, cette échelle ore des consignes de passation en espagnol. Le recours à un interprète est nécessaire dans la majorité des cas. Brisson et ses collaborateurs (2011) ont mis au point un modèle de base sur un arbre décisionnel comportant deux étapes : 1. Une évaluation clinique du langage ; 2. Un entretien clinique s’intéressant au fonctionnement et à l’histoire sociale et développementale. Ces dernières informations permettent également l’évaluation clinique du niveau d’acculturation. Pour l’évaluation du fonctionnement intellectuel chez des adultes d’une origine autre que québécoise, acculturés ou relativement acculturés3, présentant un trouble mental et chez qui on soupçonne une décience intellectuelle, il a été démontré que l’évaluation psychométrique de l’intelligence est possible, conduisant, dans la majorité des cas, à un diagnostic valide cliniquement. Comme le soulève Le Du (2013, p. 138) : « Les experts rappellent qu’il appartient aux psychologues de choisir leurs techniques d’évaluation après avoir identié leurs limites an de pouvoir contextualiser les résultats et de réaliser l’examen dans une langue parlée par l’enfant, si possible sa langue maternelle. »

57.6.2 Exemples d’évaluation de patients présentant une décience intellectuelle Les trois études de cas suivantes (enfant et adultes) sont des exemples d’évaluation et de traitement conséquents. Ce premier exemple décrit l’évaluation pédopsychiatrique, tant sur le plan de l’évaluation développementale et cognitive que sur celui de la comorbidité (ici, le trouble décit de l’attention avec hyperactivité).

Étude de cas

Jonathan, un garçon de 7 ans, est dirigé pour une évaluation à la clinique ambulatoire de pédopsychiatrie pour troubles de comportement et suspicion d’un trouble décit de l’attention avec hyperactivité. L’entrevue initiale se déroule en plusieurs temps : rencontre individuelle avec Jonathan, rencontre familiale et rencontre avec les parents en l’absence de Jonathan. Il s’agit d’un enfant unique vivant avec ses parents, tous deux sur le marché du travail. Depuis la 1re année du primaire, Jonathan a de la diculté à suivre plusieurs consignes, et la tâche doit être divisée en plusieurs étapes pour lui permettre de bien accomplir 3. Dans le processus d’intégration, l’individu veut à la fois maintenir sa culture et son identité d’origine et avoir des contacts avec la société d’accueil. Dans le processus d’assimilation, l’individu abandonne son identité et sa culture d’origine et cherche à établir des relations avec la société d’accueil (Berry & Sabatier, 2011).

Chapitre 57

Décience intellectuelle

1251

les activités d’apprentissage et les routines à la maison (p. ex., en milieu scolaire : une question par page lors d’un exercice ou d’un examen, tableau récapitulatif des étapes à respecter lorsqu’il prépare son sac d’école ; en milieu familial : brossage des dents, habillage, hygiène personnelle). Il est éparpillé, perd ses crayons, certaines gurines de superhéros, oublie son matériel scolaire à la maison ou à l’école, semble ne pas écouter, est dans sa bulle, est distrait, évite toutes les tâches qui requièrent un eort mental, car les nombreuses erreurs qu’il peut faire le découragent. Il dérange les autres enfants en classe, les interrompt, parle beaucoup, se lève, se promène et ne tient pas compte des consignes de l’enseignant. Il devient facilement émotif et pleure lorsqu’il est réprimandé, ne réalisant pas toujours l’impact négatif de ses comportements sur les autres, arguant qu’il « ne fait pas exprès ». Il est particulièrement heureux lors des récréations et des périodes de jeux. Il aime courir et grimper partout, se blessant souvent en raison de sa grande maladresse. Il refuse régulièrement de faire ses travaux scolaires, devient irritable, grogne et parfois crie lorsque l’adulte insiste. Depuis quelque temps, il pousse, mord, frappe et brise du matériel. Ses bulletins indiquent un retard dans l’acquisition et l’utilisation des connaissances sur le plan scolaire. Les parents sont très inquiets, car ils ne reconnaissent plus leur petit « boute-en-train ». La joie de vivre de cet enfant a fait place à une importante irritabilité accompagnée d’une forte opposition aux apprentissages scolaires. Graduellement, les comportements problématiques se sont généralisés à de nombreuses situations au quotidien. À l’histoire longitudinale : grossesse planiée, sans consommation de substances, sans infections, sans complications médicales. Naissance prématurée à 34 semaines de gestation. Dicultés respiratoires ayant nécessité une intervention médicale et un court séjour aux soins intensifs néonataux. Très légers retards de développement sur les plans moteurs et du langage, pour lesquels Jonathan a reçu des services en réadaptation : ergothérapie, physiothérapie et orthophonie. Aucune inquiétude rapportée sur le plan social. Contacts aectueux avec les deux parents. Présence d’énurésie nocturne. Quelques otites à répétition, myringotomie, amygdalectomie et adénoïdectomie. Un cousin maternel a récemment été diagnostiqué pour trouble décit de l’attention avec hyperactivité (TDA/H) et un trouble d’apprentissage. Selon le portrait global, Jonathan répond aux critères diagnostiques d’un TDA/H et une problématique comportementale franche est décrite, particulièrement en milieu scolaire et lors des interactions avec la mère. À la suite de cette première évaluation en pédopsychiatrie, Jonathan est dirigé en ergothérapie, en orthophonie et en psychologie an que l’on puisse mieux saisir les dicultés vécues par l’enfant, qui a déjà présenté des retards dans son développement. Les questionnaires (version française) Conners, CBCL (Children Behavior Checklist) et C-TRF (Caregiver-Teacher Report Form) sont également remplis. L’ensemble des informations recueillies lors de ce processus d’évaluation ont permis de conclure aux diagnostics suivants : décience intellectuelle légère et TDA/H probable. Des aménagements et des interventions spéciques ont graduellement été mis en place à la maison et à l’école après concertation entre parents, enseignants, pédopsychiatre et professionnels de la santé. L’élaboration d’un plan d’intervention individualisé tenant compte des forces et des dés de Jonathan de même que l’implication d’une technicienne en éducation spécialisée en milieu scolaire ont permis un ajustement réaliste des exigences sur le plan scolaire. On a noté une diminution signicative des dicultés comportementales. La symptomatologie

1252

relative à un TDA/H probable, bien que grandement améliorée, est demeurée problématique et une médication psychostimulante a été amorcée. Finalement, on observe une amélioration globale du tableau clinique bien que certains eets indésirables (diminution de l’appétit et apparition de tics moteurs) nécessitent une réévaluation du choix de médication. Jonathan est maintenant en attente d’une prise en charge par l’équipe du CRDI (centre de réadaptation en décience intellectuelle) et d’une évaluation en génétique à la demande des parents. Le pédopsychiatre le revoit sous peu, entre autres pour discuter des options médicamenteuses. Les deux exemples suivants illustrent le processus d’évaluation et de traitement psychiatrique chez les adultes présentant une décience intellectuelle.

Étude de cas

Même si elle est loin d’être simple, l’approche à mettre de l’avant devant un épisode dépressif majeur sans troubles de comportement associés chez une personne présentant une DI légère est relativement conforme, bien qu’adaptée à celle qui est habituellement utilisée dans la population générale. L’épisode se caractérise par une perte de poids, de l’insomnie, de la tristesse et un ralentissement psychomoteur. Le médecin examine les antécédents cliniques pour déterminer s’il existe ou non une incidence familiale de dépression, s’il y a ou non des antécédents de manie ou d’hypomanie, s’il s’agit d’un premier épisode, si l’on met en évidence des éléments psychotiques associés. Les stresseurs psychosociaux sous-jacents ou associés sont examinés (p. ex., pertes aectives, conits, changements). Devant une symptomatologie clinique d’allure dépressive telle que décrite ci-dessus, apparaissant pour la première fois chez Claudette, une jeune patiente présentant une limitation intellectuelle légère, le médecin a décelé des deuils récents non résolus et vécus encore très intensément, particulièrement la nuit sous forme de cauchemars. Le médecin observe aussi une perte d’appétit et de poids, de la tristesse, un ralentissement psychomoteur, de l’insomnie. Après avoir éliminé d’autres causes médicales sous-jacentes par un bilan physique complet, il prescrit un antidépresseur associé au début à une benzodiazépine étant donné les symptômes marqués d’insomnie et le délai habituel d’action des antidépresseurs. Une psychothérapie pour travailler les éléments de deuil a été mise en place rapidement. Temporairement, des mesures de répit sur le plan social (gardiennage, soutien à domicile) ont assuré un soutien quotidien à la famille et à Claudette. Le suivi éducatif a été plus intense et une réadaptation progressive aux activités habituelles de sa vie quotidienne s’est faite sur une période de plusieurs mois. Après quelques semaines, la médication sédative au coucher a pu être interrompue. Le traitement antidépresseur s’est poursuivi sur une période d’un an après la rémission complète des symptômes dépressifs. La psychothérapie s’est progressivement estompée pour demeurer disponible au besoin. Les parents de Claudette ont été très engagés dans tout le processus, de même que l’éducateur attitré. Des entrevues individuelles entre Claudette et le médecin ont été oertes périodiquement, suivies d’une discussion avec tous les membres de l’équipe, y compris les parents. Le suivi médical a duré près de deux ans, ce qui est conforme au suivi habituel auprès d’un patient présentant un premier épisode dépressif majeur. L’approche clinique se complique en présence de troubles graves de comportement.

Étude de cas

Deux personnes présentant une DI grave sont dirigées vers un médecin en raison de problèmes cycliques de

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Spécialités psychiatriques

comportement. Elles n’ont pas l’usage de la parole, ce qui représente un dé clinique plus compliqué. L’approche doit comporter plusieurs étapes menant à la formulation d’hypothèses cliniques sur lesquelles seront basées les modalités d’intervention et de traitement, y compris, s’il y a lieu, la prescription d’un médicament psychotrope. Les deux patients qui répondent à la description clinique ci-dessous, avec une DI grave et des troubles cycliques de comportement (agression, automutilation), ont été traités fort diéremment en fonction d’hypothèses cliniques distinctes. Dans les deux cas, des collectes de données exhaustives ainsi que des observations systématiques des comportements, tant qualitatives que quantitatives, ont été nécessaires (voir la gure 57.3). Cas no 1 : Pour Gilles, les comportements agressifs se présentent essentiellement durant des périodes de sous-stimulation (l’automne et l’hiver, où il ne sort jamais de la maison) et aussi dans diérents contextes (lorsqu’il y a beaucoup de bruit et d’agitation dans son environnement et lorsqu’une attention particulière est donnée aux autres patients par le personnel de la résidence). On note aussi chez Gilles une tendance accrue aux agressions lors de périodes de constipation. Les hypothèses cliniques sont fondées sur un contexte de sous-stimulation associée à plusieurs comportements ayant fonctions d’évitement, de demande d’attention et d’expression du malaise physique découlant de la constipation. Les interventions sont centrées sur : • une approche occupationnelle variée et valorisante amenant Gilles à l’extérieur de la maison durant les saisons d’automne et d’hiver ; • des apprentissages de retrait volontaire en présence de bruit excessif ; • des périodes où on lui donne des attentions privilégiées courtes, mais fréquentes ; • un apprentissage de la communication à l’aide de pictogrammes ; • l’usage de laxatifs après deux jours de constipation ; • un sevrage progressif du médicament neuroleptique administré de longue date pour les troubles de comportement ayant fort probablement contribué à la tendance à la constipation. Cas n o 2 : Pour Christian, les périodes d’agressivité sont associées à des perturbations soutenues du sommeil et de l’appétit (insomnie et perte de poids) ainsi qu’à une agitation importante et ce, en l’absence de facteurs environnementaux ou interactionnels associés, selon des observations systématiques eectuées durant ces périodes. Les hypothèses cliniques portent sur une possibilité de maladie bipolaire avec phases maniaques récurrentes, ce qui a mené à des interventions cliniques distinctes. Le médecin a prescrit à Christian un médicament stabilisateur de l’humeur (compte tenu de son usage bénéque chez l’une de ses tantes) temporairement associé à une médication anxiolytique ainsi que des mesures de gestion de crise durant les périodes d’agitation (diminution des demandes et des interactions dans le quotidien, associée à un soutien et à une aide accrus pour les besoins de base durant l’instauration de la médication). Si l’on considère ici strictement les prescriptions du médecin (soit le sevrage du neuroleptique pour Gilles et l’ajout d’un stabilisateur de l’humeur pour Christian), il convient de préciser qu’elles n’auraient pu se faire de façon judicieuse et ecace sans la collaboration des autres membres de l’équipe qui colligent systématiquement leurs observations sur une période de quelques semaines et qui maintiennent un lien signicatif avec ces deux personnes ayant une décience intellectuelle grave et qui ne parlent pas. Grâce à l’analyse des données, on a pu proposer

des hypothèses reliées aux aspects comportementaux, assurant une coordination des interventions de l’équipe. Les parents fournissent des renseignements précieux en attirant l’attention sur les problèmes de constipation de Gilles et, pour Christian, en documentant des épisodes antérieurs semblables chez leur ls de même que des troubles bipolaires chez d’autres membres de la famille. C’est grâce au travail compétent, complémentaire et concerté de tous que le médecin a pu :

• exclure l’hypothèse d’une maladie psychiatrique pour Gilles, •

pour ensuite intervenir avec une base clinique documentée, en retirant progressivement une médication inappropriée ; instaurer une médication appropriée pour traiter la maladie bipolaire de Christian.

Ce type de travail exige de chacun de la compétence, de la patience et du respect envers la personne présentant une DI, ainsi qu’une étroite concertation entre tous les membres de l’équipe, dont l’objectif principal doit toujours être la compréhension des problèmes vécus.

57.7 Outils diagnostiques L’évaluation psychométrique permet de quantier les niveaux de fonctionnement aux plans intellectuel et adaptatif de même que de documenter l’histoire développementale d’un individu. Ces évaluations doivent être colligées par un clinicien spécialisé en évaluation psychologique, qui peut ainsi statuer si les trois critères sont réunis pour conrmer la présence de décience intellectuelle (AAIDD, 2010 ; APA, 2015). Ces évaluations instrumentales permettent de préciser les niveaux de fonctionnement de même que les forces et les limitations de la personne en évitant de se baser sur des impressions cliniques qui, souvent, sous-estiment ou, au contraire, surestiment les capacités et le fonctionnement intellectuel de la personne. Le tableau 57.7 rappelle les indices de mesures selon les trois dénitions courantes de la décience intellectuelle (Brisson, 2014).

57.7.1 Évaluation du fonctionnement intellectuel Le fonctionnement intellectuel ou l’intelligence (critère A du DSM-5) fait référence aux capacités intellectuelles générales (AAIDD, 2010), ce qui rejoint les conditions décrites dans le DSM-5, incluant :

• • • • • • •

le raisonnement ; la planication ; la résolution de problèmes ; la pensée abstraite ; la compréhension d’idées complexes ; la rapidité d’apprentissage ; l’apprentissage des expériences. Le niveau intellectuel est obtenu à l’aide de tests d’intelligence individuels et standardisés, analysés par un psychologue. La sélection d’un instrument de mesure spécique standardisé de l’intelligence générale devrait tenir compte de plusieurs facteurs individuels, comme la culture et la langue. Il est également impératif d’utiliser les normes les plus récentes. Il n’est pas

Chapitre 57

Décience intellectuelle

1253

TABLEAU 57.7 Indices de mesure de la décience intellectuelle (ou retard mental) selon les différentes classications

diagnostiques

Critères (qui doivent tous être présents de façon concomitante)

DSM-5

DSM-IV-TR

AAIDD

Fonctionnement intellectuel

QI < 70

QI < 70

QI < 70-75*

Fonctionnement adaptatif

Altération selon une échelle validée

Altération signicative de 2/10 secteurs du fonctionnement adaptatif

Altération signicative de 1/3 domaines d’habiletés adaptatives ou résultat global

Chronologie

Début durant la période de développement

Début avant l’âge de 18 ans

Début avant l’âge de 18 ans

* Le QI est approximativement à deux écarts-types sous la moyenne et considère l’erreur de mesure (AAIDD, 2010). Sources : APA (2015), p. 40-41 ; APA (2004), p. 48-49 ; AAIDD (2010), p. 27. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

recommandé d’utiliser des échelles abrégées ou de dépistage. On retient, parmi les tests psychométriques les plus connus, les plus utilisés et les plus recommandés, les échelles de type Wechsler (AAIDD, 2010) :

• Chez l’adulte : WAIS-IV CDN-F (Échelle d’intelligence de Wechsler pour adultes – 4e édition – Version pour francophones du Canada) (Wechsler, 2010) (de 16 à 90 ans). La WAIS-IVCDN-F (2010) permet d’obtenir un quotient pour l’échelle générale (EGQI), communément appelé QI global, ainsi qu’un quotient pour chacun des quatre indices factoriels : 1. L’indice de la compréhension verbale (ICV) est composé de sous-tests mesurant les habiletés verbales requérant du raisonnement, de la compréhension et la connaissance des concepts verbaux (principaux sous-tests : similitudes, vocabulaire et connaissances) ; 2. L’indice du raisonnement perceptif est composé de soustests mesurant le raisonnement non verbal et l’organisation perceptive (principaux sous-tests : dessins avec blocs, matrices et casse-têtes visuels) ; 3. L’indice de mémoire de travail (IMT) est composé de sous-tests mesurant la mémoire de travail, l’attention et la concentration (principaux sous-tests : séquences de chires et arithmétique) ; 4. L’indice de vitesse de traitement (IVT) de l’information est composé de sous-tests mesurant la vitesse des processus mentaux et graphomoteurs (principaux sous-tests : repérage de symboles et code) (Wechsler, 2008). La WAIS-III (Wechsler, 1997, 2005) permettait d’apprécier trois composantes de l’intelligence générale, soit les habiletés verbales et de performance (communément appelées habiletés non verbales), le fonctionnement global ainsi que les quatre mêmes indices factoriels.

• Chez l’enfant et l’adolescent, les échelles suivantes sont les plus fréquemment utilisées : – WPPSI-IV CDN-F (Échelle d’intelligence de Wechsler pour la période préscolaire et primaire 4e édition, version pour francophones du Canada ; Wechsler, 2013), pour deux groupes d’âge :

1254

a) enfants de 2 ans et 6 mois à 3 ans et 11 mois ; b) enfants de 4 ans à 7 ans et 7 mois ; – WISC-IVCDN-F (Échelle d’intelligence de Wechsler pour enfants, 4e édition, version pour francophones du Canada ; Wechsler, 2005) (enfants et adolescents de 6 à 16 ans) ; – parfois, on utilise l’Échelle d’intelligence de Standford-Binet (versions pour enfants, adolescents et adultes). Il existe également des outils d’évaluation du quotient intellectuel (QI) pour les clientèles présentant des caractéristiques particulières : mentionnons simplement la Leiter International Performance Scale (personnes âgées entre 2 et 18 ans incapables de s’exprimer verbalement, ou issus de minorités ethniques, ou sourdes-muettes). L’utilisation d’échelles spéciques ciblant l’évaluation du développement psychomoteur chez les très jeunes enfants est indiquée lorsqu’il y a suspicion d’un retard à cet égard.

• Bayley Scales of Infant and Toddler Development, 3e édition ; • Mullen Scales of Early Learning ; • Grith Mental Development Scales, 3e édition. Pour tous les groupes d’âge, les résultats obtenus à l’aide de l’un de ces outils combinés à ceux obtenus à la suite de l’administration d’une échelle d’évaluation des comportements adaptatifs sont nécessaires pour l’accès à des services spécialisés. Le terme « retard mental, sévérité non spéciée présent du DSM-IV pouvait être utilisé lorsqu’il existe une forte présomption de retard mental, mais que l’intelligence ne peut être mesurée par tests standardisés, par exemple pour des patients trop perturbés ou des nourrissons » (APA, 2004, p. 50). Actuellement, la révision concernant les degrés de sévérité pour le DSM-5 ne propose plus de codes en fonction du niveau du QI, par souci de consistance avec les critères de l’AAIDD, qui suggère des niveaux basés sur le fonctionnement adaptatif (APA, 2015). L’interprétation du fonctionnement intellectuel d’une personne (enfant ou adulte) sur l’unique base d’un QI général ne permet pas d’apprécier le fonctionnement cognitif de façon susamment spécique. D’ailleurs, l’APA (2003, p. 48) met en garde sur le fait que « lorsqu’il existe une nette divergence entre le score verbal et le score non verbal (ou de performance), le calcul du QI global peut être trompeur ». Il est souhaitable et de bonne pratique d’eectuer, en premier lieu, une interprétation basée sur le QI

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

général, mais en tenant également compte des QI verbal et de performance, lorsqu’ils sont disponibles. Cependant, il s’avère essentiel, en second lieu, de considérer la présence d’une ou de plusieurs divergences statistiquement signicatives ou, plus précisément, la présence :

• de disparité, c’est-à-dire l’écart statistique entre les scores du patient aux échelles verbales et de performance (pour la WAIS-III) ou entre l’Indice de la compréhension verbale et l’Indice du raisonnement perceptif (pour la WAIS-IV) ainsi qu’entre les résultats obtenus aux autres indices factoriels (échelles) ; • de variabilité, c’est-à-dire les écarts statistiques entre les diérents sous-tests qui composent chacune des échelles. S’il y a des diérences signicatives à l’intérieur du prol cognitif, il faut faire une étude de comparaison des divergences. La présence de tels éléments dans le prol intellectuel peut faire ressortir un autre facteur que la décience intellectuelle pour expliquer les dicultés cognitives mesurées. Ainsi, l’évaluateur compétent dans le diagnostic de la DI doit bien connaître les autres troubles pouvant laisser croire à un prol cognitif s’apparentant à la DI. La nouvelle version de l’échelle d’intelligence de Wechsler (WAIS-IV) devrait inciter l’évaluateur à raner son interprétation du profil cognitif. De plus, des éléments importants doivent aussi être pris en compte dans l’analyse du fonctionnement intellectuel, comme la collaboration du patient ainsi que sa compréhension des tâches à accomplir, l’interaction évaluateur/patient, les éléments de personnalité, les aspects motivationnels et aectifs et la présence actuelle ou antérieure de troubles mentaux ou de troubles neurologiques (Brisson, 2014). Ceci est également applicable auprès des enfants (WISC-IV).

57.7.2 Évaluation du fonctionnement adaptatif Lorsqu’une limitation signicative du fonctionnement intellectuel est démontrée (critère A du DSM-5), il est essentiel de mesurer le fonctionnement adaptatif (critère B du DSM-5). Rappelons qu’une limitation signicative du fonctionnement adaptatif doit être concomitante à une limitation signicative du fonctionnement intellectuel, sans quoi le diagnostic de décience intellectuelle ne peut être retenu. De cette manière, un QI inférieur à 70 ne peut, à lui seul, appuyer le diagnostic de décience intellectuelle. Le fonctionnement adaptatif fait référence à la façon dont une personne répond aux normes de l’indépendance personnelle et de la responsabilité sociale, en comparaison avec les personnes de même groupe d’âge et culturel. Le fonctionnement adaptatif implique trois domaines : conceptuel, social et pratique (APA, 2015). 1. Les habiletés conceptuelles font référence au langage (lecture et écriture), aux concepts de temps et de nombres. 2. Les habiletés pratiques incluent les activités de vie quotidienne (hygiène personnelle), les occupations, l’utilisation de l’argent, la sécurité, le transport, l’horaire de vie, l’utilisation du téléphone et les soins de santé. 3. Les habiletés sociales englobent les relations interpersonnelles, la responsabilité sociale, le respect des règles et des lois, la prudence pour ne pas être victime et la résolution de problèmes sociaux (AAIDD, 2010). Un fonctionnement adaptatif décitaire, obtenu à l’aide d’une échelle standardisée du comportement adaptatif normée à partir

d’une population générale, incluant des personnes avec ou sans décience intellectuelle, doit se situer approximativement à plus de deux écarts-types sous la moyenne dans un des trois domaines suivants : conceptuel, pratique et social ou au score global. Le fonctionnement adaptatif est mesuré à l’aide des échelles d’évaluation des comportements adaptatifs. Parmi les tests les plus connus et retenus par l’American Association of Mental Retardation, 10e édition (2002), et pouvant être utilisés avec des populations de tous âges, on note :

• le Vineland Adaptative Behavior Scales (Vineland TM-II),

2e édition (Sparrow & al., 2005), initialement établi en 1984 ; • le Système d’évaluation du comportement adaptatif, 2e édition (2006), traduction française et adaptation canadienne de l’Adaptive Behavior Assessment System, 2e édition (ABAS-II), révisé par Harrison & Oakland (2006). Diverses variables peuvent nuire à l’interprétation des résultats, notamment la présence de décits moteurs, sensoriels ou de troubles psychiatriques (AAIDD, 2010). De plus, le fonctionnement adaptatif peut être inuencé par diérents facteurs comme les capacités intellectuelles, l’éducation, la motivation, la socialisation, les caractéristiques de la personnalité, les possibilités socioprofessionnelles, le bagage culturel et les troubles mentaux ou les problèmes médicaux généraux qui peuvent coexister avec la décience intellectuelle (APA, 2015). De fait, les symptômes psychiatriques ont aussi une inuence sur le fonctionnement au quotidien, pouvant altérer signicativement le fonctionnement adaptatif de la personne (Brisson, 2014).

57.7.3 Évaluation de l’histoire du développement Au terme de l’évaluation psychométrique statuant sur les fonctionnements intellectuel et adaptatif, l’évaluateur (psychiatre, psychologue, neuropsychologue) doit faire la démonstration de l’existence d’éléments signicatifs au cours du développement (critère C du DSM-5) permettant de soutenir que les décits intellectuel et adaptatif s’inscrivent à l’intérieur d’un trouble de développement, ici la décience intellectuelle. Un adulte atteint d’un trouble mental sévère et persistant peut aussi présenter à la fois un décit intellectuel et un décit adaptatif. Il devient donc primordial d’établir, avec la plus grande rigueur, l’histoire de vie de la personne an de s’assurer des acquisitions faites durant la période prémorbide. Ces informations s’avèrent essentielles, puisqu’elles permettent de déterminer si les décits sont attribuables au développement ou s’ils sont plutôt tributaires de la présence d’un trouble mental persistant. Pour s’assurer que la présence de ces décits est concomitante à la période du développement, soit entre 0 et 18 ans, une histoire détaillée, incluant des informations valides sur les périodes prénatale, natale et postnatale, les principales acquisitions du développement psychomoteur, notamment la marche, le langage, la propreté, la socialisation, la scolarisation, les expériences de vie autonome et les expériences de travail, doit être relevée an de rechercher des indices signicatifs témoignant d’un arrêt (trouble mental sévère et persistant) ou d’un retard (décience intellectuelle) du développement. Il peut être dicile de recueillir ces informations lorsque le patient est adulte (p. ex., parents décédés, dossiers antérieurs détruits [centres jeunesse, commissions scolaires, etc.]). Dans ces rares cas, lorsque tout a été tenté pour obtenir l’information et que le doute persiste, le diagnostic de DI se doit d’être réservé.

Chapitre 57

Décience intellectuelle

1255

Il est également nécessaire de vérier si le patient a été évalué par le passé, ou encore en période prémorbide, an de faire des comparaisons avec son fonctionnement actuel. Par exemple, une évaluation intellectuelle eectuée à la n de l’adolescence montrant un fonctionnement intellectuel sans décit notable (QI supérieur à 75) exclurait à elle seule la présence d’une décience intellectuelle. L’évaluation intellectuelle actuelle, faite à l’âge adulte et montrant un décit, peut alors témoigner d’une inecience intellectuelle en lien avec une autre cause, par exemple la présence d’un trouble mental, qui peut, en plus, être accompagné d’un décit adaptatif concomitant.

FIGURE 57.3 Démarche d’évaluation des diagnostics

différentiels de la décience intellectuelle chez l’adulte

Évaluation psychologique des diagnostics différentiels de la décience intellectuelle Il existe peu d’écrits relatifs aux pratiques d’évaluation des décits neuropsychologiques acquis et surajoutés à une DI, d’où l’importance, dans de telles circonstances, de concertation entre psychologues expérimentés (Brisson, 2014). D’ailleurs, les études de Brisson et ses collaborateurs (2011, 2012) portant sur les décits neuropsychologiques surajoutés à une DI conclut que l’examen neuropsychologique à l’aide des tests classiques s’avère pertinent qualitativement, mais discutable quantitativement, puisque les résultats ne révèlent rien de plus que la WAIS. Ce type d’évaluation permet toutefois de discriminer certains troubles confondants, comme le trouble décitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité. Brisson (2014) présente un modèle d’évaluation diagnostique qui propose des conduites d’évaluation en regard des mandats d’évaluation de la décience intellectuelle ou de ses diagnostics diérentiels pour les adultes. Ce modèle permet également une ouverture intéressante pour la conduite de l’évaluation diagnostique de l’ensemble des troubles mentaux dans le sens où il propose une démarche multidimensionnelle, ce qui est indiqué en psychiatrie (Haavik & al., 2010). Finalement, ce modèle d’évaluation multidimensionnelle peut s’intégrer à l’intérieur d’une démarche multidisciplinaire en représentant bien la contribution de l’évaluation psychologique pour une compréhension clinique globale, c’est-à-dire une compréhension des sphères bio-psycho-sociales. Il peut également guider l’évaluation psychologique des personnes soupçonnées (adultes ou enfants) de présenter une décience intellectuelle (voir la gure 57.3). Le dé est de taille pour le psychologue qui se spécialise dans l’évaluation psychométrique auprès des enfants, adolescents et adultes présentant une décience intellectuelle et un trouble mental en comorbidité, puisqu’il se retrouve souvent aux prises avec d’importantes dicultés lors de l’administration des tests, dicultés d’interprétation ou autres, compte tenu de l’aspect non écologique des tâches. Conséquemment, il se doit d’être exible et créatif dans le soutien oert tout en demeurant rigoureux dans l’évaluation selon les standards établis et soucieux de l’inuence de la présence d’un trouble mental sur les processus cognitifs (Brisson, 2014).

57.8 Diagnostic différentiel et comorbidité Certains troubles psychiatriques habituellement diagnostiqués durant la première enfance, la deuxième enfance ou l’adolescence font partie du diagnostic diérentiel de la décience intellectuelle (DI) ou peuvent y être associés, dont les troubles du spectre de

1256

Source : Brisson (2014), p. 161.

l’autisme (TSA), le trouble décit de l’attention avec hyperactivité (TDA/H), les troubles de l’alimentation, le trouble de l’attachement. Le diagnostic diérentiel entre la DI et les TSA est parfois dicile. Ces deux diagnostics, qui ne sont pas mutuellement exclusifs, coexistent fréquemment. Selon Bradley et ses collaborateurs (2014), de 20 à 40 % des enfants et adolescents ayant un TSA ont également un diagnostic de DI (QI inférieur ou égal à 70). Ces enfants sont initialement référés à cause d’un retard de développement. Une étiologie commune, telle que la rubéole congénitale ou la sclérose tubéreuse, peut être à l’origine de ces deux diagnostics. La communication verbale et non verbale est une source signicative d’information lors d’interactions sociales, tant avec les proches que les étrangers. Par exemple, une observation adéquate de telles interactions peut permettre de déceler la présence ou non d’une réciprocité sociale ou émotionnelle entre l’enfant et une autre personne et ainsi d’orienter les hypothèses diagnostiques les plus plausibles. L’hyperactivité et l’inattention sont des caractéristiques typiquement présentes chez les enfants et les adolescents présentant une DI et sont fréquemment à la base d’une référence pour une évaluation en psychiatrie. La prévalence du TDA/H est similaire chez les enfants avec et sans DI, soit de 10 % (Maulik &

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

Harbour, 2010). La présence de cette symptomatologie doit être analysée en fonction de l’âge développemental et non en fonction des attentes de l’environnement immédiat. L’absence de structure, le manque d’intérêt de l’enfant et un niveau d’exigence inappropriée pour la réalisation d’activités peuvent, entre autres, être à l’origine de l’inattention. Il est donc primordial de considérer ces éléments dans l’évaluation de la symptomatologie laissant suspecter un diagnostic de TDA/H chez des personnes ayant une décience intellectuelle. La présence de symptômes aectifs et comportementaux n’est pas rare en présence de ce double diagnostic (DI et TDA/H). Les troubles de l’alimentation de la première ou de la deuxième enfance, pica et mérycisme (régurgitation et remastication d’aliments), fréquemment associés (comorbide) à une DI considérée comme grave ou profonde, sont des diagnostics bien distincts. Dans certaines circonstances, ils retiennent toute l’attention sur le plan clinique et il s’avère alors nécessaire d’effectuer une investigation appropriée sur le plan médical pour éliminer toute problématique pouvant être source de cette symptomatologie (p. ex., décience en zinc ou en fer), car cela détermine l’approche thérapeutique : suppléments alimentaires versus approche comportementale. Les autres troubles psychiatriques diagnostiqués habituellement chez les jeunes de 18 ans et moins (tics ou mouvements stéréotypés, troubles du contrôle sphinctérien, anxiété de séparation et trouble réactionnel de l’attachement) peuvent également être considérés selon le portrait clinique global. Les troubles de la communication ne sont pas à négliger non plus avec une prévalence de près de 10 à 15 % des enfants âgés de moins de trois ans et de 3 à 7 % chez les enfants d’âge scolaire, la maturation aidant pour une bonne proportion. Dans le DSM-5 (APA, 2015), ces troubles sont distingués en fonction des troubles spéciques

de la parole, du langage et de la communication. Le trouble de la communication sociale-pragmatique est ajouté (Brisson, 2014). De tous les syndromes connus pouvant s’accompagner d’une décience intellectuelle, la trisomie 21 est le plus fréquent, suivi du syndrome du X fragile. Ces caractéristiques sont détaillées dans le tableau 57.8. La connaissance des caractéristiques de ces syndromes permet aux intervenants de mieux soutenir la personne atteinte, sa famille et son entourage, tant sur les plans médical que psychiatrique et psychosocial.

i

Un supplément d’information sur l’approche et les modalités d’intervention relativement aux problèmes de santé mentale des personnes présentant une DI est disponible dans le livre Dual Diagnosis (Grifths & al., 2002).

i

Un supplément d’information sur les implications cliniques et éducationnelles relativement aux syndromes les plus fréquemment associés à une DI est disponible dans l’ouvrage Demystifying Syndromes (Grifths & King, 2004).

57.9 Traitements Il n’y a qu’une façon de ne pas revivre les problèmes du passé : comprendre, ou plus souvent essayer de comprendre, pour mieux traiter. Le risque d’erreur dans l’analyse et dans la prédiction de la réponse ou du plan de traitement est constant. Il est essentiel d’être conscient de ce risque, de cette incertitude diagnostique chez la personne présentant des troubles de comportement et possiblement des troubles psychiatriques associés à sa DI. Une telle attitude d’esprit de compréhension est à la base de la démarche clinique décrite dans ce chapitre, démarche fondée sur les meilleures hypothèses. Le traitement doit s’adresser aux

TABLEAU 57.8 Aspects médicaux, psychiatriques et comportementaux des syndromes courants

Syndrome

Troubles psychiatriques associés

Troubles médicaux associés

Phénotypes comportementaux

Trisomie 21

• Hypothyroïdie • Démence de type Alzheimer

• Trouble oppositionnel (enfance) • Trouble obsessionnel compulsif • Dépression (adulte)

• Bonnes aptitudes sociales en général

Syndrome X fragile

• Macro-orchidisme sans anomalie endocrinienne

• TDA/H • Troubles du spectre de l’autisme (TSA) • Troubles anxieux • Dépression

• Hyperkinésie • Retrait social

Syndrome d’alcoolisation fœtale

• Retard de croissance

• • • •

• Variable selon le niveau d’atteinte cognitive • Mauvaises aptitudes sociales en général

Syndrome de Prader-Willi

• Obésité sévère et complications associées • Hypogonadisme

• Trouble obsessionnel compulsif

Syndrome de Lesch-Nyhan

• Spasticité • Autisme • Mouvements choréoathétosiques • Hyperuricémie

TDA/H Abus de substance Troubles de l’humeur Troubles anxieux

• Hyperphagie • Irritabilité • Agressivité • Tendance compulsive à l’automutilation

Sources : NADD (2007), p. 33-62 ; Jones (2005), p. 8-13, 150-153, 202-205, 555-558, 686.

Chapitre 57

Décience intellectuelle

1257

diérentes hypothèses mises de l’avant par l’analyse multidimensionnelle intégrant les interventions spéciques privilégiées. Dans la mesure du possible, il est toujours préférable de traiter la personne dans son milieu de vie. Il arrive cependant que cela ne puisse se faire en raison de la gravité et de la dangerosité des comportements. Dans ces circonstances, on doit faire appel à des modalités d’intervention de crise ou à l’hospitalisation.

57.9.1 Traitements biologiques pour affections psychiatriques comorbides Les principes de traitement s’appliquant aux personnes ayant une décience intellectuelle et présentant un trouble psychiatrique sont les mêmes que pour les autres patients. La comorbidité fréquente, la polypharmacie courante et la diculté, voire l’impossibilité de communiquer les eets indésirables ressentis, rendent la personne présentant une DI vulnérable à la pharmacothérapie. Le principe « Commencez à faible dose et augmentez lentement » (start low, go slow) doit toujours guider le médecin dans les modalités d’administration de la médication psychotrope en dehors des situations d’urgence. Un danger important de l’utilisation de la médication psychotrope en est la facilité d’administration en comparaison avec d’autres formes de traitement ou d’approche. L’usage d’un médicament psychotrope chez la personne présentant une DI doit reposer sur des hypothèses cliniques suggérant la présence d’un trouble psychiatrique, plutôt qu’une approche du type « un symptôme, un psychotrope ». Sauf en cas d’urgence, la décision d’administrer un médicament psychotrope doit être précédée d’un eort sérieux de compréhension de la signication des dicultés vécues. L’utilisation d’une médication, tout comme l’établissement d’un diagnostic en psychiatrie, n’est pas toujours facile et requiert expérience et savoir-faire clinique ainsi que patience et humilité. Contrairement à beaucoup d’autres maladies, le diagnostic et la réponse au traitement pour les troubles psychiatriques ne peuvent faire l’objet d’une conrmation objective autre que celle de l’observation clinique. Les délais d’action (en dehors des eets ponctuels sédatifs rapides des antipsychotiques et des anxiolytiques) sont parfois de plusieurs semaines, rendant les essais cliniques souvent longs et diciles à interpréter. L’encadré 57.1 résume les recommandations relatives à l’instauration d’une médication appropriée. Il faut souligner par ailleurs qu’outre un traitement sédatif en urgence, il n’existe pas de médication spécique pour les troubles de comportement ou l’agressivité. On a longtemps cru – ou plutôt espéré – que les antipsychotiques pouvaient jouer ce rôle, ce qui n’est pas le cas. Une révision des études à cet égard ne permet pas de valider l’usage d’antipsychotiques à ces ns, bien que ce soit malheureusement encore pratique courante. Tyrer et ses collaborateurs (2008) ne montrent aucune diérence signicative entre le placebo, la rispéridone et l’halopéridol dans les troubles de comportement chez les personnes présentant une DI, sans trouble psychotique associé. En fait, les antipsychotiques devraient surtout être réservés au traitement des troubles psychotiques. Que ce soit à la suite d’un essai inecace ou, le plus souvent, dans un contexte d’utilisation prolongée d’une médication jugée inappropriée, le retrait doit se faire avec prudence, de façon progressive et avec l’appui des membres de l’équipe traitante. Il a été en eet observé que l’attitude du personnel, qui craint parfois une résurgence de l’agitation, est un facteur d’importance capitale dans la réussite de cette interruption. Radouco-omas et ses collaborateurs

1258

ENCADRÉ 57.1 Recommandations relatives à l’usage

de la médication psychotrope

Voici les principales recommandations en ce qui a trait à l’instauration et à l’usage d’une médication psychotrope appropriée pour les patients présentant une décience intellectuelle : • ne pas utiliser en excès, comme punition, en substitution à un service ou en quantité interférant avec la qualité de vie de l’usager ; • utiliser dans un contexte de plan de soins multidisciplinaire ; • se baser sur un diagnostic psychiatrique spécique résultant d’une évaluation exhaustive de la situation ; • obtenir le consentement du patient ou de son représentant légal ; • évaluer l’efcacité de la médication avec des index de qualité de vie ou de comportements dénis, quantiés et suivis dans le temps ; • faire un suivi régulier des effets indésirables, incluant l’utilisation d’échelles standardisées ; • si un antipsychotique ou un autre bloqueur dopaminergique est utilisé sur une base régulière, faire un suivi spécique pour prévenir la dyskinésie tardive, avec échelle standardisée ; • réviser la médication de façon systématique sur une base périodique. Source : Hughes & McKee (2008), p. 4-8.

(2004) ont réalisé une étude pilote mettant en évidence qu’un eort concerté de l’équipe interdisciplinaire lors de la réduction de la médication psychotrope constitue un facteur signicatif d’amélioration du prol médicamenteux chez cette clientèle. Des précautions particulières doivent être prises pour le retrait des antipsychotiques utilisés de longue date. En l’absence de situations urgentes, le médecin doit étaler le sevrage sur quelques mois, de façon progressive et en donnant un suivi régulier au patient et un soutien à l’équipe ainsi qu’aux proches concernés. Les réactions de retrait ou de sevrage après un usage chronique d’antipsychotiques sont bien connues (voir le tableau 57.9). En fait, les antipsychotiques devraient surtout être réservés au traitement des troubles psychotiques. Lors de l’utilisation d’une médication antipsychotique, il est primordial, tant chez les adultes que chez une population pédiatrique, de surveiller étroitement l’apparition possible d’un trouble du mouvement ou d’un syndrome métabolique. Une baisse réalisée progressivement et lentement de l’ordre de 10 % de la dose initiale d’antipsychotiques tous les trois mois réduit les risques d’apparition de telles réactions. Antérieurement, ivierge et Radouco-omas (2008) ont abordé plus en détail les principes de la « désadministration » de la médication psychotrope chez les personnes présentant des troubles du spectre TABLEAU 57.9 Symptômes possibles de sevrage lors du

retrait d’antipsychotiques de 1re génération

Symptômes

Interventions

• Akathisie de retrait • Nausées, vomissements, diarrhées, hypersudation (rebond cholinergique) • Perte d’appétit, perte de poids (plus de 10 %) • Troubles de sommeil • Agitation – irritabilité transitoire

• Rapports anecdotiques d’efcacité des benzodiazépines, de la clonidine ou de β-bloqueurs • Traitement symptomatique • Sevrage lent (10 % toutes les 4 à 12 semaines)

Sources : Adapté de Pointdexter (2004), article 2 ; Reiss & Aman (1998), p. 62-64.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

de l’autisme (TSA) en l’absence de trouble psychiatrique. En résumé, pour réussir un sevrage, il est recommandé :

• • • •

d’obtenir un consentement de la personne ou de ses proches ; de dénir un plan de sevrage circonscrit et réalisable ; de respecter une diminution lente et progressive ; d’assurer un suivi régulier avec la personne, ses proches et les intervenants.

57.9.2 Traitements psychologiques et interventions sociales Un diagnostic de troubles du spectre de l’autisme (TSA) (ou trouble envahissant du développement, TED dans le DSM-IV) procure à l’enfant des avantages d’accès à des modalités de soutien éducationnel plus diversiées et importantes que les soutiens disponibles lorsque seul un diagnostic de décience intellectuelle ou de trouble de la communication (ou troubles du langage) est porté. Il s’agit essentiellement de modalités structurées de stimulation intensive visant le développement optimal de l’enfant. Cet accès privilégié à ce type de services pour les enfants présentant un TSA (TED) résulte essentiellement de facteurs sociopolitiques. Ces modalités de soutien éducationnel, qui constituent l’essence de l’approche clinique chez l’enfant, devraient être accessibles pour tous les enfants présentant un trouble de développement (ivierge, 2008). En présence de troubles de comportement tels qu’ils ont été analysés par une méthode structurée, il est important de travailler avec une approche rigoureuse, basée sur des fondements théoriques et l’observation de données observables et mesurables. Ici, le jugement clinique ne peut se substituer à l’analyse rigoureuse de la relation entre les troubles de comportement d’un individu et son environnement (Carr & al., 2007 ; Tassé, 2006). Strumey & Hamelin (2014) mentionnent en ce sens que l’intuition et la passion ne sont pas toujours de bons guides. Brisson (2013) recommande d’utiliser un amalgame du plan de traitement multimodal intégré (Multimodal Integrated Intervention Plan) tel qu’il a été revu par Hunter et ses collaborateurs (2008). Ce plan propose de distinguer les interventions de traitement, de gestion et de contrôle (treatment, management and control procedures) en y intégrant des techniques de modication du comportement reposant sur l’approche béhaviorale (Emerson & Einfeld, 2011 ; Carr & al., 2007 ; Gardner, 2005). Plus précisément, les standards de pratique doivent reposer sur des éléments en lien avec la théorie néobehavioriste du conditionnement opérant de B.F. Skinner. Cette approche prône l’opérationalisme (dénition opérationnelle des événements observables et mesurables) et le positivisme (condition d’être reliés à la réalité observable). Elle retient l’importance de l’analyse fonctionnelle du comportement, c’est-à-dire la relation fonctionnelle entre le comportement et le milieu. De plus, elle a développé le modèle stimulus-réponse-conséquence utilisant des interventions telles que le renforcement et la punition caractérisant les relations entre l’individu et son environnement (le conditionnement opérant). L’approche de Skinner est maintenant à la base de la théorie de l’apprentissage, un des principaux postulats de cette théorie étant que « le renforcement intensie le comportement alors que la punition ne l’aaiblit pas » (Hergenhahn, 2007, p. 427). Bien que souvent utilisée comme synonyme, la récompense n’équivaut pas toujours au renforcement dans la perspective de la thérapie béhavioriste. Le renforçateur selon Skinner est « toute chose qui

modie la fréquence d’une réponse lorsqu’on la subordonne à cette réponse » (Hergenhahn, 2007, p.426-427). Le stimulus renforçant découle donc d’une réexion et d’une analyse des contingences de renforcement de l’action à poser, dans la thérapie béhavioriste. La récompense en soi peut faire partie des stimuli renforçants utilisés ou, comme dans bien des cas, n’avoir aucun lien avec la thérapie béhavioriste. Pour ce faire, Skinner préconise de « modier le comportement positivement par l’intermédiaire des contingences de renforcement » (Hergenhahn, 2007, p. 428). La gure 57.4 présente les notions de renforcement et de punition ainsi que les contingences de renforcement. Les punitions sont souvent privilégiées au détriment du renforcement en raison d’un manque de connaissances théoriques qui sous-tendent la thérapie comportementale (Brisson, 2013). La théorie du conditionnement opérant est présentée en détail au chapitre 75, à la sous-section 75.2.3. Les interventions thérapeutiques sont basées sur le développement de stratégies visant l’apprentissage d’habiletés spéciques pouvant se maintenir dans le temps. Ce type d’intervention favorise l’apprentissage de comportements alternatifs, substituant alors le comportement inadéquat par une habileté adéquate désirée. Ce point est impératif pour un traitement comportemental réussi (Rieske & Matson, 2014). Il y a alors une généralisation et un maintien des apprentissages. Le renforcement diérentiel consiste à renforcer un comportement lorsque certains stimuli particuliers sont présents et à ne pas le renforcer lorsque ces stimuli sont absents (Tassé & Morin, 2003). Par exemple :

• Donner un renforçateur au patient à la n d’un intervalle donné lorsqu’il n’a pas manifesté le comportement non désiré (renforcement diérentiel d’autres comportements [RDC]) (Emerson & Einfeld, 2011 ; Tassé & Morin, 2003). Il est également indiqué de cibler le comportement à renforcer de sorte à ne pas renforcer ceux que l’on ne souhaite pas voir augmenter.

Étude de cas



Un patient déchire régulièrement son linge durant les activités de marche à l’extérieur. L’intervenant décide d’utiliser, entre autres, une procédure de RDC pour réduire ce comportement. Au préalable, il a déterminé les éléments qui déclenchent le comportement, sa fréquence d’apparition, sa durée et son intensité. Il peut alors xer un intervalle de temps où il appliquera le RDC. Par exemple, lors d’une activité de 20 minutes, l’intervenant donne un renforcement préalablement déterminé toutes les cinq minutes si le patient collabore à cette activité sans déchirer son linge. Il peut augmenter l’intervalle de temps au fur et à mesure que la procédure de RDC fait diminuer la fréquence d’apparition, de la durée et de l’intensité du comportement ciblé. L’objectif nal est de donner une seule fois le renforcement à la n de l’activité. Renforcer un comportement approprié que le patient manifeste et qui n’est pas incompatible avec le comportement problématique (renforcement diérentiel d’un comportement alternatif [RDA]) (Emerson & Einfeld, 2011 ; Tassé & Morin, 2003).

Étude de cas

Un patient crie pour obtenir de l’aide an d’aller aux toilettes. Après avoir établi le niveau de base du comportement indésirable (c.-à-d. la fréquence, l’intensité et la durée avant le début d’une intervention), l’intervenant choisit de renforcer un comportement approprié déjà présent dans le répertoire comportemental de l’individu. Alors, lorsque le patient pointe son doigt en

Chapitre 57

Décience intellectuelle

1259

FIGURE 57.4 Notions de renforcement et de punition

Source : Brisson & Bolduc (2011).



direction des toilettes comme comportement alternatif au cri, l’intervenant répond rapidement à la demande et utilise l’approbation sociale (des félicitations) comme agent de renforcement social. Renforcer des comportements considérés comme incompatibles avec les comportements à modier (renforcement diérentiel d’un comportement incompatible [RDI]) (Emerson & Einfeld, 2011 ; Tassé & Morin, 2003).

Étude de cas



Un patient se frappe les oreilles au point de s’iniger des lésions. L’intervenant choisit de renforcer le comportement en incitant le patient à jouer avec des balles en mousse et il lui donne un agent de renforcement après un délai préalablement déterminé en lui disant : « C’est beau, tu joues avec les balles ! » Il augmente graduellement le temps entre l’apparition du comportement incompatible et l’obtention de l’agent de renforcement. Renforcer un comportement seulement lorsqu’il est émis à faible fréquence (renforcement diérentiel d’un comportement à basse fréquence [RDB]). On souhaite ici réduire la fréquence d’un comportement (L’Abbé & Marchand, 1984). Dans le contexte où certaines réponses du répertoire comportemental d’un patient doivent être réduites mais non éliminées, cette procédure peut être ecace.

Étude de cas

Cette procédure peut être ecace, par exemple lorsque le patient frappe de façon incessante à la porte d’un poste de travail. La procédure consiste à renforcer l’émission d’un nombre de fois tolérable, par exemple on xe préalablement un plancher à deux coups pour que le patient obtienne l’agent de renforcement.

1260

Le tableau 57.10 présente des stratégies d’intervention à préconiser selon le type d’intervention. Parallèlement, des interventions en présence de comportements inadéquats doivent s’ajouter aux techniques d’apprentissage et de renforcement diérentiel an d’optimiser la modication de comportement. Également on doit associer aux techniques comportementales, les traitements physiques et psychiatriques pertinents. Tous doivent être établis à l’intérieur d’un même plan d’intervention. Les interventions de gestion peuvent être appliquées de façon proactive (dite aussi préventive) ou réactive à l’émission d’un comportement.

• Agir de façon préventive suppose de développer des stratégies



d’intervention qui sont appliquées avant que le comportement ne soit émis. En ce sens, le développement d’un horaire d’activités prenant en compte les vulnérabilités, les forces, les besoins et les champs d’intérêt du patient, ainsi que des périodes où il y a un relâchement dans l’encadrement, ont un impact majeur sur la fréquence d’apparition des comportements inadéquats. Agir de façon réactive signie d’appliquer des stratégies d’intervention à la suite de l’émission d’un comportement. Ces interventions doivent encadrer le comportement émis, sans viser à le contrôler totalement (Brisson, 2011). L’extinction consiste à cesser de renforcer un comportement donné an de le réduire ou de l’éliminer, ce qui doit être tenté avant le retrait des stimuli ayant favorisé l’apparition de ce comportement. Dans le même ordre d’idées, lorsqu’on utilise une stratégie d’extinction, on doit s’attendre, au début, à une augmentation de la fréquence ou de l’intensité des comportements qu’on vise à éliminer. Il faut donc bien évaluer l’impact de cette

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

TABLEAU 57.10 Synthèse des stratégies d’intervention comportementales

Type d’intervention

De gestion Agir de façon préventive ou réactive

De traitement Apprentissage à long terme

En absence de comportements inadéquats

• Évaluation diagnostique adéquate • Enseignement de compétences/habiletés • Développement de routines • Renforcement différentiel de comportements adéquats RDC/RDI/RDA/RDB

En présence de comportements inadéquats

• Éviter de renforcer les conditions de maintien des comportements inadéquats • Ajustement des interventions et de la procédure de renforcement • Traitements physique/ psychiatrique

Préventive

De contrôle Prendre en charge la situation de crise à court terme

Réactive

• Changements dans l’environnement • Modication au programme d’activités • Évitement de situations/ exposition • Moyens de protection • Soins physiques et psychiatriques • Travailler les attitudes/ façons d’agir – de réagir

• Incitation physique • Procédure d’estompage des méthodes utilisées

• Extinction • Retrait de stimuli, sans exclusion • Retrait de stimuli, avec exclusion

• Interventions pour assurer la sécurité • Retrait de stimuli, avec exclusion • Soins physiques et psychiatriques d’urgence • Isolement/contention • Procédure d’estompage des méthodes utilisées

RDC = Renforcement différentiel d’autres comportements RDI = Renforcement différentiel d’un comportement incompatible RDA = Renforcement différentiel d’un comportement alternatif RDB = Renforcement différentiel d’un comportement de basse fréquence Source : Brisson & al. (2011).

stratégie avant de l’utiliser avec des patients qui présentent des comportements d’auto ou d’hétéroagressivité. De façon générale, le retrait de stimuli est une mesure punitive qui consiste à retirer temporairement l’agent de renforcement à la suite de l’émission d’un comportement indésirable selon deux modes d’application : 1. Le retrait de stimuli sans exclusion consiste à retirer momentanément un stimulus à l’apparition du comportement indésirable.

Étude de cas

À l’heure du repas, un patient mange avec ses doigts ; la procédure consiste simplement à éloigner la nourriture pendant quelques secondes. La nourriture étant considérée comme l’agent de renforcement, le comportement indésirable devrait être rapidement éliminé. 2. Le retrait de stimuli avec exclusion consiste à retirer momentanément le patient de l’endroit où il reçoit des stimuli particuliers. S’il est déplacé dans une salle adjacente, dans le corridor ou derrière un paravent, il reçoit moins de stimuli.

Étude de cas

Un patient se gratte une plaie devant d’autres personnes pour les faire réagir. L’intervenant lui demande de se retirer sur une très courte période dans une salle adjacente où il n’y a personne, dans le but d’éliminer l’agent de renforcement (ici, l’attention) à ce comportement d’automutilation. Il faut favoriser d’abord le retrait de stimuli sans exclusion, considérant que cette modalité d’application est moins restrictive et qu’elle est souvent ecace. Elle est fréquemment omise dans

les plans de traitement, alors qu’elle devrait toujours être tentée préalablement au retrait de stimuli avec exclusion (L’Abbé & Marchand, 1984). De plus, ces stratégies d’intervention n’excluent pas le fait que l’ajustement des attitudes du personnel aux comportements indésirables puisse être également ecace dans la gestion de la situation problématique. Les interventions de contrôle visent la prise en charge de la situation de crise ou d’un épisode intensif et prolongé de comportements dangereux. En présence d’un comportement à risque, les interventions pour assurer la sécurité doivent alors prévaloir :

• • • •

le retrait de stimuli avec exclusion ; l’administration d’une médication sédative (PRN) ; des soins physiques ponctuels ; l’isolement et la contention (mesures à considérer comme recours ultimes ou devant l’échec d’application des autres techniques). Ces interventions de contrôle doivent s’accompagner d’une révision immédiate des facteurs qui contribuent aux comportements dangereux, les déclenchent et les maintiennent, ainsi que d’une stratégie de gestion, applicable avant l’émission du comportement et en réponse au comportement, de façon à ne les utiliser qu’à court terme. Trop souvent, l’intervention de contrôle est spontanément privilégiée par un intervenant aux prises avec des troubles de comportement. Cependant, cette intervention est la moins ecace et elle ne modie pas le comportement non désiré, voire elle en favorise, dans certains cas, l’augmentation (Hergenhahn, 2007).

Chapitre 57

Décience intellectuelle

1261

Il existe plusieurs autres interventions visant une diminution des comportements inadéquats, en ajoutant des stimuli aversifs. Il est préférable de restreindre au maximum le recours à ces procédures, abondamment utilisées au cours des années 1980, discréditant la thérapie comportementale. Voici quelques exemples de procédures hautement aversives :

• utiliser une variété d’approches an de s’assurer que la thérapie

• la pratique négative (outre celle faite sans incitation), qui



consiste à demander à l’individu de pratiquer le comportement de façon répétitive, exagérée et prolongée ; • la punition positive, qui consiste à présenter un stimulus aversif à l’apparition d’un comportement indésirable ; • la surcorrection, qui consiste à corriger les eets sur l’environnement en plus de l’améliorer ; • le retrait de stimuli avec exclusion ; • la restriction physique, incluant, entre autres, le recours aux méthodes de contention et de mise en isolement (L’Abbé & Marchand, 1984). Il est maintenant démontré qu’il est possible de gérer, voire de traiter les troubles de comportement en préconisant davantage des interventions thérapeutiques et de gestion, limitant au maximum le recours aux interventions de contrôle. Cette approche guide la planication de l’intervention en respectant les meilleures pratiques (les moins restrictives4), tout en considérant les hypothèses causales. De plus, elle permet de travailler tous les aspects liés au comportement, c’est-à-dire d’éviter de centrer essentiellement les eorts sur les comportements non désirés. Il faut aussi aborder la dimension aective dans l’intervention comportementale. Ainsi, l’attitude qu’on adopte et le lien qu’on établit avec le patient orientent les résultats de l’intervention. La perception de la fonction du comportement par les intervenants inuence les résultats de l’intervention. Lorsqu’on intervient sur la relation intervenant/patient, l’intensité des problèmes de comportement diminue. Gardner (2005) relève les causes fréquentes d’apparition de troubles de comportement en lien avec des dimensions externes au patient :

• des objectifs et des spécications ous ; • une faible relation entre les objectifs et les expériences du patient (renforcement inadéquat) ;

• une faible discrimination entre les avantages et les inconvénients liés au fait de perpétuer un comportement (renforcement vague) ; • une procédure de renforcement inadéquate ; • un programme inadéquat ; • un recours excessif aux mesures de contrôle. Selon DeLeon et ses collaborateurs (2002), il faut se doter d’une méthode de travail structurée visant à :

• obtenir un niveau de base du ou des comportements cibles ; • utiliser des interventions comportementales ; • asseoir les interventions, et les modications à ces interventions, sur des changements dans les données objectives quantiées ; 4. Le modèle d’intervention à restriction minimale (L’Abbé & Marchand, 1984).

1262

qu’on pense ecace est nécessaire et susante ;

• mettre en place un entraînement qui a pour objectif d’acquérir des comportements alternatifs et positifs ;

• produire un changement rapide à l’égard des comportements



destructeurs ou dangereux ; modier les comportements cibles de sorte que le changement soit cliniquement signicatif ; protéger les patients et le personnel durant la modication de comportement.

57.9.3 Intervention individuelle adaptée Au cours des dernières années, de grands eorts ont été déployés an d’obtenir des données probantes sur l’ecacité des diverses approches psychologiques et des interventions qui y sont reliées (King, 2005). Bien que ces eorts doivent se poursuivre an qu’ils puissent rendre compte de la diversité des interventions possibles et ecaces, l’approche béhaviorale se démarque actuellement à ce chapitre. Mentionnons également que l’adaptation de la thérapie cognitivo-comportementale pour les personnes présentant une décience intellectuelle limite ou de niveau léger semble donner des résultats intéressants (Taylor & al., 2008). En attendant la suite des recherches, il n’en demeure pas moins un besoin fondamental de soutien et d’aide en réponse à la sourance ressentie et aux dés à surmonter tant par le patient que par l’entourage immédiat et étendu. Avec l’évolution des connaissances relatives à la décience intellectuelle, l’expérience des cliniciens montre la pertinence d’un suivi psychologique, par une intervention individuelle adaptée ou un suivi familial auprès de la famille immédiate ou des responsables du milieu d’accueil. Dans le respect de la condentialité, la collaboration avec les intervenants concernés s’avère souvent essentielle an de s’assurer de coordonner les interventions et d’éviter les pièges liés au manque de communication. Des eets néfastes sur les résultats de l’intervention pourraient provenir de la présence de contradictions dans les interventions entre les divers intervenants, de clivage au sein des membres d’une même famille, d’une duplication inutile des interventions ou encore d’une modication de l’information par le patient. L’expérience montre que les techniques et les considérations suivantes facilitent grandement le travail auprès des personnes présentant une DI :

• prendre le temps nécessaire pour établir une relation de • • • • • • • • •

conance ; limiter les distractions ; adapter la durée des séances aux capacités du patient ; prévoir des perspectives à moyen et long terme ; répéter régulièrement, faire conance au patient ; utiliser des supports visuels (p. ex., pictogrammes) ; faire des mises en situation ; utiliser un journal de bord adapté des rencontres ; favoriser une activation comportementale et des activités physiques pour diminuer le stress ; concrétiser des approches de résolution de problème, des techniques de relaxation, de gestion du stress ;

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

• travailler à développer et à améliorer les habiletés sociales.

• les facteurs de risque d’origine psychosociale, incluant enjeux sociofamiliaux, stigmatisation, rejet, ségrégation, victimisation, infantilisation, intimidation, abus, réseau de soutien limité, habiletés sociales restreintes.

Ces interventions doivent également être adaptées en fonction de l’âge et du niveau de développement de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte présentant une décience intellectuelle.

57.9.4 Consentement, consensus et cohérence Il faut s’assurer d’obtenir le consentement de la personne de plus de 14 ans lorsque c’est possible, ou sinon de ses proches ou de son répondant. La nature, le but de la thérapie, ses avantages et ses risques doivent être bien expliqués. Un consentement éclairé de même qu’une bonne compréhension du plan de soins par tous les cliniciens concernés sont garants d’un consensus quant à la démarche envisagée. La cohérence d’application est essentielle à son succès. Il est fréquent de rencontrer des patients sous régime de protection établi sur la base d’un manque de compréhension, d’une reconnaissance d’incompétence, au sens de la loi, les rendant inaptes à fournir un consentement éclairé. Le consentement doit alors être obtenu auprès de la personne légalement responsable du patient, un parent ou le Curateur public dans la majorité des cas. Pour les patients de 18 ans et moins, la Direction des centres jeunesse peut être appelée à intervenir dans certaines situations où l’intégrité de la personne est menacée.

57.9.5 Prévention Les connaissances sur les causes de la DI permettent parfois de viser des conduites préventives. Pour prévenir l’apparition de troubles de comportement et de troubles psychiatriques chez les personnes présentant une décience intellectuelle, il faut réaliser un travail proactif basé sur les vulnérabilités bien identiées de ces patients : • les facteurs de risque d’origine biologique incluant hérédité familiale, syndromes génétiques et phénotypes comportementaux associés ;

i

Un supplément d’information sur les conduites préventives est disponible dans le livre Prévention du retard mental (L’Abbé & al., 2004).

L’objectif est de leur donner toutes les possibilités, tous les moyens de s’exprimer, d’avoir du contrôle sur leur vie et de s’épanouir. L’implication de la famille, des proches et des divers intervenants, incluant le milieu scolaire ou le milieu de travail, est primordiale dans ce contexte.

Mieux comprendre pour mieux traiter et aider demeure le principe de base dans le choix des modalités de soutien et d’intervention auprès des personnes présentant des troubles de comportement ou des troubles psychiatriques associés à une décience intellectuelle. Connaître l’étiologie ainsi que les possibles anomalies associées à la décience intellectuelle et leur gravité peut parfois favoriser une compréhension diérente du tableau clinique. Même si la réalité de la vie courante ne permet pas souvent des réponses claires et simples et que les situations cliniques peuvent être complexes, voire explosives, il faut persévérer et tendre vers une démarche de compréhension. La formulation d’hypothèses explicatives constitue un préalable indispensable à un travail clinique ecace, durable et, surtout, respectueux de la personne qui, au-delà de ses comportements, manifeste essentiellement un besoin d’aide. Est-ce possible ? Oui. Est-ce facile ? Non. Comme dans tout art et toute science, le chemin est dicile. Le savoir-faire et le savoir-être doivent se conjuguer. « Caminante, no hay camino, se hace camino al andar – Marcheur, il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant. » (Antonio Machado)

Lectures complémentaires B, N. & H, G. (dir.) (2007). Psychiatric and behavioural disorders in intellectual and developmental disabilities, 2e éd., New York, Cambridge University Press. C, M. & A C. (2013). Déciences intellectuelles et intégration sociale, Bruxelles, Belgique, Mardaga. L’A, Y. & M, D. (1999). Comportements agressifs et retard mental – compréhension et intervention,

Eastman, Behaviora. (Un ouvrage classique et très accessible sur l’intervention comportementale.) L, F. & F, J. (2009). Neuropsychologie de l’enfant : Troubles développementaux et de l’apprentissage, 2e éd., Paris, Dunod. (Utile pour l’apport de la neuropsychologie en décience intellectuelle et une meilleure compréhension du fonctionnement cognitif des personnes présentant une décience intellectuelle.)

S, R. L. & al. (2010). Intellectual Disability : Denition, classication and systems of support, 11e éd., Washington, DC, American Association on Intellectual and Developmental Disabilities. W, E. & M, G. (2008). Évaluation et intervention auprès des comportements-dés : Décience intellectuelle et/ou autisme, Bruxelles, Belgique, De Boeck.

Chapitre 57

Décience intellectuelle

1263

CHA P ITR E

58

Autismes Laurent Mottron, M.D., Ph. D. (psycholinguistique)

Chantal Caron, M.D., FRCPC, M. Sc. (épidémiologie)

Médecin chercheur, Centre d’excellence en troubles envahissants de l’Université de Montréal, Hôpital Rivière-des-Prairies (Montréal)

Psychiatre, Centre d’excellence en troubles envahissants de l’Université de Montréal, Hôpital Rivière-des-Prairies (Montréal)

Professeur titulaire, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

58.1 Évolution du concept .................................................. 1265 58.2 Épidémiologie .............................................................. 1265 58.3 Étiologies ...................................................................... 1265 58.3.1 Étiologies biologiques ...................................... 1265 58.3.2 Étiologies environnementales et médicales ....................................................... 1268 58.4 Description clinique.................................................... 1268 58.5 Variété diagnostique ................................................... 1271 58.5.1 Décience intellectuelle ................................... 1272 58.5.2 Âge et transformations développementales ........................................... 1272 58.5.3 Dysphasie non autistique................................. 1273 58.6 Évaluation..................................................................... 1275

58.8 Diagnostic diérentiel ................................................ 1279 58.8.1 Syndrome de Gilles de la Tourette.................. 1279 58.8.2 Trouble obsessionnel-compulsif ..................... 1279 58.8.3 Trouble décit de l’attention/ hyperactivité...................................................... 1280 58.8.4 Anxiété sociale .................................................. 1281 58.8.5 Personnalité schizoïde ..................................... 1282 58.8.6 Schizophrénie ................................................... 1282 58.9 Traitements et réadaptation ...................................... 1283 58.9.1 Traitements biologiques .................................. 1283 58.9.2 Traitements alternatifs ..................................... 1284 58.9.3 Traitements psychologiques............................ 1284 58.9.4 Interventions sociales ...................................... 1285

58.6.1 Communication sociale et langage ................. 1275 58.6.2 Socialisation réciproque .................................. 1275 58.6.3 Comportements répétitifs et champs d’intérêt restreints ............................................ 1276 58.7 Outils diagnostiques ................................................... 1276 58.7.1 Entrevues standardisées .................................. 1276 58.7.2 Investigations en neuropsychologie, en orthophonie et en ergothérapie ................. 1277 58.7.3 Investigation neurologique .............................. 1277 58.7.4 Investigation génétique .................................... 1279

58.9.5 Prévention ......................................................... 1286 58.10 Évolution et pronostic ................................................. 1287 Lectures complémentaires .................................................... 1287

L

a compréhension des troubles du spectre de l’autisme (TSA) a subi de profondes mutations depuis sa première description par Léo Kanner au milieu des années 1940. L’unité et les limites des TSA comme syndrome ont été régulièrement remises en question, et le choix du DSM-5 de supprimer les sous-groupes des troubles envahissants du développement au prot d’un « spectre autistique » unique n’est sans doute qu’une nouvelle étape dans l’évolution du concept.

58.1 Évolution du concept Les trois entités cliniques (l’autisme, le syndrome d’Asperger et le trouble envahissant du développement non spécié) qui formaient, conjointement avec le syndrome de Rett et le syndrome désintégratif, les troubles envahissants du développement dans le DSM-IV-TR, sont maintenant uniées en troubles du spectre de l’autisme (TSA), selon un mouvement amorcé en recherche depuis les années 2000 (voir le tableau 58.1). Le spectre autistique comprend donc des phénotypes d’une hétérogénéité considérable selon l’âge, l’intelligence (quotient intellectuel [QI]), le niveau de langage, les maladies associées et le niveau adaptatif. D’autres changements concernent la prévalence du spectre de l’autisme qui, dans sa dénition actuelle, représente 20 fois celle de l’autisme tel qu’il était déni il y a quelques décennies. La prévalence se trouve d’abord augmentée aux deux extrémités de la courbe d’intelligence. Une part importante de cette augmentation s’explique par l’inclusion, dans le phénotype autistique (DSM-5), d’un nombre toujours plus grand de personnes d’intelligence moyenne et d’un niveau d’adaptation proche de la normale, ce que le DSM-IV désignait sous le nom de syndrome d’Asperger, mais aussi de toute une gamme de phénotypes atténués. Les TSA incluent maintenant des personnes répondant aux critères diagnostiques comportementaux, mais qui présentent également des troubles neurodéveloppementaux bien identiés pouvant expliquer en totalité ou en partie l’origine de ce phénotype. On appelle cette partie du spectre autistique « la fraction étiologique des TSA ». Elle a pris toute son importance dans les années 1980, où on a estimé cette portion à près de la moitié des cas (Gillberg, 1990). Rutter a mené un contre-mouvement envers cette expansion du diagnostic pour réduire à 15 % la proportion des TSA associés à une maladie neurogénétique identiable. La proportion des TSA étiologiques par rapport à l’ensemble du phénotype s’est encore réduite avec l’élargissement des critères et l’inclusion dans le spectre de l’autisme de phénotypes atténués et des troubles envahissants du développement non spéciés du DSM-IV-TR. En conséquence, l’incidence des deux comorbidités neurologiques principales des TSA, la décience intellectuelle et l’épilepsie, qui s’agrègent aux troubles neurodéveloppementaux, s’est considérablement réduite en importance.

58.2 Épidémiologie En raison des redénitions diagnostiques des troubles du spectre de l’autisme (TSA), la prévalence est passée de 6 ou 7 cas pour 10 000 personnes il y a 20 ans, à 70 cas pour 10 000 personnes actuellement (Fombonne, 2009). Les estimations les plus élevées

dépassent même 1,16 % (Baird & al., 2006), voire 2,7 % (Kim & al., 2011). Une combinaison de facteurs a pu contribuer à cette hausse spectaculaire :

• l’élargissement des critères diagnostiques ; • l’utilisation d’outils d’évaluation surinclusifs ; • la vigilance accrue dans le public pour les signes précoces de cette aection ;

• la réduction progressive de sa valeur stigmatisante ; • l’avantage relatif du diagnostic d’autisme par rapport à d’autres troubles du développement pour l’obtention de services ; • l’autism business, soit la cohorte toujours plus grande de professions trouvant un intérêt nancier à l’existence de cette aection. Le rôle des facteurs environnementaux comme cause majeure de cette augmentation de prévalence a été écarté, tout au moins pour ceux ayant fait l’objet d’études, mais une augmentation de l’incidence liée à des facteurs environnementaux non spéciques, inuant par exemple sur l’intégrité gonadique des parents (âge paternel), ne peut être exclue, d’autant qu’elle serait cohérente avec la part de plus en plus grande prise par les mutations de novo (mutation survenant pour la première fois dans les gamètes d’un des deux parents lors de la conception ou le début de la division cellulaire chez la personne concernée, non présente dans sa généalogie) dans les modèles génétiques des TSA (Awadalla & al., 2010). On compte en moyenne quatre garçons pour une lle atteinte d’un TSA. Ce ratio garçon/lle diminue en présence d’une décience intellectuelle associée. À l’inverse, il augmente lorsqu’il n’y a pas de retard de développement. Bien que le diagnostic de TSA soit possible à partir du milieu de la seconde année, et parfois avant, l’âge moyen auquel il est porté est environ 4 ans. Il est plus tardif pour les formes de TSA sans retard du développemental initial, pour lesquelles il atteint presque 10 ans (Williams & al., 2008b).

58.3 Étiologies Qualiée de psychogénique jusqu’à la n des années 1960, l’étiologie des troubles du spectre de l’autisme (TSA) est maintenant considérée comme génétique. Les mécanismes génétiques supposés sont passés de l’interaction de quelques gènes à l’action possible d’une multitude de gènes, diérents selon les individus, pouvant chacun être monogénique et dont les eets convergent vers un phénotype semblable. Malgré le grand nombre de recherches sur cette aection, les TSA restent toujours uniquement dénis par leur phénotype comportemental en raison d’un manque de marqueurs cognitifs, neurofonctionnels et anatomiques ayant une spécicité raisonnable.

58.3.1 Étiologies biologiques Agrégation familiale des troubles du spectre de l’autisme Les études sur les jumeaux fournissent une preuve épidémiologique du rôle des facteurs génétiques dans les TSA. Le taux de concordance pour les jumeaux monozygotes (60 % et plus) est beaucoup plus grand que pour les jumeaux dizygotes (5 %). Cela indique une contribution génétique importante, mais l’étiologie n’est pas seulement de nature génétique, puisque le taux de

Chapitre 58

Autismes

1265

concordance chez les monozygotes n’atteint pas 100 %. Le taux de récurrence dans la fratrie non gémellaire varie de 20 à 50 % et dière selon qu’on est en présence d’un autisme sporadique ou familial, que l’enfant atteint est un garçon ou une lle, et qu’il y a un seul ou plusieurs enfants atteints. L’agrégation familiale est toutefois moins élevée pour les parents du deuxième degré. Elle est supérieure pour les patients d’intelligence dans la moyenne, ce qui peut s’expliquer par la diculté de diérencier les TSA de la décience intellectuelle grave, dont l’héritabilité est globalement inférieure à celle des TSA. Cette agrégation s’étend à l’ensemble des particularités cognitives et psychiatriques observées chez les apparentés de la personne atteinte, ou « phénotype élargi » des TSA, qui peuvent prendre diérentes formes :

• Les parents ainsi que les frères et sœurs d’une personne at-



teinte présentent fréquemment des forces ou des faiblesses cognitives, une restriction de la socialisation spontanée ou une variété des centres d’intérêt de même nature que dans les TSA, mais elles sont en général compatibles avec une vie sociale adaptée et la création d’une nouvelle famille. Dans certains cas, ce phénotype élargi est dit « fractionné », ce qui signie qu’il est constitué d’un groupe d’apparentés pourvus de forces cognitives de type autistique (comme les habiletés visuospatiales) et, pour un autre groupe, de décits en socialisation ou de langage. Les TSA sont associés à des aections psychiatriques sans relation phénotypique avec eux, comme la dépression et l’anxiété, mais qui se retrouvent avec une plus grande fréquence chez les apparentés d’une personne atteinte. Comme cette association est présente chez les ascendants aussi bien que les descendants, on peut conclure qu’elle n’est pas secondaire au vécu autistique, mais qu’elle est de nature génétique.

Mécanismes moléculaires La plupart des gènes impliqués dans les TSA ont été ciblés à partir d’études de liaisons génétiques non répliquées et ils ne produisent qu’un eet mineur. Cela a conduit les premiers généticiens des TSA à postuler une interaction entre des gènes multiples, agissant chacun avec une force mineure et comparable, qui provoquerait par sommation et eet de seuil l’émergence d’un phénotype discernable. Cependant, les synthèses récentes (Freitag & al., 2010) s’orientent vers l’implication de deux mécanismes distincts : 1. Les formes sporadiques résulteraient de mutations de novo, chacune présente dans un petit nombre de familles, selon la découverte récente des variabilités du nombre de copies (copy number variations ou CNV) dans 10 % des familles n’ayant qu’un seul membre atteint. Ces cas sporadiques, associés à des mutations ponctuelles ou à des CNV, posent toutefois le problème de leur spécicité, puisque dans la plupart des cas, il est possible de trouver des personnes porteuses de la même anomalie qui ont un tableau de décience intellectuelle non autistique et même, dans les cas de CNV, qui ont la même anomalie à un degré moindre et aucune anomalie phénotypique. Ces mutations rares, avec eet causal, agiraient donc comme facteur favorisant d’une anomalie neurodéveloppementale non spécique. Elles surviendraient spéciquement dans des zones critiques et multiples des chromosomes, en particulier les 2, 7, 15 et X. Elles seraient liées au vieillissement du matériel génétique, ce qui expliquerait la relation entre l’augmentation du risque et l’âge parental tardif.

1266

2. Certaines de ces mutations transmises aux lles, plus résistantes à leur pénétrance pour des raisons inconnues, et transmises de manière quasi dominante à leur descendance mâle, correspondraient aux formes familiales, dont la récurrence dans la fratrie est plus importante. Beaucoup des gènes mis en jeu dans les TSA sont impliqués dans la transmission synaptique ainsi que dans la programmation et le développement des réseaux neuronaux. Il pourrait y avoir convergence des eets biologiques des diérentes mutations impliquées vers une hyperplasticité synaptique, à l’origine des « surfonctionnements » autistiques (Mottron & al., 2014).

Troubles du spectre de l’autisme étiologiques et idiopathiques Le DSM-5 inclut maintenant sous une même rubrique de « troubles du spectre de l’autisme » :

• l’autisme idiopathique ou de Kanner (primaire, sans cause apparente) ;

• les TSA étiologiques (secondaires, associés à des aections neurologiques ou génétiques identiées). Aucun des cas décrits par Kanner ne comprenait de maladie neurologique associée. L’incertitude sur la parenté entre les deux formes de TSA a amené l’exclusion des TSA étiologiques des études scientiques sur ces troubles à partir des années 1990. Pourtant, le DSM-IV inscrivait l’autisme sur l’axe 1, et les maladies associées sur l’axe III. Il n’y a donc pas de critères d’exclusion ni de valeur ajoutée au diagnostic, lorsqu’il existe une atteinte neurogénétique en association avec un phénotype autistique. Cela est vrai même lorsque la prévalence de cette aection est associée plus fréquemment à un phénotype autistique que dans la population générale. La position du DSM reste ambiguë sur ce point, puisque le syndrome de Rett s’est détaché du spectre autistique dans le DSM-5, alors que d’autres entités neurogénétiques, comme le syndrome du chromosome X fragile, sont encore associées fréquemment aux TSA. La manière dont on dénit le phénotype autistique et la compréhension que l’on a des mécanismes génétiques en jeu sont reliées de façon circulaire. Une dénition large, sur une seule base phénotypique comportementale, et sans critères d’exclusion pour les formes de TSA étiologiques, implique une pluralité de mécanismes causaux hétérogènes. Au contraire, une dénition plus restrictive, qui exclut les formes de TSA étiologiques et s’appuie sur des prols cognitifs spéciques ou endophénotypes cognitifs, devrait diminuer l’hétérogénéité des mécanismes en cause. L’inclusion des formes de TSA étiologique ajoute en eet à la transmission apparemment non mendélienne des TSA idiopathiques des modes de transmission, chacun diérent, propres à une multitude de maladies monogéniques, dont la transmission obéit à des lois connues. C’est le cas de la sclérose tubéreuse de Bourneville, du syndrome du chromosome X fragile et du syndrome de Joubert. Toutefois, la découverte de l’importance considérable des mutations de novo dans les populations autistes idiopathiques indique que le phénotype autistique du DSM-5 comprend également un ensemble de syndromes génétiquement hétérogènes et dont on commence à comprendre ce qui les réunit sur le plan moléculaire. La principale diérence entre les TSA idiopathiques de causes inconnues et les TSA étiologiques de causes génétiques (connues ou inconnues) vient du

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fait que, dans le second cas, une anomalie génétique produit un syndrome malformatif distinct s’ajoutant au tableau du spectre autistique (p. ex., la microcéphalie progressive du syndrome de Rett). L’examen approfondi de la sémiologie des formes de TSA étiologiques montre qu’il est parfois possible de les distinguer, sur la base du phénotype, des TSA idiopathiques. Ainsi, les syndromes ressemblant aux TSA, mais qui sont en fait liés à la cécité, au syndrome du chromosome X fragile ou au syndrome de Rett, présentent des diérences qualitatives par rapport à l’autisme idiopathique, même s’ils répondent aux critères des TSA selon le DSM-5.

Fonction neurocognitive Les TSA consistent en une variation de l’architecture neurocognitive distribuée sur de multiples niveaux du traitement de l’information :

• Sur le plan structural microscopique, le tissu neuronal est modié dans les aires frontotemporales, surtout, où l’on note une diminution de la taille des corps cellulaires et de la distance les séparant à l’intérieur des mini-colonnes, les plus petites unités de traitement d’information corticale. • Sur le plan structural macroscopique, les diérences les plus répliquées sont la diminution de volume du corps calleux (voir les gures supplémentaires), surtout dans les sections antérieures, et l’augmentation de la vitesse de croissance du crâne et du cerveau à la n de la première année, qui tend à se stabiliser à l’âge adulte, pour ne plus concerner que des régions spéciquement impliquées dans la sémiologie autistique. • Sur le plan synaptique, dans les modèles animaux issus d’une implémentation animale des mutations associées à l’autisme étiologique, on retrouve des marqueurs d’hyperplasticité. • Sur le plan fonctionnel, on note à l’IRMf une modication de la répartition d’activité entre les aires antérieures frontales et les aires postérieures visuelles en faveur de ces dernières, lorsqu’une tâche implique de l’information visuelle. Cette caractéristique est très robuste et est indépendante de la nature spécique de la tâche, comme l’indique une méta-analyse regroupant l’ensemble des études dans lesquelles l’information était présentée visuellement (Samson & al., 2012). Elle est cohérente avec la notion d’un hyperfonctionnement perceptif généralisé, caractérisé par une augmentation de la performance perceptive et du rôle de la perception dans l’ensemble des opérations cognitives (Mottron & al., 2006). La synchronie d’activation (soit l’activation simultanée des régions corticales impliquées dans une tâche) a également fait l’objet de multiples études en IRMf, indiquant une diminution de la connectivité fonctionnelle entre les zones antérieures (frontales) et postérieures (occipitales). Cette diminution de synchronie est, contrairement à la balance d’activité antéropostérieure, limitée et variable selon les tâches. La combinaison d’une diminution de la synchronie antéropostérieure et d’une augmentation relative de la participation des aires visuelles et de la connectivité et de la variabilité à l’intérieur des aires perceptives associatives peut reéter une capacité à eectuer les tâches proposées avec une plus grande participation relative des aires visuelles (voir les gures supplémentaires) et une moins grande participation relative des aires frontales. Elle ne permet pas, pour l’instant, de conclure à une diminution de la connectivité anatomique, d’autant que

d’autres mesures, comme la cohérence du signal EEG, révèlent, à l’inverse, une plus grande cohérence antéropostérieure. Celle-ci serait toutefois vraisemblablement liée à la prédominance des aptitudes visuospatiales dans le traitement de l’information autistique, donc à la facilité aux tests visuels à l’âge adulte ainsi qu’à l’intérêt pour des stimuli visuels (p. ex., ventilateurs, roues de voitures) dans l’enfance. En raison de l’existence de signes autistiques apparemment liés à la perception des visages (diminution du temps passé à regarder les visages, focalisation des saccades oculaires sur l’ensemble du visage plutôt que sur les yeux), l’activation des aires corticales spécialisées dans le traitement des visages a été abondamment étudiée. Une diminution de l’activation du gyrus fusiforme (voir les gures supplémentaires) lors du traitement des visages a été rapportée et répliquée de façon non constante. Cette diminution paraît dépendante de la tâche, puisqu’elle se normalise si on oblige les autistes à être attentifs au visage, et de la familiarité des stimuli, puisqu’elle est normale pour les visages familiers. De plus, dans la région cérébrale inférotemporale, on distingue typiquement une aire dédiée aux visages et une aire dédiée aux objets. Dans les TSA, on observe que la réponse propre aux visages est située dans le gyrus fusiforme postéroventral, là où les personnes non atteintes manifestent une réponse propre aux objets. Une méta-analyse des diérences d’activation entre personnes atteintes et non atteintes dans les tâches de nature sociale montre une hypoactivation de l’insula antérieure droite, du cortex cingulaire antérieur, du cortex médian préfrontal et de l’amygdale (voir les gures supplémentaires) chez les personnes atteintes. Peu de résultats sont interprétables en lien avec la sémiologie langagière des TSA, sinon une hyperactivation des aires primaires auditives et une diminution de la latéralisation des structures et des mécanismes qui sont latéralisés chez la personne non autiste, mais qui ne paraît pas empêcher un usage performant du langage chez certains patients présentant un TSA. La gure 40, dans les gures supplémentaires, illustre les zones corticales d’hyper- et d’hypoactivation chez les personnes atteintes d’un TSA. La recherche sur les mécanismes neurocognitifs dans les TSA produit donc une multitude de diérences, dont le lien avec le tableau clinique et la place dans la chaîne causale aboutissant à ces troubles restent inconnus. Les TSA sont toujours dénis comme une décience sociocommunicative, mais il apparaît que l’ensemble des mécanismes cognitifs sont modiés, avec des eets parfois délétères, parfois moins marqués et parfois même avantageux :

• L’encodage de l’information perceptive élémentaire est modié, se révélant supérieur par rapport aux personnes non atteintes d’un TSA dans plusieurs opérations. • Le traitement de l’information privilégie la catégorisation perceptive à la catégorisation sémantique. • Le rôle relatif du langage et des représentations non verbales dans les opérations cognitives est moindre que chez les personnes non autistes. Ces diérences peuvent rendre l’adaptation sociale dicile pour les personnes présentant un TSA, mais elles ne donnent pourtant pas aux caractéristiques sociales des TSA un rôle particulier dans l’ensemble des diérences neurocognitives qui les caractérisent.

Chapitre 58

Autismes

1267

58.3.2 Étiologies environnementales et médicales L’existence de facteurs environnementaux est suspectée dans les TSA, tout d’abord du fait que seulement 60 % à 80 % des jumeaux monozygotes sont concordants pour ces troubles. Toutefois, la similarité du matériel génétique n’exclut pas que des jumeaux monozygotes soient ultimement diérenciés par un « eet papillon » ampliant, au cours du développement, des diérences environnementales précoces minimes. Une diérence développementale entre des monozygotes non concordants peut donc s’expliquer sans l’intervention d’un agent environnemental. Ensuite, il existe de multiples particularités du système immunitaire dans les TSA, mais dont le niveau de réplication est encore faible et sans grande application clinique. Là encore, la valeur de l’argument est faible, puisqu’il s’agit surtout de marqueurs autoimmuns, qui peuvent témoigner d’une réaction de l’organisme à une variation dans la construction du système neuronal, et non de la réaction à un agent extérieur. En revanche, une vingtaine d’études épidémiologiques ont montré que ni le vaccin combiné rubéolerougeole-oreillons, ni son solvant (le thimérosal), ni de façon générale les vaccins donnés en bas âge ne sont en cause dans l’apparition des TSA ou dans l’augmentation récente de leur prévalence. L’incidence des TSA est la même chez les personnes vaccinées que chez celles qui ne l’ont pas été. Dans le même ordre d’idées, le rôle d’une allergie aux composants lactés n’a reçu aucune conrmation scientique. Enn, des agents suspectés (p. ex., les métaux lourds) ont une véritable action neurotoxique chez l’animal, même si cette action ne permet pas de faire une analogie entre leurs eets in vitro chez l’animal et dans les TSA humains. Par exemple, les eets développementaux de l’intoxication infraclinique au plomb consistent en des atteintes cognitives prédominantes sur l’attention et la vitesse de traitement de l’information, beaucoup plus proches du syndrome d’alcoolisation fœtale que des TSA. Cette toxicité avérée sur l’animal ne permet aucune conclusion sur le rôle de ces agents dans les TSA, pas plus que sur celui des autres neurotoxiques connus comme les polychlorobiphényles (PCB), les dioxines, les pesticides et les radiations ionisantes. Malgré la récurrence de ces armations dans les médias, les données probantes sur le rôle des facteurs environnementaux dans l’apparition des TSA n’ont jamais dépassé le récit anecdotique de cas uniques, témoignant d’une simple association.

Il reste que de rares cas de tableau ressemblant aux TSA avec régression langagière importante et tardive sont liés à des maladies métaboliques : • La phénylcétonurie résulte du déficit congénital de l’en zyme responsable de la dégradation de la phénylalanine. L’accumulation de cette molécule entraîne un tableau de déficience intellectuelle et d’épilepsie qui présente des similitudes avec le phénotype autistique. Quand cette anomalie est détectée précocement, l’alimentation du nourrisson avec un lait spécial, pauvre en phénylalanine, peut prévenir la déficience intellectuelle et les troubles neurologiques. • Les troubles du métabolisme des purines produisent un phénotype ressemblant aux TSA avec décience intellectuelle et épilepsie ; ils comprennent : – le déficit en adénylosuccinase, maladie autosomique caractérisée par une accumulation de succinyl-purine ; – le décit en adénosine désaminase, immunodécience récessive autosomique grave. • De multiples affections métaboliques rares ont été décrites, incluant des déficits dans diverses étapes du métabolisme de la créatine, de la biotine (vitamine H) (associant hy potonie et troubles sensoriels), de l’acide folique (vitamine B9), de la semi-aldéhyde succinyl-déshydrogénase. Certains de ces troubles peuvent être améliorés par une diète fournissant, par apport externe, la molécule non synthétisée (p. ex., le cholestérol dans le cas du syndrome de Smith-Lemli-Opitz). • C’est aussi le cas des décits de la chaîne oxydative mitochondriale, qui seraient responsables de rares cas de tableaux autistiques avec régression et maladies physiques multiples, particulièrement intestinales.

58.4 Description clinique Dans le DSM-5, l’autisme, le syndrome d’Asperger et les troubles envahissants du développement non spéciés ont été regroupés sous la même appellation de « troubles du spectre de l’autisme (TSA) », comme mentionné dans le tableau 58.1.

TABLEAU 58.1 Critères diagnostiques du trouble du spectre de l’autisme

DSM-5 299.00 (F84.0) Trouble du spectre de l’autisme

DSM-IV-TR Trouble autistique

DSM-IV-TR Syndrome d’Asperger

A. Décits persistants de la communication et des A. Un total de six (ou plus) parmi les éléments décrits en interactions sociales observés dans des contextes (1), (2) et (3), dont au moins deux de (1), un de variés. Ceux-ci peuvent se manifester par les élé(2) et un de (3) : ments suivants, soit au cours de la période actuelle, soit dans les antécédents (les exemples sont illustratifs et non exhaustifs ; se référer au texte) : 1. Décits de la réciprocité sociale ou émotionnelle (1) Altération qualitative des interactions sociales, A. Idem à DSM-IV-TR. allant, par exemple, d’anomalies de l’approche comme en témoignent au moins deux des éléments sociale et d’une incapacité à la conversation bidisuivants : rectionnelle normale, à des difcultés à partager (d) manque de réciprocité sociale ou émotionnelle ; (4) Idem à DSM-IV-TR. les intérêts, les émotions et les affects, jusqu’à une incapacité à initier des interactions sociales ou d’y répondre.

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TABLEAU 58.1 Critères diagnostiques du trouble du spectre de l’autisme (suite)

DSM-5 299.00 (F84.0) Trouble du spectre de l’autisme 2. Décits des comportements de communication non verbaux utilisés au cours des interactions sociales, allant, par exemple, d’une intégration défectueuse entre la communication verbale et non verbale, à des anomalies du contact visuel et du langage du corps, à des décits dans la compréhension et l’utilisation des gestes, jusqu’à une absence totale d’expressions faciales et de communication non verbale. 3. Décits du développement, du maintien et de la compréhension des relations, allant, par exemple, de difcultés à ajuster le comportement à des contextes sociaux variés, à des difcultés à partager des jeux imaginatifs ou à se faire des amis, jusqu’à l’absence d’intérêt pour les pairs.

DSM-IV-TR

DSM-IV-TR Trouble autistique

Syndrome d’Asperger

(a) altération marquée dans l’utilisation, pour réguler les interactions sociales, de comportements non verbaux multiples, tels que le contact oculaire, la mimique faciale, les postures corporelles, les gestes ;

(1) Idem à DSM-IV-TR.

(b) incapacité à établir des relations sociales avec les pairs correspondant au niveau du développement ; (c) le sujet ne cherche pas spontanément à partager ses plaisirs, ses intérêts ou ses réussites avec d’autres personnes (p. ex., il ne cherche pas à montrer, à désigner du doigt ou à apporter les objets qui l’intéressent) ;

(2) Idem à DSM-IV-TR.

Spécier la sévérité actuelle : La sévérité repose sur l’importance des décits de communication sociale et des modes comportementaux restreints et répétitifs (voir DSM-5, p. 58 ) • Nécessitant une aide très importante • Nécessitant une aide importante • Nécessitant de l’aide] (2) altération qualitative de la communication, comme en témoigne au moins un des éléments suivants : (a) retard ou absence totale de développement du langage parlé (sans tentative de compensation par d’autres modes de communication, comme le geste ou la mimique) ; (b) chez les sujets maîtrisant sufsamment le langage, incapacité marquée à engager ou à soutenir une conversation avec autrui ; (c) usage stéréotypé et répétitif du langage, ou langage idiosyncrasique ; (d) absence d’un jeu de « faire semblant » varié et spontané, ou d’un jeu d’imitation sociale correspondant au niveau du développement ; B. Caractère restreint et répétitif des comportements, des intérêts ou des activités, comme en témoignent au moins deux des éléments suivants soit au cours de la période actuelle soit dans les antécédents (les exemples sont illustratifs et non exhaustifs ; se référer au texte) : 1. Caractère stéréotypé ou répétitif des mouvements, de l’utilisation des objets ou du langage (p. ex. stéréotypies motrices simples, activités d’alignement des jouets ou de rotation des objets, écholalie, phrases idiosyncrasiques). 2. Intolérance au changement, adhésion inexible à des routines ou à des modes comportementaux verbaux ou non verbaux ritualisés (p. ex. détresse extrême provoquée par des changements mineurs, difculté à gérer les transitions, modes de pensée rigides, ritualisation des formules de salutation, nécessité de prendre le même chemin ou de manger les mêmes aliments tous les jours).

(3) Caractère restreint, répétitif et stéréotypé des comportements, des intérêts et des activités, comme en témoigne au moins un des éléments suivants :

B. Idem à DSM-IV-TR.

c) maniérismes moteurs stéréotypés et répétitifs (p. ex., battements ou torsions des mains ou des doigts, mouvements complexes de tout le corps) ;

(3) Idem à DSM-IV-TR.

b) adhésion apparemment inexible à des habitudes ou à des rituels spéciques et non fonctionnels ;

(2) Idem à DSM-IV-TR.

Chapitre 58

Autismes

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TABLEAU 58.1 Critères diagnostiques du trouble du spectre de l’autisme (suite)

DSM-5 299.00 (F84.0) Trouble du spectre de l’autisme 3. Intérêts extrêmement restreints et xes, anormaux soit dans leur intensité, soit dans leur but (p. ex. attachement à des objets insolites ou préoccupations à propos de ce type d’objets, intérêts excessivement circonscrits ou persévérants). 4. Hyper ou hyporéactivité aux stimulations sensorielles ou intérêt inhabituel pour les aspects sensoriels de l’environnement (p. ex. indifférence apparente à la douleur ou à la température, réactions négatives à des sons ou à des textures spéciques, actions de airer ou de toucher excessivement les objets, fascination visuelle pour les lumières ou les mouvements).

DSM-IV-TR

DSM-IV-TR Trouble autistique

Syndrome d’Asperger

a) préoccupation circonscrite à un ou plusieurs centres d’intérêt stéréotypés et restreints, anormale soit dans son intensité, soit dans son orientation ; d) préoccupations persistantes pour certaines parties des objets ;

(1) Idem à DSM-IV-TR. (4) Idem à DSM-IV-TR.

Spécier la sévérité actuelle : La sévérité repose sur l’importance des décits de communication sociale et des modes comportementaux restreints et répétitifs (voir DSM-5, p. 58 ) • Nécessitant une aide très importante • Nécessitant une aide importante • Nécessitant de l’aide] C. Les symptômes doivent être présents dès les étapes B. Retard ou caractère anormal du fonctionnement, précoces du développement (mais ils ne sont pas débutant avant l’âge de 3 ans, dans au moins un des nécessairement pleinement manifestes avant que les domaines suivants : demandes sociales n’excèdent les capacités limitées (1) interactions sociales ; de la personne, ou ils peuvent être masqués plus (2) langage nécessaire à la communication sociale ; tard dans la vie par des stratégies apprises). (3) jeu symbolique ou d’imagination. D. Les symptômes occasionnent un retentissement cliniquement signicatif en termes de fonctionnement social, scolaire/professionnel ou dans d’autres domaines importants.

C. Idem à DSM-5.

D. Il n’existe pas de retard général du langage signicatif sur le plan clinique (p. ex., le sujet a utilisé des mots isolés vers l’âge de 2 ans et des phrases à valeur de communication vers l’âge de 3 ans). E. Au cours de l’enfance, il n’y a pas eu de retard signicatif sur le plan clinique dans le développement cognitif ni dans le développement, en fonction de l’âge, des capacités d’autonomie, du comportement adaptatif (sauf dans le domaine de l’interaction sociale) et de la curiosité pour l’environnement. E. Ces troubles ne sont pas mieux expliqués par un handicap intellectuel (trouble du développement intellectuel) ou un retard global du développement. La décience intellectuelle et le trouble du spectre de l’autisme sont fréquemment associés. Pour permettre un diagnostic de comorbidité entre trouble du spectre de l’autisme et un handicap intellectuel, l’altération de la communication sociale doit être supérieure à ce qui serait attendu pour le niveau de développement général.

1270

C. La perturbation n’est pas mieux expliquée par le diagnostic de syndrome de Rett ou de Trouble désintégratif de l’enfance.

F. Le trouble ne répond pas aux critères d’un autre Trouble envahissant du développement spécique ni à ceux d’une Schizophrénie.

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TABLEAU 58.1 Critères diagnostiques du trouble du spectre de l’autisme (suite)

DSM-5 299.00 (F84.0) Trouble du spectre de l’autisme

DSM-IV-TR Trouble autistique

DSM-IV-TR Syndrome d’Asperger

Spécier si : Avec ou sans décience intellectuelle associée Avec ou sans altération du langage associée Associé à une pathologie médicale ou génétique connue ou à un facteur environnemental Associé à un autre trouble développemental, mental ou comportemental Avec catatonie Sources : APA (2015), p. 55-57 ; APA (2004), p. 87-88, 98-99. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS.Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

Les critères de la catatonie sont présentés en détail au chapitre 28, à la sous-section 28.3.1. Quant au syndrome de Rett, le DSM-IV en fournissait également les critères diagnostiques (voir l’encadré 58.1). Le DSM-IV-TR proposait aussi une série de critères diagnostiques pour le trouble désintégratif de l’enfance (voir l’encadré 58.2).

58.5 Variété diagnostique Dans le DSM-5, la catégorie unique du spectre autistique est à préciser selon des modificateurs (clinical specifiers), c’est-à-dire des dimensions dont la variation modifie la

ENCADRÉ 58.1 Critères diagnostiques du syndrome de Rett DSM-IV-TR 299.80 (F84.2) Syndrome de Rett A. Présence de tous les éléments suivants : (1) développement prénatal et périnatal apparemment normal ; (2) développement psychomoteur apparemment normal pendant les 5 premiers mois après la naissance ; (3) périmètre crânien normal à la naissance. B. Survenue, après la période initiale de développement normal, de tous les éléments suivants : (1) décélération de la croissance crânienne entre 5 et 48 mois ; (2) entre 5 et 30 mois, perte des compétences manuelles intentionnelles acquises antérieurement, suivie de l’apparition de mouvements stéréotypés des mains (p. ex., torsion des mains ou lavage des mains) ; (3) perte de la socialisation dans la phase précoce de la maladie (bien que certaines formes d’interaction sociale puissent se développer ultérieurement) ; (4) apparition d’une incoordination de la marche ou des mouvements du tronc ; (5) altération grave du développement du langage de type expressif et réceptif, associée à un retard psychomoteur sévère. Source : APA (2004), p. 90. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

présentation clinique sans en altérer le diagnostic catégoriel. Ces modificateurs sont : • l’âge ; • l’intelligence ; • le niveau de langage ; • les aections médicales associées. ENCADRÉ 58.2 Critères diagnostiques du trouble désintégratif

de l’enfance

DSM-IV-TR 299.10 (F84.3) Trouble désintégratif de l’enfance A. Développement apparemment normal pendant les deux premières années de la vie au moins, comme en témoigne la présence d’acquisitions en rapport avec l’âge dans le domaine de la communication verbale et non verbale, des relations sociales, du jeu et du comportement adaptatif. B. Perte cliniquement signicative, avant l’âge de 10 ans, des acquisitions préalables dans au moins deux des domaines suivants : (1) langage de type expressif ou réceptif ; (2) compétences sociales ou comportement adaptatif ; (3) contrôle sphinctérien, vésical ou anal ; (4) jeu ; (5) habiletés motrices. C. Caractère anormal du fonctionnement dans au moins deux des domaines suivants : (1) altération qualitative des interactions sociales (p. ex., altération des comportements non verbaux, incapacité à établir des relations avec les pairs, absence de réciprocité sociale ou émotionnelle) ; (2) altération qualitative de la communication (p. ex., retard ou absence du langage parlé, incapacité à engager ou à soutenir une conversation, utilisation du langage sur un mode stéréotypé et répétitif, absence d’un jeu diversié de « faire semblant ») ; (3) caractère restreint, répétitif et stéréotypé des comportements, des intérêts et des activités, avec stéréotypies motrices et maniérismes. D. La perturbation n’est pas mieux expliquée par un autre trouble envahissant du développement spécique ni par une schizophrénie. Source : APA (2004), p. 92-93. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

Chapitre 58

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Les spécicateurs sont des dimensions modulant le tableau autistique prototypique qui permettent de personnaliser le diagnostic, en raison de la très grande variété phénotypique de l’autisme.

58.5.1 Décience intellectuelle La présence d’une fraction signicative, et peut-être dominante, de cas de troubles du spectre autistique (TSA) sans syndrome neurologique identiable et possédant une intelligence dans la moyenne indique que la décience intellectuelle n’est pas intrinsèque à ce trouble. Toutefois, diagnostic et mesures réadaptatives doivent intégrer la grande variation des niveaux d’intelligence observés dans le phénotype autistique. On ne peut considérer comme complète une évaluation qui ne statue pas sur ce point. Les questions relatives à l’intelligence auxquelles l’évaluation doit répondre sont les suivantes : • Quel est le niveau d’intelligence (le QI) ? • Ce niveau est-il dépendant des tests utilisés ? • Ces tests mesurent-ils l’intelligence uide (indépendante de l’éducation et de la culture) ou dépendent-ils du niveau de langage ? • Le niveau du QI sut-il à expliquer les signes du TSA ? S’il ne sut pas à les expliquer, en quoi les modient-ils ? Les TSA n’étaient pas initialement liés à la décience intellectuelle, puisque Kanner soulignait que de multiples indices d’une intelligence active coexistaient avec les signes autistiques. La notion de décience intellectuelle dans les TSA s’est pourtant imposée au cours des années 1970 par deux courants : • celui de Gillberg, qui a fait l’inventaire des maladies génétiques « associées » aux TSA ; • celui de Rutter, qui a montré les résultats faibles des personnes autistes au test de Wechsler dans la majorité des cas. Ces deux positions sont actuellement largement remises en question. D’une part, le fait de trouver une anomalie neurogénétique en présence d’un tableau autistique produisant une décience intellectuelle peut aussi être interprété comme la production d’une copie du phénotype (phénocopie) des TSA par cette anomalie génétique. Les tableaux cliniques produits par ces anomalies sont peu distinguables des TSA du fait que des signes négatifs (privation d’une fonction, p. ex., limitation de la socialisation) peuvent avoir de multiples causes pour un résultat voisin (Moss & Howlin, 2009). D’autre part, la limitation des performances cognitives à des tests utilisant largement le langage, ou qui supposent une bonne adaptation à la situation de test, peut être liée à d’autres causes que la décience intellectuelle qu’on cherche à mesurer (Dawson & al., 2007). Chaque signe doit être évalué en fonction de son atypie pour un âge de développement et un niveau d’intelligence donnés. La présence d’un signe, particulièrement d’un signe négatif (l’absence d’un comportement normalement présent à un certain âge et dans une certaine situation), signie que l’absence d’un comportement typique ne peut s’expliquer par le niveau de développement ou d’intelligence de la personne. Dans une situation idéale, on peut donc distinguer l’eet respectif d’une décience intellectuelle et d’un syndrome autistique dans la production d’un symptôme. En pratique, plus on s’approche de la décience intellectuelle et plus cette distinction est dicile à établir. En eet, les multiples tableaux de la décience intellectuelle peuvent comprendre aussi une diminution de la motivation ou une torpeur qui ralentissent les initiatives sociales. Par exemple, la capacité d’élaborer sur

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la verbalisation d’autrui est quantitativement réduite par la décience intellectuelle. Elle peut aussi se trouver gravement limitée par une humeur maussade ou une comorbidité psychiatrique autre, de manière peu distinguable des TSA. Les tableaux de la décience intellectuelle sont présentés en détail au chapitre 57 (voir le tableau 57.3). Le niveau de décience intellectuelle associé aux TSA dénit classiquement les tableaux de TSA de bas niveau (avec décience intellectuelle et langage peu ou pas développé) versus de haut niveau (sans décience intellectuelle). Cette distinction repose cependant sur des bases incertaines, parce que des scores sur le plan de la décience intellectuelle dans les TSA peuvent correspondre à plusieurs situations hétérogènes et se diérencier par autre chose que le niveau d’intelligence : • Certaines personnes qui présentent un décit intellectuel apparent ont quand même un QI non verbal dans la moyenne, ce qui indique que des dicultés dans l’expression orale ou le langage jouent un rôle important dans l’appréciation de leur compétence intellectuelle. • Chez d’autres personnes présentant un TSA avec décience intellectuelle à l’âge adulte, cette décience peut provenir de l’eet à long terme d’une limitation dans l’accès à l’information, analogue à celle de sourds-muets n’ayant pas eu accès au langage des signes. • Des personnes atteintes d’un TSA avec décience intellectuelle peuvent également sourir d’une véritable limitation cognitive ayant un rapport génétique ou physiopathologique avec le TSA, c’est-à-dire chez qui on suspecte que la limitation intellectuelle et les signes du TSA partagent une étiologie commune.

58.5.2 Âge et transformations développementales Le tableau clinique des TSA évolue considérablement au cours du développement, d’une façon parfois prévisible, parfois tout à fait imprévisible. La première transformation développementale est l’apparition même du tableau autistique à partir d’un tableau généralement typique entre la n de la première année et la n de la deuxième année de vie. Dans les cas de TSA étiologique, des signes de retard développemental peuvent être présents avant cet âge, en particulier le retard à la station assise ou à la marche. L’apparition des premiers signes est précédée d’une accélération de la croissance crânienne, qui, de légèrement inférieure à la moyenne, devient supérieure à la moyenne au 90e percentile. La macrocéphalie, au moins lorsqu’elle subsiste à l’âge adulte, est associée au prol cognitif typique des TSA avec des pics d’habiletés visuospatiales. L’apparition d’un tableau de TSA vers l’âge de 14 à 16 mois peut être associée, dans le quart des cas environ, à une régression, généralement peu marquée, des habiletés sociales et communicatives (p. ex., l’arrêt de l’utilisation spontanée des quelques mots/phrases que l’enfant maîtrisait). À l’âge adulte, les signes sociocommunicatifs (p. ex., évitement du regard) deviennent de moins en moins atypiques, d’autant plus quand le QI est élevé. Les champs d’intérêt restreints et accaparants persistent, voire s’accentuent avec l’âge. Cela est aussi vrai pour les rituels considérés comme gênants par les autres que pour les aspects pouvant avoir une valeur adaptative, comme les pics d’habiletés visuospatiales ou les connaissances

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encyclopédiques. L’hypersensibilité perceptive (hyperréactivité au bruit) et la recherche sensorielle atypique (effectuer des mouvements de pendule, se placer devant un ventilateur) augmentent généralement jusqu’à l’âge de 6 à 9 ans pour souvent diminuer par la suite. Le rôle des interventions thérapeutiques dans ces transformations est encore inconnu, mais probablement minime (Fecteau & al., 2003 ; Warren & al., 2011). Compte tenu de l’importance de l’apprentissage autodidacte dans les TSA, il est probable que le pronostic adaptatif soit très dépendant des conditions plus ou moins favorables d’accès à l’information (p. ex., livres, tablettes numériques). Dans environ un cas sur dix, on observe même une disparition de la majorité des signes autistiques comportementaux, amenant alors une modication diagnostique.

58.5.3 Dysphasie non autistique Il existe une variété extrême de niveaux et d’usages du langage dans le spectre autistique, aussi bien au début du développement qu’à l’âge adulte. Le DSM-IV-TR distinguait deux sous-types cliniques de TSA parmi les personnes présentant une atteinte des comportements sociaux ainsi que des comportements répétitifs, et un développement morphosyntaxique normal à l’âge adulte, l’un s’étant développé en retard (autisme) et l’autre normalement (Asperger). Actuellement, dans le DSM-5, le niveau de langage ne sert pas à distinguer diérents sous-types diagnostiques de TSA, mais fait l’objet d’un spécicateur clinique. Il faut toutefois diérencier, à l’intérieur du groupe des TSA, les cas suivants : • le langage oral diéré (l’enfant ne parle pas) ; • le langage autistique (l’enfant parle, mais utilise l’écholalie et le langage stéréotypé) ; • le langage à la fois de type autistique (écholalie) et de type dysphasique (anomalies phonologiques, lexicales et syntaxiques) ; • le langage normal pour les aspects syntaxiques et lexicaux, mais atypique pour les aspects prosodiques et pragmatiques. Il existe enn des interactions complexes entre niveau de langage et intelligence. Il faut aussi faire une distinction entre niveau de parole et compétence langagière, puisque certaines personnes atteintes d’un TSA peuvent lire ou comprendre les énoncés qui leur sont adressés, mais n’ont pas de langage oral spontané. Malgré la fréquence de la cooccurrence TSA/dysphasie, un diagnostic diérentiel entre ces deux entités est possible dans les cas où la dysphasie existe isolément, mais il est dicile, et d’autant plus dicile qu’on tente de faire tôt le développement. Les enfants porteurs d’une dysphasie développementale présentent en eet un niveau de signes autistiques plus important qu’une population témoin même s’il reste moins important que chez les personnes atteintes d’un TSA (Williams & al., 2008a). Lorsque le diagnostic diérentiel est délicat, on recherche, pour conrmer le diagnostic de TSA : • une force relative en lecture et en vocabulaire ; • un langage utilisant précocement de longues phrases ; • un décit en compréhension du langage oral (Charman & al., 2003) ; • une dissociation entre un niveau normal de permanence de l’objet (l’enfant peut se représenter mentalement un objet disparu de son regard) et un bas niveau de jeu symbolique

(il ne peut pas utiliser un objet pour une fonction autre que celle pour laquelle il est naturellement destiné, comme utiliser une poupée pour représenter sa mère, une poupée n’étant toujours qu’une poupée). Le groupe TSA avec dysphasie ne présente pas plus de signes autistiques ni des signes plus prononcés que les TSA sans dysphasie, mais entraîne un niveau d’adaptation moins bon. Dans les cas où il n’y a pas lieu de porter un diagnostic diérentiel entre TSA et dysphasie, il convient alors de déterminer l’inuence séparée et interactive de ces deux aections sur l’adaptation. Ainsi, il faut distinguer l’impact néfaste d’une dysphasie pure sur l’adaptation scolaire de celui lié à une diminution de l’intérêt pour la socialisation dans le cas des TSA dysphasiques.

Troubles du spectre de l’autisme idiopathiques prototypiques C’est dans ce groupe qu’on retrouve les formes de langage les plus spéciques des TSA : • l’écholalie diérée (reprise verbatim d’une phrase entendue quelque temps après son émission) ; • le langage stéréotypé (utilisation d’une phrase ou d’une locution tout à fait identique dans des contextes diérents) ; • l’inversion pronominale (utilisation du « tu », du « il », à la place du « je »). Ces trois signes sont relativement spéciques des TSA lorsqu’ils surviennent après un quasi-mutisme avant l’âge de 3 ans et en présence d’une intelligence non verbale dans la moyenne. Ils tendent à s’estomper à l’âge scolaire, mais dans 10 % des cas de TSA prototypiques, les personnes restent toute leur vie à ce niveau de langage dit non fonctionnel. Le comblement du retard se fait parfois en faveur du langage écrit, donnant naissance à des tableaux de TSA avec une réduction majeure du langage oral, mais une bonne compétence langagière écrite. Au cours du développement, ce groupe tend à voir s’accroître la dissociation entre le langage oral, qui stagne, et les compétences non verbales, qui progressent (Joseph & al., 2002).

Troubles du spectre de l’autisme avec dysphasie Un sous-groupe de personnes atteintes d’un TSA (de 40 à 60 % en début de vie) présente un décit morphosyntaxique en production (une altération de la forme des mots et de la construction de la phrase), qui diminue notablement entre la période préscolaire et l’âge adulte. On observe donc, dans ce sous-groupe, une simplication et une déformation morphosyntaxiques, identiques à ce qu’on trouve dans toutes les dysphasies, avec un décit dans la maîtrise des marqueurs syntaxiques comme les mots de liaison (p. ex., « veux jus ») (Kjelgaard & Tager-Flusberg, 2001). Il faut distinguer les cas où la dysphasie survient en présence d’un QI non verbal dans la moyenne, de ceux pour qui l’atteinte morphosyntaxique survient en présence d’une décience intellectuelle plus grave, aectant l’ensemble de la cognition. Dans ce dernier cas, l’atteinte phonologique (prononciation et articulation des mots) est quasi constante et on ne retrouve pas les forces relatives autistiques (p. ex., visuospatiales). Il ne s’agit pas alors d’une simple dysphasie (une atteinte du langage non reliée au niveau intellectuel), mais d’une atteinte langagière associée au niveau du QI.

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Troubles du spectre de l’autisme avec langage précoce Les enfants qui manifestent des signes de TSA vers l’âge de 4 ou 5 ans, tout en ayant présenté un développement du langage précoce, correspondent en grande partie à l’entité « syndrome d’Asperger » du DSM-IV-TR. Cette entité n’a pas été retenue dans le DSM-5 parce que les critères biologiques, comportementaux et sémiologiques qui la distinguent des TSA ne font pas l’unanimité. La grande majorité (80 %) des enfants de ce type présentent, à l’âge adulte, un tableau d’intelligence verbale et non verbale dans la moyenne, associé à la présence de signes qui ne se retrouvent pas dans les TSA avec retard de langage : • absence de pics d’habiletés visuospatiales (p. ex., bloc à dessin du Wechsler) ; • absence de signes à base perceptive (p. ex., explorations visuelles comme l’agitation des doigts devant les yeux) ; • maladresse motrice (p. ex., incapacité à faire du vélo avant l’âge de 10 à 12 ans) ; • langage « pédant » hypergrammatical (p. ex., absence de québécismes ou de contractions). Toutefois, une partie de ces patients présentent un tableau autistique typique, avec écholalie immédiate et diérée au moins transitoire, mais avec début du langage à un âge normal. Le retard de langage permet donc de distinguer les TSA d’autres pathologies, lorsqu’il faut poser un diagnostic à l’âge adulte, mais on peut quand même porter un diagnostic de TSA en l’absence de ce symptôme (Boucher, 2012).

Langage autistique en lien avec l’intelligence Les dicultés que les personnes atteintes d’un TSA éprouvent en compréhension du langage oral interfèrent avec l’évaluation de leur intelligence et, de façon générale, avec leur adaptation sociale. Ainsi, si leur niveau de vocabulaire est un bon prédicteur de leur capacité à percevoir les intentions d’autrui (théorie de l’esprit), il est tout à fait indépendant de leur intelligence uide. Le niveau de langage est en eet indépendant du QI non verbal dans les TSA (Kjelgaard & Tager-Flusberg, 2001), a fortiori lorsqu’il est mesuré par les matrices de Raven (Dawson & al., 2007). Il inuence toutefois négativement les performances aux épreuves d’intelligence mesurée par les sous-tests de QI verbal du Wechsler. Pour la même raison, le niveau de langage à l’âge scolaire prédit le niveau d’adaptation qui sera atteint à l’âge adulte. Il existe également une dissociation entre la maîtrise de la syntaxe, des capacités de lecture et de l’aspect informationnel du langage, et la maîtrise de l’utilisation sociale du langage. La diculté de percevoir les nuances de l’interaction sociale culmine dans l’incompréhension des demandes implicites comme les requêtes indirectes, par exemple la mère disant à son ls « Ce serait bien que la cuisine soit propre quand je vais rentrer ce soir. » en espérant qu’il saisisse l’incitation à faire le ménage. Mais il n’a pas la capacité de comprendre la demande implicite qui découle d’une allusion. Il vaut mieux donner des directives gentiment : « Cet avant-midi, j’aimerais bien que tu fasses la vaisselle. » La syntaxe, le vocabulaire et l’usage technique du langage sont généralement conservés dans les TSA (sauf dans le sous-groupe qui présente également une dysphasie), mais la pragmatique langagière (l’ensemble des eets produits par les actes de parole, par opposition aux aspects phonologiques, syntaxiques

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et sémantiques du langage) est touchée. Les personnes présentant un TSA commettent des « fautes conversationnelles » ; elles ne comprennent pas les règles implicites de la conversation régissant le partage de l’information, particulièrement en ce qui concerne : • le niveau de détails à mentionner ; • les attentes, le questionnement de l’interlocuteur ; • la synchronie entre la communication verbale et non verbale. Ces particularités subsistent à l’âge adulte et sont peu modiées par une approche psychoéducative.

Comorbidité Dans chaque situation de comorbidité, le médecin doit tenter de comprendre le rôle respectif des deux aections dans les signes observés. Il ne faut pas s’attendre à ce que ces signes soient présents sous une forme qui permette de les attribuer aisément à l’une ou l’autre des aections comorbides. Par exemple, quand le TSA est suspecté en présence de cécité, il faut discriminer si les comportements récurrents observés ont une similarité avec les mouvements répétitifs des personnes aveugles non atteintes d’un TSA ou avec les stéréotypies gestuelles des personnes atteintes d’un TSA (p. ex., leur lien avec des émotions joyeuses ou non, leur évolution développementale). La décience intellectuelle associée au chromosome X fragile doit être interprétée selon qu’elle s’apparente à celle des personnes présentant cette aection sans TSA ou à celle des personnes présentant un TSA typique. Ce questionnement peut conduire à mettre en doute un diagnostic de TSA au nom d’un « principe d’économie » quand l’aection médicale ou la comorbidité psychiatrique peut sure, à elle seule, à produire les signes observés. Un cas particulier d’aection associée aux TSA est celui de l’épilepsie, dont la prévalence varie de 5 à 40 % selon les échantillons d’études. La prévalence de l’épilepsie, comme le sexe-ratio en faveur des garçons, dière considérablement selon qu’on est en présence d’un TSA primaire idiopathique ou d’un TSA étiologique. Il n’y a d’ailleurs pas de données sur la prévalence de l’épilepsie dans les TSA primaires sans décience intellectuelle. Les chires rapportés classiquement représentent donc une surestimation et caractérisent au mieux les TSA étiologiques, dans lesquels l’épilepsie est beaucoup plus fréquente, comme la décience intellectuelle, et est fréquemment associée à la microcéphalie. De même, la notion classique de deux pics de survenue de l’épilepsie, à l’enfance et à l’adolescence, doit être relativisée en raison de l’existence de pics similaires dans la population générale. Il est donc essentiel de ne pas attribuer automatiquement l’épilepsie à un TSA et d’y rechercher une cause propre lorsqu’elle survient dans un tableau autistique. Pour la même raison, le lien entre régression comportementale et épilepsie est complexe, ce qui fait qu’il doit être interprété selon chaque situation. La régression autistique typique (perte de quelques mots au cours de la deuxième année de vie) n’est pas associée à une comitialité ou à des marqueurs EEG particuliers. Il existe cependant des tableaux spéciques de comitialité grave ou d’EEG anormal associés à des régressions à diérents âges. Par exemple, le syndrome de West (spasmes observés chez le nourrisson de 3 à 9 mois) ou le syndrome de Landau-Klener (aphasie infantile acquise ou aphasie épileptique chez l’enfant de 3 à 7 ans) représentent des diagnostics diérentiels ou des comorbidités de TSA étiologiques.

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58.6 Évaluation Qu’il s’agisse d’un enfant, d’un adolescent ou d’un adulte, le processus d’évaluation est identique quand on suspecte un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Il comporte une entrevue et un examen psychiatrique général, requis pour le diagnostic diérentiel et la comorbidité, et un entretien/examen ciblé comportant une recherche explicite des critères de TSA du DSM-5, tous deux essentiels à l’établissement du diagnostic. L’entretien/examen ciblé peut-être pratiqué avec ou sans outils standardisés, mais ces derniers ajoutent à la standardisation, à l’exhaustivité et à la nesse clinique. Dans la majorité des cas, un diagnostic d’exclusion de TSA peut être porté par un psychiatre sans le recours aux outils standardisés, particulièrement s’il a confronté le diagnostic de TSA aux diagnostics psychiatriques diérentiels qui se posent dans la situation considérée. En revanche, il est déconseillé de poser un diagnostic au moyen de ces seuls outils ; ils ne comportent pas de diagnostic diérentiel ni d’évaluation des spécicateurs et n’ont pas été conçus pour être utilisés seuls. On complète l’évaluation par une caractérisation du niveau développemental dans les domaines cognitif, langagier et moteur en procédant à des évaluations en neuropsychologie, en orthophonie et en ergothérapie. En somme, le psychiatre établit son diagnostic à partir de son évaluation, des résultats aux outils standardisés (voir l’ADI-R et l’ADOS-G, à la sous-section 58.7.1) et de l’investigation multidisciplinaire, et non en fonction des seuls instruments standardisés. L’examen clinique propre aux TSA recherche les signes énumérés dans le DSM-5 à partir des mêmes questions et des mêmes situations que les outils standardisés. L’interprétation de chaque signe comme faisant partie d’un TSA ou d’une autre entité clinique permet d’élaborer le diagnostic diérentiel ou l’établissement d’une comorbidité.

58.6.1 Communication sociale et langage Le médecin observe si les vocalisations sont dirigées vers un interlocuteur ou si elles sont émises en dehors d’un contexte de communication. Deux aspects du pointage sont examinés : • le « comment » : s’il est conjugué ou non à d’autres modes de communication, comme les vocalisations et le contact visuel ; • le « pourquoi » : s’il sert seulement à faire des demandes (pointage impératif), ou s’il sert aussi à attirer l’attention de l’interlocuteur an de partager un intérêt (pointage protodéclaratif ). On cherche également à évaluer si le patient utilise des gestes descriptifs (p. ex., écartement des mains indiquant la taille d’un objet) ou emphatiques (p. ex., ouverture des avant-bras exprimant l’étonnement), eux aussi intégrés aux autres modes de communication. De plus, on évalue l’intonation, le rythme, la uidité, le volume de la parole ou des vocalisations. On recherche la présence d’écholalie immédiate (répétition immédiate des mots entendus) ainsi que d’écholalie diérée (répétition des mots entendus il y a longtemps). La présence d’écholalie diérée est une phase développementale du langage dans les TSA qui précède souvent l’acquisition du langage usuel. Bien que très indicative d’un TSA, elle est sans doute signe de bon pronostic adaptatif pour ce qui

est du niveau de langage atteint à l’âge adulte. Les particularités langagières les plus typiques des TSA comprennent : • les néologismes ; • les inversions pronominales, la confusion entre les pronoms je et tu (p. ex., dire « il veut de l’eau » lorsqu’on a soif ) ; • les utilisations stéréotypées de formulations littéraires ou livresques (« Puis-je prendre place ? » plutôt que « Est-ce que je peux m’assoir ? ») ; • un vocabulaire châtié ou hyperspécique chez un patient peu exposé culturellement à ce vocabulaire (« toboggan » pour traîneau) ; • l’utilisation d’une partie du corps de l’autre dans un but de communication (p. ex., prendre la main de l’adulte et la poser sur un téléphone ou un couvercle). L’examen de la communication et du langage tente de séparer un trouble ou retard du développement du langage non autistique (la morphologie des mots et la syntaxe des phrases) de l’utilisation autistique du langage, bien que les deux puissent coexister chez un tiers des personnes atteintes d’un TSA. Le médecin évalue également les capacités d’échange discursif, dont les personnes atteintes sont généralement dépourvues : converser de manière uide, développer ses réponses, poursuivre spontanément l’échange dans un style conversationnel plutôt que d’adopter un style d’entrevue de type questionnaire, tenter de réparer les bris de communication.

58.6.2 Socialisation réciproque La socialisation réciproque est examinée par les indicateurs non verbaux de contact, par les ouvertures sociales (p. ex., le sourire d’accueil) et la réponse à celles-ci (p. ex., un sourire en réponse à un sourire), et par l’interrogatoire sur la socialisation eective et les centres d’intérêt du patient (p. ex., la description de ses relations d’amitié). Ces indicateurs non verbaux de socialisation renseignent sur l’intégration des diérents modes de communication (vocalisation, contact visuel, gestuelle) destinés à montrer, demander, commenter ou donner. On vérie si le contact visuel est intégré aux autres modes de communication, s’il est fuyant ou trop insistant, s’il s’améliore en cours d’entrevue (comme dans l’anxiété sociale) ou s’il garde la même atypie pendant l’ensemble de l’entrevue. On est attentif dès les premiers contacts à la présence d’un sourire à l’approche sociale et d’un sourire en réponse à un sourire. On évalue si les expressions faciales sont variées, dirigées vers le médecin, ainsi que congruentes avec les situations et les contenus du discours. Le médecin cherche à savoir si l’enfant maîtrise l’attention conjointe, c’est-à-dire s’il dirige son regard là où l’examinateur regarde, s’il indique, par son regard, l’objet de son intérêt et s’il eectue des va-et-vient entre L’objet et les yeux du médecin. Chez le jeune enfant, on cherche aussi à savoir si l’on peut attirer son attention par l’appel de son prénom. L’aspect social des émotions est indiqué par le partage spontané du plaisir avec l’évaluateur, qui se manifeste par l’orientation du regard et des mimiques vers l’autre dans un moment émotionnel joyeux. À l’opposé, les personnes atteintes d’un TSA donnent l’impression que le plaisir procuré par un jeu ne requiert pas un partage ostensible avec l’évaluateur. La quantité et la qualité des réponses et des ouvertures sociales du patient sont interprétées en tenant compte de son

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âge chronologique et développemental, de sa culture d’origine et du contexte de l’examen. L’évaluateur évalue les ouvertures sociales en révélant au patient certaines de ses expériences personnelles (p. ex., lui dire qu’il a un enfant de son âge) an de vérier si le jeune patient s’informe plus avant et se préoccupe des émotions et des expériences de l’évaluateur (p. ex., le patient peut demander des précisions ou ponctuer son discours par des mimiques appropriées). On relève la présence de remarques inappropriées : est-ce que le patient s’assure que l’évaluateur a compris sa demande et est prêt, voire intéressé, à y répondre avant de poursuivre dans sa démonstration ou son partage d’intérêt ? Est-ce qu’il tient compte des comportements non verbaux de l’évaluateur, lui signiant son désintérêt ou son impatience ? Chez le patient possédant un bon niveau de communication, on évalue sa capacité à apprécier et à pratiquer les relations sociales (amitié, mariage, relations amoureuses, relations familiales, victimisation) ainsi que sa capacité d’empathie et d’introspection.

58.6.3 Comportements répétitifs et champs d’intérêt restreints Les comportements répétitifs se révèlent chez le jeune enfant par sa façon d’utiliser spontanément des jeux simples mis à sa disposition. On distingue ainsi : • l’utilisation fonctionnelle d’un jouet – ce pour quoi il est fait (p. ex., faire rouler une petite voiture sur la table) ; • l’utilisation reliée au « faire semblant » – ce qu’il représente (p. ex., intégrer des objets [arbre, maison] sur la table comme éléments du décor où roule la voiture) ; • l’utilisation non fonctionnelle – ses propriétés perceptives (p. ex., faire tourner les roues de la voiture devant ses yeux). An de mettre en valeur le caractère répétitif ou non du jeu et des comportements qui l’accompagnent, on laisse l’enfant s’absorber dans une activité proposée qu’il apprécie pour une partie de l’entrevue et, pour une autre partie, on le laisse libre de faire ce qu’il veut. Ce type de situation fait ressortir certains des mouvements corporels stéréotypés observés dans les TSA, comme le battement des mains associé aux émotions joyeuses, et la présence d’un intérêt sensoriel inhabituel telle que la xation visuelle prolongée d’objets sous diérents angles, ou la recherche de stimuli sonores spéciques et inhabituels comme le bruit de l’eau qui coule. L’entrevue doit être conduite de façon assez exible pour que le patient ait le loisir de faire part de ses centres d’intérêt de l’évaluateur. On évalue ainsi si ses thèmes de prédilection sont envahissants (p. ex., s’ils reviennent continuellement dans la conversation et en modient le déroulement uide) et si leur nature est habituelle ou non. Au cours de l’examen, l’évaluateur doit combiner la recherche ciblée sur les signes d’un TSA, et celle non ciblée, sans a priori diagnostique. Il documente l’historique des signes mentionnés ci-dessus. Lors d’un entretien avec un adolescent ou un adulte, l’historique de l’apparition des signes au cours du développement précoce et de l’enfance doit être établi. Cette histoire longitudinale est essentielle pour le diagnostic diérentiel et la comorbidité du TSA avec d’autres aections ayant un décours développemental diérent. Bien que certains parents rapportent des inquiétudes sur le développement de leur enfant avant l’âge de 1 an, on observe le plus souvent un développement normal jusqu’à 12 ou 18 mois. Cela n’exclut pas que des particularités soient retrouvées

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rétrospectivement, par exemple par l’étude des vidéos familiales. L’entrevue recherche également des antécédents familiaux de TSA, de dysphasie et de toutes les pathologies neuropsychiatriques ou médicales, et plus particulièrement les antécédents des aections qui font l’objet de diagnostics diérentiels avec les TSA (voir la section 58.8).

58.7 Outils diagnostiques Les stratégies et les recommandations de dépistage varient selon les pays, allant de l’utilisation systématique d’un outil de dépistage, comme le Modied Checklist for Autism in Toddlers (Robins & al., 2014), à l’utilisation de ce même outil limitée aux enfants présentant des signes d’appel. Cette dernière solution est préférable, du fait des limites en sensibilité et en spécicité des instruments d’évaluation, liées au polymorphisme de l’aection recherchée. Les signes d’appel sont les suivants : • À 12 mois, l’enfant ne babille pas, n’indique pas du doigt, ne fait pas de gestes sociaux et communicatifs (p. ex., tendre les bras ou sourire à son parent qui s’approche) ou ne répond pas à son prénom. • À 16 mois, il ne dit pas de mots. • À 24 mois, il ne fait pas de phrases de deux mots. • À tout âge, on observe une régression cliniquement signicative de sa capacité langagière ou sociale. D’autres manifestations possibles sont : • une réduction des gestes exprimant l’intérêt de l’enfant ou son engagement social ; • une réduction des gestes dirigeant l’attention de l’autre sur un objet d’intérêt (alors que l’indication avec le doigt pour obtenir un objet peut être normale) ; • un manque de contact visuel intégré à l’acte de communication ; • une diculté de compréhension du langage. En cas de doute lors d’un premier examen de dépistage, on eectue un second examen quelques mois plus tard. Une référence vers une équipe multidisciplinaire qualiée pour le diagnostic des troubles du spectre de l’autisme (TSA) est recommandée en présence de ces signes d’appel.

58.7.1 Entrevues standardisées Pour compléter l’évaluation psychiatrique, deux instruments standardisés, pouvant être utilisés à partir de l’âge mental de 18 mois, sont recommandés en clinique : 1. L’Autism Diagnostic Interview-Revised (ADI-R) (Le Couteur & al., 2011) est une entrevue standardisée semi-structurée détaillée, faite avec les parents, évaluant les trois domaines d’atypie dans les TSA, d’une part lors de la période de 4 à 5 ans, d’autre part dans les mois précédant l’investigation. L’ADI-R revoit non seulement l’ensemble de la symptomatologie du TSA, mais aussi la chronologie de l’apparition de certains des symptômes associés aux TSA. Il s’agit d’un outil dont la validité est reconnue lorsqu’il est administré par un clinicien expérimenté en TSA. Des scores seuils dans les trois domaines suivants sont obtenus à l’aide d’un

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algorithme, correspondant aux trois domaines de l’autisme du DSM-IV-TR (APA, 2004) : a) les interactions sociales réciproques ; b) la communication et le langage ; c) les comportements stéréotypés et répétitifs. 2. L’Autism Diagnostic Observation Schedule – Generic(ADOS-G) (Lord & al., 2000) est une entrevue semi-structurée standardisée eectuée avec le patient, visant à quantier ses habiletés sociales et communicatives. Il existe quatre modules pouvant être utilisés chez l’enfant, l’adolescent et l’adulte selon leur niveau de langage et de développement général. Sa validité est élevée comparativement à l’ADI-R, au DSM-IV et au jugement d’expert. En revanche, sa spécicité n’est que de 19 % chez les personnes dont le développement non verbal est inférieur à 16 mois. L’usage des outils diagnostiques standardisés devrait être réservé aux cliniques spécialisées, du fait que leur interprétation requiert un haut niveau d’expertise. De plus, ils sont basés sur le diagnostic du DSM-IV et n’ont pas été adaptés aux changements du DSM-5.

58.7.2 Investigations en neuropsychologie, en orthophonie et en ergothérapie Les évaluations cognitive, langagière et motrice d’une personne chez qui on suspecte un TSA sont essentielles. Sans caractérisation de la valeur des « dimensions » précisant le diagnostic catégoriel pour un individu particulier, un diagnostic comme un TSA est un processus peu informatif, n’aboutissant pas à des recommandations individualisées. L’évaluation cognitive doit : • quantier la performance du patient dans des épreuves prédisant son adaptation aux milieux scolaire et professionnel standards : sous-tests du QI de Wechsler, tour de Londres, raisonnement non verbal) ; • déterminer les aptitudes potentielles du patient dans des situations idéales, ou avec les « pics d’habileté » (p. ex., pic aux matrices de Raven, au bloc à dessin du Wechsler), sur lesquelles les acquisitions et l’adaptation peuvent s’appuyer ; • caractériser un éventuel trouble d’apprentissage spécique (de la lecture, des mathématiques, de l’écriture) ou un décit surajouté. Des dicultés spéciques peuvent en eet contraster avec un niveau de langage et d’intelligence par ailleurs dans la moyenne, chez les personnes atteintes d’un TSA sans retard de langage. Celles qui présentent un retard de langage peuvent, au contraire, avoir des capacités de lecture, d’écriture et de calcul supérieures à leur QI verbal. Le prol le plus souvent retrouvé au Wechsler met en évidence une diérence de niveau entre les épreuves dont la consigne et la réponse reposent sur le langage, et celles qui ne nécessitent pas de consignes et dont la réponse s’exprime par la désignation non verbale d’un élément dans un choix de réponses. On observe donc un pic de performance au bloc à dessin d’au moins une déviation standard au-dessus du reste du quotient intellectuel de performance (QIP), chez les personnes atteintes d’un TSA avec retard de langage. On estime que la moitié des personnes atteintes d’autisme (déni selon le DSM-IV-TR) ont un pic au bloc à dessin, contre 2 % dans la population générale. On retrouve également : • des pics aux sous-tests information et similitude, surtout dans les cas de syndrome d’Asperger ;

• des creux aux sous-tests compréhension et code, communs à l’ensemble des cas de TSA ;

• un écart de 30 % ou plus entre le QI au Wechsler et le QI aux matrices de Raven. Une comorbidité avec un décit de l’attention est présente chez une proportion importante des personnes atteintes d’un TSA sans retard de langage ou de développement. Elle se révèle par de l’impulsivité aux tests d’attention continue et un décrochage aux sous-tests code et empan de chires. Ces forces et ces faiblesses sont relativement indépendantes du niveau d’intelligence global. La valeur diagnostique du prol cognitif reste toutefois dépendante de la dénition actuelle du phénotype autistique. Cette dénition est centrée sur les signes sociaux et comportementaux ; ainsi, le prol cognitif représente une « valeur ajoutée » au diagnostic, mais ne peut se substituer au diagnostic comportemental, auquel il ne se superpose pas. L’évaluation langagière peut être effectuée par différents spécialistes, mais préférablement par un orthophoniste expert en langage autistique. Elle doit : • caractériser le niveau de communication orale et écrite de l’enfant ; • établir les parts respectives du langage autistique et du trouble spécifique du langage dans les particularités langagières de l’enfant ; • établir le canal de communication préférentiel (p. ex., langage oral, écrit, démonstration seule, démonstration commentée) et fournir des exemples de situations quotidiennes, dans la famille et à l’école, permettant d’accroître ce niveau de langage. Cette évaluation tient compte du fait que, comme pour tout enfant, le niveau du type de communication choisi doit dépasser le niveau de compréhension actuel de l’enfant, puisqu’il remplit également une fonction didactique ; • déterminer le type de matériel oral et écrit qui doit être mis à la disposition de l’enfant, et ses supports préférentiels (matériel imprimé, tablette numérique). L’évaluation en ergothérapie vise les buts suivants : • Elle sert à caractériser les habiletés et les décits moteurs, et à fournir des recommandations sur les limites motrices (sports, praxies) non franchies par l’enfant, en observant des situations d’apprentissage pour ces habiletés dans la famille et à l’école. On retrouve des particularités de la démarche, de la coordination et de la capacité d’eectuer des mouvements rapides, avec une grande variabilité toutefois, depuis la simple maladresse jusqu’à la dyspraxie. • Pour les jeunes enfants ou les patients dont la communication est limitée, l’inventaire des forces et des champs d’intérêt mettant en jeu le système perceptif aboutit à des recommandations d’occupations solitaires ou partagées, susceptibles d’enrichir leur environnement, ou au moins de leur apporter le plaisir de maîtriser une activité, quels qu’en soient le niveau et la valeur sociale. • Elle permet de documenter les particularités sensorielles et les adaptations qu’elles impliquent dans le milieu de vie (voir la sous-section 58.9.4).

58.7.3 Investigation neurologique Il persiste des imprécisions conceptuelles sur la relation entre l’épilepsie avec ou sans régression, la décience intellectuelle, les

Chapitre 58

Autismes

1277

syndromes neurogénétiques (p. ex., la sclérose tubéreuse) et les TSA ; mais ces aections sont cliniquement associées, ce qui justie une investigation systématique en présence de signes d’appel. L’imagerie cérébrale anatomique et fonctionnelle est un outil de recherche très utilisé pour les TSA, mais son intérêt en clinique est limité. Une résonance magnétique structurale ne se justie pas en l’absence de signes d’appel. Elle est en revanche requise en cas • d’épilepsie ; • de déficit cognitif anormalement spécifique (p. ex., une agnosie visuelle, un décit exécutif isolé, une dyscalculie) ou d’apparition récente ; • d’une information clinique discordante. Une augmentation du volume cérébral et des portions antérieure et postérieure du corps calleux sont les caractéristiques structurales les plus fréquemment retrouvées en TSA. Elles n’ont donc généralement pas de valeur étiologique spécique pour l’explication d’un signe d’appel neurologique. Contrairement à la décience intellectuelle et à l’épilepsie, qui sont plus fréquentes dans les TSA étiologiques, la macrocéphalie autistique ne s’agrège pas à des aections neurogénétiques identiées ; elle caractérise les TSA idiopathiques. Elle coïncide avec les premiers signes détectables du TSA à la n de la première année. Chez l’adulte, on la retrouve

dans 30 % des cas, mais certaines études suggèrent une normalisation à long terme. D’autres structures cérébrales présentent des variations dicilement interprétables, même dans un contexte de recherche. Toutefois, dans de rares situations évoquant un syndrome de Cowden (hamartomes multiples) par mutation du gène Phosphatase and TENsin homolog (PTEN), la macrocéphalie est alors associée à des tumeurs. La recherche de multiples agents toxiques par des laboratoires privés ne repose sur aucune étiologie reconnue et ne débouche pas sur une avenue thérapeutique. Selon l’Académie américaine de neurologie, l’exploration des troubles métaboliques en TSA doit être limitée aux enfants présentant des indices clairs d’erreurs innées du métabolisme : • des signes de trouble de la vigilance/léthargie ; • des vomissements périodiques ; • une épilepsie précoce ; • des signes dysmorphiques ; • une décience intellectuelle importante ; • une régression dépassant la perte d’usage de quelques mots, fréquemment observée dans les TSA typiques. On recherche alors les acides aminés plasmatiques et les acides organiques urinaires, l’ammoniémie plasmatique, les lactates/ pyruvates et l’acylcarnitine (voir le tableau 58.2).

TABLEAU 58.2 Maladies métaboliques présentant un phénotype pouvant ressembler à un trouble du spectre de l’autisme

Signes et symptômes s’ajoutant au phénotype ressemblant aux TSA

Maladie et mode de transmission génétique

Agents métaboliques

Phénylcétonurie Autosomique récessif

• Décience intellectuelle • Convulsions

Accumulation de phénylalanine due à un défaut de l’enzyme phénylalanine hydroxylase

Décience en adénylosuccinase Autosomique récessif

• • • • •

Retard de développement Convulsions Agitation Diminution du contact visuel Comportements répétitifs

Synthèse des purines altérée : accumulation d’amino-imidazole carboxamide riboside et de succinyl-adénosine

Décience en adénosine désaminase (ADA) Autosomique récessif

• Phénotype ressemblant aux TSA

Augmentation de désoxyadénosine qui altère le système immunitaire

Décience en créatinine Autosomique récessif

• Décience intellectuelle • Épilepsie • Signes extrapyramidaux

Décience en : • guanidino-acétate-méthyl-transférase • arginine-glycine amidinotransférase • transport de créatinine

Décience en biotinidase

• Décits de la vue et de l’ouïe

Niveau bas de biotine

Décience en folate au système nerveux central

• • • • • •

Niveau bas de 5-méthyl-tétrahydrofolate (5-MTHF) dans le liquide céphalorachidien

Décience en semi-aldéhyde succinique déshydrogénase (SSADH) Autosomique récessif

• Décience intellectuelle • Convulsions • Hypotonie

Accumulation d’acides : • γ-aminobutyrique (GABA) et • γ-hydroxybutyrique (GHB)

Syndrome Smith-Lemli-Opitz Autosomique récessif

• • • •

Diminution des taux de cholestérol et augmentation du 7-déhydrocholestérol (7-DHC) et du 8-DHC

Décélération de la croissance crânienne Retard psychomoteur Régression développementale Ataxie cérébelleuse Dyskinésies Convulsions

Retard de croissance pré- et postnatal Dysmorphie faciale Microcéphalie Décience intellectuelle

Source : Adapté de Décavait & Spence (2009).

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58.7.4 Investigation génétique La référence à un généticien clinicien est recommandée après la prescription d’une hybridation génomique comparative, une technique de cytogénétique moléculaire permettant d’analyser les variations du nombre de copies dans l’ADN, dans les cas suivants : • les dysmorphies ; • les signes évoquant un syndrome génétique reconnaissable ; • les familles multiplex (ayant plusieurs enfants atteints) ; • d’autres indications de formes familiales par l’existence de plusieurs membres atteints ou présentant une aection neurologique associée à un TSA (p. ex., sclérose tubéreuse, chromosome X fragile) ; • le besoin de raner les conseils génétiques à donner aux parents ; • en présence d’une décience intellectuelle vraie associée à un TSA. Il existe une longue liste d’aections génétiques dont les phénotypes présentent une certaine similitude avec les TSA : • avec un taux de prévalence dans l’autisme inférieur à 5 % : la sclérose tubéreuse de Bourneville et le chromosome X fragile ; • avec un taux de prévalence inférieur à 1 % : les syndromes de Angelman, du chromosome 15q, de Cohen, de Cornelia de Lange, FG1 (par mutation probable du gène FGS1), de Ito, de Joubert, de Klinefelter, de Landau-Klener, de LeschNyhan, de Moebius, les mutations du gène ARX (aristaless related homeobox), qui provoquent une lissencéphalie, du gène XYY, la neurofibromatose, la phénylcétonurie, les syndromes de Prader-Willi, de Rett, de Sanlippo, de SmithLemli-Opitz, de Smith-Magenis, la trisomie 21 de Down, de Turner, les syndromes vélo-cardio-facial, de West et de Williams (Betancur, 2011) ; • Les réarrangements chromosomiques sont retrouvés chez 3 à 5 % des individus avec un TSA, pour lesquels un lien causal avec le phénotype peut être démontré ou non. L’investigation génétique pour tous les patients diagnostiqués n’est donc pas utile en l’absence de signes d’appel d’une forme familiale ou d’un QI inférieur à 85. Dans l’état actuel des connaissances, la variété des mécanismes impliqués et l’incertitude fréquente du lien entre ces mécanismes et un tableau clinique particulier (a fortiori, un niveau d’adaptation qui peut s’étendre depuis la dépendance jusqu’à l’autonomie complète) amènent à conclure que le conseil génétique pour une grossesse ultérieure à la naissance d’un enfant atteint d’un TSA est un acte hautement spécialisé et individualisé. Il y a alors lieu : • de séparer les formes sporadiques des formes familiales génétiques ; • de déterminer la nature de l’anomalie génétique en cause et sa transmissibilité ; • d’évaluer la plus ou moins grande spécicité des tableaux cliniques qui y sont associés ; • de tenir compte du libre choix des parents d’avoir ou non un enfant ayant des caractéristiques autistiques. 1. Syndrome FG : Le nom de ce syndrome vient de l’initiale des prénoms des deux premiers patients décrits.

58.8 Diagnostic différentiel Les pathologies comorbides psychiatriques et neurologiques, classiquement associées aux troubles du spectre de l’autisme (TSA) (Simono & al., 2008 ; Williams & al., 2008b), sont les suivantes : • les troubles anxieux ou phobiques (42 %), surtout dans le sous-groupe Asperger ; • le retard de développement (33 %) ; • les troubles spéciques du langage (20-40 %) ; • le trouble décit de l’attention/hyperactivité (TDA/H) (28 %) ; • les troubles d’apprentissage (15 %) ; • l’énurésie (11 %) ; • l’épilepsie (10 %) ; • les tics chroniques (9 %) ; • l’encoprésie (6,6 %) ; • le syndrome de Gilles de la Tourette (4,8 %). Enn, des particularités sensorielles, de types hyposensibilité, hypersensibilité et de recherche sensorielle atypique, sont retrouvées de manière quasi constante (dans 45 % à 95 % des cas), de sorte qu’elles deviennent une partie du syndrome plutôt qu’une comorbidité. La précision des estimations de comorbidité rapportées ici est toute relative. Elles peuvent être articiellement augmentées par l’absence de critères d’exclusion à l’égard d’autres aections psychiatriques dont la sémiologie recouvre partiellement celle des TSA.

58.8.1 Syndrome de Gilles de la Tourette Le diagnostic de syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) est un des diagnostics diérentiels à envisager en présence d’une réduction de la socialisation et de comportements répétitifs, surtout pour les enfants âgés de 6 à 12 ans. Les TSA et le SGT ont en commun d’être des syndromes développementaux complexes, plus fréquents chez les garçons que chez les lles et débutant dans l’enfance. La transmission génétique est importante dans les deux aections. Elles partagent aussi les mêmes comorbidités avec les troubles anxieux, les dicultés de socialisation et des réactions atypiques aux stimulations sensorielles (p. ex., hypersensibilité auditive ou tactile). Plusieurs caractéristiques cliniques liées à leurs conditions de survenue et à leur évolution permettent toutefois de les distinguer (voir le tableau 58.3). Bien que l’on puisse souvent en arriver à un diagnostic diérentiel des deux pathologies, il existe aussi des cas de comorbidité chez un même patient. On retrouve des tics chroniques de type SGT chez 9 % des patients atteints de TSA. Par ailleurs, on estime à 4,8 % le taux de prévalence de SGT chez les personnes présentant un TSA (Simono & al., 2008), alors qu’une proportion semblable de patients atteints du SGT souriraient aussi d’un TSA (Burd & al., 2009).

58.8.2 Trouble obsessionnel-compulsif Les comportements répétitifs et les champs d’intérêt restreints dans les cas de TSA, particulièrement les goûts particuliers et la ritualisation, présentent des similitudes avec certaines obsessions et compulsions du trouble obsessionnel-compulsif (TOC), mais

Chapitre 58

Autismes

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TABLEAU 58.3 Comparaison de la symptomatologie des troubles du spectre de l’autisme

et du syndrome de Gilles de la Tourette

Troubles du spectre de l’autisme

Syndrome de Gilles de la Tourette

Âge de début du trouble • Avant 3 ans

• Vers 5-6 ans (tics qui permettent de l’identier)

Âge de début des mouvements, des tics

• Avant 3 ans pour les stéréotypies

• Vers 6 ans pour les tics moteurs et vocaux • Vers 9 ans pour les tics verbaux

Type de mouvements, de tics

• Stéréotypies motrices (p. ex., taper des mains)

• Tics moteurs et vocaux (p. ex., clignements des yeux, bruits de gorge) • Tics verbaux (p. ex., crier des mots grossiers)

Particularité

• Stéréotypies rythmiques • Tics non rythmiques (séparés par des intervalles variables) • Surviennent de façon soudaine, mais sont • Surviennent de façon soudaine, mais sont brefs et secs prolongées • Provoqués par un état émotionnel (anxiété, concentration) • Provoquées par une stimulation particulière ; souvent associées à une émotion joyeuse (elle-même produite par une stimulation perceptive spécique : intérêt pour un objet, air du ventilateur dans le visage) • Souvent accompagnées d’une déviation du regard

Pic de gravité

• Vers 4 à 6 ans

• Vers 10 à 11 ans

Âge de diminution ou de disparition

• Vers 7 à 8 ans • Possibilité de persistance à l’âge adulte

• Vers 12 à 13 ans • Possibilité de persistance à l’âge adulte

Stabilité et localisation des tics

• Stables dans le temps et la localisation

• Fluctuent en fréquence et en sévérité dans le temps • Localisation qui migre souvent de la tête au tronc

Incidence pour le diagnostic

• Les stéréotypies motrices ne sont que l’un des signes du trouble, mais peuvent être absentes.

• Tics dénitoires, spéciques

Atteinte de la socialisation

• Élément central et primaire du trouble. Il n’y a pas d’« îlots de normalité » dans l’interaction dans les TSA.

• « Îlots de normalité » (moments privilégiés où l’interaction sociale est normale). N’est pas un élément essentiel du syndrome de Gilles de la Tourette, mais une difculté de socialisation peut découler des tics ou des pathologies comorbides (le TDA/H, les troubles anxieux et les retombées négatives des colères associées).

il existe également plusieurs diérences, qui sont énumérées dans le tableau 58.4. La rareté de comorbidité des deux aections justie d’appliquer un « principe d’économie » et de tenter d’expliquer les signes présentés par l’une ou l’autre des aections seulement, mais on estime que dans 8 % des cas, ces deux pathologies sont comorbides (Simono & al., 2008).

58.8.3 Trouble décit de l’attention/ hyperactivité On peut croire que la personne ayant un TSA est inattentive du fait que son attention est monopolisée par ses objets d’intérêt, plutôt que ce sur quoi on cherche à attirer son attention. Cela ne signie pas pour autant qu’elle soure d’un décit d’attention. De plus, chez le patient qui présente un retard ou un trouble de langage, on peut observer des eets interprétés à tort comme de l’inattention. En fait, c’est parce qu’il a un retard important de compréhension du langage que l’enfant ne semble pas concerné par la consigne qu’on donne au groupe. Certains comportements du TSA peuvent également paraître impulsifs parce qu’on ne se les explique pas, mais la personne atteinte d’un TSA est capable de les rationaliser a posteriori (voir le tableau 58.5). Pour estimer la capacité de l’enfant atteint d’un TSA à contrôler son agitation

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motrice, il faut tenir compte de son âge avant de la considérer comme pathologique. La majorité des TSA sans retard de langage (ou syndrome d’Asperger selon le DSM-IV-TR) remplissent aussi les critères du trouble décit de l’attention avec/sans hyperactivité (TDA/H). Le décit attentionnel de l’A sperger peut être objectivé par un décit en mémoire de travail. La règle d’exclusion entre les TSA et le TDA/H en vigueur dans le DSM-IV-TR est contredite par les études subséquentes montrant que les TDA/H sont comorbides aux TSA dans 28 à 50 % des cas (Murray, 2010 ; Simono & al., 2008). Enn, la distinction classique entre un trouble envahissant du développement comme les TSA et un trouble spécique comme le TDA/H trouve sa limite pour les cas graves de TDA/H. En eet, il existe une aection connue sous le nom de « trouble développemental multiple et complexe » (multiple complex developmental disorder) (Ad-Dab’bagh & Greeneld, 2001) pour une population combinant trouble anxieux, TDA/H, trouble du langage et trouble du cours de la pensée. Le niveau d’inadaptation des personnes atteintes est équivalent à celui des TSA, voire plus grave encore. Même lorsque le TDA/H est de gravité moindre, il existe d’autres aires de recoupement entre les deux aections. Les dicultés d’interaction sociale liées aux TSA (p. ex., rejet par les pairs) peuvent quelquefois être interprétées comme secondaires au TDA/H. En eet, des

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TABLEAU 58.4 Comparaison de la symptomatologie des troubles du spectre de l’autisme et du trouble obsessionnel-compulsif

Troubles du spectre de l’autisme

Trouble obsessionnel-compulsif

Comportements

• Comportement répétitifs • Ritualisation • Champs d’intérêt particuliers (p. ex., connaître les horaires de tous les trains de la ville)

• Comportements compulsifs (lavages de mains, vérications, rangement méticuleux des objets) • Pensées obsessionnelles, intrusives

Syntonie des comportements

• Égosyntone

• Égodystone

Particularités des comportements

• Les champs d’intérêt particuliers sont perçus comme plaisants et assumés par la personne. • Si le niveau de langage parlé est trop réduit pour faire cette distinction, les comportements sont associés à des signes d’émotions joyeuses. • Les champs d’intérêt particuliers sont restreints. • Ils sont en lien avec les forces cognitives du patient : un patient calculateur de calendrier (p. ex., qui peut dire à quel jour de la semaine correspond une date du passé ou du futur) a souvent un pic en mémoire de chiffres au test de Wechsler.

• Les compulsions sont vécues comme des actions parasites déplaisantes, que le patient dissimule souvent en entrevue, mais auxquelles il ne peut pas résister. • Les compulsions sont variées (mais tendent à se regrouper autour d’actes connotés négativement pour la morale du patient, comme les pensées obscènes, scatologiques, violentes ou impies).

Déclencheur du comportement

• Il agit pour appliquer une règle émise ou une information dont il a eu connaissance. • La ritualisation est rationnellement liée à l’acte (p. ex., se laver les mains en appliquant scrupuleusement la méthode afchée au lavabo de l’école). Elle peut prendre la forme d’une écholalie différée associée au contexte (avant le repas : « Tu vas attraper des microbes si tu ne laves pas tes mains »). • Chez les patients dont le langage est massivement stéréotypé et qui ne répondent pas à un interrogatoire standard, on recherche l’origine du comportement en analysant ses soliloques. Il peut alors exprimer, en inversion pronominale (p. ex., « touche pas, c’est sale! ») des injonctions qu’il a entendues contenant une règle qu’il applique maintenant rigoureusement dans son rituel.

• Un incident anodin, parfois difcile à retrouver, déclenche le rituel. • La compulsion est liée irrationnellement à l’obsession (p. ex., ordonner des objets pour conjurer un mauvais sort). • L’obsession mentale n’a pas de lien sémantique avec le contexte (dire trois fois à l’endroit, puis à l’envers, la table de multiplication de 7, avant de prendre sa douche).

Terminaison du comportement

• Il met n au comportement lorsqu’il perçoit que la qualité « objective » de son rituel est satisfaisante (les objets sont correctement alignés). • Ou que la tâche a été effectuée de façon exhaustive (les étapes du lavage de mains sont effectuées). • Le rituel ne varie pas au cours du temps.

• Il poursuit son rituel jusqu’à ce qu’il soit satisfait de la qualité « subjective » de sa compulsion (le fait d’accomplir parfaitement le comportement fait diminuer l’anxiété). • Le rituel doit s’amplier de plus en plus pour réussir à atténuer l’angoisse (les lavages de mains deviennent de plus en plus prolongés et fréquents).

TABLEAU 58.5 Comparaison de la symptomatologie des troubles du spectre de l’autisme et du trouble décit

de l’attention/hyperactivité

Troubles du spectre de l’autisme

Trouble décit de l’attention/hyperactivité

Remords et culpabilité après les comportements impulsifs

Non.

Oui.

« Îlots attentionnels »

Liés aux champs d’intérêt particuliers (p. ex., lecture).

Lorsque l’attention est prise en charge par l’objet (p. ex., jeux vidéo).

Comportements

Comportements répétitifs moteurs, vocaux ou liés aux champs d’intérêt particuliers.

Comportements dispersés, impulsifs, agités.

Atteinte de la socialisation

Primaire.

Secondaire aux effets du trouble (désaffection des pairs).

symptômes graves de TDA/H marginalisent l’enfant. À l’école, on observe des marques d’exclusion sociale : l’enfant n’est pas choisi par ses pairs pour les activités de groupe, ou il s’exclut lui-même an d’éviter les situations à risque d’ostracisme, ou encore on lui manifeste une franche hostilité.

58.8.4 Anxiété sociale Les formes graves d’anxiété sociale (phobie sociale) font partie du diagnostic diérentiel des TSA. Cette aection implique un évitement social actif, des comportements de claustration

Chapitre 58

Autismes

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et, comme pour tout trouble anxieux, des comportements d’autoréassurance, des rituels ou des questions répétitives. La distinction entre les deux aections se fait par rapport à la normalité des attitudes en interactions sociales (p. ex., mimique du visage, gestuelle des membres et du corps, intonation) dans une situation optimale, avec les parents ou un familier. Les outils standardisés comme l’Autism Diagnostic Observation Schedule (ADOS) sont ici particulièrement utiles, en fournissant une situation contrôlée et non inquiétante de socialisation et une grille pour en quantier les observations. Dans cette situation, la personne présentant une phobie sociale apparaît à son niveau optimal de socialisation, alors que la personne atteinte d’un TSA y révèle encore son atypie relationnelle, même en situation non menaçante.

58.8.5 Personnalité schizoïde À l’âge adulte, l’abrasion émotionnelle et le désinvestissement social au prot d’activités solitaires de la personnalité schizoïde peuvent ressembler à des formes de TSA sans décience intellectuelle ni retard développemental. Cependant, la personne atteinte d’un TSA conserve une gamme d’émotions positives attachées à ses champs d’intérêt particuliers, qui tranche avec l’indiérence émotionnelle de la personnalité schizoïde.

58.8.6 Schizophrénie De nombreux éléments permettent de distinguer la schizophrénie des TSA. Le tableau 58.6 établit une comparaison de la symptomatologie des TSA et de la schizophrénie.

TABLEAU 58.6 Comparaison de la symptomatologie des troubles du spectre de l’autisme et de la schizophrénie

Troubles du spectre de l’autisme

Schizophrénie

Âge d’apparition

• Avant 5 ans

• Adolescence ou personnalité prémorbide non typiquement autistique (p. ex., troubles de l’attention et du langage)

Agrégation génétique

• Avec TSA et phénotype élargi

• Avec schizophrénie et troubles psychotiques

Inuence sur la cognition

• QI constant avec progression des items verbaux au cours du développement ; pics d’habiletés

• Régression du QI à partir du début des troubles • Pas de pics d’habiletés

Troubles du cours de la pensée

• Absents, mais diagnostic différentiel à faire avec • Présents dans les formes avec symptômes positifs, en langage stéréotypé (non associé à un langage association avec un langage normal ou ayant présenté normal une forme normale avant l’âge d’apparition du trouble • N’a jamais présenté une forme normale de langage avant l’examen)

Stabilité idéique

• Supérieure à la normale : deux situations identiques sont décrites identiquement, même à distance dans le temps

• Inférieure à la normale : deux situations identiques sont décrites de façon différente, même à peu de temps d’intervalle

Comorbidité anxieuse

• Liée aux situations sociales ou de performance

• Lien incertain ou ambigu avec la situation anxiogène

Hallucinations

• Jamais. Confusion possible avec les écholalies différées et les soliloques.

• Fréquentes (75%) pendant la phase aiguë de la schizophrénie

Intérêts particuliers

• Inhérents aux TSA, associés aux émotions joyeuses • Les préoccupations morbides sont récentes, variables, et présents depuis le début du développement liées à des émotions variées

Émotions

• Présentes, liées aux champs d’intérêt • Égocentrisme

• Induites par le délire ou les hallucinations • Émoussées ou imprévisibles • Mégalomanie

Sentiment d’hostilité de l’entourage

• Lié à des événements réels (harcèlement scolaire), progressant par association objective (p. ex., envers l’entourage scolaire lors du harcèlement)

• Irrationnel, délirant, interprétatif, progressant par association sémantique • Extension indénie des persécuteurs (p. ex., complot communiste)

Rôle de l’interprétation dans le sentiment d’hostilité

• Importance démesurée donnée à des détails surévalués • Réaction immédiate

• Interprétation irrationnelle ou délirante • Lente élaboration du délire aboutissant à une illumination de la « compréhension délirante » après coup

Extension des mesures de protection contre les personnes hostiles

• Limitée à son entourage

• Indénie

Rôle des mesures d’aide

• Salutaire : conance possible

• Lien de conance difcile à établir : le paranoïde craint les gens qu’il connaît et bien d’autres

Source : Adapté de Mottron & al. (2007).

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Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5 Spécialités psychiatriques

58.9 Traitements et réadaptation La notion de traitement des troubles du spectre de l’autisme (TSA) est discutable. La conception même des TSA comme maladie, avec les implications éthiques que cela suppose vis-à-vis du désir de guérir, est remise en question par un nombre toujours plus grand de personnes présentant elles-mêmes ce trouble, de familles et de scientiques. Le débat actuel oppose ceux qui voient les TSA comme une maladie à traiter ou à ramener le plus près possible de la normalité, à ceux qui en font une variante de la normalité à respecter dans sa diérence. Par exemple, comme pour le syndrome de Down, on ne peut traiter une variation génétique aux eets distribués sur l’ensemble du comportement et du traitement de l’information. Les cibles thérapeutiques ne sont donc pas la normalisation de l’aection. Le soutien à ce trouble vise plutôt à : • permettre le plein épanouissement des capacités émotionnelles et cognitives de la personne ; • alléger sa sourance psychologique, lorsqu’elle existe ; • contribuer à ce que la personne occupe une place sociale à la mesure de ses aptitudes ; • soigner éventuellement les comorbidités psychiatriques qui, elles, sont des maladies traitables. Pour faciliter l’examen ou les soins physiques (p. ex., médicaux ou dentaires) d’une personne atteinte d’un TSA, les intervenants doivent prévoir plus de temps et accompagner le patient s’il est non verbal ou s’il présente une décience intellectuelle. Il faut porter attention aux consignes générales qui peuvent être prises au mot par la personne (« Ça ne sera pas long ») et créer des imbroglios lorsqu’elles ne sont pas respectées. Il est bon d’utiliser des supports visuels (photos ou pictogrammes, images de l’heure à laquelle l’examen doit se terminer) pour préparer le patient à une intervention et vérier régulièrement sa compréhension de la situation en cours et des implications qui en découlent pour lui-même. Le médecin doit aussi tenir compte des particularités sensorielles spéciques du patient : hyper- ou hyposensibilité tactile, orale, auditive, insécurité gravitationnelle (signe de Romberg). Pour les personnes non verbales, le médecin recherche de façon systématique des pathologies organiques non diagnostiquées et non traitées (infections, constipation, inammation, caries) pouvant expliquer l’apparition d’un changement dans leur comportement ou leur collaboration. Ainsi, bien que les avis soient encore partagés sur le fait qu’il y ait plus de problèmes gastro-intestinaux chez les patients atteints d’un TSA, tous reconnaissent que, lorsque ces problèmes existent, ils se manifestent par un dysfonctionnement comportemental et que ces pathologies méritent les mêmes investigations et traitements que chez les patients non atteints.

58.9.1 Traitements biologiques L’abord pharmacologique des TSA doit se faire en ayant à l’esprit qu’il n’existe pas de traitement pharmacologique des symptômes sociocommunicatifs. Ce sont les problèmes de comportement ou les pathologies psychiatriques comorbides associées aux TSA qui sont la cible des traitements pharmacologiques. De plus, une anamnèse et une hiérarchisation des cibles thérapeutiques doivent précéder la prescription de

médicaments. Certains comportements autistiques ne justient une médication qu’à partir d’un certain niveau de dangerosité pour la personne, et après l’essai infructueux des autres approches. L’automutilation, par exemple, est une indication de sourance psychologique ou physique qui n’atteint que dans de très rares cas un niveau dangereux pour la personne. Elle doit donc être abordée par un interrogatoire et une réponse environnementale avant d’être traitée par des médicaments. D’autres comportements comme les mouvements répétitifs sont peu accessibles à la médication. Ils ne constituent pas des cibles atteignables par la médication dans le but de normaliser l’apparence de la personne. Lorsqu’on envisage une médication, force est de constater qu’il existe très peu d’études atteignant les standards de qualité requis pour en juger de l’ecacité. De plus, lorsqu’on instaure une médication, il faut toujours se demander si elle est encore nécessaire au bout de six à huit semaines. Les symptômes d’hyperactivité, d’impulsivité et d’inattention (semblables à ceux rencontrés dans le TDA/H) sont améliorés par les psychostimulants, bien que le taux de réponse (50 %) soit plus bas et que les eets indésirables soient plus fréquents que dans le TDA/H (Sung & al., 2010). Même si les études sur l’atomoxétine (StratteraMD) sont peu nombreuses, quelques-unes ont montré des résultats encourageants. La guanfacine (IntunivMD) mérite des études plus poussées. Il faut distinguer soigneusement l’inattention véritable de l’absence des attitudes typiques de l’attention (p. ex., une personne atteinte d’un TSA peut apprendre sans qu’on ait l’impression qu’elle est attentive parce qu’elle ne regarde pas l’enseignant). De même, les verbalisations excessives ou problématiques pour la classe, comme des questionnements répétitifs, requièrent d’être d’abord reconnues comme une demande légitime d’information, avant de mener à la prescription d’une médication pour des signes d’hyperactivité verbale. Pour ce qui est des comportements dérangeants associés à l’anxiété, les antipsychotiques typiques, dont l’halopéridol, ont été utilisés avec succès à des doses faibles de 1 mg par jour chez des enfants de 2 à 7 ans. Toutefois, une étude longitudinale sur 15 ans a montré que 30 % d’entre eux ont développé une dyskinésie (Leskovec & Rowles, 2008), ce qui constitue un grave eet indésirable. L’olanzapine, la quétiapine, la ziprasidone et l’aripiprazole, pour leur part, n’ont pas été susamment étudiés. La rispéridone est maintenant une des molécules les plus étudiée pour ces comportements, ce qui en fait le seul médicament approuvé par Santé Canada pour le traitement de l’irritabilité associée à des comportements agressifs dans les TSA, bien que certaines études ne le montrent pas supérieur au placebo. Les comportements améliorés par la rispéridone incluent : • l’hyperactivité ; • les crises de colère, l’agressivité ; • l’automutilation ; • les comportements répétitifs. Les eets indésirables les plus fréquents sont l’augmentation de l’appétit, le gain de poids, la fatigue, la somnolence, les étourdissements, les dystonies et la constipation. Des études antérieures ont suggéré que la naltrexone (ReviaMD), bloqueur des récepteurs aux endorphines, a des eets positifs sur la communication, l’hyperactivité et l’irritabilité, mais des études subséquentes n’ont pas rapporté d’eets cliniquement Chapitre 58

Autismes

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signicatifs sur ces aspects ni sur les mouvements stéréotypés et l’automutilation (Leskovec & Rowles, 2008). La buspirone et les β-bloquants n’ont pas montré d’ecacité pour les TSA. La sécrétine (hormone gastro-intestinale produite dans le duodénum), dont l’administration avait été recommandée à la suite d’une observation fortuite, est sans ecacité. La clonidine (CatapresMD) et l’ocytocine n’en sont qu’au stade de la recherche. Les antiépileptiques ont souvent été utilisés pour les TSA à des ns de régulation comportementale, et l’épilepsie temporale est fréquemment invoquée pour rendre compte de comportements dérangeants survenant sans prodrome. L’épilepsie doit être objectivée par des signes cliniques et conrmée par un EEG anormal avant que l’on puisse adopter une telle médication, qui ne se justie pas dans une large proportion de personnes sourant d’un TSA. L’acide valproïque (EpivalMD) pour réduire l’irritabilité et l’agressivité a été étudié à double insu avec des résultats contradictoires ; de plus, il est dangereusement tératogène. Les mouvements répétitifs peuvent atteindre un seuil où ils deviennent invalidants pour la personne et justient alors une approche pharmacologique. Comme ces mouvements ont parfois une certaine ressemblance avec les compulsions dans le TOC, des études ont porté sur l’utilisation des antidépresseurs tricycliques et des ISRS pour tenter de les diminuer. L’imipramine (TofranilMD) aurait surtout des eets indésirables. Bien que l’on ait rapporté des eets positifs de la clomipramine sur les mouvements répétitifs, elle présente aussi des eets indésirables anticholinergiques importants. La uvoxamine (LuvoxMD) n’a pas montré d’ecacité chez l’enfant et l’adolescent, bien qu’une étude chez l’adulte ait montré son ecacité dans la moitié des cas (Leskovec & Rowles, 2008). La uoxétine (ProzacMD) à petite dose est actuellement la plus prometteuse. La sertraline (ZoloftMD) a été jugée ecace chez l’adulte dans une étude, mais aucune étude à double insu, chez l’adulte, l’enfant ou l’adolescent, n’a montré son ecacité. Des études sur la paroxétine (Paxil MD), le citalopram (CelexaMD), l’escitalopram (CipralexMD), la venlafaxine (EexorMD) et le bupropion (WellbutrinMD) devront être eectuées avant que l’on puisse conclure à leur ecacité, même si des études rétrospectives et des études de cas rapportent des eets favorables. Comme la plupart des études ne sont pas contrôlées, il faut attendre leur réplication à double insu avant de pouvoir en tirer des conclusions (Sung & al., 2010). Les dicultés à trouver le sommeil ainsi que les réveils fréquents sont très souvent présents dans les TSA. La mélatonine, une hormone sécrétée par la glande pinéale (épiphyse), est largement utilisée pour aider à résoudre les problèmes de sommeil chez les enfants présentant des troubles neurodéveloppementaux. Son utilisation peut être jumelée à des méthodes comportementales/ environnementales pour réduire le temps de latence à l’endormissement, les réveils nocturnes, et augmenter le temps total de sommeil (Sung & al., 2010).

58.9.2 Traitements alternatifs Plusieurs parents se font conseiller une diète sans caséine ni gluten, en raison de rapports anecdotiques selon lesquels certains symptômes des TSA s’atténuent grâce à un tel régime. Millward et ses collaborateurs (2008) ont montré que cette diète n’avait aucun eet en ce sens. En revanche, l’American

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Dietetic Association a publié une mise en garde concernant les dangers potentiels, particulièrement sur l’ostéogenèse, d’une telle restriction alimentaire, qui réduit l’apport en acides aminés et en minéraux essentiels. Ces eets délétères s’ajoutent à ceux des restrictions alimentaires fréquentes que les personnes atteintes d’un TSA s’imposent à elles-mêmes. De la même façon, la chélation, pratique du drainage des excès de métaux lourds par un agent pharmacologique, qui s’appuie sur un modèle sans fondement empirique, est une pratique inutile et dangereuse en dehors d’une situation d’intoxication avérée aux métaux lourds. Les vitamines et les suppléments nutritionnels, tel le magnésium combiné à la diméthylglycine ou à la pyridoxine en monothérapie, sont bien tolérés, mais sans ecacité démontrée (Leskovec & Rowles, 2008). On ne peut conclure à l’ecacité et à l’innocuité de l’utilisation des acides gras oméga-3 dans les TSA à partir de seulement deux études randomisées à double insu eectuées à ce jour.

58.9.3 Traitements psychologiques Comme les TSA sont une aection développementale apparaissant tôt, à une période de la vie où la vulnérabilité et la dépendance vis-à-vis de l’entourage amplient les problèmes liés à ces troubles, le premier objectif de l’intervention est d’assurer le développement du langage et le fonctionnement dans le groupe de pairs. Le terme « stimulation précoce » recouvre l’ensemble des aménagements éducatifs de la période préscolaire nécessaires aux apprentissages. Toutefois, au consensus sur la nécessité de faire quelque chose plutôt que de ne rien faire s’oppose un important désaccord sur la nature des interventions à accomplir, aussi bien que sur l’importance des gains obtenus par les méthodes existantes. Il existe cependant deux méthodes dont on a pu mesurer le niveau d’ecacité : les approches comportementales et la guidance parentale. Cette seconde méthode sera abordée plus loin dans la sous-section 58.9.4.

Approches comportementales Les approches comportementales élaborées à partir des méthodes de conditionnement opérant de Skinner, l’intervention comportementale intensive (ICI) (applied behavior analysis) et ses multiples variantes (Denver model, pivotal response training) sont des techniques d’apprentissage individuel. Elles partagent les principes de décomposition et de répétition des apprentissages à transmettre (discrete trial learning) et d’utilisation de renforcements positifs et négatifs, quoique les renfoncements négatifs aient été retirés de ces méthodes dans les années 1980. La publication initiale de Lovaas annonçait en 1987 que 47 % des enfants ayant pratiqué sa méthode ne pouvaient plus être « distingués de leurs pairs » (Lovaas, 1987). Bien que la méthode ICI ait longtemps été présentée comme la seule « scientiquement valide », l’examen objectif des techniques comportementales qu’elle préconise a relativisé son ecacité. Une méta-analyse portant sur les rares études cas-témoins randomisées (3) concernant l’ecacité de l’ICI n’a pu montrer une quelconque supériorité de cette méthode, comparativement à d’autres types de stimulation de la cognition, du langage ou des comportements adaptatifs (Spreckley & Boyd, 2009). D’autres revues critiques (Ospina & al., 2008) soulignent que les données ayant permis d’annoncer ces taux de succès sourent de problèmes méthodologiques majeurs et qu’en fait, personne n’est actuellement capable de déterminer leur ecacité. Quelques enfants ainsi traités évoluent eectivement de façon favorable, mais

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quand on considère des groupes de personnes atteintes d’un TSA, on s’accorde sur la minceur des résultats obtenus, particulièrement sur le QI et les comportements répétitifs. L’imprévisibilité des résultats et l’absence de données sur leur maintien à long terme et sur d’éventuels eets négatifs de ces méthodes sur les modes d’apprentissage spontanés de l’enfant obligent à conclure qu’elles ne sont pas susamment étudiées. Le coût prohibitif de ces techniques, l’impact majeur qu’elles ont sur la relation parent-enfant et la qualité de vie de chacun, le désaccord qu’elles soulèvent chez les adultes atteints, constituent d’autres désavantages.

Thérapie cognitivo-comportementale L’accroissement de la population atteinte d’un TSA possédant des capacités verbales élaborées et la notion d’une comorbidité anxieuse chez ces patients ont conduit à appliquer les principes de la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) pour des symptômes psychiatriques ou adaptatifs des TSA. Les étapes d’une TCC comportent une section didactique sur le comportement à modier, l’établissement des bénéces attendus, une liste hiérarchisée de scénarios dans lesquels l’anxiété survient et la mise au point de stratégies d’arontement. Les eets rapportés sur l’anxiété sont positifs, mais ne sont pas encore validés avec des méthodologies de qualité. De plus, il reste à dénir la nature des aménagements propres aux TSA, par comparaison aux techniques utilisées dans d’autres aections.

Gestion de crise L’accompagnement d’une personne atteinte d’un TSA se caractérise par sa discontinuité : de longues périodes pendant lesquelles l’enfant ou l’adulte n’a pas besoin de soutien particulier contrastent avec des situations où il présente des ruptures de fonctionnement, généralement à la suite d’une modication, même minime (p. ex., un changement de céréales au déjeuner) de son environnement ou de sa santé. La gestion de crise est donc un mode d’intervention psychiatrique et interdisciplinaire essentiel dans les TSA. Colères, fugues, insomnie inhabituelle, accroissement brutal d’automutilations ou de comportements ritualisés (p. ex., questionnements répétitifs), bris d’objets, violence envers les proches, sont les crises les plus fréquemment rencontrées. Les personnes Asperger (selon le DSM-IV-TR) présentent plus signicativement des bouées anxiodépressives déclenchées par des comportements de rejet ou jugés comme tels de la part de leur entourage social. Pour élucider ces crises, il faut mener une enquête auprès de l’entourage. Quels changements à une routine peut-on identier et modier ? La personne en crise a-t-elle vécu un désagrément d’ordre physique ou perceptuel ? Le cas échéant, quelle information faut-il lui fournir pour l’aider à comprendre ce changement et ses conséquences ? L’intervention de crise doit distinguer ce qui peut être fait de manière immédiate de ce qui peut être établi entre les crises, de façon préventive. Au moment de la crise, on conduit le patient à sa chambre ou dans un environnement familier, ou on le laisse aller dans un endroit isolé qu’il connaît, en lui expliquant ce qu’on fait et les raisons pour lesquelles on agit ainsi, et en lui donnant l’assurance qu’on règlera la question quand il sera calme. Lorsque la personne est plus calme, on conduit ensuite une enquête rétrospective verbale avec elle, si elle dispose d’un langage susant, et avec son entourage. Lorsque la

communication orale est incertaine (p. ex., langage oral très réduit ou comprenant plusieurs phrases stéréotypées, ou contact dicile), il est souvent bénéque de communiquer par écrit, y compris par courriel. On présume alors que la personne peut comprendre le message, par exemple : « Tu t’es fâché hier, pourquoi ? Qu’est-ce que je peux faire pour que tu sois content ? » Il existe évidemment des situations où la compréhension du message n’a pas lieu, ne produisant donc aucun eet positif, mais les surprises sont nombreuses à cet égard. De manière générale, les liens tissés et la conance établie au cours des périodes neutres sont des atouts précieux pour résoudre une situation de crise lorsqu’elle survient. Dès leur très jeune âge, les personnes présentant un TSA se font en eet des opinions tranchées sur la abilité des personnes qui les entourent et les bonnes intentions qu’elles ont à leur égard. Pour les personnes autistes de sous-type Asperger, l’excès de langage oral et son orientation vers le détail et l’exactitude absolue sont souvent les plus grands obstacles à la communication. Une façon de conduire l’entretien consiste à reformuler, en début de rencontre, ce qu’on sait de la situation et l’enjeu de la rencontre dans les termes les plus factuels possible en demandant au patient de corriger ce qui est inexact.

58.9.4 Interventions sociales Guidance parentale Les méthodes de guidance parentale jouissent maintenant d’une crédibilité scientique supérieure à l’intervention comportementale intensive (ICI) du fait de vastes essais cliniques randomisés. Visant surtout l’augmentation de la communication, elles ont pour principe de redonner aux parents les moyens d’interagir avec leur enfant. On invite également les parents à recevoir les essais communicatifs de leur enfant pour leur valeur communicative, au lieu de les juger comme déviants par rapport à une norme communicative ou développementale. Ainsi, une méthode de guidance parentale très légère, comportant une entrevue mensuelle sur six mois, suivie de trois sessions de consolidation, avec mesures du maintien après un an, obtenait des améliorations signicatives dans la symptomatologie générale sociale et communicative, aussi bien que dans les mesures de langage et de communication (Aldred & Green, 2009). Kasari et ses collaborateurs (2006) ont montré que l’ajout de 30 minutes quotidiennes d’aide à l’attention conjointe et à l’interaction parent-enfant, dans le cadre d’un programme à plein temps d’inspiration comportementale, a produit des eets mesurables et généralisables sur l’interaction parent-enfant. En outre, Green et ses collaborateurs (2010) ont pu montrer que l’ajout de la méthode Parent-Mediated Communication Focused Treatment aux traitements usuels diminuait les symptômes de TSA. On a aussi montré un bénéce sur la communication sociale entre parent et enfant. Les résultats obtenus sont généralement plus faibles que ceux annoncés par les méthodes comportementales, mais ils ont l’avantage d’être mesurés de façon méthodologiquement supérieure et ont plus de chance d’être pertinents.

Thérapies d’intégration sensorielle Les manifestations d’hypo- ou d’hyperréactivité à l’information sensorielle ont un impact sur les comportements, la capacité d’être attentif et l’intégration des personnes présentant un TSA lors de certaines activités comportant des stimulations

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Autismes

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auxquelles elles sont sensibles. Les études en neurosciences ont bien montré dans les TSA l’existence d’une perception atypiquement performante et de comportements répétitifs de recherche ou d’évitement liés à la perception. Ainsi, il y a lieu d’élaborer un plan d’intervention contenant des mesures d’adaptation pour tenter d’atténuer l’eet délétère des atypies perceptives sur l’adaptation. Plusieurs approches en ce sens sont couramment proposées (thérapie d’intégration ou de stimulation sensorielle, entraînement à l’intégration auditive, salle Snoezelen à la fois apaisante et stimulante, thérapie visuelle) et font partie de l’arsenal thérapeutique de certaines professions, en ergothérapie particulièrement. Pourtant, les données probantes de type « études cas-témoins randomisées » portant sur leurs résultats sont peu nombreuses, méthodologiquement faibles, et les résultats évalués sur de courtes durées sont contradictoires. Les modèles théoriques soutenant certaines des techniques d’intervention doivent de plus être précisés, ne correspondant pas aux acquis des neurosciences dans le domaine. Enn, certaines de ces techniques comportent des risques, comme celui de perte d’acuité auditive consécutive à un déconditionnement des réactions au bruit, ou à l’entraînement à l’intégration auditive. Si l’absence de validité scientique des techniques fondées sur les particularités perceptives des personnes atteintes d’un TSA est soulignée, il est en revanche légitime de rechercher, lors de l’inventaire de signes à but diagnostic, ou postcrise, si un comportement dérangeant se produit en réponse à une stimulation perceptive visuelle ou auditive. La notion d’une hypersensibilité sensorielle, par exemple aux bruits lors d’un cours d’éducation physique, permet de comprendre le comportement inapproprié et ainsi d’appliquer une intervention spéciquement liée à sa cause, plutôt que de le considérer comme une simple marque d’agitation et de proposer une réponse médicamenteuse. En présence de particularités sensorielles, les milieux éducatifs doivent en tenir compte dans la conception et la gestion de l’environnement physique d’une personne atteinte d’un TSA et des approches qui lui sont proposées pour favoriser sa participation en classe. L’adaptation scolaire consiste, par exemple, à : • réduire les exigences scolaires ; • modier les activités en classe an de minimiser l’impact des dicultés motrices et sensorielles ; • enseigner des stratégies compensatoires ; • maximiser l’utilisation des forces de la personne pour l’amener à surmonter ses dicultés motrices et sensorielles. Comme il n’y a cependant pas de données probantes sur l’eet de ces mesures, elles doivent être conçues et appliquées sans dogmatisme, sur une base individuelle, et en en révisant régulièrement les impacts négatifs et positifs.

Méthode TEACCH Le Treatment and Education of Autistic and related Communication Handicapped Children (TEACCH) est une technique éducative de groupe consistant à : • modier le milieu pour l’adapter aux décits cognitifs ; • contourner une fonction atteinte (p. ex., planication) lorsqu’une tâche peut être aussi eectuée par une autre fonction (p. ex., traitement perceptif visuel) ; • enrichir les capacités en émergence (p. ex., langage oral) ; • utiliser ponctuellement des méthodes comportementales.

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La méthode TEACCH s’utilise davantage pour la prévention des situations de crise et pour l’apprentissage de contenu. L’enseignement structuré est en l’un des principes clés et constitue le cadre temporel et spatial à l’intérieur duquel sont apprises les habiletés sociales, de communication, de la vie quotidienne, du travail et de loisirs. L’organisation de l’espace consiste à diviser la classe en aires d’apprentissage clairement identiées (aires de jeux, de repas, de travail autonome, d’apprentissage individualisé, de transition et de groupe). La division des lieux de travail facilite le processus d’apprentissage d’une tâche. L’aire d’enseignement est le lieu où la tâche est apprise, et l’aire de travail autonome permet à l’enfant de répéter seul l’apprentissage, ce qui promeut son autonomie. Le matériel est bien organisé : paniers contenant le matériel nécessaire à l’exécution de la tâche, étiquetage systématique du matériel, utilisation de supports visuels pour organiser la tâche à accomplir. Cette organisation diminue la dépendance habituelle de l’enfant vis-à-vis des consignes verbales et facilite donc sa compréhension, souvent non verbale pendant la période préscolaire. L’organisation du temps consiste à programmer les changements d’activités par l’utilisation d’horaires représentés visuellement et accessibles dans l’aire de travail autonome de chaque enfant. La méthode TEACCH bénécie d’une large implantation dans les pays occidentaux, mais se prête toutefois mal à l’évaluation du fait de sa nature multifactorielle.

Adaptation scolaire dans le système standard À moins de présenter un niveau de marginalité avancé, un enfant atteint d’un TSA devrait être scolarisé dans le système régulier (Mesibov & Shea, 1996), an que puisse se développer chez lui et chez ses pairs une culture non ségrégative, qu’il jouisse d’un niveau d’entraînement scolaire possiblement normal et qu’il apprivoise le contact avec les pairs. L’écueil le plus important reste le harcèlement par les autres élèves, surtout aux récréations. Il existe plusieurs niveaux d’adaptation possible, depuis la classe spéciale en milieu régulier jusqu’à l’aide individuelle, qui peut être répartie entre plusieurs enfants atteints d’un TSA dans une même classe. La fonction de l’aide consiste à individualiser les consignes et les évaluations scolaires en fonction du niveau intellectuel et de la compréhension des consignes, et d’adapter la façon de les transmettre. Dans les cas extrêmes, l’enfant peut n’avoir accès qu’à une seule tâche directement inspirée de ses champs d’intérêt particuliers au moment de son entrée en classe. Il s’agit ensuite de les élargir et de les diversier. Toutefois, un grand nombre d’enfants atteints de TSA portent intérêt à l’acquisition de connaissances et participent activement dans un cadre scolaire. L’évaluation des connaissances devrait tenir compte de la diculté à moduler la vitesse d’une tâche et être composée d’épreuves « à trous » (texte ou calcul dont seule manque la réponse souhaitée) et de questions « vrai ou faux ». Le professeur devrait utiliser des épreuves à développement seulement quand l’enfant a démontré sa capacité à les réussir.

58.9.5 Prévention En présence d’une charge génétique indiquant l’existence d’une forme familiale de TSA, il convient de donner aux parents l’information sur la probabilité de récurrence, mais dans un esprit de neutralité vis-à-vis de leur choix, que ceux-ci soient eux-mêmes atteints de TSA ou non. Il n’existe pas de test permettant de prédire

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in utero si l’enfant à naître sera atteint. En plus de soulever des questions éthiques majeures, les tests prénataux de TSA, annoncés à répétition dans la presse, ne paraissent pas réalistes actuellement. En eet, les gènes impliqués avec certitude (au nombre de six actuellement) ne concernent qu’un très petit pourcentage de la population et ne sont pas d’une spécicité à toute épreuve. On ne peut donc parler de dépistage préventif des TSA, mais de dépistage de maladies rares, parfois associées aux TSA.

58.10

Évolution et pronostic

Les troubles du spectre de l’autisme (TSA) sont constitués d’une variété d’aections dont plusieurs convergent vers la normalisation au fur et à mesure du développement de l’individu. Les problèmes dans les domaines sociaux et communicatifs tendent à s’atténuer, ce qui est vrai aussi, dans une moindre mesure, pour les signes appartenant aux comportements répétitifs et aux champs d’intérêt restreints. Environ 15 % des enfants diagnostiqués autistes à l’âge de 4 ou 5 ans obtiennent, au moment de l’adolescence, un score nul à l’entrevue standardisée ADOS, mais moins de 5 % n’ont

plus aucun signe comportemental de TSA (Farley & al., 2009). L’importance des signes des enfants atteints et leur niveau de langage entre 3 et 5 ans ne prédisent pas le niveau d’adaptation à l’âge adulte, du fait que ceux qui sont d’intelligence moyenne font souvent un brusque saut vers l’âge de 4 à 6 ans, avec un accès rapide au langage et une réduction des comportements dérangeants. Le niveau de langage en début de vie ne prédit pas ce que deviendra la personne à l’âge adulte, et il faut attendre au moins l’âge de 8 ans pour que la combinaison entre le QI non verbal et le niveau de langage prédisent l’adaptation sociocommunicative adulte. En revanche, l’absence de décience intellectuelle et l’apparition de phrases communicatives avant l’âge de 6 ans sont signe d’un meilleur niveau d’adaptation.

L’hétérogénéité du spectre de l’autisme existe donc à la fois dans la présentation et le niveau d’adaptation à tout âge de la vie, mais également dans les trajectoires développementales, qui mènent d’une présentation à une autre et d’un niveau d’adaptation à un autre.

Lectures complémentaires B-S, A. & al. (2009). « A metaanalysis of sensory modulation symptoms in individuals with autism spectrum disorder », Journal of Autism and Developmental Disorders, 39(1), p. 1-11. C    Q & O    Q. (2012). Les troubles du spectre de l’autisme : L’évaluation clinique, [en ligne], www.ordrepsy.qc.ca/sn_

uploads/2012_02_Lignes_directrice_ Troubles_du_spectre_de_lautisme.pdf. F   ’. [En ligne], www.autisme.qc.ca. L, R. & R, A. (2010). « Treatment of anxiety in autism spectrum disorders using cognitive behaviour therapy : A systematic review », Developmental NeuroRehabilitation, 13(1), p. 53-63.

M, L. (2004). L’autisme, une autre intelligence, Bruxelles, Mardaga. O, A. (2011). Musique autiste. Vivre et composer avec le syndrome d’Asperger, Montréal, Triptyque. Z, N. & S, S. J. (2009). « Neurometabolic disorders and dysfunction in autism spectrum disorders », Current Neurology and Neuroscience Reports, 9(2), p. 129-136.

Chapitre 58

Autismes

1287

CHA P ITR E

59

Troubles de l’attachement Martin St-André, M.D., FRCPC

Chantal Cyr, PH. D. (philosophie)

Psychiatre, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (Montréal)

Psychologue, chercheuse, Centre de recherche Jeunes en diculté, Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

Professeur agrégé de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

59.1 Perspective développementale de l’attachement........................................................... 1289 59.1.1 Fonction biologique de l’attachement................................................... 1289 59.1.2 Aspects neurobiologiques et physiologiques ................................................. 1289 59.1.3 Système d’attachement....................................... 1289 59.1.4 Autres systèmes motivationnels ....................... 1290 59.1.5 Contribution du tempérament et des gènes........................................................... 1291 59.1.6 Observation de l’attachement........................... 1291 59.1.7 Types d’attachement ........................................... 1292 59.1.8 Psychopathologie développementale ............................................... 1294

Professeure agrégée, Département de psychologie, Faculté des sciences humaines, Université du Québec à Montréal 59.2 Perspective clinique des troubles de l’attachement........................................................... 1295 59.2.1 Historique et évolution du concept ................. 1295 59.2.2 Épidémiologie ...................................................... 1295 59.2.3 Étiologies............................................................... 1295 59.2.4 Description clinique ........................................... 1295 59.2.5 Évaluation ............................................................. 1297 59.2.6 Outils diagnostiques ........................................... 1297 59.2.7 Diagnostic diérentiel ........................................ 1298 59.2.8 Prévention et traitement.................................... 1299 59.2.9 Évolution et pronostic ........................................ 1301 Lectures complémentaires .................................................... 1301

L’

enfant sourant d’un trouble de l’attachement présente d’importantes dicultés relationnelles vis-à-vis son donneur de soins principal. Essentiellement, cet enfant ne semble pas privilégier son donneur de soins comme une gure d’attachement sélective et réconfortante. En situation de stress, soit il est incapable d’engager des interactions sociales avec son donneur de soin et de rechercher son réconfort, soit il tend à rechercher ce réconfort de façon indiérenciée envers les étrangers et les personnes familières. Les comportements mettant en évidence un trouble réactionnel de l’attachement chez l’enfant ont été observés pour la première fois dans les années 1940 auprès d’enfants institutionnalisés ayant vécu dans des conditions d’extrême adversité (Spitz, 1945). Ce n’est qu’à partir de la publication du DMS-III que le trouble réactionnel de l’attachement a été considéré comme un trouble de la petite enfance. À la même époque, des chercheurs s’attardaient à opérationnaliser la théorie que venait tout juste de formuler Bowlby (1973) sur le développement normal de l’attachement chez le jeune enfant. En comparaison au peu d’études ayant été réalisées sur le trouble de l’attachement, de nombreuses études ont été réalisées sur le développement de l’attachement sécure et insécure ainsi que sur son rôle en tant que facteur de protection ou de risque dans le développement de psychopathologies chez l’enfant. Nous assistons même, au cours des dernières années, à un engouement pour le concept de l’attachement dans l’élaboration et l’application de stratégies d’intervention auprès d’enfants présentant des troubles réactionnels (d’attachement) et de comportement. L’état des connaissances actuelles suggère que la qualité du lien d’attachement sécure ou insécure développé par l’enfant envers son parent (ou donneur de soins principal) est un des meilleurs indicateurs précoces de sa santé mentale ultérieure et même de certains éléments clés de sa santé physique. Toutefois, malgré les connaissances substantielles sur le développement du jeune enfant, de nombreux dés persistent lorsque vient le temps d’évaluer concrètement sa santé mentale. Il est en eet dicile de procéder à cette évaluation du fait qu’il est en évolution et changement constants. Aussi, parce que le jeune enfant ne possède pas un langage verbal très sophistiqué pour exprimer ses dicultés, le clinicien doit faire reposer son évaluation sur les propos rapportés par d’autres personnes, lesquels peuvent être plus ou moins subjectifs. Il importe donc d’accorder une importance particulière aux comportements (langage non verbal) du jeune enfant, notamment ses comportements d’attachement sécure et insécure, qui constituent de bons indices de sa santé mentale. Aujourd’hui, la théorie de Bowlby (1973) et les travaux empiriques de ses successeurs sur le développement de l’attachement sont perçus comme un cadre de référence des plus pertinents pour comprendre la santé mentale de l’enfant, dont le développement du trouble réactionnel de l’attachement.

59.1 Perspective développementale de l’attachement La perspective développementale présente le développement normatif de l’attachement de la petite enfance à l’âge adulte à partir d’une vision intégrée du développement de l’enfant. Ainsi, les aspects neurobiologiques, physiologiques, cognitifs et comportementaux de l’attachement sont considérés.

59.1.1 Fonction biologique de l’attachement Selon la théorie de l’attachement (Bowlby, 1973), l’enfant est prédisposé biologiquement à s’attacher à sa mère (ou son donneur de soins) an d’être protégé des sources de dangers potentiels. En eet, en l’absence d’un adulte pour s’occuper de lui, le bébé et le jeune enfant seraient voués à une mort certaine ; seuls, ils ne pourraient pas se nourrir, se réchauer ou se protéger des dangers externes. Les comportements d’attachement de l’enfant à l’égard de son parent ont donc une fonction biologique importante, car ils permettent sa survie et ultimement sa reproduction. Les enfants présentant un trouble envahissant du développement ou une décience intellectuelle grave sont plus susceptibles de développer des dicultés d’attachement même en présence de soins sensibles et adéquats, bien que certains développent un attachement sécure. Également, dans des situations rares et inhabituelles de soins grandement inadéquats et atypiques, l’enfant risque de ne pas développer de comportements d’attachement envers son parent ou d’éprouver de sérieuses dicultés relationnelles, voire un trouble réactionnel de l’attachement. Vivre en institution dans des conditions de grande adversité, être victime de maltraitance ou d’insensibilité parentale extrême sont des exemples de conditions de soins inadéquats ou de manque de soins parentaux, susceptibles de contribuer au développement de dicultés ou d’un trouble réactionnel de l’attachement chez l’enfant. Les manifestations de l’attachement sécure et insécure ont été retrouvées dans les diérentes cultures du monde, avec une prépondérance du pattern d’attachement sécure, ce qui amène les chercheurs à conclure que l’attachement est un phénomène validé transculturellement (Van IJzendoorn & Sagi-Schwartz, 2008).

59.1.2 Aspects neurobiologiques et physiologiques On comprend maintenant de mieux en mieux que le système d’attachement repose, dès la période fœtale, sur des bases neurologiques et des structures cérébrales qui se modient au cours des premières années de vie au contact de l’environnement (Gauthier, 2009). En eet, le cerveau du fœtus, puis du jeune enfant dispose déjà des préalables à l’interaction sociale et aective pouvant être inuencés par les interactions précoces avec l’environnement de nature épigénétique, même durant la grossesse, ce qui ouvre la voie à des interventions préventives (St-André & al., 2014). Ainsi les interactions précoces parent-enfant ont un eet important, parfois durable, sur l’organisation du cerveau de l’enfant et sur sa réponse aux demandes de l’environnement, particulièrement sur le plan de sa régulation émotionnelle et physiologique à l’égard du stress que peuvent susciter les demandes de l’entourage. Cette vulnérabilité ou cette protection acquise peut éventuellement devenir un facteur qui favorise ou contrecarre l’éclosion de différentes psychopathologies (Pechtel & al., 2011).

59.1.3 Système d’attachement L’attachement de l’enfant réfère à sa capacité de rechercher la proximité de sa gure d’attachement pour être réconforté, nourri, voire protégé lorsqu’il en a besoin. Tous les comportements d’attachement de l’enfant s’organisent alors en un système ayant pour but précis la recherche de proximité de sa gure d’attachement.

Chapitre 59

Troubles de l’attachement

1289

Il est donc impossible de comprendre l’attachement en dehors de la relation que l’enfant entretient avec son donneur de soins. Il réfère à un construit relationnel où les comportements d’attachement sont manifestés par l’enfant (p. ex., pleurer, ramper, marcher vers la mère) et dirigés vers la gure d’attachement. Par exemple, certains comportements d’attachement, comme sourire et émettre des vocalisations, signalent que l’enfant est désireux d’interagir avec sa mère, ce qui encourage cette dernière à se diriger vers son enfant. D’autres comportements plus négatifs, comme pleurer, vont inciter la mère à s’approcher rapidement de son enfant an de mettre un terme à sa détresse. Le système d’attachement se construit durant la première année. À la naissance, tous les systèmes sensoriels (visuel, auditif, tactile, gustatif, olfactif ) de l’enfant sont fonctionnels et, plus l’enfant grandit, plus ces systèmes deviennent sophistiqués et s’arriment avec son système comportemental pour induire des comportements d’attachement dirigés vers une gure d’attachement sélective (Marvin & Britner, 2008). Dans les premières semaines de vie, tous les systèmes sensoriels de l’enfant contribuent au développement de l’attachement : • sensations olfactives liées par exemple à l’odeur du lait maternel ou de la peau du parent ; • sensations visuelles liées à l’expressivité du visage de la mère ; • sensations auditives liées au son de la voix des parents (reconnues même in utero) ; • sensations tactiles liées au contact corporel, notamment importantes chez les prématurés avec l’utilisation du peau-à-peau, ou méthode kangourou ; • sensations vestibulaires et proprioceptives ressenties au moment des bercements ou des soins corporels. Les stimulations sensorielles contribueront à maintenir l’attention de l’enfant et l’interaction avec le donneur de soins. C’est ainsi, au cours des premiers mois de vie, que l’enfant et la mère s’engagent dans des interactions et une régulation aective mutuelle. Ces interactions, en raison de leurs répétitions fréquentes et de la progression signicative des capacités de l’enfant et associées aux comportements de la gure d’attachement (Schore, 2005), permettront au système d’attachement d’être fonctionnel vers l’âge de 6 à 9 mois, période où l’enfant peut clairement manifester ses comportements d’attachement à l’égard de son parent. À partir de ce moment, le développement de l’enfant se caractérise par de nombreux changements sur les plans de sa locomotion et de ses capacités cognitives et de communication, qui lui permettent maintenant de montrer qu’il a bien appris, sur la base des interactions avec sa gure d’attachement depuis sa naissance, à discriminer des autres donneurs de soins et à la privilégier à un étranger pour le réconforter et le protéger. À mesure qu’il grandit, l’enfant modie et ajuste ses comportements en fonction du contexte dans lequel sa gure d’attachement et lui-même se trouvent ou en fonction de son âge développemental. Par exemple, les précurseurs de l’attachement chez le nouveau-né s’expriment par une capacité précoce de participer à des échanges en face-à-face avec l’adulte. Ces premiers échanges affectifs, qui surviennent par exemple lors de l’allaitement/ biberon, de jeux de coucou ou encore de soins corporels, mettent en scène un répertoire d’aects et de comportements qui permettent à l’enfant de développer progressivement sa sécurité intérieure à travers la proximité physique, la synchronie, la

1290

prévisibilité et la sécurité de ses échanges avec sa gure d’attachement. De leur côté, la mère de même que le père développent leur disponibilité à jouer un rôle sécurisant et facilitateur de l’exploration de l’environnement. On réfère ici à la sensibilité parentale, c’est-à-dire la capacité du parent à reconnaître, interpréter et répondre de façon appropriée aux demandes de son enfant. Dès la période de la grossesse, des conduites parentales précoces à la formation du lien d’attachement (bonding) peuvent aussi s’observer chez la mère et le père. À mesure que le bébé vieillit, ses expressions faciales et corporelles se complexient, lui permettant par exemple de tendre les bras an de signier à sa gure d’attachement son besoin de proximité. Alors que celle-ci s’éloigne davantage, il peut la suivre ou même pleurer pour intensier sa demande. À l’âge préscolaire et scolaire, l’enfant peut signier verbalement à sa mère qu’il souhaite qu’elle demeure près de lui lors de son coucher, ou encore qu’elle laisse la porte ouverte, an de l’apaiser. Comme le mentionne Bowlby (1982), l’objectif de l’enfant, que celui-ci soit jeune ou plus âgé, n’est pas tant l’objet convoité, en l’occurrence le donneur de soins, habituellement la mère, que l’état physiologique dans lequel il se trouve une fois que la distance entre lui et sa gure d’attachement est acceptable et susante pour diminuer son état de stress. À l’adolescence, puis à l’âge adulte, la personne continue à s’appuyer sur ses expériences d’attachement, expériences intériorisées sous forme de modèles internes opérants (voire des schèmes cognitifs ou modèles représentationnels) et qui agissent le plus souvent sur un mode non conscient pour inuencer ses comportements et guider son interprétation et sa prédiction des comportements et des pensées des autres (p. ex., ses pairs, son conjoint, ses propres enfants).

59.1.4 Autres systèmes motivationnels Le système d’attachement de l’enfant est plus susceptible de s’activer lorsqu’il présente des besoins à soulager, tels que la faim, la fatigue, la douleur ou la maladie, ou lorsque son environnement constitue une source de stress comme la non-familiarité ou le danger. D’autres systèmes motivationnels sont décrits :

• le système d’exploration (motivation à apprendre et à connaître ce qui nous entoure) ;

• le système d’aliation (motivation à socialiser et à créer des liens signicatifs avec les autres, les amis, etc.) ; • le système de peur (motivation à réagir au danger en attaquant ou en fuyant la source de peur). Bien que ces systèmes aient tous pour objectif d’assurer la survie de l’enfant an de permettre la reproduction de l’espèce, ils répondent à des signaux diérents. Notamment, les systèmes d’aliation et d’exploration de l’enfant, où il est disponible pour découvrir son environnement et faire ainsi des apprentissages tant cognitifs que socioaectifs, ne pourront s’activer si les systèmes de peur et d’attachement sont sollicités.

Modèles internes opérants d’attachement Sur la base des interactions qu’il entretient avec son parent lors de ses premières années de vie, l’enfant se construit des représentations de soi, des autres et de sa relation avec son parent. Ces représentations sont regroupées sous forme de schèmes cognitifs que la théorie de l’attachement nomme « modèles internes opérants d’attachement ». À l’âge préscolaire, lorsque les capacités

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cognitives de l’enfant sont plus sophistiquées, les modèles internes opérants deviennent d’importantes structures cognitives, analogues à des cartes topographiques relationnelles, qui lui permettent d’interpréter et de prédire les actions, les émotions et les pensées des autres en fonction de ses propres attentes (Bretherton & Munholland, 2008). C’est le fondement de la théorie de l’esprit, cette capacité que nous possédons d’attribuer aux autres des états d’esprit pour expliquer leur comportement. Les représentations d’attachement sont évaluées à travers l’observation des comportements du jeune enfant en interaction avec son parent et l’analyse du discours des enfants plus âgés et des adultes. Ces méthodes renseignent sur les processus de traitement de l’information et les stratégies de régulation émotionnelle utilisés par l’individu.

59.1.5 Contribution du tempérament et des gènes Le tempérament de l’enfant réfère à des caractéristiques constitutionnelles, voire biologiques et héréditaires, qui inuencent sa réactivité et ses capacités de régulation des émotions, de l’attention et du comportement vis-à-vis des changements et des demandes de l’environnement. Selon Rothbart & Bates (2006), les diérences individuelles observées dans le tempérament des enfants sont le résultat de variations neurophysiologiques internes. À l’opposé, l’attachement met l’accent sur la dimension relationnelle parent-enfant. Et on a montré que ces dicultés du lien d’attachement parent-enfant ne pouvaient se réduire à des caractéristiques intrinsèques à l’enfant. La recherche, dans ce domaine complexe, montre que ces deux dimensions ont généralement peu de liens entre elles, c’est-à-dire que les enfants dotés d’un tempérament facile ne sont pas plus susceptibles de développer un attachement sécure envers leur parent et, à l’inverse, ceux ayant un tempérament dicile ou irritable ne sont pas plus à risque de développer un attachement insécure. Le tempérament et l’attachement réfèrent donc à des domaines diérents chez l’enfant, qui doivent faire l’objet d’une attention individuelle en clinique. Cependant, les dimensions de l’attachement et du tempérament sont susceptibles d’interagir l’une avec l’autre et d’inuencer ainsi le développement de l’enfant et la présentation de ses symptômes cliniques (Vaughn & al., 2008). Par exemple, un enfant de 5 ans référé pour des comportements d’hyperactivité peut présenter à la base un tempérament dicile ou encore un trouble de l’attention avec hyperactivité avéré, mais l’évaluation de cet enfant doit inclure une observation clinique de la qualité de ses interactions avec ses gures d’attachement. Sinon, l’intervention prescrite (p. ex., une médication psychostimulante) ne permet pas d’aborder certains enjeux relationnels contributifs aux comportements hyperactifs. À l’inverse, un enfant référé pour « dicultés relationnelles parent-enfant », que les parents tendent à percevoir négativement et dont ils décodent mal les besoins aectifs (p. ex., parents inconstants, distants), peut aussi présenter des caractéristiques tempéramentales particulières qui intensient les eets des comportements parentaux à son égard. En plus de travailler la relation parent-enfant, il faut donc prendre en compte les caractéristiques tempéramentales de l’enfant dans la formulation diagnostique et le plan de traitement. Par exemple, on peut enseigner à l’enfant et à ses parents des moyens de faciliter les transitions, de faire face à la nouveauté ou encore de moduler son

intensité aective, autant de caractéristiques tempéramentales. Par ailleurs, dans une perspective épigénétique, des facteurs de vulnérabilité individuelle peuvent aussi interagir avec les caractéristiques parentales et ainsi inuencer la qualité de l’attachement de l’enfant à son parent. Par exemple, on a montré que les enfants présentant un polymorphisme génétique sont plus à risque de développer un attachement insécure ou désorganisé seulement si leur parent est insensible (Gervai & al., 2007).

59.1.6 Observation de l’attachement Depuis les premières études d’Ainsworth et de ses collègues (1978) sur les comportements d’attachement des bébés à l’égard de leur mère, un nombre impressionnant d’études examinant les enfants en interaction avec leur parent ont été menées. Fondées sur des données observationnelles, les conclusions issues de ces études gurent aujourd’hui parmi les données les plus importantes pour comprendre le développement et la santé mentale de l’enfant.

Sensibilité parentale et représentations d’attachement du parent La qualité du lien d’attachement que l’enfant développe envers son parent est étroitement liée à la sensibilité de ce dernier, c’est-à-dire à sa capacité de percevoir et d’interpréter ses besoins et ses signaux, et d’y répondre de manière appropriée et dans un délai acceptable (Belsky & Fearon, 2008 ; Bowlby, 1982). Par ailleurs, la sensibilité du parent, et du coup sa contribution au lien d’attachement, repose beaucoup sur la manière dont il a intégré ses propres expériences d’attachement, ce qui est décrit sous le nom de « modèles représentationnels d’attachement du parent ». Par exemple, les parents qui possèdent un modèle représentationnel d’attachement sécure discutent avec cohérence de leurs expériences d’attachement et portent des jugements métacognitifs (ou réexifs) leur permettant de réévaluer avec plus de justesse les événements qu’ils ont vécus durant leur enfance. Ces parents sont aussi plus habiles à interpréter les besoins de leur enfant et à y répondre sans avoir recours à des processus défensifs qui favorisent le développement d’un attachement insécure.

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Un supplément d’information sur les représentations d’attachement adulte est disponible dans Hesse (2008).

À l’opposé, d’autres adultes présentent un modèle représentationnel d’attachement fondé sur la désactivation des informations aectives liées aux relations d’attachement : ils « oublient » les expériences aectives de soins reçus lors de leurs premières années de vie, dévalorisent les relations aectives, ou encore minimisent ou dénigrent leurs besoins de dépendance et ceux des autres au prot d’une autonomie exagérée et de la performance. S’ils deviennent parents, ils ont tendance à déprécier ou ignorer tout simplement les besoins normaux de dépendance de leur enfant. Ils ont de la diculté à percevoir les signaux de détresse de leur enfant. Une autre catégorie d’adultes exagèrent les informations aectives liées aux relations d’attachement : ils intensient leur détresse et celle des autres, demeurent enchevêtrés dans leur histoire relationnelle précoce et centrés sur elle, ce qui se traduit par une présence persistante de colère, d’incertitudes, de blâmes envers les autres, et des dicultés à décrire de manière cohérente, concise et crédible leurs expériences relationnelles précoces. Si ces adultes deviennent eux-mêmes

Chapitre 59

Troubles de l’attachement

1291

parents, ils ont tendance à éprouver des dicultés à décoder les signaux de détresse de leur enfant ; ils interprètent à tort ses signaux de détresse, par exemple en anticipant le moindre incident et en se précipitant anxieusement vers leur enfant pour le prévenir ou réagir, mais en répondant avec délai à ses réels signaux de détresse. Enn, certains parents présentent un modèle représentationnel d’attachement dit « non résolu », car ils sont submergés par des pensées et des émotions liées à des traumatismes antérieurs (p. ex., abus, décès, fausses couches) qu’ils ne sont pas parvenus à résoudre (Main & al., 1985). Lorsque des expériences douloureuses demeurent non résolues, elles continuent à exercer une inuence (inconsciente) sur l’organisation de la pensée et les comportements du parent, et entravent dès lors ses capacités à bien percevoir et interpréter les besoins et signaux de l’enfant, et à y répondre de façon adéquate, ce qui contribue à l’apparition et au maintien d’un attachement insécure/désorganisé, voire insécure/contrôlant chez les plus âgés. Les parents ayant des deuils non résolus et les parents abusifs et négligents, dont un grand nombre d’entre eux ont été victimes d’abus ou ont subi des abandons et des placements multiples durant leur enfance, constituent les groupes de parents les plus à risque de présenter un modèle représentationnel d’attachement non résolu.

Procédure d’observation La procédure (the strange situation) développée par Ainsworth et ses collaborateurs (1978) est la méthode de choix utilisée pour évaluer la qualité du lien d’attachement que l’enfant a développé envers son parent. Cette procédure peut être utilisée en clinique chez les enfants âgés de 12 mois à 5 ans. Elle est essentiellement composée de deux épisodes de séparation/réunion entre le parent (ou le donneur de soins principal) et l’enfant, d’une durée de 3 à 5 minutes chacun. Dans la procédure conçue pour les enfants âgés de 1 an à 2 ans, une personne étrangère à l’enfant est invitée à se joindre à la dyade parent-enfant avant la première séance an que l’enfant ne demeure pas seul pendant ce premier épisode de séparation. L’objectif de cette situation est d’activer, à la suite des séparations, le système d’attachement de l’enfant an d’évaluer les stratégies qu’il a développées pour accéder à son parent et apaiser sa détresse lors des retrouvailles. Chez les enfants âgés de 5 à 7 ans, des séparations plus longues de 30 et 45 minutes sont suggérées an de s’assurer que le système d’attachement aura susamment de temps pour s’activer. À ce jour, de nombreuses études ont montré la validité de cette procédure. La description des comportements associés à chacun des patterns d’attachement évalués dans la strange situation est présentée dans le tableau 59.1.

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Un supplément d’information sur les travaux de Mary Ainsworth à propos de l’attachement est disponible en ligne dans la vidéo en trois parties Ainsworth and Attachement.

5.1.7 Types d’attachement Il existe deux grand types d’attachement: sécure et insécure. L’attachement insécure est subdivisé en quatre sous-types.

Attachement sécure L’attachement sécure est le plus souhaitable. Sur la base des interactions vécues avec un parent sensible à ses besoins aectifs, l’enfant apprend à rechercher la proximité de son parent lorsqu’il est en situation de stress pour réguler ses émotions et organiser

1292

ses comportements et, une fois réconforté, à s’y référer comme base sécurisante à partir de laquelle explorer (Ainsworth & al., 1978). Les enfants présentant un attachement sécure développent des représentations fondées sur la conance que leur gure d’attachement est disponible pour eux. L’intériorisation de ce type relationnel permet à l’enfant de développer sa conance en lui-même et contribue au fonctionnement harmonieux de sa personnalité et de ses interactions interpersonnelles en facilitant la régulation de ses émotions.

Attachement insécure organisé Bien que la détresse (p. ex., la peur, la contrariété, la frustration, la tristesse, l’inquiétude, la faim, la fatigue) des enfants ayant un attachement insécure ne soit jamais adéquatement apaisée, ces enfants disposent tout de même de stratégies pour « organiser » leurs comportements et leurs émotions vis-à-vis de leur parent dans ces situations de stress. Deux types d’attachement insécure organisé ont été observés : • Attachement insécure évitant : Un parent insensible, qui interprète incorrectement les signaux de son enfant ou n’y répond pas, favorise le développement d’un attachement insécure. En particulier à la suite d’expériences répétées avec un parent aux comportements rejetants ou distants, l’enfant a tendance à développer un attachement insécure évitant. Il minimise ses manifestations de détresse et le recours à son parent en situation de stress an de ne pas activer d’émotions négatives, qui sont diciles à gérer par son parent. • Attachement insécure ambivalent : En réponse à des comportements parentaux inconstants, parfois sensibles (bien accordés aux besoins de sécurité et d’exploration de l’enfant), parfois insensibles (surprotecteurs ou trop distants), l’enfant est porté à développer un attachement insécure ambivalent. Il amplie sa détresse et son besoin de proximité envers le parent an de maximiser ses chances de recevoir du réconfort. Toutefois, des sentiments de colère à l’endroit des comportements inconstants de son parent amènent aussi l’enfant ambivalent à résister au contact physique et au réconfort lorsque ceux-ci lui sont prodigués.

Attachement insécure désorganisé Certains enfants ayant un attachement insécure ne développent toutefois pas de stratégies d’approche cohérentes vis-à-vis de leur parent pour organiser leurs comportements et leurs émotions en situation de stress. En présence de leur gure d’attachement, ils demeurent confus, désorientés et même apeurés. Ces enfants présentent un attachement insécure désorganisé et ont des modèles représentationnels de soi et des autres fondés sur la peur et l’hostilité. Des recherches récentes montrent que les mères qui font peur à leur enfant ou qui sont elles-mêmes apeurées dans leurs interactions avec lui favorisent le développement d’un attachement insécure/désorganisé (Lyons-Ruth & Jacobvitz, 2008). Par exemple, ces comportements de peur s’expriment de la façon suivante : les mères sont très retirées, peu investies dans la relation avec l’enfant, apparaissent dissociées (ne bougent pas pendant plusieurs secondes), erayées et montrent des comportements d’hésitation à l’approche physique de leur enfant (s’approchent ou donnent un jouet pour ensuite reculer rapidement), ou encore elles sont hostiles, hypervigilantes, intrusives et sont erayantes pour

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TABLEAU 59.1 Patterns comportementaux d’attachement observés dans la procédure (strange situation) d’Ainsworth,

de la petite enfance à l’âge scolaire

Distribution dans la population (de 12 mois à 7 ans)

Petite enfance (12 mois à 2 ans)

Âge préscolaire et scolaire (3 ans à 7 ans)

Sécure

• L’enfant interagit aisément avec son parent. • La plupart du temps, l’exploration est efcace et structurée. • L’enfant est en détresse lors des séparations, puis une fois réconforté par son parent, il retourne explorer et jouer.

• L’enfant utilise le parent comme une base sécurisante pour explorer. • Les retrouvailles avec le parent après les séparations sont chaleureuses, ouvertes et positives. • L’interaction/conversation est positive et réciproque entre l’enfant et le parent.

62 %

Insécure évitant

• L’enfant porte son attention à l’exploration, aux jouets et à la personne étrangère. Il n’engage que rarement des interactions avec son parent. • L’enfant paraît peu préoccupé par la séparation d’avec son parent. Lors des retrouvailles avec le parent après les séparations, il l’évite de façon évidente.

• L’enfant est détaché et neutre lors de l’interaction avec son parent. • L’enfant évite la proximité physique et limite les interactions. • L’enfant engage des conversations impersonnelles et centrées sur les jouets.

14 %

Insécure ambivalent

• L’enfant montre une préoccupation persistante au sujet de son parent, manifestant peu de comportements d’exploration et une crainte envers la personne étrangère. • Au moment de la séparation avec son parent, l’enfant vit beaucoup de détresse. • Il est difcilement consolable lors de la réunion et présente des comportements de colère dans son interaction avec le parent. • Il ne retourne pas au jeu de manière efcace.

• L’enfant présente des comportements immatures et de dépendance excessive pour son âge. • Il recherche la proximité de son parent de façon accrue et proteste lors des moments de séparation avec son parent. • Il peut être hostile subtilement ou colérique. • L’enfant engage des conversations souvent conictuelles.

9%

Insécure désorganisé Insécure contrôlant

• L’enfant montre une absence de stratégie pour accéder à son parent en situation de stress. En particulier, il manifeste des comportements : – de peur à l’égard de son parent (p. ex., s’approcher en baissant la tête) ; – d’approche contradictoire (p. ex., approcher son parent et reculer, montrer de la détresse et s’enfuir du parent) ; – de colère extrême (p. ex., frapper le parent) ; – désorganisés ou désorientés (p. ex., arrêter de bouger, ger, adopter une posture étrange et inconfortable). • Ces comportements sont fréquents ou peu fréquents, mais intenses.

• L’enfant continue à montrer une absence de stratégie pour accéder à son parent en situation de stress. • L’enfant présente des signes de renversement des rôles : l’enfant tend à contrôler son parent en lui donnant des ordres. • L’enfant est punitif (rejetant, humiliant) ou trop attentionné envers son parent (encourageant, rassurant, faussement positif, préoccupé par les affects du parent). • La qualité des échanges verbaux entre l’enfant et le parent est souvent peu cohérente.

15 %

Pattern comportemental d’attachement

Sources : Adapté de Tarabulsy & al. (2000), p. 1-24 ; Solomon & George (2008), p. 383-416 ; Van IJzendoorn & al. (1999), p. 225-249.

l’enfant (portent des jouets à son visage rapidement, grognent). On observe également des particularités sur le plan des échanges verbaux à l’âge préscolaire, où les mères d’enfants désorganisés sont plus portées à émettre des propos erayants et à ridiculiser leur enfant (p. ex., « maman est claustrophobe, elle a peur, il faut toujours laisser les portes ouvertes », « Isabelle, la poubelle ! ») (Cyr & al., 2008). L’enfant ayant un attachement désorganisé est pris au cœur d’un paradoxe qu’il ne peut résoudre : sa source potentielle de réconfort est aussi sa source de peur. L’enfant est donc peu disponible pour explorer son environnement, car son système d’attachement est régulièrement ou fortement activé

par sa propre gure d’attachement, qui déclenche chez lui des sentiments de peur.

Attachement insécure contrôlant Les études montrent que la désorganisation de l’attachement se maintient dans le temps et évolue en comportement contrôlant au début de l’âge scolaire, où on assiste à un renversement des rôles entre le parent et l’enfant. Ces enfants organisent leurs interactions avec leur parent soit de manière agressive et punitive ou, à l’opposé, de manière attentionnée envers les besoins aectifs de leur parent, tels des enfants « parentiés » (Moss & al., 2005).

Chapitre 59

Troubles de l’attachement

1293

59.1.8 Psychopathologie développementale La psychopathologie développementale permet de comprendre le développement de l’enfant et les troubles qu’il peut manifester, en considérant les interactions complexes entre les divers facteurs de risque et de protection présents au sein même de l’enfant (ontosystème), de la famille (microsystème), de la communauté (exosystème) et de la culture (macrosystème). Fondée sur les modèles de plusieurs théoriciens (De Klyen & Greenberg, 2008 ; Samero, 2010, pour des résumés), cette perspective propose que le développement de l’enfant ne peut pas être seulement le résultat de ce qui appartient à l’enfant proprement dit, comme ses caractéristiques génétiques et constitutionnelles, ni être seulement le produit de ses expériences, comme les inuences provenant de l’environnement familial et culturel, mais bien le produit des interactions entre tous les systèmes dans lesquels il évolue. La gure 59.1 illustre les interactions possibles entre les divers systèmes et montre l’impact relatif des facteurs de risque et de protection sur le développement de l’enfant. Selon la perspective écologique/transactionnelle, le modèle d’attachement de l’enfant représente un facteur de risque susceptible de contribuer au développement d’une psychopathologie si la relation qu’il entretient avec son parent est insécure, particulièrement de type désorganisé. À l’opposé, l’attachement sécure constitue un facteur clé de protection, qui peut agir à titre de tampon en atténuant l’impact d’autres facteurs de risque qui seraient susceptibles de favoriser le développement d’un trouble chez l’enfant.

Maltraitance et familles à risque élevé Les enfants victimes de négligence ou d’abus physique ainsi que ceux exposés à un nombre important de facteurs de risque sociodémographiques (p. ex., pauvreté, monoparentalité, maternité à l’adolescence, faible scolarité) constituent les groupes d’enfants les plus à risque de développer des comportements d’attachement désorganisé (Cyr & al., 2008, pour une méta-analyse). Selon les échantillons, on peut retrouver jusqu’à 86 % d’enfants maltraités qui présentent un attachement désorganisé.

Stabilité/instabilité de l’attachement De façon générale, le modèle d’attachement de l’enfant (et les représentations associées) est relativement stable dans le temps. Toutefois, bien que l’organisation du système d’attachement présente une certaine continuité, il n’est pas un « trait de personnalité » résistant au changement. Il est donc tout à fait prévisible que le modèle représentationnel de l’attachement puisse être révisé dans l’un des sens suivants : • vers la sécurité, si des événements positifs interviennent dans l’organisation du système d’attachement (p. ex., suivi thérapeutique visant la réinterprétation des expériences vécues avec les parents au cours de l’enfance ou visant l’expérience de nouvelles relations favorisant la conance en soi et un mode de communication positif, comme la relation avec un thérapeute comme base sécurisante) ; • vers l’insécurité, si des événements négatifs interfèrent avec l’organisation du système d’attachement (p. ex., décès d’une personne signicative, abus).

Transmission intergénérationnelle du type d’attachement Plusieurs études rapportent une correspondance entre les modèles représentationnels de l’attachement chez le parent et le modèle comportemental d’attachement de son enfant (Hesse, 2008). Cette transmission est mise en évidence même à partir de la grossesse, alors que le récit d’un parent au sujet de ses expériences d’attachement avec ses propres parents au cours de son enfance prédit fortement le type d’attachement que l’enfant aura à l’âge de 1 an avec son parent (Fonagy & al., 1991). Les comportements de sensibilité du parent et les propos qu’il tient envers son enfant sont les processus relationnels à travers lesquels s’eectue la transmission de l’attachement.

Facteur de protection Les études longitudinales issues du domaine de l’attachement montrent bien l’importance de l’attachement sécure en tant que facteur de protection pour la santé mentale et l’adaptation de l’enfant à court et long terme (Grossmann & al., 2005 ; Sroufe & al., 2005). Notamment, les enfants présentant des comportements ou

FIGURE 59.1 Facteurs de risque et de protection dans l’étiologie de la psychopathologie chez l’enfant

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des représentations d’attachement sécure manifestent moins de problèmes de comportement et de psychopathologies. Ils sont surtout plus habiles socialement et plus compétents pour réguler leurs émotions et résoudre des tâches cognitives impliquant des capacités d’autorégulation, voire diverses fonctions exécutives. Ce prol de compétences a été observé de la petite enfance jusqu’à l’âge adulte.

Attachement désorganisé et psychopathologies La désorganisation entraîne des distorsions cognitives dans le développement des représentations mentales, distorsions qui ont des répercussions importantes sur l’organisation de la pensée de l’enfant et sa capacité à réguler ses émotions et ses comportements avec les autres (Bretherton & Mulholland, 2008). Il n’est pas étonnant de constater que l’attachement désorganisé est le pattern d’attachement le plus fortement associé à des dicultés d’adaptation socioémotionnelles, des décits cognitifs, des troubles de comportement, d’estime de soi, et des psychopathologies de l’enfance à l’âge adulte ; on note ainsi des troubles anxieux, des conduites et de la personnalité limite, y compris des taux plus élevés de symptômes de dissociation, de dépression et d’idées suicidaires (De Klyen & Greenberg, 2008 ; Dozier & al., 2008 ; Moss & al., 2004).

59.2 Perspective clinique des troubles de l’attachement Les différents modèles d’attachement insécure (organisé et désorganisé) constituent principalement des facteurs de risque, mais ne sont pas toujours associés à des psychopathologies. Le trouble réactionnel de l’attachement (TRA) et la désinhibition du contact social constituent des troubles de l’attachement, soient des aections graves qui nécessitent une évaluation systématique ainsi qu’une intervention intégrée.

59.2.1 Historique et évolution du concept Historiquement, l’intérêt pour les troubles graves de l’attachement a d’abord été suscité par René Spitz (1945) dans ses descriptions narratives et cinématographiques poignantes d’enfants maltraités ou ayant grandi dans un contexte institutionnel. De nombreux auteurs ont par la suite rapporté des descriptions cliniques de ces enfants (Lemay, 2001).

i

Un supplément d’information sur les travaux de René Spitz est disponible au en ligne dans la vidéo Emotional Deprivation in Infacy : Study by René A. Spitz (1952). D’autres vidéos sont aussi disponibles dans Internet.

Le DSM-IV-TR proposait le diagnostic de trouble réactionnel de l’attachement (TRA) sous les formes retirée/inhibée et indiscriminée/désinhibée, mais les études épidémiologiques récentes ont mené le DSM-5 à diviser ces deux aections en entités diagnostiques distinctes en raison de leur évolution diérente : 1. Le trouble réactionnel de l’attachement (TRA) ; 2. La désinhibition du contact social. En raison toutefois des facteurs étiologiques très apparentés, de l’absence de données claires sur les facteurs biologiques ou environnementaux prédisposants, de la compréhension limitée des mécanismes favorisant l’une ou l’autre des évolutions et de l’absence de programmes thérapeutiques visant à intervenir spéciquement

sur l’une ou l’autre de ces aections, ces deux troubles sont traités ici sous une même section, soit les troubles de l’attachement.

59.2.2 Épidémiologie Alors que l’attachement insécure est fréquent et ne constitue pas en soi une psychopathologie, un trouble réactionnel de l’attachement est une aection relativement rare, dont la fréquence est variable selon les contextes de vie de l’enfant. Par exemple, une étude rétrospective rapporte que jusqu’à 35 % des enfants victimes de maltraitance parentale, puis placés en famille d’accueil, présentent des critères diagnostiques associés au trouble réactionnel de l’attachement. Une proportion importante d’enfants élevés en institution, par exemple dans les orphelinats roumains, présentent aussi cette aection (Zeanah & Smyke, 2009). Plusieurs facteurs interviennent alors : manque de stimulation, carence sensorielle, alcoolisme des parents.

59.2.3 Étiologies Les troubles réactionnels de l’attachement (TRA) sont souvent la conséquence de maltraitance ou de négligence persistante des besoins émotionnels et élémentaires de l’enfant, soit la sécurité, la protection, l’aection, les soins ou la stimulation. Ces enfants présentent de graves carences de soins dans ces domaines, ce qui se manifeste par une absence régulière de réconfort, de proximité physique, de stimulation cognitive ou d’aection. Les TRA sont donc plus susceptibles de survenir chez les enfants qui ont grandi dans des familles maltraitantes ou en milieu institutionnel. Ceux qui ont grandi dans des milieux d’accueil multiples et successifs ou en centre d’hébergement, ou encore qui ont été placés en famille d’accueil ou adoptés tardivement (après la première année de vie), présentent un risque plus élevé de développer un trouble. À ce jour, aucune étude n’a examiné le lien entre le tempérament de l’enfant ou les autres facteurs constitutionnels de l’enfant et sa probabilité de présenter un TRA. Toutefois, considérant que les enfants présentant un TRA ont presque toujours une histoire de maltraitance, d’institutionnalisation ou d’adversité, il est peu probable que les manifestations du TRA soient principalement une expression de dicultés du tempérament.

59.2.4 Description clinique Selon le DSM-5, l’enfant présentant un TRA est caractérisé par une incapacité persistante à engager des interactions sociales avec son donneur de soin. Il ne tend pas à rechercher son réconfort et à y répondre et il éprouve des dicultés importantes sur le plan de la régulation émotionnelle. L’enfant présentant une désinhibition du contact social montre les caractéristiques suivantes : • Il est désinhibé envers les étrangers. • Il se comporte de façon indiérenciée envers les étrangers et les personnes familières. • Il omet de se référer à sa gure d’attachement lors de moments de stress. • Il n’a simplement pas de gure d’attachement préférée. Les caractéristiques spéciques de ces deux troubles sont présentées dans le tableau 59.2, où apparaissent les descriptions du TRA et du TESD telles que présentées dans le DSM-5, et la description du TRA et de ses deux sous-types telle que présentée dans le DSM-IV-R.

Chapitre 59

Troubles de l’attachement

1295

TABLEAU 59.2 Comparaison des critères diagnostiques des troubles de l’attachement

DSM-5 Troubles de l’attachement 313.89 (F94.1) Trouble réactionnel 313.89 (F94.2) Désinhibition du contact social de l’attachement A. Mode relationnel durable vis-à-vis des adultes A. Mode relationnel avec lequel un enfant qui prennent soin de l’enfant, caractérisé s’approche activement et interagit avec des par un comportement inhibé et un retrait adultes inconnus et présente au moins deux émotionnel, comme en témoignent les deux des éléments suivants : éléments suivants: 1. Réticence réduite ou absence de réti1. L’enfant cherche rarement ou impercence dans l’approche ou l’interaction ceptiblement le réconfort quand il est en avec des adultes peu familiers. détresse. 2. Comportement verbal ou physique exces2. L’enfant répond rarement ou impercepsivement familier (qui n’est pas en accord tiblement au réconfort quand il est en avec les limites sociales culturellement détresse. admises ou avec l’âge). 3. Ne demande pas ou guère l’accord d’un adulte qui prend soin de lui avant de s’aventurer au loin, même dans des lieux inconnus. 4. Accepte de partir avec un adulte peu familier avec un minimum d’hésitation ou sans aucune hésitation.

DSM-IV-TR Trouble réactionnel de l’attachement de la 1re ou de la 2e enfance A. Mode de relation sociale gravement perturbé et inapproprié au stade du développement, présent dans la plupart des situations et ayant débuté avant l’âge de 5 ans, comme en témoignent les manifestations 1 ou 2 : (1) incapacité persistante, dans la plupart des situations, à engager des interactions sociales ou à y répondre d’une manière appropriée au stade du développement, qui se traduit par des réponses excessivement inhibées, hypervigilantes, ou nettement ambivalentes et contradictoires (p. ex., l’enfant qui se comporte vis-à-vis des personnes qui prennent soin de lui en alternant tentatives d’approche, réactions de fuite et refus de se laisser consoler, parfois il montre une « vigilance glacée ») ; (2) liens d’attachement diffus, qui se manifestent par une sociabilité indifférenciée et une incapacité marquée à faire preuve d’attachements sélectifs (p. ex., familiarité excessive avec des étrangers ou absence de sélectivité dans le choix des gures d’attachement).

B. Perturbation sociale et émotionnelle persisB. Les comportements du critère A ne se tante caractérisée par au moins deux des limitent pas à une impulsivité (comme dans éléments suivants : le trouble décit de l’attention/hyperactivité) mais incluent un comportement socialement 1. Diminution de la réactivité sociale et désinhibé. émotionnelle à autrui. 2. Affects positifs restreints. 3. Épisodes inexpliqués d’irritabilité, de tristesse ou de craintes qui sont évidents même lors d’interactions non menaçantes avec les adultes qui prennent soin de l’enfant. C. L’enfant a vécu des formes extrêmes d’insufsance de soins comme en témoigne au moins un des éléments suivants : 1. Négligence ou privation sociale caractérisée par une carence chronique des besoins émotionnels élémentaires concernant le réconfort, la stimulation et l’affection de la part des adultes prenant soin de l’enfant. 2. Changements répétés des personnes qui s’occupent principalement de l’enfant, limitant les possibilités d’établir des attachements stables (p. ex. changements fréquents de famille d’accueil). 3. Éducation dans des conditions inhabituelles qui limitent sévèrement les possibilités d’établir des attachements sélectifs (p. ex. institutions comprenant un nombre élevé d’enfants par rapport au nombre d’adultes).

C. Carence de soins adaptés, comme en témoigne au moins un des éléments suivants : (1) négligence persistante des besoins émotionnels élémentaires de l’enfant concernant le confort, la stimulation ou l’affection ; (2) négligence persistante des besoins physiques élémentaires de l’enfant ; (3) changements répétés des personnes prenant soin de l’enfant, empêchant l’établissement de liens d’attachement stables (p. ex., changements fréquents de nourrice ou de parents adoptifs).

D. Le manque de soins décrit dans le critère C est considéré comme étant à l’origine des comportements perturbés décrits dans le critère A (p. ex. les perturbations décrites dans le critère A ont débuté après le manque de soins adéquats décrits dans le critère C).

D. On présume que la carence de soins décrite dans le critère C est responsable de la perturbation du comportement décrite dans le critère A (p. ex., la perturbation décrite en A a débuté à la suite de la carence de soins décrite en C).

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TABLEAU 59.2 Comparaison des critères diagnostiques des troubles de l’attachement (suite)

DSM-5

DSM-IV-TR

Troubles de l’attachement 313.89 (F94.1) Trouble réactionnel 313.89 (F94.2) Désinhibition du contact social de l’attachement E. Les critères ne répondent pas à un trouble du spectre de l’autisme.

Trouble réactionnel de l’attachement de la 1re ou de la 2e enfance B. La perturbation décrite dans le critère A n’est pas uniquement imputable à un retard du développement (comme dans le Retard mental) et ne répond pas aux critères d’un Trouble envahissant du développement.

F. Le trouble est évident avant l’âge de 5 ans. G. L’âge de développement de l’enfant est d’au moins 9 mois. Spécier le type : F94.1 Type inhibé : si le critère A1 prédomine dans le tableau clinique. F94.2 Type désinhibé : si le critère A2 prédomine dans le tableau clinique. Spécier si : Chronique : le trouble est présent depuis plus de 12 mois. Spécier la sévérité actuelle : Le trouble réactionnel de l’attachement est spécié grave quand l’enfant présente tous les symptômes du trouble, chaque symptôme s’exprimant à des niveaux relativement élevés. Sources : APA (2015), p. 313-314, 317-318 ; APA (2004), p. 151-152. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR - Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

59.2.5 Évaluation Comme ailleurs en pédopsychiatrie, la multiplication des outils d’éva luation ne peut pas se substituer à un questionnaire clinique rigoureux, à une observation individuelle et interactionnelle minutieuse de même qu’à une observation longitudinale du développement. Par exemple, un enfant adopté tardivement qui vit avec ses parents adoptifs depuis six mois doit parfois être observé pendant un certain temps an que l’on puisse voir si des conduites majeures d’évitement relationnel sont mieux comprises dans le cadre d’un trouble réactionnel de l’attachement (TRA) ou encore d’une aection neurodéveloppementale. Par exemple, un enfant dont la capacité relationnelle évolue peu et qui maintient un évitement persistant du contact visuel malgré un apport relationnel sensible, cohérent et suivi dans le temps risque davantage de présenter un trouble neurodéveloppemental. Par contre, on pense plutôt à un TRA chez l’enfant qui présente, au cours de sa première année post-adoption, un amendement progressif des conduites de peur et de dissociation en présence de ses parents adoptifs. Toutefois, il n’est pas rare que les deux aections coexistent, si bien que des évaluations complémentaires sont souvent nécessaires, y compris une évaluation en psychologie, en orthophonie et en ergothérapie, aidant ainsi à mieux délimiter les zones de force et de vulnérabilité de ces enfants. Ces démarches d’évaluation permettent ensuite de mieux dénir les points d’entrée d’une thérapie qui pourrait aider l’enfant sur le plan relationnel ainsi que sur ceux du langage, de la motricité, des fonctions exécutives et de la régulation neurosensorielle. Plus précisément, les lignes directrices de l’American Academy of Child and Adolescent Psychiatry recommandent d’observer l’enfant

en interaction avec l’ensemble de ses donneurs de soins, de façon séparée, et avec un adulte non familier, en plus de recueillir des informations précises sur l’histoire développementale et de soins à travers les milieux dans lesquels l’enfant a vécu. L’American Academy recommande également un paradigme observationnel relativement structuré (p. ex., une administration en externe d’un protocole apparenté à la situation étrangère) an que les observations faites sur l’enfant et ses donneurs de soins soient comparables. En eet, la situation étrangère, bien qu’elle ne constitue pas un outil diagnostique, mais plutôt une mise en situation, peut être adaptée pour devenir une source importante d’information sur les comportements relationnels de l’enfant. Plus particulièrement, les comportements d’attachement désorganisé, les comportements parentaux ou les propos verbaux ayant été associés à la désorganisation sont de bons indices à considérer dans le dépistage des dicultés relationnelles observées chez l’enfant.

59.2.6 Outils diagnostiques Même si les travaux récents en imagerie médicale sont venus étayer les conséquences neurodéveloppementales importantes de ces aections, l’investigation de base n’exige pas d’avoir recours à ces examens, à moins que l’enfant ne présente des éléments neurologiques spéciques. En général, ces résultats sont applicables en recherche à des groupes d’enfants, mais pas à des cas individuels. Quant aux mesures hormonales (p. ex., le cortisol), elles n’ont pas d’utilité clinique, bien qu’elles aient été utilisées en recherche pour montrer en quoi la régulation du stress chez l’enfant peut être inuencée par la qualité de l’attachement. Les enfants soupçonnés

Chapitre 59

Troubles de l’attachement

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d’avoir un trouble primaire de la communication devraient subir un audiogramme pour détecter des problèmes d’audition.

59.2.7 Diagnostic différentiel Le diagnostic est plus clair s’il y a présence de négligence grave ou d’indices de maltraitance, mais il arrive souvent que la trajectoire particulière d’un enfant soit dicile à établir. Par exemple, dans le cas d’enfants adoptés ou placés en famille d’accueil stable depuis un certain temps, il est parfois dicile, voire impossible, de statuer sur l’existence de maltraitance en raison d’un manque d’information concernant les milieux de vie antérieurs de l’enfant. Des études ont aussi observé des TRA chez certains enfants sans histoire connue de maltraitance et vivant avec leurs parents biologiques, lesquels étaient toutefois particulièrement désengagés et désinvestis émotionnellement (Lyons-Ruth & al., 2009 ; Lalande & al. 2012). Ces études soulèvent l’importance des aspects relationnels dans l’évaluation des troubles réactionnels de l’attachement (TRA).

Trouble envahissant du développement L’aection la plus dicile à distinguer du TRA (retiré/inhibé) est le trouble du spectre de l’autisme (TSA). En eet, les deux groupes d’enfants atteints de ces troubles présentent au premier plan des dicultés dans l’établissement de liens sociaux réciproques. Cependant, les aspects suivants se retrouvent plutôt dans les TSA : • particularités langagières : écholalie, inversions de prénoms, utilisation atypique du langage (p. ex., des phrases stéréotypées, répétées hors de leur contexte) ; • dicultés importantes dans le jeu symbolique, voire dans la mise en place d’un jeu social d’imitation ; • dicultés marquées à faire preuve d’une attention partagée dirigée vers un objet d’intérêt commun ainsi qu’à s’engager dans la communication lorsque celle-ci est instaurée par l’adulte ; • chez les enfants avec un TRA, les comportements d’autostimulation ou de stéréotypie résultent d’une carence grave de soins ; • chez les enfants avec un TSA, ces conduites résultent de modes atypiques de régulation neurosensorielle ; • chez les enfants avec un TSA, on retrouve plus fréquemment des champs d’intérêt restreints et un intérêt spécique pour les parties de certains objets ; • chez les enfants avec un TRA, on observe habituellement plus d’intérêt social et de exibilité.

Troubles anxieux Les enfants présentant des troubles anxieux importants, notamment un trouble de stress post-traumatique grave, peuvent avoir des modes d’évitement envers l’entourage social, mais on note chez eux un assouplissement de l’évitement lorsqu’ils sont progressivement mis en présence de gures sécurisantes, particulièrement lorsque ces personnes manifestent des aects positifs envers eux. Ils recourent à une gure d’attachement sélective. Les enfants qui présentent une phobie sociale font preuve d’une relative spontanéité lorsqu’ils sont dans un environnement familier et peu stressant, ce qui les distingue des enfants sourant d’un TRA.

Trouble de régulation des processus neurosensoriels Le trouble de régulation des processus neurosensoriels (TRPN) est une aection qui n’a pas d’équivalent dans le DSM-5 et qui est

1298

décrite dans la classication DC:0-3R (Diagnostic Classication of Mental Health, 2005), la classication diagnostique de référence en psychiatrie de la première enfance. Ce trouble se dénit par des modes particuliers de réactions aective, comportementale et motrice aux stimulations sensorielles, modes qui interfèrent avec les diérentes sphères : • de la vie quotidienne (diculté d’endormissement, sélectivité alimentaire, rigidité dans les routines) ; • du développement (difficulté de contrôle des émotions, maladresse motrice) (St-André & al., 2009). Les enfants présentant un TRPN sont regroupés en trois types : 1. Le type hypersensible ; 2. Le type hyposensible/sous-répondeur ; 3. Le type chercheur de sensations/impulsif. Le TRPN est caractérisé par des comportements d’évitement important vis-à-vis de l’environnement, ce qui mime un TRA retiré/ inhibé, ou, au contraire, une quête sensorielle importante, pouvant alors mimer la désinhibition du contact social du DSM-5. Chez les enfants présentant un TRPN non associé à une désinhibition du contact social, la modulation de l’environnement (p. ex., une protection contre une surcharge de stimuli ou un apport susant de stimuli) facilite grandement la reprise des mouvements relationnels et les comportements de recherche de sécurité envers les parents.

Trouble du langage Les enfants qui présentent un grave trouble du langage réceptif peuvent parfois manifester des comportements qui miment le TRA de type retiré/inhibé. Toutefois, on note chez ces enfants un intérêt pour la communication non verbale de même qu’une réponse positive à des moyens non verbaux qui accompagnent la communication (p. ex., la gestuelle, l’expression faciale ou des pictogrammes).

Trouble décit de l’attention avec hyperactivité Les enfants qui présentent une désinhibition du contact social peuvent parfois être confondus avec ceux sourant d’un trouble d’attention avec hyperactivité (TDA/H) important, mais on note chez ces derniers une plus grande capacité à recourir à leur donneur de soins lorsqu’ils cherchent à être sécurisés (p. ex., en cas de détresse) et, généralement, une absence de soins parentaux pathogènes durant leur première enfance.

Décience intellectuelle Chez les enfants qui présentent un tableau de décience intellectuelle, on note parfois des conduites de retrait importantes ou d’impulsivité marquée, mais les capacités de régulation sont nettement accrues en présence de gures d’attachement ou de gures familières.

Syndrome d’alcoolisation fœtale Le syndrome d’alcoolisation fœtale ou l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale sont susceptibles d’entraîner des perturbations cognitives marquées chez les enfants exposés, y compris des manifestations d’impulsivité ou de retrait. De plus, le milieu familial dans lequel grandissent parfois ces enfants est associé à un risque plus élevé de négligence et d’abus. An de distinguer les troubles réactionnels de l’attachement des troubles reliés à l’alcoolisation fœtale, il faut porter attention au phénotype physique et comportemental de l’enfant (anomalies mineures du visage, retard de croissance) et évaluer s’il a été victime de soins pathogènes tels qu’ils sont décrits dans le DSM-5 (voir le tableau 59.2).

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Trouble de la relation parent-enfant Le trouble de la relation parent-enfant (code V du DSM-5, p. 843-844) est une aection très fréquente qui prend parfois des formes beaucoup plus frustes que les TRA et se manifeste par des dicultés d’interaction parent-enfant, notamment de la sousstimulation ou de la surstimulation, et des conduites anxieuses, irritables ou abusives sur le plan physique ou sexuel. Il faut observer soigneusement la dimension aective dans l’interaction parent-enfant ainsi que les propos tenus au sujet de l’enfant. Ces formes relationnelles s’associent la plupart du temps à des formes d’attachement insécure, voire désorganisé.

Comorbidité Les enfants atteints d’un trouble réactionnel de l’attachement présentent la plupart du temps des aections pédopsychiatriques comorbides de même que des troubles spéciques du développement, habituellement consécutifs à la grave carence de soins dont ils ont souert. Réciproquement, des aections particulières comme la décience intellectuelle peuvent avoir comme eet d’accentuer le désinvestissement parental, voire les mauvais traitements ou la négligence. Sur le plan développemental, les enfants atteints de TRA présentent des risques plus élevés de troubles ou de retard du langage, des troubles de régulation des processus neurosensoriels, une décience intellectuelle ou un trouble d’apprentissage en lien avec la sous-stimulation. Ces enfants peuvent aussi présenter davantage de troubles anxieux, de TDA/H, de troubles oppositionnels ou encore de troubles des conduites. Les contextes de soins dans lesquels ces enfants ont grandi les exposent aussi à des troubles de stress post-traumatiques typiques, y compris de l’hypervigilance, des cauchemars, des jeux répétitifs (p. ex., rejouer constamment une scène d’abus ou de quasi-noyade), des pertes de concentration et des comportements de retrait. Des travaux rétrospectifs faisant appel à de vastes populations rapportent que des expériences d’adversité durant l’enfance (notamment liées à l’attachement) peuvent inuencer à court et à long terme la santé physique de l’enfant et de l’adulte, surtout lorsque la négligence survient dans un contexte de pauvreté. Plus particulièrement, les travaux du Center for Disease Control and Prevention (2010) rapportent que les adultes ayant vécu un nombre élevé d’événements adverses durant l’enfance (tels que l’abus physique ou encore l’emprisonnement d’un parent) sont plus à risque de sourir d’aections médicales (maladies cardiovasculaires, pulmonaires) ou encore de mourir prématurément.

59.2.8 Prévention et traitement La prévention des troubles réactionnels de l’attachement (TRA) exige, de la part du médecin et du professionnel de 1re ligne, une attention soutenue aux possibilités d’abus et de négligence chez l’enfant. La prévention de cette aection nécessite une vigilance particulière de la part des diérents professionnels impliqués en contexte périnatal et de la première enfance auprès des mères et des pères qui présentent des troubles de santé mentale, y compris des troubles de la personnalité et de la toxicomanie. En eet, les aections psychiatriques parentales sont associées non seulement à un risque plus élevé d’attachement désorganisé, mais aussi à des altérations des compétences parentales, à un faible niveau de scolarisation et à un bas niveau socio-économique. Les travaux en périnatalité indiquent clairement que la mise en place d’une alliance thérapeutique

(p. ex., des visites à domicile par des inrmières) dès le moment de la grossesse peut avoir des eets thérapeutiques auprès de parents qui présentent des risques élevés d’abus et de négligence, ouvrant ainsi la porte à la prévention prénatale des troubles de l’attachement.

Traitements biologiques Il n’existe pas de traitements biologiques spéciques des TRA. Toutefois, les comorbidités qui surviennent chez ces enfants nécessitent parfois la prescription de médicaments (comme un psychostimulant ou, plus rarement, un antipsychotique), an d’atténuer l’insomnie, l’agitation, l’hyperactivité, l’agressivité ou encore l’anxiété. Ainsi, un enfant qui soure d’un TDA/H comorbide peut proter d’un essai avec un psychostimulant, alors qu’un enfant qui présente un trouble des conduites accompagné de comportements agressifs incontrôlables peut nécessiter la prise temporaire d’un antipsychotique comme la rispéridone. Le médecin doit être très prudent et parcimonieux dans la prescription de ces médications, trop souvent surutilisées, notamment chez les enfants les plus jeunes. Particulièrement quand l’enfant est d’âge préscolaire, l’indication psychopharmacologique doit être considérée en matière de risques et de bénéces, les jeunes enfants étant souvent plus sensibles aux eets indésirables des psychotropes.

Thérapies psychologiques Les approches individuelles sous forme de psychothérapies sont peu privilégiées à moins que des comorbidités spéciques l’exigent. On met parfois en place des approches de groupe comme le psychodrame pour aider ces enfants à mettre en scène une partie de leur vécu d’abandon et de négligence et, à travers le jeu, à exprimer en mots certaines des vulnérabilités héritées dans leur parcours de vie. Cela nécessite cependant une capacité d’introspection de la part de l’enfant.

Interventions parent-enfant Aucun traitement n’a encore été spéciquement validé pour les TRA. Cependant, l’expérience clinique et les récits thérapeutiques accumulés amènent à privilégier une approche qui consiste essentiellement à procurer à l’enfant une gure d’attachement stable et attentive à ses besoins, à l’intérieur d’un environnement sécuritaire, personnalisé, chaleureux et prévisible. Le TRA est issu de dicultés dans la relation avec le donneur de soins (le parent) et, dans ce sens, il implique nécessairement un travail sur la relation entre le donneur de soins et l’enfant. Parfois, ce travail s’eectue à l’intérieur d’un contexte où le donneur de soins est une gure parentale substitut comme celui d’une famille d’accueil, d’un foyer de groupe ou encore d’un centre d’hébergement. En institution, Zeanah & Smyke (2009) ont montré que la fréquence du TRA diminuait chez les enfants qui avaient accès à un nombre restreint de donneurs de soins, y compris un donneur de soins principal, stable dans le temps et bien formé pour assurer leurs besoins d’attachement. Les eorts instaurés par le législateur en vue d’assurer avec diligence un projet de vie équilibré à chaque enfant se traduisent de plus en plus par une stabilité accrue pour les enfants en institution. Des eorts restent toutefois à déployer dans le travail de sélection des familles d’accueil ou des parents adoptifs et dans l’appui qui leur est oert. Cela dit, quelques stratégies d’intervention répondant aux besoins spéciques des enfants maltraités, dont plusieurs présentent un TRA, et de leurs parents biologiques ou d’accueil ont été développées au cours des dernières années. Ces stratégies, fondées sur la perspective développementale de l’attachement et dont l’ecacité

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a été montrée auprès de ces diverses clientèles, visent à favoriser le développement de soins parentaux sensibles et un attachement sécure chez les enfants (âgé entre 0 et 7 ans). Toutes ces interventions consistent à rencontrer le parent et son enfant à leur domicile ou dans une salle de jeu au bureau du thérapeute. Essentiellement, ces interventions sont orientées sur la relation parent-enfant : • Certaines stratégies misent davantage sur la modication des modèles représentationnels d’attachement du parent/donneur de soins (intervention de longue durée : 6 mois à 1 an), où le parent est invité à discuter et réinterpréter les expériences d’attachement de son enfance en lien avec ses préoccupations actuelles et la qualité des soins qu’il prodigue à l’enfant. Le programme suivant a été utilisé et validé auprès de parents et d’enfants victimes de maltraitance à plusieurs reprises : – La child-parent psychotherapy: Ce programme, inspiré des travaux de S. Fraiberg, a été développé par Lieberman & al. (2005). Pendant les rencontres, le thérapeute encourage la communication parent-enfant en invitant le parent à explorer les pensées et les émotions associées aux expériences d’attachement de sa propre enfance. Le thérapeute est peu directif et aide le parent à lier ses expériences passées à la façon dont il se comporte actuellement avec son enfant. Notamment, les études ont montré que cette intervention est ecace pour améliorer la sécurité d’attachement et diminuer les symptômes de stress post-traumatiques des enfants victimes de violence conjugale. Elle est aussi efcace pour diminuer la désorganisation de l’attachement et améliorer la régulation physiologique chez de jeunes enfants victimes de négligence et d’abus physiques. • D’autres stratégies de plus courte durée (de 8 à 20 rencontres hebdomadaires) misent sur le renforcement positif des comportements de soins et de sensibilité du parent au moyen de la rétroaction vidéo d’une séquence d’interactions lmée entre le parent et l’enfant. Voici quelques exemples de programme d’intervention : – L’attachment behavioral catch-up: Ce programme d’une durée de 10 rencontres a été développé par Dozier et ses collègues (2005 ; voir aussi Bernard & al., 2012) et a été appliqué auprès de parents maltraitants et leur enfant et auprès de parents d’accueil et leur enfant. Il a notamment montré son ecacité pour améliorer la sécurité d’attachement des enfants ainsi que leur régulation physiologique. Pendant les rencontres, le thérapeute adopte une attitude plus didactique, où il présente au parent, à chacune des rencontres, un thème lié à la relation parent-enfant. Par exemple, les rencontres permettront de couvrir les thèmes suivants : 1. Le réconfort parental ; 2. L’importance de suivre les initiatives de l’enfant ; 3. L’impact des expériences antérieures du parent sur l’enfant ; 4. Les pratiques parentales qui ne sont pas erayantes et menaçantes pour l’enfant. Certaines interactions parent-enfant sont filmées et une rétroaction-vidéo visant à renforcer les comportements positifs du parent lui est oerte. Notamment, les études ont montré qu’au terme de l’intervention, moins d’enfants présentent un attachement désorganisé et davantage développent un attachement sécure. Aussi, les enfants sont plus susceptibles de présenter une meilleure régulation physiologique.

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– L’ intervention-relationnelle: Moss & al. (2011) ainsi que Cyr & al. (2012) ont développé et évalué ce programme d’une durée de 8 rencontres en collaboration avec les centres jeunesse du Québec. Pendant les rencontres, le thérapeute divise sa séance en trois blocs : 1. Une discussion avec le parent sur un thème lié à la relation parent-enfant ou à son développement ; 2. Une séquence d’interaction parent-enfant ; 3. Une rétroaction-vidéo. D’abord, la qualité de la relation de la dyade et le modèle d’attachement de l’enfant sont évalués. Ensuite, des activités de jeu et une consigne sont choisies et présentées à la dyade en fonction des enjeux à travailler. Pendant la rétroaction vidéo le thérapeute tente de favoriser la mentalisation du parent en l’invitant à décrire certaines séquences vidéo. Pendant la rétroaction vidéo et l’ensemble de la rencontre, son objectif est aussi de renforcer les comportements de sensibilité du parent en montrant le lien avec les comportements positifs de son enfant. Le thérapeute cherche à aider le parent à utiliser ses forces identiées comme des moyens lui permettant de réparer des comportements jugés inadéquats et insécurisant. Les études ont montré l’ecacité de cette intervention pour améliorer la sécurité d’attachement de l’enfant maltraité, diminuer ses comportements d’attachement désorganisé et ses symptômes de nature extériorisée et intériorisée. – Le circle of security: Ce programme d’une durée de 20 semaines a été développé par Cooper & al. (2005). Non seulement utilisé comme une intervention dyadique, il a également été formulé comme une intervention de groupe, où les parents sont amenés à discuter des concepts clés de l’attachement (soit, la reconnaissance et la compréhension des besoins de l’enfant, la fonction réexive parentale, la régulation émotionnelle et l’empathie). Pour accompagner ces discussions, les parents sont invités à visionner des interactions parent-enfant et progressivement reçoivent en individuel une rétroaction-vidéo de l’interaction avec leur propre enfant. Les études menées sur des échantillons à risque élevé de maltraitance montrent des eets positifs sur l’attachement de l’enfant. Ces interventions sont détaillées dans les travaux de Cyr et de ses collaborateurs (2012) ainsi que de Zeanah et de ses collaborateurs (2011). Bien qu’elles n’aient pas été conçues pour traiter spéciquement les TRA, elles permettent de travailler les aspects relationnels problématiques présentés par l’enfant et son parent/donneur de soins.

Traitements à éviter Il faut ici faire une mise en garde contre les thérapies dites « d’attachement » de type «holding ou maintien thérapeutique », « rematernage » et «rebirth », clairement démontrées comme étant dangereuses pour l’enfant. Par exemple, dans ce type de thérapies, les parents sont forcés d’établir et de maintenir un contact visuel ou physique avec leur enfant, ce qui exige parfois des contentions physiques de longue durée sous prétexte de favoriser la proximité parent-enfant, lui faire comprendre que son parent est présent pour contenir les frustrations qu’il a vécues antérieurement et favoriser ainsi un « lien d’attachement », et ce, même si l’enfant résiste fortement au contact. Dans d’autres cas, la thérapie nécessite de faire régresser l’enfant (p. ex., lui redonner le biberon, dormir à ses côtés, rejouer la naissance de l’enfant avec le parent adoptif) ou même de proscrire ses contacts

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avec d’autres adultes sur une longue période sous prétexte de renforcer son « lien d’attachement » au parent. Ces thérapies, qui n’ont pas montré leur ecacité sur le plan scientique, vont tout à fait à l’encontre des postulats de base de la théorie de l’attachement. Ces types d’interventions sont clairement proscrits par les chercheurs et cliniciens possédant une expertise dans la théorie de l’attachement et les relations parent-enfant. L’American Professional Society on the Abuse of Children a publié en 2006 un important rapport sur quelques-unes de ces thérapies d’attachement controversées oertes aux enfants maltraités, adoptés ou présentant de sérieuses dicultés de régulation émotionnelle. Certaines ont mené à des blessures graves et même à des décès, que ce soit lors de séances thérapeutiques ou à la suite de l’application de ces techniques par les parents ayant suivi les conseils de leur « thérapeute » (Chan & al., 2006).

59.2.9 Évolution et pronostic L’évolution du trouble réactionnel de l’attachement (TRA) de forme inhibée démontre une tendance au retrait relationnel chez les enfants atteints, ce qui peut entraver la socialisation, les apprentissages et la régulation des émotions. La mise en place d’un environnement facilitateur et sensible à leur développement permet de faire disparaître une partie des signes qu’ils présentent, mais on note parfois des signes résiduels d’insécurité relationnelle. L’enfant présentant un TRA répond plus facilement aux interventions tandis que celui sourant d’une désinhibition du contact social a souvent tendance à maintenir certaines conduites de socialisation indiscriminées, ce qui peut entraîner des dicultés de socialisation tout au long de l’enfance, de l’adolescence et même de l’âge adulte. Les adultes avec une histoire de désinhibition du contact social présentent un plus grand risque d’instabilité relationnelle, de grossesses rapprochées et non planiées, d’instabilité professionnelle et de dicultés de mentalisation dans les circonstances qui exigent une régulation des émotions. Ces adultes présentent aussi un plus grand risque de toxicomanie et de criminalité. Rutter et ses collaborateurs (2012) ont montré que les conséquences de la négligence grave durant la première enfance peuvent se maintenir jusqu’à l’adolescence et même jusqu’à l’âge adulte, même si les expériences adverses ne sont survenues que durant les premières années de vie. Ajoutons que les adultes qui sourent de TRA présentent un risque élevé de transmission de ces dicultés à leurs enfants. Ces adultes ayant souvent été négligés ou maltraités et déplacés à répétition vers diérents milieux d’accueil durant leur enfance peuvent, quand ils deviennent eux-mêmes parents, contribuer au développement d’un TRA chez leur enfant. Au contact des diérentes émotions vécues par leur enfant – plaisir, mais aussi tristesse, colère, douleur –, ces parents sont aux prises avec leur

propre capacité limitée de décodage aectif et de régulation émotionnelle, ce qui provoque en retour des perturbations sur le plan des conduites parentales, elles-mêmes génératrices de dicultés pour le lien parent-enfant. Ces parents sont aussi plus susceptibles d’entraîner des issues défavorables chez l’enfant, notamment la diculté de développer des stratégies de régulation émotionnelles et les diérentes comorbidités psychiatriques (p. ex., la dépression ou la toxicomanie, fréquemment associées aux troubles de la personnalité chez l’adulte). Ainsi, il n’est pas rare que les enfants de ces adultes carencés sur le plan aectif au cours de leur enfance doivent faire l’objet de mesures de protection. Il faut même parfois retirer à ces parents la garde de leurs enfants, une décision toujours très dicile pour les cliniciens qui doivent considérer avant tout l’intérêt supérieur de l’enfant. Soulignons enn que les trajectoires des personnes ne sont pas linéaires et qu’elles sont susceptibles d’être inéchies à toute étape de la vie grâce à des points d’appui signicatifs (p. ex., suivi thérapeutique), qui peuvent amener progressivement un adulte à s’éprouver autrement dans son rapport à lui-même et aux autres, y compris ses enfants.

En somme, le modèle d’attachement de l’enfant (p. ex., insécure, désorganisé) n’est pas un diagnostic pédopsychiatrique, mais plutôt un facteur de risque souvent associé à diérentes psychopathologies dès la première enfance et tout au long de la vie. C’est surtout l’attachement désorganisé qui constitue le plus grand facteur de risque, notamment pour les troubles de la personnalité à l’adolescence et à l’âge adulte, la dépression, les troubles anxieux, les troubles des conduites alimentaires et les psychopathologies se manifestant par de la dissociation (Dozier & al., 2008). La sémiologie de l’attachement désorganisé devrait donc être familière à tout clinicien œuvrant en santé mentale auprès des adultes et des enfants. La prise en compte des dicultés d’attachement en pédopsychiatrie procure des points d’entrée qui permettent d’aider les enfants, les adolescents et même les adultes présentant diérentes problématiques relationnelles et des psychopathologies. Les troubles réactionnels de l’attachement sont des aections graves et relativement rares, qui nécessitent un diagnostic diérentiel soigneux ainsi qu’une prise en charge axée sur la dimension relationnelle parent-enfant. Les stratégies d’intervention, développées pour favoriser le développement d’un attachement sécure chez l’enfant, montrent leur ecacité auprès d’enfants maltraités, placés en famille d’accueil, et même auprès d’enfants en milieu institutionnel. D’autres études dans ce domaine sont cependant nécessaires pour mieux comprendre l’étiologie de ce trouble et développer des stratégies d’intervention plus spéciques envers les adolescents et les adultes qui présentent un trouble de l’attachement.

Lectures complémentaires B, S. F. & al. (dir.) (2006). Relational Processes and DSM-5 : Neuroscience, Assessment, Prevention and Treatment, Washington, London, American Psychiatric Pub. C, C. & al. (2010). « Promouvoir la sécurité d’attachement chez les enfants victimes de maltraitance : un commentaire sur van IJzendoorn et BakermansKranenburg », dans Tremblay, R. E.

& al. (dir.), Encyclopédie sur le développement des jeunes enfants, Montréal, Centre d’excellence pour le développement des jeunes enfants. G, N. & G, A. (2010). L’attachement : approche clinique, Paris, Masson. P, B. (2005). L’attachement : de la théorie à la clinique, Paris, Érès.

Z C. H. & G, M. M. (2015). « Annual Research Review : Attachment disorders in early childhood : clinical presentation, causes, correlates, and treatment », Journal of Child, Psychology and Psychiatry, 56(3), p. 207-222.

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Troubles de l’attachement

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CHA P ITR E

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Décit de l’attention avec/sans hyperactivité, comportements perturbateurs et tics Martin Gignac, M.D., FRCPC

Annick Vincent, M.D., FRCPC, M. Sc. (neurobiologie)

Psychiatre de l’enfance et de l’adolescence, clinique Réseau Jeunesse, Institut Philippe-Pinel (Montréal)

Psychiatre, Clinique Focus (Saint-Augustin-de-Desmaures)

Professeur agrégé de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeure de clinique, Département de psychiatrie et de neurosciences, Faculté de médecine, Université Laval (Québec)

Louis Morissette, M.D., FRCPC Psychiatre légiste, Unité des adolescents et clinique Réseau Jeunesse, Institut Philippe-Pinel (Montréal) Professeur adjoint de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Partie A Trouble décit de l’attention avec/sans hyperactivité .............................. 1303 60A.1 Historique et évolution du concept.......................... 1303 60A.2 Épidémiologie.............................................................. 1303 60A.3 Étiologies...................................................................... 1304 60A.3.1 Facteurs environnementaux............................ 1304 60A.3.2 Facteurs génétiques........................................... 1304 60A.3.3 Facteurs neurophysiologiques ........................ 1304 60A.4 Description clinique................................................... 1305 60A.5 Évaluation .................................................................... 1308 60A.6 Outils diagnostiques .................................................. 1308 60A.7 Diagnostic diérentiel et comorbidités ................... 1309 60A.7.1 Aections médicales......................................... 1309 60A.7.2 Troubles psychiatriques ................................... 1312 60A.8 Traitements.................................................................. 1315 60A.8.1 Interventions psychosociales .......................... 1315 60A.8.2 Traitements biologiques .................................. 1316 60A.9 Évolution et pronostic................................................ 1318

Partie B Comportements perturbateurs.................. 1318 60B.1 Historique .................................................................... 1318 60B.2 Épidémiologie ............................................................. 1319 60B.3 Étiologies...................................................................... 1319 60B.3.1 Facteurs biologiques.......................................... 1319 60B.3.2 Facteurs psychologiques................................... 1319 60B.3.3 Facteurs socioenvironnementaux................... 1320 60B.3.4 Facteurs protecteurs.......................................... 1320

60B.4 Description clinique ................................................... 1320 60B.4.1 Trouble oppositionnel avec provocation....... 1320 60B.4.2 Trouble des conduites ....................................... 1320 60B.5 Évaluation .................................................................... 1323 60B.6 Outils diagnostiques ................................................... 1324 60B.7 Diagnostic diérentiel................................................ 1324 60B.8 Traitements .................................................................. 1324 60B.8.1 Interventions psychosociales ........................... 1324 60B.8.2 Traitements biologiques ................................... 1325 60B.8.3 Prévention............................................................ 1326 60B.9 Évolution et pronostic ................................................ 1326

Partie C Tics et syndrome de Gilles de la Tourette.............................................. 1326 60C.1 60C.2 60C.3 60C.4 60C.5 60C.6 60C.7 60C.8

Historique et évolution du concept .......................... 1326 Épidémiologie .............................................................. 1326 Étiologies...................................................................... 1327 Description clinique ................................................... 1327 Évaluation..................................................................... 1327 Outils diagnostiques ................................................... 1329 Diagnostic diérentiel................................................ 1329 Traitements .................................................................. 1329 60C.8.1 Traitements biologiques ................................... 1329 60C.8.2 Traitements psychologiques ............................ 1329 60C.8.3 Interventions sociales ....................................... 1329 60C.8.4 Prévention ........................................................... 1330 60C.9 Évolution et pronostic ................................................ 1330 Lectures complémentaires ..................................................... 1330

C

e chapitre porte sur trois catégories de syndromes dont la cooccurrence est fréquente en clinique. Dans le DSM-5, la section des troubles diagnostiqués durant l’enfance du DSM-IV a été répartie selon une nouvelle classication. Dans un eort d’intégrer une vision développementale, deux nouvelles sections ont été créées en lien avec la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent : • les troubles neurodéveloppementaux ; • les troubles disruptifs, du contrôle des impulsions et des conduites. Le trouble décit de l’attention avec/sans hyperactivité (TDA/H) fait partie de la section des « troubles neurodéveloppementaux ». Il s’agit d’un trouble souvent rencontré en clinique et qui représente un dé diagnostique. En eet, que ce soit à l’école, dans le quotidien ou au travail, les symptômes du TDA/H ont un impact sur le fonctionnement. L’identication des personnes atteintes de ce trouble (enfants, adolescents ou adultes) et la mise en place de stratégies pour en réduire l’impact sont primordiales an de réduire les problématiques secondaires et de prévenir les conséquences négatives potentielles sur le développement. Le trouble oppositionnel avec provocation (TOP) et le trouble des conduites (TC) font partie de la section des « troubles disruptifs, du contrôle des impulsions et des conduites » et sont des comportements perturbateurs fréquemment associés au TDA/H. Dans ces cas, le dépistage et le traitement adéquats du TDA/H peuvent inuencer l’évolution des troubles de comportement. Les tics, dont le syndrome de Gilles de la Tourette (SGT), font partie de la section des troubles neurodéveloppementaux, sous la rubrique « troubles moteurs » et peuvent aussi compliquer la prise en charge du TDA/H et des troubles des comportements perturbateurs. Bien que le DSM-5 classe ces troubles dans deux catégories diérentes, il est cliniquement pertinent de les intégrer en un même chapitre. Une fois le diagnostic établi, les principaux dés auxquels le médecin doit faire face sont la mise en place d’une approche multimodale impliquant divers professionnels, déterminer la pertinence d’un traitement médical et ensuite viser l’optimisation de la médication, y compris la gestion d’une polypharmacie lorsque cela est nécessaire, particulièrement dans les situations plus complexes de cooccurrence de ces troubles.

Partie A Trouble décit de l’attention avec/sans hyperactivité Tous ceux qui sont « dans la lune », ont la bougeotte ou sont impulsifs ne sourent pas nécessairement d’un TDA/H. Il s’agit d’un problème neurodéveloppemental qui entraîne des dicultés à se concentrer sur une tâche (inattention), à moduler ses gestes (bougeotte physique) et ses comportements (impulsivité) et parfois même ses émotions (hyperréactivité émotionnelle). C’est un trouble fréquent qui se développe dès l’enfance et qui a un impact fonctionnel dans le quotidien des personnes atteintes et de leur entourage. « Le TDA/H, c’est un trouble qui t’énerve et qui énerve les autres autour de toi », explique Alexandre, 8 ans. Ce trouble persiste souvent chez les adultes qui restent surtout touchés par :

Chapitre 60

• des troubles cognitifs attentionnels (sensibilité aux stimuli distrayants, distractibilité, bougeotte des idées) ;

• une désorganisation associée (comme la procrastination, la diculté à entreprendre puis à terminer ses tâches, l’éparpillement et la diculté avec la notion de temps écoulé) ; • de l’impulsivité qui leur nuit tant sur les plans scolaire et professionnel que dans leur vie quotidienne ; • une diculté à moduler l’intensité de leur réponse émotionnelle (« être à eur de peau », « hypersensible », « avoir la mèche courte »). Les intervenants de 1re ligne sont en lien direct avec le patient et sa famille. Le médecin généraliste joue un rôle très important dans le dépistage et le traitement du TDA/H. Un obstacle majeur demeure la diculté d’accéder en temps opportun à des médecins qualiés pour évaluer et traiter le TDA/H. Au Canada, un regroupement de cliniciens, la Canadian Attention Decit Hyperactivity Disorder Resource Alliance (CADDRA, 2011a) a rédigé un guide de pratiques, duquel plusieurs sections de ce chapitre se sont inspirées.

i

Un supplément d’information sur le Guide canadien de pratique en TDAH, des formations et le TDAH est disponible au www.caddra.ca. Le trouble du décit de l’attention avec/sans hyperactivité est aussi présenté en détail dans le chapitre 56, à la sous-section 56.5.2.

60A.1 Historique et évolution du concept Le TDA/H est un trouble neurodéveloppemental qui a changé de nom au l du temps et des diérentes éditions du DSM. Un des premiers articles sur le sujet (Bradley, 1937) décrit l’impact positif des psychostimulants sur les comportements et la performance scolaire. D’abord connu sous le nom de « dommage cérébral minime » (minimal brain damage), puis de « trouble hyperkinétique », le TDA/H était historiquement considéré comme un trouble de l’enfance et de l’adolescence, puisque l’accent était mis sur l’hyperactivité motrice, le symptôme cardinal le plus visible. L’hyperactivité tend à s’atténuer avec l’âge et à être moins manifeste, ce qui a longtemps fait croire que le TDA/H disparaissait à la n de l’adolescence. Or, les données récentes issues d’études prospectives mettent davantage l’accent sur l’impact du trouble de l’attention et des symptômes cognitifs, ce qui a permis de constater que 70 % des enfants atteints de TDA/H continuent de présenter des symptômes invalidants à l’adolescence et plus de 50 % à l’âge adulte (Biederman & al., 2010).

60A.2 Épidémiologie Quels que soient la culture, la langue ou le pays, les statistiques rapportent qu’au moins de 5 à 8 % des enfants sourent de TDA/H, et des études prospectives (Polanczyk & al., 2007) montrent que plus de la moitié des enfants atteints conservent des symptômes signicatifs à l’âge adulte. Le TDA/H est le trouble de santé mentale le plus fréquemment rencontré en clinique chez les enfants. Une étude épidémiologique a mesuré à 4,4 % le nombre d’adultes qui répondent aux critères du TDA/H (Kessler & al.,

Décit de l’attention avec/sans hyperactivité, comportements perturbateurs et tics

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2006). Chez les enfants, la proportion est de trois garçons pour une lle, alors que le ratio chez les adultes est d’environ un homme pour une femme. Cet écart peut reéter un biais de référence plutôt qu’une réelle diérence dans la prévalence, selon les experts. Par exemple, les symptômes d’hyperactivité et d’impulsivité (plus fréquents chez les garçons) sont souvent dépistés plus tôt que les symptômes d’inattention (plus fréquents chez les lles). Comparativement au DSM-III, le DSM-IV a modié les critères en amenant le concept de TDA/H de type inattention prédominante, ce qui a permis de repérer plus de lles atteintes. Les changements de critères, mais aussi la constatation que le TDA/H se poursuit à l’âge adulte ainsi que le développement de traitements pharmacologiques plus ecaces et présentant un meilleur prol d’innocuité ont certainement eu des impacts sur le nombre de prescriptions, en hausse continuelle depuis plusieurs années. Le marché des médicaments pour le TDA/H est passé de 15 millions de dollars (avant le DSM-IV) à sept milliards de dollars en 2013. Dans les essais sur le terrain (eld trials) pour la validation des critères diagnostiques pendant l’élaboration du DSM-5, le diagnostic de TDA/H a obtenu une des meilleures corrélations interjuges, avec un κ entre 0,6 et 0,79.

60A.3 Étiologies Les causes du TDA/H sont multifactorielles. C’est un des diagnostics psychiatriques qui a été le plus étudié et pour lequel plusieurs données probantes nous éclairent sur les étiologies possibles.

60A.3.1 Facteurs environnementaux Le tabagisme ou la consommation importante d’alcool chez la femme enceinte, sans être spéciques, peuvent augmenter le risque de développer un TDA/H, tout comme l’exposition à des niveaux élevés de métaux lourds tels que le plomb ou le mercure. Il en est de même pour la prématurité (petit poids à la naissance), le diabète gestationnel et les grossesses gémellaires. Les enfants qui ont reçu une chimiothérapie ou de la radiothérapie ont également un taux plus élevé de TDA/H. L’environnement psychosocial dans lequel grandit l’enfant atteint peut moduler l’expression et l’évolution du TDA/H, mais la façon d’élever ou d’encadrer un enfant ne cause pas le TDA/H en soi. Ainsi, le TDA/H n’est pas secondaire à une éducation malhabile, mais l’absence de soutien et d’aide pour faire face à ce trouble peut entraîner de l’anxiété, des atteintes de l’estime de soi, autant pour l’enfant que pour ses parents, et des problèmes de comportement comme l’opposition et la délinquance.

60A.3.2 Facteurs génétiques Les données sur l’héritabilité provenant des études sur des jumeaux et des enfants adoptés indiquent une très forte implication génétique dans 80 % des cas de TDA/H, ce qui rend ce trouble presque aussi héréditaire que la taille d’un individu. Quand un parent est atteint d’un TDA/H, le risque d’avoir un enfant atteint est de 50 % (Mick & Faraone, 2008). Un enfant sur quatre présentant un TDA/H a un proche atteint du même trouble. Par conséquent, lorsqu’une personne est diagnostiquée avec un TDA/H, quel que soit son âge, il est important de dépister ce trouble chez d’autres membres de la famille. Un certain nombre de gènes candidats

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(dont ceux codant pour le récepteur DA2 de la dopamine ou le transporteur de la dopamine) ont été identiés, mais aucun gène marqueur n’a encore été trouvé.

60A.3.3 Facteurs neurophysiologiques De nombreuses études anatomiques et en imagerie fonctionnelle permettent de mettre en évidence des atteintes possibles dans plusieurs régions du cerveau comme le lobe frontal et ses connexions avec les noyaux gris centraux (via le gyrus cingulaire antérieur) et certaines zones du cervelet (Cortese & Castellanos, 2012). En tant que groupe, les adolescents atteints d’un TDA/H auraient un délai de 30 % de leur maturation corticale (Shaw, 2007). De plus, les personnes atteintes d’un TDA/H auraient un pattern d’activité cérébrale diérent. En eet, plusieurs études en imagerie cérébrale fonctionnelle ont mis en évidence une moindre réactivité à la stimulation dans une ou plusieurs de ces régions (Bush, 2010). Il faut cependant considérer que ce sont là des données expérimentales sur de petits nombres de patients et que, pour le moment, il n’est pas recommandé de faire des examens d’imagerie pour fonder un diagnostic de TDA/H. Par ailleurs, il est intéressant de noter que le traitement pharmacologique avec un psychostimulant normalise le défaut d’activation du cortex cingulaire (Bush & al., 2008). Les hypothèses d’un défaut dans la transmission synaptique et d’un décit de l’automodulation par des neurotransmetteurs comme la dopamine (DA) et la noradrénaline (NA) sont bien documentées. La DA aide, entre autres, à susciter et à maintenir l’intérêt sur une tâche, et la NA, à ltrer les stimuli non pertinents et à faciliter la uidité pour passer d’une tâche à une autre. Un système DA/NA ecace permet donc de se mettre à la tâche et de s’y maintenir, de changer pour un autre type de tâche quand c’est pertinent, mais aussi d’y revenir en temps opportun. Une intégrité de ce système permet aussi de réduire l’impact des distracteurs et de mieux se concentrer sur la tâche prioritaire. C’est ce que l’on appelle le ratio bruit/signal. Les médicaments utilisés dans le TDA/H ont en commun d’agir sur la neurotransmission du système dopaminergique ou noradrénergique. La neurotransmission du système dopaminergique ou noradrénergique est présentée en détail au chapitre 70. L’intégrité de la capacité d’attention est un préalable à la réalisation adéquate d’une série de tâches. Les personnes atteintes d’un TDA/H présentent souvent un dysfonctionnement des zones responsables du contrôle ou de l’inhibition de certains comportements. Il semble que le réseau de transmission de l’information neuronale soit défectueux. La personne atteinte éprouve des dicultés à entreprendre une tâche et à la terminer à temps, n’arrive pas à maintenir son attention de façon soutenue, perd de l’intérêt, est distraite par ses propres idées et les stimuli externes, a de la diculté à s’organiser, s’éparpille, fait des oublis et perd ou égare ses choses. Selon un tel modèle : • l’hyperactivité motrice correspond à une diculté à s’empêcher de bouger quand cela n’est pas pertinent ; • l’impulsivité est une diculté à prendre du recul (décit d’inhibition) avant d’agir ou de réagir. Des tests neuropsychologiques normalisés pour l’âge peuvent mettre en évidence des dicultés à maintenir l’attention, de

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l’impulsivité dans les réponses et une diculté de manipuler l’information en mémoire de travail. Cependant, aucun test à lui seul n’est assez sensible ou spécique pour permettre de conrmer ou d’inrmer un diagnostic de TDA/H. L’évaluation clinique demeure essentielle dans la démarche diagnostique. L’évaluation neuropsychologique est par contre nécessaire dans les cas de dicultés d’apprentissage. La détermination du quotient intellectuel (QI) oriente sur l’écart possible entre le potentiel intellectuel de l’enfant et ses performances scolaires, mais aussi sur ses résultats aux divers tests neuropsychologiques. Il est important de dépister : • une décience ou une douance intellectuelle ; • un trouble d’apprentissage ; • un trouble du langage ; • un trouble de communication sociale (pragmatique) ; • une lenteur de traitement de l’information. Ces problématiques peuvent entraîner des symptômes d’inattention en mesure de mimer ou d’exacerber un TDA/H. Fait intéressant, les études neuropsychologiques ont par ailleurs rapporté que les adultes atteints de TDA/H pensent diéremment lors de la résolution de problèmes, en adoptant un processus décisionnel et des solutions plus créatives et novatrices que la population générale (White & Shaw, 2006, 2011).

60A.4 Description clinique Par dénition, pour que l’on puisse porter un diagnostic de TDA/H, les symptômes doivent être présents depuis l’enfance (avant l’âge de 12 ans). Ils doivent être identiables dans plusieurs sphères de vie et interférer avec le fonctionnement social, scolaire ou professionnel (voir le tableau 60.1). Le DSM-5 propose une classication globale en multiples présentations cliniques, axées sur la prédominance des types de symptômes présents au cours des six derniers mois. Comparativement au DSM-IV-TR, le DSM-5 élimine la notion de trois sous-types (inattention, hyperactivité/impulsivité et combiné) et regroupe les symptômes en un seul ensemble clinique en identiant plutôt des prédominances de présentation clinique de type inattention, hyperactivité/impulsivité et combiné qui peuvent varier dans le temps. Le DSM-5 introduit aussi des précisions sur le niveau de sévérité. Chez la majorité des patients, les symptômes persistent à l’adolescence et à l’âge adulte. L’hyperactivité et l’impulsivité s’atténuent au cours du vieillissement, alors que l’inattention tend à persister (Biederman & al., 2010). En théorie, la description clinique du TDA/H est la même pour tous les âges, mais la présentation des symptômes peut être diérente selon l’âge et le contexte. Comparativement au DSM-IV-TR, le DSM-5 précise que les symptômes du TDA/H peuvent varier selon la tâche et le contexte, par exemple être plus marqués durant l’étude ou le travail que dans les loisirs ou lors d’une tâche nouvelle, agréable, stimulante, en action-réaction ou avec rétroaction immédiate. L’impact fonctionnel est un aspect crucial du diagnostic de TDA/H. Une personne peut mentionner avoir plusieurs symptômes du TDA/H, mais si ces symptômes n’altèrent pas son fonctionnement, alors il n’y a pas de trouble en soi et le diagnostic de TDA/H ne peut être retenu.

Chapitre 60

Les symptômes d’inattention sont plus diciles à reconnaître que l’hyperactivité motrice et l’impulsivité, souvent plus évidentes et dérangeantes, donc visibles. Le TDA/H est typiquement identiés de façon plus précoce chez l’enfant hyperactif que l’inattentif, souvent au début de la scolarisation. Les adultes qui présentent encore des symptômes invalidants de TDA/H se plaignent des mêmes dicultés, mais la perte d’objets est souvent remplacée par une tendance à perdre du temps pour chercher des choses utiles au fonctionnement quotidien (après les avoir égarées temporairement). Les symptômes d’hyperactivité chez les adultes ne sont pas aussi manifestes que chez les enfants. Avec le temps, une sensation d’impatience remplace l’hyperactivité franche, et la personne peut demeurer irritable en situation d’inaction ou d’attente. Ils rapportent se sentir agités ou submergés. L’adulte hyperactif rapporte se sentir agité ou submergé, « trop énergisé ou tendu », et souvent, il s’adonne au sport et aux activités motrices, peu importe son âge. Il peut choisir des emplois et des loisirs actifs qui exigent beaucoup d’énergie et canaliser sa bougeotte résiduelle dans l’action, le sport, même à l’extrême, au risque de se blesser. Quant à l’impulsivité, on observe typiquement chez l’enfant des paroles ou des gestes irrééchis, alors que chez l’adulte, elle peut se traduire par des décisions impulsives au travail, dans la vie quotidienne et familiale. L’impulsivité peut mener à des conits interpersonnels, à des altercations et à la prise de risques. Chez les adolescents et les adultes, elle peut s’exprimer par une conduite automobile trop rapide, imprudente, une conduite sexuelle à risque et de l’impulsivité dans les dépenses et les décisions. Une diculté à autogérer ses émotions est aussi décrite. La personne peut être irritable et avoir des changements d’humeur plus intenses que la norme lors d’événements. Elle est prompte à la colère lorsqu’elle est frustrée, peut avoir la larme à l’œil facilement lorsqu’elle est attristée ou s’exciter excessivement dans une situation stimulante. Il s’agit d’hyperréactivité émotionnelle et non d’un trouble de l’humeur en soi. Le diagnostic diérentiel est parfois dicile à établir et requiert souvent une référence en milieu spécialisé. Mieux reconnu chez l’enfant, le TDA/H demeure sousdiagnostiqué et insusamment traité chez les adultes. Il importe de reconnaître qu’à toutes les phases de la vie, il peut conduire à un vaste éventail de problèmes, comme des dicultés d’apprentissage, des dicultés dans les relations interpersonnelles et familiales, un faible rendement professionnel, des accidents de la route, des grossesses non planiées, des dicultés nancières et des problèmes légaux. D’un point de vue médical, le TDA/H est associé à une augmentation du risque d’ITSS (infections transmises sexuellement et par le sang), d’obésité, de troubles du sommeil, de toxicomanie et d’autres troubles psychiatriques comorbides (Barkley, 2006 ; Cortese & al., 2015 ; Hysing & al., 2015). Avoir un TDA/H ne signie pas subir des échecs partout. La personne atteinte peut avoir du succès dans certaines sphères de sa vie (p. ex., dans les sports, les arts ou le travail), mais vivre un impact fonctionnel négatif du TDA/H dans d’autres domaines. Les mécanismes de compensation et les stratégies adaptatives, comme l’agenda et la prise de notes, peuvent parfois réduire les impacts d’un TDA/H sous-jacent, ce qui peut entraîner un

Décit de l’attention avec/sans hyperactivité, comportements perturbateurs et tics

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TABLEAU 60.1 Critères diagnostiques du décit de l’attention/hyperactivité

DSM-5

DSM-IV-TR

314.0_ (F90.0) Trouble décit de l’attention/hyperactivité

Décit de l’attention/hyperactivité

A. Un mode persistant d’inattention et/ou d’hyperactivité-impulsivité qui interfère avec le fonctionnement ou le développement, caractérisé par (1) et/ou (2).

A. Présence soit de (1), soit de (2) :

1. Inattention : Six (ou plus) des symptômes suivants persistent depuis 1. six des symptômes suivants d’inattention (ou plus) ont persisté pendant au moins 6 mois, à un degré qui ne correspond pas au niveau de au moins 6 mois, à un degré qui est inadapté et ne correspond pas au développement et qui a un retentissement négatif direct sur les activités niveau de développement de l’enfant : sociales et scolaires/professionnelles : Inattention N.B. : Les symptômes ne sont pas seulement la manifestation d’un comportement opposant, provocateur ou hostile, ou de l’incapacité de comprendre les tâches ou les instructions. Chez les grands adolescents et les adultes (17 ans ou plus), au moins cinq symptômes sont requis. a. Souvent, ne parvient pas à prêter attention aux détails, ou fait des fautes d’étourderie dans les devoirs scolaires, le travail ou d’autres activités (p. ex., néglige ou ne remarque pas des détails, le travail est imprécis). b. A souvent du mal à soutenir son attention au travail ou dans les jeux (p. ex., a du mal à rester concentré pendant les cours magistraux, des conversations, ou la lecture de longs textes). c. Semble souvent ne pas écouter quand on lui parle personnellement (p. ex., semble avoir l’esprit ailleurs, même en l’absence d’une source de distraction évidente). d. Souvent, ne se conforme pas aux consignes et ne parvient pas à mener à terme ses devoirs scolaires, ses tâches domestiques ou ses obligations professionnelles (p. ex., commence des tâches, mais se déconcentre vite et se laisse facilement distraire). e. A souvent du mal à organiser ses travaux ou ses activités (p. ex., difculté à gérer des tâches comportant plusieurs étapes, difculté à garder ses affaires et ses documents en ordre, travail brouillon ou désordonné, mauvaise gestion du temps, échoue à respecter les délais). f. Souvent, évite, a en aversion, ou fait à contrecœur les tâches qui nécessitent un effort mental soutenu (p. ex., le travail scolaire ou les devoirs à la maison ; chez les grands adolescents et les adultes, préparer un rapport, remplir des formulaires, analyser de longs articles). g. Perd souvent les objets nécessaires à son travail ou à ses activités (p. ex., matériel scolaire, crayons, livres, outils, portefeuilles, clés, documents, lunettes, téléphones mobiles). h. Se laisse facilement distraire par des stimuli externes (chez les grands adolescents et les adultes, il peut s’agir de pensées sans rapport). i. A des oublis fréquents dans la vie quotidienne (p. ex., effectuer les tâches ménagères et faire les courses ; chez les grands adolescents et les adultes, rappeler des personnes au téléphone, payer des factures, honorer des rendez-vous).

(a) souvent, ne parvient pas à prêter attention aux détails, ou fait des fautes d’étourderie dans les devoirs scolaires, le travail ou d’autres activités ; (b) a souvent du mal à soutenir son attention au travail ou dans les jeux ; (c) semble souvent ne pas écouter quand on lui parle personnellement ; (d) souvent, ne se conforme pas aux consignes et ne parvient pas à mener à terme ses devoirs scolaires, ses tâches domestiques ou ses obligations professionnelles (cela n’est pas dû à un comportement d’opposition, ni à une incapacité à comprendre les consignes) ; (e) a souvent du mal à organiser ses travaux ou ses activités ;

(f) souvent, évite, a en aversion, ou fait à contrecœur les tâches qui nécessitent un effort mental soutenu (comme le travail scolaire ou les devoirs à la maison) ; (g) perd souvent les objets nécessaires à son travail ou à ses activités (p. ex., jouets, cahiers de devoirs, crayons, livres ou outils) ; (h) souvent, se laisse facilement distraire par des stimuli externes ; (i) a des oublis fréquents dans la vie quotidienne.

2. Hyperactivité et impulsivité : Six ou plus des symptômes suivants 2. six des symptômes suivants d’hyperactivité-impulsivité (ou plus) ont persistent depuis au moins 6 mois, à un degré qui ne correspond pas persisté pendant au moins 6 mois, à un degré qui est inadapté et ne au niveau de développement et qui a un retentissement négatif direct correspond pas au niveau de développement de l’enfant : sur les activités sociales et scolaires/professionnelles : Hyperactivité N.B. : Les symptômes ne sont pas seulement la manifestation d’un comportement opposant, provocateur ou hostile, ou de l’incapacité de comprendre les tâches ou les instructions. Chez les grands adolescents et les adultes (17 ans ou plus), au moins cinq symptômes sont requis. a. Remue souvent les mains ou les pieds, ou se tortille sur son siège. (a) Idem à DSM-5. b. Se lève souvent en classe ou dans d’autres situations où il est supposé (b) se lève souvent en classe ou dans d’autres situations où il est rester assis (p. ex. quitte sa place en classe, au bureau ou dans un autre supposé rester assis. lieu de travail, ou dans d’autres situations où il est censé rester en place). c. Souvent, court ou grimpe partout, dans des situations où cela est (c) Idem à DSM-5. inapproprié (N.B. : Chez les adolescents ou les adultes, cela peut se limiter à un sentiment d’impatience motrice). d. Est souvent incapable de se tenir tranquille dans les jeux ou les (d) Idem à DSM-5. activités de loisir.

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TABLEAU 60.1 Critères diagnostiques du décit de l’attention/hyperactivité (suite )

DSM-5 e.

f. g. h. i.

DSM-IV-TR

314.0_ (F90.0) Trouble décit de l’attention/hyperactivité Est souvent « sur la brèche » ou agit souvent comme s’il était « monté sur ressorts » (p. ex. n’aime pas rester tranquille pendant un temps prolongé ou est alors mal à l’aise, comme au restaurant ou dans une réunion, peut être perçu par les autres comme impatient ou difcile à suivre). Parle souvent trop. Laisse souvent échapper la réponse à une question qui n’est pas encore entièrement posée (p. ex. termine les phrases des autres, ne peut pas attendre son tour dans une conversation). A souvent du mal à attendre son tour (p. ex. dans une le d’attente). Interrompt souvent les autres ou impose sa présence (p. ex. fait irruption dans les conversations, les jeux ou les activités, peut se mettre à utiliser les affaires des autres sans le demander ou en recevoir la permission ; chez les adolescents ou les adultes, peut être intrusif et envahissant dans les activités des autres).

B. Plusieurs symptômes d’inattention ou d’hyperactivité-impulsivité étaient présents avant l’âge de 12 ans.

Décit de l’attention/hyperactivité (e) est souvent « sur la brèche » ou agit souvent comme s’il était « monté sur ressorts » (f) Idem à DSM-5. Impulsivité (a) laisse souvent échapper la réponse à une question qui n’est pas encore entièrement posée ; (b) a souvent du mal à attendre son tour ; (c) interrompt souvent les autres ou impose sa présence (p. ex., fait irruption dans les conversations ou dans les jeux).

B. Certains des symptômes d’hyperactivité-impulsivité ou d’inattention ayant provoqué une gêne fonctionnelle étaient présents avant l’âge de 7 ans.

C. Plusieurs symptômes d’inattention ou d’hyperactivité-impulsivité sont C. Présence d’un certain degré de gêne fonctionnelle liée aux symptômes présents au moins deux contextes différents (p. ex., à la maison, à l’école, dans deux, ou plus de deux types d’environnement différents (p. ex., à ou au travail ; avec des amis ou de la famille, dans d’autres activités). l’école ... ou au travail ... et à la maison). D. On doit mettre clairement en évidence que les symptômes interfèrent avec D. Idem à DSM-5. ou réduisent la qualité du fonctionnement social, scolaire ou professionnel. E. Les symptômes ne surviennent pas exclusivement au cours d’une E. Les symptômes ne surviennent pas exclusivement au cours d’un schizophrénie ou d’un autre trouble psychotique, et ils ne sont pas trouble envahissant du développement, d’une schizophrénie ou d’un mieux expliqués par un autre trouble mental (p. ex., trouble de l’humeur, autre trouble psychotique, et ils ne sont pas mieux expliqués par un trouble anxieux, trouble dissociatif, trouble de personnalité, intoxication autre trouble mental (p. ex., trouble thymique, trouble anxieux, trouble par, ou sevrage d’une substance). dissociatif ou trouble de la personnalité). Spécier le type : 314.01 (F90.2) Présentation combinée : Si à la fois le critère A1 (inattention) et le critère A2 (hyperactivité-impulsivité) sont remplis pour les 6 derniers mois. 314.00 (F90.0) Présentation inattentive prédominante : Si, pour les 6 derniers mois, le critère A1 (inattention) est rempli, mais pas le critère A2 (hyperactivité-impulsivité). 314.01 (F90.1) Présentation hyperactive/impulsive prédominante : Si, pour les 6 derniers mois, le critère A2 (hyperactivité-impulsivité) est rempli, mais pas le critère A1 (inattention).

Coder selon le type : pour les 6 derniers mois. Décit de l’attention/hyperactivité, type mixte si à la fois les critères A1 et A2 sont remplis. Décit de l’attention/hyperactivité, type inattention prédominante si le critère A1 est rempli, mais pas le critère A2. Décit de l’attention/hyperactivité, type hyperactivité-impulsivité prédominante si le critère A2 est rempli, mais pas le critère A1.

Spécier le type : Note de codage. Pour les sujets (particulièrement les adolescents et les adultes) dont les symptômes ne remplissent plus actuellement l’ensemble En rémission partielle : Lorsqu’au cours des 6 derniers mois l’ensemble des critères pour poser le diagnostic ne sont plus réunis alors qu’ils l’étaient des critères diagnostiques, spécier : « en rémission partielle ». auparavant, et que les symptômes continuent à entraîner une altération du fonctionnement social, scolaire ou professionnel. Spécier la sévérité actuelle : Léger : Peu de symptômes, ou aucun, sont présents au-delà de ceux requis au minimum pour poser le diagnostic, et les symptômes n’entraînent que des altérations mineures du fonctionnement social ou professionnel. Moyen : Les symptômes ou l’altération fonctionnelle sont présents sous une forme intermédiaire entre « léger » et « grave ». Grave : Plusieurs symptômes sont présents au-delà de ceux requis pour poser le diagnostic, ou plusieurs symptômes particulièrement graves sont présents, ou les symptômes entraînent une altération marquée du fonctionnement social ou professionnel. Sources : APA (2015), p. 67-68 ; APA (2004), p. 107-109. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

Chapitre 60

Décit de l’attention avec/sans hyperactivité, comportements perturbateurs et tics

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diagnostic tardif chez plusieurs adultes. Ceci est aussi le cas pour les enfants et les adolescents qui sont inattentifs, mais très intelligents et peu dérangeants, car ils n’ont pas de problèmes d’hyperactivité observables à l’école et arrivent à compenser. L’impact fonctionnel devient plus évident lorsque la structure externe diminue et que les demandes sur les ressources attentionnelles augmentent, comme au collège ou à l’université, ou dans les situations de combinaison travail-famille. Souvent, les personnes atteintes d’un TDA/H rapportent avoir l’impression de « sous-performer » sans comprendre pourquoi.

60A.5 Évaluation Il n’y a pas de tests sanguins, de tests neuropsychologiques, ni d’imagerie cérébrale spéciques du TDA/H. Le diagnostic est essentiellement de nature clinique. Il faut donc rencontrer le patient et ses proches, et demander le point de vue de ceux qui le voient évoluer, dont les enseignants pour les plus jeunes. Les informations collatérales sont précieuses et contribuent à l’évaluation en fournissant diérentes perspectives. Il faut rechercher des symptômes, dans l’enfance et dans la vie actuelle, éliminer des pathologies qui peuvent ressembler à un TDA/H (diagnostic diérentiel) ou le compliquer (comorbidités) et explorer l’impact fonctionnel et les stratégies mises en place pour s’y adapter. Il est essentiel de connaître les forces et les centres d’intérêt du patient qui vont guider ses projets de vie et aider à consolider son estime personnelle souvent fragilisée. Il faut également bien saisir le contexte psychosocial dans lequel le patient évolue et son réseau de soutien pour se faire une idée globale et prévoir des stratégies de traitement individualisées. Pour les enfants, la principale raison de consultation émane du milieu scolaire. Les dicultés y étant les plus manifestes, les enseignants sont bien placés pour identifier un tableau suggérant le TDA/H. Chez les adultes, certains consultent car ils se reconnaissent dans les descriptions du TDA/H qu’ils ont lues. Ils ont un proche (souvent un enfant) pour qui la reconnaissance et le traitement du TDA/H ont été bénéques et ils veulent vérier si les symptômes qu’ils présentent eux-mêmes peuvent être explicables par ce diagnostic et s’il existe un traitement disponible. Plus de la moitié des personnes sourant d’un TDA/H développent un trouble psychiatrique surajouté comme un trouble de comportement (oppositionnel ou conduites antisociales), un trouble de l’humeur, un trouble anxieux, des traits ou troubles de la personnalité ou des toxicomanies. Souvent, les patients se présentent avec un tableau qui met les comorbidités à l’avant-plan. L’évaluation diagnostique se fait grâce à un entretien clinique au cours duquel le médecin recherche les symptômes spéciques du TDA/H et leurs impacts. Il est important de procéder à un bon examen pour exclure des causes médicales de dicultés d’attention (p. ex., antécédents de trauma craniocérébral, de dysfonction thyroïdienne, de diabète ou d’apnée du sommeil). Sur le plan médical, l’utilisation éventuelle à des ns thérapeutiques de psychostimulants ou d’inhibiteurs du recaptage de la noradrénaline ou d’agonistes α2 adrénergiques exige un dépistage de maladies cardiovasculaires (p. ex., arythmie, hyper- ou hypotension artérielle, malformations cardiaques), de glaucome et de tics, entre autres. La recherche de problèmes et de mala-

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dies associés est essentielle pour établir un plan de traitement personnalisé et ecace. Particulièrement chez les jeunes, essayer de distinguer les symptômes dus à des stresseurs externes peut être très dicile, en particulier lorsque l’enfant vit dans un milieu familial dysfonctionnel ou, encore, s’il a subi une perte importante ou a été victime d’abus. Les habitudes de vie peuvent inuencer l’expression du TDA/H. Une mauvaise condition physique, une alimentation mal équilibrée, des problèmes de sommeil ainsi qu’une consommation de boissons énergisantes, d’alcool et de drogues peuvent mimer ou exacerber la symptomatologie d’un TDA/H. De nombreuses études ont mis en évidence que le TDA/H augmente le risque sur la conduite automobile (Barkley & al., 2002). Les adultes atteints d’un TDA/H ont de deux à quatre fois plus d’accidents automobiles que la population générale. Des informations concernant les risques d’accident au volant et le Questionnaire sur la conduite automobile de Jérôme (JDQ 2010) (CADDRA, 2011b) peuvent être consultés dans les Lignes directrices canadiennes pour le TDA/H de la CADDRA (2011a).

60A.6 Outils diagnostiques L’évaluation neuropsychologique permet de mieux qualier et quantier les atteintes cognitives (p. ex., l’attention, la concentration, la mémoire, les fonctions exécutives), pour pouvoir les travailler spéciquement en thérapie, ou pour conrmer ou éliminer d’autres diagnostics possibles. L’évaluation du QI, incluant le WISC-IV (Weschler Intelligence Scale for Children) (Weschler, 2005) chez les enfants ou le WAIS (Weschler Adult Intelligence Scale) (Weschler, 2011) chez les adultes, ainsi que des paramètres attentionnels et exécutifs (p. ex., la mémoire de travail et la vitesse de traitement de l’information), peut être intéressante pour dépister des troubles d’apprentissage spéciques, mesurer les atteintes cognitives liées au TDA/H par rapport à certains troubles comme l’anxiété ou la dépression. L’évaluation de ces paramètres peut aussi permettre une intervention plus ciblée et guider les interventions (p. ex., coaching organisationnel et remédiation cognitive). Il existe plusieurs questionnaires pour mesurer la présence de ces dysfonctions. Certains, comme l’échelle de Conners (2008) remplie par chacun des parents et par le professeur, exigent une formation spéciale pour les analyser. Plusieurs outils sont disponibles dans le domaine public. Certains intègrent la liste des symptômes du TDA/H sous forme d’autoquestionnaire. La CADDRA a élaboré une trousse pour les cliniciens, où plusieurs questionnaires disponibles dans le domaine public et gratuits ont été sélectionnés, y compris un document pour eectuer l’évaluation du TDA/H et concevoir un plan de traitement. La démarche est parfois longue et il peut être utile de procéder en plusieurs rencontres. La CADDRA fournit une vidéo pour expliquer comment utiliser cette trousse. La perception des proches est très utile, particulièrement pour

i

Un supplément d’information sur la trousse est disponible au www.caddra.ca, dans les sections Publications et Formations (E-learning).

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les patients qui ont peu de capacité à s’auto-observer. Voici certains des outils proposés : • Adult Self-Rating Scale (ASRS) (version française canadienne CADDRA, 2011c) : Les questions de la partie A, de 1 à 6, servent d’outil de dépistage du TDA/H chez l’adulte (voir la gure 60.1). Cette échelle a été validée pour le TDA/H par l’Organisation mondiale de la santé. Il s’agit d’une échelle autorapportée, validée pour la population adulte. Elle est parfois utilisée chez les adolescents qui ont la capacité de reconnaître leurs symptômes. Mais souvent, des sources collatérales (professeurs et parents) demeurent nécessaires pour le suivi des adolescents. • Inventaire des symptômes de TDA/H (OMS) (CADDRA, 2011a) : Les questions de la partie B, de 7 à 18, servent d’outil pour spécifier les symptômes du TDA/H et du trouble oppositionnel avec provocation (TOP) (voir la gure 60.1). Il peut être utilisé pour l’enfant, l’adolescent ou l’adulte. Il peut être rempli par la personne elle-même ou quelqu’un qui la connaît bien (un proche ou un professeur). • Teacher and Parent Rating Scale (SNAP-IV) (Swanson, Nolan and Pelham) (disponible dans le guide de CADDRA, 2011d) : questionnaire sur les symptômes du TDA/H et du TOP (voir la gure 60.2). Il peut être rempli par quelqu’un qui connaît bien l’enfant (un proche ou un professeur). On utilise aussi les seuils de deux à trois pour les symptômes signicatifs du TDA/H, et le nombre de critères pour conrmer le diagnostic est de six sur neuf d’inattention et/ou d’hyperactivité-impulsivité. L’échelle SNAP-IV inclut aussi les critères du trouble d’opposition (les huit derniers critères) étant donné l’association fréquente avec le TDA/H. On utilise aussi les mêmes seuils de deux à trois pour les symptômes signicatifs de l’opposition, et le nombre de critères nécessaires pour le diagnostic de TOP est de quatre sur huit. Les deux échelles SNAP-IV et ASRS sont utiles an de mesurer l’intensité des symptômes en cours de suivi. Cependant, cette amélioration symptomatique devrait s’accompagner d’une amélioration fonctionnelle. D’autres échelles sont disponibles en ligne sur le site de la CADRRA et peuvent être utilisées en clinique et en recherche. • La WIFRS (Weiss Functional Impairment Rating Scale) (CADDRA, 2011e) est une échelle reconnue dans le domaine du TDA/H. C’est un outil permettant d’explorer les impacts fonctionnels dans diverses sphères de la vie quotidienne, familiale, scolaire, professionnelle et sociale, les activités à risque et la perception de soi. Cette échelle permet de suivre l’évolution en cours de traitement et de l’associer au fonctionnement du patient dans son environnement. Il n’existe pas de système de cotation spécique du WIFRS, mais une amélioration sur cette échelle soutient une réponse favorable au traitement pharmacologique. • Weiss Symptom Record : outil facilitant la recherche des troubles associés. Peut être utilisé pour l’enfant, l’adolescent ou l’adulte. Questionnaire rempli par le patient lui-même ou quelqu’un qui le connaît bien (un proche ou un professeur). Quel que soit le questionnaire, le simple fait de « cocher » les symptômes ne permet pas d’établir le diagnostic, mais seulement de repérer la présence de certains symptômes ou comportements. C’est un peu comme la mesure de la température corporelle

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avec un thermomètre qui permet de déterminer si quelqu’un fait de la èvre, mais non d’en préciser l’étiologie. Il est essentiel d’explorer pourquoi les symptômes de TDA/H sont présents, ce qui peut les aggraver, mais aussi les stratégies d’adaptation mises en place pour mieux fonctionner au quotidien. Le médecin doit aussi évaluer le degré d’impact du TDA/H sur le fonctionnement pour décider de la nécessité et du choix d’un médicament. Il est suggéré de demander au patient d’identier quels symptômes le dérangent le plus, ce qui peut guider les stratégies thérapeutiques. Ces outils peuvent servir au processus diagnostique et thérapeutique en permettant de mesurer les impacts des traitements en cours. L’objectif est de réduire le nombre de symptômes invalidants et leur intensité pour obtenir des scores moyens de zéro ou 1 (jamais ou rarement), ce qui correspond à la norme des gens sans TDA/H. Dans certains cas, il est possible de compléter par des évaluations spéciques selon les besoins ciblés, par exemple : • en psychologie, pour déterminer le QI et faire un bilan neuropsychologique ; • en ergothérapie, pour l’organisation des tâches ; • en psychomotricité, pour les troubles de la coordination ; • en orthophonie, pour établir si un trouble d’apprentissage ou du langage pourrait expliquer les dicultés présentées ; • en orthopédagogie, pour mettre en place des stratégies d’apprentissage spéciques.

60A.7 Diagnostic différentiel et comorbidités La démarche pour poser un diagnostic de TDA/H exige d’identier toute autre pathologie qui pourrait mimer ce trouble (diagnostic diérentiel) ou s’y ajouter (trouble comorbide). Une histoire complète, accompagnée d’un examen physique, permet souvent de conrmer ou d’inrmer la présence de maladies physiques sous-jacentes. Dans certains cas, des tests de laboratoire sont nécessaires an d’éliminer des pathologies suspectées. Il peut être complexe de diérencier un problème d’attention primaire (TDA/H du type inattentif prédominant) par rapport à diverses problématiques entraînant une dysfonction exécutive secondaire. L’histoire de la petite enfance devrait révéler des troubles cognitifs préexistants pour pouvoir identier un TDA/H. Dans certains cas, évaluer le potentiel intellectuel à l’aide d’un examen neuropsychologique aide à mieux cerner l’impact de ces problèmes associés.

60A.7.1 Affections médicales Parmi les problèmes médicaux associés au TDA/H ou qui peuvent le mimer, il faut considérer : • l’exposition pendant la grossesse à des substances toxiques ou des abus de drogues chez la mère ; • les complications périnatales entraînant une encéphalopathie ; • les troubles génétiques et du métabolisme (p. ex., syndrome du X fragile, phénylcétonurie) ; • les décits sensoriels, visuels ou auditifs ; • une dysfonction thyroïdienne, le diabète ;

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FIGURE 60.1 Échelle autorapportée pour adulte ASRS (Adult Self-Rating Scale )

Les seuils de symptômes signicatifs varient, selon le type de symptômes, à 2, 3 ou 4 (quelquefois, souvent ou très souvent). La zone ombragée sur l’échelle originale permet de reconnaître le seuil pour chacun des symptômes. • La partie A sert au dépistage : le seuil est de 4 critères signicatifs sur 6 pour cette section. • La partie B complète la partie A si le seuil de dépistage est atteint. Les 12 critères de la partie B servent à établir le no mbre de critères positifs en lien avec le diagnostic – 6/9 pour l’inattention ou hyperactivité/impulsivité, – 5/9 pour chacun des deux groupes de symptômes si les patients ont 17 ans et plus. Source : CADDRA (2011d).

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FIGURE 60.2 Échelle d’évaluation SNAP-IV-26 (Teacher and Parent Rating Scale)

Source : CADDRA (2011d).

• les troubles hématologiques comme l’anémie ; • les tics, l’épilepsie, les autres antécédents neurologiques. Certaines études ont suggéré une incidence plus élevée de symptômes de TDA/H chez des enfants atteints d’épilepsie qui n’ont cependant pas plus de crises d’épilepsie que les autres ; mais, quand elle est présente, elle semble être plus sévère. Les patients épileptiques avec un TDA/H peuvent

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quand même bénécier d’un traitement de leur TDA/H (Dunn & al., 2003) si leur épilepsie est bien contrôlée, quoique les médicaments stimulants puissent abaisser leur seuil épileptogène. Par ailleurs, comme les anticonvulsivants utilisés pour traiter l’épilepsie peuvent entraîner des troubles cognitifs, ils peuvent exacerber les décits attentionnels du TDA/H ;

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• un traumatisme craniocérébral. Toute lésion du cerveau, en

• L’énurésie et l’incontinence sont plus fréquentes chez les

particulier aux lobes frontaux, peut produire un syndrome connu sous le nom de TDA/H secondaire. Les traumas cérébraux peuvent aussi aggraver les symptômes d’un TDA/H préexistant. Les individus de tous âges atteints d’un TDA/H sont plus à risque de blessures physiques et de trauma crânien parce qu’ils sont inattentifs, hyperactifs et impulsifs. À cause de leur fréquence relativement élevée, il est recommandé d’interroger les patients qui consultent pour un TDA/H sur leurs antécédents de traumatisme craniocérébral léger (commotion cérébrale). Les patients sourant de lésions cérébrales peuvent être plus sensibles aux médicaments. L’évaluation neuropsychologique peut être utile pour détailler les atteintes cognitives induites par une autre aection médicale ; • l’apnée du sommeil, la narcolepsie, l’hypersomnolence diurne idiopathique. On note que de 25 à 50 % des enfants et plus de la moitié des adultes atteints de TDA/H souffrent de troubles de sommeil. Il est clair que le sommeil joue un rôle primordial dans les fonctions cognitives, l’apprentissage et la consolidation de la mémoire. La privation de sommeil et les troubles du sommeil peuvent entraîner des symptômes variables, allant de dicultés légères jusqu’à une somnolence ou une fatigue qui inuencent de façon notable les fonctions cognitives, émotionnelles et physiques, donnant lieu à un tableau qui mime un TDA/H ou exacerbant les symptômes d’un TDA/H associé. Il n’est pas facile de départager si les troubles du sommeil sont intrinsèques au TDA/H ou s’ils sont de nature primaire indépendante ou même si le trouble du sommeil est la cause des symptômes d’allure TDA/H. Les patients rapportent des dicultés cognitives dans les troubles du sommeil primaires tels que l’apnée du sommeil, le syndrome des jambes sans repos et les troubles de la somnolence diurne comme la narcolepsie et l’hypersomnie idiopathique. Par ailleurs, la personne atteinte d’un TDA/H éprouve souvent de la diculté à aller se coucher, elle s’autostimule en écoutant la télé, en naviguant sur l’Internet ou en s’adonnant à des jeux vidéo. D’autres « rattrapent le temps perdu » ou considèrent que dormir est une perte de temps. Pour certains, c’est l’hyperactivité motrice et psychique qui empêche l’induction du sommeil, lequel peut être agité ou très profond. Plusieurs se sentent énergisés en soirée, les eets de la médication utilisée pendant la journée commençant à s’estomper, ce qui contribue à la réapparition de l’hyperactivité. En plus du travail sur l’hygiène du sommeil par la modication de ses comportements, un ajout d’une médication non stimulante (atomoxétine [StratteraMD] ou guanfacine [Intuniv XRMD]) peut être favorable dans certains cas résistant aux stratégies non pharmacologiques classiques. Cortese et ses collaborateurs (2013) ont aussi souligné l’apport thérapeutique de la mélatonine en présence d’un délai de phase de sommeil. • Les dernières années ont permis de mettre en lumière des problèmes d’obésité chez les adultes atteints de TDA/H. Un des mécanismes en cause serait relié aux pertes de contrôle en lien avec l’alimentation, les accès hyperphagiques (binge eating), communément appelé l’ « hyperphagie compulsive ». L’obésité est un facteur de risque pour l’apnée du sommeil qui peut mimer le TDA/H. Les traitements du TDA/H diminuent les risques d’obésité particulièrement la lysdexamfétamine (VyvanseMD) qui est approuvée pour le traitement des accès hyperphagiques aux États-Unis.

enfants atteints de TDA/H. Est-ce dû à une immaturité du système nerveux, à une incapacité de ressentir à temps l’envie d’uriner, au fait d’attendre trop longtemps avant de se décider à aller uriner ou encore secondairement à un sommeil trop profond ? Il est intéressant de noter que l’incontinence peut être réduite par le traitement du TDA/H sous-jacent. L’énurésie nécessite souvent une intervention spécique. Un conditionnement basé sur une alarme sonore peut être ecace. Les options de traitement pharmacologique peuvent aussi inclure la desmopressine (DDAVPMD), l’imipramine (TofranilMD) et l’atomoxétine.

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60A.7.2 Troubles psychiatriques Plusieurs troubles psychiatriques peuvent également être associées au TDA/H ou le mimer, dont les plus courantes sont les suivantes.

Troubles anxieux Dès l’école primaire, des symptômes anxieux ou aectifs (trouble de l’humeur) associés au TDA/H peuvent être observés. Certains patients présentant un TDA/H, particulièrement celui de type inattentif prédominant, ont une plus forte propension à l’anxiété. Être atteint d’un TDA/H expose l’individu à des situations d’échec, et l’anxiété peut survenir en réaction aux stresseurs environnementaux (anxiété de performance, d’anticipation). La concentration peut être gravement compromise par l’anxiété et aggraver les dicultés attentionnelles générées par le TDA/H sous-jacent. La combinaison d’anxiété et de dicultés d’attention entraîne une diminution de l’estime de soi et de la conance en soi, une sous-performance sur les plans scolaire et professionnel, et peut aggraver la procrastination par évitement. La personne anxieuse a tendance à anticiper le pire concernant un événement ou un résultat avant qu’il ne se produise, à s’accrocher à des croyances, des pensées et des émotions et à éprouver de la diculté à « lâcher prise ». Certains ont un trouble anxieux franc tel qu’un trouble anxieux généralisé, un trouble panique, un trouble obsessionnelcompulsif (TOC) ou un trouble de stress post-traumatique (TSPT). La séquence de traitement priorise alors généralement le trouble le plus invalidant au moment de l’évaluation. Selon le type d’anxiété identié, les traitements sont généralement les suivants : • l’intervention comportementale : pratiquer une activité physique, la relaxation, le yoga, la méditation, simplier son environnement, déléguer certaines tâches, améliorer ses habiletés organisationnelles pour accroître sa performance générale et réduire l’anxiété associée ; • la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) mettant l’accent sur le trouble anxieux ou de l’humeur associé. Il existe aussi des TCC spéciques du TDA/H adulte ; • le traitement pharmacologique : si le TDA/H est source d’anxiété, il faut le traiter en premier. Certains médicaments qui stimulent la neurotransmission de la dopamine ou de la noradrénaline (p. ex., méthylphénidate ou amphétamines) peuvent augmenter l’anxiété. Il est important de commencer très lentement et d’augmenter les doses progressivement. Si l’anxiété devient trop intense, le psychostimulant doit être réduit ou retiré et le trouble anxieux, traité spéciquement.

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Ensuite, il peut être repris, lorsque cela est pertinent. N’importe quel psychostimulant peut être utilisé avec succès en présence d’anxiété comorbide. Les psychostimulants à libération prolongée sont souvent mieux tolérés que ceux à courte action (moins de pics et de creux plasmatiques). L’atomoxétine est particulièrement intéressante dans la gestion du trouble d’attention couplé à un trouble anxieux (Geller & al., 2007). Comme elle est métabolisée par le cytochrome CYP-2D6, la posologie doit être ajustée plus progressivement en présence d’autres médicaments aussi métabolisés à ce niveau (comme certains ISRS, telle la paroxétine) pour éviter une augmentation potentielle des taux sériques.

Troubles dépressifs Il y a un chevauchement considérable entre les tableaux cliniques du TDA/H et de la dépression majeure. La séquence d’apparition des symptômes est cruciale pour préciser le diagnostic. Les patients sourant de dépression majeure (sans TDA/H) peuvent présenter, durant l’épisode dépressif, des problèmes de mémoire à court terme, de l’irritabilité, de l’impulsivité, des troubles du sommeil, des dicultés de concentration et de l’agitation. La dépression primaire implique une altération de l’humeur (triste, dysphorique ou irritable, particulièrement chez l’enfant) ou une incapacité à ressentir du plaisir (anhédonie) limitée dans le temps. Cela contraste avec les atteintes fonctionnelles et cognitives chroniques qui sont typiques du TDA/H et persistent quand la personne n’est pas déprimée. Les patients atteints d’un TDA/H doivent souvent faire face à l’échec et peuvent se sentir démoralisés. Parfois, ils sont aussi franchement dysthymiques ou déprimés. Dans ce cas, il s’agit de comorbidité. Les patients atteints d’un TDA/H peuvent ainsi donner l’impression qu’ils sourent d’un trouble de l’humeur alors que ce n’est pas le cas. Le manque de motivation peut ressembler à une anhédonie alors qu’une diculté chronique à s’endormir et un sommeil agité peuvent évoquer l’insomnie associée à la dépression. L’impression de sous-performance chronique va teinter l’image de soi. Quoique les patients atteints de TDA/H puissent avoir de la diculté à moduler l’expression de leurs émotions et se décrivent comme émotifs, à eur de peau ou irritables, les personnes atteintes de TDA/H non déprimées maintiennent une humeur raisonnablement euthymique malgré les obstacles et les dicultés rencontrés. Il n’est pas rare que le TDA/H et la dépression coexistent. Il faut alors essayer de déterminer si la dépression du patient est primaire ou secondaire au TDA/H. En présence de symptômes dépressifs, le risque suicidaire doit être évalué. Pour le traitement, on doit prioriser le problème le plus invalidant. Si un antidépresseur est nécessaire, un médicament qui améliore la neurotransmission noradrénergique ou dopaminergique (p. ex., le bupropion [WellbutrinMD]) peut être favorisé chez les adultes en raison d’un impact potentiellement positif sur le TDA/H luimême (Wilens & al., 2001). Par contre, chez les enfants et les adolescents, l’utilisation des antidépresseurs en 1re intention n’est pas recommandée alors que les approches psychologiques comme la TCC ou la thérapie interpersonnelle sont davantage favorisées.

Troubles bipolaires Plusieurs jeunes atteints d’un trouble aectif bipolaire rapportent des symptômes qui évoquent la possibilité d’un TDA/H associé.

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Cependant, la plupart des enfants présentant un TDA/H ne développeront pas de trouble bipolaire. Un patient atteint de TDA/H qui soure d’une dépression peut être perçu à tort comme présentant un trouble de type bipolaire quand la dépression s’atténue, en raison du contraste entre la description de son état habituel d’hyperactivité ou de sa propension à s’emballer pour des projets qui l’« allument », comparativement au ralentissement associé à la dépression. Il s’agit probablement d’un épisode hypomaniaque/ maniaque si, au questionnaire, le patient rapporte une apparition subite d’énergie, d’irritabilité ou d’euphorie, des idées de grandeur, une accélération du discours et une diminution du besoin de sommeil sans fatigue associée, entraînant une atteinte fonctionnelle. Dans le TDA/H, les symptômes sont présents dès l’enfance et sont de nature chronique. L’humeur peut être réactive, mais on ne retrouve pas la cyclicité du trouble bipolaire. Les antécédents familiaux de trouble aectif sont importants à dépister. Une forme précoce de trouble bipolaire est caractérisée par des variations graves de l’humeur, des crises de colère intenses, de l’irritabilité, de la distractibilité et une hyperactivité associée à des comportements autodestructeurs impulsifs. Il y a aussi un groupe de patients pour lesquels le TDA/H en soi semble entraîner une perturbation de l’humeur réactionnelle, intense, non épisodique, présente depuis l’enfance et nettement handicapante. Le DSM-5 propose le diagnostic de trouble disruptif avec dysrégulation émotionnelle pour catégoriser certains de ces enfants. Un trouble bipolaire doit être considéré comme le diagnostic principal s’il y a des symptômes thymiques importants, cycliques, épisodiques et distincts et il doit être traité en priorité. Le traitement d’une comorbidité de trouble bipolaire et de TDA/H requiert un suivi spécialisé, car tous les médicaments utilisés pour traiter le TDA/H sont à risque d’exacerber le trouble bipolaire.

Utilisation de substances stimulantes Les patients atteints d’un TDA/H présentent un risque plus élevé d’utiliser des substances stimulantes (nicotine, alcool, boissons énergisantes, café et cola avec caféine) ou illicites (cannabis, cocaïne), et ce, à un âge plus précoce que la population générale. Les troubles concomitants du TDA/H, comme le trouble des conduites et les troubles de la personnalité, augmentent davantage la probabilité de toxicomanie. Bien que certains patients atteints de TDA/H prétendent « s’automédicamenter » avec des substances illicites, il est important de rappeler que ces produits ne sont pas thérapeutiques. Les personnes atteintes de TDA/H ont souvent plus de dicultés à anticiper l’avenir et cherchent une rétroaction immédiate (p. ex., avoir du plaisir au moment présent). Par ailleurs, le besoin de se sentir stimulé peut entraîner une recherche de risques et de sources de stimulation de plus en plus intenses (novelty seeking). Cela augmente leur vulnérabilité, surtout chez les hyperactifs, à développer des dépendances incluant non seulement l’abus de substances, mais aussi une implication intense dans des domaines comme le sport, le magasinage, la sexualité, Internet, les jeux électroniques et d’argent. Quoique le traitement pharmacologique du TDA/H puisse produire un éventuel facteur protecteur dans le développement d’une problématique d’abus de substances chez les personnes atteintes de TDA/H, il n’existe cependant pas de preuve que le traitement du TDA/H a un eet sur la dépendance ou que la résolution de la dépendance conduit à une amélioration des symptômes du TDA/H. Avec un

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adolescent, il peut être astucieux de lui demander d’abord si ses amis utilisent des drogues ou de l’alcool, puis de le questionner sur sa propre consommation : qu’a-t-il essayé ? consomme-t-il à l’occasion ? régulièrement ? En présence de toxicomanie, le traitement du TDA/H ne permet pas à lui seul d’éliminer l’abus de substances. Si la toxicomanie est couplée à un TDA/H, il existe une controverse sur le moment opportun d’amorcer le traitement pharmacologique du TDA/H. Les experts estiment qu’il est important de traiter d’abord le problème de consommation de substances et reconnaissent que le traitement concomitant du TDA/H peut parfois être nécessaire. Les patients qui n’ont peut-être pas de TDA/H, mais qui présentent des problèmes d’utilisation de substances vont aussi développer des troubles d’attention, d’autocontrôle et de comportement qui imitent le TDA/H. Pour cette raison, il n’est pas recommandé de poser un diagnostic de TDA/H d’emblée en présence d’une toxicomanie active. Le diagnostic primaire est alors celui de toxicomanie et le diagnostic de TDA/H doit être reporté jusqu’à ce que le patient soit sobre. L’usage de marijuana « pour se calmer ou pour s’endormir » est extrêmement fréquent. Il existe une controverse sur les risques et les avantages de traiter médicalement le TDA/H chez les patients qui consomment régulièrement de la marijuana. Les approches cognitivo-comportementales donnent des résultats intéressants dans certaines études (Riggs & al., 2011). Les patients atteints de TDA/H et de toxicomanie nécessitent une intervention multimodale intégrant à la fois le traitement de la toxicomanie et du TDA/H.

Troubles de la personnalité Bien que les personnes atteintes de troubles de la personnalité limite soient souvent impulsives, réactives et qu’elles se plaignent également de dicultés d’attention (qui peuvent être aussi des symptômes d’un TDA/H), les sentiments de rage, la sensation de vide intérieur, les comportements manipulateurs, l’utilisation de mécanismes de défense primitifs (comme le clivage), l’angoisse d’abandon, les actions autodestructrices délibérées (gestes suicidaires ou automutilateurs répétitifs) diérencient ces deux troubles. Certains jeunes atteints de TDA/H et de troubles des conduites évoluent vers un trouble de la personnalité antisociale à l’âge adulte et manifestent une absence de remords, de compassion et peuvent être séducteurs et manipulateurs (voir les sous-sections 60B.4.1 et 60B.4.2). Bien que les patients sourant de trouble de la personnalité limite ou antisociale puissent être atteints d’un TDA/H, le trouble de la personnalité demeure le problème principal et le plus susceptible d’inuencer la vie de la personne. Un traitement ecace du TDA/H sous-jacent au trouble de la personnalité peut cependant favoriser la participation active et ecace aux autres thérapies psychosociales. Les patients atteints d’un trouble de la personnalité et pour qui un diagnostic de TDA/H est posé s’attendent souvent à ce que le traitement de ce trouble ait un eet magique qui va « tout résoudre ». Il est impératif de leur expliquer que le traitement du TDA/H comporte des limites et qu’ils doivent avoir des attentes réalistes quant à ses eets. D’autres troubles survenant durant l’enfance peuvent aussi faire partie du diagnostic différentiel, mais plusieurs enfants atteints d’un TDA/H présentent divers troubles associés (comorbides) qui compliquent le tableau clinique et qui doivent être traitées de façon concomitante. La nouvelle

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section des troubles neurodéveloppementaux du DSM-5 regroupe plusieurs de ces troubles, qui sont par ailleurs souvent comorbides entre eux : TDA/H, déficience intellectuelle, trouble de la communication, trouble du spectre de l’autisme (TSA), troubles d’apprentissage, troubles moteurs (incluant les tics et le syndrome de Gilles de la Tourette).

Troubles d’apprentissage, soit spéciques, soit globaux Un enfant qui, en raison de ses dicultés d’attention, ne réussit pas à suivre les instructions, à écouter ou à rester attentif, qui fait des erreurs d’inattention dans ses travaux et des oublis peut être en diculté d’apprentissage sans avoir un trouble d’apprentissage en soi. Beaucoup de personnes atteintes de TDA/H rapportent avoir de la diculté dans : • la lecture (perdent le l, doivent se relire, ont de la diculté à extraire l’information pertinente) ; • la prise de note (attention divisée compromise) ; • leur texte et écriture de type « brouillon » ; • la production écrite (erreurs d’orthographe, d’inattention et diculté à structurer leurs idées). Les personnes atteintes d’un TDA/H ont un taux élevé de dicultés d’apprentissage, mais peuvent aussi sourir d’un vrai trouble d’apprentissage associé, estimé à 30 %. Celui-ci peut être global ou spécique tel que les troubles de la lecture, de l’expression écrite ou du langage (p. ex., dyslexie, dysgraphie ou dyscalculie). En présence de dicultés d’apprentissage, une évaluation en orthopédagogie, en neuropsychologie ou en orthophonie pour un trouble du langage permet de clarier s’il y a un trouble d’apprentissage sous-jacent. Cette précision diagnostique aide l’enseignant et l’école à déterminer quels types d’accompagnement pédagogique sont les plus susceptibles d’être ecaces. Certains enfants peuvent avoir une écriture brouillonne et de la diculté avec d’autres tâches motrices à cause d’un trouble du développement de la coordination (dyspraxie). Ces enfants «maladroits» devraient bénécier d’une intervention en ergothérapie an que soient mis en place des exercices spéciques aidant à rééduquer la coordination des mouvements. L’étude de Vysniauske et ses collaborateurs (2016) montre d’ailleurs que l’exercice a en soi un eet positif sur l’évolution des personnes présentant un TDA/H.

Autres troubles comorbides

• Le trouble oppositionnel avec provocation (voir la soussection 60B.4.1).

• Les troubles neurologiques comme les tics (voir la partie C). • La décience intellectuelle. • Les troubles de l’attachement. La décience intellectuelle est présentée en détail au chapitre 57.



Les troubles de l’attachement sont présentés en détail au chapitre 59. Les troubles du spectre de l’autisme. Lorsque les symptômes d’un TSA sont présents, le TSA devient le diagnostic principal et a préséance sur le TDA/H en matière de stratégies d’intervention et de traitement. Même si le DSM-IV-TR (critère E) suggérait que les troubles envahissants du développement

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soient un diagnostic d’exclusion du TDA/H, le DSM-5 considère que le TDA/H et le TSA peuvent coexister chez certains patients. Les indices de la probabilité d’un TSA comprennent : – une apparition tardive du langage ; – des dicultés sociales évidentes ; – une rigidité cognitive ; – des préoccupations excessives et inhabituelles dans des domaines d’intérêt particulier. Les symptômes de TDA/H en présence d’un TSA exigent une évaluation spécialisée, car il peut être très dicile de déterminer à quelle pathologie les symptômes présentés doivent être attribués. Les outils diagnostiques comme l’ADOS (Autism Diagnostic Observation Schedule) et l’ADIR (Autism Diagnostic Interview Revised) peuvent aider à établir le diagnostic. Les experts reconnaissent maintenant l’importance de traiter les deux pathologies lorsqu’elles coexistent et ont un impact fonctionnel. Les médicaments utilisés pour traiter le TDA/H peuvent aider à réduire l’impact fonctionnel chez plusieurs des patients atteints d’une comorbidité TDA/H et TSA, mais l’eet thérapeutique serait moindre que dans le TDA/H seul et avec un prol plus élevé d’eets indésirables. Il est suggéré d’ajuster la médication de façon très progressive et de débuter à très petite dose. Les troubles du spectre de l’autisme sont présentés en détail au chapitre 58. Des études de suivi d’enfants atteints de TDA/H avec des troubles comorbides montrent qu’ils ont une évolution moins favorable que les enfants atteints simplement d’un TDA/H, sans autre trouble associé. La présence d’un trouble comorbide augmente le risque de développer des dicultés sociales, émotionnelles et psychologiques. L’évolution et le pronostic sont généralement déterminés par le trouble le plus invalidant.

dans leurs approches éducatives, en leur expliquant qu’il s’agit d’un trouble neurodéveloppemental, qui peut aecter un ou des membres de la famille, vu le volet génétique important. Chez les personnes diagnostiquées plus tardivement, il y a aussi une réaction normale de deuil associée à la chronicité des symptômes et à l’absence d’un diagnostic plus précoce : « Si j’avais su avant… » Des techniques simples de gestion du temps, d’organisation et de résolution de problèmes sont essentielles pour tous. Quand les symptômes demeurent handicapants, une médication peut être oerte. On doit alors tenir compte de la comorbidité. Une approche psychothérapeutique, principalement une TCC, peut aussi être proposée en ajout. Pour les plus jeunes, l’intervention mobilise les proches, qui apprennent à être des guides pour l’enfant. Des interventions spéciques en milieu scolaire sont aussi bénéques. Pour les grands adolescents et les adultes, des approches spéciques de groupe et individuelles ont été validées. Les guides du thérapeute et du patient de la technique de TCC-TDA/H chez l’adulte développée par Safren (2006) sont maintenant disponibles en français. Il est important de vérier si le patient comprend pourquoi il est traité, les avantages et les risques de la médication prescrite, les options et les résultats potentiels d’une non-intervention. Il existe plusieurs sources d’information sur le TDA/H, certaines plus ables que d’autres. Le clinicien peut proposer des sites Web, des livres et des DVD. Une liste de ressources, préparée par la CADDRA, est disponible dans la trousse d’outils proposés dans le guide de pratique. Le site (non subventionné) d’Annick Vincent, médecin-psychiatre, ore aussi beaucoup d’information comme des trucs pratiques et des informations spéciques sur les mesures adaptatives, les traitements disponibles, dont des tableaux de médication, des livres et des DVD, et plusieurs liens vers d’autres sites d’intérêt concernant le TDA/H.

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Un supplément d’information sur la trousse d’outils proposés par la CADDRA est disponible au www.caddra. ca/fr/directrices.

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Un supplément d’information sur le site d’Annick Vincent est disponible au www.attentiondecit-info.com.

60A.8 Traitements Le TDA/H non traité ou mal traité est associé à des atteintes fonctionnelles à long terme dans la réussite scolaire, le fonctionnement social et familial, l’estime de soi et la stabilité au travail. L’atteinte fonctionnelle commence tôt et aecte le développement futur. Par exemple, lorsqu’un jeune ne réussit pas son année scolaire, cela perturbe son estime de soi et inuence les eorts qu’il appliquera pendant l’année scolaire suivante. L’éducation, la motivation et l’estime de soi ont un impact sur la scolarisation, mais aussi sur le devenir de ces enfants et les emplois futurs qu’ils occuperont (Klein & al., 2012).

Adaptation aux symptômes

Pour le TDA/H, il s’agit d’abord de proposer quelques interventions psychosociales, contrairement à d’autres troubles, où la médication prime.

Plusieurs stratégies psychosociales ont fait l’objet d’études an d’aider les patients atteints de TDA/H à s’adapter aux symptômes de leur trouble (Laeur & al., 2010). La majorité des programmes visent le développement de mesures d’organisation, d’habiletés de résolution de problèmes, de stratégies an d’augmenter la durée de l’attention, de réduire la sensibilité à la distraction et de changer les cognitions qui interfèrent avec une gestion optimale du TDA/H (p. ex., « je ne suis pas capable de faire cela »). Des protocoles de recherche ont contribué à valider l’utilité des approches psychosociales (Safren, 2006), parfois en combinaison avec des approches pharmacologiques. Certaines interventions ont même permis de diminuer les dosages des médicaments, voire de les cesser.

Psychoéducation

Vie quotidienne

Le traitement du TDA/H commence par la divulgation du diagnostic, suivie d’une thérapie psychoéducative. L’annonce du diagnostic met un nom sur la problématique ; la personne atteinte et ses proches sont souvent soulagés d’« enn comprendre ». Il faut déculpabiliser les parents qui peuvent se sentir incompétents

Une saine hygiène de vie est essentielle : manger sainement et régulièrement, faire de l’activité physique et avoir une bonne nuit de sommeil demeurent la base, mais cela est souvent escamoté et dicile à implanter chez les personnes atteintes d’un TDA/H. Des techniques de résolution de problèmes, de gestion du temps

60A.8.1 Interventions psychosociales

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et d’organisation de la tâche, comme l’utilisation de mémos, d’agendas et de listes, sont essentiels pour tous et nécessitent souvent une aide extérieure spécialisée pour les implanter (p. ex., psychologue, éducateur, ergothérapeute). Une psychothérapie spécique peut aussi être proposée. L’approche thérapeutique doit être structurée, concrète et appliquée au quotidien. La TCC est particulièrement utilisée pour le TDA/H compliqué d’anxiété ou de dépression, mais aussi pour mieux gérer le TDA/H en soi et ses impacts. L’accès à des ressources spéciques d’intervention non pharmacologique, propres au TDA/H, est actuellement en développement dans le réseau public. Les approches thérapeutiques spéciques des troubles associés sont décrites dans la section 60A.7.

Alimentation On associe souvent le TDA/H à un enfant agité et de petit poids. Comme les médicaments peuvent diminuer l’appétit, la courbe pondérale ainsi que la croissance doivent être suivies. Il est donc conseillé de les prendre après le déjeuner, et non avant. S’il est vrai que la médication peut réduire l’appétit de certaines personnes atteintes, à long terme, le TDA/H augmente le risque d’obésité. Une des hypothèses sous-jacentes est que la personne atteinte de TDA/H est souvent en carence de sommeil, s’alimente moins bien, a de la diculté à planier et à préparer des repas sains, présente une tendance à sauter des repas et se rabat sur des repas précuisinés ou la restauration rapide (fast food). Certaines personnes présentant des allergies alimentaires (p. ex, intolérance sévère au gluten) peuvent avoir des symptômes mimant un TDA/H. Le retrait de l’allergène peut alors améliorer le tableau. Il n’y a pas d’indices que, pour les autres cas, une restriction alimentaire soit nécessaire. Malgré la croyance populaire, il n’y a aucune preuve que la prise de sucres, de colorants alimentaires ou d’additifs chimiques puisse aggraver le TDA/H. Des études récentes suggèrent que des suppléments alimentaires à base d’oméga-3 à haute proportion d’acide eicosapentaéonoïque (AEP) et d’acide docosahexaénoïque (ADH) peuvent fournir un apport additionnel en réduisant certains troubles cognitifs, particulièrement le volet inattention, et améliorer, chez certains enfants avec dicultés d’apprentissage, les capacités de lecture, d’épellation et d’écriture (Bloch & Qawasmi, 2011).

École et travail Le TDA/H peut aecter la capacité d’un étudiant à apprendre, mais aussi à démontrer ce qu’il sait lors des examens, en raison des dicultés attentionnelles associées. Les mêmes dicultés peuvent le suivre au travail. Pour plusieurs, une médication les aide à réduire les symptômes dans leur quotidien (voir l’encadré 60.1). Mais la complexité des liens à faire dans des matières spéciques, dans le travail d’équipe, les textes à rédiger, les travaux et les documents à produire selon des normes, les dates d’échéance, les lectures à faire, à comprendre et à retenir, représentent un dé très exigeant sur le plan de la capacité d’attention, de concentration et de mémoire. L’intervention précoce est préconisée an d’enrayer rapidement les dicultés scolaires, en orant un cadre d’éducation spécialisée. Des mesures d’adaptation et de soutien peuvent permettre à l’étudiant atteint d’un TDA/H de mieux compenser ses limitations. Pour pallier la diculté d’attention soutenue et la distractibilité aux stimuli externes, on permettra à l’étudiant de faire son examen dans une pièce calme et silencieuse, à l’écart du groupe. Dans

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certains cas, donner à l’étudiant un supplément de temps pour faire son examen (supplément de temps accordé au Québec : 33 % au primaire et au secondaire et 50 % en postsecondaire) lui permet de lire adéquatement les consignes, d’y répondre et d’autocorriger ses erreurs d’inattention, réduisant ainsi l’impact des périodes où il est distrait ; ces mesures permettent d’optimiser son rendement à l’examen. D’autres stratégies d’adaptation peuvent être explorées comme favoriser l’utilisation d’un preneur de notes, fournir les instructions par écrit. Si elles sont ecaces, il y a lieu de les maintenir. Certains étudiants fonctionnent mieux s’ils sont coachés par des pairs sous forme de tutorat. D’autres se concentrent mieux en bloquant les bruits environnants grâce à l’installation d’un paravent ou le port d’écouteurs qui diusent de la musique (tous les types de musique pouvant convenir, selon ce qui aide le plus l’étudiant). Si cette stratégie est ecace pour l’étude, elle peut aussi être utile lors des examens, pour autant que le contenu de ce qui est écouté n’ait aucun lien avec le contenu de l’examen, bien entendu. Plusieurs personnes atteintes d’un TDA/H présentent des dicultés importantes sur le plan orthographique. Les erreurs fréquemment observées sont généralement des fautes d’inattention, puisqu’ils connaissent les règles et sont capables de les appliquer s’ils ont développé des stratégies d’écriture, de révision et de correction. Le stress et l’anxiété générés par les examens ou les dicultés éprouvées dans la gestion et l’organisation du temps augmentent les impacts du TDA/H. Pour ces personnes, l’utilisation de logiciels spécialisés (p. ex., Antidote, Word Q) leur permet de s’arrêter à leurs erreurs, de les voir et d’appliquer les règles connues an de les corriger pour ainsi être évaluées à leur juste valeur. L’utilisation d’un ordinateur pour écrire ses textes permet à l’étudiant atteint d’un TDA/H de produire un brouillon plus facilement corrigible, de mieux structurer et retravailler son texte et de produire un texte lisible plus rapidement. Il peut donc mieux démontrer ce qu’il sait dans un temps plus court, en réduisant le temps d’autocorrection et de recopie. Au Québec, l’étudiant qui, en raison de son TDA/H, nécessite l’utilisation d’un ordinateur avec des logiciels spécialisés peut être admissible, selon certaines conditions, à une subvention gouvernementale pour l’achat de ce matériel. Au Québec, pour obtenir des services adaptés et avoir accès à des programmes subventionnés, l’étudiant atteint doit faire remplir un certicat médical (Déciences fonctionnelles majeures et autres déciences reconnues) attestant qu’il présente un TDA/H et que les symptômes sont tels qu’il nécessite des adaptations pour l’aider sur le plan scolaire. Si l’étudiant est très gravement atteint et ne peut poursuivre ses études à temps plein en raison de ses limitations, il peut, avec cette attestation médicale, être inscrit à temps partiel tout en étant considéré à temps plein pour le programme des prêts et bourses. Dans ces cas exceptionnels, les prêts peuvent être transformés en bourses. Dans ce certicat, le TDA/H correspond aux pathologies de la catégorie « décience organique ». L’étudiant atteint de TDA/H a la responsabilité de contacter les services adaptés de son milieu d’études, d’obtenir une attestation diagnostique de son médecin ou d’un psychologue compétent dans ce domaine. Il demeure au centre des interventions et vient chercher des outils pour mieux s’adapter aux dicultés et aux impacts fonctionnels de son état. La collaboration est au cœur de la réussite et repose sur chacun. L’étudiant, bien appuyé, peut devenir la pierre angulaire de son succès.

60A.8.2 Traitements biologiques Les traitements pharmacologiques du TDA/H sont ecaces et sont proposés dans un contexte de prise en charge intégrale de ce

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trouble quand les stratégies non pharmacologiques seules ne permettent pas un bon contrôle des symptômes (voir l’encadré 60.1). En général, la médication pour le TDA/H est associée à une réponse clinique signicative (réduction de 30 % des symptômes) chez environ 70 % des cas, allant jusqu’à 90 % lorsque toutes les stratégies ont été explorées. La médication agit un peu comme une paire de lunettes biologiques permettant d’améliorer la capacité du cerveau à focaliser. Elle favorise une meilleure transmission de l’information, comme si on ajoutait des agents de circulation aux intersections stratégiques et qu’on améliorait les systèmes de démarrage et de freinage. Le traitement pharmacologique comprend deux familles de produits. Les deux familles de produits sont présentées en détail au chapitre 70 (voir le tableau 70.7 ). ENCADRÉ 60.1 Médications pour le TDA/H 1. Les psychostimulants : a) produits à base d’amphétamines (AMPH) • à libération immédiate (courte action) : – sulfate de dextroamphétamine (DexedrineMD) disponible en comprimé et en spansules • à libération prolongée (longue action) : – sels mixtes de deux isomères de dextro et de lévoamphétamine à libération progressive par granules de deux types (Adderall XRMD) – lisdexamfétamine, un promédicament qui contient de la dextroamphétamine couplée à de la lysine, dont la dextroamphétamine devient active une fois scindée de la lysine par une enzyme (VyvanseMD) b) produits à base de méthylphénidate (MPH) • à libération immédiate et intermédiaire (courte action) : – (RitalinMD, Ritalin SRMD) • à libération prolongée (longue action) : – méthylphénidate sous forme de granules multicouches libérés progressivement (BiphentinMD) – méthylphénidate avec un système de libération de pompe osmotique OROS (ConcertaMD) 2. Les non-stimulants : a) atomoxétine (StratteraMD) b) guanfacine à libération prolongée (Intuniv XRMD) Certains de ces produits sont aussi disponibles sous forme de génériques.

Le médecin fait équipe avec la personne atteinte et ses proches lorsque indiqué pour déterminer la pertinence d’introduire une médication, en cibler les objectifs thérapeutiques et les mesures de changement. Au Canada, tous les traitements pharmacologiques utilisés chez l’enfant ont actuellement l’indication ocielle du traitement du TDA/H chez l’adulte, à l’exception de la guanfacine à libération prolongée, réservée aux enfants et adolescents de 6 à 17 ans. Certains autres agents sont parfois utilisés hors indication et sont généralement prescrits en milieu spécialisé, en 3e intention (CADDRA, 2011a). On ne peut prédire la réponse individuelle à la médication. Il n’y a pas de recherches qui montrent qu’une molécule serait plus ecace pour une présentation spécique d’inattention ou d’hyperactivité. Le choix du médicament est basé sur la durée d’action, les eets indésirables, la comorbidité et, parfois, la capacité nancière de la

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personne atteinte, car certains médicaments à libération prolongée ne sont pas remboursés par les programmes publics d’assurance. D’autres enjeux peuvent guider le médecin dans son choix de médicament, comme certaines pathologies concomitantes. L’atomoxétine et la guanfacine XR produisent moins d’exacerbation des troubles anxieux et des tics quand ces troubles sont comorbides au TDA/H. Il est important de savoir que le risque d’abus est réduit si l’on utilise un non-stimulant, un psychostimulant qui demande une activation biologique pour devenir actif (promédicament [lisdexamfétamine]) ou des psychostimulants à longue action dicilement écrasables, ce qui réduit le risque qu’ils soient pris par voie parentérale On peut résumer la littérature actuelle concernant les psychostimulants et le potentiel d’abus de la façon suivante. Le groupe de personnes atteintes de TDA/H le plus à risque de diversion et d’abus est celui avec une problématique de consommation de substances illicites et un trouble du comportement comorbides. • La diversion : c’est l’utilisation pour un usage non thérapeutique d’un psychostimulant (p. ex., diminuer la fatigue ou améliorer l’attention). • L’abus : c’est l’utilisation en vue d’en tirer du plaisir ou un eet de bien-être. Le risque d’abus d’un stimulant varie selon la vitesse à laquelle il exerce son eet sur la protéine transporteuse de la dopamine dans la région du striatum (centre du plaisir). Plus l’eet est rapide sur la captation, plus le risque de ressentir un eet euphorisant augmente. Plus l’eet disparaît rapidement (dissociation), plus le risque de ressentir une sensation d’inconfort est augmenté, la personne ayant alors tendance à reprendre une nouvelle dose (Volkow & al., 2009). Pris per os, le méthylphénidate ou la dextroamphétamine comportent un risque d’abus nettement inférieur à la cocaïne. Cependant, le fait qu’ils peuvent être réduits en poudre et inhalés ou injectés IV accélère la vitesse à laquelle ces produits arrivent au striatum pour entraîner un eet euphorisant. Pour réduire le risque d’abus, le médecin doit opter soit pour des produits dont les mécanismes de libération ne permettent pas la réduction en poudre (comme le mécanisme OROS ou les granules à libération prolongée), soit pour des promédicaments (lisdexamfétamine) ou des non-stimulants (atomoxétine et guanfacine XR). Dans tous les cas, la médication nécessite un ajustement progressif des doses sous surveillance médicale. Pour tous les produits utilisés, il faut commencer à faible dose et augmenter graduellement, selon l’ecacité et le prol des eets indésirables, en visant un contrôle optimal des symptômes toute la journée. Les doses de non-psychostimulants sont calculées en fonction du poids de l’enfant jusqu’à un certain âge. Les nonstimulants requièrent une prise quotidienne régulière, alors que les psychostimulants, ayant une action dans les heures suivant la prise, doivent être pris au moment où l’action thérapeutique est recherchée en tenant compte de leur durée d’action. Pour les psychostimulants, les intervalles entre les doses varient selon la durée d’action et, quand la bonne posologie est atteinte, la réponse clinique est rapidement notée (en quelques jours). Le début d’action des non-stimulants est plus lent, et les bénéces cliniques peuvent être observés entre une et quatre semaines, et jusqu’à 12 semaines dans le cas de l’atomoxétine. Certains psychostimulants ont une durée d’action plus courte, d’autres agissent toute la journée. Les non-stimulants tels que l’atomoxétine et la guanfacine XR exercent une action jusqu’à

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24 heures. Les lignes directrices de la CADDRA citent plusieurs critères pour le choix d’un médicament et priorisent l’utilisation des produits à longue action. En cas de perte d’eet en n de journée, il faut envisager de combiner un psychostimulant à longue action de jour avec un médicament à courte action de soir, selon le besoin. Pour les patients sous psychostimulants qui présentent une réponse partielle et pour qui on opte pour une combinaison avec un non-stimulant, il est suggéré de maintenir le psychostimulant pendant la période où le non-stimulant n’a pas atteint son plein eet clinique. Il y a cependant peu d’études sur les eets à long terme de la prise concomitante de psychostimulants et de non-stimulants. S’il y a présence d’un trouble de l’humeur ou d’un trouble anxieux surajouté, ils doivent être considérés dans le plan de traitement. Les psychostimulants peuvent aggraver certains troubles anxieux et les tics moteurs. Plusieurs antidépresseurs agissant sur la noradrénaline ou la dopamine sont théoriquement utiles pour le TDA/H : • bupropion (WellbutrinMD) ; • venlafaxine (Eexor XRMD) ; • desvenlafaxine (PristiqMD) ; • duloxétine (CymbaltaMD) ; • mirtazapine (RemeronMD). Cependant, peu d’études cliniques ont exploré les eets de ces produits spéciquement pour le TDA/H. En présence d’un TDA/H compliqué d’une dépression ou d’un trouble anxieux, le médecin peut proposer un essai avec de telles molécules avant d’instaurer un traitement spécique du TDA/H. Le modanil (AlertecMD) est parfois utilisé « hors indication » en cas d’échec des traitements usuels. Le traitement optimal consiste donc en une seule molécule ou une combinaison visant un maximum d’ecacité avec un minimum d’eets indésirables. Dans tous les cas de polypharmacie, il faut faire attention aux interactions médicamenteuses. Il importe d’identier (et de traiter) les pathologies autres que le TDA/H qui peuvent causer l’insomnie. Si les dicultés de sommeil (p. ex., agitation psychique ou motrice, procrastination pour aller se coucher) semblent être liées au TDA/H et résistent à un changement de routine du sommeil, l’utilisation d’un non-stimulant ou une prise HS de psychostimulant peuvent être envisagées (soulageant la bougeotte au lit). Il y a quelques cas de succès avec la mirtazapine HS (hors indication), seule ou avec les médicaments usuels. Il existe une littérature émergente pour l’utilisation de la mélatonine (3 mg, une à deux heures avant le coucher). D’autres stratégies peuvent être tentées, mais nécessitent la consultation d’experts. Les eets indésirables des médicaments utilisés pour le TDA/H sont généralement bénins et peuvent être réduits en utilisant des posologies faibles et en les augmentant lentement. S’il y a une baisse d’appétit ou des nausées signicatives associées à la prise de la médication, une prise postprandiale est suggérée. Le monitorage staturopondéral est essentiel an de s’assurer que la croissance des enfants et des adolescents n’est pas compromise par des symptômes d’inappétence. La surveillance de la pression artérielle et du pouls est suggérée en cours de traitement, particulièrement lors des changements de doses. Les méthodes pour introduire la médication et ajuster les posologies sont décrites au chapitre 70 (voir le tableau 70.7).

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Il est important de savoir que le type ou la gravité des symptômes ne guident pas nécessairement le choix des molécules et que, pour les psychostimulants, il n’y a pas de lien entre la dose thérapeutique et le poids, et ce, même chez l’enfant. Cependant, le poids demeure un guide potentiel pour l’ajustement des doses dans le cas d’un non-stimulant.

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Un tableau illustrant les dosages disponibles et résumant les posologies de départ et les stratégies d’augmentation ainsi que le statut de remboursement de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) est disponible au www. attentiondecit-info.com.

60A.9 Évolution et pronostic Le TDA/H est souvent chronique. Les études de suivi montrent que plus de la moitié des enfants atteints conservent des symptômes signicatifs à l’âge adulte. Il importe d’adapter les stratégies d’intervention selon les besoins. Les personnes atteintes de TDA/H peuvent développer leur plein potentiel lorsque le traitement est optimisé. Une médication n’est pas requise pour toutes ces personnes, mais tout de même pour la majorité. Cependant, le fait de savoir qu’on a un TDA/H, comment son cerveau fonctionne, comment optimiser son fonctionnement par des stratégies d’adaptation ecaces est bénéque pour tous.

Partie B Comportements perturbateurs Cette section porte sur le trouble oppositionnel avec provocation (TOP) et le trouble des conduites (TC). Dans le DSM-5, ils font partie de la section des troubles disruptifs, du contrôle des impulsions et des conduites.

60B.1 Historique « Les jeunes d’aujourd’hui aiment le luxe, méprisent l’autorité et bavardent au lieu de travailler. Ils contredisent leurs parents. Ils font preuve de mauvaises manières, méprisent les aînés. Les enfants, de nos jours, sont des tyrans. » (Socrate, 470-399 av. J.-C.). Depuis des millénaires, les parents, les éducateurs, les juges doivent faire face à un petit nombre d’enfants et d’adolescents « diciles » dont les comportements oppositionnels, agressifs, délinquants, antisociaux sont préoccupants. Ces enfants, par leurs comportements perturbateurs, sont souvent perçus comme « mauvais » et ils sont évalués en clinique pédopsychiatrique et à l’urgence médicale à la suite d’agissements explosifs ou d’un dysfonctionnement social important à l’école, dans la famille. Les cliniciens ont tendance à les diriger vers des organismes sociaux de protection de l’enfance ou d’autres services judiciaires, mais souvent ils pourraient aussi bénécier d’un suivi psychiatrique. Plusieurs ont besoin d’une alliance à long terme dans le contexte d’un travail systématique. Depuis les années 1930 (Aichorn, 1935), des cliniciens et deschercheurs ont établi que les comportements perturbateurs de

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l’enfance et de l’adolescence représentent un grave problème de santé publique (usage de substances, comorbidité, décrochage scolaire, sexualité précoce, grossesse à risque, suicide, emprisonnement, homicide). En conséquence, à partir de 1968 (DSM-II), et particulièrement à partir de 1980 (DSM-III), on retrouve, dans la classication, des troubles spéciques de l’enfance et de l’adolescence qui permettent de mieux identier ces jeunes aux comportements perturbateurs et surtout de leur orir des soins bio-psycho-sociaux mieux adaptés, basés sur la recherche et le consensus clinique. Selon le consensus actuel, il semble exister une relation temporelle et hiérarchique entre les deux pathologies, le TOP n’impliquant pas d’agressivité physique contre les personnes et précédant, la plupart du temps, l’apparition du TC. Il n’est pas certain que ces deux troubles représentent des aections diérentes. Peut-être ne sont-ils que l’expression symptomatique d’une même aection (selon l’âge, le sexe, le milieu familial, social, la gravité des gestes, etc.). Pour la prévention et l’intervention, Robins (1966) a montré l’importance de s’intéresser à ces jeunes en établissant la continuité entre les comportements perturbateurs de l’adolescence et le trouble de la personnalité antisociale à l’âge adulte.

60B.2 Épidémiologie Durant l’adolescence apparaissent souvent des comportements problématiques ou « à risque » : non-respect des règles parentales, usage de substances, école buissonnière, vandalisme, vols et sexualité précoce. Le plus souvent, ces comportements sont peu fréquents et ne reètent pas le comportement habituel de l’adolescent. Ces comportements inhabituels, singuliers dans le parcours de vie de ces jeunes, sont plus fréquents à 16 ou 17 ans qu’à 12 ou 13 ans, bien que les petits chapardages et les crises explosives puissent survenir en bas âge. Lorsque les comportements ne sont pas le reet du comportement habituel, il n’y a pas lieu de diagnostiquer un TOP ou un TC. De 30 à 50 % des garçons évalués en clinique pédopsychiatrique manifestent des comportements perturbateurs, souvent associés au TDA/H, dont il faut faire le diagnostic diérentiel avec les TSA. Les garçons présentent généralement une prévalence du TC de deux à trois fois plus élevée que les lles, mais cela peut être le reet des critères diagnostiques du DSM qui répertorie des comportements oppositionnels ou agressifs facilement observables, alors que les lles ont tendance à présenter des comportements agonistiques moins apparents (hostilité, agressivité relationnelle telle que dénigrement et atteinte à la réputation d’autrui). La délinquance juvénile ocielle a augmenté de façon continue entre la n des années 1950 et le début des années 2000 en Amérique du Nord, mais par la suite, le taux de criminalité juvénile a diminué au Canada et aux États-Unis, particulièrement les crimes contre la propriété (Statistique Canada, 2010), ce qui peut être attribué à la prévention de la pauvreté, à l’amélioration des services à l’enfance et à la responsabilisation des parents. Au Canada, jusqu’au début des années 2000, les garçons représentaient huit accusés sur 10 au tribunal de la jeunesse, mais depuis ce temps, les TC et la délinquance juvénile sont de plus en plus observés chez les lles, qui représentent maintenant près de trois accusés sur 10 au tribunal de la jeunesse (Statistique Canada, 2010). En eet, depuis les années 2000, les

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comportements perturbateurs présentés par les lles sont plus connus et sanctionnés (harcèlement, dénigrement, menaces) et les lles présentent maintenant davantage de gestes de violence physique. Les estimations de prévalence de ces troubles (TOP et TC) varient selon la population étudiée (pays, ruralité ou milieu urbain, niveau socio-économique, critères diagnostiques, sources d’informations, etc.). La prévalence ponctuelle, évaluée dans une unité de temps à un jour ou un mois donné (plutôt que la prévalence à vie) du TC (Murray & Farrington, 2010), est : • de 6 à 16 % pour les adolescents (de 12 à 18 ans) ; • de 2 à 9 % pour les adolescentes. À cause de la diérence des critères, la CIM-10 (OMS, 1994) semble identier plus d’enfants présentant un TOP que le DSM-IV (jusqu’à 40 % de plus) (Rowe & Maughgan, 2005).

60B.3 Étiologies Comme pour la majorité des troubles mentaux, l’étiologie du TOP et du TC est multifactorielle et, compte tenu de l’hétérogénéité symptomatique de ces jeunes, plusieurs voies neuropsychodéveloppementales peuvent mener à ces problématiques. L’état actuel des connaissances permet d’identier des facteurs de risque (et non des facteurs causals), certains plus puissants que d’autres. Certains facteurs protecteurs ont aussi été relevés.

60B.3.1 Facteurs biologiques Les études d’adoption (Cadoret & al., 1995) ont montré que la présence d’une psychopathologie, d’une toxicomanie ou de traits antisociaux chez l’un ou l’autre des parents biologiques semble prédisposer l’enfant à présenter un TC. Durant la grossesse, l’usage d’alcool, de tabac, de drogues, une nutrition déciente et l’absence de suivi médical interfèrent avec le développement in utero de telle sorte que ces enfants sont plus à risque de troubles mentaux, y compris le TOP et le TC. Il en va de même des complications médicales (vomissements gravidiques, hypertension artérielle) et psychiatriques (anxiété, dépression, psychose) durant la grossesse et l’accouchement. De loin, le facteur de risque le plus important pour développer un TOP ou un TC est la présence du chromosome Y (c.-à-d. le sexe masculin et la testostérone). Une décience en testostérone in utero chez le garçon abaisse le niveau d’agressivité, durant l’enfance et l’adolescence, à l’égal de celui de la lle.

60B.3.2 Facteurs psychologiques Chez l’enfant, une variété de facteurs augmentent le risque de comportements perturbateurs et de délinquance (Schmek & Poustka, 2001) : • un tempérament dicile (diculté à être réconforté, hypersensibilité aux stimuli externes, insensibilité aux punitions) ; • un QI plus faible que la moyenne (fonctions verbales, attention, concentration, capacité d’abstraction, capacités exécutives, inhibition de réponses inadaptées) ; • des dicultés d’apprentissage (lecture, calcul) en lien avec une atteinte neurologique et une baisse de l’estime de soi ; • de l’impulsivité et le manque d’habiletés sur le plan psychomoteur, augmentant aussi le risque de trauma crânien et de comportements perturbateurs ;

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• une recherche de sensations fortes ; • une comorbidité du TDA/H chez 50 à 80 % des adolescents présentant un TC ;

est un facteur de risque très élevé pour la délinquance juvénile (Murray & Farrington, 2010).

• du rejet ou de l’intimidation à l’école ou dans son voisinage.

60B.3.4 Facteurs protecteurs

Il est bien établi que les comportements agressifs augmentent avec la puberté. Van Goozen et ses collaborateurs (2000) ont pu établir qu’un niveau plus élevé de testostérone ou de ses métabolites se retrouve chez les garçons plus irritables, plus impatients ou plus portés vers l’agir. De même, un niveau plus bas de cortisol plasmatique est retrouvé chez les garçons et les lles qui présentent de l’impatience, de l’irritabilité et qui sont orientés vers l’agir (McBurnett & Lahey, 2000). Dans une moindre mesure, l’exposition intense à la violence médiatique (télévision, cinéma, jeux vidéo, Internet, YouTube, etc.) peut faciliter le passage à l’acte chez les enfants ou les adolescents plus fragiles, carencés, moins supervisés par leurs parents. Ces media leur fournissent des modèles de scénarios violents pour exprimer leur colère, leur frustration, leurs insatisfactions découlant d’une fragilité de l’estime de soi et de carences d’attachement, d’un sentiment d’exclusion, d’un sentiment que l’avenir est bouché, et comme solution potentielle pour régler leurs conits.

Les facteurs protecteurs comprennent (Borum & al., 2002) : • un bon soutien familial ; • une capacité d’attachement sécure ; • une attitude positive, qui accepte l’autorité et les interventions éducatives ; • un bon quotient intellectuel ; • une bonne réussite scolaire ; • une participation dans des activités prosociales (scolaires, sportives, communautaires, culturelles) ; • une bonne capacité d’adaptation.

60B.3.3 Facteurs socioenvironnementaux Les problèmes familiaux, représentant les facteurs de risque les plus étudiés, peuvent être classés en deux catégories : 1. Les perturbations familiales générales peuvent inclure : • de la discorde familiale ; • de la violence conjugale ; • des comportements antisociaux ou de la toxicomanie chez l’un ou l’autre des parents ; • une mère monoparentale, une mère adolescente ; • de nombreux conjoints (instabilité relationnelle) ; • de la dépression ou de l’anxiété chez la mère ; • une famille nombreuse (enfants rapprochés) ; • de nombreux déménagements créant de l’instabilité en bas âge. 2. Les pratiques parentales spéciques (Murray & Farrington, 2010) qui sont à risque de diriger l’enfant (particulièrement le garçon) vers des comportements perturbateurs incluent : • la négligence (rejet, manque de communication) ; • une résolution inadéquate des conits entre les parents ainsi qu’entre l’enfant et le parent ; • une lacune dans le développement de la capacité d’empathie ; • la discipline rude (avec violence) ; • l’abus physique ; • une supervision parentale excessive ou déciente ; • un apprentissage déficient des règles sociales ou une adhésion à des valeurs antisociales. Sourir de pauvreté, vivre dans un quartier désorganisé, défavorisé et violent, fréquenter une école peu structurante et peu encadrante et faire partie d’une minorité constituent des facteurs de risque pour l’apparition de comportements oppositionnels, déviants, perturbateurs durant l’enfance et l’adolescence. De même, la fréquentation de pairs délinquants ou toxicomanes

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60B.4 Description clinique Les critères diagnostiques du TOP et du TC utilisés dans le DSM-5 et la CIM-10 sont très semblables, mais ils sont présentés diéremment. Les deux systèmes de classications excluent la possibilité de diagnostiquer la présence de l’un et l’autre des troubles (TOP et TC) chez le même enfant, au même moment. Ils insistent tous les deux sur le fait que les comportements doivent dévier de ce qui est attendu pour l’âge et être d’une durée minimale de six mois. Un geste grave, y compris un homicide, ne peut à lui seul conduire au diagnostic d’un TOP ou d’un TC.

60B.4.1 Trouble oppositionnel avec provocation Le TOP regroupe des comportements (vol sans arontement, mensonges, fugue, école buissonnière, contestation, opposition) de l’enfance et de l’adolescence qui n’entraînent pas de conséquences graves par rapport aux droits des autres et surtout ne comportent pas d’atteinte à l’intégrité physique d’autrui. Ces symptômes ne doivent pas être en lien avec un épisode de manie ou de dépression et doivent être présents sur une période de plus de six mois (voir le tableau 60.2). Ce sont des enfants et des adolescents que leurs parents et les adultes qualient de « diciles » et qui risquent d’être pris dans le cercle vicieux de l’agressivité et des réponses hostiles de l’entourage, en raison de leur manque d’empathie et de leur attitude négative ou ambivalente vis-à-vis de leur environnement et de l’autorité. Ces jeunes sont souvent rejetés ou ostracisés, ce qui ne fait qu’empirer la situation.

60B.4.2 Trouble des conduites Le diagnostic du TC ne peut être retenu que si les comportements inacceptables persistent, pour la plupart, depuis une année et ne correspondent pas aux comportements habituels d’un enfant du même âge. Le critère de persistance et de répétition des conduites délictueuses est déterminant, un seul geste grave ne permettant pas d’en établir le diagnostic. Il s’agit alors d’un trouble d’adaptation avec perturbation des conduites, d’un état d’intoxication ou d’un geste délinquant isolé. Le tableau 60.3 permet de comparer les critères du DSM-5 et ceux du DSM-IV-TR.

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TABLEAU 60.2 Critères diagnostiques du trouble oppositionnel avec provocation

DSM-5

DSM-IV-TR

313.81 (F91.3) Trouble oppositionnel avec provocation

Trouble oppositionnel avec provocation

A. Un ensemble d’une humeur colérique/irritable, d’un comportement A. Ensemble de comportements négativistes, hostiles ou provocateurs, querelleur/provocateur, ou d’un esprit vindicatif persistant pendant au persistant pendant au moins 6 mois durant lesquels sont présentes moins 6 mois durant lesquels sont présents au moins quatre symptômes quatre des manifestations suivantes (ou plus) : des catégories suivantes, et se manifestant durant l’interaction avec au moins un sujet extérieur à la fratrie. Humeur colérique/irritable 1. Se met souvent en colère. 2. Est souvent susceptible ou facilement agacé par les autres. 3. Est souvent fâché et plein de ressentiment. Comportement querelleur/provocateur 4. Conteste souvent les personnes en position d’autorité ou, pour les enfants et les adolescents, ce que disent les adultes. 5. S’oppose souvent activement ou refuse de se plier aux règles ou aux demandes des personnes en position d’autorité. 6. Embête souvent les autres délibérément. 7. Fait souvent porter à autrui la responsabilité de ses erreurs ou de sa mauvaise conduite.

(1) Idem à DSM-5. (6) Idem à DSM-5. (7) Idem à DSM-5. (2) conteste souvent ce que disent les adultes ; (3) s’oppose souvent activement ou refuse de se plier aux demandes ou aux règles des adultes ; (4) Idem à DSM-5. (5) Idem à DSM-5.

Esprit vindicatif 8. S’est montré souvent méchant ou vindicatif au moins deux fois durant les (8) se montre souvent méchant ou vindicatif. 6 derniers mois. N.B. : La persistance et la fréquence de ces comportements doivent être N.B. : On ne considère qu’un critère est rempli que si le comportement utilisées pour distinguer un comportement qui est dans les limites de la nor- survient plus fréquemment qu’on ne l’observe habituellement chez des male d’un comportement symptomatique. Pour les enfants âgés de moins sujets d’âge et de niveau de développement comparables. de 5 ans, le comportement doit survenir la plupart des jours durant une période minimale de 6 mois, sauf indication contraire (critère A8). Pour les sujets âgés de 5 ans et plus, le comportement doit survenir au moins une fois par semaine durant une période minimale de 6 mois, sauf indication contraire (critère A8). Tandis que ces critères de fréquence fournissent des conseils sur un niveau minimal de fréquence pour dénir des symptômes, d’autres facteurs doivent être considérés, comme le fait de savoir si la fréquence et l’intensité des comportements dépassent ce que l’on observe habituellement chez des sujets d’âge, de sexe, et de culture comparables. B. La perturbation du comportement est associée à une détresse de l’individu ou d’autrui dans son entourage social proche (p. ex. famille, groupe de pairs, collègues de travail), ou a entraîné une altération cliniquement signicative du fonctionnement social, scolaire, professionnel ou dans d’autres domaines importants.

B. La perturbation des conduites entraîne une altération cliniquement signicative du fonctionnement social, scolaire ou professionnel.

C. Les comportements ne surviennent pas exclusivement au cours : • d’un trouble psychotique, • d’un trouble de l’usage d’une substance, • d’un trouble dépressif, • d’un trouble bipolaire. De plus, le trouble ne répond pas aux critères du trouble disruptif avec dysrégulation de l’humeur.

C. Les comportements décrits en A ne surviennent pas exclusivement au cours d’un trouble psychotique ou d’un trouble de l’humeur. D. Le trouble ne répond pas aux critères du trouble des conduites ni, si le sujet est âgé de 18 ans ou plus, à ceux de la personnalité antisociale.

Spécier la sévérité actuelle : Léger : Les symptômes sont limités à un seul cadre (p. ex. à la maison, à l’école, au travail, avec les pairs). Moyen : Certains symptômes sont présents dans au moins deux cadres. Grave : Certains symptômes sont présents dans trois cadres ou plus. Sources : APA (2015), p. 548-549 ; APA (2004), p. 120-121. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

Chapitre 60

Décit de l’attention avec/sans hyperactivité, comportements perturbateurs et tics

1321

TABLEAU 60.3

Critères diagnostiques du trouble des conduites DSM-5 312.__ (F91._) Trouble des conduites

DSM-IV-TR Trouble des conduites

A. Ensemble de conduites, répétitives et persistantes, dans lequel sont bafoués les droits fondamentaux d’autrui ou les normes et règles sociales correspondant à l’âge du sujet, comme en témoigne la présence de trois des 15 critères suivants (au cours des 12 derniers mois, et d’au moins un de ces critères au cours des 6 derniers mois :

Idem à DSM-5.

Agression envers des personnes ou des animaux 1. Brutalise, menace ou intimide souvent d’autres personnes. 2. Commence souvent les bagarres. 3. A utilisé une arme pouvant blesser sérieusement autrui (p. ex. un bâton, une brique, une bouteille cassée, un couteau, une arme à feu). 4. A fait preuve de cruauté physique envers des personnes. 5. A fait preuve de cruauté physique envers des animaux. 6. A commis un vol en affrontant la victime (p. ex. agression, vol de sac à main, extorsion d’argent, vol à main armée). 7. A contraint quelqu’un à avoir des relations sexuelles.

Idem à DSM-5.

Destruction de biens matériels 8. A délibérément mis le feu avec l’intention de provoquer des dégâts importants. 9. A délibérément détruit le bien d’autrui (autrement qu’en y mettant le feu).

Idem à DSM-5.

Fraude ou vol 10. A pénétré par effraction dans une maison, un bâtiment ou une voiture appartenant à autrui. 11. Ment souvent pour obtenir des biens ou des faveurs ou pour échapper à des obligations (p. ex. « arnaque » les autres). 12. A volé des objets d’une certaine valeur sans affronter la victime (p. ex. vol à l’étalage sans destruction ou effraction, contrefaçon).

Idem à DSM-5.

Violations graves de règles établies 13. Reste dehors tard la nuit en dépit des interdictions de ses parents, et cela a commencé avant l’âge de 13 ans. 14. A fugué et passé la nuit dehors au moins à deux reprises alors qu’il vivait avec ses parents ou en placement familial (ou a fugué une seule fois sans rentrer à la maison pendant une longue période). 15. Fait souvent l’école buissonnière, et cela a commencé avant l’âge de 13 ans.

Idem à DSM-5.

B. La perturbation du comportement entraîne une altération cliniquement signicative du fonctionnement social, scolaire ou professionnel.

Idem à DSM-5.

C. Si la personne est âgée de 18 ans ou plus, le trouble ne répond pas aux critères de la personnalité antisociale.

Idem à DSM-5.

Spécier le type : 312.81 (F91.1) Type à début pendant l’enfance : Présence d’au moins un symptôme caractéristique du trouble des conduites avant l’âge de 10 ans. 312.82 (F91.2) Type à début pendant l’adolescence : Absence de tout symptôme caractéristique du trouble des conduites avant l’âge de 10 ans. 312.89 (F91.9) Début non spécié : Les critères pour le diagnostic de trouble des conduites sont remplis, mais les informations sont insufsantes pour déterminer si le premier symptôme est apparu avant ou après l’âge de 10 ans.

Idem à DSM-5.

Spécier si : Avec des émotions prosociales limitées : Pour recevoir cette spécication, une personne doit avoir présenté au moins deux des critères suivants de façon continue au cours au moins des 12 derniers mois et dans des situations relationnelles et des contextes divers. Ces critères reètent le mode de fonctionnement interpersonnel et émotionnel typique du sujet durant cette période et pas seulement des occurrences occasionnelles dans certaines situations. Ainsi, pour évaluer le critère de la spécication, diverses sources d’information sont requises. En plus de la narration individuelle, il est nécessaire de tenir compte des récits de ceux qui ont connu la personne durant de longues périodes de temps (p. ex. parents, enseignants, collègues, entourage familial, pairs).

1322

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TABLEAU 60.3

Critères diagnostiques du trouble des conduites (suite ) DSM-5

DSM-IV-TR

312.__ (F91._) Trouble des conduites

Trouble des conduites

Absence de remords ou de culpabilité: Ne se sent ni mauvais ni coupable en faisant quelque chose de mal (exclure les remords exprimés seulement quand le sujet est arrêté et/ou confronté à une punition). L’individu montre un manque général de préoccupation par les conséquences négatives de ses actes. Par exemple, il n’a pas de remords après avoir blessé quelqu’un ou il ne se soucie pas des conséquences des transgressions des règles. Dureté (insensibilité) – manque d’empathie: Ne tient pas compte ou ne se sent pas concerné par les sentiments d’autrui. Le sujet est décrit comme froid ou insouciant. Il paraît plus concerné par les effets de ses actions sur lui-même que sur les autres, même s’ils entraînent un dommage important à autrui. Insouciance de la performance : Ne se sent pas concerné par ses performances faibles/problématiques à l’école, au travail, ou dans d’autres activités importantes. La personne ne met pas en œuvre l’effort nécessaire pour une bonne performance, même quand les attentes sont claires, et rend typiquement les autres responsables de ses mauvais résultats. Supercialité ou décience des affects : N’exprime pas de sentiments ou ne montre pas d’émotions à autrui, sauf de façon supercielle et peu sincère (p. ex. les actions contredisent l’émotion montrée ; capacité d’activer ou désactiver les émotions rapidement) ou quand les émotions sont utilisées pour un intérêt (p. ex. émotions montrées pour manipuler ou intimider les autres). Spécier la sévérité actuelle : Léger : Il n’existe que peu ou pas de problèmes de conduite dépassant en nombre ceux requis pour le diagnostic ; de plus, les problèmes de conduite n’occasionnent que peu de mal à autrui (p. ex. mensonge, absentéisme, reste dehors tard la nuit sans permission, non-respect d’autres règles). Moyen : Le nombre de problèmes de conduites, ainsi que leurs effets sur autrui, sont intermédiaires entre « léger » et « grave » (p. ex. voler sans affronter la victime, vandalisme). Grave : Il existe de nombreux problèmes de conduite dépassant en nombre ceux requis pour le diagnostic ; ou bien, les problèmes de conduites occasionnent un dommage considérable à autrui (p. ex. contraindre quelqu’un à avoir des relations sexuelles, cruauté physique, usage d’une arme, voler en affrontant la victime, pénétrer par effraction).

Idem à DSM-5.

Sources : APA (2015), p. 557-558 ; APA (2004), p. 115-117. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

La spécication « âge de début » est liée au fait que si les difficultés comportementales persistent depuis l’enfance, le pronostic est plus sombre. Le DSM-5 introduit la spécication « avec émotions prosociales limitées », qui est basée sur de multiples recherches montrant que, dans le cas d’un jeune qui présente un TC et qui, en plus, présente ces caractéristiques, la réponse au traitement est faible et le risque de récidive est élevé (Frick, 2012).

60B.5 Évaluation Le questionnaire (auprès du jeune, de sa famille et des intervenants scolaires et psychosociaux) ainsi que l’examen mental standard doivent être eectués, même si initialement le motif de consultation est uniquement de l’impulsivité ou des comportements perturbateurs. À la n de l’évaluation, le médecin doit pouvoir connaître le développement psychoaectif, le statut médical (présence d’épilepsie, histoire de commotions cérébrales) ainsi que l’environnement social et familial de l’enfant. Le rapport doit contenir une bonne description des attitudes ou des gestes jugés déviants (description des gestes eux-mêmes, début d’apparition, fréquence, intensité, circonstances de survenue, blessures ou non à autrui, remords apparents, répétition malgré les punitions/

Chapitre 60

conséquences) ainsi que les interventions mises en place (dans la famille, à l’école, par les services à la jeunesse, etc.) et leurs résultats. Compte tenu de la comorbidité fréquente avec d’autres diagnostics (TDA/H [dans 50 à 80 % des cas], trouble anxieux, trouble dépressif, maladie neurologique [p. ex., syndrome de Gilles de la Tourette], toxicomanie, psychose), une recherche active des symptômes autres que perturbateurs doit être effectuée, puisque souvent ces jeunes ne mentionnent pas spontanément ces symptômes et l’entourage est d’abord préoccupé par les gestes déviants et agressifs (Collins & al., 2010). Le médecin doit établir une distinction entre l’adolescent qui pose des gestes impulsifs, mal préparés, en réaction (RADI : reactive, affective, defensive, impulsive) et l’adolescent qui organise, planifie ses gestes délinquants (comportement prédateur, insensible). Ces cas d’adolescents impassibles constituent une faible minorité (15 %) de ceux qui présentent des TC, mais ils sont à haut risque de récidive, répondent mal aux interventions de réhabilitation actuellement disponibles et certains d’entre eux deviendront des psychopathes à l’âge adulte. Parmi les caractéristiques émotionnelles de ces jeunes prédateurs, on retrouve : • le manque d’empathie, un contact relationnel insensible et impassible ; • l’absence de remords ;

Décit de l’attention avec/sans hyperactivité, comportements perturbateurs et tics

1323

• une grandiosité relationnelle, c’est-à-dire un sentiment de supériorité envers les autres ; • des projets irréalistes ; • un sentiment d’impunité ; • un sentiment que « tout m’est dû ». La capacité d’attachement est aussi un élément qui doit être évalué, car plus l’adolescent a une capacité d’attachement sécure, meilleure sera sa réponse aux interventions de réhabilitation et meilleur sera le pronostic.

60B.6 Outils diagnostiques Le SAVRY (Structured Assessment of Violence Risk for Youth) (Borum & al., 2002) permet une évaluation structurée et complète des facteurs de risque des jeunes qui présentent des comportements perturbateurs. Cet outil identifie aussi des facteurs protecteurs. Le MASY (Massachussetts Assessment Services Youth) (Grisso & al., 2001) permet d’évaluer les besoins psychologiques des jeunes qui sont placés en détention après une arrestation. Il s’agit d’un test papier-crayon d’administration rapide, facilement interprétable et qui permet de détecter les jeunes à risque de suicide ou qui présentent des besoins aigus en santé mentale (dépression, TSPT, anxiété, psychose). Le PCL-YV (Psychopathy Check List – Youth Version) (Forth & al., 2004) permet de repérer les adolescents prédateurs, insensibles et impassibles. L’utilisation de ce test nécessite une formation spécique. Avant de l’utiliser, il faut être conscient que si un jeune reçoit l’étiquette de « psychopathe », cette désignation sera lourde de conséquences pour lui (processus judiciaire, traitement, pronostic) et pourra servir à l’exclure du réseau « jeunesse » et à le diriger vers le réseau « adulte », où l’on trouve rarement des programmes de réhabilitation psychosociale adaptés. Le CBCL (Child Behavior Check List) (Achenback, 1992) peut être utilisé par les parents et les enseignants an de quantier, dans diérents milieux, les comportements délinquants, l’agressivité, l’hyperactivité et la dépression chez l’enfant. Le J-SOAP-II (Juvenile Sexual Oender Assessment Protocol-2) (Prentky, 2003) est un outil très utile pour évaluer les adolescents qui ont posé des gestes sexuels déviants. Cet instrument permet d’évaluer la présence (ou l’absence) d’une paraphilie et le besoin d’un traitement spécique en délinquance sexuelle.

60B.7 Diagnostic différentiel Un acte délictueux, même grave et spectaculaire, ne signe pas nécessairement la présence d’un TC (ou d’un trouble oppositionnel chez un jeune) ni d’une psychose. L’histoire développementale et une mise en contexte de l’acte délictueux permettent de clarier le diagnostic. On retrouve souvent, chez un jeune présentant des comportements perturbateurs, un TDA/H, un trouble anxieux (y compris un TSPT), une toxicomanie, une dépression ou des maladies neurologiques (p. ex., épilepsie ou séquelles de traumatisme crânien). Une histoire détaillée, l’utilisation d’outils diagnostiques et, à l’occasion, d’examens de laboratoire peuvent

1324

clarier le diagnostic. Par ailleurs, la présence de toute autre psychopathologie n’exclut pas, chez le jeune, la présence d’un TC ou d’un TOP, mais il ne faut pas que les comportements perturbateurs puissent être expliqués uniquement par le trouble comorbide. Le trouble explosif intermittent est un diagnostic d’exclusion. Le trouble explosif intermittent est présenté au chapitre 36, à la section 36A.1.

60B.8 Traitements Le traitement des jeunes présentant un TOP ou un TC doit être individualisé, entrepris le plus tôt possible, et être oert en milieu familial, en milieu scolaire, dans la communauté et, occasionnellement, pour les cas les plus graves, en institution (unité ouverte ou fermée). Les interventions doivent cibler les dicultés relevées lors de l’évaluation (problèmes familiaux, dicultés scolaires, impulsivité, gestion de la colère, décit d’attention, toxicomanie, pairs délinquants et toxicomanes, milieu défavorisé, pauvreté, etc.).

60B.8.1 Interventions psychosociales De toutes les interventions psychosociales, l’entraînement aux habiletés parentales est la méthode la plus ecace pour diminuer les comportements inadéquats chez les enfants et les adolescents qui présentent un TOP ou un TC. Cet entraînement est basé sur les principes du conditionnement opérant et de la théorie de l’apprentissage social. Les parents sont incités à utiliser des renforcements positifs, à éviter les punitions corporelles, et ils apprennent à négocier de façon adéquate avec leur enfant. L’eet se fait sentir d’abord à la maison, autant avec les parents qu’avec la fratrie, et il peut se généraliser à l’école. De même, le climat entre les parents et la cohésion familiale peuvent être améliorés. La diculté avec l’entraînement aux habiletés parentales est que beaucoup de parents ne terminent pas le programme (de cinq à 15 sessions) et qu’il est moins ecace avec les enfants présentant des troubles graves et ceux qui sont âgés de plus que 12 ans. L’efcacité de ce programme, qui peut être oert individuellement ou en groupe, est améliorée s’il y a un suivi téléphonique après la n des sessions. Les parents doivent apprendre les méthodes du conditionnement opérant et de l’apprentissage social. Le programme inclut aussi des sessions de jeux de rôle ainsi que des « devoirs à la maison » an de permettre la généralisation des nouveaux acquis. L’entraînement à la résolution de problèmes est basé sur la notion que les jeunes avec des comportements agressifs et antisociaux présentent souvent des distorsions dans leur façon de percevoir, de décoder, d’interpréter et d’expérimenter le monde qui les entoure, ce qui se reète dans leurs croyances, leurs attentes et leurs attributions (c.-à-d. les raisons qu’ils donnent pour expliquer leurs dicultés). Cet apprentissage de résolution de problèmes permet aux jeunes de développer des habiletés nouvelles dans des situations interpersonnelles et leur enseigne des façons de trouver des solutions prosociales mieux adaptées et des options à leurs comportements habituels. Les jeunes exercent leurs nouveaux acquis dans les sessions thérapeutiques et dans d’autres environnements (école et maison).

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5 Spécialités psychiatriques

La thérapie multisystémique se concentre sur le comportement du jeune dans diérents contextes (famille, amis, école) et recherche, dans chacun de ces environnements, des éléments qui peuvent contribuer aux problèmes de comportement et ceux qui peuvent aider à les changer. Plusieurs techniques, qui se sont montrées ecaces, sont utilisées dans le cadre de la thérapie multisystémique (approche de couple, s’il y a des tensions maritales, entraînement aux habiletés parentales, entraînement à la résolution de problèmes, activités prosociales avec des pairs fonctionnels, médication au besoin, etc.). D’autres thérapies souvent utilisées, comme la gestion de la colère, la thérapie familiale, les camps « dans la nature », les boot camps (thérapie basée sur l’entraînement militaire) ou le traitement résidentiel en institution n’ont pas montré d’ecacité signicative. Un danger existe lorsque l’on place ces adolescents en groupe : l’expérience de groupe leur permet quelquefois de s’identier à d’autres jeunes aux comportements déviants et de s’associer avec eux, ce qui entraîne un risque d’apprentissage de nouveaux comportements inadaptés. Si on regroupe quelques adolescents présentant un TOP ou un TC (de six à 10), il faut alors s’assurer de la présence constante d’un adulte responsable dans le groupe et d’un suivi à l’extérieur (à l’école, dans la famille, etc.). Les adolescents qui terminent un programme intensif de réhabilitation (en milieu résidentiel, dans un camp de nature ou un boot camp) manifestent initialement de bons comportements. Mais, à moyen et à long terme, les comportements déviants réapparaissent, puisque ces programmes n’orent généralement pas de suivi dans la communauté, dans la famille ni à l’école. Ainsi, ces adolescents, après la n du traitement intensif, retournent le plus souvent dans le même environnement, avec peu de soutien thérapeutique et avec les mêmes problèmes qu’auparavant. De façon générale, la psychothérapie individuelle introspective comme seul traitement n’a pas été montrée ecace pour les TC. Cependant, des sessions de thérapie individuelle peuvent faciliter l’adhésion à une thérapie systémique qui encourage les changements dans la famille, à l’école et dans l’environnement social. Il s’agit alors davantage de counseling individuel et motivationnel.

60B.8.2 Traitements biologiques Les psychotropes pour le traitement du TOP et du TC doivent être utilisés en association avec des interventions psychosociales. La pharmacothérapie peut être utile, mais n’est jamais susante seule. Dans ses lignes directrices, le National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE, 2013) a publié des recommandations pour l’utilisation d’agents psychotropes chez les jeunes présentant des comportements perturbateurs. Il insiste sur la nécessité d’une évaluation exhaustive, sur la recherche d’aections comorbides et, de façon générale, il suggère de ne pas traiter tous les troubles de comportement avec des agents psychotropes en 1re intention. Lorsqu’une médication est indiquée, par exemple si le TC est en comorbidité avec un TDA/H, on suggère les psycho stimulants, l’atomoxétine ou la guanfacine XR. Par ailleurs, si les symptômes d’agressivité sont importants, on suggère de faire un essai à la rispéridone. En général, on recommande de débuter à la dose la plus faible possible, d’augmenter graduellement et éventuellement de sevrer lentement. Lors du suivi, il faut évaluer l’adhésion au traitement, les eets indésirables, et questionner régulièrement le patient sur

Chapitre 60

sa consommation de substances. Aussi, avant d’augmenter la dose, de changer pour une autre médication, de combiner avec une autre médication ou de la cesser (s’il n’y a pas de réponse clinique), il faut s’assurer que le patient a reçu un dosage adéquat sur une période susamment prolongée en même temps que des interventions psychosociales. Actuellement, il n’existe pas de médicaments spéciquement reconnus par les organismes régulateurs pour traiter le TOP et le TC. Toute utilisation de molécules psychotropes pour ces diagnostics seuls est présentement « hors indication ». Il s’agit donc essentiellement de traiter les symptômes les plus résistants aux interventions psychosociales (impulsivité, agressivité, labilité de l’humeur, hyperactivité, idéation paranoïde, etc.).

i

Un supplément d’information pour aider le médecin à choisir le psychotrope qui est le plus susceptible d’être efcace est disponible dans Perepletchikova (2011).

Les psychostimulants sont très souvent utilisés en raison de la comorbidité fréquente du TDA/H avec le TOP et le TC. Il est recommandé d’utiliser les médicaments à libération prolongée pour diminuer le risque de mésusage (vente, abus). L’atomoxétine peut se révéler utile lorsqu’un jeune présente à la fois des comportements perturbateurs, un TDA/H, de l’anxiété ou des tics. Certains agents adrénergiques (clonidine, guanfacine) permettent de diminuer l’impulsivité, l’agressivité et l’hyperactivité. Le propranolol est plus rarement employé, car moins ecace. Les antipsychotiques sont les agents les plus prescrits pour le traitement pharmacologique du TOP et du TC. Il est actuellement recommandé d’utiliser d’abord les antipsychotiques de 2e génération, la rispéridone (RisperdalMD) étant l’agent le plus étudié auprès des jeunes présentant des comportements impulsifs et agressifs. La quétiapine (SeroquelMD) est de plus en plus utilisée (pour son eet sur l’impulsivité et l’anxiété), mais cette molécule est à risque d’abus en raison de son eet sédatif. L’olanzapine (ZyprexaMD) est peu prescrite étant donné le gain de poids qu’elle entraîne. L’aripiprazole (AbilifYMD) présente un prol pharmacologique intéressant et des résultats probants sur les symptômes d’agressivité et d’impulsivité (Findling, 2008) en plus d’être la moins susceptible de provoquer un syndrome métabolique. Le lithium est l’agent le plus ecace pour le traitement de l’agressivité et de l’impulsivité associées au TC. Cette molécule, si elle est utilisée à dosage susant, sur une durée de plus de deux semaines, diminue de façon signicative les comportements perturbateurs chez les jeunes qui sont hospitalisés ou suivis en ambulatoire. L’acide valproïque (EpivalMD) est aussi plus ecace que le placebo, mais moins que le lithium. Par ailleurs, ces deux molécules nécessitent un suivi médical serré et des prises de sang régulières ; de plus, elles entraînent une létalité plus importante lors d’une tentative de suicide que les antipsychotiques. La carbamazépine (TegretolMD) n’a pas montré d’ecacité pour ces troubles. Les antidépresseurs tricycliques ne sont plus utilisés étant donné leur faible ecacité, leurs eets anticholinergiques et leur toxicité potentielle. Les ISRS peuvent être utiles chez les jeunes qui présentent des symptômes anxieux ou dépressifs signicatifs. Au Canada, le seul ISRS ociellement reconnu pour les moins de 18 ans est la uoxétine (ProzacMD). Le bupropion (WellbutrinMD) peut être utile dans le traitement des jeunes

Décit de l’attention avec/sans hyperactivité, comportements perturbateurs et tics

1325

qui présentent à la fois un TC, un TDA/H et un problème de toxicomanie, principalement à la cocaïne ou aux amphétamines. Ces médicaments sont rarement prescrits seuls, mais le plus souvent en association avec soit un psychostimulant, soit un antipsychotique. Il est important de rappeler qu’un agent psychotrope ne doit être utilisé qu’en association avec des interventions psychosociales et que, si un médicament est prescrit, il doit faire l’objet d’un suivi médical. Il faut aussi se rappeler que la clientèle visée est à risque de comportements impulsifs, qu’elle abuse souvent de substances, qu’elle ne suit pas rigoureusement la prescription et qu’elle ne se présente pas régulièrement aux rendez-vous de suivi.

60B.8.3 Prévention Les interventions de prévention doivent cibler les facteurs de risque déjà énumérés. Précocement, il faut intervenir auprès de la future mère à risque, lui assurer un suivi médical compétent, y compris sur le plan psychiatrique, une nutrition adéquate, et lui suggérer de cesser la cigarette, l’alcool et toute autre substance. De plus, la femme enceinte ne devrait pas être exposée à des stresseurs indus (violence conjugale, difficultés économiques importantes, etc.). Après l’accouchement, un suivi régulier et prolongé par des infirmières (jusqu’à ce que l’enfant fréquente l’école), particulièrement auprès des mères adolescentes ou monoparentales, est efficace pour identifier rapidement les comportements parentaux à risque de favoriser l’apparition chez l’enfant de comportements perturbateurs (négligence, abus physiques, contrôle parental excessif, intermittent ou absent, dépression et anxiété chez la mère, etc.). Lorsque l’enfant fréquente l’école, il y a lieu d’instaurer des programmes pour identier précocement les enfants impulsifs et agressifs an de leur orir des interventions spéciques, autant en milieu scolaire qu’auprès des parents, pour qu’ils apprennent à mieux gérer leur impulsivité, leur colère et leur agressivité (Boisjoli & al., 2007). L’équipe du Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale (GRIP) (Tremblay, 2000) a montré qu’une intervention précoce est ecace pour prévenir, à l’adolescence, l’apparition d’un TC ou de comportements perturbateurs chez l’enfant qui présente une impulsivité et une agressivité marquées vers l’âge de 5 ans. Une intervention précoce et prolongée oerte dans les divers milieux fréquentés par le jeune est plus ecace. S’il y a judiciarisation d’un comportement, le processus judiciaire devrait être rapide et les conséquences survenir rapidement après l’interpellation. Il faut éviter les délais indus qui ne favorisent pas la responsabilisation du jeune et augmentent son ressentiment envers le système.

60B.9 Évolution et pronostic Une grande partie des enfants qui présentent un TOP ne développeront pas un TC à l’adolescence. Pour les adolescents qui présentent des comportements perturbateurs signicatifs de 14 à 17 ans, sans qu’il y ait eu de comportements problématiques auparavant, le pronostic est bon (les dicultés comportementales se limitant à l’adolescence), s’il n’y a pas de toxicomanie

1326

associée. Les caractéristiques de mauvais pronostic sont les suivantes : • le début des comportements perturbateurs avant l’âge de 10 ans ; • des comportements perturbateurs sont présents dans diérents milieux ; • le fait d’être victime de violence physique ; • un contrôle parental excessif ou inexistant ; • l’adhésion des parents à des valeurs antisociales ; • l’utilisation de drogues avant l’âge de 15 ans ; • le placement à l’extérieur du domicile familial ; • la pauvreté, un milieu défavorisé ; • le décrochage scolaire ; • des pairs délinquants. Les jeunes qui présentent de telles caractéristiques deviennent, pour un grand nombre (de 23 à 41 %) des adultes présentant des traits marqués de la personnalité antisociale (Robins & Ratcli, 1979. Qui plus est, les traits prosociaux limités sont aussi associés à une évolution défavorable (Frick, 2009).

Partie C Tics et syndrome de Gilles de la Tourette Dans le DSM-5, les tics et le syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) font partie de la section des troubles neurodéveloppementaux, sous la rubrique des troubles moteurs.

60C.1 Historique et évolution du concept Le syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) (ou maladie des tics) a été décrit en 1885 par un médecin français, Georges Gilles de la Tourette. Un tic est un mouvement (p. ex., cligner des yeux, bouger le nez ou une partie du corps) ou une vocalisation (p. ex., bruits de bouche, reniements ou raclement de gorge) soudain, rapide, récurrent, non rythmique et stéréotypé qui mime des comportements quotidiens. Les tics sont généralement intermittents et involontaires. Ils sont souvent exacerbés au moment de l’entrée dans la préadolescence (Bloch & al., 2006). Moins de 20 % des SGT persistent à l’âge adulte, mais dans un tel cas, les personnes présentent souvent des comportements violents et automutilateurs, attribuables à une forme grave de ce syndrome.

60C.2 Épidémiologie Les tics simples transitoires, moteurs et vocaux sont fréquents dans la population scolaire : 8 % des garçons et 5 % des lles (Khalifa & Von Knorring, 2006). Cependant, la prévalence du SGT est moindre dans les études épidémiologiques : de 3 à 6 ‰ enfants (Scahill & al., 2009). Le ratio est de trois garçons pour une lle.

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60C.3 Étiologies L’origine des tics serait reliée à une dysfonction du circuit cortico-striato-thalamo-cortical. Des études d’imagerie cérébrale mettent en évidence une asymétrie des noyaux caudés. Les études familiales ont montré une augmentation de 10 à 100 fois, comparativement au risque dans la population générale, selon les études et les cohortes analysées. Les études montrent une concordance de 77 à 94 % pour les jumeaux monozygotes et de 23 % pour les jumeaux dizygotes. L’hypothèse étiologique de la transmission génétique est donc soutenue par plusieurs études. Les tics sont sensibles aux changements environnementaux (température, stress, fatigue). L’hypothèse d’un trouble auto-immun a généré le terme PANDAS (pediatric autoimmune neuropsychiatric disorder associated with streptococcus A), qui consiste en l’apparition aiguë de tics et de symptômes obsessionnels-compulsifs à la suite d’une infection au streptocoque du groupe A (Swedo & al., 1997). Les anticorps produits par le système immunitaire s’attaqueraient à certaines composantes des noyaux gris centraux. Il s’agit d’une aection rare, mais qui fait l’objet de recherches intensives.

60C.4 Description clinique Un phénomène sensoriel précède typiquement l’apparition des tics. Les patients rapportent généralement une tension interne ou une prémonition localisée (picotement ou chaleur) à l’endroit du corps où le tic fait son apparition. Plusieurs mouvements peuvent ressembler à des tics : • les stéréotypies (mouvements répétitifs) ; • les myoclonies (mouvements musculaires localisés) ; • les dystonies (crampes musculaires douloureuses) ; • la chorée (mouvements musculaires involontaires et irréguliers).

Le contexte, l’apparition et le cours des mouvements doivent être examinés afin d’identifier ceux qui sont de réels tics. Par exemple, les stéréotypies sont des mouvements involontaires sans but précis qui sont provoqués par des stimuli émotionnels variés (tristesse, colère, joie). Elles sont habituellement stables dans le temps et ne comportent pas de sensations prémonitoires associées. Par ailleurs, les tics sont répressibles par la volonté, alors que les autres troubles du mouvement ne le sont pas. Le syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) représente la forme la plus grave où on observe des tics moteurs et vocaux. La chronicité de ce trouble entraîne un dysfonctionnement marqué dans plusieurs sphères de la vie de la personne atteinte (voir le tableau 60.4). Il est important de noter que les impacts fonctionnels de ce trouble relèvent souvent d’aections associées comme le TDA/H, le trouble obsessionnel compulsif (TOC), les comportements perturbateurs ou les crises de rage. D’autres troubles moteurs sont aussi dénis, soit les tics moteurs ou vocaux persistants ainsi que les tics provisoires (voir les tableaux 60.5 et 60.6).

60C.5 Évaluation Les tics sont classés en deux grandes catégories : 1. Les tics moteurs les plus fréquents sont : le clignement des yeux, les grimaces faciales, l’échopraxie (mimer les gestes d’autrui) ou encore la copropraxie (faire des gestes obscènes). 2. Les tics vocaux les plus fréquents sont : le reniement, la coprolalie (dire des mots obscènes), la palilalie (répétition de syllabes). Il s’agit du seul trouble du mouvement qui soit répressible par la volonté. Les facteurs aggravants sont souvent la fatigue et le stress. Il est important de souligner que les tics peuvent être uctuants et donc absents durant l’entrevue d’évaluation.

TABLEAU 60.4 Critères diagnostiques du syndrome de Gilles de la Tourette

DSM-5

DSM-IV-TR

307.23 (F95.2) Syndrome de Gilles de la Tourette A. Présence de tics moteurs multiples et d’un ou plusieurs tics vocaux, à un moment quelconque au cours de l’évolution de la maladie, mais pas nécessairement de façon simultanée.

Syndrome de Gilles de la Tourette A. Idem à DSM-5.

B. La fréquence des tics peut croître et décroître, mais ils persistent depuis plus d’une année après leur première apparition.

B. Les tics surviennent à de nombreuses reprises au cours de la journée (généralement par accès), presque tous les jours ou de façon intermittente pendant plus d’une année durant laquelle il n’y a jamais eu d’intervalle sans tics de plus de 3 mois consécutifs.

C. Le début est avant l’âge de 18 ans.

C. Idem à DSM-5.

D. La perturbation n’est pas imputable aux effets physiologiques directs D. Idem à DSM-5. d’une substance (p. ex. cocaïne) ni à une autre affection médicale (p. ex., maladie de Huntington ou encéphalite virale). Sources : APA (2015), p. 94 ; APA (2014), p. 133. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

Chapitre 60

Décit de l’attention avec/sans hyperactivité, comportements perturbateurs et tics

1327

TABLEAU 60.5 Critères diagnostiques des tics moteurs ou vocaux persistants

DSM-5 307.22 (F95.1) Tics moteurs ou vocaux persistants A. Présence soit de tics moteurs soit de tics vocaux, uniques ou multiples, au cours de la maladie, mais pas à la fois moteurs et vocaux.

DSM-IV-TR Tic moteur ou vocal chronique A. Idem à DSM-5.

B. La fréquence des tics peut croître et décroître, mais ils persistent depuis plus d’une année après leur première apparition.

B. Les tics surviennent à de nombreuses reprises au cours de la journée, presque tous les jours ou de façon intermittente pendant plus d’une année durant laquelle il n’y a jamais eu d’intervalle sans tics de plus de 3 mois consécutifs.

C. Le début est avant l’âge de 18 ans.

C. Idem à DSM-5.

D. La perturbation n’est pas imputable aux effets physiologiques d’une D. Idem à DSM-5. substance (p. ex. cocaïne) ou à une affection médicale générale (p. ex., maladie de Huntington, encéphalite virale). E. Les critères du syndrome de Gilles de la Tourette n’ont jamais été remplis. E. Idem à DSM-5. Spécier si : Avec tics moteurs exclusivement Avec tics vocaux exclusivement Sources : APA (2015), p. 94-95 ; APA (2004), p. 134. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

TABLEAU 60.6 Critères diagnostiques des tics provisoires

DSM-5 307.21 (F95.0) Tics provisoires A. Tics moteurs et/ou vocaux uniques ou multiples.

DSM-IV-TR Tic transitoire A. Idem à DSM-5.

B. Les tics sont présents depuis moins d’une année après leur première apparition.

B. Les tics surviennent à de nombreuses reprises au cours de la journée, presque tous les jours, pendant au moins 4 semaines, mais pas pendant plus de 12 mois consécutifs

C. Le début est avant l’âge de 18 ans.

C. Idem à DSM-5.

D. La perturbation n’est pas imputable aux effets physiologiques d’une substance (p. ex. cocaïne) ou à une affection médicale générale (p. ex., maladie de Huntington, encéphalite virale).

D. Idem à DSM-5.

E. Les critères du syndrome de Gilles de la Tourette n’ont jamais été remplis, ni ceux des tics moteurs ou vocaux persistants (chroniques).

E. Idem à DSM-5. Spécier si : Épisode unique Épisode récurrent

Sources : APA (2015), p. 95 ; APA (2014), p. 135. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

Les comorbidités sont fréquentes. Un TOC est associé au SGT dans 50 % des cas. L’évaluation doit tenir compte de la confusion qui peut exister entre les compulsions et les tics complexes. La présence d’une tension interne antérieurement aux gestes peut s’associer davantage à un tic complexe qu’à une compulsion. Il semble aussi exister un lien génétique entre le TOC et le SGT. Le TDA/H associé au SGT représente une comorbidité fréquente, jusqu’à 60 %. Les symptômes du TDA/H débutent habituellement deux ans avant l’apparition des tics. Lors de l’évaluation,

1328

on doit tenir compte du fait que certains comportements qui appartiennent à d’autres comorbidités peuvent interférer avec l’attention (p. ex., compulsions) ou encore être confondus avec de l’hyperactivité (certains tics pouvant donner une apparence de bougeotte motrice). Les crises de rage sont fréquentes chez les patients avec un SGT. L’impulsivité, associée aux crises de rage, amène souvent les patients sourant d’un SGT à exprimer du regret après le passage à l’acte. Il s’agit souvent de la raison principale de consultation.

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60C.6 Outils diagnostiques Le PANDAS, associé à l’apparition abrupte de tics à la suite d’une infection au streptocoque du groupe A, peut faire l’objet d’un bilan sanguin avec des mesures d’anticorps sériques. Plusieurs échelles diagnostiques peuvent être utilisées pour le TOC (Y-BOCS, Goodman & al., 1989) (voir l’encadré 21.1) et les échelles pour le TDA/H (SNAP-IV, CADDRA, 2011d) (voir la gure 60.2). Ces outils ne sont pas de nature diagnostique, mais sont utiles dans la prise en charge des troubles associés. Il n’y a pas de tests diagnostiques qui permettent de poser le diagnostic de SGT.

60C.7 Diagnostic différentiel On retient que la prévalence du SGT est moindre que la prévalence des tics transitoires de l’enfance, qui est de 5 à 8 % dans la population scolaire. Certaines infections (postencéphalitiques) ou encore les intoxications au monoxyde de carbone, qui ont une spécicité pour les noyaux gris centraux, peuvent entraîner l’apparition de tics. L’utilisation de médicaments comme les psychostimulants a été associée à l’apparition de tics. Cependant, plusieurs enfants sourant d’un TDA/H non médicamentés vont développer des tics transitoires et seulement 30 % des tics peuvent être exacerbés par les psychostimulants. Si on suspecte les psychostimulants comme étiologie principale des tics, une période d’observation sans traitement pharmacologique (de 10 jours environ) permet d’élucider ce dilemme diagnostique. Si les tics disparaissent avec la cessation des stimulants, une option médicamenteuse non stimulante pour le TDA/H doit être envisagée.

60C.8 Traitements La démystication et la psychoéducation sont essentielles à la prise en charge du SGT. Il est primordial d’expliquer au patient et à sa famille l’état des connaissances au sujet de la prévalence, de l’étiologie et du cours de la maladie. L’objectif est de leur permettre de mieux comprendre les dicultés associées à ce trouble et d’évaluer les stratégies thérapeutiques les plus susceptibles d’être ecaces.

60C.8.1 Traitements biologiques Il faut cibler les symptômes et les syndromes qui sont les plus importants et instaurer les traitements selon la gravité. L’hypothèse d’un trouble auto-immun à la suite d’une infection au streptocoque du groupe A a orienté vers diverses stratégies thérapeutiques, dont une antibiothérapie prophylactique, une immunothérapie telle qu’une plasmaphérèse ou l’injection d’immunoglobulines polyvalentes IV. Si l’auto-immunité poststreptococcique est à l’origine des TOC-PANDAS, les jeunes patients devraient répondre aux diérents traitements immunomodulateurs. Cette approche thérapeutique de plasmaphérèse (méthode de purication du sang qui permet de séparer des cellules sanguines du plasma an d’en soustraire des macromolécules nocives, puis de retourner ce plasma purié au patient)

Chapitre 60

(Roupret & Kochman, 2002) représente d’ailleurs une avenue prometteuse, car elle peut mener à la rémission complète des tics et des comportements obsessionnels-compulsifs. Cependant, il ne s’agit pour le moment que d’une thérapeutique expérimentale, dont l’ecacité doit être conrmée. Pour le traitement des tics, la clonidine et la guanfacine, tous deux des agonistes α2, sont actuellement utilisées en 1re intention, étant donné leur prol favorable d’eets indésirables. Même si leur ecacité n’est pas soutenue par des essais contrôlés, ils font tout de même l’objet d’une recommandation forte par les lignes directrices canadiennes, puisque les bénéces dépassent les risques (Pringsheim & al., 2012). En 2e intention, des études ont montré l’ecacité des antipsychotiques : l’halopéridol et le pimozide. Les antipsychotiques atypiques sont aussi utilisés, particulièrement la rispéridone, mais étant donné les risques associés (eets indésirables), les lignes directrices canadiennes en font une recommandation faible (Pringsheim & al., 2012). Ces médicaments devraient être utilisés dans les cas graves seulement. En 3e intention, la tétrabénazine (NitomanMD), qui entraîne la déplétion des monoamines neuronales (dont la dopamine), est une option intéressante aux antipsychotiques. Peu d’études contrôlées soutiennent son utilisation dans le cas de tics, mais des résultats cliniques convaincants sont rapportés. Il faut éviter la combinaison avec les antipsychotiques à cause de l’augmentation des risques de dystonie. Qui plus est, la tétrabénazine est associée à un risque accru de dépression, si bien qu’un suivi étroit à ce niveau doit être assuré. D’autres agents ont montré une utilité : les benzodiazépines et le botox. La neurochirurgie (implantation d’un stimulateur dans les noyaux gris centraux), pour les cas très graves, donne de bons résultats. Pour ces options, une consultation spécialisée est indiquée. Quant aux traitements des comorbidités, particulièrement en lien avec le TDA/H, l’utilisation des psychostimulants est controversée, mais pas nécessairement contre-indiquée. On rapporte que 30 % des tics peuvent être exacerbés par l’usage des psychostimulants. Les agents non stimulants comme l’atomoxétine, la clonidine et la guanfacine sont prescrits en 1re intention lorsque le SGT et le TDA/H sont associés. Par ailleurs la combinaison pharmacologique est souvent la règle dans la prise en charge des comorbidités du SGT.

60C.8.2 Traitements psychologiques La thérapie de réversion des habitudes est une stratégie qui augmente la conscience des tics et favorise le développement de nouveaux comportements pour les remplacer ; c’est une réponse concurrente unique utilisée pour empêcher l’expression du tic ciblé. Elle donne des résultats probants à court et moyen terme. Par ailleurs, les patients qui présentent un SGT présentent souvent une rigidité mentale. Le travail thérapeutique consiste à leur apprendre à lâcher prise.

60C.8.3 Interventions sociales Le travail sur les attitudes parentales est essentiel dans la prise en charge des SGT à l’âge pédiatrique. Les parents ne doivent pas stigmatiser leur enfant en lui demandant constamment d’arrêter de faire des tics. Cette attitude tend à les exacerber. Pour éviter la stigmatisation sociale, on doit aussi encourager le travail dans les milieux scolaires an d’éviter les conits entre les enfants, particulièrement en lien avec l’intimidation.

Décit de l’attention avec/sans hyperactivité, comportements perturbateurs et tics

1329

60C.8.4 Prévention Les mesures préventives les plus ecaces se centrent sur l’impact des comorbidités, particulièrement en lien avec la gestion des crises de rage, enjeu qui peut mener à une morbidité importante, par exemple des comportements violents dirigés contre autrui ou contre soi-même.

60C.9 Évolution et pronostic Plusieurs enfants voient leurs tics s’atténuer au l des années et une majorité d’entre eux n’en présentent plus à l’âge adulte. Les enjeux pronostiques reposent sur la présence et la persistance des décits fonctionnels des comorbidités, particulièrement le TDA/H et le TOC.

L’identication des troubles présentés dans ce chapitre est possible à tous les stades de développement. L’évolution et le pronostic sont cependant susceptibles de s’aggraver avec une prise en charge tardive du TDA/H, des troubles de comportements perturbateurs ou du syndrome de Gilles de la Tourette. En eet, une intervention précoce et un travail multidisciplinaire mobilisant les divers milieux des patients qui consultent représentent la pierre angulaire d’une intervention ecace. Les cliniciens peuvent même y trouver une source de gratication en constatant combien les trajectoires développementales et la qualité de vie peuvent être améliorées dans le contexte d’une intervention ciblée et adaptée aux besoins des patients atteints de ces troubles qui, sans intervention, connaissent des dicultés fonctionnelles importantes et incapacitantes. La recherche en génétique (pharmacogénétique), couplée à celle en pharmacothérapie, permettra peut-être d’identier un ou des marqueurs déterminant la probabilité d’une réponse aux médicaments.

Lectures complémentaires B, H. & al. (2008). Psychopathologie des aects et des conduites chez l’enfant et l’adolescent, Bruxelles, de Boeck. C, U. (2004). Tics and Tourette Syndrome. A Handbook for Parents and Professionnals, Londres, Jessica Kingsley Publishers.

1330

K, R. (2004). Handbook of Tourette’s Syndrome and Related Tic and Behavioral Disorders, New York, Marcel Dekker. M, D. & L, J.F. (2013). Tourette Syndrome, Oxford, Oxford University Press.

V, A. (2010). Mon cerveau a besoin de lunettes, Montréal, Québec-livres. V, A. (2014). Mon cerveau a encore besoin de lunettes, Montréal, Québec-livres. Pour des informations, trucs et conseils sur le TDA/H : www.attentiondecit-info.com.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5 Spécialités psychiatriques

CHA P ITR E

61

Troubles des apprentissages Jean-Marc Guilé, M.D., FRCPC M. Sc. (anthropologie médicale) Pédopsychiatre, chef de service, Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, Centre hospitalier universitaire Amiens-Picardie (Amiens, France) Psychiatre, Faculté de médecine, Université de Picardie Jules Verne (Amiens, France) Professeur agrégé de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

61.1 Troubles de la communication .................................. 1332

61.2.6 Traitements........................................................... 1353

61.3. Troubles du développement de la coordination motrice......................................... 1354 61.3.1 Évolution du concept.......................................... 1354 61.3.2 Épidémiologie ...................................................... 1354 61.3.3 Étiologies............................................................... 1354 61.3.4 Description clinique ........................................... 1354 61.3.5 Évaluation et diagnostic diérentiel ................ 1356 61.3.6 Traitements........................................................... 1357 61.3.7 Évolution et pronostic ........................................ 1357 61.4. Troubles de l’élimination............................................ 1357 61.4.1 Évolution du concept.......................................... 1357 61.4.2 Épidémiologie ...................................................... 1358 61.4.3 Étiologies............................................................... 1358 61.4.4 Description clinique ........................................... 1358 61.4.5 Évaluation et diagnostic diérentiel ................ 1359 61.4.6 Traitements........................................................... 1361 61.4.7 Évolution et pronostic ........................................ 1362

61.2.7 Évolution et pronostic ........................................ 1354

Lectures complémentaires .................................................... 1362

61.1.1 Évolution du concept.......................................... 1332 61.1.2 Développement du langage ............................... 1332 61.1.3 Épidémiologie ...................................................... 1337 61.1.4 Étiologies............................................................... 1337 61.1.5 Description clinique ........................................... 1337 61.1.6 Évaluation et diagnostic diérentiel ................ 1339 61.1.7 Traitements........................................................... 1344 61.1.8 Évolution et pronostic ........................................ 1344 61.2 Troubles spéciques des apprentissages .................. 1345 61.2.1 Évolution du concept.......................................... 1345 61.2.2 Épidémiologie ...................................................... 1345 61.2.3 Étiologies............................................................... 1345 61.2.4 Description clinique ........................................... 1346 61.2.5 Évaluation et diagnostic diérentiel ................ 1349

A

u cours de son développement, l’enfant doit progresser en réussissant de nombreux apprentissages sur les plans langagier, cognitif, moteur et sphinctérien. Plusieurs pathologies, regroupées dans ce chapitre, peuvent perturber ce développement. Elles s’expriment non seulement dans le domaine somatique, mais aussi dans le champ des relations sociales. Elles se situent en conséquence à l’interface de la psychiatrie et de plusieurs disciplines comme la pédiatrie, la neurologie, la néphrologie, l’urologie, la gastroentérologie, l’orthophonie et la psychomotricité. Ainsi, une approche multidisciplinaire, prenant notamment en compte les évaluations psychopathologique et neuropédiatrique, est souvent très appropriée. Dans un premier temps, ces pathologies développementales s’expriment soit dans la sphère relationnelle, soit dans la sphère corporelle, entraînant, dans un deuxième temps, un retentissement relationnel. Par exemple, le retard du développement de la coordination motrice se manifeste corporellement par de la maladresse motrice. La survenue répétée de mouvements maladroits au cours de la journée, à la maison et à l’école, exaspère l’entourage de l’enfant. Ce que l’enfant perçoit de la réaction de son entourage inuence, dans un troisième temps, les manifestations du trouble. Dans la plupart des situations cliniques, les pathologies décrites dans ce chapitre sont associées à des perturbations émotionnelles concomitantes (p. ex., l’appréhension de devoir s’exprimer en public aggrave les troubles d’un enfant sourant de dysphasie en leur ajoutant des symptômes d’anxiété de performance). De plus, dans un certain nombre de cas (comme les troubles de l’élimination secondaires), les pathologies décrites dans ce chapitre résultent de réactions physiologiques à des situations de vie stressantes. En consultation, le médecin fait le plus souvent face à un tableau clinique complexe associant retards de développement, troubles du comportement et perturbations émotionnelles. Sa tâche consiste à démêler les troubles développementaux de leurs éventuelles comorbidités psychiatriques. Dans toute consultation pédopsychiatrique, quel qu’en soit le motif, il importe de bien préciser les composantes psychiques et relationnelles de la situation clinique, sans omettre de dépister une ou plusieurs atteintes éventuelles du développement sur les plans langagier, cognitif, moteur et sphinctérien. C’est sous cet angle qu’ont été reformulées les catégories diagnostiques du DSM-5 an de faciliter le dépistage de ces troubles développementaux.

61.1 Troubles de la communication Le champ des troubles de la communication couvre les perturbations qui surviennent dans l’expression ou la réception des messages entre individus. Comme ces perturbations interviennent dans le contexte d’un échange intersubjectif, elles sont la voie nale commune possible de nombreuses pathologies psychiques et cognitives. Sur le plan clinique, les troubles de la communication apparaissent soit comme un syndrome spécique isolé (p. ex., dyslexie), soit comme un trouble associé à une autre pathologie (p. ex., dyslexie associée à un trouble décit de l’attention/hyperactivité [TDA/H]), soit comme une composante d’une pathologie plus vaste (p. ex., trouble du spectre de l’autisme [TSA]) (Cohen & al., 2016). Cette clarication clinique permet de préciser la place du trouble de la communication dans l’ensemble des mesures thérapeutiques et l’ecacité attendue de sa prise en

1332

charge spécique (p. ex., rééducation orthophonique du trouble du langage chez un enfant présentant un TSA).

61.1.1 Évolution du concept Les troubles de la communication forment l’un des groupes diagnostiques de la section « troubles neurodéveloppementaux » du DSM-5, consacrée aux perturbations du développement des fonctions cognitives. Le DSM-5 se démarque des précédentes versions du DSM, qui distinguaient les troubles du langage dans leurs volets phonologique, expressif et réceptif. En abandonnant cette distinction et en incluant l’autisme, cette section englobe maintenant les troubles de l’interaction sociale. Autrefois dominé par les troubles du langage oral, le domaine des troubles de la communication s’est ouvert, dans le DSM-5, à l’ensemble des perturbations de la communication verbale et non verbale, en regroupant les troubles du langage oral, du langage écrit et du langage des signes, les troubles de la phonation et de la uence verbale ainsi que les troubles pragmatiques, c’est-à-dire les perturbations de l’utilisation du langage lors des interactions sociales sans que la morphologie et la syntaxe de la langue soient altérées. Cette dernière catégorie, appelée « trouble de la communication sociale », a fait son apparition dans le DSM-5 pour décrire les perturbations pragmatiques du langage. Parallèlement, le retard de langage est retiré des critères de l’autisme tandis que l’accent est mis, dans cette pathologie, sur le trouble de la cognition sociale. Sortir les troubles de la pragmatique du langage du spectre de l’autisme pour les joindre aux troubles de la communication et du langage amène à soutenir la pertinence thérapeutique des remédiations orthophoniques pour ces troubles. L’autisme est présenté en détail au chapitre 58. Les troubles du langage regroupent les retards et les perturbations du développement du langage, aussi appelés « dysphasies ». Plusieurs changements ont été apportés par le DSM-5 concernant ces troubles : • Autrefois cités en référence aux aphasies acquises de l’adulte, ils sont actuellement regroupés dans la section consacrée aux troubles neurodéveloppementaux. Ainsi, l’accent est mis sur leur nature développementale, et ils sont présentés de manière purement descriptive, quels que soient les facteurs impliqués dans leur apparition. • Dans la mesure où la description des troubles du langage concerne le langage aussi bien écrit qu’oral, on retrouve aussi les dyslexies en tant qu’atteintes du développement du langage écrit. • Les troubles de l’articulation ou dyslalies, appelés « troubles phonologiques » dans la classication précédente du DSMIV-TR, sont maintenant nommés « troubles de la phonation » (speech sound disorder). • Enn, le bégaiement ou « trouble de la uence verbale » a été inclus dans le groupe des troubles de la communication.

61.1.2 Développement du langage Pour comprendre les troubles de la communication, il faut prendre en compte le développement prénatal et postnatal des capacités de communication et des compétences langagières (voir le tableau 61.1).

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CHAPITRE 61

Troubles des apprentissages

1333

Laisse sa tête penchée en avant en position assise. A des mouvements non coordonnés. Allonge brusquement les membres.

Tient sa tête stable en position assise. Lève la tête haute quand il est couché sur le ventre. Allonge les jambes quand on le tient debout sur une surface dure.

Reste assis de courtes périodes en s’appuyant sur ses mains. Se retourne sur le dos ou sur le ventre.

S’assoit seul, reste assis sans appui et pivote pour attraper un objet. Peut supporter de petites charges avec ses mains. Saute activement quand on le tient debout.

Rampe, se traîne à quatre pattes. Peut se hisser debout avec un appui, s’asseoir en pliant les genoux. Marche quand on le tient par les deux mains.

Se tient debout seul. Marche quand on le tient par une main ou avec un appui. L’âge moyen de la marche est de 12 à 14 mois (un retard est constaté lorsque l’enfant ne marche pas à 18 mois).

3 à 4 mois

5 à 6 mois

7 à 8 mois

9 à 10 mois

1 an

Motricité grossière

0 à 2 mois

Âge

Exécute la pince pouce-index et peut saisir de petits objets. Tourne les pages d’un livre, plusieurs pages à la fois.

Saisit avec le pouce et le côté de l’index. Place des objets dans un contenant, puis les retire. Tient son biberon, prend et mange un biscuit.

Devient plus habile, mais pas avec les petits objets. Joint ses mains. Ouvre les doigts volontairement pour voir tomber un objet.

Secoue et frappe le hochet. Exécute la prise « mitaine » doigts-paume. Porte ses orteils à sa bouche.

Palpe et agrippe avec les mains. Peut retenir un objet pour un moment. Agite les bras à la vue d’un objet suspendu et ballant. Bat des mains.

Garde les poings fermés. A un réexe de préhension en touchant un objet. Échappe immédiatement un objet qu’il saisit. A un réexe de succion au toucher des lèvres.

Motricité ne

TABLEAU 61.1 Développement de l’enfant de la naissance à 6 ans

Tente de construire une tour à deux cubes. Soulève le couvercle d’une boîte.

Compare deux cubes et les cogne. Regarde un objet familier et s’avance vers lui quand on le nomme. Manifeste une préférence pour un jouet plutôt qu’un autre.

Tient un jouet dans chaque main. Retire un tissu qui a été déposé sur un jouet. Découvre ses organes génitaux.

Approche un objet d’une seule main. Transfère un objet d’une main à l’autre. Manifeste de la peine en perdant un objet.

Regarde un jouet dans sa main et le porte à sa bouche. Suit du regard un objet qui bouge lentement. Suce son pouce ou un objet.

Retient spontanément sa respiration quand il est dans l’eau. Fixe un objet dans son champ de vision seulement.

Adaptation à l’objet

Dit deux autres mots que papa et maman. Utilise un jargon expressif. Imite les émotions des autres (pleure s’il voit quelqu’un pleurer). Imite les gestes et les sons.

Dit maman et papa de façon non spécique. Répond à son nom. Exprime clairement plusieurs émotions : colère, anxiété, tristesse, affection, excitation.

Vocalise « da - ma - ba ». Imite les sons que ses parents émettent. S’immobilise si on lui dit non. Lève les bras pour qu’on le prenne.

Fait des bulles. Vocalise « m-m-m » en pleurant. Se fâche quand on lui retire un jouet. Observe la bouche et tente d’imiter les inexions de la voix.

Rit fort lorsque content, pleure lorsque frustré. Reconnaît des objets. Reconnaît certains sons, se tourne vers la voix. Vocalise pour lui-même, les objets et les personnes.

Gazouille, roucoule quand il est content. Pleure pour demander. S’oriente vers le visage et la voix des parents.

Langage communication

Donne un jouet si on le lui demande. Amorce des jeux sociaux (coucou). Donne des jouets à son reet dans le miroir. Coopère à son habillement, comprend et suit des ordres gestuels. Devient attentif à l’approbation ou à la désapprobation sociale.

Imite des jeux sociaux simples (coucou, bravo, au revoir avec la main). Peut s’inquiéter en se séparant de ses parents au coucher ; se rassure en suçant son pouce ou avec un jouet doux. Suit une seule consigne à la fois.

Éloigne quelqu’un qu’il ne veut pas. Réagit avec réserve aux étrangers. S’intéresse aux autres enfants. Recherche les personnes connues quand il se sent en détresse et s’y accroche.

Répond aux mimiques faciales. Babille à son entourage. S’observe dans le miroir, se sourit et essaie de toucher son image.

S’excite et respire profondément à la vue de ses parents. Reconnaît sa mère dans un groupe. A un sourire social spontané. Anticipe la nourriture en vue en claquant les lèvres.

Diminue son activité quand il regarde un visage et quand on lui parle. Sourit à un visage.

Relations interpersonnelles et sociales

1334

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Trottine seul en tombant parfois. Se penche pour prendre un jouet et le transporte. Pousse un landau, un petit camion. Monte l’escalier sur les mains et les genoux.

Marche en tombant rarement. Marche en tirant un jouet avec une corde, transporte et serre sa poupée dans ses bras. Marche à reculons. Accélère le pas quand pourchassé. S’assoit seul sur une petite chaise.

Donne un coup de pied au ballon. S’accroupit en jouant et se relève. Grimpe sur une chaise d’adulte ou sur son lit. S’agrippe à une barre. Aime sortir de la maison pour voir ailleurs (explorateur actif).

Court bien, sans chute. Regarde par terre en marchant pour esquiver les obstacles. Saute à deux pieds. Monte un escalier en se tenant à la rampe, les deux pieds sur la marche. Danse au rythme de la musique.

Monte l’escalier et l’échelle de la glissoire en alternant les pieds. Saute en bas d’une marche. Aime être poursuivi pour courir. Aime glisser, se balancer, courir dans le terrain de jeu.

18 mois

21 mois

2 ans

2 ans et demi

Motricité grossière

13 à 15 mois

Âge

Tient un crayon avec ses doigts comme l’adulte. Imite des traits de crayon circulaires, horizontaux et verticaux. La propreté à la toilette pendant l’éveil est atteinte vers l’âge de 24 à 28 mois.

Joue avec de la pâte à modeler. Fait des traits circulaires ou linéaires en tenant son crayon à pleine main.

Mange avec une cuillère, boit avec un verre. Tourne une à une les pages d’un livre.

Imite les traits de crayons et griffonne spontanément. Déballe un objet caché dans du papier.

Tient 2 ou 3 objets dans une main. Gribouille avec un crayon. Prend et dépose 6 cubes dans un récipient, puis le renverse. Mange par lui-même partiellement avec les doigts ou une cuillère. Manifeste son goût ou son dédain pour certains aliments.

Motricité ne

TABLEAU 61.1 Développement de l’enfant de la naissance à 6 ans (suite )

Fait un casse-tête simple. Lance une balle dans un panier. Essaie d’ouvrir une porte en tournant la poignée. Enlève le papier du cadeau. Revêt des vêtements simples (pantoues, casquette).

Construit une tour de 6-7 cubes. Inspecte les petits objets. Joue avec des objets en simulant des rôles. Essaie de mettre un vêtement, un soulier. Aime qu’on le pousse sur une balançoire.

Encastre des formes rondes, carrées, triangulaires. Utilise un objet pour en atteindre un autre hors de sa portée. Essaie de se déshabiller, d’enlever ses chaussettes.

Construit une tour de 3 ou 4 cubes. Fait rouler ou lance la balle vers quelqu’un et attrape un objet en mouvement. Explore les armoires et les tiroirs.

Rejette les objets par jeu, par refus ou par colère. Fait une tour de 2 ou 3 cubes, puis la renverse. Met une pastille dans une bouteille. Aime imiter en jouant avec les affaires des parents (casseroles, chapeau, souliers, etc.).

Adaptation à l’objet

Nomme 5 parties de son corps et plusieurs objets. Parle en disant « je ». Dit son prénom et son nom. Comprend des concepts de classication (un chat est un animal) et d’ordination (un chien, deux chiens). Demande « Pourquoi ? ». Porte attention à ce que les autres lui disent ou se disent entre eux.

Dit des phrases de 3 mots combinant noms et verbe. Vocabulaire de 50 à 100 mots. Langage en général compréhensible, imite les inexions de l’adulte. Utilise « moi » et « toi ». Peut utiliser des mots plutôt que des cris pour exprimer sa frustration.

Réalise que les choses ont un nom et demande continuellement « C’est quoi ? ». Dit des phrases de 2 mots. Exprime de l’amour à ses parents en les étreignant ou de la colère en les frappant.

Pointe 5 parties de son corps et de son visage quand on les nomme. Vocabulaire de 15 mots, surtout « non ». Identie une photo. Aime écouter les mêmes chansons. Peut se mettre en colère si frustré.

Dit maman et papa de façon spécique. Vocabulaire de 4 à 6 mots, jargonne. Dit son nom. Peut jouer seul, mais préfère un auditoire.

Langage communication

Identie sa propre image. Pointe l’objet dont on décrit l’usage. Aide à ranger ses jouets. Joue à faire semblant, surtout avec un adulte. Joue brièvement avec d’autres enfants. Peut « converser » brièvement. Reconnaît bien les membres de sa famille et s’y réfère de façon sélective. Fait une moue coupable si on le gronde.

Imite le travail domestique. Aime à plaire à ses parents. Pointe l’objet nommé. Peut suivre deux consignes. Commence à comprendre la notion de temps « bientôt ; après dîner ». S’intéresse au jeu des autres enfants, mais ne s’y associe pas facilement.

Peut faire deux demandes ou plus. Peut se rappeler une personne ou un objet sans le voir. Aime écouter des histoires simples. Joue à côté d’autres enfants (jeux parallèles).

Imite des actions des adultes (avec un balai, un marteau). Obéit à des ordres directionnels : « Donne à maman ; viens ici. » Embrasse en pinçant les lèvres. Regarde la personne qui lui parle. Est timide envers les étrangers.

Indique ses besoins en les pointant ou en les vocalisant, ou par des gestes comme apporter un livre à ses parents pour lire. Étreint ses parents. Dit merci. Peut offrir un jouet à un enfant, mais le réclame rapidement.

Relations interpersonnelles et sociales

Chapitre 61

Troubles des apprentissages

1335

Court facilement ou sautille. Peut marcher sur les talons. Joue à la marelle.

Fait rebondir la balle de 4 à 6 fois. Saute à la corde à danser. Se tient alternativement sur chaque pied, les yeux fermés. Patine. Conduit une bicyclette.

5 ans

6 ans

Saute en avant. Fait de la bicyclette avec stabilisateurs. Lance la balle par-dessus l’épaule.

4 ans

Saute sur un pied.

Descend l’escalier en alternant les pieds. Ouvre et ferme une porte. Frappe un ballon du pied.

3 ans et demi

4 ans et demi

Se tient sur un pied. Marche sur la pointe des pieds. Pédale sur un tricycle. Peut manger de la crème glacée en marchant. Peut lancer une balle en courant.

Motricité grossière

3 ans

Âge

Écrit des mots de mémoire. Dessine un bonhomme avec tête, cou, tronc, membres et vêtements. Coupe sa viande seul. Commence à faire les nœuds et les boucles.

Copie un triangle. Écrit quelques lettres.

Enle ses vêtements et se déshabille sans aide.

Copie un carré. Dessine un bonhomme têtard (grosse tête et membres). Lace ses souliers.

Utilise bien la cuillère pour manger proprement. Enle des perles. Se boutonne.

Copie un cercle et une croix avec un crayon. Met ses chaussettes. Boutonne ou déboutonne de gros boutons.

Motricité ne

TABLEAU 61.1 Développement de l’enfant de la naissance à 6 ans (suite )

Connaît la droite et la gauche. Peut différencier avant-midi et après-midi. Peut attacher ses lacets. Fait du pliage, du découpage, du collage.

Compte 10 objets. Construit une pyramide avec 6 cubes.

Compte 5 objets.

Compte 3 objets en les pointant. Se verse à boire à partir d’un pichet peu rempli.

Peut découper une forme simple avec des ciseaux. Visse et dévisse un petit couvercle.

Construit un pont de 3 cubes et une tour de 10 cubes. Compare deux dimensions (le plus gros et le plus petit). Trie par forme et couleur. Mets ses souliers et se déboutonne.

Adaptation à l’objet

Utilise un vocabulaire d’environ 2 500 mots. Commence à lire. Additionne et soustrait les chiffres de 1 à 5.

Dénit des mots. Reconnaît et nomme des pièces de monnaie. Nomme les jours de la semaine. Peut raconter une histoire simple.

Fait des phrases complexes.

Comprend les conjonctions. Nomme 3 ou 4 couleurs.

Peut nommer deux couleurs. Obéit à des prépositions : sur/sous, derrière/devant, à côté. Aime se montrer èrement.

Parle en phrases. Connaît son sexe et s’intéresse aux différences sexuelles. Emploie le pluriel. Peut dire son âge. Nomme des objets et en donne l’usage.

Langage communication

Choisit ses activités. Explique les règles d’un jeu. Collabore avec 2 ou 3 enfants. S’excuse pour une erreur. Comprend les sentiments des autres.

A un ami préféré. Joue à des jeux compétitifs, certains sports. A un sens des valeurs, du bien et du mal.

Contrôle sphinctérien jour et nuit.

Coopère dans le jeu, y tient un rôle, en suit les règles. Peut faire et respecter une entente simple. Se brosse les dents.

Lave et sèche son visage et ses mains. Parle de ce qu’il fait. Devient moins négativiste.

Décrit l’action dans un livre d’images. Commence à jouer avec d’autres enfants. Comprend le sens de « chacun son tour ». Sympathise à la peine des autres.

Relations interpersonnelles et sociales

La langue peut être étudiée en cinq domaines pertinents : Phonologique : discrimination et production des sons ; Lexical : alphabet et vocabulaire ; Sémantique : sens des mots et de la phrase ; Morphosyntaxique : organisation et marques grammaticales du mot (morphologie) et de la phrase (syntaxe) ; 5. Pragmatique : utilisation contextuelle de la langue. Dans le domaine de la phonologie, on dénit la conscience phonologique comme la capacité de segmenter, à l’oral, un mot en syllabes, puis en phonèmes (le phonème étant la plus petite unité sonore, c.-à-d., le son d’une lettre). L’enfant développe progressivement une conscience phonologique, d’abord syllabique puis phonémique, avant d’accroître son lexique aussi bien en désignation (compréhension) qu’en dénomination (expression). En référence à ces domaines de description de la langue, on peut déterminer plusieurs étapes du développement des compétences langagières. Préalablement à l’acquisition de la langue, le nourrisson doit être en mesure de distinguer, dans un lieu donné, les sons du bruit de fond environnant ainsi que les sons entre eux, puis de reconnaître des sons identiques dans les rimes et les comptines qu’il écoute. Enn, l’acquisition du langage écrit repose sur la transformation des phonèmes en graphèmes en référence à un code alphabétique. La perception de la voix est eective dès la n du deuxième trimestre de vie intra-utérine du bébé. À 25 semaines de gestation, la couche cérébrale corticale est en cours de mise en place et les premiers potentiels évoqués auditifs peuvent être enregistrés. La discrimination des phonèmes est présente à 29 semaines (Mahmoudzadeh & al., 2013) et la voix maternelle est discriminée avant 34 semaines (Jardri & al., 2012). Dès sa naissance, spontanément orienté vers autrui, le bébé entre par le regard en communication avec son entourage et suit progressivement des yeux les adultes avant de partager avec eux leurs centres d’intérêt grâce à l’attention conjointe (regarder dans la même direction). Parallèlement aux échanges par le regard, le bébé vocalise spontanément. Il émet des sons vocaliques (c.-à-d. des voyelles) dès le premier trimestre, puis produit par imitation des sons consonantiques durant les trimestres suivants, en commençant par les occlusives (p, b, d) et les nasales (m), consonnes qui sont les premières que le bébé utilise pour interpeller ses parents. En réponse au babillage du nourrisson, les parents accentuent l’intonation de leurs phrases et prolongent les sons vocaliques, aidant ainsi l’enfant à mieux percevoir la segmentation des syllabes et les pauses entre chaque segment de phrase. Ils utilisent ce « parler-bébé » dénommé « mamanais » (motherese ou parentese, Sharp & Hillenbrand, 2008). Entre 6 et 12 mois, l’enfant restreint spontanément son registre sonore pour se limiter, vers la n de la première année, aux sons familiers de sa langue maternelle (Meltzo & al., 2009). De 4 à 5 ans, la pleine capacité de produire les sons complexes de la langue s’acquiert à des rythmes diérents suivant les enfants et les langues, sans toutefois gêner l’intelligibilité de la communication verbale (Sharp & Hillenbrand, 2008). Le développement de la capacité à produire des sons se développe de façon simultanée à celui des capacités sémantiques et lexicales de l’enfant. Durant les six premiers mois, au cours de leurs échanges avec leur enfant, les parents donnent sens aux cris et au babil du bébé en interprétant ses productions sonores de nombreuses manières, en fonction de leur propre état émotif et de ce 1. 2. 3. 4.

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qu’ils perçoivent chez leur bébé. Ils nomment ainsi les sensations de plaisir et de douleur, les transforment en expressions langagières à visée communicative, partagent souvent cette communication en théâtralisant les expressions et les mettent en lien avec le contexte : « Oh ! oh ! la ! la ! Bébé pleure. Oh ! Ça fait mal ! Aïe ! Aïe ! Il a touché la cafetière. Heureusement, maman était là. Ah ! la ! la ! ». Puis, au cours du deuxième semestre, à la faveur du développement moteur, l’enfant acquiert la liberté de dégager son bras et de pointer vers ses propres centres d’intérêt, attirant ainsi vers lui l’attention bienveillante de ses parents. Parents et enfants peuvent alors désigner conjointement les êtres et les objets autour d’eux, et associer des mots au pointage de ces objets. De 12 à 18 mois, l’enfant utilise le « mot-phrase » (c.-à-d. qu’il désigne par une onomatopée ou par un mot unique une situation complexe associant un objet avec une ou plusieurs personnes, p. ex., « lolo » signiant à la fois le biberon, la personne qui le donne et le moment satisfaisant passé ensemble). Puis, vers 18 mois apparaissent les premières phrases à deux mots (p. ex., « papa parti »), puis à trois mots (p. ex., « papa est parti ») ainsi que la négation (p. ex., « pas dodo ; veux pas ») avant l’apparition du « je » vers 3 ans. Chaque fois, les parents, la fratrie et l’entourage interagissent pour modeler le sens à donner à ce premier langage. Par la suite, le langage s’enrichit et s’autonomise par rapport à l’action et au contexte présent. L’enfant utilise progressivement le langage pour évoquer des situations et des contextes passés ou futurs. Il manipule la langue indépendamment de ses actions, développant progressivement une réexion sur l’action (p. ex., anticiper le retour de l’un de ses parents en se remémorant les déplacements eectués avec lui et en reconstruisant en pensée le trajet qu’il pourrait suivre) et une pensée abstraite (p. ex., la manipulation des nombres vers l’âge de 6 ans), multipliant alors les questions dirigées vers ses parents (« C’est quoi ? Pourquoi ? »). Ainsi, il n’y a pas de développement du langage sans communication interhumaine (Cohen & al., 2016). S’il existe de grandes variations entre enfants dans le rythme d’acquisition, la compréhension est généralement plus précoce et plus étendue que l’expression. Le langage oral s’acquiert spontanément si le nourrisson grandit parmi d’autres humains utilisant le langage pour communiquer. En revanche, le langage écrit découle, dans l’extrême majorité des cas, d’un apprentissage culturellement codié. Au cours du développement normal, les structures de la langue sont habituellement maîtrisées à 3 ans et le discours de l’enfant est intelligible. La plupart des auteurs accordent un rôle central à la capacité de segmenter la langue, appelée « conscience phonologique ». Elle est acquise avant l’entrée dans les apprentissages de la langue écrite vers 5 ou 6 ans. À cet âge de l’apprentissage du langage écrit et de la lecture, le dé pour l’enfant est d’intégrer les correspondances entre les sons (phonèmes) et leur transcription graphique codiée par l’alphabet (graphèmes). Les troubles de la communication résultent d’un grand nombre de facteurs biologiques fœto-utérins et néonataux et de facteurs dépendant des interactions précoces, des stimulations et des apprentissages scolaires. Le développement psychique est intimement lié au développement du langage, lui-même dépendant de la sécurité aective et des encouragements apportés par les parents et les proches. L’acquisition du langage permet de dépasser la désignation des êtres et des objets visibles à proximité pour acquérir la capacité de les évoquer quand ils sont absents (Diatkine & Van Waeyenberghe, 1990). Cette compétence cognitive se développe simultanément avec la capacité psychique de tolérer

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5 Spécialités psychiatriques

l’absence des gures d’attachement et d’y survivre émotionnellement, grâce à la capacité psychique de maintenir vivante leur présence interne (la permanence de l’objet).

61.1.3 Épidémiologie Une étude conduite au Canada dans un échantillon aléatoire de la population générale observe, à 5 ans, un taux de 11 % de troubles de communication, dont environ le tiers de trouble isolé de la phonation (Beitchman & al., 2001). La prévalence du bégaiement est inférieure à 1 % (Yairi & Ambrose, 2013). Des chires similaires ont été trouvés dans des études canadiennes plus récentes (Archibald & al., 2013) avec une fréquence équivalente entre garçons et lles, mais avec une évolution plus favorable chez elles (Yairi & Ambrose, 2013).

61.1.4 Étiologies Aucun facteur de risque n’est identié comme susant à lui seul : • l’exposition fœtale à l’alcool ou à la cocaïne (Cone-Wesson, 2005) ; • le sexe masculin, ratio de trois garçons pour une lle (Bishop, 2009) ; • la gémellité ; • des antécédents dysphasiques familiaux ; • la négligence et la violence précoce ; • des atteintes cérébrales hémisphériques. Les atteintes corticales méritent une mention spéciale. Si une atteinte unilatérale des aires du langage survenant chez l’enfant très jeune semble avoir peu de conséquences sur le développement ultérieur, une atteinte bilatérale ou plus tardive (en particulier après 6 ans) se traduit par un trouble du langage (dysphasies) ou d’apprentissage (Bishop, 2009) ; • un décit auditif par atteinte périphérique (surdité). Il s’agit certainement d’un facteur de risque avec lequel l’enfant doit composer pour acquérir le langage et c’est la première chose à évaluer dans le diagnostic diérentiel. Son recours à d’autres canaux sensoriels – visuels et tactiles, notamment –, voire les possibilités d’appareiller précocement certaines surdités viennent tempérer l’impact du décit sensoriel sur le développement du langage. En revanche, une atteinte temporaire ne semble pas déterminante. Les études longitudinales sur les otites moyennes menées dans la population générale, avec et sans groupe témoin, concluent à l’improbabilité de leur rôle causal dans les dysphasies (Bishop, 2009). Une contribution génétique est postulée de longue date dans les troubles de la communication, mais les progrès pour établir ce lien avec certitude sont très lents en raison notamment des dicultés à bien dénir les phénotypes étudiés et à rassembler les échantillons de grande taille, nécessaires pour capter un eet de petite taille. En ce qui concerne le bégaiement, le risque de transmission chez les parents du premier degré est plus élevé que dans la population générale (Yairi & Ambrose, 2013). Pour un père bègue, le risque de transmission serait de 10 % pour ses lles et de 20 % pour ses ls. Globalement, les études font apparaître l’implication possible de plusieurs mutations génétiques non héritées, ayant un impact non spécique sur le développement neuronal pré- et néonatal (Bishop, 2009). La majorité des auteurs postulent l’implication de multiples facteurs génétiques et environnementaux, dont la combinaison, à une période critique

du développement intra-utérin et néonatal de l’enfant, concourt à l’apparition des troubles. Devant une évidente multifactorialité, les approches étiologiques monistes, qu’elles soient biologiques ou psychodynamiques, ont été abandonnées au prot de conceptions intégratives du développement des troubles de la communication et du langage. Dans cette perspective, la survenue de troubles graves de la communication est atténuée grâce à : • la qualité des interactions précoces avec l’enfant et des soins parentaux ; • la stimulation langagière soutenue par les parents et éducateurs ; • la fréquentation de structures préscolaires d’accueil et d’éveil (garderie, centre de la petite enfance, prématernelle) ; • la précocité du dépistage des troubles ; • l’accès aux services et aux traitements.

61.1.5 Description clinique Les quatre syndromes détaillés dans les paragraphes suivants, soit le bégaiement, le trouble de la phonation, les troubles du langage et le trouble de la communication sociale, peuvent se présenter isolément ou être associés les uns aux autres.

Bégaiement Le bégaiement est une perturbation de l’élocution, sans anomalie des muscles phonateurs. Il est marqué par la prolongation ou la répétition de sons et de syllabes, des interjections, des pauses ou des circonlocutions émises avec un excès de tension musculaire (voir le tableau 61.2). L’intensité du trouble varie selon le contexte. Le jeune peut développer une crainte de s’exprimer dans certaines situations ou d’utiliser certains phonèmes ou mots. Des mouvements anormaux peuvent s’y associer (p. ex., tics moteurs faciaux, balancement du tronc, gestes des mains).

Trouble de la phonation Le trouble de la phonation (speech sound production disorder) dénote une perturbation de la production des sons, qu’elle soit articulatoire ou phonémique. Le terme « trouble de la parole » est la dénomination française qui correspond habituellement aux dicultés de production phonémique. Dans le DSM-III-R, le trouble de la phonation était appelé « trouble du développement de l’articulation » puis, dans le DSM-IV et le DSM-IV-TR, « trouble phonologique ». Dans le DSM-5, il regroupe des phénomènes de nature diverse ayant un impact sur la capacité de prononcer les sons et les phonèmes : • les altérations de l’articulation proprement dite, liées au positionnement de la langue et à la circulation de l’air (p. ex., zézaiement ou sigmatisme interdental 1, schlintement2 ou sigmatisme latéral, chuintement3) ; • les anomalies touchant la uidité de la parole et de la prosodie ; • les anomalies de la voix résultant de la respiration et de la mobilisation des structures pharyngées et laryngées comme la nasalisation ; 1. Mauvaise articulation des consonnes S et Z due à un positionnement trop avancé de la langue entre les dents. 2. Mauvaise articulation des consonnes F et Z due à un écoulement d’air d’un des côtés de la langue entre les dents et la joue. 3. Prononciation des consonnes siantes S et Z comme des chuintantes CH et J.

Chapitre 61

Troubles des apprentissages

1337

TABLEAU 61.2 Critères diagnostiques du bégaiement

DSM-5 315.35 (F98.5) Trouble de la uidité verbale débutant dans l’enfance (bégaiement)

DSM-IV-TR

CFTMEA (2012)

307.0 Bégaiement

6.04 Bégaiement

A. Perturbations de la uidité verbale et du A. Idem à DSM­5. rythme de la parole ne correspondant pas à l’âge du sujet et aux compétences langa­ gières. Elles persistent dans le temps et se caractérisent par la survenue fréquente d’une ou de plusieurs des manifestations suivantes : 1. Répétition de sons et de syllabes. 2. Prolongation de sons, aussi bien de consonnes que de voyelles. 3. Mots tronqués (p. ex. pauses dans le cours d’un mot). 4. Blocages audibles ou silencieux (pauses dans le discours, comblées par autre chose ou laissées vacantes). 5. Circonlocutions (substitution de mots pour éviter un mot problématique). 6. Tension physique excessive accompagnant la production de certains mots. 7. Répétition de mots monosyllabiques entiers (p. ex. « je je je je le vois »).

Trouble de la uidité de la parole caractérisé par des répétitions ou des prolongations involon­ taires de syllabes, se manifestant de façon très fréquente. Il peut être : • tonique : blocage qui vient interrompre pour une durée variable le débit normal de la phrase ou qui empêche sa production dès le début ; • clonique : répétition saccadée d’une syllabe au début d’un mot ou d’une phrase. Ces deux formes coexistent le plus souvent avec une prédominance plus ou moins marquée de l’une ou de l’autre selon les individus.

B. La perturbation de la uidité verbale entraîne B. Idem à DSM­5. une anxiété de la prise de parole ou des limi­ tations de l’efcience de la communication, de l’interaction sociale, de la réussite scolaire ou professionnelle, soit de manière isolée, soit dans n’importe quelle combinaison. C. Les symptômes débutent pendant la période précoce du développement. N.B. : Les cas plus tardifs sont cotés 307.0 [F98.5] trouble de la uidité verbale débutant à l’âge adulte. D. La perturbation n’est pas imputable à : • un trouble moteur du langage ; • un décit sensoriel ; • un trouble de la uidité en lien avec une atteinte neurologique (p. ex. un accident vasculaire cérébral) ; • une tumeur, un traumatisme) ; • une autre affection médicale ; • n’est pas mieux expliquée par un autre trouble mental.

C. S’il existe un décit moteur affectant la parole ou un décit sensoriel, les difcultés d’élocution dépassent celles habituellement associées à ces conditions.

Sources : APA (2015), p. 50­51 ; APA (2004), p. 80 ; Misès (2012), p. 50­51. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.­A. Crocq, J.­D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l'autorisation d'Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.­D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

• les perturbations touchant la discrimination et la reconnaissance des phonèmes. Dans le trouble de la phonation, les productions langagières sont marquées par des distorsions, des substitutions ou des omissions de phonèmes (p. ex., « p » pour « b », « diqs » pour « disque »). Ce trouble peut être associé à une dyspraxie (trouble du mouvement) touchant la sphère orolinguale. Le tableau 61.3 expose les critères diagnostiques du trouble de la phonation.

1338

Troubles du langage Les troubles du langage regroupent les retards et les perturbations du développement du langage oral, écrit ou des signes dans un ou plusieurs des trois domaines décrits précédemment (lexical, sémantique et morphosyntaxique), auxquels peuvent s’associer des perturbations de la pragmatique et de la phonologie. Ces dicultés sont présentes dès le plus jeune âge et se traduisent initialement par un retard d’acquisition du langage dans l’un des cinq domaines précités. Elles entraînent des limi-

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TABLEAU 61.3 Critères diagnostiques du trouble de la phonation

DSM-5 315.39 (F80.0) Trouble de la phonation

DSM-IV-TR Trouble phonologique

CFTMEA (2012) 6.00 Troubles isolés de l’articulation

A. Difculté persistante de la production de phonèmes interférant avec l’intelligibilité du discours ou empêchant la communication orale de messages.

A. Incapacité à utiliser les phonèmes normalement acquis à chaque stade de développement, compte tenu de l’âge et de la langue du sujet (p. ex., erreurs dans : • la production des phonèmes ; • leur utilisation ; • leur représentation ; • leur organisation. Cela inclut, de manière non limitative : • des substitutions d’un phonème par un autre, comme l’utilisation du t à la place du k ; • ou des omissions de certains phonèmes, comme ceux qui sont en position nale).

Troubles dans lesquels l’utilisation par l’enfant des phonèmes est inférieure au niveau correspondant à son âge mental, mais avec un niveau linguistique normal. Il existe des déformations involontaires et systématiques d’un ou plusieurs phonèmes (consonnes essentiellement), p. ex., zozotement, zézaiement (sigmatisme interdental), chuintement (ou sigmatisme latéral).

B. La perturbation réduit l’efcacité de la communication, ce qui compromet un ou plusieurs des éléments suivants : • la participation sociale ; • la réussite scolaire ; • les performances professionnelles.

B. Les difcultés dans la production des phonèmes interfèrent avec la réussite scolaire ou professionnelle, ou avec la communication sociale.

C. Les symptômes débutent pendant la période précoce du développement. D. Les difcultés ne sont pas imputables à des C. S’il existe un retard mental, un décit moteur pathologies congénitales ou acquises, telles que : affectant la parole, un décit sensoriel ou une carence de l’environnement, les difcultés • une inrmité motrice cérébrale ; verbales dépassent celles qui sont habituelle• une fente palatine ; ment associées à ces conditions. • une surdité ou une perte de l’audition ; • une lésion cérébrale traumatique ; • toute autre affection neurologique ou médicale. Sources : APA (2015), p. 48 ; APA (2004), p. 77 ; Misès (2012), p. 47. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l'autorisation d'Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

tations signicatives dans les échanges sociaux et la scolarité. Le DSM-5 combinant le trouble expressif et le trouble mixte réceptif-expressif en une seule catégorie diagnostique, celle du trouble du langage, seuls les diagnostics les plus proches dans le DSM-IV-TR et la Classication française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA) sont présentés au tableau 61.4. On identie une dysphasie lorsque les résultats de l’enfant aux épreuves standardisées de langage dièrent signicativement de ceux des enfants de mêmes âge et ecience intellectuelle. La CIM-10 indique une diérence de deux déviations standards (DS) ou écarts-types, tandis que d’autres auteurs proposent le seuil de 1,25 DS aux évaluations orthophoniques ou encore un prol de fonctionnement intellectuel (p. ex., établi avec le WISC) présentant une diérence de plus 15 points au détriment des tâches verbales (Toppelberg & Shapiro, 2000).

Trouble de la communication sociale Le trouble de la communication sociale (pragmatique) est une catégorie diagnostique nouvellement introduite dans le DSM-5 (voir l’encadré 61.1). Elle dénote un retard ou des altérations

touchant de manière signicative et prépondérante le domaine pragmatique, c’est-à-dire l’utilisation de la langue orale, écrite ou des signes en contexte conversationnel ou, plus généralement, de communication sociale. Cette diculté gêne l’établissement de la réciprocité sociale et se traduit par des dicultés d’adaptation scolaire et sociale chez un jeune qui ne présente ni trouble du spectre de l’autisme (TSA) ni décience intellectuelle pouvant expliquer le tableau clinique. En présence d’un trouble de la pragmatique, il est pertinent de rechercher systématiquement un TSA (Bishop & Norbury, 2002).

61.1.6 Évaluation et diagnostic différentiel Les circonstances qui amènent les parents en consultation sont aussi variées qu’un trouble de comportement, un dépistage précoce en garderie ou la découverte fortuite d’anomalies signicatives aux épreuves psychométriques. L’observation du jeu spontané de l’enfant et de ses interactions, en famille ou dans un groupe de pairs, permet d’apprécier cliniquement les troubles du langage et de la communication en tenant compte de l’âge

Chapitre 61

Troubles des apprentissages

1339

TABLEAU 61.4 Critères diagnostiques du trouble du langage

DSM-5 315.32 (F80.2) Trouble du langage

DSM-IV-TR Trouble du langage de type expressif et de type mixte réceptif-expressif

A. Difcultés persistantes d’acquisition et d’utilisation du langage dans ses différentes modalités (c.-à-d. langage parlé, écrit, langage des signes ou autre forme) dues à un manque de compréhension ou de production incluant les éléments suivants : 1. Vocabulaire restreint (connaissance et utilisation des mots). 2. Carence de structuration de phrases (capacité d’assembler des mots et de les accorder an de former des phrases selon les règles grammaticales et morphologiques). 3. Décience du discours (capacités d’utiliser le vocabulaire et d’associer des phrases pour exprimer ou décrire un sujet ou une série d’événements, ou pour tenir une conversation).

A. Les scores obtenus sur des mesures standardisées (administrées individuellement) du développement des capacités expressives et des capacités réceptives du langage sont nettement au-dessous des scores obtenus sur des mesures standardisées des capacités intellectuelles non verbales. Les symptômes incluent ceux du trouble du langage de type expressif ainsi que des difcultés à comprendre certains mots, certaines phrases ou des catégories spéciques de mots comme les termes concernant la position dans l’espace.

B. Les capacités de langage sont, de façon marquée et quantiable, inférieures au niveau escompté pour l’âge de l’enfant. Il en résulte des limitations fonctionnelles : • de la communication efciente ; • de la participation sociale ; • des résultats scolaires ; • du rendement professionnel, soit de manière isolée, soit dans n’importe quelle combinaison.

B. Les difcultés d’expression et de compréhension du langage interfèrent avec la réussite scolaire ou professionnelle, ou avec la communication sociale.

CFTMEA (2012) 6.011 (F80.1) Retard simple de langage 6.012 (F80.2) Dysphasie Trouble portant sur l’acquisition de la structure du langage, sans substrat organique décelable, en l’absence de décit auditif, de retard mental majeur et de trouble psychotique. Avec l’âge, le langage reste très sommaire : le langage spontané est réduit, avec un vocabulaire rudimentaire parfois difcilement compréhensible en raison des troubles phonétiques ; il existe un agrammatisme ou d’importantes erreurs syntaxiques. Il existe habituellement des troubles de la compréhension et/ou de la discrimination des éléments phonétiques. Certains enfants dysphasiques présentent d’importantes dyspraxies buccofaciales contribuant aux troubles articulatoires.

C. Les symptômes débutent dans la période précoce du développement. D. Les difcultés ne sont pas imputables à : C. Le trouble ne répond pas aux critères d’un trouble envahissant du développement. • un décit auditif ; D. S’il existe un retard mental, un décit moteur • d’autres déciences sensorielles ; affectant la parole, un décit sensoriel ou une • un décit moteur cérébral ; carence de l’environnement, les difcultés • une autre affection neurologique ou médicale. de langage dépassent celles habituellement [Elles] ne sont pas mieux expliquées par : associées à ces conditions. • un handicap intellectuel (trouble du développement intellectuel) ; • un retard global du développement. Sources : APA (2015), p. 45-46 ; APA (2004), p. 74-75 ; Misès (2012), p. 48. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l'autorisation d'Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

développemental (voir le tableau 61.1). Lors de l’entretien clinique, on évalue, dans le registre expressif, la uidité, l’articulation, la prosodie, le vocabulaire, la syntaxe et enn les aspects pragmatiques du langage. Sont également évaluées la compréhension des mots et des questions de complexité progressive, la capacité de relater une histoire, la cohérence du discours et la pertinence des questions et des réponses de même que la qualité de la communication non verbale et l’aisance dans les jeux symboliques. On observe la mobilisation de ces compétences dans le contexte des échanges avec les parents et la fratrie, la présence de moments régressifs et

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de symptômes anxieux, la survenue éventuelle de mouvements anormaux (stéréotypies, maniérismes et tics). Une évaluation orthophonique standardisée peut compléter l’examen clinique. La démarche diagnostique concernant les troubles de la communication comprend six étapes : 1. Conrmer le caractère signicatif de l’anomalie de la communication. Le jeu individuel avec l’enfant et l’entretien familial permettent : • de situer l’anomalie de communication dans l’ensemble du tableau clinique ;

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ENCADRÉ 61.1 Critères diagnostiques du trouble

de la communication sociale

DSM-5 315.39 (F80.89) Trouble de la communication sociale (pragmatique) A. Difcultés persistantes dans l’utilisation sociale de la communication verbale et non verbale, se manifestant par l’ensemble des éléments suivants : 1. Déciences dans l’utilisation de la communication à des ns sociales, comme saluer quelqu’un ou échanger des informations, d’une façon appropriée au contexte social. 2. Perturbation de la capacité à adapter sa communication au contexte ou aux besoins de l’interlocuteur, comme s’exprimer de façon différente en classe ou en cour de récréation, parler différemment à un enfant ou à un adulte, et éviter l’emploi d’un langage trop formel. 3. Difcultés à suivre les règles de la conversation et de la narration, comme attendre son tour dans la conversation, reformuler ses phrases si l’on n’est pas compris, et savoir comment utiliser les signaux verbaux et non verbaux pour réguler une interaction. 4. Difcultés à comprendre ce qui n’est pas exprimé explicitement (c.-à-d. les sous-entendus) ainsi que les tournures gurées ou ambiguës du langage (p. ex. idiomes, humour, métaphores, signications multiples devant être interprétées en fonction du contexte). B. Ces déciences entraînent des limitations fonctionnelles dans un ou plusieurs des éléments suivants : • communication effective ; • intégration sociale ; • relations sociales ; • réussite scolaire ; • performances professionnelles. C. Les symptômes débutent pendant la période précoce du développement (mais il se peut que les déciences ne deviennent manifestes qu’à partir du moment où les besoins en terme de communication sociale dépassent les capacités limitées de la personne). D. Les symptômes ne sont pas imputables à une autre affection médicale ou neurologique ni à des capacités limitées dans les domaines du vocabulaire et de la grammaire, et ils ne sont pas mieux expliqués par un trouble du spectre de l’autisme, un handicap intellectuel (trouble du développement intellectuel), un retard global du développement ou un autre trouble mental. Source : APA (2015), p. 53. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved.

• d’évaluer la présence de praxies (voir la sous-section 61.3.4), les capacités d’attention et la réciprocité sociale de l’enfant ;

• de préciser d’éventuelles composantes anxieuses ; • d’écarter la présence d’un mutisme sélectif (voir le tableau 62.2). Chez l’adolescent, l’examen médical doit être attentif à l’articulation et à la qualité linguistique du discours ; en eet, le trouble du langage peut être confondu, particulièrement à cet âge, avec le relâchement des associations d’idées, présent dans les troubles psychotiques. Au terme de cette évaluation, le médecin précise si les troubles de communication sont pérennes et présents dans plusieurs situations et contextes

relationnels. La gravité du trouble de la communication est ensuite déterminée en référence au développement normal de la communication et du langage. Chez l’enfant d’âge préscolaire, le médecin peut se guider sur des grilles développementales, comme celle qui est illustrée à la gure 61.1 (Coplan & Gleason, 1993), avant de le diriger en orthophonie. Chez l’enfant scolarisé et l’adolescent, il recourt à des évaluations orthophoniques standardisées. 2. Situer le trouble de la communication dans le contexte du développement de l’enfant. Il peut être dicile chez le jeune enfant de spécier un trouble de la communication au sein d’un tableau clinique d’immaturité globale touchant plusieurs sphères : psychomotricité, intelligence, langage, jeu symbolique et interactions sociales. Lors de l’évaluation, l’enquête anamnestique permet d’apprécier : • l’histoire néonatale ; • les étapes neurodéveloppementales ; • la qualité des interactions avec l’environnement ; • les conditions de stimulation linguistique par les parents. Le médecin évalue : • les caractéristiques verbales et non verbales de la communication ; • la qualité de l’attachement parents-enfant ; • la présence d’anxiété de séparation ou d’opposition ; • les capacités de jeu symbolique ; • le développement psychomoteur de l’enfant. L’évaluation comparative de ces diérentes composantes et l’évolution permettent de statuer sur la présence isolée du trouble de la communication ou son association avec une autre pathologie au sein du tableau clinique. À 3 ans, les principales compétences syntaxiques sont habituellement acquises. Avant 5 ans, l’articulation est maîtrisée et, entre 5 et 6 ans, la conscience phonologique (que les mots sont composés de phonèmes ou de sons) est acquise. • Pour tout enfant de plus de 3 ans dont le discours n’est pas intelligible, certains auteurs recommandent une évaluation spécialisée (Sharp & Hillenbrand, 2008). • Chez l’enfant entre 3 et 5 ans, on parle de retard simple de langage lorsque celui-ci se corrige spontanément ou lorsqu’il évolue favorablement grâce à un renforcement de la stimulation langagière par l’entourage (Cohen & al., 2016). À cet âge, on observe aussi des troubles de l’articulation secondaires, survenant chez l’enfant ayant déjà acquis une prononciation conforme à l’âge développemental et régressant à la suite d’un événement ou d’une étape de vie stressant. • Pour ce qui est du bégaiement chez les jeunes enfants, il doit être distingué des immaturités d’élocution (comme les répétitions de mots ou de phrases complètes chez le jeune enfant en train d’acquérir le langage) et du bredouillage (cluttering), qui est une perturbation bénigne de l’élocution, marquée par un rythme rapide ou erratique et un télescopage de syllabes. • Chez l’enfant de moins de 5 ans, on parle de retard global de développement lorsque l’immaturité du développement aecte de façon homogène l’ensemble des sphères motrices, langagières et intellectuelles. On ne retient le diagnostic de trouble du langage que lorsque le retard du langage est

Chapitre 61

Troubles des apprentissages

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FIGURE 61.1 Échelle du développement du langage de Coplan

Source : Coplan & Gleason (1993).

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signicativement plus important que les retards dans les autres sphères de développement. Après 6 ans, tout retard du développement de la parole et du langage, y compris les anomalies isolées de la pragmatique, doit être impérativement évalué. Un supplément d’information sur le bredouillage (cluttering) est disponible au www.stutteringhelp.org/cluttering.

3. Écarter les décits sensoriels et les anomalies neuromusculaires pouvant expliquer le trouble de la communication. Tout d’abord, on recherche une surdité ou un décit plus léger de l’audition en réalisant un audiogramme. L’impact d’une atteinte de l’appareil auditif ou de ses voies nerveuses sur le développement du langage et de la phonation dépend de son ampleur et de l’âge d’apparition du décit sensoriel. Toutefois, la survenue, même répétée, d’otites moyennes banales ne sut pas à expliquer un retard de langage durable, celui-ci devant alors être identié comme un trouble de la communication. Par ailleurs, les maladies neuromusculaires peuvent entraîner des troubles de la phonation. En eet, des dicultés de communication associées à une maladresse motrice peuvent être le premier signe d’une dystrophie musculaire de Duchenne, qui peut toucher tous les muscles, dont le muscle cardiaque et le diaphragme. L’existence d’une fente palatine, pouvant aecter le développement du langage, est aussi recherchée (Mildinhall, 2012). 4. Diérencier le trouble de la communication de la décience intellectuelle et des troubles du spectre de l’autisme. Un rendement homogène aux épreuves psychométriques verbales et non verbales et inférieur à un quotient intellectuel (QI) de 70 indique une décience intellectuelle. Un résultat signicativement inférieur à la partie verbale oriente vers un trouble du langage, quel que soit le QI global (Toppelberg & Shapiro, 2000). Les TSA associent au décit pragmatique du langage des perturbations proéminentes et précoces du contact interpersonnel, des stéréotypies et des centres d’intérêt restreints et répétitifs qui débordent largement le domaine du langage. Les TSA se distinguent ainsi des troubles de la communication sociale, où les troubles du langage pragmatique sont isolés. 5. Préciser le type dysphasique acquis ou développemental (bilan orthophonique, investigations neurologiques, cliniques et paracliniques). Une forme rare et acquise de trouble du langage a été décrite par Landau et Klener sous le nom d’aphasie épileptique acquise. Elle s’installe progressivement ou soudainement entre 3 et 9 ans, après une phase de développement normal du langage. À la dysphasie sont associées des anomalies de l’électroencéphalogramme (EEG) (en particulier en région temporale), voire des crises épileptiques. Outre le syndrome de Landau-Klener, une dysphasie acquise peut apparaître dans le contexte d’une atteinte neurologique (p. ex., trauma crânien, encéphalite virale). L’absence d’une cause organique identiée oriente vers un trouble de la communication de nature développementale. En ce qui concerne plus spéciquement les troubles du langage, une classication expérimentale, basée sur une analyse linguistique et neuropsychologique, a été élaborée (Rapin, 1996). Cette classication est maintenant utilisée par de nombreux professionnels : pédiatres, neuropédiatres, orthophonistes et neuropsychologues.

Elle s’est révélée particulièrement pertinente pour discriminer les troubles du langage et les TSA (Rapin & al., 2009). En conformité avec le modèle du traitement de l’information, elle repose sur une conception modulaire de la communication verbale qui s’eectue grâce à une combinaison d’opérations cognitives élémentaires entre la réception des messages verbaux et l’expression verbale. Au pôle réceptif se succèdent, au-delà de l’audition, la perception (discrimination et reconnaissance des phonèmes), puis la compréhension (reconnaissance du sens des mots, interprétation des composantes non verbales du message). L’organisation et la programmation de la réponse, avant sa production eective par l’appareil phonatoire, constituent les opérations du pôle expressif. Cette classication comprend six syndromes, les trois premiers aectant principalement la compréhension, les trois suivants principalement l’expression : • La surdité verbale (ou agnosie auditive verbale) : en raison d’une atteinte massive de l’étape de perception (dans l’aire de Wernicke, qui décode l’image auditive des mots), l’enfant entend, mais ne comprend pas le langage oral et ne parle pas. Il communique non verbalement, par gestes, puis progressivement par écrit grâce à une rééducation orthophonique patiente. • La dysphasie sémantique-pragmatique : la perturbation touche l’étape de compréhension et d’organisation de la réponse. L’enfant décode dicilement le sens des messages verbaux et communique de manière inappropriée. Ce syndrome se caractérise par l’émergence d’un langage souvent tardif, mais bien articulé et parfois abondant. Le discours est souvent circulaire, marqué par des persévérations, l’introduction inappropriée de ritournelles (p. ex., chansons à la mode, publicité télévisée) ou par de l’écholalie, quelquefois diérée. Le jeune tend à parler de lui à la troisième personne. La communication s’établit sur un mode atypique et le discours est dicilement intelligible. Cette forme clinique, qui a fait l’objet d’études pour la discriminer des TSA, a été reprise par d’autres auteurs sous le terme de trouble de la pragmatique du langage (Bishop & Norbury, 2002). • Le décit lexical-syntaxique : ce syndrome s’observe lorsque l’enfant sort d’une conversation routinière. Apparaissent alors un manque du mot, des paraphasies sémantiques (remplacement d’un mot par un autre) et une dyssyntaxie (erreurs grammaticales dans les énoncés). Dans la mesure où la conversation usuelle n’est pas perturbée, cette dysphasie peut ne pas être identiée. Elle entrave toutefois les apprentissages et la socialisation. • La dysphasie phonologique-syntaxique : cette dysphasie est la plus fréquente, touchant principalement l’organisation de la réponse. La compréhension est préservée, mais le langage expressif apparaît tardivement avec des décits de production des phonèmes (atteinte phonologique). L’articulation des phonèmes et des mots est défaillante, le vocabulaire pauvre et le style télégraphique. Par la suite, l’expression verbale demeure peu diversiée et dyssyntaxique. • La dyspraxie verbale : elle résulte d’une perturbation de la programmation motrice de la réponse verbale. La compréhension et le vocabulaire sont normaux, mais l’organisation, la planication et la coordination des gestes moteurs pour permettre l’expression sont défaillantes. Les troubles

Chapitre 61

Troubles des apprentissages

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phonologiques sont majeurs. Malgré ses efforts pour exprimer sa pensée, l’enfant ne produit que de courtes phrases elliptiques. • Le décit de programmation phonologique : la perturbation, qui touche principalement l’articulation, pourrait constituer une forme mineure de dyspraxie verbale. 6. Préciser les troubles associés. Après avoir identifié le trouble de la communication, on recherche la présence de troubles associés : épilepsie, troubles du développement de la coordination motrice (voir la section 61.3), tics, énurésie primaire, troubles d’apprentissage, troubles disruptifs (TDA/H, trouble oppositionnel), inhibitions et états anxieux, notamment. En présence de signes d’appel neurologiques, une référence auprès d’un neuropédiatre permet de préciser le diagnostic somatique et la pertinence d’examens EEG ou neuroradiologiques. La présence d’une inattention signicative oriente vers une évaluation attentionnelle standardisée. La constatation d’immaturité des praxies, du schéma corporel et des rythmes oriente vers une évaluation en psychomotricité ou en ergothérapie, an de rechercher un trouble du développement de la coordination motrice. En résumé, l’évaluation spécialisée pédopsychiatrique et orthophonique permet de conrmer le trouble de la communication en écartant les autres troubles altérant la communication comme le mutisme sélectif, les TSA et la décience intellectuelle. Il est recommandé de diriger l’enfant vers une évaluation spécialisée en présence de tout retard de langage empêchant l’intelligibilité du discours chez l’enfant de plus de 3 ans et tout retard de la phonation ou du langage chez l’enfant de 5 à 6 ans, avant le début de l’apprentissage de la lecture. Les troubles plus graves touchant également la communication non verbale et la réciprocité sociale doivent être évalués précocement an de dépister un TSA.

61.1.7 Traitements Au terme de l’évaluation, le trouble de la communication apparaît soit isolé, soit intégré à une pathologie plus complexe comme les troubles du spectre de l’autisme (TSA), soit associé à d’autres pathologies comme le TDA/H, les troubles praxiques ou les troubles anxieux, notamment. Enn, le trouble de la communication peut être en partie lié à une pathologie sensorielle ou neurologique, ou encore à une décience intellectuelle. Dans tous les cas, on doit considérer la pertinence d’une prise en charge spécique des retards de la phonation et du langage. Qu’il touche la phonologie, le lexique, la syntaxe ou la pragmatique, un trouble de la communication, isolé et bien circonscrit, demande une intervention orthophonique. Les rééducations structurées seraient plus ecaces pour les troubles phonologiques, tandis que les approches associant jeu et rééducation seraient plus appropriées pour les perturbations touchant les versants expressif et pragmatique du langage. Toutefois, il importe de tenir compte de la motivation et de l’âge de l’enfant. Une approche ludique est particulièrement appropriée pour le très jeune enfant. Les traitements les plus fréquemment utilisés pour le bégaiement comprennent les thérapies comportementales, la relaxation et la rééducation orthophonique axée sur le contrôle du rythme de la parole (Prasse & Kikano, 2008). Dans le domaine des troubles de la phonation et du langage, l’objectif de la prise en charge est

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d’augmenter la conscience phonologique, c’est-à-dire la capacité à discriminer les phonèmes et les syllabes, par des exercices : • de discrimination de sons (en production et en compréhension à partir de supports sonores et visuels) ; • de discrimination auditive de sons vocaliques et consonantiques en surimpression sur un bruit de fond continu ; • de reconnaissance de sons identiques avec des rimes et des comptines (p. ex., repérage des allitérations et assonances d’un poème). En langage écrit, l’intervention vise à aider l’enfant à acquérir une meilleure compétence pour transformer les phonèmes en graphèmes en référence à un code alphabétique. Les troubles isolés de la communication sociale appellent des remédiations orthophoniques spécialisées pour un trouble de la pragmatique. En cas de troubles graves où l’enfant n’a pas développé de langage oral, il faut penser à l’emploi de moyens de communication augmentés ou encore de soutien informatique et d’aménagements ergothérapiques (Sharp & Hillenbrand, 2008). Lorsque le trouble de la communication est associé à d’autres pathologies comme les troubles anxieux ou oppositionnels, il est remis dans le contexte de la dynamique relationnelle de l’enfant et de sa famille. Le trouble de la communication apparaît alors comme la résultante de facteurs familiaux et neurodéveloppementaux. On propose alors un traitement associant : • une intervention sur la dynamique familiale (thérapie familiale) ; • des sessions d’information pour les parents (thérapie psychoéducative pour informer les parents à propos des symptômes et des conduites à tenir pour les réduire ; • une guidance parentale pour développer les habiletés éducatives des parents et les aider à stimuler le développement de la communication de leur enfant ; • une psychothérapie de soutien pour orir une écoute active et empathique aux parents et soutenir le développement d’attitudes personnelles et parentales plus adaptées ; • une psychothérapie individuelle auprès de l’enfant. Il est particulièrement pertinent d’intervenir auprès des parents si les troubles du langage sont associés à des troubles disruptifs. La psychothérapie par le jeu stimule le développement du langage en favorisant les échanges intersubjectifs, les capacités de jeu symbolique de l’enfant et la cocréation de l’enfant et du thérapeute d’une histoire au moyen de dessins, de jouets et de jeux de rôle. Un trouble de la communication dépisté précocement et d’intensité légère peut justier l’intégration de l’enfant dans un groupe de stimulation ou encore son admission dans une garderie à temps partiel ou complet. La psychoéducation et la guidance parentale peuvent être mises en place pour aider les parents à appliquer un programme de stimulation à la maison.

61.1.8 Évolution et pronostic La forme infanto-juvénile du bégaiement commence tôt et peut être détectée avant l’âge de 3 ans, aussi bien chez les garçons que chez les lles. Une rémission spontanée s’observe à l’adolescence dans 80 % des cas (Yairi & Ambrose, 2013). Les troubles de la phonation isolés se résorbent avant l’âge de 4 ans. Ils ne comportent pas de risque additionnel d’évolution vers un trouble spécique d’apprentissage avec décit de la lecture (Pennington & Bishop,

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2009). Les retards simples du langage qui s’annoncent par une apparition tardive des premiers mots, puis par un développement du langage lent sans être déviant, tendent à se résorber avant 6 ans. Mais ils constituent un facteur de risque pour les apprentissages qu’ils retardent souvent. De plus, ils peuvent s’associer à des retards perceptivomoteurs et à un TDA/H. Les troubles du langage (dysphasie) présentent un risque d’évolution vers un trouble d’apprentissage de la lecture, de 4,6 à 8,9 fois plus élevé que dans la population générale (Pennington & Bishop, 2009). Par ailleurs, on constate un risque plus élevé de psychopathologie chez les enfants avec trouble du langage (Beitchman & al., 2001) : • les troubles anxieux, en particulier la phobie sociale, à l’adolescence et chez le jeune adulte pour les deux sexes ; • chez les garçons, les troubles de la personnalité antisociale à l’âge adulte. Au regard des données cliniques, le pronostic des formes graves (dyspraxie verbale, surdité verbale, trouble sémantique-pragmatique), ou associées à une décience intellectuelle ou à un TSA apparaît très réservé, mais on manque de données probantes sur leur évolution en présence d’un traitement (Morgan &Vogel, 2009).

61.2 Troubles spéciques des apprentissages Les troubles spéciques des apprentissages (TA) se caractérisent par des dicultés en calcul, en lecture ou en écriture à l’école. Ces dicultés se traduisent par un faible rendement scolaire dans les matières nécessitant chacune de ces habiletés. Les scores obtenus aux tests d’apprentissage spéciques sont signicativement inférieurs à la moyenne de ceux des jeunes de même âge, de même potentiel intellectuel et de même niveau scolaire.

61.2.1 Évolution du concept Plutôt que de mettre l’accent sur l’identication des domaines spéciques dans lesquels s’expriment les dicultés, la nouvelle dénition des TA retenue par le DSM-5 est volontairement générale pour permettre de dépister les enfants en échec scolaire. La dénition des TA, incluant les dicultés d’acquisition de la lecture en situation d’apprentissage scolaire, recouvre partiellement celle des troubles du langage écrit mentionnés dans le tableau 61.4. Le médecin peut retenir un diagnostic de TA devant des difcultés persistantes éprouvées par l’enfant à l’école pour réussir à compter, à lire et à écrire comme les autres élèves de mêmes âge et intelligence, en prenant en compte l’ensemble du parcours, des résultats et des évaluations scolaires, dans la mesure où ces dicultés ont un impact négatif sur son rendement en classe et son adaptation scolaire, familiale et sociale.

le TA/DL survient à une fréquence moindre chez les lles (Scerri & Schulte-Körne, 2010). La prévalence de la dyscalculie ou trouble spécique d’apprentissage avec décit du calcul (TA/DC) similaire à celle du TA/DL (Butterworth & al., 2011). Les études rapportent une comorbidité entre le TA/DL (dyslexie) et le TA/DC (dyscalculie) de 17 à 60 %, de même qu’entre la dyslexie et la dysorthographie (Archibald & al., 2013). Le TA/DL est fréquemment associé à un trouble du langage (dysphasie), dont il peut constituer un aspect évolutif. Il existe un chevauchement partiel du trouble du langage et du TA/DL, puisque le TA/DL et certains sous-types de trouble du langage partagent le même processus décitaire phonologique. Les enfants porteurs de TA/DL présentent souvent un antécédent de trouble du langage (Catts & al., 2005). De plus, il existe une agrégation familiale forte entre TA/DL et trouble du langage, les enfants de parents dysphasiques ou dyslexiques ayant un risque de TA/DL plus élevé que dans la population générale (Tallal & Benasich, 2002). On rapporte que de 20 à 25 % d’enfants porteurs d’un TA présentent également un TDA/H tandis que 60 % d’enfants porteurs de tics moteurs présentent également un TA.

61.2.3 Étiologies Les troubles spéciques des apprentissages (TA) peuvent être associés à des troubles neurologiques sans que ceux-ci constituent une cause nécessaire ou susante, puisque ces mêmes pathologies sont associées à la décience intellectuelle (p. ex., intoxication au plomb, syndrome d’alcoolisation fœtale, syndrome du chromosome X fragile, atteinte cérébrale périnatale). Les études sur les jumeaux et celles sur l’adoption convergent pour soutenir l’implication de facteurs génétiques dans le développement des TA. Les analyses de ségrégation familiale et de liaison génétique (linkage) soutiennent l’hypothèse de l’implication d’un petit nombre de facteurs de susceptibilité génétique dans la transmission des troubles spéciques d’apprentissage avec décit de la lecture (TA/DL) (Scerri & Schulte-Körne, 2010). Plusieurs études ont tenté de préciser les mécanismes cognitifs impliqués dans l’émergence des TA. Les quatre étapes cognitives du traitement de l’information potentiellement altérées dans les TA sont les suivantes : 1. La perception : sans avoir d’atteinte sensorielle de la vue ou de l’ouïe, les jeunes porteurs de TA peuvent présenter des dicultés de perception visuelle (discrimination des détails ou des lettres, organisation d’une gure géométrique, organisation spatiale, diérence gure/fond comme dans le dessin du vase de Rubin [voir la gure 61.2], où l’observateur peut voir

FIGURE 61.2 Image du vase de Rubin

61.2.2 Épidémiologie La prévalence de l’ensemble des troubles spéciques des apprentissages (TA) est estimée entre 5 et 15 % selon les critères diagnostiques utilisés et les populations étudiées (Lagae, 2008). La prévalence de la dyslexie ou trouble spécique d’apprentissage avec décit de la lecture (TA/DL) est supérieure à 5 % (Scerri & Schulte-Körne, 2010). De vastes études épidémiologiques semblent montrer que

Chapitre 61

Troubles des apprentissages

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un vase blanc ou deux contours de visage noirs) ou auditive (discrimination des sons, distinction entre un son spécique et intentionnel comme un appel verbal et le fond sonore). 2. L’intégration : à l’étape d’intégration de l’information, des dicultés de classement séquentiel (chires, lettres, règles de jeux), d’abstraction ou d’organisation de l’information peuvent être présentes. 3. La mémorisation : les perturbations de la mémorisation gênent les apprentissages nécessitant des répétitions. 4. L’exécution : à l’étape de l’exécution, les troubles de coordination motrice ne se traduisent notamment par des dicultés de copie de gures ainsi que d’écriture et de formation des lettres (dysgraphie). S’il existe une atteinte de plusieurs étapes, l’enfant présente une immaturité de l’intégration perceptivomotrice. Un décit visuomoteur apparaît lorsqu’il ne réussit pas à reproduire une gure géométrique dont la copie est normalement maîtrisée à cet âge. La copie est incorrecte ou très péniblement reproduite. Si l’enfant reconnaît visuellement ses erreurs de reproduction, mais ne peut les corriger graphiquement, la perturbation touche l’exécution ou l’intégration. S’il ne reconnaît pas ses erreurs, il existe une atteinte de la perception. L’acquisition du rythme, perturbée dans les troubles praxiques, inuence la lecture et l’acquisition du calcul. Les capacités de se représenter dans l’espace, de se représenter les distances et le schéma corporel conditionnent l’acquisition du calcul.

Le développement des capacités d’apprentissage, comme le développement cognitif en général, peut être freiné ou entravé par de multiples autres facteurs environnementaux : • l’insécurité et la mauvaise qualité des échanges parents-enfant ; • l’indisponibilité des parents et des enseignants pour soutenir les apprentissages au rythme de l’enfant ; • les conditions diciles de scolarisation, d’hébergement et de vie de l’enfant. Parmi les facteurs de protection, citons la préscolarisation dès l’âge de 3 ans pour renforcer l’acquisition des préalables aux apprentissages.

61.2.4 Description clinique Les trois tableaux cliniques décrits comme entités cliniques distinctes par la CIM-10 et la Classication française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent R-2012 (Misès & al., 2012) et comme spécicateurs dans le DSM-5 (voir le tableau 61.5) sont présentés ci-dessous : • le trouble spécique d’apprentissage avec décit de la lecture ou dyslexie au sens strict ; • le trouble spécique d’apprentissage avec décit de l’expression écrite ou dysorthographie ; • le trouble spécique d’apprentissage avec décit du calcul ou dyscalculie.

TABLEAU 61.5 Critères diagnostiques du trouble des apprentissages

DSM-5 (315.x) Trouble spécique des apprentissages

DSM-IV-TR Troubles des apprentissages (auparavant Trouble des acquisitions scolaires)

CFTMEA (2012)

A. Difcultés à apprendre et à utiliser des compétences scolaires ou universitaires, comme en témoigne la présence d’au moins un des symptômes suivants ayant persisté pendant au moins 6 mois, malgré la mise en place de mesures ciblant ces difcultés. 315.00 (F81.0) Avec décit de la lecture : Trouble de la lecture 1. Exactitude de la lecture des mots : Lecture A. Les réalisations en lecture, évaluées par des des mots inexacte ou lente et réalisée tests standardisés passés de façon indivipéniblement (p. ex. lit des mots isolés duelle mesurant l’exactitude et la compréhenà voix haute de manière incorrecte ou sion de la lecture, sont nettement au-dessous lentement et avec hésitation, devine du niveau escompté compte tenu de l’âge souvent des mots, a des difcultés de chronologique du sujet, de son niveau intellecprononciation). tuel (mesuré par des tests) et d’un enseignement approprié à son âge. 2. Rythme et uidité de la lecture : Difcultés à comprendre le sens de ce qui est lu (p. ex. peut lire un texte correctement mais ne pas comprendre l’ordre, les relations, les déductions ou les signications plus profondes de ce qui est lu). 3. Compréhension de la lecture : Difcultés à épeler (p. ex. peut ajouter, oublier ou substituer des voyelles ou des consonnes).

1346

6.100 Dyslexie* isolée Altération spécique de l’acquisition de la lecture, affectant la compréhension de la lecture, la reconnaissance des mots, la lecture orale et les performances dans les tâches nécessitant la lecture. Les troubles consistent en des confusions de graphèmes dont la correspondance phonétique ou la forme graphique est proche, en des inversions ou encore des additions ou substitutions. Au niveau de la phrase, il existe une difculté à en saisir le découpage et le rythme. La compréhension du texte s’en ressent, mais elle est généralement supérieure à ce que pourrait laisser croire le déchiffrage. Ce trouble de la lecture s’accompagne fréquemment de difcultés en orthographe persistant souvent à l’adolescence, même quand l’enfant a pu faire quelques progrès en lecture. Il existe souvent des antécédents de troubles de la parole ou du langage.

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TABLEAU 61.5 Critères diagnostiques du trouble des apprentissages (suite )

DSM-5

DSM-IV-TR Troubles des apprentissages (auparavant Trouble des acquisitions scolaires)

CFTMEA (2012)

Trouble de l’expression écrite Les capacités d’expression écrite, évaluées par des tests standardisés passés de façon individuelle (ou par l’estimation de la qualité fonctionnelle de ces capacités) sont nettement au-dessous du niveau escompté compte tenu de l’âge chronologique du sujet, de son niveau intellectuel (mesuré par des tests) et d’un enseignement approprié à son âge.

6.101 (F81.1) Trouble de l’orthographe isolé Altération spécique et signicative de l’acquisition de l’orthographe, en l’absence d’antécédents de dyslexie et non imputable à un âge mental bas, à des troubles de l’acuité visuelle ou à une scolarisation inadéquate. Les capacités à épeler oralement et à écrire correctement les mots sont toutes deux affectées.

315.1 (F81.2) Avec décit du calcul** Trouble du calcul 5. Sens des nombres, mémorisation de A. Les aptitudes en mathématiques, évaluées faits arithmétiques et calcul exact ou par des tests standardisés passés de façon uide : Difcultés à maîtriser le sens individuelle, sont nettement au-dessous du des nombres, les données chiffrées ou niveau escompté compte tenu de l’âge chrole calcul (p. ex. a une compréhension nologique du sujet, de son niveau intellectuel médiocre des nombres, de leur ordre de (mesuré par des tests) et d’un enseignement grandeur, et de leurs relations ; compte sur approprié à son âge. ses doigts pour additionner des nombres à un seul chiffre au lieu de se souvenir des tables d’addition comme le font ses camarades ; se perd au milieu des calculs arithmétiques et peut être amené à changer de méthode). 6. Raisonnement mathématique correct : Difcultés avec le raisonnement mathématique (p. ex. a de grandes difcultés à appliquer des concepts, des données ou des méthodes mathématiques pour résoudre les problèmes).

6.11 Troubles spéciques de l’arithmétique (dyscalculie) Trouble de l’acquisition de l’arithmétique : non imputable exclusivement à un retard mental global ou à une scolarisation inadéquate. L’altération concerne la maîtrise des éléments de base du calcul : addition, soustraction, multiplication et division (c.-à-d., n’est pas limitée aux capacités mathématiques plus abstraites impliquées dans l’algèbre, la trigonométrie, la géométrie ou le calcul différentiel et intégral).

(315.x) Trouble spécique des apprentissages 315.2 (F81.8) Avec décit de l’expression écrite 4. Exactitude en orthographe, ponctuation et grammaire, clarté ou organisation de l’expression écrite : Difcultés d’expression écrite (p. ex. fait de multiples erreurs grammaticales ou de ponctuation au sein des phrases ; construit mal les paragraphes ; l’expression écrite des idées manque de clarté).

B. Les compétences scolaires ou universitaires perturbées sont nettement au-dessous du niveau escompté pour l’âge chronologique du sujet, et ce de manière quantiable. Cela interfère de façon signicative avec : • les performances scolaires, universitaires ou professionnelles ; • les activités de la vie courante, comme le conrment des tests de niveau standardisés administrés individuellement ainsi qu’une évaluation clinique complète. Pour les personnes âgées de 17 ans et plus, des antécédents avérés de difcultés d’apprentissage perturbantes peuvent se substituer à une évaluation standardisée.

B. La perturbation décrite dans le critère A interfère de façon signicative avec la réussite scolaire ou les activités de la vie courante qui requièrent l’élaboration de textes écrits (p. ex., écrire avec des phrases grammaticalement correctes, en paragraphes bien construits). La perturbation décrite dans le critère A interfère de façon signicative avec la réussite scolaire ou les activités de la vie courante faisant appel aux mathématiques (ou à la lecture).

C. Les difcultés d’apprentissage débutent au cours de la scolarité mais peuvent ne pas se manifester entièrement tant que les demandes concernant ces compétences scolaires ou universitaires altérées ne dépassent pas les capacités limitées du sujet (p. ex. lors d’examens chronométrés, de la lecture ou de la rédaction de rapports longs et complexes dans un délai bref, d’une charge de travail intellectuel excessivement lourde).

Chapitre 61

Troubles des apprentissages

1347

TABLEAU 61.5 Critères diagnostiques du trouble des apprentissages (suite )

DSM-5 (315.x) Trouble spécique des apprentissages

DSM-IV-TR Troubles des apprentissages (auparavant Trouble des acquisitions scolaires)

CFTMEA (2012)

D. Les difcultés d’apprentissage ne sont pas C. S’il existe un décit sensoriel, les difcultés en mieux expliquées par : mathématiques (ou en lecture ou en expression écrite) dépassent celles habituellement • un handicap intellectuel ; associées à celui-ci. • des troubles non corrigés de l’acuité visuelle ou auditive ; • d’autres troubles neurologiques ou mentaux ; • une adversité psychosociale ; • un manque de maîtrise de la langue de l’enseignement scolaire ou universitaire ; • un enseignement pédagogique inadéquat. [Le DSM-5 spécie ainsi la sévérité actuelle :] Léger : Certaines difcultés à acquérir des compétences dans un ou deux domaines scolaires ou universitaires, mais d’une intensité assez légère pour que le sujet parvienne à compenser ou à bien fonctionner lorsqu’il bénécie d’aménagements et de dispositifs de soutien appropriés, notamment pendant sa scolarité. Moyen : Des difcultés marquées à acquérir des compétences dans au moins un domaine scolaire ou universitaire, à tel point que le sujet risque fort de ne pas devenir opérationnel sans certaines périodes d’enseignement intensif et spécialisé au cours de sa scolarité. Certains aménagements et dispositifs de soutien pendant au moins une partie de la journée à l’école, sur le lieu de travail ou à la maison peuvent être nécessaires pour accomplir des activités efcacement et correctement. Grave : Des difcultés majeures à acquérir des compétences, qui ont une incidence sur plusieurs domaines scolaires ou universitaires, à tel point que le sujet risque fort de ne pas acquérir ces capacités sans un enseignement individualisé et spécialisé intensif et continu pendant la majeure partie de sa scolarité. Même avec un ensemble d’aménagements ou de dispositifs adaptés à la maison, à l’école ou au travail, la personne peut ne pas être capable d’accomplir toutes ses activités efcacement. * La « dyslexie » est un autre terme utilisé pour décrire un ensemble de problèmes d’apprentissage caractérisés par des difcul tés dans la reconnaissance exacte et uide des mots, un mauvais décodage et des difcultés en orthographe. Si le terme dyslexie est utilisé pour dénir cet ensemble spécique de difcultés, il est important de spécier également toute difculté supplémentaire éventuellement présente, telle que des problèmes de compréhension de texte ou de raisonnement mathématique. ** La « dyscalculie » est un autre terme utilisé pour décrire un ensemble de problèmes caractérisés par des difcultés à traite r des données numériques, à apprendre des faits arithmétiques et à réaliser des calculs exacts et uides. Si le terme dyscalculie est utilisé pour dénir cet ensemble spéciqu e de difcultés mathématiques, il est important de préciser également toute difculté supplémentaire éventuellement présente, telle que des difcultés de raisonnement mathématique ou de raisonnement verbal exact. Sources : APA (2015), p. 76 ; APA (2004), p. 60, 64, 62 ; Misès (2012), p. 52. Traduction française reproduite avec l'autorisation d'Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved.

Trouble spécique d’apprentissage avec décit de la lecture Dans le trouble spécique d’apprentissage avec décit de la lecture (TA/DL), ou dyslexie au sens strict, la lecture orale est aectée par des distorsions, des substitutions ou des omissions de lettres ou de syllabes. La lecture orale ou silencieuse est marquée par la lenteur et des erreurs de compréhension. Les notes scolaires en lecture sont faibles. Les résultats obtenus aux mesures standardisées de compréhension et de vitesse de lecture sont inférieurs à ceux de la moyenne des jeunes de mêmes âge et potentiel intellectuel. Dépistée dès la 1re ou la 2e année scolaire chez les enfants d’intelligence normale, la dyslexie peut, chez d’autres enfants, être identiée plus tardivement, étant masquée par un quotient intellectuel élevé. Les enfants ayant des antécédents de troubles de la phonation et du langage sont à risque de développer une dyslexie (Bishop, 2009). On rapporte des antécédents de trouble du langage chez 70 à 90 % des enfants présentant une dyslexie. Une association entre la dyslexie et un décit de reconnaissance phonologique est mentionnée dans plusieurs études (Lussier & al., 2009). La lecture présuppose la capacité de reconnaître les correspondances graphèmes/phonèmes et de transformer les graphèmes

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détectés lors de la lecture en phonèmes prononcés en lecture à voix haute en référence à un code alphabétique. À partir des travaux sur les troubles phasiques de l’adulte, deux voies d’acquisition ont été postulées par Coltheart (1978) et conrmées par des travaux ultérieurs (Lussier & al., 2009) : 1. L’assemblage, ou voie phonologique, soit la capacité d’associer phonèmes et graphèmes, et de combiner les graphèmes entre eux pour composer un mot, capacité conditionnée par la conscience syllabique et phonémique normalement développée avant l’âge de 6 ans ; 2. L’adressage, ou voie lexicale, qui est la reconnaissance globale du mot et de son sens, sans avoir recours à la segmentation et à la reconnaissance des syllabes du mot. Sur le plan clinique, on décrit habituellement les troubles dyslexiques selon les processus en cause : • la dyslexie phonologique avec une atteinte prévalente de la voie d’assemblage ; • la dyslexie de surface avec une atteinte prévalente de la voie d’adressage ; • la dyslexie mixte avec atteinte des deux voies.

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Les études chez l’enfant tendent à mettre l’accent sur l’immaturité de deux voies préférentielles de traitement de l’information qui peuvent être touchées à des degrés variés : 1. La voie phonologique affectant les capacités d’associer graphèmes et phonèmes ; 2. Les processus visuo-attentionnels aectant l’allocation des ressources visuelles et attentionnelles à l’apprentissage de la lecture (Zoubrinetzky & al., 2014).

Trouble spécique d’apprentissage avec décit de l’expression écrite Le trouble spécique d’apprentissage avec décit de l’expression écrite, appelé aussi « dysorthographie », touche non seulement l’épellation ou l’écriture, mais l’expression écrite dans son ensemble. En comparaison à des jeunes de même âge et de potentiel intellectuel comparable, l’enfant présente une diculté spécique de composition écrite incluant des erreurs d’épellation, de syntaxe, de ponctuation et d’organisation du texte. La dysorthographie est moins fréquemment relevée et ses caractéristiques épidémiologiques sont mal connues. Elle est fréquemment associée à la dyslexie. Elle doit être distinguée de la dysgraphie, qui peut lui être associée. La dysgraphie est un trouble de la coordination motrice fine qui affecte l’écriture.

Trouble spécique d’apprentissage avec décit du calcul Le TA/DC, aussi appelé « dyscalculie », aecte le calcul et le raisonnement mathématique et se traduit par une faiblesse spécique des résultats scolaires en mathématiques. Plusieurs compétences peuvent être aectées : • les habiletés spécifiques (compréhension des opérations mathématiques élémentaires, mémorisation des tables d’opération) ; • les habiletés linguistiques (compréhension des termes mathématiques, traduction des énoncés de problèmes en signes mathématiques) ; • la perception (reconnaissance des signes, classement d’objets en ensembles) ; • les capacités attentionnelles ; • les praxies. Les trois modalités de troubles d’apprentissage (lecture, écriture, calcul) qui apparaissaient comme des catégories diagnostiques dans le DSM-IV-TR se présentent maintenant dans le DSM-5 comme des spécicateurs de la catégorie unique de troubles d’apprentissage. La CIM-10, par contre, distingue le trouble de l’acquisition de l’expression écrite et le trouble de l’acquisition de l’orthographe. Il est à noter que le recueil des quatre critères diagnostiques doit se faire à partir de la synthèse clinique des antécédents de l’enfant (développementaux, médicaux, familiaux, pédagogiques), des bulletins scolaires et d’une évaluation en orthopédagogie. En ce qui concerne le codage, il faut spécier tous les domaines scolaires ou universitaires et les compétences secondaires perturbées. Quand plus d’un des domaines est altéré, chacun doit être codé individuellement selon les spécications suivantes : avec décit de la lecture, de l’expression écrite ou du calcul.

61.2.5 Évaluation et diagnostic différentiel Les troubles spéciques des apprentissages (TA) doivent être suspectés chez l’enfant d’intelligence normale dont les résultats en français ou en mathématiques sont spéciquement plus faibles. Ils doivent également être recherchés lorsque des dicultés scolaires continuent à se manifester malgré la correction satisfaisante d’un trouble associé (dysphasie ou décit attentionnel, notamment). Devant un retard scolaire, la démarche diagnostique comprend les quatre étapes suivantes : 1. La recherche successive : a) des dicultés situationnelles qui rendent l’enfant moins disponible pour les apprentissages, ou un manque d’encadrement et de stimulation des apprentissages à l’école ou à la maison ; b) d’un décit sensoriel en procédant éventuellement à des tests audiologiques et optométriques ; c) d’un autre trouble cognitif aectant les apprentissages lorsqu’il en existe des symptômes (décience intellectuelle ou TDA/H, notamment). Pour considérer la présence d’un TA, les dicultés d’apprentissage doivent excéder celles qui sont reliées à ces troubles. 2. L’identication d’un TA : un TA est nalement identié en présence d’un décalage entre le potentiel intellectuel et le rendement scolaire, décalage inexpliqué par les facteurs précités. 3. La détermination de la gravité du TA : on précise ensuite le degré de sévérité (évaluations orthophonique, ergothérapique et orthopédagogique) et les perturbations du traitement de l’information impliquée dans le TA (analyse détaillée du WISC ou évaluation neuropsychologique, tests d’audition centrale). Pour retenir le diagnostic de TA, la CIM-10 requiert que la note obtenue aux épreuves, administrées individuellement, se situe à au moins deux écarts-types en dessous du niveau escompté, compte tenu de l’âge chronologique et du QI. Les évaluations ergothérapique et orthopédagogique permettent d’identier les séquences d’apprentissage dysfonctionnelles et les stratégies compensatoires que l’enfant a développées. 4. La recherche de troubles associés : l’évaluation orthophonique et l’anamnèse précisent la présence éventuelle d’un trouble du langage. On recherche aussi des troubles praxiques dans la mesure où ils empêchent les nouveaux apprentissages procéduraux. La présence d’une dysgraphie, la suspicion d’un trouble de la coordination ou de l’intégration perceptivomotrice peuvent être précisées par une évaluation en psychomotricité ou en ergothérapie. Ces évaluations permettent de dresser un bilan des forces et des faiblesses cognitives de l’enfant et guident le traitement. De nombreux tableaux cliniques pédopsychiatriques se manifestent sous la forme de troubles non spéciques d’apprentissage ou encore entraînent un retentissement important sur les apprentissages. Il importe de les distinguer des TA. Nous abordons brièvement et successivement les troubles cognitifs spéciques et globaux aectant les apprentissages (troubles attentionnels et décits intellectuels), puis les altérations des conduites cognitives qui inuencent la motivation et la disponibilité aux apprentissages (mutisme sélectif, inhibitions intellectuelles ou d’apprentissage,

Chapitre 61

Troubles des apprentissages

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oppositions d’apprentissage et perturbations des conduites cognitives reliées à l’immaturité sociale).

Troubles attentionnels On peut distinguer plusieurs tableaux cliniques où l’inattention est le symptôme prédominant. Dans ces tableaux, c’est l’ensemble des apprentissages qui est aecté et non pas seulement un secteur spécique, comme dans les troubles spéciques d’apprentissage.

Trouble décit de l’attention/hyperactivité Trois composantes principales, apparaissant avant l’âge de 7 ans, durables et présentes dans plus d’un contexte, s’associent pour constituer le TDA/H : • l’inattention ou la distractibilité, qui est la diculté à xer et à soutenir son attention sur la tâche que l’on est en train d’accomplir ; • l’impulsivité, qui est la diculté à inhiber un comportement et à tolérer les délais ; • l’hyperkinésie, ou hyperactivité au sens strict, qui est une perturbation psychomotrice. Son intensité est variable selon les patients. Dépisté dès la maternelle ou la 1re année scolaire chez les enfants d’intelligence normale, le TDA/H peut être identié tardivement chez d’autres enfants, compensé par un QI élevé. Il peut être associé à d’autres troubles cognitifs, notamment la dysgraphie et les troubles d’apprentissage. Le trouble décit de l’attention/hyperactivité (TDA/H) est présenté en détail au chapitre 60.

Inattention reliée à l’anxiété L’inattention est un symptôme à replacer dans son contexte clinique (Guilé, 2016). Trois tableaux cliniques d’inattention anxieuse peuvent être distingués : 1. Une inattention attribuable à un trouble anxieux qui entrave les apprentissages scolaires. L’évaluation approfondie objective les autres symptômes anxieux présents de longue date ou survenus récemment en réaction à une situation anxiogène. Le traitement du trouble anxieux apporte la rémission des symptômes. 2. Des symptômes anxieux associés à un TDA/H. Environ 25 % des enfants hyperactifs répondent également aux critères diagnostiques d’un trouble anxieux. Le jeune est décrit depuis la petite enfance comme distrait, impulsif et hyperkinétique, quel que soit l’environnement dans lequel il se trouve. L’évaluation psychométrique objective une diérence signicative entre les sous-tests sensibles à l’attention et ceux qui le sont peu. Les épreuves évaluant l’impulsivité et l’attention (p. ex., Continuous Performance Test ; Test of Everyday Attention-Children) conrment son existence. Mais l’évaluation individuelle et familiale révèle également la présence de dicultés de séparation de la famille et d’une anxiété de séparation qui contribuent aux problèmes attentionnels du jeune. Selon l’importance respective des deux composantes (neurodéveloppementale et anxieuse), le plan d’intervention associe d’emblée, ou encore en séquence, le traitement de l’hyperactivité et celui du trouble anxieux. 3. Un trouble anxieux important. Au terme d’un traitement ecace de la problématique anxieuse, le jeune semble présenter

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une inattention et une impulsivité résiduelles inexplicables par une récidive du trouble anxieux ou une résistance au traitement. Il convient alors de reprendre les évaluations cognitives à la recherche d’une association avec un TDA/H qui n’aurait pas été décelé antérieurement.

Inattention reliée à un trouble dépressif Lorsque le motif de consultation est une chute des résultats scolaires, il arrive que l’évaluation clinique resitue les dicultés attentionnelles dans le cadre d’un trouble dépressif que l’entourage du jeune n’avait pas identié. Le traitement est alors celui de la dépression.

Décience intellectuelle À la différence des troubles spécifiques des apprentissages, les déficits intellectuels sont des altérations globales touchant plusieurs secteurs cognitifs. L’impact sur les apprentissages est global, cette fois-ci non pas en raison du déficit d’attention, mais en raison de la déficience intellectuelle telle qu’évaluée par les tests intellectuels comme le WISC. Si la classification du DSM-5 rend compte des déficits intellectuels harmoniques, la classification française (Misès, 2012) définit, de plus, des déficiences dysharmoniques et des troubles du raisonnement inspirés par les recherches de Gibello (2006).

Décits intellectuels homogènes Les décits intellectuels homogènes ou harmoniques, évalués au moyen des épreuves psychométriques, touchent l’ensemble des habiletés cognitives de manière homogène. Le degré des perturbations cognitives et des dicultés relationnelles et adaptatives est congruent au rendement intellectuel.

Fonctionnement intellectuel limite Le fonctionnement intellectuel limite correspond, selon le DSM-5, à un rendement intellectuel établi par l’évaluation psychométrique entre 71 (–2 écart-type4) et 84 (–1 écart-type). Chez les jeunes dont le QI se situe au-dessus de 70, mais qui présentent des dicultés adaptatives similaires à celles associées à une décience intellectuelle, il est possible de porter le diagnostic de décience intellectuelle. Mais l’interprétation de ces résultats doit alors s’appuyer sur un bon jugement clinique.

Décience intellectuelle Pour établir le diagnostic de décience intellectuelle, le DSM-5 requiert à la fois un fonctionnement adaptatif défaillant et un rendement intellectuel égal ou inférieur à 70. Des spécicateurs précisent la gravité de la décience intellectuelle qui est établie cliniquement en tenant compte des compétences adaptatives et du fonctionnement social et non seulement des résultats de l’évaluation psychométrique avec ses valeurs seuil telles qu’elles sont établies dans le DSM-IV-TR (APA, 2004) : • légère : de 70 à 50-55 ; • modérée : de 50-55 à 35-40 ; • sévère : de 35-40 à 20-25 ; • profonde : inférieur à 20-25. La décience intellectuelle est présentée en détail au chapitre 57. 4. Écart-type sur la courbe de distribution du QI de la population générale.

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Le classement du DSM n’introduit pas de critères d’exclusion ; aussi permet-il de noter les syndromes cliniques qui peuvent être associés : troubles du spectre de l’autisme (TSA), trouble du langage ou troubles d’apprentissage, notamment.

Décits des dysharmonies évolutives L’intérêt pour les travaux de Misès a été renouvelé ces dernières années dans le cadre des débats sur l’hétérogénéité des troubles envahissants du développement non spéciés, dont la dysharmonie évolutive est l’une des formes (Xavier & al., 2011). Misès & Perron (1995) décrivent l’évolution décitaire de tableaux cliniques de la petite enfance marqués par un développement hétérogène des diérentes sphères cognitives, psychomotrices et aectives. Ces tableaux évoluent vers une décience intellectuelle dysharmonique. Le rendement global obtenu lors des épreuves psychométriques est égal ou inférieur à 70, mais le prol est hétérogène avec des décalages de développement (langage, psychomotricité) et des troubles de la personnalité. Avant 2 ou 3 ans, les déciences dysharmoniques se signalent : • soit par un tableau à dominante décitaire marqué par des retards, des précocités (p. ex., dans le domaine lexical) ou des distorsions cognitives variant au cours du temps chez le même enfant ; • soit par un tableau à dominante aective associant, selon les enfants, anxiété, insomnie, troubles alimentaires, colères, conduites auto- ou hétéroagressives, inhibitions ou rituels. Par la suite se constitue un tableau de décience dysharmonique. Tandis qu’émergent de nouvelles capacités cognitives qu’il n’investit pas, l’enfant surinvestit des modes d’expression périmés (p. ex., une hyperkinésie ou des retards de langage) qui le connent dans des échanges immatures avec son environnement. Au-delà d’une certaine période d’évolution sans traitement, le tableau tend à devenir plus décitaire. Chez l’enfant plus âgé, la présentation se rapproche alors d’une décience harmonique. Parmi les approches thérapeutiques, on peut souligner la pertinence de diriger l’enfant vers un centre de jour qui ore une combinaison d’orthopédagogie, de mesures éducatives, de psychothérapie et de guidance parentale, ce qui peut se révéler approprié pour les formes graves chez le jeune enfant. Plus tard, une scolarisation en établissement spécialisé ou en classe spéciale dans une école standard peut être maintenue grâce à une prise en charge concomitante en pédopsychiatrie. Misès & Perron (1995) soulignent l’importance de la fragilité narcissique de ces jeunes, tout particulièrement dans les dysharmonies liées à une organisation de personnalité limite. Les interventions pédagogiques et éducatives visent alors le développement simultané de l’estime de soi et des acquis scolaires an de conserver quelques chances d’ecacité.

Troubles du raisonnement L’introduction des troubles du raisonnement dans la classication française doit beaucoup aux travaux de Gibello (2006). Il s’agit de perturbations du raisonnement présentes en dehors de tout processus psychotique ou décitaire. Elles se traduisent par un échec scolaire qui n’est expliqué ni par une faiblesse du rendement intellectuel (le QI étant dans la moyenne), ni par un trouble cognitif spécique, ni par un trouble psychiatrique autrement identiable. Pour expliquer ces troubles, Gibello (2006) postule, chez les enfants présentant des troubles du raisonnement, l’absence des structures cognitives, dont Piaget

décrit la mise en place durant la période préopératoire (de 2 à 6-7 ans). Ces structures cognitives, appelées « notions » par Piaget et « contenants de pensée » par Gibello, sont des moyens logiques d’intégrer les données d’un problème perceptuel ou cognitif. Une fois acquises, elles constituent une structure de raisonnement stable et permettent à l’enfant de s’y référer pour comprendre l’environnement changeant dans lequel il vit. Vers 2 ans, à la n de la période sensorimotrice, l’enfant acquiert la première notion fondamentale, celle de la permanence de l’objet : « Elle permet de croire qu’un objet continue d’exister même s’il est partiellement ou complètement caché, et qu’il conserve son identité même s’il apparaît plus petit parce qu’il est placé plus loin. » (Cloutier & Renaud, 1990, p. 216) De 2 à 7 ans, l’enfant développe les autres structures cognitives plus spéciquement décrites par Gibello. À cet âge, les « contenants de pensée» sont au nombre de trois : 1. Cognitif : il s’agit des notions de Piaget de conservation du liquide, des longueurs ou de la surface ainsi que des concepts de nombre, de mesure et de temps. Par exemple, un jeune enfant, n’ayant pas intégré la notion de conservation du liquide, ne comprend pas qu’une même quantité de liquide reste identique lorsqu’elle est versée successivement dans deux verres de hauteur et de diamètre diérents ; 2. Langagier : il s’agit de la capacité à donner sens aux sons et, plus tard, aux signes graphiques ; 3. Narcissique : les contenants de pensée narcissique, construits à travers les échanges sociaux et les activités corporelles, permettent le développement des représentations de soi et des autres, et des limites corporelles et psychiques. Ces contenants de pensée donnent sens aux perceptions sensorielles et aux enchaînements moteurs de l’enfant et peuvent être considérés comme « une généralisation des praxies et des gnosies » (Gibello, 2006, p. 351). Ils permettent le développement de la symbolisation et les apprentissages scolaires. L’observation clinique, les épreuves psychométriques et l’évaluation de la pensée logique permettent de dégager deux tableaux cliniques : 1. Les retards d’organisation du raisonnement constituent les formes les plus sévères, mais les plus rares. Les jeunes présentant ce retard sont en grave échec scolaire. Bien que leur potentiel intellectuel, évalué par les épreuves psychométriques, soit dans les limites de la moyenne ainsi que leur langage expressif, leur raisonnement est celui d’un enfant d’âge préscolaire. Ce retard s’associe souvent à des traits de personnalité narcissique en raison d’une immaturité des contenants de pensée narcissique. 2. La dysharmonie cognitive pathologique est un trouble beaucoup moins grave, mais plus fréquent : Gibello (2006) avance le chire de 4 % de la population d’âge scolaire. Cette dysharmonie se caractérise par un développement hétérogène des contenants de pensée. Utilisant des stratégies de raisonnement immatures dans certains domaines aussi bien que des stratégies matures dans d’autres, ces jeunes ont un prol scolaire le plus souvent marqué par des échecs importants. Il existe une association fréquente avec des troubles du langage, des troubles psychomoteurs ainsi que des traits de personnalité narcissique. Le traitement repose sur une combinaison d’interventions orthopédagogiques, appliquées en fonction de la maturation

Chapitre 61

Troubles des apprentissages

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des contenants de pensée, et d’approches psychothérapeutiques axées sur la fragilité narcissique.

Altérations des conduites cognitives Les perturbations des conduites cognitives qui engagent solidairement les aptitudes cognitives d’un enfant, sa personnalité et son environnement s’expriment dans le cadre du mutisme sélectif, des inhibitions et oppositions ainsi que de l’immaturité. Le mutisme sélectif est présenté en détail au chapitre 62.

Inhibitions intellectuelles ou d’apprentissage Appliquée au domaine cognitif, la notion d’inhibition recouvre les échecs scolaires reliés à une sous-utilisation des aptitudes d’apprentissage et associés à une sourance psychique. Bien que ne présentant ni trouble mental majeur, ni décience intellectuelle, ni trouble cognitif spécique, le jeune ne parvient pas à atteindre un rendement scolaire conforme à son potentiel. Le déroulement des activités scolaires et de la vie quotidienne est marqué par l’absence de plaisir et des sentiments de crainte, de doute ou d’incapacité. Il peut s’agir d’un tableau d’installation secondaire à un trouble spécique de la communication et des apprentissages, dont il vient aggraver le retentissement. Ou alors la pathologie est réactionnelle à une étape développementale importante ou à un événement de vie traumatique survenu récemment dans l’environnement de l’enfant. Le traitement cible alors la cause première. Il peut s’agir en revanche d’états anxieux plus complexes ou durables qui se traduisent par des retards du développement du langage ou par des inhibitions d’apprentissage (troubles névrotiques avec prédominance des inhibitions, décrits dans la classication française CFTMEA R-2012, voir Misès & al., 2012). Selon la perspective psychodynamique, les inhibitions intellectuelles sont vues comme l’expression d’une peur d’agresser ou d’être agressé. Dans les situations scolaires qui sollicitent la combativité des élèves, le jeune inhibé freine involontairement l’expression de réelles capacités d’apprentissage. Le traitement repose sur une psychothérapie psychodynamique visant à favoriser une expression harmonieuse de l’agressivité. Enn, l’inhibition peut s’intégrer à un tableau de trouble anxieux (p. ex., un trouble obsessionnel-compulsif ).

Opposition d’apprentissage Quelquefois, le jeune est amené en consultation parce que, volontairement, il travaille mal à l’école ou refuse d’apprendre. L’évaluation révèle en réalité un tableau de dicultés interpersonnelles importantes apparaissant dans plusieurs contextes, scolaire, familial et social. Les évaluations clinique et psychométrique ne montrent pas de trouble cognitif spécique ou de décience intellectuelle qui puisse expliquer les dicultés scolaires. Cette opposition d’apprentissage s’insère alors dans un tableau clinique plus vaste, où plusieurs secteurs de fonctionnement sont altérés. Ce portrait peut se retrouver dans trois cadres diagnostiques : 1. Le trouble oppositionnel : le jeune présente un comportement habituellement oppositionnel et hostile. Il fait des crises de colère, argumente, dée l’autorité de l’adulte, refuse de répondre aux demandes et aux consignes, agace délibérément les autres, blâme les autres pour ses propres erreurs, est susceptible, fâché ou vindicatif. Les dicultés scolaires ne sont donc pas dues

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nécessairement à une défaillance cognitive, mais traduisent l’opposition du jeune à ses parents ou aux enseignants. 2. Les troubles des conduites : le jeune développe des conduites antisociales durables marquées par des comportements hétéroagressifs envers les pairs, les adultes ou les animaux, des actes de vandalisme, des mensonges, des vols ou des fugues. Les dicultés scolaires résultent du bris des règlements scolaires et peuvent s’exprimer par des tentatives de tricherie aux examens, des pressions faites (intimidation) sur les autres élèves pour obtenir des avantages ou par l’école buissonnière. 3. Les traits de personnalité narcissique : le jeune présente des dicultés interpersonnelles aussi bien à la maison qu’à l’école en raison de son attitude égocentrique. Il surévalue ses capacités et ses réalisations, entretient des fantaisies d’invulnérabilité ou de succès et se perçoit comme unique et incomparable. Son besoin d’admiration est impossible à satisfaire. Il manque d’empathie, se montre envieux et hautain envers les autres. Il se comporte comme si tout lui était dû et tend à exploiter les autres. Il est hypersensible à la critique et à l’échec et y réagit vivement. Lorsqu’il possède de bonnes aptitudes intellectuelles, il obtient généralement de bons résultats scolaires les premières années, mais ensuite, ses résultats se détériorent, car il ne fournit pas les eorts nécessaires pour actualiser ses aptitudes. Le trouble obsessionnel et les troubles des conduites sont présentés en détail au chapitre 60. Il faut toutefois rappeler que ces trois tableaux cliniques peuvent s’associer à des troubles cognitifs spéciques (comme le TDA/H avec le trouble oppositionnel ou le trouble des conduites) ou à des décits globaux (comme les troubles du raisonnement chez une personnalité narcissique).

Perturbations des conduites d’apprentissage reliées à l’immaturité psychosociale Les perturbations des conduites d’apprentissage reliées à l’immaturité psychosociale peuvent se traduire par un échec scolaire au début du primaire, qui est souvent le principal motif poussant les parents à la consultation. Mais aucun trouble cognitif spécique ou décit cognitif global n’est identié. L’évaluation clinique révèle en fait un faible investissement scolaire. Cela peut s’observer dans trois contextes cliniques : 1. L’immaturité sociale : le jeune ne présente pas de trouble psychiatrique ni de perturbation du développement psychologique. Il possède un potentiel d’autonomie, mais qui n’est pas actualisé, et la socialisation reste faible. Le monde scolaire, incluant les relations avec les pairs et les enseignants, ainsi que les apprentissages ne sont pas perçus comme des sources d’intérêt et de plaisir. Ce tableau peut se voir notamment au sein de familles phobiques dont le mode de vie habituel a généré pour l’enfant peu d’occasions de contact avec l’extérieur. Des entrevues de guidance parentale permettent de stimuler la socialisation de l’enfant en encourageant sa participation à des activités extrascolaires avec d’autres jeunes. 2. L’anxiété de séparation : la présentation clinique ressemble à celle de l’immaturité sociale, qui peut être une conséquence de l’anxiété de séparation. Mais le jeune ne possède pas ce potentiel d’autonomie immédiatement mobilisable comme dans le cas d’une immaturité sociale simple. Il présente des symptômes anxieux et partage habituellement des dicultés

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de séparation réciproques avec ses parents. Les situations de séparation (couchers, entrée à l’école) suscitent de la crainte. Le jeune est préoccupé par la santé et la sécurité de ses parents et de ses proches et il ne veut pas les quitter. Il développe progressivement une phobie scolaire. La peur de quitter la maison pour se rendre à l’école peut être temporairement dissimulée sous d’autres problèmes, comme des malaises psychosomatiques ou des conduites agressives. Mais il en résulte un absentéisme scolaire plus important en début de semaine et après les congés scolaires. Plusieurs modalités thérapeutiques sont possibles : a) la thérapie familiale ; b) la guidance parentale ; c) l’association d’une psychothérapie psychodynamique individuelle pour le jeune et d’une thérapie de soutien pour le ou les parents ; d) les thérapies de groupe pour les enfants. L’élaboration en thérapie des angoisses de séparation familiale permet l’investissement de la vie scolaire et la levée des dicultés d’apprentissage. 3. La carence de stimulation : dans un contexte souvent plus global de carence éducative, le médecin peut être amené à voir des enfants dont les retards cognitifs sont, au moins partiellement, reliés à une sous-stimulation de plusieurs secteurs cognitifs (perception et langage, notamment), voire de secteurs psychomoteurs. L’évaluation clinique multidisciplinaire apprécie l’ampleur des retards, l’histoire familiale, la compétence et la motivation des parents ainsi que les risques de compromission du développement de l’enfant. Selon les décits cognitifs identiés, le plan de traitement peut associer aux interventions éventuellement oertes à l’hôpital ou à l’école une aide individuelle pour les parents ou une implication des services de protection de la jeunesse ou de réadaptation. L’anxiété de séparation est présentée en détail au chapitre 62, à la sous-section 62.2.1.

61.2.6 Traitements La prise en charge et le traitement des TA repose sur les interventions orthopédagogiques guidées par le repérage des étapes cognitives du traitement de l’information qui sont altérées. En lecture, les approches renforçant la conscience phonologique sont privilégiées en raison de leur pertinence (Cohen & al., 2016) et de leur ecacité (Snowling & Hulme, 2011). L’objectif est de renforcer la voie d’assemblage5 par une remédiation basée sur des tâches de segmentation 6 et d’augmenter l’accès au code alphabétique, en multipliant les canaux d’apprentissage grâce à des supports multisensoriels et intermodaux (non seulement l’ouïe, mais aussi le toucher et la vue). La remédiation intègre le travail sur les composantes cognitives sous-jacentes à l’apprentissage, notamment l’attention et la mémoire. L’adaptation des supports est fonction de l’âge, de la motivation et de la 5. Capacités d’associer les phonèmes (langage oral) aux graphèmes correspondants (code alphabétique du langage écrit) et d’assembler les graphèmes entre eux. 6. Exercices où l’enfant s’entraîne à décomposer les mots en diérents graphèmes.

durée de la prise en charge. L’approche ludique est appropriée pour les jeunes enfants, la remédiation assistée par ordinateur est attrayante pour les plus grands. Ces prises en charge sont souvent longues et astreignantes pour le jeune comme pour ses parents. Il est capital de maintenir et de développer les sources d’intérêt pour l’apprentissage. L’adhésion des parents, la qualité de la relation aective entre le jeune et le thérapeute et la possibilité de s’identier au désir d’apprendre du thérapeute sont des facteurs importants de réussite thérapeutique.

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Un exemple de programme d’entraînement visuosémantique pour améliorer les troubles sévères d’apprentissage de l’orthographe est disponible dans Valdois & al. (2003).

Les interventions de remédiation et d’orthopédagogie peuvent être associées à des interventions complémentaires (individuelle ou familiale) et intégrées à un plan de traitement multimodal pouvant comporter : • le tutorat : la participation à des études supervisées ou la présence d’un tuteur pour aider l’enfant à faire ses devoirs à la maison apportent une solution précieuse dans les cas de troubles légers ou modérés ; • le soutien orthopédagogique scolaire : les programmes existants nécessitent habituellement beaucoup de persévérance. L’objectif est de réduire l’impact émotif du trouble d’apprentissage (anxiété de performance, estime de soi) et de développer l’apprentissage grâce à une instruction personnalisée livrée à travers plusieurs canaux sensoriels (vue, ouïe, toucher) et au rythme de l’élève ; • l’intégration dans un programme d’enseignement spécialisé : lorsque les troubles d’apprentissage, ou les troubles associés, freinent considérablement les apprentissages, une orientation vers une classe ayant un ratio professeur/élèves plus élevé ou un enseignement adapté, voire une admission dans une école spécialisée sont conseillées ; • la participation à un groupe d’habiletés sociales ou d’estime de soi : elle permet de renforcer l’estime de soi à travers le développement de la socialisation et des compétences psychomotrices ; • des rencontres de guidance avec le milieu scolaire et les parents : elles visent à accroître la connaissance des troubles d’apprentissage, à soutenir les parents et les professeurs dans l’aide qu’ils apportent à l’enfant, à chercher avec eux les moyens d’intéresser l’enfant aux apprentissages et de promouvoir le développement harmonieux de ses autres habiletés ; • un aménagement du cadre de travail mis en place à l’école par un ergothérapeute. En ce qui concerne le traitement des troubles associés, selon les problèmes visés et leur importance, on évalue l’opportunité des interventions suivantes : • une rééducation orthophonique, s’il existe une association avec un trouble du langage ; • une intervention en ergothérapie ou en psychomotricité, en cas d’un trouble de la coordination motrice ; • une médication anxiolytique au besoin ; • une pharmacothérapie et une remédiation attentionnelle s’il existe un TDA/H ; • une psychothérapie ou une thérapie familiale selon les résultats de l’évaluation psychologique et sociale.

Chapitre 61

Troubles des apprentissages

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61.2.7 Évolution et pronostic Un trouble d’apprentissage non traité s’accompagne d’une faible estime de soi, retarde le développement des habiletés sociales, contribue à l’émergence de troubles du comportement et à l’abandon scolaire et altère l’adaptation sociale et professionnelle ultérieure. Les prises en charge sont habituellement longues et requièrent la persévérance du jeune et de ses parents. La gravité du décit de conscience phonologique et les troubles émotionnels associés aux troubles d’apprentissage sont des facteurs de mauvais pronostic (Snowling & Hulme, 2011). Bien que des décits cognitifs spéciques tendent à persister au cours de la vie, beaucoup d’enfants parviennent à surmonter leurs dicultés d’apprentissage grâce à une prise en charge de la part de leurs proches et à leur compréhension.

61.3 Troubles du développement de la coordination motrice Le DSM-5 maintient la catégorie, déjà présente dans le DSMIV-TR, du trouble développemental d’acquisition de la coordination motrice et sa place au sein des troubles moteurs.

61.3.1 Évolution du concept La praxie, du grec praxis « action, mouvement », est la capacité d’eectuer volontairement, par imitation ou sur ordre, des gestes coordonnés et orientés vers un but. Les troubles praxiques sont une atteinte de cette capacité alors même que les mécanismes moteurs élémentaires d’exécution sont préservés. Ce trouble développemental aecte la coordination des gestes et de la motricité (voir le tableau 61.6). Historiquement, il est issu de la clinique européenne des praxies et a été décrit initialement comme une « apraxie développementale ». Le terme actuellement retenu est celui de « dyspraxie ». L’autre source du concept vient des travaux anglo-saxons au cours du 20e siècle sur le repérage des signes neurologiques discrets (soft signs) associés aux syndromes pédopsychiatriques regroupés sous le terme « dysfonction cérébrale minime » (minimal brain damage). On y retrouve des signes cérébelleux, aectant donc la coordination motrice. Le lien avec la motricité se retrouve dans les appellations des classications de la CIM-10 avec le terme « trouble spécique du développement moteur » ou de la Classication française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA-R), révisée en 2012, avec « retard psychomoteur » et « autres troubles psychomoteurs ». Une revue de Wilson et de ses collaborateurs (2013) détaille la vaste étendue des domaines touchés par le trouble du développement de la coordination, incluant les praxies, les fonctions exécutives, la coordination rythmique, l’intégration sensorimotrice ainsi que le contrôle de la posture et de la marche. On peut considérer le terme de « trouble du développement de la coordination » comme un synonyme de la dyspraxie et centrer la description sur les troubles praxiques, en raison de la pertinence de leur dépistage et leur prise en charge pour les pédopsychiatres et les spécialistes des apprentissages de l’enfant.

61.3.2 Épidémiologie La prévalence des troubles du développement de la coordination motrice chez l’enfant est estimée de 2 à 10 % selon la gravité, avec

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un ratio de quatre garçons pour une lle (Gibbs & al., 2007). Cette large fourchette d’estimation est due à la diversité des critères utilisés et de l’âge considéré, posant en ligrane la question du dépistage scolaire précoce.

61.3.3 Étiologies Les troubles du développement de la coordination motrice sont encore méconnus, peu d’études étiopathogéniques d’envergure étant disponibles. Parmi les facteurs de risque impliqués dans les séries cliniques, on note la prématurité (Gibbs & al., 2007) ainsi que plusieurs syndromes génétiques ayant une incidence sur le développement cérébral (syndrome de Turner [X0], dystrophie myotonique de Steinert, syndrome du chromosome X fragile, délétion du chromosome 22q117, duplication du chromosome 158, notamment), où des anomalies visuospatiales sont couramment retrouvées et exprimées cliniquement par des troubles praxiques d’intensité variée (Xavier & al., 2006). Toutefois, cette association n’est pas spécique, ces syndromes génétiques étant associés, chez d’autres enfants, à une décience intellectuelle ou à des troubles du spectre de l’autisme (TSA). Par ailleurs, des retards praxiques sont identiés chez des enfants peu stimulés par leur entourage ou placés dans une situation de carence aective ou éducative. Dans l’état actuel des connaissances, il est probable que les troubles du développement de la coordination motrice puissent être la voie nale commune motrice d’une grande variété de facteurs environnementaux, périnataux et génétiques qui aectent la maturation neuronale et psychique de l’enfant à certaines périodes critiques de son développement. Le dépistage rapide et la qualité des échanges précoces de l’enfant avec son entourage agissent comme facteurs protecteurs.

61.3.4 Description clinique Les troubles du développement de la coordination, ou dyspraxies, sont des retards d’acquisition de la capacité d’eectuer des gestes ou des séquences de gestes intentionnels orientés vers un but, alors que l’exécution des gestes automatiques est préservée. L’enfant expérimente une discordance entre le geste voulu et l’acte réalisé (Xavier & al., 2006). Cela se traduit par un retard d’acquisition des nouveaux apprentissages moteurs et des dicultés de transférer, dans un contexte diérent, des apprentissages lentement acquis au prix de beaucoup d’eorts. L’enfant présentant une dyspraxie éprouve des dicultés d’apprentissage et de généralisation des gestes, qui sont lents, mal coordonnés, inecients et coûteux sur le plan cognitif. Leur réalisation est peu compatible avec les contraintes horaires contemporaines, que ce soit à la maison ou à l’école. Elle entraîne souvent des frustrations de l’entourage. On retrouve dans l’histoire longitudinale un retard de motricité globale et d’acquisition de la latéralisation. 7. Syndrome vélo-cardio-facial de Di George caractérisé par une malformation cardiaque, des anomalies de la partie supérieure de la bouche, un décit immunitaire sévère, une hypocalcémie, des dicultés d’apprentissage du langage, une capacité limitée du raisonnement abstrait, des dicultés d’adaptation sociale et un risque de développer un trouble aectif ou une psychose. 8. Syndrome caractérisé par une hypotonie centrale précoce, un retard de développement, une décience intellectuelle, une épilepsie et des troubles du spectre de l’autisme (TSA).

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Le jeune présente une maladresse motrice persistante, éprouve des dicultés dans les activités quotidiennes incluant l’habillage, l’alimentation et les activités scolaires et sportives. Pour retenir le diagnostic de troubles praxiques, le DSM-5 requiert qu’ils ne soient pas exclusivement expliqués par une maladie neurologique, ou une décience sensorielle ou intellectuelle. Selon le DSM-5, à la diérence du DSM-IV-TR, le trouble du développement de la coordination et le TSA peuvent être diagnostiqués conjointement (voir le tableau 61.6). Du point de vue cognitif, la réalisation des gestes résulte d’un processus complexe impliquant la perception, le traitement de l’information sensorielle – en particulier visuelle, tactile et kinesthésique –, l’intégration multisensorielle, la planification et l’organisation de la réponse motrice. La possibilité d’une atteinte

à l’une ou l’autre de ces étapes rend compte de la variété des syndromes dyspraxiques et de la diversité des conceptualisations de ces troubles. Selon Xavier et ses collaborateurs (2006) ainsi que Lussier et ses collaborateurs (2009), on peut distinguer trois grandes formes de dyspraxie : 1. La dyspraxie visuospatiale : elle touche la détection visuelle et le traitement de l’information sensorielle visuelle ainsi que l’intégration de celle-ci avec la réponse motrice. Le balayage visuel qui permet d’explorer un espace (p. ex., une feuille de papier), d’y localiser des objets (p. ex., des gures géométriques) et de déterminer leurs distances relatives est inecient (Xavier & al., 2006). Le décit de balayage visuel et une atteinte des voies corticales visuelle, dorsale et occipito-pariétale sont des facteurs contributifs postulés. La dyspraxie visuospatiale se traduit par :

TABLEAU 61.6 Critères diagnostiques du trouble du développement de la coordination

DSM-5 315.4 (F82) Trouble développemental de la coordination

DSM-IV-TR

CFTMEA (2012) 6.20 Retard psychomoteur 6.28 Autres troubles psychomoteurs

Trouble de l’acquisition de la coordination

A. L’acquisition et l’exécution de bonnes compé- A. Les performances dans les activités quotitences de coordination motrice sont nettement diennes nécessitant une bonne coordination inférieures au niveau escompté pour l’âge motrice sont nettement au-dessous du niveau chronologique du sujet et des opportunités escompté compte tenu de l’âge chronolod’apprendre et d’utiliser ces compétences. gique du sujet et de son niveau intellectuel Les difcultés se traduisent par : (mesuré par des tests). Cela peut se traduire par des retards importants dans les étapes du • de la maladresse (p. ex. laisser échapper développement psychomoteur (p. ex., ramper, ou heurter des objets) ; s’asseoir, marcher), par le fait de laisser • de la lenteur et de l’imprécision dans la tomber des objets, par de la « maladresse », réalisation de tâches motrices (p. ex. de mauvaises performances sportives ou une attraper un objet, utiliser des ciseaux ou mauvaise écriture. des couverts, écrire à la main, faire du vélo ou participer à des sports).

Retard psychomoteur Retard précoce des grandes acquisitions psychomotrices (p. ex., tenue assise, préhension, marche) pouvant être évalué en référence aux échelles de développement psychomoteur. Autres troubles psychomoteurs Troubles psychomoteurs non caractérisés par le retard ou l’instabilité s’exprimant par : • de la maladresse liée à des troubles de la latéralisation ou du tonus musculaire ; • de l’inhibition psychomotrice ; • ou des perturbations de l’organisation perceptivomotrice et de l’organisation spatiotemporelle.

B. Les déciences des compétences motrices du B. La perturbation décrite dans le critère A critère A interfèrent de façon signicative et perinterfère de façon signicative avec la réussite sistante avec les activités de la vie quotidienne scolaire ou les activités de la vie courante. correspondant à l’âge chronologique (p. ex. les soins et l’hygiène personnels) et ont un impact sur les performances universitaires/scolaires, ou sur les activités préprofessionnelles et professionnelles, les loisirs et les jeux. C. Le début des symptômes date de la période développementale précoce.

Les troubles apparaissent dans les toutes premières années.

D. Les déciences des compétences motrices ne C. La perturbation n’est pas due à une affection sont pas mieux expliquées par : médicale générale (p. ex., inrmité motrice cérébrale, hémiplégie ou dystrophie mus• un handicap intellectuel (un trouble du culaire) et ne répond pas aux critères d’un développement intellectuel) ; trouble envahissant du développement. • une décience visuelle et ne sont pas D. S’il existe un retard mental, les difcultés imputables à une affection neurologique motrices dépassent celles habituellement motrice (p. ex. une inrmité motrice associées à celui-ci. cérébrale, une dystrophie musculaire, une maladie dégénérative).

Absence de troubles psychotiques et d’une décience liée à une affection médicale précise.

Sources : APA (2015), p. 86 ; APA (2004), p. 66-67 ; Misès (2012), p. 54-55. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

Chapitre 61

Troubles des apprentissages

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a) des dicultés de réalisation de tâches de construction avec des cubes ou des blocs (voir le tableau 61.1) ; b) des dicultés de reproduction de gures géométriques à deux et trois dimensions (p. ex., un carré, un losange ou un cube dont la reproduction est habituellement acquise à 4, 7 et 8 ans respectivement), un décit de coordination oculomanuelle ; c) des décits visuospatiaux touchant : – la capacité de discriminer visuellement les diérentes composantes d’une gure complexe (p. ex., la gure de Rey), la capacité de discriminer une gure (p. ex., une lettre de petite taille) sur un fond composé d’autres gures (p. ex., une lettre de grande taille ou un ensemble de traits) ; – la capacité d’estimer la distance relative entre les objets ; – la capacité d’estimer l’orientation et la vitesse des déplacements des objets et des personnes dans un espace. Ces perturbations visuospatiales ont un retentissement important sur les activités de la vie quotidienne, en particulier l’habillage. Sur le plan scolaire, elles handicapent les apprentissages : préalables à la maternelle (assemblages, emboîtements), dessin, puis, plus tard, lecture, dénombrement et géométrie. Les troubles visuospatiaux empêchent notamment d’apprécier une situation « d’un coup d’œil », par exemple de pouvoir dénombrer d’un seul regard des billes dans une boîte (Xavier & al., 2006). Sur le plan personnel, l’orientation dans l’espace, la latéralisation (distinguer la gauche et la droite) et la représentation du schéma corporel sont retardées. 2. La dyspraxie idéomotrice : l’enfant eectue correctement les gestes spontanés avec des objets (p. ex., gratter une allumette si on lui fournit la boîte), mais il est incapable de les faire sur commande verbale, par imitation ou de façon symbolique sans manipuler les objets. Il est incapable d’imiter les gestes d’autrui et de mimer des situations. Les capacités perceptives de l’enfant sont intactes, mais il présente des troubles gnosopraxiques et un retard des praxies digitales : il ne discrimine pas correctement ses diérents doigts et leurs mouvements respectifs. Il ne peut reproduire les gestes des doigts eectués par un examinateur en face de lui (Vaivre-Douret & al., 2011). Cette perturbation subtile du mouvement volontaire, source de malentendus avec l’entourage, présente un fort potentiel de dicultés d’adaptation scolaire, en raison notamment de son impact sur les activités d’écriture. 3. La dyspraxie idéatoire : l’enfant peut nommer des objets, en décrire l’usage, sans pouvoir les manipuler adéquatement. Ce trouble semble aecter la planication du geste par défaut de représentation de la séquence d’actions à accomplir. Dans la mesure où elle touche l’organisation de la réponse motrice adaptée, cette dyspraxie aecte tous les nouveaux apprentissages procéduraux et, consécutivement, entraîne d’importantes dicultés de la vie quotidienne, comme l’alimentation et l’habillage, aussi bien que des difficultés d’apprentissage et d’adaptation scolaire. Des formes peuvent toucher plus particulièrement l’organisation des mouvements de la mimique et de la parole, amenant à parler de dyspraxie orofaciale. La dyspraxie peut aecter les mouvements du langage et de la parole et générer alors un trouble dysphasique spécique appelé « dyspraxie verbale » (Rapin, 1996).

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Une place particulière peut être faite aux troubles de l’écriture, ou dysgraphie, qui se manifestent par une écriture désorganisée avec des lettres mal posées, de taille diérente dans le même mot ou la même phrase et souvent télescopées. Vaivre-Douret et ses collaborateurs (2011) mettent l’accent sur une « immaturité de l’organisation gestuelle du membre supérieur avec une mauvaise régulation tonique entraînant souvent des réactions neurovégétatives, une mauvaise prise de stylo et une lenteur d’exécution » (Vaivre-Douret, 2011, p. 451). Ces troubles seraient plus fréquemment retrouvés dans la dyspraxie visuospatiale.

61.3.5 Évaluation et diagnostic différentiel La première étape de la démarche diagnostique consiste à bien caractériser les symptômes présentés, leur histoire et leur contexte de survenue, de manière à les situer par rapport aux étapes du développement de l’enfant. L’entretien avec le jeune et ses parents permet de faire le point sur son autonomie dans les gestes de la vie quotidienne (alimentation et habillage). Il faut rechercher les âges auxquels l’enfant a acquis la station assise, la marche, la marche alternée dans les escaliers et, chez l’enfant plus âgé, l’utilisation de la bicyclette. L’examen des praxies se fait en proposant d’eectuer par imitation quelques gestes simples avec les doigts, la bouche ou des mimiques faciales. Lors d’un jeu de ballon, on observe la latéralisation et la coordination entre les hémicorps. On explore aussi le dessin et les capacités visuoconstructives en proposant, selon l’âge, la copie de gures simples, combinées, comme avec le test de Bender9, ou complexes, comme la gure de Rey, ainsi que la représentation du schéma corporel (dessiner une personne). L’entretien clinique permet d’explorer les autres axes du développement de l’enfant, la dynamique relationnelle associée à la maladresse motrice et de juger du retentissement familial, scolaire et social du problème. Au terme de cette première exploration, il est possible de conrmer l’existence d’une immaturité de la coordination, de préciser le type de dyspraxie présentée et sa gravité selon l’ampleur du retentissement sur les activités. Les évaluations du développement sensorimoteur, eectuées selon les milieux cliniques en ergothérapie ou en psychomotricité, permettent d’estimer cliniquement le tonus postural et d’explorer, au moyen de tests étalonnés selon l’âge : • le schéma corporel (test de Goodenough, 1957) ; • l’organisation de soi dans l’espace (latéralité, réversibilité avec les épreuves de Piaget-Head, 1972) ; • la perception des rythmes et du temps (tests de Stamback & Soubiran, 2000) ; • les gnosopraxies et les praxies digitales (évaluation de la motricité gnosopraxique [EMG], Vaivre-Douret & al., 2011) ; • les coordinations dynamiques (batterie d’évaluation du mouvement, traduction française du M-ABC, Soppelsa & Albaret, 2004) ; • les capacités graphomotrices (échelle d’évaluation rapide de l’écriture, traduction française du BHK, Charles & al., 2004) ; • l’intégration perceptivomotrice ; • les capacités visuospatiales et graphoperceptives (tests de Bender Visual-Motor Gestalt Test II). 9. On montre successivement à l’enfant neuf gures qu’il doit copier sur une feuille de papier. L’analyse se fait sur l’exactitude de la reproduction et la maîtrise du trait.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5 Spécialités psychiatriques

En accord avec la CIM-10, il est recommandé qu’au moins l’un des tests révèle un décit de deux écarts-types par rapport aux enfants de mêmes âge et quotient intellectuel (Barray & al., 2008). Les examens complémentaires comprennent les évaluations optométrique et audiologique pour vérier l’absence de décit sensoriel ainsi que les bilans psychomoteur ou ergothérapique pour caractériser les troubles praxiques à l’aide d’épreuves standardisées. Pour retenir le diagnostic de troubles praxiques, le DSM-5 requiert qu’ils ne soient pas exclusivement expliqués par une maladie neurologique, une décience intellectuelle ou une décience sensorielle. Après avoir conrmé la présence de troubles praxiques, l’évaluation psychiatrique permet de situer le syndrome parmi les comorbidités éventuelles. À cette n, Xavier et ses collaborateurs (2006) distinguent : • des tableaux spéciques où la dyspraxie contribue en très grande majorité au tableau clinique ; • des tableaux où les troubles praxiques sont intégrés dans un ensemble psychopathologique plus large comme les TSA, les dysharmonies évolutives (voir la section 61.2), la décience intellectuelle, voire un trouble d’apprentissage complexe touchant plusieurs lignées cognitives avec conservation d’un potentiel intellectuel général dans la moyenne. Ces tableaux cliniques correspondent notamment à des associations entre dyslexie et dyscalculie avec dyspraxie digitale, privant de la capacité de compter avec ses doigts ; • des comorbidités entre troubles autonomes, évoluant chacun pour son propre compte. La dyspraxie peut ainsi être associée au TDA/H, chacun de ces troubles nécessitant une approche thérapeutique spécique. Comme pour les autres pathologies présentées dans les sections précédentes, le diagnostic diérentiel est délicat, puisque certaines aections peuvent être comorbides. On écarte les pathologies qui aectent la vision ou la coordination motrice sans être des dyspraxies, comme les syndromes cérébelleux, les troubles de la réfraction visuelle (myopie, astigmatisme, hypermétropie), les strabismes et les troubles oculomoteurs. À noter que la correction du trouble oculomoteur par un orthoptiste atténue les dicultés visuospatiales sans améliorer les troubles praxiques. Les dyspraxies n’étant pas liées à une atteinte sensorielle ou des voies nerveuses visuelles périphériques, l’examen ophtalmologique, y compris celui des champs visuels, est normal. On écarte aussi certains tableaux dysgraphiques, où le trouble de l’écriture est corrigé par le traitement du TDA/H. Dans ce cas, le trouble de l’écriture n’est pas la manifestation d’une dyspraxie, mais le retentissement sur l’écriture de l’impulsivité attachée au TDA/H. La question du diagnostic différentiel avec les troubles d’intégration sensorielle est plus complexe dans la mesure où certains auteurs (Miller & al., 2007) considèrent la dyspraxie comme une forme de trouble du traitement de l’information sensorielle (sensory processing disorder). Toutefois, si l’on considère la dyspraxie comme un trouble de la planication des gestes, la diculté n’apparaît pas exclusivement liée au traitement de l’information sensorielle. Les deux aections apparaissent mobiliser des processus cognitifs distincts tout en pouvant être comorbides.

Parmi les comorbidités reliant des troubles distincts, on rapporte l’association entre le TDA/H et la dyspraxie, qui a conduit Gillberg (2003) à dénir un syndrome particulier appelé « DAMP » (deficits in attention, motor control and perception). Les comorbidités sont fréquentes avec les autres troubles cognitifs et développementaux (dysphasie, dyslexie et autres TA) et avec les troubles internalisés (anxiété, dépression) (Cairney & al., 2010).

61.3.6 Traitements La prise en charge par les ergothérapeutes ou les psychomotriciens des troubles du développement de la coordination dépend de la perspective théorique adoptée. L’intervention peut cibler les processus sensoriels et viser le renforcement de la perception de soi en mouvement. Un autre type d’intervention peut aussi chercher à accroître les compétences dans la réalisation d’une tâche, notamment en développant les capacités cognitives pour visualiser et planier un geste, puis en évaluer l’adéquation. Une méta-analyse (Smits-Engelsman & al., 2013) met en lumière une ecacité plus importante de ce second type d’intervention. Plus globalement, la prise en charge prend en compte la totalité du développement aectif et cognitif de l’enfant et la qualité du soutien familial. La guidance parentale et les approches individuelles et de groupe renforçant l’estime de soi ont montré leur pertinence (Gibbs & al., 2007). Le traitement des aections cognitives et aectives associées est déterminant.

61.3.7 Évolution et pronostic À la diérence d’un simple retard de coordination motrice, qui se corrige spontanément, les troubles du développement de la coordination motrice persistent, s’il n’y a pas de traitement, entraînant leur cortège de troubles de l’adaptation scolaire et sociale. Peu d’études fournissent des données valides sur l’évolution.

61.4 Troubles de l’élimination Les troubles de l’élimination comprennent l’énurésie et l’encoprésie. La dénition clinique de ces deux syndromes est restée relativement stable au cours des dernières révisions des classications internationales.

61.4.1 Évolution du concept Le DSM-5 regroupe l’énurésie (perte involontaire d’urine durant le sommeil) et l’encoprésie (perte involontaire de selles) en une section unique nommée « troubles de l’élimination ». Réunir les deux entités cliniques en un seul groupe met l’accent sur la physiopathologie commune de ces troubles. Dans cette perspective, un mouvement croissant, rassemblant urologues, néphrologues et pédopsychiatres au sein de l’International Children’s Continence Society (ICCS), soutient une nouvelle classication de l’énurésie présentée comme reétant mieux la physiopathologie (Van de Walle & al., 2012). Parallèlement, des gastroentérologues et les pédopsychiatres proposent pour l’encoprésie une nouvelle classication, nommée couramment Rome-III (Von Gontard, 2013). L’intestin de même que la vessie agissent en tant qu’organes de stockage aussi bien que d’élimination (Reiner, 2008). En conséquence, la classication vise à distinguer les troubles

Chapitre 61

Troubles des apprentissages

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liés aux capacités de stockage de ceux liés aux mécanismes de vidange. Dans cet esprit, la classication de l’ICCS distingue incontinence et énurésie : 1. L’incontinence concerne les pertes d’urine diurnes résultant de dicultés de stockage et de vidange vésicale. 2. L’énurésie est le terme réservé aux pertes urinaires survenant durant le sommeil. L’énurésie monosymptomatique est une énurésie nocturne marquée par des pertes urinaires involontaires durant le sommeil, sans pertes diurnes ni dysfonctionnement vésico-sphinctérien. En ce qui concerne les troubles d’élimination fécale, la classication Rome-III (Von Gontard, 2013) utilise le terme « incontinence » plutôt que « encoprésie » et distingue deux syndromes : 1. L’incontinence fécale sans rétention ; 2. La constipation. La CFTMEA (Misès, 2012) distingue l’énurésie primaire, où la propreté n’a jamais été acquise, et l’énurésie secondaire, où les troubles apparaissent après une phase d’acquisition de la propreté.

61.4.2 Épidémiologie Bien que fréquents, les troubles de l’élimination ne font pas l’objet de consultation médicale pour plus d’un tiers d’entre eux (Fritz & al., 2004). De 10 à 15 % des enfants de 7 ans présentent une énurésie et de 1 à 3 %, une encoprésie (Von Gontard, 2013). Le ratio dans l’énurésie est de deux garçons pour une lle (Fritz & al., 2004).

61.4.3 Étiologies Compte tenu de la grande fréquence et de l’hétérogénéité des tableaux cliniques d’énurésie et d’encoprésie, de nombreux facteurs, aussi bien environnementaux que génétiques, peuvent contribuer à la survenue d’un trouble de l’élimination. Des études ont montré une agrégation familiale pour l’énurésie primaire nocturne ainsi que l’implication possible d’un polymorphisme génétique concernant le récepteur sérotoninergique 5-HT2A (Wei & al., 2010). Mais ces travaux sont en attente de réplication. Considérée de façon globale, la physiopathologie de l’énurésie implique aussi bien le fonctionnement vésico-urétral que le contrôle central de la miction et l’organisation des rythmes veille/ sommeil (Van de Walle & al., 2012). Sur le plan neuronal, le bon fonctionnement intestinal et vésical, avec un couplage adéquat entre remplissage et réponse de stockage ou vidange, dépend du recrutement de réseaux viscéraux (Reiner, 2008), assurant • les boucles courtes sensorimotrices ; • les réponses médullaires et du tronc cérébral ; • les réseaux fronto-sous-corticaux. Les paliers de régulation sont donc nombreux et sous la dépendance également du milieu intérieur et de l’activation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS) (voir les gures supplémentaires). Le fonctionnement intestinal et vésical forme donc la voie nale commune de plusieurs cascades d’interactions entre systèmes neuronaux et endocriniens, eux-mêmes activés par les interactions avec l’environnement, plus ou moins marquées par des facteurs stresseurs. Sur le plan psychopathologique, on peut identier, au cours du développement de l’enfant, des facteurs éducatifs et aectifs qui contribuent à l’émergence ou à la persistance des symptômes

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énurétiques et encoprétiques. L’acquisition de la propreté suit une séquence développementale commune à tous. L’enfant développe progressivement le contrôle des muscles viscéraux et de ceux du plancher pelvien, acquérant successivement contrôle intestinal nocturne, contrôle intestinal et urinaire diurne, puis contrôle urinaire nocturne (Fritz & al., 2004). Le contrôle urinaire implique l’acquisition d’une capacité vésicale susante, une sensation de remplissage et un contrôle des muscles vésicaux, puis le contrôle moteur de la miction. La pleine capacité vésicale est acquise vers l'âge de 12 ans (Van de Walle & al., 2012). Habituellement acquis avant l’âge de 3 ans, le contrôle sphinctérien peut rester incomplet chez le quart des enfants de 4 ans, puis se normaliser pour la grande majorité d’entre eux avant l’âge de 5 ans (Fritz & al., 2004). La survenue d’événements familiaux stressants, les perturbations de la relation parents-enfant, le stress scolaire et l’intimidation entre pairs sont parmi les facteurs les plus fréquents pouvant inuencer cette séquence développementale. Les enfants n’ayant jamais acquis la propreté à l’âge seuil (4 ans pour les selles et 5 ans pour les urines selon le DSM-5) sont alors considérés comme présentant un trouble de l’élimination primaire. Ces types de troubles, sans période de propreté acquise de manière stable, apparaissent comme des immaturités développementales liées soit à des immaturités physiologiques, touchant le fonctionnement neurologique des voies anatomiques ou le rythme veille/sommeil, soit à une négligence éducative, soit à une combinaison des deux. Les jeunes qui manifestent des symptômes énurétiques ou encoprétiques signicatifs après être demeurés propres pendant au moins un semestre sont susceptibles de présenter un trouble de l’élimination secondaire. Les troubles secondaires peuvent résulter, dans de rares cas, d’eets indésirables médicamenteux et, le plus souvent, d’une réaction à des facteurs environnementaux, des événements de vie ou des enjeux de développement divers, en particulier les agressions sexuelles, l’intimidation à l’école, les conits et les séparations familiales, les changements d’école et les déménagements. Sur le plan psychopathologique, le trouble de l’élimination secondaire apparaît comme une tentative de s’adapter à la situation stressante par un mécanisme de régression. L’intensité du traumatisme et de la réponse régressive s’évalue au cas par cas, en fonction de la dynamique individuelle et familiale. Enn, que le trouble de l’élimination soit primaire ou secondaire, quels que soient ses facteurs contributifs, il retentit de façon très signicative sur les fonctionnements familial, social et scolaire de l’enfant. L’attitude des parents, des enseignants et des pairs, qui ne peuvent ignorer ce trouble, contribue à son maintien ou à son atténuation. La dynamique relationnelle de l’enfant est donc partie intégrante de l’évaluation diagnostique. La présence de troubles de l’élimination dans les antécédents familiaux et l’inconfort éducatif des parents et des enseignants concernant l’éducation à la propreté constituent des facteurs de risque. En revanche, la consultation du médecin de famille lorsque l’enfant a 4 ou 5 ans, l’accès à l’information sur le développement du contrôle sphinctérien chez l’enfant, une approche éducative ouverte et non punitive, la détermination au changement et l’engagement des parents dans la prise en charge contribuent à une évolution favorable des troubles d’élimination.

61.4.4 Description clinique Le DSM-5 dénit l’énurésie comme une perte répétée des urines, dans ses vêtements ou dans son lit, persistant pendant plus de

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trois mois chez les jeunes de plus de 5 ans. Le diagnostic est retenu lorsque les causes organiques d’incontinence – infectieuses, urologiques et neurologiques, notamment – ont été écartées ou traitées. La fréquence mensuelle des symptômes varie selon les classications. De plus, le DSM-5 inclut les pertes volontaires appelées « urinations » tandis que la Classication française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA-R) révisée en 2012 réserve le diagnostic pour les pertes involontaires. La plupart des enfants aectés par une énurésie ne présentent pas de perturbations émotionnelles et relationnelles signicatives (Fritz & al., 2004). Par ailleurs, les situations auxquelles le médecin doit faire face sont souvent des tableaux cliniques complexes où les facteurs psychologiques apportent une contribution majeure au déclenchement ou au maintien des troubles de l’élimination. Ou encore, il s’agit des retentissements subjectifs, scolaires et sociaux d’un trouble de l’élimination particulièrement invalidant ou mal toléré par l’environnement (voir le tableau 61.7). Enn, il peut aussi s’agir, dans un nombre non négligeable de cas, d’une découverte fortuite alors que le jeune est amené en consultation pour un autre motif. C’est particulièrement le cas des énurésies primaires qui peuvent être banalisées dans certaines familles, tant le symptôme y est fréquent. Le DSM-5 et la CFTMEA R-2012 dénissent l’encoprésie comme des pertes fécales inappropriées, sans cause organique, involontaires ou intentionnelles, survenant après l’âge de 4 ans. La durée et la fréquence du symptôme dièrent selon la classication.

Le DSM-5 ajoute la constipation avec incontinence par débordement comme spécicateur. La classication Rome-III distingue l’incontinence fécale de la constipation avec rétention involontaire ou intentionnelle, accompagnée de fécalome et de douleurs abdominales (voir le tableau 61.8).

61.4.5 Évaluation et diagnostic différentiel Au terme de la revue des contributions physiologiques et psychologiques, on peut distinguer : • les troubles primaires : – liés à une immaturité, touchant spéciquement les voies urinaires ou intestinales, ou intégrés à un retard global de développement ; – consécutifs à la persistance de mauvaises habitudes intestinales et mictionnelles. • les troubles secondaires, qui sont la plupart du temps l’expression d’une régression par rapport à un événement traumatique ou à un enjeu du développement aectif. Une fois le tableau clinique conrmé, la démarche diagnostique a pour objectif principal d’écarter les causes organiques et, pour les situations qui relèvent de la médecine, de rechercher les comorbidités et de situer les symptômes énurétiques ou encoprétiques dans l’histoire et le fonctionnement psychique et relationnel de l’enfant.

TABLEAU 61.7 Critères diagnostiques de l’énurésie

DSM-5 307.6 (F98.0) Énurésie

DSM-IV-TR Énurésie

A. Mictions répétées au lit ou dans les vêtements Idem à DSM-5. qu’elles soient involontaires ou délibérées.

CFTMEA (2012) 8.3 Énurésie Troubles caractérisés par des émissions d’urine répétées et involontaires, diurnes ou nocturnes et considérées comme anormales pour l’âge du sujet.

B. Le comportement est cliniquement signicatif, Idem à DSM-5. comme en témoignent : • soit une fréquence de 2 fois par semaine pendant au moins 3 mois consécutifs ; • soit la présence d’une détresse cliniquement signicative ou d’une altération du fonctionnement social, scolaire (professionnel) ou dans d’autres domaines importants. C. L’enfant a un âge chronologique d’au moins 5 Idem à DSM-5. ans (ou un niveau de développement équivalent). D. Le comportement n’est pas imputable : • aux effets physiologiques d’une substance (p. ex. diurétique, antipsychotiques) ; • à une autre affection médicale générale (p. ex. diabète, spina bida, épilepsie).

Idem à DSM-5.

Spécier le type : Exclusivement nocturne Exclusivement diurne Nocturne et diurne

Spécier le type : Idem à DSM-5.

L’enfant est âgé d’au moins 4 ans.

Spécicateurs : • Primaire : la propreté n’a jamais été acquise ; • Secondaire : les troubles apparaissent après une phase d’acquisition de la propreté.

Sources : APA (2015), p. 417 ; APA (2004), p. 141 ; Misès (2012), p. 69. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

Chapitre 61

Troubles des apprentissages

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TABLEAU 61.8 Critères diagnostiques de l’encoprésie

DSM-5 307.7 (F98.1) Encoprésie

DSM-IV-TR Encoprésie

A. Émissions fécales répétées dans des endroits Idem à DSM-5. inappropriés (p. ex. dans les vêtements ou sur le sol), qu’elles soient involontaires ou délibérées. B. Le comportement survient au moins une fois par mois pendant au moins 3 mois.

Idem à DSM-5.

C. L’enfant a un âge chronologique d’au moins 4 ans (ou un niveau de développement équivalent).

Idem à DSM-5.

CFTMEA (2012) 8.4 Encoprésie Émissions de selles répétées, volontaires ou involontaires, diurnes ou nocturnes et considérées comme anormales pour l’âge du sujet.

L’enfant est âgé d’au moins 4 ans.

D. Le comportement n’est pas imputable aux effets Idem à DSM-5. physiologiques d’une substance (p. ex. laxatifs) ni à une autre affection médicale, si ce n’est par un mécanisme entraînant une constipation. Spécier le type : Avec constipation et incontinence par débordement : La constipation est évidente à l’examen clinique ou à l’anamnèse. Sans constipation ni incontinence par débordement : Il n’y a pas de constipation à l’examen clinique ni à l’anamnèse.

Spécicateurs : Idem à DSM-5.

Spécicateurs : • Primaire : la propreté n’a jamais été acquise ; • Secondaire : les troubles apparaissent après une phase d’acquisition de la propreté.

Sources : APA (2015), p. 420 ; APA (2004), p. 138 ; Misès (2012), p. 69. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder s, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

Devant une énurésie, la première étape de la démarche diagnostique consiste à caractériser le syndrome en explorant notamment : • Les caractéristiques du symptôme s’obtiennent par : – l’histoire personnelle (anomalie urogénitale connue, infection urinaire) et familiale (énurésie) ; – la nature du symptôme : miction involontaire, impérieuse ou volontaire, dates et circonstances de déclenchement, caractère primaire ou secondaire, diurne ou nocturne ; – les circonstances : lieu, horaire, fréquence des épisodes de pertes urinaires ; – l’existence d’une polyurie nocturne, la simultanéité avec le sommeil et la sieste. • Les habitudes de l’enfant et les eets sur l’entourage : – les dicultés habituelles de réveil ; – la régularité du passage aux toilettes, à l’école et à la maison ; – le vécu de l’enfant ; – les conséquences sur la scolarité et les activités sociales ; – le retentissement sur l’entourage : les réactions des adultes et des pairs. À la suite de l’entretien clinique, le médecin doit pouvoir se faire une représentation claire du fonctionnement physiologique de l’enfant : • Les quantités urinées sont-elles excessives ? • L’enfant est-il continent durant le jour ou soure-t-il de mictions impérieuses et fréquentes ? • Les problèmes sont-ils limités à la nuit pendant le sommeil ? • L’enfant est-il généralement dicile à réveiller ?

1360

La deuxième étape de la démarche diagnostique consiste à rechercher : • un dysfonctionnement vésico-sphinctérien en cas de symptômes diurnes. Le médecin précise l’existence de mictions fréquentes (pollakiurie), impérieuses, fragmentées ou diciles (dysurie), nécessitant d’exercer une pression abdominale (Van de Walle & al., 2012). Il recherche une infection urinaire et il oriente l’enfant vers des consultations spécialisées (pédiatrie, urologie, neuropédiatrie) si les troubles persistent à la suite de la prise en charge initiale. Les consultations spécialisées, incluant notamment l’échographie pelvienne et un bilan urodynamique, permettent de mesurer un éventuel résidu postmictionnel et de rechercher un dysfonctionnement vésico-sphinctérien (vessie immature chez le jeune enfant, vessie hyperactive et dyssynergie vésico-sphinctérienne chez le plus grand) et une cause neurologique (p. ex., vessie neurogène, spina bida) ou urologique (infections et anomalies rénales, urinaires ou génito-urinaires) ; • un trouble du sommeil en cas de symptômes nocturnes. Le médecin (ou le pédiatre) fait un examen physique, prescrit une analyse et une culture d’urines, recherche des contributions organiques (malformations urologiques ou neurologiques, causes infectieuses, pathologies ORL entravant le sommeil). Il est capital d’évaluer la qualité du sommeil, au moyen des questionnaires remplis par les parents, en recherchant une pathologie motrice ou respiratoire du sommeil, et en établissant le lien entre l’organisation du sommeil, l’existence éventuelle de réveils et la survenue des symptômes énurétiques. En eet, les symptômes énurétiques peuvent être révélateurs

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5 Spécialités psychiatriques

de troubles du sommeil et s’améliorer avec le traitement de ces derniers. Parmi les instruments disponibles, l’échelle de sommeil Sleep Disturbance Scale for Children (Bruni & al., 1996), disponible en anglais et en français sous forme d’un questionnaire de 27 items pour les parents, démontre une bonne abilité et permet de guider le dépistage des troubles moteurs et respiratoires du sommeil chez l’enfant et l’adolescent. Le médecin recherche également par l’examen physique une éventuelle pathologie ORL entravant le sommeil.

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L’échelle de sommeil Sleep Disturbance Scale for Children est disponible en français au www.oiiq.org/sites/default/les/uploads/pdf/publications/perspective_inrmieres/2011_vol08_no6/12HIBOU.pdf

Enn, la troisième étape de la démarche diagnostique vise à apprécier la situation clinique en regard du développement aectif et cognitif de l’enfant. L’énurésie peut s’intégrer dans un retard global de développement ou encore au sein de troubles cognitifs spéciques. On rencontre assez fréquemment une association entre le TDA/H et l’énurésie primaire, souvent familiale. Le risque de TDA/H est quatre fois plus élevé chez les enfants avec énurésie diurne en raison de l’immaturité du système nerveux (Von Gontard & al., 2011). Le médecin recherche également une comorbidité avec l’encoprésie. En eet, le contrôle mictionnel partage des voies anatomiques et physiologiques avec celui du fonctionnement intestinal, et les deux troubles de l’élimination ont un retentissement l’un sur l’autre. Dans le cas d’une encoprésie, le médecin explore la présence d’une éventuelle constipation, ce qui l’amène à discriminer les deux formes d’encoprésie, par regorgement avec constipation et sans rétention. Une consultation en gastroentérologie permet de rechercher un fécalome et d’évaluer les aections somatiques, inammatoires, anatomiques ou néoplasiques qui peuvent contribuer aux troubles de l’élimination, en particulier la maladie de Hirschsprung (mégacôlon congénital) et la maladie de Crohn. Le médecin recherche les comorbidités, habituellement plus élevées dans les encoprésies secondaires : anxiété de séparation, phobie scolaire, troubles d’apprentissage concomitant ou consécutif. L’encoprésie est associée à un taux plus élevé de TDA/H, de troubles oppositionnels et de troubles anxieux (Joinson & al., 2006). Dans tous les cas d’énurésie ou d’encoprésie, une attention particulière est portée au repérage des facteurs, des événements de vie ou des enjeux développementaux contribuant au déclenchement des troubles secondaires ainsi qu’au retentissement pour l’enfant, aux attitudes éducatives et aux réactions des adultes et des pairs.

61.4.6 Traitements La prise en charge des troubles de l’élimination tient compte du retentissement fonctionnel sur l’entourage (parents, enseignants, éducateurs) et propose un soutien. Le dépistage et le traitement des aections associées, notamment les infections urinaires, les troubles du sommeil et la constipation, sont des leviers importants de la stratégie thérapeutique. Le traitement de ces troubles associe les composantes suivantes.

Guidance parentale et approche psychoéducative envers l’enfant La guidance parentale et l’approche psychoéducative envers l’enfant sont indiquées dans tous les cas. Dans les situations d’énurésie diurne, le traitement de 1re intention est l’éducation mictionnelle. On demande à l’enfant de vider complètement sa vessie en se présentant aux toilettes régulièrement, y compris à l’école. On recherche d’éventuels empêchements à utiliser les toilettes de l’école. Dans les situations d’incontinence fécale sans constipation, un entraînement à la propreté est recommandé (Brazzelli & al., 2011). On demande à l’enfant de s’asseoir systématiquement aux toilettes de 5 à 10 minutes après chaque repas tout en maintenant une attitude non coercitive (Von Gontard, 2012). L’hydratation régulière dans la journée est aussi importante pour prévenir la constipation. La guidance parentale permet de soutenir les compétences éducatives parentales, de réduire le retentissement familial, scolaire et social et d’atténuer la stigmatisation sociale associée aux troubles de l’élimination. La question suivante est abordée avec les parents : l’enfant doit-il ou non nettoyer ses vêtements et draps souillés ? Il faut éviter de surdéterminer le symptôme, soit en transformant les parents en esclave du nettoyage et de la toilette, soit en transformant le symptôme en enjeu de pouvoir par une approche punitive. Les objectifs de la guidance parentale sont les suivants : • neutraliser les interactions excessivement émotionnelles autour de ces symptômes ; • soutenir la prise d’autonomie du jeune dans la gestion des conséquences pratiques de lessive et d’hygiène liées à son problème ; • apporter au jeune un soutien empathique et discret et chercher avec lui les meilleures solutions pour minimiser l’impact social de son problème.

Utilisation d’un dispositif avec alarme L’utilisation d’un dispositif avec alarme est le traitement le plus indiqué pour une énurésie primaire nocturne (monosymptomatique). Classiquement présenté comme une méthode de conditionnement, il est considéré par plusieurs auteurs comme une méthode d’entraînement. Acquérir une meilleure conscience de la plénitude vésicale reète plutôt une méthode d’entraînement à une capacité non acquise en raison de l’immaturité développementale. Lors des consultations initiales, le médecin documente le rythme des pertes urinaires pendant deux semaines en constituant un calendrier mictionnel (ligne de base). Cette première intervention peut par elle-même entraîner une amélioration signicative (Fritz & al., 2004). Durant la mise en place du travail avec l’alarme, on établit un relevé des jours propres (dry chart) pour encourager le jeune en le mobilisant dans l’évaluation et la gestion des conséquences de ses pertes urinaires. Des données empiriques montrent l’ecacité de cette approche (Von Gontard, 2013). Le dispositif est intégré à une alaise ou à un sous-vêtement. Les premières gouttes d’urine qui imprègnent le tissu établissent le contact entre deux électrodes implantées dans le tissu. Le contact déclenche une alarme amenant l’enfant à se lever pour compléter sa miction dans les toilettes. Au l des jours, l’enfant se lève plus facilement jusqu’à ce que la sensation de plénitude vésicale le réveille. Peu d’enfants s’éveillent avec l’alarme au début

Chapitre 61

Troubles des apprentissages

1361

du traitement, si bien que la participation parentale est incontournable et détermine l’ecacité du traitement. Les parents doivent réveiller l’enfant. La ligne de base indique combien de fois l’alarme est susceptible de se déclencher au cours de la nuit. Bien établir la mise en route du traitement, idéalement pendant des vacances familiales, renforce les chances d’une alliance thérapeutique eective et durable. Un suivi rapproché, le premier mois, permet de soutenir l’adhésion au traitement. La durée minimale proposée est d’environ trois mois ou de 15 jours consécutifs sans pertes urinaires. On recommande un retrait progressif de l’alarme.

Pharmacothérapie Il existe un consensus selon lequel la pharmacothérapie est une option ecace pour l’énurésie primaire nocturne en cas d’échec ou de contre-indications à l’utilisation de l’alarme. Elle est d’autant plus indiquée si l’enfant présente aussi une polyurie nocturne (Van de Walle & al., 2012). • En 1re intention, on utilise la desmopressine ou 1-diamine 8 D-arginine-vasopressine (DDAVPMD), analogue synthétique de l’hormone antidiurétique, à la dose de 0,2 à 0,4 mg sous forme de comprimés ou de pulvérisations nasales, pendant deux semaines à trois mois. Elle agit dès la première nuit où elle est administrée. Il faut prendre la médication une heure avant le coucher, éviter de boire par la suite et uriner immédiatement avant de se mettre au lit. Le risque d’hyponatrémie est rare ; mais il est majoré si l’enfant augmente ses apports hydriques (Van de Walle & al., 2012). • En 2e intention, en cas d’une non-réponse à la desmopressine en monothérapie ou si des pertes diurnes avec mictions impérieuses sont constatées, le médecin peut tenter de combiner la desmopressine avec l’oxybutynine (DitropanMD), un antispasmodique anticholinergique (Deshpande & al., 2012). • En 3e intention, en cas de non-réponse, il peut essayer l’imipramine (TofranilMD), de 10 à 25 mg le soir (maximum 1 mg/ kg/jour), après un électrocardiogramme (ECG). Le retrait est eectué graduellement après plusieurs semaines de rémission. • En 4e intention, la combinaison imipramine et oxybutynine est une option possible pour réduire le risque de rechute après l’arrêt de la pharmacothérapie (Deshpande & al., 2012). En ce qui concerne l’encoprésie, il n’y a pas de médication en absence de constipation. En revanche, si la constipation et l’encoprésie associées sont chroniques, l’approche combinant laxatifs (SenokotMD, ColaceMD) et guidance parentale est indiquée (Brazzelli & al., 2011). L’encoprésie avec décience intellectuelle constitue un dé thérapeutique. Plus encore, l’association de troubles de l’élimination et d’un trouble d’apprentissage avec

décience intellectuelle est une situation thérapeutique exigeante alors que le symptôme se situe à la croisée des retards de développement, des dicultés de compréhension du monde environnant, de l’épuisement parental et des dés éducatifs des professionnels accompagnant l’enfant.

Psychothérapie Une approche psychothérapeutique est privilégiée dans les troubles d’élimination secondaires, où prévaut la dimension de la réponse régressive à un événement de vie traumatique ou à une étape développementale, dans les situations cliniques où la dimension d’opposition contribue fortement au maintien du trouble. L’évaluation précise la place du symptôme dans la dynamique familiale. Des entretiens parents-enfant, voire une thérapie familiale peuvent être ajoutés au plan de traitement. Dans les troubles primaires, une thérapie de soutien pour accompagner le jeune, l’aider à composer avec son problème et en réduire le retentissement subjectif peut être indiquée.

61.4.7 Évolution et pronostic On observe une évolution favorable spontanée des énurésies primaires nocturnes à la n de l’adolescence pour ne laisser subsister qu’une prévalence de 1 % chez l’adulte (Von Gontard & al., 2011). En revanche, le pronostic de l’encoprésie est réservé (Von Gontard, 2012).

Les troubles présentés dans ce chapitre sont des pathologies du développement de l’enfant aectant plusieurs registres, de manière isolée ou comorbide : langage, apprentissages, coordination motrice et maîtrise sphinctérienne. L’apparition et l’évolution de ces troubles sont déterminées par une pluralité de facteurs – génétiques, développementaux, relationnels et environnementaux. En conséquence, le tableau clinique est souvent complexe, exigeant de coordonner la prise en charge de 1re ligne avec les consultations et les suivis spécialisés. On observe en particulier des chevauchements diagnostiques entre les troubles du langage et les troubles spéciques d’apprentissage, d’une part, et entre ces troubles, les troubles du développement de la coordination motrice et les troubles du spectre de l’autisme, d’autre part. Pour autant, le médecin occupe une place incontournable dans le dépistage précoce de ces troubles et le soutien auprès des parents dans le contexte de prises en charge souvent longues. C’est grâce à son intervention que les évolutions défavorables seront évitées et que l’adaptation scolaire et sociale des jeunes sera favorisée.

Lectures complémentaires Association canadienne des troubles d’apprentissage : http://ldac-acta.ca/fr. B, M.-C. (2007). Dyslexie et autres maux d’école : Quand et comment intervenir, Montréal, CHU Sainte-Justine. Clinique d’évaluation neuropsychologique et des troubles d’apprentissage de Montréal : www.centam.ca/trouble_apprentissage.html.

1362

Institut des troubles d’apprentissage : http:// institutta.com. J, B. (2015). Troubles des apprentissages, Paris, Dunod. L, F. & B, S. (2007). Mon cerveau ne m’écoute pas : Comprendre et aider l’enfant dyspraxique, Montréal, CHU Sainte-Justine.

M, M. & L L, C. (2013). L’enfant dyspraxique et les apprentissages : Coordonner les actions thérapeutiques et scolaires, Paris, Masson. M, P. & al. (2016). Psychopathologie des troubles intellectuels et cognitifs, Paris, Lavoisier.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5 Spécialités psychiatriques

CHA P ITR E

62

Troubles anxieux chez l’enfant et l’adolescent BERNARD BOILEAU, M.D.

JEAN-JACQUES MARIER, M.D., FRCPC

Psychiatre, Clinique spécialisée des troubles anxieux, Programme de psychiatrie/neurodéveloppement et génétique, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (Montréal)

Psychiatre, Clinique spécialisée des troubles anxieux, Programme de psychiatrie/neurodéveloppement et génétique, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (Montréal)

Professeur adjoint de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeur adjoint de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

FRANÇOISE S. MAHEU, PH. D. (psychologie)

HUGUES SIMARD, M.D.

Psychologue chercheuse, Centre de recherche, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (Montréal)

Psychiatre, responsable, Clinique spécialisée des troubles anxieux, Programme de psychiatrie/neurodéveloppement et génétique, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine (Montréal)

Professeure adjointe, Département de neurosciences, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeur adjoint de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

62.1 Étiologies des troubles anxieux ................................. 1364 62.1.1 Variété de troubles anxieux.............................. 1364 62.1.2 Trouble obsessionnel-compulsif ..................... 1366 62.1.3 Trouble de stress post-traumatique................ 1366 62.2 Description clinique et traitement............................ 1367 62.2.1 Anxiété de séparation........................................ 1367 62.2.2 Phobie sociale...................................................... 1369 62.2.3 Anxiété généralisée ............................................ 1370 62.2.4 Trouble panique.................................................. 1372 62.2.5 Phobie spécique................................................ 1372 62.2.6 Trouble obsessionnel-compulsif ..................... 1373 62.2.7 Trouble de stress post-traumatique................ 1374

62.3 Pharmacothérapie ....................................................... 1377 62.3.1 Inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine................................................... 1377 62.3.2 Antihistaminiques et benzodiazépines .......... 1377 Lectures complémentaires .................................................... 1378

L’

anxiété est une réponse normale à la perception d’un danger, tel un signal d’alarme devant un stress réel ou appréhendé. Elle se manifeste par une sensation diuse de malaise, de détresse, une impression de danger et un sentiment de peur souvent intense. Chez l’enfant et l’adolescent, l’anxiété est inhérente à certaines étapes du développement et se manifeste normalement par des peurs propres à ces étapes : • peur des étrangers (6-18 mois) ; • peur des monstres, d’être séparé des parents (2-3 ans) ; • peur du noir, de dormir seul (3-6 ans) ; • peur des dangers physiques, de l’école (6-10 ans) ; • inquiétudes au sujet des amitiés et de l’exclusion (10-12 ans) ; • inquiétudes au sujet de l’identité, de l’apparence physique, de l’intégration sociale, de l’intimité, de l’avenir (adolescence). L’anxiété devient problématique lorsqu’elle entrave le développement ou qu’elle altère le fonctionnement général de manière signicative. L’évitement des situations angoissantes (p. ex., l’école) peut devenir prédominant. On parle alors de « trouble anxieux ». Chez l’enfant, les manifestations d’un trouble anxieux peuvent varier selon l’âge et l’étape du développement. Progressivement, avec la maturation, les manifestations se rapprochent de celles rencontrées chez les adultes. On peut retrouver :

Une fois le diagnostic établi, diérentes approches thérapeutiques peuvent être indiquées, selon chaque situation. Les parents doivent, la plupart du temps, être impliqués dans le processus thérapeutique, qui fait appel à diverses approches psychothérapeutiques : cognitivo-comportementale, psychodynamique, de relaxation, familiale, de groupe, etc. Dans les cas graves, la pharmacothérapie peut être combinée à ces approches. La collaboration des intervenants scolaires est souvent nécessaire, en particulier dans les cas de refus (phobie) scolaire, lorsque l’enfant refuse d’aller à l’école.

• l’anxiété de séparation : peur intense d’être éloigné du parent ; • la phobie sociale : peur du jugement des autres, d’être humilié

Les cinq troubles anxieux que sont l’anxiété de séparation, la phobie sociale, l’anxiété généralisée, le trouble panique et la phobie spécique sont abordés conjointement dans la présente section. En eet, de 40 à 60 % des enfants et des adolescents anxieux présentent une comorbidité entre ces cinq troubles (Rapee & al., 2009). Compte tenu de cette importante comorbidité, les résultats de recherche mentionnés ici sont obtenus auprès de jeunes présentant plusieurs de ces troubles. Lorsque des résultats ne sont applicables qu’à un seul de ces troubles, nous prenons soin de le mentionner.

parfois au point d’éviter les situations sociales ;

• le mutisme sélectif : incapacité de parler en dehors de la famille ; • l’anxiété généralisée : inquiétude excessive, impression de catastrophe imminente ;

• le trouble panique : épisode d’anxiété intense, aiguë, avec peur de mourir, de perdre le contrôle, palpitations cardiaques, dyspnée, tremblements, etc. ; • la phobie spécifique : peur d’un objet ou d’une situation (p. ex., peur de l’école, peur des chats) ; • le trouble obsessionnel-compulsif : idées ou images intrusives désagréables (p. ex., peur de la contamination) et gestes pour annuler les idées obsédantes (p. ex., lavage excessif ) ; • le trouble de stress post-traumatique, lorsque l’enfant a subi un ou des traumatismes graves : le fait de revivre l’événement traumatique par des souvenirs envahissants (flashback), l’évitement des situations rappelant l’événement, l’état d’hypervigilance. Le trouble anxieux peut également être sous-jacent à certaines présentations cliniques particulières, tels l’évitement (phobie) scolaire, l’anxiété de performance, la somatisation (se traduisant souvent en douleurs abdominales sans cause physique). Ces problématiques ont tendance à se retrouver chez plusieurs membres d’une même famille. Le tempérament inhibé chez l’enfant peut être une prédisposition au développement d’un éventuel trouble anxieux. Pour ce qui est de la prévalence, de 10 et 20 % des enfants et des adolescents sourent d’un trouble anxieux, ce qui en fait le trouble psychique le plus fréquent dans cette tranche d’âge. Il est souvent associé à des comorbidités, dont les plus fréquentes sont un second trouble anxieux, un trouble de l’humeur ou un décit de l’attention.

1364

62.1 Étiologies des troubles anxieux Nous ne discuterons ici que des aspects étiologiques des troubles anxieux propres aux enfants et aux adolescents. Les aspects étiologiques généraux des troubles anxieux sont présentés en détail au chapitre 20, à la section 20.3.

62.1.1 Variété de troubles anxieux

Étiologies biologiques Les facteurs biologiques pouvant être liés à l’émergence des cinq troubles anxieux concernant les enfants et les adolescents sont abordés ici.

Facteurs neurochimiques Des études sur les dysfonctions neurochimiques ont été réalisées chez les animaux dans leurs premières phases du développement, ou encore chez l’humain à l’âge adulte. Par contre, de tels travaux n’ont pas été eectués chez des jeunes atteints de l’un des cinq troubles anxieux discutés dans cette section. Il est cependant suggéré que les conclusions observées chez les adultes s’appliquent aussi aux enfants et aux adolescents. Ainsi, chez les jeunes, les animaux et l’adulte, des dysfonctions complexes au niveau de la sérotonine, de la noradrénaline, de la dopamine, du glutamate, du GABA et des neuropeptides sont associées à l’émergence de symptômes anxieux (Mathew & al., 2008). De plus, d’après l’expérience clinique, la consommation de cannabis, même sporadique, précipite fréquemment l’émergence d’un trouble panique (Hayatbakhsh & al., 2007).

Circuits neuronaux Des études d’imagerie par résonance magnétique (IRM) eectuées chez des adolescents présentant un trouble d’anxiété généralisée rapportent des altérations au niveau de la structure

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

de l’amygdale (Monk, 2008). Une augmentation de l’activité neuronale dans l’amygdale et le striatum (noyau caudé, noyau accumbens et putamen) et une diminution de l’activité neuronale dans le cortex préfrontal ventral sont également observées chez des adolescents présentant un trouble panique ou un trouble d’anxiété généralisée (Monk, 2008) (voir les gures supplémentaires). À première vue, il n’y a donc pas de diérence entre les jeunes et les adultes sourant d’anxiété, puisque ces résultats sont conformes aux observations faites chez ces derniers à l’aide de cette technique (Pine, 2007).

Facteurs cognitifs

Génétique

L’émergence de l’anxiété est liée au conditionnement classique (une forme d’apprentissage associatif ), autant chez les jeunes que chez les adultes. De fait, un individu peut apprendre par conditionnement à avoir peur d’un stimulus non dangereux (stimulus conditionnel neutre) lorsque ce stimulus est associé de façon répétée à un stimulus menaçant (stimulus inconditionnel). Ainsi, des expériences négatives (p. ex., impression d’être ennuyeux – stimulus inconditionnel) vécues de façon répétitive lors de situations sociales (stimulus conditionnel) amènent un individu à craindre les interactions avec les autres. De plus, les apprentissages par l’observation (une autre forme d’apprentissage associatif ) de réponses de peur et de comportements d’évitement, ou par la transmission orale d’informations, sont liés à l’émergence de troubles anxieux chez les jeunes comme chez les adultes (Craske & Waters, 2005).

Plusieurs études montrent une agrégation familiale de l’anxiété, alors que les enfants de parents sourant d’un trouble anxieux présentent un plus grand risque de développer un trouble anxieux que des enfants n’ayant pas ces antécédents (Rapee & al., 2009). Des études chez des jumeaux ont aussi souligné l’héritabilité des troubles anxieux. Conrmant les données obtenues auprès de jumeaux adultes, des études eectuées auprès de populations pédiatriques de jumeaux suggèrent de 30 et 40 % d’héritabilité (hérédité génétique ; l’interaction gènes X et environnement n’ayant pas été mesurée dans ces études) en ce qui a trait aux cinq troubles anxieux concernant les enfants et les adolescents (Beesdo & al., 2009). Enn, un tempérament inhibé – caractérisé par de la timidité, de la détresse et du retrait vis-à-vis de situations nouvelles, des comportements sociaux limités et une tendance à rester proche de personnes réconfortantes – est associé à l’émergence de troubles anxieux chez les enfants et les adolescents (Rapee & al., 2009). Chez l’adulte, des gènes spéciques liés aux systèmes de la noradrénaline, de la sérotonine, de la dopamine et du GABA sont associés aux troubles anxieux (Smoller & al., 2008). Par contre, chez les jeunes, il existe très peu d’études en génétique moléculaire. Des travaux récents ont toutefois montré une association entre l’anxiété et des polymorphismes du gène transporteur de la sérotonine ainsi que du gène brain derived neurotrophic factor (BDNF) chez les adolescents (Pine & al., 2010).

Au point de vue cognitif, les jeunes comme les adultes sourant d’anxiété manifestent une hypervigilance et une plus grande sensibilité aux informations négatives (p. ex., lorsque confrontés à des visages de peur et de colère), ce qui signie qu’ils sont plus prompts à orienter leur attention vers les stimuli menaçants et à interpréter des informations ambiguës comme étant inquiétantes (Craske & Waters, 2005). Cela est observé pour tous les troubles anxieux, sauf pour l’anxiété de séparation.

Apprentissages associatifs

Styles parentaux La surprotection parentale, caractérisée par des parents contrôlants qui entretiennent la perception d’un monde non sécuritaire duquel leurs enfants doivent être protégés, est liée à l’émergence de l’anxiété. De même, le rejet parental, caractérisé par des parents froids, autoritaires et exagérément critiques, ainsi que la diculté chez certains parents à imposer des limites, sont associés au développement de troubles anxieux. Enn, la propension chez certains parents à entretenir avec leurs enfants des relations marquées par de l’insécurité est aussi impliquée dans la genèse des troubles anxieux (Beesdo & al., 2009).

Interactions des facteurs prédisposants

Étiologies psychologiques et sociales La gure 62.1 illustre les diverses inuences qui contribuent à l’émergence de troubles anxieux.

Des éléments dépressifs chez un des parents ainsi que la pauvreté et la violence dans la communauté où vit un jeune peuvent aussi contribuer à l’émergence d’un trouble anxieux (Rapee & al., 2009).

FIGURE 62.1 Modèle étiologique de l’anxiété

Source : Adapté de Rapee & al. (2009).

Chapitre 62

Troubles anxieux chez l’enfant et l’adolescent

1365

Bien sûr, c’est l’interaction entre les facteurs énumérés cidessus qui est liée aux troubles anxieux, alors que la vulnérabilité physiologique de l’individu (p. ex., génétique), des facteurs cognitifs (ex., hypervigilance) et environnementaux (ex., styles parentaux), ses expériences de vie et la perception de contrôle qu’il a sur ces expériences vont interagir et inuencer l’émergence des troubles anxieux. En outre, le sexe féminin est un facteur de risque important pour le trouble d’anxiété généralisée (American Academy of Child and Adolescent Psychiatry, 2007), alors que des caractéristiques individuelles – la mésestime de soi, la vulnérabilité narcissique, l’hypersensibilité aux critiques et l’anxiété par rapport aux pulsions émergentes de l’adolescence – constituent des facteurs de risque liés à la phobie sociale en particulier. Pour certains troubles anxieux, comme le trouble obsessionnelcompulsif (TOC) et le trouble de stress post-traumatique (TSPT), des aspects étiologiques spéciques ont été étudiés.

62.1.2 Trouble obsessionnel-compulsif Pour certains troubles anxieux, comme le trouble obsessionnelcompulsif (TOC) et le trouble de stress post-traumatique (TSPT), des aspects étiologiques spéciques ont été étudiés.

Étiologies biologiques Le trouble obsessionnel-compulsif est aussi relié à une interaction d’étiologies bio-psycho-sociales.

Facteurs neurochimiques Chez l’adulte, des dysfonctions sérotoninergiques, glutaminergiques et dopaminergiques sont liées à l’émergence de symptômes de TOC. Chez les jeunes, des études ont été eectuées en lien avec le système sérotoninergique seulement, conrmant les conclusions obtenues chez l’adulte (Cameron, 2007 ; Walitza & al., 2010). De plus, dans certains cas, le déclenchement brusque de TOC pédiatrique est lié à des virus ou à des mycoplasmes qui entraîneraient une réaction immunologique sur le plan cérébral (Cameron, 2007). Une infection au streptocoque du groupe A, qui a généré le terme PANDAS (pediatric autoimmune neuropsychiatric disorder associated with streptococcus A), consiste en l’apparition aiguë de symptômes obsessionnels-compulsifs à la suite d’une infection au streptocoque du groupe A (Swedo & al., 1997).

Génétique La prévalence du TOC chez des enfants dont les parents sont atteints de cette maladie est beaucoup plus élevé que chez les enfants de parents non atteints (Walitza & al., 2010). Bien que peu nombreuses, des études chez les jumeaux suggèrent aussi un caractère héréditaire pour le TOC de 27 à 47 % chez les adultes (Walitza &al., 2010), alors qu’un taux d’héritabilité de 45 à 65 % est rapporté chez les jeunes. Enn, chez les jeunes, le fait d’être timide, de faire preuve de peu d’émotivité et de sociabilité et de manifester un faible intérêt pour entreprendre des activités est lié aux symptômes du TOC. Ce tableau dière des observations faites chez l’adulte, où un tempérament peu aventureux et une faible capacité d’adaptation sont associés aux symptômes du TOC (Ivarsson & al., 2004). Chez les jeunes comme chez les adultes, plusieurs études (Walitza & al., 2010) rapportent une association entre des symptômes du TOC et des polymorphismes :

• • • • •

de diérents gènes sérotoninergiques ; du gène du récepteur dopaminergique DA4 ; du gène brain derived neurotrophic Factor (BDNF) ; du gène catéchol-O-méthyl-transférase (COMT) ; du gène transporteur du glutamate.

Étiologies psychologiques et sociales Facteurs cognitifs Des études suggèrent que les jeunes présentant un TOC entretiennent des idées obsédantes quant au danger que peuvent représenter des situations ou objets familiers (p. ex., des couteaux, des épingles) pour leur bien-être et leur sécurité (ou ceux des autres, p. ex., leurs parents). Ces idées les amènent à s’engager dans des actions compulsives dans le but de prévenir et d’éliminer le danger. Les compulsions sont des comportements d’évitement qui maintiennent les obsessions par un renforcement négatif (p. ex., par le retrait ou la réduction de l’anxiété) et qui empêchent l’habituation aux objets ou aux situations induisant la peur (Cameron, 2007).

Apprentissage associatif Être témoin de comportements de peur, de croyances à propos de la dangerosité de certaines situations ou de compulsions est associé au développement d’un TOC chez les jeunes (Cameron, 2007).

Circuits neuronaux

Styles parentaux

Des altérations de la structure du cortex orbitofrontal (COF, voir les gures supplémentaires) ainsi que des taux anormaux du marqueur neuronal N-acétyl-aspartate (NAA) en circulation dans le cortex cingulaire antérieur (CCA) sont observés chez des adultes présentant un TOC. Chez les jeunes, des altérations au niveau des structures du COF et du CCA sont aussi documentées à l’aide de l’IRM, mais aucune étude n’a examiné les niveaux de NAA en circulation. Des anomalies structurales du striatum sont aussi mises en évidence chez des adultes atteints d’un TOC. Chez les jeunes, les études d’IRM rapportent une diminution du volume de cette région. Chez les jeunes comme chez les adultes atteints d’un TOC, une augmentation du volume du thalamus est documentée (MacMaster & al., 2008). Enn, des études d’IRMf eectuées chez ces deux groupes de population rapportent une hausse de l’activation dans le COF, le CCA, le striatum et le thalamus (Cameron, 2007). Les jeunes et les adultes semblent donc présenter des altérations cérébrales similaires.

La surprotection ou le rejet parental ainsi que l’anxiété parentale sont associés à la perception que le monde est dangereux et au développement de compulsions visant à prévenir le danger et à s’en protéger (Cameron, 2007). Tout comme pour les troubles anxieux énumérés à la soussection 62.1.1, l’inuence des facteurs psychologiques sur le développement du TOC est modulée par la présence d’une vulnérabilité physiologique à la maladie.

1366

62.1.3 Trouble de stress post-traumatique Aspects biologiques Facteurs neurochimiques Dans le trouble de stress post-traumatique (TSPT), chez les jeunes comme chez les adultes, on note :

• une hausse de l’activité des systèmes noradrénergique et dopaminergique ;

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

• des dysfonctions de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien ; • des taux élevés du facteur de libération de la corticotrophine •

(CRF, corticolibérine) dans le liquide céphalorachidien (chez l’adulte seulement) ; une élévation des cytokines (dans les heures suivant un trauma) (Pervanidou, 2008).

Circuits neuronaux Chez les jeunes et les adultes présentant un TSPT, on observe :

• des altérations structurales de l’hippocampe et de l’amygdale (pour cette dernière, chez les jeunes seulement) ;

• des altérations fonctionnelles de l’hippocampe et de l’amygdale ; • des altérations structurales et fonctionnelles du cortex préfrontal (Bremner, 2004 ; Liberzon & Sripada, 2008 ; Maheu & al., 2010).

• • •

Génétique Des enfants exposés à un trauma et dont les parents sourent déjà d’un TSPT sont plus à risque de développer des symptômes de stress post-traumatique que des enfants exposés à un trauma dont les parents n’ont pas ce trouble (Skelton & al., 2012). De plus, bien que peu nombreuses, des études chez les jumeaux adultes suggèrent aussi un caractère héréditaire au TSPT. Ces études montrent qu’après que l’on a contrôlé l’exposition à des facteurs environnementaux, la vulnérabilité à développer des symptômes du TSPT est attribuable à des inuences génétiques dans une proportion de 32 à 35 %. Cela a amené les chercheurs à suggérer que des facteurs héréditaires (p. ex., l’inuence des gènes hérités sur le tempérament) peuvent inuencer le risque de s’exposer à des facteurs traumatisants et au développement de symptômes du TSPT (de telles données sont absentes chez les jeunes) (Skelton & al., 2012). Les études de génétique moléculaire (Skelton & al., 2012) eectuées essentiellement auprès de populations adultes rapportent un lien entre le TSPT et des polymorphismes :

• • • • • •

• • • • • • • •

des gènes du facteur de libération de la corticotrophine ; d’un gène lié aux glucocorticoïdes ; de diérents gènes sérotoninergiques ; du gène COMT ; du gène du récepteur dopaminergique DA2 ; du gène du récepteur GABA α2.

Étiologies psychologiques et sociales Facteurs cognitifs Une hypervigilance et une plus grande sensibilité aux informations négatives de l’environnement sont associées à l’émergence d’un TSPT chez les jeunes comme chez les adultes (Monk & Pine, 2004).

Expériences de vie et traumatismes Les événements traumatiques interpersonnels tels que les guerres, le terrorisme, le fait d’être témoin de violence domestique ou de violence dans la société, les abus physiques, la négligence et les abus sexuels sont les causes les plus fréquentes de TSPT chez les enfants et les adolescents. Les désastres naturels, les accidents, les incendies et les maladies graves (p. ex., le cancer) peuvent aussi donner lieu à un TSPT (De Bellis & Van Dillen, 2005 ; Nemero & al., 2006). L’inuence de ces facteurs environnementaux sur le développement du TSPT est modulée par la présence des éléments suivants :

l’enfance ; le sexe féminin ; une histoire familiale de troubles psychiatriques ; une santé précaire ; une vulnérabilité physiologique à la maladie ; une inhibition comportementale extrême ; un trouble psychiatrique antérieur ; des conditions de vie défavorables (p. ex., guerre, pauvreté, absence de soutien social) ; de la maltraitance durant l’enfance. On distingue les facteurs de risque : associés à l’événement traumatique comme tel : le degré d’exposition et l’impression subjective de danger vécue par l’enfant et les parents ; associés à l’après-événement traumatique : le manque de soutien social, les événements défavorables (p. ex., perte d’un parent, témoin d’actes violents, désastres naturels, incendie), la réaction des parents et le manque d’interventions visant spéciquement le travail par rapport aux éléments posttraumatiques (De Bellis & Van Dillen, 2005).

62.2 Description clinique et traitement Les cinq troubles anxieux survenant chez les enfants et les adolescents se manifestent par des caractéristiques spéciques et nécessitent des approches thérapeutiques adaptées à ce groupe d’âge.

62.2.1 Anxiété de séparation Selon le DSM-5, l’anxiété de séparation se dénit comme une manifestation excessive, inappropriée pour l’âge de la personne, d’une crainte de la séparation de son milieu familial et de ses gures principales d’attachement qui dure au moins quatre semaines. La prévalence de l’anxiété de séparation chez les enfants et les adolescents est de 3 à 5 % avec une survenue maximale entre 7 et 9 ans (Suveg & al., 2005).

Description clinique L’enfant qui manifeste de l’anxiété de séparation est très souvent inquiet pour ses parents (p. ex., il peut être envahi de pensées anxieuses telles que des accidents ou des maladies les concernant) ou il peut avoir peur qu’il lui arrive des malheurs comme se perdre, se faire kidnapper, avoir un accident. Des manifestations somatiques d’anxiété (mal de ventre, vomissements, etc.) peuvent apparaître lorsqu’une séparation est anticipée. Ce trouble se manifeste parfois par un refus scolaire tenace ; l’enfant peut refuser d’aller jouer chez des amis et faire des cauchemars à thème de séparation. Il n’est pas rare que le coucher soit perturbé par le désir de l’enfant de dormir avec ses parents ou d’avoir une présence parentale jusqu’à l’endormissement. Les comorbidités les plus fréquentes sont l’anxiété généralisée, la phobie spécique, la phobie sociale et le décit d’attention/hyperactivité (TDA/H) (Victor & Bernstein, 2009). Le tableau 62.1 présente les critères diagnostiques de l’anxiété de séparation du DSM-5 et de sa version antérieure, le DSM-IV-TR.

Chapitre 62

Troubles anxieux chez l’enfant et l’adolescent

1367

TABLEAU 62.1 Critères diagnostiques de l’anxiété de séparation

DSM-5 309.21 (F93.0) Anxiété de séparation

DSM-IV-TR Anxiété de séparation

A. Peur ou anxiété excessives et inappropriées au stade du développement concernant la séparation A. Idem à DSM-5. d’avec les personnes auxquelles le sujet est attaché, comme en témoigne la présence d’au moins trois des manifestations suivantes : 1. Détresse excessive et récurrente dans les situations de séparation d’avec la maison ou les principales gures d’attachement ou en anticipation de telles situations. 2. Soucis excessifs et persistants concernant la disparition des principales gures d’attachement ou un malheur pouvant leur arriver, tel qu’une maladie, un accident, une catastrophe ou la mort. 3. Soucis excessifs et persistants qu’un événement malheureux (p. ex., se retrouver perdu, être kidnappé, avoir un accident, tomber malade) ne vienne séparer le sujet de ses principales gures d’attachement. 4. Réticence persistante ou refus de sortir, loin de la maison, pour aller à l’école, travailler, ou ailleurs, en raison de la peur de la séparation. 5. Appréhension ou réticence excessive et persistante à rester seul ou sans l’une des principales gures d’attachement à la maison, ou bien dans d’autres environnements. 6. Réticence persistante ou refus de dormir en dehors de la maison ou d’aller dormir sans être à proximité de l’une des principales gures d’attachement. 7. Cauchemars répétés à thèmes de séparation. 8. Plaintes somatiques répétées (p. ex., céphalées, douleurs abdominales, nausées, vomissements) lors des séparations d’avec les principales gures d’attachement, ou en anticipation de telles situations. B. La peur, l’anxiété ou l’évitement persistent pendant au moins 4 semaines chez les enfants et les adolescents et typiquement pendant 6 mois ou plus chez les adultes.

B. La durée du trouble est d’au moins quatre semaines. C. Début avant l’âge de 18 ans.

C. Le trouble entraîne une détresse cliniquement signicative ou une altération du fonctionnement social, scolaire, professionnel, ou dans d’autres domaines importants.

D. Idem à DSM-5.

D. Le trouble n’est pas mieux expliqué par un autre trouble mental, tel que : • le refus de quitter la maison du fait d’une résistance excessive au changement dans un trouble du spectre de l’autisme ; • les idées délirantes ou les hallucinations concernant la séparation dans les troubles psychotiques ; • le refus de sortir sans une personne de conance dans l’agoraphobie ; • les soucis à propos de problèmes de santé ou autres malheurs pouvant arriver à des personnes proches dans l’anxiété généralisée ; • les préoccupations d’avoir une maladie dans la crainte excessive d’avoir une maladie.

E. Le trouble ne survient pas exclusivement au cours : • d’un Trouble envahissant du développement, • d’une Schizophrénie ou d’un autre Trouble psychotique, • chez les adolescents et les adultes, il n’est pas mieux expliqué par le diagnostic de Trouble panique avec agoraphobie. Spécier si : Début précoce : si le début survient avant l’âge de 6 ans.

Sources : APA (2015), p. 223 ; APA (2004), p. 145-146. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

Une illustration clinique de l’anxiété de séparation est présentée en détail au chapitre 55.

Diagnostic différentiel Il importe de distinguer l’anxiété de séparation de l’anxiété généralisée, dans laquelle les angoisses portent sur de multiples situations de la vie quotidienne et non spéciquement sur des thèmes de séparation. Certains éléments, comme le refus d’aller chez des amis, doivent être diérenciés de la phobie sociale. Dans la phobie spécique, l’objet de l’inquiétude est extérieur et clairement identié. Généralement, la présence du parent a moins tendance à atténuer les symptômes pour les autres troubles anxieux que pour l’anxiété de séparation. L’enfant ou l’adolescent qui présente un trouble obsessionnel-compulsif peut parfois

1368

insister pour qu’un membre de la famille reste auprès de lui pour participer à ses rituels. Le jeune sourant de dépression peut s’accrocher de façon excessive à son parent. Enn, l’enfant victime de harcèlement à l’école peut réclamer une présence rassurante de façon constante qu’il faut distinguer de l’anxiété de séparation.

Traitement Comme pour les autres troubles anxieux de l’enfance, la thérapie cognitivo-comportementale, individuelle et familiale, avec des exercices d’exposition à la situation anxiogène, est fondamentale dans le traitement de l’anxiété de séparation. Sur le plan de l’intervention parentale, il s’agit souvent de mettre en lumière une dynamique présente de longue date, qui a renforcé l’inquiétude et la toute-puissance de l’enfant,

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

et l’impuissance des parents à modier leurs comportements. Il n’est pas rare qu’un des parents présente un trouble ou des traits anxieux ou dépressifs nécessitant un traitement spécique. Les enfants présentant des symptômes anxieux aigus peuvent bénécier d’un traitement médicamenteux concomitant avec des ISRS, tels que le citalopram (CelexaMD) ou la sertraline (ZoloftMD) (voir la sous-section 62.3.1 et le tableau 62.3).

Évolution Le trouble d’anxiété de séparation constitue un facteur de risque pour la dépression et les autres troubles anxieux, y compris le trouble panique (Lewinsohn & al., 2008). Si le traitement s’avère souvent ecace, aucune étude n’en montre encore l’impact sur le risque de développer une psychopathologie spécique.

62.2.2 Phobie sociale La phobie sociale se caractérise par une peur excessive et persistante du jugement des autres ou de l’humiliation dans des situations sociales ou de performance. La phobie sociale apparaît surtout à l’adolescence, probablement en raison des enjeux sociaux et identitaires propres à cette étape de la vie, mais on la rencontre également durant l’enfance. Même si elle est dicile à établir, la prévalence serait de l’ordre 0,5 % chez l’enfant et de 2 à 4 % chez les adolescents (Chavira & Stein, 2005). Chez l’enfant, les formes d’anxiété peuvent évoluer, par exemple, un trouble d’anxiété généralisée ou d’anxiété de séparation qui évolue comme une phobie sociale chez l’adolescent.

Description clinique La phobie sociale se manifeste fréquemment par la peur de parler, de lire, de manger, d’écrire, de parler au téléphone ou d’aller aux toilettes dans les endroits publics, etc. Elle entraîne des comportements d’évitement qui peuvent devenir très graves : évitement des examens oraux, des discussions entre pairs, des activités sportives, des contacts avec les personnes en autorité, des fêtes entre amis. Elle aboutit souvent à une restriction importante de tout le champ social. Des symptômes d’anxiété aiguë de type panique surviennent lors de l’exposition aux situations sociales anxiogènes : tremblements, palpitations, sudation, rougissement, confusion, inconfort gastro-intestinal, diarrhées, étourdissements. Chez les enfants ou les adolescents plus jeunes, des pleurs et de l’agressivité peuvent s’ajouter à ce tableau. Ce trouble est souvent impliqué dans les cas de refus scolaire à composante anxieuse, particulièrement chez les adolescents. Selon le DSM-5, les critères diagnostiques de l’anxiété sociale (phobie sociale) sont similaires pour les enfants et les adultes avec une précision. Chez les enfants, la peur ou l’anxiété peuvent s’exprimer dans les situations sociales par des pleurs, des accès de colère, ou des réactions de gement (d’immobilisation [freeze]) ; l’enfant s’accroche, se met en retrait ou ne dit plus rien. L’enfant présente toutefois des capacités relationnelles appropriées pour l’âge avec des gens familiers. Les critères diagnostiques de la phobie sociale sont présentés en détail au chapitre 20, (voir le tableau 20.6).

Mutisme sélectif Le mutisme sélectif (Sharp & al., 2007), caractérisé par une incapacité de l’enfant à parler à l’extérieur de sa famille, est

parfois considéré comme une forme sévère de phobie sociale chez l’enfant ; et le DSM-5 fait de même en le déplaçant dans sa section des troubles anxieux sans en modier les critères (voir le tableau 62.2). Il constitue souvent un handicap pour la scolarité et les apprentissages. Il ne s’agit pas d’un trouble d’apprentissage ou du langage, mais d’une diculté récurrente de s’exprimer verbalement dans certaines situations sociales spéciques, contrastant avec l’existence d’une communication verbale adéquate dans les autres situations. Le jeune communique par monosyllabes ou par gestes. Cette diculté altère signicativement l’adaptation sociale. La prévalence est inférieure à 1 % (Viana & al., 2009). Bien que le mutisme sélectif ne soit pas dû à une dysphasie, l’existence d’une immaturité de langage ou d’articulation peut constituer un facteur prédisposant chez certains enfants, de même que la survenue récente d’un événement traumatique. L’évaluation de l’enfant mutique permet d’écarter un trouble du langage, de resituer le symptôme dans son contexte familial. L’évaluation de l’enfant mutique permet d’écarter un trouble du langage, de resituer le symptôme dans son contexte familial, social et scolaire et aussi de préciser sa nature adaptative, anxieuse ou oppositionnelle. Ces éléments guident le plan de traitement. Le plus souvent identié lors de l’entrée à l’école, le mutisme sélectif tend à perdurer.

Diagnostic différentiel Il faut distinguer la phobie sociale d’autres problématiques anxieuses, en particulier le trouble panique, qui peut aussi s’accompagner d’évitement de situations sociales, la crainte sous-jacente étant alors d’avoir d’autres attaques de panique en public. Les formes plus légères de trouble du spectre de l’autisme se manifestent également par un isolement social, qui est plutôt lié aux incompétences de base sur les plans de la socialisation et de la communication.

Traitement L’approche thérapeutique, de nature multimodale, doit tenir compte des composantes bio-psycho-sociales. La psychothérapie cognitivo-comportementale est actuellement l’approche privilégiée dans le traitement de la phobie sociale, alors que l’accent est mis sur l’exposition progressive aux situations anxiogènes et la restructuration cognitive visant la crainte du jugement des autres. Certains enfants et adolescents peuvent également bénécier d’une psychothérapie psychodynamique avec exploration des conits intériorisés sous-jacents à leurs craintes. Également, compte tenu de la nature même du trouble, la thérapie de groupe est un outil particulièrement indiqué et ecace. Lorsque l’anxiété est très élevée et l’atteinte fonctionnelle importante, le recours à la pharmacothérapie peut devenir essentiel. Les ISRS (citalopram [CelexaMD], sertraline [ZoloftMD], uoxétine [ProzacMD] à faibles doses de départ chez les enfants et à dose similaire aux adultes chez les adolescents), dont l’ecacité est de plus en plus documentée, sont la médication de choix (voir la sous-section 62.3.1) (Mancini & al., 2005). Chez les adolescents, l’utilisation d’une benzodiazépine (lorazépam [AtivanMD], clonazépam [RivotrilMD], etc.) peut parfois être indiquée à court terme, en début de traitement. La thérapie familiale est une composante importante du traitement, en particulier les mesures favorisant l’autonomie de l’enfant et ne renforçant pas les comportements d’évitement, piège dans lequel les familles tombent souvent (Kearny, 2005).

Chapitre 62

Troubles anxieux chez l’enfant et l’adolescent

1369

TABLEAU 62.2 Critères diagnostiques du mutisme sélectif

DSM-5 313.23 (F94.0) Mutisme sélectif

DSM-IV-TR Mutisme sélectif (auparavant Mutisme électif)

A. Incapacité régulière à parler dans des A. Idem à DSM-5. situations sociales spéciques dans lesquelles l’enfant est supposé parler (p. ex. à l’école) alors que l’enfant parle dans d’autres situations.

B. Le trouble interfère avec la réussite scolaire ou professionnelle, ou avec la communication sociale.

B. Idem à DSM-5.

C. Durée d’au moins 1 mois (pas seulement le premier mois d’école).

C. Idem à DSM-5.

D. L’incapacité à parler n’est pas imputable à un défaut de connaissance ou de maniement de la langue parlée nécessaire dans la situation sociale où le trouble se manifeste.

D. Idem à DSM-5.

E. La perturbation n’est pas mieux expliquée par un trouble de la communication (p. ex. trouble de la uence verbale) et elle ne survient pas exclusivement au cours : • d’un trouble du spectre de l’autisme, • d’une schizophrénie, • d’un autre trouble psychotique.

E. Idem à DSM-5.

CFTMEA (2012) 6.031 Mutisme électif Suspension ou disparition de la parole chez un enfant qui l’avait acquise antérieurement, ne se manifestant que dans certaines conditions ou vis-à-vis de certaines personnes : • le plus souvent, il s’agit d’un mutisme extrafamilial : l’enfant ne parle qu’aux personnes familières et reste mutique vis-à-vis des étrangers, y compris le plus souvent en milieu scolaire. À l’école, l’enfant est souvent inhibé, participe peu aux activités ou seulement aux activités écrites ; • dans le mutisme intrafamilial, l’enfant n’accepte de parler, parfois seulement en chuchotant, qu’à certains membres du groupe familial.

Sources : APA (2015), p. 228 ; APA (2004), p. 148 ; Misès (2012), p. 50. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

Des interventions auprès des organismes peuvent également être nécessaires, notamment auprès des écoles lors d’un refus (phobie) scolaire, pour favoriser la réintégration progressive. Il faut aussi que l’école s’assure que le climat est adéquat et qu’il n’y a pas d’intimidation, phénomène souvent fréquent en lien avec le développement de la phobie sociale. Des interventions psychosociales précoces auprès des parents de jeunes enfants présentant une inhibition comportementale peuvent contribuer à la prévention de troubles anxieux ultérieurs, dont la phobie sociale (Kennedy & al., 2009). Ces interventions de groupe, brèves (6 semaines), sont faites auprès des parents et sont structurées autour de l’exposition progressive de leur enfant à des expériences nouvelles.

Évolution La réponse au traitement est généralement très bonne chez les enfants et les adolescents. Par contre, non traitée ou d’intensité très sévère, la phobie sociale tend à se chroniciser, évoluant soit vers la persistance de la problématique ou l’apparition d’autres

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troubles anxieux ou d’une dépression majeure. Les séquelles sont importantes : moins bonne réussite scolaire, sous-emploi, isolement social important, troubles liés aux substances et à l’utilisation de substances, risque suicidaire accru.

62.2.3 Anxiété généralisée Dans le DSM-5, l’anxiété généralisée inclut le trouble hyperanxiété de l’enfant, qui avait été introduit depuis le DSM-III et remis en question en raison de critiques sur la validité et la abilité de ses critères diagnostiques (Masi & al., 2004). L’anxiété généralisée est caractérisée par de l’anxiété et des soucis excessifs, se manifestant presque constamment et dans diverses situations, le plus souvent accompagnés de manifestations somatiques. Dans la population générale, la prévalence de l’anxiété généralisée est estimée à environ 1,4 % chez les enfants de 9 à 12 ans et varie de 2,3 à 4,6 % chez les adolescents (Costello & al., 2005). En général, les troubles anxieux sont plus fréquents chez les lles et dans l’anxiété généralisée cette diérence est de deux ou trois

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Spécialités psychiatriques

lles pour un garçon à l’adolescence. L’âge médian du début de l’anxiété généralisée chez les lles est environ 17 ans, une apparition plus précoce que chez les garçons, dont l’âge médian est environ 19 ans (Beesdo & al., 2009).

Description clinique Dans le DSM-5, les mêmes critères diagnostiques de l’anxiété généralisée s’appliquent chez les adultes et les enfants, sauf que TABLEAU 62.3

chez les enfants, un seul item du critère C est requis (voir le tableau 62.3). Les enfants et les adolescents présentant de l’anxiété généralisée ont tendance à se préoccuper de leur compétence ou de la qualité de leur performance à l’école ou dans les activités sportives. Ils peuvent aussi s’inquiéter de leur ponctualité ou d’événements catastrophiques et rechercher de façon excessive une approbation ou une réassurance auprès de leur entourage. Ils sont souvent décrits comme perfectionnistes.

Critères diagnostiques de l’anxiété généralisée DSM-5

DSM-IV-TR Trouble d’anxiété généralisée (incluant le Trouble hyperanxiété de l’enfant)

300.02 (F41.1) Anxiété généralisée

A. Anxiété et soucis excessifs (attente avec appréhension) survenant la plupart du A. Idem à DSM-5. temps durant au moins 6 mois concernant un certain nombre d’événements ou d’activités (telles que le travail ou les performances scolaires). B. La personne éprouve de la difculté à contrôler cette préoccupation.

B. Idem à DSM-5.

C. L’anxiété et les soucis sont associés à trois (ou plus) des six symptômes suivants (dont au moins certains symptômes ont été présents la plupart du temps durant les 6 derniers mois) : N.B. : Un seul item est requis chez l’enfant. 1. Agitation ou sensation d’être survolté ou à bout ; 2. Fatigabilité ; 3. Difcultés de concentration ou trous de mémoire ; 4. Irritabilité ; 5. Tension musculaire ; 6. Perturbation du sommeil (difcultés d’endormissement ou sommeil interrompu ou sommeil agité et non satisfaisant).

C. Idem à DSM-5.

D. L’anxiété, les soucis ou les symptômes physiques entraînent une détresse ou une altération, cliniquement signicatives du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.

E. Idem à DSM-5.

E. La perturbation n’est pas imputable aux effets physiologiques d’une substance (p. ex., une substance donnant lieu à abus, un médicament) ou d’une autre affection médicale (p. ex. hyperthyroïdie).

F. La perturbation n’est pas due aux effets physiologiques directs d’une substance (p. ex., une substance donnant lieu à abus, un médicament) ou d’une affection médicale générale (p. ex., hyperthyroïdie) et ne survient pas exclusivement au cours d’un trouble de l’humeur, d’un trouble psychotique ou d’un trouble envahissant du développement.

F. La perturbation n’est pas mieux expliquée par un autre trouble mental D. L’objet de l’anxiété et des soucis n’est pas limité aux manifestations (p. ex. : d’un trouble de l’axe I, par exemple, l’anxiété ou la préoccupation n’est pas celle : • anxiété ou souci d’avoir une attaque de panique dans le trouble panique ; • d’avoir une attaque de panique (comme dans le trouble panique) ; • évaluation négative dans l’anxiété sociale [phobie sociale] ; • d’être gêné en public (comme dans la phobie sociale) ; • contamination ou autres obsessions dans le trouble • d’être contaminé (comme dans le trouble obsessionnel-compulsif) ; obsessionnel-compulsif ; • d’être loin de son domicile ou de ses proches (comme dans • séparation des gures d’attachement dans l’anxiété de séparation ; le trouble anxiété de séparation) ; • souvenirs d’événements traumatiques dans le trouble stress • de prendre du poids (comme dans l’anorexie mentale) ; post-traumatique ; • d’avoir de multiples plaintes somatiques (comme dans le trouble • prise de poids dans l’anorexie mentale ; somatisation) ; • plaintes somatiques dans le trouble à symptomatologie somatique ; • ou d’avoir une maladie grave (comme dans l’hypocondrie) ; • défauts d’apparence perçus dans l’obsession d’une dysmorphie corporelle ; et l’anxiété et les préoccupations ne surviennent pas exclusivement au cours d’un état de stress post-traumatique. • avoir une maladie grave dans la crainte excessive d’avoir une maladie ; • ou teneur de croyances délirantes dans la schizophrénie ou le trouble délirant). Sources : APA (2015), p. 261 ; APA (2004), p. 549-550. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

Chapitre 62

Troubles anxieux chez l’enfant et l’adolescent

1371

En ce qui concerne la comorbidité, les études réalisées dans la population générale montrent que les enfants et les adolescents sourant d’anxiété généralisée révèlent une comorbidité élevée de troubles anxieux autres, alors que les études de population clinique montrent une comorbidité élevée de dépression, principalement, et aussi de troubles anxieux autres, mais dans une moindre proportion (Masi & al., 2004 ; Victor & Bernstein, 2009).

l’évitement des lieux publics, dont l’école chez les adolescents, par peur de présenter d’autres attaques. Il est également fréquemment accompagné de comorbidité avec un autre trouble anxieux, un trouble de l’humeur ou un décit de l’attention/ hyperactivité (TDA/H).

Diagnostic différentiel

Diagnostic différentiel

Il est particulièrement important de diérencier l’anxiété généralisée d’un trouble anxieux dû à une aection médicale générale ou induit par une substance. Étant donné une comorbidité élevée, il y a aussi lieu de distinguer l’anxiété généralisée des autres troubles anxieux an de proposer un traitement en fonction de chaque problématique. En fait, en pratique au niveau clinique, les enfants et les adolescents ont souvent beaucoup de comorbidité et le diagnostic est fréquemment un trouble anxieux non spécié. L’important est d’identier les diérents symptômes et de traiter chaque aspect. Du point de vue de la pharmacologie, le traitement est assez semblable pour chaque trouble, excepté le TOC et TSPT qui ont des particularités.

Traitement Plusieurs études contrôlées à double insu avec placebo ont montré l’ecacité des ISRS pour le traitement à court terme des troubles anxieux chez les enfants et les adolescents, dont l’anxiété généralisée (voir la sous-section 62.3.1) (American Association of Child and Adolescent Psychiatry, 2007). Des études ont également documenté l’ecacité de la thérapie cognitivocomportementale chez les enfants et les adolescents présentant de l’anxiété généralisée alors que l’ecacité de la psychothérapie psychodynamique est peu documentée par des études systématiques. La recherche et l’expérience clinique suggèrent que les interventions auprès des enfants ou des adolescents et de leurs parents ainsi que la thérapie familiale peuvent améliorer la symptomatologie anxieuse (American Association of Child and Adolescent Psychiatry, 2007).

Évolution et pronostic L’anxiété généralisée qui débute durant l’enfance ou l’adolescence est habituellement associée à un risque accru de psychopathologies et à une certaine chronicité avec une symptomatologie dont la gravité peut uctuer.

62.2.4 Trouble panique Le trouble panique est caractérisé par la survenue d’attaques de panique spontanées et récurrentes avec appréhension de la récidive de ces attaques. Il peut s’accompagner ou non d’agoraphobie. Ce trouble anxieux, très rare chez les enfants mais qui débute parfois dans l’adolescence, est très apparenté à celui rencontré chez les adultes. Il existe peu de données spéciques pour le trouble panique chez l’adolescent. La prévalence serait de 1 % avec un nombre plus élevé de lles que de garçons.

Description clinique Dans le DSM-5, les critères diagnostiques du trouble panique chez l’enfant et l’adolescent sont les mêmes que chez l’adulte. Le trouble est souvent accompagné d’agoraphobie, qui consiste en

1372

Les critères diagnostiques du trouble panique sont présentés en détail au chapitre 20 (voir le tableau 20.4). Il faut distinguer l’attaque de panique, dont la caractéristique principale est d’être spontanée, des crises anxieuses provoquées par l’exposition à des situations anxiogènes, telles qu’elles sont rencontrées dans la phobie sociale, la phobie spécique ou l’anxiété de séparation. Il faut également éliminer une pathologie physique (anomalie cardiaque, trouble thyroïdien ou convulsions) ou une réaction à l’usage de substances, y compris la caféine, les boissons énergisantes ou les psychostimulants.

Traitement La combinaison de la thérapie cognitivo-comportementale et de la pharmacothérapie est le traitement de choix même s’il n’existe pas d’études contrôlées spécifiques sur la pharmacothérapie du trouble panique à l’adolescence. L’approche cognitivocomportementale est structurée autour de la psychoéducation, de la relaxation, de l’exposition aux situations d’évitement et parfois de l’exposition aux sensations intéroceptives telles qu’elles sont ressenties lors des attaques de panique (p. ex., les palpitations, les étourdissements ou la dyspnée) (Suveg & al., 2005). Les ISRS sont les médicaments de choix et la réponse thérapeutique est en général très bonne d’après l’expérience clinique. Chez les adolescents, l’utilisation d’une benzodiazépine à court terme et en début de traitement peut également être indiquée dans les cas d’une grave atteinte fonctionnelle (voir la sous-section 62.3.2).

Évolution et pronostic Peu d’études documentent l’évolution à long terme du trouble panique chez les adolescents. Il semble être le plus stable parmi les troubles anxieux, avec une persistance de 44 % deux ans après le diagnostic en comparaison avec la phobie sociale, dont la stabilité diagnostique n’est que de 15 %. De plus, le trouble panique chez les adolescents serait un facteur prédicteur signicatif d’une large gamme de psychopathologies, dont les autres troubles anxieux (continuité homotypique), la dépression et les troubles reliés aux substances et à l’utilisation de substances (continuité hétérotypique) (Beesdo & al., 2009).

62.2.5 Phobie spécique La phobie spécique se dénit comme une peur excessive et inappropriée pour l’âge, liée à la présence ou à l’anticipation d’une situation anxiogène, interférant avec le cours de la vie quotidienne. Les études situent la prévalence des phobies spéciques entre 7 et 9 % (Silverman & Moreno, 2005).

Description clinique Le DSM-5 décrit les situations phobiques suivantes : • la peur d’un animal (chiens, insectes, araignées, etc.) ; • les craintes liées à l’environnement naturel (tempêtes, hauteurs) ; • la peur du sang, des blessures ou des injections ;

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

• la peur des moyens de transport et des endroits clos (tunnels,

• les obsessions et les compulsions d’accumulation, qui consti-

ponts, ascenseurs) ; • les autres peurs : personnages déguisés, bruits forts, etc. L’exposition au stimulus phobique déclenche une réaction anxieuse somatique intense (tremblements, palpitations, vomissements), une recherche de l’évitement, des crises de colère ou de pleurs ou des comportements de retrait. Les autres troubles anxieux, en particulier l’anxiété de séparation, la phobie sociale et la dépression, constituent les principales comorbidités.

tuent dans le DSM-5 un trouble spécique. Les enfants et les adolescents présentent de hauts taux d’obsessions d’agression, de peurs de catastrophes (p. ex., la maladie ou la mort frappant l’enfant lui-même ou ses parents). Les compulsions d’accumulation se retrouvent aussi à un degré plus élevé chez les enfants que chez les adultes. Sont également fréquentes les obsessions de contamination, avec des rituels de lavage des mains ou des douches exagérément longues. Il n’est pas rare que de multiples obsessions et rituels coexistent. Typiquement, les parents sont amenés par l’enfant à participer aux rituels, ce qui engendre de grandes tensions familiales.

Les critères diagnostiques de la phobie spécique sont présentés en détail au chapitre 20 (voir le tableau 20.7 ).

Diagnostic différentiel La phobie spécique doit être distinguée de l’anxiété de séparation, de la phobie de la contamination fréquemment retrouvée dans le trouble obsessionnel-compulsif, de l’évitement des situations anxiogènes lié au trouble de stress post-traumatique ainsi que de la phobie sociale.

Traitement L’approche la plus utilisée est la thérapie cognitivo-comportementale, visant l’exposition par désensibilisation progressive in vivo ou en imagination et l’examen des pensées anxieuses. Elle est parfois associée à la relaxation. La pharmacothérapie est réservée aux cas graves et résistants à la thérapie cognitivo-comportementale.

Évolution et pronostic Malgré l’ecacité du traitement dans plusieurs cas, les phobies spéciques peuvent persister jusqu’à l’âge adulte chez un certain nombre de personnes.

62.2.6 Trouble obsessionnel-compulsif Selon le DSM-5, les obsessions sont des idées récurrentes et persistantes, des pensées, des impulsions ou des images intrusives et inappropriées causant une détresse importante. Les compulsions sont des comportements répétitifs ou des rituels mentaux qui sont exécutés en réponse à une obsession. D’après des études réalisées dans plusieurs pays, la prévalence du trouble obsessionnel-compulsif est de 2 à 4 % de la population juvénile. L’âge moyen de survenue se situe entre 7,5 et 12,5 ans avec un ratio de trois garçons pour deux lles (Geller, 2006). Il faut prendre en considération le fait que les enfants et les adolescents ont tendance à cacher leurs rituels et à ne pas parler de leurs obsessions en raison de la diculté à les décrire. Certains auteurs parlent du spectre obsessionnel-compulsif, qui inclut aussi la trichotillomanie, l’onychophagie, le trouble dysmorphique et même les troubles alimentaires.

Les troubles obsessionnels-compulsifs sont présentés en détail au chapitre 21, à la partie A. Au chapitre de la comorbidité, on retrouve d’abord la dépression majeure chez les adolescents. L’association avec le syndrome de Gilles de la Tourette est présente chez un quart des enfants ayant un trouble obsessionnel-compulsif (Geller, 2006). Le TDA/H et le trouble oppositionnel sont aussi prévalents. Certains patients présentant un trouble envahissant du développement ont également des comportements ritualisés et rigides, qu’il faut distinguer du trouble obsessionnel-compulsif ; néanmoins, dans un petit nombre de cas, il est possible de poser les deux diagnostics. Il existe une association particulièrement fréquente avec le trouble d’anxiété de séparation de même qu’avec d’autres troubles anxieux. Certains enfants ou adolescents présentent un trouble alimentaire concomitant. Enn, les parents d’enfants obsessionnels ont plus souvent des traits de personnalité obsessionnelle-compulsive (Calvo & al., 2009).

Diagnostic différentiel Il importe ici de distinguer les rituels normaux présents chez de jeunes enfants d’âge préscolaire, comme ceux du coucher, liés à une routine de vie, du trouble obsessionnel-compulsif (TOC) comme tel. Ainsi, le fait qu’un enfant insiste pour placer ses animaux en peluche dans un certain ordre au moment de se mettre au lit fait appel à une situation normale fréquente. Chez l’enfant qui soure d’un TOC, l’anxiété associée aux obsessions peut devenir extrêmement envahissante, donnant lieu à des compulsions de longue durée portant sur d’incessantes vérications. Dans les autres troubles anxieux, comme l’anxiété généralisée ou l’anxiété de séparation, les préoccupations sont souvent diérentes, moins rigides dans leurs manifestations. Dans le trouble envahissant du développement, les comportements répétitifs sont souvent liés à des phénomènes d’autostimulation (balancement – rocking). Enn, les patients psychotiques peuvent avoir des idéations répétitives à caractère bizarre.

Traitement

Description clinique Sur le plan séméiologique, quatre champs cliniques sont reconnus (Stein & al., 2009) : • les obsessions de symétrie, de répétition, de classement et de comptage ; • les pensées d’agression, à caractère sexuel, religieux ou somatique, et les compulsions de vérication ; • les obsessions de contamination entraînant des rituels de lavage ;

Dans le traitement du trouble obsessionnel-compulsif, il faut d’abord faire l’inventaire de la symptomatologie avec le questionnaire Children Yale-Brown Obsessive-Compulsive Scale (Scahill & al., 1997). La thérapie cognitivo-comportementale et la prise en charge familiale sont les pierres angulaires du traitement (American Association of Child and Adolescent Psychiatry, 2007). On applique des stratégies comme l’exposition à la situation anxiogène, la prévention de réponse et l’arrêt de pensée. Chez les enfants plus jeunes, cette technique, qui peut demander des

Chapitre 62

Troubles anxieux chez l’enfant et l’adolescent

1373

aménagements tenant compte de leur niveau cognitif, est souvent appliquée par les parents. Sur le plan pharmacologique, l’emploi, dans certains cas, d’ISRS à doses maximales comme du citalopram (CelexaMD), de la sertraline (ZoloftMD), de la uoxétine (ProzacMD) et de la uvoxamine (LuvoxMD) – ces trois dernières étant approuvées par la Food and Drug Administration (FDA) américaine –, est parfois nécessaire pour diminuer l’anxiété reliée aux obsessions et permettre un travail thérapeutique. Dans les cas résistants, on peut faire l’essai d’un deuxième ISRS et l’ajout d’un neuroleptique atypique comme la rispéridone à petites doses (0,25 à 1 mg par jour pour quelques mois) peut s’avérer bénéque. Enn, la clomipramine (AnafranilMD ), un tricyclique, est à utiliser en dernier recours étant donné ses eets indésirables multiples, en particulier cardiaques et anticholinergiques, et la nécessité d’une surveillance électrocardiographique (voir la sous-section 62.3.1). Le traitement des comorbidités s’avère essentiel (p. ex., pour diminuer l’impulsivité liée au TDA/H, qui peut avoir un retentissement sur les rituels par son eet de synergie).

Évolution et pronostic Il appert que le TOC ne persisterait pas dans sa totalité chez la majorité des enfants, mais on peut noter des uctuations des symptômes en fonction des facteurs de stress à l’école, dans l’environnement social ou selon la dynamique familiale. Selon Micali et ses collaborateurs (2010), le TOC persiste jusqu’à l’âge adulte dans 41 % des cas. La sévérité de la maladie, la nécessité d’hospitalisation et l’apparition du trouble à un âge précoce sont liées à une plus grande persistance du trouble (Geller, 2006).

62.2.7 Trouble de stress post-traumatique C’est à partir du DSM-IV-TR qu’un tableau clinique diérent de celui des adultes a été reconnu pour les enfants et les adolescents atteints d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT) (Najjar & al., 2008). Le DSM-5 introduit maintenant des critères diagnostiques pour le stress post-traumatique chez les enfants d’âge préscolaire. Le TSPT se dénit par le développement de symptômes caractéristiques à la suite de l’exposition à un facteur de stress extrême impliquant une menace à l’intégrité physique de la personne ou d’un proche. Environ 25 % des enfants et des adolescents de moins de 16 ans ont vécu au moins un événement traumatique extrême. Pourtant, la prévalence du TSPT serait de 1 à 6 %, avec un taux plus élevé chez les lles (3 %) que chez les garçons (1 %) à l’adolescence (De Bellis & Van Dillen, 2005 ; Najjar & al., 2008). Globalement, les enfants et les adolescents exposés à un événement traumatique extrême peuvent présenter un TSPT dans 25 à 30 % des cas (Lonigan & al., 2003).

Description clinique Dans le cas des enfants présentant un TSPT, il convient de tenir compte de certaines particularités. Ils peuvent réagir à l’événement traumatique par un comportement désorganisé ou agité plutôt que par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur. Les jeunes enfants peuvent présenter des souvenirs répétitifs et envahissants du traumatisme s’exprimant sous la forme de jeux répétitifs sur divers thèmes ou aspects du traumatisme. Ils peuvent faire des rêves répétitifs

1374

comme des cauchemars impliquant des monstres, des menaces contre soi ou autrui, des sauvetages ou des cauchemars sans contenu lié directement au traumatisme. Ils peuvent présenter une diminution d’intérêt envers leurs activités habituelles (p. ex., jouer avec leurs amis), un sentiment de détachement envers autrui et des dicultés à exprimer certaines émotions (p. ex., de la tendresse). Mais ces manifestations d’évitement doivent être évaluées soigneusement auprès des parents, des enseignants et des autres soignants (De Bellis & Van Dillen, 2005). Chez les enfants, les événements traumatiques peuvent inclure des expériences sexuelles inappropriées pour l’âge ou le niveau de développement, sans qu’il y ait eu violence, blessure grave ou réelle. Les critères diagnostiques du trouble de stress posttraumatique sont présentés en détail au chapitre 23. Concernant la comorbidité, les études montrent que le TSPT est fréquemment associé à une dépression majeure, à de l’anxiété généralisée, à de l’anxiété de séparation, à de l’agoraphobie avec ou sans trouble panique, aux troubles alimentaires et à un trouble relié aux substances ou à l’utilisation de substances (Lonigan, 2003). Par ailleurs, le DSM-5 propose des critères diagnostiques spécifiques pour le TSPT chez les enfants d’âge préscolaire, car des études récentes suggèrent que ce trouble peut être décelé chez les enfants avec les critères diagnostiques du DSM-IV-TR, mais que les taux de TSPT chez les enfants d’âge préscolaire exposés à un événement traumatique sont alors plus bas que les taux de TSPT chez les enfants plus âgés. Le DSM-5 propose donc des critères plus adaptés au niveau du développement afin de mieux détecter les TSPT chez les enfants d’âge préscolaire. Les critères diagnostiques du TSPT selon le DSM-5 et le DSM-IV-TR sont présentés dans le tableau 62.4.

Diagnostic différentiel Lors de l’évaluation d’un enfant ou d’un adolescent présentant un TSPT, il y a aussi lieu de considérer la possibilité d’un trouble de l’adaptation, d’un autre trouble anxieux, d’un trouble de l’humeur ou même d’un trouble psychotique selon le facteur de stress rencontré, la symptomatologie prédominante et l’évolution du tableau clinique.

Traitement Il n’y a pas encore eu d’études contrôlées à double insu avec placebo en ce qui a trait au traitement pharmacologique du TSPT chez les enfants et les adolescents. Cependant, des études préliminaires non contrôlées faites dans ces groupes d’âge et la littérature sur le traitement du TSPT chez les adultes suggèrent que les ISRS pourraient être bénéques pour traiter l’anxiété et la dépression associées à ce trouble, s’il y a lieu. Plusieurs études auprès des enfants et des adolescents ont permis de documenter l’efficacité de la thérapie cognitivocomportementale centrée sur le traumatisme. Quelques études portant sur la technique EMDR (eye movement desensitization and reprocessing) tendent à montrer son utilité auprès des enfants et des adolescents (Najjar & al., 2008). Mais d’autres études sont nécessaires an de mieux documenter son ecacité auprès de cette population.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

TABLEAU 62.4 Critères diagnostiques du trouble du stress post-traumatique chez l’enfant d’âge préscolaire

DSM-5 309.81 (F43.10) Trouble stress post-traumatique de l’enfant de 6 ans ou moins

DSM-IV-TR État de stress post-traumatique

A. Chez l’enfant de 6 ans ou moins, exposition à la mort effective ou à une menace de mort, à une blessure grave, ou à des violences sexuelles d’une (ou de plusieurs) des façons suivantes : 1. En étant directement exposé à un ou à plusieurs événements traumatiques. 2. En étant témoin direct d’un ou de plusieurs événements traumatiques survenus à d’autres personnes, en particulier des adultes proches qui prennent soin de l’enfant. N.B. : Être le témoin direct n’inclut pas les événements dont l’enfant a été témoin seulement par des médias électroniques, la télévision, des lms, ou des images. 3. En apprenant qu’un ou plusieurs événements traumatiques sont arrivés à un parent ou à une personne prenant soin de l’enfant.

A. Le sujet a été exposé à un événement traumatique dans lequel les deux éléments suivants étaient présents :

B. Présence d’un (ou de plusieurs) des symptômes envahissants suivants associés à un ou à plusieurs événements traumatiques ayant débuté après la survenue du ou des événements traumatiques en cause : 1. Souvenirs répétitifs, involontaires et envahissants du ou des événements traumatiques provoquant un sentiment de détresse. N.B. : Les souvenirs spontanés et envahissants ne laissent pas nécessairement apparaître la détresse et peuvent s’exprimer par le biais de reconstitutions dans le jeu.

B. L’événement traumatique est constamment revécu, de l’une (ou de plusieurs) des façons suivantes :

1. le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté à un événement ou à des événements durant lesquels des individus ont pu mourir ou être très gravement blessés ou bien ont été menacés de mort ou de grave blessure ou bien durant lesquels son intégrité physique ou celle d’autrui a pu être menacée ; 2. la réaction du sujet à l’événement s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur. N.B. Chez les enfants, un comportement désorganisé ou agité peut se substituer à ces manifestations.

1. souvenirs répétitifs et envahissants de l’événement provoquant un sentiment de détresse et comprenant des images, des pensées ou des perceptions ; N.B. Chez les jeunes enfants peut survenir un jeu répétitif exprimant des thèmes ou des aspects du traumatisme.

2. Rêves répétitifs provoquant un sentiment de détresse, dans lesquels le contenu et/ou l’affect du rêve sont liés à l’événement/aux événements traumatiques. N.B. : Il peut être impossible de vérier que le contenu effrayant est lié à l’événement/aux événements traumatiques.

2. rêves répétitifs de l’événement provoquant un sentiment de détresse ;

3. Réactions dissociatives (p.ex. ashbacks [scènes rétrospectives]) au cours desquelles l’enfant se sent ou agit comme si le ou les événements traumatiques allaient se reproduire. (De telles réactions peuvent survenir sur un continuum, l’expression la plus extrême étant une abolition complète de la conscience de l’environnement.) Des reconstitutions spéciques du traumatisme peuvent survenir au cours du jeu.

3. impression ou agissements soudains « comme si » l’événement traumatique allait se reproduire (incluant le sentiment de revivre l’événement, des illusions, des hallucinations, et des épisodes dissociatifs (ashback ), y compris ceux qui surviennent au réveil ou au cours d’une intoxication) ; N.B. Chez les jeunes enfants, des reconstitutions spéciques du traumatisme peuvent survenir.

4. Sentiment intense ou prolongé de détresse psychique lors de l’exposition à des indices internes ou externes évoquant ou ressemblant à un aspect du ou des événements traumatiques en cause.

4. Idem à DSM-5.

5. Réactions physiologiques marquées lors de l’exposition à des indices rappelant l’événement ou les événements traumatiques.

5. réactivité physiologique lors de l’exposition à des indices internes ou externes pouvant évoquer ou ressembler à un aspect de l’événement traumatique en cause.

N.B. Chez les enfants, il peut y avoir des rêves effrayants sans contenu reconnaissable.

C. Un (ou plusieurs) des symptômes suivants, représentant soit : C. Évitement persistant des stimulus associés au traumatisme et émoussement de la réactivité générale (ne préexistant pas au traumatisme), • un évitement persistant de stimuli associés à l’événement/aux événecomme en témoigne la présence d’au moins trois des manifestations ments traumatiques ; suivantes : • des altérations des cognitions et de l’humeur associés à l’événement/ 1. efforts pour éviter les pensées, les sentiments associés au aux événements traumatiques, doivent être présents et débuter après traumatisme ; le ou les événements ou s’aggraver après le ou les événements traumatiques : Évitement persistant de stimuli 1. Évitement ou efforts pour éviter des activités, des endroits, ou des indices physiques qui réveillent les souvenirs du ou des événements traumatiques. 2. Évitement ou efforts pour éviter les personnes, les conversations, ou les situations interpersonnelles qui réveillent les souvenirs du ou des événements traumatiques.

2. efforts pour éviter les activités, les endroits ou les gens qui éveillent des souvenirs du traumatisme ;

Chapitre 62

Troubles anxieux chez l’enfant et l’adolescent

1375

TABLEAU 62.4 Critères diagnostiques du trouble du stress post-traumatique chez l’enfant d’âge préscolaire (suite)

DSM-5 309.81 (F43.10) Trouble stress post-traumatique de l’enfant de 6 ans ou moins Altérations négatives des cognitions 3. Augmentation nette de la fréquence des états émotionnels négatifs (p. ex. crainte, culpabilité, tristesse, honte, confusion). 4. Réduction nette de l’intérêt pour des activités importantes ou bien réduction de la participation à ces activités, y compris le jeu. 5. Comportement traduisant un retrait social. 6. Réduction persistante de l’expression des émotions positives.

DSM-IV-TR État de stress post-traumatique

4. réduction nette de l’intérêt pour des activités importantes ou bien réduction de la participation à ces mêmes activités. 5. sentiment de détachement d’autrui ou bien de devenir étranger par rapport aux autres 6. restriction des affects (p. ex., incapacité à éprouver des sentiments tendres) 7. sentiment d’avenir « bouché » (p. ex., pense ne pas pouvoir faire carrière, se marier, avoir des enfants, ou avoir un cours normal de la vie)

D. Changements marqués de l’éveil et de la réactivité associés à l’événement/aux événements traumatiques, débutant ou s’aggravant après la survenue du ou des événements traumatiques, comme en témoignent deux (ou plus) des manifestations suivantes : 1. Comportement irritable ou accès de colère (avec peu ou pas de provocation) qui s’exprime typiquement par une agressivité verbale ou physique envers des personnes ou des objets (y compris par des crises extrêmes de colère). 2. Hypervigilance. 3. Réaction de sursaut exagérée. 4. Difcultés de concentration. 5. Perturbation du sommeil (p. ex. difculté d’endormissement ou sommeil interrompu ou agité).

D. Présence de symptômes persistants traduisant une activation neurovégétative (ne préexistant pas au traumatisme) comme en témoigne la présence d’au moins deux des manifestations suivantes :

E. La perturbation dure plus d’un mois.

E. La perturbation (symptômes des critères B, C et D) dure plus d’un mois.

F. La perturbation entraîne une souffrance cliniquement signicative ou une altération des relations avec les parents, la fratrie, les pairs, d’autres aidants ou une altération du comportement scolaire.

F. La perturbation entraîne une souffrance cliniquement signicative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.

2. irritabilité ou accès de colère

4. 5. 3. 1.

hypervigilance réaction de sursaut exagérée difcultés de concentration difcultés d’endormissement ou sommeil interrompu

G. La perturbation n’est pas imputable aux effets physiologiques d’une substance (p. ex. médicament, alcool) ou une autre affection médicale. Spécier le type : Avec symptômes dissociatifs : les symptômes présentés par le sujet répondent aux critères d’un trouble stress post-traumatique ; de plus, et en réponse au facteur de stress, le sujet éprouve l’un ou l’autre des symptômes persistants ou récurrents suivants : 1. Dépersonnalisation : Expériences persistantes ou récurrentes de se sentir détaché de soi, comme si l’on était un observateur extérieur de ses processus mentaux ou de son corps. (p ex. sentiment d’être dans un rêve ; sentiment de déréalisation de soi ou de son corps ou sentiment d’un ralentissement temporel). 2. Déréalisation : Expériences persistantes ou récurrentes d’un sentiment d’irréalité de l’environnement (p. ex. le monde autour du sujet est vécu comme irréel, onirique, éloigné, ou déformé). N.B. : Pour retenir ce sous-type, les symptômes dissociatifs ne doivent pas être imputables aux effets physiologiques d’une substance (p. ex. période d’amnésie [blackouts]) ou à une autre affection médicale (p. ex. épilepsie partielle complexe). Spécier si : Aigu : si la durée des symptômes est de moins de trois mois Chronique : si la durée des symptômes est de trois mois ou plus

1376

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

TABLEAU 62.4 Critères diagnostiques du trouble du stress post-traumatique chez l’enfant d’âge préscolaire (suite)

DSM-5 309.81 (F43.10) Trouble stress post-traumatique de l’enfant de 6 ans ou moins

DSM-IV-TR État de stress post-traumatique

Spécier si : Spécier si : Survenue différée si le début des symptômes survient au moins six mois après le facteur de stress À expression retardée : Si l’ensemble de critères diagnostiques n’est présent que 6 mois après l’événement (alors que le début et l’expression de quelques symptômes peuvent être immédiats). Sources : APA (2015), p. 322-323 ; APA (2004), p. 539-540. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (Copyright 2013). American Psychiatric Association, DSM-5 – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par M.-A. Crocq, J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2015. All rights reserved. Traduction française reproduite avec l’autorisation d’Elsevier Masson SAS. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition (Copyright 2004). American Psychiatric Association, DSM-IV-TR – Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux. Traduction française par J.-D. Guel et al., Elsevier Masson SAS, Paris, 2004. All rights reserved.

Évolution et pronostic Les études longitudinales du TSPT chez les enfants et les adolescents ont révélé que de 20 à 70 % de ces jeunes, selon le type de traumatisme, peuvent demeurer symptomatiques deux ans après un événement traumatique extrême.

62.3 Pharmacothérapie Lorsqu’un trouble anxieux est sévère et cause une sourance personnelle marquée ou un handicap fonctionnel important, il y a lieu de considérer l’utilisation d’une médication pour traiter l’anxiété. Les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine doivent être considérés comme les médicaments de 1re intention pour le traitement des troubles anxieux chez les enfants et les adolescents, mais les antihistaminiques et les benzodiazépines peuvent aussi être utilisés comme médication adjuvante à l’occasion.

62.3.1 Inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine Une revue de la littérature a montré qu’il y avait peu d’évidence de diérences signicatives dans l’ecacité des diérents ISRS pour ce qui est du traitement des troubles anxieux chez les enfants et les adolescents (Ipser & al., 2010). De façon générale, les ISRS permettent d’obtenir une réduction signicative des symptômes et une amélioration du niveau de fonctionnement global des enfants et des adolescents présentant un trouble anxieux (Muris, 2012). Globalement, les ISRS sont relativement bien tolérés, mais en l’absence de facteurs prédicteurs de réponse thérapeutique et en l’absence d’évidence de relation entre la dose de la médication et l’eet thérapeutique, il est prudent de commencer le traitement au plus bas dosage recommandé an d’éviter des eets indésirables qui pourraient compromettre le traitement (Ipser & al., 2010). Cliniquement, il y a peu d’évidence qu’un ISRS soit mieux toléré qu’un autre pour un trouble anxieux donné (Ipser & al., 2010 ; Muris, 2012). Par contre, il est important de s’assurer d’un essai thérapeutique avec un dosage adéquat, où le médecin doit tenir compte des eets indésirables en augmentant très graduellement la posologie pour obtenir un eet thérapeutique optimal. Il convient de préciser que les dosages naux pour les adolescents peuvent être comparables aux dosages utilisés pour les adultes. Cependant, il y a des incertitudes concernant l’ajustement de la

posologie des ISRS en fonction des groupes d’âge. Par exemple, il a été recommandé que les enfants ne reçoivent pas plus que les deux tiers (200 mg DIE) de la dose maximale de uvoxamine (LuvoxMD) qui peut être administrée aux adolescents (300 mg DIE) (Cheer & Figgitt, 2001). Il est à noter que les ISRS ne sont pas approuvés par la FDA (Food and Drug Administration) américaine pour le traitement des troubles anxieux chez les enfants et les adolescents, à l’exception de la uoxétine (ProzacMD), de la sertraline (ZoloftMD) et de la uvoxamine (LuvoxMD) pour le traitement du trouble obsessionnel-compulsif. Les principaux eets indésirables des ISRS incluent : • l’agitation (ou activation comportementale) ; • la sédation ou l’insomnie ; • les tremblements ; • les nausées ; • les douleurs abdominales. Parmi les ISRS, le sevrage de la paroxétine (PaxilMD) est associé à un plus grand risque de nausées, de vomissements, d’étourdissements et de douleurs abdominales (Ipser & al., 2010). Plus rarement, on peut retrouver en cours de traitement un syndrome sérotoninergique, de l’hypomanie, de l’akathisie, de l’irritabilité et des symptômes extrapyramidaux. Le citalopram (CelexaMD) et l’escitalopram (CipralexMD) peuvent causer une prolongation de l’intervalle QTc en fonction de la dose utilisée. Le citalopram ne doit pas être prescrit à plus de 40 mg DIE et l’escitalopram à plus de 20 mg DIE (Elbe & al., 2015). En 2004, la FDA américaine a diusé une mise en garde (Black Box Warning) concernant le développement d’idées suicidaires ainsi qu’une recommandation pour une évaluation plus fréquente des jeunes patients sous ISRS. C’est la paroxétine (PaxilMD) qui semble associée à un risque relativement plus élevé de suicidalité. Il faut cependant souligner qu’aucun suicide complété n’a été rapporté dans les essais cités. Le tableau 62.5 présente les doses recommandées dans le traitement des troubles anxieux avec des ISRS chez les adolescents.

62.3.2 Antihistaminiques et benzodiazépines Lorsque l’anxiété est très importante ou cause un handicap fonctionnel signicatif (p. ex., un refus scolaire), il y a lieu de considérer l’ajout temporaire, à court terme, d’une médication

Chapitre 62

Troubles anxieux chez l’enfant et l’adolescent

1377

TABLEAU 62.5 ISRS et dose quotidienne pour les troubles anxieux chez l’adolescent

ISRS

Dose quotidienne de départ suggérée et dose quotidienne maximale

Nom commercial

Citalopram

CelexaMD

5 ou 10 mg ad 40 mg

Escitalopram

CipralexMD

2,5 ou 5 mg ad 20 mg

Fluoxétine

ProzacMD

5 mg à 40 mg (ad. 60 mg si TOC résistant)

Fluvoxamine

LuvoxMD

25 mg à 300 mg

Paroxétine

PaxilMD

5 ou 10 mg ad 40 mg

Sertraline

ZoloftMD

25 mg à 200 mg

adjuvante à un ISRS an d’obtenir un eet anxiolytique plus rapide. Les antihistaminiques sont généralement favorisés auprès des enfants et des adolescents, en particulier pour induire le sommeil. Il faut cependant considérer cette médication comme un adjuvant à court terme et porter une attention particulière à ses eets indésirables, dont la somnolence, la fatigue, les dicultés de coordination et la désinhibition paradoxale. L’hydroxyzine (AtaraxMD) peut être utilisée à raison de 10 à 25 mg au coucher pour induire le sommeil chez les enfants et à raison de 50 à 100 mg par jour en trois ou quatre doses, pour l’anxiété. Les études contrôlées ne permettent pas de soutenir l’utilisation des benzodiazépines pour le traitement des troubles anxieux auprès des enfants et des adolescents. Cependant, elles peuvent être utilisées, surtout auprès des adolescents, mais ne sont pas recommandées en monothérapie ou à long terme en raison du risque de dépendance. Les benzodiazépines présentent un certain risque de désinhibition paradoxale chez les enfants et les adolescents. Chez les jeunes de plus de 12 ans ou de plus de 30 kg, le lorazépam (AtivanMD) peut être prescrit à raison de 0,25 à 0,5 mg BID ou TID et le clonazépam (RivotrilMD) à raison de 0,125 à 0,25 mg BID ou TID.

Les troubles anxieux chez les enfants et les adolescents sont fréquents et entraînent leur lot de souffrance et d’atteinte fonctionnelle. Leur aspect intériorisé les fait souvent passer inaperçus, et il faut faire preuve de vigilance an de les déceler dans toute forme de présentation clinique, y compris les plaintes somatiques. L’évaluation et le traitement de ces troubles doivent prendre en considération l’enfant lui-même, son développement, la dynamique familiale, les styles parentaux et les antécédents psychosociaux, et, fréquemment, l’environnement plus éloigné, en particulier scolaire. Les stratégies thérapeutiques, notamment la thérapie cognitivo-comportementale, dérivées des approches chez les adultes, doivent être adaptées au niveau développemental des enfants et des adolescents. L’approche ludique et la créativité du thérapeute sont à privilégier avec les enfants. Les adolescents sont souvent réfractaires à une approche systématisée, surtout en ce qui a trait au travail à faire entre les séances. Le développement préalable d’une alliance thérapeutique avec l’adolescent, un espace thérapeutique lui laissant un certain contrôle à l’intérieur d’objectifs précis et une bonne part de souplesse et de tolérance chez le thérapeute favorisent l’engagement de l’adolescent dans son traitement.

Lectures complémentaires B, B. (2011). « A review of obsessive-compulsive disorder in children and adolescents », Dialogues in Clinical Neuroscience, 13(4), p. 401-411.

1378

G, J. A. & H, R. (2004). « Genetic approaches to the study of anxiety », Annual Reviews in Neuroscience, 27, p. 193-222.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

T, S. (1979). « e nature and origin of common phobic fears », British Journal of Psychiatry, 134, p. 343-351.

Spécialités psychiatriques

CHA P ITR E

63

Enjeux du vieillissement ISABELLE PAQUETTE, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences biomédicales)

ANDRÉE LEGENDRE, M.D., FRCPC, Ph. D. (sciences neurologiques)

Gérontopsychiatre, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Psychiatre, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Professeure adjointe de clinique, directrice du programme d’études médicales postdoctorales en gérontopsychiatrie, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

GENEVIÈVE LÉTOURNEAU, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences biomédicales)

Gérontopsychiatre, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Gérontopsychiatre, chef médicale, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

MARYSE CHARRON, M.D., FRCPC Psychiatre, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

CAROLE MURPHY, M.D., FRCPC

CRYSTALIA PAPAMARKAKIS, M.D., FRCPC

Professeure chargée d’enseignement clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

ANGELA GELOSO, M.D., FRCPC Gérontopsychiatre, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

ROSITA PUNTI, M.D., FRCPC

Psychiatre, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Gérontopsychiatre, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Professeure chargée d’enseignement clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

63.1 Portrait démographique du vieillissement de la population ........................................................... 1380

63.4 Aspects psychologiques du vieillissement ............... 1384

63.2 Aspects biologiques du vieillissement...................... 1380

63.4.2 Personnalité ....................................................... 1384

63.2.1 éories biologiques ........................................ 1380

63.4.3 Optimisation sélective et compensation ........ 1385

63.2.2 Vieillissement du cerveau ................................ 1381

63.5 Aspects sociaux du vieillissement............................. 1385

63.2.3 Vieillissement cognitif...................................... 1381

63.5.1 éories sociales ............................................... 1385

63.4.1 Développement ................................................. 1384

63.2.4 Fragilité .............................................................. 1382

63.5.2 Maltraitance ...................................................... 1385

63.2.5 État de santé et qualité de vie .......................... 1382

63.6 Suicide........................................................................... 1386

63.3 Sexualité et vieillissement .......................................... 1382

63.6.1 Épidémiologie ................................................... 1386

63.3.1 Facteurs inuençant la sexualité ..................... 1383

63.6.2 Facteurs de risque ............................................. 1387

63.3.2 Minorités sexuelles ........................................... 1383

63.6.3 Prévention et intervention .............................. 1387

63.3.3 Hébergement et sexualité ................................ 1384

63.7 Viellissement réussi..................................................... 1388

63.3.4 Attitudes des professionnels de la santé ........ 1384

Lectures complémentaires .................................................... 1388

L

es personnes âgées constituent un groupe particulièrement vulnérable aux problèmes de santé mentale. Chez celles vivant à domicile, la prévalence des troubles mentaux est de plus de 12 % (Préville & al., 2008). Ce taux est nettement plus élevé chez les personnes vivant en institution, en raison de leur état de santé plus précaire (Seitz & al., 2010). Les manifestations des troubles mentaux chez les personnes âgées se distinguent de celles des autres groupes d’âge, et leurs étiologies sont parfois diérentes également. Les aspects biologiques, psychologiques et sociaux sont teintés par le vieillissement, si bien que les approches et les interventions doivent être adaptées à cette réalité. Selon de nombreux experts, il devrait en être ainsi également pour les critères diagnostiques de plusieurs troubles mentaux chez les personnes âgées (Jeste & al., 2005). L’avancement des connaissances au sujet des psychopathologies touchant les personnes âgées a mis de plus en plus en évidence l’importance d’une formation spécique dans ce domaine. La gérontopsychiatrie a été ociellement reconnue en tant que surspécialité de la psychiatrie par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada en 2009.

63.1 Portrait démographique du vieillissement de la population Sur le plan démographique, les personnes âgées constituent le groupe qui s’accroît le plus rapidement. Après le Japon, le Québec est la société où le taux de vieillissement est le plus rapide. Ce phénomène résulte de la baisse importante du taux de natalité dans les années 1960, au Québec, à la suite du baby-boom. Le tableau 63.1 illustre l’évolution de la répartition des personnes âgées au Québec de 1971 à 2031. À ce moment, le Québec formera une des sociétés les plus vieilles du monde (Institut de la statistique du Québec, 2013). En 2013, les personnes de 65 ans et plus constituaient 16,6 % de la population, et leur nombre dépasse celui des 0-15 ans depuis 2011. L’âge médian de la population est passé de 25,6 ans en 1971 à 41,4 ans en 2011, et devrait atteindre 45,2 ans en 2031. Le nombre de personnes âgées de plus de 80 ans, ou old-old, s’accroît particulièrement vite, et le nombre de centenaires est passé de 712 en 2001 TABLEAU 63.1 Répartition des personnes âgées au Québec

Personnes âgées de 65 ans et plus (%)

Âge médian de la population (ans)

1971

6,8

25,6

1981

8,8

29,6

1991

11,1

34,0

2001

13,0

38,5

2011

15,7

41,4

2031 (estimé)

25,6

45,2

Année

Source : Adapté de l’Institut de la statistique du Québec (2013), p. 34.

1380

à 1625 en 2013. Du fait de leur espérance de vie plus longue, les femmes forment la majorité des personnes âgées, soit 61 % de la population âgée de 75 ans ou plus (Institut de la statistique du Québec, 2013).

63.2 Aspects biologiques du vieillissement Le vieillissement se dénit comme un processus de changement dans l’organisme qui, avec le temps, réduit sa capacité physiologique d’autorégulation, de réparation et d’adaptation aux demandes environnementales. On distingue deux types de vieillissement : • le vieillissement primaire, qui reète les limites préprogrammées de la survie cellulaire et qui dénit la longévité de l’espèce ; • le vieillissement secondaire, qui résulte de l’accumulation des eets environnementaux, des maladies et des traumatismes ; il explique les variations interindividuelles. Le vieillissement biologique résulte de transformations affectant, à des degrés divers, tous les systèmes physiologiques : sensoriel, cardiovasculaire, respiratoire, musculosquelettique, gastro-intestinal, rénal, etc. Les modifications qu’engendre le vieillissement dans chacun de ces systèmes contribuent à moduler, et bien souvent à complexifier, la présentation clinique des maladies psychiatriques, leur impact sur le fonctionnement et le degré d’autonomie des personnes âgées, leurs traitements et leurs effets indésirables. Plus particulièrement, le système nerveux central ainsi que les cognitions influencent de près le fonctionnement psychique, et les modifications que subissent ces systèmes lors du vieillissement agissent directement sur les troubles psychiatriques rencontrés chez les personnes âgées.

63.2.1 Théories biologiques De nombreuses théories pour expliquer le vieillissement ont ponctué la recherche dans ce domaine depuis le milieu du 20 e siècle. Elles peuvent être regroupées en deux grandes catégories : 1. Les théories génétiques (ou déterministes). Le vieillissement résulte d’un programme génétique prédéterminé ou défectueux. Les mécanismes incriminés comprennent : a) le transfert défectueux d’information génétique ; b) les mutations ; c) les erreurs dans le contrôle de l’expression des gènes ; d) le déclin mitochondrial ; e) la perte progressive des télomères (régions à l’extrémité d’un chromosome) nécessaires à la stabilité et à la réplication de l’ADN. Ils raccourcissent avec l’âge, l’inammation et le stress. La modication de l’expression des gènes, qui résulte de ces altérations, a pour conséquence les changements observés dans l’organisme durant le vieillissement. La progéria, ou syndrome Hutchinson-Gilford, une maladie génétique très rare qui occasionne un vieillissement précoce accéléré chez l’enfant,

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5 Spécialités psychiatriques

en constitue un exemple extrême. Il existe aussi une autre forme débutant entre 20 et 30 ans (syndrome de Werner). 2. Les théories stochastiques (non génétiques, aléatoires). Elles comprennent notamment : a) La théorie des radicaux libres, selon laquelle les processus oxydatifs produisent des radicaux libres issus du métabolisme lui-même ainsi que de l’environnement de l’organisme, est actuellement la plus populaire. Ces radicaux libres sont responsables du « stress oxydatif », qui engendre la sourance des cellules et éventuellement la mort cellulaire (apoptose). b) La théorie de l’accumulation de déchets métaboliques repose notamment sur l’accumulation de lipofuscine, pigment insoluble interférant avec le métabolisme cellulaire, mais qui résulterait de lésions cellulaires plutôt que d’en être la cause. c) La théorie immunologique ou inflammatoire suggère qu’une altération des processus immunitaires entraîne une dégradation progressive de l’organisme, mal défendu contre les infections et parfois attaqué par son propre système immunitaire. L’incidence accrue de pathologies infectieuses ou néoplasiques avec l’âge appuie le rôle des processus immunitaires dans le vieillissement. d) La théorie de la réticulation (crosslinking) fait référence aux modications réticulaires progressives de la structure du tissu conjonctif, mais le rôle causal de ces changements dans le vieillissement n’a jamais pu être démontré. Autrefois mutuellement exclusives, les théories génétiques et stochastiques sont maintenant considérées comme complémentaires dans ce champ d’étude très complexe. Les facteurs génétiques comptent pour environ 25 % de la variabilité de l’espérance de vie, et les facteurs environnementaux, pour les 75 % restants (Christensen & al., 2011).

63.2.2 Vieillissement du cerveau Le vieillissement normal du cerveau s’accompagne d’un élargissement des ventricules cérébraux consécutif à une perte de masse cérébrale, qui s’accélère après l’âge de 60 ans, sans toutefois dépasser 10 % du poids du cerveau. L’atrophie cérébrale peut être observée, entre autres, à la tomodensitométrie cérébrale, qui montre un élargissement des sillons et des ventricules de même qu’un amincissement du cortex cérébral. Alors qu’on expliquait autrefois la perte de volume et de poids du cerveau essentiellement par une perte neuronale, on l’attribue maintenant en partie à l’atrophie des neurones et à la perte de densité synaptique ; la mort neuronale en tant que telle a probablement été surestimée. Les pertes ne sont pas homogènes dans l’ensemble du cerveau. Les dendrites et les synapses diminuent en nombre et en qualité, surtout dans les cortex frontal, préfrontal et temporal, où la mort cellulaire est plus prononcée. La perte dendritique de certains neurones est compensée par l’augmentation du nombre de dendrites d’autres cellules, et cette neuroplasticité cérébrale permet de rétablir en partie la connectivité entre les neurones. Dans les régions sous-corticales, le locus cœruleus, où sont situés les corps cellulaires des neurones noradrénergiques, et la substance noire, où siègent les corps cellulaires des neurones à dopamine, seraient particulièrement atteints. Cette altération des systèmes noradrénergique et dopaminergique peut expliquer

la fragilité accrue des personnes âgées à certaines maladies telles la dépression et la maladie de Parkinson. Les neurones subissent d’autres types de modications. La lipofuscine intracellulaire s’accumule invariablement dans les cellules, où elle est considérée comme un produit métabolique normal du vieillissement. La dégénérescence neurobrillaire de même que l’apparition de plaques amyloïdes (appelées autrefois plaques séniles) sont associées à la démence de type Alzheimer, mais elles surviennent également, avec une intensité moindre et selon une distribution diérente, lors du vieillissement cérébral normal. Des changements vasculaires se produisent en relation avec des facteurs de risque vasculaires comme l’hypertension artérielle, le diabète et les dyslipidémies. Les lésions ischémiques et hémorragiques contribuent à la perte neuronale et peuvent entraîner des lésions de la substance blanche périventriculaire (leucoaraïose), facilement visibles à la tomodensitométrie cérébrale sous forme d’hypodensités, ou à la résonance magnétique sous forme d’hypersignal. De fait, il semble s’agir d’un phénomène en partie associé à l’âge, qui peut se retrouver chez des personnes âgées en bonne santé. Les changements micro-angiosclérotiques ne doivent d’ailleurs être considérés comme signicatifs que s’ils sont très marqués ou répandus dans le cerveau. Il s’agit alors de leucoaraïose d’origine vasculaire secondaire à une ischémie de la substance blanche périventriculaire. Cette aection (appelée parfois maladie de Binswanger ou encéphalopathie sous-corticale artériosclérotique) se caractérise par l’apparition relativement précoce (dans la soixantaine) de décits cognitifs d’allure sous-corticale accompagnés de signes d’artériosclérose (lésions des gros vaisseaux du cou) et autres facteurs de risque vasculaires (hypertension artérielle). Un lien entre les atteintes vasculaires et la dépression à début tardif a été montré (Xekardaki & al., 2012). Au cours du vieillissement normal, la structure des vaisseaux sanguins se détériore et le débit sanguin cérébral est réduit, avec des conséquences plus marquées dans certaines régions particulièrement vulnérables comme le système limbique et les aires associatives, ce qui peut expliquer en partie les modications cognitives des personnes âgées. Par ailleurs, l’imagerie cérébrale fonctionnelle a montré des modications métaboliques dans le cerveau vieillissant. Le métabolisme du glucose, par exemple, diminue surtout dans la région frontale. Les neurotransmetteurs, quant à eux, sont presque tous diminués. La concentration de la dopamine est réduite de façon notable (jusqu’à 50 % à l’âge de 75 ans). Les récepteurs DA2 sont particulièrement atteints. Les récepteurs sérotoninergiques 5-HT2 déclinent. L’activité cholinergique diminue également avec l’âge, mais dans une moindre mesure que dans la démence de type Alzheimer. Par ailleurs, l’activité de la monoamine oxydase (MAO) augmente, ce qui diminue d’autant la disponibilité de la dopamine et de la noradrénaline. Le GABA, neurotransmetteur inhibiteur largement répandu dans le cerveau, décline avec l’âge. De plus, de nombreux neuropeptides subissent des changements dont les conséquences sont encore peu connues.

63.2.3 Vieillissement cognitif Certaines fonctions cognitives perdent de leur acuité avec l’âge. Ces modications demeurent cependant relativement discrètes dans le quotidien. De nombreuses fonctions cognitives sont en fait très stables jusqu’à un âge avancé (Deary & al., 2009). Contrairement

Chapitre 63

Enjeux du vieillissement

1381

à la notion qui avait cours il y a quelques décennies, la présence de troubles cognitifs ayant un impact fonctionnel signicatif n’est plus considérée comme étant une variante du vieillissement normal. Cela contredit l’hypothèse selon laquelle la maladie d’Alzheimer serait l’aboutissement ultime du vieillissement, pour autant que la personne vive susamment longtemps. Les troubles cognitifs observés dans l’âge avancé résultent donc de processus pathologiques identiables. Deux courants théoriques complémentaires, non contradictoires, se côtoient an d’expliquer les changements cognitifs normaux chez la personne âgée : 1. Les théories spéciques, qui insistent sur la fragilité des lobes frontaux et les décits des fonctions exécutives qui en résultent ; 2. Les théories générales, qui misent sur un ralentissement global de la vitesse de traitement de l’information. Le fonctionnement cognitif est grandement inuencé par plusieurs facteurs tels la scolarité, l’intelligence et l’état de santé physique. De plus, la variation interindividuelle s’accroît avec l’âge, ce qui complique davantage la dénition de la normalité. Les fonctions cognitives ne se modient pas toutes au même rythme. Par exemple, plusieurs habiletés verbales restent stables jusqu’à la huitième décennie. Cependant les capacités d’abstraction et la vitesse de traitement des informations diminuent dès la cinquième décennie. L’ensemble des fonctions exécutives (notamment l’abstraction et la capacité de planication) décline légèrement avec l’âge. Ces altérations sont cependant légères et n’aectent pas, dans le cadre du vieillissement normal, le fonctionnement quotidien. Selon le cadre conceptuel, les diérentes fonctions de la mémoire peuvent varier considérablement. Avec l’âge, la performance aux épreuves de mémoire épisodique (p. ex., rappel de mots) diminue de façon signicative, alors que la mémoire sémantique (p. ex., épreuves de connaissances générales) varie peu. Par ailleurs, la mémoire des faits anciens demeure relativement intacte tandis que la capacité d’apprentissage et la mémoire pour les nouvelles informations (mémoire récente) déclinent. Ce déclin s’explique par une diminution des capacités d’encodage et de récupération. Les stratégies facilitant l’encodage ou la récupération sont moins ecaces (p. ex., organisation des informations par catégories ou autres moyens mnémotechniques). Les capacités de consolidation sont relativement stables malgré le vieillissement : les informations encodées sont maintenues en dépit d’un accès plus dicile. Ces particularités doivent être considérées et expliquées aux patients qui formulent des plaintes subjectives de troubles mnésiques. La « perte de mémoire » est d’ailleurs la plainte cognitive la plus fréquente. Les différentes fonctions de la mémoire ainsi que leurs rapports avec le déclin cognitif sont présentés en détail au chapitre 4, à la sous-section 4.3.2.

63.2.4 Fragilité La fragilité (frailty) est un concept qui a émergé surtout depuis les années 1990. Il désigne un état de vulnérabilité comprenant une forme d’incapacité avérée ou imminente et une diminution des facultés d’adaptation face aux stress de tous genres. Il s’agit toutefois d’un phénomène complexe et dicile à dénir, à la fois

1382

biologique et psychosocial, qui se distingue de l’incapacité. La faiblesse musculaire, la faible endurance, l’équilibre précaire, l’activité physique moindre, la lenteur et la perte de poids sont les facteurs principaux qui ont été retenus pour tenter d’opérationnaliser ce concept (Fried & al., 2001). D’autres y ont inclus des indicateurs d’une atteinte des fonctions cognitives et de l’humeur. Sont considérées comme fragiles de 3 à 7 % des personnes de 65 à 75 ans, 20 % des personnes de 80 ans et plus, et 32 % des personnes de 90 ans et plus (Ahmed & al., 2007). Au même titre que les grands problèmes rencontrés en gériatrie (troubles cognitifs, chutes, incontinence, troubles nutritionnels, douleur, polypharmacie), la fragilité est un concept qui peut s’avérer utile en santé publique ainsi qu’en clinique comme indicateur de l’état de santé ou comme facteur de risque ou de pronostic, d’autant plus qu’il s’agit, dans certains cas, d’un état potentiellement réversible. Le concept est cependant critiqué, en raison notamment du risque de réduire cette aection multifactorielle à une « étiquette » qui en occulte le caractère complexe et hétérogène, avec pour conséquence potentielle le traitement sous-optimal de certains patients (Bergman & al., 2007).

63.2.5 État de santé et qualité de vie Les personnes âgées peuvent être aux prises avec plus d’événements stressants qu’à d’autres périodes de leur vie. Le deuil du conjoint est l’une des pertes les plus importantes. Les personnes âgées en deuil risquent plus de sourir d’un trouble psychiatrique et leur taux de mortalité est plus élevé, particulièrement dans les premiers mois de veuvage (Moon & al., 2011). Les maladies physiques aiguës ou chroniques sont également beaucoup plus présentes. Au Canada, 10 % des personnes âgées de plus de 75 ans et demeurant à domicile déclarent avoir besoin d’aide pour une activité de la vie quotidienne (AVQ) (p. ex., se laver, s’habiller, aller à la toilette, se déplacer) et 25 %, pour une activité de la vie domestique (AVD) (p. ex., utiliser le téléphone, faire le ménage, gérer ses nances, préparer les repas, prendre ses médicaments, utiliser les transports). Près de la moitié des personnes âgées de plus de 85 ans ne peuvent marcher sans une aide mécanique ou l’aide d’une autre personne, ce qui n’est le cas que pour 8 % des personnes de 65 à 74 ans. Les limitations fonctionnelles et la dépendance ont une incidence importante sur la qualité de vie (Statistique Canada, 2007). Malgré tout, il serait erroné de conclure que l’âge avancé est synonyme de maladie ou d’incapacité. Contrairement à l’image que l’on s’en fait, moins de 10 % des aînés vivent en institution. En fait, près de 75 % des personnes âgées évaluent leur santé de bonne à excellente. La perception positive de sa propre santé est en corrélation avec les moyens nanciers. Les revenus diminuent en général à la retraite, et les femmes âgées constituent un groupe particulièrement défavorisé. Le tiers des personnes âgées vivent seules, dont plus de 40 % sont des femmes (Lecours & al., 2013).

63.3 Sexualité et vieillissement La dénition de la santé sexuelle par l’OMS intègre des aspects importants du bien-être et de l’épanouissement personnel et social, et ce, quel que soit l’âge : La santé sexuelle est un état de bien-être physique, mental et social dans le domaine de la sexualité. Elle requiert

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une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles qui soient sources de plaisir et sans risque, libres de toute coercition, discrimination ou violence. (Organisation mondiale de la santé [OMS], 2013)

TABLEAU 63.2 Dimensions inuençant les comportements

sexuels chez les personnes âgées

Dimension

Facteurs

Physique

• Changements physiologiques : systèmes nerveux, circulatoire et endocrinien • État de santé et statut fonctionnel : maladie chronique, douleur chronique, effets indésirables de la médication, troubles cognitifs

Psychologique

• Histoire sexuelle personnelle et signication attribuée aux expériences sexuelles antérieures : vision positive de la sexualité vs sentiment de culpabilité, tabous • Estime de soi et disponibilité à soi et à l’autre • Santé mentale : impact de la dépression et de l’anxiété ou des troubles cognitifs sur l’individu et le couple

Socioculturelle

• Environnement social : disponibilité d’un partenaire • Environnement physique : manque d’intimité en institution • Attitude de l’entourage : âgisme (préjugés et mépris fondés sur l’âge), ouverture des intervenants, réaction des proches (en particulier des enfants) • Valeurs culturelles et spirituelles personnelles • Valeurs de la société environnante

Pourtant, la société entretient encore plusieurs mythes concernant la sexualité des personnes âgées, tels que ceux-ci : • Les personnes âgées n’ont pas de désir ni de vie sexuelle. • La vie sexuelle d’une femme cesse après la ménopause. • Les personnes âgées n’ont plus les capacités physiques d’avoir des relations sexuelles. • Elles sont fragiles et le sexe peut leur causer de la douleur. • Elles ne sont plus attirantes physiquement et ne sont donc plus désirables. Ces armations concernant la sexualité des personnes âgées reètent la pensée stoïcienne qu’avec l’âge, on doit s’éloigner de ses désirs ; ce regard de la société peut constituer un frein à l’épanouissement des personnes âgées. En réalité, on en connaît encore assez peu sur l’évolution de la sexualité au cours du vieillissement. La plupart des études montrent de fait une diminution de la fréquence des rapports sexuels ; la proportion des personnes actives sexuellement passe de 73 % pour celles âgées de 57 à 64 ans, à 26 % pour la tranche de 75 à 85 ans. Toutefois, parmi les personnes sexuellement actives, près des deux tiers des personnes âgées de 57 à 74 ans et plus de la moitié de celles âgées de 75 à 85 ans ont des rapports sexuels au moins deux à trois fois par mois (Lindau & al., 2007). Une étude transversale eectuée auprès de femmes montre même que les octogénaires rapportaient plus de satisfaction sexuelle que les septuagénaires (Trompeter & al., 2012). Une sexualité satisfaisante est donc possible à tout âge. Cependant, l’imposition de normes arbitraires risque d’entraîner de l’anxiété et de la sourance psychologique. Le fait de vivre une sexualité pleine et entière n’est pas essentiel à l’épanouissement personnel, même si cette sphère en constitue un ingrédient important.

Les maladies chroniques et les atteintes fonctionnelles peuvent représenter un obstacle à la sexualité des aînés, d’abord à cause des limitations physiques, mais aussi en raison des changements qui en découlent dans la dynamique du couple. En effet, le partenaire est sujet à vivre un conit entre le rôle de conjoint et celui de soignant de la personne malade, surtout en présence de troubles cognitifs. Dans ce dernier cas, l’adaptation du conjoint aux modications du comportement sexuel peut être particulièrement dicile, notamment quant à une désinhibition sexuelle qui peut survenir à la suite d’une atteinte frontale, ou à la perte de mutualité dans la relation.

63.3.1 Facteurs inuençant la sexualité

63.3.2 Minorités sexuelles

Le tableau 63.2 présente les dimensions qui influencent les comportements sexuels chez les personnes âgées. Les valeurs religieuses inuencent considérablement la conception et l’expression de la sexualité. En raison de la place prépondérante du catholicisme dans la société québécoise jusqu’au milieu du siècle dernier, l’éducation et les valeurs religieuses ont été déterminantes pour la majorité des aînés, à qui on a enseigné que la sexualité prenait son sens exclusivement dans la procréation et que le cadre du mariage dénissait le « devoir conjugal ». La sexualité n’était donc pas considérée avant tout comme une sphère d’épanouissement personnel. L’activité sexuelle au cours de l’âge adulte est un bon prédicteur du maintien d’une telle activité durant la vieillesse. De plus, les personnes qui ont un meilleur état de santé conservent généralement avec l’âge une sexualité plus satisfaisante. Néanmoins, le vieillissement est associé à plusieurs changements de nature sexuelle : diminution du désir, de la lubrication vaginale, problèmes érectiles, anorgasmie. Des interventions peuvent cependant être proposées pour ces dicultés, d’où l’importance d’un questionnaire complet à ce sujet de la part du médecin.

L’homosexualité chez les personnes vieillissantes peut engendrer de la détresse, particulièrement lorsqu’elle n’a pu être vécue ouvertement vis-à-vis de l’entourage. Ici encore, des questions culturelles et générationnelles entrent en jeu : beaucoup d’aînés ont intégré l’image négative transmise par la société et ont subi l’ostracisme et la discrimination reliés à leur orientation sexuelle, qu’ils ont souvent gardée secrète. Sans enfants et loin de leur famille, ils sont davantage sujets à l’isolement social. De plus, les milieux de vie ne sont pas toujours accueillants envers ces diérences. En eet, malgré l’évolution considérable des mentalités depuis quelques décennies, l’intégration harmonieuse des personnes appartenant aux minorités sexuelles dans les résidences pour aînés ou dans les activités de loisirs n’est pas nécessairement facile, même pour celles qui ont réussi à assumer ouvertement leur diérence. Le contact avec un milieu moins ouvert et plus conservateur peut s’avérer dicile. Dans les milieux de la santé, encore aujourd’hui, il peut arriver que le rôle du conjoint de même sexe ne soit pas pleinement reconnu par les équipes traitantes, notamment en cas d’inaptitude du patient ou en ce qui a trait au consentement aux soins.

Chapitre 63

Enjeux du vieillissement

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63.3.3 Hébergement et sexualité Le milieu de vie et le niveau d’autonomie inuencent la sexualité des personnes âgées. Dans les centres d’hébergement, le respect des droits sexuels des résidents dépend en outre de la culture du milieu, de l’aménagement physique des chambres et des règlements. La réalité des besoins sexuels des résidents âgés est encore souvent niée. Les lieux physiques de même que le code de vie ou les règlements n’y sont pas adaptés, orant peu de moments d’intimité. Beaucoup de questions se posent également au sujet de la validité du consentement mutuel et de la conduite à adopter concernant des comportements sexuels entre résidents, surtout en cas d’atteinte cognitive.

63.3.4 Attitudes des professionnels de la santé Les personnes impliquées en relation d’aide auprès des aînés sont appelées à développer une meilleure compréhension de la sexualité de ce groupe d’âge ainsi que de nouvelles habiletés de communication à ce sujet. Dans une étude récente eectuée auprès de plus de 3 000 Américains âgés de 57 à 85 ans, seuls 38 % des hommes et 22 % des femmes ont rapporté avoir discuté de leur sexualité avec leur médecin depuis l’âge de 50 ans (Lindau & al., 2007). Pourtant, bon nombre de personnes âgées souhaiteraient pouvoir aborder ce sujet lorsqu’ils rencontrent leur médecin. Avec les premiers babyboomers qui ont atteint l’âge de 65 ans et qui ont été à l’origine de ce qu’on a appelé la « révolution sexuelle », le Québec accueille une nouvelle génération d’aînés plus à l’aise dans leur sexualité, aranchie des tabous et des préjugés, et qui a transmis ces valeurs d’ouverture aux générations subséquentes. Les représentations de la société s’en trouvent progressivement modifiées et la sexualité des personnes âgées, redéfinie. La vieillesse ne signie plus la n de la sexualité. Les changements dans l’expression de la sexualité résultent des transformations physiques, psychologiques et sociales importantes, qui font appel à des capacités d’adaptation tout aussi déterminantes. Une personne âgée qui s’adapte à ces changements peut continuer de s’épanouir également sur le plan sexuel. Les professionnels de la santé doivent faire preuve d’ouverture d’esprit et acquérir de la formation an d’assumer au mieux leur rôle d’accompagnement et de soutien dans ce processus.

63.4 Aspects psychologiques du vieillissement Le vieillissement entraîne des modications sur le plan psychologique. Les mécanismes adaptatifs de la personnalité sont sollicités lors des diverses expériences de vie, en plus d’être inuencés par les changements biologiques décrits plus haut. Certaines caractéristiques de la personnalité et du style adaptatif sont plus propices à un vieillissement harmonieux.

63.4.1 Développement Historiquement, l’étude du développement s’est surtout penchée sur les étapes initiales de la vie. Les connaissances sur le développement à l’âge adulte et, à plus forte raison, dans l’âge avancé

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ont été comparativement moins approfondies. Il est maintenant admis que le vieillissement représente aussi une étape du développement qui se poursuit tout au long de l’existence, avec ses possibilités de croissance, de stabilité ou de déclin. Le vieillissement est sujet à une variabilité interindividuelle en partie tributaire du développement antérieur, et les personnes âgées disposent de ressources adaptatives parfois surprenantes. Au moyen de son modèle développemental, Erikson (1963) compte parmi ceux qui ont approfondi la compréhension du vieillissement en décrivant les enjeux psychologiques, développementaux et identitaires tout au long du cycle de vie. Au huitième et dernier stade, désigné « intégrité versus désespoir », la personne âgée fait l’évaluation de sa vie passée. Si cet examen lui permet d’y conférer un sens, il en ressort un sentiment d’intégrité. En cas de résolution favorable, la vertu qui se dégage est la sagesse ; dans le cas contraire, c’est le désespoir qui s’installe.

63.4.2 Personnalité Les personnes qui ont depuis leur jeune âge de grandes capacités d’adaptation sont, en vieillissant, d’autant plus en mesure de s’adapter aux diérents stress. De bonnes capacités d’adaptation constituent un facteur de bon pronostic dans le vieil âge. La exibilité de la personnalité contribue à la préservation des performances intellectuelles, et l’absence d’impulsivité est un prédicteur de longévité. Les études longitudinales ont révélé que la personnalité reste relativement stable au cours du vieillissement, en évitant les biais habituellement rencontrés dans les études transversales, qui montrent des diérences importantes dans les capacités d’adaptation et les traits de personnalité entre les personnes âgées et les groupes d’adultes plus jeunes. Ces disparités sont cependant dues à un eet de cohorte. Par exemple, les personnes appartenant à des tranches d’âge diérentes n’ont pas vécu les mêmes pertes, ce qui peut engendrer des traits adaptatifs distincts pour chaque cohorte (Woods & Windle, 2013). L’étude des cinq grands facteurs de la personnalité (big ve) de McCrae & Costa (2003) montre que plusieurs sous-facteurs se modient avec l’âge : 1. Ouverture à l’expérience : imaginatif, créatif, curieux intellectuellement, cultivé, apprécie l’art, l’émotion, l’aventure, les idées originales, sensible à la beauté. a) Augmentation de 18 à 22 ans, puis stabilisation. b) Diminution légère dans la soixantaine. 2. Caractère consciencieux : contrôle, autodiscipline, respect des obligations, organisation, régule et dirige ses impulsions, évite les ennuis, planie ses objectifs. a) Augmentation constante de 20 à 70 ans. 3. Extraversion : interactions intenses avec le monde extérieur, recherche la stimulation. a) Vitalité sociale : aime être avec des gens, est plein d’énergie, enthousiaste : – diminution dans la vingtaine ; stabilisation par la suite ; – nouvelle diminution de 60 à 70 ans. b) Dominance sociale : fonceur, aime parler, s’arme et attire l’attention vers soi : – augmentation jusqu’à 40 ans.

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4. Agréabilité ou amabilité : désir de coopération et d’harmonie sociale, se montre plein d’égards, amical, serviable, généreux. a) Tendance à augmenter jusqu’à la cinquantaine. b) Augmentation plus marquée de 60 à 70 ans ; reste élevée par la suite. 5. Stabilité émotionnelle (l’opposé du névrosisme) : calme, émotionnellement stable, n’éprouve pas d’humeur négative de manière persistante. a) Augmentation légère de 10 à 30 ans . b) Augmentation légère dans la cinquantaine. Les cinq grands facteurs de la personnalité sont présentés en détail au chapitre 9 (voir le tableau 9.1). Ces données suggèrent que la structure de la personnalité reste globalement stable, tout en présentant des modulations qui se poursuivent tout au long de la vie. En résumé, le névrosisme et l’extraversion tendent à diminuer, alors que la personne devient plus consciencieuse avec l’âge (Woods & Windle, 2013). Certaines caractéristiques personnelles favorisent une meilleure adaptation au vieillissement. Ainsi, l’estime de soi et le sentiment de compétence ou de contrôle sont des caractéristiques intrinsèques qui sont modulées par l’environnement et les événements de vie. Ces ressources personnelles inuencent aussi la résilience face à l’adversité ainsi que le sentiment de bien-être et la satisfaction personnelle envers la vie.

63.4.3 Optimisation sélective et compensation Le modèle développemental de sélection, d’optimisation et de compensation de Baltes (1997) s’intéresse à la capacité de résilience chez les personnes âgées. Selon ce modèle, les personnes capables de redénir leurs buts et priorités de vie, en tenant compte de leurs limites et en maintenant leur estime personnelle, traversent mieux les transitions imposées par les changements de rôle ou les problèmes physiques. Le premier processus, la sélection, implique un ajustement des attentes et des objectifs personnels en fonction des limites et des capacités, et permet de préserver un sentiment d’accomplissement et de contrôle. La sélection favorise ainsi l’optimisation de l’adaptation, en tirant le meilleur parti des ressources et des limites. Enn, la compensation par des moyens extérieurs ou des comportements nouveaux peut devenir nécessaire au maintien du fonctionnement. Globalement, ce processus d’optimisation sélective confère une meilleure capacité d’adaptation lors du vieillissement.

63.5 Aspects sociaux du vieillissement De nombreux facteurs sociaux et culturels, comme la pauvreté, la perte de rôle ou la structure familiale, exercent une inuence sur les personnes âgées. Bien que la plupart des sociétés occidentales orent un let social aux personnes âgées, elles ont néanmoins tendance à exclure les aînés sur les plans professionnels, de la famille et de l’hébergement.

63.5.1 Théories sociales Plusieurs théories cherchent à expliquer l’inuence des facteurs sociaux et culturels sur le vieillissement. • Selon la théorie du désengagement, évoquée aux États-Unis à la n des années 1970, les personnes âgées désengagées s’adaptent mieux que celles qui ne le sont pas : le vieillissement engendre de façon inévitable un retrait ou un désengagement social et une diminution des interactions et des rôles sociaux. L’individu restreint son engagement et son réseau social, ce qui lui permet d’atteindre un nouvel équilibre avec une modication de son système de valeurs. Ces constatations ont cependant été attribuées par la suite à des facteurs socioculturels plutôt qu’à un comportement inhérent au vieillissement. • Selon la théorie de l’activité, au contraire, la productivité et l’intégration sociale sont déterminantes pour un vieillissement harmonieux. La personne âgée doit demeurer active an d’obtenir le plus de satisfactions possible dans la vie, maintenir son estime d’elle-même et conserver sa santé. • La théorie de la continuité fait écho aux études concernant la stabilité de la personnalité durant le vieil âge. Les modications du mode de vie avec le vieillissement sont modulées par la personnalité. La personne âgée maintient ses habitudes de vie, ses préférences, ses expériences et ses engagements acquis et élaborés au cours de sa vie, tout en s’adaptant graduellement aux modications engendrées par le vieillissement. Avec l’âge, les interactions sociales se modient. La taille du réseau social décroît, mais ses aspects qualitatifs sont plus déterminants. Un aspect très important, également, est la perception, par la personne âgée, de la qualité de son soutien social et de sa disponibilité. La fratrie joue un rôle croissant avec l’âge, malgré le fait que la compagnie des amis semble plus appréciée que celle des membres de la famille (Papalia & al., 2010). Par ailleurs, alors qu’il était jadis plutôt inhabituel dans ce groupe d’âge, le divorce est de plus en plus fréquent et son impact sur le réseau social des personnes âgées est encore peu connu.

63.5.2 Maltraitance Les mauvais traitements et la négligence envers les personnes âgées ne sont un phénomène reconnu que depuis les années 1980. Dans la francophonie, le terme « maltraitance » est de plus en plus retenu pour désigner le phénomène, même si le terme « abus », traduction littérale de l’anglais abuse, demeure très répandu. Le gouvernement du Québec a adopté la dénition de la maltraitance de l’OMS : Il y a maltraitance quand un geste singulier ou répétitif, ou une absence d’action appropriée, se produit dans une relation où il devrait y avoir de la conance, et que cela cause du tort ou de la détresse chez une personne aînée. (Ministère de la Famille et des Aînés, 2010, p. 17)

Ce geste, intentionnel ou non, est de nature interpersonnelle ou découle de l’organisation des services dans les divers milieux de vie des personnes aînées. Cette dénition englobe l’accomplissement d’un acte destructif (abus) ainsi que l’omission d’un acte essentiel (négligence). Elle implique également une relation de conance entre la personne abusée qui requiert de l’aide ou des soins et l’abuseur qui les prodigue. La maltraitance inclut aussi

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la notion d’exploitation et d’abus nancier, dont sont souvent victimes les personnes âgées (Beaulieu, 2007). Selon une revue de littérature, 6,3 % des personnes âgées dans la communauté rapportent une situation de maltraitance dans le dernier mois. Près de 25 % des personnes âgées vulnérables se disent victimes de violence psychologique et 20 % de celles visitant un service d’urgence seraient négligées (Cooper & al., 2008). La prévalence des mauvais traitements envers les personnes âgées est comparable à celle enregistrée parmi les enfants et passe souvent inaperçue des intervenants. Lors d’enquêtes eectuées auprès de travailleurs du milieu de la santé, près du tiers avait été témoin d’un cas de maltraitance dans l’année précédente, dont la moitié a été rapportée aux autorités (Cooper & al., 2009). Les facteurs de risque de maltraitance comprennent le fait d’être une femme, veuve, âgée de plus de 75 ans et d’avoir peu de ressources nancières, de même que la perte d’autonomie, la dépendance et les troubles de comportement. La violence psychologique est la forme la plus fréquente de maltraitance. Les caractéristiques des abuseurs seraient plus déterminantes que celles des victimes : • présence d’une psychopathologie ; • dépendance à des substances ; • dépendance nancière envers la personne dont ils ont la charge ; • antécédents de violence familiale ; • isolement social. Certaines données demeurent cependant contradictoires. Dans le cas de violence intrafamiliale, les conjoints, les enfants et les petits-enfants représentent la grande majorité des abuseurs, qui cohabitent le plus souvent avec la victime. Parmi les petits-enfants abuseurs, les petits-ls seraient beaucoup plus nombreux. En dépit du fait que la majorité des proches aidants sont des femmes, aucun consensus n’a été établi quant à leur prédominance chez les abuseurs. En milieu institutionnel, l’abus et la négligence sont associés à la surcharge de travail, à l’insatisfaction des intervenants, à l’épuisement professionnel, à l’absence de reconnaissance et au manque de formation. Des comportements perturbateurs, des demandes répétitives (dans le cas de persévération), des propos ou des gestes agressifs de la part de la personne âgée précèdent souvent la maltraitance, bien que ces manifestations n’en constituent en aucun cas une justication. L’utilisation excessive de contentions est la forme la plus fréquente d’abus physique en milieu institutionnel. Aux États-Unis, un programme national a été implanté en 1987 pour encadrer l’utilisation des contentions et des psychotropes en milieu institutionnel (Nursing Home Reform Act, dans le cadre de l’Omnibus Budget Reconciliation Act ou OBRA-87). Cette réforme a fait suite à la démonstration que l’utilisation de contentions est inecace pour éviter les chutes et peut au contraire contribuer à augmenter l’agitation, en plus de favoriser la perte de mobilité et les pertes fonctionnelles (Meeks & al., 2011). La violence envers les personnes âgées est rarement un phénomène isolé. Une escalade de violence est la norme et la résolution spontanée du problème est peu probable, d’où l’importance d’une détection précoce. Certaines interventions ont été adaptées des approches élaborées pour les enfants victimes de maltraitance, en tenant compte du fait que les personnes âgées

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sont des personnes majeures. La formation des professionnels de la santé ou des autres intervenants qui côtoient des personnes âgées joue un rôle crucial dans la détection et la prévention de la maltraitance ainsi que dans l’intervention auprès des personnes qui en sont victimes. Dans un contexte de violence intrafamiliale, les personnes âgées peuvent hésiter à dénoncer un membre de leur famille de crainte de représailles, d’abandon ou d’institutionnalisation. L’intervention doit tenir compte de leur protection, mais aussi de leurs droits et libertés, principalement lorsqu’elles sont jugées aptes. En raison de la complexité des enjeux, l’intervention à préconiser consiste à faire appel à une équipe interdisciplinaire. Au Québec, un plan gouvernemental quinquennal a été lancé, comportant une campagne de sensibilisation et une série de mesures visant à prévenir la maltraitance et à intervenir en cas de maltraitance envers les aînés (Ministère de la Famille et des Aînés, 2010).

63.6 Suicide La question du suicide chez les personnes âgées représente un dé pour les cliniciens ainsi que pour la société. En raison du vieillissement de la population, dans les prochaines années, le nombre de suicides par les aînés risque d’augmenter.

63.6.1 Épidémiologie Selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ, 2013), le taux de suicide chez les personnes âgées de 65 ans et plus était de 12,1 par 100 000 personnes au Québec en 2010. Ce taux diminue depuis le début des années 1980 à raison d’environ 1 % par année en moyenne. D’ailleurs, depuis 1999, le taux de suicide diminue au Québec dans tous les groupes d’âge, sauf chez les femmes de 50 à 64 ans. Plus de 40 % de tous les suicides surviennent cependant chez les personnes de 50 ans et plus, et cette proportion est appelée à augmenter en fonction du poids démographique. Chez les personnes âgées, le taux de suicide est cinq fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes, et cette tendance s’accentue après 75 ans. Le taux réel est cependant probablement sous-estimé, puisque bien des décès sont attribués à tort à des causes naturelles ou indéterminées. Certains comportements potentiellement néfastes, comme l’arrêt ou la prise erratique de la médication, ou encore la diminution ou la cessation de l’alimentation, peuvent être en fait des gestes volontairement autodestructeurs. La proportion de suicides complétés, comparativement aux tentatives de suicide, est beaucoup plus élevée chez les personnes âgées que chez les adultes plus jeunes, tant chez les hommes que chez les femmes (Conwell & al., 1998). Les personnes âgées qui passent à l’acte suicidaire le font en réponse à des idées ou à des intentions plus arrêtées. D’autres facteurs peuvent expliquer ces diérences, dont la létalité du moyen utilisé, la probabilité moindre d’être retrouvé à temps en raison de l’isolement et la fragilité physique qui augmentent la létalité potentielle de chaque geste suicidaire. Les méthodes les plus fréquentes sont les armes à feu ou la pendaison chez l’homme, et l’intoxication médicamenteuse, la pendaison ou la suocation chez la femme.

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63.6.2 Facteurs de risque Plusieurs facteurs mettent les personnes âgées à risque d’un passage à l’acte suicidaire. Le clinicien doit y porter une attention particulière durant son évaluation.

Suicide et troubles mentaux Selon Conwell et ses collaborateurs (2011), de 71 à 97 % des personnes âgées qui se sont suicidées souraient d’un trouble mental. Les troubles de l’humeur sont présents dans 54 à 87 % des suicides complétés, suivis des troubles reliés à l’utilisation d’une substance dans 3 à 47 % des cas. La dépression majeure présente l’association la plus nette avec le suicide : de 10 à 20 % des personnes atteintes nissent par se suicider. Une augmentation du risque s’observe aussi pour les épisodes dépressifs dits mineurs ou subcliniques. Bien que moins importante, l’association demeure signicative entre le suicide chez les personnes âgées et la présence d’un trouble psychotique ou d’un trouble anxieux. Les tentatives antérieures sont associées à une augmentation du risque suicidaire subséquent. La présence d’un trouble neurocognitif (une démence ou un delirium) est considérée comme un facteur de risque de suicide qui toutefois n’a pas été conrmé dans les études de cas-témoins, diciles à réaliser auprès de cette population. Reste que les patients atteints de ces troubles sont à surveiller du fait qu’ils sont plus à risque en raison de leur imprévisibilité, de leur manque de jugement et d’autocritique. Les troubles reliés aux substances demeurent un facteur de risque à considérer pour tous les groupes d’âge.

Suicide et personnalité L’introversion, le retrait social, le manque d’intérêt pour la nouveauté et l’hostilité sont des caractéristiques de la personnalité qui sont associées à un risque suicidaire accru. Le suicide est cependant davantage associé aux troubles de la personnalité chez les adultes plus jeunes. Ces facteurs n’ont cependant pas été étudiés de façon rigoureuse. Une étude a examiné la personnalité comme facteur de risque de suicide chez les personnes âgées ; des traits anxieux et obsessionnels ont été liés à un risque suicidaire accru (Harwood & al., 2001). Le désespoir (hopelessness), tel qu’il est décrit par Beck, pourrait être particulièrement signicatif en tant que facteur du risque suicidaire chez les personnes âgées.

Maladies physiques Les problèmes physiques, particulièrement le cancer, les maladies neurologiques, les douleurs ou les maladies chroniques, ont été associés à un risque suicidaire plus élevé. Le risque augmente avec le nombre de maladies : il est multiplié par trois chez les personnes souffrant de trois maladies ou plus, et multiplié par neuf en présence de sept maladies ou plus (Juurlink & al., 2004). Les pertes fonctionnelles émergent aussi comme étant un facteur de risque signicatif pour le suicide chez les personnes âgées. L’incapacité à eectuer les activités de la vie quotidienne et domestique doit donc être examinée lors de l’évaluation de la dangerosité suicidaire d’un patient âgé. Les études de cas-témoins sont diciles à réaliser, particulièrement en ce qui a trait au choix du groupe témoin, ce qui entraîne des résultats contradictoires. Une étude eectuée au Québec (Préville & al., 2005) n’a pas trouvé d’association signicative entre le suicide et la présence de maladies chroniques ou de perte d’autonomie fonctionnelle dans un groupe de 95 personnes

de 60 ans et plus décédées par suicide. Le groupe témoin était toutefois constitué de personnes décédées de mort naturelle. Dans plusieurs sociétés, dont le Québec, les questions de l’euthanasie et du suicide assisté font l’objet de débats éthiques, religieux, sociaux et politiques. Finalement, le projet de loi Mourir dans la dignité entre en vigueur en 2015. Cette loi fournit des balises légales concernant les soins palliatifs et l’aide médicale à mourir, et vise à assurer aux personnes en n de vie des soins respectueux de leur dignité et de leur autonomie.

Facteurs psychosociaux Les deuils, les dicultés interpersonnelles majeures (séparation ou conit important impliquant la famille immédiate ou les proches), les déménagements, l’isolement et les problèmes nanciers ou légaux ont été mis en cause dans diérentes études. Inversement, la qualité et la disponibilité du soutien social (notamment le fait de vivre en couple) sont associées à un risque suicidaire moindre.

63.6.3 Prévention et intervention L’identication et le traitement adéquat de la dépression constituent les pierres angulaires de la prévention du suicide chez les personnes âgées. Une étude eectuée en Nouvelle-Zélande (Beautrais, 2002) a montré que si les épisodes dépressifs majeurs étaient éliminés chez les personnes âgées, le taux de suicide diminuerait de près de 75 %, et que si un soutien social adéquat était disponible pour toutes les personnes âgées, le taux serait réduit de 27 %. Le dépistage du risque suicidaire chez le patient âgé représente toutefois un dé clinique. Environ les trois quarts des patients âgés décédés par suicide ont parlé de leurs idées de mort à un proche, et près de 40 % d’entre eux, à un professionnel de la santé (Heisel, 2006). Plus de la moitié ont consulté un médecin dans les deux semaines ayant précédé leur suicide (Préville & al., 2005). Cela rappelle l’importance de porter une attention particulière aux facteurs de risque suicidaire dans l’évaluation de la personne âgée, même en l’absence de tendances suicidaires spontanément rapportées. La présence de symptômes dépressifs doit être considérée en gardant en tête les diérences cliniques entre la dépression gériatrique et celle de l’adulte plus jeune. Les personnes âgées tendent souvent à minimiser leurs dicultés d’ordre psychiatrique et traduisent une humeur sombre ou des idées noires en termes somatiques ou en référant à des dicultés psychosociales. Le clinicien doit être attentif aux facteurs de risque décrits ci-dessus et se montrer sensible et empathique envers la personne âgée an de l’aider à verbaliser ses préoccupations suicidaires. Lorsqu’elles sont questionnées directement à ce sujet, seulement 8 % des personnes âgées suicidaires nient la présence de tels symptômes (Heisel, 2006). L’apport de sources d’informations collatérales est souvent nécessaire pour compléter l’anamnèse. Les troubles dépressifs chez la personne âgée sont présentés en détail au chapitre 65, à la section 65.3. La prise en charge et l’intervention auprès d’une personne âgée présentant un risque suicidaire doivent être individualisées selon ses facteurs de risque, ce qui requiert souvent un travail d’équipe ainsi que la contribution des proches. Le médecin est alors encouragé à faire appel à d’autres intervenants en santé mentale, au sein de l’équipe médicale ou dans la communauté. Devant une personne âgée aux prises avec de graves idées

Chapitre 63

Enjeux du vieillissement

1387

suicidaires ou avec un plan précis, l’hospitalisation s’impose. Les interventions thérapeutiques doivent cibler la maladie psychiatrique si elle est présente, et un traitement approprié doit être entrepris. Des stratégies doivent être oertes pour aider la personne âgée à développer ou à retrouver un sens à sa vie ou à se xer des objectifs de vie, de même qu’à élargir son réseau social et ses activités interpersonnelles, an d’améliorer sa qualité de vie (Coalition canadienne pour la santé mentale des personnes âgées, 2006).

63.7 Vieillissement réussi Le concept de « vieillissement réussi » répond au besoin de dénir des aspects positifs du vieillissement, au-delà des pertes et du déclin fonctionnel. Il comprend notamment les notions d’absence de maladie ou de handicap, de fonctionnement cognitif élevé, d’autonomie, d’engagement social et de satisfaction personnelle (Jeste & al., 2010). Ce concept intègre donc à la fois les aspects biologiques, psychologiques et sociaux de cette étape de vie. L’intérêt envers la notion de vieillissement réussi s’est développé surtout depuis les années 1980 ; Busse (1985) l’a dénie comme une réponse résiliente et adaptative aux changements qui surviennent tant sur les plans physique, psychique qu’environnemental. Le vieillissement réussi s’apparente au pôle « intégrité » (versus désespoir) de l’ultime stade développemental, selon la théorie d’Erikson, au terme duquel émerge la sagesse. Baltes (1997) a pour sa part mis l’accent sur la sagesse comme facteur de réussite du vieillissement : cette vertu permet de mieux aborder les processus de sélection, d’optimisation et de compensation, ce qui facilite l’adaptation aux modications inhérentes à l’avancement en âge, sur les plans physique, psychologique et social (voir la sous-section 63.4.3). La dénition de la sagesse ainsi que l’importance qu’on lui accorde sont variables selon les cultures. Dans les sociétés orientales, par exemple, l’atteinte de la sagesse est un idéal très respecté, qui inuence le statut des personnes âgées dans la société. Cette conception du vieillissement a été critiquée en raison du fait qu’elle introduit la notion de réussite (qui est moins évoquée pour d’autres étapes de la vie) concernant un processus éminemment complexe et inexorable. Cela lui confère une composante subjective et dicile à opérationnaliser. Le fait de se pencher sur les aspects positifs du vieillissement a cependant eu des impacts favorables. Ainsi, de plus en plus l’inuence des habitudes de vie sur la santé au cours du vieillissement est reconnue : plusieurs facteurs bénéques ont pu être conrmés, notamment sur les plans de la nutrition, de l’activité physique ou intellectuelle et de la socialisation. Par exemple, la Harvard Study of Adult

Development (Vaillant & Mukamal, 2001), une étude en cours depuis plus de 70 ans, a mis en évidence que plusieurs facteurs mesurés à l’âge de 50 ans permettent de prédire la réussite ou non du vieillissement 20 ou 30 ans plus tard. Certains de ces facteurs sont potentiellement modiables : • l’adoption de saines habitudes de vie (consommation limitée d’alcool ou de tabac, exercice régulier, indice de masse corporelle entre 21 et 28) ; • le niveau d’éducation ; • une relation maritale stable ; • l’utilisation de mécanismes de défense dits « matures » (p. ex., l’humour, la sublimation ou l’altruisme). D’autres facteurs, au contraire, ne se prêtent pas à une intervention qui en modierait l’impact : • des antécédents de dépression ; • le tempérament durant l’enfance ; • un milieu familial chaleureux ; • le niveau socioéconomique des parents ; • la longévité atteinte par les autres membres de la famille. L’allostasie (Sterling & Eyer, 1988) est un concept décrivant les mécanismes d’adaptation de l’organisme an de maintenir l’homéostasie. Les stress quotidiens provoquent une réponse adaptative des systèmes neuroendocrinien et immunologique ainsi que du système nerveux autonome. Lorsque cette réponse se manifeste de manière excessive ou prolongée, l’organisme en subit les eets négatifs, qui se traduisent par une altération des fonctions neuroendocrinienne, métabolique ou immunologique. La somme de ces eets (ou charge allostatique) peut se quantier à l’aide de mesures de la pression artérielle, du cortisol, du cholestérol et du fonctionnement des organes vitaux. Le score allostatique ainsi obtenu reète l’eet de l’accumulation des stress sur le corps. Ce « coût de l’adaptation » varie selon les individus : une faible charge allostatique a été associée au concept de résilience et au vieillissement réussi (McEwen, 2002).

Le vieillissement est un processus physiologique complexe, lent et progressif, impliquant divers facteurs bio-psycho-sociaux, et non une maladie. Les nouvelles données sur les déterminants du vieillissement en provenance de champs d’expertise très variés enrichissent la compréhension des mécanismes d’adaptation au vieillissement. En plus d’orir des perspectives de recherche clinique et fondamentale très prometteuses, elles ouvrent la porte à de nouveaux champs d’intervention et sont utiles pour guider les cliniciens qui côtoient les aînés.

Lectures complémentaires A, M. & M, G. (2011). Principles and Practice of Geriatric Psychiatry, 2e éd., Philadelphie, PA, Lippincott Williams & Wilkins.

1388

A, M. & H, R. (2007). Précis pratique de gériatrie, 3e éd., SaintHyacinthe/Paris, Edisem/Maloine. Bz, D. & al. 2015. e American Psychiatric Publishing Textbook of

Geriatric Psychiatry, 5e éd., Arlington, VA, American Psychiatric Publishing. D, T. & T, A. (2013). Oxford Textbook of Old Age Psychiatry, 2e éd., Oxford, Oxford University Press.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5 Spécialités psychiatriques

CHA P ITR E

64

Approche gérontopsychiatrique Isabelle Paquette, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences biomédicales)

Angela Geloso, M.D., FRCPC

Gérontopsychiatre, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Gérontopsychiatre, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Professeure adjointe de clinique, directrice du programme d’études médicales postdoctorales en gérontopsychiatrie, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Andrée Legendre, M.D., FRCPC, Ph. D. (sciences neurologiques)

Maryse Charron, M.D., FRCPC

Psychiatre, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Psychiatre, chef médicale, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Rosita Punti, M.D., FRCPC

Geneviève Létourneau, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences biomédicales)

Gérontopsychiatre, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Gérontopsychiatre, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Carole Murphy, M.D., FRCPC Psychiatre, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal Professeure chargée d’enseignement clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

64.1 Fondements de la gérontopsychiatrie....................... 1390 64.1.1 Historique ............................................................. 1390 64.1.2 Principes d’intervention..................................... 1390 64.1.3 Contours de la gérontopsychiatrie................... 1391 64.2 Dispositif de soins et de services ............................... 1391 64.2.1 Continuum de services cliniques en gérontopsychiatrie ......................................... 1391 64.2.2 Services résidentiels et d’hébergement................................................. 1393

64.3 Approche thérapeutique............................................. 1393 64.3.1 Évaluation gérontopsychiatrique ..................... 1393 64.3.2 Traitement ............................................................ 1395 64.4 Enjeux et avenir de la gérontopsychiatrie ................ 1399 64.4.1 Intégration et accessibilité................................. 1399 64.4.2 Évaluation des services....................................... 1399 64.4.3 Formation et recherche...................................... 1399 Lectures complémentaires .................................................... 1400

L

es services aux aînés sourant de troubles mentaux se sont considérablement développés au cours des dernières décennies. La réexion s’est portée en partie sur les lieux de la prestation des soins, soit le domicile, la communauté ou l’institution, et également sur le type de soins déterminé par les besoins du patient et de sa famille. Des approches spéciques ont été mises au point an de mieux répondre aux besoins des aînés, tant sur les plans du dispositif de soins et de l’organisation des services que des objectifs thérapeutiques et des approches diagnostiques et de traitement.

64.1 Fondements de la gérontopsychiatrie Les soins de santé propres aux personnes âgées sont d’apparition relativement récente, et le développement de la gériatrie et celui de la gérontopsychiatrie se suivent de près. À plusieurs égards, la gérontopsychiatrie se situe d’ailleurs, dans ses principes d’intervention, aussi près de la gériatrie que de la psychiatrie générale adulte.

64.1.1 Historique Dans les années 1930, des soins médicaux aux personnes âgées émanant d’une programmation et d’une organisation spéciques prennent naissance au Royaume-Uni. Il s’agit alors essentiellement d’unités d’hospitalisation dévolues à l’évaluation des problèmes de santé gériatriques. À partir des années 1940, les soins psychiatriques aux personnes âgées se développent, particulièrement en Écosse et en Angleterre. Jusqu’à ce moment, les pathologies tant physiques que psychiatriques rencontrées chez les personnes âgées suscitent peu d’intérêt ; elles sont attribuées à la dégénérescence associée au vieillissement, considérée comme normale et inévitable. Les hôpitaux psychiatriques hébergent alors un nombre important de patients âgés, et les premières études cliniques en gérontopsychiatrie sont publiées dans ce contexte (Post, 1944). À cette époque, les soins psychiatriques sont prodigués presque exclusivement dans les institutions psychiatriques et non dans les hôpitaux généraux, et ce, pour tous les groupes d’âge. Au départ, la gériatrie et la psychiatrie gériatrique se développent en parallèle, malgré une clientèle en partie partagée. Avec le temps, plusieurs formes de collaboration entre la gériatrie médicale et la psychiatrie gériatrique prennent naissance et contribuent à façonner les principes de dispensation de soins qui sont encore en vigueur aujourd’hui. À partir des années 1960, en plusieurs endroits au Royaume-Uni, des unités conjointes de gériatrie et de psychiatrie commencent à s’implanter ; gérontopsychiatres et gériatres cohabitent sur la même unité de soins, les patients sont attribués à l’une ou l’autre des spécialités selon leur problème principal ou encore sont soignés en cotraitance. Ce n’est qu’à partir des années 1970 que les services propres aux personnes âgées s’organisent et se généralisent. Ces unités, les psychiatric geriatric units, deviennent par la suite des psychogeriatric units ou même des psycho-socio-geriatric units. Le terme « psychogériatrie » est né. Il a fait place aux appellations « old age psychiatry » ou, aux États-Unis, « geriatric psychiatry », qui ont le mérite de mieux décrire le travail eectué en mettant l’accent ou sur la psychiatrie (et non la gériatrie). C’est aussi le cas

1390

des termes « psychiatrie gériatrique » ou « gérontopsychiatrie ». Dans la plupart des milieux francophones, dont le Québec, cette dernière appellation est d’ailleurs préférée depuis plusieurs années au terme « psychogériatrie » pour désigner la spécialité et les programmes de soins psychiatriques aux personnes âgées. Dans les années 1950, quelques années après le Royaume-Uni, la psychiatrie gériatrique commence à s’implanter aux États-Unis. Le système de soins destiné aux anciens combattants, avec son réseau national d’hôpitaux nancés, contribue pour beaucoup à l’éclosion de la gérontopsychiatrie. En 1978, l’American Association for Geriatric Psychiatry est fondée. En 1980, la Société de psychogériatrie du Québec est créée à son tour par André Brunet, peu après l’inauguration du premier programme de gérontopsychiatrie (à l’Hôpital Louis-H. Lafontaine, maintenant l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal en 1978). Encore aujourd’hui, peu de milieux cliniques au Québec orent une programmation intégrée ou même un dispositif spécique d’évaluation et de traitement psychiatriques pour les personnes âgées. On compte quelques programmes de gérontopsychiatrie ou des services dédiés dans les centres universitaires, mais la plupart des services disponibles sont tributaires de l’implication d’un ou de quelques psychiatres intéressés par les soins psychiatriques aux personnes âgées. Le Québec compte actuellement près d’une soixantaine de gérontopsychiatres et de psychiatres œuvrant en gérontopsychiatrie, essentiellement en milieu universitaire et dans les grands centres comme Montréal, Québec et Sherbrooke (Punti & Paquette, 2009). Dans le Plan d’action en santé mentale 2005-2010 du gouvernement du Québec (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2005), les personnes âgées ne font l’objet d’aucune attention spécique. Il reste encore beaucoup à faire pour la reconnaissance de la spécicité des personnes âgées et de leurs besoins en matière de santé mentale. En 1989, la gérontopsychiatrie en tant que spécialité est reconnue ociellement au Royaume-Uni et, en 1991, aux ÉtatsUnis. Au Canada, il a fallu attendre en 2009 avant que cette surspécialité n’obtienne la reconnaissance du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, et en 2013 pour que la certication en gérontopsychiatrie ne soit sanctionnée par un examen de ce collège.

64.1.2 Principes d’intervention La gérontopsychiatrie, tout comme la gériatrie, est ancrée dans des principes qui tiennent compte de la nitude des ressources disponibles ainsi que des enjeux épidémiologiques et de santé publique propres au vieillissement. Les gérontopsychiatres sont très impliqués dans les réexions sur l’organisation des soins et des services aux personnes âgées, l’élaboration de politiques, l’évaluation des besoins, l’ecience des programmes cliniques et l’évaluation des interventions. Le travail en gérontopsychiatrie repose sur les bases suivantes : • l’évaluation globale de la santé incluant les dimensions biologique, psychologique et sociale ; • le maintien de l’autonomie ou sa récupération optimale ; • le souci de la dignité et de la qualité de vie de la personne âgée ; • l’implication des proches ; • la souplesse d’intervention incluant l’intervention à domicile ;

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

• la liaison et le soutien envers la 1re ligne ; • le travail en équipe interdisciplinaire ; • la formation des équipes de soins. Ces grands principes impliquent une évaluation globale et rapide des patients, adaptée à chacun d’eux, conduisant à un diagnostic précis et complet. Le but est d’aider le patient à retrouver un fonctionnement optimal en mettant en place un plan d’intervention individualisé qui tienne compte des forces ainsi que des limites du patient et de son entourage. Considérant le nombre d’intervenants concernés, tant à l’hôpital que dans la communauté, la liaison entre les équipes est particulièrement importante an de favoriser la continuité de soins. De plus, une intervention précoce est nécessaire de façon à prévenir des complications ou une perte de fonctionnement dicile à récupérer.

64.1.3 Contours de la gérontopsychiatrie La dénition de la clientèle gérontopsychiatrique est variable. Les services et les programmes de psychiatrie s’adressant aux personnes âgées dénissent leur clientèle selon des âges diérents, dont la limite inférieure se situe généralement entre 65 et 75 ans. Dans certains services, des cas particuliers en deçà de l’âge limite peuvent aussi s’appliquer, en raison, par exemple, du type de pathologie (trouble neurocognitif à début précoce avec manifestations psychiatriques, notamment) ou encore de la complexité clinique et de la comorbidité médicale ainsi que de la perte d’autonomie associée. Il existe donc un chevauchement avec la psychiatrie générale adulte. Habituellement, les programmes de gérontopsychiatrie visent d’abord les patients qui présentent des troubles psychiatriques comme diagnostic principal. En général, les patients qui sourent de troubles cognitifs initialement « purs » consultent plutôt dans des cliniques de mémoire. Comme les symptômes psychiatriques sont très fréquents dans l’évolution des troubles neurocognitifs, l’expertise des gérontopsychiatres peut être requise ultérieurement. Les patients peuvent aussi être pris en charge par des spécialités connexes telles que la gériatrie, spécialité de la médecine interne qui se caractérise par une approche globale de personnes âgées aux prises avec des problèmes de santé complexes, ou la neurologie, qui joue un rôle important auprès de patients atteints de pathologies médicales impliquant des troubles neurocognitifs. Le partenariat avec ces spécialités ainsi qu’avec le médecin de famille est essentiel. L’essence de la gérontopsychiatrie demeure l’évaluation et le traitement des troubles mentaux chez les personnes âgées. Cette dénition devient plus oue avec l’allongement de l’espérance de vie et les transformations progressives des cohortes successives de patients âgés : les notions de vieillesse et de fragilité tendent à s’appliquer à des âges de plus en plus avancés. Avec l’arrivée en masse des babyboomers, l’hétérogénéité de la population âgée n’en est que plus marquée, avec un nombre croissant de personnes de 75 ans ou plus en bonne forme physique et cognitive. L’inuence prévisible de cette cohorte de personnes en meilleure santé, plus scolarisée, disposant de meilleurs moyens nanciers, habituée à revendiquer ses droits et à faire valoir ses intérêts, modiera sans doute le mode de prestation de soins. Ce constat ne doit cependant pas mener la gérontopsychiatrie à délaisser la population qui lui est la plus spécique, soit les personnes très âgées aux prises avec des troubles mentaux, en particulier ceux

dont l’apparition est tardive. En matière d’âge chronologique, la dénition de cette période de vie est variable, car elle fait référence à une notion de fragilité, qui devient plus apparente surtout à partir de 75 ans. La catégorie des personnes âgées est généralement subdivisée ainsi (Smith & al., 2002) : • les young-old se situent de 65 à 75 ans ; • les middle old ou old-old de 75 à 85 ans ; • les oldest old désigne les 85 ans et plus. Le vieillissement de la population fait en sorte que les psychiatres de psychiatrie générale adulte auront nécessairement à intervenir de plus en plus auprès de patients approchant ou dépassant 65 ou 70 ans, qui développent des troubles de l’humeur ou des troubles neurocognitifs. Déjà, la pratique de la consultationliaison psychiatrique en milieu hospitalier s’adresse en bonne partie à des patients âgés. Ces faits illustrent bien l’importance d’une solide exposition à la gérontopsychiatrie au cours de la formation générale des psychiatres. Selon les orientations prises par les milieux cliniques, la population des programmes de gérontopsychiatrie peut s’étendre des patients de 65 ans présentant des troubles cognitifs à leurs débuts jusqu’aux patients très âgés et frêles sourant de troubles mentaux réfractaires. Ces derniers sont sous-représentés dans les études cliniques et risquent aussi de l’être dans les priorités établies par les systèmes de dispensation de soins. Ils doivent néanmoins rester au cœur de la mission des programmes cliniques de gérontopsychiatrie ainsi que des priorités de santé publique (Blazer, 2000).

64.2 Dispositif de soins et de services Au l des décennies, de nombreux dispositifs et modes de dispensation de soins propres aux personnes âgées ont vu le jour, tentant de répondre de manière adaptée à leurs besoins. Les sous-sections qui suivent en décrivent les principaux.

64.2.1 Continuum de services cliniques en gérontopsychiatrie Chez les personnes âgées comme chez les adultes plus jeunes, la plupart des troubles mentaux, tels que la dépression, les troubles anxieux, les troubles de l’adaptation et les troubles cognitifs, sont traités par les médecins de la 1re ligne, que ce soit en cabinet ou en institution. Les services de 2e et de 3e lignes sont accessibles sur consultation et sont réservés aux troubles graves ou réfractaires, le plus souvent dans les grands centres. Avec le rationnement des ressources allouées en santé, les soins ambulatoires se sont considérablement développés dans les dernières décennies, donnant lieu à des approches novatrices et ecientes. La majeure partie des soins et des services psychiatriques est d’ailleurs prodiguée en clinique ambulatoire, où des services de qualité ne sont pas nécessairement beaucoup moins coûteux que les services institutionnels. Les préoccupations économiques ne peuvent donc être la motivation principale à leur recours. Le maintien dans le milieu naturel ainsi que la préservation de l’autonomie et de la qualité de vie en sont les avantages principaux et les objectifs premiers.

Chapitre 64

Approche gérontopsychiatrique

1391

Les services prodigués dans le milieu naturel sont particulièrement adaptés aux besoins des personnes âgées. En psychiatrie, la clientèle âgée peut grandement bénécier d’une approche de suivi dans le milieu de vie, qui permet non seulement de diminuer l’utilisation des services internes et les visites à l’urgence, mais aussi d’améliorer la continuité de l’ensemble des soins et services requis pour chaque personne. De plus, certains patients ne sont pas en mesure d’accéder aux services ambulatoires, tels la clinique ambulatoire ou l’hôpital de jour, en raison d’un problème de mobilité ou encore des caractéristiques ou de la gravité de leurs symptômes ; d’autres encore refusent carrément les interventions en clinique, ce qui fait qu’ils doivent être vus à leur domicile (outreach). Le suivi dans le milieu est particulièrement adapté pour ces patients. Cette modalité de soins est structurée de façon variable, avec des intervenants qui se rendent au domicile du patient. Bien que les avantages de l’évaluation au domicile soient bien reconnus, de telles équipes propres aux personnes âgées sont cependant rares en ce qui concerne le traitement aigu et le suivi spécialisés en gérontopsychiatrie. La variété et la complexité des problèmes que peuvent présenter les personnes âgées font en sorte que la profession inrmière convient particulièrement bien à ce rôle. Le concept de suivi dans le milieu fait également appel à d’autres initiatives semblables décrites par les termes « équipe mobile d’intervention » ou encore « hospitalisation à domicile ». Leurs points communs sont la mobilité, la rapidité, l’intensité et la grande souplesse dans les interventions et leur coordination (Punti & Paquette, 2009 ; Stancu & al., 2008). Les soins gérontopsychiatriques de proximité ne peuvent cependant pas toujours remplacer les soins hospitaliers ; dans certains cas, ils peuvent contribuer à retarder l’institutionnalisation, sans nécessairement l’empêcher. Cela est spécialement vrai pour les patients sourant de maladies dégénératives telles que les troubles neurocognitifs majeurs, et qui ont besoin de services visant spéciquement le soutien à l’autonomie. Les services de soutien à l’autonomie (ou de maintien à domicile) comprennent de l’aide instrumentale pour l’hygiène, la cuisine, l’entretien ménager, les courses, etc. Ils sont habituellement coordonnés par les centres locaux de services communautaires (CLSC) en collaboration avec les organismes communautaires et les entreprises d’économie sociale du quartier. Les services disponibles à domicile incluent les services de répit pour les proches aidants, tels le gardiennage (à domicile ou à l’extérieur) et l’hébergement temporaire. Les centres de jour orent des activités de loisir, de stimulation, de socialisation, dans un but de maintien des acquis ou de réadaptation, et ils permettent par la même occasion un répit pour les proches. Les familles peuvent également bénécier de groupes d’entraide ou de soutien. Par exemple, la Société Alzheimer leur ore de l’information précieuse qui les aide à mieux s’adapter à la maladie de leur proche. Bien que portant le nom d’Alzheimer, la Société adapte ses services à tout type de trouble neurocognitif. Les cliniques ambulatoires des hôpitaux sont accessibles aux patients dirigés en consultation par les omnipraticiens. Les gérontopsychiatres y eectuent des consultations pour évaluation diagnostique et recommandations thérapeutiques (soins partagés). Ils jouent aussi un rôle de consultant ou de répondant auprès des partenaires de la 1re ligne. Les cliniques ambulatoires assument également le suivi de cas réfractaires ou complexes. Les activités cliniques doivent y être très diversiées, adaptées à la clientèle et aux proches ; elles peuvent s’inscrire dans une visée évaluative,

1392

thérapeutique ou réadaptative, sur un mode individuel ou de groupe. Elles peuvent se dérouler sur les lieux de la clinique ou dans le milieu naturel, selon les besoins. La liaison avec les autres instances et intervenants concernés est essentielle pour coordonner les eorts, éviter les dédoublements et assurer un plan de traitement cohérent. Le concept d’« hospitalisation partielle » remonte aux années 1960 et est incarné surtout par l’hôpital de jour. Mentionnons également les centres de crise, les admissions de dépannage et les répits de nuit. Ces services se situant entre l’institution et les soins ambulatoires permettent souvent d’éviter une hospitalisation ou de réduire la durée de séjour hospitalier, tout en préservant le contact avec l’environnement naturel. Cette formule d’accès aux évaluations et aux traitements spécialisés permet d’atténuer le risque d’institutionnalisation. L’hôpital de jour est une modalité diagnostique et thérapeutique répandue en psychiatrie, mais qui a vu le jour dans les milieux de gériatrie. En eet, il s’agit d’un environnement d’évaluation et de traitement à court et moyen termes bien adapté aux personnes âgées du fait qu’il facilite le processus de prise en charge, d’investigation et de traitement. Il permet de préciser le diagnostic et d’instaurer rapidement un traitement approprié, ce qui est particulièrement important en période de crise, d’instabilité ou de vulnérabilité et qui aide à prévenir des complications ultérieures. Habituellement, le transport est assuré, si bien que les patients âgés bénécient d’un accès grandement facilité à ce service. Les interventions interdisciplinaires se font surtout en groupe et sur des sujets variés : expression, qualité de vie, gestion des émotions, connaissance de soi, psychoéducation, relaxation, remédiation cognitive et capsules santé. S’y ajoutent des rencontres individuelles hebdomadaires avec l’intervenant principal et avec le psychiatre, selon la fréquence nécessaire. L’inconvénient majeur de l’hôpital de jour est son coût élevé, ce qui fait qu’il est de plus en plus remplacé par des dispositifs de soins plus souples et aussi ecaces. L’hospitalisation quant à elle, ore des services spécialisés d’évaluation et de traitement de courte durée à des patients âgés qui présentent une pathologie psychiatrique. L’admission se fait le plus souvent par l’intermédiaire des services d’urgence, à la suite d’une situation de crise ou à l’initiative de l’équipe traitante si le patient est déjà suivi. Les troubles mentaux les plus fréquemment rencontrés sont les troubles de l’humeur et les troubles psychotiques. Les troubles neurocognitifs sont aussi très fréquents, la plupart du temps en association avec des symptômes psychiatriques ou comportementaux graves. Les objectifs de l’hospitalisation comprennent l’évaluation, tant psychiatrique que physique, le traitement et la réadaptation. Le travail se fait en équipe, alors que de nombreuses disciplines sont appelées à contribuer à l’une ou l’autre des phases de l’hospitalisation (soins inrmiers, ergothérapie, service social, neuropsychologie, psychologie, pharmacie, physiothérapie, nutrition clinique, etc.). À l’exemple de ce qui est préconisé auprès d’une clientèle gériatrique, les interventions de l’équipe visent le maintien de l’autonomie et le retour à l’environnement naturel, dans la mesure du possible. Une hospitalisation risque d’accroître la perte d’autonomie, et ce risque augmente à mesure que le séjour se prolonge ; les soins hospitaliers doivent donc idéalement être réservés aux personnes aux prises avec des problèmes graves et complexes. Certains hôpitaux (le plus souvent des hôpitaux psychiatriques) disposent d’unités de réadaptation de long séjour pour des patients

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

présentant des maladies psychiatriques sévères et persistantes. Une majorité d’entre eux sourent de schizophrénie réfractaire et sont institutionnalisés depuis de nombreuses années. Malgré la complexité du trouble mental et la durée de séjour se calculant habituellement en années, une réorientation vers une ressource d’hébergement adaptée est envisageable dans plusieurs cas et demeure une visée à moyen ou long terme. Cet éventail de services destinés aux personnes âgées sourant de troubles mentaux doit fonctionner de manière uide an de répondre aux besoins des patients qui se transforment durant tout l’épisode de soins. Il doit également s’arrimer aux services disponibles en 1re ligne et dans la communauté. La coordination de cette constellation de services peut devenir complexe, et des approches telles que les soins en collaboration ou partagés (entre la 1re et la 2e ligne) et les réseaux de services intégrés aux personnes âgées s’avèrent des avenues intéressantes. En eet, dans une organisation optimale, tous ces dispositifs sont constitués en réseau intégré, formant une équipe élargie dont les acteurs coordonnent et ajustent leurs interventions selon les besoins de la personne (Poirier & al., 2013).

64.2.2 Services résidentiels et d’hébergement An de combler l’éventail de leurs besoins quotidiens, les personnes âgées ont accès à une gamme de ressources résidentielles, dont les services permettent de pallier leurs décits de façon adaptée. Les résidences avec services sont des habitations privées de taille variable qui visent les personnes âgées autonomes ou semi-autonomes. Elles disposent alors d’un appartement individuel, mais ont accès, selon leurs besoins, à des services hôteliers, des loisirs et parfois des soins médicaux tels que la distribution de médicaments ou les services d’une inrmière sur place, voire d’un médecin. Les résidences de type familial sont des habitations de petite taille (une dizaine de patients au maximum) accueillant, dans un environnement familial, des personnes âgées semi-autonomes qui présentent des aections médicales ou psychiatriques nécessitant un encadrement quotidien. Ces résidences peuvent être privées ou associées au réseau public. Les ressources intermédiaires accueillent quelques dizaines de patients qui présentent une perte d’autonomie partielle nécessitant une présence de 24 heures, mais ne justiant pas l’intégration en centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Les soins et les services prodigués sont, comme le nom l’indique, d’intensité intermédiaire entre les CHSLD et les résidences autonomes. Ces structures nouvellement créées au Québec sont souvent gérées par le secteur privé en collaboration avec le secteur public. Elles s’adressent surtout aux personnes atteintes de troubles cognitifs à leurs débuts, mais certaines orent également un environnement adapté pour les patients âgés atteints de troubles mentaux. Les personnes âgées qui vivent dans les CHSLD (aussi appelés « centres d’accueil ») sourent fréquemment de troubles psychiatriques sous-diagnostiqués et sous-traités, en particulier des troubles cognitifs et des troubles de l’humeur (Seitz & al., 2010). Les CHSLD sont des ressources institutionnelles réservées aux personnes en perte d’autonomie importante, quantiée en nombre d’heures de soins requises par jour. L’encadrement est assuré 24 heures sur 24 par des inrmières, des inrmières auxiliaires

et des préposés. La plupart des CHSLD font partie du réseau public. Au sein du réseau des CHSLD, certains établissements ont développé des unités à vocation particulière, comme les unités prothétiques et les unités spéciques. Les unités prothétiques sont conçues spécialement pour accueillir les patients sourant de troubles neurocognitifs majeurs comme la maladie d’Alzheimer. Les lieux physiques y sont aménagés pour déambuler sans danger, avec des barres d’appui au mur, en éliminant les culs-de-sac et en camouant les issues. Les problèmes reliés à l’errance sont donc grandement diminués. Les unités spéciques accueillent quant à elles des patients présentant des troubles de comportement plus marqués. Elles disposent généralement de plus de personnel que les unités régulières. Au sein de ces ressources, les besoins de formation du personnel sont essentiels. Dans ce contexte, les services peuvent être prodigués sous forme de consultations sur place eectuées par les gérontopsychiatres et d’un suivi assuré par une inrmière de liaison ou une équipe mobile spécialisée, parfois en téléexpertise. Il est important de réserver du temps pour des rencontres d’échange avec l’équipe soignante. Considérant la multiplication des ressources résidentielles privées ou publiques très variées qui accueillent des patients de plus en plus gravement atteints, les modes de dispensation de soins psychiatriques doivent faire l’objet d’une réexion sérieuse.

64.3 Approche thérapeutique L’évaluation et les traitements gérontopsychiatriques sont en bonne partie semblables aux approches utilisées chez l’adulte plus jeune. An de poser un diagnostic juste et d’instaurer un traitement ecace et adapté aux besoins des personnes âgées, des ajustements et des précautions sont cependant nécessaires.

64.3.1 Évaluation gérontopsychiatrique Entre les dicultés inhérentes au vieillissement et les troubles psychiatriques majeurs, les personnes âgées sont susceptibles d’éprouver une grande diversité de problèmes. Elles sont cependant plus réticentes à consulter un psychiatre, ayant parfois conservé une image défavorable de la psychiatrie. De plus, les préjugés envers les personnes âgées peuvent persister chez certains professionnels de la santé, qui ont alors tendance à attribuer au vieillissement normal certains symptômes du déclin cognitif. Cette attitude « âgiste » tend cependant à se modier à mesure que les connaissances concernant ce groupe d’âge s’améliorent. Une attitude respectueuse et empathique et un souci de mettre la personne à l’aise facilitent grandement la poursuite de l’évaluation. En particulier, le clinicien doit prendre garde d’éviter l’infantilisation de la personne âgée, notamment en présence de troubles cognitifs. L’évaluation psychiatrique des personnes âgées comprend les mêmes éléments que l’évaluation de l’adulte plus jeune. Certains aspects doivent cependant être adaptés et d’autres, approfondis. Le médecin veille à s’ajuster au rythme souvent plus lent du patient âgé. Un temps susant doit être réservé à son évaluation, qui est habituellement plus exhaustive que pour un adulte plus jeune. Cela est particulièrement vrai si des membres de la famille y ont été conviés, ce qui est une pratique utile et encouragée, et s’il faut faire passer au patient des tests neurocognitifs. Dans

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bien des cas, plus d’une visite est nécessaire. La participation des intervenants qui ont dirigé le patient en gérontopsychiatrie est très utile également pour obtenir un portrait plus juste de la situation du patient. L’évaluation psychiatrique est présentée en détail au chapitre 3. Le médecin doit s’exprimer d’une voix claire et susamment forte ; en présence de troubles de l’audition, il veille à favoriser l’oreille la moins atteinte. Parfois, l’utilisation d’un système d’amplication de la voix peut faciliter grandement la communication. L’évaluation doit souvent être complétée par un examen physique (incluant parfois un examen neurologique de base) et des examens de laboratoire, puisque des facteurs d’ordre médical peuvent contribuer au tableau clinique dans une plus large mesure que chez les adultes plus jeunes. Les syndromes gériatriques sont des aections multifactorielles qui nécessitent une attention particulière de la part des équipes traitantes en raison de leur impact fonctionnel et de la morbidité qu’ils engendrent. Ils comprennent notamment le delirium et les autres troubles neurocognitifs, les chutes et les troubles à la marche, l’incontinence urinaire, les troubles nutritionnels, la douleur et la polypharmacie, auxquels on peut ajouter le concept de fragilité. Le concept de fragilité est présenté en détail au chapitre 63, à la sous-section 63.2.4. Une attention spéciale est portée aux antécédents chirurgicaux et médicaux (particulièrement les facteurs de risque cérébrovasculaires, p. ex., hypertension artérielle, obésité, diabète, dyslipidémie), à l’emploi de médicaments délivrés sur ordonnance ou en vente libre, en plus des produits dits « naturels ». Le questionnaire doit aborder la prise d’alcool actuelle et antérieure et le tabagisme. Les habitudes de consommation de substances sont souvent sous-évaluées chez les personnes âgées, surtout chez les femmes. L’histoire sexuelle est un autre sujet qui mérite d’être exploré : le stéréotype de la personne âgée sans sexualité est encore bien tenace auprès de certains intervenants. Bien souvent, les patients âgés n’osent pas parler de leur vie sexuelle, et ce, en dépit de leurs inquiétudes assez fréquentes à ce sujet. Ils peuvent avoir des problèmes vasculaires et aussi subir des eets indésirables des psychotropes touchant la fonction sexuelle. La sexualité durant le vieillissement normal est abordée au chapitre 63, à la section 63.3. L’évaluation complète requiert parfois l’observation directe dans l’environnement naturel, pour qu’il soit possible de préciser le fonctionnement du patient, son comportement et la qualité de son réseau social. De plus, une visite en clinique peut représenter un eort considérable, voire insurmontable, sur le plan physique pour certains patients. Pour d’autres, c’est la nature même des symptômes psychiatriques qui est à l’origine de leur refus de consulter en clinique (p. ex., en raison de symptômes paranoïdes). L’évaluation à domicile devient alors la seule façon d’atteindre le patient et d’éviter une hospitalisation. Les membres de la famille ou les proches aidants doivent souvent être mis à contribution à l’évaluation initiale an de compléter l’anamnèse, particulièrement dans le cas de patients

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qui présentent des troubles neurocognitifs. Cette rencontre permet également d’évaluer les besoins spéciques des proches aidants qui ont, dans certains cas, autant besoin de soutien que le patient lui-même. Parfois, les contacts doivent s’étendre au réseau élargi, avec le consentement du patient, bien entendu : voisins, directeur de banque, prêtre, etc. Dans la mesure du possible, le médecin doit d’abord rencontrer le patient, seul, an d’établir un lien thérapeutique. Celui-ci est alors beaucoup plus enclin à exprimer, par exemple, des idées paranoïdes qui peuvent concerner des membres de sa famille, des idées suicidaires ou à dévoiler une situation d’abus ou de négligence. Les patients âgés éprouvent parfois des dicultés à verbaliser leurs émotions. Ils peuvent ainsi être incapables d’exprimer leur tristesse, et les plaintes somatiques deviennent un mode d’expression fréquent. Le langage non verbal peut aussi être très révélateur. Dans d’autres situations, les patients âgés minimisent ou rationalisent certains symptômes tels la fatigue, les troubles du sommeil ou la diminution de l’appétit en les attribuant au vieillissement. Le médecin doit évidemment décoder ces messages et explorer toutes les avenues diagnostiques. La culture teinte considérablement la façon d’exprimer les émotions ou de décrire les symptômes. Parfois, les personnes âgées qui ont immigré ont préservé leur langue et leur culture sans s’intégrer au contexte de leur pays d’accueil, et ce, même plusieurs années après leur arrivée. Leur prise en charge est beaucoup plus complexe si on ne tient pas compte de ces éléments lors de l’évaluation. L’histoire personnelle est une occasion pour le médecin d’enrichir sa connaissance du patient et de développer l’alliance thérapeutique. Il peut s’agir d’une approche moins menaçante ou moins anxiogène que l’évaluation directe de la maladie actuelle, en particulier dans le cas de troubles neurocognitifs. L’évaluation de l’autonomie fonctionnelle est un élément essentiel de l’évaluation globale du patient âgé. La façon dont il s’acquitte de ses tâches quotidiennes permet de déterminer son degré d’autonomie et les modications qui sont survenues dans le cadre de la maladie actuelle. L’évaluation doit donc permettre de préciser le diagnostic, certains aspects du pronostic, mais aussi l’aide concrète requise par le patient. Le plan d’intervention doit être adapté au niveau de fonctionnement. Dans certaines circonstances, l’évaluation de l’aptitude de la personne âgée à consentir à des soins, à prendre soin d’elle-même ou à administrer ses biens est au cœur de la consultation. Le médecin doit être en mesure de vérier la capacité à consentir au traitement, à se prendre en charge, à gérer ses avoirs et à faire un testament. Les aspects légaux concernant ces aptitudes sont présentés en détail au chapitre 52. Il peut aussi être amené à se prononcer sur l’aptitude à la conduite automobile. Plusieurs aections psychiatriques ainsi que leurs traitements peuvent interférer avec la conduite automobile, en raison des atteintes qui peuvent en résulter sur les réexes, l’orientation, la mémoire ou le jugement, la capacité de résolution de problèmes ou l’impulsivité. Sur le plan pratique, une évaluation sur route est souvent nécessaire. En raison de l’importance de la conduite automobile pour les personnes âgées, en particulier les hommes, tant sur les plans symbolique (la voiture comme prolongement de soi et comme symbole d’autonomie et

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Spécialités psychiatriques

de liberté) que pratique (dépendance plus grande à ce moyen de transport découlant de la mobilité réduite), il s’agit d’un sujet particulièrement délicat qui doit être abordé avec empathie et circonspection. Il faut noter néanmoins que de nombreux patients âgés diminuent ou cessent la conduite automobile d’eux-mêmes lorsque leurs capacités faiblissent, ce qui ne doit pas empêcher le médecin de signaler la situation (p. ex., à la Société d’assurance automobile du Québec) lorsque la sécurité du patient ou de la population est en jeu. L’évaluation des fonctions cognitives revêt une grande importance dans l’examen psychiatrique des personnes âgées. Les résultats de cette évaluation doivent cependant être interprétés en fonction de l’état clinique du patient. Par exemple, un patient déprimé ou psychotique peut éprouver des dicultés aux épreuves de mémoire sans qu’il s’agisse pour autant d’un décit primaire. Pour cette raison, il est habituellement préférable d’attendre que le tableau psychiatrique se soit stabilisé avant de procéder à une évaluation neuropsychologique formelle. Le recours aux tests standardisés suivants peut être utile au dépistage et au suivi des patients : • Mini-Mental State Examination (MMSE) (Folstein & al., 1975) ; • Modied Mini-Mental State Examination (3MS) (Teng & Chui, 1987) ; • Montreal Cognitive Assessment (MoCA) (Nasreddine & al., 2005), un test bref très sensible pour le dépistage des troubles cognitifs légers.

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Consultez le site du Montreal Cognitive Assessment (MoCA) au http://mocatest.org. L’évaluation neuropsychologique de l’adulte est présentée en détail au chapitre 4.

Un diagnostic précis ne peut cependant pas reposer uniquement sur ce type de tests. Soulignons aussi que l’âge et le niveau de scolarité modient considérablement la performance aux tests, et des normes tenant compte de ces facteurs ont été établies pour une population québécoise francophone (Bravo & Hébert, 1997 ; Hudon & al., 2009). Le clinicien doit s’assurer que le patient comprend bien les consignes et qu’il porte ses lunettes et ses prothèses auditives pour un rendement optimal lors de ces évaluations. L’évaluation ou le suivi des symptômes peuvent être facilités par l’utilisation d’échelles cliniques. Certaines échelles d’évaluation des symptômes ont été développées spéciquement pour les personnes âgées, étant donné la présentation diérente des symptômes de plusieurs maladies psychiatriques dans ce groupe d’âge. À titre d’exemple, mentionnons la Geriatric Depression Scale (Yesavage & al., 1983), une échelle développée pour le dépistage de la dépression. L’évaluation gérontopsychiatrique complète est un exercice consciencieux, faisant appel à des notions bio-psycho-sociales. Elle doit tenir compte de nombreux facteurs qui interagissent à plusieurs niveaux ainsi que de la globalité de la situation du patient dans son environnement physique, psychique, relationnel et social. Pour ces raisons, l’évaluation et la prise en charge en équipe interdisciplinaire prennent toute leur signification en gérontopsychiatrie.

64.3.2 Traitement Une fois le diagnostic précisé, les orientations du traitement doivent être établies en tenant compte des particularités de la personne âgée. Cette sous-section présente les principes généraux du traitement bio-psycho-social des troubles mentaux chez les personnes âgées. Les aspects du traitement propres à chaque diagnostic sont abordés au chapitre 65.

Psychopharmacologie De façon générale, les personnes âgées reçoivent des doses de médicament inférieures aux adultes plus jeunes en raison de leurs moins bonnes fonctions rénale et hépatique, mais plusieurs nécessitent et tolèrent des doses comparables. Certains médicaments, tels les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS), peuvent être augmentés progressivement à des doses similaires à celles de l’adulte. Le fractionnement des doses peut améliorer la tolérance en diminuant les eets indésirables, mais peut aussi entraver l’adhésion au traitement. Les personnes âgées sont plus à risque de présenter des dicultés en lien avec l’observance médicamenteuse, ce qui peut s’expliquer par le nombre souvent plus élevé de médicaments qu’ils doivent prendre, une sensibilité accrue aux eets indésirables et, dans plusieurs cas, une précarité nancière peu compatible avec les coûts élevés de la médication. Les troubles cognitifs, notamment les décits au niveau de la mémoire de travail et des fonctions exécutives, sont aussi associés à une faible adhésion au traitement (Insel & al., 2006). L’utilisation d’un pilulier peut améliorer l’adhésion au traitement et faciliter l’auto-administration de la médication. Il est parfois utile de montrer une photographie ou un échantillon du médicament an de faciliter son identication et sa reconnaissance par la suite. Un membre de la famille peut aussi être mis à contribution pour superviser et aider le patient dans le cas d’auto-administration. Les personnes âgées font usage de produits en vente libre ou de suppléments nutritionnels dans une proportion d’environ 50 %. Ces produits sont souvent pris de concert avec des médicaments de prescription. Selon une étude qui s’est intéressée aux régimes pharmacologiques de personnes âgées, près de 5 % d’entre elles étaient à risque d’interactions médicamenteuses, dont la moitié impliquait des produits en vente libre (Qato & al., 2008). Le questionnaire pharmacologique doit donc systématiquement répertorier toute médication prise par le patient, qu’elle soit sur ordonnance ou non. L’indication de chacun des médicaments doit être réévaluée périodiquement an de réduire la polypharmacie. La prescription de benzodiazépines, bien qu’incontestablement utile dans plusieurs situations aiguës, demeure controversée, quel que soit l’âge du patient, en raison des problèmes de tolérance, de dépendance (dans environ 15 % des cas) et de risque de sevrage liés à ces médicaments. Chez les personnes âgées, ils doivent être utilisés avec grande prudence à cause de leurs eets indésirables tels la sédation (pouvant entraîner des chutes) et les troubles cognitifs souvent plus marqués qu’ils peuvent engendrer. L’utilisation chronique de neuroleptiques, quant à elle, peut causer de la dyskinésie tardive ou un syndrome métabolique. Les risques et les bénéces associés aux psychotropes doivent donc être réévalués régulièrement. Depuis

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quelques années, la plus grande sensibilisation des médecins aux risques de la prise de benzodiazépines chez les personnes âgées a laissé place à une augmentation importante des prescriptions d’antipsychotiques atypiques. Toutefois, il faut se rappeler que cette classe de médicaments n’est pas sans risque et que son utilisation devrait être évaluée avec attention.

Psychotropes Les psychotropes sont parmi les médicaments les plus fréquemment prescrits dans la population âgée (Stephenson & al., 2013). Le vieillissement est associé à des changements pharmacocinétiques et pharmacodynamiques importants, dont il faut tenir compte lors de la prescription de ces médicaments. L’absorption gastro-intestinale des psychotropes n’est pas altérée de façon signicative chez la personne âgée. Le vieillissement est toutefois associé à une réduction de la masse corporelle totale, du volume liquidien ainsi qu’à une augmentation de la proportion de masse lipidique. La majorité des psychotropes étant hautement liposolubles (à l’exception du lithium), ils sont associés à un risque d’accumulation au niveau des graisses et à une prolongation de leur demi-vie. La demi-vie d’élimination peut doubler ou tripler avec l’âge en raison d’une diminution du métabolisme hépatique et d’une réduction de la clairance rénale. Tous les psychotropes, à l’exception du lithium, sont fortement liés aux protéines. Les benzodiazépines sont fortement liées à l’albumine, dont les niveaux plasmatiques diminuent avec l’âge, ce qui peut entraîner des eets plus marqués pour une dose équivalente. Sur le plan pharmacodynamique, la sensibilité accrue des personnes âgées aux médicaments augmente le risque de toxicité et d’eets indésirables à des doses conventionnelles chez l’adulte plus jeune, même avec des dosages plasmatiques dans les limites thérapeutiques. Le vieillissement est associé à une augmentation de la sensibilité des récepteurs cérébraux et à une diminution du nombre de récepteurs et de neurotransmetteurs, d’où une vulnérabilité plus grande aux eets extrapyramidaux, anticholinergiques et cardiotoxiques des psychotropes. Les combinaisons médicamenteuses fréquentes accroissent le risque d’interactions. L’âge en soi n’est pas une contre-indication à l’utilisation des psychotropes. La population gériatrique est hétérogène : les plus âgés nécessitent des traitements adaptés à leur condition physique frêle alors que pour d’autres, les modalités thérapeutiques usuelles peuvent être appliquées sans problème. La médication doit être introduite à petites doses, et l’augmentation de la posologie doit se faire graduellement, en surveillant l’émergence d’eets indésirables. L’apparition de signes de toxicité (p. ex., somnolence, hypotension, tremblements, ataxie) est plus fréquente chez les personnes âgées et peut survenir même à de faibles doses. La sélection d’un psychotrope s’élabore selon des critères d’ecacité, de sécurité et de tolérance. Parmi les antidépresseurs, par exemple, les ISRS se distinguent en raison de leur meilleur prol d’eets indésirables et de leur innocuité relative.

Antipsychotiques Les antipsychotiques atypiques présentent plusieurs avantages pour les personnes âgées. Les effets extrapyramidaux sont moins fréquents qu’avec les antipsychotiques typiques, même s’ils demeurent possibles et doivent être surveillés. Il existe de plus en plus de données relatives à l’utilisation des antipsychotiques atypiques chez les personnes âgées. La rispéridone

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(RisperdalMD), l’olanzapine (ZyprexaMD) et la quétiapine (SeroquelMD) sont généralement bien tolérées si les doses de départ sont faibles, puis augmentées progressivement. Les personnes âgées demeurent cependant à risque de présenter les eets métaboliques indésirables associés aux antipsychotiques atypiques au même titre que les adultes plus jeunes. Le gain de poids ainsi que l’apparition ou l’aggravation d’anomalies de la glycémie ou du bilan lipidique peuvent fragiliser leur état global de santé parfois déjà précaire. Un suivi adéquat sur ce plan est recommandé pour les patients de tous les groupes d’âge. De nouveaux antipsychotiques (aripiprazole [AbilifyMD], asénapine [SaphrisMD], lurasidone [LatudaMD], ziprasidone [ZeldoxMD]) sont aussi ecaces et ont peu d’eets perturbateurs sur le métabolisme des lipides et sur la glycémie. La clozapine est ecace, mais son utilisation est limitée par l’importance des eets indésirables, notamment la sédation, l’hypotension, la tachycardie, les symptômes anticholinergiques et le suivi hématologique requis pour prévenir l’agranulocytose. Les neuroleptiques sédatifs, tels que la chlorpromazine (LargactilMD), doivent être utilisés avec précaution et sont moins privilégiés à cause du risque d’hypotension, de sédation et de confusion. Les neuroleptiques incisifs (halopéridol [HaldolMD], trifluopérazine [Stelazine MD], fluphénazine [Moditen MD], perphénazine [TrilafonMD]) sont initialement prescrits à petites doses en raison de leurs eets extrapyramidaux. L’utilisation d’antipsychotiques de puissance intermédiaire comme la loxapine (LoxapacMD) peut s’avérer pertinente, orant un compromis entre les eets extrapyramidaux et les eets anticholinergiques. Si le neuroleptique est donné à très faible dose, l’utilisation concomitante d’un antiparkinsonien n’est pas recommandée, à cause de ses eets anticholinergiques. En présence de symptômes extrapyramidaux, il est préférable de diminuer la dose du neuroleptique. Si cette approche est impossible, l’ajout temporaire d’un antiparkinsonien (procyclidine [KemadrinMD]) à la dose minimale ecace est possible. Les antipsychotiques atypiques font actuellement l’objet d’un avertissement de Santé Canada (2005) et de la Food and Drug Administration (FDA, 2005) américaine, selon lequel leur utilisation chez les personnes âgées sourant de démence peut être associée à une augmentation de la mortalité et du risque d’accident vasculaire cérébral. Cet avertissement découle de l’analyse de 17 essais contrôlés avec placebo eectués auprès de patients âgés avec des antipsychotiques atypiques, pour des symptômes psychotiques associés à la démence. Cette analyse a révélé une augmentation du taux de mortalité par un facteur d’environ 1,6 (ou 60 %) chez les patients ayant reçu un antipsychotique par rapport aux patients ayant reçu un placebo. Sur une période d’essai clinique d’environ 10 semaines, cela correspondrait à un taux de décès de 4,5 % dans le groupe traité avec une médication, comparativement à 2,6 % dans le groupe placebo. Par la suite, la FDA (2008), contrairement à Santé Canada, a étendu l’avertissement aux antipsychotiques typiques de 1re génération, puisque les études disponibles suggèrent un risque semblable (Gill & al., 2007 ; Schneeweiss & al., 2007). La prescription d’antipsychotiques chez les personnes âgées atteintes de troubles cognitifs demeure parfois indiquée. Elle doit faire l’objet d’une discussion avec la famille an qu’un consentement éclairé puisse être obtenu à la lumière des risques potentiels du traitement ainsi que des bénéces escomptés.

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L’utilisation des antipsychotiques est présentée en détail au chapitre 68. Il est à noter qu’en 2015, au Canada, seule la rispéridone possédait une indication ocielle pour le traitement des patients sourant de symptômes d’agressivité ou des symptômes psychotiques associés à la démence grave de type Alzheimer. Cependant, plusieurs autres antipsychotiques sont fréquemment utilisés chez ces patients, notamment l’olanzapine, l’aripiprazole ou la quétiapine. Ce dernier médicament est d’ailleurs largement prescrit pour l’anxiété ou l’insomnie chez les patients âgés, puisqu’il possède plusieurs indications et présente un prol d’eets indésirables souvent considéré comme plus avantageux. Cependant, il importe de garder en tête que la quétiapine peut également causer des eets neurologiques (eets extrapyramidaux, dyskinésie tardive) et métaboliques (dyslipidémie, diabète, gain de poids) indésirables et occasionner une sédation, qui, chez les personnes âgées, peut être signicative et entraîner des chutes, d’où la prudence requise dans les doses prescrites.

Électroconvulsivothérapie L’électroconvulsivothérapie (ECT) est un traitement qui peut être particulièrement utile en gérontopsychiatrie, du fait de la plus grande résistance des personnes âgées au traitement pharmacologique de la dépression. De plus, les eets indésirables des médicaments antidépresseurs augmentent avec l’âge, tant en ce qui concerne les antidépresseurs tricycliques (ATC) que les ISRS. Les dépressions psychotiques sont proportionnellement plus fréquentes chez les personnes âgées ; cependant, la combinaison de médications antidépressive et antipsychotique à doses thérapeutiques est moins bien tolérée. Finalement, les dépressions graves avec insusance d’apport liquidien et nutritionnel mettent plus rapidement en danger la santé des personnes âgées que celle des adultes plus jeunes. Tous ces facteurs rendent l’indication de l’ECT plus fréquente chez les personnes âgées. L’électroconvulsivothérapie est présentée en détail au chapitre 72. L’ecacité de l’ECT a été clairement établie dans le traitement des personnes âgées sourant de dépression majeure. Certaines études ont même montré que les patients âgés peuvent présenter des taux de rémission plus élevés que les adultes plus jeunes (Dombrovski & Mulsant, 2007). Cette modalité thérapeutique suscite des craintes et demeure un tabou encore bien ancré, surtout dans ce groupe d’âge. Il est donc important d’aborder tous les aspects du traitement avec le patient et sa famille et de leur communiquer toute l’information nécessaire. Une attention particulière doit être portée à l’obtention d’un consentement éclairé du patient ou, à défaut, de son représentant légal. L’âge en soi n’est pas une contre-indication à l’ECT et, de façon globale, le déroulement et la technique sont les mêmes chez les personnes âgées que chez les adultes plus jeunes. Le seuil convulsif augmente avec l’âge, ce qui entraîne parfois des dicultés à provoquer une convulsion susamment longue, surtout après quelques traitements. En dénitive, c’est l’estimation des risques et des bénéces qui permet de déterminer le choix du traitement. Comme à tout âge, l’état de santé des patients est évalué, notamment concernant les conditions cardiovasculaire, pulmonaire et musculosquelettique (ostéoporose, risque de fractures vertébrales). De plus, certains patients peuvent, malgré un

état de santé plus précaire, être des candidats à l’ECT en raison d’une aection psychiatrique grave (p. ex., une dépression mettant la vie en danger, un risque suicidaire important, une dépression réfractaire à tout autre traitement ou un épisode maniaque avec agitation extrême). Dans ces cas, la qualité de la discussion avec le patient et ses proches ainsi qu’à l’intérieur même de l’équipe de soins est particulièrement importante. Les traitements d’ECT sont administrés de préférence avec les électrodes en position unilatérale droite an de minimiser l’altération des fonctions cognitives. La persistance de confusion peut nécessiter l’espacement des séances à deux ou même à une fois par semaine an de permettre la récupération et de mieux évaluer l’amélioration clinique. Un examen sommaire des fonctions cognitives doit être eectué entre chaque séance pour tous les patients âgés, surtout en présence de troubles neurocognitifs. Habituellement, le gain fonctionnel observé à la suite de la résolution du tableau psychiatrique est considérable et beaucoup plus signicatif que l’accentuation transitoire des décits cognitifs. D’ailleurs, l’ECT peut, dans certains cas, être utilisée comme traitement de la dépression associée à des pathologies telles la maladie de Parkinson ou la démence. Après la série d’ECT à visée curative, une médication antidépressive est généralement indiquée ; en cas d’intolérance à la médication ou de rechutes répétées malgré la pharmacothérapie, l’ECT d’entretien peut être envisagée.

Psychothérapies Les personnes âgées doivent faire face à des enjeux psychologiques diérents de ceux des adultes plus jeunes, les plus fréquents étant les événements stressants et les pertes. Les réaménagements bio-psycho-sociaux menacent alors le sentiment d’intégrité de la personne de même que l’estime de soi. Ces enjeux auxquels sont confrontées les personnes âgées se prêtent bien à un travail en psychothérapie. Un nombre croissant de chercheurs et de cliniciens ont montré l’ecacité de la psychothérapie chez les personnes âgées, en particulier pour les symptômes dépressifs et anxieux, allant ainsi à l’encontre des armations de Freud qui n’envisageait plus possible une psychanalyse après l’âge de 50 ans. L’âge en soi n’est donc pas une contre-indication aux psychothérapies. Les préjugés demeurent cependant bien ancrés, surtout en ce qui concerne les capacités limitées de changement des personnes âgées ; cela contribue probablement au fait qu’encore trop peu d’entre elles bénécient de ces approches. Toutes les formes de psychothérapie peuvent néanmoins être utilisées chez les personnes âgées. Les indications doivent être évaluées de façon individualisée comme chez les patients plus jeunes. Outre la dépression, qui demeure l’indication la plus étudiée, l’éventail des aections pouvant être soulagées à l’aide d’une psychothérapie chez les personnes âgées s’élargit. Ainsi, les patients sourant de troubles neurocognitifs peuvent bénécier eux aussi de traitements psychologiques ; la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), la thérapie de soutien et l’intervention sur l’environnement se sont d’ailleurs avérées ecaces pour réduire les comportements perturbateurs et pour augmenter les comportements appropriés. Ces approches ont aussi favorisé l’apprentissage de moyens d’adaptation aux pertes cognitives progressives. Les personnes âgées ne constituent pas un groupe homogène pour ce qui est tant de leur âge que de leurs besoins particuliers ; l’approche psychothérapeutique doit donc être adaptée. La

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Approche gérontopsychiatrique

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plupart des patients peuvent être encouragés, dans la mesure du possible, à accroître et à maintenir leur autonomie ainsi que leur capacité à se mobiliser par rapport aux diérents stress. Les plus frêles nécessitent davantage de soutien et d’aide concrète pour adapter l’environnement à leurs décits. Le thérapeute doit agir de façon souple et active en fonction, par exemple, des contraintes de déplacement du patient. La souplesse dans l’approche est souhaitable, et la pharmacothérapie peut être utilisée de façon concomitante. La concertation avec les intervenants déjà impliqués auprès du patient est de mise. Selon l’évolution clinique, diérentes approches psychothérapeutiques peuvent être intégrées. La TCC a été adaptée aux besoins des personnes âgées principalement en encourageant la qualité de la relation avec le thérapeute et en modulant le cadre et le déroulement de la thérapie en fonction du rythme du patient. Ainsi, les patients âgés peuvent avoir besoin de séances plus courtes, mais aussi de séances supplémentaires an de mieux consolider les apprentissages. La communication peut se faire selon diérents modes, par exemple l’utilisation de notes écrites, an de favoriser l’intégration des consignes. La TCC s’est avérée ecace dans le traitement de la dépression à tout âge, y compris chez les personnes âgées (Serfaty & al., 2009). Des formes de TCC ont aussi été validées dans le traitement des troubles du sommeil et de l’anxiété généralisée chez les personnes âgées. La thérapie de résolution de problèmes (problem-solving therapy) est une variante de l’approche cognitivo-comportementale utilisée notamment dans la dépression. Suivant la prémisse que les symptômes dépressifs résultent d’un sentiment d’impuissance face aux problèmes quotidiens, la thérapie vise à mieux outiller les patients pour contrer ces dicultés. Cette approche s’applique bien aux personnes âgées, qui sont souvent confrontées à des situations faisant appel à leur capacité de résolution de problèmes. Outre la dépression, cette approche a été étudiée chez des personnes âgées présentant des symptômes dépressifs associés à un trouble cognitif léger ou à une psychose, ainsi que dans les cas d’anxiété généralisée. Elle est applicable dans des contextes divers, comme les soins de 1re ligne, à domicile, et pour les patients atteints de handicaps physiques. De plus, avec une formation adéquate, elle peut être conduite par une variété de professionnels de la santé (Wyman & al., 2011). La psychothérapie interpersonnelle (PTI) s’adapte particulièrement bien aux personnes âgées, alors que de multiples enjeux interpersonnels émergent à cette époque de la vie. Ainsi, les deuils (en lien avec le décès de proches ou des pertes de toutes sortes), les conits ou les transitions de rôle et les décits interpersonnels (notamment la solitude), qui sont les points centraux de la PTI, représentent des dés inévitablement liés au vieillissement et aux dicultés de santé mentale dont peuvent sourir les personnes âgées. L’ecacité d’une séance mensuelle de PTI a été rapportée, seule ou en combinaison avec un antidépresseur, pour le traitement de maintien et la prévention de rechutes chez des personnes âgées ayant souert de dépression majeure (Reynolds & al., 1999). La dépression non compliquée, associée au deuil, répondrait aussi à la PTI. La thérapie de réminiscence (reminiscence ou life review therapy) est, comme son nom l’indique, caractérisée par l’expression des souvenirs anciens, spécialement ceux qui concernent la résolution de conits ou qui ont une valeur positive ; elle est

1398

parfois utilisée en groupe. Cette approche est basée sur la théorie du développement psychosocial en huit étapes d’Erik Erikson. Elle repose sur la prémisse suivante : il est possible d’aider une personne âgée en travaillant avec elle sur la dernière étape du modèle, soit « intégrité versus désespoir ». La réminiscence favorise la mise en perspective de la vie du patient et de sa nalité. Ce type d’approche semble favoriser l’intégrité de la personne, l’estime de soi et les habiletés sociales en général. La tendance des personnes âgées à parler de leur passé est encouragée par le thérapeute, qui les incite à écrire leur biographie, à consulter leurs vieux albums de photos ou à discuter de leur enfance avec les membres de leur famille. Des versions plus légères de cette approche, appliquées en groupe, sont typiquement proposées dans des résidences pour personnes âgées, mais des versions plus intensives ont aussi été développées en milieu clinique, montrant leur ecacité dans la dépression gériatrique (Coalition canadienne pour la santé mentale des personnes âgées, 2006). La théorie du développement psychosocial en huit étapes d’Erik Erikson est présentée en détail au chapitre 9 (voir le tableau 9.4). Les thérapies d’orientation psychodynamique présentent les mêmes indications cliniques chez les personnes âgées que chez les plus jeunes, mais peuvent être assouplies en ce qui a trait au cadre et à l’attitude du thérapeute. Plusieurs enjeux propres à l’âge avancé risquent d’être soulevés, notamment les deuils et les pertes, la peur de la maladie physique, des pertes fonctionnelles et de la mort, ou encore la culpabilité ou le désarroi en lien avec des échecs passés. Les aspects transférentiels peuvent être inuencés par l’âge. Malgré une diérence d’âge parfois considérable entre le patient et le thérapeute, ce dernier peut quand même devenir un parent substitut. De façon inverse, le transfert lial (le patient vivant un rôle parental vis-à-vis du thérapeute) est une situation plus spécique des personnes âgées. Le contre-transfert du thérapeute peut être inuencé par ses propres enjeux non résolus avec ses parents de même que par ses craintes personnelles ou ses préjugés envers le vieillissement. Bien que peu d’études se soient spéciquement intéressées aux thérapies psychodynamiques chez les personnes âgées, certains résultats suggèrent qu’elles peuvent être ecaces, notamment pour traiter la dépression. Dans la psychothérapie de soutien, le thérapeute se montre actif et empathique et encourage la ventilation et l’expression des émotions. Ce type d’approche peut bénécier à un grand nombre de patients et s’applique particulièrement bien aux personnes âgées qui présentent une atteinte neurocognitive. L’empathie ne doit pas être confondue avec la réassurance qui, lorsqu’elle est appliquée de façon automatique, ne fait que mettre le patient à distance.

Interventions destinées aux proches aidants Les proches aidants des personnes âgées qui consultent en gérontopsychiatrie doivent faire face à des situations qui exigent de leur part beaucoup d’adaptation, de disponibilité, de générosité et d’énergie. Ils jouent un rôle très important dans le maintien de l’autonomie du patient et s’avèrent des alliés importants dans le suivi et le traitement. De plus, les changements qu’ils observent et qu’ils vivent quotidiennement sont souvent diciles à comprendre ou à accepter ; l’adaptation à la maladie d’un conjoint ou d’un parent est une source de stress importante qui les rend sujets

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

à l’épuisement. En ce sens, il est essentiel que les proches aidants puissent bénécier d’interventions psychoéducatives et de soutien. Dans le cas des troubles neurocognitifs, les services oerts par la Société Alzheimer et les groupes d’entraide en santé mentale sont à recommander. Pour ce qui est des autres troubles mentaux, comme la dépression ou les troubles psychotiques, il existe des exemples d’interventions spéciques (individuelles ou de groupe) pour les familles des patients âgés, mais elles demeurent peu répandues, souvent limitées aux milieux spécialisés et peu diusées.

64.4 Enjeux et avenir de la gérontopsychiatrie La gérontopsychiatrie est une discipline relativement jeune, qui doit faire face à des dés organisationnels, scientiques, et sur le plan de la formation universitaire, an d’être en mesure de remplir sa mission de soins aux personnes âgées aux prises avec des troubles mentaux et de continuer à enrichir les connaissances et les pratiques par sa contribution spécique.

64.4.1 Intégration et accessibilité L’éventail de services aux personnes âgées est très vaste et relève de nombreux partenaires, dont les interventions peuvent se superposer, voire se dédoubler. Il peut être très dicile pour les patients et pour leurs proches de coordonner les services requis, voire de comprendre le fonctionnement du système de dispensation de soins. L’éclatement des services risque de contribuer à leur utilisation inappropriée, ce qui peut entraîner de multiples conséquences néfastes. L’intégration des services constitue donc un dé important et fait l’objet de recherches et de plusieurs initiatives intéressantes. L’un des éléments clés est l’intervention d’un gestionnaire de cas (case manager), qui joue à la fois un rôle de coordination, de liaison et de défense des droits et des intérêts (advocacy) de la personne âgée. Parmi les autres éléments favorisant l’intégration des services (Hébert 2007), mentionnons : • la simplication de l’accès par la minimisation du nombre de portes d’entrée dans le système de soins (porte d’entrée ou guichet unique) ; • l’élaboration d’un plan de services individualisé mobilisant tous les intervenants concernés ; • la facilitation de la communication par l’utilisation d’outils d’évaluation des besoins spéciques et d’un dossier clinique informatisé accessible. Il importe également que le plus grand nombre possible de personnes âgées, tant dans les centres universitaires qu’en périphérie et en région plus éloignée, puissent avoir accès à des services psychiatriques adaptés et de qualité. Actuellement, l’accessibilité est limitée par la relative pauvreté de services spécialisés en gérontopsychiatrie, surtout hors des grands centres. Beaucoup de temps et de ressources doivent donc être consacrés à la formation des psychiatres généralistes ainsi que des médecins et des intervenants de 1re ligne appelés à prendre en charge un nombre de plus en plus élevé de patients âgés aux prises avec des troubles mentaux. Ce virage ne peut pas s’eectuer sans le soutien de la gérontopsychiatrie.

L’essor de la gérontopsychiatrie en tant que spécialité repose sur : • sa capacité à orir les services aux patients psychiatriques âgés tout en préservant sa disponibilité envers les médecins et les intervenants de la 1re ligne ; • le développement et la diusion des connaissances ; • l’implication des diérents acteurs sur les plans structural, organisationnel et politique ; • un nombre de gérontopsychiatres susant pour combler les missions cliniques, de recherche, d’enseignement et d’organisation des services.

64.4.2 Évaluation des services Le développement de services de qualité novateurs, fonctionnels et ecaces passe par l’évaluation, qui permet de justier l’octroi de ressources pour la mise en place de tels services. En ce sens, le partenariat entre les cliniciens, les chercheurs, les administrateurs et les décideurs est essentiel. Il est à souhaiter que la recherche évaluative des diérents types d’organisation de services permette de soutenir le développement de services ciblés et d’orir à large échelle des soins de plus en plus adaptés aux besoins spéciques des personnes âgées sourant de troubles mentaux.

64.4.3 Formation et recherche L’un des enjeux majeurs de la gérontopsychiatrie est la formation des médecins ainsi que celle des autres professionnels qui interviennent auprès des personnes âgées. En 2009, la naissance de la gérontopsychiatrie comme surspécialité ocielle du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada a représenté une avancée très importante. En 2013, parmi les 131 premiers gérontopsychiatres certifiés au Canada, 29 pratiquaient au Québec. Quatre programmes de résidence en gérontopsychiatrie étaient accrédités au Canada en 2014, dont celui de l’Université de Montréal, le premier au Québec et le seul en langue française. La formation de surspécialité est d’une durée de deux ans et s’ajoute à la résidence en psychiatrie an de former des gérontopsychiatres consultants, experts du diagnostic et du traitement des personnes âgées sourant de troubles mentaux complexes. La reconnaissance de la gérontopsychiatrie en tant que surspécialité est en phase avec les exigences de formation en psychiatrie du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada : depuis 2009, un stage en gérontopsychiatrie d’une durée minimale de six mois est obligatoire pour tous les futurs psychiatres, alors qu’il n’était que de trois mois auparavant. Il faut se réjouir de cette bonication de la formation générale et espérer que l’exposition accrue soit propice à l’éclosion de carrières cliniques et universitaires en gérontopsychiatrie, étant donné l’ampleur des besoins actuels et futurs ainsi que le potentiel immense de ce champ d’expertise. La formation des médecins de famille constitue aussi un enjeu important vis-à-vis duquel la gérontopsychiatrie a un rôle majeur à jouer. Sur le plan de la recherche, les nouvelles connaissances en gérontopsychiatrie se développent de manière exponentielle. De plus en plus d’études originales sont eectuées et de nouvelles revues scientiques spécialisées voient le jour. À l’heure actuelle, à travers le monde, des équipes de recherche médicale dans de nombreuses disciplines de sciences fondamentales et

Chapitre 64

Approche gérontopsychiatrique

1399

cliniques travaillent à décrire les caractéristiques sémiologiques et physiopathologiques des troubles mentaux de l’âge avancé ainsi qu’à développer des approches thérapeutiques novatrices et adaptées. Il reste encore beaucoup à faire cependant et ici, la reconnaissance de la gérontopsychiatrie comme surspécialité ne peut qu’avoir un impact favorable.

Les personnes âgées constituent un groupe de plus en plus important au sein de la population. Avec l’âge, on assiste à une augmentation de la prévalence de certains diagnostics, en particulier les troubles neurocognitifs. Par ailleurs, la présentation clinique de plusieurs troubles mentaux chez les personnes âgées est diérente de celle des autres groupes d’âge, de telle sorte que le traitement et

la prise en charge doivent être ajustés à leurs particularités. De plus, les personnes âgées sont assujetties à des changements sur plusieurs autres plans, notamment leur état de santé physique, leur degré d’autonomie, leurs ressources nancières, leurs réseaux familial et social, leurs occupations et leurs loisirs. Les proches aidants, partenaires essentiels, ont eux aussi des besoins importants auxquels on doit répondre, et les ressources allouées au soutien à domicile sont souvent insusantes ou inaccessibles. Ces facteurs illustrent les besoins des personnes âgées, diérents des autres groupes d’âge, et l’importance d’en reconnaître la spécicité. Il nous faut, comme société, tenir compte de cette spécicité non seulement dans l’approche clinique individuelle des troubles mentaux chez les aînés, mais aussi, selon une perspective plus large, dans les politiques d’organisation des soins et des services.

Lectures complémentaires A-S, M. T. & al. (2011). Principles and Practice of Geriatric Psychiatry, 3e éd., Oxford, John Wiley & Sons. A, M. E. & M, G. (2011). Principles and Practice of Geriatric Psychiatry, 2e éd., Philadelphie, PA, Lippincott Williams & Wilkins.

1400

A, M. & H, R. (2007). Précis pratique de gériatrie, 3e éd., SaintHyacinthe/Paris, Edisem/Maloine. B, D. & al. (2015). e American Psychiatric Publishing Textbook of Geriatric Psychiatry, 5e éd., Arlington, VA, American Psychiatric Publishing.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

D, T. & T, A. (2013). Oxford Textbook of Old Age Psychiatry, 2e éd., Oxford, Oxford University Press. H, C. (2008). Accompagner le grand âge, Paris, Dunod. S A. [En ligne], www. alzheimer.ca/fr/montreal, www.societealzheimerdequebec.com/wp.

Spécialités psychiatriques

Cha p itr e

65

Gérontopsychiatrie clinique Isabelle Paquette, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences biomédicales)

Angela Geloso, M.D., FRCPC

Gérontopsychiatre, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Gérontopsychiatre, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Professeure adjointe de clinique, Directrice du programme d’études médicales postdoctorales en gérontopsychiatrie, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Geneviève Létourneau, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences biomédicales)

Psychiatre, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Gérontopsychiatre, chef médicale, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Maryse Charron, M.D., FRCPC Psychiatre, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Andrée Legendre, M.D., FRCPC, Ph. D. (sciences neurologiques) Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Rosita Punti, M.D., FRCPC Gérontopsychiatre, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Carole Murphy, M.D., FRCPC Psychiatre, programme de gérontopsychiatrie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal Professeure chargée d’enseignement clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal 65.1

65.2

65.3

65.4

Troubles psychotiques.............................................................1402 65.1.1 Évolution du concept ..................................................... 1402 65.1.2 Schizophrénie à début tardif et psychose d’allure schizophrénique à début très tardif............................. 1404 65.1.3 Évolution de la schizophrénie avec l’âge..................... 1405 65.1.4 Trouble délirant............................................................... 1406 65.1.5 Autres troubles psychotiques ....................................... 1406 65.1.6 Traitement........................................................................ 1407 Trouble bipolaire......................................................................1408 65.2.1 Épidémiologie .................................................................. 1408 65.2.2 Étiologie ............................................................................ 1408 65.2.3 Description clinique ....................................................... 1408 65.2.4 Traitement........................................................................ 1409 65.2.5 Évolution et pronostic.................................................... 1409 Dépressions...............................................................................1409 65.3.1 Épidémiologie .................................................................. 1409 65.3.2 Phénoménologie et enjeux diagnostiques.................. 1410 65.3.3 Particularités cliniques................................................... 1411 65.3.4 Interface entre la dépression et les troubles neurocognitifs.................................................................. 1412 65.3.5 Traitement........................................................................ 1414 Troubles anxieux ......................................................................1415 65.4.1 Épidémiologie .................................................................. 1416 65.4.2 Description clinique ....................................................... 1416

65.4.3 Diagnostic diérentiel.................................................... 1416 65.4.4 Traitement........................................................................ 1417 65.5 Trouble obsessionnel-compulsif ............................................1417 65.6 Trouble d’amassage........................................................................ 1418 65.7 Troubles à symptomatologie somatique ...............................1418 65.7.1 Symptômes somatiques ................................................. 1418 65.7.2 Douleur ............................................................................. 1419 65.8 Troubles du sommeil ...............................................................1419 65.9 Troubles liés aux substances...................................................1421 65.9.1 Alcool ................................................................................ 1421 65.9.2 Médicaments d’ordonnance ou en vente libre ..........1422 65.9.3 Drogues ............................................................................. 1422 65.9.4 Jeu d’argent pathologique.............................................. 1422 65.10 Troubles neurocognitifs ..........................................................1423 65.10.1 Description clinique ....................................................... 1423 65.10.2 Traitement........................................................................ 1424 65.11 Troubles de la personnalité ....................................................1425 65.11.1 Épidémiologie .................................................................. 1426 65.11.2 Particularités cliniques et diagnostiques.................... 1426 65.11.3 Changements de personnalité liés à un trouble neurocognitif.................................................................... 1427 65.11.4 Traitement........................................................................ 1427 Lectures complémentaires..................................................................1427

Chapitre 65

Gérontopsychiatrie clinique

1401

A

ucun diagnostic psychiatrique n’est propre à l’âge avancé. Cependant, le vieillissement teinte l’expression des syndromes psychiatriques ainsi que leur traitement. Bien que la schizophrénie ou le trouble bipolaire soient habituellement diagnostiqués au début de l’âge adulte et, dans le cas de la dépression, avant la quarantaine, une proportion non négligeable de cas apparaissent dans l’âge avancé, avec certaines caractéristiques spéciques de ce groupe d’âge : • l’apparition tardive des grands syndromes psychiatriques donne lieu à des particularités cliniques et thérapeutiques importantes à considérer ; • lorsque les personnes atteintes d’une psychose, d’un trouble de l’humeur ou d’un trouble anxieux vieillissent, leur maladie présente aussi des caractéristiques spéciques dont le médecin doit tenir compte ; • certaines maladies sont davantage reliées au vieillissement, comme les troubles neurocognitifs, qui s’accompagnent souvent de symptômes neuropsychiatriques. Ces trois grandes catégories de troubles représentent la spécicité de la gérontopsychiatrie clinique, en raison des caractéristiques des patients âgés et des besoins qui leur sont propres. Dans ce chapitre, nous exposons les aspects les plus pertinents de la présentation clinique, du diagnostic et du traitement des troubles mentaux chez les personnes âgées.

65.1 Troubles psychotiques De façon générale, la prévalence des symptômes psychotiques augmente avec l’âge. Ainsi, dans la population générale, on observe une prévalence de : • 4 à 6 % de symptômes paranoïdes chez des personnes âgées de 65 ans et plus (Howard & al., 2000) ; • 10 % de symptômes psychotiques parmi les personnes âgées de plus de 85 ans (Ostling & Skoog, 2002). Ces études révèlent que bien souvent, les personnes âgées qui présentent des symptômes psychotiques n’ont jamais consulté. De plus, l’apport des proches est important car il permet fréquemment d’identier des cas qui seraient passés inaperçus (Ostling & al., 2007). Le risque à vie de psychose est de l’ordre de 23 % chez les personnes âgées (Reinhardt & Cohen, 2015). On estime que les symptômes psychotiques aectent : • de 15 à 30 % des patients âgés hospitalisés en psychiatrie (Smith & al., 2010), dont la moitié environ suite à une psychose tardive (Webster & Grossberg, 1998) ; • plus de 25 % des patients traités en clinique ambulatoire de gérontopsychiatrie (Holroyd & Laurie, 1999) ; • jusqu’à 62 % des personnes vivant en institution (Reinhardt & Cohen, 2015) (voir la section 65.10). Les troubles neurocognitifs sont présentés en détail au chapitre 27. Les entités diagnostiques à l’origine des symptômes psychotiques chez les personnes âgées sont très diverses et comprennent : • la schizophrénie et les troubles psychotiques apparentés ; • le trouble délirant ;

1402

• les troubles psychotiques induits par une aection médicale, la médication ou d’autres substances ;

• les troubles de l’humeur (dépression, manie) ; • les troubles neurocognitifs légers et majeurs, le delirium. En cas de diagnostic de trouble neurocognitif, la prévalence des symptômes psychotiques avoisine 50 %. Il s’agit de la cause la plus fréquente de psychose chez les personnes âgées, suivie des troubles de l’humeur et du delirium. Le sexe féminin, l’isolement social et les décits neurosensoriels constituent d’autres facteurs de risque de psychose chez les personnes âgées. Les conséquences psychologiques et sociales des décits visuels ou auditifs (isolement, retrait social et interprétativité) peuvent contribuer à la méance et à l’hostilité. Il faut souligner de plus que les troubles sensoriels des personnes atteintes de psychose font plus souvent l’objet d’une correction sous-optimale, ce qui peut avoir pour eet d’en accentuer les conséquences néfastes. Tel que mentionné plus haut, les troubles psychotiques apparaissent généralement assez tôt dans la vie, mais ces symptômes peuvent néanmoins survenir pour la première fois dans l’âge avancé. Les étiologies sont diverses, souvent multiples et, à plusieurs égards, les manifestations cliniques sont diérentes de celles présentées par les adultes plus jeunes. Ces facteurs compliquent encore davantage la classication des psychoses chez les personnes âgées (voir le tableau 65.1).

65.1.1 Évolution du concept La grande variété diagnostique employée pour décrire la psychose dans l’âge avancé traduit l’importance du diagnostic diérentiel et reète la complexité historique de la classication des troubles psychotiques dans ce groupe. En 1919, Kraepelin a suggéré le terme « paraphrénie » pour désigner un ensemble de symptômes psychotiques comprenant des délires et des hallucinations chez des patients dont l’aectivité, la personnalité et la cognition sont par ailleurs bien préservées. Cela contrastait avec le diagnostic de « démence précoce » marqué par un déclin fonctionnel et cognitif, et celui de paranoïa, caractérisé par la présence d’un délire systématisé sans atteinte de la conscience, de la pensée ou de la volition. Kraepelin a observé que les personnes sourant de paraphrénie étaient typiquement des femmes vivant seules. Ses recherches ont cependant suggéré qu’environ 40 % de ces patients évoluaient éventuellement vers la schizophrénie (Kraepelin, 1913). C’est en 1911 que le terme « schizophrénie » a été introduit par Eugen Bleuler, notamment pour mieux reéter le fait que cette pathologie n’aectait pas seulement les jeunes, contrairement à ce que sous-entendait l’appellation « démence précoce ». La schizophrénie est présentée en détail au chapitre 17. Quelques décennies plus tard, Manfred Bleuler (1943), le ls d’Eugen, dénissait la schizophrénie à début tardif par l’apparition, après 40 ans, de symptômes semblables à ceux retrouvés dans la maladie des plus jeunes, en l’absence d’étiologie neuropathologique ou de signes d’atteinte cérébrale organique. Dans deux grands échantillons, il a identié, chez 15 à 17 % des patients, un début de la maladie après 40 ans, dont 4 % après 60 ans. Les diérences cliniques avec les patients plus jeunes étaient mineures, mais suggéraient une évolution plus favorable, un aect moins émoussé, des troubles formels de la pensée moins marqués, ce qui se rapprochait de la dénition de la paraphrénie qui avait cours à l’époque.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

TABLEAU 65.1 Comparaison entre la schizophrénie à début précoce, la schizophrénie à début tardif

et la psychose d’allure schizophrénique à début très tardif Schizophrénie à début précoce

Schizophrénie à début tardif

Psychose d’allure schizophrénique à début très tardif

< 40 ans

40 à 59 ans

60 ans et +

Surreprésentation féminine



+

++

Histoire familiale de schizophrénie

+

+



Difcultés d’adaptation présentes dès l’enfance

+

+



Anomalies physiques mineures

+

+



Anomalies cérébrales (c.-à-d. AVC, tumeurs, etc.)





++

++

+



++

+

?++

– Troubles de mémoire





?++

– Détérioration cognitive progressive





++

Dose quotidienne d’antipsychotiques

++

+

+

Risque de dyskinésie tardive

+

+

++

Entité diagnostique Âge d’apparition

Symptômes négatifs Décits neuropsychologiques – Apprentissage d’informations nouvelles

Note : – absent ; + faiblement présent ; ++ fortement présent ; ?++ probablement fortement présent, mais données limitées Sources : Adapté de Palmer & al. (2001), p. 51-58 ; Jeste & al. (2009), p. 320.

Ensuite, Roth & Morrissey (1952) ont introduit le concept de « paraphrénie tardive », remis en question dès les années 1960 en raison de son peu de spécicité par rapport à la schizophrénie. Dans la terminologie française, la paraphrénie désignait un tableau clinique de délire organisé, systématisé, à caractère souvent fantastique ou onirique, accompagné d’hallucinations et en l’absence d’atteinte du sensorium. La « psychose hallucinatoire chronique » est un autre terme employé en France pour décrire une entité clinique apparentée. À partir de 1980, avec la publication du DSM-III, la classication américaine n’admettait plus les diagnostics de paraphrénie ou de trouble paranoïde involutif. Pour ce qui est de la schizophrénie, le début des symptômes après l’âge de 45 ans comme critère d’exclusion a entraîné un vide qui s’est traduit par l’apparition de nombreux diagnostics de « psychose atypique ». En 1987, le DSM-III-R a corrigé cette anomalie en introduisant une catégorie diagnostique de « schizophrénie à début tardif ». Cette entité est cependant disparue en 1994 dans le DSM-IV, reétant la vision nord-américaine selon laquelle il s’agit probablement de la même pathologie, quel que soit l’âge de début. Selon le DSM-IV, on devait donc envisager, pour les personnes âgées présentant des symptômes psychotiques, un diagnostic de schizophrénie, de trouble délirant ou de trouble psychotique non spécié. Dans ce dernier cas, il s’agit d’un diagnostic d’exclusion, dont l’utilisation est encore fréquente et qui qualie des tableaux cliniques très divers chez les personnes âgées, témoignant des limites qui persistent dans les systèmes de classication et de diagnostic actuels. En 1993, la CIM-10 abandonne le diagnostic de paraphrénie à cause de l’hétérogénéité des présentations, l’absence de spécicité clinique et la confusion engendrée par les diérences. On suggère

d’employer le diagnostic de trouble délirant en remplacement de celui de paraphrénie tardive ; les directives en présence d’hallucinations, surtout chez les patients âgés, demeurent cependant confuses. Selon le groupe de consensus sur la schizophrénie à début tardif (Howard & al., 2000), les données épidémiologiques, phénoménologiques et physiopathologiques suggèrent que les psychoses qui débutent entre 40 et 59 ans sont d’origine neurodéveloppementale en continuité avec la schizophrénie classique du jeune adulte. Par contre, la psychose d’allure schizophrénique débutant après 60 ans (anciennement paraphrénie tardive) est considérée comme une entité probablement distincte, plutôt reliée à un processus neurodégénératif. Le groupe de consensus a donc recommandé l’appellation « schizophrénie à début tardif » (late-onset schizophrenia) quand la maladie commence entre 40 et 59 ans, et « psychose d’allure schizophrénique à début très tardif » (very late-onset schizophrenia-like psychosis) lorsque les symptômes apparaissent après 60 ans. En dépit de certaines imperfections, notamment le caractère encore quelque peu arbitraire des âges choisis pour dénir les entités, cette terminologie a le mérite de distinguer plus clairement les entités cliniques, de reposer sur des concepts mieux dénis, et de réduire la confusion qui a toujours accompagné la classication des psychoses de l’âge avancé. Malgré un certain consensus autour des recommandations du groupe d’experts, cette classication n’a pas été retenue dans le DSM-5 ; ce concept a cependant favorisé la recherche sur les psychoses de l’âge avancé, dont le potentiel reste à développer. Pour le moment, on utilise donc le même vocable de schizophrénie pour une variété de psychopathologies que l’avenir permettra de mieux distinguer lorsque les diverses étiologies seront mieux spéciées.

Chapitre 65

Gérontopsychiatrie clinique

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65.1.2 Schizophrénie à début tardif et psychose d’allure schizophrénique à début très tardif Bien que la schizophrénie débute généralement chez le jeune adulte, une présentation tardive de ce trouble est possible, faisant l’objet d’un intérêt accru depuis quelques années.

Épidémiologie La schizophrénie à début tardif est considérée comme relativement rare, avec une incidence annuelle d’environ 12 par 100 000 de population, soit environ deux fois moindre que celle de la schizophrénie en général. Pourtant, près de 25 % des patients atteints de schizophrénie reçoivent ce diagnostic après l’âge de 40 ans, dont 3 % après l’âge de 60 ans (Howard & al., 2000). Dans une étude épidémiologique récente, 23 % de tous les patients qui ont présenté un premier épisode de psychose étaient âgés de 65 ans ou plus. Parmi ceux-ci, 43 % ont reçu un diagnostic de schizophrénie ou de trouble connexe (Mitford & al., 2010). Van Os et ses collaborateurs (1995) ont montré qu’après 60 ans, le risque de psychose non aective et non organique augmente de 11 % tous les cinq ans. Dans une autre étude, près de 20 % des personnes de 70 ans qui ont survécu jusqu’à l’âge de 85 ans ont présenté des symptômes psychotiques pour la première fois au cours du suivi (Ostling & al., 2007). Ces chires suggèrent donc que la psychose d’apparition tardive n’est probablement pas si rare. Par ailleurs, lorsqu’un diagnostic de schizophrénie est posé pour la première fois en âge avancé, dans plusieurs cas, la symptomatologie est présente de très longue date. Il s’agit alors plutôt d’une schizophrénie à début plus précoce, diagnostiquée tardivement. Au même titre que chez les patients sourant de schizophrénie à début précoce, l’histoire familiale de schizophrénie est positive chez 10 à 15 % des patients sourant de schizophrénie à début tardif, ce qui est plus élevé que dans la population générale. Par contre, les patients âgés dont les symptômes sont apparus après 50 ou 60 ans ne se distinguent pas de la population générale à ce chapitre, ce qui appuie la notion que la psychose à début très tardif est une entité diérente, plutôt reliée à un processus dégénératif. Des traits de personnalité prémorbides peuvent être présents dans la schizophrénie à début tardif, mais à un moindre degré que dans la schizophrénie du jeune adulte. Il s’agit le plus souvent de traits schizoïdes ou paranoïdes tels la méance ou le retrait social. Cependant, plus la maladie débute tardivement, moins ces caractéristiques sont présentes, et plus les patients sont susceptibles d’avoir été mariés, d’avoir eu des enfants et d’avoir occupé un emploi rémunéré. Souvent, le fonctionnement occupationnel est moins aecté que le fonctionnement relationnel. Dans une revue des études de cohorte disponibles, les troubles cognitifs, la mauvaise santé physique, les troubles visuels et les événements négatifs de la vie sont identiés comme facteurs de risque d’un trouble psychotique à début tardif. Par contre, ce n’est pas le cas pour l’âge, le sexe féminin ni l’atteinte auditive, facteurs pourtant incriminés dans plusieurs études antérieures. Le peu d’études disponibles limite cependant la portée de ces conclusions (Brunelle & al., 2012). Dans la psychose d’allure schizophrénique à début très tardif, les femmes sont plus fréquemment atteintes, dans un ratio très large de 2 à 22 femmes pour 1 homme, selon les études (Castle

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& Murray, 1993). Comme hypothèse explicative de ce phénomène, un eet protecteur des oestrogènes avant la ménopause a été suggéré. L’imagerie cérébrale dans les troubles psychotiques très tardifs montre plus souvent des anomalies non spéciques comme un élargissement ventriculaire ainsi que des diérences structurales comme une atrophie du gyrus temporal supérieur et du lobe temporal gauche. D’autres études ont montré un élargissement du thalamus comparativement aux patients dont la maladie a débuté plus tôt. Par ailleurs, après l’exclusion des patients qui présentent une atteinte cérébrale organique, les anomalies de la substance blanche ne seraient pas plus fréquentes (Howard & al., 2000).

Description clinique et diagnostic Les syndromes psychotiques tardifs aectent un groupe hétérogène de patients, qui partagent néanmoins certaines caractéristiques. Le délire de persécution est plus fréquent dans la schizophrénie à début tardif que dans la schizophrénie à début plus précoce. Les délires paranoïdes sont souvent plausibles, et se traduisent fréquemment par des idées d’abus, d’exploitation, de vol, de dépossession ou d’éviction. L’entourage immédiat (voisins, propriétaires, famille) fait souvent partie du délire. On rencontre également des délires de référence, de contrôle, de grandeur et hypocondriaques. Comparativement à la schizophrénie à début plus précoce, le délire est plus organisé et les hallucinations auditives sous forme de commentaires continus sur le patient, sont plus fréquentes. Le délire de perméabilité (partition delusion) est assez typique des patients âgés. Bien qu’il existe dans la schizophrénie de l’adulte plus jeune (20 %) ainsi que chez les patients âgés sourant de schizophrénie de longue date (13 %), ce type de délire est beaucoup plus fréquent (68 %) dans la psychose d’allure schizophrénique d’apparition très tardive (Howard & al., 1992). Il se caractérise par l’expérience de la perméabilité des structures, en particulier au domicile : les patients se sentent espionnés, traqués, surveillés, parfois même drogués ou atteints par des substances ou des rayons néfastes qui traversent les murs. Cette sensation de perméabilité des structures semble faire écho à la fragilité des limites du Moi décrite dans la schizophrénie classique. Une visite médicale à domicile permet de mieux évaluer l’environnement et l’expression de la psychose. Les symptômes négatifs sont moins marqués dans la schizophrénie à début tardif que dans la schizophrénie à début plus précoce, et les troubles formels de la pensée se font plutôt rares, tout comme les symptômes schneidériens (vol, insertion, diusion de la pensée). L’aect est plus approprié et le relâchement des associations d’idées est moins fréquent. Une composante aective est fréquemment associée aux tableaux de psychose tardive, et un diagnostic de trouble de l’humeur ou de trouble schizoaectif doit être envisagé en diagnostic diérentiel. Dans la schizophrénie à début tardif, le fonctionnement cognitif global est généralement mieux préservé que dans la schizophrénie à début plus précoce. De fait, les patients atteints de schizophrénie dont la maladie a débuté tôt dans la vie présentent des décits plus marqués à l’évaluation neuropsychologique que ceux chez qui la maladie a débuté tardivement. Par contre, la psychose d’allure schizophrénique d’apparition très tardive est associée à un risque de détérioration cognitive subséquente, et les patients qui en sourent ont près de trois fois plus de risque de

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développer par la suite un trouble neurocognitif majeur (Köhler & al., 2013). Le fonctionnement cognitif de ces patients doit donc faire l’objet d’un suivi. Inversement, les patients qui présentent un trouble neurocognitif léger sont plus susceptibles de développer des idées délirantes de persécution, ayant souvent pour thème l’introduction et le vol dans le domicile. La schizophrénie à début tardif est habituellement de nature chronique, avec des rémissions partielles et des exacerbations. Le risque de suicide est plus élevé que dans la population générale. Les symptômes paranoïdes peuvent s’atténuer ou même disparaître complètement lorsque le patient est retiré du contexte menaçant, notamment lorsqu’il est hospitalisé. Cette amélioration peut persister lors du retour dans le milieu, après un traitement ecace. Plutôt que de chercher à enrayer les symptômes psychotiques à tout prix, le traitement vise d’abord à les atténuer et à diminuer leur impact sur le fonctionnement ainsi que la détresse qui en résulte.

65.1.3 Évolution de la schizophrénie avec l’âge Avec le vieillissement de la population, on s’attend à une augmentation du nombre de personnes âgées atteintes de schizophrénie. Sa prévalence de 45 à 60 ans est d’environ 0,6 %. Chez les personnes âgées, elle se situe de 0,3 % à 1 %. La grande majorité (85 %) des personnes âgées atteintes de schizophrénie vivent dans la communauté. On estime que de 80 à 85 % des personnes atteintes de plus de 55 ans ont développé la maladie avant l’âge de 45 ans (Iglewicz & al., 2011). Les études longitudinales eectuées en Europe et aux ÉtatsUnis et s’échelonnant sur plusieurs décennies révèlent que, pour la plupart des patients, la symptomatologie ne s’aggrave plus après les cinq premières années, et même s’atténue souvent avec le temps (Harrison & al., 2001). Contrairement à la notion longtemps véhiculée que le pronostic de la schizophrénie est plus sombre que celui des troubles de l’humeur, ces études ont plutôt montré que les manifestations de la schizophrénie tendent à s’atténuer avec l’âge, particulièrement en ce qui a trait aux symptômes positifs. Harrison et ses collaborateurs (2001) ont montré que près de la moitié des jeunes adultes atteints de schizophrénie présentent une rémission complète de leurs symptômes psychotiques ou un état résiduel relativement peu symptomatiques quand ils s’approchent de 50 ans. D’autres études comportant des facteurs tels que l’intégration sociale ou l’adhésion au traitement chirent plutôt la rémission complète et soutenue autour de 8 à 12 %. Selon l’étude de Cohen et de ses collaborateurs (2009), chez les patients de plus de 55 ans sourant de schizophrénie et vivant dans la communauté, 17 % pouvaient être considérés comme étant en rétablissement et 49 %, en rémission. Cependant, le groupe de patients sourant de schizophrénie présente des scores plus bas que le groupe témoin tant pour ce qui est de l’intégration communautaire que des mesures objectives et subjectives de vieillissement réussi. L’évolution de la maladie est donc hétérogène : certains patients vieillissent en milieu protégé, y compris à l’hôpital psychiatrique, mais de nombreux autres sont capables de fonctionner dans la société. Les sphères les plus atteintes sont l’intégration sociale et la qualité de vie. Seule une minorité des personnes âgées atteintes de

schizophrénie parviennent à subvenir seules à leurs besoins de base, et un tiers seulement ont une qualité de vie satisfaisante. Le vieillissement réussi est présenté en détail au chapitre 63, à la section 63.7. De façon générale, les symptômes positifs sont ceux qui s’atténuent le plus avec l’âge. Les patients sont moins inuencés ou importunés par leurs hallucinations et leurs délires. L’apparition de symptômes nouveaux est assez rare et, lorsqu’elle survient, il s’agit le plus souvent de symptômes négatifs tels que le retrait aectif, l’apathie, l’indiérence et le négativisme, avec parfois des maniérismes ou des stéréotypies. L’évolution de ces symptômes demeure cependant controversée. Il est possible qu’ils s’atténuent aussi avec l’âge. Ils sont corrélés avec des décits cognitifs et des signes neurologiques discrets (soft signs). La médication antipsychotique a aussi un eet sédatif qui peut mimer les symptômes négatifs et la dépression. La dépression est fréquente chez les personnes âgées atteintes de schizophrénie et peut aussi être confondue avec des symptômes négatifs. La prévalence des symptômes dépressifs et de la dépression dans la schizophrénie chez les personnes âgées est élevée : jusqu’à 75 % des cas (Cohen & al., 2009). La dépression chez les personnes âgées sourant de schizophrénie demeure cependant dicile à caractériser étant donné les facteurs confondants tels que les symptômes négatifs ou les eets indésirables de la médication. Il semble y avoir une relation entre la présence de symptômes positifs de la schizophrénie et la dépression. Par ailleurs, le potentiel suicidaire demeure élevé, comme en témoigne la présence d’idées suicidaires et de tentatives antérieures chez 13 à 49 % des patients. Les facteurs de bon pronostic à court ou moyen terme ont été bien décrits (sexe féminin, bon fonctionnement prémorbide, début soudain ou tardif des symptômes, prédominance de symptômes paranoïdes, absence de symptômes négatifs). Par contre, les facteurs pronostiques à plus long terme sont encore peu connus. De nombreux patients âgés atteints de schizophrénie présentent un fonctionnement cognitif altéré parfois difficile à préciser. Certains auteurs sont d’avis que le déclin cognitif est progressif et insidieux, alors que d’autres pensent au contraire que, conformément à l’hypothèse neurodéveloppementale de la schizophrénie, les déficits sont assez stables et résultent d’une « encéphalopathie statique » plutôt que dégénérative (Goldberg & al., 1993). Il semble que les pertes cognitives consécutives à la schizophrénie soient apparentes dès les premières années de la maladie, l’état des patients suivant par la suite une courbe semblable à celle qu’on trouve chez les adultes non atteints. Tout comme dans les études eectuées dans des populations adultes plus jeunes, les décits cognitifs chez les personnes âgées semblent associés à la schizophrénie elle-même plutôt qu’à un processus dégénératif surajouté tel que la maladie d’Alzheimer. Dans une étude neuropathologique de 110 patients âgés ayant souert de schizophrénie, la gravité du trouble neurocognitif était corrélée avec le nombre de plaques séniles et des enchevêtrements neurobrillaires (Rapp & al., 2010). La densité de ces anomalies typiques de la maladie d’Alzheimer était cependant bien en deçà du seuil requis pour poser ce diagnostic, ce qui va dans le sens de l’hypothèse d’une « réserve cérébrale » réduite par un processus diérent. Une atteinte fonctionnelle progressive

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et une perte d’autonomie mise en évidence par l’observation longitudinale orientent, le cas échéant, vers un diagnostic de trouble neurocognitif de type dégénératif. Les symptômes de la schizophrénie (troubles formels de la pensée, apragmatisme, négativisme) entravent l’évaluation neuropsychologique. Lorsqu’un décit cognitif est identié, il n’est pas toujours possible de déterminer s’il découle de la maladie psychiatrique elle-même, d’une hypostimulation secondaire ou, encore, d’un processus dégénératif surajouté. D’autres facteurs moins spéciques tels que l’âge, les problèmes de santé, un faible niveau de scolarité ou de l’instabilité dans les conditions de vie peuvent contribuer à aggraver les troubles cognitifs. Les décits cognitifs ont un impact plus important sur le fonctionnement social que les autres symptômes de la maladie. La schizophrénie est associée à un risque accru de mortalité, de deux à quatre fois plus élevé que dans la population générale (Karim & al., 2005). De fait, l’espérance de vie est réduite d’au moins 15 ans par rapport à la population générale en raison du taux de suicide accru chez les personnes atteintes, de leur santé physique précaire et de leur accès réduit aux soins. Parmi les causes naturelles, les plus importantes sont les infections, les maladies cardiovasculaires et les troubles respiratoires, notamment à cause du tabagisme. Le diabète et les dyslipidémies sont aussi accrus chez ces malades et aggravés par les eets métaboliques des antipsychotiques atypiques. Les patients consultent moins ou ne rapportent pas nécessairement leurs symptômes physiques en raison de troubles cognitifs, de résistance à la douleur ou de sensibilité diminuée. De plus, ils peuvent être mal accueillis ou mal compris dans les services de soins physiques. Le suivi médical de nombreux patients âgés atteints de schizophrénie est donc sous-optimal. La qualité de vie chez le patient vieillissant est associée à des facteurs cliniques tels que : • les symptômes positifs et négatifs de la schizophrénie ; • la dépression ; • l’anxiété ; • les décits cognitifs ; • la négligence de son état de santé ; • les malaises physiques ; • les eets indésirables de la médication ; • plusieurs facteurs sociaux (chômage, problèmes nanciers, isolement, situation de vie précaire, perte d’autonomie, etc.). Bien que la majorité des personnes âgées atteintes de schizophrénie se disent satisfaites de leur vie, leur niveau de satisfaction est moindre que celui d’une population comparable non atteinte. Par ailleurs, une piètre qualité de vie subjective est associée à un risque suicidaire accru (Cohen & al., 2009).

65.1.4 Trouble délirant Le trouble délirant survient généralement entre 40 et 49 ans chez l’homme et entre 60 et 69 ans chez la femme. Le diagnostic est légèrement plus fréquent chez la femme. Chez l’homme, la symptomatologie est plus marquée, avec un impact fonctionnel plus important. La prévalence à un an chez les personnes âgées est de l’ordre de 0,03 % (Meesters & al., 2012). Les troubles délirants sont présentés en détail au chapitre 16.

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Plusieurs facteurs de risque contribuent au développement du trouble délirant : • une histoire familiale de schizophrénie ; • un trouble de la personnalité évitant, paranoïde ou schizoïde ; • une perte d’audition ; • l’immigration, en se retrouvant dans un contexte insolite ; • un faible niveau socio-économique. Quand le trouble délirant survient tardivement, la personnalité ainsi que le fonctionnement intellectuel et occupationnel peuvent être préservés, mais le fonctionnement social est généralement compromis en raison du délire et des modications du comportement qu’il engendre. Le diagnostic diérentiel est parfois dicile à établir avec la schizophrénie à début tardif ou les autres psychoses tardives, surtout s’il y a présence d’hallucinations auditives ou olfactives, ou un délire de perméabilité des structures (voir la sous-section 65.1.2). Toute aection médicale générale doit aussi être éliminée. Outre les délires paranoïdes, certains types de délire sont relativement communs chez les personnes âgées : • le délire d’infestation cutanée (syndrome d’Ekbom) ; • le délire hypocondriaque (p. ex., conviction d’être atteint d’un cancer) ; • la conviction d’être suivi ou empoisonné ou d’être trompé par le conjoint. Parmi les symptômes fréquemment associés au tableau délirant, on peut retrouver de la colère, de l’irritabilité ou une humeur dysphorique, surtout chez les patients qui présentent un délire de persécution ou de jalousie. La comorbidité avec les troubles de l’humeur est élevée. Les délires de persécution ont tendance à se chroniciser. Les patients ont généralement peu d’autocritique ou refusent souvent de suivre un traitement pharmacologique. L’ecacité des antipsychotiques est variable, et il est habituellement irréaliste d’espérer une résolution complète du délire. Le plus souvent, on visera une diminution du degré d’envahissement de la pensée et une réduction de l’impact global du délire sur le comportement, ce qui peut sure à procurer une amélioration intéressante de la qualité de vie.

65.1.5 Autres troubles psychotiques Certains troubles psychotiques touchent plus spécialement les personnes âgées. Le syndrome de Charles Bonnet est une hallucinose visuelle parfois observée chez des patients qui présentent une acuité visuelle réduite ou des pathologies oculaires, en l’absence de troubles cognitifs signicatifs. En plus de l’atteinte oculaire, l’âge avancé et l’isolement social sont des facteurs de risque de ce syndrome. L’atteinte du cortex visuel peut également jouer un rôle. Les hallucinations visuelles, qu’elles soient statiques ou en mouvement, sont habituellement très vivaces et complexes (personnages, animaux). Dans les phases initiales, une certaine autocritique envers les perceptions anormales est préservée (pseudohallucinations), mais peut s’estomper avec le temps. Les hallucinations disparaissent quelquefois après correction de la pathologie oculaire. Les antipsychotiques peuvent parfois être utiles si les symptômes sont très dérangeants ; leur ecacité est cependant limitée. Certains patients ont été traités avec succès à l’aide de carbamazépine (TegretolMD) ou d’autres anticonvulsivants, des agents sérotoninergiques comme les ISRS ou les IRSN, ou

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avec des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase. Il est à noter qu’une symptomatologie semblable peut être rencontrée en l’absence de troubles visuels signicatifs, ce qui remet en question la spécicité et la dénition du syndrome (Ffytche, 2005). Un diagnostic de trouble neurocognitif avec corps de Lewy est aussi à considérer. Un autre phénomène d’hallucinations, à caractère auditif musical celui-là, a été décrit, souvent en association avec une diminution de l’audition. Plus des deux tiers des patients qui présentent ce syndrome sont des femmes. Les hallucinations musicales sont organisées, persistantes, intrusives et répétitives. Elles sont favorisées par le silence ambiant et l’inactivité. Habituellement, aucun autre symptôme psychotique n’y est associé, et l’autocritique est préservée. Parmi les causes possibles de ce syndrome, on note : • des atteintes neurologiques (maladie de Parkinson, épilepsie, tumeurs, etc.) ; • certains médicaments (opiacés, corticostéroïdes, antidépresseurs tricycliques, benzodiazépines, dipyridamole [AggrenoxMD], etc.) ; • la privation sensorielle ; • la dépression. Une évolution vers un trouble neurocognitif dégénératif demeure possible et est à surveiller. Si le symptôme est incapacitant, un traitement pharmacologique peut être entrepris. Parmi les traitements qui ont été tentés, outre les antipsychotiques, on note les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, les anticonvulsivants et les antidépresseurs. Un mécanisme de « relâche corticale », qui résulte de la désaérentation par privation des stimuli visuels ou auditifs au niveau du cortex, a été suggéré pour expliquer ces syndromes. Selon cette hypothèse, ces hallucinations qui surviennent préférentiellement dans la modalité sensorielle aectée s’apparentent au phénomène du « membre fantôme » des personnes amputées, alors que la douleur continue d’être ressentie dans un membre malgré son amputation.

65.1.6 Traitement En présence d’un trouble psychotique, l’alliance thérapeutique peut être dicile à obtenir. Les patients âgés sourant de psychose ont souvent des dicultés d’observance, ce qui complique les interventions. Les décits sensoriels ainsi que les aections médicales ou iatrogènes qui contribuent au tableau psychotique doivent être évalués et traités. L’utilisation de médicaments ou de substances qui favorisent l’apparition de symptômes psychotiques doit aussi être examinée (antiparkinsoniens, anticholinergiques, bronchodilatateurs, psychostimulants, sevrage à l’alcool, etc.). Il faut tout d’abord obtenir et consolider l’alliance thérapeutique et faire équipe avec le patient. Cet objectif nécessite du temps et de la persévérance de la part des intervenants, mais il est essentiel et reste à travailler tout au long du suivi. Le refus des interventions de la part du patient ne doit pas inciter les intervenants à mettre un terme à la relation thérapeutique sans réexion préalable. Cette décision doit se prendre en équipe, en tenant compte de l’aptitude du patient à consentir (ou à s’opposer) au traitement. Ainsi, dans certains cas, lorsque la maladie altère le fonctionnement ou le jugement du patient au point où son état représente un risque pour sa santé, sa sécurité ou celle d’autrui, des mesures

légales doivent être envisagées an de pouvoir lui administrer un traitement antipsychotique contre son gré. Bien que cette démarche risque de mettre à rude épreuve l’alliance toujours fragile, si les bénéces attendus pour le patient se concrétisent, le lien thérapeutique peut même s’en trouver renforci par la suite. Les traitements pharmacologiques de la psychose dans l’âge avancé doivent tenir compte des caractéristiques de ce groupe d’âge, soit : • une sensibilité accrue aux antipsychotiques et des risques plus grands qu’ils entraînent des eets indésirables (troubles métaboliques, dyskinésie tardive avec dysphagie, étouement, aspiration, chutes) ; • une morbidité et une perte de qualité de vie associées aux symptômes négatifs ; • une perte d’autonomie fonctionnelle ; • des troubles cognitifs surajoutés. Les antipsychotiques permettent généralement d’atténuer les idées délirantes ainsi que les hallucinations, et leur administration doit faire l’objet des précautions habituelles pour les personnes âgées (voir la sous-section 64.3.2). Les antipsychotiques atypiques présentent un prol favorable d’eets secondaires et ont de meilleurs eets sur la cognition. Les personnes âgées sourant de schizophrénie ont davantage d’eets indésirables (jusqu’à cinq fois plus que les jeunes) et elles sont plus à risque d’agranulocytose avec la clozapine. Une seule étude chez les personnes âgées a comparé deux antipsychotiques atypiques. Chez 175 personnes de plus de 60 ans, la rispéridone (RisperdalMD) et l’olanzapine (ZyprexaMD) ont entraîné une amélioration de 20 % ou plus au Positive and Negative Symptoms Scale (PANSS) dans une proportion équivalente de 58 % et de 59 % des cas, respectivement, mais on note davantage de gain de poids avec l’olanzapine (Jeste & al., 2003). Les précautions d’usage en lien avec le suivi des paramètres métaboliques doivent être prises : pesée, mesure de la circonférence abdominale, bilans métabolique et lipidique, psychoéducation. Des doses d’attaque de 25 % des doses recommandées chez les jeunes et d’entretien de 25 à 50 % sont indiquées. Quelques études ont examiné l’eet des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase sur les troubles cognitifs associés à la schizophrénie, sans égard à l’âge. L’une d’elles a examiné l’eet du donépézil (AriceptMD) sur les symptômes négatifs chez des patients âgés atteints de schizophrénie. L’intérêt réel de ce traitement dans la schizophrénie reste cependant à conrmer (Ribeiz & al., 2010). En général, la schizophrénie à début tardif ne répond aux antipsychotiques que de façon partielle et l’observance au traitement pharmacologique est fragile. Dans certains cas, l’utilisation d’une médication injectable à longue action peut donner de meilleurs résultats. Le plus souvent, les symptômes psychotiques s’atténuent, mais la médication n’a pas toujours l’impact souhaité sur l’autocritique et le niveau d’adaptation ou de fonctionnement social. C’est pourquoi un travail d’équipe, sollicitant l’expertise de plusieurs professionnels, est habituellement nécessaire pour favoriser la réadaptation. Conjointement à la médication antipsychotique, des interventions favorisant la socialisation ou la diminution de l’isolement sont nécessaires, par exemple l’élaboration d’un programme d’ergothérapie avec intégration dans des groupes d’activités de réadaptation ou dans un centre de jour. La psychose chez la personne âgée accentue l’isolement et l’ostracisme. Elle doit parfois faire face à des situations sociales diciles :

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éloignement de la famille, tentatives répétées de fuir les persécuteurs, déménagements multiples et problèmes de logement et de budget. L’expertise du service social est souvent nécessaire pour dénouer ces situations complexes.

65.2 Trouble bipolaire Le trouble bipolaire survient le plus souvent au début de l’âge adulte. La maladie demeure cependant active pendant de nom­ breuses années. Par ailleurs, l’apparition d’un trouble bipolaire dans l’âge avancé, bien qu’inhabituelle, n’est pas rare. Son étude chez les personnes âgées est donc très pertinente et, comme c’est le cas pour la plupart des troubles mentaux dans ce groupe d’âge, le trouble bipolaire se caractérise chez les personnes âgées par des spécicités dans les étiologies, la présentation et le traitement, dont il faut tenir compte en tant que médecin. Les troubles bipolaires sont présentés en détail au chapitre 18.

65.2.1 Épidémiologie Le trouble bipolaire est relativement fréquent chez les personnes âgées qui consultent dans les services psychiatriques. La manie est à l’origine de près de 10 % de toutes les admissions en géronto­ psychiatrie. Des études épidémiologiques ont cependant montré une diminution de la prévalence de ce trouble avec l’âge, passant de 1,4 % de 18 à 44 ans à 0,1 % après 65 ans (Depp & Jeste, 2004). Ces résultats contrastent avec les études concernant spéciquement la manie chez les personnes âgées qui, au contraire, ont mis en évidence un accroissement du nombre des premières admissions pour un diagnostic de manie à partir de 60 ans. D’ailleurs, plus de 10 % des troubles bipolaires débutent après 65 ans (Almeida & Fenner, 2002). De fait, le taux d’admission chez les patients âgés sourant d’un trouble bipolaire est élevé et augmente même avec l’âge. La diculté de traiter adéquatement cette population et la présence de comorbidité signicative peuvent être en cause. Paradoxalement, les études de population montrent bien que les premiers épisodes de ce trouble surviennent généralement dans la vingtaine. Dans un échantillon de patients âgés sourant d’un trouble bipolaire, Broadhead & Jacoby (1990) ont trouvé deux pics d’incidence pour l’âge lors du premier épisode maniaque, l’un à 37 ans et l’autre à 73 ans. Ces résultats apparemment contradictoires peuvent s’expliquer par un taux de mortalité plus élevé chez les patients bipolaires. La mortalité accrue peut résulter de suicide ou encore de causes natu­ relles. Il est aussi possible que, pour plusieurs patients atteints d’un trouble bipolaire qui s’est déclaré à un âge relativement jeune, les symptômes de la maladie s’atténuent éventuellement avec le temps. Les études sur le trouble bipolaire eectuées dans l’âge avancé indiquent que le premier épisode aectif survient assez tardi­ vement chez ces patients, entre 45 et 55 ans en moyenne, com­ parativement à 28 ans lorsqu’on considère des patients de tous âges. Il s’agit le plus souvent d’une dépression, et il s’écoule un intervalle moyen d’une dizaine d’années avant le premier épisode de manie (Depp & Jeste, 2004).

65.2.2 Étiologie L’âge d’apparition du trouble bipolaire est une donnée importante qui permet de dégager des sous­types de la maladie et d’en préciser

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l’étiologie. L’âge de début considéré comme tardif varie cependant selon les études, ce qui empêche de tirer des conclusions dénitives. Les patients âgés sourant de manie à début tardif présentent des diérences cliniques par rapport aux adultes plus jeunes atteints d’un trouble bipolaire ou aux patients âgés chez qui la maladie a débuté plus tôt dans la vie. Comparativement à la manie du jeune adulte, la manie à début tardif est plus fréquente chez les femmes que chez les hommes et plus fréquemment associée à des facteurs organiques tels que : • des maladies neurologiques : maladie vasculaire cérébrale, particulièrement de l’hémisphère droit ; trouble neurocognitif majeur ; tumeurs ; traumatismes crâniens ; infections telles que la neurosyphilis ou le neurosida ; • des affections médicales diverses : troubles thyroïdiens ; troubles métaboliques et carences nutritionnelles (p. ex., en vitamine B12) ; • l’utilisation de certains médicaments ou substances : cortico­ stéroïdes, bronchodilatateurs, lévodopa, sympathomimétiques, psychostimulants, alcool. La manie secondaire ou consécutive à une aection médicale est un syndrome maniaque pour lequel un lien de causalité avec une aection médicale est établi. Ce syndrome clinique demeure relativement rare et ne caractérise qu’une minorité de cas. Sur le plan neurologique, la comorbidité est fréquente chez les patients âgés atteints de manie, soit 36 % comparativement à 8 % chez les personnes âgées atteintes de dépression (Depp & Jeste, 2004). On invoque surtout des lésions vasculaires cérébrales droites. Sur le plan de l’imagerie cérébrale, les études volumé­ triques décrivent une atrophie du noyau caudé, plus marquée chez les bipolaires à début tardif. La résonance magnétique céré­ brale montre notamment des hyperdensités sous­corticales qui sont le reet d’une destruction neuronale. Cette anomalie serait associée à des troubles cognitifs et à un pronostic plus sombre. Les antécédents psychiatriques familiaux sont moins fréquents, de façon générale, chez les patients âgés atteints de manie compa­ rativement aux patients plus jeunes, ce qui suggère que le facteur génétique est moins déterminant. L’étude des patients âgés atteints d’un trouble bipolaire tend à montrer une association entre un début plus précoce et la présence d’antécédents familiaux. Chez ceux dont l’âge de début de la maladie est plus tardif et chez ceux qui présentent des troubles neurologiques, la diathèse familiale est moins fréquente. Il est possible qu’une manie secondaire soit plus facilement déclenchée chez des patients déjà vulnérables au trouble bipolaire (Ortiz & al., 2011).

65.2.3 Description clinique Tous les symptômes de manie observés chez les adultes plus jeunes peuvent aussi être présents chez les personnes âgées et les critères diagnostiques sont les mêmes pour les deux groupes d’âge. Cer­ taines études ont toutefois montré des diérences entre les épisodes maniaques des personnes âgées et des adultes plus jeunes. Les résultats sont contradictoires et ne sont généralement pas reproduits d’une étude à l’autre. Il a été suggéré par exemple que les patients âgés présentent plus souvent de l’irritabilité tandis que l’euphorie et la grandiosité sont moins fréquentes. L’agitation est habituellement moins importante. Les présentations mixtes ou dysphoriques sont décrites classiquement comme plus fréquentes chez les personnes âgées, mais ces observations n’ont pu être conrmées.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

Les études montrent généralement qu’un début tardif de la maladie est plus souvent associé à des atteintes cognitives (troubles de la mémoire, des fonctions exécutives). Ces décits peuvent reéter la forte prévalence de troubles vasculaires cérébraux. Par ailleurs, la présentation clinique de certains épisodes maniaques peut ressembler à un trouble neurocognitif majeur ou à un delirium, auquel cas le diagnostic peut être dicile à établir. Ces « pseudodémences maniaques », généralement réversibles, doivent être traitées. Un syndrome d’allure maniaque peut également être observé chez les patients atteints de troubles neurocognitifs majeurs (Azorin & al., 2012).

65.2.4 Traitement En général, le traitement du trouble bipolaire chez les personnes âgées est peu étudié. Elles répondent aux mêmes approches pharmacologiques que les adultes plus jeunes. La tolérance aux médicaments est cependant moindre et les interactions médicamenteuses et les contre-indications, plus fréquentes. Pour tous les thymorégulateurs, des doses inférieures à celles qui sont couramment employées chez les adultes plus jeunes peuvent sure. L’âge en soi n’est pas une contre-indication à l’utilisation du lithium. La posologie initiale est généralement de 150 à 300 mg par jour et doit être augmentée plus lentement que chez les patients plus jeunes. Le taux plasmatique visé se situe de 0,4 à 0,6 mmol/l et permet souvent de contrôler l’épisode maniaque chez les personnes âgées. Cependant, une lithémie plus élevée, de l’ordre de 0,8 ou même de 1,0 mmol/l, est nécessaire dans certains cas. On doit prendre garde aux signes d’intoxication qui peuvent apparaître même si la lithémie est à l’intérieur de la fenêtre thérapeutique. Administré avec prudence, le lithium demeure un thymorégulateur ecace et sûr. Les comorbidités et les risques d’interactions médicamenteuses peuvent cependant en compliquer l’utilisation. Au même titre que chez les adultes plus jeunes, les dosages plasmatiques de lithium, les signes de toxicité, les fonctions rénale et thyroïdienne ainsi que l’électrocardiogramme doivent faire l’objet d’un suivi régulier. L’acide valproïque (EpivalMD) est de plus en plus prescrit chez les personnes âgées en raison de sa tolérabilité et de sa facilité d’utilisation. Les données disponibles, bien que peu nombreuses, suggèrent que ce médicament est ecace et bien toléré. Une première étude randomisée et contrôlée comparant l’innocuité et l’ecacité du lithium et de l’acide valproïque est en cours (Young & Schulberg, 2010). Certains changements pharmacocinétiques en lien avec l’acide valproïque doivent être pris en considération, notamment une diminution du taux d’albumine et de la liaison aux protéines. La biodisponibilité de ce médicament est probablement augmentée et les doses requises, moindres. En pratique, des doses de 750 à 1 000 mg par jour sont souvent susantes. La dose d’attaque doit être de 125 mg DIE ou BID. Les autres précautions associées à la prise de ce médicament s’appliquent évidemment aux personnes âgées, nommément les dosages plasmatiques, la surveillance du bilan hépatique et du décompte plaquettaire ainsi que les troubles d’équilibre et la somnolence. L’utilisation des autres thymorégulateurs (p. ex., la lamotrigine [LamictalMD] et la carbamazépine [TegretolMD]) est aussi possible ; cependant, les études d’ecacité et d’innocuité excluent souvent les personnes de plus de 65 ans. Les données spéciques de ce groupe d’âge sont rares et concernent de petits nombres de cas. La carbamazépine est utile surtout dans le cas de manie

réfractaire aux autres traitements, étant donné le plus grand risque de toxicité et d’interactions médicamenteuses. L’ecacité et l’innocuité des nouveaux anticonvulsivants (lamotrigine, gabapentin, topiramate) dans le trouble bipolaire chez les personnes âgées ne sont pas connues. Il existe peu d’information spécique concernant l’ecacité des antipsychotiques atypiques dans le trouble bipolaire chez les personnes âgées, mais ces médicaments sont généralement bien tolérés par les patients âgés sourant de troubles psychotiques et leur ecacité a été montrée dans le trouble bipolaire chez les adultes. Enn, en cas d’échec des autres traitements thymorégulateurs, la clozapine doit être envisagée pour la manie réfractaire chez des personnes âgées.

65.2.5 Évolution et pronostic Dans les échantillons comprenant des patients de tous âges atteints d’un trouble bipolaire, la maladie se déclare généralement dans la vingtaine ou la trentaine. Les études eectuées spéciquement auprès de patients âgés atteints ont cependant montré de façon répétée que le premier épisode aectif (dépressif ou maniaque) se situe plutôt dans la cinquantaine chez ces patients. L’âge est associé à des épisodes plus longs, un intervalle plus court entre les épisodes et un risque accru de rechutes, particulièrement pour ce qui est du trouble bipolaire à début tardif. En outre, l’apparition d’un épisode dépressif immédiatement après un épisode maniaque est plus fréquente chez les personnes âgées. Les patients âgés atteints d’un trouble bipolaire présentent un taux de mortalité plus élevé que la population générale, et ce, particulièrement chez les femmes (Crump & al., 2013). Ils présentent aussi un risque accru de développer des troubles cognitifs.

65.3 Dépressions Les troubles dépressifs chez les personnes âgées revêtent une grande importance clinique. Ils peuvent entraîner, chez ces patients, des eets délétères majeurs sur leur niveau d’activité, leurs relations interpersonnelles, leur autonomie et leur fonctionnement global.

65.3.1 Épidémiologie L’étude intitulée National Comorbidity Survey Replication (NCS-R) a rapporté une prévalence moins élevée de la dépression majeure chez les personnes âgées, comparativement aux adultes plus jeunes. Dans cette étude, la prévalence de la dépression, dans le groupe d’âge avancé, était de 1,5 % chez les femmes et de 0,2 % chez les hommes, pour une prévalence globale de 1 %, comparativement à 3,9 %, à 2,3 % et à 3,1 % respectivement, tous groupes d’âges confondus (Kessler & al., 2010). Ces résultats suggèrent une baisse des taux de dépression majeure avec l’âge, ce qui n’est pas sans causer un certain étonnement chez plusieurs experts. Un eet de cohorte peut contribuer à ces résultats, alors qu’une augmentation progressive des taux de dépression majeure au cours du 20e siècle a été rapportée dans plusieurs études. Il faut cependant garder en tête que le taux de dépression majeure chez les personnes âgées varie selon le contexte de l’étude, et des prévalences allant jusqu’à 10 ou 30 % ont été trouvées dans des échantillons cliniques ou en institution. Certains auteurs invoquent aussi le fait que les critères

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Gérontopsychiatrie clinique

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employés dans les études épidémiologiques (ceux du DSM ou de la CIM) excluent les patients aux prises avec des maladies physiques signicatives ou des troubles cognitifs, ce qui peut expliquer les taux de prévalence plus faibles chez les personnes âgées. De plus, ces dernières sont moins enclines à dévoiler leurs symptômes psychiatriques, qu’elles décrivent plutôt en termes de symptômes somatiques. Les dépressions sont présentées en détail au chapitre 19. En utilisant des critères moins stricts, on estime que 15 % des personnes âgées vivant à domicile présentent, à un moment donné, une symptomatologie dépressive (Blazer, 2003). Bien qu’elle ne corresponde pas complètement au tableau classique de la dépression majeure chez l’adulte plus jeune, cette symptomatologie demeure une source de sourance signicative et mérite une attention clinique. Les facteurs de risque de la dépression chez la personne âgée sont les suivants : • le sexe féminin ; • une histoire personnelle de dépression ; • des événements de vie stressants ; • un faible soutien social. La présence d’une maladie physique, d’un trouble neurocognitif ou de décits fonctionnels est aussi mise en cause, ce qui peut expliquer en partie la prévalence nettement plus élevée en institution.

65.3.2 Phénoménologie et enjeux diagnostiques Malgré leur prévalence élevée chez les personnes âgées, les symptômes dépressifs demeurent sous-diagnostiqués et sous-traités. Jusqu’à 60 % des cas de dépression ne sont pas traités, et ce, malgré un accès adéquat à des professionnels de la santé. La diculté à diagnostiquer adéquatement la dépression chez la personne âgée est attribuable à plusieurs éléments. Tout d’abord, des diérences phénoménologiques entre la dépression de la personne âgée et celle de l’adulte plus jeune sont de plus en plus documentées dans la littérature. Les changements physiologiques associés au vieillissement modulent la présentation clinique de la dépression chez la personne âgée. Les altérations de la structure ou du ot sanguin cérébral, les atteintes vasculaires ainsi que les modications de l’activité des neurotransmetteurs peuvent inuencer la présentation clinique de la dépression, son évolution et la réponse au traitement. Le vieillissement peut aussi aecter la capacité d’adaptation à l’environnement et ainsi augmenter la vulnérabilité aux divers facteurs de stress. Chez les personnes âgées ayant souert de troubles dépressifs de longue date, la récurrence de la dépression est associée à une moins bonne réponse au traitement et à une évolution vers la chronicité. On observe davantage d’anomalies de la substance blanche ainsi que des altérations structurelles et fonctionnelles du cortex préfrontal (cortex orbitofrontal, cortex cingulaire antérieur) et du système limbique (atrophie de l’hippocampe et de l’amygdale). Ces anomalies, le plus souvent d’origine vasculaire, sont en lien avec la présentation clinique (p. ex., ralentissement psychomoteur dans la « dépression vasculaire »), une moins bonne réponse au traitement ainsi qu’une évolution cognitive défavorable (Benjamin & Steens, 2011 ; Gunning & Smith, 2011). Pour environ la moitié des patients âgés aux prises avec une dépression majeure, il s’agit d’un premier épisode thymique, soit

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un trouble dépressif apparaissant à l’âge avancé. De plus, une large proportion de ces patients ne présentent aucun antécédent familial de dépression ; l’histoire personnelle et familiale, qui peut orienter le médecin dans son diagnostic, n’est donc pas contributive. Par ailleurs, l’eet confondant des maladies physiques concomitantes ainsi que la similitude relative de certains symptômes des troubles neurocognitifs et de la dépression compliquent l’identication du processus dépressif chez la personne âgée. Aucun test de laboratoire ne permet de conrmer la présence d’une dépression. Le DSM-5 ne mentionne pas de nuances qui rendent compte des diérences cliniques attribuables à l’âge avancé. Pourtant, il est bien établi que l’expression des troubles psychiatriques est inuencée non seulement par la culture et l’histoire de vie, mais aussi par l’âge. Les problèmes de santé physique inuencent négativement l’humeur et, inversement, une humeur dépressive peut intensier des symptômes physiques en plus d’entraver la délité au traitement. Spontanément, les personnes âgées rapportent moins de symptômes dépressifs typiques (autodévalorisation, désespoir, culpabilité) que ce que des outils objectifs ou des observateurs peuvent détecter. Comparativement aux patients plus jeunes, elles ont davantage tendance à mettre de l’avant des préoccupations anxieuses nouvelles concernant une multitude de sujets, notamment des plaintes dans la sphère somatique (dont la constipation) ou cognitive (pertes de mémoire), ce qui peut mener le médecin sur une fausse piste diagnostique. La dépression peut ainsi prendre la forme de préoccupations anxieuses (p. ex., nancières ou relationnelles), d’une hypocondrie nouvelle ou encore d’une utilisation accrue des services de santé. Un nervosisme anxieux (agitation) est également un symptôme plus fréquent chez les personnes âgées en dépression (Hegeman & al., 2012). En raison de ces particularités, la Coalition canadienne pour la santé mentale des personnes âgées (2006) recommande le dépistage systématique de la dépression chez les personnes âgées dans les situations particulières décrites dans l’encadré 65.1. Selon le DSM-5, un diagnostic de dépression majeure repose sur la présence de cinq critères sur une possibilité de neuf, y compris la présence soit d’une humeur dépressive, soit d’une anhédonie, soit d’une perte d’intérêt (voir le tableau 19.1). Pour poser un diagnostic de dépression majeure, il faut cependant s’assurer que le trouble thymique ne découle pas de la consommation de substances ou, ce qui est fréquent chez les personnes âgées, d’une aection médicale physique. En raison de la comorbidité médicale fréquente, certains experts suggèrent de pondérer diéremment les critères de dépression majeure chez les personnes âgées, en accordant moins de poids aux critères de type neurovégétatif ou somatique, comme les changements de l’appétit, des habitudes de sommeil, du niveau d’énergie et de la concentration, qui sont fréquents chez les patients âgés aux prises avec une maladie physique. Par contre, les critères psychiques tels que l’humeur triste, la perte d’intérêt (p. ex., le retrait des activités sociales), les idées de mort ou de suicide, l’ambivalence et la culpabilité peuvent selon eux être pondérés à la hausse, comme de meilleurs indicateurs d’un processus dépressif. Cette approche a cependant été contredite. D’autres experts ont montré que les symptômes tels que la fatigue, la douleur ou les plaintes somatiques sont associés à la gravité de la dépression davantage qu’à celle de l’aection médicale sous-jacente. Une approche diagnostique inclusive des critères somatiques favorise la détection et le

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 5

Spécialités psychiatriques

ENCADRÉ 65.1 Recommandations pour le dépistage

et l’évaluation de la dépression

Le dépistage systématique de la dépression est recommandé chez la personne âgée qui se retrouve dans les situations suivantes : • deuil récent avec réaction ou symptômes inhabituels (p. ex., intention suicidaire, sentiments de culpabilité n’ayant aucun lien avec la personne décédée, ralentissement psychomoteur, idées délirantes congruentes à l’humeur, incapacité fonctionnelle importante persistant deux mois après le décès, ou réaction disproportionnée face à la perte) ; • réaction de deuil qui persiste de trois à six mois suivant la perte ; • isolement social ; • trouble du sommeil persistant ; • préoccupations somatiques excessives (constipation) ou nouveaux symptômes d’anxiété ; • refus de s’alimenter ou laisser-aller dans les soins personnels ; • troubles cognitifs : plaintes subjectives et persistantes de troubles de la mémoire ; • apparition de symptômes psychotiques ; • diagnostic récent d’une maladie grave (dans les trois derniers mois) ; • hospitalisation prolongée ou à répétition ; • présence d’une maladie chronique invalidante qui requiert une hospitalisation ; • diagnostic de trouble neurocognitif, de maladie de Parkinson ou d’accident vasculaire cérébral ; • admission récente dans un centre d’accueil ou dans un établissement de soins de longue durée. Source : Adapté de Coalition canadienne pour la santé mentale des personnes âgées (2006), p. 9.

traitement adéquats de la dépression chez les personnes âgées qui présentent des comorbidités physiques, et doit donc être préconisée (Drayer & al., 2005).

65.3.3 Particularités cliniques Comme mentionné plus haut, la dépression de l’âge avancé était caractérisée par la fréquence des préoccupations anxieuses et somatiques. Les caractéristiques psychotiques sont également plus fréquentes chez les personnes âgées que chez les personnes plus jeunes. On les retrouve chez 20 à 45 % des patients âgés hospitalisés pour un diagnostic de dépression majeure, ainsi que chez 3,6 % des personnes âgées atteintes de dépression vivant dans la communauté (Blazer, 2003). Ces symptômes psychotiques se révèlent le plus souvent par l’intensication de préoccupations anxieuses, sur des thèmes tels que : • la persécution (p. ex., conviction d’être poursuivi, espionné), • l’indignité (p. ex., conviction de ne pas mériter de vivre, sentiment de médiocrité inqualiable), • la pauvreté (p. ex., conviction de ne plus avoir de vêtements, de l’imminence d’une saisie, d’une faillite ou de toute autre catastrophe etc.), • l’hypocondrie (p. ex., conviction d’être atteint d’une maladie grave). Ces craintes peuvent être associées à des symptômes physiques réels, mais dont la signication ou la gravité sont déformées par la psychose. Les décits sensoriels peuvent parfois contribuer au tableau psychotique. L’hypoacousie peut faire en sorte que des sons imprécis sont interprétés comme des voix

camouées de voisins qui complotent. Les délires nihilistes en lien avec la conviction de ne plus exister, que l’environnement n’est pas réel, ou celle d’être mort ou que ses organes ont été retirés de son corps (délire de Cotard), sont aussi plus fréquents chez les personnes âgées atteintes de dépression. Les symptômes psychotiques de la dépression gériatrique se diérencient de ceux en lien avec le trouble neurocognitif majeur. En général, ces derniers sont moins systématisés et moins colorés par l’humeur dépressive. Souvent, la dépression gériatrique se présente simultanément avec une ou plusieurs maladies physiques. Le diagnostic de dépression secondaire à une aection médicale est cependant réservé aux situations où le lien étiologique avec l’aection médicale est établi : • les maladies neurologiques dégénératives (p. ex., troubles neurocognitifs majeurs, maladie de Parkinson, sclérose en plaques) ; • les accidents vasculaires cérébraux (p. ex., encéphalopathie sous-corticale artériosclérotique, AVC frontal) ; • certaines déficiences vitaminiques (p. ex., vitamine B 12, folates) ; • les maladies thyroïdiennes, parathyroïdiennes et surrénaliennes (p. ex., hypothyroïdie, hyperparathyroïdie, syndrome de Cushing) ; • certaines infections virales (p. ex., encéphalite herpétique, neurosida) ; • certains processus néoplasiques (p. ex., cancer du pancréas). Plusieurs analyses biochimiques doivent d’ailleurs être eectuées dans l’évaluation initiale de la dépression d’une personne âgée : une formule sanguine complète, la fonction rénale, la calcémie, la fonction thyroïdienne, les niveaux d’acide folique et de vitamine B12, la fonction hépatique, l’analyse d’urine. Les sérologies de dépistage de la syphilis et du VIH peuvent aussi être eectuées de même qu’une tomodensitométrie cérébrale (ou une résonance magnétique) et un électroencéphalogramme (EEG), selon l’indication clinique. Les patients âgés atteints de dépression souffrent plus souvent d’hypertension artérielle et de maladies cardiovasculaires que les patients non atteints (Taylor & al., 2004). Ils tendent également à avoir une moins bonne impression de leur état de santé, formulent davantage de plaintes somatiques non spécifiques et effectuent davantage de consultations médicales. Ils prennent aussi un plus grand nombre de médicaments pouvant eux-mêmes contribuer au tableau dépressif. La présence d’une affection médicale lourde n’exclut donc pas la possibilité d’un diagnostic de dépression surajouté, bien au contraire. De nombreux patients âgés aux prises avec des symptômes signicatifs de dépression ne répondent pas aux critères du trouble dépressif majeur selon le DSM-5. La dépression mineure et la dépression subsyndromique sont des états dans lesquels les patients présentent de deux à cinq critères de dépression majeure. Bien que sujettes à controverse, ces entités diagnostiques peuvent être utiles en gérontopsychiatrie, car elles font référence à des tableaux incomplets néanmoins associés à une sourance et à des dicultés fonctionnelles importantes. Le fait de sourir de dépression subsyndromique multiplie par cinq le risque de sourir subséquemment de dépression majeure (Cuijpers & Smit, 2004).

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Gérontopsychiatrie clinique

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L’anxiété, une caractéristique importante de la présentation clinique de la dépression chez les personnes âgées, cohabite fréquemment avec les symptômes dépressifs. Le DSM-5 permet de spécifier, lors d’un trouble dépressif, la présence de détresse anxieuse, terme dont l’utilité clinique en gérontopsychiatrie ne fait pas de doute. Dans le DSM-IV, on retrouvait le trouble mixte d’anxiété-dépression, catégorie diagnostique gurant aussi dans la CIM-10 sous le terme « trouble anxieux et dépressif mixte ». Sa prévalence réelle et son utilité en gérontopsychiatrie demeurent incertaines, mais, de prime abord, ce diagnostic semble correspondre à une réalité clinique fréquente. Selon le DSM-5, cette entité requiert davantage d’études avant qu’elle ne puisse être reconnue comme une catégorie diagnostique à part entière. Dans la dépression chez les personnes âgées, le risque de rechute est plus élevé et l’intervalle entre les récurrences est plus court (Mitchell & Subramaniam, 2005). La maladie tend de plus à se chroniciser dans une proportion signicative dans ce groupe d’âge. Jusqu’à 30 % des patients évoluent vers un diagnostic de dépression persistante. La dépression persistante (ou dysthymie) fait référence à la présence de symptômes dépressifs sur une période de plus de deux ans. Les symptômes n’atteignent pas la gravité ni n’induisent le même niveau de dysfonctionnement que dans le trouble dépressif majeur. La prévalence de la dépression persistante chez les personnes âgées est d’environ 2 %, avec un début dans la cinquantaine dans la majorité des cas (Devanand, 2014). Une histoire psychiatrique détaillée permet le plus souvent de mettre en évidence un fonctionnement altéré de longue date, compatible avec la présence continue de symptômes dépressifs sans épisode initial clairement identié. Un épisode de dépression majeure peut aussi se chroniciser sur une longue période. Dans la dépression persistante, la réponse des patients âgés au traitement est similaire à celle des adultes plus jeunes ; il existe cependant peu de données sur ce sujet. L’âge avancé est associé à une probabilité accrue d’être exposé à des événements stressants tels que l’isolement social, les difcultés nancières, la maladie, la perte d’autonomie ou la perte d’un conjoint ou de proches. Bien que le deuil soit associé à des taux moindres de dépression majeure dans les premiers mois suivant la perte chez les personnes âgées comparativement aux adultes plus jeunes, ces taux tendraient à se rejoindre au terme des deux premières années de deuil, alors que le taux de dépression majeure est de 14 % (Zisook & Shear, 2009). Le relogement non désiré de la personne âgée dans une institution de soins prolongés occasionne un stress considérable, qui peut engendrer d’importantes dicultés d’adaptation. Cet événement est aussi associé à une augmentation de la comorbidité médicale et de la mortalité. Le taux de suicide complété augmente avec l’âge dans la plupart des pays. Des études récentes sur les suicides complétés renforcent l’association avec la dépression majeure, surtout chez les personnes âgées. Le diagnostic de dépression majeure a d’ailleurs été identié, lors d’une autopsie psychologique, dans plus de 80 % des cas de suicide chez les personnes de 65 ans et plus (Conwell & al., 2011). Inversement, la dépression de la personne âgée est associée à un taux de suicide de 10 à 20 %, ce qui en fait le trouble psychiatrique le plus associé au suicide dans ce groupe d’âge (voir aussi la section 63.6).

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65.3.4 Interface entre la dépression et les troubles neurocognitifs Le lien entre la dépression et les troubles neurocognitifs, particulièrement le trouble neurocognitif majeur, a fait l’objet de nombreuses études et sa compréhension a beaucoup évolué dans les vingt dernières années. Le terme pseudodémence a été largement utilisé initialement dans la description des liens entre la dépression et le trouble neurocognitif majeur, et ce, depuis sa description initiale par Kiloh (1961). La pseudodémence dépressive faisait référence à un syndrome démentiel d’apparition rapide, qui s’améliorait, voire disparaissait complètement avec le traitement antidépresseur. La description faisait état d’une séquence de symptômes (dépression puis troubles cognitifs) et comportait certains autres éléments caractéristiques, comme l’intensité de la détresse et des plaintes concernant les dicultés cognitives, la régression (perte d’initiative, retrait social) et les réponses stéréotypées (réponses répétitives du patient aux questions posées, par exemple « Je ne sais pas », notamment aux épreuves cognitives) (Wells, 1979). L’appellation « pseudodémence » est maintenant désuète. Ce terme suggère que les décits cognitifs chez les patients âgés déprimés ne sont pas réels. De plus, des études longitudinales subséquentes ont montré que, quel que soit le degré d’amélioration obtenu avec les antidépresseurs, ces tableaux « pseudodémentiels » évoluent pour la plupart vers un trouble neurocognitif majeur classique. En eet, malgré l’évolution initiale favorable du tableau dépressif et cognitif, plus de 70 % des patients développent un trouble neurocognitif majeur irréversible au bout de cinq à sept ans (Saez-Fonseca & al., 2007). Un examen neuropsychologique aide à établir le diagnostic diérentiel entre une dépression et un trouble neurocognitif. Dans la dépression, les fonctions corticales (langage, praxies et gnosies) sont relativement préservées. Les troubles cognitifs retrouvés dans la dépression se situent plutôt au niveau souscortical, sous forme de dicultés de récupération de l’information, d’apathie et de ralentissement psychomoteur. Typiquement, le rappel d’informations est facilité par la présentation d’indices au patient atteint de dépression, ce qui n’est pas le cas pour un patient sourant de la maladie d’Alzheimer. Dans ce dernier cas, la diculté se présente dès l’encodage mnésique, qui constitue la toute première étape de la mémorisation. Des problèmes d’attention et une atteinte des fonctions exécutives accompagnent souvent la dépression chez les patients âgés. La coexistence fréquente des troubles neurocognitifs et de la dépression chez les personnes âgées a stimulé depuis plusieurs années la recherche sur les liens cliniques et physiopathologiques entre ces deux familles de symptômes (Naismith & al., 2012). Plusieurs grandes études ont trouvé une comorbidité élevée entre la dépression et le trouble neurocognitif léger (TCL) (mild cognitive impairment), qui est un facteur de risque déjà établi pour le trouble neurocognitif majeur. De plus, dans l’étude populationnelle intitulée Italian Longitudinal Study on Aging, près de 63 % des patients sourant de TCL avaient aussi des symptômes dépressifs, dont 14 % étaient d’intensité grave (Solfrizzi & al., 2007). Dans le projet Kungsholmen, une étude populationnelle suédoise (Forsell & al., 2003), 10 % des patients sourant de TCL répondaient aussi aux critères de dépression comportant : • une perte d’initiative (20 %) ; • de la tristesse (11 %) ;

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Spécialités psychiatriques

• une perte d’intérêt (9 %) ; • des idées suicidaires (9 %). Les données disponibles indiquent qu’entre le tiers et la moitié des personnes âgées sourant de dépression majeure ont aussi un TCL. Les symptômes de la lignée aective sont associés à un risque accru d’évolution tant vers le TCL que vers le trouble neurocognitif majeur (Panza & al., 2010). La dépression d’apparition tardive est souvent considérée comme un prodrome ou un facteur de risque de trouble neurocognitif. Cette association persiste jusqu’à 25 ans après l’apparition des symptômes dépressifs (Green & al., 2003). Le risque augmente avec le nombre d’épisodes dépressifs (Kessing & Andersen, 2004). Ces liens entre la dépression apparaissant dans l’âge avancé et les troubles neurocognitifs subséquents font appel à trois hypothèses principales : 1. La dépression au cours de la vie constitue un facteur de risque pour le développement ultérieur d’un trouble neurocognitif. 2. L’apparition tardive d’un trouble dépressif est une manifestation précoce d’un trouble neurocognitif. 3. Puisque la dépression et les troubles neurocognitifs partagent plusieurs facteurs de risque, la présentation simultanée ou successive de ces deux entités est fréquente, voire constituent des manifestations d’un même processus pathologique. L’interrelation entre les tableaux dépressifs, les troubles neurocognitifs légers et la progression vers un trouble neurocognitif majeur font actuellement l’objet d’études. Plusieurs facteurs de risque communs peuvent être identiés : • Des facteurs vasculaires sont probablement en cause. Une corrélation a déjà été établie entre le TCL et les facteurs de risque vasculaires (hypertension artérielle, dyslipidémie, maladie cardiaque athérosclérotique), et on sait que la dépression peut être secondaire à des lésions vasculaires cérébrales (micro-infarctus). • Des mécanismes neuroendocriniens ont été suggérés pour expliquer le lien entre la dépression et la maladie d’Alzheimer. La dépression est associée à une augmentation de l’activité de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, ce qui se traduit par une augmentation de l’exposition cérébrale aux glucocorticoïdes. Des études ont montré un lien entre de hautes concentrations plasmatiques de cortisol et le déclin cognitif chez des personnes âgées avec ou sans diagnostic de trouble neurocognitif majeur (Lupien & al., 2009). • Les événements de vie marquants (ou stresseurs), notamment le veuvage ou un déménagement, peuvent aussi être associés autant au diagnostic de dépression qu’à celui de trouble neurocognitif. Ces événements induisent un niveau de stress important, qui peut être associé à l’apparition d’un épisode dépressif. Le changement dans une routine de vie établie de longue date ainsi qu’un changement de milieu peuvent mettre en évidence un processus démentiel qui serait passé inaperçu jusqu’alors. Pour le médecin, le fait de déceler la présence d’une dépression chez un patient qui soure d’un trouble neurocognitif constitue un dé en même temps qu’un exercice subtil, associé à des enjeux thérapeutiques importants. Le tableau clinique de la dépression recouvre partiellement celui du trouble neurocognitif, si bien qu’il est souvent dicile d’attribuer avec certitude les symptômes à l’une ou l’autre des entités pathologiques. L’insomnie, la perte de poids, le pessimisme, la labilité émotionnelle, la diculté à identier ses émotions, l’apathie et le ralentissement psychomoteur sont tous

des symptômes qui peuvent être observés tant chez les patients atteints de dépression que chez les patients atteints d’un trouble neurocognitif. Certaines caractéristiques peuvent cependant orienter davantage vers un diagnostic de dépression, notamment le caractère soutenu de la tristesse, le désespoir et l’anhédonie. Près de la moitié des patients atteints de maladie d’Alzheimer présentent une humeur triste et jusqu’à 20 % nissent par présenter un tableau de dépression majeure (Seitz &al., 2010). Près de 50 % des patients atteints de la maladie de Parkinson souriront aussi d’une dépression, et ce risque est indépendant de la gravité des troubles du mouvement. Le dépistage de la dépression chez les patients aux prises avec un trouble neurocognitif ou une maladie neurologique est d’autant plus important qu’ils peuvent bien répondre au traitement (Marsh, 2013). De fait, plutôt que de faire la distinction entre le trouble neurocognitif et la dépression, l’objectif clinique principal est de déterminer si un syndrome dépressif occasionne une morbidité supplémentaire au patient atteint d’un trouble neurocognitif, puisque son fonctionnement général, cognitif ainsi que sa qualité de vie peuvent être grandement améliorés avec le traitement de la dépression. Le diagnostic de dépression chez la personne âgée sourant d’un trouble neurocognitif doit parfois se fonder sur des aspects comportementaux, car la communication peut devenir de plus en plus limitée à mesure que le trouble neurocognitif s’aggrave. Le diagnostic doit alors faire suite à une période d’observation susante et il nécessite habituellement une collecte d’informations collatérales auprès des proches du patient. Le syndrome de dépression-trouble exécutif (depressionexecutive disorder syndrome)a été décrit dans le contexte d’avancées en neuro-imagerie, à la suite de l’observation clinique de personnes âgées présentant un tableau de dépression ainsi que des troubles des fonctions exécutives, avec une mémoire de rappel relativement préservée. Les fonctions aectées comprennent la planication, l’organisation et l’abstraction. Ce syndrome est caractérisé par un ralentissement psychomoteur, une diculté à accomplir les activités quotidiennes, une perte de fonctionnement disproportionnée à la gravité de la dépression et une réponse faible aux antidépresseurs. Une dysfonction du système reliant les régions frontales au striatum et au système limbique peut expliquer cette présentation dépressive particulière (Alexopoulos & al., 2002). La dépression majeure se présente souvent en comorbidité avec des facteurs de risque vasculaires, entrainant ce qu’on appelle une dépression vasculaire. D’ailleurs, certaines lésions ischémiques sont associées à des anomalies comportementales spéciques, et une dépression majeure peut faire suite à un accident vasculaire cérébral chez plus de 20 % des survivants d’un tel événement (Robinson & Spalletta, 2010). Lorsqu’ils présentent des facteurs de risque vasculaires, les patients aux prises avec une dépression apparaissant à un âge avancé ont généralement plus de troubles cognitifs, un plus fort ralentissement psychomoteur et une plus grande apathie. Leur perte d’autonomie est plus marquée que lorsque la dépression est d’apparition plus précoce ou sans facteurs vasculaires. Sur le plan de la symptomatologie dépressive, les sentiments de culpabilité et d’autodépréciation sont moins développés dans la dépression vasculaire. Des lésions ischémiques au niveau du cortex préfrontal ou de ses voies modulatrices pourraient se trouver au centre de la pathophysiologie de la dépression vasculaire (Alexopoulos & al., 1997). Des lésions du cortex frontal gauche sont particulièrement associées à la dépression post-AVC.

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65.3.5 Traitement Le traitement adéquat des troubles dépressifs chez la personne âgée permet non seulement d’atténuer les sourances en lien avec les symptômes dépressifs, mais aussi d’améliorer le fonctionnement et la qualité de vie, de réduire le risque suicidaire ainsi que d’alléger le fardeau des proches aidants. Le traitement de la dépression de la personne âgée comporte plusieurs enjeux spéciques, diérents de ceux trouvés chez l’adulte plus jeune. En eet, les patients âgés présentent généralement davantage de comorbidité avec les maladies physiques et une sensibilité accrue aux eets indésirables des médicaments psychotropes. Le métabolisme est ralenti et les interactions avec le reste de la pharmacopée sont plus complexes. Les décits cognitifs peuvent restreindre les possibilités d’interventions thérapeutiques, au même titre que la mobilité réduite et les problèmes de transport, qui peuvent compliquer la participation au plan de traitement. La prise en charge optimale de la dépression chronique doit comprendre un antidépresseur combiné à la psychothérapie, un antidépresseur seul ou une psychothérapie. Dans le cas de la dépression majeure unipolaire non psychotique, la combinaison d’un antidépresseur et d’une psychothérapie est préférable, bien que l’accès à la psychothérapie pour les personnes âgées ne soit pas généralisé. L’électroconvulsivothérapie doit aussi être envisagée lors d’épisodes dépressifs majeurs d’intensité grave (surtout en présence de caractéristiques psychotiques) ou réfractaires aux médicaments.

Traitements biologiques En raison d’un meilleur prol d’eets indésirables, les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS) sont recommandés en 1re intention pour le traitement de la dépression gériatrique. Plusieurs études ont tenté de comparer l’ecacité de diérents antidépresseurs, entre eux et avec un placebo, chez des patients de plus de 60 ans. Les résultats indiquent que les ISRS et les inhibiteurs du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN) sont ecaces (Mukai & Tampi, 2009). Des études comparant les ISRS aux IRSN ou aux tricycliques n’ont pas pu mettre en évidence d’avantages signicatifs quant à l’ecacité clinique d’une classe d’antidépresseurs par rapport aux autres (Mukai & Tampi, 2009). Le choix d’un antidépresseur se fait donc en partie en fonction du prol d’eets secondaires. Les personnes âgées présentent une sensibilité accrue aux eets indésirables, qui doivent être surveillés lors de l’introduction de toute médication ; les doses initiales doivent être plus basses et les ajustements posologiques plus lents que pour un adulte plus jeune. Les interactions médicamenteuses doivent toujours être surveillées. Bien qu’ils soient généralement bien tolérés, les ISRS peuvent causer plusieurs eets indésirables. Ceux qui sont le plus souvent rapportés par les patients âgés sont : • les céphalées ; • les troubles gastro-intestinaux (nausée, diarrhée, dyspepsie) ; • les troubles sexuels ; • la xérostomie. Chez les personnes âgées, le risque de développer une hyponatrémie en raison d’un syndrome de sécrétion inappropriée de l’hormone antidiurétique (SIADH), suite à la prise d’ISRS notamment, serait légèrement accru. Pour cette raison, l’obtention d’un taux de natrémie après quelques semaines de traitement avec

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un ISRS est parfois suggérée. Par ailleurs, les ISRS sont relativement sécuritaires en cas de surdosage. La sertraline (ZoloftMD) et le citalopram (CelexaMD) (et plus récemment l’escitalopram [CipralexMD]) sont les ISRS de 1re intention pour le traitement de la dépression gériatrique, puisqu’ils sont bien tolérés et associés à peu d’interactions médicamenteuses. Cependant, les ISRS exercent un eet anti-agrégation plaquettaire dont il faut tenir compte lors de la prescription concomitante d’un anticoagulant, en raison du risque accru de saignement. De plus, en 2012, Santé Canada a publié des avis concernant l’allongement de l’intervalle QTc à l’ECG associé à la prise de citalopram (Santé Canada, 2012a) et d’escitalopram (Santé Canada, 2012b). Pour les personnes âgées de plus de 65 ans, la dose maximale recommandée par Santé Canada est de 20 mg de citalopram et 10 mg d’escitalopram. Les IRSN, comme la venlafaxine (EexorMD), constituent un autre choix pharmacologique intéressant, généralement mieux toléré que les antidépresseurs tricycliques, mais possiblement moins que les ISRS. Un autre IRSN, la duloxétine (CymbaltaMD), a montré une ecacité pour le traitement des symptômes dépressifs et douloureux de la dépression chez les personnes âgées et elle est généralement bien tolérée. Le bupropion (WellbutrinMD) est un antidépresseur dont l’ecacité a été reconnue, mais peu d’études ont été eectuées auprès des personnes âgées. L’eet indésirable le plus sérieux est le risque accru de convulsions ; ce risque est proportionnel à la dose et est estimé chez l’adulte à 0,4 %, pour une dose de 300 à 450 mg par jour. Le bupropion risque par ailleurs d’aggraver une hypertension préexistante. Malgré ces inconvénients, le bupropion demeure un choix relativement sûr, qui comporte peu d’interactions médicamenteuses, et qui peut donc être prescrit à des personnes âgées aux prises avec une maladie cardiaque (Maneeton & al., 2013). La mirtazapine (RemeronMD), qui augmente l’appétit et induit de la sédation, représente une autre option intéressante, souvent utilisée dans la dépression comportant des symptômes d’anorexie ou d’insomnie marqués. Elle est généralement bien tolérée. Les antidépresseurs tricycliques possèdent un prol d’eets indésirables moins sûr auprès des personnes âgées, si bien que cette classe de médicaments n’est pas indiquée en 1re intention pour le traitement d’un épisode dépressif ; une bonne réponse antérieure ou la résistance aux antidépresseurs de 1re intention peuvent cependant en justier l’utilisation. Les principaux eets indésirables associés à la classe d’antidépresseurs tricycliques sont l’hypotension orthostatique, avec des risques de chutes et de fractures associées, de même que les eets anticholinergiques, comme la rétention urinaire, la constipation, la vision embrouillée ou les troubles cognitifs, qui sont particulièrement redoutés chez les personnes âgées. L’eet indésirable le plus dangereux demeure la cardiotoxicité, qui peut être létale même lors d’un faible surdosage. La prévalence de troubles cardiovasculaires est élevée chez les personnes âgées et la prescription d’antidépresseurs tricycliques dans ce groupe d’âge doit être faite prudemment et nécessite une surveillance de la conduction cardiaque. On dispose de peu de données sur l’utilisation des inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO) chez des patients âgés. Elles ont montré une ecacité des IMAO pour traiter la dépression majeure de même que la dépression avec attaques de panique. À l’exemple des autres types d’antidépresseurs, les IMAO doivent être utilisés initialement à petites doses chez la personne âgée. L’hypotension orthostatique est l’eet indésirable le plus fréquent, suivie du gain de poids et de l’insomnie. Une neuropathie

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périphérique peut apparaître chez un faible pourcentage de patients, mais peut toutefois être évitée grâce à la coadministration de pyridoxine (vitamine B6). Les précautions relatives aux interactions médicamenteuses et les contraintes en lien avec une diète faible en tyramine limitent le plus souvent l’usage des IMAO dans la population âgée. Les psychostimulants tels le méthylphénidate (RitalinMD) ou la dextroamphétamine (DexedrineMD) ne sont pas ecaces pour le traitement de la dépression de la personne âgée, mais représentent une option thérapeutique utilisée surtout dans un contexte de consultation-liaison en milieu hospitalier, pour certains symptômes comme l’apathie et le manque d’énergie dans le cadre d’une maladie physique ou d’un trouble neurocognitif. Le délai de réponse aux antidépresseurs peut s’étirer jusqu’à 12 semaines chez les personnes âgées, de telle sorte qu’il faut attendre plus longtemps que chez les patients adultes plus jeunes avant de déterminer que l’épisode dépressif est réfractaire. Le taux de récidive augmente avec l’âge et un premier épisode dépressif après 60 ans, non traité, peut durer de 12 à 48 mois, comparativement à une moyenne de neuf mois chez les adultes plus jeunes. Les épisodes dépressifs chez les personnes âgées ont aussi tendance à se chroniciser et à présenter un taux de rechute accru. Compte tenu de l’évolution naturelle de la dépression chez les personnes âgées, la durée recommandée de traitement pour un premier épisode dépressif est de 24 mois après la rémission. Pour une récidive, un traitement à vie est préconisé. Le traitement de la dépression avec caractéristiques psychotiques nécessite généralement l’utilisation combinée d’un antidépresseur et d’un antipsychotique. Cette association est plus ecace qu’une monothérapie de l’une ou l’autre molécule. Peu d’études ont examiné spéciquement l’utilisation des antipsychotiques dans le traitement de la dépression psychotique chez les personnes âgées. Un consensus d’experts a recommandé l’ajout de rispéridone (RisperdalMD), d’olanzapine (ZyprexaMD) ou de quétiapine (SeroquelMD) au traitement antidépresseur avant d’envisager la prescription d’un antipsychotique de première génération ou de clozapine (Alexopoulos & al., 2001). Le maintien du traitement antipsychotique est recommandé pour une durée de six mois ; par la suite une diminution progressive peut être tentée en surveillant la réapparition des symptômes psychotiques. Lorsque coexistent une dépression et un trouble neurocognitif, le traitement de choix pour le tableau dépressif demeure l’administration d’un antidépresseur combiné à des interventions psychosociales. En ce qui concerne le trouble neurocognitif majeur, l’introduction d’un inhibiteur de la cholinestérase ou d’un autre traitement spécique doit aussi être envisagée. En cas de trouble cognitif plus marqué, une forme de thérapie comportementale, qui repose plutôt sur le proche aidant, est recommandée. Ce dernier s’implique directement auprès du patient, notamment en favorisant les moments agréables et en créant des diversions au besoin. La présence du proche aidant facilite l’application des techniques. De plus, le proche aidant peut en retirer un bénéce pour lui-même en développant un sentiment de compétence vis-à-vis des problèmes rencontrés. L’utilisation d’un antidépresseur seul est aussi acceptable : les ISRS (sertraline, citalopram) ou un IRSN (venlafaxine) sont alors préférables. En cas d’incertitude quant à la présence ou non d’une dépression chez un patient sourant de troubles neurocognitifs, un essai thérapeutique avec un antidépresseur est justié. Toutefois, une étude de 24 semaines portant sur l’eet thérapeutique de la

sertraline dans la dépression surajoutée à la maladie d’Alzheimer n’a pas montré l’ecacité clinique de l’antidépresseur dans cette population (Weintraub & al., 2010). L’introduction d’un inhibiteur de la cholinestérase est décrite en détail dans le chapitre 27, à la sous-section 27.2.8, et au chapitre 70, à la section 70A.4. Les traitements d’électroconvulsivothérapie (ECT) sont indiqués chez des patients sourant de dépression majeure d’intensité grave, avec caractéristiques psychotiques, mélancoliques ou catatoniques. L’ECT est plus souvent utilisée chez les patients âgés du fait de l’intolérance ou du caractère réfractaire plus fréquents aux traitements médicamenteux. Une aection médicale physique (notamment cardiaque) limite davantage les options pharmacologiques. Certains patients peuvent avoir répondu favorablement dans le passé à des traitements d’ECT, ce qui peut justier la reprise de ce traitement. L’ECT comporte un faible taux de morbidité et de mortalité ; son ecacité à court terme est élevée et son délai d’action est beaucoup plus court que celui des traitements pharmacologiques habituels. Certaines études suggèrent même une plus grande ecacité de l’ECT chez les patients âgés atteints de dépression que chez les adultes plus jeunes (Dombrovski & Mulsant, 2007).

Traitements psychologiques L’âge n’est pas une contre-indication à la psychothérapie et, même si peu d’études ont traité des interventions psychothérapeutiques spéciquement chez les personnes âgées, ces approches sont nécessaires pour cette population plus fragile et sensible aux traitements pharmacologiques. Tous les types de psychothérapie peuvent être utilisés et les indications d’un type par rapport à un autre doivent être évaluées individuellement (voir aussi la section 6.4). La thérapie cognitivo-comportementale (TCC), la psychothérapie interpersonnelle, la thérapie par la résolution de problèmes, la thérapie comportementale, la thérapie dynamique brève et la thérapie par la réminiscence ont toutes une ecacité dans le traitement de la dépression gériatrique. De façon générale, les études montrent une supériorité de la psychothérapie combinée à un antidépresseur (Coalition canadienne pour la santé mentale des personnes âgées, 2006).

65.4 Troubles anxieux Comparativement aux troubles de l’humeur et aux troubles psychotiques, les troubles anxieux ont fait l’objet de peu d’études chez les personnes âgées ; l’anxiété chez les plus de 80 ans (oldold) est encore moins bien connue. Pourtant, les symptômes d’anxiété sont présents chez environ le quart des personnes âgées dans la communauté, et jusqu’à 50 % des patients âgés en milieu institutionnel gériatrique (Bryant & al., 2008), ce qui peut expliquer en partie pourquoi ils reçoivent proportionnellement plus de prescriptions d’anxiolytiques que les patients plus jeunes. Les troubles anxieux sont présentés en détail au chapitre 20. L’anxiété normale et l’anxiété pathologique peuvent être passablement diciles à distinguer chez les personnes âgées pour diérentes raisons. Dans l’âge avancé, les facteurs de stress sont nombreux et inhérents aux événements et aux enjeux propres à cette étape de la vie. L’anxiété peut se situer sur un continuum allant du mécanisme normal d’adaptation au trouble

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envahissant et invalidant. Le décès du conjoint, la maladie ou la perte d’autonomie, par exemple, provoquent une réaction anxieuse compréhensible ; la présence d’anxiété peut néanmoins être considérée à tort comme normale dans ce groupe d’âge, alors qu’elle mériterait une intervention thérapeutique.

65.4.1 Épidémiologie Plusieurs données épidémiologiques suggèrent que la prévalence des troubles anxieux diminue avec l’âge. Dans l’étude ECA (Epidemiologic Catchment Area), le groupe des plus de 65 ans est légèrement moins atteint en général, avec des prévalences de 3,6 % chez les hommes et de 6,8 % chez les femmes, pour une moyenne de 5,5 %, par comparaison avec une moyenne de 7,3 % chez les adultes plus jeunes. Ces chires excluent cependant le diagnostic d’anxiété généralisée (Regier & al., 1990). Dans l’étude NCS-R (National Comorbidity Survey Replication) (Kessler & al., 2005), la répartition des troubles anxieux se fait ainsi : • 15,3 % de prévalence à vie chez les personnes de 60 ans et plus ; • 30,8 % chez les 45-59 ans ; • 35,1 % chez les 30 à 44 ans ; • 30,2 % chez les 18 à 29 ans. Après les troubles neurocognitifs, ce sont les troubles anxieux qui sont le plus souvent diagnostiqués chez les personnes âgées, devant les troubles de l’humeur, avec lesquels ils sont fréquemment comorbides (Byers & al., 2010). Les phobies spéciques (p. ex., hauteurs, animaux, orages, sang, etc.) constituent collectivement le trouble anxieux le plus fréquent avec une prévalence à vie de 7,5 % (Kessler & al., 2005). Une étude épidémiologique eectuée au Québec (Préville & al., 2008) rapporte une prévalence globale des troubles anxieux de 5,6 %. Ces données épidémiologiques sur les troubles anxieux chez les personnes âgées doivent cependant être interprétées avec circonspection. En eet, dans ces études, les diagnostics ont été établis de façon stricte à l’aide de critères établis en fonction de populations adultes plus jeunes, tandis que les personnes âgées peuvent présenter des tableaux cliniques atypiques, notamment avec des somatisations, ce qui peut faire en sorte d’en sous-estimer la prévalence. Ainsi, la Longitudinal Aging Study Amsterdam (LASA) a trouvé une prévalence de plus de 10 % de troubles anxieux chez les personnes de plus de 55 ans vivant dans la communauté, dont 7,3 % d’anxiété généralisée, le trouble le plus fréquent. Au suivi à six ans, près de 70 % des patients chez qui on avait initialement diagnostiqué un trouble anxieux présentaient encore un tableau de trouble anxieux ou un état anxieux subsyndromique (Schuurmans & al., 2005). D’ailleurs, une importante proportion de personnes âgées (de 15 % à plus de 50 %) rapportent des symptômes anxieux, sans que ceux-ci fassent l’objet d’un diagnostic ociel (Bryant & al., 2008). Les tableaux subsyndromiques sont donc fréquents et occasionnent une détresse importante, en dépit du fait qu’ils ne correspondent à aucun diagnostic établi (Bryant & al., 2013). Plusieurs autres facteurs peuvent entraver la détection des troubles anxieux chez les personnes âgées. La présence confondante d’aections médicales, tels les troubles cardiaques ou respiratoires, tend à en fausser la prévalence. Les médecins sont portés à surévaluer le caractère adaptatif des symptômes anxieux chez les personnes âgées qui se plaignent moins de leur anxiété parce qu’elles

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ne reconnaissent pas leurs symptômes comme pathologiques ; elles ont tendance à les minimiser et à se les rappeler avec moins de précision. Elles sont aussi portées à décrire leur anxiété en des termes diérents (p. ex., de façon somatique), ou encore à l’attribuer à des causes médicales. De plus, elles sont plus souvent mal à l’aise pour expliquer leurs troubles mentaux. Enn, les manifestations du système nerveux autonome associées notamment au trouble panique tendent à s’atténuer avec l’âge. Pour toutes ces raisons, les critères diagnostiques sont probablement moins sensibles à détecter les troubles anxieux chez les personnes âgées (Flint, 2005).

65.4.2 Description clinique Malgré les diérences décrites ci-dessus dans l’attitude envers les symptômes d’anxiété, les quelques études qui ont tenté de comparer le prol clinique selon l’âge des patients ou encore selon l’âge d’apparition des symptômes anxieux n’ont pas révélé de diérence majeure. La plupart des troubles anxieux se manifestent dès le début de l’âge adulte, soit avant 21 ans dans une proportion de 75 %, et avant 41 ans dans une proportion de 90 %. L’apparition dans l’âge avancé d’un trouble anxieux de novo est donc relativement rare (Wolitzky-Taylor & al., 2010). Les cas décrits concernent surtout l’agoraphobie et, dans une moindre mesure, le trouble panique. L’étude spécique de patients âgés sourant d’anxiété généralisée suggère néanmoins que plus de 40 % d’entre eux ont développé leurs symptômes après 60 ans (Le Roux & al., 2005). Indépendamment de l’âge du début, on observe certaines diérences dans la présentation des symptômes d’anxiété chez les personnes âgées. Ainsi, elles ressentent moins d’émotions négatives et présentent une réponse moins prononcée du système nerveux autonome lors d’états émotionnels intenses. Les attaques de panique sont moins marquées, avec moins de symptômes aigus et de comportements d’évitement secondaires, mais le prol général demeure sensiblement le même. Les sujets d’inquiétude dièrent selon l’étape de vie. Alors que les personnes plus jeunes s’inquiètent plus souvent du travail, des nances ou de la famille, les personnes âgées sont davantage préoccupées par la santé et la perte d’autonomie, ou encore la crainte de devenir un fardeau pour leurs proches. La peur de tomber est une manifestation d’anxiété relativement fréquente chez les personnes âgées, qui peut avoir des conséquences importantes sur le fonctionnement dans la mesure où elle peut limiter la mobilité ou les sorties à l’extérieur du domicile. Lorsqu’elle apparaît tardivement, l’agoraphobie peut faire suite à une maladie physique. L’anxiété généralisée se développe habituellement plus tôt dans la vie, parfois même dans l’enfance. Cependant, il est possible que ce trouble soit sous-diagnostiqué chez les personnes âgées : comme ils sont présents de longue date, les symptômes peuvent être attribués à tort à la personnalité de base. La présence possible d’aections médicales physiques comportant des symptômes semblables (p. ex., maladie cardiaque ou pulmonaire) peut aussi rendre le diagnostic de ce trouble anxieux plus dicile à établir. Dans le cas des phobies spéciques et de la phobie sociale, les comportements d’évitement adoptés de longue date rendent plus dicile la détection de ces troubles.

65.4.3 Diagnostic différentiel Comme décrit ci-dessus, il est possible que le seuil au-delà duquel une symptomatologie anxieuse est considérée comme

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un trouble ne soit pas le même chez les personnes âgées que chez les adultes plus jeunes, en dépit du fait que les critères diagnostiques sont les mêmes pour les deux groupes. Cela complique le diagnostic, d’autant plus que l’anxiété fait partie du tableau clinique de plusieurs maladies psychiatriques chez les personnes âgées. Ainsi, la dépression s’accompagne très souvent de symptômes d’anxiété dont l’intensité peut même inciter à poser un diagnostic spécique de trouble anxieux. Dans une étude canadienne, près du quart des patients de plus de 55 ans sourant d’un trouble anxieux répondaient aussi aux critères de dépression majeure (Cairney & al., 2008). Inversement, plusieurs études ont trouvé que jusqu’à 50 % des patients âgés sourant de dépression majeure répondent aussi aux critères d’un trouble anxieux (Wolitzky-Taylor & al., 2010). Lorsque les deux troubles coexistent, l’anxiété généralisée précède généralement la dépression dans l’âge avancé : habituellement présente depuis de nombreuses années, l’anxiété se complique d’un épisode de dépression majeure, pour ensuite persister à la suite du traitement de la dépression. La coexistence de ces deux entités est d’ailleurs souvent associée à la résistance au traitement. Un diagnostic de dépression doit toujours être envisagé en présence de symptômes d’anxiété chez une personne âgée. De plus, la présence d’un trouble anxieux ou d’un trouble mixte anxiétédépression est associée à un risque suicidaire accru. Par ailleurs, tout comme chez les adultes plus jeunes, la comorbidité des troubles anxieux avec les troubles liés à l’utilisation de substances est fréquente. Plusieurs possibilités sont suggérées pour tenir compte des diérences dans la présentation de l’anxiété avec l’âge. Mentionnons le diagnostic de trouble mixte anxiété-dépression, l’adoption de critères diérenciés selon l’âge, ou encore simplement l’ajout de précisions additionnelles au sujet de l’âge, sans modication des critères des troubles anxieux (Wolitzky-Taylor & al., 2010). Ces suggestions n’ont cependant pas été retenues dans le DSM-5. Les troubles anxieux, surtout s’ils sont d’apparition tardive, peuvent signaler de nombreuses aections médicales fréquentes dans ce groupe d’âge, dont des problèmes cardiaques, pulmonaires, endocriniens, neurologiques ou vestibulaires. De plus, les personnes âgées sourant de troubles anxieux expriment souvent des craintes d’un tout autre ordre lorsqu’elles consultent en médecine générale ou spécialisée : dyspnée, malaises cardiaques, étourdissements, etc. Ces symptômes somatiques compliquent l’identification du trouble anxieux sous-jacent. En outre, la composante somatique de l’anxiété n’est pas toujours facile à départager d’un trouble à symptomatologie somatique. Les aections médicales auxquelles ces plaintes peuvent être reliées doivent néanmoins être écartées et une évaluation judicieuse doit être entreprise en fonction du type de symptôme présenté. Un trouble neurocognitif peut parfois se manifester par de l’anxiété excessive, par exemple dans le cadre d’un trouble neurocognitif léger (TCL), un début de trouble neurocognitif majeur, ou comme prodrome d’un delirium. La présence d’anxiété a été identiée comme un facteur de risque de conversion d’un trouble neurocognitif léger vers un trouble neurocognitif majeur. De plus, l’anxiété entrave la performance à l’évaluation cognitive, ce qui en complique le diagnostic.

65.4.4 Traitement L’approche thérapeutique des troubles anxieux chez les personnes âgées est la même que chez les adultes plus jeunes, tant pour

ce qui est de la pharmacothérapie que de la psychothérapie. Le traitement doit cependant tenir compte des particularités de ce groupe d’âge.

Traitements biologiques En ce qui concerne le traitement pharmacologique, les antidépresseurs de type ISRS et les IRSN sont reconnus comme étant le traitement de 1re intention. L’ecacité du citalopram (CelexaMD), de la sertraline (ZoloftMD) et de la venlafaxine (EexorMD) pour le soulagement de l’anxiété chez les personnes âgées est conrmée, et les données disponibles suggèrent que l’escitalopram (CipralexMD) et la duloxétine (CymbaltaMD) sont également ecaces. Lorsqu’un trouble de l’humeur coexiste avec le trouble anxieux, un traitement antidépresseur spécique doit être entrepris, à moins que le traitement du trouble anxieux ne soit déjà à base d’antidépresseur. Les antidépresseurs tricycliques sont à utiliser avec circonspection chez les personnes âgées, en raison de leurs eets anticholinergiques. Mais ils ont aussi leur place dans le traitement de certains troubles anxieux (voir aussi les sous-sections 64.3.2 et 65.3.5). Les anxiolytiques de type benzodiazépine sont à éviter dans la mesure du possible, en raison de leurs eets indésirables et des risques qu’ils comportent, notamment les chutes, les troubles cognitifs, la confusion et la dépendance (voir aussi la soussection 65.9.2). Les anxiolytiques non benzodiazépiniques, dont le prototype est la buspirone (Buspar MD), entraînent moins d’eets indésirables tout en posant relativement moins de problèmes d’interactions médicamenteuses ; ils sont indiqués surtout dans l’anxiété généralisée. Leur délai d’action peut cependant nuire à la délité au traitement, d’où la nécessité de fournir des explications au patient et à sa famille.

Traitements psychologiques Sur le plan psychothérapeutique, l’entraînement à la relaxation, la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), la thérapie de soutien et la thérapie cognitive sont ecaces pour le traitement des troubles anxieux chez la personne âgée. La TCC pour l’anxiété généralisée a fourni les résultats les plus probants pour autant que l’approche soit adaptée aux personnes âgées, notamment sous la forme de rappels plus proactifs quant aux tâches à eectuer entre les séances, à la répétition des consignes et à une plus longue révision des séances précédentes. Quelques études ont comparé l’ecacité de la TCC à celle de la sertraline dans le traitement des troubles anxieux chez les patients âgés. Les deux traitements se sont révélés ecaces ; toutefois l’eet est plus important et plus durable pour le groupe traité avec la sertraline (Schuurmans & al., 2009).

65.5 Trouble obsessionnel-compulsif Le trouble obsessionnel-compulsif (TOC) est une pathologie chronique dont la rémission spontanée est rare. Sa prévalence chez les personnes âgées est probablement de l’ordre de 1 %, comme chez les adultes plus jeunes. Cependant, l’apparition tardive de ce trouble est inusitée. Après 60 ans, le risque de développer la maladie est 4,9 fois moins élevé qu’entre 45 et 59 ans, 7,6 fois moindre qu’entre 30 et 44 ans, et 12 fois moindre qu’entre 18 et 29 ans (Ruscio & al., 2010). Dans certains cas, des aections neurologiques, comme une atteinte des noyaux gris

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centraux, sont identiées comme étant à l’origine de ces symptômes d’apparition tardive. Le trouble obsessionnel-compulsif est présenté en détail au chapitre 21. Les patients âgés avec un TOC ont généralement une longue histoire de symptômes souvent très incapacitants. Les quelques études disponibles suggèrent que la présentation clinique est très semblable à celles de populations plus jeunes. On rapporte que les personnes âgées ont plus souvent des obsessions d’avoir commis un péché, des rituels de lavage de mains, mais moins de préoccupations concernant la symétrie ou des rituels de comptage (Kohn & al.,1997).

65.6 Trouble d’amassage Le trouble d’amassage (hoarding disorder) est une nouvelle entité diagnostique traduite dans le DSM-5 par « thésaurisation (syllogomanie) ». Il fait partie de la catégorie des troubles obsessionnels-compulsifs. On le retrouve plus fréquemment chez les personnes âgées, bien qu’il soit généralement présent de longue date au moment du diagnostic (Nordsletten & al., 2013). Il se caractérise par l’accumulation pathologique de toutes sortes d’objets apparemment inutiles ou superus, mais auxquels le patient attribue une utilité potentielle (p. ex., des piles de vieux journaux « au cas où j’aurais besoin de retrouver un article ») ; on note aussi un retrait social et une apparente indiérence aux conditions du milieu de vie. L’appellation « syndrome de Diogène » est parfois employée lorsque le tableau se caractérise par une négligence personnelle et domestique marquée, se surajoutant à l’accumulation de déchets. Le trouble d’amassage est présenté en détail au chapitre 21, à la section 21B.2. Avant le DSM-5, il arrivait souvent que les patients sourant d’un trouble d’amassage ne correspondent à aucune catégorie diagnostique. Le tableau clinique pouvait être attribué par exemple à un trouble obsessionnel-compulsif, à une dépression ou à un trouble neurocognitif. On note une comorbidité fréquente avec les troubles neurocognitifs frontotemporaux. Certains y voient une variante ou une manifestation tardive d’un trouble de la personnalité (Grisham & al., 2006). Souvent, la famille s’est éloignée de telle sorte que l’accumulation pathologique est restée cachée pendant de longues années. L’état du logement n’est porté à l’attention des intervenants ou des services sociaux qu’après le décès du conjoint, à la suite d’une hospitalisation ou à l’occasion d’un déménagement rendu nécessaire par une perte d’autonomie. La mise au jour du problème se fait donc dans des circonstances quelquefois dramatiques. Les conséquences du trouble d’amassage sont à la fois sociales et médicales. L’encombrement du logement augmente le risque d’incendie ainsi que celui de chute ou d’accident. De plus, dans certains cas, l’insalubrité peut engendrer un risque d’intoxication alimentaire, d’infection ou d’infestation, en plus de déroger aux normes de sécurité. Les interventions auprès de ces patients sont diciles, du fait de leur absence d’autocritique et de l’indiérence qu’ils manifestent vis-à-vis de leur situation. En eet, les personnes atteintes du trouble d’amassage nient généralement le risque qu’elles courent.

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Elles montrent une très grande résistance à se débarrasser de leurs objets et, le plus souvent, refusent catégoriquement de s’en départir. Les interventions en ce sens engendrent donc une anxiété importante. Pour toutes ces raisons, une approche multidisciplinaire est habituellement nécessaire. Des équipes communautaires spécialisées qui ont vu le jour dans certains milieux rapportent des résultats intéressants (Whiteld & al., 2012). Les objectifs thérapeutiques doivent demeurer réalistes : minimiser les impacts négatifs des comportements, maximiser la sécurité, briser l’isolement, maintenir la personne à son domicile dans la mesure du possible. L’intervention doit généralement s’échelonner à moyen ou long terme (parfois sur de nombreux mois), an d’aider le patient à cheminer tout en respectant son rythme et en préservant l’alliance thérapeutique.

65.7 Troubles à symptomatologie somatique Les symptômes somatiques sont généralement plus fréquents dans l’âge avancé, signalant la présence d’une aection médicale. Les symptômes somatiques peuvent également être le mode de présentation d’un trouble psychiatrique chez les personnes âgées, en particulier de la dépression et des troubles anxieux. Après l’exclusion de ces pathologies, on évoque un diagnostic de trouble à symptomatologie somatique (trouble somatoforme dans le DSM-IV) lorsque les symptômes engendrent une détresse signicative. Les troubles à symptomatologie somatique sont présentés en détail au chapitre 25.

65.7.1 Symptômes somatiques Les plaintes somatiques médicalement inexpliquées chez les personnes âgées ne devraient pas mener automatiquement à un diagnostic de trouble à symptomatologie somatique. D’ailleurs, le caractère inexpliqué de ces symptômes, essentiel pour le diagnostic de trouble somatoforme dans le DSM-IV, a été abandonné dans le DSM-5 pour laisser place à l’importance de la détresse ou des préoccupations engendrées par ces symptômes pour le patient. De fait, plusieurs de ces plaintes sont réellement motivées, du moins partiellement, par une cause physique (Hilderink & al., 2009). L’accès limité aux examens spécialisés et aux consultants peut être à l’origine d’une sous-évaluation des plaintes physiques présentées par les personnes âgées. L’accueil de ces plaintes inexpliquées par les intervenants est variable et les symptômes peuvent parfois être attribués à tort au vieillissement. Le diagnostic de trouble à symptomatologie somatique dépend donc de facteurs complexes et diciles à systématiser. Les malaises physiques sans cause objectivable sur le plan physiologique ou anatomique représentent néanmoins une situation clinique très fréquente dans les cabinets de médecins de 1re ligne. La somatisation est un concept large, qui illustre des situations où une étiologie physique n’est pas claire, mais où le tableau clinique n’évoque pas non plus clairement une étiologie psychique. Chez les personnes âgées, la vision dichotomique des sphères somatique et psychique s’applique particulièrement mal. On retrouve plutôt une interaction complexe entre les malaises physiques, la

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Spécialités psychiatriques

perception de la douleur ou des symptômes, l’attitude envers la maladie et son impact psychique. De plus, la comorbidité avec les troubles dépressifs et anxieux est fréquente (Wijeratne & al., 2003). Outre la personnalité du patient, un état dépressif ou anxieux peut clairement contribuer aux symptômes de somatisation, notamment en ce qui concerne le seuil de tolérance à la douleur. Des facteurs génétiques sont également en cause. De plus, les expériences antérieures, les antécédents familiaux et les facteurs culturels peuvent complexier le tableau. Bien que la prévalence des troubles à symptomatologie somatique chez les personnes âgées n’ait pas été étudiée de façon systématique, elle ne semble pas diminuer avec l’âge. Dans la plupart des cas, les symptômes apparaissent avant l’âge de 50 ans. L’apparition tardive de plaintes somatiques inexpliquées doit, après exclusion des causes physiques, orienter davantage vers un diagnostic de dépression ou de trouble anxieux. Il n’existe pas de traitement spécique des troubles à symptomatologie somatique, et aucun n’a été étudié spéciquement chez les personnes âgées. De fait, dans la plupart des études, les patients sont exclus à partir de l’âge de 60 ou 65 ans. De façon générale, le soutien et la réassurance sont peu ecaces. La TCC et la thérapie par exercices progressifs (graded exercise therapy) peuvent s’avérer utiles, surtout pour les symptômes de fatigue. Il s’agit d’un programme d’exercices supervisés, adaptés à la condition du patient, et dont la durée est augmentée progressivement an de stimuler la mobilisation et contrer la composante d’évitement phobique qui peut intervenir chez les patients atteints du syndrome de fatigue chronique. Des approches de groupe peuvent aussi donner des résultats intéressants, notamment en aidant le patient à focaliser son attention ailleurs que sur ses symptômes physiques. Ces approches sont cependant peu développées, même dans les grands centres ou en 2e ligne, ce qui en restreint considérablement l’accès. Les approches inspirées de la méditation et de la pleine conscience (mindfulness) peuvent aussi être utiles.

65.7.2 Douleur La douleur est fréquente chez les personnes âgées, aectant jusqu’à 50 % d’entre elles ; son impact fonctionnel est signicatif. La douleur chronique altère considérablement la qualité de vie ; de plus, son traitement est très souvent sous-optimal. Dans plus du tiers des cas, les symptômes de douleur demeurent inexpliqués ou sans cause clairement identiée (Kroenke, 2003). Le fait de conclure à l’absence de cause médicale comporte cependant une part de subjectivité, et cette conclusion peut varier selon les médecins, ce qui prête à controverse tant sur les plans théorique que pratique (Beesdo & al., 2010). En dépit de ces constatations et du fait que la douleur aecte un grand nombre de personnes âgées, elle reste un problème qui suscite encore trop peu d’intérêt de la part des cliniciens et des chercheurs en gérontopsychiatrie, et les outils d’intervention demeurent limités. La douleur est présentée en détail au chapitre 26. La douleur chronique engendre de l’anxiété ainsi que des symptômes dépressifs, qui peuvent favoriser à leur tour une accentuation de la perception des stimuli douloureux. Les études de population montrent bien l’association entre la douleur et la dépression. Plus de 40 % des personnes sourant de dépression majeure se plaignent de douleur chronique. La nature de la relation entre douleur, anxiété et dépression n’est pas clairement

élucidée ; de façon empirique, on peut penser que chacune de ces entités a le potentiel d’aggraver l’autre (Ilie & al., 2009). Les patients sourant à la fois de dépression majeure et de douleurs chroniques sont plus susceptibles de présenter des idées suicidaires ainsi que des troubles du sommeil. Ils reçoivent plus fréquemment un diagnostic associé de trouble de la personnalité ; bien que l’établissement de ce lien semble indiquer que les patients porteurs d’un trouble de personnalité sourent plus souvent de douleur, il se pourrait qu’il témoigne plutôt du contre-transfert que les cliniciens éprouvent envers les patients sourant de douleur chronique, en raison de leur sentiment d’impuissance à les soulager (Meeks & al., 2008). Le vécu douloureux peut s’exprimer très diéremment d’une personne à l’autre. Les facteurs culturels, en particulier, inuencent le mode d’expression de la douleur. De même, la douleur peut être dicile à déceler chez les patients sourant de troubles neurocognitifs ou d’autres troubles psychiatriques graves. Les méthodes d’observation et de suivi de la douleur doivent alors être adaptées an qu’il soit possible de les évaluer correctement. Les vocalisations de sourance (gémissements), l’expression non verbale, notamment au niveau du visage, les changements de comportement ou d’humeur inexpliqués au moment de la mobilisation ou lors d’autres activités spéciques susceptibles d’exacerber la douleur sont autant d’indices qui doivent être déchirés par le personnel soignant (Stolee & al., 2007). Le traitement de la douleur chronique est mieux connu et mieux accepté qu’il y a quelques années, mais il se limite encore trop souvent à l’administration d’acétaminophène, même lorsque cette mesure est insusante. Ce phénomène est encore plus marqué chez les personnes âgées. L’idée que la douleur est inhérente au vieillissement et peut donc être banalisée est malheureusement encore trop répandue, et ce, même parmi les professionnels de la santé.

65.8 Troubles du sommeil La prévalence des troubles du sommeil augmente avec l’âge. Cet accroissement est souvent lié à une comorbidité médicale et psychosociale chez les personnes âgées. Les troubles du sommeil sont souvent sous-évalués, voire complètement ignorés, parce qu’ils sont attribués au vieillissement normal. Il existe une très forte corrélation bidirectionnelle entre les troubles du sommeil et certaines aections médicales chez les personnes âgées. Les personnes présentant des troubles du sommeil sourent davantage d’hypertension, de dépression, de maladies cardiovasculaires et cérébrovasculaires. Inversement, les patients sourant de ces problèmes de santé présentent fréquemment des dicultés de sommeil (Bloom & al., 2009). Les troubles du sommeil sont présentés en détail au chapitre 32. Le vieillissement entraîne des changements majeurs dans l’architecture du sommeil. Les plus importants sont les interruptions fréquentes et répétées du sommeil par des éveils : l’ecacité du sommeil s’en trouve réduite. La durée totale du sommeil est modiée : le besoin de sommeil nocturne est moindre. Le sommeil lent profond (stades 3 et 4) diminue fortement et la latence avant le sommeil paradoxal est plus courte (voir la gure 32.4).

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Certaines caractéristiques du sommeil des personnes âgées illustrent les changements du rythme circadien qui surviennent avec le vieillissement. Ainsi, les personnes âgées expérimentent fréquemment de la somnolence diurne et complètent leur sommeil par des siestes. Elles ont également tendance à se coucher et à se lever plus tôt et à moins bien tolérer les irrégularités dans l’horaire de sommeil. Par ailleurs, avec l’âge, les plaintes concernant le sommeil augmentent ; ainsi, plus de 40 % des patients âgés se plaignent de troubles à l’endormissement ou d’éveils fréquents (Bloom & al., 2009). Il faut souligner toutefois que les plaintes relatives au sommeil chez les personnes âgées ne sont pas toujours reliées aux changements physiologiques associés au vieillissement. D’une part, il peut s’agir d’un trouble primaire du sommeil, comme l’insomnie primaire, les apnées du sommeil et le syndrome des jambes sans repos ; ces aections deviennent plus fréquentes avec l’âge. D’autres troubles spéciques comme le trouble de comportement en sommeil paradoxal (mouvements en lien avec le rêve du dormeur) sont aussi plus fréquents dans l’âge avancé, puisqu’ils sont souvent associés à des pathologies neurologiques. D’autre part, les plaintes concernant le sommeil peuvent être reliées à une maladie physique ou psychiatrique, à l’usage d’alcool ou de certains médicaments. La polymédication peut en eet contribuer aux problèmes de sommeil ; les β-bloquants, les bronchodilatateurs, les diurétiques, les antidépresseurs ainsi que les médicaments sans ordonnance sont souvent en cause. Il est donc important d’identier les causes potentiellement traitables des plaintes reliées au sommeil. Du fait de la complexité étiologique des troubles du sommeil, une histoire détaillée est essentielle. L’évaluation globale du patient doit être réalisée, comportant des tests de laboratoire, un examen physique et même une polysomnographie au besoin. Elle doit comprendre une description précise des habitudes de sommeil et de ses caractéristiques, eectuée si possible avec l’aide du conjoint. L’environnement de la personne et les habitudes de vie qui peuvent être mis en cause doivent aussi être examinés. L’impact des troubles du sommeil est important. En plus de voir leur qualité de vie considérablement altérée, les patients qui dorment mal se plaignent aussi de troubles cognitifs, de troubles de l’équilibre et de symptômes anxiodépressifs. Les personnes qui présentent de l’insomnie sont plus susceptibles d’avoir des problèmes médicaux, incluant des troubles cardiorespiratoires, un cancer, des troubles neurologiques, etc. Ces aections sont plus fréquentes chez les insomniaques, indépendamment de la présence de dépression ou d’anxiété (Bloom & al., 2009). En ce qui concerne l’insomnie, le diagnostic se pose en présence de plaintes relatives au sommeil malgré des circonstances propices. Cette perturbation doit avoir des conséquences négatives sur le fonctionnement. On distingue : • l’insomnie primaire, évoquée en l’absence de toute autre cause apparente ;

• l’insomnie comorbide, plus fréquente, le plus souvent associée à des troubles psychiatriques comme la dépression ou les troubles anxieux, à l’utilisation de médicaments ou d’autres substances, ou à des aections médicales ou à des douleurs chroniques, fréquentes chez les personnes âgées. L’insomnie peut aussi résulter d’un autre trouble, comme l’apnée du sommeil ou le syndrome des jambes sans repos. L’insomnie comorbide n’est pas nécessairement causée par

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cette aection concomitante, mais il existe une interaction entre les deux entités qui requièrent chacune une attention clinique et un traitement spécique. Le traitement de l’insomnie fait appel à diverses modalités. De façon générale, les recommandations habituelles sur l’hygiène du sommeil s’appliquent également aux personnes âgées. Cependant, les conseils sur l’hygiène du sommeil ne sont habituellement pas susants pour le traitement des insomnies chroniques ou graves. La thérapie par restriction de sommeil visant à limiter le temps passé au lit peut aider à consolider le sommeil de certains patients, notamment en réduisant la durée des siestes pendant la journée. Des approches de relaxation, de psychoéducation, de TCC et de modications des habitudes diurnes, telles que la marche ou l’exercice physique modéré, sont également protables. Les traitements pharmacologiques de l’insomnie incluent les benzodiazépines (oxazépam [SeraxMD], lorazépam [AtivanMD], témazépam [Restoril MD]), les hypnotiques non benzodiazépiniques (zopiclone [ImovaneMD]) et les agonistes des récepteurs de la mélatonine (ramelteon, disponible aux États-Unis et au Japon). Les eets indésirables des benzodiazépines sont bien connus chez les personnes âgées ; idéalement, elles doivent être utilisées de façon transitoire (de deux à quatre semaines), à la plus petite dose requise. L’âge est un facteur de risque pour les apnées du sommeil. Les personnes âgées qui en sourent peuvent présenter une somnolence importante, ce qui aecte leur qualité de vie. Elles sourent également davantage de troubles cognitifs, de nycturie, de troubles cardiovasculaires et d’hypertension dicile à contrôler. L’apnée du sommeil est nettement sous-diagnostiquée et, compte tenu de sa prévalence élevée, des conséquences néfastes qu’elle entraîne et de l’existence de traitements ecaces, un haut degré de suspicion doit prévaloir en présence notamment de somnolence diurne et de ronement ; une référence pour évaluation spécialisée en laboratoire de sommeil doit être envisagée. La prévalence du syndrome des jambes sans repos augmente avec l’âge ; une incidence familiale est également décrite. Il existe une association très forte avec les mouvements périodiques du sommeil. Il s’agit d’une cause possible d’insomnie ou encore de somnolence diurne. Le trouble de comportement en sommeil paradoxal apparaît généralement après la cinquantaine et se caractérise par une perte de l’atonie musculaire habituelle durant le sommeil paradoxal, entraînant des comportements moteurs complexes qui font écho au rêve du dormeur. Le problème est généralement rapporté par le conjoint ; les gestes peuvent causer des blessures aux deux partenaires. Ce trouble est associé à des pathologies du système nerveux central dans environ 40 % des cas, en particulier la maladie de Parkinson et le trouble neurocognitif avec corps de Lewy, dont elle pourrait constituer une manifestation précoce ou un marqueur (Postuma & al., 2009). Le traitement privilégié est le clonazépam (RivotrilMD). Plus fréquents chez les personnes âgées, les troubles du rythme circadien peuvent résulter de la diminution de sécrétion endogène de mélatonine avec l’âge. De plus, l’exposition à la lumière du soleil est moindre pour de nombreuses personnes âgées, surtout celles qui vivent en institution ; leur niveau d’activité diurne est habituellement diminué. Des maladies ophtalmologiques comme les cataractes ainsi que des facteurs génétiques peuvent aussi être mis en cause en contribuant au dérèglement de l’horloge

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Spécialités psychiatriques

biologique. Parmi les troubles du rythme circadien, le syndrome d’avance de phase, se traduisant par un coucher entre 18 h et 21 h et par des éveils matinaux très précoces (entre 2 h et 5 h du matin), touche particulièrement les personnes âgées. Il existe un lien entre les troubles neurocognitifs et le sommeil. Ainsi, environ le tiers des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer présentent des troubles du sommeil (Deschenes & McCurry, 2009). Elles ont des éveils nocturnes plus fréquents et font davantage de siestes durant le jour. Le sommeil paradoxal et à ondes lentes est diminué. Dans les phases de modérées à graves, elles peuvent également présenter une agitation croissante et de l’errance à mesure que la soirée avance, phénomène connu sous le vocable de « syndrome crépusculaire » (sundowning) ou « delirium nocturne ». Plusieurs facteurs peuvent être à l’origine de troubles du sommeil associés à la maladie d’Alzheimer : • des facteurs environnementaux (privation ou hyperstimulation sensorielle) ; • des causes médicales ou iatrogènes telles que la médication (notamment les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase qui provoquent parfois de l’insomnie et des cauchemars) ; • des troubles du sommeil primaire comme une altération du rythme circadien ; • la douleur ; • la malnutrition ; • la constipation ; • les infections. Le traitement nécessite bien entendu la correction de la cause sous-jacente, mais peut exiger une intervention pharmacologique, dont l’ecacité est cependant variable. Des études prometteuses ont montré un eet favorable de la luminothérapie dans les résidences pour personnes âgées, combinée à l’administration de mélatonine, sur la qualité du sommeil nocturne. La pratique d’activités quotidiennes individualisées a aussi un eet bénéque sur le sommeil (Deschenes & McCurry, 2009).

65.9 Troubles liés aux substances Les troubles liés aux substances tendent à s’atténuer dans l’âge avancé, mais ont néanmoins des conséquences dramatiques pour la personne et son entourage.

65.9.1 Alcool Il est généralement admis que les troubles liés à l’alcool sont plus répandus chez les jeunes adultes que chez les adultes plus âgés. Les taux d’usage récent d’alcool tendent à décliner après l’âge de 55 ans jusqu’à environ 25 % chez les personnes âgées de 85 ans et plus. Dans une étude épidémiologique, Balsa et ses collaborateurs (2008) montrent que 37 % des femmes et 55 % des hommes âgés de plus de 65 ans font un usage régulier d’alcool. Parmi ceux-ci, un peu plus de 1 % des femmes et 4,8 % des hommes présentaient un diagnostic d’abus ou de dépendance lié à l’alcool selon le DSM-IV. L’étude canadienne sur la santé et le vieillissement a trouvé que 8,9 % des personnes de plus de 65 ans ont un problème lié à l’alcool (omas & Rockwood, 2001). Les troubles liés à l’alcool sont présentés en détail au chapitre 37.

L’alcoolisme chez les personnes âgées est une réalité clinique de plus en plus reconnue depuis la n des années 1960. Toutefois, les critères diagnostiques du DSM-5 s’appliquent parfois mal à la population âgée, pour laquelle les conséquences de la prise abusive d’alcool sont diérentes. En eet, l’impact fonctionnel des troubles liés à l’alcool, comme de toutes substances, est plus dicile à détecter chez une personne retraitée ou qui vit en solitaire, comme c’est souvent le cas dans la population âgée. De plus, les complications médicales de l’alcoolisme chez les personnes âgées peuvent se confondre avec des maladies chroniques ou avec les eets de la médication. Les prols de consommation sont variés : certaines personnes ont consommé de manière importante tout au long de leur vie, d’autres par intermittence et certaines commencent à consommer à un âge avancé. Selon la dénition généralement admise, l’alcoolisme à début tardif survient après l’âge de 40 ans. L’alcoolisme chronique chez les personnes âgées s’apparente à celui des jeunes adultes : association avec des traits antisociaux, de l’impulsivité et de l’hyperactivité. Il en va cependant diéremment des personnes qui ont commencé à abuser de l’alcool plus tardivement. Ils représentent environ un tiers des consommateurs d’alcool âgés (American Medical Association, 1996) et présentent plus de caractéristiques de personnalité névrotique ainsi que de dépression. Ils commencent typiquement leur consommation abusive dans un contexte réactionnel, notamment lorsqu’ils doivent faire face à des facteurs de stress physiques, familiaux et sociaux, qui exigent une certaine adaptation de leur part. L’alcoolisme à début tardif pourrait représenter une tentative d’automédication lors de dicultés personnelles (insomnie, anxiété, morosité). Les facteurs de risque associés à cette aection sont : le sexe féminin, la condition économique élevée et les facteurs de stress récents, en particulier la mort du conjoint. Le vieillissement est associé à des changements pharmacocinétiques qui rendent les patients plus vulnérables aux eets toxiques de l’alcool. Les patients âgés sont plus sujets au delirium tremens, surtout en présence de comorbidités médicales ou d’une histoire antérieure de delirium tremens. L’âge est le facteur de risque le plus important d’un trouble neurocognitif lié à l’alcool, dont le pronostic peut s’améliorer par l’abstinence, une diète adéquate et des suppléments de vitamines. Cependant, aucune association franche n’a pu être établie entre la consommation d’alcool et l’apparition d’une démence de type Alzheimer. Il est possible (mais non prouvé) qu’une consommation de vin rouge de légère à modérée ait un eet protecteur. Une consommation importante provoque un eet néfaste sur la cognition tant à court qu’à long terme, sans qu’un lien direct avec la maladie d’Alzheimer n’ait été montré. À tout âge, la consommation abusive d’alcool est associée à des taux plus élevés de mortalité par accident, suicide ou autres pathologies (Royal College of Psychiatrists, 2011). Certains organismes, comme le National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism aux États-Unis, considèrent que les personnes âgées (hommes ou femmes) ne devraient pas dépasser sept consommations par semaine, ni trois dans une même journée. Au Canada, il n’existe pas de recommandations spéciques pour les aînés. On souligne cependant que l’âge peut être associé à d’autres caractéristiques qui augmentent les risques liés à la consommation, comme l’état de santé ou la prise de médication, et que l’ensemble de ces facteurs doit être considéré dans l’évaluation individualisée de la consommation.

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Un supplément d’information sur le National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism est disponible au www.niaaa.nih.gov.

Une attention particulière doit être accordée au syndrome de sevrage, auquel la personne âgée est plus sensible. Une longue histoire de consommation augmente le risque de décience en thiamine, surtout en présence d’autres facteurs tels que la malnutrition ou la déshydratation. La vigilance est essentielle face au risque d’encéphalopathie de Wernicke, qui passe fréquemment inaperçue mais dont les conséquences à court et long termes peuvent être dramatiques. En cas de doute, la supplémentation adéquate en thiamine par voie parentérale est de mise. Par ailleurs, il est recommandé de réévaluer, après une période soutenue d’abstinence, les diagnostics de dépression ou de trouble neurocognitif qui ont été posés chez les patients qui consomment de l’alcool de manière abusive. Le tableau clinique peut alors s’être corrigé ou du moins amélioré de manière signicative, et nécessiter une modication de la conduite thérapeutique. Il existe peu de données spéciques sur le traitement des troubles liés à l’alcool chez la personne âgée. Le même type d’approche que pour les adultes plus jeunes est donc recommandé, avec certaines adaptations. Dans le cadre des approches de groupe ou des programmes en 12 étapes des Alcooliques Anonymes, les aînés sont plus à l’aise avec des personnes de leur âge, ce qui peut favoriser l’assiduité aux rencontres, et ultimement, l’impact sur leur consommation. La mobilité réduite peut cependant être un facteur limitant. L’ecacité de courtes interventions d’éducation, de thérapie motivationnelle et de soutien (brief alcohol counseling) a été montrée chez les personnes âgées. Ainsi, deux rencontres ciblées d’une quinzaine de minutes avec le médecin et deux relances téléphoniques par un membre du personnel clinique échelonnées sur quelques mois susent souvent à réduire à long terme le degré de consommation ainsi que les conséquences néfastes sur la santé (Oslin, 2005).

65.9.2 Médicaments d’ordonnance ou en vente libre Les personnes âgées sont les plus grandes utilisatrices de médicaments d’ordonnance ou en vente libre. L’âge avancé, le sexe féminin, une mauvaise santé physique, la douleur chronique, un deuil récent et le fait de vivre en institution sont les principaux facteurs de risque de la polymédication et de l’abus de médicaments. La composante iatrogène est également importante, puisque le médecin intervient directement dans la prescription (Culberson & Ziska, 2008). Le problème tient principalement au fait que les médicaments sont renouvelés sans réévaluation, parfois même pendant plusieurs années. La facilité d’accès aux médicaments en vente libre aggrave le problème. Environ 25 % des personnes âgées prennent des médicaments psychotropes (Simoni-Wastila & Yang, 2006). Les benzodiazépines, qui sont les psychotropes les plus répandus, de même que les opiacés, prescrits fréquemment pour les syndromes douloureux chroniques, ont le plus grand potentiel d’entraîner une dépendance. Une étude descriptive a montré que 11,4 % des patients suivis dans une clinique ambulatoire de gérontopsychiatrie présentaient une dépendance aux benzodiazépines et 1,4 % une dépendance aux opiacés. Les facteurs de risque sont le sexe féminin, l’isolement social, la présence d’une maladie physique

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chronique, la polypharmacie, la maladie psychiatrique comorbide et les antécédents d’abus de substances (Holroyd & Duryee, 1997). Une étude eectuée au sein d’une population d’anciens combattants en gérontopsychiatrie a révélé un trouble lié aux substances chez environ 3 % d’entre eux (Edgell & al., 2000), mais certaines estimations évaluent à plus de 10 % le pourcentage des femmes américaines de plus de 60 ans faisant une « mauvaise utilisation » de médicaments prescrits chaque année (National Center on Addiction and Substance Abuse, 1998), suggérant une problématique assez largement répandue. Les personnes âgées qui abusent de multiples médicaments sont plus à risque de delirium, de somnolence diurne, de chutes et de fractures, sans compter les interactions médicamenteuses et les problèmes liés au ralentissement du métabolisme hépatique ou rénal des médicaments. La prise de benzodiazépines à longue demi-vie est d’ailleurs associée à une augmentation du nombre d’accidents de voiture chez les personnes âgées (Hemmelgarn & al., 1997). Il ne faut pas sous-estimer non plus les risques potentiels des produits en vente libre, qui peuvent aussi comporter des eets indésirables et dont le contenu actif peut interagir avec les médicaments d’ordonnance. Le médecin doit faire preuve de prudence quant à la posologie et à la durée des traitements pharmacologiques. En ce qui concerne les benzodiazépines par exemple, l’indication doit faire l’objet d’une révision systématique. Beaucoup de personnes âgées gardent la même prescription pendant de nombreuses années, alors que les eets indésirables des médicaments psychotropes augmentent avec l’âge, et les risques potentiels sur la santé sont à considérer dès le départ. En cas de pharmacodépendance, les doses et le nombre de médicaments doivent être réduits dans la mesure du possible, de manière très progressive, si nécessaire sur une période de plusieurs mois, an d’éviter les complications. Le soulagement de l’anxiété, de la douleur et de l’insomnie ne doit cependant pas se subordonner à la crainte de créer une situation d’abus. Par ailleurs, on devrait toujours dresser une liste exhaustive des médicaments que prend le patient à partir des pharmacies qu’il fréquente, sans oublier les produits en vente libre.

65.9.3 Drogues La consommation de drogues illicites est encore relativement rare chez les personnes âgées, plus sujettes aux abus d’alcool ou de médicaments. Quelques études situent la prévalence de l’usage de drogues illicites chez les plus de 60 ans à moins de 1 %, mais cette situation tend à changer. La prévalence risque d’augmenter avec l’arrivée dans le groupe d’âge avancé des générations qui en font usage (Simoni-Wastila & Yang, 2006).

65.9.4 Jeu d’argent pathologique Le jeu sous toutes ses formes est bien souvent perçu comme une activité sociale auprès des personnes âgées. Bon nombre d’aînés pratiquent des activités de jeu comme le bingo, les cartes, ou participent à des voyages organisés d’un jour au casino. Une étude américaine (McNeilly & Burke, 2001) montre qu’environ 16 % des individus vivant en résidence pour personnes âgées ont participé mensuellement, au cours de la dernière année, à des activités dans un casino. Les personnes âgées représentent 34 % de la clientèle qui fréquente les casinos plus de quatre fois par année. Il faut cependant souligner que les jeux de hasard, chez

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Spécialités psychiatriques

les aînés, n’entraînent pas nécessairement des conséquences négatives. Une participation modérée à ces jeux peut au contraire être associée à un plus grand niveau d’activité, un meilleur soutien social, des scores moindres aux échelles de dépression et une meilleure perception de l’état de santé (Vander Bilt & al., 2004). Cela dit, une vaste étude épidémiologique conduite aux États-Unis rapporte que près de 30 % des adultes âgés de plus de 60 ans ont un historique de jeu de hasard comme activité de loisir, et que 0,85 % ont déjà présenté un problème de jeu d’argent pathologique. Ces derniers ont davantage de problèmes d’alcool ou de drogues ainsi que de problèmes de santé mentale et physique, comparativement à ceux qui n’ont jamais participé sur une base régulière à des jeux de hasard (Pietrzak & al., 2007). Une étude canadienne (Cousins & Witcher, 2007) s’est spécialement intéressée au prol des joueurs de bingo, le jeu de hasard le plus populaire auprès des personnes âgées. Cette étude conclut que le sexe féminin, l’âge avancé, le fait d’être locataire, de recevoir des suppléments fédéraux de revenu ou d’avoir de multiples problèmes de santé physique sont des facteurs associés à l’importance des sommes jouées au bingo et au jeu pathologique. La sensibilisation des personnes âgées et de leur entourage permettrait un dépistage plus ecace des problèmes de jeu d’argent pathologique. La prise en charge des problèmes de jeu pathologique chez les personnes âgées passe par la détection précoce, an de prévenir les conséquences qu’elles pourraient subir sur les plans nancier et social ainsi que sur leur santé physique et mentale. Les traitements sont semblables à ceux oerts à la population plus jeune, soit la thérapie cognitivo-comportementale et les autres approches individuelles ou de groupe, ainsi que les groupes d’entraide. La référence à des groupes de soutien ou à des centres d’intervention spécialisés doit rapidement être eectuée et la mobilisation du réseau social et de la famille doit être favorisée. Les problèmes de santé mentale associés (p. ex., symptômes dépressifs ou anxieux, verbalisations suicidaires) doivent également être évalués et le patient orienté vers les services de soins appropriés à ses besoins.

65.10 Troubles neurocognitifs En raison du vieillissement de la population et de l’allongement de l’espérance de vie, les troubles neurocognitifs deviennent un problème de plus en plus important. Au Canada, 8 % des personnes de plus de 65 ans sont atteintes d’un trouble neurocognitif majeur (autrefois appelé démence) et la prévalence augmente à 35 % au-delà de 85 ans (Canadian Study of Health and Aging Study Group, 1994). Les troubles neurocognitifs sont présentés en détail au chapitre 27. Comme l’indique l’appellation « troubles neurocognitifs », l’atteinte des fonctions cognitives est au cœur de la dénition de ces pathologies. Le déclin cognitif a un impact certain dans la vie du patient, et la perte d’autonomie progressive qui s’ensuit généralement requiert une adaptation du quotidien, qui peut devenir très exigeante pour les proches aidants. Il n’est pas rare cependant qu’un état dépressif, des idées délirantes ou des troubles perceptuels motivent la consultation initiale, plutôt que les problèmes de mémoire. Le médecin doit donc être à l’aût d’un diagnostic de trouble neurocognitif sous-jacent.

65.10.1 Description clinique Bien que tous les types de symptômes psychiatriques puissent se manifester à tout stade d’un trouble neurocognitif, les symptômes dépressifs sont plus typiques du début de la maladie, alors que les symptômes psychotiques, l’agitation et les comportements perturbateurs surviennent généralement plus tard dans l’évolution. Les symptômes neuropsychiatriques associés aux troubles neurocognitifs sont à l’origine d’un sentiment important de détresse, et sont d’ailleurs souvent un facteur déterminant du processus qui mène à l’institutionnalisation (concernant l’interface entre la dépression et les troubles neurocognitifs en gérontopsychiatrie, voir aussi la sous-section 65.3.4). Selon une revue de 55 études publiées de 1990 à 2003, 41 % des patients sourant d’un trouble neurocognitif majeur dû à la maladie d’Alzheimer ont des symptômes psychotiques, dont 36 % un délire et 18 % des hallucinations (Ropacki & Jeste, 2005). Les délires les plus fréquents sont de type paranoïde. Ils sont habituellement moins complexes ou bizarres que dans la schizophrénie, de courte durée et souvent diciles à diérencier de la confabulation. La coloration paranoïde, peu systématisée, peut résulter d’une tentative du patient de donner un sens à sa situation. Par exemple, il est convaincu que les objets qu’il a égarés ont été volés par des intrus. Les troubles d’identication perceptuelle (misidentication syndromes) sont fréquents (environ 40 %) dans la le trouble neurocognitif majeur dû à la maladie d’Alzheimer (Ropacki & Jeste, 2005). Ces phénomènes comprennent à la fois une composante perceptuelle, qui peut être proche de l’hallucination, et une composante délirante, souvent considérée comme plus signicative. Il est parfois dicile de faire la distinction entre ce qui relève de la conviction (délire) et ce qui relève de la perception erronée (illusion ou hallucination). Par exemple, lorsqu’un patient arme que quelqu’un est entré dans sa maison, un délire paranoïde aussi bien qu’une illusion, qu’une hallucination visuelle ou qu’une erreur d’identication perceptuelle peut être en cause. On rencontre aussi d’autres types d’erreurs d’identication, par exemple la conviction du patient que des proches sont en fait des imposteurs (délire d’illusion des sosies de Capgras). D’autres croient que les événements décrits à la télévision surviennent dans leur salon ou que les personnages sont dans leur maison. Certains patients ne se reconnaissent tout simplement plus dans le miroir (signe du miroir). Les hallucinations sont présentes chez au moins 20 % des personnes atteintes de la maladie d’A lzheimer. Les hallucinations visuelles sont deux fois plus fréquentes que les hallucinations auditives, ce qui va dans le sens d’une atteinte organique (Ropacki & Jeste, 2005). On trouve aussi des hallucinations olfactives, gustatives et tactiles, mais elles sont beaucoup moins fréquentes. Les symptômes schneidériens, soit des voix qui discutent ensemble ou qui commentent les actions de la personne, sont extrêmement rares. La psychose en elle-même est associée à une plus grande prévalence de signes extrapyramidaux et à un déclin cognitif plus rapide. Les symptômes psychotiques s’accompagnent plus souvent d’agressivité, d’agitation ou d’autres comportements perturbateurs, mais de façon transitoire. Habituellement, les symptômes psychotiques tendent à disparaître dans les stades avancés du trouble neurocognitif, possiblement parce que le patient n’est tout simplement plus capable d’exprimer ses délires ou ses hallucinations. Jeste & Finkel (2000) soutiennent que la psychose dans la maladie d’Alzheimer est un syndrome diérent de la psychose

Chapitre 65

Gérontopsychiatrie clinique

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des patients sourant de schizophrénie ; ils en ont d’ailleurs élaboré des critères spéciques. Certaines des caractéristiques de ce syndrome sont décrites dans le tableau 65.2. Les symptômes psychotiques sont aussi très fréquents dans les autres types de trouble neurocognitif majeur. On retrouve typiquement des hallucinations visuelles, des délires secondaires ainsi que des troubles d’identication perceptuelle dans le trouble neurocognitif majeur avec corps de Lewy. Les hallucinations visuelles prennent la forme de personnes ou d’animaux qui disparaissent quand le patient y porte spéciquement son attention. Des illusions ou des rêves vivides sont parfois des précurseurs d’hallucinations visuelles détaillées (Ballard & al., 2013). Dans la maladie de Parkinson, jusqu’à 60 % des patients présentent des symptômes psychotiques au l de l’évolution de la maladie (Jakel & Stacy, 2014). Les hallucinations (surtout visuelles) sont plus fréquentes que les délires. Souvent, les hallucinations sont de nature iatrogène, en raison de la stimulation dopaminergique de la médication antiparkinsonienne. Les patients qui présentent des hallucinations visuelles sont plus susceptibles d’évoluer vers un trouble neurocognitif majeur dû à la maladie de Parkinson. Dans le trouble neurocognitif frontotemporal, les délires et les hallucinations semblent moins fréquents que dans la maladie d’Alzheimer. Ils peuvent cependant en constituer le mode de présentation. Ils doivent alors être distingués des manifestations d’un trouble psychotique à début tardif, d’autant plus que les symptômes frontaux typiques ne font parfois leur apparition que plusieurs années plus tard (Mendez & al., 2008).

65.10.2 Traitement Les interventions de soutien devraient toujours précéder puis accompagner l’approche pharmacologique. On s’assure d’abord de combler les besoins de base (inconfort, faim, soif, sensation de froid ou de chaud, stimuli de l’environnement, etc.) et de traiter les aections médicales telles que la constipation, les infections et la douleur. Toutes ces conditions peuvent se manifester par des symptômes neuropsychiatriques.

Traitements psychologiques Les décits sensoriels peuvent exacerber les hallucinations, de telle sorte que le niveau de stimulation doit être ajusté en conséquence ; tant la surstimulation que la privation sensorielle peuvent exacerber l’agitation ou la psychose. Dans l’environnement, il sut parfois, pour sécuriser le patient, de retirer les miroirs ou autres objets potentiellement confondants, comme des images sur les murs ou des portemanteaux pouvant avoir l’apparence d’une silhouette. Une bonne connaissance du patient, de sa vie antérieure, de ses champs d’intérêt et de ses goûts peut s’avérer indispensable pour une bonne compréhension du problème et l’identication de solutions durables. Il faut clarier les objectifs du traitement. Parfois, les interventions consistent essentiellement à soutenir et à orir de la psychoéducation à l’entourage, puisque les symptômes ne causent pas nécessairement une sourance importante au patient lui-même (p. ex., l’errance intrusive peut être particulièrement dérangeante en milieu institutionnel).

TABLEAU 65.2 Comparaison du trouble neurocognitif majeur dû à la maladie d’Alzheimer et la schizophrénie

Caractéristiques

Psychose de la maladie d’Alzheimer

Schizophrénie

Prévalence

Jusqu’à 35 % au-delà de 85 ans

De 0,3 à 2,7 % de la population générale

Idées délirantes bizarres ou complexes

Rares

Fréquentes

Difculté à reconnaître ses soignants

Fréquente

Rare

Antécédents personnels de psychose

Rares

Très fréquents

Types d’hallucinations

Visuelles

Auditives

Symptômes schneidériens

Rares

Fréquents

Idées suicidaires actives

Rares

Fréquentes

Rémission éventuelle de la psychose

Fréquente

Lente et souvent incomplète

Maintien à long terme de la médication antipsychotique

Peu fréquent

Habituellement très commun

Dose quotidienne optimale d’antipsychotique atypique • Rispéridone

0,5 à 1,5 mg DIE

4 à 6 mg DIE

• Olanzapine

2,5 à 7,5 mg

10 à 20 mg DIE

Stimulation sensorielle, activités structurées, contact social, thérapie comportementale*

Thérapie cognitivo-comportementale, traitement psychosocial**

Traitements psychosociaux adjuvants recommandés

MA = Maladie d’Alzheimer. *Cohen-Manseld (2001). **Granholm & al. (2002) ; McQuaid & al. (2000). Sources : Adapté de Jeste & Finkel (2000), p. 30 ; Jeste & al. (2009), p. 322.

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Spécialités psychiatriques

La musicothérapie, l’utilisation de vidéos de gures connues ainsi que l’aromathérapie à l’aide d’huiles essentielles de lavande ou de mélisse sont d’autres types d’interventions écologiques qui peuvent être utiles (Gauthier & al., 2010). Les approches de stimulation multisensorielle comme la technique snoezelen, des mots néerlandais « snuelen » (explorer) et « doezelen » (somnoler), permettant de vivre une expérience sensorielle constructive, visent à créer un contexte propice à la relaxation grâce à une relation privilégiée, sécurisante, réduisant les tensions tout en motivant à l’action. L’application des mesures non pharmacologiques ou sensorielles est cependant souvent perçue comme problématique en raison du peu de moyens, de temps ou d’espace disponibles. Des adaptations relativement simples et peu coûteuses méritent quand même d’être explorées. Des mesures comme la formation du personnel et de l’entourage ainsi que la disponibilité d’une équipe de consultation-liaison en gérontopsychiatrie ont prouvé leur ecacité et doivent être favorisées (Seitz & al., 2012).

Traitements biologiques Sur le plan pharmacologique, plusieurs études ont examiné l’ecacité des traitements de la psychose et de l’agitation chez la personne atteinte d’un trouble neurocognitif majeur. Il persiste de nombreuses controverses à ce sujet. De façon générale, l’ecacité des médicaments sur les symptômes neuropsychiatriques est limitée et les eets indésirables potentiels souvent limitatifs. On dispose de données indirectes (analyses secondaires, a posteriori ou études de retrait) quant à l’eet des inhibiteurs de la cholinestérase sur les troubles de comportement dans la maladie d’Alzheimer. Bien qu’ils n’en détiennent pas l’indication formelle, ces médicaments peuvent parfois avoir des eets bénéques sur les délires, les hallucinations, l’anxiété et l’agitation motrice ; l’impact positif est cependant observable surtout sur la dépression et l’apathie. En ce qui concerne le trouble neurocognitif avec corps de Lewy, dans lequel l’utilisation des antipsychotiques peut être problématique en raison des eets indésirables extrapyramidaux, les hallucinations visuelles peuvent répondre au traitement par les inhibiteurs de la cholinestérase, notamment la rivastigmine (ExelonMD) ; peu de données soutiennent cependant cette utilisation (Sink & al., 2005). Dans une analyse a posteriori de trois études, la mémantine (EbixaMD) semble associée à une évolution plus favorable de la psychose et de l’agitation et à l’émergence moins fréquente de ces symptômes après 24 à 28 semaines de traitement, comparativement au placebo (Wilcock & al., 2008). Parmi les antipsychotiques atypiques disponibles au Canada, seule la rispéridone possède, depuis 2012, l’indication ocielle pour le traitement à court terme des symptômes d’agressivité et des symptômes psychotiques (et non pour des comportements perturbateurs en général) dans le trouble neurocognitif majeur dû à la maladie d’Alzheimer, qui ne répondent pas aux approches non pharmacologiques et qui comportent un risque d’automutilation ou de blessure à autrui. En raison du peu d’options thérapeutiques, l’olanzapine et la quétiapine demeurent trop fréquemment utilisées pour cette aection, et ce, malgré l’absence d’indication ocielle. De plus, l’utilisation des antipsychotiques atypiques dans ce contexte fait l’objet d’un avertissement de Santé Canada et de la Food and Drug Administration (FDA) américaine, en raison de l’augmentation du risque de mortalité d’origine cardiovasculaire principalement

(voir aussi les sous-sections 64.3.2 et 65.1.6). La FDA (mais non Santé Canada) a publié le même avertissement en ce qui concerne les antipsychotiques de première génération. Il est donc suggéré de restreindre l’utilisation de ces médicaments aux personnes très perturbées ou agressives. Des eets positifs ont été observés en particulier pour les idées paranoïdes et l’agressivité (Sultzer & al., 2008). Lorsqu’on doit utiliser les médicaments antipsychotiques, le traitement devrait être de courte durée et à la dose minimale ecace. Les doses recommandées sont un peu moins élevées que dans la schizophrénie, soit l’équivalent de 0,5 à 1,5 mg par jour de rispéridone, de 5 à 10 mg d’olanzapine et de 50 à 200 mg de quétiapine ; ces intervalles ne sont cependant donnés qu’à titre indicatif. Les symptômes cibles doivent être clairement identiés et une tentative de diminution de la dose du médicament (et si possible sa cessation) doit être entreprise après environ trois mois de traitement, puisque l’évolution naturelle de la maladie fait en sorte que les symptômes disparaissent ou ne nécessitent plus de traitement pharmacologique après un certain temps. De plus, les paramètres métaboliques doivent faire l’objet d’un suivi. Dans les troubles neurocognitifs dus à la maladie de Parkinson et avec corps de Lewy, il faut accorder une attention particulière à la sensibilité aux antipsychotiques et à leurs eets extrapyramidaux. On préconise alors l’utilisation de la quétiapine à faible dose ou de la clozapine dans les cas réfractaires. Il n’y a pas d’évidence franche concernant l’ecacité des antidépresseurs, des benzodiazépines ou des stabilisateurs de l’humeur pour le traitement de la psychose associée aux troubles neurocognitifs. Parmi les antidépresseurs, la sertraline (ZoloftMD) et citalopram (CelexaMD) se sont avérés supérieurs au placebo pour l’agitation et l’agression dans quelques études. Pour ce qui est de l’utilité des anticonvulsivants pour l’agitation, la supériorité de la carbamazépine (TegretolMD) par rapport au placebo a été montrée, mais pas celle de l’acide valproïque (Epival MD) (Ballard & al., 2009). Les benzodiazépines restent très utilisées en dépit du peu d’évidence d’ecacité. L’usage de lorazépam (AtivanMD) ou d’oxazépram (SeraxMD) peut être justié surtout de façon ponctuelle, notamment avant les soins d’hygiène pour certains patients pour qui ces soins sont particulièrement anxiogènes.

Plan d’intervention La prise en charge des patients atteints de troubles neurocognitifs ne se limite cependant pas au traitement des symptômes. La mise en place d’un plan d’intervention optimal comprend l’évaluation de l’ensemble des ressources personnelles et sociales de la personne atteinte. Le patient et sa famille doivent être mis en contact avec les ressources susceptibles de les aider à pallier au mieux la perte d’autonomie progressive. Les proches aidants, qui sont à risque d’épuisement, doivent eux-mêmes être soutenus, tant sur les plans psychologique que pratique (voir aussi la sous-section 64.3.2).

65.11 Troubles de la personnalité La personnalité subit très peu de changements signicatifs à partir de l’âge adulte. Parmi les cinq dimensions (big ve) regroupées sous l’acronyme OCEAN, souvent mesurées dans les études sur la personnalité (l’ouverture à l’expérience, le caractère consciencieux, l’extraversion, l’amabilité et le névrosisme), certains auteurs ont rapporté de légères variations de l’un ou

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Gérontopsychiatrie clinique

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l’autre de ces traits avec l’âge. La plupart des auteurs soulignent cependant la stabilité remarquable de la personnalité au cours de la vie, du moins telle qu’elle est mesurée à l’aide de ces échelles. Il est possible toutefois que l’expression comportementale des traits de personnalité se modie selon la phase de la vie ou le contexte situationnel, ce qui traduit le concept de continuité hétérotypique : les manifestations (les symptômes) peuvent se modier quelque peu dans le temps ou selon les circonstances, mais elles résultent du même trouble sous-jacent qui persiste (Van Alphen & al., 2006). Des changements marqués de personnalité chez une personne âgée suggèrent plutôt un diagnostic diérent et devraient conduire à une investigation plus poussée, notamment sur le plan cognitif. Les troubles de la personnalité sont présentés en détail au chapitre 40.

65.11.1 Épidémiologie Les quelques études portant sur les troubles de la personnalité durant l’âge avancé suggèrent une légère diminution de prévalence avec les années ; ce phénomène a été constaté tant dans la communauté qu’en milieu hospitalier. Dans la société, la prévalence de ces troubles est de l’ordre de 2,8 à 13 % chez les personnes âgées, comparativement à une prévalence de 10 à 20 % dans la population générale. En clinique ambulatoire et à l’hôpital, les prévalences varient de 7 à 65 % selon les études (Lautenschlager & Förstl, 2007).

65.11.2 Particularités cliniques et diagnostiques Les stress inhérents au vieillissement peuvent être fortement anxiogènes pour un individu porteur d’une structure rigide (ou fragile) de personnalité. Quoi qu’il en soit, le trouble de la personnalité se manifeste habituellement plus tôt dans la vie, et c’est l’histoire longitudinale qui permet d’en poser le diagnostic. L’apparition tardive d’un tableau compatible avec un trouble de la personnalité doit d’abord orienter le médecin vers d’autres hypothèses diagnostiques, notamment un autre trouble psychiatrique, une aection médicale générale ou un début de processus dégénératif (p. ex., un trouble neurocognitif de type frontal). L’atténuation des troubles de la personnalité avec l’âge est un concept généralement accepté. Toutefois, ce phénomène peut aussi reéter une mauvaise adaptation des critères diagnostiques habituels à ce groupe d’âge, un eet de cohorte ou encore une mortalité sélective des patients ayant certains troubles de la personnalité. En particulier, les personnalités dramatiques et émotives (antisociale, limite et narcissique) sont moins apparentes, moins amboyantes ou tout simplement plus rares dans l’âge avancé. Une hypothèse dite de « maturation » a été avancée par Tyrer (1988) pour expliquer cette évolution : les personnalités dites « immatures » continuent d’évoluer, devenant moins conictuelles et plus adaptées avec l’âge. À l’inverse, les personnalités dites « matures » (obsessionnelle-compulsive, évitante et schizotypique) atteignent leur forme dénitive plus tôt dans la vie. Dans la foulée des changements survenus dans le DSM-5 concernant le diagnostic de trouble de la personnalité, certains auteurs font valoir l’importance de tenir compte de la spécicité des personnes âgées (Van Alphen & al., 2006). Par exemple,

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les critères reliés à l’impulsivité, typiques de la personnalité limite (acting-out, automutilation, comportements à risque et troubles de l’identité), peuvent se présenter de façon plus subtile, tout comme l’instabilité de l’humeur, les symptômes dépressifs et l’abus de substances. En ce qui concerne la personnalité antisociale, les critères en lien avec l’agression physique, les arrestations ou l’irresponsabilité au travail sont peu applicables aux personnes âgées. Ainsi, en institution, les comportements peuvent se manifester plutôt par l’exploitation des autres résidents, l’abus et la dépendance aux médicaments, le mépris des règlements, la somatisation. Pour ce qui est de la personnalité schizotypique, l’accent mis sur les activités solitaires, qui sont le lot de nombre de personnes âgées, peut au contraire être à l’origine d’une surestimation de ce trouble (Balsis & al., 2009). Le vieillissement comporte des événements diciles et des situations stressantes qui peuvent faire appel à des stratégies d’adaptation nouvelles pour l’individu, ce qui favorise parfois l’émergence de certains traits de personnalité qui s’étaient atténués avec l’âge, ou qui étaient demeurés jusqu’alors peu apparents. Cela s’applique particulièrement aux personnalités limite, narcissique et antisociale. Ainsi, vis-à-vis du deuil, de la solitude, de la retraite, de la perte d’intégrité physique ou de la maladie, les personnes dont la personnalité limite ou narcissique s’était apaisée durant l’âge moyen peuvent revenir à des modes défensifs caractéristiques (rage, mépris, clivage, projection, etc.). Les tensions relationnelles engendrées par ces mécanismes sont fréquemment observées en institution ou à l’hôpital, où elles peuvent occasionner des dicultés importantes pour les équipes de soins. Les personnes présentant une personnalité limite ou évitante sont particulièrement vulnérables à la perte d’un être cher. Si d’autre part, celles qui présentent une personnalité obsessionnelle-compulsive sont souvent moins isolées, plus organisées et plus autosusantes, elles deviennent cependant particulièrement vulnérables lorsque leur état de santé entraîne une perte d’autonomie et de contrôle sur leur quotidien. Il en va de même pour les personnalités caractérisées par la méance et le retrait, qui sont assez stables, voire plus rigides avec l’âge ; les situations de cohabitation forcée et de dépendance sont particulièrement diciles à accepter pour ces personnes, et peuvent représenter un facteur de risque de développement d’une psychose. Certaines maladies psychiatriques présentent quelquefois des caractéristiques déroutantes chez les personnes âgées. Ainsi, les dépressions chroniques, plus fréquentes dans ce groupe d’âge, peuvent s’échelonner sur plusieurs années ou se surajouter à une dysthymie, rendant dès lors dicile l’identication d’un épisode de trouble de l’humeur. Dans ce contexte, le tableau clinique (dépendance, irritabilité, hostilité, passivité et plaintes multiples plus ou moins précises) peut être attribué à tort à un trouble de la personnalité. De fait, les attitudes qui semblaient évoquer une personnalité pathologique disparaissent parfois complètement à la suite du traitement de la dépression, et ce, même après un long épisode. Dans le doute, un essai thérapeutique avec un traitement antidépresseur est à considérer. Par ailleurs, la présence d’un trouble de la personnalité peut entraver le traitement de la dépression de manière signicative et inuer sur l’autonomie et le fonctionnement social.

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Spécialités psychiatriques

65.11.3 Changements de personnalité liés à un trouble neurocognitif Les troubles neurocognitifs sont fréquemment associés à des modications de la personnalité (Lautenschlager & Förstl, 2007). En particulier, les modications de la personnalité sont au centre du tableau d’un trouble neurocognitif frontotemporal, bien souvent des années avant l’émergence de l’atteinte cognitive en tant que telle. La désinhibition, les comportements erratiques et l’impulsivité en sont les principales caractéristiques. Dans plusieurs cas, elles sont attribuées à tort à une maladie psychiatrique fonctionnelle. Dans les troubles neurocognitifs légers ou majeurs, les symptômes dépressifs, l’apathie et l’irritabilité sont fréquents. Des modications de la personnalité ont aussi été décrites dans plusieurs maladies physiques, en particulier de type neurologique. Avant de poser un diagnostic de trouble de la personnalité chez une personne âgée, on doit traiter adéquatement les pathologies psychiatriques. De plus, la présence de longue date d’un fonctionnement mésadapté et conictuel doit être établie sans équivoque. Pour ce faire, la collecte d’informations auprès de l’entourage est souvent souhaitable. Par ailleurs, les traits identiés doivent être mis en parallèle avec la situation réelle du patient. Ainsi, une attitude de méance peut être normale et saine dans certains contextes de vie ; la dépendance peut devenir une réalité incontournable, qui doit être acceptée par une personne en perte d’autonomie.

65.11.4 Traitement Le trouble de la personnalité étant présent de longue date, le but du traitement doit demeurer réaliste. Il s’agit d’abord d’obtenir et de maintenir une alliance thérapeutique, puis de viser la diminution de l’intensité et de la fréquence des symptômes à l’origine de la sourance du patient et de son entourage. Une cohésion d’équipe dans l’intervention est indispensable. Le type de services et leur fréquence sont modulés selon la situation clinique et le type de trouble. Ainsi, pour les personnalités schizotypiques, plus méantes et en retrait, la fréquence des interventions est vraisemblablement moindre, modulée selon les besoins, et les thèmes sont focalisés. Des rendez-vous à intervalle régulier sont généralement préférables pour les autres types de troubles de la personnalité. La TCC et la thérapie comportementale dialectique décrites pour les patients plus jeunes peuvent être bénéques. Des interventions de groupe en ergothérapie ou à visée psychoéducative pour travailler sur la socialisation ou le deuil conviennent mieux à certains patients moins réceptifs aux approches individuelles. Dans certains cas, un programme d’interventions structuré de

type hôpital de jour est très bénéque, à condition de garder le cap sur les objectifs du traitement et d’en prévoir la terminaison. Il est nécessaire de soutenir les équipes de soins aux prises avec des patients diciles, porteurs de troubles de la personnalité, et de leur orir la formation requise ; ces mesures constituent une part importante du traitement. Il en va de même pour les proches et l’entourage du patient. Sur le plan pharmacologique, le traitement des troubles psychiatriques comorbides s’impose. On vise le soulagement des symptômes anxieux, dépressifs ou de l’agitation et de l’agressivité en période de crise. Comme les tableaux cliniques peuvent être complexes, multifactoriels et plus ou moins bien dénis, certains recommandent de tenter un traitement antidépresseur.

Les troubles mentaux chez les personnes âgées comportent des caractéristiques spéciques sur le plan de l’épidémiologie, de la présentation clinique et du diagnostic diérentiel ; l’exclusion des autres aections médicales pouvant contribuer au tableau clinique est importante pour les patients de tous âges, mais cette démarche diagnostique est particulièrement pertinente en gérontopsychiatrie. La présentation clinique des troubles mentaux est teintée par l’âge. Les personnes âgées atteintes de troubles mentaux ont donc des besoins spéciques. L’alliance thérapeutique doit être entretenue, parfois patiemment, non seulement avec le patient, mais aussi avec la famille. L’apport des proches aidants est précieux à toutes les étapes de l’épisode de soins, que ce soit pour préciser le diagnostic, mettre en place le traitement ou en vérier les eets. Les proches contribuent grandement à préserver l’autonomie de la personne et à optimiser son niveau de fonctionnement ; il ne faut pas perdre de vue qu’ils ont cependant aussi besoin de soutien an d’éviter l’épuisement. En raison de la complexité de la démarche diagnostique et du processus d’évaluation bio-psycho-sociale en gérontopsychiatrie, l’expertise de plusieurs disciplines est essentielle. La plus grande fragilité des patients requiert la mise en place d’un traitement adapté, en plusieurs volets, et un travail d’équipe soutenu. De plus, la coordination des interventions et la concertation avec les autres instances concernées de la 1re ligne ou de la communauté sont essentielles. Ces enjeux sous-tendent les principes fondamentaux de l’approche gérontopsychiatrique, authentiquement bio-psychosociale, mettant l’accent sur l’intervention globale et la préservation du fonctionnement et de l’autonomie. Il y a lieu d’espérer que la reconnaissance de la gérontopsychiatrie en tant que surspécialité favorise la généralisation de ces principes d’intervention ainsi que le développement de connaissances, pour le plus grand bienfait des aînés sourant de troubles mentaux et de leur entourage.

Lectures complémentaires A-S, M. T. & al. (2011). Principles and Practice of Geriatric Psychiatry, 3e éd., Oxford, John Wiley & Sons. A, M. E. & M, G. (2011). Principles and Practice of Geriatric Psychiatry, 2e éd., Philadelphie, PA, Lippincott Williams & Wilkins.

B, D. & al. (2015). e American Psychiatric Publishing Textbook of Geriatric Psychiatry, 5e éd., Arlington, VA, American Psychiatric Publishing. D, T. & T, A. (2013). Oxford Textbook of Old Age Psychiatry, 2e éd., Oxford, Oxford University Press.

R, S. & S, H. (2004). Latelife Depression, Oxford, Oxford University Press.

Chapitre 65

Gérontopsychiatrie clinique

1427

PARTI E

Traitements

Traitements biologiques

Traitements psychosociaux

66 67 68 69 70

73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85

Psychopharmacologie................................ 1429 Anxiolytiques et hypnotiques................... 1443 Antipsychotiques ....................................... 1459 Antidépresseurs ......................................... 1481 Potentialisateurs cognitifs, psychostimulants et non-stimulants ....... 1511 71 Stabilisateurs de l’humeur ........................ 1535 72 Électroconvulsivothérapie et neuromodulation ................................... 1553

1428

6

Fondements de la psychothérapie ........... 1566 érapie psychodynamique...................... 1587 érapie comportementale ...................... 1609 érapie cognitive...................................... 1640 Remédiation cognitive............................... 1666 érapie interpersonnelle......................... 1680 érapie psychoéducative......................... 1689 érapie motivationnelle.......................... 1707 érapie familiale ...................................... 1724 érapie expérientielle-humaniste.......... 1739 Relaxation, hypnose et méditation .......... 1750 Réadaptation et rétablissement ............... 1767 érapie de soutien.................................... 1786

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

CHA P ITR E

66

Psychopharmacologie Nancy Légaré, Pharm. D., BCPP, BCPS, M. Sc. (sciences biomédicales)

Philippe Vincent, BCPP, M. Sc. ( pharmacothérapie avancée)

Pharmacienne, Institut Philippe-Pinel (Montréal)

Pharmacien, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeur adjoint de clinique, Faculté de pharmacie, Université de Montréal

66.1 Histoire de la psychopharmacologie et autres thérapies associées ...................................... 1430

66.6 Pharmacoéconomie..................................................... 1435

66.2 Développement d’un nouveau médicament ............ 1431 66.3 Pharmacodynamie....................................................... 1432 66.4 Pharmacocinétique ..................................................... 1433 66.5 Pharmacogénétique .................................................... 1434

66.7 Interactions médicamenteuses .................................. 1435 66.8 Adhésion à la pharmacothérapie............................... 1439 Lectures complémentaires .................................................... 1442

B

ien que l’utilisation de diverses substances et médicaments qui modient l’humeur et le comportement remonte à plusieurs millénaires, on attribue la naissance de la psychopharmacologie moderne à la découverte du premier antipsychotique (la chlorpromazine [LargactilMD]), en 1952. La prescription optimale des médicaments psychotropes est basée sur la connaissance de divers principes pharmacologiques, dont les paramètres pharmacodynamiques et pharmacocinétiques propres à chacun. De plus, certains éléments comme les polymorphismes génétiques des individus (de mieux en mieux connus) et les interactions médicamenteuses peuvent contribuer à modier la réponse à un médicament, d’où l’importance de bien les reconnaître.

66.1 Histoire de la psychopharmacologie et autres thérapies associées L’utilisation de substances pouvant modier le psychisme date d’au moins 9 000 ans, alors que la consommation d’alcool existait déjà. Près de 2 000 ans avant notre ère, le code de loi du roi Hammurabi de Babylone décrivait l’usage médicinal de certaines plantes comme les dérivés du pavot pour traiter l’anxiété et l’insomnie. Ce n’est cependant qu’à la n du 19e siècle que la psychopharmacologie dite « thérapeutique » est née. En 1882, le paraldéhyde (ParalMD), que l’on considère comme le premier médicament psychotrope, a été introduit dans la pratique clinique par le médecin italien Vincenzo Cervello, à titre de sédatif. Quelques années plus tard, un second sédatif, l’hydrate de chloral (NoctecMD) a été mis en marché, médicament toujours disponible au Canada. À la n du 19e et au début du 20e siècle, d’autres sédatifs ont vu le jour : les bromures (de potassium et de lithium) ainsi que quelques dérivés de l’acide barbiturique, dont le barbital et le phénobarbital (LuminalMD). Ces produits, dont les mécanismes d’action sont peu spéciques d’une pathologie psychiatrique donnée à l’autre, étaient surtout utilisés pour traiter l’agitation sévère ou pour induire une sédation prolongée chez les patients sourant de schizophrénie (Wright, 2006). C’est en 1937, soit exactement 50 ans après leur découverte, que les amphétamines (dextroamphétamine [DexedrineMD] et méthamphétamine) ont été commercialisées pour le traitement de la narcolepsie et du trouble décit de l’attention/hyperactivité (TDA/H). Trois quarts de siècle plus tard, les amphétamines et leurs dérivés, à l’exception de la méthamphétamine, sont toujours utilisés pour traiter ces aections médicales. Au cours de la première moitié du 20e siècle, divers traitements ont été tentés pour soigner les troubles mentaux, en particulier la schizophrénie. Outre les sédatifs et les barbituriques, les thérapies suivantes ont été expérimentées : • La psychothérapie, dont on attribue la paternité à Sigmund Freud (1856-1939), prend ses origines à la n du 19e siècle. Ayant évolué au cours des années, elle demeure aujourd’hui l’une des inspirations de la thérapie de plusieurs troubles mentaux, surtout les « névroses ». • La malaria thérapie consistait en une injection de Plasmodium vivax, un des parasites responsables de la malaria, dans le but de provoquer une forte èvre pour faire disparaître les

1430

symptômes psychotiques. En 1927, ce traitement a valu un prix Nobel de médecine à son découvreur, le médecin autrichien Julius Wagner von Jauregg (1857-1940). Il s’est avéré plus tard que seules les psychoses syphilitiques bénéciaient de cette thérapie, les spirochètes étant sensibles à l’augmentation de la température corporelle. • En 1932, l’insulinothérapie, connue sous le nom de « cure de Sakel », a été proposée par le médecin allemand Manfred Sakel (1900-1957) et a connu ses heures de gloire dans le traitement de la schizophrénie au cours des années 1940 et 1950. Son but était de provoquer une « dissolution temporaire de la conscience » en induisant un coma insulinique d’environ une heure chaque jour, coma qui était renversé graduellement par l’administration intraveineuse de glucose hypertonique et de boissons sucrées. L’émergence de la phase comateuse se faisait sous la supervision constante et rassurante d’un membre du personnel soignant, ce qui a marqué la naissance de la relation d’aide dans le traitement de la schizophrénie. • En 1934, la convulsivothérapie a été pratiquée pour la première fois par le médecin hongrois Joseph von Meduna (18961964). Ce traitement consistait à injecter du camphre ou du pentaméthylène tétrazole an d’induire une crise d’épilepsie pour traiter la schizophrénie. Ce type de traitement, bien qu’ecace pour certains malades, a dû être abandonné, car les produits utilisés étaient à l’origine de sourances atroces chez les patients. • En 1935, la psychochirurgie, en particulier la leucotomie frontale, a été développée par le neurochirurgien portugais Egas Moniz (1874-1955), ce qui lui a valu un prix Nobel en 1949. Elle a été pratiquée pour la première fois pour traiter la schizophrénie et la dépression. Cette approche, que l’on a par la suite surnommée « euthanasie partielle », a connu une certaine popularité à l’époque dans le traitement des patients agités et violents. Aujourd’hui, quelques techniques psychochirurgicales, dont la capsulotomie antérieure et la cingulotomie, sont pratiquées pour traiter des troubles psychiatriques graves et résistants aux autres traitements, en particulier certains troubles obsessionnels-compulsifs. • En 1938, l’électroconvulsivothérapie (ECT) a été développée par les Italiens Ugo Cerletti (1877-1963) et Lucio Bini (19081964). Au cours des décennies qui ont suivi, elle a subi des modifications importantes, dont le placement unilatéral des électrodes et une anesthésie plus adéquate, qui ont favorisé son acceptation. L’ECT est aujourd’hui pratiquée sous anesthésie générale. Elle demeure un traitement contemporain très utile, en particulier pour la dépression majeure résistante au traitement et la catatonie. On considère que l’ère de la psychopharmacologie moderne a vraiment débuté en 1952 lorsque Jean Delay (1907-1987) et Pierre Deniker (1917-1998), psychiatres français œuvrant à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, ont utilisé pour la première fois la chlorpromazine (LargactilMD), une phénothiazine, dans le traitement de la psychose. La chlorpromazine avait été utilisée auparavant par le chirurgien Henri Laborit (1914-1995), en combinaison avec des anesthésiques, an de prévenir le choc opératoire en réduisant la température corporelle et en induisant une sédation sans sommeil profond. L’arrivée de la chlorpromazine dans la pharmacopée est considérée par plusieurs comme l’événement le plus important dans le domaine de la psychiatrie depuis la n du 18e siècle,

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

alors que Philippe Pinel (1745-1826) désenchaînait les patients « aliénés » de l’hôpital Bicêtre à Paris. C’est également en 1952 qu’un groupe de médecins indiens découvre les propriétés antipsychotiques et antidépressives de la réserpine (SerpasilMD), un alcaloïde extrait de la plante orientale Rauwola serpentina utilisée dans le traitement de l’hypertension artérielle. C’est d’ailleurs à cette molécule que l’on attribue la première utilisation du terme « tranquillisant » (tranquilizer). La réserpine ne sera cependant que peu utilisée en Occident comme psychotrope, la chlorpromazine ayant déjà conquis la communauté psychiatrique. En 1954, Heinz Lehmann (1911-1999) et Roland Saucier (19061973), deux psychiatres québécois, popularisent l’usage de la chlorpromazine en Amérique du Nord. La modication de la structure de la molécule de chlorpromazine a permis la synthèse de plusieurs autres phénothiazines et leur commercialisation dans les années subséquentes. En 1958, le psychiatre belge Paul Janssen (1926-2003) développe l’halopéridol (HaldolMD), un antipsychotique de la classe des butyrophénones. L’halopéridol supplante rapidement la chlorpromazine à titre d’antipsychotique le plus populaire (Ban, 2007). Au cours de la même décennie, la découverte des effets antidépresseurs de certains agents antituberculeux a mené à la commercialisation d’un premier antidépresseur, l’iproniazide, en 1957. Cet inhibiteur de la monoamine oxydase (IMAO) a dû rapidement être retiré du marché pour cause d’hépatotoxicité, mais deux autres antidépresseurs IMAO, la phénelzine (NardilMD) et la tranylcypromine (ParnateMD), ont été développés peu après et sont toujours commercialisés. En 1958, l’arrivée du premier antidépresseur tricyclique sur le marché est souvent qualiée d’erreur de parcours. C’est en voulant synthétiser un nouvel antipsychotique de la classe des phénothiazines que l’imipramine (TofranilMD) a vu le jour. Le psychiatre suisse Roland Kuhn (1912-2005), trouvant l’imipramine inecace pour traiter la schizophrénie, décide de l’administrer à quelques patients sourant de dépression et découvre ainsi ses eets antidépresseurs. En modiant la structure de la molécule d’imipramine, on a pu synthétiser et commercialiser plusieurs autres antidépresseurs tricycliques au cours des deux décennies qui ont suivi. Dans les années 1950, le chimiste Leo Sternbach (1908-2005) a été mandaté par les laboratoires Homann-La Roche de Suisse pour synthétiser des médicaments anxiolytiques innovateurs. Dès leur découverte au début des années 1960 par Sternbach, les benzodiazépines, avec en tête le chlordiazépoxide (LibriumMD) et le diazépam (ValiumMD), ont rapidement remplacé les barbituriques pour le traitement de l’anxiété et de l’insomnie. Cette classe de psychotropes demeure à ce jour l’une des plus prescrites au monde. Dès 1949, à la suite des travaux du psychiatre australien John Cade (1912-1980), le lithium (LithaneMD) a été reconnu ecace dans le traitement du trouble bipolaire (autrefois appelé psychose maniaco-dépressive). Mais il a été ignoré par la communauté médicale de cette époque, et ce n’est qu’au début des années 1970 que l’usage du lithium s’est répandu, après que le psychiatre danois Mogens Schou (1918-2005) eut répliqué les résultats obtenus par Cade près de deux décennies auparavant. Il faudra attendre près de 20 ans après l’homologation du lithium pour que certains anticonvulsivants, comme la carbamazépine (TegretolMD) et l’acide valproïque (EpivalMD, DepakeneMD), soient reconnus ecaces et soient prescrits couramment pour le trouble bipolaire (Healy, 2005). À la n des années 1980 et au début des années 1990 apparaissent de nouvelles classes de psychotropes, qui constituent les

pierres angulaires du traitement actuel de la plupart des troubles mentaux. La clozapine (ClozarilMD), le premier antipsychotique atypique à voir le jour, est suivie par plusieurs autres antipsychotiques dits de « deuxième génération ». La zimélidine est le premier antidépresseur de la famille des inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS) à être commercialisé. Cet antidépresseur a dû être retiré du marché à cause d’eets hépatotoxiques, mais la uoxétine (ProzacMD) lui a rapidement succédé et est devenue, au début des années 1990, l’un des médicaments les plus prescrits dans le monde, à tel point qu’on a parlé de la « pilule du bonheur » et de la « génération Prozac » (Wright, 2006). Finalement, c’est au début des années 1990 qu’apparaissent les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, premiers médicaments destinés à traiter les démences. La mémantine (EbixaMD), un antagoniste du récepteur N-méthyl-D-aspartate (NMDA) utilisé pour traiter les formes modérées à graves de la maladie d’Alzheimer, a quant à elle été commercialisée en 2004 au Canada. Les psychotropes sont habituellement classiés selon leurs indications thérapeutiques : les antidépresseurs pour les médicaments traitant la dépression, les antipsychotiques pour les médicaments traitant la psychose, etc. Tout récemment, un groupe international de psychopharmacologues experts a proposé une nouvelle nomenclature des psychotropes, soit une dénomination des classes de médicaments en fonction de leur mécanisme d’action principal. Ainsi, la plupart des antipsychotiques atypiques sont désormais désignés par le terme « antagonistes des récepteurs de la dopamine et de la sérotonine », alors que la classe des antidépresseurs est scindée en plusieurs nouvelles dénominations, dont les « inhibiteurs du recaptage de la noradrénaline » et les « inhibiteurs du recapatage de la sérotonine ».

i

L’application NbN - Neuroscience based Nomenclature se rapportant à ces nouvelles dénominations peut être téléchargée sur Android ou sur Apple.

La panoplie de médicaments psychotropes découverts et mis en marché depuis plus d’un siècle a sans équivoque révolutionné le traitement de divers troubles mentaux. Néanmoins, plusieurs médicaments ont une ecacité limitée ou provoquent des eets indésirables importants. Il est donc primordial de continuer la recherche et le développement de nouveaux psychotropes an d’orir des traitements pharmacologiques plus ecaces et plus sécuritaires.

66.2 Développement d’un nouveau médicament Avant d’être commercialisé, un médicament met en moyenne une quinzaine d’années à passer par diérentes étapes de développement. À la suite de la découverte ou de la synthèse d’une molécule, les essais précliniques permettent d’évaluer les diérents paramètres pharmacologiques et pharmacocinétiques d’un médicament ainsi que sa toxicité et son potentiel carcinogène. Ces essais sont réalisés sur des cultures cellulaires et des animaux de laboratoire. Si le médicament semble ecace et sécuritaire après les essais précliniques, les essais cliniques peuvent débuter. Ils comportent quatre phases : • Phase I : On administre le médicament à un petit nombre de personnes (20 à 40), an d’évaluer son innocuité, de détecter Chapitre 66

Psychopharmacologie

1431

les eets indésirables et de déterminer l’intervalle posologique idéal. • Phase II : On étudie le médicament auprès d’une centaine de patients pour obtenir des données préliminaires sur son ecacité dans le traitement d’une maladie donnée et déterminer la dose optimale à utiliser, tout en poursuivant l’évaluation de son innocuité. • Phase III : On cherche à conrmer l’ecacité du médicament en le comparant, auprès d’environ un millier de patients, à un médicament reconnu. On surveille également l’émergence d’eets indésirables plus rares. • Phase IV : Après l’homologation et la mise en marché du médicament, on poursuit une surveillance continue des eets indésirables ainsi que des risques et des bénéces associés à son utilisation à long terme. Au cours de cette expérimentation, tous les eets indésirables mentionnés sont colligés et listés dans la monographie ocielle du produit, même s’ils n’ont pas vraiment de rapport avec la prise du médicament. C’est ainsi que sont mentionnées dans le Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques (CPS) les longues listes d’eets indésirables qui erayent les patients. La recherche de nouveaux médicaments psychotropes doit relever de nombreux dés, dont les connaissances limitées sur la pathophysiologie de la plupart des maladies psychiatriques, la diculté à recréer des symptômes spéciques (comme les symptômes de la schizophrénie ou de la démence) avec un modèle animal et les obstacles reliés au nancement de la recherche en psychopharmacologie. En fait, l’ecacité de plusieurs médicaments psychiatriques a été découverte fortuitement. L’équivalence thérapeutique des médicaments génériques par rapport aux médicaments d’origine est un sujet controversé. Il incombe à Santé Canada d’évaluer les médicaments génériques, de veiller à leur innocuité, à leur ecacité et à leur qualité. Les procédés d’évaluation actuels sont en vigueur depuis près de 30 ans et s’appliquent aussi bien aux médicaments d’origine que génériques. Un médicament générique doit contenir le même principe actif et en même quantité que le médicament original. De plus, des études de biodisponibilité (dénie par la quantité du principe actif qui rejoint la circulation systémique après l’administration d’un médicament, ainsi que la vitesse requise pour y parvenir) doivent démontrer leur équivalence. Actuellement, très peu d’études contrôlées ont été menées sur l’équivalence clinique des médicaments originaux et génériques. La majorité des publications se limitent à des textes d’opinion ou des cas rapportés qui ne font pas consensus. À partir des données obtenues dans deux études portant sur la substitution d’un antidépresseur dit d’origine par un générique, l’ecacité clinique et la tolérabilité du traitement antidépresseur ne semblent pas diérer selon que le traitement a été entrepris avec l’une ou l’autre des formulations. Cependant, la substitution d’une formulation par une autre en cours de traitement peut être associée à un plus grand nombre de rechutes, d’eets indésirables et d’hospitalisations ainsi qu’à une augmentation des coûts de santé globaux. La surveillance étroite du patient lors d’une substitution par un générique ou, encore, la prescription constante d’une même préparation commerciale (originale ou générique) peut réduire les risques associés au passage d’une formulation à une autre (Vlahiotis & al., 2011).

1432

66.3 Pharmacodynamie La pharmacodynamie représente l’étude de l’eet d’un médicament sur l’organisme. La majorité des médicaments psychotropes produisent leurs eets pharmacologiques en se liant tout d’abord à un ou plusieurs récepteurs neuronaux, induisant par la suite une cascade complexe d’événements biochimiques. Les psychotropes peuvent aussi se lier à d’autres cibles comme une enzyme, un transporteur (protéine qui transporte un neurotransmetteur de la fente synaptique à l’espace présynaptique) ou un canal ionique (protéine transmembranaire qui permet le passage d’un ou de plusieurs ions vers le milieu intra ou extracellulaire). L’anité d’un médicament donné à se lier à un récepteur particulier est exprimée par la constante d’inhibition (Ki). Cette constante représente la dose de médicament nécessaire pour occuper 50 % des récepteurs. Plus la valeur de Ki est faible, plus grande est l’anité entre le médicament et le récepteur. Cette notion permet de prédire les eets thérapeutiques et indésirables d’un médicament, qui découlent directement de son interaction avec ses diérentes cibles. La réponse pharmacodynamique peut-être amplifiée ou diminuée par de nombreux facteurs, parmi lesquels on retrouve diérentes maladies (p. ex., la maladie de Parkinson ou la thyrotoxicose), le vieillissement et l’utilisation concomitante d’autres médicaments. Les eets produits par la plupart des psychotropes peuvent être représentés schématiquement par une courbe sigmoïde (voir la gure 66.1). La réponse optimale à un médicament implique que sa concentration se situe dans un intervalle précis, nommé « fenêtre thérapeutique », an de maximiser la réponse et de réduire la survenue d’eets indésirables. Par exemple, la fenêtre thérapeutique du lithium pour le traitement du trouble bipolaire se situe généralement entre 0,6 mmol/L et 1,2 mmol/L. En deçà de 0,6 mmol/L, l’ecacité du lithium est faible ou nulle alors qu’au-delà de 1,2 mmol/L, des eets indésirables, voire toxiques, comme les vomissements, les tremblements, l’ataxie et la confusion, sont plus susceptibles d’apparaître. Les interactions entre les psychotropes et leurs diérentes cibles peuvent entraîner des eets immédiats ou retardés. Ceux qui provoquent des eets thérapeutiques en quelques minutes ou quelques heures, comme les benzodiazépines, sont particulièrement utiles dans le traitement d’aections aiguës. Cependant, la majorité des médicaments prescrits pour traiter divers troubles mentaux, tels les antipsychotiques et les antidépresseurs, présentent un délai d’action et doivent être pris régulièrement pendant plusieurs semaines avant qu’une réponse thérapeutique n’apparaisse. Par exemple, un antipsychotique comme l’halopéridol bloque rapidement, en 24 heures, les récepteurs dopaminergiques postsynaptiques. Pourtant, l’atténuation des symptômes psychotiques va se faire graduellement, sur plusieurs semaines. C’est donc dire que le médicament modie rapidement la chimie cérébrale (action biologique), permettant à l’eet psychique de survenir peu à peu. Ce délai d’action est imputable à une adaptation lente des processus cellulaires qui conduisent à la réponse neuronale. Par contre, les eets indésirables, qui résultent souvent d’une interaction directe avec un récepteur spécique, surviennent pour la plupart rapidement. Par exemple, les ISRS

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

FIGURE 66.1 Courbe sigmoïde représentant la relation

dose-effet d’un médicament psychotrope

A : Dose ou concentration minimale requise pour obtenir un effet thérapeutique. B : Dose ou concentration maximale requise pour obtenir un effet thérapeutique. L’intervalle entre A et B est appelé « fenêtre thérapeutique » ; les doses supérieures à B vont généralement accroître les effets indésirables sans augmenter l’efcacité du médicament. À faible dose, les effets observés sont faibles ou nuls. Avec l’augmentation de la dose, on observe une augmentation proportionnelle de la réponse thérapeutique. Par la suite, la réponse thérapeutique plafonne malgré l’augmentation de la dose. À ce stade, cependant, des effets indésirables peuvent encore apparaître ou s’amplier. Source : Adapté de DeVane (2010), p. 189.

peuvent mettre de trois à quatre semaines avant de procurer leurs eets antidépresseurs, alors que c’est surtout au cours des deux premières semaines de traitement avec ces médicaments que les eets indésirables comme les nausées, l’agitation psychomotrice et les troubles du sommeil (insomnie, cauchemars) surviennent. La survenue précoce d’eets indésirables, conjuguée à un délai dans la réponse thérapeutique, peut nuire à l’adhésion du patient au traitement médicamenteux (DeVane, 2010). L’eet primaire d’un médicament est son eet recherché alors que l’eet indésirable (ou secondaire) est un eet non souhaité. La tolérabilité réfère au fait que les eets d’un médicament sont supportables et acceptables pour la personne qui le prend. Parmi les divers mécanismes à l’origine des eets indésirables, on distingue : • les eets pharmacologiques principaux du médicament (p. ex., le blocage dopaminergique responsable de l’eet thérapeutique des antipsychotiques peut aussi causer des symptômes extrapyramidaux) ; • les eets sur d’autres cibles ou récepteurs (p. ex., les antidépresseurs tricycliques bloquent les récepteurs de l’acétylcholine et produisent des eets anticholinergiques indésirables qui ne contribuent pas à l’eet thérapeutique) ; • des eets idiosyncrasiques imprévisibles souvent toxiques (p. ex., une agranulocytose, une hépatite médicamenteuse ou une réaction allergique). Quand un médecin prescrit un médicament, il considère non seulement l’eet bénéque (thérapeutique), mais aussi certains eets secondaires souhaitables (p. ex., la sédation) et indésirables (p. ex., des tremblements, de la constipation).

L’eet placebo est partie intégrante de la réponse thérapeutique à un médicament. Il résulte d’une interaction complexe entre le corps et l’esprit, menant à une sensation subjective de bien-être, similaire à celle observée dans les mêmes conditions avec un « vrai » médicament. La réponse à un placebo est inuencée tant par les croyances et les attentes du patient vis-à-vis de la médication que par sa relation avec le personnel soignant. Des études utilisant la résonance magnétique fonctionnelle et la tomographie par émission de positrons ont par ailleurs montré que des changements spéciques dans l’activité des neurotransmetteurs et de certaines structures cérébrales surviennent dans le système nerveux des individus répondant à un placebo, changements similaires à ceux observés chez des individus répondant à des traitements médicamenteux. Les taux de réponse au placebo peuvent atteindre jusqu’à 90 % dans les études psychopharmacologiques, particulièrement celles portant sur le traitement de l’anxiété et de la dépression (mineure dite « légère »). Les taux de réponse au placebo sont beaucoup plus faibles chez les personnes sourant d’un trouble obsessionnel-compulsif, de schizophrénie ou de TDA/H. Les raisons expliquant ces diérences dans la réponse au placebo selon la pathologie ne sont pas claires, mais on pense que certaines caractéristiques inhérentes à ces maladies, comme les décits cognitifs liés à la schizophrénie, pourraient être en cause (Kradin, 2011).

66.4 Pharmacocinétique La pharmacocinétique est l’étude des eets de l’organisme sur les médicaments. Elle se divise en quatre phases : 1. L’absorption peut se faire par le tractus gastro-intestinal (per os), mais aussi par voie intramusculaire (IM) ou intraveineuse (IV), et elle permet au médicament de se rendre dans la circulation systémique. 2. La distribution dans les tissus, et plus particulièrement à travers la barrière hématoencéphalique en ce qui concerne les psychotropes, permet au médicament d’accéder à son site d’action. 3. Le métabolisme a lieu principalement au niveau hépatique par les enzymes de la famille du cytochrome P-450, des protéines membranaires qui catalysent des réactions d’oxydation. Les diérents cytochromes sont désignés par un chire, suivi d’une lettre et d’un autre chire, qui représentent respectivement la famille, la sous-famille et le gène encodant l’enzyme. Bien que des centaines de cytochromes P-450 aient été identiés, cinq d’entre eux (CYP-1A2, CYP2C9, CYP-2C19, CYP-2D6 et CYP-3A4) sont responsables du métabolisme de près de 90 % des médicaments (DeVane, 2010). Le métabolisme permet la transformation du médicament en des produits (métabolites) hydrosolubles, qui peuvent être plus facilement excrétés. 4. L’excrétion, réalisée principalement par les reins, permet l’élimination dénitive du médicament. Les diérentes phases de la pharmacocinétique déterminent la concentration d’un médicament donné à son site d’action ainsi que la vitesse à laquelle cette concentration est atteinte. La mise sur pied d’un régime thérapeutique, qui permet de maintenir la concentration d’un psychotrope à l’intérieur de sa fenêtre

Chapitre 66

Psychopharmacologie

1433

thérapeutique, doit tenir compte des diérents paramètres pharmacocinétiques (Alpert, 2008). Parmi ces paramètres, on note : • le temps de demi-vie, qui représente le temps requis pour que la quantité du médicament dans l’organisme diminue de moitié. Ce paramètre est important pour déterminer la posologie d’un médicament (p. ex., la demi-vie de la clozapine est de 8 à 12 heures et celle de l’olanzapine est d’environ 30 heures, ce qui fait que la clozapine est administrée en doses fractionnées deux à trois fois par jour alors que l’olanzapine peut être administrée une seule fois par jour) ; • la clairance, qui reète la capacité de l’organisme à éliminer une substance. Elle correspond au volume sanguin épuré d’un médicament donné par unité de temps et est souvent exprimée en ml/min ou en ml/h. Plusieurs facteurs peuvent aussi inuencer les diérentes phases pharmacocinétiques d’un médicament et ainsi en modier la réponse pharmacologique. Ces facteurs comprennent : • l’âge : l’absorption, la liaison aux protéines plasmatiques, le métabolisme et l’élimination des médicaments sont généralement diminués chez l’enfant alors que le volume de distribution est augmenté, ce qui a pour conséquence de modier les doses requises chez l’enfant par rapport à l’adulte. La personne âgée, pour sa part, présente une détérioration des fonctions rénale et hépatique qui ralentit l’élimination des médicaments, ce qui entraîne une augmentation de leur durée d’action et de leurs eets indésirables ; • le sexe : les femmes ayant généralement un pourcentage de graisse corporelle plus élevé que les hommes, les médicaments liposolubles (comme la majorité des psychotropes) ont tendance à s’accumuler davantage dans leur organisme. De plus, les médicaments qui se distribuent surtout dans l’eau (comme le lithium) donnent lieu à des concentrations sanguines plus élevées chez les femmes que chez les hommes à doses et poids égaux ;

• le poids : règle générale, plus le poids d’un patient est élevé, plus faible est la concentration sanguine d’un médicament pour une dose donnée ; l’état de santé général : diverses maladies touchant entre autres le tractus gastro-intestinal, le foie ou les reins peuvent aecter les divers paramètres pharmacocinétiques des médicaments ; la grossesse : le volume de distribution, la vitesse du métabolisme et de l’élimination sont tous augmentés au cours de la grossesse. Des ajustements fréquents de la dose et de la posologie, combinés à un suivi étroit, sont donc nécessaires tout au long de la grossesse ; les facteurs génétiques et les interactions médicamenteuses : ce sont également des éléments susceptibles de modier les paramètres pharmacocinétiques d’un médicament.

• •



66.5 Pharmacogénétique La pharmacogénétique se dénit par l’étude de l’impact de facteurs génétiques sur la variabilité observée dans la réponse à un médicament donné. Il est reconnu que la capacité individuelle à métaboliser les médicaments est grandement liée à des facteurs héréditaires. Les polymorphismes génétiques correspondent à des variations dans la séquence des gènes d’une population. Certains polymorphismes génétiques ont été associés à des diérences dans la susceptibilité à une maladie ainsi que dans la réponse à un médicament donné et dans son innocuité. La majorité des polymorphismes identiés sont en lien avec le métabolisme des médicaments (voir le tableau 66.1). Les polymorphismes génétiques touchant les enzymes responsables du métabolisme des médicaments donnent naissance à des sous-populations d’individus dont le métabolisme de certaines substances dévie de façon importante de celui de la population générale. Un certain pourcentage d’individus sont donc

TABLEAU 66.1 Polymorphismes génétiques de certaines enzymes du CYP-450

Enzyme du CYP-450

Pourcentage estimé de la participation au métabolisme des médicaments

Pourcentage estimé de métaboliseurs lents* dans la population générale

Pourcentage estimé de métaboliseurs ultrarapides** dans la population générale

CYP-1A2

< 10

400 mg/jour)

Lithium + anti-inammatoires non stéroïdiens (AINS)

Réabsorption du lithium au niveau rénal à la suite de l’inhibition des prostaglandines par les AINS

Risque d’intoxication au lithium

Lithium + diurétiques thiazidiques

Réabsorption de sodium et de lithium au niveau du tubule proximal induite par les diurétiques thiazidiques

Risque d’intoxication au lithium

Distribution Acide valproïque + aspirine

Métabolisme

Excrétion

Source : Adapté de Preskorn & Flockhart (2009).

66.8 Adhésion à la pharmacothérapie Les sciences liées à l’adhésion au traitement étudient les causes et les conséquences de la diérence entre les expositions désirées et réelles aux traitements médicaux (Vrijens & al., 2012).

Il s’agit d’un problème aussi vieux que la médecine elle-même. Comme l’écrivait Hippocrate il y a plus de 2 400 ans, le médecin doit savoir que certains patients mentent au sujet de leur prise de médicaments. La dénition de l’adhésion et les termes utilisés pour la décrire et l’étudier ont évolué avec le temps. Les termes « compliance » et « adhérence » sont des traductions libres de mots anglais

Chapitre 66

Psychopharmacologie

1439

et doivent être remplacés par « adhésion » ou « observance » dans la littérature médicale française. Dans le domaine spécique de la pharmacothérapie, un groupe d’experts a récemment proposé une taxonomie pour aider les chercheurs et les cliniciens à se comprendre (Vrijens & al., 2012). Ils dénissent l’adhésion à la pharmacothérapie comme le processus par lequel les patients s’engagent à suivre de bon gré les recommandations pour prendre leurs médicaments comme ils sont prescrits. Il est aussi exact de dire « délité au traitement ». Il en ressort quatre concepts : 1. L’initiation est le temps entre l’ordonnance et la première dose prise. 2. L’observance est la proportion de doses prises correctement. 3. L’interruption est le moment où la pharmacothérapie est arrêtée. 4. La persistance est la durée entre l’initiation et l’interruption. Tous les patients qui se font prescrire un médicament se demandent comment il agira sur leur état de santé. Il est naturel d’anticiper les eets bénéques et indésirables, les changements qu’ils produiront sur le comportement et la routine de vie, les impacts nanciers, la stigmatisation, etc. Les statistiques québécoises sur l’adhésion sont alarmantes (Tamblyn & al., 2014) : • 31,3 % des patients ne se procurent jamais leur ordonnance, peu importe l’indication ; • 31,6 % se la procurent si l’indication est pour un problème de santé mentale ; • 37 % se la procurent si l’indication est pour la dépression majeure. Le problème se pose dès l’initiation, alors que ces patients ne sont même pas désireux d’essayer un médicament pour leur état de santé. Pour continuer avec le même exemple, les patients qui entreprennent un traitement antidépresseur ont une persistance au traitement qui décroît avec le temps (Institut national d’excellence en santé et en services sociaux, 2011) : • 73 % le poursuivent un mois ; • 59 % le poursuivent trois mois ; • 33 % le poursuivent un an ; • 22 % le poursuivent deux ans. Des statistiques issues de Finlande chez les personnes souffrant de schizophrénie sont encore plus alarmantes (Tiihonen & al., 2011) : • 58 % des patients se sont procuré leur première ordonnance ; • 46 % de ceux-ci ont continué leur traitement plus de 30 jours. Quant à l’observance à la pharmacothérapie, les études se servant de oles ou de piluliers munis d’un dispositif électronique permettant d’enregistrer les moments de prise donnent les mêmes estimations : la moitié des patients sourant de schizophrénie prennent moins de 70 % de leurs médicaments (Stip & al., 2013). Il est surprenant de réaliser que tant de sourance mentale demeure non traitée. Quelles sont les causes de ce phénomène ? Les patients sont-ils non observants en raison de leurs caractéristiques démographiques ou cliniques, par opposition, par insouciance, par désintérêt ? Les conséquences, par contre, sont bien connues, notamment une diminution de la qualité de vie, un risque accru d’hospitalisations et même de décès (Simpson & al. 2006).

1440

Malgré un recensement de 182 études, une revue Cochrane conclut que très peu d’interventions visant à améliorer l’adhésion ont montré des bénéces cliniques, car des pièges méthodologiques tels que les biais de sélection, de performance et de confusion compliquent la réalisation d’un design d’étude solide (Nieuwlaat & al., 2014). Toutefois, il en ressort que le noyau commun de plusieurs interventions ecaces est l’augmentation du soutien par la famille, les pairs, les inrmières ou les pharmaciens, et l’ore de séances de psychoéducation et de psychothérapie comme l’entretien motivationnel. Il semble que la qualité de la relation clinicien-patient et la chaleur humaine comptent pour beaucoup. C’est pourquoi il est important d’apprendre à parler ecacement d’adhésion avec les patients. Devant ces dicultés, Pound et ses collaborateurs (2005) ont fait une revue systématique des études sur l’adhésion qui ont utilisé des méthodes qualitatives. Du point de vue des patients, la nonadhésion est principalement due aux qualités du médicament et au fait que la majorité des gens voudront toujours en prendre le moins possible. Freudenreich & Tranulis (2009) ont proposé cinq prototypes de patients basés sur leur vision du monde et leurs explications de la maladie : 1. Ceux qui prennent leurs médicaments pour des raisons biomédicales ; 2. Ceux qui les prennent pour des raisons idiosyncrasiques, personnelles ; 3. Ceux qui commencent à les prendre, mais qui demeurent hésitants ; 4. Ceux qui sont passivement observants, par soumission ou conformisme ; 5. Ceux qui résistent totalement, qui ne veulent prendre aucun médicament. Ces prototypes sont utiles pour prévoir les obstacles, personnaliser l’intervention de manière à favoriser l’adhésion et choisir ses techniques d’entrevue. Par ailleurs, les recommandations cliniques d’un groupe d’experts peuvent guider le clinicien pour détecter ou améliorer l’adhésion (Velligan & al., 2010). Ils proposent que la fréquence et la durée de l’entrevue concernant l’adhésion augmentent en fonction des symptômes du patient, allant de cinq minutes tous les trois mois pour un patient stable avec une bonne alliance, jusqu’à 10 à 30 minutes toutes les semaines pour un patient présentant des problèmes d’adhésion ou de contrôle de la maladie. Voici des exemples de questions à poser pendant cette entrevue, pour identier et modier les facteurs connus inuençant l’adhésion. • Pour l’attitude et les comportements envers les médicaments : Pendant combien de temps planiez-vous de prendre ces médicaments ? Quelles sont les raisons pour lesquelles vous prenez ces médicaments ? Avez-vous déjà diminué ou arrêté la prise de vos médicaments ? Pourquoi ? • Pour la comorbidité et la gravité des symptômes : Comment votre consommation de drogues inuence-t-elle la prise de vos médicaments ? Certains de vos symptômes rendent-ils plus dicile la prise de médicaments ? • Pour les facteurs environnementaux : Que faites-vous quand il ne reste que quelques pilules dans la fiole ? Comment

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

payez-vous les médicaments ? Quels sont vos trucs pour vous souvenir de prendre les médicaments ? • Pour les facteurs cognitifs : Quels sont les noms de vos médicaments ? Quand les prenez-vous ? • Pour les facteurs liés aux médicaments : Quels problèmes ou eets indésirables éprouvez-vous présentement avec vos médicaments ? • Pour l’alliance thérapeutique : Sentez-vous que l’équipe de soins comprend vos préoccupations par rapport aux médicaments ? Que fait-elle qui diminue votre intérêt envers les médicaments ? Que pourrait-elle faire pour augmenter votre intérêt à les prendre ? • Pour le soutien social : Avez-vous des disputes avec vos proches par rapport aux médicaments ? Lesquels de vos proches vous encouragent, ou vous découragent, de prendre les médicaments ? • Pour les facteurs liés au système de soins : Qui contactez-vous pour avoir de l’information sur les médicaments ? Est-ce ecace pour répondre à vos questions ? Qu’aimeriez-vous connaître de plus sur vos médicaments et leurs eets ? Velligan et ses collaborateurs (2010) proposent aussi des interventions techniques et administratives telles que : • demander au patient d’amener ses médicaments en entrevue ; • mesurer la concentration sanguine du médicament ; • questionner les proches du patient ; • utiliser des méthodes technologiques (p. ex., piluliers ou dosettes) ; • obtenir l’historique des achats de médicaments auprès des pharmaciens ; cette méthode, aussi recommandée par Nieuwiaat et ses collaborateurs (2014), est la plus simple et la plus universelle pour mesurer les quatre composantes de l’adhésion, même si elle n’est pas la plus précise parce que le patient n’a pas nécessairement consommé ce qu’il a acheté. Pour les patients qui ont des problèmes d’observance pour des raisons autres que l’attitude, des méthodes technologiques comme un pilulier intelligent (Stip & al., 2013), les rappels par alarme, par messagerie texte, par téléphone ou en personne peuvent les aider. Lorsqu’un niveau de surveillance accrue est nécessaire pour un patient ayant un problème d’observance à cause de ses croyances et attitudes envers les médicaments, le clinicien faisant le rappel peut être un professionnel de la santé qui va à domicile ou un pharmacien qui sert le médicament quotidiennement à la pharmacie ou au domicile. Pour le traitement de la psychose, les antipsychotiques injectables à action prolongée peuvent aussi améliorer le suivi de la pharmacothérapie et réduire l’utilisation des services découlant des interruptions (Lachaine & al., 2015). Par ailleurs, Shea (2006) souligne que les chercheurs en sciences reliées à l’adhésion étudient le problème à l’envers. Selon lui, ce n’est pas le patient qui a des caractéristiques qui le rendent non observant, c’est plutôt que le médicament et les cliniciens qui le proposent ne sont pas assez intéressants pour lui. Il présente ainsi un modèle en trois étapes pour intéresser les patients à entreprendre et à maintenir un traitement : le Medication Interest Model (MIM). Lorsqu’il est jumelé à la philosophie du retour à la pleine citoyenneté des personnes sourant de maladie mentale,

ce modèle inspirant est utile pour communiquer ecacement la nécessité de suivre une pharmacothérapie. Tous les humains craignent la sourance et veulent la limiter dans leur vie, de même qu’ils aspirent au rétablissement et au bonheur. Une entrevue de quelques dizaines de minutes ne peut prétendre résoudre tous les problèmes d’un patient, mais elle peut donner de l’espoir. • Le clinicien commence l’entrevue par un petit geste de compassion – une poignée de main, un sourire authentique – ou en reconnaissant une caractéristique identitaire du patient comme son habillement, ses tatouages ou son maquillage. • Ensuite, il est aisé d’enchaîner avec les passe-temps et les occupations. • Cette introduction bienveillante du MIM se termine en discutant des aspirations et des objectifs de vie du patient. Les objectifs du MIM portent sur les aspects suivants : • Faire émerger la sourance ou les symptômes du patient pour identier une cible de traitement commune, pour le patient et le médecin, celle-ci n’ayant pas à être la cible biomédicale idéale du clinicien. Par exemple : Si je pouvais inventer le médicament idéal pour vous, que voudriez-vous qu’il vous fasse ? Existe-t-il un symptôme dont vous voudriez vous débarrasser ? Dans le cas du traitement de la psychose, les cibles verbalisées par le patient peuvent même être très simples, ludiques ou hors contexte : « J’aimerais mieux dormir, être moins anxieux, moins agressif, pouvoir m’occuper de mon chat. » • Intéresser le patient à essayer un médicament pour cette cible thérapeutique. Le clinicien peut utiliser l’attitude empathique et les stratégies de la thérapie motivationnelle pour faire émerger les disparités entre les aspirations et les sourances du patient. Certaines questions utiles et ecaces peuvent faire surgir un discours de changement : Qu’est-ce que cette sourance vous empêche de réaliser comme activités, comme rêve, comme aspiration ? Y a-t-il des amis ou des membres de votre famille que vous aimeriez protéger des conséquences de cette sourance ? • Faire un menu d’options des médicaments disponibles pour la cible du patient, qui choisira le traitement qui a un sens pour sa sourance, et dont les avantages dépassent les inconvénients. La recherche du sens peut se faire par des questions telles que celle-ci : Que penseraient votre famille et vos amis si vous preniez ce médicament ? • Une étape additionnelle, non mentionnée dans le MIM, a l’objectif d’aider le patient à persister dans son traitement. Pour détecter la perte d’intérêt du patient, le clinicien peut utiliser des questions comme celles-ci : Croyez-vous avoir assez, trop ou pas assez de médicaments ? C’est normal de manquer des doses ; s’il vous plaît, dites-le-moi si ça arrive, et je modierai le médicament pour vous accommoder. Certaines personnes qui vont très bien avec ce médicament se demandent si elles sont encore malades, si elles en ont encore besoin. C’est normal. Avez-vous eu ces pensées ? « Le meilleur médicament est celui que le patient prend. » Simple conclusion, qui synthétise tous les éléments de l’adhésion : le patient prend son médicament parce qu’il a un sens pour lui, qu’il est intéressé par ses bénéces, qu’il en tolère les eets indésirables, qu’il se souvient de le prendre, qu’il a les

Chapitre 66

Psychopharmacologie

1441

moyens de le payer et que ses proches et le système de soins le soutiennent dans les dicultés liées à l’adoption de ce nouveau comportement.

Depuis plusieurs millénaires, les traitements psychopharmacologiques ont fait l’objet de nombreuses recherches dans le but d’améliorer l’état des patients sourant de divers troubles mentaux. Malgré les avancées scientiques réalisées au cours des 60 dernières années, la recherche psychopharmacologique est

toujours en plein essor. La recherche de nouveaux psychotropes plus spéciques, plus ecaces et plus sécuritaires se poursuit. An de mieux anticiper les eets thérapeutiques et indésirables des médicaments psychotropes, une bonne connaissance des grands principes pharmacologiques s’avère nécessaire. De plus, il est important de reconnaître la présence de polymorphismes génétiques et d’interactions médicamenteuses an d’éviter un échec thérapeutique ou encore la survenue d’une intoxication. L’individualisation du traitement pharmacologique des troubles mentaux permet ainsi d’augmenter l’innocuité et l’ecacité des médicaments prescrits.

Lectures complémentaires B-B, K. Z. & al. (2014). Clinical Handbook of Psychotropic Drugs, 20e éd., Cambridge, MA, Hogrefe Publishing. C, B. & al. (2005). « Potentially hazardous drug interactions with psychotropics », Advances in Psychiatric Treatment, 11(6), p. 440-449. F, S. J. & al. (2010). Clinical Manual of Psychopharmacology in the

1442

Medically Ill, Washington, American Psychiatric Publishing. F, R. L. (2007). Clinical Manual of Child and Adolescent Psychopharmacology, Washington, American Psychiatric Publishing. J, S. A. & al. (2007). Clinical Manual of Geriatric Psychopharmacology, Washington, American Psychiatric Publishing.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

S, S. M. (2008). Essential Psychopharmacology, 3e éd., New York, Cambridge University Press. W, G. H. & al. (2008). Clinical Manual of Drug Interaction Principles for Medical Practice, Washington, American Psychiatric Publishing.

CHA P ITR E

67

Anxiolytiques et hypnotiques Pierre Landry, M.D., FRCPC, Ph. D. (neurophysiologie)

Maryse Gervais, M.D., FRCPC

Psychiatre, Clinique des maladies aectives, Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal

Psychiatre, Programme des troubles psychotiques, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Professeur agrégé de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeure chargée d’enseignement clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

67.1 Anxiolytiques ............................................................... 1444 67.1.1 Benzodiazépines .................................................. 1444 67.1.2 Autres médicaments ayant des propriétés anxiolytiques ........................................................ 1451 67.2 Hypnotiques ................................................................. 1453 67.2.1 Agonistes des récepteurs GABAergiques ...... 1453 67.2.2 Antidépresseurs sédatifs ................................... 1454 67.2.3 Antipsychotiques sédatifs ................................. 1456 67.2.4 Anticonvulsivants................................................ 1456

67.2.5 Antihistaminiques .............................................. 1456 67.2.6 L-tryptophane ...................................................... 1456 67.2.7 Mélatonine et agonistes des récepteurs de la mélatonine ...................... 1457 67.2.8 Hydrate de chloral .............................................. 1457 67.2.9 Barbituriques ....................................................... 1457 67.2.10 Produits naturels et suppléments alimentaires .................................. 1457 Lectures complémentaires .................................................... 1458

L’

anxiété et l’insomnie accompagnent souvent les pathologies psychiatriques comme la dépression ou la psychose, mais peuvent également constituer des troubles psychiatriques en elles-mêmes, par exemple le trouble de l’anxiété généralisée (TAG) ou l’insomnie primaire. L’anxiété et l’insomnie se manifestent aussi dans des pathologies médicales diverses ou, encore, en réaction à des stresseurs sociaux et environnementaux. Plusieurs classes de médicaments comportent des propriétés pharmacologiques qui leur confèrent une ecacité anxiolytique ou hypnotique. Parmi celles-ci, la classe des benzodiazépines est encore aujourd’hui la plus reconnue et la plus utilisée. Toutefois, d’autres psychotropes peuvent s’avérer ecaces et utiles. Ce chapitre propose une revue des diérentes options pharmacologiques qui s’orent aux médecins pour traiter l’anxiété et l’insomnie, qu’elles soient primaires ou associées à d’autres aections.

marché international, dont 13 sont en vente au Canada (voir le tableau 67.1). Les dernières décennies ont permis d’accumuler beaucoup d’information clinique sur les aspects pharmacocinétiques et pharmacodynamiques, les interactions médicamenteuses et l’utilisation thérapeutique des benzodiazépines, tant en médecine physique qu’en psychiatrie. Malgré les inquiétudes suscitées par leur potentiel de pharmacodépendance et leur prol d’eets indésirables, les benzodiazépines orent une avenue thérapeutique ponctuelle temporaire ou à plus long terme pour plusieurs patients sourant d’anxiété, d’agitation ou d’insomnie. Même si la prescription de nouvelles classes de médicaments semble se répandre pour ces mêmes indications, une étude récente indique qu’au Canada, l’usage des benzodiazépines n’a pas diminué au cours de la dernière décennie. Dans la population générale, la fréquence d’utilisation se situerait entre 4,9 et 6,1 % et atteindrait 11 % chez les gens ayant un diagnostic psychiatrique (Kassam & Patten, 2006). D’ailleurs, les benzodiazépines demeurent un des trois choix privilégiés par les psychiatres dans le traitement d’un trouble anxieux réfractaire à un antidépresseur. Une étude française révèle aussi que 60 % des patients suivis pour une dépression majeure reçoivent une benzodiazépine de leur omnipraticien (Verger & al., 2008). Les facteurs suivants sont très souvent associés à l’usage d’une benzodiazépine : • l’anxiété ou la dépression ; • le sexe féminin ; • un âge plus avancé ; • un milieu socioéconomique inférieur ; • un faible niveau de scolarité.

67.1 Anxiolytiques Les médicaments anxiolytiques sont utilisés pour le traitement de l’anxiété, des troubles anxieux et de l’insomnie. Il existe deux types de médicaments anxiolytiques : les benzodiazépines et les non-benzodiazépines ayant des propriétés anxiolytiques.

67.1.1 Benzodiazépines Depuis la commercialisation du chlordiazépoxide (LibriumMD) en 1960, suivi du diazépam (ValiumMD) en 1963, plus de 3 000 benzodiazépines ont été synthétisées. En 1970, le flurazépam (DalmaneMD) a été la première benzodiazépine commercialisée spéciquement en tant qu’hypnotique. Aujourd’hui, toutes ces benzodiazépines sont aussi prescrites comme hypnotiques. De nos jours, de 35 à 50 benzodiazépines seraient oertes sur le

Absorption Règle générale, plus la vitesse et le degré d’absorption d’une benzodiazépine sont grands, plus la molécule présente un pic plasmatique élevé. Cela se traduit par des eets thérapeutiques

TABLEAU 67.1 Benzodiazépines offertes au Canada, classées par doses équivalentes

Nom générique

Nom commercial

Doses équivalentes

Présentation (mg)

Posologies recommandées

Midazolam

VersedMD

–*

1 mg/ml ; 5 mg/ml IV

2,5 à 10 mg IV

Triazolam

HalcionMD

0,25 mg

Co 0,125 ; 0,25

0,125 à 0,25 mg HS

Clonazépam

RivotrilMD

0,25 mg

Co 0,25 ; 0,5 ; 1 ; 2

0,25 à 2 mg BID à TID

Alprazolam

XanaxMD

0,5 mg

Co 0,25 ; 0,5 ; 1 ; 2

0,25 à 1 mg TID

Lorazépam

AtivanMD

1 mg

Co 0,5 ; 1 ; 2 2 mg/ml ; 4 mg/ml IM ou IV

0,5 à 2 mg BID à TID 1 à 2 mg IM ou IV

Bromazépam

LectopamMD

3 mg

Co 1,5 ; 3 ; 6

1,5 à 6 mg TID

Diazépam

ValiumMD

5 mg

Co 2 ; 5 ; 10 5 mg/ml IM ou IV

2 à 10 mg BID à QID 5 à 10 mg IM ou IV

Nitrazépam

MogadonMD

5 mg

Co 5 ; 10

5 à 10 mg HS

Chlordiazépoxide

LibriumMD

10 mg

Caps 5 ; 10 ; 25

5 à 25 mg TID à QID

Clorazépate

TranxeneMD

10 mg

Caps 3,75 ; 7,5 ; 15

3,75 à 15 mg BID à QID

Flurazépam

DalmaneMD

15 mg

Caps 15 ; 30

15 à 30 mg HS

Oxazépam

SeraxMD

15 mg

Co 10 ; 15 ; 30

10 à 30 mg TID à QID

Témazépam

RestorilMD

15 mg

Caps 15 ; 30

15 à 30 mg HS

* Il s’agit d’une solution injectable. Source : Adapté de Association des pharmaciens du Canada (2014).

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rapides et, en contrepartie, des eets indésirables potentiellement plus marqués. L’absorption rapide apportant un soulagement quasi immédiat des symptômes, la dépendance psychologique peut survenir plus facilement. Pour la plupart des benzodiazépines prises par la bouche, l’eet apparaît de 30 minutes à deux heures après leur ingestion. Le bromazépam, le clorazépate, le diazépam, le urazépam et le triazolam sont parmi les benzodiazépines ayant un début d’action rapide. Elles sont habituellement réservées aux situations commandant un eet thérapeutique immédiat telle l’insomnie initiale (voir le tableau 67.2). Dans leur forme orale standard, les benzodiazépines sont facilement absorbées par le tractus gastro-intestinal. Grâce à leur liposolubilité, elles diusent passivement à travers l’épithélium de la muqueuse intestinale vers les capillaires sanguins. Les comprimés seraient absorbés plus rapidement que les capsules. L’ingestion de nourriture, d’agents anticholinergiques ou antiacides ralentit la vidange gastrique et entraîne une absorption plus graduelle. Le pic plasmatique est donc moins marqué et l’eet ressenti par le patient, légèrement réduit. La majorité des benzodiazépines sont dissoutes par les enzymes des sucs gastriques sans aucune modication métabolique avant d’être absorbées à travers la muqueuse intestinale. Seul le clorazépate subit une modication métabolique dans l’estomac. Il s’agit en eet d’un promédicament, inactif dans sa forme originale ; il doit d’abord être hydrolysé dans l’estomac en desméthyl-diazépam, ce qui permet alors à la molécule d’être absorbée et d’acquérir des propriétés thérapeutiques. Toutefois, cette transformation chimique ne retarde pas l’eet thérapeutique du médicament.

Distribution La grande anité des benzodiazépines pour les lipides assure leur distribution dans le cerveau et leur redistribution vers les tissus adipeux périphériques. Cette phase de redistribution s’accompagne d’une chute des concentrations cérébrale et plasmatique en deçà de la concentration minimale ecace, et la molécule cesse alors de produire son eet thérapeutique. Plus une benzodiazépine est liposoluble, plus la phase de redistribution survient rapidement. Les benzodiazépines les plus liposolubles provoquent davantage de troubles mnésiques, mais toutes comportent un tel risque. Le diazépam, suivi du clorazépate, puis du triazolam, présente la liposolubilité la plus grande (voir le tableau 67.2).

Métabolisme, demi-vie, élimination et implications cliniques Les benzodiazépines sont métabolisées par le système enzymatique hépatique avant d’être éliminées dans l’urine ou les selles. Le urazépam, le diazépam, le clorazépate et le chlordiazépoxide subissent une première réaction qui aboutit à la formation de deux métabolites actifs ayant une longue demi-vie. Par la suite, ces métabolites subissent une réaction d’oxydation qui les transforme en dérivés 3-hydroxy, également des métabolites actifs. Finalement, les dérivés 3-hydroxy sont conjugués à un acide glucuronique et transformés en métabolites hydrosolubles inactifs. L’un des dérivés 3-hydroxy, le nordazépam, est métabolisé en oxazépam, une molécule avec une demi-vie intermédiaire qui est elle-même commercialisée. Les benzodiazépines générant des métabolites actifs (alprazolam, chlordiazépoxide, clorazépate, diazépam, urazépam, nitrazépam)

TABLEAU 67.2 Caractéristiques pharmacocinétiques des benzodiazépines classées selon leur demi-vie

Nom générique

Nom commercial

Début d’action

Liposolubilité*

Demi-vie

Métabolites actifs

Midazolam

VersedMD

0,5 à 1 min IV

ND

1à4h

Oui

Triazolam

HalcionMD

1à2h

0,64

1,5 à 5 h

Non

Oxazépam

SeraxMD

2à4h

0,45

5 à 15 h

Non

Bromazépam

LectopamMD

1à4h

0,24

8 à 30 h

Non

Alprazolam

XanaxMD

1à2h

0,54

10 à 15 h

Oui

Lorazépam

AtivanMD

1 à 6 h PO 45 à 75 min IM

0,48

10 à 20 h

Non

Témazépam

RestorilMD

2à3h

0,50

10 à 20 h

Non

Nitrazépam

MogadonMD

0,5 à 7 h

0,29

16 à 55 h

Oui

Clonazépam

RivotrilMD

1à2h

0,28

20 à 80 h

Non

Chlordiazépoxide

LibriumMD

1à4h

ND

> 100 h

Oui

Clorazépate

TranxeneMD

0,5 à 2 h

0,79

> 100 h

Oui

Diazépam

ValiumMD

0,5 à 2 h

1,00

> 100 h

Oui

Flurazépam

DalmaneMD

0,5 à 1 h

ND

> 100 h

Oui

La demi-vie correspond à la durée d’action, ce qui est important à considérer pour prévenir l’accumulation de l’effet, surtout chez les personnes âgées. * Un chiffre élevé indique une plus grande liposolubilité. ND : Données non disponibles. Source : Adapté de Association des pharmaciens du Canada (2014).

Chapitre 67

Anxiolytiques et hypnotiques

1445

peuvent s’accumuler et causer plus d’effets indésirables. Elles ne devraient pas être utilisées chez les personnes âgées, puisque l’activité métabolique hépatique diminue avec l’âge, ce qui accentue les risques d’accumulation (voir le tableau 67.2). Le triazolam, l’alprazolam et le midazolam sont également transformés par oxydation en composés 3-hydroxy. Ces métabolites actifs sont cependant très rapidement conjugués par glucuronidation, de sorte qu’ils ne s’accumulent pas de façon signicative. Malgré cette propriété pharmacocinétique avantageuse, le triazolam provoque une amnésie antérograde et d’autres troubles cognitifs qu’on explique par sa courte demi-vie et sa grande liposolubilité. Soulignons que le métabolisme hépatique du triazolam serait peu modié avec l’âge chez la femme, mais réduit chez l’homme. Quant au lorazépam, à l’oxazépam et au témazépam, ils sont eux-mêmes des dérivés 3-hydroxy et sont d’emblée conjugués à un acide glucuronique. Leur élimination ne produit aucun métabolite actif. L’altération de la fonction hépatique aecte très peu leur élimination. Pour cette raison, ils représentent un premier choix chez les personnes âgées et les patients sourant d’un trouble hépatique comme une cirrhose ou une hépatite. Finalement, en ce qui concerne les dérivés 7-nitro, comme le clonazépam, ils sont métabolisés en amines inactives avant d’être acétylés et excrétés. L’élimination des benzodiazépines et de leurs dérivés par métabolisme hépatique et excrétion rénale se fait à un taux propre à chaque molécule, désigné comme le temps de demi-vie d’élimination (t 1 ). Les dérivés d’un même sous-groupe ont des demi-vies 2

d’élimination comparables, puisqu’ils sont biotransformés par les mêmes voies métaboliques. Ces temps d’élimination servent à classer de façon arbitraire les benzodiazépines en fonction de leur demi-vie, soit :

• ultracourte (t 1 < 3 h) : midazolam ; 2 • courte (t 1 de 3 à 10 h) : triazolam ; 2 • intermédiaire (t 1 de 10 à 24 h) : oxazépam, bromazépam, 2



alprazolam, lorazépam, témazépam ; longue (t 1 > 24 h) : nitrazépam, clonazépam, chlordiazépoxide, 2

clorazépate, diazépam, urazépam. La demi-vie des métabolites actifs peut contribuer à la durée d’action de la molécule mère. Le urazépam en est un exemple éloquent, puisque sa demi-vie est de deux à trois heures alors que la demi-vie de son métabolite principal, le N-désalkyl-urazépam, est de plus de 50 heures. Le taux d’élimination du lorazépam, de l’oxazépam et du témazépam est un index beaucoup plus able de leur durée d’action, puisque ces molécules ne produisent aucun métabolite actif. Il en va de même pour le triazolam et le midazolam, dont les métabolites actifs sont très rapidement éliminés. Cela dit, même si une benzodiazépine a une plus longue demivie d’élimination, elle n’a pas nécessairement une durée d’action prolongée. Par exemple, le diazépam, le chlordiazépoxide et le clonazépam ont une plus longue demi-vie que le lorazépam, mais sont aussi plus liposolubles, donc plus promptement redistribués en périphérie, et leur action sur les récepteurs centraux prend n plus rapidement. Par contre, en cas de doses rapprochées ou d’un usage prolongé, ces mêmes benzodiazépines s’accumulent et provoquent un eet soutenu malgré une grande liposolubilité. L’accumulation se poursuit jusqu’à ce que la benzodiazépine

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atteigne une concentration plasmatique à l’équilibre, généralement après cinq demi-vies. À l’inverse, les benzodiazépines avec de plus courtes demi-vies s’accumulent moins, surtout si les intervalles entre les doses sont prolongés.

Mécanismes d’action Le mode d’action des benzodiazépines consiste à potentialiser l’eet inhibiteur de l’acide γ-aminobutyrique (GABA). Le GABA est un neurotransmetteur synthétisé par des neurones localisés à plusieurs endroits dans le système nerveux central (SNC). Il constitue le neurotransmetteur inhibiteur le plus répandu du SNC chez l’humain. Sa présence facilite l’entrée des ions chlore (Cl–) dans les neurones et augmente leur charge négative. Ce processus physiologique inhibe l’activité cellulaire et ralentit la transmission nerveuse. Il y a au moins trois types de récepteurs GABA, soit le GABAA, le GABAB et le GABAC. Les benzodiazépines se lient uniquement aux récepteurs GABAA. Par contre, les benzodiazépines ne sont pas des agonistes GABAergiques. Elles accroissent plutôt la capacité du GABA à faire entrer du chlore dans les neurones ; en l’absence de GABA, elles n’ont aucun eet sur l’activité neurale. La présence de récepteurs pour les benzodiazépines soulève d’ailleurs l’hypothèse qu’une substance endogène dans le SNC agirait à la manière des benzodiazépines. Certains ont proposé que la diminution de cette substance endogène, non identiée jusqu’à maintenant, serait responsable des divers troubles anxieux et du sommeil. À l’appui de cette hypothèse, des études en imagerie cérébrale démontrent une diminution des sites de liaison aux benzodiazépines dans le lobe temporal de patients sourant d’un trouble anxieux généralisé et dans le cortex préfrontal dorsolatéral de patients sourant d’un trouble panique (Hasler & al., 2008). La gure 67.1 est une représentation schématique du récepteur GABA A. Comme illustré, ce récepteur est une protéine composée de cinq sous-unités (α, β et γ et leurs 19 variantes), elles-mêmes organisées sous la forme d’une rosette insérée dans la membrane du neurone (voir la gure 67.1a). L’entrée d’ions chlore se fait par le canal situé au centre de la rosette. L’ouverture du canal est modulée par le GABA, qui induit des changements dans la conguration des protéines de la rosette en se liant surtout à la sous-unité β. Les benzodiazépines potentialisent l’eet du GABA en se liant aux sous-unités α, β et γ, qui jouent chacune un rôle spécique. Par exemple, la liaison d’une benzodiazépine à la sous-unité α1, localisée surtout dans le tronc cérébral, favorise la sédation, alors que la liaison à la sous-unité α2, localisée dans le système limbique, est davantage associée à une réponse anxiolytique. La liaison à la sous-unité α5 serait responsable de l’amnésie antérograde (Möhler, 2007). Ces connaissances sur les rôles spéciques des diérentes sous-unités permettent de mieux comprendre pourquoi les hypnotiques non benzodiazépiniques, telle la zopiclone (Imovane MD), sont ecaces comme somnifères, mais très peu comme anxiolytiques. L’usage prolongé d’une benzodiazépine modierait l’expression génétique et réduirait la synthèse des ARN messagers codant pour les sous-unités α1, α2, α3 et possiblement β. Cette modication dans la composition du récepteur GABA constitue un mécanisme d’autorégulation qui serait à l’origine du développement de la tolérance aux benzodiazépines.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

FIGURE 67.1 Représentation schématique du récepteur GABAA

Source : Landry & al. (2008) p. 591.

En plus de se lier aux sous-unités α, β et γ comme les autres benzodiazépines, le clonazépam serait un agoniste des récepteurs de la sérotonine. Cette caractéristique lui conférerait des propriétés thérapeutiques additionnelles pour soulager l’anxiété et la dépression chez le patient sourant d’une dépression majeure unipolaire (Morishita, 2009). Cette hypothèse est appuyée par des études en génétique moléculaire démontrant que l’absence de récepteurs sérotoninergiques modie le nombre de sous-unités dans la rosette du récepteur GABA et induit l’anxiété dans un modèle animal. Néanmoins, vu l’absence d’études comparatives avec d’autres benzodiazépines, il est impossible de conclure que cette caractéristique pharmacodynamique avantage le clonazépam. Une étude récente rapporte une réduction signicative des rechutes et des hospitalisations chez les patients bipolaires traités avec les benzodiazépines, sans préciser cependant lesquelles étaient prescrites. Dans la gure 67.1b, on observe que le récepteur GABAA comporte plusieurs sites de liaison distincts, entre autres pour le GABA, les benzodiazépines, les barbituriques, les neurostéroïdes (œstrogène et autres) et l’alcool. On comprend ainsi pourquoi ces diérentes molécules donnent lieu à une dépendance croisée observée en clinique. En présence d’une benzodiazépine, la sensibilité des récepteurs aux neurostéroïdes est augmentée. Ce phénomène d’adaptation réduirait les symptômes de sevrage lors de l’arrêt des benzodiazépines. Toutefois, les études étant insusantes, on ne peut conclure que ces nombreux mécanismes d’adaptation cellulaire dièrent d’une benzodiazépine à l’autre. En résumé, la recherche des dernières décennies a permis de préciser les mécanismes d’inhibition du SNC, de la dépendance et de la tolérance, mais aucune diérence signicative entre les benzodiazépines n’a pu être démontrée quant à leur mécanisme d’action, sauf pour une activité sérotoninergique du clonazépam.

Classication La structure chimique de toutes les benzodiazépines est similaire, ce qui fait qu’elle ne peut être utilisée comme critère de classication. Pour des considérations pratiques liées à la durée des eets thérapeutiques et des eets indésirables, les benzodiazépines sont classées en fonction de leur demi-vie d’élimination, soit ultracourte (t 1 < 3 h), courte (t 1 de 3 à 10 h), intermédiaire 2

2

(t 1 de 10 à 24 h) et longue (t 1 > 24 h). 2

2

Modalités de prescription À l’heure actuelle, les connaissances moléculaires apportent peu d’information probante pour orienter le médecin dans son choix d’une benzodiazépine (Landry & al., 2008).

Choix du médicament Comme pour tout médicament, le choix d’une benzodiazépine est déterminé par son indication thérapeutique, son ecacité, son prol d’eets indésirables et sa facilité d’administration. Les manifestations cliniques suivantes justient l’usage d’une benzodiazépine : • l’anxiété associée à un autre trouble psychiatrique ; • le trouble anxieux (trouble spécique, anxiété diuse) ; • l’insomnie ; • l’agitation (manie, psychose, delirium) ; • l’épilepsie (status epilepticus) ; • le delirium tremens, le sevrage alcoolique ; • les tics ; • la catatonie ; • la dyskinésie tardive ; • la dystonie aiguë ; • les impatiences musculaires (syndrome des jambes sans repos) ; • l’akathisie secondaire aux antipsychotiques ; Chapitre 67

Anxiolytiques et hypnotiques

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• les myoclonies ; • les spasmes musculaires. Les benzodiazépines ont sensiblement le même prol d’ecacité, et leurs eets anxiolytiques ou hypnotiques sont fonction des doses utilisées et de leur demi-vie. Avant toute chose, le médecin doit se demander s’il existe un médicament autre qu’une benzodiazépine ou encore une approche thérapeutique autre que pharmacologique qui permettrait d’atteindre le même objectif clinique, sans exposer le patient à un problème éventuel – bien que relativement peu fréquent – de pharmacodépendance et de sevrage. En tenant compte des considérations pharmacologiques mentionnées plus haut, le médecin doit être en mesure de répondre aux questions suivantes avant de prescrire une benzodiazépine pour un trouble psychiatrique : • Quel est le diagnostic et quels sont les symptômes ciblés par la médication ? • S’agit-il de symptômes ponctuels et transitoires ou présents sur une base continue ? • Le patient prend-il d’autres médicaments susceptibles d’interagir avec les benzodiazépines ? • Le patient soure-t-il d’une pathologie médicale pouvant modier l’absorption ou l’élimination d’une benzodiazépine ? • Le patient est-il en mesure de prendre la médication par la bouche ? • S’agit-il d’une situation commandant une intervention d’urgence ?

Début du traitement La majorité des benzodiazépines sont administrées par voie orale sous forme de comprimés ou de capsules. Trois benzodiazépines (diazépam, lorazépam et midazolam) sont offertes sous forme liquide pour administration par voie intramusculaire ou intraveineuse. Pour une urgence psychiatrique (agitation, agressivité), le lorazépam, 1 à 2 mg IM, est habituellement utilisé, car son absorption et sa distribution sont beaucoup plus fiables que d’autres benzodiazépines, notamment le diazépam IM. Le médecin doit toujours prescrire la plus petite dose disponible et augmenter graduellement la posologie en fonction de la réponse clinique. La médication est généralement bien tolérée dans ces conditions. Il est préférable pour le patient non hospitalisé de faire un premier essai lors d’une journée de congé et d’éviter la conduite automobile pour réduire l’impact potentiel des effets indésirables, notamment la sédation qui nuit au travail et aux autres activités quotidiennes. Habituellement, on privilégie les benzodiazépines avec une demi-vie intermédiaire, en particulier chez les personnes âgées, pour réduire le risque d’accumulation et le prolongement des effets indésirables au-delà de quelques heures, surtout lorsqu’elles sont utilisées comme somnifère. Durant le jour, la dose totale peut être répartie en deux ou trois prises, si nécessaire, afin de contrôler les symptômes anxieux. Chez les personnes âgées, il est recommandé de réduire la dose des benzodiazépines de moitié et d’éviter celles ayant une longue demi-vie ou des métabolites actifs. Dans l’éventualité où une benzodiazépine est administrée pendant plus de trois semaines, un sevrage graduel est recommandé pour minimiser les symptômes de retrait et l’inconfort du patient.

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Traitement d’entretien Lorsqu’on désire un eet soutenu, par exemple pour traiter une symptomatologie anxieuse chronique, des tics, une dystonie tardive ou une épilepsie, on utilise les benzodiazépines ayant une longue demi-vie. L’accumulation prévient les uctuations plasmatiques et les symptômes interdoses. Par contre, l’accumulation est moins souhaitable lorsqu’on recherche un eet ponctuel, par exemple pour traiter une insomnie initiale ou une anxiété s’inscrivant dans un trouble d’adaptation. À cet égard, le choix d’une benzodiazépine avec une demi-vie intermédiaire permet de limiter la sensation de nausée au lendemain de la prise du médicament. Les benzodiazépines ayant une courte demi-vie ne sont habituellement pas recommandées sur une base régulière en raison d’un risque plus élevé d’eets rebonds et de troubles mnésiques. Une benzodiazépine avec une longue demi-vie peut présenter certains avantages en réduisant l’intensité des symptômes de sevrage lorsqu’elle est cessée rapidement, mais les caractéristiques pharmacocinétiques ont peu d’importance lorsque la diminution se prolonge sur plusieurs semaines ou plusieurs mois.

Traitement des cas réfractaires Aucune benzodiazépine n’est plus ecace qu’une autre. Si la réponse thérapeutique s’avère insusante aux posologies maximales recommandées, il faut procéder au sevrage complet de la benzodiazépine et faire l’essai d’un médicament d’une autre classe ou réduire la dose et considérer une association avec un psychotrope d’une autre classe.

Considérations particulières En général, peu de problèmes médicaux associés à l’utilisation d’une benzodiazépine nécessitent une surveillance accrue lors du suivi thérapeutique. Mentionnons tout de même qu’il est préférable d’éviter les benzodiazépines durant le premier trimestre d’une grossesse en raison du risque, bien que minime, d’un eet tératogène. Par contre, le risque tératogène serait légèrement augmenté lorsqu’une benzodiazépine est coadministrée avec un inhibiteur spécique du recaptage de la sérotonine (ISRS) (Oberlander & al., 2008). Parmi les malformations congénitales mentionnées dans ces études, on note les malformations cardiovasculaires, l’atrésie du tube digestif et, plus rarement, les ssures palatines (Wikner & al., 2007). La prématurité et le petit poids sont aussi rapportés. De plus, la fonction hépatique du fœtus étant peu développée, il ne peut métaboliser les médicaments de façon adéquate. Pour cette raison, il est généralement recommandé de cesser les benzodiazépines au moins une à deux semaines avant l’accouchement pour prévenir une toxicité néonatale, par exemple un trouble de succion ou une diminution du tonus musculaire (syndrome du bébé mou [ oppy baby]). Chez la personne âgée, la réduction du métabolisme hépatique et de la synthèse de protéines plasmatiques peut augmenter la demi-vie des benzodiazépines et induire davantage d’eets indésirables. Les modications physiologiques du SNC liées au vieillissement favorisent aussi la somnolence, la désorientation et l’agitation. Pour ces raisons, il est recommandé de réduire la dose des benzodiazépines de moitié chez cette population et d’éviter celles avec une longue demi-vie ou qui ont des métabolites actifs. Il est à noter qu’une réaction paradoxale, caractérisée par de l’excitation et de l’agitation (due à la désinhibition), peut survenir lors de la prise du médicament, même à faible dose, chez les

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personnes âgées, tout comme chez les enfants, les personnes présentant une décience intellectuelle, un trauma crânien, et les gens ayant des antécédents d’abus d’alcool ou d’agressivité. Chez l’adulte qui soure d’une insusance hépatique causée par une cirrhose ou une hépatite, il faut réduire les doses de la plupart des benzodiazépines du fait que le métabolisme hépatique est grandement altéré. Cette précaution est moins nécessaire pour le lorazépam, l’oxazépam et le témazépam. Il faut aussi réduire considérablement les doses chez les patients en attente de gree pulmonaire, cardiaque, hépatique ou rénale. En eet, la défaillance d’un organe majeur entraîne des changements physiologiques importants et généralisés de l’absorption intestinale, de la concentration de protéines plasmatiques et de leur redistribution dans la circulation sanguine, en particulier la circulation hépatique, ce qui a pour effet de modifier la vitesse d’élimination des médicaments. Chez les personnes en attente d’une gree pulmonaire, il est recommandé de traiter l’anxiété avec un antidépresseur plutôt qu’une benzodiazépine, qui pourrait induire une dépression respiratoire.

Indications et contre-indications Les benzodiazépines sont prescrites pour l’insomnie et l’anxiété dans plus de 70 % des cas. Néanmoins, plusieurs autres indications thérapeutiques sont reconnues, tant en médecine physique que psychiatrique. Il y a contre-indication absolue de prescrire des benzodiazépines chez les patients qui sourent d’apnée du sommeil, d’un trouble respiratoire grave ou d’une myasthénie grave, puisqu’elles sont des dépresseurs du système respiratoire. Aussi faut-il éviter les benzodiazépines durant le premier trimestre de grossesse. Il y a contre-indication relative de prescrire ces médicaments à des gens ayant ou ayant déjà eu un trouble lié à l’utilisation de substances, en raison notamment des risques de dépendance croisée et d’abus. Sans être contre-indiquées, les benzodiazépines ne constituent pas le traitement de 1re intention du trouble de stress post-traumatique. Un antidépresseur (ISRS) a l’avantage de traiter la symptomatologie à la fois anxieuse et dépressive qui est souvent associée à ce trouble anxieux. Les benzodiazépines peuvent interférer avec d’autres modalités de traitement, notamment la thérapie cognitivo-comportementale, en soulageant ecacement et rapidement la symptomatologie, de sorte que la motivation à s’engager dans une démarche psychothérapeutique à moyen terme s’en trouve ébranlée. Cette interférence est bien connue des cliniciens dans la thérapie cognitivo-comportementale du trouble panique.

Effets indésirables Généralement les benzodiazépines comportent peu d’effets indésirables signicatifs à court terme lorsqu’elles sont prescrites aux posologies recommandées par le fabricant. Néanmoins, différents eets indésirables sont associés à la prise initiale, à l’usage chronique ou à l’arrêt du médicament. Les eets indésirables suivants ont été observés en début de traitement : • la somnolence, la sédation (35 %) ; • la faiblesse, la fatigue (17 %) ; • l’ataxie (17 %) ; • les étourdissements, la sensation de tête légère (13 %) ; • la xérostomie (13 %) ; • les céphalées (9 %) ;

• • • • • •

la dépression (8 %) ; la tachycardie, les palpitations (8 %) ; la confusion, la désorientation (7 %) ; l’insomnie (6 %) ; les hallucinations (5 %) ; l’irritabilité, l’hostilité, l’agressivité (5 %). Certaines études, mais pas toutes, indiquent que l’usage de benzodiazépines serait associé à des troubles cognitifs et à une amnésie antérograde. Les troubles cognitifs pourraient se manifester jusqu’à six mois après l’arrêt de la benzodiazépine. Ces eets indésirables seraient fonction de la durée du traitement et de la dose cumulative. De plus, l’amnésie antérograde surviendrait plus fréquemment avec les benzodiazépines ayant une courte demi-vie comme le triazolam. Une revue extensive de la littérature suggère aussi que le lorazépam serait davantage associé à des problèmes d’acquisition de nouvelles informations et à des troubles d’acuité visuelle (Giersch & al., 2010). Quelques études suggèrent que les benzodiazépines pourraient même accélérer l’apparition des premiers symptômes dans la maladie d’Alzheimer. Elles peuvent aussi provoquer de l’hypotension, de l’incoordination motrice et des chutes, en particulier chez les personnes âgées qui sont sujettes à des blessures graves comme une fracture de la hanche. Enn, à cause de la somnolence, le risque d’accident de voiture est augmenté chez les personnes prenant une benzodiazépine, et ce risque s’accentue avec l’âge (Rapoport & al., 2009). Bien que la tolérance soit une préoccupation qui limite l’usage des benzodiazépines, ce phénomène surviendrait chez seulement 8 % des utilisateurs. Il est d’ailleurs admis que la dépendance physiologique est peu susceptible de se développer si l’usage ne dépasse pas quelques semaines. Les études démontrent tout de même que de 20 à 30 % des utilisateurs ne peuvent cesser leur médication, pas nécessairement à cause d’une dépendance, mais en raison d’une résurgence des symptômes anxieux ou d’insomnie. Aussi, de 27 à 87 % des patients ayant réussi un sevrage reprennent une benzodiazépine dans les années suivant la cessation, souvent à des doses et pour des durées moindres qu’initialement, ce qui suggère que le risque de développer une dépendance aux benzodiazépines n’est pas plus élevé dans cette population. Un sevrage graduel est recommandé après deux ou trois semaines de traitement pour éviter un syndrome de retrait. Il est malgré tout possible que de l’anxiété ou de l’insomnie rebonds se manifestent durant quelques jours, mais le sevrage graduel devrait atténuer l’inconfort du patient. Une participation active du patient à la prise de décision tout au long des étapes du sevrage réduit son anxiété et évite qu’il prenne des initiatives compromettant la réussite du sevrage (Landry & Mainguy, 2003). Il est possible de procéder au sevrage d’une benzodiazépine à raison de 10 à 25 % de la dose totale par semaine sur une période de quelques semaines, parfois plus si le patient en a fait un usage chronique. Pour la dernière étape du sevrage, on peut augmenter l’intervalle entre les doses, par exemple une prise tous les deux ou trois jours, avant de cesser complètement le médicament. Cependant, pour certains patients qui prennent des benzodiazépines depuis très longtemps, il est parfois nécessaire de prévoir un sevrage plus progressif sur une période de trois à six mois, par palier de 10 %, par exemple. Si, pour diverses raisons, le sevrage complet est Chapitre 67

Anxiolytiques et hypnotiques

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impossible, il faut considérer que toute réduction de dose atténue les eets indésirables et s’avère ainsi bénéque.

TABLEAU 67.3 Substrats, inhibiteurs et inducteurs

Interactions médicamenteuses

Substrats de l’enzyme

Il y a deux types d’interaction pharmacologique : le premier fait référence aux modications du métabolisme des médicaments (interaction pharmacocinétique), alors que le second consiste à souligner l’accentuation des eets indésirables en lien avec des mécanismes d’action complémentaires, particulièrement dans le SNC (interaction pharmacodynamique).

Interactions pharmacocinétiques Par dénition, une interaction pharmacocinétique produit une modication du taux plasmatique d’un médicament. Ce type d’interaction peut survenir à l’une ou l’autre des étapes dans les processus d’absorption, de distribution, de métabolisme ou d’élimination. Ainsi, la modication de l’acidité gastrique par les antiacides peut diminuer la vitesse d’absorption des benzodiazépines, notamment du chlordiazépoxide et du diazépam. Par ailleurs, les benzodiazépines et leurs métabolites se lient aux protéines plasmatiques. Toute condition qui réduit la disponibilité de ces protéines augmente la fraction libre de médicament dans le plasma, c’est-à-dire la fraction active qui se lie à son récepteur et produit un eet thérapeutique ou toxique. L’âge avancé, la malnutrition et la cirrhose hépatique sont des états ou des aections caractérisés par une diminution de la synthèse de protéines pouvant conduire à l’augmentation de la fraction libre ou active. L’administration conjointe de médicaments qui compétitionnent pour un même site de liaison aux protéines, par exemple l’acide valproïque et le diazépam, peut également augmenter la fraction libre de benzodiazépine plasmatique. Il semble cependant qu’aucune conséquence clinique d’importance n’ait pu être démontrée jusqu’à maintenant en lien avec ce phénomène. C’est au niveau du métabolisme des benzodiazépines par les enzymes du cytochrome P450 (CYP-450) que les interactions les plus importantes sont susceptibles de survenir. Les risques d’interactions médicamenteuses concernent principalement les réactions d’oxydation médiées par le CYP-3A4 (voir le tableau 67.3), mais d’autres isoenzymes sont en cause dans le métabolisme des benzodiazépines, notamment : • le CYP-1A2 (alprazolam) ; • les CYP-2B4 et 2E1 (clonazépam) ; • les CYP-2C9, 2C19 et 2B6 (diazépam) ; • le CYP-2E1 (nitrazépam) ; • les CYP-2C et 2D6 (urazépam). Les antibiotiques kétoconazole et érythromycine, les corticostéroïdes ainsi que certains antidépresseurs de la classe des ISRS tels que la uoxétine, la uvoxamine et la sertraline sont tous des inhibiteurs du métabolisme associé au CYP-3A4 et peuvent donc provoquer une accumulation de benzodiazépines métabolisées par cette voie lorsqu’ils sont administrés conjointement. Trois ou quatre verres de jus de pamplemousse susent pour inhiber signicativement l’oxydation eectuée par le CYP-3A4 dans l’intestin. Le métabolisme par conjugaison serait cependant relativement épargné par le jus de pamplemousse. Les hydrocarbures polycycliques aromatiques présents dans la fumée de cigarette accélèrent pour leur part le métabolisme de l’alprazolam par l’isoenzyme CYP-1A2 et celui de l’alprazolam,

1450

de l’isoenzyme hépatique CYP-3A4

Alprazolam Bromazépam Clonazépam Diazépam Midazolam Triazolam

Inhibiteurs du CYP-3A4

Inducteurs du CYP-3A4

ISRS Fluoxétine Fluvoxamine Paroxétine Sertraline Antibiotiques Ciprooxacine Clarithromycine Érythromycine Kétoconazole Itraconazole Fluconazole Bloqueurs calciques Diltiazem Vérapamil Inhibiteurs de la protéase Indinavir Ritonavir Autres Cimétidine Contraceptifs oraux Jus de pamplemousse Jus de grenade

Antiépileptiques Carbamazépine Barbituriques Oxacarbazépine Phénytoïne Glucocorticoïdes Dexaméthasone Autres Oméprazole Millepertuis Rifampine

Substrat : médicament ou autre substance métabolisé par l’isoenzyme. Inhibiteur : médicament ou autre substance pouvant diminuer l’activité de l’isoenzyme. Inducteur : médicament ou autre substance pouvant augmenter l’activité de l’isoenzyme. Source : Bezchlibnyk-Butler & al. (2014).

du diazépam et du lorazépam par une autre voie métabolique qui n’est toujours pas précisée.

Interactions pharmacodynamiques Les interactions pharmacodynamiques surviennent lorsqu’un médicament augmente l’activité pharmacologique d’un second médicament. Dans le cas des benzodiazépines, l’eet inhibiteur du SNC, qui se manifeste notamment par de la somnolence, est potentialisé par les antihistaminiques, les antidépresseurs de la classe des tricycliques, les antipsychotiques ayant des propriétés antihistaminiques, les opiacés, les barbituriques et l’alcool. Dans la mesure du possible, il est donc préférable de ne pas les combiner aux benzodiazépines. Enn, l’usage du lorazépam par voie intramusculaire ou intraveineuse est déconseillé avec l’olanzapine, en raison d’un risque d’hypotension important, et avec la clozapine, quelques décès ayant été rapportés. Il faut donc s’en tenir à une administration par la bouche lorsqu’on combine le lorazépam à ces deux antipsychotiques.

Résultats selon les données probantes Au Canada, une indication officielle est reconnue pour les benzodiazépines suivantes : • l’alprazolam, le clonazépam et le clorazépate, pour le traitement du trouble panique avec agoraphobie ; • le urazépam, le nitrazépam, le témazépam et le triazolam, comme somnifères ;

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

• l’alprazolam, le diazépam et le lorazépam, reconnus comme légèrement supérieurs au placebo, dans le traitement à court terme du trouble anxieux généralisé, selon les résultats d’une méta-analyse (Martin & al., 2009) ; • le clonazépam, utilisé pour le traitement de l’agitation dans la manie aiguë, même s’il n’est pas considéré ociellement comme un stabilisateur de l’humeur. De plus, les benzodiazépines, en particulier le clonazépam à faible dose, semblent ecaces pour réduire le risque d’une rechute dans la dépression réfractaire (Morishita, 2009), mais elles seraient associées à un plus grand nombre de rechutes dans la maladie bipolaire sans nécessairement être le facteur précipitant (Perlis & al., 2010). Enn, un traitement combiné clonazépam/uoxétine est associé à un taux de rémission plus élevé d’une dépression majeure avec anxiété (Papakostas & al., 2010). Toutefois, les bénéces thérapeutiques d’un traitement à long terme avec une benzodiazépine ne sont pas démontrés par des études prospectives. D’ailleurs, l’arrêt de la benzodiazépine peut être suivi d’une amélioration clinique, en particulier des fonctions cognitives et mnésiques, sans nécessairement provoquer un retour de l’anxiété ou de l’insomnie (Lader & al., 2009).

67.1.2 Autres médicaments ayant des propriétés anxiolytiques Si les anxiolytiques benzodiazépiniques sont inefficaces ou induisent des eets indésirables, la prégabaline et la gabapentine sont des options à considérer en raison de leur mécanisme d’action unique.

Anticonvulsivant La prégabaline (LyricaMD) est un métabolite de la gabapentine. Il s’agit d’un acide aminé synthétique comportant à la fois des propriétés antiépileptiques, anxiolytiques et analgésiques. Bien que la prégabaline soit un analogue structurel du GABA, elle n’agit pas sur les récepteurs GABAergiques. Son mode d’action consiste à bloquer les récepteurs contrôlant l’entrée du calcium dans les neurones et les boutons présynaptiques localisés dans le néocortex, les noyaux amygdaliens et l’hippocampe. Il en résulte une diminution de l’activité neuronale et de la neurotransmission. La demi-vie de la prégabaline est de six heures et le pic plasmatique est atteint 1,5 heure après l’administration d’une dose. D’ailleurs, l’absorption de la prégabaline est plus able que celle de la gabapentine, qui diminue lorsque la dose du médicament est augmentée. Plus de 90 % du médicament est éliminé sans modication par voie rénale, ce qui en fait une option très utile chez les patients sourant de maladies hépatiques. Par contre, il faut réduire les doses chez les personnes âgées ou ayant une insusance rénale du fait que l’excrétion de la prégabaline est proportionnelle à la clairance de la créatinine. L’intérêt thérapeutique de la prégabaline en psychiatrie se limite surtout au trouble anxieux généralisé (Frampton & Foster, 2006). Les doses thérapeutiques varient de 150 à 600 mg par jour (moyenne de 400 mg), réparties en deux ou trois prises quotidiennes. Une réponse thérapeutique peut s’observer après une semaine, mais le traitement devrait se prolonger sur une période de trois à quatre semaines avant qu’il faille conclure à un échec. En traitement d’entretien, une étude de 26 semaines montre qu’il y a moins

de rechutes chez les gens traités avec la prégabaline qu’avec un placebo. Quelques études ouvertes indiquent que la prégabaline pourrait être utile dans le traitement des personnes sourant d’un trouble de stress post-traumatique ou d’anxiété sociale ainsi que dans le sevrage des benzodiazépines. Les effets indésirables les plus fréquents sont, par ordre décroissant : • les étourdissements (29 %) ; • la somnolence (16 %) ; • l’œdème périphérique (12 %) ; • l’incoordination à la marche (8 %) ; • la xérostomie (6 %) ; • la constipation (6 %) ; • une anomalie de la vision (amblyopie, diplopie) (de 5 à 9 %). Le plus souvent, les eets indésirables diminuent, voire disparaissent après deux à quatre semaines de traitement. À l’inverse des bloqueurs des canaux calciques, la prégabaline ne produit aucun eet documenté sur la pression artérielle ou l’activité cardiaque. De plus, les fonctions cognitives seraient moins perturbées par la prégabaline que par les benzodiazépines. La cessation du traitement devrait se faire graduellement sur une période de deux semaines. La dose de la prégabaline est directement associée à la gravité et à la fréquence des eets indésirables.

Antagonistes et agonistes des récepteurs adrénergiques L’adrénaline exerce ses eets physiologiques sur divers types et sous-types de récepteurs β et α situés dans les systèmes nerveux central et autonome, mais aussi sur d’autres organes des systèmes cardiovasculaire et pulmonaire. Cette classe de médicaments est généralement peu utilisée en 1re intention, mais demeure un choix intéressant pour des patients réfractaires à d’autres médicaments, du fait d’ailleurs que la noradrénaline est souvent impliquée dans les troubles psychiatriques.

β-bloquants Trois types de récepteurs β ont été identiés à ce jour : 1. Les β1 dans les muscles cardiaques et les reins ; 2. Les β2 dans le système gastro-intestinal, les poumons, les muscles lisses du système vasculaire, le foie et l’utérus ; 3. Les β3 dans les tissus adipeux. Les β-bloquants sont des antagonistes relativement spéciques des récepteurs β, puisqu’ils ont peu d’anité pour les récepteurs α. Le tableau 67.4 résume les caractéristiques pharmacologiques des β-bloquants les plus utilisés en psychiatrie. Les eets indésirables à surveiller sont les suivants : • l’hypotension artérielle et la bradycardie ; • l’exacerbation des problèmes respiratoires secondaires à une bronchoconstriction chez les patients sourant d’asthme ou de maladie pulmonaire obstructive chronique ; • l’hypoglycémie chez le diabétique traité avec un hypoglycémiant oral ou de l’insuline ; • la léthargie, la lassitude et la fatigue, en particulier avec les β-bloquants lipophiles (métoprolol, propranolol, pindolol), qui comportent plus de risques d’induire des eets indésirables en lien avec le système nerveux. Chapitre 67

Anxiolytiques et hypnotiques

1451

TABLEAU 67.4 Caractéristiques pharmacologiques des antagonistes bloquants β, α et agoniste α,

classés selon leur demi-vie

Nom générique

Nom commercial

Lipophile

Métabolisme

Type d’interaction

Sélectivité

Demi-vie

Posologie

α1

2à3h

0,5 à 3 mg TID

Prazosine

MinipressMD

Oui

Hépatique

Antagoniste

Métoprolol

LopressorMD

Oui

Hépatique

Agoniste

β1 > β2

3à4h

50 à 150 mg BID

Pindolol

ViskenMD

Oui

Hépatique

Antagoniste

β1 > β2

3à4h

5 à 60 mg TID

Propranolol

InderalMD

Oui

Hépatique

Antagoniste

β1 = β2

3à6h

10 à 140 mg TID

Aténolol

TenorminMD

Non

Rénal

Antagoniste

β1 > β2

6à9h

50 à 100 mg DIE

Clonidine

CatapresMD

Oui

Hépatique et rénal

Agoniste

α2 > α1

6 à 20 h

0,05 à 0,4 mg DIE

Nadolol

CorgardMD

Non

Rénal

Antagoniste

β1 = β2

14 à 24 h

40 à 240 mg DIE

Source : Sadock & al. (2009).

Le propranolol (InderalMD) a fait l’objet d’un plus grand nombre d’études cliniques que les autres β-bloquants. Il est aussi plus utilisé. Ses eets thérapeutiques les mieux documentés sont les suivants : • la réduction des manifestations physiologiques (tremblements, tachycardie et sudation) observées dans l’anxiété de performance et la phobie sociale ; • la diminution de l’akathisie induite par les antipsychotiques ; • la réduction des tremblements induits par le lithium. Une dose de propanolol variant de 10 à 20 mg TID s’avère souvent susante pour obtenir une réponse thérapeutique avec peu d’eets indésirables. À plus haute dose, le propranolol peut réduire les comportements violents chez les patients atteints d’un trouble neurologique, de la maladie d’Alzheimer ou d’une décience intellectuelle. Le pindolol (ViskenMD) est aussi utilisé pour accélérer ou potentialiser la réponse à un ISRS dans le traitement de la dépression majeure ou du trouble obsessionnel-compulsif. Toutefois, l’eet thérapeutique du pindolol est plutôt attribué à son activité antagoniste des récepteurs 5-HT 1A localisés sur les neurones du raphé. Par ce mécanisme, il réduit l’inhibition des cellules sérotoninergiques du raphé et facilite la libération de la sérotonine.

α1-bloquants

La prazosine (MinipressMD) est un antagoniste des récepteurs α1-adrénergiques. Cette molécule est largement métabolisée par le foie et sa demi-vie est de deux à trois heures. Les études ouvertes et à double insu avec placebo démontrent que la prazosine réduit les cauchemars et améliore la qualité du sommeil dans le trouble de stress post-traumatique (Raskind & al., 2007). Elle est également ecace pour réduire l’agitation et l’agressivité chez la personne âgée sourant de la maladie d’Alzheimer. Son activité vasodilatatrice en fait un antihypertenseur puissant. Les eets indésirables principaux sont : • les étourdissements orthostatiques (11 %) ; • les nausées (9,5 %) ; • la somnolence (8,7 %) ; • les céphalées (8,4 %) ;

1452

• les palpitations (6,6 %) ; • la xérostomie (5,6 %). Agoniste α2

La clonidine (Catapres MD) est un agoniste des récepteurs α-adrénergiques qui a d’abord été commercialisé pour ses propriétés antihypertensives. Elle est absorbée rapidement et son pic plasmatique survient de une à cinq heures après la prise du médicament. Sa demi-vie est en moyenne de 12 heures (de six à 24 heures), mais peut tripler chez les patients atteints d’une insusance rénale, bien que la clonidine soit métabolisée par le foie avant d’être excrétée. Dans l’encéphale, les récepteurs α2 sont localisés en pré- et postsynaptique des neurones du locus cœruleus, du cortex, de l’amygdale, du septum, de l’hippocampe et de l’hypothalamus. La stimulation des récepteurs α-adrénergiques présynaptiques diminue la libération de la noradrénaline, alors que le blocage des mêmes récepteurs en postsynaptique réduit l’excitabilité des neurones. L’usage continu de la clonidine induit une régulation à la baisse des récepteurs α 2. La clonidine a également une anité pour les récepteurs α1 qui se trouvent sur le système vasculaire, causant une diminution de la pression artérielle. Elle n’est reconnue ociellement pour le traitement d’aucun trouble psychiatrique. Néanmoins, elle peut réduire : • l’hypervigilance caractéristique du trouble de stress posttraumatique ; • les tics moteurs et vocaux et le trouble d’attention et d’hyperactivité du syndrome de Gilles de la Tourette ; • l’agressivité chez les enfants atteints du trouble du spectre de l’autisme ; • la sévérité du sevrage des opiacés et de la nicotine. Les eets indésirables les plus fréquents de la clonidine sont les suivants : • la xérostomie (40 %) ; • la somnolence (33 %) ; • les étourdissements (16 %) ; • la sédation (10 %).

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

L’arrêt de la clonidine doit se faire graduellement pour éviter un syndrome de sevrage caractérisé par les manifestations suivantes : • une hypertension artérielle ; • des palpitations ; • de la nervosité ; • de l’agitation ; • des tremblements ; • des nausées ; • des céphalées.

67.2 Hypnotiques La décision d’introduire un hypnotique ou un sédatif doit d’abord être guidée par le diagnostic diérentiel de l’insomnie. Lorsque l’insomnie s’inscrit dans une autre pathologie psychiatrique ou médicale, un autre trouble spécique du sommeil, ou est entretenue par l’usage d’une médication ou d’une autre substance (café, thé, boissons énergisantes, cocaïne, etc.), le traitement de la cause sous-jacente sut parfois à la faire disparaître. De plus, une approche non pharmacologique fondée sur la promotion d’une bonne hygiène de sommeil, couplée à des techniques de relaxation, au contrôle des stimuli ou à une thérapie cognitivo-comportementale, peut produire des bienfaits sans être associée à des eets indésirables. L’hygiène de sommeil est présentée en détail au chapitre 32 (voir l’encadré 32.3). Règle générale, un hypnotique peut être indiqué pour les patients sourant d’insomnie primaire ou d’insomnie comorbide, pour laquelle le traitement de la cause sous-jacente n’apporte pas de soulagement satisfaisant dans un délai acceptable. Dans la mesure où le médecin ne craint pas une détérioration clinique imminente, une insomnie présente depuis quelques jours seulement et qui n’a pas d’impact sur le fonctionnement devrait faire l’objet d’une réévaluation avant que l’on introduise une médication. Si elle persiste, il peut y avoir indication pour un sédatif à court terme, le temps par exemple que se résorbe un stress (deuil, conit au travail, préoccupations familiales) auquel est exposé le patient. Cependant, le médecin est parfois aux prises avec des cas d’insomnie chronique qui commandent aussi un soulagement. Lorsque les autres approches tardent à produire leur effet ou échouent, il doit proposer des options en tenant compte des risques et des bénéfices pour son patient. S’il est bien connu que les hypnotiques et les sédatifs peuvent causer la somnolence diurne, les troubles de mémoire, l’incoordination motrice, les chutes souvent causées par l’hypotension orthostatique et les étourdissements, les accidents de voiture (en supposant une diminution de la concentration) et d’autres effets indésirables, le manque de sommeil peut en causer tout autant. On sait aussi que l’insomnie est un facteur de risque pour développer un trouble de l’humeur, de l’irritabilité, des idées suicidaires ou paranoïdes. De plus, un patient qui ne reçoit pas l’aide qu’il attend pour régler son problème de sommeil peut être tenté de se tourner vers des traitements potentiellement neurotoxiques à long terme, notamment l’alcool ou le cannabis.

67.2.1 Agonistes des récepteurs GABAergiques Les agonistes GABA benzodiazépiniques et non benzodiazépiniques représentent à court terme le traitement pharmacologique de 1re intention de l’insomnie, surtout s’il y a urgence d’agir.

Benzodiazépines Au Canada, quatre benzodiazépines ont une indication ocielle pour l’insomnie, soit le urazépam, le nitrazépam, le témazépam et le triazolam, mais, en clinique, toutes peuvent être utilisées en tenant compte des considérations pharmacocinétiques et pharmacodynamiques discutées dans les sections précédentes. Il semble cependant que le diazépam produit plus d’euphorie que d’autres benzodiazépines, tandis que le triazolam favorise l’amnésie antérograde et plus rarement la psychose toxique. Le sevrage de l’alprazolam est considéré par les médecins comme particulièrement dicile à eectuer. Pour obtenir une ecacité optimale, on choisit une benzodiazépine dont le délai et la durée d’action correspondent au type d’insomnie. Une insomnie initiale répond mieux à une benzodiazépine ayant un court délai d’action, tandis qu’une diculté à maintenir le sommeil est mieux soulagée par une benzodiazépine ayant un délai d’action intermédiaire. Dans les deux scénarios, une benzodiazépine ayant une durée d’action intermédiaire minimise les eets indésirables associés aux durées d’action plus courtes (amnésie antérograde, syndrome de retrait et de rebond) et plus longues (somnolence résiduelle, altération du fonctionnement cognitif et moteur après le réveil). Le choix d’une benzodiazépine d’une plus longue durée d’action peut cependant être indiqué si un eet anxiolytique diurne est aussi nécessaire. Il existe un consensus remontant aux années 1980 (National Institutes of Health, 1983) selon lequel l’usage des benzodiazépines devrait se limiter à une période de deux à trois semaines. Ce consensus est basé sur des études démontrant qu’elles sont ecaces et présentent un ratio risque/bénéce avantageux à court terme. Il traduit une préoccupation quant au risque de dépendance et d’abus associé aux benzodiazépines. À dose thérapeutique cependant, la dépendance se manifeste surtout par un syndrome de retrait lors de l’arrêt. Cette dépendance physiologique n’exige pas d’augmenter les doses et ne doit pas être confondue avec les abus commis par des toxicomanes dans un dessein récréatif de détente. La dépendance physiologique n’est d’ailleurs pas propre aux benzodiazépines, puisque d’autres classes de médicaments produisent des syndromes de retrait et de rebond, notamment les ß-bloquants. Les études sur les benzodiazépines et la plupart des autres psychotropes utilisés comme somnifères se limitent généralement à quelques semaines, de sorte que l’ecacité et l’innocuité des médicaments pour le traitement à long terme de l’insomnie chronique ne sont pas documentées (Buscemi & al., 2007 ; Morin & al., 2007 ; Walsh, 2004 ; Wiegand, 2008). S’il est entendu que les benzodiazépines présentent un ratio risque/bénéce avantageux sur une période limitée à deux ou trois semaines, il n’est cependant pas démontré de façon probante qu’au-delà de cette période, elles comportent eectivement un ratio risque/bénéce désavantageux (Wilson & al., 2010). Pour conserver l’ecacité, il est donc préférable de recommander l’utilisation occasionnelle (au besoin) et pour une période de quelques semaines. On conseille

Chapitre 67

Anxiolytiques et hypnotiques

1453

d’abord au patient d’aller se coucher sans prendre le médicament ; si, après une demi-heure, il ne dort pas, il peut alors le prendre. En procédant ainsi, il pourrait s’endormir naturellement, sans prendre de somnifère. Si on n’en fait pas un usage régulier, on ne risque pas de développer une dépendance. Il faut craindre un début de dépendance lorsque la prise devient plus régulière et que le patient réclame des augmentations de doses. C’est alors le moment de proposer une cessation de la benzodiazépine et sa substitution par une autre molécule. Si le traitement est toujours nécessaire après une période de deux à trois semaines, il est encore préférable de prescrire la benzodiazépine sur une base intermittente, par exemple trois ou quatre jours par semaine, pour éviter le développement d’une tolérance et l’apparition d’un syndrome de retrait ou de rebond à l’arrêt du médicament. De plus, chez les utilisateurs chroniques de benzodiazépines, il paraît dicile a priori de départager ceux qui sourent d’une insomnie persistante exigeant le maintien du médicament de ceux qui ont peur de sourir à nouveau d’insomnie s’ils arrêtent le médicament (Wilson & al., 2010). Pour parer à cette diculté, Krystal (2009) suggère des essais périodiques de sevrage, par exemple tous les trois à six mois, pour déterminer si le traitement est toujours nécessaire. Il est utile dans cette démarche d’aviser les patients qu’une insomnie rebond peut survenir, mais qu’elle est généralement transitoire et se résorbe après quelques nuits. Aussi, au moment où on met en place un traitement pharmacologique, il faut déjà promouvoir une approche non pharmacologique qui produit des eets durables une fois le médicament cessé. Les troubles du sommeil sont présentés en détail au chapitre 32.

Agonistes non benzodiazépiniques Les réserves soulevées au sujet des benzodiazépines ont favorisé le développement et la mise en marché de nouvelles molécules, les agonistes non benzodiazépiniques, à partir du milieu des années 1980. Ces hypnotiques auraient une anité plus spécique que les benzodiazépines pour la sous-unité α 1 des récepteurs GABAA responsable de la sédation, ce qui leur conférerait un prol d’eets indésirables plus avantageux. Parmi les agents actuellement commercialisés, la zopiclone (ImovaneMD) et le zolpidem (SublinoxMD) sont approuvés par Santé Canada, mais ils ne gurent pas au formulaire du Conseil du médicament du Québec de sorte qu’ils ne sont pas remboursés par la Régie de l’assurance maladie. La dose recommandée de zolpidem est de 5 mg par voie sublinguale, PRN si insomnie. On doit prévoir au moins sept à huit heures de sommeil pour éviter la somnolence diurne. La dose peut être augmentée à 10 mg chez les hommes seulement ; elle ne doit pas dépasser 5 mg chez les femmes, qui éliminent le zolpidem plus lentement. Ces molécules ont un début d’action se situant généralement entre 15 et 30 minutes. Leur demi-vie d’élimination est relativement courte, 2,5 heures pour le zolpidem et 5,5 heures pour la zopiclone. Elles sont principalement éliminées par le CYP-3A4. Compte tenu de leur durée d’action qui varie de deux à huit heures, ces molécules pourraient présenter moins de risque d’altérer le fonctionnement moteur et cognitif diurne. Ces molécules sont ecaces pour les dicultés à amorcer ou à maintenir le sommeil. La zopiclone est oerte à des doses de 5 et 7,5 mg, mais chez les personnes âgées ou atteintes d’insusance

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hépatique, on recommande de débuter à une dose de 3,75 mg, c’est-à-dire un demi-comprimé de zopiclone 7,5 mg. Pour le reste de la population, Santé Canada recommande de limiter à une dose de 5 mg. De façon générale, les mêmes contre-indications et considérations particulières existent pour les agonistes non benzodiazépiniques que pour les benzodiazépines. L’eet indésirable le plus fréquent (de 15 à 30%) associé à la zopiclone est la perturbation du goût (goût amer ou métallique). Parmi les autres eets indésirables des agonistes non benzodiazépiniques, on rapporte : • la somnolence diurne (20 %) ; • les céphalées (18 %) ; • les troubles cognitifs (14 %) ; • les étourdissements (13 %) ; • les chutes (6 %) ; • l’amnésie antérograde, qui survient généralement à dose plus élevée et commande de diminuer la dose ; • l’altération de la capacité à conduire au lendemain de la prise du médicament, notamment avec la zopiclone ; • des comportements somnambuliques complexes et peu banals comme marcher, cuisiner ou conduire un véhicule sans rappel de l’événement (Sansone & Sansone, 2008). Utilisées à court terme et aux posologies recommandées, ces molécules présenteraient moins de risque de dépendance ou d’abus que les benzodiazépines. Cependant, des cas d’insomnie rebond et de syndrome de sevrage caractérisés par de l’anxiété, des tremblements, des palpitations, de la tachycardie et des convulsions ont été rapportés. Chez certains toxicomanes, ces molécules auraient remplacé les benzodiazépines, étant plus facilement disponibles et soulevant moins de suspicion chez les médecins, qui doivent donc faire preuve de circonspection auprès des patients ayant des antécédents d’abus d’alcool et de drogues et privilégier d’autres molécules. Quelques études menées au cours des dernières années tendent à démontrer le maintien de l’ecacité des agonistes non benzodiazépiniques dans le traitement à plus long terme de l’insomnie, à tout le moins pour des périodes de trois à six mois, voire de 12 mois (Perlis & al., 2004 ; Walsh & al., 2007).

67.2.2 Antidépresseurs sédatifs Les antidépresseurs sédatifs sont l’un des traitements favorisés par les médecins pour l’insomnie chronique (Mendelson & al., 2004). Cependant, il existe peu de données provenant d’études randomisées pour appuyer l’utilisation des antidépresseurs dans le traitement d’une insomnie non associée à un syndrome dépressif.

Trazodone

La trazodone (DesyrelMD) est reconnue ociellement pour le traitement de la dépression, mais son usage à des doses antidépressives provoque souvent une somnolence intolérable, de sorte que cette médication est plus souvent utilisée à faible dose pour le traitement de l’insomnie. En fait, la trazodone est le deuxième agent le plus prescrit pour le traitement de l’insomnie après les benzodiazépines. La présomption que son utilisation à long terme ne favoriserait pas la dépendance a contribué à répandre son usage.

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La trazodone est un antagoniste des récepteurs sérotoninergiques (5-HT2A) et un inhibiteur du recaptage de la sérotonine. Cet antidépresseur bloque également les récepteurs α 1-adrénergiques et histaminiques. La trazodone a une demi-vie de quatre à neuf heures et un délai d’action de 30 à 60 minutes lorsqu’elle est utilisée comme hypnotique. La posologie usuelle dans l’insomnie est de 25 à 100 mg au coucher, mais certains tolèrent jusqu’à 150 ou 200 mg sans ressentir d’eets résiduels au réveil. On commence généralement à prendre la trazodone à des doses de 25 à 50 mg et on augmente de 25 à 50 mg tous les trois à sept jours selon la réponse clinique et la tolérance. Il semble que des doses supérieures à 100 mg seraient davantage associées à un syndrome des jambes sans repos. On procède par sevrage graduel lors de l’arrêt. Il n’est pas nécessaire d’en réduire la dose en cas d’insusance rénale, mais il est préférable de le faire en cas d’insusance hépatique. Outre la somnolence, les eets indésirables les plus fréquents de la trazodone sont les suivants : • les étourdissements (19,7 %) et l’hypotension (7 %) ; • la xérostomie (14,8 %) ; • la nervosité (14,8 %) ; • les céphalées (9,9 %) ; • les nausées (9,9 %) ; • la constipation (7 %) ; • la vision embrouillée (6,3 %) ; • la douleur (5,6 %) ; • l’incoordination motrice (4,9 %) ; • la confusion (4,9 %) ; • des cas rares mais sérieux de convulsions, d’arythmie et d’infarctus du myocarde ; • de rares cas de priapisme, pour lesquels il existe une mise en garde et dont un indice précoce pourrait être une détumescence pénienne retardée au réveil (Stahl, 2009). La trazodone est contre-indiquée chez ceux qui ont des antécédents d’AVC, d’infarctus du myocarde, d’arythmie et d’épilepsie. Comme il n’existe pas de données humaines sur sa toxicité chez le fœtus, il est préférable de l’éviter durant le premier trimestre de grossesse. Elle n’est pas associée à une prise de poids ou à des dysfonctions sexuelles. Les inhibiteurs du CYP-3A4 peuvent tous augmenter la toxicité de la trazodone, qui, pour sa part, peut diminuer l’ecacité de la warfarine en diminuant le temps de prothrombine. De plus, il pourrait y avoir un antagonisme d’action avec le donépézil, la galantamine et la rivastigmine. Il faut mettre les patients en garde contre l’utilisation conjointe du ginkgo biloba et de la trazodone, car l’eet des deux agents s’en trouve alors potentialisé et la toxicité augmentée. Il existe quelques études documentant l’ecacité de la trazodone chez les patients sourant d’insomnie liée à une dépression ou provoquée par l’utilisation d’un ISRS (p. ex., la uoxétine ou la paroxétine). Dans l’insomnie primaire, une étude a documenté la supériorité de la trazodone à des doses de 50 mg par rapport au placebo durant la première semaine de traitement, mais pas durant la deuxième semaine, comme il a été rapporté par les participants dans des échelles subjectives. Cependant, l’étude portait sur une dose unique de trazodone de 50 mg alors que ce sont des doses de 100 mg et plus qui s’avèrent ecaces dans les études sur l’insomnie associée à la dépression. La trazodone peut être utile pour les patients qui ont des antécédents de troubles

liés à l’utilisation de substances chez qui on veut éviter l’usage d’une benzodiazépine ou d’un agoniste GABA non benzodiazépinique. Elle peut aussi être un choix intéressant dans les cas d’insomnie chronique, car le développement d’une dépendance ne représente pas un risque majeur (Stahl, 2009). Par contre, au moins une étude a fait état d’une insomnie rebond associée à son arrêt. La trazodone peut être utilisée en monothérapie ou en combinaison avec un autre hypnotique si la réponse est partielle.

Tricycliques et autres antidépresseurs Parmi les autres antidépresseurs utilisés contre l’insomnie gurent les tricycliques, dont les propriétés antihistaminiques et anticholinergiques sont en bonne partie responsables de leurs eets sédatifs ; certains tricycliques tels que l’amitriptyline et la doxépine sont aussi des antagonistes 5-HT2A comme la trazodone. L’amitriptyline (ElavilMD) est le troisième agent le plus utilisé pour traiter l’insomnie. Elle est prescrite à cette n à des doses de 10 à 50 mg au coucher. Quelques études ouvertes suggèrent une amélioration de la qualité du sommeil dans l’insomnie associée à l’anxiété ou à la dépression, mais aucune étude ne permet de conclure à son ecacité pour le traitement de l’insomnie en général. Une étude randomisée comparant la trimipramine (SurmontilMD) à une benzodiazépine et à un placebo dans l’insomnie primaire conclut à une amélioration de l’ecacité du sommeil avec cette molécule (Riemann & al., 2002). La trimipramine est généralement prescrite à des doses de 12,5 à 50 mg pour le traitement de l’insomnie. Lors d’essais cliniques, la doxépine (SinequanMD) a démontré un eet sur l’insomnie à des doses de 25 mg HS au coucher, mais on rapporte de l’insomnie rebond. De nouvelles formulations de doxépine (Silenor MD) à 3 et 6 mg ou en concentration de 10 mg/mL, permettant d’administrer des doses aussi faibles que 1 mg, sont maintenant commercialisées au Canada. Les études à double insu avec groupe placebo indiquent une amélioration de la durée du sommeil tandis que la durée des réveils nocturnes serait diminuée. La doxépine ne présenterait pas d’eet anticholinergique à ces doses et aurait une action plus sélective sur les récepteurs histaminiques. Comme les tricycliques ont des demi-vies assez longues, ils peuvent favoriser la sédation diurne résiduelle. Leur prol d’eets indésirables comprend : • la xérostomie ; • la rétention urinaire ; • la constipation ; • la vision embrouillée ; • la confusion ; • l’hypotension orthostatique ; • le gain de poids ; • les arythmies cardiaques. Évidemment, plus élevées sont les doses, plus le risque de provoquer des eets indésirables est marqué. Attention : une surdose accidentelle ou volontaire peut être létale. Les tricycliques ne sont donc pas à privilégier chez les patients suicidaires. Les tricycliques peuvent être utiles dans le traitement de l’insomnie chez les patients sourant de douleurs chroniques, mais il faut en user avec prudence chez les personnes âgées ou

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Anxiolytiques et hypnotiques

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présentant des problèmes cardiaques. On ne peut exclure un risque tératogène durant la grossesse. La mirtazapine (RemeronMD) est un antagoniste sélectif des auto- et hétérorécepteurs α2-adrénergiques dont les propriétés sédatives seraient au moins en partie imputables au blocage des récepteurs histaminiques et 5-HT2A. Chez les patients souffrant de dépression, la mirtazapine améliorerait l’ecacité du sommeil sans supprimer le sommeil paradoxal. Il n’est pas utile d’augmenter la posologie au-delà de 7,5 à 15 mg au coucher, car les propriétés sédatives sont généralement moindres à plus hautes doses. La mirtazapine peut cependant être associée à de l’agitation paradoxale et à un syndrome des jambes sans repos. Tout comme les tricycliques, elle favorise la prise de poids, ce qui peut être bénéque chez un patient atteint de dépression, sourant à la fois d’insomnie et de perte d’appétit. Elle ne doit pas être combinée aux inhibiteurs de la monoamine-oxydase (IMAO) à cause du risque d’une hypertension artérielle maligne.

67.2.3 Antipsychotiques sédatifs La prescription d’antipsychotiques pour le traitement de l’insomnie n’est pas nouvelle. Depuis longtemps, les médecins administrent de petites doses de méthotriméprazine (NozinanMD) ou de chlorpromazine (LargactilMD), deux neuroleptiques qui favorisent le sommeil grâce à leur activité antihistaminique puissante. Depuis l’arrivée des antipsychotiques de deuxième génération, cette pratique semble gagner la faveur de certains médecins, en particulier avec la quétiapine (SeroquelMD) et l’olanzapine (ZyprexaMD). Il est bien connu que ces molécules favorisent la somnolence chez des patients traités pour des pathologies psychiatriques en bloquant les récepteurs histaminiques, muscariniques et sérotoninergiques (5-HT). Quelques études semblent aussi indiquer que ces molécules peuvent améliorer la durée et la continuité du sommeil chez des volontaires sains et chez des personnes sourant d’insomnie primaire. Cependant, ces antipsychotiques sont associés à des eets indésirables non négligeables, y compris un syndrome métabolique, des symptômes extrapyramidaux et de la dyskinésie tardive. Même lorsqu’ils sont administrés à petites doses, ils peuvent entraîner une prise de poids et une augmentation de l’indice de masse corporelle. Selon un consensus de la British Association for Psychopharmacology (Wilson & al., 2010), il n’y a aucune indication de prescrire ces agents comme traitement de 1re intention pour l’insomnie, compte tenu des nombreux eets indésirables qu’ils génèrent. De plus, la quétiapine pourrait présenter un potentiel d’abus dans la population toxicomane et carcérale (Sansone & Sansone, 2010). De façon générale, ces antipsychotiques devraient être réservés aux patients sourant d’aections psychiatriques commandant l’usage d’un antipsychotique comme traitement de 1re intention. Ils peuvent aussi être indiqués pour le traitement de l’agitation nocturne associée à la démence.

67.2.4 Anticonvulsivants Tout comme les antidépresseurs et les antipsychotiques, les anticonvulsivants n’ont aucune indication ocielle dans le traitement de l’insomnie, mais sont parfois prescrits à cette n, bien que leur usage à ce niveau paraît beaucoup moins répandu. Certaines études indiquent que la gabapentine (NeurontinMD) améliore l’ecacité du sommeil et le sommeil profond à des doses variant de 200 à 900 mg, mais qu’elle n’est peut-être pas assez puissante

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pour induire le sommeil. La gabapentine aurait peu d’impact sur le fonctionnement cognitif, à l’inverse de la majorité des anticonvulsivants lorsqu’ils sont utilisés à long terme.

67.2.5 Antihistaminiques Les antihistaminiques, comme l’hydroxyzine (AtaraxMD), sont disponibles sur prescription, tandis que d’autres, comme la diphenhydramine (BenadrylMD), la doxylamine (Unisom-2MD) et la prométhazine (PhenerganMD), sont oerts en vente libre. L’hydroxyzine est généralement prescrite à des doses de 10 à 25 mg, tandis que la diphenhydramine, la doxylamine et la prométhazine s’utilisent à des doses de 25 à 50 mg. Plusieurs produits vendus sans ordonnance comme « aide-sommeil » (NytolMD, UnisomMD, Dorm-aideMD, DormiphenMD, SominexMD, etc.) contiennent aussi des antihistaminiques, le plus souvent de la diphenhydramine, et sont également oerts à des doses de 25 à 50 mg. Quelques données limitées indiquent que les antihistaminiques peuvent apporter certains bienfaits dans le traitement de l’insomnie légère. Cependant, une tolérance aux eets sédatifs de ces agents peut se développer assez rapidement, parfois même en quelques jours. La plupart de ces produits ont des propriétés anticholinergiques si bien qu’ils peuvent induire : • une xérostomie ; • de la rétention urinaire ; • de la constipation ; • de la confusion ; • un delirium ; • un trouble psychotique ; • de la dystonie. De plus, la demi-vie de ces molécules est relativement longue, de sorte qu’elles favorisent la sédation résiduelle au réveil ainsi que les chutes (Mendelson & al., 2004). Les antihistaminiques ne sont généralement pas recommandés chez les personnes âgées, surtout si elles prennent d’autres médicaments ayant des propriétés anticholinergiques comme des antidépresseurs ou des antipsychotiques. Les antihistaminiques peuvent cependant être une option pour des patients connus pour des problèmes d’abus et de toxicomanie, quoique de façon transitoire, compte tenu du développement rapide d’une tolérance.

67.2.6 L-tryptophane Le L-tryptophane (TryptanMD) est un acide aminé précurseur de la sérotonine, de la mélatonine et de la vitamine B3 (niacine), peu abondant dans les aliments, mais qu’on trouve tout de même dans les bananes, les dattes séchées, le lait, le poisson, la dinde, les arachides et le chocolat. Le L-tryptophane était un supplément alimentaire en vente libre dans les années 1980. Des syndromes de myalgies éosinophiles mortels se caractérisant par des myalgies, de la dyspnée, de l’œdème des extrémités et de l’insusance cardiaque, attribués à un contaminant bactérien, ont conduit à un resserrement des contrôles par les autorités canadiennes et américaines, de sorte que le L-tryptophane est désormais disponible sous ordonnance médicale seulement. Par contre, un proche parent, le L-5-hydroxytryptophane (commercialisé sous le nom de 5-HTP), est oert en vente libre comme supplément alimentaire depuis 1994, bien que des cas de myalgies éosinophiles aient aussi été signalés.

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La demi-vie du L-tryptophane est d’environ 16 heures. Les doses efficaces ne sont pas bien déterminées, mais varient généralement de 1 et 3 g par jour. Le L-tryptophane diminue le délai d’endormissement sans aecter les stades du sommeil. Les meilleurs résultats semblent survenir dans les cas d’insomnie légère, en l’absence de comorbidité médicale ou psychiatrique. Le L-tryptophane peut potentialiser les eets des antidépresseurs et du lithium dans le traitement de la dépression et de la maladie bipolaire. Ses eets indésirables sont les suivants : • les nausées ; • la constipation ; • la xérostomie ; • les étourdissements ; • les tremblements ; • la somnolence. Le L-tryptophane est contre-indiqué chez les patients présentant une cirrhose, un diabète ou une cystite de même que chez les femmes enceintes, car il y a accumulation des métabolites du tryptophane durant la grossesse (acide xanthurenic, kynurine), ce qui peut causer une détresse fœtale avec trouble respiratoire.

67.2.7 Mélatonine et agonistes des récepteurs de la mélatonine La mélatonine, découverte en 1958, est une neurohormone sécrétée par la glande pinéale durant la nuit. Elle est impliquée dans la régulation du sommeil et des rythmes circadiens en agissant sur les récepteurs de mélatonine MT1 et MT2 du noyau suprachiasmatique de l’hypothalamus, siège de l’horloge biologique. La sécrétion de mélatonine augmente naturellement en soirée, favorisant un état d’endormissement, et diminue graduellement en n de nuit. Les personnes âgées secrètent moins de mélatonine endogène, en particulier celles sourant d’insomnie, d’où l’hypothèse qu’un apport exogène pourrait être bénéque. La mélatonine exogène a une très courte demi-vie de 20 à 50 minutes. Environ 90 % de la mélatonine est métabolisée après un premier passage hépatique de sorte que sa biodisponibilité est faible. Il existe encore peu d’études de qualité pour documenter son ecacité et son innocuité comme agent inducteur de sommeil, mais on lui attribue généralement des propriétés hypnotiques légères. Certaines données appuient son utilité à court terme dans le traitement du délai de phase du sommeil, un syndrome caractérisé par un endormissement à des heures tardives avec pour corollaire une diculté à s’éveiller pour faire des tâches matinales. Elle pourrait être ecace pour prévenir ou réduire les eets du décalage horaire lors de longs voyages. La mélatonine est commercialisée dans plusieurs pays à titre de « supplément alimentaire » ou de « produit naturel », ce qui a contribué à répandre son usage. Au Canada, il s’agit d’un produit de synthèse entièrement fabriqué en laboratoire et oert en vente libre. Un supplément de mélatonine à libération prolongée (CircadinMD) est disponible sous ordonnance en Europe. La mélatonine peut être une option chez les personnes âgées, les personnes atteintes de démence de même que dans les cas d’insomnie réfractaire aux traitements conventionnels (Bellon, 2006). Elle peut aussi être utile pour traiter les troubles du sommeil liés au rythme circadien, par exemple chez les aveugles qui ne perçoivent pas la lumière. Le dosage optimal n’est pas établi, mais les doses usuelles sont de 0,5 à 5 mg, voire de 10 mg dans les cas les plus graves, de 30 minutes à trois heures avant

le coucher. Il existe une formulation sublinguale à dissolution rapide. Les eets indésirables sont la fatigue diurne, l’irritabilité, les étourdissements et les céphalées. Le rameltéon a été approuvé par le FDA en 2005 comme hypnotique achant un nouveau mécanisme d’action. Il s’agit d’un agoniste des récepteurs MT1 et MT2 qui n’aurait pas d’anité pour d’autres récepteurs. Cette molécule diminue légèrement le délai d’endormissement, mais a peu d’eet sur le maintien du sommeil (Erman & al., 2006 ; Roth & al., 2005). Le rameltéon ne provoque pas d’insomnie rebond ou d’altération du fonctionnement cognitif au lendemain d’une prise. Il est approuvé pour le traitement à long terme de l’insomnie et n’est soumis à aucun contrôle de la Drug Enforcement Agency, car il ne présente pas de potentiel d’abus ou de dépendance (Griths & Johnson, 2005).

67.2.8 Hydrate de chloral L’hydrate de chloral (NoctecMD) est l’un des sédatifs hypnotiques les plus anciens, ayant été synthétisé dès 1832. Son usage était en vogue jusqu’à la moitié du 20e siècle. Il peut être utilisé à court terme pour le traitement de l’insomnie, mais perd rapidement en ecacité. Son eet apparaît en moins de 30 minutes et sa demi-vie est de quelques minutes à peine, mais ses deux métabolites actifs ont des demi-vies beaucoup plus longues. Les doses thérapeutiques se situent entre 0,5 et 2 g par jour tandis que des doses de 4 g peuvent être létales. L’hydrate de chloral n’est ni une benzodiazépine ni un barbiturique, mais son mécanisme d’action pourrait mettre en cause la voie GABAergique, comme en témoigne l’utilité du umazénil (AnexateMD), un antagoniste GABA, en cas d’intoxication. Son usage continu est associé au développement d’une tolérance et d’une dépendance physique et le sevrage peut être associé à des cauchemars intenses. Il peut aussi provoquer des hallucinations et du délire. Il est contreindiqué dans les cas d’insusance respiratoire, hépatique, rénale et cardiaque. De nos jours, il est essentiellement utilisé comme sédatif en médecine dentaire pédiatrique. La littérature fait état d’un potentiel cancérigène et génotoxique (provoquant des lésions dans l’ADN qui peuvent éventuellement conduire à des mutations).

67.2.9 Barbituriques Les barbituriques, autrefois largement utilisés comme hypnotiques et anxiolytiques, sont aujourd’hui déclassés pour le traitement de l’insomnie et de l’anxiété. Leur mécanisme d’action est comparable à celui des benzodiazépines, consistant à potentialiser l’eet inhibiteur de GABA. Les barbituriques peuvent induire un état de sédation, d’hypnose et d’euphorie. À l’inverse des benzodiazépines, leur index thérapeutique est réduit et leur surdosage est létal. Ils présentent également un fort potentiel de tolérance, de dépendance physique et psychologique et d’abus. Des interactions médicamenteuses nombreuses sont documentées. Ils sont essentiellement réservés à l’anesthésie et au traitement de l’épilepsie.

67.2.10 Produits naturels et suppléments alimentaires Outre la mélatonine et le L-5-hydroxytryptophane, les plantes ou les suppléments alimentaires qui aideraient au traitement de l’insomnie incluent : • le kawa (Piper methysticum), qui agit sur le récepteur GABA et possède une activité sédative, myorelaxante, anxiolytique et

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Anxiolytiques et hypnotiques

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anticonvulsivante. Son usage a été banni dans certains pays, y compris le Canada, compte tenu de cas documentés d’insusance hépatique ; • la valériane (Valeriana ocinalis), dont le mécanisme d’action peut aussi être associé au système GABA ou encore MT1 et MT2. Selon certaines études, des doses de 400 à 900 mg prises jusqu’à deux heures avant le coucher réduisent le délai d’endormissement et augmentent la qualité du sommeil, mais toutes les études n’arrivent pas à des conclusions aussi positives. Un usage chronique suivi d’un arrêt brusque donne lieu à un syndrome de retrait ; • plusieurs autres produits comme la camomille, la passiore, la lavande et le millepertuis (St John’s wort) peuvent réduire l’anxiété et faciliter le sommeil en se liant, du moins partiellement, aux récepteurs GABAA. En fait, les études qui documentent l’utilité des produits naturels dans les troubles du sommeil sont contradictoires et limitées (Sarris & Byrne, 2011). Beaucoup de questions restent sans réponses concernant l’ecacité de ces agents, le dosage, la durée d’action, les interactions et les eets indésirables potentiels. Le processus d’extraction et de production de ces produits donne lieu à de grandes variations quant à leur qualité, à leur pureté (puisque certains produits contiennent des benzodiazépines), à leur concentration et à leur puissance. Il peut donc être hasardeux d’en recommander l’usage.

Encore aujourd’hui, les benzodiazépines représentent un choix éprouvé dans le traitement aigu de plusieurs pathologies psychiatriques caractérisées par de l’anxiété. À cet eet, aucune benzodiazépine n’est reconnue comme étant plus ecace qu’une autre. La demi-vie et la voie métabolique sont des caractéristiques importantes qui orientent le choix du médicament pour en éviter l’accumulation et les eets indésirables. Plusieurs autres options sont disponibles, cependant, pour les patients qui présentent des problèmes médicaux, tout particulièrement des problèmes hépatiques modiant le métabolisme des benzodiazépines, ou qui présentent un trouble lié aux substances. Également, les benzodiazépines et les agonistes des récepteurs GABA non benzodiazépiniques demeurent des traitements pharmacologiques

de 1re intention de l’insomnie aiguë. Par contre, dans certains troubles de sommeil très spécifiques, d’autres médicaments doivent être considérés avant les benzodiazépines. Par exemple, les patients présentant des troubles de sommeil découlant d’un trouble de stress post-traumatique répondent mieux à la prazosine, alors que la mélatonine est indiquée en cas d’insomnie initiale associée à un délai de phase du sommeil. Dans l’insomnie chronique, par contre, un consensus fait toujours défaut. Dans certaines circonstances, les antidépresseurs à faibles doses peuvent s’avérer un choix intéressant en évitant d’exposer le patient à des dicultés éventuelles de sevrage. On s’entend généralement sur le fait qu’une approche non pharmacologique apporte des bénéces soutenus, mais, encore là, les études manquent et les médecins comme les patients n’ont pas également accès à ces méthodes. Une revue exhaustive de la littérature laisse d’ailleurs penser que les bienfaits objectifs des traitements pharmacologiques de l’insomnie sont souvent plus limités que le supposent les patients. Les benzodiazépines, qui représentent à ce jour l’« étalon-or » du traitement pharmacologique, prolongeraient la durée du sommeil d’une heure environ et diminueraient le délai d’endormissement de quelques minutes à peine. Bon nombre de psychotropes utilisés perturbent également l’architecture du sommeil, réduisant notamment les stades de sommeil profond et de sommeil paradoxal, nécessaires à la consolidation mnésique. Malgré tout, plusieurs patients semblent préférer un médicament imparfait à l’absence de traitement, ce qui pourrait indiquer que l’expérience subjective de l’insomnie fait naître une détresse qui ne peut être totalement mesurée par la polysomnographie. Des études sur l’efficacité des traitements dans l’amélioration de la qualité de vie et du fonctionnement permettront peut-être de faire des choix plus probants dans l’avenir (Buscemi & al., 2007). D’ici là, la préoccupation concernant les enjeux de dépendance et d’abus associés à l’usage des agonistes GABAergiques à long terme ne devrait pas faire oublier les eets indésirables et les interactions médicamenteuses associés aux psychotropes des autres classes, sans compter le fait que leur ecacité n’est pas toujours démontrée. Il y a d’ailleurs lieu de se questionner sur la pertinence de prescrire un médicament en fonction de son eet secondaire sédatif, sans vraiment chercher à obtenir son eet primaire (antipsychotique, antihistaminique, etc.).

Lectures complémentaires B, O. & G, F. (2004). L’insomnie chronique, Masson. D, W.C. & V, C, (2000). Avoir un bon sommeil, Odile Jacob. D  B, C. (2011). Prescription des anxiolytiques et des hypnotiques : élaboration d’une

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formation destinée à des médecins géné­ ralistes, èse de doctorat, Université du droit et de la santé Lille 2, France. K, J. A. (2001). « Sedative-hypnotic use disorders », dans Jacobson, J. L. & Jacobson, A. M. (dir.), Psychiatric

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

Secrets, 2e éd., Philadelphie, Hanley & Belfus, p. 109-111. Wegmann, J, (2012). Safe and Eective Medication Approaches for Anxiety and Insomnia, Eau Claire, WI, Premier Publishing & Media.

CHA P ITR E

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Antipsychotiques Pierre Landry, M.D., FRCPC, Ph. D. (neurophysiologie)

Pierre-Paul Rompré, Ph. D. (psychologie)

Psychiatre, Clinique des troubles aectifs, Pavillon AlbertPrévost, Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, Module de psychopharmacologie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Chercheur en neurobiologie comportementale, Groupe de recherche, Fonds de recherche du Québec – Santé, Université Concordia (Montréal)

Professeur agrégé de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeur titulaire, Département de neurosciences, Faculté de médecine, Université de Montréal

Luc Nicole†, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences biomédicales) Psychiatre, chef du Programme des troubles psychotiques, Institut universitaire en santé mentale de Montréal Professeur agrégé de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

68.1 Pharmacologie .............................................................. 1460 68.1.1 Antipsychotiques administrés par voie orale................................... 1460 68.1.2 Antipsychotiques administrés par voie intramusculaire ..................................... 1462 68.2 Mécanismes d’action.................................................... 1463 68.3 Classication................................................................. 1465 68.4 Modalités de prescription ........................................... 1465 68.4.1 Choix de l’antipsychotique ................................. 1465 68.4.2 Début du traitement ............................................ 1467 68.4.3 Traitement d’entretien......................................... 1469 68.4.4 Traitement des cas réfractaires.......................... 1470 68.4.5 Considérations particulières .............................. 1470 68.5 Indications et contre-indications ............................... 1471 68.6 Eets indésirables......................................................... 1471 68.6.1 Pharmacologie des eets indésirables.............. 1471 68.6.2 Eets indésirables comportementaux .............. 1471

68.6.3 Eets indésirables psychiatriques ..................... 1475 68.6.4 Eets indésirables métaboliques et biochimiques..................................................... 1475 68.6.5 Eets indésirables cardiovasculaires ................ 1476 68.6.6 Eets indésirables neuroendocriniens ............. 1477 68.6.7 Eets indésirables neurologiques...................... 1478 68.6.8 Eets indésirables hématologiques................... 1478 68.7 Interactions médicamenteuses ................................... 1478 68.7.1 Interactions pharmacocinétiques ..................... 1479 68.7.2 Interactions pharmacodynamiques .................. 1479 68.8 Résultats selon les données probantes ...................... 1479 Lectures complémentaires ..................................................... 1480

L

a découverte de la chlorpromazine en 1950 marque le début de l’ère moderne de la psychopharmacologie. La chlorpromazine est d’abord utilisée en 1951 en France par le chirurgien Henri Laborit comme agent préanesthésique pour son eet sédatif et sa tendance à produire une indiérence à l’environnement. C’est en 1952 que les psychiatres français Delay et Deniker publient leurs observations sur l’eet antipsychotique de la chlorpromazine. Grâce à cette découverte thérapeutique s’amorce la désinstitutionnalisation des malades psychiatriques entraînant la n des asiles. Plusieurs antipsychotiques sont par la suite synthétisés avec l’objectif de découvrir une molécule encore plus ecace qui produirait moins d’eets indésirables. La classication actuelle propose de regrouper les nombreux antipsychotiques en trois sous-groupes selon certains aspects de leur prol de liaison aux récepteurs neuronaux et leurs eets indésirables. • Les antipsychotiques de 1re génération (A1G) incluent les antipsychotiques conventionnels bloqueurs des récepteurs de la dopamine (DA). Au début, on les nommait « neuroleptiques » (du grec νευρον, « nerf », et λεπτοσ, « qui aaiblit ») pour leur eet tranquillisant majeur sur les nerfs (comparativement aux benzodiazépines qu’on nommait « tranquillisants mineurs »). On distinguait, selon leur eet principal : – les neuroleptiques sédatifs calmant l’agitation : chlorpromazine, lévomépromazine, thioridazine ; – les neuroleptiques incisifs agissant sur les symptômes psychotiques : uphénazine, halopéridol, triuopérazine. Aujourd’hui, on sait que ces deux catégories de neuroleptiques ont des eets à la fois tranquillisants et antipsychotiques. Mais, dans les années 1960-1970, on les combinait souvent, croyant qu’ils avaient des eets complémentaires. • Les antipsychotiques de 2e génération (A2G) bloqueurs des récepteurs de la DA et de la sérotonine (5-hydroxytryptamine [5-HT]) regroupent les antipsychotiques décrits initialement comme des antipsychotiques atypiques ; on distingue : – ceux qui augmentent souvent le poids : clozapine, olanzapine, rispéridone, quétiapine ; – ceux qui ont peu d’eet sur le poids : asénapine, lurasidone, ziprasidone. • Les antipsychotiques de 3e génération (A3G) sont des agonistes partiels de la DA bloqueurs des récepteurs de la DA et de la 5-HT, l’aripiprazole étant pour l’instant le seul reconnu dans ce sous-groupe. Cette classication peut donner l’impression que la génération la plus récente est supérieure aux précédentes, mais tel n’est pas le cas. Elle tente d’une façon plus ou moins satisfaisante de souligner le fait que les antipsychotiques modulent diéremment la transmission de la DA et de la 5-HT sans lien avec leur ecacité thérapeutique. Ainsi, aucune classication ne semble idéale, puisque chacune de ces molécules a un prol d’eets indésirables qui lui est propre tout en étant comparable aux autres dans la réduction des symptômes psychotiques. Récemment, un groupe international d’experts psychopharmacologues a proposé une nouvelle nomenclature des psychotropes, soit une dénomination des classes de médicaments en fonction de leur mécanisme d’action principal. Ainsi, la plupart des antipsychotiques atypiques sont désormais désignés par le terme « antagonistes des récepteurs de la dopamine et de la sérotonine ».

1460

Malgré l’ecacité reconnue des antipsychotiques dans le traitement des psychoses, l’observance pharmacologique est faible, particulièrement dans la schizophrénie. Une des raisons de l’abandon du traitement est en lien avec les eets indésirables rapportés par les patients ou observés par le médecin. C’est pourquoi ce chapitre décrit les eets indésirables à prévoir et ore quelques solutions an que le médecin intervienne rapidement pour tenter d’en alléger les conséquences sur la qualité de vie du patient et favoriser l’observance du traitement.

68.1 Pharmacologie La plupart des antipsychotiques sont disponibles par voie orale seulement, tandis que quelques-uns sont disponibles par voie intramusculaire également.

68.1.1 Antipsychotiques administrés par voie orale La concentration plasmatique du médicament est inuencée par plusieurs paramètres, qui ont un impact plus ou moins important sur l’ecacité et l’apparition d’eets indésirables.

Absorption Règle générale, plus la vitesse et le degré d’absorption d’un antipsychotique sont grands, plus la molécule a un pic plasmatique élevé. Cela se traduit par des eets thérapeutiques rapides, mais comporte le risque d’induire des eets indésirables plus marqués. Dans leur forme orale standard, les antipsychotiques sont généralement bien absorbés par le tube digestif. Grâce à leur liposolubilité, ils diusent passivement à travers l’épithélium de la muqueuse intestinale vers les capillaires sanguins, puis passent presque immédiatement dans le foie. Les comprimés sont absorbés plus rapidement que les capsules. • L’absorption n’est pas modiée par la nourriture, sauf pour la lurasidone et la ziprasidone, pour lesquelles l’ingestion d’environ 350 à 500 calories respectivement augmente signicativement leur biodisponibilité. Cette caractéristique peut parfois causer des uctuations importantes des taux plasmatiques de ces deux antipsychotiques chez les patients ayant un horaire ou des habitudes alimentaires variables et compromettre l’ecacité du traitement en réduisant la biodisponibilité du médicament. • La quétiapine est également mieux absorbée lorsqu’elle est prise avec de la nourriture, mais l’impact sur sa biodisponibilité est moins marqué. Même sans nourriture, la quétiapine est susamment biodisponible, ce qui n’est pas le cas pour la lurasidone et la ziprasidone. • L’asénapine demeure un cas d’espèce, puisque ce médicament est absorbé par la muqueuse buccale. Comme le comprimé à dissolution rapide est administré sous la langue, le patient doit éviter de boire ou de manger pendant les 10 minutes suivantes ; autrement, s’il est avalé et absorbé par la muqueuse intestinale, le médicament est complètement métabolisé par le foie lors du premier passage hépatique et il devient alors inecace. Souvent, les patients rapportent une désagréable sensation d’engourdissement dans la bouche qui persiste quelques minutes après la dissolution complète du médicament.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

• L’olanzapine et la rispéridone sont également disponibles sous forme de comprimés à dissolution rapide, mais ils sont quand même absorbés par le tractus gastro-intestinal et ne sont pas entièrement métabolisés par le foie lors du premier passage hépatique. Pour la plupart des antipsychotiques pris par la bouche (per os [PO]), un eet sédatif ou tranquillisant apparaît 1 à 3 heures après leur ingestion. L’halopéridol, la chlorpromazine, la uphénazine, la quétiapine (mais pas la quétiapine XR), la rispéridone, l’olanzapine et l’asénapine sont habituellement recommandées pour des situations commandant un eet tranquillisant d’urgence

parce qu’elles sont absorbées rapidement. Mais on peut aussi avoir recours à une médication sous forme injectable administrée par voie intramusculaire (IM). Les noms génériques et commerciaux des antipsychotiques administrés par voie orale ainsi que leurs caractéristiques pharmacocinétiques sont indiqués dans le tableau 68.1. Plusieurs de ces antipsychotiques sont oerts sous forme générique ; c’est la plupart du temps ce que le patient reçoit. Le temps de demi-vie représente le temps requis pour que la quantité de médicament dans l’organisme diminue de moitié. Ce paramètre est important pour déterminer la posologie d’un médicament.

TABLEAU 68.1 Caractéristiques pharmacocinétiques des antipsychotiques oraux classés selon leur demi-vie

Nom générique

Présentation (mg)

Nom commercial

Demi-vie

Taux plasmatique maximal

Métabolisé Biodisponibilité par les enzymes hépatiques

Antipsychotiques de 1re génération (A1G) Loxapine

LoxapacMD

2,5 – 5 – 10 – 25 – 50 Solution orale 25 mg/ml

1 à 14 h

1à2h

33 %

1A2, 2D6, 3A4

Triuopérazine

StelazineMD

1 – 2 – 5 – 10 – 20

7à8h

2à4h

Inconnue

1A2, UGT-1A4

Perphénazine

TrilafonMD

2 – 4 – 8 – 16 Solution orale 3,2 mg/ml

9 à 21 h

1à4h

25 %

2D6

Zuclopenthixol

ClopixolMD

10 – 25

12 à 28 h

2à4h

44 %

2D6

Halopéridol

HaldolMD

0,5 – 1 – 2 – 5 – 10 – 20 Solution orale 2 mg/ml

12 à 36 h

0,5 à 3 h

40 à 80 %

3A4

Fluphénazine

ModitenMD

1 – 2 – 2,5 – 5 – 10

13 à 58 h

0,5 h

1 à 50 %

1A2, 2D6

Chlorpromazine

LargactilMD

25 – 50 – 100

16 à 30 h

0,5 h

25 à 65 %

2D6, UGT-1A4

Flupenthixol

FluanxolMD

0,5 – 3

26 à 36 h

3à8h

30 à 70 %

Inconnu

Pimozide

OrapMD

2–4

29 à 55 h

6à8h

15 à 50 %

3A4

Antipsychotiques de Rispéridone

RisperdalMD

2e

génération (A2G)

0,25 – 0,5 – 1 – 2 – 3 – 4 0,5 – 1 – 2 – 3 – 4 Solution orale 1 mg/ml

3 à 20 h

1 à 1,5 h

70 %

Risperdal MTabMD Ziprasidone

ZeldoxMD

20 – 40 – 60 – 80

4 à 10 h

6à8h

30 % (60 % avec repas)

3A4

Quétiapine

SeroquelMD Seroquel XRMD

25 – 100 – 200 – 300 – 400 25 – 50 – 100 – 200

6à7h

0,5 à 3 h 6 h (forme XR)

73 %

3A4

Clozapine

ClozarilMD

25 – 100

6 à 33 h

1à6h

90 %

UGT-1A4

Palipéridone

InvegaMD

3 – 6 – 9 – 12

18 à 33 h

24 h

28 %

Métabolisme rénal

Lurasidone

LatudaMD

20 – 40 – 60 – 80 – 120

18 à 37 h

1à3h

9 à 19 %

3A4

Olanzapine

ZyprexaMD ZydisMD

2,5 – 5 – 7,5 – 10 – 15 – 20 5 – 10 – 15 – 20

21 à 54 h

5à8h

57 à 80 %

1A2, UGT-1A4

Asénapine

SaphrisMD

5 – 10

24 h

0,5 à 1 h

35 %

1A2, UGT-1A4

3à5h

87 %

2D6, 3A4

Antipsychotique de Aripiprazole

AbilifyMD

2 – 5 – 10 – 15 – 20 – 30

3e

2D6, 3A4

génération (A3G) 75 à 146 h

Source : Adapté de Virani & al. (2012).

Chapitre 68

Antipsychotiques

1461

Distribution Sauf pour la palipéridone, tous les antipsychotiques se lient aux protéines plasmatiques de façon très importante à un degré variant de 90 à 98 %. C’est uniquement la portion libre du médicament qui peut pénétrer dans le cerveau en traversant la barrière hématoencéphalique. La grande liposolubilité des antipsychotiques assure leur distribution dans le cerveau et leur redistribution vers les tissus adipeux périphériques.

Métabolisme, demi-vie, excrétion La grande majorité des antipsychotiques sont métabolisés par le système enzymatique hépatique. Une première transformation est assurée par la famille des isoenzymes cytochrome CYP-450, qui favorisent la transformation du médicament en un métabolite hydrophile pouvant être éliminé par voie rénale ; une seconde transformation peut se produire lorsque le médicament se conjugue avec l’acide glucuronique, qui assure son élimination par la voie biliaire (glucuronidation). Le métabolisme de certains antipsychotiques entraîne la formation de métabolites actifs (p. ex., la 9-hydroxy-rispéridone [palipéridone] est un métabolite de la rispéridone). Certains métabolites n’ont pas d’activité antipsychotique, mais peuvent contribuer au prol d’eets indésirables de la molécule mère (p. ex., le métabolite de la clozapine, la desméthyl-clozapine, est un agoniste cholinergique muscarinique responsable de la sialorrhée notée avec la prise de ce médicament). L’élimination des antipsychotiques et de leurs dérivés par métabolisme hépatique et excrétion rénale se fait à un taux propre à chaque molécule, désigné comme le temps de demi-vie d’élimination (le t1/2 correspond au temps nécessaire pour diminuer de moitié la concentration plasmatique d’un médicament, quelle que soit la dose). Les fabricants pharmaceutiques recommandent de prescrire la quétiapine et la ziprasidone en deux prises quotidiennes (BID) à cause de leur courte demi-vie. Mais cette pratique n’est peut-être pas nécessaire avec la ziprasidone, en raison de sa liaison prolongée avec les récepteurs de la dopamine dans le cerveau. Pour pallier sa courte demi-vie, la quétiapine est disponible en libération prolongée (quétiapine XR – extended release), administrée une fois par jour. La palipéridone, majoritairement excrétée par voie rénale, est recommandée dans le traitement de la psychose chez un patient présentant des troubles hépatiques tels qu’une cirrhose ou une hépatite. L’olanzapine, l’asénapine et la ziprasidone ne nécessitent pas d’ajustement de la posologie dans les cas d’une atteinte hépatique de légère à modérée. Chez les patients atteints d’une insusance rénale de modérée à grave, la posologie de l’asénapine, de la clozapine, de l’olanzapine, de la palipéridone, de la quétiapine et de la rispéridone doit être diminuée.

68.1.2 Antipsychotiques administrés par voie intramusculaire Il y a deux types d’antipsychotiques administrés par voie intramusculaire (IM) : 1. Les antipsychotiques à courte durée d’action sont habituellement réservés pour les situations exigeant une sédation rapide. La chlorpromazine, l’halopéridol et la loxapine sont des exemples d’A1G ayant une ecacité reconnue, par voie IM, pour réduire en moins de quelques heures l’agitation aiguë. Soulignons que l’halopéridol peut aussi être administrée par voie intraveineuse pour réduire rapidement l’agitation, comme c’est le cas dans un

1462

delirium. La durée de leur ecacité est limitée dans le temps et nécessite, dans les 24 à 48 heures après l’injection IM, la prise par voie orale d’un antipsychotique an de maintenir l’eet thérapeutique. Avec un antipsychotique IM, particulièrement avec l’halopéridol, il est habituellement recommandé d’ajouter un agent anticholinergique en IM, tel que la benztropine (CogentinMD) de 1 à 2 mg ou la diphenhydramine (BenadrylMD) 25 mg pour prévenir l’apparition de symptômes parkinsoniens. L’acétate de zuclopenthixol (AcuphaseMD) agit moins rapidement, mais son eet thérapeutique se prolonge sur deux ou trois jours. Parmi les A2G, l’olanzapine est disponible sous forme injectable IM à courte durée d’action. Comme l’olanzapine IM est associée à une hypotension artérielle, elle ne doit pas être administrée avec le lorazépam IM, ce qui pourrait causer une hypotension artérielle très importante. L’olanzapine IM demeure un choix réservé aux patients présentant des symptômes extrapyramidaux de modérés à graves avec un A1G, malgré l’utilisation d’un agent anticholinergique. 2. Les antipsychotiques à longue durée d’action sont utiles pour les patients dont l’observance pharmacologique est douteuse (lorsque le médecin a des raisons de penser que le patient prend ses médicaments irrégulièrement), mais de plus en plus, on constate l’importance de proposer d’emblée, au début du suivi ambulatoire, un antipsychotique à longue durée d’action pour mieux assurer une protection contre les rechutes. Plus rarement, les antipsychotiques à longue durée d’action peuvent s’avérer utiles chez les patients ayant un problème gastrointestinal qui altère ou réduit considérablement l’absorption des médicaments. L’injection IM se fait toutes les deux, trois ou quatre semaines, selon le type d’antipsychotique et l’eet thérapeutique optimal, l’état d’équilibre (steady state) étant atteint après trois ou quatre injections. Les antipsychotiques à longue durée d’action ne peuvent être administrés sans le consentement du patient. Néanmoins, cette option thérapeutique peut devenir un traitement de choix pour un patient qui présente des comportements dangereux pour lui-même ou pour autrui et qui est jugé inapte à prendre des décisions éclairées. En eet, l’injection prévient le risque d’intoxication par une prise excessive de comprimés et assure de plus que le patient a bien reçu son médicament et que la psychose qui le rend dangereux est contrôlée. Devant une telle situation clinique, le médecin peut obtenir une ordonnance judiciaire qui l’autorise à entreprendre et à maintenir le traitement IM longue action pendant une durée xée par la cour . Seuls les antipsychotiques à courte durée d’action, y compris l’acétate de zuclopenthixol (AcuphaseMD), peuvent être utilisés sans le consentement du patient s’il présente des comportements désorganisés pouvant mettre sa sécurité ou celle d’autrui en péril. Avant de donner un antipsychotique à libération prolongée, il est préférable de faire un essai avec le même antipsychotique à courte action, administré par voie orale an de vérier si le médicament sera toléré. Les noms génériques et commerciaux des antipsychotiques administrés en IM ainsi que leur posologie recommandée, leur durée d’action et le temps requis pour obtenir des taux plasmatiques optimaux sont indiqués dans les tableaux 68.2 et 68.3. Pour presque tous les antipsychotiques de 1re génération, il existe maintenant une forme générique. Ainsi, certains noms commerciaux n’existent plus comme tel, mais continuent d’être utilisés couramment en pratique clinique ; ils sont donc mentionnés

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

TABLEAU 68.2 Antipsychotiques de courte durée administrés sous forme IM, classés par durée d’action

Nom générique

Nom commercial

Taux plasmatique maximal

Dose

Durée d’action

Antipsychotiques de 1re génération (A1G) Halopéridol

HaldolMD

2 à 5 mg

10 à 20 min

4à8h

Chlorpromazine

LargactilMD

25 à 50 mg

1à2h

4 à 12 h

Loxapine

LoxapacMD

12,5 à 50 mg

5h

12 h

Zuclopenthixol acétate

ClopixolMD AcuphaseMD

50 à 150 mg

24 à 48 h

3 à 4 jours

Antipsychotique de Olanzapine

Zyprexa

IMMD

2e

10 mg

génération (A2G) 15 à 45 min

4à8h

TABLEAU 68.3 Antipsychotiques de longue durée administrés sous forme IM, classés par durée d’action

Nom générique

Nom commercial

Dose

Taux plasmatique maximal

Durée d’action

Antipsychotiques de 1re génération (A1G) Flupenthixol décanoate

Fluanxol DepotMD

20 à 80 mg

3 à 7 jours

2, 3 ou 4 sem.

Fluphénazine décanoate

ModecateMD

12,5 à 50 mg

8 à 12 jours

2, 3 ou 4 sem.

Zuclopenthixol décanoate

Clopixol DepotMD

100 à 400 mg

3 à 7 jours

2, 3 ou 4 sem.

Halopéridol décanoate

Haldol LAMD

50 à 300 mg

3 à 9 jours

4 sem.

L4MD

50 à 250 mg

12 à 24 h

4 sem.

Pipotiazine palmitate

Piportil

Antipsychotiques de ConstaMD

Rispéridone longue action

Risperdal

Palipéridone palmitate

Invega SustennaMD

2e

génération (A2G)

12,5 à 50 mg

30 jours

2 sem.

50 à 150 mg

13 jours

4 sem.

Antipsychotique de 3e génération (A3G) Aripiprazole

Abilify MaintenaMD

160 à 400 mg

dans ces tableaux. Pour presque tous les antipsychotiques de 1re génération, il existe maintenant une forme générique. Ainsi, certains noms commerciaux n’existent plus comme tel, mais continuent d’être utilisés couramment en pratique clinique ; ils sont donc mentionnés dans ces tableaux. La procédure d’ordonnance de traitement est présentée en détail au chapitre 52, à la sous-section 52.4.2.

68.2 Mécanismes d’action Dans les années 1950, au début de l’utilisation de la chlorpromazine et de l’halopéridol, leurs mécanismes d’action antipsychotique étaient inconnus. Au début des années 1960, on a observé que la réserpine, un médicament antihypertenseur qui réduit les niveaux synaptiques de monoamines en empêchant l’emmagasinage des neurotransmetteurs dans les vésicules synaptiques, atténuait les symptômes psychotiques . On a aussi observé que l’amphétamine, une drogue qui augmente les niveaux synaptiques de monoamines, produisait des symptômes psychotiques et les exacerbait. Enn, les patients traités avec les A1G

5 à 7 jours

4 sem.

traditionnels présentaient des symptômes similaires à ceux de la maladie de Parkinson (tremblements, dystonies). De plus, au début des années 1960, la recherche en neurologie montrait que les patients parkinsoniens avaient une décience sélective de dopamine (DA) au niveau du striatum. L’ensemble de ces résultats suggérait donc que les antipsychotiques agissent directement sur la neurotransmission monoaminergique et plus précisément sur la DA. Les travaux menés chez l’animal sont venus appuyer cette hypothèse. En eet, les études pharmacologiques ont montré que les antipsychotiques se lient aux récepteurs dopaminergiques, où ils exercent une action antagoniste. Ces observations ont donné naissance à l’hypothèse dopaminergique de la psychose (Van Rossum, 1966), hypothèse qui est toujours mise de l’avant aujourd’hui. Selon cette hypothèse, les symptômes positifs sont directement associés à une hyperactivité dopaminergique causée par un excès de DA ou une hyperactivation des récepteurs dopaminergiques sous-corticaux. Les études d’imagerie ont aussi permis de montrer que la neurotransmission dopaminergique est augmentée chez les patients psychotiques. Cette augmentation ne semble pas être associée à une surabondance de récepteurs DA2 postsynaptiques ni à une hypersensibilité de ces récepteurs, mais plutôt a une augmentation de la synthèse et de la libération synaptique de DA (Howes & al., 2012). Les médicaments

Chapitre 68

Antipsychotiques

1463

antipsychotiques atténuent l’hyperactivité dopaminergique en agissant comme antagonistes des récepteurs DA2 postsynaptiques. La neurobiologie est présentée en détail au chapitre 6. L’innervation dopaminergique des régions corticales (cortex frontal et préfrontal) et sous-corticales (striatum, thalamus, amygdale) impliquées dans la psychose est issue des neurones dopaminergiques localisés dans le mésencéphale ventral, principalement l’aire tegmentale ventrale et la substance noire. Le signal transmis par la DA libérée au niveau des terminaisons nerveuses est produit par sa liaison aux diérents sous-types de récepteurs, qui comprennent deux grandes familles, les récepteurs DA1 et DA2 . Des études in vitro ont montré que tous les antipsychotiques interagissent avec les récepteurs dopaminergiques, certains ayant une anité égale pour les récepteurs DA1 et DA2, d’autres ayant une anité plus élevée pour les récepteurs DA 2. Certains antipsychotiques se lient aux récepteurs DA3, mais l’importance de cette liaison dans le traitement de la psychose reste à préciser. L’ecacité clinique des médicaments antipsychotiques est en corrélation avec leur anité et leur degré d’occupation des récepteurs dopaminergiques DA2, corrélation que l’on ne retrouve pas pour tout autre type de récepteurs auxquels se lient ces médicaments (Yilmaz & al., 2012). Les résultats obtenus avec des techniques d’imagerie cérébrale appuient cette analyse. En eet, on a pu montrer que, pour la grande majorité des antipsychotiques, l’eet clinique apparaît lorsque le médicament se lie à plus de 60 à 65 % des récepteurs DA2 centraux (Kapur & Mamo, 2003). La clozapine et la quétiapine induisent toutefois un eet antipsychotique à un taux d’occupation de 40 à 60 %. Dans le cas de la quétiapine, l’occupation des récepteurs DA2 atteint 65 %, deux heures après l’ingestion, mais diminue rapidement (loose binding), atteignant

un niveau inférieur à 30 % 12 heures après son administration. À partir d’un blocage de 70 % de la DA du faisceau tubéroinfundibulaire, il y a augmentation de la prolactine qui peut entraîner de la galactorrhée. On note que les eets moteurs indésirables (parkinsonisme) apparaissent lorsque le taux d’occupation des récepteurs DA dans le faisceau nigrostrié atteint un niveau égal ou supérieur à 80 % (voir la gure 68.1). Les voies dopaminergiques sont présentées en détail au chapitre 17, à la sous-section 17.3.3. Sur la base du prol pharmacologique des A2G, on a émis l’hypothèse qu’une action antagoniste au niveau des récepteurs sérotoninergiques 5-HT2a peut être plus pertinente pour obtenir un meilleur eet antipsychotique que l’action antidopaminergique seule. En eet, tous les A2G possèdent une anité plus élevée pour les récepteurs 5-HT2a que pour les récepteurs DA2 (voir les tableaux 68.6 et 68.7). À des doses où l’on observe un eet clinique, les antipsychotiques atypiques occupent presque tous les récepteurs 5-HT2a (Kapur & Mamo, 2003). Meltzer et ses collaborateurs (1989) ont proposé que ce prol pharmacologique particulier puisse constituer la caractéristique atypique des A2G. Des études réalisées avec le M100907, un antagoniste 5-HT2a très sélectif, ont montré qu’une action unique aux récepteurs 5-HT2a n’est pas non plus susante pour induire un eet antipsychotique signicatif. Il en est ainsi de l’amisulpride (prescrit en Europe), un médicament antipsychotique avec un prol clinique atypique, mais qui interagit peu ou n’interagit pas avec les récepteurs 5-HT2a. En fait, à ce jour, il n’existe aucun médicament antipsychotique efficace totalement dépourvu d’activité antidopaminergique. C’est aussi le cas des médicaments des A3G, tel l’aripiprazole, qui, tout en étant un agoniste partiel de la dopamine (Burris & al., 2002), bloque les récepteurs DA2. Ainsi, l’aripiprazole est

FIGURE 68.1 Occupation des récepteurs DA2 à la tomographie par émission de positrons

1464

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

qualié de stabilisateur dopaminergique, puisqu’en activant les récepteurs DA2 de façon partielle, il maintient un certain niveau d’activité se situant entre un hyper- et un hypodopaminergisme. L’eet clinique de l’aripiprazole est associé à un taux d’occupation des récepteurs dopaminergiques beaucoup plus élevé (> 80 %) que tous les autres et, contrairement aux A2G, il ne sature pas les récepteurs 5-HT2a (taux d’occupation inférieur à 60 % ; Mamo & al., 2007). Malgré ce taux élevé d’occupation des récepteurs DA2, il n’induit pas plus d’eets moteurs indésirables que les A2G. Plus d’un demi-siècle après l’introduction de la chlorpromazine dans la pharmacothérapie de la psychose, l’hypothèse dopaminergique demeure celle qui explique le mieux l’action antipsychotique de ces médicaments. Il est certes possible, voire fort probable, que l’interaction des médicaments avec d’autres systèmes de neurotransmission, notamment la sérotonine via les récepteurs 5-HT2a et 5-HT1a, contribue à leurs eets cliniques.

68.3 Classication La classication des antipsychotiques a évolué au cours des années. D’abord fondée sur leur structure chimique durant les années 1960 à 1990, elle est maintenant de nature plus clinique, reétant davantage leurs prols d’eets indésirables. Ce changement dans la classication doit être attribué, d’une part, à la clozapine, commercialisée depuis les années 1960 (délaissée à cause de l’agranulocytose qu’elle peut produire, mais remise, avec précaution, sur le marché américain en 1988), et, d’autre part, à la découverte vers la n des années 1980, de la rispéridone et de l’olanzapine ; ces A2G sont décrits comme « atypiques » puisque, tout en ayant une activité antipsychotique comparable aux A1G conventionnels, ils induisent moins d’eets extrapyramidaux indésirables que leurs prédécesseurs, particulièrement lorsqu’ils sont comparés à l’halopéridol. Meltzer et ses collaborateurs (1989) constatent que les atypiques ont en commun une plus grande anité pour les récepteurs sérotoninergiques 5-HT2a comparativement à leur anité pour les récepteurs dopaminergiques DA2 (ratio 5-HT2a/ DA2 > 1), ce qui expliquerait qu’ils produisent moins d’eets extrapyramidaux. Depuis, la recherche et l’expérience clinique des 20 dernières années indiquent que les A2G, tout en ayant en commun une grande anité pour les récepteurs 5-HT2a, dièrent entre eux selon leur anité pour les autres récepteurs neuronaux, ce qui se traduit par un prol d’eets indésirables variés. Plus récemment, l’aripiprazole a montré un prol de symptômes extrapyramidaux similaires aux atypiques malgré le fait que son ratio 5-HT2/DA2 soit < 1. Cette molécule dière des autres antipsychotiques par son activité agoniste dopaminergique, qui contribue à la réduction des eets extrapyramidaux.

68.4 Modalités de prescription Les antipsychotiques sont les seuls médicaments pouvant atténuer les symptômes de psychose. C’est là leur eet désirable (primaire). Ils permettent donc de soulager des symptômes très désorganisants et pénibles d’hallucinations, de délires, d’agitation, etc., qui perturbent l’équilibre habituel des émotions et des pensées. Mais à cause d’un manque d’insight, peu de patients acceptent de prendre ces médicaments pour corriger des idées qui leur semblent

authentiques. Le médecin a donc avantage à proposer une médication visant à atténuer la sourance reliée à ces symptômes. C’est le traitement biologique de base pour rétablir une physiologie fonctionnelle du cerveau, donnant accès au volet psychologique et social du traitement. Toutefois, malgré leur ecacité reconnue, l’observance pharmacologique reste faible, particulièrement dans la schizophrénie. Leurs eets indésirables (secondaires) sont une des nombreuses raisons de l’abandon du traitement. Pour cette raison, une meilleure connaissance par le médecin des eets indésirables l’incitera à mieux les dépister et à y trouver des solutions an d’alléger les conséquences sur la qualité de vie du patient et de favoriser l’observance au traitement. Par ailleurs, il faut souligner que bien souvent, les patients n’éprouveront que quelques-uns des nombreux eets indésirables rapportés dans la littérature, mais cesseront tout de même leur traitement pour d’autres raisons de pression sociale ou d’idéologie. L’adhésion à la médication est présentée en détail au chapitre 66, à la section 66.8.

68.4.1 Choix de l’antipsychotique Bien que les études sur l’ecacité des antipsychotiques soient eectuées principalement auprès de populations atteintes de schizophrénie, des principes généraux guident leur prescription pour l’ensemble des pathologies. Kane et ses collaborateurs (2007) identient trois prols à dénir avant que le médecin en arrive au choix d’un antipsychotique : le prol du patient, celui de la maladie et celui de la médication. Le choix se fait autant que possible en tenant compte des circonstances, après discussion entre le médecin et le patient (Buchanan & al., 2010 ; Kreyenbuhl & al., 2010). 1. Le prol du patient : le médecin doit procéder à une évaluation complète du malade et de son milieu. Cette évaluation, souvent lacunaire dans les dossiers médicaux (Cradock & al., 2001), précise d’abord la réponse antérieure à un traitement antipsychotique en ayant soin de documenter le médicament, les doses initiale et optimale, la formulation (PO ou IM) et l’utilisation concomitante d’autres médicaments. La réponse antérieure est l’un des facteurs essentiels à considérer, car il s’agit d’un important prédicteur de réponse au traitement. La vulnérabilité aux eets indésirables pour tout traitement pharmacologique est également à documenter. On évalue de façon précise le niveau d’autocritique du patient et les bénéces qu’il perçoit à prendre le médicament (Amador & David, 2004), puisque les deux sont signicativement associés avec l’adhésion. La comorbidité médicale (présence d’aections médicales, p. ex. insusance hépatique ou rénale) ou certains états physiologiques (p. ex., grossesse, allaitement, âge avancé) en regard des eets indésirables doivent être considérés préalablement à la prescription d’un traitement antipsychotique. Les éléments de base de l’évaluation, qui doit être refaite périodiquement, comprennent la recherche des antécédents médicaux personnels et familiaux, un examen physique complet et un bilan sanguin (voir le tableau 68.4). Le réseau de soutien (famille, proches) doit également être évalué en regard de sa capacité à aider le patient dans la mise en place et le maintien du traitement antipsychotique, et de sa capacité à identier et à rapporter des eets indésirables. Cette évaluation du réseau de soutien constitue un point de départ pour l’instauration d’approches

Chapitre 68

Antipsychotiques

1465

TABLEAU 68.4 Données à obtenir dans le cadre de la prescription d’un antipsychotique

Première année de traitement

Annuellement

Si signes ou

Mesure

Début

Antécédents personnels ou familiaux de diabète, d’obésité, d’hypertension artérielle, de dyslipidémie ou de maladie cardiaque

X

Poids et taille (indice de masse corporelle)

X

X

X

X

X

X

X

Circonférence de taille

X

X

X

X

X

X

X

Pression artérielle

X

X

X

X

X

Glucose à jeun

X

X

X

X

X

X

Hémoglobine glyquée A1c

X

X

X

X

Cholestérol à jeun

X

X

X

X

Triglycérides à jeun

X

X

X

X

Recherche de drogues dans les urines

X

X

Électrocardiogramme

X

X

Prolactine

X

Test de grossesse pour les femmes en âge reproductif

X

Test de fonction hépatique

X

TSH

X

Échelle de mouvements anormaux

X

1 mois

2 mois

6 mois

12 mois après la 1re année symptômes d’appel X

X

psychoéducatives familiales reconnues comme ecaces pour optimiser l’adhésion au traitement antipsychotique (Buchanan & al., 2010 ; Kreyenbuhl & al., 2010). 2. Le prol de la maladie : Les diérents domaines (symptômes positifs, fonctionnement, qualité de vie) sont peu reliés les uns aux autres (Drake & al., 2006), d’où l’importance de les évaluer de façon spécique pour choisir l’antipsychotique à prescrire et juger de l’ecacité du traitement. a) La nature de la symptomatologie positive (délires, hallucinations, désorganisation de la pensée) peut être précisée au moyen d’entrevues cliniques. Bien que peu utilisés dans la pratique courante, des outils de mesure standardisés (p. ex., la Brief Psychiatric Rating Scale [BPRS] et la Positive And Negative Syndrome Scale [PANSS]) peuvent aider à mieux la définir et s’avèrent particulièrement utiles dans la perspective de mesures répétées pour évaluer l’ecacité d’un traitement pour un patient donné. Les symptômes positifs répondent généralement bien à l’ensemble des antipsychotiques. Dans une méta-analyse des résultats d’études d’ecacité menées auprès de populations de patients atteints de schizophrénie, Leucht et ses collaborateurs (2009) ont identié quatre A2G comme ayant une ecacité supérieure aux A1G : l’amisulpride (non commercialisé au Canada), la clozapine, l’olanzapine et la rispéridone ; la clozapine demeure cependant réservée au traitement de 2e intention.

1466

3 mois

X

X

X X

X

X

X

X X

X

X

X

X

b) L’évaluation des symptômes négatifs (émoussement aectif, alogie, aboulie, anhédonie) bénécie aussi de l’utilisation d’outils standardisés (principalement la PANSS). Stahl (2008) insiste sur l’identication des symptômes négatifs secondaires associés à la prise d’A1G ou à la prescription de doses trop élevées. Pour le traitement de ces symptômes négatifs, la méta-analyse de Leucht et de ses collaborateurs (2009) conclut aussi que l’amisulpride, la clozapine, l’olanzapine et la rispéridone sont plus ecaces que les A1G, mais cette conclusion n’a pas toujours fait l’unanimité (Lehman & al., 2004). c) Les troubles cognitifs (décits de l’attention, de la mémoire, des fonctions exécutives) peuvent être documentés de façon plus rigoureuse par une évaluation neuropsychologique spécique et leur impact fonctionnel peut l’être en situation de performance (p. ex., Assessment of Motor and Process Skills [AMPS] et Subjective Scale to Investigate Cognition in Schizophrenia [SSTICS]). En ce qui a trait au traitement de ces symptômes, bien que Stahl (2008) soutienne que, de l’avis général, les A2G sont supérieurs aux A1G, plusieurs études récentes rapportent des résultats plutôt décevants pour l’ensemble des agents antipsychotiques, qui montrent un impact limité et peu signicatif sur la cognition. d) Les symptômes aectifs doivent également faire l’objet d’une évaluation attentive. Présents dans une proportion élevée de patients atteints de schizophrénie (jusqu’à 75 % ;

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

Micale & al., 2006), les symptômes dépressifs et l’angoisse sont associés à une sourance importante, à un mauvais fonctionnement et à une mauvaise évolution ainsi qu’à des taux élevés de réhospitalisation et de suicide. On doit établir s’il s’agit de symptômes associés ou secondaires d’un syndrome dépressif postpsychose ou d’une dépression avec symptômes psychotiques. La prescription d’antipsychotiques est indiquée dans la plupart de ces cas, mais les modalités (doses, durée) varient selon la pathologie de base. L’échelle d’évaluation de la dépression la plus largement répandue pour les patients atteints de psychose est la Calgary Depression Scale (CDS) (Addington & al., 1996). En ce qui a trait spéciquement à l’ecacité du traitement de la dépression chez les patients atteints de schizophrénie, la méta-analyse de Leucht et de ses collaborateurs (2009) identie cinq antipsychotiques qui se montrent supérieurs aux A1G : l’amisulpride, la clozapine, l’olanzapine, l’aripiprazole et la quétiapine. e) Le fonctionnement social (intégration au travail/études, autonomie quant à l’hébergement, relations interpersonnelles) peut être facilement évalué au moyen de l’échelle d’évaluation globale du fonctionnement (Global Assessment Scale [GAF]), un outil d’utilisation répandue, bien que l’échelle d’évaluation du fonctionnement professionnel et social (Social and Occupational Functionning Assessment Scale [SOFAS]) s’avère plus spécique en ce sens. f ) L’évaluation de la qualité de vie est un autre aspect important à considérer. L’utilisation d’outils de mesure tels que la Quality of Life Scale (QOL) peut être utile. Leucht et ses collaborateurs (2009) rapportent que les données pour cette variable n’étaient disponibles que dans 17 études et que seuls l’amisulpride, la clozapine et le sertindole (non commercialisé au Canada) étaient supérieurs aux A1G. La phase de la maladie (au début ou en cours d’évolution) inuence également le choix de l’antipsychotique. Bien qu’il y ait consensus sur le fait que la clozapine doit être réservée aux cas où la résistance au traitement pharmacologique est documentée, certains guides (Lehman & al., 2004; International Early Psychosis Association Writing Group, 2005) favorisent l’utilisation des A2G, alors que le National Institute for Health and Care Excellence (2009) n’en recommande aucun de façon spécique pour commencer le traitement pharmacologique. Le PORT (Buchanan & al., 2010 ; Kreyenbuhl & al., 2010) spécie que l’olanzapine ne doit pas être prescrite en 1re intention en raison de ses eets métaboliques. 3. Le prol de la médication. Son ecacité à court terme est l’un des aspects déterminants. Si la médication révèle une absence ou une insusance d’eet pour traiter les symptômes aigus après deux semaines, elle a peu de chance, selon la méta-analyse d’Agid et de ses collaborateurs (2003), d’arriver à les soulager après quatre semaines et, dans un tel cas, le choix de l’antipsychotique peut être reconsidéré. Néanmoins, malgré les conclusions de cette méta-analyse, il ne faut pas changer d’antipsychotique si rapidement, surtout lorsqu’un patient a connu quelques épisodes psychotiques. En pratique, on attend de un à deux mois à dose thérapeutique avant d’eectuer un changement, à moins d’une intolérance importante. Comme le précisent Crossley et ses collaborateurs (2010), le choix d’un

antipsychotique pour une psychose débutante repose en grande partie sur le prol d’eets indésirables. Cette recommandation peut être élargie à l’ensemble des cas. Le tableau 68.5 précise ce prol pour les principales molécules utilisées. L’évaluation des diérents risques associés à la situation clinique inue sur le type d’antipsychotique, la forme utilisée, la vitesse d’initiation et d’augmentation. Ainsi un risque suicidaire, un comportement violent ou agressif, ou un risque de non-observance ou de refus de traitement doivent être considérés dans le choix du médicament. Dans de telles circonstances, un antipsychotique IM à action prolongée peut s’avérer un choix judicieux.

68.4.2 Début du traitement Avant d’entreprendre un traitement antipsychotique, on doit eectuer un bilan biologique et inclure les analyses contenues dans le tableau 68.4. De façon générale, la Schizophrenia Patient Outcomes Reseach Team (Buchanan & al., 2010 ; Kreyenbuhl & al., 2010) recommande l’utilisation en 1 re intention, lors d’un premier épisode psychotique, de médicaments antipsychotiques à faibles doses (autres que l’olanzapine et la clozapine, en raison de leur prol d’eets indésirables). La bonne réponse au traitement et une sensibilité accrue aux eets indésirables généralement observées lors des premiers épisodes psychotiques (en comparaison de ce qui est noté chez les personnes ayant eu de nombreux épisodes psychotiques) justient cette recommandation. La forme sous laquelle l’antipsychotique est initialement donné dépend de plusieurs variables. Le médecin est en mesure de proposer le meilleur choix entre la forme orale ou injectable, mais cette dernière peut s’imposer dans les situations d’urgence ou lors d’un manque d’adhésion au traitement. Le début d’un traitement chez un patient à l’observance douteuse et pour qui la supervision est dicile (en milieu non hospitalier) impose souvent l’utilisation d’une forme liquide ou à dissolution rapide, dont la prise est vériée par l’entourage. Un suivi attentif des eets bénéques (primaires) et indésirables (secondaires) permet de déterminer la dose minimale efficace. La durée recommandée des essais de traitement doit être de deux semaines au minimum et de six semaines pour une réponse optimale. De façon générale, la prescription d’un antipsychotique doit faire appel à la stratégie start low, go slow. Ainsi, pour un jeune adulte à son premier épisode psychotique, le début se fait à des doses faibles (p. ex., rispéridone 1 mg HS), suivi d’une lente majoration (p. ex., augmentation de la rispéridone de 0,5 mg tous les trois à sept jours) pour atteindre une dose de 2 à 4 mg HS. Comme le rapportent Penn et ses collaborateurs (2005), la plupart des patients présentant un premier épisode psychotique répondent bien à la médication antipsychotique en ce qui a trait à la rémission des symptômes : 50 % dans les trois premiers mois après le début du traitement antipsychotique, 75 % après six mois et jusqu’à 80 % après un an. La dose initiale ainsi que les doses maximales recommandées pour les antipsychotiques sont résumées dans le tableau 68.6. Le dosage des antipsychotiques y est exprimé en dose équivalente de chlorpromazine. Dans les années 1960, la dose équivalente était obtenue en comparant la dose requise de chaque A1G, par rapport à la dose de

Chapitre 68

Antipsychotiques

1467

TABLEAU 68.5 Principaux effets indésirables des antipsychotiques classés selon leur effet sur le poids et la glycémie

Antipsychotique

Poids

Lipide

Glycémie

Akathisie

Parkinsonisme

TA

Somnolence

Antipsychotiques de 1re génération (A1G) Chlorpromazine

+++

+++

+++

+

++

+++

+++

Flupenthixol

++

ND*

++

+++

+++

+

+

Fluphénazine

++

ND

++

+++

+++

+

+

Halopéridol

++

+

++

+++

+++

+

+

Perphénazine

++

+

++

++

++

++

++

Triuopérazine

++

ND

+

+++

+++

+

+

Zuclopenthixol

++

ND

+

++

+++

+

+++

Loxapine

+

++

+

++

++

++

+++

Pimozide

+

+

+

++

+++

+

++

Antipsychotiques de

2e

génération (A2G)

Olanzapine

+++

+++

+++

+

++

+

+++

Clozapine

+++

+++

+++

+

+

+++

+++

Asénapine

++

++

++

ND

ND

++

++

Palipéridone

++

ND

ND

++

++

+

+

Quétiapine

++

+++

++

+

+

++

+++

Rispéridone

++

++

++

++

++

++

++

Ziprasidone

+

+

+

++

++

++

++

Lurasidone

+

+

+

+

++

+

++

+

+

++

Antipsychotique de Aripiprazole

+/-

+

+

3e

génération (A3G) ++

* ND : non disponible. Source : Adapté de Virani & al. (2012).

chlorpromazine, pour produire de la catalepsie (raideur musculaire) chez le rat. La catalepsie était considérée comme un reet du blocage des récepteurs dopaminergiques dans l’encéphale. Plus récemment, l’avènement de l’imagerie cérébrale a permis de comparer de façon plus précise la dose requise pour bloquer les récepteurs dopaminergiques. Or, cette méthode s’avère moins pertinente que souhaité étant donné que la liaison et l’anité des antipsychotiques aux récepteurs dopaminergiques dièrent entre elles, certains ayant une liaison qualiée d’intermittente (loose binding). De plus, l’ecacité de la clozapine ne peut uniquement être attribuée à ses propriétés de liaison aux récepteurs dopaminergiques et la dose peut dicilement être comparée à d’autres antipsychotiques. Finalement, la proposition d’une équivalence en chlorpromazine pour déterminer l’ecacité clinique s’applique surtout aux A1G. Pour les A2G et les A3G, il s’agit plutôt d’une approximation Plus récemment, Leucht et ses collaborateurs (2014) ont proposé de comparer la dose minimale nécessaire pour réduire les symptômes lors

1468

d’un premier épisode psychotique. Ainsi, l’équivalence en dose de chlorpromazine demeure un concept dicile à réaliser de façon pratique, puisque la dose équivalente peut diérer selon la méthode utilisée (Patel & al., 2013). Certains éléments pratiques doivent être pris en considération dès le début du traitement, tant pour le confort du patient que pour augmenter les chances d’une meilleure adhésion. En ce sens, la prescription d’une dose quotidienne unique HS est souvent utile, particulièrement pour les antipsychotiques auxquels sont associées de la somnolence ou de la fatigue. Ces eets secondaires sont parmi les plus fréquents et les plus intenses en début de traitement, mais également les plus susceptibles d’interférer avec un cheminement réadaptatif à long terme. Les eets extrapyramidaux doivent également faire l’objet d’une attention particulière. La prescription systématique d’un correcteur (antiparkinsonien ou autre) n’est plus la règle, surtout avec les A2G et les A3G ; mais un questionnaire et un examen physique dépistant ces symptômes et signes souvent discrets demeurent pertinents. Pour les

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

TABLEAU 68.6 Dose quotidienne recommandée des antipsychotiques classés selon leur équivalence décroissante

par rapport à la chlorpromazine

Antipsychotique

Nom commercial

Dose initiale Dose faible

Dose d’entretien

Occupation des récepteurs DA2

Occupation des récepteurs 5-HT2A

Équivalent en chlorpromazine

Antipsychotiques de 1re génération (A1G) Chlorpromazine

LargactilMD

25 à 50 mg

200 à 800 mg

78 à 80 %

Inconnu

100 mg

Loxapine

LoxapacMD

10 mg

50 à 200 mg

60 à 80 %

58 à 75 %

15 mg

Zuclopenthixol

ClopixolMD

10 mg

25 à 60 mg

70 %

Inconnu

12 mg

Perphénazine

TrilafonMD

4 à 8 mg

16 à 24 mg

79 %

Inconnu

10 mg

Flupenthixol

FluanxolMD

1 à 3 mg

9 à 12 mg

70 à 74 %

Inconnu

5 mg

Triuopérazine

StelazineMD

2 à 5 mg

15 à 30 mg

75 à 80 %

Inconnu

5 mg

Fluphénazine

ModitenMD

2 à 5 mg

10 à 20 mg

Inconnu

Inconnu

2 mg

Halopéridol

HaldolMD

2 à 5 mg

5 à 20 mg

75 à 89 %

Inconnu

2 mg

Pimozide

OrapMD

2 à 4 mg

8 à 20 mg

77 à 79 %

Inconnu

2 mg

Antipsychotiques de

2e

génération (A2G)

Quétiapine

SeroquelMD

50 à 100 mg

400 à 800 mg

20 à 44 %

38 à 74 %

300 à 400 mg

Clozapine

ClozarilMD

12,5 à 25 mg

300 à 900 mg

38 à 68 %

85 à 94 %

200 à 250 mg

Ziprasidone

ZeldoxMD

40 à 80 mg

80 à 160 mg

45 à 75 %

80 à 90 %

40 à 80 mg

Olanzapine

ZyprexaMD

5 à 10 mg

10 à 30 mg

55 à 80 %

80 à 90 %

7,5 à 10 mg

Lurasidone

LatudaMD

40 mg

40 à 160 mg

63 à 79 %

Inconnu

Inconnu

Rispéridone

RisperdalMD

1 à 2 mg

2 à 6 mg

63 à 85 %

60 à 90 %

2 à 2,5 mg

Palipéridone

InvegaMD

3 à 6 mg

9 à 12 mg

70 à 80 %

Inconnu

Inconnu

Asénapine

SaphrisMD

5 à 10 mg

20 mg

79 %

Inconnu

Inconnu

54 à 60 %

5 à 10 mg

Antipsychotique de Aripiprazole

AbilifyMD

2 à 10 mg

3e

génération (A3G)

10 à 30 mg

40 à 95 %

Source : Adapté de Virani & al. (2012).

symptômes extrapyramidaux aigus, on doit d’abord en préciser le type et adapter le traitement en conséquence. À titre d’exemple, les benzodiazépines, la benztropine et la diphenhydramine sont indiquées pour la dystonie aiguë, alors que les benzodiazépines (clonazépam, lorazépam) ou les ß-bloquants (propranolol) sont utilisés pour l’akathisie (bougeotte, gigotage, impatience dans les jambes). Les agents anticholinergiques (p. ex., benztropine, procyclidine) sont quant à eux réservés pour le traitement du syndrome parkinsonien aigu (tremblements, rigidité, akinésie, micrographie, bradykinésie) ou pour prévenir la réapparition de dystonie aiguë.

68.4.3 Traitement d’entretien Dans le traitement des troubles psychotiques, l’utilisation des antipsychotiques vise d’abord un contrôle soutenu de la symptomatologie et la diminution du risque de rechute psychotique. Robinson et ses collaborateurs (1999) ont identié l’arrêt de la

médication antipsychotique comme le seul facteur prédictif de rechute psychotique, le sous-groupe de leur étude qui a cessé la médication ayant eu cinq fois plus de risque de rechuter que celui qui la poursuivait. La durée de ce traitement est établie par des lignes directrices (Addington & al., 2005 ; Lehman & al., 2004) et varie selon la situation clinique. • À la suite d’un seul épisode : une tentative d’arrêt de l’antipsychotique est possible, par diminution en paliers progressifs, après un ou deux ans de rémission complète des symptômes, avec un suivi attentif. Mais, s’il persiste des symptômes psychotiques, même à bas bruit, le risque de rechute est grand suite à l’arrêt de la médication. • À la suite de deux épisodes psychotiques ou plus : divers scénarios peuvent être envisagés, allant d’un traitement antipsychotique pour une durée indénie (Lehman & al., 2004) à une tentative d’arrêt par diminution en paliers progressifs après cinq ans de rémission, avec un suivi attentif (Addington & al., 2005).

Chapitre 68

Antipsychotiques

1469

Une méta-analyse basée sur 23 études randomisées comparant un A1G (essentiellement l’halopéridol) à un A2G sur une période de plus de 6 mois indique une tendance, mais non une diérence statistiquement signicative, vers une plus grande ecacité des A2G dans la prévention des rechutes avec un NNT (number needed to treat) de 17. Cette mesure signie que sur 17 patients prenant un A2G, un seul verra son risque de rechute réduit comparativement aux patients prenant un A1G. L’eet bénéque des A2G est attribué à une meilleure tolérance et non à une plus grande ecacité antipsychotique (Kishimoto & al., 2013).

68.4.4 Traitement des cas réfractaires Seule la schizophrénie a fait l’objet de recherches systématiques pour documenter l’ecacité de traitements pharmacologiques des troubles psychotiques réfractaires. Plusieurs dénitions ont été élaborées pour préciser la notion d’une schizophrénie réfractaire. Elles prennent en considération à la fois la sévérité de la maladie et la persistance des symptômes psychotiques positifs, négatifs et des troubles cognitifs, selon les échelles PANSS ou BPRS, après un traitement de six semaines avec deux antipsychotiques de classes diérentes. Néanmoins, en pratique clinique, une période de six semaines paraît bien courte pour une maladie chronique comme la schizophrénie. Depuis l’étude phare de Kane et de ses collaborateurs (1988), aucune autre étude n’a pu montrer que les nouveaux antipsychotiques sont supérieurs à la clozapine dans le traitement d’une psychose réfractaire (McEvoy & al., 2006 ; Tyrer & Kandall, 2009). Toutefois, la clozapine ne s’avère pas plus ecace qu’un autre antipsychotique pour le traitement d’un premier épisode psychotique. Les études initiales suggèrent que les A2G réduisent les symptômes négatifs et les troubles cognitifs comparativement aux A1G, mais ces avantages n’ont pas été conrmés par les études plus récentes. Toutefois, ces mêmes études soulignent que les eets indésirables ou les échelles de qualité de vie sont parfois favorables aux A2G en raison d’une meilleure tolérance lorsqu’ils sont comparés à l’halopéridol. Cependant, pour plusieurs A2G, c’est le gain de poids et le syndrome métabolique qui posent problème. Dans le cas de la psychose réfractaire, les stratégies pharmacologiques suivantes sont recommandées (Van Sant & Buckley, 2010 ; McIlwain & al., 2011) : • Faire l’essai de deux antipsychotiques de classes diérentes pendant au moins six semaines pour chacun. En pratique, les essais durent au moins deux ou trois mois chacun. • Utiliser des doses supérieures à celles recommandées par le fabricant tout en vériant l’intervalle QTc, qui ne devrait pas dépasser 450 millisecondes, et en surveillant l’apparition d’eets indésirables. • Faire un essai d’au moins trois à six mois avec la clozapine en monothérapie. • Potentialiser la clozapine avec un second antipsychotique (préférablement un antipsychotique comportant peu d’eets anticholinergiques) tel que la uphénazine, la perphénazine l’aripiprazole ou la rispéridone. • Potentialiser un antipsychotique avec l’ajout d’un antiépileptique (lamotrigine ou acide valproïque). Lorsque la symptomatologie négative ou les troubles cognitifs sont sévères, les stratégies énumérées ci-dessous sont parfois

1470

recommandées, même si leur efficacité n’est pas prouvée hors de tout doute par des études randomisées à double insu (McIlwain & al., 2011). Il y a lieu de procéder à l’ajout de l’un ou de l’autre des médicaments suivants : • un antidépresseur (ISRS, mirtazapine, etc.) ; • un agoniste du glutamate (glycine, sérine, etc.) ; • un inhibiteur de la cholinestérase, qui peut parfois améliorer les troubles cognitifs associés à la schizophrénie, même si cette classe de médicaments n’est pas remboursée par la Régie de l’assurance maladie du Québec pour cette utilisation, n’ayant pas reçu l’approbation de l’INESSS. Les antipsychotiques sont également recommandés pour le traitement de la manie aiguë et en prophylaxie du trouble bipolaire, de la dépression majeure psychotique ou réfractaire et d’un trouble anxieux réfractaire aux traitements conventionnels. Dans ces cas, l’antipsychotique est ajouté à un antidépresseur ou à un stabilisateur de l’humeur.

68.4.5 Considérations particulières Certains états ou aections nécessitent une attention particulière dans le choix de l’antipsychotique approprié.

Grossesse et allaitement Près des deux tiers des femmes en âge de procréer et suivies en psychiatrie vont accoucher d’un enfant (Tenku & al., 2009). Plusieurs de ces femmes, ignorant qu’elles sont enceintes, exposeront involontairement le fœtus à divers psychotropes pendant les premières semaines de grossesse. Il est préférable d’éviter de prescrire des médicaments durant le premier trimestre de la grossesse an de réduire le risque de malformations fœtales pendant l’organogenèse (tératogenèse). Néanmoins, les études rétrospectives dans lesquelles il y a eu un groupe témoin ne documentent pas une augmentation de malformations congénitales chez les bébés de mères qui reçoivent un antipsychotique. Toutefois, quelques études font état d’un certain risque de prématurité et de petit poids du bébé à la naissance (jusqu’à 10 % de réduction), autant avec les A1G que les A2G. Un léger retard neuromoteur à l’âge de six mois est observé chez certains bébés exposés aux antipsychotiques durant la grossesse (Johnson & al., 2012). Cependant, les quelques études longitudinales ne montrent pas d’altération du quotient intellectuel ni de comportements anormaux sur une période de 4 à 10 ans. Puisque le risque d’un diabète est augmenté durant la grossesse, des mesures de la glycémie sont prévues à intervalles réguliers, surtout si la patiente reçoit de l’olanzapine ou de la clozapine. Il est recommandé de réduire la posologie de l’antipsychotique de une à deux semaines avant l’accouchement pour diminuer le risque de symptômes chez le nouveau-né, tels des tremblements, de la rigidité, un manque de tonus musculaire (oppy baby syndrome), des dicultés de succion, de l’agitation et de l’irritabilité. Lors de l’allaitement, les antipsychotiques diusent dans le lait maternel dans une proportion variant de 3 à 5 % du taux plasmatique de la mère. Il n’y a pas de contre-indication absolue de continuer le traitement antipsychotique lors de l’allaitement, mais cette pratique n’est pas encouragée avec la clozapine à cause d’un risque d’agranulocytose chez le bébé.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

Maladie de Parkinson Les patients atteints de la maladie de Parkinson sont à risque de présenter des symptômes psychotiques. La psychose est causée par l’augmentation de la transmission synaptique de la dopamine (DA) induite par les médicaments antiparkinsoniens qui visent à réduire les troubles moteurs. De 20 à 50 % des patients ont des hallucinations, surtout visuelles, ou un délire (Fernandez, 2012). La clozapine est l’antipsychotique ayant montré la plus grande ecacité lors des études à double insu pour traiter la psychose associée à la maladie de Parkinson. Toutefois, quelques études ouvertes suggèrent que la quétiapine peut également avoir une action thérapeutique. L’activité anticholinergique de la clozapine permet en plus d’améliorer les symptômes moteurs causés par la maladie de Parkinson. Les doses thérapeutiques sont habituellement moins élevées que celles utilisées pour le traitement d’autres troubles psychotiques.

68.5 Indications et contre-indications L’indication première des antipsychotiques est le traitement des divers troubles psychotiques, notamment la schizophrénie, le trouble délirant, la manie, la dépression bipolaire ou psychotique, la psychose due à une aection médicale ou toxique et le delirium. Néanmoins, la majorité des études avec les antipsychotiques ont été réalisées chez des patients sourant de schizophrénie ou d’un trouble bipolaire en phase maniaque. Ainsi, les eets thérapeutiques et indésirables sont souvent une extrapolation des études réalisées avec ces populations. Parmi les autres indications thérapeutiques reconnues au Canada, il faut souligner l’usage de la quétiapine (Seroquel XRMD) et de la lurasidone dans la dépression bipolaire. L’aripripazole est indiquée comme adjuvant dans la dépression unipolaire n’ayant pas répondu à un traitement antidépresseur standard. Un certain nombre d’études montrent l’ecacité d’autres A2G et de l’aripiprazole dans le traitement de la dépression majeure uni- ou bipolaire, en monothérapie ou en combinaison avec un antidépresseur (Maher & al., 2011). Par ailleurs, quelques études suggèrent une certaine ecacité des antipsychotiques, en monothérapie ou comme adjuvant d’un traitement pharmacologique, pour les troubles psychiatriques suivants (Maher & al., 2011) : • le trouble l’état de stress post-traumatique ; • le trouble obsessionnel-compulsif ; • le trouble anxieux généralisé ; • l’insomnie ; • l’impulsivité des troubles de la personnalité ; • le syndrome de Gilles de la Tourette ; • les troubles du spectre de l’autisme ; • l’agitation dans la démence. L’utilisation des antipsychotiques pour ces troubles psychiatriques devrait être réservée aux patients réfractaires au traitement conventionnel, d’autant plus que leur utilisation pour de tels problèmes de santé mentale n’est pas reconnue par Santé Canada. Il n’existe pas de contre-indications absolues limitant l’utilisation des antipsychotiques, mais une surveillance accrue est recommandée lorsqu’ils sont prescrits à des patients présentant un trouble neurologique caractérisé par un trouble moteur

ou encore présentant une anomalie de conduction cardiaque, particulièrement un QTc de plus de 500 millisecondes.

68.6 Effets indésirables Malgré l’ecacité reconnue des antipsychotiques dans le traitement des psychoses, l’observance pharmacologique est faible, particulièrement dans la schizophrénie. Une des raisons de l’abandon du traitement est en lien avec les eets indésirables rapportés par les patients ou observés par le médecin. Il est également important d’orir quelques solutions an que le médecin puisse intervenir rapidement an d’alléger les conséquences de la médication sur la qualité de vie du patient et en favoriser l’observance. Comme l’ecacité antipsychotique est similaire pour les nombreux antipsychotiques, c’est le prol d’eets secondaires qui détermine souvent le choix du médicament. Il n’est donc pas surprenant de retrouver dans la littérature pharmacologique plusieurs articles comparant les eets indésirables entre antipsychotiques, puisque cet aspect va inuencer signicativement l’observance du traitement chez des patients déjà peu enclins à prendre un médicament. Par ailleurs, il faut souligner que les patients n’éprouveront que quelques-uns des nombreux eets indésirables rapportés ici.

68.6.1 Pharmacologie des effets indésirables Tous les antipsychotiques ont une anité pour les récepteurs dopaminergiques et c’est cette propriété qui leur confère une activité antipsychotique. Toutefois, ils se lient aussi à plusieurs autres sites tels que les récepteurs sérotoninergiques, cholinergiques, adrénergiques et histaminiques, où, sauf pour quelques exceptions, ils exercent un eet antagoniste. Le tableau 68.7 montre l’anité des antipsychotiques pour un certain nombre de récepteurs : plus le chire est bas, plus l’anité du médicament pour le récepteur est élevée. Par exemple, l’halopéridol a une très haute anité pour les récepteurs DA2, mais très faible pour les récepteurs cholinergiques. Les chires indiquent l’anité des antipsychotiques pour les récepteurs (constante d’inhibition [Ki]). Il s’agit de la mesure de la concentration en nanomoles de l’antipsychotique requise pour occuper 50 % des récepteurs. L’anité d’un inhibiteur (antipsychotique) est d’autant plus grande que le Ki est petit. Le tableau 68.8 résume les eets indésirables potentiels selon l’anité des antipsychotiques pour des récepteurs spéciques.

68.6.2 Effets indésirables comportementaux Les eets des antipsychotiques sur la motricité et le sommeil sont connus depuis l’ère de la chlorpromazine. Toutefois, la fréquence et l’intensité de ces eets indésirables varient selon la classe des antipsychotiques.

Symptômes extrapyramidaux Les neurones des noyaux gris centraux sont à l’origine des comportements moteurs qui sont modiés par les antipsychotiques.

Chapitre 68

Antipsychotiques

1471

TABLEAU 68.7 Afnité de liaison des antipsychotiques à divers récepteurs, classés selon leur afnité

pour les récepteurs DA2 Dopamine DA2

Sérotonine 5-HT1A

Sérotonine 5-HT2A

Sérotonine 5-HT2C

Acétylcholine Noradrénaline Noradrénaline M1 α-1 α-2

Histamine H1

Aripiprazole

0,66

5,5

8,7

22

6 780

26

74

0

Amisulpride

1,3

> 10 000

2 000

> 10 000

ND

7 100

1 600

> 10 000

Asénapine

1,3

8,6

0,06

10,4

8 128

1,2

1,2

1

Perphénazine

1,4

421

5

132

1 500

10

500

8

Halopéridol

2,6

1 800

61

4 700

> 10 000

17

600

260

Ziprasidone

2,6

1,9

0,12

0,9

300

2,6

154

4,6

Palipéridone

2,8

480

1,2

48

> 10 000

10

80

3,4

Rispéridone

3,8

190

0,15

32

> 10 000

2,7

8

5,2

Olanzapine

20

610

1,5

4,1

2,5

44

280

0,08

Clozapine

210

160

2,59

4,8

1,4

6,8

158

3,1

Quétiapine

770

300

31

3 500

120

8,1

80

19

ND : non disponible. Source : Adapté de Correll (2010), p. s15.

TABLEAU 68.8 Effets indésirables des antipsychotiques selon leur effet antagoniste sur divers récepteurs

Antagonisme des récepteurs

Effets indésirables

Dopamine DA2

• Parkinsonisme, dystonie aiguë et tardive, dyskinésie tardive, akathisie • Troubles endocriniens associés à l’hyperprolactinémie (galactorrhée, gynécomastie, dysfonction sexuelle, trouble menstruel)

Sérotonine 5-HT2a

• Réduction des symptômes extrapyramidaux

Sérotonine 5-HT2c

• Hypotension orthostatique • Gain de poids, hyperglycémie

Acétylcholine (muscarinique)

• • • •

Noradrénaline α-1

• Hypotension orthostatique, étourdissements, tachycardie réexe • Sédation • Incontinence urinaire

Noradrénaline α-2

• Priapisme, dysfonction sexuelle

Histamine H1

• Hypotension orthostatique • Gain de poids, augmentation de l’appétit, hyperglycémie, réduction des nausées • Sédation

Trouble d’accommodation visuelle, xérostomie, exacerbation d’un glaucome Constipation, rétention ou incontinence urinaire Tachycardie Troubles cognitifs, atteinte de la mémoire

Source : Adapté de Landry & al. (2010), p. 339.

On fait référence à ces comportements comme étant d’origine extrapyramidale pour les distinguer des mouvements induits par le cortex moteur pariétal. Les axones en provenance des neurones du cortex moteur se regroupent dans le tronc cérébral pour former un faisceau de bres en forme de pyramide. Les axones des noyaux gris centraux utilisent une autre voie que celle du faisceau de forme pyramidale, d’où le terme « comportement moteur extrapyramidal ». En bloquant les récepteurs dopaminergiques

1472

DA2 des noyaux gris centraux, les antipsychotiques induisent donc des symptômes extrapyramidaux d’intensité variable, notamment du parkinsonisme, de l’akathisie, de la dystonie et de la dyskinésie tardive.

Parkinsonisme Par un blocage du faisceau nigrostrié, les antipsychotiques, surtout les A1G, peuvent induire les mêmes symptômes qu’on observe

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dans la maladie de Parkinson. Le parkinsonisme est surtout caractérisé par des tremblements au repos, de la rigidité et de la bradykinésie. Ces symptômes surviennent habituellement de une à deux semaines après l’introduction ou l’augmentation de la dose de l’antipsychotique et apparaissent lorsque plus de 80 % des récepteurs DA2 du striatum sont bloqués. Initialement, on croyait qu’il était nécessaire d’avoir des symptômes parkinsoniens pour obtenir un eet antipsychotique. Toutefois, cette hypothèse a été remise en question en raison de l’ecacité de la clozapine, qui n’induit pas de parkinsonisme, d’où le terme « antipsychotique atypique ». La clozapine occupe seulement de 38 à 68 % des récepteurs DA2 tout en ayant une activité antipsychotique supérieure à tous les autres. Le parkinsonisme est le résultat d’un déséquilibre entre la neurotransmission de la dopamine et de l’acétylcholine dans le striatum. Normalement, la dopamine inhibe l’activité des cellules cholinergiques situées dans le striatum. Lorsque les récepteurs DA2 des neurones cholinergiques du striatum sont bloqués, ces mêmes neurones sont désinhibés et libèrent davantage d’acétylcholine. Pour cette raison, l’ajout d’un médicament anticholinergique s’avère souvent ecace pour contrer le parkinsonisme. Les antipsychotiques qui ont une activité anticholinergique (p. ex., la chlorpromazine, la clozapine et l’olanzapine) produisent moins de parkinsonisme que ceux qui n’en ont pas (p. ex., l’halopéridol, la uphénazine ou le upenthixol). Aussi, les A2G ainsi que certains A1G (perphénazine et loxapine) induisent moins de parkinsonisme en bloquant les récepteurs 5-HT2a des neurones dopaminergiques de la substance noire. Cette propriété a pour eet d’augmenter la libération de la dopamine dans le striatum en réduisant l’activité inhibitrice de la sérotonine sur les neurones dopaminergiques. Dans l’étude Clinical Antipsychotic Trials of Intervention Eectiveness (CATIE ; Lieberman & al., 2005), de 13 à 16 % des patients traités avec un A2G ont présenté des symptômes parkinsoniens signicatifs comparativement à 17 % avec la perphénazine. Toutefois, 8 % des patients traités avec la perphénazine ont cessé leur traitement à cause de cet eet indésirable comparativement à 2 à 4 % avec un atypique. Le risque de parkinsonisme est plus élevé chez les patients présentant un trouble bipolaire traité avec un antipsychotique. Les noms génériques et commerciaux ainsi que les posologies des médicaments anticholinergiques les plus couramment utilisés pour réduire les symptômes parkinsoniens sont indiqués dans le tableau 68.9.

Dystonie La dystonie est une contraction musculaire soutenue et involontaire. Elle peut se manifester de façon aiguë dans les premiers jours après le début d’un antipsychotique ou tardivement après plusieurs années de traitement. Les jeunes hommes sont possiblement plus à risque d’éprouver cet eet indésirable en début de traitement. Sans être à l’abri de produire un tel eet indésirable, les A2G présentent une incidence moindre que les A1G. Les dystonies aiguës les plus fréquentes sont les suivantes : • un torticolis (30 %) ; • une contracture de la mâchoire (15 %) ; • une crise oculogyre (6 %) ; • un opisthotonos (3,5 %). Bien que peu fréquente, une dystonie aiguë des muscles laryngés ou pharyngés demeure la conséquence la plus dangereuse, puisqu’elle peut causer un étouement ou une asphyxie mortels.

Il s’agit alors d’une urgence médicale, pour laquelle le traitement consiste à donner par voie intraveineuse ou intramusculaire du lorazépam (AtivanMD) 1 à 2 mg ou un médicament anticholinergique tel que la benztropine (CogentinMD) 1 à 2 mg. Une dystonie tardive se manifeste surtout par une contraction soutenue des muscles axiaux, qu’on reconnaît à la marche en raison d’une asymétrie de la hauteur des épaules, le patient étant soit courbé vers l’avant, soit penché sur le côté. Pour décrire une anomalie très prononcée de la posture axiale, les cliniciens font référence au « syndrome de la tour de Pise ». Une substitution de l’antipsychotique en cours par la clozapine peut réduire ou à tout le moins prévenir une accentuation de la contraction musculaire. Lorsqu’une dystonie tardive est localisée dans des régions peu étendues (p. ex., au cou ou à la langue), la toxine botulinique peut s’avérer un traitement ecace, mais il faut répéter les injections locales tous les trois à quatre mois.

Akathisie Le patient présentant de l’akathisie éprouve de la diculté à demeurer immobile (il bouge les jambes lorsqu’il est assis et il a besoin de marcher ou de sautiller pour se soulager) tout en ressentant très souvent une anxiété diuse ou de la dysphorie. Ce malaise est très inconfortable, au point d’inciter le patient à cesser le médicament. Lorsqu’elle est présente, l’akathisie se manifeste dans les premières semaines de traitement, mais elle peut apparaître tardivement après un traitement prolongé avec un antipsychotique. L’étude CATIE a rapporté une incidence de l’akathisie de 5 à 9 % et elle n’était pas plus fréquente avec la perphénazine. Toutefois, l’incidence peut atteindre 20 % chez les patients traités avec l’halopéridol. L’akathisie survient plus souvent avec l’aripiprazole comparativement aux A2G dans le traitement de la schizophrénie et sa prévalence est de 26 % dans le traitement de la dépression (Berman & al., 2011). Une réduction de la dose ou la substitution de l’antipsychotique pour un autre comportant une activité anticholinergique ou antisérotoninergique 5-HT2a (p. ex., olanzapine, quétiapine) demeure la meilleure façon de traiter l’akathisie. Le propranolol 10 à 20 mg TID ou une benzodiazépine (p. ex., lorazépam, clonazépam) sont des médicaments d’appoint pouvant aussi réduire l’akathisie.

Dyskinésie tardive La dyskinésie tardive (DT) est un mouvement involontaire anormal qui peut se présenter spontanément chez les personnes âgées ou à la suite d’un traitement antipsychotique ou avec la L-dopa (lévodopa). Il y a une atteinte prédominante des muscles de la région orofaciale, mais d’autres muscles peuvent montrer des contractions anormales (p. ex., les muscles du diaphragme, des doigts et de l’oesophage). L’incidence annuelle est estimée à 5 % dans la population adulte et à 25 % dans la population gériatrique traitée avec un A1G. Une méta-analyse (Correll & Schenk, 2008) indique que l’incidence annuelle de DT est de 3,0 % avec un A2G comparativement à 7,7 % avec un A1G. Toutefois, l’écart entre les deux groupes d’antipsychotiques a diminué au cours des dernières années comparativement aux études initiales, au point où quelques études ne montrent aucune diérence de DT entre les deux générations d’antipsychotiques (De Leon, 2007). Le risque de DT est cependant diérent entre les divers A2G, la rispéridone et la palipéridone comportant le plus grand risque alors qu’il est moindre avec la clozapine, l’olanzapine et la quétiapine. Une étude indique que, sur une période de 18 à environ 26 mois,

Chapitre 68

Antipsychotiques

1473

TABLEAU 68.9 Médicaments anticholinergiques les plus couramment utilisés pour réduire les symptômes parkinsoniens

causés par les antipsychotiques

Dose quotidienne

Voie d’administration

Benztropine

Nom générique

CogentinMD

Nom commercial

0,5 à 2 mg BID à TID

PO ou IM ou IV

Procyclidine

KemadrinMD

2,5 à 5 mg BID ou TID

PO

Trihexyphénidyle

ArtaneMD

5 mg BID à TID

PO

Diphenhydramine

BenadrylMD

25 mg BID à TID

PO ou IM ou IV

Source : Adapté de Virani & al. (2012).

3,4 % des patients développent une DT avec l’aripiprazole (Pena & al., 2011). Les facteurs de risque d’une DT secondaire à un traitement antipsychotique sont les suivants : • le traitement avec un antipsychotique durant au moins deux mois ; • la durée prolongée du traitement antipsychotique ; • le dosage élevé de l’antipsychotique ; • l’utilisation de plus d’un antipsychotique ; • l’apparition de parkinsonisme ou d’akathisie en début de traitement ; • la présence d’un trouble aectif ; • un âge plus élevé que 55 ans ; • le fait d’être une femme ; • l’abus de drogues ; • un trauma cérébral ou des séquelles d’un accident vasculaire cérébral (AVC) ; • le fait d’être de race noire (risque possiblement plus élevé) ; • le fait d’être diabétique (risque possiblement plus élevé). Une évaluation avec l’échelle AIMS (abnormal involuntary mouvement symptoms) est recommandée tous les six mois pour détecter la présence d’une dyskinésie tardive (DT). En cas de DT, les actions suivantes sont recommandées : • réduire ou cesser les médicaments anticholinergiques tout en surveillant l’apparition de symptômes parkinsoniens ; • réduire graduellement la dose de l’antipsychotique si l’état clinique du patient le permet ;

• substituer l’antipsychotique par la clozapine ou la quétiapine ; • en présence d’une dyskinésie oesophagienne, donner l’antipsychotique 1 heure avant les repas pour masquer la DT et éviter un étouement avec la nourriture. Si ces mesures s’avèrent insusantes, un des traitements suivants peut alors être considéré : • ajouter une benzodiazépine, puisque l’anxiété augmente les mouvements dyskinétiques ; • faire un essai avec la tétrabénazine (NitomanMD) jusqu’à 25 mg TID ; • ajouter de la vitamine B6 (pyridoxine) 600 mg BID ; • ajouter de la gabapentine (NeurontinMD) 300 mg ad QID. Une étude Cochrane conclut que des mégadoses de vitamine E peuvent parfois prévenir une détérioration de la DT, mais ne sont pas ecaces pour la traiter. Le tableau 68.10 résume les traitements pharmacologiques recommandés pour les diérents eets moteurs indésirables.

Sédation et sommeil D’une part, les antipsychotiques qui bloquent les récepteurs histaminiques, cholinergiques et sérotoninergiques 5-HT2a causent souvent de la sédation ou de la somnolence. Pour cette raison, il est préférable de les prescrire au coucher, bien qu’il arrive parfois que les patients rapportent un eet résiduel durant la journée ; ils peuvent alors éprouver de la diculté à se lever le matin ou présenter de la somnolence diurne. Il est important de reconnaître cet eet indésirable et de le diérencier

TABLEAU 68.10 Efcacité de différentes classes de médicaments pour les effets moteurs indésirables

causés par les antipsychotiques

Classe de médicament

Parkinsonisme

Akathisie

Dystonie aiguë

Dystonie tardive

Dyskinésie tardive

+++

+

+++

+

Aggravation

Benzodiazépines

+

+++

+++

++

++

Clonidine (CatapresMD)







++

++

Propranolol (InderalMD)



+++







Aggravation





+

++

Vitamine B6

++

++





++

Vitamine E









+

Anticholinergiques

Tétrabénazine (NitomanMD)

Source : Landry & al. (2010), p. 343.

1474

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

des symptômes négatifs, d’une dépression ou des troubles cognitifs d’une schizophrénie. Cet eet secondaire peut tout de même être bénéque si de l’insomnie est associée au trouble psychiatrique ; il permet alors d’éviter l’ajout d’un somnifère. D’autre part, les antipsychotiques qui ne comportent pas d’effets antihistaminique ou anticholinergique peuvent causer de l’akathisie et des impatiences musculaires et, secondairement, de l’insomnie à l’endormissement lorsqu’ils sont administrés au coucher. Les antipsychotiques modient aussi le sommeil paradoxal et peuvent favoriser les éveils nocturnes.

Dysfonctions sexuelles Une dysfonction sexuelle se manifeste souvent par un problème érectile ou d’éjaculation chez l’homme, mais aussi par une diminution du désir aussi bien chez l’homme que chez la femme. Plusieurs récepteurs et mécanismes, localisés tant dans le SNC qu’au niveau des organes sexuels, sont mis en cause, comportant une hyperprolactinémie causée par un blocage des récepteurs DA2 dans la voie hypothalamo-hypophysaire (tubéro-infundibulaire). Si une telle cause est mise en évidence, on peut substituer cet antipsychotique par un autre qui bloque moins les récepteurs DA2 ou ajouter de l’aripiprazole qui, par son eet agoniste partiel sur les récepteurs dopaminergiques, permet de réduire cet eet indésirable.

68.6.3 Effets indésirables psychiatriques Les antipsychotiques peuvent mimer un trouble psychiatrique, obligeant ainsi le médecin à bien évaluer l’évolution des symptômes cliniques après l’ajout d’un antipsychotique.

Manie De 1994 à 2011, environ 70 études de cas rapportent un virage maniaque associé à l’introduction d’un A2G, suggérant que le blocage des récepteurs 5-HT2a serait en cause. Les symptômes se manifestent de quelques jours à quelques semaines après la prise initiale de l’A2G. La plupart des patients présentant ces symptômes sourent de schizophrénie depuis plusieurs années et n’ont jamais présenté de manie auparavant. Cet eet indésirable n’oblige pas le médecin à délaisser les A2G dans le traitement de la manie aiguë, mais il doit en tenir compte si les symptômes de manie persistent malgré ce traitement.

Symptômes obsessionnels et compulsifs L’émergence ou l’augmentation d’obsessions ou de compulsions est observée dans une proportion allant jusqu’à 23 % des cas de schizophrénie après une à quatre semaines de traitement avec un A2G, surtout avec la clozapine (Scheltema-Beduin & al., 2012). Il est recommandé de réduire l’antipsychotique ou d’ajouter un ISRS en vériant le potentiel d’interactions médicamenteuses. Paradoxalement, les antipsychotiques peuvent s’avérer utiles dans le traitement d’un trouble obsessionnel-compulsif réfractaire à un traitement avec un ISRS.

68.6.4 Effets indésirables métaboliques et biochimiques Avec les nouveaux antipsychotiques, les troubles moteurs sont moindres, mais les problèmes métaboliques ont pris de l’importance.

Syndrome métabolique Le syndrome métabolique est un eet indésirable sérieux et répandu, qui a fait l’objet de nombreuses publications en raison de son incidence élevée depuis l’utilisation des A2G et de ses conséquences néfastes sur la santé. Tous les médecins, y compris les psychiatres, doivent être au fait de la recherche, du suivi et du traitement de cet eet indésirable très fréquent. Les études de prévalence indiquent que de 20 à 25 % de la population des pays développés est atteinte d’un syndrome métabolique et que ce taux est deux fois plus élevé dans la population psychiatrique (De Hert & al., 2011). Plusieurs dénitions ont été proposées pour décrire le syndrome métabolique. L’Organisation mondiale de la santé propose la dénition suivante : indices de résistance à l’insuline caractérisés par une hyperglycémie à jeun ou une intolérance au glucose et deux critères parmi les suivants (Junquero & Rival, 2005) : • pression artérielle ≥ 140/90 mm Hg ; • hypertriglycéridémie (≥ 1,7 mmol/l) ; • cholestérol HDL ≤ 0,9 mmol/l pour l’homme et ≤ 1 mmol/l pour la femme ; • indice de masse corporelle ≥ 30 (IMC = poids en kg/taille en mètres2) ; • tour de taille aux hanches ≥ 94 cm chez l’homme et ≥ 80 cm chez la femme ; • vitesse d’excrétion de l’albumine urinaire ≥ 20 µg/min ou un rapport albumine/créatinine ≥ 30 mg/g.

Gain de poids Le gain de poids est un des facteurs importants qui peut mener à une inobservance pharmacologique. De plus, l’obésité augmente le risque de maladie cardiovasculaire, de diabète et possiblement de cancer. Les antipsychotiques bloquant les récepteurs de l’histamine H 1 et de la sérotonine 5-HT2c, telles la clozapine et l’olanzapine, sont plus à risque de causer un gain de poids. Plusieurs peptides sont impliqués dans le phénomène de la satiété et du métabolisme, notamment : • la leptine, qui se lie aux noyaux de l’hypothalamus ; • la ghréline, synthétisée dans l’estomac et qui stimule l’appétit ; • l’orexine, qui se lie à l’hypothalamus. L’activité des peptides est modiée par certains A2G, mais non par tous, puisque la ziprasidone et l’aripiprazole (A3G) ont peu d’anité pour les récepteurs H1 et 5-HT2c, causant ainsi peu de gain de poids. Une méta-analyse de 81 études montre une augmentation de 4,0 kg sur une période de 10 semaines avec l’olanzapine et de 4,5 kg avec la clozapine. Toutefois, après 7 ans de traitement, le gain de poids avec la clozapine est le même qu’avec les autres A2G (Kelly & al., 2014). La gure 68.2 fournit une estimation du gain de poids après 10 semaines de traitement avec divers antipsychotiques. Habituellement, le gain de poids est plus important chez les patients présentant un premier épisode de psychose.

Diabète Au départ, l’incidence du diabète chez les personnes sourant de schizophrénie et d’un trouble bipolaire est de deux fois supérieure à celle de la population générale. L’utilisation d’un antipsychotique, particulièrement l’olanzapine ou la clozapine, augmente ce risque de façon importante et rapide. Après un traitement de 14 semaines avec l’olanzapine, la rispéridone ou Chapitre 68

Antipsychotiques

1475

FIGURE 68.2 Moyenne du changement de poids à la suite d’un traitement avec un antipsychotique

Source : Adapté de Newcomer (2005).

la quétiapine, de 14 à 21 % des patients développent un diabète comparativement à 4 % avec l’halopéridol (Lindenmayer & al., 2003). Ce pourcentage augmente à 43 % après 10 ans de traitement avec la clozapine (Henderson & al., 2005).

Dyslipidémie Une dyslipidémie caractérisée par une hypertriglycéridémie, une hypercholestérolémie ou une baisse du bon cholestérol HDL (high density lipoprotein) est souvent associée à une médication antipsychotique. Toutefois, il est dicile de déterminer si les antipsychotiques induisent un changement du métabolisme des lipides ou si les dyslipidémies sont le résultat d’un gain de poids. Une hypertriglycéridémie peut être induite en moins de deux mois avec l’olanzapine et la quétiapine (Meyer & al., 2008).

Suivi clinique et dépistage du syndrome métabolique Les recommandations sur la fréquence des analyses de dépistage varient selon les paramètres suivants : • le risque relatif d’un individu en fonction de ses antécédents personnels et familiaux ; • l’association de la maladie psychiatrique avec un trouble métabolique (p. ex., le diabète dans la schizophrénie) ; • le risque plus élevé d’un trouble métabolique selon l’antipsychotique (p. ex., avec la clozapine et l’olanzapine). Les recommandations dans le choix et la fréquence des analyses pour dépister un syndrome métabolique gurent au tableau 68.4. Néanmoins, les études indiquent que ce dépistage se fait chez moins de 50 % des patients traités avec un antipsychotique (Mitchell & al., 2012). Il est donc recommandé que les patients soient suivis d’une façon plus systématique par une inrmière clinicienne dans le cadre d’un protocole qui permette le dépistage précoce d’un trouble métabolique.

Traitement On sait que le risque de mortalité lié à un problème cardiovasculaire est de 2,4 à 3,6 fois plus élevé chez les gens atteints d’un syndrome métabolique (Malik & al., 2004). Il est donc essentiel qu’un dépistage et des interventions appropriés soient mis en place pour réduire le risque de morbidité et de mortalité. Les interventions non pharmacologiques suivantes sont reconnues comme étant ecaces : • réduire ou cesser l’usage du tabac ; • réduire le poids en favorisant une alimentation saine ; • réduire la sédentarité en favorisant l’activité physique.

1476

Une intervention pharmacologique est recommandée uniquement si ces approches s’avèrent insusantes. Parmi les stratégies qui peuvent se révéler utiles, il faut noter : • la réduction des doses ou la substitution de l’antipsychotique : incidence moindre du syndrome métabolique avec l’aripiprazole, la lurasidone, la ziprasidone et la perphénazine (comparativement à la clozapine et à l’olanzapine) ; • la prescription de médicaments pour réduire l’hyperlipidémie (p. ex., atorvastatine [Lipitor MD]), l’hyperglycémie (p. ex., metformine [Glucophage MD]) et l’hypertension artérielle (p. ex., ramipril [AltaceMD], losartan [CozaarMD]) ; • l’ajout de metformine 500 mg BID à un A2G, ce qui peut entraîner une légère réduction du poids et une diminution de la glycémie. Les problèmes médicaux associés au trouble métabolique sont sous-traités, puisque les études épidémiologiques rapportent que seulement de 14 à 60 % des patients sourant d’hyperlipidémie, d’hypertension artérielle ou de diabète sont traités de façon appropriée (Bernardo & al., 2009).

Élévation des enzymes hépatiques Une « enzymite » hépatique asymptomatique est observée chez 32 % des patients traités avec un antipsychotique sur une période variant de un à six mois. De 3 à 4 % des patients montrent des taux de transaminase trois à quatre fois supérieurs aux valeurs normales ; dans ces cas, il est préférable de cesser l’antipsychotique ou de le substituer à un autre. De rares cas de décès consécutifs à une hépatite sont rapportés. Pour la grande majorité des patients, l’enzymite est réversible même si le traitement se poursuit ou encore lorsque l’antipsychotique est cessé (Marwick & al., 2012).

68.6.5 Effets indésirables cardiovasculaires Les antipsychotiques peuvent modier la contraction du myocarde de diérentes façons et avoir un impact sur le système cardiovasculaire.

Tachycardie et hypotension artérielle Les antipsychotiques peuvent être associés à une tachycardie réexe pour des raisons diverses. Certains bloquent les récepteurs

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α1-adrénergiques et causent une vasodilatation entraînant une hypotension orthostatique et des étourdissements chez le patient lorsqu’il se lève rapidement. Pour documenter l’hypotension orthostatique, il faut comparer la pression artérielle du patient d’abord couché, puis debout ; le diagnostic est conrmé par une chute de la pression systolique de 20 mm de mercure et diastolique de 10 mm. Souvent, cet eet indésirable se résorbe de 4 à 6 semaines après le début du traitement. D’autres antipsychotiques bloquent les récepteurs muscariniques M2 localisés sur les bres musculaires du coeur et réduisent l’activité inhibitrice du nerf vague, causant une tachycardie sinusale ou une arythmie. Un ß-bloquant, tel le propranolol à 10 ou 20 mg TID, peut réduire une tachycardie causée notamment par la clozapine, la quétiapine ou tout autre antipsychotique qui comporte une activité antimuscarinique. L’intervalle QT de l’ECG représente la durée de dépolarisation et de repolarisation du muscle cardiaque, soit le temps de la systole ventriculaire. Le QTc est une valeur corrigée du QT qui tient compte de la fréquence (du rythme) cardiaque. La durée du QTc varie normalement de 350 à 440 millisecondes. Au-delà de 450 millisecondes chez l’homme et de 470 millisecondes chez la femme, le risque d’anomalie du rythme cardiaque (torsades de pointe et brillation auriculaire) augmente, pouvant entraîner des complications de la contraction du myocarde. Lorsque le QTc excède 500 millisecondes, il faut : • réduire la dose de l’antipsychotique ; • doser le potassium plasmatique, puisqu’une hypokaliémie peut accentuer le prolongement du QTc ; • répéter l’ECG toutes les semaines ou toutes les deux semaines tant et aussi longtemps que le QTc n’est pas normalisé. Tous les antipsychotiques (mais surtout la ziprasidone et la quétiapine) comportent un certain risque d’augmenter le QTc. La thioridazine (MellarilMD) a été retirée du marché en raison de sa propension importante à augmenter le QTc. Un prolongement du QTc peut être responsable des morts subites de patients durant leur sommeil. Bien souvent, les antipsychotiques sont prescrits HS, fréquemment en association avec d’autres psychotropes, ce qui peut augmenter le risque de mortalité (Nielsen & al., 2011). Ainsi, en présence d’une polypharmacie, le médecin doit répartir les doses durant la journée plutôt que d’administrer tous les psychotropes au coucher. Il est recommandé de faire passer un ECG, en prévention, dans les situations suivantes : • lorsque la dose de l’antipsychotique excède la dose maximale recommandée par le fabricant ; • lorsque deux antipsychotiques sont prescrits simultanément et que l’équivalence de la dose combinée dépasse la dose recommandée pour un des deux antipsychotiques ; • lorsqu’un antipsychotique est prescrit avec un médicament d’une autre classe connue pour augmenter l’intervalle QTc. Un accident vasculaire cérébral ainsi qu’une embolie veineuse, le plus souvent pulmonaire, sont à craindre chez les personnes âgées et peu actives physiquement. Les troubles cardiovasculaires sont à l’origine d’une plus grande morbidité et le taux de mortalité est estimé jusqu’à 1,7 fois plus élevé chez les personnes âgées traitées avec un antipsychotique. L’augmentation de la mortalité est observée dès le premier mois de traitement, et ce risque persiste pendant un an. Il semble légèrement plus important avec les A1G qu’avec les A2G (Jackson & al., 2012).

Myocardite Bien que la myocardite induite par les antipsychotiques soit relativement rare (le risque étant de 0,01 à 0,18 fois plus élevé que dans la population générale), cette aection nécessite une intervention médicale urgente, puisque dans 48 % des cas rapportés, les personnes décèdent. La myocardite est surtout associée à la clozapine, plus rarement à l’olanzapine, à la rispéridone et à la ziprasidone. Les premiers symptômes apparaissent dans le premier mois de traitement pour 70 % des myocardites rapportées. La présentation clinique est la suivante : • de la èvre (48 %) ; • de la dyspnée (35 %) ; • un syndrome grippal (u-like syndrome) (30 %) ; • une douleur thoracique (22 %) ; • de la fatigue (17 %). Sur le plan biologique, la myocardite est souvent associée à : • une augmentation des troponines (90 %) ; • une augmentation de la protéine C (C-reactive protein) ; • une éosinophilie (35 %) ; • une augmentation de la créatinine kinase (CK) (22 %) ; • un aplatissement ou des changements de l’onde T à l’ECG ; • une hypokinésie du ventricule gauche à l’échographie cardiaque. Le suivi clinique devrait inclure un dosage des troponines et de la protéine C toutes les semaines pendant un mois (Ronaldson & al., 2011).

68.6.6 Effets indésirables neuroendocriniens Les antipsychotiques peuvent modier la neurotransmission de l’axe hypothalamo-hypophysaire et causer des eets indésirables neuroendocriniens.

Hyperprolactinémie La libération de prolactine (PRL), sécrétée par les cellules de l’adénohypophyse, est modulée par la DA en provenance de neurones de l’hypothalamus (faisceau tubéro-infundibulaire). La DA inhibe la libération de la PRL, et les antipsychotiques favorisent une hyperprolactinémie en inhibant les récepteurs dopaminergiques des cellules lactotropes de l’adénohypophyse. Les antipsychotiques avec une faible liaison à la DA (clozapine, quétiapine) ainsi que l’aripiprazole (par sa propriété d’agoniste dopaminergique partiel) causent moins cet eet indésirable. L’hyperprolactinémie est souvent asymptomatique, mais elle peut, à moyen et long terme, produire une dysménorrhée, des dysfonctions sexuelles, une gynécomastie (même chez l’homme), une galactorrhée, de l’ostéoporose et peut-être un cancer du sein, quoique les données sur le risque de cancer soient trop insusantes pour en tenir compte actuellement. Un dosage de la prolactine (PRL) peut être pertinent dans les situations suivantes : • avant le début d’un traitement antipsychotique, pour mesurer un taux de base ; • pour avoir une idée du degré du blocage dopaminergique quand la dose d’antipsychotique est stabilisée ; similairement, l’apparition d’un parkinsonisme montre aussi le degré de blocage dopaminergique au niveau du faisceau nigrostrié ; et on

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Antipsychotiques

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peut ensuite généraliser le degré de blocage dopaminergique sur les autres faisceaux dopaminergiques ; • lorsqu’il y a des symptômes ou des eets indésirables neuroendocriniens ; • annuellement ou tous les deux ans, lorsque le médecin prévoit un traitement prolongé avec un antipsychotique. En présence d’une prolactinémie supérieure à deux fois la normale (2 à 20 ng/ml chez la femme – 2 à 15 ng/ml chez l’homme), il est recommandé de réduire la dose de l’antipsychotique ou de le remplacer par l’aripiprazole, l’olanzapine, la quétiapine ou la clozapine. Une consultation en endocrinologie est recommandée si la prolactine est plus de trois fois supérieure à la normale ou si la prolactinémie persiste malgré la substitution de l’antipsychotique par un autre.

Sécrétion inappropriée de l’ADH La concentration des électrolytes dans le sang est en partie régulée par la vasopressine (antidiuretic hormone [ADH]). L’ADH, sécrétée par l’hypophyse, est libérée dans le sang et agit sur les reins pour stimuler la réabsorption de l’eau. Normalement, elle est sécrétée en réponse à l’osmolalité du sang. Or, les antipsychotiques peuvent augmenter la sécrétion de l’ADH, augmentant ainsi la réabsorption de l’eau par les reins, diluant le sodium plasmatique et, conséquemment, entraînant une hyponatrémie. Ce syndrome de sécrétion inappropriée de l’ADH (SIADH) peut se manifester une semaine à quelques mois après le début d’un traitement. Lorsque la natrémie est inférieure aux valeurs normales (135 à 144 mmol/l) le patient peut présenter des troubles cognitifs, de la confusion et même des convulsions pouvant aboutir au coma (encéphalopathie hyponatrémique) si les valeurs sont inférieures à 120 mmol/l. En présence d’une hyponatrémie, un examen médical est nécessaire pour identier d’autres causes telles qu’une potomanie fréquente chez les patients souffrant de problèmes psychiatriques, un problème d’origine rénale, pulmonaire ou neuroendocrinienne.

68.6.7 Effets indésirables neurologiques Les antipsychotiques modient la neurotransmission de plusieurs voies neurales et sont à l’origine d’eets indésirables d’ordre neurologiques.

Convulsions Le risque de convulsions varie de 0,5 à 0,9 % pour la plupart des antipsychotiques (Pisani & al., 2002). De plus, le risque paraît plus élevé avec les A2G que les A1G (Lertxundi & al., 2013). La clozapine comporte un risque encore plus élevé que les autres A2G, risque qui augmente en fonction de la dose : • 1 % à une dose de moins de 300 mg par jour ; • 2,7 % à une dose de 300 à 599 mg par jour ; • 4,4 % à une dose de 600 mg et plus. Le risque de convulsions augmente lorsque la titration de la clozapine dépasse la dose de 100 mg d’un coup. Par contre, aucune étude n’a été réalisée an de mesurer le risque de convulsions en fonction de la clozapinémie. L’acide valproïque est recommandé en prévention lorsque la dose de clozapine dépasse 450 mg par jour ou lorsqu’il y a eu un épisode convulsif. Des changements non spéciques sont notés à l’EEG avec la plupart des antipsychotiques, particulièrement avec la clozapine et l’olanzapine, mais ces changements ne sont pas associés à un risque plus élevé de convulsions (Centorino & al., 2002).

1478

Syndrome malin des neuroleptiques Le syndrome malin des neuroleptiques (SMN) est une réaction idiosyncrasique rare se produisant chez 0,02 % des patients exposés aux antipsychotiques (Ananth & al., 2004). Le taux de décès est estimé de 10 à 20 % avec un A1G, mais il est moindre avec un A2G (Trollor & al., 2012). Avec les A1G, les symptômes cardinaux du SMN sont les suivants : • une èvre : température supérieure à 38,5 °C ; • des symptômes extrapyramidaux, une akinésie avec une hypertonie (rigidité musculaire parfois absente lorsque le SMN est induit par un A2G ; Trollor & al., 2012) ; • une instabilité du système nerveux autonome (uctuation de la pression artérielle, diaphorèse, tachycardie, tachypnée) ; • une augmentation de la créatinine kinase (CK), des enzymes hépatiques et des leucocytes ; • une altération de l’état de conscience (baisse de la vigilance, confusion, obnubilation). Le traitement du SMN consiste à cesser l’antipsychotique et à assurer une hydratation adéquate. Le lorazépam peut aider à soulager la rigidité musculaire, mais, dans les cas les plus graves, le dantrolène ou la bromocriptine peuvent accélérer le rétablissement.

68.6.8 Effets indésirables hématologiques Tous les antipsychotiques comportent un risque d’induire une leucopénie et une neutropénie, mais ce risque est 10 fois plus élevé avec la clozapine (Atkin & al., 1996) : • l’incidence d’agranulocytose (neutrophiles < 1,5 × 109/l – code rouge) varie de 0,58 à 0,8 % ; • l’incidence de neutropénie (neutrophiles < 2 × 109/l – code jaune) varie de 2,3 à 8,5 %. Environ 70 % des troubles hématologiques surviennent lors des 18 premières semaines de traitement. Pour cette raison, le suivi hématologique exigé par Santé Canada lors d’un traitement avec la clozapine est modulé de la façon suivante, en prenant en considération la diminution du risque dans le temps : • hebdomadaire pendant les 26 premières semaines ; • toutes les deux semaines pendant les 26 semaines suivantes ; • toutes les quatre semaines après 1 an de traitement avec la clozapine. Dans 62 % des cas de neutropénie induits par la clozapine au cours d’un traitement, la molécule peut être redonnée sans causer de nouveau cet eet indésirable. Occasionnellement, les antipsychotiques peuvent induire une thrombocytopénie ou une thrombocytose ; il est recommandé de cesser le traitement si le nombre de plaquettes n’est pas dans la fenêtre des valeurs habituelles, entre 100 000 et 450 000 par microlitre (μl). En présence d’une éosinophilie, il faut s’assurer qu’il n’y a pas un autre trouble concomitant, telle une myocardite.

68.7 Interactions médicamenteuses Divers types d’interactions sont à surveiller quand plusieurs médicaments sont prescrits de façon concomitante.

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68.7.1 Interactions pharmacocinétiques Par dénition, une interaction pharmacocinétique d’un médicament produit une modication du taux plasmatique d’un autre médicament. Ce type d’interaction peut survenir à l’une ou l’autre des étapes dans les processus d’absorption, de distribution, du métabolisme ou d’élimination du médicament et de ses métabolites. Le tableau 68.11 résume les principales interactions pharmacocinétiques entre les antipsychotiques et des médicaments qui altèrent l’activité d’isoenzymes hépatiques. Certains médicaments, notamment la carbamazépine, accélèrent le métabolisme hépatique, alors que d’autres, telle la uoxétine, le réduisent. Ainsi, la carbamazépine peut réduire l’ecacité d’autres médicaments, alors que la uoxétine peut induire ou potentialiser des eets indésirables déjà présents, voire causer une intoxication médicamenteuse.

68.7.2 Interactions pharmacodynamiques Une interaction pharmacodynamique fait référence aux eets indésirables cumulatifs de deux médicaments. Par exemple, l’eet sédatif de certains antipsychotiques est potentialisé par les benzodiazépines. Un exemple de contre-indication relative est d’associer la carbamazépine, et dans une moindre mesure l’oxcarbazépine, avec la clozapine. Une telle combinaison comporte un risque accru d’induire un trouble hématologique ou des convulsions secondaires à une hyponatrémie causée par une sécrétion inappropriée d’ADH (SIADH). Si une telle association s’avère protable sur le plan clinique, il faut

prévoir une surveillance hématologique accrue et un dosage périodique des électrolytes. Une autre interaction potentielle implique l’ajout de l’acide valproïque à un antipsychotique, combinaison qui peut favoriser l’apparition de symptômes extrapyramidaux, altérer le bilan hématologique et ajouter des eets indésirables à ceux déjà induits par les antipsychotiques. Enn, il est déconseillé d’administrer une benzodiazépine en IM avec l’olanzapine en IM, puisque le risque d’hypotension artérielle et de trouble respiratoire est augmenté et que des décès ont même été rapportés. Le tableau 68.12 résume les principales interactions pharmacodynamiques à surveiller avec les antipsychotiques.

68.8 Résultats selon les données probantes Une revue systématique de 91 méta-analyses incluant des études Cochrane conrme l’ecacité des antipsychotiques dans le traitement de la schizophrénie (Citrome, 2012). Les données probantes sont appuyées par de multiples études randomisées à double insu et des études de suivi dans le milieu naturel telles que les études CATIE, SOHO, CUtLASS et EUFEST. De plus, l’administration d’antipsychotiques sous forme orale, mais surtout par voie IM, s’avère le facteur le plus important pour éviter une rechute psychotique et conrme le rôle prophylactique de ces médicaments (Leucht & al., 2011). Par contre, malgré l’ecacité

TABLEAU 68.11 Interactions pharmacocinétiques avec les antipsychotiques

Médicament modiant l’activité enzymatique hépatique

Isoenzyme

Interaction

Antidépresseur : uvoxamine Antibiotiques : quinolones (p. ex., ciprooxacine), macrolide (p. ex., érythromycine) antifongique (p. ex., kétoconazole)

Inhibition des CYP-1A2 et/ou CYP-3A4

 des niveaux de clozapine, d’olanzapine, d’asénapine, • risque d’intoxication et prolongation du QTc • inhibition du 3A4 avec la venlafaxine > 150 mg

Antidépresseurs : uoxétine, paroxétine, bupropion, duloxétine

Inhibition du CYP-2D6

Risque d’intoxication avec plusieurs antipsychotiques

Lamotrigine

Inhibition de UGT-1A4

 des niveaux de clozapine, d’olanzapine, de rispéridone

Carbamazépine

Induction du CYP-3A4, CYP-1A2 et UGT-1A4

 des niveaux de plusieurs antipsychotiques sauf l’asénapine et donc risque de compromettre le traitement Les glucocorticoïdes peuvent induire les 3A4 à dose élevée

Antiépileptiques : phénytoïne, phénobarbital Antituberculeux : rifampicine

Induction CYP-2C9 et CYP-3A4

Diminution des niveaux plasmatiques de plusieurs antipsychotiques

Tabac (hydrocarbure aromatique polycyclique) Millepertuis Caféine (≥ 4 cafés/jour) Contraceptifs oraux

Induction de CYP-1A2 et CYP-3A4

 du niveau de clozapine et d’autres antipsychotiques

Jus de pamplemousse

Inhibition de CYP-3A4

Blocage du métabolisme de certains antipsychotiques et survenue d’effets indésirables causés par surdosage

Glucocorticoïdes

Source : Adapté de Virani & al. (2012).

Chapitre 68

Antipsychotiques

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TABLEAU 68.12 Interactions pharmacodynamiques avec les antipsychotiques

Médicaments

Effets indésirables à surveiller

Benzodiazépines : lorazépam et autres Antidépresseurs tricycliques: amitriptyline, clomipramine, doxépine Opiacés, narcotiques

 de la sédation, hypotension orthostatique – éviter lorazépam en IM avec l’olanzapine en IM

Antihistaminiques, antiparkinsoniens : benztropine, diphenhydramine, procyclidine Antidépresseurs tricycliques: amitriptyline, clomipramine, doxépine

 de la somnolence et des effets anticholinergiques, surtout avec la chlorpromazine, la clozapine, l’olanzapine  du risque d’hypotension orthostatique

Antidépresseurs : ISRS, clomipramine Inhibiteurs de l’acétylcholinestérase: donépézil, galantamine, rivastigmine Stabilisateurs de l’humeur : lithium, acide valproïque Psychostimulants : amphétamines, méthylphénidate

 du risque de présenter des symptômes extrapyramidaux et d’augmenter leur intensité

Combinaison de deux antipsychotiques Antiarythmiques : amiodarone Antidépresseurs : citalopram et escitalopram Diurétiques : furosémide

 du QTc (risque augmenté avec un débalancement électrolytique (p. ex., hypokaliémie et hypomagnésémie)

Antiépileptiques : carbamazépine, acide valproïque

 du risque de leucopénie avec la clozapine  du risque de convulsions si la clozapine est associée à la carbamazépine*, produisant alors un SIADH, qui entraîne une hyponatrémie

* La carbamazépine est le seul antiépileptique pouvant induire un SIADH. Source : Adapté de Virani & al. (2012).

reconnue des antipsychotiques, tant les études dans le milieu naturel que celles réalisées à double insu révèlent que jusqu’à 75 % des patients modient ou cessent leur médication après une période de 12 à 18 mois ou même avant. Les raisons sont multiples et sont attribuées : • aux eets indésirables ; • à l’inecacité de l’antipsychotique ; • à la pensée magique selon laquelle il est possible de guérir par sa propre volonté ; • au manque d’insight ; • à l’opposition du patient à prendre un médicament ; • à une pression sociale antimédicament. Plusieurs données probantes indiquent l’ecacité des antipsychotiques dans le traitement aigu et la prophylaxie de la manie (Singh & al., 2012). D’ailleurs, une méta-analyse de 68 études randomisées (Cipriani & al., 2011) montre que dans la manie

aiguë, les antipsychotiques agissent plus rapidement que les stabilisateurs de l’humeur ou un placebo.

Après avoir marqué le début de l’ère moderne de la psychopharmacologie il y a plus d’un demi-siècle, les antipsychotiques demeurent le traitement pharmacologique le plus utile pour plusieurs types de psychoses et d’autres psychopathologies. Néanmoins, comme c’est souvent le cas en psychopharmacologie, l’antipsychotique idéal n’existe pas. Bien que ces médicaments comportent des eets indésirables non négligeables, ils demeurent des valeurs sûres pour atténuer les symptômes psychotiques et diminuer les rechutes, améliorant ainsi la qualité de vie des patients. On peut espérer que la recherche mettra au jour de nouvelles molécules ayant un spectre d’action plus large sur les diverses catégories de symptômes reliés à la psychose, tout en provoquant moins d’eets indésirables sur la santé physique.

Lectures complémentaires G, D. M. & T, M. D. (2011). Antipsychotics and eir Side Eects, New York, Cambridge University Press.

1480

S, S. M. & M, L. (2010). Antipsychotics : Treating Psychosis, Mania and Depression, New York, Cambridge University Press.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

CHA P ITR E

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Antidépresseurs Smadar Valérie Tourjman, M.D., FRCPC, M. Sc. (pharmacologie)

Jacinthe Leblanc, DPH, BCPP, BCPT

Psychiatre, chef médicale, programme des troubles anxieux et de l’humeur, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Pharmacienne, Institut universitaire en santé mentale de Québec

Professeure agrégée de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeure de clinique, Faculté de pharmacie, Université Laval (Québec)

Marie-Josée Filteau, M.D., FRCPC, M. Sc. (neurobiologie) Psychiatre, Institut universitaire en santé mentale de Québec Chargée d’enseignement, Département de psychiatrie et neuro­ sciences, Faculté de médecine, Université Laval (Québec)

69.1 Pharmacologie ............................................................. 1482 69.1.1 Mécanismes d’action .......................................... 1484 69.1.2 Classication ........................................................ 1485 69.2 Modalités de prescription .......................................... 1485 69.2.1 Choix du médicament........................................ 1485 69.2.2 Début du traitement ........................................... 1496 69.2.3 Traitement d’entretien........................................ 1497 69.2.4 Traitement des cas réfractaires......................... 1498 69.2.5 Conditions particulières..................................... 1499 69.2.6 Facteurs inuençant la réponse thérapeutique ....................................................... 1501

69.3 Eets indésirables ....................................................... 1501 69.4 Interactions médicamenteuses ..................................1503 69.5 Résultats selon les données probantes...................... 1503 Lectures complémentaires.................................................... 1510

D

eux découvertes ont représenté un tournant historique dans la pharmacothérapie de la dépression : • en 1952, celle de l’action antidépressive de l’iproniazide (MarsilidMD), un agent utilisé pour traiter la tuberculose qui a pour mécanisme d’action l’inhibition de la monoamine oxydase ; • en 1957, celle de l’eet antidépresseur des inhibiteurs de la monoamine-oxydase (IMAO) ainsi que la découverte du premier tricyclique, l’imipramine (TofranilMD) . Cette même année, la première classication des psychotropes, proposée par Delay, incluait les antidépresseurs parmi les composés qui élèvent le tonus mental (thymoanaleptiques). En 1986, 30 ans plus tard, l’arrivée du premier antidépresseur inhibiteur sélectif du recaptage de la sérotonine (ISRS), la uoxétine (ProzacMD), a permis d’orir une option thérapeutique mieux tolérée et moins toxique. Depuis les années 2000, l’explosion des neurosciences permet d’espérer la venue d’antidépresseurs plus ecaces et d’une médecine personnalisée, liée à la disponibilité d’informations génétiques, qui permettra d’orir le traitement antidépresseur le plus approprié selon le prol spécique à chaque patient et, de ce fait, le plus ecace et le moins susceptible d’entraîner des eets indésirables.

69.1 Pharmacologie La majorité des antidépresseurs modulent les neurotransmetteurs monoaminergiques. Ces monoamines sont synthétisées à partir d’acides aminés, comportant un groupement éthylamine (amine NH 2). On distingue deux catégories de neurotransmetteurs monoaminergiques : • les catécholamines : la dopamine (DA), la noradrénaline (NA) et l’adrénaline synthétisées à partir de la L-tyrosine (voir la gure 69.1) ;

• les indolamines : la sérotonine (5-hydroxytryptamine [5-HT]) synthétisée à partir du L-tryptophane (voir la gure 69.2). Après leur libération dans la fente synaptique, les neurotransmetteurs (médiateurs chimiques qui transmettent l’inux nerveux entre deux neurones) se lient à des récepteurs postsynaptiques (site d’action des neurotransmetteurs sur la cellule nerveuse). Leur action se termine de façon prépondérante (plus de 90 %) par une récupération (recaptage) par un transporteur (ou pompe de recaptage présynaptique) pour revenir dans la terminaison synaptique. Leur dégradation se fait par les monoamines-oxydases (MAO) de types A et B. • La noradrénaline (appelée aussi norépinéphrine) est métabolisée par la catéchol-o-méthyl-transférase (COMT) en normétanéphrine, et ensuite en 3-méthoxy-4-hydroxy-phényl-glycol (MHPG) par la MAO et l’aldéhyde-réductase. • La sérotonine est métabolisée par la MAO et l’aldéhydedéshydrogénase pour produire l’acide 5-hydroxyindole-acétique (5-HIAA). Bien que la MAO dégrade des monoamines dans la fente synaptique, elle se retrouve principalement sur la membrane des mitochondries et la plus grande partie de son activité a lieu dans le cytoplasme du neurone. Cette activité a comme rôle supplémentaire de limiter les eets neurotoxiques de taux cytoplasmiques élevés de monoamines. Chez l’humain, la dopamine est métabolisée par la MAO-B et la COMT. Les récepteurs noradrénergiques sont divisés en trois groupes (voir la gure 69.3) : 1. Les récepteurs α1 ont un eet de stimulation. 2. Les récepteurs α 2 sont des autorécepteurs qui inhibent la libération de NA. Ce sont également des hétérorécepteurs (situés sur les neurones sérotoninergiques) qui inhibent la libération de sérotonine. 3. Les récepteurs β1 sont régulés à la baisse (down-regulation) par la majorité des antidépresseurs.

FIGURE 69.1 Synthèse et dégradation de la dopamine et de la noradrénaline

1482

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

FIGURE 69.2 Synthèse et dégradation de la sérotonine

FIGURE 69.3 Synapse noradrénergique

Récepteurs noradrénergiques α2A et α1 et β1 L’effet de la NA est cessé principalement par l’action du transporteur de la NA. Les récepteurs postsynaptiques ont une activité stimulatrice. Les récepteurs α2 somatodendritiques (présents sur le corps du neurone présynaptique, non inclus dans la gure et sur la terminaison présynaptique) régulent à la baisse l’activité du neurone présynaptique.

Dans les neurones noradrénergiques, le transporteur de la NA recapte la NA dans la synapse pour la ramener dans le neurone présynaptique, réduisant ainsi son action postsynaptique. Ramamoorthy & Radhakrishnan (2010) recensent 14 récepteurs de la sérotonine (5-HT), dont les récepteurs 5-HT1a sont parmi les plus abondants dans le cerveau et sont présents aux niveaux pré et postsynaptique. Les récepteurs présynaptiques sont des autorécepteurs qui diminuent l’activité des neurones sérotoninergiques alors que les récepteurs postsynaptiques stimulent leur activité (voir la gure 69.4). L’augmentation marquée (concentration élevée) de cortisol induite par le stress chronique est accompagnée par : • un dérèglement de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS) (voir les figures supplémentaires) qui devient hyperactif ; • une augmentation des autorécepteurs 5-HT1a présynaptique situés dans le noyau du raphé ; • une baisse de transmission sérotoninergique raphéhippocampale.

FIGURE 69.4 Synapse sérotoninergique

L’effet de la sérotonine est cessé principalement par l’action du transporteur de la sérotonine. Les récepteurs postsynaptiques ont une activité stimulatrice. Les récepteurs 5-HT1a somatodendritiques (présents sur le corps du neurone présynaptique, non inclus dans la gure) et les récepteurs 5-HT 1b, 1d sur la terminaison présynaptique régulent l’activité du neurone présynaptique à la baisse. La stimulation des récepteurs 5-HT1a postsynaptiques est associée à un effet antidépresseur. La stimulation des récepteurs 5-HT 2 est associée aux effets indésirables des ISRS. Sources : Szabo & al. (2004), p. 10 ; Stahl (2009), p. 346.

Ce phénomène contribuerait à la prédisposition de la dépression et au suicide. De plus, la dépression pourrait être exacerbée par la baisse (down-regulation) des récepteurs 5-HT 1a postsynaptiques situés dans l’hippocampe (Pineda & al., 2011 ; Albert & al., 2011). Les récepteurs 5-HT2 sont principalement postsynaptiques. Les systèmes des monoamines interagissent entre eux, assurant un équilibre entre leurs eets. Ainsi, la stimulation des récepteurs noradrénergiques α2 situés sur les neurones sérotoninergiques présynaptiques inhibe la libération de la sérotonine et la stimulation des récepteurs noradrénergiques α1 l’accélère. À l’inverse, la stimulation des récepteurs 5-HT2, par un eet sur des interneurones GABAergiques ou directement, inhibe la libération de NA et de DA par les neurones noradrénergiques et dopaminergiques respectivement.

Chapitre 69

Antidépresseurs

1483

Un modèle simplié (Stahl & Muntner, 2013 ; voir les gures supplémentaires) propose les eets suivants des trois principaux neurotransmetteurs : • la 5-HT est impliquée dans la régulation comportementale et le contrôle des pulsions ; • la NA stimule l’éveil, la vigilance et l’attention, facilitant l’interaction avec l’environnement ; • la DA augmente la motivation et la sensation subjective de plaisir issue de cette interaction avec des stimuli environnementaux. C’est le neurotransmetteur de la saillance motivationnelle.

69.1.1 Mécanismes d’action En 1957, Kuhn découvre qu’une molécule tricyclique (l’imipramine), étroitement apparentée aux neuroleptiques phénothiazines, a un eet antidépresseur. En 1965, constatant que les antidépresseurs ont un eet sur les monoamines, Schildkraut propose l’hypothèse catécholaminergique des troubles aectifs : une déplétion des monoamines induit la dépression et les antidépresseurs augmentent une ou plusieurs monoamines dans les synapses pour diminuer les symptômes de la dépression. Cependant, puisque des altérations des niveaux de monoamines n’ont pas été retrouvées de façon able chez les patients déprimés, cette hypothèse a été modiée. Un problème dans la régulation fonctionnelle des systèmes monoaminergiques est alors évoqué. Ainsi, l’eet thérapeutique des antidépresseurs découlerait de la restauration de l’équilibre de ces systèmes. Le blocage du recaptage des neurotransmetteurs dans les neurones présynaptiques provoque une augmentation rapide de monoamines dans les synapses. Les neurotransmetteurs agissent à la fois sur les récepteurs postsynaptiques et sur les autorécepteurs, qui ont un eet inhibiteur sur l’excitabilité et le taux de décharge des neurones. Après plusieurs semaines de traitement antidépresseur, les niveaux chroniquement élevés de neurotransmetteurs induisent une certaine désensibilisation des autorécepteurs, avec une augmentation tonique de l’activité sérotoninergique et noradrénergique associée à une amélioration des symptômes anxieux et dépressifs. La majorité des antidépresseurs semble produire une augmentation de la transmission de la 5-HT. Ainsi, les ISRS et les IMAO désensibilisent les autorécepteurs 5-HT1a dans le raphé médian avec, comme résultat, une augmentation de la libération de 5-HT. Les antidépresseurs tricycliques (ATC) et l’électroconvulsivothérapie (ECT) augmentent la sensibilité des récepteurs 5-HT1a postsynaptiques, rehaussant l’activité des neurones postsynaptiques. Un antipsychotique atypique, la quétiapine à libération prolongée (Seroquel XRMD), a obtenu une indication au Canada dans le traitement de la dépression unipolaire. Elle combine des eets de blocage 5-HT2c, 5-HT2a, un eet agoniste partiel 5-HT1a et une inhibition du recaptage de NA par son métabolite, la norquétiapine. Des altérations fonctionnelles (p. ex., la déplétion en tryptophane) ou structurelles (lésion cérébrale) qui interfèrent avec le fonctionnement des systèmes sérotoninergiques abolissent les eets des antidépresseurs sérotoninergiques, mais ne modient pas l’ecacité de ceux qui font appel à d’autres mécanismes d’action. Un blocage de la synthèse de NA interfère avec l’eet des antidépresseurs dits noradrénergiques ainsi qu’avec celui des IMAO et de certains ISRS (Tanti & Belzung, 2010). Au cours des dernières années, d’autres mécanismes d’action ont été évoqués. L’augmentation de l’activité tonique de

1484

la 5-HT et de la NA induit une cascade d’eets intracellulaires sur les facteurs de transcription, soit les protéines nécessaires à l’initiation ou à la régulation de la transcription des gènes (C-AMP1 response element binding protein [CREB – une protéine se fixant sur le CRE]) et les facteurs neurotrophiques (brain derived neurotrophic factor [BDNF]). Les antidépresseurs augmentent les facteurs neurotrophiques cérébraux. De plus, la stimulation des récepteurs 5-HT1a situés sur les astrocytes a un eet neurotrophique et semble essentielle à la neurogenèse dans l’hippocampe, une région impliquée notamment dans la mémoire. La neurogenèse dans l’hippocampe n’est pas toujours associée à un eet antidépresseur et peut varier selon le modèle animal de dépression utilisé. Les cellules gliales qui nourrissent, supportent et protègent les neurones joueraient un rôle clé dans la potentialisation du neurone et le développement des réseaux synaptiques. Outre leur rôle de support des neurones, les cellules gliales exercent une action modulatrice sur la neurotransmission. Des anomalies des cellules gliales seraient impliquées dans la physiopathologie des troubles anxieux et de l’humeur et, conséquemment, des antidépresseurs favorisant la gliogenèse pourraient être développés. Le stress prolongé est également associé à des concentrations chroniquement élevées de glucocorticoïdes endogènes, qui peuvent induire une atrophie structurale de l’hippocampe en réduisant sa capacité à participer à la régulation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (axe HHS, voir les gures supplémentaires). La normalisation de la fonction de cet axe par les antidépresseurs est associée à son eet thérapeutique, sans être présente dans tous les cas. Les antidépresseurs stimulent les facteurs neurotrophiques et la prolifération cellulaire dans l’hippocampe, et il y aurait une corrélation entre l’ecacité d’un antidépresseur et la neurogenèse dans certaines régions comme l’hippocampe et le cortex préfrontal. Ainsi, les antidépresseurs peuvent induire la neuroplasticité cérébrale et renverser les eets pathologiques de la dépression. De plus, des données récentes (Irwin & Miller, 2007 ; Goldstein & al., 2009) soulignent l’intrication de mécanismes inammatoires et de la résistance à l’insuline dans la pathophysiologie de la dépression et dans la neurotoxicité cérébrale. Les voies de signalisation de l’insuline peuvent être impliquées dans les eets antidépresseurs et stabilisateurs de l’humeur produits par les psychotropes. L’élévation des cytokines pro-inammatoires aurait comme eet de diminuer la production de 5-HT et de DA, d’inhiber l’action des astrocytes et de diminuer la neurogenèse. Plusieurs antidépresseurs diminuent les taux de cytokines pro-inammatoires dans divers protocoles expérimentaux (Janssen & al., 2010). Par ailleurs, les fonctions circadiennes (rythmes éveil/sommeil) sont contrôlées par des régulateurs situés dans le noyau suprachiasmatique. La désorganisation des rythmes circadiens semble associée à divers troubles aectifs incluant la dépression. Un antidépresseur disponible en Europe, l’agomélatine, agit en partie sur la régulation des rythmes circadiens. D’autres systèmes que le système monoaminergique, dont les systèmes glutamatergiques, semblent impliqués dans la physiopathologie de la dépression. Une libération excessive de 1. C-AMP : cyclic adenosine-monophosphate

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

glutamate, un neurotransmetteur excitateur dont les concentrations synaptiques sont régulées par les astrocytes, devient neurotoxique et serait en cause dans la dépression. Plusieurs molécules qui inhibent la libération ou augmentent le recaptage du glutamate sont à l’étude comme antidépresseurs. La kétamine, un antagoniste des récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA), module le glutamate et semble avoir des eets antidépresseurs à action rapide (Tanti & Belzung, 2010). Serretti et ses collaborateurs (2010) suggèrent qu’un mécanisme d’action potentiel des antidépresseurs serait la réduction de traits prédisposant à la dépression, tels le névrotisme, l’irritabilité et la tendance à s’inquiéter. Des modications comportementales chez des sujets sains sous antidépresseurs ont été observées dans le même sens. • Les ISRS ont été associés à une réduction de la perception d’expressions faciales négatives, d’évitement du danger et de reconnaissance d’agressivité en soi-même. • Les inhibiteurs du recaptage de la noradrénaline (IRN) sont associés à une augmentation de comportements coopératifs et à une réduction d’identification des expressions de peur. • Un inhibiteur du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN) comme la duloxétine augmente la reconnaissance d’expressions faciales de joie et de dégoût (Harmer & al., 2008).

69.1.2 Classication La classication des antidépresseurs repose, le plus souvent, sur leurs eets sur les monoamines et leurs récepteurs (voir le tableau 69.1). Un nouveau système de classication, développé par un groupe de travail de l’European College of Neuropsychopharmacology (ECNP), regroupe les psychotropes par leur mode d’action plutôt que par l’indication thérapeutique de la molécule (proposal for an updated neuropsychopharmacological nomenclature) (Zohar & al., 2014). On peut donc classer les antidépresseurs selon qu’ils bloquent des récepteurs et inhibent des transporteurs, des enzymes et le recaptage des neurotransmetteurs. • Les antidépresseurs tricycliques (ATC), parmi d’autres eets, inhibent le recaptage de la NA et de la 5-HT à divers degrés. Ils sont souvent classés selon leur structure chimique en amines tertiaires et secondaires. Ayant précédé les autres antidépresseurs, ils reçoivent fréquemment la désignation d’antidépresseurs de 1re génération. • Les inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO) inhibent l’enzyme qui métabolise les monoamines (DA, NA, 5-HT). • Les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS) inhibent le transporteur de la 5-HT, ce qui augmente la 5-HT dans la synapse. Comme ils étaient les premiers antidépresseurs à la suite des tricycliques, ils ont été désignés comme antidépresseurs de 2e génération. • La trazodone est un inhibiteur des récepteurs et du transporteur de la sérotonine. • Les inhibiteurs du recaptage de la noradrénaline (IRN) agissent sur le transporteur de la NA. Le seul IRN disponible au Canada est l’atomoxétine (StratteraMD), mais il n’a pas d’indication

• • •



comme antidépresseur, étant plutôt utilisé dans le traitement du décit de l’attention/hyperactivité (TDA/H). Les inhibiteurs du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN) inhibent à la fois les transporteurs de la sérotonine et de la noradrénaline. Le seul agent de la classe des inhibiteurs du recaptage de la noradrénaline et de la dopamine (IRND) est le bupropion, et ce, malgré une controverse sur son mode d’action. L’antidépresseur spécique pour la sérotonine et la noradrénaline (ASSN), la mirtazapine bloque les récepteurs α2, qui sont des récepteurs régulant à la baisse l’activité des neurones à la NA et à la 5-HT. Les antidépresseurs dits multimodaux touchent les systèmes de neurotransmission par plus d’un mécanisme d’action. Le premier représentant de cette classe disponible au Canada est la vortioxétine (TrintellixMD), qui inhibe le transporteur de la sérotonine et est un agoniste du récepteur 5-HT1a, un agoniste partiel du récepteur 5-HT1b ainsi qu’un antagoniste des récepteurs, 5-HT1d, 5-HT3 et 5-HT7. Un deuxième agent multimodal, la vilazodone (ViibrydMD), a été approuvé en 2015. La vilazodone inhibe le transporteur de la sérotonine et est un agoniste partiel du récepteur 5-HT1a.

69.2

Modalités de prescription

Les modalités de prescription dépendent de plusieurs facteurs, dont les caractéristiques du patient, ainsi que celles de l’antidépresseur incluant son mécanisme d’action et ses indications reconnues, ses eets indésirables, ses interactions médicamenteuses, ses contre-indications et son coût.

69.2.1 Choix du médicament Il n’existe pas de facteurs démographiques, cliniques ou comportementaux qui permettent de prédire de façon able, la réponse aux antidépresseurs. L’ecacité des antidépresseurs étant largement similaire, le choix d’un agent thérapeutique se fait souvent selon son prol pharmacocinétique et ses eets indésirables. Les nouvelles lignes directrices canadiennes (Lam & al., 2009) pour le traitement de la dépression ont placé en 1re intention tous les antidépresseurs de 2e génération. Cependant, Lam et ses collaborateurs (2009) soulignent les résultats d’études suggérant une légère supériorité pour ce qui est des taux de réponse pour la duloxétine, l’escitalopram, la milnacipran, la mirtazapine, la sertraline et la venlafaxine comparativement à huit autres antidépresseurs de 2e génération qui ne sont pas tous d’ecacité équivalente. Ils mentionnent également qu’un groupe d’experts internationaux, ayant révisé les études randomisées de comparaison directe d’antidépresseurs, a conclu que la clomipramine, l’escitalopram et la venlafaxine disposaient de données probantes montrant une supériorité clinique claire. Le tableau 69.2 présente les indications des antidépresseurs approuvés au Canada. Il est possible que des caractéristiques du patient puissent inuencer l’eet du traitement pharmacologique. Sur le plan biologique, la capacité du cytochrome d’agir sur le métabolisme de la médication inuence sa tolérabilité et sa pharmacocinétique. Par ailleurs, des données récentes indiquent que des variations

Chapitre 69

Antidépresseurs

1485

génétiques dans le transporteur de la sérotonine pourraient prédire une réponse différente aux ISRS. Chaque gène, ou morceau d’ADN dont nous avons toujours deux copies (une maternelle et une paternelle), est sous le contrôle de ce que l’on appelle un promoteur. Localisé devant le gène, le promoteur contrôle la fréquence à laquelle l’information contenue dans le gène est utilisée pour fabriquer la protéine correspondante. Le

promoteur du gène 5-HTT existe sous deux formes, la longue et la courte. L’allèle court de la région du promoteur du gène du transporteur se diérencie de l’allèle long par une délétion. L’allèle court est associé à une plus faible expression du transporteur, donc un moins bon recaptage de la sérotonine. Il est aussi associé à plusieurs aections psychiatriques et une moins bonne réponse aux ISRS.

TABLEAU 69.1 Afnité des antidépresseurs pour les transporteurs de monoamines et les récepteurs associés

aux effets indésirables

Blocage du transporteur de monoamine Mécanismes d’action des antidépresseurs

Nom générique (nom commercial)

Blocage du récepteur

NA

5-HT

DA

H1

ACh

α1

Clomipramine (AnafranilMD)

+++

++++++

+/-

+++

+++

+++

Imipramine (TofranilMD)

+++

+++++

+/-

++++

++

++

Amitriptyline (ElavilMD)

+++

+++

+/-

+++++

+++

+++

Doxépine (SinequanMD)

+++

+++

+/-

++++++

++

+++

Trimipramine (SurmontilMD)

+

+/-

+/-

++++

+++

++++

Inhibiteurs sélectifs du Tricycliques recaptage de la NA (ISRN) Tricycliques Amines secondaires Tétracyclique

Désipramine (NorpraminMD)

Inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS)

Citalopram (CelexaMD)

Antidépresseurs tricycliques (ATC) Inhibiteurs du recaptage de 5-HT et NA Amines tertiaires

+++++

+++

+/-

++

++

++

(AventylMD)

++++

+

+/-

++++

+

+

Maprotiline (LudiomilMD)

++++

+/-

+/-

++

+

+

+/-

+++++

+/-

+

+/-

+

+

+++++

+/-

+/-

+/-

+/-

++

+++++

+/-

+/-

+/-

+/-

+

+++++

+/-

0

0

+/-

Paroxétine (PaxilMD, Paxil CRMD)

+++

+++++

+

0

++

+/-

Sertraline (ZoloftMD)

+

+++++

+++

0

+

++

Duloxétine (CymbaltaMD)

++++

+++++

+

+/-

+/-

+/-

Lévomilnacipran (FetzimaMD)

+++++

+++1

0

0

0

0

Venlafaxine (Effexor XRMD)

+

++++

+/-

0

0

0

Desvenlafaxine (PristiqMD)

++

+++

+/-

0

0

0

0

+

+/-

+/-

0

++

+/-

0

0

++++++

+

+

Nortriptyline

Escitalopram (CipralexMD) Fluoxétine (ProzacMD) Fluvoxamine

Inhibiteurs du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN)

(LuvoxMD)

Bloqueur des récepteurs 5HT2a et faible inhibiteur du recaptage de la 5-HT

Trazodone (DesyrelMD)

Inhibiteur de 5-HT2a/2c, 5-HT3 et NAa2 Tétracyclique

Mirtazapine (RemeronMD)

Inhibiteur du recaptage de la NA et de la DA (IRND)

Bupropion (Wellbutrin XLMD, Wellbutrin SRMD)

0

+/-

+

+/-

0

+/-

Inhibiteurs de la monoamine-oxydase (IMAO)

Phénelzine (NardilMD)

0

0

0

0

0

0

Tranylcypromine (ParnateMD)

0

0

0

0

0

0

Moclobémide (ManerixMD)

0

0

0

0

0

0

1486

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

TABLEAU 69.1 Afnité des antidépresseurs pour les transporteurs de monoamines et les récepteurs associés

aux effets indésirables (suite)

Blocage du transporteur de monoamine Mécanismes d’action des antidépresseurs Antidépresseur multimodal

Nom générique (nom commercial)

Blocage du récepteur

NA

5-HT

DA

H1

ACh

α1

Vortioxétine (TrintellixMD)

0

+++*

0

0

0

0

Vilazodone (ViibrydMD)

0

++++

0

0

0

0

Ce tableau regroupe des données de différentes études. Ainsi, l’afnité relative n’est qu’approximative. 0 = pas d’effet,

+/– = effet faible,

+ à ++++++ = effet d’intensité croissante

5-HT = 5-hydroxytryptamine (sérotonine) : sa stimulation par le blocage de la pompe de recaptage (transporteur) est reliée à la diminution de la libido, les nausées et l’anxiété. NA = noradrénaline : sa stimulation par le blocage de la pompe de recaptage (transporteur) est reliée à la concentration, l’éve il, l’intérêt, l’atténuation de la douleur ; l’inhibition du NAa1 est reliée à l’hypotension orthostatique, la tachycardie, les étourdissements. DA = dopamine : sa stimulation par le blocage de la pompe de recaptage (transporteur) est reliée à la concentration, l’intérêt, l’éveil, la récompense, la motivation, la diminution de la prolactine et des symptômes extrapyramidaux, l’amélioration de la fonction sexuelle. H = histamine : l’inhibition des récepteurs H1 est reliée à la sédation, l’augmentation de l’appétit et du poids. ACh = acétylcholine : l’inhibition des récepteurs muscariniques est reliée à la confusion, la constipation, la rétention urinai re, la xérostomie, la vision embrouillée. * Le blocage du transporteur sérotoninergique croît avec la dose : • pour la vortioxétine, il passe de 50% d’occupation à 5 mg/j à 80% d’occupation à 20 mg/j ; • pour le lévomilnacipran, le blocage des transporteurs sérotoninergique et noradrénergique devient comparable à des doses de 1 20 mg/j. Sources : Adapté de Richelson (2003), p. 5-12 ; Richelson (2013), p. 1433-1442.

Antidépresseurs tricycliques (ATC) Les ATC disponibles au Canada sont les suivants : • Les amines tertiaires qui inhibent surtout le recaptage de la 5-HT : – amitriptyline (ElavilMD) : 10 – 25 – 50 – 75 mg – clomipramine (AnafranilMD) : 10 – 25 – 50 mg – doxépine (SinequanMD) : 10 – 25 – 50 – 75 – 100 mg – imipramine (TofranilMD) : 10 – 25 – 50 – 75 mg – trimipramine (Surmontil MD ) : 12,5 – 25 – 50 – 75 – 100 mg • Les amines secondaires qui inhibent surtout le recaptage de la NA : – désipramine (NorpraminMD) : 10 – 25 – 50 – 75 – 100 mg – maprotiline (LudiomilMD) : 25 – 50 – 75 mg – nortriptyline (AventylMD) : 10 – 25 – 50 – 75 mg

Mécanisme d’action Les ATC inhibent les transporteurs de la noradrénaline et de la sérotonine. La déméthylation de l’imipramine et de l’amitriptyline par les cytochromes produit la désipramine et la nortriptyline, des amines secondaires.

Métabolisme Les ATC sont absorbés dans le petit intestin et sont métabolisés (biodégradation des antidépresseurs) par des enzymes, les cytochromes P-450, dans le tractus digestif et lors du passage hépatique. Les CYP-450 sont des hémoprotéines – protéines ayant de l’hème comme cofacteur – qui interviennent dans des réactions d’oxydoréduction d’un grand nombre de molécules. Le terme P-450 provient de la spectrophotométrie et du pic d’absorbance à une longueur d’onde de 450 nanomètres, lorsque ces enzymes sont à l’état réduit et complexées avec le monoxyde de carbone. Il existe plus de 18 000 protéines diérentes de

la famille des cytochromes P-450. Les amines tertiaires sont déméthylées en amines secondaires. Les deux formes d’amines tertiaires et secondaires sont hydroxylées pour ensuite subir une glucuronidation. Les métabolites glucuronés et hydroxylés sont excrétés par les reins. En eectuant des dosages plasmatiques, on peut ajuster les doses d’ATC. Il est possible de faire des dosages plasmatiques des ATC pour ajuster leur dose à l’intérieur d’une fenêtre thérapeutique où l’ATC est ecace et au-dessus de laquelle il peut devenir toxique. Par exemple, parmi les ATC, la fenêtre thérapeutique de la nortriptyline se situe entre 150 et 500 nmol/l, ce qui reète le dosage plasmatique le mieux corrélé à la réponse clinique antidépressive. Le tableau 69.3 contient les dosages recommandés dans la monographie des produits.

Indications et posologie Les antidépresseurs sont des médicaments disponibles sous diérentes formes et qui servent en premier lieu à atténuer les symptômes somatiques et psychiques de la dépression. C’est là leur eet désirable (primaire). Ils permettent donc de soulager des symptômes de grande sourance morale comme la tristesse, l’aboulie, les dicultés cognitives, l’inertie et les idées suicidaires, ainsi que des symptômes somatiques tels l’insomnie et les changements d’appétit, qui perturbent le fonctionnement d’un grand nombre de patients. Mais, en raison d’un manque d’information et/ou de la crainte d’eets indésirables (secondaires), bien des patients hésitent à prendre ces médicaments pour corriger des émotions et des cognitions qu’ils estiment devoir modier par leur seule volonté. Comme pour toute prescription de médicaments, le médecin, après avoir évalué soigneusement la pertinence de traiter avec un antidépresseur, doit expliquer sa recommandation thérapeutique au patient pour que celui-ci puisse comprendre que les avantages surpassent les inconvénients. Il a aussi avantage à proposer cette

Chapitre 69

Antidépresseurs

1487

Dépendance à l’alcool avec symptômes dépressifs

Dépression psychotique

Boulimie

Fibromyalgie

Lombalgie

Douleur neuropathique diabétique

Trouble de stress post-traumatique

X

X

X

X

X X X X

X X

X X

X

X

X X

X

X

Inhibiteur de 5-HT2a/2c, 5-HT3 et NAα2 Mirtazapine X Inhibiteur du recaptage de la NA et de la DA Bupropion XL X X Bupropion SR X Inhibiteurs de la monoamine-oxydase (IMAO) Phénelzine X Tranylcypromine X Moclobémide X Antidépresseur multimodal Vilazodone X Vortioxétine X Source : Santé Canada (2015).

1488

Patients névrotiques, déprimés, anxieux

Antidépresseurs tricycliques (ATC) inhibiteurs du recaptage de 5-HT et NA Amitriptyline X Clomipramine X Doxépine Imipramine X Trimipramine X Inhibiteurs sélectifs du recaptage de la NA (ISRN) Désipramine X X X Maprotiline X X X Nortriptyline X Inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRN) Citalopram X Escitalopram X X Fluoxétine X Fluvoxamine X Paroxétine X X X Paroxétine-CR X X X X Sertraline X X Inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline (ISRN) Desvenlafaxine X Duloxétine X X Lévomilnacipran X Venlafaxine XR X X X X Bloqueurs des récepteurs 5-HT2a et faible inhibiteur du recaptage de 5-HT Trazodone X

Trouble obsessionnel-compulsif

Phobie sociale

Trouble panique

Trouble anxieux généralisé

Mélancolie involutionnelle

Trouble dysphorique prémenstruel

Dépression saisonnière

Phase dépressive, trouble bipolaire

Indications approuvées pour les antidépresseurs au Canada selon les monographies

Dépression majeure

Antidépresseur

TABLEAU 69.2

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

X

X

TABLEAU 69.3

Posologie initiale et maximale quotidienne des ATC selon les monographies Antidépresseurs tricycliques (ElavilMD)

Dose initiale/j

Dose maximale/j

75 mg

300 mg

Inhibiteurs du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN)

Amitriptyline

Clomipramine (AnafranilMD)

25 mg

250 mg

Amines tertiaires

Doxépine (SinequanMD)

75 mg

300 mg

Imipramine (TofranilMD)

75 mg

300 mg

Trimipramine (SurmontilMD)

75 mg

300 mg

(NorpraminMD)

100 mg

300 mg

Maprotiline (LudiomilMD)

75 mg

225 mg

Nortriptyline (AventylMD)

50 mg

150 mg

Inhibiteurs sélectifs du recaptage de la noradrénaline (ISRN) Amines secondaires

Désipramine

Sources : Monographies des produits.

médication comme visant à atténuer la sourance reliée à ces symptômes. C’est un traitement biologique de base pour rétablir une physiologie fonctionnelle du cerveau, donnant accès aux volets psychologique et social du traitement. Les ATC sont tous indiqués dans la dépression majeure (voir le tableau 69.2). La clomipramine est aussi indiquée dans le trouble obsessionnel-compulsif (TOC). En raison de leur tendance à induire des eets indésirables incommodants (sédation, étourdissements, nausées), les ATC doivent être commencés à de faibles doses, qui sont ajustées à la hausse par la suite, en fonction de leur tolérabilité, an d’atteindre un dosage thérapeutique.

Effets indésirables Les tricycliques, par leur anité pour plusieurs types de récepteurs, produisent plus d’eets indésirables que les antidépresseurs de 2e génération et sont de ce fait recommandés en 2e intention. Voici les eets indésirables les plus fréquents des tricycliques : • Les eets anticholinergiques peuvent induire de la confusion, de la constipation, de la rétention urinaire, de la xérostomie et une vision embrouillée causée par la relaxation des muscles ciliaires, entraînant un trouble d’accommodation de la pupille de l’œil. Cette dilatation des pupilles peut aggraver un glaucome à angle étroit. • Les eets cardiovasculaires sont fréquents et souvent problématiques : l’hypotension orthostatique, la tachycardie, un retard de conduction entraînant un bloc de branche ou de la bradycardie et, en cas de surdosage, des arythmies ventriculaires pouvant conduire à un arrêt cardiaque. • Une augmentation de l’appétit et du poids, une appétence accrue pour les aliments sucrés et une diminution du métabolisme basal ainsi que de la sédation peuvent survenir à cause du blocage des récepteurs histaminiques. • Des virages maniaques induits par les tricycliques sont plus fréquents qu’avec les antidépresseurs de 2e génération.

Interactions Comme les ATC sont métabolisés par l’enzyme cytochrome 2D6 et en plus par le CYP-1A2 pour les amines tertiaires, et qu’ils ont des eets sur de multiples récepteurs, leur potentiel d’implication dans des interactions médicamenteuses est très élevé, puisque d’autres médicaments inhibent le CYP-2D6 et/

ou le CYP-1A2 et augmentent la concentration des tricycliques. Les eets des ATC sur les cytochromes P-450 (CYP-450) sont décrits dans le tableau 69.10 et peuvent indiquer certaines interactions potentielles.

Inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS) Les ISRS disponibles au Canada sont les suivants : • citalopram (CélexaMD) : 10 – 20 – 40 mg • escitalopram (CipralexMD) : 5 – 10 – 15 – 20 mg • uvoxamine (LuvoxMD) : 50 – 100 mg • uoxétine (ProzacMD) : 10 – 20 mg • paroxétine (PaxilMD) : 10 – 20 – 30 – 40 mg ; (Paxil CRMD) : 12,5 – 25 – 37,5 mg • sertraline (ZoloftMD) : 25 – 50 – 100 mg

Mécanismes d’action Les ISRS inhibent le recaptage de la sérotonine (5-HT) en se liant à un site de haute anité sur le transporteur de la 5-HT, le site orthostérique (c.-à-d. le site primaire de liaison). En plus de ce site, d’autres sites de liaison allostériques (c.-à-d. qui se xent sur leur récepteur cible à un site diérent de celui des ligands endogènes, provoquant ainsi un changement de conguration du site orthostérique) ont été identiés sur les transporteurs de monoamines. Une molécule est dite chirale lorsqu’elle possède une asymétrie ; il en découle qu’elle peut exister dans deux congurations ou isomères. • Quand le médicament est composé d’un seul isomère, il s’agit d’une molécule chirale (p. ex., la paroxétine et la sertraline). • Quand le médicament est composé de deux isomères, il s’agit d’un mélange racémique (p. ex., le citalopram et la uoxétine). Certains ISRS, tels les isomères du citalopram (isomère S) et de la paroxétine, se lient à d’autres sites sur le transporteur de la 5-HT et produisent un eet allostérique. La liaison allostérique de l’escitalopram est celle qui a été la mieux décrite. En se liant au site allostérique et en produisant ainsi un changement de conguration, l’escitalopram inhibe la dissociation de cet antidépresseur du site orthostérique. Cela a pour eet d’augmenter l’anité de l’escitalopram pour le transporteur de la 5-HT. L’isomère R du citalopram réduit cet eet en interférant avec la liaison de

Chapitre 69

Antidépresseurs

1489

l’escitalopram. Les ISRS ont, entre eux, des diérences d’anité aux transporteurs de monoamines et aux divers récepteurs. La paroxétine a une plus grande anité pour le transporteur de la 5-HT que la uoxétine, alors que l’escitalopram est l’ISRS le plus sélectif pour le transporteur de la 5-HT. La sertraline est le seul ISRS qui se lie au transporteur de la DA, mais ce mécanisme n’est pertinent qu’à des doses plus élevées.

Métabolisme Les ISRS sont généralement bien absorbés, mais à la suite d’un premier passage hépatique, leur taux plasmatique est réduit (à l’exception du citalopram). Taux plasmatique est réduit (à l’exception du citalopram). Ce métabolisme est aussi à la base d’une grande variabilité interindividuelle des concentrations plasmatiques atteintes par l’administration orale. Contrairement aux ATC, il n’y a pas de lien clair entre le dosage plasmatique des ISRS et leur ecacité. La sertraline est absorbée plus lentement et le citalopram plus complètement que les autres ISRS. Les ISRS sont lipophiles et ont un grand volume de distribution, la uoxétine ayant le plus grand volume de distribution du groupe. Ces molécules sont métabolisées dans le foie par des processus de déméthylation et de déamination qui dépendent des cytochromes. La uoxétine possède une demi-vie de 2 à 4 jours et son métabolite, la noruoxétine, a une demi-vie de 7 à 15 jours. Puisque la uoxétine inhibe son propre métabolisme, sa demivie s’allonge avec le traitement. Ainsi, les modications de dose de uoxétine à la hausse doivent être graduelles.

Indications Les ISRS sont tous indiqués comme traitement de 1re intention dans la dépression majeure et certains ont aussi des indications ocielles pour d’autres aections, comme : • Dans le trouble panique, le trouble obsessionnel-compulsif (TOC) et la phobie sociale. • Dans le trouble de stress post-traumatique, la sertraline et la paroxétine sont indiquées, mais la classe des ISRS semble aussi avoir une ecacité dans ce trouble. • Dans la boulimie, la uoxétine, la uvoxamine et la sertraline ont été étudiées et les résultats suggèrent une ecacité sur la réduction des épisodes d’ingestion alimentaire excessive, sans qu’une baisse de poids suive nécessairement cette modication. • Pour la dysphorie prémenstruelle, les résultats sont mitigés. L’introduction d’un ISRS peut être faite à répétition à mi-cycle sans perte de son ecacité. • Dans l’éjaculation précoce, la paroxétine, la uvoxamine, la uoxétine et la sertraline ont montré une ecacité. • Dans plusieurs syndromes douloureux, les ISRS peuvent réduire la douleur associée. Cependant, leur ecacité dans la douleur est moindre en comparaison avec les ATC (l’amitriptyline, notamment) et les IRSN.

Posologie Une posologie de 60 mg par jour de uoxétine est recommandée pour la boulimie et de 40 à 80 mg par jour pour le TOC. La dose quotidienne recommandée de paroxétine pour le TOC est de 40 mg, mais peut être augmentée jusqu’à 60 mg. La paroxétine inhibe aussi le CYP-2D6 qui la métabolise, culminant en une pharmacocinétique qui s’altère au l du traitement. En ce qui a

1490

trait à la sertraline, la dose initiale recommandée est de 50 mg DIE, à l’exception du trouble panique, où la dose de 25 mg par jour est suggérée. Dans cette population de patients, l’action du médicament sur les neurotransmetteurs exacerbe temporairement leurs symptômes de panique et de faibles doses sont souvent nécessaires lorsque le traitement est amorcé, alors que la cible thérapeutique est conforme aux posologies habituelles. En général, les ISRS doivent être commencés à de plus faibles doses chez les patients anxieux ou chez certaines populations à risque, telles les personnes âgées ou atteintes d’aections médicales. Chez certains patients, de plus hautes doses peuvent être nécessaires pour obtenir un eet thérapeutique. Les ISRS sont associés à de meilleures tolérabilité et sécurité en cas de surdosage que les ATC. Le tableau 69.4 contient les posologies recommandées dans la monographie des produits. TABLEAU 69.4 Posologies initiales et maximales quotidiennes

des ISRS selon les monographies

Inhibiteur sélectif du recaptage de la sérotonine

Dose initiale/j

Dose maximale/j

Citalopram (CelexaMD)

10 mg

40 mg

Escitalopram (CipralexMD)

10 mg

20 mg

Fluoxétine (ProzacMD)

20 mg

80 mg

Fluvoxamine (LuvoxMD)

50 mg

300 mg

20 mg

50 mg

Paroxétine (Paxil CRMD)

25 mg

62,5 mg

Sertraline (ZoloftMD)

50 mg

200 mg

Paroxétine

(PaxilMD)

Sources : Monographies des produits.

Effets indésirables Les eets indésirables des ISRS sont associés à leurs eets généralisés sur les récepteurs sérotoninergiques : • La stimulation des récepteurs 5-HT2a diminue la transmission dopaminergique. Dans les noyaux gris centraux, ce blocage dopaminergique peut induire des symptômes extrapyramidaux, des myoclonies et des réveils nocturnes. Dans le faisceau mésocortical, le blocage dopaminergique induit de l’apathie et une diminution de la libido. Dans la moelle épinière, la baisse de dopamine inhibe les réexes d’éjaculation et d’orgasme. • La stimulation des récepteurs 5-HT 2c peut provoquer une anorexie temporaire qui s’estompe lorsque ces récepteurs sont régulés à la baisse. Les antidépresseurs qui bloquent ces récepteurs peuvent donc augmenter l’appétit. • La stimulation des récepteurs 5-HT3, dans l’hypothalamus ou dans le tronc cérébral, provoque des nausées et des vomissements et augmente la motilité des intestins. Leur blocage (p. ex., par la mirtazapine) a un eet antinauséeux. • Une sécrétion inappropriée de l’hormone antidiurétique (SIADH), plus fréquente chez les personnes âgées, a été rapportée. • Les ISRS inhibent l’agrégation plaquettaire et peuvent causer des saignements gastro-intestinaux et des pétéchies.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

• Le syndrome sérotoninergique est un événement rare, qui survient principalement lorsque des ISRS sont utilisés avec d’autres agents qui augmentent la sérotonine. Il se manifeste par des nausées, de la diarrhée, de l’agitation, une instabilité du système nerveux autonome, de l’hyperréexie, des myoclonies, de la rigidité musculaire, de la èvre et un delirium. Cette aection peut culminer vers un choc cardiovasculaire, des convulsions et une mortalité potentielle. On observe plus souvent des symptômes sérotoninergiques qu’un syndrome sérotoninergique complet. Récemment, une augmentation de l’intervalle QTc, proportionnelle à la dose, a été observée à l’ECG avec le citalopram et, à un moindre degré, avec l’escitalopram ; ainsi, certaines précautions sont suggérées par Santé Canada. Le QTc (QT corrigé) est obtenu en divisant l’intervalle QT par la racine carrée de l’intervalle RR (voir les gures supplémentaires). Il faut être spécialement vigilant quand le QTc s’approche de 500 ms. La dose de 30 mg d’escitalopram cause moins de prolongation du QTc que 40 mg de citalopram. L’utilisation du citalopram devrait être évitée chez les patients présentant une pathologie cardiaque congénitale, un syndrome congénital d’allongement du QT ou une prolongation de l’intervalle QT préexistant, ou en combinaison avec d’autres médicaments qui prolongent le QTc. La dose maximale de citalopram recommandée est maintenant réduite à 40 mg par jour chez les adultes et à 20 mg par jour chez les patients de 65 ans ou plus, ou ceux qui ont une atteinte hépatique. Les doses usuelles (20 mg) d’escitalopram peuvent continuer d’être utilisées, sauf chez les patients âgés de 65 ans et plus, chez qui la dose quotidienne maximale a été réduite à 10 mg. Un syndrome de retrait, se manifestant dans les journées qui suivent l’arrêt brusque des ISRS, a été décrit. Cet état est caractérisé par des étourdissements, des nausées, de la fatigue, des symptômes de type grippal ainsi que des troubles perceptuels. La longue demi-vie de la uoxétine permet d’éviter ce syndrome de retrait dans la plupart des cas.

Interactions Comme les ATC, les ISRS participent à des interactions médicamenteuses en raison de leurs eets sur les enzymes cytochromes P-450. La uoxétine et la paroxétine sont les plus sujettes à inhiber le CYP-2D6 et à augmenter les taux plasmatiques des médicaments métabolisés par cette enzyme. De façon similaire, la uvoxamine inhibe le 1A2 et provoque une importante augmentation de la clozapine si on combine ces deux médicaments. Certains ISRS ont des eets sur divers récepteurs et peuvent provoquer des interactions par un mécanisme additif. Ainsi, l’eet anticholinergique de la paroxétine peut augmenter la détérioration cognitive induite par d’autres anticholinergiques ou par l’alcool.

Inhibiteurs du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN) Les IRSN disponibles au Canada sont les suivants : • venlafaxine (EexorMD) : 37,5 – 50 – 75 mg ; (Eexor XRMD) : 37,5 – 75 – 150 mg • desvenlafaxine (PristiqMD) : 50 – 100 mg • duloxétine (CymbaltaMD) : 30 – 60 mg • lévomilnacipran (FetzimaMD) : 20 – 40 – 80 – 120 mg

Mécanismes d’action La venlafaxine a été le premier IRSN disponible. À dose plus faible (75 mg/j), elle inhibe surtout le recaptage de la 5-HT, mais à dose plus élevée (>150 à 200 mg/j), elle inhibe aussi le recaptage de la NA. La desvenlafaxine est un métabolite actif produit par la déméthylation de la venlafaxine. La desvenlafaxine a une anité plus importante pour le transporteur de la 5-HT que pour celui de la NA. Néanmoins, la desvenlafaxine a une plus grande anité pour le transporteur de la NA que la venlafaxine. La duloxétine manifeste une haute anité pour les transporteurs de la 5-HT et de la NA à partir de la dose de 60 mg. Le lévomilnacipran est le premier IRSN avec une plus forte anité pour le transporteur de la noradrénaline que pour le transporteur de la sérotonine. Il pourrait d’ailleurs améliorer le fonctionnement des patients déprimés (Kornstein, S.G. & al., 2016).

Métabolisme Les IRSN sont absorbés rapidement et ont des demi-vies relativement courtes, soit : • 4 heures pour la venlafaxine ; • 11 heures pour la desvenlafaxine ; • 12 heures pour la duloxétine ; • 12 heures pour le lévomilnacipran. La formulation à libération prolongée (extended release [XR]) de la venlafaxine a permis l’administration uniquotidienne de cet agent ainsi qu’une réduction de ses eets indésirables. Les IRSN sont bien absorbés. À l’exception de la desvenlafaxine, ils sont notamment métabolisés par le CYP-2D6. La prise de venlafaxine produit habituellement des taux plasmatiques égaux entre la venlafaxine et la desvenlafaxine, mais ce ratio varie en fonction du polymorphisme génétique pour le CYP-2D6. Comme la desvenlafaxine n’est pas un substrat du 2D6, sa prise produit des concentrations plasmatiques plus constantes entre les patients ; elle a un eet minime comme inhibiteur ou inducteur des cytochromes. Elle est principalement métabolisée par conjugaison et, à un moindre niveau, par l’oxydation impliquant le CYP-3A4. La venlafaxine inhibe faiblement le 2D6 et la duloxétine, modérément. La desvenlafaxine et la venlafaxine sont peu liées (environ 30 %) aux protéines, alors que la duloxétine l’est hautement (plus que 90 %). En conséquence de son faible eet sur le 2D6 et de sa faible liaison aux protéines, la desvenlafaxine a peu d’interactions médicamenteuses et peut être utilisée chez des patients à risque ainsi que chez les patients avec une fonction hépatique compromise. Le lévomilnacipran (FetzimaMD) a été approuvé pour le traitement de la dépression en 2015. Il est principalement déséthylé par le CYP-3A4 et excrété majoritairement par les reins. Conséquemment, un ajustement de dose est nécessaire chez les patients avec une atteinte rénale modérée ou grave.

Indications Les quatre agents sont indiqués pour la dépression majeure. Au Canada, la duloxétine est de plus indiquée pour le trouble anxieux généralisé, la douleur neuropathique chez les diabétiques, la bromyalgie et les douleurs chroniques musculosquelettiques. La venlafaxine à libération prolongée XR est indiquée pour la dépression majeure ainsi que pour le trouble anxieux généralisé, le trouble panique et l’anxiété sociale.

Posologie La posologie de chacun des IRSN est indiquée dans la monographie du produit (voir le tableau 69.5). Chapitre 69

Antidépresseurs

1491

TABLEAU 69.5 Posologies initiales et maximales quotidiennes

des IRSN selon les monographies

Inhibiteur du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline

Dose initiale/j

Dose maximale/j

Venlafaxine (Effexor XRMD)

75 mg

225 mg

Desvenlafaxine (PristiqMD)

50 mg

400 mg

60 mg

120 mg



20 mg

120 mg



Duloxétine

(CymbaltaMD)

Lévomilnacipran (FetzimaMD)

Note : Monographie du lévomilnacipran non disponible. Sources : Monographies des produits.

• La dose initiale de venlafaxine XR dans la dépression majeure et la phobie sociale est de 75 mg/j à prendre avec un repas. Mais il est plutôt recommandé d’amorcer le traitement à 37,5 mg/j dans le cas d’anxiété généralisée et de trouble panique pour en éviter l’exacerbation et aussi pour éviter les nausées en début de traitement. La venlafaxine peut être majorée graduellement jusqu’à une dose de 225 mg/j. • La desvenlafaxine peut être amorcée à la dose thérapeutique de 50 mg/j avec ou sans repas, mais on peut commencer à 100 mg/j. On peut augmenter jusqu’à des doses de 200 à 400 mg/j, qui se sont montrées également ecaces. • La dose initiale recommandée de la duloxétine est de 60 mg/j. Pour éviter les nausées survenant en début de traitement, elle peut être commencée à 30 mg/j ou administrée avec de la nourriture. Des doses supérieures à 60 mg/j peuvent être envisagées pour certains patients quand la réponse n’est pas optimale et que le patient tolère bien ce médicament. • La dose initiale de lévomilnacipran est de 20 mg/j, après deux jours la dose peut être augmentée à 40 mg/j. Des doses supérieures à 40 mg peuvent être utilisées pour certains patients. Une réduction graduelle est nécessaire lorsque l’IRSN doit être cessé. L’arrêt brusque de la venlafaxine cause souvent des eets indésirables comme des nausées, des céphalées, des vertiges et des paresthésies ou autres troubles perceptuels comme la sensation de chocs électriques.

Effets indésirables Les eets indésirables des IRSN sont le résultat d’une stimulation des récepteurs noradrénergiques α1, α2 et β1 et également de l’action de la NA sur des récepteurs situés dans le système nerveux central (SNC), la moelle épinière, le système nerveux périphérique (SNP), le cœur et la vessie. • La stimulation des récepteurs β du SNP et du cervelet peut causer des tremblements et de l’agitation motrice. • La stimulation des récepteurs noradrénergiques dans le système limbique et l’amygdale peut également causer une agitation psychomotrice plus généralisée en lien avec de l’anxiété. • La stimulation des centres cardiovasculaires situés dans le tronc cérébral augmente la pression artérielle et le rythme cardiaque. • Comme les systèmes noradrénergiques et cholinergiques sont interreliés, une augmentation de l’activité noradrénergique entraîne une diminution du tonus parasympathique

1492



cholinergique produisant des eets anticholinergiques, tels que la bouche sèche (xérostomie), la constipation et parfois la rétention urinaire. Ces symptômes sont toutefois plus légers que ceux résultant d’une action anticholinergique directe. Le lévomilnacipran ne devrait pas être utilisé chez les patients qui ont vécu un infarctus du myocarde ou une intervention cardiaque dans les 12 derniers mois, une insusance cardiaque classe III ou IV, une tachyarythmie ou une hypertension noncontrolée ou une histoire d’accident vasculaire cérébral. La duloxétine est contre-indiquée chez les patients atteints d’une maladie du foie entraînant une insusance hépatique. En cas d’intoxication, la venlafaxine est possiblement plus cardiotoxique que les autres antidépresseurs de deuxième génération. Son risque d’induction de virage maniaque est un peu plus élevé qu’avec les autres produits de deuxième génération.

Interactions Puisqu’elle n’est pas métabolisée par les cytochromes, qu’elle est peu inducteur ou inhibiteur d’enzymes et qu’elle est peu liée aux protéines, la desvenlafaxine a peu d’interactions médicamenteuses et peut être utilisée chez des patients à risque, par exemple en présence d’une polypharmacie ou d’une fonction hépatique compromise.

Bloqueur des récepteurs 5-HT2a et inhibiteur du transporteur de la sérotonine Le seul antidépresseur de cette catégorie, disponible au Canada, est la trazodone (DesyrelMD) 50 – 75 – 100 mg.

Mécanisme d’action La trazodone bloque les récepteurs 5-HT2a, noradrénergiques (α2) et histaminiques (H1) à doses faibles (25 à 100 mg/j) ainsi que, à doses plus élevées (150 à 600 mg/j), les récepteurs 5-HT2c. La trazodone inhibe aussi le transporteur de la sérotonine (Stahl, 2013).

Métabolisme La trazodone est bien absorbée et est hautement liée aux protéines (93 %). Elle est métabolisée par le CYP-3A4. Un de ses métabolites, la méta-chloro-phényl-pipérazine (m-CPP), est un agoniste de la sérotonine (surtout 5-HT2a, 5-HT2c et 5-HT3) (Stahl, 2009) qui peut aussi induire des céphalées, de l’irritabilité, et de l’anxiété. Généralement, les concentrations cérébrales et sanguines de ce métabolite se situent à moins de 10 % de celles de la trazodone.

Indications et posologie La trazodone est indiquée dans le traitement de la dépression. Mais cette médication est aussi fréquemment utilisée pour son eet sédatif à des doses de 25 à 100 mg au coucher, souvent en ajout à d’autres antidépresseurs (voir le tableau 69.6). Pourtant, non seulement la trazodone n’a pas d’indication ocielle pour la sédation, mais une revue de la littérature a souligné que peu de données sous-tendent cette utilisation (Mendelson, 2005). Son ecacité a aussi été montrée dans une étude sur l’anxiété généralisée, mais non dans le TOC.

Effets indésirables La trazodone peut causer de l’hypotension orthostatique, de la sédation et des troubles cognitifs qui sont dépendants de la dose. Un eet indésirable rare est le priapisme. L’augmentation de la libido et des orgasmes spontanés ont aussi été décrits chez

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la femme. Une moins bonne tolérance à dose élevée a été remarquée, notamment en raison de l’augmentation des risques de troubles du rythme cardiaque. Un produit du métabolisme de la trazodone, le m-CPP, est lui-même métabolisé par le cytochrome 2D6 (Von Moltke & al., 1999). L’inhibition du CYP-2D6 par d’autres médicaments mène à l’accumulation du m-CPP et peut ainsi provoquer une augmentation de l’anxiété (Silverstone & al., 1994).

Interactions La carbamazépine induit le CYP-3A4 et réduit donc les taux plasmatiques de trazodone. Des inhibiteurs du 3A4, tels le kétoconazole (un antifongique) ou le ritonavir (un antirétroviral pour le VIH), peuvent augmenter le taux plasmatique de trazodone.

Antidépresseur spécique pour la sérotonine et la noradrénaline (ASSN) Le seul ASSN disponible au Canada est la mirtazapine (RemeronMD) 15 – 30 – 45 mg.

Mécanisme d’action La mirtazapine a une activité antagoniste sur les récepteurs sérotoninergiques (5-HT2a, 5-HT2c et 5-HT3), noradrénergiques (α2) et histaminiques (H1). • En bloquant les autorécepteurs α2 présynaptiques, la mirtazapine augmente la transmission de la NA. La NA stimule alors les récepteurs α1 somatodendritiques, augmentant ainsi la libération de la 5-HT. • En bloquant les hétérorécepteurs α 2 (récepteurs noradrénergiques se trouvant sur les neurones sérotoninergiques), la mirtazapine augmente aussi la transmission de la 5-HT. • Sans que la mirtazapine ait une anité pour le récepteur 5-HT1a, il a été montré, dans des modèles animaux, qu’elle produit des eets médiés par ce récepteur, dont une libération de DA (Nakayama & al., 2004). • Le blocage des récepteurs 5-HT2c augmente la libération de DA et de NA dans le cortex préfrontal.

est souvent présente à 15 mg et, généralement, n’augmente pas lorsqu’on majore la dose. L’eet histaminergique maximal à de plus faibles doses et la croissance de l’eet noradrénergique avec l’augmentation de la dose ont été avancés pour expliquer le plafonnement de la sédation.

Effets indésirables Les eets indésirables de la mirtazapine comprennent la somnolence, l’augmentation de l’appétit, une prise de poids souvent importante (surtout en début de traitement) et la xérostomie. Il est plutôt rare d’observer une augmentation transitoire des enzymes hépatiques et une neutropénie.

Inhibiteurs du recaptage de la noradrénaline et de la dopamine (IRND) Le seul IRND disponible au Canada est le bupropion qui est commercialisé sous deux noms : 1. Wellbutrin (sustained release) SRMD 100 – 150 mg et Wellbutrin (extended release) XLMD 150 – 300 mg proposé pour la dépression. 2. ZybanMD 150 – 300 mg proposé pour aider à cesser de fumer.

Mécanisme d’action Le mécanisme d’action du bupropion est un sujet de discussions et de controverses. En eet, il est un faible inhibiteur des transporteurs de la NA et de la DA, il entraîne une libération de NA dans les synapses et il est métabolisé en plusieurs métabolites actifs.

Métabolisme Le bupropion est un mélange racémique. Son absorption n’est pas aectée par la nourriture. Il est hautement lié aux protéines et est métabolisé en trois dérivés ayant une activité plus faible que la molécule mère (mais beaucoup plus présents dans l’organisme à l’état d’équilibre que la molécule mère). L’enzyme CYP-2B6 est impliquée dans son hydroxylation en hydroxybupropion qui atteint un pic plasmatique 10 fois plus élevé que le bupropion à l’état d’équilibre (steady state).

Métabolisme

Indications

La mirtazapine est bien absorbée, mais sa biodisponibilité est de 50 % seulement, à cause d’un premier passage hépatique important. Elle est liée aux protéines à 85 % et est principalement métabolisée par le CYP-2D6 et le CYP-3A (Timmer & al., 2000). Les produits de son métabolisme hépatique sont excrétés en majorité dans les urines.

Le bupropion est indiqué pour la dépression (Wellbutrin SRMD/ XLMD), la dépression saisonnière (Wellbutrin XLMD) et pour l’arrêt tabagique (ZybanMD). Son absence d’eet sérotoninergique direct explique probablement son inecacité pour le trouble panique et le TOC. En présence de l’anxiété psychique typique de la dépression, lorsque des symptômes anxieux somatiques sont absents, le bupropion peut s’avérer ecace. Son eet stimulant peut être un avantage dans les dépressions avec asthénie et ralentissement, et il peut améliorer la capacité hédonique.

Indications La mirtazapine est indiquée dans le traitement de la dépression majeure. En plus de son utilisation comme antidépresseur, elle est utilisée pour son eet bénéque sur l’induction et le maintien du sommeil et pour sa capacité de limiter certains eets indésirables des ISRS induits par la stimulation des récepteurs 5-HT2/3, telles la dysfonction sexuelle (5-HT2) et la nausée (5-HT3). À dose faible (15 mg/j), elle pourrait diminuer l’akathisie induite par certains antipsychotiques (Poyurovsky & al., 2011).

Posologie Le bupropion à libération prolongée XL peut être commencé à 150 mg AM. Si cette dose s’avère inecace, elle peut être augmentée à 300 mg AM (voir le tableau 69.6). La forme SR permet l’utilisation de 100 mg/j dans des cas qui requièrent une plus faible dose.

Posologie

Effets indésirables

La mirtazapine peut être commencée à 15 ou 30 mg/j sans grandement modier les eets indésirables. La dose maximale indiquée dans la monographie est de 45 mg/j (voir le tableau 69.6). La sédation, qui est parfois recherchée pour contrer l’insomnie,

L’agitation, l’anxiété et l’insomnie peuvent survenir lors d’un traitement avec le bupropion, en particulier au début. Il faut donc éviter de le prendre le soir. Son utilisation est contre-indiquée en présence d’un risque de convulsions, qui augmente avec la dose.

Chapitre 69

Antidépresseurs

1493

TABLEAU 69.6 Mécanismes d’action des autres antidépresseurs et posologies quotidiennes initiales et maximales

Antidépresseurs Bloqueur des récepteurs 5HT2a et faible inhibiteur du recaptage de 5-HT

Trazodone

Bloqueur des récepteurs 5-HT2a/2c, 5HT3 et NA α2

Dose initiale (DesyrelMD)

Dose maximale

50 mg HS

600 mg HS

Mirtazapine (RemeronMD)

15 mg HS

45 mg HS

Inhibiteur du recaptage de NA et DA (IRND)

Bupropion (Wellbutrin SRMD et Wellbutrin XLMD)

100 à 150 mg AM

300 mg/j

Inhibiteurs de la monoamine-oxydase (IMAO)

Phénelzine (NardilMD)

15 mg TID

90 mg/j

10 mg BID

30 mg/j

Moclobémide (ManerixMD)

150 mg BID

600 mg/j

Vortioxétine (TrintellixMD)

10 mg/j 5 mg/j si patient âgé

20 mg

Vilazodone (ViibrydMD)

10 mg

40 mg

Tranylcypromine

Antidépresseur multimodal

(ParnateMD)

SR = sustained release XL = extended release = libération prolongée Sources : Monographies des produits.

La formulation à libération prolongée (XL) diminue considérablement ce risque à des niveaux plasmatiques thérapeutiques habituels. L’augmentation graduelle de la posologie et une dose maximale de 300 mg DIE diminuent ce risque de convulsions. La boulimie, le sevrage d’alcool ou de benzodiazépines et l’utilisation concomitante de ZybanMD constituent des situations où la prescription de WellbutrinMD est contre-indiquée en raison d’un risque augmenté de convulsions. Cet antidépresseur ne cause habituellement pas de dysfonction sexuelle, d’augmentation de l’appétit, ni de gain de poids.

Interactions Le bupropion et ses métabolites (particulièrement thréohydrobupropion et érythrohydrobupropion) inhibent l’enzyme CYP-2D6 de façon modérée à puissante et, conséquemment, des interactions médicamenteuses peuvent découler de l’usage concomitant de substrats du 2D6. Le bupropion est métabolisé par le 2B6 et, dans une moindre mesure, par le 2C19. Les inhibiteurs du cytochrome 2B6, comme la paroxétine et la sertraline, vont augmenter ses concentrations plasmatiques.

Inhibiteurs de la monoamine-oxydase (IMAO) Les IMAO disponibles au Canada sont les suivants : • phénelzine (NardilMD) 15 mg • tranylcypromine (ParnateMD) 10 mg • moclobémide (ManerixMD) 150 – 300 mg

Mécanisme d’action

• La MAO de type B constitue 80 % de la MAO du système nerveux central (SNC). Elle dégrade surtout la DA et la phénylalanine, un acide aminé. • La MAO de type A (20 % de la MAO du SNC) dégrade principalement la 5-HT et la NA. Les IMAO traditionnels inhibent les deux sous-types de MAO (A et B) partout dans l’organisme, augmentant ainsi les niveaux corporels d’adrénaline, de NA, de 5-HT et de DA. Ce sont des IMAO non réversibles, c’est-à-dire que la synthèse de nouvelles enzymes est nécessaire pour remplacer les MAO dont

1494

l’eet est aboli par une liaison permanente à l’enzyme chargée de la dégradation de ces monoamines. Dans ce groupe, on retrouve, selon leur structure chimique : • une hydrazine : la phénelzine ; • une non-hydrazine : la tranylcypromine qui se rapproche structurellement et chimiquement des amphétamines. Le moclobémide est un IMAO réversible qui inhibe principalement la MAO-A. Les IMAO augmentent les taux des catécholamines dans les synapses en inhibant la MAO qui se trouve sur la membrane des mitochondries. Bien que des mitochondries se retrouvent également dans la synapse, la majeure partie de l’activité de la MAO a lieu à l’intérieur du neurone.

Métabolisme La phénelzine, la tranylcypromine et le moclobémide sont rapidement absorbés et ont de courtes demi-vies. • La phénelzine est métabolisée par méthylation et acétylation. Elle a la particularité d’être un substrat pour la MAO (en plus d’être un inhibiteur). Un de ses métabolites augmente les taux cérébraux de GABA ainsi que de tyrosine et d’alanine, mais diminue ceux de glutamine (acides aminés participant à la synthèse des protéines) (Matveychuk & al., 2014). • La tranylcypromine est métabolisée par acétylation en plusieurs métabolites, dont certains sont actifs. Elle serait également un inhibiteur compétitif du 2C19. Ce phénomène serait cliniquement signicatif chez les métaboliseurs lents du 2C19 ou lorsque la dose de tranylcypromine est élevée. La tranylcypromine est aussi un inhibiteur du CYP-2A6 (Taavitsainen & al, 2001 ; Salsali & al., 2004). • Le moclobémide est modérément lié aux protéines. La nourriture ralentit son absorption, mais ne la diminue pas. Malgré une courte demi-vie de deux heures, ses eets pharmacodynamiques persistent pendant 16 heures. Il est métabolisé par le cytochrome 2C19 et il inhibe le 2C19, le 2D6 et le 1A2. En eet, un médicament peut être à la fois un substrat et un inhibiteur du même cytochrome.

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Indications et posologie

Mécanisme d’action et efcacité

Les IMAO sont indiqués dans la dépression majeure. Le traitement avec ces molécules est commencé en doses divisées : • la phénelzine à 15 mg TID ; • la tranylcypromine à 10 mg BID ; • le moclobémide à 150 mg BID. Le médecin peut amorcer le traitement à des doses plus faibles et titrer graduellement à la hausse an de minimiser les eets indésirables. À dose élevée (900 mg et plus par jour), les risques d’interactions du moclobémide deviennent similaires à ceux des IMAO classiques, rendant nécessaire une diète faible en tyramine.

La vortioxétine inhibe le recaptage de la sérotonine en bloquant le transporteur de la sérotonine. Cette molécule a une activité agoniste du récepteur 5-HT1a, et agoniste partielle du récepteur 5-HT1b. La vortioxétine agit aussi comme antagoniste des récepteurs 5-HT1d, 5-HT3 et 5-HT7. Elle est aussi ecace que les autres antidépresseurs dans le soulagement des symptômes dépressifs (Llorca & al., 2014). Des modèles précliniques chez l’animal, et cliniques chez des patients, suggèrent que la vortioxétine est associée à une amélioration de la cognition (Sanchez & al., 2015). Bien que l’implication de chacune de ces actions reste à clarier, les récepteurs 5-HT1a, 5-HT1b, 5-HT3 et 5-HT7 peuvent réguler la cognition. De plus, l’administration de vortioxétine augmente la neurotransmission cholinergique et histaminergique et elle module la neurotransmission GABAergique et glutamatergique, ce qui peut avoir un impact positif sur la fonction cognitive (Gibb & Deeks, 2014 ; Sanchez & al., 2015). La vilazodone inhibe le recaptage de la sérotonine et est un agoniste partiel du récepteur 5-HT1a. Son efficacité semble similaire aux ISRS (Hellerstein & Flaxer, 2014). Elle s’est montrée efficace contre les symptômes anxieux et dépressifs chez les patients souffrant de dépression majeure ainsi que d’anxiété généralisée (Citrome & al., 2014). Des données supplémentaires seront nécessaires pour démontrer si cette molécule a une efficacité particulière dans la dépression à profil anxieux tel que le proposent certains auteurs (Hellerstein & Flaxer, 2014).

Effets indésirables Les eets indésirables les plus fréquents des IMAO classiques sont l’hypotension orthostatique, le gain de poids, les dysfonctions sexuelles, l’œdème, l’insomnie (tranylcypromine) et la sédation (phénelzine). L’eet indésirable le plus grave est la crise hypertensive, qui peut résulter d’une interaction avec certains aliments contenant de la tyramine et pour laquelle une diète stricte éliminant ces produits doit être suivie (voir le tableau 69.7). Le moclobémide, un inhibiteur réversible de l’enzyme MAO, comporte un risque moins élevé d’interactions graves avec les aliments contenant de la tyramine et est recommandé en 1 re intention. Cependant, le risque d’interactions médicamenteuses fatales pour le moclobémide est le même que pour les IMAO classiques non réversibles s’ils sont associés à d’autres antidépresseurs ou à des médicaments sympathomimétiques (p. ex., la phényléphrine, la pseudoéphédrine et autres décongestionnants) ou à des stimulants (p. ex., le méthylphénidate, la cocaïne), lesquels doivent absolument être évités. Plusieurs aections médicales constituent des contreindications à l’utilisation des IMAO, et ces antidépresseurs sont donc recommandés en 3 e intention.

Antidépresseurs multimodaux Les deux exemples de cette classe sont : • la vortioxétine (TrintellixMD) 5-10-20 mg ; • la vilazodone (ViibrydMD) 10-20-40 mg. TABLEAU 69.7 Précautions alimentaires et médicamenteuses

lors d’un traitement aux IMAO

Aliments à éviter : risque d’hypertension

Médicaments à éviter : risque d’hypertension

• Poissons ou poulets âgés, vieillis, fumés ou fermentés • Fromages vieillis • Fèves germées • Bière en fût ou non pasteurisée • Extrait ou concentré de viande (p. ex., Bovril) • Produits contenant du soja ou du tofu

• Décongestionnants • Stimulants • Antidépresseurs inhibant le recaptage de la NA • Tramadol

Source : Adapté de Stahl & Felker (2008).

Médicaments à éviter : risque de syndrome sérotoninergique • ISRS, IRSN, ATC • Carbamazépine, cyclobenzaprine • Opioïdes inhibant le recaptage de 5-HT (dextrométhorphane, mépéridine, tramadol, méthadone) • Antihistaminiques inhibant la 5-HT : chlorphéniramine, bromphéniramine

Métabolisme La vortioxétine est absorbée lentement, la concentration plasmatique maximale étant atteinte de 7 à 11 heures après l’ingestion. Sa biodisponibilité est bonne (75 %), cependant, et elle n’est pas aectée par les aliments. Elle est hautement liée aux protéines (98 à 99 %). Cette molécule est métabolisée principalement par le CYP-2D6 et, à un moindre degré, par le CYP-3A4 et le CYP-2C9. La demi-vie est de 66 heures et, conséquemment, la vortioxétine atteint des taux plasmatiques stables (steady state) après environ deux semaines. L’absorption de la vilazodone est augmentée par la présence d’aliments, sa concentration est réduite d’environ 50 %. Cette molécule est principalement métabolisée par le CYP-3A4 et, en présence d’inhibiteur de cette enzyme, il convient de limiter la dose de la vilazodone à 20 mg par jour. La concentration plasmatique maximale est atteinte après quatre à cinq heures et la demi-vie est de 25 heures. L’état d’équilibre se produit donc après trois jours (monographie du produit).

Indications La vortioxétine et la vilazodone sont indiquées pour la dépression majeure.

Posologie La dose initiale de vortioxétine recommandée est de 10 mg/j. Les eets indésirables étant plus fréquents chez les personnes âgées, la dose initiale devrait être réduite à 5 mg par jour. L’administration avec des inhibiteurs du cytochrome 2D6, tel le bupropion, peut augmenter les concentrations plasmatiques de la vortioxétine. Les doses devraient être coupées de moitié dans ces situations. Aucun ajustement de dose n’est recommandé dans le contexte d’insusance rénale ou hépatique, bien que ces situations nécessitent une

Chapitre 69

Antidépresseurs

1495

plus grande vigilance. La dose maximale recommandée est de 20 mg/j. La dose initiale quotidienne de la vilazodone est de 10 mg pendant sept jours. Par la suite, la dose est augmentée à 20 mg pendant sept jours supplémentaires, puis à 40 mg par jour. Aucun ajustement de la dose n’est nécessaire selon le sexe, la fonction rénale, ou la fonction hépatique. Bien qu’aucune modication de la dose ne soit nécessaire chez les personnes âgées, la prudence est de rigueur.

2015) Les inhibiteurs du CYP-2D6 augmentent la concentration plasmatique de la vortioxétine et, conséquemment, sa dose devrait être coupée de moitié. La vilazodone ne doit pas être combinée avec les IMAO. Par ailleurs, aucune interaction n’a été notée avec l’alcool ou l’inhibiteur de pompe à protons, le pantoprazole. Le kétoconazole qui inhibe le CYP-3A4 augmente les concentrations de vilazodone, alors que la carbamazépine qui induit le CYP-3A4 en réduit les concentrations plasmatiques.

Effets indésirables

69.2.2 Début du traitement

L’eet indésirable le plus fréquent de la vortioxétine est la nausée, qui se manifeste dans environ 25 % des cas (Schatzberg & al., 2014). Elle s’avère généralement transitoire. Des eets tels la perte d’appétit, des rêves anormaux, des étourdissements, la bouche sèche, la diarrhée, la constipation, les vomissements et la fatigue sont moins fréquents, avec une incidence variant de 1 à 10 %. Plus rarement (de 0,001 à 1 %), on rapporte la sécheresse oculaire, le gonement abdominal, la sudation nocturne, le bruxisme, les rougeurs du visage, l’augmentation de poids, l’augmentation des triglycérides, les spasmes musculaires, la toux, la déréalisation et l’hypotension orthostatique. La vortioxétine est associée à une incidence faible de gain de poids, d’anomalies métaboliques, de troubles du sommeil et probablement (du moins à dose ≤ 10 mg/j) de troubles de la fonction sexuelle. L’incidence de ces derniers pourrait augmenter à dose élevée (20 mg/j). La vortioxétine n’est pas associée à des changements signicatifs des tests sanguins, des signes vitaux, de l’EEG et du QTc. La cessation brusque de la vortioxétine est moins problématique qu’avec les antidépresseurs à demi-vie courte, mais elle peut être associée, surtout à dose élevée, à une émergence de symptômes tels les céphalées, les cauchemars, les uctuations d’humeur, les tensions musculaires, les colères subites, les étourdissements et l’écoulement nasal. Ce phénomène de retrait est généralement transitoire et la cessation graduelle est recommandée particulièrement à des doses plus élevées que 10 mg/j. Les eets indésirables les plus fréquents de la vilazodone sont la diarrhée, les nausées, les vomissements, les maux de tête et l’insomnie. Le gain de poids est d’environ 1 à 2 % contre 1 % avec le placebo. Les eets indésirables sexuels sont eux aussi peu fréquents : 2 à 4 % chez les hommes et 1 à 2% chez les femmes. La vilazodone à des doses de 20 à 80 mg/j n’a pas d’impact sur le QTc. Il convient de cesser la vilazodone graduellement an d’éviter des symptômes de sevrage.

Interactions La vortioxétine, comme les autres agents qui augmentent la sérotonine, ne devrait pas être combinée aux IMAO. L’utilisation de façon concomitante de plusieurs agents qui augmentent la sérotonine (p. ex., autres antidépresseurs, triptan) doit être faite avec précaution. Les agents sérotoninergiques inuencent la fonction plaquettaire ; ainsi, les patients qui reçoivent la warfarine devraient faire l’objet d’un suivi attentif lors de l’introduction ou de la cessation de la vortioxétine. Cependant deux études randomisées et contrôlées avec placebo n’ont pas montré de changements pharmacocinétiques et pharmacodynamiques avec la warfarine (1-10 mg) et l’aspirine (150 mg) à des doses de 10 mg/j de vortioxétine pendant 14 jours. Les doses plus élevées de vortioxétine n’ont pas été étudiées, mais elles pourraient interagir avec les anticoagulants puisque le blocage du transporteur sérotoninergique est plus marqué. (Chen & al.,

1496

En 2009, Lam et ses collaborateurs ont publié les lignes directrices canadiennes pour le traitement de la dépression. Ils recommandent, avant de débuter un antidépresseur, d’évaluer soigneusement le diagnostic et la symptomatologie en portant une attention particulière à l’émergence : • d’une agitation dysphorique intense associée à des idées suicidaires ; • de manifestations d’un risque suicidaire ; • de phénomènes cliniques suggérant un trouble bipolaire, tel un virage de l’humeur ; • de symptômes psychotiques ; • de symptômes atypiques ; • d’une comorbidité éventuelle. Lorsqu’indiqués cliniquement, des examens supplémentaires et des tests de laboratoire doivent être prescrits, incluant des tests de fonctions hépatiques, métaboliques et thyroïdiennes. La prescription d’un antidépresseur doit s’accompagner de psychoéducation, intégrant des explications sur les points suivants : • la dépression ; • les eets bénéques et indésirables de la médication ; • l’amélioration graduelle et décalée dans le temps des diérents symptômes, donc ne pas s’attendre à un résultat immédiat ; • la nécessité de poursuivre la médication pendant plusieurs mois ; • l’importance de respecter les doses et les horaires recommandés ; • les options thérapeutiques ; • l’importance de retrouver un fonctionnement normal suite au traitement. Les conséquences délétères d’un retard de traitement ou d’un non-traitement doivent également être bien expliquées au patient, de même que les bénéces indéniables du traitement sur les fonctions neuronales et sur l’organisme entier. La participation au processus de décision et l’autogestion, à l’aide notamment d’autoquestionnaires portant sur les symptômes dépressifs et leur intensité, peuvent contribuer à une meilleure alliance thérapeutique et à une meilleure adhésion à la prescription. Les premières semaines après le début d’un antidépresseur représentent la période la plus à risque pour le suicide et, si possible, les patients devraient être particulièrement surveillés durant le premier mois de traitement. Le suivi de la gravité et de l’amélioration des symptômes peut se faire à l’aide d’échelles de mesure validées. Les échelles de mesure validées sont présentées en détail au chapitre 19, à la section 19.7.

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La sélection d’un antidépresseur doit être individualisée en fonction des facteurs cliniques suivants : • le prol des symptômes ; • la comorbidité ; • le prol de tolérabilité de l’antidépresseur ; • la réponse antérieure du patient ou d’autres membres de sa famille à un antidépresseur ; • les interactions médicamenteuses potentielles ; • le coût du médicament ; • la préférence du patient, après qu’il a été bien informé des options valables. Le suivi thérapeutique qui s’inspire d’un algorithme est associé à de meilleurs résultats. Divers algorithmes ont été développés, dont certains pour la 1re ligne de soins (voir le tableau 69.8). Il est de mieux en mieux démontré que l’eet des antidépresseurs peut se manifester aussi rapidement qu’après une à deux semaines. L’amélioration précoce prédit la réponse à long terme et la rémission éventuelle à la suite du traitement. L’ajout d’une deuxième molécule à un antidépresseur an d’accélérer la réponse chez des patients présentant une dépression non réfractaire est une stratégie qui a été insusamment étudiée (Nakajima & al., 2010). Des données récentes (Blier & al., 2010) suggérant que la combinaison de deux antidépresseurs, dès le départ, produirait un plus haut taux de rémission que la monothérapie ont été démenties par une étude subséquente (Rush & al., 2011). Zisook et ses collaborateurs (2011) ont publié des analyses de leurs résultats qui révélaient que tous les traitements réduisaient l’idéation suicidaire, mais que cette réduction était plus importante avec la combinaison de bupropion XL et d’escitalopram. Il est possible que non seulement les types de combinaisons, mais aussi les doses des antidépresseurs utilisés puissent aecter les résultats du traitement par combinaison d’antidépresseurs.

Cette approche de combinaison pose d’autres dicultés, dont une augmentation d’eets indésirables. La gestion de ces deuxièmes agents demeure par la suite incertaine. Les eets au long cours de ces combinaisons de médicaments sont encore inconnus. La pertinence d’entreprendre le traitement de la dépression non résistante par une combinaison d’antidépresseurs n’est donc pas encore conrmée par les données, mais cette option devrait être considérée dans la dépression majeure sévère ou à risque suicidaire élevé.

69.2.3 Traitement d’entretien Le traitement d’entretien doit être maintenu pendant six à neuf mois après la n de la phase aiguë de la dépression, soit après l’obtention d’une rémission complète. Après trois épisodes dépressifs, il est fortement recommandé de maintenir la médication indéniment en raison des taux élevés de rechute chez les patients avec des dépressions récurrentes. Selon la majorité des études et les méta-analyses (Geddes & al., 2003), le traitement d’entretien réduit les risques de rechute (51 % contre 23 % sur un an). L’eet protecteur du traitement de maintien est prolongé jusqu’à cinq ans. Malheureusement, 70 % des patients cessent leur médication après trois mois. Une réduction de la dose durant la phase d’entretien augmente le risque de rechute (de 15 à 25 %). Après plusieurs épisodes, et en l’absence de traitement d’entretien, le risque de récurrence double. Il semble que les eets protecteurs des antidépresseurs contre la rechute, mais également neuroprotecteurs, soient amoindris chez cette population ayant vécu plusieurs récidives (Kaymaz & al., 2008). L’ajout d’une psychothérapie à un antidépresseur durant la phase aiguë, mais aussi en phase de maintien, chez les répondeurs partiels à la médication, est une des approches recommandées dans les lignes directrices canadiennes.

TABLEAU 69.8 Algorithme de traitement de la phase aiguë de la dépression

Étape d’évaluation

Diminution de la mesure symptomatique du point de départ

Début du traitement

Options Amorcer une médication antidépressive à dose thérapeutique*. Considérer une combinaison d’antidépresseurs lorsque la dépression est grave ou à risque suicidaire élevé.

Semaines 1 et 2

≤ 20 %

Évaluer les effets indésirables et la réponse initiale à la médication. Optimiser la dose d’antidépresseur ou changer d’antidépresseur.

Semaine 4

Semaines 6 à 8

≥ 50 %

Maintenir l’antidépresseur.

≤ 50 %

Optimiser la dose.

≤ 20 %

Changer d’antidépresseur ou le combiner à un deuxième agent.

Rémission

Maintenir l’antidépresseur.

≥ 50 %

Optimiser la dose.

≤ 50 %

Le combiner à un deuxième agent. S’il y a déjà deux agents en place : optimiser leur dose ou substituer un des agents.

À tout moment, les effets indésirables peuvent justier une modication de la médication. * Pour les patients souffrant également d’un trouble anxieux comme le trouble panique, la dose initiale sera généralement plus faible que la dose minimale thérapeutique pour éviter l’exacerbation des symptômes anxieux. Le délai de une à deux semaines sera alors pris en compte à par tir de l’atteinte de la dose thérapeutique.

Chapitre 69

Antidépresseurs

1497

69.2.4 Traitement des cas réfractaires Malgré le traitement par un antidépresseur, les deux tiers des patients déprimés n’atteignent pas une rémission complète et ne retrouvent pas un fonctionnement normal, étant, de ce fait, à risque de rechute.

Réponse, rémission et rétablissement

• La réponse est dénie comme une réduction de 50 % de la •



symptomatologie dépressive, peu importe l’échelle utilisée pour la mesurer. La rémission est dénie par une mesure spécique de certaines échelles utilisées pour évaluer la dépression. Par exemple, un score de sept sur l’échelle de dépression de Hamilton est considéré comme l’équivalent d’une rémission, bien qu’il n’indique pas forcément un retour au fonctionnement prémorbide. Seul un tiers des patients obtiennent une rémission après un premier traitement (Rush, 2015). Cependant, la rémission survient chez les deux tiers après une série d’interventions thérapeutiques séquentielles débutant par l’optimisation de la dose, puis l’association à d’autres molécules. Généralement, la rémission protège contre la rechute, mais cette protection disparaît si quatre traitements antidépresseurs ou plus ont été nécessaires pour l’obtenir. Le rétablissement est devenu la cible thérapeutique à atteindre dans le traitement des pathologies psychiatriques ; il correspond au retour à une qualité de vie et à un fonctionnement optimaux. Cela signie pour la personne de vivre une vie qui en vaut la peine, riche de sens, habitée par l’espoir, s’investissant dans des rôles sociaux valorisants, même si la maladie peut persister.

Symptômes résiduels et leur traitement La présence de symptômes résiduels est un facteur de risque majeur de récurrence. Les symptômes résiduels les plus fréquents sont les troubles de sommeil, la fatigue, les troubles cognitifs, l’anhédonie et l’anxiété. Les patients avec symptômes résiduels rechutent de trois à six fois plus que les patients ayant obtenu une rémission complète (Tranter & al., 2002). Dans les dernières années, une nouvelle variable est considérée : l’impact de la dépression sur diverses dimensions du fonctionnement de l’individu. Le rétablissement, avec retour au fonctionnement antérieur, est maintenant considéré comme l’objectif à atteindre pour assurer une qualité de vie optimale aux patients et éviter les rechutes. Peu d’eorts ont été consacrés à l’exploration de la gestion des symptômes résiduels, laissant au médecin la décision de proposer des interventions éventuellement utiles à la suite d’une analyse pragmatique de la situation particulière de son patient. Les benzodiazépines, tel le clonazépam, peuvent être utilisées pour traiter l’anxiété, mais leurs eets indésirables cognitifs (ralentissement du temps de réaction et problèmes de mémoire) et le risque de dépendance (quand même rare) en limitent l’utilisation. Les autres agents anxiolytiques incluent les anticonvulsivants (p. ex. gabapentine, prégabaline), la buspirone et les antipsychotiques atypiques. Les troubles de sommeil peuvent être ciblés par des hypnotiques (p. ex., zolpidem ou zopiclone) ou par des antidépresseurs sédatifs (p. ex., trazodone ou mirtazapine), qui augmentent la durée totale du sommeil et les périodes de temps passées en stades 3 et 4. La somnolence, la fatigue et

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l’apathie peuvent représenter des symptômes résiduels de la dépression ou un eet indésirable des antidépresseurs. Il existe plusieurs choix de médicaments pour traiter ces symptômes : psychostimulants (méthylphénidate [RitalinMD], dextroamphétamine, modanil [AlertecMD]) (Kim & al., 2014), inhibiteurs du recaptage de la noradrénaline (atomoxétine [StratteraMD], bupropion [WellbutrinMD]) et agonistes dopaminergiques (pramipexole [MirapexMD]). Une dysfonction exécutive complique souvent la dépression. Plusieurs patients présentent des dicultés cognitives de type manque d’attention, surtout pour des tâches nécessitant une attention soutenue. Des dysfonctions liées à l’utilisation des antidépresseurs, telles des dicultés de rappel immédiat, peuvent s’ajouter. Les mêmes médicaments qui sont utilisés pour traiter l’apathie peuvent être utiles dans ces cas. Notons que la vortioxétine est associée à une amélioration des mesures cognitives objectives et subjectives chez les patients dépressifs (eet indépendant de l’amélioration de la dépression) qui est diérente de celle produite par certains antidépresseurs auxquels elle a été comparée et dont l’implication clinique de cette observation est encore à démontrer.

Stratégies pharmacologiques dans la dépression majeure résistante au traitement La dépression est considérée comme résistante lorsque deux antidépresseurs de classe pharmacologique diérente, aux doses thérapeutiques, n’ont pas produit une amélioration clinique signicative. Diverses stratégies d’optimisation peuvent être utilisées : • augmenter la dose d’antidépresseur ou changer d’antidépresseur (si la dose est optimale ou que l’augmentation de la dose est intolérable) après deux semaines, si l’amélioration est de moins de 20 % ; • changer pour un autre antidépresseur, généralement d’une autre classe (voir le tableau 69.1), devant une absence de réponse minimale après quatre à six semaines ; • changer d’antidépresseur lorsque le premier est mal toléré, plutôt que de le combiner ou de le potentialiser. Dans le cas d’une réponse partielle, plusieurs options sont possibles : • La potentialisation par un médicament non antidépresseur (p. ex., lithium, triiodotyronine [T3]) demeure une stratégie bien validée. L’ecacité du lithium à 600 mg ou plus DIE (concentration sérique de 0,5 à 1 mEq/L) en association avec les ATC, mais aussi avec les ISRS, est appuyée par des évidences de niveau 1 (au moins deux études randomisées et contrôlées par placebo). La potentialisation par la T3 s’est montrée ecace dans plusieurs petites études, mais les résultats sont moins bien établis avec les ISRS qu’avec les ATC. Cet ajout de T3 est amorcé à 25 µg DIE et augmenté à 50 µg/ jour après une semaine. • La combinaison avec un autre antidépresseur a l’avantage d’être plus efficace que la substitution ; on évite aussi le risque d’une détérioration associée à l’arrêt de la première médication. La combinaison de deux antidépresseurs a été examinée dans plusieurs petites études (Blier & al., 2010). Une meilleure réponse antidépressive a été démontrée avec l’ajout de mirtazapine, de bupropion ou de désipramine aux ISRS ou aux ISRN.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

• Des antipsychotiques atypiques (p. ex., l’aripiprazole

[Abilify MD ], l’olanzapine [Zyprexa MD ], la quétiapine [SeroquelMD], la rispéridone [Risperdal MD]) en combinaison avec l’antidépresseur (après deux semaines à la dose thérapeutique) ont montré une ecacité dans la dépression résistante selon une méta-analyse de 16 études, regroupant plus de 4 000 patients (Nelson & Papakostas, 2009). Dans une étude randomisée de six semaines, à double insu, l’aripiprazole en ajout à l’antidépresseur a produit une réponse et une rémission signicativement meilleures que le changement pour un autre antidépresseur chez des patients avec une dépression résistante (Han & al., 2015). Selon une méta-analyse comportant 48 études, parmi 11 options d’augmentation des antidépresseurs, les évidences d’ecacité de l’aripiprazole et de la quétiapine seraient plus robustes que les autres alternatives, dont le lithium et l’hormone thyroïdienne T3 (Zhou & al., 2015). Les doses prescrites d’antipsychotiques sont généralement plus faibles que celles utilisées dans le traitement du trouble bipolaire ou de la schizophrénie. Les eets indésirables à court et long terme, dont le risque d’induire un syndrome métabolique, doivent être évalués avant et durant leur utilisation. • La buspirone (Buspar), un agoniste partiel des récepteurs 5-HT1a présynaptiques et postsynaptiques (Stahl, 2013), et le pindolol (Visken), un antagoniste des récepteurs 5-HT1a présynaptiques, ont été étudiés dans le but de rehausser la réponse aux antidépresseurs. Ces agents n’ont pu se démarquer du placebo dans des études à double insu, malgré des résultats préliminaires suggérant soit une accélération de la réponse ou sa majoration. Cependant, l’étude STAR-D montre une amélioration avec l’ajout de la buspirone au citalopram (Trivedi & al., 2006). • Les psychostimulants (méthylphénidate ou amphétamine) n’ont pas montré d’ecacité en traitement d’appoint dans des études randomisées et contrôlées par placebo, mais ils peuvent améliorer l’énergie et les fonctions cognitives. Il est à noter que l’amélioration des décits cognitifs associés aux dépressions majeures ressenties subjectivement n’a pas pu être conrmée par des mesures objectives (Madhoo & al., 2014). Le modanil (Alertec), un agent stimulant l’éveil en modulant notamment l’histamine, serait modestement ecace en traitement d’appoint dans la dépression unipolaire (Fava & al., 2005). En 2008, cinq traitements étaient approuvés aux États-Unis pour la dépression résistante (Mathew, 2008) : 1. L’électroconvulsivothérapie (ECT), qui demeure l’étalon-or dans la dépression résistante avec un grand eet de taille d’ordre statistique. Son début d’action est rapide, mais les taux de rechute sont élevés à l’arrêt du traitement. Les eets indésirables cognitifs de l’ECT peuvent être atténués par l’application unilatérale des électrodes ; 2. La stimulation du nerf vague ; 3. La stimulation magnétique transcrânienne ; 4. L’aripiprazole (AbilifyMD) en ajout à un antidépresseur ; 5. Le L-méthylfolate (MetafolinMD) en ajout à un antidépresseur. L’application unilatérale des électrodes est présentée en détail au chapitre 72, à la sous-section 72.5.3.

Au Canada, l’aripiprazole est approuvé comme traitement adjuvant et la quétiapine XR est approuvée en monothérapie dans le traitement de la dépression unipolaire lorsque les antidépresseurs sont inecaces ou non tolérés. Les données probantes en ce qui a trait à l’ecacité de la psychothérapie seule dans la dépression résistante sont limitées, mais une combinaison de pharmacothérapie et de psychothérapie est souvent pertinente et ecace. D’ailleurs, l’étude CoBalT, une étude ouverte mais randomisée qui compare la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) ajoutée aux traitements usuels dans la dépression résistante a montré l’ecacité et l’eet durable de l’ajout de la TCC (Wiles & al., 2016).

69.2.5 Conditions particulières Certaines populations de patients comme les enfants et les femmes enceintes sont plus complexes à étudier et les données probantes disponibles les concernant sont souvent moins solides, mais l’utilisation des antidépresseurs doit néanmoins être soigneusement soupesée.

Considérations chez les enfants et les adolescents Une recherche Cochrane (Hazel & Mirzale, 2013) évaluant l’efcacité des tricycliques (ATC) dans la population pédiatrique n’a pas montré d’ecacité et, conséquemment, cette classe de médicament n’est pas recommandée. Des méta-analyses ont par contre rapporté l’ecacité de certains ISRS, en particulier la uoxétine et le citalopram (Usala & al., 2008). Les données probantes pour l’utilisation des antidépresseurs chez les enfants et les adolescents sont moins nombreuses et moins solides que chez les adultes. Plusieurs méta-analyses rapportent un risque augmenté de une fois et demie à deux fois de pensées suicidaires ou de gestes parasuicidaires avec des antidépresseurs comparativement au placebo, cependant sans augmentation de suicide complété. Ces études rapportent des risques absolus faibles avec un nombre nécessaire pour nuire (NNN) – (number needed to harm [NNH]) – de 143, par opposition à un nombre nécessaire pour traiter (NNT) de 10. Depuis 2004, plusieurs pays, dont le Canada et les États-Unis, ont donc ajouté une mise en garde concernant un risque potentiel de suicidalité avec les antidépresseurs dans la population pédiatrique. Plusieurs études ont par la suite rapporté une diminution importante des prescriptions d’antidépresseurs à la suite de ces mises en garde, sans que cette diminution soit compensée par une augmentation du nombre de visites ambulatoires. De plus, dans les deux années suivant la diminution de prescriptions d’antidépresseurs aux enfants et aux adolescents au Canada et aux États-Unis, une augmentation très inquiétante des taux de suicide dans ce groupe d’âge a été observée (Lu & al., 2014). Selon le consensus actuel, les antidépresseurs ne doivent pas être éliminés comme traitement de la dépression chez les jeunes, mais leur prescription doit être judicieuse, parcimonieuse et accompagnée d’un suivi serré.

Considérations chez la femme La possibilité d’une réponse différentielle des hommes et des femmes aux antidépresseurs a été négligée durant plusieurs décennies, mais est de plus en plus reconnue. Plusieurs

Chapitre 69

Antidépresseurs

1499

facteurs peuvent contribuer à une telle diérence. La prévalence d’hypothyroïdie clinique ou subclinique chez les femmes augmente avec l’âge. Elle est supérieure de 10 à 20 % après la ménopause. De plus, une diminution des taux d’œstrogènes a été associée à un ralentissement du fonctionnement thyroïdien. Des taux élevés d’hormone thyréotrope (TSH) ont été corrélés avec une faible réponse au traitement antidépresseur, cette corrélation étant plus importante avant la ménopause. Cela souligne l’importance de dépister et de traiter l’hypothyroïdie lors de l’évaluation de la dépression. Le trouble dysphorique prémenstruel est une forme grave du syndrome prémenstruel. Certaines données suggèrent une ecacité dans le traitement de ce trouble pour la uoxétine, la sertraline, la paroxétine et la venlafaxine ainsi que des évidences préliminaires pour le citalopram. L’ecacité de l’administration intermittente a été montrée pour la uoxétine et la sertraline. Ces médicaments doivent être amorcés deux semaines avant le début des menstruations et cessés un jour ou deux après leur n. La dépression durant la grossesse est fréquente et associée à des complications pour la mère et l’enfant. Jusqu’à 12 % des femmes manifestent susamment de critères pour un diagnostic de dépression majeure durant la grossesse (Udechuku & al., 2010) et jusqu’à 18 % ont des symptômes dépressifs : 3 % en Europe et 4 à 10 % en Amérique du Nord reçoivent un antidépresseur durant leur grossesse (Furu & al., 2015). Les femmes qui cessent leur antidépresseur ont cinq fois plus de risques de rechuter que celles qui ont continué leur traitement durant la grossesse. Plusieurs femmes cessent malgré tout leur antidépresseur, en raison de craintes de risques potentiels pour le fœtus associés à la poursuite du traitement. Les ISRS traversent le placenta. La prise d’ISRS durant le premier trimestre de la grossesse a été liée à une augmentation d’avortements spontanés ; toutefois, des facteurs de risque pour de tels événements n’ont pas été recensés. Pour les ISRS, l’agent pour lequel on dispose du plus grand nombre de données est la fluoxétine. À l’heure actuelle, toutefois, l’ISRS considéré le plus sécuritaire durant la grossesse est la sertraline. Parmi les ATC, la nortriptyline est un choix approprié, puisqu’on peut en faire des dosages plasmatiques. Des études prospectives avec les ATC à des doses thérapeutiques n’ont montré aucun risque d’augmentation de mortalité intra-utérine, de malformations congénitales majeures ou mineures, ni de retard développemental. Mais des défauts du septum cardiaque ont été associés à une exposition aux quatre ISRS les plus fréquemment étudiés (fluoxétine, citalopram, sertraline et paroxétine). En 2005, la Food and Drug Administration (FDA) a publié un avertissement concernant le risque de malformations septales, à la suite de quoi ces antidépresseurs ont été classés comme appartenant à la classe D, c’est-à-dire avec des évidences positives de risque fœtal chez l’humain. Toutefois, plusieurs études subséquentes n’ont pas montré d’augmentation de ces malformations ou ont seulement montré une augmentation du risque dans des situations spécifiques, notamment lors de l’utilisation durant le premier trimestre ou lors de coadministration avec une benzodiazépine. Une nouvelle étude réalisée dans 10 centres américains et analysant les nouvelles données de la National Birth Defects Prevention Study (Reefuis & al., 2015) est plutôt rassurante pour certains ISRS, mais suggère que des

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malformations congénitales se produisent de 2,5 à 5 fois plus fréquemment chez les enfants des mères traitées avec la paroxétine et la fluoxétine en début de grossesse. Un risque augmenté de moins de 1 % de cas d’autisme sans déficience intellectuelle chez des enfants exposés à des ISRS durant le premier trimestre de gestation est suggéré par certaines études rétrospectives et contredit par d’autres, dont l’étude la plus importante (Hviid & Melbye, 2013). Un lien de causalité n’a donc pas pu être établi et, si lien il y a, la maladie dont souffre la mère pourrait aussi être en cause. L’exposition aux ISRS lors du troisième trimestre est associée à un syndrome comportemental du nouveau-né chez 30 % des bébés. Ce syndrome se caractérise par des tremblements, de l’agitation, de l’hyperréflexie, des troubles digestifs et respiratoires, de l’irritabilité, des pleurs fréquents, de l’hypothermie et parfois des convulsions. La paroxétine a été impliquée dans les deux tiers des cas rapportés. L’exposition aux tricycliques in utero a été associée de façon légère à modérée et transitoire à de l’agitation, de l’irritabilité et, rarement, à des convulsions chez le nouveau-né. Les données sont plus limitées pour le bupropion, la venlafaxine, la duloxétine et la mirtazapine, mais elles ne révèlent aucune augmentation de malformations majeures. Certaines études ont montré une réduction du poids et de l’âge gestationnel à la naissance. Lors de la considération des risques posés par l’utilisation des antidépresseurs au cours de la grossesse, il est important de noter que peu d’études comparent ces risques à ceux posés par l’exposition du fœtus à la dépression chez la mère durant la période de gestation. Peu de données sont disponibles sur l’eet au long cours chez les enfants exposés aux antidépresseurs in utero.

Allaitement Les ATC et les ISRS se retrouvent dans le lait maternel. Mais aucun eet indésirable n’a été décrit avec l’exposition à la clomipramine, la désipramine, l’imipramine et la nortriptyline ; cependant, la doxépine, qui a une longue demi-vie, a été associée à la sédation et à l’ictère, et serait à éviter. Aucun eet indésirable sérieux n’a été noté chez les enfants allaités par des mères sous ISRS. La sertraline, l’antidépresseur le plus prescrit chez les femmes qui allaitent, est peu présente dans le lait maternel et sa plus forte concentration est détectée dans le lait extrait, huit à neuf heures postingestion. La paroxétine se retrouve à une concentration signicative dans le lait maternel. Mais ni la sertraline et ni la paroxétine ne se retrouvent dans le plasma de l’enfant allaité. La uoxétine et le citalopram se retrouvent chez le bébé sans qu’un impact signicatif ait été décelé. La uoxétine est la molécule qui se retrouve le plus fréquemment chez l’enfant à des dosages plasmatiques plus élevés que chez la mère de telle sorte qu’elle doit être évitée dans ce contexte (Kendall-Tackett & Hale, 2010). Des coliques et une pauvre alimentation ont été observées avec la uoxétine et le citalopram. L’escitalopram a été retrouvé à des dosages plasmatiques moindres chez le nouveau-né, rendant son utilisation préférable à celle du citalopram. Les antidépresseurs qui sont peu liés aux protéines traversent le placenta facilement et sont présents à de plus fortes concentrations dans le lait maternel, si bien qu’ils devraient être évités. Une attention particulière s’impose chez les mères de descendance asiatique ou africaine, en raison du

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

risque génétique d’un fonctionnement moindre du CYP-2D6, et chez les bébés de ce groupe, en raison du délai de maturation métabolique et d’une barrière hématoencéphalique moins étanche (Bradford, 2002 ; Tayman & al., 2011). Les risques et les bénéfices de l’utilisation des antidépresseurs durant la grossesse doivent être soupesés. La monothérapie est préférable à l’utilisation de plusieurs médicaments. Si possible, des alternatives aux antidépresseurs, telles la psychothérapie ou la luminothérapie, doivent être envisagées si la dépression est légère. L’utilisation de la luminothérapie semble particulièrement intéressante à la lumière d’une étude récente suggérant son efficacité dans la dépression non saisonnière (Lam & al., 2016). Les antidépresseurs doivent être considérés pour les dépressions modérées à graves, et/ou chroniques ou récurrentes. Le traitement avec les ISRS doit être maintenu à la dose minimale ecace au cours de la grossesse. La période péripartum est une période à risque élevé pour la dépression, et les antidépresseurs peuvent être nécessaires durant cette période, surtout si une femme a des antécédents de dépression postpartum ou a fait une dépression durant la grossesse. La possibilité d’un trouble bipolaire devrait être considérée chez toute femme présentant une dépression péripartum, puisque les changements hormonaux et la perte de sommeil peuvent induire un épisode de manie chez les femmes prédisposées.

Ménopause La préménopause représente une période de risque accru pour la dépression. Plusieurs facteurs peuvent être en cause, dont la conciliation travail-famille ou le fait que les femmes jouent souvent le rôle d’aidantes naturelles auprès de parents vieillissants, ce qui représente une lourde charge émotive et nancière. Il survient des changements hormonaux, dont les bouées de chaleur nocturnes qui peuvent perturber le sommeil. Les antidépresseurs sont ecaces dans le traitement de la dépression périménopausique. Une méta-analyse (Nelson & al., 2006) conclut à l’ecacité des ISRS et des IRSN pour réduire les symptômes vasomoteurs de la ménopause ; cependant, leur ecacité est plus faible que celle de l’hormonothérapie. La venlafaxine et la paroxétine possèdent la plus grande base de données dans ce contexte. L’utilisation des antidépresseurs en présence de cancer du sein traité avec le tamoxifène doit prendre en considération l’interaction pouvant découler de leur eet sur le CYP-2D6 (Desmarais & Looper, 2009). L’inhibition du 2D6 empêche le métabolisme du tamoxifène (inactif ) en son métabolite actif, réduisant ainsi l’ecacité de cet antinéoplasique. Les antidépresseurs inhibant les cytochromes 2D6 (paroxétine, uoxétine, duloxétine et bupropion ainsi que sertraline à dose élevée) sont donc à éviter.

69.2.6 Facteurs inuençant la réponse thérapeutique L’observance partielle à la médication ou son abandon contribuent de façon indiscutable à l’échec du traitement antidépresseur. Des termes tels que l’adhésion, la concordance ou la délité au traitement ont été utilisés pour décrire cette

dimension du traitement. Des études rapportent des taux de non-observance de 47 % sur une période de deux ans. Un tiers des patients ne remplissent pas leur première prescription. De ceux qui le font, seulement la moitié remplissent la deuxième et seul un quart d’entre eux maintiennent la médication pendant trois mois ou plus. Seulement la moitié des patients avec une prescription d’ISRS les prenaient encore après deux mois, un tiers des patients après trois mois et un cinquième après six mois (Ereshefsky & al., 2010). L’intensité des eets indésirables en début de traitement explique souvent son abandon. Des aménagements tels la prise de la médication avec un repas, un changement du moment de la prise et des formulations à libération prolongée peuvent diminuer les eets indésirables et améliorer la délité au traitement. Un nombre important de ces symptômes étant transitoires, ces accommodements peuvent être modiées après leur résolution, le cas échéant. La psychoéducation abordant les eets positifs et indésirables est donc une modalité thérapeutique indispensable, puisqu’elle intervient non seulement sur les facteurs psychosociaux, mais aussi sur ceux contribuant à une moindre adhésion au traitement. Un meilleur fonctionnement cognitif et occupationnel de même que le soutien de la famille sont associés à une meilleure réponse aux antidépresseurs. Dans le cas d’une réponse inadéquate à la médication, il convient de revoir le diagnostic et la présence de comorbidités médicales ou psychiatriques. La personnalité peut inuencer négativement la réponse au traitement. Certains symptômes retrouvés chez les personnalités du groupe B (dramatiques et émotives) répondent mieux aux ISRS. L’anxiété, parfois indicatrice d’une plus grande sévérité de dépression, est associée à une faible réponse au traitement. La gravité des symptômes a été décrite comme un facteur de non-réponse. Selon certaines études, la dépression majeure avec caractéristiques mélancoliques répond mieux à un IRSN (Gutierrez & al., 2003) ou à l’escitalopram (Azorin & al., 2004). La dépression atypique répond de façon préférentielle aux IMAO et possiblement aux ISRS et au bupropion. Toutefois, une controverse existe, puisqu’une méta-analyse (Fournier & al., 2010), critiquée pour sa méthodologie, suggère qu’à court terme, l’ecacité des antidépresseurs n’est pas diérente de celle du placebo chez des patients avec dépression légère. Les antidépresseurs en monothérapie sont moins ecaces dans la dépression psychotique. Dans ce cas, l’association d’un antidépresseur à un antipsychotique est nécessaire. L’ECT est un traitement ecace de la dépression avec éléments psychotiques. De nombreux épisodes antérieurs et une plus longue durée des épisodes représentent des facteurs de mauvais pronostic.

69.3 Effets indésirables Les eets indésirables des antidépresseurs sont décrits dans la sous-section 69.2.1 et résumés dans le tableau 69.9. Certains eets indésirables sont passagers. Un début de traitement à faible dose, une augmentation graduelle ou une réduction de la dose sont des stratégies qui peuvent être utiles chez des patients plus sensibles aux eets indésirables. La prise de l’antidépresseur avec de la nourriture est une stratégie fréquemment utilisée pour réduire les nausées. Parfois, un anxiolytique

Chapitre 69

Antidépresseurs

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Fatigue

Gain de poids

Insomnie

Nausées

Palpitations

Sédation

Sudation

Tremblement

Vision brouillée

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Escitalopram

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Paroxétine

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Sertraline

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Diarrhée

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Constipation

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Céphalée

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Bouche sèche

Citalopram

Anxiété/agitation

Étourdissement

Effets indésirables des antidépresseurs de 2e génération Dysfonctions sexuelles

TABLEAU 69.9

Inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS)

Fluoxétine Fluvoxamine

Inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline (ISRS) Desvenlafaxine

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Duloxétine

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Lévomilnacipran

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Venlafaxine

Bloqueur des récepteurs 5-HT2a et faible inhibiteur du recaptage de 5-HT Trazodone

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Inhibiteur de 5-HT2a/2c, 5-HT3 et NAα2 Mirtazapine

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Inhibiteur du recaptage de la NA et de la DA Bupropion

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Inhibiteur de la monoamine-oxydase (IMAO) Moclobémide

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Antidépresseurs multimodaux Vilazodone

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Vortioxétine

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Relation entre l’incidence et le nombre de plus : + = 1 à 10 %, ++ = 11 à 20 %, +++ = plus que 20 % Sources : Monographies des produits.

pris avec parcimonie au besoin (en PRN) peut contrer une nervosité, une agitation ou une insomnie transitoire. Un eet indésirable particulièrement problématique est le gain de poids. Les patients sourant de troubles psychiatriques sont de deux à trois fois plus sujets à sourir d’obésité. Serretti & Mandelli (2010) concluent qu’à moyen et long terme, la paroxétine, la mirtazapine et l’amitriptyline provoquent un gain de poids statistiquement signicatif, alors que le bupropion est associé à une perte de poids. La dysfonction sexuelle associée aux ISRS

1502

peut parfois être atténuée par l’ajout de bupropion, de buspirone, de mirtazapine ou de granisétron (Kytril) (antagoniste 5-HT3) (Labbate & al., 2003) ou d’inhibiteurs des phosphodiestérases (ViagraMD et analogues). La vortioxétine et la vilazodone sont associées à une incidence faible de gain de poids, d’anomalies métaboliques, de troubles du sommeil et probablement (du moins à dose ≤ 10 mg/j) de troubles de la fonction sexuelle. La gestion des eets indésirables est essentielle, puisque ceux-ci sont des contributeurs importants à la non-adhésion.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

69.4 Interactions médicamenteuses La majorité des interactions pharmacocinétiques des antidépresseurs découle de l’activité des cytochromes P-450 (CYP-450), puisque ce système est responsable du métabolisme de la plupart de ces médicaments. Le CYP-2D6, notamment, constitue seulement une petite fraction des cytochromes hépatiques, mais il métabolise 25 % de tous les médicaments (surtout les psychotropes) (Zhou, 2009). Il est impliqué dans de nombreuses interactions cliniquement signicatives. Les patients métaboliseurs lents et intermédiaires du CYP-2D6 sont plus à risque d’eets indésirables avec les antidépresseurs métabolisés par cette enzyme (notamment des risques de cardiotoxicité avec la venlafaxine et avec les antidépresseurs tricycliques), tandis que les métaboliseurs ultrarapides sont la plupart du temps à risque d’inecacité avec plusieurs antidépresseurs (substrats du 2D6) parce que le médicament est rapidement inactivé. D’autres enzymes comme les uridine diphosphate-glucuronosyltransférases (UGT) servant à la conjugaison (phase II du métabolisme) sont impliquées dans les interactions avec les antidépresseurs. Des facteurs supplémentaires y contribuent également. Citons, entre autres, la glycoprotéine P (P-gp), qui est le transporteur membranaire servant à détoxier l’organisme en empêchant l’absorption des médicaments (qui en sont les substrats) à partir de l’intestin, en limitant leur pénétration dans le cerveau et en éliminant les médicaments des cellules ou de l’organisme, pouvant donc inuencer l’ecacité de la médication. Des polymorphismes génétiques (p. ex., métaboliseurs lents) ont aussi été décrits avec les CYP-2C9, 2C19, 2B6, P-gp et UGT. En outre, les métaboliseurs lents du 2C19 devraient recevoir seulement 60 % de la dose de citalopram et une réduction de 25 % de la dose de sertraline a été suggérée chez ces patients. La dose de citalopram devrait être plus élevée chez les métaboliseurs ultrarapides du CYP-2C19. Le tableau 69.10, sans être exhaustif, décrit les principales interactions médicamenteuses observées avec les antidépresseurs. • Les tricycliques produisent de nombreuses interactions avec d’autres médicaments. En général, les inhibiteurs du CYP-2D6 augmentent les taux des tricycliques ; la carbamazépine et le tabagisme diminuent ces derniers. • Les inhibiteurs de monoamine oxydase (IMAO) produisent aussi de nombreuses interactions avec d’autres molécules. L’interaction médicamenteuse pharmacodynamique la plus dangereuse découle de l’association des (IMAO) et des tricycliques provoquant une crise hypertensive. Ce risque est aussi présent lors de la combinaison des IMAO avec d’autres antidépresseurs. Ainsi, un intervalle d’une semaine s’impose entre l’arrêt d’un antidépresseur (deux semaines pour la fluoxétine) et le début de l’IMAO et deux semaines entre l’arrêt de l’IMAO et le début d’une autre classe d’antidépresseur. • Certains médicaments sont des promédicaments qui doivent être transformés en métabolites actifs pour devenir ecaces. Ainsi, la codéine, l’oxycodone, l’hydrocodone, le tamoxifène et le tramadol doivent être métabolisés par le 2D6 en produits actifs. Il faut donc éviter de les associer à la paroxétine, la uoxétine, le bupropion et la duloxétine ainsi que la sertraline à dose élevée, car ces derniers sont des inhibiteurs du 2D6 et cette interaction entrave leur ecacité.

• La combinaison d’agents ayant une activité qui augmente la 5-HT, telle l’utilisation de deux antidépresseurs ou d’un antidépresseur et de millepertuis, peut induire des symptômes sérotoninergiques et, dans certains de ces cas, un syndrome sérotoninergique. La plupart des syndromes sérotoninergiques ont été décrits avec la combinaison d’un IMAO ou d’un ISRS avec un agent sérotoninergique. Des troubles cognitifs, des altérations du système nerveux autonome et des problèmes neuromusculaires contribuent au tableau de ce syndrome. Son incidence est dicile à estimer puisqu’il s’agit généralement de cas rapportés. En général, ce syndrome se résorbe, mais dans certains cas, il peut s’avérer létal. Son traitement n’a pas été bien établi, mais il faut cesser les agents en cause. La cyproheptadine ou la mirtazapine ont été proposées pour traiter le syndrome sérotoninergique, mais n’ont pas fait l’objet d’études systématiques. L’association des ISRS ou IRNS avec les triptans est controversée malgré les 700 000 patients qui utilisent cette combinaison de médicaments aux États-Unis. Une mise en garde contre la possibilité de syndrome sérotoninergique est maintenue, mais les cas rapportés sont peu nombreux et le diagnostic a été remis en question. Le tramadol, un analgésique qui inhibe le recaptage des monoamines, peut interagir avec un antidépresseur prescrit simultanément et contribuer à l’émergence d’un syndrome sérotoninergique.

i

Un supplément d’information sur les interactions médicamenteuses potentielles est disponible au epocrates.com et au medicine.iupui.edu/ockhart/table.htm.

• Les ISRS et les IRSN peuvent augmenter les saignements



par un eet antiplaquettaire. Il faut donc être prudent lors de leur association avec les anti-inammatoires non stéroïdiens (AINS), l’aspirine, la warfarine, les antiplaquettaires, les nouveaux anticoagulants ou les corticostéroïdes, car la combinaison de ces molécules peut entrainer des saignements gastro-intestinaux ou des hémorragies. L’association d’un ISRS ou d’un IRSN avec d’autres médicaments à risque de causer une hyponatrémie comme la carbamazépine, l’oxcarbazépine ou les diurétiques nécessite une surveillance plus importante particulièrement chez les personnes âgées.

69.5 Résultats selon les données probantes La pharmacothérapie est la modalité thérapeutique qui a été la plus étudiée et qui dispose des données probantes les plus solides dans le traitement de la dépression. Selon Lam et ses collaborateurs (2009), au cours des dix dernières années seulement, 225 études randomisées et contrôlées par placebo et 145 méta-analyses ont été publiées sur l’ecacité et la tolérabilité des antidépresseurs dans la dépression. Toutefois, le fait que ces études ne sont pas indépendantes de l’industrie pharmaceutique ainsi que le contexte de recherche de ces essais cliniques (des études à court terme, des critères d’inclusion et d’exclusion stricts excluant plusieurs patients avec des comorbidités ou avec un risque suicidaire aigu ainsi que la prise en charge intensive au cours de l’étude) rendent dicile la généralisation

Chapitre 69

Antidépresseurs

1503

1504

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

• Buproprion métabolisé par 2B6 : en métabolite actif l’hydroxybupropion (qui contribue à l’effet antidépresseur et surtout à l’action antitabagique) • et par réduction (non-CYP et possiblement 2C19) : en thréohydrobupropion et érythrohydrobupropion • Bupropion et ses métabolites sont des inhibiteurs modérés à puissants du 2D6 (thréo- et érythrohydrobupropion sont les plus puissants)

• Citalopram et escitalopram métabolisés surtout par 2C19, 3A4 et 2D6 • Citalopram : substrat de P-gp • Inhibiteurs faibles du 2D6

Bupropion (WellbutrinMD )

Citalopram (CelexaMD ) Escitalopram (CipralexMD )

Antidépresseur

Métabolisme de l’antidépresseur et mécanismes impliqués (CYP et autres) dans les interactions

NB : avec carbamazépine, l’aire sous la courbe (ASC) de l’hydroxybupropion est augmentée (de plus de 50 %)

• Bupropion et hydroxybupropion diminués par : – Inducteurs du 2B6 : ritonavir, lopinavir, rifampicine – Bupropion diminué par carbamazépine, phénytoïne, phénobarbital efavirenz

• Bupropion administré avec des médicaments métabolisés par 2D6 (ou substrats du 2D6), peut entrainer une augmentation des Cp des : – Antidépresseurs (p. ex., nortriptyline, imipramine, désipramine, paroxétine, duloxétine, uoxétine, venlafaxine, vortioxétine) – Antipsychotiques (p. ex., aripiprazole, rispéridone, halopéridol) – β-bloquants (p. ex., métoprolol, carvédilol, propranolol) – Autres (p. ex., propafénone, atomoxétine, diphenhydramine, dextrométorphane) – Bupropion pourrait aussi augmenter les Cp de l’acide valproïque et de phénytoïne – Attention aux médicaments qui diminuent le seuil des convulsions (p. ex., tramadol, théophylline, clozapine, ciprooxacine) et lors du sevrage brusque de benzos ou d’alcool (risques de convulsions augmentés) – Association avec lévodopa peut augmenter les effets indésirables de la lévodopa – À cause de son activité dopaminergique : synergie potentielle du bupropion avec les agonistes de la dopamine

L’antidépresseur entraîne une augmentation de la concentration plasmatique (Cp) ou de l’action de

• Tamoxifène (promédicament inactif) métabolisé par 2D6 en métabolite actif l’endoxifène. • Bupropion réduit la production d’endoxifène (en inhibant le 2D6) et donc diminue l’efcacité du tamoxifène. • Buproprion diminue de la même manière l’efcacité de codéine, oxycodone, hydrocodone, tramadol • Bupropion pourrait entraîner une diminution de INR avec la warfarine • Bupropion pourrait entraîner une diminution de la Cp de digoxine • Antagoniste potentiel avec les bloquants de la dopamine (p. ex., antipsychotiques)

L’antidépresseur entraîne une diminution de la concentration plasmatique (Cp) ou de l’efcacité de

• Citalopram et escitalopram • Citalopram et escita• Malgré une inhibition faible du 2D6 in • Négligeable augmentés par lopram diminués par : vitro, le citalopram et l’escitalopram carbamazépine (Cp peuvent augmenter à doses élevées la – Inhibiteurs du 2C19 (p. diminuée d’environ 30 %) Cp de la désipramine d’environ 50 % et ex., oméprazole, ésoméet par phénytoïne les concentrations maximales du métoprazole, lansoprazole, prolol de 50 % ticlopidine) ASC et Cmax d’escitalopram diminués par – Inhibiteurs du 2C19 et • Escitalopram augmente les effets centraux bocéprévir (de 20 %) et du 3A4 : uvoxamine et de la clonidine (hypothermie et sédation) télaprévir (de 35 %) uoxétine et la Cp de l’aripiprazole (de 20 %) – Inhibiteurs puissants du • Attention à l’association avec d’autres 3A4 (p. ex., kétoconamédicaments qui allongent le QTc spéciazole, itraconazole, ucolement avec le citalopram à dose élevée nazole, érythromycine)

• Bupropion augmenté par – Inhibiteurs du 2B6 : (p. ex., paroxétine, sertraline, uoxétine, uvoxamine, clopidogrel ticlopidine, orphénadrine) ; ces inhibiteurs du 2B6 diminuent ainsi l’hydroxybupropion – Acide valproïque augmente la Cp de hydroxybupropion (2x) sans affecter la Cp de bupropion

Diminution Augmentation de la de la concentration concentration plasmatique plasmatique (Cp) ou de (Cp) ou de l’effet de l’effet de l’antidépresseur l’antidépresseur causée par causée par

TABLEAU 69.10 Interactions avec les antidépresseurs et mécanismes impliqués

Chapitre 69

Antidépresseurs

1505

• Duloxétine métabolisée par 1A2 et 2D6 • Inhibiteur modéré du 2D6

• Desvenlafaxine métabolisée par UGT et un peu par 3A4 • Excrétée à 45 % inchangée

• Fluoxétine métabolisée par 2D6, 2C9, 2C19, 3A4 • Fluoxétine et noruoxétine (son métabolite actif) sont des inhibiteurs puissants du 2D6, 2B6 et P-gp • Ce sont des inhibiteurs modérés du 2C9, 3A4, 2C19 • Noruoxétine est un inhibiteur plus puissant des CYP que la uoxétine

Duloxétine (CymbaltaMD )

Desvenlafaxine (PristiqMD )

Fluoxétine (ProzacMD )

Antidépresseur

Métabolisme de l’antidépresseur et mécanismes impliqués (CYP et autres) dans les interactions

• Fluoxétine augmentée par : – Inhibiteurs du 2D6 (p. ex., bupropion, paroxétine, asénapine)

• Fluoxétine diminuée par : – Inducteurs du 2C9 et 3A4 (p. ex., phénobarbital, carbamazépine, millepertuis, rifampicine)

• Desvenlafaxine augmentée par : • Négligeable, peu d’interactions – Inhibiteurs puissants du médicamenteuses 3A4 (p. ex., kétoconazole, clarithromycine)

N.B. : L’augmentation de la Cp de duloxétine est plus signicative lors de l’association avec les inhibiteurs du 1A2 que lors de celle avec les inhibiteurs du 2D6. Ainsi, l’association avec les inhibiteurs du 2D6 peut ne pas requérir d’ajustement dans la dose de duloxétine.

• Duloxétine augmentée par : • Duloxétine diminuée par : – Inhibiteurs du 1A2 (p. – Inducteurs du 1A2 ex., uvoxamine, cipro(p. ex., tabagisme) oxacine, énoxacine) – Inhibiteurs du 2D6 (p. ex., paroxétine, uoxétine, bupropion, asénapine)

Diminution Augmentation de la de la concentration concentration plasmatique plasmatique (Cp) ou de (Cp) ou de l’effet de l’effet de l’antidépresseur l’antidépresseur causée par causée par

TABLEAU 69.10 Interactions avec les antidépresseurs et mécanismes impliqués (suite)

L’antidépresseur entraîne une diminution de la concentration plasmatique (Cp) ou de l’efcacité de

• Négligeable, peu d’interactions médicamenteuses

• Fluoxétine augmente les Cp des substrats • Tamoxifène métabolisé par 2D6 du 2D6 : en métabolite actif l’endoxifène. – Antidépresseurs (p. ex., nortriptyline, • Fluoxétine réduit la production amitriptyline, imipramine, désipramine, d’endoxifène et donc diminue duloxétine, venlafaxine, vortioxétine) l’efcacité du tamoxifène – Antipsychotiques (p. ex., phénothia• Fluoxétine réduit de la même zines, halopéridol, clozapine (40manière la production et donc 70 %), rispéridone, aripiprazole) l’efcacité de codéine, oxycodone, – Autres : propafénone, carvédilol, hydrocodone, tramadol métoprolol, propranolol, atomoxétine, – Fluoxétine diminue la Cp de dextrométhorphane, méthadone (aussi lamotrigine substrat du 3A4) • Fluoxétine augmente les Cp des substrats d’autres CYP : – 2B6 : bupropion – 3A4 : carbamazépine, sildénal, lurasidone, diazépam, alprazolam, nifédipine, vérapamil – 2C9 : acide valproïque (ad 50 %), S-warfarine, phénytoïne

• Desvenlafaxine augmente légèrement la Cp de désipramine (de 20 %)

• Duloxétine peut augmenter les Cp des : • Tamoxifène métabolisé par 2D6 en métabolite actif l’endoxifène. – substrats du 2D6 (p. ex., tricycliques (ASC augmentée de 3 fois pour la désipra• Duloxétine réduit la production mine 50 mg avec 120 mg de duloxétine), d’endoxifène et donc diminue toltérodine, métoprolol, rispéridone) l’efcacité du tamoxifène NB : la duloxétine 30 mg à 120 mg ne • Duloxétine réduit de la même semble pas augmenter la Cp d’aripimanière la production et donc prazole de façon signicative l’efcacité de codéine, oxycodone, – Duloxétine ne semble pas augmenter hydrocodone, tramadol les effets cognitifs et psychomoteurs de l’alcool, mais peut augmenter les effets des benzodiazépines.

L’antidépresseur entraîne une augmentation de la concentration plasmatique (Cp) ou de l’action de

1506

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

• Fluvoxamine métabolisée par 1A2 et 2D6 • Inhibiteur puissant de 1A2, 2C19 • Inhibiteur modéré du 3A4, 2C9, 2B6 et P-gp

• Mirtazapine métabolisée par 2D6, 3A4 (possiblement aussi par 2B6) et à un moindre degré par 1A2

Fluvoxamine (LuvoxMD )

Mirtazapine (RemeronMD )

Antidépresseur

Métabolisme de l’antidépresseur et mécanismes impliqués (CYP et autres) dans les interactions • Fluvoxamine diminuée par les : – Inducteurs du 1A2 (p. ex., tabagisme, carbamazépine, phénytoïne, rifampicine)

L’antidépresseur entraîne une diminution de la concentration plasmatique (Cp) ou de l’efcacité de

• Diminution de l’efcacité de la clonidine et de la guanfacine par mécanisme d’action opposé sur les récepteurs α2

• Fluvoxamine augmente les Cp des : Négligeable/aucune information – Substrats du 1A2 (p. ex., imipramine, amitriptyline, clomipramine, duloxétine, clozapine (5-10 x), olanzapine, asénapine, halopéridol, propranolol, théophylline, R-warfarine, mélatonine, caféine) – Substrats du 3A4 (p. ex., carbamazépine, buspirone, diltiazem, méthadone, mirtazapine, quétiapine, lurasidone, atorvastatin, zolpidem, eszopiclone, , diazépam, alprazolam, sildénal) – Substrats du 2C9 (p. ex., AINS, S-warfarine) – Substrats du 2C19 (p. ex., diazépam, citalopram et escitalopram, sertraline, phénytoïne, R-warfarine, lansoprazole, oméprazole)

L’antidépresseur entraîne une augmentation de la concentration plasmatique (Cp) ou de l’action de

• Mirtazapine augmentée par : • Mirtazapine diminuée par : • Mirtazapine augmente l’action sédative de l’alcool, des benzodiazépines et des – Inhibiteurs puissants du – Inducteurs puissants opiacés avec diminution des perfor3A4 (p. ex., kétocodu 3A4 (p. ex., phémances cognitives et psychomotrices nazole, itraconazole, nytoïne, carbamazéclarithromycine, indinapine, phénobarbital, • Augmente le risque du syndrome des vir, nelnavir, ritonavir, millepertuis) jambes sans repos avec tramadol ou érythromycine) – Inducteurs puissants avec bloquants de la dopamine – Inhibiteurs du 1A2 (et du 1A2 (p. ex., du 3A4) : uvoxamine (de tabagisme) 3 à 4 fois) – Inhibiteurs du 2D6 : paroxétine, uoxétine, bupropion

• Fluvoxamine augmentée par : – Inhibiteurs du 1A2 (p. ex., ciprooxacine, énoxacine)

Diminution Augmentation de la de la concentration concentration plasmatique plasmatique (Cp) ou de (Cp) ou de l’effet de l’effet de l’antidépresseur l’antidépresseur causée par causée par

TABLEAU 69.10 Interactions avec les antidépresseurs et mécanismes impliqués (suite)

Chapitre 69

Antidépresseurs

1507

• Trazodone métabolisée par 3A4 en m-CPP (métabolite anxiogénique) • m-Cpp métabolisé par 2D6

• Paroxétine métabolisée par 2D6, 3A4, 1A2 • Substrat de P-gp • Inhibiteur puissant de 2D6, 2B6 et P-gp

Trazodone (DesyrelMD )

Paroxétine (PaxilMD )

Antidépresseur

Métabolisme de l’antidépresseur et mécanismes impliqués (CYP et autres) dans les interactions

• Paroxétine augmentée par : – Inhibiteurs du 2D6 (p. ex., asénapine, bupropion, uoxétine)

• Paroxétine diminuée par : – Inducteurs du 3A4 et 1A2 (p. ex., phénobarbital, phénytoïne, carbamazépine fosamprénavir, ritonavir)

• Trazodone augmentée par : • Trazodone diminuée par les : • Inhibiteurs du 3A4 (p. ex., – Inducteurs du 3A4 kétoconazole, ritonavir, indi(p. ex., carbamanavir, saquinavir, bocéprevir, zépine, phénytoin, télaprévir, clarithromycine, phénobarbital, jus de pamplemousse) millepertuis, rifampine) NB : saquinavir/ritonavir sont contre-indiqués avec trazodone – Son métabolite anxiogénique, le m-CPP (métabolisé par le 2D6), est augmenté par : – bupropion – duloxétine – uoxétine – paroxétine – sertraline à dose élevée

Diminution Augmentation de la de la concentration concentration plasmatique plasmatique (Cp) ou de (Cp) ou de l’effet de l’effet de l’antidépresseur l’antidépresseur causée par causée par

TABLEAU 69.10 Interactions avec les antidépresseurs et mécanismes impliqués (suite)

• Négligeable/aucune information

L’antidépresseur entraîne une diminution de la concentration plasmatique (Cp) ou de l’efcacité de

• Paroxétine augmente les Cp des subs• Tamoxifène métabolisé par 2D6 trats du 2D6 : en ingrédient actif endoxifène. – Antipsychotiques (p. ex., phé• Paroxétine réduit la production nothiazines, halopéridol, clozapine, d’endoxifène et donc diminue rispéridone et aripiprazole) l’efcacité du tamoxifène – Antidépresseurs (p. ex., nortri• Paroxétine réduit de la même ptyline, amitriptyline, imipramine, manière, la production et donc désipramine, uoxétine, duloxétine, l’efcacité de codéine, oxycodone, venlafaxine, vortioxétine) hydrocodone, tramadol – Autres (p. ex., propafénone, écaïnide, métoprolol, propranolol, atomoxétine, méthadone) – Augmente les Cp des substrats du 2B6 (p. ex. bupropion) – Augmente l’action des anticholinergiques (p. ex., procyclidine, benztropine)

• Trazodone peut contribuer à la sédation de façon additive avec d’autres médicaments • Trazodone augmente les effets anticholinergiques de certains médicaments p. ex., tricycliques, antiparkinsoniens et antihistaminiques • Trazodone augmente l’action de la clonidine, et peut ainsi provoquer une hypotension et une sédation additionnelle • Trazodone augmenterait la Cp de la phénytoïne

L’antidépresseur entraîne une augmentation de la concentration plasmatique (Cp) ou de l’action de

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Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

• Venlafaxine métabolisée par 2D6 en métabolite actif la desvenlafaxine (O-desméthylvenlafaxine), • et à un moindre degré par 3A4 et 2C19 • Substrat de P-gp • Inducteur de la P-gp

• Vortioxétine métabolisée par 2D6, 3A4/5, 2C9

Venlafaxine (EffexorMD )

Vortioxétine (TrintellixMD )

• Sertraline diminuée par : – Inducteurs du 3A4 : (p. ex., rifampicine (aussi inducteur du 2B6), phénobarbital, carbamazépine, phénytoïne)

• Vortioxétine augmentée par : • Vortioxétine diminuée par : – Inhibiteurs puissants du 2D6 (p. ex., bupropion, – Inducteurs des CYP paroxétine, uoxétine, (p. ex., phénobarquinidine) bital, phénytoïne et carbamazépine) – Inhibiteurs du 3A4 (p. ex., kétoconazole, uconazole)

• Venlafaxine augmentée par : • Négligeable/aucune information – Inhibiteurs du 2D6 (p. ex., diphenhydramine, paroxétine, uoxétine, bupropion, propafénone, terbinane et autres) – Inhibiteurs du 3A4 (p. ex., kétoconazole, atazanavir, nelnavir, saquinavir) et ritonavir qui inhibe aussi le 2D6 – Desvenlafaxine augmentée par acide valproïque

• Sertraline augmentée par : – cimétidine, uvoxamine

Diminution Augmentation de la de la concentration concentration plasmatique plasmatique (Cp) ou de (Cp) ou de l’effet de l’effet de l’antidépresseur l’antidépresseur causée par causée par

NB : Vortioxétine 10 mg × 14 jours n’a pas eu d’effet sur la pharmacocinétique ou la pharmacodynamique de la warfarine (1-10 mg) ou de l’aspirine (150 mg)

• Négligeable

• Venlafaxine 150 mg en présence d’imipramine, augmente la Cp et l’ASC de désipramine (de 40 %) et ASC d’imipramine (de 28 %) • Venlafaxine (150 mg) augmente la conc. max. d’halopéridol 2 mg (d’environ 88 %) • Venlafaxine peut augmenter la Cp de clozapine ce qui peut causer des convulsions • Augmentation possible de INR avec warfarine

• Sertraline augmente les Cp des : – Substrats du 2D6 surtout si dose élevée de sertraline (p. ex., désipramine, clozapine, halopéridol, méthadone) – Substrats du 2B6 (p. ex., bupropion) – Substrats de UGT1A4 (p. ex., lamotrigine) – Autres : zolpidem, pimozide, et acide valproïque NB : la sertraline en inhibant la P-gp peut augmenter la concentration cérébrale de rispéridone (ASC) de 1,5 fois et de 9-hydroxyrispéridone (ou palipéridone) de 5 fois

L’antidépresseur entraîne une augmentation de la concentration plasmatique (Cp) ou de l’action de

• Négligeable/aucune information

• Venlafaxine diminue la conc. max. et l’ASC de indinavir (possiblement en induisant la P-gp)

• Négligeable/aucune information

L’antidépresseur entraîne une diminution de la concentration plasmatique (Cp) ou de l’efcacité de

• Vilazodone (ViibrydMD) : métabolisée principalement par le CYP-3A4 ; pas de métabolite actif. Les Cp de la vilazodone sont augmentées par les inhibiteurs du CYP-3A4 (p. ex., érythromycine, amiodarone, certains inhibiteur s des protéases, kétoconazole). Sources : Adapté de Spina & al. (2008) ; monographies des produits.

• Lévomilnacipran (FetzimaMD) : surtout excrété inchangé par les reins (à 58%) ; autre métabolisme CYP-3A4 majoritairement et de façon mineure par CYP-2C8, 2C19, 2D6 et 2J2 ; pas de métabolite actif. Les Cp du lévomilnacipran sont augmentées par les inhibiteurs puissants du CYP-3A4 (p. ex., kétoconazole, clarithromycin, rito navir).

• Sertraline métabolisée par 2B6, 3A4, 2C19, 2C9, 2D6, et UGT2B7 (et UGT 1A3, 1A6, 2B4) • Substrat de P-gp • Inhibiteur de 2D6 (surtout à dose élevée) • Inhibiteur puissant de 2B6, P-gp et d’une enzyme de conjugaison (UGT 1A4)

Métabolisme de l’antidépresseur et mécanismes impliqués (CYP et autres) dans les interactions

Sertraline (ZoloftMD )

Antidépresseur

TABLEAU 69.10 Interactions avec les antidépresseurs et mécanismes impliqués (suite)

à l’ensemble des patients suivis en clinique. Malgré tout, les lignes directrices publiées au Canada, comme dans d’autres pays, tiennent compte de ces études. Dans les dernières années, une grande importance a été accordée aux résultats des méta-analyses comparant les antidépresseurs étudiés dans des essais distincts. Certaines de ces méta-analyses ont remis en question le prol d’ecacité des antidépresseurs. Fournier et ses collaborateurs (2010) ont suggéré que les antidépresseurs n’étaient ecaces que dans la dépression majeure. Möller (2008) décrit les failles possibles de ces méta-analyses telles que des critères arbitraires ou des variables d’inclusion, l’exclusion d’études ayant échoué (le comparateur actif ne s’étant pas démarqué du placebo), et les problèmes méthodologiques des études incluses. Lorsque les études de courte durée sont analysées directement, le NNT (nombre nécessaire pour traiter) est de cinq à sept à court terme, et de quatre à cinq à long terme. De tels résultats sont comparables à des traitements considérés comme ecaces dans d’autres domaines médicaux. De plus, le contexte dans lequel se déroulent les essais cliniques comparant un antidépresseur à un placebo inuence la réponse des patients au placebo. En eet, les patients participant à des études cliniques bénécient de la disponibilité et du suivi constants de l’équipe de recherche, ce qui peut procurer une amélioration chez ces patients, dont ceux qui reçoivent un placebo. L’ecacité supplémentaire de l’antidépresseur peut, de ce fait, être dicile à mettre en évidence chez les patients atteints de dépression légère, particulièrement dans des études à court terme. Une méta-analyse citée fréquemment est celle de Cipriani et collaborateurs (2009). En utilisant les taux d’abandons comme mesure d’ecacité et en intégrant le coût de la médication, elle conclut que la sertraline et l’escitalopram ont une meilleure ecacité que les autres antidépresseurs. Nonobstant la pertinence d’utiliser des critères pragmatiques inuençant l’eet ultime des antidépresseurs, le choix de critères indirects peut biaiser le résultat. Par exemple, certaines études utilisent une augmentation rapide de la dose de la venlafaxine, ce qui peut entraîner un taux élevé d’abandons. Ainsi, les résultats de cette méta-analyse contredisent la majorité des données suggérant peu de diérences d’ecacité entre les antidépresseurs. Une méta-analyse utilisant les critères de réponse et de rémission (Montgomery & al., 2007) conclut

que la clomipramine, la venlafaxine et l’escitalopram ont une supériorité établie dans le traitement de la dépression, et que la duloxétine et la mirtazapine ont une supériorité probable en comparaison à d’autres antidépresseurs. Quant au traitement de la dépression majeure, seul l’escitalopram a une supériorité établie ; la venlafaxine aurait une supériorité probable par rapport aux autres antidépresseurs. Les lignes directrices du CANMAT (Lam & al., 2009) ont tenté de concilier les résultats d’ecacité des antidépresseurs et le poids de leurs eets indésirables an de recommander les molécules qui peuvent être prescrites en 1 re intention (voir le tableau 69.11). Les antidépresseurs ayant plus d’eets indésirables ou disposant de moins de données pour appuyer leur ecacité sont recommandés en 2 e ou, éventuellement, en 3 e intention.

La bonne pratique dans le traitement de la dépression exige une interaction continuelle entre la médecine basée sur les données probantes et une lecture critique de la littérature scientique. C’est un domaine complexe qui requiert du jugement et une bonne expérience clinique. L’arrimage entre les connaissances émergentes et l’évaluation clinique doit générer une approche personnalisée pour chaque patient. La clé du succès réside dans la réévaluation continuelle de la réponse clinique et l’ajustement approprié de la pharmacothérapie. Les antidépresseurs peuvent réduire le fardeau important de la maladie dépressive sur le patient et la société en améliorant le fonctionnement social et la productivité, en réduisant les coûts de traitement par une diminution des rechutes et de la résistance à la médication et en amoindrissant l’impact catastrophique des suicides. Le traitement pharmacologique peut réduire la morbidité et la mortalité des maladies associées à la dépression telles que les maladies cardiovasculaires, le diabète, la maladie d’Alzheimer et possiblement le cancer. Au niveau cérébral, l’utilisation des antidépresseurs peut permettre de contrer l’eet neurotoxique de la dépression sur l’immunité et sur les connexions neuronales. Au-delà de la dépression, l’éventail de troubles qui peuvent être améliorés par l’usage d’un antidépresseur suggère d’importants problèmes de classication des agents psychotropes et met en lumière les aspects multidimensionnels des syndromes psychiatriques.

TABLEAU 69.11 Lignes directrices du CANMAT (2009) selon les données probantes pour une dépression

majeure unipolaire

Antidépresseur

Mécanisme 1re

Dose par jour

intention

Citalopram (CelexaMD )

ISRS

20 à 40a mg

Escitalopram (CipralexMD )

ISRS inhibiteur du site allostérique du recaptage de la sérotonine

10 à 20 mg

Fluoxétine (ProzacMD )

ISRS

20 à 80 mg

Fluvoxamine (LuvoxMD )

ISRS

100 à 300 mg

Paroxétine (PaxilMD )

ISRS

20 à 60 mg 25 à 50 mg pour CR

Sertraline (ZoloftMD )

ISRS

50 à 200 mg

Chapitre 69

Antidépresseurs

1509

TABLEAU 69.11 Lignes directrices du CANMAT (2009) selon les données probantes pour une dépression

majeure unipolaire (suite)

Antidépresseur

Mécanisme

Dose par jour

1re intention (suite) Desvenlafaxine (PristiqMD )

IRSN

50 à 100 mg

Duloxétine (CymbaltaMD )

IRSN

60 à 120 mg

IRSN

75 à 375 mg

Mirtazapineb (RemeronMD )

Antagoniste α2 adrénergique Antagoniste 5-HT2a/c et 5HT3

30 à 60 mg

Bupropion SR et XL (WellbutrinMD )

IRND

150 à 300 mg

Moclobémide (ManerixMD )

Inhibiteur réversible de la MAO-A

300 à 600 mg

Venlafaxine XR

(EffexorMD )

2e intention Amitriptyline, clomipramine et autres tricycliques

ATC

Varié

Trazodone (DesyrelMD )

Inhibiteur du recaptage de la 5-HT Antagoniste 5-HT2

150 à 300 mg

Quétiapine XR (SeroquelMD )

Antipsychotique atypique

150 à 300 mg

3e intention Phénelzine (NardilMD )

Inhibiteur irréversible de la monoamine-oxydase

45 à 90 mg

Tranylcypromine (ParnateMD )

Inhibiteur irréversible de la monoamine-oxydase

30 à 60 mg

Vilazodone* (ViibrydMD )

Multimodal

20 à 40 mg

Vortioxétine* (TrintellixMD )

Multimodal

10 à 20 mg



la suite d’une recommandation récente, la dose maximale de 40 mg/j de citalopram doit être suggérée à cause des risques d’a ccidents vasculaires cérébraux et du prolongement de l’intervalle QTc à l’ECG. b Disponible en dissolution rapide. * Ajouts au tableau du CANMAT. Note : Les molécules non approuvées par Santé Canada ont été supprimées du tableau. Source : Adapté de Lam & al. (2009).

Lectures complémentaires Sz, A. F. & N, C. B. (2004). e American Psychiatric Press Textbook of Psychopharmacology, Arlington, VA, American Psychiatric Press.

1510

S, S. M. (2008). Stahl’s Essential Psychopharmacology : Neuroscientic Basis and Practical Applications, 3e éd., San Diego, Université de Californie.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

V, A. & al. (2009). Clinical Handbook of Psychotropic Drugs,18e éd, Toronto, Hogrefe Publishing.

CHA P ITR E

70

Potentialisateurs cognitifs, psychostimulants et non-stimulants Martin Gignac, M.D., FRCPC

Nathalie Shamlian, M.D., FRCPC

Psychiatre de l’enfant et de l’adolescent, Clinique Réseau Jeunesse, Institut Philippe-Pinel (Montréal)

Psychiatre, Service de gérontopsychiatrie, Clinique de la mémoire, Pavillon Albert-Prévost, Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal

Professeur agrégé de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Michelle Rochon, M.D., FRCPC, M. Sc. (orthophonie et audiologie)

Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Gérontopsychiatre, Service de gérontopsychiatrie, Pavillon Albert-Prévost, Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal

Annick Vincent, M.D., FRCPC

Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeure de clinique, Département de psychiatrie et de neurosciences, Faculté de médecine, Université Laval (Québec)

Partie A Potentialisateurs cognitifs..........................1512

70A.8 Résultats selon les données probantes .................. 1519

70A.1 Pharmacologie .......................................................... 1512

Partie B Psychostimulants et non-stimulants .......1521

70A.2 Mécanismes d’action................................................ 1514

70B.1 Pharmacologie........................................................... 1521 70B.2 Mécanismes d’action ................................................ 1522 70B.2.1 Amphétamines ................................................ 1522 70B.2.2 Méthylphénidate............................................. 1523 70B.2.3 Atomoxétine .................................................... 1524 70B.2.4 Guanfacine à libération prolongée.............. 1524 70B.2.5 Produits génériques........................................ 1524

70A.3 Classication............................................................. 1514 70A.4 Modalités de prescription ....................................... 1514 70A.4.1 Choix du médicament .................................. 1515 70A.4.2 Début du traitement ..................................... 1515 70A.4.3 Traitement d’entretien.................................. 1516 70A.4.4 Traitement des cas réfractaires................... 1516 70A.4.5 Conditions particulières............................... 1517 70A.5 Indications et contre-indications ........................... 1517 70A.6 Eets indésirables .................................................... 1518 70A.6.1 Inhibiteurs de la cholinestérase .................. 1518 70A.6.2 Mémantine...................................................... 1518 70A.7 Interactions médicamenteuses............................... 1519 70A.7.1 Inhibiteurs de la cholinestérase .................. 1519 70A.7.2 Antagoniste des récepteurs NMDA (mémantine) .................................... 1519

Psychiatre, Clinique Focus (Saint-Augustin-de-Desmaures)

70B.3 Classication ............................................................. 1525 70B.4 Modalités de prescription........................................ 1526 70B.4.1 Choix du médicament ................................... 1526 70B.4.2 Début du traitement....................................... 1529 70B.4.3 Traitement d’entretien ................................... 1529 70B.4.4 Traitement des cas réfractaires.................... 1530 70B.4.5 Conditions particulières................................ 1530 70B.5 Indications et contre-indications ........................... 1530

70B.6 Eets indésirables .....................................................1531 70B.6.1 Eets indésirables reliés aux psychostimulants .................................... 1531 70B.6.2 Eets indésirables reliés à l’atomoxétine.... 1531 70B.6.3 Eets indésirables reliés à la guanfacine .... 1532

C •



e chapitre est divisé en deux sections qui regroupent des médicaments ayant pour eet d’améliorer le fonctionnement cognitif : les potentialisateurs cognitifs servent à préserver la cognition, principalement chez les personnes âgées atteintes de processus cérébraux dégénératifs ; les stimulants cognitifs améliorent les décits développementaux du cerveau chez les jeunes et aussi chez les adultes.

Partie A Potentialisateurs cognitifs La démence de type Alzheimer (DTA), maintenant nommée « trouble neurocognitif majeur » selon le DSM-5, et les maladies apparentées représentent un des dés majeurs en santé publique, puisque dans le contexte du vieillissement de notre société, l’augmentation du nombre de cas sera marquée dans les prochaines années. Ainsi, selon l’étude Raz-de-marée commandée par la Société Alzheimer du Canada en 2009, 500 000 Canadiens souraient de la maladie d’Alzheimer ou d’autres formes de démence (Société Alzheimer du Canada, 2010). De ce nombre : • plus de 71 000 étaient âgés de 65 ans et plus ; • environ 50 000 avaient moins de 60 ans ; • 72 % des personnes atteintes étaient des femmes. On estime que 1,3 million de Canadiens pourraient en être aigés d’ici 2038. Un des volets de cette étude vise à documenter et à préciser l’impact nancier de cette maladie sur le système de santé (Société Alzheimer du Canada, 2010). Sa lourdeur a des implications sérieuses sur la santé des aidants naturels. La dépression et l’épuisement qui sont souvent observés doivent faire l’objet d’une attention particulière de la part des équipes de soin. En particulier, la fréquence des symptômes psychologiques et comportementaux de la démence (chez 50 à 90 % des patients selon les études) est liée à la dépression chez les aidants (Herrmann & Lanctôt, 2007). La DTA est une maladie neurodégénérative caractérisée par un déclin des fonctions cognitives. Une diminution des neurones cholinergiques du cortex, de l’hippocampe et du noyau basal de Meynert a été mise en évidence chez ces patients (voir les gures supplémentaires). Les médicaments utilisés sont les inhibiteurs de la cholinestérase (IChE), c’est-à-dire des antagonistes de l’enzyme acétylcholinestérase (AChE) qui dégrade l’acétylcholine (ACh) dans le cerveau ; ils augmentent ainsi l’activité cholinergique dans le système nerveux central. Les IChE inhibent aussi l’enzyme qui dégrade la butyrylcholinestérase (BChE), aussi nommée « pseudocholinestérase »,

1512

70B.7 Interactions médicamenteuses ............................... 1532 70B.8 Résultats selon les données probantes................... 1533 Lectures complémentaires .................................................... 1534

qui agit au niveau de la jonction neuromusculaire. En diminuant la perte d’ACh, ils augmentent sa disponibilité dans l’espace intersynaptique. Ils n’aectent cependant pas le processus physiopathologique sous-jacent de la maladie, mais plutôt sa conséquence, soit la perte d’ACh. Dans ce contexte, la possibilité d’avoir accès à deux classes de médicaments approuvés au Canada pour le traitement de la DTA devient cruciale, d’autant plus que des données probantes indiquent aussi des eets bénéques dans le contrôle de ces symptômes (Herrmann & Lanctôt, 2007). La première classe comporte des inhibiteurs de la cholinestérase : • La tacrine (CognexMD) a été la première molécule disponible en 1993, mais la survenue d’une toxicité hépatique majeure en a rendu l’emploi obsolète (Koda-Kimble & al., 2009). • Le donépézil (AriceptMD) est sur le marché au Canada depuis 1997. • La rivastigmine (ExelonMD) est disponible depuis 2000. • La galantamine (ReminylMD) ore une troisième option thérapeutique depuis 2001. La deuxième classe comporte un antagoniste non compétitif des récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA) du glutamate : • La mémantine (EbixaMD) est commercialisée en Allemagne depuis 1982, mais approuvée au Canada depuis 2004 seulement. Ces deux classes de médicaments peuvent aussi avoir un eet synergique lorsqu’elles sont utilisées en combinaison.

70A.1 Pharmacologie Le donépézil (AriceptMD) est un dérivé de la pipéridine (voir la gure 70.1) qui inhibe de façon réversible l’enzyme AChE, permettant ainsi l’augmentation dans la fente synaptique de la FIGURE 70.1 Structure du donépézil (C24H29N O3)

Source : DrugBank Version 4.2 (2013a).

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

concentration d’ACh et la potentialisation de la transmission cholinergique. Il est bien absorbé à la suite de son administration orale (PO), atteignant une biodisponibilité de 100 % et une concentration plasmatique maximale en trois ou quatre heures. Cette absorption n’est pas aectée par la prise d’aliments ou le moment d’administration dans la journée. La demi-vie d’élimination est d’environ 70 heures, ce qui permet de donner le médicament une fois par jour. L’état d’équilibre (steady state) des concentrations plasmatiques est atteint après deux semaines de prise quotidienne. Le donépézil est fortement lié aux protéines plasmatiques à près de 96 %, principalement à l’albumine (75 %). Le médicament est métabolisé par le foie, essentiellement par les isoenzymes 2D6 et 3A4 du cytochrome P-450. Le donépézil et ses métabolites sont excrétés en majeure partie dans les urines. La rivastigmine (ExelonMD) est un dérivé de type carbamate (voir la gure 70.2) qui est rapidement absorbé au niveau du tractus gastro-intestinal et dont le pic de concentration plasmatique est atteint en une heure. La nourriture retarde son absorption. En raison d’un important eet de premier passage hépatique, sa biodisponibilité est de 36 % environ. La demi-vie d’élimination de la rivastigmine est de une à deux heures, peu importe l’âge (KodaKimble & al., 2009). Cette demi-vie est courte, mais la dissociation du médicament de son récepteur est lente, allouant une durée d’activité d’environ 10 heures après l’administration d’une dose unique, ce qui nécessite une prise biquotidienne par voie orale. La rivastigmine est liée aux protéines plasmatiques à environ 40 % et est métabolisée localement par des estérases qui l’hydrolysent en dérivé décarbamylé inactif, excrété principalement dans l’urine. Les isoenzymes du cytochrome P-450 n’ont qu’une participation mineure dans le métabolisme du médicament. Depuis 2007, la rivastigmine est oerte en timbre transdermique appliqué quotidiennement et caractérisé par une absorption lente (Lefèvre & al., 2008). Après la première dose, les concentrations plasmatiques sont décelables après 30 minutes à une heure. Le pic de concentration est moindre que lors d’une absorption PO et l’intervalle avant d’atteindre les valeurs maximales est de 8 à 16 heures. Les concentrations plasmatiques diminuent ensuite lentement jusqu’à la n de la période d’application de 24 heures. L’élimination se fait par voie rénale, plus de 90 % de la rivastigmine étant excrétée dans les 24 heures. La demi-vie plasmatique est d’environ trois heures après le retrait du timbre. La galantamine (ReminylMD) est un alcaloïde tertiaire (voir la gure 70.3) et un dérivé phénanthrène extrait notamment

des bulbes de jonquilles et des perce-neige (Coyle & Kershaw, 2001). Elle est rapidement et complètement absorbée au niveau du tractus gastro-intestinal. Le pic de concentration plasmatique est atteint environ une heure après une prise à jeun ; avec de la nourriture, le pic survient une heure et demie plus tard. Elle est transformée dans le foie par les cytochromes P-450, 2D6 et 3A4 en métabolites qui possèdent peu d’activité anticholinestérasique. La demi-vie d’élimination chez les personnes âgées en bonne santé est de 5 à 10 heures. Elle est peu liée aux protéines (18 %) et elle a un important volume de distribution. Elle est éliminée dans l’urine, jusqu’à 50 % du médicament sous forme inchangée (Koda-Kimble & al., 2009). FIGURE 70.3 Structure de la galantamine (C17H21NO3)

Source : DrugBank Version 4.2 (2013c).

La mémantine (EbixaMD) est un antagoniste non compétitif des récepteurs NMDA (voir la gure 70.4). Dans un cerveau sain, ces récepteurs sont activés par le glutamate, un neurotransmetteur excitateur essentiel à l’apprentissage et à la mémorisation. L’intention thérapeutique sous-jacente à la prise de mémantine est la protection des neurones contre les dommages potentiels d’une concentration élevée de glutamate dans le cerveau. FIGURE 70.4 Structure de la mémantine (C12H21N)

FIGURE 70.2 Structure de la rivastigmine (C14H22N2O2)

Source : DrugBank Version 4.2 (2013d).

Source : DrugBank Version 4.2 (2013b).

Sa biodisponibilité est de 100 % et n’est pas entravée par l’alimentation. Le niveau plasmatique maximal est atteint de trois à huit heures après son absorption par voie orale. La mémantine est liée à environ 45 % aux protéines plasmatiques. Elle a un métabolisme hépatique minime et a peu d’eet sur le cytochrome P-450. Sa demi-vie d’élimination est de 60 à 100 heures. Sa clairance est dépendante de la fonction rénale, ce qui fait que les doses doivent être ajustées en conséquence. Le tableau 70.1 résume les principales caractéristiques pharmacologiques des potentialisateurs cognitifs.

Chapitre 70

Potentialisateurs cognitifs, psychostimulants et non-stimulants

1513

TABLEAU 70.1 Pharmacologie des potentialisateurs cognitifs Nom scientique

Donépézil

Rivastigmine

Galantamine

Mémantine

Nom commercial

AriceptMD

ExelonMD

ReminylMD

EbixaMD

Dérivé

Pipéridine

Carbamate

Phénanthrène

Amantadine

Mécanisme d’action

Inhibiteur réversible de l’AChE

Inhibiteur pseudoirréversible de l’AChE et de la BChE

Inhibiteur réversible de l’AChE Antagoniste non compétitif et modulateur allostérique des récepteurs NMDA des récepteurs nicotiniques

Nourriture

N’affecte pas l’absorption

Retarde l’absorption

Retarde un peu l’absorption

N’affecte pas l’absorption

Biodisponibilité

100 %

36 %

90 %

100 %

Cmax

3 à 4 heures

1 heure (PO) 8 à 16 heures (timbre)

1 heure

3 à 8 heures

Demi-vie

70 heures

1 à 2 heures (PO) 3 heures (après retrait du timbre)

5 à 10 heures

60 à 100 heures

Métabolisme

Hépatique CYP-450, 2D6 et 3A4

Non hépatique, cholinestérases locales

Hépatique CYP-450, 2D6 et 3A4

Hépatique CYP-450 faible

Excrétion

Urinaire

Urinaire

Urinaire

Urinaire

Légende : AChE = enzyme acétylcholinestérase BChE = enzyme butyrylcholinestérase NMDA = récepteur N-méthyl-D-aspartate

CYP = cytochrome P Cmax = pic de concentration plasmatique maximal

70A.2 Mécanismes d’action Les cholinestérases sont une famille d’enzymes qui catalysent l’hydrolyse d’un ester de la choline (acétylcholine et butyrylcholine) en choline et acide acétique, une réaction nécessaire pour permettre à un neurone cholinergique de revenir à son état de repos après l’activation. Il existe deux types de cholinestérases, distinguées par leur anité pour l’acétylcholine et la butyrylcholine : • l’acétylcholinestérase (AChE) dans le plasma et dans les synapses ; • la butyrylcholinestérase (BChE) ou pseudocholinestérase dans le plasma et dans le foie. On regroupe sous le terme d’inhibiteurs de cholinestérases (IChE) les molécules dont le rôle est l’inactivation de l’enzyme. Certaines d’entre elles (néostigmine, pyridostigmine, édrophonium, donézépil, galantamine, etc.) peuvent être utilisées dans un but thérapeutique, par exemple en anesthésie-réanimation (antagonisation des curares), dans le traitement de la myasthénie, du glaucome et de la maladie d’Alzheimer. Ce chapitre détaille les eets des inhibiteurs de la cholinestérase (IChE) dont le mécanisme d’action consiste à inhiber l’enzyme qui dégrade l’acétylcholinestérase (AChE) et ainsi augmenter la disponibilité de l’acétylcholine dans l’espace intersynaptique au niveau cérébral. Les IChE (donézépil, rivastigmine et galantamine) présentent des mécanismes d’action diérents les uns des autres (voir le tableau 70.1), entre autres leur sélectivité pour les diverses cholinestérases, ce qui peut théoriquement inuencer leur ecacité et leur tolérabilité. Cependant, sur le plan clinique, l’impact de ces mécanismes d’action n’est pas encore bien documenté et

1514

les diérentes molécules semblent être comparables en matière d’ecacité (Jacobson, 2014). Certains patients qui ne tolèrent pas l’une de ces molécules pourraient alors bénécier d’un essai avec un autre médicament de cette classe (Feldman, 2007). La mémantine possède un mécanisme d’action diérent de celui des IChE. Dans la maladie d’Alzheimer, le récepteur NMDA est stimulé de façon excessive et soutenue, ce qui nit par entraîner une augmentation de l’inux intracellulaire de calcium, puis la mort cellulaire. Ce phénomène est connu sous le nom d’excitotoxicité glutamatergique (Wang & al., 2012). La mémantine vise à corriger cette situation en bloquant de façon transitoire ce récepteur NMDA, ce qui se traduit par un eet neuroprotecteur. La mémantine est aussi un antagoniste modéré des récepteurs sérotoninergiques 5-HT3 et un très faible antagoniste des récepteurs cholinergiques de type nicotinique. De plus, elle entraîne une augmentation des niveaux dopaminergiques et possède une activité antidyskinétique ainsi que certaines propriétés antivirales (Virani & al., 2013).

70A.3 Classication Le tableau 70.2 présente une classication des diérents potentialisateurs cholinergiques selon leur structure chimique, leurs mécanismes d’action et la posologie recommandée.

70A.4 Modalités de prescription Le traitement médicamenteux spécique pour le trouble neurocognitif majeur est une option dont l’instauration ou le renouvellement est laissé à l’appréciation du médecin prescripteur. Cette

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

décision doit prendre en compte l’évaluation du rapport bénéce/ risque du traitement médicamenteux envisagé.

70A.4.1 Choix du médicament Avant l’instauration d’un traitement par un IChE, un électrocardiogramme (ECG) est fortement recommandé. Selon Dostie & Carrier (2008), la présence d’un bloc cardiaque du premier degré ou d’un bloc de branche droit nécessite une vigilance accrue avec un suivi de l’ECG après le début du traitement. Par ailleurs, en présence d’un bloc du second degré ou d’un bloc de branche gauche, il est recommandé d’obtenir l’avis d’un cardiologue. Il faut tenir compte des fonctions rénale et hépatique lors du choix de l’IChE. Le Mini-Mental State Examination (MMSE) de Folstein et ses collaborateurs (1975) est important pour dépister et documenter les troubles neuro cognitifs présents (sensibilité de 96 %). Il faut aussi prendre en considération le type et le stade de la démence (voir le tableau 70.3). Compte tenu de l’absence d’études comparatives entre les trois IChE disponibles au Canada, la sélection de l’agent à utiliser est basée sur le prol d’eets indésirables, la facilité d’emploi, la

familiarisation du médecin avec l’agent ainsi que les caractéristiques pharmacocinétiques et les mécanismes d’action propres à chaque molécule (CCCDTD4, 2014).

i

Un supplément d’information sur la quatrième Conférence canadienne de consensus sur le diagnostic et le traitement de la démence est disponible au www.cccdtd.ca.

Le médecin doit aussi connaître les contre-indications et les précautions associées à l’emploi de chaque molécule pour orienter son choix (voir le tableau 70.4). La mémantine est une option thérapeutique supplémentaire lorsque la démence est aggravée. Elle peut alors être substituée à l’IChE ou ajoutée au médicament en cours.

70A.4.2 Début du traitement Un traitement par un IChE doit être amorcé avec la plus petite dose augmentée graduellement une fois que les eets indésirables, qui surviennent habituellement en début du traitement, sont bien tolérés. Un délai de quatre à six semaines est suggéré avant d’augmenter la dose.

TABLEAU 70.2 Classication des potentialisateurs cognitifs

Nom scientique (commercial) Donépézil (AriceptMD)

Doses

Initiale

• Comprimés réguliers ou RDT de 5 et 10 mg • Solution orale de 1 mg/ml

Posologies quotidiennes Entretien Maximale

Dose minimale efcace

• 5 mg DIE

• 10 mg DIE

• 10 mg DIE

• 5 mg DIE

Rivastigmine (ExelonMD) • Comprimés de 1,5 – 3 – 4,5 et 6 mg • Timbres transdermiques de 4,6 mg/24 h (5 cm2), 9,5 mg/24 h (10 cm2) et 13,3 mg/24 h (15 cm2) • Solution orale de 2 mg/ml

• 1,5 mg BID • 4,6 mg/24 h (5 cm2)

• 3 à 6 mg BID • 9,5 mg/24 h (10 cm2)

• 6 mg BID • 13,3 mg/24 h (15 cm2)

• 3 mg BID • 9,5 mg/24 h (10 cm2)

Galantamine (ReminylMD) (Reminyl ERMD)

• Comprimés de 4 – 8 et 12 mg • Comprimés ER de 8 – 16 et 24 mg à dissolution prolongée • Solution orale de 4 mg/ml

• 4 mg BID • 8 mg (ER) DIE

• 8 mg BID • 12 mg BID • 8 mg BID • 16 mg (ER) DIE • 24 mg (ER) DIE • 16 mg (ER) DIE

Mémantine (EbixaMD)

• Comprimés de 5 et 10 mg

• 5 mg DIE

• 10 mg BID

• 10 mg BID

• 10 mg BID

Légende ER = Extended release (libération prolongée) RDT = Rapidly Dissolving Tablet (comprimés à dissolution rapide) Source : Massoud & Thibodeau (2010), p. 4-9.

TABLEAU 70.3 Stades de la démence et indications de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ)

selon les médicaments

Stade (sévérité de la démence)

Résultat au MMSE

Inhibiteur de la cholinestérase (IChE)

Normal

27 à 30

Sévérité légère

18 à 26

Autorisé

Sévérité moyenne

10 à 17

Autorisé

Sévérité de moyenne à grave

3 à 14

Autorisé avec justication

Chapitre 70

Mémantine

Autorisé

Potentialisateurs cognitifs, psychostimulants et non-stimulants

1515

TABLEAU 70.4 Indications et contre-indications des inhibiteurs de la cholinestérase (IChE) et de la mémantine

Nom scientique (commercial) Donépézil

(AriceptMD)

Indications ofcielles

Précautions et contre-indications

• Démence de type Alzheimer (DTA) légère, modérée, grave • Démence vasculaire probable ou possible

• Précautions lors de problèmes cardiaques. • En cas d’insufsance hépatique de légère à modérée : une titration à adapter à la tolérance individuelle. • En cas d’insufsance rénale : pas d’ajustement nécessaire.

Rivastigmine (ExelonMD, Exelon TimbreMD)

• DTA (de légère à modérée) • Démence liée à la maladie de Parkinson (de légère à modérée)

• Précautions lors de problèmes cardiaques. • En cas d’insufsance hépatique de légère à modérée : une titration à adapter à la tolérance individuelle. • En cas d’insufsance rénale : pas d’ajustement nécessaire pour la forme transdermique. La posologie doit être adaptée selon la tolérance individuelle.

Galantamine (ReminylMD, Reminyl ERMD)

• DTA (de légère à modérée) • DTA avec composante vasculaire

• Si insufsance hépatique grave : contre-indiqué. • Si insufsance hépatique modérée : utiliser avec prudence et ne pas dépasser la dose maximale de 16 mg/j. • Si insufsance rénale légère à modérée : ne pas dépasser 16 mg/j. • Si insufsance rénale grave (clairance de la créatinine < à 30 ml/min) : contre-indiqué.

Mémantine (EbixaMD)

• DTA (de modérée à grave) • Si insufsance rénale légère (50 à 80 ml/min) : pas d’ajustement nécessaire. • En monothérapie ou comme adjuvant avec un IChE • Si insufsance rénale modérée (30 à 49 ml/min) : 10 mg/j pouvant éventuellement être augmentée à 20 mg/j si bien tolérée. • Si insufsance rénale grave (15 à 29 ml/min) : maximum de 10 mg/j. • En cas d’insufsance hépatique de légère à modérée : pas d’ajustement nécessaire. • En cas d’insufsance hépatique grave : contre-indiqué.

La mémantine est commencée à la dose minimale et est augmentée à la dose maximale de 20 mg par jour, par paliers de 5 mg par semaine. Cette titration graduelle a pour but de limiter les eets indésirables et de favoriser l’adhésion au traitement. Il est suggéré de prendre les IChE pendant les repas, an de diminuer les troubles digestifs, et de donner ces médicaments plus tôt dans la journée, an d’éviter les eets indésirables sur le plan du sommeil : insomnie, cauchemars et, plus rarement, syndrome des jambes sans repos.

70A.4.3 Traitement d’entretien Les données scientiques actuelles sont peu précises quant à la durée du traitement. Elles concernent surtout les conditions qui demandent la cessation du traitement pharmacologique. Ainsi, si le patient ou l’aidant décide d’arrêter le traitement ou si le patient le refuse, ou manifeste une non-observance rendant le traitement inutile, le médecin peut cesser la médication. De même, si le traitement apparaît inecace ou futile d’un point de vue clinique ou que les eets indésirables sont intolérables, en cas de comorbidité rendant l’emploi de l’IChE dangereux et si l’évolution de la démence fait en sorte qu’il n’y a plus de bénéce, le médicament peut être arrêté. Si l’état du patient se détériore de façon accélérée après l’arrêt de l’IChE, il peut être judicieux de reprendre le traitement (CCCDTD4, 2012). Il est toujours conseillé d’arrêter la médication de façon très

1516

progressive ; l’expérience montre en eet qu’un retrait rapide est associé à une exacerbation des troubles cognitifs et comportementaux. Une diminution lente permet aussi, s’il y a aggravation des symptômes, de reprendre ou de continuer la thérapie avec les IChE (Weiner & Lipton, 2009).

70A.4.4 Traitement des cas réfractaires Après l’instauration de la médication, le médecin doit chercher à savoir, avec l’aide de la famille (des aidants), si le patient présente des améliorations sur les plans de la mémoire, de l’orientation et de la concentration pour accomplir des tâches complexes. Il peut également noter une diminution de l’irritabilité. En l’absence de progrès après un essai à dose maximale de trois à six mois ou si le patient ne peut tolérer la molécule, il est raisonnable de tenter un changement d’IChE. En eet, les mécanismes d’action de ces médicaments sont diérents, ce qui justie une telle modication, jugée sécuritaire (CCCDTD4, 2012). La façon d’eectuer un tel changement entre deux IChE ou d’un IChE à la mémantine est basée sur le jugement du médecin traitant et du patient (ou du répondant) quant aux bienfaits et aux risques selon le consensus canadien. Peu de données probantes sont disponibles pour guider le médecin. Selon Desgagné (2004), la période de latence entre deux IChE n’apparaît pas nécessaire. Selon Stahl (2009), il vaut probablement mieux faire une titration croisée entre les deux IChE (diminuer l’un en augmentant

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

l’autre) an d’éviter un déclin fonctionnel accéléré. Si l’essai avec le deuxième IChE s’avère infructueux (pas d’amélioration ni de stabilisation), il n’est pas suggéré de faire un troisième essai avec cette classe (Koda-Kimble & al., 2009). Selon ces auteurs, le donépézil doit être retiré progressivement sur une période d’une à deux semaines avant l’instauration d’un nouveau traitement. Pour la rivastigmine et la galantamine, il est possible de commencer le nouveau traitement le lendemain de l’arrêt du premier. Le retrait graduel est aussi suggéré sur au moins une semaine.

70A.4.5 Conditions particulières Les inhibiteurs de la cholinestérase (IChE) sont des médicaments d’exception. Une demande d’autorisation doit donc être remplie auprès de la RAMQ en vue de l’obtention d’un remboursement des coûts des médicaments. Le patient doit avoir reçu un diagnostic de démence de type Alzheimer ou mixte, de stade léger à modéré. Son résultat au MMSE doit se situer entre 10 et 26 (voir le tableau 70.3). S’il s’élève à 27 ou à 28, une justication pertinente doit être fournie. Dans la demande, le médecin doit inclure une appréciation du degré d’atteinte de son patient dans les cinq domaines suivants : 1. Mémoire ; 2. Humeur ; 3. Comportement ; 4. Rendement fonctionnel : activités de la vie domestique (AVD), activités de la vie quotidienne (AVQ) ; 5. Interactions sociales.

i

Un supplément d’information sur la RAMQ est disponible au www.ramq.gouv.qc.ca.

La durée initiale de l’autorisation est de six mois, puis elle doit ensuite être renouvelée annuellement. Pour les demandes subséquentes, il est important que le médecin donne son opinion sur l’évolution de son patient, en répétant le MMSE et en spéciant s’il y a eu amélioration, stabilisation ou détérioration dans les domaines nommés précédemment. Pour que l’autorisation soit maintenue, le patient doit conserver : • un résultat au MMSE de 10 ou plus ; • une diminution maximale de trois points au MMSE par période de six mois comparativement à l’évaluation antérieure ; • une stabilisation ou une amélioration de la performance dans un ou plusieurs domaines. La mémantine est aussi un médicament d’exception. Au moment de la demande initiale, un diagnostic de maladie d’Alzheimer doit être posé et le résultat au MMSE doit se situer entre 3 et 14. Comme pour les IChE, le médecin doit fournir à la RAMQ une conrmation du degré d’atteinte dans les cinq domaines. La durée d’autorisation initiale d’un traitement à la mémantine est de six mois à partir du début du traitement. Toutefois, dans les cas où la mémantine fait suite à un traitement avec un IChE, l’usage concomitant de ces deux médicaments est autorisé pour une période d’un mois. Par la suite, la RAMQ ne rembourse qu’un seul médicament, même si le médecin envisage de prescrire à plus long terme un IChE et la mémantine en association. Cette thérapie de combinaison est rationnelle, puisque ces deux classes de médicaments ont des mécanismes d’action diérents et que leur association est sécuritaire. Elle peut apporter des bénéces

Chapitre 70

supplémentaires pour la maladie d’Alzheimer de sévérité moyenne à grave, mais des études plus concluantes sont nécessaires.

70A.5 Indications et contreindications Selon les experts de la quatrième Conférence canadienne de consensus sur le diagnostic et le traitement de la démence (CCCDTD4, 2014), dans le cas d’une DTA avec composante vasculaire, il existe susamment de preuves pour recommander l’utilisation de la galantamine ainsi que celle du donépézil selon les critères du National Institute of Neurological Disorders and Stroke et de l’Association internationale pour la recherche et l’enseignement en neurosciences (NINDS-AIREN). De plus, tous les IChE sont approuvés par la U.S. Food and Drug Administration (FDA) pour la DTA de sévérité légère à moyenne. La mémantine ainsi que le donépézil sont reconnus ecaces pour la maladie d’Alzheimer de sévérité moyenne à grave. De plus, dans les indications ocielles, il faut noter que la rivastigmine peut être utilisée dans la démence de sévérité légère à moyenne liée à la maladie de Parkinson (voir le tableau 70.4). Actuellement, il n’y a pas d’indication ocielle pour traiter le trouble cognitif léger (TCL) (mild cognitive impairment). Les patients ayant ce trouble ont 10 fois plus de risque de développer la maladie d’Alzheimer que les individus cognitivement sains (de 10 à 15 % des TCL/année évoluant vers une DTA). Cela dit, plusieurs personnes ayant un TCL ne développeront pas de démence. Les recherches actuelles tendent à montrer que ce trouble est en lien avec les facteurs de risque vasculaires (hypertension, dyslipidémie, obésité, etc.). Pour l’instant, aucun traitement n’est concluant pour ce déclin cognitif, mais il est suggéré de maintenir de saines habitudes de vie et de s’adonner à des tâches de stimulation cognitive (p. ex., la lecture, les mots croisés, le sudoku, les mathématiques) pour en prévenir l’aggravation. Dans la démence à corps de Lewy, on retrouve des décits importants d’ACh au niveau des cortex pariétal et temporal, en particulier. Plusieurs auteurs recommandent les IChE qui semblent améliorer la condition des patients tant sur le plan cognitif que sur celui du contrôle des symptômes psychotiques (délire et hallucinations) (Jacobson & al., 2014).

Contre-indications Il faut être prudent avec les IChE lorsqu’il existe des problèmes pulmonaires, des problèmes cardiaques (bradycardie, bloc auriculo-ventriculaire) ou un ulcère peptique. En cas d’insusance rénale, les IChE ne nécessitent pas d’ajustement posologique, sauf en cas d’insusance rénale grave, où la prudence est de mise, en particulier avec la galantamine qui est alors contre-indiquée. La mémantine doit être utilisée avec précaution chez les patients en insusance rénale. La dose doit être ajustée en fonction de la clairance de la créatinine, et ce médicament est contre-indiqué en cas d’insusance rénale grave avec une clairance de la créatinine inférieure à 15 ml par minute. En cas d’insusance hépatique de légère à modérée, il faut adapter la titration selon la tolérance individuelle. Lorsque l’insusance hépatique est grave, l’utilisation de ces médicaments (y compris la mémantine) n’est pas recommandée (voir le tableau 70.4).

Potentialisateurs cognitifs, psychostimulants et non-stimulants

1517

Les allergies et la sensibilité à un IChE en particulier ou à la mémantine, de même que la grossesse et l’allaitement constituent des contre-indications absolues.

70A.6 Effets indésirables Les inhibiteurs de la cholinestérase (IChE) et la mémantine sont en général bien tolérés. Les eets indésirables sont globalement peu fréquents, sauf pour les symptômes digestifs assez courants avec les IChE, et ils peuvent se résorber lors de la poursuite du traitement. Il faut toutefois demeurer vigilants puisque certains eets indésirables des IChE en particulier, peuvent avoir des conséquences sérieuses.

70A.6.1 Inhibiteurs de la cholinestérase Les eets indésirables des IChE sont en lien avec leur activité cholinergique. Ces eets, surtout gastro-intestinaux, surviennent chez 5 à 30 % des patients durant la phase d’ajustement de la posologie, puis s’estompent durant la phase d’entretien. Parmi les eets indésirables les plus fréquents, on peut citer les nausées, les diarrhées, les vomissements, l’anorexie et la perte de poids. Ces médicaments peuvent aussi accroître le risque de saignement gastrique, en particulier chez les patients qui sourent d’un ulcère ou prennent des anti-inammatoires. Les doses doivent être augmentées graduellement, particulièrement pour la galantamine et la rivastigmine. En ce qui concerne le timbre transdermique de rivastigmine 9,5 mg, les eets indésirables gastro-intestinaux sont généralement légers et pas signicativement plus élevés qu’avec le placebo (Winblad & al., 2007). Une irritation cutanée a été occasionnellement rapportée et associée à l’utilisation du timbre. Cette irritation, qui combine un érythème local et du prurit au site d’application, est le plus souvent bénigne et transitoire. Certains patients rapportent aussi des crampes musculaires ou des myalgies. Parmi les eets cardiovasculaires, on peut mentionner les arythmies sinusales avec blocs AV du premier degré, bradycardie et syncope, parfois de l’hypertension. Une congestion nasale, une toux ou de la dyspnée surviennent également, mais dans

une faible proportion de cas (environ 2 %). Les IChE peuvent exacerber l’asthme ou une autre maladie respiratoire. Sur le plan neurologique, l’insomnie est l’eet indésirable le plus rapporté, mais on relève aussi de l’asthénie, des céphalées, des rêves anormaux et parfois même de l’agitation et un delirium, dont l’incidence est faible (moins de 1 %) (Virani & al., 2013). Les IChE peuvent accroître les risques de crises convulsives (Moore & al., 2014). De façon générale, les eets indésirables des IChE surviennent plus fréquemment chez les personnes âgées de plus de 85 ans et chez les femmes. Un avis récent de Santé Canada (Gouvernement du Canada, 2014) met en garde les prescripteurs de Reminyl ERMD (extended release) selon lequel de très rares cas de réactions cutanées graves, y compris des cas de syndrome de Stevens-Johnson, de pustulose exanthématique aiguë généralisée et d’érythème polymorphe, ont été signalés avec l’usage de ce médicament. Un avertissement récent a été ajouté par Santé Canada (janvier 2015) au sujet du donépézil, faisant mention du risque de deux aections rares mais potentiellement graves : la rhabdomyolyse et le syndrome malin des neuroleptiques. Selon cet avertissement, l’apparition de la rhabdomyolyse était plus fréquente au début de la prise du médicament et lors des augmentations de doses. Santé Canada recommande aux médecins d’évaluer les facteurs de risque de rhabdomyolyse chez les patients et d’interrompre la prise du médicament si des tests sanguins indiquent une augmentation de créatine phosphokinase ou en cas de diagnostic de syndrome malin des neuroleptiques souvent associé à la prise d’antipsychotiques et de médicaments qui augmentent le taux de dopamine.

70A.6.2 Mémantine La mémantine est généralement bien tolérée et l’incidence des eets indésirables est faible. Aucune variation cliniquement importante des signes vitaux ni modication à l’ECG lors du traitement à la mémantine n’ont été décelées. Des vertiges, des céphalées, de la constipation et des états confusionnels sont survenus plus fréquemment avec la mémantine qu’avec le placebo (Stahl, 2011). Le tableau 70.5 résume les principaux eets indésirables des potentialisateurs cholinergiques selon leur incidence relative.

TABLEAU 70.5 Effets indésirables associés aux inhibiteurs de la cholinestérase (IChE) et à la mémantine

Effets gastrointestinaux

Effets sur le système nerveux central

Effets cardiovasculaires

Effets respiratoires

Donépézil

++

++

+

Rares

Rivastigmine (comprimés)

+++

++

+

Rares

+

+

Rares

Rares

Irritation cutanée

Galantamine

++

++

+

Rares

Avis de Santé Canada : réactions cutanées graves possibles

Mémantine

+

++

+

Rare

Infections et incontinence urinaires rapportées

Rivastigmine (timbre)

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Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

Autres

70A.7 Interactions médicamenteuses Lors de la prescription de ces deux classes de médicaments, il importe au médecin d’éviter ou de minimiser les interactions médicamenteuses qui peuvent d’une part diminuer les eets thérapeutiques (p. ex., molécule anticholinergique et IChE) ou d’autre part qui peuvent induire des eets indésirables, voire provoquer des eets toxiques (bradycardie induite par ajout d’un ß-bloquant à l’IChE).

70A.7.1 Inhibiteurs de la cholinestérase Pour toutes les molécules de cette classe, il faut porter attention à l’eet antagoniste des médicaments anticholinergiques (p. ex., benztropine [Cogentin MD], diphenhydramine [Benadryl MD]) et à l’eet synergique avec les agents cholinergiques tels que le béthanéchol utilisé pour stimuler les contractions de la vessie dans la rétention urinaire. Une potentialisation de la relaxation musculaire avec les agents dépolarisants utilisés lors de l’anesthésie (p. ex., succinylcholine, suxaméthonium) a été rapportée. Les IChE ont le potentiel d’augmenter les eets extrapyramidaux lorsqu’ils sont pris en association avec des antipsychotiques. De même, théoriquement, ils pourraient réduire l’ecacité de la L-dopa utilisée dans le traitement de la maladie de Parkinson (Stahl, 2009). Sur le plan cardiaque, les trois molécules peuvent induire une bradycardie accentuée par les ß-bloquants. De plus, les bloqueurs calciques et la digoxine peuvent entraîner des troubles du rythme cardiaque lorsqu’ils sont pris en association avec la galantamine et la rivastigmine. Bien sûr, il faut tenir compte des médicaments inducteurs ou inhibiteurs des cytochromes CYP-2D6 et 3A4 lors de la prescription du donépézil ou de la galantamine. Ainsi, à titre d’exemple, la biodisponibilité de la galantamine augmente de 40 à 48 % en présence de la paroxétine (PaxilMD) (inhibiteur du CYP-2D6) et de 30 % avec un antifongique, le kétoconazole (NizoralMD) (inhibiteur du CYP-3A4) (Gardner, 2002). La nicotine augmente la clairance de la rivastigmine de 23 %.

70A.7.2 Antagoniste des récepteurs NMDA (mémantine) Étant éliminée par le rein, cette molécule peut modier les concentrations plasmatiques des médicaments utilisant le même système rénal de transport des cations comme la cimétidine (Tagamet), la ranitidine (Zantac), la quinidine, la nicotine, l’hydrochlorothiazide, le triméthoprime (Proloprim) et le triamtérène (Dyrenium). L’implication clinique de ces interactions n’est pas encore connue avec certitude (Jacobson & al., 2014 ; Langlais, 2006). De plus, la clairance de la mémantine est diminuée de façon signicative lorsque le pH de l’urine est alcalin (diminution de 80 % de la clairance à un pH de 8). Ainsi, le médecin doit être prudent lors de l’administration concomitante de médicaments pouvant alcaliniser les urines comme le bicarbonate de sodium, les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique et de hautes doses d’antiacides.

Chapitre 70

Il doit aussi être attentif à l’utilisation de la mémantine avec d’autres molécules antagonistes des récepteurs NMDA comme l’amantadine (Symmetrel), le dextrométhorphane (DM) et la kétamine, qui peuvent augmenter les eets indésirables centraux de la mémantine. Des eets synergiques peuvent être observés entre les agonistes dopaminergiques, la L-dopa et la mémantine (Langlais, 2006).

70A.8 Résultats selon les données probantes Dans les essais cliniques, l’ecacité des médicaments utilisés dans le traitement de la maladie d’Alzheimer est évaluée à l’aide d’instruments de mesure des fonctions cognitives, de l’état fonctionnel (tâches courantes), du comportement et de l’autonomie globale. Le médecin a recours aux échelles suivantes (Burns & al., 1999) : Aspect cognitif • L’échelle ADAS-cog (Alzheimer’s Disease Assessment ScaleCognitive Subscale) (Rosen & al., 1984) permet d’évaluer 11 domaines cognitifs, dont la mémoire, le langage, les praxies et l’orientation. Le résultat maximal est de 70 ; plus le résultat est élevé, plus la performance du patient est détériorée. Les IChE ont montré de façon consistante leur ecacité avec une taille de l’eet de 2,7 points (95 %, intervalle de conance [IC] de 2,3 à 3,0) en moyenne lors d’études d’une durée de six mois comparant les médicaments à un placebo. Cela correspond au déclin qui peut être constaté lors de l’évolution naturelle sur six mois environ, dans les stades léger à moyen de la maladie.

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Un supplément d’information sur l’échelle ADAS-cog est disponible au www.dementia-assessment.com.au/cognitive/ ADAS_Packet.pdf.

• La SIB (Severe Impairment Battery) est l’échelle la plus utilisée



pour évaluer l’aspect cognitif dans la démence de sévérité moyenne à grave. Neuf domaines cognitifs incluant l’orientation, l’attention, la mémoire, le langage, les praxies et l’interaction sociale sont évalués par des consignes simples (un mot accompagné d’un indice gestuel). Le résultat maximal est de 100 points ; plus le résultat est élevé, meilleure est la performance. La mémantine est favorisée par rapport au placebo avec une diérence moyenne de 2,97 points (95 %, IC de 1,68 à 4,26). L’échelle CIBIC-plus (Clinician’s Interview-Based Impression of Change Scale) (Schneider & Olin, 1997) permet une évaluation globale de l’aspect clinique. Cette évaluation subjective faite par le clinicien vise à détecter des changements dans la condition du patient ; les données peuvent provenir de diverses sources, dont l’aidant. Par rapport aux données de base, le clinicien doit coter le changement perçu sur une échelle de 7 points. Le point 1 indique une nette amélioration alors que le point 7 indique une détérioration marquée, et le point 4 équivaut à une stabilisation (Raina & al., 2008). Cette mesure CIBIC-plus est souvent utilisée dans les protocoles de recherche, tant pour les IChE que pour la mémantine. Les études montrent un bénéce en faveur des IChE par rapport au placebo lorsque les patients stabilisés ou en déclin sont comparés aux patients présentant un progrès, avec un risque relatif (RR) de 1,56 (95 %, IC de 1,32 à 1,85) ; ce bénéce était plus marqué lorsque les patients dont la condition était stabilisée

Potentialisateurs cognitifs, psychostimulants et non-stimulants

1519

ou améliorée étaient comparés à ceux qui présentaient une détérioration, avec un avantage pour les IChE sur le placebo avec un RR de 1,84 (95 %, IC de 1,47 à 2,30). Les études avec la mémantine ont montré une amélioration de 0,28 point (95 %, IC de 0,15 à 0,41) en faveur de ce médicament. Un supplément d’information sur l’échelle CIBIC-plus est disponible au www.morethanmedication.com.au/ Documents/CIBIS_CIBIC.pdf.

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• Le NPI (neuropsychiatric inventory) (Cummings & al.,1994) évalue l’aspect neuropsychiatrique, ce qui est particulièrement important, puisque les symptômes de ce type sont fréquents et problématiques. Il s’agit d’une entrevue de l’aidant pendant laquelle sont révisées la fréquence (de 0 à 4) et la gravité (de 0 à 3) de 12 domaines de comportements problématiques, durant les quatre semaines précédant le questionnaire. Le résultat maximal est de 144 et un résultat élevé indique une plus forte incidence et un plus grand degré de gravité des symptômes neuropsychiatriques. Les IChE ont montré un bénéce comparé au placebo dans les études d’une durée de six mois, avec une diérence en moyenne de 2,44 points au résultat total du NPI (IC de 0,76 à 4,12). La mémantine obtient un prol similaire avec une diérence moyenne de 2,76 points (IC de 0,88 à 4,63) par rapport au placebo. Un supplément d’information sur le NPI est disponible au www.dementia-assessment.com.au/behavioural/npi.pdf.

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• La DAD (Disability Assessment for Dementia) (Gélinas & al., 1999) évalue l’aspect fonctionnel en vériant auprès de l’aidant le fonctionnement du patient dans les activités de la vie domestique (AVD) et de la vie quotidienne (AVQ). Les IChE ont montré un bénéce comparé au placebo dans des études de six mois ou plus avec une diérence moyenne de 4,39 points (IC de 1,96 à 6,81). Un supplément d’information sur la DAD est disponible au www.chups.jussieu.fr/polys/dus/durehabilitationneuropsycho/echelleDemenceDADRotrou.pdf.

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• La ADCS-ADL (Alzheimer’s Disease Cooperative StudyActivities of Daily Living) (Galasko & al., 1997), dans sa version à 19 items, peut donner un résultat maximal de 54 points ; un pointage élevé indique une détérioration fonctionnelle. Des études avec la mémantine montrent un eet signicatif avec une diérence de 1,27 point (IC de 0,44 à 2,09) (Feldman, 2007).

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Un supplément d’information sur l’ADCS-ADL est disponible au www.dementia-assessment.com.au/function/ADCS-ADL_ Scale.pdf.

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Un supplément d’information sur plusieurs autres échelles est disponible au www.dementia-assessment.com.au/ measures.html.

Études Cochrane La collaboration Cochrane est une organisation à but non lucratif indépendante qui regroupe plus de 28 000 volontaires dans plus de 100 pays. Elle ore des informations concernant des résultats de la recherche médicale en conduisant des revues systématiques (méta-analyses) d’essais randomisés contrôlés d’interventions en santé. Ces travaux sont publiés dans la bibliothèque Cochrane (Cochrane Library).

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• Pour le donépézil (AriceptMD), à des doses de 5 ou 10 mg, l’étude Cochrane (Birks & Harvey, 2006), qui inclut 24 études cliniques (5 796 participants), conrme un eet bénéque statistiquement signicatif dans les quatre domaines suivants : cognitif, fonctionnel (AVQ et AVD), comportemental et impression globale cotée par les aidants et les cliniciens pour les patients sourant de DTA de légère à grave, sur des périodes de 12, 24 et 52 semaines. Après 52 semaines, le donépézil 10 mg DIE entraîne une amélioration de 1,84 point au MMSE (95 %, IC de 0,53 à 3,15). • Pour la galantamine (ReminylMD), à des doses de plus de 8 mg DIE, l’étude Cochrane (Loy & Schneider, 2006), qui inclut 10 études (6 805 participants sourant de DTA de sévérité légère à moyenne), conclut à un eet statistiquement positif après trois à six mois, et ce, dans les quatre domaines mentionnés précédemment. • Pour la rivastigmine (ExelonMD), à des doses de 6 à 12 mg DIE ou un timbre de 9,5 mg DIE, l’étude Cochrane (Birks & al., 2009) inclut neuf études cliniques (4 775 patients atteints de DTA de sévérité légère à moyenne). Ce médicament apparaît bénéque, sauf sur le plan comportemental, où l’eet après 24 à 52 semaines est non statistiquement signicatif. • Pour la mémantine (EbixaMD), l’étude Cochrane (McShane &al., 2006) conclut à un eet bénéque dans les quatre domaines pour les patients atteints de démence de sévérité moyenne à grave. Selon Massoud & Léger (2011), les patients présentant une DTA de sévérité légère à moyenne s’améliorent sur le plan cognitif avec un pic à six mois, mais cette amélioration s’estompe après 9 à 12 mois. Les IChE (donépézil, galantamine et rivastigmine) ainsi que la mémantine produisent donc une amélioration modeste, mais tout de même signicative à moyen terme. Sur le plan comportemental, ils atténuent les symptômes neuropsychiatriques. Les résultats des études qui ont comparé les trois IChE entre eux révèlent que ces médicaments présentent une ecacité comparable (Raina & al., 2008). Toutefois, des études d’une durée prolongée, mesurant l’impact à long terme du traitement sur les aidants et sur la qualité de vie des patients, sont nécessaires pour préciser leur place dans le traitement de la maladie d’Alzheimer. Deux approches non pharmacologiques produisent aussi des résultats modestes, mais signicatifs (Ballard & al., 2011) : 1. L’entraînement neurocognitif est une technique comportant des tâches standardisées, souvent sur support informatique et de niveau croissant de diculté. 2. La stimulation cognitive s’applique à des activités variées du quotidien et des activités sociales permettant une préservation de la réserve cognitive. D’autres pistes de prévention ont été identiées à la suite des conclusions d’études épidémiologiques indiquant un risque de maladie d’Alzheimer diminué chez les patients traités pour des problèmes vasculaires. Le traitement optimal de l’hypertension et de la dyslipidémie est potentiellement bénéque et s’accompagne d’améliorations statistiquement signicatives sur la santé cardiovasculaire et cérébrovasculaire (Massoud & Léger, 2011). En conclusion, diérentes options pharmacologiques sont ociellement reconnues par Santé Canada pour le traitement symptomatique de la démence. Pour la DTA de sévérité légère à moyenne, les trois inhibiteurs de la cholinestérase (donépézil, galantamine et rivastigmine) sont recommandés alors que pour la maladie

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

d’Alzheimer grave, le donépézil a été approuvé. Selon le CCCDTD4 (2012), les IChE sont utiles aussi dans le traitement de la démence mixte (maladie d’Alzheimer compliquée de maladie vasculaire cérébrale) ainsi que dans la démence associée à la maladie de Parkinson. La mémantine est reconnue utile par la CCCDTD4 (2012) pour la maladie d’Alzheimer de sévérité moyenne à grave, administrée seule ou en association avec un IChE, même si un eet bénéque additionnel de cette combinaison n’a pas été encore montré de façon concluante. Le bénéce attendu de la mémantine est modeste, selon les recherches, mais susant pour qu’elle soit recommandée par les experts (CCCDTD4, 2012). L’utilisation des potentialisateurs cognitifs peut s’avérer utile dans le contrôle des symptômes psychologiques et comportementaux de la démence, mais aucune recommandation ocielle ne milite en leur faveur ou contre leur usage dans le traitement des symptômes neuropsychiatriques associés aux démences, par manque de données probantes. Ces avenues pharmacologiques demeurent essentielles dans l’attente de traitements qui pourront modier, éventuellement, l’évolution de la maladie.

Partie B Psychostimulants et non-stimulants

disponibles actuellement au Canada est illustrée dans les gures 70.5 à 70.9. La dextro et la lévo-amphétamine sont des molécules chirales, du grec χείρ (main), c’est-à-dire qu’elles se présentent sous deux FIGURE 70.5 Structure moléculaire des amphétamines C9H13N

FIGURE 70.6 Structure moléculaire de la lisdexamfétamine

C15H25N3O (VyvanseMD)

Dextroamphétamine

Les psychostimulants et les agents non stimulants utilisés dans le traitement du trouble décit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) ont été rigoureusement étudiés dans plus de 200 recherches an d’en montrer l’ecacité et l’innocuité. Malgré ces données empiriques, ces médicaments destinés à aider les enfants, les adolescents et les adultes atteints du TDA/H font l’objet d’une certaine controverse présumant qu’ils sont surprescrits. Pourtant, les statistiques sur leur utilisation soulignent que la prévalence du TDA/H dépasse le nombre de patients qui reçoivent une prescription. Les psychostimulants constituent une classe de médicaments dont l’utilité en 1re intention dans la prise en charge du TDA/H est soutenue par l’ensemble des règles de pratique à travers le monde. Les études comparatives de diérentes modalités de traitement appuient aussi la supériorité des approches pharmacologiques comparées aux approches psychosociales traditionnelles (MTA, 1999). De plus, la combinaison de la pharmacothérapie et des approches cognitivocomportementales représente l’avenue thérapeutique de choix dans les cas plus complexes. Les psychostimulants sont utilisés en psychiatrie depuis plusieurs décennies. Ils sont approuvés par les agences gouvernementales telles que Santé Canada comme traitement pharmacologique standard du TDA/H. Les psychostimulants prescrits pour le TDA/H peuvent aussi être utilisés dans le traitement d’appoint d’autres pathologies, mais « hors indication » comme les problèmes de vigilance associés à l’apnée du sommeil ou l’hypersomnolence diurne idiopathique ou les dépressions réfractaires avec atteintes cognitives et énergétiques.

Lysine

FIGURE 70.7 Structure moléculaire du méthylphénidate

C14H19NO2

FIGURE 70.8 Structure moléculaire de l’atomoxétine

C17H21NO (StratteraMD)

FIGURE 70.9 Structure moléculaire de la guanfacine

C9 H9 Cl2 N3 O (Intuniv XRMD)

70B.1 Pharmacologie Les psychostimulants se présentent en deux familles selon le produit actif qui les compose (amphétamine [AMPH] ou méthylphénidate [MPH]). La structure moléculaire des psychostimulants

Chapitre 70

Potentialisateurs cognitifs, psychostimulants et non-stimulants

1521

formes, images l’une de l’autre dans un miroir, donc symétriques par rapport au plan que représente le miroir. Mais ces deux formes ne sont pas superposables (comme deux souliers). Elles constituent un couple d’énantiomères, du grec εѵαѵτιοσ (opposé). 1. Les produits à base d’amphétamines : • Amphétamine à courte action : Le sulfate de dextroamphétamine est disponible en comprimés à libération immédiate (Dexedrine MD) et en capsules à libération intermédiaire (Dexedrine spansuleMD). • Amphétamines à longue action : – Ce sel mixte d’amphétamines à libération prolongée (Adderall XRMD) contient deux isomères d’amphétamine, avec orientation spatiale opposée (de dextro et de lévo-amphétamine). – La lisdexamfétamine (VyvanseMD) contient de la dextroamphétamine couplée à de la lysine. Le mécanisme de libération prolongé implique que ce complexe inactif doit être scindé par une enzyme pour libérer progressivement l’ingrédient actif. 2. Les produits à base de méthylphénidate : • Méthylphénidate à courte action : Le méthylphénidate est disponible en comprimés à libération immédiate (RitalinMD) et en comprimés à libération intermédiaire (Ritalin SRMD). • Méthylphénidate à longue action disponible selon divers modes de libération : – système à granules multicouches (BiphentinMD) ; – système de libération de pompe osmotique OROS (ConcertaMD). Note : d’autres types de méthylphénidate (dexméthylphénidate) et d’autres mécanismes de libération prolongée existent (p. ex., timbre transdermique, comprimé croquable et solution orale), mais ne sont pas disponibles au Canada au moment de mettre sous presse. Il existe aussi deux médicaments « non stimulants », approuvés dans le traitement du TDA/H : • l’atomoxétine (StratteraMD) ; • la guanfacine à libération prolongée (Intuniv XRMD). Ces non-stimulants sont principalement utilisés lorsque les psychostimulants ne sont pas ecaces, sont mal tolérés ou dans le cas de problématiques associées au TDA/H comme l’anxiété ou les tics par exemple (CADDRA, 2011). La guanfacine XR est aussi indiquée comme traitement d’appoint des psychostimulants chez l’enfant et l’adolescent.

70B.2 Mécanismes d’action Plusieurs hypothèses ont été avancées concernant les causes du TDA/H ainsi que les mécanismes d’action des psychostimulants ou des non-stimulants sur le système nerveux central. Les causes exactes du TDA/H restent à préciser. Cependant, des études soutiennent un dysfonctionnement du cortex préfrontal, particulièrement au niveau du circuit cingulaire antérieur (Bush & al., 2008). Les psychostimulants sont des inhibiteurs du recaptage de la dopamine et, à un moindre degré, de la noradrénaline. Ces amphétamines thérapeutiques ont aussi un eet intracellulaire et inhibent le retour (recaptage) des catécholamines dans les

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vésicules cytoplasmiques, facilitant ainsi leur libération dans la fente synaptique. Les traitements pharmacologiques qui augmentent l’efficacité de la transmission catécholaminergique (dopamine, noradrénaline) dans ce circuit réduisent les symptômes du TDA/H. Les AMPH et le MPH dièrent quant à leur eet pharmacodynamique. Lorsque vient le temps de choisir un traitement, il faut aussi prendre en considération les facteurs pharmacocinétiques qui inuencent leur mécanisme d’action, dont leur mode de libération, qui est présenté dans cette section.

70B.2.1 Amphétamines Les produits à base de dextroamphétamine dits « à courte action » sont disponibles en comprimés à libération immédiate (DexedrineMD), permettant une action clinique de trois à quatre heures et à libération intermédiaire (Dexedrine spansuleMD), permettant une action clinique de quatre à six heures. Cependant, les comprimés de ce type sont plus à risque d’être utilisés de façon déviante, car ils sont facilement écrasables, de telle sorte qu’ils peuvent être pris par voie parentérale. Il a été démontré que la prise de psychostimulants (amphétamines et méthylphénidate) par voie intraveineuse (IV) entraîne des décharges dopaminergiques rapides du noyau accumbens (voir les gures supplémentaires) qui dièrent des décharges lentes lorsque la médication est prise par la bouche (PO). Les décharges rapides induisent de l’euphorie et augmentent le risque de dépendance (Volkow & al., 2009). Il s’agit d’un enjeu de santé publique important. Les mécanismes de libération des psychostimulants longue action, qui ne peuvent pas être réduits en poudre, et le promédicament inactif (lisdexamfétamine), qui doit être scindé pour libérer le produit, aident à protéger en quelque sorte contre l’utilisation déviante de cette classe de médicaments. Le mécanisme de libération prolongée des sels mixtes d’amphétamines contenus dans l’Adderall XRMD est possible grâce à deux types distincts de granules dont l’épaisseur de l’enrobage dière. La moitié des granules possèdent un enrobage mince pour une libération immédiate et l’autre moitié, un enrobage plus épais pour une libération diérée (voir la gure 70.10). Ce produit permet ainsi une libération des sels mixtes (dextro et lévo-AMPH) en deux phases, pour un ratio de libération immédiate de 50 % et diérée de 50 %. Ce mécanisme d’action (à granules) est inuencé par le pH gastrique. Ainsi, le moment de libération peut varier selon que le pH est acide ou alcalin (p. ex., avec prise de nourriture ou de médicament antiacide). Par ailleurs, ce mécanisme ore une action rapide suite à la prise du médicament, suivie d’un eet soutenu jusqu’à 10 à 12 heures. Quant à la lisdexamfétamine (VyvanseMD), il s’agit d’un promédicament inactif, hydrosoluble, qui ne peut pas traverser la barrière hématoencéphalique. Une réaction enzymatique à la surface des globules rouges, majoritairement dans la circulation sanguine et dans le petit intestin, est nécessaire an de l’activer et d’en extraire la dextroamphétamine. Grâce aux peptidases des globules rouges, la lysine se détache de la dextroamphétamine (voir la gure 70.11) qui est une molécule liposoluble et qui devient active, au niveau cérébral, en traversant la barrière hématoencéphalique. Ce mécanisme d’action permet un eet clinique relativement constant, de 13 heures chez l’enfant et l’adolescent et de 14 heures chez l’adulte. Le début d’action après la prise peut cependant être un peu plus lent comparativement aux mécanismes de libération à granules de l’Adderall XRMD et du BiphentinMD.

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Traitements

FIGURE 70.10 Adderall XRMD à libération prolongée contenant deux types de granules dans une même capsule

Source : Vincent (2010).

FIGURE 70.11 Scission de la lisdexamfétamine

Source : Vincent (2010).

70B.2.2 Méthylphénidate Le méthylphénidate (MPH) (RitalinMD) existe en comprimés à libération immédiate (courte durée de trois à quatre heures). Les comprimés de ce type sont plus à risque d’être utilisés de façon déviante, car ils sont facilement écrasables et peuvent alors être pris par voie parentérale (voir la sous-section 70B.2.1). Le MPH existe aussi en formulation SR (slow release Ritalin SRMD). Cependant, les experts estiment que le mode de libération de ce produit présente peu d’avantages, puisque le mécanisme d’action ne montre pas d’eet au-delà des quatre heures du RitalinMD courte action. Le méthylphénidate peut aussi être contenu dans une capsule comprenant plusieurs couches (multicouches) de granules, ce qui permet une libération de façon prolongée (BiphentinMD). Le MPH est ainsi libéré en deux phases (voir la gure 70.12), pour un ratio de libération immédiate de 40 % de la dose totale lors de la première phase et de libération diérée de 60 % lors de la deuxième phase. Ce mécanisme d’action à granules multicouches est inuencé par le pH gastrique. Ainsi, le moment de libération

peut varier selon que le pH est acide ou alcalin (prise de nourriture ou de médicament antiacide). Tout comme pour les sels mixtes d’amphétamines (Adderall XRMD), ce mécanisme à granules ore une action rapide à la suite de la prise, suivie d’un eet soutenu jusqu’à 10 à 12 heures. Le méthylphénidate peut aussi être libéré de façon prolongée selon un mécanisme de pompe osmotique de type OROS MD (ConcertaMD), permettant une libération du produit actif (MPH) en trois phases (voir la gure 70.13) : • Une première couche enrobe la capsule et permet la libération immédiate de 22 % de la dose de MPH contenue dans la capsule. • Par la suite, le système de pompe osmotique permet la libération progressive, en deux phases, des 78 % de la dose restante, avec la libération des deux compartiments de MPH selon une courbe ascendante. Ce médicament est sensible au temps de transit gastrointestinal : un transit rapide peut diminuer la présence de la capsule dans le système digestif, diminuant du fait même sa durée d’action, qui est habituellement jusqu’à 12 heures post-prise. Le

FIGURE 70.12 Mécanisme de libération progressive du BiphentinMD

Source : Vincent (2010).

Chapitre 70

Potentialisateurs cognitifs, psychostimulants et non-stimulants

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FIGURE 70.13 Mécanisme de libération progressive du ConcertaMD par la pompe osmotique OROS

Source : Vincent (2010).

début d’action après la prise peut cependant être un peu plus lent comparativement aux mécanismes de libération à granules (Adderall XRMD et BiphentinMD). Aux États-Unis, d’autres mode de libération prolongée de méthylphénidate sont disponibles, dont un système de timbre transdermique, un système à libération prolongée sous forme liquide et, plus récemment, une formulation croquable. D’autres mode de libération de produits à base de MPH sont actuellement à l’étude, comme une formule multicouche en trois phases permettant d’allonger la période de libération et une formule à libération retardée d’environ six à huit heures post-dose, permettant, lorsque pris au coucher, un eet clinique dès le moment du réveil.

70B.2.3 Atomoxétine L’atomoxétine (StratteraMD) est un agent non stimulant qui agit comme inhibiteur sélectif de la pompe de recaptage de la noradrénaline. Cette même pompe régule le recaptage de la dopamine dans le lobe frontal. L’atomoxétine, prise régulièrement à dose thérapeutique, peut réduire les symptômes du TDA/H durant 24 heures.

70B.2.4 Guanfacine à libération prolongée La guanfacine à libération prolongée (Intuniv XRMD) est le plus récent des non-stimulants disponibles au Canada. Il s’agit d’un agoniste spécique des récepteurs noradrénergiques α2A post-synaptiques. Ces récepteurs sont importants dans la régulation des canaux ioniques des membranes neuronales, altérant ainsi le seuil de dépolarisation de ces neurones. La guanfacine XR a été étudiée chez l’enfant et l’adolescent avec TDA/H. Il n’y a pas encore d’études publiées sur son utilisation chez l’adulte. La guanfacine XR, prise régulièrement à dose thérapeutique, peut réduire les symptômes du TDA/H durant 24 heures.

70B.2.5 Produits génériques Il existe maintenant des versions génériques pour plusieurs médicaments non stimulants et psychostimulants contenant soit des amphétamines, soit du méthylphénidate. Santé Canada s’appuie sur des critères spécifiques pour

1524

reconnaître qu’un produit générique est bioéquivalent au produit d’origine : • L’ingrédient actif doit être le même. • Pour reconnaître la bioéquivalence, les données de l’aire sous la courbe (quantité totale de produit actif libéré) et la concentration maximale (Cmax) du produit générique doivent se retrouver dans un intervalle de 80 à 125 % de celles du produit original. Il peut donc y avoir une certaine variation entre les courbes de libération des diérents produits génériques et celle du produit d’origine. Bioéquivalent ne signie pas d’emblée cliniquement équivalent, particulièrement pour les produits avec mode de libération prolongée. En eet, Santé Canada ne considère pas le mode de libération ni le temps nécessaire pour atteindre la concentration maximale (Tmax) dans ses considérations pour comparer le générique au produit d’origine. Par exemple, le Novo-MPH-ERMD – extended release a un temps nécessaire pour atteindre la concentration maximale (Tmax) signicativement plus court que celui du produit d’origine (Concerta MD). Autre diérence qui peut être importante, les comprimés de ce générique sont facilement écrasables, augmentant le risque d’un usage déviant (comme c’est le cas pour les comprimés de psychostimulants à libération immédiate). D’ailleurs, plusieurs patients qui recevaient du ConcertaMD formule OROS et qui ont été transférés au Novo-MPH-ER MD (générique) ont présenté une détérioration du contrôle de leurs symptômes de TDA/H et de leur fonctionnement (Van Stralen, 2013). • Par ailleurs, les critères de bioéquivalence utilisés s’appuient sur des études avec un petit nombre de volontaires sains permettant d’établir la bioéquivalence de certains paramètres pharmacocinétiques. Aucune étude clinique avec des patients n’est exigée par Santé Canada avant la mise en marché d’un produit générique. La monographie du générique est simplement une copie de celle du produit d’origine, à l’exception des informations sur la pharmacocinétique. L’expérience clinique permettra de voir l’intérêt des médicaments génériques, mais il est certain qu’ils doivent être considérés pour le moment comme des traitements potentiellement diérents des produits d’origine. Le tableau 70.6 illustre la pharmacologie des médicaments utilisés pour le traitement du TDA/H.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

TABLEAU 70.6 Pharmacologie des psychostimulants et des non-stimulants

Amphétamine (AMPH) Noms commerciaux

DexedrineMD

Méthylphénidate (MPH) RitalinMD

spansuleMD

Atomoxétine

Guanfacine

StratteraMD

Intuniv XRMD

SRMD

Dexedrine Adderall XRMD VyvanseMD

Ritalin BiphentinMD ConcertaMD

Mécanisme d’action

Inhibiteur du recaptage de la dopamine et de la noradrénaline Facilite aussi la libération des catécholamines vers la fente synaptique

Inhibiteur du recaptage de la dopamine

Inhibiteur du recaptage de la noradrénaline

Agoniste sélectif des récepteurs noradrénergiques α 2A

Absorption Les mécanismes de libération des produits génériques peuvent différer de ceux d’origine

Selon les mécanismes de libération (comprimés, capsules, granules à libération immédiate et retardée ou promédicament) (voir le tableau 70.7 )

Selon les mécanismes de libération (comprimés, granules multicouches ou pompe osmotique) (voir le tableau 70.7 )

Absorption PO rapide, Cmax de 1 à 2 h post-dose

Absorption PO Cmax 5 h post-dose

Biodisponibilité

75 %

25 % Métabolisme de premier passage hépatique important

63 % chez les patients métaboliseurs rapides 94 % chez les patients métaboliseurs lents

80 %

Demi-vie (du produit actif)

De 1 à 2 h

2,1 h chez les enfants 2,4 h chez les adultes

5 h pour les métaboliseurs rapides 21,6 h pour les métaboliseurs lents

18 h

Métabolisme

Oxydation hépatique dont les enzymes impliquées ne sont pas connues

Oxydation extrahépatique

Cytochrome P-450-2D6

Cytochrome P-450-3A4 et 3A5

Excrétion

Sous forme d’acide hippurique ou d’amphétamine inchangée 96 % urinaire < 1 % fécale

Sous forme d’acide ritalinique 97 % urinaire 3 % fécale

Sous forme de 4-hydroxyatomoxétine-O-glucuronide 80 % urinaire 17 % fécale 3 % inchangée

Excrétion urinaire et hépathique

Source : Adapté de Association des pharmaciens du Canada (2014).

70B.3 Classication Les médicaments psychostimulants (AMPH et MPH) approuvés par Santé Canada dans le traitement pharmacologique standard du TDA/H sont regroupés sous la classe des « stimulants ». Bien qu’ils possèdent des spécicités qui leur soient propres, ils présentent certaines similitudes. Par exemple, ils agissent rapidement et leurs eets cliniques sont observables peu de temps après la prise du médicament (voir le tableau 70.6). Ils partagent aussi un eet limité dans le temps : • Les psychostimulants avec durée d’action courte ou intermédiaire exercent un eet de quatre à six heures. • Les psychostimulants avec durée d’action prolongée agissent jusqu’à 10 à 14 heures. Les eets immédiats et circonscrits dans le temps des psychostimulants en font des traitements particulièrement intéressants pour leur exibilité d’usage. En eet, bien que les lignes directrices recommandent une prise quotidienne, certains patients peuvent

Chapitre 70

opter pour les utiliser sur une base ponctuelle, selon le type de tâches. En cas d’oubli de prise, la médication psychostimulante peut être reprise sans titration. Cependant, lorsque ces produits sont interrompus pour une plus longue période, il est recommandé de retirer graduellement pour établir la dose ecace actuelle et réduire les eets indésirables liés à la reprise rapide de la médication. Une autre classe de médicaments reconnus par Santé Canada pour traiter le TDA/H, l’atomoxétine et la guanfacine à libération prolongée, sont classés parmi les non-stimulants. L’eet clinique des non-stimulants dure toute la journée (24 heures). Une titration plus lente et une prise régulière sont nécessaires pour déterminer la posologie optimale. Lorsque la dose thérapeutique est atteinte, les non-stimulants peuvent prendre plusieurs jours, souvent des semaines, avant d’exercer leur plein eet clinique sur les symptômes du TDA/H (jusqu’à quatre semaines pour l’atomoxétine et de deux à trois semaines pour la guanfacine XR). Ces caractéristiques reposent sur un équilibre pharmacocinétique qui nécessite une prise quotidienne et régulière, contrairement aux psychostimulants qui peuvent être interrompus d’une journée à l’autre, puis repris sans titration (ce qui n’est quand même pas souhaitable).

Potentialisateurs cognitifs, psychostimulants et non-stimulants

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L’atomoxétine et la guanfacine à libération prolongée, quoique classées ensemble parmi les non-stimulants, sont des produits très diérents tant sur le plan de leur mécanisme d’action que sur celui de leur spécicité clinique. L’atomoxétine doit être prise régulièrement pour exercer son eet clinique, mais ne présente pas de sevrage spécique et peut être cessée du jour au lendemain sans titration à la baisse. Cependant, la prise de guanfacine XR doit être régulière et la titration à la hausse ou à la baisse, doit être étalée sur quelques jours, puisqu’un eet hypotenseur est associé à la prise et qu’il existe un risque d’hypertension rebond à l’arrêt brusque. Dans ce contexte, il est important de recommander au patient et à ses parents des stratégies pour minimiser les risques d’oublis de doses. De même, en n de traitement avec la guanfacine XR, une titration à la baisse est recommandée an de réduire le risque de ces eets indésirables associés à l’arrêt subit du traitement. D’autres médicaments sont parfois utilisés pour atténuer les symptômes du TDA/H. Il s’agit alors d’une utilisation hors indication, qui devrait être réservée aux cas complexes ou réfractaires aux traitements usuels. • La clonidine à libération immédiate (CatapresMD) est parfois utilisée hors indication dans les cas de TDA/H complexe, en combinaison avec les psychostimulants ou pour des comorbidités comme les tics ou l’agressivité. La clonidine agit comme agoniste non sélectif des récepteurs noradrénergiques α2 (comparativement à la guanfacine qui agit spéciquement sur les récepteurs noradrénergiques α2A). L’eet moins spécique de la clonidine sur les récepteurs noradrénergiques α2C se traduit cliniquement par de la somnolence et un eet cardiovasculaire (bradycardie, hypotension) plus important que celui de la guanfacine. De plus, la clonidine à libération immédiate nécessite plusieurs doses durant la journée (TID ou QID) étant donné sa courte demi-vie. L’oubli de doses entraîne un risque accru d’hypertension rebond. La formulation longue action de la clonidine n’est actuellement pas disponible au Canada. • Le bupropion (Wellbutrin SRMD et XLMD) et le modanil (AlertecMD) ont montré une ecacité relative dans le TDA/H comparativement au placebo (Wilens & al., 2001). • Certains antidépresseurs tricycliques (désipramine [PertofraneMD], imipramine [TofranilMD]) ont aussi fait l’objet d’études dans le passé, mais ils sont rarement utilisés étant donné leur prol d’eets indésirables plus dangereux, particulièrement au niveau de la toxicité cardiaque (troubles de la repolarisation). En général, de tels traitements sont prescrits dans des cas complexes, en milieu spécialisé et non en 1re ligne.

70B.4 Modalités de prescription Le traitement du TDA/H doit être individualisé. Le médecin doit réviser avec le patient (et ses proches si indiqué) les diérentes options de traitement, décider si une médication est indiquée et faire un choix parmi les médicaments disponibles. Ensuite la médication doit être initiée, ajustée, optimisée puis maintenue selon l’évolution clinique. Les prochaines sections détaillent chacune de ces étapes. Le tableau 70.7 résume les informations

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pertinentes concernant les médicaments approuvés pour le TDA/H en les regroupant par catégories : • les médicaments psychostimulants des deux groupes : amphétamines et méthylphénidate ; • les médicaments non stimulants : atomoxétine et guanfacine XR.

70B.4.1 Choix du médicament En général, le traitement pharmacologique du TDA/H est associé à une réponse clinique (réduction de 30 % des symptômes sur des échelles de mesure) dans environ 70 % des cas, allant jusqu’à 90 % lorsque toutes les stratégies ont été explorées (Pliszka, 2007). Le positionnement de l’usage des diérents médicaments pour le TDA/H a fait l’objet de plusieurs consensus d’experts à travers le monde (Atkinson & Hollis, 2010 [NICE Guidelines] ; Pliszka, 2007 [AACAP Guidelines]). Au Canada, tous les médicaments utilisés chez l’enfant ont actuellement l’indication ocielle du traitement du TDA/H chez l’adulte, sauf la guanfacine XR, pour laquelle des études complémentaires sont nécessaires pour le traitement du TDA/H chez les plus de 18 ans. Le prol clinique ou la gravité des symptômes ne permettent pas de cibler le type de molécule qui entraînera la meilleure réponse clinique. En eet, Arnold (2000) a rapporté que des patients pouvaient présenter une réponse préférentielle au MPH (17 %) alors que d’autres répondraient mieux aux AMPH (28 %). Par ailleurs, 45 % ont une réponse équivalente aux deux classes de produits. On ne peut prédire la réponse individuelle à la médication. Il n’y a pas de recherches qui montrent qu’une molécule serait plus ecace pour une présentation spécique d’inattention ou d’hyperactivité. Le choix du médicament est basé sur la durée d’action, les eets indésirables, la comorbidité et, parfois, la capacité nancière de la personne atteinte. Les lignes directrices de la CADDRA (Canadian ADHD Ressource Alliance, 2011) soulignent l’importance d’individualiser la démarche de traitement et recommandent d’utiliser : • en 1re intention, les AMPH et les MPH à « longue action » ; • en 2e intention, la DexedrineMD ou le RitalinMD à « courte action » ou les non-stimulants. Connaître les diérents mécanismes de libération de ces produits permet de mieux choisir le médicament et de l’adapter aux besoins du patient. Le type de courbe de libération, la concentration maximale (Cmax) et son moment (Tmax) modulent le prol d’ecacité au cours de la journée, et peuvent inuencer la tolérabilité ainsi que le risque d’abus potentiel (mésusage). Ceci implique que des produits contenant le même ingrédient actif peuvent exercer des eets cliniques diérents si leur mode de libération dière. Les psychostimulants à « courte action » sont surtout utilisés comme traitement adjuvant, en n de journée, pour permettre de prolonger l’eet clinique de médicaments à « longue action » pris le matin, quand leur ecacité décline en soirée. Les formulations de psychostimulants à libération immédiate facilement écrasables sont plus à risque de mésusage et déconseillées dans les cas d’abus potentiel par le patient ou son entourage. Pour maintenir un eet clinique en cours de journée, les psychostimulants à « courte action » doivent souvent être pris plusieurs fois par jour selon un horaire déterminé par leur durée d’action (aux trois à quatre heures), ce qui est peu pratique

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

TABLEAU 70.7 Médicaments utilisés dans le traitement du TDA/H au Canada

Nom générique (commercial)

Dosages disponibles

Durée d’action

Mode de libération (immédiate/ retardée)

Cmax

Dose initiale

Calendrier d’ajustement

Dose quotidienne maximale

Psychostimulants à base d’amphétamines (AMPH) Dextro­ amphétamine (DexedrineMD) Générique disponible*

Comprimés de 5 mg

4h

Comprimés (100 % / 0 %)

3h

Comprimés 2,5 mg AM

Augmenter par 40 mg palier de 2,5 à 5 mg tous les 7 j Augmenter par palier de 5 mg tous les 7 j

Spansules de 10, 15 mg

6à8h

Spansules (50 % / 50 %)

4h

Spansules 10 mg AM

Sels mixtes de dextro et lévo­ amphétamines (Adderall XRMD) Générique disponible*

Capsules de 5, 10, 15, 20, 25, 30 mg Contenu de la capsule « sau­ poudrable » sur les aliments**

12 h

Granules (50 % / 50 %)

7à8h

5 à 10 mg AM

Augmenter par palier de 5 mg tous les 7 j

30 mg

Lisdexam­ fétamine (VyvanseMD)

Capsules de 10, 20, 30, 40, 50, 60 mg Contenu de la capsule peut être dilué dans l’eau, le jus d’orange et le yogourt**

13 à 14 h

Promédicament inactif qui devient actif quand la lysine se détache de la dextro­ amphétamine

3,5 h

20 à 30 mg

Augmenter par palier de 10 mg tous les 7 j

60 mg

Psychostimulants à base de méthylphénidate (MPH) Méthylphénidate (RitalinMD) Générique disponible*

Comprimés de 5, 4 h 10, 20 mg

Comprimés (100 %/0 %)

1à3h

Comprimés 5 mg BID ou TID

Augmenter par palier de 5 à 10 mg en doses divisées tous les 7 j

60 mg

Méthylphénidate SR (Ritalin SRMD) Générique disponible*

Comprimés de 10, 20 mg

4h

Comprimés Mécanisme de libération prolongée non divulgué

1à3h

Comprimés 20 mg AM

Augmenter par palier de 20 mg tous les 7 j

60 mg

Méthylphénidate en libération multicouche (BiphentinMD)

Capsules de 10, 15, 20, 30, 40, 50, 60, 80 mg Contenu de la capsule saupou­ drable sur les aliments**

10 à 12 h

Granules multicouches (40 %/60 %)

1à3h

10 à 20 mg AM

Augmenter par Enfants et ados : palier de 5 à 10 60 mg mg tous les jours Adultes : 80 mg

Pompe osmo­ tique (OROS) (22 %/78 %)

6h

Comprimé rigide 18 mg AM Doit être avalé en entier

Augmenter par palier de 9 à 18 mg tous les 7 j

Méthylphénidate Comprimés 12 h en libération OROS de 18, 27, osmotique OROS 36, 54 mg (ConcertaMD) Générique disponible*

Chapitre 70

Enfants et ados : 54 mg Adultes : 72 mg

Potentialisateurs cognitifs, psychostimulants et non-stimulants

1527

TABLEAU 70.7 Médicaments utilisés dans le traitement du TDA/H au Canada (suite )

Nom générique (commercial)

Dosages disponibles

Durée d’action

Mode de libération (immédiate/ retardée)

Cmax

Dose initiale

Calendrier d’ajustement

Dose quotidienne maximale

Non-stimulant – inhibiteur sélectif de la pompe de recaptage de la noradrénaline Atomoxétine (StratteraMD) Générique disponible*

Capsules de 10, 18, 25, 40, 60, 80, 100 mg

Jusqu’à 24 h

Capsules Doit être avalé en entier

1à2h

Enfants : 0,5 mg/kg/j Adultes : 40 mg Peut irriter la muqueuse si la capsule est ouverte

Augmenter tous les 7 à 14 j Enfants : 0,8 mg/kg/j, puis 1,2 mg/j, puis 1,4 mg/kg/j ou 100 mg max Adultes : 60 mg, puis 80 mg, puis 1,4 mg/kg/j ou 100 mg max

1,4 mg/kg/j ou 100 mg

Ajuster tous les 7 à 14 j par palier de 1 mg jusqu’à max 4 mg

Enfants de moins de 12 ans : 4 mg

Non-stimulant – Agoniste sélectif des récepteurs noradrénergiques α2A Guanfacine à libération prolongée (Intuniv XRMD)

Comprimés de 1, 2, 3, 4 mg

Jusqu’à 24 h

Comprimés Doit être avalé en entier

5h

1 mg HS ou AM Mécanisme longue durée perdu si comprimé coupé

* Voir la sous-section 70B.2.5. ** Facilite la prise chez personnes qui ont des difcultés à avaler des comprimés en entier. Source : Adapté de Association des pharmaciens du Canada (2014) ; CADDRA (2011).

et souvent moins ecace. Cette forme de traitement (multiprise) augmente le risque d’oubli de médication, et est associée à plus d’eets indésirables en raison des pics et creux plasmatiques, mais réduit aussi la possibilité de prendre le médicament discrètement et augmente le risque d’abus. La prise de psychostimulants à courte action, hors du domicile, implique pour les jeunes une supervision par le milieu scolaire ou de garde et des vols ont été rapportés étant donné leur potentiel d’abus et de diversion. Plusieurs psychostimulants avec mode de libération prolongée sont disponibles. Pour choisir un produit parmi ceux-ci, il est important de cibler avec le patient quels sont ses besoins quant à la rapidité pour obtenir l’eet clinique après la prise mais aussi la durée d’action souhaitée. Les médicaments qui utilisent les systèmes de libération à granules permettent un début d’action rapide après leur prise, mais peuvent être associés à une action moins soutenue en n de journée. Quant au mécanisme de pompe osmotique OROS du ConcertaMD et au promédicament (lisdexamfétamine), leur eet en début de journée peut être plus lent à observer, mais leur durée d’action est souvent plus prolongée en n de journée. Pour le patient qui éprouve de la diculté à avaler des comprimés, le médecin peut proposer une formulation en granules saupoudrables sur la nourriture ou la lisdexamfétamine qui peut être diluée dans l’eau, le jus d’orange ou le yogourt. Les lignes directrices de la CADDRA (2011) recommandent l’utilisation des non-stimulants (StratteraMD ou Intuniv XRMD) en 2e intention, en monothérapie, s’il y a eu échec avec les deux types de psychostimulants ou comme traitement combiné en cas de réponse partielle aux psychostimulants pour la guanfacine XR chez les enfants et adolescents. La taille de l’eet (voir la section 70B.8) de l’atomoxétine et de la guanfacine XR est moindre que pour les psychostimulants (en moyenne 0,7 vs

1528

0,9) (Faraone & Buitelaar, 2010). Les avantages des agents non stimulants sont que les eets cliniques peuvent être présents toute la journée et permettre de couvrir les périodes durant lesquelles les psychostimulants ne sont pas ecaces, tôt le matin ou en n de soirée. L’ajout d’un non-stimulant peut aussi permettre d’utiliser des doses moindres de psychostimulants, favorisant ainsi la tolérabilité et un contrôle symptomatique durant 24 heures (Wilens & al., 2013). La prédominance d’hyperactivité et d’impulsivité et la présence d’insomnie sont des situations cliniques qui répondent favorablement à la guanfacine XR (Intuniv XRMD). La littérature scientique soutient par ailleurs son utilité dans les cas de TDA/H avec symptômes oppositionnels (Connor, 2010) et avec tics (Pringsheim & al., 2012). La guanfacine XR est approuvée par Santé Canada en monothérapie et comme traitement adjuvant aux psychostimulants chez les enfants et les adolescents. Le remboursement de la guanfacine XR par l’assurance médicament publique au Québec spécie que les deux classes de psychostimulants (AMPH et MPH) doivent avoir été essayées avant d’utiliser la guanfacine XR en adjuvant avec un psychostimulant. La combinaison d’un psychostimulant avec la guanfacine chez l’adulte n’a pas reçu l’autorisation de Santé Canada et est prescrite seulement dans des cas complexes, « hors indication ». Geller et ses collaborateurs (2007) ont montré que l’atomoxétine (StratteraMD) peut exercer une certaine réduction des symptômes anxieux coexistant avec le TDA/H, ce qui amène plusieurs médecins à considérer cette molécule en présence de TDA/H + anxiété. Par ailleurs, l’atomoxétine n’augmente pas les tics, de telle sorte que plusieurs médecins la prescrivent dans certains cas de syndrome de Gilles de la Tourette, mais il existe peu d’études pour appuyer cette utilisation. La

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Traitements

combinaison d’un psychostimulant avec l’atomoxétine chez l’enfant, l’adolescent et l’adulte n’a pas reçu l’autorisation de Santé Canada et est prescrite seulement dans des cas complexes, « hors indication ». Certains psychostimulants et non-stimulants sont disponibles en version générique, le médecin doit être avisé des diérences potentielles entre ces produits et ceux d’origine (voir la soussection 70B.2.5).

70B.4.2 Début du traitement Dans les cas où un traitement pharmacologique est indiqué, le médecin détermine s’il y a des précautions particulières à prendre ou un bilan à compléter. Pour ce qui est des traitements pharmacologiques du TDA/H, aucun bilan spécique n’est requis lors de l’initiation du traitement par des psychostimulants ou des agents non stimulants. Une anamnèse et un examen physique susent habituellement à identier les patients à risque. La mesure initiale, puis le suivi du poids, de la taille, du pouls et de la pression artérielle sont importants an de reconnaître des eets indésirables potentiels à ces niveaux. Certaines situations cliniques peuvent faire l’objet d’un monitorage plus exhaustif. Les patients avec antécédents personnels ou familiaux cardiaques signicatifs (p. ex., maladie cardiaque structurale, trouble du rythme) devraient être dirigés en cardiologie avant de commencer à prendre des psychostimulants étant donné leur eet sympathomimétique. Il est recommandé de dépister les patients à risque en leur demandant s’ils ont subi des syncopes inexpliquées, s’ils ont des antécédents familiaux de mort subite chez des proches parents de moins de 50 ans ou s’ils présentent une intolérance marquée à l’exercice. Un ECG, au repos et à l’eort, accompagné d’examens radiologiques (échocardiographie) sont parfois requis dans des situations complexes et leurs indications devraient être déterminées par un spécialiste. La posologie doit être individualisée. Il est impossible de prédire la dose optimale selon le poids du patient pour les psychostimulants alors qu’il y a une corrélation possible entre le poids du patient et la dose thérapeutique pour les non-stimulants. Quel que soit le produit sélectionné, les experts recommandent de débuter à la plus faible dose disponible et de l’ajuster progressivement en tenant compte des eets bénéques et indésirables. Les modalités de prescription présentées dans le tableau 70.7 permettent d’établir la dose de départ, les stratégies d’augmentation des doses et la dose maximale autorisée par Santé Canada.

i

Un supplément d’information sur les dosages de médicaments est disponible au www.caddra.ca.

Un des avantages des médicaments de la classe des psychostimulants repose sur leur ecacité survenant dans les heures qui suivent la prise. Ceci permet d’ajuster les doses sur une base hebdomadaire et de déterminer la dose optimale relativement rapidement si le traitement est bien toléré (voir la section 70B). En cas d’eets indésirables majeurs, la médication peut être réduite ou interrompue rapidement et il n’y a pas de phénomène de sevrage associé. Il est important de mentionner que les bénéces observés avec les psychostimulants dépassent grandement les risques potentiels, ce qui devrait rassurer les patients et leurs proches. La prescription de l’atomoxétine (StratteraMD) se base sur un principe d’équivalence pondérale. Il est recommandé de

Chapitre 70

commencer le traitement à petite dose et d’augmenter la posologie tous les 7 à 14 jours, selon l’ecacité clinique et les eets indésirables. Il faut surveiller les interactions médicamenteuses (reliées au cytochrome 2D6). Dans ces cas, il est suggéré de débuter à demi-dose. La dose thérapeutique maximale varie selon le poids et l’âge du patient. Comme les eets bénéques de l’atomoxétine peuvent prendre plusieurs semaines à se manifester, il est recommandé d’observer pendant un minimum de quatre semaines à la dose optimale avant de statuer sur son ecacité. La prise peut être à n’importe quel moment de la journée, mais puisque l’atomoxétine peut occasionner des nausées, il est préférable de la prendre en mangeant. En cas de somnolence, il est suggéré de prendre le médicament en soirée. L’atomoxétine peut être cessée rapidement, aucun sevrage n’étant observé avec cette molécule. La guanfacine XR (Intuniv XRMD) doit être commencée à la plus faible dose quel que soit le poids ou l’âge du patient. Il faut surveiller les interactions médicamenteuses (reliées aux cytochromes 3A4 et 3A5). L’ajustement des doses peut se faire tous les 7 à 14 jours. La dose thérapeutique maximale varie selon l’âge du patient et son utilisation (en monothérapie ou en combinaison avec les psychostimulants). Il faut attendre un minimum de trois semaines avant de statuer sur l’ecacité de la guanfacine XR. La guanfacine XR peut être prise à jeun ou sur un estomac plein et les eets thérapeutiques sont semblables que la prise soit en début de journée ou en soirée (Wilens & al., 2013). Elle est souvent prescrite le soir étant donné que ce médicament peut induire de la somnolence, particulièrement en début de traitement. Certains patients peuvent opter pour une prise le matin pour minimiser le risque d’oubli, par exemple, lorsqu’un psychostimulant est pris en combinaison. Contrairement aux psychostimulants et à l’atomoxétine, la guanfacine XR doit être cessée progressivement an d’éviter une hypertension artérielle rebond. Les patients doivent être avisés des eets cardiovasculaires potentiels si des doses sont omises.

70B.4.3 Traitement d’entretien Pour le traitement pharmacologique au long cours du TDA/H, il s’agit d’abord de déterminer la dose optimale associée à une réponse thérapeutique tout en minimisant les eets indésirables, puis maintenir le traitement ecace. L’objectif du traitement vise à réduire les impacts fonctionnels du TDA/H. Une diminution en intensité ou en nombre de symptômes signicatifs est un bon indicateur de changement. Comme les résultats scolaires peuvent ou non reéter une réponse clinique, ils ne devraient pas être utilisés comme seul indice d’ecacité. Un arrêt de traitement peut être indiqué en cas de non réponse clinique, d’eets indésirables majeurs ou dans le contexte d’une nette amélioration clinique pour observer si, sans traitement, la personne présente encore des symptômes invalidants de TDA/H. Pour mesurer les changements cliniques en cours de suivi, il est fortement recommandé d’utiliser des d’échelles cliniques de symptômes TDA/H comme le SNAP-IV (Swanson, Nolan and Pelham) (voir la gure 60.2), l’ASRS (Adult Self-Report Scale) (voir la gure 60.1) ou l’inventaire des symptômes du TDA/H (caddra. ca). Le SNAP-IV est le plus souvent utilisé auprès des enfants, alors que l’ASRS l’est pour les adultes et que l’inventaire des symptômes du TDA/H peut être employé pour tous les groupes d’âge. Le clinicien peut demander au patient (ou ses proches) d’identier, parmi les symptômes cliniquement signicatifs (résultats de 2

Potentialisateurs cognitifs, psychostimulants et non-stimulants

1529

ou 3), lesquels sont les plus invalidants, permettant d’en faire des cibles d’intervention. Un résultat entre 0 et 1 est normal. Ce chapitre cible les approches pharmacologiques, mais il importe de rappeler que la médication s’inscrit dans une approche globale qui doit aussi inclure des interventions psychosociales. Les enjeux d’observance aux traitements pharmacologiques font partie des dés auxquels le médecin doit faire face. La psychoéducation est un outil d’intervention particulièrement ecace an de s’assurer que le patient et ses proches comprennent ce qu’est le TDA/H et quelle est la place de la médication dans le plan thérapeutique. Les cliniciens utilisent souvent l’image de « lunettes pour le cerveau ». Impliquer la personne atteinte de TDA/H, quel que soit son âge, dans les choix d’intervention et prendre le temps d’avoir une discussion franche sur les eets bénéques et indésirables favorise l’alliance thérapeutique. Les caractéristiques des molécules pharmacologiques, comme les psychostimulants à « longue action » ou les non-stimulants avec prise une fois par jour, améliorent l’adhésion au traitement. Prévoir le suivi et déterminer la fréquence des rendez-vous est aussi associé à une meilleure adhésion aux approches pharmacologiques. Les aspects cliniques du TDA/H sont présentés en détail au chapitre 60, à la section 60A. Le suivi d’adolescents avec un TDA/H est parfois complexe. C’est une période de transition durant laquelle les parents ont moins d’emprise sur leur jeune et l’équipe traitante doit composer avec l’autonomie grandissante des adolescents. Plusieurs d’entre eux demandent l’arrêt de la médication an de tester leur capacité à compenser leur décit d’attention sans apport pharmacologique. L’impulsivité marquée durant l’adolescence est particulièrement préoccupante quant à l’utilisation de substances, à la conduite automobile et aux comportements sexuels. L’alliance thérapeutique joue un rôle crucial dans la capacité du médecin à garder les jeunes engagés dans leur traitement.

70B.4.4 Traitement des cas réfractaires Les cas réfractaires doivent amener le médecin à revoir les éléments diagnostiques incluant la présence d’une problématique associée (comorbidité), à s’assurer de l’adhésion au traitement et à rechercher des facteurs de stress externes qui pourraient venir compliquer le tableau clinique. Le médecin doit aussi considérer le fait que certains patients répondent de façon plus favorable à une classe de médicaments qu’à une autre, auquel cas il doit envisager l’essai d’un médicament d’une autre classe. En fait, 45 % des patients qui présentent un TDA/H ont une réponse équivalente aux MPH et aux AMPH. Cependant, 17 % réagissent mieux aux dérivés de MPH et 28 % aux AMPH (Arnold, 2000). Plusieurs raisons peuvent contribuer à une réponse sous-optimale au traitement. Par exemple, certains patients rapportent des pics et des creux ou des eets rebond en n de dose. Dans ces cas, on peut envisager un mode de libération plus soutenu tout au long de la journée, ou encore modier la courbe de libération du produit par l’ajout d’une médication de courte action en n de journée. Il n’y a pas d’équivalence posologique entre les diérents types de psychostimulants. Lorsqu’un changement de psychostimulant vers un autre est indiqué, le premier produit est cessé pour ensuite introduire le second qui doit être titré à son tour selon les indications de ce produit. La combinaison d’un psychostimulant avec un

1530

non-stimulant est aussi une option possible. Il ne faut pas oublier l’apport des approches psychosociales en appui aux agents pharmacologiques comme l’entraînement aux habiletés parentales pour les parents qui ont des enfants d’âge scolaire ou encore les stratégies cognitivo-comportementales pour les adolescents ou les adultes.

70B.4.5 Conditions particulières La comorbidité entre le TDA/H et les troubles d’utilisation de substances illicites est fréquente (Poulin, 2001) et l’usage déviant des psychostimulants est un enjeu de santé publique. Plusieurs personnes vendent ou donnent leurs médicaments. Wilens et ses collaborateurs (2011) ont mené une étude randomisée avec l’atomoxétine pour traiter le TDA/H associé à l’alcoolisme. Ils notent un eet modéré sur les symptômes de TDA/H et une diminution de la consommation excessive d’alcool (binge drinking). Riggs (2011) a étudié la combinaison de l’OROS MPH (Concerta MD ) avec la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) pour traiter le TDA/H associé à un trouble d’utilisation de cannabis. Elle conclut que la TCC est très ecace pour contrôler cet abus de cannabis et que l’OROS MPH ore un avantage, comparativement au placebo, quant au nombre de dépistages d’urine négatifs chez les patients qui recevaient le traitement au ConcertaMD.

70B.5 Indications et contre-indications Les psychostimulants (AMPH et MPH), l’atomoxétine et la guanfacine ont des indications reconnues pour le TDA/H. Ils présentent peu de contre-indications absolues. La présence de tics (syndrome de Gilles de la Tourette) est fréquemment associée au TDA/H, et les psychostimulants peuvent les exacerber. Les agonistes noradrénergiques α2A (guanfacine XR ou clonidine), l’atomoxétine ou les antipsychotiques sont parfois prescrits (hors indication) an de diminuer les tics et peuvent être associés aux psychostimulants dans certains cas. D’autres maladies neurologiques concomitantes, comme l’épilepsie, demandent une certaine prudence. En général, les psychostimulants peuvent être utilisés chez les patients épileptiques si l’épilepsie est traitée et considérée comme stable. Quant aux agents non stimulants, une attention particulière devrait être portée aux interactions pharmacologiques avec les agents antiépileptiques métabolisés par le cytochrome P-450. La prescription de médicaments utilisés pour le TDA/H doit faire l’objet d’un suivi spécialisé et étroit dans certains troubles psychiatriques comme les troubles alimentaires, les psychoses ou les troubles aectifs bipolaires, car les psychostimulants peuvent les exacerber. En 2006, Santé Canada a publié d’importantes informations relatives à la sécurité des médicaments utilisés pour le traitement du TDA/H. Ils ne devraient pas être prescrits si le patient présente : • une maladie cardiaque symptomatique ; • une hypertension artérielle modérée ou grave ; • une artériosclérose grave ; • une hyperthyroïdie.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

• optimiser l’hygiène du sommeil en maintenant un environ-

70B.6 Effets indésirables

nement tranquille et confortable ;

• établir une heure de coucher et une heure de réveil stables ; • faire de l’activité physique au cours de la journée (en évi-

70B.6.1 Effets indésirables reliés aux psychostimulants Les eets indésirables classiquement rencontrés avec ces médicaments sont les psychostimulants sont les suivants : • Système digestif :  réduction ou perte d’appétit (anorexie) ;  perte de poids ;  ralentissement de la croissance ; – symptômes gastro-intestinaux : nausées, douleur épigastrique ; – sécheresse de la bouche (xérostomie). • Système nerveux central : – diculté à s’endormir ou insomnie ; – céphalées ; – étourdissements ; – irritabilité, anxiété, fébrilité, humeur dépressive ; – aggravation de tics préexistants. • Système cardiovasculaire : – variations de la pression artérielle ; – variations du pouls : tachycardie ou palpitations. Les eets indésirables peuvent être réduits en utilisant une faible posologie de départ et en l’augmentant lentement. S’il y a une baisse d’appétit ou des nausées signicatives, une prise postprandiale est suggérée. Il faut aussi surveiller la pression artérielle et le pouls, particulièrement lors des changements de doses. Les psychostimulants peuvent réduire l’appétit et le modier à certains moments de la journée, avec un retour de l’appétit quand les taux sanguins du médicament sont en diminution. Une suppression de deux centimètres de la taille à l’âge adulte peut survenir lors d’un traitement pharmacologique continu pendant huit ans (Molina & al., 2009). Dans ce contexte, il est utile de remettre aux parents un tableau poids/taille pour qu’ils puissent surveiller tout changement signicatif dans la courbe de croissance et en aviser le médecin. Il y a lieu d’informer les parents que l’enfant peut perdre du poids en début de traitement à cause d’une perte d’appétit, mais que cela se stabilisera. En cas de réduction d’appétit, il vaut mieux retarder la prise du médicament après le petit-déjeuner. Les enfants doivent être encouragés à manger quand ils ont faim, en particulier le matin et le soir. Une collation nutritive en soirée est recommandée. Des suppléments alimentaires peuvent être utiles. Dans les cas de retard de croissance, la consultation d’un nutritionniste peut être nécessaire an d’optimiser d’alimentation. Des problèmes de sommeil sont souvent rapportés en lien avec le TDA/H. Le plus fréquent est le syndrome du délai de phase du sommeil, un trouble dans lequel le patient s’endort tardivement et a tendance à dormir plus longtemps le matin. Les psychostimulants peuvent aussi causer de l’insomnie ou l’exacerber, si bien qu’il est plutôt recommandé d’administrer le produit à libération prolongée le matin s’il est associé à une diculté à s’endormir le soir. On peut aussi envisager de réduire la dernière dose dans la journée ou de changer le type de produit. D’autres stratégies sont utiles an de contrer les problèmes d’insomnie :

Chapitre 70

tant cependant d’en faire au moins deux heures avant l’endormissement) ; • limiter les activités au lit à la lecture et aux relations sexuelles ; • éviter les médias sociaux et l’ordinateur avant d’aller se coucher, car la luminosité de l’écran inhibe la sécrétion de la mélatonine qui favorise le sommeil. Un supplément de mélatonine (3 à 6 mg) administré 30 minutes et plus avant l’heure de sommeil est le seul produit sans prescription à avoir été testé lors d’essais randomisés pour l’insomnie associés au TDA/H. En 2015, Santé Canada a cependant diusé une alerte avisant les médecins d’une possible augmentation d’idéations suicidaires quand le TDA/H est traité avec les psychostimulants, particulièrement au début du traitement, lorsque les doses sont modiées ou que le traitement est cessé. Ainsi, l’irritabilité ou la dysphorie qui accompagnent parfois les traitements psychostimulants devraient faire l’objet d’un suivi étroit.

70B.6.2 Effets indésirables reliés à l’atomoxétine Les eets indésirables rapportés plus fréquemment avec l’atomoxétine sont les suivants : • Système digestif :  nausées (un des eets marqués qui entravent l’observance) ;  baisse d’appétit et perte de poids ;  symptômes gastro-intestinaux (constipation, diarrhées) ;  bouche sèche (xérostomie). • Système nerveux central :  insomnie ou somnolence (selon l’âge) ;  étourdissements ;  anxiété. • Système cardiovasculaire :  hypertension artérielle. • Système génito-urinaire :  dysfonction sexuelle (aectant davantage les adultes que les adolescents). Lorsque les eets digestifs sont marqués, des nausées par exemple, la prise de l’atomoxétine à la n du repas est utile, tout comme la division de la prise, donnée au déjeuner et au souper. Certains des eets indésirables peuvent être diérents selon l’âge du patient. Chez les enfants, on rapporte typiquement un eet activateur de l’atomoxétine et il est recommandé de la donner le matin, puisqu’en soirée, des cas d’insomnie ont été rapportés. Chez les adolescents et les adultes, l’atomoxétine peut avoir un eet sédatif et ainsi être aisément prise au coucher. Finalement, on peut mentionner deux eets rapportés, mais rares, lors d’études avec l’atomoxétine : • des cas d’insusance hépatique réversible. Il n’est cependant pas nécessaire de faire un bilan hépatique prétraitement. Les recommandations sont d’observer lors du suivi si des signes ou des symptômes de trouble hépatique sont notés (douleur

Potentialisateurs cognitifs, psychostimulants et non-stimulants

1531



hépatique, ictère, prurit, changement de couleur des selles ou des urines), dans lesquels cas les niveaux d’enzymes hépatiques sériques devraient être mesurés. des idées suicidaires accrues de telle sorte que le suivi des patients avec TDA/H traités sous atomoxétine devrait comprendre une évaluation du risque suicidaire. Les études ont mis en évidence une augmentation de 0,37 % des idées suicidaires chez les patients qui recevaient l’atomoxétine comparativement au placebo. Une discussion franche sur la présence d’idées suicidaires est essentielle avant d’amorcer le traitement. L’objectif est de rassurer les patients ou leurs parents, car ce risque demeure plutôt théorique et est rarement rencontré en clinique.

70B.6.3 Effets indésirables reliés à la guanfacine Les eets indésirables rapportés plus fréquemment avec la guanfacine XR sont les suivants : • Système digestif : – bouche sèche (xérostomie) ; – baisse d’appétit (légère, comparativement aux psychostimulants). • Système nerveux central : – somnolence, fatigue ; – céphalées ; – étourdissements. • Système cardiovasculaire : – bradycardie ; – hypotension. L’atomoxétine et la guanfacine XR peuvent entraîner de la sédation et parfois aider à induire de la somnolence si elles sont données au coucher. Contrairement aux psychostimulants et à l’atomoxétine, la guanfacine peut ralentir le rythme cardiaque et abaisser la pression artérielle.

La gestion des eets indésirable de la guanfacine XR peut être facilitée par une prise au coucher (HS) an de favoriser l’endormissement. Quant à la fatigue, la combinaison avec les psychostimulants peut parfois aider à contrer la somnolence présente en début de traitement. L’éducation sur l’importance d’une bonne hydratation et la surveillance de l’ortho statisme (se lever lentement, par étape) peuvent aider à atténuer les impacts de ces eets cardiovasculaires indésirables. Il est aussi rapporté que la guanfacine peut avoir un eet sur la longueur de l’espace QTc. Actuellement, il est recommandé de faire un ECG si la guanfacine est combinée avec un autre agent pharmacologique qui prolonge le QTc (p. ex., certains antipsychotiques atypiques ou les antidépresseurs ISRS). Le tableau 70.8 résume les principaux eets indésirables des psychostimulants et des non-stimulants ainsi que des suggestions pour les atténuer.

70B.7 Interactions médicamenteuses Les principales interactions médicamenteuses sont présentées dans le tableau 70.9. Les psychostimulants ne sont pas affectés par les interactions au niveau des enzymes hépatiques des cytochromes P-450, puisque leur métabolisme est de type extrahépatique. Néanmoins, certaines interactions pharmacologiques doivent faire l’objet de précautions. • Les psychostimulants ne devraient pas être combinés avec les inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO) qui augmentent les eets noradrénergiques, car cette combinaison accentue le risque de crise hypertensive. • Les psychostimulants diminuent les eets antihypertenseurs des β-bloquants et des agonistes noradrénergiques α2A.

TABLEAU 70.8 Principaux effets indésirables des médicaments pour le TDA/H

Amphétamine (AMPH) et méthylphénidate (MPH) Principaux effets indésirables

• • • • • • • •

Guide pratique dans la gestion des effets indésirables

• Suivre la courbe staturopondérale • Prendre la dose après le déjeuner pour atténuer l’effet sur l’appétit et les dérangements gastriques • Mélatonine en soirée si insomnie • Les céphalées se dissipent habituellement après 7 à 10 jours : traitement analgésique PRN pour cette période • Combinaison des psychostimulants avec les non-stimulants pour les tics ou l’anxiété

1532

Baisse d’appétit Retard de croissance Dérangement gastrique Insomnie Céphalées Anxiété Irritabilité Tics

Atomoxétine

Guanfacine

• Nausées • Somnolence ou insomnie • Dysfonction érectile

• Hypotension • Bradycardie • Fatigue

• Prendre avec de la nourriture • Augmenter la dose progressivement • Diviser la dose en BID

• Augmenter la dose progressivement • Assurer une bonne hydratation • Prendre la dose au coucher

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Traitements

TABLEAU 70.9 Principales interactions médicamenteuses

Amphétamines (AMPH)

Méthylphénidate (MPH)

Atomoxétine

Guanfacine

Interactions pharmacocinétiques qui augmentent les taux plasmatiques des psychostimulants et des non-stimulants

Bicarbonate de sodium : diminution de l’élimination des AMPH par alcalinisation des urines

Nil

Fluoxétine, paroxétine, bupropion et autres inhibiteurs du CYP-2D6 : inhibition du métabolisme de l’atomoxétine

Antifongiques azolés (kétoconazole, itraconazole, voriconazole) : inhibition du métabolisme de la guanfacine

Interactions pharmacocinétiques qui diminuent les taux plasmatiques des psychostimulants et des non-stimulants

Antiacides : diminution de l’absorption des AMPH

Carbamazépine : induction du métabolisme du MPH

Nil

Phénytoïne : induction du métabolisme de la guanfacine

Interactions pharmacodynamiques

ISRS, IRSN : risque de syndrome sérotoninergique IMAO : risque de crise hypertensive

IMAO : risque de crise hypertensive

IMAO : risque de crise β-bloquants : risque de crise hypertensive et de syndrome hypertensive à l’arrêt de la sérotoninergique guanfacine Sympathomimétiques à action directe (épinéphrine, dobutamine, pseudoéphédrine) : augmentation des effets des sympathomimétiques

Source : Adapté de Association des pharmaciens du Canada (2014).

• Les psychostimulants peuvent augmenter les eets des antidépres-

• La combinaison de la guanfacine avec les antihypertenseurs

seurs ISRS et tricycliques, ce qui a parfois amené des médecins à utiliser ces combinaisons pour les dépressions résistantes. • Les psychostimulants peuvent aussi augmenter l’eet des anticonvulsivants (phénobarbital, phénytoïne [DilantinMD] et primidone [MysolineMD]). • Les dérivés du MPH (ConcertaMD, BiphentinMD, RitalinMD) entraînent une augmentation de l’eet des anticoagulants (CoumadinMD). L’atomoxétine est métabolisée par le cytochrome P-450-2D6 et plusieurs interactions pharmacocinétiques sont rapportées. Le 2D6 présente un polymorphisme génétique : 10 % des Caucasiens sont des métaboliseurs rapides et de 5 à 10 % sont des métaboliseurs lents. • Les concentrations de l’atomoxétine, qui est métabolisée par le 2D6, sont augmentées par les ISRS, les antipsychotiques et la quinidine, un antiarythmique. • L’atomoxétine peut entraîner une crise hypertensive si elle est combinée avec les antidépresseurs IMAO qui augmentent les eets noradrénergiques. La guanfacine est métabolisée par les cytochromes P-450-3A4 et 3A5. Par conséquent, certains médicaments et aliments métabolisés par ces mêmes voies peuvent causer des interactions. • Les anticonvulsivants (phénobarbital et phénytoïne) et certains ISRS augmentent les concentrations de guanfacine. • La guanfacine augmente la concentration de l’acide valproïque (EpivalMD). • Le jus de pamplemousse et certains antibiotiques (p. ex., clarithromycine [BiaxinMD], uconazol [DiucanMD]) peuvent interagir avec son métabolisme. • La combinaison de la guanfacine avec des agents qui présentent un eet cardiaque comme les antiarythmiques nécessitent des précautions ; la combinaison avec la quinidine est contre-indiquée.

(β-bloquants ou agonistes α) augmente les eets hypotenseurs. Des eets sédatifs additionnels peuvent se faire sentir lorsque la guanfacine est utilisée avec des médicaments antihistaminiques.

Chapitre 70



70B.8 Résultats selon les données probantes Les psychostimulants et les non-stimulants utilisés dans le traitement du TDA/H ont tous fait l’objet d’études rigoureuses, randomisées, contrôlées avec placebo an d’en documenter l’ecacité et la tolérabilité. On peut citer en exemple les études cliniques permettant d’évaluer les enfants avec un TDA/H dans des situations de classes simulées et celles évaluant les adultes avec TDA/H dans des situations de milieux de travail simulées. Elles permettent une observation continue et documentent la durée d’action des diérents médicaments. Par ailleurs, les organismes comme la FDA aux États-Unis ou Santé Canada exigent des études de titration forcée, ce qui expose les patients à des dosages élevés sans égard à la réponse pharmacologique. Cette approche méthodologique est quand même nécessaire an de documenter les eets indésirables. Une méta-analyse (Faraone & Buitelaar, 2010) porte sur l’étude de l’ecacité du MPH en comparaison des AMPH. Vingt-trois études examinant les agents psychostimulants en comparaison du placebo concluent à une taille de l’eet de 1,03 pour les AMPH et de 0,77 pour le MPH (p = 0,03). Le NNT (nombre nécessaire à traiter) est de 2 pour les AMPH et de 2,6 pour le MPH. Il est important de noter que toutes les études soutiennent l’ecacité des psychostimulants (MPH et AMPH). Une autre métaanalyse (Tanaka & al., 2013) a examiné les résultats de 15 études impliquant l’atomoxétine et le placebo dans quatre régions du monde (Asie, Russie, Europe, Amérique). Dans toutes ces régions, l’atomoxétine montre une réponse favorable même si une certaine

Potentialisateurs cognitifs, psychostimulants et non-stimulants

1533

inconsistance apparaît selon la région (Asie, particulièrement) quant à la capacité de cette molécule à diminuer les symptômes de 40 % sur les échelles de mesure du TDA/H. Des données probantes issues de plusieurs études (CADDRA, 2011) permettent aussi de documenter l’eet des médicaments psychostimulants et non stimulants dans les contextes de comorbidités (anxiété, trouble oppositionnel, trouble d’apprentissage, dépression majeure, trouble aectif bipolaire, trouble lié aux substances). Cox et ses collaborateurs (2011) se sont aussi intéressés à documenter leur eet concernant certains enjeux fonctionnels comme dans les cas d’échecs scolaires ou de conduite automobile. Dans ce dernier cas, des expériences de conduite simulée ont montré que le TDA/H est associé à plus d’accidents et d’excès de vitesse. Les médicaments diminuaient le risque d’accidents et d’excès de vitesse. Ces résultats devraient amener les cliniciens à bien informer les patients présentant un TDA/H en âge de conduire des risques qu’ils encourent s’ils conduisent en dehors des périodes d’ecacité de la médication (Barkley & al. (2002). Malgré la controverse qui se poursuit quant à leur utilisation, les psychostimulants, sur le plan strictement scientique, font partie des approches médicales les plus ecaces que la

médecine moderne utilise. La taille de l’eet montre combien ces médicaments se comparent avantageusement avec d’autres agents thérapeutiques. Les psychostimulants ont une taille de l’eet entre 0,8 et 1,2 et les non-stimulants, entre 0,5 et 0,7. Rappelons que la taille de l’eet est un calcul qui tient compte de l’eet du traitement actif moins l’eet du traitement inactif (placebo), divisé par la somme des écarts types.

Les approches pharmacologiques sont utiles dans le traitement du TDA/H. Les interventions psychosociales sont aussi nécessaires, et la prise en charge des patients présentant un TDA/H devrait miser sur une approche multimodale. Le clinicien a avantage à utiliser des outils psychoéducatifs, dont il existe plusieurs manuels ou sites Internet en version française. Les patients et leur famille bénécient des connaissances qui leur sont transmises et peuvent ainsi développer des stratégies adaptées à leurs besoins. La résistance au traitement s’en trouve alors grandement diminuée et, ultimement, les décits fonctionnels du trouble sont atténués, ce qui favorise l’amélioration de la qualité de vie.

Lectures complémentaires R, C. (2010). Développement cérébral, TDA/H et psychostimulants, Éditions universitaires européennes. S, M. V. & al. (2001). Stimulant Drugs and ADHD, Basic and Clinical Neuroscience, Oxford University Press.

1534

V, A. (2010). Mon cerveau a besoin de lunettes, Montréal, Québec-livres. V, A. (2014). Mon cerveau a encore besoin de lunettes, Montréal, Québec-livres.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

Un site d’information, de trucs et d’astuces sur le TDA/H : www.attentiondecitinfo.com.

CHA P ITR E

71

Stabilisateurs de l’humeur Mario Roy, M.D., FRCPC, M. Sc. (sciences neurologiques)

Andrée Daigneault, M.D., FRCPC

Psychiatre, Unité des soins intensifs, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Psychiatre, chef et chercheuse, intervention précoce en bipolarité, Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal

Professeur chargé d’enseignement clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Suzane Renaud, M.D., FRCPC

Serge Beaulieu, M.D., FRCPC, Ph. D. (physiologie)

Psychiatre, programme des troubles bipolaires, Institut universitaire en santé mentale Douglas (Montréal)

Psychiatre, chef médical, chercheur, programme des troubles de l’humeur, d’anxiété et d’impulsivité, Institut universitaire en santé mentale Douglas (Montréal)

Professeure associée de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université McGill (Montréal)

71.1 Lithium ......................................................................... 1536 71.1.1 Pharmacologie ..................................................... 1536 71.1.2 Mécanismes d’action .......................................... 1536 71.1.3 Modalités de prescription.................................. 1537 71.1.4 Indications et contre-indications ..................... 1538 71.1.5 Eets indésirables................................................ 1539 71.1.6 Interactions médicamenteuses ......................... 1540 71.1.7 Résultats selon les données probantes ............ 1540 71.2 Acide valproïque.......................................................... 1540 71.2.1 Pharmacologie ..................................................... 1540 71.2.2 Mécanismes d’action .......................................... 1541 71.2.3 Modalités de prescription.................................. 1541 71.2.4 Indications et contre-indications ..................... 1542 71.2.5 Eets indésirables................................................ 1542 71.2.6 Interactions médicamenteuses ......................... 1543 71.2.7 Résultats selon les données probantes ............ 1543 71.3 Carbamazépine ............................................................ 1543 71.3.1 Pharmacologie ..................................................... 1544

Professeur agrégé, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université McGill (Montréal)

71.3.2 Mécanismes d’action .......................................... 1544 71.3.3 Modalités de prescription.................................. 1544 71.3.4 Indications et contre-indications ..................... 1545 71.3.5 Eets indésirables................................................ 1545 71.3.6 Interactions médicamenteuses ......................... 1545 71.3.7 Résultats selon les données probantes ............ 1545 71.4 Lamotrigine.................................................................. 1546 71.4.1 Pharmacologie ..................................................... 1546 71.4.2 Mécanismes d’action .......................................... 1546 71.4.3 Modalités de prescription.................................. 1546 71.4.4 Indications et contre-indications ..................... 1547 71.4.5 Eets indésirables................................................ 1547 71.4.6 Interactions médicamenteuses ......................... 1548 71.4.7 Résultats selon les données probantes ............ 1548 71.5 Autres antiépileptiques et médicaments testés................................................. 1548 71.6 Antipsychotiques......................................................... 1549 Lectures complémentaires .................................................... 1552

E

n pratique clinique, le traitement des troubles bipolaires nécessite l’utilisation de divers psychotropes appartenant à des classes pharmacologiques diérentes. Ceux qui sont nommés « stabilisateurs de l’humeur » sont les agents les plus spéciquement liés au traitement des troubles bipolaires. Toutefois, une controverse existe sur l’emploi du terme « stabilisateur de l’humeur » (ou agent de maintien) en maladie aective. L’Agence américaine du contrôle des médicaments (Food and Drug Administration [FDA]) et Santé Canada ne reconnaissent pas ce terme et n’approuvent aucune médication comme étant stabilisatrice de l’humeur. Les médicaments psychotropes y sont dénis selon leurs indications, par exemple le lithium étant indiqué dans la manie. Plusieurs auteurs ont formulé des dénitions an de clarier la signication du terme « stabilisateur de l’humeur ». Selon la dénition la plus spécique, celle de Bauer & Mitchner (2004), un stabilisateur de l’humeur est une molécule qui présente une ecacité dans le traitement des phases aiguës et de maintien de la manie et de la dépression bipolaire, telle qu’elle est démontrée par des études contrôlées avec placebo. Le lithium est le seul médicament qui répond presque parfaitement à cette dénition. Des dénitions moins restrictives Keck & McElroy (2003) proposent que pour être considérée comme stabilisatrice de l’humeur, une molécule doit être ecace soit dans la phase maniaque ou dans la phase dépressive, sans toutefois entraîner d’eets néfastes dans l’une ou l’autre de ces phases de la maladie. Elles permettent donc d’inclure, dans ce chapitre consacré aux stabilisateurs de l’humeur, non seulement le lithium, l’acide valproïque et la carbamazépine, mais aussi la lamotrigine et les antipsychotiques atypiques. Les traitements adjuvants, tels que les oméga-3, sont aussi brièvement abordés.

71.1 Lithium Dès 1859, le lithium était un traitement recommandé pour la goutte et les calculs rénaux, puis, vers 1870, comme anticonvulsivant et hypnotique et, en 1894, au Danemark, comme traitement prophylactique de la mélancolie. On l’utilisait au début du 20e siècle en France comme traitement de la psychose maniacodépressive. Mais c’est en 1949 que l’Australien John Cade a été le premier à rapporter les eets bénéques du lithium avec la stabilisation de 10 patients sourant de troubles bipolaires. En 1954, le Danois Mogen Schou a publié la première étude contrôlée avec placebo montrant l’ecacité du lithium chez des patients en phase maniaque. Vers 1960, sous l’inuence de Samuel Gershon, le lithium a été introduit aux États-Unis, après quoi plusieurs études ouvertes ont été publiées. En 1967 et 1970, grâce à des études contrôlées avec placebo, Baastrup & Schou (1970) ont montré l’ecacité du lithium dans la prévention des rechutes de la maladie bipolaire. En 1969, la FDA reconnaissait le lithium comme traitement dans la maladie bipolaire (Shorter, 2009). Enn, Santé Canada a emboîté le pas à la FDA en 1974.

71.1.1 Pharmacologie Le lithium (Li+) est un ion monovalent de charge positive qu’on ne retrouve pas à l’état brut dans la nature. Il existe plutôt sous forme de sels : • le carbonate de lithium (CarbolithMD, LithaneMD) 150, 300 et 600 mg ;

1536

• le carbonate de lithium SR (slow release) (LithmaxMD) 300 mg ; • le citrate de lithium liquide (PMS-Lithium Citrate MD) 300 mg/5 ml.

Absorption Le tractus digestif absorbe la totalité du lithium ingéré. Sa concentration plasmatique maximale est atteinte de 1,5 à 2 heures après l’ingestion et, après 4 à 5 heures pour les formes à libération lente. La demi-vie du lithium varie de 8 à 35 heures et l’état d’équilibre (steady state) est atteint en cinq jours. Il est donc recommandé d’eectuer une mesure du taux plasmatique de lithium cinq jours après l’instauration du traitement et cinq jours après chaque modication de dose.

Distribution Le lithium se distribue de façon hétérogène dans tous les tissus, mais il est rapidement capté par les reins. Il traverse la barrière hématoencéphalique pour se concentrer dans le liquide céphalorachidien avant de pénétrer dans les cellules nerveuses.

Excrétion Le lithium n’est pas métabolisé et il est excrété à 95 % par le rein, puis réabsorbé dans une proportion de 60 à 70 % par le tubule proximal du glomérule rénal. Son élimination est liée au taux de ltration glomérulaire, qui se mesure par l’excrétion de la créatinine en fonction de la taille et de la masse de l’individu. La ltration glomérulaire est mieux estimée par la clairance de la créatinine (CLcr) mesurée lors de la collecte des urines pendant une période de 24 heures. Bien que moins précise, la formule de Cockcroft & Gault (1976) peut aussi orir une estimation de la ltration glomérulaire : CLcr = 140 – âge/cr × poids × K (coecient qui dière selon le sexe). Le taux de ltration glomérulaire diminue avec l’âge et varie selon les interactions médicamenteuses, les maladies concomitantes et la teneur en sodium de la diète. Comme tous ces facteurs inuencent l’excrétion du lithium, son dosage doit être ajusté pour chaque patient. Environ 50 % du lithium est ltré par le rein dans les 24 premières heures après l’ingestion.

71.1.2 Mécanismes d’action Les avancées en biologie moléculaire permettent de mieux connaître l’action du lithium sur le fonctionnement des neurones. Il agit à plusieurs niveaux : • sur les récepteurs membranaires couplés à la protéine G ; • sur le transport ionique intracytoplasmique ; • sur la cascade des seconds messagers ; • au noyau cellulaire, en modiant l’expression des gènes. Sa fonction neuroprotectrice est attribuée à diverses activités d’inhibition de l’oxydation et de la production de radicaux libres dans le cerveau. La mort cellulaire programmée (apoptose) est conséquemment réduite de même que l’inammation, l’excitotoxicité – soit un processus de destruction neuronale due à l’hyperactivité cellulaire médiée par l’acide glutamique – ainsi que le dysfonctionnement des mitochondries et du réticulum endoplasmique. Des études en imagerie cérébrale montrent que l’administration chronique du lithium entraîne une augmentation de volume du gyrus cingulaire antérieur, de l’amygdale et de l’hippocampe, sièges

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

de la mémoire et des émotions (Machado-Vieira & al., 2009). Lors de l’administration aiguë, le lithium augmente la synthèse de sérotonine (5-HT) en stimulant le recaptage de son précurseur, le tryptophane, par le neurone sérotoninergique et augmente aussi la synthèse de la noradrénaline dans diérentes régions du cerveau (Schatzberg & DeBattista, 2015). Le tableau 71.1 illustre quelques-uns des sites d’action du lithium au niveau cellulaire.

TABLEAU 71.1 Effets du lithium sur une cellule

Site d’action

Effet

Fente synaptique

Hausse des neurotransmetteurs : sérotonine, dopamine et noradrénaline

Membrane cellulaire

Stabilisation de la membrane par inhibition de l’enzyme inositol monophosphatase (IMPase) et de la protéine kinase C (PKC), antagoniste des récepteurs NMDA

Cytosol

Inhibition de la glycogène synthétase kinase (GSK-3) (promoteur de l’apoptose cellulaire) Hausse de la β-caténine et augmentation de sa translocation au noyau de la cellule

Noyau

Hausse de la β-caténine et augmentation de la transcription et de la production de facteurs de neuroprotection et de synaptogenèse Bcl-2 et BDNF (facteur neurotrophique du cerveau)

Réticulum endoplasmique

Diminution du calcium intracellulaire responsable de l’excitotoxicité

Mitochondrie

Diminution du stress oxydatif et des radicaux libres Inhibition des superoxydes O2–

Sources : Adapté de Machado-Vieira & al. (2009), p. 92-109 ; Schatzberg & DeBattista, 2015.

TABLEAU 71.2

71.1.3 Modalités de prescription Le lithium demeure une molécule des plus ecaces pour le contrôle et la prévention des symptômes de la maladie bipolaire. Cependant, son index thérapeutique étroit exige certaines précautions avant sa prescription et un suivi tout au long du traitement.

Choix du médicament

Le lithium est un traitement de 1re intention pour la phase maniaque, la phase dépressive et la prophylaxie de la maladie bipolaire selon le Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments (Yathman & al., 2013). Cet organisme a élaboré les lignes directrices du traitement des troubles bipolaires adoptées au niveau international par l’International Society for Bipolar Disorder (ISBD). Le lithium est plus ecace chez les patients qui présentent une manie classique, c’est-à-dire une humeur élevée en l’absence de symptômes dépressifs, de symptômes psychotiques, de cycles rapides et d’états mixtes, ainsi qu’en l’absence d’abus de substances. Une réponse positive familiale à un traitement antérieur au lithium est un facteur associé à une réponse favorable (Yatham & al., 2013).

Début du traitement Avant le début du traitement, une histoire médicale et psychiatrique est nécessaire pour évaluer les aections physiques (particulièrement l’obésité ainsi que les maladies cardiovasculaires et rénales) et psychiatriques comorbides. Un examen physique, comprenant la mesure du tour de taille et l’indice de masse corporelle, suivi d’un bilan sanguin complet sont recommandés (Ng & al., 2009). Le tour de taille est maintenant considéré comme la meilleure mesure pour évaluer les risques, chez un patient, de développer des maladies cardiovasculaires et un syndrome métabolique. Le tableau 71.2 indique les bilans pertinents pour un traitement au lithium. Il faut adapter la fréquence des bilans sanguins, notamment les dosages des électrolytes ainsi que l’évaluation des fonctions rénales et thyroïdiennes, en fonction de l’âge du patient et de son aection médicale.

Bilan préalable et suivi périodique pour les patients sous lithium Examens

Au début

Après 3 mois

Tous les 6 mois (2 fois/année)

X

X

Tous les 12 mois (1 fois/année)

Anamnèse

X

Histoire médicale

X

Contraception de grossesse

X

Examen physique (poids et tour de taille)

X

Formule sanguine

X

Électrolytes, urée, créatinine

X

Calcium

X

X (pour 1re année)

X (par la suite)

Hormone thyroïdienne (TSH)

X

X (pour 1re année)

X (par la suite)

Dosage de lithium

X

X

X

X

X*

X

Électrocardiogramme (si > 50 ans) au début et, par la suite, selon la clinique * Il est recommandé de faire le dosage du lithium cinq jours après chaque ajustement de la posologie. Source : Adapté de Ng & al. (2009), p. 568.

Chapitre 71

Stabilisateurs de l’humeur

1537

En manie aiguë, le lithium peut être débuté à raison de 300 à 600 mg par jour le premier jour, puis augmenté au deuxième jour, de 900 à 1 200 mg par jour selon la tolérance. Au début, an de réduire les pics de concentration plasmatique et de diminuer les risques d’effets indésirables, il est recommandé de prescrire le lithium en doses fractionnées de 300 mg TID ou QID. Les patients en manie montrent une tolérance supérieure au lithium, si bien qu’ils peuvent nécessiter des doses plus élevées (Procyshyn & al., 2015). Les dosages de lithium doivent être faits tous les cinq jours jusqu’à l’atteinte des niveaux plasmatiques thérapeutiques. La mesure du niveau plasmatique doit être faite 12 heures après l’ingestion des derniers comprimés de lithium et ne nécessite pas d’être à jeun. Des concentrations sanguines de 0,6 à 1,2 mmol/l sont recommandées (ces valeurs de référence variant selon le laboratoire). La réponse au traitement est corrélée avec la valeur de la concentration sanguine du lithium. La probabilité de réponse est supérieure si le taux plasmatique de lithium, à l’état d’équilibre (steady state), se situe au-dessus de 0,8 mmol/l.

Traitement d’entretien En phase de maintien, le lithium peut être concentré BID ou même en unidose HS. Et la dose de lithium peut être diminuée pour atteindre une concentration sanguine de 0,8 mmol/l an de favoriser la tolérance et réduire les eets indésirables. Certains patients sont stables à des dosages inférieurs à 0,6 mmol/l. À ce jour, aucune caractéristique clinique particulière ne permet de déterminer quels sont ces patients. Si on doit diminuer la dose de lithium, cela doit être fait graduellement an d’éviter la rechute et la résistance au lithium lors du traitement d’épisodes subséquents (Post, 2012). Selon la plupart des lignes directrices, un traitement à vie est suggéré après un premier épisode de manie aiguë. Si un patient refuse le traitement prolongé, une période de traitement au lithium s’étalant sur six mois, associée à une thérapie psychoéducative, est suggérée. Comme dans toute autre pathologie, la délité au traitement est souvent problématique. Des stratégies telles que la réduction de la dose, la prise unique en soirée, la psychoéducation et l’implication des familles peuvent favoriser le maintien du traitement à long terme.

Traitement des cas réfractaires La combinaison du lithium avec un antipsychotique atypique augmente la rapidité de la réponse au traitement et diminue la durée d’hospitalisation pour les patients en phase de manie. L’utilisation concomitante de benzodiazépines, comme le lorazépam ou le clonazépam, a des eets bénéques sur l’agitation à l’urgence et en début d’hospitalisation. Une fois la stabilisation atteinte, il y a des bénéces à poursuivre la combinaison lithium-antipsychotique pendant six mois avant de cesser l’antipsychotique1. La combinaison du lithium et de l’acide valproïque ore aussi une option pour les patients qui répondent partiellement à la monothérapie avec le lithium. L’ajout de l’olanzapine au lithium a donné des résultats probants dans une étude ouverte chez des patients résistants pendant une période de six mois (Poon & al., 2012). Mais il faut alors porter attention au gain de poids.

Conditions particulières La grossesse et le postpartum sont des périodes à haut risque de rechute du trouble bipolaire. Une étude prospective auprès de 89 patientes enceintes atteintes d’un trouble bipolaire montre un taux de rechute de 71 % chez celles qui ont cessé leur traitement. Récemment, la tératogénicité du lithium a été révisée (Menon, 1. Communication personnelle de Yatham, L. N. (2014).

1538

2008). Le lithium est considéré comme une option thérapeutique durant la grossesse avec un risque absolu de 0,05 à 0,1 % d’anomalies fœtales. L’anomalie la plus grave est la malformation cardiaque d’Ebstein, qui résulte d’une exposition au lithium durant le premier trimestre de la grossesse. La recommandation est d’éviter l’usage du lithium au premier trimestre, sauf si la condition de la patiente l’exige. Au cours de cette période, on peut employer un antipsychotique de première ou deuxième génération pour traiter les symptômes de manie. Le lithium peut être repris par la suite en utilisant la dose minimale ecace, en répartissant les doses à TID et en en mesurant les concentrations sériques chaque semaine si possible (Menon, 2008 ; Yatham & al., 2013). Au troisième trimestre, l’excrétion rénale du lithium est augmentée, nécessitant un ajustement de la dose à la hausse. Quelques jours avant l’accouchement, il est recommandé de réduire la dose de lithium de 25 % et plus pour diminuer les risques de toxicité fœtale. Certains auteurs recommandent de cesser le lithium 24 à 48 heures avant l’accouchement (Schatzberg & DeBattista, 2015) Chez l’enfant exposé in utero, on a observé à la naissance le syndrome du bébé mou (oppy baby), caractérisé par de l’hypotonie et de la cyanose, ou encore un diabète néphrogénique insipide, des anomalies de la thyroïde et un hydramnios. L’allaitement maternel est contre-indiqué chez la mère prenant le lithium en raison de son passage important dans le lait maternel.

71.1.4 Indications et contre-indications L’encadré 71.1 résume les indications et les contre-indications à l’emploi du lithium. Santé Canada, le CANMAT, la FDA et l’ISBD recommandent l’utilisation du lithium pour la phase maniaque et le traitement d’entretien du trouble bipolaire. Les prédicteurs de mauvaise réponse au lithium (Procyshyn & al., 2015) sont : • une manie dysphorique ; • la présence de cycles rapides ou d’états mixtes ; • une phase maniaque à un âge avancé ; • une séquence dépression-manie-euthymie ; • plusieurs épisodes antérieurs de maladie ; • la présence de pathologies médicales comorbides ; • les abus de substances. ENCADRÉ 71.1 Principales indications et contre-indications

à l’emploi du lithium

Indications Trouble bipolaire de type I Trouble bipolaire de type II Trouble schizoaffectif Trouble dépressif unipolaire Neutropénie secondaire à la clozapine

– phase maniaque, dépressive et en prophylaxie – phase hypomaniaque, dépressive et en prophylaxie – phase maniaque, dépressive et en prophylaxie – pour potentialiser un antidépresseur – pour produire une leucocytose

Contre-indications Allaitement Dommages cérébraux Insufsance cardiaque et autres cardiopathies Insufsance rénale Sources : Adapté de Procyshyn & al. (2015) ; Yatham & al. (2013).

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Traitements

71.1.5 Effets indésirables L’encadré 71.2 résume les principaux eets indésirables classés selon les organes touchés. Les premiers eets indésirables à apparaître sont les problèmes gastro-intestinaux comme les nausées, les vomissements et les diarrhées. Ils sont transitoires et s’estompent après quelques semaines de lithothérapie. La substitution par une autre forme de sels de lithium peut favoriser la tolérance. Des eets sur le système nerveux central, tels que la sédation et les troubles cognitifs, apparaissent aussi en début de traitement. La réduction de la dose de lithium ou la prise complète de la dose au coucher peuvent enrayer ces eets indésirables. Les tremblements ns des mains, dont la fréquence est estimée à 50 % (Procyshyn & al., 2015), peuvent aussi survenir au début du traitement et sont liés à la concentration sanguine élevée du médicament. Ces tremblements diminuent avec le temps, mais peuvent être accentués par l’emploi concomitant d’antidépresseurs de type ISRS (inhibiteur sélectif du recaptage de la sérotonine) et de bupropion (WellbutrinMD). Les antagonistes des β-adrénorécepteurs (β-bloquants), comme le propranolol, peuvent diminuer les tremblements lorsqu’ils sont utilisés à des doses de 10 à 30 mg BID ou TID. La prise de poids est un des eets indésirables pouvant survenir à plus long terme. Une augmentation de poids de 4 kg et plus est rapportée chez 25 % des patients et jusqu’à 60 % des patients subissent une augmentation de poids de 5 % par rapport à leur poids initial (Procyshyn & al., 2015). Un régime alimentaire faible en sucre, un programme d’exercice physique et la correction d’une hypothyroïdie sous-jacente peuvent aider à contrôler et à réduire le gain de poids. Des problèmes cardiovasculaires peuvent être observés durant un traitement à long terme. Des anomalies à l’électrocardiogramme (ECG), telles que l’aaissement ou l’inversion de l’onde T et l’allongement du segment QT, sont fréquentes et surviennent chez 20 à 30 % des patients (Procyshyn & al., 2015). Ces anomalies sont habituellement sans conséquence. Par contre, certains patients présentent une maladie du nœud sinusal ou d’autres troubles de conduction électrique qui justient parfois l’arrêt du lithium. Les patients de 50 ans et plus y seraient plus à risque. C’est pourquoi il est recommandé de faire un ECG avant l’introduction du lithium chez cette population. Au niveau rénal, de rares cas de néphropathie glomérulaire et tubulo-interstitielle menant à une insusance rénale ont été décrits, de sorte qu’il est recommandé de suivre la fonction rénale

régulièrement. Lors du développement de néphropathies, une augmentation de la créatinine plasmatique et une diminution des taux de ltration glomérulaire sont observées par une collecte des urines de 24 heures. On doit alors substituer le lithium par un autre agent stabilisateur de l’humeur. Le problème rénal le plus fréquent est le diabète néphrogénique insipide, qui survient chez 20 à 40 % des patients exposés au lithium sur des périodes de 15 à 20 ans (Schatzberg & DeBattista, 2015). Ce problème est réversible dans la plupart des cas. Il résulte de l’incapacité des reins à concentrer les urines. Il est dû à l’action du lithium sur le tubule distal qui rend cette région du glomérule moins sensible à l’inuence de l’hormone antidiurétique (vasopressine). Les symptômes de polyurie, de nycturie et de polydipsie doivent faire penser à cette complication. En pareille situation, une évaluation de la fonction rénale est requise par un néphrologue. Le lithium exerce aussi des eets délétères sur la glande thyroïde. Il inhibe le captage de l’iode par cette glande, diminuant la synthèse de l’hormone thyroïdienne. De plus, il diminue la conversion de la T4 en T3 (hormone active) en périphérie et dans les neurones. Chez la plupart des patients, cet eet est transitoire et se normalise avec la prolongation de la lithothérapie. Cependant, à la longue, 20 % des patients développent une hypothyroïdie facilement corrigée par la lévothyroxine (SynthroidMD) (Schatzberg & DeBattista, 2015), les femmes âgées de 40 à 60 ans étant plus à risque. La présence d’anticorps antiperoxydase thyroïdienne et antithyroglobuline avant le début du traitement peuvent être un facteur de risque dans le développement ultérieur d’une hypothyroïdie. Quelques auteurs ont rapporté de rares cas d’hyperthyroïdie associée au lithium. Il est estimé que 2,7 % des patients exposés au lithium pendant une période de 15 ans développeront une hyperparathyroïdie (Ng & al., 2009). La production excessive d’hormones parathyroïdiennes entraîne la résorption osseuse et peut provoquer une hypercalcémie. Dans certains cas, l’arrêt du lithium peut être nécessaire. Finalement, l’intoxication aiguë au lithium, qu’elle soit volontaire ou involontaire, est une urgence médicale. Cette intoxication peut survenir, quelle que soit la concentration sanguine du lithium. Le dosage du lithium intraérythrocytaire peut donner une estimation plus exacte de la lithémie de la concentration du lithium dans le neurone. Les symptômes d’une intoxication au lithium sont principalement de nature neurologique :

ENCADRÉ 71.2 Principaux effets indésirables du lithium

Système gastro-intestinal Nausées, vomissements Diarrhée Goût métallique, soif Prise de poids Système rénal Polyurie, polydipsie Diabète insipide néphrogénique Diminution de ltration glomérulaire

Système nerveux central Fatigue, étourdissement Problèmes de mémoire Dysarthrie, ataxie Tremblements Ralentissement psychique

Système cardiovasculaire Bradycardie Abaissement ou inversion de l’onde T

Système endocrinien Hypothyroïdie Goitre Hyperparathyroïdie

Peau et phanères Peau sèche et acné Psoriasis Cheveux secs Œdème aux jambes

Autres Vision embrouillée (amblyopie) Baisse de libido Chapitre 71

Stabilisateurs de l’humeur

1539

• l’intoxication de légère à modérée se manifeste par des tremblements grossiers, des nausées, des vomissements et de la diarrhée. • l’intoxication grave provoque de la léthargie, de la faiblesse musculaire, de l’ataxie et de la dysarthrie. Une dégénérescence cérébelleuse permanente a été décrite dans les cas les plus graves. Les patients présentant des signes d’intoxication grave doivent être hospitalisés et, dans certains cas, être soumis à une hémodialyse pour abaisser le taux de lithium. Les états pyrétiques, l’insusance rénale, les interactions médicamenteuses et l’âge sont des facteurs prédisposant à l’intoxication aiguë au lithium.

71.1.6 Interactions médicamenteuses Le lithium interagit avec de nombreux médicaments, comme indiqué au tableau 71.3. En raison de l’index thérapeutique étroit (de 0,6 à 1,2 mmol/l), l’association du lithium avec d’autres médicaments requiert une vigilance particulière.

71.1.7 Résultats selon les données probantes Depuis les études initiales de Baastrup & Schou (1970), plusieurs études ouvertes et prospectives ont été publiées. Gershon et ses collaborateurs (2009) ont fait une revue exhaustive des études publiées depuis 1950, études qui montrent l’ecacité du lithium dans la prévention des rechutes du trouble bipolaire. Des méta-analyses, dont celle de Vieta et de ses collaborateurs (2011), ont montré l’ecacité du lithium comparé au placebo

TABLEAU 71.3 Médicaments ou aliments provoquant

une augmentation ou une diminution de la concentration plasmatique du lithium

Augmentation

Diminution

Anti-inmmatoires non stéroidiens (AINS) : Théophylline • aspirine • ibuprofène (AdvilMD, MotrinMD) • indométhacine (IndocidMD) • naproxène (NaproxenMD) Antibiotiques de la classe des tétracyclines Métronidazole (FlagylMD) Diurétiques thiazidiques : hydrochlorothiazide

Agents alcalisants des urines (bicarbonate de sodium)

Inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) : • captopril (CapotenMD) • quinapril (AccuprilMD) • ramipril (AltaceMD) Antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARA) : • candesartan (AtacandMD) • losartan (CozaarMD) • valsartan (DiovanMD) Alcool

Sel de table Caféine

Sources : Adapté de Ng & al. (2009) ; Procyshyn & al. (2015).

1540

dans le traitement d’entretien du trouble bipolaire. La plupart des études récentes conrment l’ecacité du lithium dans le traitement de la phase maniaque et dans le maintien de la réponse thérapeutique pour le trouble bipolaire, tout en armant qu’il y a moins de données probantes pour le traitement de la phase dépressive (Fountoulakis & al., 2012). L’eet antisuicide du lithium est une donnée conrmée par des études prospectives, des méta-analyses et des revues de littérature (Cipriani & al., 2013). Ces auteurs ont revu 48 études contrôlées et à double insu comparant le lithium au placebo. Le lithium s’est montré plus ecace que le placebo à réduire le nombre de suicides et la mortalité issue d’autres causes. Le lithium est le seul agent thérapeutique ayant démontré cette ecacité dans le trouble bipolaire depuis 20 ans.

71.2 Acide valproïque L’acide valproïque a été synthétisé en 1881 par Burton, mais son eet antiépileptique n’a été découvert par Meunier qu’en 1963. En 1966, Lambert et ses collaborateurs ont été les premiers à communiquer son eet stabilisateur sur l’humeur dans une étude regroupant 100 patients sourant d’une manie ou d’un trouble schizoaectif (Lambert & al., 1966). En 1995, Santé Canada et la FDA approuvaient l’acide valproïque pour le traitement de la manie. Ce médicament est le stabilisateur de l’humeur le plus prescrit en Amérique du Nord dans le traitement prophylactique de la maladie bipolaire, et ce, malgré la faiblesse des preuves scientiques à l’appui (Schatzberg & DeBattista, 2015), possiblement en raison des eets indésirables du lithium.

71.2.1 Pharmacologie Doté d’une structure moléculaire acyclique, l’acide valproïque existe sous diérentes appellations : • dans une forme à libération immédiate (acide valproïque ou valproate de sodium) : – DepakeneMD 125, 250 et 500 mg ; – DepakeneMD en sirop 250 mg/5 ml. • dans une forme entérosoluble (divalproex ou divalproex sodique) : EpivalMD 125, 250 et 500 mg.

Absorption L’acide valproïque est absorbé rapidement dans le duodénum tandis que le divalproex est un complexe qui se dissout dans l’intestin et se dissocie en ces produits constituants, l’acide valproïque et le valproate de sodium, qui sont par la suite rapidement absorbés. La demi-vie de l’acide valproïque est de 9 à 16 heures (Procyshyn & al., 2015). Le pic de concentration varie selon la forme utilisée : • de une à quatre heures pour l’acide valproïque (comprimé ou liquide) ; • de trois à huit heures pour le divalproex.

Distribution La distribution de l’acide valproïque se fait dans tous les tissus de l’organisme. Il se lie aux protéines plasmatiques dans une proportion de 60 à 95 %.

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Traitements

Métabolisme et excrétion L’acide valproïque est métabolisé principalement par le foie. Environ 25 % de son métabolisme dépend du cytochrome P-450 et plus particulièrement de l’isoenzyme 2C9. Il est aussi métabolisé par les enzymes de conjugaison UGT-1A6, UGT-1A9 et UGT-2B7. C’est un inhibiteur des isoenzymes CYP-2C9 et CYP-2C19, et dans une plus faible proportion des isoenzymes CYP-2D6 et CYP-3A4. L’acide valproïque inhibe de façon importante l’enzyme de conjugaison UGT-1A4 responsable du métabolisme de la lamotrigine, ce qui explique l’interaction entre les deux médicaments. Après métabolisation, l’acide valproïque et ses métabolites sont principalement éliminés dans l’urine.

71.2.2 Mécanismes d’action En général, les anticonvulsivants agissent sur le système limbique ou le lobe temporal. Les mécanismes d’action sont partiellement connus (Stahl, 2013). L’acide valproïque augmente les concentrations du GABA (acide γ-aminobutyrique), qui est le neurotransmetteur inhibiteur le plus répandu dans le cerveau, présent dans les interneurones inhibiteurs. Cette action s’exerce par l’augmentation de l’activité de l’enzyme décarboxylase de l’acide glutamique diminuant l’action excitatrice du glutamate sur les neurones. Cette action serait à l’origine de l’eet antimaniaque de la molécule. Son action pharmacologique s’exerce aussi par le blocage des canaux ioniques sodiques dépendant du voltage et des canaux calciques. L’eet net est une diminution des inux ioniques dans les neurones. Comme le lithium, l’acide valproïque exerce un eet neuroprotecteur en inhibant certaines protéines qui favorisent l’excitotoxicité (GSK-3, PKC et MARCKS) et en augmentant la production de protéines qui favorisent la neuroprotection (ERK kinase, BCL-2 et GAP43). Le tableau 71.4 résume certaines actions de l’acide valproïque sur la cellule.

71.2.3 Modalités de prescription L’acide valproïque est devenu populaire depuis une vingtaine d’années en raison de sa simplicité de prescription et de son large index thérapeutique.

Choix du médicament Selon le CANMAT et l’ISBD (Yatham & al., 2013), l’acide valproïque est un traitement de 1re intention dans la phase maniaque et la prophylaxie du trouble bipolaire et un traitement TABLEAU 71.4 Effets de l’acide valproïque sur une cellule

Site d’action

Effets sur la cellule

Fente synaptique

Hausse du neurotransmetteur GABA Diminution du glutamate

Membrane cellulaire

Blocage des canaux sodiques et calciques Diminution de l’excitotoxicité

Cytosol

Inhibition de la synthèse de l’inositol Inhibition de l’histone-désacétylase Inhibition de la protéine kinase C et de l’anhydrase carbonique Augmentation des facteurs neurotrophiques : BDNF, BCL2, GAP43 et ERK kinase Inhibition de la protéine GSK-3

Sources : Adapté de Bowden (2009), p. 20-33 ; Schatzberg & DeBattista (2015).

de 2e intention dans la phase dépressive. L’acide valproïque est particulièrement indiqué pour les états mixtes et les cycles rapides, lors d’une comorbidité avec une dépendance à l’alcool ou des abus de substances. Il est recommandé pour les patients présentant un trouble neurologique, une décience intellectuelle, une atteinte organique, de l’irritabilité et de l’agressivité, plusieurs épisodes antérieurs de maladie (> 8) et lors de l’apparition de la maladie à un âge avancé. Il s’agit d’états ou d’aections où le lithium s’est avéré moins ecace que l’acide valproïque.

Début du traitement Avant le début du traitement, une histoire médicale et psychiatrique est nécessaire pour évaluer les aections physiques (obésité, syndrome métabolique et problèmes hépatiques) et psychiatriques comorbides. Un examen physique, comprenant la mesure du tour de taille et l’indice de masse corporelle, suivi d’un bilan sanguin complet sont recommandés (Ng & al., 2009), comme indiqué au tableau 71.5. Après la vérication des paramètres sanguins, on peut entreprendre le traitement, en commençant par un comprimé d’EpivalMD de 250 mg BID ou TID pendant une semaine. Après cinq à sept jours d’utilisation, il faut procéder à un dosage sanguin d’acide valproïque et ajuster la dose de un à deux comprimés TABLEAU 71.5

Bilan préalable et suivi périodique pour les patients sous l’acide valproïque et la carbamazépine

Examens

Au début

Par la suite 3 mois 6 mois 9 mois 12 mois

Anamnèse

X

Histoire médicale

X

Contraception et grossesse

X

Examen physique (poids et tour de taille)

X

Formule sanguine

X

X

Électrolytes, urée, créatinine

X

C

Hormone thyroïdienne (TSH)

X

Fonction hépatique (AST-ALT) Bilirubine totale, phosphatase alcaline

X

Dosage d’acide valproïque

X

Dosage de carbamazépine

X

X

X

X

X X

A

A

X C X

X

C

X

X

X

X

X

X

X

A = acide valproïque, C = carbamazépine, X = les deux Note : Après la première année, la formule sanguine et les tests de fonction hépatique et l’examen physique sont faits annuellement pour les deux médicaments sauf s’il y a une indication clinique qui le commande. Pour la carbamazépine, il faut ajouter au bilan annuel, le dosage des électrolytes, de l’urée et de la créatinine. Source : Adapté de Ng & al. (2009), p. 574.

Chapitre 71

Stabilisateurs de l’humeur

1541

selon la tolérance du patient et la valeur de la concentration sanguine. La fenêtre thérapeutique se situe entre 350 et 700 µmol/l (varie selon les laboratoires). En phase aiguë de manie, des doses plus élevées sont bien tolérées. McElroy et ses collaborateurs (1996) ont développé un algorithme de traitement rapide, où l’on introduit l’acide valproïque à une dose de 20 à 30 mg/kg/j jusqu’à l’obtention d’un dosage thérapeutique. Certains auteurs recommandent de procéder au dosage sanguin d’acide valproïque tous les six mois, alors que d’autres suggèrent un dosage lors de changement de la posologie ou de l’état clinique (Ng & al., 2009). La concentration ecace d’acide valproïque dans le sang est comprise entre 50 et 120 mg/l, car dans cet intervalle, la plupart des patients n’ont plus de symptômes et ne développent pas ou peu d’eets indésirables.

Traitement d’entretien Lorsque la stabilité clinique est atteinte, il faut poursuivre le traitement en évaluant la proportion des eets bénéques par rapport aux eets indésirables. Dans certains cas, les doses doivent être réduites pour favoriser une meilleure tolérance et une adhésion au traitement.

Traitement des cas réfractaires Lorsque la réponse thérapeutique est insatisfaisante, la combinaison de l’acide valproïque avec l’olanzapine ou le lithium peut donner de meilleurs résultats en phase maniaque. En phase dépressive, la combinaison avec le lithium, la lamotrigine (qui doit se faire lentement, avec prudence), la lurasidone (qui doit être prise pendant un repas) ou un antidépresseur, de préférence le bupropion, est à considérer (Stahl, 2011). En prévention des rechutes, la combinaison du lithium avec l’acide valproïque s’est révélée supérieure à l’acide valproïque employé seul. Les combinaisons d’acide valproïque avec l’olanzapine ou la quétiapine se sont avérées supérieures au placebo dans la prévention de toutes formes de rechute (Vieta & al., 2011 ; Yatham & al., 2013) et peuvent être des options si la monothérapie avec l’acide valproïque donne des résultats partiels. Les combinaisons acide valproïque- aripiprazole, acide valproïque-rispéridone (Risperdal ConstaMD) et acide valproïque-ziprasidone se sont avérées efficaces dans la prévention des rechutes en phase maniaque.

Conditions particulières L’emploi de l’acide valproïque durant la grossesse est risqué, des malformations de toutes sortes pouvant survenir avec une incidence de 6 à 16 % (Ng & al., 2009). Les malformations les plus fréquentes sont une anomalie de fermeture du tube neural (1 à 5 % comparativement à 0,02 à 0,33 % dans la population générale) survenant au premier trimestre. On peut aussi observer des hypoplasies faciales, des malformations des membres et du système génito-urinaire dues à une exposition jusqu’au troisième trimestre. Une combinaison pharmacologique augmente ce risque. L’utilisation préventive de vitamine B9 (acide folique) 5 mg DIE pendant au moins trois mois avant la conception n’a pas été étudiée dans cette population. Comme les risques pour le fœtus sont clairement établis, les bénéces reliés à son emploi doivent être supérieurs aux risques. En règle générale, l’acide valproïque est remplacé par d’autres agents, tels les antipsychotiques atypiques ou l’halopéridol. Par contre, l’allaitement est sécuritaire, la concentration d’acide valproïque dans le lait maternel étant à moins de 10 % de celle de la mère (Yatham & al., 2013).

1542

71.2.4 Indications et contre-indications L’encadré 71.3 présente les indications et les contre-indications à l’emploi de l’acide valproïque. ENCADRÉ 71.3 Principales indications et contre-indications

à l’emploi de l’acide valproïque

Indications Trouble bipolaire de type I et type II – prophylaxie, phase maniaque et phase dépressive – phase mixte et cycles rapides Trouble schizoaffectif – forme bipolaire Contre-indications Insufsance hépatique Pancréatite Grossesse Sources : Adapté de Stahl (2011) ; Procyschyn & al. (2015) ; Yatham & al. (2013).

71.2.5 Effets indésirables L’encadré 71.4 fait état des principaux eets indésirables liés à l’emploi de l’acide valproïque. La sédation et la somnolence représentent les eets indésirables les plus fréquents (10 à 20 % des cas). Des tremblements sont observés pour environ 10 % des patients et sont corrélés avec la dose utilisée (Procyshyn & al., 2015). Ce sont des tremblements ns des extrémités, ressemblant à des tremblements essentiels, qui disparaissent à la réduction de la dose. À la formule sanguine, on peut observer, chez 12 % des patients, une thrombocytopénie réversible de gravité légère qui peut augmenter le temps de saignement et provoquer des pétéchies, des ecchymoses et de l’épistaxis. Cette thrombocytopénie, qui peut se développer plusieurs mois après l’introduction de l’acide valproïque, doit être suivie par des contrôles réguliers de la formule sanguine. Elle survient plus fréquemment lors de l’utilisation de doses plus élevées d’acide valproïque (Ng & al., 2009). Une élévation asymptomatique des transaminases hépatiques est aussi fréquente (40 % des cas), mais sans conséquence (Procyshyn & al., 2015). Les nausées et les vomissements sont d’autres inconvénients fréquents survenant principalement durant la première semaine suivant l’introduction de l’acide valproïque. Ces inconvénients s’estompent avec le temps ou la réduction de la dose ou la prise du médicament avec de la nourriture. L’acide valproïque augmente aussi l’appétit, ce qui favorise une prise de poids. Le contrôle de l’ingestion des aliments et l’activité physique sont les meilleurs moyens de contrer ce problème. Au niveau endocrinien, le syndrome des ovaires polykystiques est secondaire à une production excessive d’androgènes et survient chez la jeune femme (< 20 ans) en âge de procréer. Ce syndrome se caractérise par un androgénisme causé par une augmentation de la testostérone (hirsutisme, acné, alopécie), une anovulation et des kystes ovariens détectés à l’échographie (Ng & al., 2009). Jusqu’à 60 % des femmes manifestent un ou plusieurs symptômes reliés à ce syndrome, qui peut s’améliorer à l’arrêt de l’acide valproïque. Cependant, le lien de causalité entre ce syndrome et l’acide valproïque n’est pas clairement établi (Schatzberg & DeBattista, 2015). Environ 12 % des patients présentent une perte accrue des cheveux, l’acide valproïque entraînant une chélation du zinc.

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Traitements

ENCADRÉ 71.4 Principaux effets indésirables de l’acide valproïque

Système nerveux central Fatigue, somnolence Ataxie Tremblements

Système hématologique Thrombocytopénie Troubles de la coagulation

Système endocrinien Troubles menstruels Ovaires polykystiques

Système gastro-intestinal Nausées, vomissements et diarrhée Douleurs abdominales et dyspepsie Prise de poids

Peau et phanères

Autres

Éruption cutanée, acnée Perte de cheveux

Hyperammoniémie

Sources : Adapté de Procyshyn & al. (2015) ; Yatham & al. (2013).

L’utilisation de suppléments de zinc ou de sélénium enraie le problème (Procyshyn & al., 2015).

71.2.6 Interactions médicamenteuses Même s’il est métabolisé au niveau du foie, l’acide valproïque ne modie pas le métabolisme des contraceptifs oraux. Par contre, des précautions sont à prendre lorsqu’il est combiné avec la warfarine, car il la déplace sur les protéines plasmatiques transporteuses, pouvant augmenter ainsi les temps de saignement. La combinaison de l’acide valproïque avec la lamotrigine (LamictalMD) augmente la concentration de cette dernière de près de 200 %, ce qui accroît le risque d’éruption érythémateuse. La lamotrigine peut cependant être associée à l’acide valproïque, mais à des doses plus faibles et selon un échéancier d’augmentation plus lent. Combiné avec certaines benzodiazépines (clonazépam, lorazépam, diazépam et chlordiazépoxide), l’acide valproïque diminue le métabolisme de ces molécules et augmente l’eet sédatif et la somnolence. Sa combinaison avec les antipsychotiques atypiques ou le lithium entraîne rarement un changement des concentrations sanguines et est considérée comme peu risquée (voir le tableau 71.6).

71.2.7 Résultats selon les données probantes Deux études récentes, contrôlées avec placebo et à double insu, ainsi qu’une méta-analyse ont montré l’ecacité de l’acide

valproïque en phase de maintien pour la prévention des épisodes de trouble bipolaire (Bowden, 2009 ; Vieta & al., 2011). Des études contrôlées à double insu et des méta-analyses conrment l’ecacité de l’acide valproïque dans le traitement de la phase maniaque du trouble bipolaire. Dans la phase dépressive, quatre études contrôlées à double insu en montrent également l’ecacité en phase aiguë et dans la prévention de nouveaux épisodes. (Schatzberg & DeBattista, 2015). Contrairement au lithium, l’acide valproïque n’a pas montré d’eet antisuicide. Cependant, il a entraîné une diminution de la colère, de l’agressivité et de l’impulsivité chez un groupe de patients sourant du trouble bipolaire de type II associé à un trouble de la personnalité limite.

71.3 Carbamazépine La carbamazépine a été synthétisée en 1953 par le Suisse Walter Schindler et son activité antiépileptique a été décrite par eobald & Kunz en 1963. Au début des années 1970, des chercheurs japonais ont décrit son ecacité dans la phase maniaque du trouble bipolaire, et ce, particulièrement chez des patients réfractaires au lithium. En 1980, Ballenger & Post ont montré l’ecacité de la carbamazépine dans des études contrôlées à double insu. Santé Canada et la FDA ont approuvé son utilisation dans le traitement de la phase maniaque et de la forme mixte du trouble bipolaire.

TABLEAU 71.6 Principales interactions médicamenteuses de l’acide valproïque

Médicaments qui augmentent les concentrations plasmatiques de l’acide valproïque Topiramate (TopamaxMD)

Médicaments qui abaissent les concentrations plasmatiques de l’acide valproïque Carbamazépine (TégrétolMD) Phénytoïne (DilantinMD)

Médicaments dont les concentrations plasmatiques sont augmentées par l’acide valproïque Lamotrigine (LamictalMD)

Antidépresseurs : • Fluoxétine (ProzacMD) • Fluvoxamine (LuvoxMD) Antipsychotique : • Chlorpromazine (LargactilMD) Antibiotiques : • Clarithromycine • Érythromycine Aspirine Sources : Adapté de Schatzberg & al. (2013) ; Procyshyn & al. (2015).

Chapitre 71

Stabilisateurs de l’humeur

1543

71.3.1 Pharmacologie La carbamazépine est commercialisée sous diérentes formes : • une forme à libération rapide : – TegretolMD 100 mg (comprimés à croquer) ; – TegretolMD 200 mg (comprimés à croquer et comprimés à avaler). • une forme à libération lente : Tegretol CRMD 200 et 400 mg ; • une préparation liquide : TegretolMD suspension 100 mg/5 ml.

Absorption De 70 à 80 % de la dose ingérée de carbamazépine est absorbée et le pic de concentration survient de quatre à cinq heures après l’ingestion lorsqu’il s’agit de la forme à libération rapide.

Distribution La carbamazépine se distribue partout dans l’organisme. Elle se lie aux protéines plasmatiques dans une proportion de 75 à 90 %.

Métabolisme et excrétion La carbamazépine est métabolisée par le foie, en particulier par les isoenzymes CYP-3A4, 2B6, 2C8 et 2C19 du cytochrome P-450. Elle induit son propre métabolisme, parfois jusqu’à 100 %, en augmentant l’activité des enzymes microsomiales du sous-type CYP-3A4 (inducteur puissant). Cette induction est maximale de quatre à cinq semaines après l’introduction du médicament. Elle augmente aussi l’activité des isoenzymes CYP-3A4, 2C9 et 2B6 interférant avec de nombreux médicaments, ce qui peut limiter son utilisation. Sa demi-vie est de 25 à 65 heures. Ses métabolites, comme le 10,11-époxyde, sont éliminés dans les urines.

71.3.2 Mécanismes d’action L’eet thérapeutique de la carbamazépine serait lié à son action au niveau des canaux sodiques dépendant du voltage électrique. L’eet net est une réduction de l’entrée de calcium dans la cellule nerveuse et de l’excitotoxicité cellulaire liée à une hyperactivité neuronale. La carbamazépine stimulerait les récepteurs GABA inhibiteurs, tout en diminuant la production de glutamate par les neurones. Tout comme le lithium et l’acide valproïque, la carbamazépine entraîne une augmentation intracellulaire du facteur neurotrophique (BDNF) (Bowden, 2009), ce qui réduit les processus de dégradation neuronale.

71.3.3 Modalités de prescription La carbamazépine est une médication moins utilisée de nos jours en raison de ses eets indésirables et de ses nombreuses interactions avec la médication concomitante des patients.

Choix du médicament Santé Canada et la FDA ont approuvé l’utilisation de la carbamazépine dans la phase maniaque et les états mixtes du trouble bipolaire. Le CANMAT et l’ISBD (Yatham, 2013) placent la carbamazépine en deuxième choix dans le traitement d’entretien du trouble bipolaire. Il n’y a pas d’études contrôlées à double insu avec placebo dans le traitement prophylactique à long terme (Vieta & al., 2011 ; Fountoulakis & al., 2012). Cependant, il existe une quinzaine d’études ouvertes, d’une durée de 6 à 18 mois, qui montrent que la carbamazépine est aussi ecace que

1544

le lithium et plus ecace que le placebo. Dans le traitement de la manie aiguë, elle se positionne comme deuxième choix, mais n’est pas recommandée pour le traitement de la phase dépressive en raison d’un manque de données (Yatham & al., 2013). La carbamazépine semble plus ecace que le lithium chez les patients qui n’ont pas une présentation classique de la maladie ou qui sourent de problèmes neurologiques concomitants.

Début du traitement Le tableau 71.6 résume le bilan sanguin requis avant l’introduction de la carbamazépine et lors de son utilisation (Ng & al., 2009). Lors d’un épisode de manie, la carbamazépine peut être débutée à des doses relativement plus élevées de l’ordre de 200 à 400 mg BID. Cette dose doit être réajustée selon la tolérance et l’ecacité clinique, chaque semaine et selon le dosage sanguin prélevé 12 heures après la dernière prise du médicament, cinq jours après le début du traitement. Dans le cas du traitement de l’épilepsie, le dosage thérapeutique se situe entre 17 et 54 µmol/l. Pour la manie, il est préférable de respecter le même dosage thérapeutique que pour l’épilepsie an de minimiser les eets indésirables et de favoriser l’adhésion au traitement. Cependant, il n’y a pas d’études établissant une corrélation entre l’eet clinique et la concentration sanguine de la carbamazépine. Puisque la carbamazépine produit une induction enzymatique qui accélère son métabolisme, il est fréquent de devoir majorer la dose trois semaines après l’obtention de la concentration sanguine ecace et de devoir refaire des contrôles réguliers par la suite pendant deux mois.

Traitement d’entretien La dose minimale ecace de carbamazépine doit être utilisée. Par ailleurs, une perte d’ecacité due à une tolérance pharmacodynamique est observée après un an à trois ans d’utilisation. En pareil cas, il faut augmenter la dose de la carbamazépine ou l’utiliser en combinaison avec un autre agent, par exemple un antipsychotique (Schatzberg & DeBattista, 2015).

Traitement des cas réfractaires La carbamazépine est peu utilisée en 1re intention dans le traitement de la manie ou comme stabilisateur de l’humeur. On la prescrit chez des patients qui n’ont pas répondu aux agents traditionnels : lithium, acide valproïque et antipsychotiques atypiques. En raison des nombreuses interactions pharmacologiques qu’elle présente, son association avec d’autres médicaments est hasardeuse. Mais son association avec le lithium peut être une option chez les patients ne répondant pas à la monothérapie (Schatzberg & DeBattista, 2015).

Conditions particulières La carbamazépine est tératogène classe D, ce qui signie qu’il y a un risque fœtal prouvé chez l’humain, mais dans certaines situations, les bienfaits attendus peuvent rendre l’utilisation du médicament acceptable pendant la grossesse malgré ces risques. Des malformations peuvent apparaître durant tous les trimestres de la grossesse. Un spina bida peut survenir chez 1 à 3 % des enfants exposés in utero durant le premier trimestre de la grossesse. L’utilisation de mégadoses d’acide folique (vitamine B9) n’a pas montré d’eet protecteur. On peut également constater un petit poids à la naissance, des diormités craniofaciales et une

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

hypoplasie des doigts. La concentration de la carbamazépine dans le lait maternel équivaut à la moitié de celle retrouvée dans le sang de la mère. Cependant, selon l’ACOG (Collège américain des obstétriciens et gynécologues), son utilisation durant l’allaitement est considérée comme sécuritaire, car elle ne s’accumule pas dans le sang du bébé (Yatham & al., 2013) (voir le tableau 71.7).

71.3.4 Indications et contre-indications Santé Canada et la FDA reconnaissent l’indication de la carbamazépine dans la phase maniaque et la forme mixte du trouble bipolaire. L’encadré 71.5 présente une liste des indications et des contre-indications à l’emploi de la carbamazépine. ENCADRÉ 71.5 Principales indications et contre-indications

à l’emploi de la carbamazépine

Indications Trouble bipolaire de type I et type II

– phase maniaque, mixte et prophylaxie

Névralgie du trijumeau Épilepsie Contre-indications Insufsance hépatique Pancréatite Grossesse Sources : Adapté de Stahl (2011) ; Procyshyn & al. (2015) ; Yatham & al. (2013)

71.3.5 Effets indésirables L’encadré 71.6 fait état des eets indésirables de la carbamazépine. Les eets indésirables d’ordre neurologique, qui sont reliés à la dose administrée, sont réversibles. Ils surviennent au début du traitement et touchent de 10 à 50 % des patients. Une leucopénie peut survenir chez 10 à 20 % des patients (Ng & al., 2009), généralement dans les trois premiers mois d’utilisation. L’agranulocytose et l’anémie aplasique sont des eets indésirables rares qui s’installent rapidement et à tout moment lors du traitement, dans des proportions de un à cinq cas pour un million. Rien ne peut prévenir ENCADRÉ 71.6 Principaux effets indésirables

de la carbamazépine

Système nerveux central Fatigue, somnolence Ataxie Diplopie

Système hématologique Leucopénie Anémie aplasique (rare)

Système endocrinien

Peau et phanères

Troubles menstruels Ovaires polykystiques

Éruption cutanée Syndrome de Stevens-Johnson (rare)

Système cardiovasculaire

Autres

Bradyarythmie

Système gastrointestinal Nausées, vomissements Élévation des enzymes hépatiques

Hyponatrémie (SIADH)

Sources : Adapté de Procyshyn & al. (2015) ; Yatham & al. (2013).

de pareilles complications. La cessation de la carbamazépine et des soins spécialisés en hématologie sont alors nécessaires. Les eets gastro-intestinaux sont généralement bénins et surviennent en début de traitement. L’élévation des enzymes hépatiques est fréquente, pouvant parfois excéder trois fois la limite supérieure à la normale sans provoquer de symptômes. Lors de l’apparition de èvre, d’une douleur au quadrant supérieur droit de l’abdomen ou d’une jaunisse, il est suggéré de consulter un médecin. Les troubles menstruels peuvent apparaître chez 45 % des patientes et jusqu’à 20 % de ces troubles peuvent être causés par l’apparition d’un syndrome des ovaires polykystiques (Procyshyn & al., 2015). Une éruption cutanée urticarienne et maculopapulaire peut survenir chez 10 à 15 % des patients qui utilisent la carbamazépine à libération rapide (Procyshyn &al., 2015). Cependant, avec les formes à libération prolongée, cette incidence d’apparition est semblable à celle du placebo. Cette éruption érythémateuse est réversible à l’arrêt de la médication et répond à l’administration de corticostéroïdes. Un nouvel essai avec la carbamazépine peut être fait avec prudence. L’utilisation de la forme analogue de la carbamazépine (oxcarbazépine [TrileptalMD]) peut être une solution sécuritaire de rechange, bien que l’équivalence thérapeutique entre les deux produits n’ait pas été établie. L’apparition d’une nécrolyse épidermique toxique, ou syndrome de Stevens-Johnson, est une réaction allergique rare qui touche les paumes des mains, la plante des pieds et les muqueuses de la bouche et qui nécessite l’arrêt immédiat de la médication et une assistance médicale. Les patients d’origine asiatique porteurs de l’allèle HLA-B*1502 sont particulièrement susceptibles de développer un syndrome de Stevens-Johnson à la suite de la prise de carbamazépine. La FDA recommande aux médecins de procéder au dépistage de cet allèle dans cette population et d’éviter de prescrire la carbamazépine chez les porteurs. La carbamazépine à dose élevée semble ralentir le rythme cardiaque chez les femmes âgées. Cet état est réversible à la réduction de la dose ou à l’arrêt de la médication. L’hyponatrémie est un eet indésirable rare survenant chez 4 % des patients (Procyshyn & al., 2015). Elle serait due à une sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique (SIADH).

71.3.6 Interactions médicamenteuses Le tableau 71.7 indique les principales interactions médicamenteuses de la carbamazépine. Plusieurs médicaments métabolisés par le cytochrome P-450 3A4 sont aectés par la carbamazépine. Par exemple, les concentrations sanguines d’halopéridol sont réduites de moitié lors de son emploi avec la carbamazépine. Un ajustement de la posologie est alors nécessaire. L’augmentation du métabolisme des œstrogènes et l’inecacité des contraceptifs oraux sont d’autres eets importants. Des méthodes contraceptives alternatives ou l’augmentation des doses d’œstrogènes sont nécessaires pour prévenir une grossesse. Il faut éviter de combiner la carbamazépine avec la clozapine, car cela augmente le risque d’agranulocytose.

71.3.7 Résultats selon les données probantes Dix-neuf études contrôlées conrment l’eet antimaniaque de la carbamazépine. Seulement, quelques études ouvertes semblent montrer une ecacité antidépressive. Deux études contrôlées mettent en évidence une ecacité de la carbamazépine à libération

Chapitre 71

Stabilisateurs de l’humeur

1545

TABLEAU 71.7 Principales interactions médicamenteuses qui augmentent ou diminuent la concentration plasmatique

de la carbamazépine

Médicaments augmentant la concentration plasmatique de la carbamazépine • Acide valproique (EpivalMD) • Antidépresseurs tricycliques : – clomipramine (AnafranilMD) – doxépine (SinequanMD) – imipramine (TofranilMD) – trimipramine (SurmontilMD) • Antidépresseurs ISRS : – uoxétine (ProzacMD) – uvoxamine (LuvoxMD) • Cimétidine (TagametMD) • Antibiotiques : – clarithromycine – érythromycine

Médicaments dont la concentration plasmatique est diminuée par la carbazépine • Antiépileptiques : – lamotrigine (LamictalMD) – phénytoïne (DilantinMD) • Benzodiazépines (ClonazépamMD, AlprozolamMD) • Antipsychotiques : – aripiprazole (AbilifyMD) – clozapine (ClozarilMD) – olanzapine (ZyprexaMD) – quétiapine (SeroquelMD) – rispéridone (RisperdalMD) – halopéridol (HaldolMD) • Contraceptifs oraux • Méthadone • Théophylline

Source : Adapté de Schatzberg & DeBattista (2015).

prolongée dans le traitement de la manie et des états mixtes. Dans plusieurs de ces études, il y a association de la carbamazépine avec des antipsychotiques (Schatzberg & DeBattista, 2015). En prévention de la rechute, Santé Canada et la FDA considèrent que les études contrôlées sont insusantes pour lui octroyer cette indication. Une méta-analyse de Vieta et de ses collaborateurs (2011) conrme cette prise de position.

71.4 Lamotrigine La lamotrigine (LamictalMD) est un antiépileptique longuement utilisé en Europe avant son introduction aux États-Unis dans les années 1990. C’est dans ce pays qu’on a procédé aux études d’ecacité dans le trouble bipolaire. En 2003, la FDA approuvait son utilisation dans la prophylaxie du trouble bipolaire de type I.

71.4.1 Pharmacologie La lamotrigine est un antiépileptique de troisième génération, dont la structure chimique dière des autres antiépileptiques. Le LamictalMD existe sous forme de comprimé à avaler (25, 100 et 150 mg) ou à croquer (2 et 5 mg), forme privilégiée en pédiatrie.

Absorption Administrée oralement, la lamotrigine est complètement absorbée et biodisponible à 100 % (Procyshyn & al., 2015). Le pic de concentration plasmatique survient de une à cinq heures suivant l’ingestion. L’absorption n’est pas aectée par la nourriture.

Distribution La liaison de la lamotrigine aux protéines plasmatiques est de 55 %. Le médicament se distribue partout dans le corps.

Métabolisme et excrétion La lamotrigine est métabolisée au foie par des enzymes de conjugaison (glucuronidation), principalement par l’UGT-1A4, et n’aecte pas le système des cytochromes P-450. Elle est excrétée

1546

par les reins sous forme de métabolites inactifs. Il faut réduire les doses en présence d’insusance rénale. La demi-vie est de 33 heures au début de son emploi et de 26 heures par la suite.

71.4.2 Mécanismes d’action Comme anticonvulsivant, la lamotrigine exerce une activité GABAergique, bloque les canaux sodiques dépendant du voltage électrique et les canaux calciques, ce qui diminue l’excitabilité des neurones. Elle diminue aussi la libération du glutamate, ce qui lui confère une action neuroprotectrice. La lamotrigine inhibe le recaptage de la sérotonine, de la noradrénaline et de la dopamine, ce qui peut expliquer ses eets antidépresseurs (Stahl, 2013).

71.4.3 Modalités de prescription Nouvellement utilisée dans le traitement du trouble bipolaire, la lamotrigine est utile dans le traitement de la dépression et pour prévenir les rechutes, mais elle n’est pas ecace dans le traitement de la manie.

Choix du médicament En 2013, le CANMAT et l’ISBD ont révisé les lignes directrices de traitement du trouble bipolaire. La lamotrigine est recommandée en 1re intention dans la prévention des rechutes dépressives, car elle est plus ecace pour prévenir les épisodes dépressifs que les épisodes maniaques. Elle n’est pas recommandée pour traiter la manie aiguë. On a observé des virages en hypomanie avec des dosages aussi faibles que 25 mg par jour chez des patients souffrant de trouble bipolaire de type I. La lamotrigine est utile en 1re intention pour le traitement de la phase dépressive du trouble bipolaire de type I et en 2e intention pour le trouble bipolaire de type II. Elle est de même recommandée en 1re intention pour la prophylaxie dans les troubles bipolaires de type I et II.

Début du traitement Aucune évaluation spécique n’est requise lors de l’introduction de la lamotrigine (Ng & al., 2009). Son dosage sanguin n’est pas

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

TABLEAU 71.8 Protocole d’introduction de la lamotrigine

Temps/régime

Monothérapie

Combinaison avec la carbamazépine

Combinaison avec l’acide valproïque

De 0 à 2 semaines

25 mg DIE

50 mg DIE

12,5 mg DIE

De 2 à 4 semaines

50 mg DIE

100 mg DIE

25 mg DIE

De 4 à 6 semaines

100 mg DIE

200 mg DIE

50 mg DIE

De 6 à 8 semaines

200 mg DIE

Augmentation de 100 mg par semaine

100 mg DIE

Traitement d’entretien

200 mg DIE

400 mg DIE

100 mg DIE

Source : Adapté de Schatzberg & DeBattista (2015).

utile à moins qu’il y ait présence d’eets indésirables. Il n’y a pas de corrélation entre la concentration sanguine du médicament et son ecacité clinique. Les patients sont avisés de contacter leur médecin si une éruption cutanée urticarienne survient tout au cours du traitement. L’introduction de la lamotrigine se fait de façon progressive pour éviter l’apparition d’un syndrome de Stevens-Johnson. La combinaison avec la carbamazépine ou l’acide valproïque doit être évaluée et les doses ajustées selon les indications du tableau 71.8. La lamotrigine peut être prescrite le matin pour ne pas aecter le sommeil. Schatzberg & DeBattista, 2015 ne suggèrent pas une augmentation de la dose de plus de 25 mg toutes les deux semaines contrairement à ce qui est préconisé par Stahl (2011).

Traitement d’entretien La dose cible de lamotrigine pour la plupart des patients est de 200 mg par jour. Cependant, certains patients peuvent répondre à des doses aussi faibles que de 50 à 100 mg par jour. Dans certains cas, lorsque le médicament est bien toléré et qu’il y a une réponse partielle, la dose peut être majorée jusqu’au maximum de 600 mg par jour.

Traitement des cas réfractaires Les interactions médicamenteuses peuvent limiter l’emploi de la lamotrigine. Puisqu’il n’y a pas d’interaction entre le lithium et la lamotrigine, cette combinaison pharmacologique demeure la plus fréquente lors d’une réponse partielle. La combinaison avec les antipsychotiques atypiques est aussi une option sécuritaire, particulièrement les combinaisons avec l’aripiprazole et la rispéridone Consta (Fountoulakis & al., 2012). Seule une interaction est notée avec l’olanzapine, qui augmente l’élimination de la lamotrigine.

Conditions particulières La lamotrigine est une option au lithium et à l’acide valproïque dans le traitement d’entretien du trouble bipolaire durant la grossesse (Yatham & al., 2013). Il n’y a pas d’eets tératogènes observés avec l’emploi de cette molécule tout au long de la grossesse. Seul le registre nord-américain des naissances a rapporté une incidence de ssure palatine de 0,89 % avec l’utilisation de la lamotrigine au premier trimestre. Cette association n’a pas été observée dans les cinq autres registres nationaux les plus souvent cités, notamment britannique et européens (Ng & al., 2009). Durant la grossesse, la clairance de la lamotrigine augmente en raison de l’augmentation d’activité de la glucuronidation hépatique ; il faut donc en augmenter la dose durant la grossesse et la réduire rapidement après l’accouchement. L’ACOG (Collège américain des obstétriciens et gynécologues) considère la lamotrigine comme modérément sécuritaire pour l’allaitement (voir le tableau 71.9). Les recommandations de l’ACOG sont suivies au Canada.

71.4.4 Indications et contre-indications L’encadré 71.7 fait état des principales indications et contreindications à l’emploi de la lamotrigine.

71.4.5 Effets indésirables La lamotrigine est un médicament bien toléré lorsque les protocoles de prescription sont respectés. Contrairement à plusieurs médicaments utilisés en psychiatrie, elle n’induit aucune prise de poids. Les eets indésirables les plus fréquents sont d’ordre neurologique, mais ils sont réversibles et bénins. L’agitation parfois induite par la lamotrigine doit suggérer la possibilité d’un virage hypomaniaque ou maniaque. En pareil cas, une réduction, voire

TABLEAU 71.9 Recommandations concernant l’allaitement

Allaitement le plus sécuritaire L1

Allaitement sécuritaire L2

Allaitement modérément Allaitement possiblement sécuritaire L3 dangereux L4

Acide valproïque Carbamazépine Olanzapine Halopéridol

Lamotrigine Aripiprazole Clozapine Rispéridone

Allaitement contreindiqué L5

Lithium Quétiapine Ziprasidone

Source : Adapté de Yatham & al. (2013), p. 17-19.

Chapitre 71

Stabilisateurs de l’humeur

1547

ENCADRÉ 71.7 Principales indications et contre-indications

à l’emploi de la lamotrigine

TABLEAU 71.10 Principales interactions médicamenteuses

augmentant ou diminuant la concentration plasmatique de la lamotrigine

Indications Trouble bipolaire de type I – phase mixte, dépressive et prophylaxie Trouble bipolaire de type II – phase dépressive, prophylaxie et cycle rapide Trouble schizoaffectif – phase dépressive Douleur neuropathique Épilepsie Contre-indications relatives

Augmentation Acide valproïque (ÉpivalMD) Sertraline (ZoloftMD)

Diminution Carbamazépine (TegretolMD) Phénobarbital Phénytoïne (DilantinMD) Topiramate (TopamaxMD) Contraceptifs oraux

Sources : Adapté de Schatzberg & DeBattista (2015) ; Procynshyn & al. (2015).

Insufsance hépatique Insufsance rénale Sources : Adapté de Stahl (2011) ; Procyshyn & al. (2015) ; Yatham & al. (2013).

l’arrêt de cette médication peut s’avérer nécessaire en plus de l’ajout d’un antipsychotique. Une réaction cutanée érythémateuse, localisée, non conuente, sans atteinte systémique peut nécessiter la réduction de la dose, l’utilisation d’un antihistaminique ou d’un corticostéroïde en application locale. Si la réaction est généralisée et systémique, on incite le patient à cesser la lamotrigine et à se présenter à l’hôpital. Cette grave aection, appelée syndrome de Stevens-Johnson, survient chez 0,1 % des adultes exposés (Bowden, 2009). Elle peut apparaître dans les huit premières semaines de traitement, surtout si les doses de la lamotrigine sont augmentées rapidement ou si elle est combinée avec l’acide valproïque (voir l’encadré 71.8). ENCADRÉ 71.8 Principaux effets indésirables

de la lamotrigine

Système nerveux central Fatigue, somnolence Ataxie, tremblements Céphalée Agitation Système endocrinien Troubles menstruels

Système hématologique Neutropénie

Système gastro-intestinal Nausées, vomissements Diarrhée

Peau et phanères Éruption cutanée (10 %) Syndrome de StevensJohnson (rare)

Sources : Adapté de Procyshyn & al. (2015) ; Yatham & al. (2013).

71.4.6 Interactions médicamenteuses Le tableau 71.10 indique comment il faut adapter la prescription de la lamotrigine en fonction de la combinaison avec l’acide valproïque, la carbamazépine ou d’autres anticonvulsivants pouvant modier l’activité enzymatique. L’acide valproïque double la concentration sérique de la lamotrigine, tandis que la carbamazépine en réduit les concentrations d’environ 40 % (Schatzberg & DeBattista, 2015). En revanche, la lamotrigine réduit les niveaux sériques de l’acide valproïque de près de 25 %. La sertraline augmente de façon considérable la concentration sérique de lamotrigine, pouvant engendrer de la toxicité, tandis

1548

que les interactions avec les autres antidépresseurs sont mineures et sans conséquence. Les contraceptifs oraux augmentent l’élimination de la lamotrigine, mais leur ecacité n’est pas altérée par la lamotrigine.

71.4.7 Résultats selon les données probantes Pour le traitement de la phase maniaque ou hypomaniaque du trouble bipolaire, la lamotrigine ne s’est pas avérée supérieure au placebo. Pour le traitement de la phase dépressive, le CANMAT et l’ISBD (Yatham & al, 2013) recommandent la lamotrigine en 1re intention. Deux études randomisées et à double insu concluent que la lamotrigine est supérieure au placebo en monothérapie dans le traitement de la phase dépressive (Bowden, 2009). Son ecacité est supérieure lorsque les dosages atteignent 200 mg par jour. Dans le traitement d’entretien, une méta-analyse de Vieta et de ses collaborateurs (2011) conclut que la lamotrigine est aussi ecace que le lithium dans la prévention des épisodes dépressifs. La lamotrigine augmente la durée de la période de stabilité avant la survenue d’un épisode dépressif ou maniaque comparativement au placebo (Bowden, 2009). Par contre, le lithium demeure supérieur à la lamotrigine dans la prévention des épisodes maniaques.

71.5 Autres antiépileptiques et médicaments testés Diérents antiépileptiques ont été étudiés pour le traitement du trouble bipolaire. L’oxcarbazépine (TrileptalMD) est une molécule apparentée à la carbamazépine. Elle est mieux tolérée et n’induit pas son propre métabolisme. Elle ore peu d’interactions médicamenteuses en raison de sa faible anité pour le système de cytochrome P-450. Les doses utilisées s’échelonnent de 300 à 1 200 mg BID. Des cas rapportés et des études ouvertes semblent lui conférer un eet antimaniaque, et certains médecins l’utilisent lorsque la carbamazépine n’est pas tolérée (Schatzberg & DeBattista, 2015). Aucune étude randomisée et à double insu ne justie son utilisation comme stabilisateur de l’humeur (Fountoulakis & al., 2012). Au mieux, elle peut être ajoutée à un stabilisateur de l’humeur reconnu (Yatham & al., 2013).

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Traitements

La gabapentine (NeurontinMD) n’est pas recommandée en monothérapie dans le traitement d’entretien du trouble bipolaire (Yatham & al., 2013). Quelques cas rapportés et des essais cliniques sans groupe témoin ont révélé son utilité pour traiter l’anxiété. Des doses de 300 à 900 mg BID à QID sont alors ajoutées à la médication usuelle du patient. Pour le topiramate (TopamaxMD), six études randomisées à double insu ne supportent pas l’emploi de ce médicament en monothérapie dans la phase maniaque. Son ajout à la médication de base durant la phase de maintien ne s’est pas avéré ecace. Il n’est pas recommandé dans le traitement d’entretien du trouble bipolaire en monothérapie (Yatham & al., 2013). Utilisé à des doses de 50 à 200 mg par jour, il peut induire une perte de poids de 5 kg, en moyenne, chez certains patients. Il est aussi employé comme adjuvant dans les cas de comorbidités avec les troubles liés à l’abus de substances. Le lévétiracétam (KeppraMD) et la phénytoïne (DilantinMD) ne sont pas non plus ecaces dans le traitement d’entretien du trouble bipolaire selon des études ouvertes (Bowden, 2009). Diérents médicaments commercialisés pour d’autres indications ont été étudiés pour le traitement du trouble bipolaire Le vérapamil (IsoptinMD) et la nimodipine (NimotopMD) sont les médicaments les plus étudiés parmi les bloqueurs des canaux calciques dans des cohortes de patients et des études ouvertes. Aucune étude contrôlée ne permet de les recommander. Les acides gras oméga-3 (acide eicosapentanoïque [AEP]) ont été étudiés en combinaison dans le traitement de la dépression bipolaire, de la manie et pour la phase de maintien. Dans la majorité des études, des doses de 3 à 6 g par jour ont été employées. Quatre études ouvertes menées avec de petits nombres de patients suggèrent son ecacité en phase dépressive. Une étude contrôlée et à double insu a montré des bénéces lors de l’ajout de 1 et de 2 g d’AEP par jour à la médication usuelle dans le traitement de la phase dépressive (Sylvia & al., 2013). Les études actuelles ne reconnaissent pas son ecacité dans le traitement de la phase maniaque ni dans la prévention des rechutes. L’inositol, un isomère du glucose, fait partie du système des seconds messagers du phosphatidyl inositol que l’on retrouve dans le cytoplasme du neurone. Des études ouvertes et trois études contrôlées à double insu suggèrent une ecacité de l’inositol en combinaison avec un stabilisateur de l’humeur dans le traitement de la phase dépressive du trouble bipolaire (Sylvia & al., 2013). Les doses utilisées vont de 6 à 12 g par jour. Le tamoxifène (TamofenMD), un antinéoplasique, est un modulateur sélectif des récepteurs œstrogéniques qui aurait ainsi des eets antimaniaques en inhibant la phosphokinase C, laquelle joue un rôle important dans la régulation de la neurotransmission. Quatre études pilotes conrment que l’emploi du tamoxifène en monothérapie ou en ajout avec un stabilisateur de l’humeur à des doses de 40 à 160 mg est plus ecace que l’emploi du placebo dans le traitement de la phase maniaque. Une étude randomisée et à double insu conrme l’ecacité du tamoxifène en ajout avec le lithium dans le traitement de la phase maniaque (Amrollahi & al., 2011). Les eets indésirables le plus souvent cités sont la fatigue et la somnolence diurne. Le donépézil (AriceptMD) n’a pas montré d’ecacité dans le traitement de la phase maniaque dans une étude contrôlée à double insu qui ne comptait qu’un petit nombre de patients.

La mémantine (EbixaMD) est un antagoniste non compétitif des récepteurs NMDA du glutamate. Elle bloque l’activité synaptique du glutamate et prévient l’excitotoxicité. Des études ouvertes de courte durée jusqu’à des études naturelles chez des patients réfractaires conrment l’eet antimaniaque de cette médication lorsqu’elle est ajoutée à la médication régulière. La réponse a pu être maintenue un an après l’introduction de la mémantine. Les doses utilisées s’échelonnent de 10 à 50 mg par jour. Les eets indésirables les plus observés sont les nausées, la constipation et la somnolence (Sani & al., 2012). D’autres substances ont été étudiées pour le traitement du trouble bipolaire. La choline, un acide aminé qui augmente la synthèse d’adénosine triphosphate (ATP), un carburant des mitochondries cellulaires, n’a pas été ecace pour traiter la phase maniaque lorsqu’elle est ajoutée à la médication usuelle. Le magnésium, un ion métallique qui favorise la conversion du 5-hydroxytryptophane en sérotonine, est un antagoniste des récepteurs NMDA et il inhibe la phosphokinase C. Des cas rapportés et des études ouvertes avec des petits nombres de patients montrent une réduction des symptômes maniaques lorsqu’il est ajouté à la médication régulière. La dose utilisée est de 40 mEq par jour et est bien tolérée. Le chrome, un sel minéral, a été testé dans une étude de 30 patients sourant de troubles bipolaires réfractaires sans résultats probants (Sylvia & al., 2013). La N-acétyl cystéine, un précurseur du glutathion qui est un antioxydant puissant du cerveau, s’est révélée ecace pour le traitement de la phase dépressive du trouble bipolaire, à une dose de 2 g par jour pendant une durée de huit semaines, associée à la médication habituelle. Par contre, une étude randomisée et à double insu ne supporte pas son ecacité dans la prévention des épisodes thymiques. Les benzodiazépines (p. ex., le clonazépam et le lorazépam) ne sont pas recommandées comme traitement à long terme du trouble bipolaire. Elles sont inecaces pour prévenir les rechutes et peuvent induire de la dépendance ou un sevrage. Une utilisation à court terme est recommandée dans l’agitation maniaque seulement (Yatham & al., 2013).

71.6 Antipsychotiques Quelques antipsychotiques de deuxième génération commencent à faire leurs preuves comme stabilisateurs des troubles de l’humeur. Olanzapine (ZyprexaMD) : Dans le cadre d’une revue réalisée par le groupe Cochrane, Cipriani et ses collaborateurs (2009) ont révisé toutes les études publiées concernant l’olanzapine. Quatre études de prévention de la rechute à long terme et une étude d’interruption de l’olanzapine après stabilisation ont été retenues aux ns de l’analyse. Les auteurs concluent que l’olanzapine est supérieure au lithium et au placebo dans la prévention des rechutes maniaques sur une période d’un an. Par contre, elle ne s’est pas avérée plus ecace que le lithium ou le placebo dans la prévention des rechutes mixtes (maniaques et dépressives combinées). Ces auteurs suggèrent l’emploi en 1re intention du lithium, de la lamotrigine ou de l’acide valproïque pour les patients stabilisés. Santé Canada et la FDA ont approuvé l’olanzapine comme traitement prophylactique du trouble bipolaire. Le CANMAT

Chapitre 71

Stabilisateurs de l’humeur

1549

et l’ISBD recommandent l’utilisation de l’olanzapine à des dose de compléter comme traitement de 1re intention en prophylaxie dans la maladie bipolaire (Yatham & al., 2013). Rispéridone (RisperdalMD) : L’efficacité de la rispéridone orale a été évaluée en monothérapie dans des études ouvertes et des études contrôlées à double insu pour le traitement de la manie, et en combinaison avec le lithium ou l’acide valproïque. Dans toutes ces études, elle a été plus ecace que le placebo, seule ou en combinaison, pour la réduction des symptômes maniaques. Mais son ecacité pour prévenir les rechutes à long terme n’a pas été étudiée (Yatham & al., 2013). Par contre, deux études contrôlées avec placebo et à double insu ont révélé que le Risperdal ConstaMD (rispéridone injectable à longue durée) prévient les rechutes du trouble bipolaire lorsqu’il est employé en combinaison avec l’acide valproïque ou le lithium comme en monothérapie et aussi en combinaison avec l’acide valproïque ou le lithium, ce qui fait que le CANMAT et l’ISBD considèrent la rispéridone injectable comme un traitement de 1re intention pour prévenir les rechutes. La palipéridone, la forme hydroxylée de la rispéridone et donc son principal métabolite, existe sous forme injectable (Invega SustennaMD). CANMAT et ISBD recommandent l’utilisation de la palipéridone injectable en 1 re intention dans le traitement de la phase maniaque et en 2e intention pour la prophylaxie du trouble bipolaire de type I (Yatham & al., 2013) et ce malgré l’absence d’étude pour la prévention à long terme. Cependant une étude randomisée et à double insu eectuée auprès de 334 patients sourant de trouble schizoaectif a montré l’ecacité de la palipéridone injectable en monothérapie ou en combinaison dans la prévention des rechutes psychotiques, maniaques et dépressives (Fu & al., 2015). Quétiapine (SeroquelMD et Seroquel XRMD) : Deux études randomisées et à double insu ont évalué l’ecacité et l’innocuité de la quétiapine (SeroquelMD) en association avec le lithium ou l’acide valproïque pour la prévention du trouble bipolaire de type I (Suppes & al., 2009 ; Vieta & al., 2008). Les doses moyennes de quétiapine étaient de 497 et 519 mg respectivement pour une durée de traitement de 189 et 240 jours. La combinaison quétiapine + lithium, dans une proportion de 72 %, ou quétiapine + acide valproïque, dans une proportion de 68 %, est plus ecace pour retarder la rechute que placebo + lithium ou placebo + acide valproïque. Le CANMAT et l’ISBD recommandent la quétiapine comme traitement de 1re intention en monothérapie ou en association avec le lithium ou l’acide valproïque pour prévenir la rechute dans le trouble bipolaire après un épisode aigu. Aripiprazole (AbilifyMD): Santé Canada et la FDA ont approuvé l’aripiprazole en monothérapie comme traitement et prévention des rechutes à long terme du trouble bipolaire de type I (McIntyre & al., 2011). L’étude multicentres de Keck et de ses collaborateurs (2007) montre l’ecacité de l’aripiprazole par rapport au placebo sur une période de 100 semaines pour le traitement de maintien du trouble bipolaire de type I. La dose moyenne d’aripiprazole prescrite était de 23,8 mg par jour. Dans une autre étude contrôlée et à double insu (Keck & al., 2009), l’aripiprazole est comparé au lithium et au placebo dans le traitement de la phase maniaque aiguë durant une période de trois semaines. Les patients recevant l’aripiprazole ou le lithium sont

1550

demeurés en traitement pendant une période additionnelle de neuf semaines. Les taux de réponse, mesurés par la baisse du score à l’échelle de manie (YMRS), sont signicativement supérieurs pour les patients traités avec l’aripiprazole ou le lithium après trois semaines et cette réponse s’est maintenue par la suite. La dose moyenne d’aripiprazole employée s’élève à 23,6 mg par jour après 12 semaines. Le CANMAT et l’ISBD recommandent l’aripiprazole en 1re intention pour la prévention de la rechute du trouble bipolaire, en particulier pour la phase maniaque. Jusqu’à ce jour, deux études contrôlées et à double insu avec l’aripiprazole n’ont pas montré son ecacité dans le traitement de la dépression bipolaire (Yatham & al., 2013). Ziprasidone (ZeldoxMD) : Deux études contrôlées et à double insu montrent l’ecacité de la ziprasidone en monothérapie dans la manie. Une étude contrôlée et à double insu a évalué l’ecacité de la ziprasidone en combinaison avec un stabilisateur de l’humeur pour la prévention des rechutes du trouble bipolaire. L’étude, qui portait sur une période de six mois, comptait 239 patients. Dans cette étude, la ziprasidone était plus ecace que le placebo pour la prévention de la phase maniaque et non pour la phase dépressive. Les doses utilisées variaient de 80 à 160 mg par jour. Le CANMAT et l’ISBD appuient l’utilisation de la ziprasidone en 1re intention lorsqu’elle est combinée avec un stabilisateur de l’humeur pour le traitement à long terme (Yatham & al., 2013), mais son ecacité en monothérapie n’est pas reconnue. Lurasidone (LatudaMD) : À la suite des études PREVAIL-1 et PREVAIL-2, Santé Canada et la FDA approuvent la lurasidone en monothérapie dans le traitement de la phase dépressive du trouble bipolaire de type I. Les doses employées s’échelonnent de 20 à 120 mg par jour. Aucune étude n’a évalué l’ecacité de cette médication dans la phase maniaque ou en traitement d’entretien du trouble bipolaire (Woo & al., 2013). Asénapine (SaphrisMD) : Santé Canada et la FDA approuvent l’asénapine comme traitement ecace en monothérapie et en combinaison avec un stabilisateur de l’humeur pour le traitement de la phase aiguë de manie ou l’état mixte du trouble bipolaire de type I (Samalin & al., 2013). Dans une des études, cette ecacité en monothérapie s’est maintenue pendant une période de 40 semaines. Les doses utilisées étaient de 10 ou 20 mg par jour. Le CANMAT et l’ISBD recommandent l’asénapine en monothérapie et en combinaison en 3 e intention pour la prévention des rechutes. Clozapine (ClozarilMD) : Des études cas témoins et des études non contrôlées ont montré l’ecacité de la clozapine chez les patients réfractaires qui ne répondent pas au lithium ou qui présentent des cycles rapides ou des états mixtes. Les doses utilisées dans le traitement du trouble bipolaire sont d’environ 250 mg par jour. En raison du manque d’études contrôlées, le CANMAT et l’ISBD retiennent la clozapine comme un traitement de maintien de 3e intention (Yatham & al., 2013). Amisulpride (SolianMD) : L’amisulpride, qui est disponible au Canada par le programme d’accès de Santé Canada, s’est montrée ecace dans une étude ouverte comptant un petit nombre de patients dans le traitement de la manie aiguë. Deux études ouvertes font état de son ecacité en combinaison avec un stabilisateur de l’humeur pour le traitement d’entretien du trouble bipolaire de type I (omas & Vieta, 2008). Aucune étude ne permet de la

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Traitements

TABLEAU 71.11 Médicaments approuvés ou recommandés en monothérapie pour le traitement du trouble bipolaire de type I

Médicaments

Manie

Dépression

Maintien

A, R 1

R1

R1

A, R 1

R2

R1

A, R 2

R3

R2

Lamotrigine (LamictalMD)

NR

R1

A, R 1

Oxcarbazépine (TrileptalMD)

R3

ND

ND

Lithium

Antiépileptiques Acide valproïque

(EpivalMD)

Carbamazépine (TegretolMD)

Antipsychotiques Aripiprazole (AbilifyMD)

A, R 1

NR

A, R 1

Asénapine (SaphrisMD)

A, R 1

ND

R3

Clozapine (ClozarilMD)

R3

ND

ND

(HaldolMD)

R2

ND

ND

Lurasidone (LatudaMD)

ND

A, R 2

ND

Olanzapine (ZyprexaMD)

A, R 1

R3

A, R 1

Palipéridone ER (Invega SustennaMD)

A, R 1

ND

A, R 2

Quétiapine (SeroquelMD)

Halopéridol

A, R 1

A, R 1

A, R 1

(RisperdalMD)

A, R 1

ND

ND

Rispéridone LA (Risperdal ConstaMD)

ND

ND

A, R 1

A, R 1

NR

ND

ND

ND

Rispéridone

Ziprasidone (ZeldoxMD)

Autres Tamoxifène (TamofenMD) A : approuvé par Santé Canada et la FDA NR : non recommandé ND : pas sufsamment d’études sur ce sujet

R3 1re

R 1 : recommandé en intention selon CANMAT et ISBD R 2 : recommandé en 2e intention R 3 : recommandé en 3e intention

Sources : Adapté de Yatham & al. (2013) ; Procyshyn & al. (2015).

recommander en monothérapie, autant en phase aiguë de manie qu’en prévention des rechutes. Le tableau 71.11 résume la plupart des approbations de Santé Canada et de la FDA ainsi que les recommandations du CANMAT et de l’ISBD dans le traitement du trouble bipolaire.

Au cours des dernières années, les recherches cliniques ont permis d’élargir l’arsenal thérapeutique pour le trouble bipolaire. Plusieurs molécules sont toujours en développement, que l’on pense aux agents glutamatergiques stimulant les récepteurs NMDA et aux antipsychotiques de deuxième génération de plus en plus

utilisés comme stabilisateurs de l’humeur. Malgré la diversité des molécules existantes (antiépileptiques, antipsychotiques et lithium), les agences gouvernementales de contrôle des médicaments tardent souvent à reconnaître de nouvelles indications pour des médicaments existants. C’est particulièrement vrai pour le traitement de la dépression bipolaire, où il y a pénurie de solutions pharmacologiques. Il ne faut pas se surprendre que les antidépresseurs soient toujours les molécules les plus prescrites pour le traitement du trouble bipolaire aux États-Unis bien que le CANMAT et l’ISBD ne recommandent pas l’utilisation des antidépresseurs pour la prévention de la rechute du trouble bipolaire (Pacchiarotti & al., 2013).

Chapitre 71

Stabilisateurs de l’humeur

1551

Lectures complémentaires A J.-M. & al. (2013). Psychopharmacologie des troubles bipolaires, Chêne-Bourg, Suisse, Médecine et Hygiène. L R. (2004). Le fragile Équilibre, Loretteville, Québec, Le Dauphin Blanc. L L. (2005). Je suis Laura… pour le meilleur et pour le pire, Montréal, Québec, Pierre Tisseyre.

1552

Y L.N. & K V. (2009) Bipolar Disorder, A clinician’s guide to treatment management, New York-London, Routledge. Plusieurs lignes directrices concernant le traitement des troubles bipolaires ont été publiées au cours des dernières années. Parmi celles-ci, signalons : • celles du Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT),

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Traitements

• •

publiées en 2005 et mises à jour en 2013 ; celles de l’American Psychiatric Association, parues en 2002 et révisées en 2005 ; et celles du National Institute for Health and Clinical Excellence – NICE (Royaume-Uni) (2014), disponibles au www.nice.org.uk/guidance/cg185/ chapter/1-recommendations.

CHA P ITR E

72

Électroconvulsivothérapie et neuromodulation Claude Vanier, M.D., FRCPC

Paul Lespérance, M.D., FRCPC, M. SC. (sciences neurologiques)

Psychiatre, membre honoraire, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Psychiatre, chef de département, Département de psychiatrie, Centre hospitalier universitaire de Montréal

Membre honoraire, Association médicale canadienne

Professeur agrégé de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Smadar Valérie Tourjman, M.D., FRCPC, M. SC. (pharmacologie) Psychiatre, chef médicale, Clinique d’électroconvulsivothérapie, Institut universitaire en santé mentale de Montréal Professeure agrégée de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

72.1 Historique et mécanismes d’action........................... 1554 72.2 Indications.................................................................... 1555 72.2.1 Dépression majeure ............................................ 1555 72.2.2 Manie ..................................................................... 1555 72.2.3 Schizophrénie et trouble schizoaectif........... 1555 72.2.4 Autres aections.................................................. 1555 72.2.5 Situations cliniques spéciques ........................ 1556 72.2.6 Populations spéciques ...................................... 1556 72.3 Contre-indications relatives et situations particulières ........................................... 1556 72.3.1 Aections cardiovasculaires ............................. 1557 72.3.2 Aections neurologiques ................................... 1557 72.3.3 Autres aections.................................................. 1557 72.4 Évaluation..................................................................... 1557 72.4.1 Consultation......................................................... 1557 72.4.2 Examens complémentaires................................ 1558 72.4.3 Seuil convulsif ...................................................... 1558 72.4.4 Interactions .......................................................... 1558

Simon Patry, M.D., FRCPC Psychiatre, directeur, Unité des thérapies somatiques, Institut universitaire de santé mentale de Québec Professeur agrégé de clinique, Département de psychiatrie et neurosciences, Faculté de médecine, Université Laval (Québec)

72.5 Modalité d’application ................................................ 1558 72.5.1 Préparation du patient........................................ 1558 72.5.2 Anesthésie............................................................. 1558 72.5.3 Emplacement des électrodes............................. 1559 72.5.4 Type d’appareil..................................................... 1559 72.5.5 Dosage du stimulus et monitorage .................. 1559 72.5.6 Nombre de séances ............................................. 1560 72.5.7 Eets indésirables de l’ECT............................... 1560 72.5.8 Électroconvulsivothérapie de maintien .......... 1561 72.6 Neuromodulation psychiatrique ............................... 1561 72.6.1 Stimulation magnétique transcrânienne répétitive................................... 1561 72.6.2 Stimulation du nerf vague ................................. 1563 72.6.3 Stimulation cérébrale profonde........................ 1564 Lectures complémentaires .................................................... 1565

L’

électroconvulsivothérapie (ECT), utilisée à bon escient et selon les normes modernes, constitue un traitement hautement sécuritaire et très ecace (Enns & al., 2010 ; Vanier & Tourjman, 2001).

72.1 Historique et mécanismes d’action En 1934, Von Meduna, neuropsychiatre hongrois, injecte de l’huile de camphre qui produit une crise épileptique à un patient sourant de schizophrénie catatonique depuis quatre ans. Ce patient, qui ne bougeait et ne mangeait plus, se rétablit après quelques traitements. Le postulat de Von Meduna s’appuyait sur des études cliniques et neuropathologiques soutenant qu’il existe un « antagonisme biologique » entre la schizophrénie et l’épilepsie. En eet, selon lui, les schizophrènes étaient rarement épileptiques et les épileptiques présentaient rarement un trouble schizophrénique ; on sait aujourd’hui que cela ne correspond pas à la réalité. Rapidement, Von Meduna décide d’utiliser, à la place du camphre, le pentylènetétrazol (MétrazolMD), produisant aussi une crise convulsive avec moins d’eets indésirables, vu sa solubilité et sa rapidité d’action. En 1938, les Italiens Cerletti et Bini utilisent pour la première fois des stimulations électriques pour produire des crises épileptiques an de traiter un patient présentant des symptômes psychotiques graves. Durant les années 1940, l’électroconvulsivothérapie (ECT), un traitement somatique (par comparaison aux psychothérapies dont la psychanalyse), constitue, avec la psychochirurgie et l’insulinothérapie, le principal moyen d’aider les patients hospitalisés sourant de maladie mentale grave. À ses débuts, l’ECT était administrée à froid, sans anesthésie, ce qui a contribué à son discrédit. Aujourd’hui, l’ECT est appliquée avec une méthode moderne, sous anesthésie, et les techniques somatiques antérieures sont tombées en désuétude à cause des eets indésirables marqués et du nombre élevé de décès. Au milieu des années 1950, la découverte de la chlorpromazine (LargactilMD), puis d’autres neuroleptiques analogues, entraîne un déclin de ces traitements somatiques. Parallèlement à cette évolution, des mouvements antipsychiatriques voient le jour, et l’ECT (nommée aussi « électrochoc » ou « sismothérapie ») devient une cible de choix pour certains détracteurs. Le lm célèbre Vol au-dessus d’un nid de coucou stigmatise la répulsion attachée aux électrochocs. Toutefois, au cours des années 1970, l’électroconvulsivothérapie refait surface pour soulager de nombreux patients qui ne répondent pas aux médicaments psychotropes ni aux psychothérapies. En 1978, l’American Psychiatric Association (APA) publie un premier rapport sur l’ECT. On y établit clairement le rôle de l’ECT dans la pratique contemporaine du traitement des troubles graves de l’humeur en respectant certaines indications, en dénissant leurs modalités d’application et en établissant des règles propres au consentement libre et éclairé. Plusieurs autres rapports importants ont été publiés par la suite, dont celui de l’APA en 1990 (Weiner & al., 1990) qui précise les indications et des normes claires quant aux aspects techniques. En 2001, l’APA publie un troisième rapport (Weiner & al., 2001).

1554

En 1992, l’Association des psychiatres du Canada publie un deuxième énoncé de principes concernant ce traitement. En 2009, elle émet un troisième énoncé de principes à ce sujet (Enns & al., 2010). De plus, en 2009, le Canadian Network for Mood an Anxiety Treatment (CANMAT) publie ses lignes directrices du traitement de la dépression majeure chez l’adulte (Kennedy & al., 2009) en y incluant l’ECT et la neuromodulation. L’ensemble de ces publications et des bases scientiques conrment un regain d’intérêt dans les milieux universitaires d’enseignement et de recherche. Les quatre dernières décennies ont permis un développement important et un ranement majeur de cet outil thérapeutique utilisé depuis plus de 75 ans. Aujourd’hui, ce traitement est effectué selon une méthode moderne, sous anesthésie générale. Ainsi, le patient ne ressent pas l’inconfort d’être paralysé par le curare ou l’appréhension de l’attente de la stimulation. De plus, le patient étant curarisé, les fractures qui survenaient autrefois à cause de fortes contractures musculaires sont maintenant révolues. Le patient étant ventilé avec de l’oxygène à 100 %, la saturation demeure optimale, considérant la demande augmentée d’oxygène au niveau cérébral et cardiaque. L’énergie électrique est maintenant minimale, inférieure à celle utilisée autrefois. La décharge délivrée n’est plus sous forme d’ondes sinusoïdales, comme celles produites par les compagnies d’électricité, mais d’ondes carrées (ondes brèves et ultrabrèves) dont la charge est mesurée en millicoulombs. De plus, certains patients peuvent répondre lorsque les électrodes sont placées de façon unilatérale, soit du même côté de la tête (habituellement du côté droit) en évitant ainsi de stimuler directement le côté gauche, réduisant alors les difficultés de mémoire associées aux ECT. À noter cependant que, même si un seul côté du cerveau est stimulé, la crise convulsive se manifeste aussi du côté opposé, à cause de la propagation de la décharge électrique. Plusieurs paramètres sont mesurés au cours de l’ECT : la pression artérielle, l’ECG, l’EEG ainsi que la saturation en oxygène. Ce traitement est appliqué par des médecins, en général par des psychiatres et des anesthésiologistes, et du personnel hautement qualifiés dans un environnement sécuritaire et spécialisé. Les succès thérapeutiques ainsi obtenus relancent l’intérêt pour l’ECT.

Mécanismes d’action Plusieurs théories ont été élaborées pour tenter d’expliquer le mode d’action de l’ECT et son eet bénéque. Mais on ne comprend pas encore le fonctionnement exact de l’ECT concernant la manie et la dépression (Bolwig, 2011).Un des modes d’action actuellement à l’étude se rapporte à la capacité du cerveau à freiner une convulsion. Cette hypothèse fait référence au fait qu’un cerveau sain peut plus facilement mettre n à une convulsion et revenir à son état de base. Une autre hypothèse postule l’accroissement de la perméabilité neuronale qui favoriserait une accélération du transport transmembranaire de nombreux neurotransmetteurs, ce qui contribuerait, entre autres, à une élévation de la quantité de la sérotonine au niveau de la fente synaptique, un processus qui se répercute sur le système neuroendocrinien. Cette théorie rejoint le mécanisme d’action de certains antidépresseurs. Des études ultérieures permettront de raner et de préciser les mécanismes d’action subtils de cette forme de traitement.

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Traitements

la stigmatisation entourant cette modalité thérapeutique, souvent, ce premier choix n’est même pas oert au patient (Fink, 2011).

72.2 Indications L’ecacité de l’électroconvulsivothérapie (ECT) dans le traitement de certains syndromes psychiatriques a fait l’objet de nombreuses études, comme le mentionne l’Agence d’évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé (AETMIS) dans son rapport sur l’utilisation des électrochocs au Québec, qui indique que la dépression majeure constitue « la principale indication pour recourir à l’ECT » (Banken, 2003). Comme pour tout autre acte médical, il faut obtenir le consentement libre et éclairé du patient avant d’entreprendre l’ECT. Il est recommandé que le consentement soit donné par écrit. On ne saurait invoquer l’urgence de la situation pour entreprendre ce traitement, et il faut obtenir l’autorisation du tribunal lorsqu’un patient inapte oppose un refus catégorique. L’ensemble des principes concernant le consentement éclairé doit être appliqué rigoureusement. Les principes concernant le consentement libre et éclairé sont présentés en détail au chapitre 4, à la soussection 4.3.8, et au chapitre 52, à la section 52.2.

72.2.1 Dépression majeure Alors que l’ECT a été initialement mise au point pour soigner la schizophrénie, la méthode s’est avérée surtout indiquée pour traiter les malades sourant de troubles graves de l’humeur. Actuellement, l’ECT demeure un traitement très ecace de la dépression majeure et des dépressions résistantes (Matthew, 2008), même si elle n’est pas en tête de liste dans les guides de pratique. Selon les études, ce traitement en 1re intention donne un taux de réponse de 80 à 90 %, ce qui est nettement supérieur à l’ecacité observée avec les médicaments antidépresseurs. Quand il est utilisé en 2e intention, chez les patients n’ayant pas répondu à un ou plusieurs essais avec les antidépresseurs, ce pourcentage est inférieur, mais il demeure important, soit de 50 à 60 % (Weiner & al., 2001). Selon une méta-analyse de six études publiées entre 1963 et 1985 sur un total de 256 patients, l’AETMIS rapporte que cette étude souligne « l’ecacité de l’ECT réelle est plus grande que celle de l’ECT simulée, pour le traitement à court terme de la dépression » (Banken, 2003, p. 29). L’ECT simulée correspond à un ECT placebo. L’ECT est un traitement antidépresseur ecace autant pour la dépression majeure légère, modérée et grave, avec ou sans caractéristiques psychotiques. Le traitement par l’ECT a un pronostic généralement favorable lorsque la dépression s’accompagne de certains symptômes spéciques (délire, catatonie et symptômes neurovégétatifs). Par ailleurs, les patients sourant d’une dépression secondaire à une autre aection médicale, tout comme les patients dysthymiques, répondent généralement moins bien à ce type de traitement. Lorsque le diagnostic est clair et qu’il s’agit d’un état dépressif majeur de forte intensitée, l’ECT devrait être considérée comme un traitement de premier choix (Martin, 2009). Sienaert (2011) considère que l’ECT est indiquée chez les patients présentant des idéations suicidaires aiguës, des éléments psychotiques, une détérioration rapide de leur état physique ou une catatonie. Le groupe de travail sur l’ECT de l’APA rapporte que l’électroconvulsivothérapie doit aussi être considérée comme un traitement de 1re intention s’il y a présence d’éléments psychotiques (Weiner & al., 2001). Malheureusement, à cause de

72.2.2 Manie Il est bien documenté que les patients présentant un état maniaque réagissent rapidement et favorablement à l’ECT. On devrait donc l’envisager lorsque la médication n’a pas les eets thérapeutiques attendus chez certains patients. Selon le groupe de travail de l’APA, la manie constitue une indication pour le traitement par ECT (Weiner & al., 2001). Chez les patients atteints d’un trouble bipolaire en phase de manie, le placement des électrodes en position bilatérale donne de meilleurs résultats, quoique la raison en soit encore inconnue. Toutefois, lorsqu’un tableau clinique de manie apparaît au cours d’une ECT, il convient, selon certains médecins, de cesser le traitement.

72.2.3 Schizophrénie et trouble schizoaffectif La schizophrénie constitue, après la dépression, le deuxième diagnostic le plus fréquent pour lequel l’ECT est recommandée (Weiner & al., 2001). Une méta-analyse réalisée par la Collaboration Cochrane laisse penser que l’ECT combinée à une médication antipsychotique devrait être considérée comme une option thérapeutique chez les patients sourant de schizophrénie. De même, l’ECT devrait être envisagée lorsque la réponse à la médication habituelle est limitée. Même si la clozapine abaisse le seuil convulsif, il n’est plus indiqué d’en diminuer la dose pour que l’ECT produise un eet thérapeutique. De plus, lorsque cette médication est combinée à l’ECT, il est rare de constater une convulsion spontanée tardive, et ce, contrairement à la crainte de nombreux médecins (Weiner & al., 2001). L’ECT est souvent réservée lorsqu’on est en présence de symptômes positifs de schizophrénie ne répondant pas à la clozapine. Pour les patients sourant de trouble schizoaectif, soit en phase dépressive ou en phase maniaque, l’ECT s’est révélée particulièrement ecace. L’ECT a un eet thérapeutique moindre chez les patients qui présentent des syndromes aectifs consécutifs à un trouble organique.

72.2.4 Autres affections D’autres types de pathologies primaires répondent également très bien à ce traitement, quoiqu’il n’existe à cet égard que des rapports anecdotiques et que l’ecacité de l’ECT ne fasse pas l’unanimité. Il en est ainsi pour : • le trouble obsessionnel-compulsif ; • les syndromes organiques graves de type aectif ou délirant ; • le delirium alcoolique ou le delirium consécutif à la consommation de drogues, telle la phencyclidine (PCP) ; • les syndromes psychiques secondaires à un lupus érythémateux ; • le syndrome malin des neuroleptiques ; • l’hypopituitarisme iatrogène ; • les troubles épileptiques réfractaires aux traitements usuels (l’ECT agirait ecacement en favorisant une élévation du seuil convulsif au cours de chaque traitement) ; • le syndrome parkinsonien (l’ECT contribue temporairement à diminuer la rigidité musculaire et à améliorer les fonctions motrices).

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Électroconvulsivothérapie et neuromodulation

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Si l’on doit prendre en considération l’ecacité probable de l’ECT chez les patients sourant de ces psychopathologies et de ces syndromes physiques, l’approche thérapeutique ciblant directement l’agent causal demeure évidemment la meilleure.

72.2.5 Situations cliniques spéciques Au-delà des diagnostics en tant que tels, l’APA établit que l’ECT peut représenter un traitement de premier choix dans les situations suivantes : • risque plus élevé avec un autre traitement (p. ex., une patiente enceinte présentant un trouble dépressif majeur avec éléments psychotiques) ; • nécessité d’une réponse rapide ; • antécédents de bonne réponse à l’ECT ; • préférence du patient lorsqu’il soure d’un trouble pour lequel l’ECT est clairement reconnue comme étant ecace. L’ECT peut être envisagée en 2e intention lorsque : • la pharmacothérapie est inecace ; • les eets indésirables sont moins importants avec l’ECT que les autres traitements ; • le patient présente une détérioration clinique suite à la maladie.

72.2.6 Populations spéciques L’utilisation de l’ECT pour certains groupes de patients nécessite des considérations particulières.

Enfants et adolescents Il existe peu d’études portant sur l’ECT chez les enfants et les adolescents, ce qui peut s’expliquer par le fait que l’on a rarement recours à cette méthode et que la reconnaissance des symptômes dépressifs chez les jeunes est peu fréquente. Les indications diagnostiques sont, par ailleurs, les mêmes que pour les adultes. Il est important de prendre en considération le développement de l’enfant et de l’adolescent lorsqu’un tel traitement est envisagé. En eet, certains auteurs considèrent qu’il peut y avoir une réduction de la sécrétion de l’hormone de croissance durant l’ECT alors que d’autres considèrent qu’elle peut être augmentée. En outre, étant donné le manque d’expérience quant à l’application de l’ECT aux enfants, il est recommandé de discuter de ce choix de traitement avec un autre consultant pédopsychiatre. En ce qui concerne les adolescents, la littérature rapporte un plus grand nombre de cas et ce traitement est un peu plus facilement envisagé pour eux.

Personnes âgées L’âge avancé ne constitue pas un obstacle à l’utilisation de l’ECT. Weiner et ses collaborateurs (2001) font état d’une étude concernant cette pratique en Californie entre 1977 et 1983 montrant que la probabilité de recevoir des ECT augmentait avec l’âge (Mankad & al., 2010). Il importe cependant de prendre diverses précautions puisque la prévalence des maladies physiques est plus importante chez ces personnes. Par ailleurs, la puissance du stimulus doit être adaptée en conséquence, car le seuil convulsif est plus élevé chez les personnes âgées. Chez cette population, on considère que l’ECT présente un risque accru de provoquer des états confusionnels ; il faut donc établir la fréquence des séances hebdomadaires en tenant compte de ce risque et envisager certaines modications des protocoles. Ainsi, chez certaines personnes, le nombre de

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séances peut être réduit à deux au lieu de trois par semaine. Sauf indication contraire, les électrodes doivent être placées surtout en unilatéral droit pour diminuer les eets indésirables de type cognitif. En ce qui a trait à l’anesthésie, la diminution de l’activité métabolique chez cette population doit être prise en compte pour l’établissement de la dose des médicaments à utiliser.

Femmes Plusieurs études recommandent l’utilisation de l’ECT chez la femme enceinte présentant une dépression majeure de même que des symptômes graves d’une maladie mentale tels qu’une psychose, une catatonie ou des idées suicidaires préoccupantes. Toutefois, le stigma entourant cette modalité thérapeutique fait en sorte qu’elle est peu utilisée chez ces personnes. À noter que le courant ne traverse pas l’utérus. Certains groupes antipsychiatriques ont déjà avancé que les psychiatres maltraitaient les femmes en leur administrant des ECT, car il y a plus de femmes que d’hommes qui reçoivent ce type de traitement. Mais il faut toutefois réaliser que la dépression est deux fois plus fréquente chez les femmes et que leur espérance de vie est plus élevée que celle des hommes.

Patients en clinique ambulatoire De nombreux patients suivis en clinique ambulatoire peuvent, sous certaines réserves, bénécier de l’ECT sans qu’une hospitalisation ne soit requise. Mais il faut alors considérer les aspects suivants : • la gravité du trouble psychiatrique ; • les risques associés anticipés ; • la abilité du patient (p. ex. être à jeun, bien prendre sa médication, etc.) ; • la nécessité qu’une personne puisse ramener le patient à la maison ; • l’obligation qu’un proche soit présent pendant 24 heures après chaque séance ; • Le patient ne doit pas conduire son auto en quittant l’hôpital ni durant les semaines pendant lesquelles ont lieu les séances d’ECT. De plus, il est recommandé de ne pas conduire une automobile au moins durant les premiers jours suivant le dernier traitement ; • La disponibilité du médecin traitant ou son remplaçant pour assurer le suivi. Il est à noter que la plupart des traitements de maintien ont lieu en clinique ambulatoire. Cependant, certaines personnes âgées présentant un risque physique élevé peuvent quand même bénécier d’une brève hospitalisation de 24 à 36 heures.

72.3 Contre-indications relatives et situations particulières Il n’y a pas de contre-indications absolues à l’électroconvulsivothérapie (ECT) (Sienaert, 2011). On doit surtout considérer des contre-indications relatives. Le médecin doit analyser les risques et les bénéces inhérents à chaque situation en évaluant la gravité et la durée de la maladie. Les risques et bénéces d’autres options thérapeutiques ou de l’absence de traitement doivent aussi être étudiés. Les techniques modernes permettent de réduire ou de

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Traitements

prévenir d’éventuels eets indésirables, de sorte qu’il est possible d’entreprendre une série d’ECT dans la plupart des cas d’atteintes physiques. Des consultations spéciques doivent cependant être envisagées.

ECT, une consultation en chirurgie vasculaire ou en neurologie peut être demandée.

Épilepsie L’ECT peut être administrée de façon ecace chez les patients recevant une médication antiépileptique. Toutefois, il faut augmenter la charge d’électricité et la médication antiépileptique doit être diminuée ou omise la veille du traitement.

72.3.1 Affections cardiovasculaires Hypertension artérielle L’hypertension artérielle constitue une contre-indication relative de l’ECT compte tenu du risque d’accident vasculaire cérébral. En eet, une pression systolique dépassant les 200 mm Hg durant le traitement risque d’entraîner une hémorragie cérébrale. Chez les patients hypertendus, on doit administrer les médicaments requis immédiatement avant l’application de la stimulation, an d’abaisser la pression artérielle puisqu’elle augmente habituellement durant le traitement.

Anévrisme Chez les patients présentant un anévrisme aortique, l’utilisation d’antihypertenseurs permet de réduire les risques de rupture. Toutefois, il est prudent d’obtenir l’avis d’un expert pour connaître le niveau du risque encouru pendant l’ECT. À noter que, malgré l’utilisation de la succinylcholine, il importe de considérer l’augmentation de la pression intraabdominale lors de la contraction musculaire initiale lorsque la décharge électrique est appliquée. Les cas d’anévrismes cérébraux exigent de très grandes précautions et la question des risques par rapport aux bénéces doit alors être très sérieusement analysée.

Infarctus du myocarde Généralement, les risques de brillation ventriculaire et de rupture sont plus grands au cours des 10 premiers jours suivant un infarctus. Il en est de même pour la dépression post-infarctus et il est préférable d’attendre quelques jours avant de commencer l’ECT. L’utilisation d’agents antiarythmiques et antihypertenseurs ainsi que l’administration d’oxygène à 100 %à pression positive avant, pendant et après la convulsion permettent de diminuer les risques.

Patient porteur d’un cardiostimulateur ou d’un débrillateur cardiaque Lorsqu’un patient est porteur d’un cardiostimulateur moderne, soit à fréquences variables selon la demande, aucune précaution n’est nécessaire. Toutefois, dans le cas d’un ancien stimulateur cardiaque, il doit être débranché avant chaque séance d’ECT, ce qui nécessite alors un monitorage cardiaque. En ce qui concerne le stimulateur/débrillateur, de nombreux anesthésiologistes préfèrent ne pas le désactiver, car le risque de complications apparaît pratiquement nul.

72.3.2 Affections neurologiques Accident vasculaire cérébral Après un accident vasculaire cérébral (AVC), il est important d’attendre le temps nécessaire avant d’entreprendre une ECT. Ce délai peut être précisé par un spécialiste en chirurgie vasculaire ou un neurologue. Dans le cas d’une dépression post-AVC, les critères habituels s’appliquent. S’il est indiqué de procéder à une

Tumeur cérébrale Toute masse cérébrale susceptible de faire augmenter la pression intracrânienne constitue un danger pouvant provoquer la mort par suite de l’engagement des amygdales cérébrales dans le trou occipital (foramen magnum). Toutefois, de nombreuses tumeurs ne causent pas d’augmentation de la pression intracrânienne et, de ce fait, n’entraînent pas de risques de complications associées à l’ECT ; il en est ainsi pour de petits méningiomes (Weiner & al., 2001).

72.3.3 Autres affections Glaucome Durant l’ECT, il se produit une augmentation transitoire de la pression intraoculaire chez certains patients, tandis qu’on peut observer une réduction chez d’autres. Pour tout patient sourant d’un glaucome, une consultation en ophtalmologie est recommandée avant d’entreprendre une ECT.

Ostéoporose Depuis l’utilisation des relaxants musculaires, les risques de fracture durant l’ECT sont pratiquement éliminés. Par ailleurs, chez un patient présentant une ostéoporose importante, on doit envisager de prendre certaines précautions telles que l’utilisation maximale de la succinylcholine.

72.4 Évaluation Les antécédents psychiatriques complets du patient, les raisons de l’indication de l’électroconvulsivothérapie (ECT), le degré de réponse thérapeutique antérieur et actuel et, s’il y a lieu, les eets indésirables reliés au traitement, doivent être notés au dossier à mesure que le traitement progresse. Les consultations nécessaires doivent être eectuées, dont en psychiatrie, en médecine et en anesthésie. Le médecin responsable du traitement fait un examen physique sommaire avant chaque séance.

72.4.1 Consultation Le médecin traitant qui envisage de prescrire une série d’ECT ou un traitement de maintien devrait demander une consultation à un psychiatre qui établira les antécédents psychiatriques du patient, ainsi qu’un examen mental ; la note du psychiatre doit faire état des raisons en faveur ou non de l’ECT et, le cas échéant, de certaines informations concernant les traitements d’ECT antérieurs (résultats, précautions, etc.). Un examen physique approfondi doit être eectué an de se prononcer sur l’importance du risque et sur les mesures appropriées à mettre en œuvre au cours du traitement. Un anesthésiologiste doit déterminer la nature et l’étendue du risque anesthésique et envisager, s’il y a

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Électroconvulsivothérapie et neuromodulation

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lieu, diverses modications techniques et des médicaments à utiliser avant, pendant et après le traitement.

72.4.2 Examens complémentaires Contrairement à la pratique défensive des années antérieures où beaucoup de tests étaient demandés pour se défendre face à des poursuites médicolégales éventuelles, il est maintenant recommandé de limiter les examens complémentaires à une formule sanguine complète, un dosage des électrolytes et un ECG. Mais le médecin traitant ou consultant peut évidemment demander tout examen ou analyse qu’il juge nécessaire selon l’état clinique du patient. Ces résultats, les antécédents psychiatriques et un examen physique, incluant les signes vitaux, constituent l’évaluation de base des patients auxquels on a prescrit une série d’ECT. Le traitement moderne a diminué de façon très marquée les risques de blessures musculosquelettiques, de sorte que la radiographie de routine de la colonne vertébrale n’est plus nécessaire. Toutefois, cet examen peut être requis chez les personnes âgées et chez les patients porteurs d’une pathologie osseuse telle que l’ostéoporose. L’EEG, la scanographie cérébrale et l’imagerie par résonance magnétique doivent être envisagées uniquement lorsqu’on soupçonne certaines anomalies cérébrales. La radiographie de routine du crâne n’est plus requise, vu le peu d’information qu’elle apporte avant la procédure.

72.4.3 Seuil convulsif Le seuil convulsif (la quantité minimale de courant électrique requise pour induire une convulsion lors d’un traitement d’ECT) peut varier selon plusieurs circonstances chez un même patient et d’un patient à l’autre. Parmi les facteurs connus susceptibles d’élever le seuil de convulsion, citons : • l’âge avancé ; • le sexe masculin ; • la consommation de benzodiazépines et d’anticonvulsivants ; • la position des électrodes de stimulation (le seuil est plus élevé en mode bilatéral) ; • l’hypooxygénation ; • la déshydratation ; • les derniers traitements reçus par un patient au cours d’une même série d’ECT. À l’opposé, en l’absence de ces facteurs, on note une baisse du seuil convulsif. Ainsi, certains médicaments, tels les antipsychotiques et certains antidépresseurs, abaissent le seuil convulsif. Le risque de convulsions est un des eets indésirables de la clozapine quand la dose dépasse 400 mg par jour.

72.4.4 Interactions On connaît encore mal les interactions entre l’ECT et certains médicaments. On sait toutefois que la théophylline augmente la durée des convulsions, alors que certains médicaments antiarythmiques, particulièrement la lidocaïne et ses analogues, élèvent le seuil de convulsion. Les patients sourant de glaucome peuvent généralement continuer à prendre leurs médicaments habituels. De façon générale, on doit remettre en question le recours aux médicaments psychotropes qui n’ont pas entraîné d’amélioration clinique, sauf si on considère que leur action peut être potentialisée

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par l’ECT. Le maintien de médicaments antipsychotiques est souvent nécessaire pour éviter l’aggravation des symptômes psychotiques. Étant donné que les benzodiazépines élèvent le seuil de convulsion et en réduisent la durée, il est préférable que le patient cesse graduellement leur emploi ou qu’il cesse d’en prendre 24 heures avant chaque séance d’ECT. Les anticonvulsivants utilisés comme stabilisateurs de l’humeur (p. ex., acide valproïque, carbamazépine, etc.) doivent être retirés avant les séances d’ECT et repris si nécessaire, par la suite. Depuis longtemps, il existe des réticences à administrer une anesthésie à des patients recevant des inhibiteurs de la monoamine-oxydase (IMAO). Cependant, cette utilisation apparaît quand même sécuritaire à condition d’observer certaines précautions (Mankad & al., 2010). Un patient recevant un IMAO qui sourirait d’hypotension ne doit pas recevoir d’éphédrine ou d’adrénaline. Toutefois, l’utilisation d’un inhibiteur sélectif de la monoamine-oxydase tel que le moclobémide n’apparaît pas risquée, particulièrement à des doses thérapeutiques moyennes (Mankad & al., 2010). Le lithium devrait être retiré complètement avant que ne soit entreprise une série d’ECT, et ce de façon graduelle quelques jours avant la première séance en raison de la plus grande incidence des syndromes organiques cérébraux post-ECT de type confusionnel chez les patients prenant du lithium au cours du traitement. En outre, ce médicament ralentit le métabolisme de la succinylcholine, entraînant une augmentation de la durée d’action de ce relaxant musculaire et donc une prolongation du temps de ventilation. Il est préférable de poursuivre l’administration d’antidépresseurs considérant le besoin de la prophylaxie lorsque les séances d’ECT seront terminées. De plus, certains auteurs croient que les antidépresseurs potentialiseraient les eets de l’ECT. Des recherches sont encore nécessaires pour mieux comprendre les interactions entre les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS) et l’ECT.

72.5 Modalité d’application Compte tenu de la spécicité de cette approche thérapeutique en psychiatrie et de son utilisation limitée, il est souhaitable que l’électroconvulsivothérapie (ECT) soit administrée par des psychiatres spécialisés qui ont développé une compétence spécique et reconnue par leurs pairs pour leur expertise en la matière.

72.5.1 Préparation du patient Rassurer le patient est certes l’aspect crucial de la préparation. L’équipe traitante qui reçoit le patient à la salle de traitement doit veiller à son accueil et à sa réassurance. Il doit être à jeun depuis au moins six heures avant le traitement. On prend soin de retirer lunettes, lentilles cornéennes, bijoux, dentiers ainsi que les appareils auditifs. Les signes vitaux, y compris la température, doivent être vériés. Le médecin procède à un examen mental bref qui lui permet de mieux suivre l’évolution du patient et tient compte des notes au dossier inscrites par le médecin traitant et par le personnel inrmier. Dans une note pré-ECT, le médecin a avantage à établir sommairement l’état mental du patient avant la procédure, notamment s’il existe déjà des troubles neurocognitifs, par exemple, chez certains patients gériatriques ou encore chez des patients dont la dépression en elle-même aurait pu entraîner des troubles cognitifs.

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Traitements

72.5.2 Anesthésie Il est recommandé pour certains patients d’utiliser une prémédication anticholinergique avant le traitement, an de prévenir le risque de bradycardie et de diminuer les sécrétions bronchiques. Le glycopyrrolate (RobinulMD) est privilégié car il ne traverse pas la barrière hématoencéphalique et réduit ainsi les possibilités de confusion. Il peut être administré à raison de 0,2 à 0,4 mg IV quelques minutes avant l’anesthésie ou par voie IM de 30 à 60 minutes avant celle-ci. Le méthohexital sodique (BriétalMD) constitue l’agent anesthésique utilisé de façon préférentielle à cause de la brièveté de son action. Il est disponible par un programme canadien d’accès spécial. Dans certaines circonstances, le propofol (DiprivanMD) peut être utilisé ; toutefois, il est important de savoir que cette médication augmente le seuil convulsif et réduit la durée de la convulsion (Mankad & al., 2010). L’anesthésiologiste utilise un relaxant musculaire, la succinylcholine, un curare dépolarisant, à raison de 0,5 à 1 mg/kg. Le patient qui présente un décit en acétylcholinestérase doit être intubé. Sous anesthésie générale, et à la suite de la relaxation musculaire, le patient est ventilé au moyen d’oxygène à 100 %à un débit d’environ 5 l/minute, à une fréquence de 15 à 20 respirations par minute. Avant l’application de l’ECT, on doit s’assurer de la mise en place d’un protège-dents ecace et approprié.

ligne rejoignant le tragus et le canthus (correspondant au point 1 sur la gure 72.1). Une deuxième électrode est placée à environ 2 cm à droite de l’intersection d’une ligne joignant les deux tragus et d’une autre passant par le vertex de l’inion au nasion (correspondant au point 2 sur la gure 72.1). En mode bilatéral, les électrodes sont placées dans les régions temporales gauche et droite selon la position décrite pour la première électrode utilisée en unilatéral (voir la gure 72.1).

FIGURE 72.1

72.5.3 Emplacement des électrodes Il existe quatre emplacements modernes concernant la position des électrodes : 1. Bitemporal ; 2. Unitemporal droit ; 3. Bifrontal ; 4. Frontal gauche et temporal droit. Le groupe de travail de 2001 de l’APA recommande l’emplacement 1, bitemporal, ou l’emplacement 2, unitemporal droit. L’application des électrodes en mode unilatéral droit (2 et 4) doit être privilégiée, car elle provoque beaucoup moins d’eets indésirables d’ordre mnésique et diminue l’incidence des syndromes confusionnels. On utilise aussi la position unilatérale droite d’emblée, car, dans la quasi-totalité des cas, l’hémisphère non dominant est l’hémisphère droit, et ce, même chez la plupart des patients gauchers. Chez ces patients, l’ECT peut donc être amorcée en unilatéral droit et, si le patient souffre de troubles mnésiques d’intensité supérieure à la moyenne, les électrodes sont inversées lors des traitements ultérieurs. Certains auteurs favorisent la position 3, soulignant qu’elle induirait moins de troubles mnésiques. Toutefois, cela demeure controversé. Lorsque l’ECT n’entraîne aucune amélioration clinique après quatre ou six séances, il est alors recommandé d’appliquer les électrodes en mode bilatéral. Cette position est d’emblée adoptée chez tous les patients qui ont bien répondu antérieurement uniquement à cette technique, chez les patients en phase maniaque et chez les patients qui présentent un état physique ou psychique précaire (p. ex., un patient qui ne s’alimente pas) à qui on ne peut se permettre d’administrer quatre ou six traitements susceptibles d’être inutiles. En mode unilatéral, on utilise de façon préférentielle la position des électrodes décrite par D’Elia (Sackeim & al., 2008). Une première électrode est placée approximativement à 2 cm au-dessus du centre d’une

Source : Adapté de Weiner & al. (2001), p. 154.

72.5.4 Type d’appareil Avant de choisir un appareil, il importe de s’assurer qu’il émettra un courant électrique sous forme d’ondes carrées de durée brève (brief pulse) ou d’ondes ultrabrèves, diérentes des ondes sinusoïdales habituelles. En eet, la production d’une convulsion à l’aide d’un appareil produisant des ondes carrées de durée brève nécessite un courant dont l’intensité est trois fois moins élevée que celle d’un appareil conventionnel (Mankad & al., 2010). Il faut aussi veiller à ce que l’appareil puisse être réglé selon la variation des seuils convulsifs. La technologie actuelle rend possible la vérication de l’impédance statique au point de contact des électrodes avec la peau ou le cuir chevelu du patient, éliminant ainsi le risque de brûlures que présentaient les anciens équipements. L’appareil choisi doit permettre de mesurer la durée de la phase convulsive. Les appareils actuellement sur le marché orent l’avantage d’un contrôle précis de la fréquence électrique, de la durée du stimulus, de l’intensité du courant électrique, de l’ampérage et de la longueur de l’onde en millisecondes.

72.5.5 Dosage du stimulus et monitorage Le dosage du stimulus d’ECT, soit la charge électrique mesurée en millicoulombs, peut être ajusté en fonction de certaines règles reliées à l’âge du patient ou bien selon une méthode basée sur le titrage du seuil convulsif. Les appareils disponibles permettent

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de réaliser ces deux techniques. Sackeim et ses collaborateurs (2008) proposent d’utiliser une largeur d’onde de : • 0,3 ms lors de l’application des électrodes en mode unilatéral droit, provoquant ainsi des ondes très brèves (ondes ultrabrèves) ; • 0,5 ms en mode bilatéral pour fournir des ondes brèves. L’utilisation des ondes ultrabrèves en mode unilatéral donnerait une ecacité supérieure, tout en provoquant une moins grande atteinte cognitive (Sackeim & al., 2008). On doit surveiller les fonctions vitales du patient par l’utilisation d’un saturomètre, par la vérication continue de la fonction cardiaque et par la mesure régulière de la pression artérielle. An de s’assurer de l’ecacité du traitement, on prend soin d’installer un brassard au bras droit ou à la cheville droite à une pression susante pour empêcher le passage du relaxant musculaire (succinylcholine). On pourra ainsi mesurer la durée clinique de la convulsion, correspondant à la durée des contractions musculaires dans le membre ainsi isolé. Il existe diérents moyens simples permettant à l’anesthésiologiste de vérier le degré de distribution de la succinylcholine au niveau de la masse musculaire. Lorsque la paralysie musculaire est atteinte de façon maximale, on peut alors procéder au traitement. En règle générale, aucune secousse musculaire clonique ne se produit, si ce n’est au niveau de l’avant-bras ou du pied droit qu’on a isolé à l’aide d’un brassard. On juge empiriquement qu’une séance d’ECT est réussie lorsque la durée des mouvements cloniques au niveau du membre supérieur ou inférieur droit et à l’EEG est d’au moins 15 secondes.

72.5.6 Nombre de séances Contrairement à une pratique ancienne, il n’est plus indiqué de soumettre à deux traitements supplémentaires un patient qui présente une amélioration clinique globale et maximale après quelques séances. En eet, il faut cesser l’ECT lorsqu’on constate chez le patient une amélioration susante (Mankad & al., 2010). Le nombre de séances peut donc varier selon les patients et chez un même individu qui reprend le traitement lors des rechutes ; en moyenne, une dépression majeure peut nécessiter huit à neuf séances. Ce nombre est plus élevé advenant le passage du mode unilatéral à bilatéral après quatre ou six séances, si le traitement en mode unilatéral est inecace. Si un syndrome confusionnel persistant apparaît, il est préférable de suspendre l’ECT. En eet, la présence d’un syndrome confusionnel vient souvent masquer l’amélioration ; il serait inapproprié de poursuivre le traitement chez un patient présentant un tel tableau clinique sous prétexte qu’on ne constate aucune amélioration. Aussi, tel que mentionné, il vaut mieux arrêter le traitement et attendre quelques jours, puis réévaluer le patient. Au cours d’une même séance, lorsqu’on estime qu’une convulsion a été trop brève ou qu’elle ne s’est tout simplement pas produite, on peut procéder immédiatement à un deuxième ou à un troisième essai en augmentant l’intensité de la stimulation électrique, tout en respectant une période réfractaire relative de 20 à 30 secondes entre chaque stimulation. L’anesthésiologiste doit évidemment donner son autorisation pour procéder à ces essais supplémentaires. Lors des séances ultérieures, l’augmentation de l’intensité du stimulus ainsi qu’une diminution de la dose de l’agent anesthésiant, si possible, peuvent favoriser le dépassement du seuil convulsif et permettre un traitement ecace.

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72.5.7 Effets indésirables de l’ECT L’ECT est le traitement qui entraîne le moins de décès parmi l’ensemble des interventions pratiquées sous anesthésie générale. Actuellement, un tel traitement présente beaucoup moins de risques qu’un accouchement ou une amygdalectomie. Le taux de mortalité est globalement estimé aujourd’hui à environ 2 à 10 patients par 100 000 (0,0001 %), soit un taux extrêmement faible (Mankad & al., 2010). Les complications cardiovasculaires, telles que l’infarctus aigu du myocarde, la brillation ventriculaire, l’asystolie ou la rupture d’anévrisme sont responsables de la majorité des décès survenant durant une séance d’ECT. Un delirium post-ECT a été signalé chez environ 5 % des patients ayant reçu ce traitement. Ce phénomène peut se produire n’importe quand durant le traitement après une ou deux séances et ne plus se reproduire ou bien se manifester de nouveau à chacune des séances. On ignore les causes exactes de cette réaction. Il semble que des facteurs génétiques puissent contribuer à un tel eet indésirable. Ces manifestations cessent la plupart du temps de façon abrupte à la suite de l’injection intraveineuse de 5 à 10 mg de diazépam (ValiumMD) ou de l’injection intramusculaire de 2 à 4 mg de lorazépam (AtivanMD). Il est important aussi de protéger le patient qui est souvent en état de panique durant cette période. Tout patient qui a déjà présenté ce syndrome peut proter d’un traitement prophylactique à la séance suivante en administrant une benzodiazépine dès que la respiration spontanée se manifeste, au réveil ; de cette façon, on élimine la plupart du temps un delirium post-ECT. On peut aussi, dans de très rares cas, obtenir des convulsions prolongées. Lorsque leur durée dépasse les 180 secondes, elles doivent alors être cessées. Le même agent barbiturique utilisé comme anesthésique pour le traitement de l’ECT peut être réutilisé ou encore le midazolam (Versed MD) 1 à 2 mg ou le diazépam (ValiumMD) 5 à 10 mg ou encore le Diprivan (PropofolMD) 10 à 20 mg, tous en intraveineux. Les convulsions tardives, soit celles apparaissant plusieurs heures après le traitement, sont très rares et ne semblent pas plus fréquentes que les convulsions spontanées observées dans la population en général. Il existe d’autres eets indésirables post-ECT tels que céphalées, les nausées et les douleurs musculaires. Ces eets indésirables se dissipent grâce à des traitements symptomatiques appropriés. Chez les patients sourant d’un trouble aectif bipolaire traités par ECT au cours de la phase dépressive de la maladie, un virage vers la manie peut se produire. Quoique les avis soient partagés, il est recommandé de cesser le traitement dès l’apparition de symptômes d’allure maniaque et de traiter ceux-ci au moyen d’une médication appropriée. Les troubles mnésiques constituent les principaux effets indésirables reliés à l’ECT. Ils sont moins importants lorsque les électrodes sont placées en position unilatérale et lorsqu’on utilise des ondes ultrabrèves. Les facteurs susceptibles d’amplier les troubles mnésiques sont le nombre de traitements, leur fréquence, un âge supérieur à 60 ans ou le dosage électrique trop important. Les pertes de mémoire se caractérisent par une amnésie rétrograde à l’égard des faits récents et une amnésie antérograde concernant des événements survenant immédiatement après une séance d’ECT. L’amnésie se dissipe généralement dans les quelques jours ou quelques semaines après le traitement, mais certains patients mentionnent que ce problème peut durer quelques mois. Il est très rare que des patients se plaignent de troubles mnésiques permanents. Ces dicultés pourraient aussi être reliées au médicament

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Traitements

antidépresseur prescrit, à une dépression résiduelle ou à une progression d’un trouble cérébral organique préexistant. Les tests de mémoire montrent que ce type d’eets indésirables cognitifs disparaît chez l’ensemble des patients évalués à long terme en post-ECT. Quelques patients ne se plaignent d’aucun trouble mnésique à la suite d’une ECT. Certains patients rapportent même une amélioration de leur mémoire compte tenu de la détérioration de celle-ci durant la dépression. On a montré la réversibilité de l’atteinte de la mémoire visuospatiale chez les patients soumis à un traitement d’ECT selon le mode unilatéral droit.

72.5.8 Électroconvulsivothérapie de maintien Bien que l’APA distingue la phase de « continuation » et par la suite, la phase de « maintien », Kellner & Patel (2009) utilisent l’expression « ECT de maintien » pour désigner aussi l’ECT de continuation. Le risque de rechute après une série de séances d’ECT demeure très élevé. Selon Kellner & Patel (2009), ce risque est de 84 % durant le mois qui suit l’amélioration chez les patients recevant une ECT réelle et un antidépresseur à dose thérapeutique qui diminuent beaucoup le risque de rechute. Par ailleurs, il est important de souligner que le taux de rechute est très élevé chez tous les patients déprimés recevant des antidépresseurs durant les premiers mois suivant une amélioration s’ils ne poursuivent pas leur médication. Il est donc important de maintenir l’amélioration obtenue en poursuivant les antidépresseurs et, chez certains patients, en entreprenant une ECT de maintien (Petrides & al., 2011). Le déroulement de cette ECT de maintien doit tenir compte de l’état clinique du patient. Aussi, le calendrier qui suit n’est-il qu’une suggestion, en sachant qu’il est purement empirique et que les intervalles proposés peuvent être allongés ou raccourcis selon l’état du patient. La règle des trois est suggérée : • un traitement par semaine pendant trois semaines (donc, trois traitements), suivant la n de la série d’ECT ; • puis, un traitement par deux semaines pendant six semaines (donc, trois traitements), par la suite ; • puis, un traitement par trois semaines pendant neuf semaines (donc, trois traitements), durant la phase suivante ; • un traitement toutes les quatre semaines subséquemment. Ce premier traitement toutes les quatre semaines a lieu plusieurs semaines plus tard, après le dernier traitement de la série initiale. À noter qu’un traitement de maintien administré à un intervalle supérieur à quatre semaines ne semble pas être ecace selon certains auteurs. Advenant une rechute, l’ECT doit alors être administrée de façon sériée, soit trois fois par semaine. Il se peut qu’il y ait moins d’eets indésirables durant la prophylaxie, car les séances sont espacées. Il n’existe pas de maximum à vie (Kellner & Patel, 2009). Toutefois, les risques par rapport aux bénéces doivent être clairement dénis en tentant périodiquement d’espacer ou de cesser les séances d’ECT de maintien lorsqu’un patient reçoit une telle prophylaxie depuis un certain temps. Malheureusement, ces intervalles ne sont pas précisés dans la littérature. On doit réexaminer le consentement du patient avant chaque traitement et procéder à une évaluation psychiatrique sommaire. Il faut également eectuer des analyses de laboratoire, un ECG et un examen physique au moins une fois par année. L’évaluation médicale régulière comprend celle des fonctions cognitives.

72.6 Neuromodulation psychiatrique L’histoire de la médecine est remplie d’exemples de connaissances se situant à l’interface de diverses disciplines. La psychiatrie ne fait pas exception. Si elle puise souvent dans les sciences sociales et la psychologie, la neurologie, la neurophysiologie et la neurochirurgie ont souvent été d’importantes sources de développement sur le plan thérapeutique. La neuromodulation psychiatrique (ou du comportement) est une de ces disciplines naissantes issues des neurosciences du comportement et de développements technologiques d’abord testés auprès de groupes de patients présentant des problèmes neurologiques. Nous discutons ici de diverses techniques qui ne sont pas toutes au même stade de développement, mais qui ont au moins un point en commun : elles visent la modication du comportement et des symptômes soit au moyen d’une manipulation à court terme (stimulation magnétique transcrânienne), soit en procédant à une intervention comportant des eets à long terme sur des circuits cérébraux spéciques (p. ex., stimulation du nerf vague, stimulation cérébrale profonde).

72.6.1 Stimulation magnétique transcrânienne répétitive La stimulation magnétique transcrânienne répétitive (SMTr) est issue des tentatives de Barker et de ses collaborateurs (1985) de mettre au point une technique pour faciliter la localisation de foyers épileptiques en vue d’une résection chirurgicale permettant de traiter des épilepsies réfractaires. Cependant, le premier bénéce de cette technique fut de permettre à des chercheurs en neuropsychologie de générer, pendant les 10 à 20 secondes que durent les stimulations répétitives, des perturbations localisées de réseaux neuronaux qui causent des lésions virtuelles temporaires au niveau du néocortex cérébral. Cette technique est fondée sur le principe physique selon lequel le fait d’appliquer un champ magnétique sur un matériau conducteur (l de cuivre, neurones, liquide) entraîne la formation d’un courant électrique perpendiculaire à la direction de ce champ magnétique, comme le stipule la loi de Faraday. On fait donc passer un courant électrique pulsatile à haute intensité dans une bobine de l en cuivre en forme de papillon ou de « 8 » (forme la plus utilisée en psychiatrie (voir la gure 72.2A) ou circulaire (voir la gure 72.2B) ; il en résulte un champ magnétique perpendiculaire (voir les gures 72.2C et 72.2D) qui génère à son tour un courant électrique dans les neurones et les liquides conducteurs du cortex cérébral immédiatement situés sous la zone stimulée (voir la gure 72.3). Ainsi, pendant l’application des stimulations, la région du néocortex immédiatement en dessous du champ magnétique (1 à 2 teslas), ne peut se repolariser tant que le courant circule. Ce silence neuronal temporaire d’une région précise, qui varie selon la position du stimulateur sur le crâne, ouvre la porte à des recherches in vivo sur le rôle de régions spéciques du néocortex. C’est ainsi que l’on a découvert que la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (SMTr) appliquée selon certains paramètres et durant plusieurs semaines modie chroniquement les propriétés électriques des circuits stimulés, c’est-à-dire au-delà des périodes de stimulation proprement dites, et ce, pendant quelques semaines. On pose alors l’hypothèse qu’on pourrait

Chapitre 72

Électroconvulsivothérapie et neuromodulation

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FIGURE 72.2 Modélisation des champs magnétiques

induits par les bobines électriques

Source : Adapté de Gershon & al. (2003), p. 836.

FIGURE 72.3 Induction d’un courant électrique

dans le tissu cérébral

la SMTr réduit les symptômes de patients sourant de dépression réfractaire au traitement ou ne tolérant pas la médication. Les régions préfrontales du néocortex humain interviennent dans de nombreuses fonctions cognitives et émotionnelles. Les études d’imagerie fonctionnelle des états dépressifs rapportent souvent un hypométabolisme de la région dorsolatérale préfrontale gauche (DLPFg). De plus, l’amélioration de la dépression des patients s’accompagne d’une normalisation de ce métabolisme, quelles que soient les modalités de traitement utilisées (médication, thérapie cognitive, ECT) (Mayberg, 2003). L’application quotidienne sur cette région cérébrale de la SMTr à haute fréquence (10-20 Hz) pendant deux à quatre semaines augmenterait l’excitabilité corticale basale et favoriserait ainsi un meilleur fonctionnement, voire une normalisation, des circuits neuronaux fonctionnels associés. Si la littérature apporte un appui important sur le plan statistique en faveur de la supériorité de la SMTr par rapport à un placebo, sa pertinence clinique et sa place dans les algorithmes thérapeutiques restent un sujet de débat. Bien qu’elle soit plus fréquente qu’avec un placebo, l’amélioration des symptômes reste modeste (30 à 50 %) mais pourrait être plus durable que précédemment envisagée, avec 45 % des patients en rémission à un an (Dunner & al., 2014). Son utilité dans le traitement des dépressions qui n’ont pas connu d’amélioration après un ou deux traitements aux antidépresseurs semble particulièrement prometteuse. Cette technique est très sécuritaire bien qu’elle nécessite certaines précautions chez les épileptiques ou les patients à risque d’épilepsie ; elle peut être réalisée en clinique ambulatoire, sans anesthésie, et elle est bien tolérée par les patients (sans eet indésirable, sauf pour de rares céphalées transitoires). Ses eets potentatialisateurs et son ecacité en thérapie d’entretien dans les états dépressifs restent toutefois à déterminer, de même que ses eets à long terme.

Schizophrénie

Source : Adapté de Wassermann (2013).

obtenir un eet thérapeutique bénéque en diminuant ou en augmentant l’excitabilité au repos des régions corticales impliquées directement ou indirectement dans diverses pathologies neurologiques ou psychiatriques.

Dépression De nombreuses études contrôlées par une stimulation placebo, portant sur 20 à 50 sujets, ont été recensées dans plusieurs méta-analyses eectuées depuis une dizaine d’années (Lam & al., 2008 ; Lefaucheur & al., 2011), et aussi, une étude réalisée auprès de plus de 300 patients (O’Reardon & al., 2007) ont montré que

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On présume qu’un dysfonctionnement des aires néocorticales pariétotemporales gauches, qui interviennent notamment dans le langage, serait à l’origine des hallucinations de certains patients sourant de schizophrénie. Comparativement à une stimulation placebo, l’application quotidienne pendant deux semaines de la SMTr en région pariétotemporale gauche à 1 Hz diminue l’intensité des hallucinations auditives durant plusieurs semaines en réduisant l’excitabilité corticale basale, selon certains auteurs (Lefaucheur & al., 2011). Il semble qu’on peut obtenir le même résultat par une application BID pendant seulement deux jours consécutifs. Par ailleurs, des stimulations à très haute fréquence se sont aussi montrées bénéques sur la réduction des hallucinations, soulignant notre compréhension partielle des mécanismes d’action de la SMTr, puisque tant l’application d’une stimulation de basse fréquence que de haute fréquence, aux eets opposés sur l’excitabilité neuronale, aident les patients. Néanmoins, cette technologie pourrait s’avérer très utile chez des patients sourant d’hallucinations intenses ou accompagnées de dysphorie soutenue. Ces résultats prometteurs, reproduits par certains groupes, n’ont toujours pas été évalués dans des études multicentriques de grande envergure. Selon d’autres études, celles-ci plus préliminaires, la SMTr pourrait aider à soulager les symptômes décitaires des patients schizophrènes (apragmatisme, troubles exécutifs) par stimulation à

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Traitements

haute fréquence (10 Hz et plus) dans les régions dorsolatérales préfrontales gauches, selon des protocoles inspirés du traitement de la dépression réfractaire par la SMTr.

FIGURE 72.4 Appareil de stimulation magnétique

transcrânienne avec sa bobine de modèle « papillon » refroidie par liquide circulant

Autres pathologies psychiatriques La plupart des pathologies psychiatriques s’accompagnent d’un hypofonctionnement ou d’un hyperfonctionnement de certains circuits cérébraux. En conséquence, la SMTr fait l’objet de recherches dans divers domaines de la psychiatrie, avec des résultats préliminaires équivoques notamment pour le trouble décitaire de l’attention avec hyperactivité (TDA/H), le trouble obsessionnel-compulsif (TOC) et le trouble d’anxiété généralisée (TAG). Mais deux aspects de la version technique actuelle de la SMTr en limitent les utilisations cliniques potentielles : 1. La SMTr ne permet pas d’accéder facilement aux régions cérébrales profondes (bien qu’une bobine à la géométrie particulière soit à l’étude à cet eet). Ces régions sont pourtant impliquées dans la genèse et la régulation des émotions, de la motivation des comportements, que ce soit au niveau de la capsule interne, du paléocortex des régions limbiques et cingulaires, du cortex orbitofrontal et des noyaux gris centraux. 2. La SMTr agit de façon très localisée, sur une très petite région cérébrale (environ 1 ou 2 cm2), ce qui restreint son utilité si plusieurs aires corticales interviennent simultanément. Cette particularité pose également un dé sur le plan de la reproductibilité du positionnement exact de l’appareil d’un patient à l’autre et pour un même patient au l du temps. Heureusement, les systèmes de neuronavigation basés sur la résonance magnétique du cerveau du patient ou sur des atlas anatomiques permettant une modélisation très précise et en temps réel des aires stimulées, éventuellement assistés par un bras robotique, compensent maintenant cette lacune.

Autres pathologies neurologiques La SMTr fait l’objet de recherches relativement au traitement d’aections neurologiques diverses, parmi lesquelles : • la maladie de Parkinson ; • certaines aections hyperkinétiques (p. ex., les tics chroniques et la dystonie idiopathique) ; • la douleur chronique secondaire à des accidents vasculaires thalamiques ; • la migraine ; • la spasticité post-AVC. L’avenir permettra de préciser la place de ces nouvelles approches dans l’algorithme de traitement de ces aections souvent réfractaires au traitement et d’évolution chronique (Lefaucheur, 2008). Un appareil de stimulation magnétique transcrânienne, avec sa bobine en forme de papillon refroidie par un liquide circulant, est illustré à la gure 72.4.

FIGURE 72.5 Stimulateur du nerf vague

72.6.2 Stimulation du nerf vague Les recherches fondamentales entreprises chez le rat donnent à penser qu’une stimulation chronique, extracrânienne, des bres aérentes du nerf vague, faisant relais au tronc cérébral aurait un potentiel anticonvulsivant. On a donc cherché à mettre au point des procédés de stimulation du nerf vague (SNV) pour traiter certaines épilepsies réfractaires en s’inspirant des technologies cardiostimulateurs (voir la gure 72.5). Depuis 1994, la

A : Stimulateur et sonde B : Stimulateur implanté en région sous-clavière C : Effet de stimulation des noyaux du tronc cérébral D : Électrodes enroulées autour du nerf vague gauche Source : Adapté de Higgins & George (2009), p. 124.

Chapitre 72

Électroconvulsivothérapie et neuromodulation

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stimulation du nerf vague est approuvée pour soulager certaines formes d’épilepsie réfractaires dans plusieurs régions du monde (États-Unis, Canada, Europe) et des dizaines de milliers de patients en ont déjà bénécié. Dès les études permettant d’obtenir l’aval des autorités réglementaires dans le traitement de l’épilepsie, les patients, leurs proches et les médecins ont observé aussi une amélioration des symptômes dépressifs des patients épileptiques, et ce, sans corrélation avec l’amélioration des crises épileptiques. Cette observation a constitué le point de départ de recherches visant à valider la pertinence de cette approche dans le traitement de la dépression réfractaire. Plusieurs milliers de patients sourant de cette aection ont reçu ce traitement après son approbation. Cette approche a été approuvée au Canada en 2001 et aux États-Unis en 2005. En 2005, la Food and Drug Administration (FDA) a approuvé l’usage de la SNV chez des patients déprimés, unipolaires ou bipolaires de type I ou II, qui n’avaient pas répondu à quatre traitements faisant appel à des antidépresseurs de classes diérentes. Cette approbation s’est appuyée sur une étude multicentrique au devis complexe. L’étude en question comportait une première phase à double insu de trois mois portant sur : 1. Un groupe de patients chez qui on avait implanté un neurostimulateur et qui subissaient une véritable SNV ; 2. Un autre groupe de patients chez qui on avait aussi implanté un neurostimulateur, mais qui n’émettait aucune stimulation ; les patients de ce deuxième groupe ne subissaient pas réellement de SNV. Cette première étape était suivie d’une seconde phase non aveugle de deux ans, où les patients des deux groupes, qui avaient reçu un neurostimulateur, étaient soumis à une SNV (Rush & al., 2005). Malgré les limites de l’étude, l’amélioration constante de l’ensemble des patients soumis à une SNV sur deux ans, ainsi que la stabilité des rémissions et des réponses thérapeutiques (70 % des patients ont connu une stabilisation de la réponse ou une rémission), ont réussi à convaincre la FDA de la supériorité de la stimulation du nerf vague (SNV) comme traitement adjuvant. Notons que dans cette étude portant sur l’ecacité du traitement à long terme, tous les traitements (antidépresseurs ou ECT) habituellement utilisés en dépression réfractaire étaient permis en parallèle. Il faut parfois attendre plusieurs mois avant de voir l’amélioration se manifester et il est possible qu’elle soit proportionnelle à la dose. En eet, le neurostimulateur étant programmable, il est possible de faire varier la durée de l’impulsion et sa fréquence. Chaque patient porteur d’un neurostimulateur fait l’objet d’un suivi régulier an d’optimiser les paramètres et de personnaliser le traitement. La médiane de l’amélioration optimale se situerait entre 9 et 12 mois après l’implantation. Les résultats obtenus dans des cliniques spécialisées indiquent un taux de rémission ou de réponse stable chez environ 50 % des patients, comparativement à 5 % chez un groupe comparable de patients qui n’avaient pas reçu de SNV. De plus, des données provenant d’études d’ecience pharmacoéconomique réalisées en Europe montrent que la SNV génère des économies en soins directs aux patients et que ces économies équivalent au coût de l’appareil après seulement 12 mois d’utilisation. On ne connaît pas encore avec précision le mécanisme d’action de la SNV. Selon les études eectuées chez l’animal, le modèle étant la dépression chez la souris, il semble que la SNV module la sécrétion des neurotransmetteurs mis habituellement en cause dans la dépression majeure (sérotonine, noradrénaline et dopamine).

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Par ailleurs, les études d’imagerie réalisées sur des patients chez qui un neurostimulateur SNV avait été implanté révèlent des modications dans les régions orbitofrontales, dorsolatérales préfrontales, cingulaires et limbiques. Ces modications s’apparentent à celles qui accompagnent les améliorations observées lors de traitements faisant appel à d’autres modalités thérapeutiques plus conventionnelles (médication, ECT et thérapie cognitivo-comportementale) (Mayberg, 2003). Notons enn que la SNV n’augmente pas le risque de virages maniques chez les patients bipolaires en état dépressif. Le SNV a aussi fait l’objet de recherches préliminaires chez les patients sourant de démence de type Alzheimer au stade précoce ou modéré. Ces recherches ont donné des résultats encourageants.

72.6.3 Stimulation cérébrale profonde Contrairement à la SNV qui fait appel à l’idée d’une manipulation non spécique de diérents neurotransmetteurs et des diérents circuits cérébraux associés, la stimulation cérébrale profonde (SCP) repose sur l’idée d’une manipulation précise et limitée de circuits spéciques établis comme importants dans la genèse des aections psychiatriques et/ou de symptômes spéciques réfractaires (voir la gure 72.6). La SCP est en premier lieu tributaire des travaux de scientiques qui, au cours des 50 dernières années, ont permis de mieux comprendre le rôle que jouaient diverses régions cérébrales dans la motricité, la cognition, la sensorialité et les émotions. Parfois eectuées au détriment des patients, certaines de ces recherches ont conduit à des approches ablatives neurochirurgicales dans diverses maladies neurologiques, notamment dans la maladie de Parkinson et dans certaines maladies mentales (lobotomie pour traiter les dépressions et les psychoses dans les années 1940). Mais d’autres sont à l’origine de succès remarquables,

FIGURE 72.6 Stimulation cérébrale profonde

A : Stimulateur et pile B : Connecteur C : Sonde implantée dans les structures cérébrales profondes, ciblées par résonnance magnétique en 3D Source : Adaptée de Higgins & George (2009), p. 124.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

telles la cingulotomie ou la capsulotomie dans le traitement du trouble obsessionnel-compulsif (TOC). Vieille de 50 ans, cette technique chirurgicale est encore utilisée, avec certains ranements, dans des centres spécialisés. Le couteau gamma (gammaknife) et le cyberbistouri (cyberknife) permettent aussi de cibler ces mêmes régions grâce à la neuronavigation (stéréotaxie assistée par imagerie cérébrale), le principe thérapeutique consistant à utiliser de faibles doses de radiation causant de discrètes lésions du tissu ciblé (Kondziolka & al., 2011). La simulation cérébrale profonde (SCP) permet de résoudre un vieux dilemme en offrant à des patients aux prises avec des maladies réfractaires aux traitements, et dont la qualité de vie est très restreinte, une approche neurochirurgicale qui ne détruit pas les tissus cérébraux. La SCP crée en effet une lésion virtuelle, réversible, par stimulation chronique inhibitrice de haute fréquence. De fait, la SCP a pu se tailler une place de choix au cours de 20 dernières années dans le traitement de la dyskinésie induite par la L-dopa chez les parkinsoniens. Il s’agit d’une approche reconnue et largement appliquée par les cliniques spécialisées dans le traitement de la maladie de Parkinson.

Trouble obsessionnel compulsif La SCP est utile dans le traitement du TOC réfractaire, mais elle reste une technique complexe et rarement utilisée pour cette psychopathologie. La publication d’une étude multicentrique réalisée sur plusieurs années et qui a montré la relative innocuité de cette approche et la stabilité remarquable des améliorations obtenues lorsque l’implantation du neurostimulateur permet de stimuler les mêmes structures que celles visées par les approches neurochirurgicales de cingulotomie et de capsulotomie. D’autres cibles profondes qui permettraient de traiter le TOC sont à l’étude, notamment la portion limbique des noyaux sous-thalamiques, tout comme des cibles thalamiques (traitement de tics réfractaires).

Dépression La SCP pourrait agir sur plusieurs cibles qui semblent en cause dans les dépressions réfractaires. L’équipe de Lozano à Toronto (Mayberg & al., 2005) a choisi sa cible après avoir observé l’existence d’une corrélation entre l’inhibition des régions orbitofrontales et cingulaires inférieures et l’amélioration clinique accompagnant de nombreux traitements pharmacologiques ou psychothérapeutiques des états dépressifs. En se basant sur une meilleure connaissance des circuits de la motivation et du plaisir, un groupe américain a également montré la pertinence de la cible habituellement utilisée pour le TOC (capsulaire et ventrostriale) dans les états dépressifs réfractaires. L’avenir déterminera le sort et la place qu’occupera la stimulation cérébrale profonde (SCP) parmi les traitements possibles de la dépression réfractaire, notamment avec les autres techniques

de neuromodulation comme la stimulation magnétique transcrânienne répétitive (SMTr) et la stimulation du nerf vague (SNV) et d’autres approches en cours de développement, telle la stimulation électrique corticale transcrânienne (tDCS) ou épidurale (Lefaucheur, 2008). La neuromodulation reste, pour l’essentiel, en développement. Beaucoup reste à faire avant de pouvoir préciser la place qu’occuperont réellement ces technologies récentes. Sous une forme ou une autre et dans un avenir pas si lointain, elles feront probablement partie de l’arsenal thérapeutique standard du médecin et du psychiatre. La neuromodulation fait déjà partie de l’algorithme des troubles dépressifs réfractaires du Canadian network for mood and anxiety treatments (CANMAT), un groupe d’experts canadiens ayant publié un guide de pratique largement reconnu internationalement (Kennedy & al., 2009).

L’électroconvulsivothérapie et la neuromodulation, lorsqu’elles sont indiquées et eectuées adéquatement, permettent généralement au patient, à ses proches et à sa famille de connaître une vie beaucoup plus normale. Ces traitements sont souvent pratiqués en complémentarité avec d’autres interventions reposant sur une approche bio-psycho-sociale telle que la psychothérapie et la pharmacothérapie. La manipulation des propriétés électrophysiologiques du tissu cérébral à des ns thérapeutiques, que ce soit par les techniques éprouvées d’électroconvulsivothérapie (ECT) ou celles plus récentes de neuromodulation, conrme la pertinence de poursuivre les travaux permettant de mieux comprendre les aspects biologiques des processus qui sous-tendent les maladies mentales. Même si ces solutions thérapeutiques ne conviennent pas à tous les patients et au traitement de toutes les aections, elles occupent une place grandissante dans l’arsenal thérapeutique psychiatrique moderne et méritent d’être connues et appliquées par les médecins et les équipes de soins. Tout comme pour les autres traitements disponibles, il faut garder une attitude d’ouverture animée par la nécessité d’aider et de guérir les patients, et ce, dans le respect des principes de la médecine basée sur les données probantes et leur consentement. La solidité des données concernant l’ecacité de l’ECT et son innocuité devrait en faire un traitement de choix dans les formes graves et réfractaires de la dépression. Parmi les techniques de neuromodulation plus récentes, la SMTr atteint le niveau d’un traitement basé sur des données probantes pour la dépression réfractaire. Quant aux techniques plus invasives, comme l’implantation d’un stimulateur du nerf vague ou la stimulation cérébrale profonde, voire épidurale, seuls les centres surspécialisés sont pour le moment en mesure d’accueillir les plateformes médicales, chirurgicales et techniques nécessaires à l’optimisation et à l’évaluation de ces nouvelles avenues thérapeutiques.

Lectures complémentaires Centre d’excellence en électroconvulsivothérapie du Québec : www.iusmm. ca/institut/sante-mentale/ect/ceectq. html.

K, C. H. (2012). Brain stimulation in psychiatry, New York, Cambridge University Press.

Chapitre 72

e Journal of ECT est une excellente revue portant sur l’électroconvulsivothérapie. Elle est publiée quatre fois par année par Lippincott, Williams & Wilkins. Il s’agit du journal ociel de l’International Society for ECT and Neurostimulation (ISEN).

Électroconvulsivothérapie et neuromodulation

1565

CHA P ITR E

73

Fondements de la psychothérapie CONRAD LECOMTE, Ph. D. (psychologie)

GÉRARD LEBLANC, M.D., FRCPC

Psychologue, superviseur clinique Institut universitaire en santé mentale de Montréal, Institut universitaire en santé mentale Douglas, Centre jeunesse de Lanaudière

Psychiatre, Centre hospitalier universitaire de Québec, Hôpital Saint-Sacrement, Institut universitaire en santé mentale de Québec

Professeur titulaire de psychologie clinique, Département de psychologie, Faculté des arts et des sciences, Université de Montréal

Professeur agrégé de clinique, Département de psychiatrie et de neurosciences, Faculté de médecine, Université Laval (Québec)

73.1 Historique et bases théoriques .................................. 1567 73.1.1 Ecacité de la psychothérapie.......................... 1568 73.1.2 Supériorité d’une thérapie par rapport à d’autres................................................................ 1568 73.1.3 Facteurs explicatifs de l’ecacité thérapeutique ...................................................... 1569 73.2 Formation des thérapeutes ........................................ 1574 73.2.1 Établir une alliance thérapeutique ................... 1574 73.2.2 Réguler la relation thérapeutique..................... 1574 73.2.3 Comprendre les tensions et les résistances.... 1575 73.2.4 Être capable d’une conscience réexive .......... 1575 73.2.5 Améliorer l’ecacité thérapeutique ................ 1576

73.3 Application clinique.................................................... 1577 73.3.1 Phases de la psychothérapie.............................. 1579 73.4 Résultats fondés sur des données probantes ........... 1583 73.4.1 Eets de la psychothérapie ................................ 1584 73.4.2 Maintien des bénéces de la psychothérapie ........................................... 1584 73.4.3 Signication clinique des résultats .................. 1584 73.4.4 Durée d’une psychothérapie ecace ............... 1584 73.4.5 Détérioration en cours de psychothérapie ..... 1585 Lectures complémentaires .................................................... 1586

D

epuis la première utilisation du terme « psychothérapie » en anglais par Hans Tucker en 1872, puis en français par Bernheim en 1891, on est passé de quelques approches à plus de 450 systèmes thérapeutiques. Les diérentes approches en psychothérapie se sont développées à l’intérieur de multiples contextes scientiques, culturels, sociaux, politiques et religieux. Les dernières décennies ont connu une véritable explosion du développement des approches, des théories et des techniques dans le domaine des psychothérapies. Plusieurs auteurs veulent y aller de leur propre modèle psychothérapeutique. Cette multiplicité a engendré un climat de tension entre les approches. Des eorts considérables ont été déployés pour démontrer la supériorité d’une approche sur les autres. Même si l’ensemble des recherches soulignent l’absence de diérences signicatives entre les approches et tendent à reconnaître l’inuence de facteurs communs (non spéciques), le débat persiste. Depuis les années 1990, des enjeux économiques de rentabilité et d’ecience ont donné une nouvelle forme à ces tensions entre les approches. Divers facteurs pragmatiques, scientiques et économiques (nombre élevé de personnes demandant des thérapies, durée prolongée de certaines approches en l’absence de preuves d’ecacité supérieure, remboursement des coûts par des tiers payeurs, etc.) ont exigé des psychothérapeutes qu’ils fournissent des preuves de l’ecacité et de la « rentabilité » de leurs pratiques (Norcross & Goldfried, 2005). Ces divers facteurs ont entraîné plusieurs impacts, dont le développement de la recherche (scientique) dans le domaine de la psychothérapie et un mouvement vers des thérapies brèves et plus spéciques, ciblant des aections psychologiques avec des objectifs précis. Même si les mécanismes explicatifs du changement thérapeutique ne sont pas bien connus, démontrer que telle technique spécique diminue de façon signicative les symptômes de tel problème plus qu’une autre technique est devenu la priorité pour plusieurs. Parallèlement, de nouvelles méta-analyses reconrment l’équivalence d’ecacité de ces approches et, de plus, soulignent l’inuence considérable du thérapeute et de l’alliance thérapeutique (Wampold, 2001). En pratique, devant la complexité, la diversité du comportement humain et les limites de chaque approche, plusieurs psychothérapeutes se tournent vers diverses formes d’éclectisme et d’approches intégratives.

73.1 Historique et bases théoriques De tout temps, l’être humain a eu besoin de personnes jouant le rôle de psychothérapeute, que ce soit pour soulager une sourance psychique ou faire des choix diciles. Cette fonction sociale a pris des formes diérentes selon les époques et les cultures (p. ex., sorcier, chaman, astrologue, médecin, philosophe, conseiller spirituel, psychothérapeute). Pendant longtemps, ne reposant sur aucune donnée scientique pour expliquer les comportements dits « anormaux », les troubles mentaux n’étaient pas distingués des maladies physiques (Shapiro & Shapiro, 1997). Ce n’est qu’à la n du 19e siècle, grâce à l’évolution de la méthode scientique pour tenter d’expliquer le monde biologique et physique, que s’est développé un intérêt pour élaborer une théorie scientique de

l’esprit et du monde intérieur, qui a été dénie, au l du temps, comme les trois forces en psychothérapie. Première force : Freud propose une synthèse d’idées organisées en un système cohérent, la psychanalyse, pour expliquer et traiter les comportements anormaux. Cette proposition s’intégrant bien avec l’esprit des pratiques médicales, elle permet de passer de pratiques psychiques comportant des éléments moraux, religieux et spirituels à une activité professionnelle bien dénie. Comme peu de recherches corroboraient les avancées de Freud, des tensions et des conits théoriques ont conduit à la création de nouvelles approches analytiques. Deuxième force : Dès le début du 20e siècle, s’appuyant sur des données de recherche obtenues en laboratoire et sur des comportements observables, des chercheurs opérationnalisent les processus d’apprentissage. Ce mouvement positiviste se développe graduellement sous forme de thérapies comportementales et cognitivo-comportementales. Les chercheurs redénissent entre autres le traitement des phobies, de la dépression et des troubles anxieux. Ces béhavioristes critiquent le manque de fondements scientiques des approches psychanalytiques. Les thérapies qu’ils proposent et leurs applications ont connu un développement phénoménal. Ces approches sont devenues sans contredit le courant majeur des psychothérapies à travers le monde occidental. Troisième force : Après la Seconde Guerre mondiale, la psychothérapie s’oriente vers des approches humanistes et expérientielles. Les tenants de ces approches, centrées sur la quête de sens, partagent des postulats communs, soit une perspective phénoménologique, le respect de la personne, la croyance que les personnes sont capables d’autodétermination et qu’elles cherchent à s’actualiser. À partir de ces trois courants majeurs, plus de 450 approches ont été élaborées, créant un climat de confusion pour les cliniciens mais surtout pour les patients. Comment s’y retrouver ? Comment reconnaître une psychothérapie valide et établie sur des fondements scientiques ? Devant cette prolifération des pratiques, les associations professionnelles visent à donner à la psychothérapie des bases rigoureuses. Ainsi, l’American Psychological Association (2006) dénit la psychothérapie comme une activité scientique qui consiste à traiter des troubles psychiques par une méthode psychologique spécique à laquelle un thérapeute s’est formé professionnellement. Au Québec, le projet de loi 211 vise aussi le même objectif en décrivant la psychothérapie comme « un traitement psychologique pour un trouble mental, pour des perturbations comportementales ou pour tout autre problème entraînant une sourance ou une détresse psychologique qui a pour but de favoriser chez le client des changements signicatifs dans son fonctionnement cognitif, émotionnel ou comportemental, dans son système interpersonnel, dans sa personnalité ou dans son état de santé. Ce traitement va au-delà d’une aide visant à faire face aux dicultés courantes ou d’un rapport de conseils ou de soutien » (Ordre des psychologues, 2009, p. 3). Sur cette base, les organisations professionnelles commandent une pratique de la psychothérapie fondée sur les données probantes qui intègre 1. Loi modiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines (2009).

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Fondements de la psychothérapie

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les meilleurs résultats de recherche disponibles et l’expertise clinique en tenant compte des caractéristiques des patients, de leur culture et de leurs préférences. D’autres questions émergent alors. Sur quelles données scientiques ables s’appuyer pour guider la prise de décision clinique pour le bien-être du patient ? Les résultats des essais cliniques randomisés sont-ils généralisables pour la pratique clinique ? Comment peut-on intégrer les données scientiques à l’expertise clinique du thérapeute ?

73.1.1 Efcacité de la psychothérapie Des eorts considérables de recherche ont été déployés pour tenter d’établir la crédibilité et la valeur de la psychothérapie et d’en montrer l’ecacité. Il faut dire que la critique virulente de la valeur et de l’ecacité de la psychothérapie par Eysenck en 1952 a largement contribué à stimuler les recherches sur les résultats et les processus thérapeutiques. Alors qu’Eysenck concluait à l’inecacité de la psychothérapie, les nombreuses recherches réalisées depuis indiquent hors de tout doute son ecacité. Orant une méthodologie rigoureuse, la méta-analyse a permis de faire l’étude de l’ensemble des recherches et d’en dégager les résultats les plus probants. Depuis la première méta-analyse de Smith & Glass (1977), plus de 40 méta-analyses ont ensuite conrmé et précisé l’ecacité de la psychothérapie (Wampold, 2001). Un résultat général s’impose de façon stable et able : la psychothérapie produit un eet de grandeur de 0,80, ce qui signie que le patient moyen connaît une amélioration de 79 % supérieure à quelqu’un qui n’a pas eu de traitement. Non seulement la psychothérapie est-elle ecace, elle est aussi comparable aux traitements pharmacologiques pour plusieurs troubles psychiques et comporte des eets plus durables dans le temps, sans présenter certains eets indésirables (Wampold, 2010a).

73.1.2 Supériorité d’une thérapie par rapport à d’autres L’ecacité globale de la psychothérapie ayant été établie, la question de la comparaison des approches thérapeutiques les plus connues s’est posée. Cette problématique a évolué considérablement au l des années, avec des études comparant des approches thérapeutiques générales et d’autres comparant des traitements spéciques pour des problèmes spéciques à partir d’essais cliniques randomisés. Malgré des eorts rigoureux pour bien diérencier les thérapies, les études comparatives font ressortir l’absence de diérences signicatives entre elles (Lambert, 2013). Ces résultats suscitent plusieurs controverses. De 1977, date de la première méta-analyse, jusqu’en 2015, plusieurs méta-analyses portant sur la comparaison d’approches de psychothérapie ont conclu à l’équivalence de leur ecacité pour la majorité des problèmes traités. Aucun des eorts d’opérationnalisation mis en œuvre pour diérencier les thérapies, notamment par l’utilisation de manuels standardisant les interventions « manuelisation », n’est arrivé à les départager (Wampold, 2001). Dans les années 1990, le débat entre les approches thérapeutiques reprend sous une autre forme. Il est alors question de données probantes. On ne se demande plus quelle psychothérapie est la meilleure, mais plutôt quelle thérapie a été validée ou est au moins appuyée empiriquement pour tel problème spécique (Roth & Fonagy, 2005). Pour être reconnue comme appuyée empiriquement,

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une thérapie doit répondre à certains critères méthodologiques scientiques. Une procédure et des critères sont dénis directement à partir de ceux mis en place pour la réalisation des essais cliniques randomisés exigés en médecine, en particulier pour l’approbation de nouveaux médicaments en psychiatrie. Le problème spécique doit être déni en fonction du DSM et l’échantillon être représentatif en regard de ce diagnostic. La thérapie projetée doit également avoir fait l’objet d’une opérationnalisation au moyen d’un manuel d’intervention « manuelisation ». Pour qu’elle soit reconnue comme une thérapie appuyée empiriquement (TAE), deux études randomisées réalisées par deux chercheurs indépendants doivent montrer qu’elle produit (Norcross & al., 2006) : • soit des résultats supérieurs à un placebo ou à un autre traitement ; • soit des résultats équivalents à une autre TAE ; • soit des résultats positifs dans neuf études à cas unique. En 1995, l’American Psychological Association publie une liste de 25 TAE. La majorité de celles qui gurent sur cette liste sont d’orientation cognitive et comportementale. La publication de cette liste laisse des traces. Des approches qui n’ont pas encore terminé le processus de validation prévu sont faussement qualiées de thérapies non valides. Le traitement de la dépression illustre bien cette situation. Dès 1995, la thérapie cognitive développée par Beck est reconnue comme une TAE. Même si d’autres traitements de la dépression ont été appuyés empiriquement depuis plusieurs années, nombre de responsables de services et d’intervenants en santé mentale continuent d’armer que la thérapie cognitive est non seulement la seule appuyée empiriquement, mais qu’elle est également supérieure aux autres thérapies. Pourtant, des recherches ont souligné l’absence de diérences signicatives entre thérapie cognitive, thérapie interpersonnelle, thérapie psychodynamique brève et activation comportementale pour le traitement de la dépression (Wampold & Brown, 2005). Faisant la synthèse de plusieurs méta-analyses, Shedler (2010) montre aussi une ecacité équivalente de la thérapie psychodynamique avec les thérapies cognitives et comportementales pour plusieurs maladies, dont la dépression. C’est dans ce contexte que de nombreux psychothérapeutes et chercheurs ont remis en cause la pertinence clinique et surtout la validité externe des TAE (Ingram & al., 2000). Westen et ses collaborateurs (2004) ont procédé à une analyse minutieuse des limites méthodologiques des études sur les TAE. Ils montrent qu’en limitant les recherches de validation à des problèmes spéciques de l’axe I du DSM-IV, ces thérapies risquent d’exclure jusqu’à 70 % des patients qui viennent consulter avec des symptômes de comorbidité. Ils montrent aussi que l’obtention de changements thérapeutiques signicatifs nécessite plus de temps que ce qui est prévu par les TAE pour la plupart des problèmes. Est-il vraiment pertinent de traiter les problèmes de l’axe I indépendamment de toute compréhension du fonctionnement de la personnalité ? Est-il sensé de développer autant de manuels d’intervention qu’il y a de catégories sur l’axe I, pour les utiliser ensuite de façon linéaire et séquentielle ? Par exemple, pour un cas clinique fréquent de comorbidité comme celui d’un patient présentant tout à la fois des symptômes de dépression et d’anxiété, combinés à un trouble lié aux substances et à un trouble de la personnalité limite. On imagine mal le psychothérapeute passer du manuel sur la dépression au manuel sur l’anxiété puis à celui sur l’usage de substances ainsi qu’à celui sur le trouble de la personnalité limite. C’est pourtant cette perspective linéaire du changement qui est proposée par les tenants des TAE.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

Repenser et articuler les troubles mentaux comme le propose le DSM-5 à partir de dimensions multiples et non séquentielles présente plusieurs avantages. Une compréhension uniée de l’ensemble, par exemple des troubles aectifs, pourrait conduire à la formulation de principes fondamentaux d’intervention et concentrer, en un seul manuel, les principes d’intervention pour l’ensemble de ces problèmes (Westen & al., 2004). Par ailleurs, autant le recours à un manuel ore une direction et un guide concret de thérapie et contribue ainsi à sa validité interne, autant son application rigide entraîne des eets négatifs (Lecomte & al., 2004). Les recherches comparant les eets observés dans le cadre de thérapies avec manuel à ceux observés dans le cadre de thérapies sans manuel ne permettent pas de conclure à la supériorité des unes sur les autres. Conceptuellement, cette question de la standardisation des interventions renvoie à la transférabilité dans la pratique d’essais cliniques réalisés en laboratoire. Elle pose la question des rapports entre validité interne et validité externe2. Des avancées importantes ont montré, par exemple, que certains essais cliniques peuvent être appliqués en situation de pratique avec pertinence et validité. Mais plusieurs dimensions demeurent problématiques et diciles à mettre en examen, en particulier celles relatives aux variables ethniques et socio-économiques (Norcross & al., 2006). D’une façon plus générale, la question de la transférabilité reste cependant largement problématique et controversée. Pour tenter d’apporter encore plus de rigueur au débat sur l’ecacité diérentielle des thérapies, Wampold (2001) a procédé à une méta-analyse pour comparer l’ecacité relative des TAE. Répertoriant les recherches comparatives des thérapies sur une période de 18 ans et contrôlant l’indépendance de leurs eets, il a procédé à des analyses correspondant aux exigences statistiques relatives à la théorie de la distribution et d’homogénéité la plus reconnue. Il conclut que, lorsque les approches comparées comportent des thérapies bona de, c’est-à-dire avec des visées thérapeutiques crédibles, articulées, oertes par des thérapeutes compétents, formés dans leur approche respective et prenant en compte leur allégeance théorique, il n’y a pas de diérences signicatives entre elles. Plus encore, s’intéressant à la dimension même des thérapies, et non plus à des approches, et comparant ces approches selon qu’elles incluent ou non la technique spécique qui leur est propre et dont la supériorité est avancée, il conclut à l’absence de diérences signicatives. Des avancées importantes ont été réalisées dans des problématiques complexes. On dispose ainsi de TAE pour les troubles de la personnalité limite et de la personnalité narcissique, pour la dépression majeure, la délinquance sexuelle, les paraphilies et les troubles mentaux graves. Plusieurs TAE sont en cours de validation. Mais force est de conclure que, malgré l’existence de ces avancées dans le développement de TAE pour des problèmes spéciques, aucune de ces thérapies ne semble être vraiment supérieure aux autres et, partant, aucune des explications théoriques du changement qui sont à la source de leur conception ne l’emporte. 2. La validité interne porte sur la cohérence des hypothèses de recherche soulevées, la crédibilité de la méthode (p. ex., la randomisation) et les conclusions basées sur la pertinence des analyses statistiques des données collectées. La validité externe porte sur la possibilité de généraliser les observations obtenues de l’échantillon testé à d’autres contextes, à d’autres groupes de patients.

Si les recherches ne permettent donc pas d’adhérer à l’idée qu’une pratique axée sur les données probantes, c’est-à-dire les TAE, est susante pour obtenir les meilleurs résultats, elles fournissent cependant une autre indication qu’il convient de relever. Quel que soit en eet le traitement oert, de 30 à 40 % des patients soit abandonnent en cours de thérapie, soit ne rapportent pas de changements signicatifs à la suite de cette thérapie. De 5 à 15 % des patients vivent même des expériences de détérioration de leur condition durant une psychothérapie (Hansen & al., 2002 ; Lambert & Ogles, 2004). La psychothérapie apparaît donc remarquablement ecace, mais pour les patients qui se rendent jusqu’au bout.

73.1.3 Facteurs explicatifs de l’efcacité thérapeutique Le processus du changement thérapeutique demeure largement méconnu. De fortes tensions dans la communauté scientique persistent entre ceux qui remettent en question la validité de l’eet spécique de techniques isolées et ceux qui, avec tout autant de données à l’appui, mettent au premier plan l’importance de facteurs communs, en particulier relationnels (Norcross, 2002). Aucune thérapie spécique ne se diérencie clairement des autres. Cette constatation soulève plusieurs questions. Comment expliquer cette absence de diérences signicatives entre des approches aussi diérentes ? La prédominance de comportements identiques des thérapeutes et des patients dans toutes les thérapies explique-t-elle ces résultats similaires ? Faut-il conclure à l’action de principes communs de changement thérapeutique ?

Facteurs communs Peu d’indices scientiques permettent de préciser les facteurs explicatifs du changement thérapeutique. On sait que les patients en psychothérapie obtiennent des changements de 80 % supérieurs à ceux qui n’en font pas. Les mécanismes et les processus qui expliquent ces changements demeurent encore à préciser dans une large mesure. Devant les résultats de nombreuses méta-analyses concluant essentiellement à l’équivalence des principales approches thérapeutiques, l’hypothèse de facteurs communs à toutes les approches a été proposée pour tenter d’expliquer cette énigme. Le concept de facteurs communs remonte aux années 1930. Chacune des approches thérapeutiques de l’époque prétendait obtenir des résultats remarquables. Dès 1936, Rosenzweig suggère que les bénéces comparables obtenus par les diérentes approches pourraient être attribuables à des aspects communs. Plus précisément, il souligne que lorsque les psychothérapies sont oertes par des thérapeutes compétents qui adhèrent à leur approche respective, les résultats obtenus sont semblables. Référant à l’équivalence d’ecacité, Rosenzweig propose la métaphore d’Alice aux pays des merveilles, l’oiseau Dodo concluant : « Tout le monde a gagné et tout le monde doit avoir un prix. » Point de vue déclaré hérétique à l’époque. Point de vue pourtant prémonitoire, car aujourd’hui encore, on fait allusion à l’eet de l’oiseau Dodo pour parler de l’équivalence entre les approches. Depuis, l’étude des facteurs communs a connu plusieurs évolutions variant de considérations théoriques et cliniques à des études empiriques. Ce n’est cependant que dans les années 1960 que le concept de facteurs communs connaît une popularité grâce aux travaux importants de Jérome Frank à la suite de la publication de son livre Persuasion and Healing (1961). À partir

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d’une perspective anthropologique, Frank conclut que le patient vit un état de démoralisation lorsqu’il se présente en thérapie. Toute thérapie vise donc son rétablissement moral en s’appuyant sur les facteurs fondamentaux suivants : • l’établissement d’une alliance thérapeutique, d’un lien émotionnel de conance ; • un thérapeute qui représente une force socioculturelle fondée sur sa crédibilité et sa compétence présumées ; • un environnement achant un nombre de symboles (p. ex., des diplômes) qui conrment l’expertise, le prestige et le pouvoir du thérapeute ; • un cadre stable et sécurisant ; • un cadre conceptuel inspirant, c’est-à-dire un rationnel théorique (ou un mythe) cohérent et puissant aux yeux du patient pour expliquer l’origine de ses dicultés et le traitement proposé ; • un ensemble de procédures et de rites prescrits par le rationnel théorique exigeant un engagement actif du patient et du thérapeute et qui sont perçus comme ecaces par le patient. Pour les thérapeutes d’approche psychodynamique, il peut s’agir d’interprétations ; pour les humanistes, d’exploration d’expériences émotionnelles dans l’ici et maintenant ; alors que pour les thérapeutes cognitivistes, des activités de restructuration cognitive seront proposées ; les sorciers peuvent utiliser des incantations et les prêtres proposer des prières ; • un processus d’apprentissage cognitif et aectif caractérisé par l’augmentation de l’espoir, l’acquisition et la maîtrise de nouveaux comportements. Les travaux de Frank (1976) ont inuencé une génération de chercheurs en psychothérapie alors que plusieurs auteurs ont tenté d’identier et de codier les facteurs communs à toutes les psychothérapies. Goldfried (1982) propose de dénir l’action des facteurs communs entre les techniques spéciques et les fondements théoriques des diverses approches, ce qu’il dénit comme des principes communs de changement. Dans cette perspective, son analyse l’amène à conclure que l’ont peut retrouver, dans toutes les approches, l’action thérapeutique des principes communs suivants : • les attentes du patient à l’égard du traitement ; • la qualité de la relation thérapeutique ; • les expériences correctrices ; • les nouvelles perspectives de soi et des autres ; • la vérification et l’exploration fréquentes de l’expérience subjective de la réalité du patient. Devant les multiples formulations de facteurs communs, Grencavage & Norcross (1990) tentent d’apporter un cadre conceptuel à ce champ d’étude. Ils font une recension exhaustive de la littérature portant sur les facteurs communs et en dégagent cinq catégories : 1. Les caractéristiques du client ; 2. Les attributs du thérapeute ; 3. Les processus de changement ; 4. Les structures de changement ; 5. Les dimensions relationnelles. À partir d’une recension des recherches portant sur l’ecacité thérapeutique, Lambert & Ogles (2004) propose plutôt quatre grandes catégories de facteurs communs, soit :

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1. 2. 3. 4.

Les facteurs du client ; Les facteurs relationnels ; Les attentes et l’eet placebo ; Les facteurs liés aux techniques. Il considère l’inuence des facteurs liés au client et à la relation comme déterminante dans l’analyse de l’ecacité thérapeutique. Il conclut que les techniques propres à chaque école n’expliquent que 15 % du changement observé. La proposition de Lambert a été retenue comme cadre conceptuel par plusieurs chercheurs dans l’étude de la contribution des facteurs communs à l’ecacité thérapeutique. Avec Wampold (2001, 2010a, 2010b), l’étude des facteurs communs prend un nouveau virage. Il pousse plus loin l’étude des facteurs explicatifs de l’ecacité thérapeutique. Il réanalyse les méta-analyses et procède à l’étude systématique de l’eet des techniques spéciques, de l’alliance thérapeutique, des eets placebo, de l’allégeance théorique des chercheurs et des caractéristiques du patient. Pour la première fois, il introduit l’étude de l’eet du thérapeute. Il découvre que plus de 70 % de la variabilité des résultats obtenus sont liés aux facteurs communs, en particulier aux eets du thérapeute et de l’alliance thérapeutique, alors qu’à peine 8 % dépendent des techniques spéciques utilisées. Malgré les résultats de ces recherches, le débat se poursuit. Les tenants des TAE continuent d’armer que c’est l’utilisation de techniques spéciques de leur approche respective qui explique le changement thérapeutique obtenu. Ils nient ou reconnaissent peu l’inuence de facteurs communs. À leurs yeux, l’hypothèse de l’inuence des facteurs communs demeure marginale, spéculative et peu démontrée scientiquement. Pour faire contrepartie à cette position, un groupe de chercheurs en psychothérapie a produit un important document pour l’American Psychological Association illustrant les fondements scientiques de la contribution de facteurs communs à l’ecacité thérapeutique (Norcross, 2002). Ce groupe montre que l’étude de l’ecacité et du changement thérapeutiques invite à reconnaître que l’impact des techniques et des interventions est intimement lié aux caractéristiques du psychothérapeute, du patient et de leur relation thérapeutique. Deux grandes catégories de facteurs sont identiées : 1. Une première catégorie précise d’abord que la qualité de l’alliance thérapeutique et la présence d’une relation empathique sont intimement liées à l’ecacité de toute démarche thérapeutique et que la régulation d’enjeux relationnels comme les ruptures et les réactions contre-transférentielles inuencent probablement la variabilité des résultats obtenus. 2. Une deuxième catégorie souligne l’importance de facteurs comme la gravité du problème, la résistance et le style d’adaptation du patient pour ajuster sur mesure le processus thérapeutique à ses besoins. On peut conclure que l’utilisation combinée des techniques thérapeutiques et des facteurs communs appuyés empiriquement et ajustée aux besoins du patient semble la piste la plus ecace. Du fait que cette liste de facteurs communs ne repose pas sur des essais cliniques randomisés comme le sont les thérapies spéciques appuyés empiriquement, ces conclusions sont ignorées par plusieurs. Même si plusieurs associations professionnelles recommandent une pratique fondée sur l’intégration des données les plus probantes avec l’expertise du thérapeute et les préférences du client (Drapeau, 2012), les essais cliniques randomisés

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continuent de bénécier d’un statut spécial. Pour tenter de dépasser la dichotomie et la polarisation entre les tenants des techniques spéciques et ceux des facteurs communs, Castonguay & Beutler (2006) convient les uns et les autres à identier les principes fondamentaux appuyés empiriquement qui contribuent de façon signicative au changement thérapeutique. Selon eux, un principe ne repose pas sur la simple déclaration que telle thérapie est ecace pour traiter telle aection. Il précise sous quelles conditions un traitement est ecace. Par exemple, un principe précise qu’une thérapie cognitive pour la dépression est ecace dans la mesure où le thérapeute arrive à établir une alliance thérapeutique positive. Une telle démarche permet d’intégrer l’ensemble des connaissances empiriques ables touchant les techniques spéciques, les facteurs relationnels, les eets des caractéristiques du client et du thérapeute. Pour ce faire, Castonguay & Beutler (2006) recrutent les chercheurs les plus reconnus par leurs travaux de recherche en psychothérapie. Leur grille d’analyse intègre les principaux diagnostics de la pratique clinique : troubles dysphoriques, troubles anxieux, troubles de la personnalité, troubles liés aux substances. Pour chaque catégorie diagnostique, les chercheurs identient les principes appuyés empiriquement liés aux caractéristiques du patient et du thérapeute, aux eets de la relation et des techniques spéciques. Ils procèdent ainsi à une recension exhaustive et rigoureuse de l’ensemble des recherches les plus ables pour parvenir à l’identication de principes, appuyés empiriquement, liés à l’ecacité des psychothérapies pour ces diagnostics. Plus de 61 principes résultent de cet immense travail. Une conclusion s’impose : la mesure de l’ecacité thérapeutique ne prend tout son sens que dans l’étude complexe, dynamique et non linéaire des contributions du psychothérapeute, du patient, de leur relation thérapeutique et des techniques spéciques. Suit une brève synthèse de leurs principaux résultats.

Facteurs thérapeutiques appuyés empiriquement Facteurs relatifs au patient Parmi les facteurs identiés au premier rang comme abaissant le niveau des résultats obtenus, il y a les aspects suivants : • la gravité des problèmes ; • la chronicité ; • le niveau de détresse ; • les dicultés interpersonnelles ; • la comorbidité. Plus un patient est aecté dans son fonctionnement psychosocial, moins il progresse en psychothérapie. Cependant, étant donné que la psychothérapie est un processus interactif, il est dicile de déterminer ce qui dépend des interventions du thérapeute ou des caractéristiques du patient. Des auteurs proposent de parler de dicultés relationnelles du patient auxquelles il faut ajuster des interventions, plutôt que d’isoler les caractéristiques du patient. Par exemple, il y a à peine quelques années, le traitement de certains troubles de la personnalité était considéré comme dicile, voire impossible ; aujourd’hui, des cliniques axées sur les troubles relationnels (p. ex., le trouble de la personnalité limite) prolifèrent et achent des résultats intéressants. La tendance actuelle se base sur la prise en compte de la multidimensionnalité des aspects du problème et l’ajustement approprié de l’intensité de la thérapie.

L’évolution positive de la thérapie dépend du degré d’engagement du patient, et cet engagement est lié à son histoire d’attachement et au degré de résolution de ses expériences traumatiques passées. Les études tendent à montrer que le seul diagnostic psychiatrique est loin d’être décisif pour la bonne évolution d’une psychothérapie, alors que le sont les dispositions relationnelles du patient qui permettent d’entrer en contact avec l’autre, d’exprimer ses émotions et ses pensées. Les travaux de Bateman & Fonagy (2007) montrent que plus le thérapeute adapte le processus d’intervention au niveau de mentalisation montré par le patient, plus des progrès sont observés. Ils sont particulièrement éclairants pour guider le psychothérapeute dans la thérapie de la personnalité limite (Slade, 2009). La majorité des patients présentent des enjeux d’attachement sous diverses formes, et ces enjeux viennent inuencer la capacité d’établir une alliance thérapeutique essentielle au progrès de la thérapie ; il est possible d’utiliser ces enjeux pour mieux guider le thérapeute dans le choix d’une approche pertinente.

Facteurs relatifs au thérapeute Depuis les années 1950, plusieurs chercheurs ont tenté d’identier et d’évaluer l’impact de diverses caractéristiques spéciques du psychothérapeute sur l’ecacité de la thérapie, mais les résultats sont plutôt décevants. Les études portant sur l’eet isolé de variables comme le sexe, l’âge, l’ethnicité, l’expérience, la formation, l’intelligence et la sociabilité donnent des résultats dicilement interprétables. En fait, la contribution de ces variables ne semble prendre de sens que lorsqu’elles sont étudiées dans le contexte de la relation thérapeutique. Néanmoins, certaines recherches recommandent des pairages selon l’ethnicité, l’âge et le sexe (Lecomte & al., 2004). On peut alors se demander si l’inuence contextuelle de facteurs comme la sensibilité, la exibilité des croyances et le degré d’empathie du psychothérapeute ne sut pas à expliquer l’essentiel des eets obtenus. Par exemple, l’inuence accordée à l’ethnicité du psychothérapeute dans le progrès thérapeutique pourrait reéter en fait une sensibilité plus générale envers les aspects ethniques et culturels des patients. La contribution du psychothérapeute ne peut alors être étudiée comme une variable indépendante pouvant être mise en œuvre dans un processus aseptisé appliqué à des patients vus comme interchangeables dès lors qu’ils présentent le même diagnostic. Le processus thérapeutique relève plutôt de l’inuence personnelle et de la technique du psychothérapeute dans le cours d’une relation qui stimule l’engagement du patient et mobilise ses ressources (Luborsky, 1994). Et cette relation inuence à son tour le thérapeute. D’un processus linéaire, du thérapeute vers le patient, on passe à un processus circulaire de collaboration et d’inuence. On constate donc que la variabilité des résultats thérapeutiques dépend pour beaucoup de la contribution du thérapeute bien que peu de recherches y soient consacrées (Wampold, 2001). Parmi les principes empiriquement validés, on retrouve l’importance de l’appariement du thérapeute et du patient de même que les attitudes de exibilité et de tolérance du thérapeute vis-à-vis des diérences ethniques et religieuses. À partir de recherches qualitatives et quantitatives, Skovholt & Jennings (2004) fournissent un prol plus éclairant des thérapeutes ecaces, ceux qui facilitent l’obtention de progrès thérapeutiques notables : • ils sont engagés activement sans pour autant être directifs ; • ils ont une réelle capacité à s’engager dans des relations émotionnelles intenses et soutenues et à y être à l’aise ;

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• ils congruents dans leurs communications ; • ils savent structurer la thérapie et imposer des limites tout en restant exibles, créatifs, ouverts d’esprit et empathiques ; • ils parviennent à tolérer et à contenir leurs propres sentiments et émotions ; • ils valident l’expérience et la démarche du patient ; • ils ont conscience que les progrès sont lents et inégaux et savent gérer ces progressions tortueuses. Plusieurs considèrent ces principes comme les plus déterminants de l’ecacité, en particulier avec les patients aux prises avec un trouble de la personnalité limite (Lecomte, 2009). Comme certains psychothérapeutes sont plus ecaces que d’autres, il est probable qu’ils sont responsables de la hausse d’efcacité d’ensemble obtenue par cette variable du thérapeute. Des thérapeutes obtiennent en eet des résultats supérieurs à leurs collègues, et cela, indépendamment des approches qu’ils utilisent. Ainsi, chez certains thérapeutes, on observe des détériorations de l’ordre de 19 % avec 160 patients, alors qu’avec d’autres, ce taux est d’à peine 1 % pour plus de 300 patients (Lambert, 2007). Par ailleurs, certains thérapeutes obtiennent des améliorations signicatives de plus de 50 % plus élevées que d’autres. De même, certains, souvent les mêmes, ont des taux d’abandon de la thérapie de 50 % plus faibles que d’autres (Miller & al., 2006). Les eorts pour annuler ou même plus simplement standardiser la variabilité attribuable à l’inuence du psychothérapeute par l’utilisation de manuels systématiques de formation et d’intervention ne sont donc pas couronnés de succès. La personne du thérapeute reste un des facteurs majeurs de la variabilité des résultats obtenus dans toute démarche thérapeutique, quelle que soit l’approche d’origine. Ces résultats conrment une observation bien connue de tous. Quand il s’agit de recommander un psychothérapeute à un ami ou à un membre de sa famille, il ne vient à l’idée de personne de faire un choix au hasard, ni même de le déterminer en fonction de critères purement théoriques ou techniques. Au-delà des diplômes et des orientations, la personne du psychothérapeute devient la considération la plus importante. Le sens pratique rejoint ainsi les résultats des méta-analyses portant sur l’ecacité en psychothérapie (Lecomte & al., 2004).

Facteurs relatifs à la relation thérapeutique Plusieurs méta-analyses et recensions des écrits ont clairement montré la relation entre l’alliance thérapeutique et les résultats obtenus, quelle que soit l’approche thérapeutique, voire le traitement psychopharmacologique (Lambert & Barley, 2002 ; Schore, 2008). Bordin (1979) s’attache à éclairer cette notion d’alliance. Il apporte des précisions sur sa structure, son caractère transthéorique et sur l’importance de la double contribution du psychothérapeute et du patient. Il met en évidence trois composantes qui dénissent la qualité et la force de l’alliance : 1. Un accord sur les buts généraux poursuivis par l’intervention, qui se caractérise par une adhésion commune à ces buts ainsi que leur valorisation. 2. Un accord sur les tâches, c’est-à-dire les activités spéciques, visibles ou intérieures, en séance ou entre les séances, que le patient doit accomplir an que la thérapie soit bénéque. Elles doivent être perçues comme pertinentes et efficaces. Elles doivent faire l’objet, de la part des deux protagonistes,

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de l’acceptation de leur responsabilité particulière quant à leur bon accomplissement. 3. L’établissement d’un lien résidant dans la qualité aective et émotionnelle de la relation entre patient et psychothérapeute. Ce lien touche par exemple le sentiment d’être compris, valorisé et soutenu chez le patient. Il embrasse un réseau complexe d’attachements réciproques qui relèvent de domaines tels que ceux de la abilité mutuelle, de l’acceptation et de la conance. Ces trois composantes (buts, tâches et lien) clairement identiables sont interdépendantes, et l’alliance de travail est l’expression de leur articulation et de leur relation intégrée. C’est leur combinaison qui détermine la force de toute relation d’aide. L’instauration d’une telle relation n’est possible, dans cette perspective, que dans le cadre d’une double contribution. La conceptualisation de cette alliance est dynamique et réciproque. Elle établit une négociation constante entre le thérapeute et le patient, aussi bien au niveau conscient qu’inconscient, sur les buts et les tâches de l’intervention. C’est dans cette perspective que l’importance d’un cadre thérapeutique rigoureux mais exible prend toute sa signication. Ce processus de négociation, s’appuyant sur un lien émotionnel able, pose les conditions propices au changement. Les travaux d’Horvath & Greenberg (1994) mènent à la création de l’Inventaire d’alliance de travail (Working Alliance Inventory [WAI]). Cet outil, très employé en intervention, se présente sous forme de deux questionnaires, l’un pouvant être rempli par le patient et l’autre par le thérapeute. Utile au chercheur autant qu’au psychothérapeute, cet instrument est able et validé. Il ore l’avantage d’être transthéorique, dans la lignée des conceptualisations développées par Bordin. Grâce à cet outil, le thérapeute peut mesurer l’évolution de l’alliance dans une perspective d’ajustement de son approche envers le patient. Même si le thérapeute pense souvent qu’il est un bon juge de la qualité de l’alliance, cette échelle peut s’avérer des plus précieuses, en particulier si on utilise les deux formes de l’instrument pour le thérapeute et le patient. Les recherches témoignent en eet d’écarts fréquents entre ces deux perceptions quant à la qualité de la relation, et les perceptions du patient prédisent davantage les résultats thérapeutiques que celles du thérapeute. Quelques-unes des questions du WAI sont présentées dans les tableaux 73.1 (à compléter par le thérapeute) et 73.2 (à compléter par le patient). Il existe une version du WAI en contexte québécois et une autre en contexte français. De plus, il y a des adaptations du WAI qui peuvent aussi être réalisées en fonction du type d’intervenant et de la population cible. Corbière et ses collaborateurs3 (2006) qui ont validé en français la forme abrégée du WAI, peuvent fournir la version complète de l’outil gratuitement avec les indications d’utilisation et d’interprétation. Resituant la contribution du psychothérapeute et du patient dans un champ d’influence, cette perspective interactive et intersubjective du processus thérapeutique fait ressortir les caractéristiques du psychothérapeute efficace et permet de mieux comprendre ce qu’il fait pour établir et réguler une relation thérapeutique optimale. 3. Pour toute demande d’information ou pour obtenir ces échelles en 12 questions, vous pouvez contacter le chercheur, Marc Corbière à [email protected].

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TABLEAU 73.1 Extrait du questionnaire sur l’alliance thérapeutique (Working Alliance Inventory – WAI, A. O. Horvath) Consignes pour le thérapeute Dans ce questionnaire, il y a des énoncés qui décrivent différentes façons qu’un thérapeute pourrait penser et se sentir à propos de son patient. Lorsque vous lirez les énoncés, insérez mentalement le nom de votre patient à la place du _____. Si l’énoncé décrit toujours la façon que vous pensez ou que vous vous sentez, encerclez le nombre 7. Si cela ne s’applique jamais à vous, encerclez le nombre 1. Vous pouvez aussi encercler les nombres entre ces deux extrêmes pour indiquer les variations.

Énoncés

Jamais

Rarement

Occasionnellement

Parfois

Souvent

Très souvent

Toujours

1. _____ et moi nous nous entendons sur les étapes à suivre pour améliorer sa situation.

1

2

3

4

5

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7

2. _____ et moi avons tous deux conance en l’utilité de nos activités en cours.

1

2

3

4

5

6

7

3. Je crois que _____ m’aime bien.

1

2

3

4

5

6

7

5. J’ai conance en mes capacités pour aider _____.

1

2

3

4

5

6

7

10. _____ et moi avons des idées différentes sur ce que sont ses vrais problèmes.

1

2

3

4

5

6

7

11. Nous avons établi une bonne compréhension mutuelle quant aux types de changements qui seraient bons pour _____.

1

2

3

4

5

6

7

Source : Corbière & al. (2006).

TABLEAU 73.2 Extrait du questionnaire sur l’alliance thérapeutique (Working Alliance Inventory – WAI, A. O. Horvath) Consignes pour le patient Dans ce questionnaire, il y a des énoncés qui décrivent différentes façons qu’une personne pourrait penser et se sentir à propos de son intervenant. Si l’énoncé décrit toujours la façon que vous pensez ou que vous vous sentez, encerclez le nombre 7. Si cela ne s’applique jamais à vous, encerclez le nombre 1. Vous pouvez aussi encercler les nombres entre ces deux extrêmes pour indiquer les variations.

Énoncés

Jamais

Rarement

Occasionnellement

Parfois

Souvent

Très souvent

Toujours

4. J’ai des doutes à propos de ce que nous essayons d’accomplir lors de nos rencontres.

1

2

3

4

5

6

7

6. Nous travaillons à l’atteinte de buts sur lesquels nous nous sommes mis d’accord.

1

2

3

4

5

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7

7. Je sens que mon intervenant m’apprécie.

1

2

3

4

5

6

7

8. Nous nous entendons sur ce qui est important à travailler en thérapie.

1

2

3

4

5

6

7

9. Mon intervenant et moi avons développé une conance mutuelle.

1

2

3

4

5

6

7

12. Je crois que ce que nous faisons à propos de mon problème est correct.

1

2

3

4

5

6

7

Source : Corbière & al. (2006).

L’étude de l’ecacité et du changement thérapeutiques invite ainsi à reconnaître que l’impact des techniques et des interventions est intimement lié aux caractéristiques du psychothérapeute, du patient et de leur relation thérapeutique. Le cœur de toute démarche thérapeutique repose sur la régulation d’un dialogue émotionnel entre deux personnes, leur permettant d’eectuer des tâches thérapeutiques liées à des objectifs partagés communs.

Application des techniques L’ecacité d’une thérapie reposant d’abord sur une alliance forte et sur sa régulation tout au long du processus d’intervention, une standardisation de ce processus a été tentée pour en faciliter l’application rigoureuse. Plusieurs thérapies ont été « manuelisées », c’est-à-dire décrites en détail an que le thérapeute n’ait plus qu’à les appliquer selon ce qui est spécié. Mais on a constaté que

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plus un thérapeute adhère à une application stricte de techniques spéciques décrites dans le manuel, plus l’alliance de travail et les résultats thérapeutiques se détériorent. Le succès de l’application de techniques dépend en fait étroitement des facteurs suivants : • la disponibilité et la exibilité du thérapeute, en particulier en périodes de crise ; • l’accent mis sur les problèmes prioritaires présentés par le patient; • la compréhension intégrative des facteurs intrapsychiques, intersubjectifs et environnementaux explicatifs du maintien des dicultés ; • la proposition d’une thérapie structurée, claire et explicite, de façon transparente et honnête, an que le patient comprenne sans équivoque les liens entre son problème, ses cognitions, ses émotions, ses comportements et son environnement ; • la prise en compte par le thérapeute de ses ressources et limites personnelles comme thérapeute. Lorsque ces facteurs sont conjugués, l’application des techniques s’appuie sur une structure thérapeutique axée sur l’alliance de travail et sur un équilibre exible entre : • la reconnaissance des besoins de validation des croyances et des valeurs du patient ; • la nécessité du changement des croyances et des certitudes émotionnelles dysfonctionnelles. La combinaison des facteurs communs et des techniques est alors source de progrès thérapeutiques notables (Castonguay & Beutler, 2006).

73.2 Formation des thérapeutes Considérant les résultats les plus probants qui invitent à tenir compte des inuences réciproques du patient, du psychothérapeute et de leur relation dans l’application de la thérapie, que pouvons-nous dégager comme repères fondamentaux pour la formation du psychothérapeute ecace ? À un niveau macroscopique, on peut conclure que si les psychothérapies sont d’égale ecacité, les psychothérapeutes, eux, n’obtiennent pas des résultats équivalents. Les travaux de Wampold & Brown (2005) ont clairement montré que la variabilité des résultats obtenus en thérapie est davantage liée à la variabilité entre les psychothérapeutes qu’aux techniques utilisées, au-delà même du diagnostic, du type de thérapie, du diplôme ou de l’expérience professionnelle. L’ensemble des recherches sur l’ecacité thérapeutique permet de conclure que, quelle que soit l’approche, les thérapeutes qui obtiennent les meilleurs résultats sont attentifs, sensibles et compétents en regard des facteurs suivants : • établir, maintenir et restaurer l’alliance thérapeutique ; • considérer et rendre tolérables les enjeux de résistance et l’expérience de changement du patient pour ajuster sur mesure les interventions les plus probantes à ses besoins. Pour soutenir le développement de ces facteurs déterminants de l’ecacité thérapeutique, Lambert (2007) préconise l’utilisation fréquente de procédures de rétroaction par le patient. Les implications pour la formation des psychothérapeutes sont importantes. Au-delà des spécicités théoriques, l’invitation à rééchir de façon critique et constructive aux principes du changement thérapeutique et aux facteurs communs ouvre la voie à des apprentissages intégrés du processus thérapeutique, touchant les dimensions autant techniques que relationnelles.

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En utilisant toutes les modalités éducatives, le thérapeute ecace doit donc trouver des façons de développer des connaissances (savoir), des compétences (savoir-faire) et des attitudes (savoir-être) dans chacun des aspects détaillés dans les soussections qui suivent.

73.2.1 Établir une alliance thérapeutique Les thérapeutes les plus ecaces sont d’abord ceux qui arrivent à créer et à maintenir une relation de qualité signicative avec leurs patients à travers leurs interventions. Constat qui semble banal, mais seul un faible pourcentage des thérapeutes y parviennent (Castonguay & al., 1996). Intervenir en étant attentif à l’expérience intersubjective réciproque s’avère une tâche complexe. Établir et maintenir une alliance thérapeutique ne se résume pas à établir un rapport standard qui soit positif et chaleureux. Toutefois, on ne peut pas limiter l’explication des impasses relationnelles à des dicultés uniquement techniques chez un thérapeute qui manque de savoirfaire. Reconnaître que toute relation thérapeutique est un processus dynamique non linéaire, où deux personnes tentent de s’accorder sur le plan émotionnel pour eectuer des tâches thérapeutiques, correspond mieux à la réalité de ce processus (Hill & Knox, 2009). La qualité de la relation thérapeutique qui s’établit dès les premières séances prédit les chances de succès thérapeutique (Hill & Knox, 2009 ; Norcross, 2002). Elle est plus manifeste avec les thérapeutes qui arrivent à être perçus comme ables et sensibles, qui accordent une grande importance aux perceptions et aux réactions subjectives du patient et qui communiquent tôt leur compréhension validante de manière à ce que le patient se sente écouté et compris. Faut-il conclure que l’empathie sut ? Le contexte dynamique et interactif invite plutôt à parler de réponses empathiques optimales de validation, c’est-à-dire appropriées à l’expérience du patient, une expérience toujours spécique et en contexte, une expérience ancrée dans son histoire de vie relationnelle, ses attentes et ses perceptions de ce qui est able, aidant et utile. Ce contexte dynamique incite aussi à ne pas oublier que le thérapeute compose en permanence avec son incontournable subjectivité, ses propres attentes, sa propre histoire relationnelle (Lecomte, 2009). Arriver à créer un climat de conance et de sécurité pour mobiliser l’engagement du patient est donc un processus complexe. Le dé consiste à tenter d’arrimer deux mondes subjectifs de façon signicative et productive. Les thérapeutes ecaces semblent être ceux qui arrivent à reconnaître, dans cet arrimage, leur propre subjectivité et surtout à trouver des modalités d’autorégulation et de régulation interactive leur permettant d’orir des réponses et des interventions sensibles et ajustées au plus près de l’expérience subjective spécifique du patient. C’est lorsque les techniques du théra peute s’expriment et se conjuguent dans et par la relation thérapeutique avec le patient que des résultats positifs se produisent.

73.2.2 Réguler la relation thérapeutique Il n’est pas facile d’arriver à maintenir de façon suivie l’ouverture et la disponibilité nécessaires avec des patients ayant vécu des expériences douloureuses d’attachement insécure, d’abandons répétés, d’abus et d’expériences traumatiques. L’entremêlement de l’expérience subjective du patient et de celle du thérapeute conduit, inévitablement, à des moments de tension, voire de ruptures et d’impasses relationnelles (Norcross, 2002). Pour arriver à créer, avec la participation active de son patient, un processus

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d’exploration et de compréhension de ces impasses relationnelles, pour les dénouer et leur donner un sens, le psychothérapeute doit être capable de s’engager dans des relations intenses émotionnellement, de réguler ses propres expériences émotionnelles en n’étant pas envahi, réactif ou dissocié. Mais la plupart des thérapeutes, quelles que soient leurs expériences et formations professionnelles, éprouvent des dicultés et connaissent même des échecs dans ces situations de tensions ou de conits interpersonnels qui marquent souvent le déroulement des thérapies. Durant ces épisodes, les réactions des patients vont de l’hostilité au retrait, à l’évitement et jusqu’à l’abandon (Hill & Knox, 2009). Ces situations méritent une attention particulière. Idéalement, un thérapeute espère arriver à maintenir – ou à la restaurer quand il la perd – une position de validation, d’empathie et de disponibilité émotionnelle tout au long du processus thérapeutique. Or, les recherches maintiennent que la majorité des intervenants réagissent pourtant émotivement de diverses façons : • en exprimant ouvertement leur colère ; • en n’étant plus disponibles ; • en ayant des conduites d’évitement ; • en exprimant subtilement leur rejet ; • en manifestant une attitude dépréciative. Ce sont les comportements hostiles des patients qui semblent les plus problématiques pour les thérapeutes, la plupart d’entre eux réagissant alors aussi avec hostilité (Lambert & Barley, 2002). Les comportements de retrait posent également problème. Craignant les réactions de leurs psychothérapeutes ou n’ayant plus d’espoir d’être compris, plusieurs patients préfèrent en eet leur dissimuler leurs expériences négatives. Devant l’hostilité et le retrait, les psychothérapeutes éprouvent dans l’ensemble de grandes dicultés à reconnaître ces profondes incompréhensions dont elles sont les marqueurs et à leur donner du sens. Les recherches sur les situations d’attrait sexuel ou d’érotisation vont dans le même sens. Les eets négatifs sur la relation thérapeutique aboutissent souvent à des ruptures, à des impasses, et produisent des résultats désastreux (Hill & Knox, 2009). La comparaison entre thérapeutes « plus ecaces » et « moins ecaces », basée sur des critères objectifs, montre que ceux qui sont les plus ecaces régulent mieux la relation thérapeutique en étant plus empathiques, moins défensifs et plus conscients de leur contribution à la tonalité aective de l’échange (Safran & al., 2002). L’importance de la relation thérapeutique, de nouveau attestée, est cependant controversée par la tendance, encore dominante, à penser en termes de thérapies spéciques et, en corollaire, en standardisant, en niant ou en minimisant l’inuence de la relation. Cela explique sans doute le fait que peu d’approches en formation et en supervision se soient attardées à approfondir le processus complexe de la régulation de la relation thérapeutique, même si les eets négatifs les plus fréquemment rencontrés font suite aux dicultés de cette régulation.

73.2.3 Comprendre les tensions et les résistances Le thérapeute doit être capable d’accompagner ses patients et de donner du sens aux tensions qu’ils éprouvent entre le maintien rigide de modalités d’adaptation connues et la nécessité déstabilisante de changement de certaines de ces modalités (Castonguay

& Beutler, 2006). Les thérapeutes ecaces comprennent le besoin de maintenir des modalités d’autoprotection rigides, que leurs patients utilisent non comme une résistance, mais comme un processus de survie, nécessaire, à valeur adaptative. Ils tolèrent les expériences émotionnelles intenses du monde expérientiel de leurs patients et, plus encore, ils tentent de s’y immerger et d’y cohabiter avec leur propre monde. Ils savent que l’ouverture au changement devient facilement une expérience perturbante pour le patient. Elle l’écarte des attentes connues qui lui permettaient d’anticiper le monde, de l’expliquer et d’interagir avec lui an de survivre. Elle se fait au risque de la compromission de ses modalités d’autorégulation et d’adaptation au monde. Plutôt que de confronter le patient pour qu’il aronte ce qui est au cœur de ses mécanismes de défense, une telle position invite à une compréhension de la tension entre son besoin d’autoprotection et de survie psychologique et ses motivations de recherche d’expériences de changement (Castonguay & al., 2010). Comprendre la tension entre le maintien et l’ouverture, qui s’exprime sous l’apparence de la répétition ou de l’absence de changement, c’est pouvoir faire droit aux nouvelles tentatives de négocier cette tension, c’est pouvoir les percevoir. Mais c’est aussi dans ces moments relationnels d’expériences émotionnelles intenses, de l’autre, de soi, que le thérapeute doit tolérer et contenir, où il doit être réexif, exible, disponible, malgré un risque élevé que ses propres empreintes originelles traumatiques de mémoire émotionnelle soient réactivées (Bateman & Fonagy, 2007).

73.2.4 Être capable d’une conscience réexive Les psychothérapeutes ecaces parviennent non seulement à reconnaître avec sensibilité l’existence de tensions relationnelles et d’impasses, mais aussi à situer le travail d’exploration d’une impasse dans une perspective mutuelle, intersubjective, sans lui attribuer de causalité unidirectionnelle (Norcross, 2002). Ils s’engagent dans un processus de conscience réexive de soi, d’une façon ouverte et non défensive par rapport à leurs émotions, à leurs pensées et à leurs interventions (Lecomte, 2009). Ils s’inscrivent dans une perspective d’inuence circulaire et cherchent à se mettre en processus d’exploration avec leurs patients, les invitant avant tout à un dialogue émotif et réexif. Dans ce dialogue authentique, le thérapeute sait non seulement reconnaître son expérience subjective et son impact sur le patient, mais également donner accès à la mentalisation de ses états internes en demeurant profondément intéressé et sensible à l’expérience du patient (Bateman & Fonagy, 2007). Plusieurs recherches se sont penchées sur des aspects liés à la santé psychologique du psychothérapeute. Son degré de bien-être émotionnel apparaît lié au progrès thérapeutique de son patient (Beutler & al., 2004). À l’opposé, certains niveaux de détresse et d’épuisement professionnel sont associés à des résultats négatifs. Même s’il ne s’agit que d’études corrélationnelles, ces recherches suscitent la réexion. Nombre d’entre elles suggèrent en eet que les thérapeutes ayant des histoires de vie problématiques sont susceptibles d’avoir des motivations professionnelles complexes. Ainsi, la plupart des thérapeutes ont développé une grande sensibilité aux besoins des autres, souvent pour préserver, dans leur propre histoire relationnelle, des liens essentiels, maintenir une certaine cohésion de leur expérience subjective et, parfois, protéger l’équilibre psychologique de leurs proches (Lecomte, 2009).

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Ce faisant, ils ont fréquemment dû renoncer, à des degrés divers, à leur singularité et à leurs propres expériences émotionnelles. Malgré l’importance de cette problématique, elle demeure peu explorée. Faut-il pour autant qu’une psychothérapie personnelle soit exigée de tout futur psychothérapeute ? Les résultats des recherches ne sont pas concluants. Ils n’indiquent pas que les thérapeutes ayant consulté pour eux-mêmes obtiennent des résultats supérieurs aux autres. Quelques études rapportent cependant qu’ils sont plus conscients de leurs réactions subjectives vis-à-vis de leurs patients (Beutler & al., 2004). S’il semble de plus en plus évident que, sans l’examen de la contribution du thérapeute, les progrès mêmes de l’intervention clinique ne peuvent être expliqués – pas plus qu’ils ne peuvent l’être quand on méconnaît l’inuence des patients et des facteurs relationnels –, la question fondamentale qui en découle, pour le thérapeute, reste quasi entière : comment favoriser la reconnaissance active et réexive par le thérapeute lui-même de l’inuence incontournable de ses attributs relationnels, de sa disponibilité émotionnelle, de son bien-être psychologique, de sa exibilité et de son attitude empathique, en particulier dans des situations diciles ?

73.2.5 Améliorer l’efcacité thérapeutique Pour orir des interventions optimales facilitant le changement thérapeutique, le thérapeute ecace doit être en contact réexif avec son expérience émotionnelle, sensible au contexte interactif et attentif à l’expérience subjective du patient. Il doit également maîtriser des théories et des techniques, savoir les utiliser avec souplesse et les adapter an de favoriser la rencontre et le processus de changement thérapeutique. Lambert (2007) livre la synthèse de travaux eectués sur plus de dix ans portant sur l’ecacité thérapeutique de centaines de thérapeutes responsables de milliers de patients provenant de milieux les plus divers. Les résultats sont percutants. La grande variabilité des résultats liée au thérapeute est largement conrmée. • Les meilleurs thérapeutes obtiennent un taux d’amélioration signicative chez 44 % de leurs patients et des indices de détérioration pour 5 % d’entre eux. • Les thérapeutes les moins bons n’obtiennent les mêmes améliorations que chez 28 % de leurs patients et connaissent un taux de détérioration de 11 %. Deux questions se posent : celle du progrès des taux d’amélioration, celle de la réduction des taux de détérioration. Deux grandes perspectives organisent les éléments nécessaires pour devenir un thérapeute ecace : 1. Les rétroactions qui peuvent être données au thérapeute, par le patient ; 2. La nécessité d’une supervision clinique.

Rétroactions fréquentes au thérapeute Orir au thérapeute une diversité d’instruments les plus pertinents selon son approche préférentielle, les problèmes ou le format de la thérapie peut lui permettre non seulement d’évaluer les progrès du patient, mais aussi de développer une pratique réexive. Il existe plusieurs questionnaires d’évaluation des progrès du patient, des interventions du thérapeute, la prise en compte des données relatives à la conscience réexive du thérapeute, de l’alliance thérapeutique (Hunsley & Mash, 2008 ; Lecomte & Savard, 2004). Lambert (2007) l’appréhende sous la forme suivante : comment aider des thérapeutes à être plus attentifs à l’expérience subjective

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de leurs patients et à l’alliance thérapeutique, en particulier dans des moments et des situations diciles ? Lambert et ses collaborateurs opérationnalisent cette question au moyen d’un bref questionnaire d’impact, qui comporte 45 items et invite les patients à évaluer chaque séance de thérapie (Savard, 2009, p. 152). Cet instrument a été traduit en français par Flynn et ses collaborateurs (2002). L’instrument est simple, bref et sensible au changement. Le questionnaire est compatible avec la plupart des approches. Il mesure : • des symptômes de psychopathologie ; • des dicultés interpersonnelles ; • le fonctionnement social ; • le bien-être général. Ses qualités de abilité et de validité sont bien établies. Le suivi de l’évolution des progrès de milliers de patients sur de longues périodes a permis de fournir des courbes du changement attendu et de détermination du score de déviation de cette courbe prédisant une détérioration. C’est dans le cadre de ces données longitudinales que Lambert (2007) ont développé un système de détection empirique et de rétroaction spécique, en particulier pour prédire le plus tôt possible une détérioration potentielle, qui s’avère exacte dans plus de 88 % des cas. Dans cinq essais cliniques sur plus de 4 000 patients, les résultats indiquent que les thérapeutes qui reçoivent une brève rétroaction sur une base hebdomadaire améliorent de façon signicative leur ecacité thérapeutique et réduisent leur taux de détérioration. Cette rétroaction est oerte sous forme d’indications et de graphiques sommaires, relatifs aux progrès ou à l’absence de progrès du patient. Quand la rétroaction est accompagnée de pistes concrètes sur les interventions à envisager, le taux d’ecacité s’élève davantage. Ces propositions d’intervention touchent de façon directe ou indirecte les facteurs explicatifs du changement thérapeutique. Ainsi, on incite le thérapeute à reconsidérer l’alliance thérapeutique et ses uctuations et à prendre en compte le besoin de recherche de maintien ou d’ouverture du patient. À la suite de la rétroaction, le taux d’amélioration signicative chez les patients passe de 22 à 33 %, et à 45 % quand cette rétroaction est accompagnée de propositions d’interventions. Le taux de détérioration connaît une baisse de 20 à 15 % chez les patients avec rétroaction, et de 20 à 8 % quand la rétroaction est accompagnée de propositions d’interventions (Lambert, 2007). Dans le même sens, Miller et ses collaborateurs (2006), s’inspirant des travaux de Lambert et de son questionnaire, proposent une mesure d’impact encore plus brève en lui ajoutant une mesure tout aussi courte d’alliance. Leurs résultats conrment l’essentiel des travaux de Lambert. On constate alors que le simple fait pour le thérapeute de prendre connaissance de la perception, par le patient lui-même, de l’évolution de ses progrès en thérapie et de sa relation au thérapeute, à l’aide d’une très brève mesure de huit items (dont quatre portent sur l’alliance thérapeutique), semble susant pour produire une diérence signicative dans l’amélioration de l’ecacité thérapeutique de plusieurs thérapeutes. Ces données viennent corroborer l’idée que les meilleurs résultats ont toutes les chances d’être obtenus par des thérapeutes : • attentifs et sensibles à la rétroaction que leurs patients leur donnent ; • attentifs et sensibles à leur propre impact ; • exibles et capables d’ajuster leurs interventions aux besoins du patient.

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La très grande majorité des thérapeutes n’y parviennent pas seuls. Cette rétroaction externe, provenant du patient, est nécessaire. Alors que la majorité des thérapeutes présentent une tendance, soulignée par Lambert (2007), à se percevoir comme supérieurs à la moyenne, les résultats de ces recherches suggèrent un tableau plus nuancé en mettant en évidence, de nouveau, la très grande variabilité de leur ecacité thérapeutique, telle qu’elle est vécue par le patient.

Supervision clinique S’il est essentiel que le thérapeute fasse preuve de compétences théoriques (diagnostic, conceptualisation clinique) et de compétences techniques d’interventions appuyées empiriquement, il doit également faire face à une exigence plus importante encore. Lorsque les enjeux sont plus complexes, ayant trait, par exemple, à des tensions relationnelles d’hostilité, de retrait ou encore à des situations ou moments mettant en échec les exigences de tolérance et d’accompagnement lors d’expériences émotionnelles intenses, il peut être dicile de recourir à des rétroactions explicites des patients. Il est alors nécessaire, voire essentiel de disposer d’un lieu et d’un espace de réexion dans lesquels puisse s’élaborer un travail de conscience réexive de soi et de l’autre en interaction pour arriver à intervenir de façon optimale. Sans cet espace, sans ce lieu, il est dicile, voire impossible d’apprendre seul les habiletés complexes d’interventions relationnelles nécessaires lorsqu’elles cheminent à ce point, chez le thérapeute, avec les propres enjeux de son histoire personnelle. Les entretiens de thérapie contiennent de nombreux aspects non verbaux (des hésitations, des silences, des intonations, des mimiques) qui ont une signication importante dans la relation thérapeute-patient. Ces moments intenses ne peuvent pas être rapportés avec exactitude par le supervisé dans un simple compte rendu verbal. En fait, l’apprenti thérapeute rapporte souvent les éléments qu’il trouve utiles à la compréhension du cas ; il ne peut pas parler de ce qu’il n’a pas encore appris à observer, des subtilités de cette interaction. Parfois, il pourrait même dissimuler des aspects troublants pour ne pas s’exposer à ressentir un malaise ou pour bien paraître devant son superviseur. Plus de 97 % des supervisés en formation dissimulent des aspects importants de leur expérience avec leurs patients à leurs superviseurs cliniciens, souvent à cause d’une alliance de supervision problématique (Ladany & al., 1996). An d’améliorer la qualité et la pertinence de la supervision s’appuyant sur une alliance de supervision positive et able, il est souhaitable de se baser sur des enregistrements audiovisuels, ou au moins audios, qui révèlent bien mieux les ranements de l’entretien de psychothérapie. Il existe de nombreux appareils miniatures qu’on peut utiliser discrètement, après avoir obtenu bien sûr l’autorisation du patient. En ce sens, l’importance pour le superviseur de s’appuyer sur des sources multiples d’information an de tenter d’évaluer l’expérience complexe du thérapeute est bien illustrée dans les résultats de recherche de Cyr et de ses collaborateurs (1990). Ils montrent en eet que ce que le thérapeute dit avoir fait dans un entretien sous forme de rapport verbal ou écrit n’a pas de relation signicative avec l’observation directe ou sur enregistrement audiovisuel du même processus d’intervention (Cyr & al., 1990). Dans ces situations et moments diciles, plus que le seul soutien théorique et technique, le thérapeute recherche et souhaite un lieu et un espace de réexion pour : • partager et dévoiler de façon sécuritaire tout ce qui se passe avec un patient ;

• comprendre et arriver à réguler ses propres états internes et être plus disponible à l’expérience subjective du patient ;

• comprendre et modier au besoin la régulation des communications verbales et non verbales entre le patient et lui ;

• arriver à partager ses réactions immédiates vécues avec le superviseur durant l’interaction avec celui-ci ; • arriver nalement à dégager des pistes d’intervention pertinentes marquées du sceau de la compétence et de l’ecacité. La supervision clinique est sans aucun doute le lieu privilégié pour favoriser le développement de l’ecacité professionnelle. En ce sens, et parce qu’elle constitue l’expérience la plus déterminante du développement de l’identité et de la compétence scientiques et professionnelles du psychothérapeute, parce qu’elle est singulière, parce qu’elle est le moyen par excellence pour promouvoir des actions concertées qui soutiennent ce développement, l’exigence d’une supervision de grande qualité est essentielle (Lecomte & Savard, 2004). Malheureusement, force est de constater que plus de 50 % des supervisés en psychologie clinique et en psychiatrie rapportent avoir vécu des expériences d’invalidation, voire de détérioration (Ellis & al., 2010). Considérant la complexité et l’importance de la supervision, il est pour le moins paradoxal de constater qu’à peine 10 à 15 % des superviseurs cliniciens sont formés à la supervision clinique en Amérique du Nord. Il est permis d’armer que, plus un programme d’enseignement favorise le développement de superviseurs compétents et ecaces, plus il assure le développement de psychothérapeutes compétents et ecaces. Tout programme de formation de psychothérapeutes ecaces ne peut se limiter à la seule maîtrise des compétences théoriques et techniques s’il vise à former des professionnels : • exibles, réexifs et attentifs à leurs propres états émotifs, curieux, en processus constant d’apprentissage, capables d’élargir leur propre perspective ; • passionnés par la complexité, la subjectivité et l’incertitude humaine ; • disponibles émotionnellement à l’autre de façon continue et soutenante, capables d’accompagner et de donner du sens à l’intolérable, dans une alliance thérapeutique rapprochée ; • capables de maîtriser des théories et des techniques, de les utiliser sans rigidité, prêts à les adapter an de favoriser la rencontre et le processus de changement thérapeutique. Dans ce hors-champ de la théorie et de la technique, on peut alors permettre à ces psychothérapeutes d’intégrer leurs savoirs théoriques et techniques à leur savoir-être dans le cadre d’une interaction spécique avec leurs patients. Découvrir que le territoire de l’expérience vécue n’est que partiellement représenté par les cartes conceptuelles des approches et par les techniques est une expérience souvent déstabilisante. S’appuyer sur une démarche réexive vis-à-vis de la complexité et de l’incertitude pour intervenir en est une autre, stabilisatrice. Le psychothérapeute apprend à agir en tolérant l’ambiguïté inhérente à la situation thérapeutique.

73.3 Application clinique Quelles sont les implications pour la pratique clinique des conclusions de l’ensemble de ces recherches ? Faut-il opter pour une pratique axée sur l’application des thérapies appuyées

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empiriquement ou sur les facteurs communs ? Est-il possible de réconcilier ces deux approches ? L’ensemble de ces résultats de recherche touchant l’ecacité thérapeutique a amené de nouveaux développements. Au-delà d’une approche théorique unique, la majorité des thérapeutes cherchent une forme ou une autre d’éclectisme ou d’intégration pour améliorer leur pratique. Trois grands courants sont répertoriés : 1. Un éclectisme technique et systématique ; 2. Des approches reconnaissant l’inuence active des facteurs communs ; 3. Une approche intégrative assimilatrice d’au moins deux théories. La thérapie intégrative de soutien est présentée en détail au chapitre 85. Ceux qui tentent de répondre à la question de Paul (1969) : « Quelle thérapie, oerte par qui est la plus ecace pour tel problème spécique, sous quelles conditions en fonction de quels critères ? » correspondent assez bien aux tenants de l’éclectisme. Les systèmes éclectiques les mieux connus sont celui de la thérapie multimodale de Lazarus (1981) et celui de la psychothérapie systématique éclectique (Beutler, 1986). Enn, d’autres approches s’appuient sur le constat que la variabilité des résultats dépend davantage de facteurs communs comme l’alliance thérapeutique et les caractéristiques du thérapeute et du patient ; ce courant souligne l’inuence centrale des facteurs communs dans les approches thérapeutiques (Norcross, 2002). Wampold (2001) recommande une reconnaissance active et déterminante de ces facteurs, quelle que soit l’approche. Dans l’état actuel des connaissances, plusieurs chercheurs (Castonguay & Beutler, 2006) préconisent une pratique qui intègre l’application de techniques thérapeutiques et la reconnaissance de l’action de facteurs communs reposant sur des données probantes. Essentiellement, les techniques, la relation, les caractéristiques du thérapeute et du patient agissent de façon interdépendante. Aucune de ces variables prise isolément n’explique les résultats obtenus. Indépendamment des orientations théoriques spéciques, c’est l’association « réussie » de la technique, de la relation et des caractéristiques du thérapeute et du patient qui, ensemble, sous-tendent le processus de changement et expliquent l’ecacité du dispositif en question. Concrètement, plusieurs soulignent le fait que la formation des psychothérapeutes devrait permettre de développer une connaissance et une maîtrise des facteurs communs, comme les habiletés d’écoute et l’alliance thérapeutique, et une maîtrise de thérapies appuyées empiriquement (TAE). Ainsi l’application d’une thérapie cognitivo-comportementale pour la dépression s’élabore en tenant compte de l’inuence de l’alliance et du thérapeute tout au long du traitement. Une telle approche permet d’intégrer les données probantes concernant les techniques spéciques et les variables du patient, du thérapeute et de la relation thérapeutique. De plus en plus d’approches reconnaissent l’inuence interactive de l’alliance thérapeutique et des techniques spéciques d’intervention. Les thérapies des schémas de Young (2003) pour le traitement du trouble de la personnalité narcissique de même que la thérapie comportementale dialectique de Linehan (1993) pour le traitement du trouble de la personnalité limite sont des exemples

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de TAE qui intègrent des éléments de plusieurs approches thérapeutiques. D’autres auteurs remettent en question, d’une part, la « manuelisation » (basée sur un manuel d’utilisation des techniques) des TAE et, d’autre part, leur transférabilité dans la pratique clinique. Ils proposent plutôt des approches d’intégration assimilatrice. Il s’agit d’intégrer à une approche thérapeutique bien dénie des interventions complémentaires et cohérentes avec une théorie clairement identiée (Stricker & Gold, 1996). Ainsi des approches de thérapies cognitives et comportementales sont enrichies d’interventions psychodynamiques et humanistes (Castonguay & al., 2004) alors que d’autres enrichissent des approches psychodynamiques d’interventions cognitives comportementales (Wachtel, 1997). Dans ce courant de pensée, Beitman & Yue (2004) ont développé une approche intégrative associant les facteurs communs et d’autres interventions multithéoriques cohérentes à des concepts d’approche psychodynamique. Cette approche connaît une certaine popularité dans des programmes de formation en psychiatrie. Même si elle n’a pas encore été appuyée empiriquement, elle a le mérite d’être bien articulée et opérationnalisée. Il s’agit d’une application clinique pertinente d’une approche intégrative. Beitman & Yue (2004) proposent une approche thérapeutique intégrant les facteurs communs les plus reconnus et des processus psychodynamiques et cognitivo-comportementaux qu’ils jugent essentiels. Au-delà et en deçà de la diversité des modèles théoriques, ces auteurs proposent de s’attarder à des processus qu’ils dénissent comme fondamentaux à toute psychothérapie. Certains de ces processus reposent sur des données de recherche et d’autres relèvent davantage de leur expérience clinique. À travers cinq phases, ils concluent que les processus suivants sont fondamentaux et essentiels : • l’établissement et le maintien d’une alliance de travail ; • l’activation de l’observation de soi ; • l’identication de schémas dysfonctionnels ; • l’utilisation de stratégies de changement ; • la terminaison. Une grande importance est accordée à des concepts d’inspiration psychodynamique comme la résistance, le transfert, le contre-transfert et l’alliance thérapeutique. Des habiletés fondamentales d’écoute découlant du courant humaniste sont essentielles. Pour procéder à l’identication de schémas dysfonctionnels de même qu’à la recherche de stratégies de changement, les auteurs invitent à des propositions multithéoriques. Selon Beitman & Yue (2004), les objectifs de la psychothérapie sont basés sur l’identication des principales cibles de travail centrées sur les schémas dysfonctionnels répétitifs que le thérapeute et le patient ont choisi de travailler pour les modier. Dans un premier temps, les objectifs thérapeutiques sont souvent mieux servis si le travail est d’abord orienté vers l’allègement de la sourance comme le soulagement des symptômes et l’amélioration des comportements qui entraînent un degré élevé de détresse psychique ou qui comportent des dangers (anxiété grave, insomnie importante, symptômes psychotiques, idées suicidaires, etc.). Dans un deuxième temps, après un certain soulagement et une stabilisation relative de la condition psychique, le thérapeute peut aborder plus directement des changements dans les schémas dysfonctionnels intrapsychiques, comportementaux, cognitifs, relationnels, etc.

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73.3.1 Phases de la psychothérapie Beitman & Yue (2004) proposent de diviser les processus fondamentaux d’une psychothérapie en cinq phases.

Phase 1. Introduction (évaluation et formulation) Le processus d’évaluation du patient et de ses problèmes et la formulation bio-psycho-sociale intégrée se poursuivent tout au long des séances de psychothérapie.

Phase 2. Engagement (alliance thérapeutique) Les interventions associées à cette phase visent à établir, à développer, à maintenir ou à rétablir l’alliance, qui constitue un outil thérapeutique fondamental dans toutes les formes de psychothérapie. Sur le plan des habiletés et des interventions, le thérapeute utilise, au besoin, les 12 moyens suivants : 1. Gérer et maintenir de manière cohérente les règles fondamentales de la psychothérapie. Dans certaines circonstances (p. ex., patients présentant des pathologies graves comme un trouble psychotique ou un trouble grave de la personnalité), il doit travailler à maintenir ou à rétablir le cadre et les limites thérapeutiques et aider le patient à se resituer dans la réalité. 2. Maintenir un climat de conance, rassurant et soutenant (holding environment). 3. Préciser les rôles du patient et du thérapeute dans la recherche des objectifs et l’atteinte des résultats. 4. Reconnaître et valider la détresse et les dicultés présentes et passées, et les eorts faits pour les surmonter. 5. Gérer la relation thérapeutique de manière ecace. Le thérapeute favorise le développement d’un transfert positif et d’une identication positive. Il peut représenter un Moi auxiliaire et jouer un rôle de modèle d’attitudes et de comportements mieux adaptés qui sous-tendent des principes importants (respect, patience, persévérance, stabilité, empathie, compassion, exibilité, sagesse, humilité, résolution d’un problème en procédant par étapes, etc.). Le thérapeute peut parfois faire certaines révélations sur ses expériences, mais toujours avec parcimonie et retenue (dévoilement limité d’expériences personnelles) ou sur des situations vécues par d’autres personnes. Il n’est sûrement pas pertinent que le thérapeute expose ses problèmes personnels ou se vante de ses réussites ni qu’il raconte les histoires d’autres patients. Selon les circonstances, il peut donner son point de vue et fournir des conseils. Dans d’autres situations, le thérapeute peut satisfaire certains besoins de gratication chez le patient (besoins d’attention, d’approbation et de dépendance), tout en évitant d’amplier ces besoins, de favoriser des demandes excessives ou des régressions. Dans d’autres occasions, si le patient est incapable de réaliser certaines activités ou de réagir adéquatement dans des situations critiques, le thérapeute peut intervenir directement ou faire intervenir une autre personne (un autre professionnel, un proche, etc.) avec la collaboration du patient pour établir des mesures de soutien et de protection, résoudre un problème, etc. 6. Gérer les dicultés et les crises dans la relation thérapeutique. En présence de réactions transférentielles négatives ou d’impasses thérapeutiques (réaction négative, dévalorisation, hostilité, opposition, résistance, etc.), de comportements qui interfèrent avec les objectifs thérapeutiques, de situations

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de crise ou de danger, il est important que le thérapeute reconnaisse la situation et intervienne rapidement et adéquatement pour prévenir ou restaurer les ruptures relationnelles. Dans ce contexte, le thérapeute peut intervenir de diverses manières : • imposer des limites appropriées en cas de comportements inappropriés, intrusifs, menaçants ou hostiles ; • corriger rapidement les distorsions cognitives ou perceptuelles du patient en utilisant des clarications et des confrontations (tout en maintenant le soutien) ; • reformuler ou recadrer la situation d’une manière constructive et positive ; • diriger la discussion sur la relation thérapeutique, demander au patient d’exprimer son point de vue et rétablir les faits de manière rationnelle ; • orir des explications, des rétroactions et du soutien. Explorer et dénir les attentes, les objectifs et les résultats recherchés. Faire des choix en collaboration avec le patient. Maintenir le travail sur les cibles thérapeutiques. Maintenir un niveau optimal d’interactions et d’interventions de soutien. Utiliser des stratégies générales d’interactions en tenant compte du style adaptatif du patient. • Un niveau élevé de résistance (patient réticent, opposant, etc.) peut indiquer un style contrôlant chez un patient qui valorise son autonomie et son indépendance et qui est orienté vers l’action. Le thérapeute devrait privilégier des stratégies moins directives, où il accompagne le patient (écoute active, degré moindre de soutien, tâches d’observation et exercices proposés au patient). • Un niveau faible de résistance (patient coopératif et ouvert) incite le thérapeute à considérer que le patient est potentiellement accessible à un plus large éventail d’interventions. Il peut choisir des stratégies plus directives et structurées, par lesquelles il le guide (p. ex., conseils, suggestions, soutien plus direct, prescription de tâches et d’exercices à accomplir, etc.). • Un style adaptatif externalisé (patient porté vers l’action impulsive) demande une attitude plus directive et une approche plus active et comportementale de la part du thérapeute. • Un style adaptatif internalisé (patient porté vers la passivité, l’inhibition, la réexion, l’analyse) incite le thérapeute à opter pour des stratégies de changement moins actives d’auto-observation (exploration, identication de distorsions cognitives, exercices pour augmenter la prise de conscience, introspection). Identier et gérer adéquatement les niveaux d’activation ou les réactions émotionnelles intenses. Le thérapeute aide le patient à les repérer et à mieux les gérer (les moduler et les apaiser). Orir des reets, du renforcement, des encouragements et de l’approbation (p. ex., lorsque le patient fait des eorts, démontre des initiatives et des habiletés). Il est important de renforcer les eorts plutôt que les résultats an d’éviter d’augmenter la dépendance du patient ou de lui faire craindre des réactions négatives en cas d’échec. Évaluer de manière continue et critique le processus de la psychothérapie, les réactions et les résultats, sous de multiples angles d’observation (de soi-même, du patient, de la relation thérapeutique et du système). Ainsi le thérapeute demeure

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attentif à l’expérience intersubjective et analyse l’évolution de la psychothérapie. Cette observation facilite l’établissement d’un véritable dialogue thérapeutique cohérent sur les plans verbal et non verbal et une meilleure synchronisation du thérapeute et du patient (Lambert, 2007 ; Weerasekera, 2010). De plus, le maintien d’une relation thérapeutique positive est un des facteurs importants pour favoriser la délité au traitement.

Phase 3. Recherche et identication des schémas dysfonctionnels répétitifs À mesure que l’alliance est formée, le thérapeute aide le patient à identier des schémas dysfonctionnels répétitifs, qui deviennent les objectifs du travail en psychothérapie. La notion de schéma (pattern) réfère ici à un concept général, soit à un ensemble complexe de phénomènes psychiques bien établis, reconnaissables et répétitifs, qui sont de nature aective, cognitive, comportementale, etc. • Rechercher et activer les capacités d’auto-observation. Cette phase réfère à diverses notions : la prise de conscience, l’autocritique, les capacités d’auto-observation, l’introspection et la mentalisation. Une alliance thérapeutique positive fournit un espace relationnel et réexif intime, sécurisant et soutenant à l’intérieur duquel le patient peut se permettre d’explorer, avec l’aide du thérapeute, ses symptômes et ses dicultés et de s’auto-observer. En cours de route, le patient devient plus conant et capable d’explorer ses dicultés (ses traumatismes, ses conits intrapsychiques, ses distorsions aectives et cognitives, ses dicultés comportementales et interpersonnelles). Il faut souligner que les capacités d’auto-observation peuvent être relativement limitées chez certains patients et dans certaines aections psychiques (négation, projection, état psychotique, etc.). Ces dicultés ne constituent pas un obstacle insurmontable, mais elles peuvent entraîner une limitation importante, temporaire ou permanente, de l’utilisation de certaines approches en psychothérapie. Le thérapeute doit alors reconnaître, travailler ou contourner cet aspect. Il peut faire appel à des approches moins centrées sur la prise de conscience. Il peut fournir des observations et des rétroactions. Ces capacités d’auto-observation constituent un facteur pronostic important quant aux résultats d’une psychothérapie. • Identier les schémas dysfonctionnels répétitifs. Le thérapeute guide les explorations et les observations du patient pour rechercher et identier les schémas dysfonctionnels répétitifs, qui deviennent les principales cibles du travail thérapeutique et permettent de dénir les objectifs de travail. Par exemple, un patient se croit raté, inférieur, sans valeur ou incapable d’être aimé et en éprouve une honte chronique. Le but fondamental de la thérapie consiste à augmenter l’estime de soi. La recherche et l’identication de ces schémas demandent d’examiner les réponses et les réactions non désirées ou problématiques (réactions aectives intenses, distorsions cognitives, comportements problématiques, etc.) qui sont vécues de manière répétitive par le patient dans divers situations et contextes. Plusieurs sources d’informations peuvent mettre en évidence certains de ces schémas dysfonctionnels : – les expressions verbales et non verbales du patient à propos de ses aects, de ses cognitions, de son discours intérieur (p. ex., « je suis ennuyeux, je suis trop demandeur, trop réservé, je me sens et je suis minable ») ;

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– la description des comportements et des réactions dans diverses situations interpersonnelles (p. ex., « je n’ai rien de plaisant à partager, je ne suis pas intéressant, je me fâche à tout coup dans ce type de situation » ) et les jeux de rôle ; – l’exploration et l’identication des conits et des problèmes passés et présents et des comportements du patient dans la relation thérapeutique (réactions intenses, transfert, réactions à la prise d’une médication) ; – les tâches et les exercices à réaliser en dehors des séances de thérapie : rédaction d’un journal quotidien d’observations et de réexions personnelles, utilisation des grilles d’analyse cognitive et comportementale (à trois ou à cinq colonnes), relaxation, méditation, etc. ; – les réactions et les informations provenant des autres patients (si thérapie de groupe), des professionnels de l’équipe et des proches ; – les réactions et le contre-transfert du thérapeute, ses connaissances et son expérience dans l’exercice de son travail clinique auprès de plusieurs patients ayant présenté des aections psychiques et des problèmes variés. Les grilles d’analyse cognitive et comportementale sont présentées en détail au chapitre 76 (voir le tableau 76.1). Les cinq caractéristiques suivantes permettent d’identier un schéma dysfonctionnel bien établi qui peut être choisi comme cible de travail modiable : 1. Le schéma dysfonctionnel correspond bien au mode de fonctionnement du patient et il aide à expliquer plusieurs de ses symptômes et problèmes (validité). 2. Le schéma explique et prédit, au moins partiellement, comment les problèmes se répètent et se maintiennent (répétition, persévération, sources de renforcement). 3. La description du schéma est susamment concrète et spécique du patient et de sa situation pour permettre d’identier ce qui doit être changé (p. ex., au travail comme dans ma vie personnelle, je dois toujours travailler plus fort que les autres si je veux réussir quoi que ce soit) et pour guider les moyens à mettre en œuvre an de procéder aux changements. 4. Le thérapeute et le patient perçoivent le schéma comme un problème véritable qui mérite d’être travaillé et changé. 5. Lorsque ce schéma sera modié ou abandonné, le patient devrait ressentir un soulagement, obtenir une amélioration de sa condition et atteindre certains des résultats désirés. L’identication de ces schémas dysfonctionnels peut être facilitée par l’analyse des trois niveaux de lecture suivants :

Niveau 1. Schémas dysfonctionnels généraux personnels et interpersonnels Dans cette catégorie, on recherche, dans le fonctionnement du patient, les caractéristiques suivantes (liste non exhaustive) qui correspondent à des traits, à des styles ou à des troubles de la personnalité et à des problèmes relationnels qui entraînent des schémas dysfonctionnels dans les communications et les relations interpersonnelles et familiales. Ces caractéristiques sont de nature : • paranoïde : hypervigilance, méance, attitude soupçonneuse ; • schizotypique : bizarreries, croyances, perceptions et expériences inhabituelles, excentricité ;

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• schizoïde : retrait social, détachement émotionnel, restriction des aects ; • histrionique : hypersensibilité, hyperémotivité, hyperréactivité, instabilité émotive, recherche d’attention et de plaisir, extraversion ; • narcissique : égocentricité, grandiosité, dominance, sentiment d’avoir droit, sentiment que tout est dû à soi, insensibilité, prétention ; • limite (borderline) : irresponsabilité, imprévisibilité, instabilité, prise de risque, impulsivité, autodestruction, suicidalité, colère incontrôlée ; • antisociale : exploitation, manipulation, malhonnêteté, irritabilité, hostilité, menace, agressivité ; • dépendante : soumission, passivité, manque de conance ou d’estime de soi, faible image de soi, manque d’armation ; • obsessionnelle : perfectionnisme, compulsion, rigidité, persévération, indécision, doute, ambivalence ; • évitante : anxiété, inquiétude, insécurité, anxiété de séparation, évitement de l’intimité, timidité, gêne sociale, introversion ; • dépressive : pessimisme, négativisme, défaitisme, anhédonie, autodépréciation, culpabilité, honte ; • passive-agressive : conduites d’échec, opposition, passivité agressive. En clinique, les patients qui présentent ces caractéristiques consultent généralement à cause de symptômes ou de problèmes qui perturbent leur fonctionnement personnel et interpersonnel dans des contextes variés, lors de situations de crise (exacerbation récente de leurs dicultés) ou de problèmes évoluant sur de longues périodes. Ils présentent souvent des dicultés à fonctionner dans diérentes sphères d’activité (relations interpersonnelles dysfonctionnelles ou instables, diculté sur le plan des études, du travail, des loisirs). Ces dicultés découlent le plus souvent de traits de personnalité habituellement bien ancrés dans leur mode de fonctionnement. Le patient est souvent peu conscient de plusieurs aspects de ses problèmes. Ces dicultés sont perçues comme égosyntones et les processus d’adaptation du patient sont qualiés d’alloplastiques, c’est-à-dire que les autres sont perçus comme la source des dicultés. Le thérapeute qui identie ces schémas doit savoir qu’il se heurtera tôt ou tard à des résistances ou à des dicultés associées à l’organisation rigide du fonctionnement de la personnalité. Par exemple, un patient présentant un trouble de l’adaptation peut ne pas répondre à une approche thérapeutique apparaissant appropriée, et cette aection peut même s’aggraver sans motif évident. Cela peut parfois s’expliquer par un trouble de la personnalité plus ou moins bien identié et qui contribue à perpétuer les dicultés du patient. Les problèmes associés à ces types de schémas peuvent facilement dépasser en importance, en complexité et en gravité la raison initiale de consultation (les symptômes manifestes). Il est utile de bien identier ces schémas an d’adapter la relation thérapeutique, les stratégies psychothérapeutiques, que le thérapeute choisisse ou non d’aborder directement ces problèmes sous-jacents. Par ailleurs, les personnalités dites « diciles » (particulièrement dans le trouble de la personnalité limite) risquent de générer de plus grandes dicultés sur le plan de la gestion de la relation thérapeutique et du travail en psychothérapie, par exemple en raison :

• • • • •

de l’idéalisation/dévalorisation ; du transfert et du contre-transfert négatifs ; du clivage ; du non-respect du cadre, des limites ou des consignes ; des réactions émotionnelles intenses, impulsives ou imprévisibles ; • de la dépendance excessive ; • de la résistance, de l’opposition, de l’agir (acting out), des abandons du suivi, etc. Dans ces conditions, les résultats thérapeutiques risquent d’être plus limités, car ces schémas rigides sont fortement ancrés dans le mode de fonctionnement du patient, dans ses relations interpersonnelles et dans ses stratégies d’adaptation au long cours ; ils sont donc habituellement plus diciles à modier. De façon générale, l’identication de ces schémas fournit peu de suggestions concrètes et précises sur la façon d’eectuer des changements de manière ecace. La reconnaissance de ces schémas doit alerter le thérapeute et l’aider à établir des objectifs appropriés et plus limités, à adapter son approche thérapeutique, y compris la possibilité d’orienter au besoin le patient à des thérapeutes plus expérimentés pour une évaluation ou des interventions mieux adaptées (p. ex., des programmes spécialisés). Cette dimension peut donc avoir un impact signicatif sur la compréhension des problèmes présentés par le patient, l’identication des cibles et la sélection des stratégies thérapeutiques à utiliser ou à éviter. Par ailleurs, dans toutes les approches, la relation thérapeutique et la planication de la thérapie doivent être personnalisées en tenant compte des styles de personnalité.

Niveau 2. Schémas dysfonctionnels spéciques selon les diverses écoles de psychothérapie Les théories et les approches pratiques des diverses écoles de psychothérapie aident à identier certains schémas dysfonctionnels. Le thérapeute intégratif dispose ainsi d’un vaste répertoire, où il peut aller puiser des connaissances à propos de plusieurs schémas dysfonctionnels spéciques et outils thérapeutiques. Les divers systèmes de psychothérapie mettent l’accent sur des théories psychologiques et des interventions thérapeutiques qui portent sur des champs psychologiques diérents, mais souvent interreliés. Malgré un langage relativement diérent, il existe souvent un chevauchement signicatif de plusieurs objectifs thérapeutiques et de certaines stratégies et techniques. Il est également important de souligner que les mêmes objectifs thérapeutiques peuvent être réalisés en utilisant des techniques diérentes et qu’une même technique peut être employée pour atteindre divers objectifs. De manière générale, les sept catégories de schémas dysfonctionnels qui découlent des principales écoles peuvent faire l’objet d’interventions psychothérapeutiques (du niveau le plus « extérieur » vers le niveau le plus « intérieur »). 1. Les problèmes systémiques et familiaux. Les thérapies visent alors l’amélioration des communications et des interactions dans les systèmes, les groupes et les familles. 2. Les problèmes interpersonnels. La thérapie interpersonnelle cherche à modier et à résoudre les schémas d’interactions interpersonnelles dysfonctionnels, les deuils, les transitions de rôle, les conits et les décits dans les habiletés sociales.

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3. Les problèmes reliés aux symptômes. On utilise diverses stratégies et techniques qui ciblent la gestion et le soulagement des symptômes, par exemple an de réduire le niveau d’anxiété et l’insomnie. 4. Les comportements dysfonctionnels. Les thérapies comportementales cherchent à modier et à réduire les phobies, les compulsions et les habitudes problématiques. 5. Les cognitions dysfonctionnelles. Les thérapies cognitives visent à modier et à restructurer les pensées automatiques, les distorsions cognitives et les schémas cognitifs dysfonctionnels. 6. Les conceptions de l’existence apparaissant mal adaptées et les conits de valeurs. Les thérapies d’orientation existentielle ciblent ces types de problématiques. 7. Les conits intrapsychiques et les réactions aectives mal adaptées. Les thérapies exploratoires, expressives et psychodynamiques visent la prise de conscience et la résolution de conits intrapsychiques et de relations d’objet problématiques, une meilleure gestion des dysrégulations aectives et des réactions émotionnelles excessives. Le thérapeute peut ainsi se servir de multiples grilles d’analyse provenant des diverses écoles et choisir, avec la collaboration du patient, le niveau d’intervention, les cibles du travail thérapeutique et certains outils reconnus comme ecaces.

Niveau 3. Schémas dysfonctionnels observables, concrets et spéciques Il s’agit de schémas dysfonctionnels plus concrets et plus facilement observables et identiables dans les propos et les comportements du patient (dans sa vie courante et dans la thérapie) et dans les observations du thérapeute. La reconnaissance de ce type de schémas permet au thérapeute d’identier plus rapidement des stratégies de résolution de problèmes. Voici des exemples de formulation selon les trois niveaux de schémas dysfonctionnels répétitifs : • Un patient ne confronte jamais sa conjointe qui le blâme continuellement concernant divers comportements (niveau 3, schéma observable). • Monsieur se dit que s’il confronte sa conjointe, cela va générer des conits majeurs et éventuellement une séparation (niveau 2, cognition dysfonctionnelle, anxiété de séparation). • La mère de monsieur tenait souvent des propos querelleurs à son père, qui réagissait peu. Elle a quitté la maison lorsque son père a commencé à se défendre et à s’armer (niveau 2, renforcement négatif, conits intrapsychiques). Monsieur ne confrontait jamais les propos hostiles ou les comportements contrôlants de sa mère parce qu’il craignait d’être lui aussi abandonné par elle (niveau 2, répétition de conits passés dans le présent, évitement, crainte d’abandon, anxiété de séparation, etc.). • Monsieur est un conjoint qui se montre soumis et dépendant (niveau 1, traits de personnalité et relations interpersonnelles). Par ailleurs, soulignons que l’identication de schémas dysfonctionnels répétitifs basés sur des informations insusantes (ou des hypothèses non conrmées par le patient) et l’utilisation prématurée, rigide ou inadéquate de cette méthode peuvent entraîner des perturbations signicatives dans l’alliance thérapeutique et dans la conduite de la psychothérapie.

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Les objectifs thérapeutiques peuvent être atteints en utilisant diérentes stratégies et techniques élaborées dans une variété d’approches de psychothérapie ou développées de manière originale et créative dans un contexte particulier. Selon la perspective intégrative, le thérapeute doit adapter son approche aux caractéristiques du patient et aux problèmes rencontrés, plutôt que de tenter de le faire entrer dans un modèle théorique et thérapeutique.

Phase 4. Changement De façon générale, avant de procéder à des interventions qui visent des changements, il est particulièrement important que le thérapeute vérie le stade de changement dans lequel le patient se trouve. Prochaska et DiClemente (1998) ont décrit quatre stades du changement selon une approche transthéorique an de préciser la prédisposition et l’aptitude au changement du patient : précontemplation, contemplation, préparation et action. La prédisposition et l’aptitude au changement du patient sont présentées au chapitre 80, à la sous-section 80.1.2. La prédisposition et l’aptitude au changement du patient sont des facteurs prédictifs importants en ce qui concerne son engagement dans la thérapie et les résultats des traitements. Si le thérapeute tente d’intervenir de façon prématurée et non adaptée au stade du changement en poussant le patient à passer à l’action alors qu’il n’en a pas les capacités à ce moment ou qu’il n’a pas été préparé à travailler à ce niveau, il s’ensuit plusieurs conséquences négatives potentielles sur le déroulement de la thérapie. Le patient peut alors : • présenter une exacerbation de ses symptômes ; • manifester des indices de perturbation dans l’alliance thérapeutique, des résistances et de l’opposition ; • manquer de délité au traitement ; • obtenir des résultats thérapeutiques limités ; • abandonner la thérapie. À titre d’exemple, certaines personnes qui sont amenées en consultation par des proches ou des agences externes arment qu’elles ne sont pas sourantes (absence de symptômes) ou qu’elles ne présentent pas de problème. Pourtant, elles présentent souvent des aections cliniques évidentes comme des problèmes de toxicomanie, des troubles psychotiques, des troubles de la personnalité, des troubles de comportement. Leur autocritique est habituellement faible ou absente. Par conséquent, elles sont peu ou ne sont pas motivées à consulter, à obtenir de l’aide et à eectuer un travail en psychothérapie. Elles sont dans le stade de précontemplation. En tenant compte de cette constatation, le thérapeute doit adapter son évaluation, ses réponses et ses interventions à ce stade de changement. Sinon, il risque d’intervenir à un niveau très éloigné de la position où se trouve le patient et d’être dans l’incapacité relative d’évaluer adéquatement sa situation, d’établir un engagement avec lui ou de l’aider à amorcer un passage progressif aux stades suivants.

Phase 5. Terminaison de la thérapie Dans toutes les approches en psychothérapie, le thérapeute doit s’assurer que le processus de terminaison se fait de manière adéquate. De façon générale, on ne doit pas prolonger la thérapie de manière indue quand les principaux objectifs ont été atteints. À la n d’un suivi en psychothérapie, la terminaison comporte des

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éléments particuliers qui sont activés chez plusieurs patients. Le thérapeute doit anticiper des réactions psychologiques signicatives pouvant se produire chez certains patients comme : • une exacerbation possible de certains symptômes ; • de l’appréhension et des inquiétudes vis-à-vis du présent et du futur ; • de l’anxiété de séparation ; • des sentiments d’abandon, de perte et des réactions de deuil ; • une augmentation de certaines résistances ; • des réactions transférentielles négatives ; • des phénomènes de régression psychique (p. ex., manifestations de besoins intenses de dépendance, comportements immatures ou impulsifs, non-respect du cadre, fuite, abandon du traitement, etc.). Dans la mesure du possible, ces diverses réactions nécessitent une intervention directe. Le thérapeute se limite habituellement aux éléments qui sont conscients et manifestés par le patient. • Il lui permet de verbaliser ses sentiments et ses inquiétudes. • Il le rassure et l’encourage. • Il normalise ses émotions et ses réactions appropriées. • Il l’aide à soulager ses craintes et ses réactions excessives. • Il l’encourage à pratiquer son autonomie et à développer son indépendance. Si le patient ne manifeste pas de réaction, il peut être important que le thérapeute explore cette apparente indiérence en prenant l’initiative de discuter de la n du suivi psychothérapeutique et de la préparer an de minimiser les réactions négatives potentielles et de convenir d’un plan d’intervention à venir si nécessaire. Le thérapeute doit considérer les 10 possibilités d’interventions suivantes : 1. Annoncer à l’avance la n de la thérapie et y revenir au cours de quelques sessions an d’aider à apaiser les réactions émotives intenses. 2. Faciliter le processus de séparation en procédant à un sevrage progressif des interventions, par exemple en diminuant la fréquence des rencontres. 3. Donner une rétroaction pour renforcer les apprentissages et les habiletés qui ont été développées. 4. Faire un bilan de l’évolution. Évaluer le degré de satisfaction et les résultats obtenus (soulagement des symptômes psychiques, modications comportementales). 5. S’il y a lieu, souligner le travail psychothérapeutique à continuer dans le futur par le patient de manière autonome ou dans le cadre d’autres démarches. 6. Après la n du suivi, envisager la possibilité de donner un ou quelques rendez-vous de contrôle quelques mois plus tard pour vérier l’évolution ou comme séance de rappel (pour maintenir et amplier les gains thérapeutiques et assurer leur durabilité). 7. S’il y a lieu, planier avec le patient les modalités de suivi après la n de la psychothérapie, par exemple le retour à son médecin de famille ou à d’autres intervenants et ressources appropriés. 8. Planier avec le patient les démarches et les interventions à faire en cas de situations diciles ou de rechutes qui pourraient survenir dans le futur.

9. Selon les circonstances, considérer la n du suivi comme une interruption temporaire, prolongée ou permanente des contacts. Il est souvent important de maintenir un sens de continuité, y compris la possibilité de consulter de nouveau le même thérapeute ou de se rendre à la même clinique s’il y avait exacerbation de l’aection ou rechute. Le thérapeute peut favoriser dans l’esprit du patient le maintien des aspects positifs de la relation thérapeutique et de l’expérience de la thérapie (apprentissages et développement d’habiletés, rappels de certaines expériences signicatives vécues en thérapie et de conseils bienveillants). 10. Dans certaines situations, convenir de l’utilité d’eectuer un suivi à plus long terme avec comme objectif de maintenir les gains thérapeutiques et de prévenir les rechutes. Chez certains patients présentant une maladie psychiatrique sévère et persistante, le suivi est parfois poursuivi pendant des périodes prolongées, voire indénies, en adaptant la fréquence et la durée des rencontres selon les besoins. Dans des phases où la condition psychique est plus stable et le patient est plus motivé, il est possible de continuer des interventions de maintien et parfois de travailler d’autres objectifs psychothérapeutiques dans ce contexte plus favorable. Il est important de ne pas sous-estimer les risques associés à la fragmentation de la prise en charge (p. ex., la multiplication des intervenants et des ressources, la discontinuité des interventions), situations qui sont malheureusement souvent rencontrées dans le système de santé actuel.

73.4 Résultats fondés sur des données probantes En une période qui invite, convoque même de plus en plus les psychothérapeutes à faire la preuve de leur rentabilité, la question de l’ecacité thérapeutique prend une importance accrue, tout comme celle de son articulation avec les recherches sur les eets des psychothérapies. Dans cette culture d’ecacité, d’ecience et de rentabilité, les questions proviennent des psychothérapeutes, des gestionnaires et, souvent, des patients eux-mêmes. Pour tel problème, quelle est la thérapie la plus ecace ? La moins coûteuse ? De quelle durée optimale ? De nouvelles méta-analyses plus rigoureuses que les précédentes incluant les thérapies appuyées empiriquement (TAE) montrent de nouveau l’absence de diérences signicatives entre les thérapies lorsqu’elles sont appliquées de façon compétente et que l’adhésion théorique du thérapeute est prise en compte. Plus encore, des résultats de recherche établissent clairement que des facteurs communs, en particulier l’alliance thérapeutique, les variables liées au thérapeute et au patient, expliquent nettement mieux la variabilité des résultats que les composantes des thérapies spéciques. Malgré tout, les tensions demeurent encore vives entre ces deux positions. Devant cette situation complexe, les ordres et les organismes professionnels canadiens et américains préconisent une pratique qui tient compte de l’intégration des résultats de recherche probants (evidence based), de l’expertise clinique du psychothérapeute, des caractéristiques et des préférences du patient (Drapeau, 2012). D’autres questions émergent alors. Sur quelles données scientiques ables faut-il s’appuyer ? Les résultats des essais cliniques randomisés sont-ils généralisables et pertinents

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pour la pratique clinique ? Comment utiliser de façon judicieuse et responsable les résultats les plus ables pour guider la prise de décision clinique pour le bien-être du patient ? Comment peut-on conjuguer les données scientiques avec l’expertise clinique du thérapeute ? Comme on peut le constater, la question de l’ecacité thérapeutique est loin d’être résolue (Zimmermann & al., 2008).

mois. Le suivi permet de réduire les rechutes de façon signicative, en particulier dans les cas de comorbidité. Le taux de rechute passe de 31 à 10 % dans certaines études (Lambert & Ogles, 2004). L’envers de cette question reste un objet d’investigation important : quels sont donc les patients les plus susceptibles de rechuter et quel est le plan d’intervention en pareil cas ?

73.4.1 Effets de la psychothérapie

73.4.3 Signication clinique des résultats

Depuis la méta-analyse de Smith & Glass (1977), plus de 40 méta-analyses montrent de façon consistante que la psychothérapie est remarquablement ecace (Lambert & Ogles, 2004). Une autre manière de se représenter ces résultats de l’ecacité a émergé sous la forme de l’index nombre de cas à traiter (number needed to treat-NNT ). Il indique le nombre minimum de cas qu’il est nécessaire de traiter pour obtenir un succès thérapeutique (Kraemer & Kupfer, 2006). Pour l’ecacité générale de la psychothérapie, il apparaît ainsi qu’il sut de traiter moins de trois patients en psychothérapie pour observer un résultat positif. Aussi, des études utilisant la neuro-imagerie fonctionnelle (Peres & Nasello, 2008 ; Schore, 2008) montrent que l’amélioration symptomatique, par la psychothérapie, de patients sourant de phobie sociale, de trouble obsessionnel-compulsif, de dépression et de trouble de stress post-traumatique se traduit par une modication de certains circuits neuronaux associés à ces troubles. Un dialogue s’engage entre les neurosciences et la psychothérapie, montrant qu’une intervention psychologique ecace sur l’esprit (mind) modie la neurophysiologie du cerveau (brain).

Les recherches consacrées à la question primordiale de la signication clinique des résultats statistiques fondés sur des moyennes ont étudié et mesuré les changements individuels des patients pour leur donner du sens (Lambert & Ogles, 2004). Selon la nature du problème, le niveau de base et le domaine de fonctionnement envisagé, un même résultat, obtenu pour une caractéristique particulière (p. ex., l’anxiété), peut prendre une signication dramatiquement diérente dans la vie de la personne. Sur une échelle de 10 points, une amélioration de trois points peut représenter une expérience qualitativement diérente si un patient est passé d’un score de 3 à 6 comparativement à un autre de 6 à 9. De même, dans une situation critique, ou dans tel contexte spécique, un eet même modeste peut s’avérer en fait très important. Diverses méthodes statistiques sont utilisées pour évaluer la signication clinique des résultats obtenus. En général, on considère qu’un changement clinique signicatif s’est opéré quand les patients traités manifestent des améliorations substantielles, statistiquement signicatives (ables sur le plan statistique), et que ces patients ne sont alors plus distinguables au regard des manifestations présentées, comparativement aux individus d’une population normale ne manifestant pas le problème considéré. Les recherches indiquent alors que des proportions importantes de patients arrivent eectivement à des changements signicatifs dans leur vie. Dans leur analyse de 28 essais cliniques, Hansen et ses collaborateurs (2002) concluent que 58 % des patients traités vivent des changements signicatifs dans leur vie. Pour la dépression, l’analyse des résultats indique que 55 % des patients connaissent des changements signicatifs au bout d’environ trois mois et demi. Ces analyses permettent ainsi de nuancer et de mieux comprendre le sens des résultats statistiques portant sur des moyennes. Elles précisent aussi que, si les patients qui ont achevé une psychothérapie connaissent des améliorations réelles, la plupart d’entre eux manifestent encore des symptômes. Pour les troubles obsessionnels-compulsifs, deux patients sur trois qui ont terminé la thérapie voient leurs symptômes réduits de 30 à 50 % et un patient sur trois, de plus de 50 % (Westen & al., 2004). Autre eet signicatif, on constate, selon les méta-analyses les plus récentes, une réduction de plus de 15 % de l’utilisation des services de santé chez les patients qui ont suivi une psychothérapie. Dans le même temps, les patients du groupe témoin, sans psychothérapie, sont 12 % de plus à fréquenter ces services. On observe donc une diérence d’utilisation des services médicaux de plus de 25 % entre les deux groupes (Lambert & Ogles, 2004). À la suite d’une psychothérapie, le nombre moyen de journées d’absence au travail passe de 19,1 à 7,9 (Zimmermann & al., 2008).

73.4.2 Maintien des bénéces de la psychothérapie De plus en plus de chercheurs s’intéressent à la question cruciale du maintien des bénéces de la psychothérapie. En première approche, lorsque les comparaisons directes s’avèrent possibles, dans le cadre d’essais cliniques randomisés en particulier, non seulement les résultats de la psychothérapie apparaissent identiques, voire supérieurs aux eets obtenus dans le cadre de plusieurs traitements médicaux et pharmacologiques fondés empiriquement (Zimmermann & al., 2008), mais ils s’avèrent en outre plus durables (Lambert & Ogles, 2004). Toutefois, même si les recherches indiquent que les patients qui ont mené à terme une démarche thérapeutique ont tendance à maintenir leurs gains (Nathan & Gorman, 2007), on dispose encore de peu de connaissances sur la nature et le degré de ce maintien au-delà d’une année. Quels changements perdurent ? Combien de temps persistent-ils ? Sont-ils substantiels ? Quelles sont les conditions de cette stabilité ? Les résultats disponibles apportent tout de même des éclairages intéressants. En particulier, les gains tendent à se maintenir même dans le cas de troubles chroniques sévères. Les recherches auprès de personnes sourant de trouble de la personnalité limite montrent que, trois ans après l’arrêt d’un processus de thérapie mené à terme, certaines améliorations se sont maintenues (p. ex., une mentalisation enrichie, une diminution des pensées suicidaires et des comportements d’automutilation). Pour plusieurs problèmes, ce maintien semble lié à l’existence d’un suivi à long terme relativement minimal. Dans le cadre de psychothérapies combinées à une médication pour le traitement de la dépression majeure, Roth & Fonagy (2005) font état d’un maintien à long terme des gains associés, par exemple lors d’un suivi de 10 séances sur huit

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73.4.4 Durée d’une psychothérapie efcace La question de la durée de la psychothérapie fait l’objet de recherches depuis les années 1980. Les gestionnaires et les tiers payeurs sont à l’aût des résultats de recherche les plus récents,

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même fragmentaires, pour établir leurs politiques de remboursement de services. Lambert & Ogles (2004) rapportent comment les résultats d’une méta-analyse comprenant 2 431 patients, sur l’ensemble des études prises en compte, ont pu être utilisés à de telles ns. Les plans de thérapie retenus dans la méta-analyse se limitaient à des mesures générales pré- et post-traitement pour déterminer le taux d’amélioration de patients. Dans ce cadre, les résultats suggéraient qu’une amélioration importante des symptômes survenait pour : • 53 % des patients après huit séances hebdomadaires ;

• 75 % après 26 séances ; • 83 % après 52 séances. La norme de huit séances a été adoptée par plusieurs services de santé mentale au Canada et aux États-Unis. Au Québec, la plupart des services psychologiques oerts dans le cadre de programmes d’aide aux employés ne dépassent pas la norme de huit séances environ. Plusieurs chercheurs soulignent que les mesures globales pré- et post-traitement ne sont que des mesures partielles de la trajectoire de changement individuel des patients. Dans une série d’études, dont l’une concernait 6 072 patients de milieux diversiés, Lambert (2007) apportent des précisions sur cette question complexe et formulent plusieurs nuances. Ils recommandent tout d’abord d’établir des taux de progrès thérapeutique en fonction du diagnostic. À cette n, ils utilisent une méthodologie en mesure de permettre le suivi de l’évolution des patients à chaque séance et ils montrent que : • après 21 séances, 50 % des patients connaissent un changement clinique signicatif ;

• après 52 séances, l’amélioration est signicative pour 75 % des patients. En outre, ces taux varient selon la gravité du problème. Ainsi, pour les troubles de la personnalité, les 52 séances ne permettent qu’à 59 % des patients de connaître des améliorations signicatives. La question de la durée pertinente des psychothérapies est donc loin d’être résolue. La sagesse voudrait alors que ces résultats de recherche ne soient utilisés comme critères de planication de services qu’avec prudence. Cependant, la tendance actuelle ne semble pas aller dans ce sens. De toute évidence, de nombreux patients ne reçoivent pas les services dont ils ont besoin dans le cadre des pratiques courantes, de celles, en particulier, qui ont établi une norme de huit séances. Donc, à ce stade de nos connaissances, il semble prématuré de conclure sur un nombre précis de séances pour les patients présentant des troubles de la personnalité ou des dicultés d’attachement. De nombreuses recherches recommandent en eet – sur ce dernier point qui voit l’application de la théorie de l’attachement à la psychothérapie faire l’objet d’un corpus croissant de publications (Obegi & Berant, 2009 ; Slade, 2009) – que les enjeux d’attachement soient pris en compte pour mieux déterminer le type et la durée des thérapies (Westen & al., 2006). Pour soutenir le psychothérapeute en ce sens, des instruments permettant d’évaluer les styles d’attachement et la qualité de la mentalisation sont disponibles. Certaines évaluations de l’attachement adulte se font à partir d’autoévaluations qui mesurent avec abilité les styles liés à l’anxiété et à l’évitement. Les questionnaires les plus utilisés sont ceux de Grin & Bartholomew (1994), Bartholomew & Horowitz (1991), Hazan et Shaver (1987) et celui de Brennan et de ses collaborateurs (1998). À partir

des travaux de Main et ses collaborateurs (2003), de George et ses collaborateurs (1996) et de Ainsworth et ses collaborateurs (1978), d’autres chercheurs cliniciens proposent une approche narrative fondée sur un entretien semi-structuré portant sur des expériences d’attachement (Steele & al., 2009). Ces entretiens sont enregistrés, transcrits et, par la suite, cotés pour classier et caractériser le type d’attachement et la qualité de la mentalisation. Une adaptation de cette méthodologie a été développée et validée pour les enfants (Shmueli-Goetz & al., 2008). Des procédures de nature projective sont fréquemment utilisées pour évaluer les styles d’attachement chez l’enfant (Rutter & al., 2009).

73.4.5 Détérioration en cours de psychothérapie Malgré l’ecacité reconnue de la psychothérapie, on constate que de 5 à 15 % des patients voient leurs symptômes empirer à la suite d’une psychothérapie, et cela, quel que soit le type de thérapie (Lambert, 2007). Même si ce fait est connu depuis longtemps, les thérapeutes ne devraient jamais sous-estimer ces eets négatifs dans leur pratique. Au-delà de moments diciles ponctuels vécus en thérapie par tout thérapeute, comment expliquer que la condition de patients non seulement ne s’améliore pas, mais, pire encore, se détériore à la suite d’une psychothérapie ? Des variables comme la gravité des problèmes et des dicultés personnelles et interpersonnelles du patient ont souvent été évoquées. D’autres ciblent l’utilisation de thérapies inappropriées, voire potentiellement dangereuses (Lilienfeld, 2007). Considérant l’ensemble des recherches élaborées qui se sont penchées sur ce problème, l’explication des eets négatifs semble se présenter de façon plus nuancée et plus contextualisée. Elles font apparaître une liaison de ces eets négatifs tant aux variables relatives aux patients, qu’à l’application des techniques, à la relation et aux thérapeutes. Au-delà et en deçà d’une liste de variables isolées, plus on approfondit l’étude de cette question, plus on découvre la complexité de l’interaction des variables touchant autant le patient que le thérapeute, les techniques et la relation. Sans être exhaustif, on peut conclure que, quelle que soit l’approche thérapeutique, plus un thérapeute adhère à une application rigide d’une technique, plus l’alliance décroît et plus des eets négatifs sont observés (Castonguay & al., 2010). Des études ont montré que certains comportements de la part du thérapeute étaient également corrélés à des résultats plus faibles. Ainsi, pour ne prendre que quelques exemples, certaines interventions sont clairement néfastes à la relation patient-thérapeute (Lilienfeld, 2007) : • des attitudes contrôlantes, voire accusatrices ; • l’usage d’un discours trop confrontant ; • une mauvaise gestion des reformulations ; • des interprétations conictuelles avec la vision du patient ; • une mauvaise gestion des réactions contre-transférentielles ; • des révélations personnelles inappropriées sur le vécu du thérapeute. Comme le montrent les recherches et la pratique clinique, des uctuations et des ruptures relationnelles sont inévitables (Safran & Muran, 2000). Il est en eet impossible à un psychothérapeute de répondre à tous les espoirs relationnels et à toutes les attentes des patients. En particulier lorsque l’on sait qu’un nombre important d’entre eux n’ont que peu, voire jamais vécu de tels liens ables. En ce sens, l’alliance thérapeutique a donc

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aussi un potentiel de retraumatisation quand le psychothérapeute déçoit les espoirs relationnels du patient et, plus encore, quand il n’arrive pas à restaurer un lien émotionnel de conance. Plusieurs questions bénécieraient de l’avancée des recherches dans ce domaine, parmi lesquelles celles des critères de choix d’un traitement pour un patient, des critères de sélection des candidats pour les études en psychologie clinique et en psychiatrie, et celle de la nature des programmes de formation dans ces disciplines (Hubble & al., 2009).

En plus d’un siècle, le domaine de la psychothérapie a connu des développements considérables, plus encore dans les dernières années. On cherche à développer des thérapies psychologiques appuyées empiriquement non seulement en laboratoire, mais avant tout dans la pratique, ce qui conduit à l’idée de thérapies fondées sur des principes appuyés empiriquement. La pratique responsable de la psychothérapie repose alors sur l’intégration simultanée des données les plus probantes et de l’expertise clinique du thérapeute. Une pratique fondée sur les données probantes dépasse largement les résultats des seuls essais cliniques randomisés. Elle inclut une diversité méthodologique qui va des paradigmes quantitatifs de groupe aux études de cas cliniques et aux approches qualitatives (Norcross & al., 2006). L’intégration des données probantes et de l’expertise clinique pose de nouveaux problèmes, en particulier celui lié au constat qu’une majorité de psychothérapeutes ont besoin d’une rétroaction externe et, plus encore, de supervision clinique pour viser l’ecacité thérapeutique.

Ce chapitre pose un certain nombre de questions sur lesquelles on peut conclure. La psychothérapie est un traitement non seulement ecace mais aussi rentable (Zimmermann & al., 2008). L’ecacité et le changement thérapeutiques apparaissent liés intimement à l’impact des techniques, aux caractéristiques du psychothérapeute, du patient et de leur relation. Au cœur de tout processus thérapeutique repose la régulation d’un dialogue émotionnel entre deux personnes. Elle leur permet d’eectuer des tâches thérapeutiques liées à des objectifs. Les psychothérapeutes ecaces sont en mesure : • de comprendre et de conceptualiser l’expérience subjective du patient, à partir d’une disponibilité émotionnelle à soi et à l’autre et d’une écoute du monde expérientiel unique du patient ; • d’établir et de restaurer une alliance thérapeutique favorisant l’engagement émotionnel ; • de s’engager dans un processus continu de réexion relatif à leur autorégulation, à la régulation de l’interaction et à leur impact pour guider le choix d’interventions optimales ; • de maîtriser, pour les utiliser dans le cadre uide qui vient d’être déni, des techniques spéciques et pertinentes, si possible appuyées empiriquement. En reconnaissant le caractère subjectif et intersubjectif de la rencontre thérapeutique où toute intervention prend sens, les techniques et les processus relationnels, l’émotionnel et le rationnel, le professionnel et le personnel peuvent être recongurés au-delà des dichotomies et des polarités entre les techniques et les facteurs communs.

Lectures complémentaires B, K. & S, P.R. (1998). « Methods of assessing adult attachment », dans J. A. Simpson & W. S. Rholes (dir.), Attachment eory and Close Relationships, New York, NY, Guilford Press, p. 25-45. C, L. G. & H, C. (2012). Tranformations in Psychotherapy: Corrective Experiences Across Cognitive Behavioral, Humanistic and Psychoanalytic Approaches, Washington, DC, American Psychological Association. C, L. G. & O, T. F. (2013). Psychopathology : From Science to Clinical Practice, New York, Guilford Press.

1586

C, O. & M-C, M. (2013). Les bases de la psychothérapie : Approche intégrative et éclectique, 2e éd., Dunod, Paris. D, B. L. & al. (2009). Heart and Soul of Change, Washington, DC, American Psychological Association. F, P. (2001). « Développement de la psychopathologie de l’enfance à l’âge adulte : le mystérieux déploiement des troubles dans le temps », La psychiatrie de l’enfant, 22(442), p. 333-369. F, P. & al. (1996). « e relation of attachment status, psychiatric classication, and response to psychotherapy », Journal of Consulting and Clinical Psychology, 64, p. 22-31.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

L, C. & L, T. (1999). « Au-delà et en deçà des thérapies cognitives pour les personnes souffrant de troubles mentaux graves : Les facteurs communs », Santé mentale au Québec, 24(1), p. 5-12. S, L. A. & al. (1999). « Implications of attachment theory for developmental psychopathology », Development and Psychopathology, 11, p. 1-13. T, J.M. & T, M. (2007). Évaluer les psychothérapies. Méthodes et pratiques, Paris, Dunod. VB, G. R. (2007). APA Dictionary of Psychology, Washington, DC, American Psychological Association.

CHA P ITR E

74

Thérapie psychodynamique Prometheas Constantinides, M.D., FRCPC

Claude Blondeau, M.D., FRCPC, M. Ps.

Psychiatre, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Psychiatre, Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal

Professeur adjoint de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeur adjoint de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

74.1 Historique et bases théoriques .................................. 1588 74.1.1 Concepts freudiens ............................................. 1588 74.1.2 Transfert ....................................................1588 74.1.3 Contre-transfert .................................................. 1588 74.1.4 Mécanismes de défense...................................... 1589 74.1.5 Contributions des auteurs postfreudiens ....... 1589 74.2 Formation des thérapeutes ........................................ 1598 74.3 Application clinique.................................................... 1598 74.3.1 But de la thérapie psychodynamique .............. 1598 74.3.2 Détermination de l’indication........................... 1598 74.3.3 Établissement d’un cadre thérapeutique......... 1599 74.3.4 Utilisation des habiletés de base....................... 1599 74.3.5 Utilisation des habiletés avancées .................... 1600 74.3.6 Variations du cadre thérapeutique................... 1604

74.4 Indications et contre-indications .............................. 1605 74.4.1 érapie psychodynamique .............................. 1605 74.4.2 Psychanalyse......................................................... 1606 74.5 Résultats selon les données probantes ..................... 1606 Lectures complémentaires .................................................... 1608

L

a thérapie psychodynamique constitue un regroupement d’approches psychothérapeutiques comprenant notamment la psychanalyse, la psychothérapie psychodynamique à long terme (PPLT) et la thérapie psychodynamique brève (TPB). Ce chapitre touche les aspects cliniques à considérer en approche psychodynamique, en particulier la question du transfert et de son corollaire, le contre-transfert, dont la découverte a marqué un tournant important dans la pratique de la psychiatrie en général et de la psychothérapie psychodynamique, qu’on appelle aussi « thérapie dynamique », pour abréger.

74.1 Historique et bases théoriques Ces formes de thérapies ont pris naissance à la suite des travaux de Sigmund Freud qui, au tournant du e siècle, a postulé que l’inconscient inuençait profondément la vie psychique consciente et le développement des symptômes psychiques, ce qui a transformé radicalement notre façon de concevoir l’esprit humain. Déçu par l’hypnose, à laquelle il avait eu recours initialement pour traiter les patientes sourant d’hystérie, Freud élabore une nouvelle méthode pour traiter les névroses : la psychanalyse. Laissant de côté la suggestion, il demande plutôt aux patients de parler le plus librement possible (par associations libres), sans aucune censure, dans le but d’amener à la conscience des éléments de vie conictuels et refoulés. Les conits inconscients et les mécanismes de défense utilisés pour gérer l’anxiété suscités par les conits et le transfert développé face au psychanalyste sont ensuite analysés, avec pour objectif de faire disparaître les symptômes névrotiques. Une nouvelle approche de la psychopathologie venait de voir le jour.

74.1.1 Concepts freudiens Voici les aspects théoriques de la conceptualisation freudienne : • le Conscient, le Préconscient et l’Inconscient (première topique) ; • le Ça (Id), le Moi (Ego) et le Surmoi (Superego) (deuxième topique) ; • les conits intrapsychiques ; • les stades psychosexuels (oral, anal, œdipien). Dans le langage psychanalytique :

• le sujet, c’est le Moi, le Je, ce que je ressens ; • l’objet, c’est tout ce qui est extérieur au Moi : les parents, les



personnes, les choses (agréables ou désagréables), mais mes propres pensées et émotions peuvent aussi devenir des objets internes que j’observe, que j’étudie ; une représentation est l’idée que l’on se fait de quelque chose, ce qui relève de la conscience, mais Freud utilise le terme de « représentation » en l’appliquant à la pulsion, c’est la manifestation de la pulsion, son émanation, une entité psychique, mais qui ne parvient pas à la conscience. La théorie psychanalytique de Freud est présentée en détail au chapitre 9, à la sous-section 9.2.1.

1588

74.1.2 Transfert On qualie de « transfert » les émotions, les attributs, les qualités d’une gure signicative du passé – souvent un parent – que le patient projette sur le thérapeute. Il s’agit d’une « répétition de prototypes infantiles vécue avec un sentiment d’actualité marqué » (Laplanche & Pontalis, 2002). Le patient fait ainsi jouer inconsciemment au thérapeute le rôle de gures parentales telles qu’il les a perçues subjectivement dans son passé. Le transfert peut être positif ou négatif selon qu’il se caractérise de façon prédominante par des sentiments tendres ou hostiles à l’égard du thérapeute. Par exemple, un patient qui ne peut s’exprimer devant son thérapeute sans se sentir jugé peut avoir développé un transfert paternel envers lui si la relation avec son père s’est inscrite sous le sceau de la persécution durant son enfance. Les manifestations transférentielles peuvent également se mettre au service de la résistance en s’opposant à la remémoration du matériel psychique refoulé. Plutôt que de se souvenir, le patient reproduit alors (inconsciemment), dans le transfert, certains conits qui échappent à sa mentalisation, ne prenant pas conscience au départ du fait que les sentiments éprouvés à l’égard du thérapeute sont en réalité inuencés par la nature spécique des liens entretenus avec une ou plusieurs gures signicatives de son passé. Initialement jugé par Freud comme un obstacle important au travail psychothérapeutique, le transfert a, par la suite, été considéré comme un instrument thérapeutique puissant et son interprétation occupe maintenant une place primordiale au cœur de toutes les thérapies psychodynamiques.

74.1.3 Contre-transfert Le contre-transfert englobe l’ensemble des réactions aectives, cognitives et comportementales du thérapeute envers son patient. Il résulte en général d’un amalgame entre les enjeux transférentiels propres au thérapeute (c.-à-d., le transfert du thérapeute face à son patient) et les manifestations induites plus spéciquement par les caractéristiques psychodynamiques du patient. Cette origine double du contre-transfert permet de distinguer : 1. Le contre-transfert indirect, qui survient « lorsque l’objet qui mobilise le contre-transfert du thérapeute ne provient pas du patient lui-même mais d’autre chose » (Etchegoyen, 2005). On peut citer comme exemple le jeune thérapeute en formation qui, plongé dans la rencontre avec l’un de ses premiers patients, se trouve absorbé et distrait par des pensées gravitant autour des commentaires que son superviseur pourrait dire de sa conduite lors de la prochaine supervision. On voit dans cet exemple combien le patient n’est pas le principal agent responsable des aects et des pensées qui habitent le jeune thérapeute à ce moment. Dans ce cas-ci, la réaction contre-transférentielle (critique anticipée de sa conduite par le superviseur) peut s’inscrire dans le cadre d’une réaction aective « normale » pour la majorité des thérapeutes débutants. Les phénomènes contre-transférentiels indirects incluent également le propre transfert du thérapeute envers son patient, ce dernier évoquant alors une gure signicative de son passé. Les dicultés émotionnelles et les conits internes non résolus du thérapeute peuvent alors inltrer et colorer de façon plus ou moins signicative ses perceptions du patient. Il s’agit alors d’une réaction spécique et unique

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

face au patient, façonnée par les expériences relationnelles antérieures du thérapeute. Les contre-transferts du thérapeute varient en fonction des caractéristiques réelles (physiques, psychologiques ou autres) du patient et leur ressemblance avec des gures signicatives du passé de la vie du thérapeute. Cette constatation souligne l’importance pour le thérapeute de mener à terme une démarche d’analyse personnelle suffisamment approfondie qui lui permettra d’identifier ses propres réactions contre-transférentielles, de façon à pouvoir les distinguer des réactions suscitées par la dynamique du patient. Dans le cas clinique du jeune thérapeute décrit plus haut, l’analyse personnelle (ou la supervision elle-même) pourrait révéler combien les pensées intrusives autour de la peur d’être critiqué procèdent d’une relation entretenue avec une gure parentale sévère et rigide durant l’enfance de ce thérapeute. Cette prise de conscience peut favoriser une meilleure écoute du patient. 2. Le contre-transfert direct, qui est induit principalement par le patient et, tout particulièrement, par la nature du transfert de ce dernier. Par exemple, face à un patient névrotique aux prises avec des angoisses de castration importantes par des gures paternelles d’autorité, un thérapeute peut être habité par une crainte excessive de le blesser par ses interprétations. Parmi les contre-transferts directs, il est utile cliniquement de se référer à deux sous-types de contre-transferts décrits par Racker (1953), selon la forme d’identication qui prédomine chez le thérapeute : – Dans le contre-transfert concordant, le thérapeute s’identie au principal état émotionnel du patient. On peut dire alors que le thérapeute identie son Moi avec le Moi du patient. Cette forme de contre-transfert facilite généralement l’empathie du thérapeute. Par exemple, si le patient se décrit comme la victime d’une mère qui ne cesse de l’humilier, le thérapeute peut ressentir des émotions de honte et même éprouver de la sympathie pour lui. – Dans le contre-transfert complémentaire, le thérapeute s’identie plutôt aux objets internes du patient, avec lesquels le Moi du patient est en relation. Par exemple, le thérapeute de la situation clinique précédente peut être progressivement poussé à formuler des critiques injustiées à l’égard de son patient, s’identiant ainsi à la mère dénigrante (objet maternel intériorisé) décrite par le patient, et risquer de provoquer chez ce dernier les sentiments de honte tant redoutés, avec lesquels le thérapeute ne serait, dans ce cas-ci, que très peu en contact. Dans cette forme de contre-transfert, le thérapeute est souvent conduit à s’identier à des parties rejetées, clivées et projetées du patient. Cette conceptualisation du contre-transfert s’inspire largement de la théorie des relations d’objet, qui est abordée plus loin (voir la sous-section École des relations d’objet). Bien que le contre-transfert puisse par moment représenter un obstacle à la poursuite de la thérapie, il constitue, s’il est bien perçu par le thérapeute, une source précieuse d’information sur le monde intérieur du patient et sur la nature des conits à l’origine de ses sourances. D’où l’importance pour le thérapeute d’être sans cesse à l’aût des réactions aectives que le patient suscite en lui.

74.1.4 Mécanismes de défense Initialement découverts par Sigmund Freud, qui s’est intéressé au processus de refoulement, puis développés par Anna Freud et Mélanie Klein, les mécanismes de défense sont des processus psychologiques automatiques et généralement inconscients qui protègent l’individu de l’anxiété, de facteurs de stress internes ou externes tels des conits émotionnels. An de neutraliser ses conits émotionnels, la personne élabore des défenses qui maintiennent en dehors de sa conscience les idées, les sentiments, les souvenirs, les désirs ou les peurs susceptibles de représenter une menace potentielle. Ils sont classés selon leur adaptation aux exigences de la réalité extérieure (voir le tableau 74.1).

74.1.5 Contributions des auteurs postfreudiens La pratique de la thérapie psychodynamique n’a cessé d’être enrichie par les apports théoriques des psychanalystes qui ont succédé à Freud. Quatre approches plus récentes méritent d’être présentées en détail.

Psychologie du Moi (Ego psychology) Cette approche s’est attardée à décrire une série de mécanismes de défense utilisés par le Moi pour gérer les conits. L’œuvre d’Anna Freud (2005 [1936]), la lle de Sigmund Freud, foisonne tout particulièrement d’illustrations cliniques qui ont permis d’enrichir la compréhension de nombreux mécanismes de défense, par exemple l’altruisme, la sublimation, la formation réactionnelle, l’annulation rétroactive et la projection (voir le tableau 74.1). Anna Freud a mis l’accent sur l’importance de comprendre et d’interpréter les défenses dans le travail psychothérapeutique. Elle est également connue pour avoir décrit le mécanisme de l’identication à l’agresseur. Cette modalité défensive s’établit en deux temps : 1. Elle débute par une imitation inconsciente de l’agresseur : l’individu se transforme de menacé à menaçant, ce qui amène un renversement des rôles. 2. Puis, il y a projection à l’extérieur des pulsions ou des aects interdits (p. ex., la peur, l’impuissance, etc.). Devenir ainsi celui qui fait peur permet de maîtriser la peur. Son expression la plus banale se retrouve dans les jeux enfantins : jouer au monstre, au policier et au bandit, au docteur, etc. Un tel travail sur les défenses a pour but de mettre en évidence les désirs et les conits sous-jacents, de diminuer la résistance au changement, mais aussi d’échanger des défenses plus primitives pour des défenses plus matures et d’assouplir le caractère des patients. Les mécanismes de défense ont été catégorisés selon une hiérarchie adaptative (Vaillant, 1977). Les défenses immatures sont associées à un bas niveau de fonctionnement, alors que les défenses matures sont associées à un fonctionnement plus sain (Perry, 2007). C’est toutefois Hartmann (1968) qui, en reformulant la théorie freudienne, a été le véritable chef de le du mouvement de l’Ego psychology. Il a notamment développé l’idée d’un « Moi libre de tout conit » et la psychanalyse, sous son égide, a surtout été dénie comme une méthode d’adaptation du Moi à la réalité. La psychologie du Moi est présentée en détail au chapitre 9, à la sous-section 9.2.2.

Chapitre 74

érapie psychodynamique

1589

TABLEAU 74.1 Mécanismes de défense

Mécanismes de défense

Dénition

Exemple

Niveau adaptatif élevé

Les défenses de ce niveau accroissent la gratication et autorisent pour la personne, la perception consciente de ses sentiments, de ses idées et de leurs conséquences tout en permettant de répondre à ses conits émotionnels et aux affects associés.

Afliation

La personne se tourne vers les autres pour rechercher du soutien ou de l’aide. Elle a la capacité d’avoir recours à autrui.

Altruisme

La personne satisfait ses propres besoins en répondant aux • « Ça me fait du bien d’aider quelqu’un qui se trouve dans besoins des autres. Le conit tourne autour d’une détresse la position que j’avais moi-même trouvée si difcile. » liée à des situations stressantes de son passé, dans lesquelles elle n’a pas trouvé toute l’aide nécessaire.

Anticipation

La personne anticipe les conséquences émotionnelles de problèmes à venir et ressent une détresse en se représentant des idées et des affects stressants. Ce scénario anticipatoire, cette répétition mentale permettent néanmoins à la personne d’élaborer une réponse plus adaptée au conit qui peut survenir et à l’angoisse qu’elle pourrait affronter.

• Une personne essaie d’imaginer diverses réactions probables chez ses parents avant de leur annoncer une nouvelle difcile. • Un amoureux se prépare en choisissant un lieu où il sera à l’aise pour rencontrer sa belle ; il apprend par cœur la déclaration qu’il compte lui faire, se prépare à réagir à ses remarques en imaginant des réponses.

Afrmation de soi

La personne exprime directement ses pensées et ses sentiments de manière à atteindre ses objectifs.

• Un individu s’afrme clairement dans une situation sociale, sans être coercitif ni manipulateur. Par la suite, il ne montre aucun signe de honte ou de culpabilité.

Humour

La personne met de l’avant des aspects amusants ou • Au moment de commencer une présentation sur le deuil, ironiques de la situation qu’elle vit. L’humour tend à le conférencier (et les auditeurs qui s’apprêtent à l’écouter) relâcher la tension provoquée par le conit d’une manière constate que le projecteur ne fonctionne pas, ce qui suscite qui permet à tout le monde de se sentir plus à l’aise. C’est un embarras général, auquel il met n en disant avec le bien différent des commentaires moqueurs ou cinglants qui sourire : « Il faut croire que je devrai en faire le deuil ! » créent un malaise.

Introspection

La personne s’interroge sur ses propres pensées, ses sentiments, ses motivations ou ses comportements. Elle peut se voir elle-même telle qu’elle est perçue par autrui. Sa compréhension des réactions des autres à son égard s’en trouve accrue.

• Un patient décrit un épisode affectivement important et rééchit spontanément sur les implications de ses propres réactions et comportements. Il accepte l’idée d’élaborer une vision plus complète et plus exacte de lui-même.

Sublimation

La personne canalise des sentiments ou des pulsions potentiellement inadaptées vers des comportements socialement acceptables, le plus souvent de type altruiste ou spirituel. C’est la capacité de satisfaire la pulsion sans atteindre le but originel, sous forme de comportements valorisés et approuvés par le groupe social.

• Une compétitivité avec agressivité se trouve redirigée vers des compétitions sportives ou dans un travail acharné. • Des pulsions sexuelles peuvent s’exprimer au travers de la chorégraphie ou des créations artistiques. • La profession de chirurgien permet de transformer un geste à première vue agressif (incision) en action thérapeutique.

Répression

La personne évite délibérément et consciemment de penser à des problèmes, des désirs ou des expériences pénibles, mais temporairement ; c’est un report. La répression maintient à la fois l’idée et l’affect associés à un stresseur hors de la conscience (mais sans qu’il y ait refoulement dans l’inconscient) pendant que l’on s’occupe d’autre chose de plus pressant.

• Après avoir été critiqué injustement par son patron devant ses collègues de travail, l’employé décide de réprimer sa colère jusqu’à un moment ultérieur où il pourra discuter de l’événement en privé avec son patron. • Une personne « met de côté » consciemment les pensées et affects pénibles associés à des tensions conjugales récentes dans son couple pour être en mesure de se consacrer efcacement à son travail.

Niveau des inhibitions mentales

Les défenses de ce niveau maintiennent en dehors de la conscience de la personne, les idées, les sentiments, les souvenirs, les désirs ou les peurs susceptibles de représenter une menace potentielle tout en permettant de répondre à ses conits émotionnels et aux affects associés.

Refoulement

La personne expulse de sa conscience des désirs, des pensées ou des expériences pénibles. Le sentiment peut rester conscient, mais il est détaché des idées qui y sont associées.

1590

• Un individu cone ses problèmes à un ami, à une personneressource et se sent ainsi moins seul avec son problème.

• Une personne se vexe sans raison apparente envers un copain, lors d’une discussion. La personne et le copain ne comprennent pas d’où provient la colère.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

TABLEAU 74.1 Mécanismes de défense (suite)

Mécanismes de défense

Dénition

Exemple

Refoulement (suite)

La personne usant du refoulement se trouve soudainement incapable de se rappeler ou d’être consciente de souhaits, sentiments, pensées ou expériences désagréables ou dérangeantes. Les éléments émotifs demeurent présents alors que le concept associé est absent. Le refoulement protège contre la prise de conscience de son vécu.

• Un locataire « oublie » de signer le chèque du loyer qu’il remet à son propriétaire. Par cet acte manqué, sa colère refoulée envers son propriétaire se trouve ainsi révélée. • Une patiente commence à pleurer en thérapie au moment d’aborder un sujet en apparence anodin. Elle ne sait pas pourquoi elle pleure. Une représentation semble ici avoir été refoulée, laissant seul l’affect émerger à la conscience.

Déplacement

La personne déplace un sentiment ou une réponse d’un objet vers un autre. Le déplacement autorise plus facilement l’expression de l’affect et de la gratication de la pulsion, car l’objet sur lequel s’effectue le déplacement est habituellement moins menaçant que l’objet initial qui a inspiré ce sentiment.

• Au retour de sa journée de travail, un homme se fâche contre son chien ; il déplace sur lui des affects de colère éprouvés plus tôt dans la journée envers son patron et qui lui étaient alors impossible d’exprimer. • Un jeune enfant présente une peur des chevaux au moment de sa crise œdipienne, déplaçant ainsi sur l’animal ses angoisses de castration (cf. le cas du « petit Hans », longuement décrit par Freud).

Dissociation

La personne vit une altération des fonctions d’intégration de la conscience, de la mémoire, de la perception de Soi ou de l’environnement. L’affect ou la pulsion s’exprime alors hors du conscient. La dissociation sert à « dissoudre » le matériel psychique trop menaçant ou anxiogène (p. ex., abus sexuels, physiques, scènes d’horreur, etc.). Les états de transes, d’amnésie ou de dépersonnalisation font partie de cette catégorie défensive.

• Une jeune lle, victime d’attouchements sexuels répétés, a l’impression de « quitter son corps » au moment des agressions ; le phénomène de dépersonnalisation la coupe ainsi d’une expérience affective insoutenable. • Il est usuel de séparer des sentiments, des expériences pénibles, des comportements de notre mémoire consciente, en les dissociant, en oubliant.

Intellectualisation

La personne s’adonne à un usage excessif de pensées abstraites ou de généralisations pour contrôler ou minimiser des sentiments gênants. Elle parle en termes généraux, livresques ou à la troisième personne pour mettre ses émotions à distance. Elle accorde une prépondérance à la pensée abstraite pour bloquer l’émergence et la reconnaissance des affects et des fantasmes.

• À la suite d’une séparation amoureuse difcile, un patient s’exprime en ces termes : « Le concept de liaison amoureuse ne tient de toute façon plus la route dans notre société actuelle. » • Questionné par son thérapeute au sujet de sa tristesse, un patient lui répond en adoptant un ton plutôt détaché : « Ma tristesse est la conséquence inévitable des attentes extrêmes de mes parents durant mon enfance. »

Isolation de l’affect

La personne sépare les idées des sentiments qui leur étaient initialement associés. Elle perd le contact avec les sentiments associés à une situation donnée alors qu’elle reste consciente des éléments cognitifs. La fonction de l’isolation, qui accompagne souvent l’intellectualisation, sert à éloigner les affects menaçants comme la honte, le dégout, la culpabilité ou l’angoisse.

• Une personne décrit des événements difciles de façon détaillée, mais sans émotion, comme un narrateur extérieur. • Un policier fait un rapport descriptif et neutre d’une scène de crime ou d’un accident.

Formation réactionnelle

La personne substitue à un comportement, à des pensées • Un employé est obséquieux envers son patron, pour qui il ou à des sentiments inacceptables d’autres qui leur sont éprouve pourtant beaucoup de colère. diamétralement opposés. La formation réactionnelle permet • Une personne s’interdit des choses qu’elle désire en y d’éviter un sentiment de culpabilité ou peut alimenter le substituant des sentiments d’aversion (p. ex., une pudeur souhait de se sentir moralement supérieur. excessive face à la sexualité).

Annulation rétroactive

La personne utilise des mots ou des comportements visant • Une patiente dit : « Parfois, mon conjoint me rend folle ; non à corriger symboliquement des pensées, des sentiments ou ce n’est pas vrai, pas vraiment folle. » des actes jugés inacceptables. Ce mécanisme consiste à • Avant de s’exprimer, une personne énonce d’abord une annuler après coup et à considérer comme non advenu un afrmation qui annule le poids de ce qu’elle va dire ensuite : acte ou une pensée à l’origine d’un conit psychique. L’an« Je me trompe sûrement, mais... » nulation sert à diminuer des sentiments de culpabilité et à • Une patiente encore inconsciente de son transfert amoureux se protéger de la souffrance du conit. Pour l’observateur, envers son thérapeute lui dit en débutant la description de l’association d’une déclaration et son contraire rend difcile l’un de ses rêves : « Vous allez sûrement dire que cela signie l’identication de l’intention première de la personne. que j’éprouve des désirs pour vous, mais je vous annonce tout de suite que ce n’est pas le cas… » • Un patient rapporte que sa mère « est malgré tout une bien bonne personne » après avoir décrit combien il a souffert de son manque d’amour sa vie durant.

Chapitre 74

érapie psychodynamique

1591

TABLEAU 74.1 Mécanismes de défense (suite)

Mécanismes de défense

Dénition

Exemple

Niveau mineur de Les défenses de ce niveau altèrent, pour la personne, l’image de Soi, de son corps ou des autres an de réguler distorsion de l’image l’estime de soi et pour répondre à ses conits émotionnels et aux affects associés. de Soi et de l’objet (défenses narcissiques) Idéalisation

La personne attribue à soi ou à autrui des qualités exagérées. Elle a besoin d’accorder une valeur ou une puissance spéciales à un personnage dont elle dépend émotionnellement an de pouvoir sentir qu’elle peut s’appuyer sur quelqu’un d’omnipotent et omniscient qui résoudra toutes les difcultés de manière dénitive. L’idéalisation est une source de gratication ou de protection contre les sentiments d’impuissance, d’insigniance, etc.

• Une personne tire une gratication d’exploits ou de succès accomplis par quelqu’un avec qui elle a une relation. • Au cours de la première rencontre avec un thérapeute, une patiente lui dit : « Je suis convaincue que vous êtes le thérapeute qui pourra me sortir de mes difcultés, votre réputation est excellente et j’ai conance en vous… À vrai dire, vous êtes mon dernier espoir… Mes autres thérapies n’ont mené à rien ! »

Dévalorisation

La personne attribue à soi ou à autrui des défauts exagérés. C’est l’inverse de l’idéalisation. La dévalorisation de l’autre sert à stimuler son amour propre en rehaussant sa propre valeur face à un objet dorénavant dénigré ; la dévalorisation de soi peut par contre induire des commentaires compensatoires et valorisants de la part d’autrui.

• Une personne déprécie fréquemment les motivations ou les bonnes actions d’autrui de manière à neutraliser leur valeur. • Une personne se déprécie, sans raison apparente, ce qui stimule chez l’interlocuteur des remarques compensatoires ( « Mais non, tu es bon, tu as de belles qualités, etc. » ), qui réparent son amour propre.

Omnipotence

La personne répond aux conits émotionnels en agissant comme si elle possédait des capacités ou des pouvoirs supérieurs à ceux des autres. L’omnipotence protège la personne contre la perte d’estime de soi (déception, impuissance face à des stresseurs).

• Une personne exagère sa propre importance ou son pouvoir sur des événements qu’elle décrit pour éviter de s’en sentir victime. • Une personne afche une attitude du type « je peux tout faire », à l’image d’un surhomme.

Niveau du désaveu

Les défenses de ce niveau servent à désavouer les pulsions, les idées ou les sentiments de responsabilité déplaisants ou inacceptables pour la personne an de répondre à ses conits émotionnels et aux affects associés.

Dénégation, déni névrotique (mineur)

La personne répond aux conits émotionnels en se refusant • Une personne rapporte avoir été victime d’insultes à son à reconnaître la réalité de certaines expériences subjectives endroit, mais nie toute réaction négative ( « Ça m’a laissée de douloureuses pourtant apparentes pour autrui. Le déni glace » ) et tente d’échapper à toute interrogation à ce propos. est l’action de refuser la réalité d’une perception perçue • Un patient amené à l’urgence par sa conjointe après avoir comme dangereuse ou pénible pour le Moi. C’est une façon présenté une douleur importante à la poitrine refuse tout spontanée de répondre à une mauvaise nouvelle, comme examen complémentaire et demande son congé prétextant l’annonce d’un décès : « Non, ce n’est pas vrai ! » que « tout est revenu à la normale maintenant ».

Projection névrotique (mineure)

La personne attribue à tort à autrui ses propres sentiments, • Un invité qui s’ennuie dans une soirée et qui ne pense qu’à ses pulsions ou ses pensées inacceptables. La projection rejoindre son lit dit à ses hôtes « Je vais rentrer maintenant, névrotique expulse hors de la personne des émotions ou je ne veux pas vous déranger plus longtemps », attribuant des motivations désagréables ou qui la rendent trop vulnéainsi ses propres motivations à ses hôtes. rable (p. ex., honte, humiliation).

Rationalisation

La personne cherche à donner une explication cohérente, logique, acceptable, morale à une attitude, un sentiment dont elle ne perçoit pas les véritables motifs. Elle cherche à dissimuler, à elle-même et à autrui, les motivations réelles de ses propres pensées, actes ou sentiments derrière des explications rassurantes ou complaisantes, mais erronées. La rationalisation masque une motivation inacceptable qui est généralement inconsciente ou à peine consciente.

Niveau majeur de distorsion de l’image de soi et de l’objet

Les défenses de ce niveau perturbent de façon importante l’image de soi ou des autres an de répondre aux conits émotionnels de la personne et aux affects associés.

Rêverie autistique

La personne substitue une rêverie (fantaisie) diurne excessive aux relations individuelles, aux actions plus efcaces ou à la résolution de problèmes. La rêverie autistique apporte une gratication temporaire et permet,

1592

• Une personne donne plus d’explications à ses actes qu’il ne semble nécessaire. • À la suite d’une rupture amoureuse vécue de façon douloureuse, un patient dit à son thérapeute « Au fond, c’est ce qui pouvait m’arriver de mieux parce que…», alors qu’il aurait souhaité la poursuite de la relation. • À la suite d’une séance de thérapie particulièrement intense, une patiente ne se présente pas au rendez-vous suivant, justiant sa conduite à son thérapeute en évoquant « un horaire trop chargé ».

• Un adolescent se réfugie dans la lecture (romans chevaleresques ou d’aventures, etc.), la télévision ou d’autres distractions passives pour éviter et remplacer des relations réelles vécues comme trop éprouvantes.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

TABLEAU 74.1 Mécanismes de défense (suite)

Mécanismes de défense

Dénition

Exemple

Rêverie autistique (suite)

dans certains cas, d’alléger un sentiment d’impuissance. Facebook remplit aussi un peu ce rôle en donnant l’illusion de contacts humains dans la réalité virtuelle.

Identication projective

La personne attribue à tort à autrui ses propres sentiments, pulsions ou pensées inacceptables, comme dans la projection. Cependant, à la différence de la projection simple, elle ne désavoue pas totalement ce qui est projeté. Elle reste consciente de ses propres affects ou pulsions, mais elle les attribue à tort à autrui en tant que réaction légitime. Il n’est pas rare que la personne induise véritablement chez l’autre (ce dernier s’identiant alors au contenu projeté) les sentiments ou motivations qu’elle projette sur lui.

Clivage

La personne compartimente des états affectifs opposés • Une patiente hospitalisée décrit son psychiatre comme un et ne parvient pas à intégrer ses propres qualités et homme « cruel et sans aucune empathie », tandis qu’elle défauts et ceux des autres dans des images cohérentes. parle de son inrmière comme « la femme la plus sensible Ne pouvant éprouver simultanément des affects ambivaqu’elle ait jamais rencontrée » (clivage des objets). lents, la personne exclut des perceptions et des attentes • D’une séance à l’autre, une patiente se décrit tantôt comme plus nuancées de soi ou des autres du champ de ses « une ordure digne d’aucun amour », tantôt comme « une émotions conscientes. Le Soi et les objets alternent entre femme injustement célibataire, puisque dotée de tant de des positions opposées : parfois exclusivement aimant, qualités » (clivage du Soi). puissant, digne, protecteur et bienveillant, ou au contraire • Une patiente souffrant d’un trouble de la personnalité exclusivement mauvais, détestable, en colère, destructeur, limite suscite des réactions affectives très polarisées rejetant ou sans valeur. La personne ne réussit pas à parmi les membres du personnel de l’unité où elle est réaliser que ces deux volets peuvent exister chez un même hospitalisée. Certains éprouvent beaucoup de colère individu. La personne parle d’autrui en termes « tout bon ou envers elle et jugent « qu’elle n’a pas sa place à l’hôpital tout mauvais » et contredit souvent ses propres afrmations » ; d’autres la trouvent souffrante et adoptent une attitude antérieures sur les qualités et les défauts de quelqu’un, maternelle et protectrice à son égard. Lorsque ce sans gêne apparente quant aux incohérences. Le clivage phénomène est observé au sein d’une équipe traitante, répond à l’angoisse de ternir la bonne image que la il indique souvent qu’un clivage est induit par le patient. personne a des gens, en laissant leurs mauvais côtés venir Les membres du personnel sont souvent surpris de réaliser supplanter les bons. à quel point leurs perceptions du patient diffèrent de celles de leurs collègues.

Niveau de l’agir

Les défenses de ce niveau consistent à poser des actes qui court-circuitent les représentations mentales de la personne an de lui permettre d’éviter les conits émotionnels et les affects associés.

Passage à l’acte (acting-out)

La personne se tourne vers l’action (comportement incontrôlé) pour éviter d’entrer en contact avec des sentiments ou des représentations mentales désagréables d’elle-même. Il s’agit d’une défense inadaptée puisque sa motivation profonde est inconsciente. Elle n’atténue pas le conit intérieur et peut parfois entraîner des conséquences fâcheuses pour la personne ou autrui.

Agression passive

La personne sabote autrui de façon indirecte et non • Un employé qui cultive une colère sourde envers son patron combative, en utilisant des attitudes passives qui consistent tarde à lui remettre le travail demandé (procrastination), en diverses formes de résistance, d’impuissance apparente occasionnant ainsi des problèmes. ou d’évitement dans les activités et les relations interper• Un employé se présente en retard à une réunion durant sonnelles. C’est un comportement de résistance passive laquelle doit être prise une décision avec laquelle il est en ou d’obéissance réticente, un ensemble d’attitudes désaccord. Le vote doit être reporté à une réunion ultérieure, dites passives qui expriment indirectement une hostilité ce qui suscite une certaine colère dans le groupe. L’employé, cachée qui n’est donc pas assumée ou vécue. Une façade pour sa part, se sent soulagé. d’adhésion apparente voile la résistance, le ressentiment ou l’hostilité. L’agression passive vient souvent en réponse à une exigence de la part d’autrui pour réaliser des actions de performance.

• Au contact d’une patiente, un thérapeute est envahi par l’idée « qu’elle ne pourra jamais s’en sortir » et se trouve habité par un sentiment de découragement, que la patiente reconnaît aussi en elle. • Les exemples de contre-transferts directs concordants et complémentaires mentionnés dans la sous-section 74.1.2 constituent également des illustrations d’identication projective.

• Une jeune femme s’automutile après avoir vécu une expérience de rejet avec son partenaire amoureux. • Après avoir été injustement rétrogradé à son travail, un homme va au casino, s’enivre et dépense son argent de façon inconsidérée.

Chapitre 74

érapie psychodynamique

1593

TABLEAU 74.1 Mécanismes de défense (suite)

Mécanismes de défense

Dénition

Exemple

Plainte associant une demande d’aide et le rejet de cette aide (hypocondrie)

Une personne, qui se montre éplorée, formule des plaintes • Un chômeur expose un dilemme apparemment insoluble et ou des demandes d’aide répétées (symptômes physiques, rejette systématiquement toutes les suggestions du conseiller. psychologiques ou problèmes de vie) qui dissimulent en « Aidez-moi à trouver un emploi où je ne serais ni assis trop fait des sentiments d’hostilité ou des reproches à l’égard longtemps, ni trop souvent debout », accompagné d’une d’autrui. Ces sentiments d’incompréhension frustrée s’exdévalorisation des suggestions proposées. priment par contre lorsqu’elle rejette suggestions, conseils • Un patient se lance dans une litanie de plaintes physiques, ou offres d’aide apportés par son médecin. La plainte assoignorant les tentatives pour les traiter ou les comprendre ciant demande d’aide et rejet de cette aide est une défense (hypocondrie). Il demeure inquiet malgré des résultats de contre la colère ressentie par la personne lorsqu’elle tests normaux. ressent un besoin. La colère qui vient de l’expérience antérieure d’un besoin insatisfait est exprimée par le fait de refuser une aide jugée insufsante tout en continuant à en réclamer toujours plus.

Niveau psychotique

Les défenses de ce niveau altèrent le contact avec la réalité de la personne, an de répondre à ses conits émotionnels et aux affects associés.

Projection délirante

La personne attribue à autrui, à tort, ses propres sentiments, ses pulsions ou ses pensées inacceptables, comme dans la projection simple. Toutefois, la projection délirante est d’une telle intensité qu’elle est à l’origine d’un discours ou d’une construction délirante. Dans la projection délirante, le contact avec la réalité est perdu et la personne ressent clairement de l’anxiété.

• Un patient colérique afrme que tout le monde s’est ligué contre lui pour le faire échouer dans son entreprise, pour lui nuire ou lui « faire du mal ». Il est convaincu de la présence d’un complot de la part de la police ou de la maa. Ses croyances délirantes sont accompagnées d’anxiété et il se montre incapable de remettre en question ses convictions. • Un jeune homme refuse maintenant de sortir de chez lui, afrmant que les gens qu’il croise dans la rue se moquent de lui et « parlent dans son dos ». Certains inconnus discuteraient même de ses problèmes personnels.

Déni psychotique

La personne refuse de reconnaître un objet physique ou un événement réel dans son vécu actuel. C’est souvent dans ces cas qu’il faut requérir une ordonnance de traitement, car le déni psychotique empêche le patient de reconnaître qu’il met lui-même ou les autres en danger à cause de sa psychose qu’il dénie.

• Un patient nie avoir une maladie physique dont le diagnostic a été établi clairement. « Je ne suis pas malade, je suis en pleine santé », dit un patient atteint de cancer en phase avancée. • Un homme agit comme si le décès de son épouse n’avait pas eu lieu. Il continue à communiquer avec elle, à tenir compte de sa présence dans le quotidien, à lui acheter des vêtements ou des cadeaux, etc.

Distorsion psychotique

La personne altère la réalité externe de façon importante pour répondre à ses besoins. La distorsion substitue aux affects déplaisants des affects opposés, plus gratiants, au détriment du contact avec la réalité. Ceci peut prendre la forme d’une omnipotence délirante, de délires ou d’hallucinations pour satisfaire certains de ses souhaits. La personne utilisant la distorsion psychotique a tendance à agir en fonction de la néoréalité quelle s’est créée.

• Un patient afrme, malgré l’évidence du contraire, être millionnaire, propriétaire de Disney World, d’une grande corporation, etc. (délire mégalomane). • Sans preuve aucune, une patiente afrme qu’elle est aimée d’une personnalité connue, une vedette de cinéma (délire érotomane). Ces propos masquent une vie amoureuse réelle pauvre.

Retrait autistique

La personne évite tout contact avec le monde extérieur. Elle • Un jeune homme a coupé progressivement contact avec tous peut devenir mutique, « entrer dans sa bulle » et apparaître ses amis, suite à une déception amoureuse. Il passe tout insensible aux stimuli externes. Le retrait autistique peut son temps dans sa chambre à jouer à des jeux vidéo et ne également prendre la forme d’une stupeur ou de postures répond plus à aucune invitation. catatoniques. • Un homme amené aux urgences par son frère ne répond pas aux questions du médecin. Mutique, immobile, le regard xe et le visage inexpressif, il semble « ailleurs ».

Sources : Adapté de Freud (2005) ; Perry (2007) ; Vaillant (1977) ; Constantinides & Beck (2010).

École des relations d’objet L’école des relations d’objet a pris naissance à partir des travaux de Mélanie Klein (1934), psychanalyste pour enfants, qui s’est attardée à décrire les diverses représentations mentales générées par les interactions précoces entre la mère et son bébé, ouvrant ainsi la voie à un territoire encore peu exploré par les psychanalystes.

1594

La notion d’objet, telle qu’elle est utilisée dans les théories psychodynamiques, se réfère à ce qui est investi par les motions pulsionnelles d’un sujet. Durant ses premiers mois de vie, le bébé n’est pas en mesure d’appréhender l’autre dans sa totalité. On dit alors que le bébé vit dans un monde d’objets partiels, constitué principalement de parties du corps (p. ex., le sein). Après quelques mois, l’enfant peut progressivement se lier à des objets totaux,

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FIGURE 74.1 Relation d’objet : une dyade associée à un affect

c’est-à-dire perçus et vécus comme entiers et complets (p. ex., la mère plutôt que seulement le sein). Au cœur de la théorie des relations d’objet, se trouve l’idée que l’identité d’un individu se constitue progressivement à travers l’ensemble des relations d’objet qu’il internalise, c’est-à-dire qu’il intègre dans son psychisme, à partir des tout premiers mois de sa vie. Les réactions aectives d’un individu à l’égard des autres sont ainsi fortement déterminées par la nature des relations d’objet qu’il a internalisées. En grandissant, l’enfant n’internalise donc pas seulement des représentations de personnes, mais plutôt un ensemble de relations, avec tous les éléments qui les composent : le sujet lui-même, les objets et l’aect qui les relie (voir la gure 74.1). Prenons l’exemple de la faim chez le bébé : une relation d’objet positive se forme lorsque la mère répond adéquatement aux besoins de l’enfant. Cette concordance favorable entre les deux membres de la dyade permet à l’enfant de vivre une expérience agréable de Soi (enfant satisfait) et de l’objet (mère attentionnée). L’aect (plaisir associé à la satiété) qui lie les représentations de Soi et de l’objet est également positif. Lorsque l’enfant a faim, par ailleurs, et que la mère se montre régulièrement absente, une relation d’objet négative est internalisée. L’enfant a une expérience de Soi négative (enfant frustré, demandant), une expérience négative de l’objet (mère absente) et le liant aectif est associé au déplaisir (colère, anxiété). Chaque expérience relationnelle est ainsi introjectée tout au long de la vie, quoiqu’il puisse y avoir une discordance entre la relation réelle observable et la relation d’objet telle qu’elle a été vécue subjectivement par l’enfant. Ainsi, au moment où l’enfant a faim, il est possible que sa mère ne puisse répondre à ses besoins parce qu’elle est retenue ailleurs par un autre enfant (et non parce qu’elle est indiérente à ses besoins). Cela n’empêche pas l’enfant qui se sent « délaissé » d’internaliser l’image d’une mère négative, rejetante ou hostile, image qui vient s’ajouter à d’autres représentations plus positives de cette mère. Selon le contexte émotionnel, diérentes représentations de Soi et de l’objet peuvent se succéder ou s’aronter sur la scène psychique. Le conit intrapsychique est alors vécu, non

pas seulement comme une pulsion contrecarrée par un interdit, mais aussi comme des relations d’objet contradictoires (p. ex., percevoir le thérapeute tour à tour comme une mère bienveillante puis rejetante, sans qu’il y ait d’intégrations de ces deux représentations conictuelles du thérapeute) (voir la gure 74.2). Klein (1934) a également décrit deux positions auxquelles le jeune bébé se trouve confronté au cours de ses tout premiers mois de vie. 1. La position paranoïde (ou schizoparanoïde) : Cette position correspond aux modalités relationnelles objectales dans laquelle le bébé se trouve plongé de 0 à 5 mois. Durant cette période, l’enfant évolue dans un univers d’objets partiels clivés en bons et en mauvais (p. ex., le sein est vécu comme bon ou mauvais selon qu’il se présente au bon moment ou trop tard), dans lequel la diérentiation Soi/non-Soi n’est pas encore établie. Les mauvais objets, tant internes qu’externes, sont alors perçus comme des persécuteurs qui menacent l’intégrité du Moi. Face à ces angoisses massives d’anéantissement, l’enfant se défend en internalisant les bons objets (l’introjection) et en projetant les persécuteurs internes à l’extérieur de lui (la projection). C’est à travers ce mouvement défensif que l’enfant évacue sa propre agressivité (destructivité) en dehors de son monde interne, dès lors non reconnue comme sienne. Ces contenus d’angoisse (morcèlement, menace pour l’intégrité du Moi) et les mécanismes de défense qui l’accompagnent caractérisent cette première position. 2. La position dépressive : L’enfant acquiert par la suite une perception de plus en plus riche de sa mère et cette perception plus réaliste s’étend par la suite au reste du monde. D’une relation d’objet partiel (le sein), il évolue alors vers une relation d’objet total (la mère) dans laquelle « des sentiments de l’ordre de la destruction et de l’amour sont ressentis simultanément à l’égard d’un seul et même objet, et ceci provoque, dans l’esprit de l’enfant, des conits profonds et troublants » (Klein, 1934). Après avoir ressenti de la colère face à un objet frustrant

FIGURE 74.2 Relation d’objet activée dans le lien d’un patient avec son thérapeute

Chapitre 74

érapie psychodynamique

1595

(la mère), l’enfant est alors animé par la crainte d’avoir blessé l’objet et craint d’être abandonné par celui-ci. Émerge alors un important sentiment de culpabilité. Dans ces conditions, l’enfant entre dans une phase de réparation, à l’origine de processus créatifs médiés par des mécanismes de défense plus matures comme l’annulation rétroactive, la sublimation ou l’altruisme. Le dé principal de cette phase consiste à intégrer, le plus harmonieusement possible, les parties « bonnes » et « mauvaises » du Soi et des objets, de façon à ce que les mouvements pulsionnels opposés puissent coexister sans trop de conits à l’intérieur d’un même espace (ce qui représente évidemment un idéal jamais véritablement atteint). Le passage de la position paranoïde à la position dépressive constitue, selon Klein (1934), une étape cruciale dans le développement psychologique de tout individu. Ce passage n’est jamais dénitif (d’où le choix du terme « position ») et toute personne est susceptible de retourner à une position paranoïde dans sa vie, selon la nature des stresseurs auxquels elle fait face. Par exemple, un homme dont la femme vient tout juste de mourir subitement à l’hôpital (après avoir reçu des soins adéquats) peut, pendant plusieurs semaines, considérer que « tous les médecins sont des incompétents ». Ces deux positions psychiques, qui décrivent deux étapes du développement normal, ne doivent pas être confondues avec la schizophrénie paranoïde ou la dépression majeure, bien qu’elles entretiennent certaines correspondances avec ces deux psychopathologies. L’école des relations d’objet a enrichi signicativement les connaissances sur les mécanismes de défense en décrivant le clivage, l’identication projective et le déni (voir le tableau 74.1).

Psychologie du Soi C’est après avoir constaté les limites de l’approche psychanalytique traditionnelle avec certains patients présentant une problématique narcissique que Kohut (2004) a jeté les bases de la psychologie du Soi (Self psychology). Cette approche met l’accent sur un certain nombre de besoins qui, s’ils ne sont pas comblés au cours de l’enfance, peuvent entraîner un arrêt développemental et des problèmes d’ordre narcissique importants (c.-à-d. des dicultés liées à l’estime de soi). Ces problèmes se manifestent en thérapie selon divers types de transferts identiés par Kohut, les deux principaux étant : • Le transfert en miroir : Dans ce type de transfert, le patient est à la recherche de validations narcissiques de la part du thérapeute de façon à consolider une estime de soi fragile. Le thérapeute n’est alors pas pris en compte par le patient comme un objet total (c.-à-d. comme une personne ayant des besoins propres), mais plutôt utilisé comme un objet-Soi (Self-object), c’est-à-dire un objet qui est d’abord investi par le patient pour répondre à ses besoins internes et lui procurer une stabilité aective. Le transfert en miroir apparaît en thérapie chez des patients ayant vécu des carences parentales importantes sur le plan de la validation empathique (besoin de mirroring non comblé, selon Kohut). Ce type de carence peut conduire à une recherche erénée de perfection décrite par Kohut comme le Soi grandiose. • Le transfert idéalisant : Dans ce type de transfert, le patient éprouve le besoin d’idéaliser le thérapeute, qui est alors perçu

1596

comme un parent tout puissant ayant le pouvoir de soulager et de guérir. Ce transfert procède du besoin infantile de pouvoir se rapprocher et se lier à des gures à qui l’on attribue le pouvoir de calmer et de rassurer, principalement les parents (les imagos parentales idéalisées, selon Kohut). On pense par exemple à l’enfant qui court vers sa mère après une chute et qui cesse rapidement de pleurer à son contact. Les patients n’ayant pu idéaliser une ou plusieurs gures signicatives durant leur enfance sont susceptibles de développer un transfert idéalisant en thérapie. L’approche thérapeutique avec un patient sourant d’une vulnérabilité narcissique se fait donc par une reconnaissance empathique de ses besoins non comblés et vise alors à transformer le Soi grandiose en ambitions saines, et les gures parentales idéalisées, en valeurs et idéaux plus réalistes.

Théorie de l’attachement et mentalisation L’attachement est un lien fondamentalement biologique entre l’enfant et le parent qui assure la sécurité et la survie de l’enfant. L’enfant recherche donc la proximité du parent pour obtenir aide, réconfort ou soulagement. Diverses stratégies d’attachement sont adoptées durant l’enfance et demeurent stables durant toute la vie. Le type d’attachement est révélé par la réaction à la séparation d’avec la gure d’attachement. Ainsi, l’attachement peut être : • sécure : l’enfant recherche le parent lorsque ce dernier est de retour après une période d’absence ; • évitant : l’enfant semble peu anxieux durant l’absence du parent, mais il évite ou boude le parent à son retour ; • anxieux ou ambivalent : l’enfant manifeste une grande détresse durant la séparation et de la colère au retour du parent ; • désorganisé : l’enfant n’a aucune stratégie cohérente pour gérer la séparation. Les systèmes d’attachement sont présentés en détail au chapitre 59, à la sous-section 59.1.3. Les travaux de Bowlby (2002) ont directement mené à la théorie sur la mentalisation, développée par Bateman & Fonagy (2006). En eet, les capacités du parent à observer, à valider et à reéter à l’enfant son monde intérieur et particulièrement ses états aectifs, facilitent non seulement le développement d’un attachement sécure, mais aussi la capacité de mentalisation de l’enfant. La mentalisation représente l’aptitude à comprendre que les actions que l’on pose ainsi que celles posées par les autres sont régies par des états mentaux internes, comme les pensées ou les sentiments. La capacité de mentalisation se développe à travers diérentes phases au cours de l’enfance. Le développement de la mentalisation est présenté en détail au chapitre 9, à la section 9.5.

Approche structurale et niveaux d’organisation de la personnalité La notion de structure ou d’organisation de la personnalité occupe une place centrale dans la compréhension psychodynamique de la psychopathologie. Elle vient compléter le diagnostic psychiatrique classique selon le DSM (ou la CIM) en intégrant les apports cliniques et théoriques des divers courants psychodynamiques

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abordés précédemment. Nous utilisons préférentiellement le terme d’« organisation » de la personnalité plutôt que celui de « structure », soulignant ainsi le caractère dynamique et changeant des diverses modalités de la personnalité. La notion de structure peut en eet donner l’illusion que le patient se trouve « condamné » à une conguration psychologique dont il ne peut jamais s’extraire, ce qui conduit parfois à certaines formes de pessimisme thérapeutique. La notion d’organisation renvoie à plus de exibilité et se situe plus près de la réalité clinique (p. ex., un patient peut adopter un mode relationnel tantôt névrotique ou limite à divers moments de sa thérapie). Le terme de « position » est aussi parfois utilisé. L’identication du niveau d’organisation principal de la personnalité est d’un intérêt capital tant pour le diagnostic psychodynamique que pour la planication de la psychothérapie (nature du cadre, fréquence des séances, type d’approches à préconiser, nature des interventions). Trois organisations dynamiques de la personnalité sont présentées au tableau 74.2. L’organisation psychotique de la personnalité est caractérisée par : • des mécanismes de défense primitifs tels le déni, la projection, la distorsion psychotique ou le retrait autistique, qui protègent le patient contre une anxiété intense de persécution ou de désintégration au prix, toutefois, d’un échec du contact avec la réalité ; • une identité fragile, confuse (p. ex., une patiente ne parvient pas à identier ses valeurs, ses préférences sur le plan professionnel ni ce qu’elle recherche chez un partenaire amoureux, etc.) ; • une angoisse intense, voire une terreur existentielle, car les frontières entre le monde intérieur (le Soi) et extérieur (le non-Soi) sont poreuses (p. ex., le patient peut avoir l’impression que les autres peuvent lire dans ses pensées) ; • un Moi faible qui éprouve de la diculté à être témoin de Soi dans l’expérience. Sur le plan développemental, l’enjeu majeur se situe au niveau de l’acquisition d’une conance de base face à autrui et face à l’environnement.

L’organisation limite (ou borderline) de la personnalité est caractérisée par : • des mécanismes de défense immatures tels l’identication projective, le passage à l’acte (acting out), le clivage, l’idéalisation, la dévalorisation et l’omnipotence. Ces défenses servent à gérer une angoisse de séparation importante (peur de perdre l’objet) ou, à l’opposé, une angoisse de fusion (peur d’être contrôlé) lorsque l’objet se rapproche ; • des angoisses qui résultent d’un processus de séparationindividuation tombé en panne au moment où l’enfant a atteint un certain degré d’autonomie, tout en ressentant encore le besoin de parents puissants et disponibles (p. ex., un patient est envahi par des idées suicidaires à la suite d’une rupture amoureuse, convaincu « qu’il ne pourra jamais continuer à vivre sans sa conjointe ») ; • un mode de relation d’objet anaclitique (le terme anaclitique signiant « s’appuyer sur ») dans lequel le patient se repose sur l’objet de son amour, dans une nécessaire relation de dépendance à l’autre teintée d’amour et de haine ; • une représentation de Soi et de l’objet discontinue, clivée en bons et mauvais aspects ; • un contact avec la réalité généralement maintenu, sauf lorsque le sujet est confronté à des stress intenses ; • un Moi fragile, aux prises avec un besoin urgent de gratier les pulsions (selon le principe du plaisir) et une faible capacité de gestion de l’angoisse. L’organisation névrotique de la personnalité est caractérisée par : • des mécanismes de défense névrotiques et matures dont le refoulement est le plus caractéristique ; • un Moi fort, résilient, capable d’être témoin de Soi dans l’expérience (Moi observateur) ; • une identité claire, intégrée et nuancée ; un bon contact avec la réalité ; • un développement psychosexuel avancé (la conance de base et l’autonomie sont acquises) ;

TABLEAU 74.2 Trois niveaux d’organisation de la personnalité

De morcellement

D’abandon

De castration

Angoisse

De morcellement

D’abandon

De castration

Relation d’objet

Fusionnelle

Anaclitique

Triangulée

Défenses

Déni, projection, distorsion, retrait autistique

Clivage, omnipotence identication projective, idéalisation, dévalorisation

Refoulement, intellectualisation, déplacement, annulation rétroactive

Développement

Stade oral, méance de base

Séparation-individuation

Stade œdipien

Conit

Vie/mort (existentiel)

Abandon/fusion

Désirs/interdits

Contact avec la réalité

Perdu

Fluctuant

Bon

Contre-transfert

Impression de ne pas exister aux yeux du patient

Pression d’agir (associée à l’identication projective)

Plus grande liberté de penser et d’agir

Niveau de mentalisation, de capacité réexive

Équivalence psychique : la réalité mentale est la réalité externe

Phase téléologique Prémentalisation, mode de pensée ctif (pretend mode)

Mentalisation le plus souvent possible

Chapitre 74

érapie psychodynamique

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• des conits psychiques associés au stade œdipien, c’est-à-dire qui implique une triangulation psychique : rivalité pour l’amour de l’objet ou crainte de représailles (anxiété de castration) qui peuvent amener une inhibition signicative.

74.2 Formation des thérapeutes La formation des thérapeutes psychodynamiciens repose sur un « trépied classique » (Wildlöcher, 2004) : 1. Enseignement théorique au sein d’un institut de formation Les lectures personnelles et dirigées, les séminaires, les colloques et les formations plus structurées au sein d’un institut de formation fournissent initialement les bases théoriques essentielles pour organiser l’expérience parfois étourdissante de la clinique. Les centres de formation sont également un lieu privilégié d’échanges avec les autres thérapeutes, ce qui s’avère souvent une source précieuse de soutien et d’enrichissement interpersonnel. 2. Psychanalyse ou psychothérapie personnelle La démarche psychothérapeutique personnelle occupe une place centrale dans l’apprentissage de la thérapie psychodynamique. Elle vise d’abord à acquérir une meilleure connaissance de soi, des manifestations de son inconscient et de sa propre conictualité ; mais elle ore aussi la possibilité de vivre l’expérience « d’être un patient », ce qui peut favoriser le développement de l’empathie dans la pratique future. Une meilleure connaissance de soi contribue également à prévenir les passages à l’acte chez le thérapeute, ce qui lui permet d’identier plus précocement ses réactions et fantaisies contre-transférentielles. 3. Supervision Le thérapeute en formation a obligatoirement recours à un superviseur avec lequel il discute de ses suivis, initialement sur une base régulière et idéalement pendant quelques années. Plusieurs thérapeutes choisissent de maintenir une activité de supervision tout au long de leur carrière. Ce cadre privilégié permet de mettre en mots et d’organiser les diverses expériences vécues entre le thérapeute et son patient. Les supervisions facilitent le repérage de manifestations inconscientes qui échappent souvent au thérapeute au cours des séances. De façon générale, elles orent l’occasion au thérapeute d’enrichir progressivement sa compréhension psychodynamique du patient à partir de celle de son superviseur, qui bénécie d’une perspective plus « objective » face aux dicultés du patient. Plutôt qu’un simple récit des sessions de thérapie, l’enregistrement audio (et même vidéo) permet une bien meilleure supervision ; en eet, l’apprenti thérapeute peut ignorer inconsciemment ou involontairement bien des aspects verbaux et non verbaux de l’interaction en thérapie – peutêtre même parfois en dissimuler certains volontairement. L’apprentissage des thérapeutes selon ces trois axes de formation se poursuit tout au long de la pratique clinique.

74.3 Application clinique Les techniques thérapeutiques exposées dans cette section trouvent leur utilité première et leur pleine expansion dans le

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cadre formel d’une psychothérapie psychodynamique ou encore dans une psychanalyse classique. Ces techniques peuvent toutefois s’avérer utiles dans le cadre de relations thérapeutiques de natures très variées (relation médecin-patient, inrmière-patient, etc.). La visée thérapeutique propre à la thérapie psychodynamique (rendre conscient le matériel inconscient) requiert d’abord une écoute particulière de la part du thérapeute, écoute qui doit naturellement se focaliser au-delà des symptômes mis de l’avant par le patient. C’est une écoute dite « au deuxième niveau » ou « avec une troisième oreille » qui permet de déceler le désir, la pulsion derrière l’énoncé factuel. Cette disposition particulière à l’égard du patient peut s’avérer plus ou moins facile à adopter en fonction de la formation et des croyances du thérapeute. La formation médicale, par exemple, vise l’acquisition d’un mode de pensée principalement orienté vers la recherche de symptômes objectifs et l’établissement d’un diagnostic dans le but d’orir un traitement spécique. Il en va tout autrement dans la pratique de la thérapie psychodynamique, où une place importante est accordée à la subjectivité du patient et du thérapeute. Le type d’écoute mis en place dans la pratique de la thérapie psychodynamique n’est donc pas « naturel ». Il nécessite un eort soutenu de la part du thérapeute pour être maintenu tout au long de la session.

74.3.1 But de la thérapie psychodynamique Les thérapies psychodynamiques s’articulent autour du postulat de base selon lequel les symptômes présentés par le patient ont un sens, et qu’ils révèlent la présence de conits intrapsychiques inconscients contre lesquels il se défend et qui sont à l’origine de ses sourances. C’est la raison pour laquelle l’attention du thérapeute dynamicien n’est pas focalisée sur les symptômes en soi, ces derniers étant plutôt considérés comme « la pointe de l’iceberg » d’un problème plus profond à explorer. La thérapie psychodynamique vise donc principalement à révéler progressivement au patient la nature de ses conits inconscients de façon à favoriser la résolution de ses symptômes.

74.3.2 Détermination de l’indication La plupart des thérapeutes proposent d’abord quelques entretiens préliminaires, généralement entre une et quatre séances, aux patients qui leur formulent (directement ou indirectement) une demande de psychothérapie. Ces rencontres visent à préciser la nature de la demande d’aide et à déterminer si une thérapie d’orientation psychodynamique peut être indiquée dans le cas de ce patient. C’est au cours de ces rencontres que l’évaluation psychodynamique initiale est complétée. Le thérapeute tente alors de comprendre le mode de fonctionnement psychique du patient à travers son histoire, la description qu’il fait de ses symptômes, la nature du lien qu’il entretient avec lui durant les rencontres et les réactions qu’il manifeste à ses interventions durant les séances d’évaluation. Le thérapeute identie aussi les principaux mécanismes de défense utilisés par le patient, la nature de sa conictualité intrapsychique, le type d’angoisse dont il soure, et sa capacité d’introspection. Au terme de ces entretiens préliminaires, le thérapeute transmet généralement sa compréhension des difficultés exposées. La nature de cette transmission est modulée en fonction du niveau d’organisation psychique du patient (p. ex., une interprétation jugée trop confrontante n’est pas formulée à un patient présentant une importante vulnérabilité psychotique ou un niveau d’introspection

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trop pauvre). Elle tient compte également de la modalité de psychothérapie envisagée pour le futur (p. ex., un thérapeute se montre beaucoup plus parcimonieux dans le partage de sa compréhension s’il envisage de proposer une psychanalyse à ce patient). À la suite de l’évaluation initiale, le thérapeute peut conclure que le patient gagnerait à être traité par une autre approche, ou encore qu’une psychothérapie n’est tout simplement pas indiquée. Si une indication de thérapie psychodynamique est posée et si le patient consent toujours à s’engager dans cette démarche, la possibilité de commencer une thérapie peut être envisagée.

74.3.3 Établissement d’un cadre thérapeutique Il convient alors d’établir un cadre de travail clair dans lequel la psychothérapie peut s’inscrire. Cette étape, essentielle au déroulement ultérieur de la thérapie, établit en quelque sorte un contrat initial auquel le patient et le thérapeute se référeront tout au long du traitement. C’est dans les limites de ce cadre que se dérouleront tous les changements liés au processus thérapeutique. Au cours des entretiens préliminaires, le patient a pu faire l’expérience d’un cadre de travail se rapprochant sensiblement de celui proposé en thérapie. La nature de cette expérience conditionne en partie sa décision de s’engager ou non dans ce type de processus thérapeutique. De son côté, le thérapeute a eu l’occasion d’observer les réponses du patient à l’égard du cadre de travail instauré au cours des séances d’évaluation. Comme on le verra plus loin, la nature des réponses du patient constitue un facteur important pour déterminer l’indication d’une psychothérapie psychodynamique. De nombreux éléments concrets sont associés au cadre dit « externe » : le lieu, la durée, l’horaire, la fréquence ainsi que le coût des séances en font partie intégrante. Une thérapie psychodynamique comporte en moyenne une à deux séances par semaine, chaque séance ayant une durée xe prédéterminée (généralement entre 40 et 60 minutes). La nature du dispositif thérapeutique choisi appartient également au cadre externe. La thérapie psychodynamique se déroule généralement en face-à-face. La psychanalyse a plutôt recours au dispositif divan-fauteuil (le psychanalyste s’asseyant dans un fauteuil situé derrière le divan sur lequel le patient s’allonge, an de se soustraire au regard de ce dernier et favoriser le processus de libre association). La disposition du mobilier et du matériel dans l’espace thérapeutique (présence d’objets personnels du thérapeute, horloge à portée de vue du patient, ou non, etc.) est généralement déterminée à l’avance par le thérapeute et peuvent varier d’un patient à l’autre. La durée anticipée de la thérapie peut également être précisée et constitue un élément important du cadre. Certaines formes de psychothérapie psychodynamique brèves comportent un nombre de séances prédéterminé (p. ex., la thérapie en temps limité de Mann se limite à un total de 12 heures). On établit alors un objectif de travail au début de la thérapie. Il existe évidemment autant d’objectifs de thérapie qu’il existe de patients. Par exemple, l’un souhaite explorer les raisons pour lesquelles il multiplie depuis toujours les échecs amoureux ; un autre veut comprendre les origines de sa faible estime de soi qui limite son plein épanouissement au travail. Lorsqu’un objectif de travail est déterminé, il revient au thérapeute de s’assurer que les échanges

durant les rencontres ne s’en écartent pas trop, surtout si le patient tend à digresser facilement. Parfois, le thérapeute et le patient conviennent d’une durée indéterminée. L’objectif est alors moins ciblé et vise des changements de personnalité plus extensifs ; le patient choisit plus librement les thèmes qu’il souhaite aborder lors des séances. Il s’agit alors de thérapies psychodynamiques à long terme ou de psychanalyse classique. Les éléments du cadre externe peuvent évidemment être modiés ultérieurement durant la thérapie, mais il faut toujours, au préalable, examiner le sens associé à la demande de modication. En eet, il n’est pas rare que des motivations inconscientes poussent certains patients à vouloir modier le cadre convenu initialement. Par exemple, un patient demande à réduire la fréquence de ses séances de thérapie au moment où des thèmes plus « chargés aectivement » y sont abordés, en prétextant être « trop occupé à son travail ». On comprend alors l’importance de chercher d’abord à élucider la signication sous-jacente à cette demande. Sans cadre préalablement déni, il peut être plus dicile pour le thérapeute d’interpréter ce type de demandes fréquemment formulées au cours d’une thérapie. Dénir le cadre avec le patient signie également convenir avec lui des moyens thérapeutiques privilégiés pour l’aider. Moins concrète, cette dimension se réfère à la nature de la méthode de travail que le thérapeute et le patient s’engagent à respecter (p. ex., en psychanalyse, les associations libres du patient et l’attention ottante du thérapeute, ou encore, focalisation prioritaire sur les manifestations transférentielles/contre-transférentielles). Idéalement, le patient en a fait en partie l’expérience au cours des entretiens préliminaires d’évaluation. Cette dimension du cadre (dite parfois « interne ») gagne à être explicitée le plus clairement possible dès le départ, de façon à éviter tout malentendu. Par exemple, le patient ne doit pas s’attendre à être guidé par la prescription de « devoirs » tout au long de la thérapie (comme cela peut être le cas dans une approche cognitivo-comportementale). On l’invite plutôt à élaborer librement sur ses rêves, ses fantasmes et ses états aectifs, ce qui intéresse surtout le psychanalyste.

74.3.4 Utilisation des habiletés de base Indépendamment de l’approche utilisée, la psychothérapie exige plusieurs habiletés de base. L’écoute empathique constitue sans doute l’habileté la plus fondamentale à développer, à la fois la plus simple en apparence et la plus dicile à maîtriser. Elle consiste en la capacité d’adopter le point de vue du patient pour mieux comprendre sa façon de percevoir le monde, tant au niveau de ses pensées que de son vécu aectif. Lorsqu’elle est appliquée correctement, cette écoute procure généralement au patient le sentiment d’être entendu et compris à un niveau profond. Elle dière de l’écoute sympathique dans laquelle le thérapeute s’identie totalement au patient et « oublie » pour ainsi dire son rôle de thérapeute, trop envahi alors par les émotions du patient. L’écoute empathique, par le lien de conance qu’elle permet d’établir avec le patient, favorise le développement de l’alliance thérapeutique autour de laquelle s’articule tout le travail psychothérapique. La clarication consiste à demander au patient de préciser ses pensées, la nature de ses émotions, de ses comportements, ou encore certaines de ses interactions avec le thérapeute lorsqu’elles apparaissent obscures et ambiguës. Cette technique est essentielle à

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l’établissement d’une compréhension commune entre le patient et le thérapeute et permet d’éviter les malentendus. Dans l’exemple suivant, un patient s’exprime au sujet d’une rupture amoureuse récente. Patient (Pt) : Lorsqu’elle m’a quitté, je me suis senti mal… (bref silence). Puis j’ai quitté subitement mon travail et je me suis rendu à la maison. C’est à ce moment que les idées noires sont apparues. érapeute () : Qu’entendez-vous par “je me suis senti mal” ? Dans cet exemple, le thérapeute choisit de préciser le sens du mot mal avant d’explorer plus en détail les possibles idées suicidaires du patient. La demande de clarication ore aussi souvent au patient l’occasion de se révéler à lui-même d’une manière nouvelle et peut parfois orienter la thérapie dans des directions inattendues, comme le souligne l’exemple suivant, tiré d’une séance d’entretiens préliminaires. Pt : Mes recherches d’emploi se sont toutes avérées infructueuses… C’est comme ça quand on est né pour un petit pain…  : Que voulez-vous dire par “né pour un petit pain” ? Pt : À l’adolescence, j’ai tout de suite compris que je n’étais pas fait pour réussir. Je n’ai jamais eu ce qu’il fallait pour exceller comme les autres… Généralement, il est recommandé de recourir aux demandes de clarication aussitôt qu’un matériel clinique apparaît trop imprécis ou ambigu. Le thérapeute peut également clarier sa compréhension du matériel présenté à l’aide d’une reformulation ou d’un résumé. La confrontation consiste à souligner délicatement au patient certains de ses comportements, pensées ou émotions dont il ne semble pas conscient et qui apparaissent souvent sous forme de contradiction dans son discours. Elle se distingue de la provocation par le ton de voix et le choix des mots utilisés. Cette technique ne propose pas d’hypothèse explicative et ne vise qu’à rendre sensible un phénomène aux yeux du patient. Elle dière ainsi de l’interprétation. Th : Vous dites depuis longtemps que vous souhaitez devenir plus autonome. Par ailleurs, vous m’annoncez aujourd’hui que vous retournez vivre chez vos parents. Comment comprendre cela ? Une confrontation peut toutefois être formulée dans le but de paver la voie à une interprétation.  : Vous me semblez devenir de plus en plus silencieux à la n de nos séances. Est-ce que je me trompe ? Pt : (Après un bref silence) C’est vrai… Je me sens mal à l’aise quand je réalise qu’il ne reste que quelques minutes à la rencontre… Je ne sais pas pourquoi… C’est comme ça depuis quelque temps. Dans cet exemple, le thérapeute cherche d’abord à rendre le patient conscient de son comportement, sans plus. Il cultive par ailleurs l’hypothèse qu’un conit autour de la séparation (abandonner ou être abandonné) se cache possiblement derrière ces silences en n de séance. La réaction du patient laisse entendre qu’il a déjà pris en partie conscience du phénomène, ce qui peut encourager le thérapeute à lui formuler prochainement une interprétation. On voit combien la technique de confrontation n’implique en rien une tonalité agressive ou hostile, comme pourrait le suggérer son appellation.

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Ces deux techniques d’entrevue sont couramment utilisées en thérapie psychodynamique. Leur pleine maîtrise, combinée à une écoute empathique soutenue, est essentielle au développement des habiletés techniques plus avancées.

74.3.5 Utilisation des habiletés avancées Les techniques et aptitudes plus spéciquement associées à la psychothérapie psychodynamique seront maintenant abordées. Une expérience clinique plus importante est généralement nécessaire pour atteindre une maîtrise optimale de ces habiletés, qui ne cessent jamais de se développer chez tout clinicien.

Repérer diverses manifestations de l’inconscient Le thérapeute dynamicien demeure particulièrement attentif aux diverses manifestations de l’inconscient telles qu’elles se présentent au cours des séances (ou entre les séances). Ces manifestations, qui peuvent être de diérentes natures (actes manqués, rêves, réactions aectives, formation de symptômes, etc.), représentent la partie apparente de processus inconscients dont le sens doit être exploré. Pour être en mesure d’inviter le patient à s’y attarder, le thérapeute doit d’abord repérer luimême ces manifestations et leur accorder toute leur importance. L’acte manqué représente l’une des manifestations les plus courantes de l’inconscient au cours du processus thérapeutique. Laplanche & Pontalis (2002) le dénissent comme « un acte où le résultat explicitement visé n’est pas atteint mais se trouve remplacé par un autre », en précisant « qu’on ne parle d’actes manqués non pour désigner l’ensemble des ratés de la parole, de la mémoire et de l’action, mais pour les conduites que l’individu est habituellement capable de réussir, et dont il est tenté d’attribuer l’échec à sa seule inattention ou au hasard ». Voici deux exemples illustrant l’utilisation en thérapie d’actes manqués de nature diérente. Le lapsus : Une patiente (Pte) commet le lapsus suivant en quittant le bureau de son psychothérapeute, le Dr Blondeau : Pte : Ah oui, j’oubliais ! Je voulais vous prévenir : je devrai quitter 15 minutes plus tôt la semaine prochaine puisque j’ai rendez-vous avec le Dr Blondeau… Euh pardon, avec le Dr Bilodeau (nom de l’omnipraticien de la patiente). À la rencontre suivante, le thérapeute (Th) rappelle à la patiente le lapsus de la séance précédente et la questionne sur le sens possible de cet acte manqué. Pte : Je me suis simplement trompée de nom et cela n’a aucun sens particulier pour moi. Le thérapeute insiste : Parlez-moi de votre relation avec votre omnipraticien. Pte : Je le juge plutôt froid et peu attentionné à mon égard depuis quelque temps.  : Avez-vous déjà éprouvé de pareils sentiments à mon égard ? Après quelques secondes de silence et un embarras soudain. Pte : J’ai en eet été fort déçue par le fait que vous ayez déplacé l’une de nos séances à la dernière minute, il y a trois semaines. J’ai eu à ce moment le sentiment d’être traitée comme un objet qu’on peut remplacer. Le lapsus de cette patiente a ainsi permis la verbalisation indirecte d’une colère envers son thérapeute, colère qu’elle s’était trouvée incapable de lui communiquer directement au moment de l’événement qui l’avait occasionnée. Les dicultés éprouvées par la patiente à exprimer sa colère dans diérentes sphères de sa

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vie sont par la suite apparues de façon beaucoup plus manifeste au cours de sa thérapie. Ces dicultés ont pu être reliées aux nombreux comportements passifs-agressifs manifestés par la patiente à l’égard de son mari, causes d’importantes insatisfactions conjugales à l’origine de la demande de consultation. Le lapsus a ainsi servi de porte d’entrée pour explorer une dynamique inconsciente beaucoup plus étendue et ayant de nombreuses ramications dans la vie de cette patiente. On comprend donc l’importance de ne pas abandonner trop tôt l’exploration d’un phénomène inconscient quand il se présente, sachant que le patient tendra tout naturellement à dénier son importance ou à le banaliser. Dans cet exemple, l’acte manqué a été exploré à la rencontre suivante parce qu’il est survenu en n de séance. Il est toutefois souhaitable d’explorer tout acte manqué dès qu’il survient, même s’il faut parfois pour cela interrompre délicatement le patient, sans quoi celui-ci risque plus tard de ne pas se souvenir l’avoir commis. Ce principe est d’ailleurs valable pour l’ensemble des manifestations de l’inconscient. Le deuxième exemple d’acte manqué est l’oubli : Lors de la phase de terminaison d’une thérapie qui s’est échelonnée sur près de deux ans, un patient se trouve pour la première fois incapable de se remémorer le code d’accès du bureau de sa thérapeute. Il se présente donc avec plusieurs minutes de retard à sa séance, et sa thérapeute l’invite à élaborer sur le sens possible de cet oubli. L’exploration de l’acte manqué conduit le patient à entrer en contact avec de profonds sentiments de tristesse et de deuil en lien avec le processus de terminaison de la thérapie, sentiments qu’il n’avait pas ressentis jusqu’à maintenant (ces aects ayant été refoulés). En oubliant le code et du même coup en retardant le début de la séance, le patient peut ainsi repousser inconsciemment la n de la thérapie et éviter d’entrer en contact avec certains aects douloureux.

Reconnaître les mécanismes de défense An d’éviter des aects pénibles ou pour ne pas être confrontés à des représentations diciles (images, fantasmes, pensées, etc.), les patients en thérapie (comme tous les êtres humains) ont recours à divers mécanismes de défense. Le repérage précoce des modalités défensives privilégiées par le patient permet au thérapeute d’identier plus rapidement la dynamique inconsciente à l’origine de ses symptômes. En plus de préciser le diagnostic psychodynamique, l’identication des mécanismes de défense permet au thérapeute d’adapter rapidement ses interventions en fonction de l’élaboration défensive à laquelle il est confronté. Voici trois illustrations cliniques.

Déni et projection Une femme d’une quarantaine d’années est amenée à l’urgence psychiatrique pour un premier épisode psychotique par une intervenante d’un centre pour femmes battues où elle s’est réfugiée dans la nuit pour fuir la violence conjugale dont elle est victime depuis plusieurs années. La patiente se dit poursuivie par des membres de la maa et elle craint pour sa vie. Le psychiatre qui eectue l’entrevue remarque que tous les éléments associés au conjoint, la violence conjugale et la fuite impromptue vers le centre pour femmes battues sont évacués du discours de la patiente. Il fait l’hypothèse qu’un déni psychotique de la réalité semble être à l’œuvre. La terreur liée à la crainte de représailles du conjoint est masquée par le déni et la projection paranoïde des conits

émotionnels de la patiente sur diverses représentations reliées à la maa. Les mécanismes de défense mis en œuvre lui ont ainsi permis d’avoir recours à la ressource cette nuit-là, mais au prix de la création de symptômes psychotiques qui lui ont fait perdre le contact avec la réalité. Ayant identié l’émotion (la terreur) et la représentation principale (le conjoint) à l’origine du déni, le psychiatre a ciblé plus ecacement ses interventions thérapeutiques. Il a ainsi invité progressivement la patiente à mettre en mots la terreur et les diverses représentations qui l’avaient longtemps empêchée d’aller chercher de l’aide. Par la suite, la patiente révéla qu’elle avait en eet été terrorisée pendant de nombreuses années à l’idée de quitter son conjoint, craignant d’être tuée par celui-ci si elle osait révéler les sévices dont elle avait été victime. Cet exemple illustre comment la compréhension des concepts psychodynamiques – ici les mécanismes de défense – peut s’avérer utile pour orienter les interventions thérapeutiques, même à l’extérieur du cadre formel d’une thérapie psychodynamique et dans un contexte où le temps à consacrer au patient est parfois plus limité, comme à l’urgence.

Clivage Lors d’une rencontre préliminaire pour évaluer l’indication d’une psychothérapie psychodynamique, un thérapeute note que sa patiente décrit d’une façon bien singulière ses relations d’amitié présentes et passées. Elle parle de « la relation la plus intense qu’elle ait jamais connue » pour décrire une relation actuelle. Elle décrit par ailleurs l’ensemble de ses anciennes amies comme des personnes « irrespectueuses et égoïstes ». Puis, la patiente ajoute « avoir l’impression d’être maintenant vraiment écoutée pour la première fois » et elle décrit les thérapeutes qu’elle a rencontrés dans le passé comme des « incompétents ». Le thérapeute note qu’un mécanisme de clivage de l’objet est à l’œuvre et que la patiente alterne entre idéalisation et dévaluation dans sa façon de se représenter les autres. Quelques rencontres plus tard, la patiente fait une crise de colère dans le bureau du thérapeute après qu’il se soit présenté avec quelques minutes de retard. Ayant perçu le mécanisme de défense en jeu, le thérapeute est à ce moment plus en mesure de réagir avec calme, sans trop se sentir attaqué, et le travail thérapeutique peut être orienté vers l’intégration des représentations clivées chez la patiente. Cet exemple illustre comment l’identication précoce des mécanismes de défense permet d’anticiper certaines réactions transférentielles et minimise les risques de réactions inappropriées de la part du thérapeute.

Rationalisation, intellectualisation et isolement de l’affect Un homme de 62 ans consulte en thérapie pour la première fois après un divorce qu’il traverse péniblement. À la troisième séance, le patient adopte soudainement un ton détaché et s’exprime ainsi au sujet de sa rupture : « Au fond, l’être humain est fait pour vivre seul. J’ai d’ailleurs lu récemment les écrits d’un sociologue disant que le siècle prochain allait être celui du célibat… C’est vrai, les rapports entre les hommes et les femmes ne sont plus les mêmes… » (isolement de l’aect et intellectualisation). Il ajoute, après un bref silence : « De toute façon, c’est mieux que ça se termine ainsi. Je pourrai enn me trouver un logement à mon goût… Je ne me suis jamais vraiment senti à l’aise dans notre maison. » (rationalisation).

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Ayant remarqué que le patient évite la charge aective pénible liée au divorce, le thérapeute l’invite à se recentrer progressivement sur son monde aectif. Mais il prend bien soin de ne pas le bousculer dans cette exploration aective, car il a bien perçu l’intensité du conit émotionnel que les défenses tentent d’apaiser. Cet exemple clinique illustre comment les interventions thérapeutiques peuvent être modulées en fonction de la nature des défenses identiées.

Repérer les manifestations du transfert L’analyse du transfert occupe une place centrale en thérapie psychodynamique. Elle constitue la « fenêtre relationnelle » par laquelle le thérapeute perçoit et ressent, dans l’ici et maintenant, la nature des interactions que le patient entretient avec certaines gures signicatives de son existence. C’est en rendant la nature de ce transfert sensible au patient que celui-ci peut progressivement prendre conscience de ses dynamiques relationnelles les plus profondes et les plus contraignantes. Voici deux illustrations cliniques du phénomène transférentiel.

Transfert amoureux Après quelques mois de suivi, un thérapeute note que sa patiente lui pose de plus en plus de questions au sujet de sa vie personnelle. Avant les vacances des Fêtes, elle lui ore même une bouteille de vin « pour le remercier de son soutien ». Au retour des vacances, la patiente demande à modier le moment des rencontres, évoquant des « changements d’horaire à son travail » qui l’empêcheront, à partir de maintenant, de se présenter à l’heure habituelle. Elle demande si une rencontre durant le week-end ne pourrait pas être envisagée. « Je serais libre à ce moment », ajoute-t-elle. Dans cet exemple, le thérapeute se trouve confronté à un probable transfert amoureux. Ayant repéré précocement les manifestations transférentielles (les questions de plus en plus personnelles, le cadeau, etc.), il invite la patiente à se questionner sur l’origine possible de cette demande de modication d’horaire, en ayant en tête l’hypothèse selon laquelle elle cherche inconsciemment à l’engager dans une relation se situant à l’extérieur du cadre thérapeutique (une rencontre durant le week-end). Le thérapeute doit se montrer particulièrement vigilant dans ces situations de séduction.

Transfert anxieux En entrant dans le bureau du thérapeute pour la première fois, un patient balaie l’endroit du regard et demande au thérapeute s’il peut avoir un verre d’eau avant même de s’asseoir, prétextant avoir la bouche sèche. Il s’assied entre-temps par mégarde sur la chaise du thérapeute puis s’excuse, légèrement embarrassé, après avoir réalisé spontanément sa méprise, et prend place dans le fauteuil du patient. Cet exemple illustre combien certaines hypothèses au sujet du transfert peuvent être générées au cours des toutes premières minutes avec certains patients. Dans ce cas-ci, le thérapeute peut garder en tête l’hypothèse selon laquelle ce patient vit probablement beaucoup d’anxiété à l’idée d’occuper la place du patient et qu’il a ressenti très tôt le besoin de renverser les rôles pour se sentir plus à l’aise. Cette hypothèse peut être conrmée (ou inrmée) en fonction du matériel mis de l’avant durant les rencontres préliminaires (ou ultérieurement durant la thérapie, si elle a lieu).

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Repérer les manifestations du contre-transfert S’il s’avère fondamental de pouvoir identier le plus tôt possible les mouvements transférentiels, il est tout aussi important d’être sensible aux diverses émotions et pensées que le patient suscite chez le thérapeute. Certains patients font vivre des émotions relativement communes aux gens qu’ils côtoient. Par exemple, un thérapeute peut se sentir irrité par le discours d’un patient narcissique amboyant, ce dernier suscitant le plus souvent cette même émotion chez ses proches. Il s’agit alors le plus souvent de contre-transferts directs (complémentaire ou concordant) (voir la sous-section 74.1.3). Dans d’autres cas, le thérapeute présente des réactions contre-transférentielles qui ne semblent pas induites directement par la dynamique inconsciente du patient, mais qui relèvent plutôt de son histoire personnelle et de ses propres conits non résolus (contre-transfert indirect). C’est dans ce cas particulier que le thérapeute doit identier ce qui, dans son propre monde intérieur, se trouve « éveillé » par certaines caractéristiques du patient. Voici deux exemples.

Contre-transfert indirect négatif Un jeune thérapeute de 28 ans accepte en thérapie un homme de 37 ans son aîné. Le patient, costaud, consulte pour des symptômes dépressifs apparus depuis qu’il a pris sa retraite. Dès les premières rencontres, le thérapeute se sent intimidé par son patient, alors que ce dernier fait pourtant preuve d’une excellente motivation et d’une très bonne collaboration. Le thérapeute n’avait jusqu’alors jamais éprouvé un tel sentiment envers d’autres patients. Après avoir manqué une séance sans prévenir, le patient évoque une excuse et demande au thérapeute s’il est possible de ne pas payer la rencontre, ce que ce dernier accepte sans discuter, malgré le cadre initialement déni (le patient s’était engagé à payer toutes ses séances, même celles manquées). En supervision, le thérapeute prend peu à peu conscience des nombreuses similitudes physiques existant entre le patient et son propre père, un homme plutôt autoritaire et avec qui il n’était pas possible de discuter. Il se remémore également que le patient, lors du premier contact, lui avait fait remarquer « qu’il ressemblait à son ls ». Conscient des enjeux contre-transférentiels à l’œuvre, le thérapeute a par la suite été en mesure de gérer le cadre plus facilement. Dans cet exemple, on remarque combien les enjeux conictuels mobilisés chez le thérapeute (soumission par opposition à armation) sont a priori indépendants des conits internes propres au patient (symptômes dépressifs suite à sa retraite), ce qui signe la nature d’un contre-transfert indirect. Il est dit « négatif » parce que les sentiments qui y sont associés (impuissance, peur) sont globalement source de déplaisir.

Contre-transfert direct complémentaire positif Un thérapeute se sent soudainement très ému face à une jeune patiente de 15 ans qu’il traite depuis quelques mois. Il la perçoit comme très vulnérable et éprouve le besoin de la réconforter et de la rassurer. Lors d’une séance, il est surpris par une fantaisie (non formulée, évidemment) dans laquelle il l’invite à rejoindre sa femme et sa lle de 18 ans pour les vacances, an de « l’extraire de son milieu de vie si dicile ». En supervision, le thérapeute réalise qu’il est fortement identié à une gure maternelle idéalisée de la patiente, d’où son désir de « prendre soin d’elle » et de la materner, presque comme s’il s’agissait de sa lle. La patiente avait été envoyée initialement par un professeur pour des dicultés scolaires apparues quelques mois après le décès de sa mère d’un

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cancer. Elle présentait alors un niveau d’anxiété important. Fille unique, l’adolescente vivait seule depuis ce temps avec son père alcoolique et déprimé depuis le décès de sa conjointe. La relation mère-lle, teintée d’aects positifs (chaleur et réconfort), s’est ainsi trouvée « activée » dans la relation avec le thérapeute, qui a été interpellé contre-transférentiellement dans le rôle de la « bonne mère » idéalisée (sans doute de façon plus importante depuis le décès). À noter que des éléments contre-transférentiels concordants négatifs auraient pu être identiés si le thérapeute s’était plutôt trouvé envahi par des sentiments de tristesse, d’impuissance et de vulnérabilité (identication au Moi de la patiente en lien avec un objet internalisé, le père alcoolique ou la mère décédée).

Savoir formuler des interprétations L’interprétation vise à rendre conscients certains éléments qui, jusqu’alors, étaient demeurés inconscients chez le patient. Il s’agit de l’intervention la plus spécique au thérapeute dynamicien. Une interprétation inclut généralement une dimension aective et peut relier certains éléments de l’histoire personnelle du patient à ses dicultés actuelles ou à sa relation avec le thérapeute. Elle peut également inclure certaines remarques du thérapeute concernant ses réactions contre-transférentielles. Il existe par ailleurs divers « styles interprétatifs » qu’il appartient à chaque thérapeute d’expérimenter (Etchegoyen, 2005). Exemple 1 : Un thérapeute formule l’interprétation suivante, avec un ton interrogatif, à un patient qui présente plusieurs symptômes dépressifs à la suite de la faillite de son commerce : « Je me demande si la tristesse et la honte que vous avez ressenties à la suite de votre faillite ne sont pas liées à la perte d’un idéal important que vous vous êtes xé depuis longtemps, en observant très tôt votre mère se débrouiller toute seule à élever ses cinq enfants? Étant le seul à avoir émigré à l’extérieur de votre pays, c’est un peu comme si la possibilité d’échouer ne pouvait pas être envisagée pour vous »? Une interprétation ne doit généralement être formulée qu’à partir du moment où un nombre susant d’éléments ont été observés pour pouvoir l’étayer. Elle s’articule le plus souvent autour des manifestations transférentielles du patient telles qu’elles prennent forme au cours de la thérapie. Le thérapeute doit également toujours se poser la question de la pertinence de son interprétation : « Cette interprétation, si elle s’avère juste, permettra-t-elle de faire progresser le travail de thérapie ? » S’il répond par la négative à cette question, il est préférable de garder son interprétation pour lui-même, quitte à la mettre de l’avant plus tard, si elle devient pertinente. Il est également primordial de respecter le rythme du patient. Souvent, les dynamiques les plus manifestes sont celles qui résistent le plus aux interprétations. Par exemple, le patient narcissique nie traiter les autres avec mépris s’il est confronté trop tôt à ce trait de personnalité. Idéalement, le patient devrait être amené à prendre conscience par lui-même de certaines dimensions inconscientes de sa personne, la formulation de l’interprétation ne survenant qu’au moment où il est sur le point d’en arriver tout seul à une compréhension (insight) nouvelle de ses dicultés. Les interprétations dites « sauvages », c’est-à-dire formulées de façon trop directe et sans ménagement ou sans matériel clinique pour les appuyer, sont à éviter. Le thérapeute doit demeurer très attentif à l’eet que l’interprétation formulée produit sur le patient, tant au niveau aectif

que celui des associations auxquelles elle donne naissance (ou non). Une interprétation juste s’accompagne généralement d’une émotion perceptible (étonnement, tristesse, colère, etc.) et laisse rarement le patient indiérent. Elle conduit souvent à de nouvelles associations qui font avancer le travail thérapeutique. Les réactions du patient, prises dans leur ensemble, servent ainsi à valider ou non l’interprétation. Exemple 2 : Un thérapeute d’âge mûr est intrigué par le comportement inhabituel que présente un jeune patient qui le consulte pour un problème d’anxiété sociale. Quand il lui ouvre la porte de son bureau, le patient lui demande presque à tout coup avec un air interrogateur et inquiet : « Est-ce que je peux entrer ? » Dans les séances d’évaluation, le patient a rapporté avoir entretenu tout au long de sa vie une relation plutôt tendue avec son père décrit comme un homme distant, mais surtout inconstant et imprévisible dans ses investissements aectifs. Conscient de cet élément transférentiel (la question avant d’entrer dans le bureau), le thérapeute prote d’un moment où le patient parle de son père pour lui formuler l’interprétation suivante : « Je me demande si la nature de la relation que vous avez entretenue avec lui n’a pas laissé en vous une certaine diculté à faire conance aux autres, et particulièrement aux hommes… Un peu comme si la bienveillance que certains hommes vous manifestent se trouvait sans cesse menacée à vos yeux et ne pouvait pas durer... Quand vous me demandez au début de chaque séance la permission d’entrer dans mon bureau, je me demande si ça ne fait pas un peu référence à ça…? » Après un bref silence, le patient devient soudainement triste et, les yeux larmoyants, rapporte un souvenir d’adolescence, survenu quelques années après le divorce de ses parents, au cours duquel il s’était retrouvé seul pour assister à une partie de hockey à laquelle son père l’avait convié, ce dernier ne s’étant jamais présenté au rendez-vous. Dans cet exemple, à la fois la réaction aective de tristesse et la nature des nouvelles associations du patient tendent à conrmer la justesse de l’interprétation. Une interprétation à laquelle le patient consent passivement et avec indiérence devrait a priori être considérée comme non valide. À noter que dans l’exemple précédent, le thérapeute aurait pu recourir initialement à une simple confrontation. Une interprétation doit être formulée de la façon la plus concise possible et en ayant recours à des termes simples. Idéalement, elle doit aussi provoquer un léger eet de surprise, voire un certain « dérangement de l’économie psychique » (De M’Uzan, 1991). Il est parfois souhaitable de la formuler sous une forme interrogative, de façon à minimiser les réactions défensives. Le précédent exemple illustre également comment on peut utiliser le concept du triangle de la prise de conscience en thérapie psychodynamique. Ce concept, élaboré par Menninger (1958), expose de façon schématique trois « temps » où les dynamiques relationnelles du patient se trouvent mises en scène : 1. Le passé du patient ; 2. Le temps de la relation avec le thérapeute ; 3. Le temps de la vie actuelle du patient, à l’extérieur des séances. Dans l’exemple précédent, les rapports conictuels entretenus avec le père en bas âge, le comportement répétitif du patient avant d’entrer dans le bureau du thérapeute (« Est-ce que je peux entrer ? »), et ses dicultés d’armation actuelles se manifestant par son anxiété sociale représentent respectivement les trois temps décrits par Menninger. Ces trois dimensions représentent

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chacune un côté du triangle et peuvent servir de diérents lieux potentiels d’exploration. Il peut également être utile de les avoir en tête pour formuler une interprétation plus « complète ».

Pouvoir élaborer des hypothèses psychodynamiques de façon continue Une interprétation, même si elle s’avère vraisemblablement juste d’après les réactions qu’elle suscite chez le patient, ne doit jamais être « coulée dans le béton » ni servir de centre de gravité absolu pour la suite du travail. Le thérapeute dynamicien doit en eet être en mesure de faire « table rase », d’une certaine façon, à chaque nouvelle séance, de façon à se placer dans une disposition telle qu’il peut écouter, chaque fois, le matériel présenté par le patient avec « une oreille nouvelle », évitant ainsi une écoute associée à des interventions stéréotypées pour se laisser sans cesse surprendre par la nouveauté et l’inconnu. De même, il ne doit pas hésiter à remettre en question ses hypothèses de travail en fonction des nouvelles données qui surgissent dans le lien thérapeutique. Cette capacité à pouvoir élaborer des hypothèses psychodynamiques de façon continue est une habileté essentielle pour travailler en thérapie psychodynamique.

Adopter une démarche exploratoire En médecine physique, la plupart des traitements s’articulent autour d’actions thérapeutiques directes auprès du patient : demander des tests de laboratoire, prescrire un traitement en fonction d’un diagnostic, etc. L’ensemble des soins oerts s’organise ainsi en fonction d’un objectif clair et déterminé à l’avance. La pratique de la thérapie psychodynamique commande une tout autre disposition mentale de la part du clinicien. Elle implique en eet l’adoption d’une position à partir de laquelle le thérapeute accepte « de ne rien savoir » a priori du malade. C’est le patient qui détient « la vérité » (la sienne, la seule qui compte en thérapie psychodynamique) et le rôle du thérapeute ne consiste qu’à l’aider à se révéler à lui-même cette vérité qui, pour le moment, lui échappe. C’est donc à une véritable démarche exploratoire à laquelle sont conviés le thérapeute et son patient tout au long d’une thérapie psychodynamique, ce qui doit être fait ou dit n’étant pas déterminé à l’avance. Le thérapeute doit ainsi être en mesure de suspendre son désir de comprendre « tout, tout de suite » et accepter de naviguer par moments dans l’inconnu. Cette attitude thérapeutique est absolument nécessaire et permet d’éviter que le clinicien ne se place dans le rôle de celui qui doit comprendre et fournir le sens en tout temps à son patient. C’est en encourageant le patient à explorer lui-même son monde intérieur que le thérapeute lui permet de découvrir le sens caché de ses symptômes. Cette disposition par rapport à l’autre étant acceptée, il devient plus aisé pour le thérapeute de relever un lapsus ou encore de s’engager dans l’interprétation d’un rêve, sachant que l’exploration qu’il s’apprête à entreprendre implique à la fois son patient et lui-même.

Savoir identier le niveau d’organisation psychique du patient Les techniques que nous venons de mentionner doivent évidemment être modulées en fonction du niveau d’organisation psychique du patient (névrotique, limite ou psychotique) (voir le tableau 74.2). Par exemple, les demandes de clarication peuvent être plus fréquentes avec une patiente présentant une organisation névrotique de type hystérique (d’ordinaire associée à

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un discours impressionniste). Les visées thérapeutiques ne sont également pas les mêmes selon le niveau d’organisation psychique auquel le thérapeute se trouve confronté. De même, dans les cas d’organisations de personnalité limite ou psychotique, ce sont les modes de représentations de Soi et de l’objet en eux-mêmes qui nécessitent une véritable reconstruction. Ce qui veut dire qu’une patiente manifestant des traits de la personnalité limite est d’abord invitée à prendre conscience de ses dicultés à percevoir le monde (soi et les autres) de façon nuancée (c.-à-d. non clivée) avant qu’un thérapeute lui formule des interprétations plus complètes. Également, la durée et le pronostic de la thérapie envisagée ne sont généralement pas les mêmes en fonction de l’organisation psychique prédominante identiée, bien qu’aucune règle absolue n’existe dans ce domaine. Un diagnostic structural bien étayé lors des rencontres préliminaires permettra également d’anticiper certaines réactions transférentielles et contre-transférentielles du patient.

74.3.6 Variations du cadre thérapeutique Il persiste souvent une certaine confusion quant aux principales diérences entre psychanalyse et thérapie psychodynamique. Cette confusion, bien compréhensible, provient en partie du fait que les thérapies psychodynamiques se sont développées à partir des conceptualisations théoriques mises de l’avant par la psychanalyse. C’est pourquoi on utilise souvent le terme « thérapie psychodynamique » de façon interchangeable avec le terme « thérapie psychanalytique ». Toutefois, la comparaison de la psychanalyse et de la thérapie psychodynamique fait ressortir des points de divergence majeurs (voir le tableau 74.3). Dans une psychanalyse classique, la fréquence des séances est beaucoup plus élevée et se situe généralement entre trois et cinq rencontres par semaine. La durée de la thérapie est également beaucoup plus longue (entre 4 et 6 ans, en moyenne, bien qu’aucune règle précise n’existe à ce niveau), et elle est toujours considérée initialement comme indéterminée. Lors des séances, le patient est allongé sur un divan et le psychanalyste (appelé également analyste) se place derrière lui, hors du champ de son regard. Ce dispositif vise principalement à favoriser l’introspection ainsi que la mise en place de la « règle fondamentale » en psychanalyse, l’association libre. Selon cette règle, énoncée dès le début de la thérapie, le patient est invité à dire tout ce qui lui vient en tête (images, pensées, rêves, fantaisies, souvenirs, émotions, etc.), sans censure logique (« Ça n’a pas de sens ! ») ni morale (p. ex., embarras face à des fantaisies sexuelles ou des scènes d’agressivité impliquant le thérapeute). Le patient est également encouragé à se montrer attentif aux pensées et représentations qui émergent en relation avec son discours. En écho aux associations libres du patient, le thérapeute doit pour sa part mobiliser une attention dite « ottante », c’est-à-dire être à l’écoute des pensées, des images, des émotions, des fantaisies, etc., suscitées par les associations du patient. Cette attention ottante lui permet de répondre ainsi aux associations libres du patient, et c’est de la rencontre entre ces deux processus que naîtront les éclairages nouveaux sur les dicultés du patient. Wildlöcher (1996) a proposé la notion de « co-pensée » pour décrire ce processus résultant de l’échange psychique entre l’analyste et le patient. Les règles de l’association libre et de l’attention ottante ne sont pas appliquées de façon aussi rigoureuse dans le cadre d’une thérapie psychodynamique, bien que le processus thérapeutique demeure globalement guidé

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TABLEAU 74.3 Comparaison de trois modalités de traitement en thérapie psychodynamique

Psychanalyse

Thérapie psychodynamique long terme

Thérapie psychodynamique brève

Durée des séances

40 à 60 min

40 à 60 min

40 à 60 min

Durée du traitement

Indéterminée

Plus de 3 ans

De 6 mois à 2 ans

Nombre de séances hebdomadaires

De 3 à 5

Variable, 1 à 3 en moyenne

Variable, 1 ou 2 en moyenne

Présence d’un focus

Non

Non

Oui

Interventions du thérapeute

Très rares

Occasionnelles

Fréquentes

Dispositif

Divan pour le patient, fauteuil pour l’analyste

Généralement face-à-face, dispositif divan/fauteuil à l’occasion

Face-à-face

Objectif

Changements au niveau de l’organisation de la personnalité

Entre la psychanalyse et la thérapie psychodynamique brève

Retour à l’équilibre antérieur, avec une compréhension nouvelle des difcultés

par les mêmes principes. Les interventions du thérapeute sont également beaucoup plus limitées durant une psychanalyse, et le silence occupe une place plus importante (du moins dans les psychanalyses traditionnelles). Le fait que l’analyste soit hors de vue et demeure silencieux la plupart du temps favorise les projections du patient, qui n’est pas en mesure d’observer les réactions du thérapeute. Dans une thérapie en face-à-face, le patient peut voir son thérapeute et décoder certaines de ses réactions non verbales, ce qui limite ou canalise parfois le spectre ou l’intensité des réactions qu’il peut développer à son égard (ce qui est parfois souhaitable avec certains patients plus fragiles, chez qui les projections trop intenses freinent le travail thérapeutique par l’anxiété paralysante qu’elles génèrent). Le principe de non-directivité s’applique également de façon stricte en psychanalyse, ce qui veut dire que l’analyste n’oriente pas activement le contenu des séances et qu’il laisse le patient décider lui-même les thèmes qu’il désire aborder. Le patient peut ainsi souhaiter parler d’un rêve qu’il a fait, des émotions ou pensées qu’il éprouve face à son analyste, d’un souvenir d’enfance remonté à la surface entre deux séances, d’un conit conjugal en cours, de l’anxiété de performance liée à une présentation à faire devant un groupe, etc. Les possibilités sont innies. Un focus de travail n’est donc pratiquement jamais établi a priori lors d’une psychanalyse, contrairement à ce qui est parfois pratiqué dans une thérapie psychodynamique, surtout brève. En psychanalyse, l’analyste est également appelé à respecter la règle de « neutralité bienveillante » à l’égard de son patient. C’est-à-dire qu’il doit rester « neutre » en évitant de lui révéler son opinion personnelle ou encore de lui orir ses conseils. L’ensemble de ce dispositif vise essentiellement à amener le patient à un certain degré de régression psychique (et non comportementale) qui le rapproche le plus possible de son monde intérieur et de son inconscient. L’intensité du transfert envers le thérapeute se trouve magniée par ce dispositif, ce qui en facilite d’autant plus le repérage et l’analyse. Enn, notons aussi que l’objectif de la thérapie dière selon qu’un patient entreprend une psychanalyse ou une thérapie psychodynamique brève. La psychanalyse vise généralement à obtenir des modications profondes au niveau de l’organisation même de la personnalité. Il est ainsi attendu qu’un patient, au

sortir d’une psychanalyse, présente une nouvelle façon de se percevoir, de percevoir le monde et de se lier aux autres. La thérapie psychodynamique brève vise généralement à rétablir un équilibre psychique perturbé dans un contexte de crise aiguë (p. ex., une réaction dépressive à la suite d’un congédiement). L’objectif consiste à ramener le patient plus ou moins au point où il se trouvait avant la crise, avec une compréhension renouvelée du conit qu’il vient de traverser. Quant aux objectifs poursuivis dans le cadre d’une thérapie psychodynamique à long terme, ils se situent globalement entre ceux poursuivis en psychanalyse et ceux mis de l’avant dans une thérapie psychodynamique brève. On voit donc comment le travail psychanalytique classique s’éloigne de la psychothérapie psychodynamique sous certains aspects, même s’il s’inscrit en continuité indéniable avec celle-ci. Les frontières entre ces diverses modalités à l’intérieur du champ de la thérapie psychodynamique demeurent par ailleurs source de controverses (Kernberg, 2001).

74.4 Indications et contreindications Comment identier si un patient pourra potentiellement bénécier d’une approche d’orientation psychodynamique plutôt que d’une autre modalité de traitement ? Quels repères peuvent être utilisés lors des entretiens préliminaires pour guider le clinicien ? Y a-t-il des contre-indications formelles liées à cette approche ? Les prochaines sections tenteront de fournir quelques éléments de réponses.

74.4.1 Thérapie psychodynamique Initialement, les indications pour les thérapies psychodynamiques étaient plutôt restreintes et se limitaient à ce que Freud nommait « les psychonévroses de défense », soit les névroses hystériques et les névroses d’angoisse, aujourd’hui appelées respectivement « agoraphobie », « troubles anxieux généralisés » et « trouble panique » dans le DSM. Parmi les successeurs de Freud ayant développé diverses formes de psychothérapies psychodynamiques

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brèves (Davanloo, 2001 ; Malan, 1995 ; Sifneos, 1992) la plupart ont également établi une liste de critères assez exhaustive auxquels le patient doit satisfaire pour qu’une thérapie psychodynamique soit indiquée : • une intelligence supérieure ; • une capacité d’introspection développée ; • avoir entretenu au moins une relation significative dans sa vie ; • être en mesure de tolérer un niveau d’anxiété élevé. Les indications pour la thérapie psychodynamique sont aujourd’hui beaucoup plus nombreuses, tant au niveau des caractéristiques recherchées chez le patient qu’en ce qui concerne le spectre des psychopathologies susceptibles d’être traitées par cette approche. La caractéristique la plus importante à rechercher chez tout patient désireux d’entreprendre une thérapie psychodynamique demeure l’intérêt qu’il porte à sa vie intérieure, ainsi que la curiosité qu’il démontre pour les manifestations inconscientes et la signication possible à accorder à ses symptômes. Il n’est pas nécessaire pour cela que le patient présente une connaissance théorique des phénomènes psychiques. Simplement, le thérapeute doit percevoir chez le patient qu’il reconnaît une part d’énigme associée à son fonctionnement psychique, et qu’il se sent prêt à faire les eorts nécessaires pour lever en partie le voile sur ces « mystères » qui l’habitent. Les thérapies psychodynamiques peuvent s’avérer particulièrement adaptées pour traiter, par exemple : • Des modes relationnels répétitifs insatisfaisants. Un homme célibataire au tournant de la cinquantaine veut comprendre ce qui l’amène sans cesse à se désengager des femmes auxquelles il s’attache. Ou encore, une femme souhaite saisir ce qui la pousse à se rendre toujours « au bout du rouleau » à chaque emploi qu’elle occupe. • Un deuil compliqué. Une femme consulte pour des symptômes dépressifs apparus après le décès accidentel de l’un de ses enfants il y a trois ans, et qui perdurent malgré l’essai de plusieurs traitements pharmacologiques. • Une phase de transition de vie dicile. Une femme de 45 ans souhaite découvrir pourquoi elle parvient dicilement à vivre seule depuis que son dernier enfant a quitté le nid familial. Ou encore un jeune adulte veut explorer les origines possibles de ses attaques de panique, nouvellement apparues depuis qu’il s’est engagé pour la première fois dans une relation amoureuse stable. • Les impasses de vie. Une femme développant un problème d’insomnie rebelle dans un contexte d’insatisfaction au travail souhaite identier l’origine de son anxiété. • Un sentiment de mal-être dont le patient n’arrive pas à identier la cause. Un homme, qui dit pourtant « avoir tout pour être heureux », consulte parce qu’il est habité par un sentiment chronique d’insatisfaction. De nombreuses pathologies décrites dans le DSM-5 peuvent être traitées ecacement par la thérapie psychodynamique, seule ou en association avec un traitement pharmacologique. Les pathologies psychotiques, longtemps considérées comme ne pouvant pas être l’objet d’une approche psychanalytique, sont maintenant prises en charge par de nombreux thérapeutes dynamiciens. De même, de nombreuses approches psychodynamiques élaborées au cours des dernières décennies (Fonagy & Bateman, 2004 ; Kernberg, 1984 ; Kohut, 2004) se sont avérées particulièrement

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efficaces pour traiter les troubles graves de la personnalité. L’idée selon laquelle les thérapies psychodynamiques doivent être réservées aux psychopathologies de moindre gravité a été invalidée par les données probantes récentes. Les théories psychodynamiques sont également utilisées pour traiter les patients dans le cadre de thérapies de couple et de thérapies familiales. De même, les approches kleinienne et « annafreudienne » (basées sur les théorisations d’Anna Freud) sont encore aujourd’hui utilisées dans les psychothérapies auprès des enfants. Il n’existe pas de contre-indication formelle à la thérapie psychodynamique. Les modalités cliniques, telles que mentionnées antérieurement, doivent par ailleurs être ajustées par des thérapeutes expérimentés en fonction du niveau de fonctionnement psychique du patient, sans quoi le processus thérapeutique risque de stagner ou même d’intensier la symptomatologie pour certains patients fragiles. Il est conseillé de réévaluer l’indication de psychothérapie (ou encore de recourir à une supervision) lorsque les symptômes d’un patient s’intensient de façon soutenue au cours de la thérapie ou que son état se détériore progressivement (régression), au-delà des uctuations de l’humeur inhérentes à toutes formes de psychothérapies. Au besoin, le patient peut être redirigé vers un autre type de traitement. Les patients en crise psychotique aiguë ou sourant d’une manie doivent généralement être stabilisés à l’aide d’un traitement pharmacologique avant de commencer formellement la thérapie. La prudence s’impose dans le cas des patients présentant un risque de passage à l’acte suicidaire ou agressif.

74.4.2 Psychanalyse Les indications de psychanalyse sont maintenant devenues tout aussi étendues que celles associées aux thérapies psychodynamiques. Pour s’engager dans une démarche psychanalytique, il n’est pas nécessaire de sourir d’une pathologie dénie, le simple désir de découvrir son monde intérieur étant susant. Bon nombre de thérapeutes ont d’ailleurs recours à la psychanalyse pour eux-mêmes an d’apprendre à mieux repérer les manifestations inconscientes qui les caractérisent. Les contre-indications sont également guidées par les mêmes principes généraux. La démarche psychanalytique, par la nature même du dispositif qu’elle propose, s’avère souvent beaucoup plus exigeante que la thérapie psychodynamique, tant au niveau nancier qu’au niveau aectif. L’investissement de temps (plusieurs fois par semaine pendant des années) qu’elle commande pour le patient est également considérable. La maxime Sick enough to need it but sane enough to stand it s’applique bien. Les patients en psychanalyse classique sont aussi généralement soumis à des mouvements transférentiels et régressifs plus massifs. L’importance des découvertes de soi auxquelles la psychanalyse conduit est par ailleurs généralement proportionnelle aux exigences du travail auxquelles elle convie le patient.

74.5 Résultats selon les données probantes L’avènement de la médecine basée sur les données probantes, l’apparition des guides de pratique et le développement des neurosciences et de la psychopharmacologie ont remis en question

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la place de l’approche psychodynamique dans la pratique psychiatrique. Dorénavant, il importe de démontrer l’ecacité des psychothérapies utilisées pour soigner les patients an d’en légitimer l’utilisation. Ce mouvement s’inscrit dans la logique des recommandations de l’American Psychological Association, qui a élaboré des critères empiriques pour évaluer l’ecacité des psychothérapies et établir ce qui est déni comme une thérapie psychologique appuyée empiriquement (TAE). L’efcacité des psychothérapies est présentée en détail au chapitre 73. Les recherches systématiques concernant l’ecacité des thérapies psychodynamiques ont beaucoup progressé au cours des dernières années et quelques études ont été publiées. L’isolement relatif des psychanalystes du monde de la médecine expérimentale et la persistance d’un certain dualisme cartésien (corps/esprit) dans le domaine médical peuvent expliquer en partie le nombre limité de recherches sur ce type d’approche. De plus, plusieurs problèmes méthodologiques inhérents aux études publiées initialement en limitaient l’interprétation, le plus important étant l’absence de thérapie standardisée. L’ecacité de la thérapie psychodynamique brève (TPB) est de plus en plus démontrée dans le traitement de pathologies psychiatriques (Constantinides & al., 2011). Par exemple, Leichsenring et ses collaborateurs (2004) ont conduit une méta-analyse en utilisant des critères d’inclusion rigoureux pour la sélection de 17 études récentes randomisées contrôlées avec l’utilisation d’un manuel et faites par des thérapeutes expérimentés. La TPB a été comparée à la liste d’attente, au traitement usuel et à d’autres formes de psychothérapies. L’ecacité de la TPB était signicativement supérieure à celle de la liste d’attente et du traitement usuel, avec une taille de l’eet12importante de 1,17 en post-thérapie et de 0,94 lors du suivi un an plus tard. Aucune diérence n’a été trouvée entre la TPB et la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) ou les autres formes de psychothérapies. En 2007, Abbass et ses collaborateurs (2007) ont mené une méta-analyse pour le compte de Cochrane Collaboration incluant 23 études randomisées contrôlées sur l’ecacité de la TPB. Ils concluent que la TPB procure des bénéces soutenus à l’égard de diverses pathologies psychiatriques (voir le tableau 74.4). La TPB présente une taille de l’eet intéressante pour divers niveaux de symptomatologie et ces gains sont généralement maintenus ou accrus neuf mois plus tard. L’ecacité de la thérapie psychodynamique est également bien documentée dans les diagnostics suivants : • Dépression majeure : Leichsenring (2001) a comparé l’ecacité de la TPB à celle de la TCC en regroupant les résultats de six études comportant un total de 416 patients. Aucune diérence signicative entre les deux approches n’a été démontrée quant à l’ecacité par rapport aux symptômes dépressifs et au fonctionnement social.

1. La taille de l’eet est une procédure statistique qui permet de décrire l’ampleur de l’eet d’un traitement (p. ex., le d de Cohen) et facilite la comparaison des résultats d’une étude à l’autre. Un d autour de 0,2 est décrit comme un « eet faible », 0,5 « moyen » et plus de 0,8 comme « fort ou très fort ». Une taille de l’eet de 0,8 signie donc que les patients traités fonctionnent mieux que 80 % patients non traités.

TABLEAU 74.4 Taille de l’effet pour la thérapie psycho­

dynamique brève

À la n de la thérapie

9 mois après la n de la thérapie

Symptômes généraux

0,97

1,51

Symptômes somatiques

0,81

2,21

Symptômes d’anxiété

1,08

1,35

Symptômes de dépression

0,59

0,98

Symptômes

Note : Une taille de l’effet peut dépasser 1 lorsque l’effet est très grand, voire jusqu’à l’inni. Source : Adapté de Abbass & al. (2007).

• Trouble panique : Milrod et ses collaborateurs (2007) ont









démontré que la thérapie psychodynamique brève manuelisée est plus ecace que la thérapie comportementale axée sur la relaxation, tant au niveau du soulagement des symptômes que de l’amélioration du fonctionnement psychosocial des patients. La thérapie psychodynamique s’est aussi montrée ecace chez les patients sourant d’un trouble de stress post-traumatique (Brom & al., 1989) et d’un trouble anxieux généralisé (Ferrero & al., 2007). L’ecacité de la thérapie psychodynamique est également bien documentée pour les troubles de la personnalité, en particulier le trouble de personnalité limite. Troubles de personnalité en général : Leichsenring & Leibing (2003) ont réalisé une méta-analyse regroupant 22 études qui a mis en évidence des tailles de l’eet de 1,46 pour la TPB et de 1,00 pour la TCC. Trouble de la personnalité du groupe C (anxieuse et craintive) : Un essai randomisé contrôlé avec 50 patients a par ailleurs montré l’absence de diérence signicative entre la TCC et la TPB quant à leur ecacité. Ce résultat prévalait deux ans après la n des traitements. Trouble de la personnalité limite : Bateman & Fonagy (1999) ont eectué un essai randomisé contrôlé pour comparer l’ecacité de la thérapie basée sur la mentalisation, une thérapie psychodynamique manuelisée, au traitement usuel. La thérapie basée sur la mentalisation a entraîné une diminution signicative des gestes suicidaires et automutilatoires, de la durée des hospitalisations, de l’utilisation de psychotropes et des symptômes anxiodépressifs. Elle a également conduit à une amélioration signicative du fonctionnement interpersonnel et social des patients. Cinq ans après la n de la thérapie, la thérapie basée sur la mentalisation était toujours supérieure au traitement usuel. Dans le cadre d’une étude randomisée contrôlée, Clarkin et ses collaborateurs (2007) ont étudié l’efficacité de la psychothérapie basée sur le transfert, une thérapie psychodynamique axée sur l’interprétation du transfert pour les troubles de la personnalité limite, en la comparant à une thérapie démontrée ecace, la thérapie comportementale dialectique de Linehan, et la psychothérapie de soutien. Seule la psychothérapie basée sur le transfert a apporté une diminution signicative de l’impulsivité, de l’irritabilité et

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érapie psychodynamique

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de la fréquence des passages à l’acte verbaux et physiques. Elle réduit le risque suicidaire à un niveau comparable à la thérapie comportementale dialectique. L’ecacité de la psychothérapie psychodynamique long terme (PPLT) est elle aussi mieux documentée depuis quelques années grâce aux résultats de nombreuses recherches bien construites. Leichsenring & Rabung (2004) ont effectué une méta-analyse sur l’ecacité de la PPLT, regroupant 23 études comptant un total de 1 053 patients. Les patients ayant bénécié de la PPLT présentaient, sur une série d’échelles symptomatiques et fonctionnelles validées, une amélioration supérieure de 96% à celle montrée par les patients du groupe témoin. La PPLT était plus ecace que la thérapie psychodynamique brève en termes d’amélioration symptomatique, du fonctionnement social et de la personnalité, avec des tailles d’eet pré- et post-thérapie variant entre 0,78 et 1,98. Les auteurs concluent qu’il existe maintenant susamment de preuves pour armer que la PPLT peut être un traitement ecace pour les troubles mentaux sévères. Enn, des études commencent à rapporter l’ecacité à grande échelle de la psychanalyse. À titre d’exemple, citons la vaste étude de Sandell et ses collaborateurs (2000), le Stockholm Outcome of Psychoanalysis and Psychotherapy Project (STOPPP), une étude incluant plus de 400 patients en psychanalyse ou en PPLT suivis pendant plus de trois ans. Sandell et ses collaborateurs ont démontré une taille de l’eet de 1,55 (très grand) sur l’échelle Symptom Check list (SCL-90R)

pour le groupe en psychanalyse, et de 0,60 pour le groupe en PPLT. L’eet de la psychanalyse et de la PPLT était plus modeste sur la qualité des relations sociales mesurées par le Social Adjustment Scale (SAS) (taille de l’eet de 0,45 pour la psychanalyse et de 0,44 pour la PPLT). L’évaluation de l’ecacité des diérentes formes de thérapies psychodynamiques a progressé de façon substantielle au cours des dernières années. Pour de nombreuses psychopathologies, la thérapie psychodynamique permet une diminution des symptômes, un rehaussement du niveau fonctionnel du patient et une amélioration des relations interpersonnelles pouvant persister plusieurs années après la n de la thérapie.

Seule ou combinée à d’autres modalités thérapeutiques, la grande famille des thérapies psychodynamiques constitue une approche originale valable pour de nombreuses psychopathologies. Basée sur la compréhension des mécanismes psycho logiques inconscients, l’approche psychodynamique a clairement montré sa pertinence et son utilité pour aider les patients. Que ce soit pour s’engager dans une thérapie psychodynamique formelle ou pour éclairer le plan de traitement bio-psycho-social d’un patient, la connaissance et la maîtrise de ses principes fondamentaux sont utiles à tout clinicien cherchant à cerner de façon nuancée la complexité du fonctionnement psychique du patient.

Lectures complémentaires C D. L. & al. (2011). Psychodynamic Psychotherapy : A Clinical Manual, New York, NY, Wiley-Blackwell.

1608

G, G. O. & al. (2010). Handbook of Evidence-Based Psychodynamic Psychotherapy : Bridging the Gap Between Science and Practice, New York, NY, Humana Press.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

L, R. A. & al. (2011). Psychodynamic Psychotherapy Research : EvidenceBased Practice & Practice-Based Evidence, New York, NY, Humana Press.

CHA P ITR E

75

Thérapie comportementale André Marchand, Ph. D. (Psychologie)

Stéphane Guay, Ph. D. (Psychologie)

Psychologue, codirecteur, Centre d’étude sur le trauma, Centre de recherche, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Psychologue, directeur, Centre d’étude sur le trauma, Centre de recherche, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Professeur titulaire, Département de psychologie, Faculté des sciences humaines, Université du Québec à Montréal

Professeur agrégé, École de criminologie, Faculté des arts et des sciences, Université de Montréal

75.1 Historique et bases théoriques ................................... 1610 75.1.1 Précurseurs du comportementalisme ou béhaviorisme ................................................... 1610

75.2.2 Procédures d’exposition aux situations anxiogènes ............................................................. 1620 Exposition en imagination ....................................... 1620

Conditionnement classique ou répondant de Pavlov ................................................ 1610

Exposition graduée et prolongée in vivo ....................................................................... 1621

Émergence du comportementalisme en Amérique – Watson ........................................... 1610

Désensibilisation systématique ................................ 1622

Comportementalisme de laboratoire....................... 1611

Exposition aux sensations physiques intérospectives (internes)......................................... 1624

75.1.2 Émergence de la modication du comportement ou béhaviorisme ....................... 1611 Courant sud-africain de Wolpe ............................... 1611 École anglaise de Shapiro, Eysenck et Yates ..................................................................... 1611 École américaine et le conditionnement opérant de Skinner ................................................... 1612

75.1.3 Modications cognitives et comportementales ........................................... 1614 Modèle d’apprentissage social de Bandura ............................................................... 1614 Concept d’attribution ............................................... 1615 Entraînement par auto-instruction de Meichenbaum ..................................................... 1615

75.1.4 Fondements théoriques de la théorie comportementale ................................................. 1615 75.2 Application clinique..........................................................1619 75.2.1 Procédures de gestion de l’anxiété .................... 1619 Entraînement à la relaxation .................................... 1619 Rééducation respiratoire et respiration diaphragmatique ...................................................... 1619

Immersion in vivo .................................................... 1624

Exposition par réalité virtuelle................................. 1626 Prévention de la réponse.......................................... 1626

75.2.3 Modication du comportement et conditionnement opérant .............................. 1628 Gestion des contingences ........................................ 1628 Façonnement............................................................ 1632 Activation comportementale pour la dépression ............................................................ 1634

75.2.4 Autres stratégies issues de la modication du comportement................................................. 1635 Entraînement aux habiletés sociales ........................ 1635 Armation de soi .................................................... 1636 Résolution de problème ........................................... 1637 Lectures complémentaires ..........................................................1639 Lectures complémentaires pour les patients .........................1639

L

a thérapie comportementale comprend une variété de positions théoriques, d’approches méthodologiques et de procédures de traitement qui se sont développées graduellement au cours des années. Les théories dites de l’apprentissage datent du début du 20e siècle. À cette époque, la psychologie se dénissait comme l’étude des processus mentaux et seule la méthode introspective psychanalytique permettait de comprendre l’être humain. Les conceptions traditionnelles s’appuyaient ainsi sur l’idée que les problèmes psychologiques constituent la manifestation d’un conit intrapsychique dont la signication doit être révélée. En s’opposant à cette vision, le comportementalisme (appelé aussi béhaviorisme) a causé une véritable révolution idéologique.

75.1 Historique et bases théoriques Trois étapes importantes ont précédé la conception des procédures de modication du comportement : l’émergence de la psycho­ logie en Russie, celle du comportementalisme en Amérique et la naissance de la psychologie de l’apprentissage.

75.1.1 Précurseurs du comportementalisme ou béhaviorisme La thérapie comportementale dite de la première vague repose sur l’idée que l’être humain acquiert, par l’éducation ou par l’expérience, la plupart de ses caractéristiques. Il est dicile de s’entendre sur la date d’apparition du comportementalisme. Cependant, les théories de l’apprentissage proprement dites datent du début du 20e siècle.

Conditionnement classique ou répondant de Pavlov Dans l’expérience classique d’Yvan Pavlov (1849­1936), rapportée en 1927, un chien salive lorsque de la nourriture lui est présentée. La réponse de salivation est une réponse inconditionnelle (RI) à un stimulus inconditionnel (SI) : la nourriture. Généralement, la RI est un comportement déclenché de façon relativement stable, persistante et invariable par un SI, sans qu’aucun entraînement ne soit nécessaire. L’eet de déclenchement par un SI est déterminé par le bagage biologique, par l’histoire phylogénétique de l’orga­ nisme, indépendamment de toute expérimentation (autre que par maturation). Il ne dépend pas de l’expérience antérieure ni de l’exposition préalable à des conditions de l’environnement. Il n’a pas besoin d’être appris. Le chien salive quand il voit de la nourriture ; c’est normal. Pavlov fait l’expérience suivante : chaque présentation de la nourriture (SI) est associée simultanément à un son de cloche. Ce nouveau stimulus dit neutre par rapport à la réaction sali­ vaire, provoque une réponse de salivation au bout d’un certain nombre d’associations. À ce moment, le son de cloche qui était au départ un stimulus neutre (SN), devient un stimulus conditionnel (ou conditionné) (SC) entraînant une réponse conditionnelle (ou conditionnée) (RC) : la salivation. À l’origine, le SC est donc un stimulus neutre (SN), mais à la suite de son association en contingence avec un autre stimulus (SI) qui lui, déclenche de

1610

façon stable une RI, le SC vient à déclencher aussi la même réponse, que l’on nomme maintenant réponse conditionnelle. Ce stimulus conditionnel a acquis la propriété de déclencher une nouvelle RC grâce à son association concomitante avec le stimulus inconditionnel (SI). Donc, on peut déduire que : 1. Avant le conditionnement : SI (nourriture) → RI (salivation) SI (nourriture) + SN (son de cloche) → SC (son de cloche) 2. Après le conditionnement : SC (son de cloche) → RC (salivation) Par contre, avec le temps, si le stimulus conditionnel (son de cloche) n’est pas renforcé par une nouvelle série d’association avec le stimulus inconditionnel (nourriture), la réaction condi­ tionnelle (salivation) au son seul disparaît progressivement. C’est le phénomène d’extinction. Pavlov a mis en évidence d’autres phénomènes lors de l’apprentissage classique : • la généralisation du stimulus ; processus par lequel une ré­ ponse déclenchée par un stimulus conditionnel peut aussi être déclenchée par d’autres stimuli qui présentent des similarités avec le stimulus original. Par exemple, chaque fois que vous rentrez du travail, la première chose que vous faites est de nourrir votre chien. En conséquence, votre chien s’excite dès qu’il entend votre voiture arrivant à l’entrée, en aboyant et en courant vers la porte. Ensuite, il s’excite dès que la voiture d’un membre de la famille arrive, pensant qu’on va aussi le nourrir. Chaque fois qu’il entend une voiture arrivant dans l’entrée, il commence à aboyer et courir vers la porte ; • la discrimination du stimulus ; processus inverse de celui de la généralisation du stimulus qui consiste à réagir de façon dif­ férente à des stimuli semblables. Pour continuer l’exemple, si aucun des autres membres de la famille ne nourrit le chien en arrivant à la maison, le chien apprend que seul le son de votre voiture arrivant à l’entrée vaut la peine de s’exciter. Il apprend à discriminer seulement le son spécique de la voiture qui signie l’arrivée de la nourriture, et il ignore tous les sons des autres voitures comme non reliés à la nourriture ; • le recouvrement spontané (ou récupération spontanée) ; phénomène qui peut se produire au cours d’une opération d’extinction ou après l’extinction apparemment complète d’une réponse conditionnelle. Il est marqué par la réapparition de la réponse conditionnelle à un niveau plus élevé au début d’une nouvelle session d’extinction qu’il ne l’était à la n de la session d’extinction précédente, sans que rien n’ait été changé à la situation. Pavlov a contribué avec d’autres chercheurs russes à augmenter l’objectivisme des recherches en psychologie.

Émergence du comportementalisme en Amérique – Watson Au même moment, en Amérique, John B. Watson (1878­1958) considère que l’objet de la psychologie doit être l’étude du com­ portement observable. Par conséquent, celle­ci doit être une science expérimentale et objective qui étudie les relations entre les stimuli de l’environnement et les réponses de l’organisme. Sur le plan clinique, la seule façon de changer la personnalité consiste à modier l’environnement jusqu’à l’acquisition de nouvelles habitudes. Selon Watson, le comportement humain s’élabore

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

donc progressivement à travers des apprentissages successifs. Un stimulus constitue tout agent ou condition observable et mesurable aectant la réponse comportementale de l’organisme. Par exemple, Watson et Rayner ont tenté une expérience sur un jeune enfant, le petit Albert, qui demeure contestable sur le plan éthique. Dans un premier temps, ils présentent une petite souris blanche (SN) à l’enfant qui se réjouit de la présence du petit animal. Par la suite, Watson frappe deux bâtons de métal an de créer un son très fort (SI) lorsque le jeune garçon s’approche pour jouer avec la souris blanche. À ce son, l’enfant se met à pleurer (RI). En agissant de la sorte de façon fréquente et répétitive, Watson crée chez l’enfant une peur envers les souris blanches. Après un certain temps, l’enfant craint la souris blanche (SC) et pleure (RC) lorsqu’elle s’approche de lui. De plus, la peur que l’enfant a de la souris blanche se généralise envers les lapins blancs et même les manteaux de fourrure blanche. C’est aussi un exemple de généralisation du stimulus. Ces chercheurs mettent ainsi l’accent sur la nécessité d’étudier le comportement objectivement plutôt que subjectivement, rejetant par le fait même l’introspection en tant que méthode scientique.

Comportementalisme de laboratoire Le comportementalisme de laboratoire apparaît entre 1930 et 1950, alors que des chercheurs tels que Guthrie, orndike, Hull, Tolman et plusieurs autres tentent de développer des théories du comportement plus larges, basées sur les réexes conditionnés, an de mieux comprendre les principes de l’apprentissage. • Edwing R. Guthrie (1886-1959) a formulé la théorie de la contiguïté. Selon lui, c’est la contiguïté ou la proximité temporelle entre un stimulus et une réponse qui est responsable de l’association stimulus-réponse qui est le fondement de l’apprentissage. • Edward L. orndike (1874-1949) a formulé la loi de l’eet, selon laquelle le renforçateur est ecace parce qu’il provoque une satisfaction chez l’individu. Cette loi suggère que : – plus le plaisir provoqué par une réponse à la suite d’un stimulus est élevé, plus l’association entre le stimulus et la réponse est renforcée ; – plus le déplaisir provoqué par une réponse suite à un stimulus est élevé, plus l’association entre le stimulus et la réponse est aaiblie. • Clark Hull (1884-1952) considère que le comportement est modelé par un ensemble d’interactions entre l’individu et son environnement. Il analyse le comportement dans une perspective d’adaptation biologique qui est une optimisation des conditions de vie entraînée par une sorte de réduction du besoin. Il fait intervenir deux notions importantes dans sa théorie comportementale : – la pulsion, qui est le dénominateur des motivations premières ; – l’habitude, qui est la répétition d’une réaction préalablement renforcée. Ces recherches n’ont cependant pas débouché sur des applications cliniques immédiates. L’éclosion des techniques de modication du comportement et de la thérapie comportementale arrivera dans les années 1950.

75.1.2 Émergence de la modication du comportement ou béhaviorisme Ces recherches suivent, dans les premiers temps, trois courants distincts.

Courant sud-africain de Wolpe Joseph Wolpe (1915-1997), psychologue du béhaviorisme, est surtout connu pour ses théories et expériences au sujet de ce qui s’appelle maintenant la désensibilisation systématique. Il formule le principe théorique de l’inhibition réciproque qui se résume comme suit : « Si une réponse antagoniste de l’anxiété peut être émise en présence de stimuli évoquant l’anxiété, elle aaiblira le lien entre ces stimuli et l’anxiété » (Wolpe, 1969, p. 15). Autrement dit, l’inhibition réciproque est un phénomène par lequel un stimulus (la vue d’une souris) suscitant une réaction donnée (une peur intense) est neutralisé par un autre stimulus (p. ex., un état de relaxation profonde) d’égale ou de plus grande intensité qui suscite une réaction inverse. La formulation de ce principe a conduit à plusieurs applications cliniques, comme la désensibilisation systématique, et Wolpe s’est surtout attardé à traiter trois types d’anxiété pathologique : • l’anxiété liée aux peurs et aux phobies ; • l’anxiété sociale ; • l’anxiété liée aux dysfonctions sexuelles. Cette stratégie d’intervention est décrite dans la soussection 75.2.2. Par ailleurs, Wolpe a étendu son modèle à d’autres réponses humaines, comme la colère inhibant l’anxiété, de même que l’expression de sentiments positifs (plaisants) ou négatifs (déplaisants). Wolpe a également emprunté des notions du conditionnement opérant, qui sont décrites plus loin. Toutefois, les résultats de plusieurs études ont inrmé la théorie de Wolpe en montrant que l’ingrédient qui donne son ecacité à cette technique est tout simplement le fait d’exposer l’individu aux situations anxiogènes qui conduit à l’atténuation du lien entre les stimuli et l’anxiété, par habituation. Par la suite, on a expérimenté de multiples modalités d’application de l’exposition.

École anglaise de Shapiro, Eysenck et Yates Cette école épouse, elle aussi, le paradigme du conditionnement classique de Pavlov. Cependant, contrairement à l’école de Wolpe, qui a d’abord élaboré un modèle théorique pour ensuite l’appliquer à des cas cliniques, l’école anglaise s’est surtout développée à partir d’un travail sur les eets de la psychothérapie et de l’étude expérimentale de cas cliniques individuels. Eysenck est, sans contredit, le théoricien le plus important de cette école. Pour lui, la névrose est un comportement inadapté dont l’apparition s’explique en termes de conditionnement classique. Ce comportement peut-être inadapté pour deux raisons principales : 1. À cause de l’anxiété reliée directement à une situation (phobie, impuissance sexuelle, obsessions, compulsions, etc.) ; 2. À cause de l’anxiété découlant du jugement que la société porte sur un tel comportement dit névrotique (phobie sociale, déviances sexuelles, etc.). La thérapie consiste donc principalement à briser ou à créer des liens conditionnels en utilisant les principes d’apprentissage de la psychologie expérimentale. Par ailleurs, Eysenck est

Chapitre 75

érapie comportementale

1611

un des rares comportementalistes à s’être intéressé très tôt aux « dimensions de la personnalité. » Il propose de situer chaque individu par rapport à deux principaux axes perpendiculaires dénis par une double polarité que sont le névrotisme/la stabilité et l’introversion/l’extraversion. • Névrotisme/stabilité : le névrotisme caractérise l’individu qui réagit fortement et de façon prolongée à des situations stressantes de faible intensité, par opposition à un individu stable, calme et rééchi. Eysenck a émis l’hypothèse que certaines personnes possèdent une sensibilité exacerbée du système nerveux sympathique. Elles éprouvent de fortes réactions de peur ou d’autres émotions intenses et deviennent même terriées lors d’incidents mineurs, alors que d’autres restent très calmes pendant les situations d’urgence. • Introversion/extraversion : l’introversion et l’extraversion sont très proches des concepts pavloviens d’inhibition et d’excitation, les deux faces d’un processus qui existent toujours simultanément, à des degrés variés, dans n’importe quelle situation. Ainsi, l’individu extroverti se conditionne lentement et dicilement ; il résiste mal à la monotonie et l’extinction s’installe chez lui plus rapidement que chez l’introverti.

École américaine et le conditionnement opérant de Skinner Burruhs R. Skinner (1904-1990) a beaucoup inuencé son époque par ses travaux basés sur de nombreuses expériences créatrices et variées. Il a développé ce que l’on nomme la « boîte de Skinner » dont il s’est servi pour mener des expériences sur les rats. Cette boîte contient un levier sur lequel l’animal peut appuyer. L’expérimentateur peut décider de donner de la nourriture (stimulus agréable), de ne pas en octroyer (absence de stimulus) ou de remplacer la nourriture par une légère décharge électrique (stimulus désagréable). Si l’expérimentateur place le rat dans la boîte et qu’il décide de lui donner de la nourriture quand l’animal appuie sur le levier, celui-ci apprend rapidement à peser sur ledit levier de plus en plus souvent. Si on supprime la nourriture, le comportement (peser sur le levier) s’atténue graduellement jusqu’à disparaître parce qu’il n’a plus d’utilité. Si on remplace la nourriture par des petites décharges électriques, le rat cesse rapidement le comportement d’appuyer sur le levier. C’est à partir de ses expériences que Skinner a échafaudé la théorie sous-jacente au conditionnement opérant appelé également conditionnement instrumental. L’apprentissage résulte d’une action, d’une opération, qui produit un résultat incitant à reproduire le même comportement, ou non. Autrement dit, l’individu eectue (opère) un changement sur son environnement. Le mot « opérant » renvoie aux réponses émises par l’individu à l’égard d’une situation, plutôt qu’à celles suscitées par un

stimulus connu. Les réponses opérantes sont souvent qualiées de « volontaires », par opposition aux réponses « involontaires » du conditionnement classique de Pavlov. Ce mécanisme réfère au fait que les comportements sont contrôlés par leurs conséquences sur l’environnement. Tout comportement humain, qu’il soit adapté ou inadapté, est appris selon un même mécanisme, celui du conditionnement opérant. Skinner déduit que, si un comportement est suivi d’un stimulus agréable, l’individu a tendance à le reproduire et rend ce comportement plus fréquent, plus probable. Si ledit comportement est suivi d’un stimulus désagréable, l’individu a tendance à le produire moins souvent, à le faire disparaître. S’il n’est suivi d’aucun stimulus ni agréable ni désagréable, l’individu a quand même tendance à l’éliminer, mais plus lentement. Selon Skinner, pour modier un comportement spécique, il faut avant tout le faire suivre de conséquences ou bien ne l’associer à aucune conséquence, selon que l’on veut en augmenter ou en diminuer la manifestation plus ou moins rapidement. Ceci étant dit, si la relation entre une réponse et la conséquence est la pierre angulaire d’une contingence opérante, tout stimulus qui précède cette réponse peut jouer un rôle en introduisant cette réponse. Ce stimulus antécédent se nomme « stimulus discriminatif (SD) », parce qu’il signale, indique la spécicité des contingences de renforcement, soit la relation entre la réponse et la conséquence. Selon les principes du conditionnement opérant, lorsque l’individu pose une action dans des circonstances données, le système musculosquelettique entre en action et le comportement est contrôlé (c.-à-d., renforcé ou puni) par le stimulus qui suit la réponse. Pour comprendre un comportement, il faut donc faire une analyse fonctionnelle des liens entre un comportement et l’environnement dans lequel il est émis. Il importe de préciser la situation ou les événements contextuels : • le ou les stimuli discriminatifs (SD) qui précèdent ; • le comportement ou la réponse (R) (dénition, fréquence, durée, etc.) ; • les conséquences, c’est-à-dire un stimulus de renforcement (SR) positif ou négatif qui lui succède immédiatement : SD

SR

Prenons l’exemple suivant : la mère de Joseph réalise que son enfant a la mauvaise habitude de se fâcher et de frapper ses amis dans le carré de sable (et seulement à cet endroit) quand l’un d’eux ne fait pas ce qu’il exige. Soucieuse que son ls ne maintienne pas ce comportement inapproprié ou qu’il le manifeste dans d’autres circonstances, elle décide que chaque fois que ce comportement se produira, elle le privera (en lui expliquant les raisons) du carré de sable où il aime particulièrement jouer, en le faisant entrer temporairement à la maison pendant que ses amis continueront d’y jouer. Il s’agit d’une punition par retrait du stimulus qui consiste

FIGURE 75.1 Procédure de punition par retrait du stimulus

1612

R

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

à retirer, en guise de conséquence à l’émission d’une réponse indésirable, un stimulus dont l’eet vise à diminuer la fréquence d’apparition de cette réponse, que l’on peut représenter comme dans la gure 75.1 (voir aussi le tableau 75.1). Que l’on veuille modier un comportement inadapté ou adapté, la procédure est la même et comprend les points suivants : • une analyse fonctionnelle du comportement ; • une dénition de la modication désirée ; • une restructuration de l’environnement en termes de conséquences du comportement à créer ou à éliminer ; • une évaluation continue des résultats. Pour Skinner, le comportement de l’être humain s’explique non pas à partir d’états ou de construits internes, mais à partir de la relation qui existe entre l’émission d’un comportement et ses conséquences dans une situation spécique (contingences). C’est l’analyse fonctionnelle ou analyse des contingences qui permet de comprendre pourquoi un comportement se maintient, et l’histoire passée des contingences de renforcement permet de comprendre comment un comportement s’est établi et comment il a évolué. En fait, la notion de contingence est une relation entre deux choses, une liaison entre deux stimuli. Par exemple, une relation de contingence (de renforcement ou de punition) est une relation séquentielle entre l’apparition d’un comportement et les événements qui le suivent. Le processus consistant à ajouter ou retrancher un stimulus, comme conséquence d’un comportement, dans le but d’en faire augmenter la fréquence d’apparition, est un type de contingence que l’on appelle « renforcement ». La punition est un autre type de contingence qui vise à faire diminuer la probabilité d’apparition d’une réponse. Le renforcement et la punition sont des opérations à la base du conditionnement opérant. Voici une courte dénition des diérents types de renforcement et de punition avec de courts exemples à l’appui :

• un renforcement positif (par addition d’un événement) est tout stimulus qui, survenant à la suite d’une réponse, augmente ou maintien la probabilité d’émission de cette réponse. Par exemple, lorsque Charles aide sa mère, celle-ci le félicite ; • un renforcement négatif (par soustraction d’un événement) est tout stimulus qui peut être évité ou interrompu par l’émission d’un comportement désiré. Par exemple, lorsque Charles aide sa sœur à faire ses devoirs, sa mère diminue systématiquement sa part de tâches ménagères ; • la punition positive (ou la punition par addition d’un événement) consiste à émettre, à la suite d’un comportement, un stimulus aversif qui entraînera une diminution de la fréquence d’apparition de ce comportement. Par exemple, lorsque Charles se dispute avec sa sœur, sa mère lui donne certaines corvées supplémentaires à faire ; • la punition négative (ou la punition par soustraction d’un événement) consiste à enlever un stimulus agréable ou l’accès à des agents de renforcement à la suite d’un comportement inapproprié ou indésirable, opération entraînant une diminution de la fréquence d’apparition de ce comportement. Par exemple, lorsque Charles se dispute avec sa sœur, sa mère le prive de dessert. Il existe plusieurs composantes aux règles et principes du conditionnement opérant, dont : • les types de renforçateurs (primaire, secondaire, secondaire généralisé, naturel ou intrinsèque) ; • les procédures spéciques de renforcement (façonnement, procédure en chaîne) ; • les procédures d’extinction (extinction d’un comportement renforcé positivement ou négativement) ; • les programmes de renforcement continu, intermittent, à proportion ou à intervalle (xe, variable) ; • la variabilité du comportement (généralisation et discrimination).

TABLEAU 75.1 Contingences opérantes et leurs caractéristiques

Conséquences du comportement Addition d’un stimulus ou d’un événement à la situation

Soustraction d’un stimulus ou d’un événement à la situation

Effet sur le comportement

Fonction du stimulus

Nature du stimulus

Nom technique de l’opération (procédure)

Augmentation ↑ de la probabilité de réapparition du comportement désirable

Agent de renforcement positif (SR+)

Stimulus dit appétitif (p. ex., féliciter une personne qui a bien accompli une tâche qui lui avait été demandée)

Renforcement positif + (par addition d’un événement)

Diminution ↓ de la probabilité de réapparition du comportement indésirable

Agent de renforcement négatif (SR+)

Stimulus dit aversif (p. ex., interdire à un enfant de manger avec ses doigts, car il va salir ses vêtements)

Punition positive + (punition par addition d’un événement)

Augmentation ↑ de la probabilité d’apparition du comportement désirable

Agent de renforcement négatif (SR-)

Stimulus dit aversif (p. ex., fermer la fenêtre lorsqu’il y a un courant d’air désagréable)

Renforcement négatif − (par soustraction d’un événement)

Diminution ↓ de la probabilité de réapparition du comportement indésirable

Agent de renforcement positif (SR-)

Stimulus dit appétitif (p. ex., Punition négative − (par enlever la moitié de soustraction d’un l’allocation hebdomadaire à événement) un adolescent qui passe trop de temps sur les médias sociaux)

Sources : Adapté de Malcuit & al. (1995) ; Clément (2006) ; L’Abbé & Marchand (1984).

Chapitre 75

érapie comportementale

1613

i

Un supplémentaire d’information sur ces notions est disponible dans les livres de Malcuit, Pomerleau & Maurice (1995) et Martin & Pear (2007).

Il faut attendre les travaux de Lindsey, puis ceux de Ayllon et Azrin avant que les principes d’apprentissages ne soient appliqués dans les hôpitaux psychiatriques. Durant cette période, les nombreux travaux de Skinner, Wolpe, Eysenck, Marks et d’autres chercheurs permettent d’établir une série de procédures (opérations) et un cadre théorique favorisant l’émergence de la modication du comportement avec la méthode du conditionnement opérant. Les méthodes s’étendent à la psychothérapie, aux domaines de l’éducation et de l’enseignement ainsi qu’à la résolution de problèmes sociaux. Ainsi, le terme thérapie comportementale recouvre un nombre important de stratégies spéciques qui se fondent sur les principes de la psychologie de l’apprentissage et que l’on utilise an de modier les comportements humains inadaptés, autodépréciateurs, etc. Les premiers groupes traités sont surtout des patients délaissés par les approches traditionnelles (décients intellectuels, enfants autistes, patients atteints de schizophrénie chronique, patients dépressifs ou anxieux, individus sourant de dysfonctions sexuelles, etc.) mais, peu après, des groupes cibles plus variés (enfants en milieu scolaire, adultes aux prises avec des phobies, etc.) protent des interventions comportementales. Qui plus est, les thérapeutes employant cette approche peuvent aussi aider les individus présentant un problème d’ordre non psychopathologique et traiter avec succès divers types de décits touchant l’armation de soi, certaines habiletés sociales, le contrôle de soi, ou la gestion du stress, etc.

75.1.3 Modications cognitives et comportementales Les principaux chercheurs et cliniciens s’intéressent initialement aux comportements mesurables, observables et accordent une importance secondaire aux processus mentaux comme les pensées et les émotions enfermées, comme une boîte noire (black box). Entre les années 1960 et 1980, certains chercheurs et cliniciens s’aperçoivent qu’ils doivent emprunter de nouvelles avenues pour améliorer l’ecacité de leurs interventions et commencent à enrichir leurs pratiques de plusieurs éléments de l’approche cognitive qui prend son essor. Ce rapprochement permet d’élaborer divers modes d’intervention comportant des stratégies à la fois comportementales et cognitives. C’est le mouvement dit des « modications cognitivocomportementales ». En fait, les stratégies d’intervention comme l’apprentissage par modelage et l’auto-instruction s’apparentent à la thérapie cognitive ou à la restructuration cognitive, en ce sens qu’ils ont comme objectifs la reconnaissance et la modication des pensées dysfonctionnelles du patient. Elles s’en distinguent toutefois par le fait qu’elles sont plus axées sur l’action et qu’elles font davantage appel à l’ensemble des ressources cognitives, aectives, relationnelles et surtout comportementales de l’individu.

de la théorie de l’apprentissage. Elle intègre des phénomènes cognitifs souvent négligés par les théories de l’apprentissage précédentes et se fonde sur des bases expérimentales. Les désirs et les décisions de l’individu sont inuencés par des facteurs internes, tels que ses pensées et ses croyances. Pour Bandura, la motivation est à la fois externe et interne. Le plus souvent, le comportement ne dépend pas seulement de l’environnement, mais repose tout autant sur ce qui se passe chez l’individu. Bandura distingue deux phases dans le processus d’apprentissage social par observation (appelé aussi apprentissage vicariant) : 1. Phase d’acquisition. Lorsqu’une personne observe le comportement d’une autre, elle apprend ce comportement en observant le modèle. Dans cette phase, l’apprentissage s’établit sans que des renforcements externes ne soient nécessaires et sans que la personne ne passe à la pratique du comportement qu’elle vient d’observer. 2. Phase de performance. La personne imite le comportement observé et appris, et la réussite de sa performance devient un renforcement du comportement acquis. Contrairement à la théorie de Skinner, la modication du comportement repose sur l’anticipation de la réussite de la performance. C’est de l’anticipation que découle le renforcement interne. L’individu en déduit que, s’il parvient à reproduire les comportements qu’il a observés, il en retirera lui aussi des bénéces. Dans la théorie de l’apprentissage social, quatre stades permettent à la personne de reproduire un comportement fonctionnellement équivalent à celui du modèle observé (voir la gure 75.2) : 1. L’attention qui permet d’observer et de coder l’information ; 2. La rétention mnésique avec un processus symbolique (la production d’une représentation mentale, imagée et concrète FIGURE 75.2 Apprentissage par modelage

La thérapie cognitive est présentée en détail au chapitre 76.

Modèle d’apprentissage social de Bandura Après avoir été initialement inuencé par le courant béhavioriste, Albert Bandura (1925-) s’en est détourné, en soulignant l’importance des facteurs cognitifs. Néanmoins, la théorie qu’il élabore dans les années 1970 représente l’aspect le plus achevé

1614

Sources : Adapté de Cottraux (2004), p. 45 ; Bandura (1977).

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

d’une notion, d’une information plus ou moins abstraite) et une organisation cognitive (répétition symbolique et répétition motrice mentale de cette information ou de cette notion) ; 3. La reproduction motrice du comportement observé ; 4. La motivation qui peut intervenir à chacun des stades du processus d’apprentissage par imitation. On distingue trois diérentes formes de renforcement dans le déroulement du processus d’apprentissage : 1. Le renforcement vicariant. Le renforcement vicariant est le procédé par lequel une personne observe le comportement d’un autre individu ainsi que les conséquences négatives ou positives reliées à ce comportement. Par la suite, elle imitera ce comportement, ou s’en abstiendra, en fonction des conséquences observées. Le processus symbolique vicariant consiste, quant à lui, à observer par le biais de la représentation mentale. Par la pensée, la personne peut émettre et vérier diérentes hypothèses sans avoir à poser des gestes concrets. 2. Le renforcement interne (ou autorenforcement) est à l’origine de la motivation découlant des processus cognitifs de la personne, dont les croyances qui l’amènent à prévoir des conséquences positives ou négatives dans la réalisation de ce comportement. En fait, l’autorenforcement est lié à l’anticipation de conséquences positives ou négatives, qui déclenche le processus d’attention en vue d’imiter le modèle. 3. Le renforcement externe survient à la suite de l’imitation du comportement (conditionnement opérant). Vers 1997, Bandura élabore une théorie générale du changement comportemental fondée sur le concept d’ecacité personnelle perçue (self-ecacy). L’augmentation de la perception d’ecacité personnelle serait un élément renforçateur dans l’émission de comportements chez un individu. En plus de l’apprentissage par modelage, l’approche comprend d’autres stratégies, comme la restructuration cognitive.

Concept d’attribution Une attribution constitue une explication élaborée par l’individu concernant la cause d’un événement ou d’une situation particulière. Par exemple, il a échoué à son examen parce qu’il était malade, ou que ses parents avaient eu un accident la veille, ou parce qu’il y avait trop de bruit, trop de distractions. La manière dont l’individu perçoit la cause de son problème inuence largement son état psychologique et ses prévisions quant à son évolution. En fait, divers modèles conceptuels ont été avancés à propos du rôle des attributions concernant l’origine et le rétablissement des problèmes de santé. Un des précurseurs de ce modèle est Rotter (1966). Il propose le concept de « locus (lieu) de contrôle », une notion de la plus haute importance dans toute forme d’intervention en raison de son inuence prépondérante sur l’issue du traitement. Ce concept présuppose que l’individu établit une relation entre ce qu’il fait et l’amélioration de ses dicultés. Lorsque l’amélioration de l’état d’une personne est perçue comme une situation ne dépendant pas entièrement de son action, elle est alors considérée comme étant l’eet du hasard, de la chance, du destin ou encore d’une situation sous le contrôle de forces extérieures puissantes et imprévisibles. Lorsque l’individu interprète un phénomène de cette façon, il entretient l’idée d’un locus de contrôle externe.

Cependant, s’il perçoit que le phénomène en question est la conséquence directe de son propre comportement, on parle alors de croyance en un locus de contrôle interne. Le modèle de l’impuissance apprise (learned helplesness) de Seligman (1975) permet de bien illustrer la nature du locus de contrôle et l’impact environnemental pouvant contribuer à sa localisation. Selon cette conceptualisation, la dépression chez un individu résulte de la perception d’une perte de renforcement positif. En termes cognitifs, un patient dépressif, à la suite d’un échec perçu, procède à un jugement (ou attribution) de causalités. Il existe donc chez l’être humain trois dimensions de l’attribution qui peuvent faire l’objet de modications en thérapie : internalité/ externalité, globalité/spécicité et stabilité/instabilité. • En cas d’échec, l’individu s’attribue (internalité) toute la responsabilité qui s’étend à l’ensemble (globalité) des domaines de son existence et il considère que cela est dénitif (stabilité). • En cas de réussite ou d’événement positif, l’individu émet des attributions externes (p. ex., le hasard, les autres en sont la cause), spéciques (p. ex., l’événement est unique, isolé) et instables (p. ex., la situation ne durera pas).

Entraînement par auto-instruction de Meichenbaum Dans les années 1970, D. Meichenbaum a mis au point une procédure en plusieurs étapes pour changer les autoverbalisations dysfonctionnelles des individus en relation avec l’internalisation du locus de contrôle de leurs comportements. Son traitement par auto-instruction suit généralement quatre étapes : 1. Fournir des explications claires concernant la présence des autoverbalisations et du rôle néfaste qu’elles jouent dans l’origine et le maintien du problème ; 2. Reconnaître les discours intérieurs négatifs, c’est-à-dire amener le patient à reconnaître de façon précise ses autoverbalisations négatives qui sont plus ou moins conscientes. Ainsi, après plusieurs essais d’auto-observation, il peut arriver à clarier ses verbalisations durant une situation de crise et à les noter ; 3. Remplacer le discours intérieur négatif par un discours plus réaliste et plus positif. Par exemple, avant, pendant et après la situation de crise, le patient anxieux peut apprendre à se dire ou à lire des phrases plus adéquates comme « l’anxiété est désagréable, mais elle n’est pas dangereuse et elle ne m’empêche pas de penser ni d’agir. » 4. Passer progressivement à l’action. Plus précisément, le patient va commencer à s’exposer aux situations qu’il perçoit comme menaçantes ou anxiogènes en utilisant un nouveau discours intérieur. Ainsi, il peut non seulement modier ses croyances dysfonctionnelles en utilisant des auto-instructions, mais également s’en servir an de guider et de structurer son action.

75.1.4 Fondements théoriques de la thérapie comportementale Malgré une vision parfois restrictive, les comportementalistes ne se sont pas contentés de mettre au point et de proposer une série de stratégies de modication du comportement. Ils ont aussi établi : • des principes fondamentaux qui ont inspiré, encouragé et stimulé leur application en clinique ;

Chapitre 75

érapie comportementale

1615

• une méthodologie d’intervention distincte ainsi qu’une série de

• les comportements d’évitement comme se retirer ou

stratégies d’interventions ecaces et basées sur des données probantes an de modier les comportements problématiques. Cinq principes régissent l’approche des comportementalistes : Le patient doit être actif et participer au processus thérapeutique. L’accent est donc mis sur sa responsabilisation ; il doit changer sa façon de penser, de planier, de résoudre ses problèmes, de prendre des décisions, etc. Il doit s’insérer dans un processus d’apprentissage, de changement et de maintien des acquis. De plus, on met l’emphase sur sa motivation à changer en dénissant des objectifs spéciques, en clariant les bénéces potentiels de l’apprentissage et en répondant à ses questions, en plus d’établir une relation thérapeutique de collaboration. La thérapie comportementale est une approche plus méthodologique que technique. Pour être un bon thérapeute comportementaliste, l’application des concepts et de la méthode doit primer l’application rigide des techniques spéciques. Une hypothèse faite avec le patient est vériée par l’évaluation de l’ecacité de l’intervention. Les comportementalistes ont utilisé des méthodes rigoureuses an d’évaluer les résultats de leurs thérapies et ils continuent de le faire. La notion d’apprentissage occupe une place primordiale dans la compréhension et le traitement des problèmes de santé mentale. Les comportements sont tous régis par les mêmes principes. Les comportements inadaptés sont acquis par apprentissage, comme n’importe quel autre comportement. Qu’ils soient fonctionnels ou dysfonctionnels, ils peuvent ainsi être désappris ou remplacés à l’aide de moyens appropriés. la modication des comportements s’eectue selon une approche scientique en cinq phases : a) Observation. L’observation systématique et objective du comportement cible permet d’élaborer une analyse fonctionnelle des contingences des comportements problématiques. Cette première phase de la modication des comportements consiste en une analyse qui tente de situer la problématique dans une optique comportementale en dénissant, de manière opérationnelle et avec la participation active du patient, le comportement à modier. Il doit être déni en termes concrets, observables et mesurables (nature, fréquence, durée, degré de détresse associée, etc). Cette démarche se fait en précisant : • les facteurs précipitants et modulateurs qui précèdent le comportement cible, qui déclenchent le comportement problématique, par exemple voir un chat ou une araignée pour un phobique ; • les facteurs de maintien, par exemple éviter de poser une question en classe par crainte d’être jugé négativement ; • les conséquences qui peuvent favoriser ou restreindre les occurrences ultérieures du comportement cible, par exemple féliciter un enfant après qu’il se soit armé adéquatement ; • les comportements d’échappement qui consistent à fuir pour s’éloigner des situations perçues comme menaçantes, par exemple quitter précipitamment un endroit au début d’une crise de panique ou si on se fait poser une question par le professeur, se laver compulsivement les mains après avoir touché à une poubelle ;

s’isoler pour ne pas risquer d’être en contact avec ces situations aversives an de ne plus éprouver de réactions désagréables, par exemple ne pas se présenter à un cours ou à un événement parce qu’on craint de devoir parler en public, éviter de prendre un couteau par crainte de se blesser ou de blesser quelqu’un ; • les comportements sécuritaires qui permettent d’affronter avec un certain sentiment de sécurité des situations anticipées comme erayantes, par exemple observer longuement une situation avant de s’y engager ; • les forces et les ressources de l’individu, par exemple sa capacité à maintenir un emploi. C’est donc en décrivant les déterminants cliniques des dicultés du patient, ainsi que ses forces, que le thérapeute l’amène à reconnaître le changement qui se produira dans sa vie s’il en vient à modier le ou les comportements ciblés. Le thérapeute cherche à modier tous ces facteurs pour agir sur le comportement cible. b) Objectif. Cette deuxième phase de la modication des comportements consiste à dénir et à choisir le ou les objectifs de traitement ou, autrement dit, à établir les objectifs à atteindre de façon claire, précise et bien délimitée. Pour ce faire, le thérapeute élabore progressivement avec le patient des hypothèses explicatives concernant les causes du problème et formule des moyens à mettre en place an d’atteindre les objectifs visés. Dans certains cas, le simple fait d’énoncer et de bien dénir des objectifs thérapeutiques contribue à améliorer la condition mentale ou physique du patient en enclenchant la modication du comportement. Ainsi, le comportement est fondamentalement orienté vers un but dans une perspective plus immédiate et il est motivé par le désir d’atteindre les objectifs formulés. L’utilisation d’une grille où sont inscrits les objectifs et l’évaluation du degré d’atteinte des objectifs peut s’avérer ecace et bénéque (voir la gure 75.3). Un tel procédé a l’avantage d’aider le patient à adopter un rôle actif dans le déroulement de sa thérapie. Les devoirs ou exercices sont d’autres outils propres à la thérapie comportementale favorisant ce rôle actif du patient. c) Mise en œuvre. Cette troisième phase de la modication des comportements consiste à mettre en œuvre un programme de thérapie comportant les moyens les plus ecients pour atteindre les objectifs xés à court, à moyen et à long terme. Le thérapeute élabore avec le patient un plan d’intervention comprenant diverses stratégies. Il tente de favoriser le développement de sa capacité d’autorégulation, d’autogestion de ses comportements an de se prendre progressivement en charge et de parvenir à généraliser les changements appris en dehors des séances de thérapie. Un changement au niveau des connaissances ou des attitudes peut résulter de lectures et d’observations de modèles eectuant le comportement cible. Si le patient désire vraiment parvenir à un changement comportemental, il doit essayer les stratégies enseignées et les pratiquer durant les séances de thérapie et entre celles-ci. En eet, quels que soient les objectifs de changements comportementaux visés (générer, faire cesser ou modier un comportement) et le programme de traitement envisagé, le patient doit

1.

2.

3.

4.

1616

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

FIGURE 75.3 Choix des objectifs et évaluation des résultats NOM :

DATE :

Voici une liste de vos objectifs en début de thérapie. Lire et signer pour approuver chaque objectif. Objectif 1 :

Signature :

Objectif 2 :

Signature :

Objectif 3 :

Signature :

Objectif 4 :

Signature :

Évaluez votre progrès réel dans la poursuite de vos objectifs en considérant les actions que vous accomplissez maintenant de façon régulière et sans difculté. À partir de l’échelle d’évaluation ci-dessous, choisissez, pour chaque objectif, le chiffre qui correspond à votre degré actuel de difculté. « J’éprouve une 0

1

difculté à améliorer mon comportement et j’évalue mon succès à 2

Légère 75 % de succès

Aucune Succès complet

Date :

3

Au début

4

5

6

%. »

7

8

Marquée 25 % de succès

Nette 50 % de succès

Au milieu du traitement

9

10

Très grande Pas même un changement

À la n du traitement

Suite au traitement

Objectif 1 Objectif 2 Objectif 3 Objectif 4

en faire une pratique régulière. C’est pourquoi il doit être d’accord pour mettre le temps qu’il faut et faire les eorts nécessaires à la réussite de la thérapie, tout en étant assuré du soutien du thérapeute. Les exercices ou stratégies d’intervention doivent être réalisés progressivement et peuvent être eectués en milieu réel ou en imagination. Les exercices en imagination ou sous forme de jeux de rôle sont des techniques très utiles, puisqu’ils représentent souvent une étape préliminaire à l’exercice en milieu réel. d) Réévaluation. Cette quatrième phase consiste à réévaluer constamment l’ecacité de la thérapie tout au long de l’intervention. La gestion de l’intervention comportementale exige que les changements soient évalués qualitativement et quantitativement. On évalue habituellement l’ecacité de la thérapie en observant la modication dans le temps des comportements problématiques, modication qui devrait se maintenir après la thérapie. L’évaluation s’eectue en comparant des mesures d’ecacité répétées qui sont eectuées avant, pendant et après le processus thérapeutique. Ces mesures constituent un aspect important de la

thérapie, puisqu’elles fournissent des informations utiles au patient et au thérapeute. Que les choses aillent bien ou mal, les mesures en améliorent la prise de conscience et favorisent les décisions opportunes quant aux stratégies à adopter. Les mesures initiales donnent au patient un avantgoût de la thérapie et établissent déjà un rapport entre l’évaluation et le traitement. En saisissant la pertinence des mesures, le patient apprend à voir son comportement d’une manière plus objective, à situer son anxiété dans un contexte et à consigner avec une plus grande précision les exercices eectués à domicile. La prise de mesures est la première occasion oerte au thérapeute d’amorcer une alliance avec le patient en vue d’établir des objectifs thérapeutiques bien dénis. Le patient se trouve ainsi éduqué à la méthode thérapeutique et scientique propre à la thérapie comportementale. La prise de mesure peut être faite par l’une ou l’autre des modalités suivantes (Antony & Barlow, 2002) : • les entrevues semi-structurées ;

Chapitre 75

érapie comportementale

1617

• les questionnaires autorapportés (habituellement basés sur une échelle de 0 à 10) ; • les informations provenant des pairs ; • les mesures d’autoenregistrement ou d’agenda du comportement (voir la gure 75.4) ; • les grilles d’observations directes du comportement ; • les mesures psychophysiologiques comme le rythme cardiaque et la réponse électrodermale ; • l’évaluation subjective de la modulation des changements selon la perspective du patient et du thérapeute. Chacune de ces modalités évalue un type particulier de comportements (pensées, comportements observables, réactions physiologiques, etc.). Puisqu’un problème clinique comporte toujours plusieurs dimensions, il est important d’utiliser diérentes modalités de mesure lors de l’évaluation d’un patient an de ne pas restreindre les données recueillies à un seul type d’information. De plus, les mesures doivent être soigneusement expliquées au patient. Si possible, elles devraient comprendre des observations provenant de l’entourage familial et d’autres observateurs. La thérapie se termine lorsque le patient a atteint ses objectifs et s’est amélioré susamment sur un ensemble de mesures, de même que dans son fonctionnement général quotidien. Certains ouvrages comme celui de Bouvard & Cottraux (2005) présentent des instruments empiriques, validés en français et accessibles aux cliniciens et aux chercheurs. Les centres de recherche universitaires peuvent également être une source d’instruments traduits et validés en français pour les cliniciens. Parfois, il faut construire de nouveaux outils de mesure pour traduire la condition particulière du patient. Dans de tels cas, il faut établir avec lui une façon de coter l’intensité et/ou la fréquence de tout élément que la thérapie peut modier. En cas de doute sur la précision des mesures, la tenue d’un journal comportemental ou d’un calepin d’auto-observation peut s’avérer très utile. Le fait de transcrire les mesures cliniques sous forme graphique permet une meilleure visualisation des résultats. Le monitorage apporte une rétroaction rapide et visuelle du comportement, aussi bien pour le patient que pour le thérapeute, et détecte plus facilement l’inuence d’un changement de circonstances. En regardant les graphiques,

il est plus facile de suivre l’évolution du patient et de faire les ajustements nécessaires pour améliorer la situation. Les graphiques peuvent également être une source de renforcement pour le patient lorsqu’il y a amélioration. e) Maintien des acquis. Cette cinquième phase de la modication des comportements a lieu en n de thérapie. Le thérapeute met en place un programme de maintien des acquis à court, à moyen et à long terme (généralisation des apprentissages), de prévention de la rechute et choisit le meilleur moment pour mettre n à la thérapie. Il réalise, avec l’aide patient, un bilan des suivis (les stratégies apprises, les exercices ecaces, ce que le client a apprécié, les dicultés, etc.). Il discute avec lui des possibilités éventuelles de rechute et de la façon de les prévenir (p. ex., par l’identication des signes avant-coureurs et de la façon de réagir sans paniquer durant ces moments). Il encourage le patient à utiliser ses nouveaux « outils » dans des contextes diérents an de diminuer les risques de dérapage. Il peut même faire des mises en situation (comment le patient réagirait-il si … ?) pour l’aider à faire face à certaines dicultés. Finalement, il aide le patient à mettre n à la thérapie en tenant compte des craintes de celui-ci quant à l’arrêt du traitement (p. ex., il peut espacer les rencontres, laisser une porte ouverte en cas de besoin ou trouver d’autres ressources à sa disposition). 5. Adoption d’une attitude active et directive dans le processus thérapeutique. En fait, toutes les étapes de la démarche comportementale mènent vers une intervention structurée adaptée aux problèmes du patient dans le but de modifier un ou plusieurs comportements jugés insatisfaisants ou inadaptés. Pour y parvenir, le thérapeute doit montrer de la chaleur, de l’empathie et de l’authenticité envers le patient. Il doit aussi tenir compte des attentes du patient, de sa motivation, de ses forces et faiblesses et il doit adopter la plupart du temps une attitude active et directive dans le processus thérapeutique tout en favorisant l’autogestion de l’intervention par le patient. Il va de soi que les mots « actif » et « directif » ne correspondent pas à une règle rigide ; ils servent à désigner un style de thérapie qui doit être avant tout souple et adapté aux besoins du patient en toute circonstance. En fait, le thérapeute intervient fréquemment, surtout en début de thérapie. Il ne se contente pas d’écouter le patient, mais échange avec lui, le renseigne, lui propose des stratégies, des conseils, l’oriente, etc.

FIGURE 75.4 Exemple d’un autoenregistrement (self-monitoring)

Jour

Heure

Chaque fois que vous avez une attaque de panique, notez les éléments suivants Situation Sensations physiques Pensées

Action

Mardi

7 h 15

En conduisant vers le travail

Soufe court, cœur qui bat fort

Je vais mourir.

Arrêt de la voiture sur le côté de la route

Mercredi

11 h 45

En conduisant pour aller dîner avec des amis

Transpiration, soufe coupé, battements cardiaques accélérés

Ils vont penser que je suis folle, peut-être le suis-je.

J’ai dit à mes amis que je ne me sentais pas bien et que j’avais besoin de retourner à la maison.

Mercredi

20 h

À l’épicerie

Cœur qui débat, battements cardiaques accélérés, difculté à respirer

Je dois sortir de l’épicerie, sinon je vais arrêter de respirer.

J’ai laissé mon chariot rempli dans l’allée et je suis partie à la maison.

1618

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

Le thérapeute doit inviter le patient à appliquer des techniques d’autorégulation, comme l’auto-observation, l’autoévaluation ou la résolution de problèmes. L’accent est mis sur l’autocontrôle. Donc, la collaboration entre le thérapeute et le patient est un élément essentiel dans le processus thérapeutique. Le thérapeute joue un rôle d’entraîneur et de guide. Lorsqu’il essaie d’aider un patient à développer de nouvelles habiletés, il doit considérer les propositions et les hypothèses du patient plutôt que de prescrire les siennes.

75.2 Application clinique Dans cette approche, les patients sont perçus comme des individus qui vivent « d’une façon inadaptée » et non comme des patients qui ont une maladie à traiter. Le thérapeute aide le patient à comprendre ce qui ne fonctionne pas bien dans sa vie actuelle et à ajuster ses comportements an de redevenir fonctionnel.

75.2.1 Procédures de gestion de l’anxiété Durant la période de 1950 à 1970 environ, on a mis au point de nouvelles stratégies qui s’inscrivent dans le mouvement en faveur de la modication du comportement. Plusieurs autres ont été créées durant la période plus marquée du courant des modications cognitivo-comportementales, soit de 1960 à 1980. La plupart de ces stratégies sont fondées sur des données probantes et il est possible de les appliquer dans diérents contextes, avec certaines psychopathologies et certains patients, pourvu qu’une évaluation fonctionnelle des dicultés du patient ait été faite et qu’un plan de traitement bien structuré et adapté à ses besoins ait été établi. Voici une liste non exhaustive de ces nouvelles stratégies.

Entraînement à la relaxation La plupart des méthodes conduisant à la relaxation se basent sur ce qu’on appelle la relaxation progressive des muscles. Inspirée par Jacobson (1938), cette méthode comporte une série d’exercices au cours desquels le patient doit contracter une douzaine de groupes de muscles, puis de relâcher la tension de façon à créer un contraste entre la tension et la détente. Il doit se centrer sur l’état de tension, puis sur l’état de détente, de façon à bien identier les deux états et apprendre à les reconnaître. On a fréquemment recours à cette technique en thérapie comportementale an de permettre l’apprentissage d’une nouvelle habileté. Qui plus est, la relaxation est souvent intégrée dans le processus thérapeutique en même temps que d’autres méthodes. Bien qu’elle ait été conçue pour traiter diverses phobies, l’entraînement à la relaxation semble particulièrement ecace dans le traitement du trouble d’anxiété généralisée, du trouble panique, de l’insomnie, des céphalées (migraines), des lombalgies, de l’épilepsie et des symptômes de sevrage. La relaxation est présentée en détail au chapitre 83, à la section 83.1.

Rééducation respiratoire et respiration diaphragmatique L’entraînement au contrôle respiratoire est considéré comme une forme de relaxation et fait souvent partie intégrante des procédures de relaxation utilisées pour traiter l’anxiété et le stress (Barlow, 2007 ; Craske & Barlow, 2006). En fait, une respiration lente et profonde à partir du diaphragme procure un état subjectif

de relaxation, ainsi que des eets physiologiques contraires à l’hyperventilation et à l’activation du système nerveux autonome. Lors de la rééducation respiratoire, le thérapeute a pour objectif d’amener le patient à respirer lentement et à utiliser davantage son diaphragme en appliquant diérentes étapes et consignes (Marchand & Letarte, 2004). En respirant de cette façon, il stimule l’activation de son système nerveux autonome parasympathique, qui entraîne diverses modications physiologiques qui favorisent une plus grande détente, tout comme la relaxation.

i

Un supplémentaire d’information sur les principales étapes et consignes à donner aux patiences pour bien apprendre et assimiler cette stratégie est disponible dans les ouvrages de Marchand & Letarte (2004) et Craske & Barlow (2006).

Indications Les données probantes concernant la rééducation respiratoire et de la respiration diaphragmatique sont relativement semblables à celles de la relaxation. Les personnes manifestant des symptômes d’anxiété chronique, tels que le trouble panique ou le trouble d’anxiété généralisée, tirent généralement un grand prot des techniques de rééducation respiratoire. Dans le cas du trouble panique, il est possible de recourir à cette technique pour enrayer l’hyperventilation qui est parfois à l’origine des attaques de panique. Cependant, elle est de moins en moins utilisée chez les individus qui ne font pas d’hyperventilation, car elle ne constitue pas une stratégie essentielle et elle exige beaucoup de temps d’apprentissage. Par ailleurs, certains patients peuvent se servir de cette méthode comme un moyen d’évitement lors de l’exposition à des situations anxiogènes et ainsi retarder l’extinction/habituation des réponses de peurs. Par contre, chez les patients sourant d’un trouble d’anxiété généralisée, la respiration diaphragmatique est enseignée dans le but de promouvoir un état de relaxation général, ainsi qu’un moyen de gérer la situation lorsque l’anxiété s’accroît. Les personnes atteintes d’autres troubles anxieux ou de symptômes cliniques d’anxiété, ainsi que celles éprouvant divers problèmes physiques reliés au stress (insomnie, hypertension, céphalées, inconfort gastro-intestinal, etc.) peuvent bénécier aussi de ces stratégies, surtout pour ce qui est de l’état de détente et du sentiment de contrôle qu’elles procurent. La respiration diaphragmatique peut être utilisée de façon plus globale auprès de patients intéressés par les stratégies de gestion du stress ou encore pour traiter certaines pathologies du système cardiorespiratoire.

Contre-indications Les individus présentant des problèmes respiratoires, tels que l’asthme, doivent consulter leur médecin avant d’utiliser la méthode de rééducation respiratoire. Certains patients sourant d’un trouble panique sont fortement convaincus que les sensations liées à leurs attaques de panique, comme l’hyperventilation, sont dangereuses et menaçantes. Ils sont donc plus réticents à recourir à des stratégies de respiration contrôlée. Durant la thérapie, il vaut mieux présenter la stratégie comme un outil de relaxation générale plutôt qu’une réponse spécique pour faire face aux épisodes de panique. En général, il est important de mentionner que la technique provoque parfois des sensations inhabituelles, mais qu’elles ne sont aucunement dangereuses. La rééducation respiratoire ne constitue pas une stratégie visant à éviter une catastrophe, mais bien à modier la composante physique des états émotionnels d’anxiété et de panique. Le patient doit donc continuer d’appliquer la technique de rééducation respiratoire

Chapitre 75

érapie comportementale

1619

dans les situations d’anxiété, même s’il survient tout de même des sensations de tension, jusqu’à ce que cette respiration devienne naturelle et remplace l’ancien réexe d’hyperventilation.

75.2.2 Procédures d’exposition aux situations anxiogènes Voici plusieurs procédures qui ont été mises au point dans le but d’apaiser les niveaux d’anxiété.

Exposition en imagination Cette stratégie consiste en une exposition cognitive prolongée à des situations anxiogènes durant laquelle on élimine soigneusement toutes les stratégies de neutralisation, c’est-à-dire toute action physique ou mentale visant à diminuer ou à prévenir l’anxiété et l’inconfort, de même que les comportements d’évitement qui permettraient de ne pas être en contact avec ces situations. Le thérapeute fait appel à des scénarios dramatiques ou catastrophiques an d’exposer le patient, en imagination, à diérentes situations à l’origine de son anxiété. Cette technique a pour objectif d’amener le patient à se familiariser au moins mentalement avec ces situations et de lui apprendre à tolérer l’anxiété qui en résulte. À la suite de ces expositions, l’anxiété tend à diminuer graduellement. L’exposition en imagination est principalement utilisée pour le traitement du trouble obsessionnel-compulsif (TOC), du trouble d’anxiété généralisée (TAG), de trouble de stress post-traumatique (TSPT) et de certaines phobies (p. ex., la phobie des orages, celle des avions et des situations improbables, telles la peur d’un attentat).

Mise en application Dans le cas d’un TOC ou d’un TAG, il faut suivre les étapes suivantes : 1. Bâtir une bonne alliance thérapeutique. 2. Évaluer les pensées obsessionnelles (croyances envers des pensées intrusives, des situations et des stimuli anxiogènes, des conséquences appréhendées) ou les inquiétudes excessives. 3. Expliquer le raisonnement derrière la technique d’exposition en imagination. Il faut bien faire comprendre au patient qu’il est normal d’avoir des pensées intrusives ou de ressentir des inquiétudes de temps en temps. Cela pose problème seulement lorsque survient une interprétation erronée. Il faut bien informer le patient qu’au cours de cette exposition, en imagination, l’anxiété va augmenter, la préoccupation à l’égard de ces pensées deviendra très importante, grandissante et qu’il va être tenté de faire des rituels compulsifs ou des vérications pour contrôler à tout prix ces pensées. 4. Demander au patient d’écrire un scénario d’une à trois minutes dans lequel il décrit une situation qui lui apparaît excessivement anxiogène, tout en évitant les stratégies de neutralisation qui contrecarrent ou aectent la portée de la stratégie d’exposition en imagination. Le scénario doit être écrit au présent et doit provoquer une anxiété relativement élevée, mais tolérable ; il doit être erayant, tout en restant crédible. L’introduction ne doit pas être trop longue et il ne doit pas y avoir de temps morts ; le patient doit décrire la situation de façon détaillée en incluant ce qui se passe au moment présent, ce qu’il fait, ce qu’il voit, ce qu’il entend et ce qu’il pense, de même que les émotions et les sensations qu’il éprouve.

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5. Demander au patient de lire à voix haute le scénario qu’il a rédigé, revu et corrigé sous la supervision du thérapeute, en mettant le plus d’émotion possible dans sa voix. La lecture doit se faire lentement avec des pauses aux moments stratégiques an de permettre aux images mentales et aux émotions de se manifester. 6. Certains thérapeutes demandent à leurs patients d’enregistrer leur scénario sur une cassette audio pendant la séance. Par la suite, les patients peuvent tout simplement écouter le scénario au lieu de le lire. Cette façon de faire facilite l’imagerie mentale et la rend plus eciente. 7. Pendant la séance, ou bien à la maison, le patient relit (ou réécoute) plusieurs fois le scénario tout en s’imaginant dans la scène jusqu’à ce que celle-ci soit moins anxiogène, à un niveau acceptable. Un exercice de 15 à 45 minutes par jour est habituellement susant. Le thérapeute note le niveau d’anxiété avant, pendant et après chaque lecture. Chaque séance dure tant que l’anxiété n’a pas considérablement diminué, soit d’au moins 50 % (comparativement à l’évaluation précédente la plus élevée) ou disparu (environ 30 minutes ou plus, si nécessaire). Il est important que le thérapeute s’assure que, durant l’exposition en imagination, le patient n’inhibe pas ses pensées, ses inquiétudes, ni ne s’engage dans des rituels compulsifs. Il doit fréquemment rappeler au patient que ses pensées obsessionnelles sont normales et sans danger. Pour ce qui est de l’exposition en imagination dans le traitement d’un TSPT, il faut également : 1. Bâtir une bonne alliance thérapeutique. 2. Discuter des réactions du patient à la suite du trauma et normaliser la présence de réactions de stress qu’on peut avoir après avoir vécu un traumatisme. 3. Expliquer le principe de la technique d’exposition en imagination. Il faut mentionner au patient que la majorité des personnes qui subissent un trauma évitent par la suite les souvenirs associés qui resurgissent. Toutefois, en s’exposant à ces souvenirs au lieu de les éviter, les patients comprennent que ce ne sont pas des pensées qui sont intrinsèquement dangereuses et ils nissent par s’habituer à l’anxiété qu’elles suscitent. Éventuellement, les souvenirs du traumatisme peuvent resurgir sans susciter une trop grande anxiété. 4. Commencer l’exposition en imagination. Le patient se remémore le trauma, s’imagine être dans cette situation. On l’encourage à décrire la scène au présent, de la façon la plus détaillée possible en mentionnant les pensées et les émotions ressenties durant l’événement. Le thérapeute doit constamment évaluer le niveau de détresse et d’engagement du patient. Une séance dure entre 45 et 60 minutes. Il est important de discuter de ses réactions pendant l’exposition en imagination, des détails rapportés, etc. 5. À domicile, le patient doit écouter quotidiennement l’enregistrement du récit de l’événement traumatique qu’il a fait lors de l’exposition en imagination. Cette technique fonctionne bien avec le TSPT, car elle favorise l’habituation au souvenir de l’événement traumatique ; elle empêche le renforcement des comportements d’évitement et elle favorise de nouvelles associations cognitives et une verbalisation du traumatisme.

Indications On a souvent recours à l’exposition en imagination lorsqu’il est nécessaire de réaliser rapidement une intervention, dans un laps

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de temps limité. Par exemple, pour traiter une phobie des hôpitaux chez un patient qui doit y séjourner quelque temps. L’exposition en imagination est aussi utile lorsqu’il est impossible de recourir à une exposition in vivo (en réalité) (p. ex., chez les personnes avec des souvenirs intrusifs d’un traumatisme). Ceci étant dit, l’exposition en imagination peut-être utile en particulier pour le TOC, le TAG, le TSPT, certaines phobies spéciques et la phobie sociale.

Contre-indications L’exposition en imagination présente sensiblement les mêmes contre-indications que l’exposition in vivo graduée et prolongée, ainsi que l’exposition sensations physiques intéroceptives (internes). Il faut également tenir compte des contre-indications suivantes qui concernent surtout le traitement du TSPT : 1. Les troubles psychologiques graves chez une victime (symptômes de dépression graves, tendances psychotiques, trouble de la personnalité grave, trouble bipolaire non contrôlé, tendances dissociatives importantes) ; 2. La présence chez la victime de multiples traumatismes ou de graves traumatismes sexuels subis durant l’enfance ; 3. Une histoire d’abus de substances chez la victime ; 4. Une fragilité temporaire de la victime (état de crise, rupture conjugale, procédures judiciaires, etc.) ; 5. Certaines variables cognitives entraînant une trop grande détresse (p. ex., des images de torture).

Exposition graduée et prolongée in vivo L’exposition graduée et prolongée in vivo consiste à placer graduellement et systématiquement le patient en présence de l’objet ou de la situation anxiogène, et ce, dans la réalité plutôt qu’en imagination. Dans cette forme de thérapie, l’exposition in vivo aux stimuli de peur constitue l’élément-clé pour amener les patients à modier leur comportement (McNally, 2007). Par ailleurs, elle demeure la stratégie la plus utilisée actuellement par les thérapeutes cognitivistes et comportementalistes. De plus, l’exposition in vivo s’avère en général plus ecace que l’exposition en imagination, quoique celle-ci puisse être utilisée comme étape préliminaire à l’exposition in vivo. Ce type d’intervention est des plus bénéques dans la plupart des peurs et des phobies spéciques (peur des chats, des araignées, agoraphobie, etc.). D’ailleurs, de plus en plus de cliniciens recourent à la thérapie d’exposition plutôt qu’à la désensibilisation systématique, ce qui laisse penser que la seule exposition peut convenir au traitement de réduction de la peur (McNally, 2007). L’exposition in vivo procède des principes du conditionnement classique et des mécanismes d’extinction ou d’habituation. En fait, par un mécanisme d’extinction, l’exposition in vivo graduelle, prolongée et répétée au stimulus conditionnel réduit la réponse anxieuse. L’exposition à ce stimulus (p. ex., un chat) n’étant pas suivie du stimulus inconditionnel (p. ex., être grié par le chat), la réponse conditionnelle s’atténue progressivement pour nir par disparaître. De plus, si l’exposition dure susamment longtemps, l’organisme s’adapte graduellement à la situation et se calme. C’est le mécanisme d’habituation qui s’accentue au l des séances. Par contre, si l’exposition est trop brève, l’organisme demeure en état d’excitation ; les réactions anxiogènes désagréables persistent alors et le patient devient sensibilisé (autrement dit il a toujours aussi peur, sinon plus, de la situation phobogène qu’avant l’exposition).

Mise en application Pour mener à bien l’exposition graduée et prolongée in vivo, il importe de suivre les étapes suivantes (Craske & al., 2006 ; Craske & Barlow, 2006) : 1. Faire une analyse fonctionnelle des comportements d’échappement et d’évitement an de déterminer avec précision les objets ou situations anxiogènes pour le patient. 2. Expliquer le principe de la stratégie d’exposition in vivo, c’està-dire décrire les concepts naturels de peur et d’évitement qui incitent à rester loin des situations qui provoquent la peur, ainsi que les principes du conditionnement classique. Le patient doit comprendre pourquoi une stratégie d’exposition s’avère être un bon moyen pour traiter son anxiété, alors que spontanément, il cherche plutôt à éviter ces situations. 3. Établir une hiérarchie des situations ou objets anxiogènes selon leur niveau d’anxiété générée. Pour ce faire, les situations (p. ex., traverser un pont ou un tunnel) ou les objets anxiogènes (p. ex., un chat, une araignée) énumérés par le patient sont cotés sur une échelle de Likert (0 à 10), puis ils sont classés en ordre croissant de diculté d’exposition. Chaque item doit être décrit de la façon la plus détaillée et la plus précise possible (de façon similaire au tableau 75.6, à la gure 75.2 et à l’encadré 75.1). 4. Entreprendre l’exposition répétée aux situations ou aux objets anxiogènes, en commençant par l’item le plus bas dans la hiérarchie. Il est important d’encourager le patient à prendre conscience de tous les éléments d’une exposition, autant ceux provenant des situations (externes) que des réponses physiologiques d’anxiété (internes), et de persister jusqu’à l’extinction de l’anxiété avant d’arrêter la séance d’exposition. Lorsque la séance est terminée, le patient doit enregistrer son niveau d’anxiété actuel et décrire son expérience (pensées, niveau d’anxiété, etc.) au thérapeute. 5. Passer à l’item suivant dans la hiérarchie lorsque l’exposition à un item provoque une peur à un niveau léger selon le patient (p. ex., 2 à 3 sur une échelle de 0 à 10). 6. Assigner des travaux à domicile, comme les exercices d’exposition autoadministrés, an de généraliser les gains thérapeutiques à d’autres contextes, notamment en l’absence du thérapeute. Généralement, le thérapeute suggère un minimum de trois exercices par semaine. Toutefois, plus le patient réalise d’exercices et plus il en tire de bénéces. Un exercice continu (p. ex., durant une heure sans arrêt) est généralement plus avantageux que plusieurs exercices interrompus (p. ex., quatre exercices de 15 minutes chacun) puisque l’interruption risque de renforcer le comportement d’évitement et la pensée que les situations sont toujours dangereuses. De plus, l’exposition est plus ecace si tous les aspects de la tâche sont travaillés comme s’il n’y avait pas de peur associée (p. ex., il est moins ecace d’imaginer marcher rapidement sur un pont que de s’arrêter de temps en temps an de regarder l’eau ou les voitures qui passent). Bref, il s’agit d’eectuer une exposition qui s’approche aussi près que possible de la réalité. Si le patient veut absolument mettre un terme à une séance d’exposition qui lui semble trop anxiogène, la meilleure stratégie consiste à suspendre l’exposition et laisser le niveau d’anxiété retomber un peu, puis à reprendre l’exposition, même si l’interruption ne dure que quelques minutes. Enn, après chaque exposition, le patient doit coter son niveau d’anxiété et ne peut

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érapie comportementale

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passer à l’élément suivant de la hiérarchie que si son anxiété est réduite signicativement (c.-à-d. à un niveau léger). 7. Revoir avec le patient ses progrès dans l’application des exercices à la maison et donner de la rétroaction et du soutien s’il éprouve encore certaines dicultés. Il peut également s’avérer utile de rassurer le patient en l’informant que la progression reliée aux eorts investis n’est pas absolument linéaire, qu’elle peut uctuer, connaître des hauts et des bas ou plafonner. Si le thérapeute remarque que son patient applique plus ou moins bien les habiletés apprises durant les séances précédentes, il faut reprendre l’apprentissage de ces habiletés. Enn, s’il n’y a aucune modication au niveau de l’anxiété après quelque temps, le thérapeute doit revoir les modalités d’application des procédures d’exposition avec le patient et réévaluer les raisons pouvant potentiellement expliquer l’absence de changement.

Indications La plupart des individus présentant une anxiété mettant en cause des peurs irrationnelles d’objets précis (phobie des seringues, des araignées, des serpents, des rats, etc.) ou des situations spéciques (phobie des hauteurs, de l’eau, des moyens de transport, etc.) peuvent bénécier de cette stratégie. Plusieurs patients obtiennent des résultats signicatifs également dans le cas de trouble panique, de l’agoraphobique, de phobie sociale, d’un trouble obsessionnel-compulsif, un trouble de stress posttraumatique, une dysfonction sexuelle, de l’hypocondrie et une obsession de dysmorphie corporelle.

Contre-indications Les patients qui éprouvent des problèmes de santé cardiovasculaire (arythmie, maladie cardiaque, etc.) peuvent être incapables de tolérer la forte activation reliée à la peur lors de l’exposition. Il convient alors de procéder à une évaluation médicale avant de commencer l’exercice d’exposition graduée et prolongée in vivo. De plus, les personnes qui vivent des situations physiquement dangereuses (p. ex., en cas de danger réel, comme le fait de vivre avec un individu violent) ne devraient pas entreprendre une stratégie d’exposition avant d’avoir sécurisé leurs conditions environnantes (pour s’assurer que le patient ne court aucun danger). Finalement, l’exposition prolongée in vivo ne convient pas aux individus sourant de psychose, de démence ou d’autres troubles similaires, particulièrement lorsque le comportement d’évitement est considéré comme adaptatif pour l’individu même (p. ex., chez les personnalités schizoïdes). Qui plus est, les patients ne sont pas toujours préparés et désireux de mettre en branle des comportements d’exposition face à leurs situations anxiogènes lorsqu’ils consultent pour la première fois. Dans ce cas, il est nécessaire de commencer par des séances de psychoéducation. De plus, il est possible d’utiliser l’exposition en imagination avant l’exposition graduée et prolongée in vivo lorsque le patient éprouve une peur trop intense pour entreprendre l’exposition dans la réalité (in vivo) en prenant les premiers éléments de la hiérarchie, ou lorsqu’une situation décrite dans la hiérarchie ne peut être confrontée à la réalité. Une solution de rechange consiste à exposer le patient à des stimuli semblables à la réalité en faisant appel à la thérapie d’exposition par la réalité virtuelle.

Désensibilisation systématique La désensibilisation systématique (DS) constitue le prototype de nombreuses stratégies thérapeutiques comportementales dans le

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traitement de l’anxiété pathologique. Mise au point par Wolpe, il s’agit d’une technique de base applicable à de nombreuses situations anxiogènes. Concrètement, la DS consiste d’abord à établir une hiérarchie des peurs du patient (voir l’encadré 75.1) et à lui enseigner une technique de relaxation active. Cette étape franchie, le thérapeute demande au patient, en état de relaxation, d’imaginer la situation la moins erayante autant de fois qu’il est nécessaire jusqu’à pouvoir tolérer cette image sans anxiété. Progressivement, toujours en état de relaxation, le patient imagine des situations qui suscitent habituellement chez lui une anxiété plus intense. Plus la personne s’expose aux situations anxiogènes, plus le niveau d’anxiété s’abaisse progressivement, jusqu’à ce qu’elle n’éprouve plus aucune anxiété à l’égard des stimuli aversifs.

Mise en application Le moment où il devient approprié de recourir à la désensibilisation systématique (DS) dépend du patient lui-même et des problèmes ENCADRÉ 75.1 Exemple d’une liste hiérarchique

de situations anxiogènes

Mise en situation Marie, une jeune femme de 28 ans, a récemment quitté le NouveauBrunswick pour s’installer à Montréal. Ce déménagement a été précipité et elle n’a pas eu beaucoup de temps pour chercher un appartement. Elle a signé un bail pour un appartement dans un immeuble situé à proximité de l’eau. C’est seulement après avoir emménagé qu’elle s’est aperçue de la présence de blattes à l’extérieur et à l’intérieur de l’immeuble. En plus du fait que l’eau attire généralement les insectes, la présence de blattes dans ce quartier de la ville est habituelle et elles y vivent en grand nombre. Il est possible de contrôler les blattes dans l’appartement de Marie au moyen d’un traitement mensuel d’extermination. Même si elle fait effectuer régulièrement ce type d’intervention, ses voisins ne semblent pas se soucier de prévention avec tant d’empressement et elle observe constamment des blattes dans son appartement. La réaction de Marie à l’égard de ces insectes est assez intense. Lorsqu’elle en voit un, elle peut quitter son appartement pour plusieurs heures, en espérant qu’il n’y en ait plus à son retour. Bien qu’elle aime beaucoup son travail, elle pense sérieusement à quitter les lieux et à déménager ailleurs, même si cela devait occasionner une perte nancière considérable. Liste hiérarchique de situations anxiogènes Items

UDS*

Marcher dans la ville et une blatte croise votre trajectoire.

2

S’asseoir sur un banc de parc et une blatte monte sur votre soulier.

3

Marcher en dehors de l’appartement et une blatte croise votre trajet.

4

Monter dans l’ascenseur de l’immeuble et deux blattes sont présentes sur le plancher.

5

Ouvrir la porte de votre appartement et une blatte sort rapidement en même temps.

6

Marcher dans votre salon et une blatte morte se trouve sur le plancher.

7

Ouvrir un tiroir de la cuisine et une blatte en sort rapidement.

8

Se lever le matin et trouver une blatte dans vos cheveux.

9

* UDS : Unités de détresse subjective – selon une échelle de Likert (de 0 à 10)

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associés. Il faut d’abord eectuer une analyse comportementale complète concernant l’identication des stimuli anxiogènes et la pertinence de l’anxiété compte tenu du niveau de danger réel. Il est également important de vérier l’absence de mauvaise conception cognitive chez le patient. Si l’anxiété résulte d’un manque de connaissance de la situation ou de l’objet, il importe d’orir une psychoéducation conforme et appropriée ; après quoi, on peut réviser l’évaluation initiale du problème. Une fois que le thérapeute a retenu la DS comme stratégie d’intervention, il y a six étapes à suivre. 1. La formation à la relaxation, donc l’enseignement de moyens pouvant réduire la tension à l’intérieur du corps. La relaxation progressive des muscles (Jacobson) apporte au patient la réponse antagoniste nécessaire qui lui sert à inhiber son anxiété durant des situations stressantes. La relaxation est présentée en détail au chapitre 83, à la section 83.1. 2. L’élaboration d’une liste hiérarchique des situations anxiogènes à réaliser en même temps que l’apprentissage de la relaxation. En utilisant des informations recueillies auprès du patient, soit à la suite d’une entrevue clinique, soit à l’aide de divers instruments évaluant l’anxiété, le thérapeute et le patient identient une série de situations provoquant un niveau élevé de peur. Des évaluations quotidiennes peuvent constituer un bon moyen de déterminer les situations anxiogènes, en plus de l’observation des comportements du patient durant les entrevues. Il arrive que certaines situations identiées soient nouvelles pour le patient, comme prendre l’avion. Chaque situation évoquée doit comporter susamment de détails pour faciliter la visualisation. La liste doit contenir typiquement entre 10 et 20 items. Lorsque cette liste est constituée, le patient évalue son niveau d’anxiété à l’égard de chacune des situations énumérées. Un ordre est ensuite établi, progressant de la situation la moins anxiogène à la plus anxiogène. Si le patient vit de l’anxiété vis-à-vis de plusieurs stimuli diérents, il est possible d’établir une liste hiérarchique pour chacun des stimuli provoquant de la peur. 3. L’exposition en imagination aux diérentes situations anxiogène débute et se termine par un exercice de relaxation lors de chaque séance. Le patient doit évaluer son niveau d’inconfort de 0 à 10 à l’aide de l’échelle d’unités de détresse subjective (UDS) avant d’entreprendre une exposition en imagination. Au moyen d’instructions verbales, le thérapeute présente d’abord une scène neutre, an de permettre au patient d’évaluer sa capacité à visualiser clairement et à déterminer, s’il y a lieu, les dicultés ou les obstacles révélés. S’il manifeste un niveau élevé d’anxiété à l’égard d’une situation, on retourne souvent à la scène neutre an de retrouver un état plus calme. Lorsque le patient veut indiquer qu’il visualise correctement la scène décrite, il peut émettre un signal (p. ex., lever la main). Lorsqu’il en a une image claire, le patient continue à visualiser la scène durant approximativement 10 secondes. Ensuite, le thérapeute lui demande d’arrêter la visualisation et de noter son niveau d’inconfort. Le patient retourne ensuite à un état de détente. 4. Ensuite, le thérapeute présente le premier élément de la hiérarchie avec des instructions verbales et la même procédure reprend. Le patient doit avertir le thérapeute lorsqu’il visualise adéquatement la scène décrite. La visualisation se poursuit pendant environ 10 secondes. Ensuite, le thérapeute peut passer à l’item suivant. Les premières présentations d’un même item peuvent ne durer

que deux à trois secondes puis se prolonger jusqu’à 10 secondes. Pendant une séance d’exposition en imagination de 30 minutes, le patient devrait être exposé à trois ou quatre scènes. Toutefois, le nombre d’éléments présentés durant une séance ou à travers l’ensemble de la thérapie dépend du niveau de progrès du patient. 5. À la n de chaque séance, et spécialement durant la formation à la relaxation, le thérapeute propose au patient de faire des exercices à domicile et l’encourage à les mettre en application. Ces exercices peuvent comprendre la pratique des stratégies de relaxation ainsi que l’exposition in vivo, c’est-à-dire en réalité. On peut proposer des documents audiovisuels an d’assister le patient dans l’application de la relaxation dans ses activités quotidiennes. 6. Chaque nouvelle séance débute par la présentation de l’élément ayant obtenu le plus récemment un score près de 0 sur une échelle UDS. Quelques réapparitions d’anxiété peuvent survenir lors des scènes auxquelles le patient avait précédemment côté 0 ou bien 1 ou 2. Dans ce cas, on doit présenter de nouveau l’élément de la liste hiérarchique jusqu’à ce que le patient note un niveau d’inconfort de près de 0. Parmi les thérapies disponibles, de nombreuses études empiriques ont montré l’ecacité de la désensibilisation systématique (DS) (Tryon, 2005). La plupart des cliniciens ont toutefois adapté la version traditionnelle an de permettre une compréhension cognitive et comportementale plus élaborée dans le traitement de plusieurs problèmes. Au l des recherches, il est rapidement apparu que la théorie de Wolpe n’était pas adéquate et que « l’ingrédient thérapeutique » procurant à cette technique son ecacité dans de nombreuses pathologies, était tout simplement le fait d’exposer le patient aux objets ou aux situations anxiogènes. Pour des raisons de temps d’application et d’ecacité d’apprentissage, il est suggéré d’utiliser des modalités d’exposition en imagination ou d’exposition graduée et prolongée ou in vivo en premier lieu.

Indications Bien que l’ecacité de la DS ait été empiriquement validée pour traiter les personnes atteintes d’un trouble d’anxiété généralisée, on a généralement recours à cette approche pour aider les personnes sourant de phobies spéciques (notamment à l’égard des animaux, des insectes, de l’eau, de l’avion et des espaces clos). La désensibilisation en situation réelle (c.-à-d., l’exposition graduée et prolongée in vivo) donne de bons résultats chez tous les groupes d’âge, mais elle s’est avérée particulièrement bénéque dans le traitement des phobies spéciques ou des problèmes d’anxiété chez les enfants (étant donné leurs habiletés peu développées relativement au processus de visualisation nécessaire au traitement par exposition en imagination). En clinique pédopsychiatrique, la DS peut faciliter le respect et l’observance des procédures médicales et des traitements. Beaucoup d’enfants refusent de coopérer ou évitent simplement les procédures médicales à cause de la peur ou d’autres aversions qu’ils éprouvent. On a fréquemment recours à la psychoéducation, à l’imagerie visuelle et à d’autres stratégies cognitivo-comportementales an de réduire l’anxiété à l’égard d’une chirurgie ou de toute autre procédure médicale. On peut aussi faire appel à la DS pour aider les enfants qui sourent d’une phobie des aiguilles lors de traitements nécessitant plusieurs prélèvements sanguins. Chez les enfants et les adultes aux prises avec certaines dicultés développementales, la DS peut renforcer la coopération durant les procédures médicales dentaires et la prise de médicaments (chez les enfants autistes et ceux atteints de TDA/H). Certaines

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situations cliniques nécessitent une attention particulière. Les autistes manifestent souvent une hypersensibilité ou d’autres réponses aversives (phobiques) peu communes à des stimuli généraux, tels que la nourriture, la texture de vêtements ou les sons. De plus, les dicultés éprouvées lors d’activités quotidiennes peuvent provoquer chez eux des niveaux élevés d’anxiété.

Contre-indications Trois principales dicultés peuvent expliquer l’inecacité des procédures de DS chez un patient : • une relaxation dicile : des exercices supplémentaires peuvent être nécessaires. Si le patient se sent mal à l’aise lorsqu’il est observé, il est possible de procéder à certains ajustements (p. ex., emploi de textes écrits de relaxation, réarrangement de la salle). • une diculté à établir des hiérarchies : si les peurs et anxiétés du patient ne sont pas abordées correctement, il peut ressentir peu ou trop d’anxiété durant l’exposition. Dans ce cas, il peut être nécessaire de réviser la hiérarchie an de vérier l’exactitude des peurs du patient. • visualisation dicile : un entraînement à la visualisation peut être eectué.

Immersion in vivo Cette technique dière des autres procédures d’exposition par le fait qu’elle débute par une exposition à des stimuli évoquant un niveau élevé de peur, alors que les autres stratégies faisaient appel à un processus plutôt graduel et prolongé. L’immersion in vivo consiste donc à placer le patient directement dans la situation la plus anxiogène (p. ex., en présence d’une couleuvre non dangereuse ou d’un chat) en lui demandant d’y rester jusqu’à ce que l’anxiété diminue ou disparaisse. Cette technique est maintenant moins utilisée que les procédures d’exposition en imagination ou d’exposition graduée et prolongée in vivo, car certains patients ont de la diculté à tolérer un niveau très élevé d’anxiété et de détresse.

Exposition aux sensations physiques intéroceptives (internes) Ce type d’exposition fait partie des interventions comportementales les plus ecaces pour traiter le trouble panique et l’agoraphobie et les autres psychopathologies qui s’accompagnent d’attaques de panique. L’intervention repose largement sur le modèle biopsycho-social de la panique (Craske & Barlow, 2007), dans lequel prédominent le conditionnement et les principes d’apprentissage par association dans le développement et le maintien du trouble panique. L’exposition intéroceptive mise également sur les mécanismes d’extinction et d’habituation. Ce type d’exposition repose sur deux processus d’apprentissage interreliés : • Des stimuli peuvent acquérir des fonctions évocatrices de peur par l’intermédiaire d’un conditionnement pavlovien. Il est possible d’atténuer la capacité de ces stimuli à susciter la peur par la présentation contrôlée et systématique d’indices évoquant la peur (p. ex., en provoquant une augmentation du rythme cardiaque ou une sensation d’étourdissement), mais sans être suivie de la conséquence négative attendue (p. ex., une crise cardiaque ou un évanouissement), ce qui entraine un processus d’extinction. • L’être humain a tendance à éviter ou à fuir des situations trop anxiogènes provoquant des sensations corporelles désagréables. En eet, la régulation des émotions intenses qui surviennent lors d’une situation anxiogène exige des eorts, du temps et

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beaucoup d’énergie. La solution facile et économique sur le plan mental reste évidemment la fuite ou l’évitement de ces situations. L’exposition aux sensations physiques intéroceptives (internes) vise donc à réduire la capacité des indices corporels et des sensations physiques à évoquer une grande peur chez un patient, ainsi qu’à réduire l’évitement comportemental. Le but de cette exposition intéroceptive est justement d’exposer les patients aux sensations corporelles désagréables provenant de situations anxiogènes et de les aider à résister à leur tendance naturelle de fuir. L’exposition intéroceptive dière des autres stratégies d’exposition en ce qu’elle fait appel à des exercices spéciquement conçus pour susciter chez le patient des indices corporels de peur et des sensations physiques liées à la panique. Celui-ci se familiarise graduellement avec ses symptômes lorsqu’il se rend compte que, même si les sensations physiques sont désagréables, elles ne sont pas dangereuses ou menaçantes. Il en résulte ainsi une dédramatisation et une « décatastrophisation » des symptômes physiologiques qui accompagnent les attaques de panique. Le patient appréhende de moins en moins ses réactions physiologiques, il les comprend mieux et manifeste un comportement plus adéquat lorsqu’il ressent de nouveau ses symptômes. L’intervention peut se faire individuellement ou en groupe et elle est généralement de courte durée (4 à 15 rencontres). Bien qu’elle puisse être utilisée seule, elle s’insère généralement à l’intérieur des stratégies de traitement du trouble panique (Barlow, 2007) qui font appel à la psychoéducation, à la démystication des symptômes, à la rééducation respiratoire et à l’exposition graduée et prolongée in vivo.

Mise en application Il existe diérentes façons d’eectuer une exposition aux sensations physiques, car l’application peut varier selon les besoins et la motivation du patient.

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Un supplémentaire d’information sur les étapes suivantes est disponible dans les ouvrages de Marchand & Letarde (2004), Craske & Barlow (2006 et 2007), Anthony & al. (2006) et Schmidt & Trakowski (2004).

1. Procéder à l’évaluation personnalisée et à l’analyse fonctionnelle des dicultés du patient, de ses principales craintes (p. ex., peur de mourir, d’avoir une crise cardiaque, de perdre le contrôle de soi, de devenir fou) et des sensations corporelles ressenties durant une attaque de panique (p. ex., des malaises cardiovasculaires, respiratoires, vestibulaires, consécutifs à l’hyperventilation, liés à la tension musculaire). 2. Commencer l’auto-observation des attaques de panique et des comportements associés dans leur environnement naturel. Le patient doit noter la date et l’heure à laquelle l’attaque a eu lieu, estimer sa durée (en minutes), la situation qui l’a déclenchée, les symptômes ressentis, les indices de déclenchement et de maintien (cognitifs, environnementaux, internes) avant et après l’attaque. Il doit également autoévaluer l’intensité de la peur qu’il a éprouvée lors de l’attaque de panique (voir la gure 75.4). 3. Informer le patient sur le principe de la technique d’exposition aux stimuli physiques intéroceptifs. Certains patients viennent d’abord consulter pour ne plus avoir à ressentir ces sensations corporelles désagréables et l’exposition aux sensations physiques consiste justement à provoquer ces sensations. Il est important d’expliquer les fondements de

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la technique d’exposition intéroceptive, ses diérentes étapes, ses composantes et de bien situer la technique dans l’ensemble du traitement avant de l’appliquer avec le patient. De plus, il est impératif d’expliquer que les sensations physiques désagréables peuvent être inquiétantes, mais qu’elles ne sont pas dangereuses, sinon le patient ne sera pas enclin à participer. Établir une hiérarchie des peurs à l’aide d’une grille d’autoobservation et des comportements associés observés. Sélectionner les exercices d’exposition aux sensations physiques intéroceptives (voir le tableau 75.2) et les ordonner du moins anxiogène (ou plus facile) au plus anxiogène (ou plus dicile). Commencer l’exposition aux stimuli physiques intéroceptifs durant les entrevues en débutant avec les exercices les moins anxiogènes. Assigner des travaux à domicile (exercices d’exposition aux sensations physiques intéroceptives) à faire entre les rencontres. Il faut assigner seulement ceux qui ont obtenu une réduction de 50 % et plus du niveau d’inconfort rapporté, trois fois de suite durant les séances. Les patients doivent commencer dans un environnement confortable et les expositions doivent se dérouler à intervalles réguliers, plusieurs fois dans une même journée. Plus les patients acquièrent les habiletés nécessaires, plus ils peuvent pratiquer leurs expositions dans des environnements de plus en plus stressants. Le thérapeute doit tout d’abord expliquer au patient l’importance de pratiquer ses exercices à la maison, en dehors des rencontres, et s’assurer que les travaux à domicile sont accomplis correctement par la suite. Il doit constamment donner de la rétroaction sur ce qui a été réalisé entre les séances. Surveiller les formes subtiles d’évitement cognitif ou comportemental (p. ex., penser à une situation positive pendant

l’exposition), de fuite (p. ex., simuler un inconfort an de cesser l’exercice) ou de comportement sécuritaire (p. ex., surveiller constamment son pouls). Le thérapeute doit identier ces évitements avec le patient s’ils se manifestent, lui montrer que ces comportements ne sont pas des solutions ecaces et l’aider à les abandonner et à en développer d’autres, plus ecaces. 9. Généraliser les exercices d’exposition aux sensations physiques intéroceptives. Les exercices doivent être pratiqués dans diérents endroits et circonstances. 10. Revoir constamment les progrès eectués par le patient et ajuster la démarche thérapeutique en conséquence.

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Un supplémentaire d’information sur le choix d’exercice à faire est disponible dans les ouvrages Anthony & coll. (2006), Marchand & Letarte (2004), Schmidt & Trakowski (2004).

Indications Ce type d’intervention est indiqué chez les personnes sourant de trouble panique ou qui font fréquemment des attaques de panique (Craske & al., 2007). Elle est aussi ecace pour les individus qui ont des attaques de panique nocturnes et pour traiter le trouble de stress post-traumatique, de même que les situations où des indices corporels désagréables provoquent de la détresse psychologique ou des comportements d’évitement combinés à une dysrégulation émotionnelle excessive. Toutefois, l’ecacité de l’exposition aux sensations physiques intéroceptives ne s’appuie pas sur des données probantes en ce qui concerne les problèmes autres que la panique.

Contre-indications Les personnes sourant de problèmes cardiovasculaires modérés à graves (p. ex., arythmie chronique ou brillation auriculaire), de

TABLEAU 75.2 Exemples d’exercices d’exposition aux sensations physiques intéroceptives

Exercice Retenir sa respiration

Consignes

Sensation visée

Prendre une grande respiration et se couvrir le nez et la bouche avec une main. Durée : 30 secondes.

Impression de manque d’air Peur d’étouffer, oppression dans la poitrine

Respirer à travers une paille Pincer les narines et respirer à travers une paille. Durée : 2 minutes.

Étourdissement

Courir sur place ou monter et descendre une marche

Courir sur place en levant les genoux à la hauteur des hanches si possible ou faire une marche très rapide ; monter et descendre une marche rapidement, à répétition. Durée : 1 minute.

Augmentation du rythme cardiaque, essoufement, chaleur

Tourner sur place

S’asseoir sur une chaise à roulettes, tourner sur place en gardant les yeux ouverts et sans xer de point ou tourner sur place en station debout près d’un mur sur lequel il est possible de s’appuyer lorsqu’on devient trop étourdi. Durée : 1 minute.

Vertige, étourdissement, nausée

Contracter tout le corps

Assis sur la chaise, contracter tous les muscles de son corps en soulevant un peu ses cuisses de la chaise. Durée : 1 minute.

Tremblements et sensation de faiblesse

Hyperventiler

Exagérer la respiration. Inspirer et expirer profondément par la bouche, sufsamment fort pour que l’on entende le soufe. Durée : 1 minute.

Chaleur, transpiration, picotement, oppression à la poitrine, vision brouillée

Redresser la tête

S’asseoir sur une chaise, pencher la tête entre les jambes, plus bas que le niveau du cœur. Après 1 minute, se redresser d’un coup.

Sensation d’étourdissement

Secouer la tête

Pencher la tête légèrement et secouer la tête de gauche à droite en gardant toujours les yeux ouverts. Au bout de 30 secondes, relever la tête et la garder bien droite pour quelques secondes.

Vertige, sensation de perte d’équilibre

Source : Adapté de Marchand & Letarte (2004).

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érapie comportementale

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malaises pulmonaires chroniques (p. ex., asthme), de maladies rénales (p. ex., hypertension artérielle) et de certains problèmes hématologiques (p. ex., anémie) ne peuvent bénécier de la technique intéroceptive. L’intervention est aussi déconseillée aux femmes enceintes. De plus, certains médicaments, tels que les benzodiazépines et d’autres anxiolytiques, peuvent perturber l’exposition intéroceptive en abaissant le niveau de réactivité physiologique. Enn, certains cas de dépression majeure accompagnés d’idéations suicidaires ou d’intentions homicides ne devraient pas faire l’objet d’un traitement par exposition intéroceptive. Il existe par contre des exercices d’exposition aux sensations physiques intéroceptives qui sont inoensifs, peu importe l’état médical, comme retenir sa respiration, xer un point au mur, avaler rapidement, s’imaginer la pire situation ou faire une pression sur le bras.

Exposition par réalité virtuelle La thérapie d’exposition par réalité virtuelle (TERV) est une forme particulière de thérapie d’exposition (in virtuo). La recréation des situations ou des objets phobogènes se fait sous une forme virtuelle, c’est-à-dire en visionnant des scènes en deux ou trois dimensions. Le patient est généralement muni d’un casque et de lunettes permettant une vision en trois dimensions, des capteurs de position de la tête, des écouteurs, voire des gants spéciaux. On présente, en temps réel, un environnement généré par ordinateur correspondant aux situations phobogènes que le patient redoute (p. ex., des turbulences dans un avion) accompagné de stimuli (visuels, auditifs, tactiles) an de recréer un milieu interactif visant à maximiser le degré de réalisme de la situation anxiogène. Le patient peut interagir avec l’environnement qu’il visualise. L’ordinateur enregistre des informations sur la position de l’individu dans l’espace, les déplacements des membres ou tout autre paramètre physiquement mesurable (activité cérébrale, cardiaque, respiratoire, amplitude d’un geste, etc.). À partir des informations obtenues sur les mouvements de la tête, et parfois des mains, des images sont générées en fonction de déplacements réels du patient qui visualise donc un environnement, créé par un logiciel, dont les mouvements sont couplés avec les siens. Selon l’équipe de cyberpsychologie de l’Université du Québec en Outaouais, la TERV comporte plusieurs avantages comparativement aux stratégies traditionnelles d’exposition (in vivo ou en imagination) : • L’environnement virtuel permet de produire des événements imprévus susceptibles de survenir lors l’exposition dans l’environnement réel (p. ex., panne du métro, embouteillage). De plus, l’environnement virtuel permet au patient d’être exposé à certaines peurs qu’il peut être dicile de reproduire en situation réelle (p. ex., peur des orages, des serpents, de l’avion) à l’intérieur d’un contexte sécurisant. • Cette technologie récente permet de minimiser l’évitement, car, avec la TERV, il devient plus dicile pour le patient d’éviter le stimulus phobique puisqu’il se trouve directement confronté à celui-ci sous la supervision du thérapeute. Le thérapeute peut voir à l’écran de son ordinateur l’image projetée dans le casque virtuel grâce à l’appareil de suivi des déplacements. Il peut alors inciter le patient à regarder l’objet phobogène s’il a tendance à dévier son attention de celui-ci. • La TERV permet au patient de mieux contrôler ses rythmes physiologiques. Si son niveau d’anxiété est trop élevé, il peut retourner facilement à un niveau moins anxiogène de l’exposition ou simplement retirer le casque virtuel. Il est aussi

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possible de répéter l’étape d’exposition aussi souvent que nécessaire et ainsi permettre au thérapeute de poursuivre les séances au rythme du patient. La TERV permet de diminuer les coûts occasionnés par une thérapie d’exposition traditionnelle. Plusieurs compagnies d’assurances refusent de payer les thérapies si des séances d’exposition nécessitent de sortir du bureau. En thérapie virtuelle, tout se passe dans le bureau du thérapeute durant moins d’une heure par semaine. Ce type de thérapie peut sembler plus sécurisant pour un patient phobique et l’encourager à consulter.

Mise en application Ce type d’exposition in virtuo exige sensiblement les mêmes étapes décrites pour l’exposition graduée et prolongée in vivo, ainsi que l’immersion.

Indications La TERV est très ecace dans le traitement des phobies spéciques, notamment l’arachnophobie, la claustrophobie, l’acrophobie ainsi que l’anxiété (phobie) sociale.

Contre-indications Il faut cependant être prudent avant de proposer la TERV à des patients sourants de problèmes cardiovasculaires, d’épilepsie, ceux qui consomment des substances avec des eets physiologiques ou psychologiques importants, les patients avec des attaques de panique fréquentes et ceux qui risquent de sourir de cybermalaises. « Les cybermalaises s’apparentent aux malaises dus au mal des transports (motion sickness) et se produisent pendant ou suite à l’immersion virtuelle. On croit qu’ils proviennent surtout d’un conit entre trois systèmes sensoriels : visuel, vestibulaire et proprioceptif » (Michaliszyn, 2010, p. 32). De plus, certains médicaments, tels que les benzodiazépines et d’autres anxiolytiques, peuvent interférer avec la TERV.

Prévention de la réponse La prévention de la réponse (PR) consiste à bloquer l’échappement ou l’évitement de situations générant de l’anxiété ou de la peur. Elle comprend l’emploi de l’exposition. En encourageant le patient à demeurer dans la situation redoutée sans s’engager dans des gestes compulsifs ni dans toute autre forme d’évitement, la PR permet de prendre conscience de l’irréalisme de l’anxiété ou de la peur. Cette technique est surtout employée dans le traitement du TOC. Par le fait même, l’intervention par exposition et prévention de la réponse (EX/PR) repose sur la prémisse que les obsessions et les compulsions sont maintenues par l’évitement des situations, des objets et des pensées évoquant la détresse en raison de leur association à un danger présumé. Prenons l’exemple d’un individu obsédé par la crainte de se contaminer en entrant en contact avec des objets souillés. Dans ce cas, les stimuli anxiogènes sont les diérents objets susceptibles de porter des microbes : les poignées de porte, le linge sale, les poubelles, etc. S’il touche à l’un de ces objets, l’individu devient aussitôt anxieux à la pensée d’être contaminé, ce qui déclenche chez lui un rituel de lavage des mains ayant pour but de diminuer son anxiété. Lors du traitement, on lui demande donc d’entrer volontairement en contact avec ces divers objets – c’est l’exposition in vivo (en réalité) – et de ne pas se laver les mains par la suite - c’est la prévention de la réponse. Pour faciliter sa tâche, on lui suggère de commencer par les objets les moins contaminés selon lui, comme les poignées de porte, pour terminer par ceux qui le sont davantage, comme les

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poubelles - c’est ce qu’on appelle l’exposition progressive in vivo. Le thérapeute pose parfois lui-même ces gestes devant le patient pour lui servir d’exemple (apprentissage vicariant par observation d’un modèle). Le traitement implique l’exposition aux stimuli engendrant les obsessions, tout en empêchant la production des rituels compulsifs. Le but est d’aider le patient à apprendre que son anxiété diminuera d’elle-même et que les conséquences appréhendées ne se produiront pas, et ce, sans rituel ni compulsion.

Mise en application Il s’agit de suivre les trois étapes suivantes : 1. Identier les diverses obsessions et compulsions du patient et préciser leurs interrelations fonctionnelles. Le thérapeute note les diérents stimuli ou facteurs (cognitifs, comportementaux, relationnels, etc.) qui les inuencent. En conceptualisant le TOC, le clinicien doit bien faire la distinction entre obsessions et compulsions ; pour la plupart des patients toutefois, cette distinction n’est pas claire. • Une obsession est un trouble du contenu de la pensée, une idée ou un sentiment qui s’impose à la conscience du patient qui le ressent comme contraignant et absurde et qu’il essaie de réprimer. • Une compulsion est un rituel comportemental, un acte inutile que le patient ne peut pas s’empêcher d’accomplir, même s’il perçoit bien son caractère absurde. L’objectif du traitement vise à empêcher la production des rituels compulsifs, et non d’éliminer les obsessions. Tenter de chasser les obsessions de l’esprit d’une personne peut eectivement produire un eet paradoxal, soit augmenter la fréquence à laquelle les pensées se manifesteront subséquemment. Les pensées ne sont pas intrinsèquement problématiques. C’est plutôt la façon par laquelle les patients gèrent leurs pensées qui tend à maintenir les symptômes du TOC. Un autre élément clé du processus d’évaluation consiste à bien cerner les comportements d’évitement. Alors que les rituels ont certainement pour but de diminuer l’anxiété, ils peuvent également s’avérer embarrassants et constituer une importante perte de temps. Les patients aux prises avec un TOC tentent parfois d’éviter les éléments déclencheurs qui amorcent le cycle des obsessions et des compulsions. Par exemple, une personne craignant que sa nourriture soit contaminée choisit de ne jamais manger à l’extérieur de sa cuisine ; une autre qui craint de provoquer un incendie après avoir oublié d’éteindre le four évite d’utiliser cet appareil. Obtenir une image claire des divers comportements d’évitement est également crucial à une bonne planication du traitement par EX/PR puisqu’il comprend l’exposition aux stimuli évités ainsi que la prévention des rituels subséquents. La procédure de collecte d’informations se complète par l’engagement du patient dans l’auto-observation de soi ainsi que l’accumulation répétée des observations obtenues qui lui permet de prendre conscience des stimuli déclenchant les obsessions et lui procure un aperçu du temps qu’il alloue quotidiennement à l’accomplissement de ses rituels. L’observation de soi aide également le patient à identier des rituels dont il n’avait jusqu’alors pas pris conscience. 2. Implanter la prévention de la réponse (p. ex., pour empêcher le rituel). Dans le cadre d’un protocole de traitement habituel, on consacre habituellement deux séances à cette collecte d’informations. Les 20 à 25 séances suivantes sont destinées aux interventions d’exposition et de prévention de la réponse. Les

sessions durent approximativement deux heures, voire trois, an de disposer d’un laps de temps susant pour permettre une exposition ecace, et ce, au rythme d’une à deux fois par semaine. La meilleure façon d’expliquer la prévention de la réponse au patient consiste à bien expliquer le modèle cognitivocomportemental du TOC ainsi que la relation fonctionnelle entre les obsessions et les compulsions. Le patient doit comprendre que l’objectif de l’intervention par EX/PR consiste à apprendre que l’anxiété diminue d’elle-même sans avoir recours aux rituels et que les conséquences appréhendées sont peu susceptibles de se produire. Il est important de préciser que, tant et aussi longtemps que le patient manifestera ses rituels, il maintiendra ses pensées obsessionnelles. Il peut s’avérer très motivant pour un patient de reconnaître que les pensées obsessionnelles sont une source de détresse et de savoir que l’intensité et la fréquence de ces pensées pourraient diminuer. Évidemment, la majorité des patients se réjouissent à l’idée de ne plus avoir à faire de compulsions, bien que cette perspective puisse s’avérer un peu erayante. Il peut être utile de consacrer quelque temps avec le patient an d’imaginer à quoi ressemblerait une vie sans TOC. Plusieurs mentionnent le désir de consacrer plus de temps à faire des choses agréables et moins de temps à accomplir leurs rituels. Pour la majorité des patients, il est irréaliste de s’attendre à une prévention intégrale de la réponse de tous les rituels (p. ex., lavage, symétrie, vérication) dès le début de la thérapie. Pour certains patients sourant d’un TOC, les rituels occupent leur journée entière et il leur est pratiquement impossible de tout simplement mettre n à ces rituels du jour au lendemain, ou presque. Et même lorsqu’il s’agit de rituels moins envahissants, certains patients refusent d’achever la prévention de la réponse (PR), même s’ils comprennent le principe sous-tendant l’intervention. Il est généralement nécessaire d’implanter la PR plus graduellement. L’expérience des premiers progrès peut alors servir à encourager une PR intégrale au fur et à mesure que l’intervention progresse. Alors que la thérapie suit son cours, il est essentiel que le patient comprenne le principe de la généralisation, particulièrement dans les cas plus complexes, puisqu’il n’est pas possible de prendre le temps de s’attaquer à chaque symptôme du TOC en thérapie. Le patient doit donc plutôt prendre conscience qu’il est possible d’appliquer les principes de l’EX/PR à tous les symptômes du TOC et qu’il doit devenir apte à travailler sur les symptômes plus coriaces par lui-même. Cette capacité s’avère importante dans le maintien à long terme des gains thérapeutiques, puisqu’une fois la thérapie terminée, le patient peut vivre certaines récidives des symptômes et voir apparaître de nouvelles préoccupations. Les séances d’EX/PR doivent être répétées, prolongées et rapprochées dans le temps. Dans la mesure du possible, l’EX/PR commence durant les séances avec le thérapeute et se poursuit par des exercices pratiques que le patient eectue chez lui. Encore une fois, le thérapeute n’aborde pas un nouvel élément de la hiérarchie tant que l’étape n’est pas susamment maîtrisée, que les compulsions ne sont pas éliminées et que l’anxiété n’a pas diminué d’au moins 50 %. 3. Mettre n à l’EX/PR. Il est généralement irréaliste de vouloir poursuivre le traitement jusqu’à la disparition de tous les symptômes. Une dimension importante de la thérapie consiste à aider le patient à réaliser qu’il pourrait continuer à présenter certaines pensées intrusives de même qu’un besoin urgent de

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érapie comportementale

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ritualiser. De là l’importance de miser, lors des dernières étapes, sur la façon dont le patient gérera ces dés lorsqu’ils se présenteront, plutôt que sur l’extinction complète des obsessions et des compulsions. Le patient est plus susceptible d’envisager l’interruption de la thérapie lorsqu’il reconnaît qu’il n’est pas nécessaire d’éliminer les pensées obsédantes, mais qu’il se sent capable de s’abstenir de ritualiser la plupart du temps. Lorsqu’il rechute, il doit alors savoir se réexposer. Le thérapeute doit se sentir conant de mettre n au traitement si son patient a acquis les habiletés nécessaires pour devenir lui-même son propre thérapeute. Au fur et à mesure que le traitement progresse, il est essentiel de rendre le patient conant dans ce rôle. Il doit s’engager de façon plus active dans l’élaboration des séances d’exposition et, lorsqu’il se présente à une séance avec des questions sur la façon d’aronter une situation plus dicile, on doit l’encourager à élaborer ses propres stratégies avant que le clinicien ne propose ses suggestions.

Indications L’ecacité de l’EX/PR a été démontrée chez les enfants, les adolescents, les adultes ainsi que les personnes âgées. De plus, l’EX/ PR s’est avérée aussi ecace lors d’essais en milieux cliniques strictement contrôlés que lorsqu’elle est employée en milieux plus écologiques (naturels). Pour ce qui est de ses applications cliniques, on fait principalement appel à l’EX/PR pour traiter les TOC, bien qu’on puisse également y recourir pour traiter d’autres troubles tels que l’hypocondrie, l’obsession d’une dysmorphie corporelle, les troubles alimentaires, les troubles liés à une substance ainsi que le syndrome de Gilles de la Tourette.

Contre-indications Les résultats de l’EX/PR sont moins bons lorsque le TOC s’accompagne d’un trouble de la personnalité. De plus, les dépressions majeures peuvent constituer une comorbidité qui limite l’ecacité de l’EX/PR. Toutefois, même les patients profondément déprimés montrent une diminution cliniquement signicative des symptômes de TOC à la suite d’une intervention faisant appel à l’EX/PR. Cependant, si un patient présente un trouble de la personnalité ou une dépression considéré comme plus important que le TOC, il importe de prendre en considération et de traiter d’abord cet autre trouble, surtout en cas d’idées suicidaires. Par ailleurs, le thérapeute doit s’assurer que le patient a conscience que ses pensées intrusives sont le produit de son esprit. L’EX/PR est contre-indiquée également chez les patients qui tentent de contrôler leurs idées intrusives (p. ex., une personne en colère envers son patron et qui, volontairement, pense à des moyens de lui faire du mal), ou bien qui éprouvent du plaisir en lien avec les idées intrusives (p. ex., une personne ressentant une excitation découlant de pensées incestueuses).

75.2.3 Modication du comportement et conditionnement opérant L’organisation du milieu d’apprentissage, l’incitation, l’estompage (fading) et le façonnement (shaping), la chaîne de comportements, l’aide ajustée sont toutes des procédures issues du conditionnement opérant qui permettent de faire apparaitre un nouveau comportement. Il existe également des procédures qui permettent d’augmenter la fréquence d’apparition d’un comportement comme le renforcement positif, le renforcement négatif, la gestion des contingences, le contrat comportemental, l’activation

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comportementale, etc. Enn, il existe des procédures destinées à diminuer ou à augmenter la fréquence d’apparition d’un comportement ; c’est notamment le cas des programmes à renforcement diérentiel, de la satiation et de la pratique négative, ainsi que de l’extinction et de la punition. Dans les prochaines sections, nous abordons quelques-unes des stratégies d’intervention visant à faire apparaître de nouveaux comportements, à augmenter la fréquence d’apparition de comportements déjà existants dans le répertoire de l’individu et à diminuer la fréquence d’apparition d’un comportement ainsi que des procédures thérapeutiques issues du comportementalisme.

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Un supplémentaire d’information sur les diverses stratégies est disponible dans les ouvrages de L’Abbée & Marchand (1984) et Martine & Pear (2007).

Gestion des contingences À la section 75.1, nous avons observé qu’une relation de contingence de renforcement ou de punition est une relation séquentielle qui s’établit entre l’apparition du comportement et les événements qui le suivent. L’aménagement des contingences est donc une approche générale issue des principes du conditionnement opérant applicable à certains problèmes cliniques. La contingence est reliée aux conditions dans lesquelles un comportement entraîne une conséquence. La contingence entre un comportement et un événement subséquent peut signier que l’événement est systématiquement ajouté ou systématiquement retranché comme conséquence du comportement. Cette addition ou cette soustraction peuvent entraîner deux grandes classes d’eets : une augmentation ou une diminution de la probabilité que le comportement qui a entraîné ce type de conséquence se reproduise de nouveau dans des circonstances similaires. Selon les principes du conditionnement opérant les conséquences d’un comportement sur les événements de l’environnement et de l’organisme ainsi que les conséquences de ces événements sur les comportements ultérieurs déterminent quatre grandes classes de contingences soit : • la procédure de renforcement positif par ajout d’un événement ; • la procédure de renforcement négatif par soustraction d’un événement ; • la procédure de punition positive par addition d’un événement ; • la punition négative par soustraction d’un événement (voir le tableau 75.1). Selon plusieurs comportementalistes, les pensées, les sentiments, ainsi que les comportements des individus sont inuencés par le contexte (ou l’environnement) dans lequel ils surviennent. Le contexte dans lequel un comportement apparaît se compose donc de trois éléments principaux : le stimulus discriminatif (SD), la réponse (R) et la conséquence, le stimulus de renforcement (SR). La notion de contingence spécie les trois conditions dans lesquelles un comportement entraîne une conséquence donnée : SD R SR D • Le stimulus discriminatif (S ) est un stimulus en présence duquel une réponse (R) est suivie d’une conséquence, c’està-dire un stimulus de renfoncement (SR) positif ou négatif. Les stimuli discriminatifs (SD) antécédents (ou simplement les antécédents) sont habituellement des événements, des stimuli qui précisent le contexte ou les circonstances de la contingence R et S.

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• La réponse dite opérante est donc l’action (l’opération ou le comportement) déclenchée par la conséquence ou par le stimulus de renforcement (SR). En fait, c’est un comportement déclenché par un stimulus de l’environnement : SD R. • Les conséquences du comportement ont pour eet de maintenir, d’accroître ou de réduire l’apparition de ce comportement, de la réponse (R). Elles vont déterminer si ce comportement se produira ou non dans des circonstances similaires. Par exemple, un enfant qui aide à faire la vaisselle et reçoit en retour un montant d’argent ou un adulte qui joue du piano et que les gens applaudissent répéteront probablement le même comportement. La gestion des contingences ne tient pas pour acquis que ces relations sont de type causal. Elle indique plutôt que la probabilité d’apparition d’un comportement cible (un comportement que l’on désire modier) est plus élevée dans certaines situations. Les renforcements et les punitions sont strictement dénis par leurs eets sur les comportements cibles (pensées, émotions, comportements). En fait, les comportements sont rarement constitués d’une réponse (R) unique et d’un stimulus de renforcement positif (SR+) ou négatif (SR-). Par exemple, l’individu s’engage plutôt dans une série de réponses (R), une « chaîne » de comportements qui, à la n de la séquence conduit par exemple à un stimulus de renforcement positif (SR+). Comme le stimulus de renforcement positif apparaît en n de séquence, on parle de renforcement terminal. Par exemple une chaîne présentant les comportements « se laver », « mettre des vêtements de sport », « sortir », aboutit à un comportement terminal « jouer au tennis ». Cette chaîne consiste en une série de stimuli et de réponses qui aboutissent à un stimulus de renforcement nal (SR). L’individu émet ces séries de stimuli de renforcement (S R) même si le

stimulus de renforcement positif (SR+) apparaît seulement à la n de la chaîne (voir la gure 75.5). Conséquemment, un stimulus dans une chaîne de comportements joue un double rôle, comme stimulus de renforcement positif (SR+) conditionné pour la réponse qui le précède, et comme stimulus discriminatif (SD) pour la réponse qui le suit. L’exemple de la gure 75.5 présente une chaîne stimuli-réponse (S-R) à partir d’un comportement courant « aller au restaurant ». Comme l’illustre cet exemple, la promesse d’un bon repas (SD) à la n de la chaîne sut à produire une série de comportements. Dans une chaîne de comportements, la dernière réponse de la chaîne est la plus forte, car elle est toujours associée à l’atteinte du stimulus de renforcement positif terminal (SR+). En bref, pour qu’un comportement, au sens large, soit modié par conditionnement opérant, il importe de respecter deux principes fondamentaux : 1. Le principe de contingence qui correspond aux relations probables entre un comportement cible, ses antécédents (S D) et ses conséquences (SR) ; et qui implique que, pour produire un conditionnement, le stimulus-événement ou la conséquence doit survenir à la suite du comportement, de sorte que le patient puisse établir un lien entre le stimulus-réponse et le comportement. Par exemple, dans la boîte de Skinner, le rat doit faire le lien entre le comportement (appuyer sur le levier) et la nourriture, qui constitue le stimulus renforçateur positif (SR+) qui fera augmenter la fréquence du comportement de presser sur le levier. 2. Le principe de contiguïté découle du principe de contingence en ce sens que, pour que le patient établisse un lien entre un comportement et les conséquences qui l’inuencent, il doit y avoir contiguïté, c’est-à-dire que les deux événements doivent être rapprochés dans le temps. Lors de l’application des principes

FIGURE 75.5 Exemple d’une chaîne de comportements (1) SD

(2) R

(3) SD

(4) R

Voir une annonce de restaurant

Se garer dans le stationnement

Voir la porte du restaurant

Entrer dans le restaurant

(5) SD

(6) R

(7) SD

(8) R

Voir le comptoir

Marcher vers le comptoir

Voir le menu sur le mur

Lire le menu

(9) SD

(10) R

(11) SD

(12) R

Un employé du comptoir demande « Puis-je prendre votre commande ? »

Passer la commande « Ce sera 8,98 $ SVP »

Recevoir un repas sur un plateau

Payer l’employé du comptoir

(13) SD

(14) R

(15) SD

(16) R

Voir la nourriture sur le plateau

Apporter la nourriture sur la table

Déposer la nourriture sur la table

Manger

(17) SR+ Trouver la nourriture délicieuse « sensation agréable de confort » (SD) stimulus discriminatif

(R) réponse ou conséquence

(SR) stimulus de renforcement

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du conditionnement opérant, le renforcement ou la punition doivent être clairement liés au comportement à modier. Les comportements complexes des humains sont donc inuencés simultanément par plusieurs éléments contextuels (les contingences). Par exemple, le tabagisme d’un individu est à la fois renforcé par les eets stimulants de la nicotine et par l’aspect social en rejoignant d’autres fumeurs durant la pause-café (augmentation de la fréquence d’apparition), mais puni par les réprimandes du conjoint (diminution de la fréquence d’apparition) et contrecarré par les interdictions de fumer dans les endroits publics. Ainsi, les contingences d’un même comportement se chevauchent, interviennent (opèrent) simultanément et sont en compétition. Les contingences qui entraînent des conséquences immédiates et continues sont plus susceptibles d’exercer de puissants eets sur le comportement cible que celles qui impliquent des conséquences lointaines et intermittentes. Reprenons l’exemple du fumeur. Même s’il souhaite vivre longtemps (conséquence à long terme et diérée ou incertaine), il hésite à renoncer à l’eet stimulant de la nicotine (conséquence immédiate et régulière) et nit par décider malgré tout de continuer à fumer an d’obtenir un plaisir immédiat. L’aménagement des contingences implique une réorganisation des diverses conditions environnementales de l’individu pour l’amener à modier son comportement jusqu’à ce que le comportement soit déterminé par des conséquences attribuées à long terme, de manière intermittente et prédéterminée. Ainsi, l’aménagement des contingences du milieu (p. ex., aller jouer avec ses amis après la leçon de piano) peut aider à stimuler un enfant qui commence à apprendre à jouer du piano. Au début, le fait de jouer et d’entendre la musique à elle seule ne constitue pas encore un renforçateur susant pour atteindre des objectifs musicaux à long terme. Mais à mesure que l’enfant prend plaisir à jouer du piano, on peut éliminer les conséquences immédiates et les remplacer par des contingences lointaines et intermittentes, par exemple, celle d’être applaudi par un auditoire. Sachant que les renforcements positifs (récompenses) maintiennent les comportements et augmentent leur fréquence d’apparition, alors que les punitions diminuent leur fréquence d’apparition, un nouveau comportement ne peut être appris seulement par l’intermédiaire de stratégies punitives. La punition ne dit pas quoi faire de mieux ; elle inhibe simplement un comportement inapproprié. C’est la récompense qui spécie qu’un comportement est adéquat et qui incite à le répéter. Pourtant, certains thérapeutes ou intervenants appliquent encore systématiquement des procédures punitives pour tout comportement autre que celui attendu. On connaît d’ailleurs plusieurs des eets sociaux négatifs des punitions (p. ex., détérioration de la relation avec la personne qui donne les punitions, évitement des situations). Lors de l’apprentissage d’un nouveau comportement, les punitions seules ne peuvent pas être aussi ecaces que l’aménagement des récompenses octroyées de façon immédiate ou intermittente. De ce fait, les interventions dans les écoles qui pénalisent seulement les élèves pour leurs mauvais comportements ne permettent pas l’amélioration de nouvelles habiletés scolaires. Une attention particulière doit donc être accordée aux renforcements positifs dans l’apprentissage de comportements désirés en limitant le plus possible les procédures punitives.

Mise en application Il faut avant tout s’assurer des compétences des thérapeutes. 1. Lors de l’application des stratégies basées sur l’aménagement de l’environnement, le thérapeute doit posséder une excellente

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compréhension des principes de base du comportementalisme, de ses concepts théoriques et particulièrement des procédures : • d’addition d’un stimulus à la situation (contingence d’ajout) an d’entraîner un changement dans la fréquence d’apparition du comportement ; • de soustraction d’un stimulus à la situation (contingence de soustraction) incluant la planication appropriée des divers types de contingences. Le thérapeute doit également pouvoir conceptualiser le comportement du patient à l’intérieur d’un cadre d’analyse fonctionnelle. Le rôle du thérapeute est similaire à celui d’un entraîneur, d’un éducateur qui tente de dénir, de soutenir et de faciliter l’atteinte d’objectifs à court, à moyen et à long terme par le patient. La gestion de contingences implique que le thérapeute dénisse les contingences appropriées et les applique en collaboration avec le patient. En général, les contrats comportementaux ou thérapeutiques s’avèrent très utiles an de maximiser l’application des contingences de la part du patient (voir la gure 75.6). 2. Un bon thérapeute comportementaliste choisit un comportement si et seulement s’il peut être déni d’une façon claire, précise, observable et mesurable, et si son apprentissage s’avère nécessaire et utile pour le patient. De plus, le patient doit être d’accord avec le comportement retenu. Il doit s’approprier la pertinence de ce choix en se xant des objectifs à court, à moyen et à long terme et être capable d’accomplir la tâche dans un temps prédéterminé. Par exemple, dans le cas d’interventions ciblant l’abus de substances, la plupart des interventions basées sur la gestion des contingences utilisent des résultats négatifs (absence de drogues) lors des tests détecteurs de substances dans les urines comme agents de renforcement. De ce fait, dans les cas graves d’abus, le patient a de la diculté à atteindre le comportement cible (abstinence) et celui-ci abandonne souvent la thérapie. Pour aider le patient à parvenir à l’abstinence, la plupart des programmes d’aménagement des contingences élaborent une analyse des risques qui exige d’identier les situations antérieures aux stimuli discriminatifs à la consommation de substances an que le patient puisse les éviter ou les changer (p. ex., éviter de passer devant le dépanneur au coin de la rue pour ne pas être tenté d’aller y acheter de la bière). 3. Lors de la gestion des contingences, il vaut mieux choisir des agents de renforcement individualisés et ecaces, c’està-dire propres à chaque patient à la suite d’une analyse de ses préférences. En règle générale, on peut utiliser n’importe quelle activité susceptible de survenir fréquemment (p. ex., pouvoir aller jouer dehors pour un enfant, avoir la possibilité de clavarder plus souvent pour un adolescent) pour renforcer les comportements cibles qui se produisent en fréquence relativement faible comme faire son lit, faire la vaisselle, etc. Une fois le comportement cible atteint, la présentation des renforçateurs devrait être contingente au comportement cible, immédiate et en proportion égale aux eorts fournis. 4. Une fois que les conséquences à long terme et intermittentes inuencent le comportement cible, on peut retirer graduellement les contingences à court terme et immédiates (p. ex., un enfant qui se plaît à lire sa première histoire complète seul, un consommateur de drogues qui se rétablit et maintient des liens stables avec sa famille et ses amis, ou encore une personne obèse qui reconnaît maintenant les bénéces de l’exercice physique).

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Indications L’application d’interventions basées sur l’aménagement des contingences peut s’appliquer à une multitude de problématiques. Le tableau 75.3 donne une série d’interventions basées sur l’aménagement des contingences incluant des exemples de comportements renforcés et diérents types d’agents de renforcement. Ces divers

programmes d’aménagement des contingences ont fait l’objet de nombreuses études qui ont montré la grande ecacité de cette approche. À titre d’exemple, on peut utiliser la gestion des contingences dans les troubles du sommeil, la décience intellectuelle, le trouble de la personnalité antisociale, l’abus de substances et bien d’autres dicultés.

FIGURE 75.6 Exemple de contrat comportemental Mise en situation Claude et Anne ont décidé de consulter un thérapeute an d’améliorer leur relation conjugale, ainsi que les liens avec leur lle Valérie, âgée de 14 ans. Claude et Anne sont mariés depuis plus de 16 ans. Depuis, quelque temps, Claude consacre beaucoup plus de temps à son travail qu’à la maison et à la famille. Anne se plaint que son mari n’est plus souvent à la maison, qu’elle se trouve à faire toutes les tâches ménagères et qu’elle n’a quasiment plus de temps pour ses loisirs. La communication entre les époux se fait de plus en plus rare, et lorsqu’elle est présente, ce n’est que pour se plaindre d’une situation. De son côté, leur lle Valérie, qui a toujours été une élève modèle, commence à négliger ses études et ses résultats scolaires s’en ressentent. Elle respecte de moins en moins le couvre-feu de 22 h imposé par ses parents. Claude et Anne ont essayé de discipliner leur lle, mais en vain. À la suite de cette discussion, le thérapeute entame donc les procédures an d’élaborer un contrat comportemental. Mise en application Claude • J’accepte de passer une soirée par semaine avec ma famille. J’accepte également de ne pas me disputer avec Anne ou Valérie durant ce moment. • J’accepte d’aider Valérie avec ses devoirs scolaires tous les mardis et jeudis. • J’accepte de discuter pendant une heure tous les dimanches soirs avec Anne sur un sujet qu’elle choisit qui n’est pas relié au travail, ni à la maison ni à notre lle. • J’accepte de discuter des problèmes nanciers durant une heure tous les lundis soirs avec Anne. • Dans le cas où je réalise toutes les actions précédentes, je pourrai écouter le football avec mes amis le dimanche. Dans le cas où je ne les remplis pas, je ne pourrai pas regarder le football. Anne • J’accepte de passer une soirée par semaine avec ma famille. J’accepte également de ne pas me disputer avec Claude ou Valérie durant ce moment. • J’accepte d’emmener Valérie magasiner un samedi après-midi par mois. Dans le cas où Valérie ne respecte pas son couvre-feu, elle ne pourra pas aller magasiner. • J’accepte de discuter pendant une heure tous les dimanches soirs avec Claude sur un sujet que je choisis qui n’est pas relié au travail, ni à la maison ni à notre lle. • J’accepte de discuter des problèmes nanciers durant une heure tous les lundis soirs avec Claude. • Dans le cas où je réalise toutes les actions précédentes, je pourrai, le samedi, faire une activité que je choisis en dehors de la maison. Valérie • J’accepte de respecter le couvre-feu de 22 h pendant trois semaines consécutives. • J’accepte de passer une soirée par semaine avec mes parents. J’accepte également de ne pas me disputer avec ma mère ou mon père durant ce moment. • J’accepte de passer deux soirées par semaine (mardi et jeudi) avec mon père en faisant mes devoirs scolaires. • Dans le cas où je réalise toutes les actions précédentes, je pourrai aller magasiner un samedi après-midi par mois avec ma mère. Dans le cas où je ne les remplis pas, je ne pourrai pas aller magasiner avec ma mère. En signant ci-dessous, vous indiquez que vous êtes d’accord avec les termes du contrat et que vous acceptez de suivre et d’atteindre les objectifs xés dans le cadre de la thérapie. Un document écrit spéciant les buts accomplis devra être remis chaque mois au Dr Landry durant toute la thérapie. Membres de la famille

Thérapeute

Claude

date

Dr Landry

Anne

date

Dr Landry

Valérie

date

Dr Landry

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érapie comportementale

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TABLEAU 75.3 Exemples d’applications d’interventions basées sur l’aménagement de contingences

Comportements cibles

Exemples de comportements renforcés

Exemples de renforçateurs

Adhésion aux consignes médicales

Prendre ses inhalations d’aérosol pour son asthme selon la prescription

• Économie de jetons*

Adhésion à un programme d’amaigrissement

Manger des fruits et légumes ; faire de l’activité physique

• Chèque-cadeau, etc. • Renforcements sociaux : félicitations

Cessation de la consommation (p. ex., alcool, cocaïne, tabac, etc.)

Tests négatifs d’urine, participation à des activités (p. ex., réhabilitation professionnelle, etc.), établissement de liens sociaux non reliés à la consommation de substances

• • • •

Gestion d’une classe scolaire

Niveau général de bruit inférieur à une limite prédéterminée

• Économie de jetons • Récréations plus fréquentes ou plus longues

Comportement orienté sur la tâche scolaire

• Renforçateurs individuels • Points additionnels

Concilier la performance autorapportée de l’individu avec le compte rendu du professeur

• Économie de jetons • Droit à des privilèges (p. ex., aller au cinéma, pouvoir écouter une émission de télévision)

Comportements perturbateurs à l’école

Argent Prix (p. ex., une médaille) Formation à un métier Obtention d’un logement

* Méthode qui consiste à distribuer à la personne des renforcements positifs pour un ou plusieurs comportements spéciquement s électionnés, dont on souhaite voir augmenter la fréquence. Des jetons (monnaie, tickets, points, etc.), où chaque jeton a une valeur précise en points, peuvent être ensuite échangés contre divers renforçateurs (achat d’un CD, aller au terrain de jeu, etc.), si possible adaptés au type de population. Sources : Adapté de Drossel & al. (2008), p. 118.

Contre-indications En fait, il y a peu de contre-indications, sinon le fait d’élaborer une analyse fonctionnelle inadéquate, de posséder une mauvaise compréhension des principes du conditionnement opérant, de sélectionner un comportement à modifier de manière vague, imprécise, de n’utiliser que des procédures punitives, intrusives, etc.

Façonnement Un répertoire comportemental acquis dans un certain environnement n’est pas systématiquement ecace lorsqu’il est appliqué à d’autres situations. En général, l’individu qui se trouve dans un environnement nécessitant une adaptation de sa part s’acclimate sans trop d’eorts. Par contre, l’ajustement peut parfois s’avérer plus dicile ou plus lent chez certaines personnes (p. ex., les enfants aux prises avec un trouble développemental ou les personnes atteintes de décits cognitifs comme les personnes âgées ou dans la dépression ou la schizophrénie). Chez ces individus, il arrive que les contingences naturelles ne susent pas à favoriser l’émergence de réponses appropriées contrôlées par l’environnement. De ce fait, ils ne parviennent pas à développer susamment les habiletés qui leur permettraient de fonctionner adéquatement dans leur nouveau milieu. Lorsque le répertoire comportemental d’un individu ne comporte pas une catégorie particulière de comportements, par exemple, certaines habiletés sociales, il est possible de façonner ces comportements par un arrangement particulier des contingences de l’environnement. Cette stratégie qui permet de faire émerger un nouveau comportement consiste à renforcer successivement et graduellement des comportements présents qui ressemblent de plus en plus au comportement cible désiré. Ce procédé facilite l’acquisition d’un comportement apparaissant rarement ou jamais dans le

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répertoire d’un patient (L’Abbé & Marchand, 1984). Le façonnement (shaping) est donc un renforcement diérentiel d’approximations comportementales successives vers une performance désirée. Le terme « renforcement diérentiel » renvoie à l’idée que le renforçateur n’est délivré que lorsqu’un certain niveau du comportement cible est émis. Au départ, le critère d’acquisition est xé à un niveau de performance faible. Tout comportement s’approchant le moindrement de la performance désirée (c.-à-d., les approximations) se trouve renforcé. Puis, on augmente graduellement le critère de performance. Le renforcement n’est alors délivré que lorsque l’individu atteint ou dépasse le nouveau niveau de performance établi. De ce fait, les approximations comportementales antérieurement renforcées cessent de l’être si elles ne rencontrent plus le nouveau niveau établi.

Étude de cas

Michel, un jeune autiste sourant d’un trouble important de la vision, refuse systématiquement de porter ses lunettes. La situation est problématique puisque, sans lunettes, la vision du jeune garçon est fortement limitée et les risques qu’il devienne dénitivement aveugle augmentent en raison de la dégénérescence des cellules rétiniennes. Une procédure de façonnement est mise en place et elle consiste à renforcer les approximations du comportement cible (c.-à-d., porter ses lunettes) par de la nourriture qu’il apprécie. Le critère de performance initiale, an de recevoir le renforçateur, est le simple fait de toucher ses lunettes (comportement initial). On augmente progressivement le critère (p. ex., amener les lunettes près du visage) et les comportements auparavant renforcés ne le sont plus ; ils sont mis sous la procédure d’extinction (p. ex., le fait de toucher ses lunettes n’est plus renforcé). Finalement, le jeune garçon parvient à porter ses lunettes (comportement cible ou terminal) durant une période de temps prolongée.

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Étude de cas

Joseph, nouveau retraité, désire faire des changements dans ses habitudes de vie sédentaire et un de ses objectifs consiste à faire quotidiennement de la marche rapide (ce qu’il n’a jamais fait) de 250 mètres. Cependant, après quelques tentatives infructueuses, il retourne à ses vieilles habitudes de sédentarité. Après réexion, il entreprend d’appliquer la procédure de façonnement, conseillée par son ls qui fait des études en psychologie, an de développer cette nouvelle habileté. Il décide de maintenir son objectif désiré de faire 250 mètres de marche rapide par jour, mais comme il n’a jamais fait d’exercice de façon régulière, il envisage de pratiquer un exercice moins dicile dans un premier temps. Il choisit comme objectif initial d’arriver à mettre ses souliers de course et de marcher l’équivalent de 30 mètres près de chez lui. Il choisit comme stimulus de renforcement positif (SR+) la possibilité de prendre une bière après une activité réussie. Après qu’il ait réussi à faire une promenade l’aprèsmidi avec succès (première approximation), et ce, à plusieurs reprises, il décide de marcher deux fois par jour, mais sur une distance de 60 mètres chaque fois. Quelques jours plus tard, il augmente la distance à 180 mètres, quatre fois par jour pour ensuite augmenter graduellement jusqu’à la distance ciblée, soit 250 mètres, pour ensuite accomplir l’activité, non plus en marchant, mais en marche rapide. Ces deux exemples illustrent le renforcement successif et graduel (façonnement) dans le répertoire de chaque individu, de comportements présents qui ressemblent de plus en plus au comportement cible désiré.

Mise en application Il faut d’abord déterminer si le problème est réellement lié à un décit en termes d’habiletés ou s’il repose plutôt sur les contingences présentes dans le milieu du patient. Le comportement cible est-il absent parce qu’il est suivi d’une punition positive qui en diminue la fréquence d’apparition ? L’absence de performance estelle, d’une façon ou d’une autre, renforcée ? L’individu dispose-t-il assez d’occasions de pratiquer l’habileté cible ? Généralement, tous les programmes ecaces de façonnement comprennent les huit composantes suivantes : 1. Sélectionner le comportement cible désiré ou terminal. An que le façonnement soit possible, le critère de performance doit être décrit de façon : • objective, c’est-à-dire en fonction de ses aspects observables ; • claire et sans ambiguïté ; • complète, c’est-à-dire incluant tous les éléments essentiels composant le comportement ; il est alors possible de déterminer de façon explicite quand le comportement cible débute et quand il prend n. 2. Évaluer le niveau actuel de performance de l’individu. Cette mesure est eectuée par le biais d’observations directes. Les moments où auront lieu les observations sont xés à l’avance. Il est nécessaire de choisir des plages horaires d’observation pendant lesquelles le comportement cible a de fortes chances de se manifester. Il faut également spécier la durée des intervalles d’observation. Finalement, il faut choisir les aspects à observer (fréquence, durée, forme particulière ou intensité du comportement).

3. Déterminer le comportement initial déjà présent dans le répertoire de l’individu (p. ex., toucher ses lunettes). On peut eectuer cette évaluation en observant le patient dans son milieu naturel, dans les situations où le comportement cible doit se manifester. On identie alors les comportements manifestés qui s’approchent de la performance nale désirée. 4. Sélectionner des stimuli de renforcement en demandant au patient ce qu’il aime, mais il faut s’assurer de la nature réellement renforçatrice des stimuli. Les renforçateurs sélectionnés doivent pouvoir être administrés immédiatement après la performance initiale, les diérentes approximations successives du comportement désiré ainsi que le comportement cible nal. Il doit également s’agir d’éléments dont le patient ne se lassera pas facilement. D’ailleurs, le choix parmi plusieurs stimuli (c.-à-d. un menu d’agents de renforcement) permet de prévenir la perte de leur valeur renforçatrice. 5. Renforcer le comportement initial jusqu’à l’atteinte du critère d’acquisition de la performance préalablement déterminé. 6. Utiliser le renforcement des approximations subséquentes du comportement cible. On distingue une série de petits comportements à renforcer qui conduit vers le comportement cible. Pour toute manifestation du comportement sélectionné à l’étape 3, on ore un renforçateur. Il doit s’agir d’un renforcement continu puisque le ratio renforçateur/réponse est de 1:1. 7. Une fois la performance devenue stable, on augmente le niveau du critère de performance. La nouvelle approximation doit être légèrement plus exigeante. Il faut éviter une augmentation trop intense du critère de performance an de ne pas induire un sentiment de découragement. Le renforcement du nouveau comportement se fait également de façon continue. On augmente progressivement le critère de performance en maintenant en place les procédures de renforcement des approximations et d’extinction des comportements déjà acquis. Il est important de renforcer le comportement cible chaque fois qu’il se produit. 8. Instaurer un programme de maintien des acquis lorsque le patient parvient à exprimer le comportement cible nal. Il s’agit de substituer un programme de renforcement continu par un programme de renforcement intermittent. Le ratio renforçateur/réponse passe par exemple de 1:1 à 1:3 (chaque troisième réponse est suivie d’un renforçateur). On modie graduellement le ratio an de réduire la fréquence du renforcement.

Indications Le façonnement est une technique qu’il est possible d’employer auprès de tous, soit seule, soit dans le cadre d’une approche multimodale. On utilise cette méthode notamment pour accroître la uidité et la compréhension de la lecture, pour acquérir des comportements moteurs (p. ex., marcher, faire de la bicyclette). Le façonnement permet également l’apprentissage à de la propreté ou l’acquisition de comportements sociaux (p. ex., les habiletés de conversation, l’armation de soi, la résolution de problèmes) chez les individus ayant subi un accident vasculaire cérébral, ou encore pour rendre plus fréquents certains comportements sociaux chez les autistes, ou pour développer des habiletés de travail et de communication, etc.

Contre-indications Il n’y a pas vraiment de contre-indications à la procédure de façonnement, pourvu que le thérapeute connaisse bien les principes d’apprentissage. Le seul danger potentiel peut provenir

Chapitre 75

érapie comportementale

1633

d’un thérapeute ayant peu de connaissances et qui, par inadvertance, façonne un autre comportement cible. À cet eet, le thérapeute doit faire attention lorsqu’il octroie les renforçateurs après l’apparition de comportements qui pourraient menacer la sécurité du patient et des individus de son entourage. En eet, dans certaines situations, il peut arriver que l’on renforce un autre comportement indésirable en voulant renforcer un comportement approximatif. Revenons à l’exemple du jeune autiste qui a appris par façonnement à porter ses lunettes durant une longue période. Il se peut qu’au même moment où l’on renforçait de manière approximative et successive le simple fait de toucher ses lunettes ou d’approcher ses lunettes de son visage et, nalement de porter ses lunettes, on se trouvait à renforcer en même temps un comportement moteur indésirable (p. ex., se pincer fortement le bras au point de se blesser) que l’enfant émettait juste avant de recevoir un renforcement vis-à-vis du comportement cible.

Activation comportementale pour la dépression L’activation comportementale (AC) est une stratégie d’intervention issue du modèle du conditionnement opérant qui permet de traiter les patients sourant de dépression. Elle met l’accent sur le contexte plutôt que de tenter de corriger une dysfonction interne du patient. Elle porte ainsi sur les relations entre le comportement de l’individu déprimé et son environnement. Elle considère la dépression comme un ensemble de comportements à comprendre dans leur contexte. En eet, les personnes déprimées se caractérisent notamment par une baisse d’activité. Selon les tenants de l’approche comportementale, la dépression découlerait de changements dans les facteurs environnementaux du patient et elle résulterait d’un faible taux de renforcements et d’un taux plus élevé d’expériences négatives. Or, l’objectif de la stratégie d’AC consiste à changer la quantité d’interactions du patient déprimé au sein de son environnement, et ce, de façon à être renforcé par les autres ou intrinsèquement par lui-même. On cherche donc à encourager la personne déprimée à gérer et à réduire l’intensité et la fréquence des événements aversifs, tout en la stimulant à gérer et à augmenter son engagement dans des activités plaisantes. L’AC consiste essentiellement à briser le cycle de comportements d’évitement en privilégiant l’activation et des stratégies de substitution aux réponses d’inertie, de retrait et d’isolement (évitement). L’intervention vise donc à rendre plus nombreuses les activités plaisantes, les expériences suscitant un sentiment de compétence et à diminuer les événements déplaisants. Elle tente également de favoriser l’acquisition d’habiletés sociales et d’un processus d’autocontrôle. Elle s’eectue sur 10 à 24 séances durant lesquelles on cherche à augmenter l’accès à des stimuli de renforcement positifs chez la personne déprimée, par exemple, en augmentant le nombre d’événements et d’activités plaisantes chaque jour. De plus, le fait de participer à des activités agréables permet d’accéder à des renforçateurs. Par ailleurs, la thérapie d’AC met l’accent sur la fonction d’un comportement émis et non sur sa forme. Le thérapeute fait comprendre au patient comment sa dépression s’est déclenchée et comment elle est actuellement entretenue.

Mise en application La mise en application de l’activation comportementale exige de suivre les étapes suivantes : 1. Développer une conceptualisation générale du cas à l’aide d’une analyse fonctionnelle, élaborée à partir d’hypothèses émises

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par le patient et le thérapeute concernant les antécédents, les comportements manifestés ou non, les conséquences et les conditions (contingences) qui contribuent à la dépression du patient. Cette analyse constitue le cœur du traitement de l’AC et le thérapeute y réfère tout au long du son intervention. Pour faire l’analyse, le thérapeute doit poser au patient plusieurs questions à propos des épisodes dépressifs an de : • connaître l’histoire passée du patient, et les événements majeurs de sa vie, positifs ou négatifs, et qui l’ont conduit au présent contexte de vie. • déterminer en quoi les comportements du patient, lors de ses épisodes dépressifs, dièrent de ceux qu’il manifestait quand il allait bien, avant la dépression. Ces informations contribuent à la conceptualisation des problèmes dépressifs du patient. 2. Évaluer de manière quotidienne les activités du patient à l’aide de grilles d’observation des activités an : • de connaître son niveau actuel d’activité ; • de mieux comprendre la restriction des aects qu’il manifeste ; • d’observer les liens entre ses activités et son humeur ; • de déterminer l’intensité du plaisir qu’il ressent ; • de savoir comment l’aider à contrôler ses comportements d’évitement ; • de le guider à planier des activités plaisantes ; • de connaître les étapes qu’il a entreprises an de réaliser ses objectifs personnels importants. Le type de tableau d’activités que le thérapeute décide de préparer importe peu à condition qu’il inclue certains éléments essentiels, tels que les heures de la journée, et qu’il laisse susamment d’espace pour que le patient décrive ce qu’il a fait et comment il s’est alors senti (intensité de ses émotions). Le thérapeute peut demander au patient de remplir une liste d’activités eectuées durant le dernier mois qu’il considère comme plaisantes, intéressantes ou procurant un sentiment d’accomplissement. Il cote par la suite chaque item en fonction du plaisir et de sa fréquence au cours de cette période. Il établit aussi un niveau de base en repérant les activités qui ont été décrites comme agréables et en fait les assises du plan d’activités à eectuer. Le thérapeute doit dénir ces activités en des termes qui pourront insuer au patient des sentiments d’espoir et de contrôle. 3. Apprendre au patient des stratégies pour l’aider à contrôler ses comportements d’évitement. Dans l’AC, il est important que le patient soit continuellement vigilant vis-à-vis de ses comportements d’évitement. En bref, il faut lui expliquer le concept d’évitement et comment il intervient dans le maintien de la dépression. Il doit observer son comportement. Est-il évitant ? Quelle est la fonction spécique du comportement ? 4. Amener le patient à s’engager dans des activités qui l’aideront à surmonter sa dépression à long terme, à essayer, à expérimenter l’activité qu’il a choisie. Le thérapeute l’incite à intégrer les activités plaisantes dans sa routine quotidienne et à se rappeler qu’une activité n’entraîne pas nécessairement un changement signicatif dès la première fois. Il faut persévérer, surmonter la dépression et contrôler les évitements. Cela exige un travail continu et de la ténacité face aux déceptions éprouvées (Martell & al., 2010).

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Les données suggèrent que l’AC seule, sans évaluation des pensées du patient, est ecace dans le traitement de la dépression majeure. Toutefois, en plus de l’AC, on peut aussi mettre en œuvre des stratégies de thérapie cognitive ou la combiner avec une médication antidépressive, qui peuvent s’avérer complémentaires. En fait, de nombreux patients croient que leur problème réside dans les pensées négatives et une thérapie cognitive s’intègre bien aux aspects comportementaux de l’AC.

Indications On fait fréquemment appel à l’AC pour traiter la dépression. D’ailleurs, une méta-analyse (Cuijpers & al., 2007) montre que les interventions comportementales semblent tout aussi ecaces que la thérapie cognitive dans le cas la dépression. Par contre, aucune étude n’a montré l’ecacité de l’AC dans le traitement des troubles anxieux. L’AC est aussi utilisée avec une certaine ecacité dans les cas de cancer, de fatigue chronique et de sclérose en plaques.

Contre-indications Il n’existe aucune contre-indication à notre connaissance, mis à part de tenir compte des capacités physiques de l’individu.

75.2.4 Autres stratégies issues de la modication du comportement En plus des trois stratégies décrites plus loin et qui sont fréquemment utilisées en clinique, il y en a beaucoup d’autres, notamment l’entraînement au renversement d’habitude, le jeu de rôle, les contrats thérapeutiques, l’imagerie mentale, la réattribution, la gestion de la colère, l’entraînement à l’inoculation au stress, l’intention paradoxale, le modelage, le conditionnement imagé, l’auto-observation, l’entraînement aux auto-instructions et la rétroaction biologique.

i

Un supplément d’information sur ces stratégies est disponible dans les ouvrages de Barlow (2007), Cottraux (2004), Martin & Pear (2007) et O’Donohue & Fisher (2008).

Entraînement aux habiletés sociales L’ensemble des comportements qui déterminent les interactions sociales se regroupe sous le terme d’habiletés sociales. L’entraînement aux habiletés sociales (EHS) comporte un ensemble de stratégies visant à procurer aux patients les habiletés nécessaires à une communication appropriée (respectueuses des normes sociales) et ecace (permettant d’atteindre ses objectifs). Le but de l’EHS vise principalement à augmenter la compétence sociale des individus dans leurs diverses interactions avec d’autres personnes.

Mise en application L’EHS vise l’amélioration des habiletés relationnelles à l’aide de stratégies comportementales et cognitives comme le modelage, l’apprentissage par observation, le jeu de rôle, la rétroaction, les travaux à domicile, l’armation de soi, la résolution de problème et la restructuration cognitive. L’EHS consiste à : 1. Déterminer spéciquement la nature du décit au niveau des habiletés sociales par le biais de questionnaires, d’observations ou d’évaluations recueillies dans l’entourage du patient. Il est donc nécessaire de faire ressortir aussi les habiletés, les forces et les ressources propres à chaque patient. 2. Enseigner et démontrer dans l’action les comportements nécessaires pour améliorer les compétences sociales du patient.

Il faut expliquer les fondements d’une conduite sociale ecace et appropriée tout en apportant des suggestions précises sur la façon d’adopter de tels comportements. Cet enseignement peut se faire au moyen de lectures, de conversations entre le thérapeute et le patient, d’enregistrements vidéo, etc. Il faut expliquer le « pourquoi » et le « comment » de chaque comportement an que le patient apprenne non seulement à acquérir l’habileté, mais également la raison pour laquelle il le fait et le contexte dans lequel il doit la manifester. Par exemple, comment montrer de l’intérêt envers son interlocuteur ? Le thérapeute explique qu’en portant attention aux autres et en leur manifestant de l’intérêt, ils se sentent alors estimés. Il suggère ensuite des façons de procéder, par exemple en formulant une question telle que « Comment allez-vous aujourd’hui ? » suivie par une réaction intéressée vis-à-vis de la réponse de l’interlocuteur. 3. Utiliser les processus de modelage est le moyen le plus ecace de parvenir à l’apprentissage de comportements sociaux complexes. L’apprentissage par observation ou modelage (p. ex., formuler une critique constructive) est fréquemment utilisé pour illustrer diérentes manières d’agir dans les situations de la vie quotidienne. C’est également une méthode ecace, able et rapide pour acquérir de nouveaux comportements. De plus, elle favorise l’adoption de comportements déjà appris, elle réduit la fréquence de production de comportements inadéquats et facilite l’adoption de nouveaux comportements. Il faut présenter au patient des modèles qui l’aideront à adopter des conduites sociales appropriées. Le modelage de conduites inappropriées (p. ex., le thérapeute adopte [simule] un comportement passif dans une mise en situation qui demande un comportement armatif ) amenant des impasses ou des insatisfactions peut également s’avérer utile an de bien faire comprendre les conséquences négatives et les désavantages d’émettre un tel comportement, et par le fait même, les avantages d’émettre des conduites sociales adéquates. La procédure peut être illustrée par des jeux de rôle ou par le visionnement de vidéos (p. ex., lmer puis visionner et analyser le vidéo du patient alors qu’il s’exerce à initier une conversation). Plus la similarité est élevée entre le modèle et le patient (p. ex., concernant le sexe, l’âge) et plus l’apprenti risque d’imiter ce modèle. Le modelage procure au patient une information concrète en termes d’ecacité de la réponse, et il acquiert le sentiment qu’il existe des moyens d’accomplir une tâche, de résoudre un problème ou d’atteindre ses objectifs en observant et en imitant la manière de procéder du thérapeute. Cet aspect joue un rôle important dans la réduction de l’anxiété en situation sociale. L’emploi de modèles contribue également au sentiment d’autoecacité du patient quand il perçoit qu’il est capable d’accomplir la tâche. 4. Utiliser le jeu de rôle constitue l’élément essentiel dans l’apprentissage de nouveaux comportements par la pratique. Alors que l’instruction directe et le modelage sont des stratégies dans lesquelles le patient joue un rôle plutôt passif de réceptivité, les jeux de rôles constituent un apprentissage interactif qui nécessite de produire activement des comportements. Le patient pratique certains comportements sociaux (p. ex., s’exercer à maintenir un contact visuel avec un interlocuteur) dans un environnement contrôlé, généralement en présence du thérapeute. Il reçoit une rétroaction immédiatement après la performance. Elle consiste à fournir de l’information sur cette performance durant l’exécution du jeu de rôle, accélérant ainsi l’acquisition

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des habiletés. Cette rétroaction peut être fournie par le patient lui-même, qui se regarde après avoir été lmé en vidéo, ou par d’autres participants dans le cas d’une intervention de groupe. La rétroaction doit être détaillée, spécique et comporter plus de rétroactions positives que de rétroactions négatives. 5. Prescrire des devoirs à la maison pour favoriser la généralisation de la nouvelle compétence. Ces travaux ou exercices sont essentiels entre les séances de thérapie pour s’assurer que les comportements nouvellement acquis puissent être mis en pratique dans un contexte naturel. On augmente graduellement le niveau de diculté des exercices à mesure que l’intervention progresse. Par exemple, un premier devoir peut consister à faire une demande d’information à un chaueur d’autobus, alors qu’un autre devoir, prescrit plus tard, serait de téléphoner à un ami an de planier un repas. Lors de chaque séance, il importe de faire un retour sur les travaux eectués à la maison. Tout comme dans le cas des jeux de rôles, les rétroactions s’avèrent essentielles au cours de cette procédure et renforcent le patient dans son auto-observation. Il y a lieu d’aviser le patient de l’éventualité qu’il puisse commettre des erreurs dans la pratique in vivo des comportements. Les interactions sociales ne seront pas toujours réussies. L’objectif de l’EHS ne vise pas une performance parfaite, mais plutôt une augmentation de la probabilité que surviennent ou se produisent des interactions sociales plus adéquates et souples. 6. Assurer un suivi. Comme bien des compétences, les habiletés sociales tendent à se détériorer s’il n’y a pas de pratique. Un suivi du programme d’EHS s’avère nécessaire et peut survenir quelques semaines ou quelques mois après la n de l’entraînement. Il débute en général par une réévaluation des habiletés sociales. Selon les résultats de cette évaluation, on peut orir de rafraîchir les diérentes procédures d’EHS en fonction des domaines que le patient souhaite améliorer. Puis, on envisage des mécanismes de la prévention de la rechute.

Indications L’EHS est une intervention très répandue et qui a montré son ecacité dans le traitement de plusieurs situations problématiques telles que les problèmes conjugaux, la phobie sociale, le trouble de la personnalité évitante, limite et antisociale, la dépression, la schizophrénie (qui comporte de sérieux décits fonctionnels dans le domaine social) et les troubles envahissants du développement, et plus généralement toutes les situations comportant des dicultés interpersonnelles. L’EHS peut être utile an d’améliorer les capacités de communication du patient et ainsi, mieux rassembler autour de lui un réseau de soutien social qui l’aidera s’il devait se trouver en situation de détresse.

Contre-indications L’EHS fait appel aux processus d’apprentissage. De ce fait, les patients aux prises avec de profondes dicultés d’apprentissage risquent de ne pas proter de façon optimale de cette intervention. D’autres préalables à l’EHS doivent être soulignés : l’habileté à maintenir une attention soutenue pendant une période de 15 à 30 minutes, l’habileté à comprendre et à respecter des instructions, ainsi qu’une motivation susante pour améliorer ses conduites sociales. Ainsi, ce type d’intervention n’est pas recommandé chez les patients présentant un important décit de l’attention, un trouble de la personnalité antisociale ou des symptômes psychotiques en phase aiguë.

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Afrmation de soi L’armation de soi est principalement centrée sur la façon de faire des demandes pour obtenir des réponses favorables et de refuser celles qu’on juge déraisonnables. Elle réfère à la capacité d’exprimer ses émotions, ses besoins, ses désirs et ses opinions et de défendre ses droits et ses limites, tout en respectant ceux des autres, de manière honnête et appropriée. L’armation de soi est également inuencée par les facteurs motivationnels, aectifs et cognitifs de l’individu ainsi que par le contexte social. Par exemple, certaines situations sociales exigent une armation légère de nos besoins et de nos désirs, tandis que d’autres situations nécessitent une armation ferme et solide. L’armation de soi présuppose l’existence d’habiletés sociales adéquates. Autant les comportements non verbaux que verbaux possèdent leur pertinence dans la communication armative. Par exemple, une posture appropriée (calme, sûre de soi), un contact visuel et une attention soutenue sont essentiels à une communication adéquate d’armation. De plus, les expressions faciales et les mouvements du corps doivent être congruents avec le contenu de la communication armative, c’est-à-dire ne pas présenter de signes d’hésitation, d’anxiété, de colère ou de dominance.

Mise en application La procédure de mise en application peut se décrire en neuf étapes. 1. Décrire le principe de l’entraînement à l’armation de soi. Expliquer que la communication de nos limites, de nos opinions et de nos besoins personnels doit être eectuée de façon à respecter tous les individus participants à l’interaction, y compris soi-même. Le thérapeute aide le patient à prendre conscience de ses droits et de ceux d’autrui. Il l’encourage à reconnaître ses émotions, ses pensées, ses opinions et ses désirs, ainsi que ceux des autres. 2. Dénir et diérencier les comportements agressifs, passifs, manipulateurs et armatifs. • L’individu agressif ne respecte pas les droits des autres et, ce faisant, il ne s’arme pas de façon appropriée. Il refuse aux autres le droit de satisfaire leurs besoins. Il exprime de manière hostile ses préférences par des mots ou des actions de manière à obliger l’autre à se soumettre à ses préférences. Il maintient l’autre sous pression en adoptant un ton de voix élevé, un langage brutal et des comportements non verbaux d’exigence. • L’individu passif, au contraire, ne respecte pas ses propres besoins, ses droits ou ses sentiments. Il les oublie ou ne leur accorde pas d’importance par rapport à ceux des autres. • L’individu manipulateur déguise ses besoins en beaux principes qu’il oblige l’autre à suivre : « tu dois être serviable, tu dois travailler plus, tu dois être une bonne mère, etc. » Mais en réalité, sous ses beaux principes, il cherche seulement que les autres satisfassent ses besoins. • L’individu armatif exprime avec calme et honnêteté ses pensées, ses besoins et ses opinions par des mots ou des gestes appropriés, tout en voulant connaître les sentiments, les pensées et les façons de voir de son interlocuteur. Ceci suppose deux types de respect : le respect de soi-même en exprimant ses besoins et son désir de respecter l’autre. 3. Revoir avec le patient les caractéristiques entourant les comportements d’armation de soi. Une demande armative se

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caractérise par son aspect raisonnable, sa spécicité concernant les actions en jeu et nécessite la perception des eets potentiels de la demande sur soi-même et sur son interlocuteur. Donc, avant de faire une demande, il faut que l’individu sache ce qu’il veut exactement et ce qu’il attend de l’autre. La personne doit d’abord commencer par émettre les eets négatifs du comportement actuel de l’interlocuteur, pour ensuite suggérer une alternative (la demande) et terminer en expliquant les aspects positifs de ce changement de comportement. Énoncer les habiletés nécessaires à l’armation de soi (p. ex., à propos des comportements non verbaux, de la façon d’accepter les compliments et la critique, et de faire ou refuser une demande). Spécifier les tâches à accomplir au cours des séances et assigner des exercices à accomplir entre les séances. Les tâches durant les séances de thérapie se centrent autour de l’apprentissage graduel d’habiletés particulières, d’imitation de certains comportements appropriés et de la pratique de ces comportements et habiletés à l’aide de jeux de rôle. Le thérapeute peut demander au patient de dresser une liste hiérarchique les principales situations où il lui est dicile de s’armer an de cibler les situations les moins diciles à travailler au début. L’application des habiletés et comportements appris se fait en contexte naturel en n de thérapie. Imiter des comportements d’armation. Le thérapeute montre au patient les comportements armatifs adéquats, avec leur contenu verbal et non verbal spécique. Il explore ses peurs vis-à-vis de la situation et tente de restructurer ses cognitions inadéquates. Pratiquer les comportements d’armation pendant les séances de thérapie. Pour se préparer à aronter la situation, le patient applique les habiletés et comportements enseignés à l’aide de jeux de rôle. Avec l’aide du thérapeute, il prépare ses arguments à l’avance, se met à la place de l’interlocuteur, ne le provoque pas, reste calme, est prêt à prendre des risques et à faire des compromis. Donner de la rétroaction (des correctifs et des renforcements). L’évaluation de la performance durant le jeu de rôle devrait toujours commencer par la sollicitation de commentaires de la part du patient. Cette stratégie permet au thérapeute d’évaluer la compréhension du patient concernant les comportements verbaux et non verbaux à adopter lors de l’armation de soi. Elle permet d’évaluer sa capacité à percevoir sa performance avec exactitude et objectivité. Les eorts et les progrès du patient doivent être constamment renforcés par le thérapeute qui doit suggérer des correctifs constructifs lorsqu’il y a place à l’amélioration dans la performance. Il est souhaitable d’eectuer un enregistrement vidéo du jeu de rôle an de fournir une rétroaction plus complète. Appliquer les acquis dans un contexte naturel lors d’interactions interpersonnelles. Le patient doit effectuer une autoévaluation technique et eective de sa performance lors de ces interactions.

Indications L’armation de soi est enseignée aux personnes qui ont de la diculté à exprimer leurs désirs ou à défendre leurs droits. Cette stratégie s’intègre bien dans la thérapie de la phobie sociale. Elle est aussi utilisée avec les patients timides ou bègues. Elle s’insère également dans le traitement des patients sourant de dysfonctions

érectiles ou sexuelles (p. ex., en les amenant à verbaliser leurs préférences), ceux qui sont atteints de troubles mentaux sévères et dont l’estime de soi est faible ou bien qui ont besoin d’entraînement à la communication sociale. L’armation de soi peut être utilisée auprès des individus alcooliques an de les aider à exprimer leurs sentiments sans avoir consommé. Elle sert également avec succès pour aider les personnes qui, ne sachant pas comment s’y prendre pour se défendre et évaluant dicilement les conséquences de leurs actes auprès de leur entourage, manifestent des comportements agressifs ou manipulateurs. Qui plus est, l’utilisation de l’affirmation de soi chez des individus qui ne présentent pas de troubles psychologiques tend à se généraliser an de favoriser une communication plus harmonieuse. C’est une technique très utilisée dans diérents domaines, organismes et industries.

Contre-indications Il n’y pas de contre-indication, à moins que l’armation de soi soit enseignée dans un contexte où elle ne répond pas à un besoin de l’individu.

Résolution de problème La résolution de problème est une intervention empiriquement validée. Originalement élaborées au début des années 1970 par D’Zurilla & Goldfried, la théorie et la pratique de cette thérapie ont été ranées et révisées de nombreuses fois pour en arriver aux procédures actuelles. Elle vise l’acquisition d’habiletés et d’attitudes favorisant la résolution de problème. La thérapie par résolution de problème comporte deux dimensions importantes. 1. L’orientation vis-à-vis d’un problème se dénit comme l’ensemble des schémas relativement stables chez un individu, qui renferme les croyances, les attitudes et les réactions émotionnelles par rapport à un problème, ainsi que l’habileté à s’ajuster ecacement aux situations sociales. • Une orientation positive concerne donc la tendance optimiste d’une personne (« les problèmes peuvent être résolus »), la perception que ses problèmes sont des dés, la reconnaissance de ses capacités à faire face à des problèmes et sa détermination à les aronter (au lieu de les éviter). • Une orientation négative implique la tendance chez un individu à percevoir les problèmes comme des malheurs, généralement insolubles, à douter de ses capacités de les résoudre et à se sentir particulièrement offensé ou fâché quand il doit affronter des problèmes mettant en jeu des émotions négatives. Bref, l’orientation face au problème a une fonction motivationnelle. 2. La résolution de problème consiste à trouver des solutions pour régler de manière satisfaisante le problème de l’individu. Elle fait intervenir l’un des styles suivants : • un style adaptatif ecace, qui repose sur l’application systématique et planiée d’habiletés spéciques permettant de découvrir une solution ; • un style impulsif / négligent, qui est caractérisé par une prise de décision rapide, impulsive et laissant de côté certains aspects du problème. La résolution des problèmes ici est souvent incomplète ; • un style évitant, marqué par la procrastination (retarder la résolution des problèmes le plus longtemps possible), la

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passivité (attendre que les problèmes se résolvent d’euxmêmes) et la dépendance (tenter d’attribuer à autrui la responsabilité de résoudre les problèmes). Ces deux derniers styles sont dysfonctionnels et amènent des échecs dans la résolution des problèmes.

Mise en application La thérapie par résolution de problème vise donc à faire adopter une orientation positive face aux problèmes, ainsi qu’un style ecace de résolution de problème. Ainsi, un patient peut avoir une excellente connaissance des habiletés permettant de résoudre un problème, mais présenter une orientation négative face à ce problème ; c’est le cas dans l’anxiété généralisée. À l’aide d’une bonne analyse fonctionnelle du comportement, on peut identier quelle composante est décitaire chez le patient. Voici les principaux obstacles ainsi que les stratégies à mettre en œuvre an d’amener un patient à adopter une orientation positive à l’égard des problèmes. • Le patient entretient une perception négative de son ecacité à résoudre le problème. L’objectif du thérapeute consiste à augmenter l’optimisme du patient et son sentiment d’ecacité personnelle par la visualisation constructive des situations à résoudre. Quand le patient, les yeux fermés, imagine qu’il a résolu un de ses problèmes courants, il éprouve une expérience de succès. L’objectif de cette phase consiste ainsi à faire vivre au patient l’émotion rattachée au fait d’atteindre un but, de se sentir ecace. • Pour corriger les pensées dysfonctionnelles et pour aider le patient à ne plus présenter de pensées négatives, il faut souvent commencer par un recadrage ou par une restructuration cognitive des croyances inadéquates de ce patient. En utilisant des stratégies cognitives, le thérapeute identie les autoverbalisations erronées et culpabilisantes, telles que « je dois…, il faut… », les interprétations fréquemment catastrophiques comme « c’est épouvantable, dramatique », la surgénéralisation comme « personne ne me comprend », etc. Le thérapeute peut également utiliser la technique du jeu de rôle inversé en prenant la place du patient pour exprimer des croyances dysfonctionnelles et lui demander ensuite d’expliquer pourquoi elles sont illogiques, incorrectes ou inadaptées. Une fois que le patient adopte une orientation positive face au problème, on peut ensuite faire un entraînement à la résolution de problème (p. ex., pour un problème aussi banal que « J’aimerais bien prendre un café, mais je n’ai plus de café dans mon armoire », ou un problème plus complexe, comme « J’aimerais bien avoir une auto neuve, mais j’ai déjà beaucoup de dettes »). Cette démarche comprend sept étapes spéciques. 1. Arrêter et rééchir avant d’agir. 2. Dénir le problème le plus clairement possible. Préciser ce que le patient souhaite et ce qui l’empêche de l’obtenir. Déterminer la nature du problème et observer les causes et les conséquences. Très souvent, les problèmes paraissent insolubles parce qu’ils sont posés de façon trop générale ou imprécise. Il est souvent dicile de résoudre un problème vague ou de vouloir régler plusieurs problèmes simultanément. Il faut plutôt prendre chaque problème séparément et préciser l’obstacle à la satisfaction de son besoin pour chacun. 3. Mettre sur la table toutes les solutions possibles sans censure, ni jugement. Parfois, l’idée la plus farfelue peut engendrer la

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solution la plus ecace. Si ce n’est pas le cas, elle aura au moins eu le mérite de faire rire ou de dédramatiser la situation ! 4. Évaluer chacune des solutions en pesant les « pour » et les « contre » ; considérer les avantages et les inconvénients de chaque solution à court, à moyen et à long terme, pour soi et les autres, ainsi que les conséquences qui en découlent. Le patient doit prendre le temps de se documenter si certaines informations pertinentes ne sont pas disponibles. Pour faire une bonne sélection, il doit donner une valeur, un poids à chacune des solutions de sa liste. Ensuite, il procède en éliminant les solutions non valables et recommence le processus en évaluant la pertinence des solutions restantes. 5. Choisir la solution ou la combinaison de solutions qui, en n de compte, paraît la plus avantageuse. Il ne s’agit pas de chercher la solution parfaite, toujours très rare, contrairement aux « bonnes » solutions qui, elles, sont bien plus nombreuses. Pour aider le patient à choisir les solutions les plus valables pour résoudre son problème, il peut se poser les questions suivantes : en quoi cette solution règle-t-elle mon problème ? Quelles sont les probabilités que cette solution règle mon problème ? 6. Passer à l’action. Les meilleures solutions du monde ne règlent rien si elles ne sont pas mises en application. Le patient doit faire la liste des étapes à suivre pour appliquer la solution, déterminer les moyens dont il a besoin et établir un plan détaillé avec un échéancier réaliste et précis. Il est important de planier des premiers essais assez faciles an de permettre au patient de passer rapidement à l’action. 7. Évaluer les résultats obtenus en termes d’eets sur le problème que la solution est censée corriger, mais également en termes de niveau d’anxiété, d’inconfort et d’humeur. Le thérapeute doit faire attention à ne pas appliquer les étapes de la thérapie d’une façon mécanique. Il ne doit pas rester centré seulement sur les habiletés du patient, mais aussi sur ses réactions émotionnelles, il doit s’ajuster aux variations individuelles dans le cheminement de tout patient. Cette réexion en suivant les étapes pour résoudre un problème s’insère facilement dans n’importe quelle entrevue individuelle quand un patient annonce : « J’ai un problème avec... ». Il est aussi très protable de planier une série de rencontres pour un petit groupe de patients où chacun des participants apporte un problème à tour de rôle et reçoit les suggestions des autres sur des solutions possibles à la troisième étape.

Indications Pratiquée à travers le monde cette intervention a prouvé son ecacité auprès de populations diversiées d’adolescents et d’adultes pour traiter diverses problématiques psychologiques, comportementales et relatives à la santé. Cette stratégie d’intervention est indiquée lorsque le patient est aux prises avec des problèmes réels qui lui semblent trop complexes par leurs conséquences ou les réactions émotionnelles importantes qu’ils suscitent. La résolution de problème est une stratégie qui peut s’intégrer dans un programme d’intervention multimodale chez des patients qui présentent des problèmes de nature psychologique tels un trouble d’anxiété généralisée, une phobie sociale, la dépression, des idées suicidaires, un trouble de la personnalité limite, l’abus de substances, des habiletés sociales décientes chez les personnes atteintes de schizophrénie, etc. La résolution de problème s’applique également aux conits familiaux, conjugaux,

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aux conits entre des adolescents et leurs parents, etc. De plus, cette stratégie peut s’appliquer à des patients qui sourent de divers problèmes médicaux comme l’obésité, le diabète l’arthrite, les lombalgies, l’hypertension, les malaises cardiovasculaires, le cancer. Évidemment, elle ne guérit pas ces maladies, mais elle permet de résoudre les problèmes qui y sont associés.

Contre-indications Il n’y a pas vraiment de dicultés majeures dans l’application de la résolution de problème pourvu qu’elle soit appliquée aux besoins du patient et s’insère dans un plan de traitement découlant d’une analyse fonctionnelle de qualité. Dans le cas d’individus présentant des croyances rigides (p. ex., personnalité narcissique) ou un perfectionnisme excessif (p. ex., personnalité obsessionnelle-compulsive), il peut devenir ardu d’appliquer cette stratégie. Il faut alors travailler au niveau des croyances dysfonctionnelles, de l’attitude et des traits de personnalité en cause, avant de recourir à la résolution de problème.

Les stratégies de thérapie comportementale reposent sur un ensemble de principes théoriques fondés sur des études scientiques validées. Il s’agit là d’une des caractéristiques de

cette approche qui fait qu’elle évolue constamment. Elle constitue l’approche thérapeutique la mieux étudiée en recherche et l’ensemble de ces études a montré une ecacité dans un très grand nombre de situations. D’un point de vue clinique, le choix d’une ou de plusieurs stratégies de thérapie comportementale doit reposer au préalable sur une analyse fonctionnelle rigoureuse des dicultés éprouvées par le patient. Il faut aussi bien évaluer ses motivations dès le début de la thérapie et les réévaluer fréquemment. Ce type d’intervention nécessite également d’établir un cadre thérapeutique clair et de le faire respecter, en plus de favoriser une bonne alliance thérapeutique, tout en choisissant une direction centrée sur l’atteinte d’objectifs bien dénis, à court, à moyen et à long terme. Quand il a recours à une thérapie comportementale, le thérapeute compétent adapte son plan d’intervention en fonction de chaque patient. Il se soucie de ses forces et faiblesses, de son style cognitif, de son histoire personnelle, de son mode vie et de sa façon d’entrer en relation avec les autres. Il choisit les stratégies thérapeutiques en fonction des capacités de chaque individu. Il tient compte des facteurs qui ont contribué au développement et au maintien du problème. Il est possible de recourir à une ou plusieurs stratégies d’intervention à la fois comportementale, cognitive et pharmacologique.

Lectures complémentaires A, M. M. & al. (2005). Improving Outcomes and Preventing Relapse in Cognitive-Behavioral erapy, New York, NY, Guilford Press. C, L. (2008). La thérapie cognitivo-comportementale : éorie et pratique, Montréal, Québec, Gaëtan Morin.

C, J. (2011). Les thérapies comportementales et cognitives, 5e éd., Paris, France, Masson. D, D. & D, K. S. (2009). Evidence Based Practice of CognitiveBehavioral erapy, New York, NY, Guilford Press. F, R. & al. (2006). Comment réussir une négociation. Paris, Seuil.

F, O. & F, P. (2006). Guide clinique de thérapie comportementale et cognitive, Paris, France, Retz. L, B. D. & al. (2010). Making Cognitive-Behavioral erapy Work : Clinicinal Process for New Practitioners, 2e éd., New York, NY, Guilford Press.

Lectures complémentaires pour les patients B, P. (2010). Se relever d’un traumatisme : réapprendre à vivre et à faire conance, Montréal, Québécor. G, D. & P, C. (2004). Dépression et anxiété, comment comprendre et surmonter par l’approche cognitive : un guide pratique, Décary.

L, R. & al. (2003). Arrêter de vous faire du souci pour tout et pour rien, Paris, Odile Jacob. O’C, K.P. & al. (2006). Le Programme d’aide au succès de sevrage (PASSE) ; la vie sans tranquillisants,

pour réussir à arrêter et à maintenir le cap, Montréal, Stanké. S, A. (2000). Je ne peux pas m’arrêter de laver, vérier, compter, Paris, Odile Jacob.

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CHA P ITR E

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Thérapie cognitive Thanh-Lan Ngô,

M.D., FRCPC., M. S C . (thérapie cognitivocomportementale) Psychiatre, programme des maladies aectives, Pavillon Albert-Prévost, Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal Professeure adjointe de clinique, codirectrice, module d’enseignement de la thérapie cognitivo-comportementale, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

76.1 Historique et bases théoriques ......................................... 1641 76.1.1 Précurseurs de la thérapie cognitive................ 1641 76.1.2 érapie cognitive contemporaine .................. 1643 76.1.3 Évolution de la thérapie cognitive.................... 1646 76.2 Application clinique......................................................... 1647 76.2.1 Séances initiales ................................................... 1647 76.2.2 Séances intermédiaires....................................... 1649 76.2.3 Séances terminales .............................................. 1650 76.2.4 Protocoles de thérapie cognitive en psychiatrie ....................................................... 1650

76.3 Indications et contre-indications .................................1659 76.4 Résultats fondés sur des données probantes............. 1661 Lectures complémentaires ....................................................... 1665

L

a thérapie cognitive (TC) est basée sur la prémisse que ce ne sont pas les événements qui déterminent les émotions et les réactions d’un individu, mais bien sa façon de les interpréter. Lorsque la réaction est disproportionnée et qu’elle est contre-productive, elle peut occasionner une sourance qui pousse l’individu à consulter. Le thérapeute l’amène alors à faire le lien entre ses pensées, ses émotions, ses sensations physiques et ses comportements. Il l’aide à identier les pensées à l’origine de sa réaction disproportionnée et de sa sourance et à les réévaluer, s’il y a lieu, an qu’il puisse mieux composer avec la situation et agir de façon à sortir de l’impasse. La TC est née vers la n des années 1950 et elle a pris son essor dans les années 1960 et 1970. Elle s’est d’abord développée par contraste avec l’approche comportementale et psychanalytique pour surmonter certaines limites de ces dernières. Par la suite, l’approche cognitive s’est retrouvée de plus en plus combinée à diverses techniques comportementales dans de multiples protocoles de traitements qui ciblent des problématiques spéciques. C’est ainsi qu’on la nomme souvent « thérapie cognitivo-comportementale » (TCC). Aujourd’hui, elle occupe une place centrale dans l’arsenal thérapeutique de plusieurs cliniciens, car on a montré son ecacité pour traiter la majorité des pathologies psychiatriques.

76.1 Historique et bases théoriques1 En 1969, Eysenck publie une revue de littérature inuente qui remet en question l’ecacité de la psychanalyse. De plus, des cognitivistes de la première heure, dont Beck (1967), critiquent le fait qu’on mette l’accent sur les processus inconscients ainsi que sur les détails historiques. Ils remettent aussi en cause l’attitude non interventionniste du psychanalyste et la durée (souvent plusieurs années) de cette thérapie. Ils notent par contre que le modèle comportemental (behavioral) peut comporter certaines limites. Par exemple, la théorie selon laquelle un stimulus engendre une réponse ne peut pas toujours expliquer le comportement humain (dans le cas de l’apprentissage vicariant, celui de la gratication diérée ou celui de l’apprentissage du langage). C’est pourquoi, alors que, traditionnellement, en thérapie comportementale, on ne s’intéresse qu’à ce qu’on voit (le comportement explicite observable) et qu’on se mée de ce qui se passe dans la « boîte noire » (le fonctionnement mental qui mène à la réponse de l’individu), la thérapie cognitive fait intervenir une variable intermédiaire : le comportement implicite (les pensées ou cognitions). Aussi, les résultats obtenus en clinique par la thérapie comportementale peuvent parfois être décevants. Par exemple, les comportementalistes croient que la dépression est due à une diminution des activités qui peuvent renforcer des réponses positives ; selon eux, on doit donc encourager les patients déprimés à être plus actifs. Pourtant, certains d’entre eux restent déprimés même s’ils sont plus actifs, car ils évaluent négativement le résultat de ces activités ainsi que leur performance, tandis que d’autres sont simplement incapables de s’activer à cause de l’intensité de leur 1. Certaines parties de la section 76.1 ont été adaptées de Ngô & Chaloult (2008).

dépression. Cette constatation amène des chercheurs cognitivistes à se pencher sur les aspects cognitifs des psychopathologies, malgré leur rejet initial de l’introspection ainsi que l’attitude polémique de certains comportementalistes envers d’autres types de thérapie, comme la psychanalyse, qui s’intéresse au vécu subjectif du patient. En observant les réponses à la peur, Lang (1968) avaient proposé une théorie des trois systèmes où la réponse émotive se subdivise en : 1. Une réponse cognitive exprimée verbalement pour décrire l’état émotif subjectif (p. ex., la peur) ; 2. Une réponse motrice ou comportementale manifeste (p. ex., la fuite ou l’évitement) ; 3. Une réponse physiologique cachée, médiée par le système nerveux autonome (p. ex., la conductance cutanée ou le rythme cardiaque). La théorie de Rachman & Hodgson (1974) a permis de mieux comprendre les symptômes présentés par les patients et de mieux évaluer leurs problèmes. Se basant sur la théorie des trois systèmes de Lang, ils expliquent que les systèmes comportementaux, cognitifs-aectifs (émotion verbalisée) et physiologiques (activation somatique et physiologique) sont reliés, mais parfois désynchronisés, c’est-à-dire qu’ils ne vont pas dans la même direction, de la même façon. Ainsi, chez les patients déprimés dont l’état ne s’améliore pas même s’ils sont plus actifs, on comprend que leur système cognitif est désynchronisé par rapport au comportement, et c’est sur ce système cognitif qu’il faut agir an de permettre au patient de s’améliorer. Finalement, en psychologie expérimentale, on développe des modèles cognitifs de traitement de l’information qu’on tente d’appliquer en clinique. L’un des chercheurs dans le domaine de la psychologie cognitive appliquée, Lazarus (1966), révèle la présence d’une médiation cognitive dans les états anxieux. C’est l’époque, selon Mahoney (1974), de la révolution cognitive. C’est dans ce contexte qu’est née la thérapie cognitive.

76.1.1 Précurseurs de la thérapie cognitive Trois psychologues nord-américains ont jeté les bases de la TC : Georges Kelly, Albert Ellis et Donald Meichenbaum. George Kelly (1905-1967) a étudié en mathématiques et en physique avant d’obtenir son doctorat en psychologie. C’est ce qui l’amène à présenter sa théorie des construits personnels (Kelly, 1955) sous une forme mathématique, avec un postulat et une série de corollaires. Les construits sont des structures mentales qui « déterminent les comportements des individus, leurs pensées et leurs impressions », et qui sont utilisées pour « anticiper et prédire les événements ». Le postulat fondamental est le suivant : « les processus cognitifs d’un individu sont canalisés psychologiquement par sa façon d’anticiper les événements ». Autrement dit, les préjugés d’un individu inuencent sa façon d’interpréter les événements ainsi que ses actions qui, elles, lui permettent de réaliser ses prédictions. Les trois corollaires s’énoncent comme suit : 1. La construction : on « anticipe les événements en modélisant leur réplication », c’est-à-dire que nos expériences passées nous permettent de nous représenter mentalement l’univers et nous comparons ensuite cette représentation à la réalité an d’en vérier la validité. 2. L’individualité : chaque individu interprète les événements à sa façon, car chacun est inuencé par son histoire personnelle.

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3. L’organisation : chacun développe un système de construits qui permet d’établir des connexions rapides entre les concepts an de déduire des faits comme dans la séquence suivante : parler fort → colère → violence. Selon Kelly, l’individu devient : • anxieux lorsque ses construits ne lui permettent pas d’anticiper adéquatement la réalité (p. ex., lorsqu’il fait face à une situation critique dont l’issue est incertaine) ; • coupable lorsque ses actions ne sont pas compatibles avec ses construits centraux (p. ex., s’il déroge à ses principes) ; • hostile lorsqu’il tente de se persuader que ses construits sont valides même s’ils sont incompatibles avec la réalité (p. ex., s’énerver dans le trac parce qu’on croit que tous devraient bien conduire). En thérapie, Kelly identie le système de construits du patient grâce à sa grille répertoire (technique d’entrevue qui utilise l’analyse factorielle pour dégager la cartographie mentale du patient). Il l’aide ensuite à modier ses construits s’ils ne sont pas adaptés, en l’invitant à changer de point de vue ou en prescrivant des expériences qui l’amènent à en vérier la validité ou qui les rendent moins rigides. Il lui suggère de mettre en application les notions apprises grâce à des travaux à la maison. Ainsi, dans la thérapie des rôles xes, il demande au patient de se décrire à la troisième personne (p. ex., « il est timide »), puis il lui suggère de se comporter de façon opposée (p. ex., « il est extraverti »), selon un scénario établi, pendant une ou deux semaines, à temps plein, an de remettre en question ses construits problématiques. Plusieurs concepts avancés par Kelly ont par la suite été repris par ceux qui ont élaboré la thérapie cognitive contemporaine. Albert Ellis (1913-2007), un psychanalyste américain, est frustré par la lenteur des progrès obtenus en thérapie. Ses patients lui disent qu’ils comprennent bien la nature de leur problème, mais qu’ils ne peuvent rien y faire. C’est pourquoi Ellis développe la thérapie émotivo-rationnelle (Ellis, 1958), une thérapie qui selon lui est plus ecace et directe. Inspiré entre autres par les philosophes stoïciens, existentialistes et bouddhistes, Ellis croit que la détresse de l’individu est attribuable à sa perception des événements. Il élabore son modèle ABC : A : un événement Activateur ; B : déclenche un système de croyances (Belief ) ; C : qui entraîne des Conséquences émotionnelles et comportementales. Si l’individu est aux prises avec une émotion dysfonctionnelle ou un comportement destructeur, il faut mettre en évidence les pensées irrationnelles sous-jacentes. Une émotion dysfonctionnelle est engendrée par une croyance irrationnelle ; elle est source de sourance, amenant l’individu à agir contre son intérêt et l’empêchant de poser les actions qui sont requises pour atteindre ses objectifs. Le thérapeute entraîne alors le patient dans un débat an de remettre ces pensées en question et de les distinguer des croyances rationnelles. En modiant les croyances (cognitions) du patient, on souhaite « non seulement [qu’il] se sente mieux, mais qu’il devienne plus fonctionnel ». Le thérapeute l’aide aussi à faire la diérence entre les émotions appropriées et inappropriées reliées aux croyances rationnelles et irrationnelles (p. ex., la rage lorsqu’on exige que tout le monde conduise bien sur la route par opposition à une frustration modérée lorsqu’on se dit qu’il serait préférable

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que les gens conduisent bien). Ellis préconise un style de thérapie actif et directif. Ses interventions sont vigoureuses, car il est convaincu que l’être humain a tendance à s’accrocher à sa façon irrationnelle de penser. Le système de thérapie d’Ellis comporte trois niveaux : 1. L’inférence : ce que le patient croit qui se passe réellement (p. ex., « mon amie a refusé de sortir avec moi parce que je ne suis pas intéressant »). Lorsque la thérapie débute à ce premier niveau, le thérapeute aide le patient à chercher les distorsions cognitives qui peuvent biaiser son interprétation des événements. Les principales distorsions cognitives sont les suivantes : • tout est blanc ou noir (estimer les choses totalement bonnes ou totalement mauvaises) ; • le ltre du négatif (focalisation sur le négatif ) ; • la généralisation à outrance (considérer un événement unique comme une constante permanente) ; • la prédiction négative (prédire que des événements seront négatifs) ; • la personnalisation (croire qu’on est la cause de quelque chose à propos de laquelle on n’a rien à voir) ; • le raisonnement émotif (croire qu’une chose est vraie parce qu’on la ressent fortement, les émotions l’emportent sur la raison) ; • la lecture de la pensée (être convaincu que les autres ont une opinion négative sur nous). En thérapie émotivorationnelle, on aide le patient à identier ces distorsions cognitives et à les remettre en question. 2. L’évaluation : la signication que l’individu attribue à l’événement (p. ex., « c’est terrible de ne pas avoir de petite amie »). Il existe quatre façons d’évaluer les événements qui, lorsqu’elles se répètent chez un individu, deviennent des attitudes dysfonctionnelles de base : • les exigences (« musturbation » : je dois / il faut) ; • la dramatisation (« awfulizing » : c’est terrible) ; • la non-acceptation (l’intolérance à la frustration : je ne peux pas le supporter) ; • les jugements globaux sur la valeur personnelle (se juger de façon globale à partir d’un élément : je suis incapable, je suis stupide). 3. Les croyances sous-jacentes : les règles de vie pour chaque individu. Ellis énumère onze croyances irréalistes majeures, c’est-à-dire des « cognitions évaluatives absolues reétant une signication personnelle » : • je dois être aimé, approuvé et admiré par presque toutes les personnes importantes de ma vie ; et si je ne le suis pas, c’est terrible et inacceptable ; • pour se considérer comme valable, un être humain doit être parfaitement qualié, adéquat et accompli en tout temps ou du moins la plupart du temps dans au moins un domaine important ; • lorsque des personnes se conduisent mal ou sont injustes, il est justifié de les considérer comme des personnes méchantes et mauvaises et elles doivent être sévèrement blâmées et punies pour leur méchanceté ; • le monde doit être honnête et juste ;

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• il existe toujours une solution précise et parfaite aux problèmes humains et je dois avoir un complet contrôle sur les choses, sinon c’est la catastrophe ; • c’est terrible et catastrophique lorsque les choses ne vont pas comme on le souhaite ; • si quelque chose est dangereux ou peut le devenir, on doit s’en préoccuper au plus haut point et se tracasser sans arrêt à propos de cette éventualité ; • il est plus facile de fuir les dicultés de la vie et d’échapper à ses responsabilités que d’y faire face ; • le bonheur peut être atteint par l’inertie et l’inaction en se laissant vivre passivement ; • la détresse émotionnelle vient de pressions externes et j’ai peu de pouvoir pour changer mes émotions ; • ma biologie ou mon enfance est la cause de mes problèmes. Parce que ces facteurs m’ont fortement inuencé dans le passé, ils m’inuencent toujours dans le présent et vont continuer de le faire dans l’avenir. Les croyances (cognitions) irréalistes sont rigides, non compatibles avec la réalité, illogiques et elles empêchent l’individu d’atteindre ses buts à long terme. Par ailleurs, dans ce modèle, les problèmes psychologiques sont soit attribuables à des troubles du Moi ou à un inconfort (ou faible tolérance à la frustration). Dans le premier cas, l’individu porte un jugement global négatif sur lui-même parce qu’il a des exigences rigides et irréalistes envers lui-même, autrui ou le monde. Pour surmonter ce problème, le patient doit apprendre à s’accepter tel qu’il est. Dans le second cas, les problèmes proviennent du fait que l’individu croit que des conditions de vie confortables doivent exister. Il adopte donc des exigences rigides pour lui-même, autrui ou le monde, ce qui le rend malheureux. Le rôle du thérapeute est d’aider le patient à accepter le monde tel qu’il est et à augmenter sa tolérance à la frustration. Il y a deux façons de se sentir plus heureux : abaisser nos exigences pour concorder avec la réalité qu’on vit ou prendre les moyens nécessaires à la réalisation de nos ambitions. Finalement, Ellis considère que les intérêts de l’individu et de la société peuvent être servis par l’adhésion aux concepts suivants : l’hédonisme responsable et l’intérêt personnel éclairé. Le but de la thérapie est donc d’encourager l’individualité, la liberté, l’intérêt personnel, le contrôle de soi ainsi que l’engagement dans la vie et la sélection de personnes dignes d’être aimées. En 1982, l’American Psychological Association a décrété que Ellis obtenait la deuxième place au palmarès des psychologues les plus inuents du 20e siècle (derrière Carl Rogers et devant Sigmund Freud). On le considère aujourd’hui comme le grandpère de la thérapie cognitive. Par contre, même si la thérapie émotivo-rationnelle est encore pratiquée de nos jours, elle est critiquée par certains à cause du style thérapeutique d’Ellis et de son emphase philosophique. Aussi, la thérapie émotivo-rationnelle a surtout fait l’objet d’études par des adeptes plutôt que par des observateurs objectifs (Haaga & Davison, 1993). La modication cognitivo-comportementale de Donald Meichenbaum (1977), un psychologue canadien, fait un pont entre les théories cognitives et les techniques comportementales. Sa thèse doctorale portait sur des patients atteints de schizophrénie dont le discours spontané est sain (p. ex., ils se

répétaient des instructions positives) : il observe qu’ils sont moins distraits et qu’ils sont capables d’orir de meilleures performances lorsqu’ils accomplissent une tâche cognitive que les autres patients. Il fait le lien entre ses observations et les théories d’Alexander Luria et de Lev Vygotsky qui ont déjà mis en évidence un lien entre le langage, les pensées et le comportement. Selon eux, on peut développer un contrôle volontaire du comportement par une approche progressive : d’abord la régulation externe par les proches puis l’autorégulation par l’internalisation des commandes verbales (p. ex., les proches émettent des instructions, puis l’individu se répète luimême ces instructions). Ils postulent que les comportements implicites (les pensées) obéissent aux mêmes principes que les comportements manifestes et qu’on peut donc utiliser ces principes pour les modier : c’est ce que Meichenbaum (1969) fait en développant son programme d’entraînement par l’autoinstruction qu’il applique d’abord aux enfants impulsifs. Il entraîne les enfants à se répéter des instructions et à y répondre de façon appropriée. Parmi les aspects comportementaux de cette approche, on note les tâches graduées, le modelage cognitif et l’autorenforcement. À la n de l’entraînement par l’auto-instruction, l’enfant a acquis six aptitudes : • la dénition du problème ; • la façon d’approcher le problème ; • la focalisation de l’attention ; • l’autoverbalisation ; • les options de correction des erreurs ; • l’autorenforcement. Selon Mahoney (1974), cette thérapie donne de bons résultats chez les enfants impulsifs et chez les schizophrènes ainsi que pour le traitement de l’anxiété liée aux examens et aux phobies. Meichenbaum & Cameron (1973) ont aussi mis au point la thérapie par inoculation contre le stress qui comporte trois étapes : 1. Évaluer et conceptualiser le problème ; 2. Enseigner au patient diérentes façons de composer avec l’anxiété générée par certaines situations (p. ex., la relaxation, l’autoverbalisation et l’autorenforcement) ; 3. Exposer le patient à diérentes situations stressantes an qu’il puisse mettre en pratique ses nouvelles aptitudes. Cette thérapie a été validée pour le traitement de l’anxiété, de la colère et de la douleur (Meichenbaum, 1993). Par contre, comme elle comporte plusieurs éléments, on ne sait pas quel élément du protocole est ecace. Par ailleurs, de nos jours, Meichenbaum semble plutôt s’intéresser aux approches constructivistes.

76.1.2 Thérapie cognitive contemporaine Parmi les penseurs qui ont fait évoluer le mouvement cognitif, trois ont été particulièrement inuents : Aaron Beck, fondateur de la TC contemporaine, Jerey Young, qui a conçu la thérapie des schémas, et l’école d’Oxford, qui s’est intéressée aux ingrédients actifs de la thérapie. 1. Aaron Beck, psychiatre à Philadelphie, veut conrmer par ses études, la théorie psychanalytique selon laquelle la dépression est une forme d’hostilité rétroéchie contre soi-même. Il émet l’hypothèse que les rêves des patients reéteront des

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thèmes de rejet, de perte, d’abandon tel que mesuré sur une échelle portant sur le masochisme. Il arrive cependant à la conclusion que cette étude ne montre pas que les patients souhaitent sourir, mais simplement qu’ils sourent. De plus, les patients déprimés vont mieux lorsqu’ils obtiennent du succès grâce à une technique d’assignation des tâches graduées (hiérarchie de tâches allant de la plus facile à la plus dicile), ce qui milite aussi contre l’hypothèse initiale du masochisme, du besoin de sourir. Il note que les cauchemars à thèmes de laideur, d’incompétence et de punition semblent plutôt reéter le point de vue conscient des patients déprimés qui ont une pensée négative, ce qui caractérise la dépression, selon Beck. Il émet l’hypothèse suivante : la pensée négative n’est pas seulement un symptôme de la dépression, mais elle contribue aussi au maintien de la dépression (c.-à-d. au renforcement réciproque des cognitions et des émotions pessismistes). Ses études, publiées en 1967, l’amènent à constater que les patients déprimés ont une perception négative d’eux-mêmes comme incompétent (worthless), de leur vécu actuel qui ne peut pas s’améliorer (helpless) et de leur futur sombre (hopeless) ; c’est la triade de Beck. Un peu comme Ellis, Beck observe que les patients présentent des erreurs cognitives comme : • la pensée dichotomique (tout est blanc ou noir) ; • la maximisation et la minimisation (attribuer une plus grande valeur aux échecs ou aux événements négatifs et dévaloriser les réussites et les situations heureuses) ; • la surgénéralisation (l’extraction d’une règle à partir d’un événement, puis son application à des événements qui ne sont pas semblables ; si c’est vrai dans un cas, cela s’applique à n’importe quel cas plus ou moins semblable) ; • la catastrophisation (il faut toujours s’attendre au pire, car c’est ce qui risque d’arriver) ; • la personnalisation (surestimer les relations entre les événements défavorables et l’individu, « c’est toujours de ma faute ») ; • l’abstraction sélective (se centrer sur un détail et perdre de vue l’ensemble) ; • l’inférence arbitraire (tirer des conclusions pessimistes sans preuve, sans tenir compte des faits). Dans le modèle de Beck, chaque individu possède des schémas, c’est-à-dire des structures cognitives profondément ancrées, inconscientes et relativement stables qui forment une grille d’évaluation à travers laquelle il perçoit et analyse la réalité. Les schémas contiennent des croyances fondamentales qui résultent de l’interaction entre l’individu et des personnages signicatifs ainsi que de son hérédité. Les croyances fondamentales (Beck, 1996) sont les composantes les plus sensibles de la conception que l’individu a : • de lui-même (p. ex., « je suis vulnérable, impuissant, inepte, peu aimable, nul ») ; • des autres (p. ex., « les autres sont rejetants, hostiles, dénigrants ») ; • du monde (p. ex., « le monde est impitoyable »). Beck observe trois niveaux de croyances, de cognitions qui sont des énoncés absolus, surgénéralisés et globaux des faits : a) Les croyances fondamentales se situent à un niveau cognitif profond. Elles sont persistantes, relativement

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inaccessibles à la conscience, associées à des aects intenses, résistantes au changement et sujettes à des biais d’interprétation. b) Les croyances conditionnelles (ou présomptions) et les règles se trouvent à un niveau intermédiaire. Elles découlent des croyances fondamentales. Il s’agit de principes de vie qui inuencent nos actions et nos attentes. Elles s’énoncent « si… alors » (p. ex., « si je n’anticipe pas tous les besoins de mes proches, alors ils me rejetteront ») et « je dois/il faut » (p. ex., « je dois toujours faire plaisir aux autres »). c) Les pensées automatiques se situent à un niveau plus superciel, c’est-à-dire le discours intérieur, les images spéciques à une situation, qui peuvent facilement être accessibles à la conscience et qui sont plausibles, habituels (p. ex. « Oh non ! Il n’est pas content. »). La gure 76.1 illustre ce modèle cognitif de Beck. Beck enseigne aux patients, par la collaboration empirique (le thérapeute et le patient mettent en commun leurs connaissances et leurs aptitudes an de cerner le problème, tester des hypothèses et trouver des solutions), à : • identier leurs pensées automatiques ; • reconnaître la relation entre les cognitions, les aects et les comportements ; • tester la validité de leurs pensées automatiques ; • considérer des perceptions plus adaptées (notamment par le biais du questionnement socratique et des expériences comportementales décrits dans la section 76.2) ; • identier leurs croyances sous-jacentes (intermédiaires et fondamentales), sources potentielles de rechute dépressive. Le thérapeute est actif, chaleureux, empathique et utilise une approche : • éducative (le thérapeute enseigne des techniques au patient) ; • active, directive, structurée (avec un agenda pour chaque session) ; • limitée dans le temps (5-20 séances) ; • ciblant les problèmes et les buts du patient ; • mettant l’accent sur l’ici et maintenant. Il utilise une technique à trois et cinq colonnes (voir le tableau 76.1). L’approche de Beck est intégrative puisqu’elle incorpore des aspects des méthodes inspirées par Carl Rogers telle l’utilisation de reets (répéter ce que dit le patient et ce qu’il démontre par son attitude) et de résumés (faire un résumé de ce que le patient dit et fait) ainsi qu’une relation thérapeutique égalitaire. Comme en thérapie comportementale classique, on identie des problèmes et des buts de façon spécique ; on demande également au patient de faire des travaux à domicile et on mesure les progrès. Beck s’est aussi inspiré des concepts proposés par des psychanalystes tels que Freud, en particulier la structure hiérarchique des cognitions et les idées pathogènes à l’origine des aects et des symptômes présentés par les patients. Il s’est appuyé sur des concepts philosophiques tels que ceux énoncés par des philosophes stoïciens (Épictète) « ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les jugements relatifs aux choses ») ou ceux proposés par les phénoménologistes (Kant dans la Critique de la raison pure) armant que « notre connaissance

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FIGURE 76.1 Modèle cognitif de Beck

Source : Adapté de Beck (1995), p. 16-17.

TABLEAU 76.1 Technique à trois et cinq colonnes

Situation J’entends un bruit la nuit et je suis seul à la maison.

Pensée automatique Il y a quelqu’un dans la maison, c’est un cambrioleur.

Émotion J’ai très peur, je crains d’être attaqué.

Pensée rationnelle C’est un volet qui bat au vent.

Résultats Je suis soulagé et un peu ennuyé par le bruit.

des objets dépend du sujet connaissant au moins autant que des objets à connaître ». Plusieurs études ont montré l’ecacité de cette approche notamment pour traiter les troubles de l’humeur, les troubles anxieux, les troubles de la personnalité, les abus de substances et la gestion des crises et de la colère. 2. Le psychologue Jerey Young a travaillé dans le laboratoire de recherche de Beck avant de s’installer à New York et d’y établir une pratique privée. Il a élaboré la thérapie centrée sur les schémas (1990) an d’aider ses patients qui présentent des malaises existentiels attribuables à des traits ou des troubles de la personnalité plutôt que des pathologies psychiatriques (cible conventionnelle de l’approche de Beck). Il note que chez les patients avec un trouble de la personnalité, il faut s’attaquer dès le début aux schémas précoces inadaptés (patterns dysfonc-

tionnels comprenant des souvenirs, des sensations corporelles, des émotions et des pensées relatives à la personne et à ses relations avec autrui, matière psychique qui s’est élaborée avec le temps). En thérapie : • il identie les schémas principaux du patient grâce à une entrevue structurée et à des questionnaires détaillés ; • il aide le patient à modier ces structures profondes grâce à des techniques cognitives, comportementales, relationnelles et expérientielles ; • il utilise la confrontation empathique (être empathique face aux raisons justiant le recours à un schéma tout en exposant ses aspects dysfonctionnels) ; • il a recours au rematernage limité (orir au patient ce qu’il n’a pas reçu de ses parents). Giesen-Bloo & al. (2006) a montré que ce type de thérapie est ecace pour le traitement du trouble de la personnalité limite. À partir des années 1970, on a vu apparaître des protocoles de traitement ciblant plusieurs pathologies psychiatriques. Avec le temps, ces protocoles se sont alourdis : ils comprennent de plus en plus d’éléments potentiellement thérapeutiques (p. ex., la relaxation, la résolution de problèmes, la restructuration cognitive). Il faut maintenant savoir quels aspects sont essentiels et lesquels sont superus. Chapitre 76

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3. L’école d’Oxford, un groupe de psychologues britanniques dans le service du professeur Michael Gelder, s’attarde à l’étude des ingrédients actifs qui confèrent une ecacité à la thérapie cognitive. La parcimonie est le concept clé pour ces cliniciens qui se demandent comment cibler le plus rapidement possible les facteurs de changement dans chacun des troubles psychiatriques. Depuis les années 1990, ce groupe tente de développer des méthodes plus ecaces et rapides an de tester les prédictions catastrophiques centrales dans chaque trouble mental. Par exemple, David Clark, un psychologue qui a étudié avec Beck, met en évidence la croyance suivante dans le trouble panique : « cette sensation physique signale un danger immédiat ». Le groupe mène des études an de déterminer quels éléments thérapeutiques peuvent être éliminés sans compromettre l’efcacité de la thérapie. Il étudie aussi le rôle des comportements sécurisants. Ces chercheurs ont découvert que les patients agissent d’une certaine façon an de prévenir les catastrophes appréhendées, mais que ce faisant, ils ne remettent pas en cause leurs cognitions dysfonctionnelles (p. ex., « si je ne m’étais pas assis lorsque j’ai ressenti des palpitations, j’aurais pu mourir d’une crise cardiaque »). Grâce à des expériences comportementales, les patients s’aperçoivent que leurs appréhensions ne sont pas fondées (p. ex., l’exposition aux sensations physiques intéroceptives (internes) dans le traitement de la panique permet au patient de réaliser que les palpitations n’indiquent pas toujours une crise cardiaque imminente, car lorsqu’on provoque l’apparition de ces symptômes en empêchant le patient de s’asseoir, celui-ci découvre qu’il ne meurt pas). D’autre part, ils étudient le rôle de l’attention dans la perpétuation des syndromes (p. ex., les inquiétudes et les ruminations qui amplient les aects dysphoriques) ainsi que le rôle des métacognitions, c’est-à-dire les cognitions à propos des cognitions (p. ex., « si je m’inquiète trop, je deviendrai fou »). Les membres du groupe d’Oxford travaillent maintenant dans diérentes régions du Royaume-Uni (certains se trouvent encore à Oxford, d’autres à Londres, Manchester et Cambridge), mais cette école demeure hautement inuente aussi en Europe et en Amérique du Nord. Des études à plus large échelle ont été eectuées (p. ex., Stangier & al., 2011) et les protocoles élaborés par ce groupe sont évoqués dans plusieurs manuels (Hawton & al., 1989 ; Wells, 1997).

76.1.3 Évolution de la thérapie cognitive Depuis les années 1980, la thérapie cognitive (TC) a fait l’objet de nombreuses études. Il s’agit maintenant d’une des thérapies de base qui est enseignée dans toutes les universités puisqu’elle est considérée comme ecace dans le traitement de nombreuses pathologies psychiatriques. Par contre, les chercheurs et les cliniciens cognitivistes contemporains ont mis au jour diérentes questions conceptuelles encore non résolues ainsi que plusieurs dés cliniques à relever. Sur le plan pratique, on tente maintenant de cibler des pathologies qui étaient auparavant considérées comme réfractaires à la psychothérapie (p. ex., la schizophrénie ou le trouble bipolaire). Aussi, grâce à des études de démantèlement, où on compare l’ecacité de diérentes techniques cognitivo-comportementales utilisées séparément, on commence à identier les ingrédients actifs de la thérapie : • Dans la phobie sociale, le traitement semble plus ecace si on cible les comportements sécurisants et l’attention centrée

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sur soi (Huppert & al., 2003 ; Clark & al., 2006 ; McManus & al., 2009). • Dans le trouble panique, une approche plus brève centrée autour de la restructuration cognitive des sensations panicogènes est aussi ecace qu’une approche plus étoée comprenant un apprentissage de la respiration diaphragmatique (Clark, 1999). • Dans le trouble d’anxiété généralisée, on met en œuvre des approches brèves centrées sur les métacognitions (Wells & King, 2006) et sur l’intolérance à l’incertitude (Dugas & al., 2003). • Dans la phase aiguë de la dépression, l’activation comportementale seule semble au moins aussi ecace que la restructuration cognitive associée à l’activation comportementale (Gortner & al., 1998 ; Jacobson & al., 1996 ; Dobson & al., 2008 ; Dimidjian & al., 2006). • Dans la dépression récurrente, lorsque le patient a déjà eu trois épisodes, l’approche centrée sur les ruminations semble diminuer de moitié le risque de rechute (Teasdale & al., 2000). Même si ces études nous permettent d’identier des ingrédients actifs potentiels dans des conditions de recherche, il serait dicile de démanteler les protocoles déjà établis sans être certains qu’on n’enlève pas des ingrédients qui peuvent augmenter l’ecacité des interventions dans les milieux cliniques. Éventuellement, les chercheurs espèrent quand même pouvoir développer des approches plus ecaces et ecientes. Comme les patients présentent souvent plus d’une psychopathologie, on élabore maintenant des protocoles qui tiennent compte de la comorbidité (Ledley & al., 2005) en ciblant les mécanismes de changement commun aux diérentes pathologies. Pour pallier la pénurie de thérapeutes formés en TC, les solutions suivantes ont été proposées : • des thérapies de groupe ou des cours dans la communauté ; • des contacts brefs avec des thérapeutes (p. ex., les thérapies assistées par téléphone, des séances de 15 minutes an d’assigner des tâches à domicile, deux séances d’évaluation et de thérapie avec suggestion de livres d’autothérapie, plus une session de suivi) ; • la réalité virtuelle (p. ex., pour la phobie des avions), le téléphone, les livres, les logiciels et les sites Internet (Williams, 2004) ; on développe l’autothérapie (le patient est son propre thérapeute) ; • des échelles d’évaluation qui permettent de prédire ceux qui sont les plus susceptibles de bénécier d’une TC brève (Safran & al., 1993). Sur le plan conceptuel, certains proposent maintenant des approches éclectiques et intégratives, alliant des concepts propres à diérents types de thérapie an d’aider des patients aux prises avec des problématiques complexes. Par exemple, on combine la psychanalyse à la TC dans la thérapie cognitivoanalytique et la thérapie comportementale à la TC dans la thérapie cognitivo-comportementale. D’autre part, plusieurs cognitivistes remettent en question les prémisses centrales de la TC traditionnelle : ils considèrent que les troubles psychologiques ne sont pas causés par des pensées biaisées, mais plutôt par l’évitement, le changement et le contrôle de ces pensées. On ne doit donc pas viser la transformation des pensées « irrationnelles » en « pensées rationnelles », mais plutôt enseigner au patient que les pensées ne sont pas toujours des faits. On l’aide à atteindre une métaperspective, c’est-à-dire une perspective plus globale, en prenant du recul pour juger de

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plus haut. En évitant de plonger dans le tourbillon des pensées (p. ex., en les observant sans les juger) et en cessant d’agir lorsqu’on pense à quelque chose, on apprend que les pensées nissent toujours par se transformer et qu’on ne doit donc pas s’identier à elles (p. ex., plutôt que de croire qu’il est inférieur, le patient réalise qu’il pense qu’il est inférieur, mais que cette pensée peut être vraie ou fausse, ce qui diminue sa détresse). Dans les approches basées sur ce principe (p. ex., la TC basée sur la pleine conscience, la thérapie dialectique comportementale, la thérapie métacognitive et la thérapie d’acceptation et d’engagement), on agit sur les processus cognitifs (la façon de penser) plutôt que sur le contenu cognitif (la pensée). Il s’agit de la troisième vague dans le domaine de la thérapie cognitivo-comportementale, les deux premières étant la thérapie comportementale et la thérapie cognitive basée sur la réévaluation cognitive.

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Un supplément d’information sur ces approches est disponible dans Ngô (2013).

Certains cognitivistes inuents (p. ex., John Mahoney et Donald Meichenbaum) ont adopté une approche constructiviste qui postule que l’individu est un scientique qui utilise des construits cognitifs an de comprendre ses expériences et déterminer ses choix. Dans la critique discursive, on considère que la réalité n’existe que dans la tête de la personne. Dans cette thérapie, on met moins l’accent sur le contenu des pensées que sur la façon d’attribuer une signication aux événements et de faire des liens entre eux. On fait valoir au patient que la réalité est une construction et qu’il peut donc choisir des construits qui lui sont plus utiles. On court-circuite ainsi un débat potentiel visant à déterminer la position la plus réaliste (p. ex., lorsque le thérapeute tente de convaincre son patient d’adopter une position plus « rationnelle » selon lui).

76.2 Application clinique Depuis les années 1960, plusieurs thérapies cognitivocomportementales (TCC) ont été proposées. Les principes de base qui les sous-tendent toutes sont les suivants : 1. Les pensées ont une inuence sur les émotions et les comportements ; 2. Les pensées peuvent être évaluées et remises en question ; 3. Les changements comportementaux désirés peuvent découler d’une modication cognitive. Il existe trois types de thérapies cognitivo-comportementales : 1. Les méthodes de restructuration cognitive, qui amènent le patient à considérer d’autres perspectives (p. ex., les thérapies de Beck et d’Ellis ou la restructuration rationnelle systématique de Goldfried & al., [1974]) ; 2. Les thérapies ciblant la capacité d’accommodation (coping skills), qui permettent au patient d’acquérir diérents outils pour lui permettre de faire face à toutes sortes de situations diciles (p. ex., la thérapie par inoculation contre le stress) ; 3. La résolution de problèmes, soit l’acquisition d’une stratégie générale qui aide le patient à composer avec diérents problèmes (D’Zurilla & Goldfried, 1971).

Nous nous attarderons surtout aux techniques utilisées dans la TC telle que décrite par Beck puisqu’elle est la plus répandue et la plus étudiée dans les milieux psychiatriques. Plusieurs protocoles existent pour chaque pathologie psychiatrique.

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Un supplément d’information sur cette approche est disponible dans Beck (1995), Chaloult & al. (2008), Hawton & al. (1989), Leahy & Holland (2000), Wells (1997) ainsi que Wright & al. (2009).

76.2.1 Séances initiales Évaluation Le thérapeute procède à une histoire de cas psychiatrique an d’établir un diagnostic (une ou deux séances). On procède à l’analyse des problèmes en identiant les éléments suivants : • les problèmes cibles ; • leur développement ; • une description spécique et concrète des problèmes, en incluant les quatre sphères (cognitive, émotionnelle, comportementale, somatique) ; • les facteurs précipitants et modulateurs ; • les facteurs de maintien ; • les conséquences immédiates et à long terme du problème ; • les comportements d’évitement ; • les ressources actuellement disponibles pour le patient. On remet au patient des échelles de mesure qui permettent de compléter l’évaluation par des appréciations objectives (p. ex., l’inventaire de dépression de Beck).

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Un supplément d’information sur l’échelle de Beck est disponible au www.tccmontreal.com.

Étude de cas

Jean est un camionneur dans la quarantaine, divorcé, père de trois enfants dont il n’a pas la garde, remarié avec une amie d’enfance qui soure d’une maladie chronique. Il a développé une dépression à la suite d’une altercation avec un supérieur à qui il avait suggéré certaines améliorations au travail, car il trouvait que l’entreprise était mal gérée et il craignait de perdre son travail. Jean était frustré du manque d’écoute de son superviseur qui s’était senti menacé. Le patient présente depuis les symptômes suivants : insomnie, fatigue, tristesse, anhédonie, autodévalorisation et troubles de concentration. Il est en arrêt de travail depuis six mois et il regarde la télévision à longueur de journée. Il évite d’appeler ses amis et sa famille. Son médecin de famille l’a dirigé vers un psychiatre parce qu’il ne répond que partiellement aux antidépresseurs (il y a eu deux essais d’antidépresseurs à dose thérapeutique). Son médecin hésite à signer un retour au travail, car le patient est très agressif sur la route. À l’issue de son histoire de cas, il conclut à un diagnostic de dépression réfractaire. Un de ses problèmes les plus importants est son manque de motivation qui persiste depuis l’altercation et qui est décrite selon les quatre sphères : • cognition : « ça ne sert à rien » ; • émotion : découragement ; • sensations physiques : fatigue ; • comportement : ne fait rien.

Chapitre 76

érapie cognitive

1647

En explorant les facteurs précipitants et modulateurs, on découvre qu’il se sent plus mal le matin et lorsqu’il pense au retour au travail. Les conséquences sont les suivantes : le patient se sent coupable de ne rien faire, sa femme est inquiète. Le problème est maintenu parce qu’il pense constamment qu’il ne peut rien faire pour changer sa situation et que conséquemment, il ne fait plus rien, ce qui aggrave sa situation parce qu’il n’a plus d’expériences de succès ou d’encouragements de ses proches qu’il évite. Plus il déprime, plus il est convaincu qu’il n’y a rien à faire. Parmi les ressources disponibles, on note qu’il a une femme, des enfants, des amis, des parents, des collègues de travail à qui il ne demande jamais d’aide.

Conceptualisation On tente de comprendre pourquoi le problème s’est manifesté chez ce patient en particulier (conceptualisation longitudinale) et pourquoi ce problème se maintient dans le temps (conceptualisation transversale).

Liste des problèmes et des buts Le thérapeute dresse la liste des problèmes du patient pour obtenir la ligne de base (point de départ) et s’assurer qu’il cible ce qui est

important pour ce patient. Pour chaque problème, il établit des buts correspondants en tentant de les rendre SMART (spéciques, mesurables, atteignables, réalistes, dans une limite de temps). Il aide le patient à spécier ses buts, à les rendre concrets, en lui demandant : « Si la thérapie était un succès, qu’est-ce qui changerait, qu’est-ce qu’on pourrait observer ? » Il s’agit du l conducteur de la thérapie.

Étude de cas

Jean présente plusieurs problèmes dont le manque de motivation. Le thérapeute lui demande : « Comment cela se manifeste-t-il dans votre vie ? Si une caméra vous lmait dans votre vie de tous les jours, qu’est-ce qu’on verrait ? Et si le problème était réglé, qu’est-ce que vous feriez que vous ne faites pas actuellement ? ». Jean répond que s’il était motivé, il réparerait ses motocyclettes, il visiterait des amis et sa famille, il accepterait des invitations à sortir et il partirait en vacances. Il s’agit des buts de la thérapie : si on atteint ces cibles, on peut penser que la thérapie a été ecace. Le thérapeute ébauche une conceptualisation pour ce patient grâce aux informations recueillies pendant la première session et il la rane lors des séances subséquentes tel qu’illustré dans la gure 76.2.

FIGURE 76.2 Conceptualisation longitudinale et transversale

Source : Adapté de Fennel (1989), p. 178.

1648

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

Présentation du modèle Il y a plusieurs façons de présenter le modèle. Par exemple, on peut demander au patient de décrire un épisode récent du problème (« Décrivez-moi un moment où vous avez été particulièrement déprimé ») et faire des liens avec le patient entre les quatre sphères : émotions, cognitions, comportements, sensations physiques (voir la gure 76.3). Puis expliquer qu’en TCC, on cible les pensées et les comportements, en espérant agir sur les émotions. Le thérapeute peut aussi demander au patient ce qu’il a ressenti dans la salle d’attente, puis ajouter : « et à quoi pensiez-vous ? » Il peut aussi utiliser des anecdotes ou des histoires qui illustrent le lien entre les pensées et les émotions. Il explique ensuite que la TCC est une thérapie structurée, ciblant les problèmes actuels du patient, limitée dans le temps, didactique (c.-à-d. enseignement des outils que le patient doit utiliser entre les séances). Il peut ensuite suggérer la lecture d’un chapitre dans un livre sur la TCC destiné au patient.

FIGURE 76.3 Présentation du modèle cognitivo-

comportemental

• s’entendre sur un agenda de la session (un ou deux points

• •

importants à discuter pendant la session incluant la révision des tâches à domicile accomplies par le patient pendant la semaine) ; assigner une tâche à domicile (an de mettre en pratique les concepts discutés pendant la session) ; demander une rétroaction de la part du patient (« Qu’est-ce que vous retenez de la session d’aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a été utile ou moins utile ? »).

Activation comportementale Le patient remplit une grille qui indique les activités de la semaine ainsi que le degré de plaisir et de maîtrise associés à chaque activité. Il peut alors constater que certaines activités sont plaisantes ou lui apportent un sentiment de valorisation. Il fait le lien entre les activités et les émotions. C’est l’étape de l’auto-observation. Il planie alors les activités de la semaine en privilégiant celles qui ont été plaisantes et valorisantes. Grâce à la technique de l’assignation des tâches graduées, il s’attaque progressivement à celles qui sont plus complexes. En eet, le patient déprimé a souvent tendance à procrastiner et à éviter les tâches qu’il se sent incapable d’accomplir. Grâce à cette technique, il établit avec le thérapeute un plan d’action qui décrit les étapes à suivre an de mener la tâche à terme (« Quelle est la première chose que vous devrez faire, et la suivante, etc. »).

Identication et réévaluation des pensées automatiques

Source : Adapté de Padesky & Mooney (1990), p. 13-14.

Étude de cas

Jean était particulièrement déprimé ce matin-là et le thérapeute, après avoir exploré cet épisode, montre comment le modèle cognitivo-comportemental s’applique à lui : « Par exemple, si on explorait d’autres points de vue ou si on vous demandait d’agir diéremment, pourrait-on voir s’il y a un impact sur vos émotions ? ». Il lui suggère de lire un feuillet expliquant le rôle de l’approche cognitivo-comportementale dans le traitement de la dépression.

76.2.2 Séances intermédiaires Chaque session se déroule selon un schéma précis an de s’assurer qu’on a le temps d’enseigner au patient les outils qui lui permettent de résoudre ses problèmes (il ne s’agit pas simplement de « ventiler » des émotions).

Structure La structure comprend : • faire une brève révision des symptômes et des événements de la semaine ;

Le thérapeute aide le patient à faire des liens entre les cognitions et les émotions en lui demandant ce qu’il ressent lorsqu’il pense à certaines choses (p. ex., s’il semble triste pendant la session. « À quoi pensez-vous ? »). Il lui suggère d’écrire les pensées et les images qui lui traversent l’esprit ainsi que le degré (%) de conviction (« Jusqu’à quel point pensez-vous que c’est vrai ? ») lorsqu’il a des émotions intenses. Il remplit ainsi les trois premières colonnes du tableau d’enregistrement des pensées automatiques (voir le tableau 76.3). La pensée automatique surgit spontanément lorsque l’individu est confronté à une situation et elle est associée à une ou des émotions. Lorsqu’une émotion est associée à plusieurs pensées, le thérapeute aide le patient à choisir la pensée prédominante (hot thought), c’est-à-dire celle qui est associée à la charge émotionnelle la plus intense. On identie cette pensée prépondérante en demandant au patient « Quelle pensée vous rend le plus anxieux (ou déprimé, colérique, honteux, etc.) ? » Le thérapeute tente de comprendre la situation et d’aider le patient à considérer d’autres façons d’interpréter les événements en utilisant le questionnement socratique : « Est-ce bien vrai ? Y’a-t-il une autre façon de voir les choses ? Quelle est la pire des choses qui pourrait vous arriver et est-ce que vous pourriez y survivre ? Quelles sont les conséquences de cette pensée ? Y’aurait-il des biais d’interprétation ou des erreurs logiques ? » Il enseigne au patient à se servir du tableau d’enregistrement des pensées automatiques en complétant les dernières colonnes : l’évidence pour ou contre la pensée automatique, la pensée alternative et l’émotion qui en résulte. Le thérapeute peut aussi suggérer au patient une expérience comportementale an de vérier si l’hypothèse du patient/du thérapeute est réaliste (voir le tableau 76.4).

Chapitre 76

érapie cognitive

1649

Étude de cas

En remplissant le registre des activités quotidiennes (voir le tableau 76.2), Jean découvre que faire le ménage lui procure un sentiment de satisfaction personnelle et qu’il a du plaisir à voir des amis ou à leur parler au téléphone. Ruminer dans son lit ou regarder la télévision sont deux activités peu plaisantes et peu valorisantes. Il décide de faire du ménage (une pièce par jour) et d’appeler un ami cette semaine-là et de sortir avec sa femme une fois. Le retour au travail lui fait peur. Il établit un plan d’action qui comporte les étapes à suivre : • parler à des collègues de la situation au travail ; • se rendre au travail sans entrer dans l’immeuble puis entrer dans l’immeuble ; • se renseigner au sujet de la possibilité d’un retour au travail progressif auprès des ressources humaines ou du syndicat ; • conduire sa voiture tous les jours. TABLEAU 76.2 Registre des activités quotidiennes

Lundi

Mardi

7-8 h

Mercredi

Jeudi

Vendredi

Samedi

Dimanche

Au lit P0 = M0

8-9 h

Au lit P0 = M0

Lever café P2 = M1

Au lit P0 = M0

Au lit P0 = M0

Au lit P0 = M0

Au lit P0 = M0

Au lit P0 = M0

9-10 h

Lever café P2 = M0

Au lit P0 = M0

Lever café P2 = M1

Au lit P0 = M0

Au lit P0 = M0

Au lit P0 = M0

Au lit P0 = M0

10-11 h Ménage P0 = M4 Téléphone P4 = M2

TV P2 = M2

Lever café P2 = M1

Lever café P2 = M1

Lever café P2 = M1

Lever café P1 = M1

















P = Plaisir

M = Maîtrise

Coté de 0 à 10

Jean aimerait se rapprocher de ses enfants, mais il ne sait pas comment s’y prendre. Il se demande pourquoi il se sent anxieux avec ses enfants. Il remplit avec le thérapeute un tableau d’enregistrement des pensées automatiques et un tableau d’expériences comportementales. TABLEAU 76.3 Grille d’enregistrement de pensées automatiques

Situation Les enfants me visitent.

Émotion Anxiété 90 %.

Pensée automatique Si je leur demande qu’on se serre dans les bras, ils vont me rejeter 90 %.

Évidence pour On ne l’a jamais fait. On n’est pas proches.

Évidence contre Ils sont gentils. Je ne leur ai jamais demandé. Ils m’aiment bien.

Pensée alternative

Émotion

Il se peut qu’ils me Anxiété 50 %. rejettent, mais ils pourraient aussi dire oui 50 %.

TABLEAU 76.4 Grille d’enregistrement d’une expérience comportementale

Situation

Prédiction

Les enfants arrivent. J’aimerais qu’on se donne l’accolade.

Ils vont me dire non (degré de conviction : 90 %).

Expérience Je leur demande de faire l’accolade.

Autres techniques Le thérapeute peut enseigner des techniques complémentaires comme la résolution de problèmes ou l’armation de soi an d’aider le patient à surmonter ses problèmes. Dans la résolution de problèmes, on procède par étapes : • définir le problème (il ne fait jamais l’accolade à ses enfants) ; • générer au moins 10 solutions possibles (leur en parler dans une semaine, dans un mois, leur envoyer une lettre, demander à sa femme de leur en parler, ne rien dire, etc.) ;

1650

Résultat

Qu’ai-je appris ?

Ils disent : pourquoi pas ? On ne savait pas que tu en voulais une.

On peut me donner ce que je veux si je le demande.

• énoncer les pour et les contre de chaque solution ; • choisir la moins mauvaise (leur en parler dans une semaine) ; • décider de la mettre en pratique (lors de la prochaine visite de ses enfants) ;

• évaluer les résultats de la démarche (les enfants du patient trouvent que c’est une bonne idée de se faire l’accolade). Dans l’armation de soi, on enseigne au patient la diérence entre le comportement agressif, armatif et soumis. On propose alors un jeu de rôle an d’aider le patient à pratiquer cette technique :

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

• résumer les faits (Jean dit qu’il constate qu’ils ne se font jamais • • •

l’accolade) ; dire comment on se sent (Jean se sent triste) ; faire sa demande (il demande à ses enfants de faire l’accolade) ; énoncer les conséquences d’une absence de collaboration (il leur dit que ça lui ferait plaisir, mais que, sinon, il aimerait qu’ils puissent se parler de leur relation).

76.2.3 Séances terminales Vers la n de la thérapie, le thérapeute et le patient identient les croyances conditionnelles et fondamentales qui sont présentes au long cours et dont la persistance pourrait augmenter la possibilité de faire une rechute. Le patient discute de ses craintes concernant la n de la thérapie et dresse un bilan de la thérapie.

Identication et réévaluation des croyances intermédiaires et fondamentales Les croyances intermédiaires peuvent être déduites, car il s’agit du thème central des pensées automatiques énoncées par le patient en cours de thérapie. Le thérapeute peut utiliser la technique de la èche descendante, soit poser au patient la question suivante : « Et si cette pensée était vraie, qu’est-ce que ça signierait pour vous ? » (« Si mes enfants me rejetaient, ça voudrait dire que je ne suis pas important pour eux. » « Si je demande ce que je veux, on ne me le donnera pas. ») Le thérapeute peut alors : • remettre en question les croyances conditionnelles en identiant leur origine (p. ex., « ma mère ne m’écoutait pas ») ; • amener le patient à considérer les conséquences d’avoir une telle croyance (p. ex., « frustration, isolement, inaction, manque de conance en soi ») ; • faire la liste des événements qui contredisent cette croyance (p. ex., « mes enfants m’ont donné l’accolade ») ; • demander au patient d’énoncer une autre croyance ; • la tester au moyen d’expériences comportementales que le patient consigne dans un journal de bord tous les jours pendant plusieurs mois. Par exemple, Jean énonce la croyance alternative suivante : « Si je demande ce que je veux, on peut parfois me le donner. » Il la met en pratique au moyen d’expériences comportementales, par exemple en demandant à ses parents de l’écouter plutôt que de lui poser des questions sans lui donner le temps de répondre. On identie les croyances fondamentales de la même façon. On peut aussi demander au patient de compléter les phrases suivantes : « je suis…, le monde est…, les autres sont… » On peut les remettre en question de la même façon.

Fin de la thérapie Le patient a été préparé à la n de la thérapie dès le début avec l’annonce que la thérapie comportera un nombre de séances prédéterminé. Il devient de plus en plus autonome en apprenant à utiliser les outils enseignés pour faire face à ses problèmes. Le thérapeute et le patient font une révision des problèmes et des buts originaux an de voir s’il y a eu du progrès. On compare les échelles de mesure remplies en début de thérapie et à la n. On termine la thérapie en faisant un résumé de l’origine

des problèmes ainsi que des facteurs qui ont contribué à leur maintien dans le temps (conceptualisations longitudinales et transversales), des outils appris en thérapie, des événements qui pourraient occasionner une rechute ainsi que du plan d’action qui devrait alors être utilisé. On peut alors envisager des séances de consolidation an de vérier si cette amélioration se maintient et si le patient continue d’utiliser les outils appris en thérapie.

76.2.4 Protocoles de thérapie cognitive en psychiatrie Voici maintenant les particularités de la TCC appliquée au traitement des principaux troubles psychiatriques.

i

Un supplément d’information sur ce sujet est disponible au www.tccmontreal.com.

Troubles psychotiques Contrairement à la dépression, au trouble anxieux ou à l’insomnie, la TCC ne doit pas être utilisée seule dans le traitement de la schizophrénie ou du trouble bipolaire. Les médicaments demeurent la pierre angulaire du traitement de ces maladies. Par contre, la TCC peut diminuer les symptômes résiduels chez les patients atteints de schizophrénie lorsqu’elle est combinée à la prise d’une médication appropriée. An d’en améliorer son ecacité, la TCC peut également être combinée à d’autres approches thérapeutiques telles que : • la psychoéducation (pour informer au sujet de la maladie et du traitement) ; • l’entraînement aux habiletés sociales (pour identier les décits au niveau des habiletés sociales et les enseigner au patient par des directives, le modelage, la répétition, la rétroaction ; • les travaux à domicile (pour enseigner les aptitudes interpersonnelles tels le contact visuel, la conversation et le langage corporel) ; • la remédiation cognitive (pour améliorer la mémoire, l’attention, la résolution de problèmes, les fonctions exécutives occasionnant une détresse et l’invalidité) ; • les interventions familiales (pour diminuer la forte expression émotionnelle qui favorise les rechutes, c.-à-d. les communications hostiles, les critiques ainsi que la surimplication émotive des membres de la famille).

Étude de cas

Maxime, 40 ans, célibataire, sans enfant, prestataire de la sécurité du revenu, est envoyé suivre une thérapie cognitivo-comportementale. Il a été hospitalisé à deux reprises et a reçu un diagnostic de trouble schizoaectif. Il prend un antipsychotique (clozapine) qui est partiellement ecace. Il est encore convaincu qu’il est le diable ou qu’il est le mal incarné et qu’il nira ses jours en enfer. Lorsqu’il va bien, il y croit à 50 %, lorsqu’il présente des épisodes de dépersonnalisation et de déréalisation, il y croit à 100 %. Le thérapeute établit d’abord avec le patient ses buts pour la thérapie. Maxime souhaite comprendre ce qui l’a amené à croire qu’il était le diable et qu’il allait nir ses jours en enfer, il veut trouver des façons de composer avec cette situation an de diminuer les risques d’être réhospitalisé, il aimerait

Chapitre 76

érapie cognitive

1651

éventuellement se marier et avoir un emploi stable, être moins anxieux et découragé. Il voudrait se sentir moins isolé (c.-à-d. voir sa famille et élargir son réseau social). Il s’agit d’une ligne directrice que le thérapeute suit an d’établir une alliance avec le patient et d’augmenter sa motivation à participer à la thérapie en faisant un lien explicite entre ses buts et les tâches à domicile. Il prend le temps d’explorer sur quelques sessions la genèse de cette croyance ainsi que ce qui la maintient actuellement. À l’âge de 29 ans, Maxime avait été hospitalisé pour un premier épisode de manie psychotique : il était convaincu qu’il était le « pouvoir physique » et a écrit des lettres d’amour à sa cousine mariée, car il croyait qu’elle était amoureuse de lui. Ses amis et sa famille le critiquaient énormément. Lorsqu’il repense à cet épisode, il est convaincu qu’il est différent, faible, non fiable et que les autres sont plus forts que lui et hostiles. Après avoir reçu son congé, il est revenu chez lui. Il a eu de la difficulté à trouver des clients pour faire leur comptabilité et il passait ses journées seul à ruminer. Il a eu une rencontre décevante avec un vieil ami. Il buvait de l’alcool, ne dormait pas bien, se nourrissait mal, était en sevrage de nicotine (il avait cessé de fumer). Sa médication était en voie d’ajustement. Alors qu’il se promenait dans la rue, il a eu l’impression qu’on ne le remarquait pas (pas de contact visuel, on ne se déplaçait pas pour le contourner). Il a présenté un épisode de dépersonnalisation et de déréalisation (« un sentiment qui vient de l’infini, comme si je marchais sur une voie à travers la vie qui tirait à sa fin et que tout allait se replier sur soi »). Plus il réfléchissait à cet épisode qui l’inquiétait, plus il présentait des épisodes de dépersonnalisation et de déréalisation. Plus tard, lorsqu’il était allé voir une pièce de théâtre au sujet du paradis, il était gêné et concentré sur luimême. Il se sentait différent d’autrui, isolé. Il a présenté un épisode de dépersonnalisation et de déréalisation et sauta à la conclusion suivante : « je suis le diable et je vais finir en enfer ». À travers un biais de confirmation, il accumula, à travers les années, plusieurs preuves qui étayaient sa conclusion (p. ex., en lisant Guerre et Paix : « ceux que Dieu veut perdre,

il commence par les rendre fous »). Chaque fois qu’il était anxieux et qu’il présentait des épisodes de dépersonnalisation et de déréalisation, il ressentait une « perte de réalité », « comme si tout allait en enfer », « une force cachée infinie, puissante qui tente d’entrer dans la vie », « ce qui existait avant l’univers et le début infini dans lequel je serai piégé à vie ». Il croyait que des événements anodins étaient des signes qui lui étaient destinés (personnalisation) (p. ex., il a vu une infirmière passer deux fois devant lui sans le remarquer, ce qui confirmait qu’il était différent et qu’il aurait un destin différent). Le thérapeute utilise des exemples vécus pour illustrer le modèle cognitif, soit l’interaction entre les pensées, les émotions et les comportements (voir la gure 76.4). Il demande à Maxime de pratiquer l’auto-observation entre les sessions de thérapie an de faire un lien entre ces trois éléments lorsque sa croyance est déclenchée. Le thérapeute fait la liste des stratégies d’adaptation déjà utilisées par le patient et élabore d’autres stratégies à tester lorsqu’il est en détresse (p. ex., continuer de parler, appeler ses parents, appeler son médecin, prendre ses médicaments d’appoint, se dire qu’il n’est qu’une personne comme les autres, attendre que ça passe, faire une activité plaisante, écrire ses pensées et ses émotions). Le thérapeute élabore avec Maxime une conceptualisation cognitive qui décrit la genèse et le maintien de la croyance (voir la gure 76.5). Il évoque les biais d’interprétation, le rôle des inquiétudes et des ruminations dans l’amplication des émotions en vériant que le patient comprend bien ce qu’il lui explique et s’il considère que cela pourrait possiblement s’appliquer à son cas. Il suggère à Maxime de lire des textes sur la dépersonnalisation et la déréalisation. Il explore ensuite avec le patient des explications alternatives au délire (voir le tableau 76.5) en se basant sur ses doutes occasionnels, sur des textes concernant la schizophrénie et la dépersonnalisation/déréalisation, sur le diable et l’enfer. Vers la fin de la thérapie, Maxime ne croit plus être le diable, mais il croit qu’il n’est toujours pas une bonne personne. Le thérapeute fait alors le lien entre la croyance délirante et

FIGURE 76.4 Modèle cognitif

Source : Adapté de Freeman & al. (2002), p. 331-337.

1652

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

FIGURE 76.5 Conceptualisation cognitive longitudinale et transversale

Source : Adapté de Garety & al. (2001), p.189-195.

TABLEAU 76.5 Recherche d’explications alternatives au délire

Hypothèse du patient

Recadrage

Hypothèse alternative

Hypothèse

Je suis le diable, je vais en enfer.

Je crois que je suis le diable et que je vais Je suis un être humain normal. en enfer, mais je ne le suis pas.

Faits qui soutiennent son hypothèse

Sentiments effrayants (dépersonnalisation et déréalisation) Expériences étranges : l’inrmière qui passe deux fois dans la même direction sans me voir et sans que je la voie marcher de l’autre côté ; même chose au restaurant. J’ai vu quelqu’un rapetisser. J’ai vu le monde changer dans un vidéo. Ma famille dit que ce serait maléque de détruire une famille (celle de ma cousine). Mon père me dit que j’ai causé de la souffrance.

Sentiments effrayants causés par l’isolement, la fatigue, les neurotransmetteurs, le focus sur soi, la dépersonnalisation Expériences étranges causées par l’imagination, l’isolement, l’alcool, l’insomnie, le retrait de nicotine, pas assez de médicaments Ma famille ne voulait pas dire que j’étais diabolique. Mon père voulait dire que nous sommes tous responsables de nos actions.

Je ressemble physiquement à un être humain. J’ai eu le même type d’expériences. J’ai des besoins normaux (p. ex., manger). J’ai une expérience de vie. J’ai des inquiétudes comme tout le monde. Je tombe malade. J’ai des amis. J’aime la vie, parfois. Quand la dose de médicaments est augmentée, je ne crois pas que je suis le diable. Je n’ai pas de pouvoirs surnaturels. Je n’ai pas toujours pensé que j’étais le diable.

Source : Adapté de Freeman & Garety (2002), p. 173-196.

Chapitre 76

érapie cognitive

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les croyances dysfonctionnelles sous-jacentes. Il identifie ses croyances et les remet en question par les méthodes décrites précédemment. Il utilise aussi le test historique de Jeffrey Young (1990) qui consiste à demander au patient des exemples

qui ont contribué à la genèse de sa croyance fondamentale, puis il fait du recadrage (expliquer autrement ce qui s’est passé) et donner des exemples qui contredisent la croyance (voir le tableau 76.6).

TABLEAU 76.6 Test historique : croyance fondamentale : « Je ne suis pas une bonne personne. »

Faits qui soutiennent la croyance fondamentale

Âge

Faits qui contredisent la croyance fondamentale

« Mais »

0-5 ans

Je me suis battu avec mon frère. Je n’avais pas d’ami. Je pleurais beaucoup.

Je ne l’ai fait qu’une fois. J’étais bien au sein de ma famille. Je ne faisais pas exprès.

5-10 ans

J’étais victime de taxage. Je pensais parfois à la mort.

Si quelqu’un d’autre était victime de taxage, Je ne me suis pas battu. je ne penserais pas qu’il est mauvais. J’essayais de plaire à mes professeurs Je ne suis pas passé à l’acte. et à mes parents.

10-15 ans

Mes camarades de classe donnent des Ils ne me connaissaient pas vraiment, mon coups de pied sur ma chaise, je répliquais à frère aussi, j’étudiais beaucoup mais j’avais mes parents, mes notes n’étaient pas aussi de la difculté à me concentrer. bonnes que celles de mes frères et sœurs.

15-20 ans

(etc.)

Je donnais des cadeaux à mes parents.

J’étais gentil avec les autres, j’essayais d’écouter mes parents, je travaillais fort.

Source : Adapté de Young & al. (2003).

Trouble bipolaire Dans le cas du trouble bipolaire, la TCC est un traitement adjuvant à la médication qui, selon certaines études, semble diminuer le risque de rechute, le temps d’hospitalisation, la durée de la phase aiguë et augmente la qualité de vie du patient.

Étude de cas

Marie a 18 ans, elle est une étudiante. Elle est envoyée en thérapie cognitivo-comportementale pour traiter un trouble bipolaire à la suite de sa deuxième hospitalisation en psychiatrie. Elle a déjà été traitée pour une dépression à l’âge de 16 ans. Il y a trois mois, elle est amenée à l’hôpital, car elle a frappé son père après l’avoir accusé d’être jaloux d’elle. Elle était agitée, incohérente, volubile, passait du rire aux larmes. Son apparence était négligée. Son père ne la reconnaissait plus : alors qu’habituellement, elle est réservée, attentionnée et studieuse, elle était devenue revendicatrice, grandiose ; elle se levait la nuit pour chanter pendant des heures. Elle croyait qu’un professeur et des étudiants étaient en amour avec elle. Elle estimait avoir plusieurs talents (un QI de génie, chanter, écrire) et se disait thérapeute. On a posé un diagnostic de manie et par la suite, malgré la prise d’un stabilisateur de l’humeur, elle a commencé à présenter des symptômes dépressifs. Le psychothérapeute commence par faire une évaluation dans laquelle il détaille l’évolution de la maladie sur un graphique (life chart) (voir la gure 76.6), recueille des informations an d’élaborer une conceptualisation transversale et longitudinale (voir la gure 76.7) ainsi que la liste des problèmes et des buts de la patiente. Il discute de ce modèle cognitivo-comportemental avec la patiente. Le thérapeute fait ensuite de la psychoéducation au sujet des symptômes du trouble bipolaire, de ses causes, du rôle du stress dans le déclenchement des symptômes et leur perpétuation, des facteurs de protection et de risque, de l’évolution de la maladie,

1654

des traitements disponibles et du pronostic. Il encourage la patiente à poser des questions et lui remet des feuillets éducatifs, lui propose des sites Internet à consulter. Il rencontre la famille pour s’assurer que tout le réseau soit sur la même longueur d’onde (quant au diagnostic, au traitement, aux meilleures façons d’orir du soutien à leur lle, etc.). Il aborde alors les principes d’auto-observation et invite la patiente à adopter une routine de vie et de sommeil. Il lui présente un tableau des variations de l’humeur pour qu’elle puisse en prendre note (de +4 = manie grave à –4 = dépression grave) chaque jour et consigner également les heures de sommeil, le temps passé au lit, la prise de la médication ainsi que les événements particuliers qui pourraient inuencer son humeur (voir le tableau 76.7). La patiente est ainsi en mesure de reconnaître les variations de son humeur selon des critères prédénis (p. ex., +4 : humeur euphorique, rires inappropriés,

TABLEAU 76.7 Exemple de tableau de variation

de l’humeur

Jour

Lundi

Mardi

Mercredi

Heures de sommeil

8,5

8,5

8

Heures passées au lit

8,5

8,5

8

Humeur

–1

–1

–1

Lithium, olanzapine

Lithium, olanzapine

Médication Commentaires (p. ex., événements)

Source : Charron & Roy (2001).

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

Lithium, olanzapine Journée ensoleillée, je me suis forcée à sortir du lit.

FIGURE 76.6 Évolution de la maladie (life chart )

Source : Adapté de Lam & al. (2010), p. 73.

FIGURE 76.7 Conceptualisation transversale

Source : Adapté de Basco & Rush (1996), p. 8.

incapable d’arrêter de parler), ce qui lui permettra d’agir plus précocement en cas de rechute. Elle peut aussi faire le lien avec ses habitudes de sommeil, la prise de la médication et certains événements auxquels elle est plus sensible. Ainsi pour diminuer le risque de rechute, elle peut adopter de meilleures habitudes de sommeil, des techniques de gestion de stress et prendre sa médication régulièrement. Comme le maintien des rythmes circadiens est particulièrement important pour assurer une stabilité chez les personnes sourant de trouble bipolaire, le thérapeute encourage la patiente à remplir un registre d’activités quotidiennes ou un journal quotidien structuré dans lequel elle consigne ses heures de lever et de coucher, ses heures de repas et celles du début et de la n des activités productives (p. ex., travail ou études) comme l’illustre le tableau 76.8. Le médecin tente ensuite d’améliorer l’observance médicamenteuse si celle-ci est inadéquate. Dans toutes les maladies chroniques, l’adhésion peut être problématique (chez 50 % des patients selon certaines études). Dans le cas du trouble bipolaire, il importe de s’attarder aux craintes, aux attitudes, et aux croyances au sujet de la maladie : il faut essayer de déterminer

Chapitre 76

érapie cognitive

1655

TABLEAU 76.8 Exemple de journal quotidien structuré

Jour/activité

Lundi

Mardi

Mercredi

Lever

6 h 30

7 h 00

6 h 30

Déjeuner

6 h 40

7 h 10

6 h 40

7 h 30 (recherche emploi)

8 h 00

7 h 30

Dîner

15 h 00

13 h 00

14 h 00

Fin du travail

17 h 00

18 h 00

17 h 00

Souper

19 h 00

20 h 00

20 h 00

Coucher

22 h 00

Minuit

Minuit

Début du travail

Source : Adapté de Frank (2005), p. 78.

si le patient se croit atteint d’une maladie, s’il considère qu’elle doit être traitée et si oui, par quels moyens. Certaines croyances peuvent sous-tendre une adhésion mitigée (p. ex., on ne prend des médicaments que lorsqu’on est malade, pas quand on se sent bien ; on peut devenir dépendant des médicaments « je vais être contrôlé par les médicaments ») : on doit identier et corriger ces croyances. Il en est de même de certains biais d’interprétation de la part du patient (p. ex., une attention sélective aux eets indésirables, une surgénéralisation chez le patient qui se dit qu’il a déjà pris ce médicament autrefois, que ça n’a pas fonctionné, donc que cela ne fonctionnera pas aujourd’hui). Il faut discuter des avantages et des inconvénients de la médication et de l’absence de médication sans juger le patient, de tout ce qui risque d’augmenter ou de diminuer la probabilité de suivre le traitement recommandé. Le thérapeute enseigne alors à la patiente diérentes techniques cognitivo-comportementales pour gérer les épisodes dépressifs et maniaques. Pour les épisodes maniaques, par exemple, on peut suggérer de prioriser certaines activités plus calmes, d’adopter une routine quotidienne respectueuse de ses heures de sommeil, de ménager des périodes de repos, de ralentir ses mouvements et de pratiquer des activités calmantes,

de contrôler les stimuli (p. ex., diminuer les heures de travail). On peut recadrer les pensées typiques de l’hypomanie, faire la liste des avantages et des désavantages de l’hypomanie et recadrer la prise de décision impulsive. Lorsque le patient a une « idée de génie », il applique la règle des deux personnes et du 48 heures : il choisit de soumettre son projet à deux personnes de conance qui doivent s’entendre sur le fait qu’il faut le mettre à exécution à brève échéance et attendre 48 heures avant de procéder. Le thérapeute aide le patient à détecter précocement les symptômes et à gérer les prodromes en identiant les périodes à risque de rechute (à l’aide de l’étude des graphiques de l’humeur du patient) ainsi que les signes de rechute (le patient fait la liste des symptômes de manie et de dépression, les met en ordre chronologique et les écrit sur une che). Pour prévenir la rechute, le patient écrit alors un plan d’intervention qui comporte des stratégies somatiques, comportementales, cognitives et sociales. Le thérapeute le complète avec lui par la suite, tel qu’illustré dans le tableau 76.9. Le thérapeute peut alors cibler les aspects de vulnérabilité cognitive : ce sont les croyances fondamentales et conditionnelles ainsi que les règles qui fragilisent le patient et peuvent l’amener à faire des rechutes. Par exemple, les patients atteints d’un trouble bipolaire ont fréquemment : • une faible estime personnelle (je ne suis pas à la hauteur) ; • des croyances conditionnelles compensatoires/règles dysfonctionnelles (si je ne suis pas le meilleur, je ne vaux rien ; si on ne m’approuve pas, je ne suis rien ; je dois tout faire à la perfection) ; • des stratégies qui exacerbent le problème (p. ex., rattraper le temps perdu : le patient travaille de façon excessive après son congé de l’hôpital pour « rattraper le temps perdu » au travail ou à l’école à cause de l’hospitalisation : cette attitude engendre un stress qui prédispose à faire une rechute). Le thérapeute identie ces croyances et aide le patient à les réévaluer. Comme la forte expression émotive (commentaires hostiles, critiques, surimplication émotionnelle de l'entourage) augmente le risque de rechute, le thérapeute peut rencontrer les proches pour faire de la psychoéducation, enseigner la résolution de problèmes et enseigner des aptitudes de communication :

TABLEAU 76.9 Exemple de plan d’action préliminaire élaboré par le patient

Stades de prodromes et durée

Signes et symptômes

Plan d’action

Début : 10 jours

Petit surplus d’énergie Pensées vont plus vite Plus joyeuse

Éviter le café, le chocolat, l’alcool Faire de la musculation Éviter de faire des plans qui vont empirer mon état

Intermédiaire : 2 semaines

Pensées rapides Plus grand surplus d’énergie Rire pour rien Euphorie

Augmenter l’olanzapine si je dors mal Demander à mes proches s’ils trouvent mon comportement exagéré Pas plus qu’une sortie d’amusement

Tardif : 1 semaine

Acheter avec ma carte de crédit Entendre des voix

Appeler le médecin

Note : Le thérapeute demande au patient de décrire les premiers symptômes qui se manifestent lorsque la rechute débute (stade du début), puis comment progressent les symptômes (stade intermédiaire ou du milieu), puis les symptômes qui se manifestent ensuite quand il commence à entrer dans la manie (stade tardif). Source : Adapté de Lam & al. (2010), p. 225.

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Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

• exprimer des sentiments positifs (p. ex., « j’aime quand tu… ») ; • écouter de façon active (p. ex., écouter, demander des clarications, résumer ce que l’autre dit) ;

• formuler des requêtes positives de changement (p. ex., « j’ai•

merais que tu… ») ; exprimer des sentiments négatifs à propos de certains comportements spéciques (p. ex., « quand tu as fait X, je me suis senti Y et j’aimerais que tu fasses Z à l’avenir »).

Troubles anxieux

Dans le bureau, le thérapeute provoque une exposition aux sensations physiques intéroceptives que la patiente appréhende et demande à la patiente de ne pas s’appuyer sur ses comportements sécurisants. Par exemple, le thérapeute et la patiente tournent sur eux-mêmes jusqu’à ce que l’étourdissement et l’attaque de panique surviennent, puis il l’encourage à continuer à tourner sans hyperventiler ni se raidir. Il demande ensuite à la patiente de s’exposer à toutes les situations qu’elle appréhende et qu’elle évite en commençant par la moins anxiogène et en évitant de faire usage du comportement sécurisant. La thérapie d’exposition aux sensations physiques intéroceptives (internes) est présentée en détail au chapitre 75, à la sous-section 75.2.2.

La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) est un traitement ecace pour tous les troubles anxieux : elle est recommandée en 1re intention dans les guides de pratique.

Trouble panique avec agoraphobie

Anxiété généralisée

Étude de cas

Étude de cas

Jane, 25 ans, soure d’attaques de panique subites depuis un an. La première est survenue alors qu’elle était en classe, quand elle a ressenti les symptômes suivants : étourdissements, palpitations, sueurs, dyspnée, bouée de chaleur, engourdissement des mains. Elle croyait qu’elle allait s’évanouir et en mourir ; elle a quitté la classe. La crise a duré 30 minutes. Depuis, elle fait des crises similaires tous les jours et a dû abandonner l’école. Elle reste chez elle et n’ose plus sortir, car des crises de panique similaires surviennent quand elle va au supermarché, quand elle se trouve dans une foule (p. ex., lors d’un festival), dans un tunnel ou sur un pont, dans les transports en commun, etc. Elle doit toujours être accompagnée. Si elle présente une crise de panique, elle tente de fuir, de prendre des respirations pour se calmer et de se raidir pour ne pas tomber par terre. Le thérapeute demande à la patiente de décrire un épisode récent et l’aide à faire le lien entre : • la détection de symptômes physiques (étourdissement) ; • l’interprétation catastrophique (je vais m’évanouir devant tout le monde, je vais mourir) ; • l’anxiété qui en résulte ; • les symptômes physiques engendrés qui conrment l’interprétation catastrophique (je me sens encore plus étourdie) ; • les comportements sécurisants qui conrment l’interprétation catastrophique ou empêchent leur discréditation (en respirant rapidement, elle hyperventile et devient plus étourdie ; en se raidissant, elle tremble et sa démarche devient instable). En présentant à la patiente une liste de paires de mots (p. ex., étourdissements et évanouissement, palpitations et crise cardiaque), il lui explique que les pensées peuvent engendrer de l’anxiété et des symptômes physiques. Jane peut alors remarquer qu’elle est plus anxieuse ou étourdie. Le thérapeute lui fait remarquer que lorsqu’on focalise sur certains symptômes, ils s’amplient (p. ex., le fait de se concentrer sur le bout de ses doigts fait apparaître des sensations de picotements). Il lui demande alors de vérier l’exactitude de son hypothèse (étourdissement = évanouissement, respirer rapidement et se raidir empêchent l’évanouissement) en lui suggérant d’abandonner les comportements sécurisants. Il évoque des métaphores comme celle des Incas qui sacriaient des vierges pour s’assurer que le soleil allait continuer à se lever tous les jours (p. ex., il demande à la patiente : « Qu’auraient pu faire les Incas pour vérier s’il y avait un lien entre le sacrice d’une vierge et le lever du soleil ? »).

Lise est une mère poule. Elle s’est toujours inquiétée de façon excessive, mais depuis la naissance de son deuxième enfant qui fait de l’asthme, ses inquiétudes sont hors de contrôle et s’accompagnent de plusieurs symptômes (p. ex., céphalées, tensions musculaires, insomnie, etc.) qui l’empêchent de fonctionner. Le thérapeute fait de la psychoéducation au sujet des symptômes du trouble d’anxiété généralisée (TAG). Il lui explique que l’inquiétude découle de pensées au sujet d’événements futurs (« Et si telle catastrophe survenait ? ») et que ces pensées sont accompagnées d’anxiété. Il y deux types d’inquiétudes, qui portent : • sur un problème actuel, un problème qui existe déjà (p. ex., les mauvaises notes de son enfant) ; • sur une situation éventuelle qui est pour le moment improbable (p. ex., son enfant qui pourrait être victime d’un accident). Il demande à la patiente de noter trois fois par jour ses sujets d’inquiétude et de les séparer selon ces deux catégories. Il évoque ensuite l’intolérance à l’incertitude, c’est-à-dire la tendance excessive de certaines personnes à considérer comme inacceptable la possibilité, si minime soit-elle, qu’un événement négatif puisse se produire, une attitude dont font preuve plusieurs patients qui sourent de TAG. Il donne des exemples (évitement des situations dont l’issue est imprévisible, etc.) et l’invite à s’exposer à des situations nouvelles (p. ex., essayer un restaurant dont elle n’a jamais entendu parler). Il aborde l’utilité de s’inquiéter dans certains cas (se stimuler à résoudre un problème, à faire quelque chose, à préparer un examen, etc.) et il invite la patiente à réévaluer ses croyances à ce sujet. Il présente diérentes façons de composer avec les inquiétudes. Pour les inquiétudes au sujet de problèmes actuels, il enseigne la résolution de problèmes et, pour celles qui concernent les situations éventuelles, il enseigne l’exposition en imagination. Dans ce cas, la patiente écrit un scénario catastrophique concernant une situation qu’elle craint beaucoup ; il met en lumière les pensées et les images qui envahissent son esprit lorsqu’elle s’inquiète. Elle s’enregistre alors qu’elle lit ce scénario à haute voix et l’écoute ensuite 15 à 30 minutes par jour en évitant toute forme de neutralisation, c’est-à-dire une forme d’évitement mental auquel elle pourrait recourir pour éviter de ressentir l’anxiété.

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La résolution de problèmes est présentée en détail au chapitre 75, aux sous-sections 75.2.2 et 75.2.4.

Chapitre 76

érapie cognitive

1657

Phobie sociale

Étude de cas

Isabelle a toujours été timide. Les présentations devant des groupes, voire poser une simple question en classe, génèrent une anxiété intense et elle se sent incapable de le faire : cette appréhension met en péril son retour aux études. Le thérapeute demande à la patiente de décrire un épisode récent. Isabelle explique que la dernière fois qu’elle a fait une présentation devant la classe, elle craignait que ce soit un échec et qu’on rirait d’elle. Elle s’est mise à lire ses ches sans lever les yeux. Elle a rougi et a eu l’impression qu’elle paraissait folle ; elle est devenue de plus en plus atterrée du fait qu’elle devait faire piètre gure et s’est mise à trembler et à bégayer. Le thérapeute met en évidence le fait que la situation : • a activé une croyance conditionnelle (si je ne peux pas présenter facilement, on pensera que je ne suis pas bonne) ; • l’a poussée à utiliser un comportement sécurisant (p. ex., lire ses ches) ; • l’a amené à percevoir un danger social (on va rire de moi) en focalisant sur soi (se voir rougir en train de lire ses ches et de bégayer), comme si elle se voyait de l’extérieur. L’attention portée sur soi peut amplier l’anxiété et les symptômes physiques qui s’y rattachent. En voulant vérier s’il y avait des manifestations de malaise, elle a aggravé le problème. Le thérapeute invite la patiente à : • noter les pensées automatiques associées aux situations sociales ; • faire des expériences où elle centre son attention sur elle puis sur les autres en comparant ensuite l’impact sur son anxiété ; • abandonner les comportements sécurisants (p. ex., est-elle plus ou moins anxieuse lorsqu’elle observe attentivement son auditoire, plutôt qu’être envahie par l’image qu’elle a d’ellemême ; ou lorsqu’elle s’adresse à son auditoire en lisant ses notes ou en évitant de les lire ?). Dans son bureau, le thérapeute lme la patiente en train de s’exprimer dans ces deux situations (regard sur soi plutôt que sur autrui, utilisation plutôt qu’abandon du comportement sécurisant). Il vérie l’ecacité de la performance sociale dans les deux cas (p. ex., en demandant à un auditoire choisi ce qu’il a apprécié des deux performances). Il explore avec la patiente la gamme de comportements acceptables socialement an de diminuer la pression de performance (c.-à-d. que plusieurs personnes sont acceptées et aimées, même si tout le monde ne se comporte pas toujours de façon exemplaire). Finalement, il suggère à la patiente d’éviter l’anticipation an de ne pas s’inquiéter d’avance au sujet de situations sociales ou le post-mortem (c.-à-d. critiquer sa performance en cherchant toutes les fautes sociales qu’elle aurait pu commettre), car ces comportements nuisent à l’aisance sociale. Il l’incite à considérer surtout les aspects positifs de cette interaction.

Trouble obsessionnel-compulsif

Étude de cas

Nicolas a peur d’être contaminé par les microbes. Il y pense à longueur de journée. Il se lave les mains pendant trois heures par jour. Il évite de toucher les poignées de porte et de serrer la main des gens. S’il doit le faire, il faut qu’il se lave les mains jusqu’à ce qu’il ait l’impression qu’elles sont propres et il peut se mettre à réciter des prières 10 fois pour

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éviter la maladie. Il est incapable de travailler et de terminer ses études. Le thérapeute fait de la psychoéducation au sujet du trouble obsessionnel-compulsif. Il dresse la liste des rituels et invite le patient à s’exposer (exposition) à ce qu’il craint (p. ex., toucher des poignées de porte et serrer la main des gens) et à éviter de pratiquer (prévention de la réponse) son rituel (prier, jusqu’à ce que l’anxiété diminue de moitié). Le thérapeute peut aussi l’inviter à décrire ce qui surviendrait s’il était contaminé, d’enregistrer le scénario de ses explicatio ns et de l’écouter tous les jours pendant 15 à 30 minutes, tout en évitant la neutralisation (exposition cognitive). Le thérapeute peut également recourir à des stratégies cognitives comme l’exploration de la signification des pensées intrusives pour le patient (p. ex., si je pense que je vais être contaminé, je vais l’être ; si j’essaie de ne pas y penser, je vais me débarrasser de mes obsessions). Il peut aussi faire appel à l’évaluation de la responsabilité (p. ex., si je ne fais pas ces rituels et que je suis contaminé, je vais infecter les autres et je serai responsable de leurs souffrances). La prévention de la réponse est présentée en détail au chapitre 75, à la sous-section 75.2.2.

Trouble de stress post-traumatique

Étude de cas

Jonathan a été attaqué par un prisonnier dans le cadre de ses fonctions. Depuis il fait des cauchemars, des ashbacks et il est incapable de reprendre son travail. Il s’isole chez lui et évite tout ce qui lui rappelle ce qui lui est arrivé. Le thérapeute établit une bonne alliance an que le patient puisse se sentir en sécurité avec lui et qu’il puisse explorer ce qui lui est arrivé. Il commence par expliquer au patient qu’en évitant de penser à ce qui s’est produit, il ne fait que maintenir les symptômes de reviviscence (p. ex., plus on essaie de ne pas penser à un gâteau au chocolat lorsqu’on est au régime, plus on y pense). Il invite le patient à raconter en détail cet incident pénible et de l’enregistrer an qu’il puisse réécouter l’enregistrement de ce récit tous les jours. Il demande au patient de s’exposer à ce qu’il craint. Ainsi, il peut pratiquer l’exposition graduée et prolongée in vivo en se rendant à la prison et faire une expérience comportementale en entrant dans ces lieux (p. ex., je n’ai pas été attaqué). Il lui suggère de se livrer à ses anciennes activités pour reprendre le contrôle sur sa vie. Il explore la signication des images chaudes (associées à des émotions particulièrement pénibles) présentes lors des ashbacks par l’imagerie et les techniques cognitives (p. ex., Jonathan voit le prisonnier l’attirer vers la fenêtre pour le jeter dehors : il a cru qu’il allait mourir. Mais avec le thérapeute, il constate qu’il s’agissait d’une fenêtre étroite, qu’il n’aurait pas pu passer à travers à cause de son uniforme et de son matériel et que deux collègues l’auraient rattrapé avant qu’il ne soit défenestré). Le thérapeute identie et réévalue avec le patient ses croyances à l’égard de sa sécurité, sa capacité à faire conance aux autres, son pouvoir, son contrôle, son estime de soi.

Insomnie La TCC est un traitement aussi ecace que les médicaments pour traiter l’insomnie primaire.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

Étude de cas

Un thérapeute reçoit Simon pour entreprendre une thérapie cognitivo-comportementale pour traiter une insomnie primaire (qui n’a pas d’étiologie spécique médicale ou aective). Ils commencent par faire une bonne évaluation des problèmes de sommeil du patient grâce à une grille d’autoobservation s’étendant sur une période de deux semaines (délai d’endormissement, nombre et durée des éveils nocturnes, durée totale du sommeil, fréquence des problèmes de sommeil, durée des problèmes, conséquences diurnes), puis ils xent des objectifs réalistes (amélioration de la qualité du sommeil, légère augmentation de la durée du sommeil, diminution des conséquences diurnes de l’insomnie). Ensuite, le thérapeute décrit au patient les diérents stades et cycles du sommeil, ainsi que les fonctions du sommeil. Il s’assure que le patient a une bonne hygiène du sommeil (pas d’alcool, de drogues, de substances stimulantes telles que café, cola, boissons énergisantes), qu’il fait de l’exercice régulièrement durant la journée, mais qu’il évite d’en faire deux heures avant de se coucher, et qu’il dort dans une chambre tranquille, sans lumière, dont la température se situe autour de 18 °C et sur un matelas confortable). Le thérapeute procède alors à la restriction du sommeil : il limite le nombre d’heures passées au lit au nombre d’heures dormies ; il xe des heures de lever régulières chaque jour et demande au patient d’aller au lit seulement quand il se sent somnolent. Il explique que cette routine améliorera la qualité du sommeil, qu’elle transformera la lutte pour dormir en une lutte pour rester éveillé et qu’elle synchronisera le signal de son horloge biologique. Il présente la théorie du contrôle des stimuli (associer le lit au sommeil plutôt qu’à l’insomnie en quittant son lit chaque fois qu’il est éveillé pendant plus de 15 minutes et en n’y retournant que lorsqu’il est somnolent après avoir pratiqué une activité relaxante). De plus, le patient doit utiliser sa chambre à coucher seulement pour le sommeil et les activités sexuelles (pas de télévision, de radio, de lecture, de collations ou de travail) ; il doit également éviter les siestes et s’abstenir de travailler ou de résoudre des problèmes au moins une heure avant le coucher. Il identie ensuite les pensées dysfonctionnelles du patient au sujet de l’insomnie et l’aide à les réévaluer (p. ex., « l’insomnie pourrait me nuire », « si je ne dors pas assez, je dois rester plus longtemps au lit »). Il évoque les biais cognitifs les plus fréquents (p. ex., inférence arbitraire au sujet des conséquences négatives de l’insomnie et des liens entre l’insomnie et des dicultés qui n’y sont pas reliées, maximisation des conséquences de l’insomnie).

Boulimie Étude de cas

Sabine doit entreprendre une TCC en vue de résoudre sa boulimie. Le thérapeute évalue les comportements problématiques (durée et fréquence des épisodes de boulimie, de vomissements, d’utilisation de laxatifs, de diurétiques, de coupe-faim, de jeûne, d’exercices et de certains comportements pouvant prendre la forme de rituels). Il note l’évolution du poids de la patiente et évalue son image corporelle, son estime personnelle et la relation entre ces deux éléments. Il lui demande de remplir un journal alimentaire. Il présente à la patiente le modèle cognitivo-comportemental de la boulimie. Il explique que le contrôle de soi et l’image corporelle sont au centre des

valeurs personnelles de la patiente et qu’elle se met à jeûner pour perdre du poids. Mais ces comportements ne lui permettent pas de gérer adéquatement ses impulsions, ce qui provoque une crise boulimique à laquelle elle répond par des comportements compensatoires (vomissements, etc.) pour éviter de prendre du poids. Le thérapeute fait de la psychoéducation (p. ex., en expliquant les conséquences des vomissements et l’utilisation de laxatifs, de diurétiques sur sa santé et sur son poids). Il encourage la patiente à respecter un horaire alimentaire régulier et à reconnaître les facteurs qui déclenchent les crises de boulimie. Il peut lui apprendre à se servir d’un tableau d’enregistrement des pensées automatiques pour composer avec les émotions dysfonctionnelles, et à utiliser une che thérapeutique d’activités alternatives lorsque les crises sont associées à l’inactivité ou l’ennui. Il peut également lui enseigner des techniques de résolution de problèmes lorsqu’elle a de la diculté à faire face à ses problèmes, et des techniques d’armation de soi pour régler les conits ou les insatisfactions interpersonnels. Par la suite, il explore les croyances conditionnelles et fondamentales qui sous-tendent le comportement boulimique (p. ex., faible estime de soi). L’afrmation de soi est présentée en détail au chapitre 75, à la sous-section 75.2.4.

76.3 Indications et contreindications La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) a d’abord été utilisée dans le traitement de la dépression. On a ensuite cherché à traiter les patients qui souraient d’anxiété, d’insomnie, de boulimie et de trouble de la personnalité. Puis, on a voulu traiter des pathologies psychiatriques graves, tels la psychose ou le trouble bipolaire, dont on pensait qu’elles ne pouvaient répondre à une approche psychothérapeutique. Or les études démontrent que lorsque la TCC est combinée à un traitement pharmacologique approprié, elle diminue les symptômes psychiatriques, améliore le niveau de fonctionnement du patient et retarde les rechutes. La thérapie cognitive (TC) s’applique donc à la majorité des pathologies psychiatriques observées en clinique (voir la sous-section 76.2.4). Comme toutes les thérapies ne présentent pas la même ecacité chez tous les patients, comment peut-on déterminer si la TC est la thérapie de choix pour un patient donné ? Des indicateurs peuvent aider à choisir la thérapie. Il existe deux types d’indicateurs.

Indicateurs de pronostic Les indicateurs de pronostic permettent de déterminer comment les diérents types de patients répondront à un traitement donné. Ces indicateurs aident à savoir si le patient évalué a des chances de bien répondre à la thérapie spécique qu’on lui propose. Parmi les indicateurs de pronostic, il existe des facteurs associés au patient, à la thérapie et au thérapeute (voir le tableau 76.10). Ainsi, les patients qui ont déjà une pensée relativement nuancée, un bon réseau de soutien et qui sont prêts à faire face à leurs problèmes répondent mieux à la thérapie. Ils ne partent pas de zéro, ils possèdent déjà des aptitudes qu’ils pourront bonier. Ceux qui sont capables de

Chapitre 76

érapie cognitive

1659

TABLEAU 76.10 Indicateurs de pronostic

Quels patients répondent bien à la TC ? Facteurs associés au patient

• Cotes basses au Dysfunctional Attitude Scale chez les patients en clinique ambulatoire • Moins de dysfonctions cognitives • Dépression situationnelle (non endogène) mais cette notion est controversée. La dépression situationnelle serait en relation avec une situation donnée et la dépression endogène serait « causée » par des facteurs biologiques. • Mariage • Débrouillardise apprise (c.-à-d. capacité à se tirer d’affaire)

Facteurs associés à la thérapie

• • • •

Facteurs associés au thérapeute et à la thérapie

• Thérapeutes expérimentés • Compétence du thérapeute, surtout sa capacité à structurer la thérapie • Utilisation de méthodes concrètes, ciblant les symptômes : agenda, demander des exemples spéciques, identication des erreurs cognitives, examiner l’évidence, demander au patient d’écrire ses pensées (méthodes abstraites moins utiles : explorer la signication des pensées, discussion à propos de la thérapie)

Patients qui répondent bien à la lecture d’un livret sur la TC Volonté de faire des activités suggérées par le thérapeute ou par un ami en qui on a conance Patients qui font leurs tâches à domicile Patients avec une image de soi positive et qui idéalisent le thérapeute

Quels patients répondent mal à la TC ? • Les personnes perfectionnistes, excentriques ou dépressives • Les patients avec des cognitions (croyances) évitantes et paranoïdes • Les patients souffrant de troubles de la personnalité présentent une moins bonne amélioration du fonctionnement social et les symptômes résiduels sont plus fréquents

faire conance au thérapeute et d’eectuer les travaux prescrits sont en mesure de s’engager activement dans la thérapie et d’apprendre les techniques. Par ailleurs, les thérapeutes expérimentés qui sont capables de structurer les séances tout en demeurant exibles sont plus ecaces, car ils privilégient l’enseignement des techniques tout en demeurant à l’écoute du patient et de ses besoins.

Indicateurs de prescription Les indicateurs de prescription permettent de reconnaître les patients qui répondent mieux à une thérapie plutôt qu’à une autre. Destinés à aider le thérapeute à choisir le traitement approprié, ces indicateurs de prescription mettent en lumière des critères non spécifiques (qui permettent d’identifier les patients qui répondent mal à tous les types de thérapie) et spéciques (qui permettent de distinguer les patients qui répondent mieux à la TC qu’à d’autres types de thérapie). Les critères non spéciques relevés par des auteurs tels que Sotsky (1991) sont les suivants : • dysfonction sociale et cognitive ; • faibles attentes d’amélioration ; • dépression endogène ; • dépression double ; • longue durée de l’épisode actuel ; • sévérité et chronicité de la dépression ; • dépression récurrente ; • perfectionnisme. Par ailleurs, il existe des critères spéciques qui permettent de déterminer quel patient pourrait tirer bénéce d’une thérapie cognitive (Carter & al., 2011 ; Fournier & al., 2009 ; Hamilton & Dobson, 2002 ; Nemero & al., 2003) : • les patients avec des comportements évitants et ceux qui sont mariés répondent mieux à la TC, alors que les individus avec

1660

des comportements obsessionnels ou les célibataires répondent mieux à la psychothérapie interpersonnelle (PTI) ; • la TC convient bien aux patients qui présentent moins de dysfonctions cognitives, tandis que la PTI s’avère plus ecace chez les patients qui ont moins de dysfonctions sociales ; • les patients qui croient que leur dépression est due à un problème existentiel répondent mieux à la TC ; mais ceux qui pensent qu’elle est le résultat de problèmes relationnels répondent mieux à la thérapie comportementale maritale ; • les patients hospitalisés présentant un score élevé à la Dysfunctional Attitude Scale et au Core Belief Questionnaire répondent mieux à la combinaison TC et médicaments ; si les cotes sont basses, ils peuvent répondent à l’un ou à l'autre de ces traitements ; • les patients au chômage et ceux qui ont été exposés récemment à plusieurs facteurs de stress répondent mieux à la TC qu’à la pharmacothérapie ; • les patients avec un trouble de personnalité répondent mieux à la TCC qu’à la PTI. Safran et ses collaborateurs (1993) ont construit une échelle qui permet d’évaluer la pertinence d’orir une TC de courte durée aux patients qui se présentent à leur service (voir l’encadré 76.1). Les patients incapables de participer à la thérapie (p. ex., delirium) ou qui refusent d’y participer sont de mauvais candidats à la TC. De la même façon, la TC doit être combinée à la pharmacothérapie chez les personnes souffrant d’une maladie psychiatrique grave (p. ex., schizophrénie ou trouble bipolaire).

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

a permis de démontrer que cette approche s’applique à la majorité des troubles psychiatriques observés en clinique. En résumé, la TC semble être plus ecace que l’absence de traitement, au moins aussi ecace que d’autres approches psychothérapeutiques employées pour traiter les troubles psychiatriques mentionnés dans le tableau 76.11, et parfois aussi ecace que la médication (p. ex., dans le cas de la dépression légère à modérée, du trouble panique et du trouble d’anxiété généralisé). La plupart des pathologies psychiatriques ont fait l’objet de plusieurs études cliniques aléatoires : le tableau 76.11 résume l’état actuel de cette recherche sur l’ecacité de la thérapie cognitivo-comportementale.

ENCADRÉ 76.1 Facteurs prédictifs d’une bonne réponse

à la TC de courte durée

• • • • • • • • •

Accessibilité des pensées automatiques Conscience et différenciation des émotions Problèmes récents (non chroniques) Potentiel d’alliance thérapeutique (évidence à l’intérieur et à l’extérieur des séances) Acceptation de la responsabilité personnelle de changement Attitude envers la TC : – intérêt pour le modèle cognitif – optimisme vs pessimisme au sujet de la thérapie Comportements sécurisants peu présents (p. ex., peu d’évitement) Focalisation : capable de se concentrer sur un sujet à la fois Urgence (dans ce cas, considérer des mesures de sécurité ou des approches thérapeutiques plus rapides ou intensives) – problème moins grave

i

Un supplément d’information sur la dépression légère à modérée, sur le trouble panique et sur le trouble d’anxiété généralisé est disponible dans Butler & al. (2006), Chambless & al. (2001), Goulet (2008), Ruddy & House (2005) et Stewart & Chambless (2009).

Source : Adapté de Safran & al. (1993).

76.4 Résultats fondés sur des données probantes L’un des principes de base de la TC est l’empirisme collaboratif : chaque pensée est une hypothèse qui doit être testée. Dans cette optique, la TCC a fait l’objet de nombreuses études cliniques aléatoires. Une recension de la littérature, au moyen du moteur de recherche PubMed révèle qu’en 2016, 66 578 articles avaient été publiés sur le sujet. L’ensemble de ces recherches

Le thérapeute cognitiviste tente d’aider le patient en l’incitant à faire le lien entre les pensées, les émotions, les comportements et les sensations physiques. La TC est une approche éducative, active, directive, structurée, limitée dans le temps (5 à 20 séances), ciblant les problèmes et les buts du patient, mettant l’accent sur l’ici et maintenant. Depuis les années 1980, son ecacité a fait l’objet de nombreuses études. On tente maintenant de la simplier et de la rendre encore plus ecace en identiant les ingrédients actifs.

TABLEAU 76.11 Efcacité de la TCC

Pathologies testées Dépression

Recommandations par des organismes

Techniques principales

APA (2005) • Activation comportementale Cochrane (2007, 2008) • Méditation de pleine conscience et autres techniques ciblant les métacognitions et les ruminations • Restructuration cognitive

Troubles anxieux Ensemble des troubles anxieux

NIMH (2006) APC (2006) DOH (2001)

Trouble panique avec ou sans agoraphobie

APA (1998)

Phobie sociale

• • • • • •

Exposition aux sensations physiques intéroceptives Exposition graduée et prolongée in vivo Psychoéducation Rééducation respiratoire Relaxation Restructuration cognitive

• • • • • • • •

Afrmation de soi Entraînement aux habiletés sociales Expériences comportementales Exposition graduée et prolongée in vivo Exposition en imagination Focalisation de l’attention Relaxation Restructuration cognitive

Chapitre 76

érapie cognitive

1661

TABLEAU 76.11 Efcacité de la TCC (suite)

Pathologies testées

Recommandations par des organismes

Phobie spécique

Techniques principales • • • •

Exposition graduée et prolongée in vivo Immersion in vivo Restructuration cognitive Tension appliquée

Trouble obsessionnel-compulsif

Cochrane (2006, 2007) • • • •

Exposition cognitive Exposition en imagination Exposition graduée in vivo avec prévention de la réponse Restructuration cognitive

Anxiété généralisée

Cochrane (2007)

• • • • •

Expériences comportementales (augmentation de la tolérance à l’incertitude) Exposition cognitive Relaxation Résolution de problèmes Restructuration cognitive

Trouble de stress post-traumatique

APA (2004) Cochrane (2007)

• • • •

Exposition cognitive aux souvenirs traumatiques Exposition graduée et prolongée in vivo Relaxation Restructuration cognitive

Schizophrénie

APA (2004) Cochrane (2004) NICE (2010)

• • • • • •

Alliance thérapeutique Entraînement aux habiletés sociales Expériences comportementales Psychoéducation Remédiation cognitive TCC psychose

Trouble bipolaire

APA (2002, 2005) CANMAT (2005)

• • • • •

Auto-observation Planication des activités Psychoéducation Résolution de problèmes Restructuration cognitive

Obsession d’une dysmorphie corporelle

Cochrane (2009)

• • • • • • •

Auto-observation Conceptualisation Diminution des ruminations Expériences comportementales Exposition graduée et prolongée in vivo et prévention de la réponse Modication du focus de l’attention Restructuration cognitive

Troubles psychotiques

Troubles somatiques Douleur aiguë et chronique

APS (2004) • Distraction Cochrane (2003, 2009) • Planication des activités DOH (2001) • Relaxation • Résolution de problèmes • Restructuration cognitive

Syndrome du colon irritable

NICE (2008) • Auto-observation Cochrane (2008, 2009) • Psychoéducation • Relaxation • Restructuration cognitive

1662

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

TABLEAU 76.11 Efcacité de la TCC (suite)

Pathologies testées

Recommandations par des organismes

Techniques principales

Douleur rétrosternale

Cochrane (2005)

• • • •

Expériences comportementales/exposition graduée Psychoéducation Relaxation Restructuration cognitive

Hypocondrie

Cochrane (2008)

• • • •

Expériences comportementales Exposition et prévention de la réponse Psychoéducation Restructuration cognitive

Somatisation

Cochrane (2000)

• • • • •

Habiletés de communication Planication des activités Reconnaissance des émotions Relaxation Restructuration cognitive

Fatigue chronique

NICE (2007) DOH (2001)

• • • •

Activation comportementale Auto-observation Hygiène du sommeil Psychoéducation

Acouphènes

Cochrane (2007)

• • • • • •

Contrôle de l’attention Hygiène du sommeil Planication des activités Psychoéducation Relaxation Restructuration cognitive

Sclérose en plaques

Cochrane (2006)

• Activation comportementale • Restructuration cognitive

Cancer

Cochrane (2009)

• Activation comportementale

Boulimie

APA (2006) Cochrane (2007) DOH (2001)

• • • • • •

Auto-observation Éradication des périodes de jeûnes Gestion des impulsions boulimiques Planication des repas Psychoéducation Restructuration cognitive

• • • •

Exposition graduée (focus sensoriel) Gestion de l’anxiété Restructuration cognitive Techniques de communication conjugale Contrôle des stimuli inuençant le sommeil Psychoéducation Relaxation Restriction du sommeil Restructuration cognitive

Dysfonction sexuelle

Insomnie

NIH (2005) AASM (2006) Cochrane (2002)

• • • • •

Décience intellectuelle

Surgeon General USA (1999) AAMR (2000) MFC (2006)

• Analyse fonctionnelle appliquée • Renforcement positif • Techniques de gestion de la colère

Automutilation

NICE (2004) Cochrane (1999)

• Résolution de problèmes • Thérapie dialectique comportementale (troubles de la personnalité)

Chapitre 76

érapie cognitive

1663

TABLEAU 76.11 Efcacité de la TCC (suite)

Pathologies testées

Recommandations par des organismes

Techniques principales

Troubles de la personnalité Trouble de la personnalité antisociale

Cochrane (2007)

• • • • •

Contrats comportementaux Économie de jetons Entraînement aux habiletés sociales Techniques de gestion de la colère Raisonnement moral

Trouble de la personnalité limite

APA (2001, 2005) NIMH (2001) DOH (2001)

Thérapie dialectique comportementale et thérapie centrée sur les schémas utilisant entre autres techniques : • Afrmation de soi • Analyse comportementale • Autoverbalisations • Clarication des contingences avec renforcement positif des comportements habiles et non-renforcement des comportements problématiques • Confrontation empathique • Entraînement aux habiletés sociales • Expériences comportementales • Exposition graduée et prolongée in vivo • Exposition en imagination • Jeu de rôle • Méditation • Modelage • Psychoéducation • Résolution de problèmes • Restructuration cognitive

Abus de substances

APA (2010) NIDA (2012)

• • • • • • •

Afrmation de soi Auto-observation Contrôle des stimuli Modelage Psychoéducation Renforcement positif des comportements alternatifs et adaptés, façonnement Résolution de problèmes

AAMR : American Association on Mental Retardation ; AASM : American Academy of Sleep Medicine ; APA : American Psychiatric Asso ciation ; APC : Association canadienne de Psychiatrie ; APS : American Pain Society ; CANMAT : Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments ; Cochrane : Librairie Cochrane ; DOH : Department of Health (R.-U.) ; MFC : Médecins de famille du Canada ; NICE : National Institute for Clinical Excellence ; NIDA : National Institute on Drug Abuse ; NIH : National Institute of Health ; NIMH : National Institute of Mental Health.

1664

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

Lectures complémentaires A, M. E. & J, N. S. (1996). « Reasons for depression and the process and outcome of cognitive-behavioral psychotherapies », Journal of Consulting and Clinical Psychology, 64(6), p. 1417-1424. A (2000). Manuel d’Épictète, Paris, France, LGF. B, J. M. & B, M. (1979). S’armer et communiquer, Montréal, Québec, Éditions de l’Homme. B, P. (2006). Se relever d’un traumatisme, Montréal, Québec, Québecor. B, D. (2005). Être bien dans sa peau, Montréal, Québec, Héritage. G, D. & P, C. (2005), Dépression et anxiété : comprendre et

surmonter par l’approche cognitive, Montréal, Québec, Décarie. L, R. & al. (2008). Arrêtez de vous faire du souci pour tout et pour rien, Paris, France, Odile Jacob. L, P.J. & al. (1972). « e psychophysiology of emotion », dans N.S. Greeneld & R.A. Sternbach (dir.), Handbook of Psychophysiology, New York, NY, Holt, Rinehart, & Winston, p. 623-644. L, A. & M, A. (2004). La peur d’avoir peur, Montréal, Québec, Stanké. Mq, G. (2004). La timidité : comment la surmonter, Paris, France, Odile Jacob.

M, I. W. & al. (1990). « Treatment response of “high cognitive dysfunction” depressed inpatients », Comprehensive Psychiatry, 30, p. 62-71. M, C. (1997). Vaincre les ennemis du sommeil, Paris, France, Odile Jacob. S, A. (2002). Je ne peux m’arrêter de compter, laver, vérier, Paris, France, Odile Jacob. Salkovskis, P. M. (1991). « e importance of behaviour in the maintenance of anxiety and panic : a cognitive account », Behavioural Psychotherapy,19, p. 6-19. Y, J. & K. M. (2003). Je réinvente ma vie, Montréal, Québec, Éditions de l’Homme.

Chapitre 76

érapie cognitive

1665

CHA P ITR E

77

Remédiation cognitive Emmanuel Stip, M.D. FRCPC, M. SC. (sciences neurologiques)1

Sylvie Belleville, PH. D.

Psychiatre, chercheur, Centre hospitalier universitaire de Montréal

Psychologue, chercheuse, directrice, Centre de recherche, Institut universitaire de gériatrie (Montréal)

Professeur titulaire, directeur, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeure titulaire, Département de psychologie, Université de Montréal

Laurent Lecardeur, PH. D. (recherche clinique, innovation technologie,

Nicolas Franck, M.D., PH. D. (neurosciences)

santé publique) Psychologue, chercheur, équipe mobile de soins intensifs, Département de psychiatrie, Centre hospitalier universitaire de Caen (France)

Psychiatre, Centre ressource de réhabilitation psychosociale et de remédiation cognitive, Centre hospitalier Le Vinatier (Bron) Professeur, Université Claude Bernard, Centre national de la recherche scientique (Lyon)

Marie-Noëlle Levaux, PH. D. (sciences psychologiques) Psychologue, chercheuse, Unité de psychopathologie cognitive, Université de Liège (Belgique)

77.1 77.2 77.3 77.4

Historique et bases théoriques .................................1667 Formation des thérapeutes ....................................... 1668 Évaluation ..................................................................1668 Applications cliniques...............................................1672 77.4.1 Programmes de remédiation cognitive ........... 1672 77.4.2 Remédiation de la cognition sociale ................ 1675 77.4.3 Programme individuel ou de groupe............... 1676 77.4.4 Ajustement des exercices................................... 1677 77.4.5 Exercices à la maison .......................................... 1677 77.4.6 Durée de la thérapie............................................ 1677

77.5 Indications et contre-indications .............................. 1677 77.6 Résultats selon les données probantes ..................... 1678 Lectures complémentaires .................................................... 1679

1. Les auteurs remercient Elodie Peyroux pour la description des exercices du programme RECOS qu’elle leur a fournie.

L

a remédiation cognitive est une modalité thérapeutique en plein essor qui s’adresse à certaines pathologies psychiatriques et neurologiques dans lesquelles des altérations cognitives sont associées au tableau clinique. La schizophrénie, les troubles bipolaires, la dépression, les troubles envahissants du développement, les séquelles des traumas crâniens et des accidents vasculaires cérébraux, les dépendances et les maladies neurodégénératives représentent les principales indications. Ces anomalies cognitives contribuent à un handicap social et donc à une aggravation du pronostic fonctionnel. Ce chapitre illustre principalement l’utilisation de la remédiation cognitive dans la schizophrénie, indication pour laquelle cette technique de soin est en voie de se généraliser. L’approche thérapeutique s’applique de façon similaire dans les autres psychopathologies.

77.1 Historique et bases théoriques La remédiation cognitive s’est développée pendant les dernières décennies, mais elle n’est devenue progressivement disponible en clinique que depuis le début des années 2000. Les premières recherches ont été consacrées à la manière de pallier les conséquences des traumas crâniens chez les blessés de guerre (Goldstein, 1942). Dans le domaine des troubles mentaux, les premiers travaux ont concerné la schizophrénie dans les années 1970. Il s’agissait de travaux de laboratoire ayant recours, en tant que support d’entraînement cognitif, à des tâches habituellement utilisées pour l’évaluation (p. ex., l’enseignement de la stratégie pour réussir le Wisconsin Card Sorting Test). Les premiers programmes structurés impliquant des exercices spéciques sont apparus au début des années 1990 en Suisse (Brenner & al., 1992) et en Australie (Delahunty & Morice, 1993). Le fait que les bénéces de la remédiation cognitive (amélioration des compétences attentionnelles, mnésiques et exécutives) puissent contribuer à augmenter le degré d’autonomie des patients a rapidement été envisagé. Tout d’abord, la remédiation cognitive a été utilisée avec succès chez des patients présentant des séquelles de lésions cérébrales, en particulier des troubles du langage (orthophonie) ou des décits mnésiques. L’essor de la neuropsychologie s’est accompagné de la construction de programmes de rééducation pour ces troubles. Durant les dernières années, la remédiation cognitive a montré son ecacité dans la prise en charge des patients sourant de schizophrénie ou de troubles associés (Wykes & al., 2011). Les altérations du traitement de l’information associées à ces pathologies psychiatriques favorisent la genèse du handicap psychique, mais sont accessibles à la remédiation cognitive. En présence d’un décit cognitif, plusieurs options thérapeutiques peuvent être envisagées par l’équipe de réadaptation : • une intervention psychopharmacologique : – l’introduction d’une médication procognitive (p. ex., un anticholinestérasique) dans la maladie d’Alzheimer ; – une modication de la médication psychotrope dans les pathologies psychiatriques qui gênent la capacité du patient à se concentrer et à mémoriser, ce qui peut causer : a) des troubles cognitifs iatrogènes par excès de dose de médication ;

b) des troubles cognitifs secondaires à des symptômes persistants (délire, hallucinations, anxiété ou dépression) en raison d’une médication insusante ; – l’utilisation d’antipsychotiques de 2e génération (A2G) ayant moins d’eets indésirables sur les fonctions cognitives ; Les antipsychotiques et les potentialisateurs cognitifs sont présentés en détail aux chapitres 68 et 70. • une stimulation cognitive non spécique à travers la pratique d’activités sollicitant fortement les fonctions cognitives (p. ex., en incitant des patients à apprendre une langue seconde ou à retenir des textes dans l’optique d’une présentation de théâtre) ; • une remédiation cognitive, qui peut reposer sur : – un entraînement spécifique des fonctions cognitives altérées ; – la compensation des décits par le renforcement de l’utilisation des processus préservés ; – l’acquisition de nouvelles stratégies permettant de gérer les situations ; • l’assistance cognitive par un outil technologique : – mobile (p. ex., un agenda électronique qui rappelle au patient les tâches qu’il doit eectuer) ; – xe (domotique – p. ex., un écran tactile installé dans la cuisine qui rappelle au patient comment préparer son café ou faire cuire un plat). Le patient utilise cette « prothèse cognitive » pour pallier les conséquences de ses décits cognitifs (Sablier & al., 2009 ; Stip & Rialle, 2005). La remédiation cognitive est l’un des outils susceptibles de favoriser le rétablissement. Elle est planiée en fonction des résultats d’un bilan préalable qui repose sur une évaluation intégrative multidisciplinaire. Cette évaluation permet au patient de mieux percevoir ses capacités préservées et de prendre conscience de ses limites. La remédiation cognitive est avant tout destinée à favoriser le renforcement des capacités préservées et à permettre l’acquisition de nouvelles stratégies permettant la compensation des troubles cognitifs. L’amélioration du fonctionnent cognitif peut se faire de deux façons distinctes : 1. Un entraînement des processus altérés qui permettrait le développement de nouvelles compétences cognitives ou le renforcement des compétences existantes. Une telle modalité repose sur l’utilisation de la plasticité cérébrale, c’est-à-dire la capacité du cerveau à être remodelé par l’expérience à travers la création de nouvelles synapses, voire de nouveaux neurones. 2. Un renforcement des processus préservés an de compenser les altérations. L’acquisition de nouvelles stratégies de traitement de l’information est alors visée, de telle sorte qu’elles puissent sous-tendre des aptitudes concrètes, utiles pour faire face aux tâches du quotidien. Les termes « remédiation cognitive » et « réhabilitation cognitive » désignent plutôt cette option, dans le cadre d’une approche compensatrice. La remédiation cognitive doit être distinguée de : • la stimulation cognitive non spécique procurée par l’engagement dans des activités générales favorisant une amélioration globale du fonctionnement cognitif et social (p. ex., les jeux cognitifs proposés pour tous sur ordinateur) ;

Chapitre 77

Remédiation cognitive

1667

• l’entraînement cognitif, qui repose sur des exercices consacrés à l’entraînement des fonctions altérées. Toutes ces approches permettent aux patients de mieux composer avec leurs dicultés et de valoriser leurs aptitudes (Franck, 2014).

77.2 Formation des thérapeutes Les techniques ne peuvent être mises en œuvre que par des professionnels ayant suivi une formation spécique leur conférant la qualité de thérapeutes en remédiation cognitive. Le diplôme universitaire (DU) Remédiation cognitive de l’Université Lyon 1 fournit : • une formation théorique (au cours de quatre sessions de trois jours d’enseignement) ; • une formation pratique (à travers un stage sur l’un des services agréés). Ces formations consacrées à la remédiation ciblent les processus neurocognitifs, métacognitifs – c’est-à-dire la connaissance qu’a l’individu de ses processus cognitifs – et de cognition sociale. Ce DU est ouvert aux psychiatres, aux psychologues, aux neuropsychologues, aux inrmiers et aux ergothérapeutes. Des formations succinctes (trois jours) sont par ailleurs proposées aux équipes déjà sensibilisées. Elles sont recensées sur le site Internet de l’Association francophone de remédiation cognitive (AFRC).

i

Un supplément d’information sur le diplôme universitaire Remédiation cognitive à l’Université Lyon 1 est disponible au http://offre-de-formations.univ-lyon1.fr/parcours-879/remediation-cognitive.html.

i

Un supplément d’information sur l’Association francophone de remédiation cognitive (AFRC) est disponible au www. remediation-cognitive.org.

Cette association rassemble les professionnels de la santé impliqués dans ce domaine. Elle joue un rôle dans la structuration des soins et la diusion des techniques à travers le réseau de remédiation cognitive qu’elle soutient. Ce réseau regroupe les structures sanitaires de psychiatrie d’adultes du monde francophone qui utilisent la remédiation cognitive. Son objectif est de faciliter l’accès aux soins. L’action de l’AFRC est de nature non seulement à améliorer la diusion des techniques et de la culture de la remédiation cognitive (à travers les colloques qu’elle organise et la diusion de l’information scientique qu’elle permet), mais aussi à homogénéiser l’évaluation et la prise en charge. À un autre niveau, une structuration des soins (réadaptation et remédiation cognitive) est mise en œuvre sur le territoire français sous l’impulsion de certaines agences régionales de santé (ARS), en particulier l’ARS Rhône-Alpes qui a soutenu la création de trois centres référents et d’un centre ressource dans cette région.

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Un supplément d’information sur l’ARS Rhône-Alpes est disponible au www.ars.rhonealpes.sante.fr/Centres-referentsde-rehabilit.165505.0.html.

i

Un supplément d’information sur ce centre de ressource est disponible au www.centre-ressource-rehabilitation.org.

Pour le moment, au Québec, quelques thérapeutes se sont intéressés à la remédiation cognitive par leurs contacts professionnels et leurs lectures personnelles, mais il n’existe pas encore de formation universitaire en ce domaine.

1668

Par ailleurs, pour être plus largement utilisée, la remédiation devrait pouvoir être appliquée dans diverses interventions oertes par une variété de cliniciens. Une formation est nécessaire pour acquérir les compétences de thérapeutes en remédiation cognitive. Ainsi que cela a été mentionné plus haut, ces compétences peuvent être acquises par des personnes appartenant à plusieurs catégories professionnelles. En pratique, l’intervention de l’inrmier ou de l’ergothérapeute qui met en œuvre la remédiation cognitive est encadrée par le neuropsychologue qui a réalisé l’évaluation initiale, préconisé la remédiation cognitive et déni des objectifs de soin avec l’usager. Des supervisions sont par ailleurs nécessaires. Elles sont mises en œuvre par les formateurs en remédiation cognitive.

77.3 Évaluation Un bilan préalable à la planication d’une remédiation cognitive nécessite les interventions complémentaires de plusieurs professionnels (voir le tableau 77.1). Les données qualitatives et quantitatives qui en résultent sont mises en perspective avec les données cliniques rapportées par le psychiatre. Cette démarche d’évaluation aussi bien pré- que post-remédiation est nécessaire et doit confronter des informations en provenance de diérentes sources : • les entretiens avec le patient et son entourage proche ; • les méthodes et les mesures simulant des situations de la vie quotidienne ; • l’évaluation en situation réelle ; • les questionnaires centrés sur des domaines du fonctionnement quotidien ; • les résultats aux tests cognitifs.

TABLEAU 77.1 Intervenants impliqués selon le paramètre

l’évaluation

Paramètre d’évaluation

Intervenants

Fonctionnement quotidien

Inrmier, psychoéducateur, ergothérapeute, neuropsychologue

Évaluation cognitive

Neuropsychologue

Cognition sociale

Psychologue, neuropsychologue, ergothérapeute

Établir des liens entre les incapacités en situation quotidienne et les troubles cognitifs est indispensable afin d’éclairer le patient sur son fonctionnement et de planifier un programme de remédiation. L’évaluation associe un recueil des plaintes subjectives à la passation de tests standardisés. Objectiver les troubles, les quantifier et déterminer leur retentissement permet de définir des objectifs pour la remédiation cognitive et, plus largement, d’ajuster les projets de réinsertion sociale, la mise en perspective des compétences altérées et préservées donnant au patient une vue d’ensemble de ses possibilités. Lorsqu’une indication de remédiation cognitive découle du bilan, celle-ci est mise en œuvre par un thérapeute spécifiquement formé, selon une procédure codifiée. Un programme

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

pluridisciplinaire de remédiation cognitive comprend généralement sept étapes : 1. L’histoire de cas. Il faut porter une attention particulière à la scolarisation, au diagnostic et aux modalités thérapeutiques utilisées. 2. L’évaluation fonctionnelle. Une analyse des difficultés rencontrées par le patient dans son quotidien est réalisée par diérentes méthodes : • les entretiens avec le patient et son entourage proche (p. ex., Pronteg, conçu par Anselme et ses collaborateurs [2013], est un entretien semi-structuré qui permet de parcourir quelque 90 activités de la vie quotidienne [AVQ] et de relever les activités qui posent problème, le type et la gravité des dicultés rencontrées [initiation, omission, exécution], l’importance de l’activité pour le patient et la charge représentée pour un proche aidant) ; • les auto- et hétéroquestionnaires centrés sur des domaines du fonctionnement quotidien (p. ex., le Question­ naire d’autoévaluation de la mémoire (Van der Linden & al., 1989) ; • les méthodes et les mesures simulant des situations de la vie quotidienne (p. ex., l’outil informatisé NewWorld (Laloyaux & al., 2014) est une tâche de préparation d’une réunion qui permet de simuler les contraintes environnementales rencontrées dans des AVQ de type multitâche) et l’évaluation en situation réelle ; • l’observation, qui consiste à évaluer la réalisation d’une AVQ en situation réelle (p. ex., confection d’un repas dans la cuisine pédagogique de la clinique ou sortie en ville pour faire des achats). Elle peut se faire par des méthodes standardisées utilisées par les ergothérapeutes, comme : – l’évaluation des habiletés motrices et procédurales (assesment of motor and process skills [AMPS]), qui mesure la qualité de la performance en évaluant l’eort, l’ecacité, la sécurité et l’autonomie dans diverses AVQ ; – le Perceive, Recall, Plan and Perform (PRPP), où la performance est analysée en deux étapes : a) les erreurs sont classées selon leur type (de précision, d’omission, de répétition ou de rythme) ; b) ces erreurs sont analysées à l’aide du modèle de traitement de l’information concernant la perception, la mémoire, la planication et la performance. Ces descripteurs permettent d’identier des comportements reétant les opérations cognitives observées pendant l’accomplissement d’une tâche (p. ex. : moduler, maintenir l’attention ; tenir compte du contexte de lieu, se rappeler les étapes ; choisir, questionner). Ces observations sont intéressantes pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elles permettent de mieux identier et comprendre la nature des dicultés cognitives rencontrées par le patient dans sa vie quotidienne et ses stratégies pour y faire face. Plus précisément, elles permettent de faire des hypothèses, en se référant à un modèle théorique des processus en jeu dans l’activité, sur les mécanismes sous-tendant l’apparition d’erreurs dans l’AVQ. Les facteurs émotionnels (tels que l’anxiété) contribuant à l’apparition des dicultés peuvent aussi être identiés. De plus, des facteurs liés

au contexte de vie réelle (comme le bruit, la fatigue, les interruptions) peuvent interférer avec la performance, alors que d’autres facteurs (la familiarité avec la tâche, le niveau d’expertise prémorbide) peuvent la faciliter. À la n de la thérapie, l’évaluation en situation réelle permet d’examiner de façon plus directe l’eet d’une remédiation cognitive sur une activité quotidienne du patient. 3. L’évaluation neuropsychologique. Alors que les ergothérapeutes, le personnel inrmier et le psychiatre ont observé des dicultés de fonctionnement au quotidien, le neuropsychologue utilise des tests plus ranés pour eectuer une évaluation cognitive. Avant tout programme de remédiation, une évaluation neuropsychologique permet l’identication du prol cognitif du patient, précisant à la fois les fonctions cognitives perturbées, les capacités préservées et d’éventuels facteurs d’optimisation (p. ex., dans le domaine de la mémoire, susciter la mise en œuvre d’opérations d’encodage et de récupération plus ecaces). On peut ainsi relever des dicultés cognitives dans la vie quotidienne ou professionnelle du patient (p. ex., une incapacité à suivre un lm du début à la n ou des dicultés pour retenir les consignes données par son supérieur hiérarchique). L’évaluation neuropsychologique est présentée en détail au chapitre 4. Les tests employés lors de l’évaluation initiale sont généralement refaits à la n de la prise en charge an d’apprécier les progrès réalisés. Cependant, les tests cognitifs représentent des situations standardisées qui sont le plus souvent très éloignées des situations réelles dans lesquelles les patients éprouvent des difficultés, par exemple les situations peu structurées de multitâche (multitasking) (impliquant la planication et l’exécution de multiples sous-tâches en même temps, ce qui nécessite une bonne capacité d’attention divisée). Un problème méthodologique auquel doit faire face l’étude de l’ecacité d’un programme de remédiation est celui de la validité écologique des mesures d’ecacité, c’est-à-dire la sélection de mesures permettant de relever une amélioration du fonctionnement des patients dans leur vie quotidienne, but premier de toute remédiation. Ainsi, en plus des évaluations cognitives, des mesures du fonctionnement dans des activités spéciques de la vie quotidienne sont généralement pratiquées au cours de l’évaluation. Des mesures globales (p. ex., le retour au travail) ou des questionnaires évaluant une large palette de domaines fonctionnels peu délimités (la vie indépendante, l’occupation, le fonctionnement en société). Néanmoins, à la suite d’une remédiation cognitive, ces évaluations peuvent masquer ou ne pas véritablement relever les améliorations fonctionnelles spéciques qui peuvent être dépendantes de facteurs (familiaux, sociaux ou économiques) qui sont en dehors du contrôle du patient et de l’équipe de réadaptation. 4. La mise en correspondance des données des deux niveaux d’analyse précédents. Elle vise à mieux comprendre la nature des décits cognitifs impliqués dans les dicultés quotidiennes, en prenant en compte la contribution possible de variables émotionnelles, motivationnelles, familiales et sociales. Les interventions cognitives doivent être menées avec des hypothèses a priori sur la nature des liens entre les

Chapitre 77

Remédiation cognitive

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processus cognitifs et les activités spéciques de la vie quotidienne. Elles doivent se fonder sur un raisonnement selon lequel la tâche qui fait l’objet d’un entraînement cognitif qui est entraînée et le fonctionnement dans la vie quotidienne partagent un certain nombre de processus cognitifs. La combinaison de l’évaluation fonctionnelle et de l’évaluation cognitive permet ainsi de dénir les objectifs de remédiation précis et protables pour un patient donné. Lors de l’exposé au patient des résultats de son évaluation, ses compétences préservées sont valorisées et ses décits sont présentés comme des aspects à travailler, à améliorer (Franck, 2014). Cette manière de procéder favorise chez lui une perception moins négative de ses limites, même s’il est important qu’il prenne aussi conscience des domaines dans lesquels il est en diculté. Le fait qu’il tienne compte, dans la construction de ses projets, de ses aptitudes et de ses dicultés lui permet de valoriser au mieux ses capacités. À l’occasion de cette restitution, des liens sont établis entre le fonctionnement quotidien du patient et ses résultats aux tests. Enn, une remédiation cognitive n’est proposée que si les troubles cognitifs mis en évidence ont un retentissement et n’ont pas été spontanément compensés par le patient. Une phase de psychoéducation est indispensable pour amener le patient à mieux comprendre la nature de ses dicultés ainsi que les objectifs de l’intervention et les bénéces qu’il peut en tirer. 5. La détermination d’objectifs concrets avec le patient. Ces objectifs seront pris en compte lors de la remédiation. Souvent, les interventions se fondent sur un raisonnement approximatif selon lequel la tâche qui fait l’objet d’un entraînement cognitif et le fonctionnement dans la vie quotidienne partagent un certain nombre de processus cognitifs. On présume qu’une amélioration de la performance dans la tâche cognitive devrait avoir des répercussions bénéques sur le fonctionnement journalier. Toutefois, du fait de la nature complexe des relations entre le fonctionnement quotidien et la tâche qui fait l’objet d’un entraînement cognitif, une telle approche est loin de garantir une amélioration du fonctionnement dans la vie quotidienne. Plus un patient est directement impliqué dans la détermination des objectifs d’une intervention, plus sa motivation est intrinsèque (non dépendante d’incitations externes) et plus les objectifs de cette intervention peuvent être atteints facilement. Diérents facteurs contextuels augmentent la motivation intrinsèque et le sentiment de compétence : • la personnalisation du matériel d’apprentissage pour qu’il coïncide avec les centres d’intérêt et les besoins du patient (p. ex., création de scénarios tirés de la vie quotidienne du patient qui impliquent de la mémoire de travail, tels que prendre une commande au restaurant, comprendre une conversation, calculer le prix d’articles soldés) ; • la possibilité, pour le patient, de choisir l’activité d’apprentissage et les diérentes caractéristiques associées (p. ex., travailler des activités de cuisine : préparer un pâté chinois ou un spaghetti sauce à la viande ; de jardinage : tondre la pelouse ; de bricolage : peindre son appartement) ; • la contextualisation ou l’utilisation d’un matériel en lien avec l’environnement quotidien du patient. Une telle approche semble la plus à même d’aboutir à un projet de remédiation qui porte sur les préoccupations quoti-

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diennes des patients et qui se fonde sur une hypothèse quant à la nature des mécanismes qui sous-tendent les dicultés rencontrées. Elle facilite l’identication d’objectifs de remédiation précis et focalisés sur les dicultés observées. Ce processus aboutit à la proposition d’un contrat de remédiation (ou de plusieurs contrats successifs), qui précise les objectifs, le contenu et les modalités pratiques de l’intervention (p. ex., la fréquence et la durée des séances). En parallèle, le patient est informé, de façon précise, des stratégies de remédiation qui lui sont proposées, des raisons qui amènent à les sélectionner et des bénéces concrets qu’il devrait pouvoir en tirer. Par exemple, un patient éprouvant des dicultés à mener à bien son travail en horticulture du fait de dicultés visuospatiales peut bénécier (selon la nature des altérations cognitives qu’il présente) d’exercices de rotation mentale ou de mémorisation de la position spatiale d’objets. An de prendre en compte les diérentes limites méthodologiques qui peuvent réduire l’ecacité de la remédiation cognitive sur le fonctionnement quotidien, il est possible de mettre en œuvre des interventions individualisées et centrées directement sur les dicultés rencontrées par les patients dans leur vie quotidienne. Des exercices adaptés à la prise en charge des troubles cognitifs les plus fréquemment observés dans la schizophrénie sont regroupés au sein de programmes de remédiation cognitive proposant une banque d’exercices aux thérapeutes (voir le tableau 77.2). 6. La planication et la mise en œuvre des stratégies de remédiation. Cela se fait sur la base des hypothèses élaborées quant à la nature des dicultés et en prenant en compte les capacités préservées et les facteurs d’optimisation éventuels (p. ex., les acquis en matière de savoir-faire social ou occupationnel – savoir comment aborder telle ou telle situation en pratique est en eet une ressource cruciale). Ces interventions, centrées sur des situations de la vie quotidienne ou occupationnelle, peuvent suivre plusieurs directions, selon la nature et la gravité des dicultés relevées (pour une description de ces démarches, voir Van der Linden & al., 2003) : • L’utilisation de facteurs d’optimisation an d’améliorer les capacités fonctionnelles. Dans le domaine de la mémoire, il s’agit de susciter la mise en œuvre d’opérations d’encodage (ou de mise en mémoire des informations) et de récupération plus ecaces (p. ex., la technique de l’estompage, dans laquelle un stimulus à mémoriser – qui peut être un visage – est présenté avec un indice – qui peut être un nom – progressivement eacé, permet d’optimiser l’encodage). • L’apprentissage de connaissances ou d’habiletés spéciques possédant une haute valeur fonctionnelle pour le patient. Des techniques d’apprentissage adaptées au prol cognitif de chaque patient doivent être privilégiées. Par exemple, chez des patients présentant des troubles importants de la mémoire épisodique (incapacité à se souvenir correctement des événements vécus), on peut utiliser des techniques d’apprentissage sans erreur. Il s’agit d’une modalité d’apprentissage s’opposant à l’habituel apprentissage par essais et erreurs. Le patient avec hypofrontalité a tendance à reproduire ses erreurs, à persévérer dans la même méthode inappropriée, étant incapable de la modier, d’apprendre que l’item produit est erroné, parce qu’il ne réussit pas à conceptualiser une façon diérente de procéder. Pour pallier,

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TABLEAU 77.2

Étude de cas : Georges

1. Histoire de cas

Georges est un homme de 39 ans, célibataire, vivant en logement supervisé depuis huit ans. Il a terminé une 5e secondaire. Le diagnostic de schizophrénie a été posé vers l’âge de 19 ans. Il a subi quatre hospitalisations d’une durée totale de 18 mois (dernière hospitalisation trois ans avant le début de la remédiation cognitive). Comme médication, il prend un antipsychotique atypique (rispéridone 50 mg IM toutes les deux semaines) et un antiparkinsonien (procyclidine 2,5 mg BID). Il participe, mais avec des difcultés, à différentes activités (expression écrite, relaxation et jardinage).

2. Évaluation fonctionnelle

L’évaluation fonctionnelle est basée sur un questionnaire évaluant le fonctionnement du patient dans 90 activités de la vie quotidienne (Pronteg, Anselme & al., 2013). Au moment de l’évaluation, Georges présente une anxiété élevée et des difcultés dans différentes activités : • la préparation de repas (manque de exibilité cognitive, c’est-à-dire la capacité à passer d’une activité cognitive à une autre, oublis) ; • la lessive (tri des couleurs) ; • le nettoyage (manque d’initiative, de exibilité cognitive, arrêt prématuré de la tâche avant d’atteindre l’objectif) ; • le magasinage (manque d’autonomie) ; • la lecture (difcultés de concentration).

3. Évaluation neuropsychologique

Georges présente des performances décitaires dans différentes composantes : • des fonctions exécutives (exibilité cognitive, inhibition et planication) ; • des fonctions attentionnelles (alerte phasique, c.-à-d. capacité de réagir à des stimuli en présence de signaux avertisseurs, attention sélective, c.-à-d. capacité à répondre de manière sélective à une seule source d’information parmi d’autres, et attention divisée, c.-à-d. capacité à prêter attention simultanément à deux sources d’information) ; • de la mémoire épisodique verbale (potentiel d’apprentissage). Par contre, ses performances sont préservées en vitesse de traitement de l’information non verbale, en stockage en mémoire de travail, en mémoire épisodique visuelle et dans les fonctions langagières (uence verbale phonologique et sémantique).

4. Mise en correspondance des données

Sur la base du bilan cognitif et d’évaluations fonctionnelles réalisées en situation réelle, les difcultés rencontrées par Georges dans sa vie quotidienne sont interprétées en matière de difcultés de comportement pour atteindre un but dans des situations de la vie quotidienne exigeant la réalisation de multiples tâches (telles que la préparation de repas impliquant différentes composantes) : • des difcultés de planication et d’organisation (dénir un but, séquencer un plan d’action) ; • de la négligence de contexte (p. ex., ne pas prendre en compte certaines étapes d’une recette, oublier certains ingrédients prévus sur la table) ; • de l’agitation psychomotrice (réalisation d’actions sans but, telles que prendre un objet sans l’utiliser, présence d’anxiété).

5. Détermination des objectifs

L’objectif xé avec Georges est d’améliorer la gestion des comportements dirigés vers un but, dans différentes activités de sa vie quotidienne, dont la préparation de repas et le ménage de la maison.

6. Stratégies de remédiation

La technique du Goal Management Training (GMT) (Levine & al., 2000) est proposée à Georges an de l’aider à atteindre l’objectif qui a été xé avec lui.

7. Évaluation de l’efcacité

Trois tâches évaluées en situation réelle sont proposées en pré- et post-remédiation : • la préparation d’un repas (activité familière exécutée en entraînement) ; • la lessive (activité familière non exécutée en entraînement) ; • la préparation d’une réunion (activité non familière et non exécutée en entraînement). Les deux dernières tâches permettent d’explorer dans quelle mesure les apprentissages peuvent se transférer à d’autres activités de la vie quotidienne non exécutées en entraînement. Trois tâches (agencement d’une pièce, correction d’un texte, groupement de personnes par caractéristiques) simulant les demandes en situation réelle sont également incluses. De plus, plusieurs questionnaires sont utilisés pour évaluer les effets de l’entraînement sur les plaintes cognitives subjectives, l’anxiété, les symptômes, l’estime de soi et la qualité de vie. Après 16 sessions d’entraînement, les résultats de l’évaluation cognitive indiquent une amélioration de la planication. Des effets bénéques sont également obtenus dans les tâches de préparation d’un repas. De plus, une généralisation des effets du GMT est observée dans les tâches (préparation d’une réunion) non exécutée en laboratoire et dans la vie réelle. Georges présente des améliorations concernant le traitement de l’information contextuelle, le contrôle de la réponse en cours (c.-à-d. la détection d’erreurs, la suppression ou le contrôle d’éléments de distraction), la vérication et l’autorégulation verbale (présence d’un nombre élevé de commentaires qui guident la réalisation des actions). Finalement, l’estime de soi s’améliore après la remédiation cognitive. L’absence d’amélioration dans la tâche de lessive (familière et non exécutée en entraînement) peut indiquer une difculté de Georges à inhiber un schéma routinier (le tri des couleurs).

Chapitre 77

Remédiation cognitive

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on démontre au patient une procédure par une série d’actions séquentielles. Par exemple, on lui demande d’imiter, par étapes, un éducateur qui lui montre les fonctionnalités de base d’un ordinateur ; chaque sous-étape est expliquée et maîtrisée dans l’action avant le passage à la sous-étape suivante. Une fois acquis, cet entraînement de mémoire procédurale est plus facile à répéter, car le patient a appris les gestes à poser, ce qui est bien diérent que de mémoriser des explications. Cette approche d’apprentissage sans erreur – c’est-à-dire mettant le patient face à des situations qu’il est apte résoudre - permet d’éviter que le patient mémorise et donc reproduise ses erreurs de persévération et augmente la quantité d’informations retenue. En pratique, l’apprentissage sans erreur est favorisé, d’une part, par le fait qu’il permet d’adapter le niveau de départ des exercices aux capacités eectives du patient et de suivre sa progression et, d’autre part, par la présence active du thérapeute, qui lui explique d’emblée la bonne procédure pour le guider vers la réussite. • L’utilisation d’aides externes et l’aménagement de l’environnement dans le but de diminuer l’impact des décits cognitifs sur le fonctionnement quotidien du patient. La question de la validité écologique (c.-à-d. la généralisation des apprentissages dans la vie quotidienne) se pose également pour le matériel utilisé lors de la remédiation cognitive. En eet, les tâches (de type papier-crayon ou informatisées) utilisées dans la majorité des programmes de remédiation font appel à du matériel abstrait et décontextualisé (formes, gures, nombres, textes) sans signication motivationnelle pour les patients. Cette observation a largement prévalu au choix des supports utilisés dans RECOS (voir le tableau 77.4 et la gure 77.1). Ce type d’exercices prend en compte l’importance de la motivation intrinsèque et de l’engagement dans l’apprentissage qui sont promus par : • la contextualisation de la tâche (p. ex., jeu de résolution d’un crime) ; • le contrôle par le patient d’aspects essentiels de l’environnement d’apprentissage (p. ex., le patient doit choisir des stratégies et des options pour avancer dans la recherche du voleur) ; • la présentation multisensorielle et la personnalisation du matériel d’apprentissage (p. ex., le patient joue le rôle d’un détective). Bien qu’elles représentent une avancée dans la validité externe des programmes de remédiation cognitive, ces tâches restent néanmoins déconnectées des problèmes réels que rencontrent les patients dans leur vie quotidienne. De ce fait, à côté d’exercices élaborés à partir d’un matériel décontextualisé (qui permet de manipuler plus aisément la complexité progressive des tâches), il importe également de proposer au patient des situations dans lesquelles il peut s’entraîner dans un contexte plus proche de la réalité (pour un exemple de programme de remédiation de la mémoire de travail, combinant exercices décontextualisés et exercices écologiques, voir Levaux & al., 2009). Les exercices écologiques sont construits sur la base de scénarios de la vie quotidienne qui impliquent les fonctions cognitives visées par le programme de remédiation. Le patient est entraîné à mettre en place les stratégies de remédiation pour la mémoire

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de travail (p. ex., la répétition et la visualisation mentale) dans ces mises en situation réelles. 7. L’évaluation de l’ecacité des interventions et de la spécicité de leurs eets ainsi que l’exploration du maintien des bénéces à long terme. Le thérapeute doit faciliter la généralisation des bénéces en établissant un lien entre le contenu des séances et le quotidien du patient. Il est ainsi nécessaire de le revoir quelque temps après la n du programme de remédiation an d’évaluer le maintien des acquis et d’envisager, le cas échéant, des séances de consolidation. La remédiation cognitive peut adopter diérentes modalités (Franck, 2014). Deux études de cas cliniques illustrent la séquence des interventions (voir les tableaux 77.2 et 77.3).

77.4 Applications cliniques On regroupe sous l’appellation « fonctions neurocognitives » les processus attentionnels, mnésiques et exécutifs.

77.4.1 Programmes de remédiation cognitive Le programme RECOS (REmédiation COgnitive pour la Schizophrénie ou les troubles associés) (Vianin, 2013) vise à ce qu’un patient donné : • améliore ses performances cognitives dans les domaines de l’attention sélective, de la vitesse de traitement de l’information, de la mémoire verbale, de la mémoire de travail, des fonctions visuospatiales et exécutives ; • acquière de nouvelles compétences métacognitives à travers la prise de conscience de ses propres capacités valorisées par le thérapeute, ce qui lui permet de mieux s’adapter aux multiples situations de la vie quotidienne (notamment au travail). Sur une possibilité de six modules d’entraînement, le ou les modules de RECOS les plus pertinents seront proposés au patient selon son prol cognitif (particulièrement en présence d’altérations cognitives ayant un retentissement fonctionnel). Les supports sont constitués d’exercices papier-crayon et informatisés. Le programme s’étend sur une période d’environ trois mois, avec deux séances hebdomadaires animées par un thérapeute ainsi que des tâches à domicile. Un essai clinique contrôlé (Franck & al., 2013) a montré que RECOS procure des bénéces comparables au programme Cognitive Remediation erapy–CRT (Delahunty & Morice, 1993 ; Wykes & al., 2007). Le tableau 77.4 présente les six modules de RECOS. La gure 77.1 illustre le contenu de l’un des exercices informatisés du module « Mémoire de travail ». Dans l’exercice « Suivez le guide », les consignes données au patient sont : 1. De mémoriser l’emplacement de lieux sur un plan (image présentée) ainsi que leurs noms et l’ordre des visites ; 2. De replacer les lieux en question sur un plan vierge. Il existe d’autres programmes ciblant les mêmes fonctions. Parmi eux, certains utilisent exclusivement des exercices informatisés, à l’exemple de REHA-COM qui propose une interface simpliée (absence de clavier, seuls quelques boutons et une manette de jeu permettant de réaliser les exercices), et d’autres, tel le CRT, qui consistent uniquement en des exercices papiercrayon. Ces modalités distinctes peuvent répondre aux besoins de certains patients. Toutefois, l’essentiel du travail de remédiation

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TABLEAU 77.3 Étude de cas : Aline 1. Histoire de cas

Aline est une femme de 68 ans retraitée, mais qui a travaillé comme secrétaire pendant de nombreuses années. Elle souffre d’une hypertension bien contrôlée. Elle vit avec son conjoint et est encore très active socialement. Elle participe à un club de lecture dans son quartier et marche régulièrement avec son conjoint ou des amies. Depuis quelques mois, Aline s’inquiète de sa mémoire. Ses difcultés de mémoire lui occasionnent de l’anxiété et de la honte et elle songe à cesser sa participation au club de lecture. Elle a de la difculté à mémoriser le nom de nouvelles personnes qu’elle rencontre au club de lecture. Elle réalise également qu’elle mémorise moins bien les livres qu’elle lit, ce qui l’inquiète. Ses proches admettent que la mémoire d’Aline n’est pas aussi bonne qu’elle ne l’était, mais ne s’en préoccupent pas outre mesure. Par ailleurs, Aline est autonome dans toutes ses activités quotidiennes. Elle continue de recevoir sa famille, accomplit toutes les tâches ménagères et gère son budget comme elle l’a toujours fait.

2. Évaluation fonctionnelle

Au questionnaire de la DAD (Gelinas & al., 1999), Aline ne montre aucune limitation dans ses activités fonctionnelles.

3. Évaluation neuropsychologique Aline montre des difcultés légères dans deux tâches de mémoire verbale. Elle obtient un score sous la moyenne dans une épreuve de mémoire pour un court texte. À cette tâche, elle rapporte les idées principales du texte, mais retient relativement peu de détails. Son score est aussi légèrement inférieur à la moyenne, compte tenu de son âge et de sa scolarité, à une tâche qui mesure le rappel de mots avec et sans indices sémantiques (on utilise la catégorie d’appartenance des mots comme indice sémantique, p. ex., que le mot « violon » à rappeler est un instrument de musique, ou que « truite » est un poisson). À cette tâche, Aline montre un faible score quand elle doit se rappeler les mots sans indices, mais elle en récupère plusieurs lorsqu’on lui fournit un indice sémantique. Toutes les autres composantes cognitives paraissent relativement bien préservées. Elle montre une bonne mémoire visuelle, de bonnes capacités langagières et un excellent fonctionnement exécutif. On conclut à un trouble cognitif léger. 4. Mise en correspondance des données

Aline se plaint de sa mémoire, et cette plainte subjective est conrmée par sa performance aux tests objectifs. Ses difcultés portent essentiellement sur la mémoire verbale. La préservation des capacités sémantiques, exécutives et de mémoire visuelle permet de croire qu’Aline pourrait apprendre à utiliser des stratégies compensatoires pour l’aider à mieux encoder l’information verbale.

5. Détermination des objectifs

Aline souhaite améliorer ses capacités de mémoire verbale, particulièrement la mémoire des noms de personnes et la mémoire de texte.

6. Stratégies de remédiation

Le clinicien propose à Aline de participer à un programme en groupe dans le but d’apprendre des stratégies d’encodage et de récupération en mémoire (Belleville & al., 2006). Ce type d’intervention en groupe plaît à Aline, qui y voit une façon de rester stimulée socialement. Le programme comprend huit séances d’entraînement et une séance de consolidation trois mois plus tard. Il vise l’enseignement de plusieurs procédés mnémotechniques. L’un d’entre eux utilise l’imagerie visuelle interactive pour associer un nom à un visage. Par exemple, Aline est amenée à imaginer un champ de blé à la place des cheveux de la personne pour mémoriser le nom de monsieur Deschamps). Une autre technique fait appel à des stratégies de hiérarchisation pour faciliter la mémorisation des textes. Aline apprend ainsi à extraire l’idée centrale d’un texte, à en identier les informations principales et à faire des résumés organisés des textes qu’elle lit. Plusieurs exercices à domicile sont inclus an de renforcer les apprentissages, mais également pour favoriser l’utilisation des stratégies apprises dans la vie quotidienne. L’intervenant rencontre aussi le conjoint d’Aline an de l’inciter à la soutenir dans l’utilisation de ces nouvelles stratégies de mémoire.

7. Évaluation de l’efcacité

L’efcacité est évaluée en faisant appel à des tests de mémoire de mots, d’association nom-visage et de mémoire de texte. On mesure également la plainte mnésique et on utilise des questionnaires pour évaluer l’utilisation des nouvelles stratégies dans la vie de tous les jours. Après avoir participé à l’ensemble du programme, Aline rapporte une amélioration de sa mémoire dans des situations de la vie de tous les jours. Ses performances sont aussi meilleures dans les tâches de mémoire de mots et d’association nom-visage. La mémoire de texte n’est pas améliorée, mais Aline rapporte que les nouvelles stratégies lui ont donné conance et qu’elle a décidé de poursuivre sa participation au club de lecture.

cognitive ne réside pas dans le support technique, mais dans les compétences du thérapeute, qui permettent au patient d’en tirer parti en renforçant ses performances, généralement à travers l’acquisition de nouvelles stratégies. Par ailleurs, des interventions individualisées et centrées directement sur les dicultés rencontrées par les patients dans leur vie quotidienne peuvent également être réalisées à l’aide de stratégies de remédiation cognitive spéciques : • Le goal management training (GMT), issu des travaux auprès de patients présentant une lésion cérébrale (Levine & al., 2000), décrit dans la première histoire de cas (Georges). Le GMT comprend un entraînement en cinq étapes destiné à

améliorer les capacités du patient à établir des plans et à les mettre en œuvre de manière ecace pour atteindre un but : – orienter une prise de conscience vers l’état actuel de la situation ; – dénir le but de la tâche ; – énumérer les étapes de la tâche ; – apprendre les étapes ; – vérier si le résultat de l’action correspond au but établi. • L’attention training technique (ATT) (Wells, 2000) pour la réduction de la fréquence des pensées intrusives qui peuvent perturber la vie quotidienne chez des patients

Chapitre 77

Remédiation cognitive

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TABLEAU 77.4 Exercices de remédiation cognitive du programme RECOS

Processus cognitif à améliorer Attention sélective

Vitesse de traitement de l’information

Mémoire verbale

Mémoire de travail

Mémoire et attention visuospatiale

Fonctions exécutives

Noms des exercices

Description sommaire des exercices

Attention au contexte

Évaluer différents paramètres en fonction de règles préétablies an de prendre une décision.

Audition libre

Écouter deux, trois ou quatre notes de musique à la suite et déterminer laquelle est la plus aiguë ou la plus grave, la plus forte ou la plus faible, la plus longue ou la plus courte.

Caractères déplacés

Analyser et comparer deux séries de gures complexes.

Cherchez l’intrus

Détecter une cible ou un intrus le plus rapidement possible dans une grille remplie de symboles. Le nombre de symboles augmente au fur et à mesure. Certaines options permettent d’être aidé par des indices.

Attrapez la coccinelle

Cliquer le plus rapidement possible sur une coccinelle qui apparaît à l’écran. À chaque essai réussi, la taille de la coccinelle et le temps imparti pour cliquer sur cette dernière diminuent.

Gulf Stream

Mémoriser une cible, puis déterminer le plus rapidement possible si les items présentés correspondent à la cible ou non.

Mettez de l’ordre dans vos comptes

Trier des nombres en alliant rapidité et efcacité.

Tiroirs secrets

Classer des mots dans des tiroirs en fonction de leur catégorie. Certains tiroirs sont « secrets », et il faut déterminer leur catégorie en fonction des refus et acceptations de l’ordinateur.

Capturez les mots clés

Restituer l’ordre d’apparition de verbes dans un texte.

Garçon, s’il vous plaît

Mémoriser en un temps limité, puis faire un rappel du menu de plusieurs convives. Une tâche distractive peut être proposée entre la phase de mémorisation et de rappel.

Mémoire d’éléphant

Mémoriser une matrice de 25 mots ; cinq planches de 25 mots sont ensuite présentées au joueur qui doit identier à chaque fois cinq mots de la première matrice.

Vous avez un message

Écouter des messages vocaux plus ou moins complexes et mémoriser les informations principales.

À vos mélangeurs

Retenir les ingrédients de cocktails et leur dosage.

À vous de compter

Retenir des nombres et des opérateurs (temps limité) en vue de réaliser un calcul mental.

À vous de ranger

Identier la catégorie à laquelle appartiennent des mots ainsi que l’emplacement de chaque catégorie.

Suivez le guide

Mémoriser l’emplacement des monuments sur le plan d’une ville et chacun des itinéraires prévus (voir la gure 77.1).

Attention, ça tourne

Faire tourner mentalement des gures an de déduire si celles-ci sont identiques ou symétriques.

Jeux de blason

Mémoriser les différents éléments d’un blason (forme du blason et couleur, armoiries, etc.) puis le reconstituer. Dans certains cas, une tâche interférente vient perturber l’exercice.

Objets, où êtes-vous?

Mémoriser des images ainsi que leur position dans l’espace.

Tout dépend d’où l’on regarde

Déduire la position d’un observateur sur une carte à partir de ce qu’il voit (consigne 1) ou déduire ce que voit un observateur à partir de sa position sur une carte (consigne 2).

Basket à New York

Calculer mentalement des mouvements de ballons permettant de passer d’une position initiale à une position nale.

Déchiffrement

Déchiffrer une citation célèbre. Chaque lettre est remplacée par un symbole dont il faut deviner, par logique et déduction, la signication.

Écrire dans les étoiles

Placer six mots issus d’une liste dans les branches d’une étoile.

Mots coupés

Reconstituer des mots coupés en deux ou trois syllabes. Les syllabes apparaissent dans une matrice qui concerne un domaine précis (arbre, musique, auteurs, etc.).

Source : Vianin (2013), p. 122.

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FIGURE 77.1 Exercice informatisé extrait du module

« Mémoire de travail – Suivez le guide » de RECOS

Source : Vianin (2013).

présentant un état psychopathologique, tel que la schizophrénie, la dépression. Ce programme vise à apprendre au patient à augmenter ses capacités de contrôle et de exibilité attentionnels et à réduire sa tendance excessive à la focalisation attentionnelle sur soi. Des exercices d’attention sont ciblés sur trois fonctions attentionnelles : l’attention sélective, la flexibilité à la fois cognitive et de source, c.-à-d. la capacité à gérer de manière exible et en continu les ressources attentionnelles allouées : – à des informations internes ou autogénérées, p. ex., des pensées intrusives ou des ruminations ; – à des informations externes disponibles dans l’environnement, p. ex., écouter et comprendre le discours d’un interlocuteur) et l’attention divisée. Des exercices à la maison sont également inclus pour favoriser le transfert de l’apprentissage à des situations de la vie quotidienne.

77.4.2 Remédiation de la cognition sociale La cognition sociale est un concept large, intégrant plusieurs processus cognitifs, dont la perception des émotions, la perception sociale (ce que le patient pense que les autres pensent de lui ou ce qu’il pense des autres), les styles attributifs (la tendance à attribuer à soi-même, à autrui ou au hasard les conséquences positives et négatives des événements vécus). Les troubles de la cognition sociale ont un impact direct dans diérents domaines de la vie quotidienne comme les interactions sociales, la capacité d’obtenir et de garder un emploi et la qualité de vie. Le fait qu’ils déterminent largement le pronostic fonctionnel (retombées de la maladie en matière d’autonomie quotidienne) conduit à les considérer comme l’une des manifestations les plus handicapantes des psychoses, en particulier de la schizophrénie. La théorie de l’esprit, c’est-à-dire l’aptitude à se former des représentations des états mentaux (croyances, désirs, pensées, intentions) d’autrui et à pouvoir utiliser ces représentations pour comprendre, prédire et juger leurs comportements, est altérée dans les troubles psychotiques, particulièrement dans la

schizophrénie. Améliorer l’attribution d’états mentaux nécessite d’entraîner le patient à décoder des informations non verbales telles que les gestes et les mimiques. An d’améliorer ces capacités, des programmes de remédiation cognitive ciblant la cognition sociale ont été développés. Quelques-uns sont disponibles en français : • Le programme ToMRemed (theory of mind remediation) est destiné à améliorer la théorie de l’esprit, c’est-à-dire la capacité à comprendre ce que les autres pensent, ressentent et veulent (Bazin & al., 2010). ToMRemed prend en compte cet aspect de la cognition sociale par des modules de remédiation cognitive spéciques pour entraîner à l’attribution d’états mentaux à l’aide de courts extraits de lms mettant en scène des interactions sociales ambiguës (Bazin & al., 2010 ; Kayser & al., 2006). Par exemple, dans l’une de ces situations, le personnage, arrêté par un policier alors qu’il téléphonait en conduisant sa voiture, se met à parler en détail de son ls. Ce comportement peut être expliqué par le fait : – qu’il souhaite éviter de recevoir une amende (hypothèse la plus probable) ; – qu’il est er de son ls ou inquiet pour lui ; – qu’il connaît le policier. Un des grands avantages de ce programme, dont l’utilisation est couplée à celle d’une tâche permettant d’évaluer la lecture intentionnelle, est l’emploi d’un matériel hautement écologique qui permet aux patients d’attribuer des états mentaux à des personnes dans des situations très proches de celles qu’ils pourraient connaître dans leur vie quotidienne. La capacité à attribuer des états mentaux à autrui (théorie de l’esprit) est évaluée avant et après la remédiation. Les patients participant au module voient leurs performances s’améliorer signicativement. • Le programme ATEM (attribution d’états mentaux) (Lecardeur & al., 2009) vise spéciquement la capacité à attribuer à soimême ou à autrui des intentions, des désirs ou des croyances. La remédiation s’étale sur neuf séances d’une heure chacune, à raison de deux séances par semaine. Le rythme des séances assure le maintien des acquisitions et, en conséquence, l’amélioration des performances. La durée d’une heure tient compte de la fatigabilité et des difficultés de maintien de la concentration. Le format de groupe retenu (huit participants) permet de créer un environnement stimulant et de favoriser les interactions, la communication et le transfert de compétences entre participants. Diérents supports (dessins animés, bandes dessinées, histoires lues et histoires entendues) ont été utilisés pour constituer des exercices destinés à entraîner les participants à l’attribution d’états mentaux dans des contextes distincts. Les séances sont organisées de telle manière que les dicultés des exercices augmentent graduellement. Notamment, le niveau de complexité s’accroît avec la diminution progressive de la richesse du contexte des situations dans lesquelles les patients doivent eectuer des attributions (dessins animés, puis bandes dessinées, puis histoires lues, puis histoires entendues). Les patients bénéciant de ce programme acquièrent de meilleures stratégies d’analyse des situations, ce qui leur permet d’éviter d’attribuer trop hâtivement des états mentaux. Cette amélioration subjective des stratégies d’attribution d’états mentaux est généralement associée à une amélioration clinique. Les principaux

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Remédiation cognitive

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eets mis en évidence au cours d’un essai clinique contrôlé ont concerné la désorganisation conceptuelle et les contenus inhabituels de la pensée. • Le programme Gaïa (Gaudelus & Franck, 2012) est spéciquement consacré à améliorer la reconnaissance des émotions exprimées sur le visage d’autrui dans la schizophrénie, cette faculté étant fréquemment altérée dans les psychoses de l’enfant et de l’adulte. Le programme Gaïa a également été utilisé chez de jeunes patients présentant des troubles envahissants du développement, son utilisation dans ce type de population nécessitant toutefois une adaptation de ses modalités d’utilisation (l’ajout de séances supplémentaires, notamment). Il fait appel à un support informatisé et vidéo (voir la gure 77.2). Les lms utilisés mettent en scène des situations de la vie quotidienne (échange avec un pharmacien, avec un moniteur d’atelier ou avec un membre de la famille). Le patient est conduit par le thérapeute à identier les composants du visage qui permettent de dénir l’expression du personnage. Le thérapeute aide le patient à savoir repérer les déterminants des émotions exprimées dans les séquences vidéo. • L’IPT (integrated psychological treatment) est un programme intégratif prenant en compte la capacité des patients à comprendre le sens de scènes sociales en observant une photo et à interagir à travers des jeux de rôle (Brenner & al., 1992). L’IPT ne porte pas simplement sur la remédiation cognitive, mais fait partie d’un programme psychothérapeutique plus large associant plusieurs approches : – la remédiation cognitive ; – l’entraînement aux habiletés sociales ; – la gestion des émotions ; – l’entraînement à la cognition sociale ; – la résolution de problèmes. Plusieurs autres programmes destinés à améliorer la reconnaissance des émotions ont été développés. Wolwer et ses collaborateurs (2005) ont montré que le fait d’améliorer la reconnaissance des émotions peut contribuer à réduire la symptomatologie négative. Ce résultat peut être expliqué par le fait qu’une amélioration de ce processus peut réduire l’un des facteurs favorisant le retrait social : parvenant à mieux comprendre ce

FIGURE 77.2

Exercice vidéo extrait du programme Gaïa

Source : Gaudelus & Franck (2012).

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que ressent autrui, les patients ont moins tendance à se retirer en eux-mêmes. • La RC2S (remédiation de la cognition sociale dans la schizophrénie) est un programme individuel utilisant la simulation informatique. Il permet d’améliorer la manière dont les échanges verbaux sont conduits (Peyroux & Franck, 2014). • Le SCIT (Social Cognition and Interaction Training) cible l’interprétation des événements (en particulier la tendance à sauter trop vite aux conclusions et à ne pas pouvoir considérer plusieurs explications pour un même fait) et la reconnaissance des émotions (Penn & al., 2007). • Le programme Cognitus et moi (Demily, Rigard & Peyroux, communication personnelle) cible les fonctions attentionnelles et visuospatiales, ainsi que la cognition sociale. Il est destiné aux enfants de 6 à 12 ans. Ce programme, traduit en plusieurs langues, est utilisé dans de nombreux pays. Il se compose de six modules, de diculté croissante, visant le développement d’une bonne capacité de résolution de problèmes, en tenant compte du contexte émotif. Il est utilisé en groupe avec une dizaine de patients. • Le module 1 permet de remobiliser de nombreux processus cognitifs (attention, mémoire, uence verbale, catégorisation, hiérarchisation de concepts, prise en compte du contexte, etc.) de manière non spécique. • Le module 2 est consacré à la cognition sociale à travers l’interprétation de photographies de scènes sociales. • Les autres modules concernent le langage et les interactions sociales (compétences sociales, gestion des émotions et résolution de problèmes interpersonnels). Les résultats d’une méta-analyse montrent des améliorations des performances cognitives et fonctionnelles des patients ayant bénécié de l’IPT (Roder & al., 2006).

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Un supplément d’information sur le Centre québécois de référence à l’approche IPT est disponible à www.iusmm.ca/ cqraipt.html.

77.4.3 Programme individuel ou de groupe La remédiation cognitive en groupe tout comme les programmes individuels permettent d’obtenir des résultats positifs sur la cognition sociale. Le choix du type de programme (en groupe ou individuel) dépend du type d’exercices administrés aux patients, mais aussi de leurs prols cliniques : • Les programmes individuels semblent souhaitables quand les exercices sont eectués sur ordinateur (p. ex., le programme RECOS), quand les objectifs de remédiation cognitive nécessitent un travail personnalisé dans le milieu de vie de la personne et quand les patients présentent des symptômes qui rendent dicile leur intégration dans un groupe (anxiété sociale, méance, idées délirantes envahissantes, aberration comportementale, etc.). • Les programmes en groupe sont particulièrement pertinents quand les fonctions cognitives visées réfèrent aux interactions sociales et à la communication face à face. Des processus comme l’attribution d’états mentaux ou la théorie de l’esprit peuvent être sollicités durant des exercices basés sur des interactions sociales, lors de jeux de rôle pratiqués entre les patients du groupe. En cas de groupes ouverts

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

(groupes où de nouveaux patients peuvent se joindre en cours de route), le thérapeute peut également décider de modier les tâches en fonction des niveaux de performance des patients. Malgré tout, il faut tenir compte du modelage progressif induit par les niveaux hétérogènes des patients : ainsi, un patient très performant peut servir de modèle pour les autres participants, ce qui leur permet de modier leurs comportements dysfonctionnels pour les calquer sur le sien. L’intervention de groupe possède également l’avantage de réduire les coûts nanciers de prise en charge par rapport aux thérapies individuelles chronophages en temps de soins, et elle a un eet multiplicateur en rejoignant plusieurs patients à la fois. Cependant, les thérapies en groupe peuvent parfois diminuer la mobilisation de chaque participant, puisque chacun a la possibilité de répondre, mais doit également laisser participer les autres. Les bénéces individuels peuvent alors être moindres. • Une approche mixte peut, dans ce cas, être utilisée avec des sessions individuelles et des sessions en groupe. Comme Choi & Kwon (2006) l’ont proposé, une première étape peut être d’entraîner individuellement les patients à reconnaître des émotions grâce à un médium dématérialisé (p. ex., des images ou des photos présentées sur un écran d’ordinateur). Quand le patient a atteint un niveau de performance susant en individuel, il peut aborder la seconde étape, soit s’entraîner en groupe à la reconnaissance d’émotions dans un contexte écologique.

77.4.4 Ajustement des exercices Pour favoriser la généralisation des bénéces, il vaut mieux entraîner les fonctions cognitives en utilisant toutes les modalités sensorielles. Les tâches utilisées dans la plupart des programmes vus précédemment se centrent souvent sur une modalité spécique comme la vision (des visages, des bandes dessinées) alors que les autres modalités sont négligées. En outre, étant donné que la cognition sociale est sollicitée durant de nombreuses activités sociales, il est préférable d’utiliser des tâches écologiques proches des expériences de la vie quotidienne. Le programme ToMRemed (Bazin & al., 2009) repose sur l’utilisation de courtes séquences de lms qui illustrent des scènes d’interaction sociale dans lesquelles l’attitude de l’un des protagonistes peut être interprétée de plusieurs manières. Ce format ludique et agréable peut prévenir le risque important d’abandons observé dans d’autres études (Wolwer & al., 2005). Dans les thérapies de groupe, des jeux de société peuvent être utilisés pour viser un processus particulier. De nombreux jeux de société (jeu d’échecs ou jeux de table) requièrent eectivement une mobilisation de l’attention, de la mémoire, des fonctions exécutives, etc. Mais il ne s’agit pas de laisser un groupe de patients jouer seul ; la présence du thérapeute est requise pour guider les participants, corriger les erreurs et mettre en lumière les processus cognitifs nécessaires lors du jeu. Lecardeur et ses collaborateurs (2009) ont utilisé le jeu UNOMD dans un programme visant la remédiation de la exibilité mentale pour un groupe de huit patients sourant de schizophrénie. Le jeu UNOMD ressemble beaucoup au Wisconsin Card Sorting Test, puisque les participants doivent classer des cartes selon des codes de couleur et de nombres. Comme les règles de classement peuvent changer à tout moment, le joueur doit

suivre ou changer sa procédure selon ce qu’a joué le participant précédent et en fonction des cartes dont il dispose. L’intervention du thérapeute est bénéque, puisque les instructions sont répétées autant de fois que nécessaire, les erreurs sont expliquées et corrigées et l’implication des processus cognitifs requis sont mis en lumière tout au long du jeu comme : • la exibilité mentale, car les participants doivent passer d’une règle à une autre en fonction des cartes en jeu ; • l’attention soutenue, car les participants doivent maintenir un niveau de concentration important tout au long du jeu ; • l’inhibition, car les patients ne doivent pas persévérer dans des stratégies inadéquates quand la règle a changé.

77.4.5 Exercices à la maison Le transfert des eets de la remédiation dans la vie quotidienne suppose aussi que le patient a adhéré à l’objectif xé et au moyen de l’atteindre, qu’il a « intériorisé » la stratégie apprise et qu’il peut l’utiliser de manière spontanée, automatique et ecace dans toutes les situations où cela s’impose. C’est pourquoi il est essentiel d’intégrer, au sein même du programme de remédiation, une phase pendant laquelle le patient est amené à utiliser ce qu’il a appris dans diérents contextes et situations de la vie réelle, y compris par des exercices à la maison (Wolwer & al., 2005). La répétition des exercices peut eectivement augmenter l’acquisition de stratégies et favoriser la plasticité cérébrale. Les travaux à la maison donnent la possibilité aux patients de s’entraîner avec de nombreux cas de gure et de répéter les exercices aussi souvent que nécessaire. Ces exercices individuels permettent au thérapeute de gérer les variations de performance entre les sessions et d’ajuster les sessions en fonction des changements de performance.

77.4.6 Durée de la thérapie Le nombre requis de sessions dépend des objectifs dénis avec le patient. Ainsi, il doit être plus élevé quand les processus visés sont nombreux et complexes. Pour améliorer la cognition sociale dans son ensemble, il faut développer de nombreux mécanismes cognitifs comme une attention eciente, des mécanismes perceptuels, des habiletés auditives ou visuelles, des stratégies d’encodage mnésique, etc. Le nombre de sessions augmente en lien avec le nombre de processus pris en compte. Inversement, une thérapie qui ne vise qu’un seul processus comme l’identication des aects faciaux peut requérir moins de temps. Par ailleurs, plus le nombre de sessions est important et plus le nombre d’abandons risque d’augmenter (Wolwer & al., 2005). Par conséquent, il est stratégiquement plus pertinent de proposer des programmes courts et précis concernant des processus très spéciques, où les patients peuvent rapidement constater des améliorations dans leur fonctionnement quotidien.

77.5 Indications et contreindications La remédiation cognitive peut être proposée à tout patient présentant des décits cognitifs qui se répercutent dans sa vie quotidienne. Il n’existe aucune contre-indication autre que des

Chapitre 77

Remédiation cognitive

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facteurs dont le thérapeute doit tenir compte avant de commencer la remédiation cognitive. Il est néanmoins indispensable que le tableau clinique soit stabilisé ou en voie de stabilisation et que la médication psychotrope soit prescrite à la dose minimale ecace pour éviter une sédation excessive interférant avec les capacités attentionnelles. Dans le cas de la schizophrénie, Medalia & Richardson (2005) ont montré qu’aucun facteur associé aux caractéristiques de l’état psychopathologique (p. ex., la durée d’hospitalisation, le diagnostic, le prol symptomatologique et la chronicité de la maladie) ne jouait un rôle modérateur de l’ecacité. Par contre, certains facteurs reliés aux caractéristiques du patient, en particulier sa capacité cognitive initiale et son degré de motivation, semblent exercer une inuence favorisante. Il faut néanmoins relever que des progrès relatifs à des objectifs très limités chez des patients présentant des décits cognitifs importants peuvent avoir des répercussions positives majeures sur leur image personnelle. Le degré de conscience qu’a le patient de ses problèmes cognitifs et cliniques doit également être considéré. L’anosognosie ne constitue pas un obstacle infranchissable. Amener le patient à un certain degré de conscience de ses dicultés, tout en évitant des réactions émotionnelles intenses, semble une étape préalable indispensable à toute remédiation, et cela, pour permettre son engagement et son assiduité. Cette prise de conscience (découlant en partie de sa capacité d’auto-observation) est aussi associée au développement d’un sentiment d’autocontrôle. Il faut également que le patient ait conscience des éventuels changements qu’une intervention peut susciter dans ses habitudes de vie et les accepte, ce qui nécessite d’établir un lien entre ce qui est mis en œuvre lors des séances et ses besoins quotidiens. Il doit pouvoir comprendre l’intérêt de l’intervention et y croire.

77.6 Résultats selon les données probantes L’une des hypothèses sous-jacentes à la remédiation cognitive, c’est que la pratique intensive de certains exercices permet d’améliorer le fonctionnement des processus cognitifs impliqués dans la réalisation de ces exercices. Par la suite, une généralisation de ces progrès peut alors s’observer lors de la réalisation de tâches concrètes qui nécessitent l’utilisation des mêmes processus d’attention, de mémoire, de fonctions exécutives. Des revues de la littérature qualitatives (Wykes & Van der Gaag, 2001) et quantitatives (Krabbendam & Aleman, 2003) sur les eets de la remédiation cognitive suggèrent que ces techniques ont des eets bénéques sur les performances cognitives et sur les activités de la vie quotidienne (AVQ). La méta-analyse de Wykes et de ses collaborateurs (2011) et la revue de la littérature de Medalia & Choi (2009) ont montré l’ecacité des programmes de remédiation cognitive sur les fonctions cognitives des patients présentant une schizophrénie et ont indiqué qu’elle procure une amélioration modérée (taille de l’eet d’environ 0,4) du fonctionnement cognitif. De plus, la remédiation cognitive est plus ecace pour améliorer le statut fonctionnel lorsqu’elle est associée à d’autres outils de réadaptation (entraînement aux habiletés sociales et psychoéducation, en particulier).

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Les résultats de diérentes prises en charge cognitives (Levaux & al., 2011 ; Levaux & al., 2012) témoignent de l’ecacité de la remédiation cognitive individualisée, c’est-à-dire ciblée sur les décits spéciques d’un patient. Les améliorations observées à la suite de chaque programme sont propres aux processus cognitifs et aux activités ciblés. De plus, des répercussions bénéques dans la vie quotidienne (amélioration de la capacité à gérer certaines situations ou réussite d’un projet qui n’aurait pas été envisageable sans la remédiation) sont notées et se maintiennent à long terme. De nombreuses études montrent que les bénéces de la remédiation sont encore présents six mois après la n de la thérapie, ce qui contribue à augmenter le sentiment d’autonomie et l’estime de soi. En outre, ces interventions sont très bien acceptées par les patients, qui sont motivés à réaliser des objectifs concrets en lien avec leurs dicultés fonctionnelles, ainsi que par leur entourage (proches, parents et équipe psychiatrique). Enn, la nature de l’approche, individuelle ou de groupe, permet de fournir une analyse détaillée et informative pour la compréhension de l’impact des processus en jeu dans la remédiation. Ainsi, les interventions cognitives personnalisées, qui ciblent un objectif pertinent dans le fonctionnement quotidien d’un patient, représentent une voie prometteuse pour obtenir des bénéces marquants et durables en matière d’autonomie (p. ex., diminution des rechutes, de l’aide fournie à domicile). Il convient évidemment de continuer l’évaluation des eets de la remédiation à long terme et aussi d’explorer l’intérêt, pour ce maintien à long terme, de séances de « rafraîchissement » des stratégies apprises. Il y a lieu d’orienter une recherche clinique qui se fonde moins sur l’étude de l’ecacité globale d’une technique que sur l’étude des mécanismes à la base du changement et sur l’identication des ingrédients spéciques de la réussite, des ingrédients non spéciques (l’attention accrue dont bénécient les participants à la remédiation) ainsi que des éléments à l’origine des échecs. Parallèlement à une remédiation cognitive pouvant prendre la forme de plusieurs contrats successifs d’intervention, il semble judicieux d’envisager, si cela est possible ou accepté par le patient, des renforcements oerts par l’entourage, c’est-à-dire la famille, les soignants et les autres intervenants. Ces relais de renforcement ont pour objectif de favoriser l’ancrage dans la vie quotidienne des stratégies apprises durant la remédiation cognitive et éventuellement d’aider le patient à changer certains de ses comportements ou à modier son environnement dans le but de compenser certains décits cognitifs. Un programme coordonné de réadaptation doit pouvoir cibler les fonctions cognitives, mais également les dimensions émotionnelles, familiales, sociales et culturelles impliquées dans les dicultés d’insertion d’un patient. Ces prises en charge bien agencées doivent être orientées vers la réalisation d’objectifs s’appuyant sur les besoins de l’individu et de son entourage (goal-planning approach). Cette approche permet de donner un sens à l’intervention pour le patient concerné, son entourage et l’équipe soignante et ainsi d’augmenter leurs implications respectives. Par ailleurs, les tailles d’effet limitées, relevées dans des méta-analyses, quant à l’ecacité de la remédiation cognitive (Wykes & al., 2011) peuvent, entre autres, être la conséquence de problèmes méthodologiques. Un premier problème a trait au fait que plusieurs programmes de remédiation cognitive ne ciblent pas une fonction cognitive particulière, mais visent l’entraînement de plusieurs fonctions cognitives, de manière séquentielle ou

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

simultanée. Or, il est étonnant de constater qu’un certain nombre de ces études ont inclus des patients sourant de schizophrénie, sans avoir au préalable établi, pour chacun, l’existence de décits dans les domaines visés par le programme. Outre le fait que certaines composantes du programme n’ont aucune pertinence pour certains patients, cette absence de critères spéciques d’inclusion peut également inuencer négativement les résultats moyens du groupe entier, du fait de la présence de diérences non signicatives entre les performances pré- et postremédiation sur la ou les variables cognitives non décitaires. Ce problème renvoie plus généralement à la non-prise en compte de l’hétérogénéité des décits cognitifs et des dicultés rencontrées par les patients dans leur vie quotidienne. Étonnamment, la mise en évidence d’une importante variabilité interindividuelle, tant sur le plan cognitif que sur celui des dicultés fonctionnelles, n’a eu que très peu de répercussions sur la conception méthodologique de la prise en charge de remédiation. Ainsi, une grande majorité des études actuelles de remédiation cognitive évaluent l’ecacité d’un programme de type « clé en main » (tels que tous les programmes qui ont été présentés précédemment dans ce chapitre et qui proposent une base d’exercices facilitant la tâche du thérapeute, par opposition au travail classique de réadaptation dans lequel le neuropsychologue propose un matériel spécique au patient) au sein d’un groupe de patients, généralement en comparaison avec un groupe témoin ne recevant pas l’intervention cognitive. Cependant, comme c’est le cas pour toute aection hétérogène telle que la schizophrénie, l’application d’une méthodologie de groupe et, de ce fait, l’utilisation et l’interprétation de résultats moyens sont délicates. Lorsque la variance interindividuelle est grande, l’agrégation des scores à une moyenne de groupe peut masquer les diérences individuelles. Par conséquent, la performance moyenne du groupe échoue à représenter un individu donné issu du groupe de référence. De plus, cette méthodologie ne permet pas de déterminer quelles sont les patients qui ont bénécié du programme et ceux qui n’en ont peu ou pas du tout bénécié, ainsi que les raisons à l’origine de ces résultats. Cela explique pourquoi les mécanismes précis par lesquels les programmes de remédiation cognitive améliorent le fonctionnement cognitif sont encore mal compris et mal documentés. Pour Medalia & Richardson (2005), d’autres facteurs modérateurs de l’ecacité d’une remédiation cognitive ont trait aux variables du traitement : • La qualication du thérapeute : un thérapeute bien entraîné est plus sensible aux aspects subtils du prol cognitif d’un patient et

est plus ecace pour diriger une prise en charge personnalisée, ce qui augmente son degré de motivation et de participation. La relation avec le thérapeute est une variable clé dans la satisfaction des participants à une remédiation cognitive. L’accompagnement personnalisé tout au long de la thérapie est important à d’autres titres. Il permet de mieux suivre les réactions émotionnelles du patient ainsi que l’évolution de la prise de conscience de ses progrès (facteur important pour la motivation et l’estime de soi). Il permet enn d’adapter au plus juste l’intervention en fonction de son évolution. • L’intensité du traitement : les patients prenant part de manière régulière et fréquente à une intervention en bénécient plus que ceux y participant de manière sporadique. • Le type de remédiation : l’entraînement au moyen d’exercices répétés semble moins ecace que l’apprentissage de stratégies. • Les données démographiques : le sexe, l’âge, le statut socio-économique, la scolarité et les facteurs culturels peuvent également inuer sur l’ecacité de la remédiation.

L’ecacité de la remédiation cognitive a été évaluée scientiquement par l’élaboration de diérentes prises en charge individualisées selon les plaintes de chaque patient et en fonction de diérents objectifs : • optimiser la réalisation d’activités de la vie quotidienne (p. ex., lecture, conversation, utilisation d’un carnet aide-mémoire) ; • accroître l’ecacité d’un processus cognitif décitaire (p. ex., mise à jour en mémoire de travail, c.-à-d. capacité de modier, de façon exible et soutenue, le contenu de la mémoire à court terme en fonction de nouvelles informations), dans ses liens avec certaines plaintes subjectives dans la vie quotidienne (p. ex., suivre une conversation ou une émission de télévision, comprendre le déroulement d’un récit lu) ; • améliorer la gestion des comportements dirigés vers un but lors d’activités complexes (p. ex., préparation d’un repas, lessive, ménage de la maison). Les résultats des études sont prometteurs. Ils doivent cependant être considérés comme préliminaires, compte tenu du faible nombre d’études et du nombre somme toute limité de patients qui y ont participé. Les performances à des tâches évaluant certains aspects de la cognition sociale, comme la perception des émotions, peuvent être améliorées grâce à la remédiation cognitive.

Lectures complémentaires Fk, N. (2012). Remédiation cognitive, Issy-les-Moulineaux, Elsevier-Masson. Fk, N. (2013). Entrainez et préservez votre cerveau, Paris, Odile Jacob.

Fk, N. (2014). Cognition sociale et schizophrénie, Paris, Elsevier-Masson. P, V. & al. (1998). érapies psychologiques des schizophrénies, Bruxelles, Mardaga.

P, A. (2011). Neuropsychologie clinique de la schizophrénie, Paris, Dunod.

Chapitre 77

Remédiation cognitive

1679

CHA P ITR E

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Thérapie interpersonnelle Simon Patry, M.D., FRCPC

Diane Allaire, PH. D. (psychologie)

Psychiatre, Institut universitaire de santé mentale (Québec)

Psychologue, Institut universitaire de santé mentale (Québec)

Professeur agrégé de clinique, Département de psychiatrie et neurosciences, Faculté de médecine, Université Laval (Québec)

Professeure de clinique, École de psychologie, Université Laval (Québec)

Jean Leblanc, M.D. Psychiatre et psychanalyste, Pavillon Albert-Prévost, Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal Professeur agrégé de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

78.1 Historique et bases théoriques ................................. 1681 78.2 Formation des thérapeutes........................................ 1682 78.3 Application clinique................................................... 1682 78.3.1 Phase initiale ...................................................... 1682 78.3.2 Phase intermédiaire .......................................... 1683 78.3.3 Phase nale .......................................................... 1685 78.3.4 Techniques........................................................... 1686

78.4 Indications et contre-indications ............................. 1687 78.5 Résultats selon les données probantes .................... 1687 Lectures complémentaires ................................................... 1688

L

a psychothérapie interpersonnelle (PTI) est une psychothérapie brève de 12 à 16 séances indiquée principalement dans le traitement d’un trouble de l’humeur. Elle a pour objectifs non pas de restructurer la personnalité de l’individu, mais de réduire, voire de faire disparaître ses symptômes dépressifs, de lui faire retrouver l’estime de soi et de l’amener à développer des stratégies ecaces dans ses relations interpersonnelles (Weissman & al., 2000, 2007). Dans cette psychothérapie, on considère que de bonnes relations peuvent protéger le patient contre un trouble de l’humeur (Patry, 1999). Il est donc important d’examiner les événements signicatifs de la vie an de déterminer en quoi ils peuvent contribuer à l’émergence d’un état dépressif.

78.1 Historique et bases théoriques Développée dans les années 1970, la PTI a été conçue initialement comme un traitement bref de la dépression majeure (Klerman & al., 1984). S’étant rapidement révélé ecace dans de nombreux essais cliniques contrôlés, le modèle a été adapté au traitement de divers troubles de l’humeur (p. ex., le trouble bipolaire, la dépression et la dysthymie). Depuis, la PTI a connu un essor phénoménal, qui a stimulé l’intérêt des cliniciens pour ces techniques et ces champs d’application (Leblanc & Streit, 2008). La PTI part du simple postulat que les syndromes psychiatriques comme la dépression, bien que multifactoriels, surviennent généralement dans un contexte social et interpersonnel particulier : divorce, rupture d’une amitié, départ des enfants de la maison familiale, décès d’un proche, déménagement, perte d’emploi, promotion ou retraite. Dans le cadre de la PTI, le patient est amené à : • comprendre de quelle façon l’apparition et la uctuation de ses symptômes sont reliées à ce qui se passe dans sa vie, c’est-à-dire à ses problèmes interpersonnels et sociaux actuels ; • trouver des moyens de résoudre ses dicultés relationnelles, réduisant par le fait même les symptômes dépressifs jusqu’à leur possible rémission complète. La PTI s’appuie sur les fondements théoriques suivants : • l’approche psychobiologique d’Adolf Meyer (1866-1950), qui s’intéresse aux interactions entre l’individu et son environnement social au cours de sa vie et à la façon dont ces interactions peuvent contribuer au développement d’une psychopathologie (Meyer, 1957) ; • la théorie interpersonnelle d’Harry Stack Sullivan, où les interactions entre les individus et leur façon de communiquer leurs besoins selon certains modes prennent une grande importance dans l’étude des maladies mentales et leurs traitements (Sullivan, 1953) ; • les travaux de John Bowlby, relatant l’importance des attachements précoces dans l’évolution de l’être humain et du rapport entre le bris de ces liens et la vulnérabilité à la dépression. Cette théorie de l’attachement postule qu’il est favorable qu’il existe chez l’être humain, au début de sa vie, une sorte de lien fondamental avec des personnes, créant ainsi les premières interactions signicatives. Cet attachement, naturel et inné, est crucial pour la survie et le développement biologique et

psychologique. Devenu adulte, et en fonction du déroulement de ses premières années de vie, l’individu a tendance à se lier aux autres selon des schémas qui lui sont propres et qui peuvent être plus ou moins appropriés (Bowlby, 1969). Plus récemment, les travaux de Stuart & Robertson (2003) mettent l’accent sur le rôle que joue cette théorie de l’attachement comme fondement théorique de la PTI, et sur l’apport intéressant des théories de la communication et des théories sociales comme compléments conceptuels sous-tendant cette approche. Ainsi, pour Stuart & Robertson, l’évaluation du style d’attachement (sécure ou insécure) de l’individu permet d’orienter la conduite de la PTI ; • la théorie de la communication, qui décrit la manière dont les individus communiquent leurs besoins d’attachement aux personnes signicatives. Les liens entre les individus sont modulés par certains paramètres inhérents à la personne : le lien peut être, par exemple, vécu comme important ou non, il peut se situer dans un contexte de dominance (relation verticale) ou de familiarité (relation horizontale). La relation peut être vue de façon positive ou, au contraire, être considérée comme indésirable. Ces diérents paramètres peuvent être utilisés comme grille d’analyse avec le patient au cours de la PTI, parce qu’ils sont éminemment susceptibles d’entraîner des réactions parallèles ou opposées chez la personne visée dans une relation donnée, et ainsi faciliter ou, au contraire, compliquer une situation conictuelle ; • les théories sociales, dont l’apport est bien connu, son modèle vulnérabilité-stress sous-tendant aussi la PTI (voir la gure 84.1). Ce modèle met l’accent sur l’eet éventuellement pathogène d’un environnement dicile et sur l’importance d’un réseau social soutenant. Selon ces fondements théoriques, la PTI présente plusieurs caractéristiques spéciques intéressantes. Elle se préoccupe des relations interpersonnelles actuelles (« ici et maintenant ») du patient. Elle ne se concentre pas exclusivement sur les distorsions cognitives et sur les perceptions erronées que l’individu a de lui-même, du monde ou du futur, comme c’est le cas en thérapie cognitive, mais les prend en considération si elles s’appliquent à la situation interpersonnelle en cause. Elle ne s’attarde pas non plus à la régression du Moi dans la dépression, ni aux pertes objectales précoces ou à la compréhension des conits du passé, même si elle reconnaît leur inuence dans le développement du style d’attachement. La relation thérapeutique n’est pas vue comme un transfert du passé au présent, ainsi que le postule la psychanalyse. La PTI est une des rares psychothérapies bien documentée par les auteurs dans un guide. Cet écrit peut contribuer à en favoriser l’apprentissage théorique auprès de psychothérapeutes qui souhaiteraient recevoir une formation complète sur cette approche, incluant une supervision. La PTI se voue spéciquement à la compréhension de la dépression clinique, dans laquelle on distingue trois composantes : 1. Les symptômes de l’épisode : apparition de l’humeur dépressive, des signes ou des symptômes déclenchés par des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux ; 2. Le fonctionnement social et interpersonnel : interactions avec autrui découlant des expériences acquises, du renforcement social concomitant et d’un sentiment d’autonomie et de compétence ; 3. La personnalité prémorbide du patient : traits de personnalité déterminant ses réactions au vécu interpersonnel. L’organisation de la personnalité peut être un des facteurs de vulnérabilité à la dépression.

Chapitre 78

érapie interpersonnelle

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La PTI intervient aux deux premiers niveaux et, vu sa brièveté, elle ne vise pas un remodelage en profondeur de la personnalité, bien que l’évaluation de la personnalité fasse partie de la psychothérapie. En revanche, beaucoup de patients acquièrent de nouvelles aptitudes sociales, qui compensent en partie les troubles de la personnalité. Les caractéristiques de la PTI peuvent se résumer ainsi. Il s’agit d’une psychothérapie : • brève et limitée dans le temps (12 à 16 séances) ; • axée sur une problématique précise ; • focalisée sur les relations interpersonnelles actuelles et passées ; • interpersonnelle, et non intrapsychique ni cognitivocomportementale. Comme il a déjà été mentionné, la PTI n’est pas axée sur la personnalité, mais la prend en considération. Elle stipule aussi que le psychothérapeute : • n’est pas un intervenant neutre, mais plutôt un allié du patient ; • est actif et non passif ; • peut enseigner d’autres moyens d’aborder ces réactions interpersonnelles dans le cadre de la psychothérapie et à l’extérieur de celle-ci. Ainsi la relation thérapeutique n’est pas un lien amical (copain-copain). La relation thérapeutique n’est donc pas interprétée comme un « transfert historique », mais bien comme un « transfert actuel », qui permet de faire le lien entre les réactions du patient et ses façons de gérer les problèmes dans la vie courante (Patry, 1999).

78.2 Formation des thérapeutes

éviter un éparpillement de son enseignement et un manque de rigueur dans les études cliniques.

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Un supplément d’information sur la psychothérapie interpersonnelle est disponible sur le site de l’International Society of Interpersonal Psychotherapy au http://interpersonalpsychotherapy.org.

78.3 Application clinique La psychothérapie interpersonnelle (PTI) poursuit principalement deux objectifs : • atténuer les symptômes dépressifs ; • faciliter la résolution des problèmes d’interaction sociale et interpersonnelle en lien avec l’émergence des symptômes. An de poursuivre ces objectifs, cette approche psychothérapeutique se divise en trois phases de traitement, chacune d’elles possédant ses propres stratégies et techniques.

78.3.1 Phase initiale La phase initiale, qui se déroule en 2 à 4 séances, est consacrée à : • dénir le trouble de l’humeur et son contexte interpersonnel ; • repérer les dicultés relationnelles ; • établir le contrat thérapeutique ; • redonner l’espoir au patient qu’il peut alléger ses symptômes dépressifs avec ce traitement (voir le tableau 78.1). TABLEAU 78.1 Objectifs et stratégies de la phase initiale

Objectifs La psychothérapie interpersonnelle (PTI) est un traitement établi sur des bases solides, qui devrait être prodigué par des psychothérapeutes expérimentés. Comme il s’agit d’une psychothérapie scientiquement reconnue, sa diusion mérite une attention particulière an de la rendre plus accessible auprès des patients et des intervenants en santé mentale. Pour assurer un contrôle de la qualité dans sa diusion, il y a lieu d’appliquer des standards de formation et de certication (voir l’encadré 78.1). Ces standards sont proposés par les auteurs pour promouvoir une haute qualité dans la dispensation de la PTI aux patients, ENCADRÉ 78.1 Formation des psychothérapeutes Prérequis 1. Détenir une certication reconnue dans le domaine de la santé mentale. 2. Avoir au moins deux ans d’expérience en psychothérapie. 3. Avoir une expérience de travail avec des patients souffrant de dépression majeure. Formation 1. Lecture du Guide de psychothérapie interpersonnelle (Weissman & al., 2000). 2. Participation à un cours ou atelier en PTI. 3. Supervision hebdomadaire de trois cas enregistrés (audio/vidéo) par un psychothérapeute spécialisé en PTI. 4. Certication : approbation de la compétence du psychothérapeute par le superviseur. Source : Adapté de Weissman & al. (2000), p. 214.

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Stratégies

Reconnaître la dépression

• Revue des symptômes dépressifs à chacune des rencontres • Modèle médical de la dépression majeure selon le DSM-5 • Psychoéducation sur la dépression et son traitement • Rôle de malade (sick role ) • Pertinence d’une prise de médication

Relier les symptômes dépressifs à un contexte interpersonnel

• Inventaire interpersonnel où les relations actuelles et passées sont revues en précisant : – la nature des interactions avec les personnes signicatives – les attentes mutuelles – les aspects positifs et négatifs de la relation – les changements désirés dans la relation

Identier la problé• Mise en place du plan de travail avec les matique interpersonobjectifs et les stratégies propres à la cible nelle contribuant à de traitement choisie l’épisode dépressif • Identication des changements désirés Expliquer l’approche interpersonnelle et le contrat thérapeutique

• Entente mutuelle sur la cible de traitement choisie et les objectifs de travail • Compréhension du problème selon le mode interpersonnel • Aspects techniques : « ici et maintenant », durée du traitement, durée des séances, politique par rapport aux absences

Source : Adapté de Patry (1999), p. 147.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

Lors des premières séances, la dépression et les problèmes interpersonnels sont diagnostiqués et évalués. Les fonctions du psychothérapeute sont les suivantes : 1. Diagnostiquer la dépression. En PTI, la dépression est considérée comme une maladie ayant des causes biologiques et psychiques ainsi que des conséquences sociales. La PTI s’appuie sur la dénition de la dépression majeure du DSM-5 (voir le tableau 19.1). Conformément à la perspective médicale, les concepteurs de cette approche considèrent que cette maladie est traitable et que le patient n’est pas responsable d’en être atteint. Comme dans n’importe quelle autre maladie, le « rôle de malade » (sick role) est présenté au patient, ce qui l’exempte temporairement de certaines obligations tout en le mobilisant activement dans son traitement. La nécessité d’une prise de médication est évaluée selon la gravité des symptômes, les antécédents de réponse à un traitement pharmacologique et les préférences du patient. La pharmacothérapie n’entre nullement en conit avec les principes de cette psychothérapie. Au contraire, la PTI se veut un traitement global, qui intègre bien le concept bio-psycho-social de la psychiatrie contemporaine. 2. Dresser un inventaire des relations amicales et sociales et relier la dépression au contexte interpersonnel (inventaire interpersonnel). Dresser l’inventaire interpersonnel consiste à passer en revue le fonctionnement social du patient, ses relations interpersonnelles, son mode relationnel avec autrui, ses attentes et ses déceptions. Tout changement récent dans ses relations ayant pu contribuer à la dépression est mis au jour, car cela sert à établir la cible du traitement, que l’on nomme aussi « focus de la psychothérapie ». 3. Repérer les principaux domaines problématiques. La cible choisie s’insère dans l’une des quatre thématiques (cibles) interpersonnelles reconnues dans la genèse de la dépression, soit : a) le deuil pathologique (décès d’une personne signicative) ; b) les conits interpersonnels (p. ex., conits conjugaux, problèmes de relations de travail) ; c) les transitions diciles de la vie (p. ex., mariage, divorce, retraite) ; d) les décits interpersonnels (isolement social). 4. Expliquer l’approche de la PTI et formuler un contrat thérapeutique. La thématique choisie est traitée plus en profondeur au cours de la phase intermédiaire ; le psychothérapeute aide le patient à choisir une seule cible de traitement an d’éviter une dilution du travail psychothérapeutique.

78.3.2 Phase intermédiaire La phase intermédiaire, qui est le cœur de la PTI, se déroule en huit séances, au cours desquelles sont travaillés les objectifs et les stratégies propres à la thématique choisie par le patient et le psychothérapeute. La phase intermédiaire s’amorce une fois le contrat thérapeutique établi et les objectifs de travail dénis (la dénition des priorités exigeant parfois quelques séances). La stratégie d’intervention au cours de ces séances varie selon l’évaluation des problématiques. Chaque séance de la phase

intermédiaire est consacrée à l’atteinte des objectifs propres à la cible de thérapie choisie, et ce, à l’aide de stratégies spéciques. À l’intérieur de cette phase, le psychothérapeute assume trois fonctions reliées entre elles : 1. Aider le patient à parler des sujets qui se rapportent au problème ( focus) ; 2. Considérer l’état aectif du patient ainsi que la qualité de l’alliance thérapeutique an de faciliter le dévoilement des renseignements intimes ; 3. Favoriser son implication active par un recours à la compréhension empathique tout en évitant une dispersion du travail thérapeutique. Le patient est incité à prendre l’initiative dans le choix des sujets de discussion. Toutefois, chaque séance débute avec la question suivante : « Comment ça va depuis notre dernière rencontre ? » Cette question permet, à la lumière des nouveaux renseignements apportés, de soulever des problèmes non décelés ou réprimés jusque-là. Cette question initiale comporte donc plusieurs buts stratégiques : • Elle amène le patient à se concentrer sur le passé récent, soit la période écoulée depuis la dernière séance. • Elle peut donner lieu à deux types de réponses : 1. Le patient dit comment il se sent : « Je me suis senti minable » ou « J’ai eu deux ou trois bonnes journées. » 2. Il cite un événement : « Je me suis disputé avec ma femme. » Le psychothérapeute rattache ensuite la réponse à son corollaire, c’est-à-dire qu’il relie l’humeur du patient aux récents événements ou vice-versa. Le psychothérapeute et le patient explorent ensemble ces événements relationnels importants vécus au cours de la dernière semaine, notant les succès (ce qui a pu améliorer l’humeur du patient) et les revers (ce qui a pu détériorer son humeur) et les relient à la cible choisie. Les neuf principales étapes de chacune des séances de la phase intermédiaire de la PTI sont donc : 1. Question d’ouverture : « Comment ça va depuis notre dernière rencontre ? » 2. Réponse du patient qui parle de son humeur : « Je me suis senti triste » ou d’un événement « Je me suis disputé avec mes enfants. » 3. Mise en relation humeur/événement (ou événement/humeur). 4. Discussion approfondie sur l’événement chargé d’émotion et son rapport avec le changement d’humeur. 5. Félicitations pour les réussites. 6. Questions pour aider le patient à comprendre les échecs : « Que cherchiez-vous dans cette situation ? » ou « Comment auriez-vous pu obtenir ce que vous vouliez ? » 7. Mise en relation de l’incident avec le problème central (focus). 8. Mise en situation : « Qu’auriez-vous pu faire ? Que pourriezvous faire la prochaine fois ? À qui auriez-vous pu en parler ? Qui aurait pu vous aider ? » 9. Récapitulatif au terme de la séance.

Deuil pathologique Dans la thématique du deuil pathologique, les objectifs sont de faciliter le travail du deuil et d’aider le patient à rétablir des centres d’intérêt et des relations qui serviront de substituts à ce qui a été perdu. Les stratégies à utiliser pour réaliser les objectifs spéciques

Chapitre 78

érapie interpersonnelle

1683

au deuil pathologique sont exposées dans le tableau 78.2. Mais, auparavant, voici une brève illustration d’une PTI appliquée au deuil pathologique.

Étude de cas

Solange, 68 ans, soure de dépression majeure depuis le décès de son conjoint il y a plus d’un an, lequel était atteint d’une maladie chronique. Le fait d’avoir pris soin de lui l’a isolée pendant de nombreuses années. Elle présente beaucoup de tristesse, de la culpabilité et du désespoir. En premier lieu, le traitement a pour but d’aider la patiente à faire son travail de deuil en favorisant l’expression de la colère qu’elle a peine à admettre. En second lieu, on l’aide à rétablir certains centres d’intérêt et certaines relations extérieures qu’elle avait mis de côté en raison de la maladie de son conjoint. On l’incite à la création de nouveaux contacts pouvant servir de substituts à la perte de son époux en encourageant les sorties. TABLEAU 78.2 Objectifs et stratégies de la phase

intermédiaire pour le deuil pathologique

Objectifs

Stratégies

Faciliter le travail de deuil

• Revue des symptômes dépressifs à chacune des séances • Lien entre les symptômes dépressifs et le décès de la personne signicative

Aider au rétablissement des centres d’intérêt et des relations du patient en guise de substitut à ce qui a été perdu

• Reconstruction de la relation entre l’individu et la personne décédée • Description de la séquence et des conséquences des événements avant, pendant et après le décès • Facilitation de l’expression des émotions négatives et positives • Considération de nouvelles manières de créer des contacts sociaux

Source : Adapté de Patry (1999), p. 149.

Conits interpersonnels Dans la thématique des conits interpersonnels, le psychothérapeute tente d’identier quelle est la dissension, puis il aide le patient à choisir un plan d’action en fonction du stade du conit. Il travaille à modier les attentes mutuelles parfois irréalistes et les erreurs de communication dans le but d’amener une résolution satisfaisante du problème. Le stade du conit doit être identié parmi les stades mentionnés dans le tableau 78.3, soit la renégociation, l’impasse ou la dissolution de la relation. Des stratégies propices à l’accomplissement des objectifs permettent la résolution des conits interpersonnels. L’exemple suivant en donne un aperçu.

Étude de cas

Jeanne est une femme de 42 ans, mère de trois enfants. Elle travaille depuis peu de temps comme secrétaire administrative à temps partiel. Elle soure de dépression majeure à la suite d’un conit avec son conjoint. Depuis qu’elle travaille, il la critique sur sa manière de cuisiner, sa tenue vestimentaire. Pourtant, elle assume maintenant une partie des responsabilités nancières qu’il trouvait dicile d’assumer seul auparavant. Elle trouve que son emploi ne fait qu’augmenter ses tâches quotidiennes. Même si la situation nancière s’est améliorée, la relation conjugale se détériore au point où le couple ne parle plus : c’est l’impasse. La dépression de Jeanne est aussi liée au sentiment de ne pas être appréciée à sa juste valeur (ce qui est un trait de sa personnalité),

1684

surtout depuis le début de son emploi. Il est convenu en psychothérapie que Jeanne doit exprimer clairement ce sentiment de même que ses demandes d’attention et d’appréciation. Plus tard, on apprend que cette approche améliore la communication entre les conjoints, le mari de Jeanne protant lui aussi de l’occasion pour exprimer ses déceptions, mais aussi ses sentiments positifs au sujet de leur relation. Ils prennent plus de temps pour eux chaque semaine, notamment en sortant au restaurant, puisque leur budget le leur permet. L’état de Jeanne s’améliore de plus en plus au l des rencontres. Le résultat est semblable à ce qu’on obtient en thérapie conjugale, mais en intervenant sur un seul des conjoints. TABLEAU 78.3 Objectifs et stratégies de la phase

intermédiaire pour les conits interpersonnels

Objectifs

Stratégies

Identier la dissension dans un contexte interpersonnel

• Revue des symptômes dépressifs à chaque rencontre • Lien entre les symptômes dépressifs et le conit avec la personne signicative

Choisir un plan d’action en fonction du stade du conit

• Détermination du stade du conit : – renégociation : apaiser les parties pour faciliter la résolution du problème – impasse : accroître la dysharmonie, l’intensité des discussions dans le but de favoriser la renégociation pour amener les partenaires à réviser leurs positions – dissolution de l’union (séparation ou divorce) : travailler la transition face à la perte qui s’annonce

Modier les attentes mutuelles et les erreurs de communication pour amener une résolution satisfaisante du problème

• Analyse des attentes mutuelles et mise à jour de ce qui fait défaut • Analyse des similitudes entre le problème actuel et les autres relations problématiques du patient • Analyse des facteurs qui font durer le conit

Source : Adapté de Patry (1999), p. 150.

Transitions difciles de la vie En ce qui concerne les transitions diciles de la vie, les objectifs thérapeutiques sont d’aider le patient à : • accepter la perte consécutive à l’événement ; • considérer les aspects positifs de son nouveau rôle ; • rétablir son estime de soi en développant une meilleure maîtrise sur ce qu’exige le nouveau rôle. Le tableau 78.4 expose les stratégies pertinentes à la réalisation des objectifs spéciques reliés à la cible des transitions diciles de la vie tandis que le court exemple suivant illustre une thématique de cette nature.

Étude de cas

Suzanne est âgée de 36 ans, mère de deux enfants. Elle a déménagé depuis peu en banlieue avec sa famille dans une maison dont elle rêvait depuis longtemps. Après une période de joie suscitée par la nouveauté, Suzanne devient déprimée, se demandant bien pourquoi, puisqu’elle a enfin ce qu’elle a toujours voulu. Toutefois, son mari doit quitter le domicile plus tôt le matin et rentrer plus tard le soir

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

alors que les enfants doivent prendre l’autobus pour aller à l’école. Elle ne connaît aucun voisin et son ancien quartier lui manque de plus en plus. Même si l’installation en banlieue a été un événement positif, la perte de l’entourage et la diminution de la disponibilité du conjoint sont devenues problématiques. Le psychothérapeute l’aide à trouver des façons de satisfaire son besoin d’être entourée. Elle devient plus active dans sa nouvelle communauté, discute de ses sentiments avec son conjoint, qui profite lui aussi de l’occasion pour s’exprimer sur ce qui lui manque de son ancienne vie. TABLEAU 78.4 Objectifs et stratégies de la phase

TABLEAU 78.5 Objectifs et stratégies de la phase

intermédiaire pour les décits interpersonnels

Objectifs Réduire l’isolement social

• Revue des symptômes dépressifs à chaque rencontre • Lien entre les symptômes dépressifs et le problème d’isolement social ou d’insatisfaction dans les relations

Encourager la formation de nouvelles relations

• Revue des aspects positifs et négatifs des relations antérieures • Analyse du mode relationnel pathologique utilisé de façon répétitive • Analyse par le patient des sentiments positifs et négatifs à l’égard du thérapeute, et mise en parallèle de ces sentiments dans ses autres relations

intermédiaire pour les transitions difciles de la vie

Objectifs Accepter la perte de l’ancien rôle

Considérer les aspects positifs du nouveau rôle

Stratégies • Revue des symptômes dépressifs à chaque rencontre • Lien entre les symptômes dépressifs et la difculté à gérer le changement récent • Revue des aspects positifs et négatifs de l’ancien et du nouveau rôle avec l’objectif de considérer les aspects positifs du nouveau rôle • Expression des sentiments associés à la perte et au changement • Évaluation réaliste de la perte • Évaluation des possibilités offertes par le nouveau rôle

Rétablir l’estime de soi en • Développement d’un réseau social et développant une meilleure de nouvelles habiletés inhérentes au maîtrise des exigences du nouveau rôle nouveau rôle Source : Adapté de Patry (1999), p. 150.

Décits interpersonnels Les objectifs thérapeutiques de la thématique des décits interpersonnels sont principalement de diminuer l’isolement social de l’individu et d’encourager la formation de nouvelles relations interpersonnelles. À cet eet, le tableau 78.5 décrit les stratégies propres à cette cible d’intervention et le cas suivant en expose les grandes lignes.

Étude de cas

Robert est un homme âgé de 22 ans, devenu déprimé il y a six mois après une rupture de la seule vraie relation amicale qu’il avait depuis des années. Il travaille à temps partiel comme cuisinier et vit chez sa mère invalide et dépressive. L’inventaire interpersonnel révèle qu’à part sa mère et son ex-ami, il n’a aucune relation sociale. Le psychothérapeute concentre le traitement sur les relations signicatives de Robert et ses conits actuels avec sa mère, à laquelle il a de la diculté à dire non et de qui il dépend beaucoup. La relation avec le thérapeute révèle combien il est dicile pour le patient de maintenir des contacts sociaux, du fait qu’il utilise un mode relationnel de dépendance et d’ambivalence envers autrui. Une fois que les objectifs de la problématique ciblée ont été atteints en bonne partie, le psychothérapeute peut aborder la phase nale du traitement.

Stratégies

Source : Adapté de Patry (1999), p. 150.

78.3.3 Phase nale La phase nale de la psychothérapie interpersonnelle (PTI) se déroule sur deux à quatre séances. Comme dans le cas des autres psychothérapies brèves, on doit discuter explicitement de la n de la thérapie. Il faut faire en sorte que le patient renonce à la relation thérapeutique et se sente compétent pour régler les problèmes ultérieurs par lui-même (voir le tableau 78.6). Si ces tâches n’ont pas été accomplies, les symptômes dépressifs peuvent réapparaître à l’approche de la terminaison ou peu après la n de la psychothérapie. Cette résurgence des symptômes risque de raviver le sentiment de désespoir. Pour faciliter la n de la relation thérapeutique, les trois ou quatre dernières séances doivent comporter : • une discussion claire sur la n du traitement ; • la reconnaissance que la conclusion de la psychothérapie constitue un travail de transition ; • la reconnaissance par le patient de sa compétence et de son autonomie. On peut présumer qu’à ce stade, le patient a essayé plusieurs stratégies d’adaptation et a retrouvé une certaine estime de soi. Malgré tout, il peut penser que ses progrès sont entièrement attribuables au psychothérapeute et qu’une régression est inéluctable sans son appui. Il faut bien lui faire comprendre que le but est de l’aider à réussir sa vie (professionnelle, personnelle, sociale) en dehors du cadre de la psychothérapie. TABLEAU 78.6 Objectif et stratégies de la phase nale

Objectif

Stratégies

Terminer la relation thérapeutique dans le but d’établir un sens de compétence personnelle pour traiter les problèmes ultérieurs sans thérapeute

• Revue des symptômes dépressifs à chaque rencontre • Discussion claire de la n de la thérapie • Reconnaissance du potentiel du patient en favorisant l’indépendance et les compétences personnelles • Discussion à propos de la terminaison de la thérapie qui est un travail de transition de vie

Source : Adapté de Patry (1999), p. 153.

Chapitre 78

érapie interpersonnelle

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La relation thérapeutique vise à améliorer la santé et la compétence du patient dans son quotidien, non à se substituer aux relations de la vie quotidienne. Pour qu’il prenne pleinement conscience de sa capacité à faire face aux problèmes éventuels, il y a toujours lieu, de façon systématique durant toute la psychothérapie mais surtout à la phase nale, d’attirer son attention sur ses réussites personnelles, sur la qualité de son réseau social et familial et les autres ressources à sa disposition ainsi que sur les stratégies qu’il a déjà mises en œuvre pour résoudre ses propres dicultés. À la dernière rencontre, le psychothérapeute doit renforcer le sentiment de compétence que le patient a acquis pour gérer les problèmes futurs en discutant des diverses éventualités et en le guidant dans l’analyse des dispositions à prendre pour y faire face. Comme c’est le patient qui a fait pratiquement tout le travail interpersonnel entre les séances, le psychothérapeute peut préciser que, même si son soutien a été utile, tout le mérite dans la prise de risques et le développement d’habiletés sociales en plein épisode de dépression lui revient. Il importe de discuter de l’aptitude du patient à juger du moment adéquat pour demander de l’aide à l’avenir. Le thérapeute l’aide à mieux identier les signes avant-coureurs de rechute et les situations de stress. On discute des diverses ressources pouvant être utilisées, telles que la famille, les amis ou les organismes communautaires. La dépression est une maladie souvent récurrente ; le patient doit savoir qu’il n’est pas à l’abri d’une rechute et qu’il ne devrait pas, le cas échéant, la vivre comme un échec personnel. Si l’amélioration clinique est insusante – ce qui peut survenir avec tout traitement pharmacologique ou psychologique de la dépression –, la question de poursuivre le traitement sous une autre modalité thérapeutique peut se poser. Même si cette option apparaît pertinente, on conseille généralement au patient d’attendre quelques semaines avant de prendre une décision dans ce sens, car les bénéces de la PTI peuvent lui devenir plus apparents une fois que l’anxiété reliée à la n de la thérapie s’est dissipée. Dans les cas de dépression majeure récurrente ou chronique,

cette phase peut également permettre de négocier un nouveau contrat thérapeutique sous forme de thérapie d’entretien. Celle-ci se déroule généralement à une fréquence moindre (environ une séance par mois) et a pour objectif de maintenir les acquis et de prévenir les rechutes (voir la section 78.4). La PTI n’est donc pas toujours ecace, même si le patient a fourni tous les eorts possibles. Dans l’éventualité d’un échec, il est important de neutraliser la culpabilité du patient en lui faisant savoir, comme dans le cas de la pharmacothérapie, qu’il a fait de son mieux et que c’est le traitement qui a échoué. En soulignant que le concept de la PTI repose sur le besoin d’examiner soigneusement toutes les options, le psychothérapeute doit ensuite insister sur le fait que la dépression est traitable et que, même s’il est décevant de renoncer à une forme de thérapie qu’on a entreprise, il existe heureusement plusieurs autres solutions, dans le but clairement armé de stimuler l’espoir.

78.3.4 Techniques La psychothérapie interpersonnelle (PTI) fait appel à plusieurs techniques utilisées en psychothérapie psychodynamique. Toutefois, elle comporte des diérences non négligeables concernant l’objectif sous-tendant leur utilisation : soigner un épisode dépressif plutôt que d’améliorer la connaissance de soi. Chacune des techniques est employée selon les caractéristiques du patient et la thématique dans laquelle s’inscrit son problème. Il faut toutefois noter que ce sont les stratégies propres à chacune des cibles de la phase intermédiaire qui font la spécicité de la PTI. On doit encourager le patient à parler de son vécu et du contexte interpersonnel l’ayant conduit à une dépression ainsi qu’à prendre des mesures concrètes pour favoriser les changements. Il est invité à exprimer ouvertement ses émotions douloureuses ou agréables et à proter de la période de psychothérapie pour changer les choses. L’encadré 78.2 énumère les techniques psychothérapeutiques employées en PTI, selon un ordre décroissant d’utilisation.

ENCADRÉ 78.2 Techniques utilisées en psychothérapie interpersonnelle (PTI) 1. Techniques exploratrices, directives et non directives : par des questions ouvertes ou fermées, permettant la collecte des données (p. ex., inventaire interpersonnel, revue des symptômes dépressifs, questions plus ou moins précises sur un sujet, silences). 2. Encouragement à l’expression des affects: par des incitations à les reconnaître, les accepter et les utiliser de manière positive dans les relations interpersonnelles (p. ex., relever les peurs irrationnelles qui sous-tendent la suppression des émotions et faciliter leur expression). 3. Clarication : par la restructuration du discours et le reet de la communication (p. ex., demander au patient de répéter une phrase, de s’exprimer plus clairement, repérer et reéter des contradictions du discours). 4. Analyse de la communication : par l’identication des modèles inadaptés d’interaction, modier et favoriser une meilleure communication (p. ex., relever les messages non verbaux, les messages à double sens, les ambiguïtés, apprendre à être clair pour se faire comprendre, analyser l’évitement des confrontations). 5. Utilisation de la relation thérapeutique : par la similitude d’interactions entre la relation thérapeutique et les relations courantes du patient, apprendre à repérer et à modier les échanges interpersonnels (p. ex., analyser l’expression de sentiments à l’égard du thérapeute, corriger les pensées qui soustendent l’émotion ; analyser l’inuence des émotions et des pensées sur les relations du patient). 6. Techniques comportementales : par l’application de techniques de résolution de problèmes et des jeux de rôle, comprendre et modier les interactions dans les relations interpersonnelles problématiques (p. ex., modeling, recommandations thérapeutiques, recherche de solutions alternatives, établir des priorités). 7. Techniques mixtes : par la psychoéducation et la mise en place du cadre thérapeutique, apprendre à s’ajuster à un contexte (p. ex., politique par rapport aux absences, durée de la thérapie et des séances, etc.). Source : Adapté de Patry (1999), p. 154.

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Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

78.4 Indications et contre-indications Le modèle standard de la psychothérapie interpersonnelle (PTI) pour la dépression majeure a été adapté à divers autres troubles (Weissman & al., 2000). Testées par des études, ces diverses adaptations ont permis de découvrir que la PTI s’applique aussi à d’autres troubles de l’humeur ou à d’autres troubles psychiatriques, par exemple certains troubles anxieux, la boulimie et des troubles liés aux substances. La PTI s’est avérée ecace dans le cas des aections suivantes : • la dysthymie (Markowitz, 1998) ; • la maladie bipolaire (Frank, 2005) ; • la dépression chez l’adolescent (Mufson & al., 2004) ; • la dépression chez la personne âgée (Hinrichsen & Clougherty, 2006) ; • la PTI de groupe (pour la dépression majeure et le trouble bipolaire) (Wiley & al., 2000) ; • le traitement d’entretien de la dépression récurrente (Frank & al., 1991). En ce qui a trait à la présence de troubles concomitants à la dépression, la PTI n’a pas fait l’objet d’études dans le traitement de l’alcoolisme. Son ecacité dans les cas graves de toxicomanie n’est pas démontrée. Les patients qui ont un grave problème d’alcool ou de drogue doivent plutôt être préalablement orientés en cure de désintoxication. Par la suite, ils peuvent suivre une PTI pour les troubles concomitants si ceux-ci persistent une fois le problème de toxicomanie résolu. La PTI seule s’est révélée inecace en présence de dépression psychotique, mais elle peut être utile en association avec la pharmacothérapie une fois les symptômes psychotiques résolus. Les symptômes psychotiques de la dépression, comme les délires et les hallucinations, requièrent une pharmacothérapie appropriée, voire une électroconvulsivothérapie.

78.5 Résultats selon les données probantes La psychothérapie interpersonnelle (PTI) s’est développée progressivement au l d’études, d’adaptations et d’essais cliniques de plus en plus poussés, l’ecacité de chacune de ces adaptations ayant été montrée pour divers troubles psychiatriques ou groupes de patients. Les résultats présentés ici sont issus des études sur cette thérapie de courte durée. L’étude Boston – New Haven (DiMascio & al., 1979) est une étude de valeur historique, puisqu’il s’agit du premier essai sur l’ecacité de la PTI comme thérapie de courte durée de la dépression majeure comparativement à un antidépresseur (amitriptyline). Il s’agit d’une étude comparative randomisée de 16 semaines, auprès de 81 patients ambulatoires, comportant quatre groupes expérimentaux : 1. PTI ; 2. Médication ; 3. PTI et médication ; 4. Groupe témoin suivant un traitement non spécique.

L’analyse des résultats indique que les trois traitements actifs ont réduit davantage les symptômes que le traitement non spécique, et que l’association PTI-antidépresseur s’est révélée plus ecace que toutes les monothérapies. Toutefois, la PTI et la médication semblent agir préférentiellement sur diérents groupes de symptômes de la dépression : • L’antidépresseur a exercé son eet initial sur les symptômes neurovégétatifs. • La PTI a agi surtout sur l’humeur, l’apathie, les idées suicidaires, la motivation et l’intérêt. À la n de l’étude, il n’y avait pas de diérences entre les groupes en ce qui concerne le fonctionnement social. Toutefois, le suivi, un an plus tard, a montré que la PTI permet un fonctionnement psychosocial nettement supérieur, avec ou sans antidépresseur. Par la suite, la PTI a été comparée à la thérapie cognitivocomportementale (TCC). Selon Shea et ses collaborateurs (1992), la TCC s’est révélée relativement inférieure à la PTI chez les patients sourant de dépression d’intensité plus sévère. Malgré cela, les taux de rechutes chez les patients parvenus à la rémission étaient similaires. On pourrait conclure qu’une thérapie de 16 semaines est peut-être insusante pour assurer une protection contre la rechute. En eet, la dépression majeure est une maladie récurrente et récidivante, et aucun traitement, psychothérapeutique ou psychopharmacologique, ne garantit une guérison complète. Cette recherche indique donc que la PTI traite bien l’épisode dépressif, mais qu’un traitement d’entretien doit possiblement être administré sur une base mensuelle pour maintenir la rémission. Une adaptation de la PTI à titre de thérapie d’entretien s’est avérée ecace, même à raison d’une séance par mois, pour consolider les gains procurés par le traitement initial (Frank & al., 1991). Levenson et ses collaborateurs (2010) ont étudié pour quelle cible (focus) de traitement la PTI s’avère le plus ecace. Ils ont été surpris de constater son ecacité dans le traitement des quatre cibles (voir la sous-section 78.3.1), y compris celle des décits interpersonnels, ce qui était contraire à leurs attentes. La méta-analyse de Feijo de Mello et de ses collaborateurs (2005) regroupe un ensemble d’études depuis 1989. Ils concluent que la PTI est supérieure au placebo, qu’elle obtient des résultats similaires à la médication, qu’elle n’est pas plus ecace si elle est oerte en combinaison à la médication, mais supérieure à la TCC pour les problèmes sociaux et interpersonnels en lien avec les objectifs de la thérapie. Weissman (2007) a analysé des essais cliniques auprès de patients qui ne peuvent prendre une médication. Ces études randomisées avec groupe témoin, menées par diérents chercheurs, regroupaient 50 femmes enceintes, 120 mères en dépression postpartum, 63 adolescents et 341 villageois de régions africaines en voie de développement, où il est dicile d’obtenir de la médication. Les résultats ont montré encore une fois une ecacité de la PTI pour l’ensemble de ces patients. Cuijpers et ses collaborateurs (2008) ont procédé à une métaanalyse de 53 recherches issues des 30 dernières années pour vérier l’ecacité des diverses psychothérapies dans le traitement de la dépression majeure. En conclusion, la PTI est une thérapie ecace tout comme d’autres types de psychothérapie qui s’avèrent aussi intéressants. Cependant, le « soutien psychologique » à lui seul n’aurait aucun eet dans la réduction des symptômes de la maladie. Une nouvelle recension des écrits faite par les mêmes auteurs (Cuijpers & al., 2011) prenait en considération 38 études Chapitre 78

érapie interpersonnelle

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regroupant un total de 4 356 patients, dont dix comparaient la PTI à d’autres approches psychothérapeutiques. Ils ont conclu que la PTI est une thérapie ecace pour le soulagement des symptômes de dépression, qu’elle soit oerte seule ou en combinaison avec la pharmacothérapie. Selon eux, la PTI devrait avoir une place de choix dans les recommandations que l’on peut retrouver à l’intérieur des guides de bonne pratique. Zobel et ses collaborateurs (2011) ont évalué les eets à long terme d’un traitement pharmacologique associé à la PTI auprès de 124 patients hospitalisés sourant de dépression. Trois évaluations ont fait suite à leur congé de l’hôpital, soit après 3, 12 et 75 mois. Les chercheurs ont constaté que les symptômes de dépression sont demeurés réduits même après cinq ans. L’amélioration de l’état s’avère plus rapide lorsqu’il y a une combinaison de la psychothérapie et de la pharmacologie. Ils recommandent tout de même de prendre en considération, dans l’évaluation initiale du patient, les traumas survenus précocement lors de son développement. Ravitz et ses collaborateurs (2011) ont décrit les risques d’échecs thérapeutiques en relation avec la sévérité de la maladie ou la présence de comorbidité. Selon ces auteurs, recourir à une pharmacothérapie ou allonger la durée de la psychothérapie peuvent être deux stratégies à envisager. De leur côté, Carter et ses collaborateurs (2011) ont observé que la PTI s’avère moins ecace pour les patients qui présentent une dépression majeure associée à un trouble de la personnalité. On constate donc que l’inuence du type de personnalité sur la réponse de la dépression à la PTI mérite d’être étudiée davantage. D’autres études font état du pronostic selon une perspective plus biologique. Par exemple, les patients ayant des cycles de sommeil altérés selon les tracés EEG, donc présentant possiblement une forme de dépression plus « biologique », répondent moins bien à la PTI que les patients qui ont un sommeil normal (ase & al., 1997). Des chercheurs du Royaume-Uni (données non publiées) ont utilisé des techniques d’imagerie cérébrale au cours d’un traitement antidépresseur au moyen de la tomographie d’émission de positrons (TEP). Ils ont évalué, avant le début du traitement et après six semaines, des patients présentant une dépression majeure qui ont été répartis en deux groupes pour recevoir soit de la médication soit la PTI. L’amélioration clinique est signicative dans les deux groupes. Mais l’imagerie cérébrale met en évidence un eet diérentiel sur l’amélioration des symptômes ; les normalisations du métabolisme cérébral se font par des voies distinctes : • le gyrus angulaire et le cortex préfrontal dorsolatéral, dans le cas de la médication ;

• le gyrus cingulaire (circonvolution du corps calleux) du cortex limbique et le cortex préfrontal dorsolatéral, dans le cas de la PTI. Lespérance et ses collaborateurs (2007) ont documenté l’ecacité de deux traitements (le citalopram et la PTI), pour réduire les symptômes dépressifs de patients ayant aussi des troubles cardiaques ; 284 patients provenant de neuf centres hospitaliers ont été répartis de façon aléatoire dans quatre conditions de traitement à double insu, associées à un soutien clinique : 1. PTI de 12 semaines ; 2. Citalopram ; 3. Citalopram et PTI ; 4. Placebo. Le soutien clinique était constitué d’entrevues hebdomadaires de 20 à 25 minutes chacune. Les séances de PTI, suivant celles du soutien clinique, étaient oertes par des psychothérapeutes certiés. Les résultats indiquent que la médication est supérieure aux autres conditions. On peut penser que la maladie physique est un facteur biologique contribuant à l’étiologie de la dépression, qui est alors mieux traitée par la pharmacologie. De plus, le soutien oert dans cette recherche n’était pas une intervention neutre.

La psychothérapie interpersonnelle (PTI) a été conçue pour uniformiser la manière de dispenser les soins auprès d’une clientèle particulière aux prises avec des problèmes psychosociaux associés à la dépression majeure. C’est une psychothérapie basée sur les événements de la vie, se concentrant sur les facteurs précipitants actuels associés à la pathologie au lieu des facteurs perpétuants, par exemple des problèmes de comportement en lien avec la maladie. Bien que certains résultats de recherche peuvent montrer un déclin de l’utilisation de la psychothérapie comme approche de traitement, la PTI demeure une approche dont l’ecacité dans le traitement de la dépression est solidement reconnue selon les données probantes, encore plus du fait qu’elle a été adaptée à d’autres pathologies. Nous connaissons de mieux en mieux les mécanismes de fonctionnement de la psychothérapie, c’est-à-dire quand et comment elle agit. Sous l’aspect économique, on ne mesure souvent l’ecacité de la PTI qu’en matière de coûts directs. Mais certaines études montrent aussi une répercussion positive de la PTI sur les coûts liés à l’utilisation des services sociaux en raison d’une meilleure stabilité et d’une meilleure garantie contre les rechutes. La PTI s’inscrit fort bien comme modalité de traitement bio-psycho-social du patient sourant d’un trouble de l’humeur, d’autant plus que ce modèle est basé sur des résultats concrets.

Lectures complémentaires C, M. J. & al. (2010). « Patient interpersonal impacts and the early therapeutic alliance in interpersonal therapy for depression », Psychotherapy : eory, Research & Practice, 47(3), p. 418-424. H, T. & Mk, J. C. (2002). La psychothérapie interpersonnelle de la dépression, Genève, Médecine & Hygiène.

1688

Jk, J. C. & al. (2011). « e eect of interpersonal psychotherapy and other psychodynamic therapies versus “treatment as usual” in patients with major depressive disorder », PLoS ONE, 6(4), p. e19044. S, B. J. & al. (2014). « Spécial issue another interpersonal psychothérapy milestone », American Journal of Psychotherapy, 68(4), p. 355-496.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

W, M. M. & al. (1995). Mastering Depression : A Patient’s Guide to Interpersonal Psychotherapy, Albany, Graywind.

CHA P ITR E

79

Thérapie psychoéducative Pierre Lalonde, M.D., FRCPC

Guy Deleu, M.D.

Psychiatre, programme des troubles psychotiques, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Psychiatre, chef de service associé, Service de psychiatrie, Centre hospitalier universitaire de Charleroi (Belgique)

Professeur émérite, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeur invité, Faculté de santé publique, Université catholique de Louvain (Bruxelles, Belgique)

79.1 Historique et bases théoriques .................................. 1690 79.1.1 éorie comportementale ................................ 1691 79.1.2 éorie cognitivo-comportementale ............. 1691 79.1.3 éorie et méthode pédagogique ................... 1691 79.1.4 éories reliées aux dimensions de la maladie ........................................................ 1691 79.1.5 Modèles théoriques de la psychologie sociale ................................... 1692 79.1.6 éorie de l’apprentissage social ..................... 1693 79.1.7 éorie d’apprentissage des habiletés sociales ......................................... 1693 79.1.8 éorie motivationnelle .................................... 1693 79.1.9 Concept d’émotions exprimées ....................... 1694 79.2 Formation des thérapeutes......................................... 1694 79.3 Principes et modalités d’application cliniques........ 1695 79.3.1 Enseignement au patient et à ses proches ..... 1695 79.3.2 Explication du diagnostic et du traitement .................................................. 1696

79.3.3 Mécanisme d’action de la médication antipsychotique ................................................... 1697 79.3.4 Approche psychoéducative auprès des patients .......................................................... 1697 79.3.5 Approche psychoéducative auprès des familles .......................................................... 1698 79.3.6 Réticences des thérapeutes ............................... 1699 79.3.7 Approche de groupe .......................................... 1700 79.3.8 Programmes standardisés ................................. 1700 79.4 Indications et contre-indications .............................. 1704 79.4.1 En médecine ........................................................ 1704 79.4.2 En psychiatrie ...................................................... 1704 79.5 Résultats selon les données probantes ..................... 1704 79.5.1 Approche psychoéducative des patients ........ 1705 79.5.2 Approche psychoéducative des familles ........ 1705 Lectures complémentaires .................................................... 1706

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n médecine, dans les soins aux personnes aux prises avec une maladie récurrente ou chronique, l’éducation thérapeutique est largement acceptée comme une démarche nécessaire de la part des soignants pour optimiser à long terme les apports des diverses thérapeutiques disponibles dont peuvent bénécier les patients. L’éducation thérapeutique en médecine est une démarche permanente, intégrée dans les soins. Elle implique des interventions de sensibilisation, d’information, de soutien psychologique et d’apprentissage de l’autogestion concernant la maladie, le traitement, les soins, l’utilisation des services de santé et les comportements propices à la santé (Lacroix & Assal, 2011). L’éducation thérapeutique en psychiatrie s’inscrit dans cette même logique. Elle a toutefois ses particularités et son histoire. Elle est née et s’est développée sous le vocable de « psychoéducation». Il y a d’abord lieu de faire la distinction entre la thérapie psychoéducative et ce qui est simplement de l’enseignement donné au patient ou à sa famille, ne serait-ce que par des feuillets explicatifs ou des références sur Internet (ce qu’on appelle la « psychoéducation passive »). Cette méthode simple et accessible donne des résultats faibles, mais quand même signicatifs (Donker & al., 2009), tout en joignant aisément un grand nombre de patients, ce qui est bien utile comme intervention de base. La psychoéducation a été dénie par Goldman comme l’éducation ou la formation d’une personne sourant d’un trouble psychiatrique dans des domaines qui servent des objectifs • de traitement : l’acceptation de la maladie, la coopération active au traitement ; • de réadaptation : l’acquisition d’habiletés compensant les déciences liées au trouble psychiatrique (Goldman, 1988).

La psychoéducation, dès son apparition, s’adressait aussi bien au patient qu’à sa famille. Elle a en eet été conçue initialement comme une approche familiale et s’est par la suite diversiée en diérentes formes centrées : • sur le patient et sa famille (la thérapie familiale comportementale, les groupes multifamiliaux et les groupes psychoéducatifs de parents) ; • sur le patient uniquement (la thérapie psychoéducative individuelle, les groupes psychoéducatifs de patients). Quels que soient la forme d’approche ou le type de bénéciaire, la psychoéducation, dans ses modalités d’application, inclut toujours plusieurs dimensions : • une dimension pédagogique : discuter avec le patient et sa famille des connaissances actuelles sur la maladie, à travers une démarche d’enseignement interactive, structurée, progressive et étalée dans le temps ; • une dimension psychologique : accompagner et soutenir le patient et sa famille par rapport à des problèmes émotionnellement sensibles (la révélation du diagnostic, l’acceptation de la maladie, le soulagement du fardeau émotionnel et le travail de deuil quant aux pertes liées à la maladie) ; • une dimension comportementale : enseigner autant au patient qu’à sa famille des stratégies d’adaptation à la maladie et à ses conséquences (stratégies pour améliorer l’adhésion au traitement médicamenteux, pour déceler les signes d’alarme de rechute et y réagir, et pour s’adapter aux symptômes persistants de la maladie ; adoption au sein de la famille d’un style

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d’attitudes et d’interactions plus adapté aux particularités d’un patient atteint d’une pathologie chronique).

79.1 Historique et bases théoriques La thérapie psychoéducative s’inscrit dans les soins curatifs et de réadaptation. Elle est un acte thérapeutique dispensé par un professionnel formé et qualié, intégré dans une équipe clinique. Elle se donne en complément des traitements et des approches de réadaptation et de réhabilitation, et en coordination avec eux. Elle recherche un partenariat « patient-famille-équipe thérapeutique ». Elle est indiquée dans les pathologies psychiatriques graves avec un potentiel de chronicité (schizophrénies, troubles schizoaectifs, troubles bipolaires, dépressions récurrentes, troubles alimentaires, trouble de stress post-traumatique, trouble obsessionnel-compulsif ). Il existe des traitements ecaces des maladies mentales, inuençant de façon largement positive leur évolution, favorisant la diminution des rechutes, améliorant l’adaptation psychosociale et la qualité de vie des patients et de leur famille. Cependant, l’adhésion des patients à ces stratégies thérapeutiques, qu’elles soient médicamenteuses ou de réadaptation, reste faible. À cause de leurs problèmes cognitifs, leur manque d’insight, parfois même une anosognosie, plusieurs patients collaborent peu et sont même peu réceptifs à la psychoéducation. Une des raisons en est le manque de spécicité de la psychoéducation donné au patient et à sa famille sur la maladie et sur les modalités possibles de traitement, qu’il faut personnaliser avec beaucoup de nuances. La psychoéducation vise non seulement à faire acquérir de nouvelles connaissances, mais aussi et surtout à susciter des changements de comportement en induisant l’espoir d’une amélioration. Les travaux sur le concept de « rétablissement » de même que l’orientation des soins et de la réadaptation vers le rétablissement au début des années 2000 éclairent et réorientent la pratique de la thérapie psychoéducative. Le rétablissement est présenté en détail au chapitre 84, à la sous-section 84.1.2. Il est certes important pour les professionnels de choisir leurs interventions en s’appuyant sur les pratiques basées sur les preuves. Mais ils sont invités également à mesurer leurs interventions à l’aune des valeurs qui favorisent le rétablissement (Deleu, 2012). • La valeur « une personne d’abord » : le patient, malgré sa maladie, est avant tout une personne avec des ressources personnelles et environnementales, des centres d’intérêt, des préférences, des objectifs propres. • La valeur « espoir » : il s’agit ici de « l’espoir du rétablissement », c’est-à-dire vivre une vie qui en vaut la peine, riche de sens, être habité par l’espoir et s’investir dans des rôles sociaux valorisants, même si la maladie peut persister. • La valeur « choix » : non seulement le patient détermine ses propres objectifs de rétablissement, mais il est aussi mis en position de pouvoir choisir, de façon éclairée, les méthodes employées ainsi que le type de prestataires de services qui pourraient l’aider à atteindre ses objectifs.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

• La valeur « partenariat » : le partenariat est au centre de la relation d’aide entre le professionnel et la personne. Mais un partenariat à part entière suppose l’inclusion d’experts par l’expérience (des pairs aidants qui ont vécu la maladie et qui se sont rétablis ou qui ont fait du chemin vers leur rétablissement) dans la conception, le développement, la prestation et l’évaluation des services. Enn, il est important de rappeler que la dispensation de la thérapie psychoéducative fait partie des responsabilités des équipes cliniques et de réadaptation (Deleu, 2012) même si l’apprentissage de la gestion de la maladie est également pris en charge par des associations de parents ainsi que par des groupes de pairs comme dans le programme WRAP (Wellness Recovery Action Plan). Les équipes cliniques ont tout intérêt à développer une vision communautaire et collaborative de l’ore de services en psychiatrie. Elles peuvent ainsi aider le patient et sa famille à trouver, parmi l’ensemble des approches et des ressources disponibles en traitement et en réadaptation, la combinaison qui sert au mieux les objectifs de rétablissement du patient et qui répond à ses préférences.

i

Un supplément d’information sur le programme WRAP est disponible au www.copelandcenter.com.

La thérapie psychoéducative s’est inspirée de plusieurs notions théoriques et approches thérapeutiques présentées ci-après.

79.1.1 Théorie comportementale Les techniques utilisées en thérapie psychoéducative se basent sur les théories comportementales du conditionnement opérant de Skinner. C’est l’apprentissage d’un comportement en fonction des conséquences agréables ou désagréables qui découlent de l’action (l’opération) de la personne. Le principe majeur du conditionnement opérant est que des individus qui présentent un comportement et qui en reçoivent une gratication ont une probabilité plus grande de répéter ce comportement dans une situation future similaire an d’obtenir la même récompense, le même plaisir. Il ne s’agit pas d’une réponse réexe à un stimulus, comme dans le conditionnement classique de Pavlov. C’est une réponse apprise cognitivement par renforcement positif. Le conditionnement opérant est présenté en détail au chapitre 75, à la sous-section 75.1.2.

79.1.2 Théorie cognitivo-comportementale Selon les principes dérivés de la théorie cognitive, il est important que le patient modifie ses perceptions et ses cognitions afin de développer une conceptualisation plus adéquate du trouble dont il souffre. Ainsi, la psychoéducation est devenue un ingrédient de base de la thérapie cognitivo-comportementale (TCC). Le thérapeute propose à son patient une compréhension de la nature de sa maladie et lui explique les différentes étapes du processus thérapeutique et les techniques qui seront utilisées. Cette dimension psychoéducative dans la TCC permet : • de dédramatiser et de réduire l’anxiété générée par la méconnaissance que le patient a de son trouble : « On sait ce que j’ai. », « Je ne suis pas le seul. », « On me comprend. » ;

• d’établir une relation contractuelle avec le patient pour qu’il devienne actif dans sa réadaptation ;

• de restaurer un sentiment de contrôle chez le patient : • •

« Maintenant, je sais ce qu’il faut faire. » ; de développer sa motivation et ses attentes de résultats ; de prévenir et de prendre en compte les obstacles éventuels. La thérapie cognitive est présentée en détail au chapitre 76.

La thérapie cognitivo-comportementale propose aussi une série de stratégies pour modifier les comportements et les attitudes basées sur les théories de l’apprentissage humain, qui trouvent toute leur utilité dans la thérapie psychoéducative. Il s’agit du renforcement positif, du façonnement, du modelage, du jeu de rôle comportemental, de la restructuration cognitive, de l’apprentissage sans erreur, de l’entraînement à la relaxation et à la pleine conscience.

79.1.3 Théorie et méthode pédagogique Plusieurs des aptitudes à enseigner doivent faire partie des habiletés des thérapeutes qui souhaitent transmettre de l’information à leurs patients et à leurs proches : communication claire et accessible, empathie, chaleur, spontanéité, sensibilité, authenticité, capacité d’être réceptif à toutes formes d’émotion. La thérapie psychoéducative dérive donc de la volonté d’un clinicien de faire progresser ses patients par son enseignement. Cependant, il ne s’agit pas seulement de transmettre de l’information éducative comme un professeur le fait avec des élèves qui ont à répondre à un examen sans avoir à tenir compte de ces informations dans leur vie quotidienne. La thérapie psychoéducative est oerte par un thérapeute dans un contexte particulier, puisque les personnes sont directement concernées par la maladie discutée. La méthode pédagogique est de type interactif. Elle consiste, dans un premier temps, à apprécier, par un questionnement, le niveau de connaissances, les croyances et les valeurs culturelles du patient et de son entourage par rapport à la maladie. La discussion à propos de ces éléments et la transmission de connaissances ne se fait que dans un deuxième temps, de façon progressive et prudente, pour ne pas heurter le patient et le rebuter par des informations qu’il n’est pas prêt à entendre. En eet, l’expérience clinique montre qu’en raison du déni et de l’anosognosie, bien des patients refusent d’accorder de l’importance aux informations et aux recommandations qu’on souhaite leur orir, et bien des proches se tourmentent en comparant leurs perceptions douloureuses de la maladie aux explications fournies par les cliniciens.

79.1.4 Théories reliées aux dimensions de la maladie L’anthropologue Kleinmann (1980) fait une distinction entre : • le terme illness, qui fait référence au malaise, aux perceptions, aux expériences ressentis par un individu quand il va voir un médecin ou n’importe quel autre guérisseur. Ce terme inclut l’expérience subjective du patient et de son entourage, le sens personnel et social ainsi que l’explication qu’ils en donnent. Il comporte une connotation culturelle ; • le terme disease, qui est la traduction que le médecin en fait en observant les signes et les symptômes et qui renvoie à une anomalie dans la structure ou le fonctionnement d’un organe

Chapitre 79

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ou d’un système physiologique. L’individu devient alors un malade selon la perception du médecin. La maladie s’appuie sur une conception clinique et objective. On peut aisément comprendre que cette diérence de points de vue peut engendrer plusieurs problèmes. Par exemple, une personne peut recevoir un diagnostic de schizophrénie ou de trouble bipolaire (disease), mais ne pas se reconnaître comme malade, nier sa maladie (illness) et refuser la médication prescrite. Pour qu’un traitement soit acceptable, il faut chercher un consensus quant à l’étiologie, à la sourance provoquée par les symptômes, à l’évolution et à l’espoir d’un traitement de cette maladie. Ainsi un patient peut accepter de prendre un médicament antipsychotique pour diminuer les distractions causées par ses « voix » et améliorer ainsi sa concentration dans son travail de mémorisation de données parce qu’il souhaite conserver son emploi, et non parce qu’il est enn convaincu que ses « voix » proviennent de son propre cerveau perturbé. La délité au traitement passe par la perception des conséquences de la maladie plus que par l’acceptation du fait d’être malade. Le DSM-5 accorde une importance accrue à ces dimensions culturelles et incite à s’enquérir des modèles explicatifs de la maladie fournis par la personne qui consulte. Le médecin peut ensuite tenter de les ajuster (par une approche psychoéducative) au modèle médical. Il peut ainsi mieux préciser le rôle du malade dans son processus de recherche d’aide en examinant les aspects suivants dans les mots du malade : • Quel est votre problème ? Quel nom lui donnez-vous ? • Quelles sont les causes de votre problème, d’après vous ? • Pour quelles raisons votre problème a-t-il débuté à ce moment précis ? • Que vous fait votre maladie ? Quelles en sont les manifestations ? • Croyez-vous que votre maladie va durer longtemps ? • Quelles sortes de traitement croyez-vous devoir recevoir ? • Quels sont les résultats les plus importants que vous attendez de ces traitements ? Partant de ces dénitions idiosyncrasiques, il devient plus facile pour le médecin d’adapter ses explications de façon à favoriser la compréhension du patient selon sa perspective personnelle.





79.1.5 Modèles théoriques de la psychologie sociale Des modèles théoriques issus de la psychologie sociale permettent de prédire les comportements reliés à la santé. • La salutogenèse est un modèle mis de l’avant par Antonovsky (1996). Ce chercheur a étudié le potentiel humain pour la recherche de la santé, de la productivité et de l’accomplissement de soi, ce qu’il a appelé la « salutogenèse » et qui signie l’origine de la santé, à l’opposé de la pathogenèse qui explique comment la maladie survient. Il a déni ainsi le « sens de la cohérence » comme une orientation globale de l’individu percevant qu’il exerce un contrôle sur sa vie, laquelle étant : – compréhensible : les stimuli internes et externes sont structurés, prévisibles et explicables ; – gérable : des ressources sont disponibles an de contrôler les demandes provenant de ces stimuli et d’orienter ainsi le cours de sa vie ;

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– significative : les événements de vie actuels et passés constituent son expérience ; – satisfaisante : ces demandes représentent des dés nécessitant un engagement dans la vie et les relations humaines. Le modèle des croyances relatives à la santé (Health Belief Model) de Garcia & Mann (2003) est fondé sur les croyances et les motivations du patient relatives à la santé. Les déterminants qui entrent en jeu dans sa décision d’agir sont de deux ordres : – la perception d’une menace pour la santé, sous-tendue par la croyance en sa vulnérabilité potentielle à une maladie et en la gravité des conséquences de cette maladie sur certains aspects de sa vie ; – la croyance en l’ecacité de l’action à entreprendre pour réduire cette menace, qui résulte de l’évaluation des avantages et des désavantages associés à l’adoption de cette action. Selon ce modèle, les changements comportementaux reliés à la santé passent par deux étapes : – la motivation, l’intention de changer ; – la volonté de changer quand des actions sont planiées, entreprises et maintenues. À ces déterminants s’ajoutent certaines variables (démographiques, sociologiques) qui inuencent chez l’individu sa perception de certains événements pouvant éveiller l’appréhension d’une menace pour la santé et inciter à l’action ; ainsi, quand sont survenus quelques décès médiatisés lors de la campagne de vaccination contre la grippe H1N1, des milliers de gens ont accouru dans les cliniques de vaccination. Selon la théorie du comportement planié d’Ajzen & Fishbein (2005), les comportements humains ne sont pas seulement gouvernés par nos attitudes personnelles, mais aussi par les pressions sociales et notre sens de contrôle. L’intention d’adopter un nouveau comportement est donc déterminée par la perception qu’a l’individu de sa capacité de changer et par son attitude vis-à-vis du changement en question, mais est aussi inuencée par ses croyances et par les normes sociales. Les trois déterminants de ce modèle sont : – la composante attitude, c’est-à-dire l’attitude de l’individu à l’égard du comportement, sous-tendue par ses croyances concernant les résultats du comportement et par l’évaluation qu’il fait de ses conséquences ; – la composante normative, c’est-à-dire l’importance qu’il accorde à l’opinion des gens qui lui sont proches et sa motivation à se conformer à leur opinion ; – la perception de contrôle, c’est-à-dire le degré d’ecacité que l’individu croit pouvoir exercer sur le comportement en question, la conance en son habileté à accomplir l’action. Le modèle psychosocial de Glanz et de ses collaborateurs (2002) invite à prendre en considération trois catégories de facteurs dans une démarche d’éducation du patient : – facteurs qui prédisposent au changement de comportement : a) croyance en sa vulnérabilité potentielle à la maladie ; b) croyance en la gravité des conséquences de l’apparition de la maladie ; c) croyance en l’ecacité du comportement à adopter ; d) croyance en sa capacité à pouvoir effectuer le comportement ;

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

e) croyance en l’opinion des personnes inuentes et motivation à s’y conformer ; – facteurs qui aident à l’émergence du comportement : a) habiletés de la personne ; b) ressources dont elle dispose ; c) modèles qu’elle peut observer ; – facteurs qui renforcent le maintien du comportement : a) attitude de l’entourage ; b) relation médecin-patient ; c) autorenforcements (autoverbalisations).

79.1.6 Théorie de l’apprentissage social La théorie cognitive de l’apprentissage social de Bandura (1997) stipule que la majorité des comportements sont appris par imitation (apprentissage vicariant). Les individus peuvent acquérir des comportements spéciques en observant certaines autres personnes auxquelles ils peuvent s’identier. Cette identication se fait en fonction de l’évaluation du niveau de similarité et du niveau d’attachement liant cette personne à une autre. Ce comportement devient encore plus attrayant pour la personne si le modèle est renforcé par des eets bénéques découlant de sa performance. La particularité de cette théorie cognitive réside dans l’importance de la perception qu’a l’individu de pouvoir eectuer le changement de comportement, ce qui est diérent de la simple perception des bienfaits liés à l’adoption du nouveau comportement. Deux croyances sont à la base de la décision d’agir : 1. La croyance en l’ecacité du comportement pour obtenir le résultat désiré ; 2. La croyance en sa capacité à pouvoir eectuer le comportement (concept d’ecacité personnelle). Ainsi, la garantie d’un changement n’est pas uniquement liée aux conséquences du changement, mais aussi à la perception qu’à l’individu de sa capacité de changer.

79.1.7 Théorie d’apprentissage des habiletés sociales Les humains sont des créatures sociales qui ont besoin d’interagir avec les autres pour satisfaire leurs besoins biologiques, émotifs et sociaux. Plusieurs malades psychiatriques manifestent de grands décits d’habiletés sociales. Cette inaptitude peut contribuer à aggraver leurs symptômes, menacer leur capacité à prendre soin d’eux-mêmes et à faire face aux stresseurs de la vie quotidienne, entraînant ainsi leur isolement. À l’opposé, avec le temps, les succès dans la vie sociale améliorent les habiletés de communication, développent une compétence sociale et un sentiment de contentement. D’où l’importance de bien enseigner ces habiletés sociales indispensables à une réinsertion harmonieuse. Les postulats théoriques de l’entraînement aux habiletés sociales sont les suivants : • L’acquisition des attitudes comportementales reliées à une émotion entraîne la personne à ressentir subjectivement cette émotion. La pratique des manifestations visibles d’une expression aective (p. ex., la surprise, la tristesse, le mécontentement, etc.) suscite un changement émotif plus ecacement que le seul fait de se concentrer sur l’analyse de l’état aectif. Le patient peut ainsi s’entraîner à ressentir une variété d’émotions.

• Un changement de l’estime de soi, de la conance en soi, du confort subjectif va suivre – et non précéder – un changement du comportement manifeste. L’expérience subjective et physiologique de la joie, du plaisir, de la colère, de la tendresse se développe par une pratique active des comportements qui sous-tendent ces émotions. • Même si les patients apprennent des habiletés sociales, ces attitudes seront retenues et se généraliseront seulement si l’environnement social du patient renforce constamment l’utilisation de ces habiletés. Il faut donc aussi entraîner les parents, les amis et les intervenants à réagir positivement et de façon conséquente aux comportements sociaux appropriés du patient par des félicitations, des encouragements, des manifestations de contentement. La thérapie psychoéducative a bénécié du savoir et du savoirfaire accumulés au l des années, principalement par Liberman et ses collaborateurs (1989), de l’UCLA, dans ses nombreux écrits portant sur l’entraînement aux habiletés sociales des patients psychotiques chroniques. Cette approche leur propose des techniques spéciques an de leur permettre d’intégrer l’information et d’apprendre de nouveaux comportements adaptatifs durables et généralisables, malgré les dicultés d’apprentissage liées à des éléments de leur pathologie (symptômes négatifs et décits cognitifs). Briand et ses collaborateurs (2005) soulignent par ailleurs la nécessité d’intégrer, dans les programmes de réadaptation, les aspects cognitifs, comportementaux et émotifs, autant que possible dans un contexte de vie réelle, an de tenir compte de tous les aspects d’apprentissage de résolution de problèmes.

79.1.8 Thérapie motivationnelle La thérapie motivationnelle est caractérisée par un type d’entretien où le thérapeute essaie d’amener le patient à se parler à lui-même, plutôt que de lui donner des conseils. Elle s’appuie sur les tendances que sont la réactance psychologique et le réexe correcteur. La thérapie motivationnelle est présentée en détail au chapitre 80. La réactance psychologique est la tendance de l’individu à se rebeller contre ce qu’il ressent comme une atteinte à ses libertés. Chaque fois que sa liberté de choix se trouve limitée ou menacée, il attache soudain plus de valeur à ce choix par le fait même qu’il devient inaccessible. C’est la théorie de la réactance psychologique de Jack Brehms. Ainsi, pousser une personne ambivalente à faire le bon choix (celui que le thérapeute estime bon pour elle) risque fort d’augmenter son attrait pour l’autre choix (celui que le thérapeute espère éviter). Le réexe correcteur est une autre tendance inhérente à la personne. Si l’on voit quelqu’un agir de façon erratique, ou se fourvoyer dans une direction qui ne paraît pas souhaitable, il est « naturel » d’essayer de l’aider en le conseillant, en lui expliquant, en le persuadant, en l’avertissant ou en argumentant en faveur du bon choix ou de la bonne direction à prendre. C’est souvent ce qu’estime devoir faire un aidant professionnel. Erreur : l’autre personne, aux prises avec son ambivalence, se mettra alors à soutenir les arguments contraires à ceux que le professionnel avance, ou au moins à mettre en évidence les lacunes de la solution qui lui est proposée (le célèbre « oui, mais »). La personne est alors

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placée en position de devoir défendre son point de vue. Il vaut mieux éviter ce réexe correcteur, car en défendant son point de vue, la personne y devient plus attachée : « Quand j’entends ce que je raconte, j’apprends ce que je crois. » Plus l’autre est amené à défendre le côté opposé à la solution que le professionnel propose, moins il y a de chance qu’il adopte cette solution. Il convient plutôt de mettre la personne en position de devoir nuancer elle-même sa position en avançant autant les arguments positifs que négatifs d’une solution. Elle s’entend alors non seulement exprimer tous les bons côtés de sa solution, mais aussi ses points faibles et ses inconvénients. C’est à la personne elle-même d’exprimer l’ensemble des arguments en faveur du changement : plus elle exprime ouvertement un désir croissant de changement au l de la conversation, plus le changement a de chances de se réaliser. C’est ce qui est appelé le « discours-changement » ou « discours d’automotivation » dans L’Entretien motivationnel de Miller & Rollnick (2006).

79.1.9 Concept d’émotions exprimées Le concept d’émotions exprimées (ÉE), à son origine, fait référence à une ambiance émotionnelle particulière pouvant exister, au sein d’une famille, à l’égard d’un proche sourant de schizophrénie. En observant la façon qu’un parent discute de la maladie du patient et de la vie familiale, le clinicien mesure, à l’aide d’un outil d’entrevue standardisé (Camberwell Family Interview), l’importance : • de l’hostilité : « C’est un bon à rien, j’aimerais autant qu’il disparaisse. » ; • des critiques : « Il ne fait jamais rien de bon, on ne peut jamais se er à lui. » ; • de la surimplication émotionnelle, d’attitudes envahissantes, intrusives (emotional overinvolvement). De nombreuses équipes scientiques ont travaillé sur ce concept dans les années 1970 et 1980, en arrivant toujours à la même constatation, peu importe le pays et la culture de ce pays (Abaoub & Vidon, 2000). Lorsqu’un patient qui se remet d’un épisode aigu de schizophrénie réintègre le domicile familial ou un autre milieu de vie, et que ses proches ont été évalués avec un haut niveau d’ÉE, le patient a statistiquement beaucoup plus de risque de rechuter dans l’année qui suit que si ses proches ont été évalués avec un bas niveau d’ÉE. (Le & Vaughn, 1985). Un haut niveau d’ÉE (FEE = fortes émotions exprimées) manifesté par les proches constitue un stress chronique qui accroît le risque de rechute (voir la gure 17.5). La recherche sur les familles à un faible niveau d’ÉE (fee) a permis de mettre en évidence les caractéristiques d’un environnement mieux adapté aux particularités physiologiques, psychologiques et sociales d’un patient sourant de schizophrénie : • Les proches respectent les besoins relationnels du patient, notamment ses besoins de distance et d’isolement. • Ils s’eorcent de comprendre les sourances du patient et considèrent ses comportements symptomatiques comme des expressions de la maladie et non comme un manque de volonté, de la méchanceté, de la paresse, etc. • Ils manifestent à l’égard du patient des attentes réalistes en rapport avec ses possibilités. • Ils sont capables de garder leur sang-froid en cas de crise et gèrent les problèmes quotidiens en cherchant des solutions, sans se décourager.

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Toutes ces constatations ont amené des cliniciens, à partir des années 1980, à mettre au point une approche thérapeutique ciblée sur la modication des attitudes émotionnelles préjudiciables de l’entourage an de diminuer l’intensité des ÉE. Cette approche thérapeutique psychoéducative, appelée aussi thérapie familiale comportementale, associe l’éducation de la famille et du patient sur la nature de la maladie et ses conséquences à d’autres interventions visant l’acquisition de comportements adaptatifs de communication et de résolution de problèmes, permettant ainsi de réduire le niveau de stress intrafamilial (Eisner & Johnson, 2008). Bien qu’historiquement, le concept d’ÉE ait porté sur l’étude des familles aux prises avec la schizophrénie, les recherches subséquentes ont montré que le lien entre un haut niveau d’ÉE et les rechutes n’est pas propre à cette maladie. Et cette attitude émotionnelle de FEE n’est pas spécique à l’interaction au sein de certaines familles. Dans divers contextes, ce type de relation entre des proches et une personne malade, constitue un stress chronique, ce qui aggrave la maladie et pousse à la rechute. On le retrouve dans d’autres maladies mentales chroniques comme le trouble bipolaire, les troubles de l’alimentation, les troubles du spectre de l’autisme, les traumatismes crâniens, l’alcoolisme, etc. Les mêmes approches psychoéducatives familiales utilisées dans la schizophrénie sont utilisées dans ces autres pathologies avec des résultats convaincants. Il est également apparu que ces attitudes émotionnelles ne sont pas propres à la situation familiale, mais se retrouvent dans certains centres d’hébergement gérés par des professionnels et ont les mêmes conséquences pour les patients. Il ne s’agit donc pas de culpabiliser les familles quand elles expriment de fortes émotions. Il faut plutôt essayer d’aménager le milieu pour que les malades puissent vivre dans un contexte émotif calme favorisant le maintien de la santé.

79.2 Formation des thérapeutes Pour utiliser une approche psychoéducative, le thérapeute a besoin de développer des compétences dans les domaines suivants : • les techniques pédagogiques : enseigner de façon interactive, vérier la compréhension, décomposer l’information en petites unités, utiliser des techniques audiovisuelles ; • les habiletés dans la relation d’aide : manifester de l’empathie et de la compréhension par une écoute réexive (habiletés de reformulation), demander de l’information sans que ce soit un interrogatoire, résumer, rappeler le contenu, décrire le processus, identier les thèmes en étant chaleureux, positif et authentique ; • les techniques motivationnelles : souligner les bénéces pour le patient des apprentissages proposés, établir les liens entre l’apprentissage et les objectifs de la personne, développer la motivation intrinsèque, utiliser l’entretien motivationnel ; • les techniques cognitivo-comportementales : entraîner le patient aux stratégies d’adaptation, à l’ajustement comportemental dans la gestion de la médication, dans les AVD (activités de la vie domestique) et les AVQ (activités de la vie quotidienne), pratiquer la résolution de problèmes et la relaxation ; • l’entraînement aux habiletés sociales : planier des séquences de petites actions simples, réalisables en accord avec les objectifs

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du patient, animer des petits groupes, servir de modèle d’interaction sociale en favorisant l’implication des patients. La thérapie psychoéducative repose sur la cohésion d’une équipe clinique comprenant psychiatre, inrmière, psychologue, conseiller en éducation, ergothérapeute, éducateur, travailleur social. Certains de ces professionnels, grâce à l’acquisition de formations complémentaires, peuvent orir des interventions hautement spéciques comme certaines formes de thérapies des symptômes de la schizophrénie (Favrod & Maire, 2012), du trouble bipolaire (Ramirez Basco, 2008), ou comme la remédiation cognitive (Vianin, 2007). Le psychiatre intervient dans des entretiens avec le patient et sa famille et parfois aussi dans l’animation de petits groupes, mais il est surtout responsable d’assurer la coordination des diérentes interventions (Lalonde, 1994). Il peut, en fait, faciliter (ou inhiber) la créativité et la collaboration des professionnels de l’équipe. Pour utiliser une approche psychoéducative, le thérapeute doit donc surmonter plusieurs de ses propres résistances : • « l’attentisme », attitude provenant de la psychanalyse ; il ne s’agit pas d’attendre que le patient manifeste le « désir » d’apprendre pour lui donner de l’information. On lui en ore d’emblée, tout comme on lui ore une médication ; • le concept systémique de « patient désigné », qui stigmatiserait la personne dans son rôle de malade si on lui expliquait sa maladie. En fait, même si certains patients protent de quelques gains secondaires découlant de leur maladie, la plupart d’entre eux s’ousquent plutôt d’être considérés comme malades ; • le pessimisme basé sur la notion ancienne et non fondée d’une évolution irrémédiablement morbide des maladies mentales. Au contraire, plusieurs maladies mentales ont une évolution nettement favorable si le patient devient dèle à son traitement grâce à une thérapie psychoéducative ; • la crainte de se prononcer, découlant de l’imprécision diagnostique. Il s’agit plutôt d’orir l’information disponible actuellement, tout en sachant qu’il y aura des nouveautés dans le futur ; • l’appréhension de causer du tort en donnant de l’information, ce qui entrainerait une stigmatisation et enracinerait des tabous attachés aux maladies mentales. Si les thérapeutes nient eux-mêmes leur ecacité thérapeutique, ils ne pourront transmettre un espoir d’amélioration à leurs patients. C’est en utilisant au mieux les connaissances contemporaines et en les diusant, en manifestant de la compassion aux malades et à leurs proches et en individualisant les techniques thérapeutiques qu’il est possible de mieux maîtriser les maladies mentales.

79.3 Principes et modalités d’application cliniques La thérapie psychoéducative se base sur une alliance thérapeutique sous la forme d’un partenariat entre le patient, ses proches et les membres de l’équipe thérapeutique. La motivation, c’est-à-dire le fait de croire en l’utilité d’un traitement, ainsi que la mise en pratique des recommandations sont déterminantes

dans ce domaine, et le thérapeute doit chercher par tous les moyens possibles de les renforcer. La motivation dépend cependant de facteurs multiples tant personnels (valeurs, croyances, attitudes) que situationnels (entourage, inuences sociales), ce qui explique la diculté de la tâche psychoéducative qui s’y rattache. En psychiatrie, cette tâche se complexie encore. La maladie mentale s’accompagne souvent de décits cognitifs (troubles d’attention, de mémoire, de perception, de traitement de l’information), de décits des fonctions frontales (motivation, initiative, fonctions exécutives) et de troubles du jugement qui interfèrent avec les processus d’apprentissage. Les interactions entre le patient et son entourage inuencent tellement l’évolution de la maladie qu’il est indispensable d’étendre la psychoéducation aux proches. La thérapie psychoéducative est un processus planié, étalé dans le temps et s’appuyant sur quatre piliers : 1. La présentation d’informations sur la nature de la maladie et son impact sur le patient et les membres de la famille ; 2. Le soutien émotionnel (fardeau émotionnel, deuil, renoncement, espoir) ; 3. L’enseignement d’habiletés de gestion de la maladie et du stress ; 4. La prévention de la rechute. Le but est d’amener progressivement le patient et sa famille d’un sentiment d’impuissance et d’une position de passivité ou de révolte, d’incompréhension envers la maladie, vers une position de collaboration active à travers une vision plus réaliste de la maladie, des moyens d’y faire face au quotidien, des possibilités de traitement et des perspectives d’avenir. La thérapie psychoéducative peut commencer pendant l’hospitalisation par des entretiens individuels avec le patient. Dans la mesure où l’amélioration des symptômes aigus et des troubles cognitifs du patient le permet, on aborde avec lui, d’une manière prudente et empathique, les symptômes de sa maladie, le diagnostic et la nécessité des traitements. Ces entretiens précèdent les entrevues avec la famille. La forme et les moyens qui sont utilisés par la suite dépendent de la durée du séjour hospitalier, de l’équipe thérapeutique disponible autour du psychiatre et du relais possible par une structure ambulatoire : approche individuelle du patient et de sa famille, groupes psychoéducatifs pour patients et pour parents ou groupes multifamiliaux incluant patients et familles.

79.3.1 Enseignement au patient et à ses proches Avant d’informer, il est toujours utile de s’enquérir auprès des intéressés de leur niveau de connaissances et surtout des croyances qu’ils peuvent entretenir au sujet des causes de la maladie, de l’origine de certains symptômes et des attitudes à prendre pour gérer les diérents problèmes. Chaque personne, en eet, s’est construit un modèle explicatif pour tenter de donner un sens à ce qui lui arrive (Kleinmann, 1980). Ce modèle inuence largement l’acceptation et l’assimilation de toute nouvelle information. Pour le thérapeute, il est important de respecter les modèles et les croyances préexistants des patients et de leur famille et d’utiliser un style prudent et interactif pour proposer des explications et des stratégies alternatives.

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Pour la plupart des pathologies, les points clés à aborder dans la démarche psychoéducative tournent autour des mêmes thèmes : • comprendre la maladie : – la nature de la maladie, avec comme modèle explicatif le modèle vulnérabilité-stress, qui ore une conceptualisation des interactions entre les diérents facteurs bio-psychosociaux en jeu dans le développement de la maladie (voir la gure 17.1) ; – les causes : les facteurs prédisposants, perpétuants et protecteurs et déclenchants ; – les symptômes de la maladie, à diérencier des eets indésirables de la médication ; par exemple, l’apathie est-elle un symptôme négatif de schizophrénie, une sédation, une akinésie reliée à la médication ou encore une manifestation dépressive ; • comprendre le pourquoi des interventions : – les traitements médicamenteux ; – la gestion des problèmes et des symptômes persistants ; – la gestion du stress et le développement d’un soutien social ; – les conseils pratiques pour mieux vivre avec la maladie ; – les services d’aide et de soutien communautaire ; – l’importance d’une intervention familiale ; – la prévention des rechutes. Le thérapeute a besoin de posséder une connaissance claire et actualisée de ces diérents thèmes. Les informations qu’il donne doivent avoir fait l’objet du plus large consensus possible entre professionnels, être basées sur des données probantes. Il doit aussi aborder, avec nuances et objectivité, les informations pour lesquelles le consensus n’est pas acquis. Le but de la thérapie psychoéducative n’est pas d’endoctriner le patient et sa famille au prot d’une théorie, mais de développer leur sens critique et leur autodétermination dans un contexte donné.

79.3.2 Explication du diagnostic et du traitement La démarche de révélation du diagnostic est similaire pour les diverses maladies physiques (comme le cancer ou le diabète) ou mentales (comme la psychose). L’objectif n’est pas d’essayer de convaincre le patient qu’il est atteint de schizophrénie, encore moins qu’il est schizophrène. L’objectif est de manifester de la compassion pour le patient qui soure et de l’amener à comprendre qu’une maladie est à la source de cette sourance, que cette maladie porte un nom et possède un traitement. En fait, l’important n’est pas de stigmatiser le patient avec un diagnostic qu’il réfute, mais plutôt de reconnaître la sourance associée aux symptômes et d’insuer un espoir en proposant un soulagement par le traitement. En suivant les étapes suivantes, le médecin peut aider son patient à mieux adhérer à son plan de traitement. Première étape : Reconnaissance du phénomène, de l’expérience subjective. Il importe d’aborder le patient par la sourance associée à ses symptômes. D’ailleurs, il présente d’abord son cas sous son aspect expérientiel, alors qu’il relate les phénomènes douloureux qui modient ses perceptions et son fonctionnement. Par exemple, le patient peut dire : « On parle de moi à la télévision. » Le clinicien doit donc l’encourager à révéler cet aspect phénoménologique avec toutes les ambigüités et les hésitations

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qui y sont associées : « Expliquez-moi, décrivez-moi, donnez-moi des exemples. » Il doit aussi lui demander d’élaborer sur les aspects aectifs, expérientiels : « Quelles émotions ressentez-vous lors de ces situations ? » et cognitifs, explicatifs : « Quelle est votre théorie, comment expliquez-vous cette expérience inquiétante ? » Deuxième étape : Identication des symptômes. Le médecin peut ensuite aider le patient à reconnaître que cette sourance porte un nom ; par exemple, « j’ai besoin de compter dans ma tête » s’appelle une compulsion, « la télévision m’envoie des messages pour me mettre en garde » s’appelle un délire, « ils me disent que je suis un homosexuel » se nomme une hallucination auditive. Quand on aborde les symptômes psychotiques, on doit cependant prendre en compte le manque d’insight du patient, qui est convaincu de la véracité de sa perception, et il faut éviter de le contredire brusquement. Il s’agit donc de lui demander : « Est-ce que ces termes scientiques vous conviennent pour nommer l’expérience que vous avez vécue ? Sinon, quel nom voulez-vous donner à ce phénomène ? » Ainsi, on peut aisément accepter qu’un patient parle de ses « voix » s’il ne souhaite pas utiliser le terme technique « hallucination auditive », ou qu’il préfère le terme populaire de « paranoïa », moins entaché de connotations péjoratives, au mot « délire ». En fait, l’objectif de cette démarche psychoéducative consiste à transformer un phénomène subjectif en un symptôme égodystone dont le patient devient observateur, et pas seulement victime. Souvent, en utilisant les mots proposés par le patient, il est plus facile de l’amener à accepter un nom pour identier ses symptômes. Troisième étape : Proposition d’un diagnostic. Quand le patient reconnaît graduellement qu’il soure d’une série de symptômes, le médecin peut ensuite lui proposer un diagnostic. Par exemple, le patient qui constate sourir de tristesse, de pleurs, d’insomnie et de culpabilité peut sans doute admettre que cet ensemble de symptômes se nomme « dépression ». Un autre patient qui constate sourir de « voix », de « paranoïa », de dicultés de concentration et de troubles de mémoire peut être soulagé d’apprendre que cet ensemble de symptômes est associé à une maladie qui se nomme « schizophrénie », ce qui est plus acceptable pour lui que de se faire qualier de « malade mental ou de schizophrène » ou pire, de « schizo ». D’autres refusent ce terme parce qu’il a une connotation sociale péjorative ; ils peuvent alors proposer le mot « psychose », qui est tout aussi acceptable. L’important n’est donc pas d’imposer un vocabulaire spécique. Tout l’art de l’approche psychoéducative consiste à trouver les mots et le moment pour aider le patient à reconnaître sa maladie, ou au moins ses symptômes, et ainsi à adhérer à un traitement. D’ailleurs, bien des patients ne viennent pas en consultation pour obtenir un traitement de leur schizophrénie. Ils viennent pour alléger la sourance associée à leurs symptômes, pour retrouver des capacités fonctionnelles, pour entretenir l’espoir à travers une alliance thérapeutique. Lorsqu’un patient hospitalisé demande : « Combien de temps faut-il que je reste à l’hôpital ? », le médecin peut répondre : « Le temps qu’il faudra pour vous soulager de ce symptôme de voix. Nous allons avancer à votre rythme. Le médicament apaisera votre inquiétude et vous travaillerez à bien identier ce symptôme qui vous fait sourir, à bien le comprendre en me l’expliquant. » Il s’agit donc d’identier le symptôme qui cause le plus de détresse (hallucinations, idées suicidaires, sentiment de persécution, etc.) et d’orir au patient de chercher avec lui les moyens pour qu’il puisse réduire le tourment associé à ce symptôme. Le thérapeute propose ainsi un but au patient et le fait participer à son

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amélioration plutôt que de lui laisser croire que la date de son congé est arbitrairement xée par son psychiatre. Quatrième étape (et la plus importante) : Renforcement de l’espoir. L’annonce du diagnostic n’est pas une n en soi, mais plutôt une façon d’amener le patient à adhérer à son traitement. Une information juste, présentée en mots simples et accessibles au patient, permet de préciser les possibilités réalistes associées à l’adhésion aux diverses facettes d’un traitement bio-psycho-social. Il ne s’agit pas d’acher un optimisme triomphant en cherchant à nier la gravité de la maladie, ni un pessimisme désolé en prédisant l’impossibilité du rétablissement ou l’évolution inéluctable vers la chronicité. L’espoir d’une amélioration – et personne ne peut en prédire l’ampleur – doit accompagner le patient tout au cours de son évolution. Cette attitude d’ouverture en un avenir meilleur, en un rétablissement, aide non seulement le patient et sa famille, mais améliore aussi l’image de la psychiatrie, qui est souvent entachée d’une perception d’inecacité dans le public et même dans la profession médicale. Il ne s’agit pas d’attendre que le patient soit motivé pour amorcer un processus thérapeutique. Il faut plutôt considérer sa démotivation comme un manque d’introspection ou un symptôme négatif (décit d’une fonction cérébrale attendue) lié à l’hypofrontalité. Les thérapeutes doivent être susamment créatifs pour orir aux patients des activités qui les intéressent. Comme disait une ergothérapeute : « Si le patient ne vient pas à une activité, ce n’est pas son problème, c’est le mien. Il faut encore que je trouve une activité qui va l’intéresser. »

79.3.3 Mécanisme d’action de la médication antipsychotique « Une image vaut mille mots ! » Plutôt que d’embrouiller le patient avec des notions complexes sur l’eet et la pertinence de la médication, il est plus facile de les illustrer par un schéma simplié (voir la gure 79.1). On peut alors expliquer le concept au patient en ces termes : « Dans votre cerveau, il y a des milliards de cellules nerveuses reliées par des nerfs (ou des axones). La connexion entre ces cellules se fait par des neurotransmetteurs à travers de petits espaces nommés “synapses”. Un neurotransmetteur important se nomme « dopamine » et sert à transmettre les messages d’une cellule à FIGURE 79.1 Synapse et dopamine

l’autre. La dopamine est donc essentielle à la formation de la pensée logique. Mais, dans la schizophrénie, quand survient un surplus de dopamine, il se produit des erreurs cognitives, comme des délires ou des hallucinations. Le médicament antipsychotique que je vous propose protégera vos cellules de cet excès de dopamine et permettra donc de réduire les symptômes psychotiques qui vous font sourir. Il ne vous dit pas quoi penser ; en rétablissant un équilibre chimique dans votre cerveau, il vous redonne accès à une pensée saine, délivrée de vos hallucinations et délires. »

79.3.4 Approche psychoéducative auprès des patients Apprendre au sujet de la maladie et des symptômes reste malgré tout dicile et pénible pour bon nombre de patients. Certaines informations font peur et suscitent des réactions de tristesse, de désillusion, parfois de désespoir. Les patients n’expriment pas souvent leur crainte ouvertement ; elle se révèle plutôt par des attitudes de retrait, d’ennui, de refus, d’irritabilité, d’hostilité. Une attitude prudente, non « confrontante », bienveillante et empathique de la part du thérapeute est nécessaire pour accompagner et soutenir les patients dans ce processus dicile. Toute remise en question nécessite un cheminement personnel. Le thérapeute doit respecter les réticences et les résistances, qui sont des mécanismes de défense du patient. Plutôt que d’aronter directement les convictions ou les négations du malade, il devrait les approcher par un questionnement de type socratique, c’est-à-dire en posant des questions de nature à orienter le patient vers d’autres hypothèses an d’introduire le doute dans sa perception délirante, et cela, avec tolérance et respect. Les principes suivants sont bien connus des thérapeutes du courant cognitivo-comportemental (TCC) : • Éviter de contredire le patient, de le confronter directement à ses convictions délirantes. Il est inutile d’adopter une attitude dogmatique ou de faire des démonstrations savantes pour prouver l’irrationalité de ses certitudes psychotiques. Il y a risque d’enraciner l’idée délirante en amenant le patient à la défendre. Ce n’est pas par une attitude raisonnante et moralisatrice qu’il est possible d’atteindre une personne délirante, déjà hypersensible aux critiques. • Laisser le patient exprimer à l’aise ses idées et ses appréhensions, souvent réprimées par crainte du ridicule. Le délire comporte habituellement une sourance, une angoisse, et c’est au moyen de l’empathie qu’on obtient la conance du malade. Le calme et la compréhension du médecin peuvent même parfois avoir un eet apaisant sur un malade agité. C’est d’ailleurs dans ce contexte — pour soulager la sourance, calmer l’appréhension — qu’on tâche de convaincre le patient de la nécessité de prendre un antipsychotique, et non pour rectier sa façon de penser. Cette attitude accueillante ne veut cependant pas dire que le thérapeute fait semblant de croire au délire du patient. Le thérapeute doit représenter la réalité et il doit donc adopter une position intermédiaire entre la confrontation et l’adhésion, en montrant qu’il respecte bien l’opinion, la perception du patient, mais qu’il fait une interprétation diérente des événements : « Je suis persuadé que vous me dites la vérité, que vous m’exprimez vraiment votre façon de voir les choses. Mais pensez-vous qu’il peut exister d’autres points de vue ? »

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• Poser des questions au patient pour l’amener à rééchir sur ses déductions délirantes, susciter le doute, développer son sens critique. Par exemple, le thérapeute peut lui demander : « Pourquoi en êtes-vous venu à croire que tous ces gens se liguaient contre vous ? » ou bien il émet un commentaire susceptible de rétablir une vision moins persécutrice de la réalité : « Peut-être qu’en fait, dans la rue, les gens riaient d’une blague qu’on venait de leur raconter ? Ce n’est peutêtre qu’une simple coïncidence ? Qu’en pensez-vous ? » Sans contredire les perceptions du patient, le thérapeute doit se situer comme un individu diérent qui perçoit les événements sous un autre aspect et qui ore son opinion de façon respectueuse. Idéalement, le patient en vient alors de lui-même à douter de ses perceptions et déductions délirantes et à les critiquer. Souvent, en précisant ainsi ses perceptions devant un thérapeute qui ne le juge pas, mais qui les lui reète de façon neutre, le patient parvient, avec le temps, à remettre lui-même en question les conclusions qu’il en tire. Resituer la maladie comme une partie de sa vie plutôt que comme l’entièreté du Soi change la perception de soi, diminue la culpabilité et la honte et rehausse l’estime de soi. Donner au patient les moyens de mieux gérer sa maladie et ses conséquences personnelles et sociales augmente son sentiment de maîtrise ainsi que son espoir dans l’avenir. Enn, apprendre à distinguer ce qui est du ressort de la maladie et redécouvrir, au-delà de la maladie, les éléments positifs de sa personnalité (son sens de l’humour, sa sensibilité, ses talents, ses qualités, etc.) permet aussi de retrouver des sentiments positifs par rapport à soi-même, d’évoluer vers le rétablissement. Force est de constater, cependant, que certains patients sourant de psychose n’arrivent pas à percevoir qu’ils sourent d’une maladie pour trois raisons : 1. Manque d’information, ignorance : il arrive encore que certains patients n’aient pas bénécié d’une thérapie psychoéducative appropriée, même au cours de quelques années d’évolution de leur maladie. On a pu, par exemple, leur remettre simplement des feuillets explicatifs, sans en discuter avec eux, ou bien compter sur d’autres membres de l’équipe pour leur fournir des informations. En fait, tous les cliniciens devraient orir des éléments de psychoéducation aux moments opportuns. 2. Déni : en refusant de reconnaître leur maladie et les potentialités de réalisation de soi qu’elle a supprimées, certains patients utilisent ce mécanisme de défense pour continuer à protéger leur estime de soi. C’est particulièrement observable dans les délires grandioses : c’est tellement plus satisfaisant de croire qu’on est Dieu ou millionnaire que de réaliser qu’on soure d’une psychose. On sait que le manque d’insight est un symptôme très fréquent dans la psychose, notamment dans la schizophrénie. 3. Anosognosie : plus qu’un manque d’insight, il s’agit d’un trouble de perception de soi d’origine neurologique, où le patient n’a pas la connaissance d’avoir une maladie, par exemple une paralysie d’une jambe – et pourtant il tombe quand il se lève pour marcher – ou d’être aveugle – et pourtant il se frappe en avançant. Le malade ne refuse pas de l’admettre, il n’en a simplement pas conscience. Un dysfonctionnement cérébral empêche la mise à jour de la représentation de soi. On observe le même phénomène dans la psychose quand un patient, hospitalisé à répétition, refuse de prendre sa prescription en

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sortant de l’hôpital, ousqué qu’on lui dise de continuer son traitement, ayant la conviction qu’il est maintenant guéri, ou même qu’il n’est pas malade. Chez un patient présentant une anosognosie ou une faible conscience morbide, l’approche consistant à tenter de le convaincre qu’il soure d’une maladie et qu’il a besoin de suivre un traitement ne fonctionne pas. Il n’est pas réceptif à cette explication. Il vaut mieux l’aider à trouver ses propres raisons de suivre son traitement en fonction de ce qu’il considère personnellement comme important, en développant une relation d’écoute, de respect, d’empathie et de partenariat. Amador (2007) a conçu une approche non « confrontante » pour arriver à faire accepter son traitement au malade anosognosique. Elle est basée sur les quatre concepts suivants : 1. L’écoute réexive des peurs, des frustrations, des désirs : le thérapeute redit dans ses mots ce qu’il a compris, sans commentaires, sans désapprobation. 2. L’empathie : le thérapeute prend en considération le point de vue et les sentiments du patient. 3. L’accord : le patient doit percevoir son thérapeute comme un allié et non comme un adversaire. On met l’accent sur ce qu’on a en commun an de convenir des aspects qu’on peut travailler ensemble, par exemple le désagrément d’être hospitalisé à répétition. 4. Le partenariat : le thérapeute et le patient dénissent un plan de collaboration pour atteindre des objectifs partagés.

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Un supplément d’information sur la conférence de Xavier Amador (2005) est disponible en ligne dans la vidéo I am not sick, I don’t need help !

79.3.5 Approche psychoéducative auprès des familles La thérapie psychoéducative, quand elle s’adresse à la famille, consiste en un programme d’intervention structuré, développé pour la schizophrénie, le trouble bipolaire et d’autres pathologies. Les séances, dirigées par un ou deux thérapeutes, se pratiquent à domicile ou à la clinique avec la famille (incluant si possible le patient). Elles suivent une méthodologie en quatre étapes : 1. Évaluation des dicultés, des besoins et des forces de la famille. 2. Enseignement sur la maladie, c’est-à-dire discussion et information sur la nature de la maladie selon le modèle vulnérabilité/ stress, les symptômes et les signes précurseurs de rechute, le traitement pharmacologique à long terme, la gestion positive et ecace des stress et les services d’aide. 3. Enseignement sur la communication, pour aider les proches et le patient à acquérir des habiletés de communication an qu’ils puissent : a) exprimer des sentiments positifs (être capables d’apprécier un comportement adaptatif et le reconnaître en donnant une rétroaction positive) ; b) adopter une écoute active ; c) faire des demandes positives de changement plutôt que des reproches ; d) exprimer des sentiments négatifs de façon constructive.

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Le thérapeute favorise l’apprentissage des stratégies comportementales de diérentes façons : en décrivant les habiletés de communication, en donnant les raisons et les avantages de leur utilisation, en utilisant le jeu de rôle et les tâches à eectuer en dehors des séances pour les mettre en pratique. Ces habiletés de communication permettent d’améliorer le climat émotionnel, la qualité des relations interpersonnelles, la cohésion et la solidarité au sein de la famille. Elles rendent possible l’utilisation de la démarche de résolution de problèmes. 4. Enseigner des techniques de résolution de problèmes, pour développer une approche constructive des problèmes, augmenter les capacités du patient et de la famille à gérer la vie quotidienne et les événements stressants qui font partie de la vie courante. Cette technique consiste en une séquence méthodique d’opérations, en sept étapes, pour en arriver à trouver la meilleure solution plutôt que de faire n’importe quoi, sans rééchir. La technique de résolution de problème est présentée en détail au chapitre 75, à la sous-section 75.2.4. La thérapie psychoéducative propose d’engager la famille le plus tôt possible dans le processus thérapeutique sur une base non accusatrice et non culpabilisante. Elle prévoit de plus des interventions de crise au moment de stress importants et à l’apparition de signes précoces de rechute. Le souci premier du thérapeute est d’aider la famille à retrouver la conance dans ses propres capacités, mise à rude épreuve par la maladie et ses conséquences. Cette conance peut réapparaître lorsque la famille commence à enregistrer quelques succès en adoptant la démarche de résolution de problèmes. Ensuite, par un travail méthodique sur des situations problématiques amenées par la famille, le thérapeute l’aide à expérimenter cette démarche de façon de plus en plus autonome. Au cours des années, l’approche psychoéducative familiale s’est diversiée. Aujourd’hui, les diérentes interventions peuvent être regroupées en trois types : 1. La thérapie psychoéducative unifamiliale, qui inclut le patient et ses proches et qui se pratique généralement en clinique ambulatoire, mais aussi parfois à domicile. Elle consiste en des séances basées sur le soutien, l’éducation sur la maladie, l’apprentissage d’habiletés de communication et de résolution de problèmes et de gestion des situations de crise. 2. Les groupes psychoéducatifs pour parents, auxquels les patients ne participent pas, orientés vers le soutien des parents, et qui consistent en des séances basées sur l’information et la gestion de la maladie et de ses répercussions au quotidien. 3. Les groupes multifamiliaux, qui regroupent plusieurs familles incluant parfois les patients et qui abordent les mêmes thèmes que la thérapie unifamiliale, en protant des avantages de la situation de groupe. Chaque type d’intervention se concentre sur le présent et encourage la réinsertion progressive du patient dans sa famille et dans la société ainsi que la réorganisation de la famille autour d’une gestion plus ecace de la maladie.

79.3.6 Réticences des thérapeutes Aborder avec les patients tous les détails de leur maladie suscite encore des réticences chez bien des professionnels, surtout lorsqu’il s’agit de maladies mentales graves.

Diérentes raisons peuvent expliquer ces réticences :

• la confusion engendrée par une variété de modèles tentant d’expliquer les maladies mentales et l’absence de consensus sur leurs mérites respectifs. En fait, il vaut mieux que le thérapeute se fonde sur les données probantes pour exposer le modèle d’explication le mieux documenté pour chaque maladie, que de laisser le patient et sa famille se tourmenter dans leur ignorance sans obtenir de réponse ; • la croyance qu’un patient psychiatrique n’est pas capable de comprendre les concepts enseignés ou d’être responsable de lui-même ; • la crainte d’erayer ou de décourager le patient en lui donnant le nom de sa maladie et des détails sur celle-ci ; • la crainte que le patient puisse utiliser ces informations pour passer à l’acte ou se dégager de toute responsabilité ; • la crainte qu’en mettant trop l’accent sur la maladie, on maintienne le patient dans son « rôle de malade ». Également, bien des thérapeutes se réfugient derrière le principe de condentialité pour éviter de rencontrer les proches : « Je ne peux pas vous parler, car mon patient (votre ls, votre mari) ne m’y autorise pas. » Pourtant, on n’imaginerait pas tenir la famille à l’écart quand un de ses membres soure d’asthme ou d’épilepsie. Cette réticence provient-elle de l’inconfort et de l’appréhension de certains thérapeutes à rencontrer les proches, les familles ? Les maladies psychiatriques sont-elles tellement entachées de tabou et de stigmatisation qu’on espèrerait, par la pensée magique, en atténuer l’impact en refusant d’en parler avec les personnes concernées ? Les familles sont au contraire très reconnaissantes d’être informées avec délicatesse du diagnostic et des possibilités thérapeutiques. En refusant de rencontrer les proches, on met alors de côté un autre principe tout aussi important : obtenir la meilleure information collatérale possible pour préciser le diagnostic et orir des soins optimaux. Et qui sont mieux placés que les parents pour orir cette information ? Pourtant, on échange volontiers avec les autres membres de l’équipe soignante, souvent sur des sujets délicats concernant les patients, sans leur en demander l’autorisation. Comment concilier ces deux principes importants : l’obligation de la condentialité et l’obtention d’une information complète ? Voici quelques solutions : • Consacrer quelques entrevues au patient pour lui expliquer sa maladie et les traitements qui lui sont oerts. Puis inviter la famille pour que le patient lui transmette lui-même ces connaissances qu’il vient d’apprendre. Quand c’est le patient lui-même qui informe, le médecin ne transgresse donc pas la condentialité. Le médecin peut alors constater ce que son patient a retenu des informations discutées antérieurement ; et il complète en orant un supplément de renseignements scientiques, sans révéler les condences que le patient lui a faites. Pour les proches, il est de toute façon plus pertinent de savoir que le patient soure d’une maladie mentale, plutôt que de penser qu’il fait preuve de paresse ou de mauvaise volonté. • Inviter la famille à venir exposer ses observations. Le thérapeute confère d’emblée aux parents et au patient des rôles d’observateurs afin qu’ils décrivent objectivement les symptômes de la maladie. Le but n’est pas de parler du

Chapitre 79

érapie psychoéducative

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patient, mais de parler avec le patient et ses parents des manifestations et des traitements de la maladie. Il s’agit de reprendre la même démarche d’identication des symptômes (voir la sous-section 79.3.2) et d’inviter le patient à fournir des explications sur les comportements particuliers que les proches ont observés. Dans cette situation, il est très important que le thérapeute exerce un bon contrôle sur le processus de l’entrevue an d’éviter que les observations des parents deviennent des accusations et que le patient soit placé sur la défensive. Il faut plutôt que le patient et ses parents contribuent à dénir le problème (la maladie) et cherchent ensemble des solutions acceptables pour tous dans un contexte de collaboration. Par exemple : – Parents : « Nous avons amené notre ls à l’hôpital parce qu’il débranchait tous les appareils électriques dans la maison. » – érapeute : « Joseph, pouvez-vous expliquer à vos parents pourquoi vous faisiez ces actions qui les ont inquiétés ? » – Patient : « C’était un délire, j’avais peur que les appareils me transmettent des ondes et contrôlent mes pensées. » – érapeute : « Joseph, je vous ai déjà expliqué comment se forme un délire en raison d’un surplus de dopamine dans les synapses ; je vais maintenant l’expliquer à vos parents. » Il s’agit là évidemment d’un abrégé ; dans la réalité, il faut prendre beaucoup plus de temps pour agencer ce dialogue. La délicatesse, la prudence, les nuances sont de mise quand on discute de diagnostic. Il serait inapproprié de lancer un diagnostic de schizophrénie lors d’une première visite à l’urgence. Même si les critères diagnostiques sont remplis, il faut encore prévoir un moment propice pour fournir cette information dans le cadre d’une relation de conance. C’est souvent sur plusieurs semaines, ou même plusieurs mois, que les explications sont fournies au patient et à sa famille, selon leur réceptivité. Et il faut toujours associer le diagnostic à des propositions de traitement pour entretenir l’espoir (voir la sous-section 79.3.2). La même circonspection doit entourer le pronostic, qui doit proposer une variété d’évolutions et même un rétablissement. Lors de ces discussions, il faut quand même s’attendre, de la part du patient et de son entourage, à une série de réactions émotives qui s’apparentent aux réactions de deuil : déni, colère, révolte, culpabilité, dépression (Davis & Schultz, 1998). Il appartient au thérapeute de calmer cette eervescence aective pour que tous les membres de la famille quittent la séance avec un sentiment de satisfaction et d’apaisement. La thérapie psychoéducative étant un dérivé de la pédagogie, il y a lieu de vérier ce que le patient et sa famille ont compris des informations fournies. Il est alors possible de corriger des malentendus et de répondre aux questions.

79.3.7 Approche de groupe Dans l’approche psychoéducative, la situation de groupe ore des avantages sur les rencontres individuelles : • Le groupe est un lieu d’échange qui facilite l’intégration des informations par la discussion et par le partage des expériences individuelles. • Le groupe, s’il est bien structuré et géré par un animateur compétent, peut orir un cadre rassurant dans lequel les

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patients et les parents peuvent partager leur vécu émotionnel et surmonter leur désarroi. • Le groupe représente aussi la situation idéale pour l’apprentissage des habiletés sociales. Les programmes psychoéducatifs standardisés (voir la soussection 79.3.8) sont ici d’une grande utilité, car ils proposent un contenu et une progression dans les informations. Ils apportent aussi au thérapeute des conseils pratiques sur les techniques pédagogiques et comportementales. Pour ce qui est des informations à donner, le thérapeute expose les thèmes prévus au programme de la séance tout en permettant la discussion sur des sujets soulevés spontanément par les participants. Trop de rigueur par rapport au programme frustre les participants ; pas assez risque de faire en sorte que des informations importantes ne soient jamais abordées. La thérapie psychoéducative de groupe, qui doit être oerte par des thérapeutes expérimentés, est donc bien diérente des groupes d’entraide – lesquels sont complémentaires – servant à accompagner les patients ou les proches dans les dicultés de la vie quotidienne en les invitant à partager leurs expériences avec des pairs. Aussi, certains principes didactiques s’avèrent d’une grande utilité lors d’ateliers en groupe, mais aussi en entrevue individuelle (voir le tableau 79.1).

79.3.8 Programmes standardisés Divers groupes de cliniciens ont mis au point des programmes standardisés avec un contenu et une progression dans la présentation d’informations. De nombreux modèles de programmes psychoéducatifs disposant d’un matériel adapté (manuels d’instruction, brochures pour les participants, supports pédagogiques sous forme de vidéocassettes ou de diapositives) s’avèrent d’une grande utilité. Ils proposent un ensemble d’informations structurées et ables et orent au thérapeute la possibilité d’apprendre facilement les techniques et de les utiliser de façon correcte. Les sous-sections qui suivent mentionnent quelques-uns de ces programmes pour la schizophrénie et les troubles bipolaires. Mais les lecteurs intéressés peuvent en trouver plusieurs autres sur Internet pour les diverses maladies mentales et physiques.

Trouble bipolaire Pour le trouble bipolaire, deux programmes psychoéducatifs ont fait leurs preuves en diminuant et en retardant les rechutes et en aidant à l’observance de la médication : 1. Le programme Colorado Family-Focused Psychoeducation (Miklowitz, 2007), qui comporte les caractéristiques suivantes : • commence peu de temps après l’épisode aigu ; • s’adresse au patient et à un (ou plusieurs) de ses proches ; • est étalé en 21 sessions sur neuf mois (hebdomadaires pendant trois mois, bimensuelles pendant trois mois, mensuelles pendant trois mois) ; • est composé de trois modules successifs : – psychoéducation : information et discussion à propos des symptômes, des signes annonciateurs de rechute, des facteurs de risque et des facteurs protecteurs, importance de l’observance de la médication (sept sessions) ;

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

TABLEAU 79.1 Attitudes et comportements du thérapeute

Principe Informations à offrir

Attitude envers les participants

Sujets controversés

Attitude/comportement

Objectif de l’intervention

Présenter l’information sous forme auditive Pour mieux capter l’attention, stimuler plusieurs modalités d’apprentissage. et visuelle (tableau, schéma, graphique, etc.). Répéter régulièrement les mêmes informations.

Expliquer à plusieurs reprises, pour être bien compris, les aspects essentiels, comme l’importance de la médication antipsychotique dans la prévention des rechutes ou les risques de la consommation de drogues.

Doser l’information.

Concentrer les éléments d’information les plus importants, les présenter d’une manière claire et compréhensible et les répéter plusieurs fois, plutôt que d’essayer de faire assimiler une trop grande quantité d’information en une fois.

Utiliser le jeu de rôle.

Aider les participants à faire face à des situations difciles. La pratique par l’action, le modelage est plus efcace que la seule écoute.

Prodiguer des encouragements et des renforcements positifs.

Favoriser l’expression et l’estime de soi et stimuler des actions appropriées.

Souligner les comportements adéquats en tant qu’exemples à suivre, lorsqu’un participant relate ce qu’il a fait de bien.

Aider à reconnaître une façon efcace qu’un participant a utilisée pour gérer une situation de crise. Le participant se sent alors valorisé et les autres peuvent appliquer ce modèle par imitation.

Éviter de critiquer, notamment les participants « difciles ».

Choisir plutôt d’ignorer leurs attitudes inadéquates et diriger les échanges vers une approche plus constructive du problème. Néanmoins souligner leurs attitudes adéquates quand elles surviennent.

Limiter le temps de parole avec tact.

Permettre à chacun de s’exprimer. Solliciter l’opinion de ceux qui sont plus silencieux.

Présenter calmement et objectivement le pour et le contre de chaque idée.

Utiliser cette technique lorsque, sur des sujets fortement empreints de préjugés, des participants ont des avis opposés à celui de l’animateur.

Reconnaître les aspects négatifs du traitement et discuter ouvertement de ses avantages et de ses inconvénients.

Manifester une ouverture d’esprit, une capacité de nuance. Tout n’est pas noir ou blanc.

Rester ouvert aux critiques sur certains aspects ou sur la psychiatrie en général, même si elles sont exprimées de façon acerbe et virulente.

Écouter avec calme, demander éventuellement l’opinion des autres participants ; attendre que l’aspect émotionnel de la discussion se soit dissipé et émettre seulement à ce moment, avec prudence et objectivité, une opinion éventuellement contradictoire.

Utiliser une approche scientique, basée sur les preuves, plutôt qu’idéologique.

Éviter la confrontation idéologique en expliquant les données scientiques, citer des études scientiques.

– entraînement à la communication : pratique d’expression et d’écoute ecace, habiletés de négociation, assorties de devoirs à la maison (sept à dix sessions) ; – entraînement à la résolution de problèmes (quatre ou cinq sessions). 2. Le programme Barcelona Family Psychoeducation (Reinares & al., 2010), qui s’adresse à plusieurs proches du patient réunis pour 12 sessions de 90 minutes. Il s’agit d’un programme psychoéducatif centré sur une information structurée à propos du trouble bipolaire et des habiletés pour y faire face.

Schizophrénie Profamille, de Cormier et de ses collaborateurs (1991), est un programme éducatif destiné aux familles, qui vise davantage la prise en compte des besoins des autres membres de la famille pour qu’ils puissent « assurer leur propre réalisation personnelle malgré la présence du patient schizophrène et les responsabilités

de soins et de soutien qui y sont inhérentes ». Le programme consiste en 14 séances hebdomadaires de quatre heures chacune regroupant une quinzaine de parents. En plus de donner des notions de base à propos de la schizophrénie, on y aborde les habiletés à établir des limites, à accroître l’estime de soi, à développer des attentes réalistes, à maintenir un réseau de soutien social. Conçu au Québec, ce module est maintenant utilisé, amélioré et validé surtout en Europe (Hodé & al., 2010). L’évaluation des effets du programme sur les participants montre une amélioration statistiquement significative des connaissances, de l’humeur et des savoir-faire à la fin du programme, améliorations qui perdurent lors de la réévaluation un an plus tard. Près de la moitié des participants ayant des scores dépressifs élevés au début normalisent leurs scores un an après. Les participants décrivent également une amélioration statistiquement significative de l’état du malade qui perdure après un an. Les malades ont été moins souvent hospitalisés

Chapitre 79

érapie psychoéducative

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dans l’année qui a suivi le programme Profamille que dans l’année précédente : on note 225 jours d’hospitalisation en moins (baisse de 50 %), soit une économie de 67 500 euros (calculée à un taux de 300 euros/jour), c’est-à-dire un gain financier égal à environ trois fois le coût de l’investissement dans l’animation.

Modules psychoéducatifs Depuis les années 1980, Robert P. Liberman travaille sur le développement d’habiletés sociales qu’il dénit comme « l’ensemble des capacités cognitives et comportementales qui nous permettent de communiquer nos émotions et nos besoins, de façon compétente pour nous permettre de réaliser nos aspirations interpersonnelles » (Liberman & al., 1989, p. 3, traduction libre). Le but de cet entraînement est l’ecacité personnelle. Les habiletés sociales sont décrites comme un processus séquentiel comprenant trois étapes : 1. Habileté de perception des indices environnementaux mettant en jeu des habiletés réceptives, qui consiste à remarquer et à percevoir adéquatement les informations pertinentes émanant du contexte et des relations interpersonnelles dans diverses situations sociales ; 2. Habileté de traitement des informations mettant en jeu la capacité d’anticipation et les habiletés décisionnelles, qui consiste à évaluer une série de solutions possibles, de comportements potentiellement ecaces pour choisir la réponse la plus susceptible d’atteindre un but immédiat et à long terme ; c’est la technique de résolution de problèmes ; 3. Habileté de réalisation de la réponse, qui permet d’utiliser le comportement approprié dans une situation sociale en choisissant : a) les mots appropriés (communication verbale), ce qui donne une image plus ou moins organisée de la compétence sociale d’une personne ; b) la façon de transmettre le message (communication non verbale – c’est l’aspect le plus important de la communication ecace). Ce style de communication spontané, intuitif détermine les jugements sociaux et les réactions de l’entourage en ce qui concerne l’ecacité d’un comportement social. Les modules psychoéducatifs de Liberman sont des programmes structurés et interactifs destinés à enseigner à des patients psychiatriques les connaissances et les habiletés sociales nécessaires dans des domaines précis de fonctionnement. Chaque module comprend les outils suivants : • un manuel pour le thérapeute, qui indique de façon très détaillée, étape par étape, la façon d’enseigner la matière du module et de gérer le processus de groupe ; • un cahier du participant, qui contient des tests, des feuilles d’évaluation, des problèmes types, des exercices et des travaux individuels ; • une vidéocassette montrant de petites scènes dans lesquelles des patients et des soignants utilisent les habiletés apprises dans le module. Liberman a préparé sept modules consacrés à la psychoéducation des patients, dont certains ont été édités en français : • Éducation au traitement neuroleptique (1986) ; • Éducation au contrôle des symptômes (1988).

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L’acquisition du contenu de chaque module se fait en décomposant l’apprentissage en sept étapes successives : 1. Introduction au domaine de compétence ; 2. Démonstration sur vidéocassette et séance de questions – réponses ; 3. Jeu de rôle ; 4. Choix des ressources ; 5. Situations problèmes ; 6. Exercices pratiques ; 7. Travail individuel. Cette façon de faire crée une structure et une répétition de l’apprentissage sous des formes variées. Les modules sont présentés sous une forme conviviale an qu’ils puissent être utilisés aisément et correctement avec un minimum de formation préalable. Peu de temps et d’eort sont nécessaires pour préparer et animer la séance du jour. Enn, la forme modulaire permet de standardiser et d’évaluer aisément l’entraînement donné, ce qui facilite l’évaluation de la qualité des soins et les recherches cliniques.

Gestion de la maladie et rétablissement Mueser et ses collaborateurs (2010), spécialistes de la réadaptation psychiatrique, ont élaboré le programme Gestion de la maladie et rétablissement (GMR), une première version en 2002 et une seconde version remaniée en 2010. Le programme GMR est une pratique psychoéducative basée sur les preuves, dont l’objectif principal est de donner aux patients les connaissances et les habiletés pour gérer leur maladie, pour trouver leurs propres objectifs de rétablissement, et pour prendre des décisions éclairées concernant leur traitement et les services qui pourraient leur être utiles. Ce programme, qui est expérimenté depuis plusieurs années, a été largement implanté aux États-Unis de même qu’au Canada, en Angleterre et en Allemagne. Il est utilisé en Europe francophone depuis la publication de la traduction française (Socrate-Réhabilitation, 2011). Il est utilisé autant en milieu urbain qu’en milieu rural, autant dans des services hospitaliers qu’extrahospitaliers.

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Un supplément d’information sur le programme Gestion de la maladie et rétablissement est disponible au www.espace-socrate.com/index.php/socrate-rehabilitation/ gmr.

Le programme GMR s’adresse à toute personne présentant une maladie mentale grave (schizophrénie, trouble schizoaectif, trouble bipolaire et dépression majeure récurrente) qui nécessite un traitement médicamenteux continu pour la prévention des rechutes et un soulagement des symptômes ainsi que d’autres modalités de réadaptation disponibles. Les six principes de base du programme GMR sont les suivants : 1. Le rétablissement est déni par la personne elle-même, qui est encouragée et soutenue tout au long du programme à préciser et à mener à bien ses propres objectifs de rétablissement. 2. L’éducation au sujet de la maladie mentale et de ses traitements est le fondement de la capacité à prendre des décisions éclairées. 3. Le modèle vulnérabilité-stress ore un cadre conceptuel pour la gestion de la maladie.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

4. Collaborer avec les professionnels et avec les proches ainsi qu’avec d’autres personnes signicatives aide les patients à réaliser leurs objectifs de rétablissement. 5. Les plans de prévention des rechutes réduisent les rechutes et les réhospitalisations. 6. Les patients peuvent apprendre de nouvelles stratégies pour gérer leurs symptômes, gérer le stress et améliorer leur qualité de vie. Dans ce programme, les conseillers GMR rencontrent les patients sur une base hebdomadaire – en individuel ou en petit groupe selon la situation et les besoins de la personne – cela pour une période de trois à dix mois. Au début et tout au long du programme, ils aident les bénéciaires à se dénir et à poursuivre des objectifs personnels de rétablissement : • Bernard, 19 ans, schizophrénie depuis 18 mois, cannabis : me trouver un travail valorisant ou reprendre mes études, retrouver un mode de vie sain, mieux gérer mon stress et mes pensées intrusives, améliorer mes relations avec mes parents. • Sophie, 24 ans, schizophrénie depuis six ans : reprendre une formation d’aide administrative en septembre, perdre du poids, arrêter de fumer, avoir un ami. • Touda, 36 ans, trouble schizoaectif depuis 10 ans, long passé d’abus de cocaïne, d’alcool et de cannabis : occuper ma semaine avec des activités constructives, me refaire un réseau social, améliorer mes relations avec mon ls de 14 ans. Tout en suivant la réalisation des objectifs des bénéficiaires, les conseillers GMR abordent avec eux les sujets du programme et les aident à faire les liens avec les difficultés qu’ils rencontrent. Les 10 sujets abordés dans le programme sont les suivants : 1. Les stratégies du rétablissement ; 2. Des faits pratiques à propos de la schizophrénie, du trouble bipolaire, de la dépression ; 3. Le modèle vulnérabilité-stress et les stratégies de traitement ; 4. La construction de son soutien social ; 5. L’utilisation ecace de la médication ; 6. L’abstinence de drogue et d’alcool ; 7. La diminution des rechutes ; 8. La façon de faire face aux stress ; 9. La gestion des problèmes et des symptômes ; 10. La façon de trouver des réponses à ses besoins dans les services de santé mentale. Pour chaque sujet, le bénéciaire reçoit un document intitulé Notes de cours, qui propose dans un langage clair les notions théoriques et pratiques, des exemples concrets, des tests et des exercices à domicile avec une personne-ressource. Le conseiller GMR utilise un manuel appelé Guide pratique pour le conseiller, qui contient les mêmes notes de cours, accompagnées d’un descriptif, étape par étape, de chacune des sessions d’apprentissage avec les stratégies motivationnelles, éducationnelles et cognitivocomportementales à utiliser dans l’animation. Le conseiller GMR dispose également d’un modèle d’entretien structuré appelé Inventaire des forces et des connaissances, pour orienter le patient dans le programme et l’aider à dénir ses objectifs, ainsi que d’une che de contrôle de la délité au programme.

Programme intégratif de thérapie psychologique Le Programme intégratif de thérapie psychologique (Integrated Psychological erapy [IPT]) a été élaboré par Brenner et son équipe, en Suisse, en 1976. Son usage s’est par la suite répandu en Europe, en Californie et au Québec (Briand & al., 2005). Ce programme axe le travail thérapeutique sur les processus de pensée et vise surtout à restaurer les aptitudes à traiter l’information sur les plans attentionnel, perceptif et cognitif. Il utilise des techniques de remédiation cognitive et d’apprentissage d’habiletés sociales. Un groupe de six à neuf patients participent, pendant environ neuf mois, à un programme d’entraînement hautement structuré, selon un ordre hiérarchique, présenté dans six modules de complexité croissante, ayant chacun leur objectif propre : 1. Diérenciation cognitive : les patients développent une pensée conceptuelle (formation de classes et de concepts), une capacité d’abstraction et de modulation des concepts (à partir de jeux, de questions et de classement de cartes). La discrimination critique entre l’essentiel et l’accessoire y est abordée. 2. Perception sociale : le thérapeute utilise des diapositives ou des extraits vidéo pour aider le patient à discriminer et à interpréter divers stimuli d’ordre social. 3. Communication verbale : les habiletés conversationnelles de base sont ici abordées. Le but est d’essayer de comprendre le discours des autres participants tout en respectant la contribution de chacun. 4. Entraînement aux compétences sociales : à l’aide de jeux de rôle préparés en groupe par les patients, diverses compétences sociales sont mises en pratique dans des contextes variés. 5. Gestion des émotions : le but de ce module consiste à peauner la reconnaissance ecace des émotions et les habiletés à les gérer, de façon à diminuer l’impact négatif de l’anxiété et la détresse sur le traitement de l’information. Ce module a été modié et il est maintenant considéré par certains comme une approche psychothérapeutique distincte (emotional management therapy ; Hodel & al., 1998). 6. Résolution de problèmes interactionnels : les habiletés acquises lors des précédents modules sont ici mobilisées dans le but de faciliter et d’optimiser la gestion des facteurs de stress pouvant survenir lors des échanges avec autrui.

Les choix du DJ Les choix du DJ (disk jockey), de Demers et de ses collaborateurs (2010) de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec, est un coret d’enseignement et de soutien, en quatre sessions, dans le but de favoriser la prise et le maintien d’un antipsychotique au moyen d’une discussion en petits groupes. 1. Fais le bon mix : les rôles et impacts de la médication. 2. Trouve ton rythme : les eets indésirables des psychotropes. 3. Explore les pistes : les enjeux autour de l’observance. 4. Garde le tempo : l’intégration d’un plan d’action individualisé quant à la prise de la médication.

Programmes psychoéducatifs offerts par des rmes pharmaceutiques Certaines rmes pharmaceutiques, comprenant que leur médicament est insusant pour favoriser la réadaptation, développent ou adaptent en français du matériel psychoéducatif, qui peut être Chapitre 79

érapie psychoéducative

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utilisé avec nuance par des cliniciens motivés ayant reçu une formation minimale. Voici quelques-uns de ces programmes : • Le programme Schiz’ose dire et Schiz’ose faire (Lilly, 2010). Des cliniciens ont préparé une série de cahiers pour animer des groupes psychoéducatifs pour les patients et leur famille : – « J’anime un groupe psychoéducatif » – « Accompagner les familles de patients sourant de schizophrénie » – « C’est étrange autour de moi » – « Je prends un neuroleptique » – « Mon ls/ma lle est en crise » – « Je me soigne près de chez moi » – « La schizophrénie, ça se soigne » – « Ce que je sais sur ma maladie » – « Je vais mieux » Un supplément d’information sur le programme Schiz’ose dire est disponible au www.lilly.fr/fr/maladie/schizophrenie/ brochures.aspx.

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• Le programme Prelapse a été élaboré à l’instigation de la rme



pharmaceutique Lundbeck, dans le cadre d’une campagne internationale de prévention des rechutes chez les patients atteints de schizophrénie. Ce programme, dont le contenu a été vérié par des experts, est particulièrement utile pour l’enseignement à des groupes. Il est organisé en 10 séances de 90 minutes et son matériel peut être utilisé auprès des familles ou des patients. Le programme PACT (Psychose : aider, comprendre, traiter), diusé par la rme Janssen-Cilag, contient trois cassettes vidéo illustrant des scènes de la vie quotidienne de familles et de patients aux prises avec des problèmes liés à la schizophrénie. Elles peuvent servir de point de départ à une discussion de groupe.

79.4 Indications et contre-indications La thérapie psychoéducative consiste en un processus structuré et étalé dans le temps qui inclut éducation, accompagnement et soutien émotionnel, exercices à domicile et apprentissage d’habiletés de gestion de la maladie et de ses conséquences personnelles et sociales. Elle s’associe à la réadaptation, à l’entraînement aux habiletés sociales, et vise le rétablissement.

79.4.1 En médecine À la suite du développement du contexte politique autour du droit à l’information, les médecins se sont largement inspirés de l’approche psychoéducative dans une variété de situations nécessitant des changements d’attitudes de la part des patients. C’est ainsi qu’on a vu apparaître des sessions d’information concernant le tabagisme, les habitudes alimentaires, la grossesse, etc. L’éducation du patient fait partie des préoccupations médicales et des outils d’intervention. Les maladies cardiovasculaires, le diabète ou l’asthme, en raison de leur caractère chronique, nécessitent des traitements à long terme ainsi que des changements de comportement et d’habitudes de vie. Même les situations prévisibles comme l’utilisation du condom, le port de la ceinture

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de sécurité, les cours prénataux ou la préparation à la retraite se fondent sur les principes de l’approche psychoéducative pour orir information et soutien aux personnes concernées. Dans de nombreuses maladies physiques de nature chronique se pose aussi la question de l’adhésion aux traitements et aux diverses prescriptions. En médecine comme en psychiatrie, la psychoéducation du patient peut être dénie comme un ensemble de procédés dont l’objectif est un changement de comportement par des interventions tant sur le plan des connaissances que sur celui des attitudes. Ce changement débute par la diusion de nouvelles connaissances du médecin au patient et devrait être suivi par l’intégration de ces connaissances de manière à orienter les comportements vers l’adoption de meilleures habitudes de vie. C’est également une combinaison de moyens d’apprentissage visant à faciliter l’adoption volontaire de comportements et ayant pour stratégie la recherche des facteurs qui prédisposent au changement de comportement, qui aident à son émergence et qui renforcent son maintien selon le modèle de la psychologie sociale (voir la sous-section 79.1.5). La thérapie psychoéducative s’inscrit dans le contexte d’une relation clinicien-patient personnalisée. Cette relation est axée non seulement sur la communication des connaissances, mais aussi et surtout sur la compréhension des mécanismes qui permettent au patient d’intégrer ces connaissances, le tout dans un climat de respect reétant l’aspect volontaire de la démarche du patient.

79.4.2 En psychiatrie En ce qui concerne les indications psychiatriques, la thérapie psychoéducative a été utilisée dans pratiquement tous les syndromes, chez les adolescents, les adultes, les personnes âgées et leurs proches, en entretien individuel, familial ou de groupe. La principale contre-indication à la thérapie psychoéducative est l’absence de mémoire, comme dans les démences (Alzheimer). Il faut pouvoir retenir des concepts et des apprentissages pour proter de cette thérapie. La psychoéducation n’est pas non plus indiquée en phase aiguë de la maladie lorsque le patient est activement délirant. Il est alors préférable de lui orir du réconfort et du calme, pas des explications. Même stabilisés, cependant, des patients peuvent garder des croyances fausses ou même délirantes par rapport à l’origine de leurs symptômes et de leur maladie, ce qui les rend réticents à une approche psychoéducative. Toutefois, les familles, les proches souhaitent habituellement rencontrer les thérapeutes. Le psychiatre devrait d’ailleurs systématiquement discuter avec l’entourage des patients lors des visites à l’urgence, au moment du congé d’hospitalisation et sur demande en clinique ambulatoire.

79.5 Résultats selon les données probantes L’American Psychiatric Association (2004) considère que la thérapie psychoéducative fait partie des interventions indispensables pour favoriser l’autonomisation (empowerment) des patients et de leur famille en leur permettant de comprendre l’importance des trois aspects essentiels du traitement optimal : • l’aspect « bio » : antipsychotique pour compenser le décit de ltrage neuronal de dopamine dans le système limbique pour

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TABLEAU 79.2 Efcacité de la thérapie psychoéducative dans la schizophrénie sept ans après le congé d’hôpital

Thérapie psychoéducative en groupe : parents et patients – N = 24

Groupe témoin : traitement usuel – N = 24

4,4

3,2

Réhospitalisation 1 an après le congé d’hôpital

13 % (durée = 10 jours)

33 % (durée = 31 jours)

Réhospitalisation 2 ans après le congé d’hôpital

33 % (durée = 21 jours)

54 % (durée = 67 jours)

Réhospitalisation après 7 ans

54 % (durée = 75 jours)

88 % (durée = 225 jours)

1 789 jours

5 405 jours

354 mg

267 mg

Nombre d’hospitalisations avant la psychoéducation

Nombre cumulatif de jours d’hospitalisation en 7 ans Équivalent chlorpromazine utilisé Source : Adapté de Bauml & al. (2007), p. 854-861.

79.5.2 Approche psychoéducative des familles

Lehman et ses collaborateurs (2004), dans le Patient Outcome Research Team (PORT), recommandent d’orir aux patients atteints de schizophrénie et à leur famille les interventions validées suivantes : • une médication antipsychotique bien ajustée ; • la psychoéducation quant à la maladie ; • l’entraînement aux habiletés sociales ; • l’acquisition d’aptitudes à la résolution de problèmes ; • le soutien en emploi ; • le soutien intensif dans la communauté. Pour être ecace, l’approche psychoéducative doit mobiliser l’ensemble des membres de la cellule familiale, patient inclus, et doit être incorporée aux soins psychiatriques de base et à un projet de traitement global du patient. Les programmes courts d’éducation à la famille qui se limitent à donner des informations et des conseils sur la gestion de la maladie sont moins ecaces pour réduire le risque de rechute et ont moins d’eet sur les comportements dérangeants du patient. Ils sont cependant utiles pour les raisons suivantes : • Ils permettent d’engager la famille dans le processus thérapeutique. • Ils aident la famille à conceptualiser la maladie et les problèmes qui y sont liés. • Ils diminuent temporairement le fardeau émotionnel familial. Néanmoins, une des rares études à long terme d’un programme relativement court montre que des résultats favorables persistent même après sept ans (voir le tableau 79.2). Dans cette étude, la thérapie psychoéducative en groupe consistait : • pour les patients, en quatre sessions hebdomadaires de 60 minutes plus quatre sessions mensuelles ; • pour les parents, en huit sessions bimensuelles de 90 à 120 minutes.

La famille et les proches des personnes atteintes de troubles mentaux graves ont longtemps été tenus à l’écart des traitements. La famille est maintenant considérée comme un des alliés les plus importants dans la prise en charge du patient. Elle est perçue comme une source précieuse d’informations pour l’équipe traitante en ce qui a trait à l’évolution des symptômes, à la réponse à la médication et à l’observance médicamenteuse (Collette & al., 2004).

Un progrès considérable dans la compréhension des maladies mentales et dans leurs traitements a été accompli depuis l’hypothèse de la double contrainte (double bind) et de la « mère schizophrénogène ». Autrefois, les psychiatres fournissaient peu d’explications à leurs patients et étaient peu disponibles aux familles perçues comme coupables. C’est de cette ignorance que sont nés bien

• •

la schizophrénie, ou stabilisateur d’humeur pour les troubles aectifs ; l’aspect « psycho » : pour comprendre la maladie et accroître le répertoire de stratégies d’adaptation (coping) ; l’aspect « social » : pour réduire les stress environnementaux et aménager des systèmes de soutien.

79.5.1 Approche psychoéducative des patients Dans le domaine de l’approche psychoéducative des patients, ce sont les programmes mis au point par Liberman sous forme modulaire qui ont fait l’objet des plus nombreuses études tant pour la version anglaise que pour la version française. Lalonde & De Plaen (1998) montrent que ces modules sont acceptés et restent ecaces dans un environnement culturel francophone. Les patients qui en bénécient connaissent mieux leur maladie et les raisons de leur traitement, présentent une amélioration de la prise de leur médicament et aussi de la manière avec laquelle ils rapportent les eets indésirables à leur médecin. Parallèlement, les doses d’antipsychotiques deviennent plus stables. Ces acquisitions se maintiennent dans le temps sur des périodes allant de six mois à un an. Mais la généralisation en milieu naturel des habiletés acquises en clinique pose encore problème. Mueser et ses collaborateurs (2002) ont fait une revue de la littérature scientique qui soutient l’approche psychoéducative comme une pratique basée sur les preuves : les patients qui bénécient de ce type d’approche en savent plus sur les maladies mentales, réduisent leurs rechutes et leurs réhospitalisations, réduisent la détresse liée aux symptômes psychiatriques et sont plus réguliers et plus stables dans l’adhésion à leur traitement.

Chapitre 79

érapie psychoéducative

1705

des malentendus et même les mouvements antipsychiatriques. De nos jours, plusieurs cliniciens orent de l’information aux patients et aux familles et acceptent de répondre aux invitations des groupes d’entraide. En améliorant les connaissances des

personnes concernées, on favorise un mouvement de collaboration, pas toujours facile à établir d’emblée, mais qui s’amplie avec le temps. Si la question du « pourquoi le faire » ne se pose plus, celle du « comment le faire » est toujours d’actualité.

Lectures complémentaires C, F. & V, E. (2006). Psychoeducation Manual for Bipolar Disorder, Cambridge, Cambridge University Press. E P P  I C (EPPIC) (1997). Psychoeducation for Early Psychosis, Victoria, Australia,

1706

Psychiatric Services Branch, Department of Human Services. E S-P. Modules psychoéducatifs de Liberman, Programme gestion de la maladie et rétablissement, [en ligne], www.Espace Socrate.com.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

R-O-S. Matériel psychoéducatif (Société québécoise de la schizophrénie) : Outil bilingue pour aider au dépistage précoce des signes avant-coureurs de la psychose an de contribuer à réduire ses eets néfastes, [en ligne], www. schizophrenie.qc.ca/le-refer-o-scope.html. R A.-V. (2014) Mieux vivre avec la schizophrénie, Paris, Dunod.

CHA P ITR E

80

Thérapie motivationnelle Florence Chanut, M.D., FRCPC

Stéphane Proulx, M.D., FRCPC

Psychiatre, Service des maladies aectives, Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal

Psychiatre, Service des urgences psychiatriques, Hôpital Maisonneuve-Rosemont (Montréal)

Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Professeur adjoint de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Membre du Motivational Interviewing Network of Trainers et de l’Association francophone de diusion de l’entretien motivationnel

80.1 Historique et bases théoriques...................................1708 80.1.1 Précurseurs de la thérapie motivationnelle ... 1708 80.1.2 Modèle transthéorique du changement ........ 1709 80.1.3 Évolution de la thérapie motivationnelle ....... 1711 80.2 Formation des thérapeutes .........................................1712 80.3 Principes et modalités d’application .........................1712 80.3.1 Techniques de base de la thérapie motivationnelle ................................................... 1712 80.3.2 Esprit motivationnel .......................................... 1714 80.3.3 Méthode de la thérapie motivationnelle ........ 1715 80.3.4 Transformation de la résistance ...................... 1718 80.3.5 Maintien et rechute ............................................ 1719 80.3.6 Autres outils ........................................................ 1720

80.4 Indications et contre-indications .............................. 1721 80.5 Résultats selon les données probantes ..................... 1722 Lectures complémentaires .................................................... 1723

L

e rôle du thérapeute est de guider les patients vers le rétablissement. Pour ce faire, il s’eorce de bien les informer sur les choix reliés à leur santé et émet des recommandations de traitement en fonction de leurs besoins. Toutefois, malgré ces informations, les patients ne suivent pas nécessairement les avis thérapeutiques (Julius & al., 2009). La connaissance des eets délétères d’un comportement n’a pas toujours susamment de poids pour décider un patient à modier ses habitudes de vie. Quelle approche thérapeutique pourrait améliorer la réceptivité des patients aux recommandations médicales et ainsi les aider à se rétablir ? Au l du temps, de multiples théories de la motivation ont été décrites et utilisées. Parmi les plus familières se trouvent celles qui adoptent une orientation : • psychodynamique, où des pulsions inconscientes intrapsychiques motivent l’individu dans ses actions ; • systémique, découlant de l’apprentissage social, où les pairs et l’entourage jouent un rôle majeur dans la formation d’attentes chez l’individu et inuencent son comportement ; • cognitive et comportementale, où l’évitement de la sourance ainsi que la recherche du plaisir et de la gratication sont des facteurs de motivation importants. L’approche thérapeutique qui résulte de toutes ces théories est abordée dans d’autres chapitres de ce livre. Mais c’est sans doute dans le domaine de la thérapie des troubles liés aux substances que la question de la motivation a été la plus étudiée au cours des dernières décennies. C’est donc dans ce champ clinique que plusieurs auteurs ont élaboré des approches thérapeutiques apparentées que l’on regroupe sous le terme de thérapie motivationnelle (TM). Il s’agit essentiellement de l’entretien motivationnel (EM) (motivational interviewing) et de ses adaptations, comme la MET (motivational enhancement therapy). La TM ne constitue pas une entité distincte, mais plutôt une façon d’englober un ensemble de variantes très proches de l’EM. Comparativement à d’autres formes de psychothérapie, la TM n’a pas l’objectif de changer la façon de penser globale de l’individu, mais s’appuie plutôt sur un style d’intervention centré sur la personne pour répondre au problème usuel de l’ambivalence au changement (Miller & Rollnick, 2013). Depuis la n des années 1990, les indications de la TM ont dépassé le champ de la thérapie des troubles liés aux substances pour s’étendre au changement de comportement au sens large, en particulier le changement d’habitudes de vie, dé incontournable dans le traitement des maladies chroniques, entre autres. Il y a donc peu de domaines de la médecine où la thérapie motivationnelle n’a pas d’utilité potentielle, en particulier pour faciliter l’adhésion au traitement recommandé.

80.1 Historique et bases théoriques La thérapie motivationnelle (TM) est d’abord apparue vers les années 1980 dans le contexte du traitement des troubles liés aux substances. Elle s’inscrit dans le mouvement des thérapies humanistes « centrées sur le client », en contraste avec les approches axées sur la confrontation du déni fréquemment pratiquées dans les milieux de traitement des troubles liés aux substances en Amérique du Nord.

1708

80.1.1 Précurseurs de la thérapie motivationnelle La TM s’est grandement inspirée de la psychologie humaniste décrite par Carl R. Rogers (1902-1987) et de celle de son élève Thomas Gordon (1970) sur la thérapie centrée sur le client. Pour Rogers (1965), le thérapeute, en créant un contexte d’authenticité, d’acceptation inconditionnelle et de compréhension empathique, facilite un processus de changement dont le patient est le promoteur. Dans la philosophie de la TM, le changement durable ne peut se faire que par le patient et pour lui-même (DiClemente, 2003). C’est tout un changement de paradigme, comparativement à la pratique médicale usuelle. Les médecins (et bien d’autres cliniciens) ont l’habitude de prodiguer de « bons conseils » de façon paternaliste. Souvent, les thérapeutes tiennent pour acquis que leur rôle est de conseiller de façon bienveillante, même parfois insistante. En TM, il faut délaisser, du moins temporairement, cette attitude d’expert pour accorder toute la place aux motivations propres du patient et à ses solutions. Il faut plutôt l’inciter à trouver lui-même des solutions qu’il pourra appliquer et le renforcer dans cette voie. Plutôt que de se soumettre aux directives d’un thérapeute, le patient approfondit sa réflexion sur les choix qui s’offrent à lui pour ensuite collaborer davantage à la décision qu’il a lui-même prise. On se base donc sur les valeurs du patient et son bagage d’expériences pour le guider vers une décision de changement ou de maintien du statu quo ainsi que dans le choix des moyens pour mettre cette décision en œuvre. La thérapie humaniste, de laquelle s’inspire la TM, est une approche où le thérapeute se met au diapason du patient. La relation thérapeute-patient est égalitaire et non directive. C’est ce dernier aspect de la directivité qui constitue la plus grande diérence entre la thérapie humaniste et la TM, le thérapeute étant plus directif dans la TM, quoique de façon subtile, pour guider le patient vers une décision visant un changement, en se basant sur son niveau de motivation au changement. La TM nécessite la focalisation sur une cible de changement, alors que la thérapie centrée sur le client n’impose aucune cible. Le thérapeute en TM tente d’inuencer le patient vers une prise de décision (que ce soit pour ou contre un changement donné), alors que la thérapie humaniste proscrit toute inuence du thérapeute envers le patient. Contrairement à d’autres approches, la TM évite de confronter directement le patient à son problème tel qu’il est perçu par le thérapeute, mais l’invite plutôt à rééchir à l’écart possible qui existe entre sa situation actuelle et celle qu’il souhaiterait vivre idéalement. Ce faisant, le thérapeute l’encourage en s’appuyant sur les propres arguments de son patient vers un changement que le patient a lui-même ciblé. La théorie de la perception de soi de Daryl Bem (1967) stipule qu’une personne qui s’entend argumenter en faveur d’une position s’engage de plus en plus dans cette direction. Autrement dit, « plus je m’entends parler, plus j’apprends ce que je crois et plus je me convaincs ». Les techniques de la TM visent justement à ce que les arguments en faveur du changement soient énoncés par le patient lui-même plutôt que par le thérapeute, suivant le principe avancé par Bem.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

80.1.2 Modèle transthéorique du changement Au cours des années 1970, dans le domaine des troubles liés aux substances, la motivation résultant de multiples facteurs bio-psycho-sociaux est généralement vue comme un trait relativement stable de la personne, hors de portée (et hors de la responsabilité) du thérapeute. Prochaska & DiClemente (1983), s’attardant en particulier à l’étude de l’abandon tabagique, ont cherché à synthétiser plusieurs modèles théoriques du changement de comportement. Leurs recherches partaient du besoin ressenti d’intégrer les diverses approches fragmentaires de thérapies portant sur les comportements problématiques reliés à l’usage de substances dans un modèle transthéorique. Ils ont, dans la foulée, décrit un processus de changement comportant des stades à travers lesquels les individus progressent vers le changement d’un comportement problématique, ce qu’ils ont nommé le modèle transthéorique (MTT) du changement intentionnel de comportement humain. Cette idée d’étapes avec des stades préparatoires à la décision de changement a grandement inuencé la genèse de la TM. Prochaska & DiClemente (1983), avec une mise à jour par DiClemente en 2003, ont identié, dans le MTT, cinq stades de changement conceptualisés sous la forme de la « roue du changement » (voir la gure 80.1). Outre ces stades, le MTT comporte trois autres dimensions du changement qui peuvent l’aecter positivement ou négativement :

1. Les processus du changement (cognitifs/expérientiels et comportementaux) ; 2. Les marqueurs du changement (balance décisionnelle et ecacité personnelle/vulnérabilité à la tentation) ; 3. Le contexte du changement. Le tableau 80.1 illustre les principaux aspects du modèle d’où découlent certaines interventions en fonction du stade de changement du patient. Selon le MTT, le changement n’est pas un processus linéaire. Il est fréquent qu’un individu quitte un stade pour ensuite y revenir, ce qui reète l’ambivalence inhérente à tout changement. Ce concept est fondamental dans la TM. Même si la TM est une technique thérapeutique distincte du MTT, les deux sont souvent confondus. Il faut les voir comme complémentaires et compatibles. Le MTT propose une compréhension globale du processus de changement et la TM, un moyen pour les personnes les moins prêtes à changer, donc dans les stades de précontemplation, de contemplation et de préparation, de s’engager dans le changement (Miller & Rollnick, 2013). Il est à noter que le fait d’enseigner le MTT aux patients, comme cela est fait couramment dans les services de thérapie des troubles liés aux substances, ne constitue pas en soi de la thérapie motivationnelle, mais une forme de psychoéducation. Donc, lorsque le but de l’intervention est de transmettre des connaissances sur le processus de changement, plutôt que d’explorer la perspective du patient face à ce changement, il s’agit de psychoéducation et non de TM.

FIGURE 80.1 Roue du changement

Source : Adapté de DiClemente (2003), p. 30.

Chapitre 80

érapie motivationnelle

1709

TABLEAU 80.1

Stade

Observations cliniques et exemples d’interventions en fonction des stades de changement du modèle transthéorique (MTT) Observations cliniques

Exemples d’intervention

Précontemplation • Absence de perception de l’existence d’un problème : « Je n’ai pas de problème d’alcool. » « Je n’ai besoin de prendre aucun médicament. » • Absence d’intention de changement à court ou moyen terme (c.-à-d. six mois et moins) : « Je sais que ma glycémie n’est pas parfaite, mais il est hors de question que je me prive de mes aliments préférés. Je préfère vivre comme cela. » • Absence d’autocritique, déni : « Le retour de mes hallucinations n’a rien à voir avec l’arrêt de ma médication. » • Réponse négative du patient à la confrontation ou à l’insistance du thérapeute. Le patient persiste et se braque sur sa position et refuse les avis ou les prescriptions du thérapeute.

• Chercher à saisir une occasion d’intervention lors d’une manifestation ayant généré une demande d’aide. • Utiliser la thérapie motivationnelle, en particulier pour consolider la relation thérapeutique et susciter l’ambivalence quant au maintien du statu quo, en explorant le vécu du patient à ce sujet. • Faire une rétroaction objective et sans jugement de valeur sur des résultats d’examens, de questionnaires ou d’analyses. • Suggérer des stratégies de réduction des méfaits (p. ex., appeler Nez rouge pour rentrer à la maison). • Assister le patient dans la résolution de problèmes urgents pouvant interférer avec sa capacité de changement (p. ex., traiter une psychose aiguë). • Échanger de l’information de façon motivationnelle (voir, la soussection 80.3.6). • Appliquer les approches systémiques et familiales (p. ex., network therapy, community reinforcement approach).

Contemplation

• Ambivalence vis-à-vis du changement, perception des aspects pour et contre du changement et du statu quo. • Balance décisionnelle : le patient peut argumenter à propos des aspects pour et contre du comportement : « Même si j’aime bien fumer la cigarette, il est vrai que ça me cause quelques désagréments. » « J’aimerais bien faire plus d’exercice, mais… » • Résistance probable à la confrontation. Le patient tend à favoriser le statu quo lorsque le thérapeute insiste sur la nécessité du changement.

• Chercher à augmenter l’ambivalence vis-à-vis du problème par une approche psychoéducative neutre, c’est-à-dire sans attitude moralisatrice ni conseils. Simplement donner de l’information factuelle. • Utiliser la balance décisionnelle. • Utiliser la thérapie motivationnelle, en particulier pour évoquer les raisons de changement propres au patient et ses capacités à réussir le changement. • Employer une rétroaction objective et sans jugement de valeur sur des résultats d’examens, de questionnaires ou d’analyses. • Appliquer les approches systémiques et familiales.

Préparation

• Décision d’agir, engagement à passer à l’action : « Je veux cesser de fumer la cigarette. » « Je suis prêt à essayer ce nouveau traitement. » • Élaboration d’un plan et d’étapes par le patient pour changer le comportement et le remplacer par de nouveaux comportements.

• Utiliser la thérapie motivationnelle pour renforcer l’engagement au changement, le sentiment d’efcacité personnelle du patient et aborder la planication du changement. • Aider le patient à se xer un échéancier et des étapes. • Développer un plan de changement qui inclut : – les stratégies pour promouvoir les processus clés du changement ; – l’identication des marqueurs critiques du changement ; – le moment et la manière d’aborder d’autres problèmes pouvant interférer avec le changement.

Action

• Décision d’agir : « Je veux cesser ma consommation. » • Expérimentation de nouveaux comportements pour remplacer l’ancien. • Mise en action du plan de changement et des étapes pour y arriver. • Exploration de solutions lorsque des obstacles surviennent.

• Assurer un suivi régulier pour continuer de soutenir l’efcacité personnelle et l’engagement au changement. • Chercher à outiller le patient en lui fournissant de l’information nouvelle sur les choix possibles et les conséquences de ses choix. • Réviser le plan de changement, si nécessaire. • Diriger le patient vers des ressources additionnelles, si utile (p. ex., groupe de soutien par les pairs, assistance au sevrage, thérapie en environnement protégé, consultation avec un spécialiste). • Gérer les contingences (renforcement des succès par des récompenses). • Aider à modier les renforcements environnementaux de l’ancien comportement. • Utiliser la technique de résolution de problèmes. • Utiliser la thérapie de prévention de la rechute (Marlatt & Gordon, 1985).

Maintien

• Maintien du nouveau comportement sur une longue période de temps (p. ex., plus de six mois) dans une variété de situations. • Consolidation du nouveau comportement dans le style de vie du patient. • Exploration des comportements d’adaptation à apporter vis-à-vis de la nouveauté.

• Continuer d’apporter du soutien et de renforcer les succès, car les tentations de revenir au style de vie antérieur sont importantes. • Utiliser la thérapie de prévention de la rechute (Marlatt & Gordon, 1985). • Soutenir la recherche de nouvelles sources de renforcement positif. • Soutenir la recherche ou le maintien d’un environnement favorable au nouveau comportement.

Note : La prévention de la rechute est une forme de thérapie cognitivo-comportementale qui vise à évaluer et hiérarchiser les situati ons à haut risque de rechute et à aider le patient à élaborer des stratégies pour éviter la rechute (Marlatt & Gordon, 1985).

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Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

Une des principales critiques du MTT est l’observation de la volatilité des stades de changement chez plusieurs des personnes questionnées. Il est donc important de ne pas concevoir ces stades comme des étapes d’une durée nécessairement prolongée, mais plutôt comme des états transitoires et changeants, ce qui est tout à fait conciliable avec la pratique de la TM. La connaissance du MTT peut aider les thérapeutes à s’adapter au patient dans l’instant présent et à choisir la TM lorsqu’elle est appropriée, ou à choisir d’autres techniques pour favoriser le changement chez leur patient selon le stade où il se situe. Pour Prochaska & DiClemente (1983), la sortie de la roue du changement est considérée comme la rémission, soit le maintien du nouveau comportement, qui devient ainsi le nouveau statu quo. Une autre possibilité est le retour au comportement initial (aussi appelé rechute dans le champ de la toxicomanie). Il peut être très bref, rapidement suivi d’un retour en action du patient. Il peut aussi se prolonger, ce qui amène alors le thérapeute à revisiter n’importe lequel des stades antérieurs à l’action. Par exemple, un patient qui aurait cheminé jusqu’au maintien quant à l’adhésion à la médication à l’aide d’une hospitalisation prolongée et qui, quelque temps après sa sortie, cesserait de nouveau sa médication à la suite de commentaires négatifs de son réseau social pourrait revenir dans la roue au stade de contemplation. On constaterait possiblement un retour de l’ambivalence à changer un comportement qu’il associe positivement à ses liens sociaux. Pour adapter le plan de traitement de façon appropriée, le thérapeute doit alors s’ajuster au stade où le patient se trouve à ce moment. Cela peut être une occasion de réviser ce que le patient souhaite, les dés et les obstacles engendrés par le changement et, nalement, d’explorer avec lui les moyens de cheminer de nouveau vers la rémission, s’il le désire.

80.1.3 Évolution de la thérapie motivationnelle Au début des années 1980, les taux d’abandon et de non-adhésion au traitement des troubles liés à l’alcool, alors principalement centré sur la cure de désintoxication suivi d’un traitement résidentiel, préoccupent les thérapeutes et les chercheurs. Un psychologue américain, William R. Miller (1983), développe une séance de préparation au traitement habituel visant à améliorer la motivation et donc l’adhésion au traitement de la dépendance à l’alcool. Les résultats non seulement montrent des résultats positifs dans l’accroissement de la persévérance au programme thérapeutique, mais indiquent que certains participants à ces séances préliminaires eectuent des changements dans leur consommation d’alcool sans passer par la cure de désintoxication, soit sans traitement additionnel. Il s’agit de la première description de la TM. De la motivation au traitement, la TM devient utile pour susciter la motivation au changement. La TM étant une intervention brève d’une durée variant typiquement d’une séance de quelques minutes à quatre séances d’une heure, elle soulève alors un grand enthousiasme dans le domaine du traitement des toxicomanies. Il s’ensuit plusieurs essais cliniques par diérents chercheurs sur l’usage de la TM pour une variété de troubles liés aux substances dans des milieux de soins variés. En 1991, Miller & Rollnick cosignent le premier manuel d’entretien motivationnel ayant alors uniquement pour cible les comportements de dépendance dits « addictifs ».

À la n des années 1990, une grande étude multicentrique commandée par les Instituts de recherche sur l’alcool et l’alcoolisme aux États-Unis (NIAAA) découlait de l’observation selon laquelle la connaissance de la gravité des conséquences négatives d’un produit (alcool, tabac, drogues) par la population n’avait pas susamment de poids pour entraîner des changements de comportement. Par exemple, la publicité aversive sur les paquets de cigarettes illustre de façon claire les dommages du tabac, mais n’est pas susante pour faire cesser le tabagisme chez plusieurs fumeurs. Il s’agit du Projet MATCH (Matching Alcoholism Treatments to Client Heterogeneity, Project MATCH Research Group, 1997). Cette étude a comparé trois méthodes : 1. La TM, plus spéciquement la Motivational Enhancement erapy (MET), qui consiste en une rétroaction individualisée sur les résultats aux questionnaires standardisés sur l’usage de l’alcool suivie d’entretiens motivationnels (EM) sur un total de quatre séances. 2. Le programme en douze étapes des Alcooliques Anonymes (AA). 3. La thérapie cognitivo-comportementale de prévention de la rechute. Les résultats sur les taux d’abstinence à l’alcool s’avèrent équivalents pour les trois types de thérapie, mais sont obtenus en trois fois moins de séances pour la TM par rapport aux deux autres approches. Se confirme ainsi la place de la TM parmi les thérapies fondées sur les données probantes pour les troubles liés à l’alcool. Le paradigme d’un traitement plus long et intensif pour un trouble plus grave lié à l’alcool est remis en cause par ces résultats. La recherche sur l’efficacité des interventions brèves en toxicomanie, dont la TM, a alors le vent dans les voiles. Ce courant est également alimenté par de nombreux constats selon lesquels les personnes aux prises avec un trouble lié aux substances s’en sortent fréquemment sans aucune aide formelle, pas même la fréquentation de groupes de soutien par les pairs (p. ex., les AA). La recherche indique ainsi des taux de rémission spontanée des troubles liés aux substances de 30 % (Blomqvist, 2002) à 77 % (Sobell & al., 1996). L’esprit de la TM est imprégné de cette possibilité de rémission spontanée, ce qui peut nourrir l’espoir et la confiance du thérapeute envers les capacités de changement du patient. Conséquemment, il peut s’investir dans un rôle de facilitateur du changement plutôt que d’en porter l’entière responsabilité. Depuis, la TM a été étudiée et expérimentée sur de nombreux comportements humains en dehors des troubles liés aux substances. Les dernières années ont vu le développement d’approches complexes, dont la TM n’est qu’une composante parmi d’autres, avec des durées de traitement plus longues pour aborder des problèmes multidimensionnels, tels que les troubles liés aux substances chez des patients sourant de schizophrénie (Barrowclough & al., 2001 ; Bellack & al., 2006). La recherche se poursuit dans l’étude des diérents aspects de la TM pour mieux en comprendre les processus et les ingrédients actifs. Cela constitue un formidable eort de conceptualisation et de rigueur scientique dans le champ des psychothérapies. C’est ainsi que l’attention s’est dirigée sur le discours de changement comme indicateur du processus mis en branle dans la TM. Les analyses linguistiques d’Amrhein et de ses

Chapitre 80

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collaborateurs (2003) ont marqué un tournant pour conrmer l’importance du discours de changement chez le patient, en particulier un sous-type appelé discours d’engagement, comme facteur prédictif de changement de comportement à la suite de la TM. Cependant, comme il est montré à la section 80.5, la grande variabilité dans la puissance de l’eet de la TM dans la littérature scientique suggère l’inuence à la fois de facteurs relationnels et de facteurs liés à la compétence du thérapeute (Miller & Rose, 2009). Cela a grandement motivé le développement d’outils de mesure validés pour objectiver la qualité et la délité du thérapeute aux principes et à la méthode de la TM en recherche d’abord, puis dans son enseignement clinique, par exemple l’échelle MITI (Motivational interviewing treatment integrity) et le MISC (Motivationl interviewing skill code), qui sont en amélioration continuelle.

80.2 Formation des thérapeutes La TM est pratiquée à travers le monde et des formateurs du Motivational Interviewing Network of Trainers (MINT) œuvrent dans plus de 45 langues. Il existe un regroupement de formateurs francophones appelé Association francophone de diusion de l’entretien motivationnel (AFDEM). Et, bien sûr, plusieurs congrès orent des mises à jour.

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Un supplément d’information sur l’entretien motivationnel est disponible au www.entretienmotivationnel.org. et au www.motivationalinterviewing.org.

Les techniques utilisées en TM semblent évidentes et intuitives pour la majorité des cliniciens. Cependant, leur pratique doit être subordonnée à l’esprit et à la méthode de la TM, le plus possible en conformité avec les échelles citées plus haut. Malheureusement, l’autoévaluation de la compétence en TM semble peu corrélée à la performance objective (Miller & al., 2004). Plusieurs thérapeutes ont l’impression qu’il est facile de pratiquer la thérapie motivationnelle et qu’ils peuvent l’utiliser spontanément, sans formation spécique. Typiquement, la formation à la TM comporte un atelier pratique et théorique d’introduction d’environ deux jours, suivi d’une supervision, individuelle ou en petits groupes, basée sur l’écoute d’enregistrements d’entrevues cliniques. La recherche indique que la rétroaction sur des échantillons d’entrevues (enregistrées en vidéo ou en audio), par un formateur qualié, est une étape critique dans l’apprentissage de la TM (Miller & al., 2004). La composante de supervision directe est de plus en plus guidée par l’utilisation de l’échelle MITI. L’esprit motivationnel constitue le savoir-être essentiel de cette thérapie, ce qui peut poser un dé à son intégration clinique selon les thérapeutes, leur contexte de pratique et leurs valeurs propres. Une introduction à la TM se retrouve de plus en plus dans les curricula des programmes d’études pour les professionnels de la santé (médecine, soins inrmiers, psychologie, service social, etc.) de plusieurs universités du monde. Il est bien entendu possible de s’inspirer de techniques de la TM dans une approche éclectique, mais beaucoup de travail de recherche reste à faire an de préciser les ingrédients indispensables pour en garantir l’ecacité.

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80.3 Principes et modalités d’application Plusieurs éléments de la technique d’entrevue confèrent son originalité à la thérapie motivationnelle (TM).

80.3.1 Techniques de base de la thérapie motivationnelle Les techniques de base de la TM sont réunies sous l’acronyme OuVER : les questions Ouvertes, les Valorisations, l’Écoute réective et le Résumé. Ces techniques ne sont évidemment pas exclusives à la TM, mais c’est leur usage privilégié en vue de susciter un discours de changement chez le patient qui la diérencie des autres approches. La maîtrise de ces techniques, en particulier de l’écoute réective, est indispensable à la compétence en TM.

Questions ouvertes La fonction principale des questions en TM n’est pas d’obtenir de l’information, mais plutôt de susciter un discours de changement. Les questions ouvertes encouragent le patient à élaborer sa réponse, tandis que les questions fermées le conduisent à des réponses courtes, ce qui induit, dans l’entrevue, une dynamique où le thérapeute est très actif et le patient plutôt passif. La question ouverte laisse plus de place à l’apport du patient dans l’entretien. Par exemple, le thérapeute pourrait amorcer la discussion sur la cible choisie par une question ouverte : • Quelle est la place de (la cible choisie – alcool, cannabis, exercice, diète) dans votre vie actuellement ? Plutôt que par une série de questions fermées : • Est-ce que (la cible choisie) vous a déjà causé des problèmes ? • Depuis quand avez-vous un problème avec (la cible choisie) ? • Avez-vous déjà tenté (X, Y, Z) ? En réponse à une question fermée, le patient peut facilement dire « non » ou s’en tenir à une collaboration supercielle qui ne permettra pas l’approfondissement du sujet ciblé. À l’opposé, devant une question ouverte, il peut se sentir plus libre d’élaborer sur le sujet en fonction de ce qui le préoccupe, ce qui est essentiel pour faciliter sa motivation. Les questions ouvertes sont donc très utiles dans le processus d’évocation des motivations du patient au changement ainsi qu’à l’amorce du processus de planication. Par exemple : « Nous venons de parler assez longuement de votre souhait d’améliorer votre diète. Où en êtes-vous, maintenant, après notre discussion ? » ou encore : « Vous avez identié le fait que le cannabis pouvait nuire à vos études. Vous semblez tenir à réussir votre année scolaire. Si vous décidiez d’améliorer vos notes, que voudriez-vous faire en priorité ? » Une telle question, posée à un moment où le patient montre susamment d’ouverture au changement, peut l’amener à amorcer la planication de sa mise en action. Ainsi, il pourrait proposer une solution à sa mesure : « Je pourrais commencer par consommer seulement le soir pour me permettre de mieux dormir. » La solution est donc élaborée par le patient lui-même et représente ce qu’il est prêt à faire actuellement. Évidemment, même bien formulée, la question ouverte doit respecter le stade de motivation du patient. Par exemple, la question suivante : « Que souhaitez-vous

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faire par rapport à votre consommation d’alcool ? » pourrait être toute indiquée après que le patient a positivement répondu au processus d’évocation (stade de préparation selon le MTT), mais susciter de la résistance chez un patient dont l’engagement dans la rencontre n’est pas encore assuré (stade de précontemplation selon le MTT). Le thérapeute en TM choisit donc avec soin les questions qu’il pose, la manière dont il les pose et le moment où il les pose. Il en fait aussi un usage plus restreint que dans une entrevue médicale typique, puisqu’il ne s’agit pas de procéder à une évaluation clinique, mais de favoriser la motivation.

Valorisations Une valorisation, ou l’armation des forces, est la reconnaissance explicite d’un aspect positif chez le patient, y compris sa valeur inhérente comme être humain. Les valorisations sont utiles en tout temps dans la TM et peuvent à elles seules évoquer un discours de changement. Elles peuvent, par exemple, être utiles pour diminuer la résistance et faciliter l’engagement au début de la TM, en mettant l’accent sur des caractéristiques concrètes et positives qui alimentent la motivation du patient. Plus tard, elles sont aussi utiles pour renforcer son sentiment d’ecacité personnelle lorsque vient le temps de planier le changement. Dans le traitement de maladies chroniques, il arrive régulièrement qu’un patient vive un sentiment d’échec ou d’impuissance : « J’ai traversé une mauvaise passe. Même avec tous mes eorts, je n’ai pas réussi à perdre les cinq kilos que je prévoyais, j’en ai seulement perdu un. » Si le thérapeute met l’accent sur son succès, même moindre qu’attendu, il préserve le sentiment d’ecacité personnelle du patient, l’encourageant ainsi à persévérer. Par exemple : « Malgré une période de stress important qui a ralenti vos progrès, vous avez réussi à garder le cap sur votre objectif de perdre du poids. » Si, par contre, le thérapeute passe beaucoup de temps à explorer les obstacles au changement, au détriment de l’exploration de ce qui a fonctionné, il risque d’augmenter le sentiment de culpabilité ou d’échec du patient, qui peut se sentir découragé et être tenté d’abandonner. « Votre épouse aimerait beaucoup que vous arrêtiez de fumer et vous le ferez quand vous déciderez de le faire. » Cette réponse valorisante souligne l’autonomie du patient et transmet un sentiment de conance dans ses capacités de changement. Le thérapeute peut aussi solliciter le patient pour énoncer la valorisation, par exemple en lui demandant d’élaborer sur des succès passés. Il est à noter qu’une valorisation n’est pas un compliment : on évite de donner une connotation de jugement de valeur basé sur l’expertise du thérapeute. On cherche plutôt à porter un éclairage positif, empathique et optimiste sur un acte, une habileté, une intention du patient, basé sur ce qu’il manifeste en entrevue ou dans la vie courante. Concrètement, il est préférable, en TM, de relever un fait (« Vous avez pris le temps de lire sur cette maladie. ») que d’énoncer un verdict positif (« Je vous trouve bien informé ! Je vous félicite ! ») Le patient est l’unique juge d’une bonne valorisation ; c’est la responsabilité du thérapeute d’adapter les valorisations à la personnalité, au vécu et à la culture du patient pour que cette valorisation augmente son sentiment d’ecacité personnelle.

Écoute réective L’écoute réflective est l’habileté par laquelle le thérapeute cherche à comprendre le patient de manière approfondie et à lui manifester cette compréhension par des reets simples

ou complexes. L’écoute réective, un savoir-faire fondamental dans la TM, doit être pratiquée pour être bien maîtrisée. Techniquement, elle consiste en une série de reets basés sur ce que le patient dit en entrevue. C’est Carl Rogers (1965) qui l’a d’abord décrite sous le terme d’« empathie précise ou approfondie » (accurate empathy), puis son élève omas Gordon (1970) a poursuivi en employant le terme d’« écoute active » (active listening). Certains utilisent aussi le terme d’« écoute empathique ». L’écoute réective est constituée de l’écoute non verbale empathique, de reets simples, de reets complexes et de résumés. Dans la TM, l’utilisation des reets et des résumés domine largement celle des questions dans le but d’exprimer au mieux l’empathie et de laisser une grande place au discours de changement du patient. • Un reet simple est une répétition ou une reformulation de l’énoncé du patient. Le reet est basé sur l’hypothèse du thérapeute cherchant à traduire ce que le patient a voulu dire, sans intention d’en altérer la signication. Même si l’énoncé est hypothétique, il est important de le transmettre sur une intonation armative, sans quoi le patient percevra plutôt celui-ci comme une question. Le patient est alors libre d’armer, d’inrmer ou de corriger l’hypothèse du thérapeute. Patient (P) : « Vous savez, depuis mon accident, la douleur ne me quitte pas. Cela m’empêche de dormir, je deviens impatient. Et, pendant le jour, il y a des fois où je n’arrive pas à faire quoi que ce soit, je reste cloué au lit ou au sofa. » érapeute (T) : « La douleur ne vous laisse aucun répit. Elle vous empêche de fonctionner normalement. » (reet simple) P : « C’est l’enfer ! Je m’inquiète pour mon emploi, car j’ai accumulé tellement d’absences pour maladie… » T : « Vous avez peur que votre employeur s’irrite de vos absences. » (reet simple) P : « Tout à fait ! Je sais que je n’en suis pas encore là, mais il faut que cela s’améliore au plus vite ! » • Le reet complexe est un reet simple « enrichi » de sens. En eet, le reet complexe ajoute un certain contenu au discours du patient ou met l’accent sur ce qu’il a dit en faisant une hypothèse raisonnable sur du contenu sous-jacent ou sur ce qui pourrait être dit tout de suite après, comme si le thérapeute continuait la phrase commencée par le patient. Il peut aussi amplifier, par leur simple juxtaposition, la tension entre deux énoncés témoignant des deux côtés de l’ambivalence. Par exemple : « D’un côté, faire vos exercices de physiothérapie tous les jours est une corvée très ennuyante et, de l’autre côté, cela vous donne un moyen de retrouver votre précieuse mobilité. » Si le thérapeute n’a pas fait la bonne hypothèse sur ce que le patient ressent, ce dernier a alors l’occasion de manifester son désaccord et de rectier. S’il tombe juste, le patient perçoit que le thérapeute a compris, qu’il est empathique, de façon plus profonde qu’avec une question. Le reet complexe peut aussi amplier, ou diminuer, de façon subtile le sens des propos du patient. Il est important d’éviter toute ironie dans ce type de reet. Il s’agit de voir la situation à travers les yeux du patient, ce qu’il a vraiment voulu dire. Par exemple, dans le cas d’un patient amorçant une pharmacothérapie antipsychotique :

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P : « Je ne pense pas que mon entourage soit d’accord à ce que je prenne ces pilules ; mon frère m’a fait une remarque, l’autre jour, sur mes tremblements. » T : « Vous avez le sentiment que tous vos proches ne voient que les eets indésirables de vos médicaments et désapprouvent votre décision de les prendre. » La réponse habituelle (mais pas garantie) du patient à cette amplication est d’argumenter en faveur d’une vue plus nuancée, par conséquent plus ouverte au changement. P : « En fait, c’est surtout mon frère, je pense. Le reste de ma famille ne me fait pas de commentaires. Ma mère m’a même dit que j’avais l’air mieux, la semaine dernière. » Il est habituel d’utiliser une plus grande proportion de reets simples en début de séance de TM, le thérapeute se mettant au diapason de son patient. Cependant, les reets simples à répétition amènent des progrès plus lents et peuvent même donner le sentiment de tourner en rond dans la discussion, d’où l’importance de favoriser dès que possible l’utilisation de reets complexes. Le reet complexe demande une bonne capacité d’écoute et d’analyse, il requiert une certaine pratique pour le maîtriser. Plus il est signicatif pour le patient, plus il a des chances de susciter un discours de changement.

Résumé Un résumé, ou une récapitulation, consiste essentiellement en un reet abordant plusieurs aspects du discours du patient. En TM, le thérapeute choisit consciemment ce qu’il inclut dans le résumé pour qu’il soit plus ecace, tout comme il le fait avec les reets. Une place prioritaire est généralement accordée au discours de changement. C’est une technique utile à plusieurs ns dans la TM. Il peut s’agir de faire une synthèse des aspects saillants du discours du patient à la suite d’une question ouverte, pour vérier si les éléments les plus signicatifs ont été abordés. Le résumé peut aussi faire le lien entre des éléments énoncés récemment par le patient et d’autres discutés antérieurement. Revenons à l’exemple du cannabis. T : « Vos études vous accaparent énormément en cette n de session et vous avez l’intention de nir ce trimestre pour être en mesure d’entrer dans un nouveau programme qui correspond plus à ce que vous voulez. Le stress est intense et votre consommation de cannabis a augmenté pour son eet relaxant. Vous remarquez, par contre, que cela nuit à votre concentration pendant la journée. Pour cette raison, vous avez décidé de reporter votre consommation en soirée, hors des périodes d’étude. » La répétition du discours de changement utilisé par le patient et le choix du thérapeute de le placer à la n du résumé, plutôt qu’au début, sert à y mettre l’accent et incite le patient à élaborer dans ce sens. Le résumé est également utile pour aborder une nouvelle étape dans l’entretien, à l’abord d’un nouveau processus de la TM. Par exemple, à la charnière du processus d’évocation et de celui de planication : T : « Vous êtes à court de temps et c’est votre principal obstacle pour être actif physiquement. Votre sentiment de manquer d’énergie, les problèmes de sommeil et l’anxiété vous poussent à prioriser l’exercice davantage dans votre vie. Où cela vous mène-t-il maintenant ? »

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Finalement, le résumé peut permettre de faire le pont entre deux cibles de changement distinctes, mais interreliées. Par exemple : T : « Votre tristesse semble avoir diminué avec l’augmentation récente des antidépresseurs. Vous relatez être en mesure, depuis quelques jours, de mieux vous occuper des aaires courantes de votre quotidien et même de refaire des mots croisés avec plus de concentration et d’intérêt. Vous ne trouvez pas pertinent de modier la dose de médicament maintenant. Est-ce que cela fait le tour de la situation ? » Le patient peut alors faire part de sa vision des choses. Le thérapeute peut ensuite relancer : « Maintenant que nous avons parlé de la médication, accepteriez-vous d’aborder votre isolement ? Si vous êtes d’accord pour qu’on en discute, c’est un autre aspect de votre dépression qui me préoccupe. » Le thérapeute demande la permission au patient et s’assure de son engagement à aborder le sujet qu’il désire introduire.

80.3.2 Esprit motivationnel Au-delà des techniques, la thérapie motivationnelle (TM) est caractérisée par une vision du patient et de la relation thérapeutique. L’esprit motivationnel correspond essentiellement à celui de la thérapie humaniste de Rogers. Il se compose du partenariat, de l’acceptation ou du non-jugement, de l’altruisme et de l’évocation. Chaque composante de l’esprit motivationnel est reliée à des manifestations comportementales chez le thérapeute, en faisant aussi appel à son expérience relationnelle. Les auteurs de la TM arment qu’elle est avant tout une façon d’être avec le patient et non quelque chose qu’on fait au patient.

Partenariat Un partenariat où le thérapeute et le patient travaillent ensemble pour le changement est essentiel. En TM, un effort actif du thérapeute est requis pour qu’il n’y ait pas de déséquilibre de « pouvoir ». Les expertises du thérapeute et du patient sont mises à prot pour atteindre les objectifs du patient avec une participation prédominante de ce dernier. La relation thérapeutique est centrée sur le patient et sur ce qu’il veut mettre en action à l’intérieur et à l’extérieur de la thérapie. En TM, le thérapeute évite soigneusement les ordonnances, les avis, la transmission d’information non sollicitée et les prescriptions. Il cherche plutôt à mobiliser les propres connaissances, ressources et habiletés du patient an de favoriser le changement. Fondamentalement, il reconnaît au patient la prépondérance de son point de vue et se place dans un rôle de guide ou de facilitateur du changement comme en a décidé le patient. Il s’agit de soutenir le patient pour l’amener à prendre la meilleure décision pour lui-même, selon ses valeurs propres. Il peut être ardu pour le thérapeute de résister à sa tendance naturelle d’expert qui prend en charge, identie unilatéralement le problème, saute aux conclusions par des mécanismes qui échappent au patient et tente de le persuader d’une solution. Comme dans la danse sociale, le mouvement vers le changement ne peut se faire qu’en étroite collaboration et avec le plein accord de son partenaire, le patient. Il faut être deux pour danser le tango.

Acceptation ou non-jugement Le non-jugement, ou l’acceptation, dans le cadre de la TM, s’inspire directement des travaux de Carl Rogers. Le thérapeute

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reconnaît d’emblée la valeur inconditionnelle et le potentiel de chaque individu (Miller & Rollnick, 2013). En reconnaissant la personne dans son intégrité, il n’impose pas ses vues et valeurs personnelles. Pour Rogers, l’acceptation inconditionnelle et la bienveillance non possessive du thérapeute sont des conditions indispensables pour amener un changement positif vers la réalisation de soi du patient. L’acceptation en TM se compose de quatre éléments : 1. La valorisation ou l’armation des forces. C’est non seulement une technique en TM, mais une façon intentionnelle d’être avec le patient. Il s’agit de mettre en valeur les eorts et les forces du patient plutôt que d’explorer ses dicultés et ses faiblesses. Autrement dit, de chercher à voir le verre à demi plein plutôt qu’à demi vide. 2. La reconnaissance de la valeur inconditionnelle de chaque personne, de son potentiel et de sa place unique parmi les humains. Il y a une forme de paradoxe, ici, puisque c’est en acceptant la personne telle qu’elle est maintenant qu’elle peut être la plus libre de changer. Sous le regard positif du thérapeute, le patient peut alors s’épanouir à son plein potentiel. 3. Le soutien de l’autonomie du patient. C’est un autre aspect essentiel de l’acceptation. Il implique le respect absolu du droit de la personne de choisir pour elle-même. Le thérapeute a une obligation de moyens, non de résultats. Sauf en cas de dangerosité grave et immédiate, le patient est toujours libre de ses choix. La responsabilité du changement incombe au patient et, dans l’esprit de la TM, le thérapeute l’aide à faire émerger ce choix personnel. Ce refus du thérapeute de prendre en charge la décision du patient découle directement du respect de la capacité de ce dernier à prendre des décisions pour lui-même, et non par manque d’empathie. Cette liberté est fondamentale et s’oppose à l’approche paternaliste qui provoque très souvent la résistance. Le thérapeute est toutefois responsable de maintenir un cadre propice et conforme à l’esprit motivationnel. Si le thérapeute se trouve dans des circonstances cliniques où son devoir médicolégal ou déontologique l’oblige à enfreindre le libre choix du patient, l’indication de la TM dans ces circonstances devrait être évaluée au préalable. En pratique, le respect de l’autonomie peut, par exemple, se manifester lorsque le patient choisit une solution qui, selon le thérapeute, a peu de chances de fonctionner. Le thérapeute motivationnel laisse le patient essayer sa propre solution, tout en le guidant à mettre des balises. Il sera toujours possible de réévaluer ensemble les résultats et de mobiliser les ressources du patient s’il désire corriger le tir ; c’est en cela que le thérapeute favorise l’autonomie du patient. 4. L’empathie approfondie (accurate empathy). Elle fait aussi partie de l’acceptation en TM. La recherche indique que l’empathie est associée à de meilleurs résultats cliniques (Beck & al., 2002), peu importe l’allégeance théorique du thérapeute. Elle se distingue de la sympathie et de l’identication au patient en ce sens que le thérapeute fait un eort conscient et actif pour comprendre le point de vue interne de l’autre « comme si » il était à sa place sans jamais perdre de vue le « comme si ». L’empathie en TM se manifeste principalement par l’écoute réective décrite précédemment. Cette écoute permet au thérapeute de constamment vérier sa compréhension du point de vue du patient et de lui transmettre l’importance qu’il y accorde. Plus encore, cette écoute empathique facilite

la compréhension du patient par lui-même, lui permettant d’approfondir sa réexion sur ses valeurs et les choix qui en découlent.

Altruisme En réponse à l’expansion de l’usage des techniques de l’entretien motivationnel à des ns éthiquement douteuses, telle la vente sous pression, Miller & Rollnick (2013) ont récemment ajouté l’altruisme comme aspect essentiel de l’esprit de la TM. Ils dénissent l’altruisme par la promotion active du bien-être de l’autre, la priorisation de ses besoins. La TM ne peut être une suite d’astuces pour manipuler l’autre vers un changement à l’avantage de celui qui l’utilise. Malgré l’explosion des domaines où la TM peut être utilisée, l’approche doit rester centrée sur le patient et son bien-être et en aucun cas sur l’intérêt du thérapeute ou de l’organisation qui l’emploie.

Évocation La notion d’évocation en TM signie que le potentiel de changement est à l’intérieur de la personne et que le rôle du thérapeute est seulement de faire émerger (et non de créer de toutes pièces) ce potentiel déjà présent. En complément de l’acceptation, l’évocation sous-entend de croire a priori en la motivation intrinsèque de la personne et en sa capacité de réalisation. Le terme « évoquer » prend alors tout son sens : appeler à soi (evocare). En pratique, cela implique de favoriser l’émergence du discours de changement par le patient lui-même et non directement par le thérapeute.

80.3.3 Méthode de la thérapie motivationnelle La méthode de la TM est caractérisée par quatre processus qui s’emboîtent successivement dans un ordre précis, les premiers pavant la voie aux suivants. Ces processus sont aussi récursifs : le maintien de l’engagement dans la relation thérapeutique se poursuit tout au long de la TM, même lorsque le patient est à l’étape de la planication du changement. Les trois premiers processus sont essentiels à la méthode de la TM. Le dernier processus, la planication du changement, peut émerger ou pas dans une séance de TM de qualité ; cela dépend de l’atteinte ou non d’un certain seuil de motivation par le patient, qui peut correspondre au stade de préparation dans le MTT. Ces quatre processus remplacent les phases I (bâtir la motivation au changement) et II (renforcer l’engagement au changement) précédemment conceptualisées en TM et s’adaptent mieux à la nature dynamique et non linéaire de la motivation. La mise en action de ces processus est entièrement de la responsabilité du thérapeute.

1er processus : Engagement Dès les premiers moments, le thérapeute cherche à construire la meilleure relation thérapeutique possible avec le patient. Il l’accueille chaleureusement, cherchant à le mettre à l’aise et en conance. Cette étape est primordiale parce qu’il s’agit de mobiliser la motivation d’une personne qui n’a peut-être pas très envie d’être là, ou qui ne considère pas la nécessité ou la possibilité d’un changement à court ou moyen terme. La reconnaissance, par le thérapeute, de l’eort que le patient fait simplement pour se présenter et pour aborder un sujet souvent très personnel facilite sa collaboration. Le changement d’habitudes de vie, au cœur des

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indications de la TM, est généralement un sujet intime pour le patient. Il est bon de se rappeler que cette démarche peut être encore plus exigeante chez les patients sourant d’un problème de santé mentale. Dans ces circonstances, le patient peut se sentir vulnérable au jugement de valeur (réel ou imaginé) du thérapeute à propos de son choix de style de vie. Il s’agit de créer une atmosphère relationnelle empreinte d’humanisme, telle qu’elle est décrite pour l’esprit motivationnel. Sans cette base de conance dans la relation, les autres processus de la TM sont voués à l’échec. Voici des extraits d’un dialogue pour illustrer chaque processus de la TM : T : « Je sais que vos enfants ont beaucoup insisté pour que vous veniez à notre rencontre, aujourd’hui. J’imagine que vous auriez préféré passer votre temps d’une autre façon que de venir à la clinique, ce matin. Je vous remercie d’être venu quand même ! » P : « Oui, j’ai d’autres chats à fouetter que de venir ici inutilement, docteur. Je vous aime bien, mais vous savez, mes enfants s’inquiètent pour rien. » T : « Ils se font du souci inutilement. » (reet simple) P : « Tout à fait ! Je vais très bien, mais ils s’inquiètent du fait que j’ai arrêté ma uphénazine. » T : « Cela vous fâche qu’ils se mêlent de vos choix concernant votre traitement. » (reet complexe) (début de la focalisation sur la médication, tout en poursuivant le processus d’engagement) P : « Oui, ils ne savent pas ce que c’est que de prendre toutes ces pilules plusieurs fois par jour. Cela fait trois ans que je prends cela, docteur, et je pense que je n’en ai plus besoin. » T : « Vous savez comment ces médicaments agissent en vous mieux que quiconque et vous aimeriez décider par vous-même ce que vous allez faire pour votre santé. » (valorisation, suivie d’un soutien explicite à l’autonomie) P : « Je pense être assez vieux pour savoir ce que je fais ! »

2e processus : Focalisation À la suite de l’accueil du patient, il est préférable, lorsque les circonstances s’y prêtent, d’entreprendre la suite de la séance en partant des préoccupations du patient (plutôt que de celles du thérapeute) avant de focaliser l’entretien sur un sujet précis. Par exemple, une entrée en matière pourrait être la suivante : « Seriez-vous d’accord pour me parler de ce qui vous a décidé à venir ici aujourd’hui ? » En pratique, toutefois, l’objet de la consultation peut être décidé d’avance, parfois sous l’inuence d’un tiers parti. Dans ce cas, le thérapeute peut tenter d’amorcer la discussion sur le point de vue du patient. Suite du même dialogue : T : « Seriez-vous d’accord pour qu’on prenne notre temps de rencontre, ce matin, an de parler de votre expérience avec les médicaments, la uphénazine en particulier ? J’aimerais beaucoup avoir votre point de vue et pas seulement celui de vos enfants. » (négociation de l’agenda en partenariat) P : « Je sais que vous ne serez pas d’accord avec ma décision de cesser la uphénazine, docteur, mais je ne suis plus capable de la prendre. » T : « Je comprends qu’il y a sûrement de très bonnes raisons pour que vous en veniez à cette décision. Pourriez-vous m’expliquer ce qui se passe, pour vous, avec ce médicament ? » (valorisation, suite de la négociation de l’agenda)

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P : « Certainement ! Voyez-vous, la fluphénazine ne me faisait pas grand-chose auparavant, mais depuis quelques semaines, je tremble comme une feuille ! Je n’arrive même pas à manger correctement ! J’ai bien voulu prendre la fluphénazine après ma dernière hospitalisation, car le psychiatre m’avait dit que c’était important. Moi, je pense que cela ne me fait plus rien du tout et j’ai lu que ce médicament pouvait donner des problèmes de dyskinésie tardive. J’aimerais mieux l’arrêter. » Une fois que le patient annonce son ou ses sujets d’intérêt, le thérapeute collabore en s’adaptant aux circonstances en jeu. La directivité explicite ne fait pas partie de l’approche humaniste. En TM, le thérapeute n’impose rien, ne donne aucune instruction ou directive (à moins, en de rares occasions, d’en demander la permission). La directivité de la TM est implicite, d’où l’analogie du thérapeute à un guide plutôt qu’à un instructeur. La TM n’est ni la thérapie rogérienne où le thérapeute suit le patient dans le choix de sujet et tente d’en inuencer le cours le moins possible, ni une consultation habituelle avec un expert qui dirige en tout temps la discussion. En TM, le sujet de la séance est l’objet d’une négociation ouverte entre le thérapeute et le patient en partenariat. À moins d’un cas de dangerosité grave et immédiate, il est plus productif d’un point de vue motivationnel d’avoir la pleine collaboration du patient, ce qui ne peut se faire si on lui impose un sujet auquel il n’accorde pas d’importance, comme c’est le cas au stade de précontemplation. Cependant, en TM, le thérapeute cherche à accompagner le patient vers une prise de décision. Il est très dicile, voire impossible de le guider de front sur plusieurs cibles en même temps, chaque cible ayant ses propres enjeux. Il est donc nécessaire de focaliser l’entretien sur un comportement à la fois, une cible explicite pour le thérapeute et le patient. La directivité de la TM se manifeste d’abord dans cette focalisation, mais aussi tout au long de la rencontre par le choix de ce qui est reété dans le discours du patient ainsi que par la façon de construire ces reets. L’objectif est non seulement de garder la discussion sur la cible déterminée, mais aussi de mieux guider le patient vers sa décision en regard du changement. C’est ainsi que le processus de focalisation se poursuit tout au long de la TM. Si, après une focalisation initiale sur un sujet donné, le patient insiste pour parler d’un autre sujet, la relation de partenariat en TM exige que le thérapeute renégocie explicitement la cible avec le patient pour se concentrer sur le sujet qui préoccupe davantage le patient. Par exemple : « Au début de notre rencontre, nous avions convenu de parler de votre diète, mais il semble que votre sommeil vous préoccupe davantage ces temps-ci. Qu’est-ce qui vous apparaît prioritaire d’aborder pour la suite de notre séance d’aujourd’hui ? »

3e processus : Évocation Une fois que le thérapeute et le patient se sont mis d’accord sur le choix de la cible, le processus d’évocation peut débuter. Aux stades précoces du changement où la TM est indiqué (de la précontemplation à la préparation selon le MTT), l’ambivalence, soit le fait de voir des pour et des contre à un comportement donné, est presque toujours présente. Elle est un aspect inhérent à tout processus de changement. L’évocation implique de faire émerger, à travers l’ambivalence, la motivation propre du patient au changement. Ce processus constitue le cœur et la spécicité de la TM. À l’aide des techniques de base, soit les questions

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ouvertes, les reets, les résumés et la valorisation, le thérapeute explore avec le patient de façon approfondie l’ambivalence au changement et travaille à faire émerger puis à renforcer le discours de changement du patient. Le discours de changement, c’est tout énoncé du patient en faveur du changement. Son opposé est le discours de maintien, lorsque le patient argumente en faveur du statu quo, soit du non-changement. Certaines expressions du discours de changement sont de plus faible intensité ; elles portent sur l’intention, l’aptitude, la raison ou le besoin de changer. Il s’agit du discours de changement préparatoire. D’autres expressions portant sur un engagement, un plan d’action précis ou une action déjà entreprise vers le changement sont beaucoup plus intenses. On nomme ce sous-type, le discours de changement de mobilisation ou d’engagement. Le thérapeute porte une attention particulière au discours de changement du patient et à son niveau d’intensité an de le promouvoir avec la plus grande pertinence. Il doit donc éviter d’énoncer lui-même ce discours de changement, ce qui serait plus facile. Le but est que le patient s’entende le prononcer lui-même, le thérapeute le renforçant ensuite par l’écoute réective et les résumés et s’assurant alors de bien diriger l’évocation pour favoriser l’émergence d’une décision vis-à-vis du changement. Cette étape se manifeste généralement par un discours de changement de mobilisation, et c’est ce discours qui a été corrélé positivement avec le changement de comportement chez le patient. Suite du dialogue précédent : T : « Vous mentionnez avoir développé des tremblements très incommodants récemment et ne pas voir de bénéces à la uphénazine. Cela vous empêche même de vous alimenter. Vous êtes aussi préoccupé par des eets négatifs possibles de mouvements involontaires à long terme. Vous êtes plus inquiet que rassuré par la prise de la uphénazine, actuellement. Ces tremblements vous empoisonnent la vie. » (reets simples suivis d’un reet complexe, pour explorer l’ambivalence du côté du maintien du statu quo) P : « Oui, c’est certain ! Je ne rajeunis pas et ma santé physique me tient à cœur. Je ne veux pas prendre quelque chose qui peut me faire du tort à long terme ! J’arrive à manger, mais ce n’est pas normal de trembler comme ça ! J’ai de la diculté à boutonner ma chemise ! Je n’ai jamais eu ça avant ! Je vis seul, comme vous le savez, et je n’ai pas envie de me ramasser dans un centre d’hébergement ! » T : « Ces tremblements vous inquiètent énormément, car ils menacent votre santé, votre qualité de vie et votre autonomie. » (reet complexe de l’émotion sous-jacente) P : « Oui, je suis heureux que vous me compreniez, docteur. » T : « En plus de ces inquiétudes, y a-t-il autre chose qui vous dérange avec la uphénazine ? » (question ouverte, comme stratégie pour transformer le discours de maintien) P : « Il n’y en a pas d’autres, c’est assez comme ça ! La uphénazine ne me faisait pas ça avant, ce n’est peut-être pas ça la cause ? Je n’aime pas prendre des médicaments en général et de voir que j’ai à en prendre deux fois par jour n’est pas très réjouissant. En même temps, je ne nie pas que ce médicament a peut-être eu un eet positif au début de ma maladie. » (début d’exploration de l’autre côté de l’ambivalence)

T : « Vous ne savez plus trop quoi penser à propos de ce médicament. » (reet complexe) P : Silence. « À bien y penser, je sais que la uphénazine m’a aidé à récupérer dans le passé quand j’ai été hospitalisé. Je n’ai certainement pas envie d’être hospitalisé de nouveau, mais y a-t-il moyen d’éviter les rechutes sans prendre un médicament qui me donne ces tremblements ? » (début d’exploration de l’autre côté de l’ambivalence, discours de changement) T : « Vous voulez éliminer le risque d’eets indésirables tout en restant prudent quant à une rechute de votre maladie. Seriez-vous ouvert à discuter des causes possibles de ces tremblements ? » (reet complexe des deux côtés de l’ambivalence et demande de permission d’aborder les causes médicales réversibles des tremblements [voir la sous-section 80.3.6]) P : « Docteur, je sais que la uphénazine peut me causer des problèmes à long terme. Il n’est pas question pour moi d’en prendre le risque. Les tremblements ont renforcé ma décision de ne plus prendre ce médicament. Je me rends compte qu’il n’est probablement pas possible d’avoir les avantages sans les risques… Il est sûr que je préférerais ne plus avoir de médication, mais si vous en avez une autre plus douce à me proposer… » T : « Il est hors de question pour vous de poursuivre la uphénazine à ce stade-ci. Malgré tout, vous êtes ouvert à considérer les possibilités pour la remplacer en douceur. » (reet simple du discours de maintien et respect de l’autonomie du patient dans le contexte de l’existence de solutions de rechange à la uphénazine, puis valorisation) P : « Oui, c’est ça. » (discours de changement plus intense : début d’engagement au changement) C’est l’écart inconfortable pour le patient entre ses actions présentes et ses valeurs, la tension entre ce qu’il vit et ce qu’il aimerait vivre idéalement, qui est le moteur de la motivation au changement, ce qu’on appelle la divergence en TM. Pendant le processus d’évocation, les techniques de la TM visent à amplier cette divergence, sans pour autant la confronter directement, dans l’espoir d’accélérer la prise de décision de changement par le patient. Seules les valeurs du patient sont au centre de la discussion, le thérapeute devant prendre soin de mettre les siennes en veilleuse dans le respect de l’autonomie du patient. Lorsque le thérapeute guide le patient dans le processus d’évocation, il est important qu’il ne le brusque pas vers l’adoption d’un plan de changement dès le premier énoncé de discours de changement. L’engagement au changement ne survient en général qu’après une exploration approfondie des enjeux, y compris des obstacles au changement s’il y a lieu. L’exploration de ce côté de l’ambivalence qui penche vers le maintien du statu quo est généralement inconfortable pour les thérapeutes qui tentent souvent de le minimiser, suivant leur « réexe correcteur » habituel. Par réexe correcteur, on entend la tendance naturelle de tout thérapeute de vouloir étiqueter (diagnostiquer), puis résoudre par des avis, des conseils, des prescriptions, le problème présenté par le patient. Cette approche est bien entendu adéquate dans plusieurs situations cliniques, mais devant un patient ambivalent, ce réexe correcteur risque fortement de provoquer de la résistance, puisqu’il n’est, à ce stade, que peu réceptif à l’annonce d’un diagnostic ou d’un traitement.

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L’exploration de l’ambivalence peut se faire sur plus d’une séance. Quand il s’agit d’un changement d’habitudes de vie, la conviction profonde du patient que ce changement correspond au meilleur choix pour lui-même est nécessaire pour mobiliser les eorts requis au maintien de ce changement à long terme. Cette conviction peut prendre un certain temps à se développer, même avec les meilleures habiletés thérapeutiques. Il est donc possible que le patient n’émette pas de discours d’engagement pendant la rencontre, n’entreprenne pas le changement aussitôt, ou l’entreprenne seulement après que la relation thérapeutique soit terminée, ou encore résolve son ambivalence par une décision de maintien du statu quo. Le rôle du thérapeute en TM est d’accompagner une partie du cheminement du patient, de catalyser la résolution de l’ambivalence vers une prise de décision, tout en n’endossant pas la responsabilité de la décision nale. Dans tous les cas, la construction et le maintien d’une excellente relation thérapeutique (processus d’engagement dans la relation) restent le fondement de la TM et favorisent le fait que le patient soit ouvert à aborder ultérieurement la question du changement.

4e processus : Planication du changement Un résumé récapitulant les aspects saillants de l’exploration de l’ambivalence amorce généralement la transition du processus d’évocation à celui de la planication du changement. Lorsque la motivation du patient atteint un certain seuil (l’équivalent du stade de préparation du MTT), il se met à rééchir davantage au « quand » et au « comment » du changement plutôt qu’au « pourquoi » du changement. Cela se reète dans son discours : le discours de maintien du statu quo s’eace pour laisser la place au discours de changement, dont l’intensité crée un discours de mobilisation et d’engagement au changement. Le patient se visualise déjà en train de changer et il peut parler des étapes qu’il veut suivre pour y arriver. Il peut questionner directement le thérapeute sur ses options en considérant le changement. Un signe subtil peut être l’installation d’un moment de calme, de soupirs, de larmes, avec la résolution de l’ambivalence. C’est seulement lorsque ce seuil est franchi par le patient (et pas avant) que le processus de planication du changement peut débuter. La recherche en TM conrme qu’une planication trop précoce vient ruiner les eorts thérapeutiques des processus préalables et nuire aux probabilités de changement de comportement (Amrhein & al., 2003). Une façon, pour le thérapeute, de savoir si le patient est prêt, à la suite du résumé de transition, est de lui poser ce qu’on appelle en TM une question clé. Il s’agit d’une question ouverte, non menaçante, qui invite le patient à informer le thérapeute sur l’état de sa motivation sur le sujet ciblé. Sans presser le patient pour qu’il se commette dans un engagement, la question clé ouvre la porte sur cette possibilité. En voici des exemples : • Où cela vous mène-t-il maintenant ? • Là où on en est, que pensez-vous de (sujet ciblé) ? • À ce stade-ci, j’aurais aimé savoir ce que vous pourriez décider de faire. Suite du dialogue précédent : T : « Après avoir fait le tour des pour et des contre de la uphénazine dans votre vie, ce qui vous importe c’est de garder votre autonomie et votre santé. Pour y arriver, vous êtes prêt

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à envisager une autre médication de remplacement plutôt qu’une cessation complète, pour autant que cette médication ne vous cause pas d’eets indésirables à court terme, comme les tremblements, ou à long terme comme la dyskinésie tardive. » (résumé de transition) P : « C’est juste. Je ne veux pas me nuire par une rechute, mais je ne veux plus vivre avec ces tremblements. » T : « J’aimerais savoir ce que vous envisagez à ce stade-ci. Cela vous serait-il utile que l’on regarde ensemble les solutions de rechange à la uphénazine ainsi que leurs pour et contre ? » (question clé et début du processus de planication) Même si ce processus de planication est généralement plus aisé du point de vue du thérapeute, il doit rester centré sur le patient, suivre son rythme et accorder la préséance au soutien du sentiment d’ecacité personnelle du patient plutôt qu’aux solutions du thérapeute. Un patient qui se croit capable de changer a plus de chances d’y parvenir (Hubble & al., 1999). En TM, le travail du thérapeute s’oriente davantage vers l’exploration des succès antérieurs du patient que de ses échecs, an de promouvoir son sens de compétence personnelle. Le thérapeute laisse donc place à la poursuite de l’évocation, cette fois des moyens plutôt que des raisons du changement, pour que le patient décide de choisir les options qui s’orent à lui à ce stade. Ces choix lui étant propres, le patient s’investira davantage dans un plan qui ne lui est pas imposé. Pour explorer des succès passés, on peut utiliser des questions ouvertes, par exemple : • Dans une situation semblable (c.-à-d. une situation où le patient a réussi à changer ou à s’adapter), comment avez-vous fait pour la résoudre ? • Quels sont les ingrédients qui vous ont permis d’atteindre votre objectif ? • Avec le recul, qu’est-ce qui vous a permis d’y arriver ? Chaque fois, le thérapeute reète les réponses pour amplier encore le sentiment de compétence personnelle du patient. Pour évoquer de nouveaux moyens de parvenir au changement, le thérapeute sollicite avant tout le patient, plutôt que de lui orir d’emblée ses suggestions. Par exemple : « Quelles autres choses pourraient vous rendre ce changement plus facile ? » Le thérapeute ne se substitue pas au patient dans l’identication des problèmes et de leur résolution, il laisse parler l’expertise du patient. Si le thérapeute s’aperçoit toutefois que des informations importantes échappent au patient pour qu’il puisse prendre une décision éclairée, il peut utiliser la technique de l’échange d’information de façon motivationnelle (voir la sous-section Échanger de l’information de façon motivationnelle) pour les transmettre avec doigté. De plus, il peut être utile que le thérapeute fasse bien comprendre au patient que le choix lui appartient entièrement, dans une atmosphère de respect, sans coercition ni jugement. À la n de la séance de TM, après avoir fait un bilan (résumé), le thérapeute conclut sur une note positive, par une valorisation ou une réexion porteuse d’espoir, mais toujours dans une atmosphère chaleureuse et empathique, quoi qu’ait décidé le patient.

80.3.4 Transformation de la résistance En thérapie motivationnelle (TM), la résistance n’est pas considérée comme une caractéristique du patient ; elle est plutôt de

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nature relationnelle. La résistance est le résultat d’une discordance entre ce qu’émet le thérapeute et les aspirations conscientes ou inconscientes du patient. Cette discordance est un signal pour le thérapeute qu’il doit modier ses interventions pour s’adapter le mieux possible à la réalité du patient, synchroniser son approche au stade de changement de ce dernier. Les thérapeutes ont tendance à vouloir aider le patient à tout prix, ce qui est fort louable, mais qui favorise la résistance chez un patient en précontemplation ou en contemplation. La résistance apparaîtra rapidement si le patient se trouve en précontemplation et si la demande de consultation n’émane pas de lui. En TM, on distingue deux types de résistance : 1. L’argumentation pour le maintien du statu quo, ce qu’on appelle le discours de maintien. Il s’agit simplement d’une manifestation d’ambivalence, par exemple : « L’alcool me donne des occasions de socialiser essentielles pour mon travail. Je me suis dit des centaines de fois que je commanderais des boissons sans alcool, mais c’est inutile, je fais toujours comme les autres. » Il est absolument normal qu’un discours de maintien soit présent lorsque la TM est indiquée. 2. La dissonance, c’est-à-dire des énoncés, des remarques, des attitudes, de part et d’autre, qui témoignent d’une tension dans la relation thérapeutique. Elle se manifeste par la remise en question, par le patient, de la démarche thérapeutique. En plus de l’argumentation, d’autres manifestations de la dissonance peuvent être la digression, la non-réponse et même l’interruption de l’entretien. Le patient peut alors invalider les compétences du thérapeute ou faire valoir qu’il n’a pas besoin de l’aide proposée. La dissonance survient le plus souvent quand les interventions du thérapeute ne sont pas adaptées au stade de changement et de motivation du patient, par exemple par la proposition d’un plan d’action alors que le patient n’a pas encore pris une décision face au changement. Pour rétablir l’alliance thérapeutique essentielle au déroulement d’une entrevue motivationnelle, l’écoute réective et l’armation des forces du patient sont fort utiles. Devant les deux types de résistance, il est primordial pour le thérapeute de ne pas argumenter avec le patient an de rester dèle à l’esprit et à la méthode de la TM, même si certains raisonnements énoncés par le patient peuvent lui sembler mal fondés. Il doit éviter le piège de l’expert qui répond du tac au tac à toute objection ou propose d’emblée une solution pour chaque obstacle. Il s’agit plutôt de reéter avec empathie et le plus dèlement possible les objections du patient jusqu’à ce que celui-ci se sente entendu et accueilli. Le patient se sentant écouté dans son ambivalence sera plus enclin à poursuivre la collaboration. En plus de l’écoute réective, des énoncés de soutien et d’empathie, le thérapeute a avantage à utiliser la valorisation et même à souligner, de façon empathique et non par dépit, le fait que le patient a le dernier mot sur sa décision. Le thérapeute motivationnel respecte l’autonomie du patient et l’accepte comme il est, ce qui ne veut pas dire qu’il approuve ses actions ou les encourage. C’est le patient lui-même, en n de compte, qui devra assumer ses décisions. Dans tous les cas, la résistance est un signal que le thérapeute doit se rapprocher du point de vue du patient avant d’essayer de le modier. Il faut alors revenir aux processus antérieurs, l’engagement dans la relation thérapeutique ou la focalisation sur une cible, selon le cas, pour poursuivre sereinement

l’entretien. Il peut s’agir de proposer une cible moins ambitieuse, par exemple la réduction de la prise de cannabis plutôt qu’un arrêt complet, ou encore de sonder le patient de nouveau pour évoquer une cible plus près de ses préoccupations. Le thérapeute a aussi intérêt à se montrer très empathique et ouvert au point de vue du patient pour conserver son ouverture et son engagement dans la rencontre. Dans cette optique, une habile écoute réective est un atout important pour transformer la résistance en discours de changement. Puisque le thérapeute « en avance » sur le stade de changement du patient tend à susciter de la résistance, il doit faire l’eort de pencher plus que le patient en direction du maintien du statu quo pour que ce dernier tende à argumenter du côté du changement. Une série de reets complexes dans cette direction peuvent ainsi faire tourner le vent d’une discussion mal engagée. Par exemple, sur le thème du dialogue précédent : P : « J’ai déjà essayé cette autre médication et ça ne m’a pas fait : j’ai pris du poids et je n’arrivais pas à me lever le matin. Et vous ne me ferez pas essayer un médicament expérimental, je ne veux pas être un cobaye. » T : « Vous avez subi des eets secondaires intolérables avec cette autre médication, vous ne voulez absolument pas l’essayer de nouveau. Vous ne voulez pas non plus vous er à un nouveau médicament, car il faut que vous sachiez exactement à quoi vous en tenir sur les eets indésirables. Cela se comprend. » (reets complexes, puis énoncé empathique) (légère amplication du maintien du statu quo, ce qui peut sembler inhabituel au thérapeute, qui a l’habitude de minimiser le discours de maintien suivant le réexe correcteur) P : « C’est ça. » T : « Vous aimeriez bien mieux ne plus prendre aucune médication. » (reet complexe) P : « Oui, il me semble qu’il y a toujours des eets négatifs à toutes ces pilules. » T : « Le risque de rechute vous paraît moins grand que le risque d’eets indésirables. » (reet complexe) (Il faut noter que ce reet aurait probablement paru confrontant s’il avait été énoncé d’emblée.) P : « Non, je ne veux pas de rechute non plus ! Seulement, y a-t-il moyen d’avoir un médicament plus doux qui se tolère bien ? » (discours de changement) La méthode et les techniques de la TM sont les mêmes dans un cas de résistance que dans un entretien plus aisé. Il s’agit de les appliquer avec plus de rigueur et d’assiduité pour transformer cette résistance en motivation au changement, ce qui devient plus facile avec la pratique.

80.3.5 Maintien et rechute Dans le stade de maintien du changement de comportement, la thérapie motivationnelle (TM) n’est plus indiquée, sauf en cas de retour de l’ambivalence, au décours d’événements ou de situations ayant fragilisé, chez le patient, le sentiment de conance dans le maintien du changement ou ayant réduit l’importance qu’il y accorde. Il s’agit alors essentiellement de soutenir le patient en soulignant les résultats positifs. Le thérapeute utilise l’écoute réective et les questions ouvertes pour l’inviter à élaborer ses propos : « Vous avez mentionné que vous aviez complètement arrêté de boire pendant

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la semaine comme vous l’aviez planié. C’est toute une étape ! Comment avez-vous trouvé cette semaine sans alcool ? » Si, au contraire, le patient n’a pas mis en action le plan prévu, le thérapeute encourage le patient à trouver de nouveaux moyens plus adaptés pour maintenir le cap sur ses objectifs, tout en faisant attention de préserver son sentiment d’ecacité personnelle. Si les dicultés persistent et mènent au retour du statu quo, le thérapeute doit résister à l’envie d’insister sur le plan de changement et de le « prendre en charge » ou encore d’abandonner complètement. Il doit plutôt y voir l’occasion de refaire le point sur ce qui est prioritaire aux yeux du patient (c.-à-d. son degré de motivation pour cette cible donnée ou encore pour une nouvelle cible), ses objectifs propres et la façon dont il souhaite y parvenir. Le thérapeute doit alors s’ajuster en revenant à des processus antérieurs (p. ex., focalisation, évocation) pour encourager un nouvel élan de changement. En TM, le rôle du thérapeute est de tenter d’accélérer le processus naturel de changement, mais le patient est le seul à pouvoir décider s’il est prêt à ce changement et à quel rythme. Le thérapeute doit donc parfois ne pas trop insister et s’eorcer de rester engagé et empathique envers le patient jusqu’à une prochaine occasion favorable au changement.

Pour l’échelle d’importance, le thérapeute demande au patient : « À quel niveau se situe l’importance d’eectuer (le changement ciblé), sur une échelle de 0 à 10, où 0 indique “aucune importance” et 10 indique “la plus grande importance” ? » Selon la réponse du patient, le thérapeute reète la signication hypothétique de la réponse, puis poursuit ainsi : « Pourquoi avez-vous choisi [chire] et non [chire 1 ou 2 de moins] ? » (p. ex., « 5 et non 4 ou 3 ») an de susciter un discours de changement, malgré une cote plutôt basse en importance (p. ex., « Parce que c’est plus important qu’un 3 ou un 4 – si je ne fais pas attention, cela peu déraper ! »). Le thérapeute reète encore la réponse. Puis, il peut demander ce qui permettrait de hausser la cote de un ou de deux points, par exemple : « Qu’est-ce que cela prendrait, selon vous, pour passer de 5 à 6 ? », ce qui donne des indices sur ce qui pourrait mobiliser ou soutenir le patient dans le changement. L’échelle de conance est utilisée de la même façon que l’échelle d’importance. Cette fois-ci, le chire le plus bas voulant dire « pas du tout sûr de pouvoir réaliser le changement » et le chire le plus élevé « entièrement sûr ». Le thérapeute peut aussi utiliser un outil visuel, avec ou sans chires, comme celui de la gure 80.2, pour faciliter la démarche.

80.3.6 Autres outils

Balance décisionnelle

Voici un échantillon d’autres techniques couramment utilisées en thérapie motivationnelle (TM), toujours dans l’objectif de guider la décision du patient vis-à-vis du changement.

La balance décisionnelle est une technique diérente utilisée dans l’exploration de l’ambivalence. Elle ne fait pas à proprement parler partie de la thérapie motivationnelle. La balance décisionnelle peut être utile dans les situations cliniques où le thérapeute fait le choix intentionnel de conseiller avec neutralité (equipoise), c’est-à-dire qu’il ne veut pas inuencer la décision du patient pour une option ou une autre, seulement l’aider à faire un choix (Miller & Rose, 2015). Voici des exemples de choix qui pourraient émerger de certaines situations cliniques : donner ou non un rein pour un membre de la famille, subir ou non un avortement, adopter un enfant, participer à une étude de recherche, etc. La balance décisionnelle prend la forme du tableau 80.2, composé de quatre cases.

Échelles d’importance et de conance À l’étape de l’évocation en TM, ou même à l’intérieur d’un entretien usuel, il peut être utile d’employer les échelles d’importance et de conance de Rollnick (Rollnick & al., 2009). Quoique ces échelles puissent fournir au thérapeute une indication du niveau d’importance et de conance qu’accorde le patient à l’amorce d’un changement en particulier, leur utilité principale réside dans leur capacité à susciter rapidement un discours de changement, même chez des patients très ambivalents. FIGURE 80.2 Échelles d’importance et de conance

Source : Adapté de Miller & Rollnick (2013), p. 181-182.

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TABLEAU 80.2

Balance décisionnelle

Ce qui favorise le changement

Ce qui favorise le statu quo

Avantages de la nouvelle diète

Désavantages de la nouvelle diète

Désavantages de la présente diète

Avantages de maintenir la présente diète

Source : Adapté de Miller & Rollnick (2013), p. 246.

Le thérapeute qui utilise cette technique insiste pour approfondir sa compréhension de toutes les raisons qui justient le statu quo du point de vue du patient. Une fois celles-ci énumérées, il passe aux autres cases du tableau, toujours aussi minutieusement. En pratique, il s’avère dicile de ne pas inuencer du tout le patient, puisque l’attitude du thérapeute ainsi que son choix de reets et de questions peuvent en soi guider le patient vers une option plutôt qu’une autre. C’est en mettant en rapport les arguments « pour » et « contre » de la balance avec les valeurs prioritaires du patient que le thérapeute cherche à dénouer l’ambivalence vers une décision éclairée, sans interférer avec ses propres opinions. La gure 80.3 illustre la balance décisionnelle.

cette nouvelle médication, quelles sont vos impressions ou les informations que vous avez déjà ? » Fournir : Si le patient montre une ouverture à recevoir de l’information additionnelle, le thérapeute lui demande alors la permission de lui en communiquer. Par exemple : « Vous avez lu dans Internet qu’il s’agit d’une médication pour la psychose, alors vous n’en voyez pas l’utilité pour vous. Est-ce que vous me permettez de compléter l’information que vous avez trouvée ? » ou encore : « Est-ce que vous trouveriez utile que je vous résume les derniers résultats de la recherche à ce sujet ? » Lorsqu’une demande est formulée avec autant de précautions, les refus des patients sont rares. Avec l’accord explicite du patient, le thérapeute peut alors communiquer succinctement l’information souhaitée. Demander : Le thérapeute complète la séquence par une vérication an de saisir l’eet, s’il y a lieu, de ces nouvelles informations sur la position du patient. Par exemple : « Que pensez-vous de ces informations complémentaires ? Est-ce que cela a du sens pour vous ? » En fonction de la réaction communiquée par le patient, le thérapeute peut calibrer la suite de son intervention. Cette technique cherche à susciter la curiosité du patient, qui n’en avait pas au départ, à recevoir des informations basées sur l’expertise du médecin, tout en respectant sa compétence à choisir et son autonomie.

FIGURE 80.3 Balance décisionnelle

80.4 Indications et contre-indications

Source : Adapté de Miller & Rollnick (2013), p. 246.

Échanger de l’information de façon motivationnelle À l’intérieur de tout type de rencontre, et pas seulement de la TM, comment le thérapeute peut-il s’assurer que l’information qu’il communique au patient est bien reçue, même s’il ne l’a pas forcément sollicitée ? Une façon, pour le thérapeute, de communiquer ses informations, avis, conseils ou soucis, tout en maximisant les chances que le patient y soit réceptif, consiste en une technique nommée « Demander – Fournir – Demander ». Lors d’une séance de TM, il peut parfois être nécessaire d’utiliser cette technique pour communiquer une information ou un conseil au patient, ce qui est normalement contre la philosophie et la méthode de la TM, puisque cela implique d’endosser un rôle d’expert et non de partenaire. L’information ou le conseil non sollicités ont le même eet qu’une confrontation chez un patient qui n’est pas encore décidé à envisager un changement : ils font monter la résistance. Cette technique permet d’éviter ce risque pour autant que son utilisation reste occasionnelle an que le thérapeute ne tombe pas dans un style professoral. Demander : Le thérapeute incite tout d’abord le patient à livrer ses connaissances, ses croyances ou ses sentiments sur le sujet avant d’orir de l’information. Par exemple : « À propos de

La thérapie motivationnelle (TM) est indiquée chez les patients à un stade précoce de motivation au changement, soit aux stades de précontemplation, de contemplation ou de préparation selon le MTT. En plus de son application dans les cas de consommation de substances, la TM est maintenant utilisée en vue de modifier de nombreux comportements humains, en milieu de traitement spécialisé et aussi en 1re ligne (Anstiss, 2009), dans le domaine médical, y compris en santé mentale, comme dans le domaine social (Rollnick & al., 2009). Plus particulièrement, la TM est pertinente pour promouvoir les changements d’habitudes de vie ainsi que la gestion de maladies chroniques, en prévention des rechutes et en réadaptation. À l’heure actuelle, plus de mille articles sur la TM de même que plusieurs livres sur son application en santé (Rollnick & al., 1999, 2009), chez les adolescents et les jeunes adultes (Naar-King & Suarez, 2011) ont été publiés, comme adjuvant au traitement de l’anxiété (Westra, 2012) ou d’autres problèmes psychologiques (Arkowitz & al., 2008) et en thérapie de groupe (Wagner & Ingersoll, 2013). Ils reètent la diversité d’indications étudiées au-delà du traitement des troubles liés aux substances. Dans le champ de la médecine, une variante de la TM a été étudiée sous le nom de « thérapie d’adhésion au traitement » (compliance therapy) (Kemp & al., 1996) avec un certain succès, mais peu d’études sont venues répliquer les résultats initiaux. Il est important de noter que la TM, en médecine, est généralement une composante d’un plan de traitement global et non un traitement unique susant en soi (Arkowitz & al., 2008). À titre d’exemple d’indications reliées à la santé, la TM peut compléter un programme de prévention de l’hépatite C ou

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du VIH, un programme de soins pour personnes sourant de diabète ou de douleur chronique, ou éprouvant des dicultés dans l’adhésion au plan de traitement pharmacologique ou de réadaptation. Il faut noter que le changement dans la consommation de diverses substances pouvant créer une dépendance, telles que le tabagisme, les troubles liés à l’alcool, aux opiacés, etc., reste l’indication la plus solide selon les données probantes. Dans le champ de la santé mentale, on trouve des exemples d’indications de la TM à l’intérieur du traitement intégré des troubles liés aux substances et d’un trouble psychiatrique concomitant, pour le traitement du jeu compulsif, ainsi que pour favoriser l’adhésion au traitement d’un trouble anxieux, de l’humeur ou d’un trouble psychiatrique sévère et persistant (Westra & al., 2011). Il existe aussi des exemples d’indications de l’utilisation de la TM sur le plan social dans la prévention de la récidive criminelle (Anstiss & al., 2011), dans la réduction de la violence conjugale et même dans le changement organisationnel (collaborative helping) (Madsen, 2009). La TM présente également des contre-indications, quoique parfois vagues et imprécises. La mieux documentée est son emploi pour un patient déjà décidé au changement, soit en mode d’action ou de maintien, pour reprendre les termes du MTT. Il semble peu utile, voire nuisible, selon les études, d’approfondir l’exploration de l’ambivalence au changement chez quelqu’un qui souhaite d’emblée procéder au changement (Rohsenow & al., 2004). D’autres situations requièrent un jugement clinique : le patient en état de psychose aiguë n’est peut-être pas en état de juger des conséquences de ses choix en fonction de la réalité. Il en va de même dans d’autres situations en psychiatrie, lors de ambées symptomatiques importantes, où le patient peut ne pas être en mesure, à un moment précis, d’appliquer de façon appropriée son jugement sur le comportement ciblé. Devant des symptômes chroniques, cependant, il est généralement possible d’appliquer la TM, toujours en utilisant le jugement clinique. Le thérapeute peut utiliser la TM avec un patient dont les capacités cognitives sont limitées (Suarez, 2011), mais il doit alors adapter son intervention pour respecter le rythme et le vocabulaire du patient, au moyen de séances plus courtes, de reets plus simples, avec l’aide de supports visuels pour maintenir son attention, etc. (Chanut, 2012). Chez l’enfant, il n’y a pas de preuve d’ecacité de la TM avant l’âge de 11 ans et la plupart des études ont été faites avec des adolescents de 13 ans et plus. Le thérapeute doit toutefois juger si, même après cet âge, le patient peut considérer susamment les conséquences de ses choix pour bénécier de la TM. En bref, l’emploi de la TM à propos d’une cible pour laquelle une personne est déclarée inapte à prendre une décision éclairée est à considérer avec des balises éthiques claires. De plus, l’utilisation de la TM dans une situation où le choix du patient peut satisfaire un intérêt personnel du thérapeute, qu’il soit de nature pécuniaire ou autre, est contraire à l’éthique.

80.5 Résultats selon les données probantes La thérapie motivationnelle (TM), incluant l’entretien motivationnel (EM), a été l’objet de plus de 200 essais randomisés et contrôlés jusqu’à maintenant. Plus de 1 200 articles ont été

1722

publiés sur le sujet, dont plusieurs méta-analyses. Le plus gros des études d’ecacité de la TM se situe dans le champ du traitement des troubles liés aux substances. Pour résumer les études d’ecacité, la TM est associée à une taille d’eet de petite à moyenne lorsqu’elle est appliquée à une variété de comportements humains (Lundahl & al., 2009), dont les troubles liés aux substances (Smedslund & al., 2011), le tabagisme (Lai & al., 2010), la nutrition, l’exercice physique, l’adhésion au suivi dans les groupes thérapeutiques et en thérapie individuelle et l’adhésion aux ordonnances médicales (Drymalski & Campbell, 2009). Les résultats sont toutefois encore préliminaires dans les troubles psychiatriques sévères et persistants et demandent à être répliqués dans un plus grand nombre d’études bien contrôlées (Westra & al., 2011). La TM est souvent associée à un eet bénéque lorsqu’elle est comparée à l’absence d’intervention, à un avis bref, ou lorsqu’elle est ajoutée à un autre traitement actif. Il existe un grand degré de variabilité dans les eets de la TM selon les études, les sites de recherche d’une même étude et les thérapeutes. Certains essais bien contrôlés, manuelisés et supervisés de près n’ont pas montré d’eets bénéques de la TM (Carroll & al., 2006) ou encore ont montré des variations importantes selon les thérapeutes (Project MATCH Research Group, 1998). Les grandes études multicentriques comparant la TM à des thérapies plus longues ou plus élaborées ont généralement trouvé une ecacité similaire de la TM avec le traitement témoin (UKATT Research Team, 2005), sauf dans le cas de la thérapie de la dépendance au cannabis, où le traitement plus long, qui incluait aussi de la TM, s’est avéré plus ecace que deux séances de TM seule (Marijuana Treatment Project Research Group, 2004). En moyenne, les eets de la TM seule sont jusqu’à présent aussi bons que ceux d’autres thérapies plus intensives ou que ceux du traitement habituel pour promouvoir le changement de comportement. En contraste, lorsque la TM est ajoutée au traitement habituel, l’eet positif est plus important et semble durer plus longtemps (Hettema & al., 2005). L’utilisation d’un manuel de TM semble généralement une mauvaise option, puisqu’une méta-analyse a trouvé une taille d’eet moitié moindre dans les études où l’intervention était guidée par un manuel (Hettema & al., 2005). Selon une autre étude (Miller & al., 2003), ce phénomène pourrait être attribuable au manque de exibilité imposé aux thérapeutes par un manuel trop restrictif qui prescrivait une planication du changement en n de séance, peu importe si le patient était prêt ou non. Cela conrme l’importance pour le thérapeute d’être bien centré sur le patient et non sur un manuel thérapeutique, en particulier quand arrive la délicate étape de la transition vers la planication du changement. D’intéressantes découvertes ont été faites quant au processus thérapeutique de la TM : • Plusieurs études ont établi un lien entre l’évolution des patients et le niveau d’habileté des thérapeutes sur des mesures de délité à la TM (Vader & al., 2010), mais d’autres n’en ont pas trouvé (rasher & al., 2006). En particulier, l’empathie perçue par le patient est un concept central en TM et contribue à son ecacité, peut-être parfois par eet de contraste avec les approches où la confrontation est fortement utilisée (White & Miller, 2007). L’eet de la TM s’est avéré deux fois plus grand chez les populations ethniques minoritaires des États-Unis comparativement à la population caucasienne majoritaire,

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements





probablement plus habituée à se faire traiter avec respect et empathie (Hettema & al., 2005). L’ecacité de la TM semble aussi liée à la suppression de réponses thérapeutiques contre-productives, comme la directivité ouverte et la confrontation, qui rendent rapidement les patients défensifs et sont associées à une absence de changement (Glynn & Moyers, 2010). Des études prospectives psycholinguistiques plusieurs fois répliquées ont montré que le discours de changement du patient prédit le changement de comportement en TM (Hodgins & al., 2009) ainsi que dans d’autres types de thérapie (Moyers & al., 2007). La rapidité d’augmentation du discours de changement dans une séance de TM (Amrhein & al., 2003) de même qu’une prédominance de discours de changement sur le discours de maintien prédisent le changement de comportement chez le patient (Moyers & al., 2009). Le discours de changement et son opposé, le discours de maintien, ont été clairement liés en recherche au comportement du thérapeute (Gaume & al., 2010). Autrement dit, le thérapeute peut signicativement inuencer la quantité de discours de changement ou de maintien du patient en fonction de comportements spéciques qu’il adopte et non uniquement en étant « gentil » et en écoutant le patient. Les techniques de la TM favorisent l’émergence de plus de discours de changement chez le patient que l’analyse fonctionnelle (technique de thérapie cognitive et comportementale) (Glynn & Moyers, 2010) ou qu’une séance

de thérapie centrée sur le patient (sans la directivité de la TM) (Sellman & al., 2007). • Des facteurs dans la relation thérapeutique tout comme une maîtrise de l’habileté à évoquer du discours de changement contribuent à l’ecacité de la TM (Miller & Rose, 2009). D’autres aspects spéciques de la pratique de la TM sont probablement aussi importants, mais restent à être identiés par la recherche. La TM est le plus souvent pratiquée en format individuel, pour lequel elle a été la plus étudiée, mais elle s’est aussi montrée ecace comme modalité de groupe (Santa Ana & al., 2007).

La pratique de la psychiatrie implique couramment d’encourager des changements de comportement ou d’habitudes de vie chez les patients, ne serait-ce que l’adhésion au traitement habituel, la diminution de l’usage de substances, l’amélioration de la diète et du niveau d’activité physique, comme pour d’autres personnes sourant de maladies chroniques. La réussite de ces changements a le potentiel d’améliorer signicativement la qualité et l’espérance de vie des patients suivis en psychiatrie. La TM est une méthode brève et appuyée par des données probantes, conçue spéciquement pour guider le patient vers la résolution de l’ambivalence au changement. Ainsi, elle peut s’avérer un complément précieux dans l’arsenal thérapeutique des médecins ou de tout autre thérapeute s’intéressant à promouvoir le changement.

Lectures complémentaires C, K. B. & al. (2001). « Enhancing readiness-to-change substance abuse in persons with schizophrenia : A four-session motivation-based intervention », Behavior Modication, 25(3), p. 331-384.

R, D. B. (2009). Building Motivational Interviewing Skills : A Practitioner Workbook, New York, Guilford Press.

Voir le site Web du MINT pour une liste de la littérature constamment mise à jour : www.motivationalinterviewing.org.

Chapitre 80

érapie motivationnelle

1723

CHA P ITR E

81

Thérapie familiale Nathalie Gingras, M.D., FRCPC, M. SC. (médecine expérimentale)

Maurice Boudreault, M.D., CSPQ, LMCC

Psychiatre fondatrice, psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, responsable, programme de dépistage et intervention précoce de la psychose, Centre hospitalier universitaire de Québec

Psychiatre, Centre hospitalier universitaire de Québec

Professeure titulaire, Département de psychiatrie et neuro­ sciences, Faculté de médecine, Université Laval (Québec)

81.1 Fondements et bases théoriques................................1725 81.1.1 Dénition de la famille ....................................... 1725 81.1.2 éorie générale des systèmes.......................... 1725 81.1.3 éories de la communication ......................... 1726 81.1.4 Cycles de la vie ..................................................... 1726 81.1.5 Types de famille et styles parentaux ................ 1726 81.1.6 Approches et écoles de pensées ....................... 1728 81.2 Formation des thérapeutes .........................................1732 81.3 Modalités d’application...............................................1733 81.3.1 Contrat initial et orientation ............................. 1733 81.3.2 Évaluation du fonctionnement familial .......... 1734 81.3.3 Contrat thérapeutique........................................ 1734 81.3.4 Séances de thérapie............................................. 1734 81.3.5 Fin de la thérapie ................................................. 1735

Professeur de clinique, Département de psychiatrie et neurosciences, Faculté de médecine, Université Laval (Québec)

81.4 Indications et contre-indications ..............................1735 81.4.1 Indications ............................................................ 1736 81.4.2 Contre-indications .............................................. 1736 81.5 Résultats selon les données probantes...................... 1736 81.5.1 Décit de l’attention avec hyperactivité.......... 1736 81.5.2 Troubles anxieux ................................................. 1737 81.5.3 Schizophrénie....................................................... 1737 81.5.4 Troubles aectifs ................................................. 1737 81.5.5 Anorexie................................................................ 1738 81.5.6 Abus de substance............................................... 1738 Lectures complémentaires ....................................................1738

L

a thérapie familiale apparaît vers la n des années 1940 sous l’eet de la convergence de diérents facteurs :

• les échecs auxquels étaient fréquemment confrontées les thérapies individuelles dans le traitement de certaines pathologies ; • l’émergence de la théorie générale des systèmes et des théories de la communication orait une nouvelle avenue conceptuelle permettant d’élargir la compréhension de la genèse des problèmes psychiatriques, qui reposait encore principalement sur une vision linéaire de la relation de cause à eet ; • le désir de trouver des solutions novatrices encourageait de nombreux thérapeutes à mettre en œuvre des approches différentes en faisant intervenir les membres de la famille dans le traitement de l’individu sourant d’une maladie mentale. À la suite des travaux des premiers pionniers, diérentes approches et écoles de pensée ont vu le jour. L’essor de la thérapie familiale s’est eectué dans une atmosphère où les idées pouvaient s’entrechoquer, alors que certains chefs de le avaient l’impression de détenir l’unique vérité. De nos jours, ces guerres théoriques sont heureusement du domaine du passé. La thérapie familiale a maintenant acquis ses lettres de noblesse et elle compte de nombreuses approches. Le champ de la thérapie familiale étant très vaste, on ne peut donner dans l’espace d’un chapitre un aperçu exhaustif des différentes écoles de pensée ou des approches qui ont vu le jour. Conséquemment, seules certaines approches largement utilisées sont présentées dans ce chapitre en raison de leur convivialité, de leur utilité clinique ainsi que de leur caractère pragmatique. De façon générale, les principes décrits dans ce chapitre s’appliquent également à la thérapie conjugale et à la thérapie familiale.

81.1 Fondements et bases théoriques Plusieurs cadres théoriques ou modèles en thérapie familiale se sont inspirés de diverses disciplines. Pour certains, le rôle de la famille se trouve au centre de la prédisposition des individus à développer des problèmes, tandis que d’autres considèrent plutôt que la famille joue un rôle dans la persistance du problème et d’autres encore s’intéressent aux mécanismes adaptatifs de la famille, aux phénomènes associés aux cycles de la vie et aux aspects biologiques. Ceci dit, tous les thérapeutes familiaux s’entendent sur le rôle joué par la famille dans la résolution des problèmes et plusieurs font appel à divers concepts qui sont décrits ici.

81.1.1 Dénition de la famille Une famille est un groupe de personnes aliées par consanguinité, par anité ou cohabitation. Dans la plupart des sociétés, elle constitue l’institution principale permettant d’assurer le développement et la socialisation des enfants. Une famille constituée par un père et/ou une mère et leurs enfants est dite nucléaire. Par contraste, lorsque l’on réfère à la notion de famille étendue, celle-ci inclut des membres extérieurs à la famille nucléaire, tels les grands-parents, les oncles, les tantes, etc.

81.1.2 Théorie générale des systèmes C’est à Ludwig Von Bertalany (1968) que revient le titre de père de la théorie générale des systèmes. Cette théorie traite de la nature des systèmes complexes présents dans la nature, dans les sociétés, de même que dans les sciences. Elle constitue un cadre de référence qui permet d’analyser ou encore de décrire tout ensemble d’objets dont l’interaction produit un résultat. Un système est un ensemble d’éléments en interaction dynamique, l’état de chacun de ces éléments étant déterminé par l’état de chacun des autres éléments (Miller, 1978). Le système évolue dans le temps et il est organisé en fonction de ses nalités et de son environnement. En disant qu’un système est organisé, on souligne le fait que ses composants sont unis par un certain nombre de règles, de rôles, de fonctions qui, à la fois, l’organisent et permettent son fonctionnement. Ils sont le produit et le résultat de son organisation et de son fonctionnement. L’organisation d’un système n’est ni statique ni linéaire. Elle est circulaire, c’est-à-dire qu’elle résulte d’un ensemble de rétroactions qui dépendent de l’organisation tout en la modiant continuellement. Le système familial est ouvert, c’est-à-dire en interaction permanente avec l’environnement par le biais d’échanges d’information. Il ne peut jamais être complètement fermé ou isolé. C’est le cas de tous les systèmes vivants. En général, on note qu’ils tendent à préserver leur homéostasie, autrement dit leur équilibre. C’est pourquoi le thérapeute qui pratique la thérapie familiale se heurte parfois à des résistances au changement qui tentent de préserver l’équilibre du moment. La théorie des systèmes s’articule autour de trois concepts fondamentaux : 1. Totalité : un système est plus que la somme de ses parties. Par exemple, le comportement d’un groupe d’individus ensemble laisse apparaître des qualités que ne possédaient pas les individus considérés séparément. Le système devient une entité en soi avec ses qualités propres. 2. Circularité : les relations entre les éléments ne sont pas unilatérales, linéaires (comme dans le jeu de billard) ; elles sont circulaires (comme dans les systèmes hormonaux de rétroaction) (voir la gure 81.1). 3. Équinalité : Les mêmes eets peuvent avoir des origines différentes. Les changements observés dans un système ouvert ne sont donc pas seulement déterminés par les conditions initiales du système ; ils le sont aussi par ses divers paramètres, par les interactions qui s’établissent entre eux et par la nature du processus de changement. Plusieurs contextes diérents (p. ex., divorce parental, abus physique, abus de substance chez les parents, intimidation à

FIGURE 81.1 Représentation des relations

linéaire et circulaire

La notion de famille est présentée en détail au chapitre 10.

Chapitre 81

érapie familiale

1725

l’école) peuvent conduire à un résultat similaire (p. ex., une dépression chez l’enfant). C’est ainsi que, pour comprendre un système, il est souvent utile de s’intéresser davantage à son organisation structurelle et fonctionnelle dans l’ici et maintenant, au lieu d’examiner sa genèse.

81.1.3 Théories de la communication Dans les années 1950, un intérêt grandissant se manifeste pour découvrir la façon par laquelle les êtres humains communiquent entre eux. Les travaux de Bateson et de l’équipe de Palo Alto, présentés notamment par Watzlawick et ses collaborateurs (1972, 1975), ont conduit à l’élaboration de cinq concepts qui ont marqué profondément le champ de la thérapie familiale : 1. On ne peut pas ne pas communiquer. Tout comportement est une communication. Même en gardant le silence ou en tournant le dos à un interlocuteur, on émet quand même un message. 2. Il existe toujours deux niveaux dans une communication : le contenu, qui apporte une information, et la façon de le dire, qui dénit la relation entre les interlocuteurs. La qualité de la relation ajoute un élément supplémentaire à la compréhension de la communication. Imaginons, par exemple qu’un employé fasse une erreur dans son travail ; son supérieur lui dit : « Tu te reprendras la prochaine fois. » Le contenu n’indique pas la nature de la relation entre l’employé et son supérieur et laisse un doute quant à la signication de la communication. Par contre, si on tient compte de l’aspect relationnel en précisant que le supérieur avait un ton sec et le regard sévère, on ajoute une dimension qui vient préciser la communication. La métacommunication est un commentaire sur la communication : « Ne me parle pas sur ce ton-là. » 3. La nature d’une relation dépend de la ponctuation des séquences de communication entre les partenaires. Les partenaires ont une interprétation diérente de ce qui se déroule ou de ce qui s’est déroulé. Par exemple, dans une dispute à propos d’une situation problématique à la maison, chaque membre peut présenter l’histoire selon sa perception, sa façon personnelle de voir les « faits ». Ainsi, une adolescente peut se sentir brimée et incomprise par sa mère qui, de son côté, réagit au fait que sa lle se montre irrespectueuse et indigne de conance par ses comportements. Cette façon de ponctuer les faits tant par le contenu que par le ton provoque une escalade acrimonieuse. « C’est l’autre qui a commencé… » 4. Les humains utilisent simultanément deux modes de communication : a) le mode verbal, qui repose sur le contenu de la communication, donc sur les mots utilisés, et qui est très utile pour transmettre des concepts. b) le mode non verbal, qui comporte les gestes, les attitudes, le ton de la voix, la position du corps, etc. C’est ce qui spécie la nature de la relation. 5. Il existe deux formes de communication dans un couple : a) la relation symétrique : les deux partenaires visent à atteindre l’égalité, une relation en miroir. On peut alors voir une sorte de compétition et parfois une escalade symétrique où chacun a besoin de prouver qu’il est aussi bon que l’autre. Par exemple, dans un couple, les conjoints peuvent tous deux être compétents dans la gestion de budget, ce qui devient irritant si les deux rivalisent pour eectuer cette tâche.

1726

b) la relation complémentaire : chacun des conjoints adopte des comportements qui remplissent les besoins de l’autre. Il peut alors être agréable pour l’un de se er à son conjoint s’il se sent moins ecace dans la gestion du budget. Cette accentuation des diérences peut se faire vers le haut (one up), donc vers la compétence, ou vers le bas (one down), donc vers l’incapacité d’accomplir une tâche. On parle de complémentarité rigide si les partenaires demeurent dans cette relation de façon stricte et sans possibilité de changer leur position. On parle d’interaction parallèle lorsqu’il y a possibilité d’alternance souple entre les positions. Ce dernier modèle est considéré comme plus fonctionnel et permet des adaptations selon les situations de la vie. Chacun des conjoints assume certaines responsabilités et il y a discussion à propos des zones grises. Le thérapeute familial systémique a constamment ces cinq grands principes en tête lors du processus thérapeutique et il les utilise dans ses interventions avec la famille.

81.1.4 Cycles de la vie Plusieurs auteurs se sont intéressés à la notion de cycles de la vie familiale, proposant que les familles traversent une série de stades développementaux. Ce paradigme peut orienter le thérapeute sur les grands enjeux associés à ces diérents stades. Il peut ainsi mieux orienter son questionnaire au moment de l’évaluation et saisir aussi les aspects stratégiques de chaque phase sur lesquels il pourrait cibler son intervention. Ces phases peuvent être mises également en parallèle avec les stades de développement individuels tels qu’ils ont été décrits par Freud ou Erickson. Les stades de développement individuel de Freud et Erickson sont présentés en détail au chapitre 9, aux sous-sections 9.2.1 et 9.2.2. Le tableau 81.1 présente le modèle développé par McGoldrick et ses collaborateurs (2011) et adapté par Wright & Leahey (2014), qui décortique de façon plus détaillée les diérentes étapes en résumant les cycles de vie et les tâches qui y sont associées. Le modèle de Carter et & McGoldrick (1989) est présenté en détail au chapitre 10, à la section 10.3.

81.1.5 Types de famille et styles parentaux Plusieurs auteurs ont décrit des styles que des familles ont adoptés en fonction de paramètres ou d’axes particuliers. En ce qui concerne la dimension de gestion du contrôle du comportement dans une famille, les notions de règles et de variabilité de leurs modalités d’application permettent de décrire quatre types de famille selon Epstein et ses collaborateurs (2003) : 1. La famille exible est celle qui a élaboré des règles bien établies et pour lesquelles des conséquences claires, appropriées et bien connues de ses membres sont appliquées avec régularité lors des inobservances, mais qui est en même temps capable d’ajuster son intervention de façon adaptée et constructive en modiant temporairement la règle ou la conséquence lorsque des facteurs imprévus le commandent. 2. La famille rigide a elle aussi des règles bien établies et pour lesquelles des conséquences claires et généralement bien connues de ses membres sont appliquées avec régularité lors

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

TABLEAU 81.1

Cycles de la vie familiale

Processus affectif de transmission : principes clés

Changements de second ordre et conditions nécessaires à la poursuite du développement

Le jeune adulte célibataire Prise en charge par l’individu de ses propres responsabilités

Différenciation du Moi par rapport à la famille d’origine Développement de relations intimes avec ses pairs Dénition du Moi par rapport au travail et à l’autonomie nancière Dénition du Moi par rapport au réseau communautaire et social Spiritualité L’union des familles par le mariage ou en union libre Engagement dans un nouveau Établissement de l’identité du couple système Réajustement des relations avec les familles élargies et les amis an d’y intégrer le conjoint La famille avec jeunes enfants Acceptation des nouveaux Adaptation du système conjugal à l’arrivée des enfants membres dans le système Collaboration à l’éducation des enfants, à la recherche de ressources nancières et à l’entretien de la maison familial Réajustement des relations avec la famille élargie an d’y intégrer les rôles de parents et de grands-parents Réajustement des relations avec la communauté et la société an d’y intégrer une nouvelle structure de la famille et de nouvelles relations La famille avec adolescents Assouplissement des fronModication des relations parents-enfants pour permettre aux adolescents d’entrer dans le système et d’en sortir tières de la famille an de tenir Réévaluer des questions concernant la relation conjugale et la carrière compte de l’autonomie des Début de la transition vers le partage des soins donnés aux parents âgés enfants et de la vulnérabilité Réajustement des relations avec la communauté et la société an d’intégrer les modications comportementales des grands-parents et relationnelles issues de l’arrivée des enfants à l’adolescence La famille dont les enfants quittent le foyer, « le nid vide » Acceptation de la multiplicité des Renégociation du système conjugal en tant que dyade arrivées et des départs au sein Établissement de relations d’adulte à adulte entre les enfants et les parents du système familial Réajustement des relations an d’y intégrer les conjoints des enfants et les petits-enfants Réajustement des relations avec la communauté et la société an d’y intégrer la nouvelle structure et les nouvelles relations familiales Exploration de nouveaux intérêts ou d’une nouvelle carrière découlant de l’allègement des responsabilités parentales La famille dont les conjoints sont à la retraite Acceptation de la transformation Maintien du fonctionnement et des activités du couple et de chacun des conjoints, en dépit du déclin physiologique ; des rôles générationnels exploration de nouvelles possibilités quant à l’exercice des rôles familial et social Établissement du rôle plus central des générations intermédiaires Réajustement du système familial par rapport au réseau communautaire et social an d’y intégrer le nouveau mode de relations familiales à ce stade Reconnaissance de la sagesse et de l’expérience des aînés Soutien des aînés tout en respectant leur autonomie La famille dont les parents approchent la mort Acceptation de la réalité du Adaptation à la perte du conjoint, des frères, des sœurs et des amis déclin et de la mort et la n Préparation au décès et au legs d’un cycle Adaptation aux rôles inversés des aînés et de leurs enfants (enfants adultes qui prennent soin de leurs parents âgés) Réajustement des relations avec la communauté et la société an d’y intégrer la n d’un cycle de vie Source : Wright & Leahey (2014), adapté de McGoldrick & al. (2011).

des inobservances, mais elle ne tient pas compte des facteurs atténuants ou imprévus pour apporter des correctifs à ce qui avait été initialement convenu. De plus, elle a tendance à utiliser des conséquences parfois inappropriées, que ce soit en termes de qualité ou de quantité. 3. La famille « laissez-faire » est celle où les règles sont pratiquement inexistantes, de sorte que l’application de conséquences ne fait même pas partie des enjeux dans la gestion du comportement des membres. Le contrôle du comportement est peu prévisible, caractérisé par l’inertie, l’indécision ou l’impulsivité. On fait ce qu’on veut pour autant que ça ne dérange pas trop les autres. L’accomplissement des tâches se fait au hasard.

4. La famille chaotique est celle qui peut passer de façon aléatoire d’un des trois modes de fonctionnement à un autre. Elle se caractérise par l’incohérence et l’instabilité. Après avoir revu la littérature, Darling & Steinberg (1993) ont retenu deux axes, selon lesquels l’aection ou l’acceptation et le contrôle permettent de caractériser quatre styles parentaux, chacun étant identié à une évolution particulière des enfants. Voici ici une description de ce modèle traduit à partir du livre de Carr 2006 (p. 15) qui en fait un résumé : 1. Les parents autoritaires, qui adoptent une approche chaleureuse, tolérante, orientée vers leurs enfants et couplée à un

Chapitre 81

érapie familiale

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degré modéré de contrôle. Cette stratégie permet aux enfants de prendre des responsabilités appropriées à leur âge et leur fournit un contexte qui favorise le plus le développement d’individus conants et autonomes. Les enfants vivant dans ce type de famille apprennent que c’est en tenant compte du point de vue de l’autre dans le contexte d’une négociation respectueuse que les conits sont le plus ecacement résolus. Cet ensemble d’habiletés est porteur d’ecacité dans la capacité à résoudre des problèmes et il est propice à l’établissement de bonnes relations d’amitié avec les pairs, et par conséquent d’un bon réseau de soutien social. 2. Les parents autoritaires, chaleureux et acceptants, mais contrôlants. Les enfants de ces familles tendent à devenir des adultes timides qui hésitent à prendre des initiatives. Le style disciplinaire de leurs parents leur enseigne que l’obéissance inconditionnelle est la meilleure façon de gérer les diérences interpersonnelles et de résoudre les problèmes. 3. Les parents permissifs qui sont acceptants et chaleureux, mais qui font preuve de laxisme sur le plan de la discipline. Une fois devenus adultes, les enfants provenant de ce type de famille manquent de compétence dans la réalisation de leurs projets et montrent un faible contrôle pulsionnel. 4. Les parents négligents. Dans ces familles, les enfants élevés sans beaucoup de chaleur et d’acceptation de la part de leurs parents, disciplinés avec rudesse ou soumis à une supervision inconstante ou insusante, connaissent des problèmes d’adaptation. Ceux qui ont subi des punitions corporelles ont appris que l’utilisation de l’agression est une façon appropriée de régler des conits et ils tendent à y recourir dans la gestion de leurs conits avec leurs pairs. C’est pourquoi les enfants qui ont été punis de façon physique sont susceptibles de présenter des problèmes de conduite et d’intimidation.

81.1.6 Approches et écoles de pensées La thérapie familiale s’est développée dans diérents milieux cliniques, parfois de façon simultanée, parfois à des périodes diérentes, ce qui a entraîné la naissance de multiples écoles de pensée. Une description de chacune de ces approches dépasserait le cadre du présent chapitre. Voici donc une liste non exhaustive des principaux groupes qui en font partie.

Groupe de Palo Alto et Mental Research Institute Le début des travaux du groupe de Palo Alto, en Californie, remonte à 1952. Ce groupe qui donne naissance en 1958 au Mental Research Institute (MRI) a largement inuencé plusieurs autres écoles de pensée. Ces chercheurs s’intéressent d’abord à l’étude des communications et des décisions. Ils étudient les dicultés des personnes atteintes de schizophrénie à distinguer les niveaux de messages dans leurs communications avec leur entourage. Le groupe publie en 1956 Vers une théorie de la schizophrénie (Bateson & al., 1956), fondée sur les messages à double contrainte (double bind). Ces messages sont des injonctions paradoxales contradictoires tant au niveau aectif que cognitif, verbal et non verbal, et pour lesquels il n’y a aucune réponse possible. Par exemple, un jeune homme hospitalisé pour schizophrénie reçoit la visite de sa mère. Elle lui dit « Pourquoi ne manifestes-tu pas ton aection à ta mère ? » Heureux, il met son bras autour de ses

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épaules. La mère se raidit et se détourne. Perplexe, il retire son bras et sa mère lui demande « Tu n’aimes plus ta mère ? » Il rougit de cette remarque. La mère continue en disant : « Mon chéri, tu ne dois pas te sentir embarrassé ni rougir de tes sentiments. » Au MRI, on approfondit les concepts d’homéostasie et de causalité circulaire appliqués à la famille. Par la suite, Watzlawick se joint à ce groupe de chercheurs et étudie rôle de la communication dans les relations interpersonnelles, les niveaux de communication et les diérents types de messages véhiculés dans chaque échange. On y développe les thérapies brèves (Weakland & al., 1986) dans lesquelles on considère que l’intervention basée sur le « pourquoi logique » est inecace et qu’elle doit être remplacée par le « quoi et le comment les faits se déroulent ». On distingue le changement de premier ordre qui semble reposer sur le bon sens et consiste à faire plus de la même chose sans changer le cadre. C’est un changement de second ordre touchant l’organisation des relations autour des faits problématiques et qui apporte vraiment une solution nouvelle en permettant de voir les choses autrement, en changeant la norme, même si cela semble contraire au bon sens. Par exemple, un homme sourant d’agoraphobie quitte de moins en moins souvent son appartement (changement de premier ordre : quitter de moins en moins son appartement comme solution pour éviter l’angoisse). Pour atténuer son angoisse, il réduit graduellement le périmètre de ses déplacements à l’extérieur, mais il réalise qu’il ne pourra plus se rendre jusqu’à l’épicerie pour faire son marché, tellement ce déplacement à distance de son domicile pourrait être déstabilisant pour lui. Désespéré, il décide de se suicider en allant se jeter au bas d’une falaise à l’extérieur de la ville. Arrivé là, il se rend subitement compte que cette longue promenade à l’extérieur de son appartement ne l’a pas fait mourir comme il l’appréhendait auparavant. C’est un cas de guérison spontanée par l’application d’un changement de second ordre (à savoir sa nouvelle solution – aller se suicider – qui le fait sortir de son cadre de solution habituelle de connement chez lui – changement de premier ordre – et qui lui fournit une occasion d’agir diéremment, à son insu). Pour favoriser ces changements, le thérapeute commence par mettre en œuvre des interventions basées sur le paradoxe (Watzlawick & al., 1972, 1975). Le paradoxe est un message qui, simultanément, nie ce qu’il arme et arme ce qu’il nie (p. ex., l’injonction « Sois spontané ! »). Le MRI est probablement le centre d’études qui s’est le plus penché sur l’application de la théorie de systèmes dans le domaine de la recherche, de la formation et de l’intervention familiale.

École de thérapie familiale multigénérationnelle Murray Bowen amorce ses travaux sur la famille au début des années 1950. Il l’étudie principalement comme un système fermé. Il la dénit comme un système émotionnel dont les membres sont essentiellement reliés, tout en devant se diérencier. Les problèmes découlent principalement du manque de diérentiation des membres. La famille forme alors une masse émotionnelle indiérenciée, fusionnée, montrant une anxiété ottante irrationnelle avec des attachements émotifs pathologiques qui ne peuvent se résoudre et qui se transmettent d’une génération à l’autre. En situation de conits, ces relations familiales sont instables et les membres cherchent à diluer la tension en introduisant une troisième personne et en formant ainsi un triangle. Ainsi, pour Bowen, lorsqu’une tension survient entre deux individus engagés dans une relation dyadique (fusion menacée), l’individu

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le plus sourant des deux va chercher à apaiser sa tension en s’alliant à une troisième personne (l’étranger), ce qui a pour eet de réduire son propre malaise (ce mécanisme de résolution de problème est appelé « triangulation »). L’étranger, qui auparavant se sentait exclu, passe alors au statut de membre, et l’un des deux membres originaux de la dyade passe au statut d’étranger. Ce dernier entreprendra alors des actions dans le but de reprendre le statut de membre. Le triangle est « le plus petit système relationnel stable », mais il n’est pas nécessairement le plus ecace à moyen et à long terme pour résoudre les conits et permettre le développement harmonieux des membres (Bowen, 1978). Parmi d’autres, Philip Guerin et Michael Kerr ont particulièrement contribué au développement de l’école de thérapie familiale multigénérationnelle.

École de thérapie familiale contextuelle Ivan Boszormenyi-Nagy, James Framo et Laura Roberto-Forman sont les principaux protagonistes de l’école de thérapie familiale contextuelle dont les débuts remontent à 1957. Ces chercheurs postulent que toute relation est fondée sur l’éthique, laquelle repose sur le principe d’équité entre les participants à la relation et sur la contribution de chacun au bien-être des autres. La famille est conçue comme un système qui actualise des processus s’étendant sur plusieurs générations qui se transmettent des dettes relationnelles en héritage. Par exemple, si un mari sort toujours très tard le soir ou ne rentre pas à la maison, son épouse peut se sentir rejetée et s’attendre à ce qu’il « rembourse » en accomplissant des tâches supplémentaires ou qu’il ait des attentions particulières à son égard. En d’autres termes, le mari a une dette émotionnelle envers elle et elle s’attend à ce qu’il s’en acquitte. Si de telles dettes sont impayées, il se crée du ressentiment, les membres de la famille deviennent en colère et veulent que la justice et l’équité soient restaurées. Ces dettes sont fondées sur des loyautés invisibles, généralement inconscientes, qui attachent les époux à leurs familles d’origine, qui ont souvent reçu elles-mêmes ces dettes de leurs propres parents (Boszormenyi-Nagy & Spark, 1973). Une famille saine a des règles équitables et une éthique relationnelle fondée sur le droit de chacun au respect de ce qu’il est. Une famille manquerait à l’éthique et empêcherait le développement de ses membres si elle transmettait la règle que les « dettes doivent être payées » sans tenir compte de l’origine passée de ces dettes, sans respecter les besoins actuels de ses membres, ni ce qu’ils sont, veulent, ou vivent, ni du contexte, et si elle exigeait que des patterns soient répétés d’une génération à l’autre sous peine de manquer de loyauté et de vivre de la culpabilité.

École de thérapie familiale structurale Dès 1965, Salvador Minuchin commence à élaborer l’approche dite structurale. À la suite de son travail auprès de jeunes délinquants des ghettos de New York, il relie les problèmes de fonctionnement des jeunes à la désorganisation familiale et environnementale. Il précise deux patterns communs dans les problèmes familiaux : • certaines familles sont enchevêtrées (tissées serrées, enmeshed), chaotiques, à proximité étroite ; • d’autres sont désengagées et présentent beaucoup d’isolement entre les membres qui n’ont pas établi de liens entre eux.

Par ailleurs, Minuchin conçoit une approche fondée sur la théorie des systèmes avec une équipe composée entre autres de B. Montalvo, H. J. Aponte, puis avec J. Haley : • la famille est plus que la somme de ses membres ; • les interactions entre les membres sont plus importantes que les actions de chacun ; • la communication est le moyen par lequel les membres se nourrissent, et par lequel on peut les rejoindre. Il accorde une importance particulière à la structure du système : les composantes, leurs positions relatives, les frontières entre les membres et les sous-systèmes (p. ex., une coalition mère/lle pour s’opposer aux hommes de la famille) et les règles de fonctionnement. Ces éléments ont conduit à la création de l’expression « thérapie structurale », qui propose une intervention active visant à modier les positions, les frontières et la structure de la famille (Minuchin, 1974).

École de thérapie systémique stratégique Élaborée par Jay Haley, qui participe au développement de la thérapie familiale depuis le début des années 1950, et par Cloé Madanes, la thérapie systémique stratégique fait partie des modèles psychothérapeutiques les plus inuents. Pragmatique, non orthodoxe et ne craignant pas la controverse, cette approche repose sur l’idée que les thérapeutes doivent œuvrer de façon active, directive, avec habileté et empathie. Le clinicien provoque ce qui se passe dans la thérapie, met au point une approche pour chaque problème et propose la plupart des initiatives. Sa tâche consiste à : • identier les problèmes qu’il est possible de résoudre ; • xer des objectifs ; • concevoir les interventions qui permettent de les atteindre ; • examiner les réponses et les réactions qu’il obtient pour corriger son approche ; • examiner le résultat de la thérapie an de déterminer si elle a été ecace. Le thérapeute doit être extrêmement attentif au patient et à son environnement social. Haley élabore donc une démarche axée sur le changement et la prescription de directives. Le concept de symptôme est une notion centrale dans ces courants stratégiques. Pour Haley, la compréhension des relations en termes de pouvoir est fondamentale (place de chacun dans la hiérarchie, enchaînement des séquences interactionnelles, etc.). Elle autorise le thérapeute à se mettre clairement en position haute (one up) pour prendre le contrôle de la relation thérapeutique et prescrire des tâches au patient et à sa famille. Le fait de repérer la personne qui prend l’initiative et de déterminer comment les faits dénissent une ligne de conduite permet de ne pas suivre le « symptôme » ou les événements, mais d’observer le processus en cours et, éventuellement, de précéder les événements et de bloquer leur enchaînement habituel. Ici, le processus d’interaction est central. L’approche stratégique exige de prendre en compte les diérentes phases du cycle de la vie familiale. Le thérapeute doit avoir une solide compréhension de ce qui est normal aux diérents âges et stades de la vie. Dans cette perspective, certains problèmes sont considérés comme inévitables. L’objectif de l’intervention est de résoudre le problème essentiellement à l’aide des directives données de façon directe ou indirecte par le thérapeute. Cet objectif doit être précis et atteignable. Il s’agit de formuler le problème « de manière à le rendre accessible à une solution »,

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donc de le décrire de façon à ce qu’on puisse « compter, observer, mesurer » les symptômes et évaluer leur modication. L’objectif est d’induire un changement dans le comportement sans passer par la compréhension du problème et de trouver une spirale positive dans la séquence des comportements en changeant une séquence (Haley & Richeport-Haley, 2003 ; Madanes, 1981). À titre d’exemple, citons le cas de cette dame qui amena son ls de 50 ans au docteur Milton Erikson pour lui exposer que son ls était sans ressource et dépendant d’elle. Elle lui dit : « Je ne peux même pas lire un livre parce qu’il m’accapare constamment. » Erickson ne l’aida pas à comprendre leurs besoins de dépendance mutuels. À la place, il dit à la dame de conduire son ls dans le désert à un mille de distance de leur maison, et là, qu’elle devrait le pousser en dehors de l’auto (sachant que la dame était physiquement plus forte que lui). Ensuite, elle devrait s’en aller un mille plus loin, puis se stationner, rester assise dans son auto climatisée et lire son livre. De son côté, le ls devrait marcher dans la chaleur pour retourner à l’auto, ce qui serait un bon exercice physique pour lui. L’idée plut bien à la mère, mais pas au ls. Lorsqu’ils revinrent la semaine suivante, son ls avait fait cette marche d’un mille à trois reprises. La mère était enchantée, mais le ls ne l’était pas. Le ls dit : «Est-ce que je ne pourrais pas faire d’autres genres d’exercices qui ne seraient pas sous le soleil brûlant ? » « Qu’avez-vous à l’esprit ? » lui demanda le docteur Erickson. Le ls répondit : « Je pourrais aller jouer aux quilles et pendant ce temps, ma mère pourrait lire son livre dans la salle. » Cette proposition était agréable pour chacun et d’autres devoirs furent ensuite prescrits dans le but d’aider le ls à se détacher de sa mère (Haley & Richeport-Haley, 2003).

École de thérapie systémique stratégique de Milan Mara Selvini-Palazzoli est une psychiatre italienne, fondatrice en 1971 avec G. Cecchin, L. Boscolo et G. Prata, du mouvement de thérapie familiale systémique appelé « approche de Milan », qui eut beaucoup d’inuence en Europe. En se référant directement à la théorie générale des systèmes de Von Bertalany, ainsi qu’à la théorie de la communication de l’école de Palo Alto, elle conçoit dans les années 1980 une démarche de travail avec les familles de patients psychotiques ou anorexiques. Selon cette école, la famille est considérée comme un ensemble dont l’organisation relationnelle nuit au développement des membres, principalement des enfants. Son principal apport est l’insistance sur la connotation positive des comportements, l’utilisation des rituels familiaux, le recadrage et les prescriptions paradoxales (Rabeau & al., 1980).

Écoles de thérapie familiale intégrative Depuis quelques années, les courants de thérapie familiale tendent davantage vers une approche de type intégrative. Il en existe plusieurs modèles tels que présentés par Carr (2006). En voici deux exemples. • La thérapie maritale intégrative brève (Gurman, 1981 ; Gurman & Jacobson, 2002) implique l’incorporation des modèles systémiques, psychodynamiques et comportementaux. Dans cette approche, les couples ont des problèmes non pas à cause de « décits dans leurs habiletés », mais plutôt parce qu’ils vivent leur relation familiale comme non réciproque, ce qui crée un sentiment d’injustice. Les partenaires se voient de façon distordue en prêtant à l’autre des attributs négatifs. Ces

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distorsions se produisent par le biais de projections mutuelles de problèmes non résolus issus de leur enfance. L’épouse a l’impression que son mari ne la reconnaît pas dans ses besoins et dans ce qu’elle est, donc qu’il ne l’aime pas. Celui-ci se sent envahi par les demandes de sa femme qui tente de se faire rassurer. Il a donc tendance à s’éloigner d’elle. Celle-ci réagit négativement et interprète son comportement comme du rejet. Elle répond en invectivant son mari. Celui-ci se sent alors invalidé, un sentiment qu’il vivait enfant avec sa propre mère, et il a en conséquence tendance à se retirer encore davantage. Dans les cas les plus graves, les deux conjoints sont prisonniers d’un arrangement collusif de projections négatives auxquelles ils réagissent mal, sans en être conscients, en renforçant à leur insu ce qu’ils reprochent à l’autre. Lors de l’intervention, qui dure habituellement 15 séances, le thérapeute a trois objectifs : – sensibiliser les partenaires à l’interconnexion de leurs comportements (p. ex., « Monsieur A, avez-vous déjà remarqué ce qui se passe quand votre femme vous demande X ? Comment vous sentez-vous alors ? Madame B, avez-vous déjà observé quelle est la réaction de monsieur lorsqu’il se sent ainsi ? » etc.) ; – entraîner le couple à utiliser des habiletés relationnelles (p. ex., « Monsieur, que pourriez-vous faire de diérent lorsque madame vous semble faire des demandes incessantes ? Que diriez-vous de lui demander alors comment elle se sent ? ») ; – remettre en question les « règles » relationnelles dysfonctionnelles (p. ex., « Nous avons mis en évidence que lorsque vous vous sentez envahi par les demandes de madame, vous êtes porté à vous éloigner et qu’alors madame se sent encore plus rejetée. Avez-vous l’impression que cette réaction en chaîne aide chacun à se sentir mieux dans votre relation ? » ). Les trois principales catégories d’interventions sont les suivantes : – établir un lien entre les expériences individuelles et les expériences relationnelles ; – prescrire des tâches spéciques à accomplir (p. ex., « La semaine prochaine, monsieur A, lorsque vous vous sentirez envahi par les demandes de madame B, vous allez lui demander : “Est-ce que ça se peut que tu te sentes rejetée présentement ?” et vous prendrez quelques notes dans un carnet pour noter comment la suite s’est déroulée et nous en discuterons lors de notre prochaine rencontre. ») ; – interrompre et modier les processus collusifs. Ces trois catégories d’interventions peuvent faire appel à des techniques issues de plusieurs modèles de thérapie familiale ou de couple : • L’approche intégrative centrée sur le problème de Pinsof (2005) n’est pas une théorie supplémentaire sur les dysfonctionnements familiaux ou les sourances familiales ; il s’agit plutôt d’un modèle particulièrement utilisé dans des cas complexes qui ne répondent pas à la thérapie familiale usuelle. Elle peut recourir à des interventions interreliées de thérapie familiale, de thérapie individuelle et de psychopharmacologie, par exemple. Les décisions et les interventions dépendent du problème présenté par le patient. Le thérapeute explore ce qui

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empêche la résolution du problème et opte dans son travail pour une orientation thérapeutique en fonction de la structure responsable de la persistance du problème. Cette approche est fondamentalement d’orientation psychodynamique. • L’école de Mony Elkaïm, psychiatre d’orientation systémique qui a créé en Belgique une approche qui s’intéresse à la répétition systémique dans les rôles familiaux et relationnels adultes du programme de vie appris dans l’enfance. Dans les années 1970, il fonde avec Isabelle Stengers l’Institut d’études de la famille et des systèmes humains de Bruxelles. Elkaïm insiste sur le fait que ce qui se développe chez l’observateur (le thérapeute) et chez l’observé (la famille) est fonction de ce qui se passe non seulement en eux, mais entre eux et dans le système. Le mouvement de changement ne dépend plus seulement du système observé, mais aussi du système observateur et des échanges entre eux. Il parle de « résonances » pour identier les réactions de l’observateur à l’égard de ce que l’observé lui présente, sachant que les deux sont à la fois observés et observateurs (Elkaïm, 1989).

Thérapie familiale systémique La thérapie familiale systémique est une école de pensée qui vise à travailler avec les gens non pas à un niveau individuel, mais en tant qu’individus en relation avec d’autres. Le thérapeute s’intéresse aux interactions des groupes ainsi qu’à leurs façons propres d’interagir et à leur dynamique interactionnelle. Cette approche aborde les problèmes de façon pragmatique plutôt qu’analytique et ne tente pas, par exemple, de déterminer les causes passées comme le ferait l’approche psychanalytique. Elle s’intéresse davantage à identier les processus comportementaux relationnels dans un groupe d’individus ou dans une famille plutôt qu’à tenter de porter un diagnostic ou encore d’identier qui est la victime ou le coupable. Elle vise à travailler directement ces processus dysfonctionnels, et ce, sans s’attarder à l’analyse de la cause. Le rôle du thérapeute systémique n’est pas tant celui de changer les individus que celui d’aider le système (la famille) à changer. La thérapie familiale systémique ne vise ni à traiter des causes ni des symptômes. Elle cherche plutôt à donner aux membres du système des moyens ou des façons de voir autrement la situation an qu’ils puissent trouver de nouvelles stratégies ou interactions et construire une nouvelle structure organisationnelle qui permettra la croissance. Elle tente de générer un petit changement qui engendrera un léger déséquilibre de l’ordre établi pour ainsi mobiliser le système vers un équilibre plus sain. Le modèle de fonctionnement familial de McMaster est un des modèles qui utilisent ces concepts. Les débuts de ce modèle élaboré par Nathan Epstein et son équipe remontent à une étude eectuée à Montréal qui a donné lieu à la publication du livre Silent Majority (Westley & Epstein, 1969). Par la suite, ce modèle a reçu le nom de « modèle de McMaster » pour souligner qu’Epstein s’est établi dans cette université ontarienne après son départ de Montréal en 1970, avant d’aller s’installer dénitivement à la Brown Alpert Medical School, aux États-Unis, à la n des années 1970. Le modèle de McMaster (Ryan & al., 2005) fait partie des approches systémiques et il est relativement facile à conceptualiser et à apprendre. Il est possible d’y greer diérents éléments des autres approches. De plus, il a fait l’objet de nombreuses recherches et publications. Dans ce modèle, on évalue la famille

selon six dimensions ainsi que selon une évaluation globale du fonctionnement familial. Les recherches eectuées sur l’un des outils d’évaluation dérivés de cette approche, le Family Assessment Device, ont montré que, sauf pour la dimension relative aux rôles, les cinq autres dimensions d’évaluation atteignent un niveau de abilité statistiquement signicatif (Miller & al., 2000). Les six dimensions de ce modèle donnent un aperçu intéressant du fonctionnement de la famille et peuvent ainsi orienter le thérapeute sur les diérents aspects à travailler pour l’aider à développer une organisation plus fonctionnelle : 1. La résolution de problème concerne la capacité et l’ecacité de la famille à résoudre les problèmes à un niveau qui permet de maintenir l’intégrité du fonctionnement familial. Les problèmes peuvent être de nature aective (p. ex., un conit entre deux membres de la famille) ou de qualité instrumentale (p. ex., une famille aux prises avec des dicultés nancières). Une famille peut être habile à résoudre ces deux types de problèmes, alors qu’une autre ne se montre ecace qu’avec seulement un type, ou encore qu’elle s’avère incapable de résoudre tous les types de problèmes. Le processus par lequel s’eectue une résolution ecace comporte la séquence suivante : a) une identication juste du problème ; b) la communication du problème aux membres concernés de la famille ; c) l’élaboration de solutions en termes d’actions à prendre pour résoudre le problème ; d) la prise de décision selon une de ces options ; e) le passage à l’action convenue ; f ) un mécanisme de rétroaction pour vérier que l’action a été complétée ; g) l’évaluation des résultats que l’on a obtenus à la suite de l’action accomplie. Dans l’éventualité où le processus n’aurait pas donné les eets souhaités, la famille doit réenclencher la démarche à partir du premier stade ci-haut mentionné. 2. La communication est évaluée en fonction de la capacité et de l’ecacité de la famille à échanger l’information entre ses membres, autant sur les sujets de nature aective que ceux de nature instrumentale. On caractérise le traitement du contenu des messages ainsi que la personne vers laquelle le message est dirigé. On évalue si le message est communiqué de manière directe à la personne concernée ou s’il l’est de façon indirecte, par l’intermédiaire d’une autre personne (p. ex., se servir d’un enfant pour transmettre des récriminations entre les parents). La communication peut être caractérisée selon un continuum allant de claire à masquée. 3. Les rôles familiaux sont dénis par des modèles répétitifs de comportements par lesquels les individus remplissent leurs fonctions familiales. Certains rôles sont essentiels, comme la fonction de parent s’il y a des enfants, et doivent être présents dans toutes ces situations pour que le système soit sain. D’autres rôles peuvent être uniques, selon un contexte particulier d’une famille donnée (p. ex., le rôle de soutien et d’accueil d’un des grands-parents), ou pathologiques (p. ex., le rôle de bouc émissaire, de brebis galeuse qui fait la honte de la famille). Les rôles de soins et de soutien font partie des

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fonctions aectives essentielles, alors que la tâche de fournir les ressources nécessaires à la famille relève des fonctions instrumentales essentielles. L’éducation, la gestion et le maintien du système sont à la fois aectifs et instrumentaux. Pour comprendre les rôles, il faut : a) comprendre le principe de distribution qui réfère à qui fait quoi (p. ex., qui fait le ménage, qui s’occupe des enfants) ; b) déterminer la nature des tâches et s’assurer notamment qu’elles sont appropriées pour l’individu donné ; par exemple, une adolescente de 16 ans peut être responsable de vider le lave-vaisselle ; cette tâche est appropriée pour son âge, mais elle ne le serait pas pour un enfant de 4 ans ; c) établir le principe de responsabilité face à la tâche, c’està-dire à quel point la tâche est clairement de la responsabilité d’un individu ou pas ; d) instaurer un principe de vérication pour savoir si la tâche assignée a été remplie correctement. 4. La réponse aective se rapporte à la capacité de répondre aux stimuli avec une qualité et une quantité appropriée d’émotion. On évalue comment chacun des membres de la famille est capable d’exprimer les diérentes émotions positives de bien-être (amour, tendresse, joie, bonheur, etc.) et négatives d’urgence (crainte, colère, tristesse, déception, etc.). On estime ensuite comment les membres réagissent à cette expression émotive. 5. L’investissement aectif est évalué en fonction du degré avec lequel les membres se portent mutuellement de l’intérêt et apprécient les activités des uns et des autres. Les styles d’investissement aectif se situent selon un axe qui passe de « trop peu » à « trop grand ». Ainsi les familles peuvent être caractérisées par : a) Une absence d’investissement. Il s’agit de membres d’une famille qui n’éprouvent aucun sentiment ni aucune préoccupation à l’égard des autres membres, tant dans les domaines aectifs qu’instrumentaux. Ils ne sont aucunement touchés quoi qu’il leur advienne, et souvent ils ignorent tout des intérêts ou des activités de l’autre membre. b) Un investissement instrumental dénué de sentiments. Dans ces familles, on pourvoit au soutien instrumental (p. ex., nourriture, logement, ménage), mais pas au soutien aectif. On peut se tenir au courant des activités et des besoins instrumentaux des autres membres, mais sans réel investissement aectif, comme des étrangers qui vivraient dans la même maison. c) Un investissement avec intérêt sans sympathie. Les membres de la famille sont liés davantage par le sens du devoir que par un sentiment de sympathie véritable. Ils vivent un vague sens d’appartenance en même temps que de la frustration et de l’insécurité à cause de la pauvreté de l’expression aective. d) Un investissement de type narcissique. Les membres de la famille s’investissent dans ce qui leur rapporte à eux, mais sans se soucier du bien-être de l’autre. Par exemple, un père est heureux que son ls réussisse bien à l’école uniquement parce que cela lui permet de paraître comme étant un « bon parent » au regard de ses voisins. e) Un investissement empathique. Il s’agit du fonctionnement idéal dans lequel les membres sont capables de ressentir les joies et les peines des autres membres et désirent leur bien

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sur une base strictement altruiste. L’engagement aectif est élevé en intensité et en fréquence, ce qui rehausse le sentiment de sécurité et l’estime de soi. f ) Un surinvestissement. Par exemple, le parent en fait trop ou exige une présence excessive au point que la situation devient aectivement étouante pour les enfants qui se sentent en devoir de rendre la contrepartie aux dépens de leur saine évolution personnelle. g) Un investissement symbiotique. On peut parler ici d’enchevêtrement (enmeshment) où il est dicile de diérencier les individus dans leurs besoins ou leurs émotions (p. ex., une mère et sa lle de 15 ans incapables de vivre l’une sans l’autre). Toute séparation amène une anxiété extrêmement importante qui maintient cette relation fusionnelle. Ce genre d’engagement produit une interférence avec la maturation et l’autonomie. 6. Le contrôle du comportement concerne les règles qu’adopte le système familial pour gérer les interactions de ses membres et ses rapports à l’extérieur de la famille. La famille est régulièrement amenée à composer avec un ensemble de situations qui exigent d’exercer un contrôle. C’est le cas notamment des situations comportant un danger physique, des situations où sont exprimés des besoins psychologiques ou des pulsions ou encore des situations relatives au développement des processus de socialisation à l’intérieur et à l’extérieur de la famille. Le contrôle du comportement est évalué selon deux axes : a) Les règles qui existent dans la famille, par exemple les règles concernant l’heure du coucher, la politesse et le respect, ou encore la sécurité. Ces normes peuvent être trop strictes ou, à l’opposé, absentes. b) L’application des règles peut être faite de façon rigide, inconsistante ou souple. Si les règles sont appliquées de façon rigide (par opposition à souple), par exemple l’heure du coucher, où les parents maintiennent le cadre établi même si la situation peut être assouplie durant la n de semaine ou à l’occasion d’un événement spécial. Pour ce qui est de l’application inconsistante, il s’agit d’une situation où les règles ne sont pas appliquées de façon systématique : elles peuvent donc varier sans que l’enfant ne puisse en saisir la raison. 7. L’évaluation du système familial s’achève par une appréciation globale de son fonctionnement. Est-ce que la famille dans l’ensemble se débrouille assez bien ou si le tout donne un aperçu dysfonctionnel ? Après avoir évalué chacun de ces sept aspects, le thérapeute systémique a une bonne idée du fonctionnement de la famille, des problèmes, des forces du système et des éléments à travailler en thérapie pour trouver, en collaboration avec la famille, un mode d’organisation plus fonctionnel.

81.2 Formation des thérapeutes La réflexion sur l’enseignement de la thérapie familiale est en constante évolution avec les changements de pratique, les exigences des programmes de formation et l’adaptation aux nouvelles réalités des apprenants. Les façons de l’enseigner sont variées et les méthodes enseignées également. Il faut considérer l’aspect théorique, avec les principes de base qui doivent soutenir

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l’intervention, qui est souvent enseigné en cours magistraux, en séminaires ou en clubs de lecture. Il existe également des vidéos dans lesquelles les principaux auteurs dans le domaine présentent leurs théories et leur approche clinique. Dans l’élaboration d’un programme d’études, il faut aussi planier des activités cliniques et de la supervision, comme dans toute forme d’enseignement de psychothérapie où le thérapeute doit passer de la connaissance à la compétence. On peut aussi utiliser des jeux de rôles, des enregistrements vidéo ou un journal, qui permettent à l’apprenant de rééchir sur une situation qu’il a vécue avec une famille ou un couple. On commence d’habitude par faire de la cothérapie. Il est important de distinguer l’enseignement de l’intervention familiale et l’enseignement de la thérapie familiale proprement dite. L’intervention familiale devrait être apprise par tous les cliniciens. Il s’agit d’un ensemble de pratiques cliniques qui ont pour but d’agir sur les interactions, sur l’environnement familial et sur les fonctions parentales an d’optimiser le développement de tous les membres de la famille et de minimiser les risques associés à une maladie chez un membre de la famille (Josephson, 2008). Les concepts de cycles familiaux, de fardeau familial et les modalités de base de l’intervention permettent de mieux saisir les enjeux et d’intervenir auprès des patients et de leur famille. La thérapie familiale ainsi que la thérapie de couple demandent quant à elles, une formation adaptée de niveau plus avancé. Voici quelques programmes et lieux d’enseignements au Québec : • Programme de formation en thérapie du couple et de la famille, Institut de psychiatrie communautaire et familiale (IPCF) de l’Hôpital général juif de Montréal.Un programme de trois ans ore aux professionnels de la santé mentale et de la santé (travailleurs sociaux, psychologues, inrmières, conseillers et médecins, notamment) une formation pratique et théorique en thérapie familiale et conjugale. Le programme est disponible en deux volets. Le programme de certicat d’études de troisième cycle du volet I est un programme agréé, et ses nissants sont qualiés pour recevoir leur permis de « thérapeute conjugal et familial » de l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec (OPTSQ). Le programme d’éducation permanente du volet II est conçu pour la formation continue et ne conduit pas à la certication professionnelle. • M. Sc. (A) Couple and Family erapy (McGill). L’École de service social de l’Université McGill de Montréal ore une maîtrise en thérapie familiale et de couple en collaboration avec le Département de psychiatrie de l’Hôpital général juif de Montréal. Ce programme s’adresse aux professionnels des sciences de la santé qui désirent obtenir un diplôme de thérapeute familial et de couple au Québec. • Microprogramme de deuxième cycle en thérapie conjugale et familiale de l’Université Laval. L’École de service social de la faculté des sciences sociales de l’Université Laval ore ce programme qui s’adresse expressément aux intervenants des milieux pratiques (centres jeunesse, centres de santé et des services sociaux, centres hospitaliers, organismes communautaires, milieux scolaires) désireux de parfaire leur formation dans le domaine de la thérapie conjugale et familiale et d’obtenir une attestation de deuxième cycle. Il vise à améliorer les connaissances des professionnels qui ont déjà une certaine expérience de travail et qui interviennent auprès de couples et de familles dans le cadre de leur profession.

81.3 Modalités d’application La manière de réaliser un entretien de thérapie familiale peut présenter certaines variations, mais en règle générale, les thérapeutes préfèrent que tous les membres de la famille y participent. Ils disposent, au préalable, le nombre nécessaire de chaises en demi-cercle pour que chacun puisse interagir aisément avec les autres. Toutefois, le thérapeute peut accepter de procéder diéremment lorsque des considérations le justient raisonnablement. Souvent, d’entrée de jeu, il convient avec la famille que si la présence d’un ou plusieurs membres non initialement prévus lui semble essentielle, mais qu’elle n’accepte pas de remplir cette condition, il mettra un terme à la thérapie. Certains cliniciens estiment encore qu’il faut demander l’autorisation au patient avant de pouvoir rencontrer sa famille. Un clinicien peut poser des questions à qui il souhaite pour obtenir une information pertinente. Bien sûr, en clinique, il faut respecter la règle de condentialité. Mais il est aussi nécessaire d’obtenir toute l’information provenant de tiers an de prendre des décisions éclairées. Et ce sont assurément les parents (ou le conjoint) qui sont les mieux placés pour fournir certains éléments essentiels à la compréhension globale de la situation puisqu’ils côtoient régulièrement le patient. Par exemple, dans le cas d’un patient hospitalisé, on peut dire : « Jeudi, je vais rencontrer vos parents. Rassurez-vous, je ne dirai rien de ce que vous m’avez raconté. C’est vous qui allez leur expliquer votre diagnostic et les traitements que je vous ai enseignés. Mais il est indispensable qu’on discute avec vos parents du contexte dans lequel vous allez retourner vivre après avoir reçu votre congé de l’hôpital. »

81.3.1 Contrat initial et orientation Au début de l’entrevue, le thérapeute présente à la famille le déroulement de l’entretien. Il demande à chaque membre de la famille d’expliquer comment il conçoit le problème et il essaie de motiver chaque individu à s’engager et à prendre une part active à l’entrevue. Il s’agit ici de dénir le cadre dans lequel se déroulera la thérapie familiale, et celui-ci constituera l’essence du contrat initial. Le thérapeute doit voir à ce que les attentes de chacun soient clariées, tant celles des personnes impliquées dans la consultation que celles du thérapeute. Certaines attentes de la famille peuvent faire l’objet d’une négociation, par exemple décider de la priorité à accorder à tel ou tel problème ou de faire en sorte qu’une personne très introvertie devienne extravertie, alors qu’il faudrait commencer par travailler d’autres éléments de base, tels la communication ou le contrôle du comportement. L’objectif de cette séance d’orientation est d’en arriver à un accord de principe sur ce qui sera travaillé au cours des entretiens. On y discute ouvertement du processus de la thérapie : • ce qui est exigé comme participation (p. ex., qui doit obligatoirement être présent lors des séances) ; • la fréquence des rencontres ; • les dispositions pouvant être prises advenant l’absence de certains membres jugés essentiels pour l’entretien (dont le report de la rencontre, si nécessaire) ; • les contraintes telles que la nécessité que soient discutées, au sein même de l’entrevue, les informations qu’un membre voudrait exprimer condentiellement au thérapeute avec la

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volonté que cette information demeure secrète. Cette situation est susceptible de placer le thérapeute dans une situation précaire (collusion avec un membre de la famille), alors qu’il est paralysé par le « secret » qu’on lui a coné et qu’il ne pourrait pas partager avec les autres membres de la famille. On peut d’emblée aborder, dans cette séance, le fait que le processus thérapeutique exige de chacun de réviser sa manière de penser ou d’accomplir les choses. Le but explicite est de rendre les membres de la famille conscients que certains de leurs modes de fonctionnement peuvent être remis en cause et que des approches diérentes de leurs réactions habituelles peuvent devenir des tâches thérapeutiques à accomplir durant les rencontres ou en dehors de ces périodes de thérapie. Lorsqu’elle est accomplie avec rigueur et empathie, cette étape est de nature à faciliter l’alliance, gage essentiel de l’ecacité thérapeutique. Lors de chacun des entretiens, le thérapeute doit être très attentif, non seulement aux communications verbales, mais aussi et surtout aux manifestations non verbales qui apportent souvent un éclairage plus évident du fonctionnement de la famille. L’absence d’accord réel de certains membres est souvent mieux détectée par les attitudes que par les mots. Tout indice d’un possible désaccord doit être d’emblée abordé et résolu pour assurer un déroulement facilitateur. Le processus d’orientation de la famille peut être remis à l’avant-plan lorsque, par exemple, la thérapie fait apparaître de nouveaux objectifs thérapeutiques potentiels non prévus à l’agenda initial. Encore une fois, le but est de s’assurer que la famille soit disposée à aller de l’avant avec le travail thérapeutique rendu nécessaire pour poursuivre le cheminement dans le cadre de nouveaux objectifs à atteindre.

81.3.2 Évaluation du fonctionnement familial Le thérapeute tire prot de procéder systématiquement à l’évaluation du fonctionnement familial. Comme il existe plusieurs écoles de pensées en thérapie familiale systémique, le cadre est fonction du modèle choisi et il est déterminant quant aux paramètres et objectifs visés lors de l’évaluation. Avec l’approche de McMaster (Epstein & al., 2003 ; Ryan & al., 2005), il s’agit de procéder à l’évaluation de chacune des six dimensions et du fonctionnement global. Bien que ceci puisse aussi être réalisé à la n de l’évaluation, il est souvent préférable de partager progressivement les observations à mesure que se déroule l’évaluation. À la n, le thérapeute explique dans un langage simple ses conclusions à propos de chacune de ces sept dimensions de l’évaluation. Cette façon de procéder lui permet de s’assurer d’un consensus sur la dénition des problèmes observés dans le fonctionnement familial et sur la nécessité d’inclure ces processus dysfonctionnels dans le travail thérapeutique. Il arrive fréquemment que l’évaluation dépasse la durée d’une séance an de faire le tour de l’ensemble des dimensions et d’établir ensuite un consensus et un contrat.

81.3.3 Contrat thérapeutique À partir des conclusions de l’évaluation, le thérapeute est alors en mesure de : • proposer des solutions de rechange à l’égard des problèmes identiés, qui peuvent aller de la décision de ne rien faire à celle de s’engager dans un processus thérapeutique formel ;

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• discuter des résultats auxquels on peut vraisemblablement s’attendre selon la décision que la famille va prendre ; • planier les étapes qu’il considère comme essentielles pour tenter de résoudre les éléments dysfonctionnels ; • préciser les exigences requises en thérapie. À l’issue de cette discussion ouverte, on doit convenir d’un contrat thérapeutique, généralement sous forme verbale. Toutefois, dans le modèle de McMaster, on utilise plutôt un contrat écrit que signent tous les membres de la famille, indiquant formellement qu’ils souscrivent aux objectifs thérapeutiques. Ce contrat précise les objectifs et les moyens pour les atteindre, y compris les règles essentielles, par exemple exiger le fait que tous doivent être présents, ainsi que le consensus des parties à mettre tous les eorts requis pour remplir ces conditions. Dans l’élaboration de ce contrat personnalisé, il est utile de résumer les objectifs en des termes faciles à comprendre et qui ont du sens pour les membres de la famille. On peut d’ailleurs utiliser des mots ou des phrases clés déjà mentionnés par la famille ou qui font un résumé de ce qu’on observe et que la famille adopte comme une sorte de « mantra ».

81.3.4 Séances de thérapie Au cours de cette phase, le thérapeute cible les objectifs qui ont été élaborés antérieurement en ayant à l’esprit la nécessité de garder la motivation de chacun quant à la poursuite du processus. À cette n, il s’agit d’être attentif à ce qui met le plus évidemment la famille ou le couple en sourance, mais aussi de tenir compte d’un principe de réalisme selon le stade où est présentement rendue la famille en termes de capacité à donner suite aux modications et aux tâches préconisées. En eet, les premières modications suggérées à la famille ainsi que les premières tâches proposées doivent être simples et faciles à réussir, de façon à assurer les meilleures chances de succès. Même si des émotions intenses sont soulevées ou que des sujets diciles sont abordés, le thérapeute doit rester susamment en contrôle du processus pour que les membres de la famille souhaitent revenir en sentant que cette approche est pertinente quant à leurs objectifs. Pour être ecace, la thérapie doit mettre en lumière ce qui ne fonctionne pas ; or, cela peut susciter des émotions diciles à supporter. An de contrebalancer ce phénomène, le thérapeute doit faire très attention à bien identier les processus sains que la famille utilise spontanément et à le lui dire clairement. En plus de faire du renforcement, il évite ainsi que ne s’instaure une perception dichotomique du type « blanc ou noir ». Par exemple, la perception que rien ne va dans la famille risque de mettre en péril la motivation à poursuivre les eorts requis puisque cette vision catastrophique est peu compatible avec l’espoir de réussite. Les tâches ou « devoirs » sont destinés à modier la façon habituelle de réagir ; ils ont pour objet l’une ou l’autre des dimensions présentant des dicultés que le thérapeute a identiées et sur lesquelles il s’est préalablement mis d’accord avec la famille. En session thérapeutique, il s’agit de travailler dans le « ici et maintenant » sur les processus dysfonctionnels observés, ce qui permet de discuter des solutions de rechange ecaces. Comme il a été mentionné, cela permet aussi de valider et d’accentuer les forces de la famille ce qui est aussi une façon de contrebalancer l’anxiété soulevée par la mise en évidence des dicultés. Cette approche implique que les membres de la famille soient

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mis en interaction par le thérapeute précisément pour faire ressortir de tels processus dont les séquences et les eets sont progressivement traduits (identiés) à la famille. L’objectif est d’amener les membres à trouver des solutions de rechange plus susceptibles de conduire à des améliorations. Dans un premier temps, le thérapeute est celui qui identie les processus pour la famille. Après quoi, dans un but didactique, il ne tarde pas à amener progressivement les membres de la famille à identier eux-mêmes les situations problématiques ainsi que leurs forces, idéalement, en recourant à des questions telles que : • Que retenez-vous de ce qui se passe présentement ? • Qu’observez-vous de ce que X fait à Y présentement ? • Comment pensez-vous que Y se sent à l’égard de ce que X vient de dire ? • De quelle manière pourriez-vous savoir comment Y se sent quand… ? • Comment croyez-vous que X pourrait agir diéremment pour que Y sente moins de… et qu’il soit davantage disposé à écouter ce que vous avez à dire à ce sujet ? En choisissant judicieusement à quel membre de la famille le thérapeute pose ses questions, il favorise la circulation d’informations nouvelles pour remplacer les communications stéréotypées dysfonctionnelles. Ainsi, tous entendront la réponse venant de telle ou telle personne et seront en mesure d’apporter des nuances. La métacommunication est une intervention puissante et ecace que le thérapeute utilise en faisant des commentaires sur la façon dont la communication verbale et non verbale circule dans la famille. Selon Bateson et ses collaborateurs (1956), la capacité de communiquer sur la communication, de commenter nos actions signiantes et celles des autres est primordiale pour l’établissement de relations sociales réussies. Pour interpréter correctement ce qu’expriment vraiment les autres, il faut être capable de faire des commentaires sur la relation, sur la façon dont les choses sont dites et à qui elles le sont. La métacommunication a une valeur curative dans la mesure où elle permet une prise de distance par rapport aux intentions et ainsi les rend accessibles aux changements (Salem, 1996). Elle favorise la reconnaissance du non-dit. On comprend que le fait de travailler ainsi les interactions exige du thérapeute qu’il soit très actif, voire directif à l’occasion. En eet, il peut arriver que le déroulement des interactions engendre des réactions trop intenses qui pourraient s’avérer antithérapeutiques si elles ne sont pas contrôlées par le thérapeute, car elles amplieraient le malaise et nuiraient à la recherche de solution à cause du climat de tension excessif. Il faut donc apaiser le climat par du recadrage. Le recadrage est une intervention visant à modier, chez un patient ou dans la famille, son modèle de représentation de la réalité, en termes de pensée, de comportements et d’aects (Benoit et al., 1988). Il pourrait dire, par exemple : • à une famille déchirée par des discordes continuelles : « Ce violent conit dans la fratrie serait-il un moyen de tester la proximité et le partage de la solidarité dans des conditions diciles ? » ; • à une mère apparemment surprotectrice à l’égard de son enfant : « Il semble que vous vous dévouez corps et âme pour lui ? ». Le thérapeute peut également faire ressortir la motivation réelle sous-jacente à un comportement donné en fournissant, pour les interactions en cours, une interprétation diérente de celle de la famille ou d’un de ses membres. Par exemple :

• Un père réagit de façon agressive à la colère de la mère qui est irritée parce qu’il a annulé une sanction méritée qu’elle venait d’imposer à leur ls ; le thérapeute recadre la séquence d’interactions en soulignant l’intention positive derrière les actions de chacun des parents, tout en identiant les eets néfastes potentiels de certaines de ces actions. De telles approches peuvent souvent être utiles pour amener les membres de la famille vers une perception plus positive d’une séquence interactionnelle donnée. Il est bon, à l’occasion d’une impasse, d’eectuer un rappel des objectifs communs que partage la famille. En proposant des tâches à eectuer entre les séances, la famille peut mettre en pratique les nouvelles façons de faire qui ont été adoptées au cours de l’entretien et sur lesquelles un consensus a été établi : « Si l’on fait A, cela devrait aider ! » Lors de l’entretien subséquent, le thérapeute questionne la famille sur le déroulement de la tâche qui avait été convenue. Si tout s’est déroulé de façon satisfaisante et que la famille perçoit bien les impacts positifs de cette nouvelle façon de faire, on peut conclure à la nécessité de poursuivre dans ce sens. Puis on aborde un nouveau problème en entrevue. Dans le cas contraire, on tente de décortiquer ce qui n’a pas bien fonctionné et de trouver une solution satisfaisante qui fait ensuite partie des tâches à tester de façon pratique. L’ecacité de la thérapie familiale relève justement de cette procédure, car le processus thérapeutique ne survient pas que pendant les sessions. Il se prolonge tout au long de la semaine quand les participants reprennent entre eux les modalités apprises en présence du thérapeute. Petit à petit, le thérapeute et la famille progressent à travers une séquence graduée en termes de niveaux de diculté, vers le développement de processus de plus en plus fonctionnels, voire plus sains, pour la famille. An de susciter le développement de l’autonomie, plus la thérapie avance, plus les membres sont encouragés à identier eux-mêmes, d’abord pendant les entretiens, ensuite entre les sessions, les processus nécessitant des améliorations dans un cadre de résolution de problèmes tel que déni dans le modèle de McMaster (voir la sous-section 81.3.2).

81.3.5 Fin de la thérapie Une fois les objectifs thérapeutiques atteints, il s’agit de demander à la famille d’eectuer une rétrospective de la situation qui prévalait au début de la thérapie, d’identier les éléments principaux qui ont permis de dénouer les situations qui posaient problème et de faire le bilan des succès que les eorts déployés leur ont rapportés. Comme il l’a fait régulièrement pendant la thérapie, le thérapeute souligne les eorts accomplis ainsi que les résultats obtenus ; il corrobore les éléments pertinents soulevés dans le bilan fait par la famille et précise au besoin les éléments essentiels que la famille a pu oublier dans son bilan, mais qui ont contribué à la réussite de la thérapie.

81.4 Indications et contre-indications Le terme thérapie familiale est un terme général sous lequel on regroupe plusieurs démarches issues de diérentes écoles de pensée. Certains auteurs arment que tout problème peut être abordé sous l’angle de la thérapie familiale, alors que d’autres préfèrent réserver cette approche à certains types de problèmes comme l’anorexie ou la schizophrénie.

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81.4.1 Indications Bien que le type d’indications puisse varier selon l’école de pensée, le critère principal demeure la motivation des membres de la famille à s’investir dans une thérapie. Voici quelques exemples de situations dans lesquelles une intervention familiale est indiquée : • un problème associé à un membre de la famille ; • une famille aectée par la maladie d’un de ses membres qui soure de schizophrénie, de dépression, d’anorexie ou d’un cancer, par exemple ; • un problème à propos des frontières intergénérationnelles, qui pourrait résulter du comportement des parents qui agissent avec leurs enfants comme si ceux-ci étaient leurs amis au lieu d’agir en parents ; • une difficulté survenant dans un moment particulier de l’adaptation à une étape de la vie (voir la sous-section 81.1.4) ; • des problèmes inhérents à un ou plusieurs aspects du fonctionnement familial, tels les rôles, la résolution de problèmes, la communication, l’investissement aectif ou le contrôle comportemental (voir la sous-section 81.3.2) ; • une situation problématique causée ou exacerbée par des dicultés relationnelles entre les membres de la famille, par exemple un trouble alimentaire chez une adolescente favorisé par une relation conictuelle entre le père et la mère, la jeune lle tentant inconsciemment de dévier l’attention en refusant de manger.

81.4.2 Contre-indications Il n’existe pas de contre-indication absolue, mais plutôt des contre-indications relatives que le thérapeute doit juger en fonction de la situation. Avant d’entreprendre une thérapie familiale, il faut s’assurer de la motivation des membres de la famille ; sinon, il faut la susciter en prenant les moyens appropriés. Par exemple, on peut : • demander aux personnes de faire ressortir clairement le problème, de décrire la sourance reliée à cette diculté et, ensuite leur proposer un objectif formulé simplement avec des mots clés qui ont du sens pour la famille (p. ex., on peut en venir à la conclusion que les membres de la famille vivent comme des « colocataires » sous le même toit, sans réels liens entre eux, et qu’ils voudraient arriver à une « vie d’équipe » ensemble) ; • faire valoir les gains potentiels de la thérapie ; • faire intervenir un autre membre de la famille étendue susceptible d’avoir une inuence sur le membre récalcitrant (p. ex., un des grands-parents que l’on fait venir avec l’accord de la famille et qui sensibilise la famille aux bénéces potentiels pour leur ls). Voici maintenant quelques exemples de situations dans lesquelles l’approche familiale risque d’être problématique et qui exigent du thérapeute d’évaluer la pertinence d’entreprendre ou non une telle thérapie. • Un membre de la famille est émotionnellement très instable et le faire participer à la thérapie risque de provoquer une décompensation (p. ex., lorsqu’un membre traverse une phase de psychose aiguë). Dans ce cas, il peut être préférable de travailler seulement avec certains membres en utilisant une approche psychoéducative et d’intervention de crise et d’attendre que la crise soit passée avant de travailler avec l’ensemble de la famille. • Il y a violence familiale ou conjugale. Dans ce cas, le thérapeute doit s’assurer de bien évaluer le risque potentiel avant d’entreprendre la thérapie. Pour ce faire, il doit rencontrer

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individuellement les membres de la famille, puis s’entendre sur un contrat de tolérance zéro vis-à-vis de toute perte de contrôle agressive. En cas de violence, il est bon de recommander aux membres de la famille de consulter un organisme spécialisé dans ce type d’intervention. Le contrat thérapeutique doit être assorti d’un plan d’urgence an de protéger la victime ou les victimes potentielles. De plus, il faut s’assurer que les points discutés en entretien familial ne serviront pas à intimider ou ostraciser certains membres de la famille. • Le système familial est extrêmement rigide ou très désorganisé. Le thérapeute peut alors proposer des changements minimes ou basiques, car ils ont plus de chance d’être réalisables. • La thérapie va à l’encontre des valeurs familiales et culturelles, par exemple dans le cas d’une famille faisant partie d’une secte religieuse qui proscrit certains comportements, favorisant ainsi une attitude très rigide de la part des parents. Il importe alors que le thérapeute s’assure de bien comprendre la dynamique familiale et de pouvoir adapter son approche pour ne pas se placer en porte à faux vis-à-vis de la famille ou de ses croyances, et ainsi préserver l’alliance. • Un des membres de la famille refuse de participer. Dans certains cas, la thérapie peut tout de même avoir lieu, mais elle doit tenir compte de cette absence. Certains thérapeutes utilisent alors la technique de la chaise vide. Ils installent une chaise pour la personne absente et invitent les membres de la famille à s’adresser à la chaise lorsqu’ils ont des messages à communiquer à cette personne.

81.5 Résultats selon les données probantes Les résultats d’études publiées montrent que l’intervention familiale est ecace pour le traitement de plusieurs troubles psychiatriques. La liste des troubles présentée plus loin n’est pas exhaustive et plusieurs autres problèmes ont été étudiés sous l’angle de l’intervention familiale. Les études réalisées auprès des enfants et des adolescents sont distinguées de celles eectuées auprès des adultes. Les travaux de Diamond (Diamond & Siqueland, 2001 ; Diamond & Josephson, 2005) ainsi que l’ouvrage de Carr (2006) orent une excellente recension de la littérature.

81.5.1 Décit de l’attention avec hyperactivité Les études sur l’intervention familiale montrent peu de succès dans la réduction des symptômes du trouble décit de l’attention avec hyperactivité (TDA/H). Cependant, ce type d’intervention s’est révélé essentiel dans la réduction des problèmes de comportement associés à ce trouble. Les programmes multimodaux semblent être les plus prometteurs. Ils incluent une médication, la thérapie familiale ou l’entraînement aux habiletés parentales, un programme comportemental à l’école et l’apprentissage d’habiletés sociales pour l’enfant. Cette approche permet à la famille d’acquérir une nouvelle compréhension de la situation de l’enfant. Elle peut alors mieux comprendre que ses comportements sont le résultat du trouble de l’attention ou encore qu’ils proviennent d’autres facteurs externes, au lieu de croire à des intentions malveillantes de la part

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de l’enfant. Il est alors possible de sortir d’un cercle vicieux faisant que l’enfant et les parents se déprécient pour leur inaptitude. On observe le même eet chez les intervenants scolaires qui participent au programme. Parmi les auteurs ayant travaillé sur le sujet, mentionnons Russell Barkley (2005).

81.5.2 Troubles anxieux Les troubles anxieux sont un type de trouble très fréquent. Voici quelques études sur l’ecacité. Enfants Plusieurs études suggèrent que par comparaison à la TCC individuelle, la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) eectuée dans un contexte familial donne des résultats supérieurs en ce qui concerne plusieurs aspects de l’évolution des troubles anxieux chez les enfants (Creswell & Cartwright-Hatton, 2007). Par exemple, on note que l’évolution de l’enfant anxieux est moins favorable lorsqu’un des parents présente lui-même un problème d’anxiété et que ce point n’a pas été abordé en thérapie. La thérapie familiale s’avère ecace pour réduire certaines peurs chez l’enfant en aidant par exemple les parents à renforcer chez lui les comportements courageux. Ils peuvent l’encourager à s’exposer à certains stimuli négatifs, par exemple toucher un chien même s’il a peur de l’animal, et à ne pas encourager les comportements d’évitement. • Refus scolaire : l’approche familiale comportementale qui inclut la participation des enseignants se montre plus ecace que d’autres approches comme l’hospitalisation (Heyne & al., 2005). • Trouble d’anxiété généralisée : on a montré l’ecacité de la thérapie familiale cognitivo-comportementale eectuée avec les familles et des groupes de familles dans le traitement de ce trouble chez les enfants. • Trouble obsessionnel-compulsif (TOC) : au cours dernières années, plusieurs équipes de recherche ont entrepris d’étudier le rôle des parents dans le traitement du TOC. Une étude randomisée montre l’ecacité de la thérapie cognitive comportementale dans un contexte familial (Barret & al., 2004a, 2004b). Le programme FOCUS (freedom from obsessions and compulsions using special tools) propose une intégration des aspects de la TCC et de l’approche familiale. Il n’y a pas de grandes diérences entre l’intervention familiale de groupe et l’intervention familiale individuelle. Le programme débute par de la psychoéducation. Le thérapeute aide la famille et l’enfant à comprendre que ce trouble est un problème neurodéveloppemental qui ne relève pas de l’identité de l’enfant lui-même donc n’est pas volontaire ou comportemental. Celui-ci apprend qu’il peut s’exprimer, être lui-même, et ce, même s’il soure d’un tel trouble. Cela ne l’empêche pas d’avoir sa vie et d’acquérir sa personnalité. Il s’agit également d’aider l’enfant à externaliser la maladie, par exemple en lui faisant donner des noms à la maladie ou en en dessinant la représentation. Le thérapeute établit ensuite une hiérarchie de situations en collaboration avec la famille et l’enfant avant d’entreprendre l’exposition avec prévention de la réponse (Barrett & al., 2004a, 2004b). Adultes L’intervention familiale s’est avérée ecace dans le traitement de deux troubles anxieux particuliers : • Chez les patients sourant d’agoraphobie avec attaque de panique, l’approche familiale comporte d’abord une étape de psychoéducation avec le couple ou la famille pour donner des informations

au sujet de l’anxiété ainsi que sur l’importance et le but de l’exposition. Le thérapeute encourage la personne agoraphobe à travailler avec son conjoint ou sa famille sur des stratégies de relaxation. Par la suite, entre chaque séance, le couple ou la famille doit eectuer des exercices d’exposition (Byrne & al., 2004). • Chez les personnes atteintes d’un trouble obsessionnelcompulsif, il s’agit de travailler sur les patterns ou modèles interactionnels familiaux qui entretiennent les obsessions et les compulsions. Le thérapeute fait intervenir la famille pour aider le patient à surmonter ses obsessions et ses compulsions.

81.5.3 Schizophrénie En se basant sur les résultats de la recherche, l’approche familiale est devenue un standard de soin chez les patients atteints de schizophrénie. La psychoéducation, la réduction des blâmes ou des critiques et le rôle positif que les membres de la famille peuvent jouer dans le rétablissement font partie des éléments communs du traitement. Il est important d’outiller la famille, surtout en ce qui a trait à la compréhension de la maladie, ce qui contribue à diminuer le stress familial. L’approche psychoéducative fait appel au modèle explicatif vulnérabilité/stress. Par la suite, il s’agit de travailler avec la famille sur diérents aspects, telles les habiletés de gestion du stress, la communication familiale, la résolution des problèmes et la gestion de la médication. Il faut également outiller la famille pour aronter les périodes de crise selon l’étape de la maladie. Des études doivent être entreprises pour déterminer la fréquence des séances de thérapie, le type d’engagement familial ainsi que le moment où la thérapie doit être entreprise. Le modèle vulnérabilité/stress est présenté en détail au chapitre 17 (voir la gure 17.1).

81.5.4 Troubles affectifs Tout comme dans le cas des troubles anxieux, l’inclusion de la famille dans le traitement est à considérer dans les cas suivants : • Enfants et adolescents : Pour traiter la dépression chez l’enfant et l’adolescent, la tenue conjointe d’une thérapie familiale, d’une approche de groupe pour les parents et d’interventions avec l’enfant, s’est révélée aussi ecace que la thérapie individuelle. L’intervention a pour but de diminuer le stress auquel l’enfant est exposé dans son milieu familial et d’augmenter le soutien dont il a besoin. Les éléments principaux de la thérapie sont le travail sur la communication parent-enfant, l’apprentissage de la résolution de problèmes et le contrôle des comportements de critique envers l’enfant. • Adultes : Beach (2003) a montré que l’intervention comportementale conjugale permet de diminuer ecacement les symptômes de la dépression chez près de 50 % des patients et de retarder les rechutes, particulièrement chez les couples aux prises avec des dicultés conjugales. En utilisant un modèle de McMaster, ce type de thérapie vise trois aspects principaux, soit l’amélioration de la communication, la résolution de problèmes et l’augmentation de la satisfaction personnelle (Baucom & al., 2002). On a également noté que la thérapie interpersonnelle en couple est ecace pour atténuer les symptômes de la dépression quand le partenaire est déprimé (Weissman & al., 2000). Quelques études montrent que les programmes multimodaux incluant l’intervention familiale, la médication et la

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psycho éducation, diminuent les rechutes chez les personnes sourant de trouble bipolaire. Le modèle de McMaster est également intéressant pour cette clientèle an de réduire les taux de rechute et de réhospitalisation (Clarkin & al., 1990).

81.5.5 Anorexie Les premières ébauches de la thérapie familiale ont pris naissance entre autres avec des patients sourant d’anorexie. • Enfants et adolescents : L’intervention familiale dans les cas d’anorexie a été à l’origine de plusieurs approches en thérapie familiale. Il existe plusieurs modèles, dont le modèle structural de Minuchin qui est centré sur certains aspects comme l’enchevêtrement (c.-à-d., les relations tissées serrées), l’absence de frontières intergénérationnelles, la tendance à éviter les conits ainsi que la rigidité. Mentionnons également l’approche systémique de l’école de Milan, avec Selvini-Palazzoli et, plus récemment, l’approche narrative (Botha, 2015). Ces modèles qui ont inspiré les approches actuelles sont encore utilisés aujourd’hui. Appliqué au début de la maladie, le modèle d’intervention de Maudsley s’est montré ecace selon les études en particulier chez les moins de 18 ans. Élaboré en 1980, il a été également manualisé (Lock & al., 2001). Il est basé sur l’intervention familiale oerte à la maison. Il comporte trois étapes : – Redonner aux parents le contrôle de la reprise de poids an de stabiliser le poids et la santé de l’adolescente : la thérapie est à cette étape centrée sur la réalimentation. Le thérapeute en prote pour observer les modèles comportementaux, les interactions ou l’organisation de la famille et renforcer la dyade parentale. – Poursuivre la reprise de poids : lorsque la reprise de poids fonctionne, le temps est venu de redonner progressivement un certain contrôle à l’adolescente pour qu’elle prenne ellemême en main son retour à la santé. Le thérapeute revient également sur certains éléments de la dynamique familiale qu’il n’a pas abordés au cours de la première étape compte tenu de la priorité à donner à la reprise de poids. – Redonner progressivement l’autonomie à l’adolescente d’abord sur la question de l’alimentation, autonomie que l’on a commencé à mettre en œuvre au cours de la deuxième étape, puis que l’on étend progressivement à d’autres sphères de sa vie. Si nécessaire, le thérapeute doit établir ou rétablir des frontières familiales appropriées, par exemple permettre à l’adolescente de retrouver plus d’intimité ou de reprendre le contrôle sur certaines dimensions de sa vie. Dans la première phase, les parents ont repris le contrôle sur plusieurs aspects de la vie de l’adolescente comme l’alimentation, les sorties, l’exercice et ont dû intervenir parfois plus directement dans les décisions concernant la jeune lle. Il faut aussi aider les parents à réorganiser leur vie, par exemple en faisant des activités de couple sans leurs enfants.

• Adultes : Chez les adultes, il existe peu d’études sur l’intervention familiale. Le modèle du Maudsley semble prometteur pour les jeunes adultes également (Chen & al., 2010).

81.5.6 Abus de substance L’abus aecte souvent l’ensemble de la famille et non pas seulement l’individu qui soure de ce problème. Voici quelques résultats concernant l’intervention familiale dans le contexte de cette problématique. • Enfants et adolescents : Des études récentes montrent que l’ecacité de l’approche familiale est égale ou supérieure aux autres thérapies relativement à l’engagement à la poursuite du traitement chez les adolescents, ainsi que dans la réduction de l’abus de drogues et des autres comportements associés, comme la délinquance (Liddle, 2004). Le thérapeute aborde diérentes dimensions, dont la communication, les rôles, les routines, la hiérarchie intrafamiliale et les frontières, la résolution des conits, l’optimisation de la cohésion, le développement de la capacité parentale et la gestion des transitions dans les cycles familiaux. Ces approches sont inspirées des approches stratégiques et structurales. • Adultes : L’approche familiale pour les adultes présentant un problème de consommation d’alcool est particulièrement ecace pour aider les personnes et leur famille à demeurer en thérapie, à cesser leur consommation ou à mieux la contrôler et nalement, pour éviter les rechutes. Dans ce type d’intervention, le thérapeute joue le rôle d’entraîneur avec la famille an qu’elle confronte et soutienne le patient vis-à-vis de son problème. Dans certains cas, lorsque la séparation du couple s’annonce, le thérapeute guide les conjoints dans ce processus. Il doit alors faire le point avec le patient sur sa situation et l’orienter vers un cheminement autonome.

Le modèle de McMaster constitue une approche évaluative de base de la thérapie familiale. Il existe bon nombre de modèles et il est souvent dicile de les comparer puisque les études sont très variées. En eet, celles-ci portent sur des aspects diérents concernant les modèles étudiés, le type de problématiques qu’ils contribuent à traiter, de même que certaines variables comme l’âge et le sexe des patients, la gravité de la maladie, etc. Le thérapeute doit donc composer avec cette diversité. Il est préférable de bien maîtriser un modèle puis, au besoin, de faire appel à des éléments provenant d’autres modèles. Le thérapeute évite ainsi de s’éparpiller et élabore une approche intégrative adaptée et progressive. Le domaine de la thérapie familiale est en constante évolution ; elle s’adapte à la réalité de la société, tout en s’appuyant de plus en plus fermement sur des approches basées sur des données probantes.

Lectures complémentaires A, K. & A, T. (2014). Les thérapies familiales systémiques, 4e éd., Paris, Elsevier Masson.

1738

Eï, M. (2003). Panorama des thérapies familiales, Paris, Seuil.

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www.elkaimformations.com/fr/page/ formationsfullpage/6.aspx?d=2 www.maudsleyparents.org

CHA P ITR E

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Thérapie expérientiellehumaniste Marc-Simon Drouin, PH. D. (psychologie)

Joanne Cyr, M.D., FRCPC

Psychologue, directeur, Département de psychologie, Faculté des sciences humaines, Université du Québec à Montréal

Psychiatre, Programme des troubles anxieux et de l’humeur, volet troubles de la personnalité, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Professeur titulaire, Département de psychologie, Faculté des sciences humaines, Université du Québec à Montréal

82.1 Historique et bases théoriques ..................................1740 82.1.1 Racines théoriques ............................................. 1740 82.1.2 Concepts de base ................................................ 1742 82.2 Formation des thérapeutes .........................................1743 82.3 Application clinique ....................................................1744 82.3.1 Modèles classiques ............................................. 1745 82.3.2 Modèles mixtes ................................................... 1747 82.3.3 Modèles complémentaires ................................ 1748

Professeure adjointe de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

82.4 Validation des thérapies expérientielles-humanistes ........................................ 1749 Lectures complémentaires .................................................... 1749

L

es thérapies expérientielles, également connues sous l’appellation de « psychothérapies humanistes » ont pris leur essor au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Elles se sont installées dans le champ de la psychologie en tant que courant de recherche, de savoir et de pratique et comme mouvement social d’ampleur. Cette « Troisième force », comme on la désigne au début des années 1960, arme que la psychologie, discipline scientique récente, perd son âme en la conant au déterminisme du freudisme (soit à la primauté des pulsions inconscientes dans l’appareil psychique) et à l’objectivisme du béhaviorisme (une méthode qui se base essentiellement sur les mécanismes de l’apprentissage directement observables dans le comportement). Pour corriger le biais positiviste de ce dernier courant, elle préconise d’en revenir à la caractéristique fondamentale de la nature humaine : l’expérience de la conscience personnelle de Soi. Elle a immédiatement un impact profond sur toutes les pratiques psychologiques (Lecomte & Drouin, 2007).

82.1 Historique et bases théoriques L’origine des psychothérapies expérientielles ou humanistes peut pratiquement être datée avec précision. Le 11 décembre 1940, Carl Rogers (1902-1987) donne une conférence intitulée « Nouveaux concepts en psychothérapie » à l’Université du Minnesota. Il s’agit d’une critique à l’égard des méthodes couramment utilisées jusqu’alors en psychothérapie : suggestion, persuasion, interprétation, conseils, etc. Rogers préconise, comme méthode d’exploration, l’étude de l’expérience subjective de la personne (la thérapie centrée sur le client), qu’il place au cœur du processus thérapeutique. L’impact de cette perspective s’avère durable malgré une prédominance marquée, à cette époque, des modèles behavioristes positivistes (mettant l’accent sur des comportements observables et mesurables) dans la pratique et la formation en psychothérapie. En dépit de l’impact durable de cette perspective à travers la pratique psychothérapique, toutes approches confondues, un déclin de l’intérêt pour les psychothérapies humanistes proprement dites a été observé vers la n du 20e siècle. Il est dû à plusieurs facteurs. Dans l’ensemble, à partir des années 1970, les thérapeutes humanistes se sont peu intéressés à la démonstration scientique des processus par lesquels leurs approches agissaient. Au cœur d’un foisonnement de « nouvelles thérapies », des mouvements contre-culturels et du « nouvel âge », la psychothérapie humaniste s’est graduellement divisée et marginalisée par rapport aux théories psychologiques dominantes (Giorgi, 1987). Les psychothérapeutes humanistes, à quelques exceptions près, ont eu tendance à mépriser les milieux universitaires, qui le leur ont bien rendu. S’ils se sont centrés sur l’unicité du processus thérapeutique relatif à chaque patient, ils ont, en même temps, largement négligé l’élaboration, la validation et la diusion de leurs travaux, pourtant souvent innovateurs. Ils se sont ainsi mis en position de faiblesse dans une période qui voyait deux phénomènes produire un impact profond dans le champ de la psychothérapie : 1. L’augmentation toujours plus importante des assises empiriques des thérapies cognitives et comportementales ; 2. Le nombre élevé de services de santé mentale qui, à partir des années 1990, pour des raisons économiques et politiques, en

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Amérique du Nord comme dans une bonne partie de l’Europe, se voyaient progressivement sommés de ne reconnaître comme applicables que des thérapies déclarées valides ou fondées sur des données probantes. Les conséquences pour la formation humaniste en milieu universitaire et la pratique clinique en ont été catastrophiques. Les psychothérapies humanistes y ont tout simplement été déclarées inecaces et sans fondements scientiques (Lecomte & Drouin, 2007). Nous assistons toutefois, depuis le début des années 2000, à un nouvel intérêt pour les thérapies expérientielles-humanistes. Cet intérêt compte plusieurs sources. L’étude des facteurs explicatifs du changement thérapeutique fondés empiriquement fait ressortir l’inuence déterminante de toutes les variables liées à la qualité de la relation et au thérapeute (Castonguay & Beutler, 2006). Wampold (2001) démontre que les facteurs les plus importants pour expliquer la variabilité des résultats thérapeutiques sont, sans équivoque, ceux qui relèvent du psychothérapeute et de la relation thérapeutique. Ces résultats sont à mettre en lien avec ceux provenant d’autres recherches plus récentes, portant sur le rôle déterminant de facteurs relatifs à l’attachement (Clarkin & Levy, 2004 ; Goldman & Anderson, 2007), à la régulation interactive entre la mère et l’enfant dans son développement, et à la régulation neurobiologique des émotions (Schore, 2008). Pris dans leur ensemble, ils donnent force à plusieurs des postulats et des concepts clés des psychothérapies humanistes, notamment dans le cadre du développement de nouvelles méthodologies de recherche qualitative, ouvrant de larges perspectives pour l’étude des processus centrés sur la signication et sur l’unicité de l’expérience humaine (Elliott, 2002 ; Stiles, 2002). Remises en question, les psychothérapies humanistes ont elles-mêmes amorcé un tournant important dans la production de recherches relatives à leur ecacité. Plus de 45 recherches empiriques et plusieurs méta-analyses (Elliott, 2002 ; Stiles, 2002 ; Strümpfel, 2004) ont ainsi mis en évidence une ecacité comparable, voire supérieure, à celle des thérapies reconnues comme soutenues empiriquement, et cela, à partir des standards mêmes dénis par le paradigme des données probantes (Chambless & Hollon, 1998).

82.1.1 Racines théoriques Le développement des psychothérapies humanistes n’est pas un processus unié et linéaire. Elles puisent leurs racines théoriques dans plusieurs champs de la connaissance du fonctionnement humain et de la conscience.

Racines philosophiques Deux grandes philosophies ont beaucoup inuencé le développement du fondement théorique des psychothérapies humanistes, soit la phénoménologie et l’existentialisme. 1. La phénoménologie : Husserl (1859-1938) est généralement reconnu comme en étant le père. Cette philosophie soutient qu’un phénomène est ce qui se montre vraiment, au-delà des apparences empiriques. C’est l’objet dont on fait l’expérience. Contre le matérialisme, l’objectivisme et le positivisme scientique, dans la forme étroite et dogmatique qu’on leur connaît souvent, la perspective phénoménologique adoptée par les psychothérapies humanistes propose une revalorisation de

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l’expérience de la personne, tant consciente qu’inconsciente1. C’est elle qui devient objet d’étude. Elle est la seule réalité que peut connaître directement l’être humain. Elle varie constamment. Elle s’insère dans les réseaux subjectifs de signication cohérents construits par la personne, qui sont son modèle de la réalité, et à partir desquels elle choisit ses modes d’action. En eet, dans leur tentative de comprendre le monde qui les entoure, les individus créent des réseaux de signication qui sont à la fois organisés, mais uniques à chaque individu. Il y a donc unicité et distinctivité de la perception subjective de la personne. Toutefois, la personne tend naturellement vers une recherche d’ordre et de stabilité vis-à-vis du ot de ses expériences variées et incessantes, vis-à-vis du changement continu. De cette recherche résultent des expériences organisées de Soi et du monde qui constituent sa réalité subjective. 2. L’existentialisme : comme le mentionne Yalom (1980), les philosophes existentialistes, dont Kierkegaard (1813-1855) et Heidegger (1889-1976), ont fortement inuencé la psychologie humaniste. Réagissant aux visions déterministe et mécaniste du fonctionnement humain, ils dénoncent le peu de place faite aux aspects les plus importants de la psyché. Ils proposent la présence d’enjeux existentiels en tant que moteur du fonctionnement humain. Ces préoccupations existentielles incontournables à la condition humaine sont : a) La liberté : l’individu est un être libre, libre de choisir et donc responsable de ses choix. La liberté implique que, pour chaque choix que fait l’individu, d’autres étaient possibles et qu’il doit assumer la responsabilité de ses choix et aussi de ce qu’il a décidé de ne pas choisir. b) La solitude : l’individu vient au monde seul et meurt seul. Il demeure toujours un fossé infranchissable entre Soi et les autres, et ce fossé crée ce qu’on appelle la « solitude existentielle ». Cette solitude implique que l’individu n’est jamais compris parfaitement et que sa réalité est unique. Il peut se rapprocher des autres, mais sans pour autant parvenir à éviter l’incontournable solitude. Il ne faut toutefois pas confondre solitude existentielle et ennui. L’individu peut aisément imaginer être en relation sans pour autant nier la réalité de la solitude. c) La nitude/absurdité : la vie n’a pas de sens en soi. Il n’y a pas de vie idéale prédéterminée. À chacun de donner un sens à son existence à partir de ses capacités et de ses limites, de ses succès comme de ses échecs. De plus la vie ore des satisfactions en quantité limitée. La frustration fait partie intégrante de la vie de chacun. L’individu doit faire face à des limites personnelles et environnementales inévitables. C’est à chacun de trouver l’équilibre singulier qui lui permet le meilleur ajustement possible au monde qui l’entoure. d) La mort : il s’agit d’une réalité incontournable. Une des seules certitudes à laquelle l’individu doit faire face dès sa naissance est l’inévitabilité de sa propre mort et de celle de ses semblables. Jusqu’à preuve du contraire, l’humain est 1. La psychologie à cette époque tentait de se calquer sur les sciences dites pures et objectives. Les psychologues étaient à la recherche de certitudes et de vérités plutôt que de s’intéresser à la subjectivité de leur patient, qui est au fond la seule réalité à laquelle ils ont accès.

la seule espèce animale possédant la conscience de cette réalité tout au long de son existence. La capacité d’aronter cette réalité contribue à son équilibre psychique. La conjonction de ces deux philosophies a fortement inuencé l’émergence de la Troisième force en psychologie, particulièrement en Amérique. Des laboratoires de psychologie humaniste ont vu le jour dans diérentes universités avec des leaders tels que Kurt Goldstein (1878-1965), Kurt Lewin (1890-1947) et Abraham Maslow (1908-1970), pour ne nommer que ces auteurs.

Racines psychanalytiques Les thérapies expérientielles ont été inuencées par les développements contemporains du modèle psychanalytique créé par Sigmund Freud (1856-1939). Trois auteurs ont joué un rôle important dans l’évolution de la vision humaniste de la psychothérapie. 1. Otto Rank (1884-1939) élabore une psychologie de la volonté et de la création, qui permet de comprendre les passages du désir à la décision et à l’action créatrice dans le quotidien, la névrose étant toujours l’exercice d’une volonté restreinte. Il insiste sur l’aspect adaptatif des résistances, des conits et des symptômes tout en mettant en lumière la polarité union/séparation qui est au cœur de plusieurs modèles d’intervention en psychothérapie humaniste. Cette polarité fait ressortir cette tension continuelle que tout être humain éprouve entre le besoin d’être lui-même et unique tout en étant en lien avec les autres, donc entre son besoin d’individuation et son besoin d’union. 2. Alfred Adler (1870-1937) considère que la personne possède un potentiel inné pour se relier aux autres. Ce fort sentiment social fonde le développement de sa personnalité et le relie à l’humanité. L’étude de la personne, de sa nature, de sa personnalité est indissociable de son existence sociale. La personnalité est une unité indivisible, dont chaque manifestation doit être interprétée en fonction d’un tout. Adler a une vision holistique de la personne. La névrose est vue comme étant la résultante d’un acte créateur visant à protéger la personne de ses propres faiblesses et de ses insatisfactions vis-à-vis de son environnement qui compromettent sa croissance et son développement. 3. Wilhelm Reich (1897-1957) développe une vision psychocorporelle de la personne, qui ne peut être considérée séparément de son corps. Au fur et à mesure que l’enfant grandit, il vit diverses expériences qui forment sa personnalité et s’inscrivent dans son corps. La personne saine peut accéder aux diérentes dimensions de son être, et l’énergie circule librement en elle. Toutefois, lorsqu’elle rencontre des obstacles dans son parcours développemental, son ot énergétique (qui correspondrait grosso modo à l’énergie pulsionnelle en psychanalyse) est entravé, contribuant à la formation de névrose. Celle-ci se manifeste notamment par l’armure caractérielle (système de défense psychocorporel), qui correspond aux tensions psychiques inscrites dans le corps.

Autres racines Au-delà des racines déjà évoquées, les thérapies expérientielles puisent leur corpus de connaissances dans l’ensemble des sciences humaines.

Chapitre 82

érapie expérientielle-humaniste

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• Les philosophes de la Grèce antique, tels Socrate et Platon,







jugent les méthodes de recherches des sciences de la nature inadaptées à l’étude et à la compréhension de la spécicité de l’être humain. Ils dénissent la personne comme possédant un corps matériel et une âme immatérielle. Ils voient sa capacité de penser comme sa plus grande ressource, son essence humaine. Ces éléments de la pensée des philosophes grecs guident les thérapeutes d’approche humaniste. La Renaissance est la période emblématique de l’humanisme2. Rabelais (~1490-1553), Montaigne (1533-1592) et d’autres, par leur insistance sur le primat de l’individualité, du développement et de la dignité de la personne, de l’importance de l’expérience subjective, de la liberté et du choix, s’opposent aux traditions autoritaires de la philosophie et de la théologie. C’est en reprenant les armations de ces humanistes de la Renaissance que la psychothérapie humaniste construit ses diérentes modalités. L’herméneutique est l’art d’interpréter, d’expliquer les textes et les signes (Hermès était le messager des dieux chargé d’interpréter leurs ordres et de les transmettre aux humains) qui s’est étendu à la compréhension de l’autre à travers le dialogue. Elle inuence également fortement la pensée humaniste dans sa quête de sens de l’expérience humaine. La pensée orientale place également la notion de Soi au centre de ses préoccupations.

82.1.2 Concepts de base Il existe plusieurs formes de psychothérapies expérientielleshumanistes. Elles dièrent par : • leur compréhension singulière de l’expérience humaine ; • leur conception du processus thérapeutique ; • les techniques d’intervention spéciques qu’elles préconisent. Par contre, elles partagent toutes un certain nombre de postulats fondamentaux, qui doivent être régulièrement révisés à la lumière des nouveaux résultats de recherche. Il faut cependant reconnaître que ces postulats se trouvent grandement validés par les découvertes en neurosciences.

Phénoménologie Les approches humanistes sont toutes des approches phénoménologiques. Elles tentent de mettre de côté les idées préconçues pour se centrer sur les phénomènes, sur la nature singulière de l’expérience de l’individu. Dans chacune de ces approches, la subjectivité de la personne, consciente et inconsciente, a préséance sur la réalité objective. Dans la perspective phénoménologique, on considère que l’être humain n’arrive à appréhender la réalité qu’à travers la lunette subjective de sa propre expérience, qui est uctuante. La personne construit ainsi sa représentation de la réalité en fonction de la signication qu’elle donne à ses perceptions subjectives. Ce n’est qu’en reconnaissant le caractère unique et distinctif de la conscience humaine et la perception subjective de la réalité de chaque personne que les thérapeutes humanistes espèrent l’aider à se comprendre et à appréhender sa propre réalité. Appliquée au processus thérapeutique, cette 2. L’humanisme est un courant philosophique qui place l’humain au cœur de ses préoccupations et qui réclame la liberté de pensée plutôt qu’une soumission aveugle aux croyances religieuses.

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perspective implique de considérer le patient comme l’expert de sa propre expérience. S’engage alors un processus d’exploration et de découverte unique à l’individu, facilité par un thérapeute guidé par des principes d’autodétermination et de liberté de choix, au lieu d’un processus centré sur l’interprétation ou la modication de comportements ou de cognitions identiés et jugés inadéquats. Parce que le patient possède un regard unique sur son expérience interne, il est soutenu et encouragé à l’identier et à la symboliser.

Holisme Les approches humanistes ont une conception holistique de la personne, qui est vue comme un tout possédant une cohérence interne et dont la totalité est plus grande que la somme de ses parties. Il existe une interrelation entre les diverses caractéristiques de la personne, si bien qu’il est aberrant de vouloir en isoler certaines composantes. Il est donc incohérent pour un thérapeute d’orientation humaniste de vouloir travailler sur un symptôme isolé, sans prendre en compte le sens de ce symptôme dans le fonctionnement global de la personne. En appui à ce postulat, Schore (2008) insiste sur l’importance des dimensions non verbales de la communication chez des patients sourant d’un trouble de la personnalité. Le manque sur le plan de la mentalisation, et donc de la communication explicite, rend essentielle la prise en compte de l’ensemble des moyens de communication qu’utilise un patient pour signier sa sourance.

Tendance actualisante Les approches humanistes postulent l’existence d’une tendance actualisante vers la croissance, c’est-à-dire une motivation fondamentale vers le développement de la personne. Vouloir se maintenir et progresser est un processus sans n pour tout individu. Loin d’être naïve, cette tendance au développement est d’abord une orientation biologique de survie et de recherche de satisfaction de besoins dans un environnement complexe, qui implique adaptation et changement. Cette tendance s’inscrit dans un processus dialectique3, fait d’allers/retours et d’inuences réciproques entre un organisme et son environnement, tous deux en changement continu (Bohart, 1995). Maintenir un sens de cohérence et de bien-être tout en assimilant constamment de nouvelles données entraîne un processus de réorganisation et d’expansion. Ce développement fait appel à la diérentiation (devenir Soi), et à l’intégration (s’ajuster à son environnement), pour faciliter une exibilité adaptative. De plus en plus d’auteurs humanistes contemporains (Bohart, 1995 ; Greenberg & al., 1993) utilisent deux concepts de Piaget, l’assimilation et l’accommodation, pour décrire ces processus de changement. 1. L’assimilation est dénie comme l’intégration et l’élaboration d’expériences nouvelles dans des schèmes psychologiques, faits d’émotions, de pensées et de comportements connus et existants. 2. L’accommodation correspond au processus de modication de ces schèmes en présence d’expériences nouvelles. 3. La dialectique est une méthode de discussion, de raisonnement, de questionnement et d’interprétation qui s’enracine dans la pratique ordinaire du dialogue entre deux interlocuteurs ayant des idées diérentes et cherchant à s’inuencer mutuellement. Les deux interlocuteurs étant ici l’organisme et l’environnement.

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Ces processus, qui fonctionnent en tandem, entraînent des réorganisations des schèmes existants. C’est par ces processus sans n que la personne développe, précise, articule et intègre ses potentialités de même qu’une organisation schématique dynamique de plus en plus complexe et mieux adaptée à sa compréhension de Soi et du monde. Pour s’actualiser, cette tendance nécessite un environnement relationnel facilitant. Un des buts des approches humanistes est justement d’orir les conditions relationnelles nécessaires pour soutenir cette tendance naturelle à la croissance et au développement. Ces conditions, qui créent un climat de sécurité psychologique, assurent la cohérence pour qu’un processus d’exploration et de développement se déploie.

Émotions Les émotions apparaissent en premier dans l’appareil psychique, bien avant les cognitions et les comportements qui leur sont secondaires non pas en importance, mais en séquence. L’expérience émotionnelle joue donc un rôle central. Les émotions vécues informent la personne et les autres de l’état de son processus d’adaptation et de développement. En ce sens, elles sont au service de la croissance. En eet, l’organisme humain possède un système biologique d’émotions adaptatif inhérent. Ce système opère à deux niveaux (Greenberg & al., 1993) : 1. Il ore de l’information essentielle pour guider et résoudre des problèmes cruciaux d’adaptation à l’environnement. 2. Il active le processus d’attention à l’expérience émotionnelle pour arriver à une symbolisation utile et pertinente en mesure de guider les choix, l’action et la communication des états internes et des besoins. Avoir accès à son expérience interne somatique et à son expérience émotionnelle, puis les décoder pour guider ses choix ou ses actions, est un processus complexe exigeant reconnaissance, diérentiation et intégration. En présence d’expériences d’invalidation multiples, l’expérience émotionnelle n’est plus accessible ou est distordue. Un enfant dont les émotions de peine ou de colère auraient été systématiquement rabrouées par son entourage pourrait ne plus avoir accès à ces émotions ou encore elles pourraient se présenter sous une forme détournée comme de l’agitation ou de l’irritabilité. Un travail relationnel doit s’engager pour redonner à la personne sa liberté expérientielle émotionnelle. L’intégration complexe des réponses émotionnelles, diérenciées avec ses ressources et ses limites, place une personne devant des choix cruciaux. Ces choix conscients de développement et de maintien reposent sur la symbolisation adéquate en harmonie avec l’expérience organismique. Or, la personne qui s’est sentie obligée de nier ou de déformer ses expériences émotionnelles et somatiques pour maintenir sa relation avec des personnes essentielles à sa survie devient aliénée par rapport à sa propre expérience vécue. La psychopathologie et les mécanismes de défense sont conçus comme des formes et des degrés de non-symbolisation ou de déformation de l’expérience interne.

Autodétermination La notion d’autodétermination implique que la personne est libre de choisir et, de ce fait, est responsable de ses choix. Les notions de volonté et de liberté de choix sont au cœur de l’expérience humaine. Les personnes ont une représentation d’ellesmêmes en tant qu’êtres libres. La tendance au développement devient le but à poursuivre. La liberté de choix, l’autodétermination

et la volonté de chacun sont les moyens indispensables et incontournables pour y arriver.

Authenticité L’idéal de l’authenticité réfère ici à une conscience et à une acceptation à l’intérieur de la personne de toutes les facettes de son expérience idiosyncrasique (émotions, sensations, cognitions, représentations, motivations). Dans la grande majorité des approches humanistes, cet idéal est voulu tant par le patient que par le thérapeute dans la construction de l’espace thérapeutique.

Transcendance de Soi La notion de transcendance de Soi fait appel à des préoccupations qui vont au-delà de la satisfaction de ses besoins immédiats. Étant doté de la conscience de sa propre mort et de la continuité de la vie au-delà de lui, l’individu peut être préoccupé par des aspects importants de la vie qui dépassent sa propre existence. L’autre, son bien-être et sa survie sont importants, bien au-delà de simples considérations de survie de l’espèce.

Approches centrées sur la personne Les approches humanistes sont toutes des approches centrées sur la personne. Elles partagent une préoccupation pour l’individu singulier au-delà des généralités d’ordre théorique. Au cœur du processus thérapeutique, les humanistes proposent une vision diérente de la relation thérapeutique. Au lieu d’un processus transférentiel caractérisé par des déplacements, des déformations et des projections de relations antérieures, les thérapeutes humanistes préconisent une relation réelle et authentique, centrée sur le client et ses ressources, une relation où le patient se sent compris, accepté et respecté. Selon eux, le changement thérapeutique est davantage lié à l’expérience relationnelle avec le patient qu’à des techniques sophistiquées et à des explications intellectuelles des patterns relationnels. Un patient pourrait, par exemple, chercher à mettre le thérapeute en échec dans ses tentatives de lui venir en aide. Le thérapeute doit tenter de saisir avec lui le sens de cette expérience actuelle plutôt que de proposer des interprétations génétiques (provenant de son enfance) quant à cette façon de se comporter. C’est à travers une expérience relationnelle nouvelle et réparatrice que le changement s’opère. Plusieurs recherches ont depuis appuyé cette hypothèse (Norcross, 2011).

82.2 Formation des thérapeutes La formation à la psychothérapie humaniste peut prendre plusieurs avenues. Dans un contexte d’enseignement, quelques universités ont mis en place une formation de cycles supérieurs (Ph. D.) à la psychothérapie humaniste au sein de leur département de psychologie (Université du Québec à Montréal, Université du Québec à Trois-Rivières, Université de Sherbrooke). L’Université d’Ottawa ore également une formation à la psychothérapie humaniste aux cycles supérieurs. Ces formations proposent un cursus exhaustif fait de cours, de stages et d’un internat. Elles présentent les principaux modèles ainsi que les aspects centraux (liés essentiellement à l’importance de la relation thérapeutique) issus des psychothérapies humanistes aux étudiants des diérentes approches. La formation continue représente également une modalité importante pour la formation des thérapeutes. Au Québec,

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quelques instituts orent des programmes de formation à la psychothérapie dans des approches humanistes spéciques. Le Centre d’intégration gestaltiste (CIG) ore un programme de formation complet à la psychothérapie gestaltiste des relations d’objet (PGRO) pouvant s’échelonner sur trois cycles. Ce programme est oert aux professionnels de la santé mentale (psychologues, psychiatres, médecins, infirmières, conseillers d’orientation, psychoéducateurs et travailleurs sociaux) qui sont qualiés pour exercer la psychothérapie selon les exigences de la Loi modiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines. Le CIG a par ailleurs mis en place un ensemble de formations ponctuelles sur des dimensions centrales de la psychothérapie (évaluation, psychopathologie, relation thérapeutique, intervention, etc.) en plus de proposer un réseau de superviseurs qualiés pour la transmission du modèle. De son côté, l’Institut québécois de Gestalt-thérapie (IQGT) ore un ensemble de formations sur les diverses facettes de la pratique de la Gestalt-thérapie. Le modèle de la PGRO est également enseigné en France et en Angleterre. Le CIG propose un cadre de développement de la compétence des thérapeutes portant sur trois axes spéciques : la compétence aective, la compétence réexive et la compétence interactive. Bien que cette façon de concevoir le développement de la compétence soit liée à la PGRO, elle peut s’appliquer à l’ensemble des formes de thérapies humanistes. 1. La compétence aective peut être dénie comme étant la capacité du thérapeute à éprouver un large registre d’aects, dans des tonalités modulées en fonction de ce qui émerge dans la relation thérapeutique. Une formation de qualité doit donc comprendre un aspect expérientiel permettant le développement de cette compétence. Le thérapeute est également encouragé à entreprendre une démarche de psychothérapie personnelle et un processus de supervision. 2. La compétence réexive consiste en la capacité du thérapeute à établir, en cours d’entretien, des liens signicatifs entre la situation qui se présente en entrevue et ses connaissances théoriques. Bien que chaque modèle renferme des concepts théoriques distincts, il importe que le thérapeute puisse faire appel à un vaste bagage de connaissances théoriques an de saisir les enjeux spéciques de chaque situation thérapeutique. 3. La compétence interactive est la capacité de manifester judicieusement le produit de la compétence réexive et de la compétence aective. C’est ce qui permet de construire un dialogue ajusté à l’ensemble des situations thérapeutiques rencontrées. Au Canada anglais, deux organismes proposent des programmes de formation à la thérapie centrée sur les émotions (Emotion Focused erapy) : • l’International Center for Excellence in Emotion Focused erapy (Ottawa) ; • l’Emotion Focused erapy Clinic de l’Université York, Toronto (Toronto). Bien que les programmes de formation en psychothérapie humaniste dièrent passablement les uns des autres, il n’en demeure pas moins que les psychothérapeutes qui veulent se former à ces approches doivent développer des compétences particulières an de pouvoir maîtriser adéquatement l’utilisation de ces modèles d’intervention.

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82.3 Application clinique Il existe à ce jour environ 450 formes de psychothérapies reconnues, dont plusieurs se réclament de l’orientation humaniste. Sont-elles toutes aussi ecaces les unes que les autres ? Manifestement, ce n’est pas démontré. Mais comment pouvons-nous convenir qu’un modèle de psychothérapie est rigoureux et articulé, alors qu’un autre soure de lacunes importantes ? Mahrer (1989) reconnaît qu’un modèle de psychothérapie est valable et complet lorsqu’il comprend : • une théorie de l’être humain issue de postulats philosophiques fondamentaux et d’une élaboration exhaustive du fonctionnement psychique ; • une théorie de la psychothérapie qui permet de concrétiser, sur le plan clinique, les principes émanant de cette théorie de l’être humain ; • un ensemble de procédures opératoires spéciques et concrètes (techniques spéciques). Les tableaux 82.1 et 82.2 présentent les grands modèles de la psychothérapie expérientielle-humaniste qui se prononcent adéquatement sur ces trois niveaux de réalité. À ceux-ci s’ajoutent un certain nombre de modèles complémentaires qui, bien que TABLEAU 82.1 Principales approches classiques

en psychothérapie humaniste

Approche

Thérapie centrée sur le client

Gestaltthérapie

Thérapie existentielle

Auteurs

• Carl Rogers • Arthur Bohart

• Fritz Perls • Irving et Miriam Polster • Joseph Zinker

• Irvin Yalom • Rollo May • James Bugental

Concepts clés

• Subjectivité • Expérience organismique • Concept de Soi • Congruence

• Transaction organisme/ environnement • Figure/fond • Frontière contact

• Subjectivité de l’expérience • Incertitude • Solitude • Autodétermination

TABLEAU 82.2 Principales approches mixtes

en psychothérapie humaniste Thérapie centrée sur les émotions

Approches

Psychothérapie gestaltiste des relations d’objet (PGRO)

Auteurs

• Leslie Greenberg • Jeanne Watson • Robert Elliott • Sue Johnson • Rhonda Goldman

Gilles Delisle

Concepts clés

• Schèmes émotionnels • Émotions primaires et secondaires • Marqueurs de blocage du processus émotionnel • Techniques expérientielles

• Impasse de contact • Champs expérientiels • Dialogue herméneutique

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ne respectant pas de façon satisfaisante une ou plusieurs de ces dimensions, apportent une contribution signicative à la qualité et à l’ecacité du processus thérapeutique, lorsqu’ils sont utilisés en combinaison avec un des grands modèles.

82.3.1 Modèles classiques Il existe trois grands modèles classiques de psychothérapie humaniste : la psychothérapie centrée sur le client, la Gestalt-thérapie et la psychothérapie existentielle. Ces trois modèles, qui ont vu le jour à la n des années 1950 et au début des années 1960, sont encore pratiqués de nos jours.

Psychothérapie centrée sur le client Nul ne saurait nier l’importante inuence de Carl Rogers (19021987) dans l’univers de la psychothérapie. Non seulement est-il le fondateur de la thérapie centrée sur le client, mais il est le précurseur de la recherche systématique sur les processus thérapeutiques. Rogers (1951) a développé un modèle de psychothérapie qui remet la personne au centre du processus thérapeutique, plutôt que de se centrer sur le problème ou les symptômes qu’elle présente.

Théorie du fonctionnement psychique La théorie de la personnalité de Rogers s’articule autour de la notion de sagesse de l’expérience organismique subjective dans le champ phénoménologique de l’esprit et du corps. Cette sagesse implique que le corps ne se trompe jamais et que l’individu possède spontanément une connaissance précise et juste des besoins de son organisme. Cette expérience organismique est dénie en tant que tout ce qui est disponible à la symbolisation dans l’organisme. La notion de concept de Soi, également centrale, fait appel à une dénition consciente et symbolisée du Soi. Les individus ont une tendance à l’actualisation et au développement de leurs potentialités. Ils sont motivés par la recherche de congruence entre le Soi et l’expérience. Cette notion de congruence implique qu’il y ait un accord entre les besoins de l‘organisme et les besoins de consistance du concept de Soi. Le développement se fait de façon continue depuis l’enfance. Il est lié à l’évaluation interne de l’expérience et au besoin de considération positive de la part des autres. Il survient à travers un processus d’assimilation et d’accommodation qui tend vers une intégration singulière de plus en plus complexe.

Théorie de la psychothérapie La contribution la plus importante de Rogers (1957) à la psychothérapie est l’identication de conditions « susantes et nécessaires » au changement thérapeutique. Pour pouvoir orir au patient les conditions relationnelles lui permettant un processus d’exploration de Soi, le thérapeute doit faire preuve : • d’empathie, soit la capacité du thérapeute de voir le monde à travers les yeux de son patient ; • de congruence, soit sa capacité d’être authentique dans la relation, d’incarner et d’assumer ce qu’il est vraiment ; • d’acceptation inconditionnelle, soit sa capacité de permettre au patient d’aborder tous les contenus qu’il désire sans choisir pour lui. Le patient peut alors reconnaître et vivre les expériences symbolisées qui ont été niées ou déformées et retrouver un processus de congruence. Par exemple, un patient peut nier son expérience de la colère. Mais grâce à l’acceptation et à l’empathie dont fait preuve le thérapeute, il peut en arriver à éprouver pleinement

cette émotion, en explorer le sens, et adopter un comportement qui soit congruent et constructif. Ces attitudes invitent à une ouverture à l’expérience authentique et permettent de développer davantage de spontanéité et de conance en présence de celle-ci.

Techniques spéciques Les techniques préconisées par l’approche centrée sur le client résident essentiellement dans les attitudes relationnelles du thérapeute qui, à elles seules, doivent promouvoir le changement chez le patient. Ces attitudes sont toutefois soutenues par un ensemble de stratégies relationnelles qui s’expriment par : • la non-directivité de l’entretien (le patient décide lui-même du contenu des échanges) ; • des reets, ce qui consiste à reformuler objectivement les paroles du patient sans porter de jugement ; • des questions ouvertes qui incitent à une réponse élaborée ; • un dévoilement sélectif de Soi du thérapeute. Ce dévoilement sélectif ne signie pas que le thérapeute révèle au patient des aspects de sa vie personnelle, mais plutôt qu’il commente ce qui a trait à la relation thérapeutique qui se développe entre le patient et lui-même.

Applications et limites de l’approche La thérapie centrée sur le client est utilisée dans diérents contextes, allant de la thérapie individuelle à la thérapie de groupe ainsi qu’à la thérapie de couple et familiale. Elle s’applique à diverses problématiques : dépression, anxiété, alcoolisme, troubles de la personnalité, décience intellectuelle, psychologie de la santé. Les limites de cette approche sont intimement liées aux limites de la non-directivité, qui peuvent, de façon générale, être souhaitables, mais qui ne s’applique pas nécessairement à tous les contextes de consultation. Être centré sur la personne peut parfois vouloir dire être actif, voire directif. Par exemple, lors de situations de crise, le thérapeute empathique peut devenir plus directif pendant un certain temps.

Gestalt-thérapie La Gestalt-thérapie est une psychothérapie d’inspiration phénoménologique dont la pratique s’appuie sur la théorie du Soi (Self ) de Perls et de ses collaborateurs (1951). Elle est conçue comme la science et la technique de la formation des gures/fonds dans le champ organisme/environnement. Ce qui émerge en gure est en lien avec les besoins de l’organisme et apparaît sur le fond de l’ensemble des expériences potentiellement accessibles à la conscience. Des auteurs tels que Fritz & Laura Perls, Isadore Fromm, Irving & Miriam Polster ont contribué au développement de cette approche, selon laquelle l’expérience personnelle est produite par le fonctionnement d’une frontière contact, c’est-à-dire la zone où se crée le contact entre l’organisme de la personne et son environnement. Cette forme de thérapie a connu ses heures de gloire dans les années 1960 avant de sourir des excès de la contre-culture de cette époque. En eet, le refus par certains thérapeutes gestaltistes de toute forme de structure, d’autorité ou de limite a entraîné des dérapages malheureux et nocifs pour bien des patients. Depuis les années 1990 survient un regain de popularité de cette approche, autant en Amérique du Nord, qu’en Amérique du Sud et en Europe.

Théorie du fonctionnement psychique La notion de contact est fondamentale en Gestalt-thérapie. Il s’agit d’une rencontre dans un champ phénoménologique

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entre un organisme et son environnement. L’être humain est en interaction constante avec son environnement. Il cherche à satisfaire les besoins de son organisme à partir de transactions conscientes et inconscientes avec son environnement. Il tente d’assimiler les éléments nourrissants de l’environnement (p. ex., ce qui permet la croissance de l’organisme tant sur les plans physique que psychique) et d’en rejeter les éléments toxiques (p. ex., des relations qui entravent le développement par leurs exigences démesurées) à travers l’utilisation de cinq modes d’adaptation et de résistance au contact. 1. L’introjection : ce qui fait partie de l’environnement est éprouvé comme faisant partie de Soi. 2. La projection : ce qui fait partie de Soi est éprouvé comme faisant partie de l’environnement. 3. La déexion : il s’agit d’une manœuvre pour diminuer l’intensité du contact. 4. La rétroexion : on se fait à soi-même ce qu’on voudrait faire à l’environnement ou ce qu’on voudrait que l’environnement nous fasse. 5. La conuence : un brouillage de la frontière contact fait que la représentation nette de ce qui est moi et non-moi devient oue. Certains termes utilisés en Gestalt pour dénir ces modes d’adaptation et de résistance au contact proviennent de la psychanalyse, et plus particulièrement de la notion de mécanisme de défense. Ils s’en distinguent toutefois, car chacun de ces modes n’est pas en soi une défense contre la réalité, mais possède plutôt un volet adaptatif et un volet défensif. L’introjection, par exemple, est nécessaire à l’apprentissage, mais peut devenir une défense quand une personne n’assimile pas le contenu d’une introjection et ne fait qu’agir en fonction de quelque chose qu’elle semble avoir absorbé sans discernement. Ces modes peuvent également être utilisés de façon pleinement consciente, ce qui n’est pas le cas des mécanismes de défense, qui sont essentiellement inconscients. Le développement est un processus présent depuis la naissance. Il consiste en une quête de satisfaction des besoins de l’organisme dans le contact avec l’environnement. L’expérience se déploie à travers un cycle de contact, qui consiste en une séquence organique (en ce sens que cette séquence vise la satisfaction des besoins de l’organisme, qu’ils soient physiques ou psychiques) que l’on peut repérer à chaque moment de l’existence. Ce cycle se déploie en six étapes : 1. La sensation : une expérience est ressentie, mais non symbolisée, non mentalisée. 2. La symbolisation : une image nette émerge sous forme de mots ou de représentations. 3. La mobilisation de l’énergie : la symbolisation adéquate de la sensation permet à l’organisme (la personne) de se mobiliser en vue d’un ajustement créatif. 4. L’action : l’organisme agit sur l’environnement dans le but d’établir un contact. 5. Le contact : l’organisme contacte dans l’environnement un levier sur lequel il convient d’agir pour satisfaire le besoin préalablement identié (p. ex., la personne ingère de la nourriture lorsqu’elle a faim, ou se blottit dans les bras d’un être cher au moment où elle souhaite être consolée). 6. Le retrait : l’organisme redevient disponible à un nouveau cycle de contact.

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Lorsque ces cycles de contact sont complétés avec uidité, ils permettent l’assimilation d’une expérience nouvelle et un ajustement créatif du Soi à son environnement. Des blocages peuvent toutefois survenir à chacune des étapes du cycle, ce qui entrave cette possibilité d’ajustement créatif.

Théorie de la psychothérapie L’objectif principal de la Gestalt-thérapie est de permettre à la personne de retrouver sa capacité d’ajustement créatif ainsi qu’une plus grande uidité dans ses cycles de contact. Par une relation thérapeutique authentique, fondée sur un véritable dialogue Je-Tu (Buber, 19574) caractérisé par la mutualité, l’immédiateté et une implication émotionnelle de la part des deux participants, le thérapeute vise à augmenter le niveau de conscience du moment présent chez son patient. Cette conscience accrue du contact avec l’environnement, à travers l’assimilation de nouvelles expériences relationnelles avec le thérapeute, permet une nouvelle compréhension de Soi.

Techniques spéciques Dans le contexte d’une relation thérapeute-patient mettant l’accent sur l’expérience immédiate dans l’ici et maintenant, le thérapeute guide et stimule l’expérimentation phénoménologique du quoi et du comment de la conscience, par diverses techniques adaptées au patient. L’utilisation de ces techniques vise une meilleure conscience du contact avec l’environnement et l’intégration d’aspects conictuels en un tout harmonieux. Des exemples concrets de l’utilisation de ces techniques sont abondamment présentés dans l’ouvrage de Bouchard (1990) : • La mise en acte consiste à reproduire, en thérapie, un épisode relationnel réel ou imaginé an d’en saisir la participation respective des deux protagonistes. • Le renversement des rôles permet au patient d’adopter le rôle d’une personne de son environnement, tout en imaginant que cette personne se retrouve à sa place, induisant ainsi un renversement du dialogue. • Le travail des polarités exige de la part du patient qu’il adopte une posture qui va à l’encontre de celle qu’il adopte spontanément et, de ce fait, qu’il explore les polarités négligées du Soi. Par exemple, une personne habituellement douce et soumise est invitée à se montrer irritée et à manifester un désaccord aux membres du groupe. Elle monte debout sur une chaise de façon à dominer les participants du groupe et à leur parler de haut. • Le dialogue à chaise vide avec une personne signicative de la vie du patient qui se trouve assise sur cette chaise vide permet d’explorer une situation inachevée. • Le dialogue à deux chaises consiste en un dialogue entre deux parties du Soi du patient qui sont en conit. • Le travail du rêve permet l’exploration de parties désavouées du Soi.

Applications et limites de l’approche La Gestalt-thérapie s’applique à un ensemble de contextes et d’individus, enfants, adultes, groupes, couples, familles. Elle a 4. Buber élabore une philosophie du dialogue qui permet au thérapeute de développer une attitude profonde d’ouverture à l’autre. Pour Buber, la rencontre ne se trouve ni dans l’un des deux partenaires ni dans les deux combinés, mais seulement dans leur dialogue. Il n’y a pas de Je en soi, mais un Je en lien avec un Tu.

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montré son ecacité dans le traitement des troubles anxieux et des troubles de l’humeur. À la suite de certaines révisions, cette thérapie est maintenant utilisée avec succès dans le traitement de troubles de la personnalité (Strümpfel, 2004). Mais il convient alors pour le thérapeute d’établir une bonne alliance thérapeutique, d’obtenir l’accord du patient avant et pendant l’utilisation de certaines techniques et de bien évaluer sa capacité à tolérer et à réguler les aects intenses induits par les techniques de la Gestalt-thérapie. Celles-ci peuvent s’avérer très puissantes et déstabilisantes, car elles nécessitent une prise de risque expérientielle importante de la part du patient. Une formation rigoureuse des thérapeutes est donc requise. Ainsi, le processus thérapeutique repose sur l’implication émotionnelle active et invite à des applications rééchies.

Psychothérapie existentielle En continuité directe avec les travaux de philosophes existentialistes tels que Kierkegaard (1813-1855) et Nietzsche (1844-1900) se sont développés deux grands courants de psychothérapie existentielle : • le courant européen représenté par Ludwig Binswanger, Viktor Frankl et Medard Boss ; • le courant américain représenté par Irvin Yalom, Rollo May et James Bugental, qui intègrent à leur position résolument existentielle les éléments centraux de la psychothérapie humaniste, soit la centration sur la personne, l’autodétermination et l’authenticité (Cain & Seeman, 2002).

Théorie du fonctionnement psychique La personnalité est considérée en tant que processus. La confrontation incontournable des réalités existentielles est au cœur de l’ajustement psychique et de la psychopathologie. La quête de signication et l’incertitude sont enchâssées dans l’être. Depuis la naissance, l’être est engagé dans un processus implicite et explicite, de découverte et de création d’un monde où vivre et d’une identité pour y vivre. Comprendre les réalités existentielles est un processus de développement lié à l’ouverture et à la conscience du monde qui l’entoure, des autres et de soi-même. La subjectivité de l’expérience personnelle est incontournable, car chaque personne à un rapport unique aux diverses réalités existentielles. L’individu tend vers l’armation et la préservation de Soi. La psychopathologie est le résultat de conits entre la réalité subjective de la personne et ses enjeux existentiels. Ces conits provoquent de l’anxiété, l’utilisation de mécanismes de défense ainsi qu’une perte d’authenticité et de liberté. L’individu doit apprivoiser son rapport subjectif avec des réalités telles que la solitude, l’incertitude et l’autodétermination.

Théorie de la psychothérapie L’essence du processus thérapeutique consiste en une quête de sens. À travers une relation authentique, réelle et individuelle, le thérapeute amène le patient à développer une meilleure conscience de ses enjeux existentiels. La relation directe, de partage d’expériences, mène à une armation de l’existence de l’autre. La convergence de l’engagement émotionnel du thérapeute (son besoin d’être authentique, sa compréhension profonde, sa disponibilité et sa sensibilité) et du patient (sa détresse, son espoir, son engagement) crée un espace propice pour permettre au patient de vivre de façon authentique, de retrouver sa capacité de faire des choix et d’assumer sa liberté.

Techniques spéciques La psychothérapie existentielle ne propose aucune technique propre. À partir d’une attitude centrée sur les enjeux existentiels, elle intègre des techniques provenant d’autres approches humanistes. La confrontation est cependant fréquente et s’accompagne d’interprétations et de « pourquoi pas ? » plutôt que de « pourquoi ? ».

Applications et limites de l’approche La psychothérapie existentielle est utilisée avec une clientèle sourant de diverses pathologies et souvent en combinaison avec d’autres approches. Elle convient bien à un travail de réexion sur la condition humaine, par exemple dans des périodes de transition ou de crise développementale. Son utilisation thérapeutique est davantage recommandée dans les cas de troubles de l’adaptation. Elle exige toutefois une capacité d’engagement relationnel important de la part du thérapeute et du patient. C’est une approche peu systématique qui fait appel à des concepts plutôt abstraits, ce qui la rend moins pertinente ou accessible pour des patients ne pouvant tolérer une certaine incertitude ou une ambigüité dans le travail thérapeutique et dans la vie en général.

82.3.2 Modèles mixtes Au cours des deux dernières décennies, le développement de quelques modèles mixtes a permis de repousser les limites auxquelles se heurtaient les thérapeutes pratiquant à l’intérieur des systèmes thérapeutiques présentés. En eet, l’absence de modèles développementaux étoés et de prescriptions thérapeutiques spéciques s’avère un obstacle à l’ecacité de certains modèles d’intervention. Par exemple, des patients sourant de troubles de la personnalité ou encore manifestant des résistances et des défenses complexes présentaient peu d’amélioration de leur fonctionnement psychique et interpersonnel. La thérapie centrée sur les émotions et la psychothérapie gestaltiste des relations d’objet sont deux exemples éloquents de modèles mixtes.

Thérapie centrée sur les émotions La thérapie centrée sur les émotions (emotion focused therapy) développée par Greenberg & Watson (2006) combine de façon harmonieuse l’essentiel des travaux de Rogers centrés sur le client et ceux tournés vers les processus de découverte de la Gestaltthérapie. Cette forme de thérapie est donc à la fois essentiellement relationnelle et orientée vers des objectifs thérapeutiques. Elle met de l’avant la notion de schèmes émotionnels organisateurs de l’expérience et de la représentation de Soi. Ces schèmes sont composés non seulement de l’émotion qui émerge dans la psyché, mais des éléments perceptuels, cognitifs et comportementaux qui l’accompagnent. La thérapie vise essentiellement la reconstruction de schèmes émotionnels inadaptés, repérables à l’aide d’indices spéciques (marqueurs), par l’entremise de tâches thérapeutiques appropriées. Ces tâches thérapeutiques sont des techniques expérientielles en ce sens qu’elles impliquent toujours l’expression de l’expérience émotionnelle problématique du client. Par exemple, un thérapeute peut observer un discours autodévalorisant (marqueur) chez son patient, ce qui vient aecter sa représentation de Soi et des autres (schème émotionnel inadapté). Il lui propose alors une technique de dialogue à deux chaises an de modier ce schème émotionnel. Tout en apportant une conrmation de l’importance des émotions, les nouvelles propositions théoriques

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de Greenberg invitent les humanistes à nuancer leurs propositions thérapeutiques et à mieux les relier, particulièrement parce que les émotions procèdent d’expériences organisées en schèmes plutôt qu’isolées. Une émotion ne se présente pas seule, mais plutôt avec des perceptions, des cognitions, des sensations et des actions expressives. À les considérer comme telles, on comprend pourquoi les expériences émotionnelles peuvent donner accès à une information relative à la vie profonde de la personne, à celle qui touche ses processus d’adaptation et à ses besoins. Le thérapeute tente de permettre de retrouver les émotions primaires qui sont essentiellement adaptatives, alors que les émotions secondaires sont en général une transformation de l’expérience et entravent l’adaptation de la personne. Cette forme de thérapie a reçu une validation empirique importante pour un ensemble de troubles mentaux, mais plus particulièrement pour le traitement des troubles dépressifs, des troubles anxieux et la thérapie de couple (Greenberg & Watson, 2006 ; Johnson, 2004).

expérientiels (les relations actuelles, les relations passées et la relation thérapeutique) et à co-construire le sens de cette reproduction au sein d’un dialogue herméneutique. Par un échange et une exploration de ce qui se vit pour le patient et le thérapeute, ceux-ci en arriveront à co-construire le sens de ce qui se rejoue dans la relation. 3. La réparation survient lorsque le cycle débouche sur une forme de complétion où l’enjeu développemental, formant le cœur du cycle, se trouve actualisé dans un dénouement mieux adapté aux besoins de la personne. Ce modèle thérapeutique est de plus en plus utilisé au Québec, en Europe et en Amérique latine. Il est en cours de validation et respecte en tous points les principes thérapeutiques validés empiriquement identiés par Castonguay & Beutler (2006) pour le traitement des troubles de la personnalité (Drouin, 2008).

Psychothérapie gestaltiste des relations d’objet

Quelques modèles de psychothérapie humaniste, sans répondre aux critères évoqués plus tôt en ce qui concerne la validité d’un modèle de psychothérapie, apportent toutefois une contribution signicative au monde de l’intervention thérapeutique. Une énumération exhaustive de ces modèles serait laborieuse et nécessiterait une évaluation critique quant à leur valeur et à leur apport respectif. Toutefois, deux modèles participent de façon signicative à l’intervention thérapeutique, le focusing et l’approche ECHO : 1. Le focusing (focalisation) : créé par Eugene Gendlin (1978), le focusing a pour objet les situations oues qui échappent à la conscience et qui se manifestent par des inconforts et des malaises émotionnels. Le thérapeute propose au patient de concentrer (focaliser) son attention sur des situations inachevées et de travailler à leur résolution. Cette démarche comporte diérentes étapes qui amènent le patient à laisser émerger une situation signicative, à s’interroger à son sujet, à la laisser prendre place, à lui donner une forme de plus en plus précise et à en percevoir l’évolution. Ce travail se fait par un dialogue constant avec soi-même. 2. L’approche ECHO : après avoir étudié de nombreuses années, diérentes formes de thérapies et le processus de guérison (healing), Crombez (1994) a développé une méthode dans laquelle le patient acquiert, par une démarche progressive et très simple, quelques outils pertinents pour travailler sur sa réalité subjective : a) être attentif à l’ensemble de ses perceptions physiques et psychiques ; b) les mettre en relation, interagir avec elles ; c) les modier et en créer de nouvelles. Il s’agit de recréer un espace de jeu en soi, où peut se mouvoir de nouveau un ux énergétique favorisant les processus naturels de guérison. Maîtrise, liberté, jeu, inventions y sont redécouverts et appliqués aux objectifs de transformation des personnes. Cette thérapie s’inscrit dans un cadre et une logique d’apprentissage, de façon à ce que les personnes puissent retrouver et exercer leurs pouvoirs de changement et de création en connaissant mieux les façons de les aborder. C’est une approche d’intervention psychosomatique pour les personnes atteintes de maladies physiques et psychologiques. Elle est généralement combinée avec les traitements médicaux et les psychothérapies.

La psychothérapie gestaltiste des relations d’objet (PGRO) développée par Delisle (1998, 2001, 2004) pour le traitement des troubles de la personnalité propose une intégration des éléments centraux de la Gestalt-thérapie et des théories développementales issues de l’École britannique des relations d’objet (Greenberg & Mitchell, 1983). Elle se dénit comme étant le traitement des impasses de contact, dans les divers champs expérientiels au sein d’un dialogue herméneutique, c’est-à-dire d’une co-construction du sens de l’expérience. Ce modèle relationnel envisage la relation thérapeutique sous l’angle d’un processus à la fois interpersonnel et intrapsychique, d’essence développementale. Il conserve de la Gestalt-thérapie les notions d’individu dans un système et le caractère à la fois adaptatif et défensif de ses opérations de résistance au contact. Le processus thérapeutique se présente comme un amalgame de trois modes relationnels : 1. La relation transférentielle est cet espace où se reproduisent les enjeux développementaux inachevés. 2. La relation herméneutique est cette dimension collaborative de la relation dans laquelle le thérapeute et le patient tentent d’élaborer un sens qui éclaire les impasses et leurs racines dans les enjeux développementaux inachevés du patient. 3. La relation réelle représente la part intacte du processus relationnel qui semble échapper à la pathologie du patient. Elle est la voie première qu’empruntent les actes réparateurs. Le patient sourant d’un trouble de la personnalité tend à reproduire à son insu, dans les relations signicatives de sa vie, des enjeux développementaux inachevés. C’est ce qu’on appelle une « impasse de contact ». L’essence de la relation thérapeutique est de permettre à ces enjeux d’aboutir à leur complétion. Le processus thérapeutique semble fait de cycles plus ou moins longs où se déploie la trilogie reproduction-reconnaissance-réparation. 1. La reproduction d’un enjeu développemental inachevé assorti de ses corollaires expérientiels, émotionnels, représentationnels et comportementaux est essentielle au déploiement du processus thérapeutique. 2. Le travail de reconnaissance implique que le thérapeute invite le patient à prendre conscience de la reproduction de ses schèmes développementaux inachevés dans divers champs

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82.3.3 Modèles complémentaires

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

82.4 Validation des thérapies expérientielles-humanistes La psychothérapie humaniste a montré une ecacité indéniable à plusieurs reprises (Elliott & al., 2004 ; Lambert & Ogles, 2004). Une méta-analyse d’Elliott (2002) portant sur l’ecacité des psychothérapies humanistes parvient aux sept conclusions suivantes : 1. Les patients traités en psychothérapie humaniste s’améliorent d’une façon signicativement supérieure à ceux ne recevant pas de thérapie. 2. Les patients en thérapie humaniste montrent un changement signicatif. 3. Les gains post-thérapie sont stables et se maintiennent dans les 12 mois suivant la n de la thérapie, et même au-delà. 4. Dans des études comparatives avec des groupes randomisés, les patients en thérapie humaniste montrent un changement aussi important que ceux suivis dans d’autres thérapies, y compris les approches cognitivo-comportementales. 5. Les thérapies humanistes semblent ecaces pour aider les patients en détresse, pour une vaste sélection de troubles mentaux allant de la dépression à l’anxiété en passant par les troubles de l’adaptation et les problèmes interpersonnels. 6. L’ecacité des thérapies humanistes est appuyée empiriquement dans le traitement de la dépression majeure et des troubles interpersonnels (troubles de la personnalité). 7. Les thérapies centrées sur un processus actif (process directive) paraissent particulièrement prometteuses.

Dans bien des cas, les modèles de la psychothérapie expérientielle-humaniste ne sont pas compatibles avec une validation empirique, convenant davantage aux modèles cognitivocomportementaux. Mais les travaux de la Task Force on Empirically Based Principles of Therapeutic Change menés par Castonguay & Beutler (2006) cherchent à combler le fossé qui s’est creusé entre les travaux de ce groupe de travail, qui tente de rapprocher la recherche et la pratique clinique, et ceux du groupe de travail sur la psychothérapie de l’American Psychological Association (APA). Il s’agit ni plus ni moins d’une façon diérente d’envisager l’importance et la pertinence des facteurs communs dans l’ensemble des interventions thérapeutiques. De plus, plusieurs des postulats humanistes en voie de vérication empirique trouvent un accueil favorable dans d’autres approches qui leur étaient éloignées (Muran & Barber, 2010 ; Norcross, 2011). La qualité de la relation thérapeutique et les compétences personnelles et interpersonnelles des thérapeutes sont, en dénitive, les agents qui expliquent le mieux la variabilité des résultats thérapeutiques (Wampold, 2001). Les thérapeutes les plus ecaces sont ceux qui sont capables de conceptualiser la dynamique et les besoins de leurs patients à partir de l’écoute et de la compréhension de leur monde subjectif expérientiel unique. Ces résultats concordent avec les propositions les plus fondamentales des psychothérapies humanistes et avec leur pratique. De nombreux dés demeurent, tels que le développement de méthodologies de recherche spéciques permettant de rendre compte des concepts centraux des psychothérapies humanistes, l’élargissement de leur champ d’action ainsi que l’intégration des données issues des autres méthodes d’intervention thérapeutique. L’importance et la pertinence des facteurs communs dans l’ensemble des interventions thérapeutiques sont présentées en détail au chapitre 73.

Lectures complémentaires F, E. (2015 [1967]). L’art d’aimer, Paris, Belfond. G, S. (1992). La gestalt, une thérapie du contact, 4e éd., Paris, Hommes et groupes éditeurs.

G, L. & D, G. (2012). La psychothérapie du lien, genèse et continuité, Montréal, CIG. R, C. R. (2005 [1961]). Le développement de la personne, Paris, Dunod.

Chapitre 82

L’Association québécoise de Gestalt publie tous les deux ans un numéro de la Revue québécoise de Gestalt, qui fait état des dernières avancées dans le domaine.

érapie expérientielle-humaniste

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CHA P ITR E

83

Relaxation, hypnose et méditation Gilles Dupuis, Ph. D. (psychologie)1

Smadar Valérie Tourjman, M.D., FRCPC, M. Sc. (pharmacologie)

Président-directeur général, Centre de liaison sur l’intervention et la prévention psychosociales (Montréal)

Psychiatre, chef médicale, programme des troubles anxieux et de l’humeur, Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Professeur titulaire, Département de psychologie, Faculté des sciences humaines, Université du Québec à Montréal

Professeure agrégée de clinique, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université de Montréal

Jean-Roch Laurence, Ph. D. (psychologie) Psychologue, directeur de recherche, Laboratoire hypnose et mémoire, Université Concordia (Montréal) Professeur titulaire, Département de psychologie, Faculté des arts et des sciences, Université Concordia (Montréal)

83.1 Relaxation..................................................................... 1751 83.1.1 Historique et bases théoriques ........................ 1751 83.1.2 Formation des thérapeutes ............................... 1751 83.1.3 Application clinique ........................................... 1752 Relaxation musculaire progressive............................. 1753 Training autogène.......................................................... 1753 Relaxation appliquée..................................................... 1754 Respiration diaphragmatique...................................... 1754 Rétroaction biologique ................................................. 1755 83.1.4 Indications et contre-indications .................... 1755 83.1.5 Résultats fondés sur des données probantes .............................................................. 1756

83.3 Méditation .................................................................... 1761 83.3.1 Historique et bases théoriques ........................ 1761 Méditation transcendantale......................................... 1761 Méditation bouddhiste ................................................. 1762 érapies basées sur la pleine conscience................. 1762

83.2 Hypnose ........................................................................ 1756 83.2.1 Historique et bases théoriques ........................ 1756 83.2.2 Formation des thérapeutes ............................... 1758 83.2.3 Application clinique ........................................... 1758 83.2.4 Indications et contre-indications .................... 1759 83.2.5 Résultats fondés sur des données probantes .............................................................. 1760

Lectures complémentaires .................................................... 1766

Troisième vague de thérapies cognitivo-comportementales....................................... 1763

83.3.2 83.3.3 83.3.4 83.3.5

Formation des thérapeutes ............................... 1764 Application clinique ........................................... 1764 Indications et contre-indications .................... 1764 Résultats fondés sur des données probantes ...................................... 1765

1. Les auteurs remercient André Marchand, Ph. D., pour sa contribution à certaines parties de la section 83.1.

L’

objectif de ce chapitre est de fournir une description des méthodes d’intervention que sont la relaxation, l’hypnose et la méditation et qui peuvent être utilisées soit en complément d’une démarche psychothérapeutique, soit comme interventions proprement dites.

83.1 Relaxation Pourquoi est-on stressé ? Comment fait-on pour relaxer ? Les patients qui veulent trouver des réponses à ces questions disposent de beaucoup de sources d’informations. Une recherche Google (faite en juin 2015) à partir des mots « techniques de relaxation » donne environ 287 millions de résultats. Une autre à partir de « techniques de relaxation CD (compact disk) » en ache plus de 33 millions. Ces multiples sites donnent accès à de l’information parfois très judicieuse, parfois côtoyant un certain ésotérisme. Le médecin doit toujours conseiller aux patients de se er à des sites provenant d’universités (p. ex., le site du Centre d’aide aux étudiants de l’Université Laval) ou encore d’associations professionnelles ou d’associations spécialisées dans des problématiques précises (p. ex., l’A ssociation québécoise de la douleur chronique). Par ailleurs, plusieurs CD sont disponibles sur le marché. Il importe là aussi de s’assurer du professionnalisme du contenu. Ainsi, celui produit par Michel Sabourin, Ph. D., professeur au département de psychologie de l’Université de Montréal (1992), présente la technique de relaxation musculaire progressive de Jacobson et le training autogène de Schultz d’une façon sérieuse et conforme aux caractéristiques précises de ces deux techniques. Quelle que soit la demande du patient, le thérapeute doit lui fournir des explications qui lui permettent d’utiliser adéquatement les moyens choisis.

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Un supplément d’information sur le Centre d’aide aux étudiants de l’Université Laval est disponible au www.aide. ulaval.ca/sgc/pid/1115.

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Un supplément d’information sur l’Association québécoise de la douleur chronique est disponible au www. douleurchronique.org/relaxation.

83.1.1 Historique et bases théoriques L’origine des techniques de relaxation se confond avec l’histoire du développement de l’hypnose. Le psychiatre allemand Johannes Heinrich Schultz (1958) est le premier à introduire la notion de relaxation dans le domaine de la psychologie. Il a conçu la technique de training autogène au début du 20e siècle en se basant sur des données physiologiques et psychologiques, et après avoir observé diérents phénomènes vécus par les personnes sous hypnose. À la même époque, en Amérique, Edmund Jacobson, un médecin de Chicago, développe la méthode de relaxation musculaire progressive (Jacobson, 1938), qui s’écarte du courant des techniques de relaxation basées sur la suggestion. Ces deux techniques ont servi et servent encore de base aux autres approches développées par la suite. Les fondements des techniques de relaxation sont principalement de nature empirique, c’est-à-dire qu’ils découlent des observations eectuées sur la réactivité au stress et sur la réponse de relaxation (Benson, 2000) qui vient réduire les impacts psy-

chologiques, physiologiques, hormonaux et immunitaires de cette réactivité. Le terme de « stress » a été introduit par Hans Selye vers le milieu des années 1920. C’est en 1936 qu’il en donne la dénition suivante : « e non specic response of the body to any demand » (Selye, 1936, p. 32). À la suite de Selye, Cannon (1929) décrit le ght or ight response. Il faudra attendre quelques décennies pour que Lazarus & Folkman (1984) proposent une perspective interactionniste à la dénition du stress : le stress résulte de l’interaction entre la personne et l’environnement, dans laquelle une situation est évaluée comme pouvant outrepasser ses ressources et la mettre en danger, que ce soit physiquement ou psychologiquement. Ce n’est donc pas tant la nature de l’événement qui est source de stress, mais bien plus la discordance entre la perception de la situation par l’individu et sa perception des ressources qu’il possède pour y faire face. Une même situation n’est pas cause de stress pour tout le monde. Pour induire un stress, il faut qu’une situation comporte une ou plusieurs des caractéristiques suivantes (de façon additive) : • C : Contrôle – l’individu a l’impression qu’il ne peut pas avoir de contrôle sur ce qui lui arrive ; • I : Imprévisibilité – la situation survient à un moment imprévu ; • N : Nouveauté – la situation n’a pas été vécue auparavant ; • E : Ego – la situation menace le Moi. C’est à partir de cette approche que se sont construites les interventions de gestion du stress dans lesquelles les techniques de relaxation (ou autres approches comme la méditation, le yoga, etc.) occupent une place importante, car elles font partie des outils que l’individu peut utiliser pour faire face au stress. Le rôle du système sympathique est bien connu dans la réponse au stress. Ce système stimule l’adrénaline, entre autres, qui augmente les fréquences cardiaque et respiratoire ainsi que la tension musculaire (ght) ; ce sont les indices les plus perceptibles par l’individu. Les techniques de relaxation visent à amener la personne à utiliser le système parasympathique pour freiner la réponse sympathique. La réponse de relaxation (Benson, 2000), qui peut être élicitée par diverses techniques, est basée sur un réexe inné de contrebalancement de la réaction sympathique, géré par l’hypothalamus, et qui enclenche la réaction parasympathique (Jacobs, 2001). Les techniques de relaxation sont donc basées sur l’apprentissage de la production de cette réponse antistress, qui permet à l’individu de réduire le stress perçu.

83.1.2 Formation des thérapeutes Il n’existe pas d’école pour la formation des thérapeutes à proprement parler, ce qui fait que toutes sortes de personnes s’improvisent comme thérapeutes de relaxation et utilisent des méthodes plus ou moins reconnues. Par contre, la majorité des psychologues ont, au cours de leur formation, un entraînement à l’utilisation des techniques de relaxation. Si un patient demande à qui il peut s’adresser pour apprendre la relaxation, il importe de l’orienter vers un professionnel de la santé qui est membre d’un ordre professionnel. Quel que soit le thérapeute qui aide le patient à apprendre la relaxation, il doit maîtriser parfaitement les techniques liées à la voix, soit la modulation, le rythme, la pause, la tonalité, etc. Il doit également connaître les trois principes suivants : 1. Il ne faut jamais inclure, dans une consigne ou une suggestion, le symptôme qu’on veut diminuer. Si le thérapeute suggère à

Chapitre 83

Relaxation, hypnose et méditation

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un patient que sa douleur au dos va diminuer, ce qui restera présent dans l’esprit du patient est « douleur au dos ». Par ailleurs, s’il suggère que peu à peu, des sensations de confort et de détente vont s’installer, donc des sensations à connotation positive, l’esprit du patient sera orienté sur autre chose que la douleur. 2. Il faut utiliser une imagerie mentale conforme à ce qui est agréable pour le patient et non ce qui semble agréable a priori. Par exemple, il peut sembler agréable de s’imaginer sur une plage et d’entendre les vagues, mais si le patient déteste les plages, un certain inconfort peut s’installer chez lui. 3. Il faut utiliser le plus possible la modalité sensorielle qui est caractéristique au patient lors d’exercices d’imagerie. Par exemple, si un patient décrit une situation agréable avec des mots faisant appel à l’audition (p. ex., « J’adore le bruit des vagues, le cri des mouettes, etc. »), des suggestions basées sur la modalité visuelle (visualiser les vagues, l’écume sur celle-ci, etc.) pourraient s’avérer moins ecaces. Ainsi, certains patients peuvent rapporter des remarques comme celles-ci : « Il m’est arrivé, lors d’une intervention précédente, de me faire suggérer que mon mal de tête disparaîtrait peu à peu lorsque la relaxation deviendrait plus profonde. Le mot “mal de tête” restait toujours présent dans mon esprit. » Ou encore : « On me suggérait de me voir à la campagne au bord d’un ruisseau, alors que je déteste la campagne. » Ou bien : « On me demandait de visualiser la mer, mais je suis incapable de “voir” les choses dans ma tête. Il est plus facile pour moi d’entendre la mer que de la voir. »

83.1.3 Application clinique Avant de passer en revue les principales techniques de relaxation, il importe de donner le cadre général servant à préparer le patient à « accepter » la relaxation comme outil thérapeutique (cadre s’appliquant aussi à l’hypnose et à la méditation). Aucun patient ne persévère dans la pratique de la relaxation ni ne l’intègre dans ses habitudes de vie s’il ne reçoit pas au départ, de la part du thérapeute, une argumentation convaincante du rôle que la relaxation peut jouer dans la reprise de contrôle sur ses cognitions et sa réactivité physiologique. Les quatre points suivants s’inspirent de l’approche de Milton Erikson (Malarewicz & Godin, 1986) : 1. Expliquer d’abord en quoi la relaxation peut avoir un eet tant sur le plan physiologique que sur celui des cognitions anxiogènes. Le meilleur point de départ est de demander au patient ce qu’il ressent lorsqu’il entretient, dans son esprit, des pensées stressantes. Le thérapeute peut aussi lui faire fermer les yeux de 30 secondes à une minute et lui faire imaginer quelque chose de stressant. Après ce court exercice, il peut le questionner sur ce qu’il a ressenti : augmentation du rythme respiratoire, du rythme cardiaque, etc. Par cet exercice, le patient se rend compte du rôle de ses pensées sur ses réactions physiologiques. L’étape suivante est de lui faire prendre conscience que si des pensées ou des images négatives et stressantes peuvent inuencer ses réactions physiologiques, des pensées ou des images positives et relaxantes peuvent, elles aussi, inuencer ses réactions physiologiques, mais, cette fois, dans le sens de la détente. L’explication suivante est aussi très utile à fournir : lors d’une situation stressante, l’organisme émet une réponse

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involontaire et spontanée. Il peut, par exemple, augmenter la pression artérielle, le rythme cardiaque et le rythme respiratoire. C’est une réaction automatique innée (le ght or ight de Cannon). À l’origine de l’espèce humaine, ces réactions permettaient à l’individu de se préparer rapidement à réagir aux dangers, à combattre un ennemi ou à fuir. Aujourd’hui, les sources de stress sont diérentes et perdurent aussi plus longtemps. Lorsque les hommes préhistoriques échappaient à un animal sauvage, une fois le danger passé, leur organisme revenait à un état de repos. Mais comment, aujourd’hui, échapper à la « menace » que peuvent représenter les propos d’un patron ou d’un collègue si, jour après jour, il faut les côtoyer et si, de plus, à l’extérieur du travail, on traîne cette menace dans son esprit en ruminant les situations qui se sont passées au cours de la journée ? Ces ruminations ramènent les réactions physiologiques et émotives négatives vécues lors de ces situations. C’est ainsi que l’organisme se trouve très souvent et inutilement en état d’alerte. Les techniques de relaxation sont des techniques naturelles qui permettent de contrer les eets de la réaction physiologique automatique aux agents stresseurs de la vie quotidienne. Cette réponse contraire à la réaction anxieuse diminue par le fait même les rythmes cardiaque et respiratoire et ralentit l’ensemble des réactions corporelles anxieuses. 2. Faire prendre conscience au patient du rôle de « l’environnement sonore » sur ses réactions physiologiques. Par exemple, le thérapeute peut lui demander : « Comment vous sentez-vous lorsque vous communiquez depuis quelques minutes avec une personne stressée qui parle très rapidement ? » À coup sûr, le patient répondra qu’il se sent « essoué », qu’une telle personne l’« essoue ». L’environnement sonore créé par la relaxation est un environnement dans lequel la personne qui enseigne la relaxation, en direct ou sur CD, parle d’une voix calme et reposante, ce qui fait que, peu à peu, les réactions physiologiques s’ajustent à ce rythme. Le thérapeute peut aussi mentionner les eets « trop excitateurs » de certaines formes de divertissement (p. ex., les jeux vidéo) qui peuvent faire « oublier » les préoccupations, mais qui mettent cependant le système nerveux en état de surexcitation. Ce type de divertissement n’est évidemment pas adéquat avant le sommeil. 3. Expliquer au patient que, pendant l’exercice de relaxation, son esprit est « concentré » sur les consignes qu’il écoute ou sur les sensations physiques et physiologiques qu’il perçoit. Cette concentration permet donc d’« échapper » au tourbillon des pensées anxiogènes qui habitent quotidiennement son esprit. Cette évasion permet à son corps et à son esprit de se détendre. Par contre, une mise en garde s’impose lorsque le thérapeute parle de la concentration. Il est fort probable que lors des premiers exercices, le patient ne parvienne pas à se concentrer uniquement sur les paroles ou les sensations de détente qui s’installent. Il faut lui mentionner que cela est parfaitement normal ; que lorsque ses pensées s’égarent sur des choses stressantes, il n’a qu’à ramener son attention sur les paroles ou les sensations physiques ; qu’au début, il doit se recentrer souvent, mais que, peu à peu, il devient ecace, exactement comme lorsqu’il commence à pratiquer un sport et qu’il s’améliore avec le temps. Pour éviter que le patient ne développe un sentiment d’inecacité ou d’incompétence qui le pousserait à tout abandonner, il est essentiel de lui expliquer

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qu’au début, il est possible qu’il ne ressente pas une profonde détente, mais que cela se produira peu à peu ; qu’il est possible qu’il ne ressente pas immédiatement tout ce qu’on lui décrit, mais que ces sensations s’installeront graduellement d’ellesmêmes s’il leur en laisse le temps, et que cela se fera d’autant plus rapidement qu’il laissera le processus suivre son cours. Le thérapeute peut lui donner l’exemple de la digestion, processus automatique que l’organisme prend en charge sans qu’il soit nécessaire de s’en préoccuper. Cependant, il sut que l’on commence à s’inquiéter de mal digérer pour interférer avec le processus. Il en va de même pour la relaxation. Un autre exemple est celui de la respiration, dont l’automatisme peut aussi être perturbé par de l’anxiété. 4. Expliquer que lors de la pratique de la relaxation, le cerveau « apprend » à produire la relaxation et enregistre les sensations de détente et leurs eets physiologiques. Ainsi, de la même façon que le patient peut se remémorer une image ou une mélodie, il peut se remémorer cet état de détente et ainsi contrer les stress quotidiens. Cela permet aussi au patient de comprendre que la relaxation est un processus d’apprentissage et qu’il n’aura pas toujours besoin du thérapeute pour le faire relaxer. Peu importe la technique choisie, ces points sont à discuter avec le patient an qu’il s’investisse dans l’exercice de relaxation.

Relaxation musculaire progressive La relaxation musculaire progressive de Jacobson (1938) est une des méthodes les plus fréquemment utilisées. Elle implique une procédure de contraction/relâchement (tense-release) pour une quinzaine de groupes de muscles. Elle consiste donc en une série d’exercices qui demandent de contracter des muscles spéciques, puis de les relâcher de façon à créer un contraste entre la tension musculaire désagréable et la détente agréable. Le patient doit se centrer sur l’état de tension, puis l’état de détente, de façon à bien diérencier les deux états et apprendre à les reconnaître. Après une période d’entraînement, le patient peut faire ses exercices de relaxation (détente/musculaire) dans toutes ses activités quotidiennes, autant au travail ou à la maison que dans le métro ou l’autobus. La plupart des personnes développent même l’habileté à réduire la tension en se concentrant simplement sur la sensation plus agréable de relaxation et en se la remémorant. Avant l’exercice, la personne doit prendre deux ou trois bonnes respirations profondes en gonant l’abdomen puis, lors d’une expiration lente, contracter l’abdomen en vidant lentement l’air. Cette respiration prédispose déjà à la relaxation. Voici un exemple de séquence à observer pour la contraction/détente de groupes de muscles. Si le patient est droitier, il commence par le côté droit et vice versa pour un patient gaucher : 1) Serrer le poing, bien sentir la tension, puis détendre ; 2) plier l’avant-bras sur le bras et contracter le biceps, puis relâcher en ramenant le bras en position allongée ; 3) le front ; 4) les mâchoires et le visage ; 5) le cou ; 6) les épaules ; 7) le milieu du dos ; 8) la poitrine ; 9) le ventre ; 10) le bas du dos ; 11) les fesses ; 12) les cuisses ; 13) les mollets ; 14) les pieds.

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Un supplément d’information sur la méthode est disponible dans l’ouvrage de Bernstein et de ses collaborateurs (2000).

En général, il faut pratiquer l’exercice environ 30 minutes par jour dans un endroit calme, en position couchée, en prenant soin

de ne pas être dérangé par les bruits environnants (téléphone, télévision, etc.). Il est également possible d’utiliser la position assise pour éviter de s’endormir, car l’apprentissage des sensations reliées à la contraction/détente se fait en état d’éveil, conscient. En position assise, il faut appuyer la tête an de relaxer les muscles de cou. Le patient doit adopter une attitude mentale neutre et, si des pensées anxiogènes apparaissent, il doit les laisser passer et continuer la séance de relaxation en ramenant son attention sur les sensations qu’il perçoit. Au départ, il ne faut pas qu’il se préoccupe du degré de réussite. Au fur et à mesure de ses exercices quotidiens, il constate qu’il devient beaucoup plus habile, mais certains jours sont moins propices à la détente que d’autres, ce qui est normal.

Training autogène Le training autogène de Schultz (1958) est centré sur la perception de sensations de pesanteur et de chaleur dans les membres et les autres parties du corps (sauf dans la région de la tête et du front, où on suggère une sensation de fraîcheur, et dans la région du thorax et des épaules, où on suggère une sensation de légèreté ou de souplesse), alliée à une concentration sur la régularité de la respiration et du rythme cardiaque. La pratique moderne du training autogène est basée sur l’apprentissage de la détente par autosuggestion, à laquelle on ajoute aussi de la visualisation. L’utilisation de cette technique est souvent couplée à une intervention cognitivo-comportementale. Il existe plusieurs versions de séquence de groupes musculaires ou de régions du corps à détendre. Celle qui est présentée ici se base sur une pratique s’étant avérée ecace tant sur le plan individuel qu’en groupe. Considérant qu’il est plus facile de sentir de la lourdeur et de la chaleur dans les jambes que de la fraîcheur au niveau de la tête ou du front, il est préférable de commencer par les membres inférieurs. Par ailleurs, comme il est parfois dicile pour le patient de s’autoentraîner, l’utilisation d’un CD peut constituer un soutien fort important pour cet apprentissage. Une séquence possible est la suivante : pied droit, jambe droite, cuisse droite, puis même chose du côté gauche (si la personne est gauchère, l’inverse est recommandé du fait qu’il est peut-être plus facile pour elle de percevoir des sensations dans son côté dominant), puis les fesses, la région lombaire, l’abdomen, le milieu du dos, le thorax (et l’estomac), le haut du dos et les épaules ; enn, le cou, les mâchoires, le front et le dessus de la tête. Au l de cette progression, il importe de toujours utiliser le même type de suggestion, par exemple : « Votre mollet droit va devenir lourd et détendu, votre cuisse droite va devenir lourde et détendue, etc. » Évidemment, au niveau des épaules et de la tête, il est préférable de ne pas utiliser de suggestions de lourdeur, mais plutôt de légèreté : « Votre épaule droite va devenir légère et détendue. » Il est parfois utile, particulièrement avec les patients plus anxieux, de donner les instructions au futur (p. ex., « Votre jambe droite va devenir molle et détendue » au lieu de « Votre jambe droite est molle et détendue »), ce qui permet d’éviter que la personne ne se place dans une attitude de comparaison continuelle entre ce qui est dit et ce qu’elle ressent. Comme les sensations peuvent ne pas s’installer au moment où la suggestion est donnée (« Votre jambe droite est lourde »), cela peut amener le patient à penser que la technique ne fonctionne pas ou, encore, à développer un sentiment d’échec et d’incapacité. Avec certaines personnes qui ont plus de dicultés à se laisser

Chapitre 83

Relaxation, hypnose et méditation

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aller ou à relaxer, il est également possible de mentionner que, même si la suggestion porte sur le mollet droit, il se peut que ce soit le gauche qui se détende. Ainsi, si cela se produit, cette sensation est interprétée comme un succès plutôt que comme une non-conformité à ce qui est suggéré. Il est important, avant de commencer la séquence, d’amener le patient à prendre deux ou trois respirations profondes et de le sensibiliser à la sensation de détente qui accompagne l’expiration. Ensuite, il est bon, au cours de la progression à travers les diérentes régions du corps, de suggérer une respiration calme et régulière ainsi que des battements cardiaques lents et réguliers. Le training autogène provoque parfois des réactions paradoxales d’augmentation de l’anxiété, des palpitations et la peur de perdre le contrôle. Cela survient généralement lorsque le patient a beaucoup de diculté à se détendre. Aussi, quand des sensations de relaxation se produisent, la peur de perdre le contrôle peut alors augmenter son anxiété. Si de tels symptômes ont lieu, il est alors préférable d’utiliser la relaxation musculaire progressive (RMP).

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Relaxation appliquée La relaxation appliquée de Lars-Göran Öst (1987) consiste en un entraînement à la relaxation intensive, systématique et graduée avec l’aide de la RMP et d’indices induisant un meilleur contrôle du processus de relaxation, an de permettre au patient de se détendre rapidement dans n’importe quel environnement, même anxiogène. L’entraînement à la relaxation appliquée se compose d’un ensemble de techniques de relaxation et elle constitue l’apprentissage d’une nouvelle habileté. Bien qu’elle ait été développée pour traiter diverses phobies, elle semble particulièrement ecace dans le traitement du trouble d’anxiété généralisé (Donegan & Dugas, 2012) et dans d’autres aections comme le trouble panique, les céphalées (de tension, migraines), les maux de dos, l’insomnie, les symptômes de sevrage, l’épilepsie, etc. Le patient doit s’entraîner à bien reconnaître les signes annonciateurs de réactions anxieuses ou stressantes qui lui servent de points de repère pour appliquer la méthode de relaxation appliquée et ainsi apprendre à se détendre n’importe quand, n’importe où et de plus en plus rapidement. L’apprentissage de la relaxation appliquée permet de diminuer la tension musculaire ou contribue à ce qu’elle cesse de croître, mais la pratique quotidienne augmente sensiblement et progressivement le sentiment de contrôle et la conance du patient dans son habileté grandissante à faire face à ses symptômes anxieux. L’entraînement s’échelonne sur une quinzaine de sessions divisées en huit étapes : 1. La psychoéducation, c’est-à-dire l’explication du rationnel de la relaxation appliquée, de l’importance des devoirs ou des exercices à la maison an de bien identier et enregistrer les indices d’anxiété. 2. L’apprentissage de la RMP (sessions 1 à 4) jumelée à des exercices à la maison. 3. L’application de la méthode de relaxation passive (sessions 5 et 6) par relâchement musculaire, c’est-à-dire sans instruction de tendre les muscles. Le patient doit noter ses observations avant et après chaque exercice de cinq à sept minutes (au total), et ce, une à deux fois par jour, de préférence le matin et le soir. Il doit adopter une respiration calme et régulière et tout simplement relâcher les muscles en partant de la tête jusqu’aux pieds. Cette étape présente des avantages

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majeurs pour apprendre à transférer les bienfaits de la relaxation dans les activités quotidiennes. L’application de la méthode de relaxation/respiration (sessions 6 et 7) et son association à la consigne « détends-toi » ou « calme-toi » an de produire un conditionnement entre l’état de relaxation et les mots « détends-toi » ou « calme-toi ». Le patient continue de noter ses observations avant et après chaque exercice de deux à trois minutes, et ce, une à deux fois par jour. Il doit centrer son attention sur un mode de respiration lent, régulier et profond tout en se donnant intérieurement ou verbalement la consigne « relaxe » ou « calme-toi » en expirant, en même temps qu’il relâche les muscles tendus. L’application de la méthode de relaxation dite « diérentielle » (sessions 8 et 9). Durant cette étape, le patient continue de noter ses observations avant et après chaque exercice de 60 à 90 secondes, qu’il exécute une à deux fois par jour. L’application de la méthode de relaxation diérentielle doit se faire dans un environnement calme en l’introduisant progressivement dans la réalité quotidienne. L’exercice peut être exécuté en position assise, sur une chaise confortable, sur une chaise de travail, debout, ou même en marchant. Le patient doit appliquer la méthode de relaxation/respiration et se répéter la consigne « détends-toi » ou « calme-toi » pendant qu’il fait des activités. À cette étape, le patient est donc incité à pratiquer la relaxation dans sa vie quotidienne, dans des contextes non anxiogènes. Avec la relaxation diérentielle, il apprend à éliminer les tensions inutiles dans ses muscles et à ne conserver que le tonus nécessaire dans les membres sollicités par l’activité. L’application de la méthode de relaxation diérentielle de manière plus rapide et fréquente (session 10) dans des situations quotidiennes non anxiogènes. Durant cette étape, le patient continue de noter ses observations avant et après chaque exercice de 20 à 30 secondes, maintenant exécuté de 15 à 20 fois par jour. L’application de la méthode de relaxation diérentielle et rapide peut se faire dans un environnement relativement calme, si possible, mais dans la réalité quotidienne. Le patient doit être en action durant l’application de la technique. L’application de la méthode de relaxation rapide dans des situations quotidiennes anxiogènes ou stressantes (habituellement les sessions 11 à 13). Le patient continue de noter ses observations avant et après chaque exercice d’une durée maintenant beaucoup plus longue, mais à une fréquence moins élevée. Il doit s’exposer volontairement, pendant une période de 10 à 15 minutes et pouvant aller de 30 à 60 minutes, à des situations qui provoquent l’apparition de symptômes anxieux. Le maintien des acquis (sessions 14 et 15), qui consiste à encourager le patient à observer quotidiennement les réactions de son organisme et au besoin à utiliser la technique de relaxation diérentielle et rapide an d’éliminer les tensions élevées. Il doit appliquer ces deux stratégies au moins deux fois par semaine sur une base régulière.

Respiration diaphragmatique La respiration diaphragmatique ou abdominale est plus simple à apprendre que les précédentes techniques, car elle n’est basée que sur la modication de la respiration. Dans le quotidien, la respiration habituelle est une respiration thoracique relativement courte

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

et brève. Plus la personne est stressée, plus cette respiration est courte et rapide. Pour modier la respiration, il s’agit d’apprendre à utiliser le diaphragme. Pour faciliter l’apprentissage, la personne commence par mettre une main sur sa poitrine et l’autre sur son abdomen. Elle apprend à contracter les muscles de l’abdomen lors de l’expiration. Cela permet de pousser le diaphragme vers le haut, contribuant ainsi à expulser tout l’air des poumons. Par la suite, la personne inspire lentement en gonant le ventre et elle expire ensuite en contractant à nouveau l’abdomen. Il importe de faire ce cycle lentement (p. ex., compter lentement 1, 2, 3, 4 en inspirant et de même en expirant), car une exécution trop rapide peut provoquer des étourdissements. Au départ, il est recommandé de faire l’exercice pendant une ou deux minutes, puis d’augmenter la durée si la personne ne sent pas d’inconfort à le prolonger. Elle doit aussi porter attention à la sensation de relaxation qui accompagne l’expiration. Cette technique a des eets rapidement observables, car aussitôt que le rythme respiratoire passe de court et saccadé à lent et régulier, la sensation de stress diminue. Par ailleurs, il est parfois dicile pour le patient de détecter quand sa respiration est rapide et qu’il est stressé. Il peut donc facilement oublier de faire ses exercices de respiration ou les faire seulement quand il a atteint un niveau de stress très élevé. Pour cette raison, il faut lui conseiller de faire les exercices de respiration toutes les heures, au départ. Cela ne prend qu’une à deux minutes et peut se faire discrètement, même en milieu de travail. De cette façon, la personne devient de plus en plus habile à détecter l’apparition du stress et peut ainsi mieux le gérer.

Rétroaction biologique La rétroaction biologie, ou biofeedback, a fait son apparition vers la n des années 1960 avec les recherches de Neal E. Miller (1973, 1967) sur le contrôle autonomique chez les animaux. C’est en 1973 que Miller a introduit le terme «biofeedback». Cette approche nécessite l’utilisation d’appareils pouvant monitorer une fonction physiologique (p. ex., le rythme cardiaque, les ondes cérébrales comme les ondes alpha, les tensions musculaires, etc.) et retourner au patient une information (le plus souvent, sous forme sonore ou visuelle) sur l’état de cette fonction. Au préalable, le thérapeute explique le fonctionnement de l’appareil et mentionne, par exemple, que plus le son est de tonalité grave, plus le muscle frontal du patient se détend. Cette rétroaction permet au patient d’apprendre à modier cette fonction. De la même façon, le signal sonore peut aller vers des tonalités plus graves au fur et à mesure que le patient apprend à augmenter la quantité de ses ondes alpha. L’utilisation du biofeedback se fait souvent dans le cadre d’une intervention cognitivo-comportementale visant des objectifs plus larges que le simple apprentissage de la régulation d’une fonction physiologique. Les composantes émotionnelles, les facteurs environnementaux, les facteurs sociaux (personnels ou professionnels) et autres sont autant d’aspects à considérer, tout comme d’ailleurs pour les techniques de relaxation plus conventionnelles.

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Un supplément d’information sur le biofeedback est disponible dans le livre de Lehrer et de ses collaborateurs (2007).

L’un des aspects positifs non négligeables du biofeedback est qu’il permet aux patients doutant du rôle des cognitions et des émotions sur les réactions physiologiques de se rendre rapidement compte de la réalité de ce fait. En eet, lorsqu’un patient

a une cognition anxiogène, le moniteur de biofeedback envoie un signal indiquant, par exemple, que sa pression artérielle vient d’augmenter. Cela permet au thérapeute de commencer son intervention par un aspect moins menaçant que s’il abordait directement les problèmes aectifs. Parmi les inconvénients de cette approche, on retrouve les coûts d’utilisation des appareils ainsi que la nécessité que le professionnel qui les utilise connaisse très bien leur fonctionnement de même que la façon de bien intégrer ces instruments dans la démarche thérapeutique en fonction du problème cible. Il est eectivement moins coûteux d’apprendre une méthode de relaxation et de la pratiquer que de rencontrer un professionnel qui eectue l’intervention avec un appareil qu’on ne peut apporter chez soi pour s’exercer quotidiennement. L’un des développements du biofeedback touche la variabilité du rythme cardiaque. Ce type de biofeedback vise à faire apprendre au patient à améliorer l’équilibre des systèmes sympathique et parasympathique en augmentant cette variabilité qui, quand elle est réduite, est associée à de multiples problèmes cardiaques (hypertension, arythmie postinfarctus, mort subite, etc.). Les indications du biofeedback de la variabilité du rythme cardiaque porte sur des usages aussi variés que l’asthme, l’hypertension, l’anxiété, la dépression, etc. (Lehrer & al., 2007).

83.1.4 Indications et contre-indications Les applications médicales des techniques de relaxation sont très nombreuses. Elles peuvent convenir aux cas d’hypertension, à divers types de chirurgies, à la bromyalgie et à la douleur de diverses origines, bref chaque fois qu’une aection médicale pourrait bénécier d’un état de relaxation chez le patient. Du côté des interventions psychologiques, les techniques de relaxation sont fréquemment utilisées pour divers troubles anxieux ou encore dans la dépression, mais il est rare qu’elles soient employées seules. Elles font souvent partie d’une intervention englobant plusieurs autres stratégies (modication des comportements, des cognitions, gestion du stress associé à diverses situations, qu’elles soient médicales, psychologiques ou autres, etc.). Il y a très peu de contre-indications aux techniques de relaxation. Le training autogène est parfois plus dicile à intégrer pour certains patients très anxieux. La relaxation musculaire progressive (RMP) de Jacobson est alors préférable. Avec des patients qui sourent de troubles de dissociation, il est souvent préférable d’utiliser une technique comme la RMP qui maintient le patient en contact avec la réalité de son activité musculaire. Par ailleurs, il est très important que le patient puisse bénécier d’un suivi adéquat lors de l’utilisation d’une technique de relaxation, et cela, sur deux plans : 1. L’apprentissage de la technique : réponses aux questions et aux inquiétudes, corrections des problèmes, etc. 2. Le suivi du problème sous-jacent. Si la personne soure d’anxiété généralisée, d’anxiété reliée à un trouble de stress posttraumatique ou d’autres troubles anxieux, la relaxation seule est insusante. Il est essentiel de concevoir les techniques de relaxation comme des outils au sein d’une intervention plus large, d’ordre cognitivo-comportemental, qui prend en charge tous les aspects du problème du patient, tant sur le plan personnel que sur celui de son environnement social et familial.

Chapitre 83

Relaxation, hypnose et méditation

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83.1.5 Résultats fondés sur des données probantes De très nombreuses études ont été réalisées sur les eets de diverses techniques de relaxation dans diérentes aections médicales. Elles ne peuvent être toutes rapportées ici. Les études qui suivent constituent des exemples de résultats obtenus pour certains types de problèmes physiques ou psychologiques. Ainsi, Cheung et ses collaborateurs (2003) ont montré que l’utilisation de la RMP s’est avérée ecace pour réduite l’anxiété associée à la chirurgie colorectale et améliorer la qualité de vie. Les auteurs recommandent son utilisation dans le suivi à long terme des patients atteints de cancer colorectal. Dans leur méta-analyse portant sur l’utilisation de diérents types de techniques de relaxation (mais principalement la RMP), Luebbert et ses collaborateurs (2001) indiquent que ces techniques s’avèrent ecaces pour la réduction des symptômes physiques et émotionnels associés au traitement non chirurgical de diérents types de cancers. Les auteurs suggèrent que l’entraînement à la relaxation devrait faire partie du traitement médical en phase aiguë des patients cancéreux. Pour leur part, Lang et ses collaborateurs (2000) ont eectué un essai clinique randomisé an de vérier l’ecacité d’une technique de relaxation par autohypnose pour l’analgésie complémentaire lors d’interventions médicales invasives (angioplasties vasculaire et rénale). Les patients du groupe relaxation demeurent hémodynamiquement plus stables durant la procédure, qui s’avère aussi plus courte, présentent moins de douleur et utilisent moins de médication analgésique. Dans une étude (Gay & al., 2002) portant sur la comparaison de trois groupes (hypnose, RMP et groupe témoin) de patients atteints d’ostéoarthrite, la RMP et l’hypnose se sont avérées ecaces dans le contrôle de la douleur subjective. De plus, les patients des groupes RMP et hypnose ont réduit leur consommation de médication analgésique. Un essai clinique randomisé (Bastani & al., 2005) a permis de montrer que la relaxation appliquée permettait une réduction de l’anxiété et du stress chez les femmes durant leur grossesse. En ce qui concerne le biofeedback, une revue systématique de la littérature de Glombiewski et de ses collaborateurs (2013) portant sur la bromyalgie rapporte que le biofeedback de l’électromyogramme (EMG) est ecace pour réduire la douleur, mais non le biofeedback de l’électroencéphalogramme (EEG). Par ailleurs, aucun des deux n’a permis de réduire les problèmes de sommeil, de dépression et de fatigue ni d’améliorer la qualité de vie. Les auteurs suggèrent de faire des études portant sur les eets à long terme du biofeedback EMG pour la bromyalgie. Dans une revue systématique de la littérature (Stanton & al., 2011) il est mentionné que le biofeedback s’est avéré ecace pour améliorer l’activité des membres inférieurs chez des patients en réadaptation post-AVC. Du côté des problèmes de santé mentale, les techniques de relaxation ont été grandement utilisées pour les troubles anxieux. Une méta-analyse a d’ailleurs montré l’ecacité des techniques de relaxation pour ces types de troubles (Manzoni & al., 2008). Par ailleurs, les techniques de relaxation (principalement le training autogène et la RMP) font souvent partie intégrante des interventions de gestion du stress (Lehrer & al., 2007). Quant à la dépression, une revue systématique de Cochrane (Jorm & al., 2008) conclut que la relaxation peut être utile dans des cas de

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dépression légère ou modérée, mais que, si les symptômes persistent, il est fortement recommandé d’entreprendre une intervention de type cognitivo-comportemental.

83.2 Hypnose Depuis son entrée en scène à la n du 18e siècle, l’hypnose a été dénie comme un état modié de conscience, un genre de transe. Si, de façon phénoménologique, la personne hypnotisée semble en eet ne plus être dans son état de conscience habituel, ce n’est pas nécessairement le cas sur le plan neurophysiologique. Dans la littérature contemporaine, de nombreuses théories ont été proposées pour en expliquer les manifestations, de l’approche psychodynamique à l’approche cognitivo-comportementale en passant par les approches systémiques et psychosociales. Si aucune de ces théories ne peut cerner complètement le phénomène hypnotique, elles en expliquent certaines facettes chacune à leur façon. Le clinicien qui désire intégrer une intervention hypnotique à son plan de traitement doit le faire à la lumière de son approche thérapeutique et bien évaluer les prémisses de ses croyances et de ses biais cognitifs. La transmission de fausses croyances et de fausses attentes véhiculées par les consignes hypnotiques peut mener à des situations pénibles, tant pour le patient que pour le clinicien.

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Un supplément d’information sur ces approches thérapeutiques est disponible au www.ordrepsy.qc.ca/fr/public/ la-psychotherapie/orientations-theoriques.sn.

83.2.1 Historique et bases théoriques L’intégration de l’hypnose dans l’arsenal thérapeutique remonte déjà à plus de 200 ans. L’hypnose fait son entrée dans le monde médical à la n du 18e siècle sous le nom de « magnétisme animal », aussi appelé « mesmérisme ». Si la compréhension scientique de l’hypnose a progressé de façon importante au l des décennies, son évocation fait encore et toujours resurgir l’image d’une technique ésotérique, mystérieuse et même charlatanesque. Bien que cette image populaire de l’hypnose continue d’avoir cours, elle ne correspond plus à ce phénomène que la recherche expérimentale et appliquée explore systématiquement depuis plus de 60 ans. En bref, l’ecacité de l’hypnose et des techniques hypnotiques est bien manifeste dans le traitement d’un vaste éventail d’aections médicales et psychologiques (Lynn & al., 2010). Plusieurs méta-analyses rapportent que l’ecacité des thérapies cognitivo-comportementales et psychodynamiques brèves augmente à la suite de l’introduction de l’hypnose comme technique d’appoint. Généralement, l’utilisation de l’hypnose en clinique ne se fait plus de façon isolée ; elle s’intègre plutôt à un plan de traitement où thérapie et hypnose se côtoient. D’où l’importance que ce soient des professionnels de la santé ayant reçu une formation adéquate qui emploient cette technique, qu’elle soit utilisée par le médecin traitant ou recommandée comme technique d’appoint au traitement.

Dénition En 2012, la Division 30 de l’American Psychological Association (APA), Hypnose psychologique, proposait de dénir l’hypnose comme une procédure dans laquelle un professionnel de la

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

santé ou un chercheur suggère à un client, à un patient ou à un participant des modications de sensations, de perceptions, de pensées ou de comportements. Le contexte hypnotique est en général établi à la suite d’une procédure d’induction. Bien qu’il y ait plusieurs types d’induction, la plupart incluent des suggestions de relaxation, de calme et de bien-être. De plus, elles comportent souvent des instructions enjoignant à la personne d’imaginer des situations plaisantes (Wagsta, 2014). En 2014, une dénition plus épurée est adoptée par cette même Division 30 de l’A PA et se lit comme suit : « L’hypnose est un état de conscience impliquant une attention soutenue et une conscience périphérique réduite caractérisé par une capacité accrue de réponse à la suggestion. » (Elkins, & al., 2015, p. 6). Ces dénitions permettent de mieux comprendre ce qu’est minimalement une intervention hypnotique : 1. l’établissement d’un contexte hypnotique ; 2. une induction, souvent par relaxation ; 3. une mise en situation par suggestions directes ou indirectes ; 4. une déshypnotisation accompagnée de suggestions à plus long terme, dites posthypnotiques. En général, une session d’hypnose ou d’autohypnose1 intégrée au traitement choisi peut ne durer qu’une vingtaine de minutes. La recherche en hypnose a permis d’évacuer certaines croyances et certains mythes qui entourent ce phénomène (Capafons & al., 2008). Les cliniciens peuvent ainsi tirer prot de cette information lorsqu’ils présentent l’hypnose à leurs patients. Parmi les croyances les plus répandues se trouve l’idée que la personne hypnotisée est moins intelligente et plus naïve, qu’elle est sous l’emprise totale de l’hypnotiseur et qu’elle n’aura aucun souvenir de ce qui s’est passé en hypnose. Cette vision hollywoodienne de l’hypnose est démentie de façon claire par la recherche scientique, qui voit dans le sujet hypnotique une personne « agente » dont les réactions dépendent plus de ses propres habiletés que des habiletés de l’hypnotiseur. Il est souvent fort important de discuter de l’hypnose avec le patient, pour transmettre une information plus juste et évaluer si cette intervention sera bien reçue.

Hypnotisabilité L’hypnotisabilité ou suggestibilité hypnotique est avant tout une aptitude de la personne et moins de l’hypnotiseur. Aptitude stable, comme l’ont montré certaines études longitudinales, même lorsqu’elle était testée à 25 ans d’intervalle (Piccione & al., 1989). Cette aptitude peut donc jouer un rôle non seulement lors de l’intervention hypnotique, mais aussi lors d’autres interventions psychologiques comme la relaxation et la méditation. Bien reconnue dans le milieu de la recherche, elle serait le résultat de facteurs neurophysiologiques, génétiques et cognitifs. En bref, la capacité hypnotique serait fonction de la capacité attentionnelle de l’individu ; d’ailleurs, la plupart des études d’imagerie fonctionnelle révèlent le rôle primordial du système d’attention frontolimbique (Gruzelier, 2006 ; Raz, 2004). Les personnes très hypnotisables montrent une capacité attentionnelle et inhibitrice supérieure et ont un rostrum du corps calleux plus large que les personnes peu hypnotisables. Cette partie antérieure du corps calleux est impliqué dans le transfert d’information entre les hémisphères 1. Tout comme pour la relaxation et la méditation, une personne peut apprendre et pratiquer l’hypnose avec ou sans l’aide d’un enregistrement fait par le praticien. On parle alors d’autohypnose.

et dans la répartition de l’attention. L’inuence génétique semble aussi de plus en plus claire (Raz, 2005). Szekely et ses collaborateurs (2010) ont maintenant identié un lien signicatif entre l’hypnotisabilité et le génotype COMT Val/Met, important dans la régulation du système dopaminergique et de l’attention. Les individus qui répondent bien à l’hypnose possèdent un éventail d’habiletés cognitives et perceptuelles qui leur permettent une plus grande malléabilité de leur appareil psychique, allouant ainsi au praticien un choix plus vaste de suggestions thérapeutiques. Il faut cependant se rappeler que même les individus qui répondent moins bien à l’hypnose peuvent néanmoins répondre à la manipulation contextuelle que permet l’induction hypnotique. L’hypnose est donc un processus thérapeutique où le contexte de traitement et l’hypnotisabilité de la personne jouent un rôle. La relation entre la diminution des symptômes et la réceptivité hypnotique a été montrée de façon assez constante dans le tabagisme, l’obésité, l’élimination de certains types de verrues, l’anxiété, la somatisation, les troubles de conversion et l’asthme (Lynn & al., 2010). Il n’est pas nécessaire cependant d’être aisément hypnotisable pour en tirer prot. Il est bien montré que si le contrôle de la douleur est plus ecace avec les patients facilement hypnotisables, une proportion intéressante de ceux qui le sont moins réussit néanmoins à obtenir des résultats cliniquement signicatifs. La majorité des personnes peuvent répondre à l’hypnose de façon modérée. De 10 à 15 % ne répondent pas ou répondent peu à la plupart des suggestions hypnotiques alors que de 10 à 15 % y répondent très facilement (Laurence & al., 2008). Presque tous peuvent donc tirer prot d’une intervention hypnotique, et une pratique régulière de l’hypnose ou de l’autohypnose permet à chacun de développer ses habiletés de façon optimale.

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Un supplément d’information sur l’autohypnose est présenté dans la vidéo Séance d’initiation à l’autohypnose ou auto hypnose, disponible dans Internet.

Échelles standardisées d’évaluation Une des avancées les plus importantes de la recherche en hypnose a été de standardiser des échelles d’évaluation qui ont permis le développement et la dissémination de la recherche sur l’hypnose. Les données normatives de la réponse hypnotique sont à peu de chose près les mêmes, que l’évaluation se fasse au Canada ou ailleurs. Il existe présentement des études normatives venant de 13 pays diérents, toutes soulignant la stabilité de la réponse hypnotique. Bien qu’en général, l’utilisation de l’hypnose en clinique ne requière pas l’administration formelle d’échelles évaluatives, il est important pour le clinicien de connaître le niveau de réponse hypnotique de son patient pour mieux adapter son intervention. Dans certains cas, cela peut même être nécessaire. Si l’hypnose est utilisée comme seul agent anesthésique, il faut d’abord s’assurer que le patient pourra répondre à une suggestion d’analgésie hypnotique. Le clinicien dispose de plusieurs échelles qui peuvent être administrées individuellement ou en groupe, lorsque l’évaluation de l’hypnotisabilité est nécessaire. L’administration de ces échelles prend de 10 à 50 minutes et permet au clinicien de se familiariser avec le discours hypnotique. Les échelles de Stanford et de Harvard sont les plus simples à utiliser. Elles peuvent être administrées individuellement ou en petit groupe. Chacune d’elles est construite de façon similaire : Chapitre 83

Relaxation, hypnose et méditation

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une induction par la relaxation, suivie d’une série de suggestions standardisées de diculté variable. Il faut compter environ 45 minutes pour administrer ces échelles. Il existe aussi des échelles plus orientées cliniquement et qui ne prennent qu’une vingtaine de minutes à administrer. L’échelle de Stanford clinique pour adultes ou pour enfants, qui ne compte que cinq items, et l’Hypnotic Induction Prole sont des échelles qui ont été construites spéciquement pour les cliniciens. Elles présentent toutes une grande délité test-retest et permettent aux praticiens intéressés de se familiariser avec l’hypnose en utilisant des inductions simples et directes. Une mise en garde s’impose, cependant : comme ces échelles ont été créées il y a maintenant plusieurs décennies, il est préférable de remanier le texte de l’induction pour le rendre plus contemporain. En eet, les inductions des années 1960 faisaient souvent référence à l’idée de sommeil – ce qui a pour eet de rendre le patient moins actif – et utilisaient un langage plus autoritaire. Les inductions contemporaines sont en général plus souples et font davantage appel à la focalisation de l’attention qu’aux sensations de somnolence. Cela reète évidemment une meilleure compréhension de la personne hypnotisée comme agent actif plutôt que passif et réceptif.

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Un supplément d’information sur les échelles de Stanford est disponible dans l’ouvrage de Kihlstrom (2006).

La recherche expérimentale et appliquée des dernières décennies a permis de mieux comprendre l’hypnose et de mieux cerner son potentiel thérapeutique. Elle a aussi permis de découvrir que la réponse hypnotique émanait des habiletés cognitives, aectives et neurophysiologiques de l’individu et non de l’emprise de l’hypnotiseur. Les résultats cliniques sont probants, importants et montrent que l’utilisation judicieuse de l’hypnose en technique d’appoint peut améliorer l’ecacité du traitement de façon signicative.

83.2.2 Formation des thérapeutes L’application clinique de l’hypnose requiert une formation professionnelle en psychiatrie, en médecine ou en psychologie et une compréhension en profondeur du contexte psychothérapique. Au Québec, la formation à l’hypnose clinique pour les professionnels de la santé est assurée par la Société québécoise d’hypnose. Les rudiments de la pratique hypnotique y sont enseignés lors d’un atelier de base de 30 heures au minimum. Cet atelier inclut généralement l’apprentissage de l’induction de l’hypnose et de l’utilisation de suggestions thérapeutiques. Les participants y font l’apprentissage de diérentes suggestions hypnotiques telles que l’analgésie et le contrôle de la douleur, la régression en âge et l’exploration de situations passées ou l’utilisation de l’imagerie visant l’exploration de solutions aux problèmes présentés. Cet atelier de base vise surtout à permettre aux participants de mieux intégrer la pratique de l’hypnose à leur pratique thérapeutique habituelle. L’hypnose étant, avant tout, une technique de communication, il est important pour le professionnel d’apprendre et de maîtriser les diverses formes de suggestions possibles et leurs applications dès le début de la formation.

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Un supplément d’information sur la Société québécoise d’hypnose est disponible au www.sqh.info.

En Amérique du Nord, la formation de base pour devenir membre des sociétés professionnelles d’hypnose est de 30 heures. Les deux principales organisations sont : 1. La Society for Clinical and Experimental Hypnosis (www. sceh.us) ; 2. L’American Society of Clinical Hypnosis (www.asch.net). Cette formation de base est aussi reconnue par l’International Society of Hypnosis (www.ishhypnosis.org).

83.2.3 Application clinique Si l’hypnose pratiquée au 19e siècle (et dans une bonne partie du 20e siècle également) ne reposait que sur l’utilisation d’une approche autoritaire parsemée de suggestions directes, l’intervention hypnotique contemporaine s’est diversiée. Bien que l’utilisation de la suggestion directe soit toujours de mise, elle est souvent insérée dans un contexte plus souple et lié à l’hypnotisabilité du patient. Une suggestion directe telle que « La douleur disparaît maintenant » ne peut être ecace que si le patient possède une capacité susante d’être hypnotisé pour la réaliser. En général, l’utilisation de l’hypnose en thérapie est à la remorque de l’orientation théorique du clinicien. Il existe de nombreux ouvrages qui présentent l’utilisation et l’intégration de l’hypnose au traitement, que l’approche soit psychodynamique, stratégique, ericksonienne, multimodale ou cognitivo-comportementale (Lynn & al., 2010). Le clinicien intéressé à l’une ou l’autre de ces approches peut s’y référer. Cependant, la praxis dière peu d’une approche à l’autre. Le tableau 83.1 présente de façon sommaire la manière dont se construit une intervention hypnotique. L’hypnose clinique peut être utilisée individuellement ou en groupe. Par exemple, dans le traitement de la phobie sociale, l’hypnose peut tenir lieu de technique de relaxation, de désensibilisation et de restructuration des stratégies d’évitement lors de mises en situation dans le groupe. Comme la relaxation et la méditation, l’hypnose nécessite un apprentissage de la part du patient. L’utilisation de l’autohypnose favorise le renforcement de la suggestion et de l’alliance thérapeutique. Il y a de nombreuses façons de construire une intervention hypnotique, mais quelle que soit l’approche théorique, les trois étapes (avant, pendant, après) sont de mise. Comme pour tout mode d’intervention, le succès repose sur une anamnèse approfondie. Un des avantages certains de l’hypnose est son caractère ludique ; peu de techniques sont en eet ancrées dans la fantaisie ou l’imaginaire. Si bien que l’anamnèse doit aussi évaluer les ressources, les croyances, les attentes et l’imaginaire même de l’individu. C’est là le point de départ qui permet de construire le narratif de l’intervention, de commencer à communiquer les suggestions préhypnotiques qui orientent la réponse pendant l’hypnose. Plusieurs techniques peuvent être utilisées. Le travail préparatoire est important, particulièrement pour diminuer les attentes non réalistes ou les craintes sous-jacentes à l’utilisation de l’hypnose (perte de contrôle, amnésie, etc.) et pour mieux comprendre la nature des symptômes, particulièrement s’il s’agit de symptômes physiques. Ces symptômes doivent avoir reçu une attention médicale préalable ; par exemple, il faut connaître la nature et la cause d’une douleur avant de tenter de la réduire ou

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

TABLEAU 83.1 Principaux points à retenir lors de la planication des sessions d’hypnose

AVANT

PENDANT

APRÈS

Dénir les objectifs

Mise en situation

Renforcement

1. Historique a) Échecs précédents b) Réussites précédentes c) Ressources (internes/externes) d) Croyances, attentes et attitude 2. Cibler l’intervention a) Approche spécique/générale b) Justication (réussir A pour se rendre à B, etc.) 3. Redénir les objectifs si nécessaire : recadrage 4. Mise en place de la situation Activation • émotive • cognitive • comportementale

1. Induction a) Préparation b) Relaxation c) Approfondissement 2. Travail thérapeutique a) Interactif (suggestif) • exploration • accompagnement b) Réceptif • suggestions – directes – indirectes – métaphoriques c) Mixte 3. Déshypnotisation a) Renforcement du Moi b) Suggestion posthypnotique, ancrage

de l’éliminer par l’hypnose. De l’utilisation de la suggestion directe (« La douleur diminue de plus en plus ») à la métaphore (« Le vilain petit canard devient cygne »), du travail interactif (dialogue avec la personne hypnotisée) au mode simplement réceptif (la personne hypnotisée reçoit les suggestions sans interagir), les variations de l’intervention thérapeutique sont très nombreuses, mais doivent toujours être adaptées à la personne hypnotisée. Il faut se rappeler que l’hypnose est avant tout un apprentissage pour le patient qui découvre ses habiletés et aussi pour le clinicien qui apprend à mieux connaître la capacité hypnotique de la personne.

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Un supplément d’information sur les techniques d’hypnose est disponible dans les ouvrages de Hammond (2004), de Michaux & al. (2007) et de Salem & Bonvin (2007).

La déshypnotisation et le suivi posthypnotique sont aussi des étapes importantes. Lors de la déshypnotisation, le clinicien introduit les suggestions posthypnotiques oertes à la n de l’hypnose et qui se réalisent à la suite de la session. La suggestion posthypnotique peut être très ouverte (p. ex., « Vous vous sentirez de mieux en mieux jour après jour ») ou plus spécique (« Vous serez de plus en plus à l’aise et conant dans vos réunions au travail »). Un bref retour sur la session est souvent nécessaire au début de l’apprentissage pour mieux approfondir la façon dont le patient a vécu cette expérience, ce qui a semblé fonctionner ou ne pas fonctionner, et pour donner, s’il y a lieu, des tâches à accomplir entre les rencontres (p. ex., l’apprentissage de l’autohypnose). Cette façon de construire le travail hypnotique permet au clinicien une intégration progressive de l’hypnose dans son approche thérapeutique. Quelle que soit l’orientation théorique, conceptualiser l’intervention hypnotique comme une mise en scène de la problématique permet de cibler l’intervention de façon graduelle. Le clinicien qui débute peut fort bien se familiariser tout simplement avec l’induction en proposant une simple relaxation hypnotique visant à préparer le travail thérapeutique.

1. Renforcement de la réponse 2. Rappel de l’ancrage, s’il y a lieu 3. Liens à dégager, à trouver, à créer 4. Devoirs à faire (incluant l’autohypnose)

83.2.4 Indications et contre-indications L’hypnose ne présente pas plus de danger que toute autre thérapie. En fait, il n’existe aucune étude montrant que l’hypnotisabilité soit reliée à des conséquences négatives (Lynn & Kirsch, 2006). L’hypnose peut potentiellement être utilisée pour toute problématique où un traitement d’ordre psychologique est requis. Il faut éviter cependant d’en faire une panacée ; l’hypnose doit s’intégrer au traitement établi et non pas le remplacer. Le choix d’inclure ou non une composante hypnotique ne doit se faire qu’une fois l’anamnèse eectuée et le diagnostic et le plan de traitement établis. Il y a plusieurs raisons d’utiliser l’hypnose. La session hypnotique permet au patient de se centrer sur la problématique et sur ses solutions possibles. Elle permet au thérapeute de suggérer des mises en situation et des éléments de changement d’une façon plus directe et expérientielle. Une expérience hypnotique positive renforce souvent l’alliance thérapeutique et augmente la motivation de changement (Green & al., 2014). L’hypnotisabilité est spéciquement liée aux troubles dissociatifs. Plusieurs recherches ont indiqué une corrélation élevée entre symptômes dissociatifs et hypnotisabilité. Comme le note le DSM-5, les personnes qui développent des symptômes dissociatifs obtiennent généralement des scores élevés aux échelles standards d’hypnotisabilité. L’hypnose peut donc être utilisée comme une thérapie de soutien, pour le contrôle de l’anxiété, pour la modication du souvenir traumatique ou des émotions qu’il suscite, comme technique de restructuration et d’intégration de la réaction dissociative pour permettre un meilleur apprentissage du contrôle. Il va de soi que l’utilisation de l’hypnose dans les troubles dissociatifs doit tenir compte des comorbidités possibles : dépression, phobies, toxicomanies ou trouble de la personnalité (Lynn & al., 2012). On traite ici du trouble dissociatif de l’identité (TDI) tout en rappelant que les autres troubles dissociatifs sont aussi très liés à l’hypnotisabilité (en particulier l’amnésie dissociative). Selon le DSM-5, le TDI se caractérise par la présence de deux

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Relaxation, hypnose et méditation

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ou de plusieurs identités distinctes qui possèdent leur façon propre de percevoir et d’interagir avec leur environnement ou, à tout le moins, des états identitaires qui semblent de temps à autre prendre le contrôle des comportements de l’individu. Les symptômes du TDI côtoient une variété de psychopathologies, incluant le trouble de la personnalité limite, l’anxiété, la dépression, les troubles aectifs (Lynn & al., 2007). Ellason et ses collaborateurs (1996) rapportent que les patients présentant un TDI manifestent une moyenne de huit troubles sur l’axe I et de 4,5 sur l’axe II. Les patients qui sourent de troubles dissociatifs et de trouble du stress post-traumatique (TSPT) ont une hypnotisabilité supérieure à ceux qui sourent d’autres aections comme l’anxiété, la schizophrénie, les troubles de l’humeur, et à la population sans trouble de santé mentale. Il semble donc que les patients hautement hypnotisables soient plus à risque de développer des troubles dissociatifs et un TSPT. L’hypnose peut donc jouer un rôle important dans le traitement des troubles dissociatifs et particulièrement le TDI : • en facilitant l’autorégulation, la relaxation et l’acceptation des émotions douloureuses ; • en identiant les distorsions cognitives ; • en minimisant les stratégies d’évitement comme les diérentes identités pour gérer les conits émotifs ; • en facilitant l’exposition aux stimuli qui provoquent de l’anxiété ; • en permettant une restructuration cognitivo-émotionnelle ; • en permettant l’anticipation et la répétition de stratégies axées sur les interactions futures. Les troubles dissociatifs sont présentés en détail au chapitre 24, à la section 24.4. L’anorexie et la boulimie sont des troubles complexes où l’on retrouve fréquemment des symptômes dissociatifs. Il n’est donc pas surprenant que l’hypnose puisse être utile dans le traitement de ces pathologies. Il est intéressant de noter qu’en laboratoire, les patientes sourant de boulimie obtiennent des scores d’hypnotisabilité plus élevés que la population générale et que les patientes sourant d’anorexie. Si aucun syndrome clinique n’est à proprement parler une contre-indication à l’hypnose, il y a certainement des contreindications dans l’utilisation de l’hypnose elle-même. Elles sont liées à l’hypnotisabilité ou aux croyances entourant le phénomène de l’hypnose. Depuis les années 1990, la recherche a permis d’établir avec certitude que l’utilisation de l’hypnose comme technique pour explorer le passé ou « retrouver » des souvenirs est particulièrement à déconseiller. L’interaction entre techniques suggestives (hypnose, autohypnose, imagerie, etc.), croyances et mémoire peut facilement mener à la formation de pseudosouvenirs. Si la mémoire est généralement able dans la vie quotidienne, elle n’en est pas moins sujette à certaines inuences. Les souvenirs peuvent être modiés sans que l’on soit nécessairement conscient de ces modications. C’est dans la nature même de la mémoire. Certains souvenirs peuvent même être créés de toutes pièces (Brainerd & Reyna, 2005). Le rappel en mémoire fait appel à certaines habiletés cognitives telles que : • l’imagerie mentale ou la capacité de construire des images mentales ; • la capacité d’absorption, qui est une caractéristique de la personnalité. Elle représente la capacité d’une personne à créer

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des impressions subjectives et imaginaires qui modient la perception, la mémoire et les émotions et ont des répercussions biologiques et comportementales ; • l’hypnotisabilité ; • la capacité dissociative, qui est l’habileté à fractionner ou à isoler une partie du contenu mental. La recherche montre que chacune de ces habiletés peut jouer un rôle dans la formation de faux souvenirs (Laurence, 2008). L’utilisation de l’hypnose comme technique de rappel en mémoire dans le traitement de certaines pathologies (les troubles dissociatifs et le trouble de la personnalité limite) où les symptômes dissociatifs sont présents doit donc se faire avec prudence. En fait, le DSM-5 lie l’hypnotisabilité aux troubles dissociatifs et souligne la possibilité des faux souvenirs. Il existe une jurisprudence abondante (Mazzoni & Lynn, 2007) où les tribunaux ont dû établir une distinction entre abus réels et imaginaires, ces derniers ayant été « retrouvés » lors de sessions d’hypnose. L’hypnose peut cependant être utilisée de façon favorable dans le TDI si l’on comprend bien le rôle de la suggestibilité et de l’imagination dans la reconstruction de la mémoire (reviviscence) et que l’on évite la recherche de souvenirs d’abus.

83.2.5 Résultats fondés sur des données probantes L’utilisation de l’hypnose en clinique a fait l’objet de nombreuses recherches systématiques depuis les années 1980. Ces recherches montrent abondamment que l’intégration de l’hypnose dans le plan de traitement améliore les résultats pour de nombreux troubles psychopathologiques.

Troubles anxieux La recherche contemporaine montre de façon claire que la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) est ecace dans le traitement du trouble panique, de la phobie sociale ou du trouble anxieux généralisé. L’intégration de l’hypnose augmente de façon signicative l’ecacité de la TCC. Par exemple, Robertson (2013) rapporte les résultats d’une méta-analyse comparant 18 études où l’hypnose était utilisée comme technique d’appoint. Les patients qui ont reçu le traitement hypnotique se sont davantage améliorés que 70 % de ceux qui n’avaient reçu que la TCC.

Troubles dépressifs Plusieurs études ont montré l’ecacité d’une approche multidimensionnelle du traitement des troubles dépressifs associée ou non à la médication. Aladin (2012) et Yapko (2010) soulignent que l’hypnose permet de créer des attentes positives chez le patient, de diminuer les ruminations, de restructurer les modes de pensée négatifs et de favoriser la résolution de problèmes. Selon les résultats de la méta-analyse de Shih et de ses collaborateurs (2009), l’hypnose améliore de façon signicative les symptômes de dépression et constitue une intervention non pharmacologique valable dans son traitement.

Troubles dissociatifs Plusieurs recherches ont indiqué une corrélation élevée entre symptômes dissociatifs et hypnotisabilité. Cependant, il n’existe pas d’études systématiques comparant les diérentes thérapies psychodynamiques et cognitivo-comportementales des troubles

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dissociatifs avec et sans hypnose (Colletti & al., 2010). Si les rapports cliniques de l’utilisation de l’hypnose sont surtout anecdotiques (Kluft, 2012), Kirsch et ses collaborateurs (1995) ont bien montré que l’ajout de l’hypnose fait souvent oce de catalyseur dans ces thérapies. Lynn & Kirsch (2006) ont documenté la façon dont l’ajout de l’hypnose peut aider la résolution de symptômes liés aux troubles dissociatifs tels les retours en arrière (ashback), l’anxiété et la dépression.

Troubles alimentaires Bien qu’il existe de nombreuses histoires relatant l’utilisation de l’hypnose pour l’anorexie, peu d’études systématiques viennent les appuyer. Nash & Baker (2010) rapportent que l’utilisation de l’hypnose comme technique d’appoint chez 36 patientes avec un diagnostic d’anorexie, bien intégrée à une approche thérapeutique multidimensionnelle, a mené à une amélioration signicative des symptômes et à une stabilisation du poids, qui s’est maintenu lors du suivi un an plus tard chez 76 % des patientes traitées. Seulement 53 % des patientes qui avaient suivi le même traitement sans hypnose ont montré une amélioration semblable. L’intégration de l’hypnose semble donc augmenter l’habileté des patientes à suivre un traitement psychothérapeutique à plus long terme et à en bénécier.

Douleur L’hypnose et l’analgésie hypnotique sont des phénomènes qui sont étudiés en laboratoire de façon systématique depuis plus de 50 ans. Pourtant, cette recherche est souvent peu connue des médecins. Les personnes sourant de douleur chronique sont plus à risque de développer de l’anxiété et des troubles dépressifs. Elles sont aussi moins motivées et plus résistantes à tout traitement psychothérapique (Kroenke & al., 2013). Plusieurs études ont montré que l’analgésie hypnotique peut réduire la perception de la douleur de façon cliniquement signicative même chez les participants dont la suggestibilité hypnotique est moindre (Lynn & al., 2010). L’analgésie hypnotique ne semble pas correspondre à un eet placebo, du moins chez les participants très hypnotisables qui obtiennent une analgésie hypnotique supérieure à celle qu’ils montrent lorsqu’ils n’ont reçu qu’un placebo. L’analgésie hypnotique dépasse donc la simple suggestibilité et est distincte de l’eet placebo. Elkins et ses collaborateurs (2007) ont évalué 13 études prospectives incluant une variété de douleurs chroniques : cancers, problèmes de dos, problèmes temporomandibulaires, bromyalgie, etc. Quoique certaines des études présentent des failles méthodologiques, le résultat global est très favorable à l’utilisation de l’hypnose dans ce genre de problématiques. Une méta-analyse centrée sur la douleur (Montgomery & al., 2000) conclut que le participant moyen, traité par hypnose, montre une réponse analgésique plus élevée que 75 % des participants traités de façon standard ou dans les groupes témoins. L’utilisation de l’analgésie hypnotique pour diminuer les douleurs liées à certaines procédures médicales ou dentaires s’est aussi montrée fort utile avec les adultes et les enfants (Montgomery & al., 2002 ; Peltier, 2006). Plusieurs études ont révélé l’ecacité de l’hypnose dans le domaine périopératoire ou avec des chirurgies minimalement invasives. Faymonville et ses collaborateurs (1999) ont recensé 1650 cas où une combinaison d’analgésie hypnotique et de sédation consciente (anesthésie locale et sédatifs intravei-

neux au besoin) a mené à un temps de récupération plus rapide, un séjour hospitalier plus court et un plus grand confort chez ces patients. Montgomery et ses collaborateurs (2000), à la suite d’une méta-analyse couvrant une vingtaine d’études sur l’utilisation de l’hypnose comme traitement d’appoint en chirurgie, concluent que 89 % des patients récoltent des bénéces de cette utilisation, notamment une réduction de la douleur, de la durée de l’intervention, du temps de récupération et de la prise de médicaments. Saadat et ses collaborateurs (2006) rapportent que les patients hypnotisés avant l’entrée en salle d’opération ressentent moins d’anxiété en pré et en postopératoire, comparativement au traitement standard et à une intervention visant le contrôle de l’attention. Ces quelques exemples de recherche appuient bien l’ecacité de l’analgésie hypnotique et de l’hypnose comme agents de gestion de la douleur.

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Un supplément d’information sur l’hypnose pour gérer la douleur est disponible au www.allodocteurs.fr/actualite-santehypnoanalgesie-l-hypnose-pour-gerer-la-douleur_3408.html.

83.3 Méditation La méditation peut être dénie comme la pratique de la régulation de l’attention an d’en interrompre la participation dans le cours habituel de la pensée (Yunesian & al., 2008). Les diérentes techniques de méditation ont en commun l’induction volontaire de la relaxation musculaire et la modulation des processus mentaux qui sont associés à un état général de bien-être. Il existe plusieurs techniques de méditation. Cependant, c’est la technique de méditation pleine conscience, en particulier la technique de la réduction de stress basée sur la pleine conscience (mindfulness-based stress réduction [MBSR]), qui a eu le plus d’impact sur les champs de la médecine et de la psychologie (Chiesa, 2009).

83.3.1 Historique et bases théoriques La méditation a des racines historiques lointaines. L’humain aurait commencé à méditer en contemplant les ammes de son feu, atteignant ainsi un état de conscience altéré. Des formes de méditation existent dans toutes les traditions spirituelles. Par exemple, dans les traditions sue, juive et chrétienne, on retrouve des pratiques qui permettent d’atteindre une relation diérente avec l’expérience. Pour des raisons complexes, ce sont les traditions du Proche-Orient qui ont gagné en visibilité et ont été intégrées aux approches thérapeutiques. On observe une plus grande cohérence des rythmes cardiaque et respiratoire ainsi que des ondes thêta sur des tracés encéphalographiques. La dissociation entre la perception de la douleur et la réaction à la douleur qui a été notée peut expliquer une plus grande tolérance à la douleur. Bien qu’aucune des pratiques méditatives ne soit, à l’origine, à vocation thérapeutique, leur impact sur des paramètres physiologiques a incité de nombreux intervenants en santé mentale et physique à intégrer certains aspects de la méditation. Dakwar & Levin (2009) décrivent les principales formes de méditation.

Méditation transcendantale La méditation transcendantale (MT) a été développée vers les années 1950 par Maharishi Mahesh yogi (1917-2008). Elle a ses

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Relaxation, hypnose et méditation

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racines dans la tradition védique de l’Inde et s’appuie sur les connaissances anciennes contenues dans des textes sanskrits (Winbush & al., 2007). La répétition silencieuse d’un mot, d’un son ou d’une phrase (mantra) sert à prévenir la distraction. L’apprentissage de la technique de MT est un processus standardisé comportant sept étapes : • deux leçons d’introduction ; • une brève entrevue ; • quatre stages de formation pendant quatre jours consécutifs, chacun pouvant durer approximativement deux heures. La pratique de la MT implique deux sessions de 20 minutes de méditation par jour, une exécutée le matin et l’autre en soirée. La plupart des études évaluant les changements physiologiques à la suite de la pratique de la MT ont été réalisées durant les années 1970. Lorsque la MT est pratiquée pendant plus de quatre mois, elle entraîne une diminution des niveaux de cortisol et une réponse intensiée au stress aigu, suggérant que la MT peut optimiser la réaction au stress et protéger contre l’impact du stress chronique (Dakwar & Levin, 2009). Dans des essais cliniques, la MT a été associée à l’atténuation de la dépendance aux substances, des symptômes dépressifs chez des individus sans diagnostic clinique de dépression de l’anxiété, et l’amélioration des fonctions cognitives. Cependant, une grande majorité des essais cliniques souraient de failles méthodologiques importantes, telles que l’absence de contrôle avec un placebo et de randomisation ou un nombre limité de personnes. Une autre dimension qui complique l’étude de l’ecacité de la MT est le manque de procédé able an de s’assurer que les personnes exécutent correctement la technique de méditation, en particulier si elles sont inexpérimentées. Comme l’assiduité de la pratique de méditation n’a pas été contrôlée, il en découle des résultats contradictoires émanant de diverses études. Malgré la diminution observée des symptômes dépressifs, il n’y a pas d’évidence de l’ecacité de la MT dans le traitement de la dépression majeure. Une étude comparant la MT à la relaxation et au biofeedback dans le traitement de l’anxiété généralisée n’a fait ressortir aucune diérence signicative entre les trois groupes. Même si quelques études randomisées ont montré l’ecacité de la MT dans l’augmentation de l’attention, de la mémoire et du fonctionnement exécutif, d’autres ont abouti à des résultats négatifs.

Méditation bouddhiste Les méditations tibétaine, zen et vipassana ont émergé de la philosophie du bouddhisme. Dans ce courant de pensée, la sourance (dukkha) est considérée comme inhérente à l’existence, la douleur est attribuée au comportement inadéquat et à des failles dans les processus de pensée et de compréhension. Un système éthique et philosophique ainsi que la pratique de la méditation sont proposés comme moyens de dépasser la sourance et d’atteindre l’illumination (enlightenment). Les formes prédominantes de la méditation bouddhiste pratiquées dans diverses cultures peuvent diérer les unes des autres à bien des égards. Ces diérentes traditions, cependant, ont un point fondamental commun : la pratique régulière de la méditation. Il est possible de classier les techniques de méditation du bouddhisme selon une pratique d’attention concentrée ou diuse. Les trois formes de méditation les plus étudiées sont les suivantes : 1. La méditation tibétaine a pour but de se concentrer sur une sensation, un point unique dans l’espace, une couleur, un objet, un bruit, ou un état aectif, comme la compassion.

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2. Le zen vise à développer la conscience, à favoriser l’attention et à atteindre une attitude de neutralité et de détachement envers les phénomènes en général. 3. La méditation vipassana est souvent dénie comme une contemplation de son expérience menant éventuellement à un type de sagesse intuitive (Mikulas, 2007). De cette pratique découle une transformation fondamentale de l’expérience. Malgré une distinction entre l’attention concentrée et diffuse, ces deux formes existent en complémentarité, et une méditation peut passer d’une concentration sur un point à un état de réceptivité. La pratique de la méditation bouddhiste n’est pas un simple exercice d’attention, mais nécessite une compréhension de l’expérience comme étant caractérisée par sa nature éphémère.

Thérapies basées sur la pleine conscience La méditation basée sur la pleine conscience (MPC) prend ses origines dans la tradition bouddhiste, mais a été épurée des connotations religieuses que l’on retrouve dans la pratique courante (Williams & al., 2008). La pleine conscience est dénie comme l’observation sans jugement des stimuli externes et internes ainsi que l’investissement complet de l’attention dans l’expérience du moment présent (Kuyken & al., 2008). Il s’agit donc d’un état de concentration diuse. Dans ces approches, les éléments de la pleine conscience sont parfois enseignés sans recours direct à la méditation, par exemple par des exercices d’imagerie guidée ou des exercices d’attention aux expériences corporelles ou à la respiration. La prémisse sous-jacente est que la pratique de l’observation des sensations et des pensées, sans jugement, durant des exercices et des activités quotidiennes, facilite la généralisation de cette même attitude lors d’expériences plus diciles. Les principes de la pleine conscience ont été incorporés dans diverses approches thérapeutiques telles que la réduction du stress basée sur la pleine conscience (mindfulness-based stress reduction [MBSR]), développée par Kabat-Zinn et ses collaborateurs (1992), puis par Tacon et ses collaborateurs (2003). Elle consiste en un programme de huit semaines comportant des rencontres hebdomadaires de 2,5 heures, ponctuées, à mi-programme, par une session de huit heures. Les participants sont encouragés à pratiquer la méditation de façon quotidienne pendant 45 minutes. Malgré la visée d’une amélioration non spécique de la qualité de vie, cette approche a été utilisée dans le traitement de la douleur chronique, des maladies chroniques, des symptômes anxieux et dépressifs. De petites études randomisées ont montré une réduction de l’anxiété, des ruminations dépressives et de certains symptômes liés à un trouble de l’humeur (les participants n’avaient toutefois pas un diagnostic comportant tous les critères du trouble) (Chiesa & Sarretti, 2011). Chez des collégiens, une étude randomisée a montré une réduction du stress à la suite de la MBSR et une autre technique méditative, en comparaison avec un troisième groupe qui n’a pas été traité (Oman & al., 2008). Une méta-analyse de six études portant sur des patients atteints de bromyalgie a montré une diminution des symptômes de douleur et une amélioration de la qualité de vie, bien que les résultats ne soient pas robustes sur le plan statistique (Lauche & al., 2013).

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Troisième vague de thérapies cognitivo-comportementales Les techniques de la méditation ont été intégrées à la thérapie cognitive comportementale, constituant ainsi la troisième vague de thérapies cognitivo-comportementales (TCC) : • La thérapie d’acceptation et d’engagement (acceptance and commitment therapy [ACT]), développée par Hayes & Wilson (1995), propose l’acceptation des sensations et des pensées telles qu’elles sont, tout en engageant parallèlement des tentatives de changement. L’ACT comme la TCC visent la régulation des émotions, mais à des stades diérents ; la TCC le fait par la manipulation de l’évaluation interne ou externe des émotions, et l’ACT par la manipulation des réponses émotionnelles. L’ACT est appuyée par un nombre croissant d’études, mais son ecacité reste à démontrer. • La thérapie comportementale dialectique (dialecticalbehavioral therapy [DBT]) a été développée pour traiter des patients présentant le diagnostic de trouble de la personnalité limite, mais a depuis été utilisée dans le traitement d’autres aections. Les principes de la DBT sont dérivés des sciences comportementales, de la philosophie dialectique et du zen. Le principe central est l’équilibre entre l’acceptation et le changement. Cette approche a été éprouvée dans des études randomisées et contrôlées avec des patients sourant d’un trouble de la personnalité limite (Stoers & al., 2012) bien qu’une méta-analyse Cochrane conduite en 2012 montre que les données sont insusantes pour permettre des conclusions fermes quant à l’ecacité des diérentes approches de psychothérapie dans le trouble de la personnalité limite. La DBT semble aussi être ecace chez des patients âgés présentant une dépression, un trouble de la personnalité et des troubles alimentaires. Le trouble de personnalité limite est présenté en détail au chapitre 40, à la sous-section 40.5.4. • La thérapie cognitive basée sur la pleine conscience (mindfulness-based cognitive therapy [MBCT]) est un programme de huit semaines qui cible la prévention des rechutes de la dépression. Deux études randomisées et contrôlées dénombrant peu de participants ont montré une réduction des rechutes en comparaison du traitement habituel. Même si une autre étude n’a montré aucun eet sur l’humeur, cette thérapie est recommandée dans les lignes directrices du CANMAT (Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments) pour la prévention des rechutes de dépression. • La thérapie de prévention de la rechute (relapse-prevention therapy [RPT]) mobilise aussi ces principes de pleine conscience comme stratégie de gestion des envies impérieuses de consommation (craving). Ces besoins de consommation sont conçus comme des vagues qui surgissent et se dissipent. Le patient surfe sur ces vagues, apprenant ainsi leur nature transitoire qu’il arrive alors à mieux gérer. Son ecacité reste à montrer, mais l’utilisation en Inde des approches bouddhistes pour le traitement de la dépendance a été décrite.

La méditation et la méditation pleine conscience ont pour but d’amener la personne à une observation détachée avec une perspective de Soi plus neutre et sans jugement. Ainsi l’individu en vient à pouvoir contempler son expérience sans avoir une réaction négative automatique. La suspension du jugement a pour eet de diminuer la détresse associée à la culpabilité et l’autodévalorisation. L’observation neutre est accompagnée par une modication du vocabulaire (sémantique) descriptif, ce qui réduit l’impact négatif d’un événement en changeant subtilement son vécu subjectif. Cette pratique d’auto-observation permet l’identication de précurseurs émotifs ou cognitifs de comportements problématiques. De ce fait, l’individu a la possibilité de devancer ses réactions négatives, de mieux tolérer la détresse et de reconnaître les conséquences de ses comportements. Finalement, l’acceptation par l’individu d’émotions négatives, sans qu’il ne ressente un besoin impérieux de passage à l’acte immédiat, peut lui permettre de développer des comportements plus adaptés. Pour les individus sourant de trouble de la personnalité limite, visualiser et vivre les expériences négatives sans les fuir constitue une forme de désensibilisation. Ainsi les réactions émotives sont atténuées et les comportements de fuite s’estompent par extinction. Ce même phénomène peut avoir lieu chez les individus ayant un comportement de dépendance. De plus, l’exercice de méditation peut constituer un comportement alternatif à la consommation.

Optimisation de l’activité cérébrale Lorsqu’elle est pratiquée à long terme, la méditation bouddhiste a été associée à un tracé caractéristique de l’EEG au repos. La cohérence d’ondes alpha et thêta est augmentée (voir la gure 83.1). Une augmentation de l’activité alpha et thêta de l’EEG provenant de plusieurs régions frontales, dont le cortex frontal, semble liée à la relaxation (Chiesa, 2010). On a aussi observé une optimisation de l’activité cérébrale dans des régions qui correspondent aux tâches mentales requises pour les techniques méditatives. La durée d’activité provoquée par une tâche est diminuée, suggérant une plus grande ecacité du traitement de l’information. À long terme, ces changements EEG ne sont plus circonscrits seulement à l’état méditatif, mais se généralisent à l’activité mentale usuelle. La MT a aussi été associée à une augmentation FIGURE 83.1 Augmentation de la cohérence des ondes

thêta lors de la méditation

Mécanismes d’action Modulation cognitive Les processus de la pensée aussi bien que leurs contenus peuvent être modiés par la méditation et les principes qui l’accompagnent.

Source : Adapté de Baijal & Srinivasan (2010), p. 35.

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de la perfusion cérébrale des lobes frontaux et occipitaux pendant la pratique active de la méditation (Chiesa, 2010). Certains auteurs ont postulé que la réorganisation de l’activité cérébrale des lobes frontaux induite par la méditation, comme le montrent les enregistrements EEG, peut réduire la réactivité émotionnelle et optimiser la fonction cognitive. L’imagerie cérébrale soutient cette hypothèse. Des études d’imagerie montrent une modication de l’activité cérébrale après huit semaines de méditation pleine conscience. L’activité est plus importante dans les régions latérales que dans les régions ventromédianes et amygdaliennes, suggérant une optimisation des régions corticales qui inhibent les amygdales. Cette modication des images cérébrales a aussi lieu lorsqu’une dépression majeure répond au traitement pharmacologique. La pratique de la pleine conscience à long terme amène une activation plus soutenue dans le cortex préfrontal dorsolatéral ainsi que dans la région cingulaire antérieure. Durant des tâches d’attention, des adeptes de la méditation montrent une augmentation de l’activité dans plusieurs régions cérébrales, dont les zones frontopariétales, temporales, parahippocampiques, occipitales et cérébelleuses, et une réduction dans d’autres, dont le gyrus frontal médian et le cortex cingulaire antérieur (Brefczynski-Lewis & al., 2007). Les cortex préfrontal et médian sont activés lors de la méditation non directive et, excluant le cortex cingulaire antérieur, ces mêmes régions ne sont pas activées lors de la pratique de concentration.

Optimisation de la neuroplasticité Un épaississement du cortex préfrontal et de l’insula droite antérieure a été noté chez des personnes pratiquant l’attention ciblée. Chez des adeptes de la méditation zen, l’atrophie de la matière grise et la diminution de l’attention habituellement liées à l’âge n’ont pas été observées.

Réduction des effets induits par le stress La méditation pratiquée à long terme a été associée à des réductions de la réponse au stress et de la sécrétion de cortisol. Comparativement à un groupe témoin, un apprentissage de méditation de six semaines a été associé à une moindre augmentation de l’interleukine-6 induite par le Trier Social Stress Test, donc à une réduction des modications inammatoires induites par le stress (Pace & al., 2009). La réduction des taux de lymphocytes CD4+T chez les personnes atteintes du VIH est moindre après un programme de réduction du stress basée sur la pleine conscience (mindfulness-based stress reduction [MBSR]) (Creswell & al., 2009). Plusieurs études ont examiné l’état physiologique accompagnant la méditation active et l’ont caractérisé comme un état d’éveil hypométabolique à dominance parasympathique et d’atténuation sympathique (Rubia, 2009). Ainsi, le système qui régule la physiologie à l’état du repos est favorisé et celui qui régule l’organisme dans l’état de réactivité au stress est abaissé. Les changements remarqués sont une réduction du rythme respiratoire, une diminution du volume courant (tidal) inspiré ou expiré à chaque mouvement respiratoire, une baisse des niveaux de lactate sérique et une augmentation de la résistance basale cutanée. Cet état peut avoir des eets bénéques sur la santé, amener une augmentation du BDNF (brain derived neuroprotrophic factor) et une optimisation de la neuroplasticité.

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Un supplément d’information sur l’échelle du Trier Social Stress Test est disponible au www.jove.com/video/ 3238/the-trier-social-stress-test-protocol-for-inducingpsychological.

83.3.2 Formation des thérapeutes La formation en méditation n’est ni standardisée ni systématisée. Les diérentes traditions de méditation transmettent la technique par une forme d’apprentissage participative. Par exemple, la pratique du zen peut être acquise en participant à des sessions dans un temple. Par ailleurs, des individus possédant une expérience de méditation peuvent choisir de l’enseigner sans autre formalité. Les formes d’interventions thérapeutiques inspirées de la méditation, telles que la thérapie dialectique ou la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience, sont enseignées dans des formats combinant un processus didactique et expérientiel. Des attestations de formation peuvent être obtenues autant pour la formation en méditation que pour celle dans les interventions thérapeutiques qui s’en inspirent.

83.3.3 Application clinique Les techniques de méditation sont appliquées de façon très variable. Certaines applications sont standardisées, telles la thérapie dialectique pour le trouble de la personnalité limite, la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience visant la dépression résistante, la réduction du stress basée sur la pleine conscience chez diérentes populations variant de la personne saine aux personnes sourant de douleur ou de troubles psychiatriques divers, ou bien encore la thérapie d’acceptation et d’engagement qui peut s’appliquer autant au trouble anxieux qu’à la dépression. Les patients sont le plus souvent dirigés vers des thérapies de groupe et participent à un déroulement standardisé (voir la sous-section 83.3.1). Par contre, de nombreux thérapeutes intègrent des éléments de méditation, aussi bien techniques que philosophiques, à leurs interventions psychothérapeutiques. Une pratique tout aussi fréquente est de diriger le patient vers un site Internet qui ore gratuitement des méditations guidées (p. ex., www.pleine-conscience.be). L’apprentissage de la méditation au moyen d’un livre ou d’un site Internet (mais guidé par le thérapeute) peut également avoir un eet thérapeutique (Cavanagh & al., 2014). Il est très probable que l’assiduité dans la pratique de la méditation soit un élément important contribuant à son ecacité. Ainsi, le thérapeute devrait vérier avec le patient la fréquence de la pratique de la méditation et sa durée. Les facteurs qui peuvent constituer des entraves doivent être explorés tout en appliquant les principes d’acceptation et de non-jugement. La pratique de la médiation par les thérapeutes peut faciliter entre autres à une présence plus attentive dans leurs interactions avec le patient et ainsi contribuer à l’amélioration de l’interaction clinique (Bruce & al., 2010).

83.3.4 Indications et contre-indications Il y a peu de contre-indications à la méditation. Elle a été associée à de la dépersonnalisation et à de la déréalisation. Des cas de psychose ont été rapportés. Cependant, la méditation est généralement sécuritaire et bien tolérée. D’ailleurs, l’application de la méditation dans la psychose a été étudiée sans que des eets adverses importants soient notés. Certaines considérations pratiques doivent être prises en compte et des modications techniques apportées an d’adapter la méditation à des populations particulières. Par exemple, chez les personnes aux prises avec un trouble de décit de l’attention, les séances de méditation doivent être plus courtes.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

83.3.5 Résultats fondés sur des données probantes De plus en plus de recherches tendent à montrer que la méditation est bénéque pour la santé mentale, émotive et physique. Une revue systématique de la littérature, comprenant 82 études et 958 sujets, suggère des bénéces autant physiques que mentaux (Arias & al., 2006). La pratique régulière de la méditation réduirait le stress psychologique et les malaises physiques, améliorerait le fonctionnement et le bien-être (Reibel & al., 2001). Bien que les résultats obtenus dans certaines études soient encourageants, une majorité d’entre elles sourent d’importantes limites méthodologiques. En fait, les revues systématiques et les études contrôlées sont peu nombreuses. Le nombre de personnes est généralement petit. Le groupe témoin est souvent constitué des personnes sur la liste d’attente et les devis sont rarement à double insu (Van der Watt & al., 2008). De plus, les études ne décrivent pas les entraînements reçus par les instructeurs de la méditation, pas plus que l’assiduité des personnes à la pratique de la méditation, deux facteurs qui peuvent réduire l’ecacité des interventions. La méditation et les psychothérapies qui intègrent des principes de méditation à leur technique sont de plus en plus utilisées dans le traitement de nombreuses aections médicales et psychiatriques. Plusieurs études réalisées jusqu’à ce jour suggèrent des eets bénéques de la méditation sur la santé en général. Cependant, les résultats obtenus ne sont soutenus que par des données limitées. Il est impératif que les essais cliniques futurs sur la méditation soient plus rigoureux sur les plans du devis expérimental, de l’exécution de l’étude, des analyses statistiques et de la discussion des résultats. Les eets bénéques dans la prévention de la rechute dépressive, particulièrement dans des populations à risque élevé de récidive, sont plus évidents. La nécessité de clarier le rôle de ces interventions dans la pratique clinique quotidienne a été recommandée de façon unanime dans diérentes revues de la littérature.

Individus en santé Les personnes en santé manifestent des bénéces en ce qui a trait à la réduction du stress (Pipe & al., 2009). Une méta-analyse a repéré 10 études qui montrent une réduction du stress chez des individus en santé. Une comparaison avec la relaxation a montré un eet similaire sur le stress. Toutefois, la réduction du stress basée sur la pleine conscience (mindfulness-based stress reduction [MBSR]) avait un eet plus important sur les ruminations anxieuses et dépressives (Chiesa & Serretti, 2009).

Douleur chronique Quatre études se sont penchées sur les eets de la MBSR chez des personnes sourant de douleur chronique. Après huit semaines, ce traitement a produit une diminution signicative de la douleur ainsi que d’autres symptômes physiques et psychologiques (Tacon & al., 2003). Dans une étude pilote chez des individus recrutés dans la population générale, la MBSR a été comparée à la thérapie cognitivo-comportementale axée sur la réduction du stress. Les deux interventions ont montré une amélioration avec certains avantages en faveur de la MBSR sur des variables comme la douleur et l’énergie (Smith & al., 2008). Dans un essai randomisé, la MBSR a réduit les symptômes dépressifs chez des femmes atteintes de bromyalgie (Sephton & al., 2007). À plus

long terme, la MBSR a contribué à la réduction de la détresse psychologique et à l’augmentation du bien-être chez des malades atteints d’arthrite rhumatoïde (Pradhan & al., 2007).

Troubles anxieux Dans une revue critique de la littérature, Krisanaprakornkit et ses collaborateurs (2006) n’ont rapporté que deux études admissibles selon les critères de sélection utilisés. Elles montrent une diminution comparable de l’anxiété tant par la relaxation que par la MT. Lors d’une étude visant la réduction des symptômes obsessionnels, la méditation basée sur la pleine conscience (MPC) ne se distinguait pas d’une forme de yoga. Une étude comparant la MPC, un groupe d’apprentissage de stratégies d’adaptation (coping) et un groupe de soutien montre que toutes ces thérapies ont réduit l’anxiété dans une cohorte de patients présentant une pathologie cardiaque, de façon plus marquée que par le suivi habituel (Sullivan & al., 2009). Dans une étude contrôlée randomisée, la MBSR s’est avérée plus ecace dans la réduction de l’anxiété que la thérapie psychoéducative portant sur le trouble anxieux (Lee & al., 2007). La thérapie cognitive basée sur la pleine conscience (mindfulness-based cognitive therapy [MBCT]) de groupe a été appliquée avec succès dans des études pilotes portant sur le trouble d’anxiété généralisée. Elle a été plus ecace que la psychoéducation comme traitement adjuvant chez des personnes avec un trouble anxieux généralisé ou un trouble panique (Kim & al., 2009).

Troubles dépressifs Une révision des recherches avec groupe témoin a recensé 15 études concernant la MBSR, qui montrent une ecacité comparable à celle de la thérapie cognitivo-comportementale ou du training autogène (Toneatto & Nguyen, 2007). La MPC pratiquée pendant quatre semaines a réduit la détresse et augmenté l’humeur positive de façon comparable à la relaxation. Toutefois, le groupe de méditation MBCT a fait ressortir une réduction signicative des ruminations dépressives (Jain & al., 2007). L’eet sur la dépression majeure n’a pas été démontré, mais l’eet de la MBCT sur la prévention de la rechute dépressive semble être plus certain (Toneatto & Nguyen, 2007), cette thérapie réduisant le risque de rechutes chez les patients qui avaient vécu trois épisodes dépressifs ou plus (Williams & al., 2010), ce groupe rapportant d’ailleurs plus souvent une enfance dicile. L’ajout de la MBCT à la médication antidépressive dans un devis avec randomisation, mais sans groupe témoin, était associé soit à un taux moindre de rechutes soit à une prolongation d’intervalle sans rechute sur une période de 15 mois (Kuyken & al., 2008). Cet eet sur la prolongation du délai de rechute est conrmé par l’étude de Bondol et de ses collaborateurs (2010). Michalak et ses collaborateurs (2008) rapportent que des améliorations, selon une échelle de pleine conscience, sont associées à une diminution des risques de rechutes.

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Un supplément d’information sur l’échelle de pleine conscience est disponible au www.mindfulnessand­ acceptance.vcu.edu/documents/MAAS.pdf.

Troubles bipolaires Williams et ses collaborateurs (2008) ont noté une réduction de l’anxiété chez des patients présentant un trouble bipolaire

Chapitre 83

Relaxation, hypnose et méditation

1765

dans une étude pilote de MBCT comparant un petit groupe de patients sourant soit d’un trouble bipolaire en rémission, soit d’un trouble unipolaire avec des idées suicidaires.

Dépendances Une des visées de la thérapie cognitivo-comportementale basée sur la pleine conscience est la régulation de l’aect. Selon Hoppes (2006), la MBCT a ainsi le potentiel de réduire les problèmes de régulation aective et de diminuer la réaction aux stimuli de dépendance chez les patients ayant des comorbidités de troubles de l’humeur et de troubles liés aux substances. L’eet de la pratique de la méditation pleine conscience a été comparé à celui de la thérapie cognitivo-comportementale (Brewer & al., 2009). Bien que les deux interventions se soient avérées équivalentes dans leur eet sur l’utilisation de substances, la méditation réduisait la réactivité négative dans le contexte de stress induit par l’évocation mentale d’un script négatif personnalisé. Ainsi, il semble que la méditation peut réduire l’impact des réactions négatives.

Troubles psychotiques Il est généralement recommandé de ne pas faire pratiquer la méditation aux individus présentant des troubles psychotiques (Kuijpers & al., 2007). Une publication de Chadwick et de ses collaborateurs (2009) concernant une intervention de MPC pendant cinq semaines chez 22 patients présentant des symptômes psychotiques n’a pas révélé d’eet signicatif sur le fonctionnement (l’échelle CORE évalue les symptômes, le bien-être général et le fonctionnement général avec une série de 34 questions), mais, en revanche, n’a pas été associée à une exacerbation de la psychose.

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Un supplément d’information sur l’échelle CORE est disponible au http://remusilies.com/SIOP03/Files/CSES.pdf.

Troubles de sommeil Winbush et ses collaborateurs (2007) ont recensé la littérature an d’évaluer l’ecacité du la gestion de stress basée sur la pleine conscience sur le sommeil. Sept études ont été retenues pour analyse dont quatre, toutes non contrôlées, ont montré une amélioration de la durée et de la qualité du sommeil.

Trouble décitaire de l’attention Rubia (2009) rapporte un eet bénéque de la méditation chez des enfants atteints de ce trouble.

Troubles alimentaires Kristeller & Hallett (1999), qui ont examiné les eets de la MBSR sur les troubles alimentaires, décrivent une amélioration signicative sur plusieurs échelles évaluant l’alimentation et l’humeur.

Agressivité Des individus présentant une décience intellectuelle ou des aections psychiatriques persistantes ont montré une réduction de leur agressivité avec une approche méditative modiée (Singh & al., 2003, 2007).

Les trois approches thérapeutiques que sont la relaxation, l’hypnose et la méditation partagent un certain nombre de points communs : • Elles dirigent et concentrent l’attention sur un « objet » de perception interne ou externe. • Elles visent la détente et le bien-être. • Elles peuvent se pratiquer par soi-même, mais il est de loin préférable de les pratiquer avec l’aide d’un professionnel de la santé ou d’un professeur (dans le cas de la méditation) dûment reconnu. • Elles visent à libérer de l’emprise du stress pris au sens large, c’est-à-dire tout événement interne (cognition, émotion, souvenirs d’événements diciles, etc.) ou externe (situations stressantes diverses) qui diminue l’équilibre mental et physique, et à donner des moyens de contrôle plus ecaces. La relaxation et l’hypnose sont dirigées plus spéciquement sur la réduction des symptômes physiques et psychologiques qui entraîne un état de bien-être accru chez l’individu et réduit l’emprise des symptômes sur sa vie, donc augmente son contrôle sur ces stresseurs indésirables. Souvent, ces deux approches sont incluses dans les thérapies comportementales et cognitives. Par ailleurs, la méditation et les approches basées sur la pleine conscience comportent des éléments que l’on ne trouve pas dans la relaxation ni dans l’hypnose. La méditation et les approches de pleine conscience, par l’attitude de non-jugement et d’acceptation, tentent d’amener l’individu à être plus conscient des facteurs perturbateurs et à s’en détacher pour réduire ainsi leur emprise. Elles visent aussi l’amélioration de la conscience que l’on a du moment présent, tant du point de vue du ressenti physique (lors de mouvements, p. ex. la marche) que du point de vue des cognitions et des émotions qui surgissent dans l’esprit. Par l’attitude de non-jugement, elles favorisent aussi une plus grande indulgence envers soi-même. Il importe de présenter ces approches aux patients comme étant des outils leur permettant de mieux gérer le stress, mais qui doivent aussi être utilisés dans le cadre d’une approche thérapeutique plus large, supervisée par un professionnel de la santé, surtout en présence de problèmes mentaux ou physiques. La recherche sur l’ecacité de ces techniques étant relativement nouvelle, il est à prévoir que les études seront de plus en plus nombreuses et s’appuieront sur des méthodologies de plus en plus rigoureuses.

Lectures complémentaires D, M. & M, M. (2013). Vivre mieux avec ses émotions, Paris, Odile Jacob.

1766

J, E. (1980). Savoir relaxer pour combattre le stress, Montréal, Les Éditions de l’Homme.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

L, S. (2010). Par amour du stress, Montréal, Éditions au Carré.

CHA P ITR E

84

Réadaptation et rétablissement Tania Lecomte, Ph. D. (psychologie)1

Claude Leclerc, INF. Ph. D. (sciences biomédicales)

Psychologue, chercheuse séniore, Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Professeur associé, Département des sciences inrmières, Université du Québec à Trois-Rivières

Professeure titulaire, Département de psychologie, Faculté des arts et des sciences, Université de Montréal

Professeur invité, Institut universitaire de formation et de recherche en soins, Faculté de biologie et médecine, Université de Lausanne (Suisse)

84.1 Historique et bases théoriques .................................. 1768 84.1.1 Réadaptation ....................................................... 1768 84.1.2 Rétablissement .................................................... 1772 84.2 Formation des thérapeutes......................................... 1774 84.3 Modalités d’application .............................................. 1775 84.3.1 Évaluation et plan d’intervention .................... 1775 84.3.2 Entraînement aux habiletés de vie autonome et aux habiletés sociales ................. 1775 84.3.3 Interventions familiales ..................................... 1777 84.3.4 Développement d’un réseau de soutien ......... 1777 84.3.5 Amélioration de l’estime de soi ........................ 1777 84.3.6 Gestion du stress ................................................ 1778 84.3.7 Gestion des symptômes .................................... 1778

84.3.8 érapie cognitivo-comportementale pour la psychose ................................................. 1779 84.3.9 Remédiation cognitive ....................................... 1779 84.3.10 Traitement des troubles comorbides liés aux substances ............................................. 1780 84.3.11 Gestion de cas et suivi intensif ........................ 1780 84.3.12 Intégration socioprofessionnelle et scolaire ............................................................. 1782 84.3.13 Déstigmatisation ................................................. 1782 84.4 Indications et contre-indications .............................. 1783 84.5 Résultats selon les données probantes ..................... 1784 Lectures complémentaires .................................................... 1785

1. Les auteurs remercient le Dr Pierre Lalonde pour sa collaboration à ce chapitre.

P

our assurer une évolution favorable dans les maladies mentales (et physiques), toute une séquence d’interventions est nécessaire (Barbès-Morin & Lalonde, 2006) : • Le traitement, qui consiste à orir des interventions an de contrôler les causes et les symptômes de la maladie. Par leurs études, les cliniciens ont acquis un savoir leur permettant d’offrir des soins – que le patient ne désire pas toujours – comme prendre une médication, recevoir de l’information au sujet de sa maladie, être incité à l’hygiène personnelle, être placé dans un endroit sécuritaire – un savoir an de faire pour. • La réadaptation, qui redonne au patient des moyens d’agir en tenant compte de ses capacités et de ses décits. Ici, le clinicien ne peut plus imposer ; il doit proposer des activités intéressantes, que le patient apprend à faire pour améliorer ses habiletés. Il ore un entraînement graduel pour que le patient acquière, à son rythme, des habiletés que la maladie a altérées – faire avec an de développer un savoir-faire. • La réhabilitation, qui redonne à la personne sa dignité et une place dans la société. Initialement, ce concept concernait le système de justice et signiait l’obtention du pardon pour un contrevenant. Appliqué à la psychiatrie, le sens du mot s’est élargi pour signier : ouvrir des possibilités d’insertion sociale valorisantes en modiant les perceptions et les attitudes de l’entourage alimentées par les préjugés – faire envers an de permettre un savoir-être. • Le rétablissement, où la personne reprend la responsabilité de sa vie en développant son autonomie (empowerment) malgré les blessures inigées par la maladie – le désir an de pouvoir être – même si la maladie fait partie de soi. • La guérison, qui peut survenir pour un certain pourcentage de maladies physiques et mentales. Par exemple, 20 % des personnes sourant de schizophrénie ne sont hospitalisées qu’une fois et peuvent même éventuellement cesser leur médication. Malheureusement, il n’y a aucun moyen de prédire, au départ, lesquelles connaîtront cette évolution favorable. Le mot anglais rehabilitation se traduit en français par « réadaptation », soit un « ensemble d’actions qui consistent à développer des habiletés pour se réinsérer socialement ». En français, le mot « réhabilitation » a plutôt une connotation sociale : rétablir dans ses droits en relevant d’incapacités, rétablir dans l’estime, la considération d’autrui. En Europe, on préfère souvent utiliser « réhabilitation » pour signier « réadaptation », peut-être parce que les activités proposées en réadaptation découlent d’une approche comportementale encore mal acceptée dans la perspective psychanalytique prédominante.2

84.1 Historique et bases théoriques La réadaptation psychiatrique est le processus par lequel un patient1 accomplit une série d’activités en vue de se réintégrer socialement dans la communauté à la suite d’un diagnostic de trouble mental, voire d’une hospitalisation psychiatrique. Elle est 1. Le terme « patient » est utilisé à certains endroits dans ce

chapitre pour des questions d’uniformité avec les autres chapitres. Toutefois, en réadaptation, réhabilitation et dans le modèle du rétablissement, le terme « personne » est utilisé.

1768

considérée comme un cheminement, un processus basé sur une série d’interventions ou de programmes permettant l’intégration sociale, la réhabilitation et le rétablissement.

84.1.1 Réadaptation Les principes sous-jacents à la réadaptation psychiatrique, soit des interventions ciblant des aspects psychosociaux, se retrouvent à diérentes époques de l’histoire de la psychiatrie. Par exemple, dans la « thérapie morale » de Pinel au 19e siècle, le médecin conversait avec le malade pour le ramener à des jugements sains. Il s’intéressait déjà à l’amélioration de la vie sociale des patients en leur orant plus d’activités sociales. De manière similaire, aux États-Unis, les centres communautaires en santé mentale des années 1960 visaient à orir des services bio-psycho-sociaux complets, touchant à plusieurs sphères de la vie de la personne aux prises avec des dicultés psychiatriques. Avant les années 1980, le manque de dénition claire donnait à la réadaptation psychiatrique une signication tellement large qu’on la considérait presque sans fondement : tout pouvait ainsi constituer une activité de réadaptation selon l’improvisation et l’imagination de certains intervenants, pourtant bien intentionnés. L’absence d’un corps de connaissances pour entraîner et guider les cliniciens et le manque de crédibilité scientique qui en découlait en faisaient une pratique marginale. La réadaptation a longtemps été une pratique à la recherche d’une théorie. Le manque de rigueur et de critères spéciques pour évaluer les programmes et le manque de réplication des interventions constituaient des lacunes importantes pour ce corps de connaissances en émergence. Le vocabulaire lié à la réadaptation a aussi beaucoup changé au cours des années. Par exemple, durant les années 1980, il était courant de parler des impacts de la maladie en ces termes : • une pathologie (pathology) : anomalie ou lésion anatomique au niveau cérébral (infection, tumeur, processus neurodégénératif ), détectée par des tests de laboratoire ou par imagerie et nécessitant un traitement ; • un décit (impairment) : anomalie du fonctionnement du cerveau causée par une pathologie sous-jacente qui amène des altérations ou des pertes d’activités psychiques (p. ex., symptômes psychotiques et troubles cognitifs) nécessitant une hospitalisation, une médication et des thérapies psychoéducatives et cognitives ; • une invalidité (disability) : incapacité à accomplir certaines activités par manque d’habiletés, nécessitant un programme de réadaptation ; • un handicap : désavantage social résultant d’une invalidité, tel que le chômage ou l’itinérance, nécessitant des programmes sociaux pour favoriser la réhabilitation et le rétablissement. An de clarier un certain ou idéologique et mettre un terme aux discussions stériles opposant les tenants de la réadaptation psychiatrique (oerte par les cliniciens reliés à des hôpitaux) et ceux de la réadaptation psychosociale (oerte par des intervenants des groupes communautaires), Bachrach (1996) a proposé cette dénition de la réadaptation psychosociale : une démarche thérapeutique permettant à une personne ayant à composer avec une maladie mentale de développer ses capacités de façon optimale, par divers procédés d’apprentissage et par un soutien dans un environnement favorable. Elle met en garde les cliniciens et les gestionnaires du milieu communautaire sur les torts

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

que peut causer une contestation du traitement psychiatrique et médicamenteux, en privilégiant uniquement une approche psychosociale. Ces divergences liguaient fréquemment certains utilisateurs de services contre le réseau thérapeutiques traditionnels. Pour le patient nécessitant des soins et des services en santé mentale, les philosophies contradictoires des organismes communautaires ou leur opposition aux traitements psychiatriques, néanmoins nécessaires au rétablissement, créaient du clivage, de la confusion et de la méance. On considère maintenant que la réadaptation psychiatrique est de nature bio-psycho-sociale et interdisciplinaire et qu’elle touche tous les aspects du fonctionnement de la personne. La réadaptation psychiatrique a réellement pris de l’ampleur dans les années 1980 lors de la période de désinstitutionnalisation massive aux États-Unis et au Canada. Elle était initialement conçue pour les patients ayant été institutionnalisés et qui avaient perdu plusieurs acquis importants, an de leur permettre de maîtriser les habiletés nécessaires pour retourner à une vie sociale satisfaisante. Selon les pionniers de l’époque, William A. Anthony, psychologue à Boston, et Robert P. Liberman, psychiatre à Los Angeles, le but de la réadaptation psychiatrique était (en 1986) de s’assurer que la personne présentant un trouble psychiatrique puisse acquérir les habiletés physiques, émotionnelles, sociales et intellectuelles nécessaires an de vivre, d’apprendre et de travailler dans la société tout en nécessitant le moins de soutien possible de la part des intervenants en santé mentale. Les méthodes préconisées étaient essentiellement l’enseignement d’habiletés et le développement de ressources communautaires an de pallier les décits et de renforcer le fonctionnement social de la personne. Dans cette perspective, l’ouverture, en 1988, du programme Jeunes adultes de l’hôpital Louis-H. Lafontaine (aujourd’hui l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal) a permis d’orir traitement et réadaptation à des jeunes en début de schizophrénie ainsi que soutien et information à leur famille (Lalonde, 1992). Ce programme a ensuite inspiré plusieurs centres au Québec et dans la francophonie internationale, menant au développement de services similaires. Et maintenant, ce genre d’intervention intensive est oert dans plusieurs régions en vue d’améliorer le destin de ces jeunes au début de leur maladie psychotique. Au début du processus, le clinicien peut vouloir un peu plus que le patient démoralisé par sa maladie, le tirer un peu an de lui ouvrir la voie sur un nouvel espoir. Mais dès que la personne commence à avancer dans une direction qu’elle a choisie, le clinicien la laisse progresser en se plaçant derrière pour la pousser délicatement. Aujourd’hui, la réadaptation psychiatrique est aussi oerte aux patients n’ayant pas vécu une hospitalisation prolongée, an de favoriser le développement d’habiletés nécessaires à une gestion ecace de leur santé mentale ou de maintenir les acquis et de prévenir les rechutes. Les connaissances en réadaptation psychiatrique ont évolué rapidement depuis les dernières décennies, et cette évolution a été liée en grande partie aux pressions exercées par les personnes sourant de troubles mentaux (mouvements de Consumers, de Survivors) et par celles de leurs proches. Cette vision est devenue de plus en plus inuente, conduisant à une remise en question de la pratique actuelle en santé mentale et à une promesse de réforme (Sakheim & al., 2010). On a d’abord vu, dans les années 1990, des concepts tels que l’autonomisation (empowerment), faisant référence aux gestes visant à redonner à la personne

sa dignité et son pouvoir d’agir. Depuis le début du 21 e siècle, le concept de rétablissement associé aux troubles mentaux graves a pris de l’ampleur et est devenu l’aboutissement de la réadaptation. Alors qu’encore tout récemment, cet objectif semblait irréaliste, le rétablissement est maintenant intégré dans le discours de la réadaptation psychiatrique et dans la réalité des intervenants.

Principes Au cours des deux dernières décennies, diverses classications ont émergé. Pour certains, les principes de réadaptation visent à opérationnaliser la philosophie de la réadaptation psychiatrique et psychosociale. Ces énoncés permettent d’encadrer la pratique de la réadaptation, qui était encore loin de s’appuyer sur des résultats probants (evidence based) malgré un corps de connaissances scientiques en rapide développement (Corrigan & al., 2008). Le tableau 84.1 compare les perspectives de réadaptation psychiatrique de quatre groupes de chercheurs. Bien que les principes évoluent au fil des ans, certaines constantes demeurent, notamment l’autodétermination, la personnalisation des interventions de réadaptation et l’importance de développer les forces de la personne plutôt que de tenter de combler les décits. Il convient donc d’aider le patient à bien dénir ses préférences avant d’intervenir. En ce sens, un instrument tel que le CASIG (voir la sous-section 84.3.1) est un outil à considérer, puisqu’il fait ressortir les forces, les centres d’intérêt et les buts de la personne.

Modèle vulnérabilité-stress-compétence Durant les années 1980, les activités de réadaptation psychosociale se déroulaient principalement en milieu hospitalier. Les démarches d’intégration des personnes dans la société ont favorisé le développement de plusieurs nouvelles approches visant à faciliter la vie des personnes sourant de troubles mentaux graves et à leur éviter des rechutes. La gure 84.1 illustre le modèle vulnérabilité-stress-compétence, modèle dominant en réadaptation psychiatrique, qui indique la cible des interventions de réadaptation, soit les facteurs de protection. Élaboré à l’origine par Anthony & Liberman (1986), ce modèle inclut maintenant le rétablissement comme résultat possible découlant de stratégies de réadaptation. Il souligne l’action du stress sur la vulnérabilité biopsychologique déterminant les résultats de la réadaptation. Il existe une vulnérabilité à la psychose en tant que caractéristique individuelle permanente provenant d’un héritage génétique et qui peut être mise en évidence par des stresseurs environnementaux (voir la section 17.3). Cette vulnérabilité est latente, non mesurable directement, mais évaluable indirectement par ses eets. Dans ce modèle, le stress découle d’événements de la vie quotidienne (décès, rupture, déménagement, pressions de performance au travail ou aux études), d’ennuis quotidiens (problèmes financiers, conflits), parfois d’événements plaisants (fête de famille, mariage) ou de la présence de fortes émotions exprimées dans l’entourage. Le concept d’émotions exprimées concerne les attitudes de l’entourage d’une personne sourant d’un trouble mental, surtout le surinvestissement émotionnel (emotional overinvolvement), les critiques négatives et l’hostilité (voir le tableau 17.5) qui constituent des facteurs de stress corrélés aux rechutes des personnes sourant de schizophrénie et d’autres maladies mentales (Miklowitz & al., 2005).

Chapitre 84

Réadaptation et rétablissement

1769

TABLEAU 84.1 Principes de réadaptation formulés par quatre équipes de chercheurs

Cnaan & al. (1990)

Bachrach (2000)

Corrigan & al. (2008)

Liberman (2008)

Méthodologie utilisée • Questionnaire d’opinion comprenant • Formulation de recommandivers énoncés associés à la réadations en vue de l’élabodaptation psychiatrique et demande ration d’interventions de à des intervenants de relever ceux réadaptation psychiatrique. qu’ils jugeaient prioritaires. Les auteurs en ont fait une analyse factorielle qui a permis d’en extraire certains principes.

• Révision des principes de réadaptation psychiatrique formulés par divers auteurs, provenant de courants philosophiques variés. Quelques-uns ont été retenus.

• Énonciation de sept principes de réadaptation qui ciblent davantage des considérations concernant les interventions à mettre en place.

Personnes visées par la réadaptation • Toutes les personnes ont un poten- • Non abordé par cette tiel humain qui doit être développé. auteure • Toutes les personnes peuvent développer des habiletés sociales, vocationnelles, d’apprentissage, interpersonnelles. • Toutes les personnes ont le droit à l’autodétermination et ont la responsabilité de s’en prévaloir.

• Les personnes qui, par leur autodétermination, cherchent à prendre un rôle primordial en regard de leur maladie.

• Les personnes aux prises avec des handicaps liés à leur condition mentale dans la mesure où les meilleures pratiques en réadaptation psychiatrique sont offertes pour viser à leur rétablissement vers une vie normale dans la société.

Évaluation, fondements et objectifs pour la réadaptation • L’accent est mis sur les forces du patient plutôt que sur sa pathologie. • L’évaluation des besoins et des soins requis est personnalisée (selon les besoins uniques, les déciences et l’environnement de chaque patient). • Le modèle de soins est de nature sociale plutôt que médicale.

• Se centrer sur les forces du patient (développer son estime de soi et sa compétence). • Mobiliser dans son traitement. • Favoriser le développement d’un espoir réaliste.

• L’objectif est de développer les forces • Les forces, les centres d’intérêt et de la personne plutôt que de centrer les capacités de la personne sont les interventions sur ses décits. la pierre angulaire sur laquelle on peut construire la réadaptation • L’objectif est le développement des psychiatrique. habiletés essentielles à l’ajustement dans la société. • L’individualisation du traitement est un pilier fondamental de la • L’organisation des soins et des réadaptation. services est planiée en regard des buts et des préférences de la personne. • Les soins et les services sont orientés vers le rétablissement.

Intervenants et approche en réadaptation • Les intervenants possèdent des connaissances spécialisées et sont profondément engagés. • Le soin offert est dépourvu d’autoritarisme et de barrières liés à la professionnalisation.

• Les intervenants possèdent de solides formations et adhèrent à la philosophie du rétablissement.

• L’approche interdisciplinaire vise une collaboration et une intégration des interventions. • L’intégration de la réadaptation et du traitement évite les contradictions dans ces interventions.

• L’intégration et la coordination des services sont essentielles dans le processus de réadaptation jusqu’au rétablissement.

Interventions cliniques en réadaptation • L’intervention précoce est préférable. • L’accent est mis sur l’ici et maintenant plutôt que sur les problèmes passés. • Le travail et la réadaptation vocationnelle (au travail ou aux études) sont au centre du processus de réadaptation.

1770

• Favoriser le développement • L’orientation des soins se fait en d’une alliance thérapeutique regard de la réalité vécue par la signicative entre le patient personne au quotidien (real-world et son thérapeute. focus). • Individualiser l’approche (en • L’intégration communautaire, réponse à la maladie et aux les principes de normalisation besoins de la personne). et d’autogestion des problèmes de santé sont favorisés (illness • Demeurer optimiste self-management ). en regard du potentiel vocationnel ( job coaching, centrality of work ). • Offrir des services complets et coordonnés.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

• L’amélioration des politiques et des pratiques cliniques, éducatives, vocationnelles et gouvernementales, associée à une intégration des traitements pharmacologiques et psychosociaux peuvent réduire l’invalidité, les décits et les handicaps. • La réadaptation psychiatrique est plus efcace et le rétablissement plus rapide lorsque la personne et sa famille sont mobilisées et participent activement à la planication du traitement.

TABLEAU 84.1 Principes de réadaptation formulés par quatre équipes de chercheurs (suite)

Cnaan & al. (1990)

Bachrach (2000)

Corrigan & al. (2008)

Liberman (2008)

Interventions sur l’environnement • Les services sont offerts dans un environnement aussi normal que possible. • Les soins sont offerts dans un environnement personnalisé. • Des actions sont entreprises pour modier l’environnement en regard des attitudes, des droits, des services et des comportements en vue d’induire un changement social. • Toutes les ressources de l’environnement sont mises à prot pour soutenir l’offre de services.

• Adapter l’environnement immédiat de la personne à ses limites.

• Les modications à l’environne• Non abordé par cet auteur ment de la personne et le soutien provenant des professionnels, des pairs et des autres membres de son réseau facilitent son ajustement social.

Durée de la réadaptation • Les patients peuvent utiliser les • Offrir une continuité des services aussi longtemps qu’ils en services dans le temps. ont besoin, à l’exception de programmes spéciques, à court terme et très demandés.

• La continuité des services et celle des relations thérapeutiques sont préconisées.

• La réadaptation psychiatrique prend du temps, évolue par étapes et exige de la persévérance, de la patience et de la résilience de la part des personnes souffrant de troubles mentaux, de leur famille et de leurs intervenants.

FIGURE 84.1 Modèle vulnérabilité-stress-compétence

Source : Adapté de Liberman & al. (2002).

Ce n’est pas uniquement la gravité de l’événement stressant qui inuence la réaction individuelle, mais également la perception de cet événement (cognitive appraisal) par la personne et des ressources disponibles qu’elle a pour y faire face. Ainsi, le stress agit sur la vulnérabilité et peut produire des symptômes psychotiques (interprétations paranoïdes, modication des perceptions) et des

symptômes non psychotiques (insomnie, irritabilité, anxiété, etc.). Le stress peut aggraver l’invalidité, les décits et les handicaps associés à la maladie. Si le stress peut contribuer à l’apparition d’épisodes schizophréniques chez des personnes vulnérables, les facteurs de protection ont un eet modérateur sur la gravité des symptômes. Les stratégies adaptatives (coping) et la compétence

Chapitre 84

Réadaptation et rétablissement

1771

permettent d’en prévenir les conséquences en modulant les eets de la vulnérabilité biopsychologique. Le coping est la capacité de la personne à s’adapter au stress alors que la compétence représente sa maîtrise des situations stressantes. Renforcer les facteurs de protection des personnes sourant de troubles mentaux graves favorise donc le rétablissement.

84.1.2 Rétablissement Le principe du rétablissement a été éloquemment énoncé par Patricia Deegan (1988, p. 11), une chef de le internationale du mouvement des utilisateurs de services : « Le concept de rétablissement est enraciné dans la simple prise de conscience profonde que les gens [chez qui on a diagnostiqué] une maladie mentale sont des êtres humains. » Sur la base de cette prise de conscience, des approches et des technologies ont été développées pour orir aux cliniciens l’accès à la personne qui se trouve derrière l’étiquette diagnostique et aussi développer des services et des soutiens adaptés aux besoins spéciques, aux préférences, aux centres d’intérêt et aux forces de chacun. En bref, il s’agit pour le clinicien de s’intéresser à d’autres aspects que les symptômes de la maladie, en écoutant avec empathie les perspectives et les valeurs de la personne, en étant un intervenant inspirant la conance, désireux de la soutenir dans sa quête de rétablissement. Dans une perspective de « soins centrés sur la personne », le patient s’implique activement en choisissant, avec l’aide de l’équipe de soins, les interventions, les traitements et les soutiens qu’il croit les plus utiles pour ajuster ses souhaits à la réalité de ses aptitudes. Des recherches longitudinales et des récits autobiographiques fournissent une riche information (Noiseux & al., 2009) qui a permis d’émettre la possibilité d’un rétablissement de personnes

TABLEAU 84.2

vivant avec des troubles mentaux leur rétablissement étant associé à l’amélioration fonctionnelle de leur condition de santé. Certains chercheurs tentent d’opérationnaliser le concept de rétablissement en unités mesurables an de déterminer le succès de leurs traitements ou de leurs interventions, leur permettant ainsi d’armer qu’un pourcentage de leur échantillon est rétabli. Par exemple, Liberman et ses collaborateurs (2002) proposent trois critères de rétablissement dans la schizophrénie : 1. Symptômes psychotiques inférieurs aux scores cliniques sur une échelle standardisée (p. ex., moins que 4 au BPRS [Brief Psychiatric Rating Scale]). 2. Aptitude : a) à travailler ou à étudier 50 % du temps ou plus ; b) à gérer son argent ; c) à prendre sa médication de manière autonome ; d) à socialiser avec des pairs au moins une fois par semaine. 3. Présence des critères 1 et 2 depuis deux ans ou plus. Toutefois, la conception du rétablissement telle qu’elle est proposée par Liberman, avec un résultat mesurable, est loin de faire consensus ; c’est plutôt la vision du rétablissement en tant que processus qui suscite le plus d’intérêt. À travers les récits des personnes en voie de rétablissement, Andresen et ses collaborateurs (2003) ont caractérisé cinq stades du processus de rétablissement (voir le tableau 84.2). Ainsi, une personne en déni de la maladie, vivant beaucoup de désespoir et de retrait social, peut être considérée au stade 1 de rétablissement (moratoire). Le processus par lequel les individus passent d’un stade à l’autre dière, certains accédant rapidement aux stades supérieurs et d’autres demeurant au même stade de préparation pendant des années.

Indicateurs considérés pour établir les stades du processus de rétablissement

Stade

Indicateurs Espoir

Identité

Sens

Responsabilité

Stade 1 Moratoire

Désespoir quant au rétablissement possible

Identication à la maladie

Incompréhension, révolte et sentiment d’inutilité

Sentiment d’impuissance et de manque de contrôle

Stade 2 Conscience

Prise de conscience de la possibilité d’un rétablissement

Prise de conscience du fait que la maladie n’est qu’une partie de soi et qu’on doit vivre avec

Questionnement sur la possibilité de retombées positives découlant de sa maladie ; idée de faire quelque chose de sa vie

Envie de commencer à apprendre à gérer sa maladie, à s’occuper de soi

Stade 3 Préparation

Apprentissage de stratégies d’action pour aller mieux

Recentration sur soi (distanciation d’avec la maladie) et reconnaissance de sa propre valeur, de ses forces et faiblesses

Conance débutante dans la perspective de vivre avec la maladie ; recherche de moyens pour apporter une contribution dans la vie

Travail pour mieux connaître la maladie, mieux la gérer

Stade 4 Reconstruction

Travail pour maintenir un certain bien-être

Acceptation de la maladie comme faisant partie de soi ; travail à mieux se connaître soi-même

Capacité de ne pas se laisser aller malgré les revers ; travail sur les objectifs faisant l’objet d’un investissement personnel

Sentiment d’être capable de gérer sa maladie, d’agir sur sa vie (et non de subir)

Stade 5 Croissance

Bonne qualité de vie, optimisme envers le futur

Satisfaction d’être soi-même, d’accomplir des choses ; sentiment d’avoir évolué grâce à l’expérience de la maladie

Envie de relever des dés ; création ou réalisation de projets ayant du sens

Conance dans la gestion de la maladie ; prise de responsabilité de sa vie

Source : Adapté de Andresen & al. (2003), p. 590.

1772

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

En fait, le rétablissement ne concerne pas seulement les personnes sourant d’une maladie mentale. Il en va de même de toutes les autres maladies qui laissent un handicap. Dans la vie de chacun surviennent aussi des faits dramatiques (divorce, faillite, décès d’un proche). Le rétablissement peut survenir quand la personne réussit à surmonter (sans le nier) cet événement perturbateur. Dans un contexte où le rétablissement est visé par l’intermédiaire des interventions de réadaptation, les personnes sourant de troubles mentaux et leurs cliniciens apprennent à regarder au-delà de la notion de rémission symptomatique complète. Elles se concentrent sur le besoin d’une vie sécuritaire, signicative, conforme à leurs choix, tout en sachant qu’elles vivent avec un trouble qui persiste (Sakheim & al., 2010). La notion de rétablissement dière de la notion de guérison, qui suppose l’absence de symptômes et le retour à un fonctionnement antérieur. C’est d’abord un message d’espoir, à savoir qu’il est possible de trouver sa place parmi les autres, de vivre une vie qui en vaut la peine, riche de sens, en s’investissant dans des rôles sociaux valorisants, même si la maladie peut persister. Lorsqu’on s’éloigne des objectifs de guérison et qu’on cible des objectifs de vie sécuritaire, personnels et en lien avec la société, même en présence d’un trouble mental persistant, la situation thérapeutique et le rôle des cliniciens se modient de façon importante. • Les visées de la thérapie orientée vers la guérison ciblent l’élimination des signes et des symptômes des troubles grâce à des méthodes appliquées par le thérapeute. Les interventions (p. ex., la médication) sont alors considérées comme ecaces dans la mesure où elles apportent au patient une réduction de ces signes et symptômes ou augmentent son fonctionnement en lien avec un décit (p. ex., par la remédiation cognitive). • Les visées du rétablissement sont orientées vers une vie complète et signicative, même en présence d’un trouble de santé mentale. C’est le patient qui décide de s’assumer, mais le clinicien peut l’inciter à cette démarche. Le rétablissement ne met pas l’accent en priorité sur le traitement des symptômes, mais bien dans la mesure où ils compromettent les eorts de la personne pour vivre pleinement sa vie. Il peut être dicile pour des cliniciens formés selon une philosophie interventionniste de réadaptation basée sur les décits et les handicaps de réorienter leurs interventions dans un paradigme basé sur le rétablissement. En ce sens, Noordsy et ses collaborateurs (2002) ont tenté d’opérationnaliser certains des critères centraux du rétablissement, notamment l’espoir, la responsabilisation personnelle et le développement d’une vie signicative (voir la gure 84.2), en les divisant en sous-catégories pouvant être la cible d’interventions en réadaptation. Par exemple, une gestion autonome de la maladie peut s’acquérir grâce à des interventions de gestion de la médication, des symptômes ou d’une thérapie cognitivo-comportementale. Sur la base de l’approche des forces, développée par Rapp & Goscha (1998), les interventions de réadaptation se sont modiées au cours des années an de s’intéresser aux forces et aux centres d’intérêt de la personne dans le but d’évaluer sa situation et d’orienter le cours du traitement. La réadaptation peut alors faire appel à des ressources internes et externes aptes à soutenir la personne dans ce qu’elle essaie d’accomplir. Dans ce contexte, les cibles habituelles que sont les symptômes, les décits et les

FIGURE 84.2 Opérationnalisation des critères centraux

du rétablissement

Source : Adapté de Noordsy & al. (2002), p. 319.

problèmes sont considérées comme des barrières dans la poursuite des buts personnels. Pour le paradigme de rétablissement, la relation entre la personne et le clinicien est explicitement bâtie comme un partenariat et le traitement devient une entreprise de collaboration. En ce sens, la relation thérapeutique est conçue comme une occasion pour la personne d’identier ses centres d’intérêt et ses forces ainsi que de développer et d’exercer sa propre capacité d’action. Les valeurs, les préférences, les buts et les décisions de la personne participant à son programme de réadaptation sont considérés. Le soutien et l’encouragement peuvent être des moyens de reconstituer l’espoir et d’orir un sens et un but à des personnes qui vivent le désespoir et l’impuissance. Il n’est pas surprenant que l’intervention orientée vers le rétablissement place au premier plan le fait d’occuper un rôle social valorisé. L’objectif des soins orientés vers le rétablissement est d’orir la possibilité aux personnes de contribuer activement à la société an d’accroître leur conance, le sens de leur valeur individuelle, et d’identier les rôles qu’elles aimeraient remplir an qu’ils deviennent réalisables (Sakheim & al., 2010). Quelques questions permettent d’orienter une pratique centrée sur le rétablissement : • Le patient a-t-il entrepris son traitement volontairement ? • A-t-il le choix du clinicien avec qui il souhaite travailler ? ou lui aecte-t-on un clinicien, avec très peu de possibilités d’en changer ou d’en chercher un autre avec qui il se sent plus à l’aise ? • Peut-il discuter des paramètres de la relation ? ou est-il informé par le clinicien des résultats attendus de sa réadaptation ? • Peut-il déterminer combien de fois il veut voir le clinicien et quelle sorte d’accès aux services il peut obtenir en dehors des rendez-vous réguliers ? Les cliniciens ont aussi leurs contraintes, leurs propres besoins, leurs préférences ; leurs conditions de travail doivent également être respectées, dans le cadre du développement d’une relation de partenariat. Il est crucial que ces aspects soient discutés ouvertement par les deux parties (Sakheim & al., 2010). Des auteurs se sont également intéressés à la réadaptation en ciblant le rétablissement. Ainsi, les résultats de l’étude qualitative

Chapitre 84

Réadaptation et rétablissement

1773

ENCADRÉ 84.1 Stratégies de rétablissement • En ce qui a trait à la maladie : – viser le développement de nouvelles stratégies d’adaptation (coping) en assumant leur maladie, étape considérée la plus difcile à traverser ; – s’assurer d’une médication adéquate ; – s’informer des nouvelles connaissances sur la maladie et sur la médication en vue d’une réappropriation du pouvoir d’agir sur sa vie ; – prendre la responsabilité de son handicap en acceptant de travailler à son rétablissement. • En ce qui a trait aux habitudes de vie : – croire à son rétablissement ; – établir une structure dans sa vie quotidienne ; – rechercher du soutien auprès des pairs ; – prendre soin de soi en adoptant des comportements sains ; – demeurer actif en entretenant des liens avec le monde extérieur ; – protéger son rétablissement en sélectionnant ses amis qui l’appuient et l’aident et en faisant les changements nécessaires pour éviter les problèmes connus.

de Smith (2000) mettent en évidence des stratégies de rétablissement (voir l’encadré 84.1) pour les personnes sourant de décits et de handicaps associés à leur problème psychiatrique. La relation entre la personne et l’intervenant est essentielle à la réussite de sa réadaptation et de son rétablissement. Il importe d’évaluer le degré d’autonomie (savoir d’où l’on part pour savoir où l’on va), de connaître les forces, les buts et les centres d’intérêt de chaque personne an de planier l’ore de soins et de services. Pour les intervenants, certaines considérations doivent être prises en compte : • adapter les services à la personne qui les reçoit ; • recourir aux interventions associées à des résultats probants (evidence based) mis en évidence par la recherche dans le processus de rétablissement. Sans recherche, il est impossible de parler d’ecacité ou d’ecience ; • favoriser l’accès aux services et aux traitements associés à des résultats probants ; • mettre en place un processus de formation continue en santé mentale (reconnaître ses compétences actuelles, celles qu’il est essentiel d’acquérir, et suivre des formations pour combler l’écart) an d’actualiser ses pratiques.

84.2 Formation des thérapeutes Le plus souvent, la réadaptation est coordonnée par les psychiatres et dispensée au quotidien par les ergothérapeutes, les psychoéducateurs, les psychologues, les inrmières psychiatriques, les travailleurs sociaux et les autres professionnels en santé mentale. Selon son domaine d’expertise, un intervenant travaille avec la personne sur des aspects spéciques, auprès de sa famille ou encore dans son environnement de vie, en lien avec l’employeur, le propriétaire du logement ou les enseignants si la personne est aux études. Bien qu’il existe peu de programmes en français orant une formation universitaire en réadaptation psychiatrique, les diérentes professions touchant à la santé mentale orent de manière plus ou moins détaillée des cours et des stages dans ce domaine. Il serait toutefois pertinent de mettre sur pied au

1774

Québec un diplôme multidisciplinaire de cycle supérieur propre à la réadaptation psychiatrique. Ce diplôme existe dans quelques établissements, notamment en Colombie-Britannique, où les intervenants en santé mentale peuvent suivre une formation sur les pratiques en réadaptation liées au rétablissement. Il s’agit d’un programme oert à temps partiel, pendant un an, ou encore l’équivalent d’une maîtrise en counseling, option réadaptation psychosociale, pendant deux ans. Ce type de diplôme assure une formation approfondie et rigoureuse. En Europe, plusieurs formateurs se déplacent dans les milieux de travail pour orir une formation à des groupes de cliniciens (p. ex., www.espace-socrate. com/index.php/socrate-rehabilitation/gmr). Actuellement, au Québec, les auteurs de ce chapitre orent aux cliniciens qui le désirent des formations portant sur les interventions de réadaptation et sur le rétablissement, basées sur les données probantes (http://lespoir.ca). Il est aussi particulièrement important que les psychiatres et les administrateurs soient bien informés de l’importance et des avantages d’orir la réadaptation psychiatrique, car, dans plusieurs établissements, la pharmacothérapie reste le principal traitement. Comme dans toute thérapie, la qualité de la relation entre la personne recevant des services et l’intervenant est cruciale. An de favoriser cette relation, il est important mettre en place pour les cliniciens un processus de formation continue en réadaptation psychiatrique menant à la reconnaissance de leurs compétences actuelles et à l’identication des connaissances et des habiletés qu’ils devraient acquérir de façon à combler les écarts relevés. Une meilleure formation des intervenants favorise le développement des capacités d’évaluation et d’intervention des équipes et permet le développement de services taillés sur mesure pour chaque patient nécessitant la réadaptation psychiatrique. Le système de santé actuel ne permet pas toujours la mise en place d’autant d’activités de réadaptation psychiatrique que nécessaire. Seulement 9 % du budget du ministère québécois de la Santé et des Services sociaux est accordé aux services en santé mentale (MSSS, 2010). Ceux-ci sont encore oerts selon un modèle hospitalier traditionnel. Quoique certaines équipes bénécient de gestionnaires de cas (case manager) an de faciliter la continuité des services et de maintenir le cap sur la réadaptation, ce service n’est malheureusement pas oert à tous et, lorsqu’il l’est, la surcharge des intervenants limite parfois l’étendue de leurs actions. En réalité, outre certaines cliniques spécialisées (p. ex., les cliniques de premiers épisodes psychotiques), les autres milieux ont de longues listes d’attente de patients désirant recevoir des interventions de réadaptation psychiatrique. Ces longues attentes sont dues à un nombre insusant d’intervenants et, en partie, à des problèmes d’organisation et de gestion de ressources. Certains patients ont besoin d’interventions plus intensives, mais les gestionnaires de cas se retrouvent souvent avec plus de 75 patients à suivre (alors qu’ils devraient se limiter à 35 selon la norme d’ecience établie par les études sur la gestion de cas [Gélinas, 2012]). Parmi les dicultés de gestion des ressources, il apparaît que la plupart des milieux orent toujours quasi exclusivement des interventions individuelles, alors que plusieurs interventions en réadaptation fonctionnent très bien, voire mieux en groupe et permettent d’atteindre plus de personnes avec moins de ressources. Mais il faut alors former plus de cliniciens à l’animation des petits groupes.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

84.3 Modalités d’application Comme mentionné précédemment, la réadaptation psychiatrique poursuit deux grands buts : 1. Permettre à la personne de remplir son rôle social et de fonctionner de manière optimale dans la société. 2. Éviter des rechutes symptomatiques entraînant des hospitalisations. An d’aider les personnes qui ont comme but d’améliorer leur fonctionnement social, il faut d’abord procéder à une évaluation précise de leurs forces et décits, après quoi certaines interventions peuvent être proposées pour améliorer des domaines ciblés selon leurs besoins et leurs buts.

84.3.1 Évaluation et plan d’intervention La réadaptation en vue du rétablissement repose sur des principes et des valeurs de collaboration, de prises de décisions communes, selon les buts du patient. An de pouvoir dénir ces buts, il est souvent nécessaire de procéder à une évaluation des habiletés et des centres d’intérêt de la personne. Il existe plusieurs types d’instruments qui peuvent aider à déterminer certaines dicultés, voire des décits interférant avec le fonctionnement. Toutefois, peu d’instruments permettent une évaluation des buts et des besoins de la personne. Un instrument tel que le CASIG (Client Assessment of Strengths, Interests and Goals [Lecomte & al., 2004]) permet cette évaluation et assure ainsi un plan de réadaptation basé sur les buts et les dicultés soulevés par la personne concernée. Le CASIG touche aux sphères du logement, de l’emploi, de la santé physique et mentale, de la spiritualité, des troubles cognitifs, des habiletés de vie autonome, des habiletés sociales et de loisirs et des comportements problématiques dans la société (voir l’encadré 84.2). D’autres domaines tels que l’estime de soi, la gestion du stress, la régulation émotive, le soutien social, les expériences traumatisantes ou l’autostigmatisation n’y sont pas abordés, mais méritent toutefois d’être évalués lors de l’entretien. L’avantage d’un instrument de mesure comme le CASIG est qu’il permet une discussion entre la personne et son intervenant concernant les sphères importantes qu’elle souhaite améliorer dans sa vie, d’autant plus qu’il existe en deux versions (patient et intervenant), ce qui ore la possibilité de comparer les résultats selon les perspectives de chacun. L’intervenant peut répondre aux questions selon sa perception des besoins et des buts de la personne, et ensuite comparer ses réponses à celles du patient. Les données du CASIG peuvent ensuite servir de base à un plan d’intervention pouvant être réévalué tous les trois mois, an de déterminer si la personne continue à travailler à l’atteinte de ses buts et de ses objectifs.

84.3.2 Entraînement aux habiletés de vie autonome et aux habiletés sociales L’entraînement aux habiletés de vie autonome et aux habiletés sociales a été développé par Liberman depuis les années 1980 pour faciliter la réinsertion des personnes hospitalisées pendant de nombreuses années et qui présentaient des dicultés, voire des décits sur le plan des habiletés sociales et de vie autonome. Le modèle d’apprentissage est basé sur la notion de l’ecacité

ENCADRÉ 84.2 Client Assessment of Strengths, Interests

and Goals (CASIG)

Aspects à évaluer au cours de l’entretien : 1. Buts de la personne • Logement et conditions de vie • Situation nancière/professionnelle (travail) • Relations interpersonnelles • Spiritualité • Santé mentale et physique 2. Besoins de soutien dans les habiletés de vie autonome • Gestion de l’argent • Gestion de la santé • Nutrition • Développement professionnel (études, emploi) • Transport • Amitiés • Activités récréatives • Hygiène personnelle • Soin des effets personnels 3. Gestion de la médication • Prise de médication • Effets indésirables 4. Connaissance et défense des droits de la personne (advocacy) 5. Difcultés cognitives (p. ex., problèmes de mémoire, d’attention) 6. Qualité de vie (satisfaction des différents aspects de sa vie selon ses buts) 7. Qualité du traitement (p. ex., satisfaction face aux comportements et attitudes du psychiatre et des membres de l’équipe clinique) 8. Symptômes (p. ex., expériences inhabituelles, voix, symptômes de dépression, d’anxiété) 9. Comportements dans la collectivité (p. ex., comportements violents, consommation de substances illicites) Source : Adaptée de Lecomte & al. (2004).

apprise de Bandura (1977), c’est-à-dire qu’un comportement répété devient automatique et « appris », entraînant ainsi un sentiment de compétence et une meilleure intégration sociale.

Habiletés de vie autonome Les habiletés de vie autonome incluent toutes les capacités de base nécessaires au fonctionnement quotidien, soit : • les activités de la vie quotidienne (AVQ) pour remplir les fonctions biologiques primaires : se laver, s’habiller, se nourrir – activités de base encouragées lors de l’hospitalisation ; • les activités de la vie domestique (AVD) : entretenir son logement, faire la vaisselle, la lessive, gérer son argent, faire les courses, préparer les repas, assurer son transport – activités nécessaires au maintien d’un domicile dans la société. Ces AVD sont souvent enseignées dans les ressources d’hébergement spécialisées en réadaptation psychiatrique. Ces diérents apprentissages sont typiquement oerts lors de cours, d’exercices en petit groupe ou d’interventions individuelles. Parmi les interventions, il y a lieu de mentionner : • l’apprentissage de l’hygiène personnelle, de l’entretien des eets personnels, l’entretien de son logement, le ménage ; • les cours de cuisine et de conservation des aliments ; • la visite accompagnée d’une épicerie ou d’un magasin pour apprendre à faire des achats rééchis ;

Chapitre 84

Réadaptation et rétablissement

1775

• l’enseignement visant la gestion d’un budget ; • la familiarisation avec le réseau de transport en commun ; • l’utilisation du bottin téléphonique ou de l’Internet pour obtenir des informations. Les habiletés sont parfois travaillées en clinique, puis transposées dans le milieu de vie du patient, où un intervenant l’accompagne an d’assurer la généralisation des acquis, ce qui est parfois dicile. D’autres approches préconisent un apprentissage directement dans le milieu de vie de la personne, en échelonnant les tâches par niveau de diculté an d’assurer un apprentissage sans erreurs. Plutôt que de laisser le patient procéder par essais et erreurs, on lui montre d’emblée une bonne façon de faire, qu’il peut ensuite répéter par mémoire procédurale. Cet apprentissage sans erreur permet aux personnes vivant avec un trouble mental grave et des décits cognitifs importants d’apprendre des tâches complexes et de retenir l’information (Kern & al., 2009). Sinon, en raison d’une hypofrontalité entraînant un décit d’anticipation, elles ont tendance à répéter les mêmes erreurs.

Habiletés sociales Des habiletés relationnelles ou ludiques sont aussi nécessaires pour bien fonctionner en société. La capacité de créer des relations amicales ou de participer à des activités de loisirs est importante an d’avoir une vie sociale satisfaisante. L’entraînement aux habiletés sociales (EHS) repose sur la prémisse que toute personne, peu importe ses décits ou ses symptômes, peut apprendre de nouveaux comportements si on lui propose de bonnes procédures. L’apprentissage se fait selon l’approche comportementale répétitive utilisant fréquemment les renforcements positifs tels que des applaudissements et des félicitations lors des jeux de rôles de même que des encouragements fréquents, du soutien pour les comportements utilisés correctement, ou en voie de l’être. L’EHS est souvent fait en groupe, ce qui facilite l’apprentissage par imitation, mais peut aussi être acquis de manière individuelle avec le thérapeute. Certains programmes d’EHS utilisent même une caméra vidéo permettant au patient de se voir en interaction et de se corriger au besoin. La résolution de problèmes est au centre des programmes d’EHS alors que les participants doivent retenir les sept étapes du processus et les appliquer à diérents contextes. 1. Reconnaitre le problème. 2. Dénir le problème : « Je souhaite ceci, mais il y a un empêchement. » 3. Proposer une liste de solutions. 4. Peser les avantages et les inconvénients de chaque solution. 5. Choisir la solution la plus appropriée dans le contexte. 6. Mettre en œuvre la solution. 7. Évaluer le résultat. La résolution de problème est présentée en détail au chapitre 75. Plusieurs recherches soutiennent l’ecacité de l’EHS dans l’apprentissage d’habiletés sociales ciblées, avec un maintien plus important pour les patients qui peuvent compter sur une personne de soutien sensibilisée aux comportements ciblés et aux outils utilisés (Kopelowicz & al., 2006). Plusieurs modules d’EHS

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existent, allant des habiletés de conversation de base aux habiletés à développer des relations amicales et intimes ou aux habiletés de gestion autonome de la médication et des symptômes.

i

Un supplément d’information sur les modules est disponible au www.psychrehab.com/modules/index.html, et en français au www.espace-socrate.com/index.php/socrate-editions/ modules-de-formation.

Le module Compétences élémentaires à la conversation (www. psyrehab.com) est particulièrement apprécié des patients, car il développe leurs habiletés relationnelles. On procède par étapes an de leur apprendre à établir des contacts sociaux ou à interagir dans certains contextes ; il leur faut apprendre, au préalable, un certain nombre de sous-compétences : • reconnaitre les signes verbaux et non verbaux d’ouverture à une conversation ; • savoir choisir un thème pour démarrer une conversation ; • savoir se présenter correctement selon l’impression que l’on veut transmettre (ton de la voix, posture, regard, mouvements, etc.) ; • montrer soi-même des signes d’ouverture ou d’écoute. Chaque compétence sociale (p. ex., amorcer une conversation amicale, demander une information, faire une demande, refuser poliment, etc.) est travaillée de plusieurs manières : • par l’enseignement théorique ; • en observant le comportement en question sur enregistrement audiovisuel ; • en s’entraînant au comportement en jeux de rôles ; • en évaluant les problèmes potentiels qui peuvent survenir ; • en trouvant des solutions à ces problèmes ; • en vériant les ressources nécessaires (ce dont la personne a besoin pour résoudre le problème, par exemple si la personne a besoin d’un téléphone, d’un billet d’autobus, etc.) ; • en s’entraînant au comportement dans la société, avec accompagnement ou non par le thérapeute. Favrod a préparé divers outils faciles et intéressants à utiliser en vue de développer les habiletés sociales : • Jeux Compétence (1992) et Perspectives (1993) sont des jeux en boite qui permettent à un petit groupe de patients, animés par un thérapeute, de pratiquer des habiletés sociales et de résolution de problèmes ; • Évaluation et entraînement à la résolution de problèmes interpersonnels (1993) est une vidéocassette qui présente de courtes situations interpersonnelles problématiques où le patient peut dire et faire un jeu de rôle sur la solution qu’il propose. Il s’agit de la démarche structurée de résolution de problèmes en sept étapes. Ces approches semblent particulièrement ecaces pour les personnes présentant des décits sociaux, ou encore certains décits cognitifs, et pour qui l’entraînement répétitif est jugé nécessaire et pertinent. D’ailleurs, certains programmes de remédiation cognitive, tels qu’ Integrated Psychological Treatment (IPT) de Brenner ou l’adaptation de Briand et ses collaborateurs (2005), intègrent l’EHS à une remédiation des décits cognitifs et à un entraînement de cognition sociale.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

84.3.3 Interventions familiales Les interventions familiales ont fait l’objet de nombreuses méta-analyses (Pharoah & al., 2003) depuis les 20 dernières années et sont aujourd’hui considérées comme fondées sur des données probantes. Quoique la plupart des études se soient surtout intéressées à la diminution des rechutes chez les patients atteints de schizophrénie dont la famille avait reçu une intervention de type psychoéducative, d’autres ont montré qu’une intervention orant, en surcroît, des principes et des techniques applicables (p. ex., entraînement cognitif ou comportemental) donne de meilleurs résultats. En fait, les interventions familiales fournissent non seulement de l’information et des conseils, mais aussi des outils, notamment la résolution de problèmes et de conits. Elles obtiennent des taux de participation supérieurs aux interventions individuelles ainsi que des résultats signicatifs sur les plans des rechutes du patient et du bien-être des membres de sa famille ; elles sont évaluées ecaces quant à leur coût. Parmi les autres résultats étudiés en lien avec la thérapie familiale, les émotions exprimées (c.-à-d. un style d’interaction harassant du parent envers la personne atteinte de psychose) ont souvent été la cible des interventions. Les fortes émotions exprimées, surtout celles de surinvestissement émotionnel, de critiques négatives et d’hostilité, sont proportionnellement corrélées au taux de rechutes des patients sourant de schizophrénie (Miklowitz & al., 2005). La plupart des cliniciens s’entendent aussi sur l’importance d’expliquer aux proches le concept de fortes émotions exprimées et la façon dont elles peuvent être ressenties négativement par la personne sourant de psychose (voir le tableau 17.5). Plusieurs études montrent qu’il est possible de modier le style d’interaction des proches des patients atteints de psychose, alors que d’autres (King, 2000 ; Pharoah & al., 2003) suggèrent que les proches réagissent en fait à la gravité des symptômes du patient (et donc que les symptômes ne s’accroissent pas uniquement à cause des émotions exprimées par les proches). En raison de la charge émotive liée au fait de côtoyer un proche atteint de psychose et du fardeau vécu par la famille et les amis, plusieurs préfèrent recevoir une intervention multifamille, sans la participation du patient. Cette approche ore l’avantage aux proches d’échanger avec d’autres parents vivant des expériences semblables, diminuant ainsi les sentiments d’isolement, de honte et de culpabilité. Elle leur fournit aussi la possibilité de s’outiller pour mieux aider la personne atteinte de psychose, en tirant prot des expériences des autres proches et des connaissances du clinicien qui dirige le groupe. La thérapie psychoéducative donne accès à plusieurs outils : une description détaillée de la psychose, de la médication antipsychotique et de ses eets, la reconnaissance des symptômes et des signes suggérant une rechute (an d’aider à la prévenir). L’approche multifamille devrait : • permettre aux proches de s’entraider et de se soutenir ; • leur orir de l’information sur les diérentes facettes de la psychose, des dicultés qui en découlent et des traitements disponibles ; • leur enseigner des techniques cognitives et comportementales qu’ils peuvent utiliser au besoin dans leur vie (p. ex., techniques de gestion du stress) ou avec la personne atteinte de psychose (p. ex., vérier les faits ensemble en cas d’hallucinations ou de délire : « Tu vois, il n’y a pas de bandit qui nous surveille dans la rue »).

Des chercheurs québécois (Leclerc & Lecomte, 2008) ont développé un module psychoéducatif destiné aux familles et nommé AVEC (accompagner, valider, échanger, comprendre), qui permet d’enseigner les mêmes techniques aux proches et aux personnes sourant de psychose. Non seulement les proches bénécient d’une telle intervention en voyant leur détresse psychologique décroître, mais les personnes sourant de psychose, participant aux groupes de thérapie cognitivo-comportementale, en tirent parti en ayant dans leur environnement immédiat au moins une personne apte à les comprendre et à les aider au besoin.

84.3.4 Développement d’un réseau de soutien En dehors des activités de l’EHS, le développement d’un réseau de soutien peut se faire par l’entremise de groupes de pairs. La personne peut adhérer à un club house (un centre géré habituellement par des pairs orant du soutien et de l’aide à la recherche d’emploi ou de logement) ou participer à des activités en centre communautaire correspondant à ses buts et à ses intérêts. Les thérapies de groupe, en plus de leurs fonctions thérapeutiques spécifiques, sont aussi propices à la création de liens entre les participants. Il est important de souligner à quel point les mouvements de Consumer Survivor et les groupes de parents et amis ont bousculé l’ore de services en santé mentale et ont suscité l’apparition de plusieurs groupes communautaires orant diérentes formes de soutien aux personnes sourant de troubles mentaux. On peut noter, entre autres, le développement du réseau de pairs aidants au sein du système de santé, particulièrement en santé mentale. Les pairs aidants sont des personnes aux prises avec un trouble mental, mais qui sont parvenues à un stade avancé de leur processus de rétablissement. Au sein d’une équipe clinique, ils peuvent alors, à la suite d’une formation préalable, utiliser leur expérience de la maladie et du réseau de la santé pour orir du soutien, voire des conseils à d’autres personnes. Au Québec, plusieurs pairs aidants ont ainsi un emploi stable au sein d’équipes de suivi intensif dans la communauté (voir la section 42.4).

84.3.5 Amélioration de l’estime de soi L’estime de soi est considérée par plusieurs comme une cible importante en réadaptation et en rétablissement pour plusieurs raisons. Certaines études suggèrent un lien déterminant entre l’estime de soi et : • les délires paranoïdes (Bentall & al., 2001) ; • le contrôle des symptômes psychotiques (Freeman & al., 2002) ; • le fonctionnement social (Roe, 2003). Sans une bonne estime de soi, l’apprentissage de nouvelles stratégies d’adaptation devient inaccessible, étant perçu comme impossible. L’estime de soi peut uctuer selon les expériences individuelles de succès, les perceptions positives ou réalistes assimilées et les rétroactions des personnes signicatives (voir la gure 84.3). Par exemple, une personne peut juger une situation comme menaçante ou stressante si son estime de soi est faible. Cette évaluation de la situation entraîne une réaction (une action ou de l’évitement) qui est à son tour évaluée par la personne

Chapitre 84

Réadaptation et rétablissement

1777

comme ayant été ou non ecace. Cette autoévaluation de sa réaction va en retour inuencer comment la personne va se sentir et son niveau d’estime de soi subséquent pour faire face à une situation similaire. Une évaluation externe crédible (par un thérapeute) ou un feedback externe (par un ami), viennent aussi inuencer le niveau d’estime de soi. D’une part, les personnes présentant une faible estime de soi sont moins portées à croire à l’atteinte de leur but et même à se xer des buts. D’autre part, elles sont plus sujettes à internaliser les attitudes et les perceptions stigmatisantes provenant de la société et se sentent moins aptes à surmonter les obstacles. Parmi les interventions proposées, une thérapie de groupe visant l’amélioration de l’estime de soi, tel le programme Je suis super ! (Lecomte & al., 1999), peut aider de manière signicative en accroissant le sentiment de sécurité, d’identité, d’appartenance, de direction (se xer des buts et trouver les moyens pour les atteindre) et de compétence, et ce, en 24 rencontres. Ce programme a d’ailleurs été validé dans le cadre d’essais cliniques randomisés au Québec et en Suisse et a montré des eets signicatifs tant sur l’accroissement de l’estime de soi que sur l’amélioration des stratégies d’adaptation (coping) et sur la diminution des symptômes psychotiques (Borras & al., 2009 ; Lecomte & al., 1999). FIGURE 84.3 Fluctuations de l’estime de soi

Source : Bednar & Peterson (1995), p. 131.

84.3.6 Gestion du stress Selon le modèle vulnérabilité-stress-compétence illustré dans la gure 84.1 (Liberman, 2008), le stress est susceptible de provoquer l’apparition de symptômes chez des personnes vulnérables aux troubles mentaux, d’où l’intérêt d’améliorer les capacités de gestion du stress. Diérents programmes de gestion du stress, découlant des approches psychoéducatives et comportementales, ont été développés, mais peu d’entre eux ont été évalués selon une méthodologie rigoureuse. Un module nommé Coping et Compétences (Leclerc & al., 2000), destiné à des groupes de personnes sourant de schizophrénie, a été développé en s’appuyant sur la théorie de l’adaptation (coping) et sur l’approche cognitivo-comportementale. D’une durée de 24 rencontres et accompagné d’un manuel incluant les activités à chacune des sessions, il comprend sept parties et propose de nombreux échanges entre les participants : 1. Identication des symptômes physiques, cognitifs et émotifs associés au stress ; 2. Appréciation cognitive du stress (reconnaître l’intensité du stress et sa cause) ;

1778

3. Appréciation cognitive des opportunités (Quelles possibilités s’orent à moi pour agir sur la situation stressante ?) ; 4. Appréciation cognitive des ressources (Sur quelle aide puis-je compter ?) ; 5. Choix d’une stratégie adaptative (coping strategy) (Quelle stratégie me permettra d’agir ou de réduire l’impact de la situation ?) ; 6. Utilisation de la stratégie choisie ; 7. Évaluation des résultats. Leclerc et ses collaborateurs (2000) ont évalué les retombées de cette thérapie auprès de 99 patients en trois temps de mesure. Les délires étaient signicativement diminués après la thérapie alors qu’ils sont demeurés stables dans le groupe témoin. De plus, seuls les participants du groupe expérimental ont amélioré leur estime de soi, résultats qui se sont maintenus au-delà de six mois.

84.3.7 Gestion des symptômes La gestion des symptômes est souvent perçue comme étant simplement liée à la prise de médication. Toutefois, la réadaptation peut aussi jouer un rôle important sur les plans de l’adhésion au traitement, de la prévention des rechutes et du contrôle des symptômes par l’utilisation de stratégies cognitives et comportementales. La psychoéducation peut informer certains patients et leur famille des bénéces liés à l’adhésion au traitement pharmacologique. Mais avec un entraînement visant la gestion des symptômes, il est possible d’apprendre à gérer sa médication de manière responsable, de reconnaître les signes de rechute ou encore de s’entraîner à discuter des symptômes ou des signes précurseurs d’une rechute avec un intervenant ou un médecin. Pour les patients peu motivés à suivre leur traitement pharmacologique, des interventions ciblant la non-observance peuvent être proposées. La thérapie motivationnelle, surtout utilisée pour les troubles liés à l’utilisation de substances, peut aussi être utile pour toute personne qui devrait modier un comportement nuisant à l’atteinte de ses buts. Or, pour plusieurs, ne pas prendre sa médication peut faire obstacle à la poursuite de buts liés à la réinsertion sociale. Toutefois, les raisons principales de non-observance de la médication sont l’absence d’eets bénéques ressentis, suivie par des eets indésirables trop désagréables et une anosognosie de la maladie. La thérapie motivationnelle est présentée en détail au chapitre 80. Toutefois, même pour plusieurs patients qui prennent leur médication de manière assidue, des symptômes de psychose peuvent persister ou encore resurgir lors de périodes de stress plus important. De plus, avec la psychose surviennent d’autres dicultés :

• l’isolement social ; • un sentiment d’aliénation ou d’incompréhension, de stigmatisation de la part des autres ;

• de la détresse psychologique associée à de l’anxiété, à de la dépression et à des idées suicidaires.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

84.3.8 Thérapie cognitivo-comportementale pour la psychose La thérapie cognitivo-comportementale pour la psychose (TCCp) s’intéresse à ces multiples dicultés en orant des outils visant la diminution de la détresse et un certain contrôle sur les symptômes. En TCCp, le patient apprend à se questionner sur les hypothèses erronées qui soutiennent ses croyances et à réévaluer ses cognitions an de déterminer si une pensée alternative pourrait être plausible et plus rassurante. Il apprend aussi comment développer des stratégies adaptatives (coping) an de mieux composer avec les symptômes perturbateurs tels que les voix, les uctuations d’humeur ou le stress vécu au quotidien. La TCCp suit les étapes décrites à la gure 84.4 à partir d’une formulation partagée de la compréhension des dicultés de la personne selon un modèle cognitivo-comportemental. Une approche individuelle exige une formation plus poussée de la part du thérapeute, un suivi souvent de plusieurs mois, mais permet une intervention avec formulations plus personnalisées qui entraîne des eets bénéques à plus long terme qu’une approche de groupe (Turkington & al., 2008). Il existe une version de la TCCp sous forme de manuel de groupe (Lecomte & al., 2001) qui est particulièrement ecace à court terme, même pour les patients en début de psychose, et qui peut être oerte par des cliniciens de diverses disciplines ayant suivi une formation brève (de deux à trois jours). Ainsi, en 24 rencontres, les patients apprennent à utiliser les diérentes techniques de la TCCp dans leur vie quotidienne et voient diminuer non seulement leurs symptômes psychotiques, mais aussi leurs symptômes négatifs (pragmatisme, anhédonie, aboulie) et leurs symptômes généraux FIGURE 84.4 Étapes de la thérapie cognitivo-

comportementale pour la psychose (TTCp) avec formulation

(p. ex., anxiété, faible estime de soi). Leur estime de soi, leurs capacités d’adaptation et leurs soutiens sociaux s’améliorent signicativement, car, étant moins handicapés par leurs symptômes psychotiques, ils deviennent plus aptes à établir des relations harmonieuses (Lecomte & al., 2008). La TCCp, en format individuel et de groupe, est reconnue par l’American Psychiatric Association (2004) comme une intervention basée sur des résultats probants et elle devrait être oerte à tous les patients présentant des symptômes psychotiques persistants ou vivant de la détresse liée à leurs symptômes. Il existe plusieurs modalités de TCCp. Elles peuvent soit cibler des symptômes (p. ex., les symptômes négatifs, les hallucinations impérieuses ou les délires de persécution), soit se combiner à une autre intervention pour augmenter, par exemple, le fonctionnement social (TCCp + EHS) ou améliorer le maintien en emploi (TCCp + soutien à l’emploi). De nouvelles interventions issues de la TCCp se développent depuis le début des années 2000. Par exemple, la thérapie d’acceptation et d’engagement (Acceptance and Commitment erapy) inclut des éléments de pleine conscience (mindfulness), où l’on enseigne comment être conscient des pensées, des émotions, des sensations et des mouvements dans le moment présent, dans un mode de relaxation ou de méditation. Cette approche comporte aussi l’acceptation de certaines pensées ou émotions, voire de certains symptômes qui sont diciles à changer, an de diminuer la détresse associée (Bach & Hayes, 2002 ; Chadwick & al., 2009). Le Compassionate Mind Training est une autre approche, surtout utilisée pour les patients entendant des voix négatives (Mayhew & Gilbert, 2008), qui a pour but de les amener à se témoigner plus de compassion et de sympathie. D’autres approches visent la recherche d’options aux pensées délirantes. Par exemple, le Michael’s Game (Khazaal & al., 2006) est un jeu de cartes provenant de Suisse où les patients doivent générer des hypothèses explicatives aux situations ambiguës proposées sur les cartes an d’aider Michael à penser diéremment, à trouver des solutions de rechange à ses hypothèses erronées. Dans le Metacognitive Training (Moritz & Woodward, 2007), des images ou des scénarios sont projetés sur un écran, et les patients doivent proposer des réponses à la suite d’un enseignement lié à la tâche (p. ex., « Vous devez vous assurer que vous avez susamment d’indices avant d’armer que vous avez la réponse. »)

84.3.9 Remédiation cognitive

Source : Adapté de Lecomte & Leclerc (2008), p. 66.

Plusieurs intervenants confondent parfois la thérapie cognitive et la remédiation cognitive : • La thérapie cognitive s’intéresse à la modication du contenu des cognitions ayant des conséquences négatives. • La remédiation cognitive s’attarde aux processus cognitifs, soit la mémoire, l’attention, la vitesse psychomotrice et les fonctions exécutives (pour en nommer quelques-uns). Il est important de souligner que la remédiation cognitive fait partie de la réadaptation psychiatrique. La remédiation cognitive comprend : – l’apprentissage, permettant d’améliorer les domaines cognitifs décitaires ; – la compensation, permettant d’éviter les conséquences négatives liées aux décits cognitifs en utilisant des stratégies connexes ;

Chapitre 84

Réadaptation et rétablissement

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– la modication de l’environnement, permettant de fonctionner malgré les décits cognitifs. La remédiation cognitive est présentée en détail au chapitre 77. Plusieurs interventions de remédiation cognitive sont oertes par des neuropsychologues qui, à l’aide de tâches informatiques ou du papier crayon, tentent d’améliorer les fonctions cognitives décitaires. La remédiation cognitive peut aussi être intégrée à l’EHS, comme dans l’Integrated Psychological Treatment, et être oerte en groupe par des ergothérapeutes formés à cette méthode (Briand & al., 2005).

84.3.10 Traitement des troubles comorbides liés aux substances Plus de 50 % des patients présentant un trouble mental grave mentionnent abuser d’alcool ou de drogues illicites (Mueser & al., 2003). Une sensibilité accrue aux eets des drogues et de l’alcool expliquerait cette prévalence ainsi que la raison pour laquelle plusieurs patients deviennent intoxiqués à la suite d’une consommation modérée, puis rapidement dépendants (voir le chapitre 39). Plusieurs interventions de type comportemental et parfois cognitif existent pour les patients aux prises avec cette comorbidité. Les résultats de recherche recommandent une approche intégrée, où le patient reçoit des soins pour sa psychose ou son trouble de l’humeur en même temps qu’un traitement pour son problème de toxicomanie. La thérapie spécique pour la toxicomanie inclut l’entretien motivationnel et souvent des interventions individuelles ou en groupe suivant le modèle de Miller & Rollnick, c’est-à-dire adaptées selon le niveau de motivation du patient. Les étapes de la thérapie suivent les stades de motivation au changement, mais comprennent aussi des cibles thérapeutiques très diérentes (voir le tableau 84.3). D’autres modèles existent, incluant le parrainage de patients en début de traitement par des personnes à diérents stades du processus. Les programmes intégrés peuvent en même temps orir un EHS ou encore une

thérapie cognitivo-comportementale, selon les besoins. Au sein des programmes intégrés, deux philosophies d’intervention en toxicomanie ont cours : • La réduction des méfaits, qui encourage une consommation réduite selon le choix de l’individu. • L’abstinence, qui repose sur la prémisse qu’une personne dépendante ne peut pas choisir de consommer modérément et encourage donc un arrêt complet des substances addictives. La thérapie motivationnelle est présentée en détail au chapitre 80. La plupart des programmes intégrés n’obligent pas à l’abstinence complète comme condition d’inscription, mais visent une réduction des méfaits avant d’en arriver à une abstinence éventuelle. Par ailleurs, la majorité des programmes résidentiels ainsi que les programmes d’entraide en 12 étapes des Alcooliques Anonymes visent l’abstinence complète.

84.3.11 Gestion de cas et suivi intensif Des cliniciens et des chercheurs, aux prises avec la désinstitutionnalisation, ont tenté de développer des options communautaires ecientes. Voici les principaux modèles de suivi dans le milieu (case management) : • Modèle PACT (Program of Assertive Community Treatment). Suivi intensif en équipe : à Madison, au Wisconsin, l’équipe des docteurs Stein & Test (1980) met sur pied le projet PACT, qui emprunte diérentes modalités de fonctionnement aux expériences de l’hôpital psychiatrique à domicile et aux cliniques de promotion de la santé en Angleterre. Le personnel de l’hôpital psychiatrique se voit attribuer la responsabilité d’orir à un groupe de patients tous les services requis dans leur milieu de vie plutôt qu’à l’hôpital. Ce programme, implanté dans plus de 300 sites à travers le monde, vise à contrer le manque de continuité des services psychiatriques. Dans ce type de suivi, les intervenants ne sont pas des coordonnateurs de suivi avec

TABLEAU 84.3 Buts et stratégies liés à l’intervention intégrée selon les stades

pour les patients aux prises avec une comorbidité

Stade du traitement

Focus

But

Stratégies

Engagement

Verbalisations

Échanger sur le sujet de l’abus de substances en lien avec la santé mentale

• Faire preuve d’empathie • Créer de l’ouverture • Encourager la communication honnête sur le sujet

Persuasion

Perceptions et motivation

Augmenter la motivation à changer le comportement d’abus de substances et/ou de gestion de sa santé mentale

• Utiliser la thérapie motivationnelle • Faire une analyse comportementale détaillée • Utiliser l’évaluation et l’analyse fonctionnelle

Traitement actif

Comportements

Diminuer la consommation et améliorer la gestion de sa santé mentale

• Développer un plan d’action comportemental • Trouver des réponses alternatives aux périodes de manque (craving) • Apprendre de ses rechutes de consommation

Prévention de la rechute

Facteurs de risque

Réduire les risques de rechutes

• Rafner le plan d’action • Parler de rétablissement plus général • Travailler sur un style de vie sain qui est renforçant

Source : Adapté de Mueser & al. (2003).

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Traitements





une liste de patients assignés (caseload). C’est plutôt l’équipe qui ore tous les services requis dans la communauté. Une personne bénéciant de ce type de suivi peut être en lien avec chacun des membres de l’équipe (ce qui est plutôt rare), mais jamais avec un seul intervenant. Toutes les rencontres ont lieu au domicile de la personne ou dans la communauté. Interdisciplinaire, une équipe PACT compte habituellement une dizaine d’intervenants, dont un psychiatre, un chef de service, une secrétaire, et elle ore des services à une centaine de patients. Les objectifs du PACT sont les suivants : – augmenter l’autonomie dans la communauté ; – améliorer la qualité de vie, en évitant la rechute. La clientèle est composée de patients sourant de troubles mentaux graves présentant plusieurs rechutes, non dèles à la médication prescrite et à leurs rendez-vous en clinique ambulatoire, mais qui surutilisent les services d’urgence. Les services oerts dans le PACT sont disponibles 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Ils comprennent la réadaptation, le soutien, la psychoéducation et le suivi de la prise de médication. L’équipe aide à la recherche d’emploi ou d’ateliers supervisés, fait la liaison avec les employeurs et leur dispense de l’enseignement, met en place des activités et des milieux de travail qui favorisent l’augmentation de l’employabilité. Le soutien aux AVD et au maintien en logement constitue également des cibles d’intervention, selon les centres d’intérêt et les aptitudes de la personne. Il s’agit du modèle de suivi en santé mentale qui ore les meilleurs résultats (Gélinas, 2012). Il est beaucoup moins coûteux que le séjour en hôpital psychiatrique pour des patients sourant de schizophrénie ou d’autres psychoses, capables de vivre dans la société grâce à un ratio élevé d’intervenants/patient. Modèle des forces personnelles (Strength Model) (Rapp & Goscha, 1998). Des intervenants de diverses professions qui assurent ce type de suivi ont plusieurs responsabilités cliniques envers leur clientèle, bien qu’ils n’orent qu’une partie des services requis. Ils s’impliquent davantage auprès des patients que les autres membres de l’équipe en étant leur intervenant de référence. Ils l’accompagnent généralement an de le présenter aux ressources qui lui oriront des soins et des services. Ils le rencontrent à la clinique ou à domicile selon les besoins individuels. Le ratio est de 15 à 20 patients par intervenant. Le traitement pharmacologique est assumé par le psychiatre traitant. Les tâches des intervenants sont généralement les suivantes : – l’évaluation des besoins de services ; – le suivi du cas durant toute la durée du traitement ; – les références et l’accompagnement aux dispensateurs des services requis ; – la défense des droits (advocacy) ; – le développement du réseau de soutien ; – la réévaluation continuelle des besoins ; – l’évaluation de la qualité des services. Modèle de réadaptation. Développé à Toronto (Wasylenki & al., 1993), ce modèle fait partie de la catégorie des modèles de soutien complet, mais il est moins directif que le PACT ; les patients disposent de plus d’autonomie dès le départ et le gestionnaire de cas (case manager) leur en accorde davantage à



mesure qu’ils deviennent capables d’utiliser seuls les ressources de la communauté. Les principales diérences avec le modèle PACT sont une utilisation accrue des services oerts par des organismes communautaires et le travail en équipe de deux intervenants ainsi que la population spécique à laquelle est destiné ce programme, soit les personnes sans domicile xe vivant avec un trouble mental. Une particularité de ce modèle est la possibilité pour le patient de changer d’intervenant lorsqu’il en manifeste le désir. En plus des fonctions associées aux modèles précédents, le modèle de réadaptation inclut l’évaluation constante de la qualité des services, l’éducation communautaire et l’intervention de crise. Modèle de courtier de services (Expanded Brokers). Dans ce modèle mis au point en Alabama par Muller (1981), les intervenants sont des courtiers de services et font un travail de liaison, mettant en relation des personnes présentant des besoins avec des pourvoyeurs de services. Ils ont pour mission d’orir les meilleurs services au meilleur coût. Les courtiers de suivi ont des fonctions beaucoup plus limitées que celles des intervenants des autres modèles. Ils travaillent principalement dans des bureaux (agences de gestionnaires de cas) et vont rarement accompagner les personnes dans la société. Souvent, une inrmière remplit ce rôle auprès d’environ 50 patients ayant des dossiers actifs et elle assure la liaison avec le psychiatre traitant.

Résultats du suivi intensif Les études portant sur les eets du suivi systématique insistent sur le fait que l’ecacité est fortement dépendante de la compétence du personnel de l’équipe de gestionnaires de cas et étroitement associée à leurs habiletés relationnelles et connaissances (Gélinas, 2012). La disponibilité des ressources requises au bon fonctionnement du suivi systématique est également déterminante. Il en résulte : • une réduction de la durée des hospitalisations ; • une diminution des visites à l’urgence ; • une amélioration de l’observance médicamenteuse ; • une diminution de la symptomatologie ; • une augmentation de l’utilisation d’autres services dans la communauté ; • une amélioration de la qualité de vie et de la satisfaction en regard du traitement ; • une réduction du fardeau familial. On note aussi (US Department of Health and Human Services, 2009) : • une amélioration – du soutien social ; – du revenu d’emploi ; – de la stabilité résidentielle ; – du fonctionnement social ; – de l’occupation du temps. • une réduction – de l’isolement social ; – de l’utilisation de substances ; – des problèmes avec la justice ; – des comportements suicidaires.

Chapitre 84

Réadaptation et rétablissement

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84.3.12 Intégration socioprofessionnelle et scolaire Plusieurs modèles ou programmes existent pour les personnes ayant un trouble mental grave qui souhaitent participer à des programmes : • préparatoires à l’emploi, orant des services de réadaptation, le développement de certaines habiletés ainsi que des stages ; • orant des emplois rémunérés au salaire minimum ou plus (p. ex., les entreprises sociales ou les programmes de soutien à l’emploi [Corbière & Lecomte, 2009]). Peu d’études soutiennent un lien entre les programmes préparatoires (tels que les plateaux de travail en atelier protégé) et l’obtention éventuelle d’un emploi rémunéré. Par contre, les entreprises sociales et, surtout, les programmes de soutien à l’emploi obtiennent des résultats prometteurs. Les entreprises sociales (p. ex., les coopératives) embauchent un pourcentage signicatif de personnes présentant un handicap physique ou un trouble mental ; elles visent une certaine productivité tout en orant un environnement acceptant la diérence. Leurs résultats n’ont pas été beaucoup étudiés à ce jour en Amérique du Nord ; mais les entreprises sociales sont reconnues en Europe (surtout en Italie) depuis quelques décennies et montrent une ecacité intéressante sur les plans du maintien en emploi et du sentiment d’appartenance à l’entreprise. En Amérique du Nord, des résultats probants sur les programmes de soutien en emploi font état de la possibilité d’obtenir un emploi permanent (Corbière, 2012). Ces programmes visent : • une intégration de l’agent vocationnel (un conseiller ou intervenant travaillant exclusivement à l’intégration au travail des personnes avec un trouble mental) dans l’équipe traitante ; • une recherche d’emploi rapidement après la stabilisation symptomatique ; • l’obtention d’un travail rémunéré au salaire minimum ou plus et non réservé aux personnes en situation de handicap dans la société ; • un soutien continu en emploi. Aucune formation préalable à cet emploi n’est requise, la personne étant formée sur le terrain selon le mode de l’apprentissage sans erreur dans l’emploi pour lequel elle a manifesté son intérêt et ses préférences. On lui explique la procédure à suivre et on lui démontre d’emblée une bonne façon de faire, qu’elle peut ensuite répéter par mémoire procédurale. Le type de programme de soutien en emploi le plus documenté est l’IPS (Individual Placement and Support), élaboré par Becker & Drake (1994) de l’université Dartmouth, New Hampshire. Il comprend les sept principes suivants : 1. L’inscription dans un programme de soutien en emploi est basée sur le désir et le choix de la personne (principe de « l’exclusion zéro », tous sont admissibles). 2. Une attention particulière est portée aux préférences et aux centres d’intérêt professionnels personnels. 3. La recherche d’emploi est rapide après l’inscription dans le programme (de un à trois mois) en limitant le temps de préparation. 4. Habituellement, on commence par un travail à temps partiel. Il est souvent nécessaire de développer la conance en soi et d’acquérir des routines avant d’augmenter les horaires de travail.

1782

5. L’équipe vocationnelle collabore étroitement avec l’équipe traitante ; le projet de travail fait partie du plan de traitement. 6. Le soutien et le suivi sont continus et sans limite de temps. 7. Des conseils sur les prestations sociales sont fournis à la personne an qu’elle puisse planier au mieux sa situation nancière en tenant compte du salaire et de divers avantages. L’une des dicultés rencontrées dans ces programmes est l’abandon de l’emploi, souvent dans les trois à sept mois suivant l’embauche. Il est surtout lié à une augmentation du stress cumulatif, à un manque d’intérêt de la part des personnes, à la cessation de certaines subventions ou encore à la disparition de conditions favorables pour assurer la pérennité de l’approche dans le milieu (Briand & al., 2005). Parmi les nouvelles interventions tentant de remédier à ce problème et conçues pour les programmes de soutien en emploi, on retrouve : • un programme d’entraînement aux habiletés sociales (Workplace Fundamentals) (Wallace & Tauber, 2004) ; • un programme de remédiation des décits cognitifs en milieu de travail (McGurk & al., 2005) ; • un programme de thérapie cognitivo-comportementale visant les croyances irrationnelles liées au travail (Lecomte & al., 2008). En ce qui a trait à la réadaptation aux études, il existe des programmes permettant à des jeunes traités pour un premier épisode psychotique de reprendre leur scolarité pour obtenir leur diplôme d’études secondaires (Chouinard & al., 2003). Des cours sont également oerts en institution pour les patients ayant vécu une hospitalisation prolongée. Par ailleurs, un modèle similaire au programme de soutien en emploi ore un soutien continu aux études dans les établissements d’enseignement régulier, permettant même la négociation de certains accommodements pour que la personne puisse continuer ses études.

84.3.13 Déstigmatisation La stigmatisation envers les personnes présentant des troubles mentaux graves est un enjeu important, car elle nuit au processus de rétablissement. La stigmatisation est dénie ainsi : « Les croyances, attitudes et comportements qui entraînent un rejet social ou un isolement basé sur un regroupement de caractéristiques perçues comme étant non désirables ou menaçantes » (Van Dorn & al., 2005, p. 155). L’Organisation mondiale de la santé et l’Association mondiale de psychiatrie ont ciblé la stigmatisation envers les personnes aux prises avec un trouble mental comme étant le plus grand dé auquel fait face le milieu de la santé mentale aujourd’hui (Kadri & Sartorius, 2005). Alors que la réhabilitation vise l’intégration sociale et l’atteinte des buts individuels, la stigmatisation fait en sorte que les personnes se rétablissant de troubles mentaux ne sont pas considérées comme des citoyens au même titre que les autres. Les attitudes stigmatisantes envers ces personnes sont basées sur certains préjugés : • la peur et l’exclusion (elles sont dangereuses, il faut les exclure) ; • l’autoritarisme (elles sont irresponsables, il faut prendre les décisions à leur place) ; • la bienveillance (elles sont comme des enfants, il faut qu’on s’occupe d’elles). Les stéréotypes véhiculés par la population générale sur les troubles mentaux et les préjudices qui en découlent pour les personnes peuvent rendre le processus d’intégration sociale dicile

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

et entraîner un refus d’embauche par un employeur ou un refus de location d’appartement par un propriétaire. Les personnes avec un diagnostic de schizophrénie sont particulièrement sujettes aux attitudes stigmatisantes et aux comportements de mise à distance de la part d’autrui (Van Dorn & al., 2005). La situation se complique davantage lorsque la personne développe une autostigmatisation qui conduit à l’internalisation des stéréotypes, des préjudices et de la discrimination. Ainsi, certaines personnes retournent le préjudice contre elles-mêmes et acceptent le stéréotype. L’autopréjudice entraîne des réactions émotives négatives, telles qu’une baisse d’estime de soi, un sentiment d’impuissance, une perte de motivation et de volonté d’agir. En assumant ces stéréotypes négatifs, la personne peut même adopter des attitudes qui provoquent le rejet et la discrimination et l’amènent à éviter les contacts sociaux. La stigmatisation génère aussi des comportements d’évitement par peur d’être aublé d’une étiquette. En tentant de se tenir à l’écart des services psychiatriques, le patient et sa famille peuvent attendre longtemps avant de chercher de l’aide, ce qui entraîne des conséquences importantes sur le cours de la maladie. Quels sont ceux qui ont les attitudes les plus stigmatisantes envers les personnes sourant de troubles mentaux ? Outre les patients eux-mêmes, il s’agit avant tout du personnel soignant et même des psychiatres (ornicroft, 2006). Certains cliniciens qui voient surtout des patients en phase aiguë ou présentant des symptômes réfractaires graves croient dicilement à leur rétablissement, pouvant ainsi leur manifester davantage d’attitudes stigmatisantes. Le tableau 84.4 présente la façon dont le vocabulaire des cliniciens véhicule de la stigmatisation, une mise à distance entre « nous » et « eux ». Parmi les stratégies utilisées pour contrer la stigmatisation, l’une des plus ecaces est le contact avec des personnes qui sont à un stade avancé de processus de rétablissement. An de mieux comprendre la maladie mentale et de se défaire des attitudes stigmatisantes, les stagiaires en psychiatrie ne devraient pas seulement être exposés aux malades très sourants, mais aussi aux personnes qui se rétablissent et s’accomplissent dans la société, d’où l’intérêt d’un stage en réadaptation. D’autres modes antistigmatisation comme la protestation (advocacy) sont utilisés surtout par des regroupements de parents ou d’amis pour contrer

une médiatisation sensationnaliste qui les cible. L’éducation aide aussi, mais elle semble surtout convaincre les convaincus et moins atteindre les gens qui ont des attitudes stigmatisantes bien arrêtées. Des séries télévisées, des vidéos ou des lms représentant des personnes avec des attributs désirables mais qui avouent avoir un trouble mental aident beaucoup. Quelques personnalités québécoises ont contribué aussi à démystier les maladies mentales en révélant comment elles ont composé avec leur maladie et se sont rétablies. On pense ainsi aux personnalités qui ont ouvertement parlé de leur trouble bipolaire comme les humoristes Michel Courtemanche et François Massicotte, l’homme d’aaires Pierre Péladeau et le producteur Guy Latraverse, qui a fondé le groupe Revivre. En 2012, une campagne publicitaire visant la sensibilisation aux maladies mentales diusait aussi les propos de la championne olympique Clara Hughes sur sa dépression et du chanteur Stee Shock sur son trouble anxieux. Pour contrer l’autostigmatisation, Mueller et ses collaborateurs (2006) ont remarqué qu’un soutien familial est essentiel lors de la première hospitalisation. Par ailleurs, les personnes qui présentent déjà des attitudes négatives proteraient certainement d’un groupe de thérapie travaillant sur les attitudes à changer ainsi que sur l’estime de soi et le pouvoir d’agir. En cherchant des moyens pour contrer la stigmatisation sociétale et personnelle, certains suggèrent même de modier l’appellation de certains troubles (p. ex., trouble de saillance plutôt que schizophrénie) ou encore d’inclure davantage de pairs aidants dans les équipes traitantes. Il reste toutefois encore beaucoup à accomplir dans ce domaine.

84.4 Indications et contre-indications On pourrait croire que les interventions de réadaptation ne peuvent qu’être bénéques à tous les patients sourant de troubles mentaux. Elles le sont lorsqu’elles sont développées et oertes dans une perspective de réhabilitation et de rétablissement qui va au-delà des simples activités de réadaptation. Elles doivent s’appuyer sur une philosophie de soins cohérente et des principes qui répondent aux besoins des patients et des intervenants.

TABLEAU 84.4 Construction de la stigmatisation

NOUS (cliniciens)

EUX (patients)

Nous ne sommes pas d’accord.

Eux, ils résistent.

Nous ne voulons pas.

Eux, ils ne sont pas motivés.

Nous n’aimons pas.

Eux, ils manquent d’intérêt.

Nous utilisons des moyens.

Eux, ils manipulent.

Nous nous faisons aider.

Eux, ils sont dépendants.

Nous sommes fâchés.

Eux, ils sont agressifs.

Nous avons besoin d’être seuls.

Eux, ils sont en retrait.

Nous avons des droits.

Eux, ils ont besoin d’autorisations.

Nous avons une maladie.

Eux, ils sont la maladie.

Source : Adapté de Lesage & Morissette (2002).

Chapitre 84

Réadaptation et rétablissement

1783

Villeneuve & Lalonde (2004) ont montré que les besoins de réadaptation identiés par le patient sont fort diérents des besoins perçus par l’équipe traitante. Pour orir des activités de réadaptation pertinentes, il est donc mieux d’avoir réponse à la question suivante : « Que trouvez-vous le plus dicile ou stressant dans votre vie maintenant ? » ; les patients rapportaient en priorité des dicultés : • de contact avec les autres, à cause de la méance, de l’apathie ou de l’évitement ; • de relations avec les proches, la famille ; • d’expression des émotions : colère, attachement ; • de contrôle des symptômes psychotiques positifs. Les thérapeutes percevaient plutôt des besoins de soins concernant : • les symptômes positifs (hallucinations, délires) ; • les eets indésirables de la médication ; • le manque d’entrain, de réactivité ; • la détresse à propos des problèmes psychosociaux. Les patients identient donc d’abord leurs besoins relationnels – et c’est sur ces thèmes que les thérapeutes doivent planier des activités de réadaptation ; par ailleurs, l’équipe traitante s’attarde surtout sur les symptômes positifs et négatifs, l’hypofrontalité qui se manifeste par des dicultés d’organisation de la pensée, d’expression verbale, de jugement social, d’attention, de volition, de motivation, de planication, etc.). Ces diérences de perception dans les besoins peuvent être résolues par une écoute attentive des objectifs des patients et la mise en place de stratégies démontrées ecaces (evidence based) pour y répondre. Par exemple, l’hygiène qu’un intervenant voudrait bien faire apprendre à un patient n’est pas une n en soi, mais la personne peut mieux accepter de s’en occuper si elle comprend qu’ainsi les autres vont trouver son contact plus agréable. Certaines personnes peuvent ne pas souhaiter améliorer leur hygiène personnelle, et l’insistance des intervenants pour une bonne hygiène pourrait être mal vécue si le patient n’adhère pas à un objectif pertinent pour lui-même. De la même manière, une personne ne visant pas un retour au travail immédiat et qui s’y voit poussée par son intervenant n’est pas soutenue dans son rétablissement.

Certains thérapeutes mettent en place des activités très exigeantes que peu de patients peuvent accomplir. Ce type de planication irréaliste augmente la pression et le stress ; et les échecs qui y sont associés peuvent aecter sérieusement l’estime de soi (Sakheim & al., 2010). L’élaboration de certains programmes de réadaptation sophistiqués et complexes a conduit à une sélection des patients que les intervenants considéraient comme plus susceptibles de bénéficier de leur programme spécique. En fait, la réadaptation psychiatrique doit orir des services à tous, sans exclusion, mais en ajustant l’eort à faire aux capacités du patient. Plutôt que de refuser des personnes dont la motivation est moins évidente ou dont les déciences sont plus graves, il convient plutôt de créer une variété de programmes qui s’adaptent à leurs besoins distincts et uctuants. C’est la tâche des cliniciens de concevoir des activités attrayantes, adaptées aux besoins des personnes, qui pourront les intéresser et accroître leur motivation. Une autre tendance pouvant constituer une contre-indication touche le domaine de l’intégration socioprofessionnelle. Certaines organisations ont laissé tomber les ateliers et les programmes préparatoires à l’emploi pour ne cibler que l’obtention d’un emploi compétitif, abandonnant ainsi des utilisateurs qui bénéciaient des emplois supervisés et protégés et pour qui l’emploi compétitif semble prématuré ou irréaliste (Bachrach, 2000). En fait, le patient devrait avoir accès à des programmes de réadaptation aussi longtemps qu’il peut progresser. Ensuite, il passe en phase de maintien pour conserver ses acquis.

84.5 Résultats selon les données probantes Seule la recherche peut mettre en évidence la contribution des programmes de réadaptation psychiatrique dans le processus de réhabilitation et de rétablissement (Smith, 2000). Elle permet de souligner ce qui a été réalisé et de cibler les correctifs requis. Sans recherche évaluative, il est impossible de dénir l’ecacité ou l’ecience dans le domaine de la réadaptation psychiatrique comme dans toute autre modalité d’intervention.

TABLEAU 84.5 Interventions ou programmes basés sur des données probantes selon au moins une méta-analyse

Domaine de réadaptation

Intervention/programme

Méta-analyse

Habiletés sociales

Entraînement aux habiletés sociales (Liberman)

Kurtz & Mueser (2008)

Famille

Psychoéducation familiale

Cochrane review : Pharoah & al. (2003)

Gestion des symptômes

Thérapie cognitivo-comportementale

Wykes & al. (2008)

Amélioration des processus cognitifs

Remédiation cognitive

Wykes & al. (2011), Franck (2012)

Comorbidités

Traitement intégré Thérapie motivationnelle

Drake & al. (1998)

Intégration sociale

Suivi intensif dans la communauté – PACT (program of assertive community treatment )

US Department of Health and Human Services (2009)

Scolarisation

Programme d’études adapté, donnant accès à un diplôme

Chouinard & al. (2003)

Réinsertion socioprofessionnelle

IPS/soutien à l’emploi

Twamley & al. (2003)

1784

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6

Traitements

Ce chapitre a surtout présenté les interventions ou les programmes basés sur des résultats probants. Le tableau 84.5 fait la liste de ceux dont des méta-analyses soutiennent l’ecacité. D’autres interventions et programmes qui ne sont pas présentés dans ce tableau peuvent aussi être ecaces, mais n’ont pas fait l’objet de susamment d’études concluantes permettant d’armer leur ecacité dans plusieurs contextes. Des métaanalyses de l’ecacité de diérents programmes de réadaptation permettraient éventuellement de mieux comprendre le rôle spécique et non spécique des modalités pertinentes de ces programmes.

La réadaptation psychiatrique, qu’elle vise à aider la personne à retrouver des habiletés antérieures, à maintenir ses acquis ou encore à développer de nouvelles compétences, demeure au centre du traitement et du rétablissement. Plusieurs interventions et programmes liés à la réadaptation existent ou sont en développement, dont seul un faible échantillon a été présenté dans ce chapitre. Il reste encore bien de la place pour la créativité des cliniciens qui peuvent développer des activités attrayantes pour les patients en vue de les faire progresser vers leur rétablissement.

Lectures complémentaires C, P. W. & al. (2008). Principles and Practice of Psychiatric Rehabilitation – An Empirical Approach, New York, Guilford Press. D, G. M. (2012). Où nous mène la réhabilitation psychiatrique, Charleroi, Belgique, Socrate Éditions Promarex.

F, J. & M, A. (2012). Se rétablir de la schizophrénie, Issy-les-Moulineaux, France, Elsevier Masson. L, R. & L, C. (2007). Trouble de personnalité limite et réadaptation, tome 1, Saint-Jérôme, Québec, Ressources.

Chapitre 84

L, C. (2009). Trouble de personnalité limite et réadaptation, tome 2, Saint-Jérôme, Québec, Ressources. L, T. & L, C. (2012). Manuel de réadaptation psychiatrique, Québec, PUQ.

Réadaptation et rétablissement

1785

CHA P ITR E

85

Thérapie de soutien Gérard Leblanc, M.D., FRCPC1 Psychiatre, Centre hospitalier universitaire de Québec, Hôpital Saint-Sacrement et Institut universitaire en santé mentale de Québec Professeur agrégé de clinique, Département de psychiatrie et de neurosciences, Faculté de médecine, Université Laval (Québec)

85.1 Historique et bases théoriques .................................. 1787 85.1.1 Objectifs ................................................................ 1787 85.1.2 Avantages .............................................................. 1787

85.4 Indications et contre-indications .............................. 1799 85.5 Résultats fondés sur des données probantes ........... 1800 Lectures complémentaires .................................................... 1801

85.2 Formation des thérapeutes......................................... 1788 85.3 Applications cliniques ................................................ 1788 85.3.1 Importance de l’alliance thérapeutique........... 1788 85.3.2 Planication et sélection systématique des interventions ................................................. 1789

1

1. En hommage et à la mémoire de Louis Guérette (1942-2003), médecin psychiatre. Il a été un professeur vénéré, enthousiaste, éclectique et très érudit qui a marqué plusieurs générations de résidents en psychiatrie au Québec.

À

l’origine, la psychothérapie dite de soutien s’est développée à partir des écoles d’orientation psychodynamique, très en vogue à partir du milieu du 20e siècle, et qui sont parmi les premières approches structurées en psychothérapie. En cours d’évolution, en raison de multiples facteurs pragmatiques incluant l’inadéquation relative ou le manque d’ecacité des approches psychodynamiques dans le traitement de nombreux types de patients et de plusieurs aections psychiques, la psychothérapie de soutien (supportive psychotherapy) s’est imposée comme une approche importante et fréquemment utilisée. De plus, elle a progressivement intégré d’autres stratégies et techniques provenant des diverses écoles de psychothérapie (comportementale, cognitive, existentielle, interpersonnelle, etc.). Elle apparaît donc comme un modèle important d’intégration et d’éclectisme. La psychothérapie de soutien et expressive (supportive-expressive psychotherapy), pour sa part, a conservé des liens plus étroits avec ses origines psychodynamiques tout en devenant progressivement plus exible au l du temps. En eet, cette approche se pratique de plus en plus sur un continuum, des interventions de soutien jusqu’aux explorations et aux interprétations psychodynamiques plus classiques, en fonction des types de patients et des problèmes cliniques rencontrées (Winston & al., 2012).

85.1 Historique et bases théoriques L’approche en psychothérapie dite de soutien (intégrative) s’est développée à partir de divers constats et observations. Selon cette perspective, en se basant sur les données probantes et l’expérience clinique, le thérapeute considère que chaque école de psychothérapie possède une boîte à outils (théories, stratégies et techniques psychothérapeutiques) où il peut aller puiser. Il choisit d’utiliser les outils qui lui apparaissent les plus pertinents et ecaces en fonction des besoins de chaque patient et du tableau clinique qu’il présente an de maximiser les changements thérapeutiques. Cette notion d’intégration et de sélection systématique et personnalisée des interventions en psychothérapie a été bien synthétisée par la question suivante : « Quel type de traitement, par quel thérapeute, est le plus ecace pour cet individu se présentant avec ce problème spécique et dans ce contexte particulier ? » (Paul, 1967). Dans la littérature et la pratique, la psychothérapie de soutien s’inspire de plusieurs modèles de psychothérapie qualiés d’intégratifs (Norcross & Goldfried, 2005) : • la psychothérapie intégrative éclectique (Goldeld) ; • la psychothérapie multimodale (Lazarus) ; • l’approche transthéorique (Prochaska) ; • la sélection systématique des thérapies (Beutler) ; • la thérapie d’acceptation et d’engagement (Hayes & al., 1999) ; • l’approche selon les facteurs techniques communs (Beitman). C’est donc dire que la thérapie de soutien est en fait une thérapie intégrative.

85.1.1 Objectifs En général, cette approche ne vise pas un travail en profondeur et à long terme sur la recherche de l’origine des symptômes

ou des problèmes, sur la compréhension de soi-même pour produire des changements fondamentaux de l’organisation psychique du patient, comme dans les approches psychodynamiques expressives et exploratoires. Il n’en reste pas moins que des éléments psychodynamiques peuvent parfois s’intégrer au cours des sessions. Depuis les années 1960, malgré son apparence non spécique ou de « parent pauvre », la thérapie de soutien (intégrative) est probablement la forme de psychothérapie la plus souvent utilisée dans la pratique clinique de nombreux professionnels (psychologues, travailleurs sociaux, inrmières, médecins, psychiatres, etc.) auprès d’une vaste clientèle présentant des aections psychiques très variées. Par ailleurs, un grand nombre de cliniciens reconnaissent, explicitement ou non, que la relation thérapeutique et les techniques de soutien constituent une partie importante et fondamentale de leur travail psychothérapeutique et qu’elles jouent un rôle signicatif dans leur approche et dans l’ecacité des traitements.

85.1.2 Avantages Les avantages potentiels de la thérapie de soutien (intégrative) sont, entre autres : • la reconnaissance de l’importance de l’alliance thérapeutique et des facteurs communs à toutes les psychothérapies ; • l’amélioration potentielle de l’ecience des thérapies grâce à l’intégration des théories, des stratégies et des techniques les plus ecaces dans des aections psychiques variées et leur adaptation aux caractéristiques d’un patient particulier ; • son utilisation en combinaison avec d’autres approches thérapeutiques, y compris les traitements pharmacologiques ; • la collaboration étroite avec le patient, les autres professionnels de la santé et les proches pour établir les objectifs et un plan de traitement intégré. Cette façon de concevoir la psychothérapie exige du thérapeute qu’il continue à développer sa base de compréhension (sa bibliothèque de connaissances théoriques) et qu’il intègre de manière pragmatique, cohérente et créative diverses stratégies et techniques ecaces dans son répertoire d’interventions (sa boîte à outils) au cours de son processus d’apprentissage et de son travail dans diérentes situations cliniques. L’accent est mis sur l’harmonisation de l’approche du thérapeute (aménagement et renforcement de l’alliance thérapeutique, adaptation des stratégies et des techniques, etc.) en fonction des caractéristiques personnelles du patient (sa personnalité, sa psychopathologie, ses capacités et ses décits, ses besoins exprimés, etc.) et des objectifs thérapeutiques visés. Sans que cela soit toujours très explicite ou reconnu, plusieurs approches « nouvelles » en psychothérapie se sont développées par une intégration et une modication progressives de théories, de stratégies et de techniques « originales » provenant de plusieurs autres écoles. Après avoir connu une longue époque de multiplication et de fragmentation des approches en psychothérapie, de division et d’opposition entre pharmacothérapie (approche biologique) versus psychothérapie (approche psychosociale), il semble bien qu’on ait atteint une nouvelle ère d’intégration bio-psycho-sociale dans les domaines des approches psychologiques et des neurosciences (Cozolino, 2010). C’est ce qu’on appelle ici la psychothérapie de soutien (intégrative).

Chapitre 85

érapie de soutien

1787

85.2 Formation des thérapeutes Devant la diversité et la complexité des expériences humaines et des modèles de psychothérapie, le thérapeute est invité à être ouvert, curieux, créatif, respectueux, prudent et humble. Il doit toujours demeurer conscient de ses propres limites et de celles de son patient. Il doit maîtriser les outils qu’il entend utiliser (connaissances, habiletés, expérience, etc.). Les techniques de psychothérapie, tout comme les médicaments, comportent leurs indications et contre-indications, leurs avantages et eets indésirables. Idéalement, le thérapeute compétent, utile et ecace cherche à développer et à intégrer harmonieusement : • son savoir-être (connaissance de soi, développement de ses qualités personnelles et relationnelles, maintien de son propre équilibre psychique, etc.) ; • son savoir (connaissance des théories et des approches thérapeutiques utiles en clinique, etc.) ; • son savoir-faire (alliance thérapeutique, pratique clinique, expérimentation prudente et maîtrise de ses outils et techniques). Le thérapeute qui désire atteindre un certain niveau de compétence, devenir un « assez bon thérapeute », doit donc se soumettre à tout un programme de développement personnel et professionnel. Les ressources qui favorisent ces apprentissages et ce développement sont multiples et abondantes : • lectures de nombreux ouvrages et de revues scientiques ; • participation à des cours, à des séminaires et à des programmes structurés de formation ; • supervision clinique ; • discussions cliniques et travail en équipe avec d’autres professionnels ; • consultations avec d’autres cliniciens ; • psychothérapie personnelle, etc. Plusieurs auteurs ont développé d’excellents manuels didactiques et des programmes de formation portant sur la psychothérapie de soutien (Winston & al., 2012) et sur l’approche intégrée en psychothérapie (Beitman & Yue, 2004 ; Chambon & Marie-Cardine, 2003). De façon générale, le clinicien qui désire développer une approche intégrative s’intéresse à de multiples modèles et apprend diverses techniques de psychothérapie. De ce vaste répertoire, il sélectionne et orchestre les meilleures stratégies et techniques en tenant compte des besoins et des caractéristiques individuelles de chaque patient, de sa psychopathologie et de ses forces, des objectifs thérapeutiques, des données probantes et de certaines habiletés naturelles et préférences personnelles. Cette façon de concevoir l’apprentissage de la psychothérapie s’applique autant à des étudiants en formation qu’à des psychothérapeutes qui ont acquis une formation et une expérience dans une approche spécique.

85.3 Applications cliniques La psychothérapie de soutien (intégrative) est utilisée chez des patients qui se présentent avec des problèmes et dans des conditions cliniques très variées : situations de crise, troubles

1788

de l’adaptation, troubles psychiatriques aigus ou chroniques, d’intensité légère à grave et à des degrés variés de complexité. Dans ce contexte, les objectifs thérapeutiques dépendent de plusieurs variables et plus particulièrement de la gravité de la psychopathologie. Une des prémisses importantes de cette approche est qu’il n’est pas indiqué, ni utile, ni nécessaire dans la plupart des situations de tenter d’analyser ou de modier « en profondeur » l’organisation intrapsychique du patient (conits ou schémas cognitifs internes, etc.) pour aider à soulager, à stabiliser et à améliorer sa condition psychologique. Dans la psychothérapie de soutien (intégrative), les principaux objectifs poursuivis sont les suivants (Winston, 2009) : • promouvoir et maintenir une relation thérapeutique positive entre le patient et le thérapeute (alliance et soutien thérapeutiques) ; • soutenir, restaurer, maintenir et renforcer les forces du Moi, les défenses et les mécanismes d’adaptation matures pour rétablir l’équilibre psychique ; • rétablir, maintenir et améliorer la conance, l’autonomie, l’image et l’estime de soi, le sentiment d’ecacité personnelle, le fonctionnement psychosocial, la qualité de vie du patient et l’espoir ; • aider à développer une certaine compréhension des symptômes et des problèmes, sans nécessairement remonter à leurs origines possibles (dans le passé, dans l’inconscient ou dans l’histoire développementale), aider à découvrir un sens à l’expérience de détresse et aux problèmes vécus ; • réduire la détresse psychique, soulager les symptômes manifestés, réduire les perturbations comportementales ; • apprendre à mieux gérer les facteurs de stress psychosociaux et leurs conséquences, identier et bien dénir certains problèmes et aider à appliquer des solutions dans la réalité et dans l’« ici et maintenant » ; • améliorer l’utilisation des sources de soutien disponibles dans l’environnement : proches, groupes d’entraide, organismes communautaires, etc.

85.3.1 Importance de l’alliance thérapeutique Les caractéristiques du thérapeute et de la relation thérapeutique qui facilitent le processus de la thérapie ont une importance capitale sur les résultats qui peuvent être obtenus (ecience). La capacité à établir, à développer et à maintenir une alliance thérapeutique est une des dimensions les plus importantes dans l’ecacité des diverses psychothérapies. L’alliance thérapeutique se dénit comme la relation positive, empathique, de soutien et de collaboration qui s’établit dans la réalité (ici et maintenant) entre le patient et le thérapeute. Elle permet de soutenir le patient, de s’entendre avec lui sur les objectifs du traitement, et elle favorise sa motivation et sa participation dans les tâches thérapeutiques, dans un contexte émotionnel et d’apprentissage favorable. Dans la psychothérapie de soutien (intégrative), la relation transférentielle est présente comme dans toute psychothérapie, mais elle ne fait pas l’objet d’une analyse ou d’interventions directes particulières, sauf dans certaines circonstances (p. ex., pour illustrer un comportement répétitif ou pour diminuer un transfert négatif qui interfère avec la thérapie).

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

Les diverses attitudes, habiletés et interventions thérapeutiques qui favorisent le maintien et le développement de l’alliance thérapeutique sont présentées en détail au chapitre 73. En ce qui concerne les attitudes, le thérapeute adopte une position d’autorité bienveillante de type professeur/élève (ou entraîneur/joueur). Il inspire la conance et un sentiment de sécurité. Il suscite l’espoir d’un soulagement et d’une amélioration de la condition de la personne.

85.3.2 Planication et sélection systématique des interventions L’approche de soutien (intégrative) est basée sur la sélection systématique et personnalisée des interventions psychothérapeutiques selon des objectifs thérapeutiques et elle reconnaît les contributions des divers systèmes de psychothérapie (Beutler & Harwood, 2000). Dans cette optique, en fonction de l’évaluation clinique, de la formulation bio-psycho-sociale intégrée et des objectifs thérapeutiques, le thérapeute établit un plan de traitement. Il adapte la relation thérapeutique, sélectionne et priorise les stratégies et les techniques psychothérapeutiques en fonction des besoins spéciques et des caractéristiques personnelles et cliniques du patient. Il tient compte des données probantes portant sur l’ecience de certaines approches pour des aections spéciques et de son expérience clinique. Selon l’évolution de la psychothérapie et les résultats obtenus, le thérapeute doit choisir ou modier certains objectifs et ses façons d’intervenir. Dans cette planication, la sélection des approches s’eectue en regard des deux grands types de variables suivants : 1. Les variables associées au patient, au thérapeute et à la relation thérapeutique. a) Le contexte et le cadre thérapeutiques. Il s’agit de l’environnement où la thérapie se déroule (bureau d’un professionnel, hôpital de jour, unité interne de psychiatrie, etc.) et des règles de base de la thérapie. Le choix dépend de certains éléments comme le besoin de surveiller, d’encadrer et de soutenir le patient en fonction : • de son niveau de collaboration ; • de la gravité ou de la complexité des symptômes, des comportements ou des problèmes ; • du niveau de dysfonctionnement psychosocial ; • de la dangerosité relative ; • de la présence d’une situation d’urgence ou de crise importante ; • du soutien disponible dans son environnement ou oert par d’autres ressources. b) Le format de la thérapie. Cet élément est fonction des personnes qui participent directement à la thérapie. Il peut s’agir d’une approche individuelle, conjugale, familiale, de groupe, d’une thérapie en collaboration avec les membres d’une équipe multidisciplinaire ou avec plusieurs professionnels, ou d’une combinaison de ces diérentes approches. Le format est choisi en fonction de plusieurs critères comme le niveau de détresse psychique, la symptomatologie, les comportements, le niveau de collaboration, les besoins du patient, les objectifs thérapeutiques, etc.

c) La durée et l’intensité du traitement. Il faut déterminer si l’approche s’eectue selon un modèle de thérapie de courte, moyenne ou longue durée et selon quelle intensité (fréquence et durée des rencontres) en fonction de plusieurs variables (type de problèmes, objectifs, complexité, gravité, disponibilité des ressources, etc.). 2. Les variables associées aux choix des stratégies et des techniques. Les décisions à ce sujet doivent être basées sur : • l’acceptabilité par le patient (l’adhésion est facilitée par l’adaptation au style du patient) ; • l’ecience (les stratégies qui ont le plus de chance de permettre d’atteindre les objectifs le plus rapidement possible) ; • la disponibilité (l’accès à des professionnels compétents dans l’utilisation de certaines approches). a) Les stratégies. La notion de stratégie réfère à un plan d’action général et à un ensemble de moyens que le thérapeute utilise et coordonne pour parvenir à atteindre les objectifs thérapeutiques (la planication des moyens pour arriver à ses ns), par exemple les stratégies d’interventions cognitivo-comportementales dans le traitement d’un épisode dépressif. b) Les techniques. Elles correspondent aux interventions plus spéciques et concrètes du thérapeute pour réaliser la stratégie globale comme la clarication, la confrontation, l’identication des distorsions cognitives, la restructuration cognitive, l’exposition progressive, etc. Plusieurs stratégies et techniques ont des eets potentiels dans plusieurs modalités (aective, cognitive et comportementale). Selon le contexte, elles peuvent être utilisées pour atteindre des objectifs diérents. Par exemple, le fait que le thérapeute manifeste de l’empathie peut : • renforcer l’alliance thérapeutique ; • produire un eet de réassurance et de soutien ; • favoriser l’augmentation de l’estime de soi ; • diminuer le niveau d’anxiété.

Évaluation selon le modèle d’intervention bio-psycho-social Selon le modèle intégré de compréhension et d’intervention bio-psycho-social, on considère que les problèmes psychiatriques (et psychiques au sens large) découlent de la combinaison de plusieurs causes (innées ou acquises) : de dysfonctions d’ordre neurobiologiques, de dicultés dans le fonctionnement psychologique et de facteurs de stress psychosociaux. L’entrevue d’évaluation globale de type bio-psycho-social, utilisée en thérapie de soutien (intégrative), comprend la collecte des informations concernant : • les motifs de consultation, l’histoire récente, les symptômes et les problèmes actuels ; • les facteurs de stress contributifs ; • les attentes et les objectifs du patient ; • les habitudes (médication, consommation d’alcool et de substances, etc.) ; • les antécédents médicaux et psychiatriques, la réponse antérieure à des traitements ;

Chapitre 85

érapie de soutien

1789

• l’histoire longitudinale, le mode habituel de fonctionnement du patient (ses capacités d’adaptation, ses réactions aectives et comportementales, ses relations interpersonnelles) ; • l’examen mental objectif (incluant des tests psychométriques) ; • les informations provenant d’autres sources et d’autres professionnels. L’intégration de ces informations sert à établir un diagnostic, une formulation de synthèse bio-psycho-sociale et un plan de traitement. Pour ce faire, on peut utiliser un modèle comportant les sept aspects suivants. 1. Les diagnostics psychiatriques. Les diagnostics psychiatriques (syndromes) aident le médecin à sélectionner les approches psychothérapeutiques et pharmacologiques en tenant compte des données probantes disponibles sur leurs indications et leur ecacité. Cependant, il faut reconnaître que les catégories diagnostiques ne sont pas toujours si claires, spéciques ou étanches. De plus, en pratique, on retrouve assez souvent des comorbidités (avec d’autres aections psychiatriques et médicales) qui viennent compliquer la présentation clinique. Par exemple, l’identication de problèmes concomitants d’abus de substances ou de troubles de la personnalité nécessite souvent de modier les priorités et les modalités d’intervention. La gravité des symptômes et des manifestations doit être prise en compte. 2. Les caractéristiques de la personnalité. Il apparaît important de cerner le mieux possible les caractéristiques de la personnalité du patient (son style, ses mécanismes de défense et d’adaptation, ses capacités et ses décits, ses dicultés relationnelles, etc.) pour mieux adapter la relation thérapeutique et les interventions. L’identication de ces dimensions peut aider le thérapeute à présager de certaines dicultés dans les interactions à l’intérieur et en dehors de la relation thérapeutique (p. ex., dépendance excessive, impulsivité, opposition, non-adhésion au traitement, etc.). En présence d’un trouble de la personnalité signicatif, certaines dimensions peuvent devenir le point central des interventions (dysrégulation aective, impulsivité, distorsions cognitives, problèmes relationnels récurrents, etc.). Les symptômes et les dicultés reliés à une dysfonction au niveau de la personnalité peuvent parfois être diciles à distinguer d’une autre aection psychiatrique aiguë ou chronique. Les traits de personnalité peuvent également venir colorer et inuencer l’expression de manifestations cliniques liées à d’autres troubles psychiatriques ou physiques et jouer un rôle significatif dans les dicultés relationnelles du patient ou amplier sa réactivité au stress. Ces dimensions sont plus complexes et plus diciles à évaluer et viennent compliquer la lecture de la situation et l’approche thérapeutique. En ce qui a trait à la planication des interventions, le trouble de la personnalité, qui caractérise le fonctionnement au long cours du patient, n’est souvent pas le premier élément à aborder directement. Cependant, il doit être rapidement pris en compte en ce qui a trait à l’aménagement du cadre, à la relation thérapeutique (possibilité d’interférence avec les règles de base, d’idéalisation et de dévalorisation du thérapeute, de clivage entre les intervenants, etc.) et lors de certaines situations de crise et d’urgence (désorganisation transitoire, problèmes de comportement, menaces suicidaires ou hétéroagressives, etc.) an de bien adapter les interventions thérapeutiques.

1790

3. Les aections médicales générales. La présence d’une aection médicale signicative peut nuancer le diagnostic psychiatrique ou y contribuer, et constituer un facteur de stress majeur. De plus, le clinicien (qu’il soit médecin ou non) doit s’assurer de vérier si une aection médicale nécessite une évaluation ou des traitements spéciques. Il faut également prendre en compte les eets indésirables potentiels des médicaments, un problème clinique fréquent et non négligeable. 4. Les stresseurs psychosociaux et environnementaux. Les facteurs de stress contributifs sont particulièrement importants à mettre en évidence. Les stresseurs précipitants et perpétuants peuvent constituer la cible prioritaire et principale des interventions (p. ex., séparation conjugale, deuil d’un proche, perte d’un emploi, situation de crise, de danger ou de violence, etc.). Par ailleurs, le clinicien doit suspecter une psychopathologie préexistante et considérer des modications dans le plan de traitement si le patient décompense dans le contexte de facteurs précipitants mineurs ou si des stresseurs chroniques et perpétuants semblent reliés aux comportements du patient. Si le patient a déjà traversé des épreuves majeures en maintenant un bon équilibre psychique, on peut supposer qu’il présente un bon degré de résilience. Une détérioration récente ou grave ou une perturbation au long cours dans les divers domaines du fonctionnement psychosocial doivent susciter des questionnements sur la présence et l’évolution des diagnostics psychiatriques et médicaux et des facteurs de stress, et entraîner des modications en ce qui a trait aux priorités et à l’orientation thérapeutique. 5. La gravité du dysfonctionnement psychosocial, le degré d’urgence et de dangerosité. Il faut souligner que l’évaluation de ces trois aspects est une priorité pour tous les patients et dans toutes les situations cliniques. En présence d’une aection clinique grave, d’une détérioration rapide, d’une désorganisation ou d’une perte de contrôle comportemental, d’un risque suicidaire ou hétéroagressif, etc., les interventions doivent être adaptées en fonction de ces dimensions prioritaires (interventions rapides pour assurer la sécurité du patient et des autres ; indications possibles d’une hospitalisation ou d’une garde en établissement ; besoins de protection du patient, des proches, du public et des intervenants). 6. La mise en évidence de certains facteurs dans la formulation de synthèse bio-psycho-sociale. Il s’agit des facteurs suivants (voir le tableau 85.1) : a) prédisposants : le terrain et la vulnérabilité qui sous-tendent le trouble ; b) perpétuants : ce qui a entretenu dans le passé et qui entretient dans le présent les problèmes, les symptômes et l’évolution de la maladie ; c) protecteurs : les forces et les habiletés du patient et de son réseau ; d) précipitants : ce qui a déclenché l’aection psychique et la décision de consulter. La formulation de synthèse bio-psycho-sociale est présentée en détail au chapitre 3, à la section 3.7 et au tableau 3.8. 7. Le plan de traitement bio-psycho-social. En tenant compte de ces multiples variables, le clinicien détermine, conjointement avec le patient, ses proches et les autres intervenants (s’il

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TABLEAU 85.1 Dimensions et facteurs à évaluer selon une formulation de synthèse bio-psycho-sociale

Facteurs

Dimension Psychologique

Biologique

Sociale

Prédisposants

• Antécédents personnels • Antécédents familiaux (psychiatriques, génétiques) • Vulnérabilités

• Insécurité • Méance de base

• • • • •

Perpétuants

• • • •

• • • •

Faible conance en soi Faible estime de soi Besoins de dépendance Mécanismes de défense et d’adaptation inadéquats

• Facteurs de stress sociaux • Milieu instable, dysfonctionnel, marginal • Difcultés personnelles, conjugales, familiales, professionnelles et nancières • Isolement social

Protecteurs

• Bonne santé • Saines habitudes de vie

• • • •

Bon fonctionnement psychique Résilience Motivation Collaboration, alliance

• Soutien familial, social • Bonnes ressources nancières

Précipitants

• Arrêt de la médication • Abus de substances • Maladie physique aiguë ou chronique

• Sentiment d’abandon • Réaction de deuil

Non-adhésion à la médication Dépendance à des substances Maladie chronique Hospitalisations antérieures

y a lieu), les cibles thérapeutiques et il structure un plan de traitement bio-psycho-social (voir le tableau 85.2). Par ailleurs, il est important d’évaluer les caractéristiques suivantes du patient et de sa condition psychique, qui sont déterminantes dans le choix des traitements et dans le pronostic.

• Avant la thérapie : – le type, la gravité, la complexité, la chronicité des aections psychiatriques et médicales et la résistance au traitement ; – les capacités et les décits sur le plan du fonctionnement psychique et relationnel : forces du Moi, maturité des mécanismes de défense et des stratégies d’adaptation, qualité de l’attachement et des relations interpersonnelles, intelligence, fonctionnement psychosocial ; – le niveau de réactivité et d’activation du patient.

• Pendant la thérapie : – les capacités à s’engager et à participer à une psychothérapie : collaboration, alliance, adhésion au plan de traitement, motivation, autocritique, etc. ; – les prédispositions et les aptitudes au changement ; – les besoins, les attentes, les objectifs et les préférences du patient ; – les ressources extérieures : réseau de soutien, ressources dans l’environnement, etc. Dans ce processus d’évaluation intégré, il est également important de bien évaluer les forces, les habiletés et les compétences du patient (les sources potentielles de solutions déjà présentes). Cette vision mieux intégrée (estimation des décits

• • • • • • •

Facteurs de stress sociaux Milieu familial dysfonctionnel Placements durant l’enfance Situations d’abus, adversités Éducation, scolarité limitées

Facteurs de stress sociaux Difcultés relationnelles Séparation, divorce Pertes signicatives Perte d’emploi, chômage Problèmes nanciers Traumatismes, agressions

et des forces) a une inuence considérable sur la façon d’évaluer et d’intervenir du thérapeute. L’utilisation de ces quelques grilles d’analyse est importante pour les motifs suivants : • faciliter l’évaluation et le choix des objectifs et des interventions thérapeutiques ; • prendre en considération les stades de changement où se trouve le patient ; • prédire et expliquer les divers comportements et réactions du patient et du thérapeute dans le processus ; • analyser les étapes d’une séance et d’un suivi complet en psychothérapie ; • eectuer les modications appropriées au plan de traitement (objectifs et interventions) ; • évaluer l’évolution et les résultats de la thérapie ; • étudier, comprendre et enseigner les diérentes formes de psychothérapies ; • communiquer avec d’autres membres de l’équipe et d’autres thérapeutes ou les superviser.

Facteurs psychothérapeutiques communs Selon l’approche de soutien (intégrative), les interventions liées aux cinq facteurs communs suivants sont considérées comme les outils de base parmi les plus ecaces pour atteindre les objectifs et favoriser les changements thérapeutiques (Karasu, 1986 ; Winston, 2009). Les fondements de la psychothérapie sont présentés en détail au chapitre 73.

Chapitre 85

érapie de soutien

1791

TABLEAU 85.2 Plan d’intervention bio-psycho-social intégré

Aspects administratifs

Aspects biologiques

Aspects psychologiques

Aspects sociaux

Évaluation • Obtention des dossiers antérieurs, des informations collatérales

• • • •

Examen physique Tests de laboratoire Imagerie cérébrale ECG, EEG au besoin

• Alliance thérapeutique • Symptômes cibles • Schémas dysfonctionnels, répétitifs • Risque suicidaire et hétéroagressif • Échelles d’évaluation • Évaluation spécialisée : – fonctionnelle – psychologique – neuropsychologique • Motivation au changement

• Évaluation : – sociale et nancière – conjugale – familiale • Visite à domicile

Objectifs d’intervention (à préciser par le thérapeute en collaboration avec le patient) • Symptômes cibles • Schémas dysfonctionnels et répétitifs

• Retour aux études ou au travail • Réadaptation psychosociale

Traitements (à considérer par le thérapeute en collaboration avec le patient) • Modalités et contexte de thérapie en ambulatoire • Indications : – suivi intensif – centre de crise – hospitalisation – garde en établissement – ordonnance de traitement

• Pharmacothérapie à établir par le médecin • Adhésion à la médication • Contrôle de la toxicomanie • Saines habitudes de vie • Alimentation appropriée • Activité physique

• Psychothérapie • Stratégies et techniques à établir par le thérapeute • Approches privilégiées : – soutien – introspection – comportementale – cognitive – interpersonnelle – systémique – psychoéducative – bibliothérapie

• • • • •

Ressources d’hébergement Thérapies conjugale, familiale Thérapie de groupe Groupes d’entraide Interventions dans le milieu, à domicile • Suivi intensif dans la communauté • Centre de crise • Centre de jour

Note : Les divers aspects du plan d’intervention sont présentés en détail au chapitre 3, à la section 3.9.

1. Adapter la relation et l’alliance thérapeutique et agir sur elles. Le psychothérapeute utilise et renforce de manière optimale le levier primordial de l’alliance thérapeutique par diverses stratégies et techniques : • en manifestant de l’empathie ; • en exprimant de l’intérêt et de la compréhension ; • en réparant les bris dans l’alliance thérapeutique ; • en utilisant certaines révélations sur lui-même ; • en exprimant des commentaires démontrant de la compréhension et du soutien. 2. Maintenir le cadre et les règles de la thérapie. Le thérapeute doit expliquer et maintenir le cadre et les règles de la thérapie, incluant le lieu des rencontres, son rôle et celui du patient, le type d’interactions, les limites, le paiement des honoraires, la présence aux rencontres et le respect de l’horaire, etc. Le thérapeute favorise le développement d’un espace interpersonnel optimal qui est structuré, prévisible, able et qui ore une relation de soutien (holding environment). Il intervient rapidement sur les comportements et les réactions qui peuvent menacer le cadre de la thérapie et l’alliance thérapeutique. Il prépare le patient à la n de la séance et de la thérapie.

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3. Utiliser un style de communication de type « conversation ». Le thérapeute utilise une écoute active et interagit promptement selon un mode de communication de type conversation, ce qui évite d’augmenter le niveau d’anxiété, contrairement au silence du psychanalyste qui favorise la libre association, l’introspection (insight), le développement du transfert et la montée d’une certaine angoisse. Il peut faire des commentaires pour aider à maintenir la uidité des échanges. Il cherche un équilibre entre l’écoute et l’intervention selon les circonstances. Il évite l’utilisation excessive du mode interrogatif direct (les « pourquoi ?»), qui peut être perçu comme intrusif ou accusatoire par certains patients. Il favorise un degré optimal de ventilation (expression spontanée des aects, des cognitions, du récit des événements, etc.) tout en maintenant un dialogue. 4. Favoriser la régulation optimale des émotions. L’accroissement ou la réduction du niveau d’activation émotionnelle est un des processus fondamentaux du changement thérapeutique. L’activation émotionnelle procure une expérience directe avec des sentiments réprimés, ce qui peut motiver le patient et lui procurer un certain soulagement. Par ailleurs, un niveau émotionnel trop élevé risque d’augmenter la détresse et de diminuer la motivation. Dans un tel contexte,

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

il est préférable d’intervenir pour le réduire et soulager la détresse psychique et les symptômes. 5. Favoriser les attentes positives, réalistes et augmenter la motivation. a) Les techniques d’encouragement. Elles visent à soutenir le patient et à accroître son optimisme réaliste, son espoir, ses attentes positives de changement et le sentiment qu’il possède des ressources (internes et externes) pour surmonter ses dicultés. Elles comportent les principaux aspects suivants : – concentrer l’attention sur les aspects positifs, les capacités et les forces du patient ; – manifester du respect et de l’intérêt concernant son bien-être ; – démontrer de la conance par rapport à son potentiel et à ses capacités ; – mettre l’accent sur sa singularité (chaque personne et chaque situation sont uniques) ; – stimuler les eorts avec chaleur, enthousiasme, humour et en donnant des rétroactions portant sur les comportements spéciques souhaités plutôt que sur la personne globalement ; – demander un engagement à réaliser les objectifs et les actions convenus ; – analyser les avantages et les inconvénients potentiels d’une action ; – utiliser le renforcement pour maintenir ou augmenter des actions et des comportements spéciques (soutien, compliments, félicitations, rôle d’entraîneur, etc.). b) L’utilisation judicieuse d’interventions paradoxales. Par exemple, la « prescription » de symptômes et de comportements dysfonctionnels peut être considérée lorsque les méthodes habituelles et plus directes pour résoudre un problème ont échoué. Le thérapeute cherche ainsi à aider le patient à réaliser qu’il persévère dans des solutions qu’il a déjà tentées et qui n’ont pas fonctionné ou qui sont contreproductives. c) Le travail sur les résistances. Dans leur dénition la plus large, les résistances représentent l’ensemble des pensées, des attitudes et des comportements du patient qui interfèrent avec la réalisation des objectifs thérapeutiques. On en retrouve plusieurs manifestations : – le non-respect du cadre et des limites ; – les absences et les retards aux rendez-vous ; – les comportements d’évitement et de retrait ; – la non-adhésion à la réalisation des tâches et des exercices demandés et à la prise de la médication ; – le comportement de passivité-agressivité, d’opposition, l’attitude critique, la dévalorisation, l’hostilité ; – l’action irrééchie (acting-out), l’abandon du suivi, etc. Le thérapeute dispose de plusieurs outils qui peuvent être utilisés pour atténuer, surmonter ou contourner les résistances : – accepter temporairement les manifestations de la résistance ;

– recadrer la résistance en lui donnant une connotation positive (p. ex., il s’agit d’un mécanisme de protection qui a été utile dans le passé ou dans un autre contexte ; c’est un signe d’armation de soi) ; – interrompre les interventions qui semblent augmenter les comportements d’opposition ; – encourager le patient à formuler toutes ses raisons qui l’amènent à ne pas suivre les consignes et le plan de traitement ; – renégocier les objectifs thérapeutiques ; – faire le bilan des avantages et des inconvénients liés à des changements de comportement ; – confronter plus directement le patient en indiquant que cette opposition sert à maintenir le statu quo et entraîne des conséquences négatives pour lui dans le présent et le futur.

Facteurs psychothérapeutiques spéciques Dans la psychothérapie de soutien (intégrative), une partie importante des stratégies et des techniques est orientée vers le développement et le maintien de l’alliance thérapeutique. Le thérapeute intervient de manière exible et adaptée selon le type de patient, sa condition clinique et l’évolution en cours de traitement. Le cadre et la structure de la thérapie sont généralement plus souples. L’environnement dans lequel le suivi se déroule est également plus varié (dans un hôpital, une clinique, un bureau privé, etc.). Habituellement, il est préférable de maintenir une certaine constance dans la fréquence et la durée des séances an de maintenir le cadre et le soutien psychologique, et d’éviter certaines interprétations ou réactions négatives. La fréquence et la durée doivent être adaptées selon les besoins du patient, son niveau de détresse et l’évolution de sa condition clinique. Par exemple, il est possible d’utiliser des séances brèves d’une trentaine de minutes qui favorisent le travail à un niveau conscient et sur des problèmes concrets. Ce type de rencontre ne vise pas l’utilisation de stratégies d’exploration ou d’introspection, le thérapeute cherchant à éviter d’amplier certaines angoisses ou des phénomènes de régression. Si des changements signicatifs sont eectués sur les plans du cadre, des objectifs ou des techniques, le thérapeute doit orir des informations concrètes et appropriées au patient an de prévenir des réactions négatives (distorsions cognitives, réactions transférentielles, etc.). Les stratégies et les communications sont adaptées pour optimiser le niveau d’anxiété et d’activation émotionnelle (l’atténuer ou l’augmenter selon la tolérance du patient et les objectifs) et réduire les dicultés pouvant survenir dans la relation thérapeutique. Le travail thérapeutique est habituellement orienté sur le présent (ici et maintenant) et sur ce qui est directement accessible et conscient comme les facteurs de stress, les problèmes actuels et les symptômes. Cette approche est axée prioritairement sur la recherche de moyens pour produire un soulagement des symptômes et des changements dans le but d’améliorer la condition présente et future. Cette façon de concevoir la thérapie n’atténue pas le besoin de faire certaines explorations intrapsychiques ou dans le passé du patient dans certaines circonstances (p. ex., recherche de schémas dysfonctionnels répétitifs, deuils non résolus, exploration de certaines situations traumatiques, etc.).

Chapitre 85

érapie de soutien

1793

Elle n’accorde cependant pas une importance particulière à ce type d’exploration. Le thérapeute doit adapter ses interventions selon le niveau d’organisation et de fonctionnement psychique du patient (force du Moi, autocritique, contact avec la réalité, niveau de maturité des mécanismes de défense, etc.). Chez certains patients plus fragiles et dans certaines conditions, il reconnaît que le travail en profondeur sur des éléments intrapsychiques ou traumatiques peut être défavorable, voire contre-indiqué. Pour amener le patient à changer les schémas dysfonctionnels identiés, les quatre étapes suivantes aident le thérapeute à choisir et à appliquer de manière plus systématique les stratégies et les techniques générales de changement les plus appropriées et ecientes. 1. Identier les schémas dysfonctionnels. An de réaliser cette étape, le thérapeute utilise des stratégies et des techniques qui visent à : – renforcer l’alliance thérapeutique et la relation de soutien ; – augmenter progressivement la prise de conscience ; – aider le patient à prendre une certaine distance (un recul) par rapport à ses problèmes ; – améliorer ses connaissances sur sa condition (en donnant des informations, en faisant de la psychoéducation, etc.) ; – aider à la ventilation des aects (par une libération émotionnelle « contrôlée »). Sur le plan de la stratégie générale du changement, le thérapeute présente au patient le ou les schémas dysfonctionnels répétitifs sous la forme d’une hypothèse de travail, dans un langage concret et accessible. Par exemple, le thérapeute soumet à sa patiente l’hypothèse suivante : « Croyez-vous qu’il est possible que le fait d’éviter toute discussion avec votre conjoint concernant son attitude autoritaire à votre égard puisse maintenir votre sentiment qu’il ne vous respecte pas ? » Le patient peut nier, minimiser, modier ou accepter l’hypothèse de travail soumise. Le fait de pouvoir nommer et bien circonscrire les schémas dysfonctionnels devrait entraîner un certain soulagement, un sentiment positif, de la réassurance, une attitude de conance et de l’espoir, puisque cela indique que le thérapeute comprend bien les dicultés et suggère la présence de solutions possibles. La recherche d’exceptions ou de variations dans l’expression des symptômes ou des problèmes (p. ex., des situations où le problème ne se manifeste pas) peut permettre d’identier certaines solutions déjà disponibles. Il est utile de rappeler que les objectifs généraux de la psychothérapie ne sont pas de guérir le patient, mais de l’aider à amorcer certains changements (internes ou externes) et à maintenir ces changements. Par exemple, les objectifs poursuivis sont : – de soulager les symptômes ressentis (symptômes anxieux, dépressifs, etc.) ; – d’améliorer l’estime de soi et la conance ; – de résoudre certains problèmes ; – d’améliorer ses relations interpersonnelles, son fonctionnement psychosocial et sa qualité de vie. 2. Abandonner les schémas dysfonctionnels. Si le patient est dans une condition très symptomatique, instable ou de crise, les objectifs de changement seront probablement orientés, tout d’abord, vers le retour à un certain équilibre

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psychique par des interventions de soutien et de crise visant à soulager les symptômes, à stabiliser les comportements et à réduire les risques ou les dangers (p. ex., orienter vers un centre de crise, interventions de soutien concrètes, prescrire une médication, proposer une hospitalisation, etc.). De manière générale, pour faciliter le changement, le patient doit être dans une zone d’équilibre et de confort relative, dans un état de disponibilité et de motivation pour travailler sur ses dicultés, rechercher et appliquer des solutions. À l’étape de l’abandon des schémas dysfonctionnels, le thérapeute utilise les stratégies et les techniques les mieux adaptées pour favoriser les changements qui visent à soulager les symptômes ou à résoudre les problèmes relevés. Par exemple, il aide le patient à : – clarier et confronter les émotions, les pensées, les croyances et les comportements problématiques ou dysfonctionnels ; – réévaluer ses perceptions concernant des situations diciles et des conits (recadrage et reformulation, travail sur les distorsions cognitives, interprétation, etc.) ; – reconnaître des attitudes et des comportements dysfonctionnels qui se répètent dans les relations interpersonnelles ; – déterminer les avantages et les inconvénients du maintien ou de l’abandon de ces schémas dysfonctionnels. 3. Développer et instaurer des schémas fonctionnels. Dans cette phase, le psychothérapeute fait usage de diverses approches qui visent à faciliter les changements. Sur le plan de la préparation aux changements, il utilise certaines des approches suivantes : – aider le patient à choisir les aspects qu’il désire travailler et changer ; – explorer ou suggérer des moyens et des stratégies de changement ; – générer diérentes options et solutions de rechange ; – explorer les avantages et les désavantages d’entreprendre un changement ; – adapter et modier les anticipations et les attentes futures. Sur le plan de la mise en action, le thérapeute utilise diverses stratégies et techniques : – utiliser des grilles d’analyse cognitivo-comportementale pour aider à résoudre des conits intrapsychiques, à restructurer des distorsions cognitives et à gérer des conits interpersonnels ; – sélectionner et appliquer des exercices et des stratégies de résolution de problèmes et de conits (exposition progressive, désensibilisation, contrôle des stimuli, apprentissage et exercices pour améliorer les habiletés sociales et l’armation de soi, jeux de rôle, prescription et pratique de tâches et d’exercices à domicile, thérapie de groupe, etc.) ; – inciter à développer et à pratiquer de nouveaux comportements pendant les séances et en dehors de celles-ci (attitudes, habiletés, comportements, communications écrites, verbales et non verbales, etc.). Comme les personnes qui consultent vont passer la très grande majorité de leur temps en dehors des séances de psychothérapie, il est primordial de les faire travailler entre les rencontres an d’optimiser les résultats thérapeutiques (au moyen de lectures, de tâches, d’activités thérapeutiques, etc.).

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4. Maintenir les nouveaux schémas fonctionnels. À cette étape, le thérapeute utilise des approches visant à maintenir les changements et à éviter les épisodes de rechute telles que : – le renforcement positif et négatif par le thérapeute, par le discours intérieur du patient, par des récompenses et l’utilisation du réseau social (p. ex., le patient s’accorde une période d’activité agréable ou de loisir après avoir fait un exercice dicile ou après avoir obtenu un résultat favorable) ; – la validation et le renforcement des avantages à maintenir les changements ; – la pratique et la répétition d’exercices en situation réelle ; – l’identication par la psychoéducation des signaux d’alarme indiquant le début d’une rechute et des mesures d’intervention en situation d’urgence. Pour de multiples raisons thérapeutiques et stratégiques, il est habituellement important que le patient assume la responsabilité des essais de changement qu’il entreprend et des résultats qu’il obtient. L’adoption de cette position permet au thérapeute : – de confronter le patient qui ne se mobilise pas ; – de renforcer positivement les changements qui ont été entrepris par le patient (valoriser les eorts ou les résultats) ; – d’attribuer les résultats favorables au patient lui-même (et non au thérapeute par les conseils qu’il a pu orir) ; – de valider la démarche du patient et de le féliciter pour ses eorts et ce qu’il a réussi à accomplir, ce qui peut aider à améliorer son estime, sa conance, son sentiment d’ecacité personnelle et son autonomie (p. ex., « C’est intéressant ce que vous avez réussi à faire ! Comment avez-vous procédé ? Quels résultats positifs retirez-vous de cette expérience ? »). À la n d’une séance de thérapie, il faut penser à planier avec le patient des tâches ou des exercices à réaliser jusqu’à la prochaine rencontre. Selon le contexte et les besoins, le thérapeute, les autres intervenants de l’équipe et les personnes du réseau de soutien doivent chercher à collaborer pour soutenir, encourager et guider le patient.

Techniques selon les quatre grands groupes d’objectifs généraux 1. Les interventions visant l’augmentation de la conance, de l’estime de soi, des sentiments de compétence et d’ecacité personnelle • Les techniques générales de soutien. Elles aident à restaurer et à améliorer l’estime de soi ainsi que la conance en soi et à passer à l’action. Le clinicien donne du soutien en maintenant une alliance thérapeutique positive, en montrant qu’il est un allié able sur lequel le patient peut compter et en favorisant un attachement solide. Pour être ecaces, ces techniques doivent être réalisées en tenant compte d’une appréciation des besoins du patient et du niveau d’organisation de sa personnalité. Par exemple, en présence d’un thérapeute qui a une attitude forte, rassurante et chaleureuse, certains patients se sentent réconfortés et soulagés alors que d’autres se sentent dominés ou infantilisés. Le thérapeute doit donc essayer de moduler ses attitudes en fonction des besoins du patient.

• La réassurance. Elle vise à soulager l’anxiété, les peurs, et à restaurer la conance. Le thérapeute peut donner des informations dans un contexte de soutien et d’empathie (psychoéducation). Il peut indiquer qu’il comprend les inquiétudes et les doutes, qui sont normaux dans les circonstances, ou qu’il y aura recherche de solutions grâce auxquelles les problèmes du patient devraient être soulagés ou améliorés. La réduction des attentes négatives doit être basée sur des informations adéquates. Il faut que le thérapeute soit prudent pour éviter l’usage excessif de la réassurance. Le patient pourrait se demander si le thérapeute comprend véritablement ses dicultés. Cela peut également activer des processus de régression psychologique (dépendance excessive, comportements immatures) et favoriser l’évitement d’actions permettant de régler concrètement certaines dicultés. • L’encouragement. En présence de sentiments de désespoir, d’impuissance, d’incompétence et de dicultés apparaissant insurmontables qui ont tendance à paralyser la recherche de solutions constructives, le thérapeute cherche à générer et à maintenir de l’espoir, à identier avec le patient des ressources d’aide (internes et externes) et des solutions. Il doit demeurer réaliste par rapport aux attentes du patient, à la gravité de sa condition et au contexte. Le clinicien peut approuver (ou désapprouver) les eorts et certains résultats obtenus par le patient et le féliciter de manière appropriée (de façon directe ou indirecte). Cela peut augmenter sa prise de conscience de ses capacités, sa motivation ainsi que sa persévérance dans l’action et les eorts pour surmonter les symptômes et pour résoudre les problèmes. • Les interventions visant la diminution des critiques intérieures et l’augmentation de la conance et de l’estime de soi. Le patient procède à des exercices d’auto-observation qui lui permettent de relever certaines dicultés et solutions possibles. Par exemple, il utilise une grille d’analyse cognitivo-comportementale ou un journal, ce qui lui permet d’identier son dialogue intérieur, ses distorsions cognitives et ses croyances irrationnelles portant sur son image, sa valeur, ses capacités, ses relations avec les autres et de dénir plus concrètement les problèmes à travailler, etc. Le thérapeute facilite le dévoilement de soi dans un contexte de conance et de sécurité. Il favorise le soutien et le renforcement positif à l’intérieur et, éventuellement, à l’extérieur de la psychothérapie. Le dévoilement par le patient de certaines de ses actions négatives (secrets personnels) peut l’aider à réduire les sentiments de culpabilité et de honte associés. L’augmentation de la connaissance de soi peut l’amener à reconnaître ses forces et ses faiblesses, à apprendre à s’accepter avec ses possibilités et ses limites. Si nécessaire, le thérapeute intervient pour remettre en cause les verbalisations et les critiques intérieures négatives. Il favorise le développement de réfutations ecaces par une analyse plus objective sur les plans cognitif et comportemental. Il encourage le patient à faire des exercices pour améliorer l’estime de soi et la conance en soi, par exemple des activités permettant de développer et de consolider les habiletés sociales, de communication et d’armation de soi, et de vivre des expériences positives et valorisantes.

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2. Les interventions visant la prise de conscience et la compréhension de soi • L’exploration et l’interprétation. Le clinicien aide le patient à prendre conscience de ses dicultés intrapsychiques et interpersonnelles (introspection) en établissant des liens entre ses émotions, ses pensées, ses comportements, ses symptômes ainsi que les mécanismes de défense et d’adaptation qu’il utilise. En général, dans la psychothérapie de soutien (intégrative), le thérapeute maintient l’exploration au niveau de ce qui est plus directement accessible à la conscience, de ce qui est amené spontanément par le patient et des processus de raisonnement logique. Il encourage les prises de conscience à un niveau plus superciel. Le thérapeute cherche à maintenir une relation positive (transfert positif), sans l’analyser ou l’interpréter directement. Si des contenus psychiques (inconscients ou non) très chargés ou perturbateurs surgissent, le thérapeute intervient habituellement pour réduire l’exploration et soulager l’anxiété. Par exemple, il procède à une écoute brève et active et il interrompt l’exploration de ce matériel. Il fournit du soutien, il intervient pour favoriser une analyse plutôt rationnelle et concrète et un évitement (refoulement) des éléments trop chargés émotionnellement. Il procède à du recadrage, à de la restructuration des distorsions cognitives et à des interventions sur les éléments concrets, objectifs et observables dans la réalité. Parfois, le thérapeute peut utiliser des interprétations normalisantes et rassurantes qui visent à fournir une explication rationnelle, à renforcer l’utilisation de mécanismes d’adaptation d’un niveau supérieur et la résolution de certains conits et problèmes concrets. Dans certaines circonstances qui interfèrent avec la thérapie, une interprétation portant sur la relation thérapeutique (alliance ou transfert) peut être faite, mais elle est généralement eectuée au niveau des éléments conscients et dans la réalité concrète. Dans la psychothérapie de soutien expressive ou d’exploration (Winston & al., 2012), le thérapeute utilise des techniques d’exploration psychodynamiques chez les patients qui possèdent un plus haut niveau d’organisation et de fonctionnement psychique (un meilleur degré de maturité et de stabilité). Le thérapeute favorise l’exploration (expression spontanée ou guidée) de contenus psychiques actuels ou passés (pensées, aects, cognitions, comportements, symptômes ; souvenirs douloureux et traumatiques ; désirs, pulsions, fantaisies ; etc.). Par ses interprétations, le thérapeute communique ses perceptions et ses hypothèses (exploration des liens passé/ présent ; mécanismes de défense ; symptômes et comportements dysfonctionnels ; schémas répétitifs ; conits intrapsychiques et interpersonnels ; relations d’objet, etc.) pour favoriser chez le patient la compréhension de la signication et des motifs de ces dysfonctionnements, et l’amorce de changements dans son organisation psychique (croissance et développement de la personne). Le thérapeute peut eectuer des interprétations portant sur certains aspects du transfert qui s’est établi entre le patient et le thérapeute. • La clarication et la reformulation. Le thérapeute demande des précisions, il reformule et synthétise les propos du patient dans une version qui doit être la plus claire, simple

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et concrète possible. Ces interventions peuvent favoriser l’identication de schémas répétitifs (réactions aectives, distorsions cognitives, comportements dysfonctionnels, conits interpersonnels, etc.) et une meilleure compréhension par le patient de certains problèmes et de solutions possibles. • La confrontation. Le clinicien aide le patient à prendre conscience de certaines contradictions opposant ses aects, ses cognitions et ses comportements problématiques et leurs conséquences négatives, que le patient ne reconnaît pas ou qu’il évite. La confrontation doit être eectuée sans hypothéquer la relation thérapeutique en maintenant le soutien, en expliquant le rationnel de cette intervention et en explorant les solutions possibles. Il est important de rappeler que la confrontation s’adresse d’abord à des comportements spéciques du patient et non pas à la personne dans son intégralité. Par exemple, le thérapeute confronte le patient qui nie avoir des problèmes de consommation d’alcool. Il le confronte et l’aide à reconnaître que ses abus répétés représentent un comportement problématique pour lui-même et son entourage. Il explore avec le patient les déclencheurs de ces abus. Il l’amène à réaliser les eets négatifs de ces comportements. Il discute des moyens à prendre pour réduire ou cesser la consommation excessive d’alcool et les résultats positifs attendus. S’il y a lieu, il confronte le patient sur son inaction vis-à-vis des solutions qui ont été convenues. Le thérapeute peut également confronter le patient sur certains comportements qui interfèrent avec la thérapie, avec son bien-être psychique et son fonctionnement psychosocial. Par exemple, il va attirer l’attention et intervenir sur le non-respect du cadre, le manque de collaboration, la non-réalisation des exercices convenus, l’évitement des problèmes, les diverses formes de résistance, les propos, les réactions émotionnelles, les attitudes ou les comportements problématiques (déni de la réalité, projection, clivage ; comportements à risque pour lui-même ou les autres, etc.). • La psychoéducation. Le thérapeute et l’équipe traitante peuvent transmettre au patient et aux proches des informations sur la nature et les causes potentielles des troubles psychiques et leurs traitements dans une approche psychoéducative structurée, au moyen de rencontres, de lectures et de suggestions de sites Internet. 3. Les interventions visant la réduction du niveau d’anxiété et le soulagement des symptômes • La structuration et le maintien d’un cadre (environnement) sécuritaire et rassurant ainsi que l’imposition de limites. Dans certaines circonstances (p. ex., non-respect du cadre et des règles thérapeutiques, comportements dangereux ou inuencés par des phénomènes psychotiques, anxiété élevée et désorganisante, etc.), le thérapeute doit intervenir, clarier les règles, soutenir ou confronter directement le patient pour maintenir le cadre et imposer des limites. Par exemple, il aide le patient à garder le contact avec la réalité. Il lui rappelle le cadre et les règles de la thérapie et les lui fait respecter. Il indique les conséquences négatives possibles de certains comportements. Il peut interrompre l’exploration d’un thème ou d’un problème et même la rencontre, et faire intervenir d’autres personnes, s’il y a lieu.

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À des ns thérapeutiques, le clinicien ou un autre membre de l’équipe peuvent intervenir directement pour aider à structurer et à modier l’environnement et les conditions de vie diciles d’un patient : – faire des recommandations au patient, à ses proches ou à d’autres personnes sur des questions pratiques (habitudes de vie, gestion des nances, comportements qui perpétuent les problèmes ou qui comportent des risques) ; – diriger le patient à l’urgence ou vers d’autres ressources (centre de crise, hôpital de jour, programmes spécialisés, organismes de soutien et communautaires, centre de loisirs adaptés, etc.) ; – conseiller le patient et l’aider à se retirer temporairement de certaines situations négatives ou dangereuses ; – l’aider à se protéger ou à se retirer de certaines inuences interpersonnelles négatives et invalidantes présentes dans son environnement. La sélection des thèmes et des problèmes. Le thérapeute identie, nomme et choisit avec le patient les thèmes et les problèmes qui seront discutés et travaillés (cibles de travail ou objectifs). Cette intervention fournit une structure (un programme) et une certaine réassurance. Elle permet de réduire l’anxiété en ciblant des problèmes accessibles et appropriés au contexte et de commencer à entrevoir des solutions. La distraction. Au moyen de cette intervention, le thérapeute change le sujet de discussion et aide le patient à réduire certaines préoccupations. Il l’aide à développer des moyens pour apaiser des aects, des cognitions ou des symptômes pénibles ou intenses. Il travaille à mettre en place des mécanismes d’adaptation alternatifs. L’attention et l’énergie du patient peuvent aussi être redirigées vers des activités comme des exercices de relaxation ou de visualisation, des activités intellectuelles (lecture, musique, cinéma, etc.), des tâches manuelles (ménage, rangement, bricolage, etc.) et des activités sociales, de loisirs ou sportives. Les techniques générales de soutien. Dans un contexte approprié et favorable, avec une écoute active, une approche empathique et sans jugement a priori, le thérapeute favorise l’expression verbale et non verbale des problèmes vécus et de la détresse psychique (symptômes, pensées et émotions pénibles, craintes, angoisse, etc.). En général, le thérapeute n’accepte et ne réclame du patient que ce qu’il est prêt et disposé à exprimer à ce moment. Il faut signaler que certains patients ont besoin d’encouragement pour arriver à s’exprimer plus ouvertement. Pour d’autres, le clinicien devra les aider à moduler (à réduire, à gérer ou à canaliser) le ot parfois intense et chargé de l’expression émotionnelle, qui peut risquer de les submerger et d’entraîner des eets négatifs. Le fait que le patient puisse révéler ce qu’il a vécu, ce qu’il pense et ce qu’il ressent devrait permettre de réduire l’intensité de la détresse psychique, d’obtenir un eet libérateur et de soulagement. Ce processus de ventilation supervisée et contrôlée doit être associé à la recherche d’autres moyens pour soulager les symptômes et d’autres approches pour eectuer des changements et trouver des solutions aux problèmes.







Le développement d’une meilleure capacité à s’exprimer ouvertement et à moduler ses aects en thérapie peut favoriser le développement de cette aptitude dans d’autres situations et dans les relations interpersonnelles. La facilitation des expériences émotionnelles correctrices. Cette stratégie thérapeutique peut s’actualiser dans de multiples situations. Dans un contexte thérapeutique favorable, en présence d’un thérapeute qui manifeste une réponse et une attitude appropriées (maintien de limites sécurisantes, empathie, validation, acceptation, absence de critique ou de jugement, etc.), le patient qui exprime et revit des émotions intenses, des pensées négatives et certaines expériences diciles (des souvenirs parfois longtemps réprimés ou contenus) peut éprouver un soulagement signicatif et modier sa perception de lui-même (image, conance en soi, estime de soi, etc.) et de l’autre. Cette nouvelle expérience émotionnelle positive, vécue dans la relation avec le thérapeute, vient en quelque sorte contredire et corriger certaines attentes et croyances négatives vis-à-vis des relations interpersonnelles. Le patient peut éventuellement utiliser cette même attitude favorable et bienveillante (adoptée par le thérapeute) envers lui-même et dans ses relations avec les autres. Cette expérience émotionnelle correctrice constitue un facteur important de soulagement et de changement psychologique dans plusieurs approches en psychothérapie. Le soutien des mécanismes de défense et d’adaptation plus évolués. De façon générale, le thérapeute encourage chez le patient l’utilisation de mécanismes de défense et d’adaptation adéquats et plus matures (refoulement, répression, rationalisation, intellectualisation, formation réactionnelle, sublimation, humour). Cela permet au patient d’exprimer et d’expliquer certaines émotions, croyances, attitudes, situations diciles ou certains comportements moins acceptables. Ces dicultés deviennent plus accessibles au travail en psychothérapie et à des processus de changement par l’utilisation de ces mêmes mécanismes d’adaptation plus évolués. Le recadrage. Le thérapeute ore un point de vue diérent (avec une connotation plus favorable) sur la compréhension d’une situation dicile vécue par le patient. Il l’amène à modier ses croyances et ses distorsions cognitives négatives, à accepter une nouvelle perspective, à voir les côtés positifs ou plus avantageux de sa situation. En conséquence, le patient est encouragé à adopter une manière diérente de l’appréhender et d’y réagir et à passer à l’action. Par exemple, à la suite de la perte récente de son emploi, un patient indique qu’il est désemparé, très anxieux et qu’il ne voit pas de solution. Il mentionne qu’il vivait des conits avec certains supérieurs, que cette situation était pénible depuis quelques années, qu’il souhaitait quitter cet emploi, qu’il n’arrivait pas à prendre une décision et qu’il a obtenu une indemnité de départ d’une année de salaire. Le thérapeute recadre la situation en soumettant le fait que dans le contexte décrit, cette perte d’emploi, bien qu’éprouvante, apparaît comme une opportunité pour faire le point sur son orientation professionnelle, explorer et trouver éventuellement un travail orant des conditions plus intéressantes et satisfaisantes.

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• L’activation comportementale. Le patient est encouragé à s’impliquer ou à se réinvestir progressivement dans des activités positives et valorisantes (activités physiques, de loisirs et sociales). Cette mobilisation augmente les sources de plaisir, de satisfaction, de valorisation, et favorise le sentiment d’ecacité personnelle et les renforcements sociaux positifs. De plus, les activités physiques régulières et adaptées aux capacités du patient présentent certains eets thérapeutiques intrinsèques. • Les techniques de gestion du stress, l’exercice physique, la relaxation et la méditation. Ce sont des méthodes de régulation émotionnelle qui peuvent réduire les manifestations du stress, l’anxiété et la détresse psychique. 4. Les interventions visant l’apprentissage de nouvelles habiletés favorisant la résolution de problèmes et un meilleur fonctionnement psychosocial • La guidance, les conseils et les suggestions. Dans certaines circonstances, le thérapeute peut donner des conseils et formuler certaines suggestions concrètes plus directes, par exemple : – pour aider le patient à maîtriser des pensées déroutantes, des émotions trop intenses, des comportements à risque ; – pour prévenir des problèmes (en situation d’urgence ou de danger) ; – pour inuencer certains choix ou comportements an de résoudre des problèmes. • L’appel à la raison et au bon sens par la persuasion. Le thérapeute arme qu’il croit que le patient possède en lui la volonté et les capacités de modier ses réactions et de trouver des solutions à ses dicultés. An d’encourager l’autonomie, ces interventions doivent tenir compte du niveau de fonctionnement psychique du patient et des besoins exprimés. Elles peuvent être présentées après l’avoir encouragé à donner son opinion sur les options possibles et être formulées sous forme de questions hypothétiques ou stratégiques. Par exemple : « Comment pensez-vous que votre conjoint va réagir quand vous allez lui parler de vos inquiétudes concernant sa consommation d’alcool ? Croyez-vous qu’il serait utile de parler à votre conjoint de vos réactions à ses problèmes de consommation ? » • L’aide à la découverte et à la modication des croyances et des cognitions négatives. Le thérapeute explore divers aspects (situations, émotions, pensées, comportements, etc.) et il favorise leur intégration pour aider le patient à développer une meilleure compréhension de lui-même et à explorer des solutions. Il stimule la découverte d’explications et d’un sens (signication) aux expériences diciles et aux symptômes vécus. Il aide le patient à eectuer une analyse de ses croyances et de ses cognitions négatives (schémas cognitifs dysfonctionnels), et à développer de nouvelles perspectives porteuses de changements et de solutions. De tels changements peuvent être stimulés par l’emploi de diverses techniques telles que : – la psychoéducation sous diverses formes (transmission de connaissances nouvelles et de principes généralisables) ;

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– l’observation et l’intégration d’un modèle (identication au thérapeute ou à une autre personne signicative) ; – l’exposition à des situations qui permettront de vivre des expériences contredisant les opinions et les croyances rigides bien établies ; – la restructuration cognitive, le recadrage, l’utilisation de métaphores ou de l’humour ; – les remises en cause de comportements et de scénarios répétitifs survenant dans la vie du patient. L’utilisation de la triade clarification-confrontationinterprétation : – La clarification est une intervention cognitive qui permet de voir jusqu’à quel point le patient peut avoir conscience d’un problème ; – La confrontation cherche à rendre le patient davantage conscient de certains aspects potentiellement discordants et contradictoires dans ce problème ; – L’interprétation vise à résoudre les aspects conictuels en proposant une hypothèse explicative (la présence de motivations et de défenses plus ou moins inconscientes qui rend compréhensible ce qui apparaissait contradictoire). Par exemple, un patient explique qu’il cherche à se faire apprécier de son supérieur, mais qu’il se sent souvent anxieux et irrité par certaines de ses demandes et qu’il a tendance à terminer ses tâches avec du retard, ce qui commence à lui nuire sur le plan professionnel. Il mentionne qu’il a vécu des dicultés importantes dans sa relation avec son père, qui était un homme très autoritaire et exigeant et qui le critiquait constamment. Une fois que ce conit a été clarié, confronté et interprété, le patient peut se rendre compte des motivations plus ou moins conscientes qui inuençaient ses attitudes et ses réactions. Après avoir accédé à cette compréhension, le patient est davantage en mesure d’appliquer des solutions dans cette situation et dans d’autres situations où il doit composer avec des gures d’autorité. L’exposition progressive (en imagination et in vivo) et la désensibilisation systématique. Ces techniques s’appliquent particulièrement dans les aections cliniques où on observe de l’anxiété, des peurs, des phobies, des comportements d’évitement, des réactions émotionnelles excessives et des décits dans les habiletés interpersonnelles. L’apprentissage et le développement d’habiletés de communication, d’habiletés sociales et de stratégies de résolution de problèmes. Le clinicien favorise l’apprentissage et renforce ces compétences et ces stratégies d’adaptation en utilisant diverses approches et techniques : – les jeux de rôle et le modelage de comportements adaptatifs (p. ex., exercices où le patient pratique avec le thérapeute des habiletés en regard d’une situation anxiogène qu’il doit aronter) ; – les techniques de communication ecace et d’armation de soi ; – la réalisation de tâches et d’exercices thérapeutiques en dehors des séances ;

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– la participation à des thérapies de groupe, à des groupes d’entraide ; – la résolution de problèmes (p. ex., dénir précisément le problème, énumérer les solutions possibles, choisir et appliquer une stratégie, évaluer les résultats, maintenir ou modier l’approche). Ces habiletés et stratégies permettent entre autres une communication plus ecace, une meilleure armation de soi, une amélioration de la conance en soi et de l’estime de soi, un soulagement de certains symptômes psychiques et la résolution de divers problèmes et de conits interpersonnels.

Facteurs thérapeutiques biologiques En tenant compte des diagnostics et des problèmes présentés par le patient ainsi que de ses préférences, le médecin peut recommander l’utilisation d’approches biologiques non spéciques (régulation des rythmes circadiens, hygiène de vie, saine alimentation, activité physique, etc.) et d’approches biologiques spéciques (médicaments psychotropes, luminothérapie, techniques de neuromodulation, etc.). Ces diverses approches biologiques sont considérées comme des outils thérapeutiques utilisables selon leurs indications et leur ecacité à l’intérieur d’un plan de traitement intégré. Considérant l’efficacité supérieure potentielle de la combinaison et de l’intégration adéquate et harmonieuse des outils thérapeutiques (approches psychologiques et neurobiologiques) dans le traitement de plusieurs aections psychiatriques, l’approche dichotomique opposant la « psycho-thérapie » et la « psycho-pharmaco-thérapie » apparaît plutôt réductionniste et dépassée (Cuijpers & al., 2014). Par exemple, l’utilisation appropriée d’une médication psychotrope doit être considérée comme un outil très utile, voire essentiel dans le traitement de certaines aections psychiatriques comme les troubles psychotiques et les troubles aectifs majeurs. Certains médicaments psychotropes peuvent soulager assez rapidement et ecacement certains symptômes et la détresse psychique, aider le patient à reprendre la maîtrise d’une situation qui dépasse ses capacités d’adaptation et favoriser éventuellement sa plus grande disponibilité pour eectuer un travail en psychothérapie. Les divers professionnels de la santé ont avantage à travailler en synergie an de : • favoriser l’acceptation de la médication et l’adhésion par le renforcement de l’alliance thérapeutique (un levier particulièrement puissant), la psychoéducation et la collaboration des divers professionnels entre eux et avec le patient et ses proches ; • maximiser les eets thérapeutiques en favorisant les attentes positives et réalistes, en optimisant et en combinant de manière appropriée les traitements pharmacologiques et psychothérapeutiques ; • minimiser les craintes et les inconvénients liés à l’utilisation d’une médication appropriée par des approches comme la psychoéducation (réduire les craintes des eets indésirables et de la dépendance ; minimiser les risques d’abus ; réduire les attentes magiques selon lesquelles la médication règle tous les problèmes ; favoriser la gestion adéquate des eets indésirables potentiels, etc.).

L’intégration optimale des divers traitements neurobiologiques et psychologiques est un sujet encore insusamment étudié qui déborde le cadre du présent chapitre.

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Un supplément d’information sur cet important sujet est disponible dans les ouvrages de Beitman & al. (2003), Dowd & Janicak (2009) et Winston (2009).

85.4 Indications et contre-indications Dans la littérature, il n’y a pas de consensus sur les indications précises de l’approche psychothérapeutique intégrative, souple et pragmatique. Elle peut être appropriée et adaptée pour plusieurs patients qui consultent pour diverses aections psychiatriques, des plus légères aux plus graves, et dans divers contextes. Par exemple, elle apparaît être une approche de premier choix pour les patients présentant les aections ou les conditions cliniques suivantes : • situations de crise, troubles de l’adaptation (aigus ou chroniques) ; • troubles psychiatriques majeurs, en combinaison avec des traitements pharmacologiques (troubles psychotiques, troubles aectifs, troubles anxieux) ; • troubles liés aux substances ; • troubles de la personnalité de légers à graves (qui répondent ou non aux critères de certains programmes spécialisés ou si ces approches ne sont pas disponibles). Comme pour les autres approches en psychothérapie, il faut reconnaître la nécessité de faire plus de recherches empiriques pour mieux cerner le degré d’ecacité et les principales composantes actives (mécanismes d’action) de cette approche (Weerasekera, 2010 ; Winston, 2009). Étant donné que la psychothérapie de soutien (intégrative) peut facilement s’adapter aux caractéristiques des patients, à la psychopathologie et au contexte clinique, ce modèle ne comporte pas de contre-indications spéciques. Comme pour toutes les approches, il existe certaines circonstances qui doivent soulever des doutes sérieux sur l’utilité et les indications d’entreprendre une psychothérapie, par exemple : • l’absence ou la faible motivation ou collaboration (en l’absence de psychopathologie majeure ou de dangerosité immédiate) ; • une demande déterminée uniquement par des pressions extérieures (p. ex., pour éviter des conséquences légales, sous la pression importante d’une tierce personne, etc.) ; • la présence de comportements antisociaux prédominants (sans autre aection psychique) ; • des risques significatifs de développer des réactions thérapeutiques négatives (régression importante, recherche importante de bénéfices secondaires ; manipulation évidente, etc.) ; • une histoire de nombreux échecs thérapeutiques ; • les problèmes susceptibles de s’améliorer spontanément sans interventions professionnelles spéciques (p. ex., aide disponible dans le réseau de soutien ou auprès d’autres organismes).

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85.5 Résultats fondés sur des données probantes Après une revue de la littérature et des recherches portant sur les diverses variables inuençant les résultats des psychothérapies, Lambert (1992) a tiré des conclusions concernant les composantes pouvant expliquer leur ecacité relative : • Les facteurs communs (y compris l’alliance thérapeutique) comptent pour environ 35 à 45 % de l’ecacité des approches en psychothérapie. • Les facteurs associés aux attentes du patient (y compris la conance en l’ecacité du traitement et l’eet placebo) comptent pour 15 %. • Les facteurs techniques spéciques à la thérapie représenteraient seulement 15 %. • Les facteurs extrathérapeutiques constituent les variables les plus importantes et comptent pour 40 % des résultats. Parmi ces derniers facteurs, les éléments clés sont : – le type et la gravité des problèmes et des aections cliniques ; – la prédisposition aux changements (ouverture ou résistance ; l’implication et la détermination du patient ; etc.) ; – les facteurs de stress survenant au cours de la thérapie ; – l’importance du soutien social. Tout en reconnaissant la nature plutôt spéculative de ces résultats, Lambert tire trois conclusions provocantes et intéressantes, qui apparaissent toujours fort pertinentes et d’actualité : 1. Un nombre important de patients connaissent une amélioration signicative de leur condition sans intervention psychologique formelle. 2. En général, les psychothérapies sont utiles. 3. Il y a encore peu ou pas de preuves de la supériorité d’une approche psychothérapique par rapport à une autre. Par ailleurs, les synthèses et les méta-analyses de nombreuses études cliniques portant sur l’ecacité des diverses psychothérapies montrent souvent des résultats relativement similaires pour plusieurs troubles psychiatriques (p. ex., la psychothérapie cognitivo-comportementale ou interpersonnelle dans le traitement d’un épisode dépressif majeur) alors que certaines approches semblent présenter une ecacité supérieure pour certaines aections spéciques (Weerasekera, 2010). À ce jour, malgré les croyances assez fortement répandues, on doit reconnaître que peu de données scientiques permettent de déterminer l’ecacité relative des diverses composantes (techniques) utilisées dans une approche spécique. Certaines études suggèrent qu’une grande partie de la variance dans les résultats obtenus avec les diérentes approches psychothérapeutiques est reliée aux facteurs communs plutôt qu’aux facteurs techniques spéciques (Ahn & Wampold, 2001). Plusieurs études ouvertes et un nombre plus limité d’études randomisées ont montré l’ecacité de la psychothérapie de soutien (intégrative) dans diverses aections psychiatriques incluant la schizophrénie, la dépression majeure, les troubles anxieux, les troubles de la personnalité et d’autres troubles psychiatriques (Winston, 2009). Certains résultats de recherche portant sur l’étude des processus psychothérapeutiques peuvent servir de

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guide pour aider le thérapeute à prendre des décisions concernant le choix des principes clés et des techniques appropriées à utiliser. Par exemple, des recherches portant sur la sélection systématique des techniques ecaces dans le traitement d’épisodes dépressifs majeurs et qui ont tenu compte des caractéristiques individuelles des patients ont montré des résultats intéressants (Beutler & al., 2000).

Avec son cadre conceptuel éclectique et ouvert, la psychothérapie de soutien (intégrative) tient compte des résultats de plusieurs recherches et de l’expérience clinique, qui montrent l’importance considérable de l’alliance thérapeutique et des facteurs communs, et qui témoignent du rôle plus relatif des aspects techniques spéciques dans la pratique de la psychothérapie et dans son ecacité. La science et l’art de la psychothérapie ont progressé à un stade où il devient possible et cliniquement pertinent de concevoir des plans de traitement individualisés et mieux adaptés aux caractéristiques spéciques des patients pour améliorer l’adéquation et l’ecience du travail clinique. L’acquisition des nombreuses connaissances, attitudes et habiletés nécessaires pour se développer et devenir un « assez bon psychothérapeute » constitue une expérience d’intégration complexe, passionnante et enrichissante sur les plans professionnel, relationnel et personnel. L’apprentissage de la psychothérapie est une entreprise qui se prolonge tout au long du parcours professionnel et personnel à travers divers contextes (lectures, séminaires, congrès, échanges avec des superviseurs et d’autres professionnels, expériences personnelles, etc.), et avant tout dans les dialogues privilégiés avec les principaux intéressés, les patients. La psychothérapie de soutien (intégrative) propose une approche souple, rigoureuse et pragmatique. Le clinicien cherche à établir et à maintenir une alliance thérapeutique. Il sélectionne et utilise de façon optimale les facteurs communs et les stratégies psychothérapeutiques ecientes et les mieux adaptées en tenant compte des caractéristiques uniques du patient, de l’évaluation de sa psychopathologie, de la formulation bio-psycho-sociale intégrée, des objectifs thérapeutiques et du contexte clinique. Le psychothérapeute poursuit principalement les objectifs suivants : • le soulagement des symptômes et de la détresse psychiques du patient ; • la résolution de ses problèmes ; • l’amélioration de son bien-être, de son autonomie, de son fonctionnement psychosocial et de sa qualité de vie. Pour mieux arriver à ces résultats, le thérapeute a intérêt à amalgamer une variété de techniques qu’il a apprises au cours de ses formations en les adaptant aux besoins uctuants des divers patients. C’est ainsi qu’on parvient, à mesure qu’on prend de l’expérience, à intégrer spontanément une diversité d’interventions pertinentes au problème présenté par le patient, plutôt que de se conner à une approche rigide, univoque. C’est la modalité thérapeutique qui doit s’adapter, de façon souple, pour soulager la sourance du patient, et non pas le patient qui doit faire l’eort de s’insérer dans une technique thérapeutique appliquée de façon stricte.

Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale | PARTIE 6 Traitements

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Journal of Psychotherapy Integration. Cette revue publie des articles portant sur les résultats de recherche et l’utilisation en pratique clinique des approches psychothérapeutiques orientées vers l’intégration des théories, des connaissances et des techniques.

Chapitre 85

érapie de soutien

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