Prise de possession [Nouvelle édition. / ed.]
 9782851976987, 2851976982

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Louise Michel PRISE DE POSSESSION Nouvelle édition établie, annotée et présentée par Claude Rétat

L'Herne

© ÉDITIONS DE L'HERNE, 2 0 1 7

22, rue Mazarine

75006 Paris

[email protected] www.lheme.com

NOTE DE L'ÉDITEUR « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. » Tocqueville

La collection Cave canem souhaite défendre avant tout la liberté d'opinion en lançant ce petit pavé 'dans la mare de la pensée unique. Elle ouvre ses pages aux contestataires de tous temps et de tous pays, Garry Kasparov, Rosa Luxemburg, Noam Chomsky, Hannah Arendt, Bertrand Russell, Louise Michel, Stéphane Hessel, Spinoza, Tocqueville ou Orhan Pamuk, qui se sont dressés, souvent au péril de leur liberté ou de leur vie, contre la tyrannie, celle des États ou des marchés, de l'hypocrisie ou de l'arbitraire. Dans un monde en crise dominé par l'inégalité et la corruption au plus haut niveau, les occasions sont nombreuses mais les thèmes demeurent constants : pour la justice et l'état de droit, contre toute forme de totalitarisme. 5

PRÉSENTATION La fermeté de Prométhée... Reprise de sens Prise de possession paraît au début de l'année 1890. La presse anarchiste annonce la publication dès l'automne 18891. Fort de son leste format de brochure, de son électricité polémique, de sa beauté furieuse, concentré comme une sorte de Louise Michel en gélule, ce brûlot est un des textes de la révolutionnaire les plus réédités à ce jour2. 1. L'Attaque, 19-26 octobre 1889. 2. Fernand Planche fut, en 1947, le premier à rééditer Prise de possession (Paris, S.L.I.M. [Société Les Impressions Modernes]). Il l'assortit, dans le contexte d'après-guerre, d'un avantpropos virulent contre le « communisme de parti ». Les éditions Jean-Paul Rocher, en 1999 et 2005, les éditions d'Ores et Déjà en 2009, les éditions de l'Épervier en 2010 ont tour à tour réédité la brochure.

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Surprise ! il fourmille aujourd'hui encore de coquilles énormes, que les copistes se transmettent pieusement. Le texte d'origine comportait pourtant une liste d'errata, indispensable, mais les exemplaires complets de cette liste sont excessivement rares aujourd'hui3. Celui que j'utilise ici fut, d'après son cachet, l'exemplaire personnel du socialiste Augustin Hamon, et fait partie des collections de l'IISG (Institut international d'histoire sociale) à Amsterdam4. Ce document resté méconnu5, et pourtant facilement accessible, prouve que les obscurités du texte jusqu'à présent diffusé (y compris en ligne), sorte d'Hibernatus éditorial, ne doivent rien au souffle sauvage de l'inspiration mais tout à la négligence ou à la myopie d'un typographe inconnu, dont les erreurs de lecture ont été conservées et momifiées jusqu'à nos jours. 3. Elle ne se trouve ni sur les exemplaires de la BnF, ni sur l'exemplaire (numérisé, en ligne) de la bibliothèque Marguerite Durand. 4. IISG, cote An 63/44. 5. Lors de ses démêlés avec Roy, l'éditeur du premier volume des Mémoires, Louise Michel refusait l'ajout d'errata, « car vous savez comme moi qu'on ne les lit jamais » ( Correspondance, p. 471), et réclamait (en vain) de nouvelles épreuves.

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Quant au souffle authentique de Louise Michel, il a bien sûr tout à gagner à être rendu à lui-même. Voici donc quelques exemples des métamorphoses du texte que le lecteur va découvrir. Grâce à cette source, nous pouvons renvoyer au néant le « jeune Détulli », mystérieux individu dont nul n'a jamais percé l'identité ni compris l'irruption sous la plume de l'auteur, et pour cause ! C'est une coquille pour le « jeûne de Succi ». Les performances spectaculaires du « jeûneur » italien Giovanni Succi furent très médiatisées, en 1886 surtout, et la presse en rendit compte jour après jour : en 1891, elles inspirent à Louise Michel des épisodes de son roman-feuilleton La Chasse aux loups, en se mêlant à son évocation des grandes grèves de la faim qui eurent lieu en 1889 en Russie6. La faim, le jeûne, le pain et ceux qui en manquent, la victoire sur la nature et le dépassement de l'anthropophagie (essence du capitalisme pour Louise Michel) sont ici des points ultra-sensibles de la réflexion sociale et de la construction utopique. 6.

La Chasse aux loups, p. 36, 225.

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Adieu aussi les considérations sur la « fermeté de Prométhée » non moins grande que celle des... « Spres de poisons », sic, ou, selon quelques éditeurs qui ont cherché à réduire ce borborygme, fermeté non moins grande que celle des « spores de poisons7 » : « Spres », « spores », les mots sont voisins, le sens reste lointain. L'énigme se dissipe avec le bon texte. Louise Michel ne parle ici ni de spores, ni de poisons, ni de poissons, mais de « Spies et Parsons ». August Spies et Albert Parsons, deux des anarchistes pendus à Chicago en novembre 1887, à la suite des événements du 1er mai, occupent une place de choix au panthéon anarchiste. Louise Michel voit dans leur mort la scène par excellence du sacrifice révolutionnaire, qu'elle appelle « les noces rouges ». En les élevant au niveau du mythe créé par Eschyle dans sa tragédie de Prométhée enchaîné (Ve siècle avant notre ère), elle prend acte de la médiatisation de 7. Cette modification figure dans plusieurs rééditions de Prise de possession : Jean-Paul Rocher, Éditeur, Paris, 2005, p. 62 ; Éditions d'Ores et Déjà, Paris, 2009, p. 66 ; Louise Michel, Sébastien Faure, Discours et articles, Noisy-le-Sec, Les Éditions de l'Épervier, 2010, p. 41.

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ce drame par la presse anarchiste et socialiste, mais aussi elle infléchit la notion de « martyre » : c'est un martyre, mais à l'antique, d'un découvreur de feu révolté contre Zeus, le dieu des dieux. Fin 1889, Charles Malato dénonçait justement, à propos des « martyrs de Chicago », une possible dérive religieuse de l'anarchisme : il critiquait la « commémoration » de leur « supplice » sous la forme d'« un acte de dévotion analogue à l'adoration de la vraie croix8. » En 1864, dans sa Bible de l'humanité, Jules Michelet opposait Hercule au modèle chrétien, dans un but de critique religieuse : le Prométhée de Louise Michel, dont elle fera plus tard elle aussi une pièce de théâtre, prend sens de manière analogue, dans un contexte renouvelé. Il permet de préférer la référence antique aux analogies de la dévotion christique. Dans un même registre de critique sociale et religieuse, il n'est bien sûr pas indifférent de lire correctement cette autre phrase de la brochure, à propos de l'exploitation de l'homme par l'homme, que toutes les 8. Charles Malato, « Mysticisme », dans L'Attaque, n° 52, 16-23 novembre 1889.

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métaphores présentent comme une anthropophagie et un vampirisme : « [...] c'est sous cette forme que le monde bourgeois mange son pain et boit son vin, il communie9 ainsi sous les deux espèces. » Autre exemple, sur le plan de la géographie socio-politique, nous voyons l'Amérique du Nord se métamorphoser en Amérique du Sud, et le contexte reprendre ainsi cohérence. Il y est en effet question de la révolution du Brésil (novembre 1889), qui relève de l'actualité brûlante au moment où Louise Michel écrit. Apparemment anecdotiques ou techniques, les histoires de coquilles impactent donc lourdement le texte, forme et sens. C'est son tissu, les jointures du discours et de l'argumentation, l'agencement de l'actualité, de l'histoire et du mythe, qu'elles occultaient. Comprendre n'est pourtant pas une activité secondaire ou périphérique de la lecture, on peut donc s'étonner d'une pareille tolérance à l'absurde, si longtemps : est-ce, 9. Et non pas « il commence ainsi sous les deux espèces » (autre coquille).

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paradoxalement, un effet de la dévotion des lecteurs, ou un effet hypnotique du texte et de son rythme poétique puissant ? Prise de possession. Universalisme, science, grève « Prise de possession » : outre qu'elle réutilise et réoriente un vocabulaire du colonialisme (l'acte de « prise de possession » de la Nouvelle-Calédonie par la France a été signé le 24 septembre 185310), cette expression reflète un débat d'époque sur la prise de pouvoir populaire : Louise Michel la préfère à « expropriation » (p. 36). Le journal Le Révolté, à propos du quinzième anniversaire de la Commune, en 1886, opposait aux célébrations passées et aux « résolutions vagues », « les progrès accomplis par l'idée socialisterévolutionnaire » et les nouvelles résolutions : L'expropriation - la prise de possession de la richesse sociale par les travailleurs eux-mêmes, - voilà ce qui a été acclamé à l'unanimité par les travailleurs réunis. Non pas cette vague

10. Rappelé par Louise Michel dans les manuscrits (IISG, Louise Michel Papers, 887, « Notions sur la N cllc Calédonie »).

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idée de Commune libre qui procéderait, dans un avenir plus ou moins lointain, à la révision des rapports entre travailleurs et exploiteurs, — mais l'idée nette et précise de la prise de possession par les travailleurs de toute la richesse sociale".

Louise Michel élargit la formule en lui faisant porter tout son rêve de l'émancipation humaine : la nature, le monde, devenus serviteurs de l'homme. Le terme d'expropriation ne porte que sur une classe, ne désigne à ses yeux qu'une fraction qui en finit avec une autre, la « prise de possession » s'adresse à l'univers et a pour sujet l'humanité non clivée, devenue enfin une : la nuance est donc importante, elle témoigne de l'importance donnée à la visée et vision ultimes, universalistes. D'où la double voie indiquée par la brochure. D'une part, la confiance mise dans la science et dans la technique : l'évocation de la galerie des machines, à l'Exposition universelle de 1889, constitue la pièce maîtresse, dans cette conception de l'avenir, d'un état social où l'homme ne serait plus l'esclave de 11. « Le 18 mars », dans Le Révolté, 28 mars-10 avril 1886. Les n " des 10-16 et 17-23 juillet développent « La pratique de l'expropriation ».

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l'homme, les machines feraient le travail. Cette opinion sur le machinisme est résolument optimiste, les anarchistes de l'époque sont loin d'être unanimes sur ce point. Mais Louise Michel définit aussi la « prise de possession » comme une stratégie concrète, elle milite pour une méthode d'application déterminée : la grève générale (concept bakouninien), sans caisse de secours. Ainsi sera prise « la bastille capitaliste », écrit-elle en ces années de centenaire de la Révolution française. Elle s'en fait la propagandiste acharnée dans les années 1889-1891, aussi bien par l'écriture autobiographique {À travers la mort, Mémoires inédits, 1886-1890, éd. La Découverte, 2015) que par l'écriture romanesque (La Chasse aux loups, 1891, éd. Classiques Garnier, 2015). Préhistoire du futur. Du quotidien à l'utopie Louise Michel lit le journal, - aussi faut-il lire les journaux du temps pour éclaircir les allusions. L'actualité du fait divers nourrit l'écriture à chaud. Qui est Sophie Grant12 ? 12. Infra, p. 63.

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Une petite fille seule et sans ressources qui émeut l'opinion en décembre 1889, en se présentant au commissariat pour demander à être admise en prison comme en un refuge. À quoi fait allusion le passage sur le « malheureux père » dont on parlait « ces jours-ci13 » ? Un petit garçon est mort empoisonné, un jour de novembre 1889, parce que la fille du marchand de vin s'est trompée de bouteille en servant le père. Le fait divers, répercuté par la presse, s'intègre aussitôt dans un réseau signifiant : « on croit trouver la vie, c'est la mort », écrit Louise Michel, appliquant cette morale politique à quiconque croirait trouver dans le régime républicain un principe vivifiant. Dans Prise de possession, le quotidien s'incorpore au discours, révèle une femme sur le qui-vive et aussi une stratégie de communication : toute généralisation, toute théorie s'ancre dans un fait, grand ou petit, qui fait impression, qui appartient à l'espace informatif et émotif du lecteur et destinataire. C'est une femme-presse aussi qui parle, une femme médiatisée dont l'existence passe par les média. 13. Inftu, p. 22-23.

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À quoi correspond la date du 23 décembre 1888 qui ouvre la brochure, seule date à être formulée d'une manière aussi précise ? — Au numéro d'un journal où se trouve évoqué un discours de... Louise Michel dans le Paris de la misère14. Cependant, dans le même court espace de la brochure, Louise Michel détemporalise l'actualité : « Nous sommes le même spectre qui a vu les temps d'autrefois ». Le dramaturge antique, Eschyle, à travers la figure de Prométhée, parle de « notre » temps autant que du sien : le voici contemporain de Louise Michel, car elle voit le présent de loin, en tant qu'il est le passé du monde qui n'est pas encore, l'époque précédant le « monde nouveau ». Réciproquement voici Louise Michel, « hors-la-loi de la force », contemporaine des « chœurs antiques », rythmant la tragédie immémoriale, le drame du Pouvoir (Kratos) qui cloue le héros révolté. Prise de possession, que l'on peut considérer comme des pages détachées des Mémoires que leur auteur diffuse en feuilleton en cette 14. Infra, p. 19.

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même année 189015, livre ainsi sous un format concentré la formule Louise Michel : une sensibilité vibratile au présent, au quotidien, une hyper-présence à sa manifestation moderne, la presse, mais tout cela agencé à une vision du temps qui se constitue en dyptique, l'ancien et le nouveau. Tout ce qui n'est pas le monde nouveau n'est que la nuit qui précède l'aurore et tout, dans cette nuit, est de la même couleur sanglante. L'histoire contemporaine est pré-liminaire du monde nouveau autant que la pré-histoire le fut de notre monde : « Les extrémités du cercle se joignent, un autre cycle va s'ouvrir ». Mythe, préhistoire, histoire et actualité décrivent ensemble l'essence du présent, et tracent, par le pressentiment, par la prophétie, les contours explosifs d'une attente : « Soyez tranquilles, cela chauffe16. » Claude Rétat

15. À travers la mort, Mémoires inédits, 1886-1890, Découverte, 2015. 16. Infra, p. 66.

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Paris, La

Principes d'établissement du texte Cette édition, entièrement revue, suit le texte original de 189017 à partir d'un exemplaire complet de ses errata : de ce fait le texte diffère sensiblement des rééditions qui ont paru jusqu'à présent. Les coquilles ont été corrigées, la typographie harmonisée, la ponctuation adaptée en cas d'obscurité syntaxique. En cas d'omission de mots dans le texte, les interventions de l'éditeur scientifique figurent entre crochets droits. Les italiques de soulignement sont exactement conformes à l'original. Le texte original ne comporte pas de notes. Toutes les notes proviennent ici de l'éditeur scientifique.

17. Prise de possession, par Louise Michel, Saint-Denis, en vente chez le compagnon Labbaye (maison Delhaye), Passage Meunier, Hautes-Caves, « Publication du groupe anarchiste de Saint-Denis (La Jeunesse libertaire) », 1890. Imprimerie Séguin et fils, 20 rue de Paris, Saint-Denis. Brochure in-8° de 32 pages et une page d'errata. La Bibliographie de ta France ou Journal de la librairie signale la publication dans son bulletin du 22 février 1890.

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Abréviations

bibliographiques

Les œuvres de Louise Michel mentionnées en note sous une forme abrégée renvoient aux éditions suivantes : À travers la mort, Mémoires inédits, 1886-1890, Paris, La Découverte, édition critique par Claude Rétat, 2015. À travers la vie, avec illustrations de l'auteur, Paris, Edinger, « Petite bibliothèque universelle », s. d. [1888] (puis A. Fayard, « Bibliothèque universelle de poche », s. d. [1894]). Je vous écris de ma nuit, Correspondance générale 18501904, établie et présentée par Xavière Gautnier, Paris, Les éditions de Paris, 1999. La Chasse aux loups, édition critique par Claude Rétat, Paris, Classiques Garnier, 2015. La Commune, nouvelle édition par Éric Fournier et Claude Rétat, Paris, La Découverte, 2015. Légendes et chants de gestes canaques, Paris, Kéva et C", 1885. Les Paysans (par Louise Michel et Émile Gautier), Paris, A. Carbillet, s.d. [1881], Mémoires écrits par elle-même, Paris, F. Roy, 1886. Trois romans, Les Microbes humains, Le Monde nouveau, Le Claque-dents, Lyon, PUL, édition par Claude Rétat et Stéphane Zékian, 2013. La mention IISG, suivie d'un numéro de cote, désigne l'Institut d'histoire sociale d'Amsterdam (Internationaal Instituut voor Sociale Geschiedenis).

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I

PRISE DE POSSESSION L'anarchie, c'est l'avenir de l'humanité. A. Blanqui"

Un journal du 23 décembre 1888, à l'article Visite des bouges, s'étonnait que les gens préposés à cette visite eussent trouvé dans un des endroits qu'il plaît d'appeler bouges, une femme19 seule à une sorte de tribune, disant : L'anarchie c'est l'ordre par l'harmonie. 18. Cette épigraphe est répétée sur la couverture et sur la page de titre de la brochure. La citation provient des manuscrits d'Auguste Blanqui (BnF, N.a.fr. 9581, f. 24, n° 139) et sert souvent de slogan aux anarchistes des années 1880 (placard cité par Le Gaulois du 5 octobre 1882, par exemple). 19. Il s'agit de Louise Michel. Elle évoque ici une conférence qu'elle a prononcée au faubourg du Temple parmi les miséreux. Le journal auquel elle fait allusion est Le Peuple : cet épisode est développé dans À travers la mort, Mémoires inédits, 1886-1890, p. 330-333, sur la « tribune » des « bouges ».

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Il faut bien que la vérité monte des bouges, puisque d'en haut ne viennent que des mensonges. Il faut bien que les déshérités, les hors-laloi de la force cherchent le droit. Les maux intolérables qu'ils souffrent depuis le commencement des sociétés humaines sont arrivés à une acuité si grande qu'ils ont résolu de s'en débarrasser comme on arrache un vêtement enflammé en laissant après des lambeaux de sa chair. Ce n'est pas que les misérables n'aient bien des fois déjà tenté leur délivrance, mais c'était toujours dans une telle nuit d'ignorance qu'ils s'écrasaient dans les issues sans pouvoir sortir. L'oiseau ne bâtit guère dans les mêmes conditions son nid une première fois brisé ; l'animal chassé, s'il échappe au piège ou aux chiens, n'est pas dupe une seconde fois. Les hommes seuls subissent éternellement les mêmes douleurs, n'ayant jamais voulu changer les conditions qui les produisent. Il faudra bien qu'enfin le nid de l'humanité soit sur une branche solide, il faudra bien qu'on en change la base au lieu de perdre le temps à placer autrement les brins de paille. 22

La base ce sera la justice égalitaire au lieu de la force. Ce n'est pas nous qui faisons ce nouvel ordre de choses, c'est l'heure, les circonstances s'entassent ; la lutte du désespoir, sans peur et sans merci, est maintenant raisonnée. Ce n'est plus le troupeau humain que la force comme un belluaire peut abattre ; c'est la jeune humanité se levant à l'aube toute prête à terrasser les monstres ; armée par la science de moyens invincibles. Il faudra bien alors que des fructidors magnifiques et paisibles donnent à tous le grain qui germe aujourd'hui dans le sang des foules. Savoir, vouloir, oser, se taire, disait l'Égypte des sphinx ! Nous savons notre but, c'est la délivrance de tous, par tous, nous le voulons et nous l'oserons. Quant à nous taire, c'est là où nous différons des sphinx, car le plus haut possible nous le crions aux privilégiés pour qu'ils comprennent l'iniquité de l'ordre de choses qui les protège ; aux déshérités pour qu'ils se révoltent. N'est-ce pas un crime d'attendre pendant que des millions d'êtres sont écrasés sous la meule de misère comme un froment humain, comme les grappes au pressoir ; c'est sous cette forme que 23

le monde bourgeois mange son pain et boit son vin, il communie ainsi sous les deux espèces. Considérons les choses de sang-froid : ceux qui ont vu des incendies de fermes savent que dans ces occasions on a beau chasser les chevaux affolés ; ils se plongent dans les flammes plutôt que de quitter l'écurie qui croule sur eux ; eh bien, une partie de la grande foule est ainsi. Heureusement, on ne peut pas vivre les jours d'autrefois et le vieux monde, pareil aux arbres cent fois séculaires, va d'un instant à l'autre tomber en poussière. Le pouvoir est mort, s'étant comme les scorpions tué lui-même ; le capital est une fiction, puisque sans le travail il ne peut exister, et ce n'est pas souffrir pour la République qu'il faut ; mais faire la République sociale. Le malheureux père, qui donnait ces joursci à son fils un verre d'acide sulfurique pour un verre de vin blanc n'était pas coupable, l'enfant n'en périt pas moins20, il en est de 20. Fait divers rapporté par la presse : le litre de vin blanc acheté chez le marchand de vin par le père de la victime était en fait une bouteille d'acide sulfurique {Le Matin, 21 novembre 1889, « Funeste erreur »).

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même de ce régime de grands chemins qu'on présente comme la République, on croit trouver la vie, c'est la mort. Il n'existe aucune différence entre un empire et tout gouvernement régi par les mêmes moyens, si ce n'est le titre et la quantité des souverains. Notre République a des rois par milliers. Ce qui pourrait s'appeler respublicœ21, ce serait la chose de tous, l'humanité libre sur le monde libre. Le travail mort, la misère, immense pour les peuples ; l'abondance et le bon plaisir pour les maîtres, tels sont dans le monde entier les gouvernements. Vous avez beau appeler cela de tous les noms possibles, ils sont les mêmes, ce sont donc des empires autrement habillés. Nous aurions tort cependant de ne pas reconnaître combien est grande la logique des choses ; plus de préjugés sont tombés cette année que nous n'en avions vu disparaître pendant toute notre vie, - ce n'est pas que 21. Respubliai (ici au pluriel) : la chose publique, d'où l'État, le gouvernement, la république. Voir À travers la mort, Mémoires inédits, 1886-1890, p. 332 (la « chose de tous », un « nom magnifique rayonnant sur un cadavre »).

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nous les avons détruits, ceux à qui profitent ces préjugés les ont tellement pressurés, ils en ont tellement fait des vaches à lait que les plus naïfs ouvrent les yeux — les cordes trop tirées cassent de toutes parts. Peut-on encore parler du suffrage universel sans rire ? tous sont obligés de reconnaître que c'est une mauvaise arme ; que du reste le pouvoir en tient le manche, ce qui ne laisse guère aux bons électeurs que le choix des moyens pour être tonquinés22 ou endormis. Quand Ataï23 fit révolter les tribus contre l'occupation française pour reprendre leur liberté, on les combattit avec des obusiers de montagnes, contre des sagaies (ce qui donna la victoire à ce qu'on appelle la civilisation sur ce qu'il est convenu d'appeler la sauvagerie). C'était très beau pour les Canaques, de se dresser contre l'artillerie moderne avec la sagaie, la fronde et quelques vieux fusils 22. « Tonquiner » : traiter comme le Tonkin. Les expéditions françaises au Tonkin et au Dahomey ( i n f r a , p. 52) sont les deux cibles, en ces années 1880-1890, de l'anticolonialisme de Louise Michel. Désastreuse en pertes humaines et financières, l'affaire du Tonkin a provoqué la chute de Ferry en 1885. 23. Meneur de la révolte canaque de 1878.

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à pierre obtenus par de longues années de louage à Nouméa. Mais l'issue de la lutte ne pouvait être douteuse. Eh bien, les bulletins de vote destinés à être emportés par le vent avec les promesses des candidats ne valent pas mieux que les sagaies contre les canons. Pensez-vous, citoyens, que les gouvernants vous les laisseraient si vous pouviez vous en servir pour faire une révolution ? Votre vote c'est la prière aux dieux sourds de toutes les mythologies, quelque chose comme le mugissement du bœuf flairant l'abattoir, il faudrait être bien niais pour y compter encore, de même qu'il ne faudrait pas être dégoûté pour garder des illusions sur le pouvoir, le voyant à l'œuvre il se dévoile, tant mieux24. Après nous la fin du monde ! doivent se dire les tristes sires qui barbotent25 ensemble 24. On peut comprendre : il ne faudrait pas être dégoûté pour garder des illusions sur le pouvoir [en] le voyant à l'œuvre, il se dévoile, tant mieux. O u : il ne faudrait pas être dégoûté pour garder des illusions sur le pouvoir, le voyant à l'oeuvre il se dévoile [d'autant] mieux. 25. Barboter (argot) : voler.

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des pots-de-vin plus grands que la tonne de Heidelberg26, - la fin de leur monde. Oui, - ce sera le commencement d'une éocène nouvelle27. Parlons des choses comme elles le méritent, est-ce que les lois qui ont la prétention d'aider au progrès ne l'enferment pas au contraire dans un cercle de fer, sans cela on ne s'en servirait pas. Est-ce qu'un gouvernement succédant à un autre, pris ainsi dans le même filet, renfermé comme un écureuil dans la même cage (dont avec plus ou moins d'activité il tourne la roue) peut faire autre chose que son devancier ? Est-ce que la raison d'État ne le rend pas impuissant à toute autre chose qu'à sa propre conservation pour laquelle il sacrifie des millions d'hommes et tout ce qui en ferait vivre des millions d'autres ? - On a des troupeaux, c'est pour les tondre et les égorger, il n'en est pas autrement du bétail humain. 26. La tonne de Heidelberg, fameuse pour ses dimensions. 27. C'est-à-dire d'une nouvelle ère géologique. Le terme, construit à partir du grec et signifiant « aurore nouvelle », rejoint les expressions utilisées plus bas : « aurore du monde », « libre aurore du XXe siècle ». Louise Michel l'accorde au féminin, comme « aurore ».

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La constitution que nos aïeux il y a cent ans ébauchèrent avec le même bois que leurs échafauds, que les réactions d'après ont rétrécie, faisait alors trembler les despotes comme un rugissement de lion. Ils se sont vite aperçus que ses lois servaient de cage au lion et ils le laissent rugir tant qu'il lui plaît, les barres de fer sont solides, la porte est bien verrouillée. Les choses ont changé de nom, c'est tout ; la meule pèse aussi lourde, c'est elle qu'il faut briser afin que nul ne vienne plus la tourner pour moudre les multitudes. Il y avait longtemps que les urnes s'engorgeaient et se dégorgeaient périodiquement sans qu'il fut possible de prouver d'une façon aussi incontestable que ces bouts de papier, chargés disait-on de la volonté populaire et qu'on prétendait porter la foudre, ne portent rien du tout. La volonté du peuple ! avec cela qu'on s'en soucie de la volonté du peuple ! Si elle gêne, on ne la suit pas, voilà tout ; on prétend qu'elle est contre la loi et s'il [n ] en existe aucune, on en fabrique ou on en démarque à volonté comme les écrivains sans imagination démarquent un chapitre de roman. 29

Le suffrage, dit universel, c'était le dernier espoir de ceux qui voulaient faire vivre encore la vieille société lépreuse, il n'a pu la sauver et la voilà, la marâtre, la parricide, étendue sur la table de dissection, si putréfiée déjà qu'il faut enterrer le cadavre, autour duquel, semblables aux chœurs antiques, gémissent ou vocifèrent toutes les douleurs qu'elle a causées. N'y a-t-il pas assez longtemps que la finance et le pouvoir font leurs noces d'or à l'avènement de chaque nouveau gouvernement ; c'est depuis toujours, tandis que lourds et mornes les jours s'entassent comme le sable sur les foules, plus exploitées, plus misérables que les bêtes d'abattoir.

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II

Il est probable que dans l'enfance de l'humanité les premiers qui entourèrent un coin de terre cultivé par eux-mêmes ne le firent que pour mettre à l'abri leur travail comme on range ses outils ; il y avait alors place pour tous, dans l'ignorance de tout, et la simplicité des besoins. Aujourd'hui ce n'est pas son travail qu'on entoure de barrières mais le travail des autres ; ce n'est pas ce qu'on sème, mais ce que les autres ont semé depuis des milliers d'années qui sert à vivre somptueusement en ne faisant rien. Si pourtant, en faisant quelque chose, n'estce point aujourd'hui le germinal de l'or ; c'est pour les finances le temps des semailles, les pourritures sociales sont fécondes, la moisson promet, elle est haute et touffue, heureusement elle n'ira pas dans les resserres de leurs 31

accaparements, le raz [de] marée des foules passera noyant les gerbes et les jetant sur la terre. Comme l'anthropophagie a passé, passera le capital. Là est le cœur du vampire, c'est là qu'il faut frapper. C'est là comme dans la légende de Hongrie28 que le pieu doit être enfoncé, aussi bien pour la délivrance de ceux qui possèdent que pour celle des déshérités, - on ne sera plus parricide pour prendre les souliers des morts. De fête en fête, d'hécatombe en hécatombe, le capital miné par tous les crimes qu'il fait commettre, rongé par ses propres exactions, n'a plias qu'à disparaître. Le grotesque est venu, c'est Harpagon se volant lui-même, aussi bien que Shylock se payant de chair vive, le voilà enfin acculé 28. D o m Augustin Calmet a recueilli ces légendes de Hongrie ( Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires, ou les revenans de Hongrie, de Moravie, etc., nouvelle éd., Paris, Debure, 1751, 2 t.). Il les présentait alors comme un phénomène nouveau « depuis environ soixante ans » : elles agitent en effet l'opinion depuis la fin du xvir siècle.

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comme un chien enragé devant la nécessité pour le travail de se préserver de la mort. Il est tout surpris, le travail, s'apercevant que rien ne peut exister sans lui ; qu'ayant tout produit, toujours accablé de misère et de faim, il a, lui, un héritage réel, celui qu'il produit sans cesse, qui est du reste celui de tout homme (il n'entre pas dans l'esprit communiste de refaire des privilèges et des castes). La prise de possession par le travail, la science, les arts, de tout ce qui leur appartient, c'est-à-dire du sol pour le rendre fécond, des machines qui multiplient la production et diminuent les heures de travail. Des forces de la nature pour s'en servir ainsi que d'outils dociles et puissants. Le capital livré à lui-même est stérile comme le roc de granit, Dieu moderne aussi illusoire que toutes les divinités pour lesquelles on a couvert la terre de ruines, on commence à le reconnaître aussi fictif que les cordons de poil de roussette qui servent de monnaie aux Canaques. Si les produits de l'industrie humaine, entassés à l'Exposition, ont été d'un fructueux rapport pour les caisses déjà trop pleines, 33

elle a eu cet immense avantage, de prouver combien les découvertes peuvent multiplier à l'infini les ressources de l'humanité ! la chose est simple et concluante. Deux choses entre autres frappaient à cette Exposition. Dans la galerie des tableaux, le retour de chasse, c'est l'époque du renne ; plus loin, peut-être au fond des âges, le mâle a jeté à terre la proie saignante, il a sur le visage une seule chose, la force calme, la force à l'aurore du monde — la famille, peut-être la tribu sont déjà nées, - la force ne sert encore qu'à rendre dans la rude nature la vie possible, il y a la chasse, surtout aux fauves sans doute, pas encore la guerre, les hommes ayant besoin les uns des autres — depuis la force a évolué, elle ne protège plus, elle écrase, c'est sa fin. L'autre, la galerie des machines, il y en a de monstrueuses. Un bruit de ruches, tel que le feraient des abeilles d'airain, cela vous captive, vous attire presque entre les rouages des colosses. Quel abîme entre les deux époques, les deux extrémités du cercle se joignent, un 34

autre cycle va s'ouvrir et d'autres éternellement se dessinent et s'efïàcent pareils à ceux qui se forment quand on jette une pierre dans l'eau, toujours de plus en plus larges. Et, dans ce temps provisoire, enveloppée du linceul de la chrysalide, l'humanité sent déjà poindre des sens nouveaux — et s'éteindre quelques-uns des anciens ; la personnalité s'augmente des milliards de vies qui s'agitent autour de nous, pareilles à la goutte d'eau qui tient à l'immensité des mers. La terre semble toute petite, on dirait que des autres sphères viennent des appels à l'internationale des mondes29 et nul souffle humain n'est plus dans le cœur ni sur les pages30 ; on vit en avant, sans se rendre compte, primates que nous sommes. 29. Sur « l'internationale des sphères », voir À travers la mort, Mémoires inédits, 1886-1890, p. 235. 30. Cette formule cite de manière voilée un poème de l'auteur, « Bouche close » : « Nul souffle humain n'est sur ces pages / Rien que celui des éléments : / Le cyclone hurlant sur les plages / Les légendes des océans [...] Et l'être, ayant la bouche close, / Feuille de chêne ou bien de rose / Tombant au gré des ouragans. » Louise Michel l'a publié en 1888 dans À travers la vie (p. 111) et lui donne une large place au début de À travers la mort, Mémoires inédits, 1886-1890.

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Les forces inconnues dont la cause nous échappe31, quelque naturelles qu'elles soient, les erreurs de notre appréciation, les lenteurs du langage qui revêt mal la pensée, l'ignorance des découvertes prochaines, toutes ces choses nous entravent - il n'existe plus de mots pour rendre les choses qu'on voit poindre ; derniers d'une époque, nous faisons les semis, nous gâchons le mortier, d'autres bâtiront l'édifice et nous allons disparaître enveloppés avec tout ce qui fut vivant comme d'un suaire dont on ramène les coins sur le cadavre. Quand, sous le linceul des eaux, on retrouvera l'Adantide sombrée comme un navire, elle ne sera pas plus morte que nous ne le serons d'hier ou d'aujourd'hui une fois disparus, n'est-ce pas la même ombre32. Nous sommes le même spectre qui a vu les temps d'autrefois ; les hommes en mourant ressemblent aux molécules qui se renouvellent sans que le corps, l'humanité, s'en aperçoive. 31. La curiosité des « forces inconnues » parcourt À travers la mort, Mémoires inédits, 1886-1890, p. 36, 203, 316. 32. Témoin d'une rédaction simultanée, le texte est ici très proche du début de À travers ta mort, Mémoires inédits, 18861890 (p. 35 et suiv.).

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La vie universelle commence à se découvrir ; l'attraction qui attire le fer vers l'aimant, qui soutient les globes dans l'espace, se feit sentir aussi aux groupes humains ; ils ont reconnu qu'ils n'y sont pas plus insensibles que tout dans la nature, dont les lois se font connaître à mesure que les mensonges disparaissent. L'attraction vers le progrès s'affirmera d'autant plus que le pain sera assuré, quelques heures de travail, devenu attractif étant volontaire, suffiront pour produire plus qu'il n'est nécessaire à la consommation.

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III Prise de possession est plus exact qu'expropriation, puisque expropriation impliquerait une exclusion des uns ou des autres, ce qui ne peut exister, le monde entier est à tous, chacun alors prendra ce qu'il lui faut. La terre au semeur, le marbre au statuaire, l'océan aux navires, ne sont-ce pas des vérités de La Palisse et on est obligé de reconnaître qu'elles ne sont pas encore comprises. Ceux qui vivent de la bêtise humaine, la cultivent si largement qu'on se refuse de reconnaître des choses absolument élémentaires. La propriété individuelle s'obstine à vivre malgré ses résultats anti-sociaux, les crimes qu'elle cause de toutes parts, crimes dont la centième partie seulement est connue, l'impossibilité de vivre plus longtemps rivés aux misères éternelles ; l'effondrement des sociétés financières, par les vols qu'elles commettent 38

- la danse macabre des banques, les gaspillages des gouvernements affolés qui se feraient volontiers entourer chacun par une armée pour protéger les représentations, nopces et festins33 des hommes de proie, toutes ces turpitudes sont les derniers grincements de dents qui rient au nez des misérables. Une seule grève générale pourrait terminer, elle se prépare sans autres meneurs que l'instinct de la vie — se révolter ou mourir, pas d'autre alternative. Cette première révolte de ceux qui ont toujours souffert est semblable au suicide ; toute grève partielle peut être considérée ainsi ; patience ! elle se fera générale et elle n'aura pas de ressources, pas de caisses de secours34, rien, puisque le bénéfice n'a jamais été pour les travailleurs - on sera donc porté à considérer comme butin de guerre la nourriture, le vêtement, l'abri indispensable à la vie. 33. Choix volontaire de la graphie archaïque (de même dans Le Claque-dents, Trois romans, p. 442). 34. La grève générale et sans caisse de secours, l'assimilation de la grève particulière à un suicide, sont des thèmes majeurs de À travers la mort. Mémoires inédits, 1886-1890 et du roman La Chasse aux loups.

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N'est-ce pas butin de guerre en effet, plus que dans aucune guerre, dans la lutte sociale ? Cette situation ne pourrait durer une fois commencée, tout le prolétariat s'y trouve acculé. De plus en plus il devient nombreux, les petits et même quelques gros commerçants, ruinés par les grandes entreprises, les petits employés, un nombre incalculable de ceux qui cachent leur misère traînant à la recherche d'un travail toujours fuyant, l'habit noir râpé, toutes ces vies, toutes ces intelligences qui ne veulent pas mourir, s'y mettront, à la grève générale. L'énergie du désespoir n'est jamais vaincue. Lors même que les patrons, croyant reculer l'échéance en n'employant plus que des rouages de fer, renverraient tous les bras humains, cela ne les sauverait pas, - euxmêmes sont traînés à la remorque des empereurs du capital comme ils traînent leurs esclaves. Le fleuve de l'or a beau couler large chez eux, quelques-uns s'en vont à la dérive et verraient sans désespoir leurs maisons devenir magasins généraux de la sociale, au lieu d'être la proie des grands voleurs.

La prise de possession, soit qu'il y ait lutte suprême autour de la bastille capitaliste, soit que l'intelligence humaine l'ait prise d'avance et que l'étape entière entre dans la place les portes ouvertes, - la prise de possession ne peut tarder pas plus que les jours de décembre monter sur ceux de janvier. Personne ne peut croire que les transformations des sociétés s'arrêtent à nous et que la plus illusoire des républiques35 soit la fin du progrès. C'est l'anarchie communiste qui de toutes parts est à l'horizon, il faut la traverser pour aller plus loin ; on la traversera, le progrès ne pouvant cesser de nous attirer, les multitudes ne pouvant s'habituer à vivre sans pain, à dormir sans abri, eux et leurs petits, plus abandonnés que les chiens errants. Les masses profondes ont un immense remous, elle vont battre en brèche tout le vieux monde. En Allemagne, grève générale, peut-être l'avant-garde de la Sociale. 35. Pour Louise Michel la République ne présente aucune différence de nature avec l'Empire, ainsi qu'elle le répétera dans La Commune (et supra p. 23).

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L'Angleterre, la Belgique, tout se prend, c'est par cent mille que les grévistes se lèvent, bientôt ce sera davantage. Les ouvriers du gaz à Londres, les porteurs de charbon, les typographes à Berne. Le fleuve roule, rien ne l'arrête, la misère a levé les écluses. Comme toujours il y a des inconscients qui, crevant de faim comme les autres, viennent se mettre en place de ceux qui font grève, ils ont fait cela à Berne. Anglais, Allemands surtout, Français, n'importe, c'est le temps où d'un instant à l'autre les grèves de noires se font rouges. Vous savez la chanson : Le gaz est aussi de la fête, Si vous résistez mes agneaux ; Au beau milieu de la tempête, Je fais éclater ses boyaux 36 .

36. C e n e strophe de la chanson de Constant Marie, Le Pire La Purge, revient dans À travers la mort, Mémoires inédits, 18861890 (p. 56) et dans La Chasse aux loups (p. 206, 234).

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II

« Je trouvais, disait Walt Whitman, poète américain, le jour plus beau que tout le reste jusqu'à ce que j'aie contemplé les beautés de tout ce qui existe ; je croyais que notre globe terrestre était assez, jusqu'à ce que se fussent élevées sans bruit autour de moi des myriades d'autres terres ; je vois maintenant que la vie ne peut tout me montrer de même que le jour ne le peut, je vois ce que me montrera la mort. » Il ajoutait en terminant : « Ceci n'est pas un livre, quiconque le touche, touche un homme37. » 37. Ces deux citations de Walt Whitman (1819-1892) figurent dans le grand article que Thérèse Bentzon consacre au poète dans la Revue des deux mondes du 1 " juin 1872, p. 582 (la traduction diffère ici légèrement).

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Il était en effet, cet homme, un des premiers bourgeonnements de cette terre où vient de germer le nom de liberté, puisset-elle s'étendre comme les lianes des forêts vierges et croître enfin pour la délivrance, jamais encore [atteinte], la liberté n'eut que des fleurs aussitôt arrachées. Il avait raison de regarder à travers la mort, c'est à travers la poussière et les décombres d'un monde enseveli que nous regardons les jours nouveaux. Rien ne peut être bâti sur la ruine, c'est pourquoi nous applaudissons au chaos qui se fait des vieilles institutions. Nous applaudissons aussi à l'éveil qui sonne. Les États-Unis de l'Amérique du Sud38 ne sont pas sans écho. La balle qui frappe une glace y fait une étoile ; le coup porté à un despotisme se propage ainsi. Les bouleversements sociaux comme les tremblements de terre suivent une même 38. La République brésilienne est proclamée en novembre 1889.

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ligne volcanique ; ils se propagent surtout par l'électricité de la pensée ainsi que par des fils conducteurs. Les affinités de langues, de caractères, de circonstances, ramifient à travers l'espace et le temps. Les races mêlées qui ont l'activité d'esprit des Européens, le sauvage courage des Indiens, sont bien placées dans leurs grandes plaines pour se laisser aller au courant de la liberté. Cette calme République du Brésil a les mêmes institutions que celle de 1848 en France, elle les secouera ; ce sont des défroques de nains que les rudes épaules des géants feront craquer. La République du Brésil est le prologue des sociales unies d'Amérique, lesquelles auront pour écho les sociales unies d'Europe.

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V Unis, le monde entier ne vous résisterait pas, disait Vercingétorix aux Gaulois39. Le temps des Gaules a passé, ainsi passe celui de France, et ceux qu'on opprime ne sont pas unis. Ils ne s'unissent que pour tomber sur d'autres esclaves dont ils rapportent à leurs maîtres empereurs, roi du glaive autrefois, financiers aujourd'hui, les dépouilles sanglantes. Allons les bagaudes, les Jacques, vous qui portez le collier de misère aussi dur que le collier de fer des aïeux, c'est la veillée des armes, causons en attendant l'heure ! 39. Cette citation approximative des Commentaires sur la guerre des Gaules de Jules César (VII, 29) figure en 1881 en épigraphe du roman Les Paysans. Ce passage de Jules César avait inspiré l'inscription du monument de Vercingétorix à Alésia, édifié sur l'ordre de Napoléon III en 1865 : « La Gaule unie, formant une seule nation, animée d'un même esprit, peut défier l'univers. Napoléon III, empereur des Français, à la mémoire de Vercingétorix. »

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L'été, dans vos grandes plaines, monte âpre et pénétrante l'odeur des foins, coupés au soleil d'été ; des senteurs des champs se dégage une sorte de rêve, le rêve de la liberté. Si l'homme n'était l'esclave d'un autre homme la nature serait belle. Belle même sous la neige d'hiver où elle s'endort, fatiguée des germinal et des fructidor de l'année. Le travailleur, lui, ne peut dormir, il faut qu'il peine sans relâche pour que ses maîtres ne fassent rien ; les uns crèvent à la peine, les autres à l'engrais. Entends-tu, paysan, ces souffles qui passent dans les vents ? ce sont les chansons de tes pères, les vieux bardits gaulois. « Coule, coule, sang du captif, rouge, la terre fleurira ; rouge comme les verveines, et le captif sera vengé40. » Pourtant depuis des mille et des cents ans, tous les fils de Gaule et du monde, captifs du capital s'en vont aux égorgements ; sur eux dans les champs l'herbe pousse plus haute et 40. Ce « bardit » (chant de guerre et chant des bardes) vient du roman d'Eugène Sue, Les Mystères du peuple : voir La Grève dernière ( 1881), dans La Chasse aux loups, p. 294.

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plus touffue. Mais la délivrance ne vient pas, c'est que tu l'implores au lieu de la prendre. Nul n'a le droit d'asservir les autres, celui qui prend sa liberté ne fait que reprendre ce qui lui appartient, le seul bien véritable. Entre tous les maîtres de race latine, teutonne, slave, peu importe, existe l'alliance de la force, les dominateurs sont unis autant que sont divisés les esclaves. Quand les troupeaux deviennent menaçants on les décime à l'abattoir des guerres. L'animal humain comme le cheval de course, le taureau de combat, subit en aveugle l'entraînement auquel son ignorance aussi profonde que celle de la bête et son imagination plus haute le livrent tout entier. Et les mensonges de la politique, pareils aux ailes des vampires, bercent doucement les foules dont le sang les abreuve. Les promesses fallacieuses miroitant aux yeux des meurt-de-faim ne pourront pas durer éternellement. Un jour, peut-être proche, du fond du désespoir soufflera la révolte, est-ce par une grève générale, par une catastrophe, l'écroulement du pouvoir aussi bien que par le 48

soulèvement des foules, qui sait ? On la sent proche, son haleine souffle sur nous froide comme la haine et la mort. La haine du charnier, des geôles, des lazarets où stupidement, comme s'entassent les moutons en attendant le couteau, se tient l'humanité. Veux-tu paysan cesser ta résignation éternelle et idiote ? laisse-là ta charrue jusqu'à ce que la terre appartienne à l'homme et non aux vautours ; il y a des grains entassés pour des siècles, puisque tu meurs de faim, mange le blé de tes semailles, - sois tranquille, cela ne détruira pas les moissons futures, que celui qui sème le grain mange du pain41 ! Refuse, paysan, ton fils pour aller égorger les autres peuples, ta fille, pour les plaisirs des maîtres ou des valets ; apprends-leur la révolte afin qu'ils aient enfin la sociale, la République du genre humain. Refuse tes deniers pour payer les limiers qui te mordent, refuse tout, afin que vienne 41. Louise Michel traduit assidûment Shelley : « Hommes d'Angleterre [...] pourquoi labourer pour les maîtres qui vous oppriment ? », aussi bien dans les Mémoires écrits par elle-même (p. 246), que dans les manuscrits poétiques.

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plus vite la grève dernière, la grève de misère. Et toi compagnon, qui traîne en filant la comète42 par les nuits froides les lambeaux de ta blouse de travail ou de ton habit noir loqueteux, qu'attends-tu pour prendre ta place de combat, n'espère ni ouvrage ni secours. Gouvernants et financiers ont autre chose à faire que de s'occuper de toi. S'ils eussent été intelligents, le peuple patient comme il l'est aurait reculé l'échéance. Tant mieux, ce ne serait un bonheur pour personne, pas même pour eux. - On étouffe dans le coupe-gorge social et ceux, quels qu'ils soient, qui ont un cœur d'homme salueront la libre aurore du XXe siècle. Toi qui ne possèdes rien, tu n'as que deux routes à choisir, être dupe ou fripon, rien entre les deux, rien au-delà, pas plus qu'avant — rien que la révolte. Est-ce que le vagabond n'est pas condamné parce qu'il n'a pas volé, serait-ce cela que tu attends camarade, ou espérais-tu passer dans l'illustre pègre où on vole par millions, où tout 42. Filer la comète (argot) : coucher à la belle étoile.

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est à vendre ; n'y a-t-il rien qui te dise c'est l'heure de l'éveil, et vous qui possédez, la nuit du 4 août ne vous tente-t-elle pas cette fois, elle serait mille fois plus grande et plus belle que celle des aïeux, elle prendrait le monde. Le sens de l'acquisivité existe encore chez l'homme autant que chez la bête, mais il ne faut pas croire qu'il dure, de plus en plus s'élargit l'intelligence. Les choses qu'on craignait s'élucident. Le jour se fait sur les choses éternellement incomprises. Le communisme commence à se dessiner, personne ne possède en propre le soleil qui l'éclairé, l'océan qu'il parcourt ; en jouit-il moins ? ainsi, toutes choses seront à tous sans être partagées. Cette transformation est imminente, les événements étant plus prompts qu'on ne les attend et le temps relativement court où les leçons de choses ont porté leurs fruits, demain peut-être, les fléaux qui s'ajoutent à nos misères feront déborder la coupe. Des épidémies venues soit de la misère profonde et noire, soit de leur source ordinaire, l'Asie, peut-être du sang des hécatombes non encore séché emplissant l'air de miasmes mortels, peuvent par la désolation qu'elles répandent accélérer la fin. 51

La peste comme la grève peut jeter le linceul sur le vieux monde43. Que les villes soient muettes, sans travail, sans lumière, sans vie par la grève générale, ou que la mort les couve sous ses ailes, la transformation ne se fera pas moins. Ceux qui dorment sous les ponts dans leurs sordides guenilles ne seront pas la proie des pestes sans monter, ne fut-ce qu'une nuit, aux Élysées, dormir leur dernier sommeil rêvant de la sociale, la Marianne des aînés. Vous savez le refrain : Va, va, Marianne, La torche à la main, Sonne le tocsin 44 .

Ce ne seraient pas les palais qui flamberaient mais les bouges infects et hideux afin que jamais plus, nul n'habite ces tanières indignes de l'humanité. 43. Dans le roman La Chasse aux loups, grève et épidémie se déchaînent en même temps. 44. Citation de La Marianne de 1883, marche populaire, paroles de Souêtre. Repris par Achille Le Roy dans La Revanche du prolétariat..., Paris, Librairie socialiste internationale, 1885, p. 36 (« La Marianne populaire de 1883 »).

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Toute éocène a sa période héroïque - les héros des légendes du temps qui va s'ouvrir sont des peuples et non des hommes. L'homme passe par des transformations semblables à celles des sociétés ; molécule de l'infini, il sent enfin qu'il est en rapport avec tout ce qui influe sur lui, astres, choses, êtres, et de plus en plus s'étend l'intelligence sans fin comme le progrès. Nous parlions des légendes, elles sont plutôt l'âme de leurs époques qu'elles n'en sont l'histoire. Notre décrépitude en a d'aussi féroces qu'on les puisse imaginer, elles ont le tort d'être vraies quoique parfaitement incroyables pour l'avenir. En voici une toute chaude, toute chaude de sang. Elle dira à ceux qui nous succéderont à quel point de cruauté nous sommes, s'ils peuvent y ajouter foi. Un chef de pirates, Doï-Van45, devenu chef de partisans contre les envahisseurs, avait 45. Sur cette exécution (à Hanoï), exemple des horreurs du colonialisme français, voir À travers la mort, Mémoires inédits, 1886-1890, p. 216.

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imaginé, pour mieux vaincre l'ennemi, de l'étudier dans ses redoutes. Il feignit la soumission et, sachant les forces de l'ennemi, il recommença le combat pour la liberté, c'était un audacieux, un brave, il devait subir la défaite et la mort. Traqué par les siens même, achetés ou affolés, il fut condamné à mort, l'exécution fut si horrible qu'elle fait douter si ce n'est pas une provocation. Cela se passe au Tonkin, entreprise néfaste qu'on représentait naguère sous cette forme saisissante, un képi sur une tête de mort. Le jeudi 9 novembre 1889, année du centenaire de la Révolution, le Doï-Van, condamné à mort par le tribunal mixte de Bac-Ninh, a fait, dans une cage, comme au temps de Louis XI, son entrée dans Hanoï, la cangue au cou, les bras entravés, et s'est attaché à une potence sur une plate-forme qui doit servir à la musique des régiments [où] il a dû subir, agenouillé, la face tournée du côté du lac, la longue lecture de la sentence en français et en annamite. On avait choisi pour cela un de ses ennemis. Ses vêtements ôtés laissent à découvert les blessures qu'il a reçues dans la lutte contre 54

les occupants de son pays, il lui faut subir le frottement sur son cou de la main du bourreau ; les trois coups de gong qui prolongent l'agonie. Le calme de Doï-Van ne se dément pas : « Fais vite ! » dit-il au bourreau. La tête abattue est jetée en avant, suivent des sauvageries, un chien de chasse amené par des Français, la ramasse ; détail qui ne serait pas déplacé chez les cannibales. Le corps est jeté à l'eau, la tête reprise au chien, envoyée comme trophée, je ne sais où, et ce crime va commencer de nouvelles scènes de représailles jusqu'à ce que le Tonkin s'effondre sous les cadavres ou jusqu'à ce que le monde soit libre. — En avez-vous assez de ces horreurs ? Voulez-vous, compagnons, le travail et le pain de toute une classe valent bien ce coup de collier. Pourtant, si cela vous plaît, prolétaires du monde entier, restez comme vous êtes — peutêtre que dans une dizaine de mille ans vous aurez réussi à hisser au pouvoir trois ou quatre des vôtres ; ce qui vous fait espérer une majorité socialiste dans vingt-cinq à trente mille ans. 55

Mais à mesure qu'ils entrent dans cette caverne incrustative46, tous sont revêtus de la même pétrification, peut-être aussi, camarades, la comédie parlementaire vous amuse, et pour peu qu'il vous plaise d'imiter le jeûne de Succi47, vous auriez une partie de ce qu'il fallait à la ruine de la décadence, les spectacles, quant au pain, n'y comptez pas. Ne comptez pas non plus sur l'abri. Par cinq cents à la fois, la rafle prend les traîne-misère qui se permettent de dormir sans toit ; leur silhouette hâve et maigre se dessine lugubrement et les bourgeois attardés, voyant passer les gens de mauvaise mine, hâtent le pas, assaillis de terreurs, tandis que les escarpes et grinches de millions passent salués jusqu'à terre par [la] bêtise humaine.

46. Louise Michel évoque un phénomène physique de fossilisation ou de calcification : les êtres se recouvrent d'une croûte. Curieusement, l'adjectif « incrustatif », inusité, est surtout utilisé par un auteur illuminé, du nom de... Louis Michel (de Figanières), pour l'exposé d'une vision mystique de la création du monde, dans les années 1860-1880. 47. Giovanni Succi, célèbre en 1886 par ses performances en matière de jeûne : voir La Chasse aux loups et supra, p. 7.

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L'âne chargé de reliques48 sera éternellement vrai. Pourtant il existe des ressources mises à profit largement par les désespérés, dans la Seine profonde et large on peut boire largement, on peut dormir sans crainte du réveil. La prison aussi est ouverte, pas toujours cependant, certains ont bien de la peine à s'arranger pour y passer l'hiver. Qu'y ferait-on de ceux qu'on ne craint pas ! La misère les a domptés, qu'ils crèvent où ils pourront, le pouvoir n'est pas atteint. C'est l'hiver, temps de fêtes pour ceux qui s'amusent, quant aux autres, la cloche de bois49 se balance muette, annonçant le réveillon de misère. Le réveillon des loqueteux, des sans-pain, de la ruche où les frelons mangent le miel. Qu'elle monte, qu'elle monte l'eau de la Seine en Océan ! qu'elle traîne des légions de spectres vers ceux qui les ont réduits à la mort, 48. La Fontaine, Fables, V, xiv : « Un baudet chargé de reliques/ S'imagina qu'on l'adorait [...] D'un magistrat ignorant/ C'est la robe qu'on salue. » 49. Sur les déménagements à la cloche de bois : À travers la mort, Mémoires inédits, 1886-1890, p. 53.

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que la terre partout sue le sang dont elle est gorgée depuis toujours ; le sang des foules, qu'elle le rejette par tous les abîmes et que c'en soit fini pour toutes les iniquités passées en lois, toutes les sauvageries dites civilisation, tout ce qui rend entre eux les hommes pires que les bêtes farouches. Tocsins, tocsins, sonnez la révolte ! Parfois, le paysan se lasse comme le bœuf de labour flairant l'abattoir, il devient terrible. Le troupeau alors se rue sur les bouchers ; ce sont les jacqueries. Il y en eut de terribles dont les plus braves subirent des traitements si épouvantables que des représailles eurent lieu parfois à des siècles d'intervalle. Un épisode de la jacquerie de 1513, en Hongrie, semble évoqué par le récit des cruautés qui viennent de signaler la mort de Doï-Van. Les paysans, au nom de toutes leurs misères passées et présentes, s'étaient levés armés de torches et de faux. La révolte d'une poignée d'hommes déterminés durait depuis un an. Mieux vaut, disaient-ils, dormir sous la terre que d'y marcher sous le fouet. 58

Jean, voïvode de Transylvanie, rassembla des forces nombreuses, une armée cerna les Jacques, Georges Dosa et quarante des siens furent faits prisonniers, on les condamna à mourir de faim50. La force était largement développée par les exercices violents, la faim se faisait cruellement sentir, c'est pourquoi on choisissait cette mort comme la plus angoisseuse. Au bout de cinq ou six jours, neuf des condamnés étaient encore vivants, quelquesuns avaient mordu leurs bras de leurs fortes dents blanches de paysans et s'abreuvaient de leur propre sang. On leur promit de la nourriture pour le soir et en même temps, la mort de Georges Dosa, l'un des plus ardents instigateurs de la révolte, fut fixée pour le même soir. Dans la grande salle du palais de Hongrie, éclairée aux flambeaux, était dressé un trône de fer rougi ; Georges fut amené le premier, on lui ordonna de s'asseoir ; n'était-ce pas lui qui avait appelé les autres à la révolte. 50. Georges Dosa, mort en 1513, chef des paysans révoltés de Transylvanie, qui le proclamèrent roi de Hongrie. Le voïvode Jean Zapolski les écrasa. Voïvode : chef militaire.

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Fier comme s'il eût à la fois tous les courages de ceux qui se levaient pour la liberté, il s'assit en silence et nulle plainte ne trahit sa douleur. Les bourreaux lui tendirent la couronne de fer rougie comme le trône, il la posa sur sa tête. Les bourreaux tremblaient en lui tendant le sceptre de fer rougi qu'il prit également. Alors on fit entrer les huit autres condamnés ; quelques-uns devenus fous de douleur marchaient sur les mains, chassés par les fouets des valets. Le dernier, grand vieillard aux cheveux blancs, se tenait debout, on pouvait compter les muscles et les os sous sa peau desséchée. Le vieux marcha droit à Georges et posant les mains sur le trône brûlant, il commença d'une voix âpre la chanson des Jacques de Hongrie. Les valets qui chargeaient à coups de fouets les moribonds pour les forcer à mordre la chair de leur camarade avaient peur de ce supplice muet, et de ce vieillard chantant à l'agonie le lever de l'ère de justice.

Les maîtres effrayés plus encore que les valets élevèrent leur férocité à la grandeur de leur effroi. Les paysans compromis dans la révolte furent empalés, écorchés vifs ou attachés à des roues de moulins. Mais plus terrible en est venu jusqu'à nous l'écho de la chanson des Jacques. Les mioches ne sont pas plus heureux que les autres dans cette société de privilège et d'iniquité. Tout le monde les aime, les petits, c'est peut-être simplement une mode. La société aussi, la vieille gueuse aime les enfants à sa manière, à la façon des ogres flairant la chair fraîche ; tout petits, petits, elle les élève dans des couveuses chauffées avec autant de soin que pour des petits poulets à qui on doit couper la gorge ; c'est que ces mioches-là, ce sont les poulets des privilégiés. Si les parents meurent, ou sont trop pauvres pour leur donner la becquée, ce sont eux qui la procureront la becquée aux juges, qui les condamneront, dès l'âge de huit ans, plus petits peut-être, et plus tard encore, ils seront condamnés parce qu'ils l'ont été une première fois. 61

D'autres sont placés par XAssistance dans des fermes ou ailleurs51. Il y a les colonies agricoles des abbés Rousselle52 ou autres, toutes places faites pour développer l'enfance, n'est-ce pas ? Quel travailleur peut se flatter de l'espoir que ses petits n'iront pas là ? Il arrive tant d'accidents avec le travail. Ce que deviennent les petits des oiseaux quand le père et la mère ont péri. Vous savez la chanson : La femelle est morte, Le mâle, un chat l'emporte Et dévore ses os. 51. C'est le plein moment des affaires qui éclaboussent l'assistance publique et privée, en particulier les colonies agricoles pour enfants (scandale de la colonie de Porquerolles en 1886, scandale de la colonie de Citeauxen 1888...). Voir les articles d'Ernest Gegout dans L'Attaque, 4-11 juillet 1888 et 13-20 juillet 1889. 52. L'affaire de l'abbé Roussel, directeur de l'orphelinat d'Auteuil, et d'Annette Harchoux, 19 ans, ancienne pensionnaire de l'orphelinat, accusée de faux et de vol, est passée en cours d'assises au début 1887, tournant vite à l'affaire de moeurs : Annette Harchoux affirme être l'amante de l'abbé (voir Le Radical du 2 février 1887). Les abbés Cadet qui traversent les romans de Louise Michel ( Trois romans, p. 607) évoquent l'abbé Roussel (par jeu de mots sur Cadet-Roussel).

62

Q u i veille au nid ? personne, Pauvres petits oiseaux 53 !

Par un matin d'avril plus glacé qu'une nuit de décembre, j'eus l'occasion de voir une des plus heureuses parmi les enfants abandonnés ; elle paraissait six ans à peine ; elle en avait dix à onze. La petite poussait un troupeau d'oies à travers les grands chaumes qui la faisaient trébucher à chaque pas. Vêtue d'une camisole trop courte et d'une jupe trop longue qu'elle oubliait de relever ; cette jupe était garnie, en bas, comme d'une large bande de velours par la boue épaisse et blanche qui l'alourdissait. On eût dit un vêtement de brocart. Avec une intelligence au-dessus de son âge, l'enfant se faisait aider par une douzaine d'oies, qui lui obéissaient gentiment avec des minauderies, des gracieusetés d'oies, tordant et détordant leur cou, ramant avec leurs pattes 53. Victor Hugo, Châtiments, I, xin, « Chanson » (le premier vers est : « La femelle ? elle est morte. »)

63

pour la suivre plus vite dans la poussière du chemin, et se balançant derrière elle comme des barques. L'enfant était maigre, ses grands yeux noirs roulaient des larmes, et pourtant une sorte d'audace lui faisait lever la tête. Ses regards s'attachaient avec douleur sur ses bêtes, seules amies qu'elle eût. Est-ce qu'on ne va pas les lui ravir pour les vendre ou pour les enfermer les pattes clouées dans des jarres, d'où elles la regarderont tristement le matin, comme pour lui demander de les emmener avec elle ? Sans rien y pouvoir, elle les verra souffrir54. Tu n'es pas au bout, ma petite ; tu en verras bien d'autres, et pour toi et pour des petits malheureux comme toi, quoique tu passes pour heureuse où tu es. Regardons plus bas, c'est ici l'enfer du Dante ; plus bas toujours, plus bas, dans la douleur.

54. Louise Michel rappelle dans ses Mémoires écrits par ellemême, P« horreur » profonde produite sur elle, enfant, par la vue d'une oie décapitée (p. 224).

64

Tout au fond, c'est Sophie Grant55. La mère est morte, le père est au bagne. L'enfant a déjà gagné rudement sa vie ; elle avait un abri alors, mais son maître fait faillite. La chance n'est pas grande pour les petits commerçants ; il faut bien que le grand commerce s'étale, n'est-ce pas ? Voilà Sophie Grant dans la rue, comme tant et tant d'autres, mais elle ne veut pas être une marchandise, elle ne veut pas se vendre ; la société a quelque chose à lui offrir : la prison. Il n'y a pas d'autre asile pour les petites pauvresses qui se permettent d'être dégoûtées de ce que leur offre le banquet de la vie. Les garçons, c'est encore plus simple : on les emploiera à tout ce qu'on voudra jusqu'à vingt et un ans ; alors, ils seront toujours bons à faire de la chair à canons. Voilà, camarades, quelques-uns des mille périls qui attendent vos enfants, si la société, telle quelle est, vit plus que vous. 55. La presse répercute l'histoire de Sophie Grand en décembre 1889 : adolescente chétive, seule, à la rue et sans travail depuis la faillite de son employeur, elle demande refuge au commissariat des Halles (La Justice, 15 décembre 1889).

65

Je sais bien qu'au train dont on la mène, la vieille guimbarde qu'on appelle le char de l'État n'en a pas pour longtemps. C'est pourquoi les pires sont les meilleurs parmi les gouvernants ; ils font tomber dans quelque égout la guimbarde disloquée : c'est fini, et il n'est jamais trop tôt. Les gens de finance, de justice, de pouvoir, qui barbotent les caisses et font les millions, ont cette qualité indéniable, c'est qu'ils découvrent cyniquement les plaies, les lèpres, les crimes de l'organisation sociale. L'Empire ne pouvait plus exister après Sedan ; toute autorité est impossible après les bandes d'hommes politiques qu'on voit à l'œuvre.

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VI Comme le poète américain56, nous attendons que dans l'ensevelissement du vieux monde germe la vie nouvelle. Cette terre d'Amérique est à la fois le nouveau monde et le monde nouveau. Les sept de Chicago57 y touchent Christophe Colomb. Les légendes se mêlent, les transformations, aidées par la fécondité des plaines, par les souffles puissants des hautes montagnes, par la mer, qui leur donne son souffle immense, iront vite. Que de ruines sur cette terre ! Le monde des Incas a sombré sur d'autres. Les symboles sont ceux de l'Adantide mêlés à ceux de l'Inde. 56. Walt Whitman, cité plus haut. 57. Les sept anarchistes pendus à Chicago en novembre 1887 (dont Spies et Parsons, nommés infra, p. 72).

67

Le Brésil au sol brûlant ne pouvait être insensible. Le signal a retenti pareil à un coup d'archet, et un peu plus tôt, un peu plus tard, suivant le rythme qui l'entraîne, chaque nation répond à l'appel de la liberté. Les États-Unis du Brésil nous reportent à 48, à 89 peut-être, mais nous-mêmes sommes moins encore à la même époque. Soyez tranquilles, cela chauffe. On entend déjà souffler la machine et les rails sont encombrés encore d'attardés qui s'obstinent à attendre là que l'avenir vienne à eux. Tant pis, la vapeur passera quand même. Lors même qu'il resterait, dans quelque coin du monde, des hommes d'État plus bêtes et plus cruels que le roi de Dahomey, l'heure de la transformation sociale, qui ferme notre cycle et précède le nouveau, n'en est pas moins venue. Ce n'est pas parce qu'il resterait quelques feuilles mortes passant l'hiver qu'elles en sont moins mortes. Le grain est à l'horizon, il grossit et bientôt lavera la terre, balayant finances, pouvoir, mascarades et mises en scène des mensonges séculaires. 68

En fomentant une guerre, dont les peuples ne veulent pas mais qu'ils sont capables encore de subir, de subir d'abord, de faire ensuite avec une furie de meutes, l'instinct sanguinaire de la bête s'étant réveillé, les maîtres du bétail humain pensent refaire à neuf la vieille société ; ils se trompent. Un certain nombre d'hommes tourneraient contre l'ennemi commun les armes qu'on leur aurait données pour s'égorger entre eux et rendraient par la révolte la délivrance générale. Cette internationale spontanée de la lutte pourrait être la minorité : la routine, l'habitude de la discipline retiendraient beaucoup d'esclaves dans le troupeau. Mais n'est-ce pas toujours une minorité qui a essayé les révolutions ? Elles se font même seules quand l'heure est venue. Que ce soit la grève, la peste ou la guerre qui donne le coup d'épieu au vampire du capital, la prise de possession de tout par tous n'est pas moins faite. Les uns, las de souffrir, les autres, indignés, tous, amis et ennemis, - entendezvous ? ennemis même, - tous n'ont rien à y perdre, tout à y gagner. La prise de possession 69

de tout par tous n'est que la délivrance de tous, - la fin du vol éternellement commis par les privilégiés et stupidement accepté par les foules. Puisqu'on agite le fantôme de la guerre, puisqu'on veut rajeunir dans un bain de sang le vieux monde déjà mort, parlons de la guerre, et en attendant de publier les notes nouvelles sur le Tonkin, servons-nous de vieilles déjà ; puisqu'on s'occupe de l'Amérique, parlons de la sombre aventure du Mexique. Au fond, comme toujours, étaient des questionsfinancières,entre autres celle-ci : un capitaliste juif de Suisse avait prêté aux libéras [BC] mexicains une dizaine de millions ; ne fallait-il pas qu'il fut remboursé ? D'un autre côté, François-Joseph s'était plaint à Bonaparte et à Victor-Emmanuel que son frère Maximilien, imbu d'idées libérales, pouvait mal tourner. N'est-on pas rivé, dans ces familles-là, au métier de roi ? Ceux qui essaient de laisser là le boulet sont des gêneurs dont on se débarrasse comme on peut. Cela se fait de même 70

dans les républiques bourgeoises. C'est la raison d'État. Une bien belle chose que la raison d'État ! Plus muette et plus terrible que le bourreau, elle prend partout ses victimes. Le jeune Maximilien, qui, en octobre 66, fut fusillé à Keretaro, après avoir été imposé par Bonaparte comme empereur du Mexique (il ne fait pas bon être imposé), est, lui aussi, une victime de la raison d'État. Maximilien était brave ; illusionné par le titre d'Empereur, il crut être héroïque en déclarant qu'il voulait mourir souverain58. Charlotte l'aimait, elle le trouvait bien ainsi. Jeunes tous deux, ils eurent les noces rouges, ces fils de rois, comme ceux de Chicago, les fils de la liberté. La mort délivra Maximilien du titre ridicule d'empereur. 58. La dette mexicaine est à l'origine de l'intervention française. Napoléon III envoie des troupes à la fin 1861 et soutient un éphémère empire du Mexique à la tête duquel il place Maximilien (frère de l'empereur d'Autriche François-Joseph). Combattu par la guérilla, le règne de Maximilien et de sa femme Charlotte prend fin quand Napoléon III rapatrie le corps expéditionnaire français (1866). Maximilien est fusillé en juin 1867 près de Queretaro, Charlotte sombre dans la folie.

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Que de choses dans cette guerre. La terrible retraite de Puebla qui n'en finissait pas. La contre-guérilla recrutée parmi les plus féroces de toutes les nations. Armés d'une carabine et d'une corde qui, disaient-ils, pouvait servir plusieurs fois et leur épargnaient la poudre, ils économisaient les cartouches et multipliaient les cadavres aux arbres des routes. Il y a cent ans, Abraham Lincoln voyait l'Amérique libre, ayant des vigies planant sur les eaux, - l'une en regard de l'Europe et de l'Afrique, l'autre de la Polynésie, - son rêve se réalise. Et ce n'est pas seulement l'Amérique, mais le monde entier qui sera libre. Ce n'est pas seulement la terre qui portera les villes superbes de la confédération humaine, il y en aura sous les eaux contenues dans des navires sous-marins grands comme des contrées, dans les airs voguant peut-être de saisons en saisons. Qui sait ce que seront ces villes du XXE siècle, ce que seront les hommes qui fouleront nos poussières, parlant une autre langue où se retrouveront semés çà et là un peu de [nos] misérables dialectes, vivant une autre vie toute d'intelligence, de paix, d'humanité. 72

Dites-nous camarades de toutes les ligues, est-ce que vous allez continuer ainsi, usant les urnes, le temps et l'argent, usant vos vies inutilement ? Que vous ont fait ces autres camarades que vous cherchez à faire entrer dans le lazaret du Palais-Bourbon, pourquoi leur persuader qu'ils peuvent tout, ils ne peuvent rien que se pourrir comme les autres. Lors même qu'ils arriveraient à mettre des pièces neuves sur les trous de la Constitution, vous savez bien que cela n'irait pas ensemble, les morceaux neufs arracheraient la guenille. Comme il y a longtemps qu'on étouffe bêtement du même collier ! Chose étrange parmi les plus étranges, c'est le pouvoir et la force traités par Eschyle comme nous les traitons nous-mêmes. La scène dans Prométhée s'ouvre sur une idée moderne, le pouvoir pressant le supplice de celui qui a doté les hommes du feu. La force dans Eschyle est muette, le pouvoir est comme aujourd'hui impitoyable dans sa terreur. « Frappe, dit-il à Vulcain. frappe encore, ne laisse rien de lâche dans les liens ; il est capable 73

de se tirer des pas les plus difficiles... Je vois un coupable justement puni, mais passe des sangles autour de ses reins ! Cloue-lui aux pieds des entraves qui pénètrent dans les chairs, n'oublie pas que ton ouvrage est sévère59. » La fermeté de Prométhée n'est pas moins grande que celle de Spies et Parsons60. Sommes-nous plus avancés qu'au temps d'Eschyle, non ! C'est le même principe, la force, seulement c'était alors le matin et c'est maintenant le soir ; le soleil se couche sur le pouvoir, sur la force, sur les misères éternelles. Aujourd'hui encore, le charnier c'est la terre toute blonde d'épis, toute pleine d'êtres subissant ou donnant la mort quand tout déborde de vie. Oui, c'est bien la même chose que toujours, mais aussi c'est bien le soir.

59. Eschyle, Prométhée enchaîné. Le dialogue de Kratos (le Pouvoir) et d'Héphaïstos (ici Vulcain) se situe au début de la tragédie : le dieu forgeron Héphaïstos, soumis aux ordres de Kratos, rive à contre-coeur les chaînes de son parent Prométhée. 60. August Spies et Albert Parsons, deux des anarchistes pendus à Chicago en novembre 1887 (voir supra, p. 8 et 69).

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Et sous le soleil de demain, les cris des misérables ne frapperont plus le ciel sourd, la révolte comme la tempête aura passé. Personne au monde ne peut rien à dénouer61 la situation présente. Personne mais tous c'est la fin. Les urnes ont assez vomi de misères et de hontes. Au vent les urnes, place à la sociale ! Le monde à l'humanité. Le progrès sans fin et sans bornes. L'égalité, l'harmonie universelle pour les hommes comme pour tout ce qui existe. Fin

61. Lire probablement : ne peut rien dénouer à la situation.

75

INDEX DES NOMS

ATAÏ 24 BENTZON [BLANC], THÉRÈSE 41 BLANQUI, AUGUSTE 19 BONAPARTE, LOUIS-NAPOLÉON (NAPOLÉON III) 44, 68, 69 CADET-ROUSSEL 60 CALMET, AUGUSTIN CÉSAR, JULES CHARLOTTE COLOMB, CHRISTOPHE DANTE DOÏ-VAN DOSA, GEORGES ESCHYLE FAURE, SÉBASTIEN FERRY, JULES FRANÇOIS-JOSEPH GEGOUT, ERNEST GRAND [orthographié

30 44 69 65 62 51-53,56 57-58 8,15,71-72 8 24 68,69 60

Grant], Sophie 13, 63 77

HAMON, AUGUSTIN HARCHOUX, ANNETTE

6 60

HUGO, VICTOR LA FONTAINE, JEAN DE LA PALISSE LE ROY, ACHILLE LINCOLN, ABRAHAM

61 55 36 50 70

LOUIS X I 52 MALATO, CHARLES 9 MARIE, CONSTANT 40 MAXIMILIEN 68,69 MICHEL (DE FIGANIÈRES), LOUIS 54 MICHELET, JULES 9 PARSONS, ALBERT 8, 6 5 , 7 2 PLANCHE, FERNAND 5 ROUSSEL [ORTHOGRAPHIÉ ROUSSELLE], ABBÉ 60 ROY, F. SHELLEY, PERCY SOUÊTRE, OLIVIER

6 47 50

SPIES, AUGUST SUCCI, GIOVANNI SUE, EUGÈNE VERCINGÉTORIX VICTOR-EMMANUEL WHITMAN, WALT ZAPOLSKI, JEAN

8, 6 5 , 7 2 7, 54 45 44 68 41,65 57

78

TABLE DES MATIÈRES

NOTE DE L'ÉDITEUR

5

PRÉSENTATION PAR CLAUDE RÉTAT PRINCIPES D'ÉTABLISSEMENT DU TEXTE ABRÉVIATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

7 19 20

PRISE D E POSSESSION I

21

II

31

III IV

38 43

V VI

46 67

INDEX DES NOMS

77

79

Carnets de L'Heme

Collection dirigée par Laurence Tâcu Marc Abélès

Le spectacle du pouvoir

Gunther Andeis Le temps de la fin

Jean Baudrillard

Carnaval et cannibale Pourquoi tout n'a-t-ilpas déjà disparu ?

Mark Anspach

Zygmunt Bauman

Hannah Arendt

Simone de Beauvoir

Œdipe mimétique

La politique a-t-elle encore un sens ?

Jules Barbey d'Aurevilly La bague d'Annibal

Luigi Aurigemma

Éveil de la conscience

Mariano Azuela Ceux d'en bas

Michel Bakounine

Identité

Malentendu à Moscou

Walter Benjamin Paris, capitale du XDf siècle

Hakim Bey

La zone interdite

Léon Bloy

Un brelan d'excommuniés Désespéré

Yves Bonnefby

Catéchisme révolutionnaire

Genève, 1993 Pensées d'étoffe ou d'argile

Honoré de Balzac

André Breton

L'art de ne pas être dupe des fripons L'auberge rouge La femme abandonnée La paix du ménage Traité des excitants modernes Traité de la vie éUgante Voyage d'un lion d'Afrique à Paris Voyage d'un moineau de Paris

Maurice Barrés

La Terre et les Morts

Charles Baudelaire De l'essence du rire

Mettre au ban les partis politiques

W. Burtoughs/A. Ginsberg Les lettres du Yage

W. Burroughs/J. Kerouac/ C. Pélieu

Jack Kerouac

Giacomo Casanova

Mes apprentissages à Paris Mes folies sur l'île de Casopo

Louis-Ferdinand Céline

À l'agité du bocal

Ghomsky/Baillargeon

Pour une éducation humaniste

Noam Chomsky

Pour une éducation humaniste

N. Chomsky/J. Bricmont Raison contre pouvoir, le pari de Pascal

N. Chomsky/M. Foucault

De la nature humaine : justice contre pouvoir

Jacques Derrida

Le parjure peut-être Poétique et politique du témoignage Histoire du mensonge Pardonner l'impardonable Les yeux de ta langue Et cetera

Robert Desnos

Jack l'Éventreur

Denis Diderot

Emil Cioran

L'oiseau blanc Ceci n'est pas un conte

Ernest Cœurderoy

Américaines et Européennes Artistes et prophètes Confession Ne nous la faites pas à l'oseille

De la France Des larmes et des saints Valéry face à ses idoles De la corrida

Gerald Allan Cohen

Pourquoi pas le socialisme ?

Colette

J'aime être gourmande Le second métier de l'écrivain

Pierre Drieu la Rochelle

Bernard Edelman

Sade, le désir et le droit

MirceaEliade

Sur l'érotique mystique indienne

Benjamin Constant

A. Einstein/S. Freud

Emil Coué

F. S. Fitzgerald

Georges Courteline

E. de Fontenay/M.-C Pasquier

Ma philosophie

Traduire le parler des bêtes

Thomas d'Aquin

Charles Fourier

Alphonse Daudet

Benjamin Franklin

La liberté de la pensée La méthode Coué

Contre les murmurateurs

La doulou

Thomas De Quincey

Les derniersjours d'Emmanuel Kant

Michel Déon

Journal:

1947-83

Pourquoi la guerre ?

Merci pour le feu !

Les cocus

Comment devenir riche

Sigmund Freud

Abrégé de psychanalyse Un trouble de mémoire sur l'Acropole

Romain Gary

Ces femmes que j'aime Le judaïsme n'est pas une question de sang À bout de souffle Journal d'un irrégulier Un soir avec Kennedy Une petite femme Le grec

Théophile Gautier

Le club des haschischins Pour une immoralité bien pimpante

René Girard

Anorexie et désir mimétique Géométries du désir

Reray de Gounnont Physique de l'amour

Antoine Guggenheim La circoncision

Jean-Marie Guyau

Contre l'idée de sanction

Marcel Hénaff

La ville qui vient

Hérodote

Les Barbares

Théodore Herzl L'État juif

Michel Houellebecq

En présence de Schopenhatur

Victor Hugo

Post-scriptum de ma vie L'insurrection parisienne

Joris-Karl Huysmans Paris

Claude Imbert

Lévi-Strauss, le passage du NordOuest

Cari Gustav Jung

Les sept sermons aux morts

Franz Kafka Le terrier

Seren Kierkegaard In vino veritas

Arthur Koestler

La pulsion vers l'autodestruction

Paul Lafargue

Le droit à La paresse

Dominique Lestel L'animalité

Rosa Luxemburg

Dans l'asile de nuit Réforme sociale ou révolution ?

Joseph de Maistre

Éclaircissement sur les sacrifices Six paradoxes Soirées de Saint-Pétersbourg

Oscar Mandel

La reine de Patagonie et son caniche

Karl Marx

La guerre civile en France

Guy de Maupassant L'honneur et l'argent L'inutile beauté Rose Un cas de divorce

Charles Maurras

L'ordre et le désordre La bonne mort

Soliloque du prisonnier Tragi-comédie de ma surdité

Friedrich Nietzsche

Herman Melville

Roger Nimier

Hôtel de la baleine

Prosper Mérimée La chambre bleue

Michel Meyer

Qu'est-ce que le refoulement ?

Louise Michel

Aux citoyennes de Paris Prise de possession

Jules Michelet

La République des oiseaux

Michel Meyer

Qu'est-ce que le refoulement ?

Octave Mirbeau

La grève des électeurs La mort de Balzac Écrits politiques

Montaigne

Éloge de l'animal Des cannibales

Edgar Morin

Le eiestin de l'animal Où va le monde ? Vers l'abîme ? Pour une crisologie

Le crépuscule des idoles Bal chez le Gouverneur

Charles Péguy

La Mystique républicaine

Gilberte Périer

La vie de Monsieur Pascal

Edgar Allan Poe

Histoires inquiétantes

Pierre-Joseph Proudhon

Conséquences désastreuses et inévitables de l'impôt La célébration du dimanche La pornocratie

Marcel Proust

Le salon de Mme de...

Élisée Reclus

Pourquoi sommes-nous anarchistes ?

Paul Ricœur

Discours et communication Le juste, la justice et son échec

Henri Pierre Roche

Jules

Joseph Roth

Viens à Vienne je t'attends Fraises

Antonio Negri

Maurice Sachs

Gérard de Nerval

Marquis de Sade

Eric Neuhoff

Françoise Sagan

La traversée ae l'Empire Nuits d'octobre

L'amour sur un plateau (de cinéma)

Mémoire moral Derrière cinq barreaux Français, encore un effort...

Au cinéma Le régal des chacals

Lettre de Suisse Maisons louées Un certain regard La petite robe noire De très bons livres Bonjour New York

Saint Augustin Le mensonge

Lucien de Samosate

Philosophes aux enchères

Arthur Schopenhauer Essai sur les femmes

Mihail Sébastian

Femmes Promenades parisiennes

Maurizio Serra Marinetti et la révolution futuriste

Michel Serras

Andromaque, veuve noire

Georg Simmel

Les grandes villes et la vie de l'esprit

Isaac Bashevis Singer La coquette

Alessandro Spina

Juin

1940

Spinoza

A propos de Dieu De la liberté de penser dans un État libre Lettres sur le mal

Spinoza & Voltaire Miracles

George Steiner

À cinq heures de l'après-midi

Ceux qui brûlent les livres Les Logocrates

Stendhal Les Cenei

Anton Tchékhov Sorcière

Henry David Thoreaii

Désobéir Marcher

Alexis de Tocqueville

Le despotisme démocratique

Alexis Tolstoï

Une famille de vampires

Léon Tolstoï

Du suicide Les chemins de la misère

Ivan Tourgueniev

L'éxecution de Troppmann

Anthony Trollope

Le château du prince de Polignac Un amour de jeunesse

Mark Twain

L'art de mentir

Mario Varias Llosa

Comment jai vaincu ma peur de l'avion Ma parente d'Arequipa Un demi-siècle avec Borges Un rasta à Berlin

Voltaire

Du Coran et de la loi musulmane Le fanatisme, Mahomet le prophète

Michael Walzer La soif du gain

Simone Weil

Conditions premières d'un travail non servile Conversation avec Trotski Note sur la suppression générale des partis politiques

Oscar Wilde

L'âme humaine sous le socialisme

ÉmileZola

Comment on meurt

Mise en pages : MATT ÉDITIONS. Paris. Achevé d'imprimer dans l'Union Européenne. Dépôt légal : Mai 2017