Un certain nombre de psychologues et de thérapeutes estiment que la fine fleur de la psychologie est l'équivalent d
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French Pages 402 Year 2003
Collection « Les Chemins de la Sagesse » dirigée par Véronique Loiseleur
Pour une Psychologie de !'Éveil
JOHN WELWOOD
Pour une Psychologie
de !'Éveil CJ3 ouddhisme, psychothérapie et chemin de transformation personnelle et spirituelle TRADUIT DE L'AMÉRICAIN PAR DOMINIQUE THOMAS
LA TABLE RONDE 33, rue Saint-André-des-Arts, Paris 6°
Titre original : Toward a Psychologie of_ cA"wakening. Buddhism, Psychotherapy, and the Path ofPersona! and Spiritual Transformation. Shambhala Publications lnc., Boston, 2000.
© 2000, by John Welwood. © Éditions de La Table Ronde, Paris, 2003, pour la traduction française. ISBN: 978-2-7103-2600-7.
Je souhaiterais dédier ce livre à mon premier véritable mentor, EUGÈNE GENDLIN,
qui m'aida à découvrir et à apprécier la beauté subtile et le mystère de l'expérience intérieure.
Sommaire
Pages
Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ire PARTIE
et SPIRITUALITÉ
13
...... .
27
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
29
Entre Ciel et Terre : les principes du travail intérieur. . . .
38
INTÉGRER PSYCHOLOGIE
L'échappatoire spirituelle, p. 38. Saisir, rejeter, désensibiliser, p. 40. Le Ciel, la Terre et l'homme, p. 41. Se relier à la terre et prendre fo~me : le principe terrestre, p. 43. Lâcher prise : le principe céleste, p. 45. Eveiller le co::ur : le principe humain, p. 47. Le travail sur la souffrance, p. 48. 2
La personnalité : chemin ou pathologie ? ............. .
51
Agression thérapeutique, p. 52. La formation de l'identité, p. 54. Coémergence, p. 58. Crise d'identité et choix existentiel, p. 60. Travailler sur nous-mêmes tels que nous sommes, p. 62. Transmuter la névrose,
p. 63.
3
4
5
6
Force de l'ego et absence d'ego .................. .
67
Nature et fonction de l'ego, p. 68. L'ego fonctionnel et directif, p. 69. L'ego auto-représentatif, p. 72. L'ego en tant que saisie, p. 75. Un point de vue bouddhiste du développement de l'ego, p. 76. Ego et absence d'ego,p. 79.
Le jeu de l'esprit :forme, vacuité et au-delà . .......... .
82
La forme et le vide dans le courant de conscience, p. 85. Sens ressenti, p. 88. Vacuité absolue : le fond plus vaste de conscience, p. 90. Le grand esprit, p. 92.
Méditation et inconscient ...................... .
94
L'inconscient selon le modèle traditionnel, p. 95. La méditation selon l'interprétation de la psychologie des profondeurs, p. 97. Vers une nouvelle compréhension du processus inconscient, p. 101. Résumé et conclusions, p. 113.
Espace psychologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
116
L'espace vécu, p. 117. L'espace ressenti,p.117. L'espace ouvert, p. 119. Vivre dans l'espace, p. 122.
7
Le déploiement de l'expérience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 La texture à niveaux multiples de l'expérience, p. 128. La nature holographique de l'expérience ressentie, p. 129. Le processus de déploiement, p. 131. Émergence spirituelle,p.138.
9
POUR UNE PSYCHOLOGIE DE L'ÉVEIL Pages
8
Réflexion et présence : la dialectique de l'éveil . . . . . . . . . 141 Réflexion psychologique, p. 142. Conscience divisée et non divisée, p.145. Le problème fondamental: l'identification pré-réfléchie,p.150. La réflexion: prendre du recul par rapport à l'identification, p. 151. La pure présence : s'éveiller au sein de !'expérience, p. 156. Récapitulatif et conclusion, p.175.
Ile PARTIE
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LA PSYCHOTHÉRAPIE dans UN CONTEXTE SPIRITUEL •
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Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Le pouvoir de guérison de la présence inconditionnelle . .
186
Le mal-aise fondamental, p. 187. La création d'une identité fondée sur la contraction, p. 188. Présence inconditionnée et guérison, p. 189. La compassion sincère, p. 198. 10
Vulnérabilité, pouvoir et relation de guérison . . . . . . . .
200
L'héroïsme existentiel, p. 201. La vacuité et le soi fabriqué, p. 204. La méditation et le chemin au-delà de l'effroi, p. 209. Pouvoir et vulnérabilité, p. 212. 11
La psychothérapie en tant que pratique d'amour . . . . .
218
Cœur et bonté fondamentale, p. 219. Méditation, psychothérapie et bienveillance inconditionnelle, p. 221. L'aïkido de la thérapie, p. 226. 12
La dépression vue comme une perte du cœur . . . . . . . .
229
La genèse des dépressions: l'amertume envers cc qui est, p. 230. L'envol à partir de la vacuité, p. 231. Histoires et sentiments, p. 235. Un cas exemplaire, p. 237. Invitation à la danse, p. 239.
13
Entrer en amitié avec l'émotion . . . . . . . . . . . . . . . . . .
240
L'émotion selon la psychologie occidentale, p. 241. Le spectre de l'expérience ressentie, p. 242. La genèse d'un imbroglio émotionnel, p. 245. L'approche thérapeutique de l'émotion, p. 246. L'approche méditative de l'émotion, p. 247. Transmutation, p. 248.
Incarner votre réalisation : le travail psychologique au service du développement industriel .............. .
254
Réalisation et transformation, p. 255. Le défi de l'intégration psychospirituelle, p. 260. Facteurs culturels orientaux et occidentaux, p. 263. L'échappatoire spirituelle, p. 272. Le surmoi spirituel, p. 279. Surmonter la louange et le blâme: un cas d'étude, p. 281. L'être différencié et indifférencié, p. 286. Identité consciente et subconsciente, p. 289. pour un meilleur dialogue entre Orient et Occident, p. 293. Ille PARTIE
LE POUVOIR D'ÉVEIL DE LA RELATION . . . . . . . . . . .
297
Introduction ................................. .
299
La relation intime en tant que voie de transformation .
305
Vers une nouvelle vision de la relation, p. 307. La nature du chemin, p. 308. Puiser dans des qualités d'être plus vastes, p. 312. Un chemin à trois niveaux : évolutif, personnel et sacré, p. 313.
16
Danser sur le fil du rasoir ...................... .
315
17
Raffiner l'or ................................. .
321
L'amour conditionnel et inconditionnel ........... .
326
18
Amour inconditionnel et amour conditionnel, p. 327. Confondre deux types d'amour, p. 329. Faire confiance à la bonté du cœur,p. 332. Ouvrir grand le cœur, p. 333.
IO
SOMMAIRE Pages
ig
La passion en tant que chemin .................. .
337
La passion inconditionnelle : une pure résonance avec la vie, p. 339. La passion conditionnelle : obsession et asservissement, p. 340. Passion et transformation, p. 342. L'histoire d'amour qui brise le cœur, p. 344. Passion et abandon, p. 346. 20
Autorité spirituelle authentique et contrefaite ...... .
348
Les caractéristiques des groupes spirituels pathologiques, p. 349. L'autorité spirituelle relative, p. 356. L'a_utorité spirituelle absolue, p. 358. Abandon et soumission, p. 360. A la recherche d'un maître authentique, p. 362. 21
Amour conscient et communauté sacrée: un entretien avec Paul Shippee ............................. .
Notes et références ........................... .
366 378
Glossaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
383
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
393
Remerciements et crédits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 398 --CO--
Présentation
c.Âu cœur de l'esprit humain, aujourd'hui en grande partie coupé de ses anciens ancrages, se développe une recherche en profondeur - pour une vision nouvelle de notre raison d'être ici et de notre devenir possible. Peut-être est-ce seulement maintenant, dans cette époque postmoderne où, comme jamais auparavant, nous avons accès à toutes les traditions spirituelles du monde en même temps qu'à plus d'un siècle de psychologie occidentale à exploiter, que nous pouvons forger une compréhension plus vaste de l'aventure humaine, abordant les différentes facettes de notre nature. La perspective nouvelle dont nous avons besoin est celle qui réunit les deux moitiés de notre nature qui ont été cultivées de manière différente en Orient et en Occident. Alors que les cultures spirituelles traditionnelles orientales se sont spécialisées dans l'illumination du fondement intemporel supra-personnel de l'être - l'aspect «céleste» de la nature humaine-, la psychologie occidentale s'est focalisée sur la partie terrestre - le personnel et 1'interpersonnel. Nous avons besoin d'une nouvelle vision qui embrasse 1'ensemble des trois domaines de l'existence humaine - le supra-personnel, le personnel, et l'interpersonnel-, ce qu'aucune tradition occidentale ou orientale n'a jamais totalement abordé au sein d'une structure unique et globale de compréhension et de pratique. La pratique spirituelle peut devenir aride et lointaine quand elle est coupée de la riche texture des sentiments de la vie personnelle, tout comme celle-ci devient étroite et réductrice lorsqu'elle reste à l'écart de la brise fraîche de la réalisation spirituelle. Maintenant que notre monde a telle13
POUR UNE PSYCHOLOGIE DE L'ÉVEIL
ment perdu le lien avec des valeurs et des buts spirituels plus vastes, nous avons besoin de trouver de nouvelles manières d'intégrer la sagesse spirituelle dans nos vies personnelles si nous voulons faire face aux grands défis auxquels nous sommes confrontés à 1'aube de ce nouveau millénaire. Le dialogue qui émerge entre les traditions spirituelles anciennes de l'Orient et la psychologie thérapeutique moderne de l'Occident est très prometteur à cet égard. En nous aidant à explorer la relation entre les aspects personnels et spirituels de notre nature, ce dialogue Est/Ouest peut mettre en lumière les connexions vitales entre 1'esprit, le cœur, le corps, l'âme et la psyché, de telle sorte que nous puissions les reconnaître comme les facettes inséparables d'un tout, unique et vivant. Sur le plan pratique, cela peut également nous aider à développer une approche intégrant davantage l'évolution spirituelle, la santé et le bien-être, les rapports humains et la société. La convergence de l'Orient et de l'Occident soulève des questions particulièrement intéressantes dans le domaine psychologique. Comment la psychothérapie et la pratique spirituelle peuvent-elles agir en tant qu'alliées pour aider les gens à s'éveiller à ce qu'ils sont vraiment? ~e peuvent nous révéler les traditions spirituelles orientales quant à la source d'un équilibre psychologique ? ~elles implications la conscience méditative a-t-elle pour la santé psychologique et le développement de relations interpersonnelles dynamiques et transformatrices ? ~elles possibilités nouvelles apparaissent quand le travail psychologique prend place dans un contexte spirituel ? Et comment la compréhension et les méthodes psychologiques occidentales peuvent-elles réellement contribuer au développement spirituel ? Comment le bouddhisme et les autres traditions spirituelles anciennes peuvent-ils plus efficacement s'adresser à notre culture portée vers la psychologie, dans laquelle le développement individuel est à ce point une valeur centrale ? ~elle relation y a-t-il entre individuation le développement de l'âme - et libération spirituelle - la délivrance totale des limites restrictives d'un soi ? Comment 14
PRÉSENTATION
est-il possible d'intégrer les aspects personnels/psychologiques et supra-personnels/universels de notre nature? Telles sont quelques-unes des questions abordées dans ce livre divisé en trois parties. La première étudie en détails les questions et les problèmes fondamentaux liés à la relation entre spiritualité contemplative et psychologie occidentale. La deuxième traite des implications pratiques de cette rencontre pour la santé et la guérison psychologiques. La troisième examine les implications majeures vis-à-vis des relations et de la société. Mon inspiration à explorer l'interface entre psychologies orientale et occidentale est née tout d'abord en 1963 lorsque, jeune homme d'une vingtaine d'années à Paris, je me retrouvai scrutant le trou noir du matérialisme occidental sans la moindre idée de la manière de donner forme à une vie ayant pour moi un sens. J'avais beau apprécier le rituel et la musique de l'Église dans laquelle j'avais grandi, le christianisme ne me proposait pas, du moins tel qu'il me fut enseigné, de pratique expérimentale me permettant d'accéder à l'esprit vivant. Ma découverte du zen au début des années 60 m'ouvrit une perspective totalement nouvelle, séduisante et révolutionnaire : chacun de nous peut découvrir sa propre nature qui se trouve immédiatement en nous, la réaliser à travers l'expérience et s'éveiller ensuite à un mode d'être plus riche et plus profond. Reconnaître ce type d'éveil comme le véritable but de l'existence humaine me donna une direction, là où auparavant je n'en avais aucune. La découverte du livre d'Alan Watts, Psychothérapie orientale et occidentale, me fit faire un pas de plus : il exposait l'idée que la psychothérapie occidentale pouvait constituer une force potentielle pour l'éveil, en particulier pour les Occidentaux. Souhaitant trouver de quelle manière je pouvais contribuer à cette recherche d'un chemin occidental d'éveil, je décidai d'entrer dans le monde de la psychologie clinique et je devins psychothérapeute.]' avais découvert l'activité de ma vie. Malgré cela, je fus rapidement désenchanté par les études supérieures à l'Université de Chicago où l'accent était mis sur la psychologie classique, académique, et sa vision étroite et limitée de la nature humaine et de son potentiel. Néanmoins,
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comme la grâce était avec moi, j'y découvris un véritable mentor - Eugène Gendlin, philosophe existentiel et psychothérapeute, qui était en train de développer la méthode Focusing 1, une manière novatrice d'aider les gens à se mettre à l'écoute de leur expérience intérieure et à découvrir des directions claires en vue de changer et d'évoluer au sein de ce qui, au départ, semble être un obscur ressenti physique. Gendlin m'ouvrit tout le monde de l'expérience intérieure. Il fut pour moi la première personne jamais rencontrée parlant directement du réel processus de l'expérience ressentie - de sa manière de fonctionner, de se mouvoir, de se déployer et de conduire à des découvertes soudaines et inattendues. À la différence de mes autres professeurs, Gendlin décrivait le territoire psychologique intérieur en termes plus humains et poétiques que cliniques. En me révélant le riche processus à niveaux multiples de l'expérience intérieure, il me tendit la clé qui m'aida à donner un sens à l'ensemble de l'action thérapeutique. La thérapie n'était pas, en fin de compte, une histoire de diagnostics, de procédures ni de remèdes; il s'agissait en fait de développer une nouvelle sorte de relation vivante avec sa propre expérience. En rencontrant cet homme et en apprenant de lui, ma vie commença à changer, passant du noir et blanc au technicolor. Je lui en serai toujours reconnaissant. Tout au long de mes études universitaires, je poursuivis ma propre recherche sur un sujet qui m'intriguait, me stimulait et m'appelait comme nul autre: la relation entre l'éveil dont on parlait dans le zen - la percée dans une vérité plus vaste et universelle - et les transformations personnelles qui surviennent en thérapie. En cherchant un moyen de travailler sur moimême et de comprendre ma vie de façon plus complète, je commençai à m'intéresser de plus en plus au bouddhisme. Mes premières rencontres avec le maître tibétain Chôgyam Trungpa Rinpoché furent particulièrement captivantes. Trungpa baignait dans les écoles du Mahamoudra et du Dzogchen du bouddhisme tantrique - traditions basées sur 1. Focalisation. [Toutes les notes infrapaginales sont du traducteur.]
PRÉSENTATION
une réalisation profonde de la nature lumineuse, spacieuse et éveillée de la conscience. Auparavant, je n'avais jamais rencontré un être humain aussi insolite, impénétrable, totalement provocateur et intriguant. Je me souviens être entré un jour dans une pièce pour un entretien avec lui et avoir été stupéfié par l'espace immense qui semblait irradier de lui dans toutes les directions. C'était comme si le plafond et les murs de la salle avaient été soufflés. N'ayant jusqu'alors jamais expérimenté quoi que ce soit de ce genre, je trouvai cela extrêmement fascinant. Trungpa insistait sur le fait qu'il était essentiel de faire cette chose étrange: s'asseoir sur un coussin pendant des heures d'affilée. Et sur ce point, il était inflexible. Je me disais souvent : « Pourquoi quelqu'un voudrait-il faire cela ? » Il me semblait tellement plus intéressant de lire et de parler de philosophie spirituelle que de simplement s'asseoir là et ne rien faire. Je pensais : « Peut-être devait-on faire ce genre de choses il y a des milliers d'années mais, aujourd'hui, il doit certainement y avoir une méthode plus sophistiquée. » Pourtant, quand je me mis à pratiquer la méditation, mon monde s'ouvrit d'une manière totalement nouvelle. Nous sommes nés avec cet instrument incroyable appelé esprit, qui peut être au diapason avec le paradis, l'enfer et tout ce qu'il y a entre les deux, mais personne ne nous donne jamais le mode d'emploi indiquant comment l'utiliser ou quoi faire avec. La méditation offre un moyen de regarder de façon active la nature et l'activité de cet esprit. Peu à peu, en dépit de ma résistance initiale, je développai un profond respect pour la pratique de la méditation assise, respect qui depuis lors est constamment demeuré en moi. Après avoir pratiqué la méditation pendant de nombreuses années, je découvris pourtant qu'il restait dans ma vie certains domaines qui n'avaient pas été touchés. Je commençai à réaliser qu'il m'était impossible de tout simplement importer d'un bloc dans ma psyché occidentale les enseignements bouddhistes que, par ailleurs, je trouvais si beaux et si grisants. Je faisais des retraites et expérimentais des réalisations et des ouvertures merveilleuses que j'étais incapable d'intégrer dans
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ma façon d'agir au quotidien. Ma pratique spirituelle semblait également accentuer en moi un certain détachement vis-à-vis du domaine interpersonnel. Enfin, certaines crises dans mes relations intimes me firent comprendre que j'avais un travail à entreprendre sur mes problèmes psychologiques. Jusque-là, j'avais pratiqué avec une vision idyllique de l'éveil, concoctée à partir des vieilles histoires zen que j'avais lues - dans laquelle, d'une manière ou d'une autre, en un instant de réalisation tous les schémas anciens disparaissaient et un homme nouveau se mettait en route. Cela semblait être une façon de trouver la liberté beaucoup plus noble que de se battre dans les tranchées thérapeutiques. Aussi, lorsque enfin je débutai sérieusement mon propre travail thérapeutique, je fus réellement surpris de découvrir à quel point l'investigation psychologique pouvait être un puissant outil et comment, à sa manière, elle offrait elle aussi un chemin vers une compréhension plus profonde de moi-même. J'avais eu beau espérer de tout mon cœur que la méditation et la pratique spirituelle pourraient être la réponse à tous mes maux, ce ne fut pas confirmé par l'expérience. Je compris que le travail psychologique et le travail spirituel étaient tous deux nécessaires, et qu'aucun, à lui seul, ne semblait suffisant pour m'aider à prendre ma vie en main.J'appris finalement à les respecter tous les deux comme ayant à offrir des cadeaux différents et pourtant d'importance égale. En observant autour de moi mes semblables pratiquant la spiritualité, j'en vis bon nombre qui évitaient de s'attaquer à leurs problèmes personnels et je sentis qu'un travail psychologique pourrait également être bénéfique à la plupart d'entre eux. De fait, la communauté spirituelle dans laquelle je me trouvais traversait une crise grave car l'un de ses leaders, en dépit de toute sa réalisation spirituelle, refusait de regarder en face son narcissisme et le sentiment de sa propre importance ; au lieu de cela, il les manifestait de manière destructrice. Je vis qu'une dynamique psychologique cachée jouait une large part dans la plupart des crises que traversaient, à l'époque, de nombreuses communautés spirituelles. Être témoin de cette contradiction - dans laquelle des maî18
PRÉSENT.ATION
tres spirituels et des disciples, ayant visiblement développé un certain niveau d'intelligence et de conscience spirituelles authentiques, restaient malgré tout coincés dans des schémas de personnalité malsains - fut à la fois troublant et révélateur. Il devint pour moi évident que le travail psychologique avait quelque chose d'important à offrir aux chercheurs spirituels, du moins en Occident. Peu de temps après avoir terminé ma thèse de doctorat, je découvris le tout nouveau journal of Transpersonal Psychology 1, dans lequel d'autres personnes, elles aussi intéressées par 1'étude de l'interface entre psychologie et spiritualité, avaient commencé à publier. Je devins l'un des premiers collaborateurs réguliers et assidus de cette revue. Puis, en 1979, je publiai mon premier livre, The Meeting of the Ways : Explorations in East/West Psychologie 2 • Ensuite, je me mis à écrire un livre sur la dimension spirituelle des relations intimes, sujet pour lequel je ressentais le fort besoin d'une compréhension plus profonde. Ce travail se révéla être un énorme défi, à tous les niveaux de mon être. Au vu de tout ce que cela m'amena à traverser, la rédaction de ce livre - ]ourney of the Heart 3 - fut la chose la plus difficile de tout ce que j'avais jamais entrepris. Au bout de quelques années consacrées à ce projet, je parvins à un croisement et réalisai qu'il me fallait choisir entre terminer ce livre ou resituer mon travail dans son propos initial, l'intersection de la psychothérapie et de la pratique méditative. Essentiellement pour des raisons personnelles, je décidai de poursuivre le travail sur la relation.Je ne réalisais absolument pas qu'il me faudrait une quinzaine d'années en tout pour en venir à bout. Maintenant que j'ai publié trois livres sur le thème de la relation, Pour une psychologie de l'éveil constitue un retour aux origines de ce travail et à mon premier amour : l'interface entre psychologie occidentale et orientale. Ce livre pose des repères dans ce nouveau champ d'investigation - que j'appelle 1. Revue de Psychologie transpersonnelle. 2. La Rencontre des Chemins: Explorations de la Psychologie orientale et occidentale.
3. Voyage du Cœur.
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la psychologie de l'éveil - et c'est le premier d'une série d'ouvrages à venir consacrés à ce domaine. Qy'est-ce donc que la psychologie de l'éveil? Ce terme est destiné à servir de pont et à réunir deux domaines jusqu'à présent séparés : la psychologie individuelle et interpersonnelle, telle qu'elle est étudiée en Occident, et le chemin de l'éveil, tel qu'il s'articule dans de nombreuses lignées spirituelles importantes, les traditions méditatives orientales en particulier. La psychologie occidentale a, à son détriment, en grande partie négligé le domaine spirituel et, parallèlement, une compréhension adéquate des forces psychologiques qui jouent inévitablement un rôle majeur dans le processus de développement spirituel a fait défaut aux voies contemplatives. Tant que ces dynamiques ne sont pas reconnues, elles affectent le pratiquant et son chemin spirituel de diverses manières cachées, susceptibles d'exercer une influence déformante sur tout ce qui est entrepris. Donc, sur certains plans, l'éveil a besoin de la psychologie tout autant que la psychologie a besoin de l'éveil. Une psychologie complète de l'éveil se doit d'explorer la relation entre le supra-personnel, le personnel et l'interpersonnel. Mon approche particulière de la psychologie de 1'éveil insiste sur la pratique dans ces trois domaines - méditation pour la dimension supra-personnelle, travail psychologique pour l'aspect personnel, pratique de la relation consciente pour l'interpersonnel - et sur la façon dont tous trois peuvent opérer ensemble et se renforcer l'un l'autre. En outre, chacune de ces pratiques a des ramifications dans les deux autres domaines. La méditation peut avoir une influence profonde sur la manière de nous comporter vis-à-vis de nous-mêmes et des autres. Le travail psychologique peut favoriser 1'approfondissement spirituel ainsi qu'une plus grande sensibilité interpersonnelle. Enfin, le travail de relation consciente peut nous aider à la fois à nous éveiller de nos schémas conditionnés et à devenir une personne plus authentique. La psychologie de l'éveil pointe dans deux directions principales et soulève deux séries de questions, chacune d'elles débouchant sur un nouveau domaine à explorer, jusqu'alors 20
PRÉSENTATION
jamais abordé par les traditions psychologiques et spirituelles existantes. La première série de questions a à voir avec les ramifications psychologiques du chemin spirituel. Qy'arrive-t-il psychologiquement à une personne lorsqu'elle commence, par exemple, à reconnaître sa nature plus vaste ou à se tourner vers elle ? Qyels problèmes et défis psychologiques sont alors susceptibles d'apparaître et ont besoin d'être abordés? Lorsque la conscience commence à évoluer au-delà des limites de la structure de personnalité conditionnée, cette expansion défie inévitablement cette structure, chassant les anciens schémas inconscients réactionnels qui souvent ressurgissent de plus belle. Les religions traditionnelles avaient l'habitude de décrire ces obstacles et ces attaques rencontrés sur le chemin en utilisant les termes de démons ou de diables. Mais, d'un point de vue moderne, nous pouvons aussi les comprendre et les traiter psychologiquement - comme des aspects subconscients de notre structure de personnalité conditionnée qui font souvent irruption dans notre conscience, mais uniquement lorsque cette structure est provoquée dans son ensemble par le processus d'éveil à notre nature plus vaste. Si ces problèmes psychologiques ne sont pas abordés, ils sont souvent causes de distorsions dans le développement spirituel des êtres. Avoir simplement une réalisation spirituelle n'est donc pas suffisant. Il est également essentiel de démanteler les schémas émotionnels et mentaux, subconscients, que recèlent le corps et l'esprit et qui empêchent les individus d'incarner pleinement dans leur vie un mode d'être plus vaste. La seconde série de questions est en rapport avec la manière dont le travail psychologique d'ordre personnel et la pratique d'ordre interpersonnel peuvent aussi étayer, servir et amplifier notre mouvement vers 1'éveil. Bon nombre de personnes qui dans notre culture se tournent vers la vie spirituelle souffrent également d'une forme ou d'une autre de blessure psychologique mais, souvent, leur pratique spirituelle ne s'en préoccupe pas ou ne les aide pas à comprendre ni à traiter cette blessure. Dès lors, comment pouvons-nous 2I
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espérer incarner une réalisation spirituelle authentique - surmontant la haine de soi, l'agressivité, la réactivité émotionnelle, l'égocentrisme narcissique et toute une multitude d'autres systèmes de défense- si nous n'avons pas auparavant compris et accepté la dynamique psychologique qui soustend ces phénomènes ? Et puisque notre relation aux autres est le test décisif ultime de notre développement spirituel, comment pouvons-nous développer des relations plus conscientes capables de servir aussi, d'étayer et d'alimenter notre voyage spirituel plus vaste ? Nous devons donc comprendre comment le travail sur nos peurs et nos croyances conditionnées, sur nos systèmes relationnels défensifs, issus du passé, peut servir de tremplin pour favoriser notre mouvement vers la libération spirituelle. Cette sorte de clarification psychologique est capitale dans le processus d'individuation - le développement de l'individu authentique, capable d'incarner et d'exprimer à travers sa propre personne les dimensions plus vastes de 1'être. En plus d'apprendre comment nous ouvrir et nous abandonner au divin ou à l'ultime, nous avons aussi besoin de comprendre comment le mûrissement de l'individu authentique peut nous aider, du moins nous autres Occidentaux, à intégrer notre réalisation spirituelle dans tout le tissu de notre vie personnelle et de nos relations interpersonnelles. En d'autres termes, en plus de nous éveiller à notre nature spirituelle ultime, nous avons aussi besoin de grandir - de mûrir en une personne adulte, complètement développée. Tous les chapitres de ce livre sont nés des questions auxquelles j'ai été personnellement confronté au cours de ma pratique de la psychothérapie occidentale et de la méditation bouddhiste. Chacun d'eux est une tentative pour construire un pont entre les différents chemins du travail psychologique et spirituel. Ma méthode est avant tout phénoménologique : je pars de 1'expérience et reste proche de 1'expérience, au lieu d'essayer d'élaborer une théorie synthétique grandiose. Chacun à sa manière, chaque chapitre aborde le problème central dans lequel se débattent aujourd'hui de nombreux Occidentaux engagés sur un chemin spirituel : la relation entre 22
PRÉSENTATION
l'expérience personnelle, individuelle, et la vérité impersonnelle, universelle ; entre les méthodes psychologiques et celles contemplatives de travail sur soi ; entre individuation et libération spirituelle. Et ce questionnement fait partie d'un sujet plus vaste : quels défis singuliers le chemin de l'éveil pose-t-il à un Occidental à notre époque ? C'est là le point de convergence et le thème de ce livre dont la structure est assez souple et qui est constitué d'incursions, d'explorations et d'enquêtes sur ce territoire. Comme mon principal souci concerne le processus de transformation de l'être humain, bien plus que les détails techniques de quelque tradition que ce soit, j'ai choisi de traiter de l'Orient et de l'Occident, de la psychothérapie, de la méditation et de la psychologie bouddhiste, de façon large, sans me focaliser sur les différentes écoles et points de vue au sein de ces traditions.J'ai également pris la liberté de présenter la pensée bouddhiste selon une approche contemporaine et, d'une certaine manière, psychologique, plutôt qu'en termes strictement traditionnels. Ce qui m'intéresse principalement ici n'est pas tant la tradition bouddhiste en elle-même, mais davantage la question de savoir comment forger une psychologie et un chemin d'éveil qui abordent les défis spécifiques à notre époque et aux circonstances qui sont les nôtres. De la même façon, lorsque je débats de la psychothérapie dans ce livre, ce qui m'occupe en premier lieu, bien plus que la thérapie en elle-même, est de voir de quelle manière les moyens psychologiques de travail sur notre expérience peuvent aider l'individu sincère à mûrir sous une forme qui complète et favorise son développement spirituel. En même temps, je ne souhaite ni psychologiser le bouddhisme - le réduire à un ensemble de techniques de santé mentale ou de principes thérapeutiques - ni spiritualiser la psychologie en l'élevant à une fonction de substitut du travail spirituel. Le travail psychologique et le travail spirituel, la psychothérapie et la méditation, peuvent avoir des points communs, mais ce sont deux domaines différents, avec des objectifs très différents : l'intégration de soi et la transcendance de 23
POUR UNE PSYCHOLOGIE DE L'ÉVEIL
soi. Mon intention dans ce livre est d'étudier la relation qui existe entre ces deux chemins [1]1. Ce livre représente trente ans de cheminement et reprend mes principaux écrits sur la psychologie de l'éveil, dont la plupart ont été publiés, sous leur forme originale, dans de nombreux magazines et revues au cours de ces trente dernières années. En rassemblant ici tous ces textes, j'ai largement remanié et remis à jour chaque chapitre pour refléter ma pensée actuelle et mon style d'écriture.Je crois que, pris dans leur ensemble, ces chapitres présentent une approche cohérente et à facettes multiples du développement psycho-spirituel. Le lecteur verra que je reviens, de manières différentes et dans plusieurs chapitres, sur certains problèmes et thèmes centraux - la nature de la méditation, la transmutation, la coémergence, la présence non conditionnée, l'interaction de la forme et de la vacuité, la complémentarité du travail psychologique et spirituel. J'ai laissé ces récurrences, estimant que les différents contextes dans lesquels ces thèmes sont débattus de façons diverses aideront le lecteur à voir plus largement leur signification et leur mise en application. J'ai disposé les chapitres pour qu'ils soient lus selon un ordre particulier, mais il est tout aussi possible de lire ce livre en commençant par ceux qui vous intéressent plus particulièrement et de le parcourir à votre guise. Ce livre entrecroise théorie et pratique. Les lecteurs principalement intéressés par la pratique souhaiteront peut-être se concentrer davantage sur les deuxième et troisième parties. Même si les chapitres de la première partie sont plutôt consacrés à la théorie, chacun d'eux comporte également des données pratiques. Les CHAPITRES 8 et 14, qui concluent respectivement la première et la deuxième partie, sont les plus récents et les plus exhaustifs de ce livre et ils méritent donc une attention particulière. Les lecteurs peu intéressés par la théorie de la conscience pourront sauter les CHAPITRES 4, 5 et 6 car, de tout le livre, ce sont les plus spécifiquement théori1. Les références signalées par un chiffre entre crochets ,sont de l'auteur. Elles sont reportées en fin d'ouvrage (page 378 et suivantes) [N.d.E.].
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PRÉSENTATION
ques. Les notes et les références sont réunies à la fin de 1'ouvrage afin de ne pas alourdir le texte. Puisse ce livre être utile à ceux qui cherchent à unir dans leur vie les trois domaines de l'existence humaine - le personnel, l'interpersonnel et le grand espace d'être qui s'étend complètement au-delà de la personne. Pour exprimer l'aspiration de base qui sous-tend ce livre, voici une invocation bouddhiste que je me suis permis de reformuler : Ah ! Ton être même est le maître parfait. Reconnaissant ta nature, porte cela en ton cœur. Pour tous ceux qui ne 1'ont pas réalisé, Génère de la compassion, Pour les aider à trouver cet espace pur et saint.
PREMIÈRE PARTIE
Intégrer psychologie et spiritualité ---Co>---
Introduction
~elle relation y a-t-il entre travail psychologique et démarche spirituelle, entre évolution personnelle et développement spirituel ? Comment pouvonsnous agir pour devenir des personnes adultes et authentiques, tout en reconnaissant pourtant que ce que nous sommes se situe complètement au-delà de la personnalité? Ces questions nous conduisent au cœur même de ce que signifie être un humain. La pratique spirituelle implique d'explorer qui nous sommes et ce que nous sommes au niveau ultime - notre véritable nature essentielle, partagée à l'identique par tous les êtres humains. La réalisation directe, expérimentale, de notre vraie nature a été une spécialité particulière des traditions contemplatives orientales. Les enseignements orientaux mettent l'accent sur le fait de vivre à partir de notre nature la plus profonde, de tourner notre esprit de telle manière qu'il puisse voir son essence même, au lieu de constamment regarder vers 1'extérieur en se focalisant sur des tâches et des objets à saisir et à manipuler. Reconnaître la nature essentielle de notre conscience comme une présence ouverte, éveillée, lumineuse et emplie de compassion, nous permet d'aborder notre vie d'une manière plus riche et plus forte. C'est cette réalisation qui nous permet de nous libérer des chaînes du conditionnement passé, connu en Orient sous le nom de karma. De ce point de vue, puisque le bien-être, le bonheur et la liberté sont intrinsèques - c'est-à-dire contenus au sein même de notre nature essentielle-, la tâche la plus importante dans la vie est la réalisation de cette vraie nature. Même si les saints
POUR UNE PSYCHOLOGIE DE L'ÉVEIL
et les yogis illuminés de l'Orient représentent quelques-uns des plus forts témoignages de la puissance de cette dimension vaste et non personnelle de l'être, celle-ci est parfaitement accessible à tous, en Orient comme en Occident. Pendant que la sagesse orientale illuminait la nature ultime de l'être - au-delà du monde, au-delà de la personne individuelle, au-delà des relations humaines et au-delà de l'histoire des hommes -, la sagesse occidentale prenait une voie totalement différente. Les traditions occidentales de sagesse enseignent que nous ne sommes pas ici pour uniquement réaliser notre nature divine mais aussi pour l'incarner sous une forme humaine. Si l'Orient s'est focalisé sur la dimension verticale, intemporelle, l'Occident, lui, s'est polarisé sur la dimension horizontale - la vie de l'individu telle qu'elle se déroule dans le temps. L'Occident a également donné naissance à une idée révolutionnaire et enivrante qui a bouleversé le monde : la sainteté de l'individu. Les individus ne sont pas simplement ici pour accomplir des tâches traditionnelles programmées, décrétées par la famille, la société et les religions conventionnelles, mais pour découvrir leur don exceptionnel et l'incarner pleinement dans leur vie. C'est le principe d'individuation, qui n'est pas véritablement une priorité en Orient. Le concept occidental d'individu a aussi permis de libérer la capacité de poser des questions et de se mettre librement en quête de la nature des choses, sans faire allégeance à des dogmes rigides, ce qui a donné naissance à la méthode scientifique. Celle-ci a conduit, à son tour, au développement de la psychologie occidentale. La psychologie occidentale se focalise sur l'esprit conditionné et en éclaire chaque portion aussi brillamment que l'Orient illumine la conscience non conditionnée. La psychologie occidentale nous permet de comprendre pour la première fois la psyché individuelle - comment elle se développe et devient conflictuelle, comment elle rejoue, à l'âge adulte, les conflits intérieurs, les schémas défensifs et les dynamiques interpersonnelles de la petite enfance. De ce point de vue, la 30
INTRODUCTION
guérison psychologique s'opère à travers la compréhension, la clarification et le travail sur ces dynamiques de développement. L'Orient et l'Occident ont donc donné naissance à deux types de psychologie distincts, fondés sur des méthodes totalement différentes et tournés vers des directions totalement différentes [2]. La psychologie contemplative orientale, fondée sur la pratique méditative, propose des enseignements sur la manière de parvenir à la connaissance directe de la nature essentielle de la réalité qui demeure au-delà du domaine de l'esprit conceptuel conventionnel. La psychologie thérapeutique occidentale, fondée sur la pratique clinique et sur l'analyse conceptuelle, nous permet de remonter aux causes et aux conditions spécifiques qui influencent notre comportement, nos états d'esprit et notre structure personnelle tout entière. Cependant, bien que la priorité orientale - accordée à la conscience non personnelle et à la réalisation directe de la vérité et celle de l'Occident - donnée à la psychologie individuelle et à la compréhension conceptuelle - puissent sembler contradictoires, nous pouvons aussi les considérer comme complémentaires. Toutes deux sont essentielles pour une réalisation complète des potentiels inhérents à l'existence humaine. En fait, au-delà des différences de géographie, de race et de culture, l'Orient et /'Occident représentent en fin de compte deux aspects différents de nous-mêmes. En ce sens, ces différences sont semblables à la relation existant entre 1'expiration et l'inspiration. L'accent mis par l'Orient sur le lâcher-prise de la fixation sur la forme, les caractéristiques et l'histoire individuelles, est comme l'expiration, alors que l'insistance occidentale sur la façon de prendre forme, l'individuation et la créativité personnelle, est comparable à l'inspiration. Et tout comme l'inspiration culmine dans 1'expiration, l'expiration, à son tour, culmine dans l'inspiration. Sans 1'autre, chaque aspect ne représente qu'une moitié de l'équation. L'Orient et l'Occident recèlent, chacun en leur cœur, des réalisations essentielles qui, ensemble, peuvent aider le monde à mieux apprécier 1'aventure humaine, à partir des deux façons dont la conscience a évolué dans des régions opposées du globe. Pour découvrir notre dimension humaine en son entier, 31
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ce qui est sûrement essentiel à la survie et à 1'évolution de l'humanité et de la planète, nous avons besoin de réunir enfin les deux côtés de notre nature - absolu et relatif, supra-personnel et personnel, céleste et terrestre. C'est précisément ce que promet largement et ce dont est porteuse une psychologie de l'éveil, nouvelle et intégrante. C'est ce travail que commencent à aborder les chapitres de cette première partie du livre. c'est dans ce premier chapitre que j'avais à 1'origine, en 1984, inventé 1'expression échappatoire spirituelle pour décrire une tendance commune que j'avais découverte parmi les chercheurs spirituels occidentaux qui se servaient des concepts et des pratiques spirituels pour éviter de faire face à leurs problèmes émotionnels non résolus. Ce chapitre décrit le travail de transformation intérieure au vu de trois principes majeurs - céleste (le lâcher-prise), terrestre (l'ancrage) et humain (l'éveil du cœur) - et il montre comment les pratiques spirituelles et psychologiques utilisent ces principes chacune à sa manière. CHAPITRE Ier:
il traduit en termes psychologiques le principe de co-émergence, issu de la tradition bouddhiste tibétaine, qui voit l'emprisonnement et la liberté, la confusion et la santé mentale s'élever ensemble, comme les deux faces d'une seule réalité. En s'inspirant de ce principe, ce chapitre montre comment tous les éléments apparemment névrotiques de notre personnalité ont en leur sein une signification, une intention ou une intelligence cachées plus vastes. Cette découverte peut nous aider à travailler sur notre personnalité conditionnée en la considérant comme un chemin pour aller de l'avant, plutôt que comme une pathologie nous maintenant bloqués dans le passé. Le point clé réside dans le fait de considérer notre structure de personnalité non pas comme un problème ou un ennemi quelque chose à réparer, à condamner ou à éradiquer - mais, au lieu de cela, comme une phase de développement qui nous sert de marchepied vers une évolution plus vaste. CHAPITRE 2 :
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INTRODUCTION
3 : ce chapitre sur la force de l'ego et l'absence d'ego examine la différence riche et originale entre psychologie occidentale et orientale - leur vision de la nature et du rôle de l'ego central, conscient de lui-même. Les différences entre les points de vue orientaux et occidentaux sont ici clarifiées, tout en soulignant les éléments sur lesquels ils pourraient s'accorder. Le chapitre s'achève sur une vision bouddhiste du développement de 1'ego, une exploration de la relation entre l'ego et l'absence d'ego, perçue comme une contraction et une détente de la conscience. CHAPITRE
4 : c'est le premier d'une série de trois chapitres constituant les données les plus anciennes de ce livre et étudiant la nature et les dynamiques de la conscience dans un contexte Orient/Occident. Les lecteurs qui ne sont pas intéressés par la théorie sur la conscience pourront sauter ces trois chapitres. Ils présentent une approche phénoménologique de 1'esprit et montrent comment nous expérimentons la réalité à trois niveaux différents: à travers l'esprit conceptuel superficiel; à travers une connaissance corps-esprit plus subtile ; et, au niveau le plus profond, à travers une conscience non conceptuelle, non conditionnée [J]. Vient ensuite une brève vue d'ensemble de ces trois niveaux de conscience que les CHAPITRES 4, 5 et 6 examinent de plusieurs manières. En surface, l'esprit utilise les outils de l'attention focale et du concept pour fixer son regard sur un objet après l'autre. L'esprit conceptuel superficiel perçoit des formes solides, a des pensées catégoriques et enregistre des émotions familières. C'est le niveau de l'esprit où opère l'ego - en formant des concepts sur lui-même, en établissant une division fondamentale entre soi et autre et en maintenant le contrôle et la maîtrise d'un fonctionnement lié au monde matériel. Sous 1'esprit conceptuel, il y a une forme plus large de corps-esprit percevant/connaissant qui opère de manière plus subtile et en arrière-plan. Ce corps-esprit subtil contient à la fois des éléments personnels et transpersonnels. Nous pouvons reconnaître ce niveau corps-esprit à travers un type d'attention diffuse qui peut se mettre à l'écoute d'une sensation subtile, CHAPITRE
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POUR UNE PSYCHOLOGIE DE L'ÉVEIL
d'une intuition, d'un flux d'énergie et d'un sentiment d'interrelation avec la création tout entière. Le corps-esprit, en tant que champ d'énergie dynamique, est de façon inhérente en harmonie avec les schémas et les courants plus vastes de l'univers. De cette harmonisation émergent de soudaines et surprenantes visions, inspirations créatrices et découvertes, ainsi que des qualités transpersonnelles plus vastes, telles que la clarté, la compassion, la joie ou la spontanéité. Au niveau le plus profond, la pratique de la méditation révèle que 1'esprit est une conscience ouverte, non conceptuelle, qui est la source ultime de toutes nos expériences particulières. Si l'esprit de surface est comme l'écume et le corps-esprit comme des vagues, alors l'essence plus profonde et non conditionnée de l'esprit est semblable à l'océan luimême, qui rend possible et insuffle toute activité se manifestant à sa surface. Les vagues et l'écume représentent le devenir - notre nature changeante et évolutive - tandis que l'océan, lui, est Être - notre nature immuable. Un moyen simple d'entrevoir la nature de cette dimension plus profonde consiste à vous demander pendant que vous lisez ces lignes : « ~i est en train d'assimiler ces mots ? ~i expérimente tout ceci à l'instant même ? » Sans essayer de penser à une réponse, si vous observez directement l'expérimentateur, la conscience même qui expérimente, ce que vous trouvez, c'est une présence silencieuse n'ayant ni forme, ni lieu, ni consistance. Cette présence indicible et sans forme dans, autour, derrière et entre toutes nos pensées et expériences particulières - est ce que les grandes traditions spirituelles considèrent comme notre vraie nature, ou fond ultime, également connue sous le nom de soi essentiel ou d'esprit saint. Ce n'est pas une expérience parmi d'autres. En tant que présence et transparence d'une profondeur absolue, il s'agit plutôt du fondement de toutes les expériences et il est impossible de l'appréhender avec l'esprit conceptuel. Ces trois niveaux de l'esprit entrent perpétuellement enjeu dans notre expérience incessante. Puisque nous baignons constamment dans l'océan de la conscience silencieuse non conceptuelle, celle-ci est habituellement trop proche, trop 34
INTRODUCTION
transparente et trop évidente pour que nous la remarquions, à moins de lui porter une attention méditative particulière. Il est toutefois beaucoup plus facile de prendre conscience de notre ressenti de la présence physique. Si vous vous concentrez dessus, vous pénétrez la dimension plus subtile du corps-esprit. En prêtant attention à votre manière d'être dans votre corps à l'instant même, vous pouvez remarquer des qualités de sensations qu'il est possible d'exprimer - comme par exemple « tension » ou « légèreté ». En nommant ces qualités, vous retournez vers l'esprit conceptuel superficiel qui, maintenant, interagit avec le corps-esprit plus large. Vous pourriez également préciser encore davantage ce que vous ressentez, rendre cela de plus en plus spécifique, comme par exemple «souhaiter que l'auteur se dépêche d'arriver là où il veut en venir»,« je ne suis pas d'accord avec ce qu'il dit», ou «je suis fatigué et j'ai besoin de dormir un peu». Ces trois niveaux d'esprit conduisent donc à trois sortes de vérité. L'esprit pensant, abandonné à lui-même, produit des vérités conceptuelles, logiques et scientifiques. Lorsqu'il interagit avec l'expérience ressentie, cela donne naissance aux vérités fondées, expérimentales. Enfin, la vérité à laquelle nous parvenons à travers la réalisation de la nature profonde de l'esprit est la vérité vivante, contemplative, celle qui révèle un mode d'être plus profond, à la fois au-delà de l'esprit pensant et de l'expérience ressentie. Q1iand je commençai à explorer ces trois niveaux de vérité, je réalisai qu'ils correspondaient en gros à la notion bouddhiste des trois k.ayas ou corps du Bouddha - trois manières pour la réalité de se manifester à un être humain [4]. Le niveau de réalité le plus apparent est le nirmanak.aya, le niveau de la forme différenciée où opère l'esprit de surface. Néanmoins, les objets de l'esprit de surface - comportements, mots et pensées - proviennent d'un plan de réalité plus subtil qu'ils expriment, le sambhogak.aya - là où nous fonctionnons en tant que champ dynamique d'énergie. À ce niveau, je ne suis pas simplement mon corps de chair, pas simplement mes pensées, pas uniquement mes sentiments ni mon ego limité, mais un champ d'énergie plus vaste qui est intimement interconnecté avec le 35
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monde et peut donc accéder à des modes plus subtils de connaissance et d'être. Ce niveau est un pont entre le fonctionnement de l'esprit de surface, tourné vers la forme, et la qualité, sans forme, de la conscience non conceptuelle. Le jeu énergétique du corps-esprit s'élève à son tour du dharmakaya, la base ultime de 1'existence humaine - une conscience pure, non conditionnée. Dans la psychologie bouddhiste, cette base d'être, sans forme, porte des noms divers: l'esprit en tant que tel, le grand esprit, l'absence d'esprit, l'esprit non né ou l'esprit-essence. C'est la base du silence sous-jacent et contenu dans le son, la base de l'immobilité sous-jacente et contenue dans le mouvement, la base de la non-conceptualisation sousjacente et cachée au sein de toutes les pensées et sentiments. En tant que base d'être, non conditionnée et implicite dans tous les devenirs, elle constitue le fondement pour le développement de la sagesse, de 1'éveil, de la véritable libération et de la réconciliation avec la vie et la mort. Il est essentiel de reconnaître ces trois niveaux si nous devons développer une psychologie intégrante de 1'éveil, capable d'aborder toute la gamme de l'expérience humaine [s]. La psychologie occidentale s'est principalement centrée sur les mécanismes de l'esprit de surface- sur sa manière d'être conditionné par des croyances, une culture, des empreintes interpersonnelles et des événements de 1'enfance. Les psychologies orientales se sont surtout focalisées sur les champs subtils d'énergie du corps-esprit et la dimension plus vaste de la conscience non conceptuelle. À 1'évidence, une psychologie de 1'éveil doit reconnaître et prendre en compte ces trois niveaux [6]. Le CHAPITRE 4 examine les mécanismes de ces trois niveaux de 1'esprit en terme d'interaction entre forme et vacuité dans le courant de conscience. Le CHAPITRE 5 présente une nouvelle manière de comprendre le processus inconscient - non pas comme une dimension séparée et inconnaissable de l'esprit, mais comme des moyens holistiques d'arrière-plan par lesquels 1'organisme humain est en interrelation avec la réalité.
INTRODUCTION
Le CHAPITRE 6 examine ces trois niveaux en lien avec notre expérience vivante de l'espace psychologique. Ces trois chapitres parlent également des implications de cette compréhension vis-à-vis de la santé psychologique, de la créativité, de la relation humaine et de la réalisation spirituelle. Le CHAPITRE 7 aborde le processus graduel de développement conduisant à un changement de personnalité en psychothérapie et il explore comment ce changement difière de la réalisation subite qui se produit dans la voie spirituelle. Le processus expérimental qui conduit à des réalisations progressives, en rendant explicite ce qui était déjà implicite dans le corpsesprit, est ce que j'appelle le développement horizontal. Mais il existe aussi une forme d'émergence verticale plus radicale, dans laquelle une nouvelle profondeur d'être fait soudain irruption, modifiant radicalement le contexte au sein duquel nous agissions auparavant. Tout comme le développement horizontal est une partie centrale du travail psychologique, l'émergence verticale est un élément essentiel de la réalisation spirituelle. Le CHAPITRE 8 est un écrit plus récent qui éclaircit ma compréhension des points où le travail psychologique et le travail spirituel se rencontrent et de ceux où ils divergent. J'y expose un ensemble de moyens graduels de nous relier à notre expérience, allant de l'aliénation à la présence pure, non duelle. Dans ce chapitre, je porte une attention particulière sur la relation entre le mode thérapeutique duel de réflexion sur soi - dans lequel il y a un observateur se tenant en retrait et étudiant les schémas de ce qui est observé - et l'immédiateté non duelle de la présence pure, telle que révélée dans une réalisation méditative avancée. Bien que ces deux façons d'être en rapport avec notre expérience semblent très différentes, ce chapitre montre comment elles constituent des étapes complémentaires au sein d'une dialectique plus vaste de l'éveil.
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Entre Ciel et Terre Les principes du travail intérieur
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tant que psychothérapeute et pratiquant de la méditation, je suis constamment confronté à des questions ayant trait à la relation entre le travail psychologique et le travail spirituel - tant dans ma propre expérience qu'avec mes clients, étudiants et amis. Au cours des trente années passées à étudier ces questions, j'ai oscillé entre deux points de vue différents - tenant parfois l'examen psychologique du soi comme diamétralement opposé, voire même antagoniste, au but spirituel de dépassement du soi et, à d'autres moments, le percevant comme un complément extrêmement utile au travail spirituel. C'est un sujet complexe que nous allons étudier en détail tout au long de ce livre. Pour commencer, nous allons considérer à la base les défis essentiels du travail intérieur communs à ces deux voies et les différentes directions qu'elles prennent en les abordant.
L'ÉCHAPPAT 01 RE S P 1R1 TUE L LE
Dès les années 70, je commençai à percevoir une tendance troublante parmi bon nombre de membres de communautés spirituelles. Bien que de nombreux pratiquants spirituels fussent en train d'accomplir un bon travail sur eux-mêmes, je notais une tendance largement répandue d'utiliser la pratique spirituelle pour contourner, ou éviter de traiter, certaines affaires, personnelles ou émotionnelles, non réglées. Ce désir de trouver une délivrance des structures terrestres qui semblent nous prendre au piège - les structures du karma, le condition-
ENTRE CIEL ET TERRE
nement, le corps, la forme, la matière, la personnalité - a été, pendant des milliers d'années, une motivation essentielle de la quête spirituelle. Il y a donc souvent une tendance à se servir de la pratique spirituelle pour tenter de s'élever au-dessus des questions émotionnelles et personnelles - toutes ces choses entremêlées et non résolues qui nous accablent. J'appelle échappatoire spirituelle cette tendance à éviter ou à transcender prématurément les besoins et les sentiments humains fondamentaux ainsi que le travail de développement. L'échappatoire spirituelle est particulièrement tentante pour les gens qui ont des difficultés à naviguer à travers les défis que la vie leur propose en guise de développement, en particulier à notre époque et dans une culture comme la nôtre, où ce qui était jadis des jalons ordinaires de l'âge adulte - subvenir à ses besoins grâce à un travail digne, élever une famille, préserver son mariage, appartenir à une bonne communauté est devenu de plus en plus difficile à cerner pour une grande partie de la population. Pendant qu'elles se débattent encore pour se trouver elles-mêmes, de nombreuses personnes sont initiées aux enseignements et aux pratiques spirituels qui leur recommandent de s'abandonner. Le résultat est qu'elles finissent par utiliser les pratiques spirituelles pour créer une nouvelle identité, « spirituelle », qui est en fait une vieille identité de dysfonctionnement - fondée sur 1'escamotage des problèmes psychologiques non résolus - enveloppée dans un nouvel emballage. De cette manière, l'implication dans les enseignements et les pratiques spirituels peut devenir un moyen de justifier et de renforcer de vieilles défenses. Ceux qui, par exemple, ont besoin de se percevoir comme des êtres spéciaux vont souvent mettre en avant la dimension particulière de leur compréhension et de leur pratique spirituelles, ou leur relation spéciale avec le maître, pour étayer le sentiment de leur propre importance. Bon nombre des « périls du chemin » - tels que le matérialisme spirituel (l'usage de concepts spirituels dans un but personnel), le narcissisme, l'infatuation (les illusions de grandeur) ou la pensée sectaire (l'acceptation, dépourvue de sens critique, de l'idéologie du groupe) - proviennent de la 39
POUR UNE PSYCHOLOGIE DE L'ÉVEIL
tentative de se servir de la spiritualité pour étayer des déficiences de développement.
SAISIR, REJETER, DÉSENSIBILISER
De nombreuses traditions spirituelles parlent de trois tendances fondamentales qui nous maintiennent enchaînés dans le cycle de la souffrance : la tendance à rejeter ce qui est difficile ou douloureux ; la tendance à s'accrocher à quelque chose de solide, dans un but de confort et de sécurité ; la tendance à nous désensibiliser de manière à ne plus jamais avoir à ressentir l'ensemble de la problématique du plaisir et de la douleur, de la perte et du gain. L'échappatoire spirituelle est symptomatique de la première tendance - se détourner de ce qui est difficile ou désagréable, comme les vicissitudes d'un ego faible : si vous ne vous sentez pas suffisamment fort pour faire face aux difficultés de ce monde, vous trouvez alors des moyens de transcender l'ensemble de vos sentiments personnels. C'est un piège potentiel majeur du chemin spirituel, en particulier pour les Occidentaux à notre époque. Tenter d'éviter de faire face aux problèmes non résolus de notre personnalité conditionnée ne fait que nous maintenir sous leur emprise. La deuxième tendance - saisir et fixer - est souvent l'un des pièges les plus subtils de la psychothérapie. Certaines personnes trouvent tellement fascinant de fouiller dans leurs sentiments, leurs archétypes, leurs rêves et leurs relations, qu'elles deviennent constamment absorbées dans un travail sur toutes leurs données psychologiques. Considérer cette sorte d'examen de conscience comme la démarche ultime peut se transformer en impasse égocentrique. Comme l'avait autrefois remarqué Freud, nous ne pouvons jamais assécher le marais. Nous focaliser sans cesse sur les états ou conflits intérieurs de notre structure de personnalité peut devenir un piège subtil qui nous empêche de voir au-delà de la personnalité dans son ensemble. 40
ENTRE CIEL ET TERRE
La troisième tendance - qui consiste à simplement se désensibiliser à la fois de notre expérience personnelle et de notre vocation spirituelle - est la plus courante de toutes dans notre société. Il y a, chez la plupart d'entre nous, un côté qui préférerait plutôt ne pas s'en faire, se plonger dans une certaine routine et traverser la vie avec le moins d'efforts et de défis possible. Cela débouche sur nos dépendances collectives occidentales -vis-à-vis de la télévision, des sports-spectacles, de la consommation, de 1'alcool et des drogues - qui sont comme des moyens de nous abrutir et d'éviter de faire face à la rudesse d'être totalement vivants.
LE CIEL, LA TERRE ET L'HOMME
Ces trois principaux pièges - l'échappatoire spirituelle, l'enfermement égocentrique et la distraction désensibilisante - peuvent être contrecarrés en exploitant certaines ressources essentielles, contenues dans les trois dimensions de la condition humaine et connues dans la philosophie traditionnelle chinoise comme étant le ciel, la terre et l'homme (l'humain). Pour exprimer cela de la façon la plus simple, nous sommes des êtres qui nous tenons droits sur la terre, les pieds posés sur le sol et la tête levée vers le vaste ciel. Puisque nos pieds sont plantés dans le sol, nous n'avons pas d'autre choix que d'être ici même, exactement là où nous sommes. Cela signifie que nous devons pleinement respecter le monde et nous-mêmes sur ce plan horizontal- chose que l'échappatoire spirituelle néglige de faire. C'est le principe terrestre. Dans le même temps, notre tête est tournée vers le vaste ciel au-dessus et tout autour de nous, là où nous sommes capables de voir les choses lointaines : les horizons, les étoiles, les soleils et les planètes, et le vaste contexte de l'espace qui entoure la Terre. En contemplant avec émerveillement et curiosité le monde qui nous entoure, nous pouvons voir pardelà notre propre intérêt immédiat et nos problèmes de survie. En dépit de la pertinence et de l'importance apparentes de nos préoccupations terrestres, si nous prenons un peu d'alti41
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tude, ce qui se passe ici-bas commence à perdre une partie de son sens. Si nous nous élevons encore plus haut, comme le firent les astronautes, tout ceci ne devient rien d'autre qu'un petit point minuscule. Qyand nous nous déplaçons verticalement - et notre conscience peut toujours le faire -, nous découvrons un espace infini, aussi loin que nous allions. La conscience humaine n'est pas simplement de cette Terre. Nos vies prennent forme sur l'arrière-plan de 1'espace infini. C'est le principe céleste. La posture humaine fondamentale - le dos droit, la tête et les épaules redressées, fermement ancrés sur la terre en dessous de nous - expose au monde tout le devant du corps. Les quadrupèdes prennent soin de protéger leur face ventrale vulnérable. Les piquants du porc-épic éloignent les prédateurs de son ventre tendre. Mais nous, les humains, nous déambulons le ventre et le cœur - nos deux principaux centres sensibles complètement exposés au monde. Ressentir, c'est répondre avec le corps au monde qui nous entoure. À chaque instant, que nous y prêtions attention ou non, un sentiment fondamental s'élève. Puisque nous sommes assis ou debout entre le ciel et la terre, avec notre zone frontale exposée, le monde et les autres personnes peuvent entrer et nous toucher. C'est le troisième élément, spécifiquement humain, de la triade cielterre-homme. Ne pas honorer l'une de ces trois dimensions mène à une vie faussée, déséquilibrée. Si nous nous focalisons uniquement sur nos préoccupations existentielles et de survie immédiates, nous allons nous enliser, être empêtrés dans la boue, rivés à la terre. Néanmoins, si nous ne tenons pas assez compte de nos besoins terrestres, nous devenons déconnectés, perdus dans les étoiles, la tête dans les nuages. Et si nous essayons d'éviter la tendresse du cœur et son état à vif, nous serons piégés dans la cuirasse de notre caractère, que nous avions développée au départ pour protéger nos centres sensibles vulnérables. À la place de la carapace du tatou ou des piquants du porc-épic, nous développons les défenses de l'ego. Être totalement humain consiste à forger des passerelles entre la terre et le ciel, la forme et la vacuité, la matière et l'esprit. Notre humanité 42
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s'exprime dans une profondeur et une tendresse de sentiment ou de cœur qui s'élèvent à la croisée de ces pôles. Nous pouvons à présent considérer trois types de travail intérieur capables de nous aider à cultiver et à équilibrer ces trois dimensions de notre nature.
SE RELIER À LA TERRE ET PRENDRE FORME LE PRINCIPE TERRESTRE
L'objectif essentiel d'une pratique spirituelle est de nous libérer de l'attachement à une structure de soi étroite et conditionnée, de manière à réaliser que nous sommes quelque chose de beaucoup plus vaste. Afin de récolter les bienfaits complets de telles pratiques, nous avons malgré tout besoin d'avoir, pour commencer, une structure de soi exploitable. Cela veut dire être reliés à la terre dans une forme terrestre. Bien trop souvent pourtant, dans notre société technologique et urbaine au rythme effréné, nous n'apprenons jamais à être posés dans notre propre expérience. Avec l'effondrement des familles et des communautés étroitement unies, les enfants sont de plus en plus modelés et influencés par les névroses de leur famille nucléaire et de leur culture en général. Le résultat est que beaucoup de monde passe la plus grande partie de sa vie à reproduire inconsciemment des schémas faussés mis en place dans l'enfance. Reconnaître ces schémas inconscients, travailler dessus et s'en dégager est le travail préliminaire pour développer une individualité authentique qui ne soit plus obligatoirement régie par des tendances conditionnées du passé - des images limitatives de soi, des besoins niés, de l'autopunition, des scénarios d'enfant, des schémas de dysfonctionnement interpersonnel, des peurs d'aimer et de ne plus être aimé. Il s'agit avant tout d'un travail bien plus psychologique que spirituel. Habiter totalement son corps, travailler avec ses schémas psychologiques, prendre sa véritable forme, c'est le travail qui consiste à se relier à la terre - le principe terrestre en action. Dans le meilleur des cas, la psychothérapie peut nous aider à 43
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être plus pleinement incarnés, plus établis en nous-mêmes. Ce type de travail peut aussi être assez humiliant. Il implique ce que Robert Bly nomme « l'horrible descente au sein de la blessure ». La blessure centrale dont nous souffrons tous est la séparation avec notre propre être. Cette déconnexion intérieure a pris place à 1'origine pendant 1'enfance, alors que nous nous contractions par réaction craintive vis-à-vis d'un environnement qui ne nous voyait ni accueillait ni acceptait totalement. Qyand elle est pratiquée dans un contexte spirituel, la psychothérapie peut être une forme de travail sur l'âme, nous aidant à trouver un sens plus profond à notre souffrance : notre douleur et nos névroses particulières nous montrent précisément là où nous nous sommes fermés et donc là où nous avons aussi besoin de nous développer en tant qu'individus. I.:âme, en ce sens, est une direction d'intériorité, une expérimentation profonde d'un sens, d'un but et d'une vitalité individuels. Différentes approches psychologiques travaillent, de façons diverses, sur le fait de se relier à la terre. De nombreux systèmes partagent le point de vue qu'un réel changement se manifeste à travers des modifications énergétiques dans le corps, beaucoup plus qu'à travers de simples paroles ou une compréhension intellectuelle. Dans la méthode Focusing, par exemple, développée par Eugène Gendlin, il est essentiel de quitter 1'esprit pensant pour le vécu du corps, de se connecter avec un ressenti physique de tout ce sur quoi l'on est en train de travailler et de laisser ce ressenti physique trouver une voix, un moyen de se dévoiler. D'autres approches, telles que la psychologie Gestalt ou les bioénergies, aident également le corps à s'ouvrir et à répondre de manière nouvelle. La pratique spirituelle implique, elle aussi, de se relier à la terre ou d'avoir ce mouvement vers le bas. Dans les traditions orientales, descendre vers la terre peut signifier entrer en contact avec le centre de gravité du corps, situé sous le nombril, que l'on appelle hara en japonais ou tan tien inférieur en chinois. Des pratiques telles que 1'aïkido ou le tai chi chuan relient la personne à la terre de cette manière. La posture assise de la méditation a aussi cet effet, tout comme l'accent mis sur le travail, l'attention précise aux détails et la cons44
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cience du corps dans la tradition zen(« couper du bois ou porter de l'eau»). Cependant, bien que les pratiques reliant à la terre aient souvent un rôle de soutien important dans un cheminement spirituel complet, elles ne sont pas l'objectif premier du travail spirituel.
LÂCHER PRISE : LE PRINCIPE CÉLESTE
Si le travail sur l'âme implique de descendre vers la terre, de travailler sur une structure et de prendre forme, l'essence du travail spirituel implique l'apprentissage de l'abandon et du lâcher-prise vis-à-vis de tout investissement dans la forme. Peut-être avons-nous accompli un travail psychologique immense, en travaillant sur nos principales névroses, scénarios et imbroglios émotionnels. Pourtant, même si nous sommes « tout à fait opérationnels » ou « auto-accomplis » comme le disent les psychologues humanistes, nous continuons à nous accrocher à nous-mêmes par de nombreux moyens subtils. Il est difficile de simplement nous laisser être, sans nous cramponner à quelque structure, quelque programme, quelque but ou activité. Nous devenons nerveux quand nous rencontrons un espace vide, quand il y a un silence dans une conversation, quand nous ne savons pas quoi dire, quand nous sommes dans une salle d'attente et qu'il riy a pas de magazines sur la table. Lorsque nous acceptons de nous ouvrir à cet espace, comme lors d'une méditation assise, nous arrivons à voir la subtilité et le caractère envahissant de 1'emprise de cette fixation centrale de « moi, moi-même, je ». Le travail spirituel met en lumière cet attachement à des notions limitées de qui nous sommes et il nous aide à nous en libérer, de sorte que nous puissions réaliser notre nature plus vaste qui demeure au-delà de toute forme, structure ou pensée. Si la psychothérapie est semblable à l'élagage et à la fertilisation d'un arbre de manière à ce qu'il puisse grandir et donner des fruits, la pratique spirituelle est un traitement plus radical. Elle s'attaque aux racines - la racine consistant à nous accrocher à un concept limité de nous-mêmes, qui nous empêche de nous détendre et de plonger plus profondément dans le domaine plus vaste de l'être. 45
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La pratique bouddhiste, par exemple, travaille à nous libérer des cinq tendances universelles, causes de souffrance, appelées kleshas-racines ou poisons : la saisie, l'agressivité, l'ignorance, la jalousie et 1'orgueil. Aussi longtemps que nous restons coincés dans une compréhension limitée de qui nous sommes, ces kleshas continueront à s'élever, indépendamment de la quantité de psychothérapie que nous avons suivie. Une analogie tibétaine traditionnelle décrit trois niveaux de pratique spirituelle, en fonction de leur manière de travailler sur les kleshas-racines qui sont comparées à une plante vénéneuse. Le premier niveau de travail sur ces tendances toxiques consiste à les remplacer par des tendances vertueuses. C'est comme si l'on déracinait la plante. Les limites de cette approche sont dues au fait qu'avec le déracinement vous pouvez aussi perdre le lien avec la terre dans laquelle la plante est ancrée. Tenter d'éviter les émotions et les sentiments négatifs par une transcendance céleste - en s'élevant au-dessus, en essayant de se purifier grâce au reniement de ses impulsions inférieures - peut conduire à 1'échappatoire spirituelle et au clivage intérieur. Un deuxième niveau de pratique consiste à développer un antidote aux poisons, au lieu de déraciner la plante. Dans le bouddhisme mahayana, par exemple, l'antidote de l'activité toxique des kleshas est la découverte de sunyata ou vacuité - la dimension ouverte de l'être qui dissout la tendance à devenir attaché à quoi que ce soit. Ceci peut cependant entraîner une préférence subtile pour la vacuité par rapport à la forme, ce qui peut également nous laisser intérieurement divisés. Le troisième moyen, toujours selon cette analogie, revient à s'immuniser contre le poison en mangeant de façon judicieuse les feuilles de cette plante. C'est la méthode du vajrayana ou bouddhisme tantrique qui transmute les poisons en amrita - que nous pourrions appeler le suc de la vie, le nectar de notre nature véritable. Bien sûr, une bonne dose d'entraînement et de préparation est nécessaire pour ce genre de transmutation, pour que nous puissions vraiment assimiler le poison. C'est la fonction de l'entraînement de base de la méditation. En apprenant à nous ouvrir aux poisons de l'esprit
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et en reconnaissant comment ils sont tous des fixations créées qui s'élèvent du fait de notre séparation avec notre vraie nature, nous ne tombons plus désormais sous leur pouvoir. Cette troisième méthode débloque l'énergie vitale contenue dans les poisons - énergie qui peut nous aider à maintenir notre lien avec la terre, notre passion et notre vie quotidienne. Qyand nous ne sommes plus obligés de rejeter nos tendances névrotiques, nous avons plus de compassion et de compréhension vis-à-vis de la manière dont elles affectent également les autres. Et cela nous permet de travailler avec les autres de façon plus directe et habile. ÉVEILLER LE CŒUR : LE PRINCIPE HUMAIN
L'interaction de la terre et du ciel, de prendre forme et de lâcher prise vis-à-vis de cette forme, donne naissance au troisième principe de travail intérieur -1' éveil du cœur, qui correspond dans la pensée chinoise au principe de l'homme (de l'humain). Éveiller le cœur implique de sortir de notre cuirasse caractérielle, afin d'accueillir en nous la réalité et les autres êtres. Un cœur ouvert est aussi source de courage (mot qui dérive du mot cœur). Le courage implique de faire carrément face au monde et de permettre à votre cœur d'être touché, de s'ouvrir à jamais à la vie, quoi qu'il arrive. Le travail psychologique peut pour une bonne part conduire à 1'ouverture du cœur, mais l'éveil total de ce cœur exige l'abandon plus complet, que l'on découvre à travers la réalisation spirituelle. Sans le vaste espace du principe céleste, nous pouvons être capables de laisser entrer les autres mais, ensuite, être incapables de les laisser partir ou de les laisser être. Le lâcher-prise implique également un sens de l'humour, qui apparaît lorsque nous cessons d'être coincés dans une structure. Qyand nous rions, nous venons juste de nous dégager d'une structure. Sans un sens de l'espace, de l'humour et du lâcher-prise, le cœur pourrait devenir trop sirupeux, sentimental, lourd ou attaché. L'éveil du cœur requiert également d'être relié à la terre car, sans notre lien avec la terre, il ne pourrait y avoir de corn47
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passion. Si nous pouvons simplement lâcher prise mais sommes incapables de prendre en main, si notre seule préoccupation est l'espace et l'esprit, nous risquons alors de ne jamais être capables de nous engager totalement à travailler sur notre propre situation ou avec d'autres êtres vivants. La vraie compassion se développe à partir de notre lutte avec le monde de la forme, de la limitation, de la personnalité, du karma. Si nous sommes uniquement tournés vers l'esprit, nous risquons de nous montrer impatients envers les blocages que nous découvrons en nous-mêmes et chez les autres.
LE TRAVAIL SUR LA SOUFFRANCE
Un chemin complet de développement intérieur, qui aborde à la fois notre psychologie personnelle et notre plus profonde nature spirituelle, doit impliquer 1'ensemble de ces trois principes - le lien à la terre, le lâcher-prise et 1'éveil du cœur - qui contrecarrent les obstacles de 1'échappatoire spirituelle, de 1'enfermement égocentrique et de la distraction anesthésiante. Vélément central d'un tel chemin serait une pratique de la présence d'esprit, telle que la méditation, qui nous aide à être en lien avec ces trois principes. Parallèlement à cela, une méthode d'examen psychologique est extrêmement utile pour aborder les schémas inconscients et les complexes émotionnels qui interfèrent avec une vie plus authentique, avec le lien avec la terre, 1'ouverture et le cœur. Dans mon travail de psychothérapeute, j'ai découvert que je devais continuellement rester en contact avec le ciel, la terre et le cœur, les trois ensemble. Pour commencer, je devais écouter et respecter les problèmes réels de mes clients, problèmes qui appartiennent au domaine de la forme, de la terre. Si je ne le fais pas, il n'y a pas de connexions entre nous. Toutefois, si je me focalise uniquement sur la forme, sur les problèmes, je perds alors le sens de l'esprit ouvert, du cœur ouvert, de 1'espace ouvert qui les entourent. Le travail psychologique devient alors trop sérieux, prenant tout au pied de la lettre, et perd son étincelle magique et créatrice. A mes débuts en thérapie, juste après l'université, j'avais une vision trop étroite de la nature humaine et je prenais la teneur des problèmes trop au
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seneux. Par la suite, après avoir développé grâce à la méditation une intelligence plus large de l'immensité et de 1'ouverture de la conscience, je découvris que je n'étais plus consumé ni englouti par les problèmes de mes clients et mes réponses provinrent d'une source beaucoup plus profonde. I.:un des grands cadeaux de la méditation fut de m'aider à faire la distinction entre l'expérience immédiate et les interprétations mentales de cette expérience. En retour, cela me permit d'être plus ouvert à la souffrance de mes clients, sans pour autant prendre trop sérieux la lourdeur de leurs problèmes. Ce n'est jamais pesant de suivre 1'expérience authentique de quelqu'un. Seules les fixations mentales - les scénarios, les croyances et les jugements en rapport avec l'expérience - deviennent lourdes, jamais l'expérience vivante en elle-même. En fin de compte, je ne prête pas tant d'attention que cela à la teneur des problèmes des gens, parce que je suis plus à l'écoute de l'être qui se débat avec le problème. Ainsi, le principe céleste - fournissant l'espace, le lâcher-prise de 1'attachement à la forme - peut, lui aussi, jouer une part importante dans le travail psychologique, même si ici il n'est pas aussi central que dans le travail spirituel. De cette manière, chevaucher le processus expérimental - respecter les impressions de l'autre, tout en ayant continuellement accès à une dimension d'ouverture plus vaste qui leur est sous-jacente, et rencontrer 1'autre dans son immédiateté et son état à vif - devient de la méditation en action. Avec 1'aide de la pratique de la méditation, j'ai été capable de trouver du plaisir dans le travail thérapeutique, même quand j'étais avec des clients au beau milieu d'une immense souffrance. Même la douleur et les névroses ont leurs coloris propres et leur beauté étrange. J'ai toujours trouvé une intelligence au cœur de chaque conflit psychologique et, habituellement, j'arrive à trouver des façons d'apprécier la cuirasse caractérielle des gens - comment elle sert à les protéger, à quel point elle est, à sa façon, une création habile, tout comme les piquants du porc-épic ou la carapace du tatou. Puisque le développement humain et la transformation proviennent de l'interaction entre la terre et le ciel, le limité et l'illimité, la pratique essentielle, commune à la fois à la psy-
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chothérapie et à la méditation, est d'amener notre conscience plus vaste à se consacrer à nos structures karmiques figées. Cette conscience plus vaste est souvent obscurcie - soit enterrée sous nos problèmes, nos émotions et nos réactions, soit détachée, dissociée, planant au-dessus d'eux. Il est donc essentiel de tout d'abord cultiver la présence d'esprit et, ensuite, de l'amener à se tourner vers les endroits où nous sommes contractés et bloqués. Cela nous permet de goûter aux poisons de 1'esprit confus et de les transmuter. Un jour, je fis un rêve qui illustrait l'interaction entre la terre et le ciel au sein même de la vie humaine.J'étais dans une tente immense, avec un toit très haut, dans laquelle se déroulaient beaucoup d'activités et de festivités. Bien qu'impliqué dans ce qui se passait à l'intérieur de la tente, j'étais aussi, simultanément, conscient de la qualité magique de 1'espace dans la tente qui nous entourait et qui abritait nos festivités. Telle est notre nature en tant qu'êtres humains: nos vies se déroulent au sein de structures et de canevas terrestres qui sont imprégnés et entourés par l'immensité de l'espace. Dans mon rêve, la structure de la tente était nécessaire pour maintenir la pluie à l'extérieur et protéger la vie à l'intérieur. La thérapie et le travail de lien à la terre se concentrent sur la forme ou la structure - ce qui est comparable au fait d'aider la tente à bien tenir debout et de colmater les fuites. Pourtant, quelles que soient les structures que nous construisons, elles ne sont jamais entièrement solides mais toujours ventilées par la vacuité, la dimension ouverte de l'être - comme les côtés de la tente ouverts tout autour. Tandis que le travail psychologique nous aide à prendre forme, le travail spirituel met l'accent sur ce qui est au-delà de la forme, l'illimité. Cultiver l'ouverture à cet espace plus vaste qui entoure toutes nos structures est en fin de compte ce qui permet à la brise fraîche du changement et du renouveau de continuer à circuler dans nos vies.
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La personnalité Chemin ou pathologie ?
~i pensons-nous être? C'est
la question centrale qui est à la fois au cœur du développement psychologique et spirituel. Pour qui nous prenons-nous et comment défendons-nous cette identité? Tel est le principal facteur qui va déterminer notre degré de bien-être psychologique et de réalisation spirituelle. Chose curieuse, nous n'avons pas grand-chose à dire en ce qui concerne notre personnalité car, au moment où nous commençons à remarquer son existence et ses schémas - en général au cours de 1'adolescence - elle est déjà assez bien établie. Comment dès lors correspondre à cette forme dans laquelle nous avons grandi ? Devons-nous traiter notre personnalité conditionnée comme un obstacle mis en travers du chemin de notre développement spirituel - et donc, en ce sens, comme une pathologie ? Ou se pourrait-il que, comme le laissent entendre certaines traditions ésotériques, notre personnalité ne soit pas simplement une erreur arbitraire mais puisse, au contraire, servir de tremplin essentiel sur le chemin de notre développement spirituel ? Si nous pouvions découvrir de plus vastes qualités d'être et d'intelligence cachées à l'intérieur de nos schémas de personnalité les plus rigides et les plus névrotiques, nous n'aurions plus alors à nous débarrasser de la personnalité pour accéder au-delà d'elle à quelque dimension spirituelle «supérieure». Au lieu de cela, le travail sur les zones fermées et étriquées de notre structure de personnalité pourrait en lui-même révéler tout ce dont nous avons besoin sur le chemin de notre propre réalisation. Tout comme le ponçage permet au vrai grain du 51
POUR UNE PSYCHOLOGIE DE L'ÉVEIL
bois de se révéler, le voyage vers 1'éveil impliquerait de transformer notre personnalité de manière à ce qu'elle devienne un véhicule transparent, au travers duquel pourraient briller les qualités plus profondes de notre être essentiel.
AGRESSION THÉRAPEUTIQUE
Tara était une de mes clientes qui avait souffert d'un manque extrême de contact émotionnel et d'attention lorsqu'elle était enfant et, en conséquence, elle avait adopté une attitude sévère et indépendante qui proclamait en essence : « Je n'ai besoin de personne. Je peux prendre soin de moi.» Cette identité lui avait permis de survivre au manque d'amour chez elle. Pourtant plus tard, au cours de sa vie, son indépendance exagérée était devenue un dysfonctionnement, comme le deviennent à un certain moment tous les modèles de personnalité. C'était devenu pour elle un moyen de continuer à se priver, un obstacle majeur l'empêchant de recevoir de l'amour et de l'attention, une source de grande souffrance. Un peu avant trente ans, Tara avait rejoint une communauté spirituelle dont la méthodologie consistait à démolir l'ego de ses adeptes, ego qui était considéré comme un obstacle à la réalisation spirituelle. La communauté pratiquait une forme collective d'échappatoire spirituelle, en essayant d'implanter chez ses membres une identité « spirituelle » idéale, tout en dénigrant les besoins et les préoccupations personnels. Face à l'attitude indépendante de Tara, les leaders de la communauté adoptèrent donc à son égard une approche agressive consistant à faire table rase. Elle s'en accommoda, convaincue que ses schémas de personnalité bloquaient sa progression spirituelle. Pourtant, en se défaisant de son opiniâtreté, elle perdit également contact avec sa force, sa volonté et sa motivation. Qyand, pour finir, la communauté fut dissoute, elle n'avait plus la capacité de prendre en charge la vie ordinaire et il lui fallut de nombreuses années pour s'en remettre. En façonnant une identité dure et indépendante pour survivre à sa situation familiale, Tara avait puisé dans une capacité
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LA PERSONNALITÉ
intrinsèque de sa nature - la force. Là où quelqu'un d'autre aurait pu réagir vis-à-vis de sa famille en sombrant dans une dépression ou un repli sur lui-même, elle avait été capable de faire appel à ses ressources pour surmonter une grande carence. Bien que son identité soit finalement devenue limitatrice et contraignante, elle contenait malgré tout en son noyau sa force essentielle, qui était l'une de ses qualités les plus marquantes. Aussi, lorsqu'elle soumit sa personnalité aux attaques de la communauté, elle perdit en même temps le contact avec sa propre puissance et sa volonté. Tenter de parvenir à une transformation en prenant d'assaut la personnalité conditionnée est une erreur qu'un certain nombre de maîtres spirituels et de thérapeutes ont commise. Ce type «d'agression thérapeutique» est parfois flagrant, comme dans le cas de Tara. Il se manifeste quelquefois sous des formes de persuasion plus subtiles, dans lesquelles le message fondamental est que vous seriez une personne meilleure si vous étiez quelqu'un de différent de ce que vous êtes. De toutes les manières, les attaques sur la personnalité ne font que dépouiller les gens de la substance fondamentale qui donne l'élan pour le voyage vers 1'éveil. C'est comme si l'éveil avait besoin de la personnalité, comme le feu a besoin de combustible pour s'alimenter. La personnalité est une forme figée de notre vraie nature. Donc, à chaque fois qu'un aspect quelconque de notre personnalité se dégèle, cela procure une certaine illumination et libère une certaine énergie. Et chaque nouvelle parcelle d'énergie ou d'illumination fraîchement libérée fournit à son tour davantage de chaleur pour décongeler la structure figée du soi. S'attaquer à la personnalité ne fait que couper les gens d'une intelligence plus vaste qui est enserrée dans leur structure de personnalité. Cette forme d'assaut attise aussi une peur et une résistance qui empêchent le mouvement vers l'avant, réduisant souvent les gens à un état d'impuissance ou de dépendance. Les tentatives coercitives de démantèlement de la personnalité ne font qu'accroître la division, le conflit et la tension intérieurs qui sont la signature de 1'ego. Si la personnalité doit devenir un chemin, au lieu de se scléroser en une 53
POUR UNE PSYCHOLOGIE DE L'ÉVEIL
pathologie, nous devons apprendre à travailler sur nousmêmes tels que nous sommes, sans agressivité ni reproche. Cela signifie créer des conditions qui encouragent la structure de personnalité à s'ouvrir de l'intérieur, révélant les qualités essentielles de notre être qui sont cachées en son sein. Tout comme le maître de méditation tibétain Chogyam Trungpa le fit remarquer un jour : « Qyand vous nettoyez votre théière, alors la théière vous éveille », nous pourrions de la même manière dire que lorsque vous travaillez sur la structure de votre personnalité, votre personnalité vous éveille. Pour travailler sur sa structure de personnalité en tant que chemin, Tara dut aller chercher au cœur de son indépendance exagérée, essayer de la comprendre et être directement en lien avec elle, au lieu de tenter de la transformer ou de la transcender prématurément. Lorsqu'elle commença à le faire en thérapie, elle réalisa peu à peu que sa rudesse avait été une manière d'essayer de prendre soin d'elle-même. Derrière cette dureté, il y avait un sentiment de vulnérabilité extrême, doublé de l'incertitude d'être digne d'être aimée. Cette découverte lui donna une direction: elle avait besoin d'apprendre à connaître ses points vulnérables et à en prendre soin, et de se traiter avec plus d'amour. Le fait de s'ouvrir ainsi à elle-même créa la base d'un support intérieur qui l'aida à recouvrer sa force et à reconnaître en même temps son côté plus doux, à la fois vis-àvis d'elle-même et des autres.
LA FORMATION DE L'IDENTITÉ
Nous sommes tous nés avec une possibilité d'accéder à certaines qualités d'être innées, qui sont antérieures au tissu de notre structure de personnalité mais s'y imbriquent. Différentes traditions parlent de ces qualités de manières diverses. Les systèmes yogique et alchimique peuvent les décrire en termes d'éléments, tels que la terre, le feu, l'eau et l'air. Le soufisme décrit des capacités de volonté, de paix, de connaissance, de compassion, de joie et de force, associées à différents centres dans le corps et à des couleurs : blanche, noire, verte, jaune et 54
LA PERSONNALITÉ
rouge. Le bouddhisme Mahayana parle de certaines qualités humaines de 1'ordre de la quintessence - ou « perfections » qui existent de façon embryonnaire dans notre nature, mais qui peuvent également être cultivées: la générosité, la patience, l'effort, la présence attentive, la compassion, la vision discriminante, la discipline, le pouvoir et la sagesse. Le bouddhisme tibétain parle de cinq énergies fondamentales de sagesse - l'équanimité, la clarté semblable au miroir, la capacité d'agir de manière effective, l'espace et la discrimination-, elles aussi associées à différentes couleurs et éléments. Ce sont des qualités humaines, non égotiques, qui n'appartiennent à personne, mais qui pourtant semblent se manifester naturellement, à des intensités différentes et selon des configurations diverses, chez les individus. Pour comprendre comment notre personnalité puise dans ces qualités ou capacités de notre être, nous devons considérer la situation des nouveau-nés qui, de par leur complète vulnérabilité, ont un lien plutôt ténu avec l'existence. Nous sommes tous confrontés à la question de 1'existence contre la non-existence dès l'instant où nous sommes nés. Un manque d'amour ou d'attention représente une puissante menace de non-existence, parce qu'il fait courir un risque à la survie et à l'intégrité physiques ou psychologiques de l'enfant. areil psychique auquel nous attribuons Ies caractéristiques d'un être qui s'étend dans l'espace,. (1949, p.14). Jung admet la séparation entre l'esprit et l'univers en tant que donnée fondamentale de la pensée occidentale : « Le développement de la philosophie occidentale au cours des deux derniers siècles est parvenu à isoler l'esprit dans sa propre sphère et à le couper de son unité primordiale avec l'univers,. (1958, p. 476). Page117. [r5] Il y a deux exceptions à cela: James en 1890 et Matte Blanco en 1975. Page 118. [r6]
A strictement
farler, ces trois types d'espace ne doivent pas être appelés
psychologiques. I.;espace sensible intérieur est psychologique au sens propre du terme, alors que celui extérieur, d'orientation, est somati'l.ue et que l'espace d'être est ontologigue (antérieur à l'expérience ressentie).J'uillise le terme espace p_51chologique de façon large dans ce Chapitre, comme synonyme d'espace vécu, d espace tel qu'expérimenté. Pagel25. Ce type d'ouverture sans limite est différent de l'ouverture relative de « l'actualisation de soi ,., qui est souvent prise comme étant le but de la psychothérapie et des psychologies basées sur la personnalité. Bien que les individus qw s'actualisent eux-mêmes puissent être capables de se mouvoir de façon fluide d'un espace sensible à un autre, ils évoluent encore dans un monde de limites, de frontières et de références au soi. Même s'ils peuvent avoir quelque maîtrise dans le domaine de l'espace sensible, l'être pleinement éveillé est un maître de l'espace ouvert. Page256. Dans les circonstances adéquates, une pratique spirituelle peut par elle-même certainement transformer totalement 1a personnalité - par exemple, sous la tutelle étroite et personnelle d'un grand maître, ou chez une personne ayant de fortes aptitudes innées ou dans une retraite spirituelle longue de plusieurs années. (Au Tibet, certains types de transformation étaient dits exiger une retraite de douze ans.) Page257. Bien que vivre une vie coupée des contingences ait été un style de vie courant et accepté dans l'Asie traditionnelle, je ne suggère pas que tous les adeptes orientaux de la spiritualité, ou même seulement la plupart, manifestent cette prédisposition à se détacher du monde. Beaucoup ont vécu dans le monde avec un fort degré d'intégration personnelle. Ce qui est vrai en général est le fait que les enseignements essentiel.S orientaux se focalisent sur la réalisation de la vraie nature aosolue, plus que sur le fait de cultiver une expression individualisée et personnelle de cette nature. Bien sûr, différentes cultures et traditions asiatiques, et même différentes écoles au sein d'une seule tradition, telles que le bouddhisme, diffèrent grandement dans leur façon d'accorder de l'im_portance à l'élément impersonnel. J'ai choisi de ne pas aborder ces distinctions ici, ce qui nécessiterait de traiter le sujet d'une manière plus exhaustive et érudite.
NOTES ET RÉFÉRENCES
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[20] Il s'agit bien sûr d'une généralisation. Je parle ici de la plupart des Tibétains qui ont grandi dans un contexte familial et communautaire traditionnel. Je connais quelques Tibétains modernes, certains sont même des maîtres, qui souffrent de blessures personnelles psrchologiques et pour lesquels une p_sychothérapie pourrait être bénéfique. Je me suis aussi entretenu avec un Tibétain ayant une compréhension subtile de la psychologie occidentale, qui reconnaissait les bienfaits de la psychothérapie pour les Tibétains vivant en Occident. Voici ce qu'il dit : Les Tibétains auront plus besoin de soins psychologiques à mesure qu'ils s'établiront dans le monde moderne, même en Inde. Nous sommes en train de découvrir des comportements plus perturbés en même temps que des problèmes de cog:nition chez les enfants qui viennent du Tibet. ,. Pour ma part, puisque j'ai choisi de vivre en Occident, plutôt que dans un monastère, je trouve que les enseignements bouddhistes, à eux seuls, ne sont pas approp_riés pour répondre à mes propres besoins de fonctionner de manière efficace dans ce monde. Je dois me tourner vers la psychologie occidentale, pour des choses fondamentales telles que les compétences interpersonnelles, l'apprentissage d'une bonne communication et le fait d'avoir des relations ayant un sens. " Si nous considérons comment certains moines tibétains qui viennent en Occident se comportent vis-à-vis des problèmes émotionnels et relationnels qu'ils y rencontrent, nous pouvons en déduire que les pratiques spirituelles traditionnelles ne sont pas, à elles seules, suffisantes pour les aider à faire face à ces problèmes. Par de nombreux as_pects, le bouddhisme n'a pas la spécificité requise pour prendre en mam les situations émotionnelles et relationnelles qu'ils rencontrent dans un contexte culturel occidental. ,. «
Page265.
[21] Un signe révélateur de la différence entre les influences éducatives orientales et occidentales : les maîtres tibétains, qui traditionnellement enseignent à leurs disciples des pratiques de compassion en leur demandant au début de consiâérer tous les êtres vivants comme leur propre mère, ont été surpris et consternés par la difficulté qu'avaient de nombreux disciples américains à prendre leur mère comme point de départ pour développer la compassion. Page269.
[22] Roland mentionne le cas intéressant de deux femmes indiennes, mariées à des Américains, avec lesquelles il travaillait et auxguelles « il fallut de nombreuses années de psychanalyse, avec un analyste chaleureux les soutenant, pour être peu à peu capables d'avoir un soi J?lus individualisé ,. et, donc, de fonctionner normalement dans la société améncaine (1988, p. 198). Page271. Cela ne veut pas dire que la plupart des Occidentaux soient vraiment individualisés ru même intéressés à cela. Malheureusement, l'individualisme qui est une approximation de niveau inférieur - est la forme la plus proche d'individuation à laquelle la plupart des Occidentaux parviennent. Néanmoins, une individuation authentique est une réelle possibilité ici et souvent les plus aliénés sont ceux qui se sentent le plus appelés dans cette direction. Page272. Comme Karlfried Graf Dürckheim le fait remarquer, pour la plupart des maîtres orientaux,
POUR UNE PSYCHOLOGIE DE L'ÉVEIL
"la forme individuelle acquise dans le processus [d'éveil spirituel] n'est pas prise au sérieux en tant que telle ... C'est pourtant la chose même qui compte pour des maîtres occidentaux ... [la liberté] de devenir la personne que l'on est individuellement. Pour nous en Occident, il est plus im.eortant qu'une nouvelle fo!me d'ordre terrestre puisse émerger de la vnue nature et contempler l'Etre ... plutôt que l'ego se dissolve dans la vraie nature et en l'Être » (1992, p. 100).
À propos des maîtres japonais avec lesquels il étudiait, Dürckheim remarque : " En tant que maîtres, ils apparaissent sous une forme suprême dans laquelle chaque élément personnel a été converti en quelque chose de supra-personnel, pratiquement sans rapport avec le monde ou, du moins, non impliqué en lui. On rencontre rarement, voire jamais, l'individu heureux ou souffrant, à travers les yeux emplis de joie ou de chagrin qui reflétent un détachement des contingences du monde d'une façon unique et personnelle... Un tel maître est-il une personne au sens où nous l'entendons ? ,. (p. 101).
[25] Les maîtres de !'Extrême-Orient - souvent du Japon, de la Chine ou de la Corée, qui travaillent sur le corps-esprit en mettant l'accent, dans leurs enseignements, sur la connexion à la terre - sont une importante exception à cela. Par exemple, des maîtres de tai chi, de chi kong ou d'aïkido insistent toujours sur l'importance d'être centré au niveau du ventre et bien ancré à la terre. De noml:ireux maîtres zen parlent rarement aussi de réalisation spirituelle mais, à la place, ils incitent leurs disciples à porter leur attention sur des détails terrestres tels que couper du bois ou porter de l'eau. Page288. [26] Le travail psychologique personnel n'est pas, bien sûr, en lui-même suffisant pour une transformation spirituelle ou pour l'intégration de notre être plus vaste dans notre fonctionnement personnel. En plus de trouver un maître spirituel ou une pratigue qui s'attaque à l'égocentrisme, des individus particuliers peuvent aussi avoir besoin de travailler sur leur corps, sur leur mode ae vie, sur leurs relations intimes ou leurs relations à la communauté. Mais le travail psychologique peut aider les gens à reconnaître les domaines dans lesquels ils ont l:iesoin de travailler et à clarifier certains obstacles dans ces domaines. Page291. [27] La relation avec un maître spirituel peut aussi aborder ces dynamiques, en particulier pour les rares disciples qui ont une connexion étroite et personnelle avec un maître qui les supervise attentivement. Page330. [28] Il s'agit d'une citation parue dans Brain/Mind Bulletin 9, n°10 {mai 1984). Page338. [29] Bon nombre des grandes cathédrales euro_péennes furent construites sur des lieux de pouvoir païen et dédiées à saint Michel, celui qui terrasse les dragons qui représentent cette nature « inférieure ».
Glossaire
Voici quelques courtes définitions de termes bouddhistes, ainsi que quelques-unes de ma propre terminologie, telle qu'utilisée dans ce livre. Tous les termes non occidentaux sont en sanscrit, sauf mention contraire. ABSENCE D'EGO Une traduction du terme bouddhiste anatman qui veut
dire littéralement non-soi. Ce terme n'est pas destiné à nier l'existence conventionnelle d'un ego, ou soi, fonctionnel et opérant, mais il sert plutôt à indiquer au-delà de ce soi notre nature plus vaste qui est libre, de manière inhérente, de la préoccupation égocentrique de soi. L'absence d'ego est donc le fondement de l'ego, tout comme une main ouverte est la base permettant le poing. Dans cette analogie, la main est plus basique, plus fondamentale, plus réelle que le poing qui est seulement une contraction transitoire provenant de la main ouverte (voir chapitre 3, page 67). ÂME Notre vraie nature, telle qu'elle se déploie et s'individualise dans le
temps et l'espace; selon Rumi, l'âme est« une conscience croissante». Sri Aurobindo en parle comme d'une « étincelle du divin » qui contient une double aspiration : (a) se relier à notre fond, réaliser notre essence plus profonde en tant que présence pure et ouverte ; (b) incarner dans ce monde notre nature plus vaste, nous connaître nous-mêmes dans cette forme humaine. Ainsi, l'âme est un principe intermédiaire, ou une passerelle, qui permet une intégration vivante des deux côtés de notre nature: l'individuel et l'universel, le domaine incarné de l'expérience personnelle et la présence sans forme du pur être. L'âme est comme une graine, un potentiel embryonnaire d'humanité authentique qui peut germer ou non et se développer dans un individu donné. En ce sens, l'âme a besoin d'être cultivée si elle doit atteindre son plein potentiel. L'âme est le côté intérieur de la personne authentique.
POUR UNE PSYCHOLOGIE DE L'ÉVEIL
BODHICITTA Bien que ce terme ait divers sens spécifiques dans les diffé-
rents contextes et traditions bouddhistes, il se réfère généralement à l'esprit qui est tourné vers l'éveil. Parfois traduit par «esprit d'éveil» ou « cœur éveillé •, ce terme est aussi habituellement associé à la compassion et au désir sincère de venir en aide aux autres. Dans de nombreux contextes, il signifie l'aspiration à nous éveiller pleinement à notre vraie nature, de sorte que nous puissions aider les autres à s'éveiller également de cette manière. BONTÉ FONDAMENTALE La traduction d'un terme tibétain qui fait réfé-
rence à la nature saine de notre être, en même temps qu'à l'émerveillement et à la réjouissance intrinsèques vis-à-vis de la réalité lorsque les choses sont vues dans leur telléi té. Ce n'est pas un terme à 1'eau de rose destiné à passer du vernis sur le mal, l'avidité et l'agressivité du comportement humain ; au lieu de cela, il s'agit de l'éveil et de la réceptivité inconditionnels qui constituent notre essence véritable. La bonté fondamentale est non conceptuelle et non conditionnée et elle n'a rien à voir avec les concepts de bien opposé au mal. C'est ce que nous percevons quand les portes de notre perception sont débarrassées de la fixation égocentrique, du préjugé et de la saisie. CO-ÉMERGENCE Un terme de la tradition du Mahamoudra, qui désigne la
tendance de l'absolu et du relatif, de la clarté et de la confusion, de la vraie nature et de l'ego, à s'élever ensemble en tant que deux aspects inséparables de l'expérience humaine. De ce point de vue, l'ego, le soi référentiel, n'est pas un quelconque principe séparé, mais seulement une version limitée de la vraie nature. Pour cette raison, il n'a pas besoin d'être rejeté mais peut, au lieu de cela, être transmuté en son essence, qui est la nature de Bouddha. CŒUR Notre ouverture et notre réceptivité fondamentales à la réalité, qui
s'expriment dans la tendresse et la chaleur humaines. Cœur est une des manières possibles de traduire le terme bouddhiste BODDHICITTA. À l'opposé de l'âme, qui se déploie dans le temps et l'espace, comme une graine qui développe son potentiel, le cœur est comme le soleil - déjà plein et rayonnant. C0 M PRÉ HE N SI 0 N Dans le contexte du travail psychologique, ce terme est
utilisé pour indiquer une connaissance empathique, plus qu'une compréhension purement intellectuelle. Si, par exemple, votre enfant pleure, vous pouvez comprendre sans avoir à connaître la cause exacte de ses larmes: «Je peux voir que tu t'es fait mal. Je comprends que tu traverses un moment difficile. » Ce type de compréhension bienveillante est ce que nous avons besoin d'étendre à nous-mêmes quand nous sommes prisonniers de nos divers états d'esprit conditionnés. En tant que mélange de sagesse et de compassion, cette compréhension a un effet clarificateur et libérateur.
GLOSSAIRE
CONSCIENCE Tel qu'employé dans ce livre, ce terme indique quelque
chose de beaucoup plus large que le sens ordinaire de «Je suis conscient de ... ». Conscience indique ici l'essence même de l'esprit - une connaissance plus vaste et plus directe qui ne dépend pas des concepts. Cette conscience non conceptuelle est l'océan plus vaste, plus fluide, plus dynamique, plus expansif qui à la fois sous-tend et constitue toutes les vagues diverses de l'esprit, faites de pensée et de sentiments. La conscience, dans ce sens plus large, existe par elle-même car elle est toujours présente au cœur de notre expérience et ne peut être fabriquée. Elle a aussi ses propres qualités expérimentales de clarté, de présence, d'énergie, de réceptivité, de vivacité, de fluidité, d'espace et de chaleur. CORPS-ESPRIT
Voir ESPRIT.
COURANT DE L'ESPRIT Le courant continu de l'activité de l'esprit, dont
la dynamique est une alternance entre mouvement et immobilité, entre instants d'esprit différenciés (pensée, sensation, sentiment et perception) et instants d'esprit indifférenciés (espaces ouverts, brèches, silence et non-agir) qui révélent l'immobilité plus large et inconditionnelle du fondement de l'être, lequel sous-tend intemporellement le courant de l'esprit. DHARMA La façon dont fonctionne la réalité, la loi fondamentale de l'uni-
vers. Cela fait également référence aux enseignements sur la nature de la réalité, comme dans le terme Bouddhadharma. DZOGCHEN (terme tibétain) Littéralement, la grande complétude ou per-
fection. L'enseignement ultime non duel que l'on trouve dans la tradition tibétaine, portant sur la nature pure de la conscience non conceptuelle. Le Dzogchen est souvent connu en tant que chemin d'autolibération, parce qu'il met l'accent sur le fait de permettre à tout ce qui s'élève dans notre expérience de s'élever simplement tel quel, sans y réagir en aucune manière ; quand nous pouvons rencontrer notre expérience de cette façon fraîche, non réactionnelle, cela libère spontanément toute fixation ou tension, l'expérience elle-même se révélant comme n'étant rien d'autre que la pure conscience elle-même. EGO Dans ce livre, j'utilise ce terme de façon large pour me référer à l'acti-
vité habituelle de saisie sur des images et des concepts de nous-mêmes, activité qui nous sépare de notre vraie nature. Dans la psychologie occidentale, l'ego a de nombreux sens différents, mais il se réfère en général à (a) la capacité gestionnaire de la psyché qui maintient l'équilibre entre les différentes pulsions et exigences et régit notre fonctionnement dans le monde, et/ou (b) à la capacité d'auto-représentation qui maintient une image de soi stable et donc un sens consistant et continu de soi. Les psychologies orientale et occidentale peuvent probablement tomber d'accord sur une définition large de l'ego en tant que sens de soi, fabriqué ou construit, qui procure un sentiment de con-
POUR UNE PSYCHOLOGIE DE L'ÉVEIL
trôle dont nous semblons avoir besoin au cours des premières phases de notre développement pour survivre et pour nous protéger (voir chapitre 3, page 67). ESPRIT Tel qu'il est employé en général dans ce livre, ce terme fait réfé-
rence à l'ensemble de notre expérimentation et pas simplement au fonctionnement mental. Ce que nous appelons d'ordinaire esprit en Occident se réfère au niveau superficiel de l'activité conceptuelle. Pourtant, au-delà de 1'esprit conceptuel, nous pouvons aussi trouver deux niveaux d'esprit plus vastes, toujours en action. Le corps-esprit est une façon plus subtile et holistique de sentir, de connaître et d'interagir avec la réalité qui opère d'ordinaire en dehors de l'éventail d'une conscience normale. À ce niveau, je ne suis pas simplement mon corps de chair, pas simplement mes pensées, pas simplement mes sentiments et pas simplement mon ego limité, mais un champ plus large d'énergie, qui est intimement interconnecté avec l'ensemble de la réalité et qui peut donc puiser dans des moyens plus subtils de connaissance et d'être. Le corps-esprit est une passerelle entre le fonctionnement de l'esprit superficiel, orienté vers la forme,' et la dimension plus profonde, sans forme, du grand esprit, la conscience non conceptuelle. La conscience non conceptuelle est l'essence plus vaste de l'esprit luimême, une présence éternelle et vivante qui donne naissance à toute l'activité de l'esprit aux deux autres niveaux. Ces trois niveaux de l'esprit correspondent aux corps grossier, subtil et causal de certains systèmes ésotériques et aux trois kayas de la psychologie bouddhiste (voir l'introduction de la première partie, page 29, et le chapitre 4, page82). ÊTRE Un terme occidental qui désigne notre nature fondamentale essen-
tielle, qui est une présence vivante à l'intérieur de nous. Comme le maître indien Poonja disait:« L'être est présence. Reconnaître cela est sagesse et liberté. » En tant que nom, le mot être peut sembler statique ou abstrait. Mais si nous le considérons comme une forme verbale - en train d'être-, cela dénote le processus vivant que nous sommes, une venue immédiate à la présence et un engagement dans ce qui est. Cette présence indicible et sans forme - dans, autour, derrière et entre toutes nos pensées et expériences particulières - est ce que les traditions orientales considèrent comme notre vraie nature, notre terre d'origine, et ce que les traditions occidentales considèrent comme le soi essentiel ou l'esprit saint. Puisque l'être est présent en toute chose, notre être est aussi inter-être, comme le dit Thich Nhat Hanh. (Dans ce livre, j'évite d'écrire être en lettres majuscules, sauf dans les cas où la syntaxe risquerait autrement de prêter à confusion.) ÉVEILLER Le processus qui consiste (a) à nous éveiller de nos tendances,
croyances et réactions inconscientes qui agissent de manière automatique et nous maintiennent prisonniers dans une vision étroite de qui nous sommes et de ce en quoi consiste la vie ; et (b) à nous éveiller à 386
GLOSSAIRE
notre vraie nature en tant que présence libre, spontanée et transparente d'être. FOND OUVERT, ESPACE OUVERT La nature fondamentalement ouverte de la conscience sous-jacente à tous les états d'esprit conditionnés. Cette conscience ouverte, à l'arrière-plan - analogue d'une certaine façon à l'écran sur lequel un film est projeté -, peut être entraperçue
dans les espaces entre les pensées et les moments de fixation de l'esprit. La méditation offre une façon plus formelle de remarquer ces espaces dans le COURANT DE L'ESPRIT. IDENTITÉ Un concept de soi, élaboré à partir de nos relations avec les
autres durant l'enfance, auquel nous nous identifions, imaginant qu'il représente de façon correcte qui nous sommes. Cela revient à se regarder dans un miroir et à prendre l'image que nous y voyons pour la représentation exacte et complète de qui nous sommes, au lieu de reconnaître qu'il ne s'agit que d'une image partielle, superficielle de notre forme physique. La structure identitaire se compose généralement de deux parties : 1'identité consciente - une image positive de soi que nous essayons activement de promouvoir afin de compenser une identité subconsciente sous-jacente - un sentiment de déficience que nous essayons de masquer parce qu'il menace notre sécurité et l'estime que nous avons de nous-mêmes. INDIVIDUATION Le chemin d'incarnation de notre véritable nature
absolue dans un mode individuel exprimant notre vocation unique et nos dons uniques. Devenir un individu pleinement développé implique de cultiver tout l'ensemble de nos ressources humaines fondamentales, qui existent en tant que graines potentielles à l'intérieur de nous, mais qui sont souvent bloquées par des schémas psychologiques inconscients. L'individuation en ce sens n'a rien à voir avec l'individualisme - qui défend et renforce de manière compulsive notre individualité séparée. À la place, l'individuation implique de forger un réceptacle - l'individu authentique - à travers lequel nous pouvons amener la nature véritable absolue à prendre forme - la « forme » de notre personne. L'individu authentique est totalement transparent au fond plus large de l'être. KARMA L'enchaînement de la cause et de l'effet, des réponses condi-
tionnées et des schémas habituels. De façon plus spécifique, la transmission des tendances d'un instant de l'esprit au suivant, le processus conduisant d'une chose à une autre, habituellement sans que nous en ayons beaucoup conscience. Le chemin de l'éveil est souvent vu comme un processus consistant à amener la conscience à s'intéresser à ce fonctionnement inconscient des schémas habituels du passé, de sorte qu'ils ne régissent plus désormais notre vie. KA YA Littéralement, corps ; terme utilisé dans le bouddhisme pour faire
référence aux trois corps du Bouddha, les trois façons pour la réalité de
POUR UNE PSYCHOLOGIE DE L'ÉVEIL
se manifester: en tant que forme (nirmanakaya), énergie (samboghakaya) et espace (dharmakaya) (voir /'introduction de la première partie, page29). KLESHA Fixations émotionnelles qui accompagnent l'activité de saisie de l'ego, à savoir, l'orgueil, l'agressivité, l'avidité, la jalousie et l'indifférence. MAHAMOUDRA Littéralement, le grand geste. L'ouverture complète et spontanée à la réalité telle qu'elle est, à travers la reconnaissance du fait que cette réalité n'est pas différente de nous-mêmes ni différente de la conscience qui s'y ouvre, de sorte qu'il y a interpénétration complète de soi et du monde. Le Mahamoudra désigne également la tradition du vajrayana qui pratique cet enseignement. MAITRI L'amour bienveillant et la gentillesse inconditionnels; la bonne disposition d'esprit qui nous permet de sentir ce que nous sentons et d'avoir l'expérience que nous avons, sans pour autant nous juger en fonction d'elle. C'est le fondement d'une réelle évolution et d'un réel changement, car aussi longtemps que nous demeurons dans le jugement de nous-mêmes, nous restons divisés et nous ne pouvons aucunement progresser de manière saine et unifiée. NATURE DE BOUDDHA Littéralement, notre nature éveillée, présente dans tous les êtres humains de façon embryonnaire. Bien que la plupart des gens ne reconnaissent pas leur nature éveillée fondamentale, elle reste néanmoins active et vivante, en coulisses. NATURE VÉRITABLE Ce qui est intrinsèque et non conditionné; plus ou moins synonyme de NATURE DE BOUDDHA et de fondement de l'être. Ce terme est une tentative de nommer l'innommable. Notre nature essentielle est une présence que nous pouvons expérimenter directement mais que nous ne pouvons emprisonner dans des mots, pas plus que nous ne pouvons réellement décrire quel est le goût d'une pêche. Pour cette raison, certains maîtres orientaux préfèrent n'utiliser aucun mot pour désigner notre nature fondamentale, n'employant que le terme ça. NON DUEL Ce terme se réfère au plus haut niveau des enseignements spirituels orientaux qui mettent l'accent sur le fait que notre soi relatif n'est pas essentiellement différent ni séparé du fond absolu de l'être, la véritable nature de toute chose. Les enseignements non duels adoptent la perspective absolue, dans laquelle les différences individuelles sont reconnues mais ne sont pas considérées comme fondamentales. Il existe, par exemple, une infinité de formes de bijoux en or, pourtant ils sont tous fondamentalement de l'or. Qie nous jugions leurs formes et leurs contours beaux ou laids, cela n'altère en rien le fait qu'ils sont tous, de manière égale, en or.
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Ainsi du point de vue non duel, le personnel et le supra-personnel, le corps et l'esprit, l'individuel et l'universel, la matière et l'esprit, ne sont que différentes expressions d'une réalité première plus fondamentale qui, à strictement parler, ne peut même être nommée. Puisque cette réalité fondamentale est notre vraie nature, nous ne pouvons nous distancier d'elle ni l'objectiver. NON-MÉDITATION Un terme de la tradition DZOGCHEN qui fait réfé-
rence au repos total, sans technique de méditation, dans la présence pure et transparente de la conscience qui existe d'elle-même. Dans cette perspective, les méthodes de méditation formelle demeurent encore à l'intérieur de la sphère de l'esprit conceptuel, parce qu'elles impliquent quelque intention ou méthode dirigées. La nonméditation est le fruit de la pratique de la méditation et va totalement au-delà de l'esprit conceptueL ONTOLOGIE L'étude de l'être. Une approche ontologique considère les
choses à la lumière de notre être essentiel, plutôt qu'à la lumière des conditions plus contingentes qui nous ont façonnés. La psychologie, à 1'opposé, est 1'étude des conditions de développement, d' environnement, de tempérament et d'ordre organique qui façonnent la vie humaine, par opposition à la perspective plus fondamentale de l'ontologie, l'étude de l'être lui-même et de sa façon d'imprégner nos vies. PERSONNALITÉ L'ensemble du complexe de notre nature conditionnée, y
compris l'ego directorial, l'identité égotique et les schémas habituels qui s'élèvent du fait que nous nous prenons pour cette identité. La personnalité conditionnée est donc assez différente de la personne véritable. PERSONNE O!iand j'utilise l'expression personne véritable ou authentique,
je me réfère à la façon dont la véritable nature absolue peut se manifester et s'exprimer d'une manière personnelle unique. La personne, en ce sens, est le véhicule humain unique à travers lequel brille la nature véritable. Ce n'est pas une structure solide ni substantielle, mais plutôt une qualité de présence particulière. La personne authentique se développe grâce au travail intérieur, en arrachant les scories - le conditionnement et les obscurcissements qui nous empêchent d'incarner nos graines potentielles individuelles. La personne authentique est le fruit du processus d'individuation. La personne est la manifestation extérieure de ce mûrissement - notre manière de nous manifester. L'AME est la manifestation intérieure - notre mode d'être. La personne authentique est la capacité de présence personnelle, de contact personnel et d'amour personnel - qui permet à l'intimité personnelle de devenir une voie de transformation. PHÉNOMÉNOLOGIE Littéralement, l'étude du phénomène; l'étude de la
structure d'une expérience et de sa façon de fonctionner. Ainsi, une psychologie phénoménologique ne se base pas sur des théories ni des
POUR UNE PSYCHOLOGIE DE L'ÉVEIL hypothèses mais elle reste très proche de 1'expérience. Ses concepts sont quasi expérimentaux. Par exemple, définir l'Eco comme l'activité de synthèse de la psyché n'est pas phénoménologique, parce que nous ne pouvons pas réellement expérimenter cette activité de synthèse. Pour la phénoménologie, l'ego est simplement une structure théorique que le philosophe F.S.C. Northrop appelle un concept par postulat. Définir l'ego en tant qu'activité de saisie, à l'opposé, est phénoménologique, parce que nous pouvons réellement expérimenter cette activité de saisie comme une tension dans l'esprit et dans le corps. C'est ce que Northrop appelle un concept par intuition. Les concepts par postulat ont bien sûr leur place et leur utilité. Mais dans le domaine de la psychologie, ils peuvent devenir problématiques, en particulier lorsqu'ils sont mélangés à des réalités expérimentales. Le concept psychanalytique d'ego, par exemple, est souvent source de confusion parce qu'il mêle ensemble des éléments hypothétiques et expérimentaux. PRÉSENCE D'ESPRIT Une attention claire à ce qui se passe dans le cou-
RANT DE L'ESPRIT et dans notre activité ou notre environnement. Cela implique de remarquer ce qui se passe sans y réagir ni s'y identifier. La méditation sur l'attention est une pratique qui cultive délibérément cette forme de présence-témoin non réactionnelle. PRÉSENCE INCONDITIONNELLE La capacité de pleinement reconnaître, permettre et nous ouvrir à notre expérience immédiate, simplement
telle qu'elle est, sans plan préétabli ni jugement ou manipulation d'aucune sorte. Ici, nous faisons un avec notre expérience, sans la barrière sujet/objet. C'est une capacité innée de notre être, que nous devons pourtant d'ordinaire apprendre à cultiver au départ, parce que la tendance habituelle de l'EGO implique toujours une saisie et un rejet, qui renforcent la séparation et contrecarrent la présence authentique. PROJET D'IDENTITÉ La tentative continuelle d'établir notre identité
consciente en tant que quelque chose de solide, de défini et qui en vaut la peine. C'est un projet sans fin parce que l'identité n'est qu'un concept mental et ne peut donc jamais être définitivement établie. Une part de la force motrice derrière le projet d'identité est notre besoin d'établir et de prouver notre identité consciente, afin de contrecarrer une identité subconsciente, déficiente, qui nous menace. Par exemple : «J'ai le contrôle» masque la peur sous-jacente de «Je suis impuissant ,. ; «Je suis indépendant ,. recouvre «Je suis trop dans le besoin ,., etc. RELATION D'OBJET Un terme technique qui se réfère aux empreintes
soi/autre qui se forment au cours de notre développement et modèlent notre sens d'identité. Dire que notre identité est fondée sur des relations d'objet signifie qu'elle s'est construite à partir de notre réaction à la façon significative dont les autres nous ont vus, traités et répondu.
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GLOSSAIRE
Toute relation d'objet se compose de trois éléments: une vision de l'autre, une vision de soi en relation à l'autre et un sentiment qui accompagne cette relation particulière. Si nous voyons, par exemple, nos parents comme des êtres attentifs qui nous soutiennent, nous pouvons développer une vision de nous-mêmes comme étant dignes d'intérêt, et le sentiment correspondant peut être la confiance et le respect de nous-mêmes. Si nos parents sont abusifs, nous pouvons finir par voir les autres comme menaçants et nous-mêmes en tant que victimes ; notre vie peut être alors imprégnée de peur, de méfiance ou de paranoïa. De ce point de vue, chaque vision de l'autre implique une vision de soi, et chaque vision de soi implique une vision de l'autre. Un terme moins technique que j'utilise à la place de relation d'objet est 1'agencement soi/autre. La façon dont l'esprit crée une vision illusoire de la réalité, à travers des idées erronées ou fausses. En tibétain, ce terme implique l'idée de « tourner en rond dans des cycles ». Le samsara est la confusion et la souffrance qui résultent du fait de ne pas reconnaître notre nature véritable mais, au lieu de cela, de fonder notre vie sur la fiction du soi construit, d'imaginer que nos pensées à propos de qui nous sommes représentent la réalité.
SAMSARA
Littéralement, agrégats de tendances qui forment les composantes de l'EGO. Ces cinq constituants de l'activité égotique comprennent : la forme (la tendance à se contracter contre le fond ouvert et à solidifier un soi en tant que distinct de 1'autre, en même temps que séparé de l'être lui-même), la sensation (prendre des positions pour ou contre, fondées sur cette division initiale), l'impulsion (saisir, rejeter, ignorer), la conceptualisation (développer des scénarios élaborés et des croyances à propos de soi et de l'autre), la conscience (le courant continu de l'activité de l'esprit, l'esprit affairé).
SKAN DHAS
Tantra signifie littéralement continuité et fait référence à la continuité et à la co-émergence de la vérité absolue et de la vérité relative, du ciel et de la terre, de l'esprit et de la matière, de la vacuité et de la forme, de l'éveil et du SAMSARA. Du point de vue tantrique, le samsara et l'éveil sont entrelacés ensemble comme les deux côtés d'un tissu. C'est la raison pour laquelle les émotions et les états d'esprit confus peuvent soudain se transformer en conscience éveillée et c'est aussi pourquoi le Tantra est connu en tant que chemin de transformation. Nous n'avons donc pas à essayer de fuir ou d'éviter l'impureté, la confusion, la douleur, les ténèbres, l'agressivité, la peur et tous les autres états difficiles. En fait, plus nous fuyons ces états ou plus nous tentons de les arranger, plus nous nous distançons de l'éveil potentiel qui est caché en eux. Voir également
TANTRA, BOUDDHISME TANTRIQUE
VAJRAYANA.
TELLÉITÉ La dimension d'être, pure et ineffable, des choses, qui ne peut
être connue que directement, de manière indicible. Comment, par
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POUR UNE PSYCHOLOGIE DE L'ÉVEIL
exemple, quelqu'un pourrait-il mettre en mot la « vous-ité » qui vous est particulière, la qualité de votre présence unique, que personne d'autre ne manifeste exactement de la même manière? Telléité veut dire tel que c'est en soi-même, simplement ainsi. TRANSMUTATION Un processus de transformation psychologique qui
implique la dissolution des états négatifs et nuisibles de l'esprit, dans leur véritable nature en tant que CONSCIENCE pure, éveillée. VACUITÉ Ce terme, qui a de nombreux niveaux de signification dans les
différents contextes et traditions bouddhistes, ne se réfère pas à quelque chose que l'on puisse épingler ni à un attribut défini des choses, tel que chaud ou froid, grand ou petit. Vacuité est un mot qui indique ce qui est au-delà de tous les mots et de tous les concepts - la dimension de la réalité qui ne peut être cernée comme quelque chose de défini, solide, fixe, immuable ou que l'on peut appréhender. C'est la dimension illimitée et spacieuse de l'être ou, selon les termes d'Herbert Guenther, «la dimension ouverte d'être». C'est être, expérimenté en tant que dimension d'espace, qui est à la fois porteur de possibilités et intrinsèquement libre de tout obscurcissement conceptuel. Puisque c'est ce qui permet aux choses d'être, de se manifester telles qu'elles sont, c'est également une plénitude. Et du fait de cette qualité spacieuse d'être, aucune fixation mentale, ni compulsion émotionnelle ne peut finalement rester accroché à nous. Pour cette raison, la vacuité constitue le fondement de la libération et de l'éveil spirituel. Autres termes proches du sens de vacuité : 1'insondable, 1'expansivité, 1'indéfinissable, 1' inconnu ou 1'inconnaissable, 1'éternel changement, le potentiel. VAJRAYANA Littéralement, la voie indestructible; ce terme est à peu près
synonyme de TANTRA dans la tradition bouddhiste. Ce chemin est considéré indestructible parce qu'il travaille directement avec toutes les énergies de la psyché et du monde phénoménal, transmutant les forces négatives et les émotions en qualités de CONSCIENCE éveillée. Le bouddhisme vajrayana s'est principalement développé dans le nord de l'Inde et au Tibet, bien qu'on puisse également le trouver dans tous les pays himalayens ainsi qu'au Japon.
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