Pratiques de la culture écrite en France au XVe siècle: Actes du colloque international du CNRS. Paris, 16-18 mai 1992 978-2-503-57669-5, 978-2-503-56164-6

Ce volume rassemble les contributions présentées au cours du colloque tenu à Paris en mai 1992 en l'honneur de Gilb

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Pratiques de la culture écrite en France au XVe siècle: Actes du colloque international du CNRS. Paris, 16-18 mai 1992
 978-2-503-57669-5,  978-2-503-56164-6

Table of contents :

Front Matter ("Sommaire", "Avant-propos"), p. i

Première Partie: L'humanisme en France au XVe siècle


Il primo umanesimo italiano: da Lovato Lovati a Petrarca, p. 3
Giuseppe Billanovich
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00427


Situation de Martin Le Franc, p. 13
Marc-René Jung
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00428


Guillaume Fillastre (ca. 1400-1473) évêque de Verdun, de Toul et de Tournai, p. 31
Evencio Beltran
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00429


La formation des humanistes dans le dernier quart du XIVe siècle, p. 55
G. Matteo Roccati
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00430


La bibliothèque cathédrale de Reims, témoin de l'humanisme en France au XVe siècle, p. 75
Colette Jeudy
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00431


Gerson en Scandinavie, p. 93
Elisabeth Mornet
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00432


Remarques sur l'évolution des idées politiques de Nicolas de Clamanges, p. 109
François Bérier
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00433


Il Decameron: da Laurent de Premierfait a Antoine Le Maçon, p. 127
Giuseppe Di Stefano
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00434


Qui a écrit Le livre des faits du bon messire Jehan Le Maingre dit Bouciquaut?, p. 135
Hélène Millet
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00435


Pour une édition génétique de l'Epistre Othea, p. 151
Eric Hicks
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00436


L'humanisme vers 1400, essai d'exploration à partir d'un cas marginal: Christine de Pizan, traductrice de Thomas d'Aquin, p. 161
Liliane Dulac, Christine Reno
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00437


Une hypothèse sur l'origine d'une légende: Hugues Capet fils d'un boucher, p. 179
Gianni Mombello
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00438


Deuxième Partie: Société, politique et culture écrite


Les livres des hommes de pouvoir: de la pratique à la culture écrite, p. 193
Françoise Autrand, Philippe Contamine
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00439


Les humanistes et la justice sous le règne de Charles VI, p. 217
Claude Gauvard
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00440


Hommes de culture et hommes de pouvoir parisiens à la Cour amoureuse, p. 245
Carla Bozzolo, Hélène Loyau, Monique Ornato
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00441


Langues vernaculaires et langage scientifique: l'enjeu médiéval, p. 279
Max Lejbowicz
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00442


Prévision de l'avenir et connaissance du passé: les relations entre astrologie et histoire à la fin du Moyen Age, p. 299
Jean-Patrice Boudet
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00443


Jeu de cubes: réflexions sur quelques textes et manuscrits, p. 313
Peter S. Lewis
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00444


Comment le Religieux de Saint-Denis a-t-il écrit l'histoire? L'exemple du duel de Jean de Carrouges et Jacques Le Gris (1386), p. 331
Bernard Guenée
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00445


Les auteurs politiques et leur maniement des sources en Angleterre à la fin du Moyen Age, p. 345
Jean-Philippe Genet
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00446


A l'origine des dossiers polémiques: une initiative publique ou une démarche privée?, p. 361
Nicole Pons
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00447


La famille d'André Le Musnier, de 1400 jusqu'à 1511, p. 379
Mary A. Rouse, Richard H. Rouse
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00448


Un dictionnaire incunable: le Vocabularius familiaris de Guillaume le Talleur, p. 389
Brian Merrilees, William Edwards
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00449


Le livre dans les universités du Midi de la France à la fin du Moyen Age, p. 403
Jacques Verger
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00450


Troisième Partie: Livre, culture, société


Poètes, mécènes et imprimeurs à la fin du Moyen Age français: une crise d'autorité, p. 423
Cynthia J. Brown
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00451


Le nom du livre. Manières d'intituler les premiers livres imprimés en français, p. 441
Réjean Bergeron
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00452


Usages du livre en France au XVe siècle, p. 459
Annie Charon
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00453


La description du livre au XVe siècle: pratiques et modèles, p. 473
Donatella Nebbiai-Dalla Guarda
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00454


Le livre peint à la fin du Moyen Age, support privilégié d'une politique dynastique, familiale ou personnelle. Les Miracles de Notre-Dame (B. N., n. a. fr. 24541) et le Livre d'heures de Pierre II de Bretagne (B. N., lat. 1159), p. 499
Christian de Mérindol
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00455


Le sens de l'histoire dans les manuscrits du XVe siècle, p. 515
Anne Hagopian van Buren
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00456


Les thèmes humanistes dans le programme de traduction de Charles V: compilation des textes et illustrations, p. 527
Claire Richter Sherman
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00457


Les perceptions de l'image royale à travers les miniatures: l'exemple des Grandes Chroniques de France, p. 539
Anne D. Hedeman
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00458


Conclusions du colloque, p. 551
Serge Lusignan, Ezio Ornato
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00459


Index général, p. 565
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00460


Index des manuscrits et sources d'archives, p. 587
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00461


Planches, p. 593
https://doi.org/10.1484/M.TEMA-EB.4.00462

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Fédération Internationale des Instituts d'Études Médiévales TEXTES ET ÉTUDES DU MOYEN ÂGE, 2

PRATIQUES DE LA CULTURE ÉCRITE EN FRANCE AU XVe SIÈCLE

LOUVAIN-LA-NEUVE 1995

Fédération Internationale des Instituts dÉtudes Médiévales TEXTES ET ÉTUDES DU MOYEN ÂGE, 2

PRATIQUES DE LA CULTURE ÉCRITE EN FRANCE AU XVe SIÈCLE

Actes du Colloque international du CNRS Paris, 16-18 mai 1992 organisé en l'honneur de Gilbert Ouy par l'unité de recherche «Culture écrite du Moyen Age tardif»

édités par Monique ORNATO et Nicole PONS

LOUVAIN-LA-NEUVE 1995

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays. Copyright© 1995 Fédération Internationale des Instituts d'Études Médiévales Collège Thomas More, Chemin d'Aristote, 1 B 1348 LOUVAIN-LA-NEUVE D/1995/7243/2

SOMMAIRE

G. ÜUY, Avant-propos ...............................................

ix

PREMIÈRE PARTIE : L'HUMANISME EN FRANCE AU xve SIÈCLE . . . . . . . . . .

1

G. BILLANOVICH, Il primo umanesimo italiano : da Lovato Lovati a Petrarca .. .. . .. .. . . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. . .. .. .. .. .. ..

3

M.-R. JUNG, Situation de Martin Le Franc ........................

13

E. BELTRAN, Guillaume Fillastre (ca. 1400-1473) évêque de Verdun, de Toul et de Tournai...................................

31

G.M. RoccATI, La formation des humanistes dans le dernier quart du XIVe siècle .... ....... ....................................

55

C. JEUDY, La bibliothèque cathédrale de Reims, témoin de l'humanisme en France au xve siècle ...... .. ..... .... ..... .. ..

75

E. MORNET, Gerson en Scandinavie.................................

93

F. BÉRIER, Remarques sur l'évolution des idées politiques de Nicolas de Clamanges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

109

G. DI STEFANO, Il Decameron : da Laurent de Premierfait a Antoine Le Maçon . . . . .. . . .. . . .. . . . . . . .. . . . .. . . . . . . .. . . .. . . .. . . . . . .

127

H. MILLET, Qui a écrit Le livre des faits du bon messire Je han Le Maingre dit Bouciquaut? ....................................

135

E. HICKS, Pour une édition génétique de l'Epistre Othea . . . .. . . .

151

L. DULAC et Chr. RENO, L'humanisme vers 1400, essai d'exploration à partir d'un cas marginal : Christine de Pizan, traductrice de Thomas d'Aquin..........................

161

G. MoMBELLO, Une hypothèse sur l'origine d'une légende: Hugues Capet fils d'un boucher . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

179

vi

SOMMAIRE

DEUXIÈME PARTIE: SOCIÉTÉ, POUTIQUE ET CULTURE ÉCRITE . . . . . . . . . .

191

F. AUTRAND et Ph. CONTAMINE, Les livres des hommes de pouvoir : de la pratique à la culture écrite . . •. . . . . . . . . . . . . . . . . . . I. Pratique diplomatique et culture politique au temps de Charles V ............................ ... .......... ............ II. Le témoignage des ordonnances royales, début xve début xvre siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

205

C. GAUYARD, Les humanistes et la justice sous le règne de Charles VI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

217

C. BozzoLo, H. LOYAU et M. ÜRNATO, Hommes de culture et hommes de pouvoir parisiens à la Cour amoureuse . . . . . . . . . . . I. Une approche prosopographique..... ..... ..... .. ... .. ...... II. Une approche monographique :Bureau de Dammartin...

245 245 259

M. LEJBOWICZ, Langues vernaculaires et langage scientifique: l'enjeu médiéval . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

279

J.-P. BOUDET, Prévision de l'avenir et connaissance du passé: les relations entre astrologie et histoire à la fin du Moyen Age..................................................................

299

P. S. LEWIS, Jeu de cubes : réflexions sur quelques textes et manuscrits .............. ................... ........... .. .. . .... .....

313

B. GUENÉE, Comment le Religieux de Saint-Denis a-t-il écrit l'histoire ? L'exemple du duel de Jean de Carrouges et Jacques Le Gris (1386) ... ... ...... ..... ... ..... ... ..... ..........

331

J.-Ph. GENET, Les auteurs politiques et leur maniement des sources en Angleterre à la fin du Moyen Age . . . . . . . . . . . . . . . . . .

345

N. PoNs, A l'origine des dossiers polémiques : une initiative publique ou une démarche privée? . ................ ....... .....

361

M.-A. RousE et R.-H. ROUSE, La famille d'André Le Musnier, de 1400 jusqu'à 1511 . .. ... . .. . . .. . . . .. . . .. . . .. . . . . . . .. . . .. . . . .. . .

379

B. MERRILEES et W. EDWARDS, Un dictionnaire incunable: le Vocabulariusfamiliaris de Guillaume le Talleur ..... .. .. . .. .. .

389

J. VERGER, Le livre dans les universités du Midi de la France à la fm du Moyen Age . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

403

193 193

SOMMAIRE

vii

TROISIÈME PARTIE : LIVRE, CULTURE, SOCIÉTÉ ... .. ... .. .. .. .. ... .. .. ..... .. . .

421

C. J. BROWN, Poètes, mécènes et imprimeurs à la fin du Moyen Age français : une crise d'autorité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

423

R. BERGERON, Le nom du livre. Manières d'intituler les premiers livres imprimés en français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

441

A. CHARON, Usages du livre en France au xye siècle . .. . . . .. .. ..

459

D. NEBBIAI-DALLA GUARDA, La description du livre au xye siècle: pratiques et modèles .. . . . . . . . .. . . . .. . . . . . . . .. . . . . . . . .. . . .

473

Chr. DE MÉRINDOL, Le livre peint à la fin du Moyen Age, support privilégié d'une politique dynastique, familiale ou personnelle. Les Miracles de Notre-Dame (B. N., n. a. fr. 24541) et le Livre d'heures de Pierre II de Bretagne (B. N., lat. 1159) . . . .. . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . . . . .. . . .. . . . . . .

499

A. H. VAN BUREN, Le sens de l'histoire dans les manuscrits du xve siècle . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

515

C. R. SHERMAN, Les thèmes humanistes dans le programme de traduction de Charles V : compilation des textes et illustrations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

527

A. D. HEDEMAN, Les perceptions de l'image royale à travers les miniatures: l'exemple des Grandes Chroniques de France

539 S. LusiGNAN etE. ÜRNATO, Conclusions du colloque . . .. .. . .. .. I. L'humanisme en France ...................................... II. Les difficultés d'une typologie des écrits du Moyen Age tardif............................................................

551 551

INDEXGÉNÉRAL .•.....•....•..........•..................................

565

INDEX DES MANUSCRITS ET SOURCES D'ARCHIVES .......................

587

559

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AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs, chers Collègues, chers Amis, Ce n'est pas sans émotion que je vois aujourd'hui réunies dans cette salle tant de personnes avec qui - pour certaines depuis plus de quarante ans- je n'ai cessé d'entretenir des rapports de travail et d'amitié, l'un allant rarement sans l'autre. Je tiens à les remercier de tout coeur d'être venues, parfois de fort loin, pour participer à notre colloque. Je tiens aussi à exprimer ma reconnaissance à mes amis de l'équipe, qui ont choisi pour organiser cette rencontre l'année où je dois prendre ma retraite : ils voulaient -je ne l'ai su que plus tard - me procurer cette grande joie à un moment où l'on éprouve normalement quelque mélancolie. Encore qu'à vrai dire, pour un chercheur, le mot « retraite » n'ait guère de sens, tant la recherche fait partie de sa vie. De quoi pourrais-je donc vous parler sinon, précisément, de la recherche, et surtout de celle que l'on mène dans les manuscrits médiévaux, sur lesquels a toujours porté l'essentiel de notre travail ? Je ne crois pas m'écarter du sujet en évoquant un très vieux souvenir, celui de ma toute première expérience dans ce domaine. Lorsque, il y a plus de quarante-six ans, je fus recruté au Cabinet des Manuscrits de la Bibliothèque nationale, ce fut d'abord, bien modestement, en qualité de « chômeur intellectuel » : pour avoir droit à un poste de bibliothécaire, il me fallut patienter encore plusieurs mois, car je devais auparavant être titulaire du diplôme d'archiviste-paléographe, et donc avoir soutenu ma thèse de l'Ecole des chartes. Cette thèse portait sur l'édition et l'étude d'une oeuvre philosophique et théologique fort peu connue du XIVe siècle. Or, au lendemain de la guerre, il demeurait pratiquement impossible de commander des microfilms à l'étranger, et les seuls manuscrits dont j'avais pu disposer pour l'édition s'étaient révélés très fautifs ; déjà difficile pour un médiéviste débutant, le texte devenait par endroits tout à fait inintelligible. Cela m'inquiétait d'autant plus que je ne discernais pas toujours très bien si l'incompréhension résultait de l'incompétence des copistes ou de la mienne. En outre, rendu depuis peu à la vie civile, j'avais presque un an de retard à rattraper. Ma nouvelle supérieure hiérarchique, la regrettée Marie-Thérèse d'Alverny, qui était la bonté même, se garda bien de me

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G.OUY

confier aucune tâche pendant ces quelques mois, estimant que je devais consacrer tout mon temps à achever ma thèse. C'est bien là, en effet ce que j'aurais dû faire si j'avais été raisonnable. Hélas, j'avais -fort imprudemment- sollicité et obtenu le droit d'accès aux magasins. La tentation était trop forte : j'en vins bientôt à passer toutes mes journées au milieu des manuscrits latins ; c'était une sensation grisante que de se voir ainsi entouré de milliers de volumes maintes fois séculaires et de pouvoir les manipuler en toute liberté. Je les prenais un par un sur les rayons, les ouvrais au hasard, tantôt admirant une lettre ornée, tantôt m'interrogeant sur la date ou l'origine d'une écriture. Et voici qu'un beau jour, alors que je feuilletais un gros recueil de l'ancien fonds de Saint-Victor, je tombai à l'improviste sur un important fragment de l'oeuvre même que j'avais choisie pour sujet de thèse ! Commençant et s'interrompant au milieu d'une phrase, dépourvu de titre comme de nom d'auteur, ce texte ne pouvait guère être identifié que si on le connaissait déjà - ce qui, bien sûr, était mon cas, puisque je venais tout récemment de l'éditer. La collation avec ce témoin de dernière heure - qui, lui, était porteur d'un texte d'excellente qualité - fit ressortir un si grand nombre d'omissions et de fautes de toutes sortes dans les manuscrits utilisés jusqu'alors qu'il me fallut passer ensuite une bonne partie de mes nuits à refaire entièrement l'édition des douze ou treize chapitres que contenait ce fragment. Tout se termina bien, cependant. La découverte du nouveau manuscrit dut faire bonne impression sur le jury et le rendre plus indulgent aux insuffisances d'un bien médiocre mémoire. C'est ainsi que je fus très tôt amené à prendre conscience du rôle décisif que joue le hasard dans nos recherches. Peut-être n'en va-t-il pas ainsi dans d'autres domaines, mais, pour ce qui est des manuscrits, j'ai pu bien vite me convaincre que le verbe chercher n'appelle pas de complément d'objet. Quaerite et invenietis, promet l'Ecriture, et elle dit vrai ; mais elle omet de préciser que les trouvailles -presque toujours inattendues, parfois inespérées - ne correspondent que rarement à ce que l'on cherchait. C'est également dès ces premières semaines que je commençai à entrevoir, encore bien confusément, une autre grande vérité, à savoir qu'un manuscrit est avant tout un élément d'un ensemble, et que, le plus souvent, son intérêt ne se révèle que lorsqu'on a pu le confronter avec d'autres éléments du même ensemble.

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Je rencontrai en effet, dispersés dans l'ancien fonds de la Sorbonne, sept gros volumes contenant surtout des extraits, des notes de cours et des brouillons, qui tous avaient visiblement une même origine. Le personnage à l'écriture aisément reconnaissable qui, dans le troisième quart du XIVe siècle, avait constitué ces recueils était étudiant en théologie. Comme tel, il se voyait astreint à rédiger un commentaire sur les Sentences et, pour s'acquitter de cette obligation, il se proposait de recourir à la technique habituelle consistant à emprunter des passages plus ou moins étendus à divers commentaires antérieurs. Sur des pages où il esquisse le plan de l'ouvrage, on peut lire les conseils qu'il se donne à lui-même : « Tu prendras ton premier chapitre chez un tel, ton second chez tel autre», etc. J'eus d'ailleurs une nouvelle surprise en constatant que sur la liste des auteurs à plagier figurait en bonne place celui auquel je consacrais ma thèse. Juste retour des choses, car déjà ce dernier, dont des historiens mal informés vantaient pourtant l'originalité et la hardiesse, n'avait lui-même guère fait plus -comme je m'en aperçus trop tard - que recopier et mettre bout à bout de larges extraits de divers auteurs, anglais pour la plupart. Chacun de ces manuscrits, pris isolément, était déjà connu des historiens de la philosophie médiévale, qui y avaient trouvé des textes rares à éditer. La série, en revanche, n'avait jamais été étudiée en tant que telle. Or l'intérêt de l'ensemble dépasse de loin celui de la somme des éléments qui le composent car, à travers ces notes prises au jour le jour durant les années de formation d'un théologien parisien, c'est toute l'atmosphère intellectuelle d'un milieu et d'une époque qui revit pour nous. Bien plus tard, mon ami Zenon Kaluza a consacré une étude approfondie à ces recueils, et il est même parvenu à identifier le personnage - un Sorboniste nommé Etienne Gaudet - qui les avait constitués. Pourquoi ai-je voulu rappeler cette histoire vieille de près d'un demisiècle ? C'est que depuis lors, ma technique de recherche -je n'ose pas employer le mot de méthode - n'a pas fondamentalement changé ; tout au plus s'est-elle quelque peu affinée avec l'expérience. Les constants progrès de l'informatique rendent désormais réalisables dans notre domaine de puissants outils de documentation qui ne ressembleront guère aux catalogues d'antan. Mais, aussi longtemps que les médiévistes ne disposeront pas de ces nouveaux instruments de travail, nous ne serons pas sortis de l'âge héroïque où l'on pourchasse vainement à Milan un texte sur lequel, plus tard, on tombera inopinément à Oxford ou à Prague ; où l'on découvre soudain, là où on s'y attendait le moins, quelque oeuvre oubliée d'un grand auteur.

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G.OUY

Certes, cette façon de travailler ne manque pas d'agrément, et je n'aurai pas l'hypocrisie de nier qu'elle procure des émotions aussi fortes et de meilleure qualité que celles du jeu ou de la chasse. Mais, d'une part, son rendement est dérisoirement faible, si l'on songe au nombre de volumes qu'il faut feuilleter pour faire la moindre découverte, un peu comme l'orpailleur tamise des tonnes de sable pour trouver quelques pépites. D'autre part, de ce fait même, elle présente le grave défaut de ne pouvoir être pratiquée que par les rares privilégiés à qui est accordé le libre accès aux magasins des manuscrits ; ce qui fut mon cas lorsque, ayant obtenu mon détachement au CNRS, je n'en continuai pas moins à être accueilli en collègue dans presque toutes les bibliothèques que je visitais, tant à l'étranger qu'en France. Aussi est-il juste et nécessaire que ces happy few partagent le fruit de leurs explorations avec les érudits moins favorisés. C'est ce que comprit très vite Franco Simone. Dès les années cinquante, le maître de Turin s'était vivement intéressé à certaines de mes trouvailles ; il m'avait notamment offert de publier dans l'un des premiers fascicules de ses Studi francesi un poème religieux en latin de Charles d'Orléans- texte au demeurant assez médiocre- dont j'avais retrouvé l'autographe en travaillant sur la bibliothèque constituée par les fils de Louis d'Orléans au cours de leur captivité en Angleterre. L'auteur du Rinascimento francese se passionnait alors pour notre xve siècle, qu'il considérait à juste raison comme une période peu et mal étudiée de l'histoire littéraire française. Il avait donc engagé certains de ses meilleurs étudiants dans des entreprises assez ambitieuses en rapport avec le Quattrocento francese, notamment des éditions critiques, qui n'exigeaient pas seulement une sérieuse formation philologique et une excellente connaissance du latin et du moyen français - ce qu'ils possédaient déjà- mais aussi une solide expérience de la recherche dans les fonds manuscrits, qui leur faisait cruellement défaut. C'est pourquoi il me demanda tout d'abord d'organiser pour eux à Turin des séminaires d'initiation à la codicologie. Puis il m'encouragea à entreprendre à Paris, dans le cadre de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, un enseignement régulier dont les jeunes Turinois fournirent, au début, l'essentiel de l'auditoire. Bientôt, quelques-uns d'entre eux vinrent l'un après l'autre me rejoindre au CNRS où, à cette heureuse époque, il était relativement facile d'être admis pourvu que l'on fit preuve de réelles qualités de chercheur. C'est ainsi que se constitua progressivement le petit groupe qui, le 1er janvier 1968, allait recevoir sa consécration officielle et prendre le nom d'Equipe de recherche sur l'Humanisme français des XIVe et xve

AVANT-PROPOS

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siècles. J'en ai assumé la responsabilité pendant dix-huit ans ; puis, en application d'un nouveau règlement que certains collègues ont contesté, mais que je trouve, quant à moi, fort judicieux, c'est mon ami Ezio Ornato qui m'a succédé à la direction de l'équipe. Pour marquer l'élargissement de notre domaine de recherche et pour souligner le caractère de plus en plus interdisciplinaire de notre activité, nous avons adopté le nouvel intitulé d'Equipe de recherche sur la culture écrite du Moyen Age tardif. L'étude de l'Humanisme français n'en demeure pas moins l'un de nos objectifs essentiels, comme en témoigne l'ouvrage collectif, Préludes à la Renaissance, dont nous espérons pouvoir vous présenter avant la fin de ce colloque au moins le premier exemplaire sorti des presses. L'équipe ne compte plus aujourd'hui- officiellement, du moinsque six membres, et d'ici quelques mois, il n'en restera que cinq. Parmi eux, il faut citer deux Turinois, tous deux trop connus par leurs travaux pour qu'il soit besoin de les présenter : Carla Bozzolo et Ezio Ornato, déjà nommé, qui ont fondé ensemble il y a douze ou treize ans une discipline aujourd'hui en plein essor, la codicologie quantitative. Nicole Pons est d'abord une historienne, connue pour ses travaux sur les manifestations du sentiment national et sur la propagande politique au xve siècle ; mais pour ses coéquipiers, elle est aussi l'ordre et l'organisation personnifiés : c'est elle, notamment, qui a doté notre bibliothèque d'un système de classement qui fait l'admiration des visiteurs. Quant à Monique Ornato, désormais historienne autant qu'informaticienne, elle se consacre à une tâche souvent ingrate, mais de toute première importance, consistant à diriger la collecte des données prosopographiques et à en organiser le traitement informatique : nous disposerons bientôt, grâce à elle, d'un fichier « intelligent » capable, notamment, de mettre en évidence le lien ayant pu exister entre les activités de divers personnages. J'ai gardé pour la fin Evencio Beltran qui, rattaché à l'équipe depuis seulement dix-sept ans, ferait presque figure de nouveau venu. C'est grâce à lui que nous pouvons enfin réaliser ce que nous nous promettions de faire dès l'origine : poursuivre l'étude de l'Humanisme français, au-delà de la mort de Nicolas de Clamanges (1437), jusque vers la fin du siècle. A la lumière des nombreux textes qu'il a déjà tirés de l'oubli, il apparaît qu'une activité humaniste s'est maintenue en France pendant

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G.OUY

toute cette période, même si, en raison de circonstances très défavorables, elle n'a pu soutenir le rythme de développement qu'elle connaissait vers la fin du siècle précédent, et si elle a été éclipsée par l'éclatant Quattrocento italien. Je tiens, d'autre part, à rappeler qu'un autre élève de Franco Simone, dont je salue la présence parmi nous, Giuseppe Di Stefano, fut lui aussi membre de l'équipe avant d'aller enseigner à Montréal, où il est fort actif, publiant notamment une revue et une collection qui se sont acquis une réputation internationale. Quant à notre ami Dario Cecchetti - qui, lui, a malheureusement dû renoncer au dernier moment à participer au colloque- s'il n'a jamais fait officiellement partie de notre équipe, il n'en poursuit pas moins à Turin, en liaison avec nous, de brillantes recherches sur le Quattrocento francese et plus particulièrement sur le grand humaniste Nicolas de Clamanges. Fidèle à une tradition que Franco Simone avait fondée, il a souvent envoyé à Paris certains de ses meilleurs étudiants pour qu'ils travaillent à nos côtés. L'un d'eux, Giovanni Matteo Roccati, bien qu'il enseigne aujourd'hui à l'université de Turin, ne nous a pourtant pas vraiment quittés, et nous le considérons tous comme membre de l'équipe ; on lui devra bientôt la première édition savante de l'oeuvre poétique latine de Gerson, qui va rendre enfin accessibles certains des plus beaux textes du Moyen Age tardif. J'aurais voulu parler aussi des nombreux amis qui, depuis plus ou moins longtemps, collaborent régulièrement avec nous. Qu'ils me pardonnent de ne pas les citer tous : non seulement une énumération deviendrait fastidieuse bien avant d'être complète, mais en outre elle serait superflue, puisque nous aurons le plaisir d'entendre beaucoup d'entre eux au cours de ces quatre journées. Notre équipe est devenue, en fait, au fil des années, un lieu de rencontre et d'échanges pour tous les chercheurs qui s'intéressent non seulement à la culture française des derniers siècles médiévaux, mais encore à la production et à la circulation du livre en France et en Europe pendant la même période. Ceci est bien illustré par l'accord de coopération scientifique que nous avons conclu avec l'Institut d'études médiévales de l'université de Montréal, qui s'est révélé fort avantageux pour les deux parties. La venue de Serge Lusignan, ce sociologue de la France du XIve siècle, n'a pas seulement contribué à élargir nos perspectives. Comme il amenait avec lui certains de ses meilleurs étudiants, cela a représenté pour nous un véritable bain de jouvence.

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AVANT-PROPOS

Il ne faut pas oublier, en effet, que les membres les moins âgés de notre équipe ont atteint la cinquantaine et, bien qu'ayant perdu deux postes -bientôt trois, nous n'avons pu recruter depuis 1975 aucun nouveau chercheur. Aussi la présence parmi nous de ces jeunes gens, qui cachent sous une bonne humeur communicative une grande ardeur au travail, est-elle au moins aussi bénéfique pour nous que l'est pour eux le contact avec des chercheurs expérimentés. Elle nous donne l'illusion que l'équipe rajeunit, se renouvelle. Ce n'est toutefois qu'une illusion et, quand Réjean Bergeron qui nous avait été prêté, si j'ose dire, pour quatre ans nous a quittés, nous en avons été bien attristés, même s'il nous avait promis -et il tient parole- de revenir nous voir chaque fois qu'ille pourrait. Il en va de même pour Danielle Courtemanche, que nous avons vue partir avec bien du regret après qu'elle eût soutenu son excellente thèse sur les clercs du roi sous Charles VI, ou pour Kouky Pianu, auteur d'un remarquable travail sur les artisans du livre à Paris à la fin du Moyen Age, qui va regagner à son tour la Belle Province. Nous nous consolons un peu de leur départ en songeant qu'ils seront sans doute bientôt remplacés, et aussi qu'une jeune érudite milanaise, Simonetta Cerrini, qui continue et approfondit la belle recherche d'Elisabeth Pellegrin sur la bibliothèque des Visconti et des Sforza, va demeurer quelque temps encore parmi nous. Je tiens à remercier son maître, mon cher ami Giuseppe Billanovich, qui nous l'a envoyée. Il a toujours été pour moi ce que Coluccio Salutati était pour Jean de Montreuil : un modèle. Comme vous tous, je suis impatient de l'entendre, et je me hâte donc de mettre fin à cet exposé déjà trop long.

Gilbert Our

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PREMIÈRE PARTIE

L'HUMANISME EN FRANCE AU XVe SIÈCLE

IL PRIMO UMANESIMO ITALIANO : DA LOVATO LOVATl A PETRARCA Giuseppe BILLANOVICH (Università Cattolica di Milano)

Una vecchia sentenza definiva: Espafia sin Renaciemento, « Spagna senza Rinascimento ». E invece Ernesto Renan affermava, con un paradosso contrario, che l'ltalia non ebbe Medioevo : che l'Italia solo si era addormentata durante le invasioni dei barbari e che poi svegliatasi aveva prodotto la nuova civiltà. Ma è tempo che rinunciamo alle facili sentenze ; e che invece ci impegniamo a censire e giudicare le ricchezze che animarono le nostre contrade nei mille anni che corsera da papa Gregorio Magna a papa Leone X. Perchè non si puo conoscere e valutare l'umanesimo senza metterlo in rapporta con i secoli che lo precedettero. Mi arrischio a presentare proposte tanta inconsuete che potranno sembrare temerarie. 0 piuttosto tenta di eliminare una visione tradizionale e ne propongo una nuova : che ancora resta nebulosa, ma che sono convinto si rafforzerà e si imporrà molto presto. Gli umanisti si sforzarono intensamente di conquistare i testi dei classici e dei Padri. Le storie letterarie e sopra tutto le prefazioni alle edizioni dei classici alimentano la falsa credenza che, ormai defluita l'ammirazione eccessiva per i tenui contributi degli irlandesi e degli anglosassoni, la vecchia cultura e i vecchi testi si siano arroccati nelle nazioni allora politicamente forti Francia e Germania. Invece credo fermamente, quantunque ancora sulla base più di segni premonitori che non di prove risolute e minute, che Roma, prima domina provinciarum e poi sede del primato di san Pietro, conservo anche nei suoi secoli torbidi immense riserve di opere dei classici e dei Padri e le divulgo man mano nella repubblica cristiana. Sto rivelandolo per testi storici massimi e minori : per Tito Livia, per Cesare, per Giustino'. D'altronde l'Italia settentrionale, prima che quei comuni si rafforzassero tanta da battere Federico 1 Gius. BILLANOVICH, La tradizione del testa di Livia e le origini dell'umanesimo, 1, Padova, 1981, p. 176-240; Jo., La biblioteca papale salvà le storie di Livia, in Studi petrarcheschi, n. s., 3 (1986), p. 1-115; Jo., Lafamiglia romana dei libri XXVI-XXX di Livia, in Studi petrarcheschi, n. s., 6 (1989), p. 87-89; ID., Il testa di Livia. Da Roma a Padova, a Avignone, a Oxford, in Italia medioevale e umanistica, 32 (1989), p. 53-99 ; ID., Nella tradizione dei Commentarii di Cesare. Roma, Petrarca, i Visconti, in Studi petrarcheschi, n. s., 7 (1990), p. 263-318 ; ID., Il Giustino e il Beda di Pomposa, in Pomposia monasterium modo in Italia primum. La biblioteca di Pomposa, Padova, 1994, p. 181-212.

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Barbarossa a Legnano e poi Ezzelino III a Cassano, fu debole politicamente, ma resto fertilizzata dai lasciti classici nei suoi centri maggiori : a Verona e a Milano; e nei minori: a Brescia, Novara, Vercelli, Ivrea; e anche nei monasteri, in Emilia, di Bobbio e di Nonantola. Oso aggiungere che, quasi gli Appennini fossero più alti delle Alpi, corsera per secoli apporti più consistenti da Roma verso la Francia e la Germania, se non addirittura verso la remota Inghilterra, che verso l'ltalia settentrionale. Cioè nelle biblioteche dei monasteri e delle cattedrali italiane, e sopra tutto nella biblioteca dei pontefici e presso i monasteri e le chiese romane, l'eredità classica e patristica sopravvisse enormemente più forte di quanto riteniamo finora. Ma parecchi di quei codici, particolarmente i vetusti, logorati dal tempo e magari ancora scritti nelle desueta maiuscola, furono ricopiati nelle successive operazioni di renovatio codicum e quindi eliminati. Poi sopraggiunsero molto presto i nostri retori : giuristi o notai, maestri o chierici secolari ; che estrassero codici dalle cattedrali e dai monasteri, e più tardi dalle biblioteche dei signori, e spesso, ritrascritti i testi, esposero alla distruzione i vecchi esemplari : tanto più se rischiosamente sottratti. Solo dunque ricomponendo con laboriose fatiche e con acuto giudizio le tradizioni dei testi ricostruiremo quei vecchi codici. Tra Due e Trecento mutarono i cavalli in testa alla corsa della civiltà europea. Prima si dissolsero Linguadoca e Provenza ; e si seccà la fonte esuberante dei canti d'amore. Poi la guerra dei cento anni affondà la Francia e la supremazia che aveva mantenuto giù fino a Cipro e fino in Palestina. Intanto la Spagna impegnava uomini e sangue nella Reconquista. E cosl dal Tre al Quattrocento l'ltalia sali a prima nazione della cristianità : per ricchezze, industria e commercio ; per scuole e cultura e per letteratura e arte. Molto presto i nostri letterati, e dopo un secolo o più i nostri artisti, produssero il nuovo stile : che oramai usiamo chiamare umanesimo. Purtroppo al di là, tra il Cinque e il primo Ottocento, l'Italia divenne campo di battaglie e soggiacque al dominio di « estranei signori » : da Carlo V a Napoleone. Cosl che in fine, avanti di unificarsi prodigiosamente tra il 1859 e il 1870, e anche subito dopo nella debole adolescenza del nuovo regno, essa era tanto decaduta politicamente e finanziariamente che non ebbe più forza di gestire le sue immense ricchezze ; e nemmeno si impegnà di conservarle. Allora le università italiane restarono enormemente al di sotto delle università tedesche e francesi. E quadri, statue, codici passarono a precipizio oltre le Alpi : prima rapinati a Parigi dall'« oltraggio gallico » ; poi esportati a prezzi calamitosi nella imperiale Inghilterra : dove oggi riempiono British Museum, National Gallery, British Library. Per fortuna i nostri

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tesori erano tanti che questi non furono salassi a bianco. Anzi - ancora più se saltiamo la lista di travertino che taglia Piazza San Pietro e introduciamo nella folla del calcolo anche i codici della Biblioteca Apostolica Vaticana e i registri dell'Archivio Segreto Vaticano continuiamo a mantenere infiniti codici e infiniti documenti : tra le grandi biblioteche e i grandi archivi - gli archivi maggiori del mondo - e tra le minori biblioteche provinciali e i minori archivi. In queste biblioteche e in questi archivi urge che, in gara con gli archeologi, scaviamo energicamente. I nostri nonni si concentrarono nell'impresa urgentissima di costituire l'unità della penisola ; e la consumarono felicemente. E cosl impegnati accettarono con affetto in politica e in letteratura i sogni romantici ; e recitarono commossi : Quando il popolo si desta, Dio si mette alla sua testa, la suafolgore gli dà.

Essi percio si appassionarono a ricomporre la storia della letteratura in volgare : con al vertice la sublime poesia e l'alto codice morale della Divina Commedia ; e invece credettero che l'uso del latino, trascinatosi per tanti secoli, avesse contrastato la letteratura del nostro popolo e addirittura ritardato gravemente l'unità della patria. E dunque persistette - espressa o tacita- la convinzione che la filologia romanza, trapiantata con onore da Francia e Germania nelle nostre università, bastasse a coprire il campo sterminato della nostra cultura letteraria da Romolo Augustolo a Ludovico Ariosto. Quindi resta da ricomporre per gran parte la storia prima della nostra cultura medioevale e poi dell'umanesimo : dell'intricato primo umanesimo e del torrenziale umanesimo maturo. Infatti nemmeno disponiamo dell'edizione critica di moite opere del padre dell'umanesimo Petrarca; nè delle edizioni critiche delle due opere del nostro Quattrocento che la vecchia Europa più studio : le Elegantie Latine Lingue di Lorenzo Valla ela prima centuria dei Miscellanea di Angelo Poliziano. Nonostante questi pregiudizi e queste difficoltà, l'immensa eredità degli umanisti premeva con tanta forza che finalmente, molto dopo i pionieri Voigt e Burckhardt, anche nostri esploratori entrarono in questa selva : i giganti solitari Remigio Sabbadini e il cardinale Giovanni Mercati. Ma solo nell'ultima generazione sono state istituite da noi cattedre prima di Letteratura latina medioevale e poi di Filologia medioevale e umanistica : che presto si sono moltiplicate e alcune nobilitate. E sono stati formati centri dedicati al progresso di queste discipline. Insieme sono comparse e si sono rafforzate riviste e collezioni rivolte al Medioevo e all'Umanesimo. Mi basti citare il

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nostro annuario « Italia medioevale e umanistica », ormai vecchio di trentacinque anni ; la nostra collezione di studi ~~ Medioevo e Umanesimo », che si allunga per ottanta volumi, e la collezione parallela di testi latini medioevali e umanistici Thesaurus mundi ; e sul fronte del Petrarca il nostro annuario « Studi petrarcheschi » e la collezione « Studi sul Petrarca ». E sono entrati in azione i rompighiaccio poderosi : per l'alto medioevo i Codices Latini antiquiores di E. A. Lowe e per l'umanesimo i moiti volumi con l'/ter /talicum dell'eroico Paul Oskar Kristeller. Ora ai mietitori si offre una messe tanto abbondante che darà lavoro a noi, ai figli, ai nipoti. I visitatori svegli sono subito sorpresi nel vedere come al Louvre e alla National Gallery tra Due e Quattrocento straripano le pitture italiane : fronteggiate per quei secoli quasi solo dalla splendida, ma parca, anche per le misure ridotte dei suoi quadri, sezione fiamminga. Con esatta analogia, e cioè seconda precise leggi storiche, la maggior parte tra tanti codici riuniti nella massima riserva al mondo, la British Library, è costituita da prodotti italiani. Gli Stati Uniti hanno celebrato pochi anni fa il secondo centenario della loro unità. Invece solo da poco più di un secolo l'Italia ammiro i baffi del suo primo re, Vittorio Emanuele II. Fino allora non esistette l'Italia, ma le Italie : gli italiani del nord e del centro, operatori attivi di denaro in giro per l'Europa, furono detti « lombardi » e i signori del nostro settentrione « tiranni di Lombardia ». Le gesta dei nostri grammatici e retori furono abbondantissime, ma furono anche sorprendentemente precoci. Pero il moto che noi chiamiamo umanesimo appena nell'avanzato Quattrocento arriva a distendersi, più o meno, in tutta la penisola. Tra l'ultimo Duecento e il primo Quattrocento esso si concentra, a pelle di leopardo, ora in questa e ora in quella regione ; attraverso la lunga e stretta Italia : chiusa a nord dalle Alpi, e anche tagliata per tutta la sua lunghezza dagli Appennini. La nuova poesia in volgare e la nuova prosa in volgare prosperarono presto al centro della penisola, in Toscana : cosl che il dialetto toscano, o piuttosto la sua sottospecie il fiorentino, divento inevitabilmente, dopo Dante, Petrarca e Boccaccio, la lingua italiana : anzi tutto in letteratura e tra gravi sforzi anche negli scambi, solenni e meno solenni. Invece i letterati che primi assunsero le tendenze e gli abiti che poi svilupparono gli umanisti furono piuttosto notai e giudici, maestri o chierici secolari che vissero nel nostro nord-est: nel Veneto e nelle regioni contigue Emilia e Lombardia; quando tra il Veneto e l'Emilia, dove già era sembrato più facile o consentaneo leggere o scrivere in provenzale e in francese anzi che in toscano, prosperarono le due grandi università di Padova e di

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Balogna. Il dotto poeta Alessandro Manzoni ci ricarda con lo splendido coro nella tragedia Ermengarda, Sparsa le trecce morbide sull'affannoso petto,

che Brescia fu una delle capitali della vecchia Italia : sotta i re longohardi e gli imperatori carolingi. Ma solo poco fa una brava studiosa ha rivelato che un manipolo di codici, con dentro addirittura le Ad Lucilium di Seneca, inusualmente intere, e il De civitate Dei di sant' Agostino, fu apprestato avanti che finisse il secolo IX per la cattedrale di Brescia ; e che nella prima metà del Duecento studio quei codici e anche li cosparse di note e perfino di disegni il causidico bresciano Albertano ; e se ne giovo per comporre i suoi trattati latini : che poi furono letti largamente e anzi furono tradotti in moite lingue europee2. Proprio perchè questi studi e ricerche sono tanto recenti, manchiamo ancora di una carta dettagliata e sicura che ci indichi esattamente le riserve, maggiori e minori, nelle quali questi dotti remoti attinsero le opere dei classici e dei Padri : che, ereditate dalla civiltà romana, diventarono strumenti per lo sviluppo della nuova cultura e della nuova letteratura. Verso il confine occidentale del Veneto Verona godette la fortuna immensa di non essere distrutta, e nemmeno fieramente tormentata, dai barbari ; e anzi fu sede privilegiata prima del re ostrogoto Teodorico -«Teodorico di Verona»- e poi del re longobardo Alboino. E percio mantenne nella cattedrale una biblioteca solennissima : fino da anni tanto antichi che vi resta un codice -XXXVIII (36)3 - copiato dal chierico veronese Ursicino mentre, nel 517, regnava Teodorico; al quale poise ne aggiunsero moite centinaia : specialmente nel secolo IX con i duecento e diciotto codici donati dall'arcidiacono Pacifico e nel secolo X per i restauri operati dal robustissimo vescovo Raterio. Questa biblioteca, mantenuta nel cuore di una città, offrl strumenti essenziali ai pochi privilegiati che riuscirono a forzarne la clausura ; come, già nel primo Trecento, a tre autori di buone opere storiche : a Giovanni mansionario di quella cattedrale, a Benzo cancelliere di Cangrande della Scala, a Guglielmo da Pastrengo consulente giuridico degli Scaligeri signori di Verona4. Ma non certo a Dante, nonostante le sue soste veronesi : come a torto si ripete in coro. A ottanta chilometri a est di Verona giace Padova. Padova era stata massima città romana ; anzi, secondo il geografo Strabone, al tempo di 2 C. VILLA, La tradizione delle Ad Lucilium e la cuttura di Brescia dall'età carolingia ad Albertano, in /tatia medioevale e umanistica, 12 (1969), p. 9-51. 3 Codices Latini Antiquiores, IV 494. 4 GUGLIELMO DA PASTRENGO, De viribus illustribus et de originibus, a cura di G. BOTTARI, Padova, 1991.

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Augusto la terza: subito dopo Roma e Cadice. Ma Padova, diventata avamposto bizantino, fu distrutta nel 602 dalla furia longobarda. Solo nel secolo IX rifiorl e riebbe vescovo e clero ; e in fine fu vivificata, pressappoco dai 1222, da una precoce università. Dopo che fu disfatto, nel 1259, il tiranno Ezzelino III da Romano, Padova assurse a maggiore comune, forse, dell'ltalia del nord. E finalmente vi si accampà a patriarca di questi studi il notaio e giudice Lovato Lovati (ca. 1240-1309). Una mattina di tanto lieta fortuna che se avessi avuto accanto cari soci sarebbe piaciuto, interrompendo lo studio, festeggiarla con vino buono richiesi alla British Library un codice, l'Additional 19906 ; e subito intuii che era stato tutto scritto, non da anonimo nel primo Quattrocento, come si diceva, ma verso il 1290 dai rinnovatore Lovato Lovati. Ll Lovato si copià anzi tutto l'Epitoma historiarum Philippicarum di Giustino : da un codice che ottenne dall'abbazia di Pomposa ; la quale, presso la foce del Po, e cioè a una settantina di chilometri a sud-est di Padova, era stata sede eminente di pietà e di studi, specialmente nel secolo Xl, ma che poi, come tutti gli altri monasteri, si era rattrappita ; e anzi, non più isola, ma, per le colmate del Po, annessa al continente, era ormai flagellata dalla malaria. A Giustino Lovato aggiunse la sezione finale (capitoli 66-71) del De temporum ratione di Beda : che ritengo ottenne pure da Pomposa ; e subito dopo vi copià le sue epistole metriche, intessute con larghi prestiti da poeti classici, sia normali che rari, e i suoi dictamina. Ci fu facile progredire e riconoscere che il Laurenziano 37, 13, rappresentante isolato di una tradizione singolare delle tragedie di Seneca, era stato pure costruito per Pomposa durante il governo dell'abate Girolamo - e dunque diciamolo Pomposianus e non più goffamente Etruscus- e fu esportato da Lovato :che lo uso tanto abilmente, mescolando lezioni di questa e della famiglia comune, da combinare il testo misto, L,, che godè subito forte fortuna tra le contigue e socie in retorica Padova e Veronas. Da Pomposa Lovato ricav à anche un tesoro per lui più prezioso : il blocco superstite - per allora- delle storie del suo compaesano Tito Livio : I, III, IV Decade6. E impose a amici e successori Livio e Seneca come modelli. Infatti il suo scolaro massimo Albertina Mussato compose, guardando agli Ab urbe condita, la sua Historia Augusta e il suo De gestis Italicorum post Henricum VII; e, guardando 5 Gius. BILLANOVICH, 1 primi umanisti e le tradizioni dei classici latini, Fribourg (Svizzera), 1953; ID., Il Giustino e il Beda di Pomposa; Guido BILLANOVICH, Veterum vestigia vatum nei carmi dei preumanisti padovani, in /tafia medioevale e umanistica, 1 (1958), p. !55-243; ID., Il preumanesimo padovano, in Storia della cu/tura veneta, 2, Viccnza, 1976, p. 19-110; ID., La Jettera di Enrico a Stefano: a/tri classici a Pomposa (ca. /093), in Pomposia monasterium nunc primum in !tafia. 6 Gius. BILLANOVICH, La tradizione, 1, p. 1-33 e 283-334; ID., La biblioteca papale; ID., Il testa di Livia.

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a Seneca, la tragedia Ecerinis, con cui flagellà il tiranno ghihellino di Verona Cangrande della Scala. Comincio a pensare che Lovato abbia importato a Padova tutti i testi classici che erano stati raccolti a Pomposa, sopra tutto le prose di Seneca. Insieme Lovato allungà le mani verso la biblioteca della cattedrale di Verona ; e ne riesumo una copia dei carmi del veronese Catullo : che egli e i suoi annotarono e imitarono7 ; e ne ricavà anche i carmi di Ausonios. In più a Padova e Verona emigra nel Duecento dal remoto monastero di Montecassino una poderosa raccolta di opere di Cicerone ; che in una copia arriva a Rolando da Piazzola, bravo nipote di Lovato9, e in un'altra- Bibliothèque municipale de Troyes, 552- a Francesco Petrarcaw. E allora nel Veneto fu anche ricomposto il corpo delle opere di Apuleio : congiungendo la sezione filosofica importata dalla Francia con la sezione narrativa ricuperata a Montecassino 11 • Riccobaldo da Ferrara sfruttà le biblioteche della cattedrale di Ravenna e del monastero di Nonantola; e, trasferitosi a Padova, divenne alleato stretto dei padovani : e, aggiungendo a quei suoi i testi dei padovani, compose valide cronachelz. Dunque questi vecchi retori ci portano dentro biblioteche antiche ; e ci illuminano tradizioni dei classici e dei Padri. Con enorme vantaggio per la cattedrale di Verona: dove non ci guida alcun vecchio inventario ; e anche a vantaggio della biblioteca di Pomposa : che fu illustrata in un ottimo, ma parziale, inventario e che poi continuo a crescere splendidamentet3. Cioè la storia dell'umanesimo, particolarmente del poco loquace primo umanesimo, si intreccia con la storia complicatissima, e ancora in gran parte inesplorata, delle tradizioni dei classici e dei Padri. Cosl le avventure che adesso intravvediamo della 7 Guido BILLANOVICH, Veterum vestigia vatum nei carmi; ID., Il prewnanesimo padovano ; ID., Lovato Lovati : l'epistola a Bellino, gli echi da Catullo, in !tafia medioevale e umanistica, 32 (1989), p. 101-153; Gius. BILLANOVICH, Il Catullo della cattedrale di Verona, in Sc ire lifteras. Forschungen zur mittelalterlichen Geistesleben [Bernard Bise hoff gewidmet], ed. S. KRAMER e M. BERNHARD, Bayerische Akademie der Wissenschaften, Phil.·hist. KI., Abhandl., N.F., 99 (1988), p. 35-37. 8 Gius. BILLANOVICH, Quattro libri del Petrarca e la biblioteca della cattedrale di Verona, in Studi petrarcheschi, n. s., 7 (1990), p. 233-262; Guido BILLANOVICH, La biblioteca viscontea e i preumanisti padovani : Seneca tragico, Ausonio, ps. Quintiliano, in Studi petrarcheschi, n. s., 7 (1990), p. 213-231. 9 Guido BILLANOVICH e P. L. SCHMIDT, Cicerone e i primi umanisti padovani. Il codice Gudiano lat. 2 di Wolfenbüttel, in !tafia medioevale e umanistica, 28 ( 1985), p. 37-56. 10 Gius. BILLANOVICH, Quattro libri. II Ibid. 12 Gius. BILLANOVICH, La tradizione, cit. n. 1, 1, p. 18-32, 272, 282, 313, 315, 319-320, 322-323, 331 ; G. ZANELLA, Riccobaldo e Livia, in Studi petrarcheschi, n. s., 6 (1989), p. 53-69. 13 Pomposia monasterium modo in !tafia primum, cit. n. 1.

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biblioteca di Pomposa ci fanno risalire inaspettatamente dentro alla più ricca forse delle nostre biblioteche, ma finora trascuratissima, la libreria nel palazzo dei papi a San Giovanni in Laterano14. E subito l'Italia si alleà con la Grecia. Perchè già i compaesani e coetanei di Lovato arrivarono a conquistare, con nostra grande meraviglia, qualche classico greco. Cosl ci è appena stato rivelato come l'egregio filosofo e scienzato Pietro d'Abano, che si spinse fino a Costantinopoli e apprese il greco, si affannà a sistemare aiutandosi con il testo greco il suo commento ai Problemata di Aristotele1s; mentre il suo minuscolo collega Pace da Ferrara, professore di grammatica e logica nell'università di Padova, arriva a possedere, senza poterlo intendere; il testo greco dei Moralia di Plutarco, dentro un codice appena assestato a Costantinopoli dal maestro egregio Massimo Planude16 ; poi a metà del Trecento un giurista padovano usava portare in tribunale il testo greco dell'Iliade e godeva di rinforzare le sue arringhe traducendo ai giudici qualche brano di quel poema17. Cioè perchè per secoli le terre divisera e il mare unl, Padova risultà, già nel primo Trecento, attraverso Venezia, contigua a Costantinopoli. Lovato si lusingà, e lusingà i suoi padovani, di avere scoperto la tomba del mitico fondatore troiano Antenore e la lapide funeraria del magno conterraneo Tito Livio. E dunque avvià, insieme con i suoi aiutanti Mussato e Rolando da Piazzola, le scienze, poi predilette da letterati e da artisti, dell'epigrafia, dell'archeologia e anche - in questa regione che, specialmente nell'intatta Verona, restituiva spesso monete romane - della numismatica. Intanto Padova alzava i suoi manumenti : come l'enorme Sala della ragione. E alcune generazioni dopo, tra Venezia, Padova e Verona, Iacopo Bellini, con i figli Gentile e Giovanni e il genero Andrea Mantegna, e i veronesi Pisanello e Matteo de' Pasti imposero all'Italia e all'Europa l'arte antiquaria : nella pittura e nelle medaglie1s. Presto il comune di Padova fu abbattuto dalla lancia di Cangrande della Scala. E invece, rompendo le strette cinte dei comuni, traffici e 14 Gius. BILLANOVICH, La hihlioteca papale, cit. n. 1 ; ID., Il testa, cit. n. 1 ; ID., La famiglia romana, cit. n. 1. 15 Guido BILLANOV!CH e L. ÜLIVIERI, Pietro d'Ahana e il codice Antoniano XVII 370, in /talia medioevale e umanistica, 28 (1985), p. 221-291 ; L. ÜLIVIERI, Pietro d'Ahana e il pensiero neolatino. Filosofia, scienza e ricerca dell'Aristotele greco tra i secoli XIII e XIV, Padova, 1988. 16 Ph. A. STADTER, Planudes, Plutarch and Pace of Ferrara, in /tafia medioevale e umanistica, 16 (1973), p. 137-162. 17 A. PERTUSI, Leonzio Pilato fra Petrarca e Boccaccio, Venezia- Roma, 1964, p. 10-14. 18 Gius. BILLANOVICH, Disegni italiani del Trecento, in /tatia medioevale e umanistica, 25 (1982), p. 365-380.

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denari, libri e dottrina affluirono a Avignone : promos sa dal 1309 a capitale della cristianità. E per destino provvidenziale 11 fu educato, maestro del secolo, Francesco Petrarca : che, finanziato dal padre, accorto notaio esule da Firenze, appena a vent'anni vi diresse la costruzione del macchinoso epure miranda Virgilio AmbrosianoJ9; e subito dopo restaurà splendidamente nello Harleiano 2493 della British Library il corpo delle Decadi I, III e IV di Livio 2o. Invece, inteso a procurarsi attraverso vaste e intense letture lingua e stile dei classici, tardà fino oltre i trent'anni avanti di impegnarsi a comporre le sue grandi opere latine. Divenne in fine padre dell'umanesimo, inventà la brillantissima fantasia della salita al Ventoso (Familiare IV, 1)21; e insieme, con le poesie che riunl nei Rerum vulgarium fragmenta, risultà mirabile « fabbro del parlar materna». Dalla Roma sul Rodano il Petrarca si collegà subito con il prospero Veneto : prima per tramite del vecchio notaio papale e quindi canonico a Verona ser Simone d'Arezzo ; e poi attraverso l'alleanza strettissima con lo zelante Guglielmo da Pastrengo, che teneva in tasca le chiavi della biblioteca della cattedrale, in una lunga sosta a Verona nel 1345 si procurà le epistole Ad Atticum di Cicerone e prima da ll aveva ricevuto i carmi di Catullo22. E già aveva ottenuto i recenti prodotti padovani : i carmi di Lovato e l'Ecerinis e le storie del Mussato23. E, fatto nella sua alba cliente dei romanissimi Colonna, il Petrarca pure ricavà libri dalla doviziosa, sebbene disordinatissima, Roma. In più si abbeverà a molteplici fonti transalpine: della Francia, dell'autonoma e pingue diocesi di Liegi24, persino, con la Topographia Hiberniae di Giraud de Barri nel Parigino lat. 6846, dalla remota e tanta meno ricca Inghilterra; e addirittura calamità dalla Grecia i testi originali di Ornera (Ambrosiano I 98 inf.) e di Platane (Pari gino greco 1807) : per lui preziosissimi e purtroppo impenetrabili. Quindi il Petrarca si stabill nell'Italia del nord ; e da n diresse la crescita del nuovo stile. Finalmente in due soste nel 1350 raggiunse la non amata patria Firenze ; e ottenne libri e testi dai nuovi amici fiorentini : subito da Lapo da Castiglionchio quattro orazioni di Cicerone e le 19 G. C. ALESSIO, Gius. B1LLANOVICH, V. DE ANGELIS, L'alba del Petrarca filologo. Il Virgilio Ambrosiano, in Studi petrarcheschi, n. s., 2 (1985), p. 15-84 e 3 (1986), p. 203-246. 20 Gius. BILLANOVICH, La tradizione del testa di Livia e le origini dell'Umanesimo. Il. Il Livia del Petrarca e del Valla: British Library, Harleian 2493, riprodotto integra/mente, Padova, 1981. 21 Gius. BILLANOVJCH, Petrarca e il Ventoso, in Italia medioevale e umanistica, 9 (1966), p. 389-401. 22 Gius. BILLANOVICH, Quattro libri, cit. n. 8. 23 PETRARCA, Rerum memorandarum libri, ed. Gius. BILLANOVICH, Firenze, 1943-1945, II 61 e!V 39 e 118. 24 V. DE ANGELIS, Petrarca, Stazio, Liegi, in Studi petrarcheschi, n. s., 2 (1985), p. 53-84.

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G. BILLANOVICH

Istituzioni oratorie di Quintiliano2s. Poi il Boccaccio e Zanobi da Strada, favorendo enormemente la crescita della !oro città a capitale dell'umanesimo, importarono i testi classici che si erano accumulati da secoli nella grande cava meridionale dell'archicenobio di Montecassino ; e allora il Boccaccio fornl al Petrarca ne! 1355 la Pro Cluentio di Cicerone e il De Zingua latina di V arrone26. E quindi l'alleanza cordialissima tra i due letterati massimi Petrarca e Boccaccio ipotecà per secoli la produzione letteraria d'Italia e d'Europa. Sarà pure indispensabile, attraverso lente ricerche, ricomporre le figure e l'opera dei maestri di grammatica che fra il Tre e il Quattrocento, mentre le nostre università attraevano sempre più numerosi studenti transalpini, alimentarono la rivoluzione che porto dalla civiltà gotica alla civiltà umanistica. Intanto l'intensa esplorazione ci permette di riconoscere numerosissimi autografi e di dare cosl una precisa fisionomia a copisti e miniatori, committenti e lettori. E ci consente di ricostruire sempre meglio le biblioteche dei letterati maggiori e minori - capofila il Petrarca - , dei dignitari ecclesiastici, dei signori, dei riformati ordini religiosi. Il restauro radicale che, camminando sulle orme dell'eroica Elisabeth Pellegrin, stiamo operando con gli amici milanesi della biblioteca che fu dei Visconti e Sforza padroni della Lombardia ci rivela inaspettatamente quanti codici venerandi furono importati fra Tre e Quattrocento, per opera di intraprendenti raccoglitori- diplomatici e persino mercanti-, dalla Francia in Lombardia27. Ormai ci persuadiamo che l'umanesimo fu un ritorno alla cultura romanica scavalcando la cultura gotica ; la rinuncia all'arco acuto e il ritorno all'arco tondo. Il restauro della civiltà umanistica darà lavoro a noi, ai figli, ai nipoti. E rinnoverà profondamente buccia e succo di varie discipline : sopra tutto la storia della letteratura italiana, la filologia classica, la patrologia.

25 Gius. BILLANOVICH, Pett-arca e Cicerone, in Miscelluneu Giovanni Mercati, IV, Città del Vaticano, 1946, p. 90. 26 Ibid., p. 103-105. 27 1 libri del Petrarcu, lu biblioteca dei Carraresi e la biblioteca dei Visconti e Sforza, in Studi petrarcheschi, n. s., 7 (1990) e 8 (1991).

SITUATION DE MARTIN LE FRANC

Marc-René ]UNG (Université de Zurich)

Martin Le Franc, né dans la région d'Aumale, en 14081, fit ses études à Paris, où il obtint le grade de magister artium. Le 21 septembre 1435 il se trouva à Arras, lors du traité de paix entre la France et la Bour-

gogne. C'est à cette occasion qu'il a dû être présenté au duc de Bourgogne, mais c'est dans la chancellerie du pape savoyard Félix V et dans celle des ducs de Savoie qu'il fera sa carrière. Ses textes littéraires français sont cependant destinés à la cour bourguignonne. En 1437, il composa le traité De bono mortis ad Petrum Heronchel poetam celeberrimum dyalogus familiaris ; il s'agit d'une consolatio, où l'auteur dialogue avec un certain Johannes, mort récemment2. Peu après, il écrivit deux épîtres latines, dont l'une fait l'éloge d'Amédée VIII de Savoie tandis que l'autre, adressée aux secrétaires de sa chancellerie, traite de questions de rhétorique. Nous ignorons malheureusement quels sont les textes que Le Franc traduisit, dès 1439, du latin en français et du français en latin. Le premier juillet 1440, il fut incorporé au concile de Bâle. A une date indéterminée, mais toujours au concile de Bâle, il prononça un sermon sur la passion du Christ. Un témoignage indirect important nous est fourni par une série de dialogues qu'Aeneas Sylvius Piccolomini écrivit à Bâle en novembre 1440. Le futur pape Pie II s'entretient avec Martinus Gallicus sur un certain nombre de sujets chers aux humanistes d'alors. En 1440-1442, Le Franc composa Le Champion des dames, en 3042 huitains octosyllabiques (une douzaine de manuscrits, trois éditions anciennes). Dans une Complainte du livre du Champion des dames a maistre Martin 1 Je déduis cette date d'un passage du De bono mortis, où Johannes dit à Martinus : equidem omnis nostri temporis ab anno octavo post mille ecce usque huc etatis tue xxix tarn dura condicio fuit ut potius vivendo semimorirentur homines quam vivendo semiviverent >>. -Pour la carrière ecclésiastique de Le Franc, voir Helvetia sacra, 1, 4, p. 386-387. 2 Je fournirai ailleurs quelques renseignements sur le « très célèbre poète >> Pierre Héronchel, ou de Héronchel. D'origine normande, comme Le Franc, Héronchel était curé de Muraz (?), dans Je Valais, d'après une note qu'on lit dans le zibaldone poétique qu'il composa pour le notaire valaisan Jean Devantéry (Paris, B. N., n. a. fr. J J J53). Comme Le Franc, HéroncheJ a collaboré à la Bible de Jean Servion. Sous le titre Regime pour garder santé, il a traduit en outre Je Regimen sanitatis d'Arnaud de Villeneuve ; cette traduction est conservée dans un manuscrit autographe (Bruxelles, B. R. 11198). Un manuscrit du xve siècle de Térence (Paris, B. N., lat. 1306), porte la signature: Pierre de Heronchel nous a mis dans ce monchel, mais le copiste de ce manuscrit est un certain Guillermus Bernardi Ga/lieus ortu. > de Pétrarque, dans Studi francesi, 45 (1971), p. 241-256. 1975 ROTH, Oskar, Martin Le Franc et les débuts de l'humanisme italien. Analyse des emprunts faits à Pétrarque, dans Il Petrarca ad Arquà, Padova, 1975, p. 240-255 (Studi sul Petrarca, 2). 1976 GAGNEBIN, Bernard, L'enluminure de Charlemagne à François Jer, Genève, 1976, p. 96-99. -A propos du manuscrit latin 101 de Genève (discours de Cicéron) ayant appartenu à Martin Le Franc. 1976 BROOKS, Jerry Carroll, La filiation des manuscrits du> de Martin Le Franc, Ph. D. Dissertation, The Florida State University, 1976, 133 p. -Publication, en appendice, de la fin du cinquième livre, vv. 23865-24336, d'après le manuscrit Paris, B. N., fr. 12476, avec les variantes des autres manuscrits.

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M.-R. JUNG

1981 FRAIOLI, Deborah, The Image of Joan of Arc in Fifteenth Century Literature, Ph. D. Dissertation, Syracuse University, 1981, 291 p. -Le chapitre III, p. 127-165, concerne Le Champion des dames. 1981 FISCHER, Don Arthur, Edition and Study of Martin Le Franc's «Le Champion des dames », Ph. D. Dissertation, The Florida State University, 1981. -Edition du troisième livre, 3656 vers, d'après le manuscrit Paris, B. N., fr. 12476, f. 69a-89b. Table des noms propres ; glossaire. 1982 JUNG, Marc-René, Rhétorique contre philosophie ? Un inédit de Martin Le Franc, dans Rhetoric Revalued. Papers from the International Society for the History of Rhetoric, éd. Brian VICKERS, Binghamton, 1982, p. 241-246. 1982 WILLIAMS, Harry F., French Proverbs in Fifteenth-Century Literature. A Sampling, dans Fifteenth-Century Studies, 5 (1982), p. 223-232.- Liste de 52 proverbes tirés du Champion des dames, avec indication du feuillet dans le manuscrit Paris, B. N., fr. 12476. 1983 DESCHAUX, Robert, Oui ou non, les sorcières volent-elles ? Une discussion à ce sujet empruntée au « Champion des dames " de Martin Le Franc, dans Recherches et Travaux, 24 (1983), p. 5-11 (Université de Grenoble, U.E.R. Lettres. Bulletin). 1985 BARBEY, Léon, Martin Le Franc, prévôt de Lausanne, avocat de l'amour et de la femme au xve siècle, Fribourg, 1985, 113 p. -Analyse de 8144 vers du Champion des dames publiées en 1968. Index des noms propres. 1985 WILLIAMS, Harry F., Saint Valentine in the « Champion des dames », dans Le moyen français, 17 (1985), p. 73-82. Même article, publié sous le titre Structural Aspects of« Le Champion des dames », dans Fifteenth-Century Studies, 11 (1985), p. 149-161. 1987 WILLIAMS, Harry F., Martin Le Franc as Literary Critic, dans FifteenthCentury Studies, 12 (1987), p. 187-194. 1988 Martin Le Franc, dans Helvetia sacra, I, vol. 4, Archidiocèses et diocèses, IV. Le diocèse de Lausanne, rédaction Patrick BRAUN, Basel- Frankfurt-amM., 1988, p. 386-387. 1989 DEMBOWSKI, Peter F., Martin Le Franc, Fortune, Virtue, and FifteenthCentury France, dans Continuations. Essays on Medieval French Literature and Language ln Honor of John L. Grigsby, publié par Norris J. LACY et Gloria TORRINI-ROBLIN, Birmingham (Alabama), 1989, p. 261-276. -Présentation de L'Estrif de Fortune et Vertu, dont P. F. Dembowski prépare l'édition. 1989 ÜUY, Gilbert, Recherches sur les manuscrits de Saint- Victor à la Bibliothèque royale de Copenhague, dans CNRS- Culture écrite du Moyen Age tardif. Rapport scientifique 1985-1989, Paris, s.d., p. 38-39. -Le manuscrit Thott 311 fol. de L'Estrif de Fortune et Vertu serait un exemplaire de présentation ; hypothèse : il pourrait s'agir d'un autographe de Martin Le Franc. 1990 WILLIAMS, Harry F., Joan of Arc, Christine de Pizan, and Martin Le Franc, Fifteenth-Century Studies, 16 (1990), p. 233-237. -Brève note; l'auteur ignore la thèse de FRAJOU 1981. 1991 JUNG, Marc-René, Martin Le Franc, dans Lexikon des Mittelalters, MünchenZürich, vol. VI, col. 347.

GUILLAUME FILLASTRE (cA. 1400-1473) EVEQUE DE VERDUN, DE TOUL ET DE TOURNAI Evencio BELTRAN (CNRS-CEMAT)

L'oeuvre de Guillaume Fillastre a suscité mon intérêt car j'avais le secret espoir d'y trouver un nouveau témoignage sur l'existence et la continuité de l'humanisme français durant le xve siècle. D'une part, en effet, compte tenu de la parenté qui lie notre personnage à un autre Guillaume Fillastre, le célèbre doyen de Reims et futur cardinal de Saint-Marc, on pouvait supposer que celui-ci aurait pu lui inculquer le goût des lettres antiques en lui permettant d'accéder à l'importante collection de textes classiques qu'il avait réunie durant le concile de ConstanceJ. D'autre part, lorsque j'ai abordé cet auteur pour la première fois, j'ai été d'emblée frappé de le voir souvent en compagnie d'autres humanistes, en particulier de Jean Jouffroy. Nos deux auteurs ont suivi en effet un itinéraire parallèle. Ils ont été abbés de grandes abbayes bénédictines et évêques d'un diocèse important du Nord: Jouffroy, abbé de Luxeuil et Saint-Denis et évêque d'Arras ; Fillastre, abbé de SaintBertin à Saint-Omer et évêque de Tournai ; tous les deux figurent parmi les principaux orateurs, ambassadeurs et conseillers du duc de Bourgogne Philippe le Bon, et comme légats a latere de plusieurs papes. Enfin, nos deux prélats étaient fort riches et sont morts la même année, en 1473. C'est très probablement en raison de cette ressemblance que le chroniqueur Jacques Du Clercq qui nous a transmis son témoignage fameux (1460) sur l'origine illégitime de l'évêque de Tournai, a mis Jean Jouffroy à la place de Guillaume Fillastre, alors que tous les renseignements conviennent à ce dernier2. Notre Fillastre est surtout connu en tant que chancelier et historien de la Toison d'or et par le rôle capital qu'il a exercé auprès du duc de Bourgogne Philippe le Bon. A ces deux titres, il est tout a fait représentatif de ces puissants hommes de loi et des finances de la cour de

1 Voir sur ce poiut E. ÜRNATO, Les humanistes français et la redécouverte des classiques, dans Préludes à la Renaissance. Aspects de la vie intellectuelle en France au xve siècle, éd. C. BOZZOLO etE. ÜRNATO, Paris, 1992, p. 20-23. 2 Cf. infra, n. 9.

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E. BELTRAN

Bourgogne, si bien décrits par John Bartier3. Cependant, malgré quelques publications fort intéressantes4, il n'a pas encore fait l'objet d'une biographie digne de ce nom et ses écrits demeurent en partie inédits ou mal édités et, par-dessus tout, fort peu étudiés. La publication d'un discours inédit de Guillaume Fillastres m'a donc fourni l'occasion de chercher à en savoir davantage sur la vie et l'oeuvre de ce personnage très influent, qui, malgré sa naissance illégitime, a parfaitement réussi, sur le plan aussi bien ecclésiastique que politique, voire dans les domaines littéraire et artistique, se hissant ainsi jusqu'aux plus hauts honneurs. En attendant donc le livre qui le ressuscitera complètement, voici le résultat de cette enquête. Les origines de Guillaume Fillastre sont obscures, certes, mais pas autant que le prétendent une certaine historiographie hagiographique ou certains biographes modernes qui ne prennent pas toujours la peine de vérifier les sources. Si l'on se reporte, par exemple, à la notice que lui consacre en 1975 Tribout de Morembert dans le Dictionnaire de Biographie française6, on lit qu'il était fils du gouverneur du Maine, Etienne Fillastre ou de son frère Guillaume, le futur cardinal de SaintMarc. Joseph Du Teil avait déjà montré, en effet, que la filiation de notre personnage est trahie par les armes qui correspondent, à quelques détails près, à celles des Fillastre du Maine?. Mais le même érudit a démontré aussi, à partir des lettres de légitimation de Martin V et Pie II éditées à la fin de son livre, que notre Guillaume était né : « ... de presbitera et moniali ordinem (sic) sancti Benedicti expresse professa genitus »8. De son coté, l'abbé Auguste Leman a publié un passage de la Chronique de Jacques Du Clercq où sont indiquées les origines illégitimes de notre auteur dont le père est clairement identifié, sans être toutefois nommé. Mise à part l'incroyable méprise sur le nom de l'évêque de Tournai (Jean Godefroy), tous les renseignements fournis par le chroniqueur conviennent exactement aux deux Fillastre et recoupent les 3 Légistes et Gens de Finances au XV" siècle. Les Conseillers des Ducs de Bourgogne Philippe le Bon et Charles le Téméraire, Bruxelles, 1955. 4 Voir en particulier A. WAUTERS, Guillaume Fillastre, dans Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, 1880-1883, VII, col. 61-69, ainsi que les travaux cités ci-après. 5 Nouveaux textes inédits d'Humanistes français du milieu du xve siècle, Genève, 1992, p. 157-169. 6Paris, 1975,XIII,col.l341-1343. 7 Une petite pièce, Paris, B. N., dossiers bleus 259, Failly, f. 28, décrit ainsi les armes de l'évêque de Verdun, Guillaume Fillastre : > par Philippe comte de Flandre, récit romanesque du siècJe55,

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Cette liste, qui n'est pas critique, pèche à la fois par excès et par défaut. Tout d'abord, Mollat attribue à Fillastre certains ouvrages dont la paternité n'est pas sûre; d'autres ne sont que des extraits tirés d'une oeuvre déjà connue sous un autre nom, notamment de La Toison d'or; enfin, il omet un certain nombre de textes dont quelques uns sont assez importants. Ainsi le 1, Mémoire sur la musique à l'abbaye de Fécamp, qui lui est attribué aussi par la Catalogue des livres imprimés de la Bibliothèque Nationale, n'est pas de lui, mais d'un autre bénédictin homonyme de la

46 Guillaume Fillastre Il, dans Catholicisme, IV, 1956, col. 1288-1289. 47 Ed. J. LOTH, Rouen, 1879. 48 Cf. Du TEIL, Un amateur d'art, p. 22 (Besançon, B. M., coll. Chifflet 87, f. 26-36, texte latin, copie du xvne siècle). 49 Cf. S. REINACH, Un manuscrit de la bibliothèque de Philippe le Bon à Saint-Pétersbourg, dans Monuments et mémoires publiées par l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 1904; ce manuscrit porte la cote Erm. 88 (ancien fr. V.IV.l). 50 Paris, B. N., fr. 2621. 51 Paris, B. N., fr. 59 et fr. 697. 52 Aux manuscrits utilisés par l'éditeur (voir n. 88), il faut ajouter celui de Paris, B. N., fr. 3887, f. 21-27v. 53 Lettre éditée par H. BEAUNE et J. D'ARBAUMONT, dans Mémoires d'Olivier de la Marche, 4 vol., Paris, 1883-1888, III, p. 36-38. 54 Paris, B. N., fr. 138, 139, 140, 141. Sur les manuscrits et l'histoire de La Toison d'or cf. la bibliographie très détaillée de F. LYNA, Les principaux manuscrits à peintures de la Bibliothèque Royale de Belgique, Bruxelles, 1989, III, 1ère partie, p. 344-349. 55 Edité par L. DELISLE, St-Lô, 1901.

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congrégation de Saint-Maur qui eut à défendre contre l'évêque de Rouen les privilèges d'exemption de l'abbaye de Fécamp. Le 3, Une compilation de chroniques offerte à Philippe le Bon, n'est pas à proprement parler une oeuvre de notre auteur, mais une chronique existant à l'abbaye de Saint-Bertin que Fillastre fit « transcrire et historier» pour le compte du duc de Bourgogne56. Le 4, Une chronique de France, n'est en réalité qu'un manuscrit de La Toison d'or, incomplet au début et à la fin, ainsi que l'a montré Léopold Delisles?. Pour le 5, Une traduction des Histoires Troyennes, Mollat donne les manuscrits Paris, Bibliothèque nationale, français 59 et français 697. Or le Recueil d'Histoires Troyennes contenu dans le français 59 est expressément attribué à Raoul Lefèvre. En revanche, dans le français 697, ce recueil porte le nom de Guillaume de Failly5s ; mais, comme nous l'avons indiqué plus haut, il n'y a aucun doute qu'il s'agit de Guillaume Fillastre, évêque de Tournai et abbé de Saint-Bertin. Le manuscrit français 697 ne comporte que les deux premières parties des trois dont se compose l'ouvrage entier ; mais le texte de ces deux parties étant identique dans les deux manuscrits, on s'est posé depuis longtemps la question de savoir qui en est le véritable auteur. Heinrich Oscar Sommers9, qui a identifié plusieurs manuscrits dont quelques-uns autographes, montre brillamment que le véritable auteur du Recueil des Histoires Troyennes est bien Raoul Lefèvre60. Quant au 8, Oraison funèbre de Philippe le Bon, prononcée à Saint-Donatien de Bruges en 1467 par Fillastre comme l'affirment les

56 Outre la bibliographie indiquée par G. Mo !lat, voir A. BA YOT, Sur l'exemplaire des Grandes Chroniques offert par Guillaume Fillastre à Philippe le Bon, dans Mélanges G. Kurt, 2 vol., Liège- Paris, 1908, II, p. 183-190. 57 Revue des Sociétés savantes, 9 (1869), p. 53-54 et 153-157. 58 > .... Inc. : . 59 The Recuyell of the Historyes of Troye, writen in French by Raoul Lefèvre, translated and printed by William Caxton, 2 vol., London, 1894. Cf. le compte-rendu de G. PARIS, dans Romania, 24 (1895), p. 295-298. H. O. Sommer pense, lui aussi, que le nom de Failly serait celui de la mère de Fillastre. 60 Il existe une édition récente de ce texte : RAOUL LE FÈVRE, Le Recoeil des histoires de Troyes, éd. M. AESCHBACH, Bern- Frankfurt-am-M.- Paris, 1987. Pour un aperçu historique de La légende de Troie durant le Moyen Age, cf. l'article récent de R. M. JUNG, Die franzosische Trojalegende in Mittelalter, dans Universitat Zürich, Rektoratsrede... Jahresbericht 1991-1992, p. 5-15.

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E. BELTRAN

chroniqueurs contemporains, nous ne connaissons actuellement aucun manuscrit qui l'ait transmise6I. Pour le 10, Un petit traité du conseil privé du duc de Bourgogne composé en 1471, Mollat renvoie à un manuscrit de Bruxelles, sans indiquer lequel ni la cote. Il se trouve en réalité non pas à Bruxelles mais à Londres62, mais il ne s'agit encore une fois que d'un extrait du ne livre de La Toison d'or63. Le 11, La prinse de Chierbourg par Philippe comte de Flandre, fait également partie de La Toison d'or, comme l'a montré l'éditeur de ce texteM. Quant au 9, La Toison d'or, qui aurait dû comporter six livres correspondant à six toisons, Mollat connaît seulement les deux premiers volumes: la Toison de Jason ou la Magnanimité, et la Toison de Jacob ou la Justice6s ; mais il ignore le Ille livre, la Toison de Gédéon ou Prudence, qui nous a été transmis par un manuscrit de Copenhague66. Aux oeuvres citées par Mollat il faut ajouter les pièces découvertes par Gilbert Ouy dans les cartons de reliure de livres imprimés de la Bibliothèque nationale67 parmi lesquelles : « Les doleances lesquelles se deult Reverend pere en Dieu Monseigneur Guillaume par la grace de Dieu evesque et conte de Verdun» (f. 31-33v); la grosse de ces mêmes doléances (f. 35-37v) ; une minute en français originale de Guillaume Fillastre répondant aux «remontrances de Citeins de Verdun» (f. 38-39v) ; une lettre concernant l'accord de permutation de diocèses entre lui et Louis d'Harcourt, (f. 40-41) avec leur signature authentique. La signature Guillermus eps. Virdunensis figure également au f. 30 de ce même manuscrit 68 • La Bibliothèque nationale possède encore 6! Par exemple JACQUES Du CLERCQ, Mémoires, V, ch. 66: > (éd. baron F. DE REIFFEMBERG, 4 vol., Bruxelles, 1823, !V, p. 304 et 307. 62 !ne.>, Br. Libr., Royall9 A VI, f. l-Ib. 6 3 >. Il existe un second exemplaire de ce texte: Wien, Osterr. Nationalbibl. 2550, f. 93v-128v. 64 L. DELISLE, St-Lô, 1901. 65 La Toison de Jason (Magnanimité), Paris, B. N., fr. 138 et fr. 139; la Toison de Jacob (Justice), Paris, B. N., fr. 140 et fr. 141. Ces deux premiers volumes nous ont été transmis par plusieurs manuscrits et, par ailleurs, ont été imprimés à Paris en 1517 et à Troyes en 1530. Le troisième est inédit. 66 Kongelige Bibl., Th ott 465 fol.. 67 G. ÜUY, Le pape Alexandre VI a-t-il employé les armes chimiques ?, dans Recueil de travaux offert à M. Clovis Brune!, 2 vol., Paris, 1955, II, p. 321-326 ; ID., Les Bibliothèques, dans L'Histoire et ses méthodes, p. 1082-1084, Paris, 1961 (Paris, B. N., n. a. lat. 2617). 68 Cf. aussi Reims, B. M., coll. P. Tarbé 93 : Bulle de Nicolas V approuvant la permutation, fait à Saint Pierre-de-Rome Je 24 février 1449. Une minute autographe de notre auteur a été

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d'autres «Remontrances des Citains de Verdun à Guillaume Fillastre, leur évêque», datant du 7 déc. 1446 et les réponses de celui-ci dont une pièce en latin assez longue69. Quelques lettres de Guillaume Fillastre, datées du 14 décembre de la même année, confirment les donations faites par lui à différentes abbayes7o. Notre évêque a également promulgué des Statuts synodaux pour Toul en 145171 et pour Tournai en 146272. Au 7, Lettre du 6 juin 1464 au président de Bourgogne pour faire prêcher la croisade contre les Turcs, il faut ajouter une deuxième sur le même thème écrite à Lille le 6 janvier 1464, adressée également au président de Bourgogne, touchant les préparatifs de la future croisade73. Au discours cité par Mollat en 6, il faut en ajouter quatre autres : l'un, prononcé à la diète de Nuremberg en 1444, a été édité par Joseph Toussaint d'après le manuscrit de Munich74 ; je viens d'en publier un autre d'après le manuscrit de Dijon, Bibliothèque municipale 835, f. 21r-27v75 ; enfin les deux derniers ont été prononcés en avril et mai 1454 lorsque Fillastre accompagna Philippe le Bon dans l'Empire pour préparer la croisade contre les Turcs76. Toussaint pense que Fillastre est l'auteur d'une lettre écrite à Bâle entre le 12 et le 15 mai 1439 qui est adressée à Jean Vivien évêque de Neversn, mais je n'y vois aucun signe qui permette une telle attribution ; Du Fresne de Beaucourt lui attribue également un discours concernant une trêve avec l'Angleterre, prononcé par l'évêque de Tournai en 1459, mais cette année l'évêque de Tournai était encore Jean Chevrot78.

étudiée par le Dr. LANSELLE, cf. Un autographe de Guillaume Fillastre, dans Bulletin historique de la Société des Antiquaires de la Morinie, 14 (1922-1929), p. 337-338. 69 N. a. fr. 22643, f. 356-390. 70 Bar-le-Duc, Arch. dép. de la Meuse, H, 14H27, pièces 40-42. 71 Nancy, Arch. dép. de Meurthe-et-Moselle, 3 E 3557, f. 20-21. 72 Kpbenhavn, Kongelige Bibl., Gl.Kgl.S. 1623 4°, f. 4-14. 73 Cf. L.-P. GACHARD, Rapport ... sur les Archives de Dijon, Bruxelles, 1843, p. 157-159. 74 Oratio episcopi Virdunensis oratoris ducis Burgundie, coram re ge Romanorum Frederico Jacta in Nuremberga, lnc. In conspectu tue majestatis, invictissime Cesar, Bayer. Staatsbibl., lat. 85, f. 485v-490v (cf. Les relations diplomatiques, cit. n. 29), p. 267-281. 75 Cf. supra, n. 5. 76 Le premier, Tacerem modo neque post tantum principem, est expressément attribué à l'évêque de Toul ; le second, Si excellenciam vestre maiestatis attende rem, est sans aucun doute de Fillastre comme le suggère l'éditeur. Ils ont été publiés par H. WE1GEL et H. GRüNE1SEN, Deutsche Reichstagsakten unter Friedrich III, Gottingen, 1969, p. 295-298 et 410-415. 77 Cf. Les relations diplomatiques, p. 164, n. l. 78 Histoire de Charles VII, cit. n. 34, VI, p. 274-281 ; Beaucourt cite le ms. Bruxelles, B. R. 6768 (7243-51), f. 307v-340.

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E. BELTRAN

Fillastre a traduit pour Philippe le Bon qui connaissait à peine le latin une bulle de Pie II: «Copie de la bulle donnee l'an LXIII (1463) par le pape Pius et translatee ce dit an par solennel orateur l'evesque de Tournay »79. A la bibliothèque municipale de Besançon, se trouve un «Memorial», envoyé au pape Paul II, qui expose les efforts entrepris par Philippe le Bon pour organiser la croisade contre les Turcs (1454) : « Translation faicte du latin en français sur la proposition privee de monsieur de Tournay, Guillaume Fillastre »8o. Son Testament, publié par Edmond Vansteenberghe8I, est également absent de la liste de Mollat. L'oeuvre de Fillastre contient des allusions à d'autres écrits, notamment à des sermons, qui n'ont pas encore été découverts. Par exemple, Olivier de la Marche nous fait part d'un sermon prononcé lors d'une commémoration de la Toison d'or82. Nous avons mentionné la réponse donnée à Valenciennes en 1461 à un discours de Jean Jouffroy, or nous n'avons que les extraits de Chastellain. De même, Jacques Du Clercq nous a conservé quelques phrases de l'allocution que Fillastre tint en 1463 à Gand en présence de l'abbé de Cîteaux, Hymbert Martin, pour exhorter le comte de Charolais à se rendre. Enfin, le sermon prononcé le 7 mai 1468 pour commémorer l'anniversaire de la fondation de l'ordre de la Toison, n'a pas été retrouvé. Au total, l'oeuvre de Fillastre comprend trois volumes de La Toison d'or, plusieurs discours latins et français (dont certains n'ont pas encore été retrouvés), quelques lettres et un bon nombre de pièces et documents administratifs. Certaines de ces pièces ont été traduites en français par l'auteur lui-même pour le compte de Philippe le Bon. Faute d'espace et de temps, je ne peux analyser dans le détail les trois énormes livres de La Toison d'or, qui constituent en partie une histoire moralisée de la glorieuse maison de Bourgogne où les récits historiques et bibliques se mêlent étroitement à la mythologie et à l'allégorie83. L'auteur lui-même expose dans le prologue les motifs et l'occasion de la composition de son oeuvre. Un an après la mort de Philippe le Bon (1468), raconte-t-il, son héritier Charles lui avait 79 Paris, B. N., fr.

11594, f. 145. Coll. Chifflet 87, f. 36 et sqq. Copie originale, très raturée. Cf. supra, n. 45 ; le testament est contenu dans le ms. St-Omer, B. M. 753, f. 86-89v. 82 (R. SABBADINI, Le scoperte dei codici latini e greci ne' secoli XIVe XV. Nuove ricerche, éd. anast. E. GARIN, 2 vol., Firenze, 1967, t. II, p. 76). 15 Cf. appendice, texte Il: ép. TALlA DE ME à Pierre Col, de l'hiver 1402-1403 (GERSON, éd. GLORIEUX, Il : L'oeuvre épistolaire, no 15, p. 65-70) ; pour la datation, cf. Le débat sur le Roman de la Rose, éd. E. HICKS, Paris, 1977, p. LIV ainsi que E. HICKS etE. ÜRNATO, Jean de Montreuil et le débat sur le Roman de la Rose, dans Romania, 98 (1977), p. 34-64 et 186-219, en particulier p. 41-42 et 219. Dans un passage du De examinatione doctrinarum aussi, Gerson se souvient de ses études en arts, mais il ne donne pas des renseignements précis (Cf. éd. GLORIEUX, IX : L'oeuvre doctrinale, p. 467). !3 Cf. appendice, texte I:

LA FORMATION DES HUMANISTES

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caractère traditionnel de l'enseignement reçui6. Enfin, le dernier témoignage est tiré d'une lettre écrite par Nicolas de Clamanges dans le cadre de la querelle bien connue avec le cardinal Galeotto da Pietramalal7, mais, contrairement à ce que l'auteur voudrait nous faire croire, ces lignes ont été écrites en réalité après 1420IS; en outre, le but polémique de la rédaction doit inviter à la prudence dans l'interprétation du contenu. Bref, de ces trois témoignages, seul celui de Gerson semble être fiable, mais il est plutôt pauvre ; quant aux deux autres, ils peuvent difficilement être pris au pied de la lettre. Cependant, leur construction « littéraire », si elle renvoie donc à une fiction et si elle est de peu de secours pour reconstituer la réalité à laquelle elle se réfère, devient inversement d'un grand intérêt par ce qu'elle trahit des intentions des auteurs. Pierre d'Ailly comme Nicolas de Clamanges proposent une image tout à fait idéale ; la réalité des écoles parisiennes devait sans doute être à un niveau bien inférieur. D'ailleurs, certains témoignages de Gerson et Clamanges montrent que ces deux auteurs «étaient pleinement conscients de représenter une heureuse exception à côté d'une masse qui ne dépassait pas le niveau d'une honnête médiocrité »19. Cet état de choses se confirme à l'examen des oeuvres qui remontent à la période de la formation de leurs auteurs, examen destiné à vérifier si l'on peut dater d'une époque précoce certains textes témoignant d'un esprit nouveau. En fait peu d'oeuvres à résonance humaniste sont dans ce cas : on connaît deux textes de Gerson, une lettre et une églogue,

16 Voici commentE. Hicks traduit le début du passage: (L. MARSILI, Lettere, éd. O. MORONI, Napoli, 1978, p. 281; la lettre est éditée et datée aux p. 277-283). Sur ce personnage cf. VASOLI, Les débuts, cit. n. 50, p. 276; ID., La Regola per ben confessarsi di Luigi Marsili, dans Rinascimento, 4 (1953), p. 39-44, en particulier p. 39-40; E. GARIN, L'età nuova, Napoli, 1969, p. 148. Sur ses contacts avec Pétrarque, cf. DOIT!, Vita, p. 429-430. Cf. aussi à ce sujet RoCCATI, Laformazione, cit. n. 3. 81 Cf. SIMONE, Il Rinascimento, cit. n. 48, p. 58-60; et la bibliographie indiquée dans CECCHEITI, Il primo, cit. n. 40, p. 93-94. Je remercie Donatella Nebbiai-Dalla Guarda de m'avoir signalé la présence de Pétrarque dans une liste d'auteurs spirituels rédigée vers 1390 par Renaud de Bétencourt, moine à l'abbaye de Saint Denis, cf. son article La Tabula librorum de Renaud de Bétencourt, dans Archives d'histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, année 1987, Paris, 1988, p. 103-170, en particulier p. 123-124, 132-133. 82 Cf. à ce sujet GARIN, L'età nuova, p. 139-177 ; VASOLI, Les débuts de l'humanisme, en particulier p. 274; ID., Jntorno al Petrarca ed ai logici « moderni »,dans Antiqui und Moderni, hrsg. von A. ZIMMERMANN, Berlin- New York, 1974, p. 142-154; cf. aussi un bref aperçu sur les différentes positions des érudits dans C. MÉSONIAT, Poetica theologia. La > 400, Roma, 1984, p. 20, n. 31. 83 Cf. Z. KALUZA, Les querelles doctrinales à Paris. Nominalistes et réalistes aux confins du XJVe et du xve siècles, Bergamo, 1988, en particulier p. 37-50, 121-125.

LA FORMATION DES HUMANISTES

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plus mûrs ont su approfondir et développer les implications d'une influence et d'une imitation sans doute d'abord relativement superficielles. C'est cettainement le cas d'auteurs comme Clamanges et Montreuil qui ont su saisir son enseignement philologique et approfondir la leçon de son style. Après cette revue des données dont nous disposons sur la formation des humanistes, on peut conclure provisoirement ainsi. L'atmosphère dans laquelle ces derniers se sont formés semble particulièrement ouverte aux nouveaux ferments et, en même temps, nous n'avons pas d'éléments qui fassent supposer que la faculté des arts ait joué un rôle déterminant. L'affirmation de la sensibilité humaniste semble plutôt être due à l'existence d'un réseau de contacts, à la richesse des échanges culturels, à une évolution intellectuelle, au mûrissement d'une situation, mûrissement induit au fond par d'autres facteurs que la formation scolaire84. Il faut donc essayer d'élucider les circonstances concrètes dans lesquelles a pu s'effectuer ce mûrissement. Des foyers culturels, autres que la faculté des arts, sont possibles. Nous avons des indices; certes, ils ne remontent qu'aux années 1390, mais ils témoignent d'une attention aux exigences humanistes et de lieux de transmission du savoir extérieurs à l'école. Dans le milieu de la chancellerie parisienne, les lettres du cardinal Pietramala circulaient et étaient lues comme des modèles de style8s ; Jean de Montreuil parle dans sa correspondance de ses pueri, qui s'exercent au style des épîtres de Salutati86, et nous avons probablement au moins un exemple de cet

84 Dans ces conditions, s'il y a eu intervention directe de la monarchie (cf. OUY, La dialectique, cit. n. 42, p. 139-140; aussi ID., Le collège, cit. n. 2, p. 278-283; et la bibliographie citée dans RoccATI, L'Umanesimo francese, cit. n. 76, p. 165), elle a dû s'inscrire dans une tendance plus générale de relativisation de la culture universitaire traditionnelle. 85 Vers 1395, cf. CECCHETTI, Petrarca, cit. n. 1, p. 28-29. 86 «Ego sum Johannes ille, qui ab illo latialis cloquentie plane principe, quantum mi chi conicere datum est, aut ei non eripias scitum illud, scilicet Coluchio, cancellario florentino, ferme ducentas epistulas, tarn familiares guam civiles, impetravi emendatas quidem et correctas, et eas sub unius voluminis fasce bibliotheca mea servat, preter suos De Fato et De Verecundia tractatus atque particularia alia monimenta sua multa, que passim mea in domo vagantur, et pro e1oquutionis eruditione pueris meis plerisque aliis non rudibus sunt exemplar >> {JEAN DE MONTREUIL, Opera, t. I: Epistolario, éd. E. 0RNATO, Torino, 1967, ép. 93, 29-36, p. 131-132). La lettre est datable de 1397 environ (cf. ibid., IV, cit. n. 21, p. 168-170). A ce sujet cf. aussi ORNATO, Jean Muret, cit. n. 19, p. 81, n. 47; ID., La redécouverte des classiques, un révélateur de ruptures et de continuité dans le mouvement humaniste en France au xve siècle, dans L'aube de la Renaissance, études réunies par D. CECCHETTI, L. Sozzi, L. TERREAUX, Genève, 1991, p. 83-101, en particulier p. 93 ; N. PONS, La présence de Coluccio Salutati dans le recueil épistolaire de Jean de Montreuil, dans Franco-ltalica, 1 (1992), p. 9-24, en particulier p. 10, 15.

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G. M. ROCCATI

enseignement assuré par lui à la chancelleries?. Or il est connu que la plupart des personnalités de l'humanisme peut être rattachée au milieu des chancelleries en Italie et surtout en Francess. Ce milieu, ouvert par sa nature même aux influences internationales - ses membres sont chargés d'ambassades et voyagent souvent à l'étranger ; ils entretiennent des contacts officiels, mais aussi personnels, avec les chancelleries et les personnalités d'autres pays et ils pratiquent l'éloquence latine dans l'exercice de leur profession-, a très bien pu être très tôt réceptif à l'égard des nouvelles tendances qui s'affirmaient à partir de l'Italie. Par ailleurs, l'atmosphère et les lieux dans lesquels l'humanisme s'est développé sont peut-être illustrés a posteriori par les querelles et controverses littéraires qui se succèdent au tournant du siècles9. Au-delà du caractère parfois futile des oppositions - car sans doute les sujets plus délicats ont été censurés à l'écrit par les auteurs eux-mêmes-, nous avons dans ce phénomène l'expression de la vitalité d'une culture autonome par rapport à l'Université. Une fois de plus, les protagonistes de ces controverses sont essentiellement des personnages liés aux chancelleries. C'est dans ce même milieu que circulent les textes classiques et les manuscrits nouvellement découverts, comme en témoigne

87 Il s'agit d'une lettre de Jean Lebègue, datant de 1395 environ; cf. ÜUY, Le songe, cit. n. 35, en particulier, p. 389-390. 88 Cf. supra, n. 49. Ce milieu existe à cette époque depuis longtemps, mais sa culture apparaissait comme un mélange de traits cléricaux ou courtois, en même temps que proprement curiaux (cf. E. TüRCK, Nugae curialium. Le règne d'Henri li Plantagenêt ( 1145-1181) et l'éthique politique, Genève, 1977 ; BAUTIER, Chancellerie et culture, cit. n. 49). Dans les années 1380 en France, sans doute sous l'influence italienne, il évolue par contre vers une culture bien caractéristique, indéniablement humaniste. Peut-être aussi faut-il chercher dans l'appartenance à une mouvance politique les raisons d'un tel essor culturel. L'avènement de Charles VI est un moment de crise : les anciens conseillers de Charles V (auxquels se rattache le milieu lettré des traducteurs) sont écartés et l'idéologie chevaleresque revient sur le devant de la scène dans l'entourage royal (cf. POIRION, Le poète, cit. n. 46, p. 28-37; G. M. ROCCA TI, Il rijlesso della società contemporanea nell'opera poetica di Eustache Deschamps, dans Homo sapiens. Homo humanus, 2 vol., Firenze, 1990, t. II, p. 435-447, en particulier p. 437-438). Face à la culture aristocratique de la cour, face au savoir théologique de l'Université, le milieu des fonctionnaires lettrés affirme peut-être de cette manière son identité culturelle et politique. Les tensions nées du schisme ont également amené à une radicalisation des positions et l'on sait que nombre d'humanistes, proches du parti orléanais, étaient favorables à la papauté d'A vignon. D'ailleurs, les liens unissant plus tard les humanistes au parti armagnac s'inscriraient dans la même logique et expliqueraient la parenthèse culturelle de la période de souveraineté anglaise. Sur la continuité du >.

95 GERSON, éd. GLORIEUX, cit. n. 13, II, no 15, p. 65-70; texte d'après Le débat, cit. n. 15, p. 172. Cf. supra, n. 15. 96 Texte d'après CECCHETT!, Petrarca, cit. n. 1, p. 172. Cf. supra, n. 17.

LA BIBLIOTHEQUE CATHEDRALE DE REIMS, TEMOIN DE L'HUMANISME EN FRANCE AU XVe SIECLE Colette ]EVDY (CNRS-IRHT)

Grâce à sa situation géographique et politique et aux dons successifs des archevêques, doyens et chanoines du chapitre cathédral, la bibliothèque capitulaire de Reims a joué constamment un rôle capital dans l'évolution culturelle depuis l'épiscopat d'Hincmar (845-882). Au xve siècle, nous pouvons saisir sur le vif son apport particulier au développement de l'humanisme en France à travers quelques personnalités, comme Simon de Cramaud, Guillaume Fillastre et Thomas de Gerson. Nous avons la chance d'avoir conservé un inventaire encore inédit et peu exploité, rédigé pour la plus grande partie entre 1456 et 1462 et poursuivi jusqu'en 1479. Conservé actuellement à la bibliothèque de la ville de Reims sous la cote 1992, il a été découvert en 1850 par le bibliothécaire Louis Paris au milieu de « paperasses inutiles et à brûler». L'édition annoncée par Henri Loriquet dans son introduction au Catalogue des manuscrits de la bibliothèque municipale de Reimsi n'a jamais été retrouvée et nous préparons en collaboration avec YvesFrançois Riou l'édition critique de cet inventaire avec identification des manuscrits subsistants et notices bio-bibliographiques des archevêques et chanoines donateurs2. Commencé le 15 avril 1456, il comprenait 485 numéros lors du premier récolement terminé le 14 novembre 1470: 469 manuscrits enchaînés à vingt-huit pupitres, treize à gauche et quinze à droite, suivis de seize manuscrits de moindre valeur, en particulier des sermons, conservés dans des armoires. Lors de son achèvement, en novembre 1479, le nombre des manuscrits était porté à 520. La description des manuscrits enchaînés est assez précise : contenu (titre de l'oeuvre ou des oeuvres avec nom de l'auteur si possible), nombre de feuillets en chiffres romains, premiers mots du deuxième feuillet et derniers mots de l'avant-dernier pour identifier le volume en cas de perte ou de vol, 1 H. LORIQUET, Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France. Départements, XXXVIII et XXXIX, Paris, 1904 et 1906 [abrégé Cat. gén.]. Description de l'inventaire dans Jet. 39, 2e partie, p. 1019-1020. 2 La bibliothèque cathédrale de Reims d'après l'inventaire de 1456, dans Histoire des bibliothèques françaises. 1. Les bibliothèques médiévales : Du VJe à 1530, dir. A. VERNET, Paris, 1989, p. 56-57.

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C. JEUDY

enfin les mentions d'ex-dona. La matière n'est pas précisée, sauf lorsque le manuscrit est en papier, ce qui est encore rare entre 1456 et 1470. Les mentions de reliure sont rares aussi pour les manuscrits enchaînés, alors que nous avons conservé beaucoup de belles reliures originales. Par contre, pour les cinquante derniers manuscrits de moindre valeur ou ajoutés au cours des récolements et conservés dans des armoires, le contenu est plus imprécis et le nombre de feuillets manque, ce qui rend l'identification beaucoup plus difficile. Mais on trouve alors des indications sur la matière, à cause de la diffusion du papier, sur la reliure ou l'absence de reliure et sur le format, seulement quand il est petit ou grand3. Grâce à tous ces renseignements, grâce surtout à l'incipit et à l'explicit repères, nous avons pu retrouver près des deux tiers des manuscrits, demeurés essentiellement à Reims à la bibliothèque municipale. Nous pouvons ainsi confronter les données de l'inventaire avec les manuscrits subsistants qui portent encore bien souvent date et lieu de copie, ex-dona parfois autographes et armes du donateur et diverses mentions, en particulier la date précise où ils ont été enchaînés et foliotés par le bibliothécaire Gilles d'Apremont. On sait combien il est difficile d'utiliser correctement un inventaire sans pouvoir recourir à un bon nombre de manuscrits subsistants. Inversement l'inventaire nous décrit des manuscrits perdus (ou pas encore retrouvés) et nous permet de reconstituer la bibliothèque d'un donateur dans son ensemble. En nous appuyant à la fois sur l'inventaire et sur les manuscrits que nous avons pu identifier, nous tenterons de suivre la pénétration des textes-clés du mouvement humaniste à Reims et le rôle joué par quelques personnalités dans l'évolution de la bibliothèque capitulaire au xve siècle. A titre d'exemples, nous étudierons successivement le célèbre manuscrit autographe des Epîtres de Nicolas de Clamanges, puis l'apport de Simon de Cramaud, de Guillaume Fillastre, de Thomas de Gerson et de Jean de Barre. «A tout seigneur, tout honneur». Nicolas de Clamanges (ca. 13601437) apparaît de plus en plus comme le chef de file du premier Humanisme français et la bibliothèque capitulaire de Reims avait la chance de posséder un beau manuscrit autographe de sa Correspondance. Il est décrit dans l'inventaire sous le no 137, sans mention d'ex-dona : Liber epistularum de Clamageniis [sic] cantoris Baiocensis incipiens in secundo folio Il excusavit somnum et finiens in penultimo folio ag. id agere //.

3 Notons aussi pour les nos 487-497 une tentative originale de changer le choix des incipits repères, en prenant par exemple la troisième ligne du ze feuillet. Mais dès le no 498, on est revenu à la technique antérieure, la plus courante depuis le milieu du xrve siècle pour identifier le volume.

LA BIBLIOTHÈQUE CATHÉDRALE DE REIMS

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Incipit et explicit repères permettent de l'identifier avec certitude. Il s'agit bien du manuscrit 628 de la bibliothèque de la ville de Reims. Au xvme siècle, dans son long mémoire historique sur les prébendes du chapitre de Reims, le chanoine Jean Hermann Weyen signalait que ce manuscrit était considéré (ut dicitur) comme autographe 4 • Après, la tradition a dû se perdre à Reims, car Henri Loriquet, dans son catalogue paru en 19045 n'a pas vu qu'il s'agissait d'un manuscrit d'auteur. C'est à Gilbert Ouy que nous devons sa redécouverte, il y a une vingtaine d'années, et nous attendons impatiemment son étude paléographique approfondie, accompagnée de fac-similés, dans le cadre général d'une publication en cours aux éditions Brepols sur les oeuvres autographes de Nicolas de Clamanges. Le manuscrit est de grand format, environ 320 x 219 mm., et le texte comporte de nombreuses modifications interlinéaires et marginales. Il est transcrit sur deux colonnes, sur du parchemin de récupération, pratique courante à l'époque de l'occupation anglaise où le parchemin était rare et cher. Le texte inférieur est constitué par des documents comptables provenant sans doute de la Chambre des comptes, le plus récent datant de 1421. L'écriture est une minuscule semi-cursive élégante et très régulière, presque totalement dépourvue d'abréviations. Les réclames des cahiers sont ornées d'un parafe caractéristique. La présence d'une lettre de Nicolas de Clamanges à Renaud de Fontaines, datable de 1423, et la comparaison avec le manuscrit latin 14920 de la Bibliothèque nationale ont permis à Gilbert Ouy de dater précisément le corpus épistolaire autographe de Reims entre 1425 et 1429, probablement avant juillet 1429, date de la mort du chancelier Gerson6. Chronologiquement, il se situe entre le manuscrit original datable de 1410 environ? et l'original partiellement autographe postérieur à 1430s. Entre le manuscrit de Reims et celui de Montpellier, il y a un intermédiaire perdu. L'édition critique des Lettres de Nicolas de Clamanges par

4 Ms. Reims, B. M. 1773, f. 355v : . Weyen, originaire d'Orléans, fut aumônier royal de la citadelle de Lille, puis chanoine de Reims de 1714 à 1732. Notons que J'inventaire du XVIIIe siècle ne signale pas que le manuscrit était considéré comme autographe : « Nicolai de Clamengiis Epistulae f n. 145 >> (ms. Reims, B. M. 1994, f. 89v). 5 Cat. gén., 38, p. 815-820. 6 Cf. Quelques conseils de Gerson aux confesseurs (Ms. Paris, B. N., lat. 14920, f 101r-103v), dans Codex in context. Studies over codicologie, kartuizergeschiednis en laatmiddeleeuws geestesleven, aangeboden aan Prof Dr. A. Gruijs, éd. C. DE BACKER, A. 1. GEURTS et A. G. WEILER, Nijmegen, 1985, p. 294-297. 7 Ms. Paris, B. N., lat. 16403. 8 Ms. Montpellier, Bibl. uni v., Fac. de médecine H 87.

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C. JEUDY

le professeur Daria Cecchetti9 permettra, parallèlement à l'étude paléographique, de mieux comprendre l'importance du manuscrit de Reims dans la tradition du corpus épistolaire de Nicolas de Clamanges. A la fin du manuscrit de Reims, aux f. 245-247v, figurent aussi quatre poèmes métriques latins de Nicolas de Clamanges non mentionnés dans l'inventaire. D'abord deux poèmes composés vers 1408, alors qu'il a renoncé à son poste de secrétaire pontifical auprès du pape d'A vignon, Benoît XIII et qu'il s'est retiré au monastère augustin de Fontaine-au-bois, près de Provins : la Deploratio calamitatis ecclesiastice per scisma nefandissimum en 129 vers et la Descriptio et laus urbis Januae en 98 vers. Puis la paraphrase en latin de deux textes poétiques français : la Descriptio vite rustice, paraphrase en 64 vers du Dit de Franc Gontier de Philippe de Vitry et la Descriptio vite tirannice, paraphrase en 83 vers du Contredit de Franc Gontier de Pierre d'Ailly. Ces deux derniers textes furent imprimés dès 1490 et Alfred Covilleio édita les quatre poèmes en 1935 d'après le seul manuscrit de Montpellier11. Nous attendons impatiemment la publication de leur édition critique réalisée par Daria Cecchetti dans sa thèse inédite. Inventorié dès 1456, le manuscrit de Reims était enchaîné dans le septième pupitre du côté gauche de la bibliothèque cathédrale, avec des oeuvres essentiellement théologiques, à côté d'un manuscrit glosé des Epîtres de saint Paul. Il a appartenu à Pierre Marie, docteur en théologie, chanoine de Reims de 1450 à 1473 et une longue note sur le premier feuillet de garde précise qu'il a été légué au chapitre par l'intermédiaire de son frère et héritier, Gérard de Bins, maître ès arts, le 24 juin 1478. De son contemporain Simon de Cramaud, qui succéda à Guy de Roye en 1409 comme archevêque de Reims, il ne reste actuellement à la bibliothèque municipale que trois manuscrits juridiques extraits du commentaire du Digeste de Bartolo de Saxoferrato. L'inventaire décrit en fait six manuscrits offerts par Simon de Cramaud à la bibliothèque du chapitre. Les cinq derniers contenaient une série complète de la Lectura de Bartolo de Saxoferrato sur le Digeste, en deux parties pour 9 En attendant la publication de sa thèse inédite, voir son édition partielle de deux lettres

adressée à Jean de Montreuil et VETUS INTER à Gontier Col, publiées en appendice de son ouvrage L'evoluzione del latina umanistico in Francia, Paris, 1987, p. 91-147. 10 Recherches sur quelques écrivains du XJVe et du XVe siècle, Paris, 1935, p. 261-264, 256-259, 274-277 et 278-281. Editions d'extraits de la Deploratio comparée au Pastorium carmen de Jean Gerson, par G. ÜUY, Gerson émule de Pétrarque. Le Pastorium carmen, poème de jeunesse de Gerson et la renaissance de l'églogue en France à la fin du XIVe siècle, dans Romania, 88 (1967), p. 220-222. II Bibl. univ., Fac. de médecine H 87. IOCOS ITERUM

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l'ancien et trois pour le nouveau. Les deux parties du Digestum vetus étaient enchaînées dans le premier pupitre du côté droit et portent les nos 288 et 289 dans l'inventaire : Bartholus super prima parte Digesti veteris continens CCXXXll folia, incipiens 2° folio Il si ualet sequetur,jïniens in penultimo et intelligitur. Ex dono Sy. de Cramaud. Bartholus super 2a parte Digesti veteris continens CLV folia incipiens 2° folio Il de aur. et ar., finiens penultimo ea non nu Il Ex dona Sy. de Cramaud.

La première partie de 232 feuillets n'a pas été retrouvée. Mais la deuxième correspond au manuscrit 827 de la bibliothèque municipale de Reims 12 • Les livres XII et XXIV ont été copiés pour Simon de Cramaud par Hamon Kerredan, clerc de Saint-Pol de Léon, maître ès arts et bachelier en droitJ3, et achevés le 2 septembre 1412. Le premier feuillet a été arraché et il manque le début du texte avec la bordure et les armes de l'archevêque de Reims. Les trois parties du Digestum novum étaient conservées un peu plus loin dans le deuxième pupitre du côté droit sous les nos 292-294. Seules la première et la troisième partie sont encore à Reims sous les cotes 828 et 829 et contenaient respectivement les livres XXXIX-XLIV et XLVIII-L du Digeste suivis d'autres opuscules juridiques de Bartolo et de Dino da Mugello notamment. D'après l'inventaire nous savons que la deuxième partie non retrouvée avait 207 feuillets. L'incipit du deuxième feuillet était valet ut valere potest et l'explicit de l'avantdernier primo jacta fuerunt. Le manuscrit Reims, Bibliothèque municipale 828 est daté de 1410 par Hamon Kerredan au f. 296 et le manuscrit 829 plus précisément du 9 mars 1410 à Paris aux f. 130v et 191. Ce qu'il nous reste de l'oeuvre de Bartolo que Simon de Cramaud avait fait copier tout entière pour la nouvelle bibliothèque capitulaire nous montre qu'il s'agit de manuscrits de luxe, en beau parchemin, avec bordures et nombreuses lettres ornées et filigranées. Tous devaient porter les armes du donateur: d'azur, à une bande d'or accompagnée de 6 merlettes de même, que l'on retrouve encore au feuillet initial des manuscrits 828 et 829, dans la bordure. Le copiste Hamon Karredan a ajouté au dernier feuillet du manuscrit 828 une longue note rappelant que l'archevêque Simon de Cramaud prend ainsi la relève de son prédécesseur Guy de Roye pour le développement de la bibliothèque 12 Cat. gén., 39 1, p. 153-157 (description groupée des mss. 827, 828, 829); Ch. SAMARAN et R. MARICHAL, Catalogue des manuscrits en écriture latine portant des indications de date, de lieu ou de copiste, V, Paris, 1965, p. 287 et pl. LXXIX (= ms. Reims, B. M. 828, f. 236). Abrégé Manuscrits datés. 13 H. DENIFLE et E. CHATELAIN, Chartularium Universitatis Parisiensis, IV, Paris, 1897, p.ll8et369.

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capitulaire14. A côté de la glose d'Accurse, l'oeuvre de Saxoferrato sur le Digeste, déjà célèbre du vivant de son auteur, était reconnue au début du xve siècle comme référence pour les juristes de l'époque. On s'appuiera sur elle jusqu'au xvrne siècle dans beaucoup d'universités et sa renommée vers 1410 explique l'exécution luxueuse de cette série de manuscrits sur l'ordre de Simon de Cramaud, réputé à l'université de Paris pour sa science juridique. Nous retracerons brièvement la carrière et le rôle politique de ce prélat français, bien mis en lumière par les travaux récents du professeur Howard Kaminsky 1s. Né en Poitou vers 1360, il reçut de Charles VI le titre de Maître des requêtes et du duc de Berry, celui de chancelier. Ecolâtre d'Orléans, évêque d'Agen en 1382, de Béziers en 1383, de Poitiers en 1385, il fut promu patriarche d'Alexandrie et reçut l'administration de l'évêché de Carcassonne en 1391. Archevêque de Reims depuis 1409, il présida le concile de Pise la même année et participa au concile de Rome en 1413, ce qui lui valut le chapeau de cardinal au titre de Saint-Laurent in Lucina. Il assista au concile de Constance en 1417, rentra en France en 1418 et mourut le 15 décembre 1422. Le premier manuscrit recensé dans l'inventaire avec l'ex-dona de l'archevêque de Reims retiendra davantage notre attention, car il évoque la place essentielle tenue par Simon de Cramaud au cours du Grand Schisme et ses propres écrits sur la soustraction d'obédience. Il devait être considéré comme important car il porte le no 16 de l'inventaire et était enchaîné dans le premier pupitre du côté gauche. Voici sa description : Item Epistula Tholosana cum multis aliis tangentibus statutum contendentium De papatu continens Jo lia C, incipiens secundo folio Il amplius habere et finiens in penultimo singulis instrumentis Il Ex dona Symonis de Cramaudo archiepiscopi Remensis.

Ce manuscrit n'a pas été retrouvé à Reims, mais il faudrait faire une enquête plus approfondie sur les manuscrits de l'Epistula Tholosana, avec ou sans les gloses de Simon de Cramaud, dans les bibliothèques, particulièrement en France et en Espagne. L'inventaire nous précise qu'il avait cent feuillets et qu'il contenait l'Epistula Tholosana (avec ou sans les gloses de l'archevêque de Reims), suivie de différents traités 14 Ms. Reims, B. M. 828, f. 236. Cf. Cat. gén., 391, p. 155 (édition de la note, reprise par Hamon de Kerredan au f. 191 du ms. 829). Sur le rôle respectif de Guy de Roye et de Simon de Cramaud pour la construction de la bibliothèque capitulaire, cf. J. LE BRAZ, La bibliothèque de Guy de Roye, archevêque de Reims (1390-1409), dans Bulletin d'information de l'Institut de recherche et d'histoire des textes, 6 (1957), p. 67-72. 15 The early career of Simon de Cramaud, dans Speculum, 49 (1974), p. 499-534; Simon de Cramaud and the Great Schisme, New Brunswick (N. J.), 1983.

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concernant le problème de la papauté. On sait qu'en 1396-1397, Simon de Cramaud composa un traité sur les avantages et les inconvénients de la soustraction d'obédience au pape d'Avignon, Benoît XIII, qui avait été élu le 28 septembre 1394. Nous renvoyons à l'édition critique de ce traité récemment publiée par Howard Kaminskyi6. Dès la fin de 1397 eut lieu une première soustraction d'obédience du roi, du clergé et de l'université de Paris. Mais à la mi-mars 1402, les universitaires de Toulouse présentèrent au Parlement une lettre favorable à la restitution d'obédience, que Simon de Cramaud réfuta un mois plus tard sous forme de gloses et qu'il présenta au roi dès avril 1402. Voici ce qu'il nous apprend lui-même à ce sujet, d'après le témoignage du manuscrit latin 1573 de la Bibliothèque nationale, au f. 37r : Ego inter doctores decretorum Parisius minimus, statim predicta epistola domino nostro regi presentata, posui manum ad calamum, et infra mensem a die presentacionis ipsam sic glosatam sue magestati presentauii7.

A la fin de son édition du De substractione obediencie, Howard Kaminsky dresse un inventaire des oeuvres de Simon de Cramaud, avec datation précise, liste des manuscrits repérés et éditions existantes, s'il y a lieu. Dans cet appendice, les gloses sur l'Epistula Tholosana, datées d'avril-mai 1402, portent le no 15 et sont encore inédites. Cinq manuscrits sont signalés : trois à Paris dont l'un aux Archives nationales, un autre au Vatican et le dernier à Bonn I8. Dans le manuscrit des Archives nationales, le texte de l'Epistula Tholosana et les gloses de Simon de Cramaud alternent. Dans le manuscrit de Bonn, les gloses sont transcrites en bloc, suivies par le texte de la Lettre. Howard Kaminsky a pu gentiment nous confirmer par lettre qu'aucun de ces deux manuscrits ne concordent avec le manuscrit décrit dans l'inventaire. Il faudrait poursuivre l'enquête dans les trois autres manuscrits mentionnés, mais aussi rechercher tous les manuscrits de l'Epistula Tholosana, avec ou sans gloses, pour voir s'ils correspondent avec l'incipit et l'explicit repères de l'inventaire. Au moins trois sont conservés à la Bibliothèque nationale de Paris, un autre à la bibliothèque municipale de Rouen et un à Oxfordi9. Il doit en exister bien d'autres encore et nous serions heureuse que notre question puisse inciter quelqu'un à entreprendre l'édition de ces gloses. Que pouvait contenir le manuscrit donné par Simon de Cramaud à la bibliothèque De substraccione obediencie, Cambridge (Mass.), 1984. Cf. N. VALOIS, La France et le Grand Schisme d'Occident, III, Paris, 1901, p. 260-266. 18 Paris, A. N., J 518, f. 500r-555v; B. N., lat. 17585, 32 f. et n. a. lat. 1793, f. 97r-159r; Vaticano, Bibl. Ap., Vat. lat. 4117, f. 223r-258v; Bonn, Universitatsbibl., S 594, II, f. 42r-7lr; cf. De substraccione obediencie, Appendix V, p. 236 no 15. 19 Paris, B. N., lat. 1573, f. 5r-24r ; lat. 9788, f. lr-6r et lat. 9789, f. 139r-156r; Rouen, B. M. 1355, f. 297r-312r; Oxford, Balliol College 165b, f. 289r sqq. 16

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capitulaire ? L'Epistula Tholosana en tête, avec très probablement ses gloses alternant avec le texte ou lui faisant suite, puis beaucoup d'autres traités (multa alia) sur le problème de la papauté. Lesquels ? Howard Kaminsky a calculé que les gloses seules occupent environ trente feuillets dans les manuscrits subsistants, les gloses avec le texte de l'Epistula soixante feuillets. Il resterait donc environ quarante feuillets pour les autres traités, mais tout dépend bien sûr du format du manuscrit, qui n'est pas indiqué. On sait en tout cas que Simon de Cramaud avait avec lui sa propre collection de traités sur le Schisme au concile de Pise en 1409. Peut-être est-ce ce recueil qu'il aurait donné plus tard au chapitre cathédral de Reims, après la fin de la bataille politique, comme le suggère Howard Kaminsky ? Sous la direction des archevêques Guy de Roye (1390-1409) et Simon de Cramaud (1409-1422), le plus célèbre des humanistes rémois, Guillaume Fillastre (ca. 1350-1428) exerça une influence décisive dans l'enrichissement de la bibliothèque en textes-clés pour l'humanisme au début du xve siècle. Il prit aussi une part active dans la gestion des travaux pour la construction de la bibliothèque achevée vers 1412. Ami de Jean de Montreuil qui l'avait poussé à l'étude des litterae humaniores, ce précurseur de l'humanisme en France joua un rôle essentiel pour la redécouverte des classiques et la connaissance de l'humanisme italien. Après Guy de Roye qui avait légué au chapitre près de 160 manuscrits, Guillaume est certainement le second bienfaiteur de la bibliothèque des chanoines, mais dans un esprit différent à la fois par ses choix et par un mécénat d'un type nouveau. Certes il pouvait déjà s'appuyer sur un fonds de manuscrits déjà considérable essentiellement dans les domaines théologiques et juridiques. Son prédécesseur Guy de Roye avait légué en outre un certain nombre de traductions en français et d'oeuvres vernaculaires des xnre et xrve siècles, qui correspondaient à ses préoccupations pastoraleszo. Il chercha ainsi à mettre certains textes à la disposition des laïcs. Guillaume Fillastre pouvait donc aller de l'avant et suivre plus facilement ses goûts personnels et la production littéraire de son époque. Il sut mettre à profit pour lui-même et pour le chapitre de Reims les contacts fructueux qu'il put établir avec les humanistes italiens, à la fois lors de ses séjours en Italie, notamment à Rome auprès du pape Martin V et aussi à Constance, par l'intermédiaire du grand marché de livres qui s'y constitua pendant les quatre années du concile, de 1414 à 1418. Grâce à lui, la bibliothèque rémoise devint un centre humaniste 20 Cf. C. JEUDY, Traductions françaises d'oeuvres latines et traductions médicales à la bibliothèque cathédrale de Reims d'après l'inventaire de 1456-1479, dans Scriptorium, 47

(1993), p. 173-185.

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important, où l'on pouvait trouver les dernières nouveautés venant d'Italie et redécouvrir certains classiques latins. Un relevé systématique des quarante-six manuscrits rémois décrits dans l'inventaire montre clairement les intérêts variés et la grande ouverture à la fois intellectuelle et pédagogique de cet humaniste, dont la bibliothèque mériterait une étude d'ensemble2t. Les manuscrits les plus intéressants pour l'humanisme, essentiellement les auteurs classiques latins redécouverts et les traductions en latin d'oeuvres grecques par Leonardo Bruni, étaient tous enchaînés dans le treizième pupitre du côté gauche. Nous renvoyons à la liste déjà dressée par Ezio Ornato22 mais nous suivrons dans notre exposé l'ordre des manuscrits dans l'inventaire, en tenant compte des manuscrits perdus et aussi des indications chronologiques dans les manuscrits subsistants (date et lieu de copie et date de mise en place du volume enchaîné dans la bibliothèque). Le premier manuscrit enchaîné dans ce pupitre23 contient un ouvrage traditionnel en apparence et déjà présent dans la bibliothèque : la Chronique d'Eusèbe de Césarée suivie de la continuation de Jérôme et de la Chronique de Prosper d'Aquitaine24. D'après les recherches en cours d'Albinia de la Mare sur la tradition du texte de la Chronique d'Eusèbe en Italie au xve siècle25, le texte et la mise en page sur deux colonnes correspondent tout à fait à ce qu'elle appelle le « type florentin », parce qu'il apparaît pour la première fois dans deux manuscrits florentins de la fin du xrve siècle et se retrouve après dans de nombreux manuscrits florentins du xve siècle en écriture humanistique. A l'intérieur de cette famille florentine, le manuscrit de Reims semble faire partie d'un sousgroupe, dont les trois autres membres sont : le manuscrit Holkam Hall371, probablement écrit à Florence à la fin du XIVe siècle ou au tout début du xve; le manuscrit Oxford, Ali Soul's College 47, peutêtre exécuté à Rome ou même à Constance pour Thomas Poulton, évêque de Worcester, membre de la Curie romaine et représentant 21 C'était déjà le souhait exprimé par Paul Lehmann en 1921 dans son article Konstanz und Base! als Büchermarkte wiihrend der grossen Kirchenversammlungen, dans Zeitschrift des deutschen Vereins für Buchwesen und Schrifttum, 4 (1921), p. 6-11 et 17-27, réimpr. dans Erforschung des Mittelalters, !, Stuttgart, 1959, p. 253-280. L'excellent mémoire de maîtrise soutenu en 1992 à l'université de Paris IV - Sorbonne par Laure Cassandre Devie sous la direction de J. Vezin, laisse espérer que ce souhait sera bientôt exaucé. 22 Les humanistes français et la redécouverte des classiques, dans Préludes à la Renaissance. Aspects de la vie intellectuelle en France au xve siècle, éd. C. BozZOLO et E. ÜRNATO, Paris, 1992, p. 20-23. 23 In v. 260 =Reims, B. M. 1350. 24 Cat. gén. 391, p. 489-490. 25 Nous la remercions de tout coeur de la lettre si intéressante qu'elle vient de nous envoyer du Getty Center à ce sujet.

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anglais au concile de Constance ; enfin le manuscrit Vatican, Ottoboni latin 604, où la Chronique d'Eusèbe de Césarée aux f. 1r-76v est en écriture gothique cursive de chancellerie probablement française, datant des vingt premières années du xve siècle, mais dont le reste du contenu en partie en écriture humanistique de type milanais suggère qu'il pourrait avoir été fait en Italie pour Jean Bouhale, écolâtre et chancelier de l'université d'Angers, doyen de Saint-Pierre d'Angers de 1445 à 146026. Le manuscrit de Reims est plutôt proche de celui d'Holkam Hall et ne semble pas avoir servi de modèle directement au manuscrit de Jean Bouhale. Il n'est pas daté et il a été enchaîné le 17 août 1416. Contrairement à l'affirmation des Manuscrits datés27, les armes de Fillastre ne semblent pas avoir été ajoutées postérieurement. Les couleurs sont les mêmes que celles utilisées dans le reste de la décoration. Le parchemin est d'origine italienne d'après Albinia de la Mare, mais l'écriture et la décoration semblent plutôt françaises. Le manuscrit peut très bien avoir été copié pour Guillaume Fillastre à Constance, comme beaucoup d'autres. Le deuxième2s nous a transmis le De chorographia de Pomponius Mela, fort apprécié des humanistes parisiens comme Simon de Plumetot. Le manuscrit n'est pas daté mais il porte un ex-dona autographe du 1er novembre 1417. Il est précédé aux f. lr-11 v d'une préface de Guillaume adressée aux chanoines de Reims et accompagné de gloses. Cette version ad usum Remensium est plus simple que la version publique du commentaire de Guillaume attestée dans trois manuscrits29. Le troisième3o comprend la traduction latine du Timée par Chalcidius et celles du Gorgias et du Phédon de Platon par Leonardo Bruni. Elles ont été copiées en Italie entre 1411 et 1416, date de l'enchaînement. Le Gorgias est précédé d'un argument et le Phédon d'une préface et d'une lettre à Niccolo Niccoli. Entre les deux traités, au f. 51, figure la lettre de transmission de Guillaume Fillastre au chapitre de Reims. Les oeuvres de Platon sont suivies des Tusculanes, des Paradoxa et du De finibus de Cicéron, dont la fin manque31. 26 Cf. E. PELLEGRIN, Notes sur quelques manuscrits de textes classiques latins conservés à la Bibliothèque Vaticane, dans Revue d'histoire des textes, 1 (1971), p. 188-189; ID., Manuscrits classiques latins de la Bibliothèque Vaticane, 1, Paris, 1975, p. 443-444. 27 V, p. 600. 28 Inv. 261 =Reims, B. M. 1321. 29 Edition des deux versions par P. GAUTIER DALCHÉ, L'oeuvre géographique du cardinal Fillastre (t 1428). Représentation du monde et perception de la carte à l'aube des découvertes,

dans Archives d'histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, 1992, p. 319-383 (édition aux p. 355-372). 30 Inv. 262 =Reims, B. M. 862. 31 Cat. gén., 391, p. 170-172; Manuscrits datés, V, p. 289 et pl. LXXIX [= f. Av]. J. HASKINS, Plato in the Italian Renaissance, Leiden- New York, 1990, 1, p. 27-101 (sur

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Les quatre manuscrits suivants témoignent de la redécouverte des classiques latins comme le De officiis de Cicéron32 , les Declamationes maiores de Quintilien exécutées à Constance en 141633, les Philippiques de Cicéron34 et d'autres oeuvres de Cicéron : De amicitia, Paradoxa, Catilinaires, Pro Ligario, Pro rege Deiotaro, les Ps. Invectives de Cicéron à Salluste et de Salluste à Cicéron, suivies d'un choix de lettres de Pline le Jeune3s. Tous sont de la main du copiste A 36 . On remarque, insérés à l'intérieur de ces manuscrits classiques, deux textes humanistiques italiens. A la fin de Quintilien, on peut lire le discours du poète florentin Zanobi de Strada, prononcé lors de son couronnement comme poète à Pise en 135537. Les lettres de Pline le Jeune sont suivies du dialogue de Leonardo Bruni intitulé De utilitate disputandi et datant de 1404-1405. Dédié à Pier Paolo Vergerio, il reflète la dispute qui opposa à Florence les partisans du nouvel esprit humaniste aux maîtres fidèles à la logique occamiste et aux méthodes dialectiques médiévales. Il reproche à l'aristotélisme médiéval son jargon barbare et sa mauvaise traduction des textes3s. On revient à la géographie avec la traduction de la Cosmographie de Ptolémée du grec en latin par le Florentin Jacopo Ange li da Scarperia mort vers 1410-141139 • Dans la souscription de ce manuscrit copié à Constance par le copiste A vers 1418 et presque contemporain de l'oeuvre elle-même, il est expliqué que Guillaume Fillastre pense être le premier à l'avoir introduite en France. Ce qui n'est pas sûr car il y a aussi l'exemplaire provenant de l'abbaye de Saint-Victor : le manuscrit Paris, Bibliothèque nationale, latin 14737, f. 125-228v. Coté GGG2

Leonardo Bruni) et II, p. 496-497 (édition de la lettre aux chanoines de Reims) et p. 714 no 248 (description du manuscrit). 32Jnv. 263 =Reims, B. M. 871. 33 Inv. 264 =Reims, B. M. 1112. 34 Inv. 265 =Paris, B. N., lat. 7831. 35 Inv. 266 =Reims, B. M. lill. 36 Dans le journal qu'il a tenu au concile de Constance, édité en 1923 par H. Finke, Guillaume Fillastre ne nous dit rien sur les copistes qu'il a employés. G. Ouy et E. Ornato ont pu en repérer au moins un, qu'ils désignent par le sigle A. 37 Cet ami de Pétrarque et de Boccace fut un des premiers à apporter à Florence des textes classiques et des manuscrits du Mont-Cassin, dont les Métamorphoses d'Apulée. Cf. G. BILLANOVICH, 1 primi umanisti e le tradizioni dei c/assici latini, Fribourg, 1953, p. 31-33 et 43. 38 Sur la datation des deux dialogues, cf. HASKINS, Plata in the Italian Renaissance, cit. n. 31, p. 377-378. Edition du premier dialogue par T. KLETIE. Beitriige zur Geschichte und Litteratur der italienischen Gelehrtenrenaissance, II, Greifswald, 1889, p. 39-66, reprise avec traduction italienne en parallèle par E. GARIN, Prosatori latini del Quattrocento, MilanoNapoli, 1952, p. 46-77 ; cf. C. V ASOLI, Polemiche occamiste, dans Rinascimento, 3 (1952), p. 119-147. 39 Inv. 267 =Reims, B. M. 1320.

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dans le catalogue de Claude de Grandrue40, c'est un recueil de deux parties dont seule la première a appartenu à Simon de Plumetot41 . Mais la deuxième partie, où figure la traduction de Ptolémée, peut être entrée à Saint-Victor avant la première d'après Gilbert Ouy. Suivent deux traductions gréco-latines de Leonardo Bruni. Le manuscrit des discours d'Eschine et de Démosthène (Inventaire 268) n'a pas été retrouvé. Les Vies de Plutarque42 sont aussi l'oeuvre du copiste A à Constance en 1416. Il n'est pas étonnant de trouver à leur suite les trois manuels médiévaux d'histoire littéraire et ecclésiastique : le De viris illustribus de saint Jérôme, le De scriptoribus ecclesiasticis de Gennade de Marseille et le De viris illustribus d'Isidore de Séville43. Le manuscrit de Lactance44 exécuté à Constance en 1416 est décrit avec précision dans l'inventaire. En plus du De ira Dei et du De opificio hominis, redécouverts justement au concile de Constance, il contenait la Calumpnia de Lucien traduite du grec par Guarin de Vérone4s. L'inventaire vient confirmer l'existence de ce texte disparu depuis, car quatre feuillets ont été arrachés entre les f. 106 et 107 actuels. Notons que le manuscrit a été enchaîné seulement le 21 juin 1426. Peut-être at-il été prêté ou bien il est resté une dizaine d'années dans la bibliothèque privée du cardinal. Guarin de Vérone traduisit pour la première fois ce petit traité de Lucien (Calumniae non temere credendum) pendant son séjour à Constantinople entre 1403 et 1408 et dédia son oeuvre au patricien de Venise, Giovanni Querini. L'essai de Lucien de Samosate qui décrivait la célèbre peinture d'Apelle exerça ainsi une grande influence sur l'art de la Renaissance et même après. On passe à la rhétorique avec la Rhétorique à Herennius, encore attribuée à Cicéron (Tullii Rhetorica secunda) et enchaînée le 17 août 141646, puis aux discours de Cicéron (Orationes judiciales: Pro

4 0 Le catalogue de la bibliothèque de l'abbaye de Saint- Victor de Paris de Claude de Grandrue 1514... , Paris, 1983, p. 338. 41 G. ÜUY, Simon de Plumetot (1371-1443) et sa bibliothèque, dans Miscellanea codicologica F. Masai dicata, 2 vol., Gand, 1979, II, p. 377, no 49. 42 Inv. 269 =Reims, B. M. 1338. 43 Inv. 270 =Reims, B. M. 1337. 44 Inv. 271 =Reims, B. M. 381. 45 Cat. gén. 38, p. 497-499 (avec édition de la table contemporaine du contenu mentionnant Lucien au f. Bv); Manuscrits datés, V, p. 257 et pl. LXXXI [= f. Bv]. Sur les traductions latines de la Calumnia de Lucien de Samosate, cf. E. P. GOLDSCHMIDT, Lucian's Calumnia, dans Fritz Saxi, 1890-1948. A Volume of Memorial Essays from his friends in England, ed. by D. J. GORDON, London, 1957, p. 228-244; E. MATTIOLI, 1 traduttori umanistici di Luciano, dans Studi di onore di R. Spongano, Bologna, 1980, p. 206-214; D. CAST, «The Calumny of Apelles ».A Study in the Humanist Tradition, New Haven- London, 1981, p. 10-25 et 198-199. 46 Inv. 272 =Reims, B. M. 1108.

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Roscio, Pro Murena, Pro Cluentio, Pro Caelio et Pro Archia intitulé Pro Lucinio. Le manuscrit n'a pas été retrouvé malheureusement 47. Après avoir lu le De utilitate disputandi, on s'attend bien à trouver aussi un manuscrit de la nouvelle traduction de l'Ethique d'Aristote par Leonardo Bruni4s. La traduction y est datée de 1416 et précédée de la Praemissio Aristotelis, puis de la lettre-préface au pape Martin V. L'exdona manque dans le manuscrit mais il est confirmé par l'inventaire. D'après la mention à l'intérieur du plat inférieur, l'Ethique a été enchaînée le 19 juin 142649. A la fin du pupitre, on trouve encore deux manuscrits de Cicéron : les Verrines et autres discours, datés de 1417 à Constance5o et un De oratore considéré comme perdu. Voici sa description dans l'inventaire sous le no 277 : Tullius De oratore incipiens 2° folio Il magnarum artium,finiens penultimo fueruntll continens folia ... [chiffre laissé en blanc]. Ex dona G. Fillastri.

En fait, incipit et explicit repères correspondent exactement à l'incipit du 2e feuillet et à l'explicit de l'avant-dernier du manuscrit 1109 de la bibliothèque municipale de Reims. Il ne contient pas le De aratore mais l'Orator et le Brutus. Certes l'inventaire n'indique pas le nombre des feuillets mais le manuscrit de Reims est constitué de vingt quinions réguliers signés au revers de I à XVIII! en chiffres romains. On peut se demander alors si le rédacteur de l'inventaire n'a pas confondu le De oratore et l'Orator et si Guillaume Fillastre a réellement possédé le De oratore ou seulement l'Orator et le Brutus. Les autres manuscrits de Guillaume Fillastre concernent naturellement la théologie et le droit. Mais ce bibliophile s'intéressait aussi beaucoup à l'histoire, à la géographie, à la médecine et à la musique. Dans un curieux manuscrit avec les Descriptiones terrarum et la Chronique de Robert d'Auxerre, figure une partie seulement de l'Imago mundi de Pierre d'Ailly, achevée en 141051. Le manuscrit se trouvait dès 1412 dans la bibliothèque du chapitre de Reims, ce qui prouve aussi que Guillaume Fillastre n'était pas tourné seulement vers l'humanisme italien. 47

Jnv. 273.

48 In v. 274 =Reims, B. M. 893.

49 Cat. gén. 391, p. 208; Manuscrits datés, V, p. 291 et pl. LXXXII; édition des deux prologues par H. BARON, Leonardo Bruni Aretino. Humanistich-philosophische Schriften ... , Leipzig- Berlin, 1928, p. 75-81. Cf. aussi l'article d'Y.-F. RIOU sous presse dans Scriptorium, 48 (1994). 50 In v. 276 =Reims, B. M. 111 O. 51 In v. 420 =Reims, B. M. 1322.

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Pour terminer, nous rechercherons les traces laissées à Reims cinquante ans plus tard par un chanoine humaniste, plus modeste et moins célèbre: Thomas de Gerson, mort à Saint-Martin de Tours en juin 1475. On ne sait pas avec certitude s'il était vraiment neveu de Jean Gerson -c'est-à-dire fils de Marion, la seule des cinq soeurs de Gerson qui se soit mariée- ou s'il était seulement un de ses proches parents. Grâce aux travaux de Gilbert Ouy, on connaît mieux le rôle joué par Thomas de Gerson dans la diffusion des oeuvres du chancelier52. Professeur de théologie à l'université de Paris, il faisait partie du chapitre de Saint-Martin de Tours comme chantre et à ce titre, il devait être aussi responsable de la bibliothèque. Sous l'impulsion de Gérard Machet, son aîné de quelque trente-cinq ans, lui aussi chanoine de Saint-Martin de Tours, Thomas de Gerson rassembla les oeuvres de Jean Gerson et constitua un petit scriptorium pour en assurer la diffusion. Il sut réunir autour de lui un petit groupe d'excellents copistes, dont Gervais Mellot, et participa lui-même à la copie de certains manuscrits, bien qu'il fut un assez mauvais calligraphe. Gilbert Ouy a retrouvé ainsi, à la Bibliothèque nationale et à la bibliothèque municipale de Tours53, cinq recueils gersoniens émanant de ce scriptorium54. Thomas de Gerson a été aussi à la fin de sa vie, de 1450 à 1475, chanoine de Reims et il a légué à la bibliothèque capitulaire une dizaine de manuscrits ajoutés à la fin de l'inventaire lors du récolement de 1479. Seul le no 186, qui contenait des Quodlibet de saint Thomas fait exception. Il a été inventorié en 1456 et constituait le dernier manuscrit du neuvième pupitre du côté gauche. Il est ainsi décrit dans l'inventaire : Liber quodlibeturum sancti Thome, incipiens in secundo folio Il Refertur ad sanctum et finiens in penultimo quidem ad Il Ex dona Thome de Gersonio canonici Remensis.

Deux autres manuscrits, ajoutés à la fin de l'inventaire, avec mention d'ex-dono, n'ont pas encore été retrouvés : Liber in papiro molatus de libris Ciceronis, incipiens 2° folio Il aut certe primum et finiens in penultimo folio beatitudinem Il Ex dona Thome de Gersonio canonici. [Inventaire no 505]. Regule pastoralis Gregorii molate, incipientes in 2° folio nequeunt et finientes in penultimo folio- rosum dicitur Il Ex dona T. de Gersonio [Inventaire no 513].

52 Manuscrits jumeaux et copies en fac-similé, dans Codices Manuscripti, 11 (1985), p. 126-131. 53 Mss. Paris, B. N., lat. 17487, 17488 et 17489; Tours, B. M. 378 et 379. 54 D. CALVOT et G. ÜUY, L'oeuvre de Gerson à Saint-Victor de Paris. Catalogue des manuscrits, Paris, 1990, p. 26-27.

LA BIBLIOTHÈQUE CATHÉDRALE DE REIMS

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En comparant les données de l'inventaire avec les manuscrits subsistants à Reims, nous avons pu identifier avec certitude sept autres manuscrits ayant appartenu à Thomas de Gerson. Quatre d'entre eux portent effectivement son ex-libris : Reims, Bibliothèque municipale 55= Inventaire no 514: Liber hystoriarum veteris Testamenti. Reims, Bibliothèque municipale 164 = Inventaire no 508 : Expositio super quatuor libris Biblie (Hugo de Sancto Caro). Reims, Bibliothèque municipale 453 = Inventaire no 509 : Sermones beati Bernardi. Reims, Bibliothèque municipale 586 = Inventaire no 507 : Alius liber in pergameno quorumdam sermonum et liber Hugonis de Folieto. Trois autres manuscrits sans son ex-libris portent une mention d'évaluation en sous ou en écus (« Apprécié .XL.s. » : manuscrit Reims, Bibliothèque municipale 485) et une petite étiquette en papier sur le plat, avec un nombre en chiffres romains. Henri Loriquet avait déjà remarqué ces caractéristiques dans certains manuscrits ayant l'ex-libris de Thomas de Gerson, par exemple les manuscrits Reims, Bibliothèque municipale 164 et 586. La comparaison avec l'inventaire où figure l'exdona nous a permis d'identifier ces manuscrits et de confirmer l'hypothèse de Loriquet. Il s'agit des manuscrits suivants : Reims, Bibliothèque municipale 485 : Inventaire 506 : Alius liber in papiro de questionibus et articulis 2a 2e sancti Thome. Reims, Bibliothèque municipale 584 = Inventaire 515 : Sermones Jacobi de Voragine. Reims, Bibliothèque municipale 588 = Inventaire 510: Alii sermones [Nicolaus de Hacquevilla]. A part le manuscrit de Cicéron, dont le contenu est malheureusement décrit sans précision, tous les manuscrits rémois ayant appartenu à Thomas de Gerson contiennent des oeuvres théologiques et des sermons et n'ont pas de rapport avec l'humanisme. Il est possible que la bibliothèque capitulaire de Reims ait conservé la trace de son activité « gersonienne » dans le manuscrit 564, où il a peut-être transcrit, d'après Gilbert Ouy, le De cognitione castitatis de Jean Gerson aux f. 1r-11 v et le De dignitate celebrationis aux f. 167v-173v55 • Ce manuscrit n'est pas décrit dans l'inventaire, probablement parce qu'il est entré après 1479 dans la bibliothèque capitulaire. On peut lire au feuillet III et au feuillet II (sous une forme plus abrégée) l'ex-libris contemporain d'un autre chanoine de Reims, Jean de Barre : /ste liber pertinet michi 55

Cat. gén., 38, p. 717-719.

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C. JEUDY

Johanne de Barra, presbitero, de Remis oriundo. Chanoine de Reims depuis août 1473, il participa au récolement de 1479 et mourut seulement en 1482, ce qui explique l'absence de ses manuscrits dans l'inventaire. Aurait-il reçu le manuscrit Reims, Bibliothèque municipale 564 de Thomas de Gerson ? En tout cas, il s'intéressait à l'humanisme français, car un autre manuscrit avec son ex-libris, le manuscrit Reims, Bibliothèque municipale 565, contient aux f. 36r-37v deux poèmes latins de Nicolas de Clamanges : la Descriptio vite tirannice et la Descriptio vite rustices6. D'après Henri Loriquet, il était relié avec un autre manuscrit de la Rhetorica ad Herenniums?. Jean de Barre légua à la bibliothèque capitulaire de Reims au moins six manuscrits portant son ex-libris et présentant à peu près tous le même aspect et le même format. Aux trois manuscrits déjà cités, on peut ajouter : Reims 513 (Alphabetum narrationum); 896 (Arnulphus Greben, Commentum in Boethii De Consolatione Philosophiae) et 1277 (Hildebertus Cenomanensis, Vita s. Mariae Aegyptiacae; Sedulius, Carmen Paschale ; Leonardus Brunus Aretinus, Epistula de translatione Ethicae Aristotelis ad Pium II; Arator, De Actibus apostolorum, Carmina latina varia et epitaphia). Ce chanoine possédait donc un des rares exemplaires du commentaire de la Consolation de Boèce par Arnoul Greben ou Greban, de Paris, maître ès arts en 1444, bachelier en théologie en 1458 et célèbre pour son Mystère de la Passion5s. On peut relever aussi dans le manuscrit 1277 la lettre de l'Arétin à Pie II à propos de la traduction de l'Ethique d'Aristote aux f. 90r-95vs9. L'exemple de Jean de Barre montre une certaine continuité de l'humanisme à Reims à la fin du xve siècle et sa bibliothèque mériterait une étude plus approfondie. Ces quelques exemples mettent bien en lumière l'importance de la bibliothèque capitulaire de Reims pour la diffusion de l'humanisme italien et français en France au xve siècle, grâce surtout à Guillaume Fillastre. Certes, on peut se demander si ces manuscrits si activement recherchés par Guillaume Fillastre ont été réellement beaucoup utilisés. La note retrouvée dans le manuscrit 10007-11 de la Bibliothèque royale de Bruxelles montre que certains d'entre eux ont été recopiés6o. Il Ibid., p. 719-723. 57 Reims, B. M. 1107. 58 Cf. P. COURCELLE, La Consolation de Philosophie dans la tradition littéraire ... , Paris, 1967, p. 329-331 et 417-418. 59 Cat. gén. 39 1, p. 440-445. 60 A la fin de ce manuscrit des Orationes de Cicéron, le copiste a ajouté au f. 273 cette note : . Edition de ce petit catalogue (sans identification) parT. GoTILIEB. Über mittelalterliche Bibliotheken, Leipzig, 1890, p. 338-339.

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GERSON EN SCANDINAVIE Elisabeth MORNET (Université de Paris I)

En 1495, l'imprimeur Johannes Fabri produisit sur sa presse de Stockholm le premier livre en langue suédoise imprimé en Suède : il s'agissait de la traduction, à partir de sa version latine, de l'ouvrage de Jean Gerson, Traité des diverses tentations de l'ennemi'. Il fallut attendre 1514 pour qu'un second ouvrage en suédois soit imprimé : ce fut encore une fois une traduction de Gerson, celle de l'Ars moriendi2. La chose présente suffisamment d'originalité et d'intérêt pour qu'on se demande comment fut connu Gerson en Scandinavie à la fin du Moyen Age et quelle fut la tradition dont ces éditions furent en quelque sorte le couronnement. Les quelques remarques qui vont suivre sur les modalités de diffusion des oeuvres de Gerson s'appuyent en priorité sur un recensement des manuscrits actuellement conservés dans les bibliothèques nordiques, ainsi que des éditions imprimées, dont j'ai pu déterminer la présence effective dans les fonds de bibliothèques scandinaves avant la Réformation. Pour l'instant, treize manuscrits, très composites quant aux titres qu'ils renferment, répondent à ce critère3 ; voici une brève description de leur contenu gersonien, assortie du lieu d'origine assuré ou probable, de la date, du nom du copiste quand il est connu, ainsi que celui du ou des possesseurs4. 1 JOHANNES GERSON, Aff dyaffwlsens frastilse, Stockholm: Johannes Fabri, 1495. L'unique exemplaire connu est conservé à la bibliothèque de l'Université d'Uppsala. Voir 1. COLLIJN, Sveriges bibliograjï intill ar 1600, 1: 1478-1530, Uppsala, 1934-1938, p. 144. Ce n'est pas toutefois le premier texte imprimé en Suède en langue vernaculaire: en 1489, fut publié à Stockholm une traduction en suédois des Articuli abbreviati par lesquels le pape Innocent VIII concédait des indulgences, sur un seul feuillet. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un livre. ibid., p. 98. JEAN GERSON, Oeuvres complètes, éd. P. GLORIEUX, 10 vol., Paris, 1960-1973, t. VII, p. 343-360 (abrégé GERSON). 2 Ars moriendi. Johannis gerson liirdom hwrw man skal lara do til sialenne salicthet, Uppsala, Paul Grijs, 19.10.1514. COLLIJN, Sveriges bibliografi, p. 238. 3 J'ai écarté par exemple Kf')benhavn, Kongelige Bibl., Gl.kgl.S. 1372 4°: rien ne permet d'affirmer que ce manuscrit du xve siècle, contenant un corpus étoffé d'oeuvres gersoniennes, se trouvait déjà au Danemark à cette époque ; il appartint à l'historien et érudit Hans Gram dont la bibliothèque entra à la Bibliothèque royale au XVIIIe siècle. Les manuscrits contenant Gerson, actuellement à Copenhague et répertoriés par E. J0RGENSEN, Catalogus codicum Latinorum medii aevi bibliothecae regiae Hafniensis, Kf')benhavn, 1926, proviennent pour la plupart de la bibliothèque du monastère de Cismar, via la bibliothèque ducale de Gottorp, laquelle entra à la Bibliothèque royale au XVIIIe siècle. 4 Pour la description des manuscrits utilisés, voir M. ANDERSSON-SCHMITT, H. HALLBERG et M. HEDLUND, Mittelalterliche Handschriften der Universitiitsbibliothek Uppsala. Katalog

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É. MORNET

Uppsala, Universitetsbiblioteket (UUB) C 26, f. 177r-194v: J. Gerson, Opus tri-

pertitum de praeceptis, de confessione et de scientia mortis. Constance, 1416. Un des copistes du manuscrit: Thorer Andersson, moine à Vadstena de 1392 à 1418, envoyé du monastère au concile. Possesseur: Vadstena. UUB C 47, f. 39r-41 v : , Tractatus paruus de modo bene moriendi; - f. 383r: , « Scribuntur decem consideraciones com-

plexionum tractatus concordati Massifie ... » Suède, xve siècle (première partie copiée à Vadstena ?) +Allemagne (1408)5. Possesseur probable : Vadstena. UUB C 73, f. 175r-v: . 1400, 1463 (Vadstena). Copié par Sigfrid Jonsson vers 1463. Possesseur : Vadstena. UUB C 74, f. 317r-340v : ,

« Incipit tractatus de arte bene moriendi. Moedhan godhe wener ok throne laeggia... » Traduction en suédois +

prières. Vers le milieu du xve siècle. Possesseur : Vadstena. UUB C 77, f. 5r-8v: J. Gerson, De modo vivendijidelium; - f. 70r-72r: Gerson, De modo orandi, adfratrem suum Johannem Caelestinum; - f. 72v-77v : Gerson, De oratione et suo valore, ad fratrem suum Johannem Caelestinum. Incomplet. Constance, ca. 1416. Constitué de différents cahiers acquis par Thorer Andersson. Possesseur : Vadstena. UUB C 181, f. 188r-189r: J. Gerson, De modo vivendi fidelium. Le dernier paragraphe manque. Suède, plusieurs mains de la deuxième moitié du xve siècle. Possesseurs : Erik Jonsson, curé de Lôdôse. Le manuscrit semble bien avoir fait partie des livres qu'E. J. apporta avec lui lors de son entrée à Vadstena en 1478.- Vadstena. UUB C 195, f. 12v-13r: J. Gerson, De modo confessionis sacramentalis; - f. 256r-258v : Gerson, De scientia sive arte moriendi. Traduction en suédois, incomplète. Uppsala, 1479-1484. Possesseur: Olof Jonsson Guto, prébendé à la cathédrale d'Uppsala. Il a écrit le manuscrit étant étudiant à l'université d'Uppsala. Entré à Vadstena en 1506. über die C-Sammlung, Stockholm, 1988-1991, 6 vol. parus. H. AMINSON, Bibliotheca Templi cathedralis Strengnesensis, Stockholm, 1853, p. XXX-XXXII. A. PILTZ, Studium Upsalense. Specimens of the Oldest Lecture Notes Taken in the Mediaeval University of Uppsala, Uppsala, 1977, p. 131-135. Katalog over den Arnamagnaeanske Handskriftsamling, Ks;lbenhavn, 18881894, Il, no 1925. 5 Voir sur la deuxième partie du manuscrit, consacrée aux préliminaires du concile de Pise, H. MILLET etE. MORNET, Un témoin scandinave de la propagande en faveur du concile de Pise 1409, dans Papauté, monachisme et théories politiques. Etudes d'histoire médiévale offertes à Marcel Pacaut, Lyon, 1994, t. 1, p. 123-133.

GERSON EN SCANDINAVIE

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UUB C 213, f. 11r-22r: J. Gerson, Opus tripertitum. Incomplet. Vasterâs, 1458. Possesseurs : Peter Sunesson Dullo.- Anders Ingemundsson d'Arboga. UUB C 220, f. 180v-193v: J. Gerson, Opus tripertitum. Version très proche de celle du C 26. Dans les deux manuscrits, une version identique de P. d'Ailly, De quadruplici exercitio spirituali. Saxe et Bohême, vers 1430. Possesseurs : un étudiant suédois à Leipzig, qui a ramené les (certains ?) cahiers en Suède. - Vadstena, qui a relié les cahiers. UUB C 223, f. 15r-25v: J. Gerson, Opus tripertitum. Skanninge, 1460-1461. Copiste : Torsten Jonsson, curé de Ji:inki:iping. Possesseurs: sans doute Torsten Jonsson.- Vadstena, où T. J est entré en 1482. UUB C 618, f. 154r-156r: ; - f. 176r-178r : De modo vivendi fidelium. Constance, ca. 1417 Possesseur : Vadstena. Strangnas, Kathedralbiblioteket Q 16 : -Opus V. f. 121v-126r: J. Gerson, De confessione. -Opus VI. f. 126v-128v: Gerson, De remediis contra recidivum peccati. Ecrit à Vadstena vers 1460? -Opus VII. f. 129r-130r: Conclusiones cancellarii Parisiensis de confessione. -Opus VIII. f. 130v: « Conclusiones Cancellarii Parisiensis de celebracione et pollucione ». Extrait du traité De praeparatione ad missam, prima cons ide ratio. - Opus IX. f. 131 r-134v, 135r-136v : Tractatus Ioanni Gerson adscriptus de divino officia devote et attente celebrando. « Tractatulus cancellarii Parisiensis de periculo illorum, qui horas canonicas inaduertenter dicunt. Quare homines presentem vitam incertam et instabilem ... >>. Traité non répertorié dans les oeuvres de Gerson. Vadstena, 1460? Uppsala, ca. 1480? Possesseur: Cort Rogge, évêque de Strangnas (1479-1501); annotations marginales de sa main. K!')benhavn, Det Arnamagnreanske Institut (AM) 792 4', f. 115-126: J. Gerson, Opus tripertitum. Fin défectueuse. Suède, xve siècle. Linkoping, après 1450. Copiste : Bo Bengtsson, écolier de l'écolâtre de Linki:iping Henrik ?

Cette énumération appelle une première constatation : le titre de ma réflexion pourrait être aussi bien « Gerson en Suède ». Tous les manuscrits concernés sont d'origine suédoise ou ont élu domicile en Suède, puisque, du moins à ma connaissance, le seul manuscrit actuellement conservé à Copenhague répondant au critère chronologique défini est très sûrement de confection suédoise6. Je ne peux pourtant pas en conclure que les Danois et les Norvégiens furent indifférents à l'oeuvre 6 AM 792 4'. Outre le fait que ce manuscrit contient des textes en suédois, il y a une référence explicite au diocèse de Linkiiping. F. 135r : >, cit. n. 4, p. 685. Autres cas dans le bailliage de Senlis, B. GUENÉE, Tribunaux et gens de justice dans le bailliage de Senlis à !afin du Moyen Age (vers 1380- vers 1550), Paris, 1963, p. 282, 11. 49. 36 JEAN BOUTILLIER, Somme rural, cit. n. 2, Livre 1, titre XVII et aussi J. D'ABLEIGES, Le Grand Coutumier de France, cit. n. 3, Livre Il. 37 JEAN GERSON, Diligite justiciam, éd. cil. n. 7, p. 614 et Paris, A. N., X 2A 10, f. 184v, août 1384.

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Plus novateurs sont les propos relatifs au comportement intérieur du juge, à ses états d'âme. On sait que le pouvoir du juge, à la fin du Moyen Age, était arbitraire ; il était important pour les théoriciens politiques d'en tracer les limites3s. Quelles règles intérieures doit suivre un juge quand il rend son jugement ? Christine de Pizan a de longs passages sur ce sujet, montrant comment le juge doit avoir Dieu devant les yeux, comment il doit se dégager des vices, convoitise, envie, flatterie : « 0 Dieux ! Quel peril quant tel vice s'embat en cueur de justicier, il n'est plus de meschief. Là est fait du droit tort et de tort droit »39. Il convient donc que le juge atteigne un état proche de la sérénité. Reprenant Sénèque, Christine de Pizan condamne le juge qui « ne voit, n'ot, n'entent, ne pense, ne parle fors toute forcenerie, sans nul regart a conscience ne a autre peril »4o. Le but est, bien sûr, d'éviter l'erreur de jugement. Mais, à ce stade de l'analyse, la réflexion théorique semble supérieure à la pratique. En effet, ces réflexions de haute portée philosophique n'ont pas encore leur répondant dans les tribunaux. Il y a là un décalage qui prouve les résistances du milieu judiciaire aux innovations théoriques. En effet, les sauts passionnels qui peuvent entraver l'action des juges sont rarement évoqués dans les plaidoiries et dans les ordonnances qui restent plutôt figées sur les stéréotypes de la haine ou de la faveur. Il peut arriver que le juge soit qualifié de « sage » ou «d'expert», mais il est rare que l'analyse de sa conscience soit poussée plus avant. Quelques exemples, néanmoins, viennent en écho aux réflexions des théoriciens tel celui d'un procès mené à Montpellier en 1405 où le juge, maître Antoine Garnier, est dit «bon homme et bon clerc et s'est vesqu honorablement et est froit et saige et a esté esleu oudit office pour sa bonté »41. En général, la « haine » et la « faveur » suffisent aux avocats pour désigner les chefs d'accusation à l'encontre du juge. Les théoriciens y ajoutent des considérations plus fines. Mais, dans tous les cas, le but est identique : dénoncer le magistrat qui a mal jugé. Cela suppose que tous sur ce point partagent les principes du droit canonique qui, à la différence du droit romain, permet de récuser un juge «haineux». Jean Gerson, dans le Diligite justiciam, pose nettement le problème de fond en affirmant que celui qui condamne à mort injustement est coupable d'homicide. Et cet homicide se révèle plus grave que celui qui serait 38 B. SCHNAPPER, Les peines arbitraires du XI/Je au XVJIJe siècle (Doctrines savantes et usages français), dans Revue d'Histoire du Droit, 41 (1973), p. 237-277 et 42 (1974), p. 81-112. 39 The « livre de la paix>>, éd. cit. n. 7, p. 98. 40 Ibid., p. 94-95. Analyses comparables chez JEAN GERSON, Diligite justiciam, p. 614, qui parle des « vertus » du juge par lesquelles >, p. 95.

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avocats, ils ont montré le chemin. Ainsi, en France, la pratique judiciaire s'est trouvée pour la première fois intimement liée à la théorie et la justice est devenue, pour longtemps, un enjeu de la politique. ANNEXE

Un procès au Parlement criminel de Paris en 1406: L'évêque de Paris, Pierre IV d'Orgemont, contre le prévôt de Paris, Guillaume de Tignonville. Archives Nationales, X2A 14,f 298v-300v, 18janvier 1406. Entre l'evesque de Paris, demandeur d'une part, et messire Guillaume de Tignonville, chevalier, prevost de Paris, maistre Jehan Larchier, examinateur du Chastellet de Paris et maistre Robert Carlier, procureur du roy au tresor, defendeurs d'autre part82. L'evesque dit que, en son diocese, a lui appartient la cognoissance, punicion et correction des clers et sont les clers si privilegiez de touz droiz que en touz cas personnelz en appartient a l'Eglise la cognoissance, et aussi immunité appartient a l'Eglise qui est refuge de toute personne et ne loist a aucun ycelle enfraindre et est l'evesque en son diocese chargié de la garde de ladicte immunité. Dit que, quant aucun exces ou entreprise sont fais contre lesdiz privileges de l'Eglise, le recours est a la Court de ceans pour en faire raison et justice. Ce presupposé, dit que Cardin Cabre et Jaques Blondel ont esté nagaires esté (sic) executez a mort combien qu'il feussent clers non mariez, tonsurez et souffisament lettrés et bien nez. Dit que quant Cardin eust esté a l'escole et qu'il fut grant, il ala servir une sienne bel ante et son mary, hostellier du Pot d'Estain a Senlis et depuis vint servir a Paris, et ledit Jaquet Blondel estoit de Partfonval en Laonnois lequel lisoit, escripvoit et entendoit latin et estoit de bonne conversation et avoit esté serviteur d'eglise comme clerc de la parroisse83. Advint que Cardin voult aler a Senlis et Jaquet en Laonnois veoir leurs amis et, sur le chemin, ilz acconsuirrent ou trouverent pres du Bourge!, Cardin Benoist, varlet de Jehan Guerin, marchant de Paris avecques lequel il cheminerent par aucun espace de temps et puis, ne scet par quel debat, le batirent entour Vauderlan, lui osterent sa robe et de l'argent, puis le laisserent84 ; pour lequel fait ilz furent poursuis et pour ce se retrairent en immunité en l'eglise de Goussainville dont maistre Robert Carlier les voult faire yssir et, parce que le curé et les margueliers en parlerent, il les menaça de prison et adjorna les dessusdiz a trois briefs jours et depuis, a une autre fois, ledit maistre Robert et ledit maistre Jehan Larchier accompaignié de pluseurs gens vindrent a l'eglise de Goussainville ou le dit Archier parla ausdiz Cardin et Blondel qui lui dirent qu'il estoient clers, et pour ce les fist lire ycelui Archier et aussi estoient en habit et tonsure, apres les induisit a yssir hors de l'immunité et, pour ce qu'ilz ne 82 Sur ces personnages, voir supra. Maître Jean Larchier ou L'Archier est signalé comme examinateur au Châtelet dès le début du XVe siècle, G. DUPONT-FERRIER, Gallia Regia ou Etat des officiers royaux des bailliages et des sénéchaussées de 1328 à 1515, 7 vol., Paris, 19421966, IV, p. 336. Quant à maître Robert Carlier, il a certainement été étudiant à Angers, Paris, A.N., XIA39, f. 22v,janvier 1392 et XIA41, f. 317v, 31 janvier 1394. Je remercie le Centre d'étude d'histoire juridique des Archives Nationales de m'avoir permis de collecter ce renseignement. 83 Senlis, Oise, ch.-1. ar. ; Parfondeval, Aisne, c. Laon-sud. 84 Le Bourget, Seine-Saint-Denis, ch.-1. c; Vaudherland, Val d'Oise, c. Gonesse.

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C.GAUVARD

vouloient issir, ycellui Archier mist la main a eulz et lui, ledit maistre Robert et sergens, les extrahirent d'icelle immunité le xvne jour de novembre derrenierement passé, violaument, entour l'eure de midi, et les admenerent prisonniers ou Chastellet de Paris ou il arriverent environ IIII heures apres midi 85. Le prevost tan tost qu'ilz lui deissent nonobstant qu'ilz estoient ciers, de premier bout les mist a question et tantost apres donna chaudement son jugement qu'ilz seroient traynez et penduz, yceulx Cardin et Jaquet disans et perseverans en leur propos qu'il estoient ciers, requerans qu'il feussent renduz a leur juge ordinaire et disoient qu'il avoient appellé et appelloient. Dit que on ne vouloit laissier aller le promoteur de l'evesque devers le prevost, mais touttefoiz il parla au prevost et lui requis lesdiz ciers disant qu'il s'opposait a ce que le prevost en cogneust ou entremist, lequel prevost n'en tint compte et lui respondi qu'il revint le lendemain et il en auroit response. Dit que lesdiz Cardin et Jaquet demanderent, eulx estans encore ou Chastellet a avoir confession au prestre laquelle on ne leur devoit denier attendu l'ordenance royal en tel cas, mais ce nonobstant, sans y estre confessez, furent menez ou gibet sur le soir a torches, hastivement, telement que chacun estoit esbahy de tele justice, et toutefois cryoient qu'ilz estoient ciers, et au gibet peut-estre furent confessez, et ainsi furent traynez et penduz comme se ilz feussent murtriers, jasoit ce que il n'eust cause souffisant et mesmement par quoy il deussent avoir perdu immunité et privilege de clerc86; lesqueles choses ont esté faites ou grant injure, contempt et prejudice de l'Eglise et de ses libertez et franchises et pour ce conclut que ce soit reparé et amendé et lesdiz defendeurs condempnez a despendre les corps mors desdiz Jaquet et Cardin dudit gibet ou representacion d'iceulz et de les porter a l'eglise de Goussainville et puis a Notre-Dame de Paris et ce facent, comme dit est, par eulz ou au moins par autres et rendent les dessus diz audit evesque au moins ou la figure, et facent audit evesque amende honorable sanz chaperon, sanz ceinture et a torches a l'eglise de Paris, present le chapitre et le clergé, et une table de representation de ceste amende a perpetuele memoire, amende profitable de x rn livres chacun pour le tout et a tenir pour ce prison ou autres teles amendes honorables et profitables que la Court regardera 87 . Requiert en oultre l'adjunction du procureur du roy. Les defendeurs, c'est assavoir lesdiz prevost et Larchier, dient que maistre Guillaume de Tignonville est bon chevalier et actrait de bonne et noble lignee ab utroque parentum latere et ont ses predecesseurs et lui bien servi le roy, il est bon justicier et bien cogneu. Dit que selon les cas et le temps il fault pourveoir de bonne celerité de justice et dit que, ou temps du cas dont de present est question, entour Paris, repairoient malefaiteurs qui y faisoient pluseurs meurtres et larrecins, et encores puis quinze jours ença on a trouvé es bois de Cloye V hommes tués et murtris88. Dit que aucunes fois les prelas demandent et ont des prisonniers soubz umbre de ce que dient Goussainville, Val d'Oise, ch.-l. c. 86 L'ordonnance accordant la confession aux condamnés à mort avant leur exécution date du 12 février 1397, Ordonnances des roys de France de la troisième race, éd. SECOUSSE, VIII, p. 122. Cette décision avait été prise selon la , après intervention de nombreuses personnalités, dont les oncles et le frère du roi, des conseillers, membres du Parlement et du Châtelet. Sur la portée religieuse et politique de cette décision, voir JEAN GERSON, introduit dans la catégorie ; le personnage sans qualification est Louis de Luxembourg, évêque de Thérouanne (no 78). 29 C.A., no 71.

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grande diversité. Et, à vrai dire, la charte fait d'emblée aux ministres un sort à part en déclarant, dans ses tous premiers articles, qu'ils seront choisis sans discrimination parmi « chevaliers, escuiers et autres »3o. Mettons entre parenthèse ces exceptions justifiées, pour avancer dans l'analyse des catégories homogènes. Nous pouvons alors faire appel à ce que nous avons appelé les «données externes», résultat des recherches menées pour l'établissement des notices biographiques des associés. Ainsi, dans le champ «origine sociale», nous avons distingué : nobles, de familles anoblies pendant les règnes précédents, anoblis sous Charles VI, bourgeois, d'humble extraction, indéterminés. On confrontera alors le champ « préséance » à celui de « l'origine sociale » afin de vérifier si la hiérarchie donnée par l'amoureuse assemblée trouve une correspondance dans la société de l'époque. Il apparaît très vite que ces critères externes ne recoupent pas les catégories définies mais opèrent entre elles des regroupements : nobles et anoblis de longue date se retrouvent en effet massivement chez les conservateurs, chevaliers et écuyers alors qu'à l'inverse, bourgeois et anoblis de fraîche date caractérisent l'effectif des autres catégories3I. Deux sous-ensembles sont ainsi définis et un premier constat s'en dégage immédiatement : certes, la noblesse de vieille souche entre en force dans les rangs de la Cour amoureuse32 et pourtant la préséance amoureuse ne se fait pas selon une banale hiérarchie sociale. Elle va jusqu'à introduire bourgeois et anoblis de fraîche date avant même d'avoir épuisé le contingent des nobles. Elle les introduit, tout simplement, là où ils peuvent exercer leurs compétences réelles, au titre des offices amoureux représentés par les ministres, présidents, auditeurs et trésoriers qui précèdent les écuyers. Cette catégorie, bien que reléguée au neuvième rang, conserve un effectif à prééminence «noble», mais avec sa marge résiduelle «bourgeoise »33, elle assure en quelque sorte la jonction entre les deux sous-ensembles.

I, p. 36. Les conservateurs, bien entendu, sont nobles à 100%; les nobles et anoblis de longue date représentent 98% des chevaliers et 78% des écuyers. Les bourgeois et anoblis de fraîche date constituent 54% de toutes les autres catégories homogènes, sans compter un personnage d'humble extraction (Nicolas Gouillart de Savigny, fils d'un serf affranchi, cf. C.A., no 63) et la part des indéterminés qui monte ici à 39% et pour lesquels l'éventualité de noblesse est pratiquement exclue. 32 En considérant globalement chevaliers et écuyers, les seuls nobles représentent 80% de leurs effectifs (230). 33 Le regroupement habituel bourgeois et anoblis de fraîche date représente 8% de l'effectif, auquel au moins une part des indéterminés ( 14%) devrait être rattachée, encore que dans cette catégorie l'éventualité de noblesse ne soit pas exclue. 30 C.A., 3!

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L'apparition de ce contingent non négligeable3 4 nous apporte un éclairage sur le rôle de la Cour amoureuse dans la promotion de certains personnages choisis par le pouvoir. Les écuyers, tant nobles que bourgeois, portent le plus souvent dans leur libellé mention3s d'un office de l'Hôtel du roi ou d'un prince36: dix cas seulement sur 133 entrées font exception mais pour six d'entre eux une fonction est néanmoins signalée, elle relève alors de l'administration des finances. Il s'agit surtout de responsabilités exercées à la Monnaie37_ Une piste étant ainsi suggérée, nous examinons les écuyers en sélectionnant la modalité « finance » dans le champ « branche d'activité »38_ Nous repérons alors six autres personnages à ce titre parmi lesquels Augustin Isbarre, changeur lucquois bien connu, maître de la monnaie de Paris et d'autres villes du Nord39_ Bien sûr, les hommes de finance ne sont pas cantonnés dans la seule catégorie des écuyers. Lorsqu'on élargit le filtre à l'ensemble du corpus, ce n'est pas parmi les trésoriers4o qu'ils sont proportionnellement le plus nombreux mais bien parmi les secrétaires et les ministres4I. Il est intéressant de noter que même dans les catégories «bourgeoises» où l'appartenance au milieu courtisan n'est pas une caractéristique de groupe42, certains de nos financiers, et non les moindres, apparaissent avec le seul titre honorifique de valet de chambre du roi43_

34 En dehors du corpus parisien, c'est également parmi les écuyers que l'on retrouve des de Tournai, de Bruges, de Douai, de Lille. 35 Il s'agit, comme nous l'avons déjà dit, de charges relevées au champ>. 36 Par exemple: , , pour une cage où mettre le > du duc et de la duchesse de Bourgogne. Cf. B. PROST, inventaires mobiliers et extraits des comptes des ducs de Bourgogne, Paris, I (1903), p. 463-464, n. 7, p. 573; II (1904), p. 166, 194, 200.

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Soissons (dès le vue siècle), que le jeu d'arc s'est développé et maintenu avec persévérance en Ile-de-France, Beauvaisis, Vexin, Senlisis, Valois, Picardie. Par un curieux hasard, la Goële, et Dammartin en particulier, ont vu éclore un grand nombre de compagnies encore en activité, car le jeu est toujours pratiqué de nos jours, même si les arcs se sont modernisés, et si les « oiseaux » ont changé de forme et de matière 13 • Nous verrons plus loin que les Dammartin, au cours des XIVe et xve siècles, avaient gardé des attaches avec leur contrée d'origine, familiales, amicales, voire inamicales. Il était tentant d'imaginer qu'un des ancêtres de Bureau se fût passionné pour ce jeu, et, vainqueur, eût commémoré son succès en fixant le perroquet sur ses armoiries. Le premier, à notre connaissance, de ses ancêtres à porter des armoiries, et, sur celles-ci, le perroquet, est son grand-père Hue de Dammartin, qui semble avoir préféré les joutes au commerce familial. Il apparaît en effet dans un recueil armorié du xve sièclei4 au milieu de particuliers venus, « pour jouster » à une fête non autrement désignée, de Paris et de nombreuses villes du Nordis. Ses armes sont en bannière (FIGURE 5) et contiennent déjà tous les éléments du futur écartelé, mais disposés bien autrement : l'écu des Dammartin est allongé en une fasce

13

Pour les statuts, cf. par exemple Avignon, B. M. 2657, f. l-6v. Sur Saint-Médard, cf.

Etude sur les chevaliers de l'arc et historique sur les diverses compagnies de Dammartin, dans Bulletin de la Société d'histoire et d'archéologie de la Goële », no 2 (1969), p. 27-37, en particulier 28-30. De nos jours, à Dammartin, l'ancien ( 11-18 octobre 1992). 14 Cambrai, B. M. 890, f. 4v. 15 Hue est parmi les Parisiens. Des autres villes représentées, notons: Valenciennes, Senlis, Reims, Saint-Quentin, Amiens, Saint-Omer, Compiègne, Arras, Bruges, Ypres, Lille. Il est regrettable de ne pas savoir où et quand se sont déroulées précisément ces joutes. Un des événements de l'année 1330, rapporté p. !35-140 dans la Chronique parisienne anonyme de 1316 à 1339, publiée par A. HELLOT, dans Mémoires de la société de l'Histoire de Paris et de l'Ile-de-France, Il (1884), p. 1-207, pourrait nous expliquer d'où vient l'intérêt, nouveau dans la famille, qu'Hue, très jeune, porta aux armes. Il est dit en effet qu'après être allés jouter dans bien des villes de France, les bourgeois parisiens, faisant agir les principaux personnages de l'entourage du roi, obtinrent de ce dernier « congié de faire jouste contre les bourgeois du royaume ». Une grande fête fut préparée pour les lundi et mardi suivant 1' Assomption « en ung champ entre l'église Saint-Martin-des-Champs et l'ostel du Temple». A l'exemple du roi Priam et de ses trente-cinq fils, un des bourgeois de Paris, Renier Le Flamenc s'entoura de trente-cinq jeunes gens, enfants de bourgeois, dont Hue de Dammartin en bonne place, et à la surprise de tous, «ils coururent et joutèrent si âprement qu'ils remportèrent la victoire>>.

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accompagnée en chef et en pointe du perroquet de sinople, dont la tête ici n'est pas contournée.

Précieux renseignement, qui va infirmer notre démonstration, car Hue meurt en 1348 et le jeu d'arc ne semble pas apparaître avant le dernier quart du XIVe siècle. Ainsi le choix du complément des armoiries de la famille de Bureau demeure-t-il encore pour l'instant inexpliqué. Nous n'en avons que peu de représentations -tardives - sur les documents : de rares sceaux abîmés, des écus accompagnant les épitaphes montrent que ces armoiries sont fixes au cours des sièclesi6. Du fait de cette rareté il est difficile de la dissocier de tous les Dammartin qui vécurent, travaillèrent et moururent à Paris au cours des XIIIe, XIVe et xve siècles, et dont les pièces d'archives nous livrent les noms. Le seul Rôle de la Taille de 1292 nous en fait connaître dix-huit, répartis vers la rive droite de la Seine, entre les axes Saint-Denis et Saint-Martin et de chaque côtéi?. Seraient-ils tous vraiment d'une origine commune lointaine? Les différents rameaux ont pu diversifier leurs métiers. En effet à côté des drapiers, fripiers, merciers, teinturiers de soie ... mentionnés entre 1237 et 1350 environ, parmi les bourgeois de Paris, dans le périmètre restreint des rues Aubry-le-Boucher, Saint-Martin, la Buffetterie (devenue rue des Lombards) et Saints-Innocents, avec des enclaves rue Marivaux, rue Quincampoix, et qui sont la souche même d'où est issu Bureau, on dénombre quantité de Dammartin, bouchers, épiciers, cordonniers, savetiers, scieurs, orbateurs, ou sergent à cheval, clerc du roi, dans un périmètre beaucoup plus vaste : rue au Maire, rue des Gravilliers, rue Chapon, rue du Temple, porte Barbette, rue des Rosiers, rue des Ecouffes, rue de la Porte Baudoyer, et aussi à Pantin, à Clichy, à Rueilis. Très fréquente aussi, en ces temps, la répétition des prénoms. Ici des Geoffroy, Simon, Jean, Hue, Mahaut, Agnès, Pernelle -avec des diminutifs : Symonnet, Agnésote- mais la transmission du père au fils est loin d'être systématique. Quant au patronyme, on le trouve écrit indifféremment Dammartin, Dampmartin, Dompmartin. Le meilleur repère pour différencier tous ces rameaux est au moins la paroisse à laquelle ils sont attachés, et qui s'avère un lien durable Ils seront signalés au long du texte, au fur et à mesure de leur apparition. Fichier A. Termine (IRHT) : les fiches, classées par familles, renvoient toutes à une cote d'archive. Pour le rôle de la taille de 1292, cf. GÉRAUD, Paris sous Philippe-le-Bel, cit. n. 9, p. 8, 9, 16, passim. Une majorité de Dammartin sont regroupés autour de la paroisse de SaintGermain-l'Auxerrois, les autres autour de Saint-Eustache, Saint-Sauveur, Saint-Nicolas-desChamps, Saint-Merry et Saint-Jacques-de-la-Boucherie. 18 Fichier A. Termine (IRHT), famille Dammartin. 16 17

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dans l'espace et dans le temps. Un de ces groupes est de Saint-Germainl'Auxerrois et, « par permission du prestrc », certains se font inhumer au cimetière des Saints-Innocentsl9. Un autre, qui nous intéresse au premier chef, est centré autour de Saint-Jacques-de-la-Boucherie. Sachons gré à Guillebert de Mets d'avoir précisé le nom de la rue où se trouvait « le bel hostel » de Bureau de Dammartin : la Courroierie2o, qui dépend de cette paroisse, car là est le point d'ancrage de ses aïeux, le foyer d'où sa famille a pris son essor. Deux Dammartin, Geoffroy mercier, Gautier, et leurs maisonnées, sont mentionnés dans cette rue, sur le Rôle de la Taille de 1292, pour un impôt d'environ 4 livres chacun21. En 1306, 1316-1317, Geoffroy est, avec un Jean de Rueil, marguillier de Saint-Jacques. Après sa mort (avant 1336), la maison de la rue de la Courroierie passe à Jean son fils aîné, tandis que d'autres Dammartin possèdent d'autres biens dans la même rue. Jean meurt avant 1343, laissant de Mahaut plusieurs enfants, dont Geoffrin ou Geoffroy, qui suit de peu son père, puisque le 15 juin 1346, puis en 1347, on trouve mention de «la maison de Geoffroy de Dammartin rue de la Courroierie qui fut à feu Jean père de Geoffroy et à présent à dame Mahaut et aux hoirs du dit Geoffroy »22. Cette dame Mahaut est assez souvent citée, car elle semble avoir beaucoup de biens, et elle est passée tout particulièrement à la postérité pour avoir fondé une chapellenie en 1347 à Saint-Jacques-de-laBoucherie23. Des enfants qu'elle eut de Jean, nous retiendrons, outre l9 En 1408, un Simon de Dompmartin, procureur au Parlement, choisit sa sépulture auprès de ses ancêtres et de ses enfants, au cimetière des Saints-Innocents, avec l'accord du prêtre de sa paroisse, St-Germain-l'Auxerrois (cf. Paris, B. N., coll. Moreau 1161, f. 162-164v). Postérieurement, en 1581, même cas pour un Jean de Dammartin et sa femme, Marie Cuvier (cf. B. N., fr. 8219, f. 55). 20 Cf. LE ROUX DELINCY et TISSERAND, Paris et ses historiens, cit. l, n. 14, p. 199,201. La rue de la Courroierie continuait vers la Seine l'axe de la rue Quincampoix, entre la rue Troussevache, et la rue de la Buffetterie. Elle correspond aujourd'hui à la partie de la rue Quincampoix comprise entre la rue La Reynie et la rue des Lombards. L'église et son cloître se trouvaient dans le quadrilatère formé actuellement par la rue de Rivoli, la rue Saint-Martin, l'avenue Victoria et le boulevard Sébastopol. 21 H. GÉRAUD, Paris sous Philippe-le-Bel, p. 90. K. MICHAELSSON, Le livre de la taille de Paris l'an 1296, Gèiteborg, 1958, p. 131, où Geoffroy est dit mercier et paie 9 livres; p. 132, Gautier ne paie que 70 sous, en la Courroierie, mais 12 livres pour la maison au coin du carrefour Saint-Merry (p. 142). L'an 1297, Geoffroy paie 10 livres, Gautier, 70 sous, en la Courroierie, et 15 livres à Saint-Merry. Cf. MICHAELSSON, Le livre de la taille de Paris l'an 1297, Goteborg, 1962, p. 118, 119, 129. Il est intéressant de constater qu'en 1313, toujours rue de la Courroierie, Geoffroy paie maintenant 90 livres, Gautier est mort sans doute, car apparaît Jean, mercier, pour 15 livres. Cf. MICHAELSSON, Le livre de la taille de Paris l'an de grâce 1313, Goteborg, 1951, p. 130, 131. 22 Fichier A. Terroine- IRHT- famille Dammartin. 23 Abbé VILLAIN, Essai d'une histoire de la paroisse de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, Paris, 1758, p. 91 : Mahaut fonde un annuel des messes en la chapelle Sainte-Anne, pour lequel elle institue un chapelain. D'après Villain, le contrat de fondation de la chapellenie ne daterait

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Geoffroy, Hue dont il a été question plus haut à propos de joutes, et une Jeanne, qui fut la première femme du prévôt des marchands Etienne Marcel. La date de ce mariage peut se situer entre 1335 et 1340. Après la mort d'une fille en bas âge, Jeanne décède avant le 11 novembre 1344. Quinze ans plus tard un Geoffroy de Dammartin, après la mort d'Etienne, essaie avec bien du mal d'obtenir que la dot de Jeanne soit exclue de la succession, c'est-à-dire des confiscations des biens de son mari. Nous dirons pour mémoire qu'Etienne Marcel épousa en 1346 Marguerite des Essarts fille de Pierre des Essarts, banquier très en faveur auprès des grands et conseiller secret de Philippe VI de Valois, donc un personnage riche et influent24 • La famille Marcel, surtout les oncles d'Etienne, sont parmi les très grands bourgeois de Paris. Voilà qui nous permet de situer un peu mieux la position sociale des Dammartin au milieu du xrve siècle quant aux mariages, car il est rarissime que l'on sache avec quelles familles ils s'alliaient. Hue paraît s'être marié deux fois, et avoir eu un certain nombre d'enfants. De sa seconde femme, Agnès, veuve de lui avant avril1348, il en eut au moins six, dont les trois derniers, Mahiot, Symonet et Agnesot, encore mineure en 1356, sont plusieurs fois mentionnés, entre 1358 et 1361, à propos de vente de parts de leur héritage2s. Celui qu'on appelle Symonet tout au long de sa jeunesse, puis Simon, est le plus facile à cerner de tous les Dammartin. Il a préféré, comme bien d'autres bourgeois de Paris, s'orienter vers une carrière pleine d'avenir: changeur, et nombreux sont les témoignages de ses activités. Il accède à un statut supérieur à celui de ses ancêtres, devient fournisseur de la Cour royale et des maisons princières et honore de grosses commandes de vaisselles et de joyaux dès le début du règne de Charles V. Tour à tour, le roi 26 et chacun de ses frères, les ducs de que du 27 mars 1349. Philippe VI amortit la rente de 25 livres destinée à cette fondation> (cf. LE Roux DE LINCY et TISSERAND, Paris et ses historiens, cit. I, n. 14, p. 199-201). Pour les autres biens, il acquiert par adjudication en 1407, une maison dans le bourg Saint-Germain-des-Prés (cf. F. LEHOUX, Le bourg Saint-Germain-des-'Prés, depuis ses origines jusqu'à la fin de la guerre de Cent ans, Paris, 1951, p. 98,212, 226). 45 Le 11 novembre 1413 « a Bureau de Dammartin pour perte et change de 900 escuz d'or>> que le duc lui emprunta ce jour (Paris, A. N., KK 250, f. 8). Le 4 août 1414, le duc fait assigner à Bureau de Dammartin, changeur et bourgeois de Paris la somme de 4000 livres t. >(ibid., f. 22v-23). C'était le temps où les princes, démunis, cherchaient à reconstituer un trésor de guerre, avant la mobilisation des Armagnacs et des Bourguignons, les hostilités de l'automne 1411. Autre assignation, par lettre du 14 avril 1413, de la somme de 11251. t. (ibid., f. 106v).

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Pour les honneurs, nous avons la chance de savoir qu'il fut anobli en 1409; et dans la lettre d'anoblissement, où il est dit valet de chambre du roi, il est précisé qu'il doit son titre au fait que son grand-père Hue était un militaire, alors que son père était «par trop marchand», ce qui faisait douter de sa noblesse46 ! C'est néanmoins une consécration. La femme qu'il épouse - on ignore à quelle date, et s'ils eurent des enfants47 - est très rarement mentionnée. Elle est d'un milieu à peu près équivalent à celui de Bureau. Son nom : Liénarde de Mauregard. Est-elle la soeur d'Etienne, notaire et secrétaire du roi, garde des chartes, membre de la Cour amoureuse4s? Liénarde et Etienne sont-ils les enfants de Nicolas de Mauregard, trésorier de France en février 1389, février 1392, puis nommé à la justice des aides le 12 décembre 1394 jusqu'en 1409 49 ? Quant à Jeanne de Mauregard, seconde femme de Martin Double, célèbre conseiller et avocat au Châtelet, morte le 3 octobre 1400so, elle a toute chance d'être une parente de Liénarde, ce qui explique que Bureau serve en 1408 de tuteur, ainsi qu'un des quatre gendres de Martin, Etienne Buignet, autre membre de la Cour amoureuses!, aux enfants mineurs du dit Martins2. C'est bien encore une fois par la « chaîne des dames » qu'on peut reconstituer les solidarités familiales des Parisiens à la Cour amoureuse. Qui mieux est, en remontant dans le temps, on trouve pour ces deux familles, Dammartin et Mauregard, quantité de liens, à commencer par 46 Paris, B. N., lat. 18345, f. 104, Reg. 164.: >. 47 Si le couple Dammartin a eu des enfants, aucun n'était encore vivant en 1447. Une pièce d'archives du 7 septembre (Paris, A. N., XIA 76, f. 257) mentionne les et les complications de transmission en cas de biens confisqués, comme c'était le cas pour ceux de Bureau (cf. AUTRAND, Naissance d'un grand corps de l'Etat, cit. 1, n. 44, 1981, p. 346). Un Jean de Dammartin changeur, portant les armoiries de la famille, est un des quatre échevins de Paris nommés le 26 décembre 1420, Hugues Le Coq étant prévôt des marchands (cf. J. FA VIER, Nouvelle histoire de Paris. Paris au xve siècle, 1380-1500, Paris, 1974, p. 420, tableau). 48 C.A., no 802. MONSTRELET, Chronique, éd. cit. n. 2, III, p. 201-202, le cite tout de suite après Bureau parmi les accusés par Jean sans Peur d'avoir «commis des iniquitez, des grans excès et crimes >> et porté atteinte à la paix du royaume ( 1417). Il n'y a rien d'impossible à ce qu'ils soient beaux-frères. Etienne quant à lui, finira sous la main du bourreau Capeluche en 1418. 49 M. REY, Le domaine du roi et les finances extraordinaires sous Charles VI, 1388-1413, Paris, 1965, p. 110 n. 2, 114 et n. 1 en part. Nicolas est marié à une Coquatrix, d'une autre grande famille bourgeoise alliée à de multiples reprises aux Marcel. 50 Pour les épitaphes de Martin Double et de ses deux épouses, Jeanne la Noble et Jeanne de Mauregard, relevées dans l'église des filles Pénitentes, cf. Paris, B. N., fr. 8217, f. 762-763. 51 C.A., no 880. 52 Paris, A. N., XIA 56, f. 22.

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la proximité de leurs origines. En effet Mauregard53 est un village tout proche de Dammartin, dans la Goële. Et d'assez nombreuses pièces d'archives mentionnent pour le milieu du XIVe siècle les relations étroites qu'ont eues entre eux ces gens à Paris54. Le seul détail que nos historiens du XIXe siècle55 aient retenu de la « femme Bureau de Dammartin » et sur lequel ils ont beaucoup glosé, est qu'elle vendait des « eaux roses » à la reine Isabeau, ce qui, d'après eux, aurait nettement contribué à asseoir la fortune de Bureau. C'est infiniment exagérer la portée d'une petite mention trouvée dans les comptes de la reine pour l'année 1416, qui nous apprend ceci: «Gervaise Brisse va de Saint-Germain à Paris querir des eaux roses aupres de la femme Bureau de Dammartin »56. Même si le détail en soi n'est pas inintéressant, les bons offices de Liénarde n'entrent guère en ligne de compte dans la carrière du mari ! Après si peu de renseignements sur la vie de cette dame, on sait au moins quand elle est morte: le 18 avril 1450 il est fait mention d'une sonnerie pour elle à l'église Saint-Jacques-de-la-Boucherie. Il semble qu'elle ait survécu assez longtemps à son épouxs7. A la différence des parents de Bureau, ou d'autres couples qui furent inhumés au siècle suivant à Saint-Jacques, et dont l'épitaphe était accompagnée des armoiries de la famiJle5s, on ne garde aucune trace de pierres tombales, de fondations de messes ou autres, à propos de Bureau. Il est impensable qu'il n'ait pas été un paroissien marquant. Or les seules preuves connues de son intérêt pour le monde religieux résident dans ses fonctions, en 1409, de receveur du couvent des Clarisses situé à Longchamp près de Paris59. 53 Mauregard, Seine-et-Marne, arr. Meaux, c. Dammartin-en-Goële, distant d'une dizaine de kilomètres de Dammartin. 54 Fichier A. Terroine - JRHT- familles Dammartin et Mauregard. On signale, le 22 avril 1342, durant la période concernée, on consultera avec profit M. REY, Le domaine du roi, p. Ill, 117, 282, 294, 306 et passim, jusqu'en février 1413. Pour la même période et les périodes d'avant et d'après, cf. BORELLI DE SERRES, Recherches sur divers services publics du XJIJe au XVIIe siècle, 3 vol., Paris, 19041909, III, p. 132-136 en part. 67 AUTRAND, Charles VI, cit. n. 10, p. 469.

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printemps 1412 par exemple,« pour certaines causes justes» Jean sans Peur lui fait remettre en remerciement la jolie somme de 1000 frs or6s ... Mais le 30 janvier 1413 (n.s.) s'ouvrent les Etats généraux. Après les trop timides remontrances de Paris et de l'Université, du moins celles de leur porte-parole le maître en théologie Benoît Gencien, frère de Pierre, le prévôt des marchands, et qui ménage le milieu bourgeois et financier en dénonçant avant tout les causes les plus profondes de la situation catastrophique : guerre civile, division des princes, gouffre des finances royales, une requête bien plus sévère est présentée au roi, le 13 février, par l'Université qui a délégué Eustache de Pavilly, docteur en théologie. Les abus et leurs fauteurs directs sont dénoncés avec vigueur et précision : l'acte d'accusation vise tous les officiers royaux, trop nombreux, trop puissants, trop payés, d'abord ceux des finances qu'il faut révoquer, ainsi que les deux prévôts, le maître des Monnaies, bref tous ceux qui détournent les deniers, s'enrichissent aux dépens du trésor public, touchent des pensions extraordinaires, etc. Les têtes tombent, la réforme commence, le personnel révoqué est remplacé par un d'obédience toute bourguignonne. Monstrelet, le Religieux de Saint-Denis, dans leurs Chroniques69, nous ont laissé des récits très circonstanciés de ces« remontrances», et des noms : on ne sera pas surpris de trouver comme « coupables de grosses malversations indignes de conserver leurs charges» et destitués le 24 février, nos quatre trésoriers d'alors : Audry Giffart, Bureau de Dammartin, Jean Guérin, institué avec Bureau le 26 novembre 1411, et Renier de Bouligny, encore un membre de la Cour amoureuse?o, suivis de bien d'autres accusés. Mais les Bourguignons ne l'emportent pas définitivement. Après la paix de Pontoise, voilà Bureau réinstitué, avec La Cloche, le 27 août 1413 -on ignore comment il a traversé la révolution cabochienne. Après la paix d'Arras, fin septembre 1414, il est remplacé. Le 16 mai 1415, le dauphin Louis à qui on vient de renouveler «le pouvoir d'ordonner de toutes finances » établit au Trésor les seuls Dammartin et Giffart, Pierre Gencien les rejoint en octobre. A la fin de l'année, quand le comte d'Armagnac tient Paris, Bureau est toujours trésorier ainsi que 68 Paris, B. N., P. O. 967, d. 21382, no 33: .Michel de Laillier, le 8 mai 1411, avait reçu de même pour> un don très considérable (cf. REY, Le domaine royal, p. 309). 69 MONSTRELET, Chronique, éd. cit. n. 2, Il, p. 308 sqq. Le RELIGIEUX DE SAINT DENYS, Chronique de Charles VI, éd. et trad. L.-F. BELLAGUET, 6 vol., Paris, 1839-1852, IV, p. 737-769. 70 Renier de Bouligny: C.A., no 863.

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les deux autres, plus La Cloche rappelé; ainsi jusqu'en 1418 et au massacre des Armagnacs7 1• C'est que depuis mars 1416 (n.s.), le 29, un Vendredi saint, Bureau a choisi ouvertement son camp en déjouant, avec Michel de Laillier, un de ces innombrables complots parisiens dont les émissaires du duc de Bourgogne, excitant le mécontentement populaire - ici dû à l'imposition par les Armagnacs d'une forte taille sur tout le royaume sont coutumiers. Les partisans de Jean sans Peur, dont l'intention est d'emprisonner le roi, et de mettre à mort la reine, le roi et la reine de Sicile, le duc de Berry, le chancelier Henri de Marle et bien d'autres, retardent leur projet, craignant que plusieurs n'y échappent « estant en leurs devocions par dehors et dedens Paris», à la soirée du dimanche de Pâques. Le complot est révélé à temps par « une femme » à Michel de Laillier, qui prévient Bureau et ce dernier fait le nécessaire pour sauver les Armagnacs : le prévôt de Paris Tanguy Du Chatel, un des leurs, avec une troupe saisit chez eux les conspirateurs et les fait jeter au Châtelet puis décapitern. Notons que deux des fils du chancelier Pierre d'Orgemont, Nicolas et Guillaume, y sont fort compromis73. A la suite de ces événements, on ne sera pas étonné du mépris dont Jean sans Peur « honora » notre Bureau. Le duc n'oubliera pas. Quelques mois plus tard, dans la liste des griefs qu'il adresse à Charles VI, en réponse à ceux que le roi lui avait fait exposer par Aubert de Chauny en août 1417, il dénonce acerbe ment entre autres cet entourage du roi dont « les manières furent cause de tout rompre, gaster et dissiper » et plus loin cite nommément les gouverneurs « messire Henri de Marle, l'évesque de Paris, messire Taneguy du Chastel, messire Burel de Dampartin, sire Estienne de Mauregard, maistre Phelippe de Corbie ... principaulx promoteurs et conducteurs desdictes iniquitez, à la perturbacion de la paix ... et d'autres grans excès et crimes ... » taxant du pire ces bourgeois « qui riens ne scevent, ne riens ne pevent ne ne valent... n'ont de puissance, d'auctorité ne seigneurie, fors ce qu'ilz entreprennent de fait et qu'ilz se donnent de gloire » 74. A l'entrée des Bourguignons, le 29 mai 1418, et aux massacres qui s'ensuivirent, on peut penser que Bureau ne survécut pas -on n'a plus aucune preuve de lui vivant - et l'on sait par ailleurs qu'Etienne de 71 BORELLl DE SERRES, Recherches sur divers services publics, Ill, p. 133-136. 72 MONSTRELET, Chronique, III, p. 139-141. 73 Leur frère aîné Pierre, et leur neveu, Pierre aussi, fils d'Amaury sont à la Cour amoureuse

(C.A., il"' 74 et 220). 74 MONSTRELET, Chronique, III, p. 191-206. Pour Etienne de Mauregard, voir plus haut, note 48. Comme lui, a fait partie de la Cour amoureuse Philippe de Corbie (no 422) qui a péri massacré par les Bourguignons en 1418. Quant à l'évêque de Paris, Gérard de Montaigu, c'est son frère Jean (cf. C.A., no 67) qui était à l'association.

HOMMES DE CULTURE ET HOMMES DE POUVOIR PARISIENS

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Mauregard et Philippe de Corbie y trouvèrent la mort. Pendant la domination anglaise, tous ses biens tombèrent sous le coup des confiscations et furent donnés - mais pour la vie seulement - à Raoul de Neuville, chevalier?s. Que reste-t-il alors de cet homme de pouvoir, dont tous les fleurons de la belle fortune amassée par ses ancêtres et lui-même passent dans les confiscations ? Il fut, heureusement pour nous, homme de culture, ou tout au moins lié d'assez près à la culture de son temps, car s'étant placé très tôt dans l'orbite de Jean de Berry, il ne pouvait avoir meilleur initiateur et meilleur modèle. Dès 1402 en effet, c'est comme marchand qu'il se signale en achetant pour le duc «Un livre de Troye la Grant, escript en français, de lettre de forme »76. Le 27 août 1405, il lui fournit pour le prix de 2,025 livres, avec plusieurs autres ouvrages, un Godefroi de Bouillon. Qu'on aimerait connaître les autres titres?? ! Au commandement du duc, on ne sait pas à quelle date, il fait exécuter pour lui un «livre d'Ethiques »78. Ces trois ouvrages sont portés dans l'inventaire des livres du duc fait de son vivant en 1413. De son côté ce dernier lui fait des cadeaux de livres, qui apparaissent dans un inventaire fait en 1402 portant postérieurement mention de don à Bureau; il s'agit d'un livre d'heures79, et de l'Ethique et la Politiqueso. 75 Dans les Comptes de confiscations de Paris du 20 décembre 1423 à la Saint-Jean 1427, on trouve mention d'une >évalué 20 livres tournois en 1416 ! 78 Ibid., p. 248, no 150: >. 80 Ibid., p. 248, no 152: >. 34 JouvET, Aspects, p. 59-61, sur laquelle revient l'étude citée à lan. 4 (p. 162, n. 34).

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de penser la lecture des sancti et des auctoritates reconnus diversi mais non adversi3s. Les quatre règles du prologue codifient les exigences posées par la connaissance des auteurs soit, selon leur généralité décroissante : déceler apocryphes et versions douteuses ; ne pas s'en tenir aux extraits contradictoires mais aller à l'oeuvre même afin de dégager les mobiles d'un changement d'ordinaire sans conséquence doctrinale ; connaître les circonstances de l'énoncé, qui ramènent à des accentuations ou atténuations d'une même thèse des propositions à première vue inconciliables ; enfin, être attentif à la polysémie en distinguant celle de l'auteur et celle d'auteurs d'une même époque ou d'époques différentes36. La méthode a été établie pour exprimer avec rigueur la doctrine chrétienne : les cent cinquante-huit thèses et antithèses patristiques examinées dans le corps de l'ouvrage sont regroupées selon les catégories de la théologie abélardienne - foi, sacrements, charité. La vérité des textes permet celle de la doctrine, mise en ordre langagière d'un legs culturel37. Avant de faire d'Ibn Bâjja le parangon du philosophe, Abélard avait écrit son discours de la méthode en termes d'une organisation raisonnée de sa propre tradition : un noyau de rationalité se laisse découvrir dans les textes divers qui la fondent. Le Sic et non est « l'ouvrage pionnier de la méthode scolastique38 » ; réuni au Dialogus, il est un modèle possible de pacification interculturelle. Un jugement circonstancié dissout la diversité des expressions attachées aux aires culturelles et dégage leur commune rationalité. Le Dialogus attribue le dépassement des oppositions interculturelles à un ressortissant du bloc adverse, de fait le plus avancé dans la maîtrise de la raison à l'époque de sa rédaction : Abélard a hiérarchisé les cultures selon leur maturité rationnelle. Ramenée à la problématique des deux ouvrages, la quaestio formalise des oppositions intraculturelles sur un mode interculturel. Pour son public, des chrétiens, l'affrontement n'a de sens que si chacune des éventualités contradictoires possède un degré équivalent de vraisemblance. Mais l'alternative est éprouvée par une raison qui, absente jusqu'au xne siècle de la latinité dans ses plus hautes expressions, y est depuis lors en voie d'assimilation. Déterminée - le philosophe est un Ismaélite circoncis - l'avancée discursive est 35 Ed. Chicago- London, 1976-1977, pro!., p. 891-2 ; divers us ou diversitas reviennent huit fois dans ce prologue (lignes 1, 12, 19, 178, 180, 186, 170 et 330). 36 Ibid., p. 9154-58, 9286-89, 96177-184 et, pour la polysémie des mots, p. 8911-14 et 96188-191. 37 M.-D. CHENU, La théologie au douzième siècle, Paris, 19763, chap. XVI (1925); JOLIVET, Aspects, cit. n. 32, Le traitement des autorités contraires selon le Sic et non d'Abélard, (1968); ID., Arts du langage et théologie chez Abélard, Paris, 19822 (1ère éd. 1969), p. 238-251 ; L. M. DE RIJK, La philosophie au Moyen Age, trad. du néerlandais par P. SWIGGERS, Den Haag, 1985, p. 96-98; B. C. BAZAN, J. W. WIPPEL, G. FRANSEN et D. JACQUART, Les questions disputées et les questions quodlibétiques, Turnhout, 1985, p. 25-31. 38 DE RJJK, La philosophie, p. 96.

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sans enracinement confessionnel - le philosophe « défend une morale et une religion naturelles39 ». Même appliquée à des thèmes théologiques, la raison en oeuvre dans la quaestio est un instrument d'élucidation pour autant qu'elle recourt à une formalisation qui n'appartient en propre à aucune religion historique. Chrétien par l'inventaire des choix possibles, le théologien latin est internationaliste par les moyens mis en oeuvre pour fonder en vérité son choix. Il se déplace le long d'une crête où acculturation et contre-acculturation se rejoignent et se dépassent. La méthode abélardienne et son prolongement sont contemporains de l'entreprise de contacts culturels la plus considérable que, sous couvert de traductions, l'Europe ait jamais connue. Ce puissant mouvement s'ordonne selon trois critères qualitatifs qui transposent dans le champ de la traduction les exigences formulées par le Sic et Non dans celui d'une tradition ; et leur contenu est suffisamment général pour être opérationnel sans que les traductions médiévales aient livré tous leurs secrets40: 1. Le texte de la langue cible respecte davantage la pensée de l'auteur lorsque les langues source et originaire sont identiques. 2. L'intermédiaire vernaculaire4I trouble la traduction. Encore faut-il distinguer ses espèces. L'intermédiaire écrit assure une plus grande qualité, tout en participant à l'élaboration du registre savant vernaculaire. 3. Les contacts interculturels se mesurent au nombre des textes cibles inscrits au programme universitaire. Les traductions dont les langues originaire et source se confondent sont devenues proportionnellement plus nombreuses jusqu'à constituer, à la Renaissance, la norme (en excluant les originaux perdus dont il subsiste d'anciennes traductions). Dans le même temps, l'étape intermédiaire, d'abord majoritairement orale, a disparu. La version arabolatine de l'Almageste signée vers 1175 par un Gérard de Crémone que seconde un mozarabe expert in Zingua Tholetana42 et, un siècle plus 39 R. ROQUES,

Structures théologiques de la gnose à Richard de Saint- Victor, Paris, 1963,

p. 262. 40 A. JOURDAIN, Recherches critiques sur l'âge et l'origine des traductions latines... , Paris, 1819 (repr. New York 1974), a ouvert un chantier toujours en cours: M.-T. o'ALVERNY, Translations and Translators, dans Renaissance and Renewal in the Twelfth Century, éd. R. L. BENSON et G. CONSTABLE, Oxford, 1982, p. 421-462 et Rencontres de cultures dans la philosophie médiévale, éd. J. HAMESSE et M. FATTORI, Louvain-la-Neuve- Cassino, 1990. 41 M.-T. o'ALVERNY, Les traductions à deux interprètes, d'arabe en langue vernaculaire et de langue vernaculaire en latin, dans Traduction et traducteurs au Moyen Age, éd. G. CONTAMINE, Paris, 1989, p. 193-223. 42 P. KuNITZSCH, Der Almagest. Die Syntaxis Mathematica des Claudius Ptolemaüs in arabisch-lateinischer Überlieferung, Wiesbaden, 1974, p. 83 et 85-86.

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tard, celle gréco-latine d'Archimède due à un Guillaume de Moerbeke travaillant sans concours linguistique43, sont les paradigmes de ce parcours. Le retour à la langue primitive du texte est organiquement lié à la promotion du vernaculaire. En devenant une langue cible à part entière, celui-ci éclaircit le statut de la langue et l'enjeu de la traduction. Le vernaculaire local permet de reconnaître dans l'arabe l'intermédiaire qu'il a été entre le grec et le latin, le grec lui-même devenant une langue parmi d'autres. Alphonse X de Castille se dresse sur le chemin qui conduit de Gérard de Crémone à Guillaume de Moerbeke44. Régnant sur le territoire par excellence des traductions arabo-latines, il conduit, un siècle avant Charles V, la première grande entreprise médiévale de traductions vernaculaires, c'est-à-dire, en fait, de transformation d'un vernaculaire en langue de culture. Essentielle dans l'histoire du castillan, l'initiative est prématurée dans celle de l'Europe : même en Espagne, les textes scientifiques latins ont été plus diffusés que les castillans. L'Almageste s'accompagne de phénomènes révélateurs. La traduction de Gérard de Crémone a été précédée d'une version gréco-latine sicilienne, longtemps anonyme et datée de 116045, peut-être due à Hermann de Carinthie et datée de 115046. Selon les manuscrits retrouvés, plusieurs dizaines contre un seul pour les versions complètes, l'arabolatine appartient davantage au monde latin. Le premier critère est mis à mal pour peu qu'on ne tienne pas compte des astronomes arabes traduits dans l'Espagne du xne siècle, tels al-Farghani (IXe siècle) ou al-Battani (IXe-xe siècles)47. Sans céder sur l'essentiel, leur traité facilite l'accès à l'oeuvre de Ptolémée, couronnement d'une tradition séculaire de très haut niveau ; ils en améliorent même certains paramètres techniques, surtout celui d'al-Battani4s. Dans la Sicile du XIIe siècle, les hellénistes ne bénéficient pas de travaux préliminaires pour aborder le

43 M. CLAGETI, Archimedes in the Middle Ages, vol. II : The Translations from the Greek by William of Moerbeke, Philadelphia (Pennsylv.), 1976. 4 4 G. BossoNG, Probleme der Übersetzung wissenschaftlicher Werke aus dem Arabischen in das Altspanische zur Zeit Alfons des Weisen, Tübingen, 1979. 4 5 Ch. H. HASK!NS, Studies in the History of Mediaeval Science, Cambridge, 19272, p. 157-163 et 178-181 (p. 191-193, édition du prologue). 46 R. LEMAY, De la Scolastique à l'Histoire par le truchement de la Philologie: Itinéaire d'un Médiéviste entre Europe et Islam, dans La diffusione delle scienze islamiche nef M. E. europeo, Roma, 1987, p. 399-535 (426-484 ). 47 R. CAMPAN!, Alfragano (Al-Fargani), Il« Libro dell' aggregazione delle stelle », Città di Castello, 1910 (Gérard de Crémone) et Fr. J. CARMODY, Alfragani Differentie in quibusdam collectis scientie astrorum, Berkeley, 1943 (Jean de Séville) ; C. NALLINO, Al-Battani sive Albatenii Opus astronomicum, Milano, 3 t., 1899-1907. 48 Sur Al-Farghani chez les Latins : J. VERNET, Ce que la culture doit aux Arabes d'Espagne, trad. de l'espagnol par G. MARTINEZÜROS, Paris, 1985, p. 144-145 et 200-201.

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texte ptoléméen49. A supposer qu'ils aient utilisé des introductions rédigées en grec (Pappus et Théon d'Alexandrie), ils auraient reçu une aide inférieure à celle d'al-Farghani ou d'al-Battani5o. L'analyse est plus complexe avec Hermann de Carinthie, un arabisant à qui fut refusée la connaissance du grec5J. Richard Lemay introduit une cassure dans la vie du personnage: l'Hermann travaillant en Italie a rompu avec le milieu espagnol auquel il appartint dans les années 1140. Qu'elle soit ou non anonyme, la version gréco-latine de l'Almageste s'écarte donc des arabisants de la péninsule ibérique. Pour se mettre au niveau de la culture savante disponible, les Latins ne peuvent satisfaire les conditions théoriques extrapolées à partir du Sic et Non. En ce sens, on peut parler de l'acculturation des traducteurs du XIIe siècle. La langue de l'Almageste est à cette époque celle des auteurs qui en sont devenus les meilleurs spécialistes. Relié à deux autres particularités, l'indispensable détour par la version arabe produit une conséquence remarquable. Sans toujours se hisser au niveau d'Adélard de Bath52, le traducteur du xne siècle est généralement un savant qui joue dans les sciences de son temps un rôle supérieur à celui de ses confrères d'autres époques53. L'état embryonnaire des connaissances, que son travail a permis de dépasser, explique son excellence. D'autre part, à la suite de l'Eulogium consacré à Gérard de Crémone54, les traducteurs des xne et XIIIe siècles reprennent l'analyse d'un Egyptien du xe, Ahmad ibn Yusuf: outre les deux langues, le traducteur doit maîtriser la matière traitée55. Or les traducteurs n'établissent pas les mêmes rapports avec leurs collaborateurs selon que l'aide reçue est linguistique ou savante : ils ne 49 HASKINS, Studies in ... Mediaeval Science, part. 2 ; K. M. SETTON, Europe and the Levant in the M. A. and the Renaissance, London, 1974, étude I, p. 19-21. 50 O. NEUGEBAUER, A History of Ancient Mathematical Astronomy, Berlin - New York, 1975, p. 965-969. 51 Ch. BURNETT, Arabie into Latin in Twelfth-Century Spain: the Works of Hermann of Carinthia, dans Mittellateinisches lahrbuch, 13 (1978), p. 100-134; T. SILVERSTEIN, Hermann of Carinthia and the Greek: a Problem in the «New Science» of the Twelth Century, dans Studio in onore di Bruno Nardi, Firenze, 1955, Il, p. 681-699. 52 Adelard of Bath. An English Scientist and Arabist of the Early Twelfth Century, éd. Ch. BURNETT, London, 1987 et Adelard of Bath and the Arabs, dans Rencontres de cultures, cit. n. 40, p. 89-107. 53 A nuancer par Fautes et contresens des traductions scientifiques médiévales, Actes du XIJe Congrès international d'histoire des sciences, Paris, 1970-1971, t. lA, p. 65-162 et lB, p. 83-134. 54 K. SUDHOFF, Die kurze Vita und das Verzeichnis der Arbeiten Gerhards von Cremona, dans Archiv für Geschichte der Medizin, 8 (1914), p. 73-82. 55 W. R. SCHRADER, The Epistola De proportione et proportionibus of Ametus Filius Josephi, Ph. D. diss., University of Wisconsin, 1961 (trad. de Gérard de Crémone que je n'ai pu consulter) et A. BADA Wl, La transmission de la philosophie grecque au monde arabe, Paris, 19872, p. 21-25.

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nomment que les premierss6. A les suivre, la science n'offre pas d'autres difficultés que celles de sa langue ; et celle-ci n'a pas d'autre réalité que celle de son apprentissage. Le traducteur médiéval est trop avide de nouveaux savoirs pour considérer les textes scientifiques comme une des réalisations de la langue employée. Concentré sur le sens, il réduit à l'expression écrite la langue source. Le choix de l'intermédiaire, le plus souvent un Juif, accroît ce gauchissement. S'il manie l'hébreu, langue sacrée de sa communauté, le Juif possède l'arabe, langue de culture de sa société et manie le dialecte roman, langue de sa profession, les mozarabes étant généralement d'un médiocre niveau culturels?. La complexité des échanges linguistiques altère le statut de l'arabe, qui tend à ne plus être la langue d'une civilisation. Dans le cas des Elementa astronomica d'al-Farghani, il faut attendre le XVIIe siècle pour que Jacob Golius en présente une édition bilingue arabo-latiness, un exploit au regard des usages médiévaux. Le texte arabe est maintenant admis dans ses particularités linguistiques et devient une des modalités de sa langue. Mais à cette date, le traité ne participe plus au courant créateur de l'astronomie. Un concours de circonstances l'a empêché d'être reconnu en Europe, au même instant, dans ses droits scientifiques et linguistiques. L'entreprise de restitution de Golius reste méritoire. Elle suit d'un bon siècle la fameuse édition latine de Tommaso Giunta. Celui-ci ne joint pas les commentaires d'Averroès aux textes d'Aristote en hommage à la sagacité du Cordouan ; pour lui, ce qu'il y a de bon chez l'Arabe vient du Grecs9: il vise donc à déposséder les Arabes non seulement de leur langue mais aussi de leur pensée. Le troisième critère, l'inscription au programme, est significatif d'une hiérarchie des savoirs prisonnière de la langue où ils s'expriment. Les mésaventures de l'Aristoteles latinus interdit, censuré, accueilli avec défiance, puis encensé au-delà de toute mesure, tracent entre les traducteurs et les universitaires une frontière, celle d'une acculturation et d'une contre-acculturation (l'inversion du signe produit l'image sulfureuse de Tolède). Pour suivre une voie plus discrète, les traductions scientifiques, minorées ou ignorées, n'en soulignent pas moins les caractéristiques du nouveau corps60. Le désert mathématique français

Les traductions à deux interprètes, cit. n. 41. Ibid., p. 194. 58 J. Gouus, Muhammedis Fil. Ketiri Ferganensis, qui vulgo Alfraganus dicitur, Elementa astronomica, arabice et lutine, Amsterdam, 1669 (repr. Frankfurt-am-M. 1986). 59 Ch. B. SCHMITI, The Aristotelian Tradition and Renaissance Universities, London, 1984, étude VIII (1979). 60 VERNET, Ce que la culture, cit. n. 48, p. 96: 47 % des traductions relèvent des mathématiques et de l'astronomie, 21 % de la philosophie, moins de 4 % de la religion et de la physique. 56 D'ALVERNY, 57

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décrit par Pierre Ramus vers 1580 a ses origines dans ces premières initiatives6I. L'historien du quadrivium note des activités pédagogiques qui relèvent de la seule initiative privée6z. Les responsables universitaires n'ont admis en science que« des leçons indépendantes des programmes officiels63 », réservées aux jours fériés. Des décisions administratives en leur faveur sont tardives et émanent du pouvoir laïc : la reine Jeanne fonde le collège de Navarre, qui complète la formation des pensionnaires par notamment des cours de mathématiques ; et Charles V, le collège de Maître Gervais consacré à l'enseignement des mathématiques nécessaires à l'astrologieM. Ces fondations nuancent le tableau sans le modifier. Les sciences n'ont fait l'objet que d'un enseignement parauniversitaire, conclusion d'autant plus nette qu'il n'y a plus lieu d'hésiter sur les quadrivialia des statuts de 121565, allusion à l'arithmétique spéculative de Boèce66, non aux nouveautés techniques d'al-Khwarizmi67, auxquelles pourtant Alexandre de Villedieu avait consacré son Carmen de algorismo (1200-1203), avant que Jean de Sacrobosco n'en améliore l'approche68. Ces manuels le montrent : le support de l'enseignement arithmétique n'est pas le texte traduit mais sa refonte dans une version édulcorée. Dans la logique d'un enseignement sur les marges, ces manuels ont suscité peu de commentaires : dans l'ensemble des universités, à peine une dizaine pour le Carmen de algorismo et une demi-douzaine pour l'Algorismus, deux d'entre eux seulement échappant à l'anonymat69. Or ils introduisent le zéro et la

6I P. RAMUS, Scholae mathematicarum libri unus et tngmta, Base!, 1569, p. 12; J.-C. MARGOLIN, L'enseignement des mathématiques en France, dans French Renaissance Studies, 1540-70, éd. P. SHARRAIT, Edinburgh, 1976, p. 109-155 (122-113). 62 P. KIBRE, Studies in Medieval Science, Londres, 1984, étude I (1969); G. BEAUJOUAN, «Par raison de nombres». L'art du calcul et les savoirs scientifiques médiévaux, London, 1991, étude XI, (1954), p. 97-104. 63 ibid., p. 100. 64 Ibid., p. 102, n. 27 et 103, n. 32. 65 C. LAFLEUR, Quatre introductions à la philosophie au X/lfe siècle, Montréal - Paris, 1988,p. 154,n. 119. 66 G. R. EVANS, Introductions to Boethius's Arithmetica of the Tenth to the Fourteenth Century, dans His tory of Sciences, 16 ( 1978), p. 24-41. 67 M. IBN MUSA AL-KHWARIZMI, Le calcul indien (Algorismus), éd. ALLARD, Paris- Namur, 1992. 68 ALEXANDRI DE VILLA DEI, Carmen de Algorismo et JOHANNIS DE SACRO-BOSCO, Tractalus de Arte Numerandi, dans Rara Mathematica, éd. J.O. HALLIWELL, Hildesheim, 1977 (Ière éd. 1841), p. 73-83 et p. 1-28. 69 L.THORNDIKE et P. KIBRE, A Catalogue of Incipits of Mediaeval Scientific Writings in Latin, London, 19632 (1ère éd. 1937), Index, s. v. Alexander de Villa Dei, Carmen de Algorismo, comm. et Sacrobosco, John of, Algorismus, comm. ; voir 328 (Thomas de Novomercato) et 681 (PIERRE DE DACIE, Opera quadrivialia /, éd. F. S. PEDERSEN, Kpbenhavn, 1983, p. 69-163 et, p. 165-201, édition du texte commentée).

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numération de position dans la pédagogie européenne : rarement révolution culturelle fut si effacée. L'usage parauniversitaire de textes scientifiques se déduit des manuscrits qui les conservent pour former le corpus astronomicum7o. Significatifs d'une culture savante, ces volumes majoritairement astronomiques sont idéaux pour évaluer les rapports entre les aires arabe et latine. Ils se décomposent, de ce point de vue, en trois classes. En regroupant des textes dus aux maîtres arabes, une première classe illustre la profondeur de leur influence, fût-ce anonymement avec les Tables de Tolèden. Des auteurs lui appartiennent par une seule oeuvre, tel al-Qabi'sin ; un autre, Thabit ibn Qurra, par pas moins de cinq73. Le dernier, le pseudo-Masha'allah et son traité de l'astrolabe74, pousse à l'extrême l'acculturation des traducteurs. Le traité réunit deux compilations d'origine différente, l'une sur la composition (datée du milieu du xme siècle ou peu après), l'autre sur les usages (probablement antérieure), toutes les deux réalisées en Europe à partir de fragments arabes. Une partie a été identifiée (Azarquiel, Maslama, Ibn as-Saffar), une autre reste anonyme ou, déformée, est difficilement reconnaissable75. En dépit de son caractère composite, l'ensemble a connu une diffusion prodigieuse (près de 200 manuscrits), alors même que le second Moyen Age acquiert la maîtrise du sujet avec Raymond de Marseille dès avant 114176, Jordanus de Nemore au début du XIIIe sièclen et Pierre de Maricourt peu après 126378. Au regard de la qualité des traités des deux 70 O. PEDERSEN, The Theorica Planetarum Litterature of the Middle Ages, dans Classica et Mediaevalia, 23 (1962), p. 225-232, The Corpus astronomicum and the Traditions of Mediaeval Latin Astronomy, dans Colloquia Copernicana III (Torun, 1973), Warszawa- Krak6w, 1975, p. 57-96 et The Origins of the Theorica Planetarum, dans Journal for the History of Astronomy, 12 (1981), p. 113-123. 7! G. J. TOOMER, A Survey of the Toledan Tables, dans Osiris, (1968) p. 5-174. 72 ALCABITIUS, Liber isagogicus a été édité à la Renaissance avec le commentaire de J. de Saxe (1331) ; liste dans THORNDIKE, A His tory of Magic and Experimental Science, New York, III (1943), p. 263, n. 29. 73 Fr. J. CARMODY, The Astronomical Works ofThabit B. Qurra, Berkeley, 1960, édite les versions latines (pour l'original : THABIT IBN QURRA, Oeuvres d'astronomie, éd. R. MORELON, Paris, 1987); les traités du corpus aux parties IV et V, p. 81-148. 74 R. T. GUNTHER, Early Science in Oxford, Oxford, V ( 1929), Chaucer and Messahalla on

the Astrolabe, p. 133-231.

75 P. KUNITZCH, The Arabs and the Stars, London, 1989, étude X (1981). 76 E. POULLE, Le traité d'astrolabe de Raymond de Marseille, dans Studi medievali, 5 (1964), p. 866-900; ID., Le vocabulaire de l'astronomie planétaire du XIIe au XJVe siècle, dans La diffusione delle sc. islamiche, cit. n. 46, p. 193-212. 77 R. B. THOMSON, Jordanus de Nemore and the Mathematics of Astrolabes: "De Plana Spera >>,Toronto, 1978. 78 G. BOFFITO et C. MELZ! n'ERIL, Il trattato dell'astrolabio di Pietro Peregrino di Maricourt, Firenze, 1927, que je n'ai pu consulter; voirE. POULLE, L'astrolabe médiéval d'après les manuscrits de la Bibliothèque nationale, dans Bibliothèque de l'Ecole des chartes, 112 (1954), p. 81-103 (90-93).

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derniers, le pseudépigraphe caricature les voies du savoir médiéval et souligne l'inertie qui s'empare très tôt de la science enseignée même aux marges de l'Université: le pseudo-Masha'allah maintient, au temps de saint Louis, les mécanismes d'emprunt qu'en moins d'un siècle la production autochtone a rendu obsolètes. Bien que les traditions manuscrites de ces versions latines soient encore mal assurées, l'importance du rôle de Tolède est acquise. Pour l'essentiel, la contribution arabe à l'astronomie retenue par les universitaires suit la voie de la version arabo-latine de l'Almageste. Même formellement absente d'un ensemble de textes astronomiques, l'oeuvre de Ptolémée s'y rattache en sous-main. A l'autre extrémité, une classe maintient l'outillage computiste haut médiéval sans changement de fond: deux Tabulae attribuées à un Gerland inconnu 79 , s'il n'est pas celui du Libellus compati (premier tiers du XIIe siècle)8o ; le Kalendarium de Robert Grosseteste81 ; enfin, le Computus manualis d'Aignan (deuxième moitié du XIIIe siècle)82. La classe la plus significative se place entre ces extrêmes, avec l'adaptation des nouveautés aux traditions ou avec des prolongements originaux. Le Quadrans vetus d'un Robert d'Anglès de convention83 témoigne d'une influence ancienne -vers l'an mil84- parfaitement assimilée aux confins du xne siècle. Première pièce du corpus8s, elle en exclut le traité sur le même instrument de Sacrobosco86, présent par trois autres (les De sphaeraB7 et Computus88 en plus de l'Algorismus). Au précurseur spécialisé témoin d'anciens contacts ponctuels fait suite 79 Dans PIERRE DE DACIE, Op. quadr. /, cit. n. 69, p. 399-407. 80 A. CORDOLIANI, Notes sur un auteur peu connu : Gerland de Besançon » et « Le comput de Gerland de Besançon, dans Revue du Moyen Age Latin, 1 (1945), p. 411-419 et 2 (1946), p. 309-313 ; Abbon de Fleury, Hériger de Labbes et Gerland de Besançon, dans Revue d'histoire ecclésiastique, 44 (1949), p. 463-487. J'adopte la datation la plus vraisemblable. 81 A. LINDHAGEN, Die Neumondtafel des Robertus Lincolniensis, dans Archiv for matematik, astronomi ochfysik, 11,2 (1916-1917), p. 1-41. 82 D. E. SMITH, Le comput manuel de Magister Anianus, Paris, 1928 et G. SARTON, Isis, ii (1928) p. 385-387. 83 P. TANNERY, Mémoires scientifiques, Toulouse- Paris, V (1922), p. 112-203 (1895), que ne remplace pas N. L. HAHN, Medieval Mensuration: « Quadrans Vetus >> and «Geometrie Due Sunt Partes Principales... >>, Philadelphia (Penns.), 1982, p. 1-113. 84 P. SCHMALZL, Zur Geschichte des Quadranten bei den Arabem, München, 1929 et J. M. MILLAS-VALLICROSA, Estudios sobre historia de la ciencia espanola, Barcelona, 1949, p. 65-110 (1932). 85 E. POULLE, Les instruments astronomiques de l'Occident latin aux XJe et X/Je siècles, dans Cahiers de Civilisation Médiévale, 17 (1972), p. 27-40. 86 J.-B. DELAMBRE, Histoire de l'astronomie au Moyen Age, Paris, 1819 (rcpr. New York, 1965), p. 243-247 et O. PEDERSEN, ln Quest of Sacrobosco, dans Journal for the His tory of Astronomy, 16 (1985), p. 175-221 (185-186). 87 L. THORNDIKE, The Sphere of Sacrobosco and lts Commentators, Chicago, 1949, p. 78-142. 88 PEDERSEN, ln Quest, p. 184-185 et 206-2!4.

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le réalisateur généraliste confronté à l'entrée massive d'un savoir multiforme ; mais l'encyclopédie scientifique par fascicules du continuateur a dû composer avec la pièce unique de l'initiateur. La durée ptoléméenne de l'année a jeté les computistes dans la perplexité89 et leurs efforts pour s'en sortir s'identifient aux recherches qui mènent au calendrier grégorien. Les divergences catholiques et orthodoxes sur la date de fêtes identiques montre combien l'institution sacrale répugne à amender ses traditions -outre les réticences protcstantes9°. L'acculturation des traducteurs du xne siècle fait naître un courant que la contre-acculturation universitaire des siècles suivants développe jusqu'à ce que la Rome de la Renaissance accepte ce que les héritiers de Byzance refusent encore aujourd'hui. L'anonyme Theorica planetarum (fin du xne siècle) dote le monde latin de sa première introduction scientifique aux mouvements planétaires91 ; après quelques décennies à l'école des maîtres arabes, il s'affranchit de la langue de ses modèles et crée le lexique spécialisé qui avait jusqu'ici manqué à la langue de Cicéronn. Encore un siècle, et deux auteurs du corpus, Campanus de Novarre et Pierre de Saint-Omer, complètent l'astronomie épicyclique en mettant au point, selon des modalités particulières, un instrument original, l'équatoire93. A la différence des astrolabes et quadrants anciens, les équatoires arabes, peu nombreux, ne semblent pas avoir influencé la production latine, considérable94• L'étape est décisive : elle favorise l'assimilation de la théorie ptoléméenne des planètes et conduit au sommet du corpus, les tables astronomiques dites alphonsines -oeuvre d'astronomes travaillant à Paris entre 1321 et 1327, Jean de Murs, Jean de Lignères et Jean de Saxe9s. Le cordon ombilical est coupé. Cent cinquante ans d'assimilation et de réélaboration latines ont placé au même niveau les astronomes du pourtour méditerranéen. La 89 Ibid., p. 195-214, surtout 208-212; Gregorian reform of the Calendar, éd. G. V. COYNE, M. A. HüSKIN, 0. PERS EN, Città del Vaticano, 1983 (l'étude de J. D. NORTH). 90 Ibid., l'étude de M. A. HOSK!N. 9! Theorica planetarwn, éd. Fr. J. CARMODY, Berkeley, 1942, aux sources exclusivement arabes. 92 POULLE, Le vocabulaire, cit. n. 76, p. 208-209. 9 3 Fr. S. BENJAMIN et G. J. TüüMER, Campanus of Novara and Medieval Planetary Theory, Theorica planetarum, Madison (Wise.), 1971; PIERRE DE DACIE, Quadr. II, cit n. 69, p. 649-729. 94 E. POULLE, Les instruments de la théorie des planètes selon Ptolémée : équatoires et horlogerie planétaire du xme au XVIe siècle, Genève- Paris, 1980, p. 61-63, 189-200, 206-209 et 739-740. 95 E. POULLE, Jean de Murs et les Tables alphonsines, dans Arch. d'Hist. Doctr. et Litt. du M.A., 47 (1980), p. 241-271 ; ID., Les Tables alphonsines avec les canons de Jean de Saxe, Paris, 1984; ID., Les Tables alphonsines sont-elles d'Alphonse X?, dans De Astronomia Alphonsi Regis (Berkeley, août 1985), éd. M. COMES, R. PUIG et J. SAMSO, Barcelona, 1987, p. 51-69 ; ID., Les Tables alphonsines et Alphonse X de Castille, dans Comptes-Rendus de l'Acad. des lnscript. et B.-Lettres, 1987, p. 82-102.

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parité débouche si peu sur une collaboration que la seule perspective de programmes communs est incongrue. Cette méconnaissance n'a, d'une rive à l'autre, ni les mêmes raisons ni la même portée 96 . Le repli sur soi de groupes parvenus à l'égale maîtrise d'une activité intellectuelle extérieure à la religion censée fonder l'identité de leur communauté respective, donne aux traductions du xne siècle leur véritable portée dans l'histoire des cultures : elles sont le produit d'un rapt, non d'un dialogue interculturel, malgré l'arabophilie de leurs auteurs. Les entreprises individuelles d'acculturation des vallées de l'Ebre et du Tage se transforment sur les bords de la Seine en instrument de contre-acculturation institutionnelle. L'enseignement des langues orientales, dont l'arabe, instauré à Paris, Bologne, Oxford, Salamanque et la Curie par le concile de Vienne ( 1311 )97 parachève ce mouvement d'ouverture à l'autre négateur d'altérité. Les nouvelles chaires apprennent à parler l'arabe à des fins missionnaires, non à entendre et à lire les Arabes à des fins d'enrichissement. Dans la logique des programmes excluant les textes arabo-latins dignes d'un enseignement9s, les textes scientifiques arabes qui, aptes à nourrir une recherche de haut niveau, étaient inédits en latin avant le concile, le restent après. Or aux XIVe et xve siècles, le monde arabe devance toujours en mathématiques son rival, en excluant du bilan le courant mertonien, logicisation de la philosophie naturelle qui n'est qu'accessoirement mathématique99. Les manuscrits latins de la discipline n'ont pas les qualités synthétiques du corpus astronomicum. Ils contiennent des doubles emplois et se perdent dans les ludi ou les cautele. Ils expriment les curiosités d'amateurs livrés au hasard des rencontres plutôt que les préoccupations de pédagogues cherchant à délimiter et à couvrir le champ d'un savoir à une étape de son développement. Ce sont des collectanea mathematicatoo. Ce phénomène codicologique résulte des choix de l'Université : elle prolonge le modèle mis en place à la belle époque du comput, celui d'un double savoir, astronomique et 96 Pour la partie arabe, M. ARKOUN, Essais sur la pensée islamique, Paris, 1984, p. 13-50 (1969). 97 DENIFLE et CHATELAIN, Chartu/arium Universitatis Parisiensis, Il, n•" 695, 777, 786 et 857 (RICHARD, Croisés, missionnaires, cit. n. 8, étude XVIII (1978): L'enseignement des langues orientales en Occident au Moyen Age, p. 161-162). 98 Tableau des traductions arabo-latines : A. C. CROMBIE, Histoire des sciences de saint Augustin à Galilée, trad. de l'anglais par J. D'HERMIES, Paris, 1958, p. 35, qu'actualise VERNET, Ce que la culture, cit. n. 48. 99 J. L. BERGGREN, Episodes in the Mathematics of Medieval Islam, New York- Berlin, 1986 à confronter au bilan latin de S. MAHOMEY, Mathematics, dans D. C. LINDBERG, Science in the Middle Ages, Chicago, 1978, p. 145-178. lOO Paris, B. N. lat. 7378A (XJVe s.), 8680 (XIIIe s.), 9335 (XIIIe s.) ou New York, Columbia Univ. Libr., Plimpton coll. 188 (XVe s.).

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arithmétique, socialement sanctionné101. L'héritière des écoles épiscopales et monastiques satisfait ses besoins mathématiques avec le corpus astronomicum. Or des mathématiciens latins en ont fait craquer les limites. Ainsi Léonard Fibonacci, contemporain de Sacrobosco1o2: il faut un bon siècle pour que son travail soit repris dans des conditions qu'explique son isolement. Celui qui s'en inspire, Jean de Murs, le découvre lors de la rédaction de son Quadripartitum numerorum, qu'il remanie : sa composition n'est pas éclatante de clarté103. La vie de l'Université pâtit de la sous-représentation des textes scientifiques. Astronome et mathématicien que sa compétence destinait aux sommets d'une institution dévolue au savoir, Jean de Murs est resté artien. Même si une affaire criminelle a pu freiner sa promotion w4, elle n'explique pas son manque d'intérêt pour les spéculations physiques de son milieu10s, de fait étrangères à sa pratique savante rompue aux difficultés techniques 106. La désignation qu'avec ses confrères il choisit de donner à leur grande oeuvre, Les Tables alphonsines, compense un déclassement réel par un reclassement symbolique qui renoue avec le pays où s'est levé le savoir maintenant marginalisé1o1. Le malaise artien est général. Qu'un intellectuel et pédagogue de la trempe de Jean Buridan n'ait pas quitté la rue du Fouarre est une anomalie10s. Sa singularité ressortit à un choix plus adapté aux conditions de sa profession que celui des auteurs des Tables alphonsines ; encore convient-il d'en dégager les mobiles. Sans jamais faire allusion aux mathématiques médiévales, son commentaire de la Physique limite la géométrie et l'arithmétique à un ordre qui leur serait propre et n'aurait rien à dire sur la structure du réel109. Sa culture se distingue de celle d'Aristote, qui, avec une information à jour, travaille à partir du dernier état du savoir 110. Le Grec dialogue avec les mathématiques de son temps ; le 101 M. LEJBOWICZ, « Computus ». Le nombre et le temps altimédiévaux, dans Le temps, sa mesure et sa perception au Moyen Age, éd. B. RIBEMONT, Caen, 1992, p. 151-196. 102 Scritti di Leonardo Pisano, éd. B. BONCOMPAGNI, 2 vol., Roma, 1857-1862; K. VOGEL, Fibonacci, Leonardo, dans Dictionary ofScientific Biography, IV (1971), p. 604-613. 103 JEAN DE MuRS, Quadripartitum numerorum, éd. G. L'HUILLIER, Genève, 1990, p. 12-13, 36-37 et 54-59. 104 G. L'HUILLIER, Aspects nouveaux de la biographie de Jean de Murs, dans Arch. d'Hist. Doctr. et Litt. du M.A., 47 (1980), p. 272-276. 105 JEAN DE MURS, Quadripartitum, p. 8 et 29. 106 BEAUJOUAN, «Par raison de nombres>>, cit. n. 62, étude VII (1975). 107 Interprétation compatible avec celle de POULLE, Les Tables alphonsines sont-elles, cit. n. 95, p. 68 et Les Tables a1phonsines et Alphonse X, cit. n. 95, p. 101-102. 108 B. MICHAEL, Johannes Buridan: Studien zu seinem Leben, seinen Werken und zur Rezeption seiner Theorien im Europa des spaten Mittelalters, Berlin, 1985. 109 J. BURIDAN, Questiones in oeta lib ros Physicorum Aristotelis, Paris, 1509 (repr. Frankfurt-am-M., 1964), 1, 5, VI, 1-2 et III, 17; J. M. THIJSSEN Buridan on Mathematics, dans Vivarium, 23 (1985), p. 55-78. I 10 T. HEATH, Mathematics in Aristotle, Oxford, 1949 (repr. New York 1980).

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Latin en pose d'éternelles et soliloque, à leur sujet, avec sa logique. Jean Buridan et Jean de Murs s'ignorent dans une faculté en mal d'identité. Ce cloisonnement des disciplines artiennes me paraît être l' ultima ratio du blocage de leur carrière. Que valent ces maîtres aux savoirs sans tronc commun et livrés au génie de chacun face au bloc de la théologie, même traversée par des écoles rivales ? D'anciens élèves de Buridan lèvent un coin du voile. L'artien Albert de Saxe participe en 1365 à la fondation de l'université de Vienne 111 , qui acquiert son régime de croisière une vingtaine d'années plus tard avec la création d'une faculté de théologie grâce à Henri de Hesse, porté par ailleurs sur l'astronomie 112 • Les textes scientifiques marginalisés sur les bords de la Seine reçoivent, sur ceux du Danube, une consécration officiellell3. En favorisant cette reconnaissance, Albert et Henri répondent à un besoin que le poids des habitudes empêchait de satisfaire à Paris. Vienne devient en quelques décennies un des principaux centres européens des recherches astronomiques et mathématiques avec Jean de Gmunden, Peurbach, Regiomontanus et Schoner114_ Un autre ancien élève de Buridan s'éloigne du modèle en restant dans la place. Maître en théologie, Nicole Oresme aborde les mathématiques en créateur, ce en quoi il a conscience de transgresser les règles non écrites de son milieu115_ Parallèlement à son oeuvre latine, et de son propre chef, il rédige en français des traités sur l'astrologie, les mutations monétaires, la cosmographie, qu'il destine aux responsables du royaume. Sur le tard, il répond à une commande de Charles V et traduit en français les oeuvres morales et politiques de l'Aristote médiéval, ce en quoi il a également conscience de commettre une nouvelle transgression116. Quels que soient ses mérites, il est en retrait sur Guillaume de Moerbeke : son Aristote d'origine parle latin, et la Renaissance jugera sévèrement cette facilité117_ Les entreprises d'Albert de Saxe et de Nicole Oresme ont un dénominateur commun, l'ouverture délibérée à la diversité - diversité des lieux géographiques investis d'un rôle éminent, diversité des textes inscrits au programme universitaire, diversité des langues sanctionnées 111 Itinéraires d'Albert de Saxe. Paris Vienne au XIVe siècle, éd. J. BIARD, Paris, 1991. 112 C. KREN, Homocentric Astronomy in the Latin West: The De reprobatione ecentricorum et epiciclorum of Henri of Hesse, dans Isis, 59 (1968), p. 269°281 et A Medieval Objection to >,dans British Journal for the History of Sciences, 4 (1969), p. 378-393. 113 H. RASHDALL, The Universities of Europe in the Middle Ages, éd. F.M. POWICKE et A. B. EMDEN, Oxford, 1936, Il, 243, n. 1. 114 RegiomontanusoStudien, éd. G. HAMANN, Wien, 1980. 115 Tractatus de commensurabilitate vel incommensurabilitate motuum celi, éd. GRANT, Madison, 1971, p. 17445°48_ 116 Le livre de Ethiques d'Aristote, éd. MENUT, New York, 1940, p. 100-101 ; S. LUSIGNAN, Parler vulgairement, Paris Montréal, 1986, p. 154-160. 117 C.B. SCHMITT, Aristotle and the Renaissance, Cambridge (Mass.), 1983 (trad. GIARD, Paris, 1992). 0

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par l'écrit. Mais diversités au-delà desquelles se développent le langage par excellence universel, les mathématiques, et leur mode privilégié d'exposition, le modèle euclidien. L'essor tardif des mathématiques européennes conduit à s'interroger sur lalangue savante médiévale. La bulle Parens scientiarum prescrit le latin aux théologiens en des termes qui n'entérinent pas une coutume: elle proscrit de l'enceinte universitaire une Zingua populi qui tend à s'y installeriis. L'évocation de II Esdras XIII, 23-24 assimile le latin à l'hébreu et le vernaculaire à la langue des adversaires d'Israël. Le locuteur ordinaire est donc un ennemi de la chrétienté et l'Université une citadelle assiégée. L'auteur de cette construction ne pouvait qu'être l'adversaire du croisé le plus raisonnable, polyglotte de surcroît, Frédéric II. Tandis que Grégoire IX énonce sa conception mandarinale de la langue, une arithmétique vernaculaire apparaît (le phénomène touche toute l'Europe occidentale avec des décalages chronologiques)II9. Pierre Ramus replace cette émergence dans l'essor urbain. Lorsqu'il cherche à faire admettre à son lecteur l'utilité des mathématiques, il l'entraîne dans les rues de Paris vers les boutiques des marchands, les ateliers des orfèvres, les offices du Trésor royal pour lui en expliquer le fonctionnement : variété des monnaies, poids et mesures, alliages des métaux, fixation des impôtsl2o. La leçon est transparente : le maniement des nombres exprime et résout la complexité de la civilisation urbaine. Du point de vue mathématique, il y a loin des premiers algorismes à celui de Pamiers (vers 1446)I2I et aux travaux de Nicolas Chuquet (deuxième partie du xve siècle)I22, et les connexions entre ces oeuvres ne sont pas toutes éclairciesi23. Il suffit de noter que, produits de la civilisation urbaine, ces travaux mathématiques se font à l'extérieur de cet autre produit urbain, l'Université. Leur ignorance réciproque ne pouvait durer; la Renaissance les fait convergeri24. IlS DENIFLE et CHATELAIN, Chartularium, cit. n. 97, l, no 79, p. 136-139 (138): > (allusion aux versets qui désignent les Philistins du nom des habitants d'une de leurs villes, Ashdod- Sept. : Azotos). 1! 9 V. MORTET, Le plus ancien traité français d'algorisme, dans Biblioteca mathematica, 9 (1909), p. 55-64; L. C. KARPINSKI et E. G. R. WATERS, A Thirteenth Century Algorism in French Verse, dans Isis, Il (1928), p. 45-84. 120 RAMUS, Scholae mathematicarum, cit. n. 62, p. 52. 121 J. SESIANO, Une arithmétique médiévale en langue provençale, dans Centaurus, 27 (1984), p. 26-75. 122 G. FLEGG,

C. HAY, B. Moss, Nicolas Chuquet, Renaissance Mathematician, Dordrecht - Boston, 1985. 123 Mathematics from Manuscript to Print. 1300-1600, éd. C. HAY, Oxford, 1988, part. I et II; et P. BENOIT, Calcul, algèbre et marchandise, dans Eléments d'hist. des sc., éd. M. SERRES, Paris, 1989, p. 196-221. 124 Mathematics, éd. C. HAY, part. III et IV.

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L'Université médiévale a atteint au xve siècle ses objectifs : offrir une élaboration chrétienne aux savoirs arabo-musulmans les plus utiles au magistère ecclésiastique. Et, ce faisant, la langue latine a produit des oeuvres d'une profondeur qu'elle avait ignorée durant deux mille ans. Ayant en quelque sorte honoré son contrat, elle est en panne de projet -comme l'illustre notamment le radotage anti-islamique de Gerson. Un nouveau savoir s'élabore en dehors d'elle. Lorsqu'il rejoint l'ancien, il produit le mathématisme de Descartes -un philosophe qui recommande d'adopter la langue et la religion de sa nourrice.

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PREVISION DE L'AVENIR ET CONNAISSANCE DU PASSE : LES RELATIONS ENTRE ASTROLOGIE ET HISTOIRE A LA FIN DU MOYEN AGE Jean-Patrice BOUDET (Université d'Orléans)

Dans la perspective d'une étude d'un aspect caractéristique de la culture savante du Moyen Age tardif, le champ que je me propose d'explorer ici brièvement est celui des relations observables, dans la production d'origine française, entre savoir astrologique et connaissance historique. Une étude de ce genre pourrait très bien se contenter de s'appuyer sur deux témoins principaux, à savoir la trilogie de Pierre d'Ailly sur la concorde de l'astrologie, de la théologie et de l'histoire, achevée en septembre 1414, juste avant le concile de Constancei, et le Recueil des plus célèbres astrologues, rédigé entre 1494 et 1498 par un astrologien de profession connu sous le nom de Simon de Pharesz. Il aurait même pu paraître d'autant plus justifié d'organiser un exposé autour de ces deux pôles qu'ils sont à la fois novateurs et liés l'un à l'autre : la trilogie de Pierre d'Ailly peut être considérée comme la première histoire astrologique chrétienne, alors que le Recueil de Simon de Phares est, à sa manière et autant que l'on sache, la première histoire générale de l'astronomie et de l'astrologie qui ait jamais été écrite, une histoire apologétique dont le véritable titre, celui d'Elucidaire, trouve son origine dans l'Elucidarium astronomice concordie cum theologica et hystorica veritate, dernier volet du triptyque de l'évêque de Cambrai. Si j'ai cependant choisi un autre point de vue, plus général et synthétique, c'est parce que ces textes fondamentaux de Pierre d'Ailly et de 1 Vigintiloquium de concordia astronomice veritatis cum theologia. De concordia astrono· mice veritatis et narrationis hystorice. Elucidarium astronomice concordie cum theologia et hystorica veritate. La meilleure édition est celle de E. RATDOLT, Augsburg, 1490. Sur cette trilogie et l'attitude de l'évêque de Cambrai vis-à-vis de l'astrologie, l'on dispose maintenant du travail de L. A. SMOLLER, His tory, Prophecy, and the Stars : The Christian Astrology of Pierre d'Ailly (1350-1420), Harvard University, Cambridge (Mass.), 1991, notamment ch. IV, >, p. 153-206. 2Ed. E. WICKERSHEIMER, Paris, 1929. Voir J.-P. BOUDET, Le>.

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« ... L'an de grace mil. iiijC xv. ou mois d'aoust descendit le roy Henry ... »). Donc, avec le manuscrit 7 519 des nouvelles acquisitions françaises de la Bibliothèque nationale, nous possédons le texte complet de la chronique abrégée allant de pair avec les chronogrammes du manuscrit du Vatican du moment que ces chronogrammes reprennent aussi haleine, en quelque sorte, en 1415 également, jusqu'à l'année 1440. Les chronogrammes se poursuivent jusqu'en 1445; les trois manuscrits qui contiennent la chronique abrégée de 1415 se terminent en 1440 ; nos témoins nous faisant défaut, nous ne pouvons pas dire si André Bossuat avait raison lorsqu'il pensait qu'il faudrait continuer un texte imaginaire complet de la chronique jusqu'en 1445 pour en rendre compte. Bossuat croyait que les deux manuscrits de la bibliothèque SainteGeneviève étaient de la même main. Ils ne le sont pas, mais les deux papiers qui entrent dans la composition de chacun d'eux sont les mêmes, et, par-dessus le marché, les mêmes que les deux papiers dont se compose le manuscrit 7519 des nouvelles acquisitions françaises. On peut les dater du troisième quart du quinzième siècie12. Le papier qui se trouve dans le manuscrit français 4990 de la Bibliothèque nationale est différent de ceux qui se trouvent dans ces trois manuscrits et date d'un peu plus tard peut-êtrel3. Dans son écriture et sa mise en page il ne ressemble pas au groupe que composent les trois autres manuscrits ; on se souvient qu'il manque la continuation de la chronique abrégée depuis 1415. Mais pour notre propos ne le repoussons pas pour l'instant. Il est préférable de mettre le contenu que partagent les quatre manuscrits sous forme de tableau (tableau 1). On reconnaît dans l'avant-dernier item (« Aprés la destruction de Troye la grant... ») les deux premières parties du texte publié par Madame Pons sous le titre «Débats et appointements »14. Elle pense 12 Pour la comparaison des papiers des mss. Paris, Bibl. Ste-Genev. 1993 et 1994, voir BossuAT, Jean Castel, cit. n. 2, p. 291 n. 17; pour la comparaison de papiers des mss. B. N., n. a. fr. 7519 et Ste-Genev. 1994 voir «L'Honneur de la couronne de France». Quatre libelles contre les Anglais (vers 1418-vers 1429), éd. N. PONS, Paris, 1990, p. 38-39 (je citerai désormais ce livre par le nom de son éditeur). 13 Les filigranes les plus proches sont Briquet 8669 ou 8666 (Lettre P gothique à fleuron à quatre feuilles, le jambage principal traversé par un trait). 14 On voit que la dernière partie(, Paris, B. N., fr. 19561, du groupe des manuscrits>, B. N., fr. 5059 et 10139. Des trois autres manuscrits, elle en met un à part, London, Br. Libr., Harley 4473 ; et des deux manuscrits de notre tableau 1, Paris, B. N., n. a. fr. 7519 et Bibl. Ste-Genev. 1994, elle pense que le premier dépend du second (p. 42 et n. 35). Quoique je ne sois pas tout à fait convaincu, cela ne change rien à l'argument.

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que ce texte est distinct des autres pièces principales qui se trouvent dans deux de nos quatre manuscrits qui l'intéressentis. Ce sont d'abord, la chronique abrégée - dont la dernière partie est, elle aussi, pour ainsi dire autonome, nous l'avons vu, étant la continuation depuis 1415 que reflètent les chronogrammes qui se trouvent dans le manuscrit latin 499 du fonds de la Reine au Vatican - et ensuite, une généalogie étendue des rois de France. A joindre une généalogie comparable des rois d'Angleterre, et des morceaux beaucoup plus brefs indiqués au tableau 1, et voilà notre premier jeu de cubes.

BN BN Ste Ste n.a. Gen. Gen. fr. 4990 fr. 1993 1994 7519

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Chronique Id., Continuation " Castel ,,

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Préface française [Comment les lignees...] Généalogie française Généalogie anglaise Chronologie bretonne [Du commencement du monde ...] Chronologie française [Aucunes breves souvenances... ] Débats et appointements : Aprés la destruction de Troye la grant...

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Id. : Comment France parle a Verité ...

Tableau 1 Dans chaque manuscrit nous pouvons les assembler à notre guise. Et si on veut jouer avec d'autres cubes encore, il suffit d'ouvrir d'autres manuscrits. Mettons quelques-uns d'entre eux avec les premiers sous forme de tableau une fois de plus :

15 N. PONS,

p. 25-26.

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JEU DE CUBES

BN fr. 4990 Chronique

BN fr. 4991

BN fr. 5059

BN fr. 5734

BN fr. 1013

BN fr. 19561

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Id., Continuation " Castel , Préface française [Comment les lignées ...]

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Généalogie anglaise

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Chronologie française [Aucunes breve souvenances ... ]

Id. : Comment France parle a Verité ...

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BL Harley 4473

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Chronologie bretonne [Du commencement du monde... ]

Débats et appointements : Aprés la destruction de Troye la grant...

Ste Gen. 1994

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Généalogie française

Notes chronologiques

BN Ste n.a.fr. Gen. 7519 1993

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Parlement de Bretagne à Vannes " Héraut Berry ••, Recouvrement de Normandie

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La destrousse de Talbot Lit de justice de Vendôme

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[etc.]

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Tableau 2 Ce choix englobe des manuscrits qui contiennent d'abord la chronique abrégée, qui commence habituellement avec l'incipit « A tous nobles ... », ensuite les généalogies étendues, dont la première, la «généalogie française», commence elle aussi avec l'incipit «A tous nobles ... »,mais les deux textes sont faciles à distinguer, et finalement, le texte « Débats et appointements » publié par Madame Pons ; mais on

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P. L. LEWIS

voit que, quand on rouvre pour ainsi dire ces boîtes à cubes, d'autres cubes apparaissent, assemblés quelquefois d'une façon symétrique de manuscrit à manuscrit. Mais malgré cette symétrie, ils étaient tous à l'origine des textes distincts, des cubes séparés, capables d'une vie autonome16. Dans une autre communication, publiée la même année que l'article déjà cité, André Bossuat nous affirme aussi que les textes qui se trouvent dans le manuscrit 1994 de Sainte-Geneviève furent probablement les matériaux accumulés par un chroniqueur, peut-être un chroniqueur officiel [on reconnaît, quoiqu'il le taise, Jean Castel], pour composer une chronique générale ou tout au moins fournir des arguments au gouvernement qui l'employait. Les Grandes chroniques de Saint-Denis forment... la base de son travail, mais il a cherché bien d'autres sources de renseignements .... Il compile aussi de laborieuses généalogies des rois de France, des rois d'Angleterre, des ducs de Bretagne : enfin, il recopie un mémoire sur « tous les débats, appointemens ... »17.

Mon argument est que le matériel dans le manuscrit 1994 de SainteGeneviève (et dans le manuscrit 7519 des nouvelles acquisitions françaises de la Bibliothèque nationale, qui contient plus ou moins la même série de textes), représente un jeu de cubes que n'importe qui pourrait avoir ramassé, qui n'avait rien à voir avec Jean Castel ou aucun autre chroniqueur quelle que fût son intention1s. Bien entendu, dépouiller ainsi Jean Castel de ce matériel n'enlève rien au problème suscité par l'intitulé du manuscrit latin 499 du fonds de la Reine au Vatican, « croniques abregees, par Castel croniqueur de France composees». Il est bien possible qu'André Bossuat ait eu raison, malgré les piètres performances qu'il attribue à son héros ; d'autre part, il est possible qu'on trouve un autre texte pour réhabiliter Jean Castel dont, à en croire Mademoiselle Droz, « le principal titre... à notre attention est d'avoir été le petit-fils de Christine de Pisan »19,

16 J'ai mis par hasard dans le tableau 2 les mss. Paris, B. N., fr. 4991 et 5734 où la généalogie française >> se trouve ainsi isolée : on pourrait bien entendu ajouter d'autres manuscrits du même genre (B. N., fr. 5696 et 5697 ... ), ou des rouleaux qui commencent avec le même incipit (London, Br. Libr., Add. 26769 ; Oxford, Bodl. Libr., Bodley roUs 2... ). 17 A. BosSUAT, Les Origines troyennes: leur rôle dans la littérature historique au XVe siècle, dans Annales de Normandie, 8 ( 1958), p. 195. 18 Car A. Bossuat développa ainsi son argument : « le but de cette collection de documents [celle qui se trouve dans le ms. Paris, Bibl. Ste-Genev. 1994] nous paraît net. C'est une oeuvre de polémique qui doit prouver que les Anglais nous font une guerre injuste et, pour établir le bon droit des Français, l'auteur ne redoute pas de retracer à sa façon toute l'histoire de France >> (ibid.). 19 E. DROZ, Jean Castel, chroniqueur de France, dans Bulletin philologique et historique du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1919, p. 113.

se trouve dans les mss. Stc-Gcncv. 1993 ct B. N., fr. 4990. 24 Incomplet dans quelques cas. 25 Narratives of the Expulsion of the English from Normandie, M.CCCC.XLIX.· M.CCCC.L., éd. J. STEVENSON, London, 1863, p. 239-376. 26 Voir les analyses deN. PONS, p. 34-35, 35-36.

JEU DE CUBES

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premier, on note en particulier des documents sur l'ambassade française à Bruxelles en 1457; pour le second, un exemplaire de l'histoire de Griseldis, traduction anonyme française du quinzième siècle de la version latine due à Pétrarque du Décameron, X. 10. Ce dernier, quoiqu'il ne soit que l'item parmi ces pièces additionnelles ayant le moins de rapport avec elles, est, bien entendu, tout à fait étranger au thème principal des manuscrits qu'on voit sur le tableau 2. Néanmoins, cette pièce fait physiquement partie du manuscrit SainteGeneviève 1994 ; elle vient du même atelier27. Parmi les manuscrits du tableau 2, on regarde le manuscrit Harley 4473 de la British Library avec quelque inquiétude. Ici un exemplaire hors série de la version «courte» des «Débats et appointements »28 s'associe à La Danse aux aveugles de Pierre Michault, à d'autres vers, ballades, proverbes (on note des passages de Pierre de Beauvais, d'Alain Chartier, de Pierre de Nesson), à un remaniement en français de Végèce, à une chronique traitant des origines de la guerre de Cent ans jusqu'à la bataille de Poitiers, à l'Exclamacion et regret sur le departement d'Etiennette de Paris de Jean Robertet et la Reponse à l'exclamacion ... de Guillaume Cousinot, à quatre ballades sur le sort du cardinal Balue, le tout formant un mélange courtois, d'un genre que nous connaissons bien29. Cependant il ne faut pas trop jouer avec les mélanges. Je pense surle-champ au manuscrit 78 C 7 du Kupferstichkabinett à Berlin3o, manuscrit Hamilton dans lequel un exemplaire de l'Audite celi de Jean Juvénal s'égarait en toute innocence. Si on amasse les « textes accompagnants » dans un manuscrit, il y a de grandes piles de cubes pour induire en tentation ; je pense à ceux qui côtoient Audite celi par exemple3I ; on aboutit à une belle collection de cubes grands et petits, les plus petits étant par exemple la chronique rimée qui commence avec les mots «A tous ceux qui aiment Paris ... »32, ou les «Clochers du royaume »33, texte paradigme du genre cube34, mais sans grand rapport 27

Voir l'analyse deN. PONS, p. 36.

28 Voir plus haut, n. 14. 29 La meilleure notice de ce manuscrit est celle deN. PONS, p. 36-37. 30 H. BOESE, Die lateinischen Handschriften der Sammlung Hamilton zu Berlin, Wiesbaden, 1966,p. 78. 31 Pour ceux-ci voir Ecrits politiques de Jean Juvénal des Ursins, éd. P. S. LEWIS, 3 vol., Paris, 1978-1992, III, La Vie et l'oeuvre, p. 217-219. 32 Ms. Bruxelles, B. R. 14785-786, f. 43v-54v; pour un autre exemplaire de ce texte, voir le tableau 4; pour d'autres encore, et sur le texte lui-même, voir R. BossUAT, Le Dit des Rays. Chronique rimée du XIVe siècle, dans Mélanges de linguistique romane et de philologie médiévale offerts à M. Maurice De/bouille, éd. J. RENSON, 2 vol., Gembloux, 1964, II, p. 49-58. 33 Ms. Paris, B. N., fr. 5038, f. 1v-2r ; pour un autre exemplaire, voir le tableau 4. 34 Voir Ph. CONTAMINE, Contribution à l'histoire d'un mythe: les 1 700 000 clochers du royaume de France (XVe·XVJe siècles), dans Mélanges E. Perroy, Paris, 1973, p. 414-27. Les

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avec le sujet. Il ne faut pas faire trop de tours dans les magasins de jouets, à la recherche de nouveaux coffres, aussi distrayants qu'ils puissent être. Je n'offre ces pièces que pour montrer l'embarras du choix, et démontrer aussi peut-être la reductio ad absurdum du cube.

*** Je vais revenir aux cubes plus sérieux, au matériel concernant le Lit de justice de Vendôme, par exemple, qui se trouve dans le manuscrit 7519 des nouvelles acquisitions françaises de la Bibliothèque nationale et dans le manuscrit 1994 de la bibliothèque SainteGeneviève, ou, plus important encore, le Recouvrement de Normandie attribué à Gilles Le Bouvier, qui se trouve dans le manuscrit de la Bibliothèque nationale et dans les deux manuscrits de SainteGeneviève 1993 et 1994. Comment circulent-ils, ces textes, ces cubes? Je l'ignore. Je dois avouer aussi que je ne sais pas quelles étaient les habitudes de travail de cet atelier où l'on stockait ces deux papiers au filigrane « Boeuf» (proche Briquet 2795 et 2796) et au filigrane «Armoiries. Une fleur de lis» (proche Briquet 1552) qui se trouvent dans les trois manuscrits, 7519 des nouvelles acquisitions françaises et 1993 et 1994 de Sainte-Geneviève, d'écritures différentes d'ailleurs. Voilà un sujet codicologique que mettent en évidence la simple énigme de Jean Castel et la façon dont elle est traitée par André Bossuat ; il sous-entend tout un problème, le problème plus large de la circulation des textes. Petits cubes, cubes plus grands circulent et sont copiés plus ou moins mot par mot. Mais il y a aussi un problème encore plus grand qu'il faut aborder dans la deuxième partie de cette communication. ll y a une autre, une nouvelle catégorie de textes, qui n'ont pas survécu, mais dont on peut se figurer l'existence, textes qui ne se sont pas vraiment solidifiés en cubes : pour en discuter, il nous faut tout un nouveau système de métaphores. C'est le hasard du choix des manuscrits relatifs au problème de Jean Castel qui se trouvent dans le tableau 1 qui nous amène à une discussion sur le Lit de justice de Vendôme. Mais, auparavant, une petite pensée nous détourne encore au passage pour nous ramener au problème codicologique. On peut voir dans les deux éditions des textes qui proviennent des Etats généraux de Tours de 1484 un cube dont l'imprimerie s'est, pour ainsi dire, emparée par hasard au moment de son apparition en France quatorze ans auparavant35. On peut trouver ces deux mss. Paris, B. N., fr. 5038 et 5712 sont à ajouter à la liste de Ph. Contamine. Il est fort probable qu'il y en ait beaucoup d'autres. 35 [Etats tenus à Tours en février, 1483-1484], Paris, Jean Dupré, 1484 (London, Br. Libr., lB. 39799) ; Paris, Antoine Caillaut, 1484 (Br. Libr., IA. 39360).

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JEU DE CUBES

mêmes textes sous forme de manuscrit à la bibliothèque de l'Institut (Godefroy 252). L'écriture en est tardive36, et on pourrait certes penser qu'ils furent copiés d'après l'imprimé37. Mais ce document témoigne de leur circulation sous forme manuscrite3s, un vrai cube à assimiler aux documents sur le Lit de justice de Vendôme. Les manuscrits du quinzième siècle renfermant la documentation sur le procès de Jean duc d'Alençon en 1458 ne sont pas si nombreux que l'adjonction de deux se trouve sans intérêt ; mais, pour la plupart, ils sont connus depuis du Fresne de Beaucourt. On peut encore mettre leur contenu sous forme de tableau :

BNfr. 1104

BN fr. 1278

BNfr. 2861

BN fr. 5728

BNfr. 5943

BN n.a.fr. 7519

Ste Genev. 1994

Coll. of Arms Arun· del48

Assiette

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Requête de Philippe le bon

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Réponse du roi

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Lit de justice de Vendôme

Opinion de Ch. d'Orléans Arrêt [Instructions à Ricarville] contexte:

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abrégé

* [Collee- [Collee- Affaire Clochers Affaire Affaire ti on ti on du du du du Ch.d'Or- bourgui· dauphin, royaume dauphin, dauphin, léans] gnon ne] Recou- etc. A tous affaire vrement ceux de Brede Norqui lagne, mandie, aiment etc. Paris etc.

etc.

etc.

Tableau 4

36 Je n'ai pas pu identifier le filigrane du papier le plus utilisé. Un deuxième, qu'on peut voir sporadiquement entre les f. 23 et 69, est de type Briquet 12482 (1474-80) et un troisième, qui ne se voit qu'au f. 25, est de type Briquet 6117 (Rodez, 1506). Ils s'écartent, le dernier largement, du type reproduit dans Briquet. 37 ;ibid., 1, col. 1. 27 I, art. 2, ch. XXIV : > ; ibid., 1, col. 184-187, précisément 186.

AUTEURS POLITIQUES ET MANIEMENT DES SOURCES

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de là à parler de trahison, il y a loin28. Enfin, en un autre point, Netter reproche simplement à Wyclif d'ignorer et de mépriser les textes des Pères de l'Eglise, ou même de prendre délibérément le risque de les contredire, voire de considérer leurs opinions comme de graves péchés : lorsque Wyclif dit, par exemple, que les Pères, les papes et les saints docteurs qui ont reçu la dotation de l'Eglise ou qui y ont consenti, ont gravement péché. Et de sortir à son tour une chaîne de citations d'Origène, saint Grégoire de Naziance, saint Augustin, saint Jérôme, etc., précisément ces auteurs que Wyclif cite de préférence29. Enfin, il faut noter que Netter vise spécifiquement l'utilisation de la logique par l'exégète Wyclif, s'essayant d'ailleurs parfois à imiter Wyclif dans son style ratiocinant d'universitaire. Citant par exemple un long passage du Dialogus Veritatis et Mendacii qui est lui-même une explication d'un passage du Supplementum Trialogi rassemblant trois citations de l'Ancien Testament (Num. VIII, Deuteronom. XVIII, Ezechiel XLIV), Netter lui oppose trois autres citations, mettant en première place celle dans laquelle Dieu s'exprime le plus directement, c'est-à-dire lorsqu'il parle par la bouche de Moïse. Surtout, il conteste l'interprétation de Wyclif: sed sic argunt: ergo Deus fallaciter imperavit cum dixit: Non habebunt Sacerdotes et levitae haereditatem in Israel. Non imperavit deus fallaciter quamvis tu fallaciter Scripturam jactaveris3o. Le sort fait à l'emploi du terme Jallaciter montre bien que le logicien est ici visé. Pour être complet, ce survol du traitement des citations bibliques par les auteurs anglais imposerait l'étude de Reginald Pecock3I, mais cela nous entraînerait trop loin des limites d'un tel article. Qu'il suffise ici de dire qu'avec Fitzralph d'abord puis surtout avec Wyclif, la Bible devient un enjeu essentiel dans la discussion des problèmes non plus seulement religieux mais aussi politiques, puisqu'avec ces deux auteurs les questions de la pauvreté évangélique et de la prédestination aboutissent à une remise en cause complète non seulement du rôle social et politique de l'Eglise, mais encore de la légitimité de sa dotation et de l'urgence de 28Jbid., l, col. 187. 29 IV, art. 3, ch. XXXIII: « dicit enim libello suo de Ecclesia, quem alias intitulavit Supplementum Trialogi, cap. II : Videtur mihi propinquum fidei, sive fides, quod omnes clerici, et specialiter Prelati Ecclesiae, debent vi vere exproprietarie, sicut Christus ; & per locum a majori, sicut vixerunt Sacerdotes Veteri Testamenti. Secundo, videtur mihi probabile ex effectu, quod omnes Patres legis gratiae, sive Papae, sive Sancti Doctores, qui admiserunt dotationem ecclesiae, vel consenserunt illi dotationi, graviter peccaverunt: quia contra !egem Dei tarn in lege nova quam in lege veteri deliquerunt » ; ibid., 1, col. 933. 30 Ibid., 1, col. 938. 31 Cf. V. H. GREEN, Bishop Reginald Pecock : a study in ecclesiastical history and thought, Cambridge, 1945, etE. F. JACOB, Reginald Pecock, Bishop of Chichester, dans Proceedings of the BritishAcademy, 37 (1951), p. 121-153.

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la redistribution de ses biens. En contre-attaquant précisément sur l'usage de la Bible (mais aussi, plus largement, sur la tradition catholique), Netter ne fait que conforter le statut particulier et l'autorité exceptionnelles attribués à la Bible en tant que source de réflexion et d'autorité: dès 1370-1420, nous sommes entrés dans un débat qui se poursuivra tout au long du XVIe siècle avec les Réformateurs. ***

Même si les textes lollards ont eu une vaste diffusion et ont porté à la fois la méthode des citations bibliques et les propositions politiques des lollards devant un large secteur de l'opinion, ils restent encore ancrés dans la sphère du religieux, où le politique est subordonné à une ecclésiologie. Il existe d'autres genres littéraires qui, eux aussi, diffusent les débats politiques dans de nouveaux secteurs de la société politique, notamment la gentry et le monde des juristes. Je ne pourrai malheureusement procéder que par exemples, mais en présentant successivement Gower et Fortescue, il me semble couvrir l'essentiel des nouvelles formes littéraires empruntées par la littérature politique. John Gower3 2 , un gentleman qui est à partir de 1393 l'un des protégés d'Henri de Lancastre, a écrit un long poème en anglais, la Confessio Amantis33, que l'on peut classer parmi les textes politiques, ne serait-ce que parce que le livre VII est une sorte de Miroir au Prince. En fait, le texte dans son ensemble se veut une sorte d'encyclopédie visant à rendre l'homme sage ; le projet de Gower est essentiellement éthique. Au coeur du projet, l'amour: les bons amants sont des hommes bons, et chacun des sujets sera illustré par des exempla dont beaucoup sont tirés des Héroiâes d'Ovide (comme d'ailleurs dans les Legends of good Women de Chaucer avec lesquelles le poème de Gower a beaucoup en commun34) et des grands auteurs de l'Antiquité. Mais Alastair Minnis fait observer à juste titre que Gower, comme certains commentateurs bibliques, utilise un double système de prologue3s : un prologue intrinsèque, qui prépare au contenu du texte, et un 32 Voir notamment G. R. COFFMAN, Gower: mentor for Royalty, dans Publications of the Modern Language Association, 69 (1954), p. 953-964; A. B. FERGUSON, The Articulate Citizen and the English Renaissance, Durham (N. C.), 1965, p. 44-63. 33 Edité par G. C. MACAULAY, The English Works of John Gower, Oxford, 1900, 1; voir Gower's Confessio Amanlis. Responses and Reassesments, éd. A. J. MINNIS, Cambridge, 1983, notamment E. PORTER, Gower's Ethical Microcosm and Political Macrocosm, p. 135-162. 34 Cf. G. R. COFFMAN, Chaucer and the Ovide Moralisé, dans Publications of the Modern Language Association, 33 (1918), p. 302-325 et C. MAINZER, Gower's Use of the Mediaeval Ovid, dans Medium Aevulf!, 41 (1972), p. 215-223; et A. J. MINNIS, Medieval Theory of Authorship, cit. n. 4, passim, qui cite une thèse inédite d'Oxford sur ce problème. 35 Ibid., p. 170 sq.

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prologue extrinsèque, qui a pour but de resituer le texte (ou une partie du texte, car il y a des prologues secondaires) dans le système des sciences aristotélicien. Le livre VII s'inscrit dans ce projet et prend comme point de départ l'enseignement d'Aristote à Alexandre: d'abord la Theorica ou Philosophia, qui comprend la Théologie, la Physique et la Mathématique ; on passe ensuite aux quatre éléments, aux quatre complexions de l'homme, aux divisions du globe et à l'Astronomie : les planètes, les signes, les quinze étoiles et les grands astronomes. Après cela vient la Rhétorique qui conclut l'exposé de la philosophie. Le tout est nourri d'exemples puisés cette fois chez Cassiodore, Valère Maxime et d'autres. Mais le cadre aristotélicien, dérivé en réalité du Secreta Secretorum pseudo-aristotélicien et du Trésor de Brunetto Latini36, est sans cesse réaffirmé, même si les citations elles-même sont imprécises. Nous sommes évidemment loin ici de la cohérence d'Ockham, de la subtilité et de la sophistication des Fitzralph, Wyclif et autres Netter. Néanmoins, à son niveau, Gower va dans le même sens. Ecrivant pour un public laïc qui n'est pas passé par les universités mais qui occupe une position centrale dans la société politique du temps une oeuvre en vers anglais destinée à plaire (et qui a plu : il en subsiste 57 manuscrits ayant appartenu à des personnes aussi diverses qu'Henri de Lancastre, le maire de Chester John Dedwood, le shérif du Wiltshire Thomas Mompesson ou Lady Margaret Strange37), il vulgarise et met à sa portée la structure d'organisation du savoir qui sous-tend au moins en partie l'ensemble de la culture savante. Sans doute, il ne manie pas luimême directement ses sources et il ne remonte pas au texte original d'Aristote : mais même s'il est tout au plus passé par les Inns of Court, rien ne prouve qu'il en soit incapable ; la qualité de son latin a en tout cas été suffisante pour lui permettre de produire une importante oeuvre latine3s. Pour les auteurs laïcs écrivant en langue vernaculaire, l'accès aux auteurs savants et au mode de citation des autorités à la façon universitaire représente une étape essentielle dans l'homogénéisation de la culture des classes dirigeantes. Cette étape est pleinement franchie avec Sir John Fortescue. Fortescue, en tant que juriste, est d'un tout autre calibre que morall Gower : il est, quant à lui, sûrement un produit des Inns of Court et a (peut-être) fréquenté l'une des universités, bien qu'il 36 A. J. MINNIS, John Gower, sapiens in ethics and politics, dans Medium Aevum, 49 (1980), 2, p. 207-229. 37 A. 1. DOYLE et M. PARKES, The production of copies of the Canterbury Tales and the Confessio Amanlis in the early fifteenth century, dans Medieval Scribes, Manuscripts and Libraries. Essays presented to N. R. KER, Oxford, 1978, p. 163-21 O. 38 Et notamment le Vox Clamantis dans The Complete Works of John Gower, éd. G. C. MACAULAY, IV, Oxford, 1902, p. 1-313.

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n'y ait aucune preuve de son passage39. Il est en tout cas devenu l'un des phares de sa profession, Chief Justice of the King's Bench en 1442. Il est cependant exceptionnel en tant qu'écrivain, et n'a pas d'équivalent parmi les autres juges anglais de la période. Toujours est-il qu'il a écrit, dans le cadre de son engagement lancastrien, toute une série d'ouvrages ; certains sont des tracts de « propagande » qui ne se distinguent en rien des autres textes du même genre4o. Mais trois ouvrages sont par contre bien différents : le De Natura Legis Naturae, écrit vers 1461146241, qui prétend rechercher la base juridique du droit successoral de la couronne anglaise, le De Laudibus Legum Angliae écrit pour l'édification du Prince Edouard42, l'héritier lancastrien en exil d'octobre 1470 à avril 1471, sous forme d'un dialogue, et le Govemance of England43, écrit en anglais pour le même prince, sans doute au même moment ; le De Laudibus étant une exaltation des mérites du système politique anglais, le Governance une comparaison des gouvernements anglais et français. Bien sûr, si les trois textes contiennent de nombreuses citations, il. y en a beaucoup plus dans le De Natura latin, presque plus universitaire que nature, que dans le Governance anglais. Mais, même dans ce dernier texte, le De Regna ad Regem Cypri de saint Thomas, Diodore de Sicile, Aristote (The Philosopher), saint Bernard, d'autres encore, sont cités avec le droit romain et la Bible tout au long du traité. Or, ces citations ne sont pas des citations « paravent » comme chez Gower : si Aristote est sans aucun doute possible cité à partir des Auctoritates Aristotelis, saint Thomas est par contre cité avec une grande précision ; c'est l'autorité essentielle sur laquelle se fonde l'analyse célèbre que fait Fortescue des différences entre le dominium regale et le dominium politicum et regale : même dans cette oeuvre en anglais, le système des citations est d'un style et d'un niveau comparables à celui de beaucoup d'ouvrages à vocation savante. Des textes souvent cités, le Cur Deus Homo de Guillaume d'Auvergne, le De Bono Coniugali de saint Augustin et le De Moralis Principis Institutione de Vincent de Beauvais sont des oeuvres qui figurent dans un seul et même manuscrit, le 39 Voir notamment A. B. FERGUSON, The Articulate Citizen, cit. n. 32, p. 175-194; J. Ph. GENET, Les idées sociales et politiques de Sir John Fortescue, dans Mélanges offerts à Edouard Perroy, Paris, 1972, p. 446-461 ; J.H. BURNS, Fortescue and the Political Theory of Dominion, dans Historical Journal, 28 ( 1985), p. 777-797 ; N. DOE, Fundamental Authority in Late medieval English Law, Cambridge, 1990. 40 P. E. GILL, Politics and Propaganda in Fifteenth Century England: the Polemical Writings of Sir John Fortescue, dans Speculum, 46 (1971), p. 333-347. 41 Opusculum deNatura Legis Naturae et ejus censura in successione regnorum suprema, dans The Works of Sir John Fortescue, éd. Lord CLERMONT, London, 1869, p. 69-333. 42 Sir John Fortescue. De Laudibus Legum Angliae, éd. S. B. CHRIMES, Cambridge, 1942. 43 Sir John Fortescue. The Governance of England, éd. Ch. PLUMMER, Oxford, 1885.

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Bodleian Rawlinson C 398 qui lui a appartenu. Il cite d'autre part des textes qui par leur date de composition, n'ont pu être connus en Angleterre que très récemment ; ainsi le traité de Leonardo Bruni, In Ysagogico Moralis Discipline, a été écrit en 1421-1424 : un exemplaire en avait été donné à la bibliothèque d'Oxford en 1443. Et la traduction de Diodore de Sicile qu'utilise Fortescue est celle de Poggio Bracciolini, qui n'a été terminée qu'en 1449 ; la présence de citations de ces oeuvres atteste la circulation rapide des productions de l'humanisme italien en Angleterre et de la capacité d'un juriste d'en prendre connaissance et de les utiliser. Mais à côté de ce jeu de citations qui abolit la distance entre le clerc universitaire et le laïc homme d'action, Fortescue nous révèle un autre changement : l'appel constant à l'histoire, et plus précisément à l'histoire contemporaine. Appel, là aussi, documenté : Fortescue cita avec précision le Polychronicon de Ranulf Higden qui lui a appris son histoire de France et qui est une grande chronique universelle, d'un genre assez ardu, et dont le public est essentiellement ecclésiastique, bien qu'elle ait fait l'objet d'une traduction en anglais pour le bénéficie des membres de l'aristocratie44. Il cite aussi Nicolas Trevet et la compilation de Westminster, les Flores Historiarum dérivées de l'oeuvre de Mathieu Paris, Ralph de Diceto et d'autres encore. Il évoque aussi les chroniques de France, d'Espagne et de Danemark (mais pour le coup c'est peut-être là une citation paravent), ainsi que celles d'Ecosse qui lui fournissent la matière pour son évocation de l'affrontement entre les Stewart et les Douglas. Fortescue fonde une partie de ses théories et de ses réflexions sur les événements contemporains : il est notamment au fait des développements récents de la politique fiscale de Charles VII et du système des impôts en France. Il y a là une approche du politique et de la théorie politique qui contraste totalement avec celle de Guillaume d'Ockham, par exemple, qui, écrivant lui aussi sous la pression de l'actualité politique et avec pour objectif l'instant, c'est-à-dire les décisions immédiates des gouvernants pour le compte desquels il écrit, se garde bien d'évoquer autrement qu'en termes très généraux, et en tout cas sans donner de référence précise, les événements contemporains.

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44 J. TAYLOR, The

Universal Chronicle of Ranulph Higden, Oxford, 1966.

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J.-PH. GENET

Au fond, par le biais en apparence mineur de la citation et du maniement de la source, ce qui se produit est donc une unification du mode de production du texte politique, à travers l'homogénéisation de ses référents. Les auteurs savants du XIVe siècle introduisent précisément la notion de preuve dans la littérature politique, notamment dans son maniement en tant que source du Corpus juris civilis et du droit canon d'une part, et de la Bible de l'autre ; ces citations, et surtout celles de la Bible, deviennent un enjeu majeur dans la seconde moitié du XIVe siècle. Mais en même temps, les poètes anglais font passer l'ensemble des référents savants (y compris la Bible) dans leurs propres oeuvres : les auteurs laïcs du xve siècle les reprennent, mais ce sont l'histoire et les événements politiques eux-mêmes qui sont à leur tour utilisés comme sources. Ces autorités que maniaient encore naguère seuls les universitaires de haut niveau sont désormais employées, et plus seulement comme des paravents, par des oeuvres destinées par leur langue, leur style et leurs préoccupations, à toucher un public plus vaste et plus varié. C'est donc bien à une modification non négligeable du système de communication que nous amène cette petite enquête, une modification qui prend toute son importance si on la relie à l'élargissement que connaît alors la« société politique». Car cette modification n'est pas isolée : elle se retrouve dans d'autres domaines. Formellement, il s'agit de la capacité pour l'auteur (mais implicitement aussi pour le lecteur) de travailler sur des textes à plusieurs niveaux : le discours s'appuie sur d'autres textes, qui sont soit cités, soit évoqués en référence. Or, on retrouve cette attitude dans toute une série de pratiques d'écriture qui se généralisent aux XIVe et xve siècles : par exemple, la pratique de joindre des dossiers de documents à un texte rédigé 45, comme avec le Boke of Noblesse que l'un des hommes d'affaires de Sir John Fastolf, William of Worcester, adressa à Edouard IV pour le convaincre de reprendre la guerre contre la France ; ou comme avec les Fasciculi zizaniorum qui ont sans doute été le dossier compagnon du Doctrinale Antiquitatum Fidei Catholicae Ecclesiae de Thomas Netter46. Ces dossiers « d'évidences » utilisent en fait des techniques qui sont désormais aussi bien répandues chez les laïcs jurisperiti que chez les ecclésiastiques ; techniques qui sont en fin 45 The Boke of Noblesse adressed to King Edward the Fourth on his invasion of France in 1475, éd. J. G. NICHOLS, Roxburghe Club, 1860; cf. C. ALLMAND, France-Angleterre à la fin de la Guerre de Cent Ans: le Boke of Noblesse de William Worcester, dans Actes du 111 e Congrès National des Sociétés savantes (Poitiers, 1986), Section d'histoire médiévale et de philologie, La « France Anglaise » au Moyen Age, Paris, 1988, p. 103-111. 46 W. W. SHIRLEY, Fasciculi Zizaniorum magistri Johannis Wyclif cum tritico ... , London, 1858; sur les Fasciculi Zizaniorum, voir J. CROMPTON, « Fasciculi Zizaniorum »,dans Journal of Ecclesiastical History, 12 ( !961 ), 1, p. 35-45 et 2, p. 155-166.

AUTEURS POLITIQUES ET MANIEMENT DES SOURCES

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de compte très proches de celles utilisées par les cartularistes et que des historiens comme Mathieu Paris connaissaient depuis longtemps47 • Heureusement les universitaires et les académiques, ainsi frustrés de la distinction que conférait le monopole du maniement des autorités, vont savoir développer une nouvelle forme de distinction, infiniment plus solide car impossible à imiter : la langue elle-même, ce latin dont l'humanisme va rénover les canons.

47 J. Ph. GENET, Cartulaires, registres et histoires: l'exemple anglais, dans Le métier d'historien au Moyen Age. Etudes sur l'historiographie médiévale, dir. B. GUENÉE, Paris, 1977, p. 95-138.

A L'ORIGINE DES DOSSIERS POLEMIQUES : UNE INITIATIVE PUBLIQUE OU UNE DEMARCHE PRIVEE ? Nicole

PONS

(CNRS-CEMAT)

Cette étude est née d'une simple constatation. Depuis quelques années, un certain nombre de travaux ont mis en lumière le rôle important joué dans la consolidation de l'état monarchique français par une littérature politique particulière née du conflit franco-anglais, une littérature de propagande de guerre. Exalter le roi, le royaume et ses habitants, réfuter les prétentions des adversaires et leur faire porter seuls la responsabilité de la guerre, telles sont les tâches principales que se sont fixé les auteurs des traités et libelles relevant de la propagande de guerre. Or, quand on étudie ces oeuvres, on constate qu'elles nous sont souvent transmises dans des ensembles à coloration anti-anglaise plus ou moins forte, pouvant même former de véritables dossiers polémiques. Une question se pose alors : ces derniers peuvent-ils être le fruit d'une initiative personnelle, en dehors de toute demande officielle, ce qui serait important pour l'histoire du sentiment national ? En poursuivant le raisonnement, cette question en entraîne une autre : les traités de propagande eux-mêmes sont-ils tous nés d'une commande du pouvoir? On le sait avec certitude ou quasi-certitude pour certains, mais faut-il en tirer la conséquence que tous ont la même origine? Tant pour les dossiers polémiques que pour les traités, il est nécessaire alors d'étudier la manière dont les manuscrits sont composés : la nature des recueils et les ensembles dans lesquels les textes sont copiés peuvent en effet nous renseigner sur les motivations des auteurs et des copistes. Par ailleurs, l'analyse des méthodes et procédés mis en oeuvre dans la composition même de ces traités de propagande montre à quel point sont liés les deux problèmes concernant l'origine des dossiers polémiques et celle des traités. En effet, une partie de ces derniers tire son argumentation de dossiers sur le contentieux franco-anglais. Il est bon alors de regarder ces dossiers, tels du moins qu'on les retrouve dans un certain nombre de manuscrits datant du xve siècle et rassemblant des documents diplomatiques utilisés pendant le conflit. Ces manuscrits se présentent sous différentes formes : mélange de pièces émanant des deux camps ; recueils hétérogènes comportant entre autres des pièces

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N. PONS

diplomatiques, ou bien comportant des documents divers d'origine française associés à des traités de propagande. Dans la plupart des cas, ces manuscrits paraissent avoir été constitués dans un but professionnel assez précis (conservation et consultation des pièces), mais cela n'est pas toujours vrai, et si, dans certains cas, ces recueils répondent à une demande des pouvoirs politiques, dans d'autres ils semblent être le fruit d'un travail spontané. Cette étude voudrait proposer quelques éléments de réponse aux deux questions posées plus haut grâce à l'examen de quelques cas précis. Elle ne veut, ni ne peut, compte tenu des dépouillements à effectuer directement sur les manuscrits, avoir une prétention quelconque à l'exhaustivité. De plus, seuls ont été examinés les manuscrits du xve ou du début xvre car, dans les copies plus tardives, il est difficile de faire la part entre ce qui remonte aux originaux et les motivations, érudites ou autres, des compilateurs modernesi. Comme plusieurs types de dossiers peuvent être distingués, j'envisagerai successivement : les recueils de traités et de documents diplomatiques ; les recueils de pièces diplomatiques associés à des traités partisans ; les recueils rassemblant des oeuvres polémiques ou à simple tonalité anti-anglaise.

a) Recueils de traités et de documents diplomatiques Le premier exemple de ce type de registre nous est fourni par celui qui a fait l'objet des recherches de Françoise Autrand pour l'étude

1 Néanmoins, comme il peut très bien arriver que ces copies tardives soient exécutées d'après des manuscrits contemporains aujourd'hui disparus, il serait bon dans certains cas de les prendre en compte. C'est ainsi que deux manuscrits du xvne siècle, Paris, B. N., n. a. fr. 7006 et Ste-Genev. 794, transmettent un même ensemble de deux traités de propagande, le Traité compendieux de Juvénal des Ursins et le traité anonyme Pour ce que plusieurs (sur ces derniers, cf. infra, p. 369 et 373-374). S'agit-il d'un hasard? Par ailleurs, le ms. n. a. fr. 7006 est l'ancien ms. 35 de la collection de Brienne. Cette dernière est l'oeuvre d'Antoine de Loménie qui s'était efforcé, en prenant conseil de Pierre Dupuy, de rassembler et dont on connaît plusieurs homonymes, juristes ou grammairiens : cf. Ch. THUROT, Extraits de divers manuscrits latins pour servir à l'histoire des doctrines grammaticales, dans Notices et extraits des Manuscrits de la Bibliothèque impériale, XXII, 2 (1868), p. 18. Toutefois, il est possible qu'il s'agisse du Pierre Hélie, dit le doctor Tholosanus, auteur de repetitiones et de dissertations juridiques. Ce dernier est peut-être à identifier avec un Pierre Hélie cité à plusieurs reprises par le canoniste Gilles Bellemère dans ses Commentaires et présenté comme un des maîtres de l'université d'Orléans dans la première moitié du XIVe siècle (cf. H. GILLES, La vie et les oeuvres de Gilles Bellemère, dans Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 124 (1966), p. 409-410).

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N. PONS

à quelle occasion il peut avoir lieu et comment il doit se déroulerz4. Ces derniers documents semblent plutôt porter la marque des intérêts de celui qui aurait alors composé ce recueil essentiellement dans un but personnel, hypothèse renforcée par le fait que ce manuscrit est presque certainement la copie effectuée d'un seul tenant à la fin du siècle d'un original remontant au règne de Charles VI. En effet, d'une part, seuls quatre documents - sur plus de 110 que contient le recueil - datés de 1401, 1402, 1413 et 141925, sont postérieurs au xrve siècle, et l'on voit mal pourquoi un recueil professionnel arrêterait la collecte des documents si longtemps avant la date de sa réalisation ; d'autre part, en tête du recueil, se trouve une liste des rois de France rédigée sous Charles VI. Ce serait alors au cours de cette copie qu'auraient été insérées deux pièces trahissant les intérêts particuliers du copiste ou de son commanditaire. Quoi qu'il en soit, ce dernier appartenait sans doute à la Chambre des comptes : en effet, dans la liste que je viens de mentionner, les rois de France sont numérotés selon un usage que l'on retrouve chez des auteurs issus de cette cour26 ; surtout, une des pièces reproduites dans le recueil est accompagnée de la subscription portée par le notaire apostolique qui avait transcrit ce document pour la Chambre en 1339 (f. 99r).

Ces dossiers sur le contentieux franco-anglais sont d'un intérêt évident, mais pas seulement du point de vue de leur origine ; on sait, en effet, que certains d'entre eux ont servi dans la rédaction d'oeuvres partisanes, les traités ou libelles qui participent de la propagande de guerre ; ce sont eux que nous allons maintenant examiner. 24 Sur la présence apparemment incongrue de cette dissertation dans un recueil politicodiplomatique, voir dans ce même volume l'étude de Bernard Guenée sur le duel de Jean de Carrouges et Jacques Le Gris en 1386 (supra, p. 335). 25 F. 198v-205r: , 7 janvier 1401, n. st. (Ordonnances, VIII, p. 409-418). F. 205v-206r: sous le titre >, préambule d'une lettre du 16 mars 1402 (n. st.) de Charles VI donnant pouvoir à la reine Isabeau pour imposer une réconciliation entre le duc d'Orléans d'une part, les ducs de Berry et de Bourgogne de l'autre, à propos de la querelle suscitée par la garde de Benoît XIII en Avignon (éd. dans L. OOUËT D'ARCQ, Choix de pièces inédites du règne de Charles VI, 2 vol., Paris, 1863-1864, I, p. 227-238; cf. aussi N. VALOIS, La France et le Grand Schisme d'Occident, 4 vol., Paris, 1896-1902, III, p. 259-260). F. 206r-208r: > (Extrait du Livre des mémoriaux cotté g depuis l'an 1404 jusqu'à l'an 1407, ms. Paris, B. N., fr. 2838, f. 91). Sur cette majorité qui aurait été proclamée par une ordonnance aujourd'hui perdue, cf. FAMIGLIETTI, Royal Intrigue, cit. n. 25, p. 66. 31 Traité A toute la chevalerie, Opera, II, no 220, p. 91-149; IV, p. 323-332.

xve

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N. PONS

les Anglais. Sa démonstration32 s'appuie sur un dossier qui est constitué notamment des mémorandums de 1369 et 1390 déjà évoqués et que Montreuil recopia dans un manuscrit que nous avons conservé, Bruxelles, Bibliothèque royale 10306-307. Il s'agit donc dans le cas de ce dossier, à la différence de celui de Juvénal des Ursins, d'un rassemblement de notes à usage personnel. Cependant, s'il a été possible de reconstituer la démarche rédactionnelle de Montreuil, on ne peut rien dire sur l'origine elle-même de cette démarche. Il dédie son premier traité politique au dauphin, mais est-ce qu'il travailla à ce traité de sa propre initiative ou répondait-il à une demande plus ou moins officielle, celle du précepteur de Louis de Guyenne par exemple? Nous n'avons aucun indice pour répondre dans un sens ou dans un autre. Quoi qu'il en soit, Montreuil a certainement écrit à l'intention des sphères dirigeantes ; on le voit en effet en 1415, sans doute peu après la paix d'Arras, dédier à Jean de Thoisy, un des principaux conseillers du duc de Bourgogne, une des versions latines de son Traité contre les Anglais. Avec le troisième témoignage concernant ce type de recueils, nous avons sans doute affaire, comme dans le cas de Montreuil, à un dossier diplomatique établi de son propre chef par l'auteur de Pour vraye congnoissance avoir. Ce petit traité, dont on ne connaît que deux exemplaires présentant entre eux certaines différences, a été composé en 1471 par un officier de la Chambre des comptes, sans doute Louis Le Blanc33. L'un de ces deux manuscrits, Paris, Bibliothèque nationale, français 15490, malheureusement tout à la fois inachevé et mutilé, présente un grand intérêt. Il s'agit d'un manuscrit sur parchemin de grand format, écrit de deux mains différentes34. Sur un premier cahier3s nous avons une copie incomplète de Pour ce que plusieurs, autre traité contre les prétentions des rois d'Angleterre qui sera évoqué plus loin ; cette copie est curieusement interrompue en milieu de feuillet et en cours de phrase. Viennent ensuite Pour vraye congnoissance avoir et 32 Cette dernière entend prouver les quatre points suivants : les rois d'Angleterre n'ont aucun droit à la couronne de France ; ils ont perdu tous leurs droits sur leurs anciennes possessions continentales ; ces possessions d'ailleurs étaient de peu d'ancienneté ; le traité de Brétigny-Calais a été rendu caduc par leur faute. 33 L'auteur du traité nous apprend lui-même qu'il se prénomme Louis et qu'il est né en novembre 1443. Pour l'identification de ce dernier avec Louis Le Blanc. greffier de la Chambre de 1467 à 1509, cf. K. DALY, Mixing Business with Leisure: Sorne French Royal Notaries and Secretaries and their Histories of France, c.l459-1509, dans Power, Culture and Religion in France c.J350- c.l550, éd. C. T. ALLMAND, Woodbridge, 1989, p. 101. 34 135 f. de 390 x 290 mm.; justif. 250 x 75 mm. (écriture sur 2 col.); quelques réclames; première main: f. 2-76 et 109-135; deuxième main: f. 77-108. Les cahiers ont été intervertis au moment de la reliure et le manuscrit doit se lire ainsi: f. 2-66, 123-135, 109-122,67-108. 35 3 f., 6 à l'origine, les deux premiers ont été coupés, le troisième a été collé sur une feuille de parchemin faisant office de reliure.

À L'ORIGINE DES DOSSIERS POLÉMIQUES

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quelques pièces diplomatiques rédigées pendant les négociations de 1389-1392. Le reste du manuscrit est consacré à la transcription du traité de Brétigny-Calais et de différentes lettres signées par le roi d'Angleterre ou par le roi de France à Calais ou à Boulogne en 1360 au moment de la mise en route des accords prévus. Toutes ces pièces sont précédées de deux tables récapitulatives, l'une pour les actes signés par Edouard III, l'autre pour ceux signés par Jean le Bon. A la fin de ces derniers, on trouve une autre pièce diplomatique importante : le mémorandum de 1369. On notera que la plus grande partie des documents diplomatiques présents dans ce recueil sont les mêmes que ceux transmis par le manuscrit bruxellois de Montreuil. Comme pour ce dernier, rien a priori n'empêche de penser qu'il s'agisse du manuscrit de travail de l'auteur de Pour vraye congnoissance avoir qui aurait confié à deux copistes différents le soin de recopier des séries de pièces diplomatiques. En résumé, dans les trois cas examinés, les dossiers sont joints aux traités dans les manuscrits, mais ils ne jouent pas le même rôle. Dans le cas du Traité compendieux de Juvénal des Ursins, le dossier fait partie intégrante de l'oeuvre et se présente, de manière très moderne, comme un corpus de pièces justificatives sur lesquelles l'auteur appuie son argumentation. Dans le cas du manuscrit bruxellois de Montreuil, manuscrit qui contient son traité A toute la Chevalerie mais aussi le matériel diplomatique à l'origine du Traité contre les Anglais, et dans celui du traité Pour vraye congnoissance avoir, il s'agit en fait d'un matériel de travail resté dans les papiers des auteurs et dont la transmission en compagnie d'un traité de propagande relève probablement du hasard. Quant aux oeuvres elles-mêmes, il faut noter qu'elles émanent de milieux officiels et que leurs auteurs ont eu accès directement aux pièces d'archives, non seulement actes officiels mais aussi documents dont la diffusion a dû être beaucoup plus confidentielle. Cela ne permet pas cependant, pour deux d'entre eux, de savoir avec certitude s'ils répondent à une initiative officielle ou non. Pour évaluer l'importance des démarches privées, une autre piste s'offre à la recherche, l'étude de la transmission de certains traités, témoignage d'un état d'esprit nationaliste pouvant régner dans certains milieux.

c) Recueils rassemblant des oeuvres polémiques ou à simple tonalité anti-anglaise La manière dont nous sont parvenues les autres oeuvres polémiques prises en considération est extrêmement variable. Un traité peut fournir à lui seul le contenu d'un manuscrit ; c'est souvent le cas pour l'oeuvre

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N. PONS

polémico-historique de Noël de Fribois, l'Abrégé des Chroniques (appelé également par son incipit C'est chose profitable) qui a été composé entre 1453 et 146136. Comme son titre l'indique, il s'agit d'une chronique ; elle est destinée « aux roys et princes de France » afin qu'ils modèlent leur conduite sur celle de leurs illustres prédécesseurs37. Cependant, étant donné que cette chronique, qui va de la destruction de Troie au règne de Charles VI, se veut être une exaltation du roi et du royaume de France, elle contient de très nombreuses digressions antianglaises. Elle se présente donc, dans la catégorie des chroniques, comme le type même d'une oeuvre partisane. On en connaît vingt-un manuscrits du xve - début xvre dont onze ne contiennent que C'est chose profitable et deux seulement forment un recueil à caractère partisan : dans l'un l'oeuvre de Fribois est insérée dans tout un dossier sur la guerre franco-anglaise, dossier que nous verrons plus loin ; dans l'autre, C'est chose profitable est suivie d'une oeuvre qui entend justifier les droits des Valois sur le royaume de Naples, un mémoire sur les rois de Sicile composé pour Charles VIII par Jean de Candida à la demande du chancelier Guillaume de Rochefort et traduite peu après par un conseiller au Parlement de Paris, Charles Guillart3s. Par contre, cinq manuscrits se présentent comme des recueils historiographiques car C'est chose profitable est accompagné d'autres chroniques de France, provenant toutes d'ailleurs de Saint-Denis39.

36 Cf. K. DALY, The« Miroir Historia[ Abrégé de France» and« C'est chose profitable»: a study of two !5th cent. texts and their context, D. phil. thesis, Oxford. 1983; ID. Histoire et politique à la fin de la guerre de Cent ans : l'Abrégé des Chroniques de Noël de Fribois. dans La « France anglaise» au Moyen Age, Actes du ]]Je Congrès National des Sociétés Savantes (Poitiers, 1986), Paris, 1988, p. 91-101. 37 Il convient de leur faire . 15 L'apprenti Guillaume Le Maire avait été engagé par Guyot pour

six ans, le 1er juillet 1450 ; à la mort de son patron, il lui restait encore au moins un an à servir. Cf. COUDERC, Fragments, p. 101, 105, no. 6, 8.

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M.-A. ROUSEETR. H. ROUSE

mention, sans prix, d'un (ou peut-être de plusieurs) livre d'heures « écrits et préparés », ce qui peut signifier que ces Heures n'étaient pas encore enluminées ou simplement pas encore reliées. Figure aussi un nombre non spécifié de livres scolaires regroupés comme « les Sept Psaumes de la Pénitence, des ABC, des Donat reliés et non reliés, des Caton, des Théodolet, et autres choses ». Vient ensuite ce qui est appelé « toute la librairie commune sur toutes sciences, qui estaient prisées ... », mais l'estimation de valeur n'est pas indiquée. En outre, l'activité de Guyot en tant qu'enlumineur est attestée par quelques rubriques d'inventaire tel un mortier en marbre pour broyer les pigments évalué à six écus - double du montant que Jean Guymier a payé pour le grand livre d'heures ; aussi, des couleurs pour l'enluminure y compris un spécial « cyan de fine azure » évalué à seize sous parisis ; enfin, ce qui est désigné par les termes « pourtraictures, histoires, vignettes », qui étaient probablement des modèles.

Jean Le Picart Jean Le Picart, libraire et enlumineur, était le beau-frère avec lequel André Le Musnier entra en litige amer à propos de l'héritage de Guyot et Jeannette Le Musnier. En mai 1442, Jean passa un contrat avec la ville de Paris afin d'obtenir la location d'une maison dans le domaine de la Ville, précisément la dixième maison située, en partant de l'île, sur le côté en amont du Pont Notre-Dame. Cependant, Jean ne prit pas possession des lieux et fit au contraire, avec succès, une requête pour être dégagé de cette obligationi6. Ce changement de décision s'explique peut-être par le fait que c'était à cette époque-là qu'il épousa Perrette, la fille de Guyot Le Musnier, et commença à travailler dans les locaux de son beau-père, rue Neuve Notre-Dame. Jean exerçait encore là, et lui aussi que Perrette vivaient là, lorsque Guyot mourut. Peu de temps après, quelque part entre 1450 et 1455, durant le veuvage de Jeannette, Jean Le Picart exécuta une commande pour la duchesse de Bretagne, qui à cette époque était Françoise d'Amboise, l'épouse de Pierre II de Bretagne. Malheureusement, les archives ne fournissent aucune information particulière sur la nature de la commande. En tout cas, le travail fut suffisamment important pour que Jean demande à Jeannette sa belle-mère l'aide de deux de ses apprentis enlumineurs, Simon Harvy et Guillaume Le Maire, pour une période de plus de deux mois. On a suggéré qu'il pouvait y avoir une relation entre cette commande et une rubrique des comptes de Françoise d'Amboise pour l'année 1456, indiquant un paiement de quatre livres, treize sous et quatre deniers, pour la copie de livres qu'elle avait commandés en vue 16

Histoire générale de Paris: comptes, cit. n. 4, 1, p. 265.

LA FAMILLE D'ANDRÉ LE MUSNIER

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de les donner au couvent des Clarisses qu'elle avait fondé à Nantes l'année précédente. La relation de la querelle entre André Le Musnier et son beau-frère Jean Le Picart est parfois si chargée de commentaires narquois et d'allusions sarcastiques qu'il est difficile de démêler le fil direct des événements. Néanmoins, en dépit du style obscur, on peut suivre làdedans l'histoire d'un livre d'heures en cours de fabrication. Nous pouvons remarquer d'abord qu'il s'agit seulement d'uN livre d'heures, sur les quatre ou plus signalés dans la querelle d'héritage (non compris, en outre, les heures « de plus riches et plus beaulx et les plus belles » qu'André proposa d'échanger avyc les seigneurs de Bourgogne). Cette catégorie d'ouvrages représentait le pain quotidien dans le commerce du livre au xve siècle. Le livre d'heures en question passa des mains d'André Le Musnier, par l'intermédiaire de sa soeur Perrette, à Jean Le Picart pour être vendu -tout en restant la propriété d'André. Là-dessus, Jean Le Picart l'enlumina et le mit en vente. Les deux adversaires s'accordent sur ces faits de base,.et les accusations divergentes s'éloignent de cette donnée originelle. Les accusations exprimées par André, bien que comportant un certain illogisme, sont instructives quant à notre propos. Il prétendit que le livre n'avait pas besoin d'être enluminé, et que d'ailleurs lui, André, ne l'avait pas demandé. Ceci implique que lorsqu'André était en possession du manuscrit, celui-ci comportait déjà le minimum requis d'une décoration élémentaire pour un livre d'heures bon marché. En outre, André accusa Jean Le Picart d'avoir ensuite vendu le livre à un prix élevé alors que Jean, tout en prétendant que le prix avait été inférieur, lui avait présenté dans le même temps une facture correspondant aux frais d'enluminure. Nous ne suivrons plus cette argumentation peu édifiante (mais notons que, en fin de compte, André a été obligé de régler la facture). Examinons plutôt l'information qui nous est fournie ici sur des aspects de la production du livre au milieu du xve siècle. D'abord, nous avons ici la preuve on ne peut plus claire que dans les années 1450 le commerce du manuscrit n'était plus exclusivement un commerce sur commande. Le livre d'heures d'André n'avait été commandé par personne, et les enluminures supplémentaires que Jean y exécuta ne furent ajoutées à la demande d'aucun client. Au contraire: les deux hommes ont fait leur travail dans un but de spéculation, en misant sur la venue d'un acheteur éventuel. Ce même système de production par spéculation est implicite dans l'inventaire des livres de Guyot, quand André et Jean partageaient des «heures prestes et escriptes ». On ne peut pas dire, d'après cette expression, s'il s'agit d'un seul livre ou d'un fragment de

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M.-A. ROUSE ET R. H. ROUSE

livre ou bien encore de plusieurs livres d'heures ; mais il va de soi que ces cahiers d'heures laissés par Guyot ne correspondaient à aucune commande. L'autre point à examiner, bien sûr, est la notion «d'atelier». Dans cette histoire-ci nous avons un livre d'heures produit et partiellement décoré par un premier libraire qui - pour des raisons demeurées inconnues - ne le vendait pas ou ne pouvait pas le vendre, ceci peutêtre à cause de l'insuffisance du décor. Ne cherchant pas à investir luimême davantage de temps ou d'effort, il le remet à un autre libraire de sa famille (n'habitant pas le même domicile) pour en compléter la décoration et ensuite le vendre. On ne peut pas évoquer un tel mode de production avec le terme «atelier». Nous pouvons à juste titre le qualifier de production «séquentielle» ou peut-être «production évolutionaire ».Le phénomène se rapproche de celui qui se manifestera quelques années plus tard au moment de la préparation du livre imprimé pour la vente : un libraire qui recevait des mains de l'imprimeur une simple copie pouvait « l'habiller » d'une décoration enluminée -en particulier un frontispice- et ceci pas nécessairement à la demande d'un client mais uniquement à titre de spéculation afin de faire du livre un objet mieux vendablel7. Au centre de la querelle entre les héritiers de Guyot et de Jeannette Le Musnier, il y avait le problème de la possession de l'emplacement même, de la boutique sise rue Neuve, avec son habitation d'en haut. Jean Le Picart, après avoir remporté quelques escarmouches, laissa inévitablement cet objectif central au fils de la maison, André Le Musnier. On constate d'ailleurs que dans l'état des revenus pour l'année 1455-1456 Jean et Perrette louèrent à la Ville la même habitation sur le Pont Notre-Dame que Jean avait refusée dix ans auparavantls. Le Pont Notre-Dame était devenu en ce milieu de siècle, et avant déjà, une importante concentration de logements réservés aux commerçants du livre. La boutique louée par Jean et Perrette se trouvait, en fait, directement à l'opposé de celle qu'André était obligé de louer pendant plusieurs années à l'époque où Jean était établi dans le logement familial d'André ; bien sûr que cette ironie aurait fait plaisir à André Le Musnier. Jean Le Picart et Perrette louèrent cette habitation seulement pendant deux ans, probablement jusqu'à ce qu'ils trouvent mieux. Mais on les perd de vue à partir de ce moment-là. Dans le dossier d'André Le Musnier il existe une autre rubrique que l'on est quelque peu tenté de mettre en relation avec ses démêlés 17 Cf. R.-H. et M.-A. ROUSE, Cartolai, Illuminators, and Printers in Fifteenth-Century ltaly, Los Angeles, 1988. 18 Histoire générale de Paris: comptes, l, p. 314, 850,906,927.

LA FAMILLE D'ANDRÉ LE MUSNIER

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familiaux. En 1465, André, accusé d'avoir violemment battu un autre libraire, comparut devant les juges du prévôt au Châtelet. L'inculpé requit avec succès que le procès soit transféré devant un tribunal relevant de l'Universitéi9. L'autre libraire n'est pas nommé, le verdict du jugement n'est pas connu, et aucune allusion n'est faite à la cause du conflit ; mais étant donné le lourd contentieux qui existait depuis des années entre André Le Musnier et son beau-frère, il n'est pas inconsidéré de suggérer le nom de Jean Le Picart comme plaignant dans cette affaire. En dernier lieu, signalons qu'en 1511, il y avait un imprimeur nommé Guillaume Musnier établi sur l'Ile dans la Juiverie2o, c'est-à-dire juste à côté de l'ancienne maison d'André. Il s'agit à n'en pas douter de quelqu'un de sa parenté.

!9 Ch. SAMARAN et al., Chartularium Universitatis Parisiensis: Auctarium, III, col. 58-59. 20 Paris, A. N., z2 3283, f. 162v; à distinguer du Guillaume Musnier provenant de Thyers

qui était apprenti de l'imprimeur parisien Ponce! Le Preux, le 19 mai 1540.

UN DICTIONNAIRE INCUNABLE : LE VOCABULARIUS FAMILIARIS DE GUILLAUME LE TALLEUR* Brian MERRILEES et William EDWARDS (University ofToronto)

Le Vocabularius familiaris est un dictionnaire latin-français du Moyen Age tardif, un des derniers maillons de la longue chaîne de transmission lexicographique qui comprend les ouvrages de Papias, Osbern de Gloucester, Hugutio de Pise, Brito, Jean Balbi de Gênes et de leurs successeurs. Imprimé à Rouen vers 1490 par Guillaume Le Talleur et réimprimé en 1500 par Martin Morin, successeur de Le Taileur, le Vocabularius familiaris a pour source immédiate un autre lexique bilingue, le Dictionarius de Firmin Le Ver, prieur du couvent des Chartreux de Saint-Honoré de Thuison, près d'Abbeville!. La seule version de ce Dictionarius qui nous reste est aujourd'hui à la Bibliothèque nationale sous la cote nouvelle acquisition française 1120 qui, d'après son auteur, fut compilé entre 1420 et 14402. L'écart entre le DLV et le VF est donc celui qui sépare le manuscrit et l'imprimé. Pour la lexicographie l'imprimerie ne constitue pas nécessairement au début un pas en avant, mais le Dictionarius de Le Ver et le Vocabularius de Le Talleur représentent des étapes importantes dans cette période de transition entre la fin du Moyen Age et le début de la Renaissance et ce sera notre tâche d'examiner les éléments retenus et les éléments qui disparaîtront dans cette transition. Notre comparaison portera sur l'organisation de la matière dans les deux dictionnaires, la disposition des textes sur la page, et le statut du français dans chacun3. * La recherche pour cet article a été subventionnée par le Conseil de Recherches en Sciences Humaines du Canada. 1 Nous avons examiné le Vocabularius dans l'édition de Le Talleur conservée à la Bibliothèque nationale à Paris sous la cote X.158 et dans l'édition de Martin Morin, X.159. Nous sommes redevables à M. Dominique Coq qui nous a signalé ces éditions. 2 >(Paris, B. N., n. a. fr. 1120, f. 467ra). 3 Voir aussi B. MERRILEES, Prolegomena to a history of French lexicography: the development of the dictionary in medieval France, dans Romance Languages Annual, 1 (1990), p. 285-291; ID., The Organization of the Medieval Dictionary, dans Romance Languages

390 1.0

B. MERRILEES ET W. EDWARDS

Le Vocabularius familiaris de Guillaume Le Talleur et le Dictionarius de Firmin Le Ver

Le Vocabularius familiaris de Le Talleur est, selon Pierre Le Verdier qui a décrit la vie et le travail de celui que l'on croit avoir été le premier imprimeur rouennais,« un dictionnaire latin-français compilé à l'aide de plusieurs autres: celui qu'avait composé Jean Balbi de Gênes, vulgairement appelé le Catholicon, un autre qui a pour auteur le Lombard Papias, enfin celui du grammairien Hugutio ou Uguccione et plusieurs autres». C'est aussi, dit-il, «une des oeuvres les plus remarquables de Le Talleur. Ce cohsidérable volume se distingue par la beauté et la netteté du caractère, l'habileté et la difficulté de la typographie, la correction d'une composition pourtant très difficile, même la qualité supérieure du papier »4. Dans son livre Le Verdier confond le Vocabularius avec un autre dérivé bilingue du Catholicon de Jean de Gênes, le Catholicon abbreviatum, dont il cite deux éditions, mais il reconnaît pourtant que le Vocabularius de Martin Morin contient essentiellement le même texte ; il est également possible que Morin, qui succéda à Le Talleur en 1491, fût responsable de la première édition attribuée au maître Le Talleurs. Le Verdier note aussi des liens Annual, 3 (1992.), p. 78-83; ID., Métalexicographie médiévale: la Jonction de la métalangue dans un dictionnaire bilingue du moyen âge, dans Archivum Latinitatis Medii Aevi (Bulletin Du Cange), 50 (1991), p. 33-70. 4 L'Atelier de Guillaume Le Talle ur, premier imprimeur rouennais : histoire et bibliographie, Rouen, 1916, p. 120-123. 5 Pour le Catholicon abbreviatum voir M. LINDEMANN, Le Vocabularius nebrissensis latinfrançais et les débuts de la lexicographie française, dans A. DEES, éd. Actes du JVe Colloque international sur le Moyen Français, Amsterdam, 1985, p. 55-85. Mme Lindemann divise les éditions du Catholicon abbreviatum en deux groupes selon le dernier lemme du texte, premièrement (ibid., 1, no 535). 6 Le système bolognais des puncta taxata est attesté aussi bîen à Toulouse (ibid., I, no 535, no 545, cap. 32, no 558, cap. 6) qu'à Montpellier (ibid., II, no 947, cap. Il, no 953).

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contenu de ce cahier ; il devait avant tout lire et commenter le livre étudié, à un débit normal?. Ceci impliquait, évidemment, que ses auditeurs possédaient euxmêmes un exemplaire également glosé de ce livre. Ils devaient se contenter de suivre la lecture du maître en essayant de mémoriser ses explications verbales. Ils ne devaient, en théorie, prendre la plume que pour corriger une faute de leur exemplaire ou noter une glose supplémentaire indiquée par le maître. En pratique, il devait en aller souvent autrement et, dans les universités du Midi comme ailleurs, beaucoup d'étudiants réclamaient périodiquement un commentaire dicté ad pennams. Cette demande devait émaner soit d'étudiants dépourvus de livres (ou, du moins, de livres complets), soit d'étudiants pour qui l'effort de mémorisation exigé paraissait trop difficile. Il n'est guère possible de savoir dans quelle mesure certains régents acceptaient de la satisfaire. Maîtres et étudiants ne se contentaient pas d'apporter (ou, pour les plus aisés, de faire apporter par un serviteur) leurs livres aux lectures publiques. Ils s'en servaient aussi pour leur travail personnel, à la maison. L'idéal était d'ailleurs que celle-ci comportât un bureau (camera studii). Il me paraît très vraisemblable que tous les enseignants, bacheliers ou docteurs, amenés à préparer des lectures ou des disputes, possédaient effectivement des livres sur lesquels ils travaillaient, même si par ailleurs, comme nous le verrons, ils pouvaient aussi recourir au service de bibliothèques« publiques». Lors des examens on vérifiait d'ailleurs parfois que les candidats (et futurs enseignants) possédaient bien les livres indispensables9. Pour les étudiants, tous n'avaient sans doute pas de livres à titre personnel, on y reviendra. Du moins, était-ce vivement recommandé. Un petit De modo studendi sans doute rédigé en 1398 par un professeur de Lerida mais utilisé à Toulouse, et aujourd'hui conservé dans un manuscrit de cette ville, donne à ce propos d'intéressants conseilsJO. L'auteur y explique que les étudiants devraient se préparer au cours du lendemain en lisant par avance le texte qui y serait« lu», avec sa glose, afin 7 Cf., par ex., ibid., l, no 670, cap. Il. 8 Cf., par ex., ibid., Il, no 947, cap. Il, no 960. 9 Voir, par ex., ibid., l, no 558, cap. 4, ibid., Il, no• 910, 1061. JO Ms. Toulouse, B. M. 377, f. 11-12; texte édité dans M. FOURNIER, Une règle de travail et de conduite pour les étudiants en droit au XJVe siècle, publiée à l'occasion du sixième centenaire de l'université de Montpellier, dans Revue internationale de l'enseignement, 19 (1890), p. 518-524. Des conseils analogues figurent, toujours à Toulouse, dans les statuts des collèges de Verdale (1337, FOURNIER, l, no 593, cap. 21) et de Foix (1457, ibid., l, no 840, cap. 72).

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de mieux tirer profit des explications verbales du professeur. Puis, après la leçon, une fois revenu chez soi, il fallait à nouveau relire le texte pour bien s'en pénétrer, maintenant que toutes les difficultés en avaient été éclaircies. Notons que notre De modo studendi ne conseille aucun exercice écrit mais qu'il recommande de pratiquer la lecture à voix haute et, pour aider la mémoire visuelle, de toujours utiliser le même manuscrit ; il déconseille en revanche l'usage de drogues censées favoriser la mémoire ! A ce témoignage, on pourrait ajouter celui de nombreux actes de la pratique, par exemple cette plainte portée en 1410 par des étudiants montpelliérains contre un cordier qui habitait au rez-de-chaussée de leur maison et dont le vacarme de l'atelier les gênait dans leur travail personnel II. L'accès au livre

Venons-en maintenant au coeur de notre sujet. Si dans les universités de la France du Midi, comme dans les autres d'ailleurs, le recours aux livres était jugé indispensable, comment, en pratique, maîtres et étudiants y avaient-ils accès? Disons tout de suite que, s'il est peu vraisemblable qu'il y ait eu des professeurs sans livre -je n'en ai relevé, en tout cas, aucune attestation-, il est certain qu'il y avait des étudiants qui se trouvaient, au moins provisoirement, dans cette situation défavorable. Et les contemporains savaient bien à quel point le problème des livres était crucial et leur absence préjudiciable à la bonne réussite des études. Nous avons ainsi les pièces d'un procès poursuivi de 1409 à 1423 par un ancien étudiant de Toulouse, Jean de Roaix, contre ses frères aînés et anciens tuteurs, Bernard et Castelnau de Roaix. Ce rejeton d'une vieille famille du patriciat toulousain accusait ses frères de ne lui avoir jamais fourni, malgré les dispositions du testament paternel, les livres et les alimenta qui lui auraient été nécessaires pour mener à bien ses études ; il avait été, à l'en croire, un fort brillant élève dans les écoles d'arts mais, entré à la faculté de droit civil en 1401, il avait dû abandonner au bout de deux ans faute d'avoir eu les livres indispensables, c'est-à-dire les cinq volumes du Corpus iuris civilis et la Somme d'Azzon, à quoi il eut d'ailleurs fallu ajouter ultérieurement les « lectures », c'est-à-dire les commentaires, de quelques docteurs modernes de Bologne ou de Toulouse ; il évalue à 150 francs la valeur des ouvrages que ses frères lui ont refusés et intègre cette somme à l'indemnité globale de 1000 écus qu'il leur réclame, à titres de dommages et II

Montpellier, Arch. dép. de l'Hérault (désormais A.D.H.), II E 95/419, f. 90v-93.

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intérêts, pour toutes les spoliations dont il dit avoir été victime depuis la mort de son père12. Moins scrupuleux ou plus industrieux que le nôtre, d'autres étudiants auraient sans doute réussi, malgré ce handicap, à pousser plus loin leurs études, mais il est sûr que le manque de livres a dû être un des principaux facteurs d'échec, qui explique ce taux élevé d'élimination des étudiants débutants que l'on observe dans toutes les universités médiévalesB. Etant donné le prix élevé des livres, dont nous reparlerons, certains étudiants pouvaient être tentés ou même contraints, sous la pression du besoin, de s'en défaire en cours d'études. A Avignon, les statuts du collège d'Annecy interdisaient aux étudiants de vendre leurs livres avant la fin de leurs études14. Les exemples sont nombreux, révélés par les actes notariés, de livres mis en gage ou saisis par des créanciers d'étudiants1s. L'Université elle-même avait la possibilité de saisir les livres d'étudiants n'ayant pas acquitté les droits universitairesi6. Un des aspects classiques, et classiquement condamné, du bizutage des « béjaunes » consistait à leur confisquer leurs livres et à ne les leur restituer qu'après paiement d'une amende 17 • Bref, de nombreuses raisons pouvaient faire qu'un étudiant se retrouvât, provisoirement ou définitivement, privé de tout ou partie de ses livres. Venons-en cependant au cas pour nous le plus intéressant, et qui devait malgré tout être le plus fréquent, celui des étudiants et des maîtres ayant eu des livres. Ces bibliothèques personnelles ne sont pas faciles à connaître. Beaucoup d'actes (ventes, achats, copies) ne portent que sur des livres isolés. Même les testaments sont souvent imprécis. Tel lègue « tous ses 12 Toulouse, Arch. dép. de la Haute-Garonne (désormais A.D.H.G.), 6 J 164 (Archives du château de Pinsaguel), f. 207-237v et 240v-26lv. 13 Sur ce problème de la sélectivité des études dans les universités médiévales, je me permets de renvoyer à J. VERGER, Prosopographie et cursus universitaires, dans Medieval Lives and the Historian. Studies in Medieval Prosopography, éd. par N. BULST et J.-Ph. GENET, Kalamazoo, 1986, p. 313-332 (spéc. p. 314-316). 14 FOURNIER, II, no 1339, cap. 33 (statuts de 1447). 15 Par ex., un bachelier ès-arts du diocèse de Clermont, étudiant à Montpellier, emprunte 10 francs à un prêtre et lui remet en gage son Décret (13 janvier 1375- A.D.H., II E 95/478, f. 173v-174) ; un notaire de Pezenas, qui détenait, avec divers vêtements, deux livres de médecine (Viaticus, Egidius) déposés chez lui par un bachelier en médecine de Montpellier, se voit réclamer ces gages par l'héritière du dit bachelier (19 février 1414- A.D.H., II E 95/437, f. 44); un étudiant ès-lois de Toulouse dépose un Digeste neuf en gage chez un Juif contre un prêt de 8 francs (7 mai 1361- A.D.H.G., E 7411, f. 150v), etc .. 16 Cf., par ex., FOURNIER, 1, no 544, cap. 30. 17 La captio librorum des béjaunes est, par ex., attestée à Avignon au milieu du xve siècle; on interdit alors d'en menacer les plus pauvres (ibid., Il, no 1344).

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livres », sans autre prec1s10n, à son fils ou son neveu, tel autre au contraire tel ou tel volume particulier, ce qui ne nous dit rien du reste de sa bibliothèque1s. Même les inventaires apparemment complets établis après saisie ou décès ne contiennent pas toutes les indications souhaitables. Ils décrivent rarement le contenu détaillé des volumes où des oeuvres diverses pouvaient être reliées ensemble ; ils ne signalent pas toujours ceux qui n'offraient en réalité à leurs possesseurs que des textes incomplets ou incorrects. On peut enfin soupçonner que certains notaires ont omis d'inventorier (sinon de façon très sommaire) des manuscrits qu'ils jugeaient sans valeur : petits cahiers personnels, « questions » dépareillées, souvent non reliées, textes en langue vulgaire, etc. De tout ce que je viens de dire, il ressort évidemment que ce sont les bibliothèques personnelles des étudiants, certainement les plus modestes et les plus fragiles, qui sont les plus difficiles à saisir. Elles ne devaient souvent contenir que six ou sept livres, parfois même moins, au mieux une quinzaine19, Pour l'essentiel, on trouvait dans ces petites bibliothèques de travail trois types principaux d'ouvrages. D'une part, les ~~ autorités » qui constituaient la base de l'enseignement (la Bible, les Livres des Sentences et surtout, ici, les divers volumes du Corpus iuris civilis et du Corpus iuris canonici) ; l'idéal était d'avoir un volume pourvu de la glose ordinaire et d'un « apparat » classique, mais ce n'était pas toujours le cas ; certains se contentaient même de florilèges et abrégés divers. Ensuite venaient les manuels, « lectures » et summœ les plus courants ; par exemple, le mémoire déjà cité de Jean de Roaix explique qu'à Toulouse la Somme d'Azzon était considérée, dès la première année d'études, comme le complément indispensable des cinq volumes du Corpus iuris civilis et qu'ensuite, une fois passé le baccalauréat, il était nécessaire d'avoir accès aux lecturœ de Jean Faure et Jacques Chamalros sur les Institutes, de Bartole, Cino de Pistoia, 18 Par ex., le 17 août 1418, un étudiant en médecine portugais de Montpellier fait son testament et charge simplement son socius ùe vendre omnes libri mei (A.D.H., II E 95/451, f. 132-133) ; en revanche, le 26 octobre 1433, un autre étudiant en médecine ne lègue nommément qu'un seul livre, une Practica de Gérard de Solo (A.D.H., IlE 95/533, f. 26-27), mais peut-on affirmer qu'il n'en possédait pas d'autres, récupérés par les héritiers principaux ? 19 Quelques exemples : le 24 août 1408, les exécuteurs testamentaires d'un bachelier en décret de Toulouse répartissent ses quatre livres (Code, Digeste vieux, Statuta, Réportations sur le Sexte) (A.D.H.G., E 1573, f. 66v); l'inventaire après décès de Pierre de Columbis, du collège de l'Etude à Toulouse cite dix livres (les cinq volumes du Corpus iuris civilis et cinq autres livres de droit) et même un lnfortiat qu'il tient en gage (11-12 septembre 1426- A.D.H.G., E 4395, f. 343-343bis et 366-366v); en revanche, en octobre 1441, un collégial du collège de Pampelune, quoiqu'aisé, ne mentionne dans son testament que deux livres (un Bréviaire et une Summa Hostiensis A.D.H.G., E 6144, f. 129); l'inventaire après décès de Guillaume de Curtili, recteur du collège d'Annecy à Avignon, montre que celui-ci avait dans sa chambre 14 volumes, tous de droit civil ou canonique (26 août 1435 - FOURNIER, Il, no 1316), etc.

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1. VERGER

Jacques Butrigario et Guillaume de Cunh sur les autres volumes du Corpus2o. Enfin, il y avait, maniables, utiles et sans doute peu coûteux, des recueils plus ou moins informes de questions disputées et de casus dus à des maîtres ou des bacheliers récents ou contemporains ; ces recueils circulaient parmi les étudiants, sous la supervision plus ou moins effective de l'université. On peut en donner un exemple avec le manuscrit Vatican latin 2642 bien étudié par Gérard Giordanengo : il s'agit d'un recueil d'une dizaine de questions juridiques disputées à A vignon dans la première moitié du XIVe siècle et réunies à son usage personnel par un étudiant de cette même ville2I. Les bibliothèques des professeurs étaient en moyenne plus importantes et plus stables. Elles représentaient en effet pour leurs possesseurs à la fois un instrument de travail indispensable, dans certains cas au moins un instrument de culture personnelle allant au-delà des stricts besoins de l'enseignement, un élément enfin de patrimoine et de standing social. En essayant de soustraire leurs livres aux évaluations des « estimes » mobilières, maîtres et docteurs manifestaient bien la signification qu'ils attachaient à leur possession : c'était des biens de prix, c'était en même temps des supports du savoir qui participaient en quelque manière de la dignité de l'enseignement et devaient donc bénéficier des privilèges et immunités traditionnellement associés à celui-ci22. Les bibliothèques professorales n'en étaient pas moins assez diverses par leur taille et leur composition. Celles de trois professeurs à peu près contemporains de l'université d'Avignon nous permettront d'esquisser une typologie. La première est celle de Louis de Frassenges, docteur en décret et doyen de la collégiale Saint-Pierre de cette ville ; telle du moins qu'elle apparaît dans son testament du 10 octobre 1466 (mais peut-être a-t-il disposé autrement d'autres ouvrages), elle ne comptait que douze volumes23 : son Missel et onze volumes de droit canonique, à savoir le Corpus iuris canonici et ses commentaires les plus classiques (Innocent IV, Hostiensis, Guy de Baysio, Guillaume Durand, Jean d'André) ; autrement dit, il s'agissait, pour cet ancien régent, d'une bibliothèque strictement professionnelle. 20 Cf. supra, n. 12, f. 211 v et 213v. 21 G. G!ORDANENGO,

Note sur un manuscrit juridique du Midi de

la

France

(Vat. Lat. 2642), dans Revue historique de droit français et étranger, 4e s., 49 (1971), p. 95-97. 22 Ainsi, en 1449, à l'occasion d'un procès au Parlement de Toulouse entre les consuls de Montpellier et certains gradués en droit de cette ville, ceux-ci se plaignirent de ce que > est indiqué à l'endroit où la pièce se présente dans ce recueil (p. 90). 4 Le Trosne d'Honneur se trouve tout seul dans le ms. Bruxelles, B. R. Il 2604 (fin xve) et dans le ms. Paris, B. N., n. a. fr. 21532 (fin xve). Il fait partie d'une anthologie, le ms. Bruxelles, B. R. 21521-531 (XVe) aux folios 202r-207v. Le titre précède l'oeuvre dans une de ses versions (B. R. 21521-531, f. 202r) mais il manque dans une deuxième (B. R. II 2604, f. Ir). 5 Ms. Paris, B. N., n. a. fr. 21532, f. 2r. 6 Le fait que l'auteur lui-même a probablement fait compiler une collection manuscrite de ses oeuvres au début du xvre s. (le ms. Tournai, Bibl. comm. 105, aujourd'hui perdu), dans laquelle son identité est bien indiquée explique que le nom du poète ainsi que Je titre de l'oeuvre sont indiqués dans les quatre manuscrits existants de ce même siècle, dont trois ne contiennent que les oeuvres de Molinet. Les trois autres versions manuscrites (Arras, B. M. 692, datant de ca. 1520, Paris, B. N., coll. Rothschild 471, datant de ca. 1526 et fr. 12490, datant du XVJe s.) et la seule édition existante posthume (Les Faictz et Dictz de feu de bonne memoire Maistre Jehan Molinet [Paris: pour Jean Longis, 1531]) sont plus tardifs. Cf. DuPIRE, Edition critique, p. 12-13, 30, 41, 67, 90. Pour des conclusions similaires à propos du Temple de Mars de Molinet, cf. mon article, Du manuscrit à l'imprimé en France : le cas des Grands Rhétoriqueurs, dans Les Grands Rhétoriqueurs, Actes du ve Colloque International sur le Moyen Français (Milan, 6-8 mai, 1985), Milano, 1985, I, p. 104-112. 7 La voix du narrateur n'existe que pour servir de témoin à la mort, au deuil et à la glorification du , autrement dit Philippe le Bon, et pour décrire l'action et annoncer les discours de Noblesse, Vertu et Honneur. Ce personnage fictif, qui fait penser à Molinet, car il se désigne comme acteur, disparaît à partir du moment où Dame Noblesse, l'une des protagonistes du récit allégorique, entre en scène. Toutes les citations se réfèrent au Trosne

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Ce n'est qu'à la frontière du songe vers la fin de l'oeuvre que les commentaires du narrateur acquièrent une certaine autorité. Mais cette autorité est fragmentée : à la différence du narrateur-témoin du récit, le narrateur dans cet espace textuel joue le rôle d'un scribe-chroniqueur qui, en se rappelant et en rédigeant l'action témoignée, s'approche de la voix de l'auteur qui allait devenir chroniqueur officiel de la cour de Bourgogne huit ans plus tard. La signature en calembour de Molinet dans l'avant-dernière strophe le confirmes. Dans les derniers vers du Trosne d'Honneur, la voix du locuteur, ni tout à fait narrateur-rêveur, ni narrateur-témoin, ni chroniqueur-scribe, car il se place totalement à l'extérieur du cadre narratif, se décrit comme le donneur de« l'ouvrage» dans une scène qui rappelle celle de nombreuses miniatures de dédicace de l'époque où le poète s'agenouille devant son mécène en lui offrant son livre : A toy, duc resplendissant, Mon ouvrage je presente, Ou ton pere tres puissant A gloire tres exellente (vv. 47-50).

Comme à la cour, le protecteur, celui qui est mort et son successeur, domine le récit, et le poète, qui avait souvent un statut précaire, reste à l'extérieur9. Cette configuration révèle de même que l'auteur, sous ses multiples formes fictionnalisées, n'existait que par rapport à son mécène. L'écrivain attire très peu l'attention sur son entreprise artistique, qui ne constituait après tout qu'un moyen vers une fin bien plus importante. On comprend donc que ce système de mécénat était assez fermé, car le commanditaire de l'entreprise poétique servait aussi de destinataire ; celui-ci et son entourage lisaient l'oeuvre qui les louait. Molinet a exprimé néanmoins sa conscience de l'importance de son rôle en suggérant qu'il est le « guerdonneur » de l'honneur de son protecteur (v. 52). De plus sa signature en calembour souligne la volonté d'associer son nom à ses écrits : Du vent tel que Dieu donna Au limeur de gros limage, Mon gros molinet tourna Et rima ce gros rimage (vv. 40-43).

Cette marque est particulièrement critique dans les manuscrits dont les rubriques omettent d'identifier l'auteur et elle nous rappelle que c'était d'Honneur, reproduit dans les Faictz et Dictz de Jean Molinet, éd. N. DUPIRE, Paris, 1936, I, p. 36-58. 8 Voir ci-dessous. 9 Parfois, il joue le rôle d'un conseiller qui montre à son protecteur le chemin de la vertu : > ; c'est la création du poète qui l'est aussi. Le système linguistique et rimique compliqué, qui se base sur les mots > et >, détourne l'attention du lecteur du sens premier des mots vers leur effet sonore >.

POÈTES, MÉCÈNES ET IMPRIMEURS

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Ainsi, la superposition de deux discours, celui au nom du nouveauné, dont la gloire est étalée, et celui au nom du poète, qui met en relief son propre métier, rend possible la coexistence de deux niveaux d'autorité, ce qui est confirmé par la publicité paratextuelle symétrique dans la première édition de la Naissance. Cette configuration marque donc un changement significatif dans le rôle socio-politique de l'écrivain depuis la composition du Trosne d'Honneur trente ans auparavant. Au lieu d'accepter sa position marginale tant dans la maison royale que dans le texte propagandiste, l'écrivain a pris contrôle de la publication de son écrit et y a affiché sa propre marque et ses propres qualités. En effet, le talent de l'auteur qui manipulait ces mots pour invoquer et célébrer le monument politique décrit lui donnait une certaine prise sur son protecteur qui dépendait de lui, sorte de contre-poids au pouvoir que les puissants détenaient vis-à-vis de leurs sujets. De plus, à la différence du Trosne d'Honneur, aucun songe ne déclenche l'action de la Naissance ; le lecteur ne trouve ni système allégorique ni voix narrative fragmentée non plus. Ce refus de la part de Molinet de fictionnaliser son texte rend le lecteur bien plus conscient du vrai auteur historique. Ceci se concrétise dans la façon dont l'auteur a signé ses oeuvres à partir de 149319. Dans le Trosne d'Honneur le contraste entre l'attention accordée au nom de Philippe et la place accordée à celui du poète est bien évident. Chaque lettre du nom du duc décédé, Philippus, illumine en quelque sorte chacun des neuf cieux par lesquels il faut passer pour parvenir au « trosne d'onneur » et constitue l'initiale du nom de la vertu allégorisée associée à chaque ciel2o. Ainsi le nom du mécène génère en quelque sorte le texte. Par contre, le nom du poète se situe en marge de la narration sous forme métaphorique à la fin de l'oeuvre. Ce contraste ainsi que le sens double de molinet reflètent l'ambiguïté fondamentale chez l'auteur qui écrit pour « un Autre idéalisé »21 tout en étant conscient de sa propre identité et de son rôle. La signature de Molinet à la fin de la Naissance ne se fait plus uniquement sous forme métaphorique comme dans le Trosne d'Honneur. Rappelons-nous les vers dans ce dernier poème où le poète dit : Mon gros molinet tourna Et rima ce gros rimage (vv. 42-43).

19 Cf. BROWN, L'Eveil d'une nouvelle conscience, cit. n. 13, p. 25-26, pour des renseignements précis. 20 P=Prudence, H=Hardiesse, !=Instruction chevalereuse, L=Largesse, )=Justice, P=Pité, P=Povreté d'esperit, V=Verité, S=Singularité de grace. 21 J'emprunte cette expression de J. STAROBINSKI, Les Mots sous les mots, Paris, 1971, p. 17.

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L'écrivain, en signant l'oeuvre d'une manière ludique, se fragmente en un sujet décrit à la troisième personne, le meunier, et un objet grammatical et concret, un petit moulin. Mais dans la Naissance Molinet se présente, sans se fragmenter, comme le sujet de l'action, et, en se qualifiant de « humble », comme un sujet humanisé aussi : Or laons Dieu et sy le benissons, Esjoïssons nous de ce temps prospere, Au pere et filz, de coeur, obeyssons ; Chantons, rions, ne plourons, ne crions, Mais Dieu prions qu'enfin sa gloire appere Aufilz, au pere, a la fille, a la mere, Et sans amere orge ait en son van net Grain et bon vent vostre humble Molinet (vv. 177-184).

En effet, toutes les oeuvres signées de Molinet pendant la dernière décennie de sa vie se caractérisent par une signature de plus en plus opaque22. En outre, là où l'édition de Valenciennes imprime son nom avec un «rn» minuscule, l'édition de Lyon, celle qui publie l'image de l'auteur sur la page de titre, présente le dernier mot du texte comme un nom propre avec un « M » majuscule, insistant d'autant plus sur l'écrivain et son identité (FIGURE 13)23. Cette modification marque aussi une conscience chez l'imprimeur d'un nouveau public plus étendu mais moins sophistiqué que celui de la cour, qui ne connaissait peut-être pas encore Molinet ou qui ne cherchait pas à décoder des noms sous forme de jeu. On découvre des changements encore plus intéressants concernant la signature et sa relation avec le nom du mécène dans le cas d'André de La Vigne. La présence de l'acrostiche de CHARLES DE vALOIS dans sa Ressource de la Chrestienté dérive certainement d'une décision de la part de l'auteur, qui cherchait à obtenir une situation auprès du roi Charles VIII en écrivant une oeuvre qui soutenait sa politique agressive envers l'Italie en 149424. L'acrostiche génère le discours de la figure allégorique Magesté Royalle, l'alter ego fictif du roi. Ainsi le nom du patron futur de La Vigne engendrait une liste de ses propres vertus, amenant le lecteur (= Charles et son entourage) « de son nom vertical à son renom horizontal »25 :

22Cf.n.l9. 23 On remarque d'autres modifications dans la dernière strophe de l'édition de Lyon : 178, . 24 Pour des détails, cf. ANDRÉ DE LA VIGNE, La Ressource de la Chrestienté, éd. C. J. BROWN, Montréal, 1989. Toutes les citations de cette oeuvre se trouvent, sauf indication contraire, dans cette édition. 25 J'emprunte cette expression à F. RIGOLOT, Poétique et onomastique, Genève, 1977, p. 31.

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C ris douloureux, maleurex pleurs et plains, Horreur de crisme, sisme par monts, par plains, AR dantfumee, nuee mortif.fere, L ieux ruynez, bruynez d'inhumains, E ntreprinses prinses sur les humains, S ang respandu, perdu par pestif.fere DE vostz preudons qui par dons mort confere, VA illans pyons pour champyons deffere, L angueur, rigueur, douleur, affliction, 0 rdre oppressee, pressee d'ympaifaire, 1 eunes marchans mes chans du tout paifaire, S ont digne a voir, d'avoir compassion. S eigneur d'onneur qui en bruyt et haultesse 1 nstituer veult sa haulte noblesse, LO nguement estre de louenge auctentique, A voir doibt l'ueil sur ses subgectz qu'on blesse, Voir en pitié estrangiers c'on abbesse, DEsirant estre leur secours princif.fique, S ervir commune, maintenir bien publique, LE droit garder de la foy catholique, R abaisser haynne, ire et discencion, A ymer son Dieu et sa loy magnif.fique Humblement, puys de guerre terrif.fique, C ommant que soit avoir compassion. C ueurs femenins, S urprins d'impascïence, H ideux souspirs, 1 njurïeuse offence, AR mes hausteres, LO nguement exploitees, VA illans gens en souffrance, L oyaulx pugnis, DE biens et de chevance, E nffans destruys S erves fille tes S implement .acoustrees, DE sroy commys En pays et contrees, VA ssaulx perdus, L oix du tout penetrees, Lait et ort sort, R ude destruction, 0 rphenins faitz A trop grans coups d'espees, 1 ardinetz netz, Horreurs desmesurees, Sont rudesses ou C hiet compassion. CHant douloureux DE glise consacree, Aigres exploix, VAillance mal ancree, R is esplourez, L ermes d'oppression, L ongues tenebres, 0 rdre persüadee, Enormes faitz, 1 ustice mal gardee, Sont rudesses Sentant compassion (vv. 678-719).

Dans le deuxième discours de Magesté Royalle, un acrostiche bien plus compliqué engendre une prière au nom du roi : CHARLES HUITIESME ET DERNIER DE CE NOM PAR LA GRACE DE DIEU ROY DE FRANCE A QUI DOINT BONNE VIE ET LONGUE ET PARADIS A LA FIN (vv. 1364-1445). Ces acros-

tiches sont enluminés dans les deux versions manuscrites de la Ressource de la Chrestienté de sorte que l'oeil du lecteur reconstruit le texte vertical avant de lire le texte horizontal.

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Par contraste, l'association de l'auteur avec son texte, concrétisée par sa signature, se fait de façon bien plus sobre. Comme Molinet, ce n'est qu'à la fin de l'oeuvre que La Vigne s'identifie par un jeu de mots sur son nom et son art poétique. Exploitant les liens traditionnels entre la production poétique et les fruits des labeurs d'un jardinier, La Vigne crée ses vers, son« fruyt de la vigne», après un travail d'entement: Et pour conclure, je vous pry treschier sire Que le traicté vous plaise avoir en grace, Quoy que n'y soit la scïence Porphire, Ne la prudence de Virgille ou Bocace. Se mon engin eust plus grant efficace, J'eusse trop mieulx labouré et enté La Ressource de la Chrestïenté, Qui a vous, sire, de presenter n'est digne, Ne plus ne mains que lefruyt De la vigne (vv. 1461-69).

Ces derniers mots du poème fonctionnent comme signature de l'auteur26, tout en restant une partie intégrale du sens du texte. Le nom du futur protecteur est enluminé dans le manuscrit, mais celui du poète ne l'est pas. Ainsi donc, la disposition des noms dans les versions manuscrites de la Ressource se caractérise par une concentration plus développée sur le nom du mécène que sur le nom de l'auteur du texte, ce qui imite la disposition des personnes dans la miniature de dédicace d'un des manuscrits (Paris, Bibliothèque nationale, français 1687), où le poète, agenouillé devant son protecteur futur, est dépeint comme une figure secondairen. Dans les versions imprimées de la Ressource, qui datent de la même période que l'édition de la Naissance de Molinet, c'est-à-dire vers 1500, le nom de Charles VIII est mis en relief et sur la page de titre et par les acrostiches qui sont séparés du vers horizontal par un espace vide. Mais pour annoncer l'oeuvre qui suit dans cette anthologie, les derniers vers du texte ont été modifiés et cette fois-ci le nom de l'auteur se présente sous sa forme opaque comme un nom propre au lieu d'une métaphore ; La Vigne s'identifie directement comme l'orateur du roi : Et pour co[n]clure je vous pry treschier sire Que le traicté vous plaise auoir en grace, Quoy que n'y soit la science Porphire, Ne la prudence de Virgille ou Bocace.

26 En effet, dans les deux versions manuscrites, Paris, B. N., fr. 1687 et 1699, «De la Vigne >> est isolé du reste du vers de sorte que la signature est mise en relief soit par l'emploi d'unD majuscule (ms. 1687) soit par l'emploi d'une barre et d'une lettre majuscule (ms. 1699). 27 Cf. La Ressource, éd. BROWN, p. 80, pour une reproduction de cette miniature. Dans la première version imprimée de l'oeuvre (Angoulême, Cauvin et Alain, ca.l494), ni l'acrostiche du roi ni la signature de l'écrivain ne sont mis en évidence (cf. p. 82-83, 89-98).

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Si mon engin eust plus grant efficace, J'eusse trop mieulx e(s)t sans nulle reprise Mis en auant de Napples l'ent[r}eprise Que vous presente en vers, coupletz et ligne, Vostre treshumble orateur, De la vigne28.

L'évolution de cette signature coïncide avec une visibilité de plus en plus manifeste de l'auteur dans le paratexte des versions imprimées de son oeuvre : son nom apparaît après celui de Charles VIII sur la page de titre (c'est moi qui souligne)Le Vergier d'honneur nouvellement imprimé a Paris. De l'entreprise et voyage de Napples. Auquel est compris commant le roy Charles huitiesme de ce nom a banyere desployee passa et rapassa de iournee en iournee depuis Lyon iusques a Napples et de Napples iusques a Lyon. Ensemble plusieurs aultres choses faictes & composees Par reverend Pere en Dieu monseigneur Octavien de Sainct Gelais, evesque d'Angolesme et par Maistre Andry de la Vigne secretaire de monsieur le duc de Sauoye Avec aultres. (Edition Le Dru, ca. 1502-03)

- et une illustration générique d'un auteur remplace celle du patron sur le verso du premier folio29. Ces modifications sont certainement liées au fait qu'à la suite d'un procès intenté par La Vigne à l'imprimeur Michel Le Noir en 1504, le Parlement de Paris a accordé à l'auteur le contrôle de la publication et de la distribution de cette oeuvre pour un an3o. Comme Molinet, La Vigne a fini par diriger la publication de son oeuvre dans laquelle le paratexte met son identité et sa présence plus en évidence. Pourtant, la nécessité d'intenter un procès nous révèle que, dans le cas de La Vigne, il n'y avait pas toujours une alliance entre auteur et imprimeur. Cette fois-ci il s'agissait d'un conflit ouvert.

28 Paris, [Le Dru, ca. 1502-03], f. [b vi]. Les mots soulignés représentent les modifications textuelles que la Ressource a subies dans les éditions du Vergier d'honneur. 29 Dans une édition imprimée sur vélin, cette gravure est remplacée par une miniature de l'auteur en train de composer son oeuvre. Cf. C. J. BROWN, Text, Image, and Authorial SelfConsciousness in Late Medieval Paris, dans Printing the Written Ward: The Social History of Books, c.l450-1520, éd. S. HINDMAN, Ithaca, 1991, p. 124-125, pour une analyse et une reproduction de cette miniature, et p. 122-123, pour une reproduction des deux images génériques de l'auteur qui illustrent les éditions du Vergier d'honneur. 30 Ce procès est mentionné dans les oeuvres suivantes : E. L. DE KERDANIEL, Un Rhétoriqueur: André de la Vigne, Paris, 1919, p. 8-9; Ph.-A. BECKER, Andry de la Vigne, Leipzig, 1928, p. 45-47; E. PICOT et A. PIAGET, Une Supercherie d'Antoine Vérard: Les Regnars Traversans de Jehan Bouchet, dans Romania, 22 (1893), p. 244-260; A. SLERCA, éd. crit., ANDRÉ DE LA VIGNE, Voyage de Naples, Milano, 1981, p. 30-32; BROWN, Du manuscrit à l'imprimé, cit. n. 6, p. 117, n. 37; J. BRITNELL, Jean Bouchet, Edinburgh, 1986, p. 82, 87, 304-305; et E. ARMSTRONG, Before Copyright: The French Book-Privilege System, 1498-1526, Cambridge, 1990, p. 36. L. DE LA BORDE, Le Parlement de Paris Paris, 1863, p. xliii, cite une partie des documents du procès qui se trouvent dans Archives, Conseil 1509, 12 novembre 1503 -7 novembre 1504, f. 154v, le xi mai [1504] et f. 171, le iii juin 1504.

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En effet, Michel Le Noir, qui avait l'intention d'imprimer l'anthologie contenant les écrits de La Vigne, le Vergier d'honneur, sans son autorisation, n'agissait pas vraiment différemment d'autres imprimeurs à cette époque de transition. Ses actions pourtant mettaient en question l'autorité de l'auteur. Le fait que La Vigne a voulu affronter Le Noir à ce sujet et s'est servi du système judiciaire pour le faire - ainsi que son contemporain Jean Bouchet peu de temps après3t- a marqué un moment décisif dans la définition de l'écrivain et de son entreprise littéraire en France, car l'auteur était devenu conscient de son oeuvre comme sa propriété. Dans la culture manuscrite dans laquelle Le Noir opérait, le livre appartenait à son commanditaire ou à son dernier possesseur, et les idées appartenaient à tout le monde. Le plagiat n'avait pas de sens. Mais avec l'avènement de l'imprimerie, il y avait un nombre infini de possesseurs possibles et d'intermédiaires qui pouvaient profiter du livre. De même, grâce à la réduction du temps entre la composition et la reproduction d'un texte, l'auteur vivant pouvait assister à une exploitation et une expropriation même de ses propres paroles par un producteur agressif de son texte. Il est à noter que La Vigne était sans protecteur à l'époque de son procès, mais qu'il a réussi à obtenir le soutien de la reine, Anne de Bretagne, quelques mois plus tard. Dans d'autres oeuvres rédigées par La Vigne qui apparaissent dans ce même livre (le Vergier d'honneur) on découvre une évolution similaire quant à l'emploi de sa signature. Par exemple, vers la fin d'un écrit intitulé le Voyage de Naples, composé pour célébrer l'entrée de Charles VIII à Lyon après son expédition en Italie en 1494-1495, l'auteur signe avec un acrostiche : D edens Lyon en tres puissant seigneur E t en triumphe de bruyt chevaleureux, L e persans per, de vertus enseigne ur, A lors se tint comme victorieux, V ray pocesseur de renom glorieux, 1 ncomparable en decoration, G rave empereur, roy sans exception, N ob le et inclit, portant double couronne E n son royaulme ou digne lis floronne32.

Mais cet acrostiche ne fonctionne pas de la même manière que celui de Charles VIII dans la Ressource, puisque le texte horizontal généré par le nom de l'auteur sur l'axe vertical ne se réfère pas à lui. C'est le renom du patron de La Vigne qui est généré par DE LA VIGNE. Bien que cette association entre le nom du poète et le texte horizontal qui loue le 31 Pour des détails, cf. PICOT et PIAGET, Une Supercherie, et BRITNELL, Jean Bouchet, p. 82, 87, 304-305. 32 Le Voyage de Naples, éd. SLERCA, vv. 5018-5026.

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mécène traduise la relation traditionnellement subordonnée de l'écrivain vis-à-vis de son protecteur, la présence simultanée et soulignée du nom de l'auteur rappelle le fait que le roi dépendait en réalité de son secrétaire pour la re-création de son image en paroles. A la différence d'une signature en calembour, qui est renfermée dans le vers comme une partie intégrale de son sens, la disposition verticale de la signature du poète à la tête de chaque vers renforce visuellement l'idée que c'est lui qui engendre le texte. En outre, il existe une plus grande distance entre les deux textes, ou deux discours, entre le nom de l'écrivain et le renom de son protecteur, puisque celui-là ne fait pas partie du sens horizontal de celui-ci comme la signature métaphorique : la signature acrostiche fait référence uniquement à son référent opaque. Donc, l'appropriation par La Vigne de la forme acrostiche pour signer ses oeuvres plus tardives coïncide avec le changement des rapports hiérarchiques en une relation plus égalitaire d'interdépendance entre poète et prince dans la littérature propagandiste de la fin du Moyen Age français. Cette modification se manifeste aussi dans le compte rendu écrit en novembre 1504 par le même écrivain au sujet de l'entrée royale d'Anne de Bretagne à Paris. Cette oeuvre, qui nous est parvenue en une version manuscrite unique, est ponctuée aussi par une signature acrostiche. Enluminée cette fois-ci, elle fait penser au nom enluminé de Charles VIII dans la Ressource de la Chrestienté : D ame d'onneur, Royne par excellence Et duchesse de grant magnif.ficence L a plus digne qui fut one en noblesse, A vous je viens soubz toute Reverence Vous apporter l'euvre qu'en vostre absence J 'ay faite ainsi selon ma petitesse. Gardez-la bien : car à vous je l'adresse Non à aultre : pour plaisir voluntaire Et n'oubliez vostre humble secrettaire33.

Pourtant, une différence subtile différencie cet acrostiche de celui qui a marqué le texte plus ancien, le Voyage de Naples. Bien que cette strophe-dédicace fasse les louanges, cette fois-ci d'Anne de Bretagne, les paroles mettent en relief en même temps l'importance de l'entreprise poétique et du poète. Son appel à la reine de se souvenir de lui fournit une espèce de contrepoint au discours élogieux qui jusqu'ici a dominé

33 Cf. H. STEIN, Le Sacre d'Anne de Bretagne et son entrée à Paris en 1504, dans Mémoires de la Société de l'Histoire de Paris et de l'Ile-de-France, 29 (1902), 100. Cf. p. 268-300 pour

une édition du texte entier, dont la source est une transcription datant du XVIIIe siècle du manuscrit d'origine (Paris, Ste-Genev. 3036). Cf. aussi le catalogue du Waddesdon Manor, James A. de Rothschild Coll. 22, pour une description détaillée du manuscrit de 1504.

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le texte horizontal de l'acrostiche34. Ainsi une partie du sens implicite du texte vertical a réussi à contaminer le texte horizontal, symbolisant le fait que l'auteur s'est inséré dans le discours politique pour son propre compte. D'une manière bien plus régulière et plus évidente que Molinet ou La Vigne, Pierre Gringore a signé ses oeuvres, presque toutes reproduites sous forme imprimée. La plupart d'entre elles se terminent par une strophe-acrostiche et on découvre très souvent une rubrique, comme «l'acteur», qui avertit le lecteur de la présence de cette signature, ou qui lui précise comment reconstruire le nom de l'auteur: «Le surnom de l'acteur qui a fait et composé ce livre par les premières lettres de ce couplet». Ces rubriques signalent une complicité entre l'imprimeur et l'auteur, surtout dans les éditions autorisées par l'écrivain. En outre, le discours généré par le nom de Gringore la plupart du temps n'avait rien à voir avec un mécène. Il s'agissait très souvent d'un message moralisateur offert d'un ton supérieur3s. Il est à noter qu'à la différence de Molinet, La Vigne ou Jean Lemaire de Belges, Gringore, qui jouait un rôle important, celui de Mère Sotte, dans une troupe théâtrale, les Enfants sans souci, et qui recevait de l'argent de temps en temps de la Maison Royale pour son organisation de pièces au moment de certaines entrées royales, ne faisait pas vraiment partie du système de mécénat au début de sa carrière36. Il se peut que cette liberté ainsi que sa participation plus évidente dans l'entreprise livresque expliquent son ton autoritaire non seulement dans les vers générés par sa signature mais dans ses oeuvres en général. En effet, par comparaison avec ses contemporains, la présence paratextuelle de Gringore est plus marquée. Comme dans le cas de La Vigne, ce furent sans doute des actions malhonnêtes de l'imprimeur Michel Le Noir qui ont poussé Gringore à faire de plus en plus de publicité pour lui-même : Le Noir avait remplacé la signature-acrostiche de Gringore par le sienne à la fin de son édition du Chasteau d'Amours de 150037 . Et à partir de 1505, des signes d'autorité de Gringore sont bien plus manifestes. Par exemple, à la fin de sa Complainte 34 Dans les deux derniers vers de la Naissance, marqués par sa signature en calembour, Molinet aussi a attiré l'attention du lecteur sur son entreprise poétique, mais d'une manière plus ésotérique (cf. ci-dessus, p. 432). 35 Pour des détails précis, cf. BROWN, Text, Image and Authorial Self-Consciousness, cit. n. 29, p. 132-133. 36 Pour des détails sur sa carrière, cf. Ch. ÜULMONT, La Poésie morale, politique et dramatique à la veille de la Renaissance: Pierre Gringore, Paris, 1911, repr. Genève, 1976, p. 1-28. 37 Cf. C. J. BROWN, The Confrontation Between Printer and Author in Early SixteenthCentury France: Another Example of Michel Le Noir's Unethical Printing Practices, dans Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, 53 (1991), p. 105-118.

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de Trop Tard Marié, publiée en octobre 1505, Gringore s'annonce comme son propre éditeur (c'est moi qui souligne): Fait et compose par pierre gringore. Et imprime pour icelluy a paris Le premier iour doctobre. Lan mil cinq cens et cinq (f. 8r).

Et dans presque toutes ses oeuvres qui ont paru à partir de la publication de ses Folles Entreprises en décembre 1505, le lecteur trouve des privilèges imprimés dans l'espace paratextuel. Ces ordonnances de justice, ou privilèges, précisent que l'auteur était allé au Châtelet se procurer le droit de contrôler la publication et la distribution de son propre texte pour une période de temps limitée3s. Gringore se présente non seulement comme son propre éditeur, mais, dans la première édition de ses Folles Entreprises, comme son propre libraire aussi. L'adresse et, dans certaines versions, la marque spéciale sur la page de titre, une gravure sur bois de Mère Sotte et deux compagnons sots, nous l'indiquent39 : Qui en veult auoir se transporte Sans deshonneur & sans diffame Pres du bout du pont nostre dame A !enseigne de mere sotte.

De plus, au moyen de son association avec Mère Sotte, Gringore a réussi à s'introduire comme le protagoniste dans une de ses oeuvres, Les Fantasies de Mère Sote (ca. 1516), annonçant sa relation avec son alter ego théâtral sur la page de titre par la même gravure qui a décoré celle des Folles Entreprises. De plus la quatrième édition (1518) offre des précisions verbales à ce sujet (FIGURE 14) : «Imprimees a Paris pour Jehan Petit libraire juré de l'université dudict lieu. Ayant par transport le privilege dudict mere sotte autrement dit Pierre Gringore »40. Dans la même publication le lecteur découvre une nouvelle marque d'auteur, qui ressemble plutôt à des armes et qui établit ainsi un dialogue avec la gravure en face, une image allégorique qui se réfère aux pouvoirs politiques par des animaux symboliques (FIGURE 15)41. Ce dialogue d'images sur des folios opposés implique une relation plus équilibrée entre l'écrivain et l'aristocratie et anticipe en quelque sorte le nouveau

38 Pour des renseignements sur les privilèges à cette époque-là, cf. E. ARMSTRONG, Before Copyright, cil. n. 30. 39 Cf. BROWN, Text, Image, and Authorial Self-Consciousness, p. 135-137 pour une discussion et une reproduction de cette page de titre. 40 Pour des détails précis, cf. Pierre GRINGORE, Les Fantasies de Mere Sote, éd. R. L. FRAUTSCHI, Chape! Hill, 1962, p. 21-28. 41 Le porc-épie = Louis XII ; la salamandre = François Ier; le lion = les Pays Bas ; le cerf volant= Charles de Bourbon; l'hermine= Claude de France. La plupart des éditions suivant la première remplacent le porc-épie par un tigre = Charles de Bourbon. Cf. ibid., p. 41-43.

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rôle de Gringore deux ans plus tard quand il a obtenu un poste à la cour du duc de Lorraine comme héraut d'armes42, Pour conclure, j'ai voulu suggérer au moyen de quelques exemples précis comment une lecture du paratexte et du texte peut nous renseigner sur la nouvelle dynamique qui commence à se développer dans l'entreprise livresque et la définition de l'auteur à la fin du Moyen Age, grâce en partie à l'avènement de l'imprimerie. Les signes paratextuels montrent qu'une relation importante existait entre le manque de soutien financier d'un mécène, la participation d'un auteur dans la reproduction de ses oeuvres, et une plus grande visibilité de son autorité. Jean Molinet, qui a fait publier une de ses dernières oeuvres à une époque où il ne pouvait plus compter sur le soutien financier de son mécène, André de La Vigne, qui a réussi à faire imprimer une anthologie qui contenait plusieurs de ses écrits à une époque où il n'avait pas de protecteur, et Pierre Gringore, qui a dirigé la publication d'un grand nombre de ses poèmes sans être sous l'égide d'un mécène, ont été parmi les premiers à se soucier de leurs oeuvres comme étant leur propriété, soit en alliance avec les imprimeurs de leurs textes, soit en opposition à eux. Ce souci s'est concrétisé de plusieurs façons : annonces de leur identité sur la page de titre et dans le Colophons ; emploi de marques d'identité ; signatures de plus en plus évidentes ; procès intentés contre certains imprimeurs ou libraires ; privilèges obtenus donnant à l'auteur le contrôle de la publication de ses oeuvres pour un temps limité ; appropriation du rôle d'éditeur et de libraire. Conscients du fait que leurs propres paroles étaient devenues plus commerciales et plus publiques, qu'elles représentaient une commodité rentable qui pouvait être contrôlée -et changée- par d'autres sous leurs yeux, certains écrivains, embauchés souvent comme publicitaires de l'image de leur mécène, ont fini par comprendre la nécessité de surveiller de près la définition et la publication de leur propre image pour maintenir une certaine autorité sur leurs écrits. En affichant des images de leur nouvelle autorité dans l'entreprise livresque, en changeant la façon de signer leurs oeuvres si bien que leur nom plutôt que celui du mécène générait le texte d'une façon de plus en plus explicite, en écrivant des oeuvres de moins en moins allégorisées, narrées par une voix de moins en moins fragmentée et fictionnalisée, ces auteurs ont mis en question le rôle traditionnel de l'écrivain subordonné aux besoins du mécène et, au moyen de nouvelles techniques de reproduction, ont rehaussé leur présence, leur pouvoir et leur renommée littéraires. 42 Gringore fait référence au duc dans l'édition de 1518 des Fantasies (ibid., p. 43, lignes 41-44).

LE NOM DU LIVRE. MANIERES D'INTITULER LES PREMIERS LIVRES IMPRIMES EN FRANÇAIS.

Réjean BERGERON (Université de Montréal)

Rabelais raconte que Pantagruel trouva la librairie de sainct Victor fort magnificque, mesmement d'aulcuns livres qu'il y trouvai. Le géant ne s'ébahissait pas à tort devant la quantité et la qualité des livres manuscrits et imprimés2 que renfermait la célèbre bibliothèque3. Pour en faire la preuve, Rabelais rédige un répertoyre de 140 ouvrages4 ayant retenu l'attention de son héros. Bien entendu, nous rechercherions vainement le Decrotatotium scholarium, la Bragueta juris et l'Antidotarium animae dans l'un ou l'autre des catalogues dressés par le bibliothécaire Claude de Grandrue une vingtaine d'années avant le passage à Paris du fils de Gargantua. A n'en pas douter, seul Pantagruel aura été en mesure de lire ou de consulter parmi les livres rangés dans le pupitre TTS Le Cabat des notaires, Le Pacquet de mariage ou Le Creziou de contemplation. Ces titres n'ont jamais été rédigés par une autre main que celle de Rabelais6. Cependant, ils ne sont pas le produit du seul génie comique de l'auteur. Leur pureté noire a été obtenue par la distillation de titres véritables ayant circulé en France au xve siècle dans divers milieux plus ou moins lettrés. Certains titres n'ont pratiquement pas subi de 1 F. RABELAIS, Pantagruel, VII. 2 >, cf. A. BONDÉELLE, Bibliothèques cisterciennes dans la France médiévale. Répertoire des abbayes d'hommes, Paris, 1991. 7

Elles ne contenaient respectivement que 4, 20, 25 et 83 volumes.

LA DESCRIPTION DU LIVRE: PRATIQUES ET MODÈLES

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siècle. Nous ne reviendrons pas sur les origines des deux grands fonds cisterciens qui ont fait l'objet d'études récentes 8 • Pour la formation de la bibliothèque de la Grande-Chartreuse dans les premières décennies du xne siècle, on dispose des témoignages de Guibert de Nogent (tll24) et de Gui le Chartreux9. La constitution des bibliothèques des abbayes bénédictines est encore plus ancienne. Ainsi, le monastère de Saint-Claude du Juraw, fondé vers 425-430 disposa, dès le rxe siècle, d'un scriptorium et reçut également des dons de livres, comme ceux du prévôt Mannonii et d'Engalinus 12. Par ailleurs, il faut signaler que Saint-Claude a possédé des manuscrits très anciens et rares, comme l'actuel Paris, Bibliothèque nationale, latin 9550, un codex en onciale des vre-vne siècles contenant des oeuvres d'Bucher de LyoniJ. Quoi qu'il en soit, un inventaire

8 Pour Cîteaux, cf. l'ouvrage de Y. ZALUSKA, L'enluminure et le scriptorium de Cîteaux, Cîteaux, 1989. On attend toujours une nouvelle édition du catalogue de 1482, cf. pour l'instant celle contenue dans Catalogue général des manuscrits des départements, V : Manuscrits de la bibliothèque de Dijon, par H. OMONT, Paris, 1867 (appendice, p. 339-452). Pour Clairvaux, cf. A. VERNET et al., La bibliothèque de l'abbaye de Clairvaux du XIIe au XVIIJC siècle, I, Paris, 1979 ; J.-F. GENEST, La bibliothèque de Clairvaux, dans Histoire de Clairvaux. Actes du colloque de Bar-sur-Aube de 1990, Association pour la Renaissance de Clairvaux, 1991, p. 113-133. 9 Les coutumes élaborées par ce dernier datent de 1127 et font référence aux enrichissements de la bibliothèque. On signale également les échanges de manuscrits et les rapports intellectuels que la Grande-Chartreuse eut avec d'autres monastères de l'Ordre, par exemple Portes, ou avec des personnalités, comme Pierre le Vénérable et saint Bernard. Cf. A. FOURNIER, Notice sur la bibliothèque de la Grande-Chartreuse, dans Bulletin de l'Académie Delphinale, 4e série, 1 (1886), p. 305-386. Pour une synthèse sur les bibliothèques des Chartreux, cf. A. BONDÉELLE, Trésor des moines, dans Histoire des bibliothèques françaises, I, p. 65-81. JO Cf. Dom P. BENOÎT, Histoire de l'abbaye et de la terre de Saint-Claude, I, Montreuil-surMer, 1890, p. 484-485 ; A. CASTAN, La bibliothèque de l'abbaye de Saint-Claude du Jura, Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 50 (1889), p. 300-354. II Ce personnage participa en 870 au concile de Vienne et mourut le 16 août 880 après avoir très vraisemblablement dirigé l'école du palais sous le règne de Charles le Chauve. Son ex-dona en lettres capitales figure notamment sur le ms. Paris, B. N., lat. 2382, ainsi que sur Lons-le-Saulnier, Arch. dép. du Jura, 12 S 2 (cf. L. DELISLE, Le cabinet des manuscrits de la bibliothèque impériale (puis nationale), III, Paris, 1881, p. 260). D'autres manuscrits peuvent lui être attribués: Troyes, B. M. 96 et 2405; Montpellier, Bibl. uni v., Fac. de Médecine 157 et 404. 12 Il fit don à l'abbaye de l'actuel ms. Lons-le-Saulnier, Arch. dép. du Jura, 12 S 1. 13 Pour ce codex cf. DELISLE, Cabinet, II, p. 15 et pl. XVI (qui le date du vnre siècle) ; E. A. LOWE, Codices Latini Antiquiores, V, Oxford, 1950, p. 21, no 589. Selon Lowe, l'origine du manuscrit est incertaine, mais il n'est pas exclu qu'il puisse avoir été copié à Lyon. Il s'y trouvait en tout cas dès le Ixe siècle, puisqu'il fut utilisé par le diacre Florus. Il passa ensuite vraisemblablement à Saint-Claude. Ce manuscrit fut aussi utilisé par Chifflet. On conserve également un témoignage des bénédictins Martène et Durand, qui purent le consulter lors de leur visite à la bibliothèque de l'abbaye de Saint-Claude, au mois de novembre 1709 (cf. Voyage littéraire de deux bénédictins, I, Paris, 1742, p. 177).

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du xre siècle prouve qu'à cette époque l'abbaye possédait déjà 115 manuscrits t4. L'abbaye bénédictine de Saint-Serge d'Angers, fondée au vrre siècle, fut également, dès le xre siècle, un centre d'écriture et posséda une importante bibliothèquels. L'abbaye de moniales de Saint-Césaire d'Arles, fondée en 515, régie dans un premier temps sous une règle propre, puis rattachée à l'ordre de saint Benoît, et réformée en 1194, dut aussi être un centre très important et disposer d'une bibliothèque, mais nous n'avons aucun renseignement à ce sujet. Il en est de même pour le prieuré bénédictin de l'Abbaye-sous-Dol, fondé au xre siècle16. Nos documents témoignent de l'état de ces bibliothèques monastiques au xve siècle. Pour certaines d'entre elles, on sait peu de choses. Ainsi, pour Saint-Césaire, nous n'avons qu'un inventaire, dressé en 1473 lors de la nomination d'une nouvelle sacrista. Il recense cinq livres liturgiques 17 • Il en est de même pour le prieuré de l'Abbaye-sousDol dont les livres, au nombre de vingt, étaient répartis entre l'église et « l'estude ». Ils furent inventoriés en 1497 par le sacristain Pierre Pivainls. Enfin, pour la bibliothèque de l'abbaye de Saint-Serge d'Angers, on dispose d'un inventaire de la fin du xve siècle, très probablement partiel, puisqu'il ne recense que vingt-cinq manuscrits. On sait en revanche que les bibliothèques des autres abbayes ont bénéficié d'enrichissements au cours du xve siècle. Si le contexte historique de la rédaction des grands catalogues des abbayes cisterciennes de Clairvaux et de Cîteaux est bien connu, il faut rappeler ici les personnalités exceptionnelles de leurs promoteurs et rédacteurs. Pour Clairvaux, le responsable du projet fut l'abbé Pierre de Virey, mais le travail de conception et rédaction du document incomba au prieur Jean de Voivre 19. Ces personnages, comme d'autres à la même époque, contribuèrent également à l'enrichissement de la bibliothèquezo. 14 Besançon, Arch. dép. du Doubs, 7 H 9. Liste des manuscrits subsistants provenant de Saint-Claude par W. M. LINDSAY, Paleographia latina, part. IV, Oxford 1925. Selon R. CHARLIER (Une oeuvre inconnue de Florus de Lyon, dans Traditio, 8, 1952, p. 86-93) l'inventaire du xre siècle en question serait plutôt un relevé de livres cédés par l'abbaye-mère à ses fondations champenoises. 15 J. VEZIN, Les scriptoria d'Angers au XJe siècle, Paris, 1974, p. 281. 16 Diocèse et comm. de Dol (Ille-et-Vilaine). B. COTIINEAU, Répertoire des abbayes et des prieurés, l, Mâcon 1939, col. 2-3. 17 Marseille, Arch. dép. des Bouches-du-Rhône, 60 H 53, f. 101-103. 18 Angers, Arch. dép. du Maine-et-Loire H 3339. 19 E. K6NGSEN, Epistulae duorum amantium ... , Leiden- Ktiln, 1974, p. XXI. 20Cf. A. VERNET, Un abbé de Clairvaux bibliophile, Pierre de Virey (!47!-!496), dans Scriptorium, 6 (1952), p. 76-88, réimpr. dans Etudes médiévales, Paris, 1981, p. 566-578.

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En revanche, nous ne connaissons pas le nom du rédacteur du catalogue de l'abbaye de Cîteaux, mais uniquement celui du responsable du projet, l'abbé Jean de Cirey. Ce dernier, nommé abbé en 1476 après la mort d'Humbert Martin, était docteur en théologie. Il avait déjà dirigé deux grandes abbayes cisterciennes, Theuley et La Balerne21• A Cîteaux, ce personnage fit également entreprendre un récolement général des archives de l'abbaye. Ce travail, achevé en 1485, aboutit à la rédaction d'un important cartulaire en neuf volumesn qui faisait état, entre autres, d'un nouveau classement des titres de propriété du monastère23. Le catalogue de la bibliothèque de la Grande-Chartreuse remonte très probablement au troisième quart du xve siècle. Ses 629 articles reflètent le fonds ancien de l'abbaye ainsi que de nouvelles acquisitions. Ainsi, dès les premières décennies du XVe siècle, la bibliothèque bénéficia des dons de quelques personnalités. En 1419, le juriste Jean Autier lui offrit une collection de manuscrits. D'autres dons de livres furent effectués, notamment, en 1475, par un autre juriste, Laurent de Blumenau, chanoine du diocèse d'Ermenland24, et par François du Puy, official de Valence, puis de Grenoble2s. Ce dernier, profès à la GrandeChartreuse dans les toutes dernières années du siècle, devint ensuite prieur et gouverna l'Ordre jusqu'à sa mort, en 1521. Il contribua à son essor spirituel et intellectuel 26. On sait qu'il versa sa collection de manuscrits et d'incunables27 dans la bibliothèque de l'abbaye et que le catalogue que nous étudions fut vraisemblablement dressé juste avant2B. Pour la bibliothèque de Saint-Claude du Jura, on signale également, au cours du xve siècle, quelques dons de livres dont ceux d'un autre juriste, Jean d'Aurillac29. Mais la collection subit d'importantes pertes, notamment en 1418, à la suite d'un incendie. Elle était donc très Ga/lia Christiana, IV, col. 1005 et sqq. Dijon, Arch. dép. de la Côte-d'Or, 11 H 70* -78*. 23 Pour le classement on ne retenait plus, comme au cours des siècles précédents, les granges, car ces institutions étaient tombées en décadence, mais les paroisses ou les finages. 24 Ce personnage, qui fut auditeur du rote, conseiller de divers princes allemands et historien de l'Ordre teutonique, prononça ses voeux au monastère en 1470. 25 François du Puy est également connu pour avoir catalogué les archives de l'évêché de Grenoble. 26 Ainsi François qui poursuivit son activité érudite en composant notamment une chaîne sur les Psaumes et en écrivant la biographie de saint Bruno, fondateur de l'Ordre, obtint notamment la canonisation de ce dernier. Il fit aussi procéder à la révision et à l'impression des statuts de l'Ordre. 27 82 volumes nous en sont parvenus, dont 75 incunables. Une grande partie d'entre eux est conservée à la bibliothèque municipale de Grenoble. 28 Ms. Grenoble, B. M. 1243 (896). 29 Trois livres juridiques donnés à l'abbaye, cf. ms. Besançon, B. M. 767, f. 93; on a conservé notamment le ms. Lons-le-Saulnier, Arch. dép. du Jura, 12 S 17. 21 22

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appauvrie lorsqu'en 1466 le sacristain Vaucher de Roche, garde des archives et auteur d'un coutumier de l'abbaye3o, en dressa l'inventaire3J. Ce document, qui ne recense que quatre-vingt-trois manuscrits3z, prouve notamment qu'une partie d'entre eux se trouvait momentanément entre les mains de l'abbé Pierre Morel. Vaucher de Roche en avait quelques autres. 2. Les fonds récents

Les bibliothèques des cathédrales ont également bénéficié d'acquisitions. A Bayeux33, les travaux de catalogage furent effectués en deux étapes. On commença en 1476 par un inventaire du trésor dont la version définitive fut mise au point l'année suivante par les notaires apostoliques. Ce document fut rédigé à l'initiative de l'évêque de Bayeux, Louis d'Harcourt, assisté du doyen Guillaume de Bailleul, par les notaires Johannes Castelli et Egidius34. Après la liste des objets précieux et des parements liturgiques, l'inventaire décrivait les livres conservés dans l'église, dans le choeur et dans les différentes chapelles. Nous verrons plus loin qu'il ne s'agissait pas exclusivement de manuscrits liturgiques. Mais les chanoines de Bayeux disposaient aussi d'une autre bibliothèque. Elle était appelée la « librairie commune » et son contenu ne fut inventorié que quatre ans après, en 1480. L'évêque Louis d'Harcourt était mort l'année précédente et avait légué sa collection de trente-cinq volumes à la bibliothèque du chapitre. Le catalogue, rédigé en latin, montre qu'elle occupait, à elle seule, deux pupitres3s. Ce document nous a également transmis les noms d'autres bienfaiteurs de 30 R. LOCATELLI, « Rationale administrationis » de Vaucher de Roche, sucrislain de SaintPierre au monastère de Saint-Oyand de Joux, dans Société d'émulation du Jura. Travaux 19731974, Lons-le-Saulnier, 1976, p. 49-126. 31 Il entreprit également, à peu près à la même époque, l'inventaire du trésor. Dans ce dernier document, un chapitre concerne les livres : il y avait trois Missels, une Bible, deux Légendiers, trois Psautiers, une glose sur les Psaumes, les Actes des Apôtres, deux Antiphonaires et cinq Graduels. Cf. L'annuaire du Jura pour 1865, p. 140-141 ; analyse et commentaire par CAST AN, La bibliothèque, cit. n. 10, p. 314, 329, 341, 343. Au XVIIIe siècle, l'abbaye de SaintClaude fut transformée en chapitre cathédral. Quelques manuscrits furent alors prélevés par Jean Bouhier. 32 Le document, consigné, en 1492, par le notaire Hugues Glanne, d'Arbois, nous est parvenu dans le manuscrit Besançon, B. M. 766. 33 Ms. Bayeux, Bibl. du Chapitre 199; document éd. par l'abbé DESLANDES, Le trésor de l'église Notre-Dame de Bayeux, dans Bulletin archéologique du Comité des Travaux Historiques, 1896, p. 396-402 et 403-433. 34 La langue choisie pour la rédaction de l'inventaire fut le français, afin que la désignation des objets décrits fût plus claire : >. 35 L'inventaire fut rédigé en latin par les notaires G. Mathei etC. Maseline, sous la direction d'une équipe de chanoines de la cathédrale, dont faisaient partie notamment Guillaume Aubery, Guillaume de Monasterio, Jean Dubec et Nicolas Michel.

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la bibliothèque aux XIVe et xve siècles : c'étaient maître Guillaume Aubery, l'un des promoteurs de l'inventaire, Robert Lefèvre, chanoine de Barbières, Nicole Dubosc, évêque de Bayeux (1375-1408), maître Nicolas Daigny, Nicolas Habard, évêque de Bayeux de 1421 à 1431, les chanoines Jean de l'Homme et Jean Gervais et Zanon de Castiglione, lui aussi évêque de Bayeux (1432-1459). La bibliothèque de la cathédrale du Mans était moins importante36 que celle de Bayeux, mais elle bénéficia aussi de dons de livres. Ainsi l'évêque du Mans, Martin Berruyer ( 1452-1465), lui offrit un missel en lettre de forme, Jean Quentin, official du Mans et « maistrescolle », un autre missel. On sait également qu'en 1422 deux chanoines, André Soufflans et Philippe de La Chasserie, furent sommés de rendre un manuscrit d'Hildebert de Lavardin que Jean Muret avait offert à la cathédrale37. Mais le don le plus considérable fut celui que le trésorier Prigent Barbu offrit à la cathédrale de Tréguier. C'est pour accueillir ses 192 livres qu'on bâtit une nouvelle «librairie». L'inventaire fut dressé en 149J3s. Peu de renseignements nous sont parvenus sur ce personnage, mais on a conservé deux manuscrits provenant de sa collection : Paris, Bibliothèque nationale, latin 3057, contenant une copie du XIIIe siècle de la Summa aurea de Guillaume d'Auxerre39, et latin 13060, du xve siècle, avec des lettres de Nicolas de Clamanges4o. Nous avons vu que les bibliothèques ont effectué des acquisitions dans le courant du xve siècle. Mais dans quelle mesure nos documents en font-ils état? Pour répondre à cette question, nous avons essayé 36 Son inventaire ne recense que 50 articles. Ms. Le Mans, B. M. 251, f. 30. 37 E. ORNATO, Jean Muret et ses amis, Nicolas de Clamanges et Jean

de Montreuil,

Genève, 1969,p. 184,n. 32. 38 Prigent Barbu transmit alors ses pouvoirs à un nouveau trésorier, Laurent Le Mahout. Cf. Saint-Brieuc, Arch. dép. des Côtes-d'Armor, série G, fonds du Chapitre cathédral de Tréguier. 39 Cf. Catalogue général des manuscrits de la Bibl. nationale, IV, Paris, 1958, p. 59-60. Au f. 294, la note : >. La note se réfère très vraisemblablement à Pasquier Bonhomme, libraire-priseur juré de l'université de Paris. 40 DELISLE, Cabinet, cit n. Il, II, p. 420 ; /nv. sommaire des manuscrits latins du fonds de Saint-Germain des Prés, Paris, 1868, p. 87 ; B. POCQUET DU HAUT-JUSSÉ, Les papes et les ducs de Bretagne, II, Paris, 1928, p. 728, n. 2. Au f. 179 de ce ms., ex-libris de Prigent Barbu : >.

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d'étudier le contenu de ces acquisitions, ainsi que leurs caractéristiques matérielles. Il. L'ÉTAT DES FONDS SIÈCLES.

À

TRAVERS LES ACQUISITIONS DES XIVe ET xve

Nos documents ne fournissant que des renseignements sommaires, il nous est difficile d'établir si, au cours des xrve et xve siècles, les bibliothèques ont pu également se procurer des manuscrits plus anciens. Nous nous sommes donc limité, d'une part, à relever dans nos documents les auteurs des XIVe et xve siècles. Nous avons également retenu les items qui mentionnaient des oeuvres en français (textes originaux ou traductions). D'autre part, nous avons examiné la composition « matérielle » des collections, afin de voir, en particulier, de combien de livres en papier et d'imprimés elles disposaient et de quels contenus ces nouveaux supports avaient été porteurs.

1. Le contenu L'examen des auteurs et oeuvres attestés semble prouver qu'au cours du xrve siècle les trois principaux fonds monastiques étudiés ont bénéficié de nombreuses acquisitions, notamment dans les domaines de la théologie et du droit. C'est le cas de Clairvaux4I. Cîteaux, qui semble avoir disposé d'un choix moins vaste, possédait pourtant de nombreux textes de cette époque : c'étaient des oeuvres théologiques, morales et juridiques. Certaines d'entre elles avaient été composées notamment par des membres de l'Ordre42. La présence d'auteurs du xve siècle, en revanche, est nettement moins importante. D'après le catalogue, deux manuscrits seulement, avec des oeuvres de Pierre d'Ailly et Jean Gerson43, furent acquis avant 1472. Les autres sont le fait d'additions postérieures à 1472: c'est le cas 41 L'essor de ces disciplines à l'abbaye au cours du xrve siècle doit être mis en relation avec le développement contemporain des études théologiques, notamment auprès du collège parisien de Saint-Bernard, dépendant de l'abbaye. Cf. GENEST, La bibliothèque, cit. n. 8, p. 120122. 42 Ainsi Jacobus de Therinis, abbé de Chaâlis de 1309 à 1317, puis de Pontigny (tl321). Parmi les autres auteurs, signalons Gilles de Rome (t 1316), Robert Holcoth (1326-1334), Henricus de Hassia, professeur à Paris, puis recteur de l'université de Vienne (1325-1397). Les textes juridiques sont représentés notamment par l'oeuvre du canoniste bolonais Johannes Andreae (tl348). Parmi les oeuvres «morales », signalons Jacques de Cessales (XIIIe-xrve s.) et Jérémie de Montagnana, juge à Padoue (1320-1321), auteur d'un Compendium moralium notabilium. Pour ce dernier texte, cf. notamment R. WEISS, Il primo secolo dell'Umanesimo, Roma, 1949, p. 15-50. 43 GENEST, La bibliothèque, p. 124-125. M. Genest a établi par ailleurs qu'au cours du XVe siècle et jusqu'en 1472l'abbaye n'a acquis que 29 volumes (qui représentent donc 3% seulement du fonds actuellement conservé).

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de nombreux livres qui furent offerts par l'abbé Pierre de Virey, par le prieur Jean de Voivre ou par d'autres personnalités. Dans le catalogue de Cîteaux, rédigé dix ans après, le choix d'auteurs du xve siècle est un peu plus vaste. On y trouve en effet, comme à Clairvaux, les oeuvres théologiques de Pierre d'Ailly et de Jean Gerson, mais aussi celles de Mathieu de Cracovie (t1410), de Jean de Torquemada, de Gilles Charlier (t1472). Signalons encore les oeuvres de membres de l'Ordre, comme Gilles de Roye, abbé de Royaumont (t1478), auteur d'un Compendium d'histoire universelle44. Mais on note également le recueil de vies et sentences des philosophes de Diogenes Laertius et les traités d'humanistes : Laurent V alla, Enée Piccolomini, Georges Trebisonda, Guillaume Tardif, maître du collège de Navarre, Guillaume Fichet, Gasparino da Barzizza et Jean Hevelius4s. Le choix des auteurs des XIVe et xve siècles disponible à la Grande-Chartreuse était assez différent, et reflétait les orientations intellectuelles de l'Ordre. Ainsi, les canonistes du XIVe siècle étaient peu nombreux. La théologie était notamment représentée par les franciscains Jean Duns Scot, François de Mayronnes et Ubertino di Casale, mais aussi par le dominicain Rainier de Pise (tl350). Pour la morale, on signale la présence d'Henri de Suso et du bénédictin Pierre Bersuire46. François Pétrarque et son adversaire Jean de Hesdin étaient également présents47. L'orientation morale est confirmée par le choix des auteurs du xve siècle ; outre Jean Gerson qui entretint, comme on le sait, des rapports épistolaires avec les moines de la GrandeChartreuse4s, on remarque les théologiens et mystiques Gerardus de Monte (t1480), Lorenzo Giustiniani (t1455), premier patriarche de Venise, et Gilles L'Orfèvre49. 44 Cf. BONDÉELLE, Bibliothèques, cit. n. 6, p 270. 45 Cîteaux possédait un exemplaire autographe de la Grammaire de ce dernier auteur, portant une dédicace à l'abbé Jean de Cirey. Nous avons par ailleurs effectué des sondages sur les manuscrits conservés de Cîteaux, en nous référant aux différents fonds qui composaient la bibliothèque. Ainsi, seul un manuscrit du XIVe siècle provenant de la bibliothèque du dortoir nous est parvenu (Paris, B. N., lat. 1876, avec un commentaire de Gilles de Rome sur la Rhétorique d'Aristote) ; il ne nous reste aucun manuscrit du xve siècle originaire de ce fonds (453 volumes). Pour la bibliothèque du studium, qui contenait 176 volumes, on a conservé 18 manuscrits: 7 datent du XIVe siècle, 7 autres du xve siècle. Pour la bibliothèque de Gilly, qui contenait Il 0 volumes, 8 manuscrits sont parvenus jusqu'à nous, dont 3 datent du xve siècle. 46 Pour ce personnage, mort en 1362, cf. la notice de Ch. SAMARAN, dans Histoire littéraire de la France, XXXIX, 1962, p. 259-450. 47 B. HAURÉAU, Jean de Hesdin, dans Romania, 22 (1893), p. 276-281. 48 P. GLORIEUX, L'activité littéraire de Gerson à Lyon. Correspondance inédite avec la Grande Chartreuse, dans Recherches de théologie ancienne et médiévale, 18 (1951), p. 238-307. 49 Pour ce personnage, mort en 1466, cf. Dictionnaire de Spiritualité, l, Paris, 1935. col. 1138-1139.

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A Saint-Claude, il n'y avait que très peu d'auteurs du XIVe siècle, principalement des théologiens et des canonistesso. Un seul auteur était présent pour le xve siècle : Vaucher de Roche, le rédacteur du coutumier de l'abbaye. Les livres des XIVe et xve siècles présents dans les collections des cathédrales, contenaient aussi principalement des oeuvres théologiques et juridiques. Ainsi, la bibliothèque du chapitre de Bayeux, pourtant riche en textes grammaticaux, rhétoriques et philosophiques de l'Antiquité classique et de l'époque médiévale, ne possédait, pour les XIVe et xve siècles, que les oeuvres théologiques de François de Mayronnes et Pierre Quesnel, ainsi que de Rainier de Pise, de Nicolas Trivet. Johannes Andreae, Henricus Bohic et Eudes de Sens étaient présents pour le droit. Il y avait cependant, dans la bibliothèque de l'église, deux exemplaires des Epîtres de Nicolas de Clamanges. Le chapitre du Mans ne semble avoir possédé aucun auteur du xve siècle. On y trouvait un seul texte du XIVe : l'ouvrage allégorique du cistercien Guillaume de Digulleville (1295-1358). Ce poème en trois parties, intitulé « Pèlerin », illustrait l'itinéraire de l'âme vers le Paradissi. En revanche, grâce au don du trésorier Prigent Barbu, les chanoines de Tréguier disposaient d'un choix d'auteurs beaucoup plus vaste. C'étaient des oeuvres rhétoriques, historiques et littérairessz, mais il y avait surtout des auteurs de textes théologiques, philosophiques et juridiques. Parmi les premiers, il faut citer, pour le XIVe siècle, Henri de Suso et le chanoine Geoffroy de Vorau. Pour le xve siècle, outre Jean Gerson, on note le bénédictin Petrus de Herenthals, auteur notamment d'un commentaire sur le livre des Psaumes, et Antoninus de Florentia (t1459). Les auteurs dominicains sont représentés par Johannes Capreoli, Johannes Nider et Petrus Niger (t 1480), et par Jean de Torquemada. On signale enfin l'oeuvre de l'augustin Jacques Legrand (t1415)s3. Les livres de sermons étaient nombreux : de Robertus de 50 Les canonistes Johannes Andreae, Guillelmus de Mandagoto (t1321) et Bartholomeus de s. Concordio. 51 Cf. E. FARAL, Guillaume de Digulleville, dans Histoire littéraire de la France, XXXIX, 1962, p. 129. 52 Ainsi, les Epîtres de Nicolas de Clamanges, deux exemplaires d'oeuvres de Boccace sur lesquels on reviendra plus loin, l'un imprimé (Du descheit des nobles hommes et femmes), l'autre manuscrit (De mulieribus claris), et des oeuvres de François Philelphe, de Guillaume Tardif et de l'historien Augustinus Dati. 53 Cf. en particulier E. BELTRAN, Jacques Legrand OESA. Sa vie et son oeuvre, dans Augustiniana, 24 (1974), p. 132-160 et 387-414.

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Lycio (XVe siècle), de Léonard d'Udine (t1470) et du frère servite Ambrosius Spiera. Le domaine philosophique était notamment représenté par le commentaire aristotélicien du franciscain Antonius Andree (XIVe siècle). Signalons enfin les oeuvres juridiques de Baldo degli Ubaldi (t1400), de Bartholomeus de Saliceto (tl412) et d'Albertus de Eyb, chanoine d'Eichstatt (1420-1475). Les livres contenant des oeuvres en français ne semblent pas avoir été très nombreux dans nos collections. En effet, nous n'en avons dénombré que treize sur l'ensemble des bibliothèques monastiques (sur un total de 3323 articles : ainsi, par exemple, les inventaires des abbayes de Saint-Serge d'Angers et de Saint-Césaire d'Arles ne signalaient aucune oeuvre en français). Neuf articles seulement, se référant à des ouvrages en français (sur un total de 561 articles), ont été retrouvés dans les inventaires des cathédrales. De quels ouvrages s'agissait-il? A Clairvaux, deux manuscrits seulement contenaient des textes en français. L'un5 4 était un exemplaire de la « Bible historiau » de Guyars de Moulins. L'autre renfermait des extraits de l'Ancien et du Nouveau Testament, avec quelques vies de saints55. Certes, la bibliothèque de Clairvaux devait posséder un plus grand nombre d'oeuvres en français. Ainsi, Pierre de Virey, dans sa première rédaction du catalogue, établie avant 1472 et dont on ne conserve qu'un fragment, avait répertorié un manuscrit contenant un exemplaire du « Roman de Carité » du Reclus de Molliens56 . Mais il est vraisemblable que l'abbé décida d'écarter les oeuvres en français de sa rédaction définitive, comme il l'avait déjà fait lors du catalogage de la bibliothèque des moniales de Maubuisson en 146357. Aussi, est-ce sans doute par erreur que les deux manuscrits cités plus haut y figuraient encore. L'inventaire de Saint-Claude ne mentionne que trois oeuvres en français. Outre le coutumier de l'abbaye du sacristain Vaucher de Roche dont on a déjà parlé, on signale un exemplaire de la deuxième moitié du XIIIe siècle de la traduction française de « l'Histoire des croisades» de Guillaume de Tyr, ainsi qu'un recueil de textes dévots intitulé« Lisez et de bonne chose y trouverez». Deux articles seulement de l'inventaire de la Grande-Chartreuse se référaient à des oeuvres en français : il s'agissait d'un psautier (Psalterium in gallico) et d'un traité sur les vices et les vertus (De viciis et virtutibus in vu/gari). Le prieuré de l'Abbaye-sous-Dol ne possédait 54 VERNET,

La bibliothèque, cit. n. 8, p. 68.

55 Ibid., p. 264. 56 Ibid., p. 372. 57 Pour Maubuisson, cf. Bibliothèques, cit. n. 3, p. 134, no 107 5.

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qu'une seule oeuvre en français, un qui n'ont pas été identifiés. Rappelons encore que le ms. Troyes, B. M. 914 (H. 28 dans le catalogue de Pierre de Virey), est partiellement en papier, mais ce fait n'est pas signalé dans l'inventaire. 63 Le coutumier de l'abbaye composé par ce dernier (Lons-le-Saulnier, Arch. dép. du Jura, 2 H 106/1, cote provisoire) était également copié sur papier, mais le document ne le spécifie pas.

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A Cîteaux, c'étaient des Bibles, des parties de la Bible et des recueils de sermons. Les manuscrits en papier contenant des oeuvres de patristique étaient peu nombreux (il n'y en avait que trois), de même que ceux~ qui contenaient des textes de théologie et de spiritualité d'auteurs des XIIIe, XIVe et xve siècles. Huit autres contenaient des textes de droit canon, deux des oeuvres de médecine. Plus nombreux, en revanche, les livres en papier contenant des oeuvres d'histoire, de rhétorique, de poésie, aussi bien d'auteurs de l'Antiquité classique (Pline, Cicéron, Tite-Live, Persius Flaccus) que récents: ainsi Laurent Valla, avec les Elegantiae, Guillaume Tardif, maître au collège de Navarre, avec la Grammatica et Georges Trebisonda, avec la Rhetorica (t1485). A la Grande-Chartreuse, on ne trouvait que trois manuscrits en papier dans la première section thématique du catalogue, consacrée aux oeuvres de saint Augustin : l'un d'entre eux contenait des extraits, les deux autres des textes apocryphes. Les volumes en papier contenant des sermons et les oeuvres théologiques d'Hugues de Saint-Victor, de saint Bonaventure et d'Albert le Grand étaient un peu plus nombreux. Cependant, le papier semble avoir été le support préféré pour la copie de textes hagiographiques et de traités de spiritualité et de morale, en latin et en français, très souvent anonymes. Examinons à présent les fonds des cathédrales. L'inventaire du Mans ne signalait la présence d'aucun livre en papier. Il en était de même pour la «librairie» de l'église de Bayeux, inventoriée en 1476. En revanche, on en trouvait six sur les 244 volumes de la bibliothèque principale, décrits en 1480 : trois d'entre eux renfermaient la Pantheologia du dominicain Rainier de Pise (t1350)64. Deux autres contenaient respectivement un florilège extrait des oeuvres de saint Augustin et un recueil juridique6s. Enfin, sur les 192 volumes recensés dans l'inventaire du chapitre de Tréguier, on en trouvait quarante-cinq en papier, tous provenant du legs du trésorier Prigent Barbu. Encore une fois, les mélanges de textes patristiques étaient peu nombreux, alors que les ouvrages théologiques semblent avoir été mieux représentés66. Outre quelques recueils de ser64 L'un de ces volumes avait été versé dans les fonds de la cathédrale par l'évêque Louis d'Harcourt, mort quelques années auparavant. 65 Il contenait les Consilia du canoniste bolonais Johannes Calderini (t1365), suivis des additions du fils de cet auteur, Gautier, et des Recollecta de Jean de Milis, juriste véronais et avocat à Rome au milieu du xve siècle. 66 Ils étaient au nombre de 16, et contenaient des oeuvres d'auteurs du xne, tels Alain de Lille, du XIIIe siècle, tels saint Thomas d'Aquin, Pierre de Blois, saint Bonaventure, du XIVe siècle, tels Pierre Aureoli (tl321) et le dominicain Thomas Waleys (t1340), auteur d'un commentaire sur la Cité de Dieu de saint Augustin, mais aussi du xve siècle, comme Jean Versor (t1485).

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mons et d'oeuvres historiques, on trouvait des livres de droit civil et canon. Mais la collection du chanoine breton comportait également, parmi les livres en papier, le De mulieribus claris de Boccace et les Epîtres de Nicolas de Clamanges. La présence d'imprimés n'est pas très importante dans notre corpus. Ainsi, les abbayes de Saint-Serge d'Angers et Saint-Césaire d'Arles n'en possédaient aucun. Dans les autres fonds monastiques, les livres imprimés étaient surtout des livres liturgiques. Ainsi, l'abbaye de Clairvaux n'avait que deux bréviaires imprimés. Les bénédictins de SaintClaude du Jura ne disposaient que d'un « Ordinaire de l'Eglise mis en forme». En revanche, ceux du prieuré de l'Abbaye-sous-Dol possédaient, outre un Ordinaire, les Dialogues de saint Grégoire et un commentaire sur la Règle de saint Benoît. Dans le catalogue de la Grande-Chartreuse, deux articles seulement semblent se référer à des imprimés : un Compendium de théologie et un recueil de sermons. Il est donc certain que le rédacteur du catalogue n'a pas pris en compte la collection léguée en 1475 par Laurent de Blumenau et qui comportait, comme on le sait, de nombreux imprimés, pas plus que celle qui sera offerte, quelques années après, par le prieur François du Puy. De même que le catalogue de Clairvaux, ce document constitue donc un état du fonds « médiéval » du monastère, à la veille de l'entrée des nouvelles acquisitions. Ainsi, c'est encore l'abbaye de Cîteaux qui, avec dix-huit incunables, semble avoir disposé du fonds d'imprimés le plus important67. Outre des Bibles, des recueils de sermons et des Exempla tirés de l'Ecriture sainte, il y avait un volume d'oeuvres de saint Jean Chrysostome et un autre contenant des textes théologiques, notamment de Bernard de Clairvaux et de Thomas d'Aquin. Quatre autres imprimés contenaient des textes historiques : trois de l'Antiquité classique (Tite-Live, Pline et les Commentaria de Jules César), le quatrième avec le Fasciculus temporum de Werner Rolewinck, chartreux de Cologne (t1502)6s. D'autres imprimés renfermaient des oeuvres de rhétorique et de grammaire, d'auteurs de l'Antiquité classique, comme Cicéron, ou d'humanistes: Guillaume Tardif, Georges Trebisonda, Enée Piccolomini. Parmi les cathédrales, seul le chapitre de Tréguier possédait une collection de sept livres imprimés. A l'exception d'un exemplaire de la 67 Le pourcentage de ces imprimés (1,5% sur le total du fonds) est nettement moins important que celui attesté, à la même époque, dans les bibliothèques privées savantes (6% environ). Cf. 0RNATO et BOZZOLO, Les bibliothèques, cit. n. 3. 68 Cf. pour cet auteur, entre autres, C. F. BUHLER, The Fasciculum temporum, dans Speculum, 27 (1952), 2, p. 178-183; D. CoQ, Le Fasciculum temporum ... , dans Francia, 7 (1979), p. 580-582.

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Lectura du canoniste bolonais Francesco Zabarella (t1417) qui semble avoir appartenu au fonds primitif de la cathédrale, tous les autres incunables avaient été donnés par le trésorier Prigent Barbu. On remarque des éditions allemandes, mais aussi de Venise, de Bâle et de Bruges, d'oeuvres philosophiques, patristiques et théologiques. Le seul texte littéraire était la traduction française de Boccace que nous avons déjà eu l'occasion de citer. Ill.

LES MODÈLES DESCRIPTIFS

Mais l'analyse du contenu réel des collections demeure complexe, en raison du caractère limité et fragmentaire de nos sources. Celles-ci nous permettent en revanche d'étudier la manière dont les livres ont été répertoriés et les critères qui ont présidé à leur conservation et à leur gestion. Ces éléments, qui ressortent de l'étude des descriptions des livres, peuvent nous renseigner sur «le comportement d'une communauté cultivée à l'égard de l'ancien et nouveau véhicule de la culture écrite »69. Ces descriptions sont loin d'être homogènes. Pourtant nos catalogueurs ont fait en sorte de répondre en même temps aux trois exigences suivantes : l'identification du texte, la reconstitution de l'histoire du livre, la présentation de ses caractéristiques matérielles. 1. L'identification du texte

Les renseignements sur le texte disponibles dans nos documents demeurent très sommaires. Ainsi, le rédacteur du catalogue de SaintClaude s'est borné à indiquer l'intitulé de chaque volume. Dans le catalogue de la Grande-Chartreuse, des intitulés très courts, insérés dans un classement thématique axé sur les noms des Pères de l'Eglise et des théologiens, permettent seulement d'entrevoir l'important fonds patristique que l'abbaye pOSSédait aU xve siècle?O. Dans les autres documents, la technique utilisée pour l'identification du contenu, à savoir la mention des mots-repère 71 , se fonde encore sur 69 Voir à ce propos, les considérations d'ORNATO et BozzoLO, Les bibliothèques, p. 334. 70 Ce fonds fut exploité dès les premières décennies du xve siècle par les humanistes, notamment Niccolo Niccoli, Ambrogio Traversari et surtout Tommaso Parentuccelli dont l'action permit la diffusion de textes patristiques rares dans les bibliothèques des prélats italiens de cette époque. Cf. l'étude de A. MANFRED!, Umanesimo e teologi antichi. Dalla Grande Chartreuse alla biblioteca dei papi, dans /tafia Medioevale e Umanistica, 32 (1989), p. 155-204. Pour Parentuccelli et son « canone bibliografico >>, cf. l'étude de M. G. BLASIO, C. LELII et G. ROSSELLI, Un contributo alla lettura del canone bibliografico di Tommaso Parentuccelli, dans Le chiavi della memoria. Miscellanea net primo centenario della Scuola Vaticana di paleografia, Città del Vaticano, 1984, p. 125-166. 71 Pour cette technique, employée dès les premières décennies du XJVe siècle, et dont témoigne notamment un règlement de la bibliothèque de la Sorbonne de 1321, cf. T. GoTTLIEB,

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la considération que l'unité bibliographique est constituée par le volume, et non pas par le texte. On retrouve cette technique dans six documents : les trois inventaires des cathédrales et, pour les abbayes, les catalogues d'Angers, Clairvaux, Cîteaux. Les deux derniers l'utilisent de manière perfectionnée, comme en témoignent les descriptions mentionnant la mise en page ou la présence de pièces liminaires (tables, index, etc.). Dans le catalogue de Clairvaux, on remarque également l'emploi de renvois d'un item à l'autre du catalogue pour les textes secondaires contenus dans les mélangesn. Enfin, le texte est parfois présenté dans sa répartition en chapitres, livres, etc. (on précise alors les intitulés). On indique également, dans quelques cas, l'origine et la qualité des auteurs73. 2. Les données fonctionnelles et historiques

Les catalogueurs ont également donné des renseignements concernant l'usage et la provenance des livres74. Ces indications présentent d'autant plus d'intérêt qu'on peut les mettre en relation avec les données, précédemment examinées, du texte et du support. D'une manière générale, il apparaît que les responsables des collections étudiées ont réagi de manière différente au problème posé par l'intégration, dans les fonds, des ouvrages sur papier ou des imprimés. Alors que dans les bibliothèques d'origine récente ces apports ont été intégrés, les grandes collections monastiques, constituées dès une époque très ancienne, les ont en quelque sorte rejetés, en choisissant de les classer dans des sections récentes ou dans des fonds ad hoc. Ainsi, dans le catalogue de la Grande-Chartreuse, le fonds ancien est décrit dans les premières sections du catalogue, alors que les dernières

Über Mittelalterliche Bibliotheken, Graz, 1955 (réimpr. de Leipzig 1891), p. 317-320. Elle consiste, comme on le sait, dans l'indication de l'incipit du deuxième ou troisième folio et de l'explicit de l'avant-dernier. 72 Cf. par ex. les articles D.23 qui renvoie à Q.83, D.54, qui renvoie à Q.87, etc. Dans le catalogue de Cîteaux on a également détaillé le contenu des mélanges, reprenant notamment, pour les manuscrits de la bibliothèque du dortoir, le texte des tables anciennes portées sur les premiers feuillets d'un certain nombre de manuscrits. Cf. les no' 98 et 99 (mss. Dijon, B. M. 149 et 151). Mais, à la différence de Clairvaux, on n'a pas effectué de renvois d'un item à l'autre du catalogue. 73 Ordre religieux, titres universitaires pour les auteurs (par ex. les art. G.61, S.5, P.12); pour l'histoire du texte, cf. A.8 ; F.64, et une traduction de Boèce ; celui de Gilly avec les . Deux autres oeuvres en français étaient dans la collection de l'infirmerie. 78 A savoir 45 sur le total de 88 volumes en papier. Les volumes en papier étaient présents dans le studium dans la proportion de 25%. 79 Les quatre autres incunables étaient entreposés dans la bibliothèque du prieuré de Gilly, qui possédait aussi, comme on sait, un studium. 80 Quatorze étaient en papier. 81 Cf. par exemple les no. 551, 555 sqq., 560, 561 sqq. 82 Ces indications permettent de constater que, outre les textes normalement utilisés pour ces dernières lectures dans les abbayes (Bible, Pères de l'Eglise, vies de saints), on avait

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Les références aux livres pour le choeur et l'office destinés à l'usage de l'abbé, du prieur, des novices, du chantre, de l'infirmier sont également très nombreuses à Clairvaux. Il en est de même dans le catalogue de la Grande-Chartreuse 83. Dans les inventaires des cathédrales du Mans et de Bayeux, on spécifie également, pour certains livres liturgiques ainsi que pour des recueils de sermons, leur usage au cours de l'année. On a aussi mentionné, parfois, leur emplacement dans de lieux particuliers, comme la salle du chapitre. Les renseignements plus proprement historiques disponibles dans nos documents concernent l'origine et la provenance des livres. On en trouve dans les catalogues du Mans, de Bayeux, de la GrandeChartreuse et de Cîteauxs4. Ces renseignements sont particulièrement nombreux dans le catalogue de Clairvaux de Pierre de Virey. Mais ils ne concernent que les additions effectuées après 147285. Aussi, comme la bibliothèque du dortoir de l'abbaye de Cîteaux, la collection inventoriée à Clairvaux correspondait-elle au fonds « ancien » dont le contenu était bien délimité et, en quelque sorte, fermé. 3. L'identification du volume

C'est en présentant les livres de ces fonds anciens que nos catalogueurs semblent avoir commencé à renouveler leur technique d'identification et de description du volume. Les nomenclatures employées pour la description de certaines caractéristiques matérielles paraissent alors plus homogènes. Certaines d'entre elles sont mises en relation avec des données chronologiques. Cependant, cette nouvelle approche ne semble pas avoir concerné les aspects de la reliure, de la mise en page et de la décoration. Reliure, mise en page, décoration On sait que les communautés monastiques considéraient leurs livres comme une portion du patrimoine. Aussi reconnaissait-on une grande recours, à Clairvaux, aux oeuvres d'auteurs de l'époque carolingienne, comme Raban Maur, ainsi que, naturellement, aux oeuvres de saint Bernard et aux recueils de références, comme le Manipulus florum ou le De proprietatibus rerum de Barthélémy l'Anglais. 83 Dans le catalogue de la Grande-Chartreuse, certains livres étaient destinés à des usagers particuliers, comme le correcteur. 84 Ce sont des manuscrits que l'abbé Jean de Cirey fit exécuter (un manuscrit de chroniques, un missel), ainsi que deux manuscrits liturgiques provenant d'autres abbayes cisterciennes (Morimond et Barbeaux ; n•" 942, 943). 85 On distingue ainsi, à l'intérieur de ce document, et notamment grâce aux additions portées après 1472. les livres donnés par des anciens religieux, par des membres du collège de Saint-Bernard, ou encore par des abbés, comme Pierre de Virey lui-même. D'autres livres proviennent d'autres centres cisterciens, comme les abbayes de Clairmarais, de Trois-Fontaines ou de Chaalis. On reconnaît également certains livres offerts par des bienfaiteurs, comme Jacques Douet, premier président du Parlement de Bourgogne.

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importance à leurs reliures, qui étaient souvent précieuses. Les inventaires en témoignent, et donnent des indications très précises sur leur facture et sur leur état de conservation. C'est le cas des documents de l'Abbaye-sous-Dol et de Saint-Claude. Les reliures contemporaines ne semblent pas avoir suscité le même intérêt. Si les trois principaux fonds monastiques étudiés disposaient, au xve siècle, d'importants ateliers de reliure86, les Catalogues n'ont pas décrit leurs produits. Encore une fois, seuls quelques spécimens, particulièrement précieux ou dotés d'éléments décoratifs remarquables, ont été présentés87. Il en est de même pour la mise en page et la décoration : seules les typologies particulières ont été décrites. Pour la mise en page, on signale par exemple l'emploi de trois colonnes ou la présence de gloses. Pour la décoration, on n'a indiqué que rarement la présence d'initiales ornées88. Ainsi, par exemple, aucun des chefs-d'oeuvre de l'enluminure romane produits dans le scriptorium de l'abbaye de Cîteaux n'est présenté dans l'inventaire89. Le format

Le format est un élément très important pour l'identification d'un volume. Ainsi, sept documents nous ont livré des renseignements sur ce point : pour les abbayes, ce sont les inventaires de Cîteaux, de Clairvaux, de la Grande-Chartreuse et de Saint-Claude. Pour les cathédrales, ce sont les inventaires de Tréguier et du Mans.

86 Pour les reliures des Chartreux, cf. BONDÉELLE, Trésor, cit. n. 9, p. 72. Pour les reliures de Clairvaux au xve siècle, outre VERNET, La bibliothèque, cit. n. 8, p. 33, cf. L. MORELPA YEN, Les plus beaux manuscrits... , Troyes, 1935, p. 39-40 et pl. 40, 42; M. PIQUARD, Note sur quelques reliures de la Bibliothèque de Troyes, dans Les trésors des bibliothèques de France, 6 (1938), p. 134-140; et surtout J.-F. GENEST et D. GID, Sur quelques livres donnés à Clairvaux par Antoine Vérard, dans Revue française d'histoire du livre, 36 ( 1982), p. 303-314. Pour Cîteaux, cf. l'introduction du catalogue, où l'abbé dit avoir engagé une équipe de relieurs. 87 Ainsi à Clairvaux, cf. A.!! : >, et encore les A.20-26 : >. Pour Cîteaux, six notices seulement dans la section de la bibliothèque du dortoir font référence à la reliure. II s'agissait d'un volume >, d'un autre qui était >. Pour les quatre autres, on constate l'absence de reliure ( > ). Pour les autres sections, les seules reliures présentées étaient luxueuses ; il faut noter qu'il s'agit généralement de manuscrits liturgiques (no. 441, 444, etc.). 88 « Lettres d'or et d'asur >> ; >. Seule l'enluminure d'un antiphonaire de Clairvaux a fait l'objet d'une description soigneuse (cf. Y. 22; VERNET, La bibliothèque, p. 307). 89 Cf. ZALUSKA, L'enluminure, cit. n. 8, p. 17-20. Retenons cependant la notice relative à un légendier qui n'a pas été identifié (no 555 du catalogue de Jean de Cirey) et dont on dit qu'il était >.

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On a surtout signalé les petits formats. C'est le cas des inventaires de la Grande-Chartreuse, de Tréguier et du Mans dont les indications n'ont pu être confrontées avec les manuscrits subsistants9o. En revanche, l'enquête a été possible pour l'inventaire de Saint-Claude. Sur les quatrevingt-trois articles que comporte l'inventaire, le format n'est indiqué que dans trente cas. La plupart de ces mentions, soit vingt-deux, se réfèrent à des petits formats. Ils s'agissait de volumes mesurant entre 255 par 175 mm. et 200 par 115 mm. : ils contenaient généralement des oeuvres patristiques, théologiques, des commentaires bibliques, mais on remarque également un exemplaire de l'Enéide de Virgile. Les formats moyens, adoptés, eux aussi, pour des textes patristiques et théologiques, ainsi que pour un martyrologe, correspondaient à des manuscrits dont la date de copie variait entre les IXe, XIe et xne siècles et qui mesuraient entre 275 par 175 mm. et 215 par 155 mm. Les indications de format données dans les catalogues de Clairvaux et de Cîteaux sont analogues et correspondent à peu près aux mêmes valeurs91. Dans le premier document qui donne régulièrement l'indication du format, les typologies attestées peuvent être ramenées à trois grandes catégories : les grands92, les moyens93 et les petits formats94. Ces derniers semblent avoir été surtout utilisés pour les manuscrits de gloses bibliques du xne siècle ainsi que pour les manuscrits théologiques du XIIIe siècle, contenant notamment des sommes, des distinctiones et des traités sur les vices et les vertus. En revanche, les grands et moyens formats semblent toujours avoir été réservés aux recueils d'Originalia patrum, aux textes théologiques de base, comme les Sentences de Pierre Lombard ou la Summa de Thomas d'Aquin, ainsi qu'aux bibles.

90 A la Grande-Chartreuse, 20 notices seulement, sur les 629 du catalogue, mentionnent le format. Les petits formats contenaient, entre autres, un commentaire biblique, une somme de confesseurs et quelques recueils de sermons, mais surtout des oeuvres de théologie et de spiritualité (Meditationes anonymes, oeuvres de saint Bonaventure et d'Ubertino di Casale). Notons un recueil d'oeuvres de Jean Gerson, commençant avec la Josephina. Quant aux volumes de grand format, ils renfermaient des commentaires bibliques (Pastilla de Nicolas de Lyre) et des ouvrages théologiques (la Surnma de Raymond de Penafort et la Pantheologia de Rainier de Pise). De même que pour la Grande-Chartreuse, il nous a été impossible de comparer les indications relatives au format contenues dans les inventaires de Tréguier (18 articles seulement sur 192, dont 14 pour des volumes parvi, 3 mediocres et un seul magnus) et du Mans (5 sur 50). Notons que la plupart de ces indications concernent, comme dans le cas précédemment examiné, des manuscrits de petit format. 91 Pour Clairvaux, ces données proviennent d'une enquête sur 372 notices. 92 Ils mesuraient en moyenne 406 par 283 mm., avec des valeurs extrêmes de 486 par 328 mm. pour les plus grands et de 358 par 260 mm. pour les plus petits. 93 Environ 281 par 219 mm. 94 Environ 240 par 165 mm. On a constaté des valeurs extrêmes de 350 par 236 (proches donc des grands formats) et de 183 par 103 mm.

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La plupart des notices de l'inventaire de Cîteaux, et notamment celles des manuscrits conservés dans la bibliothèque du dortoir, indiquent le format9s. On a employé une terminologie qui, tout en paraissant plus précise que celle de Clairvaux96, n'implique pas pour autant que les dimensions des livres étaient plus variées. Ainsi, l'examen des manuscrits conservés révèle qu'il ne semble pas y avoir eu beaucoup de différence entre ceux qui étaient désignés comme mediocre, modicum minus ou satis parvum. Quoi qu'il en soit, le format moyen (ou mediocre) semble avoir été très répandu97 et ses dimensions correspondent à celles des formats moyens de l'inventaire de Clairvaux. Les très grands et grands formats, présents surtout dans les manuscrits de la bibliothèque du dortoir ou dans ceux de l'église, étaient réservés à l'Ecriture sainte et à la glose, au droit canon, ainsi qu'à certains manuscrits liturgiques (graduels et antiphonaires). Les petits formats semblent surtout avoir été utilisés pour les recueils d'exempta, de sermons et, comme à Clairvaux, pour certains ouvrages de théologie et de spiritualité.

L'écriture Les indications concernant l'écriture revêtent un intérêt particulier. On sait qu'au xve siècle les problèmes soulevés par la terminologie et par l'emploi des écritures ont fait l'objet de débats de la part des humanistes9s. Ils ont inspiré, à la même époque, la composition d'essais normatifs et de traités99. Aussi les catalogues de bibliothèque rédigés en Italie témoignent-ils de ce mouvement de réflexion. Il n'en est pas de même pour nos documents. Certains d'entre eux ne font que des références occasionnelles à l'écriture. L'inventaire de la cathédrale du Mans, par exemple, présente l'écriture d'un seul manuscrit : il s'agissait du missel en lettre de forme offert à la cathédrale par l'évêque Martin Berruyer. L'inventaire de Bayeux se borne à l'évocation de l'aspect matériel de l'écriture: il en mentionne la taille (littera mediocris, minuta), l'aspect général (liftera 95 813 sur 1200. Sur les 453 articles de la bibliothèque du dortoir, 22 seulement ne mentionnent pas le format. En revanche, cet élément n'est pas pris en compte pour les livres «modernes>>, décrits dans les dernières sections du catalogue. 96 Les termes utilisés sont les suivants : volumen maius, magnum, satis magnum, modicum maius, modicum minus, mediocre, satis parvum, parvum, minus. Les indications du type satis competenti, appliquées au format, semblent traduire un jugement personnel du catalogueur, qui estime que l'apparence extérieure et notamment le format s'adaptaient bien au contenu. 97 320 volumes sur les 813 dont le format est mentionné, soit 39,36 %. La moyenne pour ce format peut être estimée à 290 par 190 mm. 98 Cf. notamment E. CASAMASSIMA, Per una storia delle dottrine paleografiche dall'umanesimo a Jean Mabillon, dans Studi medievali, 5 (1964), p. 525-578. 99 F. GASPARRI, Lexicographie historique des écritures, dans Vocabulaire du livre et de l'écriture au Moyen Age, Actes de la table ronde de Paris, 24-26 septembre 1987, Turnhout, 1989, p. 100-110.

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caduca). Quatre notices seulement établissent un rapport entre le type d'écriture et la date. Ainsi, deux manuscrits, contenant respectivement un exemplaire du Sexte de Boniface VIII et du De consolatione de Boèce, étaient en veteri littera ; deux autres en littera recentiHYJ.

On possède un peu plus de renseignements pour les écritures des manuscrits de Saint-Claude car, dans une vingtaine de cas, nous avons pu comparer les indications données par le catalogue avec des manuscrits subsistantsJoJ. Encore une fois, ces définitions demeurent sommaires, reflétant une évaluation de l'écriture fondée sur le seul aspect extérieur. Aussi, la dénomination lettre bien ancienne se référait-elle à un recueil de grammaire, copié en partie au xrve, en partie au xve siècle. Aussi, l'écriture onciale de l'actuel manuscrit Paris, Bibliothèque nationale, latin 9550, du vne siècle, est-elle simplement qualifiée de vielle lectrewz. En revanche, il est possible de mettre en relation la dénomination lectre antique avec une typologie d'écriture particulière : la minuscule du rxe siècle des manuscrits appartenant au fonds « ancien » de l'abbaye de Saint-Claude103, Les catalogues de Clairvaux et de Cîteaux comportent également des références à l'écriture. Là aussi, dans la plupart des cas, on s'est limité à la présentation de son aspect extérieur (pulchra, parva, mala, grossa, bona, competens littera à Cîteaux; belle lettre, bonne lettre, meschante lettre à Clairvaux). Ce dernier document ne semble pas comporter une nomenclature très précise pour les écritures anciennesJo4. Des indications plus détaillées concernent les manuscrits de copie récente : citons par exemple la lettre de forme du manuscrit Troyes 2045 (XVe siècle), la lettre courrant des manuscrits Troyes 151, 166 et 1559, qui avaient été commandés à Paris par Pierre de Virey, et encore la lettre bastarde d'un missel qui n'a pu être identifié. Il est très vraisemblable que la litfera communisJos attestée dans bien des notices de l'inventaire de Cîteaux correspond à la lettre courrant de Clairvaux. En revanche, Ces manuscrits n'ont pas pu être identifiés. Les définitions données sont les suivantes : lectre bien ancienne, 2 cas ; lectre fort antique, 9 cas ; lectre bien antique, 2 cas ; lectre antique, 2 cas ; vielle lettre, 1 cas. On trouve en outre les expressions prime lectre, dont il nous a été impossible d'éclaircir le sens faute de manuscrits subsistants, et lettre fort usee, employée pour un recueil de grammaire du Ixe siècle (ms. Saint-Claude 2). 102 Pour la bibliographie sur ce manuscrit, cf. supra, n. 13. 103 Ce sont par exemple les actuels Troyes, B. M. 2405, Montpellier, Bibl. univ., Fac. de Médecine 404, qui avaient été offerts à l'abbaye par le prévôt Mannon. Dans un seul cas, la dénomination lectre antique se réfère à un manuscrit copié au xme siècle, actuellement conservé dans le fonds des Arch. dép. de Lons-le-Saulnier (12 S 29). 104 Notons toutefois la bien ancienne lettre romaine du ms. Montpellier, Bibl. uni v., Fac. de Médecine 484 (les ff. 1-143 du IXe siècle). 105 Dans un seul cas (cf. l'actuel ms. Dijon, B. M. 359, du XIVe siècle), nous avons pu mettre en relation cette définition avec un manuscrit conservé. lOO

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faute de manuscrits subsistants, il nous est impossible d'identifier la pulchra nova littera d'un manuscrit de sermons de saint Bernard. Mais c'est surtout grâce à la répartition en sections de l'inventaire de Jean de Cirey, qui reflètent les strates chronologiques de la bibliothèque, que la nomenclature des écritures employée se révèle intéressante. Si, sur 1200 articles, 227 seulement font référence à cet aspect, on est frappé par le fait que plus de la moitié d'entre eux correspondent à des manuscrits de la bibliothèque du dortoir. Dans ce fonds était également conservée la plupart des manuscrits copiés en liftera antiquai06. La comparaison avec les manuscrits conservés permet d'établir que l'on définissait comme littera antiqua des écritures datant de la fin du xre et du XIIe siècles. Toutes, en tout cas, dataient d'avant 1175-1180. Comme l'ont prouvé les recherches d'histoire de l'enluminure, cette date a correspondu à une évolution dans les usages du scriptorium de Cîteaux JO?.

*** Les rédacteurs de nos catalogues ont donc approché leurs livres à travers les trois aspects du texte, de l'histoire et des caractéristiques matérielles. Mais, d'une manière générale, on a pu constater que la présentation du texte demeure sommaire. Les données historiques et fonctionnelles s'expriment essentiellement à travers la répartition des livres en dépôts séparés ; seules sont précisées les origines de quelques acquisitions récentes qui ne pouvaient pas être identifiées par la simple désignation de leur contenu. Cependant, l'existence d'un noyau ancien dont la fonction historique et intellectuelle est fortement ressentie se dégage, à l'intérieur de cette répartition, dans les bibliothèques formées, au cours des siècles, par la stratification de couches successives. A la suite d'un ralentissement momentané des acquisitions, ce noyau demeure circonscrit ; sa composition ne sera pas modifiée par l'entrée en masse de nouveaux livres (en papier, imprimés). Mais certaines caractéristiques matérielles de ses livres sont alors mises en relation avec des données historiques et font l'objet de descriptions plus homogènes. Il s'agit de l'écriture et du format, des caractéristiques essentielles qui permettaient de distinguer les livres anciens des nouvelles acquisitions.

106 Sur 43 manuscrits en littera antiqua, tous figurant dans les premières sections du catalogue. 25 se trouvaient dans la bibliothèque du dortoir. 107 Elle correspond notamment à l'abandon du style monochrome dans la décoration des manuscrits de l'abbaye. Cf. ZALUSKA, L'enluminure, cit. n. 8, p. 18.

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LE LIVRE PEINT A LA FIN DU MOYEN AGE, SUPPORT PRIVILEGIE D'UNE POLITIQUE DYNASTIQUE, FAMILIALE OU PERSONNELLE. Les Miracles de Notre-Dame (B. N., n. a. fr. 24541) et le Livre d'heures de Pierre II de Bretagne (B. N., lat. 1159) Christian DE MERINDOL (Musée des Monuments Français)

Une dynastie, une famille, une personne s'expriment par des armoiries, des emblèmes et, ce point est souvent négligé, par des thèmes. Les supports de ces stratégies iconographiques sont des plus variés. Le manuscrit est le support privilégié d'intentions politiques. On peut différencier les manuscrits « officiels » dans une stratégie dynastique, des manuscrits à caractère symbolique reflétant une situation politique exceptionnelle, des manuscrits davantage «privés» ou «mixtes», supports d'ambitions, de prétentions politiques et dynastiques. 1.

HÉRALDIQUE

Des marques de possession

Les emblèmes représentés dans un manuscrit, notamment les armoiries, sont avant tout considérés comme des marques de possession. Ils permettent de préciser, suivant les cas, la date et la destination d'un manuscrit ou ses possesseurs successifs. La reconstitution partielle d'une bibliothèque peut ainsi s'établir. Nous renvoyons à nos travaux sur la seconde maison d'Anjou 1• Cette connaissance des armoiries peut éclairer la lecture d'un catalogue d'une bibliothèque où sont mentionnés des emblèmes. Nous avons ainsi fait apparaître que la bibliothèque de Charles III de Provence, considérée depuis les travaux d'Albanes, qui en a publié l'inventaire, comme, pour l'essentiel, un fragment de la bibliothèque du roi René qui lui avait été transmise par héritage - son étude porte le titre de « La bibliothèque du roi René » - contenait aussi des ouvrages provenant de la bibliothèque de son père, Charles III du Maine, qui étaient jusque-là passés inaperçus.

l Sur la seconde maison d'Anjou, voir C. DE MÉRINDOL, Le roi René et la seconde maison d'Anjou. Emblématique, art, histoire, Paris, 1987.

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Les manuscrits « officiels » dans une stratégie dynastique Les manuscrits peuvent aussi jouer un rôle dans les stratégies politiques. Deux manuscrits peuvent être considérés comme « officiels », le Juratoire et livre des fondations de la chapelle royale du Gué-deMaulny, qui a été complété par Yolande d'Aragon, alors régente, vers 1425 et le Registre de la confrérie de Sainte Marthe fondée par la reine Marguerite de Duras, à Naples, vers 14002. Dans ces deux manuscrits est affirmée la continuité d'une dynastie sur plusieurs générations. Les écus posthumes des deux fondateurs, respectivement Louis Jer d'Anjou et Charles III de Duras, contiennent les armes prestigieuses de Jérusalem, que ces princes ne portaient pas de leur vivant mais que leurs successeurs avaient placées dans leur écu. Cet écu posthume des deux fondateurs n'est représenté, à notre connaissance, que dans ces manuscrits de caractère officiel. Les manuscrits à caractère symbolique, reflets d'une situation politique exceptionnelle D'autres manuscrits peuvent avoir un caractère hautement symbolique, être le reflet d'une situation politique. Ainsi nous avons proposé de reconnaître dans un manuscrit aux armes de Nicolas d'Anjou, un exemplaire du Jeu des échecs moralisés de Jacques de Cessales traduit par Jean Ferron3, un présent de Charles le Téméraire au jeune prince à l'occasion de la promesse de mariage avec Marie de Bourgogne en 1472. Tout semble l'indiquer: la datation de l'écu armorié, 1470-1473, l'importance des emblèmes du prince qui l'accompagnent, sa répétition ainsi que l'iconographie de la scène de l'offrande du livre à un jeune prince, solennellement entouré de sa cour, par une jeune femme vêtue aux couleurs de Charles le Téméraire, le violet et le noir, qui surmonte l'emblème héraldique. Le choix de l'ouvrage paraît également s'accorder à cette proposition. Les manuscrits davantage « pnves » ou « mixtes », supports d'ambitions, de prétentions politiques et dynastiques. Certains manuscrits en apparence de caractère plus privé, plus personnel-livre d'heures, psautier, diurnal ou bréviaire- qui sont souvent particulièrement ornés ou illustrés, reçoivent parfois une décoration héraldique qui reflète des ambitions, des prétentions politiques et 2 Sur la première maison d'Anjou, voir C. DE MÉRINDOL, Entre la France, la Hongrie et Naples: les Anjou, dans Staaten, Wappen, Dynastien, Jse Congrès intem. de généalogie et d'héraldique, Innsbruck, 1988, paru dans Veroffentlichungen des Innsbrücker Stadtarchiv, N.F., Bd. 18 (1988), p. 145-175. 3 Paris, B. N., fr. 2000.

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dynastiques. La disposition exceptionnelle de Jérusalem au centre des royaumes dans un écu représenté dans un livre d'heures conservé à la Bibliothèque nationale (latin 1156A) nous a permis de placer définitivement l'exécution de ce livre d'heures jusque-là mal daté, durant la captivité du roi René à Dijon (1435-1436). Le livre d'heures de Yolande (tl483)4 est marqué du nouvel écu de prétention de reine de Jérusalem et de Sicile qu'elle prit à la mort de son père, le roi René (1480). Seuls les manuscrits de Jeanne de Laval -la veuve de ce prince et demeurant à Laval - notamment un psautier conservé à la bibliothèque municipale de Poitiers, contiennent l'écu de Laval ancien qu'elle remit en usage après la mort de son époux, tandis que son écu se modifiait, comme celui de ses frères François, qui devint Guy XV, et Pierre, évêque de Reims, soulignant ainsi son appartenance à la maison de Laval. Enfin le second écu de René II de Lorraine est représenté dans son diurnals qui est daté de 1492-14936. Cet écu, qui est de prétention, apparaît pour la première fois sur une monnaie en 1491 puis peu après dans ce diurnal, bien avant le grand sceau (1504). Ces manuscrits, que l'on pourrait qualifier de mixtes de par le soin apporté à leur exécution qui les rend proches de manuscrits officiels, et de par leur fonction, leur contenu davantage personnel, privé, sont ainsi les supports privilégiés de partitions héraldiques plus en accord avec les intentions politiques, dynastiques ou personnelles. 2.

EMBLÉMATIQUE NOUVELLE.

LES EMBLÈMES ET AUTRES

SIGNES

PARAHÉRALDIQUES

Les armoiries traduisent l'identité d'une personne, son appartenance à une famille, à un lignage, les signes figurés et autres emblèmes plutôt la personnalité de celui qui les porte. L'extraordinaire développement de cette emblématique au cours du XIVe et du xve siècle correspond à une sclérose de l'héraldique et à de nouveaux besoins de la société. Des emblèmes personnels deviennent parfois héréditaires. Parmi les emblèmes, certains paraissent davantage représenter la personne officielle, d'autre semblent plutôt exprimer la personne privée.

4 Paris, B. N., lat. 9472. 5 Paris, B. N., lat. 10491. 6 Sur la maison de Lorraine, voir C. DE MÉRINDOL, La politique du duc de Lorraine René II ( 1473-1508), à l'égard de la seconde maison d'Anjou, de la France et de la Bourgogne, d'après le témoignage de l'emblématique et de la thématique, dans Actes du 113' Congrès national des sociétés savantes, Histoire médiévale, Strasbourg, 1988, p. 71-114.

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Emblématique nouvelle. Manuscrits « officiels » : juratoires, lettres d'anoblissement, testaments, manuscrits d'auteur Dans le Juratoire de la chapelle royale du Gué-de-Maulny7, les écus des premiers princes de la maison d'Anjou-Valois sont exceptionnellement tenus par des anges qui appartiennent à la symbolique de la maison de France. Ainsi était soulignée par Yolande d'Aragon la continuité entre les deux maisons Valois-Anjou. René II de Lorraine, petit-fils du roi René, reprit les anges comme supports de son écu dans deux manuscrits peints, un livre d'heures et un diurnal, montrant ainsi ses relations avec la maison royale. On pourrait multiplier les exemples. On pourrait ajouter les lettres d'anoblissement du roi René ou les testaments de Louis rer, de Louis III et du même René qui sont marqués d'emblèmes officiels. Les deux premiers testaments portent la croix double, l'initiale du troisième est marquée du bâton écôté, un des emblèmes personnels de René d'Anjou. Les manuscrits d'auteur peuvent contenir le mot de l'écrivain, sorte de signature. Ainsi les premiers mots du prologue et les derniers de l'épilogue de la traduction du Filostrato de Boccace, Le roman de Troyle, sont sans départir qui est le mot de Louis de Beauvau, auteur de la traductions. Deux manuscrits conservent ce mot en tête du texte9. Cependant, dans deux autres manuscrits marqués de l'emblématique d'un possesseur, un manuscrit de 1456 destiné à Marie de Clèves, épouse de Charles d'Orléans, et un second précédé d'un écu et d'un mot, le texte ne commence pas par sans départirw.

Emblématique nouvelle. La personne privée Les livres d'heures et autres manuscrits personnels contiennent les badges les plus privés. Ainsi la chausse-trape, emblème de la captivité du roi René à Dijon en 1435-1436, et les épines de la couronne du Christ, expression de la souffrance mais également, selon toute vraisemblance, allusion, par la passion du Christ, au royaume de Jérusalem, toute récente prétention du prince, sont représentées dans le livre 7 Ms. Le Mans, B. M. 691 ; sur ce dernier, voir également, outre notre étude citée dans la note 1 (notamment p. 44-46), C. DE MÉRINDOL, La politique de la seconde maison d'Anjou à l'égard de la Bretagne d'après les témoignages de l'héraldique et de l'emblématique, dans Actes du J07e Congrès national des sociétés savantes, Philologie et histoire, Brest, 1982, Il, p. 185-206. 8 C. DE MÉRINDOL, Les brisures et les modifications des armoiries de Beauvau à la fin du Moyen Age. Emblématique, art, histoire, dans Brisures, augmentations et changements d'armoiries, Actes du se colloque international d'héraldique (Spolète, 1987), Bruxelles, 1988, p. 199-224. 9 Paris, B. N., fr. 1496 et 1501. lü Paris, B. N., fr. 25528 et 25527.

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d'heures déjà citéii qu'il fit exécuter pendant sa captivité. Un second livre du roi Renéi2 contient la souche sèche portant un rameau d'oranger, les lettres RI, le touret, «en un», ainsi que l'arc détendu, le mot arco per lantare, piaga non sana (relâcher l'arc ne guérit pas la plaie) et un motif que nous reconnaissons volontiers comme une palissade surmontée d'un arc en forme de bâton écôté, c'est-à-dire un fragment de roseraie sans roses. Tous ces badges sont des allusions à ses deux épouses, Isabelle de Lorraine et Jeanne de Laval.

3.

LA THÉMATIQUE

Parmi les thèmes en faveur dans les maisons royales et princières on peut différencier des thèmes davantage «officiels», exprimant, sur le plan politique notamment, une affirmation, une alliance, une prétention, une opposition ou une réponse à un adversaire, et d'autres qui paraissent davantage exprimer la personne« privée», notamment sur le plan des relations dans le couple, la piété et la mort.

L'affirmation par la généalogie Une bible du grand séminaire de Malines contient, disposé sur une double page peinte, à gauche Robert de Naples en majesté et à droite plusieurs générations de la première maison d'Anjou. Par la présence de ces miniatures, cette bible appartient aux manuscrits que nous qualifions de «mixte», officiel par la décoration, et sans doute davantage privé par son contenu. Nous connaissons d'autres exemples concernant notamment la généalogie de la maison de France.

Les vertus et les hauts faits d'une dynastie Dans cette bible huit vertus accompagnent la figuration de Robert. Cette bible peut être rapprochée du monument funéraire de Marie de Hongrie (t1323), épouse de Charles II, dans l'église Santa Maria Donna Regina, à Naples, où sont représentés onze personnages qui figuraient les différentes branches issues du couple royal. Le monument de Robert (t1343), élevé par sa petite-fille Jeanne Ière, dans l'église Santa Chiara, réunit les membres de sa famille et son héritière suivant une claire hiérarchie· de part et d'autre de l'effigie de Robert, qui est placée au centre de la face antérieure du sarcophage. Quatre vertus cardinales accompagnent le gisant de Marie de Hongrie, et deux à six vertus sont représentés sur les tombeaux de Robert, de Marie de V al ois, épouse de Charles de Calabre, et de Marie de Calabre, sa fille. Il

12

Paris, B. N., lat. 1156A. Paris, B. N., lat. 17332.

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La représentation en majesté et le portrait personnalisé

Un thème a la faveur des maisons royales et princières, celui de la représentation en majesté, siégeant sur un trône et tenant les signes du pouvoir. Dans le domaine du manuscrit on peut citer cette même bible de la première maison d'Anjou-Naples conservée à Malines. Plus tard le roi René utilisera le thème qui appartient davantage à la symbolique du pouvoir. Le rôle du portrait s'accroît au cours du XIve siècle. Nous reviendrons dans une autre étude sur les débuts du portrait personnalisé. Michel Pastoureau a déjà clairement montré qu'il appartient au monde des emblèmes13. Un des premiers exemples de portrait personnalisé dans un livre d'heures est contenu dans le manuscrit peint pour René d'Anjou à Dijon en 1435-1436, le manuscrit latin 1156A de la Bibliothèque nationale, où figurent le très fameux portrait, accompagné de ses emblèmes, et celui de son père Louis II. Par son contenu, ce livre peint dans des conditions exceptionnelles, la captivité et les prétentions sur plusieurs royaumes, demeure, nous le verrons, par certains aspects, un manuscrit davantage privé. La symbolique d'une dynastie, d'un roi, d'un prince

Chaque dynastie, chaque famille, une ville, une personne peut avoir une symbolique propre. Une symbolique fondée sur un légendaire soulignant les relations privilégiées de la maison de France avec le Ciel se forme sous les derniers Capétiens. Elle n'est pas sans rapport, selon toute vraisemblance, avec les multiples successions par les branches cadettes. Elle se développe sous les V al ois dans leur effort de propagande pour soutenir leur légitimité face aux prétentions de leurs adversaires, les maisons d'Angleterre et de Navarre 14. Les thèmes religieux des anges, des prophètes, des quatre évangélistes, de la Trinité et de l'Annonciation prirent une nouvelle signification. La permanence de cette symbolique est sensible dans les actes mêmes du roi. Philippe VI fut sacré à Reims le dimanche de la Trinité en 1328, Charles V se fit consacrer également ce dimanche, le 19 mai 1364. Ce roi est représenté en prière devant la Trinité dans la charte de fondation du couvent des Célestins de Limay

13 La naissance de la médaille: des impasses historiographiques à la théorie de l'image, dans Revue numismatique, 6e série, 30 (1988), p. 227-247. 14 Voir notamment C. DE MÉRINDOL, Essai sur l'emblématique et la thématique de la monarchie française à la fin du Moyen Age d'après le témoignage du château de Vincennes, dans Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 1986, p. 187-227.

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en 1377, dans deux chartes concernant la Sainte-Chapelle de Vincennes, qui est placé sous le vocable de la Trinité et de la Vierge Marie, et dans une bible historiale conservée à l'Arsenal. Les relations entre systèmes symboliques Les rapports politiques entre les cours royales et princières s'expriment volontiers par l'intermédiaire des thèmes. Les officiers de la cour royale de France, les proches comme les princes, précisent ainsi leur position par rapport à la maison royale. Il en est de même, à certaines époques, d'autres dynasties. A son tour, la cour royale de France n'est pas insensible à la symbolique d'autres cours pour exprimer ses prétentions politiques et dynastiques1s. Ces différents points sont rarement observés. La Trinité est un thème appartenant à la symbolique de la maison de France. Il est retenu par Jeanne Ière et Louis de Tarente dans les statuts de l'ordre du Saint-Esprit où ils figurent aux pieds de la Trinité16. Louis est Valois par sa mère et aussi Capétien par son père. Jeanne Ière, à un degré plus lointain, est aussi une descendante des Capétiens. Les statuts de l'ordre sont profondément inspirés de ceux de l'ordre de l'Etoile que venait de créer Jean le Bon. L'hommage peut être moins direct mais non point moins significatif. La célèbre image de la procession de la Fête-Dieu, place de Grève, dans le pontifical de Jacques Jouvenel des Ursins, évêque de Poitiers - à l'origine le pontifical du duc de Bedford - est un bel exemple passé inaperçu11. En effet, c'est devant l'Hôtel de Ville, haut lieu du pouvoir de la ville de Paris, à présent totalement aux mains du roi Charles VII, que passe le dais porteur de deux emblèmes royaux : une bordure fleurdelisée et des branches de rosiers, jetées par les Parisiens, emblème personnel du roi. Cette image a été peinte entre 1451 et 1457. Des saints et certains thèmes religieux jouent ainsi un grand rôle pour souligner des prétentions sur un territoire, sur un royaume. Nous avons acquis la conviction, nous l'avons dit, que l'insistance constante de René d'Anjou d'honorer la Passion du Christ jusqu'à la fin de sa vie - nous connaissons plus de trente témoignages de cette dévotion 15 C. DE MÉRINDOL, Piété et politique dans les cours royales et princières à !afin du Moyen Age. Nouvelles lectures, dans Renaissance européenne et phénomènes religieux 1450-1650, Festival d'histoire de Montbrison, 1990, Montbrison, !991, p. 235-263. 16 Paris, B. N., fr. 4274. 17 C. DE MÉRINDOL, Le culte de sainte Radegonde et la monarchie française à la fin du Moyen Age, dans Les religieuses dans le cloître et dans le monde des origines à l'époque contemporaine, 2e colloque international du C.E.R.C.O.R., Poitiers, 1988 (à paraître). Sur ce manuscrit voir notamment Ch. STERLING, La peinture médiévale à Paris, I, Paris, 1987, p. 450-456, fig. 325 et 326.

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lui permettait d'affirmer ses droits -sans réalité politique- sur le prestigieux royaume de Jérusalem. Les premiers témoignages connus datent précisément de l'époque de sa captivité à Dijon pendant laquelle il reçut en héritage le royaume de Naples, avec ses armoiries royales de Hongrie, d'Anjou ancien (ou Naples) et de Jérusalem. Dans le livre d'heures composé à cette époque, déjà cité, Jérusalem est évoqué par le thème de la Passion, illustré par l'image du Christ de pitié devant laquelle, sur la page opposée, prie le roi René accompagné de tous ses emblèmes, notamment des épines du Christ et de la croix double 1s! Le choix des saints est aussi significatif. Les droits sur la Lorraine sont illustrés par saint Antoine et saint Nicolas, la Provence est évoquée par la Madeleine, l'Anjou par saint René, le duché de Bar par saint Sébastien et la Hongrie par le patron de ce royaume, saint Etienne. D'autres saints sont plus personnels : saint Georges et saint Michel, patrons des chevaliers - une prière le précise - , ou bien correspondent à la situation exceptionnelle du prince : sainte Catherine libère les prisonniers et saint Jean l'Evangéliste est le patron de la SainteChapelle de Dijon. René II de Lorraine, fils de Yolande d'Anjou, la fille du roi René, et de Ferry de Vaudémont, le fils du vainqueur de Bulgnéville qui entraîna la captivité du roi René à Dijon, fut le fondateur de la nouvelle maison de Lorraine19. La filiation avec la seconde maison d'Anjou et, de là, les prétentions sur la Provence et le royaume de Naples étaient illustrées dans son diurnal par l'image de saint Louis d'Anjou portant sur les orfrois les armes des quatre royaumes (Hongrie, Jérusalem, Anjou ancien et Aragon) et sur la chape ses armes personnelles (Anjou ancien), et par la représentation de Marie Madeleine et de la Sainte Baume et par celle de sainte Marthe et de la Tarasque. Les prétentions sur le royaume de Jérusalem sont évoquées par le rapprochement de la vie de David - qui prenait alors une connotation particulière en associant la conquête du royaume de Naples et la croisade contre le Turcet des événements importants de l'existence de René II. Les saints du vaincu rehaussent le prestige du vainqueur. Pour éviter toute confusion, saint Georges est soigneusement représenté avec la croix double sur son armure. Quant à saint André, il est exceptionnellement représenté avec une croix droite dans le même manuscrit.

18 On trouvera les références dans C. DE MÉRINDOL, Emblématique et histoire de l'art. Le livre d'heures du roi René, Paris, Bibliothèque nationale, latin 1156A : date et lieu d'exécution, dans Actes du 109' Congrès national des sociétés savantes, Archéologie, Dijon, 1984, p. 181-195. 19 Voir supra, n. 6.

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On pourrait également citer la maison de Bretagne qui, au cours du siècle, s'est affirmée par le développement d'une thématique propre et qui, en se rapprochant de la maison de France - pour s'y opposer également- n'a pas été insensible à la symbolique du royaume2o.

xve

***

Deux des manuscrits cités, le Juratoire du Gué-de-Maulny et les Heures de Pierre II, jouent un rôle dans la lecture de deux exemples inédits concernant les maisons de France et de Bretagne, propos de cette communication. Il s'agit de deux manuscrits mixtes, très proches de manuscrits officiels par leurs intentions politiques : l'un démontre la légitimité d'une nouvelle dynastie, celle des Valois, l'autre souligne davantage les prétentions royales de la maison de Bretagne. LES MIRACLES DE NOTRE-DAME DE GAUTIER DE COINCY Le manuscrit de la Bibliothèque nationale, nouvelle acqmsltwn française 24541 a été étudié pour son contenu et son illustration, entre autres savants, par l'abbé Poquet et Léopold Delisle au siècle dernier, plus récemment notamment par Henri Focillon puis par K. Morand, Millard Meiss, Francis W ormald, et en dernier lieu par Charles Sterling et François Avril2I. On s'accorde pour le considérer comme ayant été peint par Jean Pucelle pour Jeanne de Bourgogne, première femme de Philippe de Valois, entre 1328, date de son avènement, et 1333-1334, date de la mort de l'artiste. Ce manuscrit comprend deux parties: les miracles de Notre-Dame et une série de prières. En tête du codex, le frontispice représente la Vierge sur le trône de Salomon (f. Av, cf. FIGURE 17). La seconde partie commence par l'image de l'Annonciation (f. 232). Son illustration réunit une série d'effigies de rois et de reines, huit priant la Vierge à l'Enfant (f. 232v, 234, 235v, 237, 238v, 241, 242, 242v), la neuvième, le Christ bénissant et tenant le globe (f. 243v). Les effigies sont diversement interprétées, et encore tout récemment celles figurant une reine,

20 Voir notre mise au point dans C. DE MÉRINDOL, Essai sur l'emblématique et la thématique de la maison de Bretagne. Mise au point, nouvelles lectures, nouvelles perspectives, dans 1491. La Bretagne, terre d'Europe, Brest- Quimper, 1972, p. 265-294. 21 CH. STERLING, La peinture médiévale à Paris, no Il, p. !00-103 (bibliographie); F. AVRIL, La passion des manuscrits enluminés, Paris, !991, p. 16, n. 3.

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malgré les différences entre leurs représentations, sont considérées comme la répétition de l'effigie de la reine Jeanne de Bourgogne. Un relevé attentif de ces effigies montre une alternance: une reine, un roi, à nouveau une reine, un roi, puis trois reines, enfin un roi et une reine. Cette alternance reflète la généalogie de la maison royale de France. Le roi suivi de trois reines ne peut être que Charles IV le Bel, mort en 1328, dernier Capétien, suivi de ses trois épouses : Blanche de Bourgogne qu'il a répudiée - son attitude de profonde humilité aux pieds de la Vierge dans l'image du manuscrit l'illustre parfaitement (f. 238v) -,Marie de Luxembourg qu'il épousa en 1322, après la dissolution de son premier mariage, et qui mourut en 1324, enfin Jeanne d'Evreux qu'il épousa la même année et qui mourut beaucoup plus tard en 1371. La généalogie réunit ainsi Clémence de Hongrie morte en 1328, Philippe le Long mort en 1322, Jeanne de Bourgogne décédée en 1330, Charles IV et ses trois épouses, enfin Philippe VI roi en 1328 et Jeanne de Bourgogne. Tous les personnages, à l'exception du dernier roi, sont représentés de trois quarts. Seul Philippe VI est de profil. Le portrait de profil appartient au monde des emblèmes. Michel Pastoureau, nous l'avons dit, l'a fort bien montré à propos de la médaille22. La destination de ce manuscrit est claire. Il s'agit d'un manuscrit destiné à la chapelle royale du Gué-de-Maulny, près du Mans, un domaine personnel de Philippe VI. Cette chapelle royale a été fondée en septembre 1329 -la date du manuscrit se place, nous l'avons dit, entre 1328 et 1333-1334- à la vigile de la Naissance de la Vierge par Philippe VI et son épouse Jeanne de Bourgogne. La présence des deux effigies à la fin des prières correspond, selon toute vraisemblance, à cet acte. Les Miracles de Notre-Dame ne pouvaient que convenir. Les représentations des rois et des reines, et notamment celle de Philippe VI dans une église aux pieds de la Vierge à l'Enfant, se retrouvent dans le Juratoire du Gué-de-Maulny déjà mentionné23. Ce manuscrit a été complété par Yolande d'Aragon au siècle suivant, après que le domaine ait été attribué à Louis rer d'Anjou, alors que la chapelle et le château primitifs de Charles de Val ois et de Philippe VI avaient été détruits vers 1360 lors de la guerre contre les Anglais. Les premiers princes et princesses de la seconde maison d'Anjou sont représentés en prière devant la Vierge à l'Enfant. Le manuscrit des Miracles de Notre-Dame revêt une importance accrue par les circonstances. Ce manuscrit légitime les fondements de la nouvelle dynastie. La chapelle du Mans est considérée comme 22 Voir supra, n. 13. 23 Sur ce manuscrit, voir supra, l'étude citée n. 7.

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royale24. La Vierge est honorée traditionnellement par les rois de France. Plusieurs images dans le manuscrit soulignent la continuité entre les Capétiens et les Valois. Le choix du trône de Salomon (FIGURE 17), selon l'interprétation donnée par Albert le Grand au texte du Livre des Rois, en tête du codex, renvoie à une thématique propre aux Dominicains - ce qui explique, en passant, son succès en pays germanique et notamment à Strasbourg. Or saint Louis comme Charles IV le Bel avaient des relations privilégiées avec cet ordre. Charles IV notamment se fit enterrer en trois églises : le corps à SaintDenis, le coeur chez les Dominicains et les entrailles à Maubuisson. On connaît les rapports étroits de Philippe VI avec cet ordre, en particulier avec Bernard Gui2s. D'autres aspects de cette image fort complexe soulignent également par l'intermédiaire de Samuel et des dons du SaintEsprit et par l'image de Salomon, la légitimité par l'onction et la sagesse des rois. La première image du manuscrit présente un fond fleurdelisé (f. 2). En tête des prières, illustrées des portraits royaux, l'image de l'Annonciation -thème par excellence lié à la dynastie des rois de France par le jeu entre le lis marial et le lis royal - est timbrée par des têtes de lions - mal lues par Henri Focillon - peintes sur le fond. Le lion est l'emblème personnel de Philippe VI. Nous en avons pour preuve, notamment, ses sceaux, sa monnaie le «lion d'or» et le piéfort émaillé qui s'inspire de cette monnaie. La légitimité de Philippe VI est soulignée par la généalogie continue entre les derniers Capétiens et le premier Valois, tous dans la même attitude de prière devant la Vierge à l'Enfant à l'exception de son épouse priant devant Dieu le Père, dernière image du codex. La représentation de Dieu le Père se trouve dans la partie primitive du Juratoire du Gué-de-Maulny. D'autres exemples de constitution de généalogie par Philippe VI sont connus. Il est vraisemblable que le choix de Clémence de Hongrie, en tête de la série des effigies, soit une allusion à la première succession indirecte au trône, à la suite de l'accord survenu le 16 et le 17 juillet 1316 qui permit à Philippe V de succéder à son frère aîné Louis X. Ainsi s'insérait mieux l'accès au trône, pour la troisième fois en moins de douze ans, d'une branche cadette, celle des V al ois. L'acte de fondation de la chapelle royale du Gué-de-Maulny, on l'a jadis montré, présente dans sa formulation des archaïsmes voulus afin 24 Sur les chapelles royales voir les travaux de C. BILLOT, notamment Les Saintes-Chapelles (XJIIe-xvJe siècles). Approche comparée de fondations dynastiques, dans Revue d'histoire de l'Eglise de France, 73 (1987), no 191, p. 229-248; ID., Les Saintes-Chapelles du XJIIe au XVJe siècle. Approche comparée du coût de ces fondations dynastiques, dans L'église et le château, xe-XVIIJe siècles, éd. par A. CHASTEL, Bordeaux, 1988, p. 95-114; ID., Les Saintes-Chapelles royales: Paris, Le Vivier-en-Brie, Le Gué-de-Maulny (à paraître). 25 Voir par exemple B. GUENÉE, Entre l'Eglise et l'Etat. Quatre vies de prélats français à la fin du Moyen Age (XJJJe-xve siècles), Paris, 1987, p. 19, 84,456.

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de marquer la continuité carolingienne-capétienne et Valois26. On connaît la richesse d'invention de Philippe VI. Citons, pour la première fois un roi représenté en costume de guerrier sur une monnaie -l'écu d'or à la chaise - , la création du florin Georges, en réponse à l'adversaire, de l'ange d'or- saint Michel protégeant pour la première fois le royaume-, la représentation, également nouvelle, des armes de France par trois fleurs de lis à l'image de la Trinité - la légende se crée alors à Chaalis- et enfin plusieurs actes significatifs : le sacre le jour de la Trinité, l'entrée dans Paris, après la victoire de Cassel qui eut lieu plusieurs semaines auparavant, le jour de la Saint-Michel, enfin la chevalerie de son fils Jean exceptionnellement le jour de ce saint27. Philippe VI crée les fondements de la symbolique de la maison de France, notamment celle de Jean le Bon et de Charles V. Songeons à l'emblème du lion, à l'importance de Salomon, à la continuité des portraits de profil, à l'importance de l'onction divine, etc. Enfin, pour en revenir à notre propos, aux yeux de la maison de Val ois, ce manuscrit revêtait un caractère exceptionnel. Il est avec vraisemblance le manuscrit couvert de velours « ynde » qui a été racheté par Charles V aux Anglais, manuscrit perdu par Jean le Bon à la bataille de Poitiers. Le bleu violacé qui couvrait ce livre renvoyait à la fois à la Vierge et à la maison de France. LE LIVRE D'HEURES DE PIERRE II, DUC DE BRETAGNE Le second exemple est le non moins fameux livre d'heures du duc de Bretagne Pierre II, le manuscrit latin 1159 de la Bibliothèque nationale. Grâce à Victor Leroquais ce manuscrit est parfaitement daté. Il a été exécuté entre 1455, date de la canonisation de saint Vincent Ferrier qui est inscrite dans le calendrier, et 1457, date de la mort du duc. Ce manuscrit est d'abord un manifeste d'affirmation de la maison de Bretagne2s. L'écu plain d'hermine est représenté, assez exceptionnellement, en bannière (FIGURE 21), comme signe de ralliement et d'indépendance du duché (f. 23, 27v, 50, 74v, 80, 164v). L'écu est parfois en forme d'écu de tournoi (FIGURE 21), incorrectement appelé targe, qui est en fait le mot générique de bouclier à l'époque (f. 27v, 168v). Cette 26 J. VIARD, Diplômes et lettres solennelles de Philippe VI de Valois, Paris, 1911 (extr. de Moyen Age, 1911), notamment p. 5, 9, 12 et 13, n. 1 27 Sur tous ces points, voir supra, l'étude citée n. 7, ainsi que C. DE MÉRINDOL, Observations sur la monnaie et l'emblématique à la fin du Moyen Age, dans Actes du Xfe congrès international de numismatique, Bruxelles, 1991 (sous presse); ID., Saint Michel et la monarchie française à la fin du Moyen Age dans le conflit franco-anglais, dans La France anglaise, Actes du ]]Je Congrès national des sociétés savantes, Histoire médiévale, Poitiers, 1986, I, p. 513-542. 28 Nous développons pour ce manuscrit les conclusions de notre étude citée n. 20.

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forme souligne le rôle du tournoi dans les jeux politiques et diplomatiques à la cour de Bretagne, comme dans d'autres cours, en pays germanique notamment. Les saints de Bretagne sont particulièrement honorés. Les deux saints bretons, saint Donatien et saint Rogatien, sont vêtus d'hermine héraldique (f. 167v) à l'image des saints de la maison de France aux vêtements fleurdelisés, les deux saint Louis par exemple. Nous reviendrons sur ce point. La scène de la décollation de sainte Ursule est accompagnée, dans la marge inférieure, de l'écu de tournoi aux armes de Bretagne (f. 168v). Saint Pierre, patron du duc mais également de l'ensemble de la famille - la tige portait également le prénom de Pierre- est placé au centre de l'image de tous les saints (f. 170v). Le sanglier, emblème du courage, de la ténacité est également présent. Un chasseur sert un sanglier sous l'image de la Purification (f. 65v) et le cochon de saint Antoine est particulièrement mis en valeur au premier plan (f. 150v). Le sanglier est le badge personnel d'Arthur de Richemont. Il apparaît notamment sur son étendard avec son mot. Plus tard François II fera l'élevage du sanglier. Les ménageries jouent un rôle emblématique. Songeons aux lions de Charles V ou des ducs de Bourgogne, aux ours de Jean de Berry. L'ordre de l'Epi, dont la première mention date de 1447, est fort explicitement représenté en tête du livre d'heures auprès des trois évangélistes - ce point, pourtant relevé par Leroquais, est encore tout récemment passé inaperçu : près de saint Luc deux femmes moissonnent (f. 15, cf. FIGURE 18), près de saint Mathieu les femmes tiennent un collier de l'ordre de l'Epi (f. 16v, cf. FIGURE 19), enfin près de saint Marc une femme passe le collier de l'ordre au cou d'un seigneur (f. 18, cf. FIGURE 20). Cet ordre est le symbole de la Bretagne fertile. Outre l'aspect symbolique du blé, était ainsi souligné le thème de la richesse et de la fertilité, fruit de la paix, du bon gouvernement, dans le duché. A l'époque la culture céréalière dominante en Bretagne était le blé. Nous avons rencontré une association comparable entre ce thème et les écus de la maison de France sensiblement à la même époque. Nous en préparons la publication. Le Mont-Saint-Michel en Normandie est représenté dans le manuscrit (f. 160v). Pourtant, c'est l'évocation de la fête de saint Michel au Mont-Gargan qui a été choisie pour célébrer la fameuse victoire d'Auray -malgré la date de l'événement le 29 septembre - qui vit le triomphe définitif des Montfort sur les Penthièvre en 1364. Ce choix n'a jamais été expliqué. Il est pourtant clair. Saint Michel était particulièrement honoré, nous l'avons dit, par la maison de France 29. Ce fut donc 29

Voir supra, n. 27.

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l'autre fête qui fut retenue, le 8 mai. Relevons que l'Eglise de Paris n'a jamais commémoré l'apparition du 8 mai. Ce jour à Notre-Dame et à la Sainte-Chapelle, était honorée, Perdrizet l'a jadis montré, la fête double de la translation, depuis 1306, sur l'ordre de Philippe le Bel, du chef de saint Louis à la Sainte-Chapelle. Nous abordons le second aspect du manuscrit: la référence à la maison de France en signe d'opposition et de prétention royale. Les couleurs azur et or sont présentes dans les images négatives. L'empereur Dèce dans le martyre de sainte Apolline est vêtu de bleu et d'or (f. 151 v), le lit du père et de la mère de saint Julien, tous deux morts, illustration du martyre de saint Julien l'Hospitalier, est également couvert d'azur et d'or (f. 155v), une tenture fleurdelisée aux armes de France marque le fond de l'image correspondant à la légende de saint Gilles (f. 136v), la draperie du trône du roi qui commande le martyre de sainte Ursule est d'azur et d'or (f. 168v). Par suite, la Vierge, particulièrement honorée par les deux maisons, est toujours vêtue de blanc, dans les scènes de l'Annonciation, de l'Epiphanie et de la Présentation au Temple (f. 32, 61v, 65v). Les fleurs de lis nécessaires pour la scène de l'Annonciation sont exceptionnellement de couleur or sur un fond rouge, de gueules. On les retrouve dans la scène des rois Mages (f. 61 v). Ce peut être une allusion héraldique. Cette association de l'or et du rouge timbre cependant d'autres images. Des hermines d'or sur fond de gueules animent la Présentation au Temple, la Purification (f. 65v), qui est accompagnée dans la marge, nous l'avons vu, du sanglier. Les roses d'or sur fond rouge sont présentes dans le couronnement de la Vierge (f. 74v). L'or et le gueules sont les premiers émaux en héraldique. Les prétentions royales de la maison de Bretagne à l'image des relations privilégiées de la maison de France avec le Ciel, sont particulièrement mises en valeur. D'abord par des emprunts. Le couple de saint Jean-Baptiste et de sainte Catherine, nous l'avons montré à propos des V al ois et notamment de Philippe le Hardi à Champmol, souligne ces liens privilégiésJo_ Les deux saints encadrent saint Pierre au premier plan de l'illustration de tous les saints dans le livre d'heures de Pierre II (f. 170v). Des anges soutiennent l'écu de Bretagne (FIGURE 21) à l'image de l'emblématique fort éloquente de la maison de France. Cette présentation de l'écu du duché est soigneusement placée près des images à haute signification : un prince de Bretagne priant aux pieds de la Vierge 30 C. DE MÉRINDOL, Nouvelles observations sur la symbolique royale à la fin du Moyen Age. Le couple de saint Jean-Baptiste et de sainte Catherine au portail de l'église de la chartreuse de Champmol, dans Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 1988, p. 288-302.

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(f. 23), le couronnement de la Vierge (f. 27v), le Christ en croix (f. 50) et deux images concernant David, roi de référence par excellence des maisons royales : David en prière (f. 80) et une seconde image particulièrement forte avec laquelle nous terminerons cet exposé, image de synthèse de l'ensemble du codex, les prétentions royales de la maison de Bretagne (f. 27v).

L'image bien connue de Pierre II mérite une nouvelle approche Dans les marges latérales, des anges présentent l'écu de Bretagne en forme de bannière surmonté d'une couronne. La marge inférieure est marquée d'un ensemble héraldique de chevalier au complet : un écu en forme d'écu de tournoi surmonté du heaume, des lambrequins et du cimier des Montfort. Le lion à double queue est à présent couronné d'or. L'écu est exceptionnellement soutenu par un lion et un griffon, association d'un lion et d'une aigle. La queue double des deux animaux indique qu'il s'agit, comme sur le cimier, du badge des Montfort. Quant à l'aigle, elle peut être une allusion au badge des Penthièvre. L'association de l'aigle et du lion correspondrait ainsi à un accord entre les deux familles. Or à la suite du traité de Nantes du 27 juin 1448, que François rer n'avait pas honoré à cause de la guerre de Normandie, Pierre II, le 22 août 1450, rendit précisément à la famille rivale le comté de Penthièvre qui avait été saisi. Dans le livre d'heures, le duc remercie Dieu pour le duché et notamment pour « le bien publique de toute la duchié et habitans en icelle ».

(FIGURE 21).

Pierre II porte un manteau rouge doublé d'hermine, le « manteau royal », sur une tunique violette. Le dais et les draperies sont également de cette couleur. Le rouge et l'hermine sont aussi portés dans ce livre d'heures par les saintes reines couronnées, sainte Ursule et sainte Catherine (f. 153v, 168v), et par David priant le seigneur (f. 27v). Le violet, ou hyacinthe, est la couleur des vêtements du sacre des rois de France. Il est d'usage d'offrir à l'Eglise des vêtements de luxe pour fabriquer des chapes et des chasubles. Le testament de Pierre II mentionne précisément le don de deux robes de velours violet et une autre robe courte du même velours à l'église Saint-Pierre-de-Vannes. L'iconographie de ce portrait du duc renvoie à une image royale. Pierre II prie en s'adressant à Dieu le Père qui lui répond sous forme de rayons lumineux. L'image du duc prend ainsi toute sa force et son audace. Pierre II reconnaissant, après l'accord tout récent entre les deux maisons, s'adresse à Dieu à l'image du roi David remerciant Dieu après la victoire sur ses ennemis, tandis que Dieu illumine ses yeux (psaume 26). Le texte de remerciement, parmi les prières, ne laisse aucun doute quant à une référence à David : « Mon Dieu, mon Sauveur et mon Créateur, je vous rend grâces ... ». Quelques décennies plus tard,

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pour d'autres prétentions royales, le duc de Lorraine René II rapprochera également sa situation de celle du roi David, notamment dans la même scène extraite du Psaume 2631. Ce livre d'heures n'est pas le seul « livre royal » de la maison de Bretagne. Ces deux manuscrits que nous avons qualifiés de mixtes sont ainsi proches des manuscrits officiels par leur décoration tout en restant cependant apparemment des manuscrits à usage davantage «privé». La subtilité des intentions politiques qu'ils développent montre que, incontestablement, ils sont tous deux le fruit d'une initiative du roi, du prince ou de leur entourage. Le premier manuscrit répond au problème de légitimité de la dynastie des V al ois, le second exprime les dernières prétentions royales de la maison de Bretagne.

31 Voir supra, l'étude citée n. 6.

LE SENS DE L'HISTOIRE DANS LES MANUSCRITS DU xve SIECLE

Anne Hagopian VAN BUREN (Tufts University Medford)

Le manuscrit des Chroniques et conquêtes de Charlemagne est un des plus importants - dans les deux sens du mot - de tous les livres commandés par Philippe le Bon. Le texte fut compilé à partir de plusieurs romans carolingiens par son secrétaire David Aubert à Bruges et transcrit par lui en deux gros volumes qui furent envoyés ensuite à Audenarde pour recevoir chez Jean Le Tavernier leurs nombreuses miniatures en grisaille 1• Un ordre de paiement nous apprend que Le Tavernier peignit le premier volume en 1459, une année capitale dans l'évolution de la manière d'imaginer le passé. Son délicieux frontispice, grouillant de rencontres et d'activités commerciales, nous conduit par la porte de l'enclos ducal vers une salle où Philippe reçoit son nouveau livre (FIGURE 22). Tous les hommes sont habillés d'une robe à jupe évasée, serrée à la taille et gonflée aux épaules par des coussinets posés sur le pourpoint de dessous et coiffés d'un bonnet montant ou d'un petit chapeau rond. Le modèle court de la robe, recouvrant à peine le derrière, offre à la vue une longueur de jambe qui trace une ligne verticale jusqu'au sommet du chapeau. Voici la mode de 1459. La mode est par contre très différente dans les quarante-quatre autres miniatures. La scène du roi du Danemark amenant à l'empereur son fils Ogier, par exemple (FIGURE 23), montre les hommes habillés d'un pourpoint serré ou d'une large houppelande à col montant ; deux des dames à droite de l'image sont vêtues de la houppelande féminine cintrée haut sous la poitrine ; les manches des uns et des autres prennent la forme soit d'un petit sac soit d'un entonnoir, qu'on appelait« à la bombarde». Les coiffures sont petites - pour les dames soit un chapeau en forme 1 Le manuscrit est maintenant relié en trois volumes : Bruxelles, B. R. 9066-68 DEN GHEYN, Cronicques et conquestes de Charlemaine. Bruxelles, 1909; R. GUIETTE,

; 1. VAN Les cro· niques et conques tes de Charlemagne, 3 vol., Bruxelles, 1940, 1943, 1950 ; Le siècle d'or de la miniature flamande. Le mécénat de Philippe le Bon, [éd. L. M. 1. DELAISSÉ], BruxellesAmsterdam- Paris, 1959, cat. na. 95-97; F. W. S. VAN TH!ENEN, Acht eeuwen westeuropees costuum, Anvers, !960; A. FREDERICX, Jehan Tavernier, XVe eeuwse miniaturist, in het licht van archivalische documenten, dans Handelingen van de Geschied- en Oudheidkundige Kring van Oudenarde, 12 (1960-1961), p. 83-107; La librairie de Philippe le Bon, éd. G. DOGAER et M. DEBAE, Bruxelles, 1967, cat. no 162.

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de boîte à pilules soit un petit bourrelet plat- et de longues poulaines rallongent les souliers des hommes. Tous ces vêtements, sauf la robe courte d'un homme à l'extrême gauche sur laquelle je reviendrai, correspondent parfaitement à ceux de l'Epître introductive à la paix que Philippe de Mézières offrit à Richard II en 13952 et à ceux de l'exemplaire de l'Apparition de Jeanâe Meung fait pour Valentine Visconti en 13983. Comment expliquer ces vêtements démodés ? La réponse traditionnelle est que l'artiste, tout en inventant le frontispice, les aurait copiés d'un manuscrit de 1398 environ qui lui aurait servi de modèle. Mais deux obstacles s'y opposent: il n'y a jamais eu un manuscrit de cette sorte, puisque le texte d'Aubert est une nouvelle compilation, et une telle fidélité n'était pas dans la pratique des artistes de l'époque. Je suis convaincue que cet archaïsme est tout à fait voulu. On le trouve dans d'autres manuscrits, dont deux de Jean Fouquet de la même année, et on en a déjà des premiers indices vers 1405. Ce phénomène d'archaïsme vestimentaire, observé dans le cours de mon travail sur le costume dans l'art de la fin du Moyen Age, appelle à en examiner les circonstances et à en chercher les raisons. Les formes définitives de la mode de 1400 sont exemplifiées par la Bible historiale illustrée pour Jean de Berry par le Maître du Couronnement de la Vierge en 14024. La miniature quadripartite qui introduit les paraboles de Salomon (FIGURE 24) montre que les manches avaient atteint des proportions énormes pour les personnes de haut rang, sur le pourpoint d'un galant en blanc autant que sur la houppelande traînant par terre ou mi-longue et cintrée à la taille. Les coiffures comprennent un petit bourrelet, un petit chaperon à cornette et des toques, dont une haute et évasée. La toque haute est sur la tête d'un noble dont les bombardes traînantes sont découpées en crénelage, comme, en plus petit, le col du chaperon de son interlocuteur. Cette garniture atteint son apogée juste avant 1400, souvent sur des bandes d'étoffe insérées en épaulette dans la couture du haut de la manche. Elle disparaît de l'usage courant vers 1404, mais reste dans l'art en tant que convention sur laquelle je reviendrai. 2 Ms. London, Br. Libr., Royal20 B VI, f. 2; N. JORGA, Philippe de Mézières, 1327-1425, et la croisade au XJVe siècle, Paris, 1896, p. 480 et sq. ; M. Scorr, The History of Dress Series. Late Gothie Europe, 1400-1500, London- Atlantic Highlands (N. J.), 1980, fig. 35. 3 Ms. Paris, B. N., fr. 811, f. 1v; l. ARNOLD, L'apparicion Maistre Jehan de Meun et le « Somnium super materia scismatis >> d'Honoré Bonet, Strasbourg, 1926, p. xxxiii ; C. COUDERC, Album de portraits d'après les collections du département des manuscrits de la Bibliothèque nationale, Paris, [1910], pl. 44. 4 Ms. Paris, B. N., fr. 159; M. MEISS, French Painting in the Time of Jean de Berry. The Late Fourteenth century and the Patronage of the Duke, London- New York, 1967, p. 312.

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Quand on demande si ces vêtements reflètent ce qu'on portait dans la vie, la réponse est, ''oui et non». En faveur de l'affirmatif, on trouve les mêmes formes de base dans les oeuvres contemporaines d'autres artistes : celles de la Bible historiale sont répétées dans un exemplaire du Chemin de longue estude de Christine de Pizan illustré par un associé du Maître du Roman de la Rose de Valence en 14035. Elles sont pareilles aussi à celles des portraits, tel ceux de Jean de Berry et de ses parents décédés représentés dans ses Grandes heures6 • Comme ce manuscrit date de 1408 ou 1409, la houppelande mi-longue de l'homme en vert qui doit être Louis d'Orléans, toujours habillé selon le dernier cri de la mode, a évolué : elle est rallongée en dessous du mollet et blousante au-dessus d'une ceinture qui tombe de nouveau sur les hanches. Puis ce modèle se raccourcit graduellement au cours des années jusqu'à arriver en dessous du genou dans la scène de David des Heures du duc de Bedford de 1422 environ?. Outre le fait qu'on relève cette identité des formes dans des manuscrits et portraits contemporains et une évolution logique avec le temps, ces formes correspondent aux descriptions de chroniqueurs, prédicateurs, ou éducateurs, généralement horrifiés par chaque nouvelle invention des couturiers. Toutefois, ces formes de base portent des détails souvent conventionnels : des accessoires comme les couronnes des rois et des reines (FIGURE 24); la couleur, comme le vert amoureux du messager conduisant Bethsabée chez David dans les Heures de Bedford ; et les découpures passées de mode désignant des personnages libidineux : amants, libertins, musiciens et fous. Ce sont des indicateurs sémiotiques, désignant le rang social ou l'état de vertu du porteur. Ils étaient lisibles aux spectateurs de l'époque et nous nous devons d'apprendre à les lire à notre tour. Donc, sauf dans quelques compositions religieuses spécialement vénérées, le costume civil dans l'art du Moyen Age est toujours moderne. On en voit la démonstration à maintes reprises dans les copies, soit dans les miniatures d'exemplaires successifs d'un même texte, soit dans les reproductions peintes ou gravées d'une composition populaires. A chaque reprise, l'espace est amplifié selon l'évolution du 5 Ms. Bruxelles, B. R. 10983, f. 1 ; P. M. DE WINTER, La bibliothèque de Philippe le Hardi duc de Bourgogne (1364-1404), Paris, 1985, fig. 231 ; pour la date cf. Compte-rendu par A. H. VAN BUREN, The Art Bulletin, 70 (1988), p. 704. 6 Ms. Paris, B. N., lat. 919, f. 96; MEISS, French Painting ... the Patronage of the Duke, p. 256, fig. 231 ; COUDERC, Album de portraits, pl. 63. 7 Ms. London, Br. Libr., Add. 18850, f. 96; J. BACKHOUSE, The Bedford Hours, London, 1990, fig. 22. 8 Un bon exemple est fourni par la longue fortune du Saint-Georges que le Maître des Heures de Boucicaut inventa vers 1407 (ms. Paris, Musée Jacquemart-André 2, f. 23v) qui est répété sur le panneau de Washington attribué au jeune Roger van der Weyden vers 1432), une

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style pictural et les costumes sont ramenés au goût du jour, rhabillant chaque fois la composition d'une actualité de l'espace et du temps. Cette actualité a paru anachronique aux hommes du XIXe siècle, et Erwin Panofsky lui-même a jugé ceux du Moyen Age incapables de distinguer les différentes époques de l'histoire9. Ce mythe a été démenti par des auteurs plus récents et complètement démantelé par Bernard Guenéeio. Celui-ci en rejette la faute sur le costume dans les miniatures, mais rappelons-nous que l'artiste de ces miniatures, qui étaient appelées des « histoires », en fin de compte, travaillait lui aussi en historien, mettant son oeuvre, comme celui de l'écrit, au service de l'éducation morale, avec des exemples à suivre ou à éviter. Dans « le souci de donner un enseignement efficace (qui) poussait auteurs et artistes moins à montrer l'originalité du passé qu'à souligner son actualité »II, son meilleur expédient était d'habiller les personnages comme son public luimême s'habillait. Nous avons vu que les artistes y ajoutaient des éléments conventionnels mais signifiants : ils ont un jour commencé à en augmenter le répertoire en puisant dans la catégorie si riche des vêtements démodés. Ce processus apparaît pour la première fois dans le nord de l'Europe dans les manuscrits de Jean Lebègue. Comme l'on sait, Lebègue était parmi les humanistes le plus intéressé à l'histoire et spécialement aux oeuvres de Salluste, qu'il cita souvent, dont il annota des exemplaires et transcrivit une vieille glose anonyme12, et pour l'illustration desquelles il composa son fameux guidel3. Quoique ce guide ait été complété

gravure du Maître E. S de 1460 environ. et un panneau du nord de la France de 1480 environ à Toledo dans l'Ohio ; M. MEISS, French Painting in the Time of Jean de Berry. The Boucicaut Master, New York, 1968, p. 81-85, fig. 10; J.O. HAND et M. WOLFF, The Collection of the National Gallery of Art. Systematic Catalogue. Early Netherlandish Painting, Cambridge, 1986, fig. 3, 4 ; Late Gothie Engravings of Germany and the Netherlands. 682 Copper Plates from the« Kritischer Katalog >> by Max Lehrs, New York, 1969, fig. 178; Toledo Museum of Art. European Paintings, University Park, 1976, p. 60, pl. 179. 9 Renaissance and Renascences in Western Art (Stockholm, 1960), New York, 1969, p. 106. 10 Histoire et culture historique dans l'Occident médiéval, Paris, 1980, surtout p. 240 et sq. Voir aussi, L. PATIERSON, Negotiating the Past: The Historical Understanding of Medieval Literature, Madison, 1987, p. 157-195. II GUENÉE, Histoire et culture historique, p. 241. 12 G. OuY, Le songe et les ambitions d'un jeune humaniste parisien vers 1395, dans Miscellanea di studi et ricerche sul Quattrocento francese, éd. F. SIMONE, Torino, 1967, p. 368 et sq. ; N. PONS, L'historiographie chez les premiers humanistes français, dans L'aube de la renaissance, éd. D. CECCHETrl, L. Sozzi, L. TERREAUX, Genève, 1991, p. 103-122. 13 J. PORCHER, Jean Lebègue, Les histoires que l'on peut raisonnablement faire sur les livres de Salluste, Paris, 1962; D. BYRNE, An Early French Humanist and Sallust: Jean Lebègue and the lconographical Programme for the Catiline and Jugurtha, dans The Journal

of the Warburg and Courtauld Institutes, 49 (1986), p. 41-65.

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après 141014, l'auteur avait déjà formé son idée du frontispice vers 1405, époque de son exemplaire personnel où la première miniature correspond précisément aux indications du guide (FIGURE 25) 15. C'est à propos de cette image du guerrier devenu historien que le guide déclare : « soit fait et pourtrait ung homme à grant barbe fourchue qui aura en sa teste une coiffe blanche comme l'on souloit porter » 16. L'importance de cette phrase n'est pas dans le fait que Lebègue connaissait un vêtement démodé. Christine de Pizan en faisait autant quand elle écrivait que Charles V, en affectionnant cette même coiffe qu'on voit dans son portrait de 1371 (FIGURE 26)17, suivait l'habitude des rois précédentsis. Le Chroniqueur de Trèves aussi montra un sens aigu du passé quand il observa en 1389 que les gens portant la houppelande, alors nouvelle, ressemblaient aux peintures et statues installées dans les vieilles abbayes quatre cents ans auparavant19. L'important est que Lebègue et son artiste, le jeune Maître du duc de Bedford, s'en soit servi pour établir une image d'un passé révolu. Cette phrase et son image sont toutefois les seules indications de ce genre dans tous les manuscrits de Lebègue. Il est vrai que l'idée a été retenue dans l'atelier du Maître de Bedford, car leurs miniatures dans le Livre des merveilleszo que Jean sans Peur donna à Jean de Berry en

14 On a toujours daté le guide de 1417 ou peu après, parce qu'il suit la glose ainsi datée dans le ms. Oxford, Bodl. Libr., D'Orville 141. Mais ce manuscrit ne peut pas être l'original parce qu'il porte un filigrane de 1468 (BYRNE, An Early French Humanist, n. 135, insistant sur le fait que le filigrane serait resté inchangé pendant cinquante ans) et l'écriture aussi est tardive (Albinia de la Mare, que je remercie pour sa lettre). Même si l'introduction du guide reprend le langage de la vita auctoris de la glose de 1417 qui le précède (ibid., p. 49 et sq.), rien ne dit que Lebègue ne l'ait pas connu avant. Nous savons maintenant qu'il rédigea le guide avec en main le Salluste de Genève (Bibl. pub!. et univ., lat. 54), en suivant non seulement la mise en page (ibid., p. 61 et sq.), mais aussi, comme je le montrerai dans une publication ultérieure, en reprenant la moitié des miniatures, et que la décoration marginale et le costume datent de 1407-1410 environ. Les miniatures subséquentes sont le résultat d'une deuxième campagne de 1440 environ. 15 Ms. Paris, B. N., lat. 5762; ÜUY, Le songe et les ambitions, p. 372, n. 36; BYRNE, An Early French Humanist, p. 42 et sq., 52 et sq. 16 PORCHER, Jean Lebègue, n. p. ; B. GUENÉE, Histoire et culture historique, cit. n. 10, p. 240, a déjà remarqué la conscience historique que révèle cette phrase. 17 Ms. Den Haag, Rijksmuseum Meermanno-Westreenianum 10 B 23; Les fastes du gothique, le siècle de Charles V, Paris, 1981, cat. no 285. 18 CHRISTINE DE PIZAN, Le livre des fais et bonnes moeurs du sage roi Charles V, éd. S. SOLENTE, Paris, 1936-1940, II, p. 42. Les dernières images datées où cette coiffe est portée avec des vêtements à la mode du jour se trouvent dans les fresques antérieures à 1343 du Palais des Papes à Avignon; L. H. LABANDE, Le Palais des Papes et les monuments d'Avignon au XJVe siècle, Marseille, 1925, II, p. 2, 10, 12. 19 Die Limburger Chronik des Tilemann Elhen von Wo/jhagen, éd. et trad. moderne, K. REUSS, Limburg- Lahn, 1961, p. 63 et sq. 20 Ms. Paris, B. N., fr. 2810 (MEISS, French Painting ... the Boucicaut Master, cit. n. 8, p. 116 et sqq.), f. 3v, 5, 10 (Le livre de Marco Polo), f. 134 (La pseudoclettre du Grand Khan au

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1413 contiennent des vêtements de 1340 environ. Mais la pratique demeure rare pendant la première moitié du siècle. La pratique commença à changer en 1449, quand Dreux Jean, l'enlumineur attitré de Philippe le Bon, dirigea la décoration du Roman de Girart de Roussillon, premier duc de Bourgogne, que Philippe prenait comme modèle2I. Girart y apparaît souvent dans une grande houppelande à bombardes découpées et, dans la scène de sa querelle avec Charles le Chauve, un assistant de Jean donné à l'un des courtisans un pourpoint à bombardes énormes (FIGURES 27, 24). Quelques miniatures plus loin, Jean lui-même habilla un des neveux du roi du pourpoint à longues moufles de 1370 environ (FIGURES 28, 26). Malgré l'inconséquence des modes choisies, le duc ne pouvait manquer de repérer la référence à l'ancienneté de ses liens avec son grand prédécesseur. Nous avons vu l'archaïsme imaginé en 1459 par un autre de ses enlumineurs, Le Tavernier. A Tours en cette même année, Jean Fouquet, peintre de Charles VII, avait deux commandes importantes. Parce que l'autre venait du roi, il laissa à ses aides le soin d'exécuter la plus grande partie d'un Cas des nobles hommes de Boccace destiné au contrôleur de la Recette générale des finances, Laurent Giard22. Mais il les surveilla de près et assuma lui-même le frontispice avec sa célèbre représentation du Lit de Vendôme. C'est un vrai reportage de l'actualité qui s'était déroulée alors même que le scribe écrivait le manuscrit, reportage plein de portraits de personnages connus23 et reproduisant toute la gamme de la mode masculine du jour. A l'intérieur du manuscrit, cependant les modes sont beaucoup moins homogènes et Paul Durrieu y a déjà remarqué la présence d'une architecture et de costumes italiens 24 . En effet, les hommes portent la giornea courte et ouverte sur les côtés montrant les manches à long bouillon du pourpoint et les dames portent le balzo, coiffe ballonnée, tous deux usuels vers 1445 quand le peintre était en Italie et qu'il peignait le portrait du pape Eugène IV2s. Dans l'emploi des costumes, Durrieu a discerné un pape de 1338). Une recherche des vêtements archaïsants dans tous les manuscrits de l'atelier Bedford aurait peut-être des résultats intéressants. 21 Wien, ë>sterr. Nationalbibl. 2549; F. W. S. V AN THIENEN, « Heden en verleden » in het laat-gothische costuum, dans Nederlands Kunsthistorisch Jaarboek, 6 (1955), p. 97 et sqq. ; O. PACHT, U. JENNI, D. THOSS, Flamische Schule 1 (Die illuminierten Handschriften und Inkunablen der Ostereichischen Nationalbibliothek), Wien, 1983, p. 34-60. Sur Dreux Jean, cf. mon ouvrage en cours : Dreux Jean and the Library of Philip the Good. 22 München, Bayer. Staatsbibl., Gall. 6 ; P. DURRIEU, Le Boccace de Munich, München, 1909. 23 F. 2v; Ibid., p. 52 et sq., pl. 1. 24 Ibid., p. 33 et sq., pl. IX, X, XX, III, et XXVII. 25 On trouve ce genre de vêtements, par exemple, dans les fresques peintes en 1444 dans la chapelle de Téodelinda de la cathédrale de Monza; A. MERATI, Il duomo di Monza e il sua tesoro, Monza, 1982, p. 138 et sqq. Sur le séjour de Fouquet en Italie, cf. K. G. PERLS, Jean

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système qui fut sûrement l'invention de Fouquet : tandis que les scènes qui se passent en Asie Mineure ou en Europe en dehors de l'Italie présentent un costume plutôt français, parfois complété d'un bonnet pointu ou d'un balzo servant de turban, celles des Romains et des Florentins contiennent des armures à l'antique et des costumes italiens modernes. L'inclusion des Florentins, dont Durrieu n'a pas cherché la raison, pourrait refléter une controverse parmi les humanistes sur la supériorité de la république ou de la monarchie romaine, controverse dans laquelle les Florentins insistaient sur leurs traditions de liberté civique en tant qu'héritiers de la Rome républicaine. Peu avant l'arrivée de Fouquet, le pape avait reçu de Poggio Bracciolini un pamphlet envoyé par Pietro del Monte, juriste au service papal alors nonce en Angleterre, amplifiant la critique que menait Poggio de l'impérial Jules Césarz6. Or ce sont justement les scènes de vertu républicaine - les histoires de Lucrèce et de Virginie, de Cicéron contre Catilina, et de la résistance des Florentins contre Gauthier de Brienne - où l'on trouve des costumes italiens. On a souvent cherché des oeuvres d'art que Fouquet aurait vues en Italie, mais voici une idée humaniste qu'il a dû connaître 27. Quant au choix du costume italien, au lieu des vêtements plus ou moins romains représentés par ses collègues d'Italie et son ami présumé, Filarete2s, il semble avoir jugé suffisant de mettre des casques à l'antique à quelques soldats et de marquer leurs boucliers de «S. P. Q. R. ».C'est le premier exemple, je crois, de l'emploi ethnographique et plus ou moins exact d'un costume étranger. Le Boccace montre aussi des bribes d'un deuxième système que Durrieu n'a pas observé. Dans trois scènes d'histoire plus récente -la présentation de la traduction de Laurent de Premierfait à Jean de Berry et deux des histoires du Moyen Age en dehors de l'Italie, certains des Fouquet, London- Paris- New York, 1940, p. 14-17; N. REYNAUD, Jean Fouquet, Paris, 1981, cat. no 2. 26 H. BARON, The Crisis of the Early Renaissance, édition révisée, Princeton, 1966, p. 6175. 2 7 Récemment, M. L. EVANS, Un motif italianisant dans le Boccace de Munich de Fouquet, dans La revue de l'art, 67 ( 1985), p. 45-48. 2 8 Je remercie Lilian Armstrong d'avoir soulevé cette question importante. Fouquet a dû connaître les portes du baptistère de Florence où Ghiberti avait initié l'emploi du costume civil romain (peut-être dans le même temps où Lebègue exerçait au Nord son genre d'historicisme), et il a certainement connu les portes de Saint-Pierre de Rome, installées précisément en 1445 par Filarete qui s'exprime fermement dans son traité d'architecture (où il parle aussi du portrait papal de Fouquet) sur la nécessité de donner un costume ancien aux personnages anciens ; ANTONIO A VERLINO detto IL FILARETE, Trattato di Architettura, éd. M. FINOLI et L. GRASS!, Milano, 1972, livre XXIV, t. 2, p. 659; trad. J. R. SPENCER, Filarete's Treatise on Architecture, New Haven, 1965, I, p. 306 et 314 Ue remercie Elizabeth Moodey pour cette référence); R. HAUSSHERR, Convenevolezza. Historische Angemessenheit in der Darstellung von Kostüm und Schhauplatz seit der Spiitantike bis ins 16. Jahrhundert, Wiesbaden, 1984, no 4, p. 30 et sq., fig. 60-62, 64-66, 70.

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costumes français suivent la mode de 1400. Dans le Cas de l'empereur Romain IV Diogène, par exemple (FIGURE 29), on trouve la houppelande à bombardes portée par un des témoins du mariage et par un des nobles du sultan auquel Romain sert de tabouret29. Chose curieuse, ce costume démodé est porté par seulement un des personnages, d'habitude un figurant, tandis que les principaux conservent à l'image son actualité didactique traditionnelle. Ce ne sont pas des acteurs, mais des signes, ou plutôt des écriteaux indiquant la distance entre l'histoire et le lecteur. Le système est plus développé dans l'autre manuscrit, les Grandes chroniques de France que Fouquet illustra presque seul et presque certainement pour le roi3o. Le costume est la plupart du temps contemporain, avec de beaux exemples du haut bonnet conique sous un grand atour de lin3t. Mais la mode de 1400 apparaît aussi et toujours sur des personnages-écriteaux, d'abord chez certains des premiers rois jusqu'aux fils de Charlemagne et peut-être chez un des Capétiens32. Avec les V alois elle entre en vigueur, commençant par La nomination de Philippe de Valois comme régent (FIGURE 30) où le courtisan derrière le régent est habillé d'un pourpoint à grosses bombardes et d'une haute toque droite et celui à l'extrême droite d'une houppelande à manches en ballon. Ensuite elle apparaît six fois, peut-être sept, pour atteindre un total de sept ou huit sur les treize miniatures montrant le costume civil33. La présence de ces costumes étaye la possibilité que Fouquet se soit inspiré de l'exemplaire royal d'un peu avant 1400 comme celui dont

29 Les autres sont aux f. 4 et 289 ; DURRIEU, Le Boccace de Munich, cit. n. 23, pl. II et XXIII. 30 Ms. Paris, B. N., fr. 6465; F. AVRIL, M.-T. GOUSSET et B. GUENÉE, Les Grandes Chroniques de France, Paris, 1987. 3lfbid., miniatures n"' 36, 37. Le commentaire, p. 197, appelle à tort la coiffe>. Ce mot est employé au xve siècle seulement dans le récit que fait Monstrelet d'un incident de 1428, et donc pour la coiffe à deux cornes qui précéda le cône, inventé seulement en 1449 (l'identification fausse a été lancée au XVIe siècle par un commentateur) ; cf. F. BOUCHER, Histoire du costume en Occident de l'Antiquité à nos jours, Paris, 1965, p. 200, qui insiste sur le fait que le mot était une invention du prédicateur cité. Je le crois authentique parce que Monstrelet s'en sert aussi en racontant les conséquences du sermon (Chronique, éd. 1. A. C. BUCHON, Paris, 1875, p. 53). La coiffe conique est appelée un «haut bonnet>> dans le Triomphe des dames d'Olivier de la Marche (éd. J. KALBFLEISCH, Rostock, 1901, p. 82) et plus péjorativement une «mitre>> dans Le miroir aux dames (éd. A. PIAGET, Neuchâtel- ParisLeipzig, 1908, p. 59). 32 L'analyse est compliquée par une robe à bombardes avec un col de 1459 qui pourrait être une robe de cérémonie courante dans les miniatures no. 3 (Childebert), 8 (Charlemagne), 31 (la reine de Philippe III), mais une vraie houppelande de 1400 se trouve dans le no 12 (Louis le Pieux). 33 Les no' 38, 39, 41, 42, 44 et 46 en fournissent des occurrences certaines et la robe à bombardes, apparemment de 1459, se trouve dans les no,45 et 48. Dans le no 51 (Le couronnement de Charles VI), tous les habits sauf deux robes partiellement cachées sont ou de cérémonie, ou militaires, ou ecclésiastiques.

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le deuxième volume est aujourd'hui à Londres 34• Il en aurait modernisé les costumes, en gardant quelques-uns des anciens comme indicateurs du temps passé. Mais pourquoi sont-ils si fréquents pour les Valois ? L'effet est d'ancrer dans l'histoire la dynastie de son commanditaire plus solidement que les dynasties précédentes. Avait-elle encore besoin de légitimation à cette époque ? L'historicisme du Tavernier est lui sans faille, car tous les personnages des miniatures narratives sont habillés à la mode de 1400. Les quelques vêtements qui diffèrent, comme la robe déjà mentionnée (FIGURE 23), suivent la mode de son époque: ce sont des lapsus que tout copiste ou imitateur commettait. En dehors de ces cas, il n'y a ni personnages modernes auxquels ses lecteurs auraient dû s'identifier, ni hommes-écriteaux. L'artiste est l'antiquaire d'un passé qui est coupé du présent. Le Tavernier ne resta pas seul à agir ainsi. A Paris, quelques années plus tard, une équipe de trois artistes devait reproduire les illustrations d'un manuscrit qu'on connaît du Roman de Tristan en prose de 1400, ou son jumeau, dans un exemplaire signé par le dernier de ses scribes en 146635. Pour le frontispice, le premier peintre- obéissant comme Le Tavernier à la tradition qui voulait que l'acte de composition soit toujours actuel- modernisa l'ambiance en plaçant le soi-disant Luc del Gast et son mécène également fictif, Henri III d'Angleterre, dans une pièce avec fenêtres et tapisserie et surtout un dallage convergent qui crée un espace pictural (FIGURES 31, 32), et il leur donna des habits modernes en modelant les plis à la gouache selon le style du jour. Mais ses deux collègues responsables des histoires se sont tenus si près du 34 Ms. London, Br. Libr., Royal20 C VII; F. AVRIL, Les Grandes Chroniques, p. 24 et sq. (avec quelques erreurs, comme pour la date de l'arrivée, avant 1483, du manuscrit en Angleterre). Il est peu probable que ce manuscrit qui comporte de nombreuses miniatures inachevées soit entré dans la bibliothèque du roi, et encore moins qu'il aurait été écrit pour compléter le ms. Royal 16 G VI -ce dernier ayant été fait pour Jean le Bon et étant en Angleterre avant 1428 -,puisque les dimensions des colonnes du texte et de la marge inférieure ne sont pas les mêmes et que le deuxième volume n'a pas de titres de livre et de foliotation, comme on en trouve dans le premier; G. WARNER et J. GILSON, Catalogue of Western Manuscripts in the Old Royal and King's Collections, Il, London, 1921, p. 209-212, 372-374; A. D. HEDEMAN, The Royal Image. Illustrations of the Grandes Chroniques de France, 1274-1422, Berkeley, 1991, p. 213-226. 35 Wien, bsterr. Nationalbibl. 2539-2540; O. PACHT et D. THOSS, Franzosische Schule 1 (Die illuminierten Handschriften und Inkunablen der Osterreichischen Nationalbibliothek), Wien, 1974, p. 13-20. Ces auteurs ont le mérite d'avoir trouvé le lien avec le ms. fr. 335-336 de la Bibliothèque nationale, daté du 17.IV.1399 (a. st.), mais il est difficile d'accepter leur argument que l'explicit du manuscrit de Vienne ne s'applique qu'au dernier feuillet et que l'artiste de la plupart des miniatures travaillait pendant les années 1430. Il n'y a aucune indication de style ou vestimentaire de cette décennie parmi les nombreuses reproductions du catalogue Ue n'ai pas eu l'occasion de voir l'original). tandis que la robe aux manches droites et à la jupe évasée du harpiste (notre FIGURE 33) rappelle bien la mode des années soixante.

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modèle que les vêtements ne sont guère changés, sauf la robe des années soixante du harpiste que Yse ut envoie en Bretagne pour chercher Tristan (FIGURE 33). Dans la scène de Yseut écoutant Gaheriet raconter les faits de Tristan, il faut un examen attentif pour découvrir quelques changements dans les coiffures (FIGURES 34, 35). Cette fidélité au modèle avait pour résultat que leurs lecteurs pouvaient immédiatement situer ces scènes dans un passé révolu. Le vieux roman historique était transformé en une fiction romanesque. L'éloignement est normalement de deux générations. Pour le Maître de Bedford, c'est la mode de 1340 environ; pour Dreux Jean (sauf l'exception que nous avons vue), Le Tavernier, Fouquet et les artistes du Tristan, c'est celle de 1400. La mode choisie devait être à la fois assez ancienne pour ne plus être portée et familière aux lecteurs par de nombreuses images. Le troisième quart du siècle aimait la mode de 1400 parce que, avec ses pans traînants et ses garnitures tintinnabulantes, elle était très différente de la sienne et bien connue grâce aux nombreux manuscrits de cette période si féconde de l'enluminure. Il faut préciser que les manuscrits historicisants sont la plupart du temps assez exceptionnels, même dans le dernier tiers du siècle quand il y a un relâchement général dans le costume, avec plus de fantaisie et d'exotisme même dans les scènes religieuses36. La plupart des manuscrits continuent jusqu'au milieu du xvre siècle à présenter la mode de leur temps. De même, en cherchant les raisons de cet historicisme, on doit éviter de donner l'impression que la société entière serait passée d'une mentalité prétendument médiévale à une, plus« moderne», de la Renaissance. Cet historicisme nouveau repose tout de même sur une nouvelle perception du présent et, par conséquent, du passé. De nouvelles circonstances politiques, matérielles et intellectuelles donnaient au temps présent une valeur insolite. Ce n'est pas par hasard que trois des manuscrits étudiés ici ont été produits pour les premiers princes, Charles VII et Philippe le Bon, qui s'attachèrent un historien officiel pour écrire 36 Parmi les exemples français, l'archaïsme et l'exotisme sont mêlés dans le costume des manuscrits écrits par Micheau Gonnot et illustrés par Evrart d'Espinques et d'autres : le Tristan en prose de 1464, les Sept sages de Rome de 1466 et le cycle arthurien de 1470 (mss. Paris, B. N., fr. 99, 112, 93) et le costume est souvent exotique dans les Neuf preux et neufpreuses de Sébastien Mamerot (Wien, ë>sterr. Nationalbibl. 2577-2578 : PXCHT et THOSS, Franzosische Schule, p. 68-79, fig. 123-146). En Flandre vers 1470, Liévin van Lathem montre des costumes fantaisistes dans tous ses manuscrits sauf le Froissart (Berlin, Staatsbibl. PreuBischer Kulturbesitz, Depot Breslau 1); A. LINDNER, Der Bres/auer Froissart, Berlin, 1912; G. DOGAER, Flemish Miniature Painting in the 15th and 16th Centuries, Amsterdam, 1987, p. 132-136; A. DE SCHRYVER, Le livre de prières de Charles le Téméraire, oeuvre de Liévin van Lathem et de Nicolas Spierinc. J. Paul Getty Museum, ms. 37, publication du J. Paul Getty Museum, à paraître.

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l'histoire de leur règne37. Les commanditaires du monde du commerce et des administrations, parmi lesquels Lebègue et Giard, avaient fait carrière, alors même que certains étaient issus du menu peuple, pour atteindre la reconnaissance sociale, les privilèges et parfois la noblesse. L'ambition était devenue une vertu3s. Dans le domaine des idées, les gens de culture moyenne, autant presque que les humanistes, devenaient conscients des procédés du changement dans l'histoire et de l'éloignement du passé39, grâce en partie aux témoignages de l'art et de la mode. Dans cette optique, le passé ne pouvait plus servir de précepteur, car il était devenu un pays étranger. Mais c'était un pays à découvrir, tout comme les continents où l'on commençait à s'aventurer, et on forgeait pour cela de nouveaux moyens historiographiques. Les artistes y contribuèrent en utilisant le vêtement ancien pour créer un nouveau genre de peinture, la peinture d'histoire, qui fit elle aussi une belle carrière. Aujourd'hui ce genre est aussi démodé que ses costumes, mais il ne cesse d'éclairer la mentalité du siècle qui l'inventa.

37 Respectivement, Jean Chartier nommé en 1437 et Georges Chastellain nommé en 1455. 38 ÜUY, Le songe et les ambitions, cit. n. 12 ; ID., L'humanisme et les mutations politiques et sociales en France aux XJVe et xve siècles, dans L'humanisme français au début de la Renaissance (Colloque International de Tours [XJVe stage]), Paris, 1973), p. 27-43. Sur l'ambition sociale, voir l'article de Bernard Guenée dans le présent volume. 39 F. SIMONE, Storia della Storiografia Letteraria Francese, Torino, 1969, p. 32-37 ; FRYDE, Humanism and Renaissance Historiography, cit. n. 26, p. 9 et sq.

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LES THEMES HUMANISTES DANS LE PROGRAMME DE TRADUCTION DE CHARLES V: COMPILATION DES TEXTES ET ILLUSTRATIONS

Claire Richter SHERMAN (National Gallery of Art, Washington)

Introduction

En dépit du fait que bien des caractéristiques du programme de traductions de Charles V sont très connues, la relation de ce programme aux développements humanistes qui lui sont contemporains n'a pas été bien définie. Cet essai s'efforcera d'examiner ce qui a trait à l'humanisme dans le projet de traduction pris dans son ensemblei. Nous mettrons ensuite l'accent sur les traductions, faites par Nicole Oresme, des oeuvres d'Aristote: l'Ethique et la Politiquez. Notre intérêt se portera principalement sur une remise en forme des textes destinée à servir les intérêts et besoins de leur nouveau public laïc. Un aspect de telles mises en forme se manifeste par l'inclusion de cycles d'illustrations dans les copies de Charles V de ces textes. Ces programmes, conçus par Oresme, fonctionnent comme une traduction à un autre niveau qui facilite la compréhension des textes par les lecteurs. Des images sélectionnées montreront comment leurs modes de représentation picturale soulignent certains thèmes humanistes. La première est la visualisation de la théorie d'Aristote du juste milieu. La seconde se rapporte à l'entremise et à la responsabilité humaines dans le cadre des décisions morales. Précédents et contacts humanistes

Le noyau, petit mais important, des traductions de Charles V révèle un intérêt pour l'Antiquité et le début de l'humanisme italien. Le parrainage, par le roi Jean le Bon, de la traduction par Pierre Bersuire du De 1 Cf. J. MONFRIN, Humanisme et traductions au Moyen Age, dans Journal des savants, 1963, p. 161-190. 2 Pour les éditions critiques de ces textes par A. D. MENUT, cf. Maistre Nicole Oresme, Le livre de ethiques d'Aristote published from the text of MS 2902, Bibliothèque Royale de Belgique, New York, 1940; Maistre Nicole Oresme, Le livre de politiques d'Aristote, Philadelphia, 1970. Pour la discussion intégrale des traductions d'Oresme, voir mon livre, Imaging Aristotle: Verbal and Visual Representation in Fourteenth-Century France, Berkeley- Los Angeles, 1995.

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urbe condita de Tite-Live tient lieu d'important précédent3. Bersuire, moine bénédictin, vécut pendant très longtemps à A vignon, alors siège temporaire de la papauté et important carrefour culturel. Bersuire, pour sa traduction terminée vers 1356, mit à profit à la fois les manuscrits présents dans la bibliothèque papale et ses contacts avec Pétrarque. Le célèbre humaniste aurait pu fournir au traducteur des portions qui manquent au texte de Tite-Live4. Après le retour de Bersuire à Paris en 1350, il semble avoir profité de la protection du roi Jean. Bersuire et Pétrarque, dont l'amitié se maintint par correspondance, se rencontrèrent de nouveau à Paris, en 1361, lorsque Pétrarque servit d'ambassadeur à la cour de France pour Galeazzo Visconti, souverain de Milan. Dans un discours de félicitations au roi Jean à l'occasion de son retour d'emprisonnement en Angleterre, Pétrarque impressionna profondément son auditoire, y compris le futur Charles vs. La traduction par Bersuire des première, troisième et quatrième Décades du texte de Tite-Live est la première traduction littérale sur le sol français d'un ouvrage classique. D'un point de vue pratique, la compilation du texte par Bersuire montre sa compréhension de la nécessité de représenter l'oeuvre pour son auditoire profane. Afin de rendre le texte de Tite-Live plus facile à suivre, le traducteur a découpé les trois sections principales (les Décades) en des chapitres plus courts, chacun introduit par un titre. Mélangées au texte se trouvent des séries de notes ou de commentaires. Intitulées Incidens, elles fournissent aux lecteurs des informations sur des noms de lieux, termes, personnes, événements et institutions romains dont ils pourraient être ignorants. Pour aider les lecteurs à comprendre les nombreux nouveaux termes qu'il introduit, Bersuire inclut un glossaire de quelques quatre-vingt termes arrangés, au début du texte, dans un ordre grossièrement alphabétique6. Le texte de Bersuire est, apparemment, le premier ouvrage littéraire français à incorporer un glossaire?. 3 J. MONFRIN, La traduction française de Tite-Live, dans Histoire littéraire de la France, XXXIX, Paris, 1962, p. 358-414. 4 G. BILLANOVICH, Petrarch and the Textual Tradition of Livy, dans Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 14 (1951), p. 137-208. 5 R. DELACHENAL, Histoire de Charles V, 5 vol., Paris, 1909-1931, Il, p. 270-272. 6 MONFRIN, La traduction française de Tite-Live, p. 371, 379, et 383-386. Pour les Incidens, cf. K. V. SINCLAIR, The Melbourne Livy: A Study of Bersuire's Translation Based on the Manuscript in the Collection of the National Gallery of Victoria, Melbourne, 1961, p. 25-28.

7 On trouve déjà un glossaire de 110 mots dans un manuscrit flamand daté de la fin du xme siècle, Li ars d'amour, de vertu et de boneurté (ms. Bruxelles, B. R. 9543). Pour la description de ce manuscrit, cf. C. GASPAR et F. LYNA, Les principaux manuscrits à peintures de la Bibliothèque Royale de Belgique, 2 vol., Bruxelles, 1937-1947, I, p. 205-207. Le glossaire a été publié par le baron DE REIFFENBERG dans les Monuments pour servir à l'histoire des provinces

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En tant que précédent aux versions françaises par Oresme des oeuvres morales d'Aristote, la traduction par Bersuire de Tite-Live établit un modèle à suivre, en offrant une oeuvre de l'Antiquité classique qui fait autorité comme guide dans l'art de gouverner. En effet, le plus vieil exemplaire illustré qui existe de la traduction par Bersuire fait partie de la collection de Charles V, à savoir le manuscrit 777 de la bibliothèque Sainte-Geneviève8. Charles V a pu croire à l'importance des illustrations comme aide à la compréhension des textes classiques. Les liens de la cour de France avec Avignon et la rencontre du roi avec Pétrarque ont pu stimuler l'intérêt de Charles pour l'humanisme. Pendant sa mission diplomatique, l'humaniste italien n'a pu prononcer devant la cour de France un discours prévu sur le thème de la Fortune. Le souvenir de cet événement a pu pousser Charles V à commander, en 1376, la première traduction de l'oeuvre de Pétrarque : la version française par Jean Daudin du De remediis utriusque fortunae9. D'un autre côté, l'attachement de Pétrarque à la Cité de Dieu de saint Augustin a pu encourager Charles V à commander la traduction de ce texte par Raoul de Presles. Cette hypothèse, avancée par le Professeur C. C. Willard, semble plausible eu égard à la façon dont Presles s'appuie sur les commentaires sur la Cité de Dieu faits en latin par deux frères anglais, Nicholas Trevet et Thomas W aleys 10. Ces deux hommes ont longtemps vécu à Avignon et s'intéressaient beaucoup à l'humanisme. Ce qui semble plus particulièrement intéresser Presles dans le texte est la richesse des informations sur la culture grecque et romaine ancienne comprise dans la première moitié de la Cité de Dieu et les commentaires latins. En effet, Laborde déclare que la popularité de la traduction de Presles vient des nombreuses anecdotes concernant des héros classiques et d'autres sujets d'histoire ancienne plutôt que de son contenu religieuxii. Presles écrit que, puisque la théologie n'est pas sa spécialité, il ne fait pas de commentaires sur la seconde partie du de Namur, de Hainaut, et de Luxembourg, VII (1847), p. XCII-XCV. Cf. M. DEBAE, La librairie de Marguerite d'Autriche, Bruxelles, 1987, p. 103-105. 8 L. DELISLE, Recherches sur la librairie de Charles V, 2 vols., Paris, 1907, 1, p. 283-284, et II, no 975, p. 160; F. AVRIL, La librairie de Charles V, Paris, 1968, no 189, p. 108-109; 1. ZACHER, Die Livius-Illustration in der Pariser Buchmalerei (1370-1420), Thèse, Freie Universitat Berlin, 1971. 9 F. SIMONE, The French Renaissance : Medieval Tradition and Italian Influence in Shaping the Renaissance in France, tr. H. GASTON HALL, London, 1969, p. 90-92 ; N. MANN, La fortune de Pétrarque en France: recherches sur le" De remediis >>,dans Studifrancesi, 37 (1969), p. 1-15. 10 C. C. WILLARD, Raoul de Presles's Translation of St. Augustine's «De civitate Dei>>, dans Medieval Translators and Their Craft, éd. J. BEER, Kalamazoo (Mich.), 1989, p. 331-332. Il A. DE LABORDE, Les manuscrits à peintures de la Cité de Dieu, 3 vol., Paris, 1909, 1, p. 65-67.

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texte12. Il est également à noter que les cycles soignés d'illustrations qui accompagnent souvent cette traduction populaire par Presles rendent les textes plus accessibles et attrayants pour le public laïc13. Des rapports existent aussi entre la cour de Charles V et un autre centre italien d'humanisme, la cour angevine de Naples. Dans la version française que possédait Charles V des quatre premiers livres de Valère Maxime intitulés Faits et dits dignes de mémoire, le traducteur s'appuie fortement sur le commentaire antérieur écrit en 1342 à Naples par Fra Dionigi da Borgo San Sepolcro14. Les illustrations, qui accompagnent la traduction de Simon de Hesdin, exécutées entre 1375 et 1379, indiquent clairement cet intérêt. Une version en français d'une épître de Sénèque à Lucilius, commandée par le grand chambellan du royaume de Naples en 1308-1310, fait également partie de la bibliothèque de Charles Vts. Le roi Robert le Sage commanda un exemplaire de la quatrième Décade, qui manquait, du Ab urbe condita de TiteLive16. Deux des trois manuscrits associés à la cour angevine de Naples et qui appartinrent plus tard à Charles V et à son frère le duc de Berry, traitent également de l'histoire romainet7. Bref, Charles V et les traducteurs à son service maintenaient des contacts avec l'humanisme italien et portaient un vif intérêt aux ouvrages d' histoire ancienne en latin.

La traduction en français, par Oresme, de l'Ethique à Nicomaque et de la Politique d'Aristote : Les fonctions des illustrations Le renouveau du corpus aristotélicien au moyen de traductions latines eut lieu à l'intérieur de la structure de l'université médiévale et de la scolastique contrôlées par une élite cléricale1s. Néanmoins, sous 12 Ibid., l, p. 69; WILLARD, Raoul de Presles, p. 335-342. 13 S. O. D. SMITH, Illustrations of Raoul de Praelle's Translation of St. Augustine's City of Gad between 1375 and 1420, Thèse, 1\'ew York University, 1974; WILLARD, Raoul de Presles,

p. 333 et 341. 14 M. A. BERLINCOURT, The Commentary on Valerius Maximus by Dionysius de Burgo Sancti Sepulchri and its Influence upon Later Commentaries, Thèse, Yale University, 1954; G. DI STEFANO, Tradizione esegetica e traduzioni di Valerio Massimo ne! primo umanesimo francese, dans Studifrancesi, 21 (1963), p. 403-417; ID., Essais sur le moyen français, Padova, 1977' p. 29-38. 15 Ms. Bruxelles, B. R. 9091 ; DELISLE, Recherches, cit. n. 8, I, p. 257-258; GASPAR et LYNA, Principaux manuscrits à peintures, cit. n. 7, I, p. 356-358. 16 C. C. COULTER, The Library of the Angevin Kings at Naples, dans Transactions and Proceedings of the American Philological Association, 75 (1944), p. 146 et 152-154; MONFRIN, Traductions au Moyen Age, cit. n. 1, p. 170-171. 17 F. AVRIL, Trois manuscrits napolitains des collections de Charles V et de Jean de Berry, dans Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, 127 (1969), p. 291-328. 18 B. G. DOD, Aristoteles latinus etC. H. LOHR, The Medieval Interpretation of Aristotle, dans The Cambridge His tory of Later Medieval Philosophy : From the Rediscovery of Aristotle

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forme abrégée, ces oeuvres classiques de philosophie morale firent leur entrée dans la langue vulgaire vers la fin du treizième siècle dans des encyclopédies et des Miroirs des Princes19, Mais les traductions par Oresme font date en ce qu'elles sont les premières versions complètes des oeuvres d'Aristote préparées à l'intention d'un public laïc. Oresme suit la pratique universitaire de séparer le texte de la glose et des commentaires. Toutefois, à l'intérieur de ces structures traditionnelles, il montre un intérêt marqué pour la recherche des étymologies, l'identification des locations géographiques, des personnages historiques et mythologiques et l'explication des événements et coutumes -qu'il interprète souvent mal2°. Oresme est également conscient de la distance historique et culturelle qui existe entre son époque et l'Antiquité grecque et romaine. Il ne néglige pas le rôle du langage dans la translatio studii lorsqu'il lie les traductions des oeuvres d'Aristote au mouvement de la culture vers Paris et la monarchie française21, Cette distance mentale qui le sépare de l'Antiquité lui permet d'interpréter l'ancienne culture dans ses gloses et commentaires en offrant des exemples d'équivalents contemporains d'ordre personnel, institutionnel, ou culturel. Oresme définit clairement aussi les lecteurs de ses traductions des oeuvres morales d'Aristote comme étant le roi et ses conseillers22, Bien qu'il instruise son public des termes variés qu'ils doivent maîtriser, Oresme ne nous dit cependant pas comment ses livres étaient lus ou utilisés. Comme les érudits l'ont noté, Charles est représenté, dans différentes images, comme un lecteur solitaire23. De plus, le portrait de dédicace dans le premier exemplaire de l'Ethique qui a appartenu au roi (Bruxelles, Bibliothèque Royale, manuscrit 9505-06, f. 2v.) montre, dans le quadrilobe en bas et à gauche, un roi et ses associés avec des livres en face d'eux et écoutant une conférence (FIGURE 36). Ce qu'il faut remarquer ici, c'est le fait que le roi et ses compagnons lisent chacun to the Disintegration of Scholasticism, 1100-1600, éd. N. KRETZMANN et al., Cambridge- New York, 1982, p. 45-79 et 80-98. 19 W. BERGÈS, Die Fürstenspiegel des hohen und spdten Mittelalters, Leipzig, 1938; D. M. BELL, L'idéal éthique de la royauté en France au Moyen Age d'après quelques moralistes de ce temps, Genève, 1962. 20 S. M. BABBITT, Oresme's Livre de Politiques and the France of Charles V, Philadelphia, 1985, p. 10-13. 21 S. LUSIGNAN, Parler vulgairement, les intellectuels et la langue française au XJIJe et XIVe siècles, Paris, 2e édition, 1987, p. 154-162 ; cf. ID., La topique de la Translatio studii et les traductions françaises de textes savants au XIVe siècle, dans Traduction et traducteurs au Moyen Age (Colloque international du Centre National de la Recherche Scientifique, Paris, 26-28 mai 1986), Paris, 1989, p. 303-315. 22 Le livre de ethiques, éd. cit. n. 2, p. 98. 23 C. R. SHERMAN, The Portraits of Charles V of France, 1338-1380, New York, 1969, pl. 70 et 71.

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leur propre exemplaire du texte discuté par le conférencier. L'image suggère que la lecture individuelle était complétée par des explications orales du texte. Qui plus est, les prologues de plusieurs traductions commandées par le roi font référence à des débats oraux entre Charles V et les traducteurs24. Christine de Pizan mentionne que le roi aimait qu'on lui lise des « leçons de sapience » pendant les repas et à d'autres occasions2s. Il est tout à fait possible qu'Oresme ait lu ou expliqué d'importants passages de ses traductions de l'Ethique et de la Politique26. Ce faisant, il a pu utiliser les illustrations comme base de discussion ou de débat. Le placement des illustrations dans l'Ethique et de la Politique, les manuscrits traduits par Oresme et que possédait Charles V, indique leur rôle en facilitant la compréhension du lecteur. Il existe deux exemplaires de ces manuscrits, chacun de deux tomes, qui datent respectivement de 1372 à 1374 et de 137627. Dans ces exemplaires, les miniatures sont placées au début du chaque division importante de texte. Placées habituellement très près des têtes de chapitre et des petits résumés compilés par Oresme, les illustrations servent au lecteur de points de repère et d'outils de localisation et d'indexation. Pareillement à certaines caractéristiques des traductions latines d'Aristote, telles que les summa des contenus principaux des textes, les illustrations servent de résumés visuels aux plus importantes idées présentées dans chacun des livres. Pour donner un exemple de ce fait, regardons la disposition et l'emplacement de l'illustration dans le Livre II du premier exemplaire de Charles V (Bruxelles, Bibliothèque Royale, manuscrit 9505-06, f. 24) de la traduction, par Oresme, de l'Ethica Nicomachea (FIGURE 37). Dans ce livre, Aristote discute de la Vertu en tant que concept générique28. L'importance de la définition générique de la Vertu dans le Livre II se signale par la relation qui existe entre l'illustration et le folio 24 Le songe du vergier, éd. M. SCHNERB-LIÈVRE, 2 vol., Paris, 1982, !, p. 4; DE LABORDE, Les manuscrits à peintures, cit. n. 11, 1, p. 65. 25 CHRISTINE DE PIZAN, Le livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V, éd. S. SOLENTE, 2 vol., Paris, 1936-1940, I, p. 40 et 47-48 ; ID., Le livre de la paix, éd. C. C. WILLARD, 'S-Gravenhage, 1958, p. 68. 26 Il se peut qu'Oresme, comme Vincent de Beauvais, ait tenu le poste de lecteur royal. Cf. A. L. GABRIEL, The Educational Ide as of Vincent of Beauvais, Notre Dame (!nd.), 1962, p. 45. 27 Le premier tome de l'exemplaire de l'Ethique (grand format) se trouve à Bruxelles, B. R. 9505-06 ; le second tome (également grand format), la Politique, France, collection particulière. Le premier tome de l'exemplaire de l'Ethique (petit format) se trouve à Den Haag, Rijksmuseum Meermanno-Westreenianum 10 D 1 ; le second (également petit format), la Politique, Bruxelles, B. R. 11201-202. Cf. AVRIL, La librairie de Charles V, cit. n. 8, p. 117-119. 28 E. PANOFSKY, Hercules am Scheidewege und andere antike Bildstoffe in der neueren Kunst, Leipzig, 1930, p. 150-151.

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sur lequel elle apparaît. Liée par le chiffre romain II du titre du second livre, la miniature est placée en haut du folio qui suit la liste des têtes de chapitre. Quels autres moyens communiquent au lecteur l'identité et le caractère de la définition générique de la Vertu ? Un procédé de répétition verbale du mot-clé Vertu, écrit sur l'inscription en haut du dessin central, relie le mot à tous les têtes de chapitre du Livre II sauf un. Le mot Vertu est mentionné aussi dans les rubriques du résumé (par Oresme) du contenu du livre qui figurent au folio précédent. Placée entre les titres de chapitre et le premier paragraphe du texte du Livre Il, l'illustration sert aussi de guide à un thème majeur. L'emplacement du mot Vertu conduit le lecteur aux Chapitres 7 et 8 où Oresme définit le terme même. Une autre inscription qui s'étend sur un rouleau à côté d'une figure qui personnifie la Vertu déclare: «Le moien est ceste» (ceci est le milieu). Le titre du Chapitre 8 localise l'endroit spécifique dans le texte où les deux mots-clefs des inscriptions, vertu et moien, sont associés. Dans un passage succinct, Oresme déclare qu'au centre de la théorie d'Aristote du juste milieu se trouve la capacité morale, dans une situation donnée, de répondre de façon appropriée à une action ou émotion29. Alors que certaines fonctions des programmes d'illustration ne sont pas uniques aux deux séries de traductions d'Aristote que possédait Charles V, une caractéristique l'est assurément. Les inscriptions, insérées dans le fond des images de la plupart des miniatures de l'Ethique et de la Politique, n'apparaissent pas dans les cycles qui accompagnent d'autres traductions commandées par le roi. De ce fait, ces inscriptions donnent aux illustrations une fonction lexicale comparable aux compilations et explications par Oresme de mots inconnus ou difficiles, mentionnés dans les titres de chapitre et les gloses adjacentes à l'illustration ou placées dans un glossaire séparé à la fin du volume. Le caractère lexical des illustrations introduit le sujet plus vaste de leur fonction en tant que définitions visuelles. Les définitions verbales de mots inconnus ou de termes empruntés sont une tâche de première importance pour le traducteur. La définition joue également un rôle important dans les modes aristotéliciens de logique et d'argumentation, ainsi que de rhétorique. Le concours des illustrations, identifiées par des inscriptions voyantes, en tant que définitions génériques et spécifiques de termes aristotéliciens est une des fonctions majeures des cycles conçus par Oresme. L'association du terme désigné avec l'image

29 Le livre de ethiques, éd. cit. n. 2, p.

161-163.

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dans laquelle il figure facilite la compréhension, la mémorisation, et le souvenir des significations de ce terme par le lecteur. Une caractéristique marquante de la définition visuelle est sa relation à la séquence et à l'ordre du texte. Comme dans la rhétorique ou dans la théorie mnémonique, l'ordonnancement d'un argument ou d'un discours dans une certaine séquence est un moyen de base pour se rappeler ses parties et pour convaincre son public. Le placement de gauche à droite et de façon adjacente de deux illustrations de mots-clefs dans l'illustration du Livre III, (Bruxelles, Bibliothèque Royale, manuscrit 9505-06, f. 39), représentant Fortitude et Tempérance suit l'ordre du texte écrit (FIGURE 38). Le principe de suivre l'ordre du texte dans l'arrangement des définitions visuelles constitue donc une autre manière pour faciliter chez le lecteur l'association du concept et de l'image.

La visualisation de la théorie d'Aristote du juste milieu L'utilisation innovatrice, par Oresme, d'une échelle graduée et de la structure visuelle pour communiquer l'essentiel des notions aristotéliciennes apparaît dans les deux exemplaires des cycles que possédait Charles V. Parmi celles-ci, le concept du juste milieu du Philosophe est exprimé de façon plus particulièrement frappante dans la définition visuelle générique de Vertu (FIGURE 39) représentée comme une reine qui occupe le point central du champ de l'image par rapport au placement physique et à l'échelle de cette dernière. Les vices de l'Excès et du Défaut qui sont mis en contraste sont différenciés de façon frappante par l'opposition d'un géant et d'un nain, relégués aux côtés gauche et droit respectivement de la composition. Ici, les positions morales « hors-centre » représentent la déviation par rapport au milieu, et il en va de même en ce qui concerne l'irrespect des proportions figuratives normales. Les personnifications extratextuelles et puissantes des vices sont une invention d'Oresme, conçue dans le respect de la théorie médiévale mnémonique, afin d'imprimer dans l'esprit du lecteur des images frappantes qui puissent émouvoir et enseigner en même temps3o. Le procédé d'ordonnancement triadique est recommandé par Aristote pour des buts mnémoniques afin de contraster un concept central par rapport à ses contraires3I. Une application parfaite de procédé rencontre dans l'illustration du Livre III du second exemplaire de 30 F. Y ATES, The Art of Memory, London, 1966, p. 101. 31 M. J. CARRUTHERS, The Book of Memory: A Study of Memory in Medieval Culture, Cambridge- New York, 1991, p. 63. Elle cite Aristotle, On Memory, éd. R. SORABJI, Providence (Rhode Island), 1972, p. 29-31.

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Charles V (Den Haag, Rijksmuseum Meermanno-W estreenianum, manuscrit 10 D 1, f. 37) de l'Ethique (FIGURE 40). Dans une structure parallèle à deux niveaux, les vertus de Fortitude et de Tempérance occupent le milieu et le point central entre les vices de l'excès ou du manque. Au niveau supérieur, Oultrecuidance est un vice d'excès ; Couardie un vice de manque par rapport au milieu représenté par Fortitude. Au niveau inférieur, Désattrempance occupe la place de l'excès ; Insensibilité, la place du manque par rapport au milieu représenté par Attrempance (Modération) au centre.

Deux allégories de décision Oresme utilise le centre comme un moyen de souligner le milieu dans deux allégories de décision au Livre VII de l'Ethique (FIGURES 41 et 42). Dans ces deux illustrations la position centrale est associée à l'action morale et au pouvoir de faire un choix moral. Panofsky, qui définit le terme dans son essai sur «Hercules Prodicius », décrit la situation comme la réponse d'un protagoniste central confronté à un conflit d'ordre moral. Panofsky souligne le caractère unique de ces représentations comme allégories de décision basées non pas sur l'intervention divine mais sur la seule volonté d'action d'un individu32. Dans ces illustrations, «l'homme au centre» (le Continent) doit décider entre la force morale de la raison d'un côté et l'attraction du désir (Concupiscence) de l'autre. La juxtaposition de deux images quasiment identiques marque l'opposition d'un mode de conduite antithétique : la décision de l'homme incontinent (l'Incontinent) qui tourne littéralement le dos à la Raison. La position au centre exprime un autre aspect du concept aristotélicien du milieu : l'homme y occupe la position morale entre l'angélique et l'animal. Dans le second exemplaire de l'Ethique (Den Haag, Rijksmuseum Meermanno-Westreenianum, manuscrit 10 D 1, f. 126), l'addition d'un second registre permet d'approfondir davantage la distinction entre le Vertueux, qui est aligné avec le Continent, et le Vicieux, le double de l'Incontinent. Les scènes du registre supérieur communiquent un sens de lutte morale et de choix provisoires, temporaires, alors que celles du registre inférieur peignent la décision et des modes de conduite habituels. De plus, la répétition des différences de costume entre les types de caractères présentés au registre inférieur suggère que les modes de .vie du Continent et du Vertueux sont ceux pratiqués par les érudits ou ecclésiastiques, alors que ceux qui représentent la faiblesse morale et l'indulgence excessive dans les plaisirs du corps habitent un monde laïc33. Chacune des quatre 32 Hercules am Scheidewege, 33Jbid., p. 160, n. 1.

cit. n. 28, p. 160.

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scènes utilise un système d'ordonnancement triadique. De nouveau, cette organisation efficace, intelligente et imaginative représente une innovation de la part d'Oresme et un écart par rapport à la norme médiévale dans laquelle la figure centrale est la plus grande et la plus importante à cause de son statut social et de sa position éthique. Une autre allégorie de décision insérée dans ce second exemplaire de l'Ethique de La Haye (FIGURE 43) illustre le Livre IX du texte (Den Haag, Rijksmuseum Meermanno-W estreenianum, manuscrit 10 D 1, f. 170). C'est la seule miniature à trois registres à occuper une page entière du manuscrit. Les sources du texte sont la glose et la Quaestio d'Oresme qui traitent des choix moraux d'un individu qui doit prendre une décision alors qu'il y a conflit entre ses diverses obligations vis-àvis d'amis et de parents34. La situation en question a trait à un problème alors bien d'actualité, celui des demandes de rançon : plus précisément, il s'agit de savoir qui doit être secouru lorsque, de deux personnes, une seule peut être sauvée. Par exemple, si un homme a été racheté des mains de voleurs, doit-il «racheter à son tour celui qui l'avait racheté, quel qu'il soit (ou le payer, si ce dernier n'a pas été capturé mais exige un paiement) ? Ou doit-il plutôt racheter son père? Mais qu'en est-il de son devoir de libérer son fils ? Il semblerait qu'il doive racheter son père de préférence à son fils». Dans la miniature, l'homme représenté au milieu est au centre d'un choix moral déchirant. Le dilemme posé dans l'illustration n'a pas de solution facile, ce qui peut refléter la façon dont Oresme pose la question. Cette question de rançon pourrait certainement avoir trait aux paiements et arrangements de Charles V pour libérer son père de prison3s. D'une manière plus générale, l'illustration, enracinée dans la pensée d'Oresme, montre que des questions d'ordre humaniste sont posées dans la structure d'une méthode d'argumentation propre à la scolastique.

Conclusion Cette étude a fait apparaître la présence de contacts et de thèmes humanistes dans le projet de Charles V. Des liens entre la cour de France et Avignon et Naples, deux centres de l'humanisme du Trecento, existaient déjà pendant le règne de Jean le Bon. Les contacts de Charles V avec Pétrarque ont pu ouvrir la voie à la commande, par le roi, de la première traduction d'une oeuvre du grand humaniste. 34 Le livre de ethiques, éd. cit. 11. 2, p. 460-461. 35 J. B. HENNEMAN, Royal Taxation in Fourteenth-Century France: The Captivity and Ransom of John Il, 1356-1370, Philadelphia, 1976, Ch. 3, 6, et 8; R. CAZELLES, Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, Genève, 1982, p. 354-355, 358-361, 376-399,421-428, et 447-449.

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D'autres livres associés à la cour angevine et réunis par le roi montrent un intérêt continu porté à l'histoire romaine. Des thèmes humanistes sont également présents dans la traduction, par Oresme, de l'Ethica Nicomachea. Comme partie intégrante de ses stratégies pour offrir des guides cognitifs et mnémoniques aux lecteurs, Oresme conçoit des programmes d'illustration qui fournissent des traductions visuelles à des concepts-clefs éthiques, tels que la définition générique de la vertu, la lutte entre la raison et le désir, et le problème des obligations incompatibles au sein des relations sociales. Dans chacune des illustrations, la théorie d'Aristote du juste milieu est pertinemment traduite en termes visuels concrets qui aident le lecteur à comprendre et à se rappeler ces principes essentiels de la pensée humaniste.

LES PERCEPTIONS DE L'IMAGE ROYALE A TRAVERS LES MINIATURES : L'EXEMPLE DES GRANDES CHRONIQUES DE FRANCE Anne D. HEDEMAN (University of Illinois, Urbana-Champaign)

Dès leur ongme au XIIIe siècle et jusqu'au milieu du xve, les Grandes Chroniques de France ont connu une grande fortune. Ce récit historique était une traduction du latin en français de l'histoire des rois français depuis leur origine troyenne jusqu'à la fin du Moyen Age. La première étape (jusqu'en 1274) fut traduite par Primat, un moine de Saint-Denis, et le texte traitait de divers événements- premièrement à Saint-Denis et ensuite à la Cour royale- jusqu'à ceux de 13801. Cette histoire était très populaire. Bernard Guenée a montré que, jusqu'au milieu du xve siècle, l'audience des Grandes Chroniques se trouvait presque exclusivement à Paris2. De même que l'histoire traitait de faits concernant la plupart du temps des membres de la cour royale : le roi, sa famille, et les gens qui servaient le roi, de même le public de cette histoire était essentiellement constitué par les milieux royaux. En raison de ce type particulier de mécénat et de la popularité de ce récit - plus de 130 exemplaires existent encore dont à peu près 80 sont enluminés - les manuscrits illustrés des Grandes Chroniques de France constituent une source importante pour l'étude de l'image royale au Moyen Age, surtout pour son analyse dans une double perspective: la personne royale vue d'en haut et vue d'en bas. Je voudrais suggérer une méthode qui permette l'analyse de la représentation visuelle de la royauté dans les manuscrits des Grandes Chroniques. Cette méthode vient de ce qu'on connaît de la production des 1 Pour une mise au point de la recherche sur les chroniques, cf. G. SPIEGEL, The Chronicle Tradition of Saint-Denis: A Survey, Brookline (Mass.)- Leyden, 1978, p. 72-88; A. D. HEDEMAN, The Royal Image: Illustrations of the Grandes Chroniques de France, 12741422, Berkeley- Los Angeles, 1991. Pour l'édition critique du texte, cf. Les Grandes Chroniques de France, éd. J. VIARD, 10 vol., Paris, 1920-1953; Les Grandes Chroniques de France: Chronique des règnes de Jean II et de Charles V, éd. R. DELA CHENAL, 4 vol., Paris, 1910-1920. 2 Cf. B. GUENÉE, Les Grandes Chroniques de France: Le roman aux rois ( /274-15/8), dans La nation, 1, 2: Les lieux de mémoire, éd. P. NORA, Paris, 1986, p. 189-214; ID., Histoire d'un succès, dans F. AVRIL, M.-T. GoussET et B. GUENÉE, Les Grandes Chroniques de France: Reproduction intégrale enfac-similé des miniatures de Fouquet. Manuscrit français 6465 de la Bibliothèque nationale de Paris, Paris, 1987, p. 83-138.

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manuscrits à Paris vers 14003. D'habitude soit le client, soit le libraire, sélectionnait le sujet des illustrations et leur position dans le texte ; les artistes, suivant des instructions dessinées ou écrites, composaient quelques images d'après les modèles qu'ils avaient réunis et inventaient des images quand il n'y avait pas de modèle. Compte tenu de ce processus, j'ai décidé d'étudier un groupe de manuscrits décorés par ces artistes. Je ne tiens pas compte des images qui ont paru dans plusieurs manuscrits (dont ceux créés d'après des modèles). Mon hypothèse est que les images qui restent étaient celles qui, sans aucun doute, avait été créées spécialement pour le mécène. Je voudrais esquisser cette méthode en étudiant trois manuscrits décorés par le Maître du Virgile et ses associés au commencement du xve siècle4. Il est possible que l'un de ces manuscrits (London, British Library, Royal 20 C VII) ait été un livre royal ; il est probable, par contre, que les autres (manuscrits Chantilly, Musée Condé 867 et Baltimore, Walters Art Gallery W. 139) ne l'étaient pass. Je décrirai premièrement la distribution des images dans chaque cycle d'illustrations et, deuxièmement, je donnerai quelques exemples des images uniques qui se trouvent dans ces manuscrits (c'est-à-dire les images qui sont sensées refléter le goût du mécène). Une telle analyse nous donnera un aperçu des différentes images de la royauté et perceptions de l'histoire dans le cercle royal. Le livre conservé à Londres est le plus travaillé de ces manuscrits. Il n'est mentionné dans aucun inventaire de ma connaissance. Pourtant, il est presque certain qu'il fut conçu pour un public royal, comme François Avril l'a suggéré6. Son texte commence avec la vie de Philippe le Bel et se termine au commencement du règne de Charles VI- c'est-àdire qu'il commence précisément là où se termine le fameux manuscrit

3 Pour la production des livres à Paris, cf. P. DELALAIN, Etude sur les libraires Parisiens du Xllle au XVe siècle, Paris, 1891 ; M. A. ROUSE et R. ROUSE, The Book Trade at the University of Paris, c.l250-1350, dans La production du livre universitaire au Moyen Age: Exemplar et pecia, éd. L. J. BATAILLON, B. G. GUYOT et R. ROUSE, Paris, 1988, p. 41-114; la contribution de M. et R. ROUSE, La famille d'André Le Musnier, dans Cl! volume. Pour le rôle des artistes dans cette production, cf. P. STIRNEMANN, Nouvelles pratiques en matière d'enluminure au temps de Philippe Auguste, dans La France de Philippe Auguste : Le temps des mutations, éd. R.-H. BAUTIER, Paris, 1982, p. 955-980; S. HINDMAN, Christine de Pizan's « Epistre Othéa »: Painting and Politics at the Court of Charles VI, Toronto, 1986, p. 61-77; HEDEMAN, Royal Image, p. 145-152. 4 Pour le Maître du Virgile cf. M. MEISS, French Painting in the Time of Jean de Berry: The Limbourgs and their Contemporaries, New York, 1974,1, p. 408-412. 5 Pour ces manuscrits, cf. le Catalogue des manuscrits dans HEDEMAN, Royal Image, p. 194-195,206-207, et 221-226. 6 Cf. AVRIL, GOUSSET et GUENÉE, Les Grandes Chroniques, p. 24.

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de Jean le Bon (London, British Library, Royal16 G VI) 7 • La densité du cycle du Royal 20 C VII - deux cent soixante-huit miniatures est comparable au cycle de quatre cent dix-huit miniatures du manuscrit de Jean le Bon et leur format -un mélange de petites et grandes miniatures- est harmonisés. Si on peut présumer que les Grandes Chroniques de Londres sont bien un manuscrit royal, on doit se demander si ses images reflètent une vue personnalisée de l'histoire et quelle image du roi il donne au lecteur. A première vue, il semble difficile de répondre à ces questions tant les images sont subordonnées aux textes qu'elles illustrent ; la plupart du temps on ne pourrait même pas identifier le sujet d'une miniature sans l'aide du texte et des rubriques. Pourtant, si on considère l'échelle et l'emplacement des miniatures, il y a une quarantaine d'images qui semblent plus significatives : quarante sont de grand format, quatre coupent les chapitres du texte, et deux illustrent un seul chapitre9. De toute évidence, ces images avaient, pour le mécène, plus d'importance que les autres. La prise en considération de deux groupes d'images montrera comment ces miniatures exceptionnelles contribuent à la création d'une image spécifique de la royauté. Le premier consiste en une série d'images séparées qui mettent en évidence l'histoire des membres des familles d'Aragon et d'Anjou. Par exemple, parmi les miniatures à deux colonnes ou insérées dans le texte, certaines concernent l'histoire des rois d'Aragon et des ducs d'Anjou- par exemple, la défaite de Pierre d'Aragon (f. 20v), la présentation de Charles de Salerne à Alphonse d'Aragon (f. 23v), le duc d'Anjou menant Grégoire XI à Avignon (f. 187v) et l'entrée du duc d'Anjou à Montpellier pour étouffer une révolte (f. 213). Un tel choix d'images insolites me semble indiquer une personne qui s'intéressait aux familles d'Anjou et d'Aragon. Au commencement du xve siècle, deux membres de la famille royale se trouvaient dans ce cas : Louis II duc d'Anjou, neveu de Charles V, qui avait épousé Yolande d'Aragon en 1400 et Charles (qui deviendra Charles VII) qui s'était fiancé en 1413 avec Marie d'Anjou, fille de Louis et de Yolande. La date du manuscrit n'aide pas à résoudre la question de la personne concernée, parce que l'un des artistes, le Maître du Virgile, était actif 7 Ibid., p. 24. Pour le ms. London, Br. Lib., Royal16 G VI, cf. HEDEMAN, Royal Image, p. 51-73, et 213-221. 8 Pour les reproductions de quelques illustrations du London, Br. Li br., Royal 16 G VI, cf. HEDEMAN, Royal Image, figures 31, 38-50, et planche 1. 9 Ce sont les images des f. 8, lOv, 13v, 20v, 23v, 26v, 34, 37, 38, 41 v, 47, 56v, 60, 60v, 70v, 72v, 76v, 83v, 89v, 94, 95, 97v, 98v, lOOv, 104,107, 112v, 114, 121v, 125, 133v, 136v, 137, 138, 139, 147, 160v, 163v, 173, 187v, 198v, 200, 212, 213v, 216. Pour l'identification des sujets de ces images, cf. HEDEMAN, Royal Image, p. 221-226.

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entre 1390 et la deuxième décade du xve sièclew. Mais, en raison de la relation qui existe entre les cycles impériaux de ce manuscrit et ceux des Grandes Chroniques de Charles V, je pense que la personne concernée par le Royal 20 C VII est bien Charles VII. En tout cas, ces images angevines et aragonaises soulignent les relations entre l'histoire de la famille royale et celle des familles d'Anjou et d'Aragon. Le récit de ces événements se trouvait déjà dans le texte, mais les images de ces Grandes Chroniques le mettent en lumière. Le deuxième exemple de ce manuscrit concerne une image qui attire l'attention du lecteur sur le cycle impérial. Ici, l'image et son cycle évoquent la tradition royale des illustrations des Grandes Chroniques, et la figure emblématique de Charles VIl. L'une des miniatures en deux colonnes (FIGURE 44) représente le roi Charles V et les ducs de Berry et de Bourgogne rencontrant l'empereur et le roi des Romains. C'est l'image centrale d'une série de miniatures relatives à la visite impériale de Charles IV et de son fils Venceslas, roi des Romains, auprès de Charles V en 1378. Cette série n'apparaît guère dans les Grandes Chroniques. Deux autres manuscrits seulement représentent un cycle de la visite impériale (au lieu d'une miniature isolée) ; il s'agit des Grandes Chroniques de Charles V (Paris, Bibliothèque nationale, fr. 2813) et des célèbres Grandes Chroniques de Jean Fouquet (Paris, Bibliothèque nationale, fr. 6465) terminées vers 1459, probablement pour Charles VII12. Il est utile de mettre ces trois cycles en parallèle (voir Appendice). Malgré les différences de détails, ce qui ressort des trois cycles, c'est bien le thème de l'indépendance du roi français vis-à-vis de l'empereur, un thème qui prévaut également dans le texte. IO Pour la date de l'activité du Maître du Virgile, cf. MEISS, French Painting, cit. n. 4, p. 408. Il y a au moins cinq artistes qui ont travaillé sur Royal 20 C VII : 1. Artiste 1 (repeint?): f. 2, 2v, 4v, 5v, 6, 6v, 7, 8, 8v. 2. Artiste II (Maître du Virgile) : f. 1, 1v. 3. Artiste Ill: cahiers 2, 6, 17, 18,19 (f. 9-16v, 41-48, 123-146v). 4. Artiste IV: cahiers 3, 9, 10,24-28 (f. 17-24v, 65-79v, 179-fin). 5. Artiste v: cahiers 4, 5, 7, 8 (f. 25-40v, 49-64v). Les cahiers 11-16 et une partie du 17 (f. 80-129v) contiennent des images incomplètes - soit vides, soit esquissées. II Charles V a été pour ses descendants un modèle important de justice et de majesté. Cf. J. KRYNEN, Idéal du prince et pouvoir royal en France à !afin du Moyen Age (1380-1440). Etude de la littérature politique du temps, Paris, 1981, p. 92-95, et 132-135. En 1404, dans son Livre des faits et bonnes meures du sage roi Charles V, Christine de Pi zan a mis l'accent sur la visite impériale (version la plus complète dans le ms. B. N., fr. 2813, les Grandes Chroniques de Charles V) comme un exemple de la sagesse de Charles. Cf. ibid., et CHRISTINE DE PISAN, Le livre des fais et bonnes meures du sage roi Charles V, éd. S. SOLENTE, Paris, 1936-1940, II, p. 89-132. 12 Cf. AVRIL, GOUSSET et GUENÉE, Grandes Chroniques, cit. n. 2, p. 24; et N. REYNAUD, Jean Fouquet, Paris, 1981, p. 60-63.

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Le manuscrit de Charles V est peut-être le plus compliqué dans ce domaine. Dans ce livre, c'est l'entrée dans Paris (FIGURE 45) qui représente la scène la plus importante : une progression établie dans les miniatures de plus en plus grandes consacrées successivement à l'accueil des magistrats, à la rencontre du roi et de l'empereur, puis à l'entrée dans Paris culmine dans ce dernier événement. Ces images affirment la position du roi de France vis-à-vis de l'empereur. L'image souligne ce que le texte rapporte - que le roi donnait à l'empereur un cheval de couleur foncée et prenait pour lui-même un cheval blancpour mettre en relief le fait que l'empereur, qui avait droit au cheval blanc dans l'empire, n'exercerait pas ses prérogatives impériales en France. De plus, dans chaque image le roi porte une couronne, bien que le texte indique que le roi portait un chapeaul3. Le cycle impérial et cette image centrale appuient la politique de Charles V. Cette idée explique aussi la scène insérée dans le chapitre cinquante-trois (f. 467v). Cette image utilise le contraste destiné à augmenter l'importance de l'entrée impériale. Du fait que l'empereur passait Noël dans la ville impériale de Cambrai, il était libre d'y exercer ses prérogatives impériales en portant ses insignes impériaux quand il lisait la septième leçon de la messe de Noël -ce qui est représenté dans la petite miniature. Il semble que ce thème de la grandeur royale ait aussi retenu l'intérêt de Charles VII, car c'est le sujet de la grande miniature du manuscrit de Londres (FIGURE 44). Cette image célèbre le moment de la rencontre entre le roi et l'empereur. Elle insiste également sur l'importance du pouvoir royal par la substitution d'une couronne au chapeau de Charles V. Trente ans plus tard, Charles VII continuait à porter intérêt à ce même thème de la grandeur royale. Dans le manuscrit de Fouquet une série de trois miniatures souligne les restrictions imposées à l'empereur. La première (FIGURE 46) est la seule grande miniature du cycle impérial. Elle représente l'arrivée à Saint-Denis de l'empereur qui, souffrant de la goutte, se faisait transporter en litière. Comme dans le manuscrit de Charles V, d'autres images utilisent ce contraste pour renforcer l'idée que l'empereur reconnaissait n'avoir pas de droits impériaux en France. La miniature suivante (FIGURE 47) représente l'empereur chevauchant sur son cheval blanc et rencontrant les magistrats de Paris. Cette image contredit son texte qui explique que l'empereur était si malade de la goutte qu'il resta dans sa litière jusqu'au moment où il devait monter sur le destrier foncé que le roi lui avait envoyé. Comme la scène de la 13

n. 53.

C. SHERMAN, The Portraits of Charles V of France ( 1338-1380), New York, 1969, p. 43,

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messe de Noël dans le manuscrit de Charles V, cette image de l'empereur sur son cheval blanc montre l'empereur glorieux pour faire ressortir sa soumission aux voeux du roi de France. Dans la miniature suivante (FIGURE 48), on voit l'empereur et son fils montant sur les destriers foncés qui portaient les fleurs de lys du roi français et une variation sur le blason du dauphin Charles. L'indépendance du roi de France est clairement démontrée par cette séquence. Cette analyse des images individualisées des événements de l'histoire d'Anjou et d'Aragon et des cycles de la visite impériale montre l'attitude qui régissait la production des manuscrits dits royaux. Illustrations innovatrices ou variations sur des cycles traditionnels, les images du Royal 20 C VII personnalisent le manuscrit pour un membre de la famille royale. Souvent dans ce livre, les images de l'histoire du passé reflètent l'histoire du commencement du xve siècle. Les qualités personnelles de l'image royale des Grandes Chroniques de Londres deviennent plus évidentes si on compare ce cycle avec ceux de deux livres contemporains peints par le Maître du Virgile et ses associés. Ces manuscrits (Baltimore, Walters Art Gallery W. 139 et Chantilly, Musée Condé 867) ne sont illustrés respectivement que par trente-huit et vingt-quatre miniatures14. Souvent ces miniatures mettent en évidence certaines pratiques artistiques. Quelquefois ces artistes utilisaient les mêmes modèles, comme on peut le voir dans les images de la reine Clotilde avec ses fils1s, et cela même lorsqu'il s'agit d'artistes différents comme, au début de la vie de Philippe Auguste, les images qui illustrent sa naissanceJ6. S'il y a moins d'originalité dans ces cycles, cela ne veut pas dire que ces illustrations ne peuvent rien ajouter à notre compréhension de l'image du roi. En effet, elles en présentent une vision différente, en employant un système visuel autre que celui du manuscrit royal de Londres. Ces cycles semblent être plus détachés des événements 14 Pour leurs contenus cf. HEDEMAN, Royal Image, p. 194-95 et 206-207. - I l y a trois artistes qui ont travaillé sur le W. 139 : 1. Artiste 1: f. 1, 20, 173v, 187, 190v, 200, 202v, 207,212,222, 256v, 269v, 285v. 2. Artiste Il (Maître du Virgile): f. 32, 46v, 70v, 83v, 97v, 104v, 107v, 120, 126, 135v, 144, 150v. 3. Artiste III: f. 196, 203v, 244, 298, 301, 337, 254v, 379, 380v, 385, 394v, 430, 471. Deux artistes ont travaillé sur le ms. Chantilly, Musée Condé 867 : 1. Artiste 1 (Maître du Virgile): f. 1, 18. 2. Artiste II : les miniatures suivantes. La main de l'artiste III du manuscrit de Baltimore est la même que celle de l'artiste 11 du manuscrit de Chantilly. 15 Cf. Baltimore, Walters Art Gall. W. 139, f. 32 et Chantilly, Musée Condé 867, f. 30v. 16 Cf. Baltimore, Walters Art Gall. W. 139, f. 256v et Chantilly, Musée Condé 867, f. ccxxxiij.

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contemporains que les cycles royaux, peut-être parce que les mécènes des manuscrits de Chantilly et de Baltimore ne peuvent pas revendiquer la chronique comme l'histoire de leur propre famille. Les images mêmes s'écartent de leurs textes dans les manuscrits de Baltimore et de Chantilly. Souvent dans ces manuscrits, un événement dramatique raconté au milieu d'un livre est choisi pour l'illustration au commencement du texte. Par exemple, la fondation de l'abbaye de Saint-Denis par Dagobert, qui se trouve au chapitre neuf du livre cinq des Grandes Chroniques, est illustrée au commencement du livre cinq dans les manuscrits de Baltimore (f. 83v) et de Chantilly (f. 30v). Un tel déplacement a souvent lieu dans ces manuscrits -sept fois sur vingt-quatre dans le manuscrit de Chantilly et seize fois sur trente-huit dans le manuscrit de Baltimore!?. D'une certaine façon, on peut affirmer que ces images isolées de leur contexte acquièrent ainsi un statut particulier. Elles deviennent une sorte de signe -un emblème pour la vie entière d'un roi. En même temps, ces images isolées deviennent plus indépendantes du mécène ou du propriétaire. En effet, les illustrations de ces manuscrits semblent être d'avantage une manifestation de la religion royale qu'une histoire personnelle1s. Même dans ces manuscrits d'une facture simple, il y a des images uniques qui n'existent dans aucune autre copie des Grandes Chroniques que j'ai consultée. Ces miniatures exaltent le royaume de France et la personne du roi. Par exemple, le manuscrit de Baltimore contient une image de la mort de Louis VIII à Montpensier (FIGURE 49) qui suggère que le roi, mort en croisade, est un saint. Il porte une auréole et un ange lui apporte une croix du ciel. Cette idée n'est pas exprimée par le texte qui mentionne que le roi est mort, mais l'image met l'accent sur l'idée, populaire dès le XIIIe siècle, de la sainteté de la lignée royale19. Ce n'est peut-être pas une coïncidence que les rois dont la sainteté est mise en évidence soient les rois-saints populaires qui reposaient à Saint-Denis

17 Cf. Baltimore, Walters Art Gall. W. 139, f. 20, 70v, 83v, 97v, 126, 144, 150v, 200, 212, 244, 269v, 285v, 380v, 385, 394v, 430; et Chantilly, Musée Condé 867, f. 18, xxviii, lxiii, lxxxvi, ccxxi, ccclxvii, cccciij. 18 Pour le développement de la religion royale, cf. C. BEAUNE, Naissance de la nation France, Paris, 1985. 19 Cf. M. BLOCH, Les rois thaumaturges : Etude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale particulièrement en France et en Angleterre, Strasbourg, 1924; A. LEWIS, Royal Succession in Capetian France: Studies on Familial Order and the State, Cambridge (Mass.), 1981, p. 122-133; J. BALDWIN, The Government of Philip Augustus: Foundations of French Royal Power in the Middle Ages, Berkeley- Los Angeles, 1986, p. 362-393 ; BEAUNE, Naissance de la nation, p. 207-232.

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dans les tombeaux les plus élaborés : Philippe-Auguste, Louis VIII et saint Louiszo. Le meilleur exemple d'une image insolite parmi celles du manuscrit de Chantilly est le frontispice et la lettre enluminée (FIGURE 50) qui se trouvent au commencement du prologue. Cette configuration contient des images extraites du livre Ides Grandes Chroniques, représentant la destruction de Troie et le couronnement de Francion (chapitre 1), une bataille entre les Français et les Romains (chapitre 3), le roi Pharamond (chapitre 4) et la reine Basine se présentant au roi Childeric (chapitre 10). Ces scènes représentent la vie païenne des rois français, et la lettre enluminée en bas, par contraste, représente le baptême de Clovis (chapitre 20), le premier roi chrétien. Cette combinaison célèbre l'antiquité de la lignée royale et, ce qui est peut-être plus important, l'idée de l'histoire des rois français comme rois très chrétiens2'. Un parallélisme est établi entre les deux parties de cette page. Les quatre images des rois païens sont dominées par une idole qui contraste avec le Christ du baptême de Clovis. Cette configuration des images est présentée au commencement du prologue qui parle des lignées successives des rois français. Elle suggère qu'on va trouver dans ce manuscrit l'histoire des rois sacrés par l'huile envoyée du ciel, les rois descendus du saint roi Clovis. Comme dans l'exemple du manuscrit de Baltimore, ces images contribuent à la célébration de la sainte maison française.

*** Cette considération des programmes royaux et non-royaux suggère une différence majeure entre leur présentation de la royauté. L'étude de la façon dont les images dirigent la lecture du texte dans les manuscrits peints par le Maître du Virgile et ses associés révèle au moins deux attitudes envers l'histoire contenue dans les Grandes Chroniques de France. Les commanditaires « d'en haut » et ceux « d'en bas » ne sont pas très éloignés dans ce cas ; ils sont tous parisiens, probablement tous membres de la cour royale. Malgré leur proximité, il semble que ces gens ne recherchaient pas la même chose dans la chronique. 20 Pour les tombeaux royaux, cf. G. S. WRIGHT, The Tomb of Saint Louis, dans Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 34 (1971), p. 65-82; A. ERLANDE-BRANDENBURG, Le tombeau de Saint Louis, dans Bulletin Monumental, 126 (1968), p. 7-36; ID., Le roi est mort: Etude sur les funérailles, les sépultures et les tombeaux des rois de France jusqu'à la fin du XII/' siècle, Paris, 1975. 21 Pour l'évolution de ce thème, cf. J. STRAYER, France: The Holy Land, The Chosen People, and the Most Christian King, dans Medieval Statecraft and the Perspectives of History: Essays by Joseph Strayer, éd. J.F. BENTON et T. N. BISSON, Princetor•, 1971, p. 299-314; BEAUNE, Naissance de la nation, p. 207-232.

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Le programme que j'appelle royal évoque à travers le passé les circonstances présentes ; ainsi, par exemple, dans les Grandes Chroniques de Londres, quelques images d'un grand format ou d'un emplacement spécial concernent l'histoire d'Anjou et d'Aragon au moment où Charles se fiance avec Marie d'Anjou. Ce manuscrit met l'accent sur la politique de Charles V juste au moment où les « absences » de Charles VI le rendaient incapable de gouverner et où la guerre civile s'aggravait en France. De telles personnalisations font des exemples contenus dans l'histoire des modèles directs pour le possesseur du manuscrit. Comme le prologue l'indiquait, ce dernier devait suivre l'exemple d'un bon gouvernement et éviter celui de mauvais gouvernements. Dans un sens, les images reflètent la vie de la personne royale dans les événements du passé. Elles suggèrent aux descendants des rois que, s'ils suivent de bons exemples, ils mériteront leur place dans l'histoire. Les possesseurs de moindre rang ne prenaient qu'une place très modeste dans les Grandes Chroniques. Parfois, eux aussi cherchaient à se rassurer en contemplant certains rois du passé. Les illustrations des manuscrits comme ceux de Baltimore et de Chantilly célébraient les héros et héroïnes classiques de la France - saint Clovis (le premier roi chrétien), sainte Clotilde (sa femme), Charlemagne (le saint roiempereur), Philippe-Auguste (le dieu-donné) et saint Louis. Ces choix étaient moins destinés à offrir des modèles directs de comportement qu'à affirmer plus intensément la grandeur de la France.

ANNEXE LES CYCLES DE LA VISITE IMPERIALE,

137822

PARIS, B. N., FR. 2813 Paris, vers 1360-1380

LONDON, BR. LIBR.,

ROY AL 20 C VII Paris, vers 1400-1415

PARIS, B. N., FR. 6465 Paris, commencé vers 1420, terminé en deuxième étape vers 1459

1. f. 467 (Charles V, 52) Charles V recevant une lettre de Charles IV

1. f. 194v (Charles V, 52) Charles V recevant une lettre de Charles IV

1. f. 440v (Charles V, 52) Charles V recevant une lettre de Charles IV

22 Les parties du texte se référant au chapitre de la vie de Charles V que ces images illustrent sont mises entre parenthèses. Sont également indiqués les endroits où les manuscrits abrègent la description de la visite impériale donnée par le manuscrit de Charles V. Les titres des miniatures qui sont exceptionnelles, soit à cause de leur format, soit à cause de leur emplacement, sont mises en italique. Les autres miniatures sont placées dans les colonnes du texte.

548 2. f. 467v (Charles V, 53) L'entrée de Charles IV et de Venceslas à Cambrai

3. f. 467v (Charles V, 53+) Charles IV lisant la 7ème leçon de la messe de Noël 4. f. 468 (Charles V, 55) Les messagers des ducs de Berry et de Bourgogne rencontrant l'empereur et son fils.

5. f. 469 (Charles V, 58) miniature d'une colonne et demie Les magistrats de Paris accueillant l'empereur

A. D. HEDEMAN

2. f. 195 (Charles V, 53) Charles envoyant des messagers à la rencontre de l'empereur Charles IV

2. f. 441 (Charles V, 53) Les messagers de Charles V rencontrant Charles IV et Venceslas aux portes de Cambrai

3. f. 196v (Charles V, 55) Les ducs de Berry et de Bourgogne et leur suite, chevauchant 4. f. 196v (Charles V, 56) Le duc de Bar rencontrant l'empereur et le roi des Romains

3. f. 442 (Charles V, 56) miniature de deux colonnes L'arrivée de Charles IV à l'abbaye de Saint-Denis

5. f. 197 (Charles V, 57) L'empereur et son fils s'agenouillant devant les reliques de Saint Denis

4. f. 442v (Charles V, 57) iconographie indépendante Les magistrats de Paris accueillant l'empereur

6. f. 197v (Charles V, 58) Les magistrats de Paris accueillant l'empereur

5. f. 443 (Charles V, 58) Charles IV et Venceslas montant sur leurs chevaux à La-Chapelle-SaintDenis 6. f. 444 (Charles V, 59) Charles V et le dauphin partant du palais

6. f. 470 (Charles V, 60) miniature de deux colonnes Le roi Charles V, les ducs de Berry et Bourgogne rencontrant l'empereur et le roi des Romains

7. f. 198v (Charles V, 60) miniature de deux colonnes Le roi Charles V, les ducs de Berry et de Bourgogne rencontrant l'empereur et le roi des Romains

7. f. 470 (Charles V, 60+) Les soldats armés 8. f. 470v (Charles V, 61) 2/3 d'une page L'entrée à Paris de l'empereur, du roi des Romains et de Charles V

8. f. 198v (Charles V, 61) L'entrée à Paris de l'empereur, du roi des Romains et de Charles V

7. f. 444 (Charles V, 60) Le roi Charles V, les ducs de Berry et de Bourgogne rencontrant l'empereur et le roi des Romains

LES PERCEPTIONS DE L'IMAGE ROY ALE

9. f. 471 v (Charles V, 63) Charles V embrasse l'empereur

LES CHAPITRES SONT OMIS

62 A 65

LES CHAPITRES SONT OMIS

549 62 A 65

10. f. 472 (Charles V, 64) Les Parisiens donnant des cadeaux à l'empereur et au roi des Romains 11. f. 473v (Charles V,66) 213 d'une page Le banquet offert par Charles V à l'empereur Charles IV au Palais de la Cité

9. f. 199 (Charles V, 66) Le banquet offert par Charles V à l'empereur Charles IV au Palais de la Cité

8. f. 444v (Charles V, 66) Le banquet offert par Charles V à l'empereur Charles IV au Palais de la Cité

12. f. 475 (Charles V, 68) L'empereur rencontrant les membres de l'université de Paris

LA MOITIÉ DU CHAPITRE 66 ET LES CHAPITRES 67 A 79 SONT OMIS

66 ET LES CHAPITRES 67 A 79 SONT OMIS

13. f. 476v (Charles V,69) Charles IV et le concile du roi 14. f. 477 (Charles V, 70) L'empereur visitant la reine Jeanne de Bourbon 15. f. 472 (Charles V, 72173) miniature double Venceslas jurant loyauté à Charles V 1 L'empereur arrivant à Saint-Maurdes-Fossés 16. f. 478v (Charles V,74) Charles V donnant des cadeaux à Charles IV et Venceslas 17. f. 479 (Charles V, 76) Le roi et l'empereur échangeant les bagues 18. f. 480 (Charles V, 79) Le dauphin recevant les lettres de l'empereur

LA MOITIÉ DU CHAPITRE

CONCLUSIONS DU COLLOQUE Serge LUSIGNAN (Université de Montréal) et Ezio ORNATO (CNRS-CEMAT)

l. L'HUMANISME EN FRANCE (E. Omato)

Il est de règle que les conclusions d'un colloque soient tout à la fois un redoutable casse-tête intellectuel, un flamboyant exercice de rhétorique et un savant distillé de savoir-faire diplomatique. Concentrer en quelques mots éclairants le suc de communications parfois assez prolixes, tisser le fil conducteur d'une série de contributions souvent disparates, résumer en autant de formules brillantes et novatrices la portée de trois jours de rencontre toujours harassants -et surtout citer tous les intervenants sans nommer personne - voilà qui exige des qualités peu communes dont pour ma part je m'avoue bien dépourvu. Aussi ces quelques réflexions finales n'auront-elles pas cette prétention et se borneront, en fait, à effleurer la problématique sous-jacente à la partie du colloque consacrée à l'humanisme en France. Il est évident, en premier lieu, que le bilan final d'un colloque ne doit pas se faire en comparant les communications présentées avec les suggestions rédigées deux ans à l'avance à l'intention des intervenants potentiels. Entre ces orientations « globalisantes » et le contenu des communications il y a la même différence qu'entre l'image de l'acteur ou de l'actrice de cinéma, parée de toutes les perfections, dont rêve l'adolescent avant de s'endormir, et le compagnon ou la compagne que l'on choisit pour vivre. Et s'il est vrai qu'on regrette parfois l'image de l'écran, il arrive aussi -et heureusement assez souvent- que quelques années de vie commune fassent entrevoir une réalité bien meilleure - et en tout cas bien plus riche - que le mirage bidimensionnel qui en tenait lieu. Il va de soi que ces quelques jours de vie commune m'ont suffi pour ranger ce colloque dans la catégorie des « réalités non décevantes ». Certes, un certain décalage est inévitable entre les perspectives bien balisées dans des orientations d'ensemble apprêtées par quelques personnes et le bouillonnement des recherches qui naissent et se

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S. LUSIGNAN ETE. ORNATO

poursuivent inlassablement au gré des initiatives individuelles, mues par la curiosité de chacun. Aussi ne doit -on pas se plaindre si, après avoir demandé une réflexion synthétique sur la genèse, l'essor et le déclin du mouvement humaniste, l'on reçoit en retour, à la limite, une communication extrêmement analytique sur un texte inconnu contenu dans un manuscrit perdu. Et là encore, gare à l'ironie facile : il n'est pas si rare, en effet, que le cas particulier envisagé se prête en fait à des extrapolations intéressantes, à des rapprochements inédits, et que la problématique abordée jette une lumière nouvelle et insoupçonnée sur celle qui est la nôtre depuis tant d'années. Ainsi, tout colloque scientifique contient en germe sa dose d'impuissance, dans la mesure où il amène nécessairement à mesurer la disproportion entre le champ cultivé et la friche. Or, lorsqu'il s'agit du Moyen Age, la friche est très proche de nos portes : le premier jour du colloque, une communication nous a indirectement rappelé qu'un texte dont la tradition manuscrite est bien étudiée, qui chaque année est abondamment cité et glosé par les érudits et les « littéraires », bref, sur lequel les « pizanistes » se révèlent intarissables, demeure aujourd'hui encore inédit. Et pas plus tard qu'avant hier, l'un de nos plus éminents historiens nous a proposé en avant-première la lecture savoureuse et pénétrante d'un récit de Michel Pintoin. On sait que le temps a été sévère avec le Religieux de Saint-Denis dont nous ne connaissons- et encore, grâce au plus heureux des hasards - que le nom, la charge et la date de mort ; il est néanmoins à craindre que nous ne sachions tout de lui avant même que surgisse le héros plein de courage qui se consacrera à la tâche presque surhumaine de rééditer sa chronique. Le successeur de Louis Bellaguet est-il déjà né ? Naîtra-t-il avant l'achèvement de la monumentale édition des chroniques de Froissart ? Rien n'est moins sûr. Etrange destin qui frappe non seulement les textes peu connus et peu diffusés, mais aussi des oeuvres majeures dont le succès même, sanctionné par les dizaines de manuscrits qui subsistent, rend excessivement ardue la tâche de tout éditeur potentiel : songeons à la Légende dorée ou au De remediis utriusquefortune. Heureusement, les dégâts du temps viennent opportunément soulager notre conscience et nos plaintes peuvent ainsi se donner libre cours : voilà des textes perdus dont on s'efforce en vain - on nous a rappelé que le verbe « chercher » n'est que très rarement transitif- de retrouver la trace. D'autres textes, au contraire, sont bien là, mais ils n'ont pas de père avoué et l'on cherche alors, avec des arguments convaincants, de choisir le meilleur parmi les candidats possibles. A ces oeuvres sans texte et à ces textes sans auteur, viennent s'ajouter les auteurs «amoindris», tel ce poeta et orator eximius, très apprécié par

CONCLUSIONS DU COLLOQUE

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ses contemporains, que nous connaissons surtout comme traducteur, puisque n'ont survécu de lui que quelques compositions latines, arrachées elles aussi à l'anonymat. On reconnaîtra dans ce tableau Laurent de Premierfait, mais l'on pourrait tout aussi bien y reconnaître un Martin Le Franc ou d'autres personnages presque entièrement méconnus ; et nous serions bien obligés d'y reconnaître un Jean de Montreuil si, pour une fois, le hasard ne nous avait favorisé en épargnant les deux manuscrits d'une correspondance qui n'a jamais connu la moindre diffusion et à laquelle nous devons paradoxalement la plupart de ce que nous savons sur le mouvement humaniste en France. On se plaindra donc que trop souvent l'historien de l'Humanisme français soit dans la situation du chercheur d'or moyen: celui qui, s'il ne meurt pas de faim, ne s'enrichit jamais. Mais cette recherche inlassable de précieuses paillettes n'est-elle pas le symptôme d'un pénurie de fond ? Tout compte fait - mais, précisément, les comptes n'ont pas été faits, car l'acte de dénombrer des textes est souvent considéré comme une opération réductrice et dépourvue d'intérêt- la production latine de la France du xve siècle est quantitativement pauvre ; plus pauvre encore si l'on défalque du total les textes motivés par une préoccupation utilitaire immédiate. Il s'agit, en quelque sorte, d'un latifundium culturel : peu d'auteurs ont beaucoup écrit, mais la «petite propriété», à savoir le tissu culturel fait de nombreux textes sans originalité, écrits par des épigones sans envergure, mais qui constitue le témoignage le plus sûr d'une vitalité culturelle à la base, fait cruellement défaut. Scribe, c'était l'impératif dont Montreuil usait à l'égard des amis qu'il conviait à la pratique de l'exercice littéraire. Apparemment, il a été très peu entendu, et cette surdité ne me paraît pas dépourvue de signification. Ce genre de considération nous introduit directement dans la problématique fondamentale de l'humanisme en France au xve siècle : sa genèse, son enracinement, sa continuité. Le problème de la genèse a été abordé, directement ou indirectement, le premier jour de ce colloque. On se souviendra d'une question apparemment aux limites de la boutade, mais qui se révèle, en réalité, judicieuse et profonde: à partir de quand s'est-on rendu compte, en France, qu'une ambassade devait faire aussi oeuvre d'éloquence ? Car après tout, avant que l'éloquence ne devienne l'idéal princeps - ce qui me semble être le minimum commun dénominateur des ferments humanistes - il a bien fallu, dans une première étape, qu'elle soit tout au moins un idéal pragmatique : celui qui pousse à compléter la formation reçue à partir des textes théoriques normatifs par la connaissance directe de la pratique des orateurs de l'Antiquité - dont il s'agissait

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S. LUSIGNAN ETE. ORNATO

donc de retrouver les oeuvres fondée sur l'imitatio.

puis par la pratique personnelle

La période où se font jour en France les premières manifestations de ce nouvel état d'esprit est, comme on l'a affirmé avec justesse, l'avantdernière décennie du XIVe siècle. Lorsque Jean de Montreuil, assiégé avec Enguerran de Coucy dans la ville d'Arezzo, au lieu de se préoccuper avant tout de remplir son estomac, ne songe qu'à entrer en communication avec le chancelier de Florence Coluccio Salutati, il sait déjà pertinemment qui est Coluccio, ce qu'il représente en tant qu'idéal d'éloquence et, surtout, il est parfaitement conscient de la distance . astronomique qui le sépare de cet idéal. Nous sommes là au début du règne de Charles VI, et c'est donc sans doute à la fin de la décennie précédente que le « déclic » s'est produit. L'exemple de la deploracio sur la mort de Charles V a été opportunément avancé : ce texte, bien que très éloigné de la prose cicéronienne, est sans doute la première manifestation connue et -disons-le- méconnaissable par rapport à ses modèles, des nouveaux ferments culturels. Personnellement, je ne suis pas enclin à voir dans ce processus le reflet d'une mutation soudaine et radicale de la formation dispensée par une ou plusieurs institutions : tout le monde sait que ces dernières préfèrent suivre, quand elles ne les freinent pas, les innovations culturelles. Le fil conducteur est ici très ténu ; moins sans doute à cause des pertes subies par les bibliothèques que parce qu'il s'agit réellement d'un fil ténu : il n'a pas dû y avoir beaucoup d'intermédiaires entre l'Antiquité classique et les jeunes humanistes, en dehors de Pétrarque (n'oublions pas que le premier manuscrit connu transcrit par le jeune Montreuil est précisément consacré à Pétrarque) et du célèbre chancelier de Florence. Intermédiaires puissants, puisque la moisson de textes ainsi obtenus par l'obscur secrétaire de Miles de Dormans fut loin d'être négligeable. Peut-être la clé du mystère se trouve-t-elle dans l'entourage de Charles V, car pour Avignon c'était à la fois trop tard et trop tôt. L'enracinement. Il est regrettable, à mon avis, que cet échec patent du premier humanisme français n'ait pas retenu davantage l'attention des participants à cette rencontre. Tout d'abord, l'enracinement dans les circuits culturels européens : les relations franco-avignonnaises ont été intenses mais de courte durée ; les déplacements continuels du pape après la restitution d'obédience compromettent la stabilité nécessaire à l'épanouissement de l'activité culturelle. Les relations avec l'avantgarde des humanistes italiens ont duré tant qu'a duré Jean de Montreuil, ou plutôt la France de Charles VI qu'il rêvait en vain de préserver. Deux communications nous ont rappelé le rôle irremplaçable de Constance, point d'aboutissement de circuits aussi nombreux que

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complexes. Circuits «théologiques», bien entendu -j'avais presque fini par oublier que Constance était aussi le siège d'un concile de la chrétienté- qui véhiculent l'oeuvre de Gerson jusqu'aux lointaines contrées de la Scandinavie, mais surtout circuits «humanistes». Faut-il rappeler que cette période faste - qui voit débuter la quête infatigable de la culture antique dans les monastères européens - est dépourvue du moindre bilan systématique depuis les recherches de Remigio Sabbadini? Les lettrés qui rejoignent Constance sont dans le vent de l'histoire, ceux qui demeurent à l'écart en sont exclus. Grâce à Montreuil, Fillastre et plus tard, trop tard sans doute, Clamanges, les Français participent au mouvement : non seulement ils se comportent en récepteurs attentifs, voire enthousiastes, mais ils sont porteurs de pièces de choix, comme ce manuscrit de Cluny riche de deux nouveaux discours de Cicéron. Bientôt, malheureusement, la politique et la guerre reprennent leurs droits ; dès lors les Français seront hors course et le resteront, sur le plan de la recherche et de la transmission des textes, pendant très longtemps. Les circuits qui se rétabliront plus tard avec l'humanisme italien seront de nature différente et, en tout cas, du point de vue qualitatif, de bien moindre envergure. Mais « enracinement » signifie aussi enracinement dans les réseaux de transmission du savoir. Or- cela est indéniable- l'Université n'a pas été conquise par le mouvement humaniste. Ce n'est pas étonnant si l'on considère dans l'abstrait et superficiellement, comme on l'a fait à un moment donné, que le milieu des théologiens ne pouvait être que l'adversaire de la nouvelle culture. Ce l'est, au contraire, si l'on se souvient que le chancelier de l'Université n'était autre que Gerson; que la bibliothèque de la Sorbonne avait hérité de Géraud d'Abbeville un lot important de manuscrits classiques ; que presque tous les possesseurs des copies françaises des discours de Cicéron étaient des théologiens, et en premier lieu Nicolas de Clamanges qu'on nous a montré humaniste jusque dans ses écrits bibliques ; qu'un manuscrit des Verrines- et ce n'était certainement pas un hasard- avait été donné à la Sorbonne par Andreolo Arese, représentant attitré des cercles humanistes de cette Italie du Nord qui, bien avant Florence, a été le véritable berceau de l'humanisme ; qu'enfin, comme nous le savons depuis hier, un théologien vient battre en brèche toutes mes idées préconçues en citant traîtreusement une épître publique de Salutati, peut-être l'une de celles que Montreuil avait arrachées au chancelier de Florence. Tout cela montre bien que si le bilan quantitatif du premier humanisme français, pour ce qui est de la production de textes et la transmission du savoir, ne soutient pas la comparaison avec son homologue transalpin, sur le plan

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qualitatif il en va tout autrement : il est différent de ce dernier et ne saurait être jaugé de la même façon. Il n'en reste pas moins, cependant, que l'humanisme n'a pas su pénétrer l'université de Paris. Faiblesse structurelle de la nouvelle culture ou, tout simplement, manque de temps avant que la tempête ne survienne? Peut-être le saurons-nous un jour. Enracinement, c'est aussi la pénétration idéologique au sein de la classe dominante. Certes, la présence de Montreuil et de Gontier Col dans la Cour amoureuse suffit à démontrer que les ferments humanistes n'ont fait l'objet d'aucun ostracisme de la part des cercles dirigeants de la société ; d'ailleurs, comment auraient-ils pu agir autrement à l'égard de serviteurs assez dévoués pour payer de leur vie leur fidélité à ce qu'ils croyaient être les intérêts de la royauté ? Toutefois, il faut bien reconnaître que la classe dominante ne semble pas avoir été sensible à autre chose qu'à une nourriture transformée, soigneusement pré-mâchée et filtrée - et en tout cas entièrement subordonnée à ses intérêts idéologiques. Je me souviens d'un document étonnant qui, si j'ai bonne mémoire, nous a été dévoilé il y a quelques années dans Italia medioevale e umanistica : un court billet en toscan qui exhortait familièrement l'humaniste florentin Niccolo Niccoli à visiter certaines bibliothèques normandes, et même Saint-Victor de Paris, riches, selon les dernières rumeurs, de ces textes classiques que l'on cherchait alors avec la plus grande avidité. L'auteur de ce court billet n'était autre que Côme de Médicis. Or je vois mal Jean de Berry, Louis d'Orléans, voire même un Charles d'Orléans qui aurait miraculeusement échappé à la captivité, s'adresser en ces termes à leur cher Jehannot de Monstereul. Rien de commun entre la toute-puissante féodalité des princes français bien assise sur des siècles de domination et ces seigneurs italiens qui, finalement, n'étaient pas beaucoup plus enracinés que la culture nouvelle qui les avait séduits et qu'il se plaisaient à patronner. Rien de commun, non plus, entre la bourgeoisie éclairée des villes italiennes et l'affligeante médiocrité culturelle -du moins si l'on en croit les inventaires après décès- de la bourgeoisie de la France du Nord. Aussi l'historien finit-il par se demander s'il ne souffre pas d'une maladie que l'on pourrait appeler «strabisme culturel». Qu'y a-t-il de commun, en effet, entre l'interlocuteur brillant qui « fleure bon l'éloquence italienne» et qui, dans le pays même où l'on s'apprête à démontrer la fausseté de la donation de Constantin, entretient un futur pape humaniste sur l'origine troyenne des Francs, et l'auteur assez prolixe de l'Estrif de Fortune? Qu'y a-t-il de commun eptre Laurent de

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Premierfait, poète et commentateur des classiques, et le même personnage traducteur de Boccace; entre l'ardent défenseur de la Poésie que fut Nicolas de Gonesse, le traducteur de Valère Maxime et le panégyriste du maréchal Boucicaut ? Inversement, qu'y a-t-il de fondamentalement et formellement différent entre ce type de production en vulgaire et l'oeuvre de la docte Christine? Docte certes -si l'on dénombre les auteurs qu'elle cite et dans la mesure où nous l'avons vue inopinément fréquenter l'oeuvre de saint Thomas - mais pas pour autant humaniste ; en effet, les citations sont le plus souvent de deuxième main et la structure profonde du raisonnement scolastique, ainsi que son articulation syntaxique, sont tout ce qu'il y a de plus étranger aux idéaux philosophiques et rhétoriques de la nouvelle culture. Comme on le voit, c'est toute la problématique de l'humanisme en langue vulgaire qu'en toute ignorance et naïveté j'aimerais bien voir reposée et approfondie. Enfin, la continuité. Posons encore une fois le problème en termes métaphoriques. Guillaume Fillastre, le cardinal de Saint-Marc, eut, semble-t-il, un fils naturel, l'évêque de Toul et de Verdun, auteur de la Toison d'or. Dans quelle mesure celui-ci était-il aussi son fils spirituel ? Ce même Fillastre, grâce au concile de Constance, eut aussi une fille spirituelle -la bibliothèque du chapitre de Reims - qu'il aurait assurément voulu féconde de progéniture tout autant qu'il aurait bien aimé constater la stérilité totale de la noble abbesse qu'il avait séduite. Or dans quelle mesure ne fut -ce en fait la bibliothèque qui se révéla désespérément stérile ? Quelle chance avait ce greffon d'avant-garde de ce développer dans le milieu somme toute assez étroit des chanoines qui résidaient à Reims ? Ignorants que nous sommes des visées réelles du cardinal, nous ne pouvons répondre à cette question ; mais au-delà de cet exemple particulier, nous pouvons préconiser une accélération et un approfondissement de l'histoire des grandes bibliothèques françaises au xve siècle. Qu'il s'agisse de Reims, de Clairvaux ou de Saint-Victor - dont les catalogues et les nombreux manuscrits survivants sont en train d'être étudiés- ou encore de la Sorbonne- où la partie du fonds postérieure au catalogue de 1338 n' a jamais retenu l'attention des chercheurs- l'analyse des acquisitions progressives, l'examen codicologique et philologique des manuscrits permettrait sans doute de prendre le pouls, en quelque sorte, de la vitalité réelle de ces bibliothèques, et d'autres encore, tout au long du xve siècle. Grâce, notamment, aux recherches effectuées ces dernières années au sein de la CEMAT, nous savons maintenant que l'humanisme français n'est pas mort en 1418 pour ressusciter quatre-vingts-ans ans plus tard.

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Mais, nuance, on est en droit de se demander ce qu'il y a de véritablement français dans ce nouvel avatar de l'humanisme. Nous avons affaire, bien souvent, à des Français formés en Italie et y pratiquant l'activité littéraire -haut dignitaires ecclésiastiques ou hommes de chancellerie- ou à des étrangers qui exercent leur activité en France, prototypes de ces humanistes itinérants qui se déplacent en Europe au gré de l'accessibilité des chaires de rhétorique. Cependant, ces hommes n'ont aucun souvenir de leur prédécesseurs du début du siècle. Les générations suivantes n'ont retenu d'eux que la production la moins novatrice, si l'on se place, bien sûr, à l'intérieur de notre propos d'aujourd'hui. Aussi, l'apparition de ces anciens vestiges cent ans plus tard, dans l'oeuvre d'un juriste piémontais dont on vient de souligner la misogynie, reflète-t-elle davantage la réalité et la persistance d'une certaine koiné culturelle internationale, limitée à quelques cas privilégiés par le tamis impitoyable de l'imprimerie, plutôt qu'une continuité quelconque par rapport au passé. Qu'on me pardonne, encore une fois, d'avoir été aussi prolixe que partiel. Mais après tout cette rencontre n'a pas été le théâtre de viols, fût-ce de textes -ce qui est normal- ni d'ailleurs -ce qui est étrange- de duels, fussent-ils érudits. Rien d'étonnant, donc, à ce que le modeste chroniqueur de ces journées fasse regretter à la fois l'éloquence solennelle du Religieux de Saint-Denis et l'esprit pétillant de son exégète.

II.

LES DIFFICULTÉS D'UNE TYPOLOGIE DES ÉCRITS DU MOYEN AGE TARDIF

(S. Lusignan) A la suite d'Ezio Ornato, je voudrais me livrer à quelques réflexions, après avoir constaté combien sont nombreuses et variées les pistes que nous avons explorées. « Pratiques de la culture écrite en France au xye siècle » nous semblait un thème des plus appropriés pour honorer la brillante carrière de notre ami chartiste Gilbert Ouy. Mais il s'agit aussi d'une idée qui depuis quelques années inspire plusieurs recherches. Les publications dont les titres y font explicitement allusion se multiplient. C'est aussi dans cette perspective que nous avons proposé ce thème comme point de convergence de notre rencontre. Au terme de nos travaux, il me semble que l'idée nous apparaît beaucoup plus riche que nous ne le pensions au point de départ ; des perspectives de recherches et de réflexions ont été évoquées, que nous n'envisagions même pas. En même temps, nous percevons mieux les contours du thème « pratiques de la culture écrite». Je voudrais donc rétrospectivement ébaucher quelques réflexions sur les enjeux de la question telle que nous pouvons la comprendre maintenant. Les différentes communications ont confirmé la validité générale du thème et l'ont précisé de plusieurs façons. L'extrême diversité des sources soumises à notre attention ainsi que la multiplicité des instances de leur production témoignent du caractère intensément pluriel des pratiques de la culture écrite au xve siècle. Celles-ci attestent de la très grande richesse des savoirs de leurs auteurs et, pour la plupart, de leur degré élevé de scolarisation. Les écrits qui ont été retenus émanent d'une culture riche et polyvalente. Nous réalisons a posteriori que ce prédicat « culture » a contribué à bien distinguer notre objet de celui qui intéresse une histoire de la communication écrite. L'histoire de l'alphabétisation, de la lecture et de l'usage de l'écriture dans la société a été tenue à l'écart de nos débats. Notre objet propre fut la «littérarité», que j'utiliserai comme calque du literacy des historiens anglais, et non l'usage de l'écriture dans sa généralité. Il était toutefois nécessaire pour notre propos de rappeler que les techniques de reproduction du message écrit se sont profondément transformées durant notre période qui voit naître l'imprimerie ; la littérarité du xve siècle se montre en transition entre deux mondes. On nous a rappelé à l'occasion que l'écrit ne peut s'épanouir complètement sans l'image : notre titre « culture écrite » aurait pu se dire « culture écrite et illustrée »

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L'enquête se limitait à la France. Cette notion géographiquement simple nous est apparue culturellement fort complexe. Sans que l'effet soit recherché, nous avons presque toujours parlé des milieux parisiens ou à tout le moins marqués par Paris. L'aire géographique s'est trouvée implicitement rétrécie. Mais cet espace étroit et humainement plutôt homogène, nous l'avons découvert traversé de multiples tensions au niveau des langues vernaculaires et latine. Enfin, nous avions limité le thème au xve siècle, mais les historiens nous ont rappelé que toute période historique s'explique par son amont et par son aval : les xrve et xvre siècles furent les bienvenus dans nos discussions. Le thème «pratiques de la culture écrite», qui a permis de définir un objet historique si cohérent, s'est avéré très fécond pour la réflexion méthodologique. Sa vertu est sans doute de définir ce plus petit commun dénominateur qui permet d'opérer des rapprochements entre les sources médiévales les plus diverses et les méthodes d'étude les plus variées. Ainsi, le thème impose de regrouper dans une perspective sérielle unique les documents d'archives et les sources littéraires, et il invite les philologues, les historiens, les philosophes, les historiens de l'art, les paléographes et les codicologues à articuler des discours convergents. Mais provisoirement, il semble que ce gain en extension soit hypothéqué par une perte en compréhension. Le rassemblement d'une telle diversité de sources en un objet unique semble difficile à appréhender par les voies traditionnelles de nos disciplines. Nous sommes très loin de la constitution en un savoir unifié de l'objet «pratiques de la culture écrite en France au xye siècle». II faut nous pencher sur quelques questions méthodologiques qui me semblent se poser au terme de ce colloque. Un premier sujet de réflexion nous vient de la diversité même des sources et des méthodes pour les étudier. La constitution en une série unique des textes littéraires et des documents d'archives nous conduit à remettre sérieusement en cause la dichotomie qui les sépare habituellement, et arbitrairement, dirais-je, lorsque nous abordons le Moyen Age tardif. Notre colloque nous a fait découvrir que ces sources s'organisent plutôt suivant un spectre qui s'étale en de multiples nuances depuis l'oeuvre littéraire jusqu'au document administratif. On a considéré des chroniques truffées d'actes de chancellerie, des oeuvres circonstancielles et souvent polémiques sujettes à de constants remaniements, des compilations de traités diplomatiques diffusés comme des monuments littéraires, des sources administratives pénétrées de culture savante. Pour une analyse autonome des sources purement archivistiques ou littéraires, nous avons vu confirmée la valeur des méthodes éprouvées

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de la diplomatique et de la philologie. L'étude diplomatique d'un cartulaire ou d'un corpus de chartes demeure un solide fondement de la méthode historique. De la même façon, la philologie nous est apparue sûre de ses méthodes, lorsqu'il s'agit de maîtriser la tradition textuelle d'une oeuvre dont la production et la diffusion médiévales s'inscrivent dans le circuit : auteur, oeuvre, copiste et éventuellement imprimeur, libraire et bibliothèque. Notre colloque a aussi illustré la fécondité de la polyvalence des approches pour dominer la diversité des sources. L'histoire et la philologie doivent s'épauler lorsqu'il s'agit d'aborder une question comme la culture écrite à la fin du Moyen Age. Cela dit, il me semble que nos travaux ont fait ressortir trois problèmes de méthode qui sont loin d'avoir trouvé leur solution. Une première difficulté tient à la recherche du modèle adéquat pour penser l'unité de ces oeuvres souvent remaniées, dont la mouvance a été voulue par leur auteur même. Les notions de texte et de variantes paraissent impropres dans ces circonstances. Il reste pour l'heure la juxtaposition des versions qui, si elle témoigne bien de la réalité historique du texte, demeure un aveu de notre incapacité de la conceptualiser. Un second problème découle de la profonde inadéquation de nos taxinomies pour dégager une typologie des documents écrits soumis à notre attention. La mise en perspective unique suggérée par le concept de « pratiques de la culture écrite » soumet à rude épreuve nos systèmes de classifications littéraires. Plusieurs analyses de cas comme celles que nous avons entendues seront nécessaires avant que des études de genre soient possibles, surtout pour les écrits qui s'éloignent de l'une ou l'autre extrémité du spectre que nous avons évoqué. Enfin, un dernier problème moins souvent discuté mais omniprésent à l'horizon de nos discussions, vient de la masse des sources textuelles du xve siècle, qui s'explique par plusieurs facteurs. Les textes savants ou littéraires du xve siècle sont souvent très longs et circulent parfois en plusieurs copies ; nombreux sont à cette époque ceux qui prennent la plume; et l'administration, depuis le xrve siècle, est devenue très paperassière. Le nombre de sources mises en ordre dans des éditions critiques demeure minime. Une vue panoramique de la culture écrite du xve siècle français demeure largement en dehors de notre portée. Dans la foulée des questions que nous venons d'évoquer, une seconde idée se dégage, qui nous invite à poursuivre l'étude du rapport historique entre la fixité des genres littéraires et la stabilité des institutions garantes de l'écriture durant le Moyen Age classique, et l'éclatement des uns et des autres à la période qui nous intéresse. Il semble en effet que la confusion des genres constatée pour le xve siècle - que l'on peut aussi appeler la diversification des pratiques de

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la culture écrite - se produise au moment où des institutions perdent l'exclusivité de leur compétence sur certains modes de littérarité. Sous ce rapport, on pourrait caractériser le Moyen Age tardif comme une période de remise en cause de certains privilèges institutionnels à l'égard de l'écrit. Dans la France du nord, par exemple, l'Université ne contrôle plus aussi bien l'écriture savante. Les monastères ne sont plus les lieux quasi exclusifs de l'historiographie et de la littérature religieuse. Les chancelleries étendent leurs compétences d'écriture bien audelà des actes administratifs, s'intéressant entre autres à l'histoire et à la pensée politique. Enfin l'écriture vernaculaire déborde les cadres de la fiction littéraire et de l'histoire pour aborder les idées et la spiritualité. Au surplus, dans ce contexte où les institutions se font moins contraignantes, l'individualité de l'auteur s'affirme désormais comme une instance suffisante de production de culture écrite. En somme, le xve siècle voit les agents de la littérarité se multiplier et se diversifier, les compétences des uns recoupant souvent celles des autres, et chacun tentant de s'ajuster à un monde en pleine mutation. Telle me semble être la leçon qui se dégage des considérations d'histoire institutionnelle, qui ont parsemé les différentes communications. Enfin, et ce sera le troisième thème de réflexion que je voudrais dégager, la culture écrite du Moyen Age finissant, malgré son extrême diversité, nous est apparue comme obsédée par les problèmes religieux, moraux et politiques. Quel que soit leur genre, les textes du xve siècle veulent communiquer des idées sur l'homme, sa vie politique et sa destinée morale. Ce thème pourrait nous ramener à la question de l'humanisme que je laisse bien volontiers à Ezio Ornato. Je voudrais plutôt m'arrêter aux problèmes d'histoire intellectuelle que pose l'étude de cette littérature. Soulignons au départ que la compartimentation de l'histoire de l'intellectualité médiévale, telle qu'elle existe aujourd'hui, demeure tributaire des lignes de démarcation qui isolent les grands corpus savants et les facultés dans l'université médiévale. Ainsi, une ignorance mutuelle isole les historiens du droit et les historiens de la pensée. Chez ces derniers, la communication est bien développée entre les spécialistes de la philosophie et de la théologie médiévales ; la solidarité entre artiens et théologiens persiste en quelque sorte. Quant à l'histoire de la médecine, moins importante pour notre propos, elle relève du paradigme de l'histoire des sciences, qui lui ménage un lien avec l'histoire du quadrivium, ce qui respecte l'enchaînement de ces disciplines au Moyen Age. Bien entendu, l'étude de l'historiographie médiévale, domaine des historiens, appartient à un tout autre champ disciplinaire ;

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il est vrai que l'histoire ne constituait pas une discipline universitaire au Moyen Age. La division actuelle du travail historique, issue de segmentations corporatives d'antan, peut se justifier pour l'étude des pratiques de la culture écrite de l'université médiévale. Elle devient un handicap lorsqu'on aborde la littérature du Moyen Age tardif où les idées foisonnent sans suivre toujours les modèles universitaires de la pensée. L'historien moderne de ces questions se trouve confronté à un double défi. Il se pose d'abord un problème de maîtrise des différents savoirs indispensables à la compréhension de ces textes. Il nous faut créer nos propres outils puisque l'histoire intellectuelle n'a jamais embrassé d'un seul regard les idées historiographiques, juridiques, scientifiques, philosophiques et théologiques des lettrés médiévaux. Ce premier obstacle n'est toutefois pas le plus ardu à franchir. Une seconde difficulté, plus complexe au plan intellectuel, découle de la nécessité de définir les paradigmes adéquats pour articuler un discours scientifique sur des séries de textes mal cadrés quant au genre et empruntant aux strates les plus diverses de la rationalité médiévale. De toute évidence, les paradigmes de l'histoire de la philosophie ou du droit, comme l'originalité ou la profondeur de la pensée d'un auteur, l'influence d'un maître, d'un corpus ou d'une école de pensée, s'appliquent mal. Les textes que nous avons considérés durant le colloque expriment des idées, mais ils sont loin de tous s'inscrire dans une perspective de développement de la connaissance. L'originalité de la pensée ne semble pas toujours le but poursuivi et dans plusieurs cas rien n'indique que l'auteur veuille faire école. Par contre, les idées rassemblées témoignent d'un désir beaucoup plus fort que dans les textes scolaires de répondre à des préoccupations circonstancielles des individus ou de la société. Les auteurs affichent souvent une volonté plus manifeste de convaincre, de rallier les esprits, d'émouvoir et même de distraire, que les universitaires. Selon quel paradigme scientifique devons-nous organiser l'émergence dans le temps et l'espace de ce type de pratiques de la culture écrite, où les idées importent peut-être plus que la connaissance, où l'air du temps se sent davantage ? Cette question est sans doute celle qui reste pour moi la plus énigmatique au terme de ce colloque.

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INDEX GENERAL*

ABEN ZARSAL, Abraham (astrologue) : 302 ABLEIGES, Jacques d': 221 ; Le grand coutumier de ABRAHAM BAR HIYYA (philosophe) : 310

France: 218, 221, 224, 226, 229

Abuzé en court : 442 ACHABITIUS :v. al-Qabi'si ACHILLE: 19, 26 ADÉLARD DE BA TH : 287 ADÈLE DE CHAMPAGNE, reine de France : 180 AHMAD IBN YUSUF (mathématicien) : 287 AIGNAN- Computus manualis : 291 AILLY, Pierre d': 58-62, 94-96, 101, 137, 138, 141, 299, 300, 310, 311, 338, 480, 481 ; Contredit de Franc Gontier : 78 ; Expositio super septem psalmos poenitentiales : 100 ; Imago mundi : 87 ; Principium in cursum Biblie : 58, 72 ALAIN DE LILLE : 73, 279 ALAIN, Pierre (imprimeur) : 434 ALBERT LE GRAND : 342, 486, 509 ALBOIN, roi des Lombards: 7 ALBUMASAR (astrologue): 310; De magnis conjunctionibus: 305 ALENÇON, comte d'- Pierre Il: 331-333, 336 - , ducs d' -Jean 1er: 368 ; Jean II : 323, 373 ALEXANDRE V, pape: 139 ALEXANDRE LEGRAND: 19, 177,355 ALEXANDRE DE VILLEDIEU : Carmen de algorismo : 289 ; Doctrinale : 57 ALEXIS, Guillaume - Blason des fausses amours : 454, 456 ALlATE, Alexandre (imprimeur parisien) : 470 ALLOMP, Jean (docteur de l'université de Paris) : 40 ALPHONSE V roi d'Aragon : 118 ALPHONSE X roi de Castille : 286 AMBOISE, Jean d' (évêque de Langres) : 463 AMBROISE, s. : 155, 348 AMEILH, Pierre (cardinal) : 60 ANAXAGORE : 170 ANAXIMANDRE : 178 ANAXIMÈNE DE MILET: 169, 170, 175, 178 ANDERSSON, Thorer (moine de Vadstena): 94 ANGEL! D'ULM, Jacques- Tractatus de cometis: 309 ANGEL! DA SCARPERIA, Jacopo- trad. lat. de la Cosmographie de Ptolémée : 85 ANJOU, ducs d'- Louis 1er: 266, 500, 502, 508; Louis II: 504, 541 ; Louis III: 502; v. aussi René roi de Sicile - , duchesses d' - Yolande d'Aragon: 500, 502, 508; Isabelle de Lorraine: 503; Jeanne de Laval: 501, 503

* Cet index sélectif couvre une période allant de l'Antiquité au XVIe siècle ; il recense les oeuvres, les personnages mythologiques et bibliques, les personnes physiques et morales.

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INDEX GÉNÉRAL

ANJOU, Nicolas d' (petit-fils du roi René) : 500 ANNE DE BRETAGNE: 436, 437 ANSEGISEL (père de Pépin de Herstal) : 190 ANTÉNOR (prince troyen): 18 APELLE (peintre) : 86 APREMONT, Gilles d' (chanoine de Reims): 76 APULÉE: 9 ARA TOR- De actibus apostolorum: 90; Carmina latina: 90; Epitaphia latina : 90 ARBAKÈS, prince de Médie : 26 ARCHIMÈDE : 286 ARESE, Andreolo: 71, 555 AREZZO, Antonio d'- trad. du Decameron de Boccace: 127, 131, 132,277 ARGOUGES, Robert d' (chanoine de Caen): 468 ARISTOTE: 62, 72, 73, 144, 169, 175, 177, 182, 194, 225, 288, 294, 346, 348, 355, 356,454; Problemata: 10; trad., v. L. Bruni, N. Oresme ARMAGNAC, Jacques d', duc de Nemours : 374 ARNAUD DE VILLANOVA (médecin) : 13 ARSONVAL, Jean d' (précepteur de Louis de Guyenne): Ill, 370 ARTOIS, Robert d': 215 ATTILIUS REGULUS, Marcus: 26 AUBERT, Colin (enlumineur) : 380 -,David- Chroniques et conquêtes de Charlemagne: 515, 516 AUBRIOT, Hugues (prévôt de Paris): 222, 233 AUGUSTIN, s. : 20, 217, 229, 352, 353, 356, 453, 486 ; De civitate Dei: 7, 20, 67, 169 ; trad. fr., v. R. de Presles AUNIS, Jean d' (familier de Boucicaut) : 135 AURISPA, Giovanni : 18 AUSONE: 9 AUTRICHE, Philippe le Beau archiduc d' : 427, 429 AUVILLERS, Guillaume d' (abbé du Bec-Hellouin): 136 AVERROÈS : 288 AVIGNON, Université d': 403-420 passim; collège d'Annecy: 408, 415; collège StMartial: 414; collège St-Michel: 411 AZARQUIEL (ou al-Zarquâli, astronome): 290 BACCHUS (myth.) : 155 BAILLEUL, Guillaume de (doyen de Bayeux): 478 BALDUS DE UBALDIS (ou Baldo de' Baldeschi, professeur de droit à Padoue) : 483 BÂLE, concile de: 13, 15, 22, 36, 37, 40 BALSARIN, Guillaume (imprimeur) : 429 BALUE, Jean (cardinal): 321 BARBU, Prigent (trésorier de Tréguier) : 479, 482, 486, 488 BARLAAM, évêque de Gerace : 350 BARRE, Jean de (chanoine de Reims): 76, 89, 90 BARTOLO DE SASSOFERRATO: 79; Commentaire du Digeste: 78, 80 BARZIZZA, Gasparino da : 481 BASIN, Thomas (évêque de Lisieux) : 463, 470 BASSET, Peter- Chronicle: 324, 327 al-BATTÂNÎ (ou Albategnius, astronome) : 286, 287 BAUCHANT, Jacques (sergent d'armes de Charles V) : 66 BAYE, Nicolas de: 61, 109, 115, 118, 224,267, 302; Journal: 221, 222,233 BAYEZID rer, sultan: 281

INDEX GÉNÉRAL

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BÉATRIX DE VERMANDOIS, reine de France : 180 BEAUVAU, Louis de- Le roman de Troyle: 502 BÈDE - De temporum ratione : 8 BEDFORD, Jean duc de: 119, 505, 517 BECKINGTON, Thomas Guriste et diplomate): 346 BELLEMÈRE, Gilles (cardinal) : 367 BELLINI, famille : 10 BENOÎT XIII: 78,81, 110,117,118,123,124,137-139,141,147,280 BENZO D'ALESSANDRIA (chancelier de Cangrande Della Scala): 7 BERBISEY, Jean (chanoine): 471 BERCHAR (ou Berthar, maire du palais): 183-186, 189 BERGÈRES, Simon de (correspondant de Clamanges) : 118 BERNARD DE CLAIRVAUX, s.: 59, 123, 356, 485, 487, 492, 497; De consideratione: 348 ; Sermons : 89 BERNARD GUI: 509 ; trad. des Fleurs des chroniques : 169 BERNARD, Guillaume (copiste) : 13 BERRUYER, Martin (évêque du Mans): 37, 479,495 BERRY, Jean duc de: 80, 136, 153, 258, 266, 268, 274, 275, 277, 332, 511, 516, 517, 519,521,556 BERSUIRE, Pierre: 64, 65, 171,481,528; Reductorium morale: 62, 67,342; trad. fr. du De Urbe condita de Tite-Live: 67, 527-529 BERTHEREAU, Nicolas (copiste) : 208 BERTRAND, Nicolas (avocat au Parlement de Toulouse): 469 BESSARION, Jean (cardinal): 39, 40, 50 BÉTENCOURT, Renaud de (moine de St-Denis): 68 Bible historiale : 516, 517 BILDESTONE, Nicholas (doyen de Salisbury): 117 BILHÈRES-LAGRAULAS, Jean de (abbé de St-Denis) : 319 BINS, Gérard de (frère de P. Marie) : 78 BLANCHE DE CASTILLE : 363 BLANCHET, Jean (notaire et secrétaire du roi): 200 BLANDY, Foulque de (prieur de St-Martin-des-Champs) : 136, 138 BLAU, Pierre (cardinal): 412 BLUMENAU, Laurent de (chanoine d'Ermenland): 477,487 BOCARD, A. (éditeur) : 183 BOCCACE: 6, 12, 127-132, 164, 172, 182,482,488, 557; De casibus: 127,520; De claris mulieribus: 127, 163; Decameron: 127-130, 132, 258, 277; De genealogia deorum: 127, 163 ; Filostrato: 502 ; trad., v. A. d'Arezzo, L. de Beauvau, L. de Premierfait BOÈCE: 62, 73, 164, 168, 289, 454, 484; Consolation de Philosophie: 453; De Trinitate : 341 BOESMARE, Simon de (astrologue) : 309 BONA VENTURE, s. : 486, 494 ; ltinerarium mentis in Deum : 59 BONHOMME, Pasquier (libraire): 328, 479 BOU(R)DEAULX, Jean (libraire) : 380 BOUCHART,Alrun:329,330 BOUCHET, Jean : 127, 436, 449, 453 ; Les Regnars traversans: 448 BOUCICAUT, Jean le Meingre dit: 135-149 passim, 557 BOUHALE, Jean (chancelier de l'université d'Angers) : 84 BOULIGNY, Renier de (trésorier de France) : 273 BOULOGNE, Gui de (cardinal) : 65, 67

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BOURBON, ducs de- Louis Ier: 245, 277, 280; Pierre II: 212 - , duchesses de- Jeanne de France : 374 ; Anne de France : 212 BOURGOGNE, ducs de- Philippe le Hardi: 245, 266, 332, 512; Jean sans Peur: 137, 233-235, 237, 242, 271, 274, 280, 281, 309, 370; Philippe le Bon: 14, 18, 31-54 passim, 112, 114, 115, 118, 119, 219, 281, 323, 374, 424, 425, 431, 515, 520, 524; Charles le Téméraire: 40, 46, 213, 214, 376, 424, 425, 500 - , duchesse de -Isabelle de Portugal : 38 -,Jean de (archevêque de Trèves) : 37 - , Marie de : 500 BOUTILLIER, Jean- Somme rural: 217-219, 226, 229, 238 BOUVET, Honoré- Apparition de Jean de Meung: 516 BRAGA, Martin de- Formula honestae vitae : 165 BRANLARD, Jacques (correspondant de Clamanges): 112 BRANT, Sebastian : 453, 454 ; Nef des fous : 449 BRAQUE, famille : 253, 255 BRÉHAL, Jean (inquisiteur) : 215 BRETAGNE, ducs de- Jean IV: 194; Jean V: 320; François Ier: 324, 513; Pierre II: 384, 507, 510, 512, 513 ; Arthur III: 511 ; François II: 511 - , duchesse de - Françoise d'Amboise : 384 BRIGITTE DE SUÈDE, s. : 306 BRITO, Guillaume (lexicographe) : 389 BRUGES, Jean de- Prenosticatio: 307, 310, 311 BRUNETTO LATINI : 355 BRUNI, Leonardo: 83, 86, 357, 470; De utilitate disputandi: 85, 87; Lettre à Pie II sur la traduction de l'Ethique d'Aristote : 90 ; Nobilitatis contentio : 306 ; trad. lat. de l'Ethique d'Aristote: 87, des Discours d'Eschine et de Démosthène: 86, du Gorgias et du Phédon de Platon : 84 BRUTUS: 113 BUCHMANN, Théodore (professeur et éditeur suisse) : 280 BUDÉ, famille: 249; Jean (audiencier de France) : 464 BUEIL, Jean de- Le Jouvence/: 213 BUIGNET, Etienne (contrôleur des Aides): 269 BUL, Georges (secrétaire de Philippe le Bon) : 38 BUREAU, Laurent (évêque de Sisteron): 463 CACCIA DE NOV ARE, Etienne (juriste) : 15, 16 CACHEMARÉE, Aleaume (clerc au Châtelet) : 241 ; Registre criminel du Châtelet: 222,231 CAEN, Université de : 468, 469 CAHORS, Université de: 403-420 passim; collège de Pélegry: 415 CAILLAUT, Antoine (imprimeur) : 453, 455 CALIXTE III: 38 CALVEZ, Jehan (imprimeur): 447 CAMBRAI, Ambroise de (maître des requêtes de l'Hôtel) : 464 CAMP ANUS DE NOVARE (astronome et mathématicien): 292 CAMUS, Philippe - Histoire d'Olivier de Castille et Artus d'Algarve : 448 CAMUSAT, Nicolas : 327 CANDIDA, Jean de (historien) : 372 CARLIER, Robert (procureur du roi au Trésor) : 239, 240, 243 CARROUGES, Jean seigneur de : 331-343 passim, 368 CASSINEL, famille : 255 CASSIODORE: 72, 155, 164, 355

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CASTEL, Jean (chroniqueur): 313, 314,316-319,322,328-330 - , Jean : 257 ; Le Pin : 446 CASTIGLIONE, Zénon de (évêque de Bayeux): 479 Catholicon abbreviatum : 390 CATO, Angelo (archevêque de Vienne): 302 CATULLE: 9, 11 CAUVIN, André (imprimeur): 434 CEFFONS, Pierre de : 64 Cent Nouvelles nouvelles: 128, 129,451 CÉSAR: 3, 50,487 CESSIÈRES, Jean de (greffier au criminel): 221, 233 CESSOLES, Jacques de- leu des échecs moralisés: 500 CHALCIDIUS - trad. lat. du Timée de Platon : 84 CHALMEL DE VIVIERS, Raymond - Tractatus de pestilentia : 308 CHAMBLY, Nicole de (épouse de G. Malet): 276 CHANTEPRIME, Jean (général des finances): 271 Chapelet des Vertus : 155 CHARLEMAGNE: 18, 188, 281 CHARLES IV empereur: 201, 202, 363 CHARLES QUINT: 427, 429 CHARLES IV roi de France : 508, 509 CHARLES V: 60, 65, 67, 68, 70, 114, 161, 193, 194, 197, 199,200,202,204,206-208, 214, 215, 218, 265, 281, 289, 295, 363, 365-367, 375, 504, 510, 511, 527-537 passim, 542-544, 554 CHARLES VI: xv, 70, 71, 80, 113, 115-118, 122, 138, 153, 206, 207, 209-211, 215, 217-220,223,224,230,238,245,266,309,329,332,335,368,372,554 CHARLES VII: 37, 41,206,207,211,212,215,323,325,326,357,369,505,520,524, 541, 543 CHARLES Vlll: 206, 207, 213, 306-308, 372, 432-437 CHARLES JI roi de Naples : 503 CHARLES Ill de Duras : 500 CHARLES II roi de Navarre: 194, 367 CHARLES duc de Basse-Lorraine: 180, 186, 187 CHARLES MARTEL : 184-186 CHARLIER, Gilles : 481 CHARTIER, Alain : 22, 23, 321 -,Guillaume (évêque de Paris): 215 -,Jean : 325-328 CHASTELLAIN, Adam (évêque du Mans): 137 - , Georges - Chronique : 40, 46, 52, 305 - , Pierre : 365 CHÂTEAUROUX, couvent des Cordeliers de: 468 CHÂTILLON, famille de: 255 CHAUCER, Geoffrey - Legends of good Women : 354 CHAULIAC, Guy de : 304 ; Magna chirurgia : 308 CHEVROT, Jean (évêque de Tournai) : 37, 38, 45 CHILDÉRIC III : 186 CHOINET, Pierre : 306, 307, 368 ; Libellus de ordine tatius arbis, Livre des trois eages, Rosier des guerres : 306, 307 CHOLIÈRES, Nicolas de: 132 CHOQUART, Anceau (maître des requêtes de l'Hôtel): 65, 67

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Chronique de la trai'son et mort de Richart II: 365, 374, 375 CHRONIQUEUR (LE) DE TRÈVES (Elhen Tilemann von Woltbagen, dit): 519 CHUQUET, Nicolas (mathématicien et médecin) : 296 CIBOULE, Robert (chancelier de Notre-Dame de Paris): 37 CICÉRON: 9, 11, 19, 20, 23, 49, 50, 72, 73, 88, 143, 164, 220, 221, 224, 348,

365, 486, 555 ; Brutus : 87 ; Catilinaires : 85 ; De amicitia : 85, 258, 277 ; De finibus : 84 ; De officiis : 85 ; De oratore : 19, 50, 87 ; Ep. Ad Atticum : 11 ; Orationes : 71, 86, 90; Orator: 87 ; Paradoxa: 84, 85 ; Philippiques: 85 ; Pro Archia: 19; Pro Cluentio : 12 ; Pro Ligario : 85 ; Pro rege Deiotaro : 85 ; Rhetorica vetus : 220 ; Tusculanes: 84; Verrines: 71, 87, 220; trad. fr., v. L. de Premierfait PS.-CICÉRON -Invective à Salluste : 85 CINZIO ARLOTTI (chanoine de Tours) : 66 CIREY, Jean de (abbé de Cîteaux): 477, 481, 484, 492, 493,497 CÎTEAUX, abbaye cistercienne de : 123 CLAIRVAUX, abbaye cistercienne de : 123, 468, 557 CLAMANGES, Nicolas de: xiii, 55, 59-61, 68, 69, 77, 78, 109-125 passim, 147, 148, 220, 221, 224, 228, 229, 232, 257, 258, 479, 482, 487, 555; De lapsu et reparatione Justifie: 110-112, 118, 124, 219, 225, 229, 230; Deploratio calamitatis ecclesiastice : 78 ; Descriptio et laus urbis Januae : 78 ; Descriptio vite rustice : 78, 90 ; Descriptio vite tirannice : 78, 90 ; Epîtres : 76 ; Ep. Quod in superiori : 59, 73 ; Expositio super quadraginta septem capitula Jsaie : 110, 120, 124 CLÉMENCE DE HONGRIE, reine de France : 508, 509 CLÉMENT VII : 140 CLÉMENT, Michel (familier de Boucicaut) : 135 CLOVIS: 18, 182, 281 CODRUS (myth.) : 26 COL, Gontier: 60, 118, 124, 223, 257, 258, 556 - , Pierre : 58, 60, 73, 258 COLLA TIN (mari de Lucrèce): 339 COMMYNES, Philippe de -Mémoires : 302 CONSTANCE, concile de: 80, 94, 96, 98, 118, 555, 557 CONTY, Evrart de: 171 Coran: 14, 16 CORBECHON, Jean : 65 CORBIE, famille de: 251, 254, 255; Philippe (maître des requêtes de l'Hôtel): 274, 275 COSTERIA, Philippe de (régent de l'université d'Avignon) : 411 COURTECUISSE, Jean: 48, 60; Seneque des iiii. vertus: 165 COUSINOT, Guillaume: 321 CRACOVIE, Mathieu de : 481 CRAMAUD, Simon de : 75, 76, 78-82 ; De substractione obediencie : 81 CRENEY, Michel de (maître au collège de Navarre) : 64 CRETON, Jean- Histoire de Richard II: 365 CROY, Jean de (grand bailli de Hainaut) : 37 CUES, Nicolas de: 15, 16 CULDOË, famille : 248, 254 CUVELIER - Chanson de Bertrand Du Guesclin : 305 CYRUS II LE GRAND : 178 DAGOMARI, Paolo (mathématicien): 301 DAMMARTIN (familles de bourgeois parisiens): 263, 264

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Bureau de : 253, 258-278 passim ; sa famille : 264, 266, 269, 270 ; ses bisaïeux, Jean et Mahaut: 264; son grand-père Hue: 262, 263, 265, 269, 270 ; son père Simon: 260, 265-267, 271 -,comtes de: 261 DANNEVILLE, Simon (notaire apostolique): 199 DANTE: 6, 7, 127, 183-190; Divine comédie: 5, spécial. Purgatoire: 182, 185, 186, 188 DAUDIN, Jean : 65 ; trad. fr. du De remediis de Pétrarque : 68, 529 Débats et appointements : 373 DECEMBRIO, Pier Candido : 117 DELEWAQUAN, Gérard (libraire): 381 DEDWOOD, John (maire de Chester) : 355 DELLA ROBBIA, Andrea: 40,51 DELLA SCALA, Cangrande : 9, 10 DES PRÉS, Nicolas (correcteur de la Chambre des comptes) : 276 DESCHAMPS, Eustache: 132, 139, 257, 258, 280,335, 365 Descriptiones terrarum : 87 DEVANTÉRY, Jean (notaire valaisan): 13 Digeste: 79 DIGULLEVILLE, Guillaume de : 482, 484 DINO DA MUGELLO (juriste bo]onais) : 79 DIODORE DE SICILE : 356, 357 DIOGÈNE : 170 DIOGÈNE LAËRCE : 481 DIONIGI DA BORGO SAN SEPOLCRO (maître à l'université de Paris) : 66, 530 Dit des rays : 375 DONATO, Piero (évêque de Padoue): 19 DOUBLE, Martin (avocat au Châtelet): 269 DROUYN, Jean (traducteur de S. Brant) : 449 DU BOIS, Thomas (écuyer): 332, 334 DU BOISGILLOUD, Philippe (évêque de Chartres) : 255, 257 DU BOSC, Jean (greffier au criminel du Parlement de Paris) : 233 -,Nicolas (évêque de Bayeux): 367, 479 DU BREUIL, Guillaume- Stilus curie Parlamenti: 221 DU CHÂTEL, Tanguy (prévôt de Paris): 274 DU CLERCQ, Jacques- Mémoires: 31, 32, 35, 40, 46 DUCY, Jacques (maître à la Chambre des comptes) : 268, 276 DU FOUILLOY, Odart (précepteur de Jean d'Angoulême): 329 DULLO, Peder Sunesson (chanoine de Viisterâs) : 95, 98 DU MONT, Jean (prieur de Clairvaux) : 485 DUNS SCOT, Jean : 481 DU PUY, François (official de Valence): 477,487 DURAND DE CHAMPAGNE- Speculum Dominarum : 442, 445, 447 DURAND, Honorat (confesseur de Boucicaut): 143 EANES DE ZURARA, Gomes - Chronique de Guinée : 301 ÉDOUARD III: 199, 348, 365-367, 371 ÉDOUARD IV : 358 ÉDOUARD, prince de Galles (le Prince Noir): 194, 198 ÉDOUARD DE LANCASTRE, prince de Galles : 356 EDWIGE DE SAXE (épouse d'Hugues le Grand): 180 ÉLISABETH DE HAINAUT, reine de France: 180 DAMMARTIN,

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INDEX GÉNÉRAL

EMPÉDOCLE : 170, 174 ENGALINUS (moine de St-Claude du Jura) : 475 ENNIUS, Quintus: 19 ÉPAMINONDAS : 26 ÉPI (L'), ordre de : 511 Epistula Tholosana : 80-82 ESPINQUES, Evrart d' (enlumineur) : 524 ESSARTS, Antoine des (garde de la librairie royale): 276 -,Pierre des (prévôt de Paris) : 271, 272, 276 ESTIENNE, Robert : 402 ESTOUTEVILLE, Guillaume d' (cardinal) : 57 ÉTIENNE BOILEAU (prévôt de Paris): 229 ÉTIENNE HARDING (abbé de Cîteaux): 491 ÉTOILE (L'), ordre de : 505 BUCHER, s. (évêque de Lyon) : 475 EUDES de SENS Gurisconsulte) : 482 EUGÈNE IV : 15, 18, 38, 48 EUSÈBE DE CÉSARÉE - Chronique : 84 Evangiles des quenouilles : 446, 452 ÉVRARD DE BÉTHUNE - Graecismus : 57 EYB, Albert de (chanoine d'Eichstatt): 483 FABRI, Johannes (imprimeur) : 93 FAILLY, Guillaume de (neveu de Guillaume II Fillastre): 34,43 -,Millet de (beau-frère de Guillaume II Fillastre) : 33, 34 Farce nouvelle a quatre personnages: 452 al-FARGHÂNÎ (ou Alfraganus, astronome): 286-288 FASTOLF, Sir John : 324, 327, 358 ; son poursuivant d'armes : 324 FAUQUEMBERGUE, Clément de : 62 FAVA (ou Faba), Guido (grammairien de Bologne): 164 FÉLIX v, anti-pape: v. Savoie, Amédée VIII FERREBOUC, François (greffier au procès en nullité de la condamnation de Jeanne d'Arc): 215 FERRON, Jean (traducteur de J. de Cessales): 500 FICHET, Guillaume : 40, 50, 481 FICIN, Marsile : 172 FILARÈTE (LE), Antonio Averlino dit: 521 FILLASTRE, Etienne (gouverneur du Maine): 32, 33 -,Guillaume I (cardinal de St-Marc): 31-33, 61, 75, 76, 82, 84, 85, 87, 90, 91, 555, 557 ; Journal : 85 - , Guillaume II (évêque de Toul et de Verdun) : 31-54 passim, 557 ; La Toison d'or : 40, 42-53 passim FITZRALPH, Richard : 349, 350, 353, 355 ; Summa in questionibus Armenorum : 349 FOLLEVILLE, Jean de (prévôt de Paris): 222, 232,233, 241, 242 FONT AINES, Pierre de - Conseil à un ami : 224 -,Renaud de (évêque de Soissons): 77, 256, 258 FOREST!, Jacques-Philippe- Supplementum chronicarum: 312 FORTESCUE, Sir John : 355-357 FOUCAULT, Guillaume (seigneur de Gicourt) : 260, 267 FOULECHAT, Denis (traducteur de Jean de Salisbury): 62, 65, 171 FOUQUET, Jean (peintre) : 520-522, 524, 542 FRANÇOIS DE PAULE, s. : 308

INDEX GÉNÉRAL

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FRANÇOIS 1er : 206, 208, 210 FRANÇOIS II : 208 FRANÇOIS DE MEYRONNES: 481,482 FRASSENGES, Louis de (doyen de St-Pierre d'Avignon): 410 Ps.-FRÉDÉGAIRE: 183, 184 FRÉDÉRIC 1er BARBEROUSSE : 3 FRÉDÉRIC II : 296 FRÉDÉRIC III : 48, 53 FRIBOIS, Noël de - C'est chose profitable : 372-376 FROISSART, Jean: 63, 140,281, 302, 335, 336, 339, 552 FRONTIN : 372 FULGENCE- Mythologiarum libri : 72 GAGUIN, Robert: 303, 330; Compendium de Francorum origine et gestis: 182-184,

304 GALLIOT DU PRÉ (libraire): 207, 208 GARDILET, Guy (doyen de La Chapelle-aux-Riches à Dijon) : 468 GAUCOURT, famille : 254 GAUTIER DE CHÂTILLON: 164 GENCIEN, Benoît (maître en théologie) : 273 -,Pierre (prévôt des marchands) : 272, 273 GENNADE DE MARSEILLE - De scriptoribus ecclesiasticis : 86 GÉRARD DE CRÉMONE (traducteur arabisant) : 285-287 GERING, Ulrich (libraire) : 468,469 GERLAND- Tabulae: 291 GERMAIN, Jean : 47 GERSON, Jean: xiv, 24, 48, 55, 58, 59, 62, 63, 68, 77, 88, 93-108 passim, 113, 118,

119,228,230,231,234, 236,240,258,279-282,297,376,480-482,494, 555; Ars moriendi (La médecine de l'âme, Scientia bene moriendi): 93, 97-99, 101, 102; De cognitione castitatis: 89; De dignitate celebrationis: 89; De diversis diaboli tentationibus (Traité des diverses tentations de l'ennemi) : 93, 99, 104 ; Diligite justiciam: 218, 225-227, 235, 236; Ep. Tatia de me: 58, 73; Estote misericordes: 230; Josephina : 494; Opus tripertitum (Triparti): 95, 101, 102; Vivat rex: 236, 279-282 -,Thomas: 75, 76, 88-90 GERVAIS, Chrestien (médecin de Charles V) : 289 -,Jean (chanoine de Bayeux) : 479 GHIBERTI, Lorenzo (sculpteur): 521 GIARD, Laurent (contrôleur des finances) : 520, 525 GIFFART, Andry (trésorier de France) : 272, 273 GILLES DE ROME: 142, 164, 347, 480; De Regimine Principum: 346 GIOVANNI BALBI - Catholicon : 341, 389-393 G!OV ANNI MANSIONARIO (chroniqueur véronais) : 7 GIRAUD DE CAMBR!E (ou de Barri)- Topographia Hiberniae: Il GIUNTA, Tommaso (éditeur) : 288 GLOUCESTER, Humphrey duc de : 117 GMUNDEN, Jean de (mathématicien) : 295 GODEFROI DE VITERBE- Pantheon (Memoria seculorum) : 187 GOLEIN, Jean : 65 GONESSE, Nicolas de: 20, 61, 67, 135-149 passim, 557 GONNOT, Micheau (copiste): 524 GORCKHEIM, Henri de (professeur à l'université de Bologne) : 376

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INDEX GÉNÉRAL

GOUGE, Martin (évêque de Chartres): 277 GOWER, John : 354, 356 ; Confessio Amantis : 354 Grandes Chroniques de France : 229, 372, 375, 522, 539-549 passim GRANDRUE, Claude de (bibliothécaire de St-Victor): 441 GREBAN, Arnoul - Commentaire de la Consolation de Boèce : 90 ; Mystère de la Passion: 90 GRÉGOIRE DE NAZIANCE, s. : 353 GRÉGOIRE LE GRAND, s. : 3, 348, 487 ; Regula pastoralis : 88 GRÉGOIRE IX : 296 GRÉGOIRE XII: 139, 140 GRÉGOIRE DE TOURS : 303 GRIJS, Paul (imprimeur) : 93, 100 GRINGORE, Pierre : 424, 438-440 ; Chasteau d'Amours : 438 ; Complainte de Trop Tard Marié: 438, 439 ; Les Fantasies de Mère Sote: 439 ; Folles Entreprises : 439 GUARINO VERONESE - trad. lat. de la Calumnia de Lucien : 86 GUÉRIN, Jean (trésorier de France) : 273 GUGLIELMO DA PASTRENGO (juriste véronais): 7, Il GUIART DES MOULINS : 483 GUIBERT DE NOGENT : 475 GUIGUES I (ou Guigo, chartreux): 475 GUILLART, Charles (conseiller au Parlement de Paris) : 372 GUILLAUME D'AUVERGNE: 341, 342, 356 GUILLAUME D'AUXERRE- Summa aurea: 479 GUILLAUME DE LORRIS : 443, 447 ; Roman de la Rose : 443, 453 GUILLAUME DE MOERBEKE : 286, 295 GUILLAUME DE SAINT-AMOUR: 73 GUILLAUME DE TYR : 483 GUILLET!, Laurentius (maître au collège de Navarre) : 61 GUTO, Olof Jonsson (étudiant à l'Université d'Uppsala): 94, 98, 102, 107 GUYMIER, Jean (libraire) : 383, 384 GYLDENSTJERNE, J(jrgen (archidiacre de Ribe): 100 HABARD, Nicolas (évêque de Bayeux): 479 HANERON, Antoine (prévôt de Mons): 38 HARCOURT, Louis d' (évêque de Bayeux): 36, 44, 478, 484 HARVY, Simon (enlumineur): 384 HAUTEVILLE, Pierre de (le Prince d'Amour) : 247, 257 HECTOR: 26, 153 HEINGARTER, Conrad- Astrologie defensio : 312 HÉLÈNE: 177 HÉLOÏSE: 73 HENRI IV empereur: 187 HENRI IV roi d'Angleterre : 354, 355 HENRI V: 109,111,112,115,116,118,119,122,124 HENRIVI:206,330,346,366,369 HENRI BOHIC (canoniste): 482 HENRI DE BERG (dit Suso, théologien et mystique) : 481, 482 HÉRAUT BERRY: v. Le Bouvier, Gilles HERCULE: 26, 154, 177 HERENTHALS, Pierre de (prieur de Floreffe) : 482 HERMANN DE CARINTHIE (traducteur arabisant et helléniste) : 286, 287

INDEX GÉNÉRAL

HERMÈS TRISMÉGISTE : 352 HÉRON, famille: 249 HÉRONCHEL, Pierre de (correspondant de M. Le HESDIN, Jean de (théologien): 48, 65, 67, 481

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Franc): 13

-,Simon de: 65, 67, 136, 144; trad. du Defactis et dictis de Valère Maxime: 530 HESSE, Henri de (recteur de l'université de Vienne) : 295, 480 HIGDEN, Ranulf: 357 HILDEBERT DE LAVARDIN: 479; Vie de s. Marie l'Egyptienne: 90 HILDEGARDE, s. : 310 HINCMAR: 75 Histoire ancienne jusqu 'à César : 169 HOMÈRE: 11, 19 ; Centones (Homère latin) :58, 72 HONORIUS III : 283 HORACE: 19, 21 ; Odes: 58, 72 HUGUES CAPET: 179-190 passim Hugues Capet, chanson de geste : 189, 190 HUGUES DE FOUILLOI - De claustra animae : 89 HUGUES DE SAINT-CHER- Commentaire de la Bible: 89 HUGUES DE SAINT-VICTOR: 486 HUGUES LE GRAND, comte de Paris: 180, 184-186 HUGUTIO DE PISE : 389 IBN AS-SAFFAR (astronome): 290 IBN BÂJJA (ou Avempace, philosophe et médecin): 283, 284 IBRAHIM SULTAN (petit-fils de Tamerlan) : 302 INNOCENT III : 283 Invectiva de morte Karoli : 60 ISABEAU DE BAVIÈRE: 153,234, 266, 368 ISAÏE: 120-122 ISBARRE, Augustin (changeur lucquois): 253 ISIDORE DE SÉVILLE - De viris illustribus : 86 ISNARD, Jean (docteur ès-lois avignonnais) : 411,417 JACQUES DE VORAGINE: 470; Légende dorée: 453; Sermons: 89 JAKOBSSON, Sven (évêque de Skara): 100 JAMET, Pierre - Le Débat du vin et de l'eau : 454 JANOT, Jean (libraire): 208 JASON: 26 JEAN, s. : 155 JEAN CHRYSOSTOME, S. : 155, 348, 487 JEAN XXII : 347 JEAN XXIII, anti-pape: 124 JEAN 1er roi de Castille : 302 JEAN LE BON: 65, 67, 68, 206, 207, 366, 371, 505, 510, 527, 528, 536, 541 JEAN DE TOURAINE, dauphin: 114 JEAN BODEL - Chanson des Saisnes : 189 JEAN BURIDAN : 294, 295 JEAN DE GALLES: 346, 347; Communiloquium: 163 JEAN DE LJGNÈRES (mathématicien et astronome): 292 JEAN DE MEUN : 20, 22 ; 453, 454 ; Roman de la Rose : 443, 453 JEAN DE MURS (mathématicien et astronome) : 292, 294, 295 JEAN D'OUTREMEUSE : 184 JEAN DE SACROBOSCO (mathématicien et astronome): 289, 291, 294

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INDEX GÉNÉRAL

JEAN DE SALISBURY: 62 JEAN DE SAXE (astronome) : 292 JEAN DE TOLÈDE (astrologue) : 301 JEAN, Dreux (enlumineur): 520, 524 JEANNE D'ARC, s.: 24, 215, 314, 329, 376 JEANNE Ière reine de Naples : 503, 505 JEANNE DE BOURGOGNE, reine de France : 507, 508 JEANNE DE NA VARRE, reine de France : 289 JÉRÔME, s. : 143, 348, 353, 453 ; Continuation de la Chronique d'Eusèbe de Césarée: 83 ; De viris illustribus: 86 ; Expositio in /saiam: 121 JÉRÔME, abbé de Pomposa : 8 JOACHIM DE FLORE: 121,310 JOHANNES (interlocuteur de M. Le Franc): 13 JOHANNES JACOBI - Regimen contra pestilentiam : 455 JONSSON, Erik (curé de LOdose) : 94, 97 -,Torsten (curé de Jonkoping): 95, 97 JO RD ANUS DE NEMORE (mathématicien) : 290 JOSEPH>(bibl:) : 342 JOUFFROY, Jean (évêque d'Arras): 31, 37-39,46,48-50 JOUVENEL (Juvénal des Ursins), Guillaume (chancelier de France) : 211 -,Jacques (évêque de Poitiers) : 505 -,Jean 1 (prévôt des marchands) : 327 -,Jean II (archevêque de Reims): 41,211,215, 321, 324, 326-328, 369, 370, 373; Audite celi: 374-376 ; Traité compendieux: 362, 369, 371 JUSTE, François (imprimeur): 441 JUSTIN : 3 ; Epitoma historiarum Philippicarum : 8 JUVÉNAL: 20, 21, 72, 73 KENINGHALE, John (provincial des Carmes anglais) : 352 KERREDAN, Hamon (clerc de St-Pol de Léon) : 79 KERVER, Thielman (éditeur): 183 al-KHW ÂRIZMÎ (mathématicien et astronome) : 289 LA CHASSERIE, Philippe de (chanoine du Mans): 479 LA CLOCHE, Jean de (trésorier de France): 272-274 LACT ANCE - De ira Dei : 86 ; De opificio hominis : 86 LA FERTÉ, abbaye cistercienne de: 123 LAGADEUC, Jehan- Catholicon: 447, 455, 457 LA HAYE, Jean de (dit Piquet, général des finances) : 271 LAILLIER, Michel de (maître de la Chambre des comptes): 268, 271-274, 276 LA MARCHE, Olivier de : 46, 375 ; Triomphe des dames : 522 LAMRELOT, Gilbert (bachelier) : 471 LAMY, Péronet (enlumineur) : 19 LANDES, famille : 248, 253, 254 LANDOLFO COLONNA (chanoine de Chartres): 66 LANNOY, Guillebert de- L'instruction d'un jeune prince: 374 LA PALU, Arnoul de (astrologue de Charles VII) : 304, 305 LAPO DA CASTIGLIONCHIO (juriste florentin) : 11 LA PORTE, Raoul de (maître au collège de Navarre): 120, 121 LARCHIER, Jean (examinateur du Châtelet) : 239, 240, 243, 244 LA SALE, Antoine de - La Salade : 213 LAURENT JUSTINIEN, s.: 481 LAVAL, Guy XV comte de: 501

INDEX GÉNÉRAL

LAVAL, Pierre de (archevêque LA VIGNE, André de : 424,

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de Reims) : 463, 501 432, 434-438, 440 ; Ressource de la Chrestienté: 432-437 ; Vergier d'honneur: 435, 436; Voyage de Naples : 436,437 LEBÈGUE, Jean: 61, 70, 276, 518, 519, 525 LE BLANC, Louis (greffier de la Chambre des comptes) : 370 LE BOUVIER, Gilles (Héraut Berry): 317, 320, 322, 325, 326, 328; Recouvrement de la Normandie : 373 LECOMTE, Denis (greffier au procès en nullité de la condamnation de Jeanne d'Arc) : 215 LE COQ, Jean (avocat au Parlement de Paris) : 333-337, 339, 340 ; Questiones Galli : 221, 242 LE DRU, Pierre (imprimeur): 435 LEFÈVRE, Raoul: 34, 43; Histoire de Jason: 47 -,Robert (chanoine de Barbières) : 479 LE FRANC, Martin: 13-30 passim, 132, 163, 553 LEGNANO, Jean de: 196, 197, 199 LEGRAND, Jacques: 62, 65, 172, 234, 482; Livre de Bonnes Meurs: 444; Sophilogium : 342 ; Trésor de sapience : 444 LE GRIS, Jacques (écuyer) : 331-343 passim, 368 LEIPZIG, Université de: 104 LELIÈVRE, Jean (correspondant deN. de Clamanges) : 111 LE MAÇON, Antoine: 128-133 LE MAIRE, Guillaume (enlumineur): 384 LEMAIRE DE BELGES, Jean: 438 LE MUSNIER, André (libraire) : 379-387 passim; son père Guyot: 383-386; sa mère Jeannette : 383, 384, 386 ; sa femme Thomasse : 380-383 ; ses enfants : 380 ; sa soeur Perrette, épouse Le Pi cart : 382-386 LE NOIR, Michel (imprimeur) : 435, 436, 438 LÉON X: 3 LÉONARD DE PISE (Leonardo Fibonacci dit, mathématicien) : 294 LÉONIDAS : 26 LE PICART, Jean (libraire) : 382-387 LE ROY, Guillaume (imprimeur): 453, 454 LESCLAT, Pjerre de (maître des requêtes de l'Hôtel) : 271 LE TALLEUR, Guillaume- Vocabularius familiaris: 389-401 passim LE TAVERNIER, Jean (enlumineur): 515,520,523,524 LE VER, Firmin - Dictionarius : 389-401 passim L'HOMME, Jean de (chanoine de Bayeux): 479 Liber historiae Francorum : 183 LIÈGE, Jean de (imprimeur) : 428 LINOS (myth.) : 177 Livre des faits de Boucicaut : 135-149 passim Livre des merveilles : 519 Livres Sybillins : 121 LORÉ, Ambroise de : 326, 327 LORRAINE, ducs de- Antoine le Bon: 440; René II: 501, 502, 506, 514 LOSCHI, Antonio : 18 LOTHAIRE II : 17, 18 LOUET, Jacques (garde des chartes) : 319 LOUIS IV de Bavière : 348 LOUIS V: 180, 185

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LOUIS IX: 71, 207, 226, 229, 281, 509 LOUIS X LE HUTIN : 509 LOUIS XI: 39, 40, 206-209, 306, 307, 319, 320, 324, 364, 365,451 LOUIS XII : 206, 207, 214 LOUIS DE GUYENNE, dauphin : 111, 114, 219, 258, 369 LOUVAIN, Université de: 36 LOUVEL, Adam (écuyer): 331, 332, 334, 336 LOVATOLOVATI: 3, 8-11 LOWE, John (évêque de Rochester): 346 LUC, s.: 348 LUC DE MILAN - Confession : 453 LUCAIN - Pharsale : 220 LUCRÈCE : 178, 338, 339, 343 LUILLIER, Jean (prévôt de Gonesse) : 242 LULL, Ramon : 112 LYKKE, Peder (archevêque de Lund): 96 LYNDWOOD, William (canoniste): 346 MACHAUT, Guillaume de : 65 MACHET, Gérard : 62, 88 MACROBE: 16, 17,352; Saturnalia: 16, 17,72 MAINE, Charles III comte du : 499 MAINERI, Maino de (médecin et astrologue des Visconti) : 309 MAÎTRE (LE) DU COURONNEMENT DE LA VIERGE : 516 -DUDUCDEBEDFORD: 519,524 -DU ROMAN DE LA ROSE: 517 - DU VIRGILE : 540, 541, 544, 546 -E. S: 518 MALA, Felipe de (camérier du pape) : 117 MALET, Gilles (garde de la librairie royale) : 200, 276; ses fils : 276 MALET DE GRA VILLE, Louis (amiral de France) : 214, 312 MALINGRE, Amé (maître de l'Hôtel de Louis de Savoie): 248 MAMEROT, Sébastien- Histoire des neuf preux et neufpreuses: 524

Manière (La) d'enter et planter en jardins: 446 MANNON (prévôt de St-Claude du Jura): 475, 496 MÂNSSON, Bjorn (prévôt de Skara): 98 MANTEGNA, Andrea : 10 MARCADÉ, Eustache : 256, 257 MARCEL, famille: 265, 267, 269, 270; Etienne (prévôt des marchands) : 265, 270 MARCOMIR (chef franc) : 18 MARGUERITE D'ANJOU, reine d'Angleterre: 212 MARGUERITE DE DURAS, reine de Naples : 500 MARGUERITE D'ANGOULÊME, reine de Navarre: 128 MARIE DE HONGRIE, reine de Naples: 503 MARIE, Pierre (chanoine de Reims): 78 MARINI, Pileo de' (archevêque de Gênes) : 146 MARLE, Henri de (chancelier de France) : 210, 274 MARMOUSETS (LES) : 228 MARSILE DE PADOUE: 349 MARSILI, Luigi (familier de Pétrarque) : 68 MARSON, Jeanne de (soeur de Guillaume Il Fillastre) : 33, 34 MARTIAL - Epigrammes : 72

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MARTIANUS CAPELLA : 73 MARTIN, Humbert (abbé de Cîteaux) : 46, 49, 477 MARTIN V: 32, 33, 35, 82, 87, 117, 352 MASHA'ALLAH (ou Messahala, astrologue): 310 PS.-MASHA'ALLAH (astrolabiste) : 290, 291 MASLAMA (astronome): 290 MATHIEU PARIS : 357, 359 MAURAND, Jean (éditeur) : 446 MAUREGARD, famille de : 269, 270 ; Etienne (notaire et secrétaire du roi) : 269, 274, 275; Liénarde (épouse de B. de Dammartin): 269,270 MAXIMILIEN 1er : 429 MELLOT, Gervais (copiste) : 88 MÉROVÉE: 18 METS, Guillebert de: 163, 247 MEUILLON, Guillaume de (capitaine de Charles VI): 137, 145 MÉZIÈRES, Philippe de: 65, 142, 231, 281 ; Epître introductive à la paix: 516; Songe

du vieil pelerin : 217 MICHAULT, Pierre: 321 MICHEL, S.: 506,510,511 MIÉLOT, Jean : 375 MINOS (myth.) : 154

Miroir (Le) aux dames : 522 MOCCIA, Giovanni: 61 MOÏSE: 353 MOLINET, Jean : 424-432, 434, 435, 438, 440 ; Art de Rhétorique : 428 ; Faictz et Dictz: 425, 427, 430; Naissance de Charles d'Autriche: 424, 427-432, 434, 438 ; Trosne d'Honneur: 424-427,429,431 MOLINS, Robert de (notaire et secrétaire du roi): 215 MOMPESSON, Thomas (shérif du Wiltshire): 355 MONSTRELET, Enguerran de: 302 MONTAIGU, Gérard 1 de (évêque de Paris) : 274 -,Gérard II de (garde du Trésor des chartes) : 199, 363 -,Jean de (grand maître de l'Hôtel): 271, 274 MONTAUBAN, Arthur de (archevêque de Bordeaux): 463 MONTE, Pietro del (juriste pontifical): 521 MONTMORENCY, famille de : 255 -,Anne de (connétable de France) : 208 MONTPELLIER, Université de : 403 MONTREUIL, Jean de: XV, 20, 60, 68, 69, 82, 118, 124, 147, 151, 220,223,257, 258,

338, 366, 369, 370, 373, 553-556; A toute la Chevalerie: 371 ; Traité contre les Anglais : 369, 370 MONZON, Juan de (docteur en théologie) :55, 62 MOREL, Pierre (abbé de St-Claude du Jura) : 478 MORIMONT, abbaye cistercienne de : 123 MORIN, Martin (imprimeur) : 389 MORVILLIERS, Philippe de (président du Parlement de Paris): 204 MUCIUS SCAEVOLA, Caius : 26 MULLINGER D'AUTRICHE, Jean (licencié en théologie de l'université de Paris): 256,

257 MURET, Jean: 60, 61,479; De contemptu mortis: 60 MUSÉE(myth.): 177

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MUSNIER, Guillaume (imprimeur) : 387 -,Jean (enlumineur) : 382 MUSSATO, Albertina: 10; Historia Augusta: 8; De gestis Italicorum post Henricum VII : 8 ; Ecerinis : 8, 11 NANTERRE, Mathieu de (président au Parlement de Paris) : 319 NANTRON, Pierre de (familier de Boucicaut) : 135 NEMROD: 26 NESSON, Pierre de: 321 NETTER, Thomas: 351-355, 358; Doctrinale Antiquitatum Fidei Catholicae Ecclesiae : 352 NEUFCHÂTEL, Antoine de (évêque de Toul): 37 -,Thibaud de (maréchal de Bourgogne): 37, 52 NEUILLY-SAINT-FRONT, Jean de (chanoine de Notre-Dame de Paris): 445,447,454 NEVIZZANO, Giovanni- Sylva nuptialis : 181-184 NICCOLI, Niccolo : 84, 556 NICOLAS 1er, pape : 17 NICOLAS V : 35, 36, 38 NICOLAS D'HACQUEVILLE - Sermons : 89 NICOLAS DE LYRE: 349, 350,494 NICHOLAS TREVET: 66, 67, 357,482, 529 NILSSON, Erik (docteur en théologie): 99, 102, 104, 105 NOURRY, Claude (éditeur): 451 NOUVION, Jacques de: 61 OCKHAM, Guillaume d': 347-349, 355, 357; An Princeps pro suo succursu: 348 ODIN, Franciscus (libraire toulousain) : 469 OGIER, Philippe d' (évêque de Savone) : 137 OLDCASTLE, Sir John (capitaine anglais) : 352 OLIVIER: 26 OLIVIER DE LONGUEIL, Richard (évêque de Coutances) : 215 OLSSON, Erik (docteur en théologie): 98 ORESME, Nicole: 64, 171, 295, 312; trad. de l'Ethique et la Politique d'Aristote: 527-537 passim ORGEMONT, famille d': 248, 274 ; Pierre IV (évêque de Paris) : 232, 239 ORIGÈNE : 348, 353 ORIOLE, Pierre d' (chancelier de France): 319 ORLÉANS, ducs d'- Louis: 136, 138, 147, 153, 232-237, 242, 258, 266, 280, 281, 309, 332, 368, 517, 556; Charles : xii, 23, 24, 323, 324, 368, 502, 556 -,duchesses d'- Valentine Visconti: 281 ; Marie de Clèves: 502 -,Jean d', comte d'Angoulême: xii, 329 OROSE: 72 ORPHÉE (myth.) : 177 OSBERN DE GLOUCESTER : 389 OTHEA: 153, 158 OVIDE: 19, 21, 72, 73, 164; Héroïdes: 354; Métamorphoses: 337 OXFORD, Université d' : 56, 57 PACE DA FERRARA (professeur à l'université de Padoue): 10 PACIFICO (archidiacre de Vérone): 7 PANISSAR, Julien (familier de Boucicaut) : 135 PAPIAS: 389 PAPPUS D'ALEXANDRIE (géomètre grec): 287 PARIS, Châtelet de: 205, 218, 221, 222, 231-233,237, 240-244, 380, 387

INDEX GÉNÉRAL

581

PARIS, couvent des Croisiers de : 466, 469 -,Parlement de: 115, 205, 209, 221, 222, 231-234, 236, 237, 239, 242, 244, 332, 333,339,363

- , Université de: 66, 70, 71, 73, 103, 139, 208, 232-234, 236, 237, 273, 280-297, 363, 379, 381, 383, 387; faculté des arts: 56, 58, 60, 62, 63, 69, 72, 136; collège de Dormans-Beauvais: 136, 380; collège Gervais: 289; collège de Navarre: 55, 56, 60, 61, 64, 71,223,279,281,289; collège de la Sorbonne: 71,347,555,557 PASTI, Matteo de' (peintre et médailleur) : 10 PATINGUIER, Rambaut (bourgeois parisien) : 383 PAULII:35,40,46,49,53 PAVILLY, Eustache de (docteur en théologie): 273 PECOCK, Reginald (évêque de Chichester) : 353 PÉGASE: 155 PELLICIER, Guillaume (évêque de Maguelonne): 463 PÉPIN DE HERSTAL: 183-186, 188 PÉPIN LE BREF : 184-186, 188 PERSE : 20, 21, 486 PETIT, Jean : 236 - , Jehan (libraire): 439 PÉTRARQUE: 3, 6, 9, 11, 12, 48, 49, 59, 63, 65-68,72, 350,481, 528,529, 536, 554; De remediis: 68 ; trad. lat. de l'Histoire de Grisélidis de Boccace: 127; trad. fr., v. J. Daudin PEURBACH, Georges (astronome) : 295 PHARAMOND : 18, 206 PHARES, Simon de: 299, 300, 308, 311, 312 ; Recueil des plus célèbres astrologues : 299,311 PHILIPPE IV LE BEL: 213, 215, 226, 229, 453,454, 512 PHILIPPE V LE LONG : 508, 509 PHILIPPE VI: 65, 365, 504, 507-510 PIC DE LA MIRANDOLE, Jean : 172, 312 PICCOLOMINI, Enea Silvio : 13, 15-18, 32, 33, 37, 39, 41, 46, 48-51, 182, 481, 487 PIERRE, s. : 348 PIERRE LE CRUEL, roi de Castille: 194, 302 PIERRE rer DE LUSIGNAN, roi de Chypre : 281 PIERRE ABÉLARD : 73, 283, 284 PIERRE D'ABANO (ou Aponensis, ou le Padouan): 10 PIERRE DE BEAUVAIS: 321 PIERRE DE DACIE (astronome): 289, 291 PIERRE LOMBARD : 494 PIERRE DE MARICOURT (ou Petrus Peregrinus, physicien) : 290 PIERRE DE PARIS (traducteur de Boèce): 454 PIERRE DE SAINT-OMER (astronome): 292 PIERRE LE VÉNÉRABLE : 279, 280, 282, 283 PIETRAMALA, Galeotto da (cardinal) : 59, 69 PIE II : v. Piccolomini PINTOIN, Michel: 63, 140, 220, 303, 304, 331-343 passim, 552, 558 PISANELLO (Antonio Pisano dit, peintre et médailleur) : 10 PISCIS, Jean (chancelier de l'université de Montpellier): 418 PISE, concile de : 80, 82 PlV AIN, Pierre (sacristain du prieuré de l'Abbaye-sous-Dol) : 476

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INDEX GÉNÉRAL

PIZAN, Christine de: 24, 113, 127, 132, 135, 142, 147, 151-178 passim, 204, 218, 219, 229, 234, 257, 318, 532, 557; Avision-Christine: 162, 165-178 passim; Chemin de long estude: 163, 517; Cité des dames: 127, 169; Epistre Othea: 151-159 passim, 162-164, 372; Livre de la paix: 164, 218, 225, 227, 230, 237, 238: Livre de Prudence: 165; Livre des fais et bonnes meurs: 162, 166, 169, 305, 519; Livre des trois Vertus: 162; Livre du corps de policie: 163, 217; Mutacion de Fortune: 162, 164 -,Thomas de: 161 PLANUDE, Manuel (ou Maximos): 10 PLATON: 11, 175; trad. lat., v. L. Bruni, Chalcidius PLINE LE JEUNE : 486 ; Epistulae : 85 PLOTIN: 352 PLUMETOT, Simon de (conseiller au Parlement de Paris): 84, 86 PLUTARQUE: 135; Moralia: 10; Vies: 86 POGGIO BRACCIOLINI: 18, 49, 117, 357, 521 POLIZIANO, Angelo : 5 ; Lamia : 182 POMPONIUS MELA- De chorographia: 84 PONTIGNY, abbaye cistercienne de: 123 POULTON, Thomas (évêque de Worcester): 83 Pour ce que plusieurs : 362, 373-376 Pour vraye congnoissance avoir: 370, 371 PREMIERFAIT, Laurent de: 61, 127-133, 257, 258, 268, 553, 557; trad. du Decameron de Boccace: 127, 258, 277 ; trad. du De casibus de Boccace: 127, 520, 521 ; trad. du De amicitia de Cicéron : 258, 277 PRESLES, Raoul de : 66, 67 ; Musa : 66 ; trad. du De civitate Dei de s. Augustin : 66, 529 PRIMAT: 539 PRISCIEN : 57, 72 PROCIDA, Jean de -De placita philosophorum : 258 PROISY, Simon de (abbé de St-Calixte de Cysoing): 41 Prophéties de Merlin: 121 PROSPER D'AQUITAINE- Chronique : 83 PROVENCE, Charles III comte de : 499 PTOLÉMÉE- Almageste: 285, 286 ; Cosmographie, trad. lat. : v. Angeli da Scarperia PUCELLE, Jean (peintre) : 507 PUTIPHAR (bibl.): 342, 343 PYGMALION : 21 PYTHAGORE: 175 al-QABI'SI (ou Alchabitius, astrologue) : 290, 310 QUENTIN, Jean (official du Mans) : 479 QUERINI, Giovanni (patricien de Venise): 86 QUINTE CURCE : 26 QUINTILIEN: 17; Declamationes maiores: 72, 85; Institutions oratoires: 12 RABELAIS, François : 442 ; Pantagruel : 441, 442 RAGUENEL, Tiphaine : 305 RAGUIER, famille: 249; Louis (évêque de Troyes) : 463 RAINIER DE PISE : 481, 482 ; Pantheologia : 486, 494 RAINZEVILLE, Pierre de (familier du cardinal Guy de Boulogne) : 67 RALPH (Radulfus) de DICETO: 357 RAMUS, Pierre: 289, 296 RAPONDE, Dine (changeur lucquois) : 253

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INDEX GÉNÉRAL

RA THIER (évêque de Vérone): 7 RAYMOND DE MARSEILLE (astronome) : 290 RECLUS DE MOLLIENS - Roman de Carité : 483 REGIOMONTANUS, Johannes Müller dit (mathématicien): REIMS, chapitre de: 75-91 passim, 557 RELIGJEUXDEST-DENIS: v. M. Pintoin RENÉ D'ANJOU, roi de Sicile: 36,442, 499, 501-504, 506

295

Rhetorica ad Herennium (ou Rhetorica nova): 86, 90, 220 RICARVILLE, Guillaume de : 323 RICCOBALDO DA FERRARA : 9 RICHARD II : 369 RICHER: 190 RICOLDO DE MONTECROCE - Contra [egem Sarracenorum : 280 RIGORD: 301 ROAIX, Jean de (membre du patriciat toulousain) : 407, 409 ROBERT LE FORT, marquis de Neustrie : 190 ROBERT LE PIEUX, roi de France : 180 ROBERT LE SAGE, roi de Naples : 503, 530 ROBERT D'ANGLÈS- Quadrans vetus: 291 ROBERT D'AUXERRE- Chronique : 87 ROBERT DE COURÇON (cardinal): 283 ROBERT GROSSETESTE- Calendarium: 291 ROBERT HOLCOT (docteur en théologie) : 348 ROBERT, Antoine (notaire et secrétaire du roi) : 208 ROBERTET, Jean: 321 ROBERTO DEI BARD! (chancelier de l'université de Paris) : 66 ROCHE, Vaucher de (sacristain de St-Claude du Jura) : 478, 482, 483,485 ROCHEFORT, Guillaume de (chancelier de France): 308, 372 ROCHES, Philibert de (chanoine de Lausanne): 14 ROFFET (éditeur): 129 ROGER BACON : 310 ROGGE, Cort (évêque de Strangnas) : 95, 98 ROLAND: 26 ROLANDO DA PIAZZOLA (juriste padouan) : 9, 10 ROLEWINCK, Werner (chartreux de Cologne): 372,487 ROLIN, Nicolas (chancelier de Bourgogne): 251, 254, 255 Roman de la Rose: 24, 58, 132, 153 ROMANO, Ezzelino III da : 4, 8 ROME, concile de : 80 ROQUETAILLADE, Jean de- Liber de consideratione quinte essentie: 306 ROUEN, couvent des Célestins de : 468 ROUSSAT, Richard (astronome): 311 ROUVROY, Jean de : 372 ROYE, Gilles de (abbé de Royaumont) : 481 -,Guy de (archevêque de Reims): 78, 79, 82 -,Jean de: 303; Journal: 304, 305 RYTINGH, Clemens (0. P., lecteur du couvent de Stockholm) : 99 SAINT -MARTIN DE TOURS, chapitre de : 88 SAINT-MICHEL, ordre de: 213,214 SAINT-POL, Louis de Luxembourg, comte de: 215 SAINT-SAUFLIEU, Jean de (bailli de Caux): 242

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INDEX GÉNÉRAL

SAINT-TRUDON, Regnier de (éditeur): 454 SALICETO, Barthélémy de (professeur à l'université de Padoue) : 483 -,Richard de (canoniste): 196, 197 SALLUSTE: 518; Catilinaires: 220 PS.-SALLUSTE- Invective à Cicéron : 72, 85 SALUCES, Amédée de (cardinal): 414 SALUTATI, Coluccio : xv, 18, 49, 69, 172, 554, 555 ; Declamatio Lucretiae : 338 SAVIGNY, Nicolas de (chanoine de Paris) : 255, 257 SAVOIE,AmédéeVIIIducde: 13, 15, 16,19,38,48 SAVOISY, Charles de (chambellan du roi) : 233, 234 SAXE, Albert de (astronome et mathématicien) : 295 SCHONER, Johann (astronome et géographe) : 295 SEDULIUS - Paschale carmen : 90 SÉGOVIE, Jean de (cardinal): 16 SÉGUIN, archevêque de Sens : 179 SÉNÈQUE: 8, 9, 62, 164, 182,347; Ep. adLucilium: 7, 530; Tragédies: 8, 72 Sept (Les) sages de Rome : 524 SERVION, Jean: 13, 14 SEVER, Henry (chapelain d'Henri VI) : 346 SIDOINE APOLLINAIRE - Epistolae : 72 SIGEBERT DE GEMBLOUX : 179, 303 SILVA, Franciscus de (éditeur): 181 SIMONE D'AREZZO (notaire pontifical) : 11 SIXTE IV: 40 SOCRATE: 54 SOMERSET, John (médecin d'Henri VI): 346 Songe du vergier: 193-199, 204 SOUFFLANS, André (chanoine du Mans): 479 STACE: 143 STAMPIS, Roger de (docteur de l'université de Caen) : 469 STRABON: 7 STRANGE, Lady Margaret : 355 SYMON, Jean (chanoine d'Avranches): 463 TAGLIANTI, Ludovico (Loys Talant, capitaine de Louis XI) : 214 TAILLEVENT, Michault- Songe de la Toison d'or: 47 TALBOT, Sir John: 317,320 TAN!, Angelo (secrétaire de Guillaume II Fillastre): 41, 51 TARDIF, Guillaume: 481,486, 487 TA RENTE, Louis de : 505 TARQUIN LE SUPERBE: 170, 178 TÉRENCE: 13,73; Comédies: 72 THÂBIT IBN QURRA (astronome et mathématicien) : 290 THALÈS: 174,175,177,178 THÉODORIC rer, roi des Ostrogoths : 7 THÉON D'ALEXANDRIE (astronome et mathématicien) : 287 Theo rica planetarum : 292 THÉSÉE: 177 THIBOUVILLE, Marguerite de (épouse de J. de Carrouges) : 331, 332, 336, 338, 343 THIERRY III, roi de Neustrie et de Bourgogne: 182, 183 THIERRY, fils de Childéric III: 186 THIERRY DE CHARTRES: 341

INDEX GÉNÉRAL

THOISY, Jean de (cardinal) : 258, 370 THOMAS D'AQUIN, s.: 51, 162, 339,

585

342, 347, 349, 356, 454, 487, 494, 557; Commentaire sur la Métaphysique d'Aristote: 165-178 passim; Quaestiones quodlibetae : 88 ; Somme théologique : 89, 346 THOMAS D'IRLANDE- Manipulusflorum: 162, 166 THUREY, Pierre de (cardinal) : 258 TIGNONVJLLE, Guillaume de (prévôt de Paris): 231-237, 239, 240, 242, 258; Ditz moraulx: 222, 232, 233, 235, 237 TITE-LIVE: 3, lü, 58, 67, 337-339, 484, 486; Décades: 8, 11, 72; trad. fr., v. P. Bersuire TOISON (LA) D'OR, ordre de: 31, 37, 40, 46,47 TORQUEMADA, Jean de: 481, 482 TOULOUSE, Université de: 403-420 passim; collège de Verdale: 415, 417 TRÉBIZONDE, Georges de : 481, 486, 487 Tristan en prose : 523, 524 TROISMONTS, Jean de (chanoine de Caen) : 468 TUILLIÈRES, Robert de (lieutenant criminel du Châtelet) : 242 TURENNE, Antoinette de (épouse de Boucicaut): 139 TURREL, Pierre (astrologue): 311 TYTLESHALL, John (carme): 352 UDINE, Léonard d' (prédicateur dominicain) : 483 ULFSSON, Jakob (archevêque d'Uppsala) : 99, 102-104 ULYSSE: 26 UPPSALA, Université d': 94, 98, 102, 104 URSICINO (clerc de Vérone): 7 v ADSTENA, monastère brigittin de : 94-97, 102 VALÈRE MAXIME: 20, 53, 67, 72, 135, 136, 143-145, 148, 355; trad. fr., v. S. de Hesdin VALIÈRES, Jacques de (familier de Boucicaut) : 135 v ALLA, Lorenzo : 172, 481, 486 ; Elegantie latine lingue : 5 vALOIS, Charles comte de : 508 vARRON : 352 ; De ling ua latina : 12 VAUDÉMONT, comtes de- Antoine: 36; Ferry II: 506 -,comtesse de- Yolande d'Anjou: 501, 506 VAUDETAR, famille: 254 VEAU, Nicolas (général des finances): 271 VÉGÈCE: 65 VENETTE, Jean de: 303, 304 VÉRARD, Antoine (libraire): 130, 446, 449, 453,454, 468, 493 - , Claude (moine de Clairvaux) : 468 VERDALE, Arnaud de (évêque de Maguelone): 412, 417 VERGERIO, Pier Paolo : 85 VIDOUE, Pierre (libraire) : 444 VIENNE, Jean de (amiral de France): 331 VIENNE, Université de : 98 VIGNA Y, Jean de : 65 VIGNEULLES, Philippe de: 132; Cent Nouvelles nouvelles: 129 VILLAN!, Giovanni: 189; Cronica: 301 VINCENT FERRIER, s.: 510; Traité de la vie spirituelle: 123 VINCENT DE BEA UV AIS : 169, 356 ; Speculum doctrinale : 333, 334, 341, 342 ; Speculum historiale : 307

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INDEX GÉNÉRAL

VIREY, Pierre de (abbé de Clairvaux): VIRGILE: 16, 19, 72, 73, 494 VISCONTI, Gabriele Maria : 140

476, 481,483, 485, 492, 496

- , Gian Galeazzo : 18, 281 VITRY, famille de: 249 - , Philippe de : 65, 67 ; Dit de Franc Gontier: 78 -,Thierry de (secrétaire de Philippe le Bon): 41 VIVIEN, Jean (évêque de Nevers) : 45 Vocabularius breviloquus : 392 VOIVRE, Jean de (prieur de Clairvaux): 476,481 Vraie (La) cronicque d'Escoce: 374 WALEYS, Thomas (canoniste et théologien dominicain): 348,486, 529 WALTER BURLEY- Liber de vito et moribus philosophorum : 169 wARADON (maire du palais) : 183 WEYDEN, Roger van der (peintre): 517 WOLFF, Gregorius (éditeur): 183 WORCESTER, William: 324, 327, 358 WYCLIF, John : 350-353, 355 ; De Veritate Sacrae Scripturae : 350 XERXÈS: 26 ZABARELLA, Francesco (cardinal) : 488 ZANOBI DE STRADA - Discours : 85 ZANOBI DE' MAZZUOLI (grammairien): 12

INDEX DES MANUSCRITS ET SOURCES D'ARCHIVES

Amiens, Arch. mun., AA 4: 199 Angers, Arch. dép. du Maine-et-Loire, H 3339:476 Arras, B. M. 692 : 425,427 A vignon, B. M. 2657 : 262 Baltimore, Walters Art Gall. W 139: 540, 544, 545, fig. 49 - , - w 306 : 372 Bar-le-Duc, Arch. dép. de la Meuse, H, 14H27: 45 Base!, Offentl. Bibl. Univ., A 1125: 14 -,-,AV1152: 14 Bayeux, Bibl. du Chapitre 199: 478 -,-1038:117 Berlin, Deutsche Staatsbibl., Hamilton 46:375 - , Kupferstichkabinett 78 C 7: 321 - , Staatsbibl., PreuBischer Kulturbesitz, Depot Breslau 1 : 524 Bern, Historisches Museum, inv. 36 : 213 Besançon, Arch. dép. du Doubs, 7 H 9:476 -, B. M. 766 : 478 -,-767:477 - , - , coll. Chijjlet 87 : 42, 46 Bonn, Universitatsbibl., S 594: 81 Bourg-en-Bresse, B. M. 30 (22): 209 Bruxelles, B. R. 6768:45 -,-9066-68: 515, fig. 22, 23 -,-9466: 18, 19,24 -,-9469-70: 374 -,-9505-06: 531, 532, 534, fig. 36-39, 41 -,-9508: 164 -, - 9543 : 528 -, - 9573 : 26, 29 -,-10007-11:90 -, -10306-307: 364, 370 -,-10983:517 - , -Jll98: 13 -,-11201-202: 532 -, -12192-194: 375 -, -14785-786: 321, 375 -,-21521-531:425 -, -II 2604 : 425 Cam~: B. M. 890 : 262

Chantilly, Musée Condé 492: 153-156 -,-493: 164 -,-686 (1087): 213 -,-867: 540, 544,545, fig. 50 -,-885 (940): 324, 325 -,-1433 (750): 208 Den Haag, Rijksmuseum MeerrnannoWestreenianum JOB 23: 519, fig. 26 -, - JO D 1 : 532, 535, 536, fig. 40, 42,43 Dijon, Arch. dép. de la Côte d'Or, Il H 70*-78*: 477 -,B. M. 149: 489 -,-151:489 -,-288:328 -,-359:496 -,-835:45 Dole, B. M. 55-57: 14 El Escorial, Bibl. del Monast. Q. lll 6: 118 Firenze, Bibl. Laur. 37, 13 : 8 Genève, Bibl. publ. et univ., fr. 83: 372 -,-,-166:374 -,-,lat. 54: 519 -,-,-101:19,29 Glasgow, Hunterian Museum Libr. 203: 328 Grenoble, B. M. 870: 142 -, -1243 (896) : 477 Holkam Hall 371 : 83 Kiiibenhavn, Arnamagmeanske Inst. 792 4°: 95, 98 - , Kongelige Bibl., Gl.kgl.S. 1372 4°: 93 -,-,-16234°:45 - , - , Ny kgl.S. 113 : 213 -, - , Thott 3Jl fol. : 30 -, - , - 465 fol. : 44 Laon, B. M. 34 : 485 Le Mans, B. M. 251:479 -,-691:502,508 Lille, Arch. dép. du Nord, B 1964: 33 -,-,B 1972:37 -, -, B 1975: 38 -, - , B 2004 : 38

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MANUSCRITS ET SOURCES D'ARCHIVES

Lille, B. M. 539 : 375, 376 London, Br. Li br., Add. 18850 : 517 -,-,-19906:8 - , -,-26769:318 - , -,-36541 : 374 -,-,Cotton, Titus D X11: 212 -, - , Harley 2493 : 11 -, -,-4431: 153-157 -,-,-4473:315,317,320,321, 373 - , - , Roya/16 G VI: 523,541 -,-,-19A VI: 44 - , - , -20B VI: 516 - , -, - 20 C V11: 523, 540-542, 544, 547-549, fig. 44 -, -, - 20 E 1- VI : 328 -, --, Sloane 2423: 214 - , College of Arms, Arundel 48 : 323,324 - , - , M 9 : 324, 327 Lons-Je-Saulnier, Arch. dép. du Jura, 12 s 1:475 -, -, 12 s 2 : 475 -, -,12 s 17:477 - , - , 12 s 29 : 496 - , - , 2 H 106/1 (cote provisoire): 485 Madrid, Bibl. Nac., Vitr. 24-12: 328 Malibu, J. P. Getty Museum 27: 524 Marseille, Arch. dép. des Bouches-duRhône, 60 H 53: 476 Milano, Bibl. Ambr., inf A 49 (Virgilio di Petrarca) : 11 -,-,-198:11 Montpellier, Arch. dép. de l'Hérault, 11 E 95/368: 418 -,-,IlE 951375:419 - , -,11 E 951377:418 -,-,II E 951378:418 -, -,11 E 951379:419 - , -,11 E 951419:407 -, -,11 E 951435:418 -, -,11 E 951436:418 - , -, IlE 951437 : 408 -, -,11 E 951442:419 - , -,11 E 951451:409 -, -, 11 E 95/478 : 408 - , - , 11 E 951533 : 409 -,-,IlE 951547:418 -,Bibl. univ., Fac. de Méd. 157:475 - , - , - 404 : 475, 496

Montpellier, Bibl. univ., Fac. de Méd. 484:496 - , -, -H 87:77,78, 115 München, Bayer. Staatsbibl., Gall. 6 : 520, fig. 29 - , -,-18 (123): 213 Nancy, Arch. dép. de Meurthe-etMoselle, 3 E 3557: 45 New York, Columbia Univ. Libr., Plimpton coll. 188 : 293 Oxford, Ail Soul's College 47 : 83 - , Balliol College 165b : 81 - , Bodl. Libr., Bodley rolls 2: 318 -,-,D'Orville 141 : 519 - , - , Hatton 36: 117 - , - , Rawlinson C 398 : 357 Paris, A. N., H3 2785I: 136 -, -, H3 278510 : 380 - , - , J 518: 81 - , - , KK 26 : 260, 266 -,-,KK40: 135 -,-,KK 46:271 -,-,KK48: 271 - , - , KK 49 : 270 - , - , KK 242 : 266 - , - , KK 250 : 268 - , - , KK 252 : 266 - , - , KK 889 (AE 11523): 206 - , - , KK 1412: 199-201,203 - , - , L 665 : 265 -,-,PP 95 (AE 11634) : 206 -, -, s 508oA : 380 -, -, s *55866 : 383 -,-,xiA 37: 242 -,--,xiA 39 : 239 -,-,XIA 41: 239 -,-,xiA 56: 269, 270 -,-,xiA 76 : 269 -,-,xiA 1490: 319 -,-,xiA 4788 : 233 -,-,xie 85B: 222 -, -, xzA 10:222.229,231 -, -, xzA 12: 242 -, -, x2A 13 : 242 -, -, xzA 14: 227, 228, 230, 231, 233, 234, 238, 239-244 passim -,-,x2A 15:244 · - , - , X2A 16:228 -, -, xzA 17: 229 - , - , ziB 1:266 -, -, z2 3283 : 387

MANUSCRITS ET SOURCES D'ARCHIVES

Paris, Ars. 137: 120-123 -,-1136:485 - , - 3434 : 374 - , - 3840 : 324 - , Bibl. de l'Institut, Godefroy 252 : 323 -,B. N., coll. Moreau 1161:264 -,-,coll. Rothschild 471: 425, 427 - , - , dossiers bleus 259 : 32 - , - , Dupuy 306 : 362 -,-,-673:327 -,-,fr. 59 : 42, 43 -,-,-93:524 -,-,-99:524 -,-,-112:524 -, -,-129: 130,277, fig. 8 - , -,-138:42,44,47,53,54 - , -,-139:42,44,52 - , - , - 140: 42, 44 -,-,-141:42,44 -, -,-159:516, fig. 24 - , - , - 335-336: 523 - , -, - 355 : fig. 32, 35 -, -, - 442 : 306, 307 -, -,-606: 153, 155, 156 -,-,-610:442 -, - , - 697: 34, 42, 43 -,-,-811:516 -, -,-848: 154, 155 - , - , - 1104 : 323, 324 - , - , - 1150 : 29 -, - , - 1233 : 372 - , -,-1238:306,307 -, -,-1239:306,307 -, -,-1240:306,307 - , - , - 1278: 323, 324 - , -,-1280:213 - , - , -1496: 502 - , -,-1501:502 - , - , - 1687: 434 - , - , - 1699: 434 - , - , - 1707: 375 - , -,-1965:306,307 - , - , - 2000 : 500 - , - , - 2200 : 427 - , -,-2258: 213 - , -, - 2596 : 328 - , - , - 26IJ-12: 328 -, -,-2621:42 -, -, - 2682 : 324 - , -,-2699: 335, 364, 367, 368

589

Paris, B. N.,fr. 2701 : 324 -, -,-2810: 519 -, -,-2813: 542, 547-549, fig. 45 -, - , - 2861 : 323, 324 -, - , - 3887: 42, 50, 54 -, - , - 4054 : 364 -, - , - 4274 : 505 -, -,-4939: 213 -, - , - 4986 : 306, 307

-, -,-4990: 314-317, 320, 326 -, -,-4991: 317,318 -, - , - 5026 : 372 -, -, - 5028 : 324, 325 -, - , - 5035 : 324 -, - , - 5037: 324 -, -,-5038: 321, 322 -, - , - 5056 : 374 -, - , - 5058 : 374 -, -,-5059: 315,317,373 -, -,-5233 : 247, 259 -,-,-5241:213 -, -,-5273: 210, 211, fig. 1 -, - , - 5283 : 206 -, - , - 5292 : 206 -, -,-5295: 214 -, -,-5391 : 375 -, -,-5696:318 -,-,-5697:318 -,-,-5712:322 -, - , - 5728 : 323, 324 -,-,-5734:317,318 -, -,-5743: 212, fig. 3 -, - , - 5943 : 323, 324, 375 -, -,-6465: 522, 542, 547-549, fig. 30, 46-48 -, - , - 8217: 269 -, -,-8219: 264, 266, 270 -, -,-10139: 315,317,373 -, - , -10140: 199 -, -,-11432: 147 -, - , - 11594 : 46 -, -,-12476: 18, 22, 23, 29, 30 -, -,-12490:425 -, -,-12779: 153, 156 -, - , - 12788: 374 -, - , - 13569 : 372 -, - , - 15490 : 364, 370, 371 -, -,-17273:306,307 -, -,-17854: 199,201 -, -, -181J4: 268 -, -,-18703:319

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MANUSCRITS ET SOURCES D'ARCHIVES

Paris, B. N.,fr. 19126: 29 - , -,-19561: 315,317,373 - , - , ~ 19801 : 213 - , - , - 19803: 213 - , - , - 20355 : 328 - , - , - 23929 : 206 -, -,-23963 : 214, fig. 4 -, - , - 24261 : 306, 307 -, -, - 25527: 502 - , -, - 25528 : 502 - , -,-32511:215,272 - , - , gr. 1807 : 11 -,-,lat. 919:517 - , - , -1156A: 501,503,504,506 - , -,-1159: 499, 507, 510-514, fig. 18-21 -,-,-1306:13 -,-,-1573:81 -, -, -1577A: 212, fig. 2 -, -,-1876:481 ~. -,-2382 : 475 -, -,-3057: 479 - , -,-3669: 14, 16 - , -,-4223:415 -, - , - 464/B: 375 -, -, - 5696 : 329 - , - , - 5736 : 338 - , -,-5762: 519, fig. 25 -,-,-6846:11 -, - , -7167A: 306 -, -, - 7292 : 309 - , - , - 7335 : 311 - , - , - 7378A : 293 - , -, - 7684 : 400-402 -,-,-7831:85 - , - , - 8680 : 293 -, - , - 9335 : 293 -, -,-9472: 501 -, - , - 9550 : 475, 496 -, -,-9674:519 - , - , - 9788 : 81 - , - , - 9789 : 81 -, -, -10491 : 501 - , - , - 13060 : 479 - , - , - 14737: 85 -, - , - 14920: 77 - , - , - 16403 : 77 -, - , - 17332 : 503 - , - , - 17487 : 88 - , - , - 17488: 88 -, -, - 17489 : 88

Paris, B. N., lat. 17585 : 81 -, -,-18345:269 -, -,-18591:49 - , - , n. a. fr. 1120: 389 -,-,-1167:213 - , - , - 6214: 374 - , -,-6215: 364-366 -, -,-6215-6218: 365 -, -,-6219: 213 -, -, - 6220-6224 : 365 - , - , - 6224 : 364-366 - , - , - 7006 : 362 -, -,-7519: 314-320, 322-324, 326,373 - , -,-11153: 13 -, -, - 11679 : 372 -, - , - 20962 : 374 -,-,-21532:425 -, - , - 22643 : 45 -, -,-24541 : 499, 507-510, fig. 17 -, -, n. a. lat. 1793: 81 -, -,-2617: 37, 44 -,-,P. O. 475, d. 10623 : 272 -, -, - 967, d. 21382 : 265-267, 273 - , Mazar. 1304 : 380 - , - 2031 : 374 -,-3893:311 - , Musée Jacquemart-André 2: 138, 517 - , Ste-Genev. 777: 529 -,-794:362 -,-1993: 313-317, 319, 320, 322, 326 -,-1994: 313-323,326,373 -,-2521:311 - , - 3034 : 372 - , - 3036 : 437 - , - OE xv 490 : 372 Reims, B. M. 55 : 89 -,-164:89 - , - 381 : 86,90 -,-453:89 -,-485:89 -,-513:90 -,-564:89,90 -,-565:90 -,-584:89 -,-586:89 -,-588:89

MANUSCRITS ET SOURCES D'ARCHIVES

Reims, B. M. 628: 77 -,-827:79 -,-828:79,80 - , - 829 : 79, 80 -, - 862 : 84, 90 -,-871:85 -,-893:87 -,-896:90 -,-/107:90 -,-1108:86 -,-1109:87 -,-11 JO: 87,91 -,-1111:85 -,-JJ12: 85 -,-1277:90 -,-1320:85 -,-1321:84 -,-1322:87 -,-1337:86 -,-1338: 86,90 -,-1350:83 -,-1773:77 -,-1992:75 -,-1994:77 -, -, coll. P. Tarbé 93 : 44 Rouen, B. M. 996 (/ 4): 306, 307 -,-1355:81 Saint-Omer, B. M. 753 : 46 Sankt-Petersburg, Rossijskaïa Nationa1naia Biblioteka, Erm. 88 : 42 Sevilla, Bibl. cap. y Col. 7-2-24 : 14 Stockholm, Kung. Bibl., D 1281 : 372 Striingniis, Kathedralbibl. F 134-137 : 100 - , - Q 16: 95, 98 - , - Q461: 100 -,-Q464: 100 Toulouse, Arch. dép. de la HauteGaronne, 6 J 164 : 408 - , -, 101 H 97: 419 -, -, B 2300: 410 -, -, E 1573:409 - , - , E 4395 : 409 -, - , E 6144:409 - , - , E 6145:418 -,-,E7411 :408 -,B. M. 367:419 -,-377:406 Tournai, Bibl. comm. 105: 425,427 Tours, B. M. 292 : 380

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Tours, B. M. 378 : 88 -,-379:88 Troyes, B. M. 96 : 475 -,-151:496 -,-166:496 -,-552: 10 -,-914:485 -,--1559:496 -, - 2045 : 496 - , - 2405: 475,496 Uppsala, Universitetsbibl. C 26 : 94, 96, 97, 105, 106 -,- c 47: 94, 97, 106, 107 -,- c 73: 94, 97, 102 -,- c 74 : 94, 97, 107 -,- c 77: 94, 96 - , - C 181:94 -,- c 195: 94, 98, 107 -,-C213: 95 -,- c 220: 95, 97, 105 -,- c 223: 95, 97,98 - , - C618: 95,96 -,-U301 :99 Vaticano, Arch. Vat., Collect. 156: 415 -,-,Reg. Aven. 328: 137 -, -, Sup. 98: 137 -,-,-100:137 -,Bibl. Ap. Vat., Ottob. lat. 604: 84 -, -, Reg. lat. 499: 313-316, 318, 329 -, - , - 725 : 372 -,-,Vat. lat. 2642:410 -,-,-4117:81 -, - , - 4788 : 454 Verona, Bibl. Capit. XXXVlll (36): 7 Waddesdon Manor, James A. de Rothschild Coll. 22 : 437 Wien, Osterr. Nationalbibl. 25392540: 523, fig. 31, 33, 34 -,-2549: 520, fig. 27, 28 -,-2550:44 - , - 2577-2578 : 524 - , - 3392 : 375 - , Staatsarchiv, Golden Vlies 31 : 245-258 passim, 259 Wolfenbüttel, Herz. Aug.-Bibl., Aug. fol. 83.25: 14, 16 Zürich, Zentralbibl., B 244 (769): 312 -, -, Rh. hist. 163 : 20

1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1

1

-r-r.c4:.· ~t"2lO:u.!;(: .....

Fig. 1. Remise du texte de l'ordonnance dite cabochienne au roi de France (Paris, BibL nat., fr. 5273, f. 23r).

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Fig. 2. Charles V II et son conseil (Paris, BibL nat., lat. 1577A, f . 45r).

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