Pour l ecole du peuple - guide pratique pour l'organisation matérielle, technique et pédagogique de l'école populaire 270710308X, 9782707103086

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Pour l ecole du peuple - guide pratique pour l'organisation matérielle, technique et pédagogique de l'école populaire
 270710308X, 9782707103086

Table of contents :
Préface d’Élise Freinet
I L’école moderne française
Avertissement
Introduction
1. Principes généraux de l’adaptation au milieu du nouveau comportement scolaire
1. But de l’éducation
2. L’école centrée sur l’enfant
3. L’enfant construit lui-même sa personnalité avec notre aide
4. L’école de demain sera l’école du travail
5. têtes bien faites et mains expertes plutôt qu’outres bien pleines
6. une discipline rationnelle, émanation du travail organisé
7. une école du xxe siècle pour l’homme du xxe siècle
8. Cette réadaptation se fera en partant de la base
9. la complexité sociale de cette réadaptation
10. L’école du peuple ne saurait être sans la société populaire
2. Les grandes étapes éducatives
1. la période préscolaire
2. Réserves et jardins d’enfants
3. L’école maternelle
1. Locaux et dépendances
2. Matériel et technique à l’École maternelle
3. Alors commence la période de travail.
4. Activités intellectuelles
5. Activités d’expression artistiques
6. Fichiers
7. Plans de travail
8. Place des leçons
4. à l’école primaire
Considérations préliminaires
1. les locaux de l’école primaire
2. technique scolaire pour une éducation du travail
3. aperçu initial sur la vie communautaire de l’école
4. l’entrée en classe un lundi matin
5. texte d’imprimerie et complexe d’intérêts
6. l’école en fonctionnement
7. l’après-midi
8. détails complémentaires de la vie scolaire
3. Complexe d’intérêts et programmes scolaires
4. Pratiquement
1. Abolition de l’estrade
2. Constitution d’une coopérative scolaire
3. Le texte libre
4. Le jardin scolaire
5. étude du milieu local
6. l’agenda scolaire
7. fichiers autocorrectifs, cahiers autocorrectifs, bandes programmées
8. échanges interscolaires
9. le dessin libre
10. Organisation du travail libre
11. Plans de travail
12. Journal mural
13. Le fichier scolaire coopératif
14. Organisation de la bibliothèque de travail
15. Le classement des fiches et le dictionnaire-index
16. Conférences d’élèves
17. première réorganisation matérielle et technique de la classe
18. réalisation d’un journal scolaire manuscrit ou polygraphié au limographe
19. gravure du lino
20. L’imprimerie à l’école
21. les ateliers de travail
22. carnet scolaire et contrôle
23. Atelier d’expérimentation scientifique
24. Achat d’un appareil de projection fixe
25. Phonos et disques
26. Radio, magnétophone et télévision
27. Théâtre et marionnettes
28. Cinéma
les dossiers pédagogiques
la collection « bibliothèque de l’école moderne »
numéros spéciaux
collection « documents de l’icem »
II Les invariants pédagogiques
1. La nature de l’enfant
2. Les réactions de l’enfant
3. Les techniques éducatives

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Célestin Freinet

Pour l’école du peuple Guide pratique pour l’organisation matérielle, technique et pédagogique de l’école populaire FRANÇOIS MASPERO 1, place Paul-Painlevé, 5e PARIS 1977

© Librairie François Maspero, Paris, 1969 Tous droits réservés : École Moderne Française, Cannes ISBN 2-7071-0308-X

Préface d’Élise Freinet Si j’avais à organiser aujourd’hui cette école du peuple, je m’appuierais sur ce principe que ce qui conditionne la vie des hommes, ce qui suscite et oriente leurs pensées, ce qui justifie leur comportement individuel et social, c’est le travail, dans tout ce qu’il a aujourd’hui de complexe et de socialement organisé, le travail moteur essentiel, élément de progrès et de dignité, symbole de paix et de fraternité. L’Éducation du travail. C’est dans les camps de concentration de Vichy, en dépit de tant de limitations imposées à des hommes à l’esprit libre, que Freinet trouva le temps et l’occasion de repenser en profondeur son œuvre pédagogique. Pour en faire surgir les données intellectuelles d’une théorie venue à l’affleurement d’une action loyale et efficace ; pour réintroduire cette théorie organique – comme un levain – dans un pragmatisme de première et exigeante nécessité. C’est dans ces conditions que Freinet écrivit coup sur coup ses deux livres essentiels qui sont le fondement de sa philosophie : L’Éducation du travail et Essai de psychologie sensible qui éclairent par le dedans toute sa pédagogie expérimentale. C’est à vrai dire à cette pédagogie expérimentale que Freinet apporta le plus clair de son temps dans ses activités quotidiennes, comme dans ses réflexions critiques. Rien de reposant au demeurant dans cette incessante remise en chantier de pratiques apparues pour un temps comme sûres et décisives. Le doute

constructeur ne cessait de mettre l’acquis à l’épreuve pour en chasser impitoyablement la scolastique toujours renaissante : « Douter de ce qui est certain et non pas de ce qui est douteux, voilà l’esprit(1). » Et voilà l’arme souveraine contre tout système et tout endoctrinement. « Loin de nous satisfaire des premières réussites, écrit Freinet, nous en ressentions les insuffisances et les faiblesses, nous avions conscience des trous à combler et nous ne cessions de chercher par tâtonnements les ajustements matériels et techniques susceptibles de rendre plus efficient tout notre système éducatif. » Pendant plus de quinze ans, en effet (de 1923 à 1939), Freinet avait créé de toutes pièces des outils et des techniques nouvelles d’éducation réalisant par excellence« cette école active sur mesure dont la réalisation dans les classes primaires a semblé longtemps une utopie ». C’est ainsi qu’il appela à lui un nombre grandissant d’adeptes enrôlés sous le signe enthousiasmant de la Rénovation de l’Enseignement. C’est ainsi que dès la fin des hostilités, en mai 1945, Freinet, lançant le signal de ralliement de tous ses camarades, précisait une fois de plus l’esprit de large ouverture d’une pédagogie appelée à devenir pédagogie de masse : « Notre mouvement pédagogique n’est point ratatiné autour de quelques méthodes, si excellentes soient-elles. Nous ne visons pas au succès d’une méthode ni à la diffusion d’un matériel, si parfait soit-il. Notre but est la rénovation et la modernisation de l’École populaire, l’efficience de nos efforts, la revalorisation du travail des éducateurs au sein du peuple conscient de sa mission historique… Tous ensemble, selon ce même esprit qui nous a valu le succès que nous enregistrons aujourd’hui, nous organiserons, nous construirons l’École moderne populaire française. » Organiser : C’est une nécessité vitale pour les collectivités devenues victorieuses des conformismes ou du chaos. À peine sorti du camp, Freinet trouva dans le maquis puis dans le Comité de Libération dans lesquels il assurait les charges d’animateurresponsable, l’occasion de revaloriser plus encore l’organisation.

Non seulement l’organisation technique qui vise à mettre en place et à hiérarchiser les divers organismes sur lesquels la communauté repose, mais encore et surtout à trouver place et hiérarchie aux valeurs profondes qui assurent le renouveau de la vie. C’est dans la création d’un centre scolaire à Gap, dans les bâtiments d’un séminaire ecclésiastique, que Freinet, plus encore que par le passé, s’appliqua à instaurer une organisation pédagogique, humaine, culturelle de la communauté d’enfants. C’est avec ces enfants-là, dans les conditions économiques et sociales de l’après-guerre immédiat, en liaison avec le peuple qui avait instauré les maquis et les magnifiques élans de la Résistance, que Freinet écrivit son École moderne française. Elle fut appelée « française » non par l’effet d’un nationalisme qui venait de faire ses preuves par la mobilisation des énergies ayant assumé la Libération, mais par une sorte de ralliement des esprits libres pour le vaste et fraternel problème de l’éducation. À cet instant, il faut le dire, le peuple croyait qu’un phénomène nouveau allait se produire comme un second quatre-vingt-neuf ! Il fallait donc tout de suite se mettre à l’ouvrage en allant aux actes nécessaires de l’actualité sociale et politique, mais aussi en œuvrant dans le sens de l’Histoire, dans la ligne d’une organisation plastique des masses centrées sur leurs intérêts les plus positifs. C’est dans ces objectifs immédiats que fut écrit ce livre hâtif, riche de semences essentielles, condensées dans un sous-titre qui était alors tout un programme :

GUIDE PRATIQUE POUR L’ORGANISATION MATÉRIELLE, TECHNIQUE ET PÉDAGOGIQUE DE L’ÉCOLE POPULAIRE

Ce guide pratique ne sera donc pas un simple recueil de recettes pédagogiques : ayant délimité les principes généraux d’une

pédagogie populaire, Freinet va en préciser pas à pas l’organisation, c’est-à-dire en faire surgir opératoirement les structures. Les structures, ce sont les techniques essentielles de travail scolaire, étroitement liées entre elles ; ce sont les coordonnées donnant unité et solidité à une pédagogie de mouvement marchant au rythme de la vie. Nous touchons à la notion de l’invariance que Freinet devait reprendre quelque vingt ans plus tard dans Les Invariants pédagogiques (1964). « C’est une nouvelle gamme des valeurs scolaires que nous voudrions ici nous appliquer à établir – écrivait Freinet dans une brève préface – sans autre parti pris que nos préoccupations de recherche et de vérité, à la lumière de l’expérience et du bon sens. Sur la base de ces principes que nous tiendrons pour invariants, donc inattaquables et sûrs, nous voudrions réaliser une sorte de Code pédagogique qui vous permettra d’aboutir avec un minimum de tâtonnements et de risques à l’exercice d’un métier qui est formule de vie : celui d’éducateur. » C’est donc à dessein que nous avons réuni en un seul volume, ces deux livres complémentaires que sont L’École moderne française et Les Invariants pédagogiques, visant l’un et l’autre à un recyclage permanent des enseignants, dans un même but : le renouveau de l’École du peuple. Il ne s’agit plus aujourd’hui d’apporter à un enseignement, quel que soit son niveau, quelques transformations formelles : « C’est une rénovation profonde et efficiente de la formation des jeunes générations qu’il faut réaliser… On peut dire que, malgré l’adhérence tenace d’une tradition séculaire, la scolastique a fini son règne. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas danger à prolonger son agonie. Vous devez lui substituer, sans retard, une formation qui puise enfin dans le peuple, dans ses besoins, dans ses modes de vie, dans ses habitudes d’agir, de travailler et de penser, les racines vivantes qui assureront la puissance de sa sève. Mais vous rattacherez en même temps cette formation à la grande pensée humaine, à tout ce que le progrès nous a apporté de positif et de définitif, comme aux grands

courants de civilisation qui, à travers les siècles, par le truchement de la religion et de la tradition, ont commencé le mouvement en avant que nous avons pour mission de renforcer et de continuer(2). » E. F.

I L’école moderne française

Avertissement Comme l’indique son sous-titre, le présent ouvrage est essentiellement pratique. Nous y avons réduit au minimum indispensable pour justifier les solutions préconisées toutes considérations psychologiques et philosophiques que les lecteurs pourront étudier dans les livres que nous indiquerons d’autre part. Éducateurs et parents sont, au seuil de cet après-guerre tragique, comme à un difficile et angoissant carrefour. Ils ont conscience de l’inutilité, de l’impuissance ou même de la nocivité des voies naguère familières et qui n’ont pas su enrayer la catastrophe si même elles n’y ont pas, dans certains cas, conduit méthodiquement. Mais parmi les sentiers qui s’offrent, plus ou moins défrichés, plus ou moins parallèles aux routes de l’erreur, lesquels choisir qui ne soient pas envahis par les mots inutiles et les fallacieuses théories ? Le touriste qui part en excursion n’a que faire des considérations esthétiques, sociales ou humanitaires de ceux qui ne se sont jamais lancés qu’en imagination à la conquête des cimes. Ce qu’il lui faut c’est un guide précis et pratique qui lui permette de parvenir, avec un minimum de risques et d’erreurs, au but qu’il se propose. C’est un tel guide que nous avons essayé de réaliser pour les éducateurs. Les chemins qu’il indique ne sont certes pas toujours parfaitement déblayés ; ce ne sont point encore des routes larges, unies, empierrées et goudronnées, mais plus souvent des pistes à flanc de coteau, qui serpentent de clairière en clairière à l’assaut des cols et des pics. Mais ces pistes existent, soigneusement jalonnées, avec leurs refuges et leurs relais. Il vous appartiendra justement d’en améliorer le tracé et la contexture pour en faire les chemins sûrs où pourront s’engager avec confiance les bons ouvriers de l’avenir.

Introduction Avant d’aborder la partie constructive de ce livre, nous tenons à poser rationnellement et humainement le problème de l’école populaire. Nous disons bien : populaire. Non seulement pour limiter afin de mieux l’approfondir notre sujet spécial, mais pour marquer une étape nouvelle dans l’évolution de l’École. Avec un retard plus ou moins déplorable dû à l’inertie tenace des institutions dépassées, l’École s’adapte lentement, en tout temps et en tous lieux, au système économique, social et politique qui la domine. Qu’on le regrette ou qu’on s’en félicite, cette adaptation est un fait, et un coup d’œil rapide sur deux mille ans de notre histoire en fera sommairement la preuve. Au Moyen Âge, nous dit-on, les seigneurs étaient fort peu instruits et ne savaient pas toujours lire, parce que lire et écrire n’était pas, à ce moment-là, absolument indispensable à la fonction sociale du seigneur. Mais on ne négligeait par contre ni sa formation de seigneur, ni celle de chasseur ou de guerrier. Cette formation avait même l’originalité enviable d’être non pas livresque ou formelle, mais essentiellement active et pratique : stage du jeune seigneur comme page, initiation à la chasse, à l’équitation, aux épreuves guerrières des tournois. C’était une école liée à la vie et répondant dans une large mesure aux nécessités individuelles et sociales de l’époque ; l’adaptation était satisfaisante pour le milieu considéré. Cathédrales et abbayes eurent aussi leurs écoles spéciales, où étaient accueillis des enfants de toutes conditions. Leur formation était conçue et réalisée dans un but précis : l’initiation de futurs hommes d’Église qui n’auront pas à comprendre, mais à croire et à servir dans le giron jaloux de l’Église.

Pédagogie et techniques étaient adaptées à ces fins. La bourgeoisie montante eut à son tour ses écoles où l’on enseigna la lecture et l’écriture – ces outils si rares, si prisés et si respectés à l’époque – la culture ancienne, grecque ou latine, la médecine et la dispute, toutes conquêtes qui allaient asseoir sur des bases nouvelles l’autorité de cette classe d’administrateurs et de marchands. Nouvelle étape au XIXe siècle : l’instruction du peuple devint une nécessité économique. Le capitalisme triomphant institua donc l’école publique qui fut, elle aussi, durant une période du moins, adaptée aux buts spéciaux qui l’avaient fait naître. Il ne s’agissait point, au fond – et quels que fussent les théories et les discours des universitaires idéalistes – d’élever le peuple, mais de le préparer à remplir avec plus de rationnelle efficience les besognes nouvelles que le machinisme allait lui imposer. Lire, écrire, compter, devenaient les techniques de base sans lesquelles le prolétaire n’était qu’un ouvrier médiocre. Et, dans le même temps, les rudiments de littérature, d’enseignements géographique, historique, scientifique et moral devaient parfaire l’adaptation de l’individu au cadre étroit de son nouveau destin économique. Cette adaptation était à peu près parfaite dans la période 18901914. Le peuple lui-même était apparemment satisfait et même quelque peu fier d’une école qui faisait de ses fils des « savants ». Les philosophes exaltaient les vertus de la raison et de la science, ces nouveaux dieux ; la patrie semblait solidement cimentée et les marchands de tout poil faisaient en toute sécurité de bonnes affaires. Le charme fut pourtant rompu et l’escroquerie macabre de 19141918 y contribua largement. Peu à peu, les plus clairvoyants et les meilleurs parmi le peuple prirent conscience du destin de leur classe et du mensonge intéressé de l’éducation qu’ils avaient subie. Tout comme avaient pris conscience du destin de leur classe et de leurs possibilités sociales et politiques les premiers grands bourgeois qui, par instruction, par ruse ou par force arrachèrent obstinément à une seigneurie vieillie les éléments de leur domination.

La classe populaire commençait sa lutte pour l’adaptation à ses besoins spécifiques de l’éducation de ses enfants. L’école laïque alla déclinant ; les maîtres d’avant-garde essayèrent de hâter l’évolution en réadaptant au mieux l’organisme désaxé ; les militants ouvriers tressèrent autour de l’école publique un réseau disparate d’œuvres postscolaires, de publications et d’organismes qui étaient autant de tentatives d’adaptation. Les philosophes eux-mêmes dressèrent des plans théoriques pour la nouvelle éducation. Aujourd’hui le divorce est patent et n’est que le reflet d’ailleurs de l’opposition permanente de classes sociales à la recherche d’un nouvel équilibre. Cette école publique adaptée à la vie de la période 1890-1914 et qui s’obstine dans une conception pédagogique, technique, intellectuelle et morale aujourd’hui dépassée, ne répond plus ni au mode de vie, ni aux aspirations d’un prolétariat qui prend chaque jour davantage conscience de son rôle historique et humain. Cette école ne prépare plus à la vie ; elle n’est tournée ni vers l’avenir, ni même vers le présent ; elle s’obstine dans un passé révolu, comme ces vieilles dames qui, parce qu’elles ont eu un succès mérité pendant leur jeunesse ne veulent rien changer à leur genre de vie ni à la mode qui leur avait réussi, et qui maudissent l’évolution autour d’elles d’un monde condamné. L’École ne prépare plus à la vie, ne sert plus la vie ; et c’est là sa définitive et radicale condamnation. De plus en plus, la formation vraie des enfants, leur adaptation au monde d’aujourd’hui et aux possibilités de demain, se pratiquent plus ou moins méthodiquement hors de l’école, parce que l’École n’y satisfait point. Et, fait caractéristique, les nouveaux conducteurs des peuples, du militant ouvrier à l’organisateur de coopérative, aux chefs d’armées et jusqu’aux suprêmes dirigeants politiques, sont bien souvent des hommes que l’École publique a méconnus ou rejetés, ou qu’une société égoïste et marâtre en avait éloignés et qui, à même leur

fonction sociale, à même la lutte, se sont forgé une culture et une philosophie qui tendent à dominer le monde et à laquelle l’école sera bien contrainte un jour de se plier. Nous en sommes là : un fossé, qui va s’approfondissant chaque jour, sépare de plus en plus la traditionnelle école publique adaptée tant bien que mal à la démocratie capitaliste du début du siècle, et les besoins impérieux d’une classe qui sent la nécessité de former les générations nouvelles à l’image de la société qu’elle entrevoit et dont elle a commencé la majestueuse édification. Les éducateurs doivent sans plus de retard prendre conscience de cette désadaptation, opérer l’effort de rajeunissement qui s’impose, rejeter les larges chapeaux et les jupes à volants d’une époque qui a fait son temps, se mettre hardiment aux écoutes de la vie nouvelle, s’adapter à cette vie, à son esprit, à ses techniques, à ses obligations ; cesser de bouder l’avenir au nom d’une routine qui n’est plus qu’un frein dangereux à la vie qui monte ; le mettre à la mode. « Chapeau bas devant le passé, bas les vestes pour l’avenir », écrivait il y a vingt ans un pédagogue anglais, Sanderson. Allons, tombez la veste et venez nous rejoindre au grand chantier de l’École populaire. ---oOo--C’est à notre groupe d’éducateurs d’avant-garde rassemblés autour de l’idée-symbole de l’Imprimerie à l’École, que devaient revenir la charge et l’honneur de procéder à cette élémentaire adaptation de nos conceptions pédagogiques, de notre matériel et de nos techniques de travail au service de la vie. Depuis trente ans, nous luttons pour faire surgir, du sein même de l’École publique, cette École du peuple dont nous avons minutieusement élaboré les fondements techniques. Nous sommes nombreux déjà à avoir, non seulement en pensée, en théorie, mais aussi en pratique, franchi le fossé. C’est la masse des éducateurs que nous devons aujourd’hui mobiliser pour notre essentiel combat, en préparant soigneusement – pour parler le langage stratégique, hélas ! courant – les têtes de ponts principales, en jetant sur le fossé

les passerelles qui permettront aux timides eux-mêmes de rejoindre sans plus tarder le gros des troupes de la nouvelle éducation populaire. Ceci dit, nous n’avons d’ailleurs pas la prétention de détenir le monopole de cette adaptation, ni de fixer prématurément les formes d’une vie scolaire dont le dynamisme est la grande loi pédagogique. Fiers de notre passé, forts de notre expérience, nous lançons des avant-gardes vigilantes et éclairées. Mais c’est tous ensemble ensuite, éducateurs du peuple, que, parmi le peuple, dans la lutte du peuple, nous réaliserons l’École du peuple.

1. Principes généraux de l’adaptation au milieu du nouveau comportement scolaire Une réadaptation de notre école publique s’impose donc pour mettre au service des enfants de ce milieu du XXe siècle une éducation qui réponde aux nécessités individuelles, sociales, intellectuelles, techniques et morales de la vie du peuple au temps de l’électricité, de l’aviation, du cinéma, de la radio, du journal, de l’imprimerie, du téléphone, dans un monde que nous espérons être bientôt celui du socialisme triomphant. Nous rappellerons succinctement ici les principes essentiels qui vont nous guider dans cette réadaptation. Nous n’en justifierons ni les fondements psychologiques ni la valeur pédagogique avec lesquels nos lecteurs pourront se familiariser en consultant les livres dont nous donnerons la liste ultérieurement. 1. BUT DE L’ÉDUCATION Le but lui-même de l’éducation est tout entier à reconsidérer. Que voulons-nous obtenir de nos enfants ? Avant d’installer son usine, l’ingénieur a une idée précise des objets qu’il se prépare à fabriquer. Il a pratiqué un sondage commercial préliminaire pour se rendre compte des possibilités et des conditions d’écoulement de ses produits, dont il déduira les normes de fabrication qui lui permettront d’affronter la concurrence. La partialité de cette prospection est d’ailleurs à l’origine de l’inhumaine rationalisation capitaliste, car l’industriel ne se pose pas la question essentielle : « Le produit que je vais obtenir sera-t-il utile

à la société ? » mais seulement celle-ci tout égoïste et accessoire : « Mon produit pourra-t-il se vendre ? Parviendrai-je à le vendre suffisamment cher et en assez grande quantité ? Pourrai-je comprimer suffisamment mes frais généraux pour recueillir un bénéfice substantiel qui paye l’entreprise ? » Parents et Société – ces parrains naturels de notre école publique – raisonnent malheureusement trop souvent comme le capitaliste intéressé. Pour la plupart des parents, ce qui importe, en effet, ce n’est point la formation, l’enrichissement profond de la personnalité de leurs enfants, mais l’instruction suffisante pour affronter les examens, occuper des places enviées, entrer dans telle école ou prendre pied dans telle administration. Considérations humaines certes, dont la faiblesse n’incombe pas exclusivement aux parents, parce qu’elle est la conséquence d’une conception trop directement utilitaire de la culture, de la croyance en la seule vertu de l’acquisition formelle. À l’autre pôle, la société n’est ni plus compréhensive ni plus généreuse. Elle est trop souvent dominée par le souci politique de durer et n’a pas le loisir de penser à ce qui sera dans dix ou vingt ans. C’est le lendemain immédiat qui l’obsède. Et c’est pour ce lendemain immédiat qu’elle demande à l’école de préparer l’enfant, pour les buts immédiats qu’elle impose et qui peuvent n’être pas plus rationnels ni plus humains que ceux au nom desquels l’industriel entreprend la fabrication en série et le lancement d’un objet inutile à la société ou peut-être dangereux et nuisible. Face à ces deux conceptions intéressées, qui ne tiennent aucun compte, ni l’une ni l’autre, du point de vue de l’enfant, nous devons définir, nous, le vrai but éducatif : l’enfant développera au maximum sa personnalité au sein d’une communauté rationnelle qu’il sert et qui le sert. Il remplira sa destinée, se haussant à la dignité et à la puissance de l’homme qui se prépare ainsi à travailler efficacement, quand il sera adulte, loin des mensonges intéressés, pour la réalisation d’une société harmonieuse et équilibrée. Mais nous savons aussi que ce n’est là qu’un idéal, qu’il n’est pourtant pas superflu de formuler. Nous savons que, dans la

pratique, les éducateurs auront à composer sans cesse avec l’égoïsme, l’intérêt mal compris, l’organisation irrationnelle et à courte vue, toutes considérations qui risquent de désaxer et de troubler le processus éducatif. Raison de plus pour que les éducateurs soient à jamais illuminés par une claire vision de l’idéal pour lequel ils seront parfois les seuls à se dévouer. 2. L’ÉCOLE CENTRÉE SUR L’ENFANT Techniquement parlant, l’école traditionnelle était centrée sur la matière à enseigner et sur les programmes qui définissaient cette matière, la précisaient et la hiérarchisaient. À l’organisation scolaire, aux maîtres et aux élèves de se plier à leurs exigences. L’école de demain sera centrée sur l’enfant membre de la communauté. C’est de ses besoins essentiels en fonction des besoins de la société à laquelle il appartient que découleront les techniques – manuelles et intellectuelles – à dominer, la matière à enseigner, le système de l’acquisition, les modalités de l’éducation. Il s’agit d’un véritable redressement pédagogique rationnel, efficient et humain, qui doit permettre à l’enfant d’accéder avec un maximum de puissance à sa destinée d’homme. 3. L’ENFANT CONSTRUIT LUI-MÊME SA PERSONNALITÉ AVEC NOTRE AIDE S’il est possible d’établir avec une suffisante certitude quels sont les besoins fonctionnels de la Société en vertu desquels l’État pose d’ailleurs – plus ou moins autoritairement – ses exigences limites, il est plus difficile par contre de connaître assez intimement l’enfant, sa nature psychologique et psychique, ses tendances et ses possibilités, sa richesse et son élan, pour baser sur cette connaissance notre comportement éducatif. Quels que soient les progrès de la science de l’enfant depuis un demi-siècle, il ne nous est pas encore possible de nous appuyer avec succès sur ce balbutiement. Force nous sera donc de pratiquer comme l’éleveur

qui ne parvient qu’imparfaitement à distribuer à ses bêtes la nourriture spécifique qui assurerait leur développement optimum, et qui ne trouve rien de mieux que de conduire ses poulains en liberté dans le pré où ils peuvent à leur aise, entre deux gambades, choisir l’herbe savoureuse qui donnera souplesse et vigueur à leur corps et brillant de santé au poil de leur robe. Comme nous ne pouvons actuellement prétendre conduire méthodiquement et scientifiquement les enfants, en administrant à chacun d’eux l’éducation qui lui convient, nous nous contenterons de préparer à leur intention et de leur offrir un milieu, un matériel et une technique susceptibles d’aider leur formation, de préparer les chemins sur lesquels ils se lanceront, selon leurs aptitudes, leur goût et leurs besoins. Nous mettrons donc l’accent non plus sur la matière à mémoriser, sur les rudiments de sciences à étudier, mais : a) sur la santé et l’élan de l’individu, sur la persistance en lui de ses facultés créatrices et actives, sur la possibilité – qui fait partie de sa nature – d’aller toujours de l’avant pour se réaliser en un maximum de puissance ; b) sur la richesse du milieu éducatif ; c) sur le matériel et les techniques qui, dans ce milieu, permettront l’éducation naturelle, vivante et complète que nous préconisons. 4. L’ÉCOLE DE DEMAIN SERA L’ÉCOLE DU TRAVAIL Cela ne signifie ni qu’on utilisera le travail manuel comme illustration du travail intellectuel scolaire, ni qu’on s’orientera vers un travail productif prématuré ou que le préapprentissage détrônera à l’école l’effort intellectuel et artistique. Le travail sera le grand principe, le moteur et la philosophie de la pédagogie populaire, l’activité d’où découleront toutes les acquisitions. Dans la société du Travail, l’École ainsi régénérée et redressée sera parfaitement intégrée au processus général de la vie ambiante,

un rouage du grand mécanisme dont elle est aujourd’hui trop arbitrairement détachée. 5. TÊTES BIEN FAITES ET MAINS EXPERTES PLUTÔT QU’OUTRES BIEN PLEINES La nécessité que nous venons de mentionner de fonder sur le travail toute l’activité scolaire suppose que l’école tourne définitivement le dos à la manie d’une instruction passive et formelle pédagogiquement condamnée, qu’elle reconsidère totalement le problème de la formation lié à celui de l’acquisition et qu’elle s’organise pour aider les enfants à se réaliser par l’activité constructive. Théoriquement, ce redressement est aujourd’hui communément admis ; pratiquement, il se heurte aux tenaces et routinières habitudes de la scolastique ; socialement, il a contre lui tout le système de sélection, de concours, d’examen qui continue à donner les meilleures places aux outres bien pleines, au détriment des têtes bien faites servies par des mains expertes, qui doivent de haute lutte imposer leur supériorité. 6. UNE DISCIPLINE RATIONNELLE, ÉMANATION DU TRAVAIL ORGANISÉ Ce redressement pédagogique et social porte en lui une harmonie nouvelle qui suscite un ordre profond et fonctionnel, une discipline qui est l’ordre même dans l’organisation de l’activité et du travail, une efficience qui résulte d’une rationalisation humaine de la vie scolaire, toutes conquêtes qui, par-delà les formalismes désuets, concourent à la formation harmonieuse des individus dans le cadre social régénéré. L’École de demain ne sera nullement, comme l’affirment souvent les détracteurs de toute nouveauté, une école anarchique dans laquelle le maître ne parviendra pas toujours à maintenir sa nécessaire autorité. Elle sera au contraire la mieux disciplinée qui soit, parce que supérieurement organisée. Ce qui aura disparu, c’est

effectivement cette discipline extérieure formelle sans laquelle l’école actuelle ne serait que chaos et néant. La discipline de l’école de demain sera l’expression naturelle et la résultante de l’organisation fonctionnelle de l’activité et de la vie de la communauté scolaire. De ce fait le problème disciplinaire passe au second plan au profit de l’organisation matérielle, technique et pédagogique du travail qui doit être l’élément essentiel et décisif de l’équilibre scolaire. 7. UNE ÉCOLE DU XXe SIÈCLE POUR L’HOMME DU XXe SIÈCLE L’École ainsi pénétrée d’une vie nouvelle à l’image du milieu devra donc adapter non seulement ses locaux, ses programmes et ses horaires, mais aussi ses outils de travail et ses techniques aux conquêtes essentielles du progrès à notre époque. Nous ne devons pas nous accommoder plus longtemps d’une école qui retarde de cent ans avec son verbalisme, ses manuels, ses manuscrits, l’ânonnement de ses leçons, la récitation de ses résumés, la calligraphie de ses modèles. Au siècle du règne incontesté de l’imprimerie, de l’image, fixe et animée, des disques, de la radio, de la machine à écrire, de la photo, de la caméra, du téléphone, du train, de l’auto et de l’avion ! Ce contraste, auquel il est vraiment surprenant qu’éducateurs, parents et législateurs ne soient pas plus sensibles, pose dans toute son acuité la besogne de réadaptation qui s’impose. Mais pour les buts humains que nous avons définis. 8. CETTE RÉADAPTATION SE FERA EN PARTANT DE LA BASE Cette réadaptation, cette modernisation ne se feront pas sous le signe de la fantaisie ou de la mode, ni même par décret supérieur des autorités, du moins pour ce qui concerne les détails.

Il ne s’agit point ici de brûler rageusement tous les vestiges du passé pour sacrifier à un avenir frémissant et inquiet, dominé par la vitesse et la machine. Cette adaptation se fera sous le signe de l’équilibre et de l’harmonie au service de la vie. Et cela suppose une éducation mieux fondée que jamais dans le sol, dans la famille, dans la tradition, dans l’effort persévérant des hommes qui nous ont précédés ; une formation qui ne descend pas d’en haut – quelles que soient la compréhension et la bonne volonté de l’autorité qui l’édicte – mais qui monte de la vie ambiante, bien enracinée, bien nourrie, vigoureuse et drue, capable d’élever bien haut, dans la splendeur d’un destin bénéfique, les enfants qui sont appelés à construire un monde meilleur que celui que nous avons laissé s’écrouler comme un lamentable château de cartes. 9. LA COMPLEXITÉ SOCIALE DE CETTE RÉADAPTATION Le problème pédagogique ainsi conçu nous place au cœur même de la complexité sociale. Nous ne négligerons, en conséquence, aucune des nécessités sociales de l’école ; nous ne sous-estimerons ni le problème financier, ni le problème de la formation et de la réadaptation des maîtres. Quelles que soient les convulsions qui accompagnent la naissance d’un ordre nouveau, notre révolution pédagogique devra naître du désordre existant, construire le futur au sein du présent, convaincre plus que contraindre, et convaincre non par des mots, mais par l’évidence d’un progrès essentiel dans l’organisation, par l’éblouissement d’une efficience décuplée, par l’irradiation presque mystique de l’enthousiasme qui anime ceux qui ont osé, en précurseurs, ouvrir les voies salutaires de cette réadaptation. 10. L’ÉCOLE DU PEUPLE NE SAURAIT ÊTRE SANS LA SOCIÉTÉ POPULAIRE Notre insistance à relier l’œuvre de demain à un passé que nous savons condamné ne saurait pourtant être interprétée comme une

tendance au statisme politique et économique. Nous dénonçons au contraire l’illusion des timides qui espèrent faire fleurir dans le chaos social une pédagogie et une école susceptibles de servir de modèle pour les réalisations sociales à venir. L’expérience nous contraint à une plus grande humilité. Elle nous montre que, sauf quelques rares exceptions, l’École n’est jamais à l’avant-garde du progrès social. Elle peut l’être en théorie – ce qui n’est jamais suffisant – mais dans la pratique son épanouissement est trop directement conditionné par le milieu familial, social et politique, pour qu’on la voie jamais s’en dégager pour une hypothétique libération autonome. L’École au contraire suit avec un retard toujours plus ou moins regrettable les conquêtes sociales. À nous de réduire ce retard ; ce sera déjà une appréciable victoire. La féodalité a eu son école féodale ; l’Église a eu son éducation spéciale ; le capitalisme a engendré une école bâtarde, avec son verbiage humaniste masquant sa timidité sociale et son immobilité technique. Le peuple accédant au pouvoir aura son école et sa pédagogie. Cette accession est commencée. N’attendons pas davantage pour adapter notre éducation au monde nouveau qui est en train de naître.

2. Les grandes étapes éducatives Nous considérerons : 1° La période préscolaire, de la naissance à la fin de la deuxième année environ ; 2° Les réserves d’enfants et les jardins d’enfants de deux à quatre ans ; 3° L’École maternelle et enfantine, de quatre à sept ans ; 4° L’École primaire de sept à quatorze ans. Nous n’estimons nullement que l’École doive arrêter son action à la puberté qui est pour ainsi dire le seuil de la vie. Mais comme nous tenons à parler seulement des sujets que nous connaissons particulièrement, nous limitons à la puberté notre projet éducatif, laissant aux éducateurs des 2e et 3e degrés le soin de pourvoir à une étude similaire pour les âges qui les concernent et pour lesquels d’ailleurs les principes généraux que nous énonçons restent essentiellement valables. 1. LA PÉRIODE PRÉSCOLAIRE Dans notre livre Conseils aux Parents(3) nous avons insisté sur l’importance primordiale et déterminante de la formation au cours des toutes premières années, et nous avons donné une explication approfondie de cette imprégnation dans notre livre : Essai de Psychologie sensible appliquée à l’éducation(4). De cette formation initiale dépend dans une très large mesure le succès pédagogique, individuel, social et humain au cours des étapes ultérieures de l’éducation.

Il ne nous est pas indifférent, loin de là, que l’enfant soit en excellente santé, qu’il soit vigoureux et équilibré, actif et curieux et qu’il ne soit handicapé par aucune des tares – filles de l’ignorance, de l’exploitation, du taudis et de la misère – qui le rendent comme imperméable à nos efforts. Pédagogiquement et moralement parlant, nous n’avons pas le droit de nous désintéresser des erreurs et des injustices qui affectent l’enfant hors de notre surveillance et de notre responsabilité, mais qui déterminent et conditionnent notre comportement éducatif. Sans élargir prétentieusement le champ de notre sacerdoce nous pouvons du moins tenter le maximum pour que parents, éducateurs, administrateurs et législateurs prennent conscience de cette réalité – trop communément négligée –, qu’ils s’imprègnent de cette interdépendance vitale afin de situer loyalement et logiquement les problèmes – pas exclusivement pédagogiques – qui en découlent : Nous mentionnerons comme points essentiels à considérer : a) la santé des parents et la lutte contre les causes qui la compromettent prématurément : condition prolétarienne marâtre, taudis, alcoolisme ; b) soins spéciaux à la femme enceinte ; c) préparation pour ainsi dire technique du milieu qui est appelé à recevoir le nouveau-né et à en déterminer le premier comportement : — local, air, lumière, silence ; — layette et berceau ; — alimentation ; — première expérience par le milieu aidant ; d) la conduite des parents durant ces premières années de l’enfance. Ces questions ont été plus spécialement étudiées dans notre livre Conseils aux Parents auquel nous renvoyons nos lecteurs. 2. RÉSERVES ET JARDINS D’ENFANTS

Dans notre livre Essai de Psychologie sensible appliquée à l’éducation nous avons justifié la création de ce que nous appellerons Les Réserves d’enfants. Nous nous contenterons d’en résumer ici le principe. Quelle que soit l’étape de la vie que l’on considère, l’éducation véritable se poursuit selon un principe général d’expérience tâtonnée qui prime toutes autres méthodes plus ou moins scientifiques. L’éducation systématique est dans l’erreur lorsqu’elle prétend substituer ses méthodes rationnelles à un processus qui est la loi même de la vie. Tout ce qu’elle peut – et ce qu’elle doit faire – c’est de rendre cette expérience tâtonnée la plus riche possible, d’en accélérer l’évolution pour permettre l’ascension maximum des individus vers l’efficience sociale et l’humanité. Pour se préparer efficacement à la vie, les jeunes enfants ont donc besoin d’être dans un milieu riche et « aidant » où ils puissent se livrer à ces expériences tâtonnées (quand nous disons riche, nous ne considérons nullement la situation de fortune des parents – qui n’est pas une condition suffisante – mais la quantité, la variété et l’intérêt des activités fonctionnelles que ce milieu permet à l’enfant pour la construction de sa personnalité). Or, un tel milieu existe rarement, du moins dans les familles de travailleurs dominées par la malédiction capitaliste : aridité, à la ville, des taudis, entassement des maisons ouvrières sans air, sans horizon, sans arbres, sans fleurs, sans animaux ; pauvreté, à la campagne, d’un milieu humain et social que ne compense pas toujours l’extrême richesse de la nature. À la ville surtout, les enfants du peuple sont tout à fait comme ces animaux qui, dans les zoos, sont contraints de s’adapter tant bien que mal à un espace réduit, avec un squelette d’arbre, un simulacre de ruisseau et la terre morte et nue. Les animaux ne vivent pas dans ce milieu anormal qui ne leur permet pas les élémentaires fonctions physiologiques ; ou, s’ils y vivent, ils ne s’y reproduisent pas et, en tout cas, dégénèrent, quels que soient les soins alimentaires dont ils sont l’objet.

Aussi, pour conserver certaines espèces qui étaient menacées de disparition, a-t-on prévu une plus efficace réalisation : on a constitué dans le milieu naturel à ces espèces – forêts, montagnes, vallées – des espaces garantis contre l’inconsciente férocité des destructeurs. Les animaux à sauver peuvent y vivre et s’y développer dans l’atmosphère qui leur est spécifique. Ce sont ce que l’Administration forestière appelle des réserves. Nous demandons qu’on imite pour les enfants des hommes une réalisation intelligente et audacieuse qui a fait ses preuves pour les animaux. C’est en somme une conception nouvelle, plus rationnelle, des Jardins d’enfants dont Mme Montessori avait lancé l’idée, mais qui, selon nous, étaient d’une conception trop faussement scientifique, trop formelle, qui ne répondait qu’à quelques-uns seulement des besoins fonctionnels des enfants auxquels ils étaient destinés. À mesure que nous perfectionnons ainsi le milieu, nous déplaçons le centre de gravité pédagogique de l’éducation vers la perfection de l’organisation technique. Là où le milieu ne permet pas les expériences talonnées que nécessite l’adaptation de l’enfance aux situations nouvelles, l’éducateur doit se livrer à une gymnastique pédagogique spéciale avec leçons, mimiques, tours de passe-passe. Comme le charlatan qui ne veut certes pas laisser faire l’expérience du produit qu’il offre, et qui parle pour escamoter cette expérience. Dans le milieu naturel, la tâche de l’éducateur sera beaucoup plus facile : il lui suffira de comprendre le nouvel esprit pédagogique et de savoir aider comme il convient l’expérience enfantine. Notre « réserve d’enfants » ne sera donc pas une salle ou un parc quelconques. La préparation matérielle et technique de ce milieu sera, on le comprend, un de nos essentiels soucis éducatifs. 1° Situation des réserves d’enfants : ces réserves d’enfants seront aménagées dans un parc, dans un jardin public, un espace libre, le plus près possible des centres urbains intéressés. 2° Dépendances de la réserve : on commence habituellement la description d’une demeure par les locaux que complètent les dépendances. Nous renversons cette description pour bien marquer

la préséance que nous donnons au milieu dont les locaux deviennent une sorte de dépendance accessoire, tout spécialement pour les jours d’intempéries. a) Milieu naturel : l’enfant, pas plus que l’animal sauvage, n’est fait pour vivre enfermé. Le milieu qui lui convient le mieux, c’est la nature. C’est donc la nature que nous mettons à sa disposition. Bois et arbustes, avec possibilité de construire des abris primitifs de branchages. Rochers et grottes pour que l’enfant puisse grimper et se cacher. Ruisseau avec cascades, conques, jets d’eau, sans risque de noyade. Petit lac avec plage de sable et possibilité de patauger en été. b) Milieu naturel cultivé : prés, céréales (orge, blé), arbres fruitiers, légumes, fleurs, cultivés sous les yeux des enfants. c) Animaux sauvages, vivant en liberté et qu’il sera interdit de détruire : oiseaux, lièvres, lapins, poissons, etc. d) Animaux domestiques : à l’étable ou dans les champs : vaches, chèvres, ânes, poules, pigeons, tourterelles. e) Jardins des enfants : terrain spécial où les enfants pourront remuer librement la terre avec des outils appropriés dont nous donnerons les modèles. Des jardins particuliers pourraient même être concédés aux plus habiles et aux plus sérieux. 3° Locaux : ils seront conçus dans un but identique : permettre l’expérience tâtonnée des enfants. Le rez-de-chaussée sera le domaine des enfants avec : — d’une part le logement des animaux domestiques : vaches, chèvres, poules, etc. — une salle vivante avec plantes d’appartement, semis en pots, tourterelles, petite exposition de produits selon la saison. — La salle d’expérience tâtonnée avec : caisse de sable, petit jeu d’eau et petit bassin, matériel d’éducation, cubes, disques, jouets, voitures, poupées, ménages, etc. — La salle de repos avec tapis, sièges, table, organisation pour goûters chauds, lits. Le premier étage comporterait le logement des gardiens :

a) Travailleurs choisis pour leurs qualités pédagogiques pour soigner les animaux et travailler les champs sous l’œil des enfants ; b) Jardinières et infirmières pour aider et surveiller les enfants. Une semblable réserve pourrait être prévue pour une cinquantaine d’enfants présents. Des lits et des repas seraient prévus pour les enfants qui y passeraient leur journée entière. On pensera peut-être que ce sont là bien d’inutiles complications et que, à tout prendre, les jardins d’enfants seraient largement suffisants. Ce que nous reprochons surtout à ces jardins d’enfants c’est d’être des jardins d’acclimatation plus ou moins opulents qui ne manquent peut-être d’aucun des perfectionnements modernes, mais qui n’en sont pas moins des jardins d’acclimatation. De plus ces institutions font une part trop exclusive au jeu et négligent l’expérience tâtonnée qui est la première étape du travail. Elles sous-estiment aussi l’importance du milieu naturel si profondément aidant, avec ses animaux, ses plantes, ses travaux. Nous réaliserons au mieux le milieu riche qui permet à l’enfant de se préparer vraiment, par l’action exclusivement, à ses progrès de demain. La dépense d’organisation de ces réserves ne serait nullement excessive, grâce aux capacités productives des champs et de l’élevage. Tout compte fait cette solution pourrait bien être la forme économique et essentiellement pratique des jardins d’enfants populaires. 3. L’ÉCOLE MATERNELLE Nous conservons cette dénomination pour le stade éducatif intermédiaire entre le milieu familial – complété et secondé si nécessaire par les réserves d’enfants – et le milieu scolaire habituel. Au stade qui a précédé, l’enfant a procédé à la prospection méthodique du milieu qui l’entoure, puis, en possession des premières conclusions de ses expériences, il s’est livré à un premier

aménagement de sa personnalité. À quatre ans, il s’essaie à dominer ce milieu. C’est la période du travail qui commence et qui se présente sous les deux formes parallèles et complémentaires de jeutravail et de travail-jeu(5). Pas plus qu’au stade précédent, nous ne faisons aucune place aux leçons sous quelque forme qu’elles se présentent, même attrayantes. Il nous faudra donc prévoir : a) les locaux et le milieu qui conviennent au maximum à ce travailjeu ; b) les matériaux, le matériel et les techniques qui permettent travail-jeu et jeu-travail ; c) l’organisation générale de l’activité en fonction de cette éducation du travail. Nous devons reconnaître qu’il a été beaucoup réalisé dans ce domaine et que certaines solutions pratiques intervenues tant en France qu’à l’étranger approchent étonnamment des réalisations que nous préconisons. Et il serait injuste de ne pas rappeler ce que tout pédagogue doit à Decroly, à Mme Montessori et aux maîtresses dévouées qui ont fait leur renom aux écoles maternelles françaises. Aussi bien nous contenterons-nous de signaler ici les modifications, les ajustements et les compléments que nous jugeons indispensables. 1. Locaux et dépendances Les améliorations préconisées proviennent des possibilités nouvelles que nous a révélées notre conception originale de l’expérience tâtonnée. Les méthodes les plus perfectionnées – celle de Mme Montessori par exemple – n’ont pas envisagé la vie de l’enfant dans sa complexité diverse, mais une éducation systématique qui limite le tâtonnement à un certain nombre d’activités bien définies, préparées et prévues à l’avance par l’éducateur. De ce fait l’École maternelle, même chez Mme Montessori, reste un coin de jardin d’acclimatation – un coin moderne, il est vrai – où on a groupé sur l’espace réduit

dont on disposait les objets indispensables à un minimum d’activité de l’enfant. L’adulte élimine d’autorité les possibilités de toutes les expériences préliminaires ; il supprime un certain nombre de marches ; il va à ce qu’il suppose être l’essentiel : boutonner et lacer pour savoir mieux s’habiller ; ajuster et comparer formes et couleurs pour aiguiser le sens de la vue et du toucher ; suivre des doigts des rainures rugueuses pour s’initier aux gestes primordiaux de l’écriture. Mais la réalité de la vie déborde à tout instant ce cadre formel toujours étriqué, comme pour nous rappeler qu’il est vain de vouloir l’asservir à nos méthodes, mais que ce sont celles-ci qui doivent s’enrichir et s’assouplir pour servir et épanouir la vie. On peut dire que Mme Montessori et les éducatrices françaises ont porté presque à sa perfection l’École maternelle section de jardin d’acclimatation. Nous devons faire un effort encore par-delà cette réalisation pour parvenir jusqu’à la conception d’une école maternelle de vie complexe et de travail. Il en résulte : — qu’il nous faudra prévoir un milieu « aidant » d’expériences tâtonnées d’une variété et d’une richesse à la mesure de la vie ; — que le local devra, en conséquence, être le plus spacieux possible ; — qu’il devra surtout être complété par un milieu naturel avec jardins, eau, plantes et animaux. Notre École maternelle vivante comprendra donc : — une salle vaste, parfaitement éclairée, aérée et ensoleillée, contenant le matériel d’expérience et de travail que nous allons définir. Les Écoles maternelles modernes disposent aujourd’hui de salles qui ne laissent à désirer sur aucun de ces points ; — une salle attenante ou un coin de nature dans la salle même qui remplacera la nature et le jardin extérieur pendant les mauvais jours ; — un jardin avec arbres, prés, eau, cultures, pour le travail effectif des enfants ;

— une annexe avec animaux domestiques, insectes, aquarium, vivarium, herbier, etc. Ce jardin pourrait, le cas échéant, être séparé de l’École ellemême et les élèves s’y rendraient les jours de beau temps comme on va à la campagne le dimanche ou les soirs d’été. 2. Matériel et technique à l’École maternelle Là non plus nous n’allons pas présenter, comme des nouveautés, du matériel et des techniques que des éducateurs émérites ont mis au point avant nous et qui sont entrés d’ailleurs dans la pratique à peu près courante de nos écoles maternelles. Nous signalons ici : — les critiques que nous faisons à certaines pratiques ou méthodes ; — une reconsidération de l’importance relative qu’on doit accorder aux diverses activités ; — les nouveautés que nous conseillons. Deux tendances pédagogiques opposées menacent aujourd’hui l’École maternelle : la tendance scolastique qui veut orienter trop vite les enfants vers le devoir et la leçon scolaires – et donne en conséquence le pas aux activités qui préparent aux acquisitions formelles : préparation à la lecture et à l’écriture, lectures morales, initiation au calcul par des jeux ou des tableaux spéciaux, culture systématique prématurée d’une forme d’ailleurs mineure de la mémoire – et la tendance que nous appellerons infantile qui, au contraire, semble vouloir couver l’enfant à un stade qu’il a pourtant dépassé. On se préoccupera alors de faire jouer l’élève, de l’amuser, sans autre but au fond que d’obtenir le silence et l’ordre. Cette tendance a donné naissance à une infinité de jeux soi-disant éducatifs et qui ne sont que des passe-temps plus ou moins ingénieux ou peut-être, en définitive et surtout, une source intéressante de bénéfices pour ceux qui les fabriquent et les vendent.

C’est entre ces deux positions extrêmes que nous allons trouver la vraie solution pédagogique. Dans notre livre Essai de psychologie sensible, nous avons distingué trois étapes dans l’évolution active de la vitalité enfantine : 1° Une première période de prospection tâtonnée, au cours de laquelle l’enfant expérimente, cherche, examine, éprouve, pour se familiariser avec le milieu ambiant et repousser toujours plus loin le mystère et l’inconnu qui menacent sa puissance. Cette période s’achève vers la fin de la deuxième année, lorsque l’enfant marche et qu’il acquiert, de ce fait, une plus grande autonomie dans les réactions et que ses mains libérées vont lui permettre les premières activités constructives. 2° Une deuxième période, que nous appelons d’aménagement. L’enfant ne se contente pas de connaître pour connaître, de remuer une pierre pour essayer des forces neuves ou pour voir seulement ce qu’il y a dessous. Il commence à organiser sa vie, et ses expériences tâtonnées se groupent et s’agglutinent inconsciemment autour des besoins physiologiques essentiels et des troublants mystères de la vie. Mais il ne sort pas encore de lui-même où il a tout à faire encore et ne peut, de ce fait, se livrer à aucune activité suivie, qu’elle soit travail-jeu ou jeu-travail. Le jeu lui-même reste une activité strictement personnelle dans le cadre de cet aménagement. C’est la période de l’égocentrisme décrit par tant de psychologues. Nous préférons, nous, dire aménagement, pour bien montrer le but de cet égocentrisme qui n’est pas simplement tendance à tout ramener à soi – alors que l’enfant peut, en même temps, faire des gestes d’étonnante générosité. Il s’agit plutôt d’une nécessité fonctionnelle. Pour rappeler la comparaison utilisée dans notre livre : après avoir fait minutieusement le tour de son nouveau logement pendant la période de prospection, le locataire l’aménage maintenant. Pour l’instant, il est presque exclusivement préoccupé par cette nécessité vitale. Ce n’est pas qu’il n’aime plus les amis mais ceux-ci le savent ; il garde son bon cœur et ses qualités sociales, mais pour l’instant il ne faut pas le déranger ; quand il aura terminé son installation, il nous retournera.

Cette période d’aménagement va jusqu’aux environs de quatre ans. 3. Alors commence la période de travail. Vers quatre-cinq ans, l’enfant a suffisamment prospecté en lui les locaux avec lesquels il éprouvait la nécessité de se familiariser. Il a procédé au minimum d’aménagement indispensable, organisé ses premiers réflexes vitaux. Il a dès lors du temps libre pour partir à la conquête du monde. Cette conquête s’effectue par le travail qui est l’activité par laquelle l’individu satisfait ses grands besoins physiologiques et psychiques afin d’acquérir la puissance qui lui est indispensable pour accomplir sa destinée. À cette étape donc, l’enfant travaille si les circonstances du milieu et la loi de l’adulte le lui permettent. À défaut, il se livre à un jeutravail qui est le substitut plus ou moins symbolique du travail-jeu dont il éprouvait la nécessité. Nous avons alors, avec des indications psychologiques suffisantes sur les activités qui y correspondent, les étapes essentielles de notre système éducatif : 1° La période préscolaire qui correspond à la phase de prospection tâtonnée ; 2° Les réserves d’enfants et jardins d’enfants pour la phase d’aménagement ; 3° L’École maternelle, puis l’École primaire pour la phase du travail. Mais, dans la pratique, le passage d’un de ces stades au suivant est toujours essentiellement progressif. Après une prospection sommaire, le locataire entendu commence son aménagement à mesure qu’on amène les meubles, quitte à s’arrêter de temps en temps pour continuer sa prospection ; il n’attendra pas non plus d’avoir parfaitement aménagé pour reprendre ses relations et partir au travail, quitte à continuer, après le travail, aménagement et prospection. Mais il est des locataires moins entreprenants, dont le cerveau et les nerfs ne supportent pas cette activité différenciée, et

qui ne peuvent pas faire deux choses à la fois : ce n’est que lorsque la prospection sera très poussée qu’ils s’aviseront d’aménager. Et ces besognes d’aménagement les préoccuperont pendant si longtemps qu’ils n’en viendront jamais à bout et ne trouveront plus le loisir ni la possibilité de sortir d’eux-mêmes pour renouer avec le milieu et le maîtriser pour les grandes besognes vitales spécifiques. Il en est de même pour l’enfant ; il continue ses expériences tâtonnées mais se livre cependant à des besognes qui sont déjà d’aménagement. Ou bien il commence le travail quand les circonstances lui paraissent éminemment favorables, quitte à revenir à l’aménagement ou même à la prospection à d’autres moments. Les individus retardés, ou tarés, gravissent plus difficilement les échelons et n’abordent jamais la période de travail. Nos méthodes devront, par leur souplesse, répondre à cette initiation qui corrige en réalité la rigueur toujours trop formelle de nos classifications. Nous aurons donc, dans nos réserves d’enfants, un grand souci encore de la prospection tâtonnée dont l’étape n’est pas radicalement franchie. Et à l’école maternelle, du moins dans les premières années, nous faciliterons le complément d’aménagement dont l’individu a encore besoin avant de se livrer totalement au travail. Le matériel que nous mettrons à la disposition des enfants à ce degré répondra à cette nécessité vitale d’activités combinées. Pratiquement d’ailleurs cette imbrication se répercute sur une importante branche de vie, variable selon les aptitudes des individus : à l’âge où les enfants se livrent à un travail conscient, nous les verrons fréquemment encore retourner comme à une activité fonctionnelle aux jeux, aux gestes, aux recherches, qui sont tout simplement de la prospection tâtonnée ou de l’aménagement. Et nous ne savons pas dans quelle mesure ce processus n’expliquerait pas, chez les adultes eux-mêmes, certains repliements sur soi, certains retours en arrière du comportement. Comme chez ces locataires qui aiment passer quelques dimanches chez eux à explorer encore leur appartement et à y pratiquer des aménagements qui ne sont jamais terminés.

Voici comment nous concevons le travail à l’École maternelle, et quel est le matériel qui nous paraît répondre au mieux aux activités recommandées. 1° La nature reste toujours le milieu le plus riche et celui qui s’adapte le mieux aux besoins variables des individus. Il ne doit pas y avoir d’École maternelle sans milieu naturel : espace de terrain plus ou moins grand avec sable, eau, pierres, arbres, décombres, rochers, animaux sauvages et domestiques. Ce terrain, nous l’avons dit, peut n’être pas attenant à l’École (mais ce n’est là qu’un pis-aller). Ce milieu naturel répondra à notre double souci d’aménagement et de travail. En vue du besoin d’aménagement on devra éviter de tout travailler, de tout planter, de tracer des allées étroites hors desquelles il est interdit de s’aventurer. Il faudra réserver des coins où les enfants qui n’ont pas encore accédé à la phase du travail pourront poursuivre leurs expériences, leurs constructions, leurs essais, à leur rythme et selon leurs moyens physiologiques et leur équilibre psychique. Nous verrons d’ailleurs souvent les petits travailleurs les rejoindre, et nous comprenons maintenant pourquoi. Mais nous organiserons en même temps la lente maîtrise du milieu par le travail, qui a toujours une fin sociale – même si cette fin nous échappe parfois. Nous devons prévoir : — des cultures : — de l’élevage ; — des constructions de murs, de barrières, de cabanes et de maisons, de canaux, de moulins, etc. À la phase précédente l’enfant ne s’intéresse qu’accidentellement à ces travaux ; il préfère regarder ou alors il se livre à une activité intermittente, qui n’est qu’à titre d’expérience, d’essai, pour exercer, mesurer et parfaire ses possibilités. Puis il retourne à son aménagement. À la phase nouvelle l’effort a un but pour ainsi dire objectif : réaliser, créer, susciter de la puissance. Nous tiendrons le plus grand compte de cette complexité.

2° Pour les jours où il est impossible de nous rendre au milieu naturel, surtout lorsqu’il se trouve séparé de l’école, nous aurons dans une salle – comme dans la réserve des enfants – un coin de nature qui en sera du moins l’image : sable, graines, plantes et fleurs en caisses et en pots, petit élevage : poissons, insectes et, si possible, cochons d’Inde, poule, chèvre. 3° Le milieu naturel, essentiellement tonifiant, ne saurait cependant suffire pour l’éducation contemporaine. Nous y ajouterons : les activités mécaniques, les activités intellectuelles et les activités artistiques. Par activités mécaniques, nous entendons l’emploi des outils – fruit de la civilisation – qui permettent d’accélérer notre expérience tâtonnée, intensifient et prolongent notre puissance. On a totalement méconnu, même dans la pédagogie nouvelle, tout ce qu’inclut cette rubrique. On ignorait le travail à l’École maternelle, comme aux degrés suivants d’ailleurs. On se contentait du principe d’activité qui n’en est qu’une contrefaçon ; les jeux et les exercices qui s’en inspiraient devaient d’ailleurs le plus clair de leur succès au fait qu’ils répondaient aux besoins du stade précédent d’aménagement. Par le matériel Montessori lui-même, prétendument scientifique, l’enfant enrichit ses relations, met au point son équilibre musculaire, ajuste son coup d’œil. Nous ne disons pas que cela soit inutile surtout pour les déshérités qui n’ont pu bénéficier du milieu riche et aidant indispensable à leur formation. Mais ce n’est là que prospection et aménagement, adaptés au stade précédent, et plus particulièrement aux anormaux qui s’y sont attardés. L’enfant normal veut et doit, à cet âge, aller plus avant. Il doit – et il veut – s’initier aux gestes essentiels du travail qui, par son action toujours plus différenciée sur le milieu ambiant, crée les éléments nouveaux d’équilibre et de puissance. Plus que les emboîtements et les pyramides, l’enfant recherche spontanément l’emploi des outils ; rien ne l’enchante plus qu’un marteau, une scie, un chariot, une trottinette ou une bicyclette : cet intérêt, dont nous aurions tort de négliger la valeur, ne doit pourtant pas nous faire illusion. Il est d’abord de la classe de l’aménagement :

l’enfant plantera des clous n’importe où, sciera un barreau de chaise aussi bien qu’une bûche de bois, tournera sans fin une manivelle pour le seul plaisir d’en contempler les effets. C’est une étape. Mais ce ne doit être qu’une étape. L’enfant doit ajuster maintenant ces outils à ses mains, les intégrer à son activité sociale, s’en servir pour les réalisations vitales dont il prend progressivement conscience. Il ne se contentera plus de planter des clous : il voudra fabriquer une caisse pour un usage particulier qui s’impose à lui ; il ne sciera plus n’importe quoi, mais seulement en vue d’un but qu’il recherche, il se fatiguera bien vite à tourner une manivelle si le mouvement qu’elle entraîne n’a pas une utilité réalisée dans sa fonction de travail. Notre matériel, et les techniques qui en régleront l’emploi optimum, tiendront le plus grand compte de ces besoins. Certains outils, pourtant affectionnés des enfants, devront être écartés à ce degré parce que dangereux ou nécessitant une force et une maîtrise de la main qui ne sont pas encore de cet âge : couteau, scie, marteau notamment. Mais la mécanique actuelle offre heureusement une gamme très riche encore de possibilités qu’il nous appartient d’adapter au travail de nos enfants. C’est ce que nous avons tenté de réaliser par le matériel spécial de la C.E.L. qui permettra tout à la fois les activités d’aménagement et la réalisation par le travail d’objets, d’instruments, de jouets utiles à la communauté. Les éducateurs compléteront d’ailleurs ce matériel. S’ils ont compris les principes qui nous ont guidés dans cette réalisation, ils feront un pas sensible dans l’amélioration technique de nos écoles maternelles. 4. Activités intellectuelles Par le matériel nouveau et les activités multiples qu’il permet, tant au jardin que dans les locaux mêmes de l’École, l’enfant s’initie à la maîtrise de certains outils plus ou moins mécaniques qui lui

permettent de dominer peu à peu la matière pour la plier à sa volonté et à ses besoins et accroître ainsi sa propre puissance. Mais il est un autre genre d’outils, plus subtils certes et plus immatériels, dont nous ne saurions négliger l’exaltant emploi. Ce sont ceux qui permettent à l’enfant d’entrer en contact avec ses semblables, d’extérioriser et de formuler ses besoins, de développer et d’approfondir la conscience qu’il a des relations entre les éléments et leurs manifestations, de dominer progressivement la nature par le langage qui, après les mains, est le premier et le plus éminent des outils, par le dessin, l’écriture, l’imprimerie et la lecture. Il y a, pour chacun de ces outils, une technique d’initiation et d’emploi qui nécessite une mise au point parfaite, à la mesure du processus de vie et d’acquisition des enfants à cet âge. Comme pour les outils mécaniques, il s’agit d’éliminer tout danger et de préparer un matériel que l’enfant puisse utiliser avec succès pour des réalisations non exclusivement scolastiques, mais vivantes et dynamiques. a) Le langage. – L’enfant qui arrive à l’École maternelle sait ordinairement parler à peu près correctement. Mais son langage, surtout dans les milieux populaires, reste essentiellement pauvre parce qu’il est l’expression exclusive d’une prospection et d’un aménagement laborieux. Les méthodes actuelles s’attardent à cet aménagement lorsqu’elles insistent sur les mots et les noms de choses qui conditionnent moins qu’on ne croit la richesse verbale. Nous orienterons de préférence les enfants vers le langage global, de relation et d’expression selon le processus naturel. D’ailleurs les travaux que nous leur offrons les incitent au langage vivant : dans les champs, autour des animaux qu’ils soignent, ils sont entraînés à parler pour exprimer les réactions complexes auxquelles ils ajustent comme ils peuvent les mots et expressions qui leur sont familiers. Lorsque l’enfant bêche ou sème, lorsqu’il soigne la chèvre ou les lapins, lorsqu’il construit une cabane, un garage, un chariot, qu’il crée des marionnettes, c’est toute une vie nouvelle qui l’agite et qui a son expression naturelle dans le langage spontané et sensible.

Loin de s’en tenir à une limitation méthodique qui, sous le prétexte de correction ou de concentration, ne fait que refouler ce besoin d’expression de l’enfant, nous l’encourageons pour l’utiliser et le sublimer. Après avoir placé les enfants dans leur élément de création et de travail, l’éducatrice les écoutera parler, les stimulera dans les directions qui lui paraissent favorables ; elle notera l’essentiel de leurs paroles et réalisera ainsi un texte qui sera comme l’émanation supérieure, la synthétisation et la fixation magique d’une tranche de vie. Les enfants y sont extraordinairement sensibles et l’émotion qui en résultera sera la première manifestation vraiment intellectuelle. Ce texte sera écrit au tableau, illustré si possible d’un dessin suggestif, puis transcrit par l’institutrice sur un cahier de vie de la classe où seront conservés également les meilleurs dessins et qui trônera dans un tiroir d’honneur au-dessus de l’étagère où seront exposées les réussites matérielles. À un premier stade, nous ne pousserons peut-être pas plus loin la spécialisation intellectuelle. Il faut, en effet, éviter à tout prix de systématiser, de scolastiser ces relations. N’essayez même pas de faire lire le texte ; il est là, blanc sur noir, au tableau, puis en fines pattes de mouches mystérieuses sur votre beau cahier. Cette transcription est comme un outil merveilleux dont l’enfant admirera la précision magique bien avant d’en connaître le mécanisme et de savoir s’en servir lui-même. Il se contentera d’en bénéficier jusqu’au jour où il essayera de s’en saisir pour l’adapter à son usage. Comment se fera cette adaptation ? Nous l’avons expliqué avec précision, en partant de l’expérience de Bal, dans un livre qui montre la supériorité pour l’accession à l’écriture et à la lecture d’une nouvelle méthode naturelle dont le matériel et la technique sont aujourd’hui à la portée de tous(6). Nous résumons ici les conclusions pratiques de notre étude. b) Dessin. – La première étape de l’écriture-lecture n’est point, selon nous, dans la reconnaissance et la copie mécanique d’éléments de mots et de phrases dépouillés de leur valeur vitale

subjective, mais dans le dessin, création manuelle d’abord, expression ensuite. Vous pouvez cependant stimuler et enrichir cette pratique du dessin par la technique suivante : Procurez-vous un appareil à polycopie, ou mieux un limographe(7). La polycopie a l’avantage de pouvoir reproduire un dessin en plusieurs couleurs, mais ces couleurs sont peu stables et le tirage est réduit. Le limographe ne donne qu’un trait noir, mais il est d’une manœuvre simple et le tirage est illimité. Avec l’un de ces appareils vous reproduisez donc chaque jour le dessin qui vous paraît le plus expressif – et ce n’est pas toujours le plus parfait. Veillez d’ailleurs à ce que chaque élève ait, à son tour, l’honneur de la reproduction. Vous verrez quel enthousiasme à la vue de cette reproduction automatique et rapide de l’œuvre initiale, quelle joie pour l’auteur du dessin, et quel empressement à manier l’outil qui produit une semblable merveille. Dès qu’elles sont sèches, les feuilles sont distribuées aux élèves qui les colorient pour les encarter ensuite dans une reliure mobile qui constitue leur premier livre – si vivant et si suggestif. Accidentellement l’éducateur peut, soit séparément, soit conjointement avec le dessin, reproduire le texte journalier, en attendant que, à l’étape suivante, cette reproduction devienne la règle. Autre merveille encore à votre portée : achetez une trousse à graver, du linoléum(8) et le matériel de tirage. De temps en temps, gravez vous-mêmes – en attendant que quelque enfant habile s’y essaye – un des dessins de vos enfants. Puis reproduisez ce dessin avec le matériel spécial, ou bien réalisez un cliché semblable avec du carton découpé, gravé et collé sur une planche et que vous tirerez de même. L’effet de ce tirage avec ses belles taches noires ou en couleur, sur le fond blanc du papier, émerveillera vos enfants, exaltera leur besoin de dessin et d’expression en même temps qu’il cultivera de la meilleure façon leur sentiment artistique.

Ces dessins rehaussés de couleurs iront rejoindre les pages polycopiées dans le livre de vie personnel. Des spécimens de ces tirages s’aligneront en frise autour de la classe, ou seront transmis aux parents pour susciter ce besoin de communication dont nous allons parler. On devine la richesse et la valeur pédagogique de telles techniques, surtout lorsqu’elles s’imbriquent avec une si totale perfection dans tout le processus de vie, d’action et de travail. L’enfant s’exerce d’abord à maîtriser sa main et son crayon et ce n’est que lorsqu’il domine suffisamment sa technique que son dessin devient expression. Cette histoire que vous avez ainsi croquée, notée, transcrite, l’enfant va tâcher maintenant de l’exprimer à sa manière, de la revivre, de se l’approprier et de l’enrichir par le dessin. Celui-ci doit être absolument libre. Vous donnez du papier et des crayons à l’enfant et vous le laissez s’exercer. La réalisation sera d’abord informe, mais, l’exemple aidant, elle ira se perfectionnant et s’enrichissant. Ne donnez aucun conseil ; ne jugez pas… Contentez-vous de vous intéresser à l’œuvre réalisée qui a toujours sa large part d’originalité, profitez-en pour faire parler l’enfant, pour l’engager à s’extérioriser et à se socialiser. c) L’écriture. – À partir d’un certain degré de maîtrise, il y a dédoublement et bifurcation. L’enfant continue à s’exprimer par le dessin, mais il commence aussi à s’intéresser plus activement à ces pattes de mouches qui sont une traduction particulière du langage : il dessine par imitation le texte manuscrit, puis s’intéresse plus spécialement aux mots, aux lettres. L’intuition lui vient du procédé lui-même de l’expression écrite qui est basée sur la valeur phonétique des signes. Et, en partant de cette valeur des signes, il va enfin écrire à son tour, exprimer sa propre pensée. Le passage du dessin à l’écriture est achevé, à la suite d’une multitude de tâtonnements intermédiaires dont nous avons donné un exemple suggestif dans notre brochure.

Nous ne prévoyons à ce stade aucun exercice systématique plus ou moins méthodique. d) Polycopie et imprimerie. – Si le dessin, comme toutes les techniques d’expression artistique dont nous parlerons, se suffit à lui-même parce qu’il produit de la beauté et suscite de l’émotion, l’écriture n’a pas le même exaltant privilège. Elle n’est recherchée et cultivée que si elle est employée pour une fin propre évidente, si elle est motivée par une nécessité organique ; sinon elle est comme ces bicyclettes d’exercice, montées sur bâtis et dont les roues tournent à vide, sans aboutir au déplacement qui serait la conséquence normale du pédalage. Nos techniques nouvelles répondent à cette nécessité pédagogique de motivation. L’enfant comprend maintenant la valeur d’expression et de traduction de l’écriture. Mais encore faut-il que cette traduction soit sentie comme une nécessité. S’il s’agit seulement de communiquer avec ses camarades ou avec son instituteur, la parole et la mimique y suffisent, sans tant d’apprentissage technique. Si l’outil s’avère superflu, pourquoi s’en servir ? Et si l’enfant pédale à vide, vous pouvez l’obliger à pédaler, vous pouvez le dresser même comme on dresse l’écureuil à tourner dans sa cage… Mais alors, c’est une tout autre affaire. L’écriture n’a de sens que si on est obligé d’y avoir recours, pour communiquer sa pensée hors de l’atteinte de notre voix, par-delà les barrières de notre école. Nous avons réalisé pratiquement cette motivation par notre technique : expression libre – polycopie ou imprimerie – illustration – réalisation d’un journal scolaire communiqué aux parents et échangé avec les journaux d’autres écoles correspondantes – échange étendu d’ailleurs jusqu’à une interconnaissance qui lui donne une portée pédagogique insoupçonnée. Voici le schéma de cette technique dont on trouvera la description détaillée dans nos livres et brochures. Chaque jour un texte, expression des soucis ou des intérêts dominants des enfants, est rédigé en commun puis écrit au tableau.

Ce texte peut être reproduit au limographe. Mais la supériorité de l’imprimerie avec gros caractères est incontestable. Avec l’aide de l’éducateur ou de quelque élève plus âgé, les élèves reproduisent dans leur composteur le texte du tableau. Puis le texte entier est imprimé par les enfants eux-mêmes, qui, dès cinq-six ans, y parviennent parfaitement. Le texte peut d’ailleurs être enrichi par un dessin polycopié au limographe, ou par un cliché lino ou carton. Ou bien il sera illustré à la main par les enfants eux-mêmes qui le revivront, le repenseront, se l’approprieront avant de le classer dans leur livre de vie ou de l’ajouter à la frise animée qui s’étale sur les murs. Mais surtout, complément indispensable : un certain nombre de feuilles seront chaque jour tirées à part : les unes constitueront à la fin du mois un journal scolaire original qui sera communiqué dans le village aux parents et aux amis de l’École et qui sera échangé avec les journaux également imprimés ou polycopiés d’une dizaine d’écoles disséminées à travers la France. Un envoi spécial de ces feuilles imprimées sera fait deux fois par semaine à une école qui est notre correspondante particulière, dont nous connaissons parfaitement le mode de vie, le nom des élèves, leurs réactions, leurs jeux, leurs joies, leurs peines. Des correspondances manuscrites doubleront bientôt cette correspondance imprimée. L’envoi de photos, de jouets, de colis divers donne un maximum d’intensité à ce besoin de parler au loin dont nous avons vu la nécessité. L’enfant est pris ainsi dans un véritable réseau d’intérêts naturels qu’il nous suffit d’exploiter au mieux des nécessités scolaires. Mais ce que nous tenons à marquer ici c’est que ce processus, absolument conforme au processus naturel d’initiation au langage, permet la montée sûre, par le processus d’expérience tâtonnée, du langage à l’expression, à l’écriture, puis à la lecture. Qu’on ne s’émeuve pas de voir nos enfants « dessiner » un texte au tableau, qu’ils ne savent pas lire, mais qu’ils comprennent parfaitement ; de les voir composer avec des caractères qu’ils ne distinguent pas encore, mais qu’ils s’appliquent à reconnaître par

une attentive comparaison avec le texte manuscrit, avec l’aide ambiante d’ailleurs ; et qu’on ne croie pas davantage à l’impossibilité d’amorcer des correspondances avant de savoir écrire de longues lettres sans fautes. Ce n’est pas nous qui plaçons la charrue avant les bœufs mais ceux qui attellent effectivement leurs bœufs à la charrue, pour faire un simulacre de travail, en labourant… une terrasse de ciment armé. L’essentiel est que l’enfant sente la valeur, le sens, la nécessité, la portée individuelle et sociale de l’écritureexpression. Notre matériel permet cette illumination primordiale. Pour le reste, faisons-lui confiance. Pour peu que nous l’y aidions il se rendra maître des techniques, par le même processus qui l’a rendu maître de la technique du langage. Pour si paradoxales que paraissent ces affirmations aux pédagogues habitués des méthodes « scientifiques », nous persistons à affirmer que notre méthode est la seule qui permette la montée naturelle et éducative du langage à l’expression par l’écriture, puis à la lecture. Et surtout, résistez le plus possible à la tendance scolastique qui pousse à pratiquer dogmatiquement une initiation méthodique qui a pour but d’abréger l’expérience tâtonnée, et dans certains cas même, d’en faire l’économie. L’enfant peut effectivement parvenir plus vite à lire et à écrire, mais c’est au détriment de la série d’expériences intermédiaires que nous jugeons, bien à la légère, inutiles. On montre à l’enfant à pousser le bouton de contact, à ouvrir l’essence, à donner le tour de manivelle qui fait merveilleusement démarrer le moteur. C’est un fait. Mais que survienne le moindre détraquement, que surgisse le plus petit obstacle : devant l’impuissance des gestes mécaniques qu’il croyait souverains, l’enfant regrettera une formation qui a escamoté les expériences intermédiaires auxquelles il sera obligé de retourner, dans une reconsidération radicale de votre éducation. e) Lecture. – L’enfant parle, voit se fixer au tableau, sous une forme nouvelle, les pensées ou les actes exprimés ; par son propre travail il transforme ce texte manuscrit en une émouvante page imprimée ; il communique ainsi son langage à des personnes

éloignées qui lui répondent par le même truchement. De cette imprégnation permanente résulte la fixation dans la mémoire visuelle, aidée par la mémoire auditive, des formes, des mots et des phrases dans leur rapport avec l’idée exprimée. L’enfant compare en permanence les mots écrits aux mots parlés, les mots écrits par lui à ceux qui servent de modèle au tableau ou sur la feuille imprimée, les mots reconnus dans les journaux reçus des correspondants aux mots identifiés dans les livres ou les journaux. Il se produit un travail profond, fruit d’une riche expérience tâtonnée qui aboutit à ce résultat : sans exercice spécial, l’enfant reconnaît progressivement un nombre plus grand de mots ; il les reconnaît non seulement par le graphisme, mais par l’idée à laquelle est lié ce graphisme. Reconnaissance des mots et compréhension vont de pair, participent d’un même processus. L’enfant reconnaît ainsi, d’abord – sans lire – les textes familiers, puis certaines phrases des textes ou des lettres des correspondants, et il en déduit parfois la compréhension instantanée des phrases et des mots inconnus. Puis il reconnaîtra des passages entiers de livres faciles ; puis il abordera les difficultés sérieuses. L’enfant sait lire sans exercice de lecture. Il sait lire d’abord parce qu’il reconnaît sous le graphisme manuscrit ou imprimé la pensée qui y était endormie ; c’est comme s’il entendait à distance la parole des absents ou, éloignée dans le temps, celle des morts. Qu’importe s’il ne lit pas encore couramment à haute voix. Ce n’est là, à tout prendre, qu’un exercice fastidieux et à peu près souverainement inutile, que l’École a toujours hissé au rang d’une nécessité parce qu’elle est impuissante à contrôler la compréhension muette. Rappelons pourtant que la notion de lecture silencieuse gagne sérieusement du terrain, ce qui ne peut qu’ajouter à la valeur des techniques qui permettent un résultat si profondément éducatif. Nous renvoyons nos lecteurs à nos brochures : Méthode naturelle de lecture et Lecture globale idéale(9) dans lesquelles ils trouveront la description détaillée du processus, du matériel et de la technique qui permettent à l’enfant de passer du langage à la lecture de la pensée imprimée, nous ne disons pas en un temps record, mais

avec une sûreté de réussite et un profit éducatif sur lesquels nous ne saurions trop insister. 5. Activités d’expression artistiques Les techniques qui précèdent ont orienté les élèves vers les acquisitions plus particulièrement intellectuelles par l’emploi de ces outils que sont le langage, l’écriture et la lecture. Mais il est d’autres techniques d’expression qui, pour rester exclusivement instinctives et synthétiques, n’en ont pas moins leur éminente vertu formative, leur valeur d’outils précieux pour la conquête de la puissance par la création et le travail. Ces outils ont même ceci de particulier – que d’aucuns considèrent comme une tare, mais qui en signe plutôt l’exaltante noblesse – que ni leur emploi ni leur technique ne sont comparables à ceux des outils plus spécifiquement intellectuels. C’est comme si c’était une zone particulière de l’individu qui était mise en action, une zone subconsciente et psychique. Et il arrive assez souvent que les individus les plus rebelles à l’enseignement formel et aux acquisitions précises sont justement ceux qui, dans le domaine de l’art, peuvent, d’une envolée, atteindre à la perfection. Ce serait un véritable crime contre la personnalité de l’amputer ainsi d’une part importante de ses possibilités et de celles qui touchent le plus à l’affectivité, à l’équilibre, au sentiment profond de réalisation et de puissance. Processus différent dans son principe, avons-nous dit, et qui doit donc être jugé et apprécié selon d’autres normes. Une écriture est plus ou moins parfaite, un texte plus ou moins correct, une lecture plus ou moins expressive. Les normes en sont faciles à établir. Gardez-vous pourtant de les transposer dans le domaine artistique. Pour juger d’un dessin ou d’une gravure, il faut vous refaire une âme neuve et sensible, et sentir, par-delà la maladresse du coup de crayon, la personnalité qui transparaît, une sensation fugitive qui s’exprime, un être qui se réalise et qui monte.

Nous ferons une place importante à ces réalisations artistiques : dessin, qui continuera son évolution à partir de la bifurcation où nous l’avons laissé, illustration de textes, peinture, gravure par découpage de carton ou de linoléum, chant, rythmique – pour lesquels, à défaut de piano ou de guide-chant, nous recommandons l’emploi du phonographe –, guignol, théâtre, marionnettes. Pour notre part, nous ne trouverons jamais exagérée la place accordée à ces activités artistiques. 6. Fichiers Nous compléterons notre matériel par une pièce nouvelle, actuellement inconnue dans les écoles maternelles : le fichier documentaire. On connaît le goût des enfants pour les images et la joie qu’ils éprouvent à découper, coller, classer. C’est ce goût que nous allons satisfaire. Nous faisons dans nos classes une chasse permanente aux images, et les enfants y participent activement en apportant les photos, les revues qui méritent d’être découpées. Ces images sont collées sur des fiches de carton souples, nues, format 13,5 × 21 et 21 × 27, et classées séparément dans des classeurs. On puise ensuite dans ce fichier selon les nécessités du travail scolaire. C’est une nouveauté qui ne coûte pas cher et qui est riche de perspectives pédagogiques. 7. Plans de travail Tant que l’enfant n’a pas le choix entre une gamme variée d’activités, les notions de plan de travail ne s’imposent nullement. Si, dans la famille, il n’y a qu’une activité possible, la mère a vite fait de commander : « Allez me chercher du bois ! » Travail qui plaît plus ou moins et que, en conséquence, on s’ingénie à liquider ou à esquiver dès que se relâche l’autorité.

Mais s’il y a une grande variété de tâches : soigner les lapins, aller garder les chèvres, conduire la charrette, remonter un mur, réparer une porte, peindre ou cirer un meuble, il est nécessaire que le chef de famille procède la veille au soir à une répartition des tâches. Cette répartition, il peut la faire de sa propre autorité, selon un critérium peut-être opposé aux goûts des enfants : un tel aurait conduit la charrette – et avec quel cœur et quelle application ! Sous le prétexte qu’on ne fait pas toujours ce qui plaît, on l’envoie garder les chèvres – ce dont il se tirera fort mal – et il sera remplacé à la voiture par un gars qui ne rêvait que de menuiserie et qui ne saura pas éviter l’accident. Désordre, déficience, ennui, sabotage, mécontentement, déséquilibre, mauvaise éducation. C’est trop souvent ainsi que pratique l’École, lorsqu’elle ne juge pas plus prudent de réduire à un minimum, qu’elle croit favorable à la concentration, cette diversité vitale. Mais la mère, plus diplomate et moins rigidement autoritaire, va, au cours d’une sorte de conseil familial, répartir les tâches, en mariant les goûts de chacun aux nécessités de la puissance commune. Chacun saura ce qu’il aura à faire le lendemain : et il aura à faire le travail qu’il aime le plus, qu’il a choisi, ou dont il comprend du moins la nécessité. Il aura donc à cœur de bien remplir cette tâche. C’est cette pratique qui va être nécessitée par la richesse de notre matériel et la diversité des activités qu’il permet. L’éducateur ne se contentera plus de tout ordonner, heure après heure, de sa propre autorité. C’est en collaboration avec les enfants qu’il établira les plans de travail. Il faut prévoir : 1° Un plan de travail général établi pour une semaine, et tenant compte des nécessités qu’imposent le milieu, les règlements, ainsi qu’un minimum de discipline collective : dans la famille tout le monde doit être exact pour le dîner au risque de compliquer la besogne générale. Il y a de même à l’École des limitations qui s’imposent : travaux obligatoires à heures fixes, sorties au jardin à certaines heures de la journée déterminées en fonction du temps, de la

saison, de l’horaire général, – préparation du texte journalier, tirage des imprimés, etc. 2° Un plan de travail individuel pour une semaine sur lequel l’enfant inscrit les tâches qu’il veut et doit accomplir, et dont il surveille lui-même l’exécution. Nous éditons des modèles spéciaux de ces plans de travail dont l’usage est plus aimé et plus salutaire qu’on ne croit. Sans plan de travail, l’élève est comme taillable et corvéable à merci. S’il a fini le travail collectif on lui donne vite une autre besogne supplémentaire ; ou bien on le dérange d’une activité qui le passionne pour d’autres travaux qui n’étaient pas prévus. Il en résulte du désordre, de la paresse, de l’énervement. Avec le plan de travail, l’enfant devient pour ainsi dire libre dans le cadre de certaines barrières qu’il a, d’avance, mesurées et acceptées. Dans les limites de ce cadre, il peut aller à son pas, mesurer l’avancement de sa tâche, se hâter pour se reposer ensuite ou se donner à d’autres activités plus passionnantes. Il acquiert à cette pratique, même tout jeune, la notion de l’ordre, de la maîtrise de soi, de la confiance, de l’amour du travail fini qui évoluera en conscience professionnelle, de l’équilibre et de la paix conquis de haute lutte par la vertu du travail. Cette pratique des plans de travail à l’École maternelle – comme aux autres degrés – sera au centre de la discipline nouvelle qui n’est nullement fantaisiste et individualiste comme on l’a parfois supposé, ni arbitrairement autoritaire, mais qui est la résultante d’une organisation méthodique de l’activité individuelle dans le cadre de la vie complexe de la classe. 8. Place des leçons À l’École maternelle surtout, nous réduirions volontiers à néant tout enseignement plus ou moins didactique. La richesse et la portée éducative du matériel et des techniques que nous préconisons sont les plus sûrs garants des progrès scolastiques que tout pédagogue jugera satisfaisants. Les retards ne sauraient être le fait que d’états

anormaux et de déficiences pour lesquels nos méthodes sont la meilleure des thérapeutiques. À sept ans, l’enfant saura normalement parler et s’exprimer, écrire et lire avec une richesse de vocabulaire plus intuitive peut-être que formelle, mais qui ne sera jamais au-dessous de la moyenne admise dans les écoles. Au double contact d’un milieu aidant et de techniques mécaniques, intellectuelles et artistiques appropriées, il aura perfectionné la sûreté de ses gestes, qui est à la base de la sûreté de ses jugements et de ses réactions. Ce qu’il ne sait pas encore exprimer avec une suffisante précision par la parole, par l’écrit ou la réalisation manuelle, il saura l’extérioriser avec succès par le dessin, la gravure, le chant, la mimique ; il aura une idée fonctionnelle de ses obligations individuelles et de son rôle social ; il saura se plier à une discipline qui est fonction d’ordre et d’équilibre tout en conservant son allant, son originalité et aussi, pourquoi pas ? son pouvoir d’opposition instinctive aux tendances qui lui paraissent nuisibles à cette harmonie. Pourtant, sur ces bases solides parce que fonctionnelles, il y a toujours possibilité de greffer sans trop de dommages certaines disciplines exigées par les programmes scolaires ou par le milieu et les circonstances. Quelques techniques que nous verrons s’épanouir au degré suivant peuvent être pratiquées avec succès par les élèves les plus avancés. C’est ainsi qu’il peut y avoir avantage à constituer pour certains groupes des fichiers auto-correctifs de lecture, d’écriture ou de calcul imités des fichiers auto-correctifs dont nous expliquerons la préparation et l’usage pour les degrés qui suivent. On pourra se référer pour cette adaptation au livre de Mme Mawet : Lecture globale idéale, essentiellement pratique, résultat d’une longue expérience effective dans une école publique. Nous nous contenterons de noter ces détails pour donner une idée des possibilités d’adaptation des techniques que nous recommandons aux conditions que nous savons si diverses des écoles publiques, et aussi pour préciser que, à l’inverse de certaines méthodes internationalement brevetées, nous ne présentons point un cadre immuable, comme un rite dont les éducateurs ne

pourraient le moins du monde s’écarter sans risquer de tout compromettre et de trahir l’esprit même au nom duquel sévit cette rigidité. Nous offrons : — un matériel que nous avons pleinement mis au point, que les éducateurs pourront d’ailleurs fabriquer partiellement eux-mêmes en l’améliorant et en l’adaptant à leurs besoins pourvu qu’ils s’inspirent des principes essentiels que nous avons mis en valeur ; — la technique générale d’emploi de ces outils ; — des principes d’organisation de la vie et du travail des enfants, y compris la collaboration permanente des éducateurs et la pratique généralisée des correspondances interscolaires. À chacun de tirer de cet ensemble le maximum de vertus éducatives dans le sens de la complexité de la vie individuelle et sociale. Nous vous garantissons dans cette voie, outre le maximum de réussite scolaire, une compréhension nouvelle de votre rôle d’éducateurs et cette éminente satisfaction intérieure qui anime et récompense la générosité compréhensive des éveilleurs d’âmes. Nous schématisons dans le dessin ci-dessous notre système d’échanges interscolaires avec ses deux rythmes régulier et mensuel.

4. À L’ÉCOLE PRIMAIRE Considérations préliminaires Les pages qui précèdent auront déjà familiarisé quelque peu nos lecteurs avec le sens général de nos recherches et la portée de nos réalisations. Au début de la partie la plus délicate de ce travail, nous voudrions prévenir encore la méfiance de ceux de nos collègues qui hésiteraient à aller plus avant parce qu’ils craindraient de suivre quelque illuminé dans des innovations qui sont peut-être théoriquement acceptables, mais dont la pratique risque de bouleverser dangereusement la vie de l’école, les rapports avec les autorités, la discipline, le travail et le succès des enfants – sans

compter les habitudes de l’éducateur lui-même, parfois déjà cristallisées en imperméables routines. Si nous sommes à tel point partisans d’une éducation du travail, c’est que nous en avons d’avance appliqué les principes à la conception et à la réalisation de notre œuvre. Dans la lente mise au point qui s’est poursuivie pendant trente ans nous ne sommes jamais partis de la théorie pédagogique pour nous élever à la réalité constructive. Nos réalisations sont toujours, exclusivement, le fruit d’une expérience tâtonnée pratiquée à même le travail scolaire avec les enfants, dans le milieu normal de l’école populaire. Aucune de nos innovations n’a son origine dans une idée a priori qu’on essaie de faire passer dans les faits : c’est à même le travail journalier que nous avons adapté les outils anciens, forgé et perfectionné les outils nouveaux. Loin de nous satisfaire des premières réussites, nous en ressentions les insuffisances et les faiblesses, nous avions conscience des trous à combler, et nous ne cessions de chercher, par tâtonnements, les ajustements matériels et techniques susceptibles de rendre plus efficient tout notre système éducatif. Si nous n’avions pratiqué ainsi, nous aurions, comme tant d’autres, cherché dans le commerce les modèles d’imprimerie qui auraient répondu à notre idée pédagogique préalable. Et nous aurions échoué, comme tant d’autres aussi qui avaient essayé avant nous, parce que les principes du travail scolaire et du travail industriel ne sont nullement identiques. C’est en partant du travail des enfants que nous avons créé de toutes pièces puis amélioré tout notre matériel d’imprimerie. Il en est de même du fichier scolaire, répondant à un besoin nouveau et dont une intéressante rétrospective montrerait l’émouvante série tâtonnée. De même pour l’illustration, pour les plans de travail, pour tous les détails de l’organisation nouvelle du travail scolaire. C’est dire que nos techniques ont comme première raison d’être de répondre aux besoins de nos écoles publiques. Loin de descendre de quelques projets imaginaires, ou de théories pédagogiques, elles montent exclusivement de la base, du travail même et de la vie des enfants dans nos classes rénovées.

Et c’est parce que nos recherches n’ont jamais été déviées de leur but par des considérations extrascolaires, parce qu’aussi nous avons su en étalonner l’emploi par la collaboration effective et permanente de centaines d’écoles publiques, que nous avons réussi une conjonction peut-être unique dans l’histoire pédagogique : celle de la technique scolaire et de la théorie pédagogique, l’une justifiant l’autre ; selon le mot de Claparède, nous avons réalisé, par l’action au sein de l’école, les rêves généreux des psychologues et des pédagogues. Il ne nous déplaît certes pas aujourd’hui de comparer nos réalisations avec les vues théoriques de tant de chercheurs, ni de tenter parfois une justification a posteriori de nos réussites. Mais quand nous nous achoppons encore à quelque hiatus, quand l’expérience ne nous semble pas cadrer totalement avec l’idée pédagogique, c’est toujours à l’épreuve de la pratique que nous revenons. Et c’est elle qui tranchera en définitive : c’est en son nom que nous délaisserons certains essais qui ne réussissent pas chez nous, même s’ils étaient recommandés ailleurs comme des panacées ; en son nom que nous oserons des réalisations qui suffoqueront d’abord les théoriciens, lesquels se rendront bien un jour à l’évidence des faits. Voilà notre pedigree pédagogique. Le processus de son évolution est parfaitement conforme aux vraies règles de la recherche scientifique telle que l’a définie Claude Bernard : nous partons de la vie, des expériences à même la vie, sans rien ignorer des théories et des principes susceptibles d’influencer et d’aider notre tâtonnement. Nous faisons surgir l’organisation nouvelle de la réalité quotidienne. C’est dire que nous pouvons, sans outrecuidance, vous assurer du succès. Nous ne vous présentons pas une théorie que nous vous laisserions le soin de faire passer dans la pratique. Nous allons directement à la pratique et, nous le répétons, s’il était en notre pouvoir de vous faire assister par la caméra et la projection à l’activité nouvelle des classes qui travaillent selon nos techniques, s’il vous était possible d’aller voir sur place, ne serait-ce qu’une demi-journée, ce que donnent ces innovations, nous nous tairions

totalement, nous contentant de vous dire à la sortie : Vous avez vu l’outil ; vous avez compris son emploi… Introduisez-le dans votre classe et joignez-vous à nous pour le perfectionner et l’universaliser. Pour ceux qui ne peuvent aller visiter ces écoles au travail, réduisant au minimum la théorie, nous allons : I. Décrire l’adaptation indispensable des locaux aux nécessités nouvelles. II. Présenter le matériel. III. Montrer, dans la vie d’une classe pendant une semaine, l’usage pédagogique des outils nouveaux et l’organisation du travail que cet usage nécessite. IV. Donner ensuite toutes indications pratiques pour l’introduction graduelle dans vos classes des techniques de travail qui feront de votre école trop intellectualisée un milieu éducatif vraiment adapté aux besoins nouveaux du groupe. 1. les locaux de l’école primaire Pour donner une idée d’ensemble de la nouvelle conception des locaux scolaires et de leur ameublement, nous allons présenter un plan pour ainsi dire idéal, que nous tâcherions de réaliser s’il nous était donné de construire l’école populaire du XXe siècle. Nous accordons à cette installation matérielle une importance plus déterminante qu’on ne croit du succès des méthodes. Il faut absolument nous dépouiller d’un sentimentalisme désuet qui fait dire qu’on n’a pas besoin de tant de richesses pour vivre heureux ou s’instruire dignement. Nous savons certes qu’on peut être mille fois plus heureux dans une masure que dans l’opulence d’une maison moderne, qu’on peut faire de la besogne autrement qualifiée dans une pauvre école que dans des locaux où rien ne manque des commodités modernes. Il s’agit là de cas individuels, de l’exception. Mais, dans l’ensemble, toutes choses égales d’ailleurs, on peut assurer qu’il est un minimum d’installation matérielle qui est indispensable à la vie harmonieuse de la famille, et au-dessous

duquel tout travail efficace devient normalement impossible dans les classes. Donner à la famille, donner à l’école ce minimum, ce « standard » doit être une de nos premières revendications. Ce n’est pas par hasard si pour la construction d’une usine ou d’un grand magasin, l’ingénieur rase au préalable des vieilles demeures centenaires, pourtant solidement soutenues par des murs épais sur des caves voûtées à toute épreuve. C’est que ces murs, la disposition des pièces, la longueur réduite des poutres ne permettent pas l’agencement matériel nécessité par la rationalisation du travail. Pour notre école aussi : à travail nouveau, locaux et matériel différents, adaptés aux normes mêmes d’activité. 1. Situation d’abord Nous avons montré, dans notre Essai de psychologie sensible appliquée à l’éducation, que le recours à la nature est plus que jamais pour l’enfant une tonifiante nécessité. Si donc l’École n’est située elle-même au centre d’une nature « aidante », si elle ne peut être toujours à proximité des bois, d’une rivière, de rochers, de terrains de culture, il est indispensable du moins qu’elle soit entourée et doublée de ce milieu naturel que nous avons déjà recommandé aux niveaux précédents mais qui prend ici une signification différente avec son jardin – potager et fruitier – son pré, son rucher, sa volière, sans oublier les espaces libres pour jeux, campements, constructions, etc. Ces conditions sont, en gros, presque toujours réalisées dans les écoles rurales. Pour les écoles de villes, il faut tenir compte naturellement de la possibilité pour les enfants de se rendre à l’école sans fatigue excessive ni risques de la circulation. Dans certains cas, l’aménagement de moyens de transport permettra l’installation des écoles vers la périphérie des agglomérations où pourront être réunies les conditions ci-dessus. (Ce transport était déjà courant avant guerre pour certaines écoles nouvelles.)

À défaut, comme nous l’avons indiqué pour les écoles maternelles, le milieu naturel sera séparé de l’école, ce qui gênera quelque peu les horaires. Mais il ne saurait y avoir d’école primaire moderne sans milieu naturel. Nous insistons à peine sur d’autres conditions d’installation que le bon sens suffirait à faire respecter : exposition au soleil sur terrain sec, le plus possible à l’abri du vent, et loin des bruits de la rue, des trains ou des usines. 2. Plan du local Nous présenterons un plan modèle pour une école à classe unique, qui sera comme la cellule initiale que les architectes combineront techniquement pour la construction des écoles à plusieurs classes. C’est la nature et la forme du travail scolaire qui doivent déterminer la structure des locaux, comme la technique de vente détermine la disposition et la structure du magasin moderne. L’École traditionnelle est un auditorium-scriptorium dont l’amphithéâtre des grandes écoles n’est que la forme somptueuse. Pour cet auditorium-scriptorium, la disposition la plus favorable était une salle unique, suffisante certes pour le groupement assis de l’effectif scolaire, mais point trop vaste cependant pour que la voix du professeur ne s’y perde pas et que l’œil du maître puisse surveiller les derniers recoins. Ne parlons pas de la baguette qui, autrefois, devait, de la chaire, toucher jusqu’aux cancres du fond. Cette salle ne devait pas être trop généreusement ouverte sur l’extérieur, car ces ouvertures nuisaient à la résonance de la voix doctorale et étaient susceptibles de distraire les élèves – inconvénient corrigé par la surélévation des fenêtres et l’opacité des vitres. Notre École moderne sera un atelier de travail, intégré à la vie du milieu. Cette destination spécifique nécessite une structure nouvelle.

L’École sera un atelier de travail tout à la fois communautaire et spécialisé. Il devra donc comporter : — une salle commune, à peu près comparable à la salle de classe traditionnelle, où les enfants pourront se réunir pour tous les travaux collectifs dont nous verrons le rôle pédagogique. Mais cette salle sera le mieux éclairée et le mieux aérée possible. Nous en verrons plus loin l’ameublement.

— des ateliers spécialisés extérieurs comprenant : a) le milieu naturel : jardin, potager, fruitier ; b) le local d’élevage : lapins, ruche, cochons d’Inde, poules, chèvres. — des ateliers spécialisés intérieurs, au nombre de huit, débouchant sur la salle commune selon les indications du plan cijoint. 3. Modernisation des locaux existants Il sera possible, dans certains cas, de construire sur une face au moins du local existant, un appendice de deux mètres de profondeur, largement ouvert sur la salle commune et où seront installés les ateliers. La dépense ne serait nullement excessive et l’entreprise sera certainement reconnue comme réalisable le jour où parents et administrateurs en auront compris la nécessité. Mais il arrive assez souvent que l’École possède, attenante à la salle de classe, une pièce inoccupée, ou susceptible du moins d’être libérée (ancienne salle de mairie, salle de classe inoccupée, etc.). C’est là que nous installerons, sans frais, nos ateliers spécialisés. Il faut naturellement une porte de communication directe avec la classe. Nous devinons l’inquiétude des pédagogues : comment se fera la surveillance, et qu’adviendra-t-il des élèves d’une salle quand le maître sera dans l’autre ? Le problème serait effectivement insoluble à l’école traditionnelle où le travail est fonction de la surveillance et de l’autorité. Les conditions sont heureusement changées dans les écoles travaillant selon nos techniques. Il est un fait aujourd’hui indiscuté : quand les élèves se livrent à des travaux qui les intéressent profondément parce que répondant à leurs besoins fonctionnels, la discipline se réduit à l’organisation de ces travaux et ne nécessite qu’un minimum de surveillance qui devient la plupart du temps le fait

de l’équipe ou du groupe. L’instituteur cesse d’être l’adjudant de semaine pour devenir en permanence le conseiller et l’aide. Ce qui ne veut pas dire qu’on atteindra d’emblée ainsi la perfection dans l’harmonie scolaire. Si le mécanisme était parfaitement réglé, s’il n’y avait pas parmi les élèves des nerveux, des anormaux, des étourdis, des violents, peut-être. Dans la pratique l’instituteur devra faire comme le mécanicien qui surveille un groupe de machines et peut se reposer sur le pas de la porte quand il n’y a aucune anicroche. Mais dès qu’il entend un bruit suspect, qu’il sent une faiblesse ou un raté, il faut bien qu’il accoure pour mettre de l’huile, exciter un mécanisme, ralentir un rouage. Tel sera le rôle nouveau de l’instituteur qui peut fort bien, en conséquence, faire travailler des groupes d’élèves dans deux salles attenantes, communicantes. À défaut de salle attenante, les ateliers pourront être installés dans un corridor et, si impossible, dans la salle commune elle-même. Il suffira, dans ce dernier cas, de modifier la disposition du mobilier et de monter des rudiments d’établi, soit sur de vieilles tables transformées, soit sur des tréteaux. Cette solution n’est possible que dans les classes suffisamment spacieuses et non surchargées. Pour les autres, pour les taudis scolaires, comme pour les taudis ouvriers, il n’y a pas de solution possible et la désaffectation s’impose. L’installation des ateliers dans la salle même a l’inconvénient de compliquer le travail collectif, le bruit des ateliers rendant difficile la concentration des élèves occupés à des activités intellectuelles ou artistiques. Il a l’avantage d’une surveillance plus facile dans les classes mal aménagées ou trop chargées. ---oOo--Nous présentons encore ici une observation essentielle : il y a eu, ces temps-ci, dans l’éducation nationale française, une tendance caractéristique à l’organisation du travail manuel au sein même de

l’École primaire (2e cycle). Des crédits ont été affectés à l’installation d’ateliers permettant ce travail. Dans la mesure où le travail manuel auquel ces ateliers sont destinés est indépendant de l’activité intellectuelle scolaire, on peut avoir tendance à les séparer de la classe et à les grouper en une sorte d’atelier annexe pour le préapprentissage manuel. Nous précisons encore que cette spécialisation prématurée n’est point notre but : il ne s’agit pas pour nous de conserver tout l’essentiel – esprit et méthodes – de l’enseignement scolastique, et d’y greffer – pas même : d’y accoler – une section de travail pour les plus grands élèves. Cette dualité n’est pas même un pis-aller : elle n’est qu’un leurre, une fausse réforme, un de ces gestes symboliques fort propres à saboter et à déconsidérer l’idée qu’ils semblent servir. Nous voulons l’éducation par le travail, une culture issue de l’activité laborieuse des enfants eux-mêmes, une science fille de l’expérience, une pensée sans cesse précisée à même la matière et l’action. C’est pourquoi ateliers de travail, salle commune, aide du maître, sont les conditions inséparables d’un même tout qui est la formation de l’enfant et, par-delà lui, la formation de l’homme, du citoyen de la nouvelle société populaire. Cette observation est plus spécialement nécessaire pour la conception des locaux dans les écoles à plusieurs classes. On pourrait en effet avoir tendance, bien plus que dans les écoles à un seul maître, à séparer des classes les ateliers spécialisés, comme on installe un lavabo commun, une cantine ou une piscine – ateliers qu’on pourrait alors installer, aménager et organiser parfaitement avec un minimum sensible de frais, et à la tête desquels on pourrait placer des maîtres strictement spécialisés, donc particulièrement compétents. Ces écoles à plusieurs classes comporteraient alors des classes traditionnelles, avec seulement en plus un atelier de menuiserie, une forge, un fichier, une imprimerie, un laboratoire de sciences, une salle de travaux ménagers communs à toutes les classes. C’est ce qui existe déjà, plus ou moins complet, dans de nombreuses écoles bien organisées en France, en Allemagne, en

Norvège, en Suède. Et c’est justement contre une telle conception pédagogique que nous nous élevons, contre cette séparation anormale de la classe intellectualisée et de l’atelier actif, qui prépare cette dualité sociale des travailleurs manuels rejetés dans la médiocrité et d’une classe intellectuelle, d’autant plus présomptueuse qu’elle est plus stérile. Notre conception pédagogique nouvelle nécessite que, même dans les écoles à maîtres multiples, chaque classe comporte des ateliers spécialisés qui font partie du processus éducatif comme en faisait partie jusqu’à ce jour la chaire surélevée, moyen et symbole de l’enseignement. Ce qui n’empêchera pas l’organisation d’ateliers complémentaires où des maîtres spécialisés donneraient toutes directives pratiques pour le travail proprement scolaire. L’agencement de cet ensemble complexe est l’affaire des architectes. Ils connaissent maintenant les besoins véritables de notre pédagogie, comme ils connaissent les nécessités du travail industriel rationalisé. À eux de réaliser les locaux qui permettront enfin les activités dont nous avons dit l’éminente nécessité. Pour ces écoles à classes multiples la réorganisation et la réadaptation des locaux existants sont plus délicates. La seule solution pratique sera peut-être la suppression de classes intermédiaires qui, munies de cloisons médianes, peuvent loger les ateliers attenants aux classes subsistantes. Quitte à agrandir quelque peu le groupe pour les classes ainsi désaffectées. Pour cette réadaptation, les difficultés financières ne sont jamais qu’une mauvaise excuse. On a décidé récemment l’octroi d’importantes subventions pour l’amélioration de l’habitat rural. Nous avons vu alors des fermiers cossus jeter bas leur vieille écurie pour réaliser une écurie moderne, large et aérée, avec éclairage, montecharge, etc. Nous n’en demanderons pas plus pour les enfants. Ce qui manque, nous le savons, ce n’est pas l’argent, mais la conscience de la nécessité de cette adaptation, le sentiment du rôle véritable de l’école, de sa noblesse, de son importance déterminante sur la vie des individus, la prospérité et la paix des cités. Et c’est à nous qu’incombe la tâche de prouver paradoxalement le mouvement

en marchant, de prouver, par l’expérience concluante, la nécessité de cette réadaptation. Encore une fois, c’est des éducateurs des petites écoles à deux classes géminées des villages et des bourgs, des maîtres des écoles à classe unique que nous attendons l’épreuve décisive qui entraînera tout le mécanisme éducatif. À eux de faire surgir de l’École traditionnelle, à même la vie des communautés rurales, l’atelier complexe, manuel, intellectuel et artistique qui formera harmonieusement l’homme complet et actif de la société de demain. 4. L’ameublement L’ameublement de l’École traditionnelle est naturellement celui d’un auditorium-scriptorium : chaire surélevée, unique tableau à l’usage exclusif de l’exposé magistral ou des interrogations – bancspupitres pour enfants assis écrivant ou lisant (à l’exclusion de toutes autres activités, sauf clandestines) ; absence de toute espace libre dont l’utilisation n’est nullement prévue dans l’organisation pédagogique, meuble bibliothèque et compendium scientifique soigneusement fermés, à l’abri de la poussière et des mains indiscrètes et, sur une console, le buste de la République ou le crucifix ! Cet ameublement ne répond plus du tout aux nécessités scolaires nouvelles : — parce que tout travail, debout ou assis, autre que l’écritureaudition passive y est impossible ; — que les déplacements le sont aussi ;

— et que de ce fait toute collaboration entre élèves d’une part, entre élèves et maître d’autre part, est absolument irréalisable. Nous prévoyons : — Des tables ordinaires, donc essentiellement mobiles, de 1 m × 0,80 m, à dessus plat, sur lesquelles peuvent travailler sans se gêner quatre élèves. Un petit pupitre portatif se posant sur la table pourra être employé éventuellement par les élèves qui préfèrent écrire sur un plan légèrement incliné. Nous sommes résolument contre le banc-pupitre incliné qui ne peut servir qu’à écrire. Nos tables sont pratiques pour l’écriture, pour la lecture, pour le découpage, le collage, le dessin, l’examen de cartes et documents. Placées bout à bout elles constituent une grande table pour le travail par groupes. On peut les pousser sur une face de la salle ou même les entasser dans un coin et libérer ainsi l’espace pour d’autres usages collectifs : évolutions, exposition, théâtre, etc. À défaut de tables portatives, des tables sur tréteaux pour huit élèves feraient le même office et seraient meilleur marché. Mais leur stabilité risque de ne pas être suffisante. Autant que possible d’ailleurs il faut éviter que les élèves soient aussi matériellement dépendants de leurs camarades : il en résulte des querelles, des accidents, de l’inutile désordre. — Comme sièges, nous recommandons la chaise normale et, à défaut, le tabouret de bois. Pour les raisons données ci-dessus le banc collectif doit être exclu. Des coussins peuvent être prévus pour surélever les sièges des élèves trop petits : la hauteur des tables et des sièges sera d’ailleurs adaptée au niveau des classes.

Cette installation est en définitive moins onéreuse que les lourds bancs-pupitres traditionnels. Que les hygiénistes ne s’émeuvent ni de nos tables plates ni de nos tabourets légers et sans dossiers. L’écriture et la lecture ne sont plus chez nous les uniques besognes scolaires, et les élèves ne seront pas contraints à des heures d’anormale immobilité, génératrice de scoliose. Par la diversité des activités qui leur sont offertes, ils corrigeront eux-mêmes les positions défectueuses, compensant par une activité corporelle une concentration intellectuelle ou artistique qui a bandé leurs muscles et immobilisé leur corps. — Des casiers seront installés sur une des faces libres de la classe. Les élèves y déposeront livres, cahiers et outils qui ne surchargeront plus les tables. La disposition du mobilier permettra à l’écolier de se lever librement et sans bruit lorsqu’il le désire pour se rendre à son casier. — La chaire surélevée du maître devient superflue. L’éducateur fera de moins en moins, ou même plus du tout, de leçons doctorales. Il sera appelé plus souvent à collaborer avec les élèves, dans les divers coins de la classe. Une simple table, comme celle affectée aux élèves, essentiellement mobile, avec un casier particulier, suffisent parfaitement. — Nous étendons par contre l’usage des tableaux. Nous aurons un tableau sur chevalet pour copie des textes, notes et inscriptions intéressant directement toute la classe ; un, deux ou même trois tableaux – peints à même les espaces libres des murs, ou sur panneaux de bois – et destinés aux travaux de groupes. Il n’est pas nécessaire que ces tableaux soient lugubrement noirs. Un vert légèrement foncé convient parfaitement. Il ne faut rien négliger de ce qui peut améliorer l’inutile austérité de la classe.

— L’éclairage naturel doit être suffisant. Il ne faut pas craindre les larges baies vitrées, au niveau des enfants, comme dans les demeures familiales. Il est bon que les enfants puissent regarder à l’extérieur. Cela n’est pas toujours inutile, ne nuira pas à la qualité de notre travail et libérera définitivement notre école de cette atmosphère de prison. Des dispositifs seront prévus pour l’obscurcissement de la salle à n’importe quelle heure du jour, en vue des projections lumineuses fixes ou animées. L’éclairage artificiel indirect sera aussi suffisant. — L’ameublement des ateliers comportera, selon la destination : tables mobiles ou appuyées contre le mur, casiers et étagères. ---oOo--Il n’y a dans tout cela rien de luxueux ni d’irréalisable. Les écoles existantes, sauf dans les cas incurables de taudis étroits et surchargés, peuvent d’ailleurs s’orienter progressivement vers cette adaptation. Nous notons parmi les choses immédiatement possibles : — La disparition de l’estrade du maître et la disposition du bureau au niveau des élèves. Cette mesure entraîne ordinairement un gain appréciable d’espace libre. L’estrade peut être utilisée pour d’autres aménagements. — Certains pupitres disponibles ou inutilisables pourront être aménagés en petits établis ou en bancs d’exposition. — Si vous avez à remplacer des bancs usés, faites fabriquer tables et tabourets selon nos indications, en attendant de transformer la totalité du mobilier. À dépense sensiblement égale, les autorités ne feront aucune difficulté. — Modifiez la structure de votre classe en disposant les tables de façon à réserver le maximum de passages et d’espaces libres.

5. Le matériel de travail Dans ce cadre adapté au maximum aux modalités du travail scolaire nouveau, quel est le matériel, quels sont les outils que nous allons installer pour la réalisation pratique et efficiente de notre éducation du travail ? Après examen psychologique et social des besoins essentiels des enfants de notre époque, nous avons arrêté à huit le nombre des ateliers spécialisés de travail. Quatre de ces ateliers seront consacrés à ce que nous appelons le travail manuel de base, c’est-à-dire celui vers lequel se tourne spontanément l’enfant qui est libre de choisir son activité. Il est un fait, en effet, qu’on feint d’ignorer ou de négliger parce qu’il est en contradiction avec le souci exclusif et prématuré d’intellectualisation : entre une activité qui nécessite un effort général spécial et un travail manuel qui permet de dominer tant soit peu la matière vivante ou passive, aucun enfant n’hésite, à moins qu’il n’ait déjà été perverti par une formation qui lui a valu une anormale répulsion pour l’effort manuel. Tout comme l’enfant va spontanément vers le fruit naturel et succulent de préférence aux préparations artificielles les plus alléchantes, à moins que son goût n’ait été perverti au point de lui faire préférer viandes et plats cuisinés. Nous connaissons aujourd’hui les risques qu’il y a à bâtir un système, qu’il soit alimentaire ou pédagogique, sur la perversion et le frelaté. Nous persistons à penser qu’il est en tout cas préférable de prendre la nature comme elle est, et de construire à partir de ses plus saines virtualités. Nous ne contraindrons donc pas l’enfant qui arrive dans notre école à s’orienter vers une activité intellectuelle qui, sous la forme où nous la lui présentons, ne lui est point naturelle. Nous le laisserons se diriger vers les besognes ancestrales d’enrichissement par le travail de la main et l’emploi sans cesse perfectionné des outils ; nous l’aiderons à se réaliser d’abord par ce travail, que nous hausserons ensuite à son éminente dignité intellectuelle et sociale.

Et si l’enfant, dira-t-on, s’attarde outre mesure à cette activité manuelle de base, au risque de négliger et de méconnaître les acquisitions jusqu’à ce jour spécifiques à l’école, ne lui ferez-vous pas violence ? Ce serait là une violence bien inutile. De ce travail de base, troisième étape de la personnalité, après la prospection tâtonnée et l’aménagement, naîtront immanquablement : la conscience des rapports entre les faits, la logique dans l’expérience et la construction, et ce besoin sans cesse accru de mieux connaître pour mieux dominer son propre travail, pour donner aux outils le rendement maximum au service de la puissance individuelle, liée à la puissance de la communauté. Le passage d’une étape à la suivante n’est pas une affaire extérieure, mais intérieure. Vous pouvez le faciliter, l’aider, l’accélérer ; vous ne sauriez impunément l’escamoter pour sauter d’un bond à l’étape supérieure. Ce passage est d’autant plus rapide que le milieu est plus aidant et que l’individu a plus de possibilités pour appréhender le monde, qu’il est plus intelligent – l’intelligence n’étant pas prise ici dans son sens strictement scolaire. Plus l’individu sera retardé, plus il piétinera dans la satisfaction matérielle du pur travail manuel. Il en restera peut-être même à ce stade. Mais croit-on vraiment avoir fait quelque besogne utile lorsqu’on l’aura détaché artificiellement de la lente formation fonctionnelle qui lui était essentielle pour l’initier à coups de leçons, d’exercices de mémoire et de pensums à un intellectualisme qui le dépasse ? On n’aura fait que le désaxer, le déraciner, le déséquilibrer, compromettre sa montée normale vers l’intelligence vraie. Nous avons procédé jusqu’à ce jour comme la maman inconsciente – il n’y en a d’ailleurs aucune qui puisse jamais pousser l’inconscience jusqu’à cette absurdité – qui prétendrait éviter à son enfant le lent tâtonnement par lequel il ajuste jour par jour la puissance de ses muscles et l’harmonie de ses gestes, de crainte, dirait-elle, que son fils ne parvienne jamais à marcher droit !… et qui le placerait dans un appareil de son invention qui l’obligerait à tenir

sur ses jambes et à marcher. Bon moyen, assureriez-vous, pour que l’enfant ne parvienne jamais à marcher droit tout seul et que, avec ses jambes flasques ou tortes, il en soit réduit à marcher toute sa vie avec les appareils qui lui ont été imposés prématurément, sans égard à son processus d’évolution. Aucune mère n’accepterait une telle sottise, car elles possèdent toutes cette confiance instinctive – que la scolastique pseudoscientifique a tuée chez nous – dans le besoin invincible de l’enfant de monter, de croître, de perfectionner ses techniques jusqu’à dominer le monde par la vitesse de ses jambes, la sûreté de ses gestes, la puissance de son corps harmonieux. Mieux : elle juge, dans sa spontanéité affective, que chaque étape de cette croissance a son charme, dont elle serait bien fâchée de se priver. Seulement, bien sûr, cette montée des premiers gestes coordonnés jusqu’à la marche normale se fait plus ou moins vite selon les aptitudes des enfants. Il en est même qui ne parviendront jamais à l’équilibre normal et qui, toute leur vie, marcheront comme en tâtonnant, les bras inquiets détachés du corps comme pour se raccrocher à quelque branche salvatrice. Nous n’avons pas appris, hélas ! que la science ait réussi jusqu’à ce jour à assurer leur marche, à améliorer leur équilibre autrement que par une lente et problématique action sur le comportement général qui conditionne le succès spécialisé. Il n’y a vraiment que les pédagogues pour prétendre brûler les étapes, réussir mieux que la nature, et qui s’obstinent orgueilleusement dans leurs erreurs malgré l’évidence de leurs échecs. Reprenons confiance en la vie et soyons assurés qu’elle est apte à faire monter les individus non déformés, non dévitalisés, des activités de base vers l’instruction, la culture, la science et l’art jusqu’à la suprême conquête d’une spiritualité qui est la marque éminente de la supériorité humaine. ---oOo---

Par nos ateliers de travail de base, ce sont des possibilités de travail que nous offrons aux enfants et non des formes pour le dressage. Évitez de retourner à la scolastique en faisant du travail dans ces ateliers des devoirs consécutifs à certaines leçons méthodiques, ou en obligeant tous les enfants à passer alternativement dans chacun de ces ateliers pour une initiation qu’on jugerait indispensable. Il est rare qu’un individu s’intéresse également aux diverses activités manuelles et qu’il y réussisse avec une égale maîtrise. Cet intérêt, d’ailleurs, varie avec l’âge : il varie essentiellement avec la saison, avec le temps, avec certaines modes à l’origine impondérables, « qui sont dans l’air ». Si le travail des champs, par exemple, est à peu près totalement abandonné en hiver, il arrive par contre un moment du printemps, où, brusquement, tout le petit monde s’adonne avec une fureur caractéristique au défonçage, au nettoyage, aux semis… Puis, dès que la graine est confiée au sol, cet intérêt s’émousse pour un temps au profit d’autres activités. L’École doit sentir et respecter cet intérêt et ce rythme, même s’ils ne coïncident pas avec les normes pédagogiques que nous avions prévues ; nous laisserons l’enfant choisir son activité dans le cadre des nécessités communautaires, nous contentant de l’aider à réussir, à marcher avec succès vers la maîtrise et la puissance. Ces recommandations ont plus d’importance qu’on ne croit : si vous ne les respectez pas, vous ferez tout simplement un préapprentissage plus ou moins prématuré qui peut avoir ses avantages. Mais vous ne réaliserez pas l’éducation du travail. ---oOo--Ce sont ces mêmes considérations essentielles qui justifient une dernière mise au point : sur la richesse elle-même de l’installation. Qu’on ne se méprenne pas sur notre intention : il ne s’agit nullement d’excuser et d’idéaliser la pauvreté et le dénuement comme on l’a tenté parfois dans certains milieux. Loin de là : nous affirmons au contraire tout au long de notre travail que, pour être efficiente, l’École a, dans la presque généralité des cas, absolument

besoin d’un minimum de matériel, d’installation et d’organisation. C’est ce minimum que nous nous appliquons à préciser d’abord, à rendre ensuite techniquement et financièrement possible dans nos écoles. C’est comme dans un logement : il existe un minimum d’aménagement au-dessous duquel la vie de l’individu ne peut s’organiser normalement. C’est ce minimum qu’il faut tâcher de conquérir. Mais il arrive aussi que, au-delà d’une certaine moyenne, l’individu risque de se laisser dominer par l’installation : il n’a plus la liberté de ses gestes ; il n’y a plus place dans sa vie pour la fantaisie, l’imprévu, et ce plaisir inappréciable qu’on éprouve à améliorer, à enrichir, à perfectionner, en ajustant matériel et technique au jeu primordial de notre personnalité. C’est dans ce sens qu’une organisation trop poussée de ces ateliers de base risque de nuire à l’initiative, à l’adaptation du travail au milieu, d’asservir la création à l’ordre et à la discipline froide d’un matériel qui imposerait sa loi comme l’impose la chaîne aux ouvriers qui y sont incorporés. Je redoute à tel point cette obsédante richesse que si on m’offrait, pour ces ateliers, un matériel absolument complet et perfectionné, je me hâterais de remiser au grenier les pièces qui ne sont pas absolument indispensables au travail pédagogique que je me propose. C’est ce matériel minimum de base que nous allons nous appliquer à déterminer. Nous laisserons ensuite les élèves, aidés de leur instituteur, de leurs parents et des amis de l’école, parfaire ce matériel par l’apport intéressé de chacun, par le travail des plus habiles et l’aide plus ou moins bénévole des artisans de la localité. L’atelier, alors, sera bien à nous ; il nous sera familier, et nous en userons en conséquence. Dans la liste de l’équipement de chacun de nos ateliers nous inscrivons donc : sur une première colonne les pièces de matériel à notre avis indispensables, à acquérir ou à fabriquer d’urgence, et sur une deuxième colonne la mention des articles accessoires dont l’École s’enrichira au fur et à mesure des possibilités.

Voici, avant de passer à cette énumération, la liste des ateliers que nous avons prévus. Quatre ateliers pour le travail manuel de base : 1. Travail des champs. Élevage. 2. Forge et menuiserie. 3. Filature, tissage, couture, cuisine, ménage. 4. Constructions, mécanique, commerce. Quatre ateliers d’activité évoluée, socialisée et intellectualisée : 5. Prospection, connaissances, documentation. 6. Expérimentation. 7. Création, expression et communication graphiques. 8. Création, expression et communication artistiques.

2. technique scolaire pour une éducation du travail Nous comprenons que les éducateurs soient un peu devant l’École dont nous venons d’analyser l’installation comme devant les portes d’une usine nouvellement construite où ils ont vu pénétrer des planches, des étagères, des meubles, des pièces détachées et des machines majestueuses. — Comment, se demandent-ils, de cette diversité, parviendra-t-on à faire sortir une efficiente harmonie ? — Comment donc fonctionnera cette école ? — Selon quels principes se fera la conjonction de ces deux éléments : travail manuel et travail intellectuel ? L’un ne sera-t-il pas, pratiquement, sacrifié à l’autre, et lequel ? — Les élèves agiront-ils ainsi au gré de leur fantaisie ? Que sera la discipline ? Et que deviendra dans l’aventure la nécessaire

autorité de l’instituteur ? — Quand ferez-vous vos leçons ? Et si vous les supprimez, que deviendront les programmes ? Et les examens ? Si même, ce qui n’est pas toujours possible, nous en prenons à notre aise avec les uns et les autres, nos élèves apprendront-ils du moins à lire, à écrire, à rédiger ? seront-ils initiés suffisamment au calcul, aux sciences, à l’histoire, à la géographie, pour affronter la vie sans dangereux handicap ? — Les élèves ainsi formés seront-ils au moins meilleurs, plus intelligents sinon plus instruits, plus sociables ? Par quels miracles ? — Aurez-vous jamais dans cette école un moment de silence ? — Que diront les parents ? L’inspecteur ? — Non, jamais je ne me sentirai suffisamment d’aptitudes pour une telle adaptation… Alors ce sera la pagaille et l’impuissance !… Ne vaut-il pas mieux en définitive assurer la discipline, et faire les leçons régulières en m’appuyant pas à pas sur des manuels scolaires qui, en définitive, ne sont pas mal faits du tout ?… Autant de questions naturelles et logiques qui s’imposent à l’esprit des éducateurs inquiets et hésitants au seuil des réalisations nouvelles. ---oOo--Ces éducateurs ont raison. Si nous n’avions la certitude, basée sur une vaste et longue expérience, de répondre aujourd’hui positivement à leurs préoccupations ; si l’École moderne ne devait pas leur apporter un meilleur rendement intellectuel, moral, physique, psychique et social que les méthodes qu’elle prétend aujourd’hui remplacer, nous ne prônerions nullement la nécessité de bousculer ainsi tout l’édifice pédagogique. Nous l’avons dit : nous ne sommes point des théoriciens, mais des praticiens. Des praticiens qui, tels les artisans à leur établi, avec des connaissances théoriques parfois réduites, inventent ou perfectionnent les outils, imaginent des tours de mains, des procédés du métier, qu’ils parviennent ensuite à systématiser et à

codifier pour les offrir à leurs collègues moins ingénieux ou moins favorisés. Nous avons dit aussi : si ces mêmes éducateurs, à demi convaincus, mais humainement rebutés par la complexité de la réforme matérielle, pédagogique et psychologique à entreprendre, pouvaient pénétrer dans l’usine aujourd’hui en bon fonctionnement ; s’ils pouvaient assister, ne serait-ce que quelques heures, à la vie d’une classe ainsi régénérée, ou du moins en voir l’image à l’écran ; s’ils pouvaient assister à des stages semblables à ceux que nous organisions à Vence avant la guerre et que nous tenons aujourd’hui dans divers centres régionaux, ils seraient certainement rassurés et prêts à se joindre à notre groupe dynamique, selon les indications précises et progressives que nous donnons en fin de ce travail. Nous parons, dans la mesure du possible, à l’impossibilité momentanée de réaliser l’une quelconque de ces initiations, en vous faisant assister en esprit à la vie de notre école organisée selon les techniques dont nous avons indiqué les bases, dans une installation et avec un matériel qui est loin encore de la perfection que nous avons entièrement analysée. Ne vous récriez pas. C’est une expérience qui est – ou qui a été, mais qui reprendra et se développera. Une expérience répétée à plusieurs milliers d’exemplaires, dans des formes adaptées aux circonstances locales et aux possibilités de milieu et qu’il ne tiendra qu’à vous d’imiter selon les modalités essentiellement pratiques que nous vous donnerons après ce rapide – et trop abstrait – tableau de la vie nouvelle d’une école moderne du XXe siècle. 3. aperçu initial sur la vie communautaire de l’école Nous sommes – pour débuter comme le ferait un speaker à la radio – dans une classe unique de village, avec une trentaine d’enfants, filles et garçons, de six à quatorze ans. Tout le monde s’accorde pour reconnaître que ce genre d’école, si commune en France, est la plus difficile, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit la moins intéressante, loin de là !

Nous commençons notre histoire au samedi soir, pendant la dernière heure de classe consacrée à la réunion hebdomadaire de la coopérative scolaire. Le président s’installe au bureau du maître (l’estrade a disparu : elle a été transformée en table rustique pour l’imprimerie). Son secrétaire est à côté de lui. Tous les élèves sont assis au gré de leur fantaisie dans la classe qui est devenue salle de réunion. L’instituteur s’est humblement placé au fond de la salle et un des benjamins est venu s’appuyer sur ses genoux, comme pour être en plus complète et plus familière sécurité. Le secrétaire lit le compte rendu de la réunion précédente : « Nous préparons la fête de Noël. Les grands montent une comédie. Christiane fait répéter aux petits une jolie scène avec des chants. Lulu et Jean iront à Uniprix acheter des jouets pour l’arbre de Noël. « Il y a des enfants qui chantent en classe pendant que nous travaillons. Ils nous font tromper. Coco et Louis, les plus terribles, seront surveillants du bruit pour la semaine. « Roger, responsable, ne veut pas ranger les composteurs. La surveillante d’imprimerie, Jeanne, ne fait pas suffisamment attention. Roger et Jeanne qui reconnaissent le bien-fondé de la critique, s’engagent à mieux faire et gardent le service quinze jours encore. « Colette, responsable du fichier, dit qu’il y a beaucoup de documents à coller. On décide de se mettre à la besogne sans retard. « René désirerait avoir un correspondant en Italie. Le Bureau écrira à cet effet à la Croix-Rouge de la Jeunesse. » On examine ensuite la situation financière. ---oOo--On discute alors des questions à l’ordre du jour : doit-on acheter une lapine ? Changer le rythme de la réception des films ? Commander tels disques demandés par de nombreux élèves ? Le trésorier indique l’avoir en caisse, qui est comme le baromètre des projets. L’instituteur donne son point de vue sur l’urgence de

certaines dépenses. Puis on passe à la lecture du journal mural qui est l’occasion d’une sorte de profond examen de la vie communautaire de l’école pendant la semaine écoulée. Ce journal est une grande feuille de 40 × 50 affichée le lundi matin en un coin spécial de la classe. L’entête en est illustré par deux élèves désignés chaque samedi. La feuille elle-même est divisée en trois grandes colonnes ayant respectivement pour titre : Nous critiquons… Nous félicitons… Nous demandons… Sur ce journal, les élèves viennent au cours de la semaine inscrire librement leurs griefs, les erreurs ou les fautes qu’ils constatent, dénoncer les insuffisances de tels services ou de telle organisation. Ils inscrivent dans la troisième colonne les propositions ou souhaits se rapportant à la vie de la classe. Toutes ces inscriptions sont signées – l’anonymat serait d’ailleurs inefficace puisque l’écriture elle-même est suffisamment révélatrice. Ce journal doit synthétiser l’ensemble des réactions enfantines en présence du fonctionnement toujours imparfait de l’organisme École. Le secrétaire fait, phrase par phrase, la lecture de ce journal. Et on en discute immédiatement : « Jeanne ne surveille pas bien le reclassement des caractères d’imprimerie. On ne peut pas composer vite. » Jeanne se défend. Elle accuse les mauvaises volontés ; elle demande à être remplacée et préférerait aider au fichier. Qui la remplacerait ? Jean-Pierre accepte. Et on décide tout de suite de procéder, à la récréation de lundi matin, au reclassement intégral de la casse. Et gare alors à ceux qui placeront mal leurs caractères ! « Pierre passe par la fenêtre. » Qui accuse ainsi ? C’est Félix. Colère spontanée de Pierre. « Et lui qui jette de la boue contre le mur ! » Pierre nettoiera toutes les fenêtres et Félix enlèvera les placards de boue du mur. C’est parfois le maître lui-même qui est mis en cause : « Je voudrais avoir plus de temps pour faire mes expériences de sciences… » « L’histoire ne devrait pas être faite comme ça ! » On discute. L’instituteur reconnaît de bonne grâce certaines erreurs,

parfois imposées par les programmes, des faiblesses… Tout le monde peut se tromper… nous tâcherons de mieux faire… On devine ainsi l’esprit de ce journal mural. Quand la lecture critique en est terminée, le président demande s’il y a des élèves qui ont encore quelque chose à dire. Les plus timides, encouragés par cette atmosphère familiale d’autocritique, disent leur mot. Il faut couper court en engageant les interpellateurs à inscrire leurs critiques ou suggestions sur le prochain journal. Rien n’est aussi moral et aussi profitable que cet examen commun, à la fois critique et constructif, de la vie de la classe. Les conditions mêmes de cet examen collectif excluent toutes tendances à la médisance, à la calomnie, à la méchanceté mesquine. Car la mauvaise intention serait bien vite démasquée et ridiculisée. Après une courte pratique – le temps naturellement de purger la classe des habitudes de passivité, de stricte obéissance et de camaraderie hypocrite qui en étaient naguère la loi – les enfants font preuve, dans cette autocritique, d’une loyauté et, surtout, d’un courage étonnants. La camaraderie elle-même ne joue que dans une faible mesure. On peut se critiquer et rester pourtant excellents camarades si on est loyal, sincère et bon. Dans certains cas graves, une sanction peut être envisagée. Le Bureau de la coopérative avait proposé récemment d’établir un véritable code prévoyant, pour chaque groupe de délits, la punition correspondante. Cet essai s’est révélé pratiquement inapplicable. Dans la pratique, comme dans la famille, il ne faut pas trop compter sur les sanctions pour améliorer une situation quelle qu’elle soit. La critique collective, la reconnaissance des fautes, le sentiment communautaire, le désir de mieux faire, se montrent en général suffisamment efficaces. La seule sanction régulière est ordinairement de réparer le mal, de refaire ce qui a été défait, de nettoyer ce qui a été sali, d’aider à une tâche pour compenser le tort causé à la classe… Une petite amende est pourtant prévue pour certains délits : le produit s’en va à la caisse de la coopérative… Il n’y a pas de petits bénéfices !

Pour terminer positivement cette autocritique constructive, réajustons si possible le fonctionnement de notre machine. Charles, responsable à la propreté générale de la classe, voudrait changer de service. On lui représente qu’il a été désigné pour un mois et qu’il doit donc tenir encore une semaine. Il est excellent, en effet, de s’habituer de bonne heure à réprimer les sautes d’humeur et à obéir aux règles acceptées, à remplir les fonctions pour lesquelles on a été désigné. — Qui va dessiner le journal mural ? — Il faut préparer une promenade scolaire vers le moulin. Qui se charge d’aller voir le meunier et d’organiser la sortie dans ses moindres détails ? — Dressons rapidement la liste des conférences quotidiennes pour la quinzaine qui commence, liste qui sera affichée sur le panneau d’exposition… Quels sont ceux d’abord qui ont une conférence prête ? L’heure de la sortie a parfois sonné depuis longtemps que nous sommes encore là, en passionnante camaraderie, pour mettre au point la vie de la classe qui devient ainsi, dans une large mesure, la chose même de chaque enfant. L’École devient son école. Et ceci est bien déjà une première conquête définitive ! 4. l’entrée en classe un lundi matin L’esprit nouveau de notre école se révèle à l’attitude des enfants avant même la rentrée en classe. Nous ne sommes ni pour ce silence de mort qui doit suivre, selon certains, le tintement de la cloche, ni pour cet alignement militaire où les uns crânent orgueilleusement, tandis que d’autres se cachent pour se faire oublier ou pardonner. On se tait ainsi, le cœur battant, quand on heurte à la porte de quelque inconnu intimidant. Mais quand on retourne à la maison maternelle, on entre joyeusement, l’esprit et la bouche tout pleins de confidences qu’on a hâte de faire ou des questions qu’il vous tarde de poser. Nous voulons que notre école soit la maison familiale où s’épanouit le cœur et s’extériorisent

les pensées. Nous n’en barrerons donc pas l’accès par un formalisme desséchant qui n’est qu’une parodie de discipline. Ce qui ne veut pas dire que nous soyons indifférents à la propreté et à la politesse dont se préoccupent au même titre les parents intelligents et dignes. L’équipe de propreté est déjà à l’œuvre, essuyant la poussière, nettoyant le tableau, allumant le poêle s’il y a lieu. Le responsable du phono fait jouer une chanson ou un air de musique… si ça lui dit. Nous n’en faisons point une règle qui risquerait de diminuer la valeur d’exaltation et de communion de la musique. Nous ne faisons pas entrer nos élèves en chantant, pas plus que nous n’administrons de leçon de morale pour commencer la journée. Pour peu que la classe réponde à sa vraie destination, il y a toujours suffisamment d’allant le matin dans les natures enfantines. Il nous suffit de sentir cet élan, de le capter, de l’utiliser, de l’exploiter pédagogiquement. Nous réserverons plutôt la musique, comme en général toutes les activités artistiques, pour les moments de fatigue psychique, quand on éprouve le besoin de redescendre au fond des individus pour y remuer un renouveau de virtualités synthétiques. L’élève responsable passe la revue de propreté. Les enfants sales, ou mal coiffés, passent au lavabo d’où ils reviennent beaux et neufs. (Ce n’est pas une punition.) L’entrée elle-même est plus ou moins animée et bruyante. Cela dépend des jours. Il est plus fécond pour nous qu’elle soit animée ; c’est un signe de vitalité dont nous saurons tirer parti. Nous ne sommes pas rigoureux sur la forme de la politesse. Cet enfant vient vers nous, pressé de nous faire part d’une découverte faite en route ou d’une nouvelle à nous annoncer. Dans sa hâte, il oublie de dire bonjour : mais sa confiance affectueuse n’est-elle pas le plus délicat des bonjours ! Un autre apporte un objet pour notre musée – pierre, plante, ou pièce d’antiquité – ou une revue illustrée dont nous tirerons des documents pour notre fichier. Une fillette nous offre un superbe bouquet de fleurs, ou le premier – le second, car le premier on ne peut résister au plaisir de le savourer – pendant de cerises.

Cette vie si confiante, impatiente de s’extérioriser, nous n’avons garde de la rabattre doctoralement ou avec un dédain plus ou moins vexant. Au contraire : nous la laissons battre vigoureusement les portes de notre école ; nous nous en imprégnons, pour mieux en imprégner notre journée, pour que notre travail réponde au mieux à ces besoins intimes dont les enfants nous livrent le secret. Et s’il en est parmi ces arrivants, qui restent muets, sérieux et tristes, loin de nous en réjouir, nous saurons nous en émouvoir pour tâcher de connaître les raisons profondes de cette anomalie. Bien des drames obsédants nous seront ainsi révélés, dont la confession seule peut décider parfois de l’orientation de toute une vie. Si nous atteignons à cette camaraderie qui peut s’élever à la dignité de communion, l’enfant qui laissait naguère à la porte de notre école ses intérêts dominants, son affectivité et le meilleur de sa vitalité pour n’y faire pénétrer que l’ombre honteuse et craintive de lui-même, cet enfant entre maintenant de plain-pied dans « son » école. Et la vie ambiante, complexe et subtile, y pénètre avec lui. Il nous suffira alors de répondre à ces besoins, de satisfaire cet appétit, d’organiser et d’enrichir cette vie qui est là avec toutes ses immenses virtualités. Notre programme pédagogique est ainsi tout tracé. ---oOo--D’ordinaire, nous tirons immédiatement partie de cette richesse diffuse pour le premier travail collectif qui commence notre journée. Le lundi, nous faisons exception à cette règle car il y a alors une besogne plus, urgente : organiser, pour toute la semaine, le travail et la vie. À l’encontre de certains théoriciens d’éducation nouvelle, nous ne pensons pas que nous devions laisser les enfants aller exclusivement au gré de leurs tendances et de leurs fantaisies individuelles. Ce serait les tromper sur la vie, et susciter un déséquilibre qui les opposerait tôt au tard aux exigences du milieu naturel ou social.

L’enfant est, dès sa naissance, baigné dans un ensemble complexe, et souvent, hélas ! tyrannique, d’obligations familiales et sociales qui dominent même notre action formative. Ces rapports nécessaires avec le milieu, nous aurions tort de les laisser au hasard, car ce serait faillir à une exigence élémentaire de notre fonction. Notre rôle est d’adapter au maximum l’éminence incontestable de la personnalité humaine aux nécessités de la vie en commun, même si ces nécessités nous paraissent parfois illogiques et déraisonnables. Elles sont, et cette réalité ne saurait être indifférente à notre comportement pédagogique. Nous ne nous contenterons pas de laisser les enfants jouer des coudes au hasard des circonstances, de leur force ou de leur habileté. Nous organiserons minutieusement la vie de l’école pour que de cette organisation découlent naturellement l’équilibre et l’harmonie qui résoudront bénéfiquement les problèmes de discipline. Cette organisation est conditionnée par la position préalable de ce que nous avons appelé les recours-barrières : famille, nature, société, individualités, qui posent leurs barrières plus ou moins gênantes, mais que nous ne pouvons pas toujours reculer ni faire sauter, et qui peuvent être en même temps des appuis, des aides qui recueillent plus ou moins favorablement les recours que leur adresse l’individu en difficulté. Jusqu’à ce jour, on ne négligeait pas la fonction barrière – qui sait s’imposer d’ailleurs. Mais on n’utilisait pas la fonction compensatrice de recours. L’École fermée au sein d’un monde en mouvement dont elle redoutait le dynamisme, ne savait rien tirer pour sa propre vie, ni de la famille, ni de la société, ni des individualités autres que le maître. Les recours à la nature eux-mêmes restaient timides et insuffisants. Nous tâcherons de rétablir l’harmonie de cette double fonction. Dans l’organisation de notre travail nous tiendrons le plus grand compte des barrières : l’École est ce qu’elle est : la classe n’est pas suffisamment grande, l’éclairage pas toujours parfait. Force nous est de construire en partant de ces réalités et d’opposer parfois à

d’émouvantes velléités un décisif : impossible ! en attendant du moins d’obtenir par nos recours une amélioration matérielle permettant la réalisation de nos rêves. La société a également posé ses barrières. Les unes sont générales – ce sont les programmes et les horaires auxquels nous sommes obligés de nous conformer ; les autres contingentes et locales – ce sont les habitudes, les traditions, les opinions, les exigences des parents ou des édiles. Nous continuerons de même en partant de ces réalités qui sont compensées d’ailleurs par des possibilités de recours que nous tâcherons d’exploiter. À nous d’aider l’organisation dans ce cadre de recours-barrières, en repoussant le plus possible les barrières, en intensifiant et en systématisant les recours. La solution était toute trouvée, à l’École traditionnelle, pour le premier point, grâce aux leçons formelles et à l’emploi rigide des manuels. Quant aux recours, nous l’avons dit, on les réduisait au minimum pour simplifier les choses – car l’École avait essentiellement peur du multiple et du complexe. Il nous faut trouver autre chose pour suppléer à cette forme et à cette insuffisance. Notre système de plans de travail va nous apporter la solution pratique. Nous donnons dans une brochure spéciale toutes indications pédagogiques sur la préparation et l’utilisation de ces plans de travail. Nous résumons ici ces directives. Nous avons prévu : 1° Des plans généraux annuels qui, sous une forme nouvelle, sont à peu près conformes aux exigences des programmes pour nos quatre cours : Préparatoire, Élémentaire, Moyen et Supérieur. 2° Des plans généraux mensuels pour chacun des cours. Ces deux catégories de plans sont établies par les maîtres.

3° Des plans individuels hebdomadaires établis dans le cadre des deux premières séries de plans. Chaque élève reçoit le lundi matin une formule de plan de travail. Voyons comment les enfants – avec la collaboration du maître – procèdent à l’établissement de ces plans de travail. a) Grammaire : Outre certains travaux collectifs que nous expliquerons, les enfants peuvent se perfectionner dans la connaissance formelle de la grammaire (nécessité imposée par les programmes plus que pédagogiquement justifiée) en faisant un certain nombre de fiches de nos Fichiers de grammaire. Louis s’était arrêté à la fiche 15. Il inscrira par exemple 10 fiches, de 15 à 25. b) Calcul : Comme nous l’expliquerons plus loin, nous réduisons à peu près à néant la théorie. Celle-ci émergera de la pratique : pratique du travail vivant, manuel et social, et exercices formels réalisés par les fichiers de calcul. Chaque élève inscrit sur son plan le nombre de fiches qu’il se propose de faire, du fichier correspondant à sa classe. Car un des avantages de l’emploi de ces fichiers est de permettre aux enfants de marcher à leur pas, et le cas échéant de brûler légèrement les étapes pour prendre de l’avance. c) Rédaction : Pour établir une norme, nous avons fixé à une moyenne de trois les textes libres à faire dans la semaine. Mais dans la pratique ce nombre peut varier selon l’inspiration ou la variété des activités possibles. Avec les grands surtout, un texte soigné et parfaitement réalisé peut être considéré comme suffisant pour la semaine. Les textes réalisés en travail d’équipe, comme suite à des observations ou à des expériences susceptibles d’intéresser les correspondants comptent comme textes libres.

d) Pour l’histoire, la géographie, les sciences physiques et naturelles, l’instituteur inscrit au tableau les questions diverses à étudier. Ces questions ont été notées au cours de la semaine précédente, au fur et à mesure que naissaient ou s’imposaient certaines curiosités, des questions suscitées par l’actualité et la correspondance interscolaire. Outre ces sujets accessoires, l’instituteur prévoit, dans le cadre du plan de travail annuel et mensuel, le thème dont l’étude sera plus particulièrement entreprise. 5, 6, 8 sujets de travail sont ainsi suggérés. Individuellement ou par groupe, les enfants choisissent leur travail et l’inscrivent sur leur plan. Il nous restera certes – et ce n’est pas le plus facile – à rendre ce travail pratiquement possible par la préparation d’outils, de techniques, de fiches-guides, etc. En cours de semaine et le samedi au moment de la correction des plans, un travail de synthèse est opéré avec la participation directe de l’instituteur. e) L’enfant indique le titre de la conférence qu’il prépare. f) Travail manuel de base : Il indique dans les casiers correspondants les projets qu’il se propose de réaliser, soit que l’initiative lui en soit personnelle, soit qu’il ait choisi parmi les nombreuses possibilités suggérées au cours des travaux précédents et indiquées sur l’agenda. L’établissement de ce plan de travail est évidemment assez délicat. Moins qu’on ne croit à première vue cependant, car, au cours de la semaine qui a précédé, chaque élève a pour ainsi dire mesuré ses forces ; des centres d’intérêt sont apparus parmi lesquels certains enfants ont d’avance fait leur choix, et qu’il suffit, pour les autres, de répartir pour les mettre à pied d’œuvre. L’essentiel est, d’une part, d’avoir préparé sérieusement les plans de travail généraux, d’autre part d’avoir les outils nouveaux adéquats

à cette forme de travail. Ces outils sont essentiellement : Les fichiers autocorrectifs de calcul et de grammaire. Le fichier documentaire. Le Dictionnaire-index. (Pour tout classer). La Bibliothèque de travail. Les boîtes de travail(10). Alors, l’établissement des plans de travail devient presque automatique. Il suffit de veiller non pas, comme on le supposerait, à ce que l’élève n’en réduise pas malicieusement l’ampleur, mais au contraire à ce qu’il ne surestime pas ses capacités et sa force. Nous bénéficions là, en effet, d’une tendance, qui n’est d’ailleurs pas particulière aux enfants. Quand nous rentrons de vacances, nous faisons, nous aussi, pour l’année qui commence, des projets qui, à l’usage, s’avèrent toujours exagérés. Et si nous partons en congé pour huit jours nous emportons trois fois plus de livres et de dossiers que nous ne pourrons en examiner. L’enfant procède de même : il est large et généreux dans l’estimation de ses possibilités et nous bénéficions de cette disposition favorable dont il faudra éviter les excès. Car l’enfant ou se surmènerait ou aurait le sentiment désastreux de son impuissance et de son échec, toutes choses essentiellement nuisibles à l’œuvre éducative. Nous avons déjà dit, à propos des Écoles maternelles, les avantages incontestables de cette technique de plans de travail qui, bien avant de pénétrer à l’École, a montré sa supériorité dans le domaine industriel ou agricole, jusqu’à régenter toute l’activité économique de grands États contemporains. Nous résumons nos considérations : — L’enfant, – et l’homme lui ressemble encore étrangement à ce point de vue, – se trouve devant le problème scolaire comme devant un jardin uni et trop monotonement grand à cultiver. L’immensité le décourage d’avance. Partager le champ en sillons à la mesure des possibilités journalières, c’est simplifier et familiariser la tâche. Il en est de même à l’École : la délimitation précise du travail à faire rassure et encourage l’enfant.

— À condition qu’il ait établi lui-même son plan de travail – avec l’aide de l’éducateur ou de camarades – dans le cadre de certaines nécessités dont il comprend ou admet l’urgence, l’enfant aura à cœur de le terminer. Ne pas y réussir serait un grave échec qu’il ne veut pas encourir. — Le plan de travail donne à l’enfant une certaine autonomie dans l’emploi de sa journée. Dans les classes ordinaires, quand l’écolier a fini sa besogne, il y en a encore. Alors, on fait comme au régiment : on fait durer le plaisir, et c’est à qui aura fini le dernier… Ce qui est une drôle d’éducation. À moins que l’émulation et les sanctions ne viennent stimuler les as, mais les as seulement… Ce qui n’est pas mieux. Avec le plan de travail, l’écolier veut aller vite, toujours plus vite – ce qui n’est pas forcément antinomique de qualité. Il veut se surpasser… c’est dans sa nature. Et une des plus graves erreurs de l’école actuelle est peut-être de n’en avoir tenu aucun compte. Les enfants chez nous travaillent vite… C’est une conquête, et qui compte. Mais la technique ne donne ses effets que si l’éducateur, de son côté, entre dans le jeu, et respecte intégralement le contrat régulier que représente le plan. Si l’enfant qui a terminé son plan le vendredi tient à passer sa journée de samedi à lire, ou à jouer, vous ne devez pas y contredire. Ce serait injuste et maladroit. Dans une classe idéale, fonctionnant parmi un ensemble de recours-barrières éminemment favorables, cette technique de plans de travail individuels dans le cadre des plans généraux pourrait et devrait régenter toute l’activité scolaire. Mais il y faudrait des conditions de travail auxquelles nous ne pouvons pas encore prétendre : dimensions et aménagements des locaux, nombre optimum d’élèves, et surtout perfection du matériel employé. Pour parer à cette imperfection dont nous avons pleinement conscience, nous avons adopté une sorte de solution mixte : nous réservons, au cours de la journée, quelques heures de travail commun à un ou plusieurs cours, et plus ou moins formaliste, que nous tâchons de relier le plus possible à l’activité générale de la

classe. La part faite à ce travail commun sera d’autant plus grande que sera imparfaite ou insuffisante la révolution pédagogique que nous préconisons. Nous n’oublions pas, enfin, que l’individu travaille en fonction de la communauté, et que cette communauté a à connaître des réalisations individuelles, d’équipes ou de groupes. 5. texte d’imprimerie et complexe d’intérêts Notre travail est donc délimité pour la semaine. Nous affichons les plans sur une longue bande de contreplaqué fixée au mur face nord, sous les casiers à livres, et assez bas pour que chacun puisse, au fur et à mesure de l’avancement du travail, colorier la case correspondant au travail effectué. En cours de semaine un coup d’œil du maître sur l’ensemble de ces plans permet de se rendre compte presque instantanément de l’avancement de la besogne, afin de stimuler ceux qui, comme le lièvre de la fable, attendent qu’il soit trop tard pour prendre le départ. Cette préparation nous a demandé une demi-heure qui sera déduite pour aujourd’hui du temps libre des élèves. Il est 8 h 30. La classe commence maintenant comme elle commence à 8 heures les jours suivants. Nous passons immédiatement à un des travaux communs qui constituent pour ainsi dire le centre de lu vie de notre école : le texte d’imprimerie. On connaît aujourd’hui les principes de cette technique(11) : les élèves lisent les textes qu’ils ont écrits librement, individuellement ou par groupes, à l’école ou à la maison. On vote ensuite pour décider quel est celui qui aura les honneurs de l’imprimerie. Si l’École était parfaite, elle irait triomphalement à la vie et se réaliserait au sein même de cette vie. Elle s’épanouirait à même le travail et la vie du berger, du cultivateur, de l’artisan, de l’ouvrier, à même les conditions changeantes de la nature, réduisant l’activité dans les ateliers de l’École à la portion de travail qui ne pourrait être réalisée pratiquement dans la vie.

Nous sommes contraints, bon gré mal gré, de mesurer nos prétentions. La vie de l’École aura une triple source : d’abord les séances, malgré tout exceptionnelles, de travail dans le jardin, de participation effective à la vie extérieure par quelque activité sociale, par les promenades et les visites organisées. Deuxièmement, la réalisation dans les ateliers de l’École, avec la collaboration d’ouvriers et d’artisans, d’une atmosphère de travail au moins très voisine de la réalité extérieure. Mais comme ces deux moyens n’épuiseront pas encore la richesse de cette participation de l’École à la vie du milieu, nous aurons recours à un truchement : la connaissance sensible, expérimentale ou formelle de ce milieu par les échos que les enfants eux-mêmes nous en apporteront, soit à la suite d’enquêtes systématiques, soit simplement par le récit vivant et divers qui en sera l’expression. C’est à cette complexité, conçue sous ces trois formes essentielles que nous allons nous attaquer. L’imprimerie à l’École, en nous permettant de susciter, de fixer, de magnifier, d’exploiter et de diffuser cette imprégnation totale de l’École par ces trois formes de travail, justifiera la place centrale qu’elle a rapidement conquise parmi les plus vivifiantes des techniques scolaires. Comment s’opérera cette conjonction ? On pourrait certes présenter aux enfants, pour les divers ateliers, un plan d’activité préparé d’avance, selon des bases rationnelles et psychologiquement scientifiques. On fabriquerait cette semaine tels objets, dans tels ateliers : on imprimerait les textes se rapportant à des sujets définis qu’on compléterait par telles recherches précises dans le fichier ou par telles enquêtes hors de l’École. Ce serait là, dans une atmosphère d’ordre et de logique formels susceptibles de satisfaire certains esprits que la vie épouvante et dépasse, un progrès incontestable sur l’ancienne école dogmatique et passive. Mais nous n’atteindrions pas encore à cette conjonction psychique qui fait monter la culture de l’harmonie du travail, qui lie organiquement, systématiquement, l’acquisition et la construction scolaire à la réalisation puissante des personnalités.

On pourra juger la distinction spécieuse : un rien la motive ; mais ce rien est tout : c’est la subtilité et la splendeur de la vie. Quiconque y atteint au maximum détient la méthode pédagogique la plus susceptible de répondre aux buts véritables de l’éducation. C’est en somme, dira-t-on, la méthode des centres d’intérêts. Oui, c’est cela au fond. Et nous seuls, pourrions-nous dire, sommes techniquement en mesure de réaliser la véritable méthode des centres d’intérêts. C’est à ce titre d’ailleurs que nous nous séparons totalement de la forme scolastique que la pédagogie a donnée à cette méthode depuis Decroly. Faute de moyens techniques suffisants pour répondre à la complexité originelle des intérêts enfantins, on se rabat sur une concentration plus ou moins arbitraire autour de certaines tendances dominantes. Comme ces magasins qui limitent leur activité à un nombre réduit d’articles parce qu’ils n’ont pas la place suffisante ni les rayons spéciaux pour répondre à des besoins exagérément fantaisistes de leur clientèle. Mais l’acheteur a du moins le loisir de ressortir pour aller chercher ailleurs l’objet qu’il éprouve le besoin de posséder. Alors que l’enfant à l’école en est réduit à se contenter de l’article approchant qu’on lui offre. « C’est mieux que rien », lui dira-t-on en guise de consolation. Mais l’enfant s’accommode mal de ces demi-mesures qui trahissent parfois la vie plus qu’elles ne la servent. Plutôt que de centres d’intérêts nous parlerons de complexes d’intérêts. Notre École du travail est au centre de la vie et conditionnée par les mobiles multiples et divers de cette vie. Aux enfants de choisir parmi nos rayons les articles à leur parfaite convenance. Que ce complexe d’intérêts soit supérieur aux centres plus ou moins logiques, nul n’en doutera. Ce qui n’a pas permis jusqu’à ce jour de passer du formalisme de l’un à la réalité vivante de l’autre, ce n’est qu’une question de technique, comme pour le marchand. Si nous résolvons cette question – et nous prétendons y être parvenus – nous aurons fait pédagogiquement un pas important dans la voie de l’éducation fonctionnelle.

C’est avec ce nouveau complexe d’intérêts que nous allons tâcher de vous familiariser. ---oOo--Par la pratique de l’imprimerie nous sommes à l’écoute des vrais intérêts dominants. Nous nous garderons pourtant de donner aux seuls intérêts révélés par le texte journalier une sorte d’investiture scolastique qui réduirait aussitôt, plus ou moins arbitrairement, le complexe. Au cours des recherches qui accompagneront ce texte, nous ne manquerons pas de laisser s’extérioriser et s’exprimer les autres besoins plus ou moins en rapport avec l’intérêt initial. Nous détecterons pour ainsi dire la direction complexe selon laquelle s’oriente la vraie vie des enfants. Notre besogne pédagogique consistera à les aider au maximum pour la réalisation manuelle, artistique et psychique de leurs potentialités dominantes. Donc les enfants ont lu leurs textes. On a inscrit les titres au tableau. Puis on a voté. Le texte suivant a été choisi : LE PETIT BAIN Avant-hier, René, Pedro et moi, nous arrosions le jardin. Après avoir arrosé, nous disons : — Si nous nous amusions un peu avec les lances. René parlait dans deux lances à la fois. Les lances étaient pleines d’eau. Pedro écoutait à l’autre extrémité. René souffle et Pedro a le visage arrosé. J’écoute à mon tour : un jet d’eau inonde ma figure. René met la lance au robinet. Il me dit : — Ferme l’autre bout ! J’avais de la peine à boucher avec la main. Tout à coup l’eau gicle sur moi. J’étais tout mouillé et en colère. Je voulais à mon tour arroser René. Je refoule l’eau, mais hélas ! elle revient et me mouille une seconde fois.

Quel rire ! ANDRÉ. Nous avons dit dans nos diverses brochures les avantages pédagogiques de la rédaction libre et spontanée, motivée par l’imprimerie, le journal scolaire et les échanges interscolaires ; les vertus du choix par les enfants eux-mêmes, de la mise au point en commun, de cette sorte d’exaltation et de libération psychique que suscitent la prise en considération d’une pensée d’enfant, sa transcription majestueuse en caractères imprimés, son illustration et sa diffusion. Nous n’insisterons pas autrement sur ces points, renvoyant le lecteur aux brochures spéciales qui lui apporteront toutes indications psychologiques, pédagogiques et techniques. Ce texte, nous pouvons le considérer sous sa forme pour ainsi dire littéraire et le faire suivre d’une étude plus ou moins formelle de la syntaxe et de la grammaire. Nous pouvons le considérer sous sa forme artistique, en soigner tout spécialement la présentation et l’illustration. Nous ne négligeons aucune de ces possibilités. Mais nous voulons aller plus loin et plus profond, voir ce que ce texte nous apporte de vie, étudier les révélations qu’il nous vaut sur les besoins, les tendances, les intérêts dominants des enfants, à ce moment donné, afin d’orienter en conséquence toute l’activité de la classe. Si la classe a préféré ce texte à d’autres qui avaient peut-être des vertus littéraires et artistiques supérieures, c’est qu’il y a dans celuici des éléments particuliers qui l’ont fait s’imposer. Ce sont ces indéfinissables que nous devons détecter et exploiter. Sans idée préconçue, nous cherchons avec les élèves. Notre sujet peut se relier à deux besoins dominants : 1° Activité de cultivateur ; 2° Dominer la nature. En face de chacun de ces sujets nous trouvons :

a) les travaux-jeux possibles vases communicants, pompe, seringue ; b) les jeux-travaux complémentaires à proposer, notamment aux degrés inférieurs : bombarde, seringue, chants, devinettes et proverbes ; c) les connaissances : les légumes, l’arrosage, l’histoire de l’irrigation, pompe à eau, pompe à incendie ; d) la liste des brevets correspondants, dont nous verrons l’utilisation. À la lumière de ce guide et des indications qu’il nous fournit, nous fouillons notre complexe. — Pourquoi René voulait-il parler dans les lances ? Réminiscence sans doute du fameux téléphone à ficelle. Tiens : si on en construisait un pour l’examiner. Nous étudierons ainsi les différences de transmission du son dans l’air, à travers les tuyaux et par le fil. Peut-être expériences de transmission du son. Notons au tableau ces possibilités. — Pourquoi René soufflant, Pedro est-il arrosé ? Pression de l’air, pression de l’eau, principe de la pompe… si on fabriquait une bombarde de sureau et une vraie pompe… Inscrivez ! — Pourquoi la pression de l’eau quand la lance est au robinet ? Vases communicants. Distribution de l’eau dans les maisons. — Ils avaient arrosé : des légumes… Pourquoi arroser ? Vous arrosez ici avec une manche ; y a-t-il longtemps qu’on pratique ainsi ? Enquête sur l’irrigation à travers les âges… ---oOo--Nous sommes alors en possession d’un certain nombre de possibilités intéressantes qui s’offrent. Ne soyons effrayés ni par leur nombre ni par leur diversité. Mais choisissons. Choisissons en fonction tout à la fois des nécessités des programmes concrétisés dans nos plans de travail mensuel et des intérêts dominants des enfants. Pas besoin d’une bien grande habileté technique pour réussir cette conjonction dans des conditions satisfaisantes. Nos projets sont inscrits au tableau :

Travaux d’atelier Activités intellectuelles Fabrication de bombardes Recherches dans le fichier des (apporter du sureau). documents se rapportant à Pompe (chercher des cylindres). l’irrigation à travers les âges Téléphone à ficelle et expérience La découverte de la pression de de la vitesse du son. l’eau et de l’air. Expérience des vases Le téléphone et le télégraphe à communicants et leurs travers les âges. applications. Nous avons là sept séries de travaux que les enfants doivent se répartir. Procédons rapidement à cette répartition. Si un de ces sujets ne trouve aucun amateur, plutôt que de l’imposer, laissons-le pour aujourd’hui. Des occasions plus favorables se présenteront immanquablement. Ces travaux-là doivent être exécutés dans la journée, pour le compte rendu du soir. Ils peuvent se faire individuellement ou par groupes. Cela dépend des individus, du sujet à étudier et de certaines conditions de travail que nous aurions tort de violenter pour imposer l’une quelconque de ces techniques. Un court compte rendu sur le cahier d’observations et d’expériences complétera ce travail (les réalisations manuelles pourront être réparties sur plusieurs jours si nécessaire). Cet approfondissement des sujets qui se sont offerts à notre curiosité n’empêchera naturellement pas certains élèves de se passionner pour l’étude plus complète d’un de ces chapitres qui deviendra le thème d’une conférence. ---oOo--On voit déjà comment nous élargissons, à même la vie, notre complexe d’intérêts. Mais outre les éléments suscités par le texte journalier, d’autres vagues sont venues battre les murs de notre classe : les textes non

désignés pour l’imprimerie, mais dont quelques-uns n’en sont pas moins gros de lignes d’intérêts dignes d’être retenues. Voici un événement qui valait d’être noté… une observation historique que nous aurions tort d’abandonner… une question qui vaut d’être posée à nos correspondants… Autant de possibilités de travail qui s’offrent. S’il n’y a pas urgence, nous nous contenterons de noter ces possibilités sur notre agenda. Notre richesse actuelle nous suffit. Si, au contraire, notre sujet avait éveillé moins d’échos, suscité moins d’occasions de travail, nous aurions alors recouru à cet intérêt complémentaire. Et même si, malgré cette richesse, nous voyons qu’un élève ou un groupe d’élèves est particulièrement intéressé par un de ces sujets complémentaires, nous le joignons à notre liste. Sinon nous mettrons ces sujets en réserve. Disons un mot en passant de cet agenda dont nous venons de révéler l’existence. Il est, selon nous, une pièce essentielle de notre école actuelle, tout aussi indispensable que sur le bureau d’un directeur d’usine. C’est un de ces beaux agendas sur lesquels une page entière est réservée à chaque jour de l’année. Mais il peut être confectionné avec des feuilles 13,5 × 21 groupées sous reliure mobile selon le principe de nos livres de vie scolaire (à défaut un cahier suffit). Sur cette page journalière, nous inscrivons donc : — les sujets qui méritent d’être étudiés tout spécialement en conférence ; — les suggestions pour certains travaux d’ateliers ; — les projets qui se sont révélés comme souhaitables : — on devrait visiter tel artisan ; — les grands devraient fabriquer tel objet en contre-plaqué : — nous pourrions demander à M. Untel de venir nous expliquer telle réalisation qui lui est familière. Ces annotations, ces projets seront examinés le samedi soir ou le lundi matin et pourront, concurremment aux autres intérêts, prendre place dans les plans de travail. Mais nous faisons aussi de cet agenda une autre utilisation dont nous parlerons plus en détail. Les élèves inscrivent librement sur la

page journalière les questions qui se posent à leur esprit et dont ils voudraient bien avoir l’explication. Nous verrons ce que nous ferons de ces questions. Notons tout de suite que cette pratique nous permet de satisfaire l’instinctive curiosité des enfants, sans encombrer pourtant de leurs Pourquoi et Comment ? la vie de la classe. « Inscris sur l’agenda !… » Dans tous les domaines, on le voit, prospections, projets, possibilités de travail, parmi lesquels il nous suffit de choisir. Cette prospection méthodique est un des éléments essentiels de la nouvelle vie de la classe. Elle est non seulement une garantie d’adaptation maximum, mais aussi, un stimulant permanent pour la curiosité enfantine, curiosité qui est le premier échelon de la connaissance et de la science, celui sans lequel connaissances et sciences ne seraient que superficiel formalisme. ---oOo--Notre complexe d’intérêts est solidement campé et vous en reconnaissez la valeur psychologique et pédagogique. Le plus délicat reste incontestablement de dénouer maintenant ce complexe. Nous avons posé l’énoncé du problème. Reste à le débrouiller. L’École traditionnelle affirmait l’impossibilité d’une solution pratique. Aussi recommandait-elle d’éviter, d’esquiver ce complexe. Et elle l’esquivait en fermant prudemment sur la vie ambiante les portes de l’école, en réprimant le besoin d’expression de l’enfant, en limitant l’activité – qu’elle soit manuelle ou intellectuelle – aux seuls problèmes plus ou moins arbitrairement schématisés – dont on avait d’avance la solution. Il n’y avait ainsi ni tâtonnement ni aléa. Autorité et discipline étaient sauves… dût la vie en être irrémédiablement atteinte. Si nous pouvons, nous, aborder ces complexes, c’est que nous avons, auparavant, préparé les moyens de les démêler et de les vivre.

Face aux boutiquiers qui, par impuissance technique, avaient limité la diversité de leurs articles, les magasins modernes ont, eux aussi, élargi les portes et les baies, approfondi les salles, ménagé des passages, installé des rayons et des monte-charge, prévu les classements, l’approvisionnement et le contrôle. Ils offrent au client toute la gamme des possibilités parmi lesquelles chacun choisit ce qui lui convient. Il suffit que le client ne se laisse pas éblouir par cette complexité et qu’il évite de s’abîmer dans la superficialité et le papillonnement. Nous avons, nous aussi, procédé à un nouvel aménagement matériel de notre classe ; nous avons créé des outils nouveaux, prévu approvisionnement, classement et contrôle. Nous réussirons. ---oOo--Comment se poursuit, dans notre classe, l’exploitation pédagogique de ce complexe d’intérêts ? Ce travail de lectures de textes, de mise au point au tableau, de prospection des intérêts et de répartition des tâches, a demandé de 30 à 40 minutes. Il est 9 heures ou 9 h 10. Mais les autres jours de la semaine ce travail sera terminé vers 8 h 30 ou 8 h 40. (Cela dépend de l’abondance des textes, de la richesse qu’ils nous apportent, de la diversité de la prospection.) Selon notre technique exposée dans nos brochures, nous tirons du texte choisi le meilleur profit pédagogique : analyse syntaxique, langage, chasse aux mots, conjugaisons, etc. Nous sommes vraiment maintenant à pied d’œuvre. Il est 9 h 15… Il sera les autres jours 8 h 45. Selon un tour de rôle inscrit sur un tableau spécial, les compositeurs sont désignés, avec chacun la part exacte et précise qui lui revient. Nous avons inscrit, sur un coin de tableau, les tâches journalières spéciales, avec leurs titulaires, telles qu’elles ont résulté de notre prospection consécutive au texte. Le travail commun est momentanément terminé. Individus ou groupes s’en vont à leurs besognes particulières, non pas, on le voit, au gré de leur fantaisie,

mais selon les indications précises qui leur ont été données, ou qui sont commandées par leur plan de travail. Dans l’exposé de notre technique, nous recommandons la copie, sur le cahier, avec illustration, du texte journalier. Pratique excellente au point de vue scolaire proprement dit : l’enfant s’habitue à repenser, et à revivre dans une certaine mesure le texte journalier, à en soigner la calligraphie, à l’embellir de dessins suggestifs. La copie de phrases et de mots dont il a vu l’éclosion et la mise au point, qu’il a appris à décortiquer grammaticalement et logiquement, n’est certes pas sans avantages. À partir d’un certain degré cependant, quand la maîtrise de la langue est suffisamment poussée, cette copie n’est plus qu’un devoir scolaire, qu’on liquide le plus hâtivement possible et dont il est inutile, par conséquent, de conserver la pratique. Les cours préparatoire, élémentaire et moyen copient et illustrent le texte. Ce travail devient facultatif pour les autres élèves qui, à notre avis, ont mieux à faire. Jusqu’à présent, nous n’avons pas distingué entre les divisions. C’est que ce travail d’expression vitale et de prospection est valable pour tous, petits et grands. Il suffit, dans la répartition des tâches, de servir chacun selon ses aptitudes, des débutants pouvant d’ailleurs faire groupe avec les élèves plus âgés pour certains travaux et recherches. La pratique nous a montré que les élèves des cours préparatoire et élémentaire s’intéressent au choix et à la rédaction des textes qui font partie de leur vie commune. Dans certains cas exceptionnels où les textes sont trop difficiles pour cela, les élèves de ces deux cours font un dessin libre sur le cahier pour commencer leur journée. Dès que le travail est réparti aux autres cours, je me consacre à eux : lecture de textes libres, ou rédaction d’un texte en commun, chasse aux mots, grammaire, prospection comme pour les autres cours, composition à l’imprimerie, alternativement avec le corps 24 des tout-petits et le corps 12 du cours élémentaire, copie et illustration du texte, tirage au cours de l’après-midi en vue de la composition d’un journal spécial pour ces deux cours : Édition des petits.

Pendant ce temps, deux premières divisions sont parties à leur besogne. Nous n’en sommes que plus libres pour nous occuper des petits, selon les techniques prévues pour les écoles maternelles. (Un moniteur peut être prévu dans certains cas.) Ce travail collectif avec le cours élémentaire et le cours préparatoire est maintenant terminé : les uns copient, les autres illustrent ; d’autres composent leurs lignes. D’autres sont allés tout de suite commencer leur travail de fiches, se réservant de revenir au travail inscrit au tableau après un temps de diversion ; d’autres copient la liste de mots établie en commun ou conjuguent un verbe dont l’emploi s’est imposé dans le texte. Chacun sait ce qu’il a à faire et le temps dont il dispose : cela suffit. 6. l’école en fonctionnement Voilà maintenant notre usine en fonctionnement : ordre, profondeur, application naturelle, concentration, discipline dans la complexité au service de l’intérêt et du travail fonctionnel. Mais cette prospection, cette organisation très poussée du travail de chacun au sein de l’activité collective ne sont qu’un aspect primordial de la nouvelle technique scolaire. Encore faut-il que ces enfants puissent maintenant réaliser leur tâche, sans trop de mal, sans excessifs tâtonnements et avec une part de réussite suffisante à justifier leur élan et à entretenir leur enthousiasme. Ce premier aspect de notre technique serait certes à la portée de toutes les écoles, si traditionnelles soient-elles. Vous pouvez, à un pauvre artisan de village, montrer le plan d’un travail qui l’intéresse, qu’il comprend et pour lequel il se sent de suffisantes aptitudes. Mais s’il n’a pas ensuite l’installation et les outils nécessaires, il tâtonnera inutilement, essaiera de suppléer par sa bonne volonté et son habileté à l’indigence technique. Il n’en échouera pas moins lamentablement, et il sera guéri, peut-être à jamais, de sa confiance en lui et de son enthousiasme. Si, pour réaliser les tâches que nous avons prévues, l’école ne disposait que des outils traditionnels, c’est-à-dire le cahier et le

porte-plume, les devoirs et les manuels, elle serait tout aussi impuissante que le menuisier trop idéaliste. Notre souci essentiel, sans lequel nos complexes n’existeraient que sur le papier, c’est que nous nous soyons appliqués au préalable à rendre possible le travail effectif des enfants. C’est sur cette base matérielle et technique que s’appuie tout notre système éducatif. Si vous n’avez pas un matériel d’imprimerie répondant avec une perfection suffisante aux buts auxquels on le destine, il ne faut pas penser prévoir la rédaction d’un livre de vie et la diffusion d’un journal scolaire (le limographe peut cependant y suppléer dans une certaine mesure). Bon gré mal gré, vous devrez en rester au Moyen Âge de l’École, le seul progrès étant que la plume d’acier a remplacé la plume d’oie. Si vous n’avez pas de Bibliothèque de travail, si vous n’avez pas un fichier assez riche permettant aux élèves de trouver rapidement les documents concernant les sujets à étudier, il est superflu de s’attaquer à notre complexe. Les élèves se décourageraient devant leur impuissance technique ; vous vous énerveriez avec eux ; vous feriez en définitive de la très mauvaise besogne. Mieux vaut vous en tenir à la pratique du manuel scolaire ou tenter les centres d’intérêts pour la réalisation desquels cette impuissance technique sera un obstacle que les initiateurs de la méthode ont trop sous-estimé. Si vous n’avez pas de bons outils spéciaux, n’essayez pas de faire graver du lino ; n’essayez pas davantage de faire découper du contreplaqué si vous ne possédez les outils indispensables. Si vous n’avez pas un minimum d’outils pour la menuiserie, la forge ou la mécanique, il est dangereux de lancer les enfants dans des entreprises où ils ne peuvent normalement réussir. Comme si vous donniez pour tâche à des volontaires d’aller bêcher le jardin et que vous n’ayez pas même bêche ou pioche à mettre à leur disposition ; ou si vous attendiez des grands élèves qu’ils fassent sans matériel suffisant et suffisamment adapté des expériences chimiques ou physiques probantes ou instructives. Mieux vaudrait retourner d’emblée à l’explication strictement verbale du manuel qui vous

donnera au moins, en attendant mieux, l’illusion de la science, servie par une apaisante bien que fallacieuse méthode. C’est à dessein que nous insistons sur ces réalités dont les praticiens comprendront toute la portée. Il s’agit d’un retournement à base matérialiste de tout notre système éducatif. Nous en livrerons le secret en fin de cet opuscule. Mais nous ne vous dirons jamais : « pratiquez la méthode du texte libre », mais : « Procurez-vous un matériel d’imprimerie à l’École ou à défaut un limographe, avec les accessoires indispensables. Vous orienterez alors votre éducation vers les activités que ces outils permettent et pour lesquelles nous vous donnerons toutes les indications. » Non pas : « Pratiquez la prospection vivante par la méthode des complexes d’intérêts », mais : « Constituez une Bibliothèque de travail nourrie ; amorcez et développez votre fichier ; organisez promenades et visites ; tenez à jour votre Dictionnaire-index(12). Naturellement alors, vous briserez le cadre formel et mort des techniques scolastiques et désuètes. » Non pas : « Faites des sciences intéressantes à base exclusive de documentation et d’expérimentation », mais : « Organisez vos ateliers de recherche et de documentation, procurez-vous le matériel indispensable, maniable par les enfants. La nouvelle technique, la seule technique scientifique rationnelle détrônera à jamais vos manuels verbeux et abstraits. » Non pas : « Faites du travail manuel », mais : « Organisez méthodiquement vos ateliers. Vous verrez alors avec quelle ingéniosité vos élèves sauront se servir des outils que vous leur aurez préparés pour la réalisation effective de leurs désirs créateurs, pour la matérialisation de leurs tendances fonctionnelles. » L’efficience intellectuelle, morale, sociale, de votre éducation n’est pas conditionnée exclusivement, comme on a voulu trop longtemps nous le faire croire, par la personnalité de l’éducateur ou la valeur magique d’une méthode. Elle est fonction du matériel employé, de la perfection de ce matériel et de l’organisation technique du travail. Si votre imprimerie fonctionne mal, ou médiocrement, le résultat est insuffisant et ne satisfait pas les enfants qui se fatiguent et

s’énervent. Vous êtes contraint d’intervenir, parfois sans succès. Pendant ce temps, vous négligez d’autres tâches indispensables. Nervosité, désordre, déficience. Si votre fichier est trop rudimentaire encore, ou mal classé, les enfants ne parviennent pas à trouver les renseignements sans lesquels les travaux prévus sont une tâche d’érudition au-dessus de leurs possibilités. Fatigue encore, nervosité, dispute, désordre, perte de temps des élèves et des maîtres. Nous qui avons vécu la pénible période des tâtonnements savons, par exemple, toute l’importance pour notre pratique du Livre de vie imprimé de ce détail en apparence insignifiant : le système de reliure, et le soulagement que nous avons ressenti quand nous avons eu enfin à notre disposition une reliure pratique et simple. Il en est ainsi pour tous nos travaux. Et nous n’oublierons pas que va immanquablement à la faillite le magasin qui prétend se lancer dans la complexité des articles, sans prévoir les bases matérielles de sa réussite : il est mal approvisionné, avec des articles de qualité douteuse ; les vendeurs fouillent en vain le désordre de casiers insuffisants, le coulage est excessif par défaut de caisse enregistreuse. Désordre aussi, énervement des vendeurs, jurons inutiles des chefs de rayon, mécontentement des clients, déficience générale catastrophique. C’est d’ailleurs par ce biais de l’organisation matérielle et technique de la classe que nous résolvons, nous, le problème de la discipline. Un fait est aujourd’hui psychologiquement certain : si l’enfant peut se livrer à ce que nous avons appelé les « travaux-jeux fonctionnels » ; s’il tire de son activité satisfaction naturelle de sa curiosité, de son besoin de puissance, de domination et d’équilibre, tous les rouages de notre machine fonctionneront doucement, sans heurts graves. S’il y a un accroc, c’est que, pour parler le langage des mécaniciens, est survenu « un pépin », que quelque chose n’a pas fonctionné, ou a mal fonctionné. Réduisons au minimum ces pépins possibles, nous n’aurons plus à regretter que les quelques malentendus nés du déséquilibre maladif d’enfants qui,

normalement, auraient plus besoin d’air pur, d’alimentation saine et de soins physiologiques que d’obligations scolaires. Dans toutes ces considérations, la part de compétence technique et d’habileté pédagogique de l’instituteur – sans être négligeable – devient considérablement réduite. L’école traditionnelle demande beaucoup trop à l’instituteur, moins d’ailleurs – et c’est cela le plus grave – dans le domaine de la technique qu’au point de vue des qualités personnelles et psychiques qu’il ne dépend pas toujours de lui de posséder ou d’acquérir : calme, droiture, autorité personnelle, intuition, patience, maîtrise de soi, abnégation, dévouement… et amour ! Et comme les instituteurs sont des hommes, qui donc ne possèdent que très exceptionnellement toutes ces qualités jugées essentielles, c’est tout le système pédagogique qui s’effondre, les instituteurs impuissants qui se lassent et se contentent enfin de s’installer dans la pratique – qui n’est qu’un pis-aller – de la moyenne routine… Parce que nous voulons construire effectivement et solidement à partir du réel, nous cherchons des outils, des techniques, une organisation qui permettent des résultats éducatifs maximum avec des instituteurs qui restent dans la norme des humains : c’est-à-dire qui peuvent perdre leur calme en bien des circonstances, qui n’ont pas toujours une suffisante patience, ne sont pas d’une habileté remarquable, savent se dévouer certes, mais sont impuissants la plupart du temps à atteindre à la communion et à l’amour. Ce n’est pas là tracer un tableau péjoratif des éducateurs actuels, mais se placer en face des réalités. Les êtres exceptionnels, dont nous ne sous-estimons point le rayonnement, ne réussiront que mieux. Mais nous aurons cessé de tabler sur l’exceptionnel et sur l’hypothétique, pour ramener la technique pédagogique à la vraie mesure de l’homme. C’est dans ce but auquel la masse des éducateurs ne saurait rester indifférente que nous avons renversé les données du problème : nous préparons un cadre, un matériel, une technique d’emploi, une organisation du travail qui permettront aux enfants de se réaliser au mieux pour peu que l’instituteur les aide, pourvu

même qu’il ne les gêne pas dans leurs essais tâtonnants et dans leurs recherches. La médecine contemporaine se pénètre toujours davantage de l’importance déterminante du milieu dans la vie, l’évolution et les accidents des individus. C’est à la préparation de ce milieu pédagogique fonctionnel que nous nous sommes appliqués. Pardelà les verbiages théoriques, le succès de nos réalisations nous assure de la portée décisive du redressement que nous avons opéré. ---oOo--En temps normal – sauf le lundi – la préparation du texte suivie de la prospection pour la préparation et la distribution du complexe nous a conduits à 8 h 40 environ. Pendant que les deux grandes divisions commençaient leur travail libre, je me suis occupé plus spécialement des cours préparatoire et élémentaire. Préparation et exploitation du texte ont demandé une nouvelle demi-heure qui nous a conduits à 9 h 10. Quelle est, à ce moment-là, la physionomie de notre école ? — Cinq grands élèves composent avec la casse corps 10. — Quatre élèves des cours préparatoire et élémentaire composent le texte des petits avec la casse corps 12 ou corps 24 – ou parfois les deux combinés. — La plupart des élèves du cours préparatoire et élémentaire copient le texte ou exécutent les tâches complémentaires que nous en avons déduites. — Deux élèves du cours moyen préparent un projet pour gravure sur linoléum susceptible d’illustrer le texte du jour. — Le responsable du cahier extrait des classeurs, avec le concours des élèves qui en sont chargés, les documents pour l’étude des sujets du complexe. — Joseph a une conférence à faire ce soir : Le chauffage à travers les âges. Dans un coin de la table, derrière une pile de livres et de fiches, sérieux comme un académicien, il est en train de mettre la dernière main à la rédaction définitive de sa conférence. Il se hâte,

car il veut encore en taper le texte à la machine et exposer, avant midi, sur des panneaux spéciaux, les documents que les élèves consulteront pour s’imprégner, d’avance, des éléments objectifs de la conférence. — Deux élèves sont partis dans le village. Ils vont relever sur le fronton des vieilles maisons les enseignes, dates et inscriptions qui leur sont nécessaires pour un travail qu’ils préparent. — D’autres s’affairent autour des fiches autocorrectives. Le travail manuel proprement dit est renvoyé de préférence à l’après-midi. Rien ne s’oppose cependant à ce que les élèves qui le désirent aillent tout de suite à leur atelier pour commencer ou continuer le travail qui les intéresse ou qu’ils ont inscrit sur leur plan de travail. Et que devient l’instituteur dans tout cela ? Pour l’instant il fait lire le texte au tableau aux élèves des deux premiers cours qui ne possèdent pas encore suffisamment le mécanisme de la lecture. Ensuite, il aide les équipes ou les individus au travail. Nous disons bien : aide, et non contrôle, menace, semonce, punit. Il surveille et vérifie le travail à l’imprimerie, aide un instant à composer un débutant qui peine trop à une activité avec laquelle il n’est pas encore suffisamment familiarisé ; aide au choix des documents du fichier et donne quelques conseils préliminaires pour leur emploi ; s’assoit un moment près du conférencier pour une mise au point délicate, critique un poème que vient de lui apporter un élève, donne des explications à certains groupes du cours moyen ou du deuxième cycle sur des questions de mathématiques et de sciences à l’étude. Il ne manque certes pas de besogne, et, à l’inverse de l’instituteur de l’ancienne école, il n’est que rarement assis. Mais aussi, il ne connaît plus l’ennui. Les heures passent. Onze heures arrivent sans qu’il s’en aperçoive ; le bloc d’imprimerie des grands est prêt sur la presse et la première épreuve a été tirée, admirée, corrigée. Le bloc des petits est au point également et n’attend plus que la libre disposition de l’imprimerie. Quelques élèves satisfaits barrent déjà au crayon rouge sur leur plan de travail les tâches accomplies. Tout le monde a surtout bien travaillé et chacun s’en va satisfait. Les

élèves ne quittent d’ailleurs pas l’école avec, comme autrefois, un soupir de soulagement et une réaction nerveuse de batailles et de cris. Nous ne prétendons pas certes que l’enfant est triste de quitter l’école : il a faim ; il a besoin de soleil, d’exercice, mais nous n’assistons plus à la détente explosive d’un organisme trop longtemps comprimé. Au spectacle de la sortie d’une classe on peut juger de son degré d’organisation fonctionnelle. Il arrive même chez nous que des enfants s’attardent à une besogne qu’ils veulent terminer : graver le linoléum, terminer une conférence, fignoler un objet, et peut-être même faire vite encore quelques fiches pour avancer le plan de travail… Tout cela est parfaitement normal. Et même l’enfant qui quitte la classe à 11 heures tapant ne se coupe pas brusquement d’un rythme de vie rationnel et formel pour se replonger dans la réalité ambiante. Notre conception complexe de l’école l’accompagne et le baigne. Ni devoirs ni leçons pourtant, ni textes à apprendre par cœur. Mais le travail de l’école s’est incorporé à sa vie : ce qui le frappe ou l’intrigue dans la famille, dans la nature, dans les travaux des hommes, dans le cliquetis des machines, il veut en apporter l’écho à l’école. Tout ce qu’il trouve et qu’il juge susceptible de servir, de quelque manière que ce soit, pour le travail scolaire, il l’amène : documents ou illustrés pour le fichier ; pierres ou objets pour le musée ; vieil outil à régénérer pour l’atelier ; bois pour la menuiserie. L’École est vraiment au centre de la vie des enfants. Et c’est là notre plus belle et la plus radicale de nos conquêtes. 7. l’après-midi La classe reprend à 13 heures. La mise en train est immédiate, car chacun sait ce qu’il a à faire. De 13 heures à 14 h 15, les élèves s’adonnent de préférence aux activités manuelles, sans cependant que ce leur soit une obligation. L’équipe qui doit imprimer le texte des grands fait sa besogne en 20 à 30 minutes environ (pour 80 exemplaires). L’équipe des petits

imprime ensuite à 50 exemplaires pendant 30 minutes environ. (Ces équipes sont désignées le matin selon un tour de rôle automatique.) Des élèves travaillent au jardin si l’époque le nécessite ; le responsable soigne les bêtes de la coopérative. Les ateliers sont particulièrement vivants – ce qui n’empêche pas quelques « intellectuels » obstinés de faire des fiches. Un groupe de petits, installé autour d’une table basse au milieu de laquelle sont disposés couleurs et pinceaux fait du dessin ou illustre le texte de la veille. Grâce à la perfection – encore relative malgré tout – de notre matériel, la présence de l’instituteur n’est, en aucun point, nécessaire en permanence. Il aide qui sollicite son concours. À moins qu’il s’attarde parfois, par goût personnel, à soigner un tirage de luxe à l’imprimerie, à parfaire un cliché lino ou une illustration au limographe, à retoucher un objet fabriqué en travail manuel, à faire de la musique… Cela dépend, certes, de ses aptitudes et de ses goûts personnels. De 14 h 15 à 14 h 45 je réserve une demi-heure que j’appelle de bouche-trous, et que j’emploie diversement selon les nécessités. Nous avons déjà dit que si notre mécanique était suffisamment bien montée, si le milieu familial et social était suffisamment compréhensif des nécessités normales de notre pédagogie, nous ferions à nos élèves la même confiance que la maman fait à son jeune enfant. Ce que l’enfant n’acquiert pas aujourd’hui, ou cette semaine, ou même cette année, il l’apprendra plus tard. L’essentiel est que l’individu croisse, s’enrichisse, se fortifie physiologiquement, intellectuellement, moralement et psychiquement, qu’il assoie logiquement et puissamment sa personnalité. Tout le reste viendra par surcroît. Mais, hélas ! nous sommes encore loin de notre idéal ! Dans la pratique, certains retards, certains trous, peuvent se manifester dans l’acquisition des techniques essentielles, ou des connaissances jugées indispensables : en lecture, en écriture, en calcul, en sciences, en histoire, en géographie. Ces retards, ces trous, ne sont tels que par rapport à certaines normes extérieures qui n’affectent pas à proprement parler nos techniques pédagogiques. Mais ils n’en

sont pas moins des trous que nous avons avantage à combler. D’autant plus qu’ils peuvent venir de certaines imperfections de notre matériel et de notre organisation : si nous ne possédons qu’un matériel scientifique extrêmement réduit, il faudra bien essayer de pallier notre impuissance technique à réaliser le véritable enseignement scientifique par un retour bien regrettable aux vieilles méthodes théoriques et explicatives. Si les documents nous manquent pour une histoire vivante, et si les programmes exigent encore de nous un enseignement formel antipédagogique, force nous sera aussi d’essayer un palliatif verbal – dont nul, pas même les enfants, ne sera dupe. Car nous mettons loyalement les élèves eux-mêmes en face des réalités qui nous font accidentellement retourner à des pratiques dépassées. Nous n’essayons pas de parer de couleurs insidieuses des pratiques non conformes à nos méthodes de travail ; nous ne cherchons pas de mauvaises raisons, au risque d’amener, pour l’ensemble de l’activité, une confusion qui serait mortelle. Mais nous disons : « Pour telles et telles raisons qui nous dépassent » – et qu’on explique – « vous devez étudier tels textes, pratiquer telle discipline… » Les enfants feront plus volontiers l’effort anormal ainsi demandé. Et l’esprit de notre enseignement n’en sera nullement affecté. L’emploi de cette demi-heure de bouche-trous variera selon les circonstances : explication à une division, ou à plusieurs réunies, d’une notion mathématique ou scientifique inscrite au programme, donc portée sur notre plan général, et que notre activité normale n’a pas permis d’étudier tout spécialement : indications méthodologiques pour certaines disciplines du deuxième cycle ; histoire ou géographie formelles. Nous pouvons avoir un emploi du temps précis pour cette demiheure de bouche-trous, ou l’employer au gré des nécessités. Cela dépend de la perfection de notre organisation, des exigences du milieu, de l’habileté du maître aussi, de l’intelligence et des aptitudes des élèves.

Le travail libre continue pour les élèves qui ne sont pas compris parmi les groupes auxquels s’adresse notre enseignement bouchetrous. À 15 heures – après la récréation – prend fin le travail libre, disons plutôt d’activité complexe prévue et préparée par l’organisation méthodique de la vie scolaire. ---oOo--La dernière heure de classe est ordinairement la plus pénible et la plus difficile à remplir, à cause de la fatigue mutuelle qui multiplie les occasions de distraction, de désobéissance et d’erreurs d’une part, de punition et d’injustice d’autre part. Nous en ferons, nous, au contraire, une des heures les plus prenantes de la journée. Ce sera un peu comme la veillée en famille, le moment où, la tâche quotidienne terminée, on se retrouve tous ensemble dans la salle commune avant la détente du sommeil. On cause alors de ce qu’on a fait dans la journée ; on raconte les événements importants, on passe en revue les travaux effectués ; on pense aux absents ; on interroge parents et grands-parents ou bien on écoute le récit de quelque conte émouvant. C’est exactement ce que nous faisons. Nous nous réunissons tous dans la salle commune : la première demi-heure, de 15 heures à 15 h 30 environ, est consacrée au compte rendu succinct des travaux de la journée. D’abord, distribution par les équipes ayant imprimé des feuilles tirées dans l’après-midi et qui vont s’insérer dans le livre de chaque élève. Si la feuille doit être imprimée au verso le lendemain, les imprimeurs se contentent de montrer leur œuvre et de lire le texte. Prenons maintenant notre tableau du matin où sont inscrits les détails du complexe : a) Où en est la fabrication de la bombarde ? — Nous avons apporté le sureau cet après-midi mais la bombarde ne sera prête que demain. b) Téléphone à ficelle et vitesse du son : Tout est prêt. Rendezvous demain à l’heure du bouche-trou pour l’expérience publique.

c) Irrigation à travers les âges : Le responsable a rédigé un court résumé qu’il lit. Nous regardons ensemble les documents commentés. Le maître lit deux fiches intéressantes. d) Pression de l’eau : Pas encore terminé. Nous devons y travailler demain et nous préparons une expérience publique que nous annoncerons. e) Évolution du téléphone à travers les âges : Le responsable lit un court compte rendu mais annonce qu’il veut faire sur ce thème sa prochaine conférence. J’ai cherché moi-même, pour compléter tout cela, un texte intéressant ou un poème, que je lis. Un disque de chants correspondant à nos intérêts dominants, et indiqué par notre plan général de complexes associés clôture cette revue des travaux. Ces exposés, cette revue, peuvent être plus ou moins longs. Si on n’a pas le temps de tout voir, on renvoie au lendemain. Ou bien, si on sait que la conférence sera courte, on peut légèrement empiéter sur la demi-heure suivante – à charge de revanche. Il y a là une question d’équilibre que tout instituteur peut régler. Comme la maman qui annonce : « Il est tard… Nous continuerons demain ! » On sait que la technique de l’imprimerie à l’École a comme principal avantage de permettre, de rendre simple, pratique, permanent et bon marché l’échange entre écoles françaises et étrangères. Nous avons une école correspondante régulière – de composition et de niveau à peu près identiques à la nôtre – qui nous envoie trois fois par semaine un paquet de feuilles imprimées, une par élève. Ces feuilles constituent, jour par jour, le livre de vie de la classe correspondante qui double merveilleusement le livre de vie de notre classe. De plus, chacun de nos élèves a, dans la classe correspondante, un correspondant personnel, à qui il écrit, et qui lui répond, avec lequel on échange images, jouets, photos et parfois même visites. Nous avons enfin des écoles correspondantes – françaises ou étrangères – qui nous envoient tous les mois leur Journal scolaire en échange du nôtre(13). Alors, naturellement, on lit les imprimés, silencieusement d’abord, puis à haute voix comme nous lisons de temps en temps à haute

voix nos propres textes. On discute ; on note sur l’agenda les suggestions que cette lecture suscite, les travaux qu’elle suggère. Il y aura des questions à poser, des envois à faire. Tout cela constitue de la besogne, et de la besogne intéressante et vitale qu’il nous suffit d’insérer méthodiquement dans le cycle de notre complexe. Cette demi-heure est trop chargée, pensera-t-on peut-être. Cela dépend des jours et du travail. La richesse des intérêts et la variété des projets réalisables ne sont jamais des vices. Mieux vaut avoir beaucoup à faire – quitte à choisir à bon escient – que de ne savoir à quoi se prendre au cours de leçons ou d’exercices mornes et sans réactions. Dans la pratique cependant, ça va. Deux fois par semaine, nous écourtons nos comptes rendus pour consacrer plus de temps à la lecture de nos feuilles et de celles de nos correspondants, ainsi que des journaux scolaires reçus. Nous écrivons à nos correspondants tous les quinze jours, le mercredi : libre à chacun de faire sa lettre comme il l’entend et quand bon lui semble. ---oOo--Reste la dernière demi-heure, de 15 h 30 à 16 heures. D’abord réponse aux questions d’enfants inscrites sur l’agenda dont nous avons parlé. Moment passionnant pour tous, et plus particulièrement pour ceux, petits et grands, qui ont posé des questions. Mais encore faut-il que nous soyons en mesure d’y répondre. Il faut exclure d’abord de cette pratique l’habitude qui serait naturelle dans les écoles traditionnelles de poser des colles au maître pour le malin plaisir de le voir bafouiller. Vous corrigerez immédiatement cette tendance en faisant confession de votre humilité, de la relativité de votre savoir, mais non sans tempérer cet aveu humain par l’affirmation de la possibilité où vous êtes de vous renseigner sur les points pour lesquels vous ne trouverez pas la réponse immédiate. Le jeu alors sera net : une fois encore, vous ferez comme la maman qui dit loyalement ce qu’elle sait, et fait des réserves pour ce qu’elle ignore totalement ou partiellement.

Seulement, vous ne restez pas sur cette ignorance. « Nous chercherons dans le fichier, annoncez-vous, dans notre grand dictionnaire, dans un livre que je crois avoir et demain nous aurons la réponse… Mais un tel peut-être pourrait nous renseigner ? Si nous lui demandions de venir à l’école nous faire une causerie sur ses voyages… Si nous allions interroger tel artisan du village qui est certainement au courant ?… Nos correspondants sont peut-être à même de nous renseigner sur telle question ? On va leur écrire… Si nous demandions au service de renseignements d’un journal pour tel sujet particulièrement délicat ? » On voit la complexité des solutions qui s’offrent, qui sont autant de travaux intéressants en perspective que nous inscrirons aussi dans le cycle de notre complexe. Il ne s’agit nullement d’esquiver les questions mais de les utiliser au mieux de notre commun enrichissement. Il y a parfois des questions gênantes. On y répondra toujours avec la plus grande loyauté. Si, par hasard, vous voyez l’impossibilité morale ou politique d’y répondre, n’essayez pas de noyer le poisson, car la subtilité des enfants aurait vite fait de découvrir votre supercherie et c’est toute la pratique éducative qui en serait atteinte. Dites simplement : « Je ne peux pas répondre à cette question car je pourrais avoir des ennuis. Vous savez que nous ne disons pas ni ne faisons tout ce que nous voulons… » Mais ce n’est là qu’une très rare exception. Ce qu’il faut éviter pourtant c’est que cette séance de réponse aux questions dégénère en vain bavardage, les élèves enchaînant questions sur questions au fur et à mesure de vos explications. Pour cela, faites comme le président d’une réunion publique : tenez-vousen strictement aux questions inscrites sur l’agenda. Que les curieux formulent leurs questions pour le lendemain. Cette séance est plus ou moins longue selon les jours, et selon la nature aussi des questions inscrites. Suivant les circonstances, nous pourrons donner un peu plus de temps aux activités qui précèdent ou qui suivent. À titre de réciprocité d’ailleurs. ---oOo---

Et maintenant, conférence. Le conférencier vient se placer au bureau du maître avec son texte et ses documents. Si nécessaire – aidé au besoin par le maître ou par quelque élève – il a dessiné au préalable, au tableau, figures ou cartes qui aideront à la compréhension du texte. L’enfant lit sa conférence, montre les documents. On pose des questions auxquelles l’auteur répond, s’il le peut !… Sinon, cela fera l’occasion de recherches complémentaires qu’on note sur l’agenda. Nous n’insistons pas autrement sur cette technique qui fera l’objet d’une brochure spéciale(14) avec mention de ses incontestables avantages pédagogiques. Il y a parfois deux conférenciers : un grand et un petit. Certaines conférences sont longues, d’autres réduites presque exclusivement à l’examen de documents. Parfois le conférencier n’ose pas lire sa conférence ou ne sait pas la lire assez couramment. Auquel cas, il se fait aider, naturellement. Il y a là, on le conçoit, une grande part de diversité, qu’il faut savoir respecter par une organisation souple et élastique. Puis musique et chant si possible, en s’aidant au besoin des disques. La journée est terminée, et bien remplie, je vous assure. 8. détails complémentaires de la vie scolaire 1. Cinéma Il nous reste maintenant à pénétrer dans certains détails complémentaires de notre vie scolaire, sans pour cela passer en revue, comme nous l’avons fait pour le lundi, l’horaire complexe de chaque jour de classe. Le mercredi après-midi, la dernière heure de la journée est consacrée à une séance de cinéma avec le cas échéant musique et chant. Nous disposons d’un Pathé-Baby pour lequel nous nous approvisionnons à une Cinémathèque Coopérative qui nous fait des envois réguliers de films : une caméra avec laquelle nous prenons, soit dans le village, soit au cours de nos sorties, des films qui sont l’expression vivante et animée de notre propre vie et qui possèdent,

de ce fait, tout comme nos textes, un pouvoir suggestif incomparable. Nous échangerons ces films, comme les imprimés, avec des films semblables de nos correspondants. La projection de ces documents donne à nos séances de cinéma une portée morale et psychique qui double et complète d’une manière trop méconnue jusqu’à ce jour, les vertus instructives ou récréatives du cinéma. Il nous sera peut-être difficile de faire triompher, dans ce domaine, notre point de vue pédagogique. Le perfectionnement du cinéma scolaire est en effet un exemple frappant d’une fausse conception de l’outil scolaire. Au temps où nous travaillions à mettre au point nos techniques d’imprimerie à l’École, nous avons fait beaucoup en France pour la diffusion du Pathé-Baby qui nous paraissait être l’outil presque idéal pour nos écoles : simplicité de fabrication et de manœuvre à la portée des enfants, bon marché relatif, bon marché relatif des films, de la caméra, du développement des films. Le Pathé-Baby était en passe de devenir un de nos meilleurs outils scolaires pour l’emploi que nous venons de décrire. Mais on s’est avisé alors que les images n’étaient pas toujours très nettes, que l’écran n’était pas assez grand, que les films étaient trop courts – ce qui fragmentait la représentation. Ces critiques étaient faites plus spécialement par les instituteurs pour qui le cinéma était un appareil d’usage postscolaire plus que scolaire. Et malheureusement le commerce s’est adapté à ces demandes. Les prix de l’appareil et des films ne peuvent être amortis que par l’usage extra-scolaire. Ne parlons plus de caméra également à cause des prix. Pratiquement, nous n’avons plus aujourd’hui d’appareil scolaire de cinéma et de prises de vues. Tout est à refaire dans ce domaine, et nous nous y appliquerons. 2. Disques Nous utilisons aussi, et largement, l’électrophone que les efforts de notre coopérative ont élevé au rang d’outil scolaire, grâce aussi à

nos éditions spéciales de disques pour l’enseignement du chant et l’organisation des fêtes scolaires, avec rythmiques, évolutions, danses. Depuis quelques années, une possibilité nouvelle est venue compléter l’utilisation à l’École des disques et des films : c’est le magnétophone qui, outre une foule d’utilisations merveilleuses, nous permet d’enregistrer la voix de nos élèves ou des ouvriers et artisans et d’entendre de même la voix de nos correspondants. 3. Radio Pratiquement, nous n’utilisons pas encore la radio. Tout comme le cinéma perfectionné la radio actuelle n’est pas adaptée du tout à notre travail complexe. Telle qu’elle est conçue, même sous sa forme prétentieuse de radio scolaire, elle est plus qu’inutile à notre école, elle risque d’être nuisible par ce qu’elle apporte de superficialité et de disharmonie dans la réalisation de notre école du travail. Nous sommes loin pourtant de condamner définitivement la radio. Nous sommes persuadés au contraire que pour s’adapter vraiment à la richesse mouvante du monde moderne, l’école devra faire de la radio, comme du cinéma, un des outils scolaires les plus riches d’exaltantes possibilités(15). 4. Machine à écrire La machine à écrire a été jusqu’à ce jour un luxe dont les écoles populaires ne pouvaient prétendre approcher. Les progrès constants de la technique industrielle devraient nous permettre aujourd’hui d’acquérir, à un prix abordable, un outil solide, indéréglable et permettant cependant un travail soigné satisfaisant. Si nous réalisons cette adaptation, la machine à écrire deviendra un des outils les plus précieux et les plus appréciés par les maîtres et les élèves. Complément de l’imprimerie à l’École et de la

polycopie, elle est appelée à bouleverser notre technique scolaire, comme l’a bouleversée l’invention du papier ou la substitution de la plume métallique à la plume d’oie. La machine à écrire possède quelques-uns des avantages de l’imprimerie : à des élèves inexperts encore dans le maniement de la plume, elle permet d’écrire des lignes parfaites. Lettre à lettre, la page devient impeccable. Mais la machine à écrire ne permet pas plus de trois-quatre exemplaires et, de ce fait, son emploi ne peut être généralisé comme celui de l’imprimerie. Pourtant, en perforant des stencils qu’on reproduit au limographe, on obtient des résultats qui approchent ceux de l’imprimerie. Et la machine a, pour les enfants, cet immense avantage que les résultats en sont immédiats : on appuie sur la touche, et la lettre reste marquée. La machine à écrire, comme l’imprimerie, trouverait une application bénéfique dès le cours préparatoire, avec les enfants qui commencent seulement leur initiation à la lecture et à l’écriture. Comme nous ne possédons qu’une machine, nous la réservons pour certains travaux spéciaux dont nous allons parler. — L’élève qui a rédigé sa conférence peut la taper à la machine. Il en fait quatre exemplaires : un pour lui, un pour ses parents, le troisième pour les archives de la classe et le quatrième pour les correspondants réguliers. — Parmi les textes libres lus le matin en classe, il en est qui, bien que n’ayant pas été choisis pour l’imprimerie, ont une certaine valeur documentaire ou esthétique. Les auteurs sont alors autorisés à taper leur texte en trois exemplaires : un qui s’ajoute à leur livre de vie, un deuxième pour le livre de vie témoin de la classe ; le troisième pour le correspondant particulier. — Les élèves qui, comme résumé de leurs travaux documentaires ou d’atelier, ont rédigé un texte intéressant et soigné le tapent de même à trois exemplaires affectés comme ci-dessus. — Mais nous faisons surtout une utilisation pratique de la machine à écrire pour la perforation de stencils polygraphiés ensuite au limographe.

Les textes ainsi obtenus n’ont jamais la majesté définitive des textes imprimés et ne sauraient, de ce fait, s’y substituer totalement. Il est cependant des pages plus parfaitement documentaires qui peuvent s’accommoder de cette demi-perfection. Car il y a à cela un avantage non négligeable. En quelques minutes on perfore une page de texte qui aurait demandé au total une heure au moins de composition à l’imprimerie ; et l’on peut passer immédiatement au tirage de 20, 30, 80, 100 exemplaires. Nous usons beaucoup de cette possibilité : — quand le texte journalier est exclusivement documentaire, qu’il est consacré, par exemple, au compte rendu de la coopérative ; — quand il s’agit de reproduire un compte rendu de travail, d’expérience, de promenade ou de visite qui serait trop long à imprimer ; — quand le texte à reproduire n’intéresse qu’un groupe, par exemple, le deuxième cycle. Dans les deux premiers cas, nous utilisons la page polycopiée exactement comme si elle était imprimée : même tirage, adjonction au livre de vie et au journal mensuel, envoi aux correspondants. L’emploi de la machine à écrire, complété par le limographe, est particulièrement précieux avec les grands élèves : polycopie de certains résumés, de notes générales, des comptes rendus de travail individuel ou de groupes qui s’insèrent automatiquement dans un recueil spécial qui devient comme un livre documentaire de sciences, d’histoire ou de géographie. La machine à écrire, outil perfectionné pour l’écriture rapide et parfaite et la polycopie des documents, sera comme le témoin de notre adaptation technique aux possibilités qui nous sont offertes par le progrès pour répondre avec toujours plus d’efficience aux exigences de nos complexes d’intérêts. 5. Collaboration des adultes à l’œuvre éducative L’École traditionnelle, nous l’avons dit, fonctionne en milieu fermé, et ce n’est que tout récemment que l’instituteur a été autorisé à

s’aventurer accidentellement dans le jardin, au bord de la rivière ou dans les champs pour aller y chercher quelque pitance de vie qu’on retourne bien vite dégorger plus qu’assimiler entre les quatre murs de l’École. Cet isolement jaloux est la conséquence inéluctable de tout le système éducatif que nous condamnons. Par nos techniques, au contraire, la vie entre librement dans notre école qui, elle, va de même, au maximum, à la rencontre de la vie. Les travaux aux jardins, les promenades scolaires, les sorties d’étude ou de visites, individuelles ou collectives, s’insèrent normalement dans notre processus de travail. Nous devons aller plus avant encore. Nous avons dit, au sujet notamment des réponses aux questions d’enfants, que, loin de prétendre à une omniscience présomptueuse, l’instituteur doit reconnaître la nécessité permanente de se documenter et de s’instruire, en faisant appel pour cela à toutes les sources possibles, scolaires et extra-scolaires. Mais il faut aussi que les adultes, et les parents des élèves surtout, s’habituent à considérer comme naturelle leur collaboration à l’œuvre d’éducation. Nous savons que nous avons pour cela un lourd courant à remonter, celui de tout le passé d’une École repliée sur elle-même, mystérieusement jalouse de son isolement, où l’artisan n’osait plus entrer parce qu’il s’y sentait désadapté, dominé qu’il était par un intellectualisme qui s’attribuait le monopole de l’intelligence et de la puissance. Si nous avons jeté bas ce masque scolastique, si nous avons su retrouver les normes de travail au service de la vie véritable et complexe, l’École ne sera plus une église où l’on entre chapeau bas et mains jointes, en évitant de faire crisser sur le carreau sonore les clous des vieux souliers, mais un atelier, un chantier dans lequel tout travailleur se retrouve dans son élément, assuré qu’il est d’apporter sa pierre, si modeste soit-elle, à l’édifice dont l’intellectualité ne sera que le majestueux couronnement. Alors, nous ne craindrons pas de faire appel aux adultes étrangers à l’école.

Quand nous aurons un travail délicat à faire au jardin : semis spécial, soins aux arbres, taille ou greffe, nous demanderons à un paysan habile de venir nous aider, nous enseigner et nous guider. Nous n’attendons pas de lui qu’il fasse un cours, mais seulement qu’il nous montre comment il pratique. Quitte à compléter ensuite son apport technique par les explications théoriques ou les réserves scientifiques qui s’imposent. Un travail difficile en menuiserie : le menuisier viendra au début d’un après-midi nous initier. D’autres jours, ce seront : le vannier ou le forgeron, le maçon ou la repasseuse. Concurremment à ce courant de la vie vers l’école, nous aurons celui de l’école vers la vie. Selon les besoins de notre complexe, des élèves iront interroger : le cuisinier dans son hôtel, la vieille au coin du feu, le colonial en sa retraite. On devine tout ce que l’école gagnera à une telle interpénétration : la possibilité de parer pratiquement à l’incompétence du maître en certaines techniques (car l’instituteur ne peut prétendre à l’universalité) ; l’enracinement toujours plus profond de l’école dans le milieu ; l’accent mis de plus en plus sur le travail social véritable que l’instruction scolastique a toujours tendance à dominer et à supplanter ; l’harmonie synthétique de la vie nouvelle ainsi réalisée. Mais cette activité deviendrait elle-même un inutile et dangereux papillonnement si elle n’était ordonnée par nos complexes en vue d’une conception éducative tout entière basée sur l’éminente vertu du travail. 6. Le contrôle À outils nouveaux, technique nouvelle, entraînant l’adaptation des moyens de contrôle. Il va sans dire que ce contrôle ne saurait être le même, ni dans sa forme ni dans ses buts, chez le petit commerçant qui n’a qu’une activité très limitée et strictement spécialisée, et dans le grand magasin aux rayons multiples et divers.

Les normes de contrôle de l’École traditionnelle ne sont plus valables pour notre école du travail. Les notes étaient basées sur la récitation de leçons apprises par cœur, sur les corrections de devoirs, sur le contrôle de l’explication verbale et de la lecture à haute voix. La récitation et le par-cœur sont supprimés chez nous ; nous ne corrigeons plus les devoirs à l’encre rouge et la lecture à haute voix n’est qu’une portion de notre apprentissage synthétique de la langue. Le classement était simplifié par la réduction à la fonction intellectualisée de tout le processus scolaire. Notre complexe d’intérêts est un monde, à l’usage du monde, et un tel qui échoue lamentablement pour telle discipline peut se révéler un ouvrier génial pour une autre spécialité. Il nous faut donc trouver un autre moyen de contrôle. Nous sommes en effet partisans d’un contrôle, mais pas d’un contrôle jaloux et soupçonneux, en vue d’abord d’un classement plus ou moins arbitraire. Ce contrôle-là n’est recherché que par les forts en thème, les premiers de la classe qui tirent orgueil de leurs succès, tandis que les moyens et les faibles sont de plus en plus dominés par cette tyrannie de la note qui les rejette dans un dangereux sentiment d’infériorité. Par contre l’enfant – comme l’homme d’ailleurs – recherche la mesure et le contrôle de son effort, la notation la plus précise possible de ses progrès. Le même souci que nous avons déjà signalé à propos de l’intérêt pour les plans de travail joue ici : plus la besogne est complexe et importante, plus la marche est longue, plus l’enfant éprouve le besoin de se ménager des paliers entre les étapes. Ce sont ces paliers et ces étapes que notre contrôle doit définir et mesurer. Ce contrôle ne doit pas être le fait de l’instituteur seul, à cause des risques humains de partialité, d’arbitraire et d’erreurs. Les élèves eux-mêmes collaborent à leur propre contrôle, au sein de la communauté scolaire. Ce contrôle enfin ne s’exercera pas exclusivement sur le résultat formel obtenu, mais sur la qualité aussi de l’effort fourni. Il ne

suppose qu’exceptionnellement la compétition, du moins par notes chiffrées : deux conférences dans lesquelles l’auteur a mis le meilleur de lui-même sont deux manières de chefs-d’œuvre que nous aurions tort d’apprécier objectivement et de comparer sur cette base particulière. Chaque fois que l’élève a fait de son mieux, il mériterait la note maximum, quel que soit le résultat. Voici, pour répondre à ces diverses considérations, la forme de contrôle que nous avons réalisée : a) L’autocontrôle par le plan de travail Le plan de travail doit être accompli. Tous les élèves, même les plus jeunes ou les plus retardés, ont à cœur de faire les tâches prévues. Il suffit d’y veiller en cours de semaine pour stimuler les retardataires qui, tel le lièvre de la fable, pensent qu’il leur reste toujours du temps devant eux. Alors le samedi matin, ils prennent conscience du danger : ils s’émeuvent, essaient d’accélérer, travaillent pendant les récréations et sont parfois obligés de terminer le dimanche, avec toutes les conséquences désastreuses qu’entraîne ce retard. À 14 heures, le samedi, nous commençons l’examen des plans de travail, en contrôlant d’abord les élèves qui ont terminé, afin de ménager l’amour-propre et la susceptibilité des autres : fiches de calcul et de grammaire (en cours de semaine, nous avons veillé à ce que ce travail se fasse régulièrement, sans tricherie, et nous avons donné le cas échéant les conseils nécessaires). Comme les fiches sont autocorrectives, il ne s’agit pas de revoir tous les exercices, mais de contrôler la forme et les résultats, ce qui est très rapide. L’élève a préparé sur la table tous les autres travaux : textes rédigés, travaux d’histoire, de géographie, recherches, conférences, etc. Nous donnons une note globale pour chacun de ces titres, note que nous inscrivons sur le graphique prévu au bas du plan. Nous y ajoutons la note prévue pour la discipline, la propreté, la vie communautaire.

L’enfant sent alors, synthétisée dans ce graphique, l’appréciation de son travail de la semaine : il y a déficience pour le calcul, demidéficience pour la camaraderie ; ou bien le graphique est régulier dans une note moyenne. Dans les meilleurs cas, pour les meilleurs élèves, le graphique est régulier dans la zone supérieure. En comparant au graphique précédent, l’enfant peut déjà prendre des résolutions pour le travail à venir : il peut monter plus haut pour telle matière, combler ce trou, élever le niveau général. Les enfants comparent entre les graphiques, spontanément. L’instituteur peut signaler le modèle des graphiques à imiter. Sans plus. L’enfant emporte son plan de travail à la maison où le père le signera. Le graphique sera ensuite découpé et collé sur le carnet scolaire. b) Le carnet scolaire Chaque enfant possède un carnet scolaire avec ses nom, prénoms, date de naissance, sa photographie, la photographie de ses parents et de ses frères et sœurs et des pages blanches pour coller des graphiques. L’instituteur possède de plus, par-devers lui, un Profil vital d’un modèle que nous avons établi. Ce profil double et complète le carnet scolaire. Il n’est pas communiqué à l’enfant, mais peut l’être aux parents. c) Les brevets Le but de l’élève – et le but de l’école – doit être de conquérir le maximum de maîtrise dans les branches vitales d’activité. C’est cette maîtrise que nous contrôlons par notre système de brevets. Nous avons établi, pour les divers degrés primaires, des normes de réalisation qui comportent l’attribution de brevets spéciaux.

Ces brevets sont accordés après épreuves pratiques contrôlées et jugées par l’instituteur, la plupart du temps avec la collaboration des élèves eux-mêmes ou des responsables de la coopérative. Les travaux réalisés pour cette maîtrise sont conservés à l’école en exposition permanente, comme témoins susceptibles d’être contrôlés par les inspecteurs et les parents ; ils sont remis aux auteurs à la sortie de l’école. L’insigne spécial du brevet conquis est collé sur le carnet scolaire. La possession de ces brevets pourra servir de base pour les diplômes ultérieurs et notamment pour l’orientation professionnelle. Ce système de brevets remplace très avantageusement le système d’émulation par classement actuellement usité. Il n’y a pas de premiers et de derniers. Chacun peut et doit acquérir la maîtrise pour les activités manuelles ou intellectuelles de son choix. Chacun triomphe ainsi à sa manière, et selon ses aptitudes, ce qui est parfaitement conforme à la psychologie de l’enfant et aux complexes possibilités sociales actuelles.

3. Complexe d’intérêts et programmes scolaires Et maintenant, la classe fermée, opérons un rapide examen de conscience et voyons si vraiment nous sommes dans la bonne voie, si nous avons rempli l’essentiel de notre tâche, tant du point de vue des élèves que du point de vue de la famille, des règlements et de l’État. Cet examen lui-même doit être fait en fonction de la conception nouvelle de notre tâche. Sinon, avouons-le, nous serions assez souvent désespérés. La vieille école avait cet incontestable avantage que la marche du travail y était minutieusement réglée, du moins dans sa forme, heure par heure, discipline par discipline : chaque division a fait tant de problèmes ; on a lu les pages prévues aux manuels, récité les leçons d’histoire ou de grammaire. Nous établissons maintenant les tranches d’acquisition qui seront la besogne de demain. Les parents sont satisfaits de voir s’accroître ainsi, méthodiquement, le savoir de leurs enfants ; l’inspecteur est satisfait ; le programme est « vu »… Que demander de plus ? Avec nos méthodes, et quelle que soit la perfection du contrôle nouveau, ce n’est plus cela du tout : il reste au contraire très souvent dans notre esprit comme une vague conscience d’insuffisance. Nous remuons une telle richesse de vie que nous craignons toujours de répondre imparfaitement aux appels d’une construction dynamique et capricieuse jamais achevée. Certains jours nous satisfont à demi parce que nous avons réalisé un imprimé qui était une œuvre d’art, amorcé un travail dont nous devinons l’originalité et la fécondité, que nous avons écouté une conférence réussie, ou reçu des imprimés,

des lettres, un colis qui ont réveillé un enthousiasme dont nous apprécions l’éminence. Nous sentons que nous avons bien travaillé. Puis la manie du scrupule formel nous reprend. Il faut absolument nous faire à ces normes de vie et nous dépouiller de cet esprit bureaucratique qui se satisfait d’une page de manuel tournée même si la lecture n’en a été de nul profit pour personne, d’une copie méthodique ou d’une fidèle mémorisation. Le bébé non plus ne fait aucun progrès si on compare seulement son comportement du soir à celui du matin. On ne peut pas dire qu’il a fait trois pas de plus qu’hier, ni prononcé une douzaine de paroles nouvelles… Il a vécu !… Mais si on se remémore de temps en temps ses conquêtes, si on remonte à une semaine, à un mois pour noter le chemin parcouru, alors oui, on peut être satisfait ou inquiet. Comme la maman, nous ferons d’abord confiance à la vie. Et alors, quand le doute risquerait de nous tourmenter, nous feuilletterons le journal scolaire réalisé depuis le début de l’année, ligne à ligne, page à page, expression d’une vie dont nos techniques ont révélé la richesse, les possibilités et les grandeurs ; nous admirerons l’exposition des objets réalisés dans nos ateliers, la liste des expériences faites, le tableau des conférences ; nous nous laisserons prendre à cette vie complexe qui traîne encore, diffuse, autour de la presse rabattue, qui surgit des fichiers entrouverts, qui s’agrippe aux murs avec ses tableaux, ses photos, ses diagrammes. Nous penserons à la place éminente que l’école a désormais prise dans la vie de l’enfant. Nous comparerons malgré nous toute cette richesse à la passivité de la scolastique, et nous aurons plus que jamais confiance. ---oOo--Si pourtant nous voulons nous rassurer plus positivement, nous passerons en revue les diverses disciplines dans le cadre même des programmes officiels. Éducation morale : 1 heure par semaine ; 12 minutes par jour. Nous ne donnons certes aucune leçon de morale formelle ; nous ne

faisons copier aucune formule, réciter aucun résumé ; mais c’est toute notre activité à base communautaire, axée sur le travail, qui est une perpétuelle leçon de morale, et des meilleures, celle qui s’inscrit, indélébile, dans les processus, dans les habitudes, dans les règles de vie. Lecture et langue française : 10 à 11 heures – réduit au cours supérieur – c’est-à-dire 2 heures par jour environ. Lorsqu’on considère ce total dans les écoles traditionnelles, cela se comprend pour l’ensemble des leçons dans ces disciplines. Le compte ne serait certainement plus le même si on considérait le profit individuel de ces leçons collectives. Nous n’avons pas, nous, de leçon collective à proprement parler, mais nous avons : l’effort de rédaction pour l’expression libre qui pourrait bien se chiffrer, sans exagération, à 30 ou 40 minutes par semaine ; la mise au point du texte journalier que l’enfant lit spontanément, silencieusement. Cette lecture silencieuse est doublée, nous l’avons vu, de lecture individuelle à haute voix pour les cours préparatoire et élémentaire. – Nous avons la composition à l’imprimerie qui est la reconstruction, lettre par lettre, mot à mot, du texte à diffuser, et l’on ne saurait exagérer l’importance pédagogique de cet effort d’analyse-synthèse. La lecture des imprimés, silencieuse d’abord, doublée de lecture expressive aux cours inférieurs, la lecture des imprimés et des lettres reçues des correspondants, le choix et la lecture de fiches au cours des travaux journaliers et de la préparation de la conférence constituent un ensemble d’exercices fonctionnels en regard duquel la lecture traditionnelle ferait une bien piètre figure. Ajoutons à ces activités la grammaire vivante, analytique, synthétique que nous pratiquons journellement et que complètent les fiches auto-correctives. L’Écriture ? Écriture spontanée pour la rédaction des textes, copie des textes d’imprimerie, rédaction des comptes rendus, des conférences, des lettres…

Non, ce n’est pas l’enseignement du français qui peut souffrir chez nous. On aurait tendance au contraire à croire que nos techniques ont été conçues tout spécialement pour l’enseignement du français, au détriment des autres disciplines. Nous avons rétabli la réalité des choses. Histoire – Géographie – Sciences : Nous avons montré comment, à l’occasion de chaque texte journalier, au cours des réponses aux questions et comme suite aux conférences, nous mettons à l’étude une extrême variété de sujets se rapportant à chacune de ces disciplines. Par nos plans de travail nous plions nos complexes aux nécessités formelles et, si nécessaire, nos demi-heures de bouchetrou permettent de rattraper les retards flagrants. Calcul : outre l’initiation active et pratique par le travail manuel vivant – initiation dont toute la pédagogie contemporaine montre la portée essentielle – nous avons nos fichiers autocorrectifs qui permettent à chaque enfant un maximum d’exercices que nous ne croyons guère pouvoir être dépassé dans les classes traditionnelles les plus sévères. Dessin – Travail manuel à l’intérieur et en plein air – Éducation physique – Chant – Hygiène pratique : Dans tous ces domaines nous avons dépassé enfin le stade de la théorie pour accéder à la réalisation pratique qui nous permet de satisfaire, mieux que quiconque, les exigences du programme. ---oOo--Nous en avons terminé avec le fonctionnement de notre classe selon notre technique du complexe d’intérêts. Nous ne nous sommes pas attardés à la description détaillée du matériel nouveau ni aux prescriptions nécessaires pour son emploi, toutes indications qu’on trouvera dans les brochures spécialisées que nous avons éditées.

Nous avons seulement voulu montrer une école en activité selon notre principe des complexes, en décortiquer le mécanisme, vous faire assister à un moment de la vie de l’école. Nous ne prétendons ni que notre exemple soit parfait, ni qu’il puisse être imité tel quel, dans des conditions différentes de local, de milieu, de possibilités éducatives. Nous nous sommes plus particulièrement attachés à établir comme une hiérarchie des valeurs pédagogiques : locaux et matériel à la base ; souci d’intégrer le complexe scolaire dans le complexe social ; organisation du travail scolaire dans le cadre des obligations suscitées par le milieu : collaboration et contrôle susceptibles de garantir l’inéluctable montée de l’être, cette floraison splendide qui prépare la fructification de demain.

4. Pratiquement Comment, pratiquement, se fera le passage de la forme scolastique désuète à l’Éducation du travail ? C’est pour cette adaptation que nous donnerons ici quelques ultimes conseils. Nous savons tout ce que notre exposé peut soulever de questions et de critiques. Et nous voyons très bien les instituteurs protester : — Mais jamais nous ne pourrons parvenir à cette perfection dans la diversité… Nous n’avons pas assez de souplesse, pas assez d’aptitudes… Cela nous demandera trop de travail… J’ai peur de ne pas réussir ! Et ces éducateurs ont raison : on ne se lance pas, de but en blanc, dans une technique nouvelle pour laquelle on n’est point entraîné… Il ne s’agit pas d’abandonner d’un coup tout un passé dont on ressent les faiblesses, pour tenter une nouveauté que seuls quelques êtres d’élite peuvent spontanément dominer. Aussi, n’espérons-nous pas – et ne souhaitons-nous pas ! – que, après lecture de notre exposé, des instituteurs se disent : « Je vais faire de même à la rentrée prochaine ! » Et si ça ne marche pas à leur goût, ils se rejetteront, désabusés, dans la routine. Nous proposons une autre méthode, autrement sûre, pour créer le nouveau au sein de la réalité présente. ---oOo--Il fut un temps où, pour essayer d’améliorer les pratiques culturales, on croyait utile d’avoir recours à des conférences, des leçons plus ou moins suggestives, des diagrammes et des chiffres.

Autant en emportait le vent : le paysan hochait la tête et retournait à la tradition longuement éprouvée. Les choses ont changé le jour où l’on a fabriqué et montré en action les outils nouveaux : charrues, tracteurs, bêches, vaporisateurs qui répondaient mieux que les anciens aux nouvelles nécessités économiques. La part de la théorie était insignifiante sinon nulle : le paysan sentait un besoin non satisfait par les anciennes techniques ; on lui montrait un outil qui semblait répondre à ce besoin ; il le voyait fonctionner, l’expérimentait, l’adoptait… Le passage s’était fait pour ainsi dire matériellement, expérimentalement. Quels que soient ses titres de noblesse scolastique, le verbiage ne devrait pas avoir davantage de poids dans l’évolution de notre processus pédagogique. Sans paroles inutiles, nous présenterons les outils qui prétendent répondre à des besoins nouveaux pour la satisfaction desquels les méthodes traditionnelles se sont révélées impuissantes ; nous offrirons les modes d’emploi ; nous ferons fonctionner ces outils, nous en expliquerons l’usage optimum… Et nous savons que le progrès s’imposera aux plus timorés. Le fermier à la tête d’un domaine ne bouleverse jamais sa technique culturale. Il compare son rendement à celui des fermes voisines. Si l’on réussit mieux à côté, il s’inquiète naturellement de savoir comment il pourrait en faire autant ; il s’informe, il demande des prix, lit des livres, va suivre des conférences. Puis il agit selon ses nécessités et ses possibilités. Il est persuadé qu’une charrue moderne, que l’emploi des engrais, la réorganisation méthodique de son étable, l’agencement électrique de ses services, un tracteur, augmenteraient son rendement, avec un minimum de frais, d’ailleurs rentables, et une diminution de peines. Seulement, il hésite pour les mêmes raisons que vous : pas assez d’argent… Et puis ces nouveautés l’épouvantent toujours un peu ; il est tellement habitué aux anciennes techniques qui, ma foi, ne l’ont jamais laissé sans pain… Et serait-il capable de s’en tirer avec ce travail si différent de celui pour lequel il est préparé ?

Alors, comme il est prudent, mais pourtant pratique, il se dit : Essayons toujours d’un de ces outils ! Si ça réussit, j’irai, l’an prochain, un peu plus avant… Quel est, parmi la gamme de nouveautés, l’outil qui peut me rendre immédiatement le plus de services avec un minimum de bouleversement dans mes habitudes ? Après mûre réflexion, il achète une charrue moderne, qui creuse de larges sillons et donne un labour propre et frais. Il s’en sert, timidement d’abord, en reprenant parfois encore le vieil araire qui avait ses vertus… Et puis l’habitude est prise : l’araire sera refoulé au grenier parmi les ferrailles inutiles. L’année d’après, ou peut-être même dès le printemps, il modernisera l’écurie. Il n’ira pas plus avant pour l’instant, mais la vie de la ferme n’en sera pas moins déjà profondément transformée, et transformée aussi la vie et l’esprit du fermier et de sa famille. L’adaptation est en marche : ce sera le tour ensuite d’autres innovations au fur et à mesure des besoins et des offres que la technique agricole présente pour les satisfaire. Ainsi sans heurts, sans bouleversement dans le rythme du travail, sans risques graves d’échecs qui auraient pu compromettre ou même arrêter toute l’évolution, une technique agricole adaptée aux possibilités modernes est sortie de la technique traditionnelle, sans théorie préalable, sans discours exclusivement verbeux, par la seule vertu d’outils nouveaux au service de la vie et du travail. C’est un processus d’évolution identique que nous voudrions recommander et faciliter dans le domaine éducatif. ---oOo--Si vous le pouvez, faites comme le fermier : ne vous fiez pas totalement à l’écrit, si sympathique et si convaincant soit-il. Allez visiter une école qui ait déjà opéré chez elle les transformations dont vous rêvez ; dérangez-vous pour suivre les cours techniques organisés, pour assister aux conférences des spécialistes qui viennent vous vanter les vertus des outils nouveaux ; informez-vous des prix, du rendement…

Voyez lequel de ces outils pourrait vous rendre le plus de services sans bouleverser votre travail. Mesurez votre bourse, votre allant, votre audace. Prenez l’opinion de vos élèves, puis décidez-vous pour un premier achat, avec le mode d’emploi correspondant. Dans trois mois, dans six mois, dans un an, vous ajouterez des pièces nouvelles à l’organisation rationnelle de votre entreprise. Nous allons vous guider dans ce choix en vous présentant l’ordre possible des transformations techniques ou des achats d’outils. Techniques et outils que nous recommandons ont été éprouvés par nous, parfois créés de toutes pièces, en tout cas mis au point et nous publions les modes d’emploi correspondants. En suivant nos conseils, à un rythme que nous espérons accéléré, vous accéderez par étapes, mais sûrement, à la pratique nouvelle de l’école vivante par le travail complexe au service de l’homme nouveau, au sein de la société populaire. 1. ABOLITION DE L’ESTRADE Premier geste qui indique votre disposition à vous orienter vers une conception nouvelle de l’éducation : faire disparaître l’estrade sur laquelle trône votre chaire, qui deviendra tout simplement une table comme les autres, au niveau et à la mesure des autres tables. Vous verrez alors votre classe avec d’autres yeux : et vos élèves aussi vous verront avec d’autres yeux, mieux dans la norme de votre humanité. Votre commun comportement en sera radicalement influencé. Et vous gagnerez un espace qui vous sera précieux pour la nouvelle organisation matérielle de votre classe. Dépense : néant. Bénéfice au contraire : l’estrade récupérée peut être utilisée comme établi, table d’exposition ou même table d’imprimerie. 2. CONSTITUTION D’UNE COOPÉRATIVE SCOLAIRE

Mais attention : il ne s’agit pas de fonder, comme cela s’est pratiqué parfois, un groupement formel sur le papier, en vue de l’achat d’un matériel par le versement d’une cotisation mensuelle, mais une vraie société d’enfants capable d’administrer la presque intégralité de la vie scolaire. Mode d’emploi : La coopérative scolaire au sein de la pédagogie Freinet (Dossier pédagogique, no 34-35). Avantages : cotisation, élevage, recettes pour fêtes, exposition, etc. 3. Le TEXTE LIBRE Depuis la parution des premières éditions de ce livre, la pratique du texte libre est devenue officielle. Mode d’emploi : Le texte libre (BEM, no 3) ; La grammaire (BEM, no 17). Dépense : néant. 4. Le JARDIN SCOLAIRE Si l’école possède un jardin, cédez-le aux enfants qui le travailleront eux-mêmes, avec votre aide et vos conseils, sous l’égide et au bénéfice exclusif de leur Coopérative. Sinon, tâchez de vous en procurer un, le moins loin possible de l’école : potager, parterre, fruitier, pépinière, ruches, lapins, oiseaux, poules, chèvres (selon la région, les préférences et les possibilités). Dépense : nulle, ou en tout cas largement couverte, et au-delà, par les revenus de l’exploitation. 5. ÉTUDE DU MILIEU LOCAL

Conformément, d’ailleurs, aux instructions ministérielles. Mode d’emploi : Milieu local et géographie vivante (BEM no 10) ; La méthode naturelle en histoire, géographie et sciences d’observation (Dossier pédagogique, no 38) ; L’étude du milieu au second degré (Dossier pédagogique, no 39-40) ; Étude du milieu et programmation (Dossier pédagogique, no 52). Dépense : néant. 6. L’AGENDA SCOLAIRE Préférable à la « Boîte aux questions » de destination similaire, sur lequel les élèves inscrivent les questions auxquelles vous répondrez conformément à nos indications. Mode d’emploi : Questions, comptes rendus, conférences. 7. FICHIERS AUTOCORRECTIFS, CAHIERS AUTOCORRECTIFS, BANDES PROGRAMMÉES

Addition-soustraction, multiplication-division, problèmes, géométrie, conjugaison, orthographe, grammaire, pour les différents cours. Mode d’emploi : Bandes enseignantes et programmation (BEM, no 29-32) ; Travail individualisé et programmation (BEM, no 4245) ; Bandes enseignantes (Dossier pédagogique, no 6). 8. ÉCHANGES INTERSCOLAIRES De classe à classe pour les écoles pratiquant le texte libre, mais n’éditant pas encore de journal scolaire ; au sein d’équipes

constituées par nos services pour les écoles possédant un journal. Mode d’emploi : Les correspondances scolaires (BEM, no 50-53) ; Un essai de correspondance scientifique (Dossier pédagogique, no 50). Dépense : frais de poste. 9. LE DESSIN LIBRE Illustration, création artistique, décoration, dessin à grande échelle. Mode d’emploi : L’enfant-artiste (Ouvrage d’E. Freinet) ; Méthode naturelle de dessin (de E. Freinet) ; Dessins et peintures d’enfants (BEM, 16) ; La part du maître (BEM, 24) Dépenses : très réduites et en grande partie habituellement supportées par les enfants. 10. ORGANISATION DU TRAVAIL LIBRE Prévue dans l’horaire de la classe : expérimentation, travail d’atelier, etc.

rédaction,

dessin,

Mode d’emploi : Les plans de travail (BEM, no 15) ; Huit jours de classe (BEM, 40-41) ; L’organisation de la classe (Dossier pédagogique, no 5) ; Plus de manuels, plus de leçons (Dossier pédagogique, no 7) ; L’organisation de la classe de transition (Dossier pédagogique, no 24) ; L’organisation de la classe au CP et au CE (Dossier pédagogique, no 25). Dépense ; néant. 11. PLANS DE TRAVAIL

Mode d’emploi : Moderniser l’école (BEM, no 4) ; Les plans de travail (BEM, no 15) ; Brevets et chefs-d’œuvre (Dossier pédagogique, no 14). Dépense : nulle (l’achat des imprimés modèles n’est pas obligatoire). 12. JOURNAL MURAL Dépense : nulle. 13. Le FICHIER SCOLAIRE COOPÉRATIF Comprenant des documents de toutes sortes imprimés ou collés sur fiches carton 13,5 × 21 ou 21 × 27. La CEL livre du carton pour collage, des boîtes-classeurs. Mode d’emploi : Le fichier documentaire (BEM, 33-34). 14. ORGANISATION DE LA BIBLIOTHÈQUE DE TRAVAIL D’abord, avec les livres que vous possédez, les manuels scolaires, les collections documentaires, les dictionnaires, etc. Puis, achat de notre collection « Bibliothèque de travail : BT, BTJ, BT2, SBT, BT sonores » (900 titres). Dépense : nulle à l’origine. 15. LE CLASSEMENT DES FICHES ET LE DICTIONNAIRE-INDEX Par numérotation, classement et recherche rapide de tous les documents du fichier.

Mode d’emploi : Pour tout classer (Éditions de l’École Moderne). Dépense : achat de Pour tout classer. 16. CONFÉRENCES D’ÉLÈVES Plusieurs fois par semaine. Mode d’emploi : Questions, comptes rendus. Enquêtes et conférences au 2e degré (Dossier pédagogique, no 18) ; Les conférences d’élèves en classe de transition (Dossier pédagogique, no 45). Dépense : néant. 17. PREMIÈRE RÉORGANISATION MATÉRIELLE ET TECHNIQUE DE LA CLASSE Installation de petits ateliers de fortune : contreplaqué, tissage, modelage, forge, menuiserie, suivant les possibilités. Mode d’emploi : Pyrogravure, soudure, découpage (SBT, 267). 18. RÉALISATION D’UN JOURNAL SCOLAIRE MANUSCRIT OU POLYGRAPHIÉ AU LIMOGRAPHE

Mode d’emploi : Le journal scolaire (Éditions de l’École Moderne) ; Journal scolaire au second degré (Dossier pédagogique, 11) ; Les correspondances scolaires (BEM, 50-53). 19. GRAVURE DU LINO Mode d’emploi : Gravure du lino (livret accompagnant le matériel).

20. L’IMPRIMERIE À L’ÉCOLE Livre de vie, journal scolaire imprimé, intensification des échanges. Mode d’emploi : Les techniques Freinet de l’École Moderne (Éditions Bourrelier-A. Colin) ; L’imprimerie et les techniques annexes (Dossier pédagogique, no 8) ; Mode d’emploi de l’imprimerie (Dossier pédagogique, no 17). 21. LES ATELIERS DE TRAVAIL Aménagés tout spécialement suivant nos indications, ou dans une pièce attenante ou, à défaut, dans le corridor. Mode d’emploi : cf. paragraphe 17. 22. CARNET SCOLAIRE ET CONTRÔLE Avec profil vital. Contrôle par les brevets et chefs-d’œuvre. Mode d’emploi : Brevets et chefs-d’œuvre (Dossier pédagogique, no 14). 23. ATELIER D’EXPÉRIMENTATION SCIENTIFIQUE Mode d’emploi : Collection SBT (16 numéros d’expériences de sciences). 24. ACHAT D’UN APPAREIL DE PROJECTION FIXE

Films fixes. BT sonores. 25. PHONOS ET DISQUES La CEL édite des disques pour l’enseignement de chants et de danses. Mode d’emploi : L’éducation musicale (Dossier pédagogique, no 10). 26. RADIO, MAGNÉTOPHONE ET TÉLÉVISION Une commission d’instituteurs spécialistes de ces questions étudie tous les problèmes posés par l’utilisation à l’école de ces outils pédagogiques. 27. THÉÂTRE ET MARIONNETTES 28. CINÉMA La CEL a édité trois films récréatifs pour enfants : La fontaine qui ne voulait pas couler ; Six petits enfants allaient chercher des figues. Le livre de vie des petits de l’École Freinet. (Ces films sont en location à la CEL.)

LES DOSSIERS PÉDAGOGIQUES

1. Le limographe à l’École Moderne. 2. Instructions officielles. 3. Classes de transition. 4. L’écriture. 5. L’organisation de la classe.

6. Bandes enseignantes. 7. Plus de manuels, plus de leçons. 8. L’Imprimerie et les techniques annexes. 9. Exploitation pédagogique des complexes d’intérêts. 10. L’éducation musicale. 11. Journal scolaire au second degré. 12. 13. Les sciences au second degré. 14. Brevets et chefs-d’œuvre. 15. 16. Mathématiques au second degré. 17. Mode d’emploi de l’imprimerie. 18. Enquêtes et conférences au second degré. 19. Mémento de l’École Moderne. 20. L’apprentissage de l’expression orale et écrite de 6 à 15 ans. 21. La documentation audiovisuelle, utilisation de la B.T. Sonore. 22. Expérience de raisonnement mathématique à l’école maternelle. 23. Gerbe des journaux au second degré. 24. L’organisation de la classe de transition. 25. L’organisation de la classe au CP et au CE. 26. La pédagogie Freinet au second degré. 27. L’enseignement des langues au second degré. 28. 29. Expériences d’initiation au raisonnement logique. 30. 31. Cinéma et télévision, l’emploi des moyens audiovisuels. 32. 33. L’enseignement mathématique (2e degré). 34. 35. La coopérative scolaire au sein de la pédagogie Freinet. 36. 37. Calcul et mathématique au CM et en classe de Transition. 38. La méthode naturelle en histoire, géographie et sciences d’observation. 39. 40. L’étude du milieu au second degré. 41. 42. 43. Initiation au raisonnement logique à l’école maternelle. 44. Une méthode naturelle d’apprentissage de l’anglais en classe de 6e. 45. Les conférences d’élèves en classe de transition. 46. 47. 48. Une expérience de mathématique libre dans un C.E. re 1 année.

49. Discussion sur la formation scientifique. 50. Essai de correspondance scientifique au 2e degré. 51. Comment démarrer en pédagogie Freinet. 52. Étude du milieu et programmation. 53. Mathématique au second degré (transformations et matrices). LA COLLECTION « BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLE MODERNE »

1. Formation de l’enfance et de la jeunesse, par C. Freinet. 2. Classe de neige, par E. Freinet. 3. Le texte libre, par C. Freinet. 4. Moderniser l’école, par C. Freinet et R. Salengros. 5. L’éducation morale et civique, par C. Freinet. 6. La santé mentale des enfants. 7. La lecture par l’imprimerie à l’école, par L. Balesse et C. Freinet. 8. 9. Méthode naturelle de lecture, par C. Freinet. 10. Milieu local et géographie vivante, par R. Faure. 11. 12. L’enseignement des sciences, par C. Freinet. 13. 14. L’enseignement du calcul, par C. Freinet et M. Beaugrand. 15. Les plans de travail, par C. Freinet. 16. Dessins et peintures d’enfant, par E. Freinet. 17. La grammaire, par C. Freinet. 18. 19. Les techniques audiovisuelles, par C. Freinet. 24. La part du maître, par E. Freinet. 25. Les invariants pédagogiques, par C. Freinet. 26. Les maladies scolaires, par C. Freinet. 27. 28. Les techniques Freinet à l’école maternelle, par M. Porquet. 33. 34. Le fichier documentaire, par R. Belperron. 39. L’expression libre en classe de perfectionnement, par M. Gaudin. 40. 41. Huit jours de classe, par E. Freinet.

NUMÉROS SPÉCIAUX

29. 32. Bandes enseignantes et programmation, par C. Freinet. 42. 45. Travail individualisé et programmation, par C. Freinet et M. Berteloot. 46. 49. La culture. 50. 53. Les correspondances scolaires, par Cl. Berteloot, D. Gervilliers, J. Lèmery. COLLECTION « DOCUMENTS DE L’ICEM »

Rémi à la conquête du langage écrit, par Paul le Bohec. — tome I, 178 pages ; — tome II, 248 pages ; — tome III, 224 pages. La formation de la personnalité, par J. Lèmery (96 pages). Aspects thérapeutiques de la pédagogie Freinet (64 pages).

II Les invariants pédagogiques Voici les lois de la vie ; on ne peut pas les ignorer ; et il faut agir en conformité de ces lois ; c’est dans ce but que nous les indiquons, ajoutées aux Droits de l’Homme, qui sont communs à l’Humanité. MARIA MONTESSORI, L’esprit absorbant de l’enfant, Desclée De Brouwer, Éditeurs. Les techniques Freinet de l’École Moderne ont franchi aujourd’hui la longue étape de trente-cinq ans d’expérimentation pour accéder à l’introduction effective et méthodique dans un nombre croissant d’écoles françaises et étrangères. Mais un changement aussi radical de méthode constitue en éducation une véritable révolution qui nécessite une formation spéciale des éducateurs nouveaux et la rééducation de ceux qui ont été pendant longtemps asservis à la scolastique. En attendant que les organismes officiels prennent en charge cette rééducation indispensable, force nous est de répondre par des moyens de fortune à la demande croissante d’éducateurs de tous degrés qui désirent s’engager dans nos techniques. Nous avions entrepris d’écrire à leur intention un guide succinct : Comment démarrer ? qui, croyons-nous, pourrait suffire pour les premiers essais.

Nous nous sommes rendu compte alors que les conseils techniques que nous apportions risquaient non seulement d’être insuffisants, mais d’égarer et de décourager les nouveaux venus si nous ne les complétions par des directives plus précises pour ce qui concerne l’utilisation pédagogique de ces techniques et l’esprit de notre enseignement. Il nous fallait alors inciter nos lecteurs à reconsidérer un certain nombre de notions et de pratiques psychologiques, pédagogiques, techniques et sociales qu’on tient communément comme admises dans les milieux scolaires et que la tradition interdit de mettre en doute parce qu’elles sont les fondements mêmes de tout l’édifice scolastique. C’est une nouvelle gamme des valeurs scolaires que nous voudrions ici nous appliquer à établir, sans autre parti pris que nos préoccupations de recherche de la vérité, à la lumière de l’expérience et du bon sens. Sur la base de ces principes que nous tiendrons pour invariants, donc inattaquables et sûrs, nous voudrions réaliser une sorte de Code pédagogique avec : — feu vert pour les pratiques conformes à ces invariants, dans lesquels les éducateurs peuvent s’engager sans appréhension parce qu’ils y sont assurés d’une réconfortante réussite ; — feu rouge pour les pratiques non conformes à ces invariants et qu’il faut donc proscrire le plus tôt possible ; — feu orange et clignotant pour les pratiques qui, dans certaines circonstances, peuvent être bénéfiques, mais qui risquent aussi d’être dangereuses, et vers lesquelles il ne faudra vous avancer qu’avec prudence dans l’espoir de bientôt les dépasser. C’est en fonction de ces indications méthodologiques que nous donnerons alors les conseils plus spécifiquement techniques qui vous permettront d’aboutir avec un minimum de tâtonnements et de risques.

P.S. « Si l’on consulte un ouvrage classique de psychologie générale, écrit le docteur Viard, on y trouve des descriptions parfaites d’un nombre impressionnant de manifestations psychiques ; et leur liste est loin d’être épuisée. Il se dégage de ces travaux consciencieux, minutieux, abondants, le sentiment que la psychologie est quelque chose de très compliqué et que, pour devenir un fin psychologue, il faut de nombreuses années de pratique, sans jamais être sûr, dans beaucoup de circonstances, de la valeur des jugements qu’on porte sur autrui. « Nous avons pensé qu’après l’analyse détaillée des phénomènes psychologiques il serait peut-être possible de trouver entre eux et les individus un lien constant, invariant, qui leur conférerait en même temps un caractère d’universalité… « La définition de l’Invariant est contenue dans le mot lui-même. C’est tout ce qui ne varie pas et ne peut pas varier, sous n’importe quelle latitude, chez n’importe quel peuple. « L’Invariant constitue la base la plus solide. Il évite bien des déceptions et des erreurs. »

1. La nature de l’enfant INVARIANT NO

1: L’enfant est de la même nature que l’adulte. Il est comme un arbre qui n’a pas encore achevé sa croissance mais qui se nourrit, grandit et se défend exactement comme l’arbre adulte. L’enfant se nourrit, sent, souffre, cherche et se défend exactement comme vous, avec seulement des rythmes différents qui viennent de sa faiblesse organique, de son ignorance, de son inexpérience, et aussi de son incommensurable potentiel de vie, dangereusement atteint souvent chez les adultes. L’enfant agit et réagit en conséquence, et vit, exactement selon les mêmes principes que vous. Il n’y a pas entre vous et lui une différence de nature mais seulement une différence de degré. En conséquence : Avant de juger un enfant ou de le sanctionner posez-vous seulement la question : Si j’étais à sa place comment pourrais-je réagir ? Et comment agissions-nous quand nous étions comme lui ? Conformez-vous loyalement à ce test : Avez-vous fait effort pour vous imprégner de cet invariant ? Reconnaissez-vous cet invariant tout en hésitant à vous y conformer ?

Dans votre comportement, considérez-vous souvent encore l’enfant comme d’une autre nature que vous ? ---oOo--(Nous conseillons à nos lecteurs de colorier soigneusement et loyalement ces tests. L’ensemble de ces tests, quand vous feuilletterez ensuite ce livre, vous donnera comme une image de votre situation psychologique et pédagogique d’enseignant. Vous ferez effort alors pour effacer peu à peu les rouges, pour améliorer la proportion des oranges et des verts.) Pour des raisons techniques, nous n’avons pas reproduit le « Code pédagogique » de l’auteur. Dans tous les tests suivants, la première affirmation représente toujours le feu vert, la seconde, le feu orange et la troisième le feu rouge. Il vous suffit de vous munir d’un petit carnet ou d’utiliser à bon escient les fonctions d’annotations de votre liseur pour « cocher » les bonnes cases. (Note du Numériseur) ---oOo--INVARIANT NO

2: Être plus grand ne signifie pas forcément être au-dessus des autres. Vous êtes grand de taille et, de ce seul fait, vous avez tendance à considérer comme inférieurs ceux qui sont au-dessous de vous. C’est une sorte de sensation, disons physiologique, qui est à l’opposé de la sensation du vide vertigineux lorsqu’on est au balcon d’un 8e ou sur un pic surplombant la vallée. C’est dire que tout le monde éprouve cette sensation. Il faut en prendre conscience et vous en défendre parce qu’elle vous trouble et vous égare. Vous êtes plus grand que vos élèves. Cela ne vous suffit pas encore. Il faut que vous montiez sur une estrade pour assurer votre supériorité.

Ce sont là des impressions, des sentiments qui handicapent beaucoup plus qu’on ne croit tous les candidats à la pédagogie moderne. C’est pour vous engager à vous défaire de ce besoin de domination que nous préconisons dès l’abord un certain nombre de gestes symboliques et pourtant déterminants de l’évolution indispensable. — Supprimez l’estrade : Vous serez, du coup, au niveau des enfants. Vous les verrez avec des yeux, non de pédagogues et de chefs, mais avec des yeux d’hommes et d’enfants, et vous réduirez tout de suite, de ce fait, l’écart dangereux qui existe, dans les classes traditionnelles, entre l’élève et le maître. — Si, pour des raisons administratives, vous ne pouvez enlever l’estrade pour en faire par exemple une table d’exposition et de travail, nous vous recommandons du moins de détrôner le bureau du maître, de le mettre au niveau des enfants, à un endroit où il ne gêne pas, et pas forcément devant les enfants. L’estrade et la chaire sont des éléments indispensables de la pédagogie traditionnelle où le verbiage est roi, avec les leçons, les explications, les interrogations qu’on pratique effectivement avec d’autant plus d’autorité et d’efficience qu’on n’est pas au niveau de ceux qui écoutent. Ajoutons que la position de lutte entre maîtres et élèves nécessite pour la surveillance, l’autorité et la discipline cette surélévation matérielle et symbolique. Mettez-vous au niveau de vos élèves. Vous pénétrerez de plainpied dans la pédagogie moderne. Vous serez amené vous-mêmes à réfléchir et à commencer la reconsidération de vos attitudes et de votre comportement pédagogique. Test : Enlever l’estrade avec toutes les conséquences pédagogiques que ce geste comporte.

Mettre le bureau au niveau des élèves. Laisser l’estrade avec son usage traditionnel. ---oOo--Je ne peux résister au plaisir de vous citer ce passage dans Intermezzo de Giraudoux : (Isabelle et ses élèves sont en classe-promenade lorsque survient l’inspecteur Primaire…) — L’INSPECTEUR : Entrez les élèves… (Elles rient.) Pourquoi rientelles ? — ISABELLE : C’est que vous dites : Entrez, et qu’il n’y a pas de porte. — L’I.P. : Cette pédagogie de grand air est stupide, le vocabulaire des inspecteurs y perd la moitié de sa forme… (Chuchotement.) Silence, là-bas ! Mademoiselle vos élèves sont insupportables ! — ISABELLE : Comment les punirais-je ? Avec ces classes de pleinair, il ne subsiste presque aucun motif de punir. Tout ce qui est faute dans les classes devient ici initiative et intelligence. Punir une élève qui regarde au plafond ? Regardez-le, ce plafond ! — L’I.P. : Justement ! Le plafond dans l’enseignement doit être compris de façon à faire ressortir la taille de l’adulte vis-à-vis de la taille de l’enfant. Un maître qui adopte le plein air avoue qu’il est plus petit que l’arbre, moins corpulent que le bœuf, moins mobile que l’abeille et sacrifice ainsi la meilleure preuve de sa dignité. ---oOo--INVARIANT NO

3: Le comportement scolaire d’un enfant est fonction de son état physiologique, organique et constitutionnel. On a tendance à considérer sans humanité que l’enfant qui travaille mal ou se comporte de façon répréhensible le fait intentionnellement et par malignité.

Certes de telles habitudes sont parfois prises, et nous en supportons les conséquences, ce qui ne veut pas dire que l’enfant soit totalement responsable des tares qui se manifestent en lui. N’oubliez pas que vous-même travaillez avec déficience quand vous avez mal à la tête, mal aux dents, ou que vous avez mal digéré, ou que vous avez faim (ventre affamé n’a pas d’oreille). Vous vous énervez plus facilement quand vous avez échoué dans un travail, que vous vous êtes disputé avec un adversaire plus fort que vous ou que vous n’avez pas pu réaliser un projet qui vous tenait à cœur. Les enfants sont tout simplement comme vous. En face des déficiences de comportement que vous constatez, essayez de vous demander s’il n’y a pas des causes de santé, d’équilibre, de difficultés de milieu qu’il y aurait d’abord à revoir. Vous essaierez de les corriger. Si vous ne le pouvez pas, vous agirez du moins avec beaucoup plus de raison et d’humanité, et vous améliorerez du même coup le climat de votre classe. Test : Vous vous appliquez à rechercher les raisons psychologiques, psychiques ou sociales du comportement perturbé de certains enfants (notre pédagogie vous y aidera). Dans la mesure où vous y avez déjà réussi. Vous n’y avez encore réussi que très relativement. Vous réagissez encore en pédagogue traditionnel sans tenir compte des difficultés individuelles de vos élèves.

2. Les réactions de l’enfant INVARIANT NO

4: Nul – l’enfant pas plus que l’adulte – n’aime être commandé d’autorité. Il y a là une sorte de réflexe tout à la fois physiologique et psychologique. Quand vous vous aventurez dans un chemin, c’est que « tout compte fait » vous jugez bon d’y aller. Si vous n’êtes pas sûr que ce soit une bonne direction, vous tâtonnez, vous avancez timidement, ou vous rebroussez chemin pour repartir ensuite. Mais si quelqu’un vous pousse, vous avez le même réflexe que lorsque, prêt à plonger au bord du bassin, une main suspecte vous fait perdre l’équilibre. Instinctivement, mécaniquement, vous faites l’effort inverse pour résister à la poussée et rétablir votre équilibre. Cette loi est générale. Elle ne souffre pas d’exception ni au point de vue physiologique, ni pour notre comportement moral, social ou intellectuel. Nous sommes tous ainsi, et c’est pourquoi tout geste, tout commandement d’autorité entraîne une opposition comme automatique de celui qui les subit : il rougit, ou il amorce un geste de résistance peut-être vite réprimé, ou bien il est troublé dans le déroulement de ses pensées et de ses sentiments. Il en résulte que, par principe, tout commandement d’autorité est toujours une erreur. On dira que l’enfant n’est pas suffisamment expérimenté et qu’il nous faut bien l’orienter et le pousser parfois là où il ne voudrait pas aller. L’erreur n’en subsiste pas moins. À nous de chercher une

pédagogie dans laquelle l’enfant choisit au maximum la direction où il doit aller et où l’adulte commande le moins possible d’autorité. C’est ce que s’efforce de faire notre pédagogie en donnant au maximum la parole à l’enfant, en lui laissant individuellement et coopérativement, une initiative maximum dans le cadre de la communauté, en s’évertuant à l’entraîner plus qu’à le diriger. Lorsque nous préparons notre Plan de travail, nous présentons à la classe 3, 4 thèmes que les enfants, ou les équipes vont étudier. Pour la répartition des thèmes il y a deux façons d’agir : l’autoritaire, habituelle à l’École traditionnelle qui commande : Thème no 1 – X Thème no 2 – Y Thème no 3 – Z Aucun des enfants ne sera satisfait. Au lieu de cela nous disons : voilà trois thèmes à traiter. Choisissez chacun celui qui vous intéresse. On attribue les thèmes selon la demande. Les derniers prennent forcément le thème qui reste. La part de choix, en l’occurrence, a été fort limitée. Mais les enfants n’ont pas été poussés autoritairement. Ils sont satisfaits. Si nous imposons un texte à l’enfant, il y aura automatiquement opposition. Offrons la liberté de choix et tout rentrera dans l’ordre. Commander d’autorité est une erreur. Éviter l’erreur sera toujours salutaire. Test : Vous avez prévu dans votre classe une pédagogie sans commandement autoritaire.

Vous cherchez une solution mitigée avec un reste d’autorité et un essai de libéralisation. Vous préférez circonstances.

encore

commander

d’autorité

en

toutes

INVARIANT NO

5: (qui découle du précédent) Nul n’aime s’aligner, parce que s’aligner, c’est obéir passivement à un ordre extérieur. Il est des jeux ou des travaux collectifs, le sport par exemple, où l’alignement est ressenti comme une nécessité et ne pose donc aucun problème. Il est des cas aussi où cet alignement est comme une nécessité administrative ou technique, exigée par une autorité qui nous dépasse, et dont nous sommes victimes aussi bien que les enfants. Il en est ainsi notamment de la nécessité où nous sommes par suite de l’organisation sociale actuelle de respecter strictement l’heure des repas – dans la famille ou à la cantine – l’heure d’entrée et de sortie de classe, la discipline des queues qui sont une invention des temps de pénurie. Il suffit dans ces cas d’expliquer aux enfants les raisons impératives de certains actes et comportements : Si le train passe à 6 h du matin, force nous est de partir de la maison à 5 h 30 si nous ne voulons pas arriver trop tard. On pourrait dire que cette discipline n’est que très peu perturbante et qu’elle ne modifie pas forcément les relations maître-élèves, à condition que le maître ne s’attribue pas des passe-droits du fait de sa fonction. L’obligation dangereuse est celle qui apparaît aux enfants comme superflue, comme signe d’un malin plaisir de l’adulte de prouver sa souveraine autorité en montrant que ses commandements doivent déclencher un réflexe de passive obéissance qui est abêtissement.

La discipline militaire est le type de cette erreur insupportable pour ceux qui sont dans le rang, et qui régit autoritairement tous les rapports entre simples soldats et gradés. La preuve que cette discipline est à l’opposé des règles de vie et d’action et qu’elle n’est faite que pour renforcer la brutale autorité, c’est qu’elle s’atténue jusqu’à disparaître parfois en période active ou durant les guerres. Cette forme extérieure de discipline disparaissait presque totalement pendant la guerre pour les hommes au front. Elle avait totalement disparu durant la clandestinité et les maquis, et pourtant, ces soldats sans uniforme et sans discipline extérieure ont su respecter la plus efficiente des disciplines, celle de l’action. Il en est de même pour l’École. Il y a une certaine discipline nécessitée par la cohabitation dans des groupes plus ou moins bien organisés. Les enfants la comprennent, l’acceptent, la pratiquent, l’organisent eux-mêmes s’ils en sentent la nécessité. C’est cette discipline qu’il faut rechercher. Mais il faut bannir tous alignements dont l’enfant ne sent pas la nécessité et qui peuvent être réalisés par l’organisation coopérative : ordre pour l’entrée en classe, silence durant le travail, etc. Il peut y avoir ordre et discipline sans l’autorité abêtissante dont les alignements dans la cour, les coups de sifflet et les bras croisés sont le symbole. Test : Supprimer l’autorité brutale qui exige tous alignements superflus, attitudes rigides et bras croisés, qui seront remplacés par la discipline coopérative du travail. Essais d’organisation de la discipline avec un minimum de commandement extérieur.

En être resté aux ordres autoritaires, à l’alignement, aux bras croisés, etc. INVARIANT NO

6: (découlant des précédents) Nul n’aime se voir contraint à faire un certain travail, même si ce travail ne lui déplaît pas particulièrement. C’est la contrainte qui est paralysante. Le premier mouvement de l’enfant ou de l’adulte à qui on commande d’autorité : Fais cela ! est de dire automatiquement : Non ! Là réside, partiellement au moins, l’explication de cette période d’opposition qu’on note chez les enfants de 7 à 9 ans. C’est l’âge où l’adulte, sous le prétexte de discipliner l’enfant, tient à marquer son autorité par le commandement brutal qui incite ou oblige à cette obéissance passive que trop de parents ou de maîtres croient indispensable à toute éducation virile. Alors se livre une sorte de combat entre l’enfant qui veut expérimenter et vivre dans le sens de ses besoins et l’adulte qui veut le plier à l’obéissance. L’opposition systématique est une phase de cette lutte. L’enfant se pliera ensuite, s’il se discipline. Il y a ceux qui n’acceptent pas cette autorité brutale et qui seront les insoumis, les fortes têtes, les inadaptés, avec toutes les complications individuelles et sociales qui en découlent. Il résulte de cette opposition que certaines activités – les scolaires plus particulièrement – se recouvrent d’une sorte de voile maléfique, parce qu’elles sont commandées. On désapprend ainsi le travail ; ainsi naissent des phobies, des anorexies et des complexes graves qu’une bonne pédagogie éviterait. Test :

S’abstenir de tout commandement strictement autoritaire. Trouver d’autres voies exaltant le travail voulu. Réduire progressivement le commandement, supprimer les alignements et les bras croisés. En rester à la forme habituelle de discipline et de commandement, même si l’autorité en est atténuée. INVARIANT NO

7: (découlant des précédents) Chacun aime choisir son travail, même si ce choix n’est pas avantageux. Donnez un bonbon à un enfant. Il sera satisfait certes, mais n’en regardera pas moins avec envie le restant de la boîte. Présentez-lui la boîte pour qu’il choisisse. Il sera beaucoup plus satisfait, même si son choix n’est pas avantageux. Là aussi c’est la liberté qui colore de rouge, d’orange ou de vert la décision à intervenir. Nous avons dit déjà comment pour la préparation du travail nous donnons aux enfants le choix des thèmes au lieu d’en faire d’autorité la distribution. Cet invariant est une des raisons qui font le succès de nos fichiers autocorrectifs et de nos bandes enseignantes. Avec le manuel de calcul, l’enfant n’a aucune latitude. Les exercices à faire sont imposés par le livre ou par le maître. L’enfant n’a qu’à s’aligner sans rien dire. Donnez aux enfants la liberté de choisir leur travail, de décider du moment et du rythme de ce travail et tout sera changé. Imposez aux élèves un texte à lire et à étudier. Ils n’y ont ni appétit ni enthousiasme. Laissez-leur la liberté de choisir comme nous le faisons par le texte libre, le travail se fera alors dans un climat beaucoup plus favorable.

Ce principe, valable pour tous les individus, motive la survivance en France de l’artisanat. Au travail imposé à l’usine, l’ouvrier préfère son activité d’artisan, qu’il pratique à l’heure et au rythme qui lui convient, même si ce choix lui vaut des journées plus longues et plus fatigantes. Test : S’organiser et prévoir des techniques telles que l’enfant ait toujours l’impression de choisir son travail. Expérimenter ce choix libre au moins en français et en calcul. Pratiquer presque intégralement des travaux pour le choix desquels l’enfant n’a nullement été consulté. INVARIANT NO

8: (découlant des précédents) Nul n’aime tourner à vide, agir en robot, c’est-à-dire faire des actes, se plier à des pensées qui sont inscrites dans des mécaniques auxquelles il ne participe pas. Qu’un enfant tourne les pédales d’un vélo sur cale, il s’en lassera vite, alors qu’il irait au bout du monde sur un vélo qui roule pour de bon. Nous verrons, dans les chapitres suivants, où peut nous mener le feu vert qui nous ouvre la voie vers le travail vivant et l’action. Nous aurions là à faire le procès de tous les exercices scolaires qui fonctionnent sur cale, pour rien ou en tout cas pour des buts qui ne sont pas les nôtres. Feu rouge pour les exercices divers qui n’ont d’autre but que de se couvrir éventuellement d’encre rouge. Feu rouge pour l’étude mécanique et par cœur de textes ou de récitations qu’on ne comprend pas.

Feu rouge pour les devoirs de rédaction dont le seul lecteur sera le maître et qui ne répondent à aucun des impératifs naturels d’expression et de communication. Mais nous aurons la plupart du temps à envisager des feux orange et des clignotants. Dans les conditions actuelles de travail scolaire, il sera pendant longtemps difficile de substituer au travail scolastique les activités motivées qui sont la raison d’être de notre pédagogie. On sera alors obligé de s’accommoder bien souvent de ce qui est, de l’adapter au mieux à nos techniques, et de créer, dans cet ensemble condamné, des éléments de liberté et de progrès. Un des éléments auquel, contrairement à ce que prétendent les psychologues, nous ne donnerons pas le feu vert mais un simple orange et clignotant, c’est le jeu, qui n’est pas une activité naturelle mais seulement un ersatz du travail. Test : Valable toute activité qui a sa raison d’être dans le comportement de l’individu dans son milieu. Activités qui donnent parfois une illusion de liberté et de motivation, mais qui n’en sont pas moins des ersatz. Devoirs scolastiques imposés. INVARIANT NO

9: (qui tire la conclusion des précédents) Il nous faut motiver le travail. Dans un de mes Dits de Mathieu(16) j’ai donné un exemple que je crois devoir reproduire ici de la différence foncière qu’il y a entre le travail de soldat, sans motivation et sans but, auquel on ne donne que le strict minimum de son activité, juste assez pour éviter les

sanctions, et le travail puissamment motivé, intégré à l’être dans son milieu, que nous disons Travail de fiancé. LE TRAVAIL QUI ILLUMINE Eh oui ! Il existe certes des bêches et des charrues, et des outils mécaniques autrement perfectionnés qui vous remuent le sol et vous sèment les graines sans que vous ayez à vous mesurer avec l’aridité de la glèbe. Mais j’aime, moi, quand je prépare un semis, tamiser la terre de mes mains et trier amoureusement les pierres, comme l’on adoucit le lit douillet d’un bébé. C’est ainsi ; un travail même peut être corvée ou libération. Ce n’est pas une question de nouveauté mais d’illumination et de fécondité. Vous connaissez l’histoire des « pluches » au régiment ? Il y a un art – dont l’École a fait une tradition – pour opérer le plus lentement possible, sans cependant s’arrêter de travailler. C’est du stakhanovisme à l’envers. Et quand il s’agit de prendre le balai pour débarrasser les pluches, c’est pire encore : tous les hommes sont manchots. C’est parfois le caporal lui-même qui doit s’appuyer la corvée. Le soldat part en permission voir sa jeune femme. Faire la soupe, éplucher les pommes de terre, balayer même, tout cela devient un plaisir dont il réclame le privilège. La corvée du matin est devenue une récompense ! Il en est de même à l’école, où certains travaux usés par la tradition seront, demain, recherchés à l’égal d’activités nouvelles que vous croyiez exclusives. Ne cherchez pas la nouveauté ; la mécanique la plus perfectionnée lasse elle-même si elle ne sert pas les besoins profonds de l’individu. Dans le lot toujours croissant des activités qu’on vous offre, choisissez d’abord celles qui illuminent votre vie, celles qui donnent soif de croissance et de connaissances, celles qui font briller le soleil. Éditez un journal pour pratiquer la

correspondance, recueillez et classez des documents, organisez l’expérience tâtonnée qui sera la première étape de la culture scientifique. Laissez les jeunes fleurs s’épanouir, même si les mouille parfois la rosée. Tout le reste vous sera donné par surcroît. ---oOo--Ce que nous avons apporté de nouveau à la pédagogie, c’est cette possibilité technique de faire effectivement dans nos classes du travail vivant, du travail de fiancé. Lorsque l’enfant écrit avec plaisir un texte libre pour son journal ou ses correspondants, feu vert. Lorsqu’il écrit une lettre à son correspondant, feu vert. Lorsqu’il imprime, lorsqu’il dessine et peint, lorsqu’il fait des expériences ou prépare des conférences, feu vert. Les enfants comprendront vite quelles sont les activités motivées et celles qui ne sont là qu’en fonction de l’École. Test : Activités motivées auxquelles les enfants se donnent totalement. Activités mitigées qu’on essaie d’influencer par un nouvel esprit. Travail ordinaire. INVARIANT NO

10 : Plus de scolastique. La scolastique, c’est une règle de travail et de vie particulière à l’École et qui n’est pas valable hors de l’École, dans les diverses circonstances de la vie auxquelles elles ne sauraient donc préparer. Nous vous proposons un moyen simple de détection de la scolastique.

Si vous voulez savoir dans quelle mesure une forme de travail est scolastique et si donc vous devez lui appliquer le feu orange ou le feu rouge, posez-vous les questions suivantes : — Si on m’obligeait à faire ce travail, le ferais-je volontiers et avec efficience ? — Si j’étais à la place de cet élève, travaillerais-je avec plus d’enthousiasme et d’application ? — Si je laissais ouvertes les portes de la classe avec liberté totale de sortir quand on le désire, les enfants resteraient-ils à leur travail ou se sauveraient-ils vers d’autres activités ? Test : Travaux que nous ferions nous-mêmes avec intérêt, auxquels élèves et maîtres sont capables de s’appliquer en dehors des heures légales, pendant les récréations, sans voir l’heure passée. Travaux plus ou moins marqués d’école moderne, mais pour lesquels dans les conditions actuelles de l’École et du milieu, la part de la scolastique reste encore plus ou moins importante, pourvu qu’on s’en rende compte. Travaux scolastiques traditionnels. INVARIANT NO

10 bis : Tout individu veut réussir. L’échec est inhibiteur, destructeur de l’allant et de l’enthousiasme. Nous insistons tout particulièrement sur cet invariant, car toute la technique de l’École traditionnelle est basée sur l’échec. Les premiers de la classe réussissent certes parce qu’ils ont des aptitudes particulières, mais aussi parce qu’ils ont toujours de bonnes notes, des Bien et des Très Bien, et qu’ils réussissent aux examens. Mais l’École accable les autres sous l’avalanche des échecs : excès de rouge dans les devoirs, mauvaises notes, « à refaire »,

cahiers mal tenus… Les observations ne laissent que très rarement à l’enfant le réconfort d’une réussite. Il se décourage et cherche dans d’autres voies – répréhensibles – d’autres réussites. Faites toujours réussir vos enfants. Le tonus de l’enseignement en sera du coup très notablement réhabilité. Mais, vous diront parents et éducateurs, on ne peut tout de même pas mettre une bonne note à un travail insuffisant, ou féliciter un élève pour un cahier mal tenu. Oui, mais nous pouvons pratiquer une pédagogie qui permette aux enfants de réussir, de présenter des travaux faits avec amour, de réaliser des peintures ou des céramiques qui sont des chefsd’œuvre, de faire des conférences applaudies par les auditeurs. C’est toute la formule de l’École qu’il nous faut changer, et le rôle aussi de l’éducateur qui, au lieu d’être un censeur exclusif, saura promouvoir son rôle éminemment aidant : Test : Pour une pédagogie de la réussite. Effort pour éviter l’échec. Pédagogie de l’échec. INVARIANT NO

10 ter : Ce n’est pas le jeu qui est naturel à l’enfant, mais le travail. Nous allons à contre-courant de la psychologie et de la pédagogie contemporaines en affirmant cet invariant de la primauté du travail(17). L’erreur commence à l’École maternelle, qui a, de ce point de vue, contaminé les familles : il n’y a qu’à jeter un coup d’œil sur les catalogues des grandes maisons d’éditions pour s’en convaincre : on n’y présente aucun outil de travail mais une infinité de jeux.

On a pris l’habitude également dans les familles de ne plus faire travailler les enfants. Ils sont les rois fainéants auxquels on offre exclusivement des jeux. Aux autres degrés, par la force des choses, la pédagogie a moins généralement recours aux jeux, mais on n’en a pas pour autant accepté le principe du travail. L’École primaire et le second degré aussi sont le domaine des devoirs et exercices imposés, qui présentent tout au plus un intérêt superficiel mais qui ne répondent nullement à notre définition du travail naturel, motivé et exhaustif dont on ne dira jamais assez les vertus. Notre pédagogie est justement une pédagogie du travail. Notre originalité c’est d’avoir créé, expérimenté, diffusé des outils et des techniques de travail dont la pratique transforme profondément nos classes. Test : Réalisation maximum d’une école du travail. Mélange de devoirs et de travail. Pas encore de vrai travail.

3. Les techniques éducatives INVARIANT NO

11 : La voie normale de l’acquisition n’est nullement l’observation, l’explication et la démonstration, processus essentiel de l’École, mais le Tâtonnement expérimental, démarche naturelle et universelle(18). L’École traditionnelle opère exclusivement par explications. Les expériences, lorsqu’on en fait, n’interviennent que comme complément de démonstration. Or, l’explication, même aidée par la démonstration, n’apporte qu’une acquisition superficielle et formelle, qui n’est jamais enracinée dans la vie de l’individu, dans son milieu. Elle est comme ces rejets qui poussent prématurément sur un arbre qu’on a mis en terre et qui donnent un instant l’illusion de la vie. Mais les racines, non encore adaptées au milieu, n’apportent pas la sève indispensable et la plante se dessèche, faute de nourriture substantielle. C’est malheureusement cette acquisition de surface que recouvre le vernis des mots, que recherche l’École actuelle et que contrôlent les examens. On sent de plus en plus la vanité de cette superficialité et l’on prône un peu partout, mais tout spécialement hors de l’enseignement, la culture profonde qui prépare les chercheurs intelligents et efficients. Il apparaît que, pour une véritable culture, c’est le tâtonnement expérimental, tel que nous l’avons exposé dans notre livre Essai de psychologie sensible, qui est la base de notre pédagogie.

Les Travaux Scientifiques expérimentaux sont la première reconnaissance officielle de ce processus universel. Test Pour une éducation fondée sur l’expérience et la vie, par le tâtonnement expérimental. Pour l’introduction de plus en plus pratique de l’expérimentation à l’École avec encore retour à l’explication pour certaines disciplines. On n’a pas encore modifié la pratique habituelle scolastique de l’apprentissage et du bourrage. INVARIANT NO

12 : La mémoire, dont l’École fait tant de cas, n’est valable et précieuse que lorsqu’elle est intégrée au Tâtonnement expérimental, lorsqu’elle est vraiment au service de la vie. Dans le cas contraire, elle ne joue l’effet que d’une bande magnétique qui enregistre des mots pour les restituer à la demande, sans qu’il y ait le moindre processus intelligent d’intégration à la vie mentale. « Savoir par cœur n’est pas savoir », disait déjà Montaigne qui fulminait alors contre cette habitude des scolastiques d’imposer les connaissances comme qui verserait dans un entonnoir. Une bonne mémoire est évidemment précieuse. On a conclu alors que pour avoir cette bonne mémoire, il fallait exercer sans cesse cette faculté comme si elle était un véhicule essentiel de la connaissance. Mais contrairement à la croyance générale des scolastiques, la mémoire ne se cultive pas par l’exercice. On peut, par ce biais, acquérir certains procédés mnémotechniques qui font illusion.

L’usage mécanique de la mémoire tend au contraire à la fatiguer et à l’épuiser. C’est ce qui arrive avec notre jeunesse malmenée. Malheureusement, tout l’enseignement scolastique est fondé sur la mémoire, et les examens mesurent exclusivement les acquisitions de mémoire. Test : Donner un enseignement vivant où la mémoire ne joue que son rôle d’aide technique. Pour un enseignement où la mémoire a encore une trop large part mais où l’on commence cependant la culture en profondeur. Pour une éducation et une motivation de mémoire. INVARIANT NO

13 : Les acquisitions ne se font pas, comme l’on croit parfois, par l’étude des règles et des lois, mais par l’expérience. Étudier d’abord ces règles et ces lois, en français, en art, en mathématiques, en sciences, c’est placer la charrue devant les bœufs. Les règles et les lois sont le fruit de l’expérience, sinon elles ne sont que des formules sans valeur. Test : Pour un travail vivant expérimental. C’est en forgeant qu’on devient forgeron.) Expériences mais étude simultanée de certaines règles dans l’espoir – vain – que l’enseignement pourra en bénéficier. Enseignement classique à base de règles et de principes appris par cœur.

INVARIANT NO

14 : L’intelligence n’est pas, comme l’enseigne la scolastique, une faculté spécifique fonctionnant comme en circuit fermé, indépendamment des autres éléments vitaux de l’individu. On dit : cet enfant est, ou n’est pas intelligent. Or, l’intelligence n’existe pas en soi : elle est comme l’émanation complexe des possibilités les plus éminentes de l’individu. Si l’intelligence n’existe pas en soi, il n’y a pas une méthode spéciale de culture de cette intelligence. Elle est, comme la santé, une synthèse d’éléments intimement liés sur lesquels nous aurons à agir favorablement. Nous avons expliqué dans notre Essai de psychologie sensible que l’intelligence est la perméabilité à l’expérience. Plus l’individu est sensible à ces expériences, plus les expériences réussies marquent dans son comportement, plus il progresse rapidement. C’est en généralisant, en classe et hors de classe, la pratique du tâtonnement expérimental, en la rendant possible et efficiente qu’on éduque en définitive l’intelligence. Test : Processus intensif de tâtonnement expérimental tel qu’il est rendu possible par la pédagogie Freinet. Intensification progressive du tâtonnement expérimental dans le cadre cependant de la vieille pédagogie intellectualiste. Conception encore classique de l’intelligence par des pratiques scolaires scolastiques. INVARIANT NO

15 :

L’École ne cultive qu’une forme abstraite d’intelligence, qui agit, hors de la réalité vivante, par le truchement de mots et d’idées fixées par la mémoire. Les individus chez qui on a hypertrophié cette forme d’intelligence seront capables de discourir avec virtuosité sur tous sujets appris, ce qui ne les empêche pas d’être parfois inintelligents pour tout ce qui touche à la vie et l’adaptation au milieu. Il y a bien d’autres formes d’intelligence, variables selon les incidences du tâtonnement expérimental qui leur a servi de base : — l’intelligence des mains qui vient des vertus avec lesquelles on agit sur le milieu pour le transformer et le dominer ; — l’intelligence artistique ; — l’intelligence sensible qui développe le bon sens ; — l’intelligence spéculative qui fait le génie des chercheurs scientifiques et des grands maîtres du commerce et de l’industrie ; — l’intelligence politique et sociale qui forme les hommes d’action et les manieurs de foules. Le peuple a toujours honoré ces formes diverses d’intelligence. Elles nous ont valu les génies artistiques, les hommes dévoués jusqu’au sacrifice, les inventeurs et les sages, qui, souvent, avaient échoué à l’École parce que rebelles à ses enseignements traditionnels. La société actuelle a un tel besoin de cadres polyvalents, de chercheurs et de créateurs, qu’une tendance très nette se manifeste – souvent hors de l’Université – pour la culture de ces formes diverses d’intelligence. Notre pédagogie y pourvoit et, en ce domaine, elle est encore en audacieuse avant-garde. La partie est pourtant loin d’être gagnée. Les « intellectuels » défendent et défendront encore longtemps leurs privilèges, authentifiés par les examens et les parchemins. Test :

Si, par des techniques adéquates, vous cultivez au maximum tout le potentiel d’intelligence des individus. Si la culture de ces possibilités complémentaires ne se fait encore qu’accidentellement. Si vous vous contentez encore de la culture de l’intelligence scolaire. INVARIANT NO

16 : L’enfant n’aime pas écouter une leçon ex cathedra. Ce n’est pas spécialement par distraction ou paresse. Pour les raisons que nous avons déjà données, l’enfant et l’homme n’aiment pas écouter ce qu’ils n’ont pas sollicité et dont ils ne sentent pas le besoin vivant. C’est ce qui explique le faible rendement de ces leçons et tous les artifices que les éducateurs ont dû inventer pour obliger les enfants à se plier aux leçons magistrales. Et pourtant, dira-t-on, il faut bien que l’enfant apprenne et comprenne ce qu’il ne sait pas et que donc le maître doit lui enseigner. Mais peut-être y a-t-il d’autres voies pour cet enseignement ? Nos techniques apportent des solutions diverses à ces problèmes. Nous en recommandons, notamment une : Si vous expliquez d’autorité par la leçon, nul n’écoute. Mais organisez votre travail de telle façon que l’enfant commence par agir lui-même, par expérimenter, par enquêter, par lire, par choisir et classer des documents. Il vous posera alors des questions qui l’ont plus ou moins intrigué. Vous répondez à ces questions : ce sera ce que nous appelons la leçon a posteriori. Test : Vous commencez, pour toutes les disciplines, par l’expérience et l’information.

Vous tâchez de rendre la leçon intéressante mais elle reste la leçon. Vous n’avez pas dépassé le stade de la leçon ex cathedra. INVARIANT NO

17 : L’enfant ne se fatigue pas à faire un travail qui est dans la ligne de sa vie, qui lui est pour ainsi dire fonctionnel. Ce qui fatigue les enfants comme les adultes, c’est l’effort contre nature, qu’on fait parce qu’on y est contraint. La scolastique est si bien habituée à ses erreurs qu’il est admis officiellement que le jeune enfant ne peut pas travailler plus de quarante minutes et qu’il lui faut ensuite dans toutes les classes 10 minutes de récréation. Or, nous constatons expérimentalement – et cette constatation ne souffre que fort peu d’exceptions – que cette règle scolastique est fausse : lorsqu’il est occupé à un travail vivant qui répond à ses besoins, l’enfant ne se fatigue absolument pas et il peut s’y appliquer pendant deux ou trois heures, davantage même si n’intervenaient les besoins physiques naturels. À l’École Freinet, les enfants travaillent sans interruption de 8 h 30 à 11 h 30, et très normalement. La fatigue des enfants est le test qui permet de déceler la qualité d’une pédagogie. Test : L’enfant peut travailler plusieurs heures sans fatigue. L’enfant se fatigue parfois, ce qui nécessite détente et repos. On est obligé de pratiquer les récréations. INVARIANT NO

18 :

Personne, ni enfant ni adulte, n’aime le contrôle et la sanction qui sont toujours considérés comme une atteinte à sa dignité, surtout lorsqu’ils s’exercent en public. Il n’y a qu’à vous rappeler dans quel état d’opposition souvent malveillante vous place le contrôle d’un gendarme, même si vous êtes en faute. De ce point de vue, la correction des devoirs et des exercices et la récitation des résumés sont toujours une raison de trouble et d’opposition de l’enfant. Cela est incontestable. On dit volontiers que c’est un mal nécessaire et qu’il faut bien qu’on ordonne et qu’on contrôle : la réaction argumente toujours ainsi lorsque, en face d’initiatives révolutionnaires, elle entend défendre la tradition et ses privilèges. Et pourtant, si nous trouvions la possibilité de supprimer ces pratiques perturbantes, la pédagogie ferait un pas encourageant. Ce ne sont pas tant les corrections en elles-mêmes qu’il nous faut abandonner mais bien plutôt modifier l’attitude du maître vis-à-vis du travail de l’enfant. À l’École traditionnelle l’enfant est, en principe, toujours fautif. Le maître a tendance à voir dans les travaux de ses élèves non ce qui est bien mais ce qui est, selon lui, condamnable. Il ressemble en cela aux gendarmes qui sont toujours à la recherche des délinquants. Cette situation d’infériorité et de faute est essentiellement avilissante. Elle est certainement une des causes principales des échecs scolaires et de l’aversion que l’enfant éprouve de bonne heure pour les choses d’école. Et pourtant, dira-t-on, il faut bien qu’on corrige les défauts et les faiblesses des enfants, sinon ils ne feront jamais effort pour s’améliorer. La maman ne gronde jamais son enfant parce qu’il a mal prononcé un mot ou qu’il est tombé lors de ses premiers pas. Elle sait, intuitivement, que l’enfant, par nature, fait tout son possible pour réussir car l’échec le déséquilibre. S’il a fait une faute c’est qu’il n’a

pas pu faire autrement. Notre rôle d’éducateur est semblable : non corriger mais aider à réussir et à dépasser les erreurs. L’attitude aidante est la seule valable en pédagogie. Mais elle suppose évidemment qu’on a reconsidéré les techniques de travail, que les méthodes naturelles ont fait place à la scolastique et que les enfants travaillent de leur plein gré, sans l’autorité du maître. Intéresser l’enfant à son travail et à sa vie d’enfant reste donc le premier des objectifs de l’École Moderne. On peut voir, dans nos divers écrits, dans nos classes et dans nos expositions, dans quelle mesure nous avons amorcé cette révolution pédagogique. Test : Vous avez supprimé les corrections à l’encre rouge, vous avez adopté une attitude aidante. Vous n’êtes encore qu’à mi-chemin de cette conquête. Vous en restez encore aux vieux principes de correction et de sanctions. INVARIANT NO

19 : Les notes et les classements sont toujours une erreur. La note est l’appréciation, par un adulte, du travail de l’enfant. Elle serait valable si elle était objective et juste. Elle peut l’être, partiellement du moins, quand il s’agit d’acquisitions simples, de la technique des quatre opérations par exemple. Mais pour le travail plus complexe où l’intelligence, la compréhension, les notions même de comportement entrent en ligne de compte, toute mesure systématique est défaillante. Il ne faut pas s’étonner si, à ce niveau, les notes peuvent varier du simple au double selon les examinateurs, ce qui n’empêche pas d’user imperturbablement des demis ou des quarts, comme si on suivait au chronomètre. Que dire alors des classements établis sur la base de ces notes fausses, et comment décider qu’un tel élève passe avant celui qui le

suit avec quelques centièmes de points d’avance. C’est là, manifestement, la plus fausse des mathématiques, la plus inhumaine des statistiques. Professeurs et parents y tiennent pourtant parce que, dans les données actuelles de l’école, avec des enfants qui n’ont pas envie de travailler, les notes et les classements restent encore le moyen le plus efficace de sanction et d’émulation. Mais ce moyen a une contrepartie gravement dangereuse : — Comme il s’agit de noter, et avec un minimum d’erreurs, on s’en tient en pédagogie à ce qui est mesurable. Un exercice, un calcul, un problème, la répétition d’un cours, tout cela peut effectivement entraîner une note acceptable. Mais la compréhension, les fonctions d’intelligence, la création, l’invention, le sens artistique, scientifique, historique, ne peuvent pas être notés. Alors on les réduit au minimum à l’École, et on les supprime de la compétition. Ils n’entrent que faiblement en compte dans les examens et concours. Voilà la situation actuelle. Nous y pallions : — en donnant aux enfants le goût et le besoin de travail ; — en créant une saine émulation par la compétition coopérative et sociale ; — en mettant au point un système de graphiques et de brevets qui remplaceront un jour prochain l’usage abusif des notes et des classements. Test : Vous avez supprimé notes et classements que vous remplacez par les formes nouvelles de travail. Vous remplacez précautionneusement notes et classements par d’autres noms. Vous restez fidèle à l’ancienne tradition.

INVARIANT NO

20 : Parlez le moins possible. Nous avons beau faire, la vieille pédagogie nous a si bien marqués que nous avons toujours tendance à parler, à expliquer, à démontrer, quand rien ne va plus. Ménagez votre organe vocal habitué à surmonter tous les bruits, jusqu’à l’usure. N’expliquez pas à tout propos : cela ne sert à rien. Moins vous parlez, plus vous agissez. Celui qui travaille consciencieusement ne parle pas. Mais ce changement dans votre comportement et votre action suppose que vous avez conscience de notre Invariant no 13. On se forme, non par l’explication et la démonstration, mais par l’action et le tâtonnement expérimental. Il suppose aussi que vous avez la maîtrise du matériel et des techniques qui permettent une pédagogie plus efficiente. Test : Vous êtes organisé pour travailler ; vous avez supprimé les leçons. Vous parlez de moins en moins. Vous vous efforcez de moins parler, mais vous n’avez pas encore opéré l’évolution pédagogique nécessaire. Vous vous en tenez de préférence aux vertus du langage explicatif. INVARIANT NO

21 : L’enfant n’aime pas le travail de troupeau auquel l’individu doit se plier. Il aime le travail individuel ou le travail d’équipe au sein d’une communauté coopérative. C’est la condamnation définitive des pratiques scolastiques, où tous les enfants font, au même moment, exactement la même chose. On a beau classer les élèves par divisions ou par cours, ils

n’ont jamais les mêmes besoins ni les mêmes aptitudes et il est profondément irrationnel de prétendre les faire tous avancer au même pas. Les uns s’énervent parce qu’ils piétinent alors qu’ils voudraient et pourraient aller plus vite. Les autres se découragent parce qu’ils ne peuvent pas suivre seuls. Une petite minorité profite du travail ainsi aménagé. Nous avons cherché, et trouvé la possibilité de permettre aux enfants de travailler à leur rythme, au sein d’une communauté vivante. La notion de travail d’équipe et de travail coopératif doit être ellemême reconsidérée. Travailler en équipe ou en coopérative ne signifie pas forcément que chaque membre fait le même travail. L’individu doit au contraire garder au maximum sa personnalité mais au service d’une communauté. Cette forme nouvelle de travail est, pédagogiquement et humainement parlant, de la plus haute importance. Test : Vous organisez la pratique intéressante du travail individuel au sein d’une équipe ou d’une communauté. Vous tentez des essais de travail d’équipe. Vous persistez dans une organisation traditionnelle du travail. INVARIANT NO

22 : L’ordre et la discipline sont nécessaires en classe. On croit trop souvent que les techniques Freinet s’accommodent volontiers d’un manque anarchique d’organisation, et que l’expression libre est synonyme de licence et de laisser-aller. La réalité est exactement contraire : une classe complexe, qui doit pratiquer simultanément des techniques diverses, et où on essaie d’éviter la brutale autorité, a besoin de beaucoup plus d’ordre et de

discipline qu’une classe traditionnelle, où manuels et leçons sont l’essentiel outillage. Mais il ne saurait s’agir là de cet ordre formel qui se traduit, tant que le maître surveille, par du silence et des bras croisés. Nous avons besoin d’un ordre profond, inséré dans le comportement et le travail des élèves ; d’une véritable technique de vie motivée, et voulue par les usagers eux-mêmes. Ce ne sont pas là des mots, mais des réalités possibles dans toutes les classes qui s’orienteront vers le travail nouveau. L’ordre et la discipline de l’École Moderne, c’est l’organisation du travail. Pratiquez les techniques modernes pour du travail vivant, les enfants se disciplineront eux-mêmes parce qu’ils veulent travailler et progresser selon des règles qui leur sont propres. Vous aurez alors dans vos classes l’ordre véritable. Test : Vous parvenez, avec des techniques complexes de travail, à un ordre vivant. Le travail n’est pas encore suffisamment organisé pour qu’il puisse se suffire dans cette recherche de l’ordre nécessaire. Les enfants ont encore besoin de l’ordre imposé de l’extérieur. INVARIANT NO

23 : Les punitions sont toujours une erreur. Elles sont humiliantes pour tous et n’aboutissent jamais au but recherché. Elles sont tout au plus un pis-aller. Pourtant, il est des cas, nous dira-t-on, où la punition devient une nécessité, où elle est la seule solution pour maintenir l’ordre. Cela est exact. Mais c’est que l’erreur a été commise avant nous, ou en dehors de nous et que nous en supportons la triste conséquence. Quand les enfants ont été battus fréquemment dans

la famille, ils se sont forgé une technique de vie à base de coups et de punitions. Ils sont provisoirement insensibles à toutes autres techniques de vie, et le redressement sera parfois terriblement long et difficile. Si les enfants sont mal nourris, mal logés, s’ils ne sont pas habitués au travail, nous aurons fort à faire pour parvenir à un ordre fonctionnel. L’erreur a été commise hors de nous aussi. Ce n’est pas en emboîtant le pas à l’erreur qu’on la corrigera, c’est en œuvrant pour rendre les punitions inutiles. Observez très loyalement un enfant qu’on punit ; étudiez vos propres réactions aux punitions que vous avez subies. Il y a toujours un élément d’opposition, de colère, de vengeance, parfois de haine. Il y a toujours humiliation, même si cette humiliation est masquée sous un air de bravade, de fierté ou de rodomontade. Si la punition est toujours une erreur, chaque fois que vous y avez recours, vous commettez une fausse manœuvre, même si en apparence tout semble entrer dans l’ordre, même si vous n’en voyez pas tout de suite les conséquences. C’est dans la mesure où nous intéressons les enfants au travail dans la classe, où nous satisfaisons leur besoin de création, d’enrichissement et de vie, que la classe s’harmonisera et que les sanctions seront inutiles. Nous ne disons pas que ne pas punir soit une chose simple. L’ordre et la discipline sont l’aboutissement de toutes les conditions de travail dans la classe, et ces conditions sont bien souvent encore tellement péjoratives ! Mais cela ne nous empêche pas de raisonner juste et de mesurer l’importance de nos erreurs, même si nous ne pouvons pas toujours y parer. Test : Vous avez totalement supprimé les punitions sous leur forme de sanction automatique.

Vous essayez de supprimer les punitions, mais vous notez encore trop souvent des rechutes symptomatiques. Vous croyez les punitions nécessaires, donc acceptables. INVARIANT NO

24 : La vie nouvelle de l’École suppose la coopération scolaire, c’est-àdire la gestion par les usagers, l’éducateur compris, de la vie et du travail scolaire. La coopération scolaire est la conséquence des invariants cidessus. Si vous n’avez pas encore conquis suffisamment de feux verts, vous hésiterez à vous en remettre totalement à la coopération. Vous penserez que les enfants ne sont pas suffisamment expérimentés, pas assez conscients de leurs devoirs, pas assez « hommes » et qu’il vous faut bien manifester votre supériorité et votre autorité. Si vous avez vraiment dépouillé le vieux maître, vous donnerez à la coopérative scolaire le maximum de responsabilité dans l’organisation de votre classe. Mais : 1° Cette responsabilité ne doit pas être exclusivement économique et technique. Il ne s’agit pas de recueillir des fonds et de les gérer, ni même de produire au bénéfice de la Coopérative. Tout cela n’est pas négligeable et constitue en somme un premier pas. Mais ce n’est malgré tout là qu’un aspect mineur d’une coopération qu’il faut étendre à toute la vie de la classe, surtout à l’aspect social et moral de l’organisation. Nous en avons indiqué les techniques, notamment le journal mural et l’Assemblée générale hebdomadaire de la Coopérative. 2° L’éducateur ne doit pas se contenter de voir fonctionner la Coopérative pour en sanctionner, de l’extérieur, les faiblesses et les erreurs. Il doit s’intégrer à la Coopérative dont il tâchera d’être, avec beaucoup de compréhension et de dynamisme, le meilleur élément.

Test : Vous pratiquez cette coopération totale. Vous avez une coopérative pour ainsi dire surajoutée à la classe, mais non investie encore de toutes ses responsabilités. Vous voulez conserver tout le pouvoir. INVARIANT NO

25 : La surcharge des classes est toujours une erreur pédagogique. S’il s’agit seulement d’instruire les enfants, le grand nombre peut être parfois acceptable. Il peut y avoir des techniques de travail qui permettent les acquisitions mécaniques à une masse de 50 enfants presque aussi bien qu’à une équipe de dix. C’est ce qu’on essaie de démontrer lorsqu’on parle des vertus possibles des techniques audio-visuelles. Mais l’acquisition des connaissances reste malgré tout une fonction mineure de l’École. Ce qui est par contre important, c’est la formation en l’enfant de l’homme de demain, de l’homme moral et social, du travailleur conscient de ses droits et de ses devoirs et suffisamment courageux pour y faire face, de l’enfant et de l’homme intelligent, chercheur, créateur, écrivain, mathématicien, musicien, artiste. Les qualités que ces fonctions exigent ne peuvent absolument pas s’acquérir dans un groupe anonyme. Elles ne s’acquièrent jamais par la seule information, si majestueuse soit-elle. Elles ne peuvent se développer que si on a la possibilité effective de travailler, d’agir et de vivre individuellement et socialement. Dans ce domaine aussi c’est en forgeant qu’on devient forgeron ; c’est en vivant et travaillant dans une équipe ou dans un groupe qu’on apprend à vivre en groupe. Ces conditions ne sont plus remplies dès que l’École devient une masse anonyme et elle le devient automatiquement au-delà de 2025 élèves par classe.

Test : Vous avez 20-25 élèves par classe, tout vous est possible. Vous avez 30-35 élèves, vous aurez beaucoup de difficultés. Au-delà de ce nombre d’élèves. INVARIANT NO

26 : La conception actuelle des grands ensembles scolaires aboutit à l’anonymat des maîtres et des élèves ; elle est, de ce fait, toujours une erreur et une entrave. La grande masse, lorsqu’elle n’est pas organisée au service des personnalités, lorsqu’elle est simple juxtaposition d’individus qui ne sont unis par aucun lien, disons spirituel ou psychique, est toujours destructrice de ces personnalités. C’est ce qu’on a constaté de tout temps à l’armée qui est toujours abêtissante. Les petites écoles au-dessous de 5 à 6 classes restent encore comme un village sympathique, où les gens peuvent se connaître et vivre en fonction les uns des autres, où les maîtres peuvent sympathiser, discuter entre eux et suivre tous les élèves. Au-dessus de ce nombre de classes, on tombe dans les grands ensembles, genre caserne, où l’anonymat est général : les instituteurs ne se connaissent pas toujours entre eux ; il n’y a en tout cas aucune pensée, aucune préoccupation commune qui les réunissent et les unissent. Pour les enfants, c’est la caserne, plus ou moins maléfique, mais d’où l’esprit caserne ne saurait être banni. La construction d’écoles de 5 à 6 classes, l’éclatement des grands ensembles en unités pédagogiques de 5 à 6 éléments, apparaissent comme des mesures indispensables à la modernisation et au succès de l’École. Test :

Vous vous trouvez dans un groupe humain de 5 à 6 classes, vous réussirez plus facilement. Des conditions spéciales vous permettent un travail acceptable dans un grand ensemble (par exemple local et cours séparés, ou classe de perfectionnement). Dans un grand ensemble caserne anonyme. INVARIANT NO

27 : On prépare la démocratie de demain par la démocratie à l’École. Un régime autoritaire à l’École ne saurait être formateur de citoyens démocrates. C’est une chose si naturelle qu’il semble que le simple bon sens imposerait à tous cet invariant. Les habitudes autoritaires sont, hélas ! si ancrées dans la vie des parents et des maîtres que, dans la presque totalité des classes et des familles, les enfants restent essentiellement mineurs et soumis à l’autorité incontestable des adultes. Le père est syndiqué, naturellement, adhérent ou même militant d’un parti politique progressiste. Mais quand il revient dans sa famille il est trop souvent le maître qui, comme au Moyen Âge, ne souffre aucune opposition à ses ordres. Le maître se dit tout aussi évolué socialement, syndicalement et politiquement, mais dans sa classe, il ne tolère pas qu’on contredise son autorité. Tout doit marcher à la règle, si ce n’est au bâton. Et l’on s’étonne que les enfants qui échappent un jour à cette autorité soient incapables de se commander eux-mêmes, de réfléchir et d’agir ; qu’ils soient inaptes à s’organiser et que leur principale préoccupation soit, maintenant et plus tard, d’échapper à l’autorité ! Au siècle de la démocratie, alors que tous les pays, les uns après les autres, accèdent à l’indépendance, l’École du peuple ne saurait

être qu’une école démocratique préparant, pas l’exemple et par l’action, la vraie démocratie. Test : Vous vous efforcez d’organiser la démocratie à l’École. Vous faites timidement quelques essais qui n’affectent pas encore tout l’enseignement. Vous en êtes encore à l’École autoritaire. INVARIANT NO

28 : On ne peut éduquer que dans la dignité. Respecter les enfants, ceux-ci devant respecter leurs maîtres est une des premières conditions de la rénovation de l’École. Tel est l’aboutissement des feux oranges et des feux verts qui jalonnent la route que nous nous sommes appliqués à définir. C’est à cette dignité des nouveaux rapports qui s’établiront dans nos classes, que nous mesurerons les progrès réels que nous aurons réalisés. Le vieux proverbe recommandé aux adultes est intégralement valable dans nos classes : « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’ils vous fassent. Faites aux autres ce que vous voudriez qu’ils vous fassent. » Test : Vous parvenez à réaliser cette règle dans votre classe. Vous vous y efforcez sans y parvenir encore intégralement. Vous n’avez pas encore humanisé l’École.

INVARIANT NO

29 : L’opposition de la réaction pédagogique, élément de la réaction sociale et politique est aussi un invariant avec lequel nous aurons, hélas ! à compter sans que nous puissions nous-mêmes l’éviter ou le corriger. Telle est la nature humaine, qu’elle s’installe égoïstement dans ce qui est et se défend, jusqu’à l’injustice et la violence, contre quiconque prétend, au nom du progrès, troubler la quiétude des gens en place. Essayez dans une gare, la nuit, d’entrer dans un compartiment où les voyageurs se sont installés au mieux, occupant même les places qui ne leur sont pas destinées. C’est un concert unanime de grognements, de protestations, d’invectives et parfois de coups. Parce que vous aurez pris conscience de la réalité de ces trente invariants, vous voudrez conformer à leurs enseignements l’organisation de votre travail et de votre classe. Mais votre exemple, surtout s’il est réussi, obligera éducateurs et parents autour de vous à reconsidérer progressivement leur action. Et ce sera un de vos mérites d’y parvenir lentement, à travers oppositions, critiques, grognements et invectives. Si tant des nôtres sont critiqués, dénigrés, calomniés, si on parvient parfois à mobiliser contre eux la conjonction de l’immobilisme et du conservatisme, c’est que c’est là aussi un invariant du progrès scolaire et social. Ne vous en étonnez pas. Sachez d’avance qu’il faut compter avec cet invariant, qu’il est la rançon de vos conquêtes et que les mêmes difficultés et les mêmes souffrances jalonnent toujours la voie de ceux qui veulent aller de l’avant, parce qu’ils s’efforcent d’être de vrais éducateurs, de généreux formateurs d’hommes. Test : Vous êtes parvenus à dominer ces oppositions.

Vous êtes aux prises avec ces oppositions mais avec cependant de grands espoirs de réussite. Vous rencontrez trop d’opposition pour avancer. INVARIANT NO

30 : Enfin un invariant qui justifie tous nos tâtonnements et authentifie notre action : c’est l’optimiste espoir en la vie. C’est ainsi : plus l’individu est jeune et neuf, plus il éprouve le besoin d’avancer avec témérité. Quand l’autorité brutale croit l’avoir stoppé dans son élan, le voilà qui prend clandestinement des voies de traverse pour dépasser les obstacles et reprendre ensuite sa marche en avant. C’est quand, par la maladie, l’embourgeoisement, la vieillesse ou les erreurs graves d’éducation, on parvient à annihiler cet espoir en la vie que l’échec peut sembler comme définitif. Cet espoir en la vie sera, dans la suite tâtonnante des Invariants ci-dessus, le fil d’Ariane mystérieux qui nous conduira vers notre but commun : la formation en l’enfant de l’homme de demain. GRAPHIQUE GÉNÉRAL Si vous voulez faire le point de votre situation d’enseignant et voir : — dans quelle mesure vous avez dominé les obstacles qui s’opposent à votre action ; — comment vous avez su, aux feux rouges, ne pas vous contenter de stopper, mais essayé de chercher, par des déviations et des traverses, de franchir l’obstacle pour retrouver plus loin la voie royale ; — comment vous vous êtes faufilés à l’occasion des clignotants et des feux orange ;

— comment vous avez franchi à une vitesse accélérée les feux verts libérateurs, vous établirez le graphique suivant qui vous incitera à continuer avec nous la lutte pour une école moderne toujours plus efficiente, plus libre, et plus humaine :

Dépôt légal : 2e trimestre 1977 ISBN 2-7071-0308-x Numérisé en septembre 2016

1 Alain. 2 C. Freinet, L’Éducation du travail. 3 Conseils aux parents est inclus dans Vous avez un enfant, Éditions de la Table Ronde. 4 Éditions Delachaux et Niestlé, Neuchâtel. 5 Voir les explications concernant ces désignations dans notre livre, L’Éducation du travail, Éditions Delachaux et Niestlé, Neuchâtel. 6 Méthode naturelle de lecture, BEM, 8-9. Cet ouvrage est inclus dans Méthode naturelle d’apprentissage de la langue, Éditions Delachaux et Niestlé, Neuchâtel. 7 La Coopérative de l’Enseignement laïc, à Cannes, a réalisé un limographe CEL 13,5 × 21, parfaitement adapté à ces besoins. 8 Matériel à graver et à tirer CEL. 9 Voir Méthode naturelle d’apprentissage de la langue, Éditions Delachaux et Niestlé, Neuchâtel. 10 Depuis 1963 la CEL édite des bandes programmées de français, de calcul, histoire, géographie et sciences. 11 Voir les Dossiers pédagogiques, nos 1, 8 et 17. Éditions de l’École Moderne, Cannes. 12 Pour tout classer. Éditions de l’École Moderne, Cannes. 13 Voir de plus amples détails sur cette technique dans la BEM, nos 50-53, Les Correspondances scolaires. 14 Voir Dossiers pédagogiques, no 45 et, pour le second degré, no 18. 15 Ces observations sont aujourd’hui valables pour la télévision. 16 Éditions Delachaux et Niestlé, Neuchâtel. 17 Voir notamment : C. Freinet, L’Éducation du travail, Éd. Delachaux et Niestlé. 18 C. Freinet, Essai de psychologie appliquée à l’Éducation, Éd. Delachaux et Niestlé.