Production cinématographique et parti unique: L'exemple du Congo 2738412580, 9782738412584

Quel a été le poids du parti unique et de la pensée unique (et uniforme) sur la création cinématographique? Terrible! C&

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French Pages 106 [117] Year 1992

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Production cinématographique et parti unique: L'exemple du Congo
 2738412580, 9782738412584

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Producrioncmém~o~ph~ue et PartiUnique

LE cINÉMA

À L'HARMATTAN

CINÉMA D'AFRIQUE (co-édition avec O.I.C.C.)

n 0 1 : BACHY(Victor) : La Haute-Volta et le Cinéma n° n° n° n°

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: : : :

BACHY (Victor) : Le Cinéma au Mali BACHY (Victor) : La Côte-d'Ivoire et le Cinéma VIERY (Paulin) : Le Cinéma au Sénégal OTTEN (Ryk) : Le Cinéma au Zaïre, au Rwanda et au Burundi n° 6 : BALOGUN (F.) : Le Cinéma au Nigeria n° 7 : G.E.S.C.A. : Camera Nigra. Le discours du film africain. BERGERON(Régis) : Cinéma Chinois 1949-1983 (3 tomes) DALLET (Sylvie): Guerres révolutionnaires: Histoire et Cinéma (co-édition avec les Publications de la Sorbonne) GARDIES

André: Cinéma tf Afrique noire francophone

-

l'espace noir. Heike HURST et Heiner GASSON: Tendres ennemis 100 ans de cinéma franco-allemand. SHAKIR NOURI: A la recherche du cinéma irakien toire, infrastructure, filmographie (1945-1985).

- his-

REVUE CINÉMACTION n° 16 : Cinéma Paysan n° 17 : Jean Rouch, un griot gaulois nOS 18 - 19 : Images d'en France (Cinéma régions II)

n 0 20 : Théorie du Cinéma

nOS 21

n° n° n° n°

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-22 : Graines

de Cinéastes : Idéologie du montage : Cinéma de l'Emigration (III) : Années 60-80, Vingt ans d'Utopie au cinéma : Cinémas Noirs d'Afrique

Sébastien KAMBA

PRODUCTION CINÉMATOGRAPHIQUE ET PARTI UNIQUE L'exemple du Congo

L'Harmattan 5-7 rue de l'Ecole-Polytechnique 75005 - Paris

L'auteur

Né le 25 Décembre 1941 à Brazzaville, Sébastien Kamba fait ses études à Brazzaville, puis Boko et Sibiri. A Sibiti, en 1958, il prépare le concours national pour l'entrée à la prestigieuse Ecole Nonnale de Dolisie où, à cette période, l'élite du pays est fonnée. Il fait partie des élèves choisis et poursuit ses études secondaires jusqu'en 1962 en étant titulaire du Brevet Elémentaire. Son stage pédagogique, qui le préparerait normalement à la carrière d'instituteur, il le termine au Studio Ecole de l'OCORA (Office de Coopération Radiophonique) à Maisons-Laffitte en France. Breveté de l'école dans la filière opérateurs de prises de vues en 1964, il revient à Brazzaville où il assume pendant plusieurs années les fonctions de Chef Caméraman à la Télévision Congolaise. Depuis, fonctionnaire de l'Etat Congolais, il est affecté à divers postes dirigeants dans des seIVices audiovisuels publics. Dès le début de son activité professionnelle, il élargit son champ à la réalisation de films dont la plupart ont rapporté des prix dans l'arène internationale, à l'Est aussi bien qu'à l'Ouest et en Afrique. En 1979, il est admis au concours de l'INA (Institut National de l'Audiovisuel à Paris) dont il ressort deux ans après avec le Diplôme d'Enseignement des Arts et Techniques Audiovisuels dans la spécialité Directeur de la Photographie. TI s'est marié le 28 Août 1968 avec Christine Watta. TIa 7 enfants. Photo de couverture: Tournage du [ùm «Brazzaville et l'Histoire». @ L'Harmattan, 1992 ISBN: 2-7384-1258-0

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la légende

A mes parents décédés: Dzobo Véronique Mabiala Alexandre Moukoko André Pouombo Albertine Kamba Daire A ma femme: Kamba Christine et nos enfants.

A mes grands amis: H. Risz E.R. Okoula

«Lorsqu'on a chassé un mal, il faut encore suffisammentde vigilanceet de compétence pour qu'un autre mal ne vienne pas prendre sa place.»

INTRODUCTION

«Histoire du Cinéma Congolais»? A la réflexion, je ne voyais pas très bien, qui pourrait s'intéresser à un listing de titres, de créateurs et de faits bruts. C'est souvent ce que font les spécialistes venant de l'extérieur. C'est compréhensible, eux-mêmes n'arrivent pas à saisir l'essence de ce qui se passe. Puis, très souvent, ils se sentent mal à l'aise devant des comportements moraux négatifs. TIétait donc temps d'écrire une telle «Histoire du Cinéma» cette .

fois vue de l'intérieur.

TI y a plus. Si l'on parle aujourd'hui de l'Histoire de nos pays, que ce soit du cinéma ou d'autres sujets, on est obligé de s'insérer dans le grand mouvement vers la démocratie qui secoue notre continent. Or, «glasnost» dit-on en URSS, et c'est bien de transparence qu'il s'agit quand on parle de plus de démocratie. Sans transparence, l' existence de plusieurs partis ne veut rien dire. Ce ne sera qu'une autre manière pour une minorité de politiciens d'accaparer les richesses d'une nation. C'est que les combines, les détournements, les vols ne peuvent proliférer que dans l'ombre. Braquez un spot dessus et c'est fini, les rats se sauvent! Mais attention: ils se terrent en attendant des circonstances meilleures pour revenir à l'attaque. Ce qu'il fallait donc montrer dans cette «Histoire du Cinéma Congolais», c'étaient les œuvres, bien sûr, mais denière le produit de leur labeur, les heurs et malheurs des cinéastes pour y parvenir. Pour ce qui est des malheurs, on a mentionné ci-haut l'action véritablement criminelle de beaucoup de responsables. Mais il y a aussi l'aspect des

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relations avec le Pouvoir. Ici, il fallait montrer dans les détails qu'il y avait de sa part une incompréhension permanente de la signification du cinéma et au-delà, de la communication. Je dis bien incompréhension et non pas mauvaise volonté. On lira dans les lignes qui suivent qu'il y a eu des échecs et des succès pour le Cinéma Congolais. Ce qu'il fallait montrer, ce sont les conditions requises pour réussir un cinéma de valeur dans nos pays. Ces conditions ne sont pas aussi inaccessibles qu'on semble le penser. Les talents sont là, il faut leur donner leur chance, mais cela à bon escient. Espèrons que nos nouvelles autorités démocratiquement élues seront capables d'apprendre et d'appliquer la leçon contenue dans cette «Histoire du Cinéma Congo-

lais».

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LE CADRE

LE CADRE GEOGRAPHIQUE ET HUMAIN Avec 342.000 km2, le Congo est un pays plus grand que l'Italie. TI se trouve à cheval sur l'équateur, allant de 30 Nord à 4,50 Sud, des profondes forêts vierges au côtes de l' Atlantique. Sa population de 2 millions d'habitants se concentre pour trois quarts dans la partie sud, entre Brazzaville, la capitale au bord du fleuve Congo, et Pointe Noire, la capitale économique au bord de l'Atlantique. Le chemin de fer Congo-Océan, en ouvrant des possibilités de développement économique, est à l'origine de cette concentration de populations. Le pays a toujours été assez riche en matières premières. Mais à la fm de la décade 1970-1980, la production pétrolière se multiplie. En 1990, le PNB est monté à 950 dollars par tête, partant de 150 dollars le jour de l'Indépendance. Pourtant, depuis 1984, le pays est frappé de plein fouet par la crise économique D'autant plus douloureusement que les salaires ont été gelés jusqu'au début 1991. Brazzaville compte environ 650.000 habitants, Pointe Noire 350.000 habitants. Un autre tiers des Congolais se répartit entre des villes comme Dolisie, NKayi et Lutété dans la plaine du Niari. La population est donc très urbanisée. La population a été évangélisée très tôt. La première église bâtie en dur, bâtisse d'origine européenne la plus ancienne du pays, a été construite en 1892 à Linzolo. Au-

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jourd'hui, l'Eglise Catholique occupe toujours la première place, mais les églises protestantes et surtout les nouvelles Eglises apparues dans le pays, comme les Kimbanguistes ou les Matsouanistes, ont de nombreux adhérents.

LE CADRE HISTORIQUE Le début du Congo en tant que pays connu à l' extérieur sous ce nom peut être situé en 1880 avec l'arrivée de Savorgnan de Brazza et son traité avec Makoko le Roi des Batéké. Avec la Conférence de Berlin 1885/86, le Moyen Congo Français, partie de l'Afrique Equatoriale Française avec le Gabon, le Centrafrique et le Tchad, était reconnu en tant qu'entité tenitoriale par les puissances internationales. En 1904, Brazzaville est devenue capitale de l'AEF. Depuis les années 30, le Moyen Congo produisait de plus en plus d'employés subalternes pour l'administration coloniale de l' AEF. En Octobre 1940, De Gaulle fait de Brazzaville la capitale de la France Libre. Le Noir Félix Eboué, originaire de Cayenne, est nommé Gouverneur Général de l'Afrique Equatoriale Française, seul morceau de l'Empire Français a avoir rallié la France Libre, après deux mois de luttes internes qui ne se sont terminées en faveur de De Gaulle qu'avec l'aide des Belges de Léopoldville, de l'autre côté du fleuve. En 1960, le Congo obtenait son indépendance. Trois ans plus tard, l'Abbé Fulbert Youlou, premier Président de la République, qui voulait tranquillement installer son parti unique avec syndicat unique et tutti quanti unique, fut balayé par le soulèvement général d'une population qui tenait à la diversité. Lui succédait un régime sous tutelle du Mouvement National de la Révolution, soupçonné à l'étranger d'être communiste. En fait, c'était une alliance de tendances très diverses.

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En 1968, le successeur de Youlou, le Président Massamba-Débat, fut renversé par une partie de cette coalition, dont l'armée et l'extrême gauche. De cette alliance est né le 31 Décembre 1969 le vrai parti unique, le Parti Congolais du Travail, marxiste-léniniste de surcroît. Février 1972, l'extrême gauche s'éliminait par putsch manqué. Le 18 Mars 1977, le Président de la République, Marien Ngouabi, est assassiné. Quelques jours plus tard, c'est au tour de l'ancien Président Mas samba-Débat d'être, non pas assassiné, mais exécuté après avoir été condamné à mort pour haute trahison par un tribunal militaire secret. Juste avant la mort de Massamba-Débat, c'est l'archevêque de Brazzaville qui est assassiné par des inconnus. Du coup, le nouveau président, Joachim Yhombi, règne tout seul, mais pas très longtemps. Le 5 Février 1979 l'instance suprême du pays, le Comité Central du Parti Congolais du Travail, constate, lors d'une session, des vices de fonne dans sa nomination et déclare qu'il n'est plus Président de la République. Selon la Constitution, c'est le Président du Comité Central qui doit être en même temps Président de la République. C'est justement pour l'élire Président du Comité Central que le CC s'est réuni. Ce qui était considéré comme simple formalité ne le fut pas: hasard démocratique dirait l'observateur non avertî, la majorité vote contre lui. En fait, il y avait conflit idéologique derrière ce «vice de fonne». Depuis le 5 Février 1979, Denis Sassou-NGuesso est Président du pays qui dorénavant ne s'appellera plus «République Populaire» mais «République du Congo».

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1 ORIGINES ET RACINES DU CINEMA AU CONGO

Le Cinéma Congolais est né avec l'arrivée de la Télévision Congolaise. Pendant la colonisation, il a existé un service d'information qui était chargé de couvrir les actualités dans la colonie et de faire des projections cinématographiques dans les zones rurales. Les sujets présentés n'avaient que très peu ou aucun lien .avec le Congo. Cette situation va durer jusqu'à l'arrivée des indépendances. L'un des reporters-caméramen du moment avait été M. Decuyper. Dans son palmarès de films d'actualités on note les cérémonies de l'indépendance du Congo en 1960 et le match de football opposant l'équipe de Reims à l'équipe nationale congolaise. On ne parlait pas de Cinéma Congolais à cette époquelà. En 1962, le Congo va être le premier pays francophone à avoir une télévision. Une idée capitale, vu l'importance de l'audiovisuel à partir de cette période. Le «Groupe de Brazzaville», accusé de néocolonialisme était, au début des années 60, opposé au «Groupe de Casablanca» regroupant les 'pays de l'Afrique à tendance progressiste. TI y avait donc une raison politique pour ce traitement de faveur. Très vite et pour être conséquent avec lui-même, le gouvernement Congolais va organiser un concours visant à former pendant 2 ans en France les premiers cadres de sa télévision. 1964 va être l'année-départ du Cinéma Congolais. 15

La Télévision en ces années-là utilisant les mêmes techniques que le cinéma, on va voir les rues congolaises, à Brazzaville et dans l'arrière-pays, sillonnées par des caméramen pour enfin enregistrer des images congolaises. Mais pourtant, le Cinéma Congolais en tant que 7ème art, n'est pas encore né. C'est en 1964, avec l'arrivée des premiers cadres congolais de télévision qu'il va vraiment débuter. Ces premiers cadres revenant de leur fonnation en France étaient Bayakigna, Kamba, Kouapiti, Lounda, Matoko et Okoula. Cette équipe, il faut en parler: un réalisateur, trois journalistes producteurs et 2 caméramen, c'était bien venu pour un démarrage sûr du Cinéma Congolais. Avec cette équipe, les choses vont aller vite et même très vite au niveau de la Télévision. Avec l'apport de techniciens tels que MBemba Albert, Badila Joseph, MPebo Gaston, Zouzi Norbert, Tsila Jerôme, Midio Bernard, un nombre appréciable d'hommes va se lancer dans la réalisation des courts métrages de fiction et des documentaires. Tout le monde était alors animé par l'amour du travail. Cette attitude a été déterminante pour la naissance du Cinéma Congolais. Tous parlaient le même langage, celui de la profession. Les problèmes de préséance, la suspicion, la jalousie n'avaient pas encore pris place. Quelques cas malheureux provenant du côté des ingénieurs ont été vite surmontés. La raison: ces collègues pensaient que les caméramen assurant la couverture des actualités faisaient fortune. L'idée naïve qu'un bout de fIlm rapportait des sommes fabuleuses était encore très répandue. Mais cette absurdité n'a jamais complètement disparu de l'esprit de certains cinéastes, et surtout chez la plupart des dirigeants politiques.

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2 LE CAMERA-CLUB DE BRAZZAVILLE

En 1965, le Centre Culturel français va mettre en place le Caméra Club de Brazzaville qui aura pour but de parler cinéma et de promouvoir le Cinéma Congolais. Les journalistes, cinéastes et techniciens Tsila Jerôme, Midio Bernard, Okoula Edouard-Roger, Siassia Luc et Kamba Sébastien vont faire partie de ce Caméra Club. Le petit nombre d'adhérents est significatif. Le clivage entre ceux qui croient qu'ils peuvent faire du cinéma et ceux qui n'ont pas cette confiance en eux-mêmes se dessine bientôt. Un premier essai de court métrage de fiction va voir le jour au sein du Caméra Club. Le titre du film est «Kaka Yo» (Rien que toi). La prise de vues est assuré par Siassia et Kamba et la réalisation par Kamba. Le conseiller technique était Claude Huchin, directeur du Centre Culturel et président du Caméra Club. Le financement de ce court métrage a été supporté d'une part par la Télévision Congolaise et d'autre part par le Centre Culturel français. Ce premier essai de court métrage de fiction va donner un coup de pouce à tout le groupe des cinéastes membres du Caméra Club. Par contre au niveau des autres collègues non membres du Caméra Club, c'est la critique acerbe mais l'effet escompté, celui de décourager les membres du Caméra Club, ne se produit pas. Au contraire, cette pratique renforce les membres dans leurs convictions. C'est ainsi que ces collègues qui croient au cinéma vont avancer dans la production. Comme ils bénéficiaient des infrastructures de latélévi17

sion, c'était d'abord la ruée vers la nouvelle forme d'expression: se servir de la caméra pour dire et montrer la réalité nationale. C'était au niveau de la Télévision Congolaise. Au niveau du Caméra Club, avec l'aide du Centre Culturel français, les choses vont bien. On va organiser un concours photo et un concours film, tout ceci pour encourager les cinéastes et promouvoir le cinéma. Le Centre Culturel ne va pas s'arrêter là. Avec le film «Kaka Yo», le Service Cinéma de la Coopération va être au courant de nos activités à Brazzaville et il apprécie ce premier essai. Le ftlm va être distribué dans tous les Centres Culturels français des pays africains. Une bonne promotion pour le Cinéma Congolais ainsi que pour le réalisateur et son équipe. Pendant qu'on travaille dur à la Télévision et au Caméra Club de Brazzaville, les responsables politiques, malgré leur émerveillement quand ils voient ces petits films, n'ont pas encore dit leur mot. Le silence est même total du côté des autorités gouvernementales. Les raisons de ce silence en ces débuts de notre cinéma n'étaient pas expliquées. C'était une période de lutte entre courants et aucun courant ne voulait donner une chance à un autre d'utiliser à son avantage ce moyen au pouvoir extraordinaire. Mais le mouvement vers un Cinéma Congolais était lancé. Au-delà des calculs politiques, c'était la ruée vers un nouveau mode d'expression. Cela paraissait en même temps futuriste et facile de pouvoir dire et montrer des choses difficiles à l'aide d'une caméra. Cette lancée vers la réalisation de films était soutenue par les Services Cinéma de la Coopération à Paris. Avec la politique d'achat des droits non-commerciaux en vigueur à ce moment, c'était l'occasion pour tout le monde de faire du cinéma. Mais cette pratique ne devait pas durer très longtemps. Petit à petit, les contraintes pour l'obtention de l'achat des droits non commerciaux devenaient de plus en plus rigides au niveau du Service du Cinéma. Les notions de qualités technique et artistique leur emboîtaient le pas,

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repoussant ainsi l'idée simple de faire des fùms à la vavite. Ce durcissement de l'attitude du Service Cinéma de la Coopération a découragé des cinéastes qui pensaient que faire du cinéma ne demande pas beaucoup de travail de réflexion. Dans cette politique des Services Cinéma de la Coopération, un nom reste inoubliable: René Debrix. C'est lui qui était à l'origine de cette fermeté et qui a poussé la Coopération à agir ainsi. Les cinéastes de l'Afrique Noire lui en sont reconnaissants. Tous les cinéastes africains des années 1964 à 1974 sont passés par l'école de Debrix. A moi, lorsqu'il m'avait reçu dans ses bureaux en 1970, il m'avait dit ceci: «Pour vous qui tenez à faire du cinéma, vous aurez à vous confronter aux problèmes suivants: - incompréhension totale des autorités gouvernementales; - vous serez producteurs, scénaristes, réalisateurs, distributeurs et exploitants de vos films; - vous ne réussirez dans votre profession qu'au bout de beaucoup d'efforts.» Vingt ans après, les conseils de M. Debrix, mort en 1979, restent d'actualité.

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3 VOLER DE SES PROPRES AILES

Nous sommes en 1965, vers la fin de l'année. Le Caméra Club perd de son activisme en raison du départ de M. Huchin, son président. Les contacts avec les Services Cinéma de la Coopération sont maintenus. L'envie de réaliser des petits films au niveau de la télévision va grandissant. Jusqu'à la fin de 1966, on réalise ainsi les fums suivants: - Le peuple du Congo-Uo vaincra (18') S. Kamba (Tout premier film de fiction congolais fait en 1965) - Kaka Yo (Rien que toi) (26') S. Kamba

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Nkounkou (40') Jérôme NTsila

Tam tam d' Afrique (30') Bernard Midio Un Africain à Munich (20')Georges

Mouankouikila.

Si au niveau de la Télévision et du Caméra Club les choses bougent, au niveau du Département Presse et Propagande du Parti de ce moment, le MNR (Mouvement National de la Révolution), on commence aussi à réagir, surtout avec Claude-Ernest NDalla «Graille», un marxiste très conscient du rôle politique que pourrait jouer le cinéma. De nombreuses missions vont sillonner le monde pour avoir le maximum d'informations arm de jeter d'une façon efficace les bases d'un Cinéma Congolais authentique. En 1967 des rapports de mission ont été présentés aux autorités de tutelle soulignant la nécessité de canaliser la profession cinématographique en suggérant la création

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d'une unité de production soit au sein, soit en dehors de la T.V. De retour du 3ème Congrès International de l'UER (Union Européenne des Radiodiffusions) sur la radio et la T.V. éducatives qui s'est tenu à Paris, Edouard-Roger Okoula avait déjà abordé la question de la création d'une unité de productions cinématographiques bénéficiant de la participation fmancière de tous les services publics. Ce rapport avait été distribué dans tous les ministères pour information, mais aucune action n'avait suivi. Pendant toute l'année 1968, on ne parlera pas de la création d'un Cinéma Congolais. TIfaut dire que les évènements politiques menant à la chute du Président Massamba-Débat ne laissaient guère de temps aux hommes politiques de parler cinéma! Les cinéastes congolais vont continuer à faire leur chemin en réalisant des courts métrages .avec les moyens du bord. En 1969, Sébastien Kamba réalisait «Apea», d'après une idée de Pascal Ameya. En Juin 1969, le CNR (Conseil National de la Révolution, instance suprême créée en Septembre 1968 après la chute du Président Massamba-Débat) .a voulu s'occuper des problèmes qui se posaient avec les fmnes SECMA et COFACICO, dont le monopole d'exploitation continuait. Une mission composée des collègues Gabriel Ebengou et Edouard-Roger Okoula s'est rendue à Alger et à Paris. A Alger, il fallait prendre contact avec les responsables algériens du cinéma pour étudier l'expérience que les Algériens avaient acquise dans l'organisation et la gestion du cinéma. A Paris, la mission avait pour rôle d'entrer en contact avec les maisons de production et de distribution de fIlms. La mission a pu contacter le Centre National du Cinéma pour se rendre compte du fonctionnement de cet organisme. Un rapport fouillé faisant ressortir les avantages que le gouvernement pouvait tirer en prenant en main toutes les activités cinématographiques a été adressé au CNR. Déjà en 1969, les distributeurs et producteurs français voulaient traiter directement avec les Etats africains pour éviter CO-

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FACICO et SECMA qui ne leur achetaient que des sousproduits donc moins chers. La mission, dans ses recherches, a pu se rendre compte qu'il n'existait aucun texte donnant à ces deux compagnies le monopole d'exploitation du cinéma en Afrique. Pour permettre aux spécialistes congolais du cinéma d'appréhender mieux les problèmes du 7ème art, le Ministère de l'Information avait estimé nécessaire d'envoyer une délégation officielle à Dinard en France où deux petits films devaient être présentés au cours du Festival International du Film d'Expression Française. La demande s'est heurtée à un refus. Mais grâce à l'Agence de Coopération Culturelle et Technique, Sébastien Kamba put se rendre à Dinard et à Paris où il eut des contacts fructueux avec les milieux de la presse et particulièrement ceux du cinéma. C'était en 1970. De retour de mission, il présenta un rapport dans lequel il soulignait l'importance du Cinéma National et proposait un démarrage modeste avec la création d'un service national d'actualités cinématographiques. Ces actualités devraient être distribuées dans les cinémas à travers le pays. En regardant en arrière, je dois constater que nos responsables politico-administratifs ont manifestement fait preuve d'une incompréhension totale vis-à-vis des problèmes du 7ème art. Le régime du Parti unique étant par définition dirigiste, en principe on ne pouvait rien faire sans l'accord des responsables politiques. Pour venir à bout de cette situation inacceptable pour les collègues, les responsables de la Commission Education Presse et Propagande essayèrent de poser le problème du cinéma dans toutes ses formes et proposèrent ainsi: - Formation en Algérie d'un technicien Congolais (ce sera Nombot Séraphin) dans le domaine de l'exploitation cinématographique. Malheureusement, on avait choisi en lui le militant et non pas I'homme de métier. n n'a rien fait avec ce qu'il a appris. - Création d'un Office National de la Cinématographie.

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Cet office répondrait à plusieurs buts: - Réviser les rapports que l'Etat Congolais entretient avec l'industrie cinématographique étrangère représentée par les deux sociétés d'exploitation de films SECMA et COFACICO qui détiennent un monopole de fait dans la distribution cinématographique au Congo. - Aider la naissance, la production et la diffusion à l'étranger d'un cinéma congolais. - Encourager la création de nouveaux circuits de distribution cinématographique sur l'ensemble du territoire national pour contribuer à l'amélioration de la qualité des f1lms importés au Congo. - Créer les conditions pennettant d'organiser dans notre pays la profession cinématographique par la formation de cinéastes, techniciens et comédiens. En attendant les résultats de cette démarche, les cinéastes ne restèrent pas les bras croisés. Les premiers signes de reconnaissance internationale ne pouvaient qu'encourager les efforts. «Kaka Yo» de S. Kamba obtient ainsi entre autres un diplôme d'honneur à Dinard, la 2ème place dans la série Mélodrames pendant la semaine du Cinéma Africain à Paris en 1968 et une médaille d'honneur à la Semaine du Cinéma Africain à Vérone en 1970. La production se poursuivra avec:

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Tsoumbafille du Congo (1966) Jerôme TSila Nkounkolt (1968) Jerome TSila

-Apea (1968) S. Kamba -MwanaKeba (1969) S. Kamba - Mami Wata(1969) Alain Kodia - Le Passeur (1969) E.R. Okoula 2ème Prix URTNA 1969 Le premier festival culturel panafricain à Alger

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(1969) S.Kamba. Le mouvement continue jusqu'à 1970, 1971, puis, assez subitement, vient une pause. Pourquoi cet élan s'est-il arrêté? TIétait difficile à cette époque-là de donner une réponse. Personne n'avait cherché à voir plus loin. Actuelle-

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ment, avec le recul de 20 ans, cette question trouvera peutêtre sa réponse. Pour comprendre, il faut voir comment, déjà en 1969, avec la réalisation au Congo du film «Le lion à sept têtes» par le cinéaste brésilien Glauber Rocha, les ambitions s'étaient manifestées. Des artistes non-cinéastes ayant accédé aux responsabilités politiques dans le domaine culturel voulaient s'imposer afin de devenir célèbres sur le plan international. - Pierre Nzé est alors responsable de la Presse et Propagande au sein du Conseil National de la Révolution - CNR - instance dirigeante du pays depuis la chute de Mas samba-Débat. Nzé est en même temps Ministre de l'Information et de la Culture. Son ami Henri Lopez est Ministre de l'Education Nationale. - Maxime Ndébéka, poète talentueux, auteur de pièces de théâtre et militant progressiste est appellé en 1968 à diriger la culture du pays dans ses applications quotidiennes en tant que Directeur Général des Affaires Culturelles. En tant que tel, il sera chargé par son Ministre de préparer et signer un contrat de coproduction avec le producteur de Glauber Rocha. Le contrat fut préparé par Ndébéka sans concertation avec les gens du métier. Mais très vite des bruits commençèrent à courir dans la profession que les détails de ce contrat étaient très défavorables pour le Congo. Les cinéastes congolais Bayakigna, Kamba et le spécialiste en Communication Okoula, qui étaient sur l'insistance du Ministre Nzé associés à la production, en avertissaient leur Ministre. Celui-ci, renseignements pris, insista pour que le protocole fût refait afm de sauvegarder les intérêts du Congo. Le Directeur Général des Affaires Culturelles, Maxime Ndébéka, furieux, n'était pas présent lors de la signature. Alors le Ministre Nzé se décida à le signer lui-même, malgré une dernière inteIVention du Ministre de l'Education, Henri Lopez, en faveur de Ndébéka. Les collègues cinéastes évoquèrent d'abord l'ignorance de Ndébéka concernant les méthodes en usage dans le métier. Ce n'est qu'après qu'ils découvrirent que le Directeur

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Général des Affaires Culturelles voulait avoir son nom inscrit dans le générique comme co-réalisateur avec Glauber Roch.a et pour cela il était prêt à toutes les concessions. De 1968 à la fin de 1969, ce fut le règne duCNR. Ce n'était pas du tout un parti unique, en fait, ce n'était même pas un parti. C'était un groupement de chefs de l'Armée et de politiciens de tous bords, un genre de parlement informel. Cela signiftaitpour les cinéastes une grande liberté, personne ne leur dictait quoi que ce soit. C'est ce qui explique le nombre plutôt élevé de productions à cette époque. Mais l'affaire Glauber Rocha, une intrigue pour obtenir du prestige-bidon, somme toute encore assez naïve, était prémonitoire de ce qu'allait apporter plus tard le pouvoir du Parti Unique. TIy avait quand même un autre facteur qui aidait puissamment la production. C'était la Coopération Française. Sa politique de subventions était à cette époque encore très libérale. A partir de 1970, elle serra la vis: moins d'argent, plus d'exigences. Du coup, cela devenait de plus en plus difficile de faire «en vitesse un petit film». TIfallait maintenant tout un travail intellectuel de préparation pour un film et cela décourageait pas mal de collègues. En elle-même positive et nécessaire, cette nouvelle politique restrictive de la Coopération avait un effet pervers: une des nouvelles conditions de la Coopération était que du côté national il devait y avoir d'abord un apport à la production. Mais les autorités nationales, pas trop sûres de leur jugement, ne voulaient donner des subventions qu'une fois que la Coopération en accordait. Pour les responsables nationaux, c'était une garantie de la qualité du projet.

2S

4 CONTRE VENTS ET MAREES

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LA PRODUCTION

Le terrain, en tout cas, était déjà bien préparé. il y avait le tournage du film. de Glauber Rocha