Posterites Europeennes de Quinte-Curce: de l'Humanisme Aux Lumieres (Xive-Xviiie Siecle) (Alexander Redivivus) (English, French and Italian Edition) 9782503578255, 250357825X

Pendant des siecles, Quinte-Curce a ete lun des historiens d'Alexandre le Grand les plus lus en Europe. Limitee jus

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Posterites Europeennes de Quinte-Curce: de l'Humanisme Aux Lumieres (Xive-Xviiie Siecle) (Alexander Redivivus) (English, French and Italian Edition)
 9782503578255, 250357825X

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POSTÉRITÉS EUROPÉENNES DE QUINTE-CURCE

ALEXANDER REDIVIVUS Collection dirigée par Catherine Gaullier-Bougassas Margaret Bridges Corinne Jouanno Jean-Yves Tilliette

Postérités européennes de Quinte-Curce : De l’humanisme aux Lumières (xive-xviiie siècle) Sous la direction de Catherine GAULLIER-BOUGASSAS

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Cet ouvrage s’inscrit dans le programme de recherches que mène Catherine Gaullier-Bougassas dans le cadre de l’Institut universitaire de France sur la réception européenne de la figure d’Alexandre le Grand.

© 2018, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher.

D/2018/0095/59 ISBN 978-2-503-57825-5 eISBN 978-2-503-58008-1 DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115390 ISSN 2466-5886 eISSN 2565-9189 Printed on acid-free paper

Lectures des Historiae de Quinte-Curce du xive au xviiie siècle Alexandre peut se consoler de n’avoir pas eu comme Achille un Homere pour trompette de ses louanges, s’il faut se servir des propres termes que sa jalousie luy fit tenir, puisqu’il a trouvé parmi les Latins un Historien de sa vie tel que Quinte Curce. Certainement c’est un des plus grands autheurs qu’ils aient eu […]. (La Mothe le Vayer1) Si Quinte-Curce n’avait pas défiguré l’histoire d’Alexandre par mille fables, que de nos jours tant de déclamateurs ont répétées, Alexandre serait le seul héros de l’Antiquité dont on aurait une histoire véritable. (Voltaire2) Les hommes nés pour la gloire l’ont cherchée où l’opinion l’avoit mise. Alexandre avoit sans cesse devant les yeux la fable d’Achille ; Charles XII l’histoire d’Alexandre : de là cette émulation funeste qui de deux rois pleins de valeur et de talens fit deux guerriers impitoyables. Le roman de QuinteCurce a peut-être fait le malheur de la Suède ; le poème d’Homère, les malheurs de l’Inde. (Marmontel3)

Célébrées pendant des siècles comme modèle d’œuvre historique, contestées ensuite pour leurs inexactitudes et leurs enjolivements romanesques, détrônées en faveur de l’Anabase d’Arrien, les Historiae de Quinte-Curce ont suscité un faible intérêt durant le xxe siècle, tant du côté des historiens d’Alexandre que de celui des philologues et des historiens de la littérature latine. Les lacunes de nos connaissances sur l’identité de l’auteur latin, sur la date et le contexte de son écriture, la mutilation de son œuvre telle qu’elle apparaît dès les plus anciens manuscrits médiévaux conservés, avec les pertes importantes des deux premiers livres et de fragments des livres V, VI et X, ont sans doute aussi contribué à la désaffection des lecteurs du siècle dernier, en 1. Jugement sur les anciens et principaux historiens grecs et latins dont il nous reste quelques ouvrages, Paris, Augustin Courbé, 1646, p. 257 (p. 257-269 sur Quinte-Curce). 2. Le pyrrhonisme dans l’Histoire, dans Œuvres complètes de Voltaire, t. 27, Mélanges, VI, Paris, 1879, p. 250. 3. Article « Gloire » de l’Encyclopédie, voir l’édition en ligne, Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, etc., Denis Diderot et Jean le Rond d’Alembert, Université de Chicago : ARTFL Encyclopédie Project (Spring 2016 Edition), éd. R. Morrissey et G. Roe, http://encyclopedie.uchicago.edu/ (dernière consultation 27 septembre 2017). Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 5-29 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115391

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dépit des grands succès que l’œuvre a connus du xive au xviiie siècle, encore aussi, dans une moindre mesure, au xixe siècle. Le mystère qui entoure l’auteur a alimenté des spéculations diverses sur la datation de l’œuvre et même des interrogations sur son appartenance à la littérature antique et l’hypothèse de son écriture au xve siècle : cette dernière a été formulée par Jean Bodin, L. Crollius et N. F. Fleyschbein, les deux derniers ayant cru que les Historiae étaient un remaniement en prose de l’Alexandreis de Gautier de Châtillon4. La disqualification des Historiae comme texte historique s’affirme surtout à partir du xviiie siècle, en lien avec les mutations des conceptions de l’histoire, son appréhension comme science et sa dissociation des arts. Elle émane alors de milieux savants, à travers les examens critiques comparés des historiens antiques qui voient le jour et privilégient Arrien pour la vie d’Alexandre. Elle est aussi liée aux condamnations politiques et morales par des philosophes qui contestent l’image royale qu’elles véhiculent. L’œuvre continue néanmoins à être appréciée d’un large public jusqu’au xixe siècle et pliée à des lectures et des adaptations diverses. Elle nourrit créations littéraires et œuvres artistiques, elle contribue à inspirer des instrumentalisations politiques d’Alexandre. Si, durant le xxe siècle, la recherche s’est souvent détournée des Historiae de Quinte-Curce – ainsi la thèse réalisée par S. Dosson en 1887 reste-t-elle encore importante pour bien des aspects –, de nouvelles éditions ont néanmoins contribué à sa connaissance5. Par ailleurs, plusieurs ouvrages récents montrent un regain d’intérêt et ont enrichi notre réflexion. Ce sont les études de J. E. Atkinson, parues de 1980 à 2009, et celle d’E. Baynham en 19986. Puis 4. S. Dosson, Étude sur Quinte Curce, sa vie et son œuvre, Paris, 1887, p. 3. 5. Nous mentionnerons les trois suivantes : Quinte-Curce, Histoires, éd. et trad. H. Bardon, Paris, 1947-1948, 2  t. ; Curzio Rufo, Le storie di Alessandro Magno, éd. J.  E. Atkinson et T.  Gargiulo, 2  t., Milan, 1998-2000 ; Q.  Curtius Rufus, Historiae Alexandri Magni, éd. C. Lucarini, Berlin et New York, 2009. 6. J. E. Atkinson, A Commentary on Q. Curtius Rufus’ Historiae Alexandri Magni. Books 3 and 4, Amsterdam et Uithoorn, 1980 ; A Commentary on Q. Curtius Rufus’ Historiae Alexandri Magni. Book 5 to 7, 2, Amsterdam, 1994 ; Curtius Rufus, Histories of Alexander the Great, Book 10, Introduction and Historical Commentary by J. E. Atkinson, Translated by J. C. Yardley, Oxford, 2009 ; E. Baynham, Alexander the Great. The Unique History of Quintus Curtius, Ann Arbor, 1998, études auxquelles s’ajoutent : W. Reeb, Des Q. Curtius Rufus Geschichte Alexanders des Großen. Kommentar, Bielefeld, Leipzig, 1919 ; F. Minissale, Curzio Rufo. Un romanziere della storia, Messine, 1983 ; A. Barzanò, Curzio Rufo e la sua epoca, Milan, 1985, et la thèse d’I. Yakoubovitch, soutenue en 2015 à l’Université de Paris X-Nanterre et non encore publiée : « Les Historiae Alexandri Magni de Quinte-Curce : le mythe d’Alexandre et la représentation du pouvoir à Rome (Ier siècle après J.-C.) ». Dans l’espace limité de cette introduction nous ne pouvons mentionner les articles.

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deux volumes collectifs ont rassemblé des analyses qui portent majoritairement sur l’œuvre latine : L’histoire d’Alexandre selon Quinte-Curce, éd. M. MahéSimon et J.  Trinquier (Paris, 2014) et Der römische Alexanderhistoriker Curtius Rufus. Erzähltechnik, Rhetorik, Figurenpsychologie und Rezeption, éd. H. Wulfram7 (Vienne, 2016). Cinq de leurs articles sont aussi dédiés à des aspects de sa réception8. Dans son étude What was History ? The Art of History in Early Modern Europe (Cambridge, 2007), Anthony Grafton analyse le rôle du jugement porté sur les Historiae dans la naissance de la critique historique en Europe. Les derniers livres de Pierre Briant, Alexandre des Lumières, Fragments d’histoire européenne (Paris, 2012) et Alexandre. Exégèse des lieux communs (Paris, 2016) consacrent également des chapitres très importants à la réception de Quinte-Curce, de sa diffusion enthousiaste au xviie siècle jusqu’aux critiques que les savants et les philosophes du xviiie siècle ont argumentées sur son œuvre. Dans les deux décennies qui viennent de s’écouler, quelques ouvrages ont enfin paru sur des textes et des œuvres artistiques qui ont marqué cette postérité au xviie et au xviiie siècle. L’édition et le commentaire des Remarques de l’Académie française sur le Quinte-Curce de Vaugelas, 1719-1720 par W. Ayres-Bennett et P. Caron (Paris, 1997) prolongent de nombreuses études sur la traduction de Vaugelas9, qui ont en général été menées pour éclairer l’art de la traduction et l’histoire de la langue française 7. Citons aussi l’ouvrage de C. Grell et C. Michel sur l’instrumentalisation de la figure d’Alexandre le Grand en France sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV : L’École des princes ou Alexandre disgracié, Paris, 1988, ainsi qu’un volume collectif consacré à la question des suppléments latins : Supplemente antiker Literatur, éd. M. Korenjak et S. Zuenelli, Freiburg, Berlin et Vienne, 2015, avec R. Kaiser, « ‘Perpetua Curtii historia’ : Christoph Brunos Supplementum compendiosum (1545) zu Curtius Rufus’ Historiae Alexandri Magni », p. 205-221 et H. Schönemann, « Die Curtius-Supplemente von Johannes Freinsheim », p. 223-254. 8. C’est un seul article dans le premier, celui de C. Grell, « Alexandre le Grand ou le rêve des princes : lectures de Quinte-Curce et de Plutarque au xviie siècle », p. 26-304 ; ce sont quatre articles dans le second volume collectif : H. Wulfram, « Tödliche Lektüre, Urban Gardening, Virtuelle Bauten und Edle Wilde. Transformationen von Curtius Rufus’s Alexandergeschichte in der frühen Neuzeit » ; G. Siemoneit, « Lob und Datierung. Johannes Freinsheims Űberblick über den Stand der Curtius-Forschung im Jahr 1639 » ; S. Schreiner, « Non omnium eadem de Q. Curtio historica sententia est. Wie und warum Curtius Rufus im 18. Jahrhundert für junge Leser adaptiert und dabei seinen Weg ins Musiktheater fand » et N. Thurn, « Imitation als Indikator für Lesegewohnheiten. Curtius Rufus und Juan Ginés de Supúlvedas De Rebus Hispanorum Gestis ad Novum Orbem Mexicumque ». 9. Sur Vaugelas, voir notamment A. François, « Note sur le Quinte-Curce de Vaugelas », Mélanges de philologie offerts à Ferdinand Brunot, Paris, 1904, p. 137-161 ; W. Ayres-Bennett, Vaugelas and the Development of the French Language, Londres, 1987 ; E. Bury, « Un laboratoire de la prose française : la difficile élaboration du Quinte-Curce de Vaugelas (1653-1659) »,

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au xviie siècle. Les ouvrages de T. Kirchner, Le héros épique : peinture d’histoire et politique artistique dans la France du xviie siècle (Paris, 2008) et Les reines de Perse aux pieds d’Alexandre de Charles Le Brun : tableau-manifeste de l’art français du xviie siècle (Paris, 2013) étudient la peinture d’histoire de Charles Le Brun10. Pour ce présent ouvrage, notre objectif a été de continuer les recherches et les analyses en concentrant notre attention sur les réceptions des Historiae de Quinte-Curce du xive au xviiie siècle, c’est-à-dire durant les siècles de leur plus grand succès. L’histoire européenne de leurs lectures, de leurs réécritures et de leurs adaptations est d’une grande richesse et d’une grande diversité. Bien des aspects n’en ont pas encore été étudiés, de nombreuses œuvres n’ont pas encore été explorées. Il en est ainsi de la plupart des éditions anciennes du texte latin, de leur histoire et de leurs modalités d’établissement du texte11. C’est encore davantage le cas pour ses traductions, si l’on excepte celle de Vaugelas, reconnue dès sa publication comme un chef-d’œuvre de la traduction, exaltée, commentée et étudiée en lien avec l’affirmation de la langue française classique et la réflexion sur la traduction. Les traductions du xve et du xvie siècles restent en revanche presque toutes inédites et non étudiées12. Dans le réseau européen des traductions qui s’est constitué depuis le Moyen Âge, elles entretiennent en outre entre elles des liens qui sont encore à analyser. Connue à travers cette multiplicité d’éditions et de traductions, l’œuvre de Quinte-Curce a suscité au cours des siècles des jugements divers et des adaptations variées, qui interrogent le statut que les auteurs et les peintres lui Paragraphes, 9 (1993), p. 189-208 ; la thèse de l’École des Chartes de F. Butlen, 1999, non publiée, « Un grammairien traducteur : Vaugelas et son ‘Quinte-Curce’ ». 10. Voir aussi sur Johannes Freinsheim la thèse de Gabriel Siemoneit soutenue en novembre 2017 à l’Université de Vienne, « Curtius Rufus in Straßburg : Imitation und Quellenbenutzung in den Supplementen Johannes Freinsheims », dont nous n’avons pas encore pu prendre connaissance, et sur Sainte-Croix, M. S. Montecalvo, Guillaume-Emmanuel-Joseph Guilhem de Clermont-Lodève, baron de Sainte-Croix (1746-1809). Carteggio e biografia, 2 t., Florence. 11. Les suppléments de Christoph Bruno et de Johannes Freinsheim ont fait l’objet des études citées plus haut. 12. La seule éditée, dans une thèse non publiée mais disponible sur Proquest, est la traduction portugaise : E. M. Oliveira, O Alexandre Português. Edição da tradução portuguesa do manuscrito História de Alexandre Magno de Quinto Cúrcio Rufo, com o texto da Comparação de Pietro Candido Decembrio, Santa Barbara, 2011. Les Faicts et Gestes d’Alexandre le Grand de Vasque de Lucène sont en cours d’édition par nos soins. De la traduction de Decembrio, M. Materni a édité et étudié le supplément initial, traduit de Plutarque : « Tracce plutarchee fra due peninsole nella scia de Decembrio : umanesimo e umanesimi volgari », Revista de literatura medieval, 26 (2014), p. 245-297. Les traductions hispaniques sont encore inédites.

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ont donné, ainsi que les enjeux de leurs appropriations. Les réceptions sont d’autant plus nombreuses et diverses que les Historiae de Quinte-Curce et les commentaires portés sur elles se sont trouvés pris dans plusieurs grands débats qui ont traversé les siècles. L’un d’entre eux porte sur les méthodes et les conceptions de la traduction, avec la réflexion sur la fidélité au texte source ou les libertés que le traducteur est autorisé à s’octroyer pour déployer son art et illustrer la langue choisie. Ce sont également les débats autour de la conception de l’histoire, des critères d’historicité et des écritures de l’histoire. La postérité des Historiae pose par ailleurs la question des transpositions et des recréations de l’histoire et d’un texte historique dans des genres littéraires fictionnels, le théâtre et le roman, et aussi dans des figurations visuelles, avec les illustrations des manuscrits et plus encore les peintures d’histoire à partir du xvie siècle. Enfin, dans presque toutes les œuvres qui illustrent sa réception, on trouve, sous des formes et à des degrés divers, une exploitation politique. Ainsi les études ici réunies ne portent-elles pas sur l’œuvre de QuinteCurce en elle-même ni sur son contexte d’écriture. Après des rappels sur les plus anciens manuscrits conservés et des analyses sur le premier supplément médiéval, qui sera adapté dans la traduction française du xve siècle, elles prennent pour point de départ le xive siècle, c’est-à-dire le moment où les copies de manuscrits se multiplient, où s’amorce un mouvement important de retour au texte latin, signe d’une prise de distance par rapport aux récits médiévaux antérieurs sur Alexandre qui est liée à l’émergence de l’humanisme. Puis elles étudient les formes de la diffusion de l’œuvre, éditions, traductions, adaptations et transpositions, ainsi que la diversification des jugements qui sont portés sur elle, de la célébration dominante jusqu’aux inversions de cet éloge au xviiie siècle.

Bref retour avant le xive siècle Rappelons que l’identité et la vie de Quinte-Curce nous échappent toujours et que nous ignorons le contexte et la date d’écriture de ses Historiae. La perte des premiers livres nous a peut-être privés d’informations importantes, mais au-delà de cet aspect, aucun auteur antique ne se réfère à lui, aucun témoignage extérieur ne nous est non plus conservé. Quinte-Curce a été parfois rapproché de deux homonymes, le consul Quintus Curtius Rufus qu’évoquent Tacite et Pline le Jeune, et le rhéteur que mentionne Suétone13, sans que rien 13. H. Bardon, éd. cit., p. vii.

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ne permette de confirmer l’identification. Quant à la date d’écriture, plusieurs éléments internes au texte, notamment l’évocation d’un empereur romain providentiel et celle de l’empire parthe, ont permis de la fixer au Ier siècle après J.-C., avec plusieurs hypothèses concernant l’empereur romain sur le règne duquel Quinte-Curce vivait. Son œuvre participe en effet de cette imitatio Alexandri qui a inspiré bon nombre des politiques romains et se renforce sous l’empire, quelles que soient les contradictions qui la traversent. Sans nul doute travaille-t-il essentiellement à partir de sources grecques – les recherches et les hypothèses ont été nombreuses à ce sujet14 –, et les Historiae appartiennent à ce que la recherche a appelé la Vulgate sur Alexandre (Quinte-Curce, Diodore de Sicile, Trogue-Pompée, connu à travers Justin, et l’Epitomé de Metz), bien que chacun des textes qui composent cette Vulgate possède ses spécificités. Les Historiae, qui sont en outre le plus ancien récit de la carrière d’Alexandre écrit en latin que nous conservions, témoignent d’une appropriation romaine de la figure d’Alexandre tout à fait intéressante : Quinte-Curce dessine une image ambivalente d’Alexandre en mettant en évidence sa progressive corruption au contact de l’Orient. La maîtrise de la rhétorique et la dramatisation de la narration, l’enchâssement de nombreux discours et aussi l’art du pittoresque et de l’exotique constituent les principaux traits qui lui sont propres. Nous ignorons quelle diffusion les Historiae ont eue durant les derniers siècles de l’empire romain et le Haut Moyen Âge. Elle semble n’avoir pas été importante. Les premiers manuscrits conservés datent du ixe siècle et ils comportent déjà les lacunes des deux premiers livres dans leur intégralité, et de plusieurs fragments des livres V, VI et X. Bien que mutilée dès le ixe siècle, l’œuvre est peut-être alors utilisée, selon S. Dosson, parmi les textes d’école. Au ixe siècle, des manuscrits à valeur d’anthologie rassemblent aussi des discours ou des fragments narratifs extraits des Historiae : cette lecture de morceaux choisis, particulièrement de discours, se poursuivra aux siècles suivants, tout comme l’usage scolaire, qui sera une donnée déterminante pour la diffusion de l’œuvre en latin15. Après le ixe siècle, l’historien romain n’a cessé d’être connu, même si les manuscrits de ses Historiae sont relativement peu nombreux jusqu’au xive siècle. C’est surtout le xiie siècle qui, impulsant un nouvel élan dans les études 14. Nous renvoyons en dernier ressort aux études de J. E. Atkinson. 15. Sur les manuscrits des Historiae, voir S. Dosson, Étude sur Quinte Curce, sa vie et son œuvre, op. cit., p. 315-380 et l’introduction de l’édition de C. Lucarini, Q. Curtius Rufus, Historiae Alexandri Magni, op. cit., 2009. Voir aussi dans ce volume les articles de Silverio Franzoni et de Enrico Fenzi, p. 33-53 et 55-97.

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sur les textes antiques, voit un regain d’intérêt pour l’œuvre. Au début de ce siècle ou peut-être déjà à la fin du xie siècle, un auteur anonyme écrit en latin les premiers suppléments qui comblent la perte des livres I et II et les lacunes des livres suivants16. Dans le manuscrit d’Oxford (Corpus Christi College, 82), ils sont associés à une réécriture subtile de l’ensemble du texte, comme l’évoque Silverio Franzoni dans la première partie de son article, où il analyse aussi les liens entre les différents témoins17. Ces suppléments nous sont en effet transmis dans six manuscrits et ont été imprimés dans une édition du xviie siècle. Ils n’ont pas joui d’une très large postérité, même si Gautier de Châtillon et peut-être aussi Alexandre de Paris les connaissent, mais leur auteur anonyme initie ce travail de réparation des lacunes, de comblement des manques, qui, dans les siècles suivants, occupera de savants latinistes – le plus célèbre est sans nul doute Johannes Freinsheim – et bon nombre de traducteurs dans les différentes langues européennes : ce sera un aspect important de la réception de l’œuvre. Par ailleurs, compilés et renouvelés par Vasque de Lucène qui leur incorpore le début de la Vie d’Alexandre de Plutarque, ils participent à l’écriture de la première traduction française de Quinte-Curce au xve siècle. Au xiie siècle, Henri le libéral, comte de Champagne, a possédé un exemplaire des Historiae dans sa bibliothèque, l’une des premières bibliothèques princières connues18. C’est encore en Champagne et dans la seconde moitié du xiie siècle qu’est composée l’Alexandreis de Gautier de Châtillon, cette transposition des Historiae en épopée latine qui connaît très vite un immense ­succès européen, se voit intégrée au corpus des écoles puis adaptée dans plusieurs langues européennes à partir du xiiie siècle. Le nom de Quinte-Curce n’y est pas cité, alors que Gautier de Châtillon intervient pourtant assez 16. Sur ces suppléments, voir l’édition de E. R. Smits, « A Medieval Supplement to the Beginning of Curtius Rufus’s Historia Alexandri : An Edition with Introduction », Viator. Medieval and Renaissance Studies, 18 (1987), p. 89-124 et « A Medieval Epitome of the Historia Alexandri by Quintus Curtius Rufus : Ms. London BL Cotton Titus D.XX and Ms. Oxford Corpus Christi College 82 », Classica et Mediaevalia, 42 (1991), p. 279-300. H. Wulfram, au sujet de ces manuscrits, parle d’un Curtius auctus (« Der Übergang vom persischen zum makedonischen Weltreich bei Curtius Rufus und Walter von Chatillon », dans Herrschaft, Ideologie und Geschichtskonzeption in Alexanderdichtungen des Mittelalters, éd. U. Mölk, Göttingen, 2002, p. 40-76). 17. Silverio Franzoni, « La tradition manuscrite des Historiae de Quinte-Curce au Bas Moyen Âge », infra, p. 33-53. 18. Manuscrit de Paris, BnF, lat. 5718 ; P. Stirnemann, « Reconstitution des bibliothèques en langue latine des comtes de Champagne », dans Le Moyen Âge à livres ouverts. Actes du colloque de Lyon, 24 et 25 septembre 2002, Annecy et Lyon, 2003, p. 37-45.

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souvent pour évoquer sa propre entreprise : il nous apprend surtout l’identité de son mécène – l’archevêque de Reims, Guillaume aux Blanches Mains – et les ambitions de son écriture, à la fois la propagande de la croisade, mission qu’il assigne au roi de France, sous la bannière de l’archevêque, et la composition d’une épopée qui l’égale lui-même à Virgile, même s’il s’en défend. C’est ainsi une sorte de captation de l’œuvre de Quinte-Curce pour son propre prestige, pour celui de son mécène ecclésiastique et pour la royauté française. Une telle instrumentalisation politique des conquêtes du Macédonien pour légitimer les croisades, puis différentes formes de l’expansion européenne traversera au reste les siècles suivants. Enfin, toujours en cette fin du xiie siècle, puis au début du xiiie siècle, plusieurs auteurs s’approprient en langue vernaculaire le récit de Quinte-Curce, sans le traduire fidèlement. Dans la littérature française, Alexandre de Paris et peut-être déjà son prédécesseur Eustache choisissent d’adapter différentes séquences narratives qu’ils lui empruntent, pour amplifier le récit des expéditions du Macédonien au Proche-Orient et célébrer eux aussi, implicitement, Alexandre comme un précurseur des croisés : jamais ils ne citent non plus le nom de l’historien latin ni ne reconnaissent leur dette. Nous ignorons par ailleurs si l’auteur du premier Roman d’Alexandre français, Albéric, ­comptait déjà les Historiae parmi ses sources. Nous ne conservons en effet que les 105 premiers vers de son œuvre, mais une donnée très frappante établit un lien entre les textes : l’unique manuscrit qui nous transmet les vers d’Albéric est un manuscrit du ixe siècle des Historiae19. Quelques décennies plus tard, Rudolf von Ems s’approprie l’ensemble des Historiae pour les adapter en vers et en langue allemande, sa libre transposition est néanmoins très différente des traductions qui sont écrites à partir du xve siècle et que nous étudions dans ce volume. Le présent volume ne reviendra pas sur ces œuvres du xiie et du xiiie siècles, auxquelles notre ouvrage La fascination pour Alexandre le Grand dans les littératures européennes a déjà consacré de longues études20. Si durant le xiiie siècle la diffusion des Historiae semble avoir été faible – peu de manuscrits sont copiés –, le succès européen de l’Alexandreis en est peutêtre une raison. 19. Manuscrit de Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Plut. LXIV, 35, fol. 115 v-116 r. 20. Dans la Fascination pour Alexandre le Grand dans les littératures européennes (xe-xvie siècle). Réinventions d’un mythe, dir. C. Gaullier-Bougassas, Turnhout, 2014, 4 t., nous renvoyons aux analyses de Jean-Yves Tilliette sur l’Alexandreis, de Christophe Thierry sur Rudolf von Ems, et aux nôtres sur les Romans d’Alexandre français. Ce sont dans le tome 1, sur la question de la réécriture, les pages 37-39, 178-197 ( Jean-Yves Tilliette), 47-50, 205-218, 232-244, 290-297 (mes analyses), 83-84, 496-498, 513-521, 545-551 (Christophe Thierry).

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Transmissions et lectures du texte latin : manuscrits, éditions et annotations La copie des manuscrits se multiplie aux xive et xve siècles, avant que les éditions imprimées ne prennent le relais. L’essor de l’humanisme, le désir de mieux connaître les œuvres antiques et aussi, pour les textes d’histoire, de rétablir grâce à eux la vérité expliquent sans nul doute cet intérêt accru pour les Historiae. Cet intérêt reflète aussi une méfiance nouvelle vis-à-vis des récits médiévaux antérieurs sur Alexandre, les dérivés latins du Roman d’Alexandre du Pseudo-Callisthène, les Historiae de preliis, l’Epitomé des Res gestae de Julius Valère et l’Epistola Alexandri ad Aristotelem sur les merveilles de l’Inde, qui circulent alors très largement et ont été intégrés à des encyclopédies et des histoires universelles dont l’une des plus diffusées est le Speculum historiale de Vincent de Beauvais. Les premiers témoins italiens que nous connaissions des Historiae datent du xive siècle, et ils précèdent un grand nombre de copies jusqu’à la fin du Moyen Âge, comme l’étudie Silverio Franzoni : des manuscrits qui transmettent l’ensemble des livres conservés de Quinte-Curce – celui que Pétrarque a annoté est le manuscrit de Paris, BnF, lat. 5720 –, des manuscrits sous forme d’anthologies. Le texte de Quinte-Curce est aussi exploité dans un florilège latin, Flores moralium auctoritatum, et dans deux œuvres de Giovanni Colonna, son De viris illustribus et son Mare historiarum. Parmi cette pluralité de copies manuscrites et de réceptions latines dans des écrits didactiques, le témoignage le plus ancien et le plus riche d’une lecture de Quinte-Curce par un humaniste est sans nul doute celui de Pétrarque. Pétrarque a en effet annoté le manuscrit des Historiae qu’il détenait et il se souvient de sa lecture du texte latin lorsqu’il écrit sa Vita Alexandri, pour réagir tant contre les dérivés du Pseudo-Callisthène que contre l’épopée de Gautier de Chatillon et sa « captation » française d’Alexandre. Enrico Fenzi intègre ainsi son analyse des annotations de Pétrarque à une large étude des différents moments de l’écriture de Pétrarque sur Alexandre. Il met au jour et interprète les modalités de l’influence effective mais contrariée qu’a exercée la lecture de Quinte-Curce, puisque l’admiration que Pétrarque semble en tirer pour Alexandre doit se concilier et en partie s’effacer devant l’ambition qui l’anime par ailleurs, celle d’exalter le monde romain antique et d’appeler à sa renaissance21.

21. Voir Enrico Fenzi, « Petrarca e Alessandro : dal mito alla storia », infra, p. 55-97.

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L’édition imprimée princeps du texte latin est réalisée à Venise dans l’atelier de Wendelin de Spire en 1471. Les éditions se multiplient durant les siècles qui suivent, dans une bonne part de l’espace européen. Après en avoir répertorié une centaine depuis l’édition princeps de 1471 jusqu’à celle de Johannes Freinsheim en 1639, et avoir établi une liste bibliographique précise, Lucie Claire montre combien les lieux d’impression du texte latin de Quinte-Curce se diversifient et combien l’Europe du Nord, et particulièrement l’aire germanique, occupe une place de plus en plus importante. Dans cette dernière, plusieurs éditeurs, Christoph Bruno, François Modius, Matthaeus Rader et Johannes Freinsheim jouent un rôle décisif et leurs éditions sont diffusées dans toute l’Europe. Lucie Claire analyse ensuite les principales lignes de force et évolutions de leur travail. Les lacunes du texte antique tel qu’il est conservé entraînent une réflexion sur la structuration de l’œuvre en livres – avec une interrogation sur leur nombre – et l’écriture de nouveaux suppléments. Parallèlement à leur travail philologique d’amélioration du texte, les éditeurs conçoivent aussi différentes pièces de paratexte destinées à en faciliter la lecture, et, dans leurs préfaces, s’interrogent tant sur l’exemplarité d’Alexandre que sur la biographie de Quinte-Curce et son style22. Les annotations que portent certains volumes de ces imprimés sont à leur tour des indices de lecture très précieux. Après la réflexion d’Enrico Fenzi sur le manuscrit de Pétrarque, Alain Legros analyse les commentaires et les annotations de Montaigne sur l’exemplaire de l’édition de Bâle qu’il possédait, Q. Curtii historiographi loculentissimi De rebus gestis Alexandri Magni regis Macedoniæ opus (1545) et il étudie les répercussions de la lecture des Historiae sur l’écriture ultérieure des Essais et l’image que Montaigne dessine d’Alexandre23. Si les éditeurs du texte latin valorisent le texte de Quinte-Curce comme un modèle d’écriture, c’est qu’au-delà des lectures par des auteurs prestigieux dont nous conservons les marques, les éditions latines ont largement servi à un usage scolaire, usage qui se poursuivra après le xviie siècle. Pour le xviie siècle et à une date légèrement postérieure à l’édition de Johannes Freinsheim, mentionnons une édition particulière, destinée à un lectorat d’écoliers « choisis », celle que réalise Michel Le Tellier24 en 1678 pour la collection « Ad usum Delphini ». 22. Voir Lucie Claire, « Les éditions latines des Historiae de Quinte-Curce, de la princeps à Johannes Freinsheim » et « Bibliographie des éditions latines des Historiae de Quinte-Curce, de la princeps à Johannes Freinsheim », infra, p. 99-126 et 127-147. 23. Voir infra, Alain Legros, « Montaigne lecteur et annotateur de Quinte-Curce », p. 149-165. 24. L’édition de Michel Le Tellier est étudiée par A. Léonard dans La collection Ad usum Delphini, éd. M. Furno, Grenoble, 2005, t. 2, p. 143-158.

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Les traductions des Historiae et les humanismes vernaculaires des xve et xvie siècles Parallèlement à la transmission latine, de nombreuses traductions humanistes des Historiae, manuscrites puis imprimées, voient le jour dans les différentes langues vernaculaires européennes et permettent à un public plus large de prendre connaissance de l’œuvre. Les indications que nous conservons sur les possesseurs des manuscrits et des imprimés, les dédicaces et les préfaces des traducteurs et les autres témoignages disponibles laissent penser qu’elle a été très appréciée dans les cours européennes, par les souverains et les aristocraties. La plupart des auteurs dédient leurs traductions à cette élite et lui prêtent un intérêt particulier pour Alexandre : nombre d’entre eux flattent leur dédicataire et mécène par une comparaison au conquérant macédonien, cherchant à justifier ainsi leur entreprise et à s’attirer une reconnaissance. Le premier de ces traducteurs, auquel se consacre Marta Materni, est l’humaniste italien Pier Candido Decembrio, qui, en 1438, dédie la première version de sa traduction italienne au duc de Milan Maria Philippo Visconti : il comble les lacunes des derniers livres latins en traduisant lui-même des fragments de Plutarque et écrit un bref texte de sa plume, Comparatione di Caio Iulio Cesare imperadore et de Alexandro Magno re di Macedonia. Puis, dans une seconde version, qu’il offre à l’aristocrate de Cordoue Nuño de Guzmán, il ajoute, en complément initial, les premiers chapitres de la Vie d’Alexandre de Plutarque, traduits à partir de la traduction latine de Guarino Veronese. L’Istoria Alexandre Magno de Decembrio connaît une large circulation dans la péninsule ibérique, que Clara Pascual-Argente et Rosa M. Rodríguez Porto ont étudiée en menant l’enquête sur les principaux relais de la transmission et aussi sur ce que la matérialité des manuscrits révèle des lectures programmées. Entre 1438 et 1464 sont en effet écrites trois traductions en castillan et en portugais, auxquelles s’ajoutent une traduction castillane de la seule Comparatione di Caio Iulio Cesare imperadore et de Alexandro Magno re di Macedonia et la traduction catalane de Lluís de Fenollet imprimée en 148125. Pour le texte de Quinte-Curce, deux d’entre elles (la traduction castillane anonyme et la traduction portugaise) sont des retraductions de la traduction 25. Pour ces traductions italienne et ibériques, nous renvoyons aux articles de Marta Materni, « Pier Candido Decembrio : un émule de Plutarque entraîné à l’école de Quinte-Curce », Clara Pascual-Argente et Rosa  M.  Rodríguez Porto, « Ad Hispaniae fines : The Iberian Translations of Quintus Curtius Rufus and Fifteenth-century Vernacular Humanism » et Claudia Daniotti, « Curtius Rufus, Pier Candido Decembrio and the Impact of the Historiae on Fifteenth-Century Italian Art », infra, p. 169-187, 189-211 et 509-523.

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de Decembrio, tandis qu’Alfonso de Liñán procède à une nouvelle traduction à partir du latin. Comme avant lui Decembrio, il comble la lacune des premiers livres de Quinte-Curce avec une traduction des premiers chapitres de la Vie de Plutarque : il n’a pas alors recours à la traduction de Decembrio ni à celle de Guarino Veronese que suivait ce dernier, mais à celle, latine, de Juan Fernández de Heredia. La traduction française de Vasque de Lucène suit de très peu, commencée en 1461 et terminée en 1468, et le choix de cet historien latin par l’auteur bourguignon d’origine portugaise reflète les préoccupations des humanistes de l’Italie et de la péninsule ibérique. Ses Faicts et Gestes d’Alexandre le Grand se distinguent néanmoins des traductions antérieures par l’ampleur de son discours métalittéraire et son argumentation précise sur ses ambitions humanistes, ainsi que par ses choix spécifiques pour réparer les lacunes du texte latin26. Quelques fragments des Historiae sont enfin traduits en langue germanique par l’humaniste Johann Gottfried à la fin du xve siècle. De toutes ces traductions manuscrites du xve siècle, trois passent à l’imprimerie et seront plusieurs fois rééditées : l’Istoria d’Alexandro Magno de Pier Candido Decembrio, la traduction castillane anonyme, l’Historia de Alexandre Magno, et les Faicts et Gestes d’Alexandre le Grand de Vasque de Lucène. La traduction catalane de Lluís de Fenollet paraît en 1481. Au xvie siècle, de nouvelles traductions sont écrites. En Italie, Tommaso Porcacchi publie à Venise et en 1558 un volgarizzamento des Historiae intitulé De’ fatti d’Alessandro Magno Re de’ Macedoni. Ce polygraphe, pour rendre le texte accessible, l’accompagne d’un important appareil critique, de très nombreuses notes savantes, particulièrement sur l’art de la guerre. Moreno Campetella met en lumière combien sa traduction reflète les préoccupations politiques et militaires de son époque, et participe pleinement à une entreprise de légitimation de l’institution monarchique27. En France, après le long succès de la traduction de Vasque de Lucène et de ses imprimés, Nicolas Séguier fait paraître en 1598 une deuxième traduction, L’Histoire des faicts d’Alexandre le Grand, Roi de Macedoine, dont Elena Koroleva étudie le contexte d’écriture, le paratexte et la méthode28. La 26. Catherine Gaullier-Bougassas, « Le projet humaniste de Vasque de Lucène dans sa traduction de Quinte-Curce : les Faicts et Gestes d’Alexandre le Grand (1468) », infra, p. 213-240. 27. Moreno Campetella, « Les Historiae de Quinte-Curce : la traduction de Tommaso Porcacchi (1558) comme speculum principis. Étude des rapports entre la littérature classique et la propagande politique dans l’Italie du xvie siècle », infra, p. 241-274. 28. Elena Koroleva, « Traduire Quinte-Curce à la fin du xvie siècle : les préfaces de l’Histoire des faicts d’Alexandre le Grand, Roi de Macedoine de Nicolas Séguier (1598) », infra, p. 275-291.

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double préface, adressée au roi Henri IV et au « lecteur François », offre une mise en parallèle frappante d’Alexandre et de Henri IV. Cette traduction précède celles de Nicolas de Soulfour (L’Alexandre françois, image de la fortune et de la vaillance à la noblesse française, ou l’Histoire de Quintus Curtius, des faicts d’Alexandre le Grand, 1629) et de Bernard Lesfargues (L’Histoire d’Alexandre le Grand, tirée de Q. Curse et autres, 1639), qui rapprochent tous deux Alexandre de Louis XIII, avant que la traduction de Claude Favre de Vaugelas, imprimée en 1653, ne les éclipse. En anglais et en espagnol sont aussi écrites, respectivement en 1553 et en 1534, deux nouvelles traductions des Historiae que Margaret Bridges et Hélène Rabaey étudient chacune conjointement avec celles qui les suivent au xviie siècle, pour mettre en lumière les transformations des méthodes et des conceptions de la traduction du xvie au xviie siècle.

Quinte-Curce et la réflexion sur la traduction du xvie au xviiie siècle : illustration des langues et promotion de modèles d’écriture La Grande-Bretagne n’a pas connu de traduction manuscrite des Historiae au xve siècle ni d’impression du texte latin de Quinte-Curce au xvie siècle. C’est John Brende qui écrit une première traduction de Quinte-Curce en langue anglaise en 1553 et l’adresse à « John Duke of Northumberland, Earle Marshall of England », et il choisit comme texte source celui de l’édition de Christoph Bruno en 1545. Margaret Bridges étudie la voix particulière que le traducteur anglais fait entendre dans la préface et dans son texte, même s’il traduit précisément, puis elle met en perspective son Historie of Quintus Curtius, Contayning the Actes of the Greate Alexander avec les trois nouvelles traductions anglaises du xviie siècle, celle de Robert Codrington, The Ten Books of Quintus Curtius Rufus : Containing the Life and Death of Alexander the Great (1652), et deux traductions réalisées par plusieurs « gentlemen » des universités d’Oxford, puis de Cambridge (1687 et 1690). Ce large parcours sur un siècle et demi de traductions anglaises de Quinte-Curce permet de faire ressortir les évolutions des pratiques choisies, des liens établis entre les traductions et leur paratexte, et des publics visés29.

29. Margaret Bridges, « Englishing Quintus Curtius in the Sixteenth and Seventeenth Centuries : John Brende and his Posterity », infra, p. 295-323.

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Dans la péninsule ibérique, le premier imprimé de la traduction castillane anonyme du xve siècle, qui date du 1496, est reproduit à l’identique en 1518 avec le même titre, Historia de Alexandre Magno, avant deux nouvelles traductions, celle de Gabriel de Castañeda, en 1534, De los hechos del Magno Alexandre, rey de Macedonia, puis celle de Mateo Ibáñez de Segovia y Orellana, en 1699, De la vida y acciones de Alexandro el Grande. Hélène Rabaey les compare, en soulignant leurs fortes différences quant à l’établissement du texte et au paratexte, avec les exigences nouvelles sur la langue et le style qui marquent les deux dernières. Mateo Ibáñez de Segovia revendique sa consultation de nombreuses éditions et des traductions de Porcacchi et de Vaugelas. Sa dette envers l’édition de la traduction de Vaugelas est importante, d’autant qu’il affirme son ambition de donner une nouvelle noblesse à la langue espagnole en prouvant sa capacité à rendre l’œuvre d’un auteur antique30. La traduction du xviie siècle qui a joui de la notoriété la plus grande est en effet sans doute celle de Vaugelas, publiée trois ans après sa mort en 1653 sous le titre De la vie et des actions d’Alexandre le Grand. On sait que Vaugelas lui a consacré trente années de sa vie – la préface de Pierre Du Ryer y insiste –, qu’il l’a écrite et réécrite parallèlement à ses Remarques sur la langue françoise (1647). Conçue comme une mise en pratique de ces dernières, elle a été remaniée selon l’évolution de sa conception de la traduction et l’influence qu’ont exercée sur lui les œuvres de Nicolas Perrot d’Ablancourt. Dinah Ribard et Hélène Fernandez étudient la mise en scène de cette traduction dans le paratexte des deux éditions de 1653 et de 1659, avec le rôle assigné à Jean Chapelain et Valentin Conrart, puis à Olivier Patru, pour montrer comment leur préface, celle de Pierre Du Ryer, reprise, construit l’autorité du texte, autorité qui restera très forte pendant au moins un siècle et demi, comme l’attestent les nombreuses rééditions et aussi le commentaire réalisé par l’Académie française en 1719-172031. Ces préfaces n’identifient pas Alexandre au roi français comme le faisaient celles des précédentes traductions françaises, elles n’introduisent pas de réflexion politique explicite, mais l’accent mis sur la noblesse de la langue française telle que la pratique Vaugelas et sur le travail des académiciens a de lui-même une portée politique. Le succès de la traduction de Vaugelas se manifeste aussi, dans les années qui suivent sa publication, par la réconciliation inattendue et momentanée

30. Hélène Rabaey, « Les traductions espagnoles de Quinte-Curce aux xvie et xviie siècles », infra, p. 325-342. 31. Dinah Ribard et Hélène Fernandez, « Le ‘Quinte-Curce de Vaugelas’ », infra, p. 343-361.

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d’anciens adversaires, comme l’analyse Hélène Michon32. À la différence des Remarques sur la langue françoise, qui avaient soulevé des polémiques, la traduction de Quinte-Curce suscite l’admiration unanime de savants que des querelles avaient opposés : François de La Mothe le Vayer, qui apprécie la liberté et l’élégance du traducteur, les grammairiens Dominique Bouhours et Gilles Ménage et, à Port-Royal, Antoine Arnauld, qui saluent tous la clarté et la netteté de la langue de Vaugelas, mais pour des raisons différentes : d’un côté le respect de l’usage, de l’autre le respect de la raison. La traduction allemande de Hans Friedrich von Lehsten, Von den Tahten Alexanders des Grossen/ Der Macedonier Königs, réalisée à partir de l’édition de Johannes Freinsheim avec ses suppléments, paraît la même année que l’édition posthume de Vaugelas, en 1653. Plusieurs fois rééditée, mais assez vite critiquée, elle tombe dans l’oubli au xviiie siècle. Florent Gabaude étudie ses traits spécifiques, tant sur le plan de la forme que du contenu, tout en montrant les convergences qui existent avec la traduction française. Le contexte linguistique et culturel de réaffirmation d’une langue littéraire allemande dans lequel Von Lehsten écrit explique la multiplication des traductions allemandes dans la seconde moitié du xviie siècle et l’ambition qu’il a de démontrer à son tour la grandeur de la langue allemande33. Les Historiae de Quinte-Curce servent un même projet d’exaltation linguistique et politique dans la péninsule ibérique avec la traduction de Mateo Ibáñez de Segovia y Orellana, De la vida y acciones de Alexandro el Grande (1699). Le traducteur entend alors rivaliser avec la traduction de Vaugelas, pour prouver la supériorité de la langue espagnole sur la langue française, dans une démarche qu’Hélène Rabaey interprète à la fin de son article comme une transposition sur le plan littéraire des luttes de pouvoir entre les Habsbourg et les Bourbons. Roland Béhar prolonge l’étude sur cette illustration de la langue espagnole grâce à Quinte-Curce, en mettant l’accent sur la conception et aussi la réception de cette traduction comme modèle linguistique : la première édition du Diccionario de autoridades, le dictionnaire de l’Académie de la langue espagnole, inscrit Mateo Ibáñez parmi les « autorités » de la langue pour ses apports linguistiques, et sa traduction de Quinte-Curce ne cesse d’être rééditée jusqu’au xxe siècle34. 32. Hélène Michon, « La réception du Quinte-Curce de Vaugelas : une unanimité ambiguë », infra, p. 363-376. 33. Florent Gabaude, « La traduction allemande des Historiae de Quinte-Curce par Hans Friedrich von Lehsten », infra, p. 377-403. 34. Roland Béhar, « Le Quinte-Curce espagnol de Mateo Ibáñez de Segovia (1699) et sa réception au xviiie siècle : un manifeste stylistique ? », infra, p. 405-421.

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Quinte-Curce et la réflexion sur l’écriture de l’histoire Parallèlement à la réflexion sur la langue et le style – la rhétorique et le style latins pour les éditeurs, les modèles stylistiques des différentes langues européennes pour les traducteurs –, l’une des légitimations majeures que les éditeurs et les traducteurs apportent à leur entreprise repose aussi sur ­l’affirmation de la véracité des faits relatés par les Historiae. Aux xive et xve siècles, cette valorisation de l’historien Quinte-Curce est même au fondement du succès de son œuvre, qui se nourrit du rejet des dérivés latins du Roman d’Alexandre du Pseudo-Callisthène. Nous l’avons rappelé plus haut à propos de Pétrarque et des premiers traducteurs. Si Pier Candido Decembrio ne développe pas de discours réflexif dans sa traduction et n’affirme que rapidement l’autorité de Quinte-Curce, plusieurs humanistes italiens du xve siècle se prononcent déjà sur la vérité historique des Historiae, pour l’opposer aux mensonges colportés par les textes ou les images diffusés à leur époque. Son frère, Angelo Decembrio, dans son De politia litteraria, renvoie ainsi à Quinte-Curce lorsqu’il se moque des fictions sur Alexandre que des tapisseries flamandes représentent35. Une dénonciation des fables forgées sur Alexandre est vigoureusement argumentée par Vasque de Lucène dans sa traduction française, qui célèbre le texte de Quinte-Curce à la fois pour la vérité des faits rapportés et les leçons politiques qu’ils délivrent. Jusqu’à ce que le jugement de nombreux historiens et philosophes – mais pas de tous les auteurs ni de tous les créateurs – ne s’inverse sur Quinte-Curce, ces deux aspects de l’écriture de l’histoire, la quête de la vérité et celle d’un enseignement, resteront associés, explicitement ou non, dans les œuvres qui traduisent, adaptent ou commentent l’œuvre de Quinte-Curce et qui la célèbrent. La réception de Quinte-Curce se diversifie très vite quant aux formes d’écriture et aux genres littéraires où elle s’exprime. Si nous prenons en compte ici seulement, dans un premier temps, les écritures historiographiques – histoire d’Alexandre, histoire des textes, histoire des historiens et de leurs pratiques – , ce sont avant tout les éditions, les traductions et leur paratexte, mais aussi des adaptations historiques, des traités sur l’écriture de l’histoire, artes historicae, et des jugements sur les historiens, des dictionnaires.

35. M.  Baxandall, « A Dialogue on Art from the Court of Leonello d’Este. Angelo Decembrio’s De politia litteraria. Pars LXVIII », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 26 (1963), p. 304-326 ; A. Grafton, What was History ? op. cit.

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Dans son ample examen sur les jugements et les controverses autour des sources de l’histoire d’Alexandre du xvie au xviiie siècle, Pierre Briant met ainsi en lumière les étapes marquantes de la réception de Quinte-Curce et analyse les ressorts des jugements principaux qui ont été portés sur son œuvre36. Aux xvie et xviie siècles, les auteurs privilégient Quinte-Curce parmi les historiens d’Alexandre et, selon la conception dominante de l’historia comme magistra vitae, lisent son œuvre comme un miroir du prince. On le constate aussi dans des biographies historiques, celle de Jean Puget de la Serre en France, son Portrait d’Alexandre le Grand (1641), ou celle de Samuel Clarke en Grande-Bretagne, Life and Death of Alexander the Great, First Founder of the Grecian Empire (1665), ainsi que dans les traités historiques ou les ouvrages consacrés aux historiens antiques. Un bel exemple de ces derniers est donné par La Mothe le Vayer, en 1646, dans son Jugement sur les anciens et principaux historiens grecs et latins dont il nous reste quelques ouvrages. L’éloge domine son chapitre sur Quinte-Curce. Quelques critiques apparaissent pourtant, notamment dans le traité d’Agostino Mascardi, Dell’ arte historica. Elles deviennent vives sous la plume de Jean Le Clerc dans son Ars critica, en 1697, qui reproche à l’auteur latin des inexactitudes géographiques et chronologiques, des affabulations sur les faits rapportés, un fréquent sacrifice de la vérité à l’art oratoire. Si elles sont reprises par Pierre Bayle dans son Dictionnaire historique et critique, elles suscitent dans un premier temps des oppositions indignées. Il faut attendre les jugements des philosophes du xviiie siècle, Montesquieu et Voltaire, pour que la critique de Quinte-Curce soit plus longuement argumentée et s’impose dans les milieux savants, au profit d’Arrien, comme l’analyse Pierre Briant. Les Historiae sont alors dénoncées pour leurs fables et pour l’influence pernicieuse que leur lecture aurait eue sur les esprits, à commencer sur celui de Charles XII de Suède. En 1772, lorsque le baron de SainteCroix remporte le concours que l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres a ouvert sur l’examen critique des anciens historiens d’Alexandre, il critique lui aussi l’œuvre de Quinte-Curce pour ses inexactitudes et restera fidèle à ce jugement négatif dans les éditions de son texte, même s’il nuance certaines des affirmations de Voltaire. Un retournement du jugement sur Quinte-Curce s’est donc opéré dans les milieux savants, mais, nous le verrons, il n’entame pas le crédit de l’auteur latin auprès des écrivains, des lecteurs, des peintres et des artistes passionnés d’Alexandre. 36. Pierre Briant, « Quinte-Curce vs. Arrien : polémiques et controverses autour des sources de l’histoire d’Alexandre (xvie-xviiie siècle) », infra, p. 425-442. Voir aussi ses analyses dans Alexandre des Lumières, op. cit.

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Les articles de Laétitia Lagarde et Gabriel Siemoneit illustrent le premier temps de cette réception enthousiaste et élogieuse au xviie siècle à partir de plusieurs œuvres de formes et d’inspirations variées, tandis que ceux de Frédéric Charbonneau et de Fiona McInstosh-Varjabédian se consacrent à des témoins de la nouvelle attitude critique des historiens au xviiie siècle. Gabriel Siemoneit étudie ainsi les commentaires élogieux de trois savants de la fin du xvie siècle et du début du xviie siècle, dans un ouvrage théorique, le paratexte d’une édition et un discours. Juste Lipse, dans ses Politicorum sive civilis doctrinae libri sex (1589) et leurs notes, expose le concept de legitima et perfecta historia et juge que Quinte-Curce en respecte les préceptes : veritas, explanatio et judicium, tout en mettant trop l’accent, à ses yeux, sur la guerre. Antoine Blanc, dans la préface de son édition de 1591 des Historiae, parue à Lyon, reprend ce jugement, de même qu’Erycius Puteanus dans un discours prononcé dans son école de Louvain, Palaestra bonae mentis, même si ce dernier conteste la critique de Juste Lipse sur la guerre37. L’œuvre à laquelle Laétitia Lagarde consacre son article est une adaptation des Historiae – et non une traduction – qui manifeste bien leur exploitation selon la conception morale et politique de l’histoire comme magistra vitae, essentielle pour la célébration de Quinte-Curce durant des siècles38. En 1641, Jean Puget de la Serre publie son Portrait d’Alexandre le Grand et le dédie au futur Louis XIV. Il choisit d’adapter les Historiae sous la forme d’une biographie, dont il revendique l’exactitude historique et qu’il compose en même temps comme un miroir du prince conforme aux valeurs politiques et religieuses qu’il souhaite transmettre. Ainsi n’hésite-t-il pas à transformer le texte de l’historien latin. Quant au retournement du jugement sur Quinte-Curce qui, à partir du xviiie siècle, accompagne la naissance d’une nouvelle historiographie critique et de ses méthodes d’examen des sources, Frédéric Charbonneau l’analyse à partir du petit nombre de mentions des Historiae et des avis négatifs que l’on lit à leur sujet dans les volumes de l’Histoire de l’Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres : pour les académiciens qui déplacent l’histoire vers le domaine des sciences positives, notamment Nicolas Fréret, puis le baron de Sainte-Croix, Quinte-Curce est défaillant par sa méconnaissance de la 37. Gabriel Siemoneit, « Legitimus historicus : Lipsius, Candidus and Puteanus on Curtius Rufus’s Historiographical Skills », infra, p. 443-459. 38. Laétitia Lagarde, « Du présage heureux à la mise en garde : Le portrait d’Alexandre le Grand par Puget de la Serre (1641) », infra, p. 461-478. Sur les écritures de l’histoire au xviie siècle, voir notamment B. Guion, Du bon usage de l’Histoire. Histoire, morale et politique à l’époque classique, Paris, 2008 ; Traités sur l’histoire (1638-1677), dir. G. Ferreyrolles, Paris, 2013.

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géographie, de l’astronomie, de la chronologie et des sciences auxiliaires qui leur semblent indispensables à l’écriture de l’histoire. Dans leur conception de l’histoire comme science et non plus comme art, ils lui reprochent aussi son usage de la rhétorique, son « élocution […] asiatique » selon les termes de Sainte-Croix, qui dénaturerait les faits historiques39. Pour la réévaluation de Quinte-Curce à l’aune de l’histoire critique dans l’espace britannique de la fin du xviiie siècle, Fiona McIntosh-Varjabédian se tourne vers l’History of Ancient Greece de John Gillies40. Avec ses notes de bas de page et ses commentaires, ce dernier soumet son récit aux règles de la nouvelle historiographie critique et, comparant à son tour les textes des historiens antiques, interrogeant leur cohérence, leurs données militaires et leurs notations géographiques, il privilégie lui aussi Arrien aux dépens de QuinteCurce et de Plutarque. Mais in fine il réaffirme la fonction morale de l’histoire, tout en contestant la lecture de Quinte-Curce sur la corruption brutale d’Alexandre au contact de l’Orient, la transformation d’un bon souverain en tyran. La remise en cause du schéma interprétatif hérité de Quinte-Curce et l’exaltation d’Alexandre en conquérant avisé servent alors son discours politique, l’éloge de la royauté et des conquêtes d’un prince éclairé, dans lequel se lit une justification de l’entreprise coloniale britannique aux Indes.

Transpositions des Historiae dans les arts visuels, le roman et le théâtre Les jugements plus ou moins sévères des savants, philosophes et historiens du xviiie siècle, les critiques des Historiae pour leurs inexactitudes et leurs fictions – leurs « fables » selon Voltaire, le « roman de Quinte-Curce » selon Marmontel41 – n’amoindrissent pas le succès des Historiae auprès des lecteurs passionnés par l’histoire antique et la destinée d’Alexandre, qui reste un modèle de souverain bien présent dans les esprits. Ce succès est vif jusqu’au xixe siècle et l’œuvre de Quinte-Curce inspire bon nombre d’écrivains, de peintres, de sculpteurs et d’artistes. En effet, depuis le xve siècle, parallèlement aux traductions, aux éditions et aux écritures de l’histoire, les Historiae connaissent des voies de 39. Frédéric Charbonneau, « Les sciences auxiliaires et le statut de l’histoire dans la critique de Quinte-Curce à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres », infra, p. 479-489. 40. Fiona McIntosh-Varjabédian, « Quinte-Curce à l’aune de l’histoire critique et la réévaluation d’une lecture morale d’Alexandre dans The History of Ancient Greece de John Gillies », infra, p. 491-505. 41. Pour les références de ces citations, voir l’article de Pierre Briant, infra, p. 425-442.

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réception autres qui leur assurent une diffusion plus grande. Ce sont les transpositions de scènes tirées de leur récit d’une part dans les arts visuels – peintures, tapisseries, estampes, sculptures… – et de l’autre dans des écritures littéraires marquées par la fiction, à savoir des adaptations romanesques et théâtrales. L’illustration iconographique des Historiae apparaît d’abord sur les folios des manuscrits de deux traductions du xve siècle : l’Istoria d’Alexandro Magno de Pier Candido Decembrio et plus encore les Faicts et Gestes d’Alexandre le Grand de Vasque de Lucène. Certains témoins de ces derniers comportent ainsi plus de trois cents enluminures42. Ils montrent la naissance d’une iconographie sur le conquérant macédonien qui est bien différente de celles des adaptations du Roman d’Alexandre du Pseudo-Callisthène. Pour le domaine bourguignon du xve siècle, pensons aux manuscrits illustrés des Faicts et Conquestes d’Alexandre le Grand de Jean Wauquelin et aux tapisseries qui ont été réalisées d’après cette œuvre et l’Alexandre en prose du xiiie siècle43. Claudia Daniotti étudie le programme iconographique novateur d’un manuscrit de Pier Candido Decembrio, le manuscrit de Sienne, Biblioteca Comunale degli Intronati, I.VII.23, et analyse également comment plusieurs séquences des Historiae inspirent des artistes florentins du xve siècle pour les peintures qu’ils réalisent sur des coffrets de mariage : Apollonio di Giovanni et Marco del Buono Giamberti. Ce sont les premières traductions picturales de scènes que les peintres des siècles suivants privilégient, à commencer par les rencontres d’Alexandre avec la famille de Darius et les « reines de Perse » pour évoquer le titre d’un tableau de Charles Le Brun44. 42. L’iconographie de quelques témoins manuscrits de la traduction de Vasque de Lucène, principalement celle du manuscrit de dédicace à Charles le Téméraire (Paris, BnF, fr. 22547) et celle du manuscrit de Los Angeles, J. Paul Getty Museum, Ludwig, XV, 8, a été étudiée par S. McKendrick, The History of Alexander the Great : An Illuminated Manuscript of Vasco da Lucena’s French Translation of the Ancient Text of Quintus Curtius Rufus, Los Angeles, 1996 et C. Blondeau, Un conquérant pour quatre ducs. L’image d’Alexandre le Grand à la cour de Bourgogne (1363-1477), Paris, 2009. 43. Pour l’iconographie des manuscrits de l’œuvre de Jean Wauquelin, voir aussi C. Blondeau, op. cit. et S. Hériché-Pradeau, Alexandre le Bourguignon. Étude du roman Les Faicts et les Conquestes d’Alexandre le Grand de Jehan Wauquelin, Genève, 2008. Des tapisseries et des dessins s’inspirant de l’œuvre de Jean Wauquelin et aussi de l’Alexandre en prose du xiiie siècle ont été réalisés pour Philippe le Bon (C. Blondeau, op. cit., p. 61-76). Sur les tapisseries du xve siècle, voir aussi L’histoire d’Alexandre le Grand dans les tapisseries du xve siècle, Fortune iconographique dans les tapisseries et les manuscrits conservés, La tenture d’Alexandre de la collection Doria Pamphilj à Gênes, éd. F. Barbe, L. Stagno et E. Villari, Turnhout, 2013. 44. Claudia Daniotti, « Curtius Rufus, Pier Candido Decembrio and the Impact of the Historiae on Fifteenth-Century Italian Art », infra, p. 509-523.

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Les premières œuvres picturales inspirées de Quinte-Curce qui soient réalisées pour la décoration de salles sont italiennes, avec, entre autres, durant le xvie siècle, celles de Perino del Vaga au château Saint-Ange45, de Sodoma à la Villa Farnesina, de Pierre de Cortone au palais Pitti. Elles tranchent elles aussi avec les modèles picturaux antérieurs utilisés comme décors architecturaux et inspirés par les adaptations du Pseudo-Callisthène et aussi par le thème médiéval des Neuf Preux46. Au xvie siècle toujours, des tapisseries flamandes illustrent également des scènes des Historiae47. En France48, c’est avant tout Charles le Brun qui traduit en peinture les Historiae, lorsque, à la demande du jeune Louis XIV selon toute vraisemblance, il réalise sa première œuvre sur Alexandre, les Reines de Perse aux pieds d’Alexandre ou la Tente de Darius, puis tout un cycle de peintures et de dessins, qui donneront souvent lieu à des tapisseries et des estampes. Si Quinte-Curce est bien reconnu comme sa source d’inspiration49, Marianne Cojannot-Le Blanc analyse ici ses choix de lecture et de traduction picturale : la sélection opérée, l’art du détail, l’exploitation prioritaire des caractères rhétoriques et dramatiques des Historiae, qu’il a dû lire à partir de la traduction française de Vaugelas. Ses dessins et ses études, plus encore que ses peintures, manifestent un lien étroit avec le texte de l’historien latin, notamment par le choix de scènes liées à la dramatisation de discours. Dès la fin du xvie et surtout au xviie siècle, les Historiae font aussi l­ ’objet d’adaptations littéraires nouvelles. Des dramaturges et des romanciers s’emparent en effet de l’œuvre de Quinte-Curce, le plus souvent sans doute connue à travers des traductions, pour l’exploiter dans des univers fictionnels. La diffusion du texte latin dans les éditions et les traductions, sous-tendue par un désir de revenir à la vérité historique, nourrit ainsi très vite une invention dramaturgique et romanesque qui le réintroduit dans la fiction.

45. Voir Immagine del mito. Iconografia di Alessandro Magno in Italia (Images of Legend. Iconography of Alexander the Great in Italy), éd. P. Stirpe, Rome, 2006. 46. Pour prendre un seul exemple, pensons aux fresques du château de la Manta. 47. G.  Delmarcel, « Des Alexandres Doria aux Alexandres d’après Le Brun. Présence d’Alexandre le Grand dans la tapisserie flamande aux xvie et xviie siècles », dans L’histoire d’Alexandre le Grand dans les tapisseries du xve siècle, op. cit., p. 195-201. 48. L’influence de Quinte-Curce semble faible dans les peintures de Francesco Primaticcio sur Alexandre au château de Fontainebleau, voir K. Wilson-Chevalier, « Figures des femmes d’Alexandre à Fontainebleau sous le règne de François Ier », dans Figures d’Alexandre à la Renaissance, éd. C. Jouanno, Turnhout, 2012, p. 153-184. 49. Marianne Cojannot-Le Blanc, infra, p. 525-539.

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Les Historiae servent de matière à des écritures dramaturgiques dès la fin du xvie siècle avec Jacques de La Taille et sa tragédie Alexandre, puis, au xviie siècle, ce sont Alexandre Hardy avec La Mort de Daire et La Mort d’Alexandre, Desmarets de Saint-Sorlin avec Roxane, Balthasar Baro avec Parthénie, Claude Boyer avec Porus ou la générosité d’Alexandre et Racine avec Alexandre le Grand. Liliane Picciola démontre ainsi comment le texte de Quinte-Curce devient une source de créativité pour ces cinq auteurs et comment chacun d’entre eux traduit et adapte pour la scène l’image d’Alexandre que proposait Quinte-Curce. Balthasar Baro, malgré les libertés qu’il prend, reste le plus fidèle au portrait du conquérant par l’historien latin50. Au xviie siècle encore, l’œuvre de Quinte-Curce entre aussi dans l’univers du roman avec le roman « héroïque » Cassandre de La Calprenède. Le romancier emprunte massivement au texte de l’historien latin, pour inventer les aventures amoureuses de ses héros qui se déroulent après la mort du conquérant, lors des luttes entre les diadoques. Si les emprunts ont depuis longtemps été repérés et la transformation galante des personnages antiques déjà étudiée, Roberto Romagnino choisit d’analyser le traitement des lieux rhétoriques du roman – descriptions, portraits et harangues –, pour montrer comment le romancier adapte le texte de l’historien latin et rivalise dans sa maîtrise de la rhétorique et ses effets dramatiques51. À la fin du xviie siècle, le dramaturge anglais Nathaniel Lee s’inspire de la Cassandre de La Calprenède, traduite en anglais par Charles Cotterell, lorsqu’il compose sa tragédie The Rival Queens, or, the Death of Alexander the Great et la consacre à la confrontation de Statira et de Roxana. Plus tard, en 1752 et dans son roman The Female Quixote, Charlotte Lennox joue aussi sur l’intertextualité avec la Cassandre, mettant la fiction résolument en avant. Baudouin Millet analyse comment Nathaniel Lee, à l’inverse de ce que fera Charlotte Lennox, reste fidèle au substrat historique de la Cassandre et même le renforce : masquant ses emprunts à l’œuvre romanesque, il réécrit des passages des Historiae, qu’il a pu lire à travers les traductions anglaises de John Brende ou de Robert Codrington. Tout se passe comme s’il cherchait à « défictionnaliser » le roman de la Calprenède, pour imposer sa pièce comme tragédie historique et rivaliser avec le modèle de

50. Liliane Picciola, « Quinte-Curce, source de créativité pour les auteurs dramatiques français du xviie siècle », infra, p. 541-557. 51. Roberto Romagnino, « Réécritures de l’éloquence. Quinte-Curce dans Cassandre de La Calprenède, au prisme des ‘beaux endroits’ du roman », infra, p. 559-576.

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Pierre Corneille, au moment où John Dryden introduit en Angleterre la réflexion de ce dernier52. La postérité des Historiae de Quinte-Curce suit donc les tours et les détours de jeux subtils entre l’histoire et la fiction. Mises en avant comme récit historique éminemment digne de foi du xve au xviie siècle, elles sont déjà aussi au xvie siècle l’une des sources de poèmes chevaleresques italiens qui entraînent Alexandre à travers un monde imaginaire, dans la lignée de l’Orlando furioso de Ludovico Ariosto : le Triomfo Magno (1521) de Domenico Falugio et l’Alessandro Magno in ottava rima53 (Rome, Biblioteca Nazionale Centrale, San Martino ai Monti 10 (1751)). Alors qu’elles sont diffusées plus largement que les récits des autres historiens d’Alexandre encore tout au long du xviie siècle, elles servent en même temps de support à l’élaboration de fictions inédites dans des tragédies puis dans un roman, Cassandre, qui suscite lui-même l’écriture de plusieurs textes, tournés tantôt vers la fiction, tantôt vers l’histoire. Un dramaturge comme Nathaniel Lee peut ainsi adapter à l’aide des Historiae ce roman inspiré de Quinte-Curce, pour le « réhistoriciser ». Quinte-Curce devient également l’un des historiens privilégiés des artistes pour la peinture sur Alexandre. À partir du xviiie siècle, nous l’avons vu, le jugement des historiens et des philosophes s’inverse : la fiction serait à l’intérieur même des Historiae, critiquées désormais pour leurs inexactitudes et leurs dérives fictionnelles, assimilées même explicitement à un « roman » par Marmontel. La nouvelle conception de l’histoire comme science, la dénonciation de l’historien rhéteur et les résultats des examens critiques des anciens historiens d’Alexandre n’expliquent peut-être pas tous les ressorts du discrédit jeté sur Quinte-Curce par des historiens et des philosophes. La condamnation des Historiae ne pourrait-elle pas aussi s’expliquer par les liens très forts qui, comme nous venons de l’évoquer, du xviie au xixe siècle surtout, se sont tissés entre les Historiae et les arts, tant les arts visuels que les arts littéraires et lyriques, le théâtre, le roman et l’opéra ? Si l’on examine les paratextes des pièces de théâtre et aussi 52. Baudouin Millet, « Postérités anglaises de Quinte-Curce : les influences non avouées de Cassandre (1642-1645) de La Calprenède dans la tragédie de Nathaniel Lee The Rival Queens (1677) », infra, p. 577-592. 53. Voir sur ces deux œuvres M. Campopiano, « Romans en vers du xvie siècle », dans La fascination pour Alexandre le Grand dans les littératures européennes, op. cit., t. 1, p. 355-362 et « Un poème et son manuscrit au xvie siècle : lecture d’un poème épique sur Alexandre le Grand dans la Renaissance italienne », dans Alexandre le Grand à la lumière des manuscrits et des premiers imprimés en Europe (xiie-xvie siècle). Matérialité des textes, contextes et paratextes : des lectures originales, éd. C. Gaullier-Bougassas, Turnhout, 2015, p. 507-515.

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des livrets d’opéra qui s’écrivent si nombreux sur Alexandre à partir du xviie siècle, le nombre élevé des références à Quinte-Curce montre combien les auteurs le privilégient comme autorité, l’invoquent comme caution, même quand ils ne s’inspirent de lui que de très loin54. Par ailleurs, certaines critiques des Historiae qui résultent de lectures précises prennent sans doute aussi leur origine dans un rejet de la condamnation par Quinte-Curce des conquêtes orientales qui, à ses yeux, ont transformé un bon roi en un tyran oriental débauché. De nombreux textes historiques ou philosophiques qui, aux xviiie et xixe siècles, accompagnent l’expansion triomphante de l’Europe et célèbrent les empires coloniaux inventent en effet une nouvelle instrumentalisation d’Alexandre en modèle colonial : souverain civilisateur, il apporte le progrès à l’Orient endormi55. L’interprétation inverse de Quinte-Curce sur la corruption du roi au contact de l’Orient, les crimes et les malheurs que ses ambitions conquérantes entraînent, non seulement n’était alors plus de mise, mais elle venait s’opposer à cette nouvelle instrumentalisation. Les écrits sur Alexandre se séparent en effet rarement d’une exploitation politique, qu’ils puisent à Quinte-Curce ou à d’autres historiens antiques. Pendant des siècles, l’Alexandre de Quinte-Curce a été proposé, explicitement ou parfois implicitement, comme un exemple politique d’autant plus intéressant qu’il était marqué par l’ambivalence et que l’éloge s’accompagnait d’une dénonciation des excès qui provoquent sa chute : les auteurs des traductions et des réécritures des Historiae infléchissent chacun à leur gré l’équilibre entre les vertus et les vices. Très nombreux sont ceux qui prêtent à leurs mécènes et à leur lectorat un intérêt pour Alexandre. Beaucoup d’entre eux comparent aussi explicitement les souverains et les princes auxquels ils s’adressent au conquérant macédonien. Ainsi délivrent-ils un enseignement politique autant qu’ils justifient leur propre écriture et imposent leur propre autorité, voire cherchent à s’attirer une reconnaissance matérielle de la part de leurs mécènes. Quant aux censeurs de Quinte-Curce et de son portrait d’Alexandre, leurs intentions politiques ne se masquent pas le plus souvent. La question politique traverse ainsi les quatre sections qui composent ce volume 54. Nous renvoyons à ce sujet aux répertoires des œuvres dramatiques et lyriques, françaises, anglaises, hispaniques, germaniques et italiennes, réalisés par C. Dumas, F. Gabaude, F. Eouzan, L. Piffaut et nous-même dans L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne ( fin xve-xixe siècle). Théâtre et opéra, dir. C. Gaullier-Bougassas et C. Dumas, Turnhout, 2017, p. 317-432. 55. Pierre Briant a consacré de longues analyses à cette question dans Alexandre des Lumières, op. cit., p. 327-481 et dans Alexandre. Exégèse des lieux communs, op. cit., p. 206-285. Voir aussi son article dans ce volume et celui de Fiona McIntosh-Varjabédian, p. 425-442 et 491-505.

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et concerne tous les textes à des degrés divers, même dans les cas où les auteurs et leurs éditeurs ne la posent pas explicitement. Enfin, au terme de ce parcours et de l’élaboration de cet ouvrage, nous ne saurions oublier de remercier notre collègue Margaret Bridges pour le temps qu’elle a consacré à la relecture des articles écrits en langue anglaise. Catherine Gaullier-Bougassas Université de Lille -ALITHILA Institut universitaire de France

Transmissions et lectures du texte latin : manuscrits, imprimés et annotations

La tradition manuscrite des Historiae de Quinte-Curce au Bas Moyen Âge La faible célébrité dont Quinte-Curce jouit de nos jours n’est pas comparable à la renommée que cet auteur a eue au long des siècles passés, en particulier dès le xve siècle, grâce à l’intérêt et aux débats que son récit, à mi-chemin entre histoire et fiction, a réussi à susciter chez les savants européens : mais tout cela n’aurait pas été possible si les siècles médiévaux n’avaient pas pris la peine de transmettre, copie après copie, l’œuvre de l’écrivain latin. Nous allons présenter ici un aperçu de la tradition manuscrite de ce texte à partir du xiie siècle, non parce que les époques antérieures seraient moins dignes d’attention ou déjà bien étudiées, mais tout simplement car la transmission au Bas Moyen Âge attend encore d’être analysée à fond et présente beaucoup d’aspects intéressants méconnus ; notre étude elle-même ne pourra pas être complète et définitive, mais sera utile, nous l’espérons, pour attirer l’attention sur quelques passages fondamentaux de cette histoire1. Pour ne pas alourdir notre exposition, les manuscrits ne seront généralement cités que par le sigle qui leur a été donné par le dernier éditeur de Quinte-Curce, C. M. Lucarini : un tableau de concordance avec les cotes complètes a été dressé dans l’annexe I. Avant de commencer, toutefois, il est nécessaire de rappeler que le point de départ de toute la tradition manuscrite2 des Historiae a été un archétype qui est détectable surtout à cause des grosses pertes que le texte a subies au début 1. Cet aperçu repose sur quelques études indispensables : l’appendice sur « Überlieferung, Handschriften » de l’édition de K. Müller et H. Schönfeld (Munich, 1954) ; la préface de l’édition critique la plus récente, de C. M. Lucarini (Berlin et New York, 2009), dont j’utilise le texte ; S. Dosson, Étude sur Quinte Curce, sa vie et son œuvre, Paris, 1887, un travail qui souvent se révèle encore utile, bien que vieilli ; par contre, l’espace dédié aux Historiae (p. 148-149) dans Texts and Transmission. A Survey of the Latin Classics, éd. L. D. Reynolds, Oxford, 1983, ne rend pas justice à l’intérêt de cette tradition. D’autres travaux sont très importants à propos de l’intérêt pour Alexandre le Grand au Moyen Âge : G. Cary, The Medieval Alexander, éd. D. J. A. Ross, Cambridge, 1956 ; La fascination pour Alexandre le Grand dans les littératures européennes (xie-xvie siècle), Réinventions d’un mythe, éd. C. Gaullier-Bougassas, Turnhout, 2014, 4 t. 2. Toutes les données sur la date et le lieu d’écriture des manuscrits sont tirées de l’édition de Lucarini (p. viii-xxv) et, pour ceux qui précèdent l’an 1200, de B. Munk Olsen, L’étude des auteurs classiques latins aux xie et xiie siècles, t. 1, Paris, 1982, p. 355-362, et t. 3/2, Paris, 1989, p. 53-54. J’ai pu lire, grâce à des numérisations sur internet ou à des microfilms possédés par la Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 33-53 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115392

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(les deux premiers livres), au milieu (la fin du V et le début du VI) et vers la fin (quelques passages du dernier livre, le X). De cet archétype descendent trois branches dont les témoins les plus anciens datent des ixe et xe siècles ; alors que l’une de ces familles n’est représentée que par un fragment du xe siècle, les deux autres, Π et Σ, sont bien plus riches. Ce n’est qu’au xiie siècle, époque de renaissance des études et de l’intérêt pour l’Antiquité classique, que les copies de Quinte-Curce se multiplient, bien que leur diffusion reste toujours presque totalement limitée au territoire français. Des onze manuscrits qui remontent à cette époque on a actuellement une connaissance assez imparfaite, tant du point de vue de leur texte (un seulement, M, est systématiquement enregistré dans une édition moderne, celle de H. Bardon de 1947-1948) que de leur origine et de leur rôle dans la transmission des Historiae. Pour cinq d’entre eux une position a été repérée à l’intérieur du stemma que le dernier éditeur a dressé3, et nous n’en citerons donc que les sigles : M, qui appartient à Σ, et G, J, O, Q, membres de Π. À ces cinq témoins on peut en ajouter un autre qui a échappé aux enquêtes de Lucarini, le manuscrit de Berlin, Staatsbibliothek zu Berlin-Preußischer Kulturbesitz, lat. fol. 358, qui doit être très proche de J, vu qu’il contient exactement les mêmes passages du livre IV des Historiae : puisqu’ils racontent les sièges de Tyr et de Gaza conduits par Alexandre, on comprend bien pourquoi ils ont été insérés dans ces deux recueils, qui contiennent surtout des textes relatifs aux croisades4. À propos de cinq autres manuscrits du xiie siècle négligés par les éditeurs, je ne peux offrir ici que quelques remarques sur certains d’entre eux, en relevant leur intérêt dans la tradition des Historiae. Tout d’abord il y a deux témoins partiels : l’un, K, est un bifolium contenant le texte de VI, 4, 6 à VI, 5, 21 – c’est tout ce qui reste d’un manuscrit réalisé probablement en France vers la fin du siècle – ; l’autre est le Florilegium Angelicum, une riche anthologie d’extraits classiques et patristiques assemblée dans le nord de la France après la moitié du xiie siècle, qui inclut un extrait de Quinte-Curce (VII, 8, 12-30) dont la source

bibliothèque de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes (IRHT) de Paris, plusieurs des manuscrits que je cite : A, Bb, Br, Du, Fc, Fe, Fh, K, M, O, Pb, Q, Ro, vz, Wb. 3. Lucarini, éd. cit., p. l (la faute typographique qui rend S ancêtre de Π et Σ est corrigée dans C. M. Lucarini, « Per una nuova edizione critica di Curzio Rufo. II », Hyperboreus, 15/2 (2009), p. 324). 4. Cf. la description des deux manuscrits dans Guibert de Nogent, Dei gesta per Francos et cinq autres textes, éd. R. B. C. Huygens, Turnhout, 1996, p. 37-39 et 45-46.



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précise reste à présent inconnue5. Vu la brièveté de leur texte, nous allons laisser de côté ces deux témoins partiels, aussi bien que l’un des manuscrits complets, Pc6, que malheureusement nous n’avons pas pu collationner, et nous nous concentrerons sur les deux manuscrits complets que nous avons étudiés, tous les deux écrits en France entre la moitié et la fin du siècle : Wb (Cité du Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. lat. 1869) et Pb (Paris, BnF, lat. 5718). En analysant leur texte, on peut affirmer qu’ils font partie de Σ ; en plus, il semble que Wb et Pb soient particulièrement proches, et, puisqu’il y a des leçons qui démontrent que l’un ne peut pas dériver de l’autre, ils doivent être jumeaux. Cette relation n’aura plus rien de surprenant si on ajoute, en plus des simples cotes que nous avons mentionnées jusqu’ici, quelques informations sur les deux manuscrits. Wb est un riche recueil de textes historiques assez diversifiés7 qui, dans la tradition des Histoires de Fréculf, fait partie d’un groupe de manuscrits liés au réseau cistercien8 ; Pb, en revanche, est la copie de Quinte-Curce écrite pour Henri le Libéral, comte de Champagne entre 1152 et 11819. Or, on sait, grâce aux études de P. Stirnemann, que Henri posséda aussi un exemplaire de l’œuvre de Fréculf (Montpellier, Bibliothèque interuniversitaire, Section Médecine, 41), et on ne s’étonne pas de découvrir que 5. M. A. et R. H. Rouse, « The Florilegium Angelicum : Its Origin, Content, and Influence », dans idem, Authentic Witnesses : Approaches to Medieval Texts and Manuscripts, Notre Dame, Indiana, 1991, p. 101-152 (réimpression avec corrections de l’essai déjà paru dans Medieval Learning and Literature. Essays Presented to R. W. Hunt, éd. J. J. G. Alexander et M. T. Gibson, Oxford, 1976, p. 66-114) ; P. Stirnemann et D. Poirel, « Nicolas de Montiéramey, Jean de Salisbury et deux florilèges d’auteurs antiques », Revue d’histoire des textes, n. s., 1 (2006), p. 173-188. Lucarini cite très rarement dans son apparat critique l’une des copies de ce florilège, Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Strozzi 75 (FlorAng), manuscrit français du xiie siècle, mais l’extrait de Quinte-Curce se trouve dans quatre autres témoins (voir Rouse et Rouse, « The Florilegium », art. cit., p. 136). 6. La date de ce dernier n’est pas tout à fait sûre : Dosson, Étude, op. cit., p. 327, l’insère parmi les manuscrits du xive siècle, et Munk Olsen, L’étude, op. cit., qui s’arrête à l’an 1200, ne l’enregistre pas ; en revanche, la bibliographie la plus récente le considère du xiie siècle : Lucarini, éd. cit., p. xx ; M. D. Reeve, « The Transmission of Vegetius’s Epitoma rei militaris », Aevum, 74/1 (2000), p. 258 (au-delà de Quinte-Curce, en fait, le manuscrit contient les œuvres de Végèce, Palladius, Claudien et Solin). 7. Description détaillée du manuscrit dans É. Pellegrin, F. Dolbeau, J. Fohlen et J.-Y. Tilliette, avec la collaboration d’A. Marucchi et de P. Scarcia Piacentini, Les manuscrits classiques latins de la Bibliothèque Vaticane, t. 3/1, Paris, 1991, p. 447-450. 8. Frechulfi Lexoviensis episcopi Opera omnia, éd. M. Allen, Turnhout, 2002, p. 135*-143*. 9. P.  Stirnemann, « Reconstitution des bibliothèques en langue latine des comtes de Champagne », dans Le Moyen Âge à livres ouverts. Actes du colloque, Lyon, 24 et 25 septembre 2002, Annecy et Lyon, 2003, p. 37-45, où l’on trouvera aussi les références à la bibliographie précédente.

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ce témoin est un jumeau de Wb10. On pourrait même se demander si Nicolas de Montiéramey, bibliothécaire de Clairvaux et ensuite protégé du comte Henri, a joué un rôle à l’intérieur de cette circulation de textes entre la cour de Champagne et le réseau cistercien. Mais le xiie siècle n’a pas été un âge d’or pour les Historiae seulement du point de vue de la circulation des manuscrits. À cette époque remontent en effet les usages les plus intéressants de ce texte à l’intérieur d’œuvres tant latines que vulgaires. Le travail sur le texte des Historiae le plus remarquable est probablement celui qui a abouti à une version « augmentée » de cet ouvrage, née, semble-t-il, en France entre le xie et le début du xiie siècle. Il s’agit de l’effort d’un intellectuel inconnu qui a pris la peine de composer des suppléments (édités par E. R. Smits en 198711) pour intégrer ce que le texte de Quinte-Curce ne racontait pas, ou ne racontait plus. On trouve en fait, dans quelques manuscrits du xiie au xve siècle et dans une édition du xviie siècle, un supplément initial, composé grâce à plusieurs textes anciens, surtout l’Epitoma de Justin, une version abrégée des Res gestae de Julius Valère et les Historiae du même Quinte-Curce, qui sert à remplacer les deux premiers livres perdus de ce dernier ouvrage. En plus, dans les deux témoins les plus anciens de ce matériau, à savoir Wb et O (dont on peut ici préciser la cote : Oxford, Corpus Christi College, 82), on trouve d’autres ajouts qui complètent la narration des Historiae avec des informations tirées, encore une fois, surtout de Justin ou de Quinte-Curce lui-même12. Il faut toutefois préciser que dans Wb le supplément initial et les deux autres additions qu’il contient13 n’étaient pas présents dès le début, mais qu’ils ont été ajoutés grâce à des feuillets insérés dans le manuscrit au premier xiiie siècle. Par contre, le texte de O – qui, pour le supplément initial contenu dans tous les témoins, représente à lui seul une branche de la tradition, la seconde (α) étant formée des autres manuscrits et de l’imprimé14 – est beaucoup plus 10. Frechulfi Opera, éd. cit., p. 143*-145*. 11. E. R. Smits, « A Medieval Supplement to the Beginning of Curtius Rufus’s Historia Alexandri : An Edition with Introduction », Viator. Medieval and Renaissance Studies, 18 (1987), p. 89-124 ; voir aussi Munk Olsen, L’étude, op. cit., t. 4/1, p. 303-305. 12. Il s’agit des textes édités par Smits comme appendices 1 à 9 (art. cit., p. 117-124). 13. Les appendices 8 et 9 de Smits (p. 120-124 ; dans le manuscrit aux fol. 173 et 209-210). 14. Au-delà de Wb, les manuscrits qui appartiennent à cette branche sont Vr (xive/xve siècles), Vm et Pm (tous les deux du xve siècle) ; l’édition imprimée est celle de P. Frellon, Lyon, 1615 (tous ces témoins ont été décrits par Smits, « A Medieval Supplement », art. cit., p. 92-93). Un autre codex du supplément initial, Cp, a été découvert ensuite par Smits, qui l’a jugé strictement lié à O, mais sans autre détail, ce qui empêche de lui donner une place précise dans le stemma (E. R. Smits, « A Medieval Epitome of the Historia Alexandri by Quintus



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compact, riche et intéressant. Ce n’est que dans ce témoin, en fait, que le supplément et les additions internes (qui sont bien plus nombreuses que celles de Wb) se mélangent avec le texte authentique de Quinte-Curce jusqu’à créer une œuvre unique et cohérente, qui traite l’histoire d’Alexandre de sa naissance à sa mort. Le supplément initial est suivi, sans aucune interruption, par un texte de Quinte-Curce souvent retouché, plus ou moins lourdement, soit pour l’enrichir avec de longues additions (celles éditées par Smits) ou de petites informations, soit pour améliorer son style. Le travail témoigné par O étonne par la finesse et l’habileté avec laquelle ont été faits les ajouts, les changements, les coupures15, aussi bien que par la profonde connaissance de Quinte-Curce et des autres sources utilisées. Malheureusement il n’est pas possible ici d’analyser plus en détail ni le supplément présent dans tous les témoins que nous avons mentionnés, ni le texte habilement modifié de O, et je renvoie donc au travail déjà cité de E. Smits, qui peut en donner une image assez claire. Mais il sera quand même utile de rappeler quelques questions que le chercheur n’a pas abordées, à mon avis, d’une façon satisfaisante, et qui portent sur l’exacte relation entre le manuscrit d’Oxford et le reste des témoins du Curtius auctus16. Comme déjà dit, O est le manuscrit le plus riche et le seul à présenter un texte continu et soigné jusque dans les moindres détails, alors que les autres codices ne contiennent que le supplément initial et, dans le cas de Wb, deux autres additions seulement : mais quel est le rapport entre le travail préservé dans O et les ajouts moins nombreux des manuscrits α ? Est-ce que O est le seul témoin de l’œuvre originale, de laquelle ont été extraits les morceaux insérés dans α, ou, au contraire, O a-t-il enrichi un travail qui était au début plus limité ? Si la deuxième hypothèse est vraie, il faut dire que le rédacteur de cette version augmentée du Curtius auctus a été capable de masquer très habilement les différences entre ce qu’il trouvait déjà prêt et ce qu’il a dû composer lui-même, et aussi que les sources utilisées pour les modifications présentes Curtius Rufus : Ms. London BL Cotton Titus D.XX and ms. Oxford Corpus Christi College 82 », Classica et Mediaevalia, 42 (1991), p. 283, n. 21). 15. Un lecteur du xiie siècle a ajouté un bifolium au début du manuscrit afin d’y recopier quelques-uns des passages du texte original de Quinte-Curce qui étaient absents à la suite de ces coupures (Smits, « A Medieval Supplement », art. cit., p. 94-95) : mais son travail n’a pas restauré tous les morceaux supprimés dans O. 16. Le texte a été ainsi baptisé par H. Wulfram, « Der Übergang vom persischen zum makedonischen Weltreich bei Curtius Rufus und Walter von Chatillon », dans Herrschaft, Ideologie und Geschichtskonzeption in Alexanderdichtungen des Mittelalters, éd. U. Mölk, Göttingen, 2002, p. 40-76.

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seulement dans O sont en général les mêmes que celles qui ont été employées pour le supplément initial. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de supposer que dans l’archétype du Curtius auctus il n’y avait que le texte conservé dans les deux branches de la tradition : tout simplement, α pourrait avoir choisi quelques parties d’un travail plus large. Mais s’il faut penser que la version du manuscrit d’Oxford était la forme originelle de ce remaniement de Quinte-Curce, un nouveau problème se lève. Bien qu’en moindre mesure que dans le sens contraire, en effet, dans la branche α aussi il y a du matériau absent dans O : des deux additions contenues dans Wb, l’une (l’appendice 8 de l’édition de Smits) se trouve dans O aussi, mais l’autre (l’appendice 9) n’est attestée que dans le manuscrit du Vatican ; et dans les textes communs aux deux traditions (c’est-à-dire le supplément initial et l’appendice 8), les membres de α ont, dans neuf passages, de petites informations supplémentaires que O ignore17. Comment interpréter ce fait ? Est-ce qu’il s’agit d’additions de α (ou même, dans un cas, du seul Wb), ou de suppressions de O (il ne paraît pas, d’ailleurs, qu’on puisse penser à des omissions accidentelles) ? Ce qui est intéressant, c’est que dans presque tous les cas les sources de ces textes α sont les mêmes que celles déjà utilisées dans le reste du Curtius auctus18, et que parfois l’ajout est tiré exactement du même passage qui a servi pour composer le lieu qu’on modifie : ce qui ferait penser au travail d’un seul personnage qui, ayant déjà fréquenté ces œuvres, savait où trouver des informations en plus. S’il faut donc supposer que α est le résultat d’une opération de révision de son ouvrage par l’auteur lui-même, il est alors nécessaire d’admettre que la tradition du Curtius auctus remonte à un archétype évolutif, qui pouvait encore accueillir les interventions du rédacteur. Cela ne contraste pas, en effet, avec les quelques erreurs communes à tous les témoins, puisqu’il ne s’agit que de petites fautes d’écriture qui pouvaient bien échapper à la relecture de l’auteur lui-même. Si le xiie siècle a été une période particulièrement positive pour la diffusion de Quinte-Curce, lorsqu’on passe au siècle suivant la situation change complètement : les manuscrits conservés produits à cette époque ne sont que trois, 17. Voir la liste de Smits, « A Medieval Supplement », art. cit., p. 103, pour les cas concernant le supplément initial, et l’apparat critique à la p. 120 pour le cas à l’intérieur de l’appendice 8. 18. J’en profite pour proposer une correction à une information donnée par Smits. Pour l’addition α à la p. 114, l. 333 de son article, il indique comme source le Pro Archia (10, 24) de Cicéron, mais le texte de l’interpolation est beaucoup plus proche de la Vita Hilarionis (1, 3) de Jérôme, qui était d’autre part bien plus répandue que le rare discours cicéronien (voir Jérôme, Trois vies de moines : Paul, Malchus, Hilarion, éd. P. Leclerc, E. M. Morales et A. de Vogüé, Paris, 2007, p. 112-115, et Texts and Transmission, op. cit., p. 85-86).



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et pour l’un d’entre eux, Ro (Rouen, Bibliothèque Municipale, 1128 (U.57)), on n’est même pas sûr que la date ne soit pas postérieure. Cependant, les deux autres codices sont très intéressants pour l’histoire de la diffusion de QuinteCurce. L’un, Dublin, Trinity College Library, 602 (Du), est le témoin, apparemment unique, d’une version « abrégée » des Historiae, et surtout il est le seul manuscrit originaire de l’Angleterre qui ait survécu : ce qui pose le problème de l’arrivée de ce texte sur l’autre côté de la Manche, et la possibilité que Du soit dérivé de la copie de Quinte-Curce donnée à Cantorbéry par Thomas Becket († 1170), qui avait certainement assemblé sa bibliothèque en France19. Pour discuter du troisième manuscrit du xiiie siècle, Br (Bruxelles, Bibliothèque Royale, 10161, dont nous allons parler plus loin), nous devons entrer par contre dans une région qui semble ne pas avoir connu les Historiae jusqu’au début du xive siècle, mais qui deviendra la patrie du succès de Quinte-Curce à la Renaissance : l’Italie. Il sera peut-être plus intéressant de présenter d’abord ce que nous savons jusqu’à présent sur cette question, avant d’en proposer une révision que, d’ailleurs, je ne suis pas encore arrivé à définir dans tous les détails. Jusqu’aux premières décennies du xive siècle, dans la littérature produite en Italie il n’y a aucune trace de connaissance du texte de Quinte-Curce20, et dans les inventaires des bibliothèques italiennes on n’en trouve aucune attestation certaine21 ; d’autre part, on ne conserve aucun témoin de Quinte-Curce d’origine italienne antérieur au xive siècle. Les Historiae font donc leur soudaine apparition en Italie avec les quelques extraits contenus dans les Flores moralium auctoritatum, dits aussi « florilège de Vérone » ou « de 1329 », selon le lieu et la date où probablement a été compilée cette anthologie, ou du moins l’ancêtre de son témoin le plus ancien, Cap (Vérone, Biblioteca Capitolare, CLXVIII (155), xive siècle) ; récemment un deuxième manuscrit lié à cette compilation (Vérone, Biblioteca Capitolare, CCXXXI (394), xve siècle) a été mis en lumière 19. J’ai discuté de cette possibilité dans « A Note on Quintus Curtius and Gellius in TCD MS  602 », Hermathena. Fabellae Dublinenses Revisited and Other Essays in Honour of Marvin L. Colker, 194 (2013 [2017]), p. 117-151. 20. Quelques indices d’une telle connaissance ont été détectés dans les trois versions remaniées de l’Historia de preliis, peut-être toutes d’origine italienne : mais il s’agirait d’une trace entièrement isolée et il faudrait vérifier qu’elle implique sérieusement une lecture directe des Historiae (voir La fascination, op. cit., t. 1, p. 137-173 passim). 21. Voir les renseignements donnés par Munk Olsen, L’étude, op. cit., t. 3/1, et par M. Manitius, Philologisches aus alten Bibliothekskatalogen (bis 1300), Francfort-sur-le-Main, 1892, p. 50, et idem, Handschriften antiker Autoren in mittelalerlichen Bibliothekskatalogen, Leipzig, 1935, p. 109-110. Des indications génériques telles que historia/gesta Alexandri, malheureusement très fréquentes, compliquent l’identification des volumes enregistrés avec Quinte-Curce ou un autre des nombreux textes sur Alexandre le Grand.

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et il va peut-être modifier ce que l’on croyait jusqu’à présent sur l’origine des Flores, car il témoigne d’une version plus large qui pourrait être plus proche de l’original22. En tout cas, en 1329 l’anthologie existait sans aucun doute. C’est apparemment à quelques décennies plus tard que remonte le plus ancien manuscrit italien complet de Quinte-Curce, c’est-à-dire A (Paris, BnF, lat. 5720), particulièrement célèbre pour avoir été la copie personnelle de Pétrarque23, alors qu’une autre anthologie contenant des extraits des Historiae, vz (Cité du Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. lat. 5114) date de la fin du xive ou du début du xve siècle24. En 1997, G. Billanovich, en étudiant les liens de Pétrarque avec le riche fonds ancien dont on crédite généralement la Capitulaire de Vérone, a réuni ces éléments dans un tableau fascinant25 : Guglielmo da Pastrengo, intellectuel véronais en rapport avec la cour des Scaligers, aurait profité de son libre accès à la bibliothèque du Chapitre pour assembler un florilège classique dont vz serait une sorte d’ébauche et Cap le produit final, et en même temps il aurait partagé avec Pétrarque les richesses de la Capitulaire, et parmi elles le rare texte de Quinte-Curce, dont son ami avait besoin, environ à la moitié du siècle, pour la composition de la vie d’Alexandre incluse dans son De viris illustribus26. Ce que Billanovich n’explique pas, c’est quand et comment les Historiae auraient rejoint Vérone, bien qu’il pense à un manuscrit assez ancien ; d’autre part, son analyse du rapport entre A, Cap et vz et de la relation de ces derniers avec la tradition de Quinte-Curce en général n’est pas vraiment complète. La rectification que je voudrais proposer ici ne porte pas sur les liens entre le manuscrit de Pétrarque et le travail de Guglielmo (qui, d’ailleurs, connaissait sans aucun doute Quinte-Curce puisqu’il le cite dans son De viris 22. G. Turrini, « L’origine veronese del cod. CLXVIII (155) Flores moralium auctoritatum della Biblioteca Capitolare di Verona », Atti e memorie della Accademia di agricoltura scienze e lettere di Verona, s. VI, 11 (1959-1960), p. 49-65 ; G. Bottari, Fili della cultura veronese del Trecento, Vérone, 2010 ; L. Fabiani, « Un nuovo tassello per la fortuna e la tradizione dei Flores moralium auctoritatum », Italia Medioevale e Umanistica, 55 (2014), p. 33-70. 23. F. Avril et M.-T. Gousset, Manuscrits enluminés d’origine italienne, Paris, 2005, t. 3/1, p. 41. 24. É.  Pellegrin  (†), Les manuscrits classiques latins de la Bibliothèque Vaticane, t.  3/2 (éd. A.-V. Gilles-Raynal, F. Dolbeau, J. Fohlen, Y.-F. Riou et J.-Y. Tilliette, avec la collaboration de M. Buonocore, P. Scarcia Piacentini et P.-J. Riamond), Cité du Vatican et Paris, 2010, p. 453-460. 25. G. Billanovich, « Petrarca e i libri della cattedrale di Verona », dans Petrarca, Verona e l’Europa, éd. G. Billanovich et G. Frasso, Padoue, 1997, p. 117-178. 26. Voir La fascination, op. cit., t. 1, p. 348-352 ; E. Fenzi, « Petrarca lettore di Curzio Rufo » et « Alessandro nel De viris », dans idem, Saggi petrarcheschi, Fiesole, 2003, p. 417-446 et 447-468.



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illustribus27), mais plutôt sur l’arrivée des Historiae en Italie et sur les relations généalogiques entre leurs premiers témoins péninsulaires. On peut en fait démontrer, bien plus sûrement que d’après les suggestions de Billanovich, que A, Cap et vz dérivent d’un même ancêtre ; d’autre part, on peut exclure que A ait été la source de Cap et vz, car ceux-ci évitent certaines erreurs du manuscrit de Pétrarque (sans compter que les Flores dont témoigne Cap sont plus anciens). Malheureusement, puisque le texte des deux florilèges est assez bref et pas toujours concordant, on ne peut comparer que rarement tous les témoins, mais il y a au moins une faute partagée par les trois : VII, 4, 11

turbida] turbida facta A Cap vz

Vu l’extension particulièrement limitée des extraits de Cap (mais aussi à cause de l’absence d’une édition fiable), il est beaucoup plus facile de prouver la parenté entre A et vz. Voici quelques exemples28 : VII, 8, 13

et fluminibus om. A vz : deest Cap

VII, 8, 25-26

conprehende. Denique O FlorAng : conprehendere denique rell. : conprehendere patitur A : comprehendere non patitur vz : deest Cap

VIII, 7, 5

vicerant] intererat A vz : deest Cap

Mais la démonstration définitive de l’affinité de A et Cap vient d’une caractéristique de la tradition recentior de Quinte-Curce qui, de manière surprenante, est restée ignorée depuis l’édition de K. Zumpt de 184929. Dans 27. Guglielmo da Pastrengo, De viris illustribus et de originibus, éd. G. Bottari, Padoue, 1991, p. 56. 28. Les leçons de vz sont tirées des transcriptions fournies soit par Billanovich, « Petrarca », art. cit., p. 164-167, soit par H. Kitamura, Due florilegi e il pre-umanesimo veronese tra il XIV e il XV secolo : i codd. Città del Vaticano, Biblioteca apostolica Vaticana, Vat. lat. 5114 e Verona, Biblioteca Capitolare, CLXVIII (i Flores moralium auctoritatum del 1329), thèse de doctorat, Université de Florence, 2013, mais j’ai pu vérifier les données fournies par les deux grâce à la numérisation du manuscrit devenue disponible en ligne sur digi.vatlib.it pendant l’écriture de cet article ; les variantes de Cap viennent de Billanovich, « Petrarca », art. cit., p. 167-170, de l’étude de Kitamura et de l’édition du florilège par C. J. Gross, The Verona Florilegium of 1329, PhD dissertation, University of North Carolina, 1959 (qui est toutefois souvent imprécise et dont la reproduction que j’ai pu consulter omet certaines pages). Je remercie E. Stagni pour la lecture de la thèse de H. Kitamura. 29. Q.  Curtii Rufi De gestis Alexandri Magni regis Macedonum libri qui supersunt octo, éd. K. Th. Zumpt, Braunschweig, 1849. Le seul qui se soit occupé de ce problème après Zumpt, bien que brièvement, est A. De Lorenzi, Curzio Rufo. Contributo allo studio del testo e della tradizione manoscritta, Naples, 1965, p. 55-59 : ayant trouvé les quatre interpolations dont nous allons discuter dans les manuscrits de Naples qu’il étudie, il en propose une origine tout à fait

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son apparat, en effet, le philologue allemand signalait la présence dans certains manuscrits, presque tous copiés en Italie au xve siècle, de quatre petites interpolations (empruntées à Justin et, dans un cas, à une lettre de Sénèque) à l’intérieur du livre IV des Historiae, précisément aux paragraphes IV, 11, 16 (deux), IV, 11, 21 et IV, 12, 21. Or on trouve les mêmes ajouts dans A aussi et, puisque l’un des extraits de Cap vient heureusement de IV, 11, 16, on peut vérifier que le manuscrit utilisé par le compilateur de ce florilège contenait aussi au moins deux de ces interpolations30. Quoi qu’il en soit de l’hypothèse de Billanovich sur le contact entre Guglielmo et Pétrarque à propos de Quinte-Curce (sur laquelle il faudrait réfléchir à nouveau en reprenant tout le dossier), on peut donc conclure que A, Cap et vz dérivent d’un ancêtre commun (qu’on appellera β) qui contenait les quatre interpolations dont on vient de parler ; et même si des conclusions plus précises sur les relations réciproques entre ces trois témoins doivent ­attendre la réalisation d’une étude plus poussée sur les sources de Cap et vz, on peut supposer qu’une copie des Historiae était réellement disponible à Vérone au début du xive siècle. Ce qui est intéressant, c’est qu’on peut préciser, bien que d’une façon très générale seulement (au moins pour l’instant), d’où venait ce Quinte-Curce véronais. Mais pour y arriver, il est important d’ajouter un autre élément à notre analyse. Les quatre interpolations que nous avons mentionnées, en effet, ne sont pas les seules « intrusions » dans le texte de A d’éléments textuels qui ne viennent pas de Quinte-Curce : entre la fin du livre V et le début du VI, lieu de l’une des grosses lacunes des Historiae, on lit dans ce manuscrit un petit ajout qui sert à rendre le passage moins brusque ; sa source n’est pas claire, mais le texte même de Quinte-Curce suffisait probablement à inspirer cette reconstruction31. Bien que cette addition aussi ait été maltraitée par les éditeurs modernes (seule Bardon l’a citée, en la transcrivant de A), elle avait été signalée par S. Dosson dans son étude d’ensemble sur Quinte-Curce32, où il l’avait souvent utilisée pour distinguer les « mauvais manuscrits » qui la invraisemblable, en supposant que leur auteur est Éginhard pour la simple raison que l’une d’entre elles contient une allusion au pouvoir universel de l’Empire qu’il voit particulièrement adaptée à l’époque de Charlemagne. 30. Billanovich, « Petrarca », art. cit., p. 170, transcrit le texte de Cap et connaît celui de A, mais de manière surprenante il ne donne aucun poids à la présence des mêmes interpolations dans les deux manuscrits. 31. Les cinq interpolations que nous venons de présenter sont éditées dans la deuxième annexe qui suit ce travail. 32. Dosson, Étude, op. cit., p. 326-354 passim.



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contenaient de ceux qui en étaient libres. Dosson indiquait aussi le témoin le plus ancien où cette interpolation apparaît, non intégrée dans le texte mais écrite (par une main qui pourrait même être celle du scribe principal) dans la marge, à côté de l’espace blanc qui souvent signale la lacune : Br (qu’on a déjà mentionné plus haut), un manuscrit français de la deuxième moitié du xiiie siècle ; selon mes contrôles, il n’existe en fait pas d’autre témoin de cette interpolation qui soit plus ancien que Br. Si, guidé par cette information, on collationne plus largement Br, on s’aperçoit bientôt que son texte est très proche de celui de A, avec lequel il partage non seulement l’addition au début du livre VI, mais aussi les quatre interpolations dont on a déjà parlé (celles-ci déjà englobées dans le texte) et un large nombre de fautes qui n’apparaissent dans la tradition de Quinte-Curce qu’avec Br ; en plus, il y a des cas où l’erreur qu’on retrouve dans A pourrait être née exactement à partir de Br, puisqu’elle dépend de son aspect matériel ou qu’elle tient compte de certaines interventions exécutées sur le manuscrit de Bruxelles par une main ancienne : tout cela suggère assez résolument que Br pourrait être l’ancêtre de A, Cap et vz. Pour le montrer, il suffira d’ajouter la leçon de Br à quelques-uns des exemples qu’on a cités plus haut pour A et vz : VII, 8, 13

et fluminibus] et (omisso fluminibus) Brac, exp. Brpc : om. A vz

VII, 8, 25-26

conprehende. Denique O FlorAng : conprehendere denique rell. Br, non patitur add. s. l. Brpc : conprehendere patitur A : comprehendere non patitur vz

D’autre part, puisque le manuscrit bruxellois conserve le texte correct contre l’accord A-vz dans deux cas que nous venons de transcrire (VII, 4, 11 et VIII, 7, 5), comme bien souvent ailleurs, alors que nous voyons dans les autres que A et vz accueillent les interventions du correcteur (même si c’est avec quelques petites divergences, explicables à mon avis comme des fautes propres de chaque témoin), il faut admettre que Br ne peut pas correspondre à β, le modèle commun à A, Cap et vz, mais qu’il pourrait être le père (ou un ancêtre, direct ou pas on ne peut l’établir avec certitude) de cet intermédiaire perdu. Il faut reconnaître, il est vrai, qu’un tel tableau n’explique pas encore parfaitement certains éléments : il est difficile de trouver des fautes de A qui trouvent leur naissance de manière certaine en Br ; dans quelques cas le texte de A est supérieur à celui de son ancêtre supposé ; ensuite, puisque dans Br l’interpolation entre les livres V et VI est certainement déjà une copie (comme les erreurs qu’elle contient le montrent), le manuscrit dont Br dépend pour cet ajout pourrait également lui avoir fourni d’autres corrections qu’on retrouve

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ensuite dans le texte de A, et ce dernier (ou l’un de ses ancêtres) pourrait dépendre de ce témoin indépendant de Br et être donc un frère ou un neveu plutôt qu’un descendant du manuscrit de Bruxelles. Cependant, comme dans ce cas il s’agirait en fait d’imaginer un manuscrit à peu près identique à Br, avec quelques leçons meilleures, mais parfois avec la même mise en page ou presque, et avec beaucoup de ses variantes excentriques, à mon avis l’hypothèse qu’on a exposée en premier lieu apparaît comme la plus économique, bien qu’elle n’arrive pas (au moins avec les données que j’ai pu recueillir jusqu’à présent) à résoudre à la perfection tous les problèmes. Si l’on accepte donc l’existence de cette chaîne qui conduit de Br aux manuscrits italiens du premier xive siècle, il nous reste à comprendre quand et comment Br ou son descendant β (ou mieux, n’importe lequel des manuscrits qui pourraient avoir existé entre ces deux extrêmes) a pu rejoindre l’Italie du Nord. Br lui-même a été possédé au xve siècle par Thomas Basin33 († 1490), évêque de Lisieux, et il fut donné à l’église de cette ville en 1489, comme le dit l’ex-dono au fol. 112 r : mais cela n’aide pas à préciser la localisation française très générale qu’on a établie en raison des caractéristiques paléographiques du manuscrit, puisque nous ne savons pas où Basin (qui a beaucoup voyagé, en Italie aussi) l’a acheté. D’autre part, le reste de sa bibliothèque est formé presque exclusivement par des volumes copiés pour lui, ce qui nous prive d’indices directs sur les lieux où il se procurait ses livres : bien sûr, il faudrait examiner la tradition manuscrite des ouvrages dont il possédait une copie pour vérifier si quelques lieux réapparaissent fréquemment. Aussi les liens de Br avec le reste de la tradition des Historiae restent-ils assez obscurs et n’aident pas à comprendre d’où il venait : en effet, il apparaît qu’il descend de l’un des membres anciens de Σ, B (Berne, Burgerbibliothek, 451, deuxième tiers du ixe siècle), comme beaucoup des manuscrits des xiiexiiie siècles, mais l’absence d’un tableau détaillé pour la tradition textuelle de Quinte-Curce de ces époques complique l’enquête34. En plus, il est très important de remarquer que les quatre interpolations du livre IV qu’on trouve dans Br sont contenues dans O aussi, où leur présence est aisément explicable en ­raison des nombreux ajouts et changements que le texte de ce manuscrit a subis : mais comme c’est le seul point de contact entre O et Br, qui pour le reste ignore les 33. C. Samaran et A. Vernet, « Les livres de Thomas Basin (1412-1490) », dans Hommages à André Boutemy, éd. G. Cambier, Bruxelles, 1976, p. 324-339, et la fiche Bibale (IRHT) sur ce lien : http://bibale.irht.cnrs.fr/personne/1493. 34. Lucarini, éd. cit., p. xxxvi-xxxvii : « Monstravit Oakley omnes fere recentiores vel ex B vel ex Π pendere » ; mais aucune précision n’a été donnée par l’éditeur quant à cette relation.



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variantes du manuscrit d’Oxford, même celles du texte qui précède et qui suit immédiatement les interpolations, il est difficile de comprendre pourquoi et comment ces petites intrusions sont arrivées dans l’un des ancêtres de Br. Afin de nous rapprocher d’une réponse à la question de l’arrivée de QuinteCurce en Italie, il sera nécessaire de connaître plus précisément et complètement toutes les traces de diffusion de ce texte dans la péninsule ­pendant les premières décennies du xive siècle et avant l’existence de A, le témoin italien le plus ancien, aussi bien que de rechercher un personnage ou un milieu qui pourrait avoir été l’intermédiaire entre la France et l’Italie. Un tel travail reste à faire presque entièrement, mais je citerai ici quelques éléments qu’il vaudra la peine de comprendre d’une façon plus poussée. Les mêmes Pétrarque et Guglielmo da Pastrengo étaient sans aucun doute en contact avec la culture transalpine et avec la cour papale d’Avignon, même si Quinte-Curce n’est attesté que dès le début du xve siècle à la cour d’Avignon35 ; une glose à une traduction florentine de Valère Maxime qu’on peut dater, semble-t-il, d’avant 1336, ne tire des Historiae (III, 11, 27) qu’une petite information, mais, si le commentaire est contemporain de la traduction, il s’agirait d’un cas très intéressant en raison de sa date36 ; enfin, il sera indispensable de connaître plus en détail le florilège de Vérone, son origine et sa possible dépendance de sources de provenance française. Un autre personnage dont il faudra tenir compte, même si on peut démontrer qu’il n’utilisait pas un manuscrit semblable à Br et à ses descendants, est Giovanni Colonna († 1343/44), de l’importante famille romaine à laquelle fut lié Pétrarque ; lui-même eut des contacts avec ce dernier, et, surtout, vécut entre France et Italie pendant la première moitié du xive siècle. Déjà Billanovich signalait sa connaissance de QuinteCurce (certainement directe, vu l’abondance des citations), en transcrivant les deux chapitres du De viris illustribus de Giovanni où les Historiae étaient utilisées37 ; mais pour en savoir plus il faudra sans doute explorer son œuvre majeure, le Mare historiarum38. C’est un travail que je n’ai pu que commencer, 35. M.-H. Jullien de Pommerol et J. Monfrin, La Bibliothèque pontificale à Avignon et à Peñiscola pendant le Grand Schisme d’Occident et sa dispersion, Rome, 1991, p. 67 et 128, no 12. 36. M. T. Casella, Tra Boccaccio e Petrarca. I volgarizzamenti di Tito Livio e di Valerio Massimo, Padoue, 1982, p. 62. L’attribution de cette traduction à Boccaccio, soutenue par Casella, n’est plus acceptée aujourd’hui (état des lieux et bibliographie sur http://tlion.sns.it/divo/index. php?type= opera&op= fetch&id= 163&lang= it). 37. Billanovich, « Petrarca », art. cit., p. 171-174. 38. J’ai lu le Mare dans les manuscrits de Paris, BnF, lat. 4914 (xive siècle) et lat. 4915 (xve siècle), numérisés sur www.gallica.bnf.fr. Pour une présentation récente de cette œuvre et une description des deux manuscrits, voir R. Modonutti, Fra Giovanni Colonna e la storia antica

46

Silverio Franzoni

vu que cet ouvrage demeure toujours inédit et que sa longueur en complique une analyse complète, mais je peux déjà affirmer que, si à partir des extraits du De viris on pouvait encore douter, en lisant le Mare on arrive à exclure presque avec certitude que Giovanni a connu Quinte-Curce grâce à un manuscrit du même groupe que Br. Le livre III du Mare est entièrement dédié à l’histoire d’Alexandre et les emprunts à Quinte-Curce y sont nombreux : au chapitre 7, en particulier, Giovanni utilise des Historiae IV, 11, 16, le passage qui contient, dans Br et ses possibles descendants, deux des interpolations dont nous avons traité. Le fait que la citation du Mare ignore complètement les matériaux non authentiques me semble prouver d’une façon presque totalement sûre que Giovanni devait utiliser un manuscrit des Historiae d’une tradition soit tout à fait différente de celle de Br, soit, éventuellement, analogue à celle-ci, mais dans un état antérieur à l’insertion des interpolations. De toute façon, Giovanni ne semble pas avoir un lien avec l’arrivée en Italie de Br ou de l’un de ses descendants. Si les premiers pas de Quinte-Curce dans la péninsule italienne apparaissent encore assez mystérieux, et que pendant tout le xive siècle sa diffusion reste limitée (au moins à en juger par les manuscrits conservés produits en Italie pendant cette période), dès les premières décennies du siècle suivant le succès des Historiae croît énormément, ses copies se multiplient et entrent dans les bibliothèques des savants et des seigneurs. Il est probable qu’au moins quelques-uns des manuscrits de cette époque dérivent de celui de Pétrarque, conservé longtemps dans la bibliothèque des Visconti à Pavie, avant d’arriver en France à la fin du xve siècle39 : par exemple, Berne, Burgerbibliothek, 282 (Bb) et Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, plut. 64.29 (Fh) se comportent presque exactement comme des descripti de A devraient le faire ; certains autres, comme Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, plut. 64.32 (Fe) et plut. 64.34 (Fc), pourraient dériver de A, mais avoir été contaminés à partir d’une autre source. En revanche δ, l’ancêtre, reconnu par Lucarini, de Bologne, Biblioteca universitaria, 2418 (Bo) et Munich, Bayerische Staatsbibliotek, Clm 15739 (Mb), paraît dépendre en partie de β : ces deux manuscrits-là, en effet, sont pour la plus grande partie des Historiae des témoins fiables de la branche da Adriano ai Severi, Padoue, 2013 ; dans idem, « Due domenicani di fronte alla storia : fra Giovanni Colonna e lo Speculum historiale di Vincenzo di Beauvais », dans La compilación del saber en la Edad Media, éd. M. J. Muñoz, P. Cañizares et C. Martín, Porto, 2013, p. 394, le même chercheur signale très brièvement que le récit de Giovanni sur Alexandre le Grand repose surtout sur Quinte-Curce et Eutrope. 39. E. Pellegrin, La bibliothèque des Visconti et des Sforza Ducs de Milan, au xve siècle, Paris, 1955.



La tradition manuscrite des Historiae au Bas Moyen Âge 47

Π, mais dans le livre X ils révèlent une contamination de Σ très intense40, et, en étudiant Br et A, on s’aperçoit que la source de cette contamination devait appartenir à la famille de β. En tout cas, il faut bien remarquer que c’est grâce à cette probable descendance de Br, à travers les manuscrits humanistiques qui, au moins en partie, en dérivent, que les interpolations dont nous avons parlé arrivent jusqu’aux premières éditions imprimées. Mais le succès de Quinte-Curce chez les humanistes est une histoire qui reste pour une bonne part à explorer avec soin, du côté de la diffusion manuscrite aussi bien que des interprétations et des réutilisations. Pour le premier aspect, une exploration plus poussée de la riche tradition du xve siècle pourra donner des résultats intéressants, même si, vraisemblablement, il ne faut pas s’attendre à des découvertes vraiment bouleversantes. Il est plutôt souhaitable que l’on arrive à établir quelles autres branches, au-delà de β, ont contribué à la naissance de la tradition italienne, alors que, en ce qui concerne β lui-même, on pourra arriver à mieux comprendre s’il a été l’ancêtre d’une partie plus ou moins étendue du riche groupe des manuscrits humanistiques italiens. De l’autre côté, pour mettre de la chair autour de l’os, il faudra se demander ce que les érudits de cette époque cherchaient dans les Historiae, comment ils les ont lues et réutilisées ou comment ils ont travaillé avec elles. Pour ne citer qu’un exemple, un manuscrit reste à ma connaissance totalement oublié (il n’est même pas enregistré dans l’édition de Lucarini) : Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, plut. 52.2741, du xve siècle, qui se distingue de tous les témoins puisqu’il préserve une version abrégée des Historiae sans autre parallèle connu. Mais puisque notre tâche était de présenter l’histoire du texte de Quinte-Curce pendant la période précédente, trop souvent oubliée en faveur de l’époque humanistique qui suit et qui, inévitablement, dépend des efforts et des travaux des siècles antécédents, nous pouvons arrêter notre enquête ici. Silverio Franzoni Scuola Normale Superiore, Pisa École Pratique des Hautes Études (PSL), Paris 40. Voir Lucarini, éd. cit., p. xliv-xlv. 41. Description synthétique dans Dosson, Étude, op. cit., p. 340-341. Il faut toutefois se méfier de l’affirmation de Dosson, qui, en reprenant les indications du catalogue de la Laurentiana réalisé par A. M. Bandini (Catalogus codicum manuscriptorum Bibliothecae Mediceae Laurentianae, t. 2, Florence, 1775, p. 567), décrit le texte de ce manuscrit comme « conforme à celui des éditions ».

48

Silverio Franzoni

Annexe I Sigles et cotes des manuscrits cités Je rassemble ici les sigles assignés aux manuscrits dans l’édition de Lucarini42 et leurs cotes respectives in extenso, afin de faciliter l’identification des témoins cités seulement par leurs sigles dans l’article et dans l’annexe II. L’ordre est alphabétique par sigles.43 A

Paris, BnF, latin 5720

B

Berne, Burgerbibliothek, 451

Bb

Berne, Burgerbibliothek, 282

Bo

Bologne, Biblioteca universitaria, 2418

Br

Bruxelles, Bibliothèque Royale, 10161

Ce

Cesena, Biblioteca Malatestiana, S. xix. 5 43

Cap

Vérone, Biblioteca Capitolare, CLXVIII (155)

Cp

Cambridge, Peterhouse College, 269

Du

Dublin, Trinity College Library, 602

Fc

Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, plut. 64.34

Fe

Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, plut. 64.32

Fg

Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, plut. 64.30

Fh

Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, plut. 64.29

Fi

Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, plut. 64.28

Fl

Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, plut. 64.31

G

Wolfenbüttel, Herzog-August Bibliothek, 163 Extrav.

J

Douai, Bibliothèque Municipale, 882

K

Copenhague, Kongelige Bibliotek, fragm. 3182

L

Leyde, Bibliotheek der Universiteit, B. P. L. 137

M

Paris, BnF, latin 5717

Mb

Munich, Bayerische Staatsbibliotek, Clm 15739

O

Oxford, Corpus Christi College, 82

P

Paris, BnF, latin 5716

42. Lucarini, éd. cit., p. viii-xxv. 43. Je rappelle que ce manuscrit n’est pas enregistré dans la liste de Lucarini ; j’ai adopté le sigle qui lui a été assigné par Bottari, Fili della cultura, op. cit.

La tradition manuscrite des Historiae au Bas Moyen Âge 49



Pb

Paris, BnF, latin 5718

Pc

Paris, BnF, latin 5719

Pm

Paris, BnF, latin 14629

Q

Cité du Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Reg. Lat. 971

Qu

Brescia, Biblioteca Queriniana, A ii 2

Ro

Rouen, Bibliothèque Municipale, 1128 (U.57)

S

Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, 492

V

Leyde, Bibliotheek der Universiteit, Voss. lat. Q. 20

Vm

Cité du Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Ottob. lat. 2053

Vr

Cité du Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Reg. lat. 728

vz

Cité du Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. lat. 5114

Wb

Cité du Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. lat. 1869

50

Silverio Franzoni

Annexe II Édition des interpolations et tableau des manuscrits interpolés J’édite ici les cinq interpolations que j’ai étudiées, toujours accompagnées, pour donner un minimum de contexte, par les phrases du texte « standard » qui les précèdent et suivent immédiatement ; le texte des ajouts est en italique, alors que celui du texte authentique est en police normale. Dans l’apparat (négatif ), je vais citer les variantes relatives aux interpolations (sur la base de mes collations) ainsi qu’aux parties transcrites du texte authentique (pour lesquelles je reproduis l’apparat de Lucarini) ; j’inclus aussi les leçons de quelques manuscrits recentiores dont je n’ai pas pu parler en détail, de façon que le ­lecteur puisse avoir une idée de l’évolution de leur texte. J’ai ignoré les variantes graphiques et rétabli l’orthographe classique pour les interpolations aussi. Les sigles employés sont ceux établis par Lucarini dans son édition (sauf Cap, qu’il n’enregistre pas dans sa liste de témoins) et déjà énumérés dans l’annexe I. Je transcris à chaque fois, après l’interpolation, le texte de sa source, tiré de l’édition de O. Seel (Leipzig, 1935) pour Justin, de celle de L. D. Reynolds (Oxford, 1965) pour les Lettres de Sénèque. Manuscrits utilisés44 : A, Bb, Br, Ce, Cap (d’après Billanovich, « Petrarca », art. cit. ; Kitamura, Due florilegi, op. cit. ; Gross, Verona Florilegium, op. cit.), Fc, Fe, Fg, Fh, Fi, Fl, O, Qu

Interpolations 1 et 2 – Historiae IV, 11, 16-17 16

Introductis deinde legatis, ad hunc modum respondit : « Nuntiate Dareo gratiarum actionem apud hostem supervacaneam esse et me, quae fecerim clementer et liberaliter, non amicitiae eius tribuisse, sed naturae meae, nec adversus calamitates, sed adversus hostium vires contendere. 17Bellum cum captivis et feminis gerere non soleo: armatus sit oportet, quem oderim. interpolationem priorem hab. O Br A Cap Ce Bb Fc Fe Fh Qu, om. Fg Fi Fl interpolationem alteram hab. O Br A Cap Ce Bb Fc Fe Fg Fh, om. Fi Fl Qu 44. J’ai collationné ces manuscrits grâce aux numérisations disponibles sur internet ou grâce aux microfilms possédés par la bibliothèque de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes (IRHT) de Paris. La présence des interpolations dans les manuscrits Bb, Fc, Fe, Fg, Fh, Fi, Fl avait été déjà signalée par Zumpt dans son édition de 1849 (voir la note 29 du texte), et c’est à partir de son indication que j’ai choisi en principe les témoins à vérifier, auxquels j’ai ensuite ajouté ceux qu’il ignorait. Malheureusement, vz ne contient aucun des passages où se trouvent les interpolations.

La tradition manuscrite des Historiae au Bas Moyen Âge 51



hunc] huc Ρac || nuntiate] nuntiare Fe : renunciate Ce || hostem] hostes O : om. Fc || superuacaneam] superuacuanam Cap teste Billanovich tantum : superuacuam Fc || me quae] meque Qu || liberaliter] liberabiliter Ρ || gerere non soleo] non soleo gerere inv. Qu : non gerere non soleo Ceac

Justin, Epitoma, XI, 12, 10-14 10

Offert deinde et maiorem partem regni usque Euphratem flumen et alteram filiam uxorem, pro reliquis captivis XXX milia talentum. 11Ad haec Alexander gratiarum actionem ab hoste supervacaneam esse respondit ; 12nec a se quicquam factum in hostis adulationem, nec quod in dubios belli exitus aut in leges pacis sibi lenocinia quaereret, 13sed animi magnitudine, qua didicerit adversus vires hostium, non adversus calamitates contendere ; 14polliceturque praestaturum se ea Dario, si secundus sibi, non par haberi velit.

Interpolation 3 – Historiae IV, 11, 21-22 21

Ite, nuntiate regi vestro […] id quemque habiturum, quod proximae lucis adsignatura fortuna est et me in Asiam non venisse ut ab aliis acciperem, sed ut aliis darem. Si secundus tamen et non par mihi vellet haberi, facerem forsitan quae petit. Ceterum nec mundus duobus solibus potest regi nec duo summa regna salvo statu terrarum potest habere. Proinde aut deditionem hodie aut in crastinum bellum paret, nec aliam sibi quam expertus est polliceatur fortunam. 22 Legati respondent, cum bellum in animo sit, facere eum simpliciter, quod spe pacis non frustraretur. deest Cap || interpolationem hab. O Br A Bb Ce Fc Fe Fg Fh Fi Fl Qu ite] item Fe Fh || habiturum] habitaturum A || fortuna est] est fortuna inv. O || non venisse] venisse non inv. Ce || aliis1] illis Fe || acciperem] acciperem conditiones Fg || secundus] dus Brac || vellet] velit Fc : om. Qu || haberi] abheri Feac || forsitan] forsan O || nec] non aliter nec Qu || solibus] solidibus Flac || potesti regi] regi potest inv. Fg || paret] pararet Quac || sibi post expertus est Ce Fg || quam] quam quam Fe : quam q Ceac : quam quem Cepc || polliceatur fortunam] fortunam polliceatur inv. Fg : polliciatur fort- Ce || eum] cum Feac : eum alexandrum Qu || simpliciter] suppliciter Fh Fi Fl || spe] sepe Flac || frustraretur] ffrustraretur Fhac : frustaretur L Fg : frustetur Fi Fl

Sénèque, Lettres, 53, 10 Alexander cuidam civitati partem agrorum et dimidium rerum omnium promittenti ‘eo’ inquit ‘proposito in Asiam veni, ut non id acciperem quod dedissetis, sed ut id haberetis quod reliquissem’.

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Silverio Franzoni

Justin, Epitoma, XI, 12, 14-16 […] 14polliceturque praestaturum se ea Dario, si secundus sibi, non par haberi velit. 15Ceterum neque mundum posse duobus solibus regi, nec orbem summa duo regna salvo statu terrarum habere. 16Proinde aut deditionem ea die aut in posteram aciem paret ; nec polliceatur sibi aliam, quam sit expertus, victoriam.

Interpolation 4 – Hist. IV, 12, 21-22 21

Fluctuari animo rex et modo suum, modo Parmenionis consilium sera aestimatione perpendere: quippe eo ventum erat, unde recipi exercitus nisi victor sine clade non posset. Movebat etiam eum multitudo hostium respectu paucitatis suae gentis, sed interdum reputabat quantas res cum hac gente gessisset quantosque populos fudisset. Itaque, cum spes metum vinceret, periculosius differre bellum ratus ne desperatio suis cresceret, 22itaque dissimulato † eo† mercennarium equitem ex Paeonia praecedere iubet. deest Cap || interpolationem hab. O Br A Bb Ce Fc Fe Fg Fh Fi Fl Qu, sed post perpendere Fi Fl fluctuari] flutu- P || et] ex Pac || modo (utrum prior an alter nescio45)] modum V || aestimatione] existimatione Ce Fi || recipi exercitus] reci exercitus Bac : exercitus recipi inv. O || victor] victor aut Ce || clade] cla clade Flac || movebat etiam] movebat omne Aac : movebat Apc Bb Fc Fe Fh Fi Fl : movebatque Qu || itaque … cresceret om. Qu || periculosius] periculosum Ce || cresceret] crederet Fc || itaque dissimulato eo om. O : itaque tantum om. Ce || mercennarium] mihi cenarium Fc || equitem] equidem Feac || ex Paeonia (peo- Ce Fi Fl) ante Francinum Ce Fg Fi Fl : ex poena P : ex poenia PpcΣ : exponi Brac Aac Fc Qu : expe*o vel expe*a Brpc ut vid., una littera fort. sub compendio incertissima : exponi et Apc Bb Fe Fh : om. O || praecedere] procedere Fe Fgac || iubet] debet iubet Flac

Justin, Epitoma, XI, 9, 2-3 2

Movebat haec multitudo hostium respectu paucitatis suae Alexandrum, sed interdum reputabat, quantas res cum ista paucitate gessisset quantosque populos fudisset. 3Itaque cum spes metum vinceret, periculosius differre bellum ratus, ne desperatio suis cresceret, circumvectus suos singulas gentes diversa oratione adloquitur.

45. L’apparat de Lucarini ne précise pas duquel des deux modo il s’agit.

La tradition manuscrite des Historiae au Bas Moyen Âge 53



Interpolation 5 – Hist. V, 13, 25 – VI, 1, 1 V, 13, 25

Miratusque confossa potius quam abacta esse, semivivi hominis Interim dum talia fierent ab Alexandro, bellum ortum est inter Macedonas et Lacedemonios. Antipater Macedoniae prefectus in hoc bello contra regem Lacedemoniorum obtinuit sicut hic exponitur. VI, 1, 1 Pugnae discrimen inmisit obtruncatisque, qui promptius resistebant, magnam partem hostium propulit. deest Cap || post abacta esse legitur in O textus interpolatus editus a Smits, « A Supplement », p. 119, deinde Curtii textus a VI, 2, 1 (omisso VI, 1, 1) || interpolationem hab. Br (in marg.), A Bb Ce Fc Fe Fh Qu (in textu), om. Fg Fi Fl O semivivi hominis] semivivi ho Pac : semivivi Σ (sic et Fg Fi Fl, sed cf. infra hoc ante pugnae) || Macedonas] macedones A Ce Fc Fe Fh Qu || Macedoniae] lacedemodinie Br : lacedemonię Fc Qu || Lacedemoniorum] lacedomoniorum Br || sicut] sic Qu || pugnae] pugno A Bb Fh : hoc pugnae Fg Fi Fl (cf. supra post semivivi) || obtruncatisque] obtruncatis quę Fl || hostium] os- L

Tableau des manuscrits interpolés 1

2

3

4

5

A

x

x

x

x

x

Bb

x

x

x

x

x

Br

x

x

x

x

x

Ce

x

x

x

x

x

Fc

x

x

x

x

x

Fe

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

x

Fi

x

x

Fl

x

x

x

x

x

x

Fg Fh

x

O

x

Qu

x

x

x

x

Petrarca e Alessandro : dal mito alla storia « It is sufficient to note here that Petrarch hated Alexander more than did any other medieval author. » Con queste parole George Cary1 riassume quale fosse l’atteggiamento di Petrarca nei confronti di Alessandro Magno e di tutto ciò che la sua figura aveva finito per rappresentare. Ma dietro un tale riassunto sta una vicenda lunga e interessante entro la quale si intersecano piani culturali e politici diversi ai quali occorre almeno accennare, prima di arrivare a considerare da vicino quale sia stato il rapporto di Petrarca con le Historiae Alexandri Magni di Quinto Curzio, e l’uso che ne ha fatto. Cominciamo col dire che l’attenzione di Petrarca verso la figura di Alessandro maturò nel tempo, e può essere considerato un frutto in progress dell’impegno speso nell’esaltazione della grandezza incomparabile di Roma e, in particolare, di Scipione e delle sue imprese. In altre parole, l’approccio di Petrarca ad Alessandro è caratterizzato da un intento fortemente polemico che nel tempo precisa sempre meglio i propri obiettivi : primo tra tutti, il rifiuto delle tesi e del vero e proprio programma ideologico-politico di Gautier de Châtillon che nella sua fortunatissima Alexandreis negava in radice la centralità storica e la missione universale di Roma, e su Alessandro costruiva l’ipotesi di un asse storico diverso e alternativo. Ci torneremo, anche se va sùbito detto, naturalmente, che non è sempre così. Spesso Petrarca non tanto parla di Alessandro quanto, attraverso di lui, utilizza il variegato panorama di exempla che la sua vita era pronta a fornire attraverso le testimonianze antiche : essenzialmente quelle di Seneca, centrate su categorie e giudizi di tipo morale ; di Valerio Massimo sul piano aneddotico, e di Giustino sul piano storico, ai quali s’aggiunge il giudizio di Livio nel famoso excursus del libro IX delle Storie. Solo in un secondo tempo la lettura di Quinto Curzio mise Petrarca dinanzi al quadro completo, vasto e affascinante, delle imprese e ­della personalità di Alessandro, e finalmente gli fornì i materiali indispensabili per la Vita che gli è dedicata, inserita nel De viris probabilmente intorno alla metà del decennio 1350-1360. Questa è la sommaria traccia che nelle pagine che seguono cercherò di ripercorrere, ma in essa già si scorge l’elemento che definisce la dimensione 1. G. Cary, The Medieval Alexander, Cambridge, 1967 (1956), p. 266 (dello stesso studioso vd. « Petrarch and Alexander the Great », Italian Studies, 5 (1950), p. 43-55). Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 55-97 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115393

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epocale dell’iniziativa petrarchesca : il suo volgersi alla « storia vera » e il radicale e per ciò stesso provocatorio abbandono, per contro, del « romanzo di Alessandro », cioè di quel coacervo di narrazioni fantastiche fiorite attorno a lui per tutto il Medioevo. Petrarca ignora e mette fuori gioco le fanciulle-fiore, la discesa in batiscafo nel profondo dell’Oceano, l’ascesa al cielo con i grifi… e rimette Alessandro al posto che gli conviene, tra figure quali Papirio Cursore, Marcello, Annibale, Pirro, Scipione, Giulio Cesare. E proprio con loro dovrà subire il confronto e accettarne i risultati. C’è un caso, tra molti, che può assumere un valore emblematico. In una delle parti più antiche (diciamo 1339-1340) del poema Africa, il libro III, non raggiunto dai rifacimenti che attorno agli anni ’50 del secolo hanno investito in modo massiccio i primi due libri, Petrarca ricorda le colonne che Ercole, insieme a Libero, avrebbe posto in India, all’estremità orientale del mondo (oppure più precisamente a Taprobane, cioè l’isola di Ceylon), quale pendant a quelle da lui poste a occidente, sullo stretto di Gibilterra, sì da segnare l’intero arco delle terre abitate : Haud procul a nostris memorandum finibus alte erexit geminas pelago turbante Columnas, utque pererrati foret illic terminus Orbis edixit ; fueratque diu, sed nuper ab Archto vesanus veniens iuvenis convellere metam est ausus, nomenque ideo mutare nequivit Herculi auctoris. (III, 397-4032) [(Ercole) non lontano dai nostri confini eresse a ricordo due colonne battute dalle onde del mare affinché indicassero al viaggiatore che lì erano i confini del mondo. E lo furono a lungo, se non che un folle giovane venuto dal Nord non troppo tempo fa osò svellere quei termini, senza tuttavia riuscire a far dimenticare il nome di Ercole che ne era stato l’artefice.] 2. L’Africa, edizione critica per cura di N. Festa, Firenze, 1926, con qualche modifica suggerita dai passi citati da V. Fera, La revisione petrarchesca dell’Africa, Messina, 1984 (della nuova ed. a cura di P. Laurens, con traduzione a fronte, è uscito sin qui solo il primo volume, l. I-IV, Paris, 2006, con ampia e importante introduzione e abbondanti note ; utile la precedente ed. tradotta e annotata a cura di R. Lenoir, Grenoble, 2002). Nel v. 401 sopra citato l’aggettivo vesanus è ripetutamente attribuito ad Alessandro da Seneca, De beneficiis, I, 13, 3 e II 16, 1 ; Ad Lucilium, 91, 17, e da Lucano, Bellum civile, X, 20 : « proles vaesana Philippi », e 42 : « vaesano […] regi », ma qui Petrarca riecheggia anche Gautier de Châtillon, Alexandreis, X, 94-95 : « et nunc vesanus in ipsum / fulminat Oceanum » (cito da Galteri de Castellione Alexandreis, ed. M. L. Colker, Padova, 1978).



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Visti da vicino questi versi suscitano varie questioni che qui non si possono tutte affrontare. Petrarca leggeva in Plinio, VI, 49 e in Solino, 50, 2, che i « termini » orientali via via eretti da Libero, Ercole, Semiramide e Ciro erano costituiti da altari (alla lista Plinio aggiunge Alessandro). In Giulio Valerio, III, 1168-11833, come già nello Pseudo-Callistene, si tratta invece di due colonne, una d’oro e una d’argento, erette da Libero ed Ercole (ma in questa versione Alessandro per scupolo religioso restaura quella d’oro che aveva fatto forare per verificarne il valore). Nella tarda versione di Alexandre de Paris sono due statue d’oro anch’esse fatte fare da Libero ed Ercole, che Alessandro fa fondere irridendo al culto superstizioso con il quale erano onorate4. Ancora, in Quinto Curzio, VII, 9, 155 (però non conosciuto nel momento della stesura di quei versi), i confini posti da Libero sono costituiti da pietre ordinatamente disposte e da alti alberi con tronchi rivestiti di edera (non colonne o altari o statue e niente oro, dunque). Infine, di là dall’intricato problema delle fonti, è curioso che Petrarca nell’Africa collochi i confini orientali del mondo haud procul a nostris finibus, quando nella tarda Vita di Ercole compresa nel De viris (attorno alla metà degli anni ’50, e dunque nello stesso giro di anni in cui leggeva Quinto Curzio) proprio l’estrema lontananza di tali confini è contrapposta alla vicinanza delle Colonne d’Ercole occidentali : « Habemus ad Occasum laborum huius viri monimenta, Columnas herculeas nostri orbis vicinitate notissimas. Similes in ultimis litoribus Orientis statuisse illum fama est, ubi tam Herculis quam Liberi patris, qui eo quoque pervenerat victoriis clarus, solida ex auro simulacra fuisse memorantur, licet nobis ad Occasum versis obscuriorem eius rei notitiam distantia plage orientalis effecerit6. » 3. Ed. M. Rosellini, Iuli Valeri Res gestae Alexandri Macedonis, Stuttgart e Leipzig, 1993. 4. Vd.  The Medieval French Roman d’Alexandre, vol.  II. Version of Alexandre de Paris, ed. E. C. Armstrong, D. L. Buffum, B. Edwards et L. F. H. Lowe, Princeton, 1937, p. 196 : br. III, 141, « ‘Qant Artus et Libers vinrent en Oriant / et orent tant alé qu’il ne porent avant, / deus ymages d’or firent qui furent de lor grant. / En tel lieu les poserent que bien sont aparant / et que mais a tos jors i fuissent demorant ; / ainc outre les ymages nen ot home vivant.’ […] Qant Alixandres l’ot, si respont en riant : / ‘La gent de ceste terre sont fol et mescreant, / qui croient ces ymages et les vont aourant, / qui n’oient ne ne voient ne d’aller n’ont talent. / Qui les geteroit ore ens en un fu ardant ». 5. « Transierant iam Liberi Patris terminos, quorum monumenta lapides erant crebris intervallis dispositi arboresque procerae, quarum stipites hedera contexerat. » Sono gli stessi « termini » richiamati da Alessandro alle sue truppe in Quinto Curzio, IX 4, 21 (vd. anche III 10, 5). 6. Francesco Petrarca, De viris illustribus. Adam Hercules, a cura di C. Malta, Messina, 2008, XII, Hercules, 22-23 (« a Occidente abbiamo, a memoria delle sue fatiche, le Colonne d’Ercole, famosissime per la vicinanza alla nostra terra ; si racconta che egli ne avesse poste di simili agli

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Puntualizziamo almeno due cose. La prima : il passo dell’Africa dal quale siamo partiti mostra una singolare confusione rispetto alle fonti (onde a tutta prima si potrebbe addirittura sospettare che si tratti delle Colonne d’Ercole vere e proprie, quelle dello stretto di Gibilterra), e fa eccezionalmente posto all’altrimenti aborrita tradizione romanzesca, dandoci una prova ulteriore che esso fa parte del fondo antico del poema ; la seconda, Petrarca per primo si mostra consapevole della confusione e in qualche modo anni dopo confessa, nella Vita di Ercole, che la faccenda delle Colonne orientali restava irrimediabilmente oscura. E più chiaramente ancora, una sua postilla punta il dito sulla necessità di trasferire la questione dalle nebbie della leggenda alla chiarezza di una dimensione propriamente storica. Il manoscritto Acquisti e doni 441 della Laurenziana di Firenze (= Lr), infatti, del tardo ‘300, non solo contiene l’Africa, ma l’accompagna con una serie di postille marginali e interlineari con ogni evidenza derivate da un originale di Petrarca medesimo impegnato nel lavoro di revisione della propria opera. E all’altezza dei v. 400-403, « sed nuper […] Herculis auctoris », sul margine sinistro del foglio, si legge la postilla : « attende hystoriam7. » Fera pensa « che il poeta fosse, in questo caso, perplesso circa i riferimenti ad Ercole », in particolare perché è assente l’abbinamento di Ercole e Libero, garantito da Quinto Curzio, IX, 4, 21, ed è certamente così (nel tardo De remediis, I, 15, 6, Petrarca ricorda il culto di Alessandro per Libero ed Ercole). Ma direi anche che possiamo attribuire alla postilla una responsabilità maggiore, e ritenerla emblematica del passaggio dalla leggenda alla storia attraverso il quale Petrarca intende mutare la natura delle mille « storie di Alessandro » che la tradizione anche a lui vicina gli consegnava. Si tratta né più né meno di una dichiarazione programmatica : la vita di Alessandro, ripulita dagli inganni del romanzesco, del meraviglioso e del fantastico, deve essere riconsegnata alla verità. E questo non per astratto scrupolo, ma perché solo dopo aver compiuto questa operazione, che nessuno estremi lidi di Oriente, dove si ricorda fossero fossero delle imponenti statue d’oro sia di Ercole sia del padre Libero, anch’egli, celebre per le sue vittorie, giunto fin lì, sebbene la distanza della regione orientale abbia reso tale notizia più incerta per noi che siamo rivolti a Occidente », trad. C. Malta, con qualche variazione). Oltre all’ampia Introduzione della Malta, un nuovo contributo alla cronologia del De viris è in V. Fera, « I fragmenta de viris illustribus di Francesco Petrarca », in Caro Vitto. Essays in memory of Vittore Branca, ed. J. Kraye e L. Lepschy, con N. Jones, The Italianist, 27 / special suppl 2 (2007), p. 101-132. 7. V. Fera, La revisione petrarchesca dell’Africa, cit., p. 105-106. Fera, che ha scoperto l’importanza del codice e l’ha eccellentemente studiato, pubblica e commenta tutte le postille petrarchesche (e mostra come manchi qualsiasi elemento che permetta di datarle), e a lui rimando per tutte le dimostrazioni del caso.



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sino a quel momento aveva neppure tentato, sarebbe diventato finalmente possibile rendere inappellabile il giudizio che proclama l’assoluta centralità di Roma quale perno e modello dell’intera storia del mondo. Scrivendo « attende hystoriam » Petrarca rende esplicita una circoscritta indicazione di lavoro, ma formula pure la parola d’ordine che sovrintende all’operazione culturale e politica alla quale ha dedicato la vita. La direzione alla quale siamo invitati dalla postilla approda, quasi inutile dirlo, a Quinto Curzio e alla Vita di Alessandro, nel De viris. Ma la strada per arrivarci è ancora lunga : lunga e piuttosto chiara, se non ci attardiamo nella più o meno banale registrazione di tutte le occasioni nelle quali Petrarca ricorda Alessandro attraverso alcuni famosi aneddoti che lo riguardavano, o in citazioni di maniera, magari all’interno di lunghi elenchi di personaggi8. Più importante, infatti, è affrontare il nodo del giudizio su di lui, che Petrarca sente come essenziale alla sua strategia. Non fu a tutta prima così : quella che probabilmente è la più antica menzione di Alessandro, in Familiares, III, 3, 10, del 1333 : « Quid de Alexandro Macedone, qui bello incolumis in convivio periit » ancora non comporta la futura condanna dei « sparsa cruore / convivia » di Alessandro (vd. Africa, VIII, 137-138 ; Vita Alex., 43), ma è solo un esempio tra tanti del fatto che molti condottieri ebbero più fortuna in guerra che a casa propria. Di tono « neutro » è anche l’affermazione, in Familiares, 8. Tra gli episodi che lo vedono protagonista, si veda per es. quello, derivato da Cicerone, Pro Archia, 10, 24, della visita di Alessandro alla tomba di Achille, più volte frequentato da Petrarca (soprattuto noto il son. 187 dei Rerum vulgarium fragmenta (Rvf ) ; Familiares, IV, 3, 13 ; Collatio laureationis, 10, 17, e implicitamente Africa, IX, 51-57 : vd. V. Fera, « I sonetti CLXXXVI e CLXXXVII », Lectura Petrarcae, 7 (1987), p. 219-243, in part. p. 233-243) ; quello dell’incontro di Alessandro con Diogene nella botte (Familiares, VI, 8, 5-9 ; IX, 11, 8). E ancora, davanti al medico che l’aveva preparata Alessandro beve la pozione che una lettera anonima gli aveva fatto sapere essere avvelenata (Familiares, XII, 2, 17 ; XX, 13, 17-18) ; le sue difficoltà con la matematica (Familiares, XIII, 5, 21 ; De remediis, II, 41) ; una ferita gli fa dire d’essere un uomo, non un dio (Rerum memorandarum libri, III, 56-57 ; Familiares, XVII, 3, 21-45, da Seneca, Ad Lucilium, 59, 12 : vd. la nota di M. Liborio in Alessandro nel medioevo occidentale, a cura di P. Boitani, C. Bologna, A. Cipolla e M. Liborio, Introduzione di P. Dronke, Milano, 1997, p. 563-564) ; Cesare piange dinanzi alla statua di Alessandro nel tempio di Ercole a Cadice (Familiares, VI, 4-10 ; De gestis Cesaris, II, 1) ; Filippo incarica Aristotele dell’educazione del figlio (Familiares, I, 7, 8 ; Rerum memorandarum libri, II 31, 4), ecc. Ma questo elenco, che esclude la Vita del De viris, non è che una striminzita scelta rispetto al totale, molto più grande. Anche se le date di alcune Familiares sono incerte, e se l’ipotesi di aggiunte al testo originale, sia per le Familiares che per le altre opere, sia sempre da tenere in conto, credo si possa dire che le citazioni di Alessandro si facciano più frequenti a partire dai primi anni ’50, con l’eccezione del tutto spiegabile dei Rerum memorandarum libri (oltre i luoghi citati, vd. qui III, 27-28 ; III, 60 ; III, 74, 1-2 ; IV, 38 ; IV, 61, 1-3).

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II, 7, 6, forse del 1336 ma fortemente indiziata d’essere fittizia, che Alessandro, come Giulio Cesare, ebbe i propri progetti troncati da una morte immatura. Ma di là dall’uso in chiave esemplare o aneddotica, il cuore del discorso su Alessandro sta nel giudizio propriamente storico che ne spogli la figura ­dall’alone della leggenda e la ridimensioni sino a che cessi di fare ombra alla storia di Roma, sia repubblicana che imperiale. Punto di partenza è ciò che racconta Livio, XXXV, 13-14. Qualche tempo dopo la battaglia di Zama Scipione si sarebbe accompagnato a un’ambasceria romana presso la corte di Antioco, a Efeso, là dove Annibale si era rifugiato, e in quell’occasione avrebbe avuto un colloquio con il vecchio nemico. L’Africano avrebbe chiesto ad Annibale quale per lui fosse stato il condottiero più grande di tutti i tempi, e Annibale avrebbe risposto indicando come primo Alessandro Magno, come secondo Pirro, come terzo se stesso. Chiedendo ancora l’Africano : « tu, dove ti metteresti se mi avessi sconfitto ? », Annibale avrebbe risposto : « In tal caso verrei prima di Alessandro e di Pirro e di qualsiasi altro condottiero. » Ora, questo aneddoto è ritrascritto da Petrarca proprio all’inizio della prima stesura della Vita di Scipione (la redazione gamma) che possiamo ragionevolmente datare agli anni 1339-1340, e lì, in apertura della Vita, resta sostanzialmente immutato sia nella redazione intermedia beta che nella lunga e definitiva alfa, non databili con precisione ma che possiamo far risalire rispettivamente agli anni 1342-1343, e ai pieni anni ’50, cioè allo stesso lungo arco di tempo nel quale, pur tra soste e perplessità varie, Petrarca continuò a lavorare all’Africa9. Ciò significa che quel suggestivo aneddoto, che 9. Vd. V. Fera, I fragmenta, cit., p. 107-109. Ma devo dire che non resto del tutto convinto della datazione « alta » proposta da Fera per la redazione alfa, anche se non ho precisi argomenti da opporre : sarà pure che il « cerchio » tra Africa e De viris si chiude nel 1353 con l’abbandono di Valchiusa per l’Italia, ma anche per lo studioso la lettura di Curzio Rufo nella seconda metà degli anni ’50 impone l’abbassamento della Vita di Alessandro a quegli stessi anni, e dati i precedenti mi riesce difficile non collegare questo impegno a un persistente interesse per Scipione e, soprattutto, al certamente più tardo De gestis Cesaris. E forse merita d’essere considerato con occhi nuovi il fatto che gli unici due codici (più i loro descripti) che ci danno la versione alfa siano i due che risalgono all’inziativa editoriale di Lombardo della Seta, Lm e Ot (1379 e 1380), mentre il loro affine Pi insieme a tutti gli altri codici dell’altro ramo, porta la versione beta, evidentemente l’unica circolante entro il De viris sino alla morte del poeta. Il che può essere indizio di una tarda composizione della redazione ultima. Cito l’opera da Francesco Petrarca, De viris illustribus, edizione critica per cura di G. Martellotti, Firenze, 1964 (red. alfa con le lezioni di beta in apparato, e red. gamma in appendice. Nella ed. precedente : Francesco Petrarca, La vita di Scipione l’Africano, a cura di G. Martellotti, Milano e Napoli, 1954, alla redazione alfa segue la redazione beta, con le varianti di gamma in apparato (combinando le due edizioni, le tre redazioni si possono dunque leggere comodamente per esteso). E rimando



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mette ancora una volta i due grandi nemici uno di fronte all’altro, Petrarca l’ha fatto proprio e l’ha assunto come una chiave d’ingresso – oggi diremo una password – che apre al senso ultimo del suo discorso : Scipione non fa parte di quella terna e propriamente non può farne parte perché è incomparabile, e dunque non solo è superiore a tutti gli altri ma incarna la pura essenza dei valori dinanzi ai quali gli altri possono essere messi in fila e giudicati. Nelle varie redazioni della Vita di Scipione l’aneddoto serve sin dal principio a fissare questa tesi, e a farne il primo indiscutibile anello di una catena tanto forte da non dover più essere messa in discussione. Nelle tre redazioni della Vita, infatti, non si legge nulla che meglio argomenti la superiorità di Scipione su Alessandro, che pure compare come il primo della terna, e una volta evocato ed esaurita la sua funzione subito sparisce, e Petrarca non s’interessa più a lui. Nell’Africa le cose vanno diversamente. Va detto subito che l’aneddoto non poteva essere accolto così com’era, perché il poema non prevedeva alcuna « coda » che oltrepassasse la definitiva vittoria di Scipione e il suo trionfale ritorno a Roma. D’altra parte, Petrarca sentiva di doverlo attirare, per dir così, dentro il poema, e per farlo ha dovuto introdurre alcune importanti modifiche rispetto all’originale. Per salvaguardarne la definitiva verità storica e garantirne questo suo carattere « postumo », la classifica è fatta scaturire da una discussione tra Scipione e i suoi ufficiali che s’immagina avvenuta, con bella invenzione, nel campo romano la sera stessa della battaglia di Zama. Ciò comporta il sacrificio dell’elemento narrativo più forte : l’incontro diretto tra Scipione e Annibale ormai in esilio (ora la classifica è riferita come un’opinione che Annibale avrebbe espresso tempo prima, e che aveva goduto di una certa circolazione), ma in compenso offre a Petrarca la possibilità di una sceneggiatura più mossa che, a differenza di quello che avveniva nelle Vite di Scipione, finisce per mettere al centro proprio quanto là era accantonato : la figura di Alessandro. Da questo punto di vista, la prosa del De viris e i versi dell’Africa seguono linee diverse, e però complementari. Ripercorriamo dunque quanto il poema ci dice, con l’avvertenza sempre obbligata in Petrarca che correzioni e nuove redazioni (questo è soprattutto il caso dei primi due libri) spesso impediscono di fissare un percorso compositivo lineare. All’interno delle lunghe previsioni del padre dell’Africano, Publio Scipione, in Africa, II, 89-93 dopo la profezia della vittoria di Zama (« Victor eris […] »), troviamo un breve accenno all’incontro di Efeso :

alle Introduzioni di Martellotti a entrambi i volumi per ciò che riguarda la costituzione dei testi e la loro possibile cronologia.

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Enrico Fenzi Quo tempore forte publica dum perages mandata, videbis inermem securus, faciemque trucem que terruit orbem. Colloquio festiva dies videatur amico, tantorum felix Ephesus sermone virorum. [Allora, assolvendo ai tuoi incarichi pubblici, per caso incontrerai senza alcun timore quell’uomo indifeso, con il suo volto truce che già aveva terrorizzato il mondo: il colloquio amichevole ne farà un giorno di festa, ed Efeso sarà felice dell’incontro di due uomini così grandi.]

Immediatamente si direbbe che qualcosa non torna, visto che, come s’è detto, Petrarca nel l. VIII anticiperà il contenuto dell’incontro di Efeso alla sera che segue la battaglia di Zama, onde si può pensare che quando scriveva i versi appena citati ancora non fosse arrivato a quel punto né avesse ancora deciso di modificare la versione di Livio. In ogni caso, Petrarca ha voluto mantenere la circostanza dell’incontro, ma svuotato dello specifico contenuto che lo caratterizzava, e piegato invece ad altro scopo. Publio, infatti, dopo aver profetizzato nei termini visti sia l’incontro che il successivo colloquio, cambia bruscamente direzione e si scatena in una violenta polemica contro la Fama « mendace », che in nome di un criterio che diremmo puramente quantitativo premia allo stesso modo sia le azioni nobili e gloriose che i più tremendi crimini : la Fama, insomma, nel bene e nel male bada all’enormità, non alla qualità, e così facendo pareggia buoni e malvagi. Con le parole di Petrarca, II, 95-103 : Facinus dum grande, tremendum, horrendum dictu invenit, canit orba per Orbem, nec dirimit causas. Patriam iuvat ille cadentem, laudatur ; multaque alius cum strage cruentas captat opes regnumque sibi iaciturus in auro, hic quoque laudatur. Laudabitur Hanibal atque Scipio : posteritas mirabitur omnis utrumque. Heu par dissimile et diverso sidere terris illatum10 ! 10. Osservo a margine che il diverso sidere corrisponde perfettamente alla « stella difforme » di Rvf, 187, 12, e conferma l’interpretazione tradizionale del verso, ribadita da Santagata e dalla Bettarini, ad loc., a proposito dei due diversi destini di Achille, che ha meritato di avere Omero quale banditore delle sue gesta, e Laura alla quale è toccato il ben più modesto Petrarca. Ma i commentatori e gli studiosi che si sono fermati su quella « stella difforme » non hanno preso in considerazione i versi dell’Africa sopra citati.



Petrarca e Alessandro : dal mito alla storia 63 [La Fama, cieca, s’imbatte in un crimine grande, tremendo, orrendo solo a dirlo, e lo celebra per tutto il mondo senza fermarsi a distinguerne le ragioni. Uno salva la patria in pericolo : diventa famoso. Un altro s’impadronisce con le stragi di ricchezze e regni coperti di sangue per potersi rotolare nell’oro : anch’egli diventa famoso. E Annibale e Scipione saranno ugualmente famosi : l’intera posterità ammirerà l’uno e l’altro, ahimè ! coppia quanto mai diversa che astri contrapposti hanno dato alla terra.]

Questi versi si scagliano contro quel « tantorum virorum » che li precede, che appunto manifesta la grandezza che nell’opinione comune lega Annibale e Scipione ; più ampiamente, investono l’idea stessa che Scipione possa essere coinvolto in categorie e in eventuali graduatorie che presuppongano una comune unità di misura con Annibale. Così facendo, Petrarca non fa che sviluppare con tono fortemente enfatico quanto aveva sùbito precisato all’inizio della Vita di Scipione, e rimasto immutato attraverso le tre redazioni : dopo aver riferito della classifica di Efeso, infatti, egli critica, seppur in forme più ragionate e discorsive, sia Floro che Livio che hanno confuso gli elogi dei due condottieri entro il flusso della narrazione storica (« iuncta narratione »), mentre egli all’opposto si incarica di introdurre le discriminanti di valore che stabiliscano le opposte qualità dei personaggi in questione11. Detto questo, due sono le cose da osservare. La prima, solo probabile ma della quale io sono personalmente convinto : nella versione originale, ai versi che nel l. II annunciavano l’incontro di Efeso doveva seguire il contenuto del colloquio così come riferito da Livio e riprodotto nella Vita di Scipione. Solo in un secondo tempo, quando il colloquio vero e proprio ha trovato la nuova collocazione nel l. VIII secondo una strategia compositiva meglio articolata, la prima notizia dell’incontro s’è trasformata in una testimonianza della 11. Scipio, I, 3-4 (gamma beta alfa) : « Quo responso clare innuit, cum de summis ducibus quereretur, ceu prorsus incomparabilem cuntisque dissimilem Scipionem excipi. Profecto autem, quamvis duo illi de quibus modo diximus scriptores [Floro e Livio] horum duorum ducum Scipionis et Hanibalis laudes iuncta narratione permisceant, dum simul de ambobus agentes ducum maximos dicunt, largiter tamen inter eos refert », ecc. (« Con questa risposta, essendogli stato chiesto quali fossero i condottieri più grandi, Annibale indicò chiaramente che si doveva escludere Scipione come fosse assolutamente incomparabile e diverso da tutti gli altri. Benché i due scrittori di cui ho appena detto, Floro e Livio, confondano insieme nel corso della narrazione gli elogi di quei due condottieri, e trattando di entrambi li definiscano come i più grandi, tuttavia tra loro c’è di sicuro una gran differenza », ecc.). Questo tema della « incomparabilità » detta pure la riproposizione della classifica messa in bocca ad Annibale (ma non si parla dell’incontro di Efeso) nelle Invective contra medicum, III, 58, ed. F. Bausi, Firenze, 2005. Vd. alla fine di questo saggio, per Cesare diventato a sua volta unico e incomparabile.

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natura moralmente « indifferente » della Fama, ripigliando i contenuti della polemica contro Floro e Livio. Al proposito esiste (ecco la seconda cosa) un indizio, debole quanto si voglia, a favore di una simile ipotesi, che in ogni caso ci riporta ad Alessandro. Si rilegga Africa, II, 98-99, versi appena sopra citati entro un più ampio passo : « multaque alius cum strage cruentas / captat opes regnumque sibi iaciturus in auro. » Questo « famoso crudele e avido » forse è solo una mera figura esemplare, senza riferimenti diretti e concreti. Il contesto, tuttavia, indurrebbe a pensare ad Annibale, perché è ben di lui che si parla. Ma la sua caratterizzazione è incongrua, incompatibile con tutte le descrizioni del condottiero, che avrà pure i peggiori vizi (la falsità, la frode, l’inganno…), ma certo non quello di combattere per smania di potere personale e di ricchezza. Tutti, e per quanto ci interessa anche Petrarca nella Vita che gli dedica nel De viris, gli danno atto del contrario. Direi dunque che per un momento all’immagine di Annibale si sia sovrapposta quella di Alessandro che il ricordo dell’incontro di Efeso richiamava con forza : ma un Alessandro giudicato secondo la topica versione già antica e di origine stoica che ne faceva un irrefrenabile predone12. Di una tale indiretta presenza di Alessandro esiste per altro una vicina conferma, là dove si elencano le rapide vittorie orientali di Roma dopo la vittoria di Zama, Africa, II, 125 ss. Petrarca scrive infatti che, dinanzi alla forza di Roma, ai Galati e ai Macedoni la fama e le imprese dei padri non servono più a nulla, e che se pure l’invocato Alessandro risorgesse dalla tomba, ebbene, la personale opinione di lui, Petrarca, è che la Grecia sarebbe stata ugualmente sconfitta, e in poco tempo13. Si tratta di un’affermazione abbastanza inattesa in 12. Si veda la definizione di Alessandro quale felix praedo (« ladrone fortunato ») di Lucano, X, 21, e ancora, per esempio, i « Philippi aut Alexandri latrocinia » di Seneca, Naturales ­quaestiones, III, Praef. 5 (e ancora De beneficiis, I, 13, 3 ; De clementia, 1, 25), sempre assai duro con Alessandro (per le responsabilità sue e di Lucano nella « vilificazione » di Alessandro, vd. il denso saggio di J. Rufus Fears, « The Stoic View of the Career and Character of Alexander the Great », Philologus, 118 (1974), p. 113-130) o Curzio Rufo, VII, 8, 19, e l’abbondante bibliografia sul tema che è nell’ed. a cura di D. Vottero, Torino, 1989, p. 380-381. Per quanto investa un discorso che lo oltrepassa, vd. pure il famoso aneddoto circa Alessandro e il pirata raccontato da Cicerone, De republica, 3, 14, 24, e ripreso da Agostino, De civitas Dei, 4, 4. Sull’immagine negativa di Alessandro quale « devastatore » in Seneca e Lucano, e sull’opposta posizione di Silio Italico, vd. G. Cresci Marrone, « Alessandro in età neroniana : victor o praedo ? », Atti dell’Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti, 142 (1983-1984), p. 75-93. 13. Africa, II, 128-132 : « nil regia possunt / nomina, nil patrum egregii prodesse labores. / Magnus Alexander totiens revocatus ab urna / si redeat, mea sit quenam sententia nosti : Grecia tota brevi procumbet tempore victa. » Si deve a R. Lenoir, ed. cit., ad loc., il richiamo a Floro, I, 23, che nella veloce rassegna di quelle stesse vittorie romane riecheggiata da Petrarca osserva



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quel contesto, ma particolarmente pregnante perché condensa il senso ultimo (l’esercito romano, se si fosse scontrato con quello di Alessandro, l’avebbe fatto a pezzi) dell’excursus di Livio nel l. IX delle sue Storie che sarà, come vedremo, il punto fisso di riferimento e quasi la colonna portante dei giudizi petrarcheschi. Insomma, in questi pochi versi del l. II Petrarca sembra nominare Alessandro en passant, distrattamente, ma non è così : allude abilmente a molte cose, invece, e lancia un discorso che si prepara a sviluppare in altro luogo del poema, appunto dopo la vittoria di Zama, quando si fa evidente che, per usare le icastiche parole di Floro all’inizio del capitolo appena sopra ricordato : « Post Chartaginem neminem vinci puduit » (« Dopo Cartagine non restò nessuno che si vergognasse di essere vinto »). Voltate al caso nostro, o meglio di Petrarca, significano che dopo aver sconfitto Annibale, Scipione non teme rivali : neppure Alessandro. Il percorso che ci porta ad Alessandro non è finito. Nel l. VIII, abbiamo detto, se ne parlerà ampiamente. Ma se ne parla anche nel libro precedente, il settimo, senza nominarlo però, e riprendendo esattamente il discorso là dove era stato lasciato. Siamo nel momento decisivo della battaglia : Scipione alla testa dei suoi comincia a penetrare nello schieramento cartaginese, e Annibale con tutte le sue forze cerca di spingere i suoi al contrattacco. Lo spettacolo è terribile e affascinante, e Marte dall’alto stupisce che sulla terra esistano condottieri simili. E Petrarca di nuovo s’intromette a dire la sua. Là, ripeto, nel l. II, aveva riaffermato la personale e nota opinione : mai la Grecia, neppure se guidata dal redivivo Alessandro, avrebbe potuto vincere contro Roma. Qui, VII, 1072-1084, riprende così : Hic precor ut mendax desistat Grecia tandem nominibus certare ducum ; pudeatque referre imbelles Asie populos Gangemque subactum. Parthorum sileant reges et Persidis arvis exiguo spectata phalanx ; nec conserat ipsa Troia manum Priamique domus cantata poetis Graiorum et nostris ; non regum quisquis odoro crine fluens atque Assirio crispatus amictu. His campis non Inde acies, non fluxa per armos purpura, non levibus tantum confisa sagittis turba fugax ; verum hinc armis innata, virenti che i Romani, benché combattessero contro Filippo IV di Macedonia, avevano l’impressione di combattere contro Alessandro. Al proposito, vd. A. Coppola, « L’imitatio Alexandri in Trogo e in Livio : un confronto aperto », in L. Braccesi, A. Coppola, G. Cresci Marrone e C. Franco, L’Alessandro di Giustino (dagli antichi ai moderni), Roma, 1993, p. 45-69, p. 49-51.

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Enrico Fenzi robore subsistens Italo Romana iuventus arma tulit […]. [A questo punto vorrei che finalmente la Grecia bugiarda la smettesse di combattere con i nomi dei suoi generali ; si vergogni di continuare a raccontare d’aver sottomesso sino al Gange gli imbelli popoli dell’Asia ; tacciano i re dei Parti, e una falange che solo per poco s’è vista nelle terre persiane. Persino Troia la faccia finita con le sue guerre, e così la casa di Priamo celebrata dai poeti di Grecia e nostri, e tutti quei re con i boccoli profumati che si pavoneggiano nei loro mantelli all’orientale. Su questi campi non ci sono eserciti indiani, porpore ondeggianti sulle spalle, masse di soldati che scappano dopo essersi limitate a usare l’arma leggera delle loro frecce : qui, nata tra le armi, salda nella sua intatta forza italica, è la gioventù romana che combatte […].]

La densità allusiva di questi versi e le fitte corrispondenze interne meriterebbero un discorso a parte, ma basti l’essenziale. Si tratta di una parziale ma fedele ripresa dei già più volte invocati capitoli 17-19 del l. IX delle Storie di Livio, nei quali lo storico romano, muovendo dall’esaltazione di quel gran soldato che fu Papirio Cursore, cerca di immaginare cosa sarebbe successo se Alessandro avesse rivolto il suo esercito contro Roma14. Non c’è dubbio : avrebbe forse vinto qualche battaglia, ma troppi sarebbero stati i suoi punti deboli e alla fine avrebbe conosciuto quella sconfitta alla quale solo la morte precoce lo ha sottratto. Le ragioni sono molte : era solo e tutto dipendeva da lui, mentre Roma era uno « stato », non una persona, e poteva sopportare di perdere qualche battaglia, mentre Alessandro, senza un retroterra logistico, se avesse perso una battaglia avrebbe perso la guerra. Molti dei generali romani, inoltre, non valevano meno di Alessandro, e Roma poteva schierare una rete potente di alleati, mentre Alessandro avrebbe potuto fidarsi solo dei suoi Macedoni ; se si fosse tirato dietro Persiani e Indiani ne avrebbe avuto solo dei danni : in ogni caso, per le gole del Sannio e della Lucania il suo esercito sarebbe stato massacrato. 14. Sul punto, vd. anche Orosio, III, 15, 10 : « Hic autem Papirius adeo tunc apud Romanos bellicosissimus ac strenuissimus habebatur, ut cum Alexander Magnus disponere diceretur ab Oriente descendens obtinere viribus Africam atque inde in Italiam transvehi, Romani inter ceteros duces tunc in republica sua optimos hunc praecipuum fore qui Alexandri impetum sustinere posset meditarentur » (« Questo Papirio era allora considerato dai Romani come il generale più combattivo e valoroso, sì che pensavano che tra tutti gli ottimi condottieri che allora la Repubblica aveva sarebbe stato quello che meglio di altri avrebbe potuto sostenere l’attacco di Alessandro, di cui si diceva che avrebbe lasciato l’Oriente per conquistare l’Africa e passare poi in Italia »). Ma poi vd. ancora, per es., Novellino, 67, 1.



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La falange era uno strumento troppo poco agile, quasi immobile, mentre gli eserciti italici avevano una struttura articolata e collaudata, una disciplina perfetta, quasi una forma d’arte, che permetteva movimenti e ricongiungimenti veloci e azioni diversificate specie su terreni difficili, e accompagnavano la loro superiorità strategica e organizzativa con un tipo di armamento assai più efficace di quello Macedone. Insomma, Alessandro si sarebbe accorto di avere dinanzi a sé dei veri soldati, e non « Persas et Indos et imbellem Asiam », con i loro eserciti di eunuchi e di donne coperti di porpora e oro, prede più che nemici (IX, 17, 16, « praedam verius quam hostem » : vd. anche Giustino, XI, 13, 11). E i Romani, all’opposto, combattendo contro Filippo, Antioco, Perseo, si sono a loro volta accorti di quanto fossero state fragili le basi della presunta grandezza di Alessandro15. Questo riassunto dei capitoli liviani dimentica varie cose, ma contiene alcuni degli elementi portanti che Petrarca ha posto alla base dei versi del l. VII appena sopra considerati, ora perfettamente chiari. Né a quegli elementi rinuncia così presto. Ci gioca ancora, infatti, come fa il gatto col topo, e scopre le sue carte senza fretta : non nomina Alessandro nel momento medesimo in cui fa capire a tutti che parla di lui ; allude, sparge indizi, cambia discorso e lo ripiglia a distanza… Nell’immediato la parte finale del l. VII descrive rapidamente il crollo delle schiere nemiche e la fuga di Annibale, che riesce a raggiungere Cartagine e casa sua ; il l. VIII, dopo pochi versi dedicati al saccheggio delle ricchezze abbandonate dai Cartaginesi in fuga (VIII, 29, « Raptor raptorem spoliat »), la scena si sposta. È sera, le stelle già brillano e i soldati cenano e si riposano. Anche Scipione si rilassa attorniato dal suo stato maggiore, e ben presto Lelio comincia a parlare esaltando la grande vittoria appena ottenuta, e però lamentando il fatto che Annibale fosse riuscito a fuggire (47-60). Massinissa lo interrompe ricordando la nota astuzia di Annibale che pur definitivamente sconfitto è riuscito a trovato le oscure vie 15. Questi capitoli liviani sono stati ampiamente analizzati in chiave tutta interna alle « parti » politiche che dividevano Roma, sì da evidenziarne le componenti polemiche che coinvolgevano quali oppositori di Augusto sia Asinio Pollione che lo storico Timagene : per esempio quelle che facevano stingere i caratteri negativi di Alessandro sul suo « imitatore » Antonio : vd. N. Biffi, « L’excursus liviano su Alessandro Magno », Bollettino di studi latini, 25 (1995), p. 462-476, al quale rimando anche per la bibliografia. Ma sul tema, assai complesso, si veda soprattutto il fondamentale volume di P. Treves, Il mito di Alessandro e la Roma d’Augusto, Milano e Napoli, 1953, il quale fa leva sull’irrisolta questione della guerra contro i Parti quale momento di scontro ideologico-politico tra opposte fazioni (vd. soprattutto il primo capitolo, L’Alessandro di Livio, p. 13-38, preceduto a guisa d’introduzione dall’excursus medesimo, p. 2-11). Ma questo possibile tema non ha interessato Petrarca, che probabilmente non era neppure in grado di percepirlo con sufficiente chiarezza.

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della fuga, e ciò introduce all’intervento di Scipione (79-144) che s’apre con un indiretto attacco ad Alessandro. Esordisce infatti dicendo che, se ripensa alle straordinarie capacità militari di Annibale, tutto quello che ha letto o sentito dire di altri condottieri al confronto gli sembrano solo mediocri leggende (80-81, « michi parva videntur / fabula »), ove non sarà esagerato scorgere un’attualizzante punta polemica contro le fabule che aveva finito per circondare la figura di Alessandro. E dopo aver confessato che Annibale era più volte riuscito a far disperare lui, Scipione, della vittoria, riassume in altra forma la famosa classifica di Efeso e riferisce di sapere che il duce cartaginese era solito dire che tra tutti i condottieri più famosi del mondo si considerava terzo, dopo Alessandro e Pirro (102-107). Al che, immediatamente, Scipione prosegue, ripigliando l’affondo polemico di Livio contro Alessandro : Sed vera fateri non livor vetet aut odium : michi maximus omni Hanibal ex numero est, Darium nisi forte Porumque est vicisse magis quam, quos numerare laborem, tot nostros fudisse duces ; nisi prestat inermem barbariem superasse manu, quam cede cruenta Romanas stravisse acies […]. (VIII, 107-113) [Ma il rancore e l’odio non devono impedire di dire la verità : per me, Annibale è il più grande di tutti, a meno che non si dica che l’aver sconfitto Dario e Poro valga di più che aver sbaragliato tanti nostri generali che farei fatica a elencarli tutti ; a meno che l’aver piegato con la forza tanti barbari disarmati valga di più che l’aver distrutto le schiere romane in stragi sanguinose […].]

Torna poi a lodare le qualità militari di Annibale con una frase di passaggio che, traducendo liberamente, suona : « Ma queste sono cose vecchie, e non è il caso che io insista a confrontare il loro carattere né vorrei, questo re, metterlo a nudo proprio ora : si goda dunque la sua fama popolare ; d’altronde, preferisco fare le meritate lodi di un acerrimo nemico » (vd. 113-117). È una dichiarazione interessante perché sembra rivelare il vicino progetto di dedicare un discorso specifico alla figura di Alessandro che qui sarebbe fuori posto (115, « Hinc regem [Alessandro] nudare piget », quando invece, 117 : « Hinc hostem [Annibale] celebrare vacat ») anche perché avrebbe richiesto un allargamento dell’attenzione dall’àmbito strettamente militare a quello complessivo delle personalità in gioco, con i loro vizi e le loro virtù, cioè ai mores (114, « Quid ? mores moribus equem ? »). Come vedremo tra poco, sarà infatti un’operetta come la Collatio a dare corpo al progetto in questo stesso



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giro d’anni, diciamo nei primi ‘50 e in ogni caso prima della lettura di Quinto Curzio a metà del decennio. Ma tant’è, Petrarca non riesce a trattenersi e a questo punto dell’Africa, VIII, 135-144, dopo aver pronunciato un lungo elogio delle qualità belliche di Annibale, mette in bocca a Scipione, a contrasto, un nuovo e improvviso attacco ad personam contro il famoso innominato : Quis michi ductorem laudet, quem ceca gubernat ebrietas, fugienda viro cuicumque, sed altis principibus funesta lues ? Quis sparsa cruore convivia et plenis elata cadavera mensis, perque estum ancipites algenti in flumine saltus ? barbaricus cui luxus iners et Persica sortis blandimenta nove placeant, ac purpura mollis ? Cetera pretereo ; sed enim non moribus istis Hanibal Italiam bello vastasse trilustri evaluit16. [Chi mi potrebbe lodare un generale succube dell’ubriachezza più cieca, che ciascuno dovrebbe rifuggire e ch’è invece il peggior vizio dei potenti ? oppure i banchetti ove scorre il sangue e i cadaveri giacciono sulle mense imbandite ? oppure, sotto la canicola, le pericolose immersioni in un fiume gelato ? Un generale che ami il molle lusso barbarico e le delizie orientali della sua nuova condizione, e le porpore femminee ? Mi fermo, ma non è certo con questi comportamenti che Annibale riuscì a mettere l’Italia a ferro e a fuoco per quindici anni.]

Il condottiero ubriaco che durante il banchetto trafigge a morte l’amico Clito ; che, insofferente del caldo, si getta sudato nel fiume Cidno ; che si lascia affascinare dal lusso barbarico delle corti orientali… Quello che è troppo è troppo, e il giovane e sempre un po’ stordito Massinissa pronuncia il nome sin lì quasi censurato, dando l’impressione di non avere ancora capito che proprio di Alessandro si è già parlato e si parla. È Massinissa infatti che a questo punto si intromette e candidamente chiede : ma più grande di Annibale, appena sconfitto, non è stato forse Alessandro, il grande e invitto conquistatore ? E Scipione risponde diffusamente (VIII, 155-209) chiarendo le 16. Fonte di Petrarca in questo caso è l’ampio resoconto di Giustino, XII, 6, e Seneca, Ad Lucilium, LXXXIII, 19-23, che parla del vizio del bere di Alessandro che, ubriaco, uccise Clito durante un banchetto. Ma è Valerio Massimo, III, 8, ext. 6, che racconta nei particolari l’episodio del tuffo di Alessandro accaldato per la lunga marcia nel fiume Cidno, che gli procurò una congestione che per poco non lo fece morire (vd. anche Giulio Valerio, II, 8, 461-462 ; Giustino, XI, 8, 3-4, ma pure Gautier de Châtillon, Alexandreis, II, 160 ss.

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allusioni precedenti e tornando a distendere contro Alessandro gli argomenti già messi in campo da Livio nel suo excursus : Alessandro si è cimentato con imbelli popoli orientali, quasi uno stuolo di femmine in confronto ai soldati italici17, e se è morto invitto, com’è pur vero, lo deve al fatto di essere morto giovane : anche Annibale, se fosse morto all’età di Alessandro, sarebbe sceso invitto al sepolcro, Annibale che ha passato più anni a vincere che l’altro a vivere… Il discorso pare chiudersi così, con gli ascoltatori ormai convinti della superiorità di Annibale su Alessandro. Ma ecco che un veterano puntiglioso fa la domanda ch’era rimasta in sospeso : se Annibale è terzo, infatti, qual è il posto riservato a Scipione medesimo ? e Annibale, se a Zama avesse vinto, dove porrebbe se stesso ? Non è Scipione, ovviamente, che può rispondere, ed è invece Lelio che mette fine alla questione (VIII, 220-229), riproponendo in polemica con Livio e Floro il tema dell’assoluta incomparabilità del suo eroe rispetto a tutti gli altri. Così nell’Africa si chiude il lungo discorso che ha preso le mosse da Livio e che ha impegnato Petrarca nel difficile gioco di accogliere e ritrascrivere l’aneddoto di Efeso, perno della sua esaltazione di Scipione. Ma un gioco non del tutto riuscito a sentire l’autore, che pure ha frammentato il racconto che le fonti gli consegnavano e l’ha poi abilmente dilatato affidando le parti a un piccolo coro di voci, da Lelio a Scipione a Massinissa al veterano, a Lelio ancora. Nel Laurenziano, infatti, leggiamo questa postilla : « attende hic et subsiste, quia tota hec narratio sequens vel est tollenda vel alio transferenda vel aliis coloribus adumbranda18. » Eliminarla, o trasferirla in altro luogo, o ritrascriverla atteggiandola diversamente (« vel aliis coloribus adumbranda ») : ma perché ? cos’è che non va ? Può darsi, come osserva Fera, che Petrarca non fosse soddisfatto « tra l’altro, del forte sapore prosastico che pervade molti esametri della lunga digressione, come i vv. 105-110 », ma la ragione ultima è certamente più generale : si direbbe che in discussione sia l’efficacia dell’intera operazione intesa a ridimensionare l’imbarazzante figura di Alessando, condotta lungo una traccia troppo scopertamente aderente a Livio, dal quale deriva tutti i suoi « colori ». Credo, in estrema sintesi, che occorra pensare a un percorso che inizialmente non prevedeva alcuna particolare attenzione per Alessandro, come possono testimoniare le tre redazioni della Vita di Scipione nelle quali l’iniziale ricordo dell’incontro di Efeso non dà alcuno spazio ad Alessandro ma serve solo a marcare l’incomparabile grandezza di 17. L’avrebbe detto lo zio Alessandro il Molosso, morendo in Lucania, secondo la versione di Livio, IX, 19, 10-11, e di Aulo Gellio, XVII, 21, 33. 18. Fera, La revisione, cit., p. 356-357.



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Scipione nei confronti di quel grandissimo condottiero che pure fu Annibale. Nel poema, invece, le cose sono andate diversamente e proprio quell’incontro nel corso del lungo lavoro si è rivelato per via molto meno innocuo di quanto fosse sembrato a tutta prima, rilasciando pian piano i suoi veleni, sino al punto ben testimoniato dal discorso di Scipione la sera della vittoria. Ora, a cose fatte, rendere il dovuto omaggio al grande sconfitto non costa nulla ed è al contrario particolarmente nobile e gratificante : allo stesso tempo, però, è diventato necessario ammettere che il vero idolo polemico, o per meglio dire il pericoloso anti-modello di Scipione non è più il troppo facile Annibale, ma Alessandro Magno. Di qui ha origine la perplessità di Petrarca che scopre d’aver parlato forse troppo e inopportunamente di Alessandro nel poema dedicato a Scipione, e troppo poco in relazione a ciò che la figura di Alessandro avrebbe preteso. Una traccia di una perplessità siffatta è nella postilla, ma è anche nei versi citati, 113-117, ove sembra per un momento che Petrarca riesca a smettere di parlare di Alessandro (113-114, « Distantia longe / acta ducum memoro. Quid ? »), ed è alla luce di questa perplessità che andrà visto un curioso testo, la Collatio inter Scipionem, Alexandrum, Hanibalem et Pyrrum. La Collatio inter Scipionem, Alexandrum, Hanibalem et Pyrrum è un breve testo in prosa, più o meno una dozzina di pagine a stampa, che a dispetto del titolo limita il confronto ad Alessandro e Annibale, e di là da qualche ampliamento di tipo discorsivo segue la stessa traccia e si basa sugli stessi elementi che ritroviamo nel l. VIII dell’Africa19. Pur essendo indubitabilmente petrarchesco, tale testo non compare nel canone delle opere, ed è stato pubblicato dal cod. miscellaneo Lat. 7 dell’Università di Pennsylvania solo nel 1964, per le cure di G. Martellotti. Successivamente, nel 1977, l’opera è stata scoperta anche in un manoscritto miscellaneo quattrocentesco, il Riccardiano 676, da Giuliana Crevatin, smentendo così la precedente opinione che essa, rimasta tra le carte del poeta, non avesse avuto circolazione e fosse rimasta confinata in àmbito lombardo, nel manoscitto appartenuto al milanese Lancino Curzio, morto nel 1512, e infine approdato nel ‘900 negli Stati Uniti20. 19. Per quanto qui si afferma, vd. E. Fenzi, « Scipione e la Collatio ducum : dal confronto con Annibale a quello con Alessandro Magno », in idem, Saggi petrarcheschi, Firenze, 2003, p. 365-416, in part. p. 397-403, per i passi paralleli che stringono insieme il l. VIII del poema e la Collatio, e l’uso delle medesime auctoritates. 20. Vd. G. Martellotti, « La Collatio inter Scipionem Alexandrum Hanibalem et Pyrrum. Un inedito del Petrarca nella Biblioteca della University of Pennsylvania », in Classical Mediaeval and Renaissance Studies in Honor of B. L. Ullman, Roma, 1964, II, p. 145-168, ora in Martellotti, Scritti petrarcheschi, a cura di M.  Feo e S.  Rizzo, Padova, 1983, p.  321-346 ; G.  Crevatin, « Scipione e la fortuna di Petrarca nell’Umanesimo (un nuovo manoscritto della Collatio inter

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La Collatio, che è certamente un unicum entro le opere di Petrarca, non offre espliciti elementi per la sua datazione, e Martellotti ha ipotizzato che possa essere stata concepita in occasione della versione ultima, alfa, della Vita di Scipione, il che non aiuta molto visto che per il medesimo Martellotti tale versione è posteriore al 1353 e forse arriva oltre la metà degli anni ’6021. Ma non è così : come s’è accennato, essa è strettamente legata al discorso che Scipione fa nella prima parte del l. VIII dell’Africa contrapponendo in maniera finalmente chiara e diretta Annibale ad Alessandro, e rammaricandosi che il cartaginese, pur tanto più meritevole, non goda della fama che ingiustamente premia l’altro presso gli ignoranti e gli sciocchi (così in Familiares, XVII, 3, 29, « apud indoctos et pauca pensantes »). Allora, Petrarca ha avvertito che quel confronto al quale le cose stesse l’avevano portato rischiava di sfuggirli di mano, di ingigantirsi oltre gli equilibri richiesti dal poema, e che in ogni caso richiedeva un suo luogo specifico e un coerente approfondimento, e a questa esigenza la Collatio avrebbe dovuto cominciare a rispondere. Non è dunque, come si potrebbe intendere sulla scia di Martellotti, una sorta di stampella aggiuntiva alla Vita di Alessandro nel De viris, ma semmai qualcosa che supplisce a una Vita che ancora non c’è, e insieme la annuncia. È la prima provvisoria risposta alla necessità di affrontare l’argomento, ed è però una risposta che ancora non si stacca dal resoconto liviano dell’incontro di Efeso e dunque ancora non esce dal recinto dell’Africa : continua a usare di Annibale per evitare un confronto diretto Scipione – Alessandro, bastando dimostrare che Annibale era stato superiore a quest’ultimo : il resto sarebbe venuto da sé… Il punto è fondamentale, perché segna con precisione il nodo al quale Petrarca è arrivato intorno ai primi anni ’50 e la sua insufficiente risoluzione, denunciata insieme dai v. 113-117 del l. VIII del poema che confessano l’inopportunità di parlare di Alessandro ; dalla postilla che suggerisce la possibilità di eliminare tutta la parte dedicata al re macedone, e infine dalla Collatio. E tutto ciò illumina pure il « metodo » di Petrarca, o, se la parola sembra riduttiva, il suo ethos di grande intellettuale, che si rende ben conto che l’aver spalancato le porte ad Alessandro Magno introietta nel poema ben altro che una mera questione di superiorità tra generali. Si tratta invece di quello che con qualche forzatura potremmo definire lo « scontro di civiltà » che oppone Scipionem Alexandrum Hanibalem et Pyrrum) », Rinascimento, 17 (1977), p. 3-30. Allo studio della Crevatin rimando per più diffuse notizie sul manoscritto statunitense, già appartenuto allo studioso tedesco Ludwig Bertalot (lo scopritore ed editore del manoscritto berlinese del De vulgari eloquentia) e oggetto per molto tempo di complesse trattative sul mercato antiquario ; per la collazione dei due testi, e infine per una fitta notizia sul milanese Lancino Curzio. 21. Martellotti, « Stella difforme », cit., p. 418.



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l’ipotesi orientale e pagana di impero incarnata da Alessandro all’ipotesi romana e cristiana che in Scipione conosce la prima epifania, già carica di tutto il peso del suo futuro. È almeno verisimile (per me una certezza) che tutto ciò abbia contribuito per la sua parte alla situazione di stallo che ha inchiodato l’Africa alla sua incompiutezza, ed è certo, per contro, che Petrarca s’è trovato a dover affrontare con una certa urgenza due questioni sino a quel momento sottovalutate : l’effettiva attualità di una linea culturale e politica che in chiave anti-romana tornava a fare centro sul fascinoso mito concresciuto attorno alla figura di Alessandro, e l’esigenza di sconfiggerla, quella linea, attraverso un’inedita e severa opera di ricostruzione storica che finalmente restituisse ad Alessandro le sue dimensioni reali. Semplificando, questa doppia via per il suo coté negativo era riassumibile nella polemica contro l’Alexandreis di Gautier di Châtillon e le sue chiare e consapevoli formulazioni antiromane22, e per il coté positivo nel ritorno alla più ampia opera storica dedicata ad Alessandro, quella di Quinto Curzio Rufo, che sin lì Petrarca aveva curiosamente ignorato, fidando in Livio e in Giustino. La prima dura critica contro Gautier è in una lettera del 1352, la Fam. XIII, 10, 7 (anche la data può dunque essere un indizio del fatto che la polemica non risale alle origini dell’Africa, ma al momento in cui Petrarca si è trovato a fare i conti con Alessandro Magno). Petrarca spiega a Zanobi da Strada per quale ragione in una lettera precedente, la Fam. XII, 16, elencando una serie di coppie di amici avesse tralasciato di ricordare proprio le più famose : quella di Eurialo e Niso, di Achille e Patroclo e di Alessandro ed Efestione (questa, per troppa disparità tra i due, oltre al fatto che Alessandro non era uomo che 22. Per l’Africa intesa come anti-Alexandreis, vd. E. Carrara, « L’epopea dotta », in idem, Da Rolando a Morgante, Torino, 1932, p. 131 ; M. Feo, « Il poema epico latino nell’Italia medievale », in I linguaggi della propaganda, a cura dell’Istituto Storico della Resistenza in Piemonte, Milano, 1991, p. 31-72, in part. p. 57-59, ove tocca perfettamente il punto centrale dell’ostilità « ideologica » di Petrarca per l’Alexandreis, poderoso atto di « propaganda di una visione dell’antichità centrata sulla Grecia, alternativa a quella fondata sul mito provvidenzialistico di Roma ». Vd. anche Fera, La revisione, cit., p. 34-35 : l’Africa « si prefiggeva apertamente lo scopo di richiamare alla memoria la res romana e riconoscerle specifico ed assoluto valore di exemplum, in una tenzone senza tregua con il prodotto più elaborato (e diffuso) dell’epica francese del XII secolo, che cantava, appunto, le gesta di un eroe non romano, Alessandro ». « Ma, aggiunge Fera, la polemica si alimentava anche a un diverso modo di intendere il poetae officium, essendo l’esaltazione del ruolo unico di Roma non il frutto di mera infatuazione, ma il risultato del più rigoroso sapere storico, sì che l’Africa avrebbe dovuto porsi come il modello di una nuova e straordinaria simbiosi tra storia e poesia, per vari aspetti più vicina al Bellum civile di Lucano che all’Eneide, seppur attraverso «forme e tratti strutturali più decisamente virgiliani. »

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offrisse una facile base alle amicizie). E ciò gli dà occasione di aggiungere, nell’ultimo paragrafo : Illud enim macedonicum par a plebeio poeta celebratum, in tanta luce veterum nec nomine dignum reor, quando omnes iam qui inerte calamum fuscis agimus membranis, non imitatores sed simie facti sumus. [Quanto a quella coppia di macedoni celebrata da un poeta plebeo, in tanto splendore d’esempi antichi penso che non sia neppur degna d’essere nominata, dal momento che ognuno di noi quando fa passivamente scorrere la penna sopra le sue oscure pergamene non è un imitatore, ma una scimmia.]

L’allusione, abbastanza criptica per la consueta sprezzante omissione del nome, va appunto a Gautier, e alla coppia Simmaco – Nicanore (Alexandreis, IX, 77-147 : i due amici sono protagonisti di un episodio costruito in modo analogo a quello virgiliano di Eurialo e Niso), e l’accusa riguarda l’àmbito letterario e formale : Gautier è un « poeta plebeo », e quanto egli scrive è frutto di un atteggiamento « inerte », « passivo » dinanzi ai modelli antichi (si osservi l’opposizione tra la « luce degli antichi » e le « oscure pergamene » dei moderni), che ne fa una « scimmia » invece di un imitatore23. Il tratto è significativo, anche perché può essere corredato da un particolare minimo ma coerente : le tarde postille all’Africa pubblicate da Fera mostrano qua e là lo scrupolo di Petrarca nel riconsiderare l’uso di alcune clausole impiegate, tra altri, da Gautier, il quale è esplicitamente richiamato in un caso che ci rimanda proprio alla conclusione dell’episodio appena citato24. Se ancora osserviamo che nella lettera Petrarca giunge a criticare Gautier in modo alquanto inatteso e pretestuoso, forzando la linea del discorso, possiamo pensare che a quella data a Petrarca evidentemente stia a cuore la condanna dell’Alexandreis, che però ancora nasconde la sua radice ideologica dietro il giudizio poetico. Al momento, infatti, non ha ancora compiuto un passo fondamentale : la lettura delle Historiae Alexandri di Quinto Curzio.

23. Per la metafora della « scimmia » a proposito di un imitatore poco intelligente, di infima qualità, vd. E. R. Curtius, Letteratura europea e Medio Evo latino, Firenze, 1992 (1948), p. 601603, e il volume di H. W. Janson, Apes and Ape Lore in the Middle Ages and the Renaissance, Londra, 1952. 24. In Africa, V, 686-687 : « Ibis ad Elisias directo tramite valles, / et michi morte tua gemitum lacrimasque relinques. » Petrarca infatti annota : « attende Alexandreyda », riferendosi ad Alexandreis, IX, 146-147 : « resoluto corpore tandem / tendit ad Elisios angusto tramite campos » (vd. Fera, La revisione, p. 192).



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Le basi per questa ricostruzione le ha poste Giuseppe Billanovich che per primo, correggendo insieme Nolhac e Martellotti, ha dato corpo a un’ipotesi complessiva assai ragionevole e rispettosa di tutto ciò che si sa. Solo nel 1355-1356 Petrarca ebbe da Guglielmo da Pastrengo, che l’aveva fatto copiare per lui a Verona, l’ancora raro testo di Quinto Curzio, che Petrarca sùbito lesse e annotò, e sul quale basò la sua Vita di Alessandro, che solo a quel punto inserì nel De viris. Sarebbe proprio il Quinto Curzio, infatti, il testo che Petrarca nella Fam. IX 15, del 1355, avrebbe sollecitato all’amico, e che ora è il cod. Par. Lat. 5720 della Biblioteca Nazionale di Francia25. In questa sede possiamo tralasciare le analisi di Billanovich sulla qualità del testo, spesso emendato in modo assai acuto da Petrarca, perché soprattutto ci interessa il frutto che costui finalmente trasse dalla lettura dell’opera. Ancora Billanovich in quelle sue pagine ha condotto una rapida analisi intesa a dimostrare che Petrarca non citò mai Quinto Curzio prima del 1356, e si sa come una prova ex silentio di questo tipo abbia in lui un valore tutto speciale. Ora, anche letture più ravvicinate confermano la circostanza, così come mostrano che, alla luce delle prevedibili intenzioni polemiche di partenza, Petrarca ricavò da Quinto Curzio una valutazione più equa di Alessandro, che almeno nelle postille appare liberato dalla gabbia entro la quale era stato costretto dalla fedeltà alla visione unilaterale e persino rancorosamente partigiana di Livio. Ma questa rinnovata immagine di Alessandro è rimasta qualcosa di personale, addirittura di privato, che non ha modificato la sostanza della posta in gioco. Diciamo che Petrarca era in ogni caso obbligato a non recedere dalla battaglia 25. Fam. IX, 15, 1 : « Libro illo valde egeo in virorum illustrium congerie, cui hos humeros qualescunque subieci ; oro ergo, festina : scis quam carum est tempus horas et momenta librantibus » (« Di quel libro ho davvero bisogno per quella serie degli uomini illustri che mi sono caricato sulle spalle, poco o tanto robuste che siano. Perciò affrettati, ti prego : tu sai quanto sia prezioso il tempo per chi conta le ore e i minuti »). Vd. G. Billanovich, « Petrarca e i libri della cattedrale di Verona », in Petrarca, Verona e l’Europa, a cura di G. Billanovich e G. Frasso, Padova, p. 117-178, in part. p. 149 ss. La risoluta conclusione di Billanovich è dunque che « Petrarca conobbe l’ancora raro Curzio Rufo solo quando Guglielmo da Pastrengo glielo segnalò e gli fornì copia del codice veronese ; e che solo allora egli formò la Vita Alexandri tutta appoggiata su Curzio e su Giustino e la inserì dentro la già vecchia edizione de De viris illustribus. Nel nuovo entusiasmo anche si persuase a stendere la Collatio inter Scipionem, Alexandrum, Hannibalem et Pyrrum : che poi non gli riuscì di inserire dentro una sua opera maggiore » (p. 164). Come s’è visto e come qui ripeto, credo che quest’ultima affermazione non sia vera. Nella Collatio non c’è traccia di Curzio Rufo, e semmai essa rappresenta il tentativo di Petrarca di affrontare l’argomento continuando a basarsi sulle testimonianze che aveva a disposizione : sostanzialmente, su Livio e sullo schema offerto dall’incontro di Efeso. E proprio questo ne ha fatto un relitto accantonato e dimenticato.

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ingaggiata contro la cultura francese la quale aveva costruito il mito politico di Alessandro, e che Alessandro continua dunque a farne le spese : onde la perfetta coerenza dei toni assai duri che ritroviamo nella Vita, e la ripresa polemica contro l’uso in chiave nazionalistica della sua figura nel tardo e violentissimo libello anti-francese Contra eum qui maledixit Italie. Torniamo al codice. È in pergamena, di carte 1+86 scritte su due colonne, di mm. 350× 252, e manca, come tutti gli altri codici dell’opera, dei primi due libri, della fine del quinto, dell’inizio del sesto e di alcune parti del decimo. Le postille danno immediata testimonianza dell’attenzione con la quale Petrarca ha letto le Historiae (Hist.), e rivelano d’essere state apposte in tempi diversi26. Almeno due fasi successive sono nettamente riconoscibili : la prima, di gran lunga prevalente, caratterizzata dall’uso di un inchiostro giallo brunastro e da una scrittura più regolare e « quadrata » ; la seconda, caratterizzata da un inchiostro nero e da un modulo più nervoso e sottile che talvolta fa pensare agli anni tardi di Petrarca. In alcuni casi, le postille della seconda serie, come spesso in Petrarca, s’aggiungono a completare le precedenti, ed è proprio da casi come questi che si può cominciare perché se ne ricavano indicazioni che ci portano sùbito a ciò che ora ci interessa. Consideriamo la postilla, f. 49 v, Hist., VII, 5, 16 : « Actus strenui / et pij ducis », ove l’inchiostro della seconda parte è indubitabilmente diverso dall’altro e il tratto meno formale. Occorre dunque intendere che in origine la postilla « actus strenui » suonasse come riconoscimento dei « comportamenti coraggiosi » di Alessandro che dà prova di eroica sollecitudine per i suoi soldati drammaticamente oppressi dalla sete, e che l’aggiunta, che comportava il passaggio di strenui dal nominativo al genitivo, sia sopravvenuta a sottolineare il fatto che il re si dimostrava oltre che coraggioso anche « pio », connotando dunque il suo coraggio quale espressione d’una pietas profonda, squisitamente umana. Anche altrove, del resto, f. 59 r, Hist.,VIII, 26. Ricordo qui, a importante conferma dello schema approntato, che un esperto della scrittura petrarchesca come A. Petrucci ha datato le postille dal 1356 in avanti, con aggiunte ­anche molto tarde : vd. A. Petrucci, La scrittura di Francesco Petrarca, Città del Vaticano, Bibl. Apostolica Vaticana, 1967, in part. la grande Tavola riassuntiva tra le p. 56-57 (più avanti, nella sintetica scheda sul codice, Appendice II, p. 125, è detto : « annotato dal 1360 circa in poi »). Per la tarda conoscenza dell’opera da parte di Petrarca, vd. già U. Bosco, « Il Petrarca e l’umanesimo filologico », in idem, Saggi sul Rinascimento italiano, Firenze, 1970, p. 171-216, in part. p. 189, ma tale constatazione ancora urta con l’errata idea che la Vita di Alessandro, che ne dipende, fosse stata composta nel 1342-1343, onde la fragile ipotesi di una prima rapida lettura in quegli anni, mentre Petrarca « solo molto più tardi venne in possesso del codice che postillò ». Il codice è ora comodamente leggibile in una chiara riproduzione digitale, all’indirizzo : http:// gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84338623f.



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4, 15, annoterà « Alexandri humanitas erga gregarium militem ». Si tratta dunque di un segno che mostra come Petrarca sia rimasto colpito per via dalla singolare e per molti versi contraddittoria personalità di Alessandro, sino al punto di farlo addirittura pio, come un altro Enea. Quale analoga espressione di un interno movimento dialettico sta la postilla, f. 56 r, Hist., VIII, 1, 22, là dove Quinto Curzio parlava di un Alessandro « immodicus extimator sui ». Petrarca dapprima registra correttamente l’affermazione dello storico postillando : « Iactantia Alexandri », ma in un secondo tempo, rileggendo, ha ritenuto di dover dare testimonianza delle ragioni di una auto-stima così ipertrofica, e l’ha fatto in una forma particolare, lievemente incongrua, quasi nascondendo la sua intenzione dietro una circostanza che non poteva essere confutata, ed ha quindi aggiunto : « et extenuator paterne glorie. » Insomma, era innegabile che la gloria di Alessandro avesse finito per mettere in ombra quella pur grande del padre Filippo. Un atteggiamento diverso emerge invece là dove Alessandro tenta vane scuse per giustificare l’incendio di Persepoli, f. 30 v , Hist., V, 7, 11 : Petrarca dapprima nota « Stulta excusatio fedi facti », e aggiunge in un secondo tempo « imo accusatio ». Anche queste poche postille « in movimento » invitano dunque a considerare meglio i giudizi che via via Petrarca esprime su Alessandro27. Procediamo 27. Ce ne sono naturalmente altre, tra le quali spiccano quelle che integrano le note precedenti con rimandi a Giustino, che appaiono il frutto di una sorta di collazione tra le due opere storiche che fornivano a Petrarca la sua base documentaria. Al f. 33 r, Hist., V, 12, 20 (Dario incatenato con ceppi d’oro) P. de Nolhac, Pétrarque et l’humanisme, Paris, 1907, p. 97, distingue giustamente non due fasi, ma tre nella postilla : « auree compedes / similes Just. libro 5 ad finem. / Item in vita Valeriani ». I rimandi vanno a Giustino, V, 11, 4 : Artaserse « compedibus aureis vinxit » il fratello Ciro, e alla regina Zenobia sconfitta e trascinata in trionfo da Aureliano « ornata gemmis, catenis aureis quas alii sustentabant » (Historia Augusta, XXVI, Divus Aurelianus, 34, 3 ; ibidem, XXIV, Tyranni Triginta, 30, 24-26 : direi dunque che Petrarca, per un facile lapsus, abbia scritto Valeriani per Aureliani). Sarà opportuno notare che Petrarca ebbe l’Historia Augusta da Guglielmo da Pastrengo nel 1356, e che la lettura dovette intrecciarsi con quella di Quinto Curzio, come la postilla suggerisce, ricordando pure che il caso di Dario, Artaserse e Zenobia è ripetuto nello stesso ordine nella lettera Seniles, VI 8, 25, composta tra il 1367 e il luglio del 1368 (vd. Billanovich, « Petrarca e i libri », cit., p. 156). E « doppia » è la postilla al f. 34 r, Hist., VI, 1, 1 : « Deest multum / Require Just. XIo ad finem », segnalando la lacuna che è tra la fine del l. V e l’inizio del l. VI. Il codice, unico, integra tale inizio così : « Interim dum talia fierent ab Alexandro, bellum ortum est inter Macedones et Lacedemonios. Antipater Macedonie prefectus in hoc bello contra regem Lacedemoniorum optinuit sicut hic exponitur/ pugne [cod. pugno] discrimen […] », ecc. Si tratta di un rappezzo che non deriva da Giustino, che pure nel l. XII dedica ampio spazio alla battaglia tra Antipatro e Agide, né soprattutto può appartenere a Petrarca, come pure si è sospettato (vd. Billanovich, « Petrarca e i libri », cit., p. 159-160 : ma per lui il « Deest multum » sarebbe del copista, mentre a me pare

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con ordine. Nessuna postilla ne rileva il comportamento nel famoso episodio del re che avendo in mano la lettera di Parmenione (solo Seneca, De ira, II, 23, 2, la attribuisce a Olimpiade, la madre di Alessandro) nella quale lo si ­avvertiva che la pozione preparatagli dal medico Filippo era avvelenata, vuota in un sorso la coppa che costui gli aveva porto. Non lo commenta, e si limita a lodare la « gloriosa indignatio » di Filippo quando, subito dopo, apprende d’essere stato ingiustamente calunniato (f. 4 r, III, 6, 10). La prima postilla che riguarda direttamente Alessandro rileva la sua ansia nell’imminenza della battaglia di Isso : « Hesitatio Alexandri Cesaree similis in die thesalico » (f. 5 v, III, 8, 20), cioè prima della battaglia di Farsalo28, ed è una postilla interessante perché mostra una sovrapposizione con la « storia di Cesare » che troviamo altre due volte. La prima, f. 9 r, Hist., IV, 1, 1, è relativa alla fuga solitaria di Dario « Similis Pompeio profugo », simile appunto a quella di Pompeo così com’è narrata nel De bello civili III, 96, 3-4. La seconda, f. 74 r, Hist., IX, 6, 8, riguarda gli ufficiali di Alessandro ch’era stato ferito assalendo la città dei Sidraci, dai quali è rimproverato per la sua irresponsabile temerarietà : « Reprehendunt milites Alexandrum ut Cesarem sui », con implicito rinvio a Lucano, V, 680 ss. che racconta come Cesare fosse stato rimproverato per aver messo a repentaglio la sua vita attraversando l’Adriatico in tempesta. In questo caso l’accostamento di Petrarca è particolarmente acuto perché i due testi sono effettivamente costruiti in modo simile (quale che sia la direzione del rapporto tra Lucano e Quinto Curzio, di cui si discute se abbia scritto sotto Claudio o sotto Vespasiano). Tutto ciò può confermare come in quegli anni (diciamo 1357-1360) Petrarca fosse impegnato a riconsiderare la figura di Cesare, sì da esserne indotto a passare con facilità da Alessandro a lui, senza dire che tale passaggio era anche favorito da un’affine ambivalenza del del tutto petrarchesco). Vd. poi, f. 30 v, Hist., V, 8, 8, là dove Dario dice di essere stato sconfitto bis, due volte : Petrarca infatti nota con l’inchiostro nero e la grafia sottile delle aggiunte : « At imo ter secundum Iustinum », rinviando genericamente a Giustino, presso il quale Alessandro dice effettivamente ai suoi che quella di Gaugamela è la terza battaglia contro l’esercito di Dario (XI, 13, 9, « cum isdem se tertio pugnare »). Ancora, f. 58 r, Hist., VIII, 2, 35, là dove si parla della morte del giovane Filippo, fratello di Lisimaco, all’ « apparet indolis rare » di Quinto Curzio, Petrarca postilla in due tempi : « Rare indolis adolescens / et est hec historia Justini 15o circa medium », con rinvio appunto a Giustino, XV, 3, 12, che riassume in poche parole la vicenda. Per finire con Giustino, Petrarca lo cita ancora, f. 20 r, per rilevare che alcune parole di Quinto Curzio in IV, 12, 21, sono, alla lettera, anche in Giustino, XI, 9, 2-3 : « Hec verba ad literam sunt apud Iustinum l. 11. » Questa postilla tuttavia si stacca dalle altre perché sembra appartenere, sulla base dell’inchiostro, allo strato più antico. 28. Vd. Nolhac, cit., II, p. 96, e l’ampia analisi della postilla che è in Fenzi, « Petrarca lettore », cit., p. 433-436.



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giudizio. Una ambivalenza che, si badi, nei singoli commenti non significa incertezza. Nel caso famoso dell’incontro con la famiglia di Dario prigioniera, là dove la madre, Sisigambi, scambia Efestione per Alessandro, Petrarca commenta la reazione di costui con un « preclarissime » (f. 8 r, Hist., III, 12, 17), e poco avanti con un « magnificum dictum » il suo commento dinanzi al comportamento del figlioletto del monarca persiano (ibid., Hist., III, 12, 26). Quando Alessandro afferma di saper insieme vincere e graziare i vinti, nota : « pulcra laus si vera », che non credo comporti, nel contesto, alcun sarcasmo (f. 9 r, IV, 1, 14). Altrettanto nette sono le espressioni di riprovazione. L’ira del re è senza mezzi termini « turpis » (f. 14 v, Hist., IV, 6, 29), ma talvolta traspare una certa cautela : per esempio, Alessandro è vittima della propria ambizione quando si fa illudere dai sacerdoti del tempio di Ammone : « Consulens Alexander oraclis illuditur » (f. 15 v, Hist., IV, 7, 29). Un punto a favore di Alessandro è il suo culto dell’amicizia, alla quale Petrarca pensa quando con tono neutro annota : « dolor ex mortibus amicorum » (f. 16 r, Hist., IV, 8, 8), mentre manifesta aperto entusiasmo la sua risposta alle offerte di Dario : « Alexandri responsio ad legatos magnifica », e ancora, poco avanti : « Magnificentissime » (f. 19 r, Hist., IV, 11, 16 e 21). E così ancora, con « Laus Alexandri in hoc prelio » (f. 27 r, Hist., IV, 16, 28) ; « moderate » (f. 27 r, Hist., V, 3, 15) ; « proprie » e « magnifice », accompagnata, questa, da uno dei suoi caratteristici tratti verticali (f. 27 v, Hist., V, 4, 12). Al f. 30 r, Hist., V, 7, 1, a proposito dell’incendio di Persepoli, una postilla riassume bene l’altalena delle valutazioni positive e negative : « Laudes Alexandri et vituperatio ingens » (si veda, sopra, la postilla a proposito delle giustificazioni tentate da Alessandro), ed è singolare che Petrarca non calchi poi la mano in occasioni che si sarebbero prestate a gravi critiche : loda ripetutamente i discorsi di Filota, seppur con qualche riserva sul piano retorico, ma nulla dice a esecrazione della condanna a morte di lui e del padre Parmenione, uno dei generali più importanti. Ma c’è una probabile spiegazione che emerge solo alla fine, prima di cambiare argomento, là dove Petrarca annota « finis longissime coniurationis » (f. 47 r, Hist., VII, 2, 38) : padre e figlio, insomma, ai suoi occhi erano davvero colpevoli, magari indirettamente, per aver lasciato che la congiura tramata da altri seguisse il suo corso. Ci sono ancora due noti episodi che avevano suscitato dure critiche contro Alessandro : l’uccisione di Clito e quella di Callistene, ma anche in queste occasioni è piuttosto evasivo. A proposito di Clito nota nell’ordine (f. 57 r, Hist., VIII, 1, 51-2, 8) : « Alexander ebrius Clitum interficit » ; « Latens ebrietas excusatio » ; « Alexandri penitentia ingens, sed Clito sera » (qui utilizza parole che Quinto Curzio, VIII, 8, 23, usa poco avanti a proposito di Callistene), alle quali aggiunge un « Alexandri

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lamentum », sì da spostare il discorso dal fatto in sé al « pentimento » e al « lamento ». Ancora meno è detto di Callistene, nipote di Aristotele e storico ufficiale della spedizione, torturato e ucciso con gli altri della cosiddetta « congiura dei Paggi ». Petrarca si limita a uno scarno « interficiuntur coniurati » e poco sotto « Callistenes tortus interit » (f. 63 r, Hist., VIII, 8, 20 e 21), ed è notevole che non conservi neppure un’eco dell’indignazione che il ricordo di questa morte aveva suscitato, macchiando sin dall’antichità più di ogni altra cosa l’immagine di Alessandro. Basti la testimonianza di Seneca, Naturales quaestiones, VI, 23, 2-3, che può essere assunta, tra altro, come « modello » di molti ambivalenti giudizi su Alessandro : Fuit enim illi [Callistene] nobile ingenium et furibundi regis impatiens. Hic est Alexandri crimen aeternum, quod nulla virtus, nulla bellorum felicitas redimet ; nam quotiens quis dixerit : « Occidit Persarum multa milia », opponetur ei : « et Callisthenen » ; quotiens dictum erit : « Occidit Darium, penes quem tum maximum regnum erat », opponetur ei : « et Callisthenen » ; quotiens dictum erit : « Omnia Oceano tenus vicit, ipsum quoque temptavit novis classibus et imperium ex angulo Thraciae usque ad Orientis terminos protulit », dicetur : « Sed Callisthenen occidit. » Omnia licet antiqua ducum regumque exempla transierit, ex his quae fecit nihil tam magnum erit quam scelus29. [Callistene ebbe ingegno nobile e incapace di sopportare un folle re. Qui sta l’eterno crimine di Alessandro che nessuna virtù e nessun successo militare potrà redimere. Ogni volta, infatti, che qualcuno dirà : « Ha ucciso molte migliaia di Persiani », gli si opporrà : « anche Callistene » ; ogni volta che si dirà : « Ha ucciso Dario, che possedeva allora il regno più grande », gli si opporrà : « anche Callistene » ; ogni volta si dirà : « Vinse tutto sino all’Oceano e in esso penetrò con nuove flotte, e allargò il suo impero da un angolo della Tracia sino ai confini orientali dell’Oceano », si dirà : « Ha ucciso anche Callistene. » Per quanto abbia superato tutti gli antichi esempi di condottieri e re, di tutto ciò che Alessandro ha fatto nulla è più grande del suo delitto.]

Petrarca certamente lo considerava colpevole, se non altro moralmente, e ciò apre la via a una considerazione in senso lato politica, perché la repressione di Alessandro ne riusciva ai suoi occhi legittimata. L’ipotesi, se è giusta, 29. Per un’esauriente rassegna dei giudizi di Seneca su Alessandro, quasi sempre assai duri, vd. D. Lassandro, « La figura di Alessandro Magno nell’opera di Seneca », in Alessandro Magno tra storia e mito, a cura di M. Sordi, Milano, 1984, p. 155-168, e la densa nota di D. Vottero nell’ed. da lui curata delle Naturales quaestiones, Torino, 1989, al passo sopra citato e soprattutto a III praef. 5. Si ricordi che Gautier, nell’Alexandreis, evita anche di nominare Callistene, ricordato invece da vari glossatori del poema (vd. Alexandreis, ed. cit., p. 294, 338, 468 e 492).



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tocca un argomento delicato, perché rimanda all’evoluzione dell’ideologia petrarchesca nella quale l’iniziale impronta repubblicana in questi anni si sta mescolando a un cesarismo sempre più aperto : donde la mancanza di eventuali esaltazioni in chiave libertaria di congiure e congiurati, che Petrarca sicuramente non ha mai amato30. A dare il tono sono dunque altre postille, come quella che con « preclare » commenta il fatto che Alessandro è sempre pronto a lottare contro qualsiasi difficoltà (f. 38 v, Hist., VI, 6, 27), o quelle che rimarcano due episodi nei quali Alessandro sceglie di soffrire le stesse pene dei suoi soldati, rispettivamente « aqua oblata Alexandro et reddita », e, già sopra citata, « Alexandri humanitas erga gregarium militem » (f. 49 v, Hist., VII, 5, 12, e f. 59 r, Hist., VIII, 4, 15). Quando Alessandro dice ai suoi stanchi soldati « Sed si me sequi vultis, valeo, amici », Petrarca postilla con « magnifice » (f. 52 r, Hist., VII, 7, 19). E ancora : « pulchre » e « Alexandri audacia » (f. 65 r, Hist., VIII, 11,10 e 11) ; « Regia responsio contra invidos » (f. 66 v, Hist., VIII, 12, 18, postilla che sembra piuttosto tarda) ; « Magnus animus. Grande periculum » (f. 67 v, Hist., VIII, 14, 14) ; « percontatio Alexandri Porique responsio duplex, utraque notabilis » (f. 68 v, Hist., VIII, 14, 41) ; « Capit Alexander solus multa milia seditiosorum » (f. 81 v, Hist., X, 2, 30, notevole perché sottolinea il coraggio e l’efficacia con la quale Alessandro affronta il problema della ribellione dei soldati con la quale anche Scipione aveva dovuto fare i conti). Naturalmente altre postille suonano più critiche, ma non sono molte e il loro tono è ispirato a imparzialità. Nella parte nella quale Quinto Curzio tenta una sorta di profilo complessivo della personalità di Alessandro Petrarca riassume : « Alexandri laus et excusatio » (f. 83 r, Hist., X, 5, 26 ss.), e quando ne prende le distanze, lo fa con cautela. Per esempio là dove lo storico, con patente ossimoro, elogia la moderazione che Alessandro avrebbe mantenuto negli eccessi, « modus immodicarum cupiditatum », Petrarca ragionevolmente postilla : « mirum cur hoc dicitur » (f. 83 r, Hist., X, 5, 32). E quando aggiunge che l’iracondia e la passione per il bere del re sarebbero scemate con l’avanzare dell’età, osserva : « primum fateor, de secundo dubium » (f. 83 r, Hist., X, 5, 34). Ma la riserva dal tono più simpatico e personale è forse quella che Petrarca esprime là dove Alessandro esalta la sua politica filo-orientale dando per scontato il suo dominio sull’Europa : « Asie et Europe unum atque idem 30. Non mi pare inopportuno ricordare al proposito che precisamente nel 1359 Petrarca interviene a nome dei Visconti contro il Bussolari che guidava la ribellione di Pavia (vd. Familiares, XIX, 18, e Lettere disperse, 39), e che ciò gli ha attirato la lunga accusa, ancora non sopita, di intellettuale asservito ai tiranni.

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regnum est ». All’altezza della parola Europe mette infatti un segno di richiamo, e nel margine inferiore del foglio scrive : « non totius bone rex » (f. 81 v, Hist., X, 3, 13). Ove l’ironia evidente si somma alla nascosta, visto che tradizionalmente ci si rivolgeva così ad Alessandro, e soprattutto lo si fa almeno due volte nell’Alexandreis, II, 233 e VI, 404. Ma, per finire, la postilla più seria e definitiva, eloquente nella sua spoglia semplicità, non chiama direttamente in causa Alessandro ma piuttosto lo oltrepassa. Là dove Quinto Curzio conclude il discorso su Tiro espugnata e distrutta da Alessandro (f. 13 r, Hist., IV, 4, 21) : Multis ergo casibus defuncta et post excidium renata tunc tamen longa pace cuncta refovente sub tutela romane mansuetudinis adquiescit, [Dopo aver subìto molte vicende ed essere risorta dopo la distruzione, ora che finalmente una lunga pace fa rinascere ogni cosa, anche Tiro riposa sicura, garantita dalla mitezza della protezione romana,]

Petrarca annota a margine, eccezionalmente in lettere capitali, con l’inchiostro nero e il tratto sottile delle note più tarde, « ROMA. » Di colpo, con questa sola parola incisa con tanta forza, egli riduce la « storia di Alessandro » all’avventura quanto si voglia ricca e affascinante di un solo uomo, e proclama con rattenuta enfasi che la « storia » vera, quella che dopo tante pur gloriose distruzioni garantisce pace e prosperità, è un’altra, e ha un altro nome. Spiace lasciare tante altre postille. Quanto osservato basta tuttavia per farci dire come Petrarca, al riparo da quella piccola ma capitale : « ROMA », si mostri attento ai tratti rilevanti della personalità di Alessandro ed eviti condanne irrevocabili, preferendo seguirne passo passo le vicende e i comportamenti e commentandoli per quello che sono, nel bene e nel male, diremmo, senza troppo gravarli di ingombranti scrupoli morali e ideologici. La sua lettura, insomma, è più libera e leggera di quello che sarebbe lecito aspettarsi, e non manca di rendere omaggio alle qualità di un personaggio seduttivo come quello dipinto da Quinto Curzio, con i suoi lati oscuri e i suoi eccessi ma tale che il lettore, alla fine, vada sempre oltre le sue colpe e le copra sotto un manto di grandezza. Le postille, da questo punto di vista, possono sembrare addirittura disimpegnate, attente all’oggettività del testo e ad alcuni suoi possibili riscontri più che a un deliberato programma di lettura. Come si è accennato, si tratta di un atteggiamento diverso da quello che domina la Vita di Alessandro, che si baserà con larghezza su Quinto Curzio, come mostra immediatamente il fatto che non fa parola della nascita e della giovinezza di Alessandro, e dopo poche righe d’introduzione comincia proprio là dove cominciava il testo dello storico, che ci è giunto privo dei primi due libri. Inserita com’è nella compagine del De viris « romano », infatti, la Vita sarà soprattutto impegnata



Petrarca e Alessandro : dal mito alla storia 83

a fare di Alessandro una sorta di immagine negativa programmaticamente intesa a mostrare ciò che Roma non è stata. Ciò non significa che Quinto Curzio sia rimasto un’esperienza meramente strumentale : tutt’altro, perché Petrarca attraverso di lui è uscito dalle strette misure imposte da Livio ed ha allargato la propria visione. Ma ciò vale, ripeto, sul piano delle acquisizioni e dei giudizi personali. Quando si tratta di tornare allo scoperto, erano davvero troppe le linee polemiche che finivano per incrociarsi proprio in Alessandro perché Petrarca potesse sottrarsi ai doveri impostigli dall’impresa culturale con la quale aveva finito per identificarsi. E la Vita di Alessandro non smentisce dunque la sostanza dei giudizi già emessi per bocca di Scipione nell’VIII dell’Africa e nella Collatio, anche se dà meno spazio agli aspetti propriamente militari e accentua per contro i comportamenti « eccessivi » del personaggio, accuratamente scelti tra molti : le rapide vittorie su Dario, prima di tutto, sono accompagnate dall’avvertimento che in seguito ad esse Alessandro aveva deplorevolmente assunto i costumi dei Persiani. Segue una sosta particolare sull’incendio di Persepoli, in sé probabilmente giustificabile ma odioso perché ordinato da un re ubriaco istigato da una meretricula. Largo spazio è poi dedicato alla morte di Dario, e nell’occasione è sottolineato il comportamento nobile di Alessandro, subito dopo smentito dalla spazio ancora maggiore dedicato alle torture subite da Callistene, dettagliatamente descritte, mentre le ragioni dell’uccisione di Filota e del padre Parmenione restano assai dubbie perché Petrarca non dà più per certa l’esistenza di una congiura, come invece aveva fatto nelle postille. Rapidi sono i cenni alla faticosa impresa indiana, spiegata attraverso lo stesso smodato desiderio di gloria che ha poi spinto il re a tentare di navigare l’Oceano, cosa inutile ma certamente destinata a grande risonanza, « rem non tam utilem quam famosam » (De viris, Al., XV, 29). Ancora, largo spazio è dato alle circostanze della morte, e alla designazione dell’erede con le famose parole : « il più degno » (dignissimum), che giustamente Petrarca commenta « generosa vox ex ore presertim filium ac fratrem et uxorem gravidam relinquentis, nobilis inquam vox, sed seditiosa » (De viris, Al., XV, 37, « nobile parola, specialmente da parte di chi lasciava un figlio, un fratello e una moglie incinta – parola nobile, ripeto, ma generatrice di discordie31 »). Finalmente, a chiudere, Petrarca riprende ancora una volta i termini dell’excursus liviano e termina con l’aneddoto di Alessandro il Molosso che

31. Vd. Quinto Curzio, X, 5, 4-7 (e Arriano, VII, 26, 3), e Alexandreis X, 420-421, « Optimus – inquit – et imperio dignissimus esto / rex vester » (« Il migliore – disse – e il più degno del supremo comando sia il vostro re »).

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in punto di morte avrebbe detto che a lui era toccato combattere con dei veri uomini e non contro delle femmine, come suo nipote. Il ritratto, come si vede, si concentra su pochi elementi importanti e lascia largo spazio a considerazioni di tipo personale che permettono a Petrarca di recuperare la sostanza dei severi giudizi di Seneca sulla « follia » di Alessandro, ma concede pure qualcosa alla grandezza del personaggio e al fascino delle sue contraddizioni. Negli ultimi tempi della sua vita, Hec inter in dies intractabilior rex fiebat, inardescente ira atque sevitia, intumescente superbia, evanescente post fortunam animo et vitiis cum prosperitate crescentibus ; quod in malis suis pessimum dixerim, instabilitas fuit et sui ipsius imparitas : nunc supra hominem mitis nunc immanis ut belua, nunc pudicissimus nunc profusus in Venerem, nunc famis sitisque contemptor et non patiens modo, sed appetentissimus laborum nunc ignavi otii sectator vino se immodico et intempestivis conviviis obruebat. Que res illi maturande mortis occasio fuit. (De viris, Al., XV, 30-31) [Frattanto il re diventava di giorno in giorno più intrattabile : ardeva d’ira e di crudeltà, si gonfiava di superbia, si perdeva d’animo dopo un rovescio di fortuna, e con i successi crescevano i vizi. Ma direi che il peggiore dei suoi difetti fu l’instabilità e il non essere pari a se stesso : ora il più mite degli uomini, ora crudele come una belva ; ora castissimo e ora immerso nei piaceri venerei ; ora sprezzante nei confronti della fame e della sete e non solo capace di sopportare le fatiche ma addirittura di desiderarle ; ora, seguace dell’ozio più indolente, si dava tutto al bere senza misura e a inopportuni banchetti : e questa fu la cagione che gli affrettò la morte.]

L’elemento per noi più interessante di quest’ultima parte sta tuttavia nella speciale ripresa che Petrarca fa di un polemico accenno di Livio contro i ­sostenitori della superiorità di Alessandro sui Romani : Livius tamen hanc assertionem levissimorum dicit esse Grecorum contra romanum nomen Parthorum etiam glorie faventium ; que quidem, quod ille nescivit, levissimorum quorundam similiter est Gallorum, quos non veri studium, non fides rerum, non denique Alexandri amor ullus sed Romanorum invidia atque odium impellit32. (De viris, Al., XV, 50) 32. Qui e nella citazione che segue, dal Contra eum, Petrarca cita e ricombina le parole medesime di Livio, IX, 18, 6, « Id vero periculum erat, quod levissimi ex Graeciqui Parthorum quoque contra nomen Romanum gloriae favent dictitare solent, ne maiestatem nominis Alexandri, quem ne fama quidem illis notum arbitror fuisse, sustinere non potuerit populus Romanus ? » (« c’era forse da temere, come vanno cianciando i più sciocchi tra i Greci che contro il nome di Roma plaudono persino alla gloria dei Parti, che il nostro popolo non avrebbe retto dinanzi alla



Petrarca e Alessandro : dal mito alla storia 85 [Livio dice tuttavia che un’affermazione simile è di quei sciocchissimi Greci che avrebbero plaudito anche alla gloria dei Parti pur di andare contro il nome di Rome : e questo è pure il caso – ma lui non poteva saperlo – di alcuni sciocchissimi Galli mossi non dalla ricerca della verità, non dalla prova dei fatti, non infine dall’amore per Alessandro, ma solo dall’invidia e dall’odio verso i Romani.]

Petrarca, come s’è già detto, non era in grado di penetrare la complessa trama, tutta interna alla dialettica che opponeva Augusto e i suoi oppositori, che stava dietro l’accenno di Livio (vd. sopra, nota 15), ma coglie l’occasione che gli veniva offerta di attualizzare la polemica riferendola alle posizioni anti-romane dell’Alexandreis di Gautier di Châtillon, attaccato con parole simili a quelle appena citate ma in forma più diffusa e più facilmente riconoscibile nella tarda Invectiva contra eum qui maledixit Italie (1373), diretta contro il teologo Jean de Hesdin. Cos’altro è la storia intera, scrive Petrarca nell’invettiva, se non l’esaltazione di Roma (Contra eum, 163 : « Quid est enim aliud omnis historia, quam romana laus ? »), mentre ogni altro impero non è stato che un gioco da ragazzi se lo si confronta con l’impero romano, anche se non sim nescius quosdam levissimos Grecorum « qui » ut Titus ait Livius « Partorum quoque contra romanum nomen glorie favent », dictitare solitos maiestatem Alexandri Macedonis, vix tenui fama Rome cogniti, non laturum fuisse populum romanum : videlicet non tot duces egregios, tot prudentium ac fortium virorum milia, uni furioso adolescenti potuisse resistere. Neque solum levissimi Grecorum, sed, quod Titus Livius nosse non potuit, levissimus quidam nuper vanissimusque Gallorum idem dixit, et sic omnis pudor periit, ut non tantum literis vilissimam hanc nugellam, sed numeris etiam carminibusque mandaret. Nescio quidem cur, nisi quod insignem, nec tam grecum quam gallicum, potorem noverat Alexandrum. Et sic similitudo morum parit amicitias, ac partas nutrit. Iratus ioco : imo quidem causam aliam scio ; tantum est enim odium romani nominis, ut non Alexandrum modo, sed Sardanapalum Iulio Cesari prelaturi sint. Nempe illos nisi per famam non noverunt, hunc senserunt eorum ferro ulcera resecantem atque insolentiam castigantes. Dissecentur tamen, et crepent medii : nunquam sibilis vipereis veritas quatietur. Adamantino monte solidior semper romana gloria toto orbe resonabit, semper invidentium illi nomen erit inglorium, imo infame33. (Contra eum, 165-168) maestà del nome di Alessandro che credo non conoscesse neppure per fama ? ») Per le citazioni dal Contra eum che seguono, rinvio alla più fitta numerazione dei paragrafi che è nell’ed. a cura di Monica Berté, Firenze, 2005. Nell’ed. a cura di Giuliana Crevatin, preziosa per l’Introduzione e le note, Padova, 2004 (Ia ed., 1995), si tratta del cap. 15, p. 94-96. 33. Nel passo, la frase sulla somiglianza che genera amicizia è già nei Rerum memorandarum libri, II, 83, 3, e da Petrarca è attribuita a Dante : « morum paritas et similitudo animorum

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Enrico Fenzi [so bene che certi sciocchissimi Greci che, come dice Tito Livio, contro il nome di Roma plaudono persino alla gloria dei Parti, sono soliti dire che il popolo romano non avrebbe potuto reggere dinanzi alla grandezza di Alessandro il Macedone, che a Roma era a malapena conosciuto per sentito dire : come se tanti eccellenti condottieri e tante migliaia di abili e accorti soldati non fossero in grado di resistere a un giovane pazzo e per di più solo. Ma non solo i più sciocchi dei Greci ma – Tito Livio non poteva saperlo – un Gallo tanto sciocco quanto superficiale ha detto non molto tempo fa la stessa cosa, e ha smarrito a tal punto il senso del pudore che non s’è limitato a mettere per iscritto questa idiozia, ma addirittura l’ha messa in versi. Non so perché l’abbia fatto, se non forse perché ha saputo che Alessandro era un gran bevitore, non tanto greco quanto gallo : la somiglianza dei costumi, infatti, genera le amicizie e le nutre una volta nate. Scherzo ma sono arrabbiato, perché conosco un’altra ragione : così grande è l’odio per il nome di Roma che quei tali a Giulio Cesare preferirebbero non solo Alessandro ma persino Sardanapalo. Questi, infatti, li hanno conosciuti solo per fama, mentre quello l’hanno sentito che tagliava via col ferro le loro escrescenze purulente e ne castigava l’insolenza. Ma si spremino pure e si facciano in quattro : la verità non si lascerà abbattere dai loro sibili viperini. Più solida di una montagna di diamante la gloria di Roma risuonerà sempre per il mondo intero, e il nome di chi la invidia sempre sarà inglorioso e, a dir meglio, infame.]

Ecco, il discorso su Alessandro ha finito per deviare lungo una strada tutta speciale. Non è più questione di lui, infatti, con le sue qualità e i suoi difetti. Il punto caldo è diventato un altro : la centralità di Roma nell’intera storia dell’occidente, che qualcuno vorrebbe negare usando a tale scopo del nome di Alessandro. Questo qualcuno ha un nome, che al solito Petrarca si guarda bene dal fare : Gautier de Châtillon, già condannato quale pessimo poeta nella Fam. XIII, 10, 7, del 1352, come s’è visto (vd. sopra, nota 22). Ora però cessa d’essere solo tale, e nel nuovo fronte aperto da Petrarca diventa il portavoce di una linea culturale e politica che in nome di Alessandro « inventa » un’ipotesi alternativa di continuità storica che scavalca Roma e fa capo al re Macedone. A questo punto, sono almeno due le cose che devono essere seppur brevemente considerate : la effettiva consistenza delle accuse di Petrarca e, di là dal caso singolo di Gautier, l’esistenza o meno di una corrente ideologica, e­ ssenzialmente francese, che facesse leva su Alessandro per spostare l’asse amicitie causa est. » L’origine è in Cicerone, De amicitia, 50, « nihil esse quod ad se rem ullam tam illiciat et tam trahat, quam ad amicitiam similitudo » (vd. Petrarca, Rerum memorandarum libri, a cura di M. Petoletti, Firenze, 2014, p. 198).



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storico dominante centrato su Giulio Cesare, sulla conquista delle Gallie, sulla loro romanizzazione, e dunque, in ultima analisi, sull’impero di Roma. La prima cosa da dire è che Petrarca aveva le sue ragioni per allarmarsi : del resto, anche senza le sue sensibili antenne non era difficile accorgersi del fenomeno ch’egli denuncia e combatte nelle sue già lontane radici. Retrocediamo un momento a Gautier e al suo poema (composto, si ricordi, tra il 1178 e il 1182), elevato da Petrarca a modello negativo. L’autore è esplicito sin da principio, cominciando il poema. Se Alessandro « nostros vixisset in annos, / Cesareos numquam loqueretur fama tryumphos, / totaque Romuleae squaleret gloria gentis » (Alexandreis, I, 6-8, « se fosse vissuto sino ad oggi la fama non avrebbe mai parlato dei trionfi di Cesare e tutta la gloria dei Romani ne sarebbe stata offuscata »). Poco avanti, I, 14 ss., nella dedica al protettore Guglielmo arcivescovo di Sens e di Reims, Gautier afferma che per merito del prelato Sens ha acquistato una gloria non minore di quella di Brenno, il capo dei Galli Senoni che attorno al 390 a.C. sconfissero sul fiume Allia i Romani e occuparono Roma e in gran parte la incendiarono34. Così abbiamo sùbito in bella evidenza una doppia modalità : quella diretta, che apertamente rivendica la superiorità di Alessandro su Roma, e quella indiretta, che sottolinea le sconfitte romane e mina alla base il mito della loro invincibilità. Ma è altrove, alla fine del l. V, là dove Alessandro entra da trionfatore in Babilonia, che il discorso acquista risonanze più ampie. Mai la superba Roma avrebbe accolto con tanto sfarzo i suoi duci, neppure quando Cesare tornò vincitore su Pompeo, e in effetti se si pensa a quale età e in quanto poco tempo Alessandro abbia conquistato il mondo, ebbene, tutti i condottieri romani rispetto al macedone non sono che plebe : tota ducum series, vel quos Hyspana poesis grandiloquo modulata stilo vel Claudius altis versibus insignit, respectu principis huius plebs erit. (Alexandreis, V, 504-507) [tutta la serie dei duci che la poesia dello spagnolo Lucano ha celebrato con stile eloquente e Claudiano ha innalzato nei suoi nobili versi, al confronto con questo principe non sono che plebe.]

Non basta, ché a questo punto Gautier aggiunge che se la clemenza divina donasse ai Franchi un re come Alessandro, allora la vera fede s’imporrebbe in tutto il mondo ; la Partia finalmente sconfitta sarebbe rinnovata dall’acqua 34. Livio, V, 36 ss.

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del battesimo ; Cartagine da troppo tempo distrutta risorgerebbe nel nome di Cristo, e la Spagna sconterebbe le sue colpe verso Carlomagno a Roncisvalle. È un passo curioso, che comporta un rovesciamento di prospettive nel momento in cui fa del pagano e « orientale » Alessandro il prototipo di un moderno crociato che con la forza delle armi sconfigge gli Arabi e impone al mondo la fede cristiana : e lo fa, si osservi, in chiave anti-romana, nascondendo il proprio veleno dietro il ricordo dei nemici di Roma, quelli sconfitti e quelli che mai è riuscita a sconfiggere. È difficile dar torto a Petrarca, quando denuncia a quali estremi possa portare l’avversione per Roma ! Ed è così anche là dove Alessandro parla dei suoi « progetti occidentali », i cosiddetti « Ultimi ­piani » (vd. Quinto Curzio, X, 1, 18), che contemplano, ora che l’Oriente è soggiogato, una spedizione che attraversi l’Africa del nord (e dunque conquisti i territori di Cartagine) e attraversato lo stretto di Gibilterra risalga la Spagna e giunga infine alle Alpi e le attraversi… : « Sic michi dent superi, traiectis Alpibus, una / cum populis Ligurum Romanas frangere vires » (Alexandreis, VII, 377-378, « mi concedano gli dei di attraversare le Alpi e insieme alle popolazioni dei Liguri di distruggere le forze dei Romani »). Ancora avanti, nel l. X, Gautier torna sull’obiettivo di Alessandro di distruggere Roma ribelle, insegnandole a portare il giogo dei Greci : agitabat et inter eundum Italiam servire sibi Romamque docere Graecorum portare iugum. (Alexandreis, X, 183-184) [meditava di asservire a sé l’Italia e di insegnare a Roma a portare il giogo dei Greci.]

Secondo altre versioni Roma, infatti, sarebbe stata colpevole di tradimento, visto che in passato avrebbe spontaneamente mandato ad Alessandroi suoi ambasciatori insieme a quelli di tutti i popoli dell’Europa occidentale, riconoscendo in lui il dominatore del mondo, mentre durante la guerra con Cartagine attraverso un altrimenti sconosciuto console Marco Emilio gli avrebbe addirittura donato in segno di sottomissione una corona d’oro incastonata di gemme (Alexandreis, X, 236-243 e 322-32735). 35. Non posso qui entrare nel merito delle fonti di Gautier e delle sue personali rielaborazioni, trattandosi di materia assai complessa e per altro studiatissima. Basti che tutta la questione degli « Ultimi piani » sembra avere un fondamento storico : poco prima di morire Alessandro aveva cominciato ad allestire una nuova flotta e aveva raccolto truppe in Cilicia al comando di Cratero per una nuova spedizione della quale l’obiettivo è ignoto, e seppure sospetta d’essere fittizia merita qualche credito la lettera che svela quali fossero i suoi piani verso occidente, letta alle truppe dopo la sua morte da Perdicca. Circa le numerose ambascerie da parte dei popoli



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Senza cercare oltre nelle pieghe del testo, quanto abbiamo appena visto basta e avanza per provocare la reazione di Petrarca. O meglio (è importante precisarlo) per far sì che egli scelga quale idolo polemico di una vasta e attuale battaglia politico-ideologica un testo come l’Alexandreis, vecchio di centottantanni circa ma tuttavia esemplare di posizioni in vario modo sempre vive nella cultura francese del tempo. La sua strategia, dunque, è quella di cogliere alla radice quelle posizioni, e di smascherarle e nominarle per combatterle con più efficacia sul piano loro proprio, che non ha nulla di contingente o, peggio, di personale, ma attiene alla definizione di una precisa visione storica del corso della civiltà e dei suoi valori discriminanti. Fermiamoci un momento su due tessere minime ma significative. Abbiamo visto che proprio all’inizio del suo poema Gautier ricordava Brenno e i suoi Galli Senoni penetrati da vincitori in Roma. La stessa cosa fa, citando letteralmente da Giustino, 43, 5, 8-9, Jean de Hesdin nella parte finale (§ 75) della lunga missiva a Petrarca che, argomentando contro il ritorno del papa a Roma, si trasforma in una appassionata rivendicazione della superiorità della Francia rispetto all’Italia, e di Avignone rispetto a Roma. E ancora si rifà a Brenno con più forti colori anti-romani l’anonimo autore di Perceforest (torneremo su quest’opera), nella prima parte dell’opera, cap. 11 : « Comment Belignus et Brennius conquirent plusieurs pays et alerent jusques a Romme36. » Gautier ha fatto scuola, dunque, e il filo che corre da lui a Jean e a Perceforest è chiaro e coerente con il contesto. Certo, nessuno nega la conquista da parte di Giulio Cesare, ma insieme ci si rifiuta di ammettere che tale conquista abbia azzerato la vecchia d’occidente ricevute a Babilonia nel 323 a.C., la fonte principale dalla quale anche Gautier dipende è Orosio, III, 20, 1-3 (vd. pure Arriano, VII, 15, 4-6 : al proposito, l’ed. a cura di F. Sisti e A. Zambrini, Milano, 2004, ha note particolarmente ricche di rimandi ai testi e alla letteratura critica), ma gli storici non s’accordano sulla possibilità che anche Roma vi partecipasse, e intrettenesse qualche rapporto con Alessandro. Sul dono della corona quale segno di sottomissione, la notizia anacronistica e inverosimile s’è diffusa attraverso il racconto che ne fa la traduzione di Giulio Valerio, I, 783-799, ed. Rosellini. Per tutto ciò si veda in ogni caso la complessiva ricostruzione critica delle testimonianze disponibili da parte di L. Braccesi, L’ultimo Alessandro (dagli antichi ai moderni), Padova, 1986, con gli indispensabili rimandi, soprattutto, agli studi di M. Sordi, e quanto scrive C. Gaullier-Bougassas, « Alexandre le Grand et la conquête de l’Ouest dans les Romans d’Alexandre du xiie siècle, leur mise en prose au xve siècle et le Perceforest », in Romania, 118/1 e 2 (2000), p. 83-104 e p. 394-430 (in part. p. 87-91). 36. Il testo di Hesdin è ora criticamente edito da M.  Berté, Jean de Hesdin e Francesco Petrarca, Messina, 2004, p. 118-162, con il titolo : Magister Iohannes de Hisdinio in Franciscum Petrarcham. Alla introduzione della studiosa rimando per i problemi di datazione e per l’analisi del testo. Quanto al Perceforest, cito da Le Roman de Perceforest. Première partie, ed. J. H. M. Taylor, Genève, 1979, p. 109-110 (vd. avanti, nota 44).

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Gallia e al suo posto ne abbia generato una nuova, in tutto e per tutto figlia di Roma. No : la « vera » Gallia non è morta, la sua continuità storica non si è interrotta, e chiusa la parentesi romana è tornata ad avere il sopravvento37. La seconda tessera sta in quel proposito di Alessandro di « Italiam servire sibi Romamque docere / Graecorum portare iugum » (Alexandreis, 183-184). Petrarca, polemico lettore di Gautier, rispondendo a Jean de Hesdin ribalta con violenza le cose. Solo nel compensatorio delirio di qualche Gallo si può immaginare che Alessandro possa mettere il giogo a Roma : nella realtà, è stato Giulio Cesare a mettere il giogo alla Gallia, e addirittura l’Italia potrebbe ora rimetterglielo se ritrovasse la concordia interna ! Recordatur hic barbarus antiqui servitii et, adhuc pene callosum romano iugo collum habens, fugitivus servus de domina sua procul tremebundus obloquitur. Que o, si filiis suis – illis dico maioribus – Deus omnipotens pacem daret fraternamque concordiam, quam cito, quam facile rebellantem barbariem iugo ille veteri, italicis ut olim viribus adiuta, compesceret38 ! [Questo nostro barbaro si ricorda della vecchia schiavitù e sparla tremebondo e da lontano della sua padrona come un servo fuggitivo, con il collo ancora segnato dal callo del giogo romano. Ma la padrona, se Iddio onnipotente donasse pace e fraterna concordia ai figli suoi (i maggiori, intendo), con l’aiuto, come un tempo, delle forze italiche, quanto presto e facilmente riuscirebbe a sottomettere all’antico giogo i barbari ribelli !]

Questa fitta trama di rimandi e allusioni percorre tutti questi testi e li caratterizza, e in ultima analisi li riporta entro l’orizzonte della grande questione alla quale ho più volte accennato e che qui ripropongo attraverso le nitide parole 37. In tutta serietà, e a chiarire meglio il concetto, confesso di vedere qualcosa di analogo anche nella nostra modernità. Pensiamo alla seconda guerra mondiale, e al generale De Gaulle. Bastava ch’egli, solo, non si fosse arreso a garantire che la Francia non si era arresa e potesse infine sedere alla pari tra le potenze vincitrici. E pensiamo ai fumetti di Asterix. La Gallia è stata conquistata da Cesare ? non tutta, e dunque no, non lo è stata. Il piccolo villaggio bretone di Asterix resiste e resisterà, e da solo, per piccolo e isolato che sia, basta a testimoniare che la Gallia non è stata cancellata ma ha in sé, nell’invincibile resistenza del suo ultimo villaggio, la garanzia dei suoi valori e del loro riscatto. Lo schema di Gautier e di Jean de Hesdin e dei loro più tardi continuatori è, in fondo, lo stesso: la Francia è stata conquistata, è vero, ma non al punto di smettere di essere un’altra cosa rispetto ai suoi conquistatori… 38. Contra eum, 67, cap. 7, p. 62, ed. Crevatin. L’ultima arrischiata affermazione ricava senso dal fatto che la Francia allora sotto gli occhi di Petrarca era in evidente, gravissima crisi politica e sociale, specie dopo la disastrosa battaglia di Poitiers (19 settembre 1356) contro gli inglesi, nella quale lo stesso re Giovanni il Buono era stato fatto prigioniero (vd. Lettere disperse, 34 e 35 e Familiares, XXII, 13 e 14 : quest’ultima lettera in particolare descrive lo stato di decadenza del paese attraversato da Petrarca tornando dall’ambasceria parigina del gennaio 1361).



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di Foucault, che, premetto, comincia appoggiandosi precisamente a quelle parole di Petrarca , Contra eum, 163 : « Quid est enim aliud omnis historia, quam romana laus ? » che quella questione definiscono in modo « assez étonnante et en tout cas fondamentale39 ». Scrive dunque Foucault : Je vais commencer par un récit qui a circulé en France depuis le début du Moyen Âge, ou presque, jusqu’à la Renaissance encore, c’est-à-dire l’histoire des Français qui descendaient des Francs, et des Francs qui étaient eux-­mêmes des Troyens qui, sous la conduite du roi Francus, fils de Priam, avaient quitté Troie au moment de l’incendie de la ville, s’étaient d’abord refugiés sur les ­rives du Danube, puis en Germanie sur les rives du Rhin, et finalement avaient trouvé, ou plutôt fondé en France leur patrie. […] il est tout de même étonnant que ce récit ait pu être repris, ait pu continuer à circuler à une ­époque comme la Renaissance ! Non pas du tout à cause du caractère fantastique des dynasties ou des faits historiques auxquels il se référait, mais plutôt parce que dans cette légende, au fond, il y a une élision complète de Rome et de la Gaule, de la Gaule d’abord ennemie de Rome, de la Gaule envahissant l’Italie et assiégeant Rome ; élision aussi de la Gaule en tant que colonie romaine, élision de César et de la Rome impériale. Et élision, par conséquent, de toute une littérature romaine qui était pourtant parfaitement connue à l’époque. Je crois qu’on peut comprendre l’élision de Rome de ce récit troyen seulement si on renonce à considerer ce récit des origines comme une sorte de tentative d’histoire qui serait encore engagée dans de vieilles croyances. Il me semble, au contraire, que c’est un discours qui a une fonction précise, qui n’est pas tant de raconter le passé ou de dire les origines, que de dire le droit, de dire le droit du pouvoir : c’est, au fond, une leçon de droit public. C’est en tant que leçon de droit public, je crois, que ce récit a circulé. Et c’est parce qu’il s’agit d’une leçon de droit public, qu’au fond Rome en est absente. Mais elle y est également présente sous une forme en quelque sorte dédoublée, déplacée, jumelle : Rome est là, mais en miroir et en image. Dire, en effet, que les Francs sont aussi, comme les Romains, des fuyards de Troie, dire que la France est, en quelque sorte, par rapport au tronc troyen, l’autre rameau, en face d’une branche qui serait la branche romaine, c’est dire deux ou trois choses qui sont politiquement et juridiquement, je crois, importantes40.

39. Le parole di Petrarca sono ricordate anche da E.  Panofski, Rinascimento e rinascenze nell’arte occidentale (1960), Milano, 1984, p. 26, entro un contesto al quale è d’obbligo rimandare. 40. M. Foucault, « Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France. 1976, Paris, 1997, p. 101-102 (la cit. di Petrarca, ibid. p. 65). Ma si dovrebbe citare buona parte del capitolo dedicato al Cours du 11 février 1976, p. 101-123, al quale rimando.

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Foucault non parla di Alessandro né della funzione alla quale la sua figura era stata piegata da Gautier ; inoltre, i problemi riassunti dalle sue parole sono molti e prendono strade alquanto diverse da quelle percorse sin qui. Diverse ma non troppo, direi, e in ogni caso coincidenti su un punto fondamentale : l’élision del cordone ombelicale con Roma, e dunque la rivendicazione da parte francese di una propria autonomia culturale e storica che ha la sua radice e la sua legittimazione nel mito della diaspora troiana41. Di qui, come il medesimo Foucault non manca di sottolineare, le varie affermazioni dei regalisti francesi, specie al tempo di Luigi IX il santo, sul fatto che il re di Francia è imperatore a casa sua, svincolato da ogni forma di soggezione rispetto all’Impero germanico ; di qui la robusta linea, innervata nel grande tema della translatio studii et imperii, che approda, nel ‘500, alla Franciade di Ronsard (1572), e alla Franco-Gallia di Hotman42 (1573). Non posso qui andare oltre queste troppo sommarie indicazioni, che aprono a una serie di possibili percorsi di ricerca e in ogni caso segnalano quale sia la rete che avvolge un « mito di Alessandro » che appare l’altra faccia – torniamo così al punto – di quella élision che a Petrarca appariva intollerabile. Appoggiandomi a quanto altri hanno scritto, si potrà dunque ripetere con Marie-Madeleine Castellani, che più l’ha studiato, che nel « romanzo » Athis et Prophilias, databile al terzo decennio del ‘200, è evidente l’atteggiamento ambivalente nei confronti di Roma, città che porta in sé il marchio della envie e della convoitise che le è stato impresso sin dalla sua cruenta fondazione. Ciò che caratterizza i Romani è ormai il tradimento e la violenza, ed è tutta loro la responsabilità di un mondo costantemente in guerra. E ciò spicca in particolare nel passaggio dalla versione breve del poema alla lunga : « Cependant, la version longue 41. Vd. C. Beaune, Naissance de la nation France, Paris, 1985, in part. il cap. I, « Trojani aut Galli ? », p. 19-54 ; eadem, « L’utilisation politique du mythe des origines troyennes en France à la fin du Moyen Âge », in Lectures médiévales de Virgile. Actes du colloque organisé par l’École française de Rome, Rome, 1985, p. 331-355 ; A. Giardina, « Le origini troiane dall’impero alla nazione », in Morfologie sociali e culturali in Europa fra tarda antichità e alto medioevo (Settimane di studio del Centro italiano di Studi sull’alto Medioevo, XLV), Spoleto, 1998, I, p. 177-209 ; K. Wolf, Troja - Metamorphosen eines Mythos. Französische, englische und italienische Überlieferungen des 12 Jahrhunderts im Vergleich, Berlin, 2009, passim (vd. la rec. di F. Tanniou, in Cahiers de civilisation médiévale, 56 (2013), p. 435-436). 42. Sulla questione dell’impero vd. il ricco volume di M. Chazan, L’Empire et l’histoire universelle de Sigebert de Gembloux à Jean de Saint-Victor (xiie-xive siècle), Paris, 1999 (in particolare il cap. VI, La nécessité de l’Empire, p. 639-705). Per la translatio, vd. E. Fenzi, « Translatio studii e imperialismo culturale », in La fractura historiográfica : las investigaciones de Edad Media y Renacimiento desde el tercer milenio, ed. J. San José Lera, F. Javier Burguillo e L. Mier, Salamanca, 2008, p. 19-121.



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va peu à peu modifier la perspective : en supprimant certains épisodes, en amplifiant d’autres, elle modifie l’image de Rome, dont elle va accentuer les traits négatifs pour faire basculer vers Athènes l’intérêt du texte : la partie la plus longue se déroulera désormais sous les murs d’Athènes, nouvelle Troie qui triomphe de ses agresseurs. On assiste à une ‘réorientation’, à un basculement vers l’Orient du récit et des intérêts. » Ancora : « la version longue confirme l’abandon d’une Rome dont on retient surtout qu’elle est entachée dès l’origine par des vices encore présents dans le temps de l’écriture (felonnie, malvestiés, simonie) pour un ‘Orient’ idéalisé unissant chevalerie et clergie43. » Ma appunto ­questo « ritorno » all’Oriente come al luogo ideale delle proprie virtuose radici comporta un distacco dalla dominante romana e favorisce l’assunzione di altri modelli e, tra tutti, quello di Alessandro. Lo si vede bene in Perceforest, lunga composizione in prosa con parti liriche composta attorno alla metà del ‘300 ma giuntaci in un testo rimaneggiato nel corso del ‘40044. Di nuovo, il dato che qui importa mettere in luce è la precisa volontà 43. Ricavo le citazioni da M.-M. Castellani, « Rome, Romulus, les Romains, figures de l’envie et de la convoitise dans Athis et Prophilias », in Vérité poétique, vérité politique. Mythes, modèles et idéologies politiques au Moyen Âge, ed. J.-C. Cassard, É. Gaucher e J. Kerhervé, Brest, 2007, p. 76-91 (le citt. da p. 86 e 90). La studiosa ha curato l’edizione della versione breve, nella quale Prophilias diventa Procelias : Li romans d’Athis et Procelias. Édition du manuscrit 940 de la Bibliothèque Municipale de Tours par M.-M. Castellani, Paris, 2006. La versione lunga in Li romanz d’Athis et Prophilias (l’Estoire d’Athenes), ed. A. Hilka, Dresden e Halle, 1912-1916. Tra i vari studi della Castellani dedicati all’opera vd. « Athis et Prophilias et le Roman de Troie », in Contes de Troie et d’Alexandre. Pour Emmanuèle Baumgartner, ed. L. Harf-Lancner, L. MatheyMaille e M. Szkilnik, Paris, 2006, p. 51-70. 44. Dopo l’edizione limitata alla prima parte citata sopra, nota 36, un’altra edizione, q­ uesta volta completa, è stata pubblicata per le cure di Gilles Roussineau presso l’editore Droz, Ginevra, nella collana dei Textes littéraires français, dal 1987 al 2012, per un totale di dodici tomi. Particolarmente importante è la Première partie (2007, in due tomi di 1480 pagine), non solo per il testo, ma per l’impegnativa introduzione che esamina tutti i problemi connessi all’opera. Riattaccandosi alla branche II del Roman d’Alexandre (Le fuerre de Gadres), ma soprattutto al Vœux du Paon (vd. N. Chardonnens, « Broderies alexandrines : l’intégration des Vœux du Paon dans le Roman de Perceforest », in Les Vœux du Paon de Jacques de Longuyon. Originalité et rayonnement, ed. C. Gaullier-Bougassas, Paris, 2010, p. 171-187), la prima parte racconta come Alessandro abbia conquistato l’Inghilterra e la Scozia portandovi la civiltà, e abbia poi donato la prima a Gadifer e la seconda a Betis (che prenderà il nome di Perceforest), entrambi figli del Gadifer ucciso da Parmenione al momento della presa di Gadres. L’intento dell’anonimo autore è dunque quello di stabilire un legame tra Alessandro e la materia arturiana, della quale l’opera costituisce una sorta di preistoria in chiave di translatio imperii : vd. M. Szkilnik, « Conquering Alexander : Perceforest and the Alexandrian Tradition », in The Medieval French Alexander, ed. D. Maddox e S. Sturm-Maddox, Albany, 2002, p. 203-217, p. 213 : « Like the Historia regum Britanniae, like the romans antiques and the Estoire del Saint Graal, Perceforest

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dell’autore di fare di Alessandro un nuovo Enea, e di eliminare Roma dalla scena : e poco importa che ciò vada assieme al proposito di sostituire le origini troiane con quelle Macedoni, di trascurare la Francia e di privilegiare quali terminali della ­translatio la Scozia e i Paesi Bassi, in omaggio a Guglielmo Io di Hainaut, patrono dell’opera. Scrive Christine Ferlampin-Acher : « La mise à l’écart de Rome est tout aussi habilement conduite, mais elle me semble à la fois plus importante, plus centrale et plus osée, ce qui explique l’insistance de l’auteur sur le sujet et sa virulence contre César » e contro i Romani in genere che, diversamente dall’opera civilizzatrice di Gadifer e Betis, hanno solo mire conquistatrici e non portano che guerra45. È il momento di concludere, ma le parole da ultimo citate mi spingono a tornare a Petrarca e a fare ancora una considerazione. Per poco che lo si ­conosca è impossibile non immaginare quanto violenta e disgustata potesse essere la sua reazione non tanto dinanzi a queste singole opere, se pure le ha conosciute, ma dinanzi all’operazione ideologica alla quale davano corpo e che egli percepiva benissimo come attiva, a far data almeno dal poema di Gautier. Si trattava, infatti, del tentativo, ripeto ancora una volta, di imporre una vulgata storica indotta a eliminare Roma dalle componenti identitarie delle nuove realtà politiche che si andavano formando in Europa, e a ricercare i propri modelli di valore in Alessandro e in un Oriente concepito « comme source de vie et principe de renoveau ». All’interno di una siffatta reazione un ­nome-chiave gli si impone, né poteva essere diversamente : Giulio Cesare. L’eroe di Petrarca, lo sappiamo bene, è stato per molto tempo Scipione, sublime rappresentante delle virtù della Roma repubblicana. Ma partire dagli anni ’50 del secolo si notano i segni di una conversione a Cesare, che pur non rinnegando Scipione culmina in un’opera notevolissima e forse sin qui

tells the story of a translatio imperii. With the foundation of occidental kingdoms, the center of gravity of the Macedonian Empire has shifted. When Alexander realizes that his power is threatened in the East, he takes comfort in the thought that his Occidental Empire is flourishing under Perceforest’s wise rule », ecc. E vd. già Gaullier-Bougassas, « Alexandre le Grand et la conquête », cit., p. 399 : nel Perceforest « affleure encore le désir d’un transfert direct du pouvoir d’Est en Ouest, jusqu’en Europe occidentale, sans étape romaine, et le rêve d’une union entre l’Orient et l’Occident, avec l’affirmation ici de la supériorité de l’Orient comme source de vie et principe de renouveau ». 45. C. Ferlampin-Acher, « Perceforest, entre Pays-Bas et Haute-Bretagne : élargissement à l’Est et translatio imperii », in Vérité poétique, vérité politique, cit., p. 147-164 : la cit., p. 156 ss. E vd. ancora ibidem, p. 160 : « Le détournement de la translatio imperii, évinçant les Troyens au bénéfice d’Alexandre, écartant Rome, valorisant les Pays-Bas et l’Écosse, est un enjeu important de Perceforest. »



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sottostimata, il tardo De gestis Cesaris, appunto46. Sulle ragioni di questa conversione si è scritto molto, e ch’io sappia le si sono rintracciate nel percorso interno che ha via via mutato la visione politica di Petrarca, segnato dalla negativa esperienza vissuta attraverso Cola di Rienzo e dalla sfiducia, se non dalla vera e propria avversione, per i regimi repubblicani italiani che avevano in Firenze una sorta di archetipo ideale. Questa progressiva apertura di credito verso regimi francamente monocratici (in concreto, nella realtà italiana, i Visconti) avrebbe avuto il coerente sbocco ideologico in una diversa e più favorevole considerazione nei confronti di Cesare e del fascio di opzioni politiche che la sua figura poteva rappresentare, a cominciare dalla assoluta preminenza storica della Roma imperiale. Certamente questa evoluzione, in questi termini, c’è stata. Ma oggi penso che alle ragioni che ho detto « interne » legate alla personale riflessione ed esperienza politica si siano sommate ragioni « esterne » forse addirittura più forti. E penso che queste ragioni « esterne » possano riassumersi in un nome : Alessandro. Petrarca l’ha introdotto nell’Africa, e a tutta prima s’è illuso di poterne facilmente esorcizzare la figura con l’aiuto di Livio. Ma in un’epoca nella quale soprattutto la Francia continuava a inseguire il grande tema sul quale aveva da tempo imposto il suo marchio : quello della translatio imperii, e lo adattava spregiudicatamente alle proprie esigenze, e in questo quadro alimentava un atteggiamento di fortissima ambiguità nei confronti dell’impero romano e ad esso finiva per contrapporre l’impero di Alessandro, e con varie forzature inventava i propri miti di fondazione, troiani o macedoni che fossero : ebbene, non doveva essere difficile accorgersi che su questo terreno con Scipione, costruito ormai come una figura tanto perfetta quanto inservibile, non si andava lontano. Senza togliergli nulla, lo scontro culturale e politico in atto esigeva ben altro. Esigeva Cesare, il conquistatore della Gallia, che ben si poteva opporre ad Alessandro e alla Francia che lo esaltava. L’impero di Alessandro s’è dissolto il giorno stesso della sua morte, con ciò mostrando di non essere tale; al contrario, la morte di Cesare non ha minimamente intaccato una « conquista per sempre », eminentemente costruttiva e fondante dell’idea e della realtà stessa di 46. Da leggere, dopo l’ottocentesca dello Schneider, nell’edizione critica a cura di G. Crevatin, Pisa, 2003. Aggiungo che queste mie considerazioni finali devono moltissimo agli studi della medesima Crevatin che ha ben descritto le dimensioni ideologiche e polemiche della romanitas petrarchesca e della sua coerente esaltazione di Cesare : tra molti, vd. in particolare, oltre all’introduzione alla citata ed. del Contra eum, « L’idea di Roma », in Motivi e forme delle Familiari di Francesco Petrarca, a cura di C. Berra, Milano, 2003, p. 229-247, e « Tra Francia e Impero : il Cesare di Petrarca », in La lyre et la pourpre. Poésie latine et politique de l’Antiquité tardive à la Renaissance, ed. N. Castellani Dufrene et M. J-L. Perrin, Rennes, 2012, p. 165-190.

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un impero e di una forza civilizzatrice al cui confronto la chevalerie e la clergie di Alessandro si riducevano a poca cosa, e vecchia (come il repubblicanesimo di Scipione, verrebbe voglia di dire). In altri termini, non Alessandro ma Cesare è « unico », e Petrarca nel De gestis Cesaris non perde l’occasione, in una circostanza isolata ma significativa, di muovere contro Alessandro la critica a mio parere più radicale e perfida che mai gli sia stata fatta. Ne cancella infatti, nel bene e nel male, l’eccezionalità e riduce il personaggio a più comuni e quasi banali misure umane rispetto alle quali splende l’inarrivabile unicità di Cesare. Dopo la sconfitta di Pompeo, Cesare, con un tratto di « imperiale » superiorità avrebbe fatto bruciare senza aprirle alcune casse di lettere certamente compromettenti per molti, trovate nella tenda del suo avversario. Ma così non si comportava Alessandro, che al contrario si preoccupava astutamente di intercettare le lettere dei suoi, in cerca di trame e congiure a suo danno. Onde Petrarca commenta : Quanquam quid Alexandrum nomino ? Omnium fere hominum consilia hac de re paria et Alexandrea potius quam Cesarea esse quis dubitet ? Profecto ut in multis, in hoc quoque unicus Cesar est47. [Ma perché sto a nominare Alessandro ? In un caso simile chiunque avrebbe deciso di comportarsi come Alessandro, e non come Cesare. Come in molte altre cose, anche in questa Cesare è unico.]

Se si parla dei percorsi che conducono alla fondazione di un impero, perché mai ci si dovrebbe preoccupare di nominare Alessandro ? E infatti il De gestis Cesaris, ch’è opera propriamente storica, lo o­ ltrepassa, e trasuda di umori polemici direttamente anti-francesi, come Edoardo Fumagalli ha dimostrato48, né avrebbe potuto essere altrimenti, perché q­ uello di Cesare era per loro, in ogni caso, un nervo scoperto. Occorre guardarsi, tuttavia, dall’intendere questo fitto gioco polemico come espressione di ­meschina rivalità, di antipatia, di disprezzo venato di superbia e presunzione. Ci sarà pure qualcosa di tutto ciò, ma è soprattutto vero che la posta in gioco era altissima, sovrapersonale, non essendo niente di meno che la battaglia ingaggiata con perfetta lucidità da Petrarca per l’obiettivo epocale e per lui irrinunciabile di far finalmente circolare la summa del sapere latino nel sangue di una Europa che sarebbe stata « romana » o non sarebbe stata, sconfiggendo quelli che per lui erano gli improbabili e interessati miti della barbarie. Ed era 47. De gestis Cesaris, XXI, 34, ed. cit., p. 244. 48. Vd. E. Fumagalli, « Osservazioni sul De gestis Cesaris », in Francesco Petrarca. L’opera latina : tradizione e fortuna, a cura di L. Secchi Tarugi, Firenze, 2006, p. 73-91.



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talmente consapevole che ciò reclamava una nuova intelligenza delle cose e un pensiero più robusto che l’Africa ne restò sacrificata, come la magnanima opera che di fronte all’inquietante fantasma di Alessandro e all’inevitabile grandezza di Cesare scontava le sue giovanili e inadatte premesse repubblicane, e non riusciva ad accogliere le dimensioni nuove del discorso : in altre parole, aveva smesso di essere alla propria altezza, per usare l’espressione che Petrarca applica tanto ad Alessandro quanto a Dante (Familiares, XXI, 15, 24, « fuisse illum sibi imparem ») per definire il limite contro il quale la loro esperienza sarebbe andata a cozzare. Sullo scenario d’Europa attraversato dai miti della translatio imperii e studii il valore aggiunto di Roma era l’impero ; era Cesare, come nel canto VI del Paradiso di Dante. Solo così si poteva immaginare di lasciarsi finalmente alle spalle Alessandro, attorno al quale troppi nodi s’erando andati intrecciando, che Petrarca ha cominciato a sciogliere riportandoli alla verità della storia, e che anche noi dovremmo sciogliere, uno per uno, se vogliamo capire il lungo e vitale segreto della sua perturbante presenza e del suo seppur relativo tramonto nella coscienza d’Europa. Enrico Fenzi Università di Genova

Les éditions latines des Historiae de Quinte-Curce, de la princeps à Johannes Freinsheim Si, dans l’Antiquité, l’œuvre de Quinte-Curce semble être assez vite tombée dans l’oubli1, elle jouit d’une fortune plus solide au Moyen Âge, comme l’atteste le nombre important de manuscrits, plus de cent quarante selon le dernier décompte de Carlo M. Lucarini2. Cette conservation du texte de l’historien latin s’explique sans doute par la fascination exercée par la figure d’Alexandre dans les littératures européennes3. L’humanisme poursuit le mouvement enclenché par les siècles médiévaux : presque dès la création de l’imprimerie, les Historiae sortent des presses de l’atelier vénitien de Wendelin de Spire. Jusqu’au grand travail de Johannes Freinsheim, plus d’une centaine d’éditions ont pu être recensées4. Ainsi, au début de la modernité, la popularité de Quinte-Curce s’avère-t-elle plus qu’honorable : sans égaler complètement celle de Salluste, Valère-Maxime ou Jules César, elle frôle celle de TiteLive5. Pendant cette période, les pôles de diffusion changent : de la péninsule italienne, ils gagnent l’Europe du Nord, en passant par la France et l’aire germanique. D’abord monopole de l’Italie, le texte latin de Quinte-Curce se propage peu à peu vers d’autres centres : Paris (1508), Tübingen (1513), Strasbourg (1518), Alcalá de Henares (1524), Anvers6 (1531)… Lyon, qui subit l’influence 1. S. Dosson, Étude sur Quinte Curce, sa vie et son œuvre, Paris, 1886, p. 357-360. 2. Quinte-Curce, Historiae, éd.  C.  M. Lucarini, Berlin et New York, 2009, p.  vii-lv. S. Dosson, Étude sur Quinte Curce, op. cit., p. 315-356, décrit cent vingt-trois manuscrits. Sur la tradition manuscrite de Quinte-Curce au Moyen Âge, consulter aussi dans ce volume la contribution de Silverio Franzoni, « La traduction manuscrite des Historiae de Quinte-Curce au Bas Moyen Âge ». 3. Sur ce point, voir la somme La fascination pour Alexandre le Grand dans les littératures européennes (xe-xvie siècle). Réinventions d’un mythe, éd. C. Gaullier-Bougassas, Turnhout, 2014, 4 t. 4. Voir plus loin la « Bibliographie des éditions latines des Historiae de Quinte-Curce, de la princeps à Johannes Freinsheim » que j’ai établie. 5. P. Burke, « A Survey of the Popularity of Ancient Historians, 1450-1700 », History and Theory. Studies in the Philosophy of History, 5 (1966), p. 135-152, en particulier les tableaux synoptiques des p. 136-139. 6. Voir les entrées no 9, 10, 12, 14 et 15 de la bibliographie. Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 99-126 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115394

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de Bâle, constitue un foyer extrêmement productif à compter des années 1540, et ce jusqu’au début du xviie siècle7. L’espace germanique donne à QuinteCurce quelques-uns de ses éditeurs les plus importants (Christoph Bruno8, François Modius9, Matthaeus Rader10, J. Freinsheim11), tandis que Cologne et la Bavière s’imposent comme des relais essentiels de l’œuvre. Pendant le xvie siècle et le premier tiers du xviie siècle, Anvers, Amsterdam, Leyde et la Vénétie reviennent aussi à plusieurs reprises dans la liste des lieux où QuinteCurce est régulièrement imprimé, quand d’autres villes, comme Rouen, Valladolid, Caen ou Stockholm12, s’illustrent de manière ponctuelle. Seules les îles britanniques et la péninsule ibérique restent fermées à cette vogue éditoriale13. Ces multiples impressions s’accompagnent de bouleversements pour l’œuvre curtienne et manifestent une connaissance sans cesse affinée de cette dernière, qui se traduit sur trois plans : l’évolution de la structure des Historiae, l’amélioration du texte et l’élaboration de la doxa sur Quinte-Curce et son œuvre.

7. À Lyon, chez Sébastien Gryphe, les impressions d’édition de Quinte-Curce s’inscrivent dans un mouvement d’ampleur en faveur des historiens latins, en particulier dans les années 1540, comme l’a montré W. Kemp, « Les historiens latins chez Gryphe au début des années 1540 : Tite-Live, Tacite et l’humaniste Emilio Ferretti », dans Quid novi ? Sébastien Gryphe, à l’occasion du 450e anniversaire de sa mort, éd. R. Mouren, Villeurbanne, 2008, p. 341-356. 8. Entrée no 23. Bien que l’ouvrage soit imprimé à Bâle, C. Bruno signe l’épître dédicatoire qui ouvre son édition de Quinte-Curce ainsi : « Christoph Bruno, licencié en droit canon et droit civil, professeur de droit canon et droit civil, ainsi que de littérature, à Munich, à l’école des poètes » (fol. * 3 r, « Christophorus Bruno, Iuris utriusque Licentiatus, eiusdemque ac bonarum literarum professor Monaci, in schola Poetica »). Sur ce personnage, voir l’article correspondant dans A. M. Kobolt, Baierisches Gelehrten-Lexikon. Ergänzungen und Berichtigungen, Landshut, 1824, p. 347-348. 9. Entrée no 44. La bibliographie consacrée à cet éditeur essentiel est mince : V. Hartmann, « Modius, Franciscus », dans Killy Literaturlexikon. Autoren und Werke des deutschsprachigen Kulturraumes, éd. W. Kühlmann, Berlin, 2008-2012, t. 8, p. 267-268. 10. Entrées no 75, 87, 90 et 93. Sur ce jésuite, voir V. Lukas, « Rader, Matthaeus », dans Der Neue Pauly Supplemente Band 6. Geschichte der Altertumswissenschaften. Biographisches Lexikon, éd. P. Kuhlmann et H. Schneider, Stuttgart et Weimar, 2012, col. 1027-1030, où sont données plusieurs références bibliographiques. 11. Entrée no 103. Sur cet éditeur, voir l’article de W. Kühlmann, « Freinsheim, Johannes », dans Der Neue Pauly Supplemente Band 6, op.  cit., col.  422-424, qui indique des renvois bibliographiques. 12. Entrées no 84, 85, 88 et 99. 13. Deux exceptions pour l’Espagne : les entrées no 14 et 85.



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Une structure en évolution Organiser le texte Le caractère mutilé du texte de Quinte-Curce, parfois dénommé Fragmenta14, entraîne un questionnement sur le nombre de livres originel de l’ensemble. À l’exception de Giulio Pomponio Leto15, tous les premiers éditeurs évaluent ce nombre à neuf, en raison de l’interpolation entre les livres V et VI présente dans les mauvais manuscrits16, utilisés pour établir leur texte. C’est à partir de l’édition florentine de 1507 que la structure en dix livres est unanimement adoptée17, sauf par Heinrich Glarean. Son édition de 1556 propose une réorganisation du texte en douze livres, assortie d’un De librorum apud Q. Curtium diuisione Glareani iudicium, qui fonde la nouvelle architecture sur le principe annalistique : douze livres pour douze années de règne d’Alexandre18. Si cette partition n’est répétée par aucun des éditeurs qui ont succédé à H. Glarean, elle suscite l’intérêt : le jésuite M. Rader évoque cette tradition dans l’épître dédicatoire qui prélude à sa grande édition de 162819, où il présente en outre un exposé sur le nombre de livres global de l’œuvre de Quinte-Curce20. 14. Voir l’entrée no 14. L’expression est aussi utilisée pour les titres intermédiaires des livres de l’entrée no 13, ainsi que par J. Freinsheim dans l’épître dédicatoire de son édition de 1640, entrée no 103, fol.):( 3 v. 15. Entrée no 2. G. Pomponio Leto ne parle pas explicitement de dix livres. L’interpolation entre les livres V et VI est cependant absente de son édition : quelques sauts de lignes séparent la fin de l’actuel livre V et le début de l’actuel livre VI. Sur cet humaniste, on peut consulter la riche rubrique « Bibliographica : studies » en ligne sur le site Repertorium Pomponianum : www.repertoriumpomponianum.it. 16. Sur cette interpolation (« Interim dum talia fierent ab Alexandro, bellum ortum est inter Macedones et Lacedaemonios. Antipater Macedonis parefectus in hoc bello contra regem Lacedaemoniorum obtinuit, sicut hic exponitur »), voir S. Dosson, Étude sur Quinte Curce, p. 326, 327, 331, 336, 337, 341, 342, 344, 345, 346, 347, 349, 350 et 351. 17. Les entrées no 9 et 10, qui suivent fidèlement l’édition vénitienne de 1496 ou sa reprise de 1502, continuent à adopter la structure en neuf livres. 18. H. Glarean, entrée no 36, p. 11-12 de la deuxième partie du volume. En vertu de ce principe, H. Glarean fait débuter son livre V au début du chapitre 7 de l’actuel livre IV ; son livre VI correspond à l’actuel livre V, et ainsi de suite jusqu’à son livre X. Ses livres XI et XII correspondent aux actuels X, 1-4 et X, 5-10. Sur cet humaniste, on peut consulter le collectif Heinrich Glarean’s Books. The Intellectual World of a Sixteenth-Century Musical Humanist, éd. I. Fenlon et I. M. Groote, Cambridge, 2013. 19. M. Rader, entrée no 87, fol. (?) 2 r. 20. Entrée no 87, fol. a 6 v-b 2 r.

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Les éditeurs cherchent également à organiser l’intérieur de la masse textuelle que sont les Historiae de Quinte-Curce. L’édition genevoise de 1591 est la première à offrir un texte qui progresse par chapitres. Chaque livre est en plus précédé d’un breuiarium résumant en quelques mots tous les chapitres qu’il contient21. Cette structuration est reprise sans solution de continuité jusqu’aux éditions modernes, en dépit de la tentative infructueuse de M. Rader d’introduire un nouveau découpage au sein des livres22, et est affinée par J. Freinsheim avec l’insertion de paragraphes dans le corps des chapitres, facilitant la circulation à l’intérieur du volume23. Ces trois niveaux (livre, chapitre, paragraphe) demeurent en vigueur à l’heure actuelle. Le désir d’organiser le texte se double de celui de l’ordonner et d’en rendre raison au moyen de listes, qui permettent là aussi au lecteur de se repérer de manière plus aisée. La première de ce type, rassemblant les « Hauts faits d’Alexandre le Grand dignes de mémoire, qui sont contenus dans le présent volume24 », figure au début de l’édition florentine de 1507. À côté des index rerum memorabilium, qui s’allongent au fil des éditions, certaines listes se spécialisent au point de devenir de véritables lectures thématiques de l’œuvre : table des discours25, gnomologie26, table historique et géographique en français27… À l’inverse, J. Freinsheim assigne une fonction totalisante à l’index qui accompagne son édition, comme l’indiquent le superlatif « locupletissimus » et l’adjectif « totum » utilisés dans le titre : son « Très riche index sur l’ensemble de l’œuvre de Quinte-Curce » occupe près de trois cent soixantequatre pages28.

Suppléer les lacunes Autre conséquence de la mutilation de l’œuvre : quelques éditeurs s’emploient à suppléer les importantes lacunes des Historiae. Trois pratiques se rencontrent. Tout d’abord, des suppléments peuvent être forgés par l’éditeur moderne du texte, avec quelque prétention littéraire : C. Bruno en 1545 et 21. Entrée no 52. 22. Dès son édition de Munich, 1617, entrée no 75. 23. Entrée no 103. 24. Entrée no 8 : « Res gestae Alexandri Magni memoriae dignae, quae in hoc uolumine continentur ». 25. Voir les entrées no 34, 51, 52 et 81. 26. Voir les entrées no 52, 81, 85, 92, 96, 100 et 101. 27. Voir l’entrée no 102. 28. Entrée no 103, f. l. 2 r-ii 2 r : « In totum opus Curtianum locupletissimus index ».



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J. Freinsheim en 1639 se substituent à Quinte-Curce et rédigent les deux premiers livres, la fin du livre V et différents extraits du livre X, en fonction du nombre de lacunes qu’ils y décèlent29. Dans une démarche proche, mais qui remplace Quinte-Curce par Florus comme modèle d’écriture30, M. Rader propose un résumé synthétique des deux premiers livres, qu’il intitule Synopsis tout en insistant sur le fait qu’il s’agit bien d’un supplément : « Cette vue d’ensemble de la première et de la deuxième année pourra faire office de supplément31. » D’autre part, des traductions latines d’œuvres historiographiques grecques peuvent être utilisées afin de compléter Quinte-Curce, comme dans l’édition qui paraît à Bâle en 1545 chez Heinrich Petri : les livres I et II y sont suppléés par l’Anabase d’Arrien32, ainsi que par la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile33. Enfin, les suppléments peuvent encore être copiés sur des manuscrits médiévaux, à l’exemple de l’édition lyonnaise de 161534, pour laquelle Jean-Baptiste Masson, archidiacre de Bayeux, transcrit les suppléments anonymes d’un manuscrit provenant de la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Victor35. 29. Voir les entrées no 23 et 103, édition où figurent les suppléments de C. Bruno dans le corps du texte de Quinte-Curce et ceux de J. Freinsheim à la suite de ce dernier. Les suppléments de J. Freinsheim sont d’abord publiés de manière autonome, sans le texte qu’ils complètent : Io. Freinshemii Supplementum in historiam Q. Curtii Rufi, Strasbourg, 1639. Sur la tradition des suppléments historiographiques, voir P. G. Schmidt, Supplemente lateinischer Prosa in der Neuzeit. Rekonstruktionen zu lateinischen Autoren von der Renaissance bis zur Aufklärung, Göttingen, 1964, en particulier p. 13-25 à propos de Quinte-Curce. Sur le supplément de C. Bruno, voir R. Kaiser, « Perpetua Curtii historia. Christoph Brunos Supplementum compendiosum (1545) zu Curtius Rufus’ Historiae Alexandri Magni », dans Supplemente antiker Literatur, éd. M. Korenjak et S. Zuenelli, Fribourg-en-Brisgau, Berlin et Vienne, 2016, p. 205221. Sur celui de J. Freinsheim, voir H. Schönemann, « Die Curtius-Supplemente von Johannes Freinsheim », dans Supplemente antiker Literatur, op. cit., p. 223-238. 30. Entrée no 87, p. 1. 31. Entrée no 87, p. 2 : « Haec primi et secundi anni synopsis poterit […] pro supplemento succedere. » 32. Voir l’entrée no 22, p. 443-550. Le texte latin correspond à Arrien, Anabase, I, 1, 1-29, 1. 33. Voir l’entrée no 22, p. 443-541. Le texte latin, divisé en trois sections correspondant aux trois premières années de règne d’Alexandre, traduit Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XVII, 2-16 (p. 443-477) ; 17-28 (p. 477-538) et 29-30, 1 (p. 538-541). Il supplée Quinte-Curce au-delà des deux premiers livres, en allant jusqu’à « Nondum enim Memnonem uita… » (III, 1, 21). 34. Entrée no 73. 35. Paris, Bibliothèque nationale de France, Latin 14629. Le manuscrit du xve siècle est décrit par S. Dosson, Étude sur Quinte Curce, op. cit., p. 337-338. Joseph Juste Scaliger (cité dans les Scaligeriana, La Haye, 1669, p. 84-85) attribue la paternité du premier livre du supplément du manuscrit de l’abbaye de Saint-Victor à Pétrarque. Sur cette attribution erronée, voir P. G.

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Excroissances du texte En sus des suppléments, d’autres textes viennent prolonger les Historiae, avec une régularité telle qu’ils semblent appartenir au corpus curtianum. La Lettre d’Alexandre le Grand sur la localisation de l’Inde et l’immensité des chemins qui s’y trouvent, adressée à son précepteur Aristote, traduite en latin par Cornelius Nepos36, tout comme la Vie d’Alexandre le Grand résumée d’après les Historiae par le moine Jean, mise en latin par Angelo Cospi de Bologne37, sont introduites dans ce corpus par l’édition publiée chez H. Petri en 1545 et, au moins jusqu’à l’édition lyonnaise de 1639, de très nombreuses éditions présentent l’une et l’autre aux côtés des Historiae38. Le premier texte est la version latine d’un original grec perdu, antérieure au viie siècle, et ne saurait être l’œuvre de Cornelius Nepos39. Il jouit d’une fortune considérable au Moyen Âge, comme l’atteste sa présence dans près de cent cinquante manuscrits40. Quant à la Vie, il s’agit d’un extrait de l’Épitomé de l’historien byzantin Jean Zonaras, donné dans la traduction latine de l’helléniste Angelo Cospi41. La matière alexandrine s’accroît également de textes de Plutarque dans l’édition imprimée par Antoine Blanc et dans ses multiples reprises : la Vie d’Alexandre, dans la traduction latine d’Hermann Cruser42, et les deux discours Sur la fortune ou la

Schmidt, Supplemente lateinischer Prosa in der Neuzeit, op. cit., p. 15-17. Ces suppléments médiévaux, qui figurent dans cinq manuscrits allant du xiie au xve siècle, ont été étudiés et édités par E. R. Smits, « A Medieval Supplement to the Beginning of Curtius Rufus’s Historia Alexandri : An Edition with Introduction », Viator. Medieval and Renaissance Studies, 18 (1987), p. 89-124. 36. Titre de l’entrée no 22, p. 386 : Alexandri Magni epistolae, de situ Indiae et itinerum in ea uastitate, ad Aristotelem praeceptorem suum, in latinitate uersa a Cornelio Nepote. 37. Titre de l’entrée no 22, p. 415 : Alexandri Magni Vita ex libris historiarum in compendium redacta a Ioan. Monacho et ab Angelo Cospo Bononiensi latinitate donatum. 38. Voir par exemple les entrées no 22, 27, 36, 37, 42, 51 et 102. 39. Sur les complexes questions de datation de la Lettre, voir les pistes proposées par L. L. Gunderson, Alexander’s Letter to Aristotle about India, Meisenheim am Glan, 1980, p. 34-35. 40. A. Cizek, dans La fascination pour Alexandre le Grand, op. cit., t. 1, p. 31. Dans son édition, W. W. Boer décrit soixante-sept manuscrits : Epistola Alexandri ad Aristotelem ad codicum fidem edidit et commentario critico instruxit, Meisenheim am Glan, 1973, p. iii-xxi. Il existe une traduction française de cette lettre : « Lettre d’Alexandre de Macédoine à Aristote son maître sur son expédition et la description de l’Inde », dans Pseudo-Callisthène, Le roman d’Alexandre, trad. et comment. G. Bounoure et B. Serret, Paris, 1992, p. 123-146. 41. Jean Zonaras, Épitomé, IV, 8 (col. 336 A)-IV, 15 (col. 357 C) dans Patrologie grecque, t. 134, éd. J.-P. Migne, Paris, 1864. 42. Entrée no 52, p. 302-374. Sur ce traducteur, voir G. Bers, Die Schriften des nierderländischen Humanisten Dr. Hermann Cruser, Cologne, 1969.



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vertu d’Alexandre, dans la traduction latine de Guillaume Budé43. Le texte de Quinte-Curce se voit encore étoffé de témoignages littéraires sur Alexandre dans la première édition procurée par M. Rader, rassemblés dans une section intitulée « Comparaisons d’Alexandre avec des dieux, des empereurs, des rois, des chefs militaires, tirées de divers auteurs44 » et mêlant des extraits de Tite-Live, Cicéron, Justin, Salluste, Tacite, Aulu-Gelle, Aelius Lampridius, Plutarque, Appien, Lucien, Jean Xiphilin, Sénèque et du livre de Daniel. M. Rader clôt même son édition par l’épitaphe fictive d’Alexandre45. Le jésuite approfondit sa démarche dans son grand œuvre de 1628 : quinze « exposés inauguraux » (« prolusiones ») introduisent le volume, dont onze sont consacrés à Alexandre. Si le quatorzième exposé reprend la série de comparaisons de l’édition de 1617, les autres sont inédits et offrent des études thématiques sur le conquérant macédonien : son nom, son surnom, les événements et les prodiges de sa vie, les honneurs qu’il a reçus, les apophtegmes qu’il a prononcés et ceux dont il a fait l’objet, les épigrammes composées à son sujet, son physique et, pour finir, « les fouets d’Alexandre » (fol. f 1 v, « Alexandromastiges46 »), en d’autres termes les critiques que le personnage a suscitées. Par ailleurs, au xviie siècle, certaines excroissances des Historiae de Quinte-Curce se développent sur des supports autres que textuels. Elles s’étendent à la géographie d’une part : M. Rader intègre à son édition de 1628 la carte des conquêtes d’Alexandre47, suivi quelques années plus tard par Daniel Heinsius48 ; à l’iconographie d’autre part : M. Rader, encore, émaille le texte de Quinte-Curce de quelques illustrations, quand J. Freinsheim choisit d’insérer à son édition une unique planche, représentant l’ordre de marche de l’armée perse (« Ordo agminis Persici ») au moment de l’évocation de l’armée de Darius par Quinte-Curce49. 43. Entrée no 52, p. 375-388 (premier discours) et p. 388-411 (second discours). 44. Entrée no 75, p. 517-547 : « Alexander a variis scriptoribus cum Diis, imperatoribus, regibus, ducibus compositus ». 45. Entrée no 75, fol. Cc 9 r. 46. Terme forgé à l’image de l’« Homeromastix », surnom du sophiste Zoïle que l’on trouve chez Vitruve (De l’architecture, VII, préface, 8) et chez Pline l’Ancien (Histoire naturelle, préface, 28) et du « Vergiliomastix » de Servius (Commentaire sur l’Énéide, V, 521 et Commentaire sur les Bucoliques, II, 23). 47. Entrée no 87. 48. Entrée no  95. Sur ce philologue, voir J.  Papy, « Heinsius, Daniel », dans Der Neue Pauly Supplemente Band 6, op.  cit., col.  543-547, où sont indiquées plusieurs références bibliographiques. 49. Entrée no 103, entre les fol. A 4 et A 5, soit au niveau du début de III, 3. La planche est signée du graveur strasbourgeois Pierre Aubry, tout comme la page de titre de l’édition.

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Améliorer le texte Le foisonnement d’éditions latines de Quinte-Curce s’explique aussi par l’ambition d’améliorer une œuvre goûtée du public. Bien que tous les éditeurs n’entendent pas proposer un texte rénové et reproduisent alors un état préexistant des Historiae, la majorité d’entre eux revendique une version restaurée, sur la page de titre, dans les préfaces ou le colophon. Ainsi Antonio Francini parle-t-il de son travail acharné de philologue, alors qu’il se contente de toiletter la précédente édition florentine50. Des pièces poétiques peuvent aussi venir célébrer cette restauration, souvent rêvée51. Au-delà des déclarations d’intention, l’étude de ces éditions montre bien une évolution qui va dans le sens d’une maîtrise affinée du texte de Quinte-Curce. Le recensement effectué par Friedrich Schmieder scinde ce mouvement d’ensemble en quatre périodes : les premières éditions, la période aldino-érasmienne, la période dominée par les travaux de F. Modius et celle dominée par ceux de J. Freinsheim52. Certaines nuances doivent néanmoins être apportées à cette chronologie. Si, de fait, les recherches de F. Modius et de J. Freinsheim constituent des points de rupture dans l’histoire du texte de Quinte-Curce, d’autres éditions, comme celle imprimée à Genève en 1591 chez A. Blanc53, ont façonné cette histoire et ont consenti des progrès. Afin d’apprécier ces avancées, deux critères ont été pris en considération. Le premier est le traitement dont font l’objet les lacunes : point qui soulève ipso facto la question de l’interpolation entre les livres V et VI. Le second est l’examen du texte même. La démarche exhaustive consistant à comparer le mot à mot de chaque édition aurait excédé le cadre de la présente contribution. C’est pourquoi seuls quatre passagestémoins, choisis comme échantillons paradigmatiques, sont retenus. Le texte donné par la tradition en est corrompu ou du moins assez délicat : l’occasion est ainsi offerte aux éditeurs de déployer leurs talents de correcteur. Il s’agit 50. Entrée no 11, fol. A ii r. A. Francini da Montevarchi, précepteur de nobles familles florentines, prépara diverses éditions chez les Giunti. Certaines, comme celle de Quinte-Curce, reprennent des ouvrages imprimés préexistants, mais d’autres signalent un véritable travail philologique, comme sa monumentale édition des décades de Tite-Live, réalisée entre 1522 et 1532. Voir F. Bacchelli, « Francini, Antonio », dans Dizionario bibliografico degli Italiani, éd. M. Pavan et alii, Rome, 1960-…, t. 50, p. 142-144. 51. Voir les entrées no 8, 14, 44 et 103. 52. F. Schmieder, « Recensus editionum Q. Curtii Rufi, auctior Fabriciano, et in quatuor aetates digestus », dans Quinte-Curce, De rebus gestis Alexandri Magni libri superstites, éd. F. Schmieder, Londres, 1825, t. 4, p. 1595-1613. 53. Entrée no 52.



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des quatre extraits suivants : la présentation des effectifs des Arméniens et des Hyrcaniens combattant dans l’armée de Darius (III, 2, 6-7) ; la prise de Péluse et ses conséquences (IV, 1, 30) ; l’éloge de Parménion (VII, 2, 33) et la description d’une île de la mer Rouge (X, 1, 14-16).

Interpolation et lacunes Bien que l’édition florentine de 1507 fasse évoluer la structure des Historiae de Quinte-Curce de neuf vers dix livres, elle ne règle pas la question de l’interpolation entre les livres V et VI de manière définitive. À l’exclusion de l’aldine de 152054, les éditions suivantes, même si elles adoptent un total de dix livres, maintiennent l’interpolation au début du livre VI : Érasme lui-même la conserve, ainsi que les éditeurs qui reprennent son texte55. L’interpolation disparaît au fil du xvie siècle : elle est supprimée de l’édition lyonnaise de 1541, puis des deux éditions bâloises de 154556. Mais elle se rencontre encore chez H. Glarean, au début de ce que l’humaniste considère comme le septième livre57. F. Modius donne le coup d’arrêt à cette pratique. Quant aux trois lacunes qui, chez les éditeurs actuels, font l’unanimité à l’intérieur du livre X (fin du chapitre 1, fin du chapitre 3 et fin du chapitre 4), si la princeps les identifie correctement, les éditeurs suivants ne réussissent pas à répondre avec cohérence aux questionnements liés à leur nombre et leur place. À l’exclusion de la princeps donc, et de l’édition de G. Pomponio Leto, qui voit deux lacunes au livre X58, tous les éditeurs s’accordent à placer quatre lacunes au livre X : les trois lacunes actuelles, ainsi qu’une lacune au début du chapitre 3 entre « grauiora quam ceteros » et « siue nominis59 », comblée elle aussi dans les éditions qui offrent des suppléments. L’hypothèse de F. Modius, qui rompt l’usage en supprimant cette dernière lacune, n’est reprise que par M. Rader : les autres éditions, y compris celle imprimée chez A. Blanc et celle de J. Freinsheim60, restent fidèles à la tradition des quatre lacunes. Quant à 54. Entrée no 13. 55. À la suite d’Érasme, les éditions imprimées chez Simon de Colines (entrées no 16 et 21) maintiennent l’interpolation mais recourent à une disposition typographique qui l’isole sur la page : bien que le passage interpolé soit transcrit, la lettrine indique que le livre VI de QuinteCurce commence à « Pugnae discriminem ». 56. Entrées no 19, 22 et 23. 57. Entrée no 36, p. 165. 58. Entrée no 2, fol. q 2 r : seules les lacunes de la fin du chapitre 3 et du chapitre 4 sont matérialisées par quelques sauts de ligne. 59. Quinte-Curce, X, 3, 2-3. 60. Entrées no 52 et 103.

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D. Heinsius, s’il penche en faveur du nombre de trois lacunes, c’est parce qu’il estime qu’il convient de supprimer la lacune de la fin du chapitre 161.

Étude de passages-témoins L’édition princeps qui sort des presses de W. de Spire livre le texte suivant pour les quatre passages-témoins : [III, 2, 6-7] Armeni quadraginta milia miserant peditum additis septem milibus equitum. Hyrcani egregii ut inter illas gentes sexmilia expleuerant : additis equitibus militatura. Idem uicies quadraginta milia peditum armati erant : pluribus haerebant ferro praefixae hastae. Quidam lignum igne durauerant : hos quoque duo milia equitum ex eadem gente comitata sunt62. [IV, 1, 30] Potitus ergo pelusii Memphim copias promouit : ad cuius famam aegyptii uana gens et nouandis quam gerendis aptior rebus ex suis quisque uicis urbibusque ad hoc ipsum concurrunt ad delenda praesidia persarum : qui territi tamen spem optinendi aegyptum non amiserunt63. [VII, 2, 33] Hic exitus Parmenionis fuit militiae domique clari uiri. Multa sine rege prospere : Rex sine illo nihil magnae rei gesserat. Felicissimo regi et omnia ad fortunae suae exigenti modum satisfecit. LXX natus annos iuuenis ducis et saepe etiam gregarii militis munera explicuit. Acer consilio : manu strenuus : carus principibus : uulgo militum acceptior64. [X, 1, 14-16] Esse haud procul a continenti insulam palmis frequentibus consitam : et in medio fere nemore columnam eminere Erithri regis monumentum : litteris gentis eius scriptam. Adiiciebant nauigia : quae lixas mercatoresque uexissent famam auri secutis gubernatoribus in insulam esse transmissa : nec deinde ab iis postea uisa. Rex cognoscendi plura cupidine accensus rursus eos terram legere iubet : donec ad euphratem apellerent classem inde aduerso amne babilonia subituros65.

La princeps ne mérite pas l’opprobre que lui jette l’éditeur de la Collection des Universités de France, Henri Bardon66. Certaines leçons des passages-témoins 61. Entrée no 95, p. 310. 62. Entrée no 1, fol. a 2 v. Dans l’ensemble de cette étude, les citations reproduisent les graphies adoptées par les différents éditeurs. 63. Entrée no 1, fol. b 8 r-v. 64. Entrée no 1, fol. i 5 r. 65. Entrée no 1, fol. p. 1 v. 66. H. Bardon, « Introduction », dans Quinte-Curce, Histoires, t. 1, Paris, 2003 (1re édition 1947-1948), p. xviii.



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indiquent qu’elle est produite à partir d’un manuscrit interpolé67, suivi avec prudence, comme le montre la série de mots qui résiste à la compréhension dans le premier passage-témoin, « additis equitibus militatura idem uicies », reproduite pourtant telle quelle, sans intervention hasardeuse. Jusqu’aux recherches de F. Modius, ces quatre passages subissent assez peu de modifications, en dehors des inévitables variations de graphie ou de ponctuation, qui ne sont pas prises en considération dans cette analyse. L’édition de G. Pomponio Leto, quasiment concomitante de celle imprimée par W. de Spire, paraît avoir été préparée à la hâte. Elle propose des leçons autres, de moindre qualité, pour trois des quatre passages témoins. Voici le texte des deux premiers : [III, 2, 6-7] Armeni quadraginta milia miserant peditum. additis septemmilibus equitum. Hyrcani egregii ut inter illas gentes sexmilia expleuerant. Militatura item uicies quadraginta peditum milia armati erant : pluribus erant ferro praefixe haste. Quidam lignum igne durauerunt. hos quoque duo milia equitum ex eadem gente comitata sunt68. [IV, 1, 30] Potitur ergo Pelusii et Memphim copias promouit. Ad cuius famam Egyptii uana gens et nouandis quam gerendis aptior rebus : ex suis quique uicis urbibusque [ad] hoc ipsum concurrunt ad dedenda praesidia persarum. Qui territi tamen spem retinendi Egyptum non amiserunt69.

Le troisième passage ne comporte aucune variation70, à la différence du quatrième : [X, 1, 14-16] esse. haud procul a continenti insulam palmis frequentibus consitam et in medio fere nemore columpnam eminere Erithri regis monimentum : litteris gentis eius scriptam Adiciebant nauigia que lixas mercatoresque uexissent famam auri secutis gubernatoribus in insulam esse transmissa nec deinde ab his esse uisa. Rex cognoscendi plura cupidine accensus rursus eos terram legere iubet. donec ad Eufratem appellerent classem. inde aduerso amne Babylloniam subituros71.

Les éditions suivantes se caractérisent par un texte statique et, à quelques modestes changements près, suivent la voie ouverte par la princeps. À Milan, Antonio Zarotto maintient le texte préparé chez W. de Spire, en rectifiant 67. « Egregii » en III, 2, 6 ; « frequentibus » en X, 1, 14. 68. Entrée no 2, fol. a 2 v. Suppression du groupe « additis equitibus » et déplacement du troisième « milia ». Les autres corrections introduites sont marquées en caractères gras, ainsi que dans la suite de l’article. 69. Entrée no 2, fol. b 7 r. 70. Entrée no 2, fol. i 3 r, à l’exclusion de l’inversion de la place d’« annos » et de « natus ». 71. Entrée no 2, fol. p. 6 r.

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la probable coquille « optinendi » en « obtinendi ». Sa seule intervention consiste, dans le premier passage-témoin, à supprimer « additis » et à modifier « equitibus » en « equis », pour espérer aboutir à une proposition qui fasse sens. Les textes imprimés en Vénétie de 1491 à 1502 offrent à leur tour des corrections très légères de cette édition72 ; ils sont repris à Paris chez Ponset le Preux et à Tübingen chez Thomas Anshelm73. Les éditions florentines de 1507 et 1517, malgré la judicieuse suppression de l’interpolation entre les livres V et VI par Luca Della Robbia, ne font que poursuivre la tendance et répètent, elles aussi, l’édition milanaise74. Il en va de même pour Érasme : son édition n’introduit aucune rupture forte. À la différence de ce que suggère la chronologie de F. Schmieder, Érasme ne donne pas une révision complète du texte de QuinteCurce, mais offre une série d’annotations marginales, récapitulées dans un index liminaire75. Il reprend en fait le texte de l’édition florentine de 1517, en y ajoutant dans les marges quelques notes personnelles, des gloses en très grande majorité : seules trois remarques sont des corrections textuelles76. D’ailleurs, dans cette dernière édition, le quatrième passage-témoin donne l’étonnante leçon, peut-être une coquille, « quam lixas mercatoresque uexissent77 ». Or cette leçon se retrouve à l’identique chez Érasme. Le maintien du passage interpolé du début du livre VI, qui disparaît des éditions florentines, signale néanmoins que l’humaniste utilise un ou des instruments supplémentaires. À la suite du travail d’Érasme, la plupart des éditions imprimées de QuinteCurce se réclament de l’autorité de l’humaniste78. Quelques autres l’ignorent, comme l’aldine de 1520 ou l’édition espagnole de 1524, et sont préparées sur les éditions de Florence79. Mais aucune d’entre elles ne propose une relecture 72. L’édition véronaise de 1491 (entrée no 4) rétablit le « quisque » du deuxième passagetémoin, en y ajoutant une coquille (« quam » devient « aquam »). Toujours dans ce passage, « amiserunt » devient « amiserant » dans l’entrée no 7, « amiserat » dans l’entrée no 6. Dans le quatrième passage, « Babyloniam » est corrigé en « Babilonia ». 73. Entrées no 9 et 10. 74. Entrées no 8 et 11. Les deux éditions choisissent cependant la leçon « Babiloniam » dans le quatrième passage-témoin. Sur l’humaniste L. Della Robbia, collaborateur de Filippo Giunti, consulter l’article de G. Fragnito, « Della Robbia, Lucca », dans Dizionario bibliografico degli Italiani, op. cit., t. 37, p. 291-293. 75. Entrée no 12, fol. 2 r-4 r. 76. Entrée no 12, fol. 1 v (« usu » corrigé en « uisu » en III, 1, 14), fol. 16 v (« castra » corrigé en « claustra » en IV, 7, 2 et fol. 80 v (« abstergeri » corrigé en « abstergi » en IX, 9, 16). 77. Entrée no 11, fol. s 8 r. 78. Entrées no 15 à 22. 79. Entrées no 13 et 14. L’aldine propose néanmoins, en fin de volume, une liste d’une vingtaine d’émendations établies à l’aide d’un manuscrit de Cyprianus Senilis d’Ancône.



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intégrale de Quinte-Curce : même l’importante édition de C. Bruno suit le texte d’Érasme, en d’autres termes celui des éditions florentines. Le premier passage-témoin indique une unique intervention effectuée par C. Bruno : le délicat « Idem uicies » est transformé en « Deruices80 », leçon adoptée par les deux derniers éditeurs de Quinte-Curce, John E. Atkinson et Carlo M. Lucarini81 (avec la graphie « Derbices »). La bibliographie des éditions imprimées de Quinte-Curce indique assez le succès du travail de C. Bruno dans les ateliers de Lyon, d’Anvers et de Bâle, où même H. Glarean le reprend. Dans les Annotationes qui accompagnent son texte, ce dernier propose toutefois d’émender ainsi le premier passage-témoin : « Iidem uero quadraginta millia peditum armauerant82 », devançant F. Modius pour la pertinente correction de « armati erant » en « armauerant », toujours retenue par J. E. Atkinson et C. M. Lucarini. Plus d’un siècle après la princeps, les émendations de F. Modius, réalisées à l’aide de plusieurs manuscrits comme l’humaniste l’indique lui-même dans l’épître dédicatoire de ses Notae83, font enfin réaliser un réel saut qualitatif au texte latin de Quinte-Curce : [III, 2, 6-7] Armenij quadraginta millia miserant peditum, additis septem millibus equitum. Hyrcani egregij, ut inter illas gentes, sex millia expleuerant, equis militatura. Derbices quadraginta peditum millia armauerant. pluribus haerebant ferro praefixae hastae : quidam lignum igni durauerant. Hos quoque duo millia equitum ex eadem gente comitata sunt84. [IV, 1, 30] Potitus ergo Pelusij Memphin copias promouit : ad cuius famam Aegyptii uana gens, et nouandis quam gerendis aptior rebus, ex suis quisque uicis urbibusque [ad] hoc ipsum concurrunt ad delenda praesidia Persarum : qui territi tamen spem retinendi Aegyptum non omiserunt85. [VII, 2, 33] Hic exitus Parmenionis fuit, militiae domique clari uiri. Multa sine rege prospere, rex sine illo nihil magnae rei gesserat. Felicissimo regi, et omnia ad fortunae suae exigenti modum satisfecit. LXX natus annos, iuuenis, ducis, et saepe etiam gregarij militis, munia explicuit : acer consilio, manu strenuus, charus principibus, uulgo militum acceptior86. 80. Entrée no 23, p. 11. 81. Quinte-Curce, Storie di Alessandro Magno, éd. J. E. Atkinson, Milan et Rome, 1998-2000, 2 t. ; Historiae, éd. C. M. Lucarini, Berlin et New York, 2009. 82. Entrée no 36, fol. BB 2 v, no 6. 83. Non identifié. Voir S. Dosson, Étude sur Quinte Curce, op. cit., p. 356. 84. Entrée no 44, p. 4. F. Modius justifie les corrections de ce passage dans ses Notae, p. 11. 85. Entrée no 44, p. 40. F. Modius justifie les corrections de ce passage dans ses Notae, p. 32. 86. Entrée no 44, p. 188.

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Lucie Claire [X, 1, 14-16] Esse haud procul a continenti insulam palmetis frequentibus consitam, et in medio fere nemore columnam eminere Erythri regis monumentum, litteris gentis eius scriptam. Adijciebant nauigia quae lyxas mercatoresque uexissent, famam auri secutis gubernatoribus, in insulam esse transmissa, nec deinde ab his postea uisa. Rex cognoscendi plura cupidine accensus, rursus eos terram legere iubet, donec ad Euphratis appellerent classem, inde aduerso amne Babilona subituros87.

À l’exception de « his », toutes les leçons adoptées par F. Modius sont mentionnées dans les éditions critiques récentes de J. E. Atkinson et de C. M. Lucarini, qu’elles soient retenues pour le texte ou figurent seulement dans l’apparat critique. Elles ne sont cependant pas unanimement admises par les éditeurs qui succèdent à F. Modius. Après 1579 en effet, les éditions peuvent se classer en trois catégories. Tout d’abord, les éditeurs fidèles à F. Modius : ceuxci sont loin d’être les plus nombreux et se cantonnent à l’aire germanique88. Certains, comme M. Rader, proposent d’occasionnelles révisions des leçons de F. Modius89. À côté de cette série, se rencontrent des éditions qui présentent un texte aux influences hybrides. Tel est le cas de l’édition lyonnaise de 158490 : elle propose une révision des précédentes éditions gryphiennes, qui répètent le texte de C. Bruno, en s’appuyant sur le travail de F. Modius et un manuscrit de Benoît Théocrène. Tel est encore le cas d’une édition promise à une belle fortune, l’édition imprimée chez A. Blanc en 159191 : l’éditeur anonyme, peut-être Simon Goulart92, choisit, sur la base de l’édition de F. Modius, de réintégrer des leçons d’Érasme ou de C. Bruno, par exemple « obtinendi » et « omiserunt » dans le deuxième passage-témoin ou « Euphratem » dans le quatrième93. Cette édition de 1591 sert elle-même de support à de légères révisions du texte, comme celle de l’édition publiée à Leyde en 162294. Enfin, la parution de l’édition de F. Modius ne marque pas un coup d’arrêt aux succès 87. Entrée no 44, p. 316. À cette page, le texte donne « Babilonia », que les Errata rectifient en « Babilona ». F. Modius justifie les corrections de ce passage dans ses Notae, p. 174. La leçon « his » se lisait déjà chez G. Pomponio Leto. 88. Par exemples les entrées no 53, 62, 66 et 75. 89. Dans son édition de 1628, entrée no 87. 90. Entrée no 46. 91. Entrée no 52. 92. Hypothèse d’A. Graves-Monroe, Post tenebras lex : preuves et propagande dans l’historiographie engagée de Simon Goulart (1543-1628), Genève, 2012, p. 78-79. Voir la note de l’entrée no 52 pour une discussion de cette hypothèse. 93. Entrée no 52, p. 51 et 277. 94.  Entrée no 80 : le premier passage-témoin y porte la leçon « Iidem uicies » (p. 23) et le quatrième « Babylonem » (p. 325).



Les éditions latines des Historiae de Quinte-Curce 113

d’imprimerie de l’édition de C. Bruno, qui demeure bien vivace à Lyon, à Anvers et en Italie95. Du point de vue purement textuel, l’édition réputée de J. Freinsheim ne comporte pas d’innovation majeure. Les deux premiers passages-témoins suivent respectivement les hypothèses de F. Modius et C. Bruno : [III, 2, 6-7] Armenii quadraginta millia miserant peditum ; additis septem millibus equitum. Hyrcani egregii, vt inter illas gentes, sex millia expleuerant, equis militatura. Derbices quadraginta millia peditum armauerant : pluribus haerebant ferro praefixae hastae, quidam lignum igni durauerant. hos quoque duo millia equitum ex eadem gente comitata sunt. [IV, 1, 30] Potitus ergo Pelusii Memphim copias promouit : ad cuius famam Aegyptii, vana gens, et nouandis quam gerendis aptior rebus, ex suis quisque vicis vrbibusque, ad hoc ipsum concurrunt, ad delenda praesidia Persarum. qui territi, tamen spem obtinendi Aegyptum non amiserunt.

Le troisième propose une excellente conjecture, dont J. Freinsheim s’explique dans ses Commentarii, la correction de la leçon « explicuit » en « expleuit » : [VII, 2, 33] Hic exitus Parmenionis fuit militiae domique clari viri. Multa sine rege prospere, rex sine illo nihil magnae rei gesserat. felicissimo regi et omnia ad fortunae suae exigenti modum satisfecit. LXX natus annos, iuuenis ducis, et saepe etiam gregarii militis munia expleuit. acer consilio ; manu strenuus ; carus principibus ; vulgo militum acceptior.

Le quatrième passage-témoin enfin rejette la correction de F. Modius, « palmetis », pour revenir à l’antérieur « palmis ». Sans raison, J.  Freinsheim émende le nom du roi « Erythri », donné tant par les précédentes éditions imprimées que par les manuscrits : [X, 1, 14-16] Esse haud procul a continenti insulam palmis frequentibus consitam, et in medio fere nemore columnam eminere, Erythrae regis monumentum, literis gentis eius scriptam. Adjiciebant nauigia, quae lyxas mercatoresque vexissent, famam auri sequutis gubernatoribus in insulam esse transmissa, nec deinde ab his postea visa. Rex cognoscendi plura cupidine accensus, rursus eos terram legere iubet, donec ad Euphratem adpellerent classem ; inde aduerso amne Babylonem subituros.

95. Voir par exemple les entrées no 45 (Lyon), 47 (Anvers), 49 (Vérone) et 51 (Rome). Cette dernière édition, préparée par Flaminio Priami pour le Collège romain, offre de menues révisions, déjà lues ailleurs, comme dans le premier passage-témoin « Iidem uicies » (p. 34) et dans le quatrième « his » (p. 346).

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Lucie Claire

La place accordée à l’édition de J.  Freinsheim dans la chronologie de F. Schmieder apparaît donc légèrement surévaluée : l’édition vaut surtout par ses suppléments, ses riches annexes sur Quinte-Curce et sur Alexandre et ses Commentarii. Loin d’être complètement restauré, son texte latin consiste en une révision de l’édition de F. Modius, accompagnée de quelques conjectures, certes brillantes, à l’exemple d’« expleuit ».

Manuscrits et imprimés En dépit du nombre d’éditeurs désireux de se confronter à Quinte-Curce et de la quantité de manuscrits disponibles, la relative permanence du texte pendant la longue période considérée ne saurait surprendre. En effet, depuis les années 1970, les recherches d’Edward J. Kenney ont établi que chaque éditeur fonde son travail sur celui de son prédécesseur à l’âge de l’humanisme96. Les travaux imprimés sont considérés comme des témoins de même valeur que les manuscrits, qui eux-mêmes ne se trouvent pas soumis à un examen de critique historique : Bartolomeo Merula prétend « avoir collationné un ancien exemplaire » (fol. a i v, « collato uetere exemplari »), sans rien dire de ce précieux outil, alors que l’étude de son travail fait voir qu’il se borne à ajouter des manchettes au texte de l’édition imprimée en 1491 à Vérone. En 1584, une nouvelle édition de Quinte-Curce voit le jour chez Antoine Gryphe : sa révision a été faite à partir d’un manuscrit et d’un imprimé, mis sur un pied d’égalité97. Dans le même esprit, M. Rader propose de nouvelles leçons dans son édition de 1628 : il revoit légèrement le texte de F. Modius à l’aide de plusieurs manuscrits, en particulier un manuscrit de Constance98. Proche encore est la méthode de J. Freinsheim : ses Commentarii font voir que le philologue place les éditions de F. Modius et de M. Rader sur le même plan que les différents manuscrits consultés. Quant à l’importante édition qui sort des presses d’A. Blanc en 1591, elle livre un texte réélaboré à partir de l’édition de Modius et d’autres éditions parues à Bâle et à Lyon, comme le précise l’avis au lecteur99 : nulle mention de manuscrits. Seul F. Modius semble avoir conscience de la nécessité de reconstruire le texte de Quinte-Curce sur de nouvelles fondations et de corriger à la fois 96. E. J. Kenney, The Classical Text. Aspects of Editing in the Age of the Printed Book, Berkeley, Los Angeles et Londres, 1974. 97. Entrée no 46. Voir, dans la bibliographie, la note ad hoc. Si l’on en croit le titre de l’édition, la même méthode semble avoir été appliquée à l’entrée no 28. 98. Manuscrit aujourd’hui perdu. Voir S. Dosson, Étude sur Quinte Curce, op. cit., p. 355. 99. Entrée no 52, fol. * 5 r.



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codicum et ingenii ope. Dans la préface de ses Annotationes, imprimées dans son édition de 1579, l’humaniste indique avoir utilisé un manuscrit provenant de Toulouse, des parchemins venant de la cathédrale de Cologne, ainsi qu’un manuscrit originaire de l’abbaye de Siegburg ; il signale même s’être mis en quête d’autres témoins dans les bibliothèques des environs, en vain100.

Les liminaires : la doxa sur Quinte-Curce et son personnage S’invitant avec une régularité croissante dans les éditions de Quinte-Curce, les liminaires délaissent la question philologique pour exploiter deux veines principales, annoncées de manière programmatique par le premier d’entre eux. L’épître dédicatoire de B. Merula, adressée au jeune Franciscus Georgius Cornelius, survole en effet les problèmes liés à l’édition du texte, en mêlant étroitement deux thématiques : l’exemplarité d’Alexandre et le savoir sur Quinte-Curce101.

Un miroir du prince Sacrifiant à l’usage102, la plupart des éditeurs dédient leur travail à un ­puissant dont ils dépendent. Il n’est donc pas étonnant de les voir transformer les Historiae de Quinte-Curce en un miroir du prince, dans lequel leur protecteur pourra se contempler et juger de sa ressemblance avec Alexandre. Ce miroir peut se contenter de refléter les leçons générales du passé, en insistant sur la dimension exemplaire de l’histoire, riche d’enseignements pour le futur chef destiné à embrasser une carrière militaire, comme l’expose la lettre que L. Della Robbia écrit à l’attention d’un nouvel Alexandre, le jeune Alessandro Acciaiuoli : Ostendit quot et quantas calamitates afferant et priuatim et publice mali mores, quos habeant exitus dissidentes exercitus discordiaeque ciuiles, qua ratione occurrendum sit hostium insidiis, quo dolo eorum praeuenienda consilia, qua cura seruandus exercitus, qua solertia obsidendae oppugnandaeque urbes, qua uirtute expugnandae, quibus demum artibus retinendae103. 100. Entrée no  44, fol.  a  2  r-a  2  v. Ces différents manuscrits n’ont pu être identifiés par S. Dosson, Étude sur Quinte Curce, p. 355-356. Voir également l’édition de C. M. Lucarini, Quinte-Curce, Historiae, p. xlii-xliii. 101. Entrée no 5, fol. a i v. 102. Sur cet usage, consulter par exemple Pratiques latines de la dédicace. Permanences et mutations, de l’Antiquité à la Renaissance, éd. J.-C. Julhe, Paris, 2014. 103. Entrée no 8, « Luca Robia Alexandro Acciaiolo », non folioté ni paginé.

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Lucie Claire [Elle montre combien de grands malheurs entraînent les mauvais comportements, à titre privé et à titre officiel, quelles fins les armées séditieuses et les conflits civils connaissent, de quelle manière il faut affronter les pièges des ennemis, avec quelle adresse il faut anticiper leurs desseins, avec quel soin il faut protéger l’armée, avec quelle habileté il faut assiéger les villes et leur donner l’assaut, avec quel courage il faut les prendre d’assaut, avec quelles techniques enfin il faut les conserver.]

À son tour, C. Bruno développe le thème cicéronien de l’« histoire maîtresse de vie104 » au début de l’épître qu’il adresse au duc Albert de Bavière : la lettre s’ouvre sur un éloge de l’histoire qui combine plusieurs citations empruntées à Cicéron105. Mais à l’exemplarité de l’histoire, C. Bruno ajoute celle de la figure complexe d’Alexandre : Hic Alexander, sapientissimus atque supra humanam potentiam magnitudine animi praeditus princeps, summae felicitatis, infracti in omni fortuna animi, omnigenaeque uirtutis splendidissimum exemplum, tibi principi ad res maximas nato, in primis conuenire uidebatur106. [Cet Alexandre, un prince très avisé et doué d’un esprit dont la grandeur dépasse la puissance humaine, constituait l’exemple le plus éclatant d’un succès extrême, d’un esprit brisé dans chaque coup du sort et d’un courage capable de mille choses, et semblait te convenir plus que tout autre, à toi qui es un prince né pour accomplir de grandes actions.]

S’adressant à Constantin Huygens, seigneur de Zuylichem, Bonaventure et Abraham Elzevier soulignent eux aussi, au moyen de répétitions et de polyptotes expressifs, qu’Alexandre revit dans certains princes modernes : Vt in castris, Nobilissime virorum, castra legas, inter tubas, tubas audias, vt Principis invicti assecla ac comes, Principem, victorem orbis, ante oculos atque inter manus habeas, fatale illud nomen, Magnum Alexandrum, merito offerre tibi visum fuit107. [Pour que dans ton camp, ô toi le plus noble des hommes, tu voies par la lecture un camp, qu’au milieu des trompettes, tu entendes des trompettes, pour que toi, l’acolyte et le compagnon d’un prince invaincu, tu aies sous les yeux et entre les mains le prince vainqueur de l’univers, il a paru bon de t’offrir, à juste titre, ce nom fixé par le destin, celui d’Alexandre le Grand.] 104. Cicéron, De l’orateur, II, 36 : « Historia magistra uitae ». 105. Entrée no 23, fol. * 2 r, qui cite Cicéron, Des lois, I, 5 et De l’orateur, II, 36 et 63. 106. Entrée no 23, fol. * 2 v. 107. Entrée no 95, fol. * 2 r.



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M. Rader précise même qu’Alphonse d’Aragon faisait ses délices de l’œuvre de Quinte-Curce et que sa lecture réussit à guérir le roi d’une maladie108. Les auteurs des dédicaces n’ignorent pas cependant qu’ils présentent à leur protecteur un modèle de comportement ambigu, propre à susciter l’adhésion ou le rejet : Alexandre était déjà perçu comme tel par les Romains109. Les attitudes divergent face à ce problème. Ainsi C. Bruno, après avoir tracé un portrait laudatif d’Alexandre, qui lui permet d’amorcer l’éloge direct du duc Albert, cherche à atténuer les défauts bien connus du conquérant : ses fautes ont été suivies de repentir, son goût pour la boisson répondait surtout à l’envie de plaire à ses amis110… À l’inverse, la part sombre du modèle peut être assumée, voire revendiquée, comme le fait Érasme dans son épître à Ernest de Bavière : Neque ille periculosius erat uino temulentus, quam ira atque ambitione. Et quo foelicior erat impotentis animi temeritas, hoc erat rebus humanis pernitiosior. Mihi certe non magis placet Graecorum Historicorum Alexander, quam Achilles Homericus, pessimum uterque boni principis exemplar, etiam si quae uirtutes tot uitiis admixtae uideri possint111. [Et cet homme ne courait pas plus de risques à être ivre de vin qu’à être ivre de colère et d’ambition. Et plus l’audace de son esprit immodéré rencontrait le succès, plus elle devenait funeste pour l’humanité. Pour ma part assurément, l’Alexandre des historiens grecs ne me plaît pas plus que l’Achille d’Homère : l’un et l’autre seraient les pires modèles du bon prince, même si quelques qualités pouvaient sembler se mêler à leurs nombreux vices.]

D’autres considèrent la dualité nécessaire et constitutive de la personnalité d’Alexandre, à tel point qu’aux yeux de B. et A. Elzevier, nier cette ambiguïté revient à se discréditer soi-même : « Ceux qui passent sous silence les vices qui se mêlent aux qualités chez un prince livrent à la postérité ces vices mêmes ainsi que leur crédit, pour qu’elle en fasse le procès avec quelque sévérité112. » D’ailleurs, au moment de dédier ses Annotationes au conseiller 108. Entrée no 87, fol. (?) 4 v. Cette anecdote est, à l’origine, racontée par Antonio Beccadelli, De dictis et factis Alphonsi regis Aragonum libri quatuor, Bâle, 1538, p. 14 (= I, 42). 109. La bibliographie consacrée à l’image d’Alexandre à Rome est considérable. Voir, pour nourrir la réflexion, M.  Mahé-Simon et J.  Trinquier, « Avant-propos », dans L’histoire d’Alexandre selon Quinte-Curce, éd. M. Mahé-Simon et J. Trinquier, Paris, 2014, p. 7-15, en particulier p. 7, n. 1, où sont présentées des pistes bibliographiques. 110. Entrée no 23, fol. * 2 v-* 3 r. 111. Entrée no 12, fol. 1 v. 112. Entrée no 95, fol. * 2 v : « Qui vitia virtutibus in Principe permixta, praetermittunt, ea ipsa pariter ac fidem suam, accusanda gravius posteritati tradunt. »

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impérial Rochus Merz von Staffelfelden, H. Glarean souligne bien comment Alexandre incarne à la fois un repoussoir et un modèle : Atqui ille Graecis, ut magni Principis exemplum proponitur, quemadmodum Iulius Romanis. Caecis utique exemplum esse potest : uiro Christiano execrabile ac abominandum monstrum, aut (ut Iudaeorum consuetudine dicimus) anathema. Est tamen exemplum Alexander, ac item Iulius uiro Christiano, ut qui in eis etiam atque etiam uidere queat, quam uana sit huius mundi gloria, quam nihili quantalibet potentia, quam ruinosum ac omni momento fortunae subiectum huius mundi imperium, nisi Dei adsit gratia, per quam consistat ac firmetur113. [Pourtant cet homme est proposé en exemple de grand prince par les Grecs, tout comme Jules [César] par les Romains. En tout cas, il peut être un exemple pour les aveugles : pour un chrétien, c’est un monstre exécrable et abominable ou, comme nous le disons à la manière des juifs, un anathème. Alexandre est cependant un exemple, de même que Jules [César] pour le chrétien, dans la mesure où, à travers eux, ce dernier peut voir encore et encore combien est vaine la gloire de ce monde, combien la puissance, aussi considérable qu’on voudra, ne vaut rien, combien le gouvernement de ce monde menace ruine et dépend de chaque coup du sort, si la grâce de Dieu, par laquelle il demeure stable et solide, ne l’assiste pas.]

Le conquérant macédonien, dont H. Glarean réprouve l’attitude, devient en même temps l’illustration de la précarité de la fortune : à ce titre, Alexandre continue à avoir valeur d’exemple. Bien plus, pour M. Rader, à l’immensité des qualités, mise en relief par l’anaphore de « magnus », la gradation de « magnus » à « maximus » et la copia générée par les énumérations, répond l’immensité des vices : In toto opere rediuiuus est Alexander Macedo, cognomento Magnus, magnus inquam philosophus, magnus miles, magnus belli dux, magnus princeps, magnus rex et maximus imperator ab Hebraeis, Graecis, Latinis, barbaris, sacris, profanis rerum scriptoribus, prophetis, vatibus, poetis, oratoribus, geographis, historicis, mathematicis et philosophis laudatus et celebratus : reprehensus etiam et conuitiis laceratus, quando a legibus naturae, philosophiae et rationis iudicio, rectisque et emendatis moribus deflexit, et in vitia, superbiam, crudelitatem, temulentiam et ebrietatem degenerauit, vt maximi quique principes in eodem rege habeant quod sequantur et refugiant ac detestentur114. 113. Entrée no 36, fol. AA 3 v-AA 4 r. 114. Entrée no 87, fol. (?) 2 v-(?) 3 r.



Les éditions latines des Historiae de Quinte-Curce 119 [Dans toute l’œuvre, revit Alexandre de Macédoine, surnommé le Grand, grand philosophe en effet, grand soldat, grand chef de guerre, grand prince, grand roi et le plus grand général, que les Hébreux, les Grecs, les Latins, les barbares, les historiens sacrés, profanes, les prophètes, les oracles, les poètes, les orateurs, les géographes, les historiens, les mathématiciens et les philosophes louèrent et célébrèrent : il fut aussi blâmé et brisé par les critiques, quand il renonça aux lois de la nature, au jugement de la philosophie et de la raison, ainsi qu’à un comportement droit et correct, et dégénéra dans les vices, l’orgueil, la cruauté, la boisson et l’ivresse, à tel point que tous les plus grands princes rencontrent, dans ce même roi, des exemples à suivre, ou à éviter et à maudire.]

Quinte-Curce : biographie et style Le savoir autour de Quinte-Curce constitue la seconde ligne de force des textes liminaires. La biographie de l’historien, qui possède encore aujourd’hui de multiples zones d’ombre, ne retient pas l’intérêt des éditeurs dans un premier temps. En 1545, C. Bruno se risque à émettre quelques hypothèses à son sujet : Porro quo tempore Q.  Curtius uixerit, non satis certum est, cum ne haec quidem, quae supersunt eius scriptoris, integra ad nos peruenerint. Certe Romanum fuisse, satis constat, quod non solum styli ipsius tersissima puritas ad Romanum filum adamussim sit formata, uerumetiam ipse temporum Romani imperii, in quarto, octauo et decimo libris, non obscure mentionem faciat : ut mihi non immerito mirum uideatur, nec a Quintiliano inter scriptores Romanos, propter phrasin uetustioribus simillimam, recenseri, nec a quoquam alio ueterum huius mentionem fieri115. [D’ailleurs, savoir à quelle époque Quinte-Curce a vécu n’est pas assez établi, étant donné que les œuvres qui subsistent de cet écrivain ne nous sont pas parvenues en intégralité. Assurément, il est assez clair qu’il était Romain, non seulement puisque la pureté très soignée de son style a été formée en suivant une trame romaine de fils tirés au cordeau, mais aussi puisque lui-même mentionne des moments de l’empire romain dans ses quatrième, huitième et dixième livres de manière transparente : si bien qu’il me paraît surprenant, et à juste titre, à la fois que Quintilien ne le nomme pas dans la liste des écrivains romains116, en raison de son expression extrêmement semblable à celle d’auteurs fort anciens, et qu’aucun autre, parmi les anciens, ne le mentionne.]

115. Entrée no 23, fol. * 3 r. 116. Il s’agit de la liste présentée dans l’Institution oratoire, X, 1.

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Le dossier est ensuite survolé dans l’épître dédicatoire de l’édition genevoise de 1591 : Caligulae temporibus Curtium vixisse quidam existimant. Quod cum ex historiis haud facile colligi possit, in re dubia nihil pronunciamus117. [Certains considèrent que Quinte-Curce a vécu à l’époque de Caligula. Puisque ce point ne peut être facilement établi à partir des écrits des historiens, nous ne nous prononçons nullement sur un sujet dépourvu de garanties.]

M. Rader prend enfin le sujet à bras-le-corps, et ce dès sa première édition de 1617, dans laquelle figure une Q. Curtii Rufi vita de dix pages à la suite de l’avis au lecteur118. Y est défendue la thèse que l’historien aurait vécu sous l’empereur Claude, thèse étayée par des témoignages de Quinte-Curce lui-même et d’érudits contemporains tels que Barnabé Brisson, Juste Lipse et Erycius Puteanus. Cette Vita est reprise par M. Rader comme premier des quinze « exposés inauguraux » (« prolusiones ») de sa grande édition de 1628 et enrichie d’autres témoignages, anciens et modernes119. Les dates de Quinte-Curce y sont réévaluées : M. Rader fait naître dorénavant l’historien sous Auguste et situe sa carrière sous le règne de Tibère120. Les nombreuses citations de savants compilées par M. Rader montrent à quel point les débats autour des données biographiques de Quinte-Curce s’intensifient dans le premier tiers du xviie siècle. L’avis au lecteur de D. Heinsius se fait l’écho de ce phénomène : Praeter M. Tullius ac Iuuenalem, apud quos hoc nomen extat, Tacitus ac Plinius, quemadmodum ex testimoniis quae jam praemisimus apparet, Curtii cujusdam meminerunt. Et vterque Rufi addidit cognomen. Neque aliter Tranquillus, in Catalogo, quo Rhetores praeclarii indicantur, qui libello de iisdem mutilo praemittitur in mss. Esse autem nostrum, cujus tres postremi meminere, inter eruditos fere convenit : nec multum abest quin plerique omnes rhetorem, causidicum, declamatorem, etiam quaestorem ac praetorem, consulemque ac Africae proconsulem, eundem cum historico, qui Magni Alexandri res conscripsit, arbitrentur. Quemadmodum vixisse sub Augusto ac Tiberio, sed et scripsisse, quidam et sub Claudio superfuisse, existimant. A quibus nobilissimus Rutgersius seorsim abiit, qui sub Vespasiano floruisse in Variis probavit. Quem non temere rejiciendum, et cum cura adeundum censeo. Quanquam ne de veritate quidem amplius 117. Entrée no 52, fol. * 4 v. 118. Entrée no 75, p. 9-19. 119. Entrée no 87, fol. a 1 r-a 4 r. 120. Entrée no 87, fol. a 2 v.



Les éditions latines des Historiae de Quinte-Curce 121 quaerendum videretur, si habendam Cataneo fidem, omnibus constaret. Qui in manu exarato exemplari, ipsam hanc historiam de gestis Alexandri scriptam, Q. Curtio, et quidem Rufo, qui Augusto Caesare ac Tiberio floruerit, inscribi sic testatur : Legi in fide digno exemplari Historiam de gestis Alexandri compositam a Q. Curtio Rufo, qui inibi fatetur se fuisse sub Augusto et Tiberio, et sub Vespasiano, quantum conjectura assequi possumus. Caetera incerta sunt. Et quia caetera, hoc ipsum. Imo et hoc ipsum magis, quia caeteris Vespasianum jungit121. [En plus de Cicéron et de Juvénal, chez lesquels on trouve ce nom, Tacite et Pline mentionnent un certain Curtius, comme les témoignages que nous avons déjà cités plus haut le font apparaître. Et tous deux ajoutent le surnom de Rufus. Il n’en va pas autrement chez Suétone dans le Catalogue dans lequel sont énumérés les rhéteurs illustres, cité plus haut, bien que son petit traité à leur sujet soit mutilé dans les manuscrits. Les érudits s’accordent presque pour reconnaître l’existence de notre hypothèse, que les trois derniers écrivains mentionnent. Et il ne s’en faut pas de beaucoup que tous, pour la plupart, croient qu’un rhéteur, avocat, déclamateur, même questeur et préteur, consul et proconsul d’Afrique soit la même personne que l’historien qui a écrit les Histoires d’Alexandre le Grand. De la même façon, ils estiment qu’il a vécu sous Auguste et Tibère, mais qu’il a écrit sous Claude, voire, selon l’avis de certains, qu’il lui a survécu. Le très vénérable Rutgers s’est distingué d’eux, lui qui a démontré dans ses Variae qu’il avait fait carrière sous Vespasien122. Il ne faut pas le rejeter à la légère et il faut s’avancer avec soin, à mon avis. Bien qu’il ne semble pas nécessaire de s’interroger plus avant, même sur la vérité, s’il fallait ajouter foi à Cattaneo, ce dernier serait d’accord avec tout le monde. Il certifie que cette histoire même écrite sur les hauts faits d’Alexandre est attribuée dans un témoin manuscrit à un Q. Curtius, et même Rufus, qui aurait fait carrière sous César Auguste et Tibère, en ces termes : « J’ai lu, dans un manuscrit digne de foi, que l’Histoire des hauts faits d’Alexandre fut composée par Q. Curtius Rufus, qui reconnaît au même endroit avoir vécu sous Auguste et Tibère, et sous Vespasien, autant que nous pouvons le conjecturer123. » Tout le reste est incertain. Et parce que le reste l’est, cela même l’est. Bien plus, cela même l’est plus, parce qu’il lie Vespasien aux deux autres.]

121. Entrée no 95, « Ad lectorem », fol. * 5 r-* 5 v. 122. J. Rutgers, Variarum lectionum libri sex, Leyde, 1618, p. 74-77 (= I, 19). 123. G. M. Cattaneo, dans Pline le Jeune, Epistolarum libri nouem, libellus epistolarum ad Traianum cum rescriptis eiusdem principis, Eiusdem Panegyricus Traiano Caesari dictus, cum enarrationibus Ioannis Mariae Catanaei, Milan, 1506, fol. CXXXI r (à propos de la lettre VII, 27). La dernière proposition « et sub Vespasiano, quantum conjectura assequi possumus » ne figure pas dans le commentaire de G. M. Cattaneo.

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L’incertitude qui entoure les dates de l’historien se double de celle qui caractérise son surnom, Rufus. J. Freinsheim consacre d’ailleurs le premier chapitre de ses Commentarii, publiés en 1639 et joints au texte de l’édition de 1640, à la question du nom, de l’époque et de la condition de l’historien, en rassemblant les différentes opinions des exégètes de Quinte-Curce sur cet épineux sujet124. Si les données biographiques éveillent tardivement l’intérêt des éditeurs, les talents historiographiques de Quinte-Curce font l’objet de remarques constantes. À une époque où la célèbre maxime cicéronienne, qui voit en l’histoire « un travail éminemment oratoire » (Des lois, I, 5, « opus oratorium maxime »), demeure effective, il est naturel que le style déployé dans les Historiae retienne l’attention de manière privilégiée. B. Merula inaugure cette tendance et célèbre une œuvre écrite « de manière très élégante » (fol. a i v, « elegantissime »). Il poursuit ainsi : Est enim Q. Curtius in scribendo acutus, vaehemens, candidus ac perquam eloquens. In concionibus enim quas crebro reperies, quantum ille ingenio et eloquentio ualuerit, facile cognosces125. [En effet, dans l’écriture, Quinte-Curce est pénétrant, vif, brillant et tout à fait éloquent. Dans les discours en effet, que tu rencontreras souvent, tu comprendras aisément quelle était la force de son talent et de son éloquence.]

L’éloquence de Quinte-Curce, qui se manifeste en particulier à travers les nombreux discours des Historiae, est régulièrement vantée par les éditeurs au seuil de leurs œuvres. En 1517, A. Francini semble reformuler les propos de B. Merula : Vere de hoc dicere possumus, quae Fabius de Herodoto, dulcis est, candidus et effusus, in narrando mirae iucundidatis, in concionibus supra quam enarrari potest eloquens126. [À son sujet, nous pouvons dire en toute vérité ce que Quintilien dit au sujet d’Hérodote : « Il est doux, brillant et abondant127 », dans la narration d’un charme incroyable, dans les discours éloquent plus qu’on ne peut le raconter.] 124. Entrée no 103, partie II, fol. A 1 r-A 8 r. Sur cet état des lieux, voir G. Siemoneit, « Lob und Datierung. Johannes Freinsheims Überblick über den Stand der Curtius Rufus-Forschung im Jahr 1639 », dans Der römische Alexanderhistoriker Curtius Rufus. Erzähltechnik, Rhetorik, Figurenpsychologie und Rezeption, éd. H. Wulfram, Vienne, 2016, p. 369-387. 125. Entrée no 5, fol. a i v. 126. Entrée no 11, fol. A ii v. 127. Quintilien, Institution oratoire, X, 1, 73.



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Les adjectifs « candidus » et « eloquens » sont répétés, la beauté des discours est à nouveau notifiée au dédicataire de l’ouvrage. La langue de Quinte-Curce relève même du divin pour certains éditeurs : quand Francesco Torresano la compare à l’ambroisie des dieux128, D. Heinsius129 surnomme Quinte-Curce « la Vénus des historiens » (fol. * 2 r, « historicorum Venus »). Cédant à une rhétorique de l’éloge, intrinsèque aux textes liminaires, les qualificatifs se multiplient pour célébrer le style de Quinte-Curce, comme dans l’épître dédicatoire de l’édition espagnole de 1524 : Hic dulcis, suauis, facundus, grauis, effusus, plenus, breuis plerunque sine sententiae tamen damno. Nunc celeri admodum et cohibili oratione festinans, nunc vbere luxuriantique facundia elegantique verborum copia fluens. In concionibus vehemens, in digressionibus iucundus, in sermone perspicuus130. [Il est doux, suave, bon parleur, grave, coulant, prolixe, abondant, bref parfois, sans causer de tort au sens néanmoins. Tantôt il se hâte dans une langue tout à fait rapide et condensée, tantôt il s’épanche dans des paroles qui foisonnent et débordent, ainsi que dans une élégante abondance de mots. Il est vif dans les discours, charmant dans les digressions, clair dans le récit.]

Tous les liminaires suivants puisent, peu ou prou, à cette liste de qualités. L’éloge semble parfois contaminé par la question de l’imitation et les débats afférents131. De même qu’Alexandre est proposé comme modèle ou contre-modèle de comportement, Quinte-Curce est proposé comme modèle d’écriture, bien que son style présente parfois des ruptures avec la prose classique : brièveté des phrases, ellipses, parataxes, goût pour les images, emploi flou des temps132. Il s’agit donc, pour l’éditeur, d’anticiper les attaques de 128. Entrée no 13, fol. * ii r. Sur Giovanni Francesco Torresano, fils d’Andrea, voir F. Ascarelli et M. Menato, La Tipografia del ‘500 in Italia, Florence, 1989, p. 333-334. 129. Entrée no 95, où le propos est rapporté par B. et A. Elzevier. L’expression est répétée au fol. * 3 r. 130. Entrée no 14, fol. * ii v. 131. L’ampleur de la bibliographie relative à cette problématique empêche toute prétention à l’exhaustivité dans le cadre de la présente contribution. Il est possible de consulter, en guise d’entrée en matière, l’inspirant Poétiques de la Renaissance. Le modèle italien, le monde francobourguignon et leur héritage en France au xvie siècle, éd. P. Galand-Hallyn et F. Hallyn, Genève, 2001, p. 415-507 et l’anthologie bilingue Ciceronian controversies, éd. J. DellaNeva, trad. anglaise B. Duvick, Cambridge, Massachusetts, et Londres, 2007. 132. Sur la langue et le style de l’historien, voir H. Bardon, « La valeur littéraire de QuinteCurce », Les Études classiques, 15 (1947), p. 193-220 et F. Minisalle, Curzio Rufo, un romanziere

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critiques intransigeants sur la pureté de la langue latine. Ainsi, si Érasme se contente de qualifier Quinte-Curce de « brillant et soigné » (fol. 1 v, « candidus et tersus »), il invoque l’autorité de Cicéron au moment de commencer son épître à Ernest de Bavière : Si M. Tullius omnium suffragiis uberrimus et inexhaustus facundiae fons fatetur eloquentiae uenam facillime inarescere, ni quotidiana legendi dicendique exercitatione sufficias, Herneste princeps, non tantum imaginibus inclyte, quid mihi credis accidisse, cui cum uix tenuis quidam orationis riuulus contigerit, iam anni complures in eo studiorum genere consumpti sunt, quod adeo ad expoliendam orationem non facit, ut quamlibet etiam benigne fluentem copiam possit extinguere, ac dictioni quantumuis nitenti situm ac rubiginem obducere ? Quid enim inutilius ad tuendam rhetorices politiem, quam tumultuaria lectione sursum ac deorsum per omnes authores eosque interim inconditos raptari133 ? [Si Cicéron, de l’avis unanime la source de paroles la plus foisonnante et la plus inépuisable, reconnaît que la veine de l’éloquence se dessèche très facilement si on ne l’entretient pas par des exercices quotidiens de lecture et d’écriture, ô prince Ernest, célèbre non seulement par tes portraits, que crois-tu qu’il m’est arrivé, à moi qui, alors que quelque mince filet d’éloquence m’est venu à grand peine, ai déjà consumé de nombreuses années dans un genre d’études qui n’a aucune efficacité pour parfaire l’éloquence, à tel point qu’il peut même éteindre n’importe quelle abondance qui coule généreusement et couvrir de moisissure et de rouille une expression qui s’efforce autant que faire se peut ? Qu’y a-t-il en effet de plus inutile, pour soutenir la perfection de la rhétorique, que d’être entraîné par une lecture dispersée, sens dessus dessous, à travers tous les auteurs, certains parfois mal dégrossis ?]

L’imitation suppose, en plus de l’entraînement recommandé par Cicéron, du discernement : tous les auteurs ne doivent pas être aveuglément imités. La lecture qui ne sait pas cibler les meilleurs écrivains se révèle stérile, sans aucun profit pour qui cherche à progresser. Érasme affirme ainsi, de manière implicite, que l’œuvre de Quinte-Curce appartient à la catégorie des textes qui permettent à l’éloquence de se perfectionner. Dix ans plus tard, un jugement similaire est formulé dans le Cicéronien : Buléphore y suggère à Nosopon la lecture de Quinte-Curce, en raison des discours qui s’y trouvent. Le maniaque della Storia, Messine, 1983. Sur son lexique, voir J. Costas Rodríguez, Aspectos del vocabulario de Q. Curtius Rufus. Estudio semántico-lexicológico : contribución al problema de su datación, Salamanque, 1980. 133. Entrée no 12, fol. 1 v.



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de l’imitation de Cicéron rejette cependant l’historien, au motif que ses tournures diffèrent souvent de celles employées par l’Arpinate134. Le long avis au lecteur qui ouvre l’édition genevoise imprimée par A. Blanc cherche lui aussi à montrer que Quinte-Curce est compatible avec Cicéron et respecte les normes de l’écriture de l’histoire définies par ce dernier. La structure de l’avis suit en effet avec fidélité les lois énoncées par Antoine au livre II du De l’orateur135 : ces lois sont énumérées et la conformité de Quinte-Curce avec ces dernières soulignée par l’auteur de l’avis. Pour le style cependant, l’exercice est délicat : l’écriture de Quinte-Curce ne s’accorde pas toujours avec le style « coulant et large, s’épanchant avec douceur, d’un cours régulier » (II, 64 : « fusum atque tractum et cum leuitate quadam aequabiliter profluens ») qu’exige Antoine. C’est donc un autre passage de Cicéron que décalque avec habileté l’auteur de l’avis : Verba proponit rebus congrua, de magnis splendida et sonantia, vt orationes nonnullae testantur, de paruis humilia, etiam de sordidis non dissimilia. Perspicuitas in eo talis est, vt ab omnibus intelligatur, a doctis etiam laudetur. Liberioribus verbis quandoque vtitur (modestiae tamen, quae in eo maxime elucet, non immemor) vt narrandi taedium leuet, puram vbique illustremque sequens breuitatem136. [Il utilise les mots qui conviennent aux événements : pour les grands, des mots sublimes et retentissants, comme l’attestent quelques discours, pour les petits, des mots humbles, pour les ignobles même, des mots à l’image de ces derniers. Chez lui, la clarté est telle qu’il est compris de tous, qu’il est même loué par les savants. Il recourt parfois à des mots un peu audacieux (sans oublier cependant ce que dicte la mesure, extrêmement manifeste chez lui) pour diminuer le dégoût que peut susciter la narration, en respectant partout une brièveté pure et lumineuse.]

Dans le Brutus137, Cicéron apprécie la « brièveté pure et lumineuse » des discours qui se rencontrent dans les écrits de César. L’éloge est en demi-teinte : il ne faut pas oublier que, pour Cicéron, l’historiographie reste un genre que les Latins n’ont pas assez illustré138. César possède en réalité les qualités de l’historien archaïque, non celles de l’historien-orateur que Cicéron appelle de ses vœux. Mais ce point n’intéresse sans doute pas l’auteur de l’avis : il lui 134. Érasme, Dialogus cui titulus Ciceronianus siue De optimo genere dicendi, Bâle, 1528, p. 348. 135. Cicéron, De l’orateur, II, 62-64. 136. Entrée no 52, fol. * 4 r. 137. Cicéron, Brutus, 262. 138. Cicéron, Des lois, I, 5 et De l’orateur, II, 51-58.

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suffit de montrer que Quinte-Curce s’inscrit à l’intérieur de l’espace défini par la critique cicéronienne et qu’il ne se met pas en contradiction avec le maître d’Arpinum. Au terme de ce parcours à travers les éditions imprimées des Historiae de Quinte-Curce, une conclusion, simple, s’impose : la centaine de publications qui voient le jour dans toute l’Europe prouve que l’œuvre fascine les lecteurs du début de l’époque moderne. Elle inspire également ses éditeurs, qui cherchent à la parfaire sur plusieurs plans. Ils manifestent d’abord, bien sûr, le désir tout humaniste d’améliorer la lettre du texte curtien, même si une marge de progrès subsiste pour les successeurs de J. Freinsheim. Ils tentent aussi d’en restaurer l’intégrité, en comblant les lacunes provoquées par les aléas de la transmission au moyen de suppléments. Ils cherchent encore à en rationaliser et à en maîtriser la structure, par l’ajout de chapitres, de paragraphes, de tables et d’index. Enfin, ils veulent en affiner la compréhension : si la fonction exégétique est, en priorité et par tradition, assignée aux commentaires, les éditions imprimées du texte, en particulier leurs liminaires, deviennent les réceptacles des débats savants nés de la lecture des Historiae, notamment autour de la valeur morale de la figure d’Alexandre et de la biographie ou du style de Quinte-Curce. Lucie Claire Université de Picardie Jules Verne EA 4284 TrAme

Bibliographie des éditions latines des Historiae de Quinte-Curce, de la princeps à Johannes Freinsheim Sont utilisées les abréviations suivantes : Baudrier : Président Baudrier, Bibliographie lyonnaise, Paris, 1964-1965, 13  vol. (1re édition Lyon et Paris, 1895-1921, 12 vol.). Betz : J. Betz, Répertoire bibliographique des livres imprimés en France au xviie siècle. Tome VII : Alsace, Baden-Baden, 1984. BP16 : Bibliographie des éditions parisiennes du 16e siècle, en ligne : bp16.bnf.fr Gültlingen : S. von Gültlingen, Bibliographie des livres imprimés à Lyon au seizième siècle, Baden-Baden et Bouxwiller, 1992-2015, 14 vol. GLN : Bibliographie de la production imprimée des 15e et 16e siècles des villes de Genève, Lausanne et Neuchâtel, éd. J.-F. Gilmont, en ligne : http://www.ville-ge. ch/musinfo/bd/bge/gln/ IA : Index Aureliensis. Catalogus librorum sedecimo saeculo impressorum. Prima pars. Tomus XI, Baden-Baden, 1996. Merland : M.-A. Merland, Lyon dans Répertoire bibliographique des livres imprimés en France au xviie siècle, Baden-Baden et Bouxwiller, 1989-2010, 7 vol. Pettas : W. A. Pettas, The Giunti of Florence. A Renaissance Printing and Publishing Family. A History of the Florentine Firm and A Catalogue of the Editions, New Castle, Delaware, 2013. Renouard/Alde : A. A. Renouard, Annales de l’imprimerie des Alde ou Histoire des trois Manuce et de leurs éditions. Troisième édition, Paris, 1834. Renouard/Colines : P.  Renouard, Bibliographie des éditions de Simon de Colines 1520-1546, Nieuwkoop, 1990 (1re édition Paris, 1894). Schreiber/Colines : F. Schreiber, Simon de Colines. An Annotated Catalogue of 230 Examples of His Press, 1520-1546, Provo, Utah, 1995. Schmieder : F. Schmieder, « Recensus editionum Q. Curtii Rufi, auctior Fabriciano, et in quatuor aetates digestus », dans Quinte-Curce, De rebus gestis Alexandri Magni libri superstites, éd. F. Schmieder, Londres, 1825, t. 4, p. 1595-1620. Schweiger : L. A. Schweiger, Handbuch der classischen Bibliographie, Leipzig, 18301834, 3 vol. VD16 : Verzeichnis der im deutschen Sprachbereich erschienenen Drucke des XVI. Jahrhunderts, Stuttgart, 1983-2000, 25 vol.

Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 127-147 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115395

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VD17 : Verzeichnis der im deutschen Sprachraum erschienenen Drucke des XVII. Jahrhunderts, en ligne : www.vd17.de Willems : A.  Willems, Les Elzevier. Histoire et annales typographiques, Bruxelles, Paris et La Haye, 1880.

Bibliothèques : BCA : Biblioteca comunale Augusta BGE : Bibliothèque de Genève BL : British Library BM : Bibliothèque municipale BNCR : Biblioteca nazionale centrale di Roma BNE : Biblioteca nacional de España BnF : Bibliothèque nationale de France BSB : Bayerische Staatsbibliothek ÖNB : Österreichische Nationalbibliothek SB : Staatsbibliothek ZHB : Zentral- und Hochschulbibliothek

[1] [Quinti Curcii ruffi historiarum Alexandri magni Regis Macedonum historia], [Venise], Wendelin de Spire, [circa 1471], in-4°. Exemplaire consulté : Paris, BnF (Rés-J-1206). Note : l’explicit du dernier livre indique que l’éditeur évalue à neuf le nombre total de livres des Historiae. Le texte présente l’interpolation des mauvais manuscrits entre les livres V et VI, séparés néanmoins par un blanc.

[2] [Q. Curtius Rufus de gestis Alexandri magni], [Rome], Georg Lauer, [avant 1472], in-4°. Exemplaire consulté : Paris, BnF (Rés-J-80). Note : édition de Giulio Pomponio Leto, sans interpolation entre les livres V et VI. L’exemplaire de la BnF porte une inscription manuscrite indiquant comme date d’achat 1472. [3] [Q. Curtii de rebus gestis Alexandri Magni Regis Macedonum], Milan, Antonio Zarotto, mars 1481, in-4°. Bibliographie : A. Ganda, I primordi della tipografia milanese. Antonio Zarotto da Parma (1471-1507), Florence, 1984, p. 151, n° 85. À l’entrée n° 79 est mentionnée aussi une édition de 1480, dont aucun exemplaire n’est conservé. Exemplaire consulté : Paris, BnF (Res-J-81). Note : le texte présente l’interpolation des mauvais manuscrits entre les livres V et VI. [4] Quintus Curtius, Vérone, août 1491, in-fol. Exemplaire consulté : Paris, BnF (Rés-J-82). Note : révision de l’édition [3].



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[5] Quintus Curtius, Venise, Giovanni Tacuino, juillet 1494, in-fol. Exemplaire consulté : Munich, BSB (2 Inc.c.a. 3044, en ligne). Note : édition préparée par Bartolomeo Merula, qui reprend le texte de l’édition [4] en y ajoutant des manchettes. [6] Quintus Curtius, Venise, Giovanni Tacuino, décembre 1496, in-fol. Exemplaire consulté : Uppsala, Universitetsbibliotek (Ink. 35b : 707  Fol. min, en ligne). Note : révision de l’édition [5], sans doute par B. Merula. [7] Quintus Curtius, Venise, Giovanni Tacuino, janvier 1502, in-fol. Bibliographie : IA 148.768. Exemplaire consulté : Rome, BNCR (71.8.C.19.2, en ligne). Note : reprise de l’édition [6], augmentée des Quinti Curtii Epistolarum liber I. Q.C. de auctoritate data Hannibali liber secundus. Q.C. epistolarum liber tertius. Q.C. oratio contra asentatores et detractores liber quartus. Q.C. epistolarum liber quintus, publiés pour la première fois par Ugo De Rugeriis à Reggio Emilia en 1500. [8] Quintus Curtius, Florence, Filippo Giunti, décembre 1507, in-8°. Bibliographie : IA 148.770 ; Pettas 236, n° 22. Exemplaires consultés : Paris, BnF (Rés-J-2032) ; Vienne, ÖNB (53.J.54, en ligne). Note : édition préparée par Luca Della Robbia. Les livres V et VI sont distingués. [9] Quintus Curtius de gestis alexandri magni diligentiori examine nuper castigatus cum nonnullis annotamentis in margine chartatim positis, Paris, Ponset Le Preux, 1508, in-4°. Bibliographie : BP16 101088 ; IA 148.775. Exemplaire consulté : Munich, BSB (4 P.lat. 937, en ligne) Note : reprise de l’édition vénitienne de 1496 [6] ou 1502 [7], avec l’épître dédicatoire et les manchettes de B. Merula. [10] Quintus Curtius de Rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum, Tübingen, Thomas Anshelm, juillet 1513, in-fol. Bibliographie : IA 148.776 ; VD16 C 6461. Exemplaire consulté : Munich, BSB (2 H.un. 80, en ligne). Note : reprise de l’édition vénitienne de 1496 [6] ou 1502 [7], avec l’épître dédicatoire et les manchettes de B. Merula. [11] Quintus Curtius, Florence, Filippo Giunti, juin 1517, in-8°. Bibliographie : IA 148.777 ; Pettas 291, n° 108. Exemplaire consulté : Paris, BnF (Rés-J-2032 bis). Note : reprise du texte de l’édition [8], avec une épître dédicatoire d’Antonio Francini.

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[12] Quintus Curtius De rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum. Cum Annotationibus Des. Erasmi Roterdami, Strasbourg, Matthias Schürer, juin 1518, in-fol. Bibliographie : IA 148.779 ; C.  Schmidt, Répertoire bibliographique strasbourgeois jusque vers 1530. VIII : Matthias Schürer 1508-1520, Strasbourg, 1896, n° 231 ; VD16 C 6462. Exemplaire consulté : Strasbourg, Bibliothèque nationale et universitaire (R.10.011, en ligne). Note : Érasme  reprend le texte de l’édition [11], en l’accompagnant de quelques notes de commentaire. [13] Quintus Curtius, Venise, Alde Manuce et Andrea Torresano, juillet 1520, in-8°. Bibliographie : IA 148.782 ; Renouard/Alde 88. Exemplaire consulté : Paris, BnF (Rés 8-Z Adler-44). Note : reprise du texte des éditions florentines [8] et [11], accompagné d’une liste d’une vingtaine d’émendations établies à l’aide d’un manuscrit de Cyprianus Senilis d’Ancône (fol. 169 r-170 r). [14] Q.  Curtii fragmenta nuperrime impressa & plurimis maculis repurgata per Laurentium Balbum Liliensem, Alcalá de Henares, Miguel de Eguía, novembre 1524, in-4°. Bibliographie : IA  148.783 ; J. Costas Rodríguez, « La primera edición del texto latino de Quinto Curcio en España », dans Munus quaesitum meritis. Homenaje a Carmen Codoñer, éd. G. Hinojo Andrés et J. Caros Fernández Corte, Salamanque, 2007, p. 193-203 ; J. Martín Abad, La imprenta en Alcalá de Henares (1502-1600), Madrid, 1991, t. 1, p. 305, n° 126. Exemplaire consulté : Madrid, BNE (R/14124). Note : Laurentius Balbus Liliensis reprend le texte de l’édition [11], qu’il utilise également pour élaborer sa Tabula des faits qui méritent l’attention. [15] Quintus Curtius De rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum. Cum Annotationibus Des. Erasmi Roterodami, Anvers, Joannes Grapheus, juillet 1531, in-8°. Bibliographie : IA 148.787. Exemplaire consulté : Paris, BnF ( J-10662). Note : reprise de l’édition d’Érasme [12]. [16] Quintus Curtius De rebus gestis Alexandri Magni, regis Macedonum. Cum Annotationibus Des. Erasmi Roterodami, Paris, Simon de Colines, 1533, in-8°. Bibliographie : BP16 107187 ; IA 148.789 ; Renouard/Colines, 218 ; Schreiber/ Colines, 92, n° 98. Exemplaire consulté : Gand, Universiteitsbibliotheek (Bib.Acc.9096/1, en ligne). Note : reprise de l’édition d’Érasme [12].



Bibliographie des éditions latines des Historiae 131

[17] Q. Curtii De rebus gestis Alexandri Magni, Regis Macedonum, libri accuratius quam antehac iam recens editi. Adiecimus etiam in studiosorum gratiam, praeter D.  Erasmi literarum Phoenicis numquam satis praedicandam operam, Hulderici quoque Hutteni equitis in eodem autore obseruatos flores, in compendium etiam redactos ut studiosorum usui suppetant facilius, Bâle, Thomas Wolff, mars 1534, in-8°. Bibliographie : IA 148.790 ; VD16 C 6463. Exemplaire consulté : Munich, BSB (A.lat.b. 883, en ligne). Note : reprise de l’édition d’Érasme [12], accompagnée d’une synthèse alphabétique des Flores d’Ulrich von Hutten (Strasbourg, 1528). [18] Q. Curtii De Rebus gestis Alexandri Magni, regis Macedonum, libri accuratius quam antehac iam recens editi. Adiecimus etiam in studiosorum gratiam, praeter D.  Erasmi literarum Phoenicis numquam satis praedicandam operam, Hulderici quoque Hutteni equitis in eodem autore obseruatos flores, in compendium etiam redactos ut studiosorum usui suppetant facilius, Cologne, Johann Gymnich, 1538, in-8°. Bibliographie : IA 148.795 ; VD16 C 6464. Exemplaire consulté : Munich, BSB (A.lat.b. 884, en ligne). Note : reprise de l’édition [17]. [19] Quintus Curtius De rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum. Cum Annotationibus Desiderii Erasmi Roterodami, Lyon, Sébastien Gryphe, 1541, in-8°. Bibliographie : Baudrier VIII, 155 ; Gültlingen V, 111 ; IA 148.797. Exemplaires consultés : Lyon, BM (302295, en ligne) ; Paris, BnF ( J-10663). Note : reprise de l’édition d’Érasme [12]. [20] Q.  Curtii De Rebus gestis Alexandri Magni, regis Macedonum, libri accuratius quam antehac iam recens editi. Adiecimus etiam in studiosorum gratiam, praeter D.  Erasmi literarum Phoenicis numquam satis praedicandam operam, Hulderici quoque Hutteni equitis in eodem autore obseruatos flores, in compendium etiam redactos ut studiosorum usui suppetant facilius, Cologne, Johann Gymnich, 1542, in-8°. Bibliographie : IA 148.798 ; VD16 C 6465. Exemplaire consulté : Munich, BSB (A.lat.b. 885, en ligne). Note : identique à l’édition [18]. [21] Quintus Curtius De rebus gestis Alexandri Magni, Regis Macedonum, cum annotationibus Desid. Erasmi Roterodami, Paris, Simon de Colines, 1543, in-8°. Bibliographie : IA 148.799 ; Renouard/Colines, 382-383 ; Schreiber/Colines, 166, n° 203. Exemplaire consulté : Paris, BnF (Rés-J-2035). Note : identique à l’édition [16].

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[22] Q.  Curtii lib. X de Alexandri Magni Macedonum regis rebus. Quorum, qui toti temporis iniuria interciderant, duo priores, cum ueterum exemplarium, tum Arriani Nicomedensis et Diodori Siculi praesidio restituti sunt. Quibus Alexandri Magni uitam, ab Ioan. Monacho artificiosa breuitate omnia illius pene complectente, praeposuimus, Angelo Cospo Bononiensi interprete. Praeterea Alexandri Magni ad Aristotelem de Indiae situ, populis, belluis, epistola, a Cornelio Nepote latinitate donata. Item Erasmi Roterdami annotationes. Et elegantiarum flores per Huldrichum Huttenum equitem selecti, Bâle, Heinrich Petri, mars 1545, in-8°. Bibliographie : IA 148. 801 ; VD16 C 6467. Exemplaire consulté : Vienne, ÖNB (53.J.60, en ligne). Note : reprise de l’édition de Bâle [17] ou de Cologne [18 ou 20], augmentée de la Lettre d’Alexandre à Aristote, de la Vie d’Alexandre de Jean Zonaras et d’extraits d’Arrien et de Diodore de Sicile (en traduction latine) pour suppléer les livres I et II de Quinte-Curce. [23] Q.  Curtii historiographi luculentissimi de rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum opus, ita demum emendatum atque illustratum, ut posthac uix quicquam in eo desiderari possit. Accesserunt enim antehac numquam uisa, duorum in principio librorum qui desiderantur Supplementum compendiosum, finis in quinto libro atque fragmentorum in decimo restitutio, rerum memorabilium Index copiosissimus. Omnia summa fide atque diligentia […] congesta per Christophorum Brunonem, Bâle, Jérôme Froben et Nicolas Episcopius, mars 1545, in-fol. Bibliographie : IA 148.802 ; VD16 C 6466. Exemplaires consultés : Munich, BSB (2 A.lat.b. 330, en ligne) ; Paris, BnF (Rés-J-83). Note : édition de Christoph Bruno, avec le Supplementum des livres I et II et des lacunes des livres V et X. [24] Quinti Curtii De Rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis Historia luculentissima, multo maiore, quam hactenus unquam, uigilantia emendata, minimeque poenitenda eorum, quae antea desiderabantur, accessione locupletata, Lyon, Sébastien Gryphe, 1545, in-8°. Bibliographie : Baudrier VIII, 197 ; Gültlingen V, 146 ; IA 148.803. Exemplaire consulté : Lyon, BM (349516, en ligne). Note : reprise de l’édition de C. Bruno parue à Bâle la même année [23]. [25] Q. Curtii De rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum opus, ita demum emendatum atque illustratum, ut posthac uix quicquam in eo desiderari possit. Accesserunt  […] duorum in principio librorum, qui desiderantur, supplementum compendiosum […], Anvers, Aegidius Diesth, 1545, in-8°. Bibliographie : IA 148.800. Exemplaires (non uidi) : Cambridge, University Library (Bury.40.1) ; Anvers, Musée Plantin-Moretus (8-93).



Bibliographie des éditions latines des Historiae 133

Note : probable reprise de l’édition de C. Bruno, ainsi que l’indique la présence du Supplementum [23]. [26] Quinti Curtii De rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis historia. Aucta nunc, ac locupletata, Brescia, Damiano Turlino, [entre 1545 et 1570], in-12°. Exemplaires (non uidi) : Mahón, Biblioteca pública del Estado (6817) ; Mantoue, Biblioteca comunale Teresiana (DPAS.a.219) ; Varese, Biblioteca civica (FA.1.85). Note : d’après le catalogue de la bibliothèque de Mahón, il s’agit d’une reprise de l’édition de C. Bruno [23] : son épître dédicatoire y figure. [27] Q.  Curtii De rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum libri decem. Quorum, qui toti temporis iniuria interciderant, duo priores, ueterum exemplarium praesidio restituti sunt. Ad haec Alexandri Magni uitam ab Ioanne Monacho artificiosa breuitate omnia illius pene complectente, praeposuimus. Omnia summa fide ac diligentia recognita, Lyon, Jean et François Frellon, 1546, in-8°. Bibliographie : Baudrier V, 207 (« édition partagée entre les frères Frellon et A. Vincent ») ; Gültlingen VIII, 24 ; IA 148.805. Exemplaire consulté : Lyon, BM (345648, en ligne). Note : reprise de l’édition [22], mais avec le Supplementum de C. Bruno et sans les commentaires d’Érasme et d’U. von Hutten. [28] Q. Curtii Rufi historiographi luculentissimi de rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum opus, ita demum ad scriptum exemplar emendatum atque illustratum, vt posthac vix quicquam in eo desiderari possit. Accesserunt enim antehac numquam visa, duorum in principio librorum qui desiderantur, Supplementum compendiosum. Finis in quinto libro, Atque fragmentorum in decimo restitutio. Rerum memorabilium Index copiosissimus. Omnia ad exemplaris uetusti fidem, post Frobenianam et omnes aliorum ultimas aeditiones diligenter emendata atque locupletata, Anvers, Joannes Loëus, 1546, in-8°. Bibliographie : IA 148.804 ; Schweiger II, 1, 318. Exemplaire (non uidi) :  La Jolla, University of California San Diego Library (PA6376.A2 1546). Note : selon Schweiger, il s’agit d’une bonne édition, fondée sur le manuscrit « Schonhovianus1 » (« de Schoonhoven »). [29] Quinti Curtii De Rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis Historia, Aucta nunc ac locupletata […], Lyon, Sébastien Gryphe, 1547, in-16°. Bibliographie : Baudrier VIII, 216 ; Gültlingen V, 161 ; IA 148.806. Exemplaires consultés : Lyon, BM (804067, en ligne) ; Paris, BnF ( J-10664). Note : identique à l’édition gryphienne de 1545 [24]. 1.

Manuscrit aujourd’hui perdu. Voir S. Dosson, Étude sur Quinte Curce, op. cit., p. 355.

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[30] Quinti Curtii De Rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis Historia, Aucta nunc ac locupletata […], Lyon, Sébastien Gryphe, 1548, in-16°. Bibliographie : Baudrier VIII, 227 ; Gültlingen V, 170. Exemplaire consulté : Lyon, BM (804065, en ligne). Note : identique aux éditions gryphiennes précédentes [24 et 29]. [31] Q. Curtii De rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum libri. Quorum, qui toti temporis iniuria interciderant, duo priores, ueterum exemplarium praesidio restituti sunt. Ad haec Alexandri Magni uitam, ab Ioanne Monacho artificiosa breuitate omnia illius pene complectente, praeposuimus. Omnia summa fide ac diligentia recognita, Lyon, Jean Frellon, 1549, in-8°. Bibliographie : Baudrier V, 215 (« réimpression de l’édition de 1546 partagée comme elle entre J. Frellon et A. Vincent ») ; Gültlingen VIII, 38. [32] Quinti Curtii De rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis historia, Aucta nunc ac locupletata […], Lyon, Sébastien Gryphe, 1551, in-16°. Bibliographie : Baudrier VIII, 255-256 ; Gültlingen V, 192 ; IA 148.807. Exemplaire consulté : Lyon, BM (804066, en ligne). Note : identique aux éditions gryphiennes précédentes [24, 29 et 30]. [33] Quinti Curtii De Rebus gestis Alexandri magni  […] historia, Lyon, Sébastien Gryphe, 1555, in-8°. Bibliographie : Baudrier VIII, 281. [34] Q.  Curtii De rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum, libri decem. Quorum, qui toti temporis iniuria interciderant, duo priores, ueterum exemplarium praesidio restituti sunt. Ad haec Alexandri Magni uitam, ab Ioanne Monacho artificiosa breuitate omnia illius pene complectente, praeposuimus. Accesere orationum et rerum memorabilium indices, Lyon, Antoine Vincent, impr. Michel Dubois, 1555, in-8°. Exemplaire consulté : Paris, BnF ( J-10665). Note : reprise des éditions Frellon de 1546 [27] et 1549 [31], augmentée d’une table des discours. [35] Q.  Curtii De rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum, libri decem. Quorum, qui toti temporis iniuria interciderant, duo priores, ueterum exemplarium praesidio restituti sunt. Ad haec Alexandri Magni uitam, ab Ioanne Monacho artificiosa breuitate omnia illius pene complectente, praeposuimus. Accesere orationum et rerum memorabilium indices, Lyon, Jean Frellon et Antoine Vincent, impr. Michel Dubois, 1555, in-16°. Bibliographie : Baudrier V, 234-235 ; Gültlingen VII, 134, VIII, 44 et XI, 127 ; IA 148.809.



Bibliographie des éditions latines des Historiae 135

Exemplaires consultés  : Munich, BSB (A.lat.b. 888, en ligne)  ; Paris, BnF (Rés-J-2036). Note : reprise de l’édition [34] dans un plus petit format. [36] Q. Curtii De gestis Alexandri Magni Macedonum regis libri XII. Quorum, qui temporis iniuria interciderant, duo priores, ex Arriano, Diodoro, Iustino aliisque probatissimis authoribus restituti : lacunaeque hinc inde repletae : duo uero posteriores, H. Glareani studio distincti. Ita ut Curtius antea mancus octoque saltem libris cognitus, nunc integer dici possit. Quibus Alexandri Magni uitam praeposuimus. Praeterea, adiecimus Alexandri ad Aristotelem, de Indiae situ, populis et belluis, Epistolam. Item, Erasmi Roterodami Annotationes : et Elegantiarum flores Hul. Hutteni in Curtium. Postremo, Hen. Glareani Annotationes, nunc primum in lucem editae, adiectae sunt. Cum locupletissimo rerum uerborumque Indice, Bâle, Heinrich Petri, 1556, in-8°. Bibliographie : IA 148.811; VD16 C 6468. Exemplaire consulté : Munich, BSB (A.lat.b. 889, en ligne). Note : édition d’Heinrich Glarean, qui reprend les suppléments tirés d’Arrien et de Diodore de Sicile (cf. [22]) et évalue la structure de l’œuvre à douze livres. Son édition est accompagnée d’Annotationes. [37] Quinti Curtii De Rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis Historia luculentissima, multo maiore, quam hactenus nunquam, uigilantia emendata : minimeque poenitenda eorum, quae antea desiderabantur, accessione locupletata, Lyon, Sébastien Gryphe, 1556, in-8°. Bibliographie : Baudrier VIII, 285 ; Gültlingen V, 215. Exemplaires consultés : Lyon, BM (324708 et Rés. 349517, en ligne) ; Paris, BnF ( J-10666). Note : identique aux éditions gryphiennes précédentes [24, 29, 30 et 32], avec ajout de la Vie d’Alexandre et de la Lettre d’Alexandre à Aristote. [38] Q. Curtii De rebus gestis Alexandri […], Lyon, Jean Frellon et Antoine Vincent, impr. Michel Dubois, 1556, in-16°. Bibliographie : Baudrier V, 240 ; Gültlingen XI, 131. Note : probable reprise de l’édition [35]. [39] Q. Curtii De rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum libri decem. Quorum qui toti temporis iniuria interciderant, duo priores, veterum exemplarium praesidio restituti sunt. Ad haec Alexandri Magni vitam ab Ioanne Monacho artificiosa breuitate omnia illius pene complectente praeposuimus. Accessere orationum & rerum memorabilium indices, Anvers, veuve et héritiers Jean Steels, 1565, in-16°. Bibliographie : IA 148.816. Exemplaire consulté : Munich, BSB (A.lat.b. 890, en ligne). Note : reprise de l’édition Frellon et Vincent de 1555 [35] ou 1556 [38].

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[40] Quinti Curtii De rebus gestis Alexandri Magni historia : aucta nunc et locupletata, Lyon, Antoine Gryphe, 1569, in-12°. Bibliographie : Gültlingen XIV, 156 ; IA 148.817. [41] Quinti Curtii De rebus gestis Alexandri Magni historia : aucta nunc et locupletata, Lyon, Antoine Gryphe, 1573, in-16°. Bibliographie : Gültlingen XIV, 162 ; IA 148.820. [42] Q. Curtii De gestis Alexandri Magni, Libri XII. […] Quibus Alexandri Magni uitam praeposuimus. […] Adiecimus, Praeterea Alexandri ad Aristotelem, de Indiae situ  […] Epistolam. Item, Erasmi Roterodami Annotationes : & Elegantiarum Flores Hul.  Hutteni in Q.  Curtium : Vna cum Hen.  Glareani in lib. XII. Curtii Annotationibus […], Bâle, atelier Heinrich Petri, 1575, in-8°. Bibliographie : IA 148.822 ; VD16 C 6469. Note : réimpression de l’édition d’H. Glarean [36]. [43] Q.  Curtii De rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum, libri decem. Quorum, qui toti temporis iniuria interciderant, duo priores, veterum exemplarium praesidio restituti sunt. Ad haec Alexandri Magni Vitam ab Ioanne Monacho artificiosa breuitate omnia illius pene complectente, praeposuimus. Accessere orationum et rerum memorabilium indices, Anvers, Pierre Beller, 1579, in-16°. Exemplaire (non uidi) : Ann Arbor, University of Michigan Library (PA 6376.A2 1579). Note : probable reprise de l’édition [39]. [44] Q. Curtii Rufi Historiarum Magni Alexandri Macedonis libri octo, noue editi et recogniti a Francisco Modio Brugensi […]. Seorsum excusae eiusdem Modii in eundem Curtium Notae, Cologne, Maternus Cholinus, 1579, in-8°. Bibliographie : IA 148.824 ; VD16 C 6470. Exemplaires consultés : Munich, BSB (A.lat.b. 892, en ligne) ; Paris, BnF ( J-20870 ; exemplaire sans les Notae). Note : édition préparée par François Modius. [45] Quinti Curtii De Rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis Historia, Aucta nunc ac locupletata […], Lyon, Antoine Gryphe, impr. Jean II de Tournes, 1582, in-16°. Bibliographie : Baudrier VIII, 385 ; Gültlingen IX, 248 et XIV, 183 ; IA 148.825. Exemplaires consultés : Lyon, BM (804155, en ligne) ; Paris, BnF (Rés P-J-18). Note : identique aux éditions gryphiennes précédentes [24, 29, 30, 32, 40 et 41]. [46] Quinti Curtii De Rebus gestis Alexandri Magni historia, Lyon, Antoine Gryphe, 1584, in-16°.



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Bibliographie : Baudrier VIII, 390 ; GLN 6199 ; Gültlingen XIV, 185 ; Schweiger II, 1, 318. Note : identique aux éditions gryphiennes précédentes [24, 29, 30, 32, 40, 41 et 45], avec ajout de variantes textuelles en marge, d’après le manuscrit de Benoît Théocrène (qui appartenait auparavant à la famille génoise des Spinola, selon les dires de l’édition2) et l’édition de F. Modius [44], pour accompagner et corriger le texte de C. Bruno [23]. [47] Q.  Curtius Rufus De rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum opus. Accesserunt duorum in principio librorum qui hactenus desiderabantur supplementa et fragmentorum restitutio, auctore Christophoro Bruno, Anvers, Jean Beller, 1584, in-8°. Bibliographie : IA 148.826. Exemplaire consulté : Vienne, ÖNB (56.L.48, en ligne). Note : reprise de l’édition de C. Bruno [23]. [48] Q. Curtius Rufus De rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum, libri X […], Anvers, Pierre Beller, 1586, in-16°. Bibliographie : IA 148.828. Note : reprise des éditions anversoises de 1565 [39] et 1579 [43]. [49] Q. Curtii Rufi De rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis Historia. Aucta nunc ac locupletata  […],  Vérone, Girolamo Discepolo, impr.  Policreto Turlino, [entre 1586 et 1599], in-12°. Bibliographie : L.  Carpanè et M.  Menato, Annali della tipografia veronese del Cinquecento, Baden-Baden, 1994, t. 2, p. 586, n° 714 ; IA 148.830. Note : probable reprise de l’édition de C. Bruno [23]. [50] Q.  Curtii Rufi De rebus gestis Alexandri Magni Macedonum Regis Historia, Aucta nunc ac locupletata […], Lyon, Antoine Gryphe, 1588, in-16°. Bibliographie : Gültlingen XIV, 197. Exemplaire consulté : Paris, BnF ( J-10667). Note : identique à l’édition gryphienne de 1584 [46]. [51] Q. Curtii De rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum libri decem, Rome, Giacomo Tornieri et Giacomo Ruffinelli, 1590, in-16°. Exemplaire consulté : Rome, BNCR (9.1.G.5, en ligne) Note : édition préparée par Flaminio Priami pour le Collège romain, avec le Supplementum de C. Bruno, la Vie d’Alexandre, la Lettre d’Alexandre et des index (discours et memorabilia). 2. Le manuscrit de B. Théocrène est aujourd’hui perdu. Voir S. Dosson, Étude sur Quinte Curce, op. cit., p. 355.

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[52] Q.  Curtii Rufi Historiarum Magni Alexandri Macedonis libri VIII. Postrema Editio, recognita […], Lyon [Genève], Antoine Blanc, 1591, in-8°. Bibliographie : Baudrier XII, 485-486 (qui mentionne aussi en XII, 482 une première édition parue en 1571 chez A. Blanc, d’après un catalogue de Francfort) ; P. Chaix, A. Dufour et G. Moeckli, Les livres imprimés à Genève de 1550 à 1600, nouvelle édition revue par G.  Moeckli, Genève, 1966, p.  131 ; GLN 3492 ; A. Graves-Monroe, Post tenebras lex : preuves et propagande dans l’historiographie engagée de Simon Goulart (1543-1628), Genève, 2012, p. 78-79. Exemplaires consultés : Genève, BGE (Su 2331, en ligne) ; Munich, BSB (A.lat.b. 1587 et A.lat.b. 894 m, en ligne). Note : pour la première fois, le texte est structuré en chapitres. Édition composite qui, après le Supplementum de C.  Bruno, mêle leçons de F.  Modius et leçons d’Érasme. Les Historiae de Quinte-Curce sont précédées d’une table des discours (classés par type : « oratio », « suasio », « precatio »…) et suivies de deux textes de Plutarque, la Vie d’Alexandre (dans la traduction latine d’Hermann Cruser) et les deux discours Sur la fortune ou la vertu d’Alexandre (dans la traduction latine de Guillaume Budé), ainsi que de la Gnomologia Curtiana et d’un Index rerum memorabilium. Il s’agit peut-être de la première édition préparée par Simon Goulart : telle est l’hypothèse d’A. Graves-Monroe, qui se fonde sur la présence des breuiaria, de la gnomologia, de l’index, pratiques habituelles à S. Goulart, et de la dédicace à Johannes Paludius, signée S.G.S. Or cette dernière ne figure pas dans l’édition imprimée en 1591 ; elle se rencontre pour la première fois dans l’édition imprimée chez J. Stoer en 1597 [553]. [53] Q. Curtii Rufi Historiarum Magni Alexandri Macedonis libri octo, noue editi et recogniti a Francisco Modio Brugensi […]. Seorsum excusae eiusdem Modii in eundem Curtium Notae, Cologne, Petrus Horst, 1591, in-8°. Exemplaire consulté : Paris, BnF (Rés-J-2037). Note : réimpression à l’identique de l’édition de F. Modius de 1579 [44]. [54] Quinti Curtii Rufi de Rebus gestis Alexandri Magni libri qui exstant, cum supplemento eorum qui desiderantur, Leyde, François Rapheleng, atelier Plantin, 1595, in-12°. Bibliographie : IA 148.832.

3. A. Graves-Monroe, Post tenebras lex, op. cit., p. 78, n. 97, étaye son hypothèse sur deux exemplaires de la BGE : l’un portant la cote Hd 1533, qui correspond en réalité non à l’édition [52] mais à l’édition [63], et l’autre portant la cote Su 2331, qui ne comporte pas de préface signée S.G.S.



Bibliographie des éditions latines des Historiae 139

[55] Q. Curtii Rufi Historiarum magni Alexandri Macedonis libri octo, postrema editio recognita, [Genève], Jacob Stoer, 1597, in-16°. Bibliographie : IA 148.833 ; GLN 3945. Note : édition identique à celle imprimée chez A.  Blanc [52] et préparée par S. Goulart, comme l’indiquent les initiales S.G.S. au seuil de la dédicace à Johannes Paludius, qui répète à la lettre la préface au lecteur de [52]. [56] Q. Curtii De rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis historia, aucta ac locupletata, Lyon, Paul Frellon et Abraham Cloquemin, 1597, in-12°. Bibliographie : Schweiger II, 1, 318. Exemplaire (non uidi)  : Göttingen, Niedersächsische Staats- und Universitätsbibliothek (8 AUCT LAT V, 2916). [57] Q. Curtii De rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis historia, aucta nunc ac locupletata, Lyon, Antoine de Harsy, 1601, in-8°. Bibliographie : Merland IV, 165, n° 2 ; Schweiger II, 1, 319. Note : non uidi ; probable reprise de l’édition Frellon et Cloquemin de 1597 [56]. [58] Q.  Curtii Rufi Historiarum Magni Alexandri Macedonis Libri octo. Postrema editio recognita, Anvers, Martin Nutius, 1601, in-12°. Exemplaires : Eichstätt-Ingolstadt, Universitätsbibliothek (041/1 AÖ 5887  et 7937). Note : non uidi ; probable reprise de l’édition imprimée chez A. Blanc [52]. [59] Q.  Curtii De rebus gestis Alexandri Magni historia aucta ac locupletata a Brunone […], Lyon, Abraham Cloquemin, 1602, in-18°. Bibliographie : Merland III, 146, n° 3. Note : non uidi ; probable reprise de l’édition Frellon et Cloquemin de 1597 [56]. [60] Q. Curtii Rufi Historiarum Magni Alexandri Macedonis Libri Octo. Postrema Editio recognita, Genève, Jacob Stoer, 1602, in-16°. Exemplaire consulté : Lausanne, Bibliothèque cantonale et universitaire (1L 2368, en ligne). Note : reprise de l’édition de 1597 [55], comme l’indique l’épître dédicatoire de S. Goulart. [61] Quinti Curtii Rufi De rebus gestis Alexandri Magni Macedonum Regis historia […], Lyon, Jean I Pillehotte, 1603, in-16°. Bibliographie : Merland VI, 36, n° 43.

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[62] Quinti Curtii Rufi Historiarum, De rebus gestis Alexandri Magni, Regis Macedonum libri decem : ex Francisci Modii recognitione. Vltima hac editione, adiuncto rerum indice, ad manuscriptum auctoris cuiusdam exemplar collati et emendati, Cologne, Goswin Cholinus, 1604, in-8°. Bibliographie : VD17 1:047134F. Note : non uidi ; probable reprise de l’édition F. Modius [44]. [63] Q. Curtii Rufi historiarum Magni Alexandri Macedonis libri octo. Postrema editio recognita, Lyon, Jacques Roussin, 1604. Exemplaires : Genève, BGE (Hd 1533) ; Urbana, University of Illinois at UrbanaChampaign Library (MINI00477). Note : non uidi ; d’après la description du catalogue de la BGE, probable reprise de l’édition de S. Goulart [55]. [64] Quinti Curtii Rufi de Rebus gestis Alexandri Magni libri qui exstant, [Leyde], atelier Plantin-Rapheleng, 1606, in-16°. Bibliographie : Schweiger II, 1, 319. [65] Quinti Curtii Rufi De Rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis Historia […], Lyon, Claude Morillon, 1606, in-8°. Bibliographie : Merland V, 228, n° 20. [66] Quinti Curtii Rufi Historiarum, De rebus gestis Alexandri Magni, Regis Macedonum Libri decem, Ingolstadt, Adam Sartorius, 1607, in-8°. Bibliographie : VD17 12:625603D. Exemplaire consulté : Munich, BSB (A.lat.b. 895 m, en ligne). Note : reprise de l’édition de F. Modius [44], à laquelle sont joints les suppléments de C. Bruno. [67] Q. Curtii Rufi Historiarum Magni Alexandri Macedonis Libri Octo. Postrema editio recognita, Anvers, Martin Nutius, 1608, in-8°. Exemplaire (non uidi) : Radboud, Universiteitsbibliotheek (OD 229 d 1). Note : probable reprise de l’édition [58]. [68] Q. Curtii Rufi historiarum Magni Alexandri Macedonis libri octo. Postrema editio recognita, Lyon, Jacques Roussin, 1611, in-16°. Bibliographie : Merland VII, 48, n° 44. Note : non uidi ; probable reprise de l’édition [63]. [69] Quinti Curtii Rufi De rebus gestis Alexandri Magni libri qui exstant, Rome, Giacomo Mascardi, impr. Lorenzo Sforzini, 1611, in-24°. Exemplaires (non uidi) : Pérouse, BCA (ANT I.P 270 et ANT I.Q 107).



Bibliographie des éditions latines des Historiae 141

[70] Q.  Curtii Rufi, De rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis historia, Cologne, Hermann von Mylius, atelier Birckmann, 1612, in-8°. Bibliographie : VD17 1:047152D. [71] Quinti Curtii Rufi De rebus gestis Alexandri Magni libri qui exstant, [Leyde], atelier Plantin-Rapheleng, 1613, in-16°. Exemplaire consulté : Paris, BnF ( J-10668). Note : texte de l’édition imprimée chez A. Blanc [52], sans Supplementum. [72] Q. Curtii Rufi Historiarum Magni Alexandri Macedonis Libri Octo. Postrema editio recognita, Genève, Jacob Stoer, 1614, in-8°. Exemplaire (non uidi) : Skokloster, Skoklosters slotts Bibliotek (10181247). Note : probable reprise de l’édition [60]. [73] Q.  Curtii Rufi Historiarum Magni Alexandri Macedonum Regis Libri octo. Quibus accesserunt libri duo ex Victoriano manuscripto exscripti a Ioanne Massono, Bajocensis Ecclesiae Archidiacono, et nunc primum excusi. Omnia vero quae postrema complectitur editio, altera hinc pagina declarat, Lyon, Paul Frellon, 1615, in-16°. Bibliographie : Baudrier V, 282 ; Merland IV, 38, n° 35. Exemplaire consulté : Lyon, BM (813392, en ligne). Note : texte de l’édition de 1597 [55 ou peut-être 56], comme l’indique la reprise de l’épître dédicatoire de S. Goulart, avec, en fin de volume (p. 657-688), l’ajout des deux premiers livres de Quinte-Curce, transcrits par Jean-Baptiste Masson, archidiacre de Bayeux, d’après un manuscrit de la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Victor4. [74] Q. Curtii Rufi De rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis historia. Triplice indice nunc primum annexo orationum sententiarum, & rerum insigniorium. Cui accesserunt Animaduersiones Valenti Accidalii selectiores. […] Deinde adiecti sunt de vita, fortuna, ac virtute Alexandri libri tres ex Plutarcho : & ad finem tres epistolae. Exactissima cura, Ioannis Suenzii humaniorum litterarum professoris […], Venise, Comino Gallina, 1615, in-12°. Exemplaires (non uidi) : Rome, BNCR (9.1.A.27 et 6.38.B.42). Note :  édition de Ioannes Suenzius, inconnu par ailleurs. Les Animaduersiones de Valens Acidalius paraissent pour la première fois en 1594 à Francfort-sur-le Main chez J. Feyrabend.

4. Paris, BnF, Latin 14629. Le manuscrit est décrit par S. Dosson, Étude sur Quinte Curce, op. cit., p. 337-338.

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[75] Q.  Curtii Rufi De rebus ab Alexandro Magno gestis libri octo in capita distincti, & synopsibus argumentisque illustrati. Accessere Vita Curtii, & Elogia ; Breviarium Vitae Alexandri […] ; Alexander ab antiquis et variis scriptoribus, cum Imperatoribus, Regibus, ducibus compositus per Matthaeum Raderum e Societate Iesu, Munich, Anna Berg et Johannes Hertzroy, 1617, in-12°. Bibliographie : Schweiger II, 1, 319 (qui mentionne une première édition de 16155, même format, ainsi que Schmieder, 1604) ; VD17 12:625608S. Exemplaire consulté : Munich, BSB (A.lat.b. 896, en ligne). Note : le jésuite Matthaeus Rader reprend le texte de l’édition de F. Modius, en proposant une nouvelle structuration en chapitres. [76] Quinti Curtii Rufi Historiarum de rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum libri decem ex Francisci Modii recognitio. Vltima hac editione, ad manuscriptum auctoris cuiusdam exemplar collati et emendati, Cologne, Petrus Cholinus, 1620, in-8°. Exemplaire (non uidi) : Londres, BL (1607/2335). Note : probable réimpression de l’édition [62]. [77] Quintus Curtius Rufus. De rebus gestis Alexandri Magni,  Amsterdam, G. Janssonius, 1621, in-32°. Exemplaire consulté : Paris, BnF (Rés-J-2038 ; reliure aux armes des frères Dupuy). Note : édition de poche, avec le texte de l’édition imprimée chez A. Blanc [52] et le Supplementum de C. Bruno. [78] Q. Curtii Rufi De rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis historia, cui accesserunt animaduersiones Valentis Accidalii selectiores. Simul ac argumenta cuilibet libro quae hactenus auide a studioso lectore desiderabantur, Venise, Giacomo Sarzina, 1621. Exemplaire (non uidi) : New Brunswick, Rutgers University Library (PA6376.A2 1621). Note : probable reprise de l’édition [74]. [79] Q.  Curtii Rufi de rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis historia, Cologne, 1622, in-8°. Exemplaire (non uidi) : Berlin, Staatsbibibliothek zu Berlin (Wn 2524).

5. L’existence de cette édition de 1615 est d’autant plus plausible que, dans l’adresse au lecteur qui ouvre son édition de 1629 [90], M. Rader précise qu’il s’agit de sa quatrième édition de Quinte-Curce. Seules ses éditions de 1617 [75] et 1628 [87] sont attestées avant celle de 1629 [90]. Il est donc nécessaire de faire l’hypothèse d’une autre édition préparée par M. Rader, dont aucun exemplaire ne serait connu.



Bibliographie des éditions latines des Historiae 143

[80] Q.  Curtii Rufi Rerum Alexandri Magni libri VIII superstites. Accedunt Titi Popmae notae, Leyde, atelier Elzevier, 1622, in-16°. Bibliographie : Willems 194. Exemplaire consulté : Weimar, Herzogin Anna Amalia Bibliothek (Scha BS 1 A 00328, en ligne). Note : reprise de l’édition [52], avec quelques interventions sur le texte, assortie de deux travaux exégétiques : les Emendationes de Johannes Rutgers et les Notae de Titus van Popma6. [81] Q.  Curtii Rufi Historiarum Magni Alexandri Macedonis libri octo : Huic editioni accesserunt : Duorum, qui principio desiderabantur, librorum supplementa. Alexandri vita ex Plutarcho. Ex eodem de Alexandri fortuna, lib. 2. Breviaria, tum singulis Curtii libris, tum aliis praefixa. Perpetuae ad marginem notae politicae ac ethicae. Gnomologia Curtiana. Orationum et rerum memorabilium indices, Lyon, Jacques Roussin, 1624. Exemplaire (non uidi) : Bamberg, SB (22/OM.3682) Note : probable reprise de l’édition [63] ou [68]. [82] Q.  Curtii Rufi Rerum Alexandri Magni libri VIII superstites. Accedunt Titi Popmae et Ioan. Loccenii Notae, Leyde, atelier Elzevier, 1625, in-16°. Bibliographie : Willems 229. Exemplaire consulté : Paris, BnF (en deux parties, Rés-J-2039 et 2040 ; reliure aux armes des frères Dupuy) Note : reprise de l’édition [80], augmentée des notes de I. Loccenius. [83] Q.  Curtii Rufi, De rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis historia, Cologne, Hermann von Mylius, atelier Birckmann, 1625, in-8°. Exemplaire (non uidi) : Bamberg, SB (22/L.r.o.242-b). Note : probable reprise de l’édition [70]. [84] Q. Curtii, historiographi luculentissimi, De rebus gestis Alexandri Magni, Regis Macedonum, opus : ita demum emendatum, atque illustratum, vt posthac vix quicquam in eo desiderari possit, Rouen, Louis Loudet, 1626, in-16°. Exemplaire (non uidi) : Washington, Library of Congress (PA6376.A2 1626).

6. T. van Popma ne semble pas être le réviseur du texte de l’édition Elzevier. Si, dans l’épître dédicatoire adressée à son fils en prélude à ses Notae, il indique avoir corrigé le texte de QuinteCurce en y ajoutant des notes (fol. Z 5 v), les lemmes de son commentaire signalent qu’il suit le texte d’une autre édition que celle qui accompagne son travail, probablement l’édition de F. Modius ou l’une de ses reprises.

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[85] Q. Curtii Rufi Historiarum Magni Alexandri Macedonis libri octo. Postrema editio recognita, Valladolid, Jerónimo Murillo, 1627, in-8°. Exemplaire (non uidi) : Madrid, BNE (3/78472). Note : d’après le catalogue de la bibliothèque, semble une reprise de l’édition imprimée chez A. Blanc [52]. [86] Q.  Curtii Rufi historiographi luculentissimi De rebus gestis Alexandri Magni Regis Macedonum, opus ita demum emendatum atque illustratum, ut posthac vix quicquam in eo desiderari possit, Lyon, Pierre Roussin, 1627, in-12°. Exemplaire (non uidi) : Lucerne, ZHB (C2.108.a.12 (1)). Note : probable reprise de l’édition [63], [68] ou [81]. [87] Matthaei Raderi e Societate Iesu ad Q. Curtii Rufi de Alexandro Magno Historiam Prolusiones, Librorum Synopses, Capitum Argumenta, Commentarii Cum indice duplici, Capitum et Argumentorum, itemque Rerum memorabilium copiosissimo, Cologne, Johann Kinckius, 1628, in-fol. Bibliographie : VD17 23:232130E. Exemplaires consultés : Paris, BnF (Fol-J-405) ; Munich, BSB (2 A.lat.b. 331 a, en ligne). Note : il s’agit du grand œuvre de M. Rader. L’édition du texte de Quinte-Curce est assortie de très nombreux documents : carte des conquêtes d’Alexandre, quinze « exposés inauguraux » (« prolusiones ») sur Quinte-Curce et Alexandre, riche commentaire et illustrations. M. Rader revoit légèrement le texte de F. Modius en s’appuyant sur plusieurs manuscrits, en particulier un « chirographus » ou « manuscriptus Constantiensis7 » (« manuscrit de Constance »). [88] Q.  Curtii  […] De rebus gestis Alexandri Magni, Regis Macedonum, opus  […] emendatum, etc. (Accesserunt opera Christophori Brunonis. Duorum, qui in principio desiderabantur, librorum supplementum. Ad quintum librum finis adiecta. Fragmentorum, quæ antehac in decimo libro desiderabantur, restitutio.), Caen, Adam Cavelier, 1628, in-12°. Exemplaire (non uidi) : Londres, BL (802.a.18). Note : probable reprise de l’édition de C. Bruno [23]. [89] Quintus Curtius Rufus De rebus gestis Alexandri Magni,  Amsterdam, J. Janssonius, 1628, in-16°. Exemplaires (non uidi) : Barcelone, Biblioteca de Reserva de la Universitat (07 C-221/7/15) ; Oviedo, Biblioteca de la Universidad (CGFA-0326).

7.

Manuscrit aujourd’hui perdu. Voir S. Dosson, Étude sur Quinte Curce, op. cit., p. 355.



Bibliographie des éditions latines des Historiae 145

[90] Q. Curtii Rufi De rebus ab Alexandro Magno gestis libri octo in capita distincti, & synopsibus argumentisque illustrati a Matthaeo Radero e Societate Iesu, Munich, Cornelius Leysser, 1629, in-12°. Bibliographie : VD17 12:625614T. Exemplaire consulté : Munich, BSB (A.lat.b. 897, en ligne). Note : reprise du texte de l’édition [87]. [91] Q. Curtii Rufi De rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis historia. Cui accesserunt animaduersiones Valentis Accidalii selectiores. […] Deinde adiecti sunt, de vita, fortuna, ac virtute Alexandri libri tres ex Plutarcho : & ad finem tres epistolae. Exactissima cura, Ioannis Suenzii […], Venise, Gerardo Imberti, 1629, in-12°. Exemplaires (non uidi) : Cesena, Biblioteca Malatestiana (Rambelli 1054) ; Pérouse, BCA (ANT I.O 418). Note : probable reprise de [74]. [92] Quintus Curtius Rufus De rebus gestis Alexandri magni. Editio prioribus correctior, Amsterdam, G. Caesus, 1629, in-32°. Exemplaire consulté : Paris, BnF (Rothschild 2078 ; reliure aux armes d’ArmandJean du Plessis, cardinal de Richelieu). Note : édition de poche, avec le Supplementum de C.  Bruno, le texte de l’édition imprimée chez A. Blanc [52] et la Gnomologia Curtiana. [93] Q. Curtii Rufi De rebus ab Alexandro Magno gestis libri octo in capita distincti, synopsibus argumentisque, & figuris variis, addita Tabula Geographica, illustrati. A R. P. Matthaeo Radero e Societate Iesu editio vltima, recognita, Cologne, Johann Kinckius, 1630, in-8°. Bibliographie : VD17 12:625616H. Exemplaires consultés : Munich, BSB (A.lat.b. 898, en ligne) ; Rome, BNCR (9.2.A.27, en ligne). Note : reprise du texte de l’édition de M.  Rader de 1628 [87], avec la carte des conquêtes d’Alexandre et quelques illustrations tirées de ce même édition. [94] Q. Curtii Rufi Historiarum Magni Alexandri Macedonis : libri qui exstant, Paris, Jean Libert, 1630. Exemplaire (non uidi) : Meadville, Allegheny College, Lawrence Lee Pelletier Library (878.8 C947 h). [95] Q.  Curtii Rufi Historiarum libri, accuratissime editi, Leyde, atelier Elzevier, 1633, in-12°. Bibliographie : Schweiger II, 1, 319 ; Willems 381. Exemplaire consulté : Paris, BnF ( J-10670).

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Note : édition préparée par Daniel Heinsius, qui reprend le texte des éditions Elzevier de 1622 [80] et 1625 [82], en ajoutant une carte des conquêtes d’Alexandre. Selon Schweiger et Willems, sous la même date, il existe trois réimpressions. [96] Quintus Curtius Rufus De rebus gestis Alexandri Magni ex Museo I. Isaci Pontani, Amsterdam, J. Janssonius, 1633, in-32°. Exemplaire consulté : Paris, BnF ( J-10669). Note : édition de poche, identique à l’édition [92]. [97] Q. Curtii Rufi Historiarum Magni Alexandri Macedonis libri octo. Postrema editio recognita, Genève, Étienne Gamonet, 1634, in-16°. Exemplaires (non uidi) : Barcelone, Biblioteca pública episcopal (938 Ruf ) ; Lucerne, ZHB (C2.108.a.12 (2) et C2.109.12 (1)). Note : probable reprise des éditions de S. Goulart imprimées chez J. Stoer [55, 60 et 72]. [98] Q. Curtii Rufi de rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis historia. Cui accesserunt animaduersiones Valentis Accidalii selectiores. […] Deinde adiecti sunt, de vita, fortuna, ac virtute Alexandri libri tres ex Plutarcho : & ad finem tres epistolae. Exactissima cura, Ioannis Suenzii […], Venise, Giacomo Sarzina, 1638, in-12°. Exemplaire (non uidi) : Rome, Biblioteca statale del Monumento di Santa Scolastica (ANT. 600 XXXIV H 14). Note : probable reprise de [74]. [99] Q. Curtii Rufi De rebus gestis Alexandri Magni, historiarum quotquot supersunt libri, Johannis Loccenii notis politicis & indice philologico illustrati, Stockholm, Henrik Keyser, 1638, in-8°. Exemplaires (non uidi) : Stockholm, Kungliga biblioteket (F1700 2440 et Rål MfCollijn R.295). [100] Quintus Curtius Rufus De rebus gestis Alexandri Magni. Editio prioribus correctior, Amsterdam, G. Blaeu, 1638, in-32°. Exemplaire consulté : Paris, BnF ( J-10671). Note : édition de poche, identique à l’édition [92]. [101] Quintus Curtius Rufus De rebus gestis Alexandri Magni. Editio prioribus correctior, Hambourg, Cornelius Guilielmus, 1638, in-32°. Exemplaire consulté : Amiens, Bibliothèque Louis Aragon (M 2900). Note : édition de poche, identique à la précédente.



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[102] Q. Curtii historiographi luculentissimi. De rebus gestis Alexandri Magni Regis Macedonum, opus ita demum emendatum atque illustratum, ut posthac uix quicquam in eo desiderari possit, Lyon, Philippe Borde (avec la veuve de Claude Rigaud) et Nicolas Gay, 1639, in-16°. Bibliographie : Merland II, 152 ; IV, 81 (« édition partagée avec Philippe Borde »). Exemplaire consulté : Lyon, BM (Rés. 813194, en ligne). Note : reprise de l’édition de C.  Bruno [21], avec quelques corrections, tirées en général de F. Modius. [103] Alexander Magnus, duobus tomis representatus quorum hic historiam Q. Curtii Rufi cum supplementis et indice copiosissimo complectitur, alter commentarios in Q.  Curtii libros superstites exhibet. Edebat Io.  Freinshemius, Strasbourg, héritiers Lazar Zetzner, 1639 (partie II, commentaire)-1640 (partie I, texte), in-8°. Bibliographie : Betz, 162 et 165 ; VD17 1:047148T (parties I et II) ; VD17 3:300670S (partie II) ; VD17 1:047146C et 23:254064Q (partie I). Exemplaire consulté : Paris, BnF ( J-10672, partie I). Note : édition de Johannes Freinsheim, avec le Supplementum et les Commentarii parus en 1639 à Strasbourg. À l’intérieur des chapitres, le texte est structuré en paragraphes.

Lucie Claire Université de Picardie Jules Verne EA 4284 TrAme

Montaigne lecteur et annotateur de Quinte-Curce « Ma librairie, qui est des belles entre les librairies de village, est assise à un coin de ma maison1. » Cette bibliothèque, dit ailleurs Montaigne, contenait un millier de volumes2. Authentifiés par son ex-libris, la plupart du temps sous la forme de sa seule signature autographe placée au bas de la page de titre, une centaine nous sont parvenus. Une douzaine d’entre eux ont été annotés de sa main, succintement (Ausone, Giraldi, Franchi Conestaggio, Denis Sauvage, Herburt de Fulstin) ou copieusement (Térence, Lucrèce, Nicole Gilles, César… et Quinte-Curce3). Certains se signalent par la présence, en fin d’ouvrage, d’une note de synthèse qui illustre ce que l’auteur des Essais déclare à la fin du chapitre « Des 1. Les Essais, II, 17, p. 689. Établie à partir du texte publié par Marie de Gournay en 1595 (première édition posthume), l’édition de référence est celle de la Bibliothèque de la Pléiade : Montaigne, Les Essais, édition de J. Balsamo, M. Magnien et C. Magnien-Simonin, Paris, 2007. Parmi les « Notes de lecture » de Montaigne éditées en annexe de ce volume (par moi-même) figurent celles de son Quinte-Curce, p. 1300-1308. Ces données quelque peu remaniées ont été intégrées à un ensemble plus vaste d’autographes dans A. Legros, Montaigne manuscrit, Paris, 2010, p. 625-652, puis transcrites selon trois modes (diplomatique, régularisé, modernisé) dans l’édition numérique mise en ligne par les Bibliothèques Virtuelles Humanistes (BVH), Centre d’études supérieures de la Renaissance (CESR), Université de Tours : https://montaigne.univtours.fr/quinte-curce-rebus-gestis-bale-froben-1545 (« Montaigne à l’œuvre »> « Librairie »> « Notes de lecture de Montaigne »> « Quinte-Curce »> « Édition A. Legros, 2013 »). Les citations des notes de Montaigne sur son Quinte-Curce (référence ci-dessous) sont conformes au texte « régularisé » mis en ligne sur ce site, où il est désormais possible de télécharger gratuitement le fac-similé numérique en couleur de l’ouvrage, reliure et gardes comprises. 2. Ibidem, III, 12, p. 1103 : « Sans peine et sans suffisance, ayant mille volumes de livres, autour de moy, en ce lieu où j’escris, j’emprunteray presentement s’il me plaist, d’une douzaine de tels ravaudeurs, gens que je ne fueillette guere, dequoy esmailler le traicté de la Physionomie. Il ne faut que l’epitre liminaire d’un Allemand pour me farcir d’allegations. » 3. Selon l’ordre chronologique avéré ou probable : Térence : 227 notes marginales en latin et grec ; Ausone : 4, de même ; Giraldi : 10, de même ; Lucrèce : 1016 notes marginales et sur feuillets de garde en latin avec achevé de lire daté, puis en français (deux campagnes, la seconde plus tardive) ; Gilles (incomplet) : 165 notes marginales en français partiellement phonétique ; Conestaggio : une note marginale en italien ; Fulstin : une note de synthèse en français ; Sauvage, de même ; César : 707 notes marginales en français (deux mains), deux achevés de lire datés, une note de synthèse ; Quinte-Curce : 101 notes marginales en français, une note de synthèse avec achevé de lire daté. Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 149-165 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115396

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livres » avant de reproduire trois exemples de cette pratique : « […] j’ay pris en coustume dépuis quelque temps, d’adjouster au bout de chasque livre (je dis de ceux desquels je ne me veux servir qu’une fois) le temps auquel j’ay achevé de le lire, et le jugement que j’en ay retiré en gros : à fin que cela me represente au moins l’air et idée generale que j’avois conceu de l’autheur en le lisant4. » Aux exemples que donne ensuite Montaigne (Guichardin, Commynes, Martin Du Bellay et son frère), il convient d’ajouter Fulstin, Sauvage, César surtout, et de nouveau Quinte-Curce, mais aussi, insérés dans le propos des Essais, les jugements portés sur Térence, sur les poètes latins, sur Sénèque, sur César (dans les mêmes termes que sur le livre annoté) et longuement sur Tacite5. Ce qui était ainsi préparé, dans ces notes de synthèse, c’était une relecture à distance, celle du texte imprimé, mais aussi et peut-être d’abord, de façon réflexive, celle du lecteur que Montaigne avait été en annotant pour la première fois tel ou tel ouvrage. Ayant pris l’habitude de se relire quand il remettait en chantier son ouvrage de longue durée (vingt ans), et distinguant alors ce qui chez lui était demeuré stable ou au contraire avait changé, il a commencé un jour à concevoir ces notes de synthèse comme des enregistrements à valeur de témoignage pour remédier aux défauts de sa mémoire, ainsi qu’il le dit, mais surtout pour tester, en philosophe, son jugement. Conservé à la Fondation Bodmer (Cologny-Genève), le Quinte-Curce annoté par Montaigne (Q. Curtii historiographi loculentissimi De rebus ­gestis Alexandri Magni regis Macedoniæ opus, Bâle, H. Froben et N. Episcopius, 15456) partage avec le César de Chantilly la particularité de faire précéder la

4. Les Essais, II, 10, p. 440. 5. Ibidem, III, 8, p.  986 : « Je viens de courre d’un fil, l’histoire de Tacitus  […]. Cette forme d’Histoire, est de beaucoup la plus utile : Les mouvemens publics, dependent plus de la conduicte de la fortune, les privez de la nostre. C’est plustost un jugement, que deduction d’histoire : il y a plus de preceptes, que de contes : ce n’est pas un livre à lire, c’est un livre à estudier et apprendre : il est si plein de sentences, qu’il y en a à tort et à droict : c’est une pepiniere de discours ethiques, et politiques, pour la provision et ornement de ceux, qui tiennent quelque rang au maniement du monde. » 6. Enrichi de deux planches gravées, cet in-folio de 171 pages numérotées est précédé d’une dédicace au Comte palatin, le prince Albert, duc de Bavière, datée de septembre 1544, puis d’une liste des sources. En fin d’ouvrage se trouve un index des noms et des matières. Sur la page de titre figurent l’ex-libris de Montesquieu et, plus bas, la signature de Montaigne, cancellée mais parfaitement lisible, ce qui n’est pas le cas d’une note longitudinale tracée à droite par une main inconnue et très peu sûre (un simple essai de plume, peut-être). Le volume a été relié en veau au xviiie siècle. Est-ce à cette occasion que les notes manuscrites des marges ont été partiellement rognées par le couteau du relieur ?



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note de synthèse de notes marginales et de traits de plume qui ont accompagné sa lecture7.

Soulignements et traits de plume Dans les marges, des traits de plume plus ou moins verticaux à usage ­d’accolades et d’autres à peu près horizontaux, simples ou doubles, révèlent un intérêt marqué du lecteur pour tel ou tel lieu du texte. Ils sont, semble-til, de la même encre, brun foncé, que les notes autographes et les nombreux soulignements effectués dans la partie imprimée. Manifestement postérieurs, d’autres traits horizontaux, plus épais et d’une autre encre, se trouvent déjà dans les marges des deux premiers livres, ces Supplementa de substitution que Montaigne déclare ne pas avoir « vus » et qui ne contiennent de fait aucune note ou marque de sa main8. Parmi les traits que Montaigne a tracés dans les marges des livres III à X, certains intéressent la narration (par exemple ce tournant que constitue le renvoi en Macédoine de soldats grecs dûment rétribués après la victoire sur Darius), bien que ce rôle soit surtout dévolu aux notes. D’autres montrent que le lecteur s’est attardé sur tel ou tel tableau (Alexandre montrant sa blessure aux ambassadeurs ennemis, habitants d’une ville conquise se jetant dans le feu avec femmes et enfants), qu’il s’est attaché à la psychologie des personnages (questions angoissées des soldats lors d’une descente de fleuve en pays inconnu, hésitation puis renoncement du roi à lire une lettre à ses troupes, indécision de Perdiccas à lui succéder, retour d’Alexandre à la superstition et, non sans insistance, son inclination pour les jeunes et beaux garçons), qu’il a remarqué plusieurs particularités géographiques et culturelles (fertilité du pays entre Tigre et Euphrate, marcotage pratiqué par les Mardes, prostitution des épouses et filles des habitants de Babylone, eugénisme et éducation collective chez les Scythes), qu’il a été souvent sensible aux discours rapportés, 7.  À la fin du César de Chantilly, le jugement final de la Guerre civile, avec achevé de lire du 25 février 1578, s’étale sur toute une page, alors que les Commentaires sur la Guerre des Gaules ne donnent lieu qu’à un simple achevé de lire, en date du 21 juillet 1578. Au bas de la page 171, celui du Quinte-Curce, sur neuf lignes d’une écriture serrée est daté du 2 ou 3 juillet 1587, donc peu avant la parution des Essais de 1588 en trois livres, à Paris, chez Abel l’Angelier (sur l’hésitation entre 2 et 3, voir ci-dessous, note 23). 8.  Sur le fac-similé du Quinte-Curce mis en ligne par les BVH, l’agrandissement d’une note marginale, p. 44, permet de percevoir assez nettement la différence des encres et la chronologie des interventions.

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aux paroles fortes ou hardies (celles de la reine des Amazones, des Scythes, du satrape Orsines, du valeureux Crateres, d’Alexandre en personne et de son successeur Aridée, dit Philippe9). Les traits marginaux (une trentaine en tout) montrent que le lecteur s’est aussi arrêté sur quelques commentaires de l’auteur : la superstition est un outil particulièrement efficace pour gouverner les peuples10 ; les hommes qui croient à leur bonne fortune sont plus avides de gloire que capables de l’assumer ; la gloire repose plus sur la renommée que sur les actions réellement accomplies. Parmi ces intrusions de l’auteur dans son propre récit, celle où il dit quelque chose de sa manière d’écrire l’histoire n’a pas échappé à Montaigne, qui, pendant quatorze ans de service à la Chambre des Enquêtes du Parlement de Bordeaux, s’était intéressé de près à la question du témoignage : « Equidem plura transcribo quam credo. Nam nec affirmare sustineo, de quibus dubito : nec subducere, quæ accepi » (« J’en écris certes plus que je n’en crois, car j’ai pour principes de ne pas affirmer ce dont je doute et de ne pas passer sous silence ce dont j’ai entendu parler »). Cette prise de position a été parfois reprochée à l’historien latin. Montaigne, lui, l’avait déjà adoptée lorsque, dans ses lettres des années 1581-1585, il renseignait le maréchal de Matignon, alors lieutenant général du roi en Guyenne, sur les bruits qui couraient dans la « ville et cité » dont il était le maire ou dans le voisinage de ses terres périgourdines. Certaines des phrases distinguées par les traits ont des allures de sentences, mais c’est surtout en soulignant le texte imprimé que Montaigne montre son goût pour ces phrases concises et fortes qui plaisent tant à ses contemporains et qu’il produit lui-même à foison dans son livre (à tel point qu’en les isolant de leur contexte on les entend souvent à contresens …). La plupart sont des paroles mises par l’historien dans la bouche de Darius (huit soulignements), d’Alexandre (trois), de Nabarzanes et de Crateres (deux), de Parmenion, Cobares, Cænus et Dioxippe, des Scythes et d’un certain Euthymon, soldat grec mutilé. Elles s’appliquent certes à telle ou telle situation de guerre particulière, mais elles peuvent être envisagées comme des vérités à valeur générale, 9. La reine Thalestris veut un enfant du roi ; chez les Scythes la bonne foi dispense du serment ; le satrape Orsines traite Bagoas de « prostitué » ; Alexandre réplique à Crateres que la gloire a plus de prix pour lui que la longévité et à Parmenion qu’il est roi, non marchand ; il déclare aux soldats que s’il les condamne à mort, c’est pour avoir douté de lui en son absence ; quant à Philippe il déclare préférer l’abdication au risque de guerre civile. Montaigne acquiesçait-il à ces vues ? Les appliquait-il en pensée aux événements de son temps ? 10. Je remercie Éric MacPhail de m’avoir signalé que Bayle commente ce passage dans l’avertissement de sa Continuation des pensées diverses.



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qui relèvent aussi bien de la sagesse des nations que d’une réflexion morale, politique ou psychologique plus subtile. On peut traduire ou résumer succinctement les sentences qu’a retenues Montaigne. En particulier parmi les propos de Darius : connaître son sort est déjà une consolation ; un empire trop vaste expose au danger ; il est plus facile de conquérir que de conserver ce qu’on a conquis ; les conquêtes peuvent se faire par traités plutôt que par guerres ; la renommée ne résiste pas à un adversaire courageux ; la témérité ne peut pas toujours compter sur la fortune ; la fortune ne sourit jamais franchement (« fortuna nunquam simpliciter indulget ») ; mieux vaut ouvrir un passage aux poursuivants que de le fermer aux fugitifs (à propos d’un pont qu’il refuse de détruire derrière lui). Refusant de recourir à la ruse, Alexandre déclare qu’il aime mieux désavouer sa fortune que rougir de sa victoire. Il dit aussi que l’activité dissipe les vices de l’oisiveté et que la renommée ne se contente jamais de la vérité pure. C’est par dégoût de l’effort que les paresseux font bon marché de leur vie, déclare Nabarzanes, à la mort inéluctable il suffit d’aller sans paresse. Crateres conseille de ne pas pardonner à Parmenion parce que certains bienfaits attirent la haine : il n’est, dit-il, pire indignité que de gaspiller la gloire quand on ne peut la faire valoir. Autres paroles soulignées par Montaigne : le soldat s’alarme plus pour des riens que pour des causes réelles de crainte (Parmenion) : la peur stimule moins que l’espoir (Cobares) ; un mensonge contient toujours une part de vérité (Cænus, à propos d’une rumeur sur la multitude des éléphants de guerre indiens) ; le coupable a souvent plus d’assurance que l’innocent (Dioxippe) ; même fort, on a toujours à craindre d’un adversaire plus faible (menace des Scythes contre Alexandre) ; le malheur rend désagréable (raison pour laquelle le Grec mutilé ne veut pas retourner chez les siens, qu’il indisposerait). Par ses commentaires, l’historien fournit lui aussi des provisions à celui qui s’est nourri, enfant, des paroles des Sept Sages rencontrées dans Ausone et qui a fait peindre vers 1571 plus de soixante-dix sentences grecques et latines au plafond de sa « librairie », là même où, retiré, il dévore en ce moment son Quinte-Curce11. Ici encore contentons-nous d’enchaîner les idées qu’il remarque : le désespoir est source d’espoir (« desperatio spei causa est ») ; dans l’affolement on se retarde en voulant se hâter (« in tumultu festinatio quoque tarda est ») ; la fortune donne renom et prix aux choses ; il est rare 11. A. Legros, Essais sur poutres. Peintures et inscriptions chez Montaigne, Paris, 2000. L’édition des inscriptions contenue dans cet ouvrage a été augmentée de deux autres sentences, présentes dans l’édition en ligne (site des BVH, cité plus haut : « Librairie »), soit à ce jour 68 sentences lues et identifiées sur 75 localisées.

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qu’on se méfie de sa propre réussite ; les gens effrayés n’ont peur que de ce qui a causé leur frayeur. Montaigne lecteur remarque aussi l’élégance ou la justesse d’une notation intégrée à la narration : il est des terres où la nature s’est retirée en expirant (« in quibus emoriens natura defecerit ») ; les soldats d’Alexandre vivaient du souffle d’un seul homme (« omnes unius spritu vivere ») ; face à la peste la pitié se transforma en peur (« misericordia in formidinem versa »). Relatives au portrait d’Alexandre, dont on va voir qu’il occupe une grande place dans les notes de lecture proprement dites, plusieurs remarques de l’historien ont été, elles aussi, soulignées : le roi pleure d’émotion devant ses soldats repentis ; il les incite à le suivre en se portant le premier au combat ; son absence d’espoir est plus stimulante encore que son envie de gloire ; il n’aime enfin que la lutte (« animi semper obluctantis »). Sans nul doute, toutes ces marques inscrites à la hâte montrent Montaigne intéressé par ce qu’il peut extraire du livre de Quinte-Curce pour le « transplanter  en son solage12 », mais aussi par certaines similitudes qu’il perçoit entre cette époque guerrière et la sienne, entre tel ou tel personnage et lui-même, entre son désir de voyages lointains et les conquêtes du roi de Macédoine, si bien que le livre de l’historien latin mal connu lui sert sans doute un peu de miroir.

Notes marginales Toutes autographes et au nombre d’une centaine13, les notes marginales concernent les livres III à X, en conformité avec ce que précise, comme on verra, la note de synthèse en fin de volume. Si elles sont ici présentées sous une rubrique à part, c’est en raison de leur fonction spécifique, mais elles ont été inscrites, de même que les soulignements et les traits de plume, au fur et à mesure que Montaigne avançait dans sa lecture de l’ouvrage (à la différence du Lucrèce et du César, où se distinguent plusieurs phases et campagnes d’annotation). Brèves, elles semblent avoir fait avant tout office de balises, à la façon de manchettes imprimées (d’ailleurs inexistantes dans cette édition). 12. Les Essais, II, 10, p. 428 : « Ez raisons, comparaisons, argumens, si j’en transplante quelcun en mon solage, et confons aux miens, à escient j’en cache l’autheur, pour tenir en bride la temerité de ces sentences hastives, qui se jettent sur toute sorte d’escrits. » 13. Au livre III, p. 13, la première d’entre elles, la seule qui renvoie à un auteur, en l’occurrence Cælius Rhodiginus, bien connu de Montaigne, est-elle vraiment de sa main ? Je n’en suis plus si sûr…



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En reproduisant leur nom, et souvent lui seul, elles attirent l’attention sur des personnages aimés ou détestés d’Alexandre, importants, valeureux ou singuliers : Ariston qui offre au roi la tête d’un ennemi, Parmenion dont on offre au roi la tête, Hypsides l’ami secourable, Ptolemée le rescapé devenu sage, Orsines le fastueux satrape, Eumenes l’héritier de Cappadoce, sans oublier des figures féminines majeures, la séduisante Roxane, Olympias « canonisee » (id est immortalisée) par son fils, les Amazones guerrières au sein gauche découvert. Ce qui semble intéresser l’annotateur, c’est en particulier les circonstances de leur mort, presque toutes violentes, et leur attitude face à elle14 : Clytus que le roi tue d’un coup de lance bien qu’il soit son ami, Spitamenes décapité par sa femme, Hephestion pleuré par le roi comme un frère, Peucestes et Philippe qui meurent d’épuisement à ses côtés, Dioxippe qui se transperce de son épée, Meleager assassiné dans un temple, le grand roi Darius ignominieusement traité, Philotas mourant sous la torture après avoir parlé, Callisthenes supplicié pour avoir blâmé la démesure d’Alexandre, le roi Porus refusant de se rendre et tuant celui qui le lui avait conseillé. Les paroles des uns ou des autres ne sont pas oubliées : celle de Darius rendant hommage à son vainqueur, celle de Parmenion qui conseille la ruse plutôt que le combat, celle du courageux et constant Hermolaos qui reproche au roi de traiter ses soldats en esclaves, celle des Scythes qui blâment sa cupidité et celle de Philotas qui l’accuse d’une mégalomanie en quelque sorte blasphématoire ; et encore les « pleintes des soldats » épuisés, mal payés, qui menacent de se rebeller si le roi continue de les traiter en esclaves. Certains pourtant chantent dans les supplices, comme ces gens de Sogdiane que le roi finira par grâcier. Les faits majeurs de la conquête de l’Orient par Alexandre sont notés avec soin, à commencer par sa « belle victoire […] sur Darius » (p. 56), lors de la bataille décisive dite d’Arbèles, à la fin du livre IV. Sont ensuite relevés l’entrée dans « Babylone » (livre V, p. 58), le « changeman de meurs » du roi qui porte désormais diadème et habit perse (livre VI, p. 82), les « furieus passage[s] » de l’Oxus et du Tanaïs que les soldats traversent sur des outres emplies de paille (livre VII, p. 103), les « espousailles » avec Roxane et le passage aux « Indes » (livre VIII, p. 122 et 128), la « navigation inconue » sur l’Indus jusqu’à l’Océan (livre IX, p. 152), l’ouverture du tombeau de Cyrus (livre X, p. 158), enfin la maladie15 et la mort du roi lui-même, pleuré par la 14. Cela n’étonnera pas ceux qui ont lu, dans le livre I des Essais le chapitre « Que philosopher c’est apprendre à mourir ». 15. Contrairement à Arrien et à Plutarque, Quinte-Curce pense que le roi a été empoisonné. Ne croisant plus ses sources comme il le faisait jadis sur son Nicole Gilles, Montaigne ne met

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mère de Darius (« Rare description de mort l’autheur est negligent et indilijant par tout ailleurs16 », p. 164). L’annotateur n’est pas insensible aux procédés dramatiques et pathétiques dont use à l’occasion l’historien, quand il signale par exemple l’« extreme dangier » auquel sont exposés les combattants (p. 147) et le « dangier extreme » du reflux de la mer (p. 154), les larmes du roi sur le corps d’un soldat fidèle jusqu’à la mort par épuisement et celles de la mère de Darius sur le corps du roi lui-même. Quant aux paradoxes, dont l’auteur des Essais est friand, il ne pouvait que les remarquer : étranges vainqueurs que ces Grecs qui tentent de sauver des flammes les habitants de la ville qu’ils ont incendiée, étranges vaincus que ces ennemis d’Alexandre qui « l’avoint ataqué sein » et « [se] randent a luy stropi[é] » (p. 105) lorsqu’il leur montre sa cuisse blessée ! L’attention portée aux pays lointains de l’Orient s’accorde à l’intérêt de Montaigne pour Hérodote, Strabon17 et tous les récits de voyage, où sa curiosité aime à trouver des descriptions géographiques et surtout des observations sur les techniques, le climat et les mœurs d’hommes et de peuples étrangers : corps « transis » de soldats surpris par un froid extrême (p. 121), abondance tout exotique des « presans des Indiens » (p.  151), leur usage redoutable d’« espees empoïsonees » (p. 152), refus de certains d’entre eux de couper « ongles et poils » (p. 154), « bardes » métalliques dont les Perses protègent leurs chevaux, « glaives » ou faux qu’ils attachent aux roues de leurs « charriots armez » (p. 41), « charriots de guerre » indiens à la bataille de l’Hydaspe (p. 136), pratique courante de l’inceste entre mères et fils en Sogdiane. Les animaux ne sont pas oubliés : superbes « pans d’Inde » (p. 139), chevaux dont la rareté fait la « cherté » dans une île où l’or abonde, lions que chasse le roi comme seul gibier digne de lui, « ardur singuliere d’un chien » (p. 140) dont les crocs ont saisi un lion si fermement qu’il ne lâche pas prise quand on lui coupe les pattes l’une après l’autre, mort de « Bucephal » enfin (p. 81), le fabuleux cheval d’Alexandre dont les Essais rappellent qu’il avait le cou d’un taureau et qu’il ne pouvait être monté que par son maître18.

pas en doute ce qu’il lit ici à ce propos : « Maladie d’Alex. empoisoné » (p. 163). 16. Sur le César de Chantilly, Montaigne regrette que le récit de la mort de Pompée ait été traité trop brièvement à son goût. Voir Les Essais, I, 19, p. 91 : « […] j’ay en particuliere affection cette matiere. Si j’estoy faiseur de livres, je feroy un registre commenté des morts diverses, qui apprendroit les hommes à mourir, leur apprendroit à vivre. » 17. Deux exemplaires de Strabon ayant appartenu à Montaigne ont été conservés. 18. Montaigne, dans ses Essais (I, 48, p. 309), le compare à celui, tout aussi fabuleux, de César, qui « avoit l’ongle coupée en forme de doigts ».



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Toujours dans les marges et par des notes brèves, souvent réduites à un ou deux mots, Montaigne remarque aussi certains usages anciens qui ressemblent à ceux de son époque ou d’une époque relativement récente, comme celui de « descouvrir sa teste » (p. 143) en présence du roi (on pense au nouveau protocole imposé par Henri III), de recevoir des ambassadeurs ou de rendre la justice pendant qu’on se fait coiffer selon l’usage du roi Porus19, de faire des jeunes fils de la noblesse macédonienne une « maniere de pages » au service du roi (p. 124), de se battre en « duelle » (p. 150), de régler un conflit par un combat des chefs en présence des armées après « défi » lancé de l’un à l’autre. La plupart des marginalia concernent toutefois tel ou tel trait de caractère d’Alexandre. Plus que l’histoire elle-même de sa conquête ou les notations géo-ethnographiques qu’elle expose, c’est la personne du conquérant qui intéresse Montaigne, comme si, par petites touches, il préparait son portrait moral en énumérant ses défauts : « cruauté » (p. 34, deux mille ennemis crucifiés), « cruauté de sa nature » (p. 162, soldats punis livrés à leurs anciens prisonniers), « vilein acte » (p. 38, supplice de Betis, dont les Essais se souviendront), « vanité » (p. 40, le roi s’estime « fils de Jupiter » depuis que les prêtres de Jupiter Hammon lui ont donné ce titre), « insolance » (p. 67, ivre et influencé par la courtisane Thaïs, il met le feu au palais de Persepolis), excès en tous genres (festins, banquets, apothéoses, « pompe luxurieuse » des bacchanales, p. 156), « inju[s]tice » (p. 104, tribut imposé aux Branchides, qui payent pour leurs aïeux), faiblesse à l’égard de ceux qui ont sa « faveur » (le beau Bagoas influence ses décisions). Il note aussi ses incontestables qualités de cœur et de courage : « hardiesse » (p. 146, il travers le Tigre à la nage), « douceur de sa nature » (p. 44, il pleure la mort de l’épouse de Darius, sa captive), « noblesse » (p. 46, il libère ses prisonniers plutôt que de les vendre), « vaillance » (p. 56, il se porte au combat en avant des étendards), « dilijance » (p. 64, la promptitude est la qualité majeure de ce chef de guerre), « zele envers les soldats » (p. 100, il aide lui-même les soldats exténués), « patiance » exemplaire (p. 103, mort de soif, il refuse de boire l’eau destinée aux enfants), « clemance » (p. 162, il pardonne à des soldats repentis), « braverie » (p. 161, il affronte seul son armée révoltée et l’apaise), « justice » (p. 158, du moins avant ses succès). Alors même qu’il se trouve combattre en compagnie de ses amis d’enfance, ses tendances despotiques se révèlent cependant dans le fait qu’il prend les décisions « de sa teste » (p. 49), autrement dit sans consulter

19. Voir Les Essais, I, 3, p. 42 : pour « depescher les plus importants affaires », souvent les princes « font leur throsne de leur chaire [chaise] percée ».

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personne, ce qui lui vaut parfois, comme dit une note voisine, de passer toute une nuit « en cervelle » (p. 49, le cerveau en ébullition). Dans les dernières pages du livre IX, la note « Jugemant d’Alex20. » (p. 165) signale la récapitulation, par l’historien, des qualités du roi : énergie, courage, endurance, libéralité. Qualités naturelles, précise Quinte-Curce. Et cependant d’autres notes de Montaigne montrent qu’il s’interroge : le roi était-il juste ou injuste ? cruel ou compatissant ? En face du récit d’un de ses exploits (pénétrer seul dans un place forte assiégée), doit-on inscrire « temerité ou hardiesse » (p. 146) ? Et ces exploits eux-mêmes sont-ils dus à ses qualités personnelles ou bien à son « heur » (p. 43), à sa bonne fortune, à sa chance ? Plus neutres, et pour ainsi dire sans instruction de procès moral, quelques-unes signalent que sa rapidité d’action lui fait mépriser « le bagage » (p. 52, il l’abandonne chaque fois qu’il le faut), qu’il est surpris de la simplicité du tombeau du grand Cyrus (p. 158), qu’il est « divers en superstition » (p. 145, autrement dit contradictoire : tantôt superstitieux, tantôt non), qu’il conçoit d’ambitieux « projets » (p. 157, après la conquête de l’orient, celle de l’occident). Cette dernière remarque n’est à l’évidence pas exempte de critique : le roi pèche par hybris, cette démesure honnie des Grecs, qui est sans doute, aux yeux de l’annotateur, le défaut majeur de ce roi de Macédoine dont Achille était le modèle, qui estimait juste sa propre « deification » (p. 123) et qui, à l’instar des grands rois perses, recevait comme un dû l’« adoration » (p. 123) de ses sujets. Aucune marque ou note ne s’attache en revanche à ce qui est, selon l’auteur des Essais, le plus beau « trait » de la vie d’Alexandre : « […] ayant eu advis par une lettre de Parmenion, que Philippus son plus cher medecin estoit corrompu par l’argent de Darius pour l’empoisonner ; en mesme temps qu’il donnoit à lire sa lettre à Philippus, il avala le bruvage qu’il luy avoit presenté. Fut-ce pas exprimer cette resolution, que si ses amis le vouloient tuer, il consentoit qu’ils le peussent faire ? Ce Prince est le souverain patron des actes hazardeux : mais je ne sçay s’il y a traict en sa vie, qui ayt plus de fermeté que cestui-cy, ny une beauté illustre par tant de visages21. » Un peu plus longue que les autres, une note moins admirative s’intéresse enfin à l’aspect physique d’Alexandre : sa taille commune étonnait les barbares, pour qui un chef, selon Quinte-Curce, ne peut être que de grande taille. L’annotateur interprète ainsi cette observation (p. 82) : « Ce qu’il accuse sa 20. « Alex. », abréviation de « Alexandre », revient souvent sous la plume économe de Montaigne annotateur. 21. Les Essais, I, 23, p. 133-134.



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stature et forme estre mediocres. » La reine des Amazones s’était étonnée elle aussi que ce roi à la renommée éclatante fût de taille « mediocre », autrement dit moyenne. Montaigne, qui s’estimait bien proportionné mais trop petit, ne pouvait qu’être sensible à cette particularité22.

Jugement global en fin de volume Au bas de la dernière page imprimée (p. 171, sous « FINIS. »), comme il l’a fait aussi à la fin de deux autres livres conservés23, Montaigne a concentré en neuf lignes son jugement global sur l’ouvrage de Quinte-Curce, en précisant, selon sa coutume, la date (2 ou 3 juillet 1587) et l’âge (54 ans) auxquels il avait achevé sa lecture. C’est le seul lieu du livre où il écrit à la première personne, en conformité avec le dessein dont il fait état, à même époque, dans son propre livre (« à fin que cela me represente au moins l’air et idée generale que j’avois conceu de l’autheur en le lisant24 »). Je comançai à le lire fortuitemant convié par la beauté de la lettre sulemant pour ent[amer] et comançai par luy car ces additions qui vont davant je ne les ai pas veuës En me jouant je m’y pris par sa beauté despité que je ne l’eusse plus tost veu et qu’on ne m’en eut faict pl[us] de conte C’est un tresbon autheur J’en ai veu plusieur qui ont escrit d’alexandre et expressemant et en passant nul a mon gré si bien ny plus pleinemant ny plus vraisamblablem[ant] Souigneus de toutes les parties de l’histore L’air de son eloquance retire aus [temps] des premiers empereurs romeins L’esperit vif pouintu jantil au pris de tout autre Le parler brusqu[e] Le jugemant meur et juste Apres que je l’eus entamé je le leus en trois jours Moi qui n’avois il y a dix ans [lu] un livre une heure de suite Achevé de lire le 2 [ou 3] Juil. 1587 / 54 /25.

Ce qui fait la particularité de cette longue note finale où les majuscules de scansion font office de ponctuation, c’est qu’elle ne contient pas seulement 22. Le prestige d’un François Ier et d’un Henri de Guise doit sans doute beaucoup à leur haute taille. 23. Celui de Sauvage et celui de Fulstin. La note finale du César occupe une page de garde entière. 24. Les Essais, II, 10, p. 440. 25. Pour en faciliter la compréhension, le texte est ici quelque peu modernisé (apostrophes, accents terminaux, dissimilation i/j et u/v), mais sans ajout de ponctuation et en respectant la distinction entre majuscules/minuscules ainsi que les graphies en l’état (« plusieur », « histore », « esperit »). Entre crochets, restitutions proposées quand un mot a été rogné en fin de ligne, mais aussi insertions de mots manquants. Dans la date, le « 2 » généralement admis pourrait très bien avoir été un « 3 » dont la boucle inférieure aura été rognée par le relieur.

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un bilan de lecture, mais aussi l’aveu du plaisir pris à cette lecture et, en tout premier lieu, de l’attraction qui l’a fait naître. La première phrase indique en effet que le désir de lire ce livre-là, dans cette édition-là, est né d’une observation matérielle digne d’un bibliophile, car c’est à sa beauté que Montaigne a été d’abord sensible, non pas celle de sa reliure (l’ouvrage a pu être acheté non relié, ce qui aura facilité l’annotation marginale), mais bien pour la qualité typographique (« beauté de la lettre ») de cette édition bâloise que Christoph Bruno dédie au prince Albert26. En d’autres termes, le déclic qui a décidé Montaigne à « entamer » la lecture de son Quinte-Curce n’aura pas été la curiosité intellectuelle, mais la séduction exercée par un texte bien imprimé, qu’il a d’abord voulu caresser des yeux, mais qui l’a très vite conquis par les vertus conjointes de son contenu et de son style. La note fait toutefois état d’un sentiment mêlé : le vif agrément de la découverte s’accompagne du regret, non moins vif, de ne pas avoir connu cet ouvrage de 1545 avant la publication des premiers Essais, où il a été maintes fois question d’Alexandre sans recours, et pour cause, à Quinte-Curce. Il est en effet étonnant que Montaigne n’ait, jusqu’en 1587, rien lu ni entendu sur cet historien qui n’était pas un inconnu au xvie siècle, même si l’on ne savait au juste quand il avait vécu27. À en juger seulement par le style (« l’air de son eloquence »), le lecteur avisé qu’est Montaigne pense que l’ouvrage remonte (« retire ») aux premiers empereurs romains. Un siècle plus tard, Michel Le Tellier, auteur d’une édition de Quinte-Curce ad usum delphini (Paris, 1678) optera, comme Juste Lipse pour le règne de Claude, donc lui aussi pour le milieu du Ier siècle, au nom d’une parenté de style entre l’obscur historien et le célèbre philosophe Sénèque, que Montaigne connaissait assez bien pour avoir pu former avant eux la même conjecture. À un reproche près peut-être (sur l’ajout des deux Supplementa aux huit livres authentiques28), le jugement de Montaigne n’est que louange, de l’historien certes, qu’il juge mieux informé sur Alexandre que les autres auteurs lus jusqu’alors (au premier chef, Plutarque), mais surtout de l’écrivain, dont il se plaît à énumérer les qualités formelles et intellectuelles. Sur le contenu 26. Au début de l’épître se trouve une planche gravée d’hommage à la maison de Bavière dont le Comte palatin est issu. Une seconde planche gravée suit l’épître, au bas de laquelle on peut lire le nom de l’éditeur. 27. Isabelle Pantin rappelle, dans « Montaigne lecteur de Quinte-Curce : quelques réflexions sur la collecte de Dezeimeris » (Montaigne Studies, 17 (2005), p. 135-154, voir note 12) qu’entre 1450 et 1549 il n’y eut pas moins de 41 éditions de son ouvrage. De 1550 à la fin du siècle, période où Montaigne écrit, on lui préfère cependant les auteurs grecs de vies d’Alexandre. C’est seulement dans la seconde moitié du siècle suivant qu’il deviendra le plus lu des historiens latins. 28. Deux de ces livres présentaient toutefois des lacunes.



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historique de l’ouvrage, on ne retrouve pas trace, ni ici ni dans les marges, de l’acribie dont Montaigne avait fait preuve quelque vingt ans plus tôt dans les marges des Annales et croniques de France de Nicole Gilles, ni de la sévérité qu’il venait de montrer, dans la note de synthèse sur Denis Sauvage , éditeur de la Cronique de Flandres. Bref, c’est surtout d’un engouement dont cette note témoigne. L’auteur des Essais explique vers cette date quelle a été l’évolution de son rapport aux livres : « J’estudiay jeune pour l’ostentation ; depuis, un peu pour m’assagir : à cette heure pour m’esbatre. » À ceux qui le lui reprochent, il réplique : « Si quelqu’un me dit, que c’est avillir les muses, de s’en servir seulement de jouet, et de passetemps, il ne sçait pas comme moy, combien vaut le plaisir, le jeu et le passetemps : à peine que je ne die toute autre fin estre ridicule29. » Ici le plaisir aura été pris au galop, car le livre a été lu en trois jours, proprement dévoré. Quant à savoir si depuis dix ans Montaigne n’avait vraiment pas lu plus d’une heure de suite, rien n’est moins sûr puisqu’il écrit à la même époque dans son propre livre : « Je viens de courre d’un fil, l’histoire de Tacitus (ce qui ne m’advient guere, il y a vingt ans que je ne mis en livre, une heure de suite30). » C’est sans doute d’abord dans les deux cas une façon de parler, une manière de dire le bonheur éprouvé à la lecture d’un livre proprement captivant. Juste avant de faire paraître ses Essais parisiens en trois livres, Montaigne, « despité », a donc dû retoucher quelque peu les passages où il parlait du « grand Alexandre » en termes qui lui apparaissaient désormais, après la découverte de Quinte-Curce, un peu trop favorables, pas assez contrastés.

Alexandre dans les Essais, avant et après la lecture de Quinte-Curce Sur les soixante-treize occurrences du prénom « Alexandre » relevées par R. E. Leake dans les Essais31, trente-deux seulement se rencontrent dans les éditions de 1580 et 1582, dont quatorze au livre I et dix-huit au livre II. Toutes concernent le roi de Macédoine à une exception près (un pape). Trente nouvelles occurrences apparaissent en 1588, dont six dans des additions au livre I, sept au livre II et dix-sept au livre III jusqu’ici inédit. Sur l’exemplaire dit « de 29. Les Essais, III, 4, p. 871. 30. Ibid., III, 8, p. 986. 31. Publiée chez Droz en 1981, sa Concordance de Montaigne prend cependant pour base le texte de l’édition Villey-Saulnier des Essais, parfois assez différent de celui qui sert de référence au présent article.

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Bordeaux » (désormais EB) et dans l’édition posthume de 1595, Montaigne ajoutera encore onze mentions de ce nom, dont quatre au livre I, deux au livre II et cinq au livre III. Ici encore, à une exception près, toutes désignent Alexandre le Grand. L’intérêt porté par l’auteur à la personne du conquérant n’a pas échappé aux critiques de Montaigne, mais c’est à Isabelle Pantin, auteur d’un article de 2005 sur « Montaigne lecteur de Quinte-Curce », qu’on doit la seule étude méthodique sur le sujet depuis le travail pionnier de Reinhold  Dezeimeris dont elle adopte les transcriptions32. Certes, quelques-unes des restitutions de R. Dezeimeris ont dû être amendées depuis33, mais les tableaux comparatifs entre notes et Essais proposés par I. Pantin, ainsi que les conclusions qu’elle en tire, n’ont rien perdu de leur pertinence, si bien qu’on ne peut que renvoyer le lecteur à cet article et se contenter ici d’en relever et commenter les apports principaux. La première constatation, si l’on met en parallèle telle note ou marque autographe du Quinte-Curce et telle phrase ou page des Essais, c’est que la lecture de l’historien n’a vraiment bénéficié qu’aux additions apportées en 1588 aux livres I et II et à « l’allongeail » du livre III. Les sept citations intégralement 32. Voir ci-dessus la note 27 pour la référence. Autres éléments bibliographiques : R. Dezeimeris, « Annotations inédites de Michel de Montaigne sur le De rebus gestis Alexandri magni de Quinte-Curce », Revue d’histoire littéraire de la France, en plusieurs livraisons (1916, p. 399-440 ; 1917, p. 605-636 ; 1918, p. 595-622 ; 1919, p. 577-600 ; 1921, p. 528-548) et les indications données par G. Banderier, auteur d’une courte notice sur Alexandre le Grand dans le Dictionnaire de Michel de Montaigne, éd. P. Desan, Paris, 2007 ; J. Supple, « Vices and Virtues : Montaigne and Alexander », Montaigne Studies, 14 (2002), p. 139-154 ; K. Kupisz, « Alexandre le Grand dans les Essais de Montaigne », dans Montaigne et la Grèce, éd. K. Kristodoulou, Paris, 1990, p. 179-193 ; A. Scourioti, « La conquête asiatique d’Alexandre dans les Essais de Montaigne », dans Montaigne et l’histoire des Hellènes, éd. K. Christodoulou, Paris, 1994, p. 160-168 ; K. Cameron, « Montaigne et ‘les plus excellens hommes’ », ibidem, p. 221-231. 33. Par moi-même, dans deux éditions sur papier et une édition numérique en ligne (voir ci-dessus, note 1). Selon toute vraisemblance, Montaigne avait écrit « [cru]aute » (cruauté), et non « [f ]aute » en face du récit du supplice de Betis (p. 34), « [quo]tite » (quotité) plutôt que « [part pe]tite » pour parler de la part de butin qui revient « aux soldats » (p. 160), « [manier]e de pages » et non « [façon] de pages » (p. 124). Il a biffé « constante » après « fin de Philotas », car Philotas avait parlé avant de mourir sous la torture (p. 92). La note « injustice » (p. 104) n’a pas disparu là où il est fait état du massacre des Branchides (il faut lire « [inj]utice » pour injustice). En face du récit des derniers instants d’Alexandre (p. 164), on peut lire enfin, non pas « [ra]re description de [la mort] L’autheur en [pass]ant et indilijance [p]ar tout ailleurs », et entendre par « l’autheur » les autres auteurs qui ont parlé d’Alexandre (hypothèse d’I. Pantin), mais bien « [ra]re description de [mo]rt l’autheur est [neglig]ent & indilijant [p]ar tout ailleurs », cet « autheur » n’étant autre que Quinte-Curce lui-même. On notera d’ailleurs que sur son César, quelque dix ans plus tôt, Montaigne avait regretté que quelques lignes seulement eussent été consacrées à la mort de Pompée.



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reproduites par Montaigne dans ses Essais appartiennent toutes à la période où l’auteur met la dernière main à l’édition augmentée qu’il s’apprête à faire publier à Paris. Il en est de même des quatre ou cinq phrases latines que l’auteur des Essais traduit en français, mais aussi des quatre ou cinq passages qu’il ne fait qu’exploiter. Par la suite, il délaissera Quinte-Curce pour Diodore de Sicile (Sept livres des histoires de Diodore sicilien nouvellement traduyts de grec en françoys [par Amyot], Michel de Vascosan, 1554 ou 155934). Jusqu’alors ce qu’il connaissait d’Alexandre lui venait surtout de Plutarque traduit en français par Amyot (Alexandre le grand dans Les Vies des hommes illustres, Michel de Vascosan, 1565, f. 464 r-492 v, ou éditions suivantes) et, depuis peu sans doute, d’Arrien de Nicomédie, translaté lui aussi du grec au français (Les faicts et conquestes d’Alexandre le Grand, trad. Claude Vuitart, Paris, Federic Morel, 158135), ainsi que des ouvrages qui n’en parlent qu’« en passant », comme on peut le lire dans la note de synthèse du Quinte-Curce. La nouveauté pour Montaigne, c’était de pouvoir lire un texte consacré à Alexandre et à ses conquêtes sans passer par des traductions du grec, donc de pouvoir apprécier non seulement le contenu historique, mais d’abord la qualité littéraire d’un texte écrit et conçu en latin, cette langue dont il déclare qu’elle doit, tout comme le grec, venir au secours du français quand celui-ci « fleschit » sous une « puissante conception36 ». « Alexandre le grand » figurait dès 1580 en bonne place dans « Des plus excellens hommes » (Essais, II, 36) : entre Homère et Épaminondas, et de préférence à César, en quelque sorte son challenger. Il était alors pourvu de toutes les vertus, d’autant plus qu’il était mort dans la fleur de l’âge, à trente-trois ans. Comme Jésus, constate ailleurs Montaigne37, pour qui un homme a déjà montré à cet âge tout ce dont il est capable… Les enrichissements de 1588 apportés à ce chapitre par la lecture enthousiaste de Quinte-Curce accumulent les mots qui rendent hommage à ses vertus, tant personnelles (« justice, temperance, liberalité, foy en ses parolles, amour envers les siens, humanité envers les vaincus ») que militaires (« diligence, pourvoyance, patience, discipline, subtilité, magnanimité, resolution, bonheur », autrement dit chance, « fortune », baraka, cette qualité mystérieuse qui fait les grands chefs de guerre aux yeux de leurs soldats), mais ils en rabattent de beaucoup sur l’excellence du Macédonien, 34. Cinq additions en tout, reproduites dans l’article cité (note 6). I. Pantin constate aussi la présence, dans l’édition de 1588, d’une seule citation avérée d’Arrien (p. 136). 35. Références proposées par P. Villey au début de son édition. 36. Les Essais, III, 5, p. 917. 37. Ibidem, I, 19, p. 86 : « Il est plein de raison, et de pieté, de prendre exemple de l’humanité mesme de Jesus-Christ. Or il finit sa vie à trente et trois ans. Le plus grand homme, simplement homme, Alexandre, mourut aussi à ce terme. » Ainsi que La Boétie…

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qui ne doit sans doute de rester dans le trio de tête que parce que l’auteur, l’y ayant installé en 1580, ne pouvait pas décemment se raviser huit ans plus tard : Mais il est impossible de conduire si grands mouvemens, avec les reigles de la justice […] La ruyne de Thebes, le meurtre de Menander, et du Medecin d’Ephestion : de tant de prisonniers Persiens à un coup, d’une trouppe de soldats Indiens non sans interest de sa parolle, des Cosseïens jusques aux petits enfans : sont saillies un peu mal excusables38.

C’est dans Quinte-Curce que Montaigne trouve le récit du supplice infligé à Betis et l’idée selon laquelle les aveux de Philotas, pourtant innocent, ont été arrachés par la torture : un mode d’interrogatoire que celui qui avait été juge quatorze années durant condamne sans ambiguïté, dans son livre, comme acte de pure cruauté, propre à susciter le mensonge plus efficacement et plus souvent que la vérité. C’est aussi l’historien latin qui l’informe de la vive critique de Philotas sur la dérive despotique du Grec39 et sur sa prétention à la divinité, vice à ses yeux si rédhibitoire qu’il le pourfend jusque dans les ultimes pages de son livre : Et je ne trouve rien si humble et si mortel en la vie d’Alexandre, que ses fantasies autour de son immortalisation. Philotas le mordit plaisamment par sa responce. Il s’estoit conjouy avec luy par lettre, de l’oracle de Jupiter Hammon, qui l’avoit logé entre les Dieux. Pour ta consideration, j’en suis bien ayse : mais il y a dequoy plaindre les hommes, qui auront à vivre avec un homme, et luy obeyr, lequel outrepasse, et ne se contente de la mesure d’un homme40.

Si donc la lecture de Quinte-Curce semble avoir été pour Montaigne une lecture de « découverte » à une époque où, achevant ses Essais en trois livres, il pratiquait plutôt des lectures de « reconnaissance » (I. Pantin), l’absence d’emprunts à cet auteur après 1588 suggère que l’engouement dont fait état la note de synthèse aura été sans lendemain. Selon sa coutume, l’auteur a aussitôt « transporté en son solage » ce qu’il trouvait accommodé à son propos, de façon à enrichir le texte imprimé ou les additions déjà insérées. Cela, remarque justement 38. Ibid., II, 36, p. 792. 39. On trouve au rebours dans le Journal de voyage de Montaigne en Italie (éd. Meusnier de Querlon, Rome-Paris, 1754) cet éloge indirect de Charles VIII, auquel Alexandre sert de fairevaloir : « On voit en beaucoup d’endroits de cette ville les armes de France, et une colonne que le Roi Charles VIII a donnée à la Cathédrale. Dans une maison de Pise, sur le mur du côté de la rue, ce même Prince est représenté, d’après nature, à genoux devant une Vierge qui semble lui donner des conseils. L’inscription porte, que ce Monarque soupant dans cette maison, il lui vint par hasard dans l’esprit de rendre aux Pisans leur ancienne liberté : en quoi, dit-elle, il surpassa la grandeur d’Alexandre. » 40. Les Essais, III, 13, p. 1166.



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I. Pantin, sans toujours prendre appui sur les notes ou les marques à la plume qu’en tant que lecteur il avait semées dans les marges de son Quinte-Curce. À deux ou trois exceptions près (dont un Lucrèce, couvert d’un millier de notes autographes), les témoins directs ou indirects dont nous disposons pour apprécier la façon dont Montaigne lisait font la part belle à l’histoire, qu’elle soit de France (Nicole Gilles), des Flandres (Sauvage), d’Italie (Guichardin), de Pologne (Fulstin), d’Europe (Commynes, Martin Du Bellay et son frère), ou de la Rome antique et de son empire (César, Quinte-Curce, Tacite). Si l’histoire intéresse Montaigne par elle-même, au point que ses amis, saluant sa compétence en la matière, ont pu attendre de lui qu’il écrivît celle de son temps41, c’est aussi, et peut-être d’abord, en moraliste, en esthète et tout simplement en curieux qu’il lit les historiens. Il apprécie chez eux le sens critique et parfois le témoignage de première main, mais il est particulièrement attentif aux discours, aux scènes, aux portraits, aux sentences. Imprégné des Vies « parallèles » de Plutarque traduites par Amyot, il compare comme lui, maintes fois, Alexandre et César. S’il a opté finalement pour le premier en 1580, quand il lui fallait choisir un « excellent homme », c’était pour une raison étrangère aux qualités respectives et parfois similaires de l’un et de l’autre : la « fortune » a merveilleusement servi le Grec, non le Romain, dont « l’ambition » a « rencontré ce vilain subject de la ruyne de son pays, et de l’empirement universel du monde42 ». Il s’en est pourtant fallu d’un cheveu qu’il ne choisisse alors César. S’il avait lu plus tôt Quinte-Curce, chez qui il a découvert aussi la « face noire » d’Alexandre43, lui aurait-il décerné un tel brevet d’excellence ? Mais il est trop tard pour réécrire le chapitre déjà publié… Au reste, n’est-il pas temps que l’un et l’autre cèdent le pas à Socrate le sage, la grande figure du livre III des Essais ? Alain Legros CESR Université de Tours 41. Ibidem, I, 20, p. 108 : « Aucuns me convient d’escrire les affaires de mon temps : estimants que je les voy d’une veuë moins blessée de passion, qu’un autre, et de plus pres, pour l’accés que fortune m’a donné aux chefs de divers partis. Mais ils ne disent pas, que pour la gloire de Salluste je n’en prendroys pas la peine : ennemy juré d’obligation, d’assiduité, de constance : qu’il n’est rien si contraire à mon stile, qu’une narration estendue. Je me recouppe si souvent, à faute d’haleine. Je n’ay ny composition ny explication, qui vaille. » 42. Ibid., II, 36, p. 793-794. 43. R. Dezeimeris, cité par I. Pantin.

Les traductions des Historiae et les humanismes vernaculaires des xve et xvie siècles

Pier Candido Decembrio : un émule de Plutarque entraîné à l’école de Quinte-Curce Condoluisti de studio meo pluries in vertendis latinis libris in maternam linguam, mandato Principis mei. […] Velles enim ut ad meliora studium curamque converterem. […] Et quia nosse cupis quae opera potissimum transtulerim, scito omnes libros Quinti Curcii, dein Commentarios Iulii Caesaris, postremum Polibii De bello Punico a me in maternum sermonem redactos esse1. [Plusieurs fois tu as regretté mon activité de traduction des livres latins dans ma langue maternelle, sur ordre de mon Prince. […] Tu voudrais en fait que je me consacre à des études meilleures. […] Et puisque tu veux savoir quelles œuvres en particulier j’ai traduites, sache que j’ai rédigé dans ma langue maternelle l’intégralité des livres de Quinte-Curce, puis les Commentarii de Jules César, et enfin le De bello punico de Polybe.] Due, che io sappia, sono le traduzioni italiane di Curzio : la prima è di Pier Candido Decembrio da Vigevano, intrapresa per cenno del Duca Filippo Maria di Milano, in Milano terminata l’anno 1488 [sic !]. addì 21. aprile ed inviata al Duca medesimo. Come a quell’epoca non erano ancora scritti i supplementi di Curzio, così questa versione è priva del primo e secondo libro per ogni maniera […]. Io non saprei dire di queste traduzioni, se non che non più si ravvisa in esse la limpidezza, il fiore, l’avvenenza di Curzio : le tinte sono scolorate e languenti, il dire talvolta implicato, e che giunge senza sorpresa nell’anima. L’ortografia di Pier Candido disgusta per la vecchiezza de’ tempi2. [À ma connaissance, il y a deux traductions italiennes de Quinte-Curce : la première est celle de Pier Candido Decembrio de Vigevano, entreprise à Milan sur ordre du duc Filippo Maria et terminée le 21 avril 1488, et dédiée au même duc.  Comme à cette époque-là les suppléments de 1. Lettre de Decembrio à Francesco Pizzolpasso, août-septembre 1438, M. Zaggia, « Appunti sulla cultura letteraria in volgare a Milano nell’età di Filippo Maria Visconti », Giornale storico della letteratura italiana, 170 (1993), p. 161-219, 321-382. Les lettres de Decembrio représentent la principale source d’information sur la vie et l’œuvre de cet auteur : V. Zaccaria, « L’epistolario di Pier Candido Decembrio », Rinascimento, 3/1 (1952), p. 85-118 ; Petri Candidi Decembrii, Epistolarum iuvenilium libri octo, éd. F. Petrucci, Florence, 2013. 2. Quinto Curzio Rufo coi supplementi di Freinsemio su le imprese di Alessandro il Grande volgarizzato dall’ab. Marco Mastrofini pubblico professore di matematica, e di filosofia nel seminario di Frascati, Rome, 1809, Vincenzo Poggioli, p. xi. Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 169-188 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115397

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Marta Materni Quinte-Curce n’avaient pas encore été réalisés, il manque à cette version la totalité du premier et du deuxième livres […]. Je ne peux dire rien d’autre de ces traductions sauf qu’on ne trouve plus dans ces textes la clarté, la beauté et le charme de l’écriture de Quinte-Curce : les couleurs sont ternes et languissantes, l’expression est quelquefois compliquée et n’engendre aucun effet d’étonnement ni de plaisir. L’orthographe de Pier Candido déplaît par sa vieillesse.]

Un peu moins de quatre cents ans séparent ces deux citations. La première, signée par Pier Candido Decembrio, témoigne d’un projet culturel et d’une position idéologique en rapport avec une question linguistique en vogue dans cette Italie devenue alors depuis peu humaniste. La deuxième est d’abord le témoignage d’une attitude anti-philologique à l’égard des textes anciens que l’on doit à un représentant d’une culture scolaire ; elle nous ferait presque sourire aujourd’hui, mais demeure néanmoins intéressante d’un point de vue historique, même si cette question ne concerne pas notre propos ici. Ensuite, et c’est ce qui nous intéresse, cette deuxième citation est le témoignage indirect d’un Fortleben : si le nombre des manuscrits qui ont survécu ainsi que le succès des nombreuses traductions réalisées dans la péninsule ibérique et des éditions imprimées ne suffisaient pas, le commentaire de cet obscur professeur de séminaire nous informe clairement du fait que, en 1809 encore, les noms de Decembrio et de Quinte-Curce étaient associés. Comme l’association des noms des deux savants est donc une réalité qui perdure dans le temps, il est intéressant de revenir au moment initial, celui de la genèse de ce projet culturel, afin de replacer le Quinte-Curce de Decembrio dans son contexte.

Un mécène lecteur et un mécène voyageur La figure de Decembrio (1399-1477), secrétaire des Visconti d’abord, des papes de Rome et des Aragonais de Naples par la suite, évoque la naissance et le développement de la culture humaniste dans la péninsule italienne. Cette culture n’est pas encore appréciée dans la totalité de ses nombreuses nuances par la critique, où elle apparaît encore souvent marquée par une concentration sur la région toscane, et en particulier florentine, et sur la dimension linguistique latine. Avec Decembrio, nous nous déplaçons au contraire au cœur d’un autre foyer culturel de ce mouvement, celui de l’humanisme lombard3. C’est 3. M.  Borsa, « Pier Candido Decembrio e l’umanesimo lombardo », Archivio Storico Lombardo, s. II, 20 (1893), p. 5-75, 358-441 ; A. Corbellini, « Appunti sull’Umanesimo in



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en effet à Milan, le Milan des Visconti, que réside Francesco Petrarca, dans une maison près de l’église Saint-Ambroise, au cours des années 1352 ca.-1360. Ainsi, l’aura du père spirituel de l’humanisme italien flotte sur le cercle humaniste animé par Gian Galeazzo Visconti (1351-1402) et surtout, plus tard, par Filippo Maria (1392-1447). Dans ces années d’effervescence culturelle renouvelée, à Pavie (qui, avec son studium et sa grande bibliothèque4, constituait une sorte d’appendice décentralisée de Milan), après son séjour florentin et pendant trois ans (1400-1403), ­réside aussi Manuel Chrysoloras, l’ambassadeur byzantin qui, lors de son passage diplomatique à travers la péninsule, dévoile aux savants italiens le trésor de la langue grecque. Dans ses composantes fondamentales, l’humanisme est déjà là. Enfin, un autre élément d’ordre linguistique s’ajoute à notre réflexion : malgré quelques scrupules et quelques protestations des humanistes, et bien que la production textuelle soit quantitativement minoritaire (mais jusqu’à quel point ? Les études de plus en plus approfondies sur les volgarizzamenti5 revoient les données, qui apparaissent plus complexes et diversifiées), c’est un fait incontestable que l’humanisme s’exprime aussi bien en langue vernaculaire6 qu’en latin (très maîtrisé) et grec (hésitant, au moins au début). Or, grâce à sa traduction en langue vernaculaire du texte latin de QuinteCurce, l’Istoria Alexandro Magno, complétée par des morceaux de la Vie d’Alexandre grecque de Plutarque, Decembrio, originaire de Pavie, secrétaire du milanais Visconti, constitue un véritable chef de file de ce panorama : Delectatus est et Gallorum libris, mira vanitate referentibus illustrium vitas ; historias etiam ab antiquis editas vulgari eloquio, aut a doctis traductas e latino, continentes gesta clarorum virorum, cupidissime audivit7. Lombardia », Bollettino della Società Pavese di Storia Patria, 16 (1917), p. 5-51 ; E. Ditt, « Pier Candido Decembrio. Contributo alla storia dell’umanesimo italiano », Memorie del R. Istituto Lombardo di Scienze e Lettere, 24 (1931), p. 21-108 ; F. Gabotto, « L’attività politica di Pier Candido Decembrio », Giornale Linguistico, 20 (1893), p. 161-198, 241-270. 4. E. Pellegrin, La bibliothèque des Visconti et des Sforza, ducs de Milan au xve siècle, Paris, 1955. 5. Je me limite à citer deux projets italiens en ligne : ENAV (Edizione Nazionale degli Antichi Volgarizzamenti dei testi latini nei volgari italiani), partie du projet Il Ritorno dei Classici nell’Umanesimo www.ilritornodeiclassici.it ; et le DiVO (Dizionario dei Volgarizzamenti) tlion.sns.it/divo/. 6. Sur le sujet, dans ce contexte : P. Ponzù Donato, « La creazione di un volgare letterario nella Milano viscontea : il volgarizzamento dei Commentarii di Cesare di Pier Candido Decembrio (1438) », dans La lingua e la letteratura italiana in prospettiva sincronica e diacronica, éd. E. Pirvu, Florence, 2015, p. 273-284. 7. Petri Candidi Decembri, Vita Philippi Mariae tertii Ligurum ducis, dans Opuscola historica, éd. A. Butti, F. Fossati et G. Petraglione, Rerum italicarum scriptores, 20/1, Bologne, 1926, ch. LXII.

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Marta Materni [Il se délectait des livres en français, relatant d’une façon merveilleuse la vie des hommes illustres ; il écoutait aussi avec avidité les histoires concernant les faits des hommes célèbres, à la fois celles écrites par les anciens en langue vulgaire et celles traduites du latin par les savants.]

Avec ces quelques lignes, Decembrio nous fournit un portrait très éloquent, du point de vue culturel, de celui qui est le premier mécène et le premier dédicataire du projet incluant la traduction sur Alexandre : Filippo Maria Visconti. Nous devons insister sur au moins deux éléments, un sur la forme et l’autre sur le contenu. Le premier, formel, concerne le registre linguistique qui, seul, est évidemment accessible au duc et humaniste Filippo Maria Visconti : le « vulgaris eloquium » (l’italien et le français comme semble l’indiquer la mention des « libri Gallorum »). Le deuxième, relatif au contenu, fait référence aux sujets des « historias », « cupidissime » écoutées/lues par le duc, à savoir les « illustrium vitas » et les « gesta clarorum virorum », vies et hauts faits des hommes illustres qui doivent être regardés comme des modèles de comportement : c’est exactement le cadre de réception de la production vernaculaire de Decembrio que sous-entend ce manifeste concis d’humanisme civique et militant. Alexandre le Grand, César (avec la traduction de ses De bello gallico et De bello civili), l’épisode légendaire des guerres puniques (par le De bello punico de Polybe8) : voici que, entre histoires et aventures, le projet des Visconti, achevé par Decembrio en 1438, acquiert du sens et de la cohérence. Mais, il faut le souligner, il s’agit de vies et d’actions exemplaires relatées en langue vernaculaire : la frontière avec le romanesque est évidemment subtile, un fil sépare l’édifiant du captivant, et l’emploi de « cupidissime » le confirme. « Historia magistrae vitae » et « litterae et militia » : ces deux thèmes permettent de dessiner une meilleure image du contexte de production, et de réception, du texte qui nous intéresse. Tandis que la valeur, et donc l’intérêt, des traductions vernaculaires par rapport au texte-source pourrait être plutôt relative, le cadre qui se stratifie autour de la traduction dans les manuscrits – prologues, lettres dédicatoires, gloses – devient, pour nous, le lieu de la compréhension. Pourquoi et pour qui ces traductions sont-elles écrites ? Les réponses, nous les trouvons au seuil du texte. Pour justifier le recours aux deux « devises » latines citées plus haut et compléter nos premières remarques sur 8. Une partie de la traduction de Jules César a été étudiée et publiée : P. Ponzù Donato, « Il Bellum Alexandrinum e Bellum Africum volgarizzati da Pier Candido Decembrio per Iñigo d’Ávalos », Interpres, 31 (2012), p. 97-149 ; idem, « Il Bellum Alexandrinum e Bellum Africum volgarizzati da Pier Candido Decembrio. Edizione critica », Interpres, 32 (2014), p. 7-112 ; idem, « La creazione di un volgare », art. cit. La traduction de Polybe demeure inédite.



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le portrait de Filippo Maria Visconti, nous devrons donc nous plonger dans les prologues. Dans ce contexte, le prologue de la traduction de Jules César, dédiée à Iñigo d’Ávalos, camerlengo de Filippo Maria9 est intéressant, car, comme en témoigne l’existence de la Comparatione di Caio Iulio Cesare imperadore et de Alexandro Magno re di Macedonia – petite œuvre originale de Decembrio, laquelle accompagne la traduction de Quinte-Curce et est, elle aussi, dédiée à Filippo Maria –, les deux traductions, bien que parfaitement indépendantes, ont été conçues comme les deux parties d’une sorte de diptyque textuel : […] Iñico mio preclarissimo, niuno studio agli excellenti huomini de l’istoria più utile e digno m’apare, la quale le passate operatione anteponendo a l’intelletto nostro, sì come uno specchio agli occhi corporali, ciò che di cura e diligentia ha mestere ne fa vedere. […] Inde evene che la vita nostra senza doctrina da molti una imagine de morte è appellata. […] Né altra cagione induxe gli excellenti Romani antiqui equalmente a magistrar gli figli suoi ne le littere e negli arme se non che, sequendo l’opinione platonica, niuno libero e d’imperio digno estimaveno che de questi studii e de quelli altri exercitii fusse indocto, ma tutti dui a loro noti essere volevano, acioché l’ingenio non manco del corpo adoperando in luce venesseno10. [Iñico, mon très cher, aucune étude ne me semble plus utile et digne des hommes qui excellent que celle de l’histoire. En présentant à la compréhension de notre intelligence les actions passées de la même façon qu’un miroir face aux yeux de notre corps, l’histoire nous montre ce qui a besoin de soin et de diligence. […] Il en résulte que la vie sans la connaissance est considérée par beaucoup comme une image de la mort. […] La raison qui a poussé les excellents anciens Romains à éduquer leurs fils autant dans la littérature que dans les armes n’a été que la suivante : conformément à l’enseignement platonicien, ils jugeaient libre et digne du pouvoir seulement celui qui avait été instruit dans les études ainsi que dans les exercices physiques. Ils voulaient que leurs fils connaissent les deux, de telle sorte qu’ils se distinguent aussi bien à travers l’ingéniosité qu’à travers le corps.]

9. Vespasiano da Bisticci, Le vite, éd. A. Greco, Florence, 1970, t. 1, p. 127-130 ; Baronaggio e territorio nel Rinascimento meridionale, éd. R. Colapietra, Naples, 1999, p. 13-57 ; A. Lupis, La sezione venatoria della Biblioteca Aragonese di Napoli e due sconosciuti trattati di Ynico d’Ávalos, conte camerlengo, Bari, 1975 ; A. F. Sorrentino, Iñigo d’Ávalos gentiluomo castigliano del secolo xv, con una notizia del cod. Ventimiliano 40, Catane, 1899. 10. Deuxième prologue, je cite de P. Ponzù Donato, « Il Bellum Alexandrinum per Iñigo d’Ávalos », p. 109-110.

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Comme nous le verrons plus loin, la traduction de Quinte-Curce, achevée en 1438 et alors dédiée à Filippo Maria Visconti, recevra ensuite une addition textuelle considérable en son début, qui déterminera l’existence d’une deuxième version « élargie », placée en outre sous le patronage d’un nouveau mécène : le noble espagnol, humaniste-amateur, étroitement lié à l’Italie, Nuño de Guzmán11. Pour en revenir à notre propos, dans la continuité avec le texte sur César que nous venons de citer s’inscrit alors la dédicace adressée à ce chevalier ibérique : Se a la vera virtute la debita gloria si de’ rendere, Nugno mio preclarissimo, de certo più degli altri serano comendati quelli che al splendore dele littere l’exercitio etiandio dele facende illustre e laudabile hanno congionte ; che quantunque apresso ali antiqui nostri e li posteri assay si ritrouano che sença alchuna eruditione le cose di pace e di guerra con summa diligentia hanno administrate, più serebbeno egli d’essere comendati anchora si de l’una et l’altra uirtute insieme fussero stati adornati. (ms. de Modène, Bibl. Estense, Ital. 249, fol. 10 r12) [Si on doit rendre honneur à la vertu véritable, mon très cher Nugno, il est certain qu’on honorera davantage ceux qui sont arrivés à combiner la pratique d’actions remarquables et louables avec la splendeur des lettres. Même si parmi les anciens et leurs successeurs il y a de nombreux exemples d’individus qui ont géré les affaires de la paix et de la guerre avec beaucoup de diligence bien qu’ils n’aient eu aucune érudition, ­cependant ils seraient encore plus dignes de louanges s’ils s’étaient parés des deux vertus ensemble.]

Les thèmes de l’alliance entre « littera » et « militia » et de l’« historia magistra » apparaissent donc aussi dans ce prologue et s’imposent ainsi comme un leitmotiv de la vision historique de Decembrio. En outre, si l’on regarde les personnalités des deux destinataires comme des astres qui projettent des nuances de lumière diverses sur le texte, on dira que pour Filippo Maria, très avide lecteur, fasciné par la vie des hommes ­illustres, et surtout homme de pouvoir, rien n’était plus indiqué que l’annonce 11. J.  N.  H. Lawrance, « Nuño de Guzmán and Early Spanish Humanism : Some Reconsiderations », Medium Aevum, 51 (1982), p. 55-85. 12. Les citations seront toutes tirées de ce manuscrit, témoin de la deuxième version élargie de la traduction de Quinte-Curce par Decembrio, qui contient en outre, nous le verrons plus loin, tous les récits sur Alexandre : Comparatione avec la dédicace à Filippo Maria ; prologue adressé à Nuño de Guzmán et Vie d’Alexandre (ch. 1-7) qui constituent tous deux les additions de la deuxième version ; texte de Quinte-Curce qui, avec la Comparatione, constitue l’héritage de la première version.



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par Decembrio dans la Comparatione « de l’origine e nobilitate loro [di Alessandro e Cesare], dele uirtute et deli uicii, dele cose agitate in arme e in pace [di cui tratterà] breuemente secondo che dali ueri et certi hystorici a la memoria e posteritate descripte sono » (fol. 1 r : « de leur [de Alexandre et de César] origine et de leur noblesse, de leurs vertus et de leurs vices, de leurs actions en temps de guerre et en temps de paix, [dont il va] parler brièvement suivant les descriptions que les historiens dignes de foi ont transmises à la mémoire et à la postérité »), de sorte qu’il puisse, en toute indépendance, « facile giudicare quali d’essi sia più de laude digno » (« établir facilement lequel des deux serait plus digne de louange »). Le deuxième destinataire, Nuño, est courtisan et chevalier. L’attention alors étant fixée sur une figure de protecteur totalement différente, un homme d’ancienne noblesse et un voyageur, la matière littéraire alexandrine révèle encore une fois sa double nature, variable et fuyante : texte fonctionnel aux lectures politiques programmatiques, texte historique mais aussi biographie d’une personnalité fortement narcissique, pleine du charme de l’ailleurs. Et bien que Decembrio continue à évoquer celle union de « clergie » et de prouesse déjà citée, ici peut-être l’Istoria d’Alexandro Magno commence à subir un glissement de perspective du « docere » au « delectare » : […] m’apparve alchuna hystoria di memoria digna al tuo nome descrivere ; fra le quali, revolgendone io molte nela mente mia, niuna più conveniente a te o ale tue peregrinatione e fatiche pensai potere essere de quella d’Alexandro Magno scripta elegantissimamente da Quinto Curcio, perché in essa non solo li fatti d’arme ma li consigli familiari e le doctrine utile e molte explicatione de varie e diverse regioni descripte sono, che a te, de longho peregrinando, per gran noticia dele mondane cose, son certo inseme con la doctrina singularissimo piacere adduranno. (fol. 10 r) [ J’ai voulu lier ton nom à une histoire digne d’être retenue. J’en ai analysé beaucoup et aucune ne m’a semblé plus indiquée pour toi, pour tes voyages et pour tes travaux que celle d’Alexandre le Grand, écrite de façon très élégante par Quinte-Curce ; car on y trouve non seulement les faits d’armes mais aussi les vicissitudes familiales et de nombreuses descriptions de régions variées et différentes. Tout cela, combiné avec l’enseignement, te donnera un très grand plaisir, j’en suis sûr, étant donné tes longs voyages et ta connaissance des choses du monde.]

En évoquant les destinataires et, à grandes lignes, leurs différentes personnalités, nous avons ainsi exploré les seuils du texte et leurs déclarations programmatiques. Entrons maintenant désormais dans le texte et dans le bureau de travail de Pier Candido Decembrio.

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Un traducteur philologue Pourquoi le choix de Quinte-Curce, quand on connaît l’intérêt de Decembrio pour Plutarque ? Comparée à l’étendue et à la profusion de détails des œuvres de César et de Polybe, la Vie d’Alexandre écrite par Plutarque, relativement courte, qui sera le grand amour de Decembrio et interviendra bientôt dans notre propos, manquait de cette richesse en actions, discours et descriptions que l’on trouve au contraire dans Quinte-Curce, compagnon bien plus convenable, dans cette perspective, des deux autres monumenta, César et Polybe. Alors qu’il s’est déjà engagé dans la reconstitution des textes de César, Decembrio ne se limite pas non plus à une attitude de traducteur passif dans le cas des Historiae de Quinte-Curce, et cela dès la première version de sa traduction. Comme nous le savons, le texte latin est arrivé jusqu’à lui, et jusqu’à nous, acéphale et marqué par un certain nombre d’autres lacunes, dont les scènes de la mort de Darius et de la maladie d’Alexandre, c’est-à-dire deux lacunes « impardonnables » dans le récit à cause de leur importance et de leur force dramatique. Les rubriques qui ouvrent et ferment chaque livre et celles qui rythment à l’intérieur les chapitres nous rendent compte de l’état du texte original tel que Decembrio le lit tout en explicitant aussi ses interventions : Incomincia l’istoria d’Alexandro Magno figlio de Filippo re di Macedonia, scripta da Quinto Curcio Ruffo historico eloquentissimo e traducta in vulgare da P. Candido, dela quale questo è il terzo libro ; mancha el primo e’ l sicondo che alla nostra etade non si trovano. (fol. 22 r) Qui finisse el terzo libro del’istoria d’Alexandro Magno re di Macedonia. Incomincia el quarto scripto da Quinto Curcio Ruffo historico eloquentissimo e traducto in vulgare da P. Candido. (fol. 46 r) Qui mancha el principio del sexto libro, como è dicto, seguita una [bataglia] senza el suo principio etiandio data dal re Antipatro, prefeto d’Alexandro, in Macedonia contra gli Lacedemonii, nela quale Agis re di Lacedemonia, famosissimo capitanio in fatti d’arme, virilmente combattendo fu uciso. (fol. 111 r) Quivi mancha alchuna cosa del testo e così sta in tutti gli altri commentarii di Quinto Curcio che si trovano al’etate nostra. (fol. 113 r) Finisse el sexto libro […]. Incomincia el septimo […]. (fol. 136 v) Al nome di Dio omnipotente finisse el duodecimo e l’ultimo libro del’ystoria d’Alexandro Magno, figlio di Philippo re di Macedonia, scripta da Quinto Curcio Ruffo eruditissimo e facundissimo auctore e traducta in vulgare al serenissimo principo Philippo Maria duca di Milano, di Pavia e



Pier Candido Decembrio : Quinte-Curce ET PLUTARQUE 177 Angleria conte, e di Gienoua signore, per P. Candido Decembre suo servo, MCCCCXXXVIII dì XI d’aprille in Milano. (fol. 243 v) [Ici commence l’histoire d’Alexandre le Grand, fils de Philippe, roi de Macédoine, écrite par Quinte-Curce, historien très éloquent, et traduite en langue vulgaire par P. Candido, dont c’est le troisième livre ; le premier et le deuxième livres manquent : à notre époque on ne peut plus les trouver. Ici se termine le troisième livre de l’histoire d’Alexandre le Grand, roi de Macédoine. Ici commence le quatrième livre, qui a été écrit par Quinte-Curce, historien très éloquent, et traduit en langue vulgaire par P. Candido. Ici manque le début du sixième livre, comme cela a été dit précédemment ; ensuite, il y a le récit d’une bataille dont il manque le commencement, livrée par le roi Antipater, préfet d’Alexandre, en Macédoine contre les Lacédémoniens, et pendant laquelle Agis, roi de Lacédémone, capitaine célèbre pour ses faits d’armes, a été tué après avoir lutté vaillamment. Ici manque une partie du texte, le même que dans tous les autres commentaires de Quinte-Curce que l’on retrouve encore à notre époque. Ici se termine le sixième livre […]. Commence le septième livre […]. Au nom de Dieu tout-puissant, ici se termine le douzième et dernier livre de l’histoire d’Alexandre le Grand, fils de Philippe, roi de Macédoine, écrite par Quinte-Curce, auteur très érudit et très éloquent, et traduite en langue vulgaire pour Philippe Marie, prince sérénissime, duc de Milan et de Pavie, comte d’Angeria, seigneur de Gênes, par son serviteur P.  Candido Decembrio, le onzième jour d’avril MCCCCXXXVIII, à Milan.]

En suivant l’accumulation progressive des interventions de Decembrio, nous pouvons aisément identifier les différentes étapes de la mise en œuvre de l’Istoria d’Alexandro Magno ; contrairement à ses autres traductions, il semble qu’ici – peut-être à cause de la fascination exercée par ce personnage – notre humaniste lombard ne puisse jamais écrire le dernier mot.

Première étape Dans la première version de l’Istoria, celle dédiée le 21 avril 1438 à Filippo Maria Visconti, conservée par la plupart des manuscrits13 et transmise à l’imprimerie, Decembrio se préoccupe d’abord de remplir la première des deux 13. Pour une liste des manuscrits et des éditions, je renvoie à M. Pade, « Curzio Rufo e Plutarco nell’Istoria d’Alexandro Magno : volgarizzamento e compilazione in un testo di Pier Candido Decembrio », Studi umanistici piceni, 18 (1998), p. 101-114.

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grandes lacunes relatives aux morts : le récit de la mort de Darius, perdu avec la partie finale du cinquième livre et le début du sixième ; celui de la maladie et la mort d’Alexandre, à la fin du dixième livre, conservé seulement de façon fragmentaire dans le texte de Quinte-Curce. Sans rien occulter de son travail, Decembrio déclare explicitement qu’il recourt à Plutarque : au chapitre 43 de la Vie d’Alexandre pour le premier épisode, au chapitre 76 pour le deuxième. En ce qui concerne le rapport de Decembrio avec le texte de Plutarque, son maître spirituel en matière d’histoire, soulignons d’abord son caractère passionné et aussi très complexe : il s’agit en fait pour lui, helléniste autodidacte, d’une assimilation et d’une découverte progressives tout au long de sa vie. De surcroît, au sujet de la langue grecque, nous devons rappeler que son ample traduction de Polybe avait été réalisée à partir non pas de l’original grec mais de la traduction latine de Leonardo Bruni. De même, son travail harassant sur l’œuvre de Plutarque et sa Vie d’Alexandre, transformant la première traduction de Quinte-Curce en un chantier ouvert pendant de nombreuses années, s’appuie sur la médiation de la traduction latine réalisée par Guarino Veronese. Avec la reprise à Plutarque du récit de la mort de Darius, exemple frappant de la magnanimité d’Alexandre avant son déclin et sa chute dans le vice, les gesta gagnent sans aucun doute en exemplarité de vita : In questa parte, o per difecto di nostri magiori o per pocha cura deli studii e degla litteratura, è perduto el fin del quinto libro e lo principio del sexto sequente, né in alchuno libro di Curcio fra gli latini se trova al presente. E perché l’ystoria dela morte di Dario era imperfecta, P. Candido, ricerchata quella in le lettere Grece e ritrovata ne li libri di Plutarcho magistro di Traiano imperatore, fidelmente gl’a transferita in lingua Latina in questa forma. Vide una persona meza viva nel curro giacere e pocho a finire ad essa restare. La qual, volta, verso di sé da bevere incominciò a rechiedere. Polistrato, pregandoli, l’acqua freda gli dé bere. Alora Dario, Polistrato da l’abito achonoscendo : « O nobile ­huomo – dixe –, questo mi serà fine d’ogni infelicitade poi che la mia sorte in migliore stato cambiare non mi lice. Alexandro per questo a te digne gratie tenda, et a lui li dei similmente, per quella humanitate che verso mia matre, mia moglie et miei figli à demonstrata. Al quale, per te, gli do la mia man dritta. » E queste parole dicendo, prisa la mane di Polistrato con la sua, di subito moritte. Alexandro in quel luogho agionto, un grandissimo dolore, chomo chiaramente si vide, del caso sosstenne, e longamente la fortuna di tanto re compiangendo, levata da sé la veste propria con le sue mano sopra’l corpo morto la dipuose. Dapoi, ornato quelo regalmente, a Sisigambi sua matre el fece mandare. E’l fratello di Dario, per nome Oxatre appellato, con grande humanitate da sé ricevuto, fra li principali suoi amici siego lo retiene. (fol. 111 r-v)



Pier Candido Decembrio : Quinte-Curce ET PLUTARQUE 179 [Dans cette partie, à cause d’une inattention de nos ancêtres ou d’une négligence envers les études et la littérature, la fin du cinquième livre et le début du sixième ont été perdus, et actuellement on ne peut les retrouver dans ­aucun livre de Quinte-Curce parmi les Latins. Et comme l’histoire de la mort de Darius était imparfaite, P. Candido, qui l’a recherchée dans les lettres grecques et l’a enfin trouvée dans les livres de Plutarque, le maître de l’empereur Trajan, l’a traduite fidèlement en langue latine sous cette forme. Il vit une personne à moitié morte qui gisait au fond d’un char et à laquelle il restait très peu de temps avant de mourir. Cette personne se retourna et commença à demander à boire. Ce fut Polistrato qui, en lui tendant de l’eau fraîche, lui en donna. Alors Darius, reconnaissant Polistrato par ses vêtements, dit : « Ô noble homme, cela au moins va mettre fin à mes souffrances, étant donné que je ne peux pas améliorer mon sort. Pour cela, qu’Alexandre vous rende les plus dignes honneurs ; et pareillement, que les dieux soient bienveillants envers lui, pour l’humanité dont il a fait preuve envers ma mère, ma femme et mes enfants. À lui, à travers votre personne, je tends ma main droite. » Et en disant ces mots, il prit la main de Polistrato dans la sienne et mourut immédiatement. Arrivé à cet endroit, Alexandre manifesta une grande douleur face à ce qui s’était passé – on le vit clairement ; et il se plaignit longuement du sort de ce grand roi et ôta sa robe qu’il déposa de ses propres mains sur le cadavre. Puis, il le fit parer de façon royale et l’envoya à Sisigambi, sa mère. Et, faisant preuve d’une grande humanité, il retint près de lui, parmi ses amis les plus chers, le frère de Dario, nommé Oxatre.]

Le fait que ce morceau de texte ait particulièrement frappé la sensibilité de l’auteur est confirmé par sa présence, sous forme de fragment isolé et, cette fois-ci, en latin, au fol. 63 r du complexe zibaldone, « journal de travail » de Decembrio, partiellement autographe14, le manuscrit de Milan, Biblioteca Ambrosiana, R 88 sup.. Le texte latin transcrit par Decembrio est très proche du morceau textuel en langue vernaculaire inséré dans le récit de Quinte-Curce, bien que ce dernier offre aussi quelques détails supplémentaires, au d­ ébut (le char) et à la fin (l’allusion à la mère et au frère). Malgré ces différences, le texte italien demeure toutefois bien plus semblable à ces « notes de travail » de Decembrio qu’à la version latine de Guarino Veronese, c’est-à-dire la traduction humaniste officielle de cette vie de Plutarque qui sera intégrée dans la première édition imprimée des Vitae parallelae sive illustrium (1470). Et il en est ainsi malgré le fait que, nous le verrons bientôt, la version de Guarino 14. M. Petoletti, « Pier Candido Decembrio e i suoi libri : primi appunti », dans Retter der Antike. Marquart Gude (1635-1689) auf der Suche nach den Klassikern, éd. P. Carmassi, Wiesbaden, 2016, p. 147-190.

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Veronese soit la source du long passage de Plutarque ajouté au début du texte dans la deuxième étape de la traduction de Quinte-Curce par Decembrio. En outre, nous ne devons pas négliger un point particulier : contrairement à ce qui se passe dans toutes les autres rubriques, où Decembrio précise avoir traduit le texte « in volgare » (« en langue vernaculaire »), dans les deux rubriques relatives aux morts, celle de Darius et celle d’Alexandre (nouvelle additio sur sa maladie et sa fin), il déclare que le texte a été « transferito in lingua latina » (« traduit en langue latine »). Plus tard, le deuxième prologue dédié à Nuño de Guzmán parlera de « vulgare latino » (« langue vernaculaire latine »), mais pour le récit de cette mort, il n’est pas question de cette spécificité. La référence à la « lingua latina » pourrait être une sorte de vestige linguistique, l’indication indirecte d’une précédente adaptation du grec au latin par Decembrio ; de cette adaptation, le fragment passé entre les pages du manuscrit ambrosien, cette sorte de journal de travail, pourrait représenter un deuxième témoignage (et une confirmation). L’insertion textuelle comblant la lacune à propos de la maladie et de la mort d’Alexandre a beaucoup moins d’impact émotionnel que celle sur la mort de Darius, elle est surtout fonctionnelle, permettant de rétablir la linéarité du récit dans un moment objectivement essentiel : In questa parte mancha el fine del libro decimo, l’undecimo tuto e lo principio del duodecimo. E così sta in tuti gli altri exempii che si ritrovano al’etate nostra, donde si perde una gran parte di belle istorie. E perché el processo del’infirmitate d’Alexandro inante la morte sua per tal diffetto non si puote intendere, P[ietro] C[andido] quella parte da’ libri di Plutarcho di greco in lingua latina fidelmente l’à transferita in questa forma [...]. In li diurnali d’Alexandro in questo modo del’infirmitate sua è scripto. A diecisette giorni dele kalende di Junio, che li Greci el mese d’Asio appellano, in del bagno venendo la febre, incomincioe a dormire. Da po’ lavatosi, nela camera si redusse e per solacio a giuochare a li dadi el giorno si stete. Subsequentemente, tarde levato, e gli sacrifitii agli dei ordinati, già notte essendo, a mangiare si puose. Al giorno tredecimo lavandosi hebbe la febre anchora e un’altra volta l’usato sacrifitio fece agli dei. Dapoi, giacendo nel bagno, con Nearcho stete in piacere, udendo certe cose circa el navichare e del mare magiore. Finindo el decimo giorno facendo el simile, più forte la febre li vene ; e la notte subsequente gravemente stete. E lo dì che dapoi vene dala febre etiamdio fu molto aggravato sì che, transferito da quel luogo, si puose a giacere apresso ad una gran piscina ove con li capitanii suoi hebbe parlamento circa gli ordini dele gente d’arme, di gubernatori bisognando. L’ottavo dì, avendo gran febre, fece sacrifitio e a lo luogo sachro fu portato. Alora ai capitanii principali impuose che dentro la sala dimorasseno, gli altri minori di fuori la nocte vechiando stasseno. Lui oltra



Pier Candido Decembrio : Quinte-Curce ET PLUTARQUE 181 el palacio fu portato. El sexto giorno dormite un pocho quantunche la febre niente cesasse, e venendo li capitanii da lui già la voce perduta haveva. E così stete el quinto giorno dove a li Macedoni apparve che morisse, e venendo ala porta incominciarono a cridare minaciando ale guardie e per forcia intrare volendo. Aperte adonche le porte con li palii vestiti ad uno a uno al lecto aproximarono. Questo giorno medesimo Phitone e Seleucho al templo di dio Serapione mandarono interrogando se Alexandro in quel luogo portare dovevano ; a li qualli el dio che di subito si partisseno gli rispuose. Finindo adoncha el tercio giorno circa l’hora di nona morite. Seguita el resto del duodecimo libro di Quinto Curcio R[uffo] nel quale pare alchuna differentia dale parole di Plutarcho soprascritte perché, inante che Alexandro la voce perdesse, dice lui con le sue gente d’arme dinante la morte parlato havere come segue nel texto. (fol. 230 r-231 v) [Dans cette partie il manque la fin du dixième livre, le onzième livre dans son intégralité et le début du douzième. Il en est de même dans tous les autres exemplaires du texte que l’on peut retrouver à notre époque, ce qui nous a fait perdre une grande partie des belles histoires. Et comme nous ne pouvons bien comprendre le déroulement de la maladie d’Alexandre avant sa mort à cause de cette lacune, P. Candido a traduit fidèlement du grec au latin cette partie tirée des livres de Plutarque [...]. Dans la vie d’Alexandre, sa maladie est ainsi décrite. Le dix-septième jour après les calendes de juin, que les Grecs appellent le mois d’Asio, Alexandre eut la fièvre après le bain et alla se coucher. Après qu’il se fut lavé, il se retira dans sa chambre et passa toute sa journée à jouer aux dés. Puis, il se leva très tard, et, après avoir fait les sacrifices aux dieux, alors qu’il faisait déjà nuit, il se mit à manger. Le treizième jour, tandis qu’il prenait son bain, il eut à nouveau la fièvre, et encore une fois il fit le sacrifice habituel aux dieux. Puis, restant dans le bain, il prit plaisir avec Néarque, en écoutant des récits de navigation et concernant la Mer majeure. À la fin du dixième jour, après des choses semblables, la fièvre remonta encore plus haut et la nuit suivante la situation devint très grave. Le lendemain, il était tourmenté par la fièvre et, enlevé de cet endroit, il fut transporté près d’une grande piscine, où il parla avec ses capitaines de l’armée, étant donné qu’il était nécessaire de nommer des gouverneurs. Le huitième jour, ayant une très forte fièvre, il fit un sacrifice et puis fut transporté dans un lieu sacré. Il ordonna alors que ses capitaines principaux restent dans la chambre, et que les moins importants surveillent toute la nuit dehors. Le sixième jour, il dormit un peu bien que la fièvre n’ait jamais cessé, et quand les capitaines vinrent à lui, il avait désormais perdu la voix. Le cinquième jour, les Macédoniens crurent qu’Alexandre était à l’agonie ; il vinrent à la porte et se mirent à crier, menaçant les gardes, parce qu’ils voulaient entrer. Une fois la porte ouverte, il s’approchèrent du lit, un par un. Ce même jour, Phitone et

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Marta Materni Seleuque firent interroger le dieu Sérapion, demandant s’ils devaient porter Alexandre dans son temple ; le dieu répondit qu’ils devaient partir tout de suite. À la fin du troisième jour, vers la neuvième heure, Alexandre mourut. Ensuite il y a le reste du douzième livre de Quinte-Curce, où l’on observe quelques différences avec la description tirée de Plutarque car il dit que, avant de perdre la voix, Alexandre agonisant parla avec son armée, comme on peut le lire ici.]

Dans ce cas, ce qui a particulièrement attiré l’attention des chercheurs a été la référence à une division inhabituelle de l’œuvre de Quinte-Curce en douze livres, tandis que la division canonique en comporte dix. Toutefois, le manuscrit de Paris, BnF lat. 5720, le Quinte-Curce qui a appartenu à Petrarca, aide à dénouer partiellement l’énigme. En effet, pour la même lacune, nous trouvons dans ce manuscrit (fol. 82 r) une note marginale qui indique « hic deficit finis decimi et principium undecimi » (« ici il manque la fin du dixième et le début du onzième livre »). En raison de cette note et d’autres éléments bien analysés par Enrico Fenzi, la critique a accepté d’identifier ce Quinte-Curce de Petrarca avec le texte de base utilisé par Decembrio pour sa traduction15. Comme d’autres exemples de manuscrits semblables n’ont pas été trouvés pour le moment et qu’il n’est donc pas possible de tracer une comparaison, le point restant à éclairer est la division, originale, du texte de Quinte-Curce par Decembrio en douze livres. Mais l’élément sûrement le plus frappant de cette première version de la traduction de Decembrio est l’ajout de la Comparatione di Caio Iulio Cesare imperadore et de Alexandro Magno re di Macedonia, création originale de Decembrio, dont la présence est bien soulignée par son inscription, dans ­l’espace matériel du manuscrit, « en dehors » du texte de Quinte-Curce. Avec son Istoria d’Alexandro Magno dédiée à Filippo Maria Visconti, Decembrio nous apparaît à la fois comme un traducteur philologue du texte de QuinteCurce, et comme un émule passionné de Plutarque, auquel il recourt pour combler des lacunes du texte latin. Avec la Comparatione, Decembrio, plus royaliste que le roi, écrit de sa propre main ce que son maître Plutarque en réalité n’avait pas écrit, à savoir la sunkrisis entre César et Alexandre. Les deux traductions de Decembrio, celle de César, dédiée à Iñigo d’Ávalos et évoquée plus haut, et celle de Quinte-Curce, finissent donc par constituer une nouvelle version, textuellement beaucoup plus étendue, de la paire des Vies de

15. E. Fenzi, « Petrarca lettore di Curzio Rufo », dans idem, Saggi petrarcheschi, Fiesole, 2003, p. 417-445.



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Plutarque, avec de surcroît une comparaison finale que Plutarque avait laissée de côté : Fra tante diverse e sì differente nature di dui principi, queste conditione pareno uquali : la cupiditate inmoderata dela gloria, la celeritate in prevenire li suoi inimici, la tollerantia extrema d’ogni cosa in le battaglie, e che ciaschaduno, de la conditione humana non contento, Dio tenuto essere voleva. (fol. 9 v-10 r) [Au milieu de tant de différences dans la nature de chacun des deux princes, on peut toutefois voir des éléments communs : le désir démesuré de la gloire, la rapidité avec laquelle ils surent prévoir les réactions des ennemis, la capacité d’endurance pendant les batailles, et enfin le fait que tous deux, ne se contentant pas d’être des hommes, voulurent être considérés comme des dieux.]

Cette comparaison se conclut avec la mise des deux personnages presque sur un pied d’égalité, mais, en même temps, elle ne cache rien de l’ambiguïté inhérente à la nature d’Alexandre, héros de la démesure, divisé entre grandeur d’une part et vice et folie de l’autre.

Deuxième étape C’est en direction d’une biographie complète et exhaustive du Macédonien, présentant donc la vie de notre héros du début jusqu’à la fin et même au-delà – Quinte-Curce continue son récit en incluant les conflits liés à l’héritage politique d’Alexandre –, que la deuxième étape de composition oriente l’histoire d’Alexandre sous la plume de Decembrio. L’humaniste s’engage alors à combler la lacune la plus pénible du texte : le début de la vie d’Alexandre16, à partir de ses origines mystérieuses qui, entre les rêves prémonitoires d’Olympias et les oracles consultés par Philippe, laissent entrevoir une possible origine divine. La recherche d’un autre mécène, Nuño de Guzmán, lui donne l’occasion de réaliser cette deuxième intervention sur le texte, bien plus volumineuse et entièrement dédiée à Plutarque : l’histoire de Quinte-Curce est en effet complétée par les chapitres 2 à 17 de la Vie d’Alexandre de Plutarque. Toutefois désormais, en filigrane du texte de Decembrio s’inscrit sans aucun doute la traduction latine du texte grec par Guarino Veronese, suivie fidèlement, sans écart, même s’il n’inscrit pas le nom de Guarino : 16. Pour l’étude approfondie et l’édition de ce texte, je renvoie à mon article, « Tracce plutarchee fra due penisole nella scia di Decembrio : umanesimi e umanesimi volgari », Revista de Literatura Medieval, 26 (2014), p. 245-297.

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Marta Materni Prologo sopra la parte del’ystoria d’Alexandro Magno figlio di Philippo re di Macedonia traducta in vulgare da P. Candido deli Commentarii di Plutarcho philosopho per supplimento de libri de Quinto Curcio hystorico et inscripto al splendido Nugno de Gusman cavaliere hispano.[…] Ma perché prima da me quelli libri de latino in vulgare erano traducti et intitulati al illustrissimo principo Philippo Maria duca di Milano, me pensai insieme a te piacere et a molti altri utilitare alchuna conferire. Per tal cagione, investigata la prima parte de la dicta hystoria e così alchune altre sequente apresso a Plutarcho eruditissimo auctore, che neli comentarii de Quinto Curcio non si trovano, quelle di greco in vulgare latino a tuo nome ho descripte, non solo per la commoditate deli posteri che questa opra intera legerano, ma per memoria etiandio del tuo nome e deli immortali beneficii tuoi. (fol. 10 r) [Prologue relatif à la partie de l’histoire d’Alexandre le Grand, fils de Philippe, roi de Macédoine, traduite en vulgaire par P. Candido à partir des Commentaires du philosophe Plutarque, en supplément des livres de l’historien Quinte-Curce, et dédiée au grand seigneur Nugno de Gusman, chevalier espagnol. […] Puisque dans le passé j’ai déjà traduit ces livres du latin en vulgaire et que je les ai dédiés à l’illustre prince Filippo Maria, duc de Milan, j’ai voulu maintenant trouver quelque chose qui, en même temps, te fasse plaisir et soit utile à beaucoup d’autres. Pour cette raison, j’ai recherché la première partie de cette histoire ainsi que d’autres parties qui ne sont pas dans le texte de Quinte-Curce, et je les ai trouvées dans l’œuvre de Plutarque, auteur très érudit ; ensuite je les ai traduites du latin en langue vulgaire en ton nom. Et le but de ce travail sera non seulement de faciliter l’accès au texte des lecteurs futurs, qui pourront ainsi le lire dans son intégralité, mais aussi d’assurer l’immortalité de ton nom et de tes grandes actions.]

Seulement quatre manuscrits témoignent de cette deuxième étape. Presque chacun d’eux présente une mise en codex différente : I. Comparatione + Prologue + Vie de Plutarque (ch. 2-17) + Quinte-Curce 1. Modène, Biblioteca Estense, Ital. 249 (Alpha T.5.15), 1455. 2. Palerme, Biblioteca Centrale della regione siciliana, I.E.15, xve siècle (les deux manuscrits sont jumeaux). II. Vie de Plutarque (ch. 2-17) + Quinte-Curce + Comparatione 3. Sienne, Biblioteca Comunale degli Intronati, I.VII.23, xve siècle, Milan. III. Vie de Plutarque (ch. 2-17) + Prologue + Quinte-Curce 4. Cité du Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Barb. Lat. 4044, xve siècle.



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Dans la structure I, nous avons donc la formulation la plus exhaustive de la matière alexandrine selon l’interprétation de Decembrio. Tous les textes sont à disposition, tant les compositions originales de Decembrio que les traductions, et le placement de la Comparatione en ouverture du manuscrit renforce le message « politique » qui pouvait être attribué à ce corpus : les deux plus grands chefs de l’Antiquité sont mis face à face et comparés pour montrer au premier des lecteurs imaginés par Decembrio, c’est-à-dire « il Duca », leurs vices et leurs vertus, afin que la sunkrisis puisse « docere » et pas seulement « delectare ». Au delà des deux cas qui viennent d’être cités (les manuscrits de Modène et de Palerme) et qui concernent la seconde étape de l’élaboration du texte, la succession Comparatione / Quinte-Curce se trouve dans la plupart des témoins manuscrits aujourd’hui connus qui transmettent la rédaction de la première étape (et dont on a pu reconstituer avec certitude la composition interne grâce aux données des catalogues et à la littérature spécifique), c’està-dire dans au moins 11 manuscrits sur les 1917 présentant ce couple textuel. Parmi ceux-ci il ne faut surtout pas oublier le manuscrit de Turin, Biblioteca Reale, fondo Varie 131 : il s’agit du manuscrit qui, transcrit avant 1440 et richement illuminé, appartenait à Iñigo d’Ávalos et qui a été corrigé par Decembrio lui-même. Les décorations ne sont pas moins importantes que les mots, elles représentent au contraire des textes de nature différente. Sans entrer dans les détails, je rappellerai brièvement que ce manuscrit s’ouvre au fol. 1 r par une grande lettre C historiée où Decembrio offre son livre à Filippo Maria Visconti, richement habillé et assis sous un pavillon avec les gentilshommes de sa cour. Suivent les portraits de Alexandre et César, pendants visuels de la Comparatione. Ce modèle structurel semble se marier très bien avec la dédicace aux hommes de pouvoir. Le manuscrit de Catane, Biblioteca Ventimiliana, Vent. 007, s’ouvre, au fol. 1 v, sur l’emblème des princes de Moncada, et se termine, au fol. 205 r, avec la dédicace au prince Giovanni Tommaso Moncada. L’un des manuscrits de Madrid, Biblioteca Nacional de España, 6564 se termine par la lettre adressée au prince et infant Pedro, le fils de Alfonso V d’Aragon, et l’un des manuscrits de Paris, Bibliothèque Nationale de France, It. 2702, interpose 17. L’état d’acéphalie de deux autres ms. (Ferrare, Biblioteca Ariostea, II,  169 ; Madrid, Biblioteca El Escorial, N.III.3), qui aujourd’hui s’ouvrent directement sur le texte de QuinteCurce, ne permet pas d’affirmation certaine en ce qui concerne leur contenu original, et donc la présence ou l’absence de la Comparatione en ouverture ; les autres qui offrent avec certitude ce couple textuel présentent une inversion de l’ordre : Quinte-Curce/Comparatione.

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juste entre la Comparatione et la traduction de Quinte-Curce le portrait de Filippo Sforza. Je rappellerai enfin le fait que la Comparatione, extrapolée, a été l’objet d’une édition imprimée indépendante, réalisée à Perouse en 152018 : sur le recto du frontispice ressortent les représentation des figures de Alexandre et César, tandis que le verso est occupé par l’emblème de Gentile Baglioni, auquel le travail est dédié. Si nous revenons aux manuscrits de la seconde étape de la traduction, la structure II, Vie de Plutarque (ch. 2-17) + Quinte-Curce + Comparatione, que l’on trouve dans un manuscrit transcrit à Milan et corrigé par le même Decembrio (conservé actuellement à Sienne), se caractérise par l’absence de tout prologue : elle nous permet ainsi pour la première fois de sortir un peu du contexte « de cour » et semble renforcer la dimension historique. Une biographie complète suivie par une sunkrisis : ce manuscrit passé entre les mains de Decembrio est sûrement le plus plutarquien du point de vue de la conception structurelle. Le manuscrit conservé au Vatican, enfin, qui correspond à la structure III, Vie de Plutarque (ch. 2-17) + Prologue + Quinte-Curce, nous consigne une dernière variation sur le thème. Avant tout, du point de vue textuel, il est le témoin, unique à ce jour, d’une retouche ultérieure apportée au texte. La lacune au début du sixième livre y est en effet radicalement supprimée (sans soins philologiques) grâce à cette brève intervention textuelle qui permet d’effacer l’interruption de la linéarité du récit : Fra tanto che Alexandro Dario seguiva, li Lacedemonii, per gli antique inimicitie con li Macedoni hahute, per instigatione d’Antipatro, che absente Alexandro alchuna gran facenda per se adoptare desiderava, ala bataglia con queli venero. In la quale, essendo l’una e l’altra parte longamente affatichata, ala fine li Lacedemonii parveno dovere esser superiore. E certo la victoria ottenuta harìano se non che Antipatro, veduti li suoi già dela schiera partire, prise li megliori, in la prima parte ad Agis s’oppose; alora queli che luy circundaveno, per timore del suo re abandonata la pugna, ali Macedoni dedero locho e, rivolta la fortuna de li Macedoni, li Lacedemonii priseno a caciare. (fol. 85 r) [Tandis qu’Alexandre poursuivait Darius, les Lacédémoniens s’engagèrent dans une bataille contre les Macédoniens : il y avait en fait une ancienne inimitié entre eux, et ils furent incités par Antipater qui, 18. La comparatione di Caio Iulio Cesare imperadore & de Alexandro Magno re di Macedonia / P. Candido. Stampata in la magnifica città di Perusia : per Hieronimo de Carthulario, adi XXV de Luglio 1520.



Pier Candido Decembrio : Quinte-Curce ET PLUTARQUE 187 profitant de l’absence d’Alexandre, voulait entreprendre une grande action en toute indépendance. Dans cette bataille les deux parties étaient très fatiguées mais à la fin les Lacédémoniens semblèrent sur le point de dominer. Et ils auraient sans doute obtenu la victoire si Antipater n’était intervenu : voyant ses hommes déjà en fuite, il prit avec lui les meilleurs et alla s’opposer à Agis en première ligne. Alors, ceux qui entouraient Agis, par crainte du roi, abandonnèrent la bataille et cédèrent la place aux Macédoniens : ceux-ci, renversant la situation, commencèrent à poursuivre les Lacédémoniens.]

Mais surtout, cette mise en codex exclut la Comparatione et bien qu’elle réintroduise un prologue, ce dernier, adressé à Nuño de Guzmán, fait appel cette fois à un voyageur et un humaniste, l’enfant illégitime d’une ancienne lignée espagnole qui ressemble à un reflet tardif de chevalier errant, cadet de famille. Tandis que le manuscrit de Sienne met l’accent sur l’imitation de Plutarque, le manuscrit du Vatican, désormais libre de toute référence « politique », y compris celles contenues par l’incipit de la Comparatione, est ainsi le témoin d’une biographie historique d’un héros de l’Antiquité adressée à un amoureux des lettres. La transformation du texte latin en un texte presque nouveau est accomplie : les Historiae de Quinte-Curce sont devenues, au fil de nombreuses années d’activité intense, l’Istoria d’Alessandro Magno de Pier Candido Decembrio, biographie humaniste en langue vernaculaire destinée à « docere et delectare ». Marta Materni LUHCIE, Université de Grenoble Alpes Marie Curie Individual Fellowship

Ad Hispaniae fines: The Iberian Translations of Quintus Curtius Rufus and Fifteenth-century Vernacular Humanism1 In 1440, Milanese humanist Pier Candido Decembrio proudly announced to his noble patron, Duke Humphrey of Gloucester, that his recently finished Latin translation of Plato’s Republic – dedicated to the Duke – was propagating Gloucester’s fame not only in Italy but also “to the extreme ­limits of Hispania2”. As it turns out, Decembrio also dedicated book VI of the Republic to Alfonso de Cartagena, archbishop of Burgos, with whom he had established epistolary contact through Francesco Pizzolpaso, archbishop of Milan3. Their respectful exchange of letters and books was one of the starting points for the early dissemination and intense reception of Decembrio’s work in the Iberian Peninsula during the following decades. Iberian interest in the Milanese humanist’s production was stimulated by texts such as his partial Latin version of the Iliad, which he dedicated to Juan II of Castile, or his vernacular translations of Caesar and Polybius. None of those works, however, would become as popular as Decembrio’s Italian (Lombard) rendition of Quintus Curtius Rufus’s Historiae, initiated at the request of his main patron, Duke Filippo Maria Visconti of Milan, and completed in 1438: the 1. The Danish National Research Foundation (DNRF102ID) and Rhodes College (in the form of a Faculty Development Endowment grant) have provided financial support for this article. We thank Prof. Marianne Pade for her generosity in sharing copies of her work; the staff of the Biblioteca Víctor Balaguer (Vilanova i la Geltrú), for providing us with manuscript images; Profs Kathleen Doyle and Juan Miguel Valero, for their comments on a draft of this article; and Matt Anderson, who worked as a research assistant in the early stages of this essay. 2. “[I]am in fama tuae gloriam atque decus non solum per universam leguntur Italiam, se ad Hispaniae fines usque penetrarunt”, quoted from M. Borsa, “Correspondence of Humphrey Duke of Gloucester and Pier Candido Decembrio”, The English Historical Review, vol. 19, 75 (1904), p. 509-526 (p. 515). 3. Both Pizzolpaso and Cartagena were delegates to the Council of Basel. Decembrio and Cartagena’s epistolary engagement would last until the death of the latter in 1456. See P. Saquero Suárez-Somonte and T. González-Rolán, “Actitudes renacentistas en Castilla durante el siglo XV: la correspondencia entre Alfonso de Cartagena y Pier Candido Decembrio”, Cuadernos de Filología Clásica. Estudios latinos, 1 (1991), p. 195-232. Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 189-211 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115398

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Istoria d’Alexandro Magno (Istoria) remains the point of departure for all the fifteenth-century Iberian re-elaborations of the classical work. The Istoria – together with its companion Comparatione di Caio Iulio Cesare imperadore et de Alexandro Magno re di Macedonia (Comparatione), composed by Decembrio – was an instant success among the Iberian r­ eaders closest to the Milanese humanist: one of the earliest extant manuscripts, based on Filippo Maria’s (now lost) dedication copy, was made for Iberian knight and diplomat Íñigo Dávalos4. A decade later, around 1450, Decembrio revised his Alexandrine narrative by adding a partial translation of Plutarch’s Life of Alexander (Life), which he dedicated to Cordovan aristocrat Nuño de Guzmán – perhaps in an attempt to increase his privileged relationships with Iberian bibliophiles5. Yet the extraordinary popularity of the Istoria and Comparatione among Iberian readers is best reflected in the many copies still found today in Spanish and Portuguese libraries, both in the original Italian and in the Castilian, Aragonese, Catalan, and Portuguese translations created in the fifteenth century, beginning in the 1440s (see Table 1). Five manuscripts of the Istoria (with the Comparatione) can be found in Iberian libraries, of which two were copied in Aragon; seven more codices contain complete or partial translations of Decembrio’s works into Castilian (one by Aragonese nobleman Alfonso de Liñán; one anonymous; and one by Martín de Ávila of the Comparatione alone), while a single witness has transmitted the Portuguese version. In contrast, the Catalan translation by Lluís de Fenollet exists only as an incunabulum, the in-folio volume published in Barcelona by Pere Posa and Pere Bru in 1481. Iberian interest in the work was still ongoing in 1496, when the anonymous Castilian translation was printed6 (Seville, Meinardo Ungut and Estanislao Polono). The popularity of Decembrio’s translation, which also found its way into moral florilegia such as the Floresta de filósofos, makes it relevant not only for the history of Quintus Curtius’s reception at 4. Dávalos arrived at the Milanese ducal court as a hostage after the battle of Ponza (1435), where his master Alfonso V of Aragon had been defeated by a coalition of René d’Anjou’s supporters. The manuscript is Turin, Biblioteca Reale, Varia 131, copied by Tommaso Garimberto and illuminated by the workshop of the “Master of the Vitae Imperatorum”, both at the service of the Visconti. See A. Derolez, Codicologie des manuscrits en écriture humanistique sur parchemin, Turnhout, 1984, vol. 2, no 793; M. Zaggia, “Appunti sulla cultura letteraria in volgare a Milano nell’età di Filippo Maria Visconti”, Giornale storico della letteratura italiana, 170 (1993), p. 161-219 and 321-382 (p. 210), and G. Toscano, “La formación de la biblioteca de Alfonso el Magnánimo: documentos, fuentes, inventarios”, in La Biblioteca Real de Nápoles en tiempos de la Dinastía Aragonesa, ed. G. Toscano, Valencia, 1998, p. 183-219 (p. 200-201, il. 17). 5. See below for more details on this version. 6. See Hélène Rabaey’s contribution in this volume.



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the dawn of the Renaissance, but also as a case study of the cultural relationship between Italy and Iberia and, more generally, of fifteenth-century Iberian vernacular humanism7. The textual and codicological intricacies of both Decembrio’s Alexandrine works and their Iberian versions, together with the traditional lack of interest in vernacular translation, have resulted in a scarcity of critical work on the subject. Fortunately, there exist a handful of key studies: Massimo Zaggia and Marianne Pade have offered invaluable insights into the complex manuscript transmission of Decembrio’s texts8; Angela Moll’s unpublished dissertation remains the best guide for the Iberian translations9, complemented by Marta Materni’s recent work10. Any analysis of the Iberian versions will remain provisional, however, until a full study of Decembrio’s own texts is completed. For that reason, the main section of this essay will pay special attention to the manuscripts themselves, contending that their examination allows for a more nuanced view of the arrival, circulation, and appropriation of Decembrio’s 7. This concept is most widely used in studies of Castilian culture, but it has gained currency among scholars working on other geographical areas as well. See J. N. H. Lawrance, “Humanism in the Iberian Peninsula”, in The Impact of Humanism on Western Europe, ed. A. Goodman and A. MacKay, London, 1990, p. 220-258; “On Fifteenth-Century Spanish Vernacular Humanism”, in Medieval and Renaissance Studies in Honour of Robert Brian Tate, ed. I. Michael and R. A. Cardwell, Oxford, 1996, p. 63-79; “Humanism and the Court in Fifteenth-Century Castile”, in Humanism in Fifteenth-Century Europe, ed. D. Rundle, Oxford, 2012, p. 176-201. For a critical view, see O. di Camillo, “Fifteenth-Century Spanish Humanism: Thirty-Five Years Later”, La corónica, 39/1 (2010), p. 19-66. 8. 31 manuscripts in Italian have been identified thus far. See Zaggia, “Appunti”, p. 216 n. 187; M. Pade, “Curzio Rufo e Plutarco nell’Istoria d’Alexandro Magno: volgarizzamento e compila­ zione in un testo di Pier Candido Decembrio”, Studi Umanistici Piceni, 18 (1998), p. 101-113. 9. A. Moll, Humanismo italiano y Castilla en el siglo XV: El caso de Pier Candido Decembrio (unpublished PhD dissertation), Berkeley, 1993, which supersedes her “Pier Candido Decembrio y España: Estado de la cuestión”, in Actas del II Congreso de la Asociación Hispánica de Literatura Medieval, ed. J. M. Lucía Megías, P. Gracia and C. Martín Daza, Alcalá de Henares, 1992, p. 465-474. Although remarkable at the time of its publication, there are several inexactitudes in A. Bravo García, “Sobre las traducciones de Plutarco y de Quinto Curcio Rufo hechas por Pier Candido Decembrio y su fortuna en España”, Cuadernos de Filología Clásica, 12 (1977), p. 143-185. Some of his errors and new misunderstandings have been perpetuated in the subsequent scholarly production and can even be detected in G. Grespi, Traducciones castellanas de obras latinas e italianas contenidas en manuscritos del siglo XV en las bibliotecas de Madrid y El Escorial, Madrid, 2004, p. 111-116 and 122, and in the database Philobiblon. 10. M. Materni, “Tracce plutarchee fra due penisole nella scia de Decembrio: umanesimo e umanesimi volgari”, Revista de literatura medieval, 26 (2014), p. 245-297 and “Pier Candido Decembrio: una ‘biblioteca’ ibérica de historia clásica”, in Rumbos del Hispanismo en el umbral del cincuentenario de la AIH, vol. 7, ed. L. Guarnieri Calò Carducci, Rome, 2012, p. 35-41.

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works in Iberia, particularly in light of the fertile local tradition concerning Alexander the Great. We will conclude by further contextualizing our manuscript survey and offering some general conclusions.

Manuscripts and Readers of Decembrio between Italy and Iberia Before beginning to examine the manuscripts of Decembrio’s Alexandrine works that may be connected to Iberian readers, it is necessary to address briefly how those works were shaped. In creating his Istoria, Decembrio was mindful of making Quintus Curtius’s account accessible to readers not necessarily well versed in Latin and lacking philological training, such as Duke Filippo Maria and his courtly entourage11. In the case of the Historiae, transmitted with several important lacunae, one important problem was how to make up for them. Decembrio noted and completed two textual gaps, at the end of book V and the beginning of book VI as well as in the middle of book X, with excerpts from his own translation of Plutarch’s Life (concerning the deaths of Darius and Alexander). The resulting work, divided in twelve books12, did not initially supplement the most significant lacuna, spanning books I and II. However, Decembrio was able to offer basic information about Alexander’s birth and childhood by prefacing the Istoria with his Comparatione, a synkrisis or contrast, in the Plutarchian fashion, between the historical figures of Caesar and Alexander. The Comparatione – partial to Caesar, with whom Filippo Maria identified himself – must have been composed just after the Istoria, dated 21 April 1438 in the preface-dedicatory to the Duke. Around 1450, some twelve years after composing his initial version of the Istoria, Decembrio revised his own work, as we mentioned above. In the Istoria’s second redaction, the absence of books I and II was s­ upplemented with a translation of part of Plutarch’s Life, this time largely based on Guarino Veronese’s 1408 Latin text. This new version is extant today in four manuscripts13, three of which also include a dedication to Nuño de Guzmán, maybe as a result of Decembrio’s need for new patrons when his situation in 11. See Marta Materni’s article in this volume. 12. Pade (“Curzio Rufo”, p. 103-107) points out that there were some medieval copies of Quintus Curtius’s work already divided into twelve books. 13. Modena, Biblioteca Estense, ital. 294 (dated 1455); Siena, Biblioteca Comunale degli Intronati, I. VII. 23; Palermo, Biblioteca Centrale della regione siciliana, I. E. 15; and Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Barb. Lat. 4044. The last manuscript does not include the Comparatione. See Zaggia, “Appunti”, p. 214-216, and Pade, “Curzio Rufo”, p. 107-110.



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the Milanese court deteriorated after Duke Filippo Maria’s death in 144714. Nonetheless, the existence of one codex containing the Plutarchian supplement but not the dedication to Guzmán suggests that addressing the Istoria’s new version to him might have been an afterthought15. Finally, at least some manuscripts of the second redaction contain significant paratextual additions: the division of each of the Istoria’s books in smaller chapters and the amplification of the sparse set of marginal annotations (in all likelihood Decembrio’s) that accompanied both the Comparatione and the Istoria in their initial iteration16. These changes may or may not have been part of Decembrio’s revision process, but they will prove significant for the works’ Castilian reception17. With these details in mind, it is possible to survey the Iberian reception of Decembrio’s Alexandrine works, which started when Íñigo Dávalos received his illuminated copy, sometime between 1438 and 1440. The Iberian knight arrived at the Milanese court as the Duke’s prisoner after the Battle of Ponza (1435), in which Alfonso V of Aragon was also captured. But his fortunes soon changed, as Alfonso and Filippo Maria quickly forged an a­ lliance that would prove instrumental in the Aragonese conquest of Naples. Dávalos remained in the Milanese court, where he was granted the title of ducal chamberlain, until 1440, and from the time of his stay onwards he became a political and cultural ambassador between Milan and Naples. During this 14. For a transcription of the dedication to Guzmán, see Moll, Humanismo italiano, p. 124125; and Materni, “Tracce plutarchee”, p. 269. J. N. H. Lawrance has contended that the dedication would have preceded the return of Nuño to Castile in 1440, but this early date seems unlikely. See his “Nuño de Guzmán and Early Spanish Humanism: Some Reconsiderations”, Medium Aevum, 51 (1982), p. 55-85 (p. 67). 15. This is the Siena codex (see n. 13 above). The possibility that Decembrio did not compose the supplement with Guzmán in mind, pointed out by Moll (Humanismo italiano, p. 126), aligns well with Materni’s stemma of the four codices (“Tracce plutarchee”, p. 258-259). 16. Chapter divisions appear in both the Modena and the Siena manuscripts (see n. 13 above); the Modena manuscript also contains the amplified set of glosses. We have not been able to ascertain whether the Siena manuscript also contains these glosses, or to examine any part of the Palermo and Vatican codices. 17. According to Pade (“Curzio Rufo”, p. 111), Decembrio corrected the text of the Siena codex (see n. 13 and 16 above), which means that he was, at the very least, aware of the chapter division in that book. To complicate matters more, there are at least two examples of copies of the first redaction (without the Plutarch supplement) that contain one or both of these paratextual additions, which are related to the anonymous Castilian translation: Real Academia de la Historia (RAH), Cod. 100 contains the fuller set of annotations; the unknown antecedent of the anonymous Castilian translation also had this set and was divided in chapters (more on this below). A fuller study of the Italian manuscript tradition (for which the anonymous Castilian version may prove key) is needed to clarify these conundrums.

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time, Decembrio’s translations served as gifts to strengthen the diplomatic ties between Iberian knight and Milanese lord: not only was Dávalos the recipient of the lavish copy of the Comparatione and Istoria mentioned above, but he also became the dedicatee of Decembrio’s translation of the second book series of the Caesarian corpus and other texts related to Julius Caesar’s wars in Gallia and Hispania18 (c. 1438-1442). Beyond their diplomatic usefulness, these gestures cemented a lifelong friendship between Decembrio and Dávalos, and may also have fed an interest in ancient history among other supporters of King Alfonso’s expansionist policies in both Italy and Iberia. In this way, Dávalos’s role may have been key in the dissemination of the Istoria and Comparatione. Evidence to this effect appears in one of the manuscripts of the Italian Comparatione and Istoria now in Madrid, Biblioteca Nacional de España, MS 6564. After the colophon, this codex includes a Latin epistle through which Angelo, comes Campobascensis, sends an exemplar of Quintus Curtius to the infante Pedro of Aragon (fols 273 v-274 r). Decembrio himself wrote this short letter on behalf of Angelo di Monforte, count of Campobasso († 1450), who fought alongside the Aragonese king during the conquest of Naples, as did Pedro, Alfonso’s youngest brother, until his death there on 17 October, 143819. Although Pedro’s death gives us a terminus ante quem for both the 18. Filippo Maria was the dedicatee of books I-VII of Decembrio’s translation. Dávalos’s own copy is today Cod. 248 of the Österreichische Nationalbibliothek in Vienna. For information on Decembrio’s translations of Caesar, we have relied on H. Schadee, “The First Vernacular Caesar: Pier Candido Decembrio’s Translation for Íñigo d’Avalos with Editions and Translations of Both Prologues”, Viator, 46/1 (2015), p. 277-304. See also Zaggia, “Appunti”, p. 180-182; P. Ponzú Donato, “La creazione di un volgare letterario nella Milano viscontea: Il volgarizzamento dei Commentarii di Cesare di Pier Candido Decembrio (1438)”, in La ­lingua e la letteratura italiana in prospettiva sincronica e diacronica, ed. E. Pîrvu, Florence, 2015, p. 273284; and Moll, Humanismo italiano, p. 157-161. On Dávalos’s prominent career at the service of the Aragonese monarchs, see R. Colapietra, “Il Conte Camerlengo Innigo d’Avalos, prota­ gonista dell’umanismo cortigiano aragonese”, Napoli Nobilissima, 27 (1988), p. 141-149 and 196-202. 19. The epistle (R 158) appears in the second volume of Decembrio’s collected letters. Moll, Humanismo italiano, p. 123. See also V. Zaccaria, “L’epistolario di Pier Candido Decembrio”, Rinascimento, 3 (1952), p. 85-118 (p. 117). On Campobasso, see B. Croce, “Un condottiere italiano del Quattrocento: Cola di Monforte, Conte di Campobasso (I)”, La Critica, 31 (1933), p. 401-430 (p. 407-411). He was sent to Milan in 1438-1440 as a legate of King Alfonso, as noted in R. Sabbadini, “Notizie sulla vita e gli scritti di alcuni dotti umanisti del secolo XV racolte da codici italiani (II)”, Giornale storico della letteratura italiana, 6 (1885), p. 173-176 (p. 174-176). For the date of the infante Pedro’s death (sometimes incorrectly said to have died in the battle of Ponza), see J. Zurita, Anales de la Corona de Aragón, Zaragoza, 1585, Libro XIV,



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letter and the codex that Campobasso sent to the infante, we do not have evidence of the circulation of Decembrio’s works in Aragon proper before the 1460s. MS 6564 must have been produced around 146020, while a similar chronological framing can be assumed for a second codex containing the Italian Comparatione and Istoria copied in Aragon: Madrid, Real Academia de la Historia (RAH), Cod. 100, copied by Lorenzo de Venecia, “neighbour of Calatayud”, a notary of Italian origin documented in the Aragonese city in the 1480s21. As it turns out, Calatayud is near Cetina, whose lord, Alfonso de Liñán († 1468), authored a translation of Decembrio’s texts into Castilian. Liñán owned three copies of Quintus Curtius: one of his own version (probably Madrid, BNE, MS 756522) and two additional codices, one “in Tuscan” and another one seemingly in Castilian23. If these identifications are correct, they would confirm the impression that Decembrio’s Alexandrine works were not widely known in Aragon before 1460, except among a limited circle of readers that had some cultural or family ties with Italy, while they had already

Cap. L. The early circulation of Decembrio’s works in the Aragonese domains in Italy is further confirmed by the illuminated copy in Budapest (Hungarian Academy of Sciences, ms. K 434), dated 22 December, 1438 in Palermo. Zaggia, “Appunti”, p. 332 n. 230. 20. This is a codex with mixed gatherings of parchment and paper, measuring 300 × 220 mm (writing frame 170 × 100 mm, single column). It is written in an Aragonese bastarda and covered with a mudéjar binding. Watermarks are similar to no 3544 of Briquet, dated around 1450-1460. Cf. Moll, Humanismo italiano, p. 218-220. 21. Cod. 100 is a small parchment volume, missing some folios at the beginning, and measuring 217 × 145 mm (writing frame 140 × 92, single column). It is copied in a humanist script. See Moll, Humanismo italiano, p. 267-269. On Lorenzo de Venecia, see M. E. Marín Padilla, “Noticias sobre la familia Lupiel de Calatayud (1482-1488)”, Aragón en la Edad Media, 3 (1980), p. 227-262. This manuscript is closely related to the anonymous Castilian translation (on which more below). 22. This paper manuscript measures 285  ×  217  mm (writing frame 185  ×  117  mm, single ­column) and its initials are adorned with beautiful cadels. A date close to Liñán’s death would apply to this book, copied in a bastarda handwriting almost assimilated to humanist script, since its watermarks are very similar to those of MS 6564. 23. Moll (Humanismo italiano, p. 137) tentatively identifies the “Tuscan” book with MS 6564, but a cursory comparison reveals that either MS 6564 was not MS 7565’s direct model, or Liñán used his second codex to correct MS 6564’s text. Liñán’s own translation is described in the inventory of his books as “el Plutarcho de Quinto Curcio” [Quintus Curtius’s Plutarch], conflating the names mentioned in the initial rubric. The rest of his library, mostly classical authors in Italian and the works of Dante, Petrarch, and Boccaccio, reveals a humanist education, perhaps in Italy, as conjectured by J. F. Utrilla Utrilla, “Una biblioteca nobiliar aragonesa de mediados del siglo XV: Inventario de los libros de Alfonso de Liñán († 1468), señor de Cetina (Zaragoza)”, Aragón en la Edad Media, 7 (1987), p. 177-198.

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become very popular in Castile, as the manuscript evidence we will review makes clear24. One of the earliest manuscripts of Decembrio’s Alexandrine works (if not the earliest) to make its way to Castile was Madrid, RAH, MS 9/5493, which belonged to the kingdom’s greatest bibliophile: Íñigo López de Mendoza25. His ownership is confirmed by the inclusion on the book’s frontispiece of the Mendoza arms, held by two angels, and López de Mendoza’s personal emblem, a helmet26. The manuscript reached the Castilian aristocrat at some point before 1445, a terminus ante quem established thanks to a second codex probably owned by him as well: Madrid, BNE, MS 10171, which includes a Castilian version of the Comparatione by López de Mendoza’s squire Martín de Ávila, together with other short works in translation27. Martín de Ávila 24. There are two additional manuscripts of Decembrio’s original Italian version in Spain (Madrid, Biblioteca Nacional de España, MS 8835 and Real Biblioteca de San Lorenzo de El Escorial, MS N.III.3), although they may have arrived in the sixteenth century or even later. The Escorial copy (parchment, 281 × 198 mm, late fifteenth century) may have been produced in Southern Italy, since it includes copies of some letters by Bernardo Zurlo, Count of Nocera and Great Protonotary of the Kingdom of Naples in 1412. MS 8835 was owned by a Fr. Diego de Urrea in the seventeenth century. If this were the translator and erudite Diego de Urrea († 1615) – which seems unlikely – the book may also have been brought from Naples. See F. Rodríguez Mediano, “Diego de Urrea en Italia”, Al-Qantara, 25/1 (2004), p. 183-201. This is a large volume in parchment (343 × 240 mm), copied in two columns and with fragments of the Historia scolastica and the Book of the Maccabees, referring to Alexander, appended at the end. 25. MS 9/5493 is copied on parchment, measuring 280 × 202 mm (writing frame 179 × 113 mm) in a humanist script. The manuscript may have been sold after López de Mendoza’s death, as he had stipulated for most of his books in his last will. For that reason, it is not mentioned in previous surveys of his library, and it was Moll (Humanismo italiano, p. 121-122) who first called ­attention to the codex’s ownership. Cf. M. Schiff, La bibliothèque du Marquis de Santillane, Paris, 1905; M. Penna, “La biblioteca de los Mendoza del Infantado en el siglo XV”, in Exposición de la biblioteca de los Mendoza del Infantado, Madrid, 1958, p. 13-26; Á. Gómez Moreno, “Don Íñigo López de Mendoza, sus libros y su empresa cultural”, in El Marqués de Santillana 13981458: los albores de la España moderna, Hondarribia, 2001, vol. 2, p. 59-81. 26. White vine initials mark the beginning of the Comparatione and the Istoria, as well as the books in which the latter work is divided. Although still recognizable, the Mendoza arms on fol. 3 r have been erased by a later owner. 27. These are the translations of Leonardo Bruni’s biographies of Aristotle, Dante, and Petrarch; and the Tractado de los officios e officiales de Roma. This small volume measures 207 × 146 mm (writing frame 111 × 76 mm) and is copied in paper, single-column. It is the only witness of the translation by Martín de Ávila, which has been edited by G. Mazzocchi, “La Comparazione di Pier Candido Decembrio nella traduzione di Martín de Ávila (BNM, Mss. 10171)”, in La traduzione della letteratura italiana in Spagna (1300-1939), ed. M. Muñiz Muñiz, Florence, 2007, p. 183-206. On Martín de Ávila and his other translations for Santillana, see J. M. Valero Moreno, “Petrarca introduce a Boccaccio. Martín de Ávila, intermediario cultural, y



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dedicates his Comparación to his master, the Lord of La Vega (fol. 62 v), a title that López de Mendoza would not use after he was named Marquis of Santillana in 144528. As for this manuscript’s origin, Moll has speculated that it was Decembrio himself who had it commissioned and sent to López de Mendoza29, but the arrival of this luxurious codex in Castile may instead be related to the nobleman’s Aragonese connections. A closer examination of the manuscript will allow us to make our case for the second hypothesis. MS  9/5493’s colophon states that the codex was copied by a Nicola Zaccaria in Itri, a city that belonged to the Kingdom of Naples and was then under the jurisdiction of Onorato II Gaetani († 1491), Count of Fondi and logothete and protonotary of King Alfonso V30. It seems therefore likely that the manuscript originated in the entourage of Count Onorato, a patron of arts and letters – mostly in the vernacular – and prominent member of the royal Neapolitan court. The codex’s decoration is also highly significant, as it tracks its journey from Italy into Castile. The Italian white vine initials that mark the beginning of each book suggest a date in the early 1440s, since this type of illumination, first developed in Florence, was extremely rare in the South until the establishment of the Aragonese dynasty in Naples31. In contrast, the distinctively Flemish angels showing banners with the names La Vega and Mendoza, which Moll related to other codices commissioned by Decembrio, were added, together with the rest of the frontispiece, once the manuscript arrived in Castile32. These additions are, in fact, the work of the miniaturist who illuminated a privilege letter of King Juan II, dated 1447 and el prólogo de la traducción castellana de las Genealogiae. Primeros apuntes”, Medioevo Romanzo, 19 (2005), p. 455-471 (p. 458-461). 28. Moll, who first dated MS 9/5493, has explained that Martín de Ávila based his translation of the Comparatione on the future marquis’s codex. See Moll, Humanismo italiano, p. 144. 29. Moll, Humanismo italiano, p. 121-122. 30. Copiato in ytro per me presbyte Nicola / Zaccaria Seruo de xpo. et de sancta Ma. Cf. P. O. Kristeller, Iter Italicum. IV: Great Britain to Spain, Leiden, 1989, p.  515. On Gaetani, see A. Ryder, The Kingdom of Naples under Alfonso the Magnanimous, Oxford, 1976, p. 219-221. By the early 1440s Íñigo Dávalos and Gaetani had already forged a close alliance, to the extent that the Iberian knight would eventually marry Gaetani’s niece, Antonella d’Aquino, in 1452 (Colapietra, “Il Conte”, p. 142-143). 31. Alfonso V established his provisional court in Gaeta, not far from Itri, from 1436 to 1442. The adoption of the Florentine bianchi girari has traditionally been dated after 1444, when Cosimo de’ Medici sent the Aragonese king a copy of Livy’s Decades (Toscano, “La formación”, p. 202-203 and 215). 32. The angels mentioned by Moll (Humanismo italiano, p. 122), which appear in the frontispieces of other copies of Decembrio’s historical works, are of a much later date (Milan, c. 1460) and attributed to the Master of Ippolita Sforza. See C. M. Pyle, “Harvard MS Richardson 23:

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addressed to Brianda de Luna y Mendoza, wife of Diego Hurtado de Mendoza and, therefore, the Marquis’s daughter-in-law33. The similarities in the calligraphic ornamentation of the Latin poem in praise of López de Mendoza that prefaces MS 9/5493 and the explicit found at the end of MS 10171 (fol. 114 v), mentioned above, substantiate the conjecture that the Castilian interventions in the codex took place shortly after it reached its destination34. If MS 9/5493 was produced in Naples and Decembrio – still at the service of Filippo Maria Visconti – played no part in its conveyance to Castile, how did the codex get into López de Mendoza’s hands? The Neapolitan provenance of the codex suggests that the Castilian aristocrat’s close ties with the Aragonese royal family may be at play here. López de Mendoza was an important supporter of the Castilian interests of Alfonso V’s brothers, opposed to King Juan II’s powerful favourite, Álvaro de Luna. Thus, the manuscript would have been sent to the Castilian aristocrat before he distanced himself from the Aragonese party, around 144435. What is more, the channel through A ‘Pendant’ to Vatican MS Urb. Lat. 276 and a Significant Exemplar for P. C. Decembrio’s Opuscula Historica”, Scriptorium, 42/2 (1988), p. 191-198. 33. Madrid, Biblioteca de Francisco Zabálburu, MS 11-163. F. Villaseñor (El libro iluminado en Castilla durante la segunda mitad del siglo XV, Segovia, 2009, p. 74-75), who does not mention RAH MS 9/5493 in his survey, includes this letter in the same group as other manuscripts made for Santillana and related to the royal court. This frontispiece, which includes one of the earliest grisailles in fifteenth-century Castilian illumination, deserves detailed study, especially since its creation in the early 1440s may alter the customary dating of the introduction of Flemish trends in Castilian painting; this is generally associated with the arrival of Jorge Inglés in Castile, where he worked for López de Mendoza in the so-called Retablo de los Ángeles, c. 1454. 34. The poem, not copied in the humanist script used in the rest of the volume, praises López de Mendoza’s military victory at Huelma in 1438: “Ignicus ista lupus ingencia menia Huelme / Magnanimus Christe bello tibi tradidit et vi / Quam fera barbaries totos dommata per annos / Gens inimica tibi fuerat cum vergeret Anno / Millenusque quater centum trigenus et octo.” (“The great-souled Íñigo López handed over to you, O Christ, those huge walls of Huelma in war, and by the force, which the savage barbarian (used), a race (which) had been hateful to you through all the years, it (was) tamed in the year 1438.”) We would like to express our gratitude to Profs Helena de Carlos and David H. Sick for their help in the translation of this complicated text. Although it was not copied by the same hand as MS 10171’s explicit, they share a common aesthetic in the arrangement of the text and the use of cadels to highlight the initial. Despite Moll’s contention (Humanismo italiano, p. 122), there is no evidence that Decembrio was the author of the poem, which might be the work of Martín de Ávila himself or of Tomaso Morrone da Rieti, who visited Santillana in the Granadine frontier in 1439 and was knighted by the Castilian aristocrat. See Á. Gómez Moreno, España y la Italia de los humanistas: Primeros ecos, Madrid, 1994, p. 303-305. 35. Santillana’s political poetry tracks this shift in his allegiances, as explained by J. H. N. Lawrance, “Santillana’s Political Poetry”, in Santillana: A Symposium, ed. A. Deyermond,



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which this manuscript reached López de Mendoza may well have been Íñigo Dávalos, who in addition to serving, as we mentioned, as a cultural ambassador between Milan and Naples appears to have occasionally fulfilled the same function in Castile, sending (in 1441) a copy of Decembrio’s Latin translation of the Republic to Juan II36, as well as providing the Castilian magnate with Italian books other than this Neapolitan codex37. Although the copies of the anonymous Castilian translation of Decembrio’s Istoria and Comparatione do not have the prestigious credentials of the Italian manuscript owned by López de Mendoza, they prove the rapid but sustained popularity of the vernacular Quintus Curtius in Castile. The anonymous Castilian Historia de Alexandre Magno (Historia) and Comparación de Gayo Julio César emperador máximo e de Alexandre Magno rey de Macedonia (Comparación) exist in five manuscript copies (in addition to an ­incunable edition) and a single codex of a Portuguese version, as we shall explain. Among the codices containing the anonymous Castilian translation, four were probably created in the 1450s-1460s (Madrid, BNE, MSS 8549, 9220 and 10140, and Vilanova i la Geltrú, Biblioteca Victor Balaguer, MS 3), while the fifth one (Madrid, Biblioteca de Palacio, MS II/1920) can be dated later, London, 2000, p. 7-37 (p. 21-29). This aligns with the dating of the Neapolitan manuscript before 1445, when López de Mendoza receives his title of Marquis of Santillana precisely as a reward for fighting alongside King Juan II and Álvaro de Luna in the Battle of Olmedo. 36. “[P]ro rege Hispaniae a milite insigni domino Ignigo nuper expetita et integre transcripta” (“On behalf of the king of Spain by the distinguished knight don Íñigo recently requested and wholly transcribed”), said Decembrio in a letter to Gloucester about his translation of Plato. See T. González Rolán, A. Moreno Hernández and P. Saquero Suárez-Somonte, Humanismo y teoría de la traducción en España e Italia en la primera mitad del siglo XV, 2000, Madrid, p. 64. The full letter is transcribed in Borsa, “Correspondence”, p. 517-518 (where the editor erroneously replaces “Henico” with “Henrico”). 37. At least two books connected to Dávalos may be related to López de Mendoza’s library. The first is Madrid, BNE, MS 10301 (Milan? c. 1440?), containing the Italian translation of Polybius’s Histories by Decembrio, with Dávalos’s autograph ex-libris. It belonged to the Osuna library, an important part of which was made up of the Marquis’s books; although the codex may have entered the library later. Schiff, La bibliothèque, p. 37-38. The second is Valladolid, Biblioteca de Santa Cruz, MS 301, finished on March 26, 1440 in Milan, in Íñigo Dávalos’s camera. It contains Caesar’s De bello gallico and has the ex-libris of Pedro González de Mendoza, Íñigo López de Mendoza’s son (future cardinal and founder of the library where the book is still kept). M. I. Guijosa, “Precisiones en torno a la historia y a la filiación del ms. Bibl. Colegio de Santa Cruz, 301 de Valladolid (Bellvm Gallicum de César)”, Minerva, 20 (2007), p. 111-129. Dávalos has also been proposed as the “relative and friend” of López de Mendoza who brought him a copy of Decembrio’s Latin translation of the Iliad, which the Castilian aristocrat asked his son Pedro to translate into Castilian. See Di Camillo, “Fifteenth-century”, p. 32-33.

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but still in the fifteenth century38. The only dated codex of this translation is MS 8549, signed in the colophon by a Tomás de Lira, alaman (German), in 1454, which is thus the terminus ante quem for the translation itself; MS 9220 appears in the inventory of the books of the Hospital of Medina de Pomar (1553) and, as such, may have been owned by Pedro Fernández de Velasco, Count of Haro39; MS 10140 was part of the library of López de Mendoza’s descendants, the Osunas40; the Vilanova codex, which does not contain the Comparación, is of unknown provenance41; the Palacio copy was owned by a Francisco de Villamayor at some point during the sixteenth century. In addition to enjoying an active manuscript transmission, the anonymous Castilian translation was printed in 1496, as previously mentioned, by Meinardo Ungut and Estanislao Polono in Seville. All five codices and the incunabulum contain the same anonymous translation, and differ from most Italian codices in their paratextual organization. In the Iberian translation, the text of each of the Historia’s books has been organized in chapters using the same division that appears in some copies of the Istoria’s second redaction, but with rubricated chapter titles that are independent from their Italian counterparts. In addition, the Castilian version also translates and augments the amplified set of marginal annotations found in at least one copy of the second Italian redaction and, more significantly, in a later witness of the Comparatione and the Istoria of Aragonese provenance mentioned above, RAH Cod. 100. It appears, therefore, that despite the similarity in their paratextual elements, the exemplar of the anonymous Castilian 38. MS 8549 is 350 × 210 mm (writing frame 187 × 100 mm), copied on paper with one pen-flourished initial at the beginning and simple capitals for the rest of the book. MS 9220 is 301 × 225 mm, copied in two columns (writing frame 177 × 140-120 mm between columns). Although the manuscript is copied on paper, the first folio is parchment and has a delicate pen-flourished initial and cascades enclosing the text. MS 10140 is a paper codex, measuring 290 × 212 mm (writing frame 161 × 120 mm), less ornate than the preceding examples. The Vilanova codex is also copied on paper, with a mise en page very close to that of MS 10140. It measures 270 × 220 mm (writing frame 190 × 130 mm). The Palacio manuscript was copied on paper, in a Gothic cursive hand, and measures 283 × 210 mm (writing frame 200 × 125 mm). Blank spaces were left for initials. 39. See J. H. N. Lawrance, “Nueva luz sobre la biblioteca del Conde de Haro: El inventario de 1455”, El Crotalón, 1 (1984), p. 1073-1111 (p. 1101, no 116). It was not among the books donated by the Count of Haro himself in 1455, despite the assertion by Moll, Humanismo italiano, p. 153. 40. This codex may have been part of another of the noble libraries that also went into the Osuna library’s formation. 41. There is no reason to assume that the Historia was intended to be accompanied by the Comparación in this manuscript, despite the assertion to the contrary by Moll (Humanismo italiano, p. 129). The book was donated to Balaguer by Francisco Luis de Retés in 1884.



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translation was not a copy of what we have termed the second redaction of Decembrio’s Alexandrine works (since the translation does not include the Plutarchian supplement), but a manuscript very similar to Cod. 100 that also had chapter divisions, although probably not chapter titles, which the makers of the Castilian version created on their own. Among the manuscripts of the anonymous Castilian translation, there is one clear outlier: MS 9220, which differs from the rest in its visual arrangement, the content of its rubrics, and the order in which the two works it comprises are presented. It is copied in two columns, a traditional layout for historiographical codices that is only shared by the much later Seville edition, rather than the single column of all the other Castilian manuscripts. None of its chapter rubrics coincide with those of the other copies of the translation (or with their Italian counterparts), although they are found at the same points in the text. Most significantly, MS 9220 is the only one of these witnesses to keep the order found in the early Italian manuscripts, such as the ones described above, in which the Comparatione precedes the Istoria42. What, if anything, should we make of these differences? The collatio of the Comparación’s extant witnesses carried out by Moll does not offer answers to this question, since it does not provide enough evidence to propose even a tentative stemma – although, in revealing that none of the examined texts are significantly close to each other, it makes clear that, by 1460, Decembrio’s Alexandrine works had been copied many more times than the existence of four early manuscripts may suggest43. With this information in hand, one might speculate that the creators of MS 9220, probably working from an unrubricated copy, were active on two fronts: first, they would have changed the texts’ order (chancing upon the original sequence of Decembrio’s works); second, they would have created the content for their own rubrics. The s­ ingle codex containing the Portuguese translation of Decembrio’s Alexandrine works will allow us to confirm the second hypothesis and discard the first one. The Portuguese Comparaçom de Gayo Julio Cesar emperador maximo e Alexandre Magno rey de Maçedonia (Comparaçom) and Estorya de Alexandre Magno (Estorya) exist today in Lisbon, Biblioteca da Ajuda, MS 52-XIII-24, 42. The Vilanova manuscript only contains the Historia. Judging from the manuscript inventory in Pade (“Curzio Rufo”, p. 111-113), a similar change in order in the Italian manuscripts seems to parallel the translation of Decembrio’s Alexandrine works from Lombard into Tuscan. 43. Moll considers five witnesses: the incunabulum and all the manuscripts except for Vilanova, which does not contain the Comparación. The only two manuscripts that might be closer to one another are the Palacio manuscript and the 1496 edition, which share a higher number of variants than other codices. Moll, Humanismo italiano, p. 129-132.

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and remain anonymous44. The codicological analysis of the manuscript, whose makers or commissioners are unknown, is consistent with a date in the middle decades of the century, although its script and illumination do not resemble those of the books commissioned by the infante Pedro of Avis, Duke of Coimbra, or his son of the same name, Constable of Portugal45. A cursory comparison of the Portuguese Comparaçom and Estorya to their anonymous Castilian counterparts makes clear that the latter were used as the basis for the former46. What is more, by examining the Portuguese translation against individual witnesses we can make two important observations: first, the Portuguese text is closer to MS 9220 than to the other witnesses; second, the Portuguese Estorya’s chapter rubrics do not coincide at all with those in MS 9220, but are the same as in all other extant witnesses of the Historia47. 44. This is a parchment manuscript, measuring 297 × 236 mm (writing frame 221 × 145 mm) and copied in one column of text, with fine pen-florished initials. It is incomplete (lacking its final folio). For a brief description, see E. M. Oliveira, O Alexandre Português. Edição da tradução portuguesa do manuscrito “História de Alexandre Magno” de Quinto Cúrcio Rufo, com o texto da “Comparação” de Pietro Candido Decembrio (unpublished PhD dissertation), Santa Barbara, 2011, p. 132-138. There is a seventeenth-century annotation on fol. 164 v mentioning João de Castro, who could perhaps be identified as the II Count of Monsanto (1440-1496). Further evidence would be needed to prove the involvement of this noble Castro family in the translation and/or copy of this manuscript. 45. There is no trace of the work of Quintus Curtius in the Portuguese royal inventories analyzed by A. A. Nascimiento, “As librarías dos príncipes de Avis”, Biblos, 69 (1993), p. 265287. However, the Condestable had an Alexandre, en ffrances (no  10, perhaps the Roman d’Alexandre), as well as a book entitled De vita et moribus Alexandri Magni (no 51). C. Michaelis de Vasconcelos, Tragédia de la insigne reina doña Isabel, Coimbra, 1922, p. 123-124 and 134-135. The latter must have been the Latin Quintus Curtius owned by Carlos de Viana and mentioned in the inventory of his library as De vita et moribus Alexandri Magni cum Quinto Curcio. L. Brocato, “Leveraging the Symbolic in the Fifteenth Century: The Writings, Library and Court of Carlos de Viana,” La corónica, 40/2 (2012), p. 51-92 (p. 85, item 65). This was first suggested by M. Menéndez Pelayo, Bibliografía Hispano-Latina Clásica, vol. 3, Madrid, 1952, p. 305-306; Josefina Planas has identified this book as a copy of Quintus Curtius that the Prince of Viana commissioned in Naples, probably illuminated by Guillem Hugoniet. J. Planas, “Los codices miniados de la biblioteca del Príncipe de Viana: un intento de reconstrucción,” Anales de Historia del Arte, 27 (2017), p. 17-43 (p. 23, 26 and 28). 46. This is particularly clear when the anonymous Castilian translator uses binomial pairs to render one Italian word and the Portuguese version keeps either both terms or the one that is more distant from the Italian: e.g. “animi plebei” (Italian), “ánimos plebeyos o populares” (Castilian), “entẽdimentos populares” (Portuguese); “stimulate” (Italian), “estimulados o afeccionados” (Castilian), “afeiçoados” (Portuguese); “narratione” (Italian), “narración o recontamiento” (Castilian), “relaçom ou recontamento” (Portuguese), etc. 47. There are differences between the Portuguese rubrics and all the standard Castilian ones (that is, those present in all manuscripts except for MS 9220) until the middle of book III, but



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The latter characteristic suggests that either MS 9220 was left unrubricated and later completed without access to its model or that this model or another exemplar was itself unrubricated. More importantly, the ties between the Portuguese version and MS 9220 suggest that the latter codex did not invert the order of the Comparación and the Historia: on the contrary, there existed at the very least one more manuscript with this configuration, even though the inversion that we see in all the other witnesses took place at an early moment in the Castilian works’ circulation48. Interestingly, a similar reorganization took place in the Italian transmission of Decembrio’s Alexandrine works: later manuscripts that contain a Tuscan version of the Lombard Istoria and Comparatione also postpone the latter work. This is not the only instance in which the Italian and Iberian traditions carry out similar revisions, seemingly in an independent manner. Yet another case is Decembrio’s use of Plutarch’s Life as a way to complete the missing books I and II in the aforementioned second redaction, which also has a parallel in the two Iberian translations developed in Aragon. This fact is particularly striking, since it does not appear that the Istoria’s second redaction circulated in the Iberian Peninsula, despite having as its dedicatee Nuño de Guzmán49. Liñán added, at the beginning of his Comparación and Historia, a section of Plutarch’s Life (roughly but not exactly the same as Decembrio’s) as found in Juan Fernández de Heredia’s Vidas semblantes, which he translated from Aragonese into Castilian50. In his Història del gran rey Alexandre (Història) and Comparació de Caio Julio Cèsar emperador grandíssim e de after that they are always aligned. E.g. “De cómo Alexandre mandó matar a Sisene, caballero suyo, por sospecha d’él que lo querié matar” (MS 10140) and “De como Alexandre mandou matar Sisene, caualeiro seu, por sospeita que ouve dele que o queria matar” (MS Ajuda) vs. “Del consejo qu’el rey Darío tovo para dar la batalla a Alexandre e cómo mató un cavallero porque le dezía la verdat” (MS 9220). 48. Since all of the manuscripts of the Italian Comparatione and Istoria that we know circulated or were produced in Iberia during the fifteenth century present the initial order of texts, it seems unlikely that the inversion of the Castilian translations (which had taken place by 1454) was inspired by the parallel movement that took place in the Italian copies (see n. 42 above). 49. In contrast, Decembrio’s Italian translation of Seneca’s Apocolocyntosis Claudii, made at Nuño’s request, now only exists in a Castilian version (Madrid, BNE, MS  18136). See Moll, Humanismo italiano, p. 167-169; Lawrance, “Nuño de Guzmán”, p. 60 and 67; Zaggia, “Appunti”, p. 216. 50. Moll (Humanismo italiano, p. 133-138) first advanced this hypothesis, now confirmed by Materni (“Tracce”, p. 253-255) after a comparison with the preserved Italian translation of Heredia’s work. On this section of the Vidas semblantes, now lost, see J. M. Cacho Blecua, El gran maestre Juan Fernández de Heredia, Zaragoza, 1997, p. 92-102.

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Alexandre Gran rey de Macedonia (Comparació), Fenollet, who had access to Liñán’s version but carried out his own independent work, made more extensive changes: he added the same passage from Plutarch, but used as a point of departure Guarino Veronese’s Latin version, as befitted a more narrowly humanistic enterprise, and displaced the Comparació to the end of the book51.

Parallel (Literary) Lives: Vernacular Humanism in Milan, Naples, and Iberia The rich evidence provided by the manuscripts and incunabula surveyed above cannot be interpreted here in full because of space constraints. We will therefore limit ourselves to offering some general conclusions. The most obvious one is that the proliferation of codices containing the vernacular Quintus Curtius – whether in Decembrio’s Italian translation or in the multiple Iberian versions derived from it – in Iberia c. 1440-1460 has no parallels outside the Italian Peninsula. The reception of Decembrio’s Alexandrine works took place contemporaneously among the Milanese, Neapolitan, and Iberian courtly elites, who were interconnected through their shared interest in Alexander the Great. Consequently, our survey has brought to the fore the figures of several noble bibliophiles who were instrumental in creating this piece of the cultural bridge between Italy and Iberia, such as Nuño de Guzmán, Íñigo López de Mendoza, and, above all, Íñigo Dávalos, who ­emerges as a pivotal figure in this dialogue. Not by chance, Dávalos enjoyed the high esteem not only of Decembrio, but also of other humanists like Francesco Filelfo or Guiniforte Barzizza, while his bellisima libreria gained praise from Vespasiano da Bisticci52. The Castilian and Aragonese reception of Decembrio’s Alexandrine works evinces separate and distinctive patterns in regard to book production, 51. Fenollet also added a passage from Plutarch to the Istoria’s book VI and included paratextual elements: chapter divisions (independent of their anonymous Castilian counterparts) and a table of contents. See Moll, Humanismo italiano, p. 138-142, and a transcription of Fenollet’s translation from Guarino in M. Á. Sequero García and O. Serrano Monteagudo, “Edició crítica de la Història d’Alexandre de Lluís de Fenollet (capítols 1-9): Una adaptació de Plutarc”, Troianalexandrina, 10 (2010), p. 153-179. By this date, Fenollet could have accessed the Tuscan version, which as we have explained places the Comparatio at the end; however, a cursory comparison of Fenollet’s translation of Decembrio’s initial and final rubrics seems to point to the original Lombard, with the Comparatio at the beginning, as his point of departure. 52. Toscano, “La formación”, p. 200.



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circulation, and creative engagement with the texts. The first Iberian contact with the Comparatione and Istoria that we can document – Dávalos receiving his copy almost at the same time as the Duke of Milan – is directly related to Aragonese territorial expansion in Italy: indeed, Decembrio’s works soon became well known in the Crown of Aragon’s Italian territories. Unexpectedly, however, the vernacular Quintus Curtius seems to have reached Castile before it did Aragon proper, and to have fuelled a renewed Alexandrine fever there, judging from the eagerness with which Decembrio’s works were translated and disseminated. The Castilian readers who spearheaded the circulation of the vernacular Quintus Curtius in the 1440s and 1450s belonged to the courtly elites, tied through family and political networks to their counterparts in Milan and Naples, with whom they shared intellectual preoccupations. It is in all likelihood through these same courtly networks that the anonymous Castilian version came to be translated into Portuguese, perhaps to make the story of Alexander the Great’s conquests even more readily accessible to a circle of readers poised to support a similarly ambitious program of territorial expansion in Africa. In contrast, the later reception of Decembrio’s Alexandrine works in Aragon may have involved a more diversified readership: the Comparatione and Istoria, copied in their original Lombard on Aragonese soil, may have been destined for an audience of Italian merchants or prominent citizens of active commercial settlements, such as Zaragoza or Calatayud53, while Aragonese aristocrats with Italian possessions, or those who had been educated in Italy, such as Alfonso de Liñán, were also potential readers. Even though those noblemen living closest to the Castilian frontier, such as Liñán, or otherwise having close ties to Castilian courts, may have had access to the anonymous Castilian version, there is no evidence that it circulated in the kingdom of Aragon; nor can we determine whether Liñán was aware of its existence when he carried out his own translation into Castilian and completed it with the supplement taken from Fernández de Heredia’s pioneering translation of Plutarch. The single extant copy of Liñán’s version, perhaps the author’s own, led Moll to hypothesize an extremely limited diffusion for this translation54. Even though this seems to be the case, the Valencian Lluís de Fenollet did 53. Both MSS BNE 6564 and RAH Cod. 100 have multiple marginal annotations in Italian, in addition to their respective set of glosses. Zaragoza was also an area where Angelo Decembrio, Pier Candido’s brother, spent considerable time between 1458 and 1465. F. Gualdoni, “Sulle trace di Angelo Decembrio, umanista milanese tra Napoli e Spagna (1447-1462)”, Italia Medioevale e Umanistica, 49 (2008), p. 125-155 (p. 141-154). 54. Moll, Humanismo italiano, p. 137-138.

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have access to Liñán’s version when working on his Catalan translation of Decembrio’s Istoria and Comparatione, although he eschewed Liñán’s translation of Plutarch (perhaps thinking it old-fashioned and lacking in Latinate flavor) in favour of his own version from Guarino Veronese’s Latin55. All in all, the versions created in Aragon were, unlike the anonymous Castilian one, particularly concerned with shaping a full version of the Alexandrine narrative and mining additional local and Italian texts about Alexander to this end. The anonymous Castilian version also shows a preoccupation with perfecting its Italian model, although in this case the focus is on completing the move towards a more usable text. The process had been set into motion in the Italian copy used as the basis for the Castilian translation, which had taken steps to make the Istoria more accessible by dividing it into chapters and including additional marginalia. Although further research is needed to determine whether Decembrio himself had anything to do with these changes, it is tempting to imagine the Milanese humanist revising his earlier work by applying to it the techniques that Alfonso de Cartagena had encouraged him to use so as to make his translation of the Republic more accessible – even if, of course, the stakes were incomparably lower for the vernacular Quintus Curtius56. The Castilian translation not only added its own chapter rubrics but also, in at least one instance, used them to create a table of contents at the beginning of the book (MS 10140, fols 2 r-14 r), a device that we only find in the Catalan version printed in 1481, as concerned with usability as its Castilian counterpart57. The transformation, thanks to the chapter divisions and the augmented set of marginal annotations, of what had been a long and unwieldy Istoria into a much more accessible work may have made it easier to relocate the Comparatione to the book’s end. In the versions without chapters, Decembrio’s shorter work would have served as an introduction to, and perhaps even a substitute for, Quintus Curtius –a function that decreases in importance as the Istoria becomes more manageable. 55. Fenollet’s claim to have consulted Castilian and Latin sources in the book’s colophon is born out by his use of Liñán and Guarino Veronese. Moll, Humanismo italiano, p. 141. 56. It was Cartagena who suggested that Decembrio divide his translation of the Republic into chapters; the copy that the Milanese sent to the Castilian bishop is, in addition, the one that has the fullest marginalia. J. Hankins, Plato in the Italian Renaissance, Leiden, 1990, vol. I, p. 133. See also G. Olivetto, “Si quid deterius a me prescriptum est, emendationis tuæ baculo castigues: Cartagena, Decembrio y la República de Platón”, in El texto infinito: Tradición y reescritura en la Edad Media y el Renacimiento, ed. C. Esteve, Salamanca, 2014, p. 905-17 (p. 908). 57. Concern with accessibility was even more common for printed books (although we do not find a similar table of contents in the Castilian incunabulum).



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Further, the anonymous Castilian translator also continued the process of amplifying the already generous marginal notes that appeared in his model for both the Comparatione and the Istoria. The attention paid to these marginalia in both the Italian and the Castilian context reveals that Decembrio’s works were the object of serious study by their non-Latinate owners, noblemen – and, later on, urban elites – who had developed a deep interest in the classical world, and who were not only accumulating books dealing with ancient history, but also creating, or having created for them, the necessary aids allowing for a fuller comprehension. In the Castilian case, the resulting marginalia not only add details to extant notes, but also attempt to exhaust the Italian annotations’ main areas of interest: places where the action happens; sections with rhetorical value, such as letters or discourses; important events affecting the plot, such as battles or deaths; clarifications of potentially obscure terms. An additional feature that appears to be particular to the Castilian version is the addition of notes highlighting moral observations suitable for culling as independent sententiae58. As a matter of fact, two codices containing excerpts from Quintus Curtius’s Historiae show to what extent the work could be mined as a repository for moral and political wisdom. Both collect maxims extracted from the Historia: one lists thirty-three “Sayings of Quintus Curtius” at the end of a manuscript containing Alfonso de Cartagena’s translations of works by, or attributed to, Seneca; the other, a florilegium known as the Floresta de filósofos, related to Fernán Pérez de Guzmán, offers in its section on Quintus Curtius a much more generous selection, of one hundred and forty-six sententiae59. The first of these two selections, which seems to have used the Latin version as its basis, points to Castilian interest in the Latin Quintus Curtius60, 58. Although no two manuscripts of the anonymous Castilian translation present the same set of glosses, all of them have a significant number of notes in common, which suggests the existence of an initial set created along with the translation. The Comparación’s marginal ­annotations remain remarkably stable across the manuscripts; the glosses attached to the longer text, the Historia, vary much more widely. The more complete set of notes to the Comparación appears in MS 9220; to the Historia, in the Palacio copy. 59. Respectively Escorial, T.III.7 and Madrid, BNE, MS  4515, edited by G.  L. Boarino, “Los ‘Dichos de Q[ui]nto Curçio’, traducción atribuida a D. Alfonso de Cartagena”, Bulletin Hispanique, 70/3-4 (1960), p. 431-436; and R. Foulché-Delbosc, “Floresta de Philosophos”, Revue Hispanique 11, (1904), p. 5-154. See also M. Jiménez San Cristóbal, “Il manoscritto 4515 della Biblioteca Nazionale di Madrid”, Filologia Mediolatina, 19 (2012), p. 169-192. 60. This interest is also evident in Madrid, BNE, MS 7805, a Latin florilegium that collects biographical selections from several sources, including Quintus Curtius. It has been tentatively attributed to Martín de Ávila in María José Muñoz Jiménez, Un florilegio de biografías latinas, Louvain-la-Neuve, 2008.

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while the second, which shares a significant number of sententiae with the other one, probably derives from the anonymous Castilian translation. Despite the differences we have pointed out in the Aragonese and Castilian treatments of Decembrio’s Alexandrine works, at least two important common features emerge as a consequence of Iberian vernacular humanism’s shared dynamics. The first one is the existence of multiple translations of the same texts in both Castile and Aragon, a relatively common occurrence at the time61. In this case, the earliest version seems to have been Martín de Ávila’s Comparación, carried out at the request of Íñigo López de Mendoza before 1445. The anonymous Castilian Historia and Comparación must have been created not much later, and, when they were translated into Portuguese, became part of another widespread phenomenon, the “chains of translations” in which an Iberian romance language mediated the reception of Latin, French, or Italian texts into another one62. The second common feature is the literalism of these Castilian, Portuguese, and Catalan versions, which replicates the way in which Decembrio had carried out his own task. In the Milanese humanist’s view, historical texts necessitated a careful rendering that, without having to be ad verbum, avoided omissions and transpositions, so that historical accuracy did not suffer63. In the case of the Iberian translations, the proximity between the romance languages involved may have been a more influential factor, but literalism remains a deliberate choice, particularly when compared to the much freer and more creative adaptations of ancient matter carried out in the 1200s and early 1300s. Those creative adaptations were, as a matter of fact, very much alive for fifteenth-century Iberian readers, who were steeped in a long tradition of retellings of ancient matter that intertwined with the newer available texts. This is the case of López de Mendoza, who owned a copy of an influential thirteenthcentury poem recounting the life of Alexander in Castilian, the Libro de Alexandre (Madrid, BNE, Vitr. 5-1064). In addition, at around the same time as Martín de Ávila was completing the Castilian version of the Comparatione, the bibliophile also commissioned him to translate the Historia de preliis, a 61. For the Castilian case throughout the fifteenth century, see G. Avenoza, “Traducciones, público y mecenazgo en Castilla (siglo XV)”, Romania, 128 (2010), p. 452-500. In the case of translations into Catalan, multiple versions of classical and Italian humanist works appear to cluster around the turn of the fifteenth century. For a list of Catalan translations, see the Cens de Traduccions al Català Medieval fins a 1500, available at http://www.translatdb.narpan.net/. 62. See M. Morrás, “El debate entre Leonardo Bruni y Alonso de Cartagena: las razones de una polémica”, Quaderns. Revista de tradució, 7 (2002), p. 33-57 (p. 34-35). 63. Hankins, Plato, vol. 1, p. 120-122. 64. Schiff, La bibliothèque, p. 386-387.



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version of which is preserved in a fragment (Madrid, BNE, MS 11265-3065). López de Mendoza was not alone in his passion for Alexander the Great: the vernacular Quintus Curtius reached Iberian readers at a time of renewed interest in the figure of the Macedonian, particularly in Castile. This period started in the early 1400s and was perhaps the most important one after the flurry of vernacular Alexanders pioneered in the thirteenth century by the Libro de Alexandre itself, which not only was still read and copied in its original form, but also became the basis of an important new work, Gutierre Díaz de Games’s Victorial66. Even the poem’s source, Gautier de Châtillon’s Alexandreis – based on Quintus Curtius’s work – was critically re-examined and translated at the very end of the 1400s, as attested by the fragment preserved in a miscellaneous manuscript (Madrid, BNE, MS 12672, fols 162 r-190 v), where the old clerical work finds its place next to Martín de Ávila’s version of the Comparación entre Alixandre, Aníbal y Escipión that Giovanni Aurispa had written after Lucian of Samosata, so close in spirit to Pier Candido’s own Comparatione67. Only later, in the sixteenth century, would López de Mendoza’s great-grandson, the humanist and diplomat Diego Hurtado de Mendoza, prefer to read and annotate his Quintus Curtius in Latin68 (Escorial, e.III.19). The continuity between the humanistic outlook embodied by Decembrio’s Istoria and his Comparatione and a still vibrant medieval tradition poses several questions to the historians of fifteenth-century Castile. When the work was originally presented to Filippo Maria Visconti, it must have been regarded as an expression of the cultural policy embraced by the Duke, who was determined to elevate the status of the vernacular despite its dismissal by the emergent class of professional humanists, and to create a “classical library” for those less capable of reading Latin and Greek. It is not by chance that Dávalos’s book of the Istoria – presumably like the Duke’s – was one of the 65. Edited by R. Menéndez Pidal, “A propósito de ‘ La Bibliothèque du marquis de Santillane por Mario Schiff, Paris, 1905’”, Bulletin Hispanique, 10/4 (1908), p. 397-411 (400-404). 66. See the magisterial survey by M. R. Lida de Malkiel, La tradición clásica en España, Barcelona, 1975, p.  182-197, and R.  Beltrán, “Huellas de Alejandro Magno y del Libro de Alexandre en la Castilla del siglo XV: un modelo para la historia y la biografía”, in L’historiographie médiévale d’Alexandre le Grand, ed. C. Gaullier-Bougassas, Turnhout, 2011, p. 155-172. 67. See J. M. Valero Moreno, “El Alejandro de las escuelas. La Alexandreis de Gautier de Châtillon en Castilla (I)”, Troianalexandrina, 16 (2016), p. 215-250. On the translation of Aurispa’s work, see M. Sueiro Pena and S. Gutiérrez García, “Edición y estudio crítico de una Comparaçion entre Alixandre, Anibal & Çipion: Romanceamiento de un diálogo de Luciano de Samosata”, Voz y letra, 9/1 (1998), p. 19-56. 68. See the description in G. Antolín, Catálogo de los códices latinos de la Real Biblioteca del Escorial, Madrid, 1911, vol. 2, p. 79-81.

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earliest to include a vernacular text copied in littera antiqua, even though only classical authors and the Church Fathers had merited that honour before69. But the Italian codex owned by López de Mendoza (RAH, MS 9/5493) and the Castilian one perhaps made for the Count of Haro (BNE, MS 9220) tell a different story. In contrast to the Milanese books made for the ducal court, the latter was copied in a gotica cursiva formata, in two columns, so as to assimilate it to the conventions of medieval historical books, while López de Mendoza did not hesitate to add his arms in a visual language unlike that of the all’antica white vine initials. Yet it may well be that all’antica and Gothic – or, as it were, “Renaissance” and “Medieval” – are not the right labels to characterize these works, which were perceived instead as reflecting local, rather than foreign, tastes and fashions. To be sure, “in the North [and in Iberia] the desire to recall the grandeur of antiquity was as vigorously felt and expressed as in Italy”, as Aby Warburg contended in his study of Burgundian tapestries inspired by classical themes70. Indeed, the existence of a shared political and cultural project, encapsulated in the notion of vernacular humanism, linked Milan, Naples, and the Iberian courts, favouring a triangular reception of the vernacular Quintus Curtius71. Instead of the civic and republican ideal so resolutely adopted by Tuscan cities, Milanese, Neapolitan, and Iberian courtly elites often looked back to Antiquity to revive a Caesarist model aligned with the chivalric and feudal imaginary so deeply rooted in the minds of these royal and aristocratic audiences, for whom the deeds of Alexander were a stimulus for future military exploits and even an effective medicine against all possible illnesses72. Clara Pascual-Argente, Rhodes College Rosa M. Rodríguez Porto, University of Southern Denmark – Danish Institute for Advanced Studies

69. Zaggia, “Appunti”, p. 211-212. 70. A. Warburg, “Airship and Submarine in the Medieval Imagination (1913)”, in The Renewal of Pagan Antiquity: Contributions to the Cultural History of the European Renaissance, Los Angeles, 1999, p. 332-337. 71. Zaggia, “Appunti”, p. 210. 72. There are several legends about the curative powers that the reading of Quintus Curtius had for Alfonso the Magnanimous or for Ercole d’Este, retold by Zaggia, “Appunti”, p. 217, and A. Grafton, What was History? The Art of History in Early Modern Europe, Cambridge, 2007, p. 4-5.



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Table 1: Manuscripts and incunabula of the Comparatione and Istoria in Iberian libraries a. Manuscripts in Italian (Lombard) (Comparatione, Istoria) 1. Madrid, Biblioteca Nacional de España, MS 6564 (copied in Aragon, c. 1460?) 2. Madrid, Real Academia de la Historia, Cod. 100 (copied in Calatayud, Aragon) 3. Madrid, Biblioteca Nacional de España, MS 8835 4. Madrid, Real Biblioteca de San Lorenzo de El Escorial, N.III.3 5. Madrid, Real Academia de la Historia, MS  9/5493 (before 1445, owned by Íñigo López de Mendoza) b. Manuscripts and incunabula in Iberian romance languages Alfonso de Liñán’s Castilian translation (Plutarch, Comparación, Historia) 1. Madrid, Biblioteca Nacional de España, MS 7565 (c. 1460?) Martín de Ávila’s Castilian translation of the Comparatione 2. Madrid, Biblioteca Nacional de España, MS 10171 (before 1445, probably owned by Íñigo López de Mendoza) Anonymous Castilian translation (Historia, Comparación) 3. Madrid, Biblioteca Nacional de España, MS 8549 (1454) 4. Madrid, Biblioteca Nacional de España, MS 9220 (Comparación precedes the Historia; c. 1450-1460?) 5. Madrid, Biblioteca Nacional de España, MS 10140 (c. 1450-1460?) 6. Vilanova i la Geltrú, Biblioteca Victor Balaguer, MS 3 (c. 1450-1460?) 7. Madrid, Biblioteca del Palacio Real, MS II/1920 8. Seville, Meinardo Ungut and Estanislao Polono, 1496 Anonymous Portuguese translation (Comparaçom, Estorya) 9. Lisbon, Biblioteca da Ajuda, MS 52-XIII-24 Lluís de Fenollet’s Catalan translation (Plutarch, Història, Comparació) 10. Barcelona, Pere Posa and Pere Bru, 1481

Le projet humaniste de Vasque de Lucène dans sa traduction de Quinte-Curce : les Faicts et Gestes d’Alexandre le Grand (1468) Le savant portugais Vasque de Lucène est l’une des figures de proue des traducteurs bourguignons sous le règne de Charles le Téméraire et un représentant de ce que l’on peut appeler l’humanisme bourguignon. La réalité de cet humanisme à la cour de Bourgogne, qui apparaît avant tout dans des œuvres en langue française réalisées à la fin de la vie de Philippe le Bon et sous le bref règne de Charles le Téméraire – des traductions d’œuvres antiques et/ ou d’œuvres humanistes italiennes –, a parfois été sous-estimée, en raison de son ampleur qui apparaît faible quand on la compare à celle de l’humanisme italien, de son expression en langue française plutôt qu’en latin, et du peu d’engouement que certaines de ces œuvres semblent avoir parfois suscité. Présent sur une durée certes limitée, cet humanisme prend un nouvel essor à partir de la fin des années 1460, sans doute en lien avec l’éducation et les goûts personnels de Charles le Téméraire, mais il a déjà été initié un peu auparavant par des auteurs actifs sous le pouvoir de Philippe le Bon et « passeurs » d’ouvrages italiens par leurs traductions, réécritures et compilations, Jean Miélot, Sébastien Mamerot ou Raoul Lefèvre. Parmi les traductions les plus importantes d’œuvres antiques se détachent les deux textes de Vasque de Lucène : ses Faicts et Gestes d’Alexandre le Grand, traduction des Historiae de Quinte-Curce, et son Istoire Cyrus, traduction de la Cyropédie de Xénophon. Après avoir fait l’objet de plusieurs articles érudits et, pour le second, de la thèse de Danielle Gallet-Guerne1, cet auteur savant, d’origine portugaise, a été très négligé par la critique. Son rôle reste encore dans l’ombre, les Faicts et Gestes d’Alexandre le Grand sont inédits et seuls deux livres de son Istoire Cyrus 1. C. Samaran, « Vasco de Lucena à la cour de Bourgogne (documents inédits) », Bulletin des études portugaises et de l’Institut français au Portugal, nouvelle série, 5 (1938), p. 13-26 ; R. Bossuat, « Vasque de Lucène, traducteur de Quinte-Curce (1468) », Bibliothèque d’Humanisme et de Renaissance, 8 (1946), p. 197-245 ; idem, « Les sources du Quinte-Curce de Vasque de Lucène », dans Mélanges dédiés à la mémoire de Félix Grat, s. c., Paris, 1946, t. 1, p. 345-356 et A. Thomas, « Notice sur un manuscrit de Quinte-Curce », Revue critique d’histoire et de littérature, 14/2 (1880), p. 75-78. Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 213-240 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115399

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ont été édités2. Ces œuvres, qui sont les premières traductions en langue française des textes de Quinte-Curce et de Xénophon, ainsi que, en complément de Quinte-Curce, du début de la Vie d’Alexandre de Plutarque, représentent pourtant un moment important dans l’histoire de la traduction et dans celle de l’humanisme en langue française au tournant des xve et xvie siècles. Si son Istoire Cyrus, conservée dans sept manuscrits, n’a pas été diffusée par l’imprimerie, sa traduction de Quinte-Curce a joui d’un grand succès : copiée dans au moins 31 manuscrits, pour la plupart très luxueux3 – le témoin dédicacé à Charles le Téméraire semble être à l’origine de ce succès, le manuscrit de 2. Danielle Gallet-Guerne a édité les livres I et V dans Vasque de Lucène et la Cyropédie à la cour de Bourgogne (1470). Le traité de Xénophon mis en français d’après la version latine du Pogge. Étude. Édition des livres I et V, Genève, 1974. Quant aux Faicts et Gestes d’Alexandre, nous préparons actuellement leur édition. Olivier Collet en a donné une traduction partielle en français moderne : « L’image du prince et de ses faits. Alexandre : recherche d’une identité », dans Splendeurs de la cour de Bourgogne. Récits et chroniques, éd. D. Régnier-Bohler, Paris, 1995, p. 483-487 et 565-627. Des recherches récentes ont été menées par Hélène BellonMéguelle, « Vasque de Lucène, un traducteur éclairé. La composition du livre I des Faicts et Gestes d’Alexandre le Grand », dans Figures d’Alexandre à la Renaissance, éd. C. Jouanno, Turnhout, 2012, p. 39-65, « Une histoire à l’échelle de l’homme : les Faicts et Gestes d’Alexandre le Grant de Vasque de Lucène », dans L’historiographie médiévale d’Alexandre le Grand, éd. C. Gaullier-Bougassas, Turnhout, 2011, p. 329-348 et ses études dans la Fascination pour Alexandre le Grand dans les littératures européennes (xe-xvie siècle). Réinventions d’un mythe, dir. C. Gaullier-Bougassas, Turnhout, 2014, t. 1, p. 277-282, t. 2, p. 908-925, t. 3, p. 1472-1486, t. 4, p. 223-227. Voir aussi nos articles « Jean Wauquelin et Vasque de Lucène : le ‘roman familial’ d’Alexandre et l’écriture de l’Histoire au xve siècle », Le choix de la prose (xiiie -xve siècle), éd. E. Baumgartner, Cahiers de Recherches médiévales, 5 (1998), p. 125-138 et « La traduction de la Cyropédie par Vasque de Lucène : vérité historique et exemplarité », dans Aux marges du roman antique. Études sur la réception des « fringe novels » ( fictions biographiques et autres « mythistoires ») de la Renaissance à l’époque moderne, éd. C. Jouanno, avec la collaboration de B. Pouderon, Paris, 2018, sous presse, ainsi que celui de S. Hériché-Pradeau, « L’Alexandre de Vasque de Lucène : l’historicité en question », dans L’Antiquité entre Moyen Âge et Renaissance, l’Antiquité dans les livres, éd. C. Blondeau et M. Jacob, Nanterre, 2011, p. 63-74. L’iconographie de certains manuscrits des Faicts et Gestes d’Alexandre le Grand a été étudiée par S. McKendrick, The History of Alexander the Great : An Illuminated Manuscript of Vasco da Lucena’s French Translation of the Ancient Text of Quintus Curtius Rufus, Los Angeles, 1996 et C. Blondeau, Un conquérant pour quatre ducs. L’image d’Alexandre le Grand à la cour de Bourgogne (1363-1477), Paris, 2009. Vasque de Lucène n’est pas mentionné dans l’Histoire des traductions en langue française, xve et xvie siècles (1470-1610), dir. V. Duché, Paris, 2015. Dans Translations médiévales. Cinq siècles de traductions en français au Moyen Âge (xie-xve), dir. C. Galderisi, Turnhout, 2011, voir vol. 2, t. 1, p. 230-231(notice de S. Menegaldo). 3. Pour leur liste, on se reportera au site de l’École nationale des Chartes, Miroir des classiques de F. Duval : http://elec.enc.sorbonne.fr/miroir_des_classiques/xml/classiques_latins/ historia_alexandri_magni_quintus_curtius.xml#Vasque, dernière consultation le 30 août 2017.

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Paris, BnF, fr. 22547 –, elle a fait peu après l’objet d’un remaniement, attesté dans deux manuscrits, dont l’auteur prétend simplifier le texte, puis de six imprimés parisiens au xvie siècle4. Par ses imprimés, qui certes ne gardent pas trace du prologue d’ensemble et font tomber dans l’oubli le nom de Vasque de Lucène, elle fait autorité durant tout le xvie siècle et reste sans doute lue encore au début du xviie siècle, inspirant les premiers auteurs de tragédies sur Alexandre, Jacques de la Taille et Alexandre Hardy5. Au xve siècle, l’entreprise de Vasque de Lucène s’inscrit pleinement dans la continuité des traductions humanistes italiennes et hispaniques de Xénophon et de Plutarque. Les deux textes grecs lui sont connus à travers les traductions latines de deux humanistes italiens : il met en effet en langue française la traduction latine de la Cyropédie qu’a réalisée en latin Poggio Bracciolini et les chapitres 2 à 17 du début de la traduction latine de la Vie d’Alexandre de Plutarque que nous devons à Guarino Veronese. Ce sont ces mêmes chapitres de la même traduction de Guarino Veronese que Pier Candido Decembrio a déjà traduits en italien vers 1450, lorsqu’il les a ajoutés en supplément initial de sa traduction en italien des Historiae de Quinte-Curce, composée en 1438, avec déjà pour les lacunes des livres V et VI, puis X, une traduction de fragments du texte de Plutarque, qu’il réalise alors lui-même. Peu après, mais avant l’écriture de Vasque de Lucène, Alfonso de Liñán, lui aussi pour combler la perte des deux premiers livres, a traduit en castillan la traduction latine de Plutarque par Juan Fernández de Heredia6. Quinte-Curce est en effet l’historien latin que les humanistes italiens, depuis le xive siècle et Pétrarque, ont mis à l’honneur dans leur ambition de retrouver la vérité historique sur Alexandre, loin des dérivés latins du Roman d’Alexandre du Pseudo-Callisthène grec. La traduction de Vasque de Lucène, 4. Ce remaniement est transmis par les deux manuscrits de Chantilly, Bibliothèque du Château, 756, et de Abbeville, Bibliothèque municipale, 92. Pour les imprimés, voir le site Miroir des classiques, déjà cité, et notre article « Les imprimés des Faicts et Gestes d’Alexandre de Vasque de Lucène », communication au colloque de Dunkerque, 22-23 octobre 2015, Les premiers imprimés français et la littérature de Bourgogne (1470-1550), éd. J. Devaux, M. Marchal et A. Velissariou, à paraître dans les actes du colloque. 5. Sur ces tragédies, voir L. Frappier, « Portrait du prince humaniste : Alexandre dans les tragédies de Jacques de la Taille » et T. Karsenti, « ‘Ce Lion devenu cruel de magnanime’ : les ambiguïtés du modèle héroïque dans La Mort d’Alexandre d’Alexandre Hardy », dans L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne ( fin xve-xixe siècle). Théâtre et opéra, dir. C. Gaullier-Bougassas et C. Dumas, Turnhout, 2017, p. 75-88 et 111-124. 6. Pour ces traductions italienne et hispaniques, nous renvoyons, dans ce volume, aux articles qui précèdent de Marta Materni, de Clara Pascual-Argente et Rosa M. Rodríguez Porto, p. 169187 et 189-211, ainsi que, pour l’iconographie, à l’article de Claudia Daniotti, p. 509-523.

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commencée en 1461 et terminée en 1468, est légèrement postérieure à la traduction italienne de Decembrio des Historiae et au bref texte dont il l’a ­accompagnée, la Comparatione di Caio Iulio Cesare imperadore et de Alexandro Magno re di Macedonia, ainsi qu’aux traductions ibériques, et la continuité est là aussi très nette. Est-ce à dire qu’il aurait pu connaître l’une de ces traductions et s’inspirer de son modèle ? Il a certes été montré qu’il a travaillé à partir d’un manuscrit du texte latin de Quinte-Curce complété par les suppléments latins écrits à la fin du xie ou au début du xiie siècle. Néanmoins, il transforme profondément ce remaniement en lui incorporant les chapitres 2 à 17 de la Vie d’Alexandre de Plutarque et, comme nous venons de le rappeler, il a dû réaliser leur traduction en suivant, comme Decembrio, la traduction latine que Guarino Veronese avait écrite en 1408 à son retour de Constantinople. Même si, pour les chapitres de Plutarque comme pour le récit de QuinteCurce, Vasque de Lucène traduit donc à partir du latin, et non à partir de l’italien, du castillan ou du portugais7, et même si son travail de compilation diffère de la démarche de Decembrio, nous ne pouvons ainsi exclure qu’il ait connu l’une de ces traductions ou au moins leur existence et l’intérêt pour Quinte-Curce des humanistes et des cours qui patronnaient leur travail. S’inspirer de leur exemple ne suppose pas nécessairement travailler directement sur leur texte. C’est surtout à l’Istoria d’Alexandro Magno de Decembrio que nous pensons, déjà en raison de la coïncidence sur Plutarque. La traduction portugaise, comme avant elle la traduction castillane anonyme, ne contient pas les premiers chapitres de Plutarque. Ce que nous savons des liens de la cour de Bourgogne avec l’Italie, de l’intérêt de Charles le Téméraire pour les textes antiques, également de la biographie de Vasque de Lucène et de son exploitation des traductions italiennes latines de Guarino Veronese et plus tard de Poggio Bracciolini atteste en effet une connaissance de ces milieux humanistes. Sans qu’il soit possible de retracer ici dans le détail les relations des ducs de Bourgogne avec l’Italie8, rappelons seulement qu’elles sont anciennes, notam7. Cette comparaison avec les traductions italienne et ibériques n’a pas encore été menée. Nous l’amorçons pour notre édition en cours des Faicts et Gestes d’Alexandre le Grand. 8. Les études historiques sur ces différents aspects sont nombreuses et nous ne pouvons ici en mentionner que quelques unes : Les étrangers à la cour de Bourgogne : statut, identité et fonctions, éd. B. Schnerb, Revue du Nord, 345-346 (2002) ; R. J. Walsh, Charles the Bold and Italy 14671477, Politics and Personnel, Liverpool, 2005 et « Relations between Milan and Burgundy in the Period 1450-1476 », dans Gli Sforza a Milano e in Lombardia e i loro rapporti con gli stati italiani ed europei (1450-1535), Milan, 1982, p. 369-396 ; La cour de Bourgogne et l’Europe. Le rayonnement et les limites d’un modèle culturel, éd. W. Paravicini, Ostfilden, 2013.

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ment avec les ducs de Milan, les Visconti puis les Sforza. L’auteur qui nous occupe, Pier Candido Decembrio, secrétaire du duc et humaniste Filippo Maria Visconti de 1419 à 1447, date de la mort du duc, fut envoyé par le duc de Milan comme ambassadeur à la cour de Bourgogne en 1435, soit quelques années avant l’achèvement de la première version de sa traduction de QuinteCurce, et il vint à Dijon pour négocier la libération du roi René d’Anjou9. Les relations avec les seigneurs de Ferrare sont aussi sans nul doute importantes pour notre propos. C’est lorsqu’il est au service de Leonello d’Este qu’Angelo Decembrio, le frère de Pier Candido, écrit son De politia litteraria dans lequel il évoque la valeur historique des Historiae de Quinte-Curce10. Francesco d’Este, l’un des fils de Leonello d’Este, vint à la cour de Philippe le Bon en 1444 et partagea l’éducation du futur Charles le Téméraire, qui le garda ensuite à son service11. Dans ses projets de croisade, Philippe le Bon se rapprocha aussi du roi de Naples Alphonse V d’Aragon, qui, selon une anecdote célèbre, estimait avoir été sauvé plus efficacement de la maladie par Quinte-Curce et la lecture passionnée de ses Historiae que par Avicenne : c’est du moins ce que retrace son biographe et panégyriste Antonio Beccadelli dans le De dictis et factis Alphonsi Regis Aragonum12 (1455). Du côté de la péninsule ibérique, où la traduction de Decembrio a été bien diffusée, les contacts étroits des ducs de Bourgogne avec les cours de Castille et du Portugal sont renforcés par le mariage de Philippe le Bon avec Isabelle de Portugal, l’importance de l’entourage portugais de la duchesse, le rôle diplomatique et la politique familiale d’Isabelle, fille du roi Jean Ier du Portugal et de Philippa de Lancastre13. Tous ces échanges favorisaient la circulation des textes, les conciles qui se réunirent au xve siècle y ont aussi beaucoup contribué et les ambassades s’accompagnaient de dons qui prenaient parfois la forme de manuscrits. À cet égard, un humaniste et ecclésiastique qui a été conseiller de Philippe de Bon, 9. Pour une édition partielle de la relation qui en est conservée, A. Lecoy de la Marche, Le roi René, sa vie, son administration, ses travaux artistiques et littéraires, Paris, 1875, t. 2, p. 220-222. 10. Voir A.  Grafton, What was History ? The Art of History in Early Modern Europe, Cambridge, 2007, p. 49-61, et dans ce volume Claudia Daniotti, p. 509-523. 11. Voir E. Kantorowicz, « The Este Portrait by Roger van der Weyden », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 3/3-4 (1940), p. 165-180. 12. Cette anecdote, on le sait, sera très souvent rapportée, durant des siècles. Nous avons pris connaissance de ce texte dans l’édition de 1589 (I, 43) numérisée par la Bayerische StaatsBibliothek : http://reader.digitale-sammlungen.de/de/fs1/object/display/ bsb10161014_00083.html, dernière consultation le 30 août 2017. 13. Voir J. Paviot, Portugal et Bourgogne au xve siècle, Lisbonne et Paris, 1995 et M. Sommé, Isabelle de Portugal, duchesse de Bourgogne. Une femme au pouvoir au xve siècle, Villeneuve d’Ascq, 1998.

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Jean Jouffroi, a pu jouer un rôle important. Grand bibliophile, il possédait de nombreux manuscrits d’œuvres grecques traduites par des humanistes italiens. Les recherches récentes de Matthieu Desachy sur sa bibliothèque ont aussi montré qu’elle renfermait un Quinte-Curce, copié au xve siècle dans une écriture humanistique, sans les suppléments médiévaux (Rome, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. lat. 1865). Jean Jouffroy a lui-même été proche d’un autre conseiller de Philippe le Bon, Guillaume Fillastre, fils du doyen de Reims puis cardinal de Saint-Marc lui aussi nommé Guillaume Fillastre, qui, après sa participation au concile de Constance, réunit une bibliothèque conséquente14. Quant à l’Istoria d’Alexandro Magno de Decembrio, si nous ne conservons pas de témoignage de sa circulation en France ou à la cour de Bourgogne, cette dernière n’est pas à exclure. Elle apparaît même probable, car une traduction en français de sa Comparatione di Caio Iulio Cesare imperadore et de Alexandro Magno re di Macedonia a été composée, sans doute dans les années 1460-1470 par un auteur dont l’identité reste inconnue : le texte en est copié dans un manuscrit réalisé en Flandre vers 1480-1490, celui de la Haye, Koninklijke Bibliotheek, 076 F 26, un recueil de textes humanistes brefs. Or, dans les manuscrits italiens, cette Comparatione di Caio Iulio Cesare imperadore et de Alexandro Magno re di Macedonia semble presque toujours avoir été transmise avec l’Istoria d’Alexandro Magno15. En s’attelant à la traduction de Plutarque, de Quinte-Curce puis de Xénophon, Vasque s’inspirait ainsi sans nul doute des humanistes italiens et peut-être de la traduction de Quinte-Curce par Decembrio. Il répondait aussi vraisemblablement à un souhait de reproduire le modèle des cours italiennes qui pouvait être celui de Charles le Téméraire. Nous connaissons en effet l’éducation savante de ce dernier, délivrée par l’humaniste Antoine Haneron, son goût pour les lectures historiques et les relations avec l’Italie. Les prologues de son Istoire Cyrus (1470), ceux de la traduction du Hiéron de 14. Voir M. Desachy, Deux bibliophiles humanistes : bibliothèques et manuscrits de Jean Jouffroy et d’Hélion Jouffroy, Paris, 2012 ; Le goût de la Renaissance italienne, les manuscrits enluminés de Jean Jouffroy, cardinal d’Albi, éd. M. Desachy et G. Toscano, Milan, 2010 et Humanisme et culture géographique à l’époque du concile de Constance. Autour de Guillaume Fillastre, éd. D. Marcotte, Turnhout, 2002, et pour la transmission des textes de Quinte-Curce et de Plutarque, notre article « Les traductions en français d’ouvrages italiens sur l’Antiquité grecque à la cour de Bourgogne au xve siècle (Vasque de Lucène, Charles Soillot, Comparaison de César et d’Alexandre)». 15. Voir M. Pade, « Curzio Rufo e Plutarco nell’Istoria d’Alexandro Magno : volgarizzamento e compilazione in un testo di Pier Candido Decembrio », Studi umanistici piceni, 18 (1998), p. 101-114.

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Xénophon par Charles Soillot (1467) et de celle des Commentaires de César par Jean du Chesne (1474) indiquent chacun une commande de Charles le Téméraire. Entre Philippe le Bon et son fils, un changement de goûts littéraires s’est affirmé, avec un intérêt soutenu de Charles pour les textes antiques et leur traduction16. Le choix par Vasque de Lucène d’une vie d’Alexandre pour sa première traduction, celle de Quinte-Curce, permet de bien mettre en lumière cette orientation nouvelle, avec l’exigence de retrouver la vérité historique sur l’Antiquité grâce au retour aux textes antiques : en effet, la polémique qu’il lance dans son prologue contre les récits antérieurs de la vie d’Alexandre, c’està-dire implicitement ceux qui connaissaient jusqu’alors le succès à la cour de Bourgogne et répondaient aux goûts de Philippe le Bon pour la littérature chevaleresque, l’atteste avec éclat, comme nous l’étudierons plus loin. Que connaissons-nous par ailleurs de la biographie de Vasque de Lucène qui a pu l’orienter vers ces traductions ? D’origine portugaise, il est né dans une famille de lettrés qui semble compter plusieurs traducteurs, même si des incertitudes demeurent sur leurs liens exacts17. S’il ne doit pas être confondu avec le diplomate et conseiller au service de plusieurs rois et princes du Portugal qui se nomme Vasco Fernandes de Lucène et qui est aussi un grand traducteur, l’hypothèse a été émise qu’il pourrait être son neveu. Vasco Fernandes de Lucène est l’auteur, dans les années 1440, de plusieurs traductions en portugais, celles de deux textes de Cicéron et de Pline le Jeune qu’il réalise pour le duc de Coïmbre Pedro, le frère d’Isabelle du Portugal. Il aurait eu pour frères ou cousins deux médecins, Rodrigue de Lucène, médecin de Pedro, et Alphonse de Lucène, médecin de la duchesse de Bourgogne Isabelle. Alphonse de Lucène serait le père de Vasque de Lucène, notre traducteur, et de Fernand de Lucène. Les deux frères ont suivi des études aux universités de Cologne et Paris, dont les registres gardent trace dans les années 1450, mais nous ignorons 16. Si Jean Miélot avait traduit le douzième Dialogue des Morts de Lucien d’après la traduction de Giovanni Aurispa, les traducteurs de la fin de la vie de Philippe le Bon avaient privilégié des ouvrages italiens en latin qui n’étaient pas des traductions d’ouvrages antiques. 17. Voir à ce sujet D. Gallet-Guerne, Vasque de Lucène et la Cyropédie à la cour de Bourgogne, op. cit., 1974, p. 3-21 ; J. Paviot, Portugal et Bourgogne, op. cit., p. 106-111 et son article « Vasco Fernandes de Lucena », Arquivos do Centro cultural Calouste Gulbekian, 39 (2000), p. 87-96 ; R. Costa Gomes, « La cour de Bourgogne et la cour du Portugal au xve siècle », dans La cour de Bourgogne et l’Europe. Le rayonnement et les limites d’un modèle culturel, op. cit., p. 631-648. Citons aussi M. Sommé, « Les Portugais dans l’entourage de la duchesse de Bourgogne Isabelle de Portugal (1430-1471) », Revue du Nord, 77 (1995), p. 321-344, p. 324 et « Les conseillers et collaborateurs d’Isabelle de Portugal, duchesse de Bourgogne, au milieu du xve siècle », dans À l’ombre du pouvoir. Les entourages princiers au Moyen Âge, éd. A. Marchandisse et J.-L. Kupper, Genève, p. 343-359.

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les contacts qu’ils ont pu y nouer et la connaissance qu’ils ont pu acquérir de travaux humanistes. Fernand de Lucène, qui a parfois été confondu avec Vasque, est l’auteur, pour Philippe le Bon, d’une traduction du castillan en français, le Triunfo de las donas de Juan Rodríguez del Padrón18. Il reste ensuite attaché au service de la cour, mais non comme écrivain. Quant à Vasque de Lucène, l’hypothèse a été émise qu’en 1466 il aurait déjà été l’auteur d’une première traduction, celle des Faits des Romains, du français au portugais, Vida e feitos de Júlio César, dont la duchesse Isabelle de Portugal aurait offert une copie à son neveu Pedro, mais cette hypothèse est maintenant remise en cause et l’œuvre reste anonyme19. Vasque de Lucène inscrit en revanche son nom dans les deux traductions d’œuvres antiques qu’il termine en 1468 et en 1470, celles des Historiae de Quinte-Curce et de la Cyropédie de Xénophon, prenant ainsi le relais des premiers auteurs bourguignons qui s’approprient en français des traductions italiennes latines, Jean Miélot, Sébastien Mamerot et Charles Soillot. La traduction de textes sur l’Antiquité l’occupe pendant les premières années de son service auprès de Charles, alors qu’il exerce une fonction de conseiller politique dont les contours nous restent flous, suivant le comte de Charolais puis duc de Bourgogne dans ses guerres et le représentant aussi dans des missions diplomatiques. Ces deux traductions ont-elles contribué à conforter sa position à la cour et incité Charles le Téméraire à lui offrir une fonction officielle et rémunérée ? Le nom de Vasque de Lucène n’apparaît en effet dans les archives de la cour bourguignonne qu’à partir de 1467, date de l’accès au pouvoir de Charles le Téméraire20. Après son Istoire Cyrus, dans le prologue de laquelle il se présente comme un serviteur officiel du duc, il ne traduit plus de textes antiques. D’autres activités que l’écriture l’occupent désormais – conseil et missions diplomatiques – et lui assurent les pensions qu’il perçoit, selon les archives, jusqu’à sa mort en 1512. Même si son nom 18. C. C. Willard, « Isabel of Portugal and the French Translation of the Triunfo de las donas », Revue Belge de Philologie et d’Histoire, 43 (1965), p. 961-969 ; « Isabel of Portugal, Patroness of Humanism ? », dans Miscellanea di studi e recherché sul Quatrocento francese, éd. F. Simone, Turin, 1967, p. 519- 544 ; F. Serrano, « La diffusion de la littérature espagnole à la cour de Philippe le Bon », Romanistisches Jahrbuch, 59 (2009), p. 193-203 et « Le Triumphe des dames traduit par Fernand de Lucène et les Cent nouvelles nouvelles au cœur de la Querelle des Femmes bourguignonne », Réforme, Humanisme, Renaissance, 69 (2009), p. 55-71. 19. L’attribution de ce texte à Vasque de Lucène est l’hypothèse de son éditrice M.-H. Mateus : Vida et feitos de Júlio César, ediçâo critica da traduçâo portuguesa quatrocentista de Li Fet des Romains, Lisbonne, 1971. 20. Voir Ch. Samaran, art. cit, et J. Paviot, Portugal et Bourgogne, op. cit.

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n’apparaît pas dans les archives avant 1467, le début de son service auprès de Charles semble antérieur à l’accession de ce dernier au titre de duc. C’est du moins ce qu’il nous engage lui-même à penser dans sa traduction de QuinteCurce, lorsqu’il évoque sa présence aux côtés de Charles à Conflans en 1465, lors du sac de Dinant en 1466 et dans les guerres de Liège en 1466-1467, alors qu’il avait déjà commencé et continuait sa traduction de Quinte-Curce. Dans les prologues des Faicts et Gestes d’Alexandre, il intervient longuement pour présenter son entreprise et dessiner un autoportrait original de traducteur qu’il complétera dans son Istoire Cyrus. Quelle image souhaitet-il nous donner des circonstances dans lesquelles naît l’écriture des Faicts et Gestes d’Alexandre ? En effet, comme nous ne conservons aucun témoignage extérieur, le départ entre la réalité et l’éventuelle « posture » de l’auteur ne nous est pas possible. S’il dédicace bel et bien son œuvre achevée à Charles le Téméraire, l’origine de son entreprise est occultée, telle un mystère qu’il choisit de ne pas révéler. Jamais il ne prétend qu’il écrirait pour répondre à une commande du duc, alors qu’il l’affirmera clairement dans son Istoire Cyrus21. Selon le prologue des Faicts et Gestes d’Alexandre, ce serait seulement après avoir terminé sa traduction qu’il aurait cherché à qui l’offrir. « Par droite obligation », il la dédicace au « tres redoubté seigneur » qu’il servait alors, Charles, duc de Bourgogne : Au surplus cerchant a qui deusse adrecier la presente euvre, ne sçay a qui par droite obligation, fors que a vous, tres hault, tres puissant et tres excellent prince, mon tres redoubté seigneur. (Paris, BnF, fr. 22547, fol. 2 v) [Cherchant à qui je devais dédier cette œuvre, je ne sais à qui je devais le faire par juste obligation, sinon à vous, très illustre, très puissant et très remarquable prince, mon seigneur très redouté.]

Ainsi se présente-t-il ici clairement comme le serviteur de Charles, ce qu’il ne devait pas encore être lorsqu’il entame son entreprise plusieurs années auparavant. Quels événements de datation nous transmet-il pour l’écriture de son œuvre ? Dans le prologue, il prend soin de préciser la durée de son travail, sept années, et d’indiquer qu’avant l’achèvement, après le sac de Dinant (1466), il accompagnait le duc dans sa nouvelle campagne contre Liège. Plus loin, au chapitre 3 du livre I, il revient sur le sac de Dinant pour nous informer qu’il continuait son travail de traduction de Quinte-Curce tout en suivant Charles dans ses guerres : pendant le siège de la ville, il lisait ainsi une histoire 21. Voir mon article « La traduction de la Cyropédie par Vasque de Lucène », art. cit. (n. 2).

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anonyme de la vie d’Alexandre (fol. 7 r). De fait la date de 1468, inscrite sur plusieurs manuscrits, concorde avec ces allusions, même si certains manuscrits, par erreur, portent la mention de 1463 ou de 1459, tout en faisant référence à ces événements de 1467-1468 et en donnant à Charles le titre de duc de Bourgogne22. Si l’on croit la durée de sept ans qu’il nous apprend, il aurait commencé sa traduction en 1461. La mention de cette longue durée nous invite alors à penser qu’il n’écrivait pas avec les impératifs auxquels un serviteur doit se plier pour satisfaire une commande en bonne et due forme, d’autant qu’il a connu, nous apprend-il, un moment profond de découragement qui l’a conduit à interrompre son œuvre pendant trois ans. Il est pourtant peu vraisemblable qu’il ait entrepris sa traduction sans inspirateur ou inspiratrice. Rappelons que les années qui précèdent 1465, la date de la réconciliation entre Charles et Philippe le Bon, sont marquées par de violentes tensions entre le père et le fils, et qu’Isabelle de Portugal vit dans sa semi-retraite à la Motte-auBois, toujours proche de son fils. Or un faisceau d’indices indique que Vasque a longtemps appartenu à l’entourage de la duchesse, nous y reviendrons, ce qui pourrait peut-être expliquer que Philippe le Bon n’entre pas dans l’image qu’il donne de son milieu d’écriture, si l’on excepte sa mention dans la rapide évocation de la lignée de Charles. Nous remarquons certes aussi l’absence du nom d’Isabelle de Portugal – l’évocation du grand-père de Charles, Jean de Portugal, inscrit néanmoins aussi la présence de la famille maternelle – et le premier événement historique mentionné date de 1465 : le contexte des conflits familiaux antérieurs est ainsi occulté. Le fil de la genèse de son texte qu’il choisit de nous dérouler ne s’accroche à des noms de personnes de son entourage qu’après l’évocation de son renoncement à l’écriture pendant trois ans. Des encouragements l’ont entraîné à reprendre le travail, nous dit-il, ceux de Jean V de Créquy et Jean de Calabre : Mesmes depuis que j’avoye assemblé de Justin et d’aultres le commencement et jusques a la moitié du premier livre, je le laissay trois ans sans riens parfaire jusques a tant que monseigneur de Crequi m’en requist si a certes qu’il me convint obtemperer a ses prieres ou renoncer a l’obligacion que je lui devoye, a laquele j’amoye mieulx satisfaire avec ma honte que demourer en debte pour mon honneur. (Paris, BnF, fr. 22547, fol. 2 v) [Et même après que j’ai eu compilé de Justin et d’autres auteurs le livre du début jusqu’à son milieu, je l’abandonnais trois ans sans rien toucher jusqu’à ce que monseigneur de Créquy me demandât de le reprendre si 22. Voir particulièrement les manuscrits de Berne, Burgerbibliothek, A 25 et de Paris, BnF, fr. 20311.

Le projet humaniste de Vasque de Lucène ET Quinte-Curce 223 instamment que je dus obtempérer à ses prières ou renoncer à l’obligation que je lui devais, obligation que j’aimais mieux satisfaire avec ma honte que de rester avec une dette pour mon honneur.] Jehan, duc de Calabre, prince de tres clere congnoissance tant en paix comme en guerre, estant en vostre logis de Conflans en presence de monseigneur de Crequi, me dist que c’estoit la meilleur histoire qu’il avoit oncques veue, mais que c’estoit dommaige qu’il y failloit le premier livre et en aultres lieux, ce que j’ay ressarcy et recouvré. (Paris, BnF, fr. 22547, fol. 2 v) [ Jean, duc de Calabre, prince à l’esprit de discernement très juste, en paix comme en guerre, alors qu’il était en votre demeure de Conflans en présence de monseigneur de Créquy, me dit que c’était le meilleur récit historique qu’il ait jamais vu, mais que c’était regrettable qu’il lui manquât le premier livre et d’autres passages, ce que j’ai réparé et compensé.]

La mention de cette dernière discussion renvoie à la présence historique des deux seigneurs auprès de Charles à Conflans en 1465, pendant la Ligue du Bien public. Jean V de Créquy, seigneur de Canaples, est un mécène et un bibliophile bien connu23 qui a joué un rôle important à la cour de Bourgogne : des témoignages nombreux sont conservés du soutien qu’il a apporté à plusieurs auteurs, de sa commande d’œuvres nouvelles ou de réécritures, particulièrement de récits chevaleresques et de compilations historiques. L’affirmation de Vasque de Lucène rappelle le prologue d’une œuvre dont ce seigneur serait à l’origine : les Conquestes et Chroniques de Charlemagne font en effet en 1458 l’objet d’une commande de Jean de Créquy à David Aubert, avant d’être reçues en 1460 par Philippe le Bon, illustrant alors un changement de destinataire dont on pourrait être tenté d’imaginer la reproduction pour les Faicts et Gestes d’Alexandre. Le prologue des Conquestes et Chroniques de Charlemagne désigne explicitement Jean V de Créquy comme le seigneur de l’auteur et le commanditaire de l’œuvre. Cette dernière aurait très vite séduit Philippe le Bon au point qu’il se l’approprie. Dans les Faicts et Gestes d’Alexandre, si l’affirmation de Vasque de Lucène sur les encouragements de Jean de Créquy et le fait que ces derniers précèdent le don de l’œuvre au duc de Bourgogne, en l’occurrence Charles, peuvent effectivement évoquer les Conquestes et Chroniques, la différence majeure est que Vasque de Lucène ne présente Jean de Créquy ni comme son seigneur 23. M. Gil, « Le mécénat littéraire de Jean V de Créquy, conseiller et chambellan de Philippe le Bon », Eulalie, 1  (1998), p.  69-95 ; V.  Guyen-Croquez, Tradition et originalité dans les Croniques et Conquestes de Charlemaine de David Aubert, Paris, 2015.

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ni comme le commanditaire ou le dédicataire de l’œuvre. Avant de soutenir une entreprise déjà commencée, Jean de Créquy en aurait-il été néanmoins le premier inspirateur ? L’hypothèse peut certes être émise, mais rien ne permet de la vérifier, d’autant que le discours de Vasque laisse dans le flou l’origine de son écriture. La formule qu’il introduit au sujet de l’obligation envers Jean de Créquy qui le poussa à reprendre le travail – il était contraint de continuer l’œuvre s’il ne voulait pas « renoncier a l’obligacion » qu’il lui devait – reste imprécise et énigmatique, puisqu’il ne révèle pas la nature de cette obligation. S’agissait-il d’honorer une commande ? S’il y avait eu une commande effective et si Vasque travaillait au service de Jean de Créquy, on s’étonne qu’il ait pu s’accorder la liberté de rester trois ans sans travailler au texte. Lorsqu’il évoque son propre honneur dans l’expression « demourer en debte pour mon honneur », il laisse penser que l’obligation n’était pas celle d’un serviteur rémunéré. Aucune donnée ne nous indique au reste, dans ce que nous savons par ailleurs sur Jean de Créquy et Vasque de Lucène, que le premier aurait pris à son service le second. Enfin, les témoignages conservés sur les commandes de Jean de Créquy ne montrent pas un intérêt pour des traductions humanistes de textes antiques. Il est important néanmoins de rappeler qu’aux yeux de la cour de Philippe le Bon et sans doute de Jean de Créquy, la figure antique d’Alexandre relevait aussi, et surtout, de la littérature chevaleresque tant prisée : pensons aux Faicts et Conquestes d’Alexandre le Grand de Jean Wauquelin ou aux Vœux du Paon de Jacques de Longuyon. L’hypothèse que Jean de Créquy ait pu jouer un rôle d’inspirateur, sans que Vasque ait été l’un de ses serviteurs appointés, ne peut donc être exclue, d’autant peut-être que le texte commence comme une compilation, en raison de la perte des premiers livres latins de Quinte-Curce. À ses encouragements, Vasque de Lucène ajoute ceux de Jean de Calabre, fils de René d’Anjou, qui est connu quant à lui pour ses liens avec l’Italie et les milieux humanistes, et son goût pour les nouveaux manuscrits : il pouvait ainsi avoir eu vent du succès des Historiae en Italie, tant en latin que dans la nouvelle traduction italienne de Decembrio. Nous savons par ailleurs l’importance des liens de la cour de René d’Anjou avec les humanistes italiens et notamment avec Guarino Veronese, dont René possédait un exemplaire de la traduction de la Géographie de Strabon24. L’inventaire de sa bibliothèque

24. Comme il n’est pas possible ici de citer toute la bibliographie sur ce sujet, nous renverrons seulement à l’ouvrage d’O. Margolis, The Politics of Culture in Quattrocento Europe. René d’Anjou in Italy, Oxford, 2016.

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mentionne aussi un témoin du texte latin de Quinte-Curce25. L’hypothèse a déjà été suggérée que ce serait par les soins de Jean de Calabre que Vasque de Lucène aurait pu obtenir un manuscrit de la traduction latine de sa Vie d’Alexandre de Plutarque26. D’après les propos que lui prête Vasque dans son prologue, Jean de Calabre, au moment de leur discussion, connaissait le texte latin de Quinte-Curce sans ses suppléments. Que cette allégation corresponde ou non à une réalité, l’important, ce sont ici d’une part la promotion de la valeur historique du récit latin par ce grand seigneur, d’autre part la mission de combler ses lacunes qui semble assignée à Vasque de Lucène et lui permet de se célébrer lui-même implicitement en « restaurateur » du texte d’un historien latin prestigieux. Plus loin, nous le verrons, lorsqu’il évoque les lacunes comblées, jamais il ne se reconnaît de prédécesseurs dans ce travail, puisqu’il ne mentionne ni le remaniement anonyme latin – dont il s’inspire pourtant – ni les précédents de Pier Candido Decembrio et d’Alfonso de Liñán. Quant aux circonstances du commencement de son écriture, Vasque les laisse dans l’ombre, donnant plutôt à croire à son lecteur que Jean de Créquy et Jean de Calabre ont confirmé un projet déjà existant, commencé et interrompu. Quelle serait alors son origine ? Plusieurs fois sa volonté personnelle est mise en avant, avec ses ambitions didactiques et sa conscience de l’utilité de l’histoire : […] voulenté me print de assambler et translater de latin en françois les faitz d’Alexandre afin de en vostre jeune aage vous donner l’exemple et instruction de sa vaillance. (Paris, BnF, fr. 22547, fol. 1 r) [[…] j’ai eu la volonté de réunir et de traduire de latin en français les faits d’Alexandre afin de vous donner dans votre jeune âge l’exemple et l’enseignement de sa vaillance.] Moy doncques, regardant le proufit des vrayes histoires, me suy disposé de translater de latin en françois Quinte Curce Rufe des gestes du grant Alexandre. (Paris, BnF, fr. 22547, fol. 2 r) [Quant à moi, regardant le profit que l’on tire des histoires vraies, j’ai commencé à traduire de latin en français Quinte Curce Rufe des gestes du grant Alexandre.]

25. Voir A. Lecoy de la Marche, Le roi René, sa vie, son administration, ses travaux artistiques et littéraires, Paris, 1875, t. 2, p. 187. 26. Voir notamment D. Gallet, op. cit., p. 101-102.

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Il accomplit une œuvre utile pour l’instruction et le conseil d’un jeune prince, qui n’était certes plus un jeune élève puisque Charles succède à son père à l’âge de trente-quatre ans, mais qui pouvait tirer un grand bénéfice de l’enseignement que l’un de ses conseillers lui offrait. Le propos est convenu. Il acquiert une acuité particulière dans les années qui entourent l’accès au pouvoir de Charles et les œuvres qui lui sont alors dédiées27. La mention de son projet pédagogique initial, en nous renvoyant au commencement supposé de l’écriture en 1461, alors qu’il n’était pas encore le serviteur de Charles, mais appartenait vraisemblablement à l’entourage d’Isabelle de Portugal, conforte une autre hypothèse, déjà formulée par la recherche : l’impulsion d’Isabelle de Portugal pourrait avoir été décisive, en vue de l’enseignement et du conseil de son fils. Certes il n’est pas possible, en l’état actuel de nos connaissances, d’apporter la preuve qu’elle ait demandé à Vasque d’écrire cette traduction. Vasque ne mentionne pas la duchesse dans ses prologues et nous ne disposons d’aucun témoignage externe sur une commande. Mais, comme l’indique Monique Sommé, les années qui suivent sa semi-retraite à la Motte-au-Bois sont « mal éclairées par les sources en ce qui concerne Isabelle : il n’y a plus d’états journaliers de l’hôtel et elle n’était pas tenue de rendre compte de l’utilisation de la rente qui lui était versée par le duc28 ». L’absence de trace d’une commande ne peut donc constituer une preuve pour écarter cette hypothèse, d’autant que quatre données importantes l’étayent : le rôle politique qu’Isabelle a joué auprès de son époux puis de son fils, les liens étroits qui l’ont toujours unie à ce dernier et le soin qu’elle a consacré à son éducation savante, puis à son conseil politique, la connaissance qu’elle avait des courants de pensée qui s’affirmaient à son époque et l’intérêt qu’elle leur portait et enfin la longue présence de Vasque de Lucène dans son entourage. Il ne nous appartient pas ici de détailler le rôle politique de la duchesse, que Monique Sommé a longuement étudié. Si sa semi-retraite à partir de 1457 met fin à la majeure partie de ses fonctions, elle continue d’œuvrer en faveur des intérêts politiques et matériels de son fils : il lui confie notamment la direction de ses finances, qu’elle assure depuis la Motte-au-Bois. Alors qu’elle redoute que Philippe le Bon ne le déshérite, elle s’emploie à lui assurer des biens et des revenus durables. L’accès au pouvoir de Charles en 1467 après la mort de son père entraîne son retour à la vie publique auprès de son fils, qui la charge de 27. Nous y reviendrons dans l’introduction de notre édition. 28. M. Sommé, « Une mère et son fils : Isabelle de Portugal, après son départ de la cour (14571471), et Charles le Téméraire », dans Autour de Marguerite d’Écosse. Reines, princesses et dames du xve siècle, éd. G. Contamine et P. Contamine, Paris, 1999, p. 99-122, p. 102.

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missions importantes, particulièrement en 1467 et 146829. Durant les années 1461-1468, où Vasque dit avoir écrit sa traduction, elle exerce donc un rôle de conseil et de soutien politique et financier majeur à ses côtés, d’abord durant le conflit avec Philippe le Bon, puis pour accompagner ses premières années au pouvoir. Nous savons aussi qu’avant 1457 elle avait veillé à son éducation savante et apporté sa protection à son précepteur Antoine Haneron, l’un des premiers humanistes des Pays-Bas. L’intérêt de la duchesse pour l’éducation savante ne peut surprendre au regard des contacts qu’elle avait eus avec les milieux humanistes durant son enfance et de sa vie à la cour de Portugal jusqu’à son mariage en 1430, à l’âge de trente-deux ans. Fille du roi du Portugal Jean Ier de Portugal et de son épouse Philippa de Lancastre, sœur de Henri le Navigateur et du duc Pedro, elle avait vécu dans un milieu familial baigné par les courants humanistes et l’influence des traductions italiennes. Devenue duchesse de Bourgogne, elle maintint des liens étroits avec sa famille et avec les cours ibériques. Elle prit une part intense dans l’activité diplomatique de la cour de Bourgogne, que ce soit avec l’Angleterre ou avec la péninsule ibérique. On garde trace de son rôle pour la circulation de certains textes entre la cour de Bourgogne et la péninsule ibérique, notamment le Livre des trois vertus de Christine de Pizan, traduit en portugais. Tout porte à croire qu’elle était au fait de ce qui s’écrivait et se diffusait, même si aucun témoignage de commande n’est conservé, exception faite d’un seul texte : des traductions de textes religieux par son secrétaire Jacques de Ramecourt, que nous conservons dans un manuscrit30. Si ce que nous connaissons d’elle nous laisse supposer son intérêt pour la diffusion de l’humanisme à la cour de Bourgogne, elle a en effet aussi œuvré pour y transmettre un autre courant de pensée, lui aussi nouveau, celui de la Dévotion moderne, et ses actions en faveur de religieuses réformées sont bien documentées. Pour ce qui concerne la traduction et la présence de Portugais dans son entourage, la famille de Lucène occupe bien entendu une place de choix31. 29. Voir M. Sommé pour leur exposé précis dans « Une mère et son fils », art. cit., part. p. 113-117. 30. M. Sommé, « Un recueil de traités ascétiques de la Bibliothèque municipale de Lille copié par Jacques de Ramecourt pour Isabelle de Portugal, duchesse de Bourgogne », dans Livres et lectures de femmes en Europe entre Moyen Âge et Renaissance, éd. A. M. Legaré et B. Schnerb, Turnhout, 2007, p. 241-252. 31. Outre les études déjà mentionnées sur Isabelle de Portugal, voir Isabelle de Portugal, duchesse de Bourgogne, 1397-1471, éd. C. Lemaire et M. Henry, Bruxelles, 1991 ; M. Sommé, La correspondance d’Isabelle de Portugal, duchesse de Bourgogne, 1430-1471, Ostfildern, 2009 ;

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Vraisemblablement à l’origine de son installation à la cour de Bourgogne, Isabelle de Portugal semble avoir maintenu jusqu’à sa mort des liens avec Vasque de Lucène, sans que nous connaissions les fonctions exactes du service, antérieur et peut-être aussi concomitant à son rôle de conseiller de Charles le Téméraire, qu’il a exercé auprès d’elle. Deux éléments importants sont ici à noter. Plusieurs manuscrits des Faicts et Gestes d’Alexandre le Grand indiquent l’achèvement de la traduction au château de la Motte-au-Bois à Nieppe, là où la duchesse s’était retirée, ce qui semble bien indiquer que Vasque de Lucène, fils de son médecin, après avoir été sans doute à son service personnel, a continué à lui être très lié même après être passé à celui de son fils. Tout se passe comme si la mention du château de la Motte-au-Bois comme l’une des résidences d’écriture du traducteur suggérait qu’elle lui avait assuré les ressources matérielles de son travail, comme s’il avait accompli son œuvre sous son patronage32. Nous savons en outre qu’à la mort d’Isabelle de Portugal, c’est Vasque de Lucène qui est choisi pour rédiger son épitaphe, en latin, ce qui prouve que des liens étroits avaient perduré33. Dans cette épitaphe, il se présente comme son échanson34. Tout ce faisceau d’éléments rend ainsi vraisemblable l’hypothèse qu’elle lui ait demandé de traduire Quinte-Curce pour son fils. En 1468, Vasque de Lucène dédicace ainsi sa traduction à Charles le Téméraire, qui, féru d’histoire et particulièrement d’histoire antique, semble l’avoir beaucoup appréciée puisqu’il lui commande aussitôt une traduction de la Cyropédie. Il venait de recevoir de Charles Soillot, en 1467, la traduction du Hiéron de Xénophon et confirme son intérêt pour les traductions humanistes. Cette dédicace a sans nul doute contribué au succès des Faicts et Gestes d’Alexandre le Grand à la cour de Bourgogne35, elle est attestée dans C. C. Willard, « The Patronage of Isabel of Portugal », dans The Cultural Patronage of Medieval Women, éd. J. Hall McCash, Athens, 1996, p. 306-320 ; « A Portuguese Translation of Christine de Pisan’s Livre des Trois Vertus », Publications of the Moderne Language Association of America, 8 (1963), p. 459-464. 32. Voir C. Samaran, art. cit., p. 17-19. 33. Sur l’humaniste Antoine Haneron, voir D. Gallet-Guerne, op. cit., p. xii-xiii ; H. Stein, « Un diplomate bourguignon du xve siècle : Antoine Haneron », Bibliothèque de l’école des chartes, 98 (1937), p. 283-348. Se reporter aussi à la note 41. 34. Voir Ch. Samaran, art. cit., p. 21 et Isabelle de Portugal, duchesse de Bourgogne, 1397-1471, op. cit., p. 56, 57, 60 et 96-97. Vasque est peut-être l’auteur d’une Vita d’Isabelle, perdue, dont nous gardons une traduction française (ibidem, p. 56, 95-96). 35. C. Blondeau, « Imiter le prince ? La diffusion des Faits et Gestes d’Alexandre de Vasque de Lucène à la cour de Bourgogne », dans Hofkultur in Frankreich und Europa im Spätmittelalter. La culture de cour en France et en Europe à la fin du Moyen Âge, éd. C. Freigang et J.-C. Schmitt, Berlin, 2005, p. 185-208.

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tous les manuscrits complets, ceux qui contiennent le prologue général, si l’on excepte un témoin particulier, qui se différencie par l’adresse de l’auteur non pas à Charles le Téméraire mais à Philippe le Bon : le manuscrit de SaintPétersbourg, Bibliothèque Nationale de Russie, Fr. f. i. V. N 45. Dans l’unique article qui lui ait été consacré à notre connaissance36, O. Bleskina estime au vu de cet élément que l’œuvre aurait été initialement destinée à Philippe le Bon. L’ayant achevée peu après la mort de ce dernier, Vasque aurait été contraint de changer de destinataire. Selon O. Bleskina, le manuscrit de Saint-Pétersbourg nous transmettrait ainsi un état très ancien de l’œuvre37. Un premier examen du texte de ce manuscrit nous invite néanmoins à des conclusions plus prudentes et même différentes. Comme O. Bleskina l’indique, la version du prologue qu’il contient se distingue effectivement de celle des autres manuscrits par la substitution du nom de Philippe à celui de Charles, du terme temps au syntagme jeune aage dans sa seconde phrase et par les suppressions des allusions à la politique de Charles dans les années 1465-1468. Mais à ces données s’ajoute un premier élément important qu’elle ne note pas : les quelques mots qui, dans le texte des autres manuscrits, évoquent le séjour de Vasque à Conflans, en 1465, aux côtés de Charles, alors comte de Charolais, de Jean de Calabre et de Jean de Créquy sont ici écrits puis raturés, comme si le copiste du manuscrit de Saint-Pétersbourg avait sous les yeux ce texte commun aux autres manuscrits et considérait qu’il s’était trompé en lui reprenant cette allusion à Charles (fol. 16 r, « Jehan duc de Calabre, prince de tres clere congnoissance tant en paix comme en guerre38, en presence de monseigneur de Crequi »). Ce prologue pourrait ainsi être une réécriture du texte commun aux autres manuscrits, et non un état antérieur. Une deuxième phrase conforte cette hypothèse, celle qui évoque les ancêtres glorieux du dédicataire. Elle ne contient pas ou plus la mention du roi Jean de Portugal, le père d’Isabelle, et surtout 36. O. Bleskina, « À propos de la datation de la version française des Faicts d’Alexandre de Quinte-Curce », Scriptorium, 53 (1999), p. 342-347. 37. Son étude des filigranes en identifie aussi plusieurs des années 1460-1470 (art. cit., p. 343, n. 5), mais d’une part cette identification ne permet pas de dater la copie du manuscrit d’une année précise ni d’être certain qu’elle serait antérieure à 1468, d’autre part même si le manuscrit de Saint-Pétersbourg est peut-être l’un des plus anciens parmi les manuscrits conservés, cela ne prouve pas qu’il transmette l’état le plus ancien du texte. Il nous semble plutôt véhiculer un texte réécrit : l’étude que nous commençons ici à ce sujet est poursuivie dans notre édition en cours. 38. Ici des mots sont raturés et on devine sous les traits le début d’une copie corrigée puis biffée des termes « estant en vostre logis de Conflans » des autres manuscrits (BnF, fr. 25457, fol. 3 r) qui évoquaient Charles.

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le syntagme « monseigneur vostre pere, Alexandre du nostre » est désormais inclus dans une phrase confuse, dont les incohérences de la présentation des personnages semblent résulter d’une réécriture maladroite du texte commun aux autres manuscrits : […] se faire se povoit qu’il retournast en nostre siecle, vous, mon tres redoubté seigneur, deveriez estre exemple d’Alexandre, que se exemple vous estoit neccessaire, il n’estoit ja besoing de plus loing le cerchier que es vertus, victores et triumphes de voz ayeulx, le duc Phelipe, le duc Jehan, le roy Jehan de Portugal, Alexandres de leurs temps, de monseigneur vostre pere, Alexandre du nostre. (Paris, BnF, fr. 22547, fol. 14 v) [[…] s’il était possible qu’il revienne en vie à notre époque, c’est vous, mon très redouté seigneur, qui devriez lui servir d’exemple, car, à supposer qu’un exemple vous soit nécessaire, il ne serait pas nécessaire de le chercher plus loin que dans les vertus, les victoires et les triomphes de vos aïeux, le duc Philippe, le duc Jean, le roi Jean de Portugal, Alexandres de leurs temps, et de monseigneur votre père, Alexandre du nôtre.] […] se faire se povoit qu’il retournast en nostre siecle, vous, mon tres redoubté seigneur, deveriez estre exemple d’Alexandre, que se exemple vous estoit neccessaire, il n’estoit ja besoing de plus loing le cerchier que es vertus, victores et triumphes de voz ayeulx, le duc Phelipe, le duc Jehan, Alexandre de leurs temps, monseigneur vostre pere, Alexandre du nostre. (Saint-Pétersbourg, Bibliothèque Nationale de Russie, Fr. f. i. V. N 45, fol. 14 v)

Le prologue de Saint-Pétersbourg contenant une dédicace à Philippe le Bon, « monseigneur vostre pere, Alexandre du nostre » désigne ici Jean sans peur, et non plus Philippe le Bon. Désormais seuls deux personnages sont évoqués, Philippe le Hardi et Jean sans peur, et le terme « ayeulx » est maintenu pour les désigner, alors qu’il est habituellement employé pour le grand-père, l’arrière-grand-père ou les ancêtres plus éloignés (comme dans le texte commun aux autres manuscrits), mais non pour le père. Et ensuite, plus étrange encore, après avoir écrit/mis au singulier le premier « Alexandre » (ce qui certes en soi n’a pas une valeur très significative), tout en le juxtaposant au pluriel de « leurs temps », le copiste écrit, sans la préposition « de », le syntagme « monseigneur vostre pere, Alexandre du nostre ». Comme nous venons de le voir, ce dernier ne peut alors renvoyer qu’au « duc Jehan », Jean sans peur, tandis que dans le texte commun des manuscrits, en désignant Philippe le Bon, il introduisait un troisième membre de la lignée (un quatrième en réalité puisque le roi Jean de Portugal était aussi cité comme grand-père). La succession des deux syntagmes « Alexandre de leurs temps » et « Alexandre du nostre », avec le

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« leurs » et le « nostre », implique pourtant au moins trois personnages. En outre, l’évocation des conquêtes du père qui suit s’appliquait bien à Philippe le Bon, alors que ce n’est pas le cas pour Jean sans peur. Toutes ces données semblent être le résultat d’une réécriture rapide et négligée de la version première, à tel point que la fin de la phrase devient peu compréhensible. Ce prologue pourrait donc transmettre une adaptation maladroite du texte en vue de l’inscription d’une nouvelle dédicace. Mais pourquoi cette dédicace à Philippe le Bon ? À quelle date et pour quelle finalité ? Juste avant sa mort ou après sa mort ? De qui émanerait-elle ? Que ce soit de Vasque de Lucène nous semble peu vraisemblable au vu du supplément final qui est ajouté au texte de Quinte-Curce dans le manuscrit de Saint-Pétersbourg et qui vient contredire le projet humaniste qu’il affirme dans son prologue – nous allons y revenir –, même si nous ne pouvons exclure que, dans les années 1460 qui marquent la transition entre le pouvoir du père et du fils, et peut-être après leur réconciliation de 1465, il ait pu avoir eu l’intention à un moment donné de dédier son texte au duc encore régnant, Philippe le Bon. Mais nous n’avons aucun indice qui aille en ce sens, d’autant qu’aucun témoignage d’un service de Vasque auprès de Philippe le Bon n’est conservé dans les archives. Par ailleurs il reste les incohérences dans la dédicace et les traces d’une réécriture que nous venons de mentionner. Une hypothèse est tentante : serait-ce alors un copiste qui, quelque temps avant la mort de Philippe le Bon, aurait voulu lui dédier le texte, de sa propre initiative ou peut-être à la demande du duc ? Philippe le Bon aurait-il pu chercher à s’approprier l’œuvre, comme il l’avait fait dans d’autres circonstances avec les Conquestes et Chroniques de Charlemagne ? Le supplément final, nous allons y revenir, correspondait bien à ses goûts et pourrait conforter cette hypothèse d’une tentative de captation du texte pour ou par Philippe le Bon, tentative qui n’aurait pas abouti, peut-être en raison de sa mort, ce qui expliquerait aussi l’inachèvement du manuscrit et de ses illustrations. On pourrait aussi imaginer l’initiative un peu plus tardive d’un copiste qui aurait forgé cette dédicace à un duc et mécène prestigieux, avec des intentions que nous ignorons, peut-être pour conforter le rattachement de l’œuvre à la littérature chevaleresque en vogue à l’époque de Philippe le Bon qu’assure le supplément final, et séduire un lectorat friand de tels textes. Par ailleurs le manuscrit de Saint-Pétersbourg entretient des liens avec les deux manuscrits du remaniement du texte sous forme de simplification que nous avons évoqués plus haut (manuscrits d’Abbeville et de Chantilly). Parmi d’autres éléments, ils ont ainsi en partage ce supplément final qui, à l’opposé des suppléments ajoutés par Vasque de Lucène au début du texte de Quinte-Curce et dans ses lacunes intérieures, ne se fonde pas sur des sources

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historiques latines et grecques, mais réunit avant tout quelques légendes médiévales à succès sur Alexandre, principalement celle des Vœux du Paon. Citons le début de cette « Addition au traittié de Quinte Curse des choses prises d’aultres livres et principalement des Veux du Paon » (fol. 250 v39) : Jassoit ce que au livre de Quinte Curse dessus escript traittant l’istoire du grant Alixandre qui est vraysemblablement la plus certaine et la plus vraye hystoire que nous ayons des fais d’icellui Alixandre, neantmoins on troeuve aultres pluseurs livres traittans de ses fais, les ungs en latin et les aultres en françois, esquelz livres sont aulcunes choses contenues qui ne sont point en Quinte Curse. Et soit que icelles choses soient vrayes et obmises par Quinte Curse ou qu’elles soyent faintes par aulcuns acteurs pour solacyer les lisans, elles toutesvoyes sont a mettre par escript pour consoler ceulx qui oyent volentiers choses nouvelles et estranges pour recreer aussi leurs esperis et pour y prendre exemple d’entreprendre haulz et nobles fais quant le temps le requiert. (Saint-Pétersbourg, Bibliothèque Nationale de Russie, Fr. f. i. V. N 45, fol. 250 v-251 r) [Bien que le livre de Quinte-Curce copié plus avant  relate une histoire du grand Alexandre qui est vraisemblablement le récit historique le plus authentique et le plus vrai que nous ayons des actions de cet Alexandre, néanmoins on trouve plusieurs autres livres qui traitent de ses actions, les uns en latin, les autres en français, et qui contiennent des données qui ne sont pas chez Quinte-Curce. Que ces données soient vraies et omises par Quinte-Curce ou bien qu’elles aient été inventées par quelques auteurs pour donner du plaisir au lecteur, il est nécessaire de les mettre par écrit afin d’apporter de la joie à ceux qui écoutent volontiers les choses nouvelles et étranges pour divertir leurs esprits et pour y prendre exemple en vue d’entreprendre de hautes et nobles actions quand le moment le requiert.]

Ces fictions, qui plaisaient tant à la cour de Bourgogne sous le règne de Philippe le Bon et continuaient sans nul doute à avoir les faveurs du public, correspondent à ces textes corrompus, mensongers, que Vasque de Lucène rejette avec véhémence dans son prologue. Ce supplément constitue ainsi une « trahison » de son projet humaniste. Il complète le texte de Quinte-Curce avec des fables que la traduction de Vasque de Lucène avait justement pour ambition de jeter dans l’oubli. Venons-en justement aux longs passages des prologues de Vasque de Lucène où il exprime sa conception de la traduction et ses exigences quant à la vérité historique. Ils sont présents dans tous les manuscrits complets du texte, ainsi 39. Nous préparons une édition de ce supplément. Notre édition donnera les résultats de notre comparaison du texte du manuscrit de Saint-Pétersbourg avec celui des autres manuscrits.

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que dans le manuscrit de Saint-Pétersbourg et dans les deux manuscrits d’Abbeville et de Chantilly, bien que ces derniers transforment ensuite le texte. C’est là qu’il formule un projet humaniste qui conteste avec virulence les affabulations circulant sur Alexandre dans les textes médiévaux. Un projet humaniste qui répond aux goûts pour l’histoire et les textes antiques que Charles le Téméraire a nourris de l’éducation reçue par son maître humaniste Antoine Haneron. Quelle conception de la traduction reflètent les longues interventions de Vasque de Lucène ? Nous constatons tout d’abord que le choix de la langue française pour la traduction est une question importante dans son argumentation. Ce choix montre celui d’un « humanisme vernaculaire » déjà bien présent en Italie et en Espagne pour les Historiae de Quinte-Curce, avec Pier Candido Decembrio et les traducteurs ibériques, attesté aussi en langue française pour d’autres œuvres traduites par Jean Miélot, Sébastien Mamerot ou Charles Soillot à la cour de Bourgogne, et antérieurement, à la cour de France, par des traducteurs plus nombreux, tant sous le règne de Charles V qu’à la cour de Charles VI. Vulgariser des textes savants dans une traduction fidèle, sans amoindrir leur complexité, les offrir à une élite princière et aristocratique afin de lui procurer les moyens de retrouver la vérité sur l’histoire antique et de l’exploiter pour mieux réfléchir sur le présent, telle est la mission qu’ils s’assignent. Lorsqu’il exprime les difficultés de son entreprise, Vasque de Lucène invoque le sentiment qu’il a de ne pas assez maîtriser le français, qui n’est pas sa langue maternelle, mais aussi le peu de succès dont jouissent d’après lui de telles traductions, et il prend pour exemples les traductions françaises de Salluste et de Tite-Live : […] la pluspart de ceulx de par deça ne tiennent compte de Tite Live ne de Saluste translatés en françois, qui sont les meilleurs historieurs de la langue latine, auxquelz Quinte Curce est semblable. (Paris, BnF, fr. 22547, fol. 2 v-3 r) [[…] la plupart de ceux du Nord [des possessions bourguignonnes] ne prennent pas en considération les traductions françaises de Tite-Live et de Salluste, les meilleurs historiens de la langue latine, dont QuinteCurce est l’égal.]

On peut s’étonner de lire une telle affirmation quand on pense, entre autres, à la soixantaine de manuscrits conservés de la traduction de Tite-Live par Pierre Bersuire et à l’exploitation de sa traduction par d’autres auteurs, notamment Jean Mansel à la cour de Bourgogne40. Comment comprendre son 40. Pour la traduction de Salluste, le lecteur pouvait penser aux Faits des Romains, dont on connaît le succès.

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assertion ? Étant donné que l’expression « pays de par deça » est très fréquemment employée dans les textes de la cour de Bourgogne pour désigner les territoires septentrionaux des ducs, les Pays-Bas bourguignons41, alors que leurs possessions méridionales, la Bourgogne et la Franche-Comté, sont appelées « pays de par-delà », nous supposons que « ceulx de par deça » représentent ici les milieux savants des Pays-Bas bourguignons, leurs premiers humanistes et universitaires, notamment ceux de l’Université de Louvain. Ces derniers privilégient le latin, la restauration des lettres latines et la recherche des manuscrits latins. Ce choix linguistique les sépare de fait de Vasque de Lucène, qui maîtrise le latin mais opte pour un humanisme « vernaculaire » qu’ils jugent sans nul doute moins noble et moins savant. Parmi eux, dans l’entourage de Charles, se détachait la figure d’Antoine Haneron, que Philippe le Bon avait engagé comme précepteur de son fils. Les écrits de ce maître de rhétorique de l’Université de Louvain montrent des liens avec l’humanisme italien, tout comme le manuscrit des œuvres de Salluste et de la traduction du Hieron de Xénophon par Leonardo Bruni qu’il fait copier, et qui, en plus de l’intérêt qu’il manifeste pour ces œuvres antiques, serait, dans sa réalisation matérielle, le premier témoin de l’écriture humanistique dans les Pays-Bas42. Vasque de Lucène exprime ainsi qu’il a conscience de s’engager dans une voie différente, mais il prend aussi soin de vanter l’excellence de QuinteCurce, pour sa maîtrise à la fois de la langue latine et de l’écriture de l’histoire, en l’égalant à Tite-Live et à Salluste. L’autorité de Quinte-Curce, essentielle, n’est pas la seule justification de son projet. La question de l’écriture en français, liée au lectorat qu’elle suppose, est déterminante. Il démontre en effet la nécessité de traduire en français l’historien latin en invoquant l’existence des récits mensongers de la vie d’Alexandre qui sont déjà écrits en langue française. En diffusant auprès de leur lectorat le texte d’un historien authentique, sa traduction les relèguera dans l’oubli, elle transmettra la vérité historique, en même temps qu’un enseignement précieux. Il dénonce en effet avec force les affabulations sur Alexandre qui circulent à son époque, dit-il, dans sept ou huit versions corrompues :

41. P. Cockshaw, « À propos des Pays de par deçà et des Pays de par delà », Revue belge de philologie et d’histoire, 52/2 (1974), p. 386-388. 42. C’est le manuscrit de Leyde, Universiteitsbibliotheek, Lips. 50. En plus des études citées plus haut, mentionnons J. Ijsewijn, « Antonius Haneron », dans Die deutsche Literatur des Mittelalters, Verfasserlexicon, t. 3, Berlin, 1981, col. 431-435 et G. Lieftinck, « A. Haneron introduisant l’écriture humanistique dans les Pays-Bas », dans Classical Mediaeval and Renaissance Studies in Honor of L. Ullman, t. 2, Rome, 1964, p. 283-285.

Le projet humaniste de Vasque de Lucène ET Quinte-Curce 235 Et pour ce que aulcuns pourroient blasmer mon labeur comme superflu, disans que on treuve ces histoires en françoys, en rime et en prose, en six ou en sept manieres, je respons qu’il est vray, mais corrumpues, changees, faulses et plaines de evidens mensonges. Par quoy il m’est avis que ma translacion est presentement plus utile qu’elle ne seroit se les dessusdits n’estoient. Car se ainsi est que ignorance vault mieulx que faulx sçavoir, il s’ensuit qu’il est plus utile corriger le faulx que instruire au prime l’ignorant. (Paris, BnF, fr. 22547, prologue général, fol. 2 r) [Et parce que certains pourraient blâmer mon travail en le déclarant superflu, disant qu’on trouve ces histoires en français, en vers ou en prose, dans six ou sept versions différentes, je réponds que c’est vrai mais que ces dernières sont corrompues, altérées, fausses et pleines de mensonges évidents. C’est pour cette raison que ma traduction est actuellement plus utile que si ces récits n’existaient pas.] Si me sembla plus utile que ledit Quinte Curce fust en françois mal translaté que nullement. (Paris, BnF, fr. 22547, fol. 2 r) [Il sembla plus utile que ledit Quinte-Curce fût mal traduit en français plutôt que non traduit.]

L’écriture en français est indispensable pour rectifier les erreurs que ces histoires corrompues ont introduites dans les esprits des lecteurs d’ouvrages français. Sa critique insiste sur trois épisodes très présents dans ces œuvres et très appréciés, qu’il rejette comme des aventures invraisemblables, des fables : le voyage sous la mer, l’ascension au ciel et les oracles des arbres et de la lune. Les auteurs qui diffusent de tels mensonges ont transformé Alexandre en un héros de fiction comparable selon lui à Lancelot, Tristan ou Rainouard, ils l’ont dépossédé de son statut historique. L’historien qu’il est se doit donc de rétablir la vérité en recourant à l’historien antique le plus authentique sur Alexandre qu’il connaisse, Quinte-Curce. La polémique qu’il déclenche est d’autant plus virulente qu’il estime que ces auteurs ont tellement dénaturé les connaissances des lecteurs qu’il se trouve confronté à la nécessité de donner des preuves de l’existence historique d’Alexandre : Car comme les ungs d’iceulx aient escriptes telement ses histoires qu’il n’y a guaires a dire d’icelles aux fables de Lancelot, d’Ogier et de Raynoart et les autres nous dient importunement que Alexandre ne fut oncques nes que les chevaliers devant nommés, ou il m’est besoing de prouver que Alexandre a esté et qu’il conquist tout Orient ou tout mon labeur seroit en vain. Mais que Alexandre ait esté et qu’il conquist la pluspart de tout Orient, je le preuve par

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CATHERINE Gaullier-Bougassas la Saincte Escripture en deux manieres : la premiere parce que ycelle Saincte Escripture dit qu’il devoit estre et le conquester, la seconde par ce qu’elle nous tesmoingne qu’il a esté et l’a conquis. (Paris, BnF, fr. 22547, livre I, ch. 1, fol. 4 r) [Car comme certains d’entre eux ont composé de sa vie un récit tel qu’il est comparable aux fables de Lancelot, d’Ogier et de Rainouart et que les autres nous affirment d’une manière importune qu’Alexandre n’a pas davantage existé que ces derniers chevaliers, je dois prouver qu’Alexandre a eu une existence historique et qu’il a conquis tout l’Orient, sinon tout mon travail serait vain. Qu’Alexandre a existé et qu’il a conquis presque tout l’Orient, je le prouve grâce à la Sainte Écriture de deux manières : la première, c’est parce que cette Sainte Écriture dit qu’il était prédestiné à exister et à conquérir l’Orient, la seconde, c’est parce qu’elle nous atteste qu’il a existé et qu’il l’a conquis.]

Au témoignage de l’historien latin, il ajoute ainsi l’autorité de la Bible, tant des prophéties de Daniel dans le livre de Daniel que du début du premier livre des Maccabées, en développant de longues explications. L’autorité d’Aristote, le précepteur d’Alexandre, est aussi invoquée. Un point précis nous semble contribuer à expliquer cette surenchère : un des enjeux est vraisemblablement d’apporter d’emblée la preuve que le père d’Alexandre est Philippe, comme l’indiquent le livre de Daniel et aussi les références, dans de nombreux ouvrages savants médiévaux, à la lettre adressée à Aristote par Philippe pour que le philosophe se charge de son éducation. Comme les deux premiers livres de Quinte-Curce sont perdus, et avec eux le récit de la naissance et de l’éducation d’Alexandre, la nécessité semble d’autant plus grande de se donner des cautions indiscutables. Vasque de Lucène vise alors sans nul doute les dérivés latins et français du Pseudo-Callisthène, très appréciés à la cour de Philippe de Bon : l’Alexandre en prose du xiiie siècle, le Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris et sa réécriture en 1448 par Jean Wauquelin pour Philippe le Bon, les Faicts et les Conquestes d’Alexandre le Grand, qui relatent les trois fables évoquées plus haut et, pour le premier, la filiation avec l’enchanteur égyptien Nectanebus43. On pourrait aussi penser aux traductions en langue française de l’Epitomé des Res gestae de Julius Valère et de l’Epistola Alexandri ad Aristotelem, qui sont réalisées pour la première fois à la cour de Bourgogne au xve siècle44. Si la critique a déjà tracé 43. Éd.  S. Hériché-Pradeau, Les Faicts et les Conquestes d’Alexandre le Grand de Jehan Wauquelin, Genève, 2000, et l’étude de M. Pérez-Simon, Mise en roman et mise en image. Les manuscrits du Roman d’Alexandre en prose, Paris, 2015. 44. Manuscrits de Bruxelles, Bibliothèque royale, 11104-05 (fol. 1-65 v, traduction de l’Épitomé ; fol. 66 r-90 v, traduction de l’Epistola), 14561-64 (fol. 1-5, traduction de l’Epistola).

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l’opposition qui existe entre les deux œuvres majeures écrites sur Alexandre à la cour de Bourgogne, celle de Jean Wauquelin et celle de Vasque de Lucène, elle a en revanche rarement remarqué que lorsqu’il inscrit le nom d’un auteur médiéval qui colporte des mensonges, Vasque de Lucène ne choisit pas celui d’un auteur en langue française, mais celui d’un auteur qui écrit en latin : Vincent de Beauvais. Le nom du dominicain n’est pas cité dans le prologue, là où la cible de ses critiques sont les histoires en français corrompues : sans doute connaissait-il le nom de Jean Wauquelin, son prédécesseur sur Alexandre à la cour de Bourgogne, mort en 1452, dont l’œuvre n’a été copiée que dans cinq manuscrits, mais il ne l’inscrit pas non plus. C’est plus loin, dans le chapitre 3 du livre I, au sujet de la conception d’Alexandre, qu’il mentionne le nom de Vincent de Beauvais, dirigeant alors la polémique vers un auteur latin qui jouit d’une très grande autorité depuis le xiiie siècle. Dans son Speculum historiale et son long livre sur Alexandre, Vincent de Beauvais s’inspire largement de l’Épitomé de Julius Valère, le premier traducteur latin du Roman d’Alexandre du Pseudo-Callisthène, notamment en rapportant la filiation avec Nectanabus, alors que Jean Wauquelin et déjà Alexandre de Paris la refusent : Ce que Vincent l’ystorial escript de la concepcion d’Alexandre, ce qu’il racompte de Neptanabus qu’il dit estre pere d’icellui est expressement contre la Saincte Escripture, qui ou premier livre des Macabees appelle ycellui Alexandre filz de Phelipe, roy de Macedone. Pareillement ce que icellui Vincent dit de pluseurs enchantemens d’ymages de cire noyees en ung bacin, on ne le treuve point en histoire autentique. Vray est que une histoire sans nom que icellui Vincent allegue en tous les faiz d’Alexandre racompte ces choses, laquele histoire dont Vincent l’istorial a extraitz les faitz d’Alexandre vint en mes mains en la destruccion de Dynant et l’ay veue tout du long. Si ne l’ay voulu en riens suivir, car elle n’a quelque auctorité en stile ne en sentence, ainçois discorde de tous bons acteurs non seulement en ce que dit est, mais en tout l’ordre de l’istoire. (Paris, BnF, fr. 22547, livre I, ch. 3, fol. 7 r) [Ce que Vincent l’historien écrit sur la conception d’Alexandre, ce qu’il relate sur Nectanabus, qu’il affirme être le père d’Alexandre, s’oppose expressément à la Sainte Écriture, qui dans le premier livre des Maccabées désigne ce même Alexandre comme le fils de Philippe, roi de Macédoine. De même, ce que Vincent dit au sujet de plusieurs enchantements de statuettes de cire noyées immergées dans un bassin, on ne le trouve pas dans l’histoire authentique. Il est certes vrai qu’une histoire sans nom que Vincent allègue pour les faits d’Alexandre relate ces choses. Cette histoire, dont Vincent l’historien a tiré les faits d’Alexandre arriva dans mes mains lors de la destruction de Dinant et je l’ai lue entièrement. Je n’ai voulu la suivre pour rien, car elle n’a aucune autorité ni dans son style

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CATHERINE Gaullier-Bougassas ni dans son contenu, mais diffère de tous les bons auteurs non seulement dans chacun des faits relatés, mais aussi dans leur ordre.]

Cette histoire sans nom est l’Épitomé des Res gestae de Julius Valère, dont le ­récit est effectivement intégré au Speculum historiale. Vasque de Lucène conteste ici une autorité de l’écriture de l’histoire latine médiévale, qui, au-delà de sa diffusion en latin, a été largement transmise en français par la traduction de Jean de Vignay, et exploitée dans des histoires universelles ultérieures, en langue latine et en langue française45. Ainsi met-il en cause tout un pan de l’historiographie latine médiévale, passée en langue française, sur Alexandre : celui des histoires universelles qui évoquent tant Nectanabus que les arbres du soleil et de la lune. En revanche, les deux épisodes des voyages céleste et sous-marin ne se lisent pas dans les histoires universelles françaises, ils appartiennent spécifiquement aux récits autonomes de la vie d’Alexandre, ceux d’Alexandre de Paris et de Jean Wauquelin avant tout, ainsi que l’Alexandre en prose du xiiie siècle. Sa quête exigeante de la vérité historique s’affirme aussi avec la revendication de la fidélité de la traduction. La rigueur scientifique consiste, à ses yeux, à suivre le texte mot à mot autant que possible, sauf dans les passages où, pour l’intelligibilité, il ne peut traduire ad verbum (fol. 2 v). Si l’on excepte ses interventions dans les prologues et les épilogues et le comblement des lacunes46, il n’ajoute en effet quasiment rien et renonce à la pratique médiévale de la glose. Deux passages, signalés comme ajouts car précédés du terme « incidence », portent certes sur la visite d’Alexandre à Jérusalem (fol. 71 r et v, 72 r), une fiction qui, durant le Moyen Âge et bien au-delà, est considérée comme un fait historique, ainsi que l’autorisent la caution de Flavius Josèphe, son inventeur, et celle de Pierre le Mangeur qui l’a reprise dans l’Historia scolastica. Mais l’initiative de son ajout au récit de Quinte-Curce n’est sans doute pas celle de Vasque de Lucène, puisqu’on la trouve dans plusieurs des manuscrits latins de Quinte-Curce, notamment ceux avec les suppléments latins. Seule une modification significative semble relever de son choix et elle est explicitement revendiquée : l’effacement des représentations de l’homosexualité, alors que Quinte-Curce les met en avant, à deux reprises, avec Nicomaque puis Bagoas. Au nom de ce qu’il juge être la bienséance et dans 45. Voir les éditions de M. Cavagna, Le Miroir historial, vol. 1, t. 1 (livres I-IV), Paris, 2017 et de L. Brun, Le Miroir historial de Jean de Vignay. Édition critique du livre I et du livre V, Stockholm, 2010. 46. Les interventions dont il ponctue sa traduction pour indiquer à son lecteur quand et comment il comble ces lacunes témoignent aussi d’un respect philologique croissant pour le texte de Quinte-Curce, comme nous l’étudions dans l’introduction de notre édition, à paraître.

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une condamnation violente, il nous apprend lui-même qu’il a transformé ces deux hommes en femmes : Vers la moytié de ce quint livre, je convertiz en jeune fille le personnage de Nycomaque, qui estoit ung jeune filz selon la verité de l’hystoire, ainsi que je transcripz de jouvencel en jeune fille le personnage de Bagre vers la moytié de ce livre et vers le commencement du neufviesme. Si l’ay fait non pas pour changier l’ordre mais pour eviter mauvais exemple. Et veritablement je remercye la langue françoyse qui n’a point de termes a proferer telz abuz ou certes je regracie mon ignorance qui trouver ne les sçait en ladicte langue, ou a la droite verité je sçay bon gré a ma honte qui ne tient cure de les chercher en icelle. Si demourera la noble langue françoyse innocente de par moy, chaste, non viollee et impollute de telz crimes. (Paris, BnF, fr. 22547, fol. 128 r) [Vers le milieu de ce cinquième livre, j’ai transformé en jeune fille le personnage de Nicomaque, qui était un jeune homme selon la vérité de l’histoire, de même que j’ai noté « jeune fille » à la place de « jeune homme » pour le personnage de Bagoas au milieu de ce livre et au début du neuvième. Je l’ai fait non pour changer la réalité des faits, mais pour éviter de donner un mauvais exemple. Assurément je remercie la langue française de ne pas avoir de mots pour proférer de telles fautes ou je me félicite de mon ignorance qui m’empêche de les trouver dans cette langue, ou, c’est certain, de la honte qui me retient de les chercher. La noble langue française restera ainsi chaste sous ma plume, elle ne sera pas violée ni souillée par de tels crimes.]

Ailleurs la fidélité est de mise. Elle sert la recherche de la « verité de l’hystoire » et elle est aussi, semble-t-il, une exigence de style, de rhétorique. Très importante à ses yeux, cette question du style contribue sans doute à justifier le choix de Quinte-Curce et appuie l’enseignement qu’il entend dispenser. Lorsqu’il évoque l’histoire sans nom sur Alexandre dont s’inspire Vincent de Beauvais, dans les phrases citées plus haut, il la disqualifie en effet à la fois pour ses fictions et pour sa platitude littéraire, son absence de style. L’Epitomé de Julius Valère est en effet un récit bref très sec et elliptique, dépourvu du moindre effet rhétorique. Pour expliquer son choix de Quinte-Curce, Vasque de Lucène se livre par ailleurs à un rapide examen comparé de la double valeur historique et littéraire des récits sur Alexandre de Justin et de Quinte-Curce : […] Justin […] tient le train et la voye dudit Quinte Curce et ne diffire de lui que ou stile, car Justin racompte en brief les choses faictes, Quinte Curce les choses, les lieux et les affections. L’ung met la somme des sermons, l’autre les contions tout au long, tous deux veritables, tous deux excellens orateurs, mais Quinte Curce trop plus. (Paris, BnF, fr. 22547, fol. 2 r)

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CATHERINE Gaullier-Bougassas [[…] Justin […] suit le même ordre que ledit Quinte-Curce et ne diffère de lui que par le style, car Justin relate très brièvement les faits, QuinteCurce relate les faits, mais aussi évoque les lieux et les passions. L’un donne le résumé des paroles, l’autre l’intégralité des discours, tous deux disent le vrai, tous deux sont d’excellents écrivains, mais Quinte-Curce l’est bien davantage que Justin.]

Selon lui les deux historiens relatent ainsi les mêmes faits avec la même vérité, mais ce qui les départage, c’est le style. Justin déroule un récit au rythme rapide et résume les faits, tandis que Quinte-Curce amplifie beaucoup, notamment les discours. Le choix d’une traduction fidèle par Vasque de Lucène met ainsi en valeur le texte de Quinte-Curce dans cette double valeur historique et rhétorique, comme s’il s’agissait de communiquer cette éloquence latine à la langue française et par suite de mieux convaincre et diffuser les exemples à imiter ou les contre-exemples à fuir. Impliquant une mise à distance nouvelle de l’Antiquité, loin des pratiques médiévales de l’anachronisme, son ambition est de le vulgariser à des fins historiques – permettre au lecteur de retrouver la réalité historique sur Alexandre et effacer les fictions des textes français « corrompus » –, et aussi à des fins politiques, à travers les modèles et les avertissements que l’exemple d’Alexandre tend au lecteur, et particulièrement au dédicataire de l’œuvre, Charles le Téméraire. L’une des originalités les plus grandes de Vasque de Lucène réside dans l’ampleur de son discours réflexif sur son travail de traducteur et dans l’argumentation précise qu’il développe pour imposer ses ambitions humanistes. Rien de tel n’apparaît dans les traductions italienne et ibériques antérieures de Quinte-Curce. Cette conscience de traducteur, qui lui permet de définir la spécificité et la valeur de ses Faicts et Gestes d’Alexandre le Grand par rapport aux récits sur Alexandre connus de son lectorat, se confirme dans le long prologue de son Istoire Cyrus où il réfléchit sur la compatibilité entre son travail de traduction et son service auprès du duc, et réfute à l’avance les reproches de partialité auxquels il s’attend, avec la mise au jour – ou l’invention – de similitudes entre Charles et Cyrus dont l’objectif serait de conforter la politique du duc. Catherine Gaullier-Bougassas Université de Lille -ALITHILA Institut universitaire de France

Les Historiae de Quinte-Curce : la traduction de Tommaso Porcacchi (1558) comme speculum principis. Étude des rapports entre la littérature classique et la propagande politique dans l’Italie du xvie siècle Le volgarizzamento des Historiae intitulé De’ fatti d’Alessandro Magno Re de’ Macedoni, que Tommaso Porcacchi (1532-1585) réalise en 1558, symbolise on ne peut mieux les nouveaux intérêts culturels de la Renaissance italienne : la découverte de l’Antiquité insuffle un goût certain pour tout ce qui touche à la Grèce et à la Rome antiques, non plus seulement au sein des cénacles d’universitaires, comme au xve siècle, mais aussi, et surtout, dans des cercles de plus en plus larges de lecteurs1. Ces derniers, malgré leur ignorance des langues classiques, souhaitent acquérir les connaissances fondamentales sur les deux civilisations qu’ils considèrent comme les sources du monde occidental. La culture n’est plus réservée aux princes et à leurs entourages ; sa « démocratisation » impose sa vulgarisation et rend nécessaire une transposition des originaux latins et grecs en langue vernaculaire. C’est la tâche que des éditeurs spécialisés confient aux « polygraphes » qui prendront soin d’accompagner la traduction de notes savantes et autres explications indispensables à la lecture. Notre auteur n’était d’ailleurs pas nouveau dans ce genre d’exercice, ayant débuté sa carrière avec, entre autres, une traduction du livre V de l’Énéide2. 1. Parmi les classes sociales, étrangères à la culture dominante, qui au xvie siècle souhaitent se cultiver par le biais de la nouvelle littérature en langue vernaculaire on trouve des marchands, des médecins, des employés municipaux, mais aussi de petits artisans. Sur l’élargissement du public des lecteurs dans l’Italie du xvie siècle voir P. F. Grendler, « Form and Function in Italian Renaissance Popular Books », Renaissance Quarterly, 46 (1993), p. 451-485 (part. p. 453454) ; idem, Books and Schools in the Italian Renaissance, Aldershot, 1995 ; B. Richardson, Print Culture in Renaissance Italy. The Editor and the Vernacular Text. 1470-1600, Cambridge, 1994, p. 90-108. Sur le lectorat féminin, voir A. Nuovo, « Gabriele Giolito editore (1539-1578). L’organizzazione produttiva », dans I Giolito e la stampa nel XVI secolo, éd. A. Nuovo et C. Coppens, Genève, 2005, p. 108-110. 2. Sur Tommaso Porcacchi et son activité de polygraphe, F. Pignatti, « Tommaso Porcacchi », dans Dizionario Biografico degli Italiani, Rome, 2016 (www.treccani.it/enciclopedia/ tommaso-porcacchi/Dizionario-Biografico). Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 241-274 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115400

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Mais au-delà de son importance pour l’histoire de la culture et de la divulgation, ainsi que de son rôle de catalyseur – l’historien des Historiae est latin mais la matière traitée est grecque –, la version italienne de Porcacchi permet de mettre en lumière les rapports entre la littérature et les grands enjeux militaires et géopolitiques de l’époque. Son but n’est pas seulement d’égayer un lecteur insouciant mais bien plutôt d’asseoir la légitimité de l’institution monarchique ; de même, les nombreuses références à l’art de la guerre qu’on y trouve sont le résultat direct des troubles de son temps.

L’importance politique de la biographie et de l’historiographie à la Renaissance Le livre De’ fatti d’Alessandro Magno de Porcacchi doit être inséré dans cet immense engouement pour le genre historiographique qui caractérise l’âge d’or de la Renaissance italienne : en effet le xvie siècle est celui où il reçoit ses lettres de noblesse et il s’agit d’une production qui a une finalité éminemment moraliste et qui peut, plus que toute autre, contribuer à l’éducation du peuple, à travers les exemples de vertu incarnés par les personnages dont les différentes compilations dressent le portrait et racontent les gestes. Ce sont dans la plupart des cas des grandes personnalités d’un passé très lointain, remontant le plus souvent à l’Antiquité grecque et romaine. Au souvenir de leurs hauts faits faisant partie du patrimoine culturel occidental depuis deux millénaires on attachait plus d’importance qu’aux actes et prouesses des Modernes, sur lesquels les intellectuels n’avaient sans doute pas assez de recul. Ce processus débute vers la fin du Quattrocento : l’Oratio in historiae laudationem prononcée par Bartolomeo della Fonte (1446-1513), professeur de poétique et rhétorique au Studium de Florence, le 6 novembre 1482, comme introduction à ses cours consacrés à la Pharsale de Lucain et au De bello civili de César, peut être considérée comme une sorte de manifeste de cette nouvelle conception de l’histoire3. Mais c’est au siècle suivant que cette approche historiographique sera la plus répandue : parmi les témoignages les plus remarquables je me limiterai à rappeler ici la lecture des Annales de Tacite faite à 3. Sur le rôle éducatif de l’historiographie classique à la Renaissance, R. Landfester, « Das Geschichtsstudium im Rahmen der ‘Studia humanitatis’ », dans idem, Historia Magistra vitae. Untersuchungen zur humanistischen Geschichtstheorie des 14. bis 16. Jahrhunderts, Genève, 1972, p. 54-62 ; A. Buck, L’eredità classica nelle letterature neolatine del Rinascimento, Brescia, 1975, p. 161-176.



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Rome en ouverture de l’année universitaire 1580-1581 par Marcantonio Muret, dans laquelle le savant déclare l’histoire nettement supérieure à la poésie en ce qu’elle peut véhiculer des enseignements éthiques et moraux. Elle est perçue véritablement comme magistra vitae4. Dans un premier temps Quinte-Curce ne compte pas parmi les auteurs les plus à la mode, les historiens de l’Antiquité les plus édités aux xve et xvie siècles étant Salluste, de loin l’auteur à succès par excellence jusqu’au milieu du Cinquecento, puis César, Tacite et Tite-Live ; mais l’intérêt pour l’auteur des Historiae se répand à partir du début du xve siècle, grâce à celui que lui portent quelques textes attribués – à tort – à l’un des pères de l’humanisme en Italie, Leonardo Bruni5, son texte est traduit par Pier Candido Decembrio en 14386 avant d’être publié à Venise en 1471 par Wendelin de Spire (editio princeps7) et intégré finalement, dans la Ratio studiorum rédigée par les Jésuites en 1586, le canon officiel des historiens incontournables8. La version de Tommaso Porcacchi témoigne surtout de l’intérêt porté par les intellectuels italiens à un genre particulier au sein du courant historiographique, la biographie. Ce type de récit semble devoir son essor au panorama géopolitique généré par les vicissitudes qui secouèrent l’Italie depuis la descente de Charles VIII en 1494, qui étaient autant de signes annonciateurs d’un déclin inéluctable des États de la péninsule, jusque-là indépendants et souverains. Dès 1512 jusqu’en 1559 l’Italie sera marquée par les guerres entre la France de François Ier et le Saint Empire romain germanique de Charles Quint qui s’en disputaient la prééminence. Le premier avait affermi son contrôle sur le Milanais, le deuxième avait l’ambition d’établir sa mainmise sur l’Italie pour consolider sa domination européenne et faire la jonction avec Naples, la Sicile et la Sardaigne qui faisaient également partie de ses possessions. C’était le début de plus de 4. J. von Stackelberg, Tacitus in der Romania. Studien zur literarischen Rezeption des Tacitus in Italien und Frankreich, Tübingen, 1960, p. 108 ; A. Buck, L’eredità, op. cit., p. 161. 5. L’humaniste arétin était considéré comme le traducteur en latin de l’épître Ad Alexandrum du Pseudo-Démosthène, contenue dans un supplément des Historiae de QuinteCurce transmis par plusieurs manuscrits du début du Quattrocento. De nombreux chercheurs modernes estiment toujours que cette attribution est authentique (S.  Berti, « L’orazione Pseudo-Demostenica Ad Alexandrum dal XII al XV secolo », Aevum, 75 (2001), p. 477-493 ; L. Silvano, « Pseudo-Demostene Ad Alexandrum o la forza del falso », dans Vestigia Notitiai. Scritti in memoria di Michelangelo Giusta, éd. E. Bona, C. Lévy et G. Magnaldi, Alessandria, 2017, p. 485-518 (part. p. 492 n. 27). L’épître Ad Alexandrum, faisant partie intégrante au xvie siècle des œuvres attribuées à Quinte-Curce, clôt la traduction des Historiae par T. Porcacchi. 6. Sa diffusion s’était faite par voie manuscrite dans les années précédentes. 7. Nous renvoyons à l’article de Lucie Claire, dans ce volume, sur les éditions suivantes. 8. A. Buck, L’eredità, op. cit., p. 163-164.

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quarante ans de conflits franco-impériaux qui virent le roi de France passer du statut de vainqueur de Marignan (1515) à celui de captif après la terrible déroute de Pavie (1525) et marquèrent le début de la domination espagnole sur la péninsule, une première fois en 1529 (Paix de Cambrai), puis, définitivement, en 1559 (Paix de Cateau-Cambrésis9). Les guerres d’Italie ne mettaient pas seulement un terme à l’indépendance des vieilles formations étatiques du pays – les familles régnantes des nouveaux États restent majoritairement italiennes et sont placées sous la surveillance du Conseil d’Italie, créé par Charles Quint et effectif sous Philippe II –, mais elles avaient aussi comme conséquences la disparition des anciennes républiques et leur remplacement par des formes de gouvernement « monarchique », duchés ou principautés : ainsi en est-il de Florence qui repassa aux Médicis, Côme II (1537-1573), puis Ferdinand Ier (1587-1609), qui englobèrent la République de Sienne. De petits États comme le Duché d’Urbin ou celui de Ferrare vivaient leur dernière période de splendeur, destinés qu’ils étaient à être avalés, à court terme, par les États Pontificaux. Même pour Venise une inexorable décadence s’était amorcée depuis 1509 (Agnadello), qui lui avait fait perdre une part conséquente de son Dominio da Terra10. La vogue de la biographie voit donc le jour dans une telle conjoncture, où les monarchies nationales se consolidaient partout sur le continent et leurs souverains absolus l’emportaient sur les petits États italiques, et dans laquelle l’autorité d’un seul individu primait sur des structures institutionnelles impliquant de larges tranches de la population11. Le nouveau genre était plus idoine à célébrer les gestes de l’homme fort que les récits – les œuvres de Salluste 9. G. Galasso, « Le guerre d’Italia : metastasi europea del problema italiano », dans idem, L’Italia moderna e l’Unità nazionale (Storia d’Italia UTET dirigée par G. Galasso, t. 19), Turin, 1993, p. 27-50 ; H. Lemonnier, Charles VIII, Louis XII et François Ier et les guerres d’Italie (14941547), Paris, 1983. Sur la domination espagnole après 1559, R. Quazza, Preponderanza spagnola, (1559-1700), Milan, 1950 ; G. Galasso, « L’egemonia spagnola in Italia », dans Storia della letteratura italiana, V, La fine del Cinquecento e il Seicento, éd. E. Malato, Rome, 1996, p. 371-411 (part. p. 377-381). 10. Sur la crise vénitienne des années 1509-1559, voir A. Mazzacane, « Lo Stato e il Dominio nei giuristi veneti durante il ‘secolo della Terraferma’ », dans Storia della cultura veneta, III/2, Dal primo Quattrocento al Concilio di Trento, éd. G. Arnaldi et M. Pastore-Stocchi, Vicence, 1980, p. 577-650 (part. p. 617-622) ; G. Cozzi, « Venezia nello scenario europeo (1517-1699) », dans La Repubblica di Venezia nell’età moderne. Dal 1517 alla fine della Repubblica, éd. G. Cozzi, M. Knapton et G. Scarabello, Turin, 1992, p. 1-59 (Storia d’Italia UTET, dirigée par Giuseppe Galasso, t. 12/1) ; M. Campetella, « La crise vénitienne dans les comédies du xvie siècle », Revue de l’Université catholique de Lyon, 17 (2010), p. 15-34. 11. À ce sujet voir en particulier A. Stegmann et P. Chavy, « Renforcement de la puissance de l’État », dans L’époque de la Renaissance (1400-1600), IV, Crises et essors nouveaux (1560-1610), éd. T. Klaniczay, E. Kushner et P. Chavy, Amsterdam et Philadelphie, 2000, p. 61-72.



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comptent parmi ces derniers – qui voyaient l’histoire comme la manifestation des actes pour ainsi dire choraux de tout un peuple. L’émulation des modèles représentés, non seulement par les Vies parallèles de Plutarque, les Annales, les Histoires et la Vie d’Agricola de Tacite, mais aussi les Vitae Caesarum de Suétone ou encore l’Historia Augusta, centrée sur la biographie des Empereurs du BasEmpire, introduit, dès le début du xvie siècle, une dimension héroïque dans la production historiographique de l’époque. La grandeur des souverains de ce passé lointain, mise en parallèle avec les exploits militaires ou les mérites politiques et culturels des puissants du temps présent, sert à souligner bien souvent la magnificence de ces derniers. Ce genre d’ouvrages, où le monarque est le protagoniste incontesté de l’Histoire, reléguant cette dernière au rang de pur décor, est ce qui explique le succès d’essais comme le Prince de Machiavel, malgré les nombreuses voix contraires à sa conception tyrannique du souverain12. La voie ouverte par Machiavel sera empruntée par une foule de continuateurs dont le but ultime est de mettre en valeur, au travers des gestes des grands souverains de l’Antiquité, l’institution monarchique, certainement la plus répandue dans cette première moitié du Cinquecento qui voit la naissance des premiers États nationaux. Dans ce cadre, Tacite, redécouvert à la fin du xve siècle et traduit en vulgaire à la fin du siècle suivant par Bernardo Davanzati (1529-1606), devient, bien plus que Tite-Live et Salluste – qui avaient été, peut-être à côté de Tacite13, les modèles de référence de Machiavel et qui étaient plutôt l’expression de valeurs républicaines – l’auteur de prédilection des chroniqueurs et autres spécialistes de l’histoire. Les biographies romancées14 du napolitain Tristano Caracciolo (1439-1517) sont à cet égard particulièrement exemplaires, tout comme les Ritratti d’huomini illustri di Casa Medici de Scipione Ammirato (1531-1601). Ce dernier est bien représentatif de cette approche de l’histoire dans laquelle les grands hommes sont plus importants que les idéologies ou les États15. Le préambule de ses 12. F. Chabod, « ‘Il Principe’ e l’anti-machiavellismo », dans idem, Scritti su Machiavelli, Turin, 1993, p.  108-135 ; F.  Tateo, « La letteratura della Controriforma », dans Storia, éd. E. Malato, op. cit., p. 174-221 (part. p. 174-178). 13. G. Toffanin, Machiavelli e il « tacitismo », Naples, 1972. 14. Voir ses biographies de Ferdinand d’Aragon, roi de Naples, De Ferdinando qui postea rex Aragonum fuit, eiusque posteris, et de Jeanne Ière, Vita Iohannae primae Neap. Reginae. Sur Tristano Caracciolo et sa conception de l’histoire, F. Rutger Hausmann, « Tristano Caracciolo », Dizionario biografico degli italiani, 19 (1976) ; F. Tateo, « La letteratura », art. cit., p. 178. 15. Même ses Historie fiorentine, qui retracent l’histoire de Florence des origines jusqu’à la mort de Cosme Ier (1574) dont il est devenu le biographe attitré, ne sont qu’une longue suite d’événements dont les Médicis constituent les protagonistes incontestés et où l’histoire finit par n’être qu’un décor de fond. De Scipione Ammirato il faut rappeler également l’œuvre

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Discorsi sopra Cornelio Tacito (Florence, Giunti, 1594) affirme haut et fort sa volonté de donner lustre aux princes plutôt qu’aux républiques. Mais même en dehors d’un cadre strictement tacitéen, les biographies commémorant les hommes illustres de la Renaissance sont légion et constituent sans doute l’un des éléments marquants de la littérature italienne du xvie siècle, même si cet exercice n’était pas nouveau16 : parmi les plus célèbres exemples, citons ici les biographies d’Andrea Doria et Camillo Orsini, célébrés par Lorenzo Cappelloni et Giuseppe Orologgi, toutes les deux publiées à Venise en 1565, celle de Charles Quint, rédigée par Lodovico Dolce en 1558, qui travaille également à la traduction italienne des Vies de tous les empereurs de l’espagnol Pedro Mexia, parue chez l’éditeur Gabriele Giolito la même année. Rappelons également l’Historia de’ detti e fatti notabili di diversi principi e homini privati moderni (1556) de Ludovico Domenichi, la Vita di Giovanni dalle Bande Nere de Giovangirolamo de’ Rossi (1505-1564), la première d’une longue série de dix-sept biographies de courageux condottières17. Ce n’est donc pas un hasard si la fortune de Quinte-Curce, après une première diffusion éditoriale dans les années 1470-148018, prend son essor dans la deuxième moitié du xvie siècle : en effet, le culte du monarque idéal qu’il véhicule se renforce au terme de ce long processus de déclin des États italiens qui mènera, après 1559, à l’éclipse définitive des libertés citoyennes, puisque des historiens tels que Salluste et Tite-Live étaient considérés comme les défenseurs des valeurs républicaines19. Les lettrés avaient tendance à considérer l’histoire contemporaine comme une répétition de l’histoire antique ; dans cette généalogique Delle famiglie nobili napoletane (1580) et le traité Il Rota ovvero delle imprese (1562) : ils constituent l’énième témoignage de sa méthode historiographique axée sur les personnages importants, nobles et princes, considérés comme les véritables moteurs de l’histoire humaine. Au sujet de Scipione Ammirato, voir F. Tateo, « La letteratura », art. cit., p. 178-179. 16. Sur la biographie encomiastique du xve siècle et ses modèles classiques, F.  Tateo, « Storiografi, trattatisti, filosofi », dans Storia, éd. E. Malato, op. cit., IV, Il primo Cinquecento, Rome, 1996, p. 1068-1069 ; idem, I miti della storiografia umanistica, Florence, 1990, p. 142-152. 17. Sur la place éminente tenue par la biographie dans l’historiographie du xvie siècle, F. Tateo, Storiografi, art. cit., p. 1066-1070. 18. La quasi-totalité des manuscrits des Historiae ne remontent pas au-delà du milieu du xve siècle et plus de la moitié datent de la seconde partie du Quattrocento (C. M. Lucarini, Q. Curtius Rufus, Historiae, Berlin et New-York, 2009, p. vii-xxv). Voir les articles de Silverio Franzoni et de Enrico Fenzi dans ce volume. Voir aussi L. Braccesi, « Imitazioni di e da Curzio Rufo », dans L’Histoire d’Alexandre selon Quinte-Curce, éd. M. Mahé-Simon et J. Trinquier, Paris, 2014, p. 109-118 (part. p. 116-117). 19. H. Baron, The Crisis of the Early Italian Renaissance. Civic Humanism and Republican Liberty in an Age of Classicism and Tyranny, Princeton (New Jersey), 1966 (part. p. 58-60) ; A. Buck, L’eredità, op. cit., p. 171-172.



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dernière ils trouvaient les préfigurations des faits récents et dans les puissants de leur époque les derniers avatars de ceux qui s’étaient illustrés des siècles plus tôt. Les histoires grecque et romaine servaient donc de repères aux actions des Modernes. Exemplaire est, de ce point de vue, le manifeste de Porcacchi, mis en tête de la collection d’historiens grecs et latins, la Collana Historica, dont il avait été nommé directeur en 1563 par l’éditeur vénitien Gabriele Giolito : Deve avvertire di tutte le operationi che si leggono nell’historie qual sia maggiore, et di più importanza […] in che modo sono stato da gli antichi maneggiati le guerre, et paragonatele con le moderne, valersi a tempo20. [Dans le cours de l’histoire, on doit repérer les événements les plus importants […], de quelle manière on faisait la guerre dans les temps anciens, et en tirer profit pour les campagnes militaires modernes.]

Un pont était ainsi jeté entre les temps anciens et le présent. Cette imitatio Antiquorum est un paramètre fondamental même dans le domaine de l’ingénierie militaire et de la stratégie21. Il est vrai que ni la reprise de modèles classiques ni la forme biographique de la narration historique, finalisée à la glorification du princeps moderne, perçu comme le nouveau César, n’étaient totalement inconnues des historiens du siècle précédent. Dans leur œuvre, le côté césarien des monarques de la fin du Quattrocento était déjà mis en évidence jusque dans le style de la langue employée, qui était le plus souvent le latin. Ainsi le triomphe d’Alphonse II, roi de Naples, décrit par Bartolomeo Facio à la fin du VII livre de son De rebus gestis ab Alphonso (1456), renvoie à la conclusion des Commentarii césariens où le triomphe du nouveau maître de la République laisse présager le début d’une nouvelle ère de paix et prospérité22. 20. Cité par J. R. Hale, « Industria del libro e cultura militare a Venezia nel Rinascimento », dans Storia, éd. G. Arnaldi et M. Pastore-Stocchi, op. cit., p. 245-288, part. p. 261. Sur Tommaso Porcacchi en tant que polygraphe spécialiste de l’histoire classique, voir R.  Bragantini, « ‘Poligrafi’ e umanisti volgari », dans Storia, éd. E. Malato, op. cit., IV, Il Primo Cinquecento, p. 681-754 (part, p. 681) ; A. Nuovo, « Gabriele Giolito editore », art. cit., p. 114-115. 21. En guise de critique de l’artillerie, de plus en plus répandue sur les champs de bataille au début du xvie siècle, Machiavel dans l’Art de la guerre fait dire à Fabrizio, son porte-parole : « Je vous répète […] que partout aujourd’hui les institutions militaires (il modo et ordini della guerra) comparées à celle des Anciens, sont gâtées ; mais qu’en Italie c’est une science perdue tout à fait » (Machiavel, Œuvres complètes, dir. E. Baringou, Paris, 1952, p. 880). Francesco Patrizzi écrit en 1594 ses Paralleli militari ne’ quali si fa paragone delle milizie antiche, in tutte le parti loro, con le moderne, dans lesquels il conseille aux belligérants modernes d’imiter les vertus guerrières des Anciens, parce que supérieures. À ce sujet, voir H. Vérin, La gloire des ingénieurs. L’intelligence technique du xvie au xviiie siècle, Paris, 1982, p. 79-91. 22. F. Tateo, I miti, op. cit., p. 144-145.

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Quant à la figure mythique d’Alexandre le Grand, les différentes traductions occidentales du roman du Pseudo-Callisthène l’avaient exploitée, souvent à des fins de légitimation du pouvoir, un peu partout en Europe depuis le xe siècle ; ses volgarizzamenti en italien sont nombreux du xive au xvie siècle comme Michele Campopiano l’a bien montré23. Dans l’Italie du Sud, ce genre de texte légitime la dynastie aragonaise après la défaite de René d’Anjou : ainsi, le De rebus gestis de Bartolomeo Facio comparait Alphonse I à César et au roi de Macédoine pour valoriser sa supériorité par rapport à ses homologues de l’Antiquité24. Sa répartition en dix livres laisserait également songer aux Historiae de Quinte-Curce, qui probablement figuraient en bonne place dans la bibliothèque du roi aragonais déjà en 1456 ; le même Bartolomeo Facio laissait inachevée une traduction de l’Anabase d’Arrien25. Mais ces rapprochements sont quantitativement et qualitativement bien inférieurs à la production historiographique du Cinquecento. Les parallèles avec Rome et la Grèce classique occupent par exemple une place de choix dans l’œuvre politique et historiographique du vénitien Paolo Paruta (15401598) : ainsi en est-il des Discorsi politici dans lesquels, sur les traces de Polybe, l’auteur opère un rapprochement avec l’histoire de Rome mais aussi, sur un plan plus strictement politique, des trois livres Della perfezione della vita politica (Venise, D. Nicolini, 1579) dans lesquels les idées aristotéliciennes sur les formes fondamentales de gouvernement sont de toute évidence la base même de la stabilité de la vie politique vénitienne26. La fonction pédagogique et morale exercée par les textes classiques était d’autant plus marquée que ces derniers était publiés en langue vernaculaire, plus accessible au plus grand nombre27. C’est ce qui explique, comme on pou23. M. Campopiano, « Langues et genres littéraires de l’Alexandre italien », dans La fascination pour Alexandre le Grand dans les littératures européennes (xe-xvie siècle). Réinventions d’un mythe, dir. C. Gaullier-Bougassas, Turnhout, 2014, t. 1, p. 323-362. 24. « Etsi nonnullos viros haec aetas tulit, qui praestanti ingenio atque doctrina praediti, tum ad alia quaeque, tum ad res gestas scribendas peridonei exstimari possint, fuerintque et nostra et patrum nostrorum memoria aliquot Populi ac Principes clari, qui magna atque laudabilia facinor gessere ; ea tamen, est apud plerosque novarum rerum negligentia, ut pauci ad scribendam historiam sese conferant. Sunt enim quos, cum legerint aut Alexandri, aut Caesaris, aut Populi Romani facta, haec nova ac recentiora non multum delectent. » (Bartolomeo Facio, Storia di Alfonso d’Aragona, re di Napoli, éd. et trad. D. Pietragalla, Alessandria, 2003, Praefatio, p. 1). 25. F. Tateo, I miti, op. cit., p. 152-155. 26. La structure même de l’ouvrage, en forme de dialogue, conformément aux traités classiques de philosophie morale, rappelle la nature d’auctoritates possédée par ces derniers. Sur Paolo Paruta et ses modèles classiques, voir F. Tateo, « La letteratura », art. cit., p. 179-180. 27. À ce sujet voir B. Richardson, Print Culture, op. cit.



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vait s’y attendre, la véritable explosion de volgarizzamenti d’œuvres d’histoire, latine et grecque, depuis le début du xvie siècle : la totalité de l’œuvre de César est publiée en version italienne à Venise une première fois en 1512 (A. Ortica) et une deuxième en 1518 (D. Popoleschi) ; deux traductions des Histoires et des Annales de Tacite voient le jour en 1544 (Venise, anonyme) et 1563 (Venise, G. Dati), alors que la Vie d’Agricola est imprimée à Londres en 1585 (G.  M. Manelli) et les Annales en 1600 (Florence, B.  Davanzati Bostichi). Même deux historiens « républicains » comme Salluste et TiteLive ont l’honneur de se voir traduits : les éditions italiennes de la Guerre de Jugurtha et de la Conjuration de Catilina de Salluste paraissent en 1518 à Venise (A. Urtica Della Porta, réimpression en 1531) et en 1550 à Florence (L. Carani), l’ouvrage monumental du deuxième en 1511 à Venise (Bartolomeo de Zanni de Portesio) et en 1540 (Venise, Iacopo Nardi). Pour ce qui est plus spécifiquement de l’histoire d’Alexandre, rappelons la traduction de l’Anabase d’Arrien, publiée à Venise en 1544 (Pietro Lauro) et celle de l’Inde, récit de l’expédition en Inde de Néarque, l’un des généraux d’Alexandre, en 1559 (Venise, anonyme). C’est dans ce background de redécouverte de l’historiographie classique, dans la conscience de ses bienfaits pour l’éducation des contemporains, que prend place la traduction des Historiae de Quinte-Curce par Porcacchi, qui remplacera jusqu’au xviiie siècle celle de Decembrio28. Loin d’être un simple signe des temps marquant les progrès d’une langue italienne de plus en plus triomphante au détriment du latin, elle se fait, par l’emploi de l’idiome vernaculaire, porteuse d’un rôle éminemment éducateur29. Ce fait est d’autant plus intéressant que c’est justement au milieu du xvie siècle que l’italien s’affirme comme langue de l’historiographie officielle de différentes villes et États de la péninsule, alors que pendant tout le Quattrocento ce domaine 28. F. Pignatti, « Tommaso Porcacchi », art. cit. 29. En ce qui concerne les traductions de textes classiques, souvent de nature historique, il ne faut pas oublier qu’elles consistaient en de simples rééditions de versions parues des décennies plus tôt : ainsi, l’édition d’Hérodote que fait paraître à Venise en 1533 la maison Nicolini da Sabbio est celle composée par Boiardo. Représentatives du climat intellectuel peu scrupuleux de l’époque sont aussi les plaintes de l’imprimeur Giordano Ziletti à propos des nombreux plagiats relatifs à un recueil de lettres sur lequel avait travaillé Girolamo Ruscelli (voir R. Bragantini, « ‘Poligrafi’ », art. cit., p. 687-688). Or, l’œuvre de Porcacchi se veut tout à fait originale – l’auteur le déclare solennellement dans la préface, tout en rendant grâce à ses collaborateurs pour les conseils prodigués – et aspire, par l’importance de son appareil critique, à remplacer la précédente édition italienne, publiée par Decembrio en 1478. Cela en dit long sur la valeur de l’œuvre de Quinte-Curce et de son édition italienne à cette époque. Voir P. Trovato, Storia della lingua italiana. Il primo Cinquecento, Bologne, 1994, p. 152-153.

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avait été l’apanage presque exclusif du latin. Il suffit, pour s’en convaincre, de songer aux Istorie fiorentine dont Jules de Médicis, alors archevêque de Florence, et futur Pape sous le nom de Clément VII, passe commande à Machiavel en 1520, et qui devaient prendre le relais des Historiae Florentini populi de Leonardo Bruni et Poggio Bracciolini. À Venise, Pietro Bembo, qui avait été nommé historien officiel de la République, traduit en italien l’Historia veneta, chronique latine de l’histoire de la Sérénissime de 1487 à 1513. Et si Paolo Giovio rédige en latin ses Historiae, il en confia la traduction en italien à son collaborateur Lodovico Domenichi30. Or, le principal centre éditorial en langue vernaculaire (95 % de la production) était, au xvie siècle, Venise où chez certains des plus gros imprimeurs, Michele Tramezzino, Vincenzo Valgrisi et Gabriele Giolito de’ Ferrari, les traductions constituaient plus des deux tiers des éditions31. Il n’est donc pas étonnant que les fatti d’Alessandro Magno de Porcacchi voient le jour dans la cité des Doges. Il l’est d’autant moins que la République et, en particulier, la maison Giolito de’ Ferrari, qui employait notre polygraphe, exerçaient un véritable monopole aussi bien dans le domaine de l’histoire que dans ceux des traités de polémologie, y compris de polémologie classique sous forme de traduction, et de la littérature chevaleresque. Quel meilleur canal de diffusion donc pour la traduction d’un récit historique dont le protagoniste, Alexandre le Grand, cumulait des vertus héroïques et des compétences exceptionnelles de stratège32 ?

30. Lodovico Domenichi était, il est utile de le rappeler, collègue de Porcacchi chez Giolito de’ Ferrari, polygraphe lui aussi. Voir à ce sujet V. Formentin, « Dal volgare all’italiano », dans Storia, IV, éd. E. Malato, op. cit., p. 182-183 ; G. Folena, « L’espressionismo epistolare di Paolo Giovio », dans idem, Il linguaggio del caos. Studi sul plurilinguismo rinascimentale, Turin, 1991, p. 200-241 (part. p. 212). 31. C. Dionisotti, « Tradizione classica e volgarizzamenti », dans idem, Geografia e storia della letteratura italiana, Turin, 1999, p. 125-178 (part. p. 165-166) ; V. Formentin, « Dal volgare all’italiano », art. cit., p. 184 ; G. Frosini, « Volgarizzamenti », dans G. Antonelli, M. Motolese et L. Tomasin, Storia dell’italiano scritto, II, Prosa letteraria, Rome, p. 70-72 ; C. Marazzini, Storia della lingua italiana. Il secondo Cinquecento e il Seicento, Bologne, 1993, p.  29-41, V. Formentin, « Dal volgare all’italiano », art. cit., p. 183-184. 32. L’exercice sera d’ailleurs répété par Porcacchi avec sa traduction du De excidio Trojae historia de Darès le Phrygien (Ditte Candiotto et Darete Frigio della Guerra Troiana tradotti per Tommaso Porcacchi, Venise, Gabriele Giolito de’ Ferrari, 1570.



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De’ fatti d’Alessandro Magno, Re de’ Macedoni : le métier de polygraphe, l’art de la guerre et les œuvres d’histoire militaire comme specula principis La traduction de Quinte-Curce par Tommaso Porcacchi constitue l’un des témoignages les plus accomplis de l’activité d’un polygraphe dans la Venise du milieu du xvie siècle. Cette profession, qui prend son essor seulement quelques décennies après l’invention de l’imprimerie, dès les années 1530, est très répandue dans tous les grands centres de l’imprimerie italienne tels que Florence, Rome ainsi que la Sérénissime, mais c’est dans cette dernière qu’elle se concentre, la cité des Doges dépassant de très loin toutes ses concurrentes par la quantité et la qualité des textes édités. Or, parmi les missions confiées aux polygraphes, outre la relecture et la révision éditoriale, figurait en bonne place celle de volgarizzatore. Les volgarizzamenti représentaient même la quasi-totalité de la production éditoriale de certains imprimeurs vénitiens : Michele Tramezzino, Giolito de’ Ferrari ou encore Vincenzo Valgrisi33. Ce n’est donc pas un hasard si quelques-uns des plus célèbres polygraphes de l’époque travaillent pour le compte de ces derniers : Tommaso Porcacchi est de ceux-ci, que Giolito, sans doute le plus important imprimeur italien du milieu du Cinquecento, prend à son service, avec les plus connus Lodovico Dolce, Lodovico Domenichi et Giuseppe Betussi. Non seulement ils étaient responsables de la correction du texte qu’on leur avait confié – surtout celui des classiques grecs et latins – mais ils étaient aussi chargés de l’accompagner d’un commentaire, de nature la plupart du temps historico-antiquaire, ou d’autres outils qui auraient pu en faciliter la lecture, surtout quand il s’agissait de versions vernaculaires qui avaient la vocation de s’adresser au plus grand nombre34. La version italienne des Historiae symbolise donc bien cette industrialisation de la littérature qui se développe à partir du deuxième quart du xvie siècle et qui sera bâtie en grande partie sur l’édition de textes profanes, d’histoire en particulier. Elle témoigne d’autant plus de ces tendances éditoriales que son auteur est nommé par Giolito, comme je l’ai déjà indiqué, directeur de la Collana Historica. 33. C. Dionisotti, « Tradizione classica e volgarizzamenti », art. cit., p. 125-178 (part. p. 165166) ; R. Bragantini, « ‘Poligrafi’ », art. cit., p. 689. 34. Sur la figure du collaborateur éditorial, P. Trovato, Con ogni diligenza corretto. La stampa e le revisioni editoriali dei testi letterari italiani (1470-1570), Bologne, 1991 ; C. Di Filippo Bareggi, Il mestiere di scrivere. Lavoro intellettuale e mercato librario a Venezia nel Cinquecento, Rome, 1988 ; R. Bragantini, « ‘Poligrafi’ », art. cit., p. 687.

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Plusieurs éléments de la structure de l’œuvre sautent aux yeux quand on compare le volgarizzamento de Tommaso Porcacchi et la traduction de Pier Candido Decembrio éditée en 1478. Son métier de polygraphe expérimenté transparaît à travers la disposition de l’édition dont il a la charge. Après la lettre dédicatoire à Frédéric Gonzague, Porcacchi insère une préface à l’intention de ses lecteurs qui sonne comme une sorte de mea culpa scientifique, mais en même temps en dit long sur l’honnêteté et l’éthique professionnelle de notre écrivain, attitude qui était loin d’être la plus répandue dans le milieu de l’imprimerie à cette époque35. Il y explique les raisons de sa partition en dix livres, contrairement à la division en douze livres dans la traduction de Decembrio, et surtout l’édition d’Heinrich Glarean de 1556 (publiée à Bâle) : Se quando il dottissimo et raro S.  Lodovico Domenichi, a requisitione dell’honorato M.  Gabriele Giolito mi richiese ch’io dovessi tradurre Q.  Curtio de’ fatti d’Alessandro Magno, io fossi stato in luogo comodo a potermi prevaler dell’uso de’ libri, et ricercar chi havesse fatto qualche industriosa fatica, in beneficio di questo bello scrittore, non harei comportato (o lettori) che la divisione di quest’opera fosse così compartita in dieci libri, come hora si legge. […] Ma perché dopo che la mia traduttione è stata stampata, […], ho veduto quante belle fatiche habbia impiegato sopra Q. Curtio, l’Eccellentissimo Arrigo Glareano, il quale l’ha diviso in dodici libri, et purgato di molti errori con le sue dottissime Annotationi, però m’è parso scusarmi con voi, affine che non mi diate carico, o di poco diligente o di troppo arrogante, e insieme darvi gli argomenti di ciascuno libro, accioché voi habbiate la divisione ordinata, et sappiate trovare il cominciamento. [Si au moment où le très savant et très illustre Messire Lodovico Domenichi, sur demande de l’honorable Messire Gabriele Giolito, me demanda de traduire les Histoires d’Alexandre le Grand de Quinte-Curce, si à ce moment-là donc j’avais pu consulter d’autres livres [i. e. : des éditions de Quinte-Curce] et m’appuyer sur d’autres savants qui auraient publié des travaux sérieux sur cet auteur, pour son plus grand profit l’ouvrage que voici n’aurait pas comporté, mes chers lecteurs, une division en dix livres, comme c’est aujourd’hui le cas […]. Mais ce ne fut qu’après la sortie de ma traduction […] que j’ai découvert le bel ouvrage du très illustre Messire Arrigo Glareano, qui a divisé l’œuvre de Quinte-Curce en douze livres ; ses notes [de critique textuelle] ont permis de corriger plusieurs erreurs. C’est pourquoi j’ai jugé opportun de m’excuser auprès de vous afin que vous ne m’accusiez d’avoir été pas assez scrupuleux ou par trop arrogant.] 35. Sur l’honnêteté professionnelle de Tommaso Porcacchi voir aussi n. 29 et n. 37.



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Suit une exposition très détaillée des critères philologiques étayant le « chapitrage ». La véritable partie éditoriale fait suite à ces deux sections introductives : ce sont ici tous les outils éditoriaux qui rendent la lecture plus accessible à un public non spécialiste du monde de l’Antiquité. La traduction du texte de Quinte-Curce est ainsi précédée par les résumés de chacun des livres qui le composent. Les deux premiers se distinguent des suivants par le titre qu’ils portent. En effet, alors que ceux des livres III à XII sont définis argomenti, les synthèses des livres I et II narrent les Impresse fatte il primo anno di Alessandro et Impresse fatte il secondo anno di Alessandro : ces derniers accompagnent les chapitres qui comblent la perte des deux premiers livres des Historiae de Quinte-Curce. Suit une longue série d’Annotationi, c’est-à-dire un commentaire historico-antiquaire relatif à différents passages de l’ouvrage traduit, en phase avec la finalité de ce type de productions éditoriales s’adressant à un grand nombre de lecteurs ; cela rend particulièrement seyante la comparaison avec une édition moderne de classiques grecs ou latins. Un très long index des choses notables couronne l’appareil critique36. L’introduction qui précède les Annotationi, intitulée Dichiarationi et avertimenti di Thomaso Porcacchi sopra i dodeci libri di Q. Curtio, en plus de confirmer sa profession de polygraphe37 et d’afficher l’intérêt qu’il porte à son public, rend manifeste ce but pédagogique, dépourvu de toute prétention scientifique, auquel nous avons fait allusion plus haut38. En bon et sérieux collaborateur éditorial qu’il est, Porcacchi n’a pas pour ambition de faire paraître une publication de niveau pour ainsi dire universitaire, tâche qu’il veut bien laisser aux philologues professionnels, son seul souhait est de rendre accessibles, entre autres pour des raisons commerciales, les auteurs classiques à un public le plus vaste possible.

36. Tavola copiosissima de tutte le cose notabili et degne di memoria che ne’ dieci libri di Q. Curtio si contengono. On y trouve des curiosités ethnoculturelles comme le cimeterre perse appelé Acinace (Acinace scimitarra alla persiana 17), des références à des peuples cités dans l’ouvrage de Quinte-Curce (Agriaspi, altrimenti Evergeti popoli 136) ainsi que tous les passages ayant Alexandre comme protagoniste (Alessandro rompe i Thebani 10 ; Alessandro ferito in una gamba intorno a Mazaga 179), avec l’indication de la page relative. 37. Porcacchi avoue avoir exploité aussi bien les résultats des travaux d’autres collègues que les conseils prodigués par des amis, amis qui ne devaient pas forcément être des spécialistes des lettres grecques et latines ou des philologues avertis, comme le Tizio cité dans ce passage, à en juger par le début du texte où il raconte s’être entretenu à propos de sa traduction avec Mario Cotti, juriste et avocat de son état, et numismate amateur. 38. Rappelons ici que, en intégrant des paramètres éditoriaux assez modernes, c’est à ses lecteurs qu’il s’adresse juste après la dédicace de son livre à Frédéric Gonzague.

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Ces Annotationi constituent certainement le meilleur témoignage de l’œuvre du polygraphe. Elles glosent toutes sortes de sujets, la plupart du temps des points de controverse ou des curiosités qui animaient les milieux culturels humanistes : ainsi une première note relatant la légende de la naissance d’Alexandre de l’union de sa mère Olympie et d’un serpent est-elle suivie d’une scolie relative à la célèbre localité de Gordion, dont Porcacchi, s’appuyant sur plusieurs sources anciennes, donne la situation géographique et la description, la distinguant de ses homonymes asiatiques (p. ii et ii v). De nombreuses notes, au-delà de leur importance ecdotique, laissent entrevoir un intérêt certain pour l’art de la guerre. Ainsi en est-il de celle dans laquelle Porcacchi discute de la taille de l’armée de Darius : Aggiuntivi oltr’ a questi 80000 fanti Scrive Diodoro che l’essercito di Dario non fù, che di quattrocentomila ­fanti : però il testo latino che in questo luogo dice (vicies quadragenta millia) che vorrebbe dire ottocento mila è tenuto scorretto. Onde alcuni, in cambio di quella parola (vicies) vi pongono (vero) e altri l’espongono per ottanta mila. (p. ii v) [Ayant envoyé 80000 fantassins de plus. Diodore écrit que l’armée de Darius n’était que de quatre cent mille fantassins : par contre, le texte latin de ce passage qui dit vicies quadragenta millia, qui veut dire « huit cent mille », est considéré comme corrompu. Raison pour laquelle quelques savants, à la place de ce mot (vicies), mettent vero, d’autres encore lisent « quatre vingt mille ».]

Ou encore de la suivante où il est question des troupes hyrcaniennes qu’Alexandre aurait intégrées à son armée, après les avoir vaincues : Aggiugnevasi medesimamente a questi 2000 cavalli di quella gente istessa Non hò dubbio alcuno che in questo luogo vi manchi uno, ò due versi, ne’ quali si racconti la fanteria di qualche popolo ; a cui sia congiunta questa cavalleria. Percioché fino ad hora ha noverato i pedoni et i cavalieri di tutti i popoli ; et innanzi agl’Hircani pedoni ha detto che v’erano seimila cavalli. Se già qualche arguto non vuol dire che la cavalleria degl’Hircani era divisa per tenere in mezzo la fanteria, il che a me non pare verisimile. Tuttavia per mio conto il lettore segua quello, che più li piace. (ibidem) [2000 chevaux élevés par ce même peuple se rajoutaient à ces derniers : je ne doute aucunement que dans ce passage il y ait une lacune de deux ou trois lignes, où on décrivait l’infanterie d’un peuple quelconque, à laquelle on rajoutait la cavalerie en question. En effet, jusqu’ici l’historien a passé en revue les fantassins et les cavaliers de chaque peuple. Et il a dit que devant



la traduction de Tommaso Porcacchi (1558) 255 les fantassins hyrcaniens il y avait six mille chevaux. Mais des esprits savants pourront toujours dire que la cavalerie hyrcanienne était divisée en deux par l’infanterie, même si personnellement cela me semble très improbable. Quoi qu’il en soit, les lecteurs pourront interpréter comme bon leur semblera.]

On peut aisément multiplier les exemples de ce penchant de notre auteur pour des détails de stratégie militaire. Il est vraisemblable que toutes ses remarques sont imputables à la place considérable qu’occupent, depuis au moins un demi-siècle, la guerre dans la vie quotidienne des populations de la péninsule et la science qui prétend en décrire les lois dans les écrits des ingénieurs et des combattants professionnels. Pour Hélène Vérin ce seraient bel et bien la guerre et les tensions entre les peuples, particulièrement vives tout au long du siècle, qui auraient permis l’essor de l’ingénierie militaire39. Cela est vrai surtout de Venise, à en juger par les catalogues de ses imprimeurs qui font la part belle à toutes sortes de publications spécialisées dans la tactique ou encore l’art de bâtir des fortifications. John R. Hale40 a estimé qu’entre 1492, année qui marque le début de cette nouvelle mode éditoriale, et 1570 furent imprimés à Venise cent quarante cinq ouvrages ayant trait à des questions militaires, dont cinquante-trois (de plus de quarante-six auteurs différents) étaient des editiones principes. Ces titres nouveaux atteignaient presque la quantité cumulée de tous les ouvrages touchant à l’art de la guerre produits en Europe à la même époque (64). C’est dire l’impact profond que les guerres d’Italie avaient eu sur les intérêts culturels de la Sérénissime. Le même chercheur a déjà mis en évidence le lien entre la surabondance de publications de nature « chevaleresque » dans les catalogues des imprimeurs vénitiens de ce temps et celle d’ouvrages de stratégie et de tactique, ainsi que la troublante absence d’écrits concernant la guerre maritime : à Venise même, les activités belliqueuses, après la conquête du Domino da Terra au début du xvie siècle, et conformément aux nouveaux paramètres appliqués dans le reste de l’Europe, en particulier en France et dans les terres de l’Empire41, se conçoivent de plus en plus – mais il 39. H. Vérin, La gloire, op. cit., p. 75-79. Voir aussi I. Jónás, « Le déchaînement de la violence et ses répercussions littéraires », dans L’époque de la Renaissance, éd. T. Klaniczay, E. Kushner et P. Chavy, op. cit., p. 37-60. 40. J. R. Hale, « Industria », art. cit., p. 245-288. Voir aussi M. D’Ayala, Bibliografia militare italiana, Turin, 1954 ; H. De La Croix, « The Literature on Fortification in Renaissance Italy », Technology and Culture, 4 (1963), p. 30-50. 41. Iacopo Porcia dédie son De re militari (1530) à l’Archiduc Ferdinand, le De re militari et bello tractatus (1558) de Pietrino Belli est offert à Philippe II, le Trattato di scientia d’arme (1568) des frères Giovan Battista et Giulio Fontana à Dom Giovanni Manriche, membre éminent

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s’agit bien entendu d’une pure fiction et d’un jeu romantique pour les puissants ! – sous la forme d’actions terrestres et de heurts entre des rangs serrés de cavaliers lourdement armés42 comme au temps de Charlemagne. Bien évidemment les traductions de traités militaires de l’Antiquité ­occupent une place de choix dans ces parutions, dans toute l’Italie comme à Venise : parmi les plus intéressants de ces volgarizzamenti je me limiterai à citer, outre celui de l’œuvre de César (Agostino L’Urtica della Porta, 1517), Polybe (De militia romana, 1536), Frontin (Comin da Trino, 1543 ; Marc’Antonio Gandino, 1574), Xénophon (Le guerre de’ Greci, Francesco di Soldo Strozzi, 1550, dédicace à Giovanni De’ Medici, « lume della milizia » ; Pietro Muselli, 1588), mais aussi les œuvres d’Appien (Alessandro Braccese, Florence, 1519) et d’Élien le Tacticien (Lelio Carani, Florence, 1552, imprimée également à Venise la même année par Andrea e Iacopo Spinello). Pour les traductions publiées à Venise, pensons au De l’arte militare de Tizzone Gaetano di Pofi, traducteur de Végèce (Bernardino di Vitale, 1524), à la traduction de Nicolò Mutoni des Statagemi dell’arte della guerra de Poliénos (Vincenzo Valgrisi, 1552) ou encore aux nombreuses traductions des livres de Polybe, depuis celle, anonyme, du Libro della militia de’ Romani et del modo dell’accampare dell’historia di Polibio (s. l., 1536) jusqu’à la version de Lodovico Domenichi des Undici libri di Polibio nuovamente trovati (Giolito de’ Ferrari, 1553). Sans oublier les Guerre esterne et les Guerre civili d’Appien (1554-1559), traductions réalisées par Lodovico Dolce pour l’éditeur Giolito De’ Ferrari. Or ce dernier, qui, sur une totalité de trente et un imprimeurs, mit sous presse onze des cinquante-trois titres originaux d’ouvrages militaires, ainsi que la quasi-totalité des traductions, est l’employeur de Tommaso Porcacchi. La traduction des Historiae de Quinte-Curce de ce dernier se pose en témoin essentiel non seulement des goûts de l’édition vénitienne de la première moitié du Cinquecento, mais aussi, en ce que cette dernière en est le miroir fidèle, des grandes tendances politiques, culturelles et militaires de l’époque. N’oublions pas non plus l’épître de Porcacchi à la Collana Historica, citée plus haut. Tout comme les volgarizzamenti de biographies classiques avaient matérialisé le concept de l’Historia magistra vitae, ces « modes » éditoriales sont autant d’enseignements légués par les Anciens à la postérité, en vue de leur de l’entourage de Maximilien de Habsbourg. En ce qui concerne les Valois, qu’on songe aux dédicaces du De singulari certamine (1544) d’Andrea Alciato à François Ier et des Tre libri della ingiustitia del duello à Henri II en 1558. Tous ces hommages révèlent bien le lien qui unit Venise et ses savants à la France et à l’Empire. 42. Les traités de cavalerie constituent la catégorie la plus importante dans les catalogues ( J. R. Hale, « Industria », art. cit., p. 246).



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éducation. En suivant J. R. Hale, on peut dire que « l’importance que la guerre ancienne avait vis-à-vis de la moderne devint un axiome. Elle fut le pont entre les Armes et les Lettres43 ». Les traductions d’œuvres d’histoire militaire constituent peut-être la manifestation la plus visible de ce que Marta Sordi a qualifié d’« humanisme militaire italien », c’est-à-dire la réappropriation (imitatio) de la disciplina militaris des Anciens par les stratèges et autres experts qui travaillaient au service des différents potentats italiens de la Renaissance et son adaptation (translatio) au monde contemporain. Ainsi, leur grand nombre, ainsi que l’abondance de traités de polémologie moderne, constitue le reflet naturel d’une accoutumance des contemporains aux res ­bellicae. L’énorme diffusion de publications de ce genre en Italie par rapport au reste de l’Europe n’est aussi que la conséquence directe d’un savoir-faire en matière de tactique et d’ingénierie militaire que le continent tout entier reconnaissait aux techniciens de la péninsule. Il suffit, pour s’en convaincre, de penser qu’en France seulement plus d’une centaine d’ingénieurs italiens travaillent tout au long du Cinquecento, à qui on doit plus des deux tiers des traités d’« art militaire » imprimés en Europe avant 1570. Leur influence est patente sur nombre d’auteurs français, tel Jean Charrier qui publie à Paris en 1546, en un volume unique, les traductions de Machiavel et du Strateghikos d’Onasandre (cette dernière également à partir de la version italienne de Fabio Cotta et toujours sous les presses de Giolito de’ Ferrari44). En réalité, les annotationi de Porcacchi à sa traduction de Quinte-Curce dénotent bien plus qu’un intérêt d’un polygraphe envers les faits de guerre dont l’Italie était le théâtre à l’époque. Elles sont le reflet des mala tempora contemporains qui constituent autant d’occasions pour des considérations morales. Encore un enseignement de portée universelle transmis par l’Antiquité. Ainsi en est-il de plusieurs commentaires à propos d’événements mineurs de l’aventure d’Alexandre en Asie qui lui inspirent de tristes réflexions sur les capitani di ventura. Dans les agissements du grec Amyntas désertant l’armée d’Alexandre, suivi par quatre mille acolytes, et tentant de s’emparer de l’Égypte sous domination perse, Porcacchi voit ceux des condottières mercenaires qui parcouraient la péninsule appâtés par le mirage de gains faciles et, pour les plus chanceux, la conquête d’un royaume ou d’un duché :

43. J. R. Hale, « Industria », art. cit., p. 258. 44. Sur la redécouverte de la polémologie ancienne à la Renaissance, voir M. Sordi, Guerra e diritto nel mondo greco e romano, Milan, 2002, p. 295-300. Sur l’influence des ingénieurs italiens en France au xvie siècle, H. Vérin, La gloire, op. cit., p. 112-119.

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Moreno Campetella In questo mezzo Aminta che, come dicemmo era rifuggito da Alessandro a’ Persi, attendendo a fuggire con quattromila greci, che di campo gli havevan tenuto dietro, venne a Tripoli. Quindi, facendo imbarcare i compagni sulle navi, gli condusse a Cipro. Et pensando che in quei garbugli, tutto quel ch’ei pigliasse sarebbe suo, come se di ragione vi fosse messo in possesso, fece proponimento d’assaltar l’Egitto. Et essendo nimico a questo Re et a quello, star a veder la fortuna dell’uno e dell’altro, e per la dubbia mutatione de’ tempi starsi tra’ due45. [Cependant Amyntas, qui était passé, comme nous l’avons dit, d’Alexandre aux Perses, parvint à Tripoli, accompagné de quatre mille Grecs qui, en sa compagnie, s’étaient enfuis du combat. De là, il embarqua ses troupes et les fit passer en Chypre ; et comme il estimait qu’en ces circonstances chacun garderait comme propriété dûment acquise ce dont il s’emparerait le premier, il décida de gagner l’Égypte ; ennemi des deux rois, il oscillerait sans cesse selon le rythme instable des circonstances.]

Comment ne pas voir dans cette faculté d’exploiter la confrontation entre deux rivaux, en l’occurrence le Grand Roi et son ancien commandant Alexandre, le mode opératoire habituel des chefs de milices qui, dans le chaos généralisé de l’Italie du xvie siècle46, essayaient de se découper un pouvoir personnel ? Une glose de Porcacchi en marge du texte déclare : « Aminta diventa capitano di ventura. » Et comment ne pas voir dans le jugement négatif, qui semble se manifester déjà dans le modèle latin, une aversion certaine pour ce genre de personnages qui, en fragmentant le pouvoir central, livrait le pays à l’instabilité la plus complète ? Tout comme au troisième siècle av. J.-C. il aurait mieux valu qu’un monarque fort s’imposât sur tous ses adversaires pour ramener une paix durable, comme dans l’histoire italienne du Cinquecento. Le récit continue avec le commentaire de Quinte-Curce sur la nécessité de forcer son destin, quand on ne peut pas faire autrement : Confortando i soldati alla speranza d’un successo tale, mostrò loro come Sabace, governator dell’Egitto, era stato morto in battaglia, et ch’el presidio de’ Persi era debile e senza capitano, et ch’eglino non come nimici anzi come amici sarebbono stati trattati da gli Egitii, i quali sempre havevano portato odio capitale a’ loro governatori. La necessità gli sforzava a tentare ogni cosa, perciocché quando la fortuna vien meno nel principio delle speranze, pare che migliori siano le cose, che c’hanno a essere, che le presenti. (libro IV, p. 37-38) 45. Historiae, IV, 1, 27, éd. et trad. H. Bardon, Quinte-Curce, Histoires, Paris, 1992 (1ère éd. 1947-1948), t. 1, p. 18-19. 46. Garbugli, « troubles », est le mot employé dans le texte.



la traduction de Tommaso Porcacchi (1558) 259 [Il exhorte ses troupes à espérer une éclatante réussite et leur apprend que le préteur d’Égypte, Sabacès, est mort dans la bataille, que la garnison perse n’a ni chef ni force, et que les Égyptiens, de tout temps hostiles à leurs préteurs, les traiteraient en alliés et non en ennemis. La nécessité les obligeait à tenter n’importe quoi : en effet, quand la fortune a déçu les espérances premières, l’avenir paraît préférable au présent.] (trad. de Quinte-Curce par H. Bardon, op. cit., IV, 1, 28)

On entrevoit ici un autre thème typiquement « curtien47 » mais également cher aux historiens du xvie siècle, celui de la varietas fortunae, qui sera répandu surtout dans le genre biographique. La totalité de ce long passage est glosée par Porcacchi dans son commentaire, avec des mots qui ne sont pas sans évoquer le marasme géopolitique italien de l’époque : Questo bel passo ne fa avvertiti, che si come quando siano attaccati due grandissimi incendii, in due diversi luoghi d’una città, fa di mestiero che tutte l’habitationi e le case di mezo concorrano, questa per aiutare a spegner l’uno, et quella per estinguer l’altro. Così quando è nata la guerra tra due Principi, o due Potentati grandi, è necessario che questi e quei signori privati, s’accostino, chi a una, chi a un’altra fattione. Perciocché le guerre di quei signori, c’habbiano autorità suprema e giurisdittione sopra gli altri, son cagione delle nimicizie de’ signori particolari, et di minore stato. Et piacesse a Dio, che per bene universale, noi non fossimo stati costretti, et non fossimo ancora ad haverne veduto, e con nostro dolore vederne tutto il giorno gli essempi vicini, che forse ci gloriaremmo di vederne un giorno molto maggiori e più desiderati essempi, ne gli avversari della santissima fede nostra. (« a fac. 38 ver. 8 », page non numérotée) [Ce passage remarquable est très instructif. En effet, tout se passe comme dans le cas d’un incendie qui se serait développé à partir de deux foyers différents à deux endroits d’une ville : force est de constater que les habitants, dont les demeures se situent entre les deux points de départ du feu, participent à l’effort, les uns pour éteindre le premier, les autres pour étouffer le second. De la même manière, quand une guerre éclate entre deux grands princes ou deux potentats, forcément certains seigneurs plus petits prêtent allégeance qui à l’un qui à l’autre. Les guerres entre les seigneurs qui détiennent l’autorité suprême et les prérogatives régaliennes sur tous les autres engendrent à leur tour des conflits entre les seigneurs de moindre envergure. À Dieu ne plaise que nous soyons confrontés à 47. Sur le thème de la Fortuna chez Quinte-Curce, voir E. Bayham, Alexander the Great. The Unique History of Quintus Curtius, Ann Arbor, 1998, p. 101-131 ; R. Stoneman, « The Origins of Quintus Curtius’ Concept of Fortuna », dans Der Römische Alexanderhistoriker Curtius Rufus. Erzähltechnik, Rhetorik, Figurenpsychologie und Rezeption, éd. H. Wulfram, 2016, p. 301-322.

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Moreno Campetella l’avenir à de telles épreuves, qui nous ont bien affligés par le passé et qui continuent de nous chagriner de nos jours. Gardons tout de même l’espoir qu’un jour des malheurs bien pires que ceux-ci pourront être tout aussi répandus parmi les ennemis de notre très sainte foi.]

Du chaos ambiant une seule ville est digne d’être sauvée, Venise, patrie d’adoption de Porcacchi, dont ce dernier n’hésite pas, dans une note du livre III, à magnifier les origines, quitte à forcer le sens du texte source48 : La grandezza, la nobiltà e la possanza della tre volte grandissima Rep.  di Vinetia, m’avertisce ch’io non lasci passar questo luogo, come che non habbia bisogno d’espositione et l’ingegno moi non possa convenevolmente ­estendersi a discorrervi sopra, senza qualche meritata lode dell’antichissima, et a Dio gratissima felicità sua. Perciocché la citta di Vinetia d’armi, di lettere, di mercantie, di grandezze, d’ornamenti, di pietà christiana, di prudenza, di giustitia, e in somma d’ogni meito di lode, non pur non cede ad alcun altra del mondo, anzi se niuna ve ne ha che tenga il principato, ella s’avvicina più alla prima che alla seconda. (« a fac. 14 ver. 40 » - page non numérotée) [La grandeur, la noblesse et la puissance de la très grande République de Venise me poussent à saisir l’occasion qui m’est offerte par ce passage […], pour tisser les louanges bien méritées de sa très ancienne prospérité, que Dieu aime plus que tout. En effet, aucune ville de par le monde ne dépasse Venise, que ce soit par les armes, par les lettres, par l’envergure de son commerce, par des magnificences de toutes sortes, par ses trésors artistiques, par la piété chrétienne, la prudence, la justice, bref par tout ce qui serait susceptible de pousser les hommes à lui prodiguer des louanges. Et s’il s’en trouvait une autre qui pourrait éventuellement rivaliser avec Venise, elle occuperait toujours la deuxième place.]

Cette première section de l’ouvrage de Porcacchi est suivie par la version vernaculaire des Historiae dont le commencement (livres I-II) est remplacé par deux supplementi49, c’est-à-dire deux épitomés plus ou moins complets. En réalité, Porcacchi a suppléé la lacune en synthétisant les livres XVI-XVII de la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile, dont le ton, assez romancé, et 48. T. Porcacchi, De fatti, p. 14. Dans le passage latin il n’est pas question de « Vénitiens » mais du peuple des Vénètes (III, 1, 22) : « huic iuncti erant Heneti, unde quidam Venetos trahere originem credunt. » 49. Les livres III-XII sont également qualifiés de supplemento mais il s’agit bel et bien de la traduction, le plus souvent littérale, du texte de Quinte-Curce. D’ailleurs dans l’édition de 1694 – Venise, Antonio Tivani –, ce ne sont que les deux premiers livres qui portent l’intitulé de supplemento, les autres étant qualifiés de libri. Les Supplementi des Historiae de Quinte-Curce sont nombreux depuis le début du xve siècle (voir supra n. 5).



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les intentions, on ne peut plus laudatives, devaient bien correspondre à ceux qu’avait pu employer Quinte-Curce. Le premier supplemento (p. 3-16), dont Porcacchi puise le contenu dans le livre XVI de la Bibliothèque de Diodore, devrait concorder, dans les intentions de notre traducteur, avec le premier livre perdu de l’original latin, le second (p. 19-34), réélaboré à partir du livre XVII de la Bibliothèque, avec le deuxième livre. D’ailleurs chaque supplemento est affublé du titre très officiel de libro primo et libro secondo. Cela peut paraître paradoxal, mais plus que la traduction, ce sont les éléments qui l’accompagnent et qui en constituent une sorte d’appareil critique ante litteram qui sont les plus importants : non seulement ils nous éclairent sur l’activité des polygraphes de la Renaissance mais ils mettent également en lumière l’importance des textes historiques en général, de ceux consacrés à la biographie et à l’exaltation d’un prince en particulier, dans le cadre des événements qui avaient secoué l’Italie pendant les six premières décennies du Cinquecento. Ainsi, si on considère le résumé du premier livre, qui constitue en réalité une sorte d’introduction générale à la totalité du récit historique – ou, tout du moins, au bloc représenté par les deux livres manquants – il commence par le récit de l’avènement au trône de Macédoine du jeune fils de Philippe, alors que cet événement sera relaté seulement au début du deuxième supplemento, le premier étant entièrement consacré à la biographie de Philippe, jusqu’à son meurtre par Pausanias : Il primo anno della centesima undecima Olimpiade, che fù l’anno dell’edificatione di Roma quattro cento dicisette, essendo Cons. L. Furio et C. Manlio, et regnando Eueneto in Athene, innanzi l’avvenimento di Christo salvator nostro l’anno trecento, Alessandro Magno, il figliuolo di Filippo il ventesimo terzo re de’ Macedoni, s’investì dell’imperio, sendo egli di dià di circa venti anni. Et perché molti, vedendolo così giovanetto, ne facevano poca stima, egli con la destrezza del suo ingegno seppe così ben fare, che di certo se gli fece tutti benevoli : perciocché ridusse nell’amicizia sua, come havevano con il Padre, il volgo, e poi i soldati, e finalmente le città, rispondendo gratiosamente alle ambasciarie. Ma essendosi levate in armi contro di lui alcune Città de’ Greci, e così alcuni barbari, che confinavano con il Regno di Macedonia, Alessandro havendo guidato l’esercito nell’Illiria et in brieve quietato ogni cosa, e ritirato i Thessali nell’amicizia di prima, et col medesimo esercito essendo entrato in Grecia, dove da tutti i popoli fù creato general de’ Greci, tornò in Macedonia. (p. 3) [La première année de la cent onzième olympiade, qui correspond à l’année quatre cent dix-sept de la fondation de Rome, sous le consulat de L.  Furius et C.  Manlius, quand à Athènes régnait Évainète, l’an

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Moreno Campetella trois cents avant l’avènement de Jésus-Christ notre Sauveur, Alexandre le Grand, fils de Philippe, le vingtième roi de Macédoine, monta sur le trône, âgé d’environ vingt ans. Étant donné que beaucoup, en le voyant si jeune, le dédaignaient, Alexandre réussit à s’attirer leur bienveillance grâce à son intelligence : comme son père avant lui, il sut obtenir l’amitié du peuple, ensuite des soldats, et finalement des villes, en accueillant avec courtoisie leurs ambassadeurs. Mais, puisque plusieurs cités grecques s’étaient insurgées contre lui, ainsi que des peuples barbares établis près de la frontière macédonienne, Alexandre mena son armée en Illyrie. Ici il ramena très rapidement la paix et rétablit des relations d’amitié avec les Thessaliens. Après être entré en Grèce et y avoir été acclamé commandant en chef par tous les Grecs, il s’en retourna en Macédoine.]

La volonté du traducteur de combler un vide nous éclaire déjà sur le caractère éminemment pédagogique de l’ouvrage, qui est ultérieurement mis en relief par la chronologie synoptique tripartite, macédonienne, athénienne et romaine, à laquelle vient s’ajouter le repère temporel constitué par l’indication de l’olympiade – la cent onzième. Mais ces parties pour ainsi dire « antiquaires » de la traduction de Porcacchi laissent entrevoir également une finalité politique et idéologique de la part de l’auteur, en phase avec les positions de l’historiographie contemporaine, auxquelles j’ai fait allusion plus haut. En effet, nous avons vu la place éminente occupée dans les écrits de nature historique par la figure du prince, au détriment des communautés citoyennes et de l’Histoire même dans son ensemble. Dans ces récits, c’est le monarque – ou l’individu isolé investi d’une force et d’une mission presque divines – qui fait avancer le cours des événements et non pas l’inverse. Or, ce tout premier paragraphe du premier Supplemento semble entièrement axé sur le personnage d’Alexandre qui, malgré son jeune âge et en dépit de l’aversion ambiante y compris dans son propre pays et au sein du cercle restreint de son entourage, réussit à remporter la victoire en se fondant sur la seule amicizia, l’amitié, qu’il arrive à susciter chez ses anciens adversaires. Même quand il est question des Grecs qui se sont soulevés pour contrer son expansionnisme triomphant – il suffit de lire les Philippiques de Démosthène pour se rendre compte du farouche attachement des Hellènes à la liberté de la polis –, Porcacchi réduit le sujet à une simple phrase où toute idée de révolte est absente : « da tutti i popoli fù creato general de’ Greci. » C’est donc tout à fait spontanément que les différentes cités de la péninsule se seraient choisi pour commandant un chef étranger ! Bien entendu le même ton ouvertement panégyrique existe déjà chez Diodore mais il faut souligner quelques écarts significatifs entre le modèle grec



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et le récit de Porcacchi. Qu’on en juge par le passage suivant dans lequel une même finalité laudative sous-tend le portrait du père d’Alexandre, Philippe, pur produit de la païdeia grecque en tant que disciple d’Épaminondas et prince idéal : Dopo certo tempo [Alessandro I] rinnovò pace co’ Thebani ; la qual cosa aiutò la grandezza del nobilissimo ingegno di Filippo ; il quale ancora fanciullo fu posto sotto la custodia e la cura d’Epaminonda, valorosissimo capitano de’ Thebani, Filosofo eccellentissimo, con patto ch’ei diligentemente salvasse il fanciullo a lui commesso e mettesse ogni suo sforzo in ammestrarlo et informarlo benissimo d’honeste discipline et di costumi degni di Principe. (p. 4) [Après un certain temps, [Alexandre Ier] fit la paix avec les Thébains, ce qui contribua remarquablement à la grandeur de l’intelligence de Philippe. Ce dernier, qui était encore très jeune, fut confié à Épaminondas, très valeureux général thébain, ainsi qu’excellent philosophe, à condition qu’il le protégeât et qu’il mît toute son énergie pour que Philippe pût recevoir une éducation et adopter des mœurs vraiment dignes d’un prince.]

Si l’évocation de l’intelligence du futur roi est un élément qu’on retrouve déjà chez l’historien grec50, Porcacchi prend soin de rajouter à sa narration un détail original, le fait que ces années d’éducation chez les Grecs ont été celles qui ont transformé Philippe en un véritable prince. Comment ne pas songer aux nombreux specula principis qui, du Moyen Âge à la Renaissance, ont constitué l’une des formes principales de la littérature courtisane, et dont la vogue est grande dans un siècle qui voit le retour de flamme de la littérature courtoise sous la forme du roman chevaleresque, en particulier en Italie ? Les préceptes acquis sous la tutelle d’Épaminondas51 se voient mis en pratique une fois Philippe devenu roi de Macédoine. Tout comme son rejeton quelques années plus tard, c’est par sa magnanimité que le monarque s’attire les amitiés de ses ennemis, en imposant tout naturellement son autorité (p. 5). Le commentaire de Porcacchi, encore une fois axé sur les effets bénéfiques d’un gouvernement princier inspiré par la paix et la concorde, s’écarte également de l’original grec. De la même manière, dans un passage qui voit Philippe confronté aux Thessaliens (p. 6), notre auteur s’empresse de souligner, encore une fois en s’éloignant de son modèle de référence, que ce ne fut pas l’appât du butin qui le poussa à les combattre mais la nécessité légitime d’unir leurs forces contre des ennemis communs. On pourrait aisément multiplier les exemples 50. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XVI, 2, 3. 51. En réalité le texte de Diodore de Sicile parle du père d’Épaminondas comme du tuteur légal de Philippe adolescent.

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où la clémence et la libéralité de Philippe, qualités idéales du prince, sont célébrées de façon bien plus nette que dans son modèle. Son fils Alexandre marche de toute évidence dans ses pas dès avant l’adolescence. Le passage suivant semble faire la jonction entre la générosité du père vis-à-vis des ennemis vaincus et la recherche de la concorde comme base de la prospérité du royaume et les attitudes naturelles à l’exercice du pouvoir qu’on entrevoit déjà chez sa progéniture : Poiché ancora egli hebbe preso Olintho, assaltò la Thracia. Perciocché disputando insieme de’ confini del Regno, due fratelli Ré di Thracia, elessero Filippo giudice ad accordar le differenze loro, intanto ch’egli v’andò con l’essercito in guarnigione, come ad un fatto d’arme. E non aspettandosi eglino tal cosa, gli scacciò ambidue del Regno, di cui contendevano, avisando tutti i Prencipi con quest’essempio, di quant’importanza sia la concordia per mantener gl’Imperii. Ma Alessandro venuto di 12 anni, cominciò ad invaghirsi molto forte delle cose di guerra et a mostrar chiarissimo saggio della grandezza dell’ingegno suo. […] Et essendo venuti una volta ambasciatori dal Ré de’ Persi a Filippo, un tempo a sorte che Filippo non v’era, et Alessandro, con le cortesie nel ricettarli, et con dolcissimi trattenimenti suoi in tal modo gli adescò che se gli fece famigliarissimo. (p. 8-9) [Après avoir pris Olynthe, il attaqua la Thrace. En effet, deux frères, tous deux de sang royal, s’affrontaient en raison d’un mauvais partage du territoire. C’est pourquoi ils choisirent Philippe, pour qu’il pût arbitrer le différend. Philippe se rendit au rendez-vous avec toute son armée, comme s’il partait en guerre. Et puisqu’ils ne s’y attendaient pas, il les chassa tous les deux, les poussa hors du royaume qu’ils avaient convoité : ce fait devait servir d’exemple pour tous les princes, comme un rappel que la concorde est très importante pour la conservation des empires. À douze ans Alexandre commença à s’intéresser à l’art de la guerre et à montrer des signes clairs de sa grande intelligence. […] Une fois, il arriva que des ambassadeurs du roi de Perse vinrent voir Philippe et que ce dernier n’était pas présent : Alexandre les accueillit avec moult courtoisie et affabilité, et parvint ainsi à les amadouer et à conquérir leur amitié.]

L’ouverture du résumé du deuxième supplemento, relatant le débarquement de l’armée d’Alexandre sur la côte de l’Hellespont, donne déjà le ton de cette seconde partie, conçue pour glorifier le nouveau roi de Macédoine : Alessandro l’anno secondo della medesima olimpiade passando d’Europa in Asia, traghettò prima l’Ellesponto con sessanta navi nel paese di Troia. Quivi egli prima di tutti lanciò di nave un’hasta in terra, quasi con l’aiuto di Dio la prendesse. (p. 17)



la traduction de Tommaso Porcacchi (1558) 265 [La deuxième année de la même olympiade Alexandre passa d’Europe en Asie, franchissant l’Hellespont avec soixante navires et débarquant sur les terres de Troie. De son vaisseau il lança le premier une lance qui alla se figer dans le sol, et c’était comme s’il en prenait possession avec l’aide de Dieu.]

Le début de la campagne militaire est auréolé du prestige qui découle d’une prétendue aide divine mais ce détail se trouve déjà dans l’ouvrage de Diodore. La fidélité de Porcacchi au texte de Diodore de Sicile, dont ce premier passage est un exemple, n’est pas isolée dans le second supplemento. Différemment de la première partie du compendium où le traducteur italien s’écartait parfois sensiblement de son modèle pour valoriser les vertus du bon prince Philippe, ici les louanges tressées par l’historien grec suffisaient largement, dans la plupart des cas, aux fins panégyriques de Porcacchi. La description des débuts du règne d’Alexandre, caractérisés par la remise en ordre des affaires de l’État bouleversées par le régicide, est presque identique chez Porcacchi52 et sa source classique (Bibliothèque historique, XVII, 2, 1-2). Il n’en reste pas moins que l’auteur de la version humaniste des Historiae, en simplifiant et condensant dans son deuxième supplemento le matériel recueilli par Diodore, ne perd pas la moindre occasion de valoriser les agissements d’Alexandre, même là où le modèle grec, pour en exalter encore plus l’issue positive, n’hésite pas à faire allusion à la difficulté de certaines situations qui plongent le roi dans le désarroi et risquent d’annihiler les victoires précédentes. La chronique du soulèvement des cités grecques en 334 av. J.-C. est de celles-là. Pas un mot sur le danger réel représenté par ce dernier ni « des grandes difficultés et des graves menaces » (τηλικούτων πραγμάτων καί τοσούτων φόβων) qui pesaient sur le royaume ni enfin de la « grande anxiété » (πολλήν ἀγονίαν) suscitée chez Alexandre par cette révolte générale53. Le traducteur s’en tire avec quelques lignes très expéditives se concluant par la nomination d’Alexandre comme général suprême des Grecs contre les Perses. Les accents dithyrambiques des passages qu’on vient de passer en revue, que le protagoniste en soit Alexandre ou son père Philippe, et qu’il s’agisse d’imitation fidèle du texte source de Diodore ou bien d’un ajout propre au traducteur italien, doivent très vraisemblablement être considérés comme un exemple on ne peut plus manifeste de la tendance à l’exaltation de l’homme fort, monarque, prince ou notable quelconque aux origines aristocratiques, 52. T. Porcacchi, De’ fatti, p. 20. 53. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, t. XII, livre XVII, éd. et trad. P. Goukowsky, Paris, 1976.

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au détriment d’autres formes plus collectives de gouvernement. Il s’agit d’une attitude propre à l’historiographie italienne du xvie siècle que nous avons abordée dans le paragraphe qui précède. À cet égard, aux volgarizzamenti d’ouvrages historiques de l’Antiquité les contemporains de Tommaso Porcacchi devaient attacher la même importance qu’à des productions relatant des événements bien plus récents. Les deux genres littéraires, sous des apparences bien différentes, exprimaient la même perception d’un monde que les vicissitudes politico-militaires de la première moitié du siècle étaient venues ébranler. Jamais depuis le début des guerres d’Italie les intellectuels de l’époque avaient pris autant conscience du poids des monarchies absolutistes naissantes, de la France des Valois ou de l’Empire des Habsbourg en particulier, et de l’impossibilité pour les fragiles États de la péninsule, duchés ou républiques, de leur opposer une quelconque résistance. Les exploits de ces nouvelles puissances et leur écrasante supériorité plaidaient en faveur de leurs tout-puissants souverains dont les biographies vantaient les mérites et des qualités pour ainsi dire extraordinaires. Les traductions des grands classiques de l’Antiquité pouvaient donc également contribuer à en faire la propagande. Ce fait, comme je l’ai indiqué plus haut, n’était pas chose nouvelle dans l’histoire de la traduction d’œuvres historiques. Si on considère le premier volgarizzamento des Historiae de Quinte-Curce, réalisé par Pier Candido Decembrio en 1438, la lettre rédigée par Bernardo di Filippo di Giunta à l’intention de Francesco Guidetti en guise de préface de l’édition de 1478 met en lumière le rapport existant entre la bravoure des princes et des rois et le succès des œuvres littéraires qui en ont raconté les exploits et qui sont véritablement investies d’une fonction pédagogique en tant que recueils d’exempla moralia à l’usage des Modernes : Tutti li auttori, prestantissimo Francesco, per li quali o appresso e’ Greci o appresso e’ Latini le lettere sono fiorite, quelli al mio giudizio inverso l’humano genere si sono bene portati li quali con optimo stilo e’ fatti di egregii huomini o di gran principi hanno scritti. Conciossiacosaché habbino postoci innanzi agli occhi la vita, e’ costumi, e’ fatti di quelli consigli e successi delle cose, acciocché in quelli come in uno spechio guardiamo dal quale possiamo quelli documenti pigliare con li quali alle cose publice et private provedere doviamo. E’ giovani leggendo le historie per la gran copia delli esempli diventano al vivere più destri, e’ vecchi più perizia acquistano54. 54. Pier Candido Decembrio, Quinto Curtio da P. Candido di latino in volgare tradotto e novamente corretto, Florence, per li heredi di Philippo Giunta, 1478, p. 1 v. Sur la fonction éducatrice des premières éditions critiques humanistes, voir les déclarations programmatiques de Lefèvre d’Étaples dans son commentaire de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote : « Adhortationes



la traduction de Tommaso Porcacchi (1558) 267 [Parmi tous les lettrés, ô très puissant Francesco, qui se sont illustrés chez les Grecs ou les Latins, à mon avis ceux qui ont joui de la plus grande fortune sont ceux qui ont raconté avec un style sublime les hauts faits des nobles personnages ou des grands princes. Ce faisant, ils nous ont exposé leur vie, leurs coutumes et leurs gestes, afin que nous puissions regarder en eux comme dans un miroir, de façon à pouvoir y puiser tout ce dont nous avons besoin pour expédier toutes nos affaires, aussi bien dans la sphère privée que dans le domaine public. Les jeunes, en lisant ces histoires, se fortifient face à la vie, et, quand ils seront vieux, ils auront acquis une plus grande expérience.]

Mais on peut légitimement supposer que la prolifération d’écrits de ce type jusqu’aux années 1570, sans commune mesure avec la production du Quattrocento, est à mettre sur le compte de la tempête politico-militaire qui avait bouleversé des équilibres étatiques vieux de plusieurs siècles. D’ailleurs, des intentions politiques ne sont pas à exclure dans le grand projet lancé par François Ier, l’un des acteurs principaux de ces changements profonds en Italie et en Europe, de faire traduire Thucydide, Xénophon, Diodore de Sicile ou encore Appien55. Au demeurant, il ne faut pas oublier que la considération dont les polygraphes jouissent au xvie siècle, un peu partout en Italie mais tout spécialement à Venise, n’est pas de nature exclusivement culturelle. Les érudits de profession travaillant pour les plus importants éditeurs du Cinquecento avaient souvent un poids politique de premier plan. La maison vénitienne Giolito de’ Ferrari pouvait se vanter d’avoir sous contrat plusieurs de ces hommes d’influence, dont les plus célèbres étaient sans doute Lodovico Dolce et Pietro Aretino. Le premier avait composé les Stanze, composte nella vittoria africana novamente havuta dal sacratissimo Imperatore Carlo, pour glorifier adiunxi, quod ad beate vivendum animos flectendi pondus aliquod habeant. Socrates enim hortando Lysidem moralem fecisse, Laertius auctor est. Ad quod faciendum exempla ex Plutarcho, Plinio, Herodoto Halicarnaseo, Q. Curzio, C. Tacito, Iustino Laertioque deprompta sunt. Frequenter carmina ex Virgilio, Ovidio, Horatio, Iuvenale, Hesiodo aliisque poetis interserui » (« J’ai rajouté des exempla historiques qui peuvent inciter les gens à vivre d’une manière moralement honnête, exactement comme Socrate avait agi vis-à-vis de Lysis, selon le témoignage de Diogène Laërce. Pour ce faire, plusieurs exemples ont été tirés des œuvres de Plutarque, Pline, Hérodote d’Halicarnasse, Quinte-Curce, Tacite, Justin, Diogène Laërce. Souvent j’ai inséré des poèmes de Virgile, Ovide, Horace, Juvénal, Hésiode, ainsi que d’autres poètes. », J. Lefèvre d’Étaples, Decem librorum Moralium Aristotelis tres conversiones, Paris, 1497, cité dans A. Buck, L’eredità, op. cit., p. 85). Remarquons la place de choix des historiens, dont Quinte-Curce, placés en tête de la liste des modèles classiques. Il va de soi que les premières traductions humanistes du xve siècle, dont Florence et Rome constituaient les centres principaux, avaient un rôle didactique encore plus développé, s’agissant d’une production destinée à un plus grand nombre de lecteurs (A. Buck, ibidem, p. 88-106). 55. A. Buck, L’eredità, op. cit., p. 98.

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la victoire de Charles Quint sur le bey de Tunis Hayreddin Pascià en 1535, en en tirant des faveurs assez conséquentes. Quant à Pietro Aretino, il avait été placé par le Sénat de la Sérénissime, en compagnie du jeune Guidobaldo Della Rovere, à la tête de la mission diplomatique qui, en 1534, devait aller à la rencontre de l’Empereur de passage sur le territoire de la République, à un moment de l’histoire où les tensions internationales étaient particulièrement vives. Son retour à Venise fut un véritable triomphe56. Il est probable que le traducteur des Historiae de Quinte-Curce ait été logé à la même enseigne et que le côté politique de son œuvre de volgarizzatore n’ait pas été secondaire.

Les Historiae et la littérature chevaleresque On ne peut pas conclure cette étude sans aborder la question des rapports entre la biographie, même sous la forme du volgarizzamento d’œuvres historiographiques de l’Antiquité, et la littérature épique-chevaleresque de la Renaissance. Ce filon en effet, dont on peut dater la mode en Italie, après un premier âge d’or constitué par l’époque médiévale, à la deuxième moitié du xve siècle et localiser dans les cours princières de l’Italie centrale et septentrionale57, rencontre un véritable succès dès le début du Cinquecento : la fortune dont jouissait le Orlando furioso de Ludovico Ariosto, dont la rédaction commence en 1507 et qui connaît trois éditions jusqu’en 1521, n’est certes pas étrangère à cet essor. Parmi les compositions qui s’inspirent directement du poème d’Ariosto rappelons ici, entre autres, La morte del Danese (1521) de Cassio de Narni, Astolfo borioso (1523), Belisario, fratello del conte Orlando (1525) de Marco Guazzo, ou encore La Dragha de Orlando innamorato (15251527) de Francesco Tromba di Gualdo, réimprimé sous le titre de Rinaldo furioso en 1530 ou encore le ferrarais Vincenzo Brusantini qui avec Angelica innamorata (1550) entendait compléter aussi bien le poème d’Ariosto que le Orlando innamorato (1483) de Matteo Maria Boiardo58. 56. G. Aquilecchia, « Pietro Aretino e altri poligrafi a Venezia », dans Storia, éd. G. Arnaldi et M. Pastore-Stocchi, op. cit., p. 61-98 (part. p. 66-72). 57. D. de Robertis, « L’esperienza poetica del Quattrocento », dans Storia della letteratura italiana, III, Il Quattrocento e l’Ariosto, éd. E. Cecchi et N. Sapegno, Milan, 1970 (1ère éd. 1966), p. 321-650 (le chapitre Ferrara e la cultura cavalleresca commence p. 570) ; G. Folena, « La cultura volgare e l’‘Umanesimo cavalleresco’ nel Veneto », dans Umanesimo europeo e Umanesimo veneziano, éd. B. Branca, Florence, 1963, p. 141-156. 58. Giulio Ferrari, « Ludovico Ariosto », dans Storia, éd. E. Malato, op. cit., IV, Il primo Cinquecento, p. 353-456 (part. p. 404-409).



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Mais le haut lieu de la culture chevaleresque au xvie siècle est certainement Venise : ainsi, Lodovico Dolce – un polygraphe de la Maison Giolito de’ Ferrari, comme Tommaso Porcacchi – après avoir laissé inachevé un poème épique sur Sacripant (Sacripante paladino, Venise, 1535) et la version italienne de deux romans chevaleresques espagnols, Palmerino (1561) et Primaleone, figliuolo di Palmerino (1562), compose un poème en vingt-cinq livres sur Le prime imprese del conte Orlando, qui sera publié après sa mort, en 1572. Tout aussi représentatifs de cet engouement pour les personnages de l’épopée liée aux cycles médiévaux breton et carolingien sont aussi les écrits La morte di Ruggiero (Venise, 1548) de Giovambattista Pecatore, les poèmes de Giovanni Alamanni, dont les plus connus sont Girone il cortese (1548) et surtout L’Avarchide (1570) – le sujet en est le siège de la cité de Bourges par le roi Arthur – ou encore L’Amadigi de Bernardo Tasso, publié également par la maison Giolito de’ Ferrari en 1570. La grande fresque épique qu’est La Gerusalemme liberata de Torquato Tasso, dont la composition s’étale entre 1559 et 1575 et est publiée également à Venise par Celio Malespini en 1580, termine la production des romans chevaleresques du xvie siècle59. Le statut de centre européen du roman chevaleresque détenu par la cité des Doges est confirmé par le véritable culte que ses imprimeurs vouent tout le long du siècle à cette sorte d’archétype de la littérature héroïque qu’est l’Orlando furioso, à commencer par Gabriele Giolito de’ Ferrari qui en devient comme un spécialiste60. Les éditions et réimpressions de l’œuvre originale seront prolongées par d’innombrables suites : Niccolò Eugenico enrichit d’un canto supplémentaire l’édition vénitienne de l’Orlando furioso de 1549 ; à Brescia un auteur anonyme qu’il faut probablement identifier à Bartolomeo Oriolo de Trévise fait paraître en 1538 un Cavaliere dal Leon d’oro, qual seguita Orlando Furioso, alors que le vénitien Leonardo Gabriel rédige en 1550 sa Nova Spagna d’amor et morte dei paladini, le seul écrit qui raconte l’épisode de Roncevaux61. Toujours à Venise paraissent les continuations du Orlando innamorato, l’autre œuvre fondatrice de la mode épique humaniste, la première en 1506 par les soins de Nicolò degli 59. E. Bonora, « Il classicismo dal Bembo al Guarini » (ch. XXI, Poema cavalleresco e poema eroico), dans Storia, éd. E. Cecchi et N. Sapegno, op. cit., IV, Il Cinquecento, p. 503-525. 60. Il suffit, pour s’en faire une idée, de lire l’index de ses Annali, dans l’édition publiée par S. Bongi (Rome, 1890-1897). À ce sujet on recommande également la lecture de C. Coppens, « I cataloghi di vendita dei Giolito », dans I Giolito, éd. A. Nuovo et C. Coppens, op. cit., p. 453-548. 61. Sur la mode du roman chevaleresque dans l’Italie du xvie siècle, G. Auzzas, « La narrativa veneta nella prima metà del ‘500 », dans Storia, éd. G. Arnaldi et M. Pastore-Stocchi, op. cit., p. 99-138 (part. p. 101-110 sur le roman chevaleresque).

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Agostini qui ajoute un quatrième livre au noyau d’origine, la deuxième en 1511, toujours par le même Agostini, qui joint à l’édition précédente un autre livre, ainsi qu’un troisième en 1527-1530 pour finir avec un quatrième et un cinquième en 153862. Or, il paraît assez vraisemblable que le succès éditorial des Historiae de Quinte-Curce et la parution de la traduction italienne soient, en partie au moins, à relier à la grande vogue des romans chevaleresques dont nous venons de parler. En effet, « s’il s’efforce de concilier des sources divergentes et de présenter un travail solide, Quinte-Curce, en revanche, n’a pas essayé de renouveler ou même de modifier la conception hellénistique de l’histoire. Celle-ci l’amène à rechercher les épisodes pittoresques et émouvants, et, en donnant à ses développements beaucoup de fraîcheur et d’éclat, à rappeler certains aspects de la création poétique. Elle l’incite aussi à susciter chez le lecteur la crainte ou la compassion, et à renouer ainsi avec l’épopée : son Alexandre, héros épique, est au centre d’une Aristéia63 ». Tout comme les valeureux paladins glorifiés par l’épopée humaniste italienne, Alexandre est un preux guerrier que rien ne peut arrêter et ses victoires sont déjà écrites dans le grand livre du Destin et annoncées par des signes surnaturels. Le rêve prémonitoire de Darius à Babylone, à la veille de la bataille64, ou encore le célèbre épisode du rêve d’Alexandre65 sont de ceux-ci. La même atmosphère tragique règne dans la scène où, après avoir failli se noyer dans le fleuve Cydnus, qui traverse la ville de Tarse en Cilicie, le roi de Macédoine est amené sous une tente, évanoui et presque mourant66. Ces péripéties épiques sont sans doute à l’origine des nombreux poèmes centrés sur le personnage d’Alexandre qui virent le jour à la Renaissance en Italie67. 62. À Venise également paraît l’édition de 1487 du Orlando innamorato, aucun exemplaire de la princeps de 1483, publiée à Reggio, n’est parvenu jusqu’à nous. 63. H. Bardon, Quinte-Curce, op. cit., p. viii-ix. 64. Historiae, III, 3, 3-5. 65. Historiae, IX, 8, 22-27. À ce sujet voir S. Barbara, « Forme et genèse d’une péripétie romanesque. Le rêve d’Alexandre (Curt., IX, 8, 22-27) », dans L’Histoire d’Alexandre selon QuinteCurce, éd. M. Mahé-Simon et J. Trinquier, op. cit., p. 61-90. 66. Historiae, III, 5, 5-13. 67. Voir en particulier le Triomfo Magno (1521) de Domenico Falugio, pour lequel est utile la lecture de M. Campopiano, « Romans en vers du xvie siècle », dans La fascination pour Alexandre le Grand dans les littératures européennes, op. cit., t. 1, p. 355-362. Voir aussi idem, « Un poème et son manuscrit au xvie siècle : lecture d’un poème épique sur Alexandre le Grand dans la Renaissance italienne », dans Alexandre le Grand à la lumière des manuscrits et des premiers imprimés en Europe (xiie-xvie siècle). Matérialité des textes, contextes et paratextes : des lectures originales, éd. C. Gaullier-Bougassas, Turnhout, 2015, p. 507-515.



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Même Diodore de Sicile, dont la Bibliothèque historique est animée par la même aura épique et que Porcacchi choisit pour combler la lacune laissée par les livres perdus des Historiae, constitue un modèle parfaitement approprié. Qu’on songe au premier paragraphe du livre XVII (1, 3-5), dont le but est ouvertement la glorification du jeune monarque, ou encore à l’épisode de la traversée de l’Hellespont, où la lance d’Alexandre se figeant dans la terre d’Asie semble guidée par les dieux (XVII, 17, 2), passages que j’ai déjà évoqués plus haut. Le roman chevaleresque et une certaine production historiographique axée sur la célébration de la vie romanesque de personnalités de sang royal paraissent bel et bien n’être que les deux facettes du même phénomène : l’un et l’autre reflètent le regard porté par les hommes de lettres sur une société qui voyait ses institutions démocratiques et républicaines s’estomper lentement mais inexorablement au profit de nouvelles structures étatiques plus efficaces, royaumes nationaux ou empires à vocation universelle. La grande fresque de L’Italia liberata da’ Gotti68 de Gian Giorgio Trissino est un exemple on ne peut plus clair de ce fil rouge qui unit épopée et visées politico-militaires des nouveaux princes de la Renaissance : son Justinien est de toute évidence une préfiguration de l’empereur Charles Quint69. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que les fastueuses cours princières du nord de l’Italie, telle celle de la dynastie des Este, constituent le berceau des poèmes épiques de la Renaissance. Le protagoniste du livre de Tommaso Porcacchi affiche donc les mêmes qualités que les héros de l’épopée et sa conduite s’en approche. Sa traduction est peut-être la seule qui ait les traits, au moins en partie, d’un poème épique. À ce titre, ainsi qu’en vertu de tous les éléments qu’on a examinés, elle était bien en phase avec les goûts de la culture italienne et des principaux filons de l’édition vénitienne du xvie siècle70, l’histoire, la traduction, l’épos. Les Fatti d’Alessandro Magno de Tommaso Porcacchi constituent la synthèse parfaite des intérêts culturels de la Renaissance italienne au xvie siècle. Sur le plan formel, cet ouvrage incarne, par l’emploi de l’idiome vernaculaire et l’envergure du paratexte (notes philologico-antiquaires, index analytique, résumés, etc.), ce phénomène de divulgation « scientifique » qui caractérise cette époque bien plus que le siècle précédent et dont la polygraphie 68. L’ouvrage est terminé en 1527 mais publié à Venise seulement en 1547. 69. D. de Robertis, « L’esperienza », art. cit., p. 506-514. 70. La rédaction remonterait tout de même à l’époque où Porcacchi résidait encore à Castiglion Fiorentino, près de Florence (F. Pignatti, « Tommaso Porcacchi », art. cit.).

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sera la réalisation la plus marquante dans le milieu de l’imprimerie. Mais sa vraie valeur réside dans son statut de miroir des principales idéologies politiques et des faits ayant marqué la géostratégie de la péninsule pendant les six premières décennies du Cinquecento. Les guerres d’Italie, en particulier la sixième et la septième, entre 1525 et 1559, ont bouleversé à jamais les équilibres entre les États italiens difficilement acquis pendant les deux siècles précédents. L’écrasante supériorité militaire démontrée par les puissances française et impériale, mettant au jour la fragilité structurelle des républiques et autres potentats du pays, les a jetés dans une crise profonde, aussi bien sur le plan institutionnel que moral et, partant, a permis de valoriser l’image des maîtres tout-puissants des monarchies absolues naissantes. Ces derniers – ainsi que, dans leur sillage, tout personnage d’ascendance nobiliaire ou pouvant afficher des exploits guerriers – deviennent les personnalités à la mode et leur prestige semble être popularisé par des ouvrages aussi variés que les récits historiographiques ou biographiques et les romans chevaleresques. Les premiers se lisent très souvent sous la forme de traductions de classiques grecs et latins dont les Historiae de Quinte-Curce ne sont qu’un exemple parmi tant d’autres. Ces volgarizzamenti matérialisent ce cordon jamais coupé qui relie les Anciens aux Modernes et qui permet de transmettre, plus que tout autre, l’héritage, aussi bien moral que politique et technique, légué par les ancêtres. L’Histoire se fait véritablement magistra vitae et même les traités de polémologie anciens, dont les traductions sont légion depuis le début du xvie siècle, ne représentent que l’énième expression de cette faculté qu’a la littérature classique d’éduquer la postérité. Les dédicaces des traités militaires, généralement adressées à des souverains, princes ou condottières de grande renommée, mettent en évidence le côté politique de ce genre littéraire. Outre les Tre libri della ingiustitia del duello (1558) qu’Andrea Alciato dédie à Henri II, on peut rappeler ici les Imprese, stratagemi et errori militari (1566) de Bernardino Rocca, dont le dédicataire est le célèbre Sforza Pallavicino71. De même, les poèmes épiques ne constituent pas qu’une mode littéraire, à la manière de l’Orlando furioso et de ses nombreuses continuations, mais sont souvent de vrais pamphlets de propagande de l’institution monarchique, comme dans le cas de L’Italia liberata da’ Gotti de Trissino. Cela est confirmé par le fait que, dans plusieurs cas, les auteurs de ces compositions n’étaient pas des poètes inspirés par les Muses mais des polygraphes de profession, que 71. Sur les dédicaces de traités de polémologie aux grands personnages de l’époque, voir J. R. Hale, « Industria », art. cit., p. 250-253.



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le rôle politique et diplomatique de ces derniers était souvent de premier plan – c’était le cas de Pietro Aretino et d’autres –, et qu’ils se sont souvent distingués par leur biographies d’hommes illustres de leur temps72. La littérature chevaleresque est ainsi un moyen idéal de « populariser » l’image du prince73. Il est intéressant de remarquer que, pendant tout le xvie siècle, Venise est le centre éditorial qui concentre plus des deux tiers de la production totale des œuvres qu’on vient de passer en revue : volgarizzamenti – de récits historiques, portraits d’hommes illustres de l’Antiquité, traités de stratégie –, manuels modernes de tactique et autres écrits de guerre, ainsi que romans de chevalerie. C’est que la Sérénissime est l’état de la péninsule qui, pendant les guerres d’Italie, manœuvra le plus activement contre l’étranger, d’abord contre les troupes françaises (Sainte Ligue, 1511), par la suite en fonction anti-impériale (traité de Blois, 1513), pour terminer la première phase des hostilités (Paix de Cambrai, 1529) en étant très affaiblie, économiquement et militairement. Son choix malheureux du camp français eut de lourdes retombées dans les années qui suivirent la Paix de Cateau-Cambrésis : malgré la conservation de son indépendance, Venise perd son ancien statut de grande puissance européenne, la seule de la péninsule jusque-là, et sa sphère d’influence est fortement redimensionnée74. Dans ces conditions, non seulement la vogue éditoriale de la polémologie n’étonne pas mais la nouvelle prééminence espagnole a dû considérablement marquer les esprits des Vénitiens : l’autorité du monarque l’emportait largement et définitivement sur la République. Sous le couvert de l’épopée et du récit historique ses lettrés ne faisaient qu’exprimer ce changement de taille et le passage au « siècle espagnol ». La traduction des Historiae de Quinte-Curce par Tommaso Porcacchi fusionne admirablement toutes ces composantes, l’histoire, l’histoire militaire, l’art de la guerre, la traduction, le genre épique, dont une bonne partie assurait d’ailleurs les meilleures ventes de la maison Giolito, réunies dans la 72. Lodovico Dolce, collègue de Tommaso Porcacchi chez Giolito de’ Ferrrari, auteur de Le prime imprese del conte Orlando (1572) était l’un d’eux. Tout comme Lodovico Domenichi, continuateur du Orlando innamorato en 1545. Les mêmes Dolce et Domenichi rédigent respectivement une Vie de Charles Quint (1558) et une Historia de’ detti e fatti notabili di diversi principi e huomini privati moderni (1556). 73. Sur le caractère « populaire » des romans de chevalerie dans la Renaissance italienne, voir P. F. Grendler, « Chivalric Romances in the Italian Renaissance », Studies in Medieval and Renaissance History, 10 (1988), p. 59-102. 74. F. C. Lane, Venise. Une République maritime, Paris, 1985, p. 329-335.

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Collana Historica : sa section intitulée Anelli comprenait les volgarizzamenti des classiques grecs et latins, alors que celle qui portait le nom de Gioie était spécialisée dans des textes de polémologie75. Pour toutes ces raisons Porcacchi compte parmi ceux chez qui le changement d’époque engendré par plusieurs décennies d’hostilités s’est le mieux manifesté. Moreno Campetella Institut de linguistique romane – Institut catholique de Lyon Centre d’études linguistiques – Université de Lyon 3

75. A. Nuovo, « Gabriele Giolito editore », art. cit., p. 114.

Traduire Quinte-Curce à la fin du xvie siècle : les préfaces de l’Histoire des faicts d’Alexandre le Grand, Roi de Macedoine de Nicolas Séguier (1598) L’Histoire des faicts d’Alexandre le Grand, Roi de Macedoine de Nicolas Séguier1 (1598), objet d’étude du présent article, est la deuxième traduction du texte de Quinte-Curce en langue française après celle de Vasque de Lucène, faite à la cour de Bourgogne cent trente ans plus tôt. Trois autres suivirent dans la première moitié du xviie siècle : celles de Nicolas de Soulfour (1629) et de Bernard Lesfargues (1639) et bien sûr la traduction de Claude Favre de Vaugelas sortie en 1653, trois ans après sa mort. L’ouvrage de Séguier a connu un certain succès avant la parution des nouvelles versions en français : il a été réimprimé deux fois, en 1613 à Paris par Daniel Guillemot, et en 1614 à Genève par Pierre de la Rovière. Ce dernier était gendre et successeur de Guillaume de Laimarie qui avait signé la toute première édition de la traduction de Séguier sortie à Genève en 15982. Enfin, une nouvelle édition enrichie de notes historiques paraît en 1622 à Paris, faite par Anne Sauvage, veuve de Mathieu Guillemot et belle-sœur de Daniel Guillemot, et Samuel Thiboust, époux de Jeanne Guillemot, sans doute la fille d’Anne et de Mathieu3. Nicolas Séguier, issu de la grande famille de robe parisienne, reste une figure peu connue des chercheurs4. Auteur protestant, il correspondait avec des 1. L’Histoire des faicts d’Alexandre le Grand Roy de Macedoine, compolsée par Quinte Curse et tournee de latin en françois par Nicolas Seguier parisien, [Genève], Guillaume de Laimarie, 1598, http://dx.doi.org/10.3931/e-rara-3370. 2. Pierre de la Rovière épouse Judith, fille de Guillaume de Laimarie, en 1596 et reprend par la suite sa maison d’édition. Voir RIECH (Répertoire des imprimeurs et éditeurs suisses actifs avant 1800), http://dbserv1-bcu.unil.ch/riech/imprimeur.php?ImprID= -8520705. 3. Pour Anne Sauvage et la famille Guillemot, voir l’article de N. Kenny, « Le Moyen de parvenir : The First Edition, its Date, and the Woman who Printed it », dans Studies on Béroalde de Verville, éd. M. Giordano, Paris, Seattle et Tübingen, 1992, p. 21-41. 4. On ne sait rien de précis sur ses parents. Dans les Vintquatre homelies (1598), Nicolas Séguier place, après la préface au lecteur, un sonnet en l’honneur de la famille Séguier (« Les Seguiers ont jadis fait et font retentir / Es barreaux des grand’s Cours leur diserte faconde […] »). Pour la famille Séguier, voir D. Richet, De la Réforme à la Révolution : Études sur la France moderne, Paris, 1991, p. 155-306. Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 275-291 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115401

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personnages éminents comme Théodore de Bèze et Jean Hotman et était impliqué dans les vifs débats autour des conflits religieux de son époque5. D’après Christine Tourn, on ne saurait dire s’il avait été éduqué dans le catholicisme (et donc s’était converti plus tard) ou bien dans le calvinisme, même si l’hypothèse de la conversion semble plus probable6. L’essentiel de ce que l’on sait de lui se résume ainsi : « ministre protestant, natif de Paris, desservit l’église de Payerne de 1581 à 1594, et fut appelé ensuite, comme pasteur et professeur de théologie, à Lausanne, où il mourut de la peste en 15997. » Nous ne savons presque rien sur sa vie avant son arrivée en Suisse où sa présence est constatée depuis 15788. La traduction de Quinte-Curce est son seul ouvrage à contenu profane ; par ailleurs, au moins trois ouvrages religieux sont sortis de sa plume : – Poincts principaux tendans a l’union des Chrestiens qui doibvent estre examinés et mis en deliberation en ung Concile national de l’Eglise Gallicane9 (1591) – Discours et Traité monstrant en quoy consiste le discord qui est entre les François, lesquels sont de l’Eglise catholique romaine et ceux de l’Eglise catholique réformée, pour le fait de la religion, et les moyens de les pouvoir réunir les uns avec les autres pour vivre en bonne paix et concorde ensemble10 (1593) – Vintquatre homelies, ou, sermons familiers, sur le LIII. chap. du livre des Revelations du prophete Esaïe (1598). Les deux premiers sont conservés en version manuscrite et ne sont pas ­passés à l’imprimerie ; seules les homélies ont été éditées à Genève, par 5. S. M. Manetsch, Theodore Beza and the Quest for Peace in France, 1572-1598, Leyde, 2000, p. 224-225. Une lettre de Séguier à Bèze est publiée dans Théodore Bèze, Correspondance, t. 28, 1587, éd. A. Dufour, B. Nicollier et H. Genton, Genève, 2006, p. 198-199. Pour les lettres de Séguier à Hotman, voir C. Vivanti, Lotta politica e pace religiosa in Francia fra Cinque e Seicento, Turin, 1974, p. 222-225 et F. Schickler, « Hotman de Villiers et son temps IV », Bulletin historique et littéraire, 17/ 11 (1868), p. 513-533, ici p. 513-518 et p. 529-530. 6. Voir C.  Tourn, « Nicolas Séguier (c. 1532-1599) : un pasteur entre orthodoxie et irénisme », mémoire de licence de la faculté des lettres de l’Université de Lausanne, 2000, p. 9-10. Je tiens à remercier Olga Shcherbakova pour tous les renseignements sur ce travail que je n’ai pu consulter personnellement. 7. E. Haag, La France protestante, t. 9, Genève, 1859, p. 214. 8. C. Tourn, mémoire cité, p. 14. 9. Vivanti, Lotta politica, op. cit., p. 214, n. 1 ; N. J. Thompson, « Three Versions of Syllabus aliquot synodorum et colloquiorum : an Early Modern Reading List of Irenical Literature », Reformation & Renaissance Review, 9/ 3 (2007), p. 303-340, ici p. 331, n. 98. 10. F. Schickler, « Hotman de Villiers et son temps III », Bulletin historique et littéraire, 17/ 10 (1868), p. 464-476, ici p. 473-476 ; Thompson, « Three Versions of Syllabus », art. cit., p. 330-331.

Traduire Quinte-Curce à la fin du xvie siècle : NICOLAS SéGUIER 277

Antoine Blanc pour Jacques Chouet. Nicolas Séguier est peut-être aussi l’auteur de l’œuvre anonyme intitulée Responce a la supplication addressée au Roy pour se faire Catholique avec moyens nouveaux pour induire Sa Majesté d’aller a la messe (1591), elle aussi manuscrite11. Parmi les écrits de Séguier, c’est donc la traduction de Quinte-Curce qui a connu le plus de succès, avec ses quatre éditions, deux genevoises et deux parisiennes. La traduction est précédée d’une double préface, dédicacée au roi Henri IV et au « lecteur François ». La tradition de proposer deux épîtres consécutives, l’une qui fait l’éloge d’un personnage important et l’autre qui s’adresse à un lecteur universel et décrit le travail du traducteur, s’établit peu à peu dans les ouvrages traduits à partir du milieu du xvie siècle. C’est ainsi que François Habert, en éditant en 1549 sa traduction de six livres des Métamorphoses d’Ovide12, insère au début de son ouvrage deux épîtres en vers signées « au lecteur » et « au roy ». Par la suite, l’ordre sera plutôt inversé, comme par exemple dans Les douze livres de Robert Valturin touchant la discipline militaire, traduits du latin par Louis Meigret (Paris, Charles Perier, 1555), avec leurs deux préfaces au roi et au lecteur. De même, Montaigne publie une édition posthume des traductions de Xénophon et de Plutarque de son ami Étienne de La Boétie13 accompagnée d’une dédicace à Louis de Saint-Gelais, seigneur de Lansac (p. 2 r-3 r), et d’un « advertissement au lecteur » (p. 3 v). Cette tradition se maintiendra au xviie siècle : ainsi, les deux traductions de QuinteCurce postérieures à celle de Séguier donnent chacune deux préfaces. Dans celle de Lesfargues, on trouve une epistre au cardinal Richelieu suivie d’une autre destinée au lecteur, tandis que Soulfour offre même une triple dédicace, d’abord à Louis XIII, ensuite à Claude de Rouvroy, duc de Saint-Simon et favori du roi, et enfin au lecteur universel14 (« Advis en forme de preface »). 11. Thompson, ibidem, p. 329. Le texte est attribué à Séguier par Manetsch, Theodore Beza and the Quest for Peace, op. cit., p. 224 et Vivanti, Lotta politica, op. cit., p. 210 et à Hotman par Schickler, « Hotman de Villiers et son temps III », art. cit., p. 469. 12. Six livres de la Métamorphose d’Ovide, traduictz selon la phrase latine en rime françoise, sçavoir le III, IIII, V, VI, XIII et XIIII, le tout par Françoys Habert, Paris, M. Fezandat, 1549. 13. La Mesnagerie de Xénophon, les Règles de mariage de Plutarque, Lettre de consolation de Plutarque à sa femme, le tout traduict de grec en françois par feu M. Estienne de La Boëtie, ensemble quelques vers latins et françois de son invention. Item un discours sur la mort du dit seigneur de La Boëtie, par M. de Montaigne. Paris, F. Morel, 1571. 14. Nicolas de Soulfour, L’Alexandre françois, image de la fortune et de la vaillance à la noblesse française, ou l’Histoire de Quintus Curtius, des faicts d’Alexandre le Grand, Paris, A. de Sommaville, 1629, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k853289f ; Bernard Lesfargues, L’Histoire d’Alexandre le Grand, tirée de Q. Curse et autres, Paris, J. Camusat, 1639, http:// gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8532924.

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Nicolas Séguier a pour sa part sans doute suivi le modèle de Jacques Amyot dans sa traduction des Vies des hommes illustres de Plutarque (1565) où l’on trouve la même division bipartite, avec une dédicace « au tres puissant et tres chretien roy de France Henry deuxieme de ce nom », suivie de celle « aux lecteurs ». Amyot est en effet cité à deux reprises dans les termes les plus élogieux dans la préface de Séguier qui le déclare « un restaurateur de nostre langue » et « le patron que je me suis proposé15 ». Le choix que fait Séguier de dédicacer sa première préface au roi de France n’est pas si anodin qu’on pourrait le croire, si l’on tient compte du climat religieux et politique de l’époque ainsi que de l’appartenance de l’auteur au camp protestant. La préface est datée du 5 janvier 1597 ; Séguier s’adresse à Henri IV au moment où celui-ci se détourne définitivement du protestantisme. En effet, quelques mois auparavant, le 19 septembre 1596, le roi ratifie son absolution pontificale aux Tuileries, ayant déjà abjuré le calvinisme le 25 juillet 1593 à Saint-Denis. Les protestants ne pouvaient accueillir l’abjuration du roi de manière bienveillante : With Henry now in the Catholic camp, the Huguenots had little infuence at court and were subject to the whims of an unreliable king and vulnerable to the hostility of Catholic opponents. […] After fighting by Henri’s side for many years, the Huguenots now found themselves in a worse position than under the previous Catholic king. Their pastors had been excluded from the court and their nobles were unfairly deprived of civil offices and royal honors16.

La communauté protestante suisse a elle aussi réagi négativement à la nouvelle. La conversion d’Henri IV « came as a terrible shock to Beza » à qui Antoine de La Faye communique la nouvelle de ce « jour mémorable et lamentable à tous les gens de bien et craignans Dieu17 ». Quant à Séguier, notons que tous ses ouvrages polémiques datent d’avant l’abjuration en 159318. Une longue pause de cinq ans avant la parution de ses deux livres suivants ainsi que leur contenu, le premier étant en rapport direct avec son activité de pasteur et l’autre portant sur un thème non religieux, semblent indiquer qu’il s’est 15. Dans l’epistre au roi, Séguier mentionne pour la première fois le récit de la vie d’Alexandre « tiré de Plutarque, et mis en François par feu d’heureuse memoire le Sieur Amyot ». 16. Manetsch, Theodore Beza and the Quest for Peace, op. cit., p. 262. 17. Ibidem, p. 257. 18. Vivanti note que le Discours et traité a été écrit peu après l’Avis et dessein nouveau sur le fait de la Religion en l’Eglise Gallicane de Jean Hotman (1592). Voir Vivanti, Lotta politica, op. cit., p. 244. Le contenu du traité semble bien indiquer qu’il est antérieur à l’abjuration d’Henri IV.

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désintéressé de la discussion rendue obsolète par la conversion du roi ou en tout cas qu’il ne souhaitait plus y consacrer son temps. Pourquoi tout de même adresser son livre au roi ? Il faut noter que Séguier appartenait au camp des moyenneurs qui rêvaient de l’union des deux religions et croyaient à la possibilité d’une conciliation entre les catholiques et les protestants19. Ainsi, à la fin du Discours et traité, ayant décrit les différences entre le catholicisme et le calvinisme et les moyens d’union, Séguier insiste sur la nécessité de trouver une solution pacifique au conflit religieux déchirant le pays : « Si est-ce que nous ne puissions tomber d’accord des points de la religion, encore nous ne laisserons pas par la grâce de Dieu de vivre en paix les uns avec les autres20. » Dans une lettre adressée à Jean Hotman et datée du 21 mars 1593, Séguier est encore plus catégorique, convaincu que la paix doit passer avant toute discussion théologique : « Dieu veuille restituer la paix en France, car voilà par où il faut commencer, et jusqu’à ce que les armes soient mises bas, il ne faut point parler de conférence ni d’accord en matière de religion21. » S’il a été désillusionné par la conversion du roi et ce qui l’avait suivi, il semble que la conviction de Séguier sur l’importance de la paix avant toute chose soit restée inchangée entre 1593 et 1596, année où il rédige sa préface à Quinte-Curce : ainsi, l’« epistre au roy » se termine par une prière à Dieu, « afin qu’il la [Vostre Majesté] préserve des entreprises et machinations de tous ses ennemis : afin que nous ayons cest heur de pouvoir voir la restauration et restablissement du royaume, comme V[ostre] M[ajesté] a desja commencé, et continue tant qu’elle peut pour parvenir à ce but ». S’il espère la paix et le redressement de la France, Séguier choisit de comparer le roi à une figure décidément non pacifique, le personnage principal de sa traduction. En effet, la préface adressée à Henri IV se construit autour du rapprochement de ce dernier avec Alexandre le Grand. Aussi bien Soulfour que Lesfargues vont suivre cet exemple et mettre en parallèle Alexandre et le souverain français, cette fois Louis XIII, dans leurs préfaces. Séguier conçoit sa comparaison dans l’optique morale : tous ont besoin d’un bon exemple « pour leur servir de miroir », afin que chacun puisse construire sa vie sur des principes de vertu. Si le choix d’un souverain en tant que modèle s’impose, 19. Pour les moyenneurs, voir A. Dufour, « Das Religionsgespräch von Poissy. Hoffnungen der Reformierten und der Moyenneurs », dans Die Religionsgespräche der Reformationszeit, éd. G.  Müller, Gütersloh, 1980, p.  117-126 ; M.  Turchetti, « Concorde ou tolérance ? Les Moyenneurs à la veille des guerres de religion en France », Revue de théologie et de philosophie, 118/3 (1986), p. 255-267. 20. Schickler, « Hotman de Villiers et son temps III », art. cit., p. 475. 21. Schickler, « Hotman de Villiers et son temps IV », art. cit., p. 514.

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Séguier justifie sa préférence pour Alexandre en faisant son éloge et en le comparant aux autres rois qui pourraient servir d’exemple au roi français. Ce n’est pas un hasard si le premier souverain sur cette liste est David : Je confesse que David a esté un vaillant Roy, et a gagné quelques batailles, et domté quelques peuples, mais cela est peu au pris de ce qu’a fait ce monarque [Alexandre], lequel a assujetti à son empire non seulement tout ce que David avoit tenu, ains toute l’Asie mesmes22.

David, vainqueur des ennemis d’Israël et fondateur du royaume israélite, figure de manière proéminente dans les écrits des auteurs protestants en tant que modèle par excellence pour un souverain chrétien. On le trouve entre autres dans la Méditation sur le Psalme 101 (1590) de Philippe DuplessisMornay23 ainsi que dans la correspondance de Théodore de Bèze24 et dans ses œuvres telles que les Psaumes de David et les Cantiques de la Bible25 et le Traicté des vrayes essencielles et visibles marques (1592). Que David soit le premier roi à être réfuté par Séguier semble être un renvoi à ces multiples écrits protestants que notre auteur devait connaître. Le commentaire sur le psaume 101 de Duplessis-Mornay est particulièrement propice à la comparaison avec la préface de Séguier. Tout comme ce dernier, Duplessis-Mornay utilise la métaphore du miroir pour désigner l’exemple à suivre (p. 297) : « Les hommes qui veulent composer leurs visages, et leurs contenances vont aux mirouers ; Les Rois pour dresser leurs actions, ont un excellent mirouer en David ; Roi et Prophete. » Comme Séguier le fait pour Alexandre et Henri IV, DuplessisMornay trace des parallèles entre la vie de David et celle d’Henri IV : il compare notamment leur appartenance à la « race Roiale » et leur ascension au pouvoir « du fonds des deserts, et des montagnes » (ibidem), en dépit de l’opposition des ennemis. La comparaison est bien sûr conçue dans l’optique chrétienne : David est « Roi, qui plus est figure du Roi Eternel Jesus Christ nostre Seigneur » (ibid.) et lui et Henri IV bénéficient d’« une speciale grace de Dieu » (p. 298). Ce qui rend David victorieux, c’est « la crainte de Dieu 22. Les préfaces ne sont pas paginées. 23. Manetsch, Theodore Beza and the Quest for Peace, op. cit., p. 209-211. Nous citons ce texte d’après Discours et meditations chrestiennes, par Philippe de Mornay, Seigneur du Plessis Marli, Saumur, Thomas Portau, t. 1, 1610, p. 297-378. 24. Manetsch, Theodore Beza and the Quest for Peace, op. cit., p. 251-252, 256-257. 25. L’ouvrage a connu sept éditions entre 1579 et 1581 dont cinq en latin, une en français et une en anglais ; quatre sur sept (dont celle en français) furent publiées à Genève. Encore trois éditions parurent entre 1593 et 1597 (deux en latin et une en français). Voir E. A. Gosselin, « David in Tempore Belli : Beza’s David in the Service of the Huguenots », The Sixteenth Century Journal, 7/2 (1976), p. 31-54, ici p. 37.

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qui l’asseuroit de toutes craintes » (ibid.), d’où découle la leçon morale que l’auteur veut délivrer au roi français : même « les meilleurs Princes, en plusieurs instances, sont menacez de l’ire de Dieu, quand ils declinent du devoir, quand ils abusent de sa benignité, ou de sa patience » (ibid.). Il en va tout autrement dans la préface de Séguier ; son optique est profane et il considère le parcours d’Henri IV principalement à travers le prisme de ses succès militaires : le roi a passé sa vie « en combats et batailles », semblablement à Alexandre ; son royaume, comme celui d’Alexandre, n’était pas en paix quand il est venu au pouvoir ; finalement, chacun des deux monarques « a esté caressé d’un heur perpetuel ». L’aide divine est mise à contribution une seule fois, quand Séguier note que les deux rois ont échappé aux tentatives de l’assassinat : alors apparaît l’adverbe « miraculeusement » – c’est ainsi qu’ont été déjoués les complots contre le roi macédonien, « comme aussi Dieu a fait à l’endroit de V[ostre] M[ajesté] ». Le goût d’Henri IV pour tout ce qui relève du militaire est cité comme une des raisons qui a poussé l’auteur à lui dédier sa traduction : belliqueux par nature (« le naturel de V[ostre] M[ajesté] est entierement Martial »), le roi « prend un singulier plaisir aux discours de la guerre ». L’ouvrage de Quinte-Curce est alors présenté comme un récit guerrier par excellence (« ce ne sont que batailles, assaux, prises de villes, et braves stratagemes de guerre ») et Alexandre est considéré essentiellement comme un guerrier exemplaire et un chef de guerre modèle, sans que Séguier voie en lui un instrument de Dieu ou bien évoque à son propos la théorie biblique des quatre royaumes (Daniel, 2, 31-45). Le texte de Quinte-Curce n’est pour autant pas dépourvu de morale, comme le suggère d’emblée la métaphore du miroir : ainsi, « les vertus et les vices sont diligemment remarqués. Les vertus pour ensuivre, et les vices pour fuir ». L’écriture de l’histoire est donc régie par le paradigme des vices et vertus, comme c’était déjà le cas dans les chroniques médiévales26. Le protagoniste est le premier à être considéré sous l’angle moral. Ainsi, dans sa jeunesse le roi macédonien était le parangon des vertus : C’est un vrai patron de vaillance, de Majesté, d’amour envers ses citoyens et soldats, de Vigilance, Promptitude, Vivacité d’esprit, Grandeur de courage, Affection de gloire, Sobrieté, Continence, Clemence, mesmes envers ses ennemis, Liberalité, Prudence et Justice. Et il n’y a vertu quelconque, de celles qu’on appele Politiques et Morales, de laquelle il n’ait fait preuve et rendu tesmoignage.

26. B. Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, 1980, p. 26-29.

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L’auteur souligne en particulier son comportement magnanime envers la femme et les filles de Darius, retenues prisonnières sur le champ de bataille. Toutefois, l’exemplarité d’Alexandre s’avère limitée dans le temps. Si par sa nature il est aussi bien valeureux que vertueux, il ne possède les deux qualités que dans sa jeunesse, car « sa trop grande prosperité l’a enfoncé au bourbier des vices ». C’est de là que découle la leçon morale que Séguier souhaite transmettre par sa traduction : comblé de trop de biens, l’homme devient semblable à un « navire trop chargé » et sombre « aux gouffres de malheur ». Bien que Séguier n’évoque pas la colère divine, comme le fait Duplessis-Mornay dans son commentaire sur le psaume 101, et que sa perspective soit profane, les messages des deux auteurs protestants sont semblables : selon Mornay, « il est plus dangereux aux hommes, d’estre accablez des graces de Dieu, que de ses chastiemens ». Séguier s’inspire donc de l’éthique et de l’imagerie protestantes, tout en insérant les éléments puisés dans un contexte nouveau ; en proposant une image certes glorieuse du protagoniste de sa traduction, l’auteur ne manque pas de mettre en lumière les limites du personnage. L’epistre au roi est suivie de cinq sonnets sortis de la plume de Séguier. La même année 1598 sont publiées ses Vintquatre homelies où deux préfaces consécutives, aux « seigneurs de la ville et Canton de Berne » et « au lecteur chrestien », sont suivies d’un « sonnet de l’autheur » sur la famille Séguier27. Dans sa traduction de Quinte-Curce, l’écrivain choisit plutôt d’intercaler ses poésies entre les deux préfaces ; cette position intermédiaire se justifie sans aucun doute par le contenu des sonnets qui sont composés en l’honneur d’Henri IV. Comme pour remédier à l’exemplarité insuffisante d’Alexandre, Séguier propose dans le premier sonnet le modèle de Joseph que Dieu « orna de telle grace/ Que d’esclave vendu il fut prince ordonné » et dont l’histoire illustre la toute-puissance du Seigneur. L’objectif principal des sonnets semble être de compenser la relative insuffisance du discours laudatif dans l’epistre ; en effet, cette dernière a un caractère plus édifiant que véritablement élogieux du roi français, alors que les sonnets s’adonnent sans réserve à sa louange en tant que l’élu de Dieu et « son astre flamboyant ». La particularité des sonnets consiste en ce qu’ils sont tous construits autour du nom du roi, « Henri de Bourbon », écrit en lettres de l’alphabet hébreu et interprété par Séguier dans la phrase « Voici l’enrousement de la fonteine d’intelligence ». Sans pouvoir nous prononcer sur l’exactitude de sa traduction ou sur le niveau de connaissances de Séguier en langue hébraïque – nous laissons ces aspects aux 27. Voir n. 4.

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spécialistes en la matière –, notons que l’emploi de l’hébreu semble s’expliquer lui aussi par l’influence du protestantisme. L’hébreu est enseigné à la Haute école de Lausanne depuis 1538 et à l’Académie de Genève, créée par Jean Calvin et Théodore de Bèze, depuis sa naissance en 155928. L’hébreu apparaît dans des imprimés genevois à partir de 154629 et Genève devient rapidement le troisième centre francophone de production des ouvrages comportant des extraits en hébreu après Paris et Lyon30. Lyse Schwarzfuchs note que la diffusion de l’hébreu à Genève, à la différence des autres villes francophones, est étroitement liée au protestantisme : « L’hébreu à Genève a été utilisé à des fins de propagande religieuse et dans ce domaine les ouvrages d’exégèse biblique contenant de l’hébreu […] ont certainement joué un rôle prépondérant31. » Si la traduction de Quinte-Curce par Séguier ne relève pas de la propagande religieuse, c’est par le biais des textes protestants que l’hébreu y a sans doute trouvé sa place. Le choix de l’hébreu pour l’éloge du roi est expliqué par l’auteur dans le deuxième sonnet : Le langage sacré descendu des hauts cieux, Est à bon droit de tous estimé le vrai pere : Et ce qui fait encore que plus on le revere, C’est qu’il contient en soi d’un arc ingenieux La nature de tout […]

Depuis le Haut Moyen âge, l’hébreu est considéré comme une langue sacrée, vu comme la langue unique de l’humanité avant la confusion entraînée par la construction de la tour de Babel32. Un lien particulier s’établit entre l’hébreu et l’acte de nomination des choses, une idée qui remonte à Genèse 2, 19 où Adam assigne leurs noms à tous les animaux. L’hébreu serait donc la seule langue véritablement capable de nommer, « une langue qui aurait gardé quelque chose du

28. L. Schwarzfuchs, L’hébreu dans le livre à Genève au xvie siècle, Genève, 2011, p. 21. 29. Ibidem, p. 20 et 91. 30. Au xvie siècle, le nombre de livres contenant des extraits en hébreu et produits dans les trois villes francophones est le suivant : 450 publiés à Paris, 200 à Lyon et 130 à Genève. Parmi les 130 ouvrages, on trouve sept grammaires, deux dictionnaires et quatre alphabets. Voir Schwarzfuchs, L’hébreu dans le livre à Genève, op. cit., p. 73-74. 31. Ibidem, p. 75. 32. Voir S. Lusignan, Parler vulgairement, Les intellectuels et la langue française aux xiiie et xive siècles, Paris et Montréal, 1986, p. 42, 44-45, 53 ; P. Bourgain, « Réflexions médiévales sur les langues de savoir », dans Tous vos gens à latin. Le latin, langue savante, langue mondaine (xive-xviie siècles), éd. E. Bury, Genève, 2005, p. 23-46.

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pouvoir souverain de la Parole qui a suscité la vie33 ». Dans les écrits protestants, on trouve par exemple cette idée dans l’éloge de l’hébreu datant de 1578 et placé au début de la Grammatica hebraeae linguae de François du Jon, disciple de Théodore de Bèze : « Quae enim lingua tam propriè, tam convenienter, tam castè, tam sanctè hominibus locísve imposuit nomina34 ? » La deuxième et la troisième éditions de cette grammaire que notre auteur pouvait connaître paraissent à Genève en 1590 et en 159635. Ce sont la nature sacrée de la langue hébraïque et sa capacité d’assigner aux choses leurs noms véritables qui incitent Séguier à transcrire le nom du roi français en caractères hébreux et à proposer, à partir de cette transcription, une interprétation poétique en cinq sonnets dont le nombre correspond à cinq syllabes du nom « Henri de Bourbon ». La confusion des langues est évoquée au début de la seconde préface adressée au lecteur. La « chute linguistique » de l’homme y sert à justifier l’utilité de l’entreprise de traduction : Entre les autres malheurs que la confusion des langues a apporté au monde, cestui ci n’est pas un des moindres, que par ce moyen plusieurs peuples ont esté privés, non seulement d’une cognoissance les uns des autres, mais aussi de la cognoissance de plusieurs riches thresors qu’un chacun d’eux a eus en son particulier.

La Bible est citée comme l’exemple de la traduction par excellence (« Ptolemee Philadelphe fit tourner la Bible de son temps en langue Greque par les septante anciens qu’il fit venir de Jerusalem »). Les Français sont représentés en dignes héritiers des Grecs, car ils « se sont estudié à translater tous les bons autheurs, Hebrieux, Grecs, et Latins, qui avoyent mis quelque chose en lumiere ». En accentuant l’importance des traductions dans l’acquisition du savoir, Séguier loue aussi son propre ouvrage et l’inscrit dans le mouvement méritoire de la translatio studii : « Voila aussi ce qui m’a occasionné, pour donner quelque contentement à ceux de ma nation, […] de mettre la main à l’histoire d’Alexandre le grand composee par Quinte Curse. » Toutefois, ce ne sont pas uniquement des raisons d’ordre général qui ont poussé le pasteur lausannois à faire sa traduction. Dans la seconde préface, il fait part de son expérience personnelle d’écriture, en précisant ses sources 33. M. Soulié, H. Weber, C. Longeon et C. Mont, « L’apprentissage de l’hébreu d’après les paradigmes latins », Bulletin de l’Association d’étude sur l’humanisme, la réforme et la renaissance, 15 (1982), p. 109-116, ici p. 110. 34. Je cite le texte selon l’édition de 1590 disponible sur le site de la Bibliothèque de Genève (http://dx.doi.org/10.3931/e-rara-6638). 35. La première édition paraît à Francfort en 1580.

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d’inspiration et les circonstances dans lesquelles s’est déroulé son travail. Il indique d’abord le cadre temporel : il a promis « il y a environ vingt ans », c’est-à-dire dans les années 1570, de se mettre à la traduction, sans qu’il s’y soit appliqué d’une manière régulière (« j’y ai travaillé un peu laschement, et mesmes souvent entrerompu le labeur »). La source d’inspiration première n’est pas le livre lui-même, bien qu’il en fasse l’éloge dans sa préface, mais la volonté d’un homme. Séguier cite deux personnes qui ont joué un rôle décisif dans son entreprise de traduction. La première des deux est Louis de Chevry, « Seigneur de Vimbré en Brie ». Nicolas Séguier étant marié à une Jacqueline de Chevry, morte en 1587 suite à l’accouchement36, on pourrait supposer qu’il s’agit de son beau-frère ou beau-père. Il semble que Louis de Chevry soit décédé en 1597 – c’est cette année-là que ses héritiers partagent les biens lui appartenant37. La préface au roi est datée du 5 janvier 1597, celle au lecteur ne porte pas de date mais Louis de Chevry était sans doute encore en vie au moment de son écriture, puisque Séguier emploie le présent en parlant de son amitié avec le seigneur de Vimbré, « l’affection que j’ai porté et porte encores à un gentilhomme d’honneur, François, nommé Louys de Chevri ». Un parallèle implicite est d’ailleurs établi entre le seigneur de Vimbré et le roi de France, puisque Louis de Chevry est loué pour sa valeur guerrière « qu’il a toujours monstré es armes en plusieurs guerres et batailles esquelles il s’est trouvé », mais aussi pour son amour de livres d’histoire dont il prend connaissance « pour conjoindre la theorie avec la pratique », tout comme Henri IV qui, ayant passé sa vie en batailles, prend, selon la première préface, « un singulier plaisir aux discours de la guerre ». C’est Louis de Chevry qui incite Séguier à procéder à la traduction de Quint-Curce : il lui montre un livre – on ne sait s’il s’agit d’un manuscrit ou d’un imprimé – contenant l’histoire de Quinte-Curce « tournee en vieil Roman François » qui se trouvait dans sa bibliothèque et lui propose de le « tourner en langage intelligible », la traduction existante, sans doute celle de Vasque de Lucène, qualifiée de « quasi impossible à entendre ». La deuxième personne qui encourage Séguier dans son entreprise n’est pas explicitement nommée, mais décrite ainsi : c’est « un des hommes doctes de 36. C. Tourn, Nicolas Séguier (c. 1532-1599), mémoire cité, p. 15. Si Jacqueline de Chevry était en effet apparentée à Louis de Chevry, seigneur de Vimbré qui se trouve dans la commune de Jouy-le-Châtel en Île-de-France, cela confirmerait l’hypothèse selon laquelle « Nicolas Séguier et son épouse se sont probablement exilés ensemble » (ibidem, p. 16). 37. J.-P. Champenois, « Aperçu sur l’histoire du protestantisme dans la région de ChâteauThierry (des origines au xviie siècle) », Mémoires de la Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie de l’Aisne, 55 (2010) : Les protestants de l’Aisne, p. 145-170, ici p. 164.

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nostre temps, et qui travaille continuellement pour donner tousjours quelque chose de nouveau à la posterité, revoid les bons autheurs, en tourne quelques uns, et enrichit les autres de quelque ornement ». Avant d’essayer d’identifier ce mystérieux auteur, disons d’abord quelques mots sur le problème des sources utilisées pour compléter le texte de Quinte-Curce. En effet, s’ils souhaitaient avoir un récit complet de la vie d’Alexandre, les éditeurs et traducteurs de l’auteur latin étaient obligés de recourir à des sources complémentaires, plus précisément pour remédier à la perte des deux premiers livres, ainsi qu’à celle de la fin du livre V, du début du livre VI et de certaines parties du livre X. Les traducteurs postérieurs à Séguier, Lesfargues et Soulfour, signalent ce problème dans leurs préfaces, cherchant à expliquer aux lecteurs comment ils ont procédé pour combler les lacunes, en particulier celle des deux premiers livres, la plus importante de toutes. Bernard Lesfargues, auteur de la traduction parue en 1639, décrit ainsi sa méthode : « Dés que j’eus achevé ce dernier livre, je travaillay aux deux premiers que nous n’avons pas, pour le moins de la main de nostre Autheur, et mis à la teste de cette Histoire tout ce que j’ay pû recueillir de plus poly et de plus curieux, parmy les Escrivains qui ont parlé de la vie de Philippe, et de l’institution d’Alexandre. » Tout en insistant d’abord sur le fait que « presque tout est de l’invention d’autruy » et qu’il n’a rien ajouté de son propre chef, Lesfargues finit par avouer que le texte comporte quand même des passages en vers dus à sa plume, mêlés « parmy la prose38 ». Une grande partie de la préface est alors consacrée au topos d’humilité qu’il développe longuement tout en faisant semblant de le rejeter « pour ne pas faire croire que c’est icy une fausse modestie ». Quant à Nicolas de Soulfour dont la traduction date de 1629, il recourt à une métaphore du corps sans tête pour justifier le comblement de la lacune au début du texte : « Ayant à vous presenter (mon Lecteur) Alexandre François je n’ay pas creu vous le devoir presenter comme un tronc sans teste. Le present n’auroit pas esté honeste d’un si beau corps sans chef, ny de ceste digne image de la vaillance sans face39. » Si Lesfargues ne cite aucune source dans sa préface et refuse même d’en indiquer dans les marges de son livre pour ne pas l’alourdir, Soulfour prend soin d’énumérer ses sources dès la préface : « […] j’ay pour un premier livre, pris de Justin, tout un traicté qui comprend l’advenement d’Alexandre à la couronne, Le regne du Roy Philippe son pere, et (remontant toujours) la naissance du Royaume de Macedoine […]. Pour second livre, j’ay 38. La préface n’est pas paginée. Voir la note 14 pour les références de l’édition. 39. La préface n’est pas davantage paginée dans cette édition dont les références sont données à la note 14.

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tiré d’Arrian et de Diodore Sicilien, toute la naissance du regne d’Alexandre, ses guerres de l’Europe, guerre de Thebes, et ses premiers exploits en Asie, jusques à la bataille du Granic, finissant où Quinte Curse commence. » Qu’en est-il des sources et de leur présentation chez Nicolas Séguier ? Dans ses deux préfaces, il mentionne plusieurs récits de la vie d’Alexandre qui lui sont familiers, mais qu’il n’a pas utilisés pour préparer sa traduction. D’abord, comme noté ci-dessus, est évoqué un manuscrit ou un imprimé de l’histoire de Quinte-Curce en français que lui avait fait voir Louis de Chevry. Il ne semble pas que notre auteur ait consulté cet exemplaire depuis sa rencontre avec le seigneur de Vimbré. Ensuite, Séguier connaît bien sûr la vie d’Alexandre de Plutarque dans la traduction faite par Amyot ; celle-ci est le seul texte sur Alexandre à être mentionné dans l’epistre au roi. Le récit d’Amyot est alors désigné comme « un modelle raccourci au petit pied » qui s’oppose au « tableau entier » proposé par Quinte-Curce. Si le récit d’Amyot a probablement servi d’inspiration à Séguier, il ne semble pas s’en être servi en tant que source. Ceci est confirmé dans la préface au lecteur où l’écrivain souligne sa connaissance des textes concurrents et refuse pour autant de les utiliser : Scache que je les [les autres histoires] ai aussi bien descouvert que toi, mais je n’ai pas entrepris d’accorder Quinte Curse avec Arrian, Justin, Plutarque et autres qui ont escrit l’histoire d’Alexandre : ce n’est pas là mon but : je me suis proposé seulement de te tourner de Latin en François l’histoire escripte par Quinte Curse.

La seule source que l’auteur tienne à reconnaître est le texte du « docte personnage » anonyme. Séguier prétend l’avoir imité fidèlement : « j’ai suivi son labeur […] en m’estant entierement reglé sur son modelle » qui est « le plus parfait et accompli. » Au terme d’une recherche documentaire, nous avons pu identifier l’édition dont s’est servi Séguier et qui l’a aidé, selon son propre témoignage, à interpréter le texte de Quinte-Curce, « autrement assez difficile pour sa brieveté, et pour quelques manieres de parler particuliers desquelles il use ». Il s’agit de l’édition de 1591 imprimée par Antoine Blanc40 et intitulée Q. Curtii Rufi Historiarum Magni Alexandri macedonis libri VIII41. Plusieurs 40. Sur Antoine Blanc, imprimeur lyonnais installé à Genève à partir de 1585, voir H.-L. et J. Baudrier, Bibliographie lyonnaise. Recherches sur les imprimeurs, libraires, éditeurs, relieurs et fondeurs de lettres de Lyon au 16e siècle, t. 12, Lyon, 1921 (reprint Paris, 1964), p. 468-500. Séguier collabore avec Blanc pour faire paraître ses Vintquatre homelies en 1598 (l’ouvrage est imprimé par Antoine Blanc pour Jacques I Chouet). 41. Le titre complet est le suivant : Q. Curtii Rufi Historiarum Magni Alexandri macedonis libri VIII. Postrema editio, recognita. Cui accesserunt duorum, qui in principio desiderabantur,

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indices parlent en faveur de l’identification de celle-ci avec le texte-source utilisé par Séguier pour sa traduction de Quinte-Curce. D’abord, selon la préface au lecteur, l’éditeur anonyme « avoit depuis peu de temps reveu » l’ouvrage de Quinte-Curce, ce qui sous-entend une parution pas trop éloignée dans le temps de l’année 1596 où la préface a sans doute été rédigée. Le texte imprimé par Blanc répond à ce critère, étant l’une des éditions les plus récentes de Quinte-Curce et aussi la plus proche géographiquement (Genève). Ensuite, Séguier précise que l’éditeur a « orné [son texte] de methode, d’annotations morales et sommaires de chapitres ». Le sens du mot methode n’est pas tout à fait clair, mais il désigne probablement l’index que l’on trouve dans le texte latin42. Un index est aussi présent dans la traduction française, placé à la fin de l’ouvrage comme dans l’édition de Blanc. Une simple comparaison du début des deux index montre que la traduction de Séguier est fidèle à l’original : édition latine (Genève, 1591)

édition de Séguier

Abaritae, populi Indiae

Abarites, peuple d’Indie

Abdolonymus vir prudens ex agro ad regni Sidonis administrationem accersitus

Abdolonymus, personnage prudent, appellé des champs au gouvernement du Royaume de Sidon

Abisares, rex Indiae

Abisares, Roy d’Indie

Les deux autres composantes mentionnées par Séguier et faisant partie de la révision du texte latin par l’éditeur anonyme sont facilement identifiables. Les marges de l’édition de Blanc sont parsemées d’annotations à caractère moral, à raison de quatre ou plus par page, qui commentent des parties du texte de Quinte-Curce. Pour n’en donner qu’un échantillon, dans le chapitre 2 du livre III la phrase « Nec quicquam illi minus, quam multitudo militul, defuit », que Séguier traduit par « Il n’avoit que trop d’hommes, et rien ne lui manquoit moins que cela », est accompagnée du commentaire suivant (p. 21) : « Adfuerunt corpora, sed abfuerunt animi. » Tout en les mentionnant dans la préface, Séguier ne reprend aucune de ces remarques. Ainsi, la seule note en marge qu’on trouve dans les deux premiers livres de la traduction librorum supplementum. Alexandri vita, ex Plutarcho. Ex eodem, de Alexandri fortuna, II. libri. Breviaria singulis Curtii libris praefixa. Perpetuae ad marginem notae morales ac politicae. Gnomologia Curtiana. Orationum et rerum memorabilium indices. 42. Le terme methode peut signifier « l’ordre correct qu’il faut suivre pour exposer un savoir ou pratiquer un art », « l’art de bien ordonner le discours selon les canons de la grammaire et de l’éloquence » ou tout simplement la mise en ordre des idées (d’après P. Hamou, « Sur les origines du concept de méthode à l’âge classique : La Ramée, Bacon et Descartes », Revue LISA, 12 / 5 (2014), url : http://lisa.revues.org/6249).

Traduire Quinte-Curce à la fin du xvie siècle : NICOLAS SéGUIER 289

française est explicative : l’auteur établit l’équivalence entre la devise antique et celle de l’époque contemporaine, familière à son lecteur, en précisant que « 440. talens d’argent » égalent « deux cent soixante quatre mille livres » (p. 21). Enfin, on trouve dans l’édition de Quinte-Curce de 1591 les résumés des chapitres évoqués par Séguier. Ceux-ci sont regroupés au début de chaque livre de l’édition latine, tandis que l’auteur de la traduction française place les siens en tête de chaque chapitre. Reste à savoir qui est l’auteur de l’apparat dont a bénéficié le texte latin et, par extension, le « docte personnage » dont parle Séguier. Seules sa méthode de travail et la description de ses activités donnée par Séguier permettent de découvrir son nom. Rappelons que le pasteur lausannois nous le présente comme quelqu’un qui « revoid les bons autheurs, en tourne quelques uns, et enrichit les autres de quelque ornement. » Quant à la méthode de travail, elle est caractéristique de plusieurs autres ouvrages dus à Simon Goulart, pasteur, théologien et traducteur réformé. Originaire de Senlis en Oise, Goulart s’installe à Genève en 1566. À partir de 1570, il publie sans relâche ouvrage sur ouvrage. Parmi ses publications, on trouve quelques écrits de sa propre plume comme les Imitations chrétiennes de 157443, mais son legs consiste principalement en traductions et éditions de texte : « Goulart se consacre tout entier à la tâche de mettre le savoir – accompagné d’un appareil textuel considérable qui guide la lecture – à la portée du plus grand public44. » Il traduit des traités religieux destinés à la diffusion de la doctrine protestante, dont des écrits de Calvin et de Théodore de Bèze, mais aussi des ouvrages d’éthique comme les œuvres morales de Sénèque et des récits historiographiques comme l’Histoire de Portugal de Jérôme Osorio. Pour les textes déjà traduits ou édités, il prépare un apparat critique du même type que celui qu’on trouve dans l’édition de Quinte-Curce et qui comprend une préface générale, les résumés des chapitres, des annotations marginales et un ou plusieurs index. C’est ainsi qu’il réédite, en 1581 et en 1583, les Œuvres morales et les Vies des hommes illustres de Plutarque dans leur traduction par Amyot. Le volume contenant le texte latin de Quinte-Curce inclut d’ailleurs la version latine de la vie d’Alexandre de Plutarque et un extrait de ses Moralia, De fortuna Alexandri, les deux accompagnés eux aussi de résumés et d’annotations (p. 302-411). On trouve aussi parfois dans les ouvrages publiés par Goulart des recueils d’aphorismes 43. L. C. Jones, Simon Goulart, 1543-1628. Étude biographique et bibliographique, Paris, 1917, p. 555. 44. A. Graves-Monroe, Post tenebras lex. Preuves et propagande dans l’historiographie engagée de Simon Goulart (1543-1628), Genève, 2012, p. 40.

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ou de sentences. L’édition de Quinte-Curce contient notamment une page de « historiae leges » et deux pages de « de lectione historiae aphorismi » placées avant le texte ainsi que la « gnomologia curtiana » qui le suit45. Une partie de la production de Goulart n’est signée qu’avec ses initiales ou même ne porte aucun nom, comme ses éditions des œuvres d’Ammien Marcellin et de Tacite46. Il ne faut donc pas s’étonner que le texte de QuinteCurce soit également publié sous l’anonymat, étant donné que l’éditeur ne se soucie pas toujours d’apposer son nom sur son œuvre. En gardant l’anonymat du « docte personnage », Séguier tient peut-être à respecter sa volonté. Une édition plus tardive de Quinte-Curce revendique toutefois la paternité de Goulart : en effet, l’ouvrage est repris en 1597 par Jacob Stoer, avec une préface complétée, signée avec les initiales S.G.S. (Simon Goulart Senlisien) et dédiée désormais à Jean Paludius47. C’est dans cette version que l’édition sera reproduite en 1602, toujours par Stoer, et plus tard par Jacques Roussin en 1604 et 1611. Si Séguier a commencé à travailler à sa traduction de Quinte-Curce dans les années 1570, il devait bien sûr avoir sous la main une édition plus ancienne qu’il a remplacée par celle de Goulart une fois que cette dernière a paru. Il est à étudier dans quelle mesure Goulart a amendé le texte latin, mais son récit est somme toute fort semblable à celui qu’on trouve dans de nombreuses éditions lyonnaises de l’époque, auxquelles Goulart puise les supplementi, le texte restitué des deux premiers livres perdus48. Le passage d’une édition lyonnaise plus ancienne à celle de Goulart ne devait donc pas présenter beaucoup de 45. Voir pour comparaison la gnomologia au début des Histoires de Polybe (Polybii Megalopolitani Historiarum libri V priores, [Genève], Jacob Stoer, 1597) et la « gnomologia marcelliniana » à la fin des Histoires d’Ammien Marcellin (Ammiani Marcellini Rerum sub Impp. Constantio, Juliano, Joviano, Valentiniano et Valente, per XXVI. annos gestarum Historia, Lyon, François le Preux, 1591). Les deux textes sont édités par Goulart. 46. Graves-Monroe, Post tenebras lex, op. cit., p. 78. 47. Contrairement à ce qu’indique A. Graves-Monroe (ibidem, p. 78), l’édition de 1591 ne comporte pas de dédicace à Paludius. Originaire de Brzeg en Silésie, gouverneur de Venceslas et de Georges Sigismond de Zástřizly, Jean Paludius fit ses études à l’Université de Bâle, séjourna à plusieurs reprises à Genève et fut ami de Théodore de Bèze avec qui il correspondait. Voir F. Hrubý, « Les seigneurs de Zâstrizly et leur correspondance avec Théodore de Bèze et avec d’autres amis suisses dans les années 1556-1605 », dans idem, Étudiants tchèques aux écoles protestantes de l’Europe occidentale à la fin du 16e et au début du 17e siècle : documents, Brno, 1970, p. 313-381, https://digilib.phil.muni.cz/handle/11222.digilib/103696. 48. Voir par exemple Quinti Curtii de rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis historia luculentissima, Lyon, Sébastien Gryphe, 1545 et 1548 ; Q. Curtii de rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum, libri decem, Lyon, Jean et François Frellon, Antoine Vincent, 1546 et 1555.

Traduire Quinte-Curce à la fin du xvie siècle : NICOLAS SéGUIER 291

difficultés et on peut se demander si l’éloge que fait Séguier de l’édition de Goulart n’est pas en premier lieu dû au fait que celle-ci provient de la plume d’un collègue pasteur et est par là même digne de confiance. Nous avons vu que les préfaces de Séguier s’inspirent de la morale et de l’imagerie protestantes ; il ne serait pas surprenant de le voir se fier davantage à un ouvrage révisé par un pasteur de l’Église réformée et portant sa marque d’approbation. Passons à la conclusion. La traduction de Quinte-Curce de Séguier est précédée de deux préfaces, la première dédiée au roi et la seconde au lecteur universel, ainsi que de cinq sonnets construits autour du nom du roi transcrit en caractères hébreux. L’auteur réformé adresse son ouvrage à Henri IV, duquel il attend avant tout la pacification et le rétablissement du royaume de France après les guerres de religion. Traçant des parallèles entre le roi français et Alexandre le Grand, Séguier souhaite proposer à celui-là un miroir de vices et de vertus dans la veine des écrits protestants. La préface au lecteur expose les circonstances de travail et les motifs personnels de l’écrivain. Séguier dit avoir commencé sa traduction dans les années 1570, mais il est probable que la plus grande partie du travail s’est déroulée dans la période allant de 1593, l’année où Henri IV s’est converti au catholicisme et où la discussion théologique a perdu son attrait, à 1596, où Séguier rédige probablement ses préfaces. Les informations fournies dans la seconde préface permettent d’identifier l’éditionsource utilisée par l’auteur. Si au départ il s’est sans doute servi d’une édition lyonnaise, il opte plus tard pour celle faite par Simon Goulart et publiée par Antoine Blanc à Genève en 1591. Séguier imite le modèle proposé par Goulart en ajoutant à son texte un index, les résumés des chapitres et quelques notes marginales qui sont toutefois explicatives et non morales, comme celles de Goulart. Faisant figure d’exception parmi ses écrits, qui touchent surtout aux questions religieuses, sa traduction de Quinte-Curce était destinée à devenir son livre à succès, ouvrant la voie à de nouvelles adaptations en langue française de la première moitié du xviie siècle. Elena Koroleva Université de Lille ALITHILA

Quinte-Curce et la réflexion sur la traduction du xvie au xviiie siècle : illustration des langues et promotion de modèles d’écriture

Englishing Quintus Curtius in the Sixteenth and Seventeenth Centuries: John Brende and his Posterity The Historiae was not among the classical biographies of Alexander to have inspired medieval writing in English. Before the advent of humanism, English literature reflected practically no knowledge of the Historiae itself or of the continental texts it informed1. References to the Roman historian’s Alexander biography began to proliferate early in the sixteenth-century, when it became a standard text in the school curriculum and one of the most frequently translated classical texts in Europe2. By the time the first of a series of Early Modern English versions of Curtius’s work appears in black-letter print in 1553, its author comments on the tardiness of his countrymen to bring worthy histories into their vernacular. Not all of these early versions unequivocally communicate the aspirations and identities of their translators, their printerpublishers or the authors of their paratexts, but even where these contributors to the “English” Curtius and the contexts in which they were working remain elusive, both the ways in which they presented themselves as well as the choices they made in the course of their work of translation have a story to tell. Although it is a story full of lacunae, in which the principal “actors” often seem all but absent, it contributes substantially to the translation history of classical texts in general, and of Alexander literature in particular. Since 1. Continental writings based on the Historiae include Gautier de Châtillon’s twelfth-­ century Alexandreis and Vasque de Lucène’s fifteenth-century Faicts et Gestes d’ Alexandre le Grand. There is no evidence for reception of the latter in England, while the only English text to make use of the Alexandreis, and therefore indirectly of the Historiae, is the late thirteenthcentury Kyng Alisaunder. 2. P. Burke, “Translating Histories”, in Cultural Translations in Early Modern Europe, eds. P. Burke and R. Po-Chia-Hsia, Cambridge, 2007, p. 125-141 (here p. 126-127). European statistics published by Burke (in “The Popularity of Ancient Historians, 1450-1700”, History and Theory, 5 (1966), p. 135-152, here p. 136-137) further confirm that Curtius was published more often in the vernacular than in Latin and that his popularity peaked in the second half of the seventeenth century, which is when three of our four English translations were published. For the importance of Alexander as contested role model in humanist education, see also D. Quint, “‘Alexander the Pig’: Shakespeare on History and Poetry”, Boundary 2, 10 (1982), p. 49-67, especially 53-56. Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 295-323 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115402

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that story can obviously not be exhaustively covered here, I will be privileging the first Englishing of the Historiae, which dominated not only the second half of the sixteenth century, but much of the next century as well. On closer scrutiny, seventeenth-century works professing to be “new” translations of Curtius’s Latin do not live up to their claims but turn out to be calques (and sometimes calques of calques) of their English predecessor. Not until a Life of Alexander the Great emerges from the University of Cambridge in 1687 do we find scholar-translators fulfilling their prefatory pledge to discard the outmoded English version and attempt a genuinely new Englishing of the Historiae that would be worthy of “the Venus of all histories”. Most of this essay is therefore as much about the literary posterity of John Brende as it is about the fortunes of Quintus Curtius Rufus in the English vernacular3. Roughly a century before the first Latin edition in England of the Historiae4, its English translation was published “within Temple Bar at the sygne of the hand and Ster”. In spite of the enduring popularity of the Historie of Quintus Curtius, Contayning the Actes of the Greate Alexander translatyd out of Laten into Englishe by John Brende (hereafter Historie), the author of its Englishing barely receives more than a cursory mention in translation histories5 and has not yet found a place in the national biographies. Only parliamentary documents yield a partial narrative of his distinguished career, a brief summary of which will here serve as one of several contexts informing his pioneering work. Nothing is known about the childhood, education and early career of this man of letters, but the last twenty years or so of his life are reasonably well documented6. John Brende occupied a number of secretarial, political and military functions in the service of no less than four monarchs (Henry VIII, Edward VI, Mary I, Elizabeth I) and two regents (Edward Seymour, 3. The work of Samuel Clarke, author of a Life and Death of Alexander the Great, First Founder of the Grecian Empire, published in 1665 together with a Life and Death of Charles the Great, First Founder of the French Empire, will not be discussed here. It is a narrative compiled from different sources, including Quintus Curtius, and is not provided with paratexts. 4. Published by Roger Daniels in London in 1658. 5. A singular exception is H. B. Lathrop’s Translations from the Classics into English from Caxton to Chapman, 1477-1620, Madison, 1933, which devotes p. 86-89 to Brende’s Historie; I was unfortunately unable to access this work until I had completed my own study of Brende. 6. Acts of the Privy Council inform R. Virgoe and A. D. K. Hawkyard’s entry on “Brende (Brande), John (by 1515-59), of London and Beccles, Suffolk”, in The History of Parliament: The House of Commons 1509-1558, ed. S. T. Bindoff, Cambridge, 1982. An online version can be found at http://www.historyofparliamentonline.org/volume/1509-1558/member/brende%28brande%29-john-1515-59 (consulted January 2017).



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first Duke of Somerset, and John Dudley, first Duke of Northumberland). He is recorded in 1536 as being in the service of Thomas Howard, third Duke of Norfolk (who was later to preside over the trial of Brende’s dedicatee); in the mid 1540s he is seen reporting to the King information gathered from his travels in Vienna, Milan and Cologne, mustering German mercenaries in Antwerp, and supervising fortifications in Tynemouth as well as redesigning defences in Carlisle under Seymour; in 1547 he was in charge of pioneers7 in Protector Somerset’s army deployed against Scotland and was elected Member of Parliament for Thetford (Lancaster); he was also sent on various missions to Bremen, Hamburg and Lübeck (for munitions, as well as to strengthen the protestant alliance) and to Scotland (to obtain custody of Mary Queen of Scots as part of Henry’s unsuccessful plan to wed her to Edward); in 1548 Brende was appointed secretary to the King’s lieutenant in the North and in 1549 he became a member of the council of the second Earl of Rutland, warden of the East and Middle Marches; upon Somerset’s imprisonment in October 1551, Brende too was sent to the Tower, from which he was released thanks to Northumberland in May of the following year8. He may therefore have had excellent personal reasons for choosing Dudley as dedicatee for his Historie, which was first printed in May 1553, just months before the death of young King Edward early in July, when the succession crisis soon led to Northumberland’s fall, trial and execution9. On 17 July, Brende declared his allegiance to Mary, by whom he was rewarded with a knighthood and an annuity, to which king Philip later added an annuity of his own. More military activity and mustering took place during Mary’s reign, and records show that Brende received payments for supervising fortifications on the Scottish border in 1558. In 1559 the new Queen, Elizabeth, appointed Brende as magistrate in Suffolk, but he died before being able to take up this new office. The writings he left behind included, in addition to his English Curtius, an unfinished translation of Caesar’s De bello gallico, which no lesser person than William Cecil transmitted to Arthur Golding for completion after 7. Pioneers performed construction and demolition work in the field to facilitate troop movements. 8. Date from Virgoe and Hawkyard, “Brende (Brande), John”. H. Davis, also working with the Acts of the Privy Council, gave the date of Brende’s release as December 1551 (“John Brende: Soldier and Translator”, The Huntington Library Quarterly, 1 (1938), p. 421-426, here p. 426); whatever the length of time he spent in the Tower, there was cause for gratitude towards his deliverer. 9. For plotting to put his Protestant daughter-in-law Jane Grey on the throne. On the eve of his execution, Northumberland converted to Catholicism.

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Brende’s death10. An alphabetically arranged Elizabethan catalogue of English books, compiled and published by Andrew Maunsell in 1595, also attributes to Brende the translation of two sermons by Saint Cyprian, printed the same year as the Historie. Maunsell refers to “2. Sermons [which] are againe translated by John Brend, one of patience, the other of mortalitie. Print. by Richard Grafton 1553. in 811”. Finally, the quality of the letters and reports he wrote in the exercise of his professional duties seems to have contributed to Brende’s reputation as “a man of witte and good aredines to exprese by the penne verie vivelie and handsomlye12”. Liveliness and handsomeness also characterize much of his work of translation, as we shall be seeing. Just as Brende survived his close association with some of the most controversial figures of his time – notably Somerset and Northumberland, who both lost their heads on the scaffold – so his work’s sixty-year publication history demonstrates continuity in times of political and religious upheaval. Extant copies suggest that the Historie was published no less than eight times between 1553 and 1614: four times by Richard Tottell13 (two printings in 155314, one each in 1561 and 1571), twice by Thomas Creede (1602 and 1614), and once each by Roger Warde (1584) and Abell Jeffes (1592). Even though the work’s dedicatory preface was tailor-made for Brende’s benefactor early in 1553, when 10. After continuing the text where Brende had left it, Golding chose to retranslate the Latin from the beginning, for reasons he explained in his dedicatory Epistle. Brende’s translation is therefore lost. Golding’s Eyghte Bokes of Caius Julius Caesar were printed by William Seres in 1565, with a dedication to Cecil and a “Preface to the Reader”. 11. In The First Part of the Catalogue of English Printed Bookes: Which concerneth such Matters of Diuinitie, as haue bin either written in our owne Tongue, or translated out of anie other Language […], London, 1595, p. 34, or C5v (not counting the two blank pages with handwritten entries inserted between C4v and C5r). Two copies of Cyprian’s sermons translated by Brende are listed in the English Short-title Catalogue (STC 6159.3), but I have not been able to see one myself and neither copy seems to have been digitized. 12. Quoted in Davis, “Soldier and Translator”, p. 423. 13. Tottell is best known to historians of publishing for the monopoly he was granted by the Queen to print all common-law books; he moreover earned himself a place in the history of literature by publishing the poetic anthology Songs and Sonettes, better known as the “Tottell Miscellany”, in 1557. His publications of John Lydgate’s Fall of Princes (1554) and Stephen Hawes’s Pastime of Pleasure (1555) further demonstrate Tottell’s investment in poetry. 14. Only the title page of the first 1553 printing is reproduced online at EEBO (Early English Books Online), but A. W. Pollard and G. R. Redgrave (A Short-title Catalogue of Books Printed in England, Scotland and Ireland and of English Books Printed Abroad, 2nd ed., 3 vols., London, 1976-1991, I, p. 276) mention that its preface is followed by an apology for “notable faultes and errours […] through neglygence of the printer in mine absence”. Sincere thanks to Emma Depledge for generously sharing her expertise in early English book history.



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he was at the height of his power, the fact that Northumberland became the object of general opprobrium within months of the book’s first printing made no difference to subsequent editions, which bear no trace of attempts to tinker with or censor its contents. In fact, the only perceptible changes from one printing to another – apart from matters of fount, format and spelling – concern the layout, printer’s information and decoration of the title pages and/ or frontispieces. Only one of these title pages, that printed by Abell Jeffes, refers to the reigning monarch at the time of publication by including the phrase “God save the Queen” (Elizabeth) in one of the publisher’s four heraldic fields; inside Jeffes’s volume, Brende’s dedicatory preface continues to refer to Edward VI and Henry VIII, entombed 39 and 45 years before, by evoking the dedicatee’s “excellent seruice done, both in the time of the kinges maiestie that nowe is, and also in his fathers dayes of most famous memorye15”. The classical past is therefore not the only past transmitted in these publications of the first English Curtius. At the very least this is suggestive of its various printer-publishers’ faith in the work’s continuing commercial viability, even without the potential favours of a powerful patron. For readers of all but the earliest editions, the identity of the dedicatee must have seemed as irrelevant to this biography of Alexander as the story of Pyramus and Thisbe, which figured on two of the title pages of Tottell’s 1553 printings. In what follows, I shall be focussing primarily on Brende’s paratext, the dedicatory “Preface” (as it is styled by the printer), while referring to the first two “supplied” books and the remaining eight books only insofar as they afford occasion for reflecting on the work of translation. In some respects Brende’s voice is distinctive, though more often it is in translinguistic harmony with that of his Latin source as edited by the Bavarian teacher, author, editor and translator Christoph Bruno16. Bruno’s Latin Curtius was published for the first time in 1545, in both Basel (by the printer-publishers Hieronymus Froben and Nikolaus Episcopius) and Lyon (by Sébastien Gryphe/Greyff ). 15. A4v. There are no page numbers for Brende’s preface. Quotations from the Historie refer to signature marks in Tottell’s second printing of 1553, the oldest printing available in its entirety on EEBO (STC 6142), a keyboarded and encoded edition of which is also available online at http://quod.lib.umich.edu/e/eebo/A19723.0001.001?view= toc (last consulted in March 2017). Following the Latin, books are numbered, but not chapters. I have expanded contractions, transcribed “ye” as “the”, but left the ampersand. 16. Bruno studied law, taught at the “Poetenschule” in Munich, and was the author of academic treatises e.g. on medical subjects; in addition to Boccaccio’s Decameron, he translated into German a selection of fables from Ovid’s Metamorphoses (characterized as amusing – lustig – on the title page), as well as writings by Vives and Erasmus.

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In Basel the title appeared as Q. Curtii Historiographi Luculentissimi De rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum opus, ita demum emendatum atque illustratum, ut posthac uix quicquam in eo desiderari possit. Accesserunt enim antehac numquam uisa, duorum in principio librorum qui desiderantur Supplementum compendiosum, finis in quinto libro atque fragmentorum in decimo restitutio, rerum memorabilium Index copiosissimus. Omnia summa fide atque diligentia in laudem, gloriam atque honorem, illustriss. Principis D. Alberti, comitis Palatini Rheni, ducis utriusque Bavariae, domini sui clementissimi congesta, per Christophorum Brunonem I. V. Licentiatum eiusdemque, ac bonarum literarum professorem, apud inclytum Monacum. Greyff ’s short-title was De rebus gestis Alexandri Magni Macedonum regis historia luculentissima, multo majore quam hactenus unquam, vigilantia emendata. To the best of my knowledge there is no evidence for the anteriority of either of these publications, whose contents are in any case identical, except for the format, titles, decoration, layout, and fount. Since the most recent study I have seen of this work uses the Basel edition, it is the one to which I shall be referring (as the De rebus gestis17). The long short-title says it all: Curtius’s truncated and imperfect text was “restored” to its perceived wholeness by Bruno, who provided compendious supplements to the first two missing books; he also resorted to repairing the “disfiguring” gaps in books five and ten18. Bruno’s underlying assumption is that Curtius’s biography of Alexander would have included the episodes that he supplies with the help of a number of biblical, classical and contemporary authorities, whom he lists at the outset of his work. In Germanophone regions, Bruno’s supplements continued to be reprinted until well into the eighteenth century, even after those of Freinsheim had achieved wide circulation19. Although the Bavarian’s name is not mentioned in the Historie, the identification of Brende’s source is unproblematic since these supplements are all present in his translation. On the whole the Englishman gives us a fairly close translation of books three to ten; his approach to Bruno’s own writing, however, is not so respectful, with omissions and additions yielding matter for reflexion. This is especially evident in the preface, to which I now turn. 17. References are to the digitized Basel edition at https://catalog.hathitrust.org/ Record/009305177 (last consulted March 2017). 18. The trope is borrowed from Erasmus, as pointed out by R. Kaiser, “‘Perpetua Curtii historia’: Christoph Brunos Supplementum compendiosum (1545) zu Curtius Rufus’ Historiae Alexandri Magni”, in Supplemente antiker Literatur, eds. M. Korenjak and S. Zuenelli, Freiburg, Berlin and Vienna, 2015, p. 205-221, here p. 211. 19. Kaiser, “‘Perpetua Curtii historia’”, p. 209.



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Although historians generally relate Brende’s choice of dedicatee to Northumberland’s role in delivering him from the Tower in the aftermath of Somerset’s fall from power, his own dedicatory preface is circumspect enough not to boast a personal relationship with the Duke; instead it deploys a topos highlighting the dedicatee’s similarity to Curtius’s classical hero as the main incentive for his choice. This comparison, to which I shall be returning, is preceded by the depersonalizing observation that bestowing their works on princes is how writers labouring on similar projects manifest their good will. The suggestion that it is simply the “done” thing is almost apologetic: “Thys so worthie a matter I thoughte good to dedicate vnto youre grace, folowyng their ensample that haue traueyled in the like studye, whiche are wonte to declare their good willes, by bestowing of their labours” (A4r). If there was no precedent in Brende’s Latin exemplar for the parallel between the work’s dedicatee (the future Duke Albert V of Bavaria) and its hero, similar comparisons were made in works that the English translator could well have been familiar with, such as Erasmus’s Institutio Principis Christiani with its dedication to the future emperor Charles V, who is compared with Alexander20, or Anthony Cope’s Livy, dedicated to Henry VIII, whose opposition to Rome is compared with the killing of the Hydra by Hercules21. It is the kind of comparison that Shakespeare would later parody in Henry V, where the pedantic soldier Fluellen makes ludicrous attempts to compare his king with Alexander22. Addressing the “Right High and Mightie Prince, John Duke of Northumberland, Earle Marshall of England”, our translator writes that he was mainly moved in his choice of dedicatee “considering the qualities of your Grace, which seme to haue certeine affinitie and resemblaunce wyth such as were the very vertues in Alexander” (A4r). He then enumerates these virtues in relation to physical appearance (“semelie stature23”), courage, moderation “in pleasures”, prudent counsel and foresight. Special mention is made of Alexander’s military leadership: he was “excellent in conductyng of 20. See Quint, “‘Alexander the Pig’”, p. 55-56. 21. Lathrop, Translations from the Classics, p. 84-85. 22. This is the starting point for Quint’s “‘Alexander the Pig’”. 23. Ironically, Curtius’s narrative stresses that Alexander’s appearance falls short of the expectations of those who meet him for the first time, like the Amazon queen and the Scythian ambassadors, in books VI and VII respectively. The former “considered in lokyng vpon hym, that his personage aunswered not to the same that she had heard of his actes” (Historie, P1r) and the latter thought “that waiynge the greatenes of his courage by his personage that they sawe presente, it appeared to theim but small in respecte of the same they hearde of him” (Historie, T5r).

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an armye, moste pollitique in orderyng hys battailes, […] he could encourage his souldiers wyth apt wordes, and when neade requyred take part of their peril24”. For confirmation of the aptness of his comparison of the Macedonian and the English duke, Brende appeals to the judgment of “them that haue knowen [Northumberland’s] actes in the warres and the excellence of [his] service done”, that is, men with personal experience of the dedicatee in a military capacity (A4v). While this is a move that arguably implies a readership of fellow “soldiers” (in the widest sense of that term), it stops short of emphasizing the translator’s own military interests and expertise. Not until 1938, when Harold Davis consulted the Acts of the Privy Council and the Calendar of State Papers, was the writer identified with the muster-master25, opening the way for a reading of the Historie as a book about a soldier, translated by a soldier, and dedicated to a soldier. Restrictive as this rationale for translating and publishing Curtius’s text may seem, it is consonant with one of the frequently cited attractions of classical histories for the sixteenth-century English reader; like Frontinus’s Strategmata (translated in 1539) or Vegetius’s Epitoma rei militaris (English version in 1572), the Historiae could have been regarded as a source of information “for military tactics and strategy, of possible contemporary value26”. It also suggests why Arthur Golding, continuing and rewriting Brende’s half-finished De bello gallico, may have felt the need to apologize for “[his] owne want of experience in matters of war27”. Neither Brende himself nor his few modern readers28 have, however, suggested that the story of the “most excellente captayne” Alexander was valued exclusively on account of its capacity to teach the reader captainship or governance. No amount of 24. A4r-A4v. Following Bruno, the authority for this eulogy of Alexander is said to be Arrian. See further p. 309-310 below. 25. Davis, “Soldier and Translator”, see n. 8 above. 26. R. Sowerby, “Ancient History”, in The Oxford History of Literary Translation in English, vol. 2, eds. G. Braden, R. Cummings and S. Gillespie, Oxford, 2010, p. 301-311, here p. 302. 27. See the opening sentence of his “Epistle dedicatory” in The Eyght Bookes of Caius Iulius Caesar conteyning his martiall Exploytes in the Realme of Gallia and the Countries bordering vppon the same, printed by William Seres in 1565, also quoted by Davis, “Soldier and Translator”, p. 422. 28. Recent discussion of Brende’s dual career (as “military serviceman and literary moralist”) and of seventeenth-century interest in his Historie has focussed on the correspondence in his work between letters and leadership, poetry and policy (see J. T. Knight, “Curatorial Readings: George Herbert’s ‘The Temple’, Quintus Curtius, and Their Context”, The Huntington Library Quarterly, 74 (2011), p. 575-598, especially p. 584). Knight discusses a copy of Brende’s translation that was bound together with Herbert’s poem and annotated by members of the Egerton family.



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military discipline and expertise can account for “the greatnes of [Alexander’s] doynges”, since history teaches us the moral imperative according to which nations governed by “imprudent Prynces” and “euyll Capitaines” are inexorably destined to decline and fall. Both that imperative and the pedagogical value of history are repeatedly underscored in the course of Brende’s preface, where they further contribute to the construction of the implied reader. The dedicatory preface – longer and more apologetic than that of any other English Curtius we shall be looking at – accumulates arguments in defence of classical history. It begins with the standard humanistic promotion of historical reading as part of the civic education of young nobles and future magistrates, who can learn from this mirror for princes29 how to govern others and themselves. This opening apology echoes a similarly worded argument in Bruno’s dedication of his De rebus gestis to Albert of Bavaria30. If the Englishman shares with Bruno the idea that those who govern and administrate cannot advance the morally grounded common weal without the benefit of historical knowledge, only Brende proposes what is perhaps the most attractive argument for this category of readers, when he states that histories also function as cautionary tales capable of discouraging dissent and rebellion (A2r-A2v): “In historyes it is apparant how daungerous it is to begyn alteracions in a commen wealth. How enuy & hatredes oft risyng vpon smal causes, haue ben the destruction of great kyngdomes. And that disobeyete of hygher powers, & suche as rebellyd agaynst magystrates, neuer escapyd punyshment, nor came to good end.” In another unparalleled passage that could be considered both an example of his spirited diction as well as characteristic of his preoccupation with the motif of the brevity of man’s life (elsewhere evidenced by his translation of St Cyprian’s sermon on mortality), Brende specifically implicates the youthful reader, recommending knowledge of the classics as a means to become ripe before going “rotten” (A3r, perhaps referring both to moral decadence as well as to decay and death). Reading about Homer’s well-travelled, “perfectly wise” Ulysses obviates the need to learn through extensive travel and observation, “for in [histories] men may beholde as it were before there eies, both the whole worlde, and the gouerment therof, with the policies and lawes, the discipline customes & manners of al people from the begynnyng” (A3r). Expertise in classical history speeds up the 29. In his opening sentence Brende refers to the “mirrour of mans life” (a phrase with spiritual and moral resonances), necessary for all but especially for “princes and […] others which excel in dignitye or beare aucthorytye in eny commune wealth” (A2r). 30. This was also pointed out by Lathrop, Translations from the Classics, p. 87.

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process by which a naturally talented leader may acquire “a greter policye, […] a deaper Iudgemente, […] a perfitnes & an excellencie in a shorter space”. Like Aristotle’s young royal pupil, who “had Homer always laied under his beddes hede31”, the reader who can delve in his storehouse of history is an experienced observer, prepared for all eventualities. While the construction of a youthful royal reader for the Historie – implicitly aligning the translator with Aristotle and possibly Edward VI with Alexander – is not found in Brende’s source, the equation between past and present (and the levelling of historical specificity) on which the apology for history is premised, was commonplace: “There is nothing newe vnder the Sunne (as the wyse man saith) and it is impossible for eny thing to chaunce either in the war or in common policye, but that the lyke maye be founde to haue chaunced in times past32.” The implication and application of this kind of (essentially classroom) learning, in which the Historiae played a considerable role in the English and European sixteenth century, has been well documented and needs no further elaboration here. If Brende’s stance on classical history comes over as decidedly mainstream, he presents his translation as a long overdue, pioneering venture in the national interest. In one of the preface’s rare first-person statements, Brende explicitly locates his desire to translate in the notoriety of his nation, which has been slow to use its “natural” language as a vehicle for spreading knowledge. Having established that excellently written stories of exemplary ancient deeds are both good and necessary, Brende argues that they should be “translated into such tounges as most men myght vnderstand them […]. I therfore hauyng alwayes desired that we englishmen might be founde as forwarde in that behalfe as other nations, which haue brought all worthie histories into their naturall language, did a fewe yeares paste attempte the translacion of Quintus Curtius, and lately vpon an occasion performed & accomplished the same”(A4r). These “other nacions” in comparison with which the English were laggards could well (but need not) refer to the French, the Italian, the Spanish and the Germans, all of whom had already translated the Historiae 31. A3v. Brende could have found this anecdote in Thomas Elyot’s 1531 Boke Named the Governour (I, x), with which his dedication shares many an argument for reading the classics in general and Homer (Iliados and Odissea) in particular; he certainly did not find it in Bruno, who merely mentions the education of Alexander by Aristotle. The anecdote of course goes back to Plutarch, who, quoting Onesicritus, reports that Alexander slept with the Iliad under his pillow (Parallel Lives, VIII, 2). 32. A3v. Compare “Ex praeteritis enim atque praesentibus, quid deinceps arripiendum quid’ue deuitandum sit colligimus […]” (De rebus gestis, *2r. Bruno’s dedicatory epistle is marked by asterisks and numbers on the recto; the verso pages are unmarked).



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in their “naturall” language well before the middle of the sixteenth century. The translations by Vasque de Lucène (1468), Pier Candido Decembrio (completed 1438, printed 1478), Lluís de Fenollet (1481), Gabriel de Castañeda (1534) as well as Johann Gottfried (c. 1500, excerpts) come to mind. We have no way of knowing whether or not Brende had come across any of these works in the course of his travels, whether he was thinking of the French sources of several earlier English translations of the classics or, more generally, of feverish translation activity in many of the continental printing presses, or even whether his reflexion on English translatory tardiness is merely a topical causa scribendi. At any rate, Brende does not avail himself of any of the vernacular versions of the Historiae. Curtius was indeed one of the earliest classical historians whose work was translated from its original language in its entirety; the English Historie was preceded only by Alexander Barclay’s translation of Sallust’s Jugurtha (written in the early 1520s and published alongside the original Latin in parallel columns), Thomas Nichols’s Englishing of Thucydides’s Peloponnesian War (1550, from de Seyssel’s French, itself from Valla’s Latin), Nicholas Smith’s Herodian (also 1550, from Poliziano’s Latin), excerpts from Livy rewritten by John Bellenden (1533) and Anthony Cope (1544), and a partial translation (anon. 1530) of the De bello gallico33. Bruno’s first supplemented book is devoted to an overview of Philip’s biography, which focuses essentially on his military campaigns. Alexander’s birth, education, precocious intelligence, youthful courage as well as irascibility (at the wedding of Philip and Cleopatra) are also mentioned – always succinctly. For all its brevitas, Brende adds very little to the narrative compilation of his exemplar. He occasionally fleshes out the bare bones of “characters” with emotions, as when Philip is “much pleased” by the dream-interpreters’ prediction that his pregnant wife Olympias will give birth to a child “of a lions hert and courage” (B2v). Later, at Alexander’s birth, his father is said to have experienced sentiments of reasonable joy at the consolidation of his political power by the birth of an heir, to which Brende adds a further moralising reflexion on man’s insatiable greed: Of these good fortunes the kyng reioysed no lesse than reason was, hauyng stablyshed his contrey at home, subdued his enemies abrode and gotten an heire to succede in his kyngdome. He coulde haue desired no more of God, 33. These references are from R.  R. Bolgar, The Classical Heritage and its Beneficiaries, Cambridge, 1954 (repr. 1977), double-checked against the first two volumes of The Oxford History of Literary Translation in English, gen. eds. P. France and S. Gillespie, Oxford, 2008 and 2010 and the English Short-Title Catalogue.

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Margaret Bridges if the mynde of man could euer be satisfied, whiche the more it hathe the more it coueteth: And as the dominion encreaseth, so doth also the desire to haue more. (B2v)

The generalization about increased greed following upon increased possession affords a natural transition to Philip’s plotting for control over the cities of Greece – a transition that is missing in the De rebus gestis. Bruno had seemed concerned above all to determine the date of Alexander’s birth and couldn’t resist demonstrating his seriousness as a compiler, by pointing out that Plutarch’s “eighth day of the Ides of April” (“viii. idus Aprilis”) was mistakenly rendered as “roughly the Ides of August” (“circa idus Augusti”, A1v), by Plutarch’s unnamed Latin translator. This instance of scholarly ratiocination is not the only one that is left out by Brende. Speaking in his own voice, and not in that of an imagined Curtius, Bruno had interrupted his evocation of Philip’s protracted siege of Constantinople to supply details of the founding, naming and history of that city – to which he further added a lament about the former capital of the entire Orient now being subjected to the heretical Turkish enemies (“Nunc tamen (proh dolor) foedissimae atque impiissimae Turcarum gentis imperio subiacet”, A2r). I suspect that it is less on account of its anachronistic character and more for reasons of narrative continuity and simplicity that Brende at this point elided Bruno’s edifying commentary on the city’s past and present. At the risk of reading too much into the snippets of psychological elaboration that Brende adds to Bruno’s spare narrative of Philip’s campaigns, I suggest that they emphasize those features that the Macedonian shares with the wily, self-fashioning Renaissance prince whose character is barely distinguishable from his policy. For instance, in the days when Philip was but the protector-uncle of the infant Macedonian king, the precarious plight of the realm “forced” him to accept the crown and to reign with caution, for all the contries nere about (as it were by a generall conspiracie) moued warre against him, and at one tyme sondrie nacions swarmyd together out of sondrie partes to ouerronne his kyngdom. Wherfore considering that it stode hym vpon to worke warely (being not able to mache them all at ones) pacyfied some with fayre promyses, other with money and the weakest he withstode with force. whereby he bothe made his enemies afrayed, and confirmed the hertes of his people, whiche he found discouraged, and in great doubte. These thinges he wrought with great sleight and fynenes of wytte, in suche sorte that he mynysshed not any parte of his honour, estate, or reputacion, determinyng neuerthelesse as tyme should serue to deale with euery one aparte. His first warre was with the Atheniens whome he ouercame by sleyght and



John Brende and his Posterity 307 policie. And where it laye in his power to haue put them all to the sworde, he let them all at libertie without raunsome. By whiche poinct of clemencie (though it was but conterfaite, for it was done for feare of a greater warre at hand) yet it gat hym great good will and estimacion vniuersally. (B1v-B2r34. Brende’s additions in italics)

“Sleight” and “counterfeit” indeed inform much of Philip’s policie in the Englishman’s first “supplied” book, which also supplements the bare actions of its morally complex protagonist. Finally, Brende’s biography of Philip, like that of Bruno, is rounded off by an accommodating summary of the Macedonian warrior king’s affection for the “studies of humanity and good learning”, as exemplified by his “witty and plesaunt” words (B6v). The second supplementary book, beginning with Alexander’s reign and ending with preparations for the pursuit of Darius, is packed with action and anecdotes that Bruno obviously felt were lacking from Curtius’s books three to ten. Again there is an interest in policy and military strategy, but new motifs are those of Alexander’s belief in his own good fortune (before the battle at the river Granicus) and his spontaneous expression of admiration (Diogenes), leading to clemency where it is least expected (Timoclea). In this fast-paced book Brende’s only consistent departure from Bruno’s Latin concerns the Bavarian scholar’s tendency to draw attention to his work of compilation and edification. For instance, when introducing the episode of the Theban Timoclea (who murders her rapist by pushing him into a well and who, when brought before Alexander, courageously and loyally boasts that her brother died in combat against Alexander’s father), Bruno says that he is not prepared to withhold information about Timoclea as reported by the scriptores (A4v): “Non omittendum uidetur quod hic rerum gestarum Alexandri scriptores de Timoclea referunt.” The self-effacing narrator Brende prefers to launch directly into the episode. Privileging the domesticating term “castle” over the foreign name Cadmea, Brende also discards Bruno’s savvy naming of the Theban stronghold (“ar Thebana (quam Cadmeam uocant)”, A4r) in which some Macedonians are helplessly encircled until Alexander rescues them. Later, in the heavily supplemented book X, Bruno’s address to the studious reader, expressing his confidence that the work’s missing pieces can easily be restored, will similarly be ignored by his English translator35. This omission is entirely 34. The signature erroneously reads C2 for B2. 35. “Ex his studiose lector, quae in hoc fragmento desunt, facile resarciri poterunt” (O2r). This interjection in propria persona follows the inserted episodes of the Indian Calanus, Alexander’s marriage with Statyra, and the degeneration and death of Alexander’s treasurer Harpalus; the

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consistent with the fact that Brende did not maintain either Bruno’s prefatory presentation of himself as a scholar or the Bavarian’s expression of astonished frustration that no contemporary of Curtius, not even Quintilian, so much as mentioned the author of a work of such stylistic excellence36. A final suppression worth mentioning here is the Historie’s elision, in all its printings, of the typographical markers – asterisks – that had signalled Bruno’s work of supplementation in books V and X; in that respect also, Brende’s Englishing deflects the reader’s attention away from the compiler-scholar’s nuts and bolts. Trifling these omissions may seem, but like other small shifts of emphasis they arguably add up to something like the translator’s “voice”, perceptible even in its silences. Even though it frequently leads to approximations of hypotactic Latinate constructions, it is a distinctively “domesticating” English voice, full of vigorous vernacular expressions that are sometimes as bald as they are bold. Examples include the phrase, involving triple alliteration, with which Brende chooses to describe Pausanius’s unexpected killing of Philip as he passes through the guests gathered for a wedding feast in the first supplementary book: And as Kyng Philip […] was passyng through the preasse without any guarde: One Pansanias a young man of the nobilitie of Macedon, when no man suspected any suche thing, sodainly slewe him starck dead. (I, B6r, my emphasis37)

Another alliterating colloquial phrase, currently used in the collocation “stockstill”, renders Alexander’s irritation at having to lie inactive on the banks of the river Tanais while convalescing from his recently inflicted wounds: In consideracion therefore of the doubtful daunger he saw him self wrapt in he accused the gods, complayning that he was then enforsed to lye styll as a stocke, [he] whose swiftnes before tyme, none was hable to escape. (VII, T2r) sequence of episodes is distinguished from Curtius’s text by a smaller fount size. Perhaps it is therefore not so surprising that at the outset of the sequence Brende should have retained Bruno’s reference to the scriptores whose writings inform these supplements (“The writers of the actes of great Alexander make mencion in this place of Calanus an Indian”, Historie, Ee8r – on the assumption that signature Ee5 was a mistake for Ee4). 36. For Bruno’s self-presentation as a scholar see his epistola nuncupatoria (*2r); for his astonishment at the lack of a contemporary reference that could provide Curtius with a historical context, see *3r. 37. The Latin reads “Pausanias […] Philippum in transitu obtruncauit” (De rebus gestis, I, A2v-A3r). Bruno’s wording here is lifted straight out of Justin’s epitome of Pompeus Trogus’s Liber historiarum Philippicarum (IX, 6).



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Even though Brende’s translation is faithful enough, the comparison with which the wounded soldier king refers to himself as an inert stick is stylistically far removed from the Latin phrase evoking his lying indolent (iacere segnem38). What the collocation lacks in originality it gains in familiarity. With more rhetorical emphasis, the translator uses alliteration when doubling two collocated terms (gemitum and murmurantium in Latin) to quasi-­onomatopoeic effect in Coenus’s speech publicly voicing the army’s discontent: I seke not to wynne fauour amonges the men of warre that stande here about me, but desire you should rather heare their mindes expressed in playne woordes, then to heare their grief and their grudge, vttered in muttering & in murmour. (IX, Cc2v-Cc3r)

These examples suggest that Brende didn’t have much difficulty in domesticating the Latin of his exemplar, even though his preface had concluded with an apology for the constraints imposed by a text not his own39. Together with his additions, these select specimens of Brende’s work of translation will serve as points of entry into a discussion of later Englishings of the Historiae. I would like to conclude this survey of Brende’s work of translation by fast-forwarding to the tenth and last book, in which Alexander’s death is followed by Curtius’s summing up of the Macedonian’s “worth”, in terms of the virtues that were natural to him (bona natura) and the vices that he acquired by fortune (vitia fortunae). The balanced reckoning, in which fortune’s darling is also fortune’s victim40, differs not just from the increasingly critical picture of Alexander in Curtius’s last five books but also from the list of qualities that Brende had evoked in his dedication to Northumberland. In the concluding 38. The whole sentence in De rebus gestis Alexandri reads (I6r): “Ancipiti periculo implicitus, deos quoque incusans, querebatur se iacere segnem, cuius uelocitatem nemo antea ualuisset effugere.” Yet another popular alliterative collocation beginning with st is the phrase “stout[ness] of stomach”, designating not a wide waistline (as it would today) but courage, fearlessness. It is used of the ideal captain and of Alexander/Northumberland in the epistolary preface, as well as of the Macedonian captain Erigius in book VII (S3v). 39. A4v. “In a translacion a man can not alwayes vse is owne vaine, but shalbe compelled to tread in the aucthores steppis: Whyche is harder, and a more difficulte thynge to do, then to walke his owne pace.” 40. The equivocation resides in personified Fortune’s perceived responsibility for Alexander’s failings, which are said to have outweighed his natural strengths, while at the same time she is represented as being in the hero’s power (Gg1v): “it muste nedes be confessed, that though he preuailed muche by his vertue, yet ought he to impute more vnto his fortune, which only of al mortal men, he had in his owne power.” Gautier de Châtillon compounds the equivocation by merging the figures of Fortuna and Natura.

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assessment Alexander is said to have been endowed with the following “wonderfull greate giftes and virtues” (Historie, Gg1v): energy, courage, fearlessness, generosity, clemency, ambition, filial piety (avenging his father’s murder and contriving to “consecrate his mother […] to immortalitie”), kindness in friendship and benevolence towards his soldiers, wisdom and foresight, moderation in lust, and freedom from illicit desires (“no pleasure but that was lawefull”). As vices attributed to the greatness of fortune Curtius had listed superstition, belief in his own divinity, assuming foreign dress, irascibility (especially when faced with denial of his divinity), and a youthful penchant for drinking that aging might have corrected41. Curtius’s downplaying here of Alexander’s reputation for excessive drinking clearly heartened his Bavarian editor, who on at least two occasions felt the need to mitigate this vice of Alexander’s youth. One such occasion was provided by the large lacuna in the 41. “Considerynge Alexander rightwiselye, we must impute all his vertues to his owne nature, and his vices either to hys youth, or to the greatnes of his fortune. There was in him an incredible force of courage, and an exceadynge sufferaunce of trauaile. He was endued with manhode excellinge, not onely amonges kynges, but also amonges such as had neither vertue nor qualitye. He was of that liberalitye that oftentymes he gaue greater thinges then the reciuers could haue asked of God. The multitude of kyngdomes that he gaue in gift, and restored to such from whom he had taken theim by force, was a token of his clemencye towardes them that he subdued. He shewed a perpetuall contempte of deathe, the feare wherof doth amase other men. And as there was in him a greater desire of glorye and worldely prayse then reason woulde beare: so was it intollerable in so yong a man enterprisynge so great actes. The reuerence and affection he bare towardes his parentes, appeared in that he purposed to consecrate his mother Olimpias to immortalitie, and that he so sore reuenged Philips death. How gentle and familiar was he towardes his frendes, and how beniuolence towarde his souldiours. He had a wisedome equall to the greatnes of his harte, and suche a policie and forecast, as so yong yeres were scarsely able to receiue. A measure in immoderate plesures. And the vse of his lust lesse then nature desiered, vsing no pleasure but that was lawefull: these were wonderfull greate giftes and vertues. But in that he compared him selfe to the Gods, coueted diuine honours, and beleued the Oracles that perswaded such thinges, that he was offended with them that woulde not worship him, and geuen more vehementlye to wrath then was expedient. That he altered his habite and apparell into the fashion of straungers, & counterfaited the custome of them he had subdued, and despised before his victorye: were vices to be attributed to the greatnes of fortune. As the heate of youthe stirred him to anger, and to the desyre of drinkyng: so age might haue mitigated againe those faultes. Notwithstandynge it muste nedes be confessed, that though he preuailed muche by his vertue, yet ought he to impute more vnto his fortune, which only of al mortal men, he had in his owne power. Howe often did she deliuer him from the poynte of death? Howe often did she defende him wyth perpetuall felicitie, when he hadde rashelye brought him selfe in peryll? And when she poynted an ende to his glorye, she euen then was contente to finyshe his life, stayinge his fatall destenye tyll he had subdued the Orient, visited the Occean Sea, and fulfilled all that mans mortalitie was able to performe.” (Historie, Gg1r-Gg1v)



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middle of book X, which Bruno filled with several episodes, including that of Medius’s dinner during which Alexander was taken ill. Friends subsequently spread the rumour that the cause of death was intemperiem ebrietatis, but the real cause of death, says Bruno, following Justin’s Epitome of Pompeus Trogus (XII, 13), was the treacherous poisoning arranged by Antipater, Cassander and Iollas42. The other occasion on which Bruno sings the praises of his hero to the point of transforming the vice of uini auidus into a virtue (or at least a sociable vice), is in the epistola nuncupatoria: here we learn that Alexander’s drinking bouts were mainly organized for the delectation of his friends43. Brende neither includes these prefatory reflexions on the benefits of drinking nor does he partake in the Bavarian editor’s anxiety to preserve Alexander from blame. If his portrait of the Macedonian in the dedicatory preface is nevertheless all virtue and no vice, this is simply because it is unmistakably also a portrait of his dedicatee. As such it is Arrian’s list of Alexander’s qualities, unrelativized by Curtius’s enumeration of his moral weaknesses in the tenth book, at a safe distance from a dedicatory preface that was premised on the similarity between the past hero and the “present” dedicatee. A “new” English version of Curtius’s Historiae made its appearance roughly a century after the first edition of John Brende’s Historie and almost forty years after its last printing under Brende’s name. The Ten Books of Quintus Curtius Rufus: Containing the Life and Death of Alexander the Great (hereafter The Ten Books) was first printed and sold by Bernard Alsop in 1652. Its undecorated title page announced that the work was “exactly conferred with the Original, and purged from many gross Errours and Absurdities, with which it before abounded”; it also indicated, in lieu of the purger’s name, that it was “by the same hand which translated the last Volume of the Holy Court”. Although this cross-reference to the translator of the work by French Jesuit Nicolas Caussin (in five volumes published between 1626 and 1650) cannot be substantiated44, the identity of the correcting hand of The Ten Books is made clear enough in the dedicatory epistle, which is signed Robert Codrington (the address to the reader being signed Codrington). Only one of two publications that appeared during Codrington’s lifetime 42. De rebus gestis, O4r. See also Kaiser, “‘Perpetua Curtii historia’”, p. 218-219. 43. De rebus gestis, *2v-*3r. I am grateful to Gerlinde Huber-Rebenich for her help with my reading of Bruno’s epistula nuncupatoria. 44. Codrington, whose writings are often vehicles of anti-Catholic sentiments, is unlikely to have identified with the contents of The Holy Court, even though it cannot be excluded that he was one of the unnamed “others” who are said to have translated the work together with “Sr Th. H.” (Sir Thomas Hawkins), a notable recusant.

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(there were three posthumous printings45), that of 1661, names the translator on the title page, adding that he was working from the “Latine”. This is misleading insofar as the error-ridden work evoked on the 1652 title page as “the Original” does not refer primarily to a Latin edition of the Historiae but to the translation by John Brende, whose name is not mentioned at any point although his work unequivocally underlies Codrington’s revised text. This is confirmed not only by the fabric of The Ten Books, as we shall be seeing, but also by a passage in Codrington’s dedication of the 1652 edition to Baptist Noel, third Viscount Campden, Lord Lieutenant of Rutland, claiming that “it [the Historiae] was before imperfect in English, and laboured at least under a thousand Solaecismes; I have onely taken the pains to put it in a new Dress, and to prepare it for your Honors hands” (A3v). Before we look in greater detail at this “new Dress”, which of course includes Codrington’s dedications and addresses to the reader, it may be useful to summarize the little that we know about the gentleman translator who was involved in a wide range of works that have come down to us from the early 1630s to 1665, when he is said to have died of the plague. Just as the information that Codrington and his printer gave us on the title page of the Ten Books is not very reliable, our principal source of bio-bibliographical information for Codrington is not entirely reliable either. Both the entry on our translator in the Oxford Dictionary of National Biography and the inventory of Oxford alumni for 1500-171446 are partly based on a vast compilation by seventeenth-century Oxford antiquarian Anthony Wood. While there is no reason to query data relating to Codrington’s academic qualifications (in 1626 he earned his Oxonian M.A., a title that accompanies his name in many of his translations, though not in The Ten Books), circumspection is called for with regard to further details recorded by Wood for our translator-reviser, who “was always regarded a puritan47”. As for the list of nine writings provided by the antiquarian (including The Holy Court, which he confesses he has not seen, although he has clearly read the reference to it on the title page 45. The printings of 1673 and 1674 repeat the title page and paratexts of the first edition. I have not seen the 1670 printing. 46. At British History Online: http://www.british-history.ac.uk/alumni-oxon/1500-1714 (accessed March 2017). 47. The entry on Codrington in the 1813-1820 revised edition by Ph. Bliss of Wood’s Athenæ oxonienses: An exact History of all the Writers and Bishops who have had their Education in the University of Oxford. To which are added, the Fasti or Annals, of the said University, vol. 3, col. 699, can be consulted online at https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id= pst.000032398649;view= 1up;seq= 358. The first edition dates from 1691.



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of The Ten Books), we can now add another nine, in addition to several works in which Codrington’s role is equivocally that of an author, a translator or a reviser; we must moreover take his word for it that he was the author of “hundreds” of poems. There can be little point here in reproducing a complete list of his known works48, in which historical biography and religious controversy figure prominently, but it is appropriate to point out our eclectic writer’s association with two, or possibly three, further classical works in addition to the Historiae. Aesop’s Fables already had a long translation and publication history in England by the time the trilingual edition, illustrated by the engraver and publisher Francis Barlow, made its appearance in 166649 under the title Æsop’s Fables with his Life: in English, French & Latin. The title page of the first edition also indicated that “Rob. Codrington, M. A.” was responsible for the French and Latin versions of both the Life (“translateè de Grec in François”, B1r50) and the Fables, printed on facing pages. It seems to be the only translation from Greek attributed to Codrington. Within the same year a second edition appeared, without naming our translator (who may no longer have been alive), but claiming, in the address to the reader, to contain a “careful correction of the Latin copy” and “a more exact translation from the latest and best French edition”. Robert Codrington may moreover have been the “R. C.” who, in one of the work’s two variant states, signed the dedication to John Egerton, Earl of Bridgewater, in the 1635 verse translation of Seneca’s De consolatione ad Marciam. He was in any case responsible for the History of Justine taken out of the four and forty books of Trogus Pompeius […] translated into English by Robert Codrington, Master of Arts51, published two years after The Ten Books. The overlap between Justin’s Epitome and the De rebus gestis is nowhere more evident than in Christoph Bruno’s many borrowings from Justin to fill the gaps in the fragmentary Historiae; as we would 48. See the entry by V. Larminie on Robert Codrington in the Oxford Dictionary of National Biography (Oxford and New York, 2004-, vol. 12, p. 388-389) for a survey of virtually all his known works with the dates of their first editions, in addition to the English Short-Title Catalogue (ESTC) database at: estc.bl.uk. 49. The first edition has two title pages, one of which bears the date 1665, the other 1666. The second edition has no date but has been assigned to 1666. The two dedications to two different dedicatees are signed by Barlow; the English verses under the engravings of the second edition are attributed to Aphra Behn (in the earlier edition they are thought to have been by Thomas Philipot and other poets). 50. Pagination and signature marks begin from scratch at B with every new linguistic version of the Life; the French version follows the English and precedes the Latin. 51. Before 1654, Justin’s epitome had already been translated at least twice, by Arthur Golding (in 1564) and George Wilkins (in 1606).

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expect, many a passage relating to Philip or Alexander in the one work closely resembles the corresponding passage in the other52. The History of Justine was published twice during Codrington’s lifetime, addressed to two different dedicatees: in 1654 the epistle dedicatory praised the victories and virtues of Lord Protector Oliver Cromwell, while a partly rewritten dedication to Sir James Shaen introduced the 1664 printing. Codrington’s frequent changes of dedicatee, sometimes marking variant states of the same edition, are a recurring feature of his works; there are, however, no grounds for interpreting this “fickleness” as, say, excessive attachment to the genre or perhaps cynical, even playful detachment. As Larminie points out, these dedications were addressed to people with whom Codrington claimed no prior acquaintance and were devoid of personal details53. This is confirmed in The Ten Books, of which the 1652 dedicatee was “the true Lover of all good Learning, the Right Honourable Baptist, Viscount Cambden, Lord Noel of Redlington, and Baron of Elmington, &c.” (a military commander in the Royalist army during the Civil War), who in the edition of 1661 gives way to “the True Mirrour of Princes, the Most Illustrious and High-born Prince, James, Duke of York” (the future King James II). These choices sit uneasily with Codrington’s reputation as a Puritan and Parliamentarian. A closer look at both dedicatory epistles hardly allows us to discern what may have been at stake for the translator. The brief dedication of the 1652 edition could have been addressed to virtually any aristocrat; it neither seeks to praise the virtues of the dedicatee nor to establish 52. See for instance, the rumour that Alexander died a victim of his excessive drinking, in Justin’s Epitome XII, 13, translated by Codrington as “His friends divulged the cause of his disease to be a distemper by the excess of wine, when indeed it was treason, the infamy whereof, the powerfulness of his Successors did suppress” (History of Justine, XII, O4v) and the comparable passage in The Ten Books, X, where it reads “His Friends did publish abroad, that drunkennesse was the cause of his disease; but in very deed it was prepared treason, the infamy whereof, the power of his successours did opppresse [sic]” (Pp4r. If not specified otherwise, references are to the 1652 edition of the Ten Books printed by Bernard Alsop, listed as Wing C7699 in the ESTC). If the resemblance between these two passages is obvious, so is that between The Ten Books and John Brende’s translation of the same passage (Historie, Ff5v): “His frendes did publyshe abroade dronkennes to be the cause of his disease, but in verye dede it was prepensed treason the infamye wherof the power of his successours did oppresse.” The awkward syntactic articulation of the final relative clause is common to all three sentences. 53. The only personal details known to have been communicated by Codrington are part of a private plea for mercy written from prison in 1641; his representation of his contrition (for having written a poem that might have seemed sympathetic towards the Earl of Strafford), his lamentable state of health and his family’s suffering succeeded in effecting his release (Larminie, “Robert Codrington”, p. 388).



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an explicit comparison between him and the work’s heroic subject. Instead it praises Alexander’s achievements, which can only be appreciated by one “endued with the same spirit of Fortitued [sic], and withall transported with the same desire of Glory”, an indirect affirmation of the dedicatee’s suitability. After noting Alexander’s conquests, Codrington extols his generosity and his ambition (A3r): “He was sad to understand that his Atchievements had brought him to the utmost parts of the World; and he would have no end of his Victories, because he would have no end of his Glory.” Praise of Alexander then gives way to praise of the prophets and of historiography, without which the conqueror “might have slept cover’d with the Dust of Oblivion”. In a display of knowledge worthy of an Oxonian graduate, final praise is bestowed on Curtius and his sources, culminating in Lipsius’s superlative judgment that “if there were ever History pure and legitimate, it was this of Curtius” (A3v). The dedication then concludes with the disparaging remarks (cited above) about the error-strewn English version, corrected by Codrington. These remarks have disappeared from the even briefer dedication of the 1661 edition, which, unlike its predecessor, consists exclusively of the translator’s reasons for choosing James as dedicatee. With appropriate grandiloquence, typographically compounded by the prolific use of capital letters, the dedicator affirms directly what the earlier dedication had only suggested, namely that it takes a hero like the dedicatee to appreciate a hero: “The Atchievements and Works of Heroick Persons, are onely fit to be lodged in Heroick Hands”, which is why the present work best befits the hands of “your Great and Royal Self ”. Codrington then elaborates on the comparison of the great hero Alexander with an even greater James (A3r and A3v54): “This is that which hath invited me to this Dedication [… that] Your Self, who do equal him in his Courage and in the knowledge of Armes, and being a most Temperate and an Absolute Master of Your Self, do exceed him in his Conquests.” There is slightly more meaning to be teased out of the other paratext preceding The Ten Books proper. In the two nearly identical addresses “to the reader in general, and especially to the souldier”, only the contextualization of the work through an introductory reference to “these Martial times” distinguishes the 1652 edition (written during the Civil War) from that of 1661 (where the reference has been omitted). Nevertheless, even after the Restoration, the soldier remained a privileged addressee of Curtius’s work in England, as he had been for John Brende a century before. In fact, Codrington seems to 54. This refers to the 1661 edition printed by E. Alsop and Robert Wood, listed as Wing C7696 in the ESTC. Note the implicit critique of Alexander’s less-than-perfect self-control.

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have borrowed a few of Brende’s prefatory arguments (causa scribendi) and to have transferred them to his own address to the reader (ad legendum): two such arguments are the usefulness of applying knowledge of the distant past and foreign climes to the here and now (so that “by the understanding of the events so long ago abroad, you may draw your application to things more present, and at home”, A4v, in 1661) and the idea that divine providence determines by whom empires are lost and won (“Kingdomes are disposed of by the eternal decrees of Providence; and […] when God is pleased to put a period to them, he selects men, and inspires them with Courage and understanding answerable to that great work unto which he hath appointed them”, A4r). A blatant borrowing from Brende’s preface in Codrington’s address to the soldier-reader is a tripartite sentence affirming Alexander’s invincibility; spot the difference between He never encountred any Enemy whom he overcame not, nor besieged City which he took not, nor invaded Land which he subdued not. (A4r in 1661)

and he neuer encountred with eny enemyes whom he ouercame not, he beseiged no citye that he wanne not, nor assailed nation that he subdued not. (Historie, A4r55)

I will be returning to this kind of borrowing, imperfectly disguised by the copious use of synonyms, when looking at Codrington’s work of revision in Curtius’s “ten” books. But before doing so, I would like to point out several novelties that have made their way into these seventeenth-century prefatory materials. Together with the idea that Alexander’s self-control was less than perfect, implied by the dedication56, we find other signs of an attitude towards Alexander that is more critical than what we saw in the apologetic sixteenthcentury paratext. So the reader is told that the Conqueror destroyed more empires than he actually established, and that the consequences of victory are as pitiful as they are glorious. This reflexion on the double-edged power of the sword leads to a spectacular oxymoron in the dedication of the 1652 edition, where we read how successful warriors “by a lamentable happiness, have made the Epitaphs of other Nations to become the best Annals of their Immortality and Fury” (A2v). Moreover, the address to the reader focuses not just on Alexander’s exploits, but also on “the utter ruine of the [Persian] 55. Brende had referred to Justin as the author of this sentence. 56. See p. 309-310 and n. 54.



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Empire, […] in the days of Darius, the last and best of the Emperours” (A1rA1v). With Codrington we also witness the return of the reviser-translator as scholar. Speaking in the voice of a magister artes, he supplies a historical context for Quintus Curtius, “who was supposed to live in the days of Caligula”, as well as an explanation for his “surname”, Rufus, which is said to have indicated a ruddy complexion (A1v). There is moreover (in all editions except that of 1661) a witty comparison between the flawed surface of Alexander’s complexion and the imperfect surface of the printed page in the (unsigned) apology for errors: “There is nothing that is absolutely perfect; Alexander himself had a Mole in his Face. The over-sight of the Printer hath caused some literal faults in the Press, which are left to your Candour, either to correct, or excuse them57.” The attribution of a facial mole to Alexander is all the more striking for the fact that Cromwell is known to have had a wart on his chin. Finally, in one of the more attractive, though no less hyperbolic, passages from Codrington’s address to the reader, Alexander’s conquests are said to have been all the more remarkable for having been achieved with the most paltry of weapons and impoverished of treasuries (A1r): “With an inconsiderable power, with Wicker Targets, and Swords covered with rust, and a Stock of not above threescore Talents, which, he himself confesseth was the strength of all his Exchequer, he advanced into Asia, and in the compass of a few years, he became Master of all the East.” Complexion, dress, and the “props” of warfare betray a preoccupation with surfaces and appearances in the paratexts of this superficially renovated English Curtius. From the first supplied book to the end of Curtius’s tenth book, the reviser does not depart in any significant way from John Brende’s Historie. We need only compare those passages I have already signalled as being peculiar to Brende’s work for confirmation that Codrington was not translating from the Latin original, as was claimed in the 1661 edition; these passages will also tell us more about the nature of the improvements made to the “many gross Errours and Absurdities” of the English version. Keeping in mind the solecisms that were specifically denounced, we might expect the improvements to affect syntax rather than vocabulary. These expectations are not met by Codrington’s “conferring” and “purging”. 57. (A1v). This apology may of course not have been written by Codrington. In the 1652 edition there is a list of specific errata; in the posthumous editions of 1673 and 1674 the apology for errors remains, albeit without specifics. In addition to providing Alexander’s face with a mole, the 1673 edition also shows him sporting a fashionable seventeenth-century moustache on the frontispiece by F. H. van Houe.

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The first, supplied book follows the Historie closely. So closely, that Brende’s elaboration of Philip’s joy at his son’s birth and his reflexion on mankind’s insatiability – both absent from Curtius’s “original” – are repeated word for word, varying only in spelling (abroad instead of abrode; Countrey for contrey; succeed for succede, i for y), punctuation (semi-colon instead of fullstop between Kingdome and he), and in its use of capital letters (for Countrey, Heir, Kingdome): Of these good fortunes the King rejoyced no lesse then reason was, having established his Countrey at home, subdued his enemies abroad, and gotten an Heir to succeed him in his Kingdome; he could have desired no more of God, if the mind of man could ever be satisfied, which the more it hath the more it coveteth (B2r).

Brende’s word order has simply been taken over and there is no attempt to reduce the awkward distance of the relative pronoun (“which”) to its antecedent (“mind of man”). Similar minimal variations within an otherwise unaltered period mark Codrington’s straightforward copying of Brende’s characterization of Philip’s statesmanship when he came to power (“forced” by the people) at a difficult time in the history of Macedonia: these things he wrought with great Artifice and fineness of wit, in such sort, that he diminished not any part of his honour, estate or reputation: determinyng nevertheless, as time should serve, to deal with every one a part58.

The “improvement” here consists solely in the replacement of Brende’s forceful sleight by the more florid and less precise Artifice; no doubt the days for condoning the self-serving wiles of a protector turned ruler were over. Often enough Codrington’s choice of vocabulary seems governed by a general principle of propriety, but the substitution of one word for another doesn’t always obey any perceptible logic and the result is an English version of Brende’s Historie minus its pithiness. Thus Codrington’s Pausanias simply “slew” Philip, where Brende’s had slain him “starck dead”; in book VII, Codrington’s wounded Alexander complained that he had to “lie still” where Brende’s frustrated hero had to “lye styll as a stocke59”. Examples could be multiplied, but it should be clear by now that the new “dress” in which Brende’s Historie is clothed has been provided with different trimmings but has in no way affected the underlying fabric. The occasionally contorted sentence structures 58. B1v. For Brende’s nearly identical sentence, see p. 306 above. 59. The quotations from Codrington are found on B4v and Bb3v (of the 1652 edition) respectively; for those from Brende, see p. 308 above.



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(“thousand Solaecismes”) that convey traces of a foreign syntax have not been domesticated in the course of Codrington’s revision of his “imperfect English” exemplar. It is just one more instance of this reviser-translator failing to fulfil the contract of credibility proffered by his paratexts. To a certain extent the same remark is valid for one of two collaborative translations that appeared in 1687: The History of the Life and Death of Alexander the Great by Quintus Curtius Rufus, render’d into English by several Gentlemen of the University of Oxford, printed “for E. C.” in Southwark (History for short). Once again, we are dealing with a work that claims to be an Englishing of Curtius’s Historiae, but that – for all the Latin competence that we may impute to the Oxonian scholars – is essentially a calque of Codrington’s calque of Brende’s translation. Those passages that were peculiar to Brende in 1553 all seem to be repeated and varied in this History. A single example, concerning Philip’s comprehensible happiness at Alexander’s birth – analysed above – will have to serve to illustrate my point. Compare At all these good fortunes the Kings Joy was no less than their Occasion was great; having indeed established his Country at home, subdued his Enemies abroad, and gotten him an Heir to succeed him in his Kingdom. In these Accumulations of happiness he could have desired no more of the Gods if ever the mind of Man could be ever satisfied, which the more it possesses the more it covets. (Wing, C7695. I, B2v-B3r, my italics)

with Of these good fortunes the King rejoyced no less then reason was, having established his Country at home, subdued his enemies abroad, and gotten an Heir to succeed him in his Kingdome; he could have desired no more of God, if the minde of man could ever be satisfied, which the more it hath the more it coveteth. (Codrington, I, B2r60)

The Oxford gentlemen have managed to expand this passage, for which there is no precedent in the Historiae, without actually adding meaning to, clarifying, or improving on Brende-Codrington; on the contrary, the addition of a redundant reflexive pronoun him and an incomprehensible doubling of the adverb ever give the binary period two left feet, as does the introduction of a stilted near-synonymous phrase for “these good fortunes” (“these Accumulations of happiness”). Here as elsewhere, reformulations are laboured (“the Kings Joy was no less than their Occasion was great”). Finally, the decision to make a plural out of the singular “God” may simply reflect an aspiration 60. For Codrington’s minimal changes to Brende’s text here, see p. 318 above.

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to rhetorical grandeur, unless it is a scholarly reminder of religious difference where Brende and Codrington had domesticated the object of Philip’s belief; like the affected vocabulary, it arguably distances the reader from the History’s Macedonian subjects. This sits uneasily with the intimacy that the dedication, to which I now turn, sought to construct between Alexander and the dedicatee. The translation by gentlemen at the university of Oxford – a Jacobite stronghold – was dedicated to Richard Graham, first Viscount Preston, a Protestant Jacobite politician, diplomat and member of James’s Privy Council. The signatory, J. Bowes61, professes extreme subservience to Preston, whose “Worth and Virtue bloom so early” (he was thirty-nine years old – not particularly young – in 1687) and whose mandatory resemblance with Alexander can be defined no more precisely than in terms of him being a “Darling of Providence”, who, “like him too, [has] the World Before [him]” (A4v-A5r). For the most part the dedication consists of a series of extended metaphors for the book it introduces; these seem designed to create an increasingly intimate relationship between the History and its dedicatee. Thus the fact that the “Treatise” contains “the History of the Greatest of Men” entitles it to be seen as “a Passport for its Admission [to Preston’s residence]”; the book then becomes personified as its subject, Alexander himself, who “pays a Visit” to Viscount Preston, “resolved to find [no obstacle] in the Publication of his Glories”; finally, “the same Justice that has made you a Favourite of Caesar62, intitles you to [be63] a Darling of Alexander”, so that the-book-that-is-Alexander “in Lodging himself in Your Lordships Arms […] has only chosen him a second, and Worthier Hephestion” (A4r-A4v). The image of the History snuggling up in its beloved dedicatee’s arms is a conceit worthy of the age in which it was written. A second paratext, signed T. B., has come down to us in the form of a 16-line poem addressed not to the reader but “to the translators of Quintus Curtius” (A6r). Its function is that of an invocation (“Call Alexander up with Laurels Crown’d,/ And to the Skie, his Rapid Conquests sound”) but it is also a paean to equally famous “Younger Brothers of the Game; Worthies whom e’en [Alexander’s] own swift Planets bless”; the concluding reference to triumphant sound rebounding on German and Venetian shores, where the Imperial Eagles rival with Alexander’s Glory, suggests that we must be in 61. I have not been able to identify the person behind the name, writing in the 1st person singular. 62. This is presumably a reference to James II. 63. A fold in the digitized page has made the missing word illegible.



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presence of a timely celebration of a contemporary battle that I am incapable of identifying64. There was to be no further printing of this work. Another collaborative translation of Quintus Curtius’s Historiae appeared in the same year; this was successful enough to be reprinted in 1690 – with a dedication to Queen Mary II – and 1691 (of which I have seen only the titlepage). The Life of Alexander the Great written in Latin by Quintus Curtius Rufus and Translated into English by several Gentlemen in the University of Cambridge (Life of Alexander for short) is the first English version of the Historiae not to be directly or indirectly premised on John Brende’s work. It constitutes something of a watershed in the history of English Curtius translations for that reason alone, but also because its paratexts reflect significant changes with regard to previous paratextual features. The first (1687) edition contains no dedication, but an unsigned Address to the Reader and two poems “To the Ingenious Translators of Quintus Curtius” (A4r), the second of which is addressed to the “most Ingenious Translators” (A4v). Both of these poems serve the single purpose of praising the work of translation, with various emphases. The first, signed C. G., praises the “Happy Translators”, “brave Sirs”, the “Learned Tribe, whose sacred Pen/Immortalize[s] the Lives of famous men”. It moreover claims that the excellence of this new translation is bound to lead to a situation where “pure Invention will be out of date,/ And nothing priz’d but what you do translate”. The prospect of a literary environment in which the work of translation is valued above original authorship is celebrated even more explicitly in the second poem, where we read that “Much we the Author’s Memory adore,/ But we must honour the Translators more,/ Who, ev’n whom they follow, go before”. The signatory, P. S., specifically praises collaborative translation, which he compares to the composite craftsmanship that went into the making of Apelles’s Venus, compiled from diverse “famous Beauties throughout Greece”: “With like success each Genius here does shine,/ Each an Apelles here, yet all combine/ Uniting Wits, to make this Venus65 all Divine.” This is the first time we have seen translators of the Historiae stake such high claims for themselves and their work. The unsigned address to the reader preceding these two poems is more modestly hopeful that the “Translators […] may find a general acceptance”; 64. Unless it refers to an episode in the Great Turkish War (1683-1699), which pitted a “western” alliance of the Venetian Republic, the Holy Roman Empire, and the Polish-Lithuanian Commonwealth against the Ottoman Empire. The siege of Athens took place in 1687. 65. A printed marginal comment to the name Venus explains that Curtius’s work is referred to as Historiarum Venus.

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the translators’ many hands have “imployed their joint industry” to meet readers’ expectations that this new attempt at translating Curtius would achieve “something more than was performed in the former Translation” (A2r). To be sure, the address takes over some of the commonplaces of prefatory rhetoric, but its rejection of the earlier English translation is so emphatic as to warrant a complete change of clothing, for the metaphor of dress persists (A2v): “This […] is the Life, this the Author which the Translators have long grieved to see in an English Habit so unfashionable and mis-becoming his Deserts, so old, that one would be ready to have thought the Translation almost as ancient as the Author itself.” This address, bent on innovation, also considers the exordial “Topick of Alexander’s Praises” to be “already exhausted”, and mentions the lack of verisimilitude attached to the hero’s Indian exploits (A2v). Whereas earlier criticism of Alexander tended to be grounded in the protagonist’s moral ambiguity, this Cantabrigian critique scrutinizes the fabric of historiography. In this respect the second edition of 1690 represents a step backwards, for in it the address to the reader and the two poems just discussed have given way to a single paratext written by one of the celebrated authors of his day, Nahum Tate. No doubt his name, added to that of the royal dedicatee, was expected to contribute to the work’s commercial success. His brief dedication to Queen Mary contains the inevitable comparison of Alexander’s past deeds (his victory at the river Granicus) with present events in Ireland (the decisive battle between Jacobites and Williamites by the river Boyne in 1690; A7rA7v): “Boyne, till now obscure, shall hereafter be Celebrated equally with the Granicus, and the memory of Europe’s Deliverer [Mary’s husband king William] Eclipse what was done by the son of Jupiter Ammon.” William is further praised as “the Alexander of the Present Age”, a “Darling of Providence” who has performed wondrous feats “for the Preservation of the Nations”. This is the familiar stuff of dedications, but there is one respect in which Tate’s text covers new ground: considering the fact that the monarch is a queen, the writer stresses that there is something unprecedented about dedicating this classical history to a female reader. The dedication begins by tackling the matter head on. Referring to the present time as a “discerning age” that has recovered that solidity of judgement that was characteristic of Antiquity, Tate observes that “this improvement is visible even in our Female Sex, particularly in their being less enamoured on Romance, and so far in love with Truth and Reason, as to admit of History for one of their Diversions” (A3r-A3v). Truth and reason, two attributes of historical narrative that were considered to be absent from the genre of romance, are now imagined as potentially



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entertaining for female audiences. These could not however be expected to enjoy reading Latin, and so Tate proceeds to promote vernacular translations with this new audience in mind (A3v): “Writers should therefore take advantage of so favourable a Conjuncture, and furnish them with all the Treasures of ancient History reduced to their own Language.” In the one hundred and forty or so years separating the first English Curtius from that of the gentlemen at Cambridge University, we have seen an increasingly tenuous connexion between the authors of paratexts and the translations that they introduce. Some one like J. Bowes may or may not have been one of the multiple translators of the Historiae; N. Tate almost certainly was not. We have also noted a development in the implied readers of a vernacular Curtius, from future magistrates possibly still at school and nobles with military interests, to women disenchanted with the fictions of romance. The sixteenth-century racy diction of Brende gradually gives way to a seventeenth-century sense of propriety that coexists with inflated conceits. Other features that I have foregrounded may be subject to further interpretation and are certainly in need of theorizing within a framework of cultural history – something I have been unable to do in this exploratory overview. Taken together, the still relatively unknown works that I have been looking at suggest a process of transmission for the English Curtius from which Brende’s pioneering Historie was never entirely absent, but was itself the object of intralinguistic translation and accommodation in the various subsequent Englishings that it informed. Margaret Bridges Universität Bern

Les traductions espagnoles de Quinte-Curce aux xvie et xviie siècles En Espagne, Quinte-Curce est édité en castillan à trois reprises aux xvie et xviie siècles et l’imprimerie sévillane joue curieusement un rôle de premier plan dans cette diffusion puisqu’elle est la première à éditer le texte en 1496 et prend en charge deux des trois éditions dont nous traiterons ici. La première édition qui nous occupe date de 1518 et ne propose pas une nouvelle traduction mais reprend le texte édité anonymement en 1496. La seconde, qui voit le jour en 1534, est le fruit d’un travail original de Gabriel de Castañeda, puis le texte sera traduit de nouveau en 1699 par Mateo Ibáñez de Segovia y Orellana. Nous nous proposons ici d’observer l’évolution du texte et du paratexte : depuis une traduction héritière de la tradition médiévale jusqu’à la traduction de 1699, que le traducteur présente comme un modèle stylistique face aux traductions de ses contemporains qu’il considère davantage comme des « abortos de estrangeras plumas, que partos de naturales ingenios » (« des avortements de plumes étrangères que des accouchements de beaux esprits nationaux1 »). Nous montrerons les particularités de chaque traduction et le contexte dans lequel elles naissent.

L’Historia de Alexandre Magno, 1518 L’Historia de Alexandre Magno (Séville, Juan Varela de Salamanca, 26 avril 1518) reproduit l’édition de 1496, qui porte le même titre, Historia de Alexandre Magno (Séville, Meinardo Ungut et Estanislao Polono, 16 mai 1496), et qui est le premier imprimé de la traduction castillane anonyme de la traduction italienne de Quinte-Curce par Pier Candido Decembrio2 :

1. Prologue non folioté. 2. Bien que cette traduction anonyme soit éditée sans prologue, le traducteur nous précise le nom de Pier Candido dans le colophon et dans l’en-tête du feuillet 1 r. Concernant la source de cette traduction castillane, nous renvoyons à l’étude de Rosa Rodríguez Porto et de Clara Pascual-Argente, « Ad Hispaniae fines : The Iberian Translations of Quintus Curtius Rufus and Fifteenth-century Vernacular Humanism » dans ce même volume. Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 325-342 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115403

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page de titre identique avec la même gravure3, index similaire, texte de Quinte-Curce débutant au livre III et s’achevant sur le livre XII. Le volume se termine avec la Comparación de Gayo Julio César emperador máximo y de Alexandre Magno rey de Macedonia. Le colophon est semblable, seuls le nom de l’imprimeur, la date d’impression et la place du colophon ont été modifiés, ce dernier occupant dans l’édition de 1518 la toute dernière page, juste après la Comparación, alors qu’il se situait avant celle-ci dans l’édition de 1496. Le début du colophon « aquí fenesce el dozeno libro » (f. 89 r, « ici s’achève le 12e livre ») n’avait donc plus lieu d’être dans la réimpression de 1518 et aurait dû être modifié. L’édition de 1518 offre à ses lecteurs un texte relativement brut puisque les seuls suppléments à Quinte-Curce sont ceux des livres V et X narrant la mort de Darius et celle d’Alexandre. Les notes introduites par Decembrio ne sont pas reproduites4 et le traducteur semble fort peu soucieux de son lecteur. Il ne lui précise pas la source du supplément au livre V que Decembrio affirmait avoir repris de Plutarque et il écrit simplement : « De la muerte de Darío que fue sacada de otro libro de otro auctor5. » Dans le cas du supplément au livre X, il n’y fait pas même allusion. Pour Decembrio la fin du livre X était perdue ainsi que tout le livre XI et le début du livre XII, et il comble grâce à Plutarque la lacune sur la mort d’Alexandre. Le traducteur castillan ne s’embarrasse pas de tout cela et passe du livre X directement au livre XII sans livrer aucune explication à son lecteur. Il déplace simplement le supplément sur la mort d’Alexandre que Decembrio fait au début du livre XII à la fin du livre X (fol. 81 v). La seule différence entre les deux éditions espagnoles est que celle de 1518 corrige une erreur dans la numérotation des chapitres, le dernier chapitre du livre X étant le 8e et non le 7e. Nous sommes donc face à une édition peu soignée qui a condensé et simplifié au maximum l’ouvrage en omettant toutes les considérations sur l’état du texte de Quinte-Curce. Le volume est relativement court, élaboré pour un lecteur peu exigeant et curieux qui souhaite simplement lire les aventures d’Alexandre. En effet, malgré la volonté claire de fabriquer un volume restreint, donc économique, les éditions espagnoles de 1496 et 1518 insèrent un index destiné à faciliter la localisation des épisodes par le lecteur inexpérimenté. 3. Les lettrines utilisées sont, par contre, différentes dans les deux éditions. 4. A. Moll, Humanismo italiano y Castilla en el siglo XV : El caso de Pier Candido Decembrio, thèse doctorale inédite de l’Université de Berkeley, 1993, p.  133. Nous remercions Rosa Rodríguez Porto de nous avoir facilité l’accès au texte de cette thèse. 5. Historia de Alexandre Magno, f. 35 v : « De la mort de Darius qui a été tirée d’un autre livre d’un autre auteur. »



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Cette tendance à réduire au maximum le nombre de feuillets s’accentue dans la réimpression de 1518 puisque l’ouvrage occupe encore un espace inférieur (186 pages imprimées contre 224), l’éditeur ayant opté pour le même format mais pour une police plus petite. Le découpage de chaque livre en chapitres très brefs qui tiennent en général sur une page et, au plus, sur deux confirme que l’ouvrage est conçu pour être lu et écouté par un lecteur « populaire » peu rompu à la pratique de la lecture. Ainsi, la matière du livre III est divisée en 25 chapitres dans l’édition de 1518, contre 12 dans la traduction postérieure de 1534. Cette reproduction presque à l’identique de l’édition de 1496 est frappante et pose question car elle propose au lecteur de 1518 un texte médiéval, fort éloigné du castillan de l’époque. L’éditeur a, en effet, simplement procédé à une modernisation dans la graphie qui se limite à remplacer presque systématiquement6 les « f » en position initiale, désormais archaïques, en « h », éliminer le « d » de « segund » ou de « grand », faire évoluer le « podiesse » en « pudiesse ». Toutefois, la syntaxe et le lexique présentent des caractères archaïsants qui sont conservés dans l’édition de 1518 : « conortar » (f. 4 v, « consoler »), « melezina » (idem, « médicament »), « avenynado » (id., « empoisonné »), « ardideza » (f. 5 r, « hardiesse »), « vegada » (f. 5 r, « fois »), « adjutorio » (f. 5 r, « aide ») … De même, le verbe est presque systématiquement rejeté en position finale, le traducteur calquant probablement en cela la syntaxe italienne de Pier Candido Decembrio. Ce choix vient bousculer la syntaxe naturelle du castillan et donne au texte un rythme très particulier. Ces différentes caractéristiques apparentent finalement cette traduction davantage au poème épique médiéval qu’à la prose castillane du xvie siècle. Rappelons que le traducteur Diego López de Cortegana, qui édite en 1516 la Crónica del Sancto rey Don Fernando III chez Jacobo Cromberger, explique qu’il a dû procéder à une modernisation du texte et il rappelle la grande évolution de la langue « en quarante ou cinquante années7 ». Certes, la langue archaïsante était un des traits stylistiques de la matière épique mais on peut tout de même s’interroger sur cette absence de modernisation du texte d’autant que la langue de la traduction devait déjà sembler archaïque au lecteur de 1496. De plus, la traduction est inégale, les derniers livres présentant de réelles difficultés de compréhension d’un point de vue 6. Ce n’est plus le cas à la fin du volume. 7. Crónica del Sancto rey Don Fernando III, éd. fac-similée de F. de los Reyes Gómez, Madrid, 2008, f. a1 v.

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syntaxique8. Rappelons que cette traduction imprimée se base sur une source manuscrite ancienne, la traduction castillane anonyme du texte de Decembrio, et non sur la traduction catalane de Fenollet de 1481 ou la castillane de Liñán9. Selon A. Moll, il faut dater cette dernière entre 1438, année où Pier Candido Decembrio termine sa traduction en italien utilisée par le traducteur castillan, et 145410. Une des explications possibles d’une reproduction presque à l’identique de l’édition de 1496 en 1518 pourrait être la précipitation avec laquelle Varela dut décider de réimprimer cette traduction. Une modernisation sommaire tout comme une correction des erreurs typographiques, presque systématiquement reproduites11, n’aurait pas supposé un travail fort long. Le volume paraît fin avril 1518 alors que les Cortès de la couronne de Castille viennent de reconnaître Charles de Gand, futur Charles Quint, comme leur souverain dans une ambiance tendue en raison, notamment, des faveurs faites aux Flamands accompagnant le jeune roi. Ainsi, le Primat d’Espagne, le riche archevêché de Tolède, avait été donné par Charles à Guillaume de Croÿ, âgé de seulement vingt ans12. Comment ne pas voir en la réédition d’un volume consacré à Alexandre un lien avec l’arrivée au pouvoir d’un nouveau roi qui, par sa jeunesse et l’étendue de ses territoires, supporte aisément la comparaison avec Alexandre ? L’absence de prologue et de notes de lecture13 de l’exemplaire consulté nous prive cependant d’information sur les motifs pour lesquels l’ouvrage fut réédité à cette date et la manière dont il put être lu à ce moment-là.

8. Pour exemple : « En aquel mesmo tienpo Defredate sospechoso que el reyno quería tomar fue muerto encomençase a fazer principe a representar los tormentos & creer las cosas peores mucho prompto. » (f. 79 v : « En même temps que Phradatès suspecté de vouloir s’emparer du royaume fut tué, il commença à régner, imaginant les supplices et croyant prestement les pires choses. ») Notre traduction n’est qu’une proposition à un passage obscur syntaxiquement. 9. A. Moll, op. cit., p. 132-133. 10. A. Moll, ibidem., p. 128. 11. Par exemple : « pelo poueso » pour « Peloponeso » (fol. 1 r : « Péloponnèse »). 12. J. Pérez, La revolución de las Comunidades de Castilla (1520-1521), Madrid, 1977, p. 123. 13. L’exemplaire consulté est celui qui se trouve en ligne à l’adresse suivante : https://play. google.com/books/reader?printsec= frontcover&output= reader&id= 48zxkyX7Dn4C&pg= GBS.PT6 (dernière consultation 8 septembre 2017) sans indication de bibliothèque de conservation. Seuls les feuillets 4 v et 5 r présentent des traces de lecture.



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De los hechos del Magno Alexandre, rey de Macedonia, Gabriel de Castañeda, 1534 La nouvelle traduction de Gabriel de Castañeda, De los hechos del Magno Alexandre, rey de Macedonia, nuevamente traduzido y suplidos los libros que dél faltan de otros autores (Séville, Juan Cromberger, janvier 153414) montre un saut qualitatif tout à fait conséquent tant du point de vue de la langue que de la matière, avec un traducteur qui propose à son lecteur un ouvrage clair et soigné15. L’éditeur affiche dès la première page sa différence, affirmant qu’il s’agit d’une nouvelle traduction et qu’elle propose une œuvre « complète », les livres manquants de Quinte-Curce étant remplacés par des suppléments qu’il réalise lui-même en compilant d’autres auteurs : le texte est « nuevamente traduzido y suplidos los libros que dél faltan de otros autores » (« nouvellement traduit et les livres manquants suppléés par d’autres auteurs »). La composition de sa première page est aussi pensée pour qu’elle se différencie de l’édition de 1518 puisque le titre vient en occuper le centre avec une illustration essentiellement décorative (au frontispice au milieu d’une vigne se trouve un guerrier antique à cheval, l’épée dégainée) et reléguée aux bordures, tandis que dans la traduction de 1518 l’image occupait le centre, et l’auteur et le titre, respectivement le haut et le bas de la page. Il était d’autant plus important pour la nouvelle traduction de se distinguer que l’édition de Castañeda était 14. Nous utilisons l’exemplaire de la Biblioteca de Andalucía (Grenade) ANT-XVI-38 en ligne à l’adresse suivante : http://www.bibliotecavirtualdeandalucia.es/catalogo/es/consulta/ registro.cmd?id= 6253. 15. Ci-dessous nous indiquons le même passage, incompréhensible dans l’édition de 1518 et absolument limpide dans celle de 1534 : « Después a la región pervino donde « Y de allí vino a una región de la qual cortando governador noble era presidente el era governador un noble cavallero llamado qual assý se en la potencia & fe del rey come- Oxiartes el qual sin ponerse en ninguna resistió dado pues a él el ymperio o señorío non tencia se entregó en poder de Alexandre y demandó al sino dos o tres de los sus fijos Alexandre viendo su obediencia rescibiéndole consigo en armas embiar los quisiesse. » (ano- en su gracia le restituyó todo su señorío y solanyme, f. 60 r) mente le demandó que de tres hijos que tenía le diese los dos. » (Castañeda, f. 144 r, « Et de là il arriva dans une région de laquelle était gouverneur un noble seigneur nommé Oxyartès, lequel sans opposer aucune résistance se rendit à Alexandre, et Alexandre voyant son obéissance et le recevant en sa grâce lui restitua tout son royaume et lui demanda simplement qu’il lui donnât deux de ses trois fils. »)

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imprimée à Séville, comme les deux précédentes. L’édition de 1534 contient aussi une gravure illustrative montrant un roi assis sur son trône mais celle-ci est habilement placée après le prologue du traducteur. Alors que le souverain de l’illustration de 1518 brandit un sceptre dans sa main droite, celui du volume de 1534 porte une épée, et dans la main gauche un globe terrestre surmonté de la croix. La gravure de 1518 est de facture médiévale tandis que celle de 1534 présente un jeune roi aux traits plus doux, dans la ligne de l’art de la Renaissance. Castañeda traduit à partir de l’édition espagnole Q.  Curtii fragmenta nuperrime impressa & plurimis maculis repurgata per Laurentium Balbum Liliensem réalisée par Lorenzo Balbo de Lillo et imprimée à Alcalá de Henares dans l’officine de Miguel de Eguía, le 20 novembre 152416. Il s’agit d’une édition latine qui suit globalement celle de Franciscus Asulanus (Venise, 152017). Ainsi, par exemple, la seconde lacune que présente le chapitre 3 du livre X de Quinte-Curce n’est signalée ni dans l’édition d’Asulanus ni dans celle de Balbo18, Castañeda n’interrompt donc pas sa narration et ne signale pas son ajout que nous indiquons en italique : « Espantólos por cierto el temor del nombre y de la dignidad real el qual las gentes que biven debaxo de la governación de los reyes honrran entre los dioses19. » Toutefois, J. Costas montre bien que l’édition de Balbo n’est pas une simple copie de celle d’Asulanus. En utilisant les différences qu’il relève20 nous avons pu vérifier que Castañeda suit effectivement Balbo. Ainsi, par exemple, la traduction de « Inter haec a Parmenione fidissimo purpuratorum literas accipit […] » (f. 4) par « A esta misma sazón vinieron al mismo Alexandre cartas de Parmenio su leal servidor y esforçado capitán que era el más rico y poderoso de todos sus amigos y

16. Pour une description de l’édition, voir J. Martín Abad, La imprenta en Alcalá de Henares 1502-1600, t. 1, Madrid, 1991, p. 305-306. La Bibliothèque Menéndez Pelayo (Santander), les Bibliothèques publiques de Castilla La Mancha (Tolède) et de Soria (Soria), la BNE (Madrid) en possèdent des exemplaires. Malheureusement aucun n’est numérisé. 17. J. Costas Rodríguez, « La primera edición del texto latino de Quinto Curcio en España », dans Mvnus Qvaesitvm meritis. Homenaje a Carmen Codoñer, éd. G.  Hinojo Andrés et J. C. Fernández Corte, Salamanque, 2007, p. 193-203. 18. Ibidem, p. 198. 19. Castañeda, f. 181 r : « Ils furent effrayés assurément par la crainte du nom et de la dignité royale, ce nom que les gens qui vivent sous le gouvernement des rois honorent autant que les dieux. » Le texte latin de Quinte-Curce reprend ainsi : « sive nominis quod gentes quae sub regibus sunt inter deos colunt », Quintus Curtius, De rebus gestis Alexandri Magni regis Macedonum, Strasbourg, 1518, f. 84 v. 20. Costas, art. cit., p. 202.



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privados21 » nous indique clairement que Castañeda a suivi le « ditissimo » de l’édition de Balbo au lieu du « fidissimo » présent dans la plupart des autres éditions latines22. Il semble que la traduction de Quinte-Curce soit le seul ouvrage que produisit Gabriel de Castañeda, clerc prébendier à Villalón de Campos au service de la famille des comtes de Benavente. Il dédie son ouvrage au jeune comte Antonio Alonso Pimentel, âgé à l’époque de 20 ans, qui sera un grand ami de Charles Quint et parrain et tuteur du prince Philippe II. Castañeda fait précéder sa traduction d’un long prologue, quelque peu surprenant, centré sur l’origine de la domination de l’homme sur les choses, les animaux ainsi que sur ses semblables. Alors que Dieu et la nature ont fait les hommes égaux, depuis le début du monde des hommes ont entrepris de dominer les autres et de s’imposer par la force : […] mas cresció tanto la umana sobervia que quisieron los hombres ser los unos señores de los otros y mandar y tener superioridad sobre ellos, comoquiera que Dios y natura a todos los hizieren iguales. Y assí desde el principio del mundo començaron los que más podían a señorearse de los otros y tiranizar por fuerça el señorío del mundo. (prologue non folioté) [[…] mais l’orgueil humain crût tant que les hommes voulurent être seigneurs les uns des autres, commander et être supérieurs, alors que Dieu et la nature les firent tous égaux. Et ainsi depuis le début du monde les plus forts commencèrent à dominer les autres et à tyranniser par la force le monde entier.]

Ce qui commença avec Nemrod par « tiránica opresión » (« tyrannique oppression »), « por la malicia de los hombres, no solamente vino a ser muy útile y provechoso pero tan necessario que sin ello no se podría conservar ni sustentar el estado del mundo » (ibidem, « à cause de la méchanceté des hommes, est devenu non seulement utile et profitable mais si nécessaire que sans cela on ne pourrait conserver ni maintenir l’état du monde »). Il reprend cette idée plus loin en présentant la rébellion des Comunidades (1520-1522) comme un soulèvement qui mit en péril le royaume, et Alonso Pimentel Pacheco, père du dédicataire, défendant son roi, comme un défenseur du bien commun23.

21. Castañeda, f. 32 v : « À ce même moment parvinrent à Alexandre en personne des lettres de Parménion, son loyal serviteur et vaillant capitaine qui était le plus riche et puissant de tous ses amis et favoris. » 22. Costas, art. cit., p. 199. 23. Ibid. : « ¿Quién en el tiempo que las Comunidades en estos reynos se levantaron, que estuvieron en víspera de perderse se mostró más servidor de su rey y zelador del bien común ? »,

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Si la révolte des Comunidades est clairement condamnée, il n’en reste pas moins, si l’on suit le raisonnement de Castañeda, que l’exercice du pouvoir sous Charles Quint serait une tyrannique oppression, ce qui, à l’arrivée, peut poser question sur la lecture qu’il faut faire de l’histoire d’Alexandre et du parallélisme entre la tyrannie d’Alexandre et celle de Charles Quint. Bien que l’exemplaire consulté de l’édition présente d’abondantes traces de lecture qui se manifestent essentiellement sous la forme de passages soulignés avec de temps à autre la mention « leer » (« lire »), le lecteur ne manifeste pas un intérêt particulier pour les passages pouvant prêter à une lecture politique. Contrairement à l’édition de 1518, la traduction de Castañeda est le fruit d’un long travail. En effet, il entreprend une nouvelle traduction et complète les lacunes du texte de Quinte-Curce grâce à divers auteurs : […] pero es mucho de llorar que una tan excelente escritura esté tan depravada por la antigüedad del tiempo, porque los dos libros primeros no parescen, y de los que ay faltan muchas cosas. De su áurea obra no nos han quedado sino los pedaços tanto que en muchas partes se queda suspensa como razones de carta rota que al mejor tiempo nos dexan en blanco y para que la historia en el romance fuesse continuada fue forçado suplir las faltas de otras partes ; y será todo de auctores auténticos como es el Arriano nicomedense jurisconsulto el qual no es de menos auctoridad ni facundia que el mismo Quinto Curcio, del Josepho en el de sus Antigüedades, del Antonio de Florencia, de sant Augustín en el Civilitate Dei, de la glosa ordinaria de Plutarcho en lo que de Quinto Curcio faltare. (prologue) [[…] mais il est tout à fait navrant qu’un ouvrage aussi excellent se trouve si corrompu à cause de son ancienneté, parce que les deux premiers livres ont disparu, et dans ceux qui subsistent il manque beaucoup de choses. De sa magnifique œuvre ne nous sont restés que des morceaux si bien qu’en de nombreux endroits elle reste en suspens, comme des fragments d’une lettre déchirée qui au meilleur moment nous laissent bouche bée et pour que l’histoire en langue vulgaire ait une continuité il fut obligatoire de combler les lacunes en prenant ailleurs ; et tout proviendra d’auteurs authentiques comme l’est Arrien de Nicomédie jurisconsulte, lequel n’est pas de moindre autorité ni éloquence que Quinte-Curce en personne, de Josèphe dans son livre des Antiquités, d’Antoine de Florencia, de saint Augustin dans le Civilitate Dei, de la glose ordinaire de Plutarque pour ce qui peut manquer de Quinte-Curce.]

« Qui se montra plus au service de son roi et défenseur du bien commun au moment où dans nos royaumes d’Espagne les Comunidades se soulevèrent, les mettant en péril ? »



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Il met d’ailleurs en avant le fait qu’il est le premier à offrir en langue espagnole une vie d’Alexandre complète et ordonnée chronologiquement : E viendo yo muy illustre Señor a muchos inclinados a saber las cosas deste magnánimo príncipe y que entre quantas hystorias dél ay escritas (a lo menos de las que yo he visto) en latín ni romance, en ninguna está enteramente ni en la orden que es razón, determiné de hazer de todas un volumen en el qual fuessen en la mejor orden que a mí me fuesse possible. (prologue) [Et voyant, très illustre Seigneur, que maintes personnes désirent savoir les faits de ce magnanime prince et que parmi toutes les histoires qui existent de lui (au moins celles que j’ai vues) en latin et en castillan aucune n’est complète ni ordonnée logiquement, j’ai décidé d’en faire un volume le mieux ordonné possible.]

Pour l’élaboration du livre  I, il cite comme sources principales : Saint Antonin, archevêque de Florence, Plutarque, Justin et la General Estoria mais aussi le livre V du Speculum historiale de Vincent de Beauvais, Eusèbe de Césarée, saint Jérôme, Sénèque, le livre des Maccabées de l’Ancien Testament et Valère Maxime. Pour le supplément au livre II, il suit l’Anabase d’Arrien de Nicomédie dont il affirme traduire le premier livre (f. 26 v), probablement à partir de l’édition latine de l’humaniste Bartolomeo Facio qu’il évoque dans son prologue24, livrant ainsi la première traduction imprimée partielle de cet auteur en castillan25. Les suppléments au livre X proviennent, eux aussi, de l’œuvre d’Arrien à laquelle il se réfère constamment. Pour le récit de la mort d’Alexandre, il ne semble pas utiliser le supplément que Pier Candido Decembrio avait élaboré à partir de Plutarque, texte qu’il ne pouvait ignorer dans la mesure où la traduction espagnole éditée à Séville en 1518 suivait le texte de l’humaniste italien. Peut-être l’écarte-t-il dans le but de donner une certaine cohérence à son travail en continuant à compléter le texte de Quinte-Curce avec celui d’Arrien ou pour se simplifier la tâche et terminer plus rapidement son volume. Castañeda affirme avoir choisi Quinte-Curce comme historien d’Alexandre car il fait partie de ces historiens qui se distinguent par leur « objectivité » : « porque no menos reprehenden sus vicios que alaban sus virtudes porque 24. « Bartolomeo Facio, intérprete de Arriano, dize que fueron las cosas de Alexandre en tanta admiración a todos los siglos que muchos se entremetieron a escrevir sus cosas. » (« Bartolomé Facio, interprète d’Arrien, dit que l’histoire d’Alexandre fut si admirée de tous les siècles que beaucoup entreprirent de l’écrire. ») 25. T. S Beardsley, Hispano-classical Translations Printed between 1482 and 1699, Pittsburg, 1970, p. 34 et Arriano, Anábasis, éd. C. García Gual, Madrid, 1982, p. 92.

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ni callan lo bueno ni perdonan lo malo, como muchas vezes los historiadores lo suelen hazer que ciegos de sus aficiones o movidos por intereses alaban los vicios de sus naturales y vituperan las virtudes de los estraños escriviendo contra la verdad26 » ; et c’est aussi sur ce critère d’authenticité qu’il a sélectionné les auteurs venant compléter Quinte-Curce. Il localise les lacunes à ses lecteurs et signale systématiquement les auteurs utilisés. Il reconnaît que combler les lacunes de Quinte-Curce n’a pas été un travail mince27 et il explique, par exemple, qu’il lui a été impossible de se procurer un exemplaire imprimé d’Arrien et qu’il a seulement pu accéder à un manuscrit, ce qui ne lui a pas permis de vérifier son texte. Il rejette donc toute responsabilité si la version dont il se sert s’avère défectueuse28. Les chapitres sont beaucoup plus longs que dans l’édition de 1518 ainsi que l’ouvrage lui-même (402 pages imprimées), mais la traduction s’adresse à un public large comme le révèlent les gloses destinées à un lecteur peu cultivé. Ainsi, Castañeda donne l’équivalent du fleuve Ibère – l’Èbre – et explique ce que sont les colonnes d’Hercule (f. 177 v). Ses explications sont apparemment du goût du lecteur de l’exemplaire consulté qui les localise fréquemment en les soulignant dans le texte. Ses gloses et amplifications ont globalement pour objectif de rendre le texte plus lisible et agréable. Il soigne particulièrement les transitions entre les chapitres permettant de la sorte au lecteur qui se serait arrêté de reprendre plus aisément sa lecture au chapitre suivant. Malgré ses efforts, il regrette de ne pouvoir proposer à son lecteur un texte qui s’enchâsse mieux dans le récit tronqué de Quinte-Curce au début du livre VI29. 26. Prologue : « parce qu’ils ne blâment pas moins ses vices qu’ils ne louent ses vertus car ils ne taisent ni les bonnes choses ni n’omettent les mauvaises, comme le font habituellement à maintes reprises les historiens qui, aveuglés par leurs inclinations ou mus par des intérêts, louent les vices de leurs compatriotes et blâment les vertus des étrangers, écrivant contre la vérité. » 27. « no ha sido poco [mi trabajo] por aver de suplir de tantas partes lo que en Quinto Curcio faltava. » (prologue, « [mon travail] n’a pas été mince du fait que j’ai dû suppléer en autant d’endroits ce qui manquait dans Quinte-Curce. ») 28. « Y porque yo nunca pude hallar al Arriano impresso para tener diversos exemplares, lo qual es muy necessario para traduzir por muchas dudas que se ofrecen, y solamente ove uno de mano en poder de una docta persona deste reyno, si por ventura en él alguna falta pareciesse hallándose en otra parte impresso o escrito como en los libros de mano suele acaecer yo soy sin culpa. » (f. 26 v, « Et parce que je ne suis jamais parvenu à trouver l’Arrien imprimé pour avoir différents exemplaires, ce qui est très nécessaire pour traduire à cause des nombreux doutes qui surgissent, et que je n’en ai eu qu’un, manuscrit, appartenant à une personne savante de ce royaume, si d’aventure quelque faute apparaissait de la comparaison avec un autre imprimé ou manuscrit comme cela arrive souvent avec les manuscrits, je n’en suis pas responsable. ») 29. « […] e para suplir lo que de Quinto Curcio falta y poderse entender lo que se sigue basta lo sobredicho aunque no venga quadrado ni sucessivamente se sigua lo de Quinto Curcio en



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Il traduit plutôt fidèlement l’original latin sans censurer le texte pour des questions de bienséance30 comme pouvaient fréquemment le faire ses contemporains avec d’autres œuvres. Il introduit cependant de temps à autre des digressions et se livre à des réflexions concernant son époque, qui sont parfois d’un grand intérêt. Ainsi Castañeda émet-il des critiques sur la somptuosité des banquets et des habits capable de ruiner des familles entières. Il recommande l’adoption de lois somptuaires et formule une analyse économique qui fera l’objet de développement par les arbitristes31 de la seconde moitié du xvie siècle : […] y ya va tan rota la cosa que el reyno se destruye y las naciones estrangeras se enrriquescen a su costa. Y no sé yo qué otras Indias donde más oro saquen vayan a buscar sino lo que sacan de España quasi por no nada lo tornen a vender a los españoles por el siete tanto, y todo no basta para tan costosos atavíos y sumptuosos arreos. (f. 144 v) [[…] et la chose est désormais si habituelle que le royaume court à sa perte et les nations étrangères s’enrichissent à ses dépens. Et je ne sais pas quelles autres Indes ils iront chercher d’où ils puissent tirer plus d’or qu’ils n’en tirent de l’Espagne où ils achètent les choses pour presque rien et les revendent aux Espagnols sept fois le prix, et tout l’or du monde ne suffit pas pour de si coûteux atours et de si somptueuses parures.]

La plupart des digressions de Castañeda sont identifiables car il précise son retour au texte. Il y a donc peu de risques de confusion pour le lecteur entre le texte de Quinte-Curce et les interventions du traducteur. D’un point de vue littéraire, enfin, Castañeda nous livre sa traduction dans un beau castillan simple et précis. Le jugement très sévère sur son œuvre qui nous est parvenu est ainsi, à notre sens, immérité32. Probablement s’appuie-t-il ordenado processo. » (f. 95, « […] et pour suppléer ce qui manque et pour que l’on puisse comprendre ce qui suit, ce qui vient d’être dit suffit, même si ce n’est pas parfait et que cela s’enchaîne mal avec le texte de Quinte-Curce. ») 30. C’est ainsi le cas, par exemple, pour la relation d’Alexandre avec l’eunuque Bagoas. 31. A. Dubet, « L’arbitrisme : un concept d’historien ? », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 24 (2000), p. 2, mis en ligne le 17 janvier 2009, consulté le 30 août 2017 : http:// ccrh.revues.org/2062 ; DOI : 10.4000/ccrh.2062 : « L’arbitriste en Espagne, à l’instar de son équivalent en France, le donneur d’avis, est un auteur de mémoires qui s’adresse au roi, à ses Conseils, à ses juntes (juntas), ou à quelque membre influent de ces organismes, aux Cortes ou aux parlements, afin de leur indiquer les mesures à prendre pour sortir de difficultés d’ordre financier, fiscal ou économique. » 32. A. Bravo García considère son travail « un tanto peor que el de su antecesor anónimo » (« un peu moins bon que celui de son prédécesseur anonyme »). Voir « Sobre las traducciones

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essentiellement sur l’avis défavorable qu’émet son successeur, Mateo Ibáñez, qui lui reproche la piètre qualité de ses sources, le mélange de paraphrase et traduction, mais par-dessus tout son style : […] aun quando se huviesse valido este Autor de exemplares menos corrompidos, que los que él mismo confiessa tuvo, y manifiesta la obra ; y aun quando guardasse las leyes de una severa traducción, o produxesse las utilidades que suelen dar de sí los paráphrasis, y de que está tan lexos, que sólo se reconoce en ella una indistinta mezcla de ambas cosas, vende a caro precio las noticias que ofrece, que no siendo éste menos que el de una considerable porción de paciencia, apenas ay aun en los que por falta de inteligencia de la lengua latina no tienen otro recurso en donde buscarlas, quien se halle con fuerças para tolerar la molestia de su narración, queriendo antes carecer de aquellas, que passar por semejante fatiga. (prologue non paginé) […] même si cet auteur avait utilisé des exemplaires moins corrompus que ceux que lui-même reconnaît avoir eus, comme le manifeste l’œuvre, et même s’il avait respecté les lois d’une traduction rigoureuse ou qu’il avait tiré le bénéfice attendu des paraphrases – ce dont il est loin puisqu’on y constate seulement un indistinct mélange des deux choses  –, il vend chèrement les informations qu’il offre, car il le fait au prix d’une si considérable patience que rares sont les personnes, même parmi celles ne comprenant pas la langue latine ou n’ayant d’autre endroit où les chercher, qui auraient les forces suffisantes pour tolérer le caractère fastidieux de sa narration et qui ne préféreraient pas se passer de ces informations plutôt que de subir une telle peine.]

Ces critiques doivent être entendues comme celles d’un homme du xviie siècle qui juge d’après les canons stylistiques de son époque et non au pied de la lettre, le castillan de Castañeda ayant une syntaxe souvent plus simple et lisible que celle d’Ibáñez.

De la vida y acciones de Alexandro el Grande, Mateo Ibáñez de Segovia y Orellana, 1699 La nouvelle traduction De la vida y acciones de Alexandro el Grande (Madrid, héritiers d’Antonio Román, 1699) est réalisée par Mateo Ibáñez de Segovia y Orellana, un aristocrate, second marquis de Corpa, né au Pérou et de Plutarco y de Quinto Curcio Rufo hechas por Pier Candido Decembrio y su fortuna en España », Cuadernos de filología clásica, 12 (1977), p. 174.



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venu poursuivre ses études à Madrid. L’ouvrage33 s’ouvre sur une dédicace à Charles II puis une seconde dédicace adressée à l’influent duc de l’Infantado et de Pastrana chargé de faire parvenir l’ouvrage au souverain après en avoir fait une lecture attentive et en avoir « purgados los defectos » (« purgé les défauts ») « a la luz de su erudita discreción » (« à la lumière de son érudite discrétion »). Suivent les approbations, la licence et le privilège qui autorisent la parution et la commercialisation de l’ouvrage, une table des chapitres, puis une brève information à propos de Quinte-Curce et de son œuvre. Le traducteur précise alors qu’il suit le Hollandais Gérard Jean Vossius et François de La Mothe le Vayer. Nous trouvons ensuite le prologue au lecteur, les dix livres de Quinte-Curce supplémentés par Freinsheim et enfin un « índice de las cosas notables » (« index des choses remarquables »). Ibáñez avoue avoir hésité à doter son ouvrage de notes mais cela lui a finalement semblé un travail superflu et il renvoie le lecteur érudit aux notes de Rader, Freinsheim, Blancardus, Loccenius, Érasme, Hutten, Glareanus, Höeniger, Acidalius, Franscicus Modius, Titus van Popma, Philippus Caroli et Michel Le Tellier. Il affirme avoir consulté de nombreux exemplaires de Quinte-Curce et suivre habituellement les éditions de M. Rader et de J. Freinsheim, qu’il estime les plus correctes. De même, il dit avoir examiné soigneusement la traduction italienne de Tommasso Porcacchi dans l’édition de Milan de 1628 (première édition en 1558) et celle de Vaugelas. Il reprend les suppléments de Freinsheim ajoutés à la traduction de Vaugelas et traduits par Du Ryer mais parfois aussi un ancien supplément lorsqu’il le considère meilleur que les nouveaux34. Nous ne savons pas s’il fait référence à d’anciens suppléments introduits par Vaugelas, ceux que Du Ryer reconnaissait avoir 33. Quinto Curcio Rufo, De la vida, y acciones de Alexandro el Grande, traducido de la lengua latina en la española por D. Matheo Ybañez de Segovia y Orellana, marqués de Corpa, cavallero del Orden de Calatrava ; el qual le consagra a los Reales Pies del Rey nuestro Señor D. Carlos II, Madrid, en la imprenta de los herederos de Antonio Román, a costa de Antonio Bizarrón, año de 1699. Nous avons consulté l’exemplaire conservé à la Biblioteca histórica Marqués de Valdecilla de l’Université Complutense (Madrid). 34. « […] al principio de la qual [la traducción de Bougelas] se ofrecen los dos primeros libros que suplió Freinshemio, si bien no traducidos por él, sino por Mr de Ryer, a cuya imitación le he seguido, assí porque en el todo de la obra se pueda hazer mejor el cotejo, como por las ventajas deste Suplemento al antiguo, el qual no dexó de valerme en algunos lugares, que juzgo mejorados en él. » (« […] au début de laquelle [la traduction de Vaugelas] sont offerts les deux premiers livres que suppléa Freinsheim quoique non traduits par lui mais par M. de Ryer, que j’ai suivis, autant pour faciliter la confrontation des textes [de sa traduction et de celle de Vaugelas] dans l’œuvre entière que pour la supériorité de ce supplément sur l’ancien, lequel m’a tout de même servi en quelques endroits où j’estime qu’il est plus réussi. »)

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parfois conservés dans l’édition de la traduction35. C’est le plus probable même si pour la fin du livre V nous observons qu’Ibáñez ne suit systématiquement ni Vaugelas ni Tommasso Porcacchi, ce qui laisse penser qu’il utilise un troisième texte, probablement l’édition latine de Rader36. Sa dette envers l’édition de la traduction de Vaugelas est flagrante puisqu’il reprend le titre, le supplément de Freinsheim, le jugement de La Mothe le Vayer sur Quinte-Curce pratiquement in extenso en en modifiant simplement l’ordre et en insérant quelques passages provenant des Réflexions sur l’histoire de Rapin dont il signale les références en marge (« de la impressión última de Amsterdam », « de la dernière impression d’Amsterdam »), et qu’il offre, lui aussi, un index « des choses remarquables » même si dans les faits celui-ci est bien plus succinct que celui de Vaugelas (9 pages contre 34) et comporte principalement des entrées onomastiques37. D’un point de vue formel, il reprend aussi l’italique pour distinguer les discours de la narration38 et suit le même découpage par chapitres que Vaugelas39. Ibáñez devait avoir une excellente connaissance du français, comme c’était le cas dans les milieux aristocratiques espagnols de l’époque, ainsi que de l’italien. Probablement possédait-il quelques rudiments de latin qui lui permettaient, lorsqu’un doute surgissait, causé par la divergence entre la traduction 35. « On connoîtra dans les marges, où commencent, & où finissent ces Supplemens, & si l’on en a laissé quelques anciens en certains endroits, c’est que M. de Vaugelas les avoit traduits en traduisant Quinte-Curce. », préface de Du Ryer, f. 4 v-5 (nous citons à partir de QuinteCurce, De la vie et des actions d’Alexandre le Grand, Amsterdam, H. Wetsteim, 1696). Dans la suite de l’article nous citerons le texte de Vaugelas à partir de cette édition. 36. Ibañez mentionne par exemple que Darius se trouve dans un charriot recouvert de peaux, détail que l’on trouve dans la version italienne mais pas dans celle de Vaugelas. Toutefois, juste ensuite, il mentionne la présence d’un interprète pour que Polystrate communique avec Darius, élément présent dans la traduction de Vaugelas mais non dans celle de Porcacchi (Ibañez, p. 185 ; Vaugelas, éd. de 1696, p. 334 ; Porcacchi, éd. Bassano, Giovanni Antonio Remondini, 1723, p. 226). Or ces deux éléments se trouvent dans l’édition de Rader (Francfort, 1668, p. 338). Nous citerons toujours la traduction de Porcacchi à travers l’édition Bassano de 1723. 37. L’index de Vaugelas comporte beaucoup de noms communs, ce qui est rare chez Ibáñez. Les deux traducteurs montrent des intérêts différents. Par exemple, dans le cas du mot « guerre », Ibáñez note : « Guerra, no conviene que salga el Rey a ella, no teniendo successión » (index non folioté : « il ne convient pas que le roi y parte s’il n’a pas de succession ») alors que nous lisons chez Vaugelas : « la guerre renverse même l’ordre des lois et de la nature » (index non folioté). 38. Ce système est aussi présent dans l’édition latine de Rader mais il existe des divergences entre l’édition latine et l’édition française. Ibáñez suit davantage Vaugelas. 39. Il a aussi pu reprendre ce découpage de l’édition de Rader mais pas de celle de Porcacchi qui ne comporte qu’une division en livres.



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française et la version italienne, d’aller à la source latine, mais nous ne croyons pas qu’il ait réalisé sa traduction directement à partir du texte latin40. En effet, en divers endroits où Vaugelas s’éloigne du latin41, nous retrouvons les mêmes erreurs dans le texte d’Ibáñez42. Néanmoins, Ibáñez ne suit pas systématiquement le texte français et il traduit parfois plus exactement le texte latin que Vaugelas, probablement au travers de la traduction italienne43. Nous avons aussi relevé des cas où il ne suit exactement ni Vaugelas, ni Porcacchi, ni Rader44. Comme nous l’avons noté plus haut, Ibáñez présente sa traduction comme supérieure à celle de son prédécesseur Gabriel de Castañeda et il ambitionne d’en faire un modèle du genre pour la langue espagnole. Il entreprend, en effet, sa traduction dans le but de rivaliser avec les traductions françaises et de montrer que la langue espagnole est tout aussi capable que la langue française d’accueillir brillamment les classiques. Il l’estime même supérieure à cette dernière – « la fertilidad de nuestra lengua, cuyas excelsas ventajas a la francesa son tan notorias » (prologue non paginé, « la fertilité de notre 40. Toutefois, pour s’assurer de sa méthode de travail il serait nécessaire, étant donné les dimensions du texte, de procéder à des comparaisons beaucoup plus poussées. 41. Nous avons utilisé les remarques de l’Académie française concernant la traduction de Quinte-Curce (Les remarques de l’Académie française sur le Quinte-Curce de Vaugelas, éd. W. Ayres-Bennett et P. Caron, Paris, 1996, p. 21-25) et surtout celles de D. Nisard dans Cornelius Nepos, Quinte-Curce, Justin, Valère Maxime, Julius Obsequens. Œuvres complètes, Paris, 1871, p. 354-375. 42. Par exemple, Ibáñez (III, 12, p. 105) suit Vaugelas (p. 197) qui omet de mentionner que la blessure d’Alexandre se trouve à la cuisse. Il omet aussi de traduire le « non obsidionem modo solvit » (VI, 6, p. 202) comme dans la traduction française (p. 365). De même, quelques lignes plus loin, Vaugelas ajoute au texte latin « que commandoit Andromacus », membre de phrase que l’on trouve traduit chez Ibáñez (ibidem). 43. Dans les exemples suivants la traduction italienne coïncide avec le texte latin. À la fin du livre III, ch. 11, Ibañez traduit « trente-deux » (p. 105) comme dans le texte italien (p. 69) et non « trois cent fantassins » comme Vaugelas (p. 196) ; dans le livre IV, ch. 15, il traduit « mille chevaux » (p. 151) comme dans la traduction italienne (p. 157) et non « trois mille » comme Vaugelas (p. 274) ou dans le même livre, ch. 16, il traduit « quarante mille perses » (p. 156) comme Porcacchi (p. 168) et non « quatre cens mille » comme Vaugelas (p. 283). 44. Ainsi dans le livre IV, ch. 1, Vaugelas traduit : « Je prie les Dieux, lui répondit-il, pour que je puisse porter cette couronne avec autant de force » (p. 211), Porcacchi : « Piaccia à Dio, rispose egli, ch’io possa con quell’ animo stesso sopportar la fortuna del Regno » (p. 84 : « Plaise à Dieu, répondit-il, que je puisse avec cette même force de caractère supporter la fortune du Royaume ») et Ibáñez : « Permitan los Dioses, Señor, respondió, que pueda llevar con tan grande ánimo y constancia la fortuna presente. » (p. 112 : « Que les dieux permettent, Monsieur, répondit-il, que je puisse porter avec une aussi grande force de caractère et une aussi grande constance la présente fortune. »)

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langue, dont les éminents avantages sur le français sont si notoires ») – ainsi qu’à la langue latine. Ibáñez nous relate que lors d’une conférence littéraire fut débattue la capacité des traductions espagnoles à égaler ou supplanter les traductions françaises. Face au scepticisme de la plupart des personnes présentes, qu’Ibáñez attribue au « desengaño » (« désenchantement ») et à la « inaplicación que generalmente se experimenta oy en España a las buenas letras » (« négligence dans l’exercice des belles lettres à laquelle on assiste aujourd’hui en Espagne »), il décide de relever le défi et de s’appliquer à traduire Quinte-Curce en choisissant de rivaliser d’éloquence avec la fameuse traduction de Vaugelas. D’après Ibáñez peu de traductions dignes de ce nom ont été réalisées en Espagne. Il dresse une courte liste dont sont exclues toutes les traductions des classiques grecs et latins réalisées aux xve et xvie siècles, excepté la traduction de Plutarque d’Alonso de Palencia. Les seuls traducteurs du xvie qui trouvent grâce à ses yeux sont Luis de Granada et Pedro de Ribadeneira pour leurs traductions de Thomas a Kempis et de saint Augustin. Hormis quelques traducteurs du xviie siècle qu’il cite, il considère que les autres traductions « haziendo considerable ofensa a los autores que traducen, más la [a la lengua española] sirven de descrédito, y ultraje, que de ilustración, y adorno » (« offensent considérablement les auteurs qu’elles traduisent et discréditent et outragent plus la langue espagnole qu’elles ne l’illustrent et ne l’ornent»). Le jugement d’Ibáñez sur la traduction en Espagne montre une méconnaissance de la traduction aux xve et xvie siècles et le fait qu’il érige la traduction de Plutarque d’Alonso de Palencia en modèle ne peut qu’étonner. Faut-il y voir l’ignorante arrogance d’un aristocrate ou, au contraire, un indice destiné à suggérer au lecteur de ne pas prendre totalement au pied de la lettre le prologue ? En effet, il est curieux que ni dans le prologue, ni dans la dédicace ne soit fait mention du contenu de l’ouvrage comme s’il s’agissait uniquement d’un manifeste stylistique45 alors que la matière de Quinte-Curce est éminemment politique. Rappelons que le dernier livre de l’historien latin se termine sur le 45. Il cite Juste Lipse qui estimait bénéfique la lecture de Quinte-Curce pour les princes « por la facilidad de sus palabras, por la gracia de su narración, por su brevedad, y abundancia, por su delgadeza, y claridad, por su vigilancia sin cuydado, por su verdad en los juizios, por su agudeza en las sentencias, y finalmente por su maravillosa fecundidad en las oraciones » (« pour la facilité de ses mots, pour la grâce de sa narration, sa concision et son abondance, pour sa subtilité et sa clarté, pour son exactitude sans concession, pour sa justesse dans les jugements, pour son ingéniosité dans les sentences, et finalement pour la merveilleuse fécondité de son discours »). La référence d’Ibáñez attire l’attention car il ne fait, ici, qu’énumérer les qualités



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problème de la succession d’Alexandre et de la guerre civile. Or la traduction d’Ibáñez paraît en Espagne à la fin du règne de Charles II dans un contexte de problème dynastique puisque le monarque espagnol est devenu fou et n’a pas de descendance. Ibáñez n’évoque pas combien de temps lui a pris sa traduction mais ce n’est certainement pas un hasard s’il choisit de la publier à ce moment-là, d’autant que nous savons qu’il était impliqué politiquement et qu’il sera exilé au Chili46 pour avoir participé à une conspiration destinée à mettre sur le trône espagnol l’archiduc Charles, le principal concurrent de Philippe d’Anjou pour la succession espagnole. La traduction de Quinte-Curce en espagnol qui doit venir supplanter la traduction française considérée comme un modèle transpose donc sur le plan littéraire les luttes de pouvoir entre la lignée des Habsbourg qu’appuie notre traducteur et celle des Bourbons soutenue par les Français. Il est révélateur que notre traducteur évoquant la supériorité de la langue espagnole sur la langue française cite le franciscain italien Diego Tafuri de Lequile. En effet, s’il le présente comme un étranger digne d’impartialité à l’égard de la langue espagnole, ce faisant il introduit, en réalité, une référence à un auteur qui travailla à la gloire des Habsbourg. Les mentions de l’auteur franciscain et de l’ouvrage Colossus angelicus en marge du prologue ne sont donc nullement anodines. Ce qui à première vue apparaissait comme un simple défi stylistique cache en réalité une traduction qui s’inscrit dans un contexte de propagande politique. Cette brève étude comparative des traductions du texte de Quinte-Curce en castillan dans une perspective diachronique permet d’observer clairement l’évolution de la langue castillane, des préceptes stylistiques et de la place accordée au lecteur. Elle pointe comment en 1518 un éditeur pouvait encore imprimer un texte médiéval sans le moderniser et montre ensuite la nécessité pressante d’une nouvelle traduction issue des préceptes humanistes, à laquelle vient répondre Castañeda avec des moyens très limités dus à la pénurie d’imprimés et de manuscrits humanistes dans la péninsule. Si Castañeda avait eu accès au travail d’autres traducteurs européens comme Vasque de Lucène, il aurait gagné du temps dans l’élaboration des suppléments. Malgré le mépris avec lequel Ibáñez traite la traduction de son prédécesseur, celle-ci mérite, en réalité, d’être mise en valeur et de faire l’objet d’une étude approfondie pour sa qualité linguistique et pour l’égard que Castañeda montre envers ses formelles du texte de Quinte-Curce alors même qu’il cite Lipse, auteur des Politiques, traité de bon gouvernement. 46. P. Rizo-Patrón Boylan, « Felipe V y la concesión de títulos nobiliarios en el Virreinato del Perú », Sobre el Perú : homenaje a J. A. de la Puente Candamo, Lima, 2002, t. 2, p. 1063.

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lecteurs. Il est en effet soucieux de leur compréhension et en même temps leur livre un texte agréable en ménageant des transitions, tout en différenciant ses apports du texte de Quinte-Curce. Quant à la traduction d’Ibáñez, présentée comme un modèle, elle témoigne d’une circulation des textes et des idées désormais fluide, et aussi de cette rivalité déjà ancienne avec la France qui s’affirme, cette fois, sur le terrain des lettres, habile manière de voiler les enjeux politiques et la véritable lutte de pouvoir qui oppose Habsbourg et Bourbons pour la succession espagnole. Les trois éditions étudiées interrogent sur les motifs pour lesquels Quinte-Curce fut publié en Espagne. Éditer une histoire d’Alexandre le Grand pleine d’exempla susceptibles d’être érigés en modèles ou en contre-modèles n’avait rien d’anodin et pourtant seul Castañeda, dans un prologue pouvant prêter à une double lecture, aborde la question du gouvernement justifiant la « tyrannie nécessaire ». L’éloquent silence qui accompagne les éditions de 1518 et de 1699 – moments agités sur le plan politique en Espagne – est remarquable et ne doit pas nous leurrer quant aux intentions de l’éditeur et à la façon dont le lecteur de l’époque, habitué à la censure, put lire l’ouvrage – qu’il fût érudit et perçût au travers des références d’auteurs et d’ouvrages l’intention du traducteur ou qu’il fût plus populaire mais tout à fait à même de rapprocher ce qu’il lisait de la situation qu’il vivait. Hélène Rabaey Université Le Havre Normandie

Le « Quinte-Curce de Vaugelas » La traduction de Quinte-Curce par Vaugelas est un chef-d’œuvre : au xviie siècle, au xviiie siècle encore, il n’est personne qui ne le dise. Plus précisément, il n’est personne qui d’une manière ou d’une autre ne redise ce qu’affirme un autre traducteur de réputation, Pierre Du Ryer (1605-1658), dans la préface à la première édition de l’ouvrage, intitulé De la vie et des actions d’Alexandre le Grand (1653) : Voici le célèbre Quinte-Curce, qui vient paraître en sa pompe, et avec tous ses avantages, sur le Théâtre de la France. Il eût mérité qu’Alexandre qui souhaitait un Homère pour bien décrire ses actions, l’eût souhaité pour historien ; et néanmoins, sa gloire eût été comme imparfaite, si Monsieur de Vaugelas n’eût entrepris de le traduire. En effet, on ne peut douter que cette traduction ne soit le Chef d’œuvre d’un excellent Ouvrier. Tout y est digne de Quinte-Curce ; et pour aller plus avant sans aller au-delà de la vérité, tout y est digne d’Alexandre1.

Plus de cent ans plus tard, l’auteur d’une nouvelle traduction de QuinteCurce, l’abbé journaliste Joseph-Antoine-Toussaint Dinouart (1716-1786), le répète : La Traduction de Vaugelas a toujours été regardée, avec justice, comme un chef-d’œuvre ; tous nos plus célèbres Ecrivains […] en ont toujours parlé avec éloge ; tout y est digne de Quinte-Curce, & d’Alexandre même. Ce Savant y avait travaillé plus de trente ans. Nous avons cru devoir respecter son travail ; c’est la Traduction que nous donnons, persuadés qu’on ne pouvait en faire une qui lui soit supérieure. Depuis plus de cent ans elle existe seule, & fait encore la gloire de cet illustre Académicien2. 1. Quinte Curce, De la vie et des actions d’Alexandre le Grand, De la traduction de Monsieur de Vaugelas, avec les Suppléments de Jean Freinshemius sur Quinte Curce, Paris, Augustin Courbé, 1653, préface non paginée ; les citations provenant de cette préface ne donneront donc pas lieu à note. Courbé est alors le libraire (l’éditeur) des écrivains les plus en vue. Les Suppléments de Johann Freinsheim remplacent les deux premiers livres disparus de Quinte-Curce. Johann Freinsheim (1608-1660), philologue né à Ulm et professeur à Uppsala, est également l’auteur de suppléments à Tite-Live traduits et incorporés par Du Ryer à sa grande traduction des Décades de Tite-Live, qui paraît la même année 1653 chez un autre imprimeur-libraire important, Antoine de Sommaville. 2. Histoire d’Alexandre le Grand, par Quinte-Curce, de la traduction de Vaugelas, Avec les Suppléments de Freinshemius nouvellement traduits par M. l’abbé Dinouart, et le Latin à côté, Paris, Joseph Barbou, 1760, t. 1, « Avertissement sur cette traduction », n. p. Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 343-361 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115404

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Nous verrons plus loin ce que signifie pour l’abbé Dinouart donner la traduction de Vaugelas ou, comme il l’écrit dans ce même avertissement, le « faire reparaître sur la scène ». En 1653, Vaugelas est mort depuis trois ans. En 1647, la parution de ses Remarques sur la langue françoise : utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire avait déjà fait événement. Célébrées, discutées, elles seront de multiples fois rééditées, comme le Quinte-Curce. Les deux livres sont étroitement liés l’un à l’autre. La publication du second, à laquelle ont pris part beaucoup de gens qui jouaient un rôle majeur dans la politique des lettres de leur temps, a consacré l’autorité revendiquée dans le premier3. Il faut le dire autrement. Claude Favre de Vaugelas (1580-1650) n’est pas simplement l’auteur d’une œuvre de linguiste et de traducteur importante – une œuvre si lentement et si minutieusement élaborée qu’elle est fort courte et en partie posthume4. Il est l’homme qui a donné son nom à l’autorité sur la langue. Monument malléable, constamment retravaillé, perpétuellement restauré, le « Quinte-Curce de Vaugelas » – mots inscrits au dos du livre sur l’exemplaire de l’édition de 1653 conservé à la BnF – a permis à plusieurs générations de littérateurs de faire leur affaire de cette autorité. La préface de 1653, et cette affirmation est elle aussi très souvent reprise, insiste sur les « trente ans » passés par Vaugelas à œuvrer, jamais satisfait du résultat obtenu, à une traduction qui ne devait voir le jour qu’après sa mort. Pour faire enfin « paraître en sa pompe, et avec tous ses avantages » le 3. La célèbre préface des Remarques (Remarques sur la langue françoise : utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire, Paris, Veuve Jean Camusat et Pierre le Petit, 1647), donne à cette autorité une figure juridique, celle de la doctrine : « Ce ne sont point ici des Lois que je fais pour notre langue de mon autorité privée ; […] à quel titre & de quel front prétendre un pouvoir qui n’appartient qu’à l’Usage, que chacun reconnaît pour le Maître & le Souverain des langues vivantes ? […] Mon dessein n’est pas de réformer notre langue, ni d’abolir des mots, ni d’en faire, mais seulement de montrer le bon usage de ceux qui sont faits, & s’il est douteux ou inconnu, de l’éclaircir, & de le faire connaître. Et tant s’en faut que j’entreprenne de me constituer Juge des différends de la langue, que je ne prétends passer que pour un simple témoin, qui dépose ce qu’il a vu & ouï, ou pour un homme qui aurait fait un Recueil d’Arrêts qu’il donnerait au public. C’est pourquoi ce petit Ouvrage a pris le nom de Remarques […]. Car encore que ce soient en effet des Lois d’un Souverain, qui est l’Usage, si est-ce [que …] j’ai dû éloigner de moi tout soupçon de vouloir établir ce que je ne fais que rapporter. » 4. On ne connaît qu’un autre livre publié de Vaugelas : une traduction de jeunesse, dont il ne subsiste que très peu d’exemplaires, des Discursos para todos los Evangelios de la Quaresma de Cristóbalde Fonseca (Madrid, 1614), intitulée Les Sermons de Fonseque sur tous les Evangiles du Caresme […] Traduits de l’Espagnol en François par C. F. D. V, Paris, 1615 ; voir W. AyresBennett, Vaugelas and the Development of the French Language, Londres, 1987, en part. p. 139-178.



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« célèbre Quinte-Curce » sur le plus grand des théâtres, il fallait un homme capable de faire la synthèse de trois décennies d’expérience de la mise en français de l’histoire. Vaugelas, continue Du Ryer, aurait commencé son travail du vivant et dans l’amitié de Nicolas Coeffeteau, le grand traducteur de Florus (1615). Ce bon modèle un peu ancien est regardé désormais avec distance : son style diffus aurait imprégné celui de Vaugelas d’une certaine mollesse5. Heureusement, la lecture des premières traductions publiées par Perrot d’Ablancourt l’aurait incité à reprendre et à améliorer la sienne, sur le modèle, plus particulièrement, de « l’Arrian de Monsieur d’Ablancourt, qui pour le style historique n’a personne, à mon avis, qui le surpasse, tant il est clair et débarrassé, élégant et court », aurait-il écrit lui-même. Les guerres d’Alexandre par Arrian, aujourd’hui appelé Arrien, avaient paru en 1646, dédiées au duc d’Enghien, le futur Grand Condé, tout auréolé de la gloire de ses premières victoires6. Du Ryer fait ainsi de l’évocation du long travail de Vaugelas l’occasion de dramatiser le passage d’une génération de traducteurs à une autre. Le style de Coeffeteau, mort en 1623, était réputé, et il est du reste loué à de nombreuses reprises dans les Remarques sur la langue françoise7. Ses ouvrages étaient toujours très lus vers le milieu du xviie siècle ; ils seront encore réédités pendant des décennies. Sous la plume de Du Ryer, Vaugelas possède un tel sens de la langue qu’il reconnaît immédiatement, dès que paraît Perrot d’Ablancourt, qu’une meilleure manière de traduire s’est imposée. Rien d’étonnant, dès lors, à ce qu’il ait laissé à sa mort un manuscrit, ou plus exactement trois manuscrits surchargés de leçons diverses, témoignage visible de son perfectionnisme et particulièrement de l’effort entrepris pour « réformer » son Quinte-Curce 5. Histoire romaine de Lucius Annaeus Florus, mise en nostre langue par F. Nicolas Coeffeteau (Paris, Sébastien Cramoisy). En 1621, avait paru un ouvrage joignant à l’abrégé de Florus une version plus développée de l’histoire de Rome : Histoire romaine, contenant tout ce qui est arrivé de plus mémorable depuis le commencement de l’Empire d’Auguste, avec l’Epitomé de Florus (Paris, Sébastien Cramoisy). 6. Les Guerres d’Alexandre par Arrian. De la Traduction de Nicolas Perrot, Sieur d’Ablancourt, Paris, Veuve Jean Camusat et Pierre Le Petit. Nicolas Perrot d’Ablancourt (1606-1664) était en effet le traducteur le plus réputé de son temps ; voir R. Zuber, Les « Belles Infidèles » et la formation du goût classique, Paris, 1995 (1ère édition 1968). 7. Voir W. Ayres-Bennett, Vaugelas and the Development, op. cit. Wendy Ayres-Bennett, qui a travaillé sur un manuscrit autographe des Remarques qui est conservé à Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, et qu’elle date de la fin des années 1630 – elle y voit le texte des observations sur la langue présentées par Vaugelas à l’Académie française en 1637 – signale que Coeffeteau est encore mieux traité dans cette première version de l’ouvrage majeur de Vaugelas que dans la version publiée en 1647.

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sur le « modèle » de l’Arrien de Perrot d’Ablancourt. Il aurait même écrit le jugement cité plus haut et sa volonté de prendre Perrot pour « modèle » sur l’un de ces manuscrits. Deux autres noms font alors leur apparition dans le récit : ceux, fort connus, de Valentin Conrart (1603-1675), le premier secrétaire de l’Académie française, et de son compère Jean Chapelain (1595-1674). La présence dans le livre de ces acteurs centraux de la vie littéraire depuis le temps de Richelieu valait garantie d’excellence. Héritiers des « copies » de Vaugelas, Chapelain et Conrart auraient donc eu à faire le bon choix entre des versions différentes, plus ou moins proches de la perfection, de sa traduction ; et leur choix est forcément le bon. Ce récit donne une histoire et un sens à ce qui ne peut apparaître aujourd’hui que comme des emprunts directs du Quinte-Curce de 1653 aux Guerres d’Alexandre de Perrot d’Ablancourt8. Il nourrit aussi l’autorité de Vaugelas de celle, considérable, de Chapelain et Conrart, et réciproquement. Dû à un traducteur qui en consacre ici deux autres (Vaugelas et Perrot d’Ablancourt), il donne à admirer un monument de la traduction française : une matérialisation de son histoire, une création collective. Voilà pour la « pompe », les « avantages » et le « Théâtre ». Ce récit soigneusement conçu pour dresser cette scène, et suffisamment ouvert, on le verra, pour permettre l’entrée d’un nouvel acteur en 1659, est encore aujourd’hui lu comme s’il donnait des informations sur le travail de Vaugelas et de ses amis9. * Mais que signifiait faire « paraître » le « célèbre Quinte-Curce » sur ce théâtre ? En choisissant de traduire les Historiae de Quinte-Curce, Vaugelas n’avait pas choisi n’importe quel livre. Quinte-Curce est alors un auteur central dans l’enseignement du latin, connu de tous ceux qui avaient étudié cette langue. Quand Henri Estienne réalise un recueil d’extraits des historiens grecs et romains, il choisit parmi ces derniers Salluste, Tite-Live, Tacite et QuinteCurce. La partie romaine de ce célèbre recueil rassemblant ce qui apparaissait alors comme l’élément essentiel de l’Histoire, les grandes harangues prêtées 8. A. François, « Note sur le Quinte-Curce de Vaugelas » dans Mélanges de philologie offerts à Ferdinand Brunot, Genève, 1972, p. 137-161. 9. E. Bury, « Un laboratoire de la prose française : la difficile élaboration du Quinte-Curce de Vaugelas (1653-1659) », Paragraphes, 9 (1993), p. 189-208. Wendy Ayres-Bennet compare la traduction des sermons de Fonseca au Quinte-Curce pour mesurer cet éloignement du modèle de Coeffeteau que décrit Du Ryer.



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à ses grands acteurs, est rééditée et imprimée à plusieurs reprises entre 1640 et 165310. Ce que Quinte-Curce raconte est, en outre, particulièrement adapté à un lectorat noble, guerrier et courtisan, celui dont le parler, selon les Remarques sur la langue françoise, fait le bon usage. L’histoire d’Alexandre le Grand est une histoire de guerre, et l’on considère alors que les histoires de guerre valent d’être lues aussi pour leurs aspects stratégiques et tactiques. Voltaire racontera ainsi que Richelieu, à La Rochelle, avait imité la digue d’Alexandre, et fait triompher Quinte-Curce sur les obstacles que la réalité lui présentait : Pompe Targon ingénieur italien, avait, dans la précédente guerre civile, imaginé de construire une estacade, dans le temps que Louis XIII voulait assiéger cette ville et que la paix fut conclue. Le cardinal de Richelieu suit cette vue ; la mer renverse l’ouvrage : il n’en est pas moins ferme à le faire recommencer. Il commanda une digue dans la mer d’environ quatre mille sept cents pieds de long ; les vents la détruisent. Il ne se rebuta pas, et ayant à la main son QuinteCurce et la description de la digue d’Alexandre devant Tyr, il recommence encore la digue11.

Remplies de harangues et de digressions, les Historiae constituent aussi, aux yeux de tous, une sorte de miroir des princes : une extraordinaire histoire de vie, de grandeur et de décadence. Comme le montrent les index qui accompagnent certaines éditions, on y lit encore un enseignement moral. Le « Quinte-Curce de Vaugelas » (titre là encore porté au dos du livre) de 1659 a lui aussi un index, qui mêle faits (« Tyriotes porte à Darius les nouvelles de la mort de sa femme ») et sentences morales (« Ivrognerie cause de grands désordres. Vice indigne d’un prince »), avec des sous-catégories (« Grands malheurs qui arrivent de prendre trop de vin en compagnie » ou « ordinairement le vin nous fait trop parler »). Quinte-Curce est aussi considéré comme un auteur quasi romanesque. Madame  de Simiane peut écrire ainsi dans le style de sa grand-mère, Madame de Sévigné, en 1732 : Pour vous dire la vérité, je n’ai jamais aimé l’histoire toute sèche ; mais quand elle est ornée de jolis traits, de faits un peu fabuleux, dans le goût par exemple

10. Conciones sive orationes ex graecis latinisque historicis excerptae, [Genève], Henri II Estienne, 1570 ; Conciones et orationes ex historicis latinis excerptae, Amsterdam, Johannes Janssonium, 1649 (éd. Henri Estienne, Joachim Périon et Jobus Veratius). 11. Voltaire, Essay sur l’Histoire générale, et sur les mœurs et l’esprit des nations, depuis Charlemagne jusqu’a nos jours, Genève, 1761-1763, t. 5, p. 43.

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Dinah Ribard & Hélène Fernandez de Quinte-Curce, oh ! alors je la lis avec plaisir… Les livres de morale ou les romans, c’est mon goût12.

Installé à Mardyck, à proximité de Dunkerque, pour assister aux préparatifs du siège de la ville, en 1658, le jeune Louis XIV demande à son « lecteur ordinaire » du moment, selon celui-ci, de lui lire Quinte-Curce « au lieu du beau roman de Clélie, qui faisoit alors les divertissemens spirituels de la Cour13 ». Il ne s’agit pas là d’un témoignage sur un phénomène de réception. Ce lecteur, l’écrivain Hippolyte-Jules Pilet de La Mesnardière (1610-1663), fait du goût du roi pour l’historien latin l’un des éléments clés de son Histoire du siège de Dunckerke en l’année 1658 : nous reviendrons plus loin sur ce récit et sur l’interprétation qu’en donne Marianne Cojannot-Le Blanc, qui l’a fait connaître. Traduire Quinte-Curce au xviie siècle, c’est donc traduire un auteur central à plusieurs titres dans la culture lettrée, et dont les usages sont très divers : un auteur qui plaît à des lecteurs qui ne sont pas des érudits, et qui ne cherchent pas nécessairement la vérité des faits mais plutôt l’agrément de la lecture, mais qui plaît tout aussi bien à d’autres qui y recherchent un exemple de courage guerrier et d’édification morale. C’est enfin, et sans doute principalement, traduire un auteur à la langue réputée particulièrement élégante. Cette fortune des Historiae a pour revers la présence permanente d’un doute sur l’authenticité du texte, relayé sans vraiment être repris par nombre de savants, selon Simon Dosson (1852-1893) qui consacre à cette question une partie de son Étude sur Quinte Curce14. Jean Bodin, dans le Methodus ad facilem historiarum cognitionem, date sèchement l’œuvre de Quinte-Curce de 148015. Nous pourrions citer ici, pour montrer la longue vie de ce doute, les Mélanges d’histoire et de littérature de Vigneul-Marville, parus au tournant 12. Mme de Simiane au marquis de Caumont, 6 février 1732, citée par Alexis François, « Note sur le Quinte-Curce de Vaugelas », art. cit., p. 141. 13. Histoire du siège de Dunckerke en l’année 1658, manuscrit de Paris, BnF, fr. 5828, p. 50, cité par Marianne Cojannot-Le Blanc, « Il avait fort dans le cœur son Alexandre … L’imaginaire du jeune Louis XIV d’après La Mesnardière et la peinture des Reines de Perse par Le Brun », XVIIe siècle, 251/2 (2011), p. 371-395, ici p. 372. Le récit de 1658, envoyé à Mazarin en 1659, est imprimé en 1662 dans le recueil des Relations de guerre (le secours d’Arras, le siège de Valence et celui de Dunkerque), Paris, Antoine Vitré. Marianne Cojannot-Le Blanc rappelle que la première partie de la Clélie de Madeleine de Scudéry avait paru en 1654. 14. S. Dosson, Étude sur Quinte Curce, sa vie et son œuvre, Paris, 1887, p. 1-17. 15. Methodus ad facilem historiarum cognitionem, Paris, Martinum Juvenem, 1566, p. 462 (et non p. 452, comme l’écrit Dosson). Bodin classe les Historiae dans la catégorie des « Vies des hommes illustres ».



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du xviiie siècle. Le médecin Gui Patin, grand érudit, est plus proche de la parution du « Quinte-Curce de Vaugelas ». Il écrit à Charles Spon, en 1649 : Pour Quinte-Curce, êtes-vous bien assuré qu’il ait vécu sous Tibère ? Il y en a qui disent sous Auguste, à cela poussés pour sa belle latinité ; d’autres, comme vous, sous Tibère, et d’autres sous Vespasien avec quelque apparence de raison : ut vero in re dubia, varia sunt hominum judiciæ. J’ai eu autrefois un régent qui avoit une étrange opinion de Quinte-Curce : il disoit que c’étoit un roman ; que le latin en étoit beau, mais qu’il y avoit de grandes fautes de géographie. Il y en a une énorme, entre autres, dans le septième livre, lorsqu’il parle de ces Scythes qui vinrent prier Alexandre le Grand de ne point passer le Tanaïs pour entrer dans leur pays. Ce fleuve s’appelle Jaxartes, et non point le Tanaïs, qui vient de la Moscovie, se jette dans le Palus Meotis, et sert à faire la séparation de l’Europe avec l’Asie en séparant la Scythie européenne d’avec l’asiatique. Et pour vous montrer que cela est vrai, Alexandre le Grand n’ayant pas trouvé son compte après avoir passé cette rivière, il revint incontinent in regionem Sacarum, et de là entra dans les Indes orientales ; et tout cela est très éloigné du vrai Tanaïs. Ce même maître nous disoit que l’auteur de ce livre étoit un savant italien, qui fit ce livre il y a environ trois cents ans. Preuve de cela que nul ancien n’avoit cité Quinte-Curce ; qu’il étoit là-dedans parlé des fleuves Indus et Ganges et autres pièces des Indes, qui étoient inconnues à ces anciens qui ont vécu devant Ptolémée, lequel est le premier et le plus ancien auteur qui meminerit Sinarum. Juvénal, qui vivoit tant soit peu devant, a dit : Quid Seres, quid Traces agan ; meminit quoque Plinius Serici Oceani. Seres illi sont les habitants du pays de Cathai, qui est une province très grande de l’Asie majeure dans la Scythie, au-dessus de la Chine, en tirant vers le pôle. Sed nemo meminit Sinensium vel Sinarum ante tempora Ptolemei, etc. Mais tout cela est une controverse pour laquelle nous n’irons pas sur le pré : imo tuo judicio cadam aut stabo, et n’en croirai que ce qu’il vous plaira. Le jésuite Raderus, qui a commenté Quinte-Curce, n’oseroit définir en quel temps il vivoit ; c’est une des difficultés dont j’espère de voir et d’apprendre la solution dans l’édition qui se fait en Hollande du beau livre de feu M. Vossius, de historicis latinis, auquel ouvrage, si l’auteur a mis la dernière main, il y aura bien moyen d’apprendre d’autres gentillesses. Et c’est assez de QuinteCurce, je reviens à votre lettre16.

Un grand érudit comme Naudé, quant à lui, ne possède pas d’édition de Quinte-Curce17. 16. Paris, 17 septembre 1649 à Charles Spon, retranscrite dans L. Jestaz, Lettres de Guy Patin à Charles Spon, janvier 1649-février 1655, étude et édition critique, Paris, 2006, p. 512-514. 17. Voir E. Bœuf, La bibliothèque parisienne de Gabriel Naudé en 1630 : les lectures d’un « libertin érudit », Genève, 2007.

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Ces différents éléments situent le travail de Vaugelas et l’opération réalisée en 1653. À lire la préface de Du Ryer, on a l’impression d’être en face de la première traduction française ou, du moins, de la première traduction française moderne, celle de Vasque de Lucène (1468) pouvant bien être ignorée par le préfacier. Plusieurs traductions ont en fait paru au xviie siècle, chacune chassant la précédente. La première est due à Nicolas Séguier, qui signe « N. Seguier Parisien ». Mais c’est à Genève qu’elle est d’abord imprimée, en 1598. Nicolas Séguier est en effet originaire de Paris, ou plutôt sans doute de la Brie, mais il a émigré en Suisse où il est devenu pasteur. La traduction de Quinte-Curce n’est pas son seul livre : il a aussi publié un recueil d’homélies18. Dans une longue épître dédicatoire au roi Henri IV, datée de Lausanne, le traducteur justifie sa publication d’une version française de Quinte-Curce par l’idée d’un miroir des princes : Sire, d’autant que les hommes desirent tousjours de avoir quelque patron, sur lequel ils puissent reigler leur vie, quoi que Dieu leur ait donné une reigle assés claire pour leur servir de miroir : voilà pourquoi les historiens & saincts & profanes ont descrit la vie & les mœurs des illustres persones qui ont vescu au monde, pour servir come de modelle & de tableau à la posterité, afin que par les actes vertueux & valeureux qu’ils ont executé[s], leurs semblables fussent incités à la vertu & peussent apprendre comment ils se doivent comporter, tant es affaires de la guerre que de la police. Et selon que les functions & charges des hommes sont differentes, aussi fournissent-ils des exemples de toutes sortes de personnes, afin que chacun choisisse le patron qui lui est propre & conforme à sa vocation. Les Rois sont proposés aux Rois : ceux qui ont manié les armes, & ceux qui ont gouverné la justice, à ceux qui sont d’un mesme estat, & ainsi consequemment de tous autres. Or entre tous les Rois desquels les histoires profanes font mention, il ne faut point douter qu’Alexandre fils de Philippe Roy de Macedoine (lequel mesme pour ses actes valeureux a esté surnommé le grand) ne merite un des premiers lieux, tant pour le regard de la vertu, de quelle il a esté un tres-excellent patron, jusques au temps que sa trop grande prosperité l’a enfoncé au bourbier des vices, qu’aussi pour sa valeur, par laquelle il a surmonté tous ceux qui ont jamais esté devant lui19.

18. Voir l’article d’Elena Koroleva dans ce même volume. 19. L’Histoire des faicts d’Alexandre le Grand, […] composée par Quinte Curse, et tournée de latin en françois par N. Séguier, [Genève], Guillaume de Laimarie, 1598, Épître dédicatoire non paginée.



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Dans son « Advertissement au lecteur François », Nicolas Séguier explique par ailleurs avoir voulu remplacer une traduction périmée « tournee en vieil Roman François, fort malaisé, voire quasi impossible à entendre » – celle, sans doute, de Vasque de Lucène – et ainsi donner accès au texte à ses contemporains : Et combien que cet amour que je porte à ceux de ma nation m’ait donné quelque aiguillon, si est-ce qu’il y a eu une autre occasion particuliere laquelle l’a merveilleusement aiguisee, c’est assavoir l’affection que j’ai porté & porte encores à un gentilhomme d’honneur, François, nommé Louys de Chevri, seigneur de Vimbré en Brie, lequel (outre la valeur qu’il a tousjours monstré es armes en plusieurs guerres & batailles esquelles il s’est trouvé, & pour raison de laquelle en ces dernieres guerres il a esté requis & solicité d’un grand Seigneur de porter le guidon de sa companie de gens d’armes) n’a pas esté moins curieux de la lecture des histoires ; pour conjoindre la theorie avec la pratique, & n’a pas moins abandonné les livres quand il a esté de repos en sa maison, qu’il a fait les armes quand il a esté en la guerre20.

Lire Quinte-Curce n’est donc pas, pour un gentilhomme engagé dans les guerres de son temps, un délassement, mais la continuation de son métier : les guerres d’Alexandre constituent la théorie de la guerre qu’il mène par ailleurs. La traduction de Nicolas Séguier connaît une réimpression, en 1614, à Genève à nouveau, puis une « deuxième édition », parisienne cette fois, en 1622, chez la veuve M. [Mathieu] Guillemot, et Samuel Thiboust. Cette nouvelle édition, qui a obtenu un privilège, se prétend « reveuë, & corrigée, par le mesme Autheur, & enrichie d’observations pour l’intelligence de quelques difficultez, qui sont en l’Histoire, avec une exposition, & declaration des païs desquels il est fait mention en icelle, selon les Geographes anciens, & modernes ; & un ample Indice des matieres y contenuës ». Notons que Nicolas Séguier étant mort dès 1599, il est peu probable qu’il ait lui-même corrigé sa traduction. Mais le texte est bien suivi, comme en 1598 et 1614, d’un index et aussi de longues annotations historiques. En 1629, paraît une nouvelle traduction, due à Nicolas de Soulfour. Prêtre, celui-ci a été l’un des introducteurs de l’Oratoire en France. Il a publié de son vivant d’autres traductions, du latin, de l’italien et de l’espagnol, toutes de textes religieux, notamment les Œuvres spirituelles de Louis de Grenade, une 20. Ibidem, Advertissement au lecteur François, n. p. Denis Richet repère une famille Séguier en Brie au xvie siècle ; un Jonas Séguier, écuyer, sieur de la Charmoyen, homme d’armes de la compagnie de la Reine, passe contrat à Paris en 1608 (D. Richet, De la Réforme à la Révolution. Études sur la France moderne, Paris, 1991, p. 163).

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Vie de saint Charles Borromée, le Directoire des confesseurs de J. Polane21… Nicolas de Soulfour meurt en 1624, et sa traduction ne paraît pas avant 1629 – ce que curieusement rien n’indique dans le livre lui-même. Elle ne comprend pas seulement le texte de Quinte Curce, mais aussi – pour en combler les lacunes – des compléments « imités » de Justin, Arrien et Diodore de Sicile. Intitulé L’Alexandre françois, image de la fortune et de la vaillance à la noblesse françoise. Ou l’histoire du Quintus Curtius, des faits d’Alexandre le Grand, ce livre vise ainsi explicitement le même public que la précédente traduction : celui des nobles d’épée. Il est dédié à Louis XIII, ainsi qu’à Claude de SaintSimon, premier gentilhomme de la Chambre du roi et premier écuyer. À ces dédicaces succède un avis au lecteur, où le traducteur commence – de façon curieuse pour une édition posthume, et même largement posthume – par exprimer ses regrets pour les imperfections de l’impression, dont une partie a, écrit-il, été réalisée en son absence. Il en vient ensuite à la justification de son entreprise ; il ne s’agit plus ici de remplacer une traduction périmée, mais, déjà, de « mettre Alexandre au jour » : D’autres que moy ont mis la main à cette entreprise ; je loüe leur travail autant qu’il merite & que je doy ; si je cours sur leurs pas ils n’en perdront pas leur loüange : Mais ce qui en reüssira sera qu’on cognoistra par ces differens essais qu’une mesme conception se peut produire en differentes guises, & qu’en ce jeu de lire, les gousts des hommes estant quelquefois differents, chacun prendra de nos escrits celui qui sera plus à son humeur. Pour moy, je n’ay mis Alexandre au jour que pour contenter mes amis & mon humeur, & tascher de complaire aux gens d’honneur & aux esprits vertueux22.

La suite de la préface revendique l’emploi d’une langue qui n’est pas celle de la cour et qui ne cède pas à la mode. Quelques années plus tard, en 1639, paraît à nouveau une traduction de Quinte-Curce, due cette fois à Bernard de Lesfargues23. Tallemant des Réaux a consacré à celui-ci quelques pages assassines, où il est décrit comme un avocat toulousain ridicule de prétention et de vanité24. Le libraire-imprimeur 21. V. Mellinghoff-Bourgerie, François de Sales. Un homme de lettres spirituelles, Genève, 1999, p. 467. 22. L’Alexandre françois, image de la fortune et de la vaillance : à la noblesse françoise. Ou l’histoire du Quintus Curtius, des faits d’Alexandre le Grand, Paris, Antoine de Sommaville, 1629, Advis en forme de préface n. p. 23. Histoire d’Alexandre le Grand, tirée de Q. Curse et autres, Paris, Jean Camusat, 1639, préface n. p. 24. Tallemant des Réaux, Historiettes, éd. A. Adam, Paris, t. 2, 1961, p. 566-567 : « Pour son malheur, il s’imagina qu’il était éloquent, et s’étant mis à traduire Q. Curce, il fut si charmé



Le « Quinte-Curce de Vaugelas » 353

Camusat apparaît dans l’historiette consacrée à Lesfargues comme un incompétent qui croyait avoir trouvé un concurrent à Pierre Du Ryer… Pourtant, outre le concours de Camusat, qui était le libraire de l’Académie française à ce moment-là, Lesfargues avait su s’attirer le soutien de Nicolas Bourbon, professeur de grec au collège royal, auteur d’un poème de louange qui apparaît en tête du livre. En outre, l’exemplaire de la Bibliothèque nationale de France est relié aux armes de la puissante famille de Mesmes d’Avaux. Lesfargues présente d’abord son livre comme une sorte d’exercice de rhétorique et d’écriture : Lorsque j’entrepris cette longue & fascheuse traduction, je n’avois point d’autre pensée que de former un style, & de me conduire sur l’alignement d’autruy, à la connaissance des preceptes de cet Art, qui apprend à renger avec ordre & avec grace quelques periodes, & en tirer un sens concluant & raisonnable. Mais parce que je ne treuvois pas chez moy de quoy fournir pour le dessein, ny pour la matiere, à la composition d’un ouvrage qui demandast plus de loisir & d’invention que je n’en pouvois exiger de l’impatience de mon humeur, & de la foiblesse de mon genie ; je m’avisay en cette disette de fonds & d’esprit, de polir mon langage, par le Commerce que j’aurois avec ces premiers maistres de l’eloquence, & de me rendre intelligible en l’expression des pensees estrangeres. Je choisis donc entre tous les Escrivains de l’antiquité, qui ont porté jusqu’à nous leur nom & leur reputation, autant par le choix des mots & des pensées, que par le merite de leur sujet, Quinte Curse, qui ne peut estre dignement loüé que par ceux qui connoissent les dernieres graces de l’éloquence ; et qui goustent avec une sçavante delicatesse, l’excellence des choses qu’il debite quelquefois en foule, & qu’il estale souvent avec pompe et avec majesté.

Pourtant, il avoue rapidement s’être écarté du texte et avoir fait « quelques pas sans estre tenu par la main ». Mettant en avant son expérience d’avocat et donc de rhéteur, il avoue être intervenu pour « ajouter quelque chose du sien » dans les harangues, qu’il « [croit] avoir esté plustost preparées dans le Cabinet, que recitées parmy le tumulte des armes & le desordre d’une bataille ». Il s’agit donc là d’une appropriation plus que d’une traduction. Mais une fois encore, la distance historique qui pourrait exister entre un auteur latin de son style, qu’il crut qu’il n’y avait que Paris digne de lui. À son arrivée, il s’adresse à feu Camusat, libraire de l’Académie. Camusat était bon libraire, et tandis qu’il suivit le conseil de Chapelain et de Conrart, il n’imprima guère de méchantes choses ; mais sur la fin il s’imagina être assez habile pour faire les choses de sa tête, de sorte qu’il se mit à imprimer l’Alexandre français (c’était le titre que Lesfargues avait donné à son Q. Curce), sans en demander avis. »

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contant l’histoire d’Alexandre le Grand, et les traducteurs et lecteurs du xviie siècle s’est abolie : de même que Louis de Chevri ou Richelieu peuvent lire Quinte-Curce comme un manuel du guerrier, un avocat peut lui apporter son expérience de la rhétorique. Et on le voit : Quinte-Curce en français, au xviie siècle, est la chose de tous – des protestants, des catholiques dévots, de tous ceux qui cherchent à briller. Un tel objectif n’implique pas toujours de se nommer, en un temps où une publication peut toujours s’adresser d’abord à un petit groupe de connaisseurs. Quelques années après celle de Bernard Lesfargues, de fait, paraît une quatrième nouvelle traduction, mais cette fois de façon anonyme. L’histoire d’Alexandre le Grand, escrite par Q. Curse chevalier romain. Traduction nouvelle dédiée à M. le premier president, est publiée en 1646 par un autre libraireimprimeur parisien important, Toussaint Quinet, qui désigne dans sa préface le traducteur comme « l’un des meilleurs auteurs de ce siecle ». Nous n’en saurons pas plus ; cette traduction ne dut pas avoir beaucoup de succès, car elle ne figure même pas dans les collections de la Bibliothèque nationale de France25. Avec Vaugelas, voici en effet « le célèbre Quinte-Curce, qui vient paraître en sa pompe […] sur le Théâtre de la France »… * La préface de Du Ryer ne manipule pas le temps qu’en parlant de Coeffeteau. Vaugelas est mort, dit-elle, en laissant des manuscrits dans lesquels la traduction était achevée, mais sur lesquels il y avait encore beaucoup de travail à faire. Ce travail, celui de Chapelain, Conrart et Du Ryer, a pris trois ans, 1650-1653. C’est cela aussi qui est montré : c’est cela qui s’est fait, que ces littérateurs ont fait pendant ces années de guerre civile, pendant ces années de la Fronde. Dans le temps de l’événement, on a travaillé à la perfection de la langue française, en travaillant à l’histoire. On, c’est-à-dire notamment l’Académie française, à laquelle le « Quinte-Curce de Vaugelas » est dédié par Courbé, et dont Vaugelas, d’après l’importante Relation contenant l’histoire de 25. On en trouve un exemplaire à la Bibliothèque municipale de Lyon. Une réimpression rouennaise datée de 1650 ( Jean Berthelin), dépourvue de l’épître dédicatoire au président Molé (premier président du parlement de Paris, acteur important de la Fronde alors en cours, garde des sceaux en 1651), et qui fait passer en tête un « Avis au Lecteur » consacré à la traduction des noms propres placée à la fin de l’ouvrage en 1646, est lisible sur Google Books.



Le « Quinte-Curce de Vaugelas » 355

l’Académie française de Paul Pellisson publiée la même année 1653 par le même Augustin Courbé (et Pierre Le Petit), était un membre éminent. Alors qu’en réalité l’Académie avait été pendant la Fronde matière à pamphlets, et que bon nombre de ses auteurs avaient bel et bien participé à la « Fronde des mots », on ne voit en ouvrant le Quinte-Curce de Vaugelas qu’un collectif uni qui a poursuivi pendant le temps des troubles un travail entamé longtemps auparavant, en assurant le passage de Coeffeteau à Perrot d’Ablancourt26. Cette histoire qui n’est pas récente d’un labeur entrepris au temps de Richelieu pour perfectionner la langue et produire des livres parfaits se présente, en quelque sorte, face à l’Histoire par excellence : l’histoire qui dispense à tous sa leçon, à laquelle on peut toujours rapporter l’événement et qui, ici, fait disparaître l’événement. En voyant cela, on voit pourquoi il est difficile de penser que l’histoire de la traduction en France pourrait avoir quelque rapport que ce soit avec la Fronde – avec l’événement politique. Revenons pourtant un instant sur la production des deux autres traducteurs présents dans le Quinte-Curce de 1653, Du Ryer et Perrot d’Ablancourt. Pendant la Fronde, de fait, Du Ryer, académicien lui aussi, a travaillé. Il a fait paraître la Vie de saint Martin par Sulpice Sévère (1650), et a sans doute préparé la traduction de Polybe (Les Histoires, avec les fragments ou extraits du même auteur contenant la plupart des ambassades, 1655) et celle de Tite-Live, dont nous avons déjà dit qu’elle paraît en 1653. Du Ryer est également le traducteur de l’Histoire de la guerre de Flandres du jésuite Famianus (Famiano) Strada, un auteur latin contemporain, mort en 1649. La traduction de la première décade, parue à Rome en 1632, était sortie en 1644, celle de la deuxième décade, qui date de 1647, en 1652. La première décade (rééditée plusieurs fois entre-temps) avait par ailleurs reparu en 1650 (achevé d’imprimer fin 1649) ; c’est donc la traduction du livre complet qui est publiée pendant la Fronde, à Paris, là encore chez Augustin Courbé27. Dans l’avis au lecteur, c’est Strada qui parle, pour remercier le public qui a désiré son ouvrage, pour expliquer que les Pays-Bas ont beaucoup changé depuis le temps dont il parle, à la fois géographiquement et politiquement – la guerre est permanente dans cette région – et pour se justifier de comparer parfois les vertus de son temps présent aux vertus antiques. Il écrit penser comme Tacite, qui dit qu’il procède à une telle comparaison « toutes les fois que la chose & le lieu demanderont des exemples de vertu, 26. Ch. Jouhaud, Mazarinades. La Fronde des mots, Paris, 2009 (1ère édition, 1985). 27. Voir E. Bury, « Note sur Pierre Du Ryer traducteur », Littératures classiques, 42 (2001), p. 59-65.

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& des consolations du mal ». Du Ryer produit cette évidence sur l’Histoire dans une conjoncture de publications très nombreuses, multiples, et toutes politiques : la conjoncture des mazarinades. Sa traduction de Strada, quant à elle, n’est pas un pamphlet, mais elle vient s’ajouter à ces publications, ajouter l’Histoire à ces publications, montrer sa nécessité. Perrot d’Ablancourt s’est particulièrement consacré à la traduction des historiens au cours de sa longue carrière. En 1640, il avait traduit les Annales de Tacite, en les dédiant à Richelieu. Courbé, avec ses partenaires la veuve Camusat et Pierre Le Petit, réédite en 1650 cette traduction, toujours précédée de l’épître dédicatoire à Richelieu de la première édition28 : Bien que ce ne soit pas une honte de devoir à une personne à qui toute la France est redevable ; Votre Eminence me permettra bien que pour m’acquitter des obligations que je lui ai, & satisfaire en quelque sorte à l’honneur qu’elle m’a fait, de me donner place dans son Académie ; je lui présente ce Livre, & la paie du bien d’autrui, puisque je ne trouve pas chez moi de quoi la payer. Tacite est si grand & si admirable, qu’encore que je lui aie ôté une partie de ses grâces, & presque toute sa force, il ne laisse pas en l’état qu’il est de conserver de la Majesté & de la Grandeur. […] Il est depuis quinze cents ans l’Oracle de la Politique ; On l’a traduit en toute langue ; Il est en estime chez tous les Peuples. On a fait des sentences de toutes ses lignes, des mystères de toutes ses paroles. […] C’est lui qui a engendré toute la Politique d’Espagne & d’Italie ; C’est dans ses doctes Ecrits qu’on s’est instruit en l’art de régner ; C’est lui que les Princes de la Maison d’Autriche consultent encore tous les jours dans la nécessité de leurs affaires. Mais MONSEIGNEUR, j’aurais mauvaise grâce de faire l’éloge de mon Auteur, & de me taire de vos louanges. C’est votre Eminence qui a su mettre en usage ces grandes maximes, & qui laissant à nos ennemis les moins généreuses, a réuni sous l’Empire de Louis le Juste la magnificence de François Premier & la Politique de Louis Onzième, sans avoir les défauts de l’un ni de l’autre. Casal, Nancy, la Rochelle, sont les preuves éternelles de ces vérités ; […]  toute la Maison d’Autriche ébranlée dans ses Etats ; ses Provinces désolées, ses Villes désertes, ses Peuples vaincus ou affamé, apprendront à toute la Postérité ce qu’ont pu votre Esprit & votre courage. Mais MONSEIGNEUR, je n’ai pas entrepris de faire votre Panégyrique dans une Lettre ; Comment pourrais-je renfermer dans un si petit espace, tant de Royaumes, de Nations, & de Cités ? C’est un champ trop vaste que votre Gloire. Je ne dispute point ce prix Avec tant de rares Esprits [en marge : Chapelain], 28. Les Annales de Tacite, Paris, Veuve Jean Camusat, Antoine de Sommaville et Augustin Courbé, 1640.



Le « Quinte-Curce de Vaugelas » 357 Qui t’ont choisi pour but de leurs savantes veilles ; Et de tes actions contemplant la hauteur, De peur d’en profaner les Augustes merveilles, Je veux dans le silence en être Adorateur. DE VOTRE EMINENCE29.

Comment pouvait-on lire cela en 1650 ? Regardons encore autre chose. Les Commentaires de César publiés par Perrot d’Ablancourt en 1650 (Paris, Veuve Jean Camusat et Pierre Le Petit), achevés d’imprimer en novembre 1649, la précision n’est pas sans importance, sont dédiés à Condé. Le jeune prince est comparé au seul égal de César, Alexandre, dont l’histoire est très longuement racontée dans cette épître d’après Plutarque. « C’est le désir d’égaler ses grands exploits [ceux d’Alexandre] qui l’a porté […] à se saisir de l’Empire qui ne pouvait plus demeurer sans Conducteur, non plus qu’un navire sans Pilote. Les guerres civiles qui l’ont précédé, et celles qui l’ont suivi, ont assez justifié son entreprise. Car en quel état était alors la République, sous la domination d’autant de Rois qu’il y avait de Sénateurs, qui tyrannisaient les Peuples, saccageaient les Provinces et troublaient tout le monde pour assouvir leur ambition et leur convoitise ? », dit d’emblée Perrot d’Ablancourt (épître non paginée), avant d’en venir au fait, après plus de quinze pages d’éloge de Jules César : « non seulement vous n’avez jamais été l’auteur d’aucune faction dans l’Etat, mais […] vous avez relâché même de vos intérêts quand il en a été besoin, pour ne pas émouvoir de guerre civile. Poursuivez, GRAND PRINCE, dans cette carrière, et ajoutez à la gloire de vos Conquêtes, celle de terminer tous nos différends, et de rétablir l’autorité Royale au point où elle doit être. » Fin 1649, le prince de Condé est en train de passer de la position d’appui militaire du gouvernement de Mazarin contre la Fronde à celle de chef factieux. La traduction de Perrot d’Ablancourt est tout sauf déconnectée de l’histoire en train de se faire. En 1651, paraissait d’ailleurs, à l’Imprimerie royale, une autre traduction de Jules César : une traduction de César par Louis XIV, alors âgé de treize ans (La Guerre des Suisses, traduite du premier Livre des Commentaires de Jules César, par Louis XIV, Dieudonné, Roi de France & de Navarre). Il s’agit d’un beau livre de dix-huit pages in-folio, illustré de planches gravées (par Abraham Bosse, Pérelle, Richer et Cochin) et agrémenté en marge de réflexions politiques et morales. On peut dire ainsi que c’est la traduction 29. Les Annales de Tacite, nouvelle édition, Paris, Veuve Jean Camusat et Pierre Le Petit, Augustin Courbé, 1650-1651, épître dédicatoire n. p.

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tout entière, comme activité, qui a participé à l’événement dans ce temps de la Fronde que le Quinte-Curce de 1653 affirme silencieusement occupé par les traducteurs et leurs amis à la perfection de la langue française : le geste de dépolitisation n’est pas moins politique que les publications de circonstance dont il prend la suite. De la vie et des actions d’Alexandre le Grand est rééditée en 1655, puis en 1659. Cette troisième édition (Avec les Suppléments de Jean Freinshemius sur Quinte Curce, Traduits par feu Monsieur Du Ryer, mort entre-temps) est dite Sur une nouvelle Copie de l’Auteur, qui a été trouvée depuis la première, & la seconde impression. La préface, pour l’essentiel reprise de 1653, fait apparaître un nouveau personnage : Le Lecteur sera averti que depuis la première, & la seconde impression faites, on a recouvré une dernière Copie beaucoup plus nette, & qui était celle à laquelle l’Auteur voulait s’arrêter. Et parce qu’en quelques endroits il ne s’était pas encore déterminé, cette dernière Copie a été revue par Monsieur Patru, avec tant de soin & de zèle pour la gloire de son Ami, que ce n’est pas un petit bonheur que cet Ouvrage pour la dernière fois soit tombé en de si bonnes mains. Tout le monde sait la haute estime que Monsieur de Vaugelas avait pour cet excellent Homme ; il n’en faut point d’autre preuve, que le témoignage public qu’il en a donné dans cette Préface admirable, qu’on voit à la tête de ses belles Remarques. Au reste ceci n’est point dit pour faire valoir Monsieur Patru, dont le mérite est assez connu de toute la France, mais seulement, afin qu’on sache que cette Traduction est dans un état, où l’Auteur lui-même l’aurait souhaitée30.

Un nouveau manuscrit est donc apparu, près de dix ans après la mort de Vaugelas. Il devait en être de même avec les Remarques sur la langue françoise : en 1690, un avocat de Grenoble, Louis-Augustin Allemand, devait publier, sous le titre de Nouvelles Remarques de M. de Vaugelas sur la langue françoise, un manuscrit inédit que lui avait confié l’abbé de La Chambre31. S’agissant 30. Quinte Curce, De la Vie et des Actions d’Alexandre le Grand. De la Traduction de Monsieur de Vaugelas. Troisième Edition, Sur une nouvelle Copie de l’Auteur, qui a été trouvée depuis la première, & la seconde impression. Avec les Suppléments de Jean Freinshemius sur Quinte Curce, Traduits par feu Monsieur Du Ryer, Paris, Augustin Courbé, 1659, préface n. p. 31. Voir W. Ayres-Bennett et M. Seijido, Remarques et observations sur la langue française. Histoire et évolution d’un genre, Paris, 2011, p. 28-30. On trouvera dans ce livre, ainsi que dans celui de 1987 de Wendy Ayres-Bennett, les éléments biographiques les plus utiles sur Vaugelas. Ce fils d’un jurisconsulte important (le président Favre) est né en Bresse, alors située dans les États de Savoie. Tôt venu à la cour de France pour être domestique de Gaston d’Orléans, il est mort gouverneur de petits princes (les fils respectivement bègue et sourd-muet du prince Thomas de Carignan). Il possédait à sa mort, explique Pellisson, les manuscrits de travail pour



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du Quinte-Curce, Olivier Patru, avocat réputé pour son style, grand ami de Perrot d’Ablancourt – et auteur pendant la Fronde d’une mazarinade pour Gondi, le futur cardinal de Retz, qui ne sera pas reprise dans le recueil de ses Plaidoyers et autres œuvres, en 167032 – a permis au chef-d’œuvre de Vaugelas, dit la préface, d’être encore davantage l’œuvre que son auteur voulait. Cette troisième édition, plusieurs fois comparée systématiquement à celle de 1653, est en réalité extrêmement différente de celle-ci33. Alexis François a noté qu’elle est encore davantage émaillée d’emprunts à l’Arrien de Perrot d’Ablancourt que la première34. Ce n’est pas cette troisième édition que Louis XIV pouvait lire à Mardyck, s’il ne fait pas de doute que c’est la traduction de Vaugelas (dans l’édition de 1653 ou dans celle de 1655) que le récit de La Mesnardière lui fait préférer à la Clélie. Marianne Cojannot-Le Blanc a vu dans ce qu’elle appelle le « témoignage » de La Mesnardière une preuve de l’intérêt véritable, intime, de Louis XIV pour l’histoire d’Alexandre le Grand à laquelle le chef-d’œuvre de Vaugelas, lu à haute voix par son « lecteur ordinaire » lui donnait accès et dont il devait commander à Le Brun, en 1661, une représentation figurée – un tableau – consacrée à un épisode particulier, celui de la conduite d’Alexandre avec la mère, la femme et les filles de Darius vaincu. Il nous semble que ce passage de la relation du siège de Dunkerque par La Mesnardière, qui n’est certainement pas un témoignage, doit plutôt être vu comme une contribution à l’œuvre politique collective – tant d’écrivains y prirent part – de la représentation du rapport entre l’histoire en train de se faire et l’Histoire mise en français par les auteurs du pouvoir35. C’est en écrivant ce rapport, est-il donné à comprendre, que la langue française le futur dictionnaire de l’Académie française, dont il avait été le principal ouvrier durant sa vie ; il fallut arracher ces manuscrits à ses créanciers. 32. Plaidoyers et autres œuvres d’Olivier Patru, Conseiller du Roi en ses Conseils, & Avocat de la Cour de Parlement, Paris, Sébastien Mabre-Cramoisy, 1670. La mazarinade de Patru est une réponse à un autre écrivain, Sarrasin, qui avait écrit une virulente critique de Retz sous le nom d’une « marguillier » : Réponse du Curé à la Lettre du Marguillier, sur la conduite de Monseigneur le Coadjuteur, Paris, s. l., 1651. Sur la place de Patru parmi les traducteurs, voir F. Butlen, « Asianisme ou atticisme ? Les Huit Oraisons de Cicéron (1638), traduction manifeste des ‘Belles infidèles’ », Dix-septième siècle, 219/2 (2003), p. 195-216. Fabrice Butlen a consacré sa thèse de l’École des Chartes au Quinte-Curce de Vaugelas : Un grammairien traducteur : Vaugelas et son « Quinte-Curce », thèse pour le diplôme d’archiviste-paléographe, 1999. 33. En particulier par W. Ayres-Bennett, Vaugelas and the Development, op. cit. et par E. Bury, « Un laboratoire de la prose française […] », art. cit. 34. A. François, « Note sur le Quinte-Curce de Vaugelas », art. cit. 35. Sur le témoignage, voir C. Jouhaud, D. Ribard et N. Schapira, Histoire, littérature, témoignage. Écrire les malheurs du temps, Paris, 2009.

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s’est perfectionnée. Dans ce travail tissé d’écrits multiples, le « Quinte-Curce de Vaugelas », l’Alexandre de Vaugelas a joué, on le voit, un rôle crucial. Précisons : on est ici dans la représentation, et ce sont les producteurs de ces représentations, les auteurs, qui agissent. D’un goût aussi bien que d’une volonté d’instrumentalisation de l’histoire ancienne, et de la figure d’Alexandre en particulier, qui auraient été ceux de Louis XIV ou de son entourage, on ne peut rien apprendre. On apprend que des littérateurs ont offert au pouvoir une image efficace de la grandeur d’un roi amateur d’Histoire, et de leur propre utilité36. Le « Quinte-Curce de Vaugelas » est d’ailleurs longtemps resté un objet ouvert à l’appropriation, une autorité transférable à qui pouvait la prendre – une sorte d’enregistrement, peut-être, de l’action politique à laquelle il avait servi. Réédité de très nombreuses fois aux xviie et xviiie siècles encore, il fut aussi l’objet, comme les Remarques l’avaient été quinze ans auparavant, d’un commentaire systématique réalisé par l’Académie française en 1719-172037. Alors que le commentaire sur les Remarques sur la langue françoise avait été publié (en 1704), celui-ci est en revanche demeuré inédit. Entre deux éditions du dictionnaire des académiciens français, il montre l’usage qu’avait le chef-d’œuvre de 1653 soixante ans après sa parution. « On a résolu », est-il écrit dans les Registres de l’Académie, « que l’on entreprendrait l’examen des auteurs : Que l’on commencerait par le Quinte-Curse de Mr de Vaugelas, parce que comme cet auteur a fort bien écrit sur la langue, il a encore aujourd’hui beaucoup d’autorité quoi que beaucoup de ses expressions et de ses tours aient vieilli, et qu’il est très important de faire connaître en quoi il doit ou ne doit pas être suivi38. » L’autorité de Vaugelas et de son Quinte-Curce, en 1719 toujours, est un fait. Elle est un moyen de perpétuer une autre autorité, paisible comme la sienne, en l’exerçant sur le livre, et elle se perpétue elle-même ainsi. En 1760, l’abbé Dinouart le constate encore : 36. Notre analyse se distingue donc également de celle de Chantal Grell et Christian Michel, L’École des princes ou Alexandre disgracié. Essai sur la mythologie monarchique de la France absolutiste, Paris, 1988. Elle s’inspire en revanche des travaux de Louis Marin (en particulier Politiques de la représentation, éd. établie par A. Cantillon, G. Careri, J.-P. Cavaillé. P.-A. Fabre et F. Marin, Paris, 2005) et de Christian Jouhaud (en particulier Les pouvoirs de la littérature. Histoire d’un paradoxe, Paris, 2000). 37. W. Ayres-Bennett et P. Caron, Les Remarques de l’Académie française sur le Quinte-Curce de Vaugelas 1719-1720. Contribution à une histoire de la norme grammaticale & rhétorique en France, Paris, 1996. 38. Ibidem, Registres de l’Académie cités p. 10. « On a joint à cet examen », est-il ajouté, « celui de l’Athalie de Mr Racine, parce que c’est une des plus parfaites tragédies que nous ayons, et que l’examen de cette pièce peut fournir beaucoup de réflexions curieuses et de remarques très utiles pour la langue, pour la rhétorique, et pour la poétique. »



Le « Quinte-Curce de Vaugelas » 361 La Traduction de Vaugelas a toujours été regardée, avec justice, comme un chef-d’œuvre ; […] tout y est digne de Quinte-Curce, & d’Alexandre même. Ce Savant y avait travaillé plus de trente ans. Nous avons cru devoir respecter son travail ; c’est la Traduction que nous donnons, persuadés qu’on ne pouvait en faire une qui lui soit supérieure. Depuis plus de cent ans elle existe seule, & fait encore la gloire de cet illustre Académicien. Que fallait-il pour la faire lire avec plaisir dans un siècle aussi délicat que le nôtre ? Ne point toucher au fonds [sic] des choses ; mais donner un peu plus de précision à son style quelquefois trop diffus : couper des phrases souvent trop longues ; faire disparaître quelques mots hors d’usage ; changer certains tours, certaines expressions, pour rendre le style plus coulant ; corriger quelques méprises, &c. Voilà la seule liberté que nous nous sommes accordée : on retrouve ici Vaugelas ; c’est sa Traduction, & nous sommes convaincus qu’on nous saura gré de le faire reparaître sur la scène, & d’en rendre, par ces changements, la lecture plus intéressante. Nous souhaitons que la conduite que nous avons tenue dans cette Edition, plaise aux gens de Lettres : ils verront que les changements que nous nous sommes permis, sont ceux qu’ils désiraient depuis longtemps ; ils sont même si légers, que nous osons assurer que c’est le même Ouvrage que nous leur présentons. Quant au Supplément, la Traduction que nous donnons, nous appartient. Nous aurions cru rendre un fort mauvais service au Public, que de lui représenter celle de Du Ryer, comme l’ont fait tous les Imprimeurs qui nous ont donné jusqu’à ce jour, des Editions de la Traduction de Quinte-Curce. Personne n’ignore de quelle manière Du Ryer composait ou traduisait : il dédiait ses Ouvrages fami, non famae39. »

Du « Quinte-Curce de Vaugelas », on a pu pendant plus d’un siècle tout changer sans que rien ne change, et le faire sans cesse « reparaître sur la scène ». Dinah Ribard, EHESS, Centre de recherches historiques - Grihl Hélène Fernandez, Grihl

39. Histoire d’Alexandre le Grand, par Quinte-Curce, de la traduction de Vaugelas, Avec les Suppléments de Freinshemius nouvellement traduits par M. l’abbé Dinouart, et le Latin à côté, op. cit., « Avertissement sur cette traduction » n. p. « Composait » s’explique par le fait que Du Ryer était également dramaturge.

La réception du Quinte-Curce de Vaugelas : une unanimité ambiguë L’unanimité des éloges du Quinte-Curce1 de Vaugelas mérite d’être interrogée en ce siècle de querelles et de polémiques qu’est le xviie siècle. Bouhours, fidèle admirateur du grammairien, en vient à écrire : Pour moi, si je ne craignais de scandaliser les doctes, je ne ferai nulle difficulté de préférer l’Alexandre de Vaugelas à celui de Quinte-Curce2.

Comme l’on sait, Vaugelas a travaillé pendant près de trente ans à cette traduction, au point qu’on a conféré à celle-ci autant d’importance qu’aux Remarques sur la langue françoise : utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire parues en 1647. Une première publication eut lieu en 1653 puis, en 1659, parut une seconde version, revue par l’ami de Vaugelas, l’académicien Olivier Patru, version qui connut alors une immense fortune. Ainsi si l’œuvre de grammairien de Claude de Vaugelas a connu de fortes oppositions, notamment celle de La Mothe le Vayer, publiant dès 1647 ses Lettres touchant les Nouvelles Remarques sur la langue françoise adressées à Gabriel Naudé, son travail de traducteur semble avoir, lui, joui d’une unanimité d’éloges. De fait, la traduction de Quinte-Curce aurait pu cumuler les griefs contre la langue et ceux issus de la polémique autour de la poétique de la traduction libre. Or, l’approbation fut totale : s’y retrouvèrent ceux que d’autres querelles avaient séparés, La Mothe le Vayer, les grammairiens Dominique Bouhours et Gilles Ménage et, à Port-Royal, Antoine Arnauld. Ce dernier citait, en effet, le Quinte-Curce de Vaugelas à plusieurs reprises dans ses Règles pour discerner les bonnes et les mauvaises critiques des traductions de l’Écriture sainte, comme l’exemple de la langue la plus aboutie. Bouhours et Ménage développèrent pourtant par la suite un art de la traduction tout autre à l’usage de l’Écriture sainte. Comment, alors que les Remarques ont suscité la polémique, la traduction du Quinte-Curce, dont on peut considérer qu’elle 1. Quinte Curce, De la vie et des actions d’Alexandre le Grand, De la traduction de Monsieur de Vaugelas. Avec les Supplémens de Jean Freinshemius sur Quinte Curce, traduits par Pierre Du Ryer, Paris, Augustin Courbé, 1653. 2. Père Bouhours, Entretiens d’Ariste et d’Eugène, Deuxième Entretien, [1671], Paris, Veuve Delaulne, 1734, p. 149. Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 363-375 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115405

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en est le versant pratique, a-t-elle réussi à emporter l’adhésion ? C’est le point que nous voudrions élucider.

Le Quinte-Curce : une poétique de la traduction, La Mothe le Vayer et Perrot d’Ablancourt Le premier admirateur du Quinte-Curce se révèle être, ainsi, celui qui s’était opposé à la réforme de la langue par le grammairien et s’était senti la cible des Remarques de la langue françoise. Il faut dire que c’était bien le cas dans la préface des Remarques et que La Mothe le Vayer ne s’y était pas trompé : Je sais bien qu’elle [la décision concernant un doute ou une difficulté soit pour les mots, ou pour les phrases, ou pour la syntaxe] ne se trouvera pas toujours conforme au sentiment de quelques particuliers, mais il est juste qu’ils subissent la loi générale, s’ils ne veulent subir la censure générale, et pécher contre le premier principe des langues, qui est de suivre l’Usage, et non son propre sens, qui doit toujours être suspect à chaque particulier en toutes choses, quand il est contraire au sentiment universel3.

En effet, La Mothe le Vayer refusait cette main mise de l’auteur des Remarques sur la langue et la contrainte toute-puissante de l’Usage imposée par celui-ci ; il avait alors contesté les Remarques, dès leur publication, dans les quatre Lettres touchant les Nouvelles Remarques sur la langue françoise. Loin de valoriser le « beau langage », La Mothe Le Vayer avait loué les vertus de la négligence4, au nom des « grands Precepteurs de l’Éloquence Grecque & Romaine » : Ils nous ont enseigné de mépriser tellement la curiosité des mots, quand il est question d’expliquer quelque haute & importante pensée, qu’ils ont mis même je ne sai quelle grace, & quasi une vertu oratoire en cette loüable negligence5.

On sait qu’en fait le philosophe revendiquait le droit d’attacher plus d’importance aux choses qu’aux mots, réactivant ainsi le vieux débat entre philosophie et éloquence. 3. Claude de Vaugelas, Remarques sur la langue françoise : utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire, Veuve Jean Camusat et Pierre le Petit, Paris, 1647, préface non paginée. 4. I. Moreau, « Polémique libertine et querelle du purisme : La Mothe Le Vayer ou le refus d’un ‘art de plaire’ au service du vulgaire », Revue d’histoire littéraire de la France, 103/2 (2003), p. 377-396. 5. La Mothe le Vayer, Considérations sur l’éloquence française, dans Œuvres, nouvelle édition revue et augmentée, t. 1, Paris, Augustin Courbé, 1662, p. 438.



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En revanche, fidèle à son idéal de liberté qui lui enjoignait de refuser la tyrannie de l’usage, il récusait également, dans sa poétique de la traduction, l’asservissement à l’auteur : Il y a des autheurs qui perdent toute leur grâce passant d’une langue en une autre, si l’on s’astreint à rendre parole pour parole. Il est même besoin d’aider parfois à la pensée en l’expliquant, à cause qu’autrement on devient infidèle traducteur d’un auteur élégant mais dont le style ne s’accomode pas à nos façons de parler6.

Aussi La Mothe le Vayer goûta-t-il la liberté prise par Vaugelas dans son Quinte-Curce. Il appréciait, certes, l’auteur latin, affirmant dans ses Jugements sur les anciens et principaux historiens grecs et latins, publiés en 1646 : Alexandre peut se consoler de n’avoir pas eu comme Achille un Homère […] puisqu’il a trouvé parmy les latins un Historien de sa vie tel que QuinteCurce. […] C’est un des plus grands autheurs qu’ils aient eu7. 

De même, dans son Discours de l’Histoire, il lui reconnaissait le talent d’écrire les vies des grands hommes de façon équitable, contrairement au biographe de Charles Quint, Prudencio de Sandoval8, visé ici : Et qu’à l’exemple de Polybe, de Quinte-Curce, et de Plutarque, qui ont dit le bien et le mal des César, des Alexandre et des Scipion, il touchât au moins légèrement les vices, aussi bien qu’il exagère les vertus de son héros9.

Cet éloge de l’historien latin ouvre la plupart des éditions du Quinte-Curce de Vaugelas, dont La Mothe le Vayer admira ensuite la traduction. Il y tient souvent lieu de préface, La Mothe n’y ayant ajouté que quelques phrases à cet effet, notamment l’affirmation que la copie de 1659 avait été « revue par Monsieur Patru avec tant de soin et de zèle pour la gloire de son amy10 », qualifiée alors de beaucoup plus nette. 6. La Mothe le Vayer, Mémorial de quelques conférences avec des personnes studieuses, Paris, Louis Billaine, 1669, p. 102. 7. La Mothe le Vayer, Quinte-Curce, Jugements sur les anciens et principaux historiens grecs et latins, dans Œuvres, op. cit., t. 1, p. 392. 8. Prudencio de Sandoval (Valladolid, 1553-Pampelune, 1620) est un bénédictin devenu évêque de Tui puis de Pampelune, et auteur d’une Historia de la vida y hechos del emperador Carlos V (Valladolid, 1604). 9. La Mothe le Vayer, De l’Histoire, éd. F. Charbonneau et H. Michon, dans Traités sur l’histoire (1638-1677), dir. G. Ferreyrolles, Paris, 2013, p. 169-170. 10. La Mothe le Vayer, Jugement de Quinte-Curce par Monsieur La Mothe le Vayer, dans Quinte-Curce, De la vie et des actions d’Alexandre, De la traduction de M. de Vaugelas, Paris, Augustin Courbé, 1659, non paginé.

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La première réconciliation due au Quinte-Curce est donc celle qui s’opère entre La Mothe le Vayer et Vaugelas, autrefois opposés quant à la conception de l’éloquence. Le philosophe, en se montrant critique vis-à-vis des Remarques mais admirateur du Quinte-Curce, adopte une position parfaitement fidèle à son idéal : refus de la contrainte de l’usage, quant à la langue, et refus de l’asservissement au mot à mot, quant à la poétique de la traduction. La poétique du Quinte-Curce de Vaugelas est de fait bien proche d’une autre, celle mise en place par Perrot d’Ablancourt, que Vaugelas considérait comme un maître. Comme cela a été amplement démontré11, les différences entre les deux éditions du Quinte-Curce, dues à un remaniement des livres III et IV, avaient pour cause la reprise par Vaugelas de son texte pour le conformer le plus possible aux principes esthétiques suivis par Perrot d’Ablancourt dans ses Guerres d’Alexandre par Arrian, publiées peu avant. À tel point qu’Alexis François a pu en conclure : Sauf cette nuance, et tout représentatif qu’il reste à nos yeux d’une langue et d’un style, le Quinte-Curce pourrait bien n’être qu’un membre illustre de la grande famille des traductions de Perrot d’Ablancourt12.

Pourtant, Perrot d’Ablancourt, contrairement à La Mothe le Vayer, avait critiqué les Historiae de Quinte-Curce, affirmant que ce récit « n’a ni fin ni commencement ». Il avait ajouté que cet auteur a « si peu connu les choses de la guerre qui sont principales dans l’histoire de ce prince, qu’on a peine seulement à comprendre l’ordre de ses batailles13 ». Enfin, dans la dédicace à sa traduction, il attribuait subrepticement le statut de fiction au récit de l’historien latin : Ce n’est que dans les Romans que les Princes sont toujours les plus vaillans et les plus généreux mais ce qu’on ne lit que dans la Fable on le trouve dans vostre Histoire14.

Il est vrai que le succès de l’historien latin venait précisément de son goût pour l’embellissement ; ainsi le souligne ce jugement de la petite-fille de madame de Sévigné, Madame de Simiane, adressé au marquis de Caumont :

11. A. François, « Note sur le Quinte-Curce de Vaugelas », Mélanges de philologie offerts à Ferdinand Brunot, Paris, 1904, p. 137-161. 12. Ibidem, p. 160. 13. Les guerres d’Alexandre par Arrian, trad. par le Sr. d’Ablancourt, Veuve Camusat et Pierre Le Petit, Paris, 1646, préface non paginée. 14. Ibidem, dédicace non paginée.



La réception du Quinte-Curce de Vaugelas 367 Pour vous dire la vérité, je n’ai jamais aimé l’histoire toute sèche ; mais quand elle est ornée de jolis traits, de faits un peu fabuleux, dans le goût par exemple de Quinte-Curce, oh ! alors, je la lis avec grand plaisir. Je n’ai jamais pu avaler l’histoire de France, Mezeray, Varillas : voilà ma confession. Les livres de morale ou les romans, c’est mon goût15.

Mais cet art de la naïveté, goûté ailleurs par Perrot d’Ablancourt, se retourne ici en une critique de son statut d’historien. L’animosité personnelle du grand traducteur, théoricien de l’art des « belles infidèles », envers le grammairien Vaugelas est connue et a joué sans doute un rôle dans l’appréciation de l’œuvre ; ces piques détonnent, cependant, dans le concert d’éloges décernés à cette traduction. Sans doute est-ce parce qu’il en était si proche que le grand traducteur, dont l’étoile commençait à décroître, a formulé quelques critiques acides, attaquant l’historien n’osant s’en prendre au traducteur. Son esthétique de la traduction libre, si dénigrée par la suite, connaissait avec Vaugelas une ultime heure de gloire. Jusqu’à ce que dans le camp adverse, Jean-Daniel Huet, l’érudit évêque d’Avranches ne fasse, comme l’a formulé Roger Zuber, sortir la traduction du domaine de la littérature16.

Le Quinte-Curce : une poétique de la langue, Bouhours, Ménage et Port-Royal Les tenants du purisme de la langue admirèrent, en revanche, sans condition le Quinte-Curce. Leurs recueils d’« observations », qu’il s’agisse de ceux de Bouhours, de Ménage, d’Andry de Boisregard, ou d’Alemand, pour ne citer que les principaux, sont remplis de notes prises sur la « belle traduction de Quinte-Curce17 ». Le plus raffiné de tous, le P. Bouhours, ne perd pas une occasion de lui rendre hommage : C’est à mon gré, un chef d’œuvre dans notre langue, et je pense que l’on ne peut se rendre parfait, dans l’éloquence française, sans suivre les Remarques et imiter le Quinte-Curce de M. de Vaugelas18.

15. « De Mme de Simiane au marquis de Caumont, 6 février 1732 », dans Lettres de Madame de Sévigné, de sa famille et de ses amis, éd. M. Monmerqué, t. 11, Paris, 1862, p. 105. 16. R. Zuber, Les « belles infidèles » et la formation du goût classique, Paris, 1968, p. 147. 17. Gilles Ménage, Observations sur la langue françoise, Paris, Claude Barbin, 1672, p. 136. 18. Dominique Bouhours, Doutes sur la langue françoise : proposez à Messieurs de l’Académie françoise par un gentilhomme de province, Paris, Sébastien Mabre-Cramoisy, 1674, p. 280.

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Au siècle suivant, le grammairien M. de Vallange en recommande la lecture à condition qu’on soit averti que « tels et tels termes, dont Vaugelas s’est servi, ne sont plus du bon usage19 ». Dans sa Mécanique des langues, l’abbé Pluche conseille aux jeunes gens de le faire servir à un exercice de rétroversion20. Pour l’abbé Gédoyn, qui fut un des traducteurs célèbres de ce temps, le style du Quinte-Curce reste « inimitable », en dépit de quelques défauts qu’on doit mettre sur le compte de ses amis qui en furent les éditeurs21. On connaît le mot de Balzac : « L’Alexandre de Quinte-Curce est invincible, celui de Monsieur de Vaugelas est inimitable22. » Quelles sont les qualités appréciées par ces grammairiens dans le texte de Vaugelas ? À en croire les jugements du gentilhomme des Doutes sur la langue françoise, il s’agit d’un chef d’œuvre, dont les caractéristiques sont l’élégance, la clarté et la concision. Cité en fin d’ouvrage23, il incarne une perfection de la langue et du style, parvenus à la netteté, qui fait l’objet du chapitre IV, et à l’exactitude, qui fait celui du chapitre V, ayant évité les répétitions, les équivoques et les constructions fallacieuses. Il en va de même pour Ménage dans ses Observations sur la langue françoise. Ce dernier est, certes, un ami de Vaugelas, mais l’admiration qu’il nourrit à son égard ne l’empêche pas, cependant, de formuler certaines critiques. Ainsi, le grand reproche qu’il lui adresse consiste à ne pas tenir compte du passé de la langue et il souligne ses insuffisances en matière d’étymologie : M. de Vaugelas estoit un bon homme, mais il estoit si mauvais Etymologiste, qu’il ne savoit pas comment il faloit écrire le mot d’Etymologiste, et celui d’étymologie. Il écrit toujours ces mots par th24.

Sa faiblesse majeure tient à l’absence de connaissances historiques et linguistiques suffisantes :

19. Monsieur de Vallange, Nouveau système et nouveau plan d’une Grammaire françoise, Paris, Claude Jombert, 1719, p. 424. 20. Noël-Antoine Pluche, La Mécanique des langues et l’art de les enseigner, Paris, Veuve Étienne et Fils, 1751, p. 210. 21. Nicolas Gédoyn, Œuvres diverses, De Bure l’aîné, Paris, 1745, p. 332-333. 22. Affirmation attribuée faussement à Guez de Balzac, qui aurait en fait posé le jugement suivant : « L’Alexandre de Philippe est invincible, etc. » Voir P. Pellisson, Histoire de l’Académie française par Pellisson et d’Olivet, éd. Ch.-L. Livet, Paris, Didier et Cie, 1858, t. 1, p. 236. 23. Dominique Bouhours, Doutes sur la langue françoise, éd. cit., p. 280. 24. Gilles Ménage, Observations sur la langue françoise, op. cit., p. 69-70.



La réception du Quinte-Curce de Vaugelas 369 M. de Vaugelas estoit un fort honneste homme : ce que j’estime beaucoup plus que d’estre un savant homme : mais ce n’estoit pas un savant homme25.

Pourtant, Ménage prend, lui aussi, le Quinte-Curce comme exemple dans ses Observations : Dot. II faut dire la dot, & non pas le dos, comme dit M. de Vaugelas dans sa traduction de Quinte-Curce et M. d’Ablancourt dans tous ses livres26.

Il loue alors un maniement de la langue qui suit l’autorité de la raison ; Bouhours, de son côté, salue l’élégance ou la clarté. Cet idéal de clarté doublé d’un à propos n’est autre que le jugement de goût de l’époque et pour lui, comme pour tous les mondains, il faut être à la mode. Cette double appréciation de la part du jésuite Bouhours et du grammairien Ménage concourt déjà à élaborer une notable réunification de courants jugés, quelquefois, opposés ou rivaux27 : On pourrait opposer deux courants normatifs. Le premier, représenté par Vaugelas et Bouhours, fixe une norme restrictive et sélective, qui exclut les archaïsmes et les néologismes et se méfie des sens figurés. […] Le second courant, représenté par Ménage, mais aussi par La Mothe Le Vayer et Scipion Dupleix, déjà opposés à Vaugelas, établit une norme plus ouverte, qui se place dans un intervalle temporel plus large et qui admet une plus grande diversité d’usages (tout en recommandant aussi le « bon usage »).

Mais, en réalité, les louanges ne s’exercent pas sur le même objet : quand La Mothe le Vayer célèbre l’historien latin et l’élégance de la traduction qui en est faite, il célèbre une poétique de la traduction ; quand Bouhours et Ménage admirent la clarté et la netteté du style, même s’il s’agit de qualités identiques, leurs enjeux ne sont pas les mêmes, l’un loue la raison, l’autre le goût du jour. Cette ambiguïté fondamentale transparaît avec la position qu’adoptent les Messieurs de Port-Royal. En effet, on sait que Port-Royal, notamment en la personne d’Arnauld, cite le Quinte Curce de Vaugelas comme modèle dans ses Règles pour discerner les bonnes et mauvaises critiques ; or, qu’apprécie Port-Royal dans cette traduction ? Deux choses qui pourraient sembler contradictoires. D’une part, la clarté et la netteté, les mêmes qualités que celles mentionnées par Ménage 25. Ibidem, p. 70. 26. Ibid., p. 126. 27. J.-C. Pellat, « Ménage, un continuateur de Vaugelas influencé par Port-Royal ? », dans Gilles Ménage (1613-1692), grammairien et lexicographe. Le rayonnement de son œuvre linguistique, éd. I. Leroy-Turcan et T. R. Wooldridge, Toronto et Lyon, 1995, p. 97-98.

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ou Bouhours, d’autre part, l’élégance, qui n’est pas sans renvoyer au jugement d’un La Mothe le Vayer. Nous trouvons celle-ci célébrée un peu partout dans les écrits de Port-Royal, notamment dans la deuxième règle de la traduction française, données par Le Maistre de Sacy à Thomas du Fossé, devenu en 1656 son collaborateur : Il faut tâcher de rendre beauté pour beauté, et figure pour figure, d’imiter le stile de l’auteur, et s’en approcher le plus près qu’on pourra, varier les figures et les locutions, et enfin rendre notre traduction un tableau et une représentation au vif de la piece que l’on traduit : en sorte que l’on puisse dire que le françois est aussi beau que le latin ; et citer avec assurance le françois au lieu du latin28.

La formule est reprise et développée dans l’avant-propos du Poème de saint Prosper contre les Ingrats. L’auteur y précise le plaisir qu’il y a à contempler les vérités de notre foi « représentées avec ces charmes et cette hardiesse agréable et ingénieuse qui est naturelle à la poésie29 ». Il ajoute qu’il n’a pas voulu faire de paraphrase mais une version aussi exacte qu’elle pourrait être, en évitant les deux écueils d’« une liberté qui dégénère en licence et d’un assujettissement qui dégénère en servitude ». Allier l’élégance et la proximité, voici un idéal qui rapproche considérablement nos auteurs de celui d’un Perrot d’Ablancourt ; le Quinte-Curce de Vaugelas est ainsi apprécié de tous parce qu’il participe de l’esthétique de la traduction des « belles infidèles », adoptée par Vaugelas qui a réécrit son texte en fonction de son modèle ; il l’est également par Bouhours et Ménage, qui partagent un même respect pour l’usage, décrété par le public de cour ou mimant alors la raison naturelle ; il l’est enfin par Port-Royal lui-même qui loue cette clarté doublée de concision.

Traduction et écriture : le conflit Pourtant ce que goûtent les Messieurs de Port-Royal dans le texte de Vaugelas, cette fameuse clarté et cette netteté de la langue française demeurent ambiguës. En effet, à Port-Royal, contrairement à ce que recommandent les puristes de la langue, c’est le respect de la raison et non de l’usage qui est

28. Nicolas Fontaine, Mémoires pour servir à l’histoire de Port-Royal, Utrecht, 1736, t. 2, p. 176. 29. Poème de saint Prosper contre les Ingrats, avant-propos non paginé, trad. Le Maistre de Sacy, Paris, Veuve Martin Durand, 1647.



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valorisé, conformément à l’idéal de logique et de rationalisation du discours mis en place dans la Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal. La Grammaire recherche des principes généraux de « l’art de parler », de nature logique, qui procèdent du fonctionnement de l’esprit humain. Ménage et les grammairiens du bon usage, de leur côté, n’établissent aucune philosophie du discours mais ils se contentent d’un nombre limité d’exemples qui sont suffisants pour leur permettre de formuler une règle prescriptive, distinguant, dans les faits, le bon et le mauvais usage. Pour eux, la norme ainsi dégagée opère une sélection dans la diversité des usages et procède d’une décision plus ou moins arbitraire ; elle a un fondement purement empirique (la « coutume » est souvent évoquée), et non pas logique ou psychologique. Sainte-Beuve possède sans doute l’incontestable mérite d’avoir souligné en premier la distance qui sépare ainsi l’optique des grammairiens de PortRoyal de celle des grammairiens du bon usage : Si, dans l’enseignement particulier des langues, Port-Royal se séparait de l’université d’alors par la raison dégagée de la routine, il se séparait ici de l’Académie française par la raison encore, et par une philosophie qui ne s’en remettait pas purement et simplement au dernier usage, au bel usage, mais qui entendait s’en rendre compte30.

De fait, comme son titre l’annonce, la Grammaire générale et raisonnée se différencie d’une grammaire d’usage qui, par une étude empirique des emplois usuels, s’efforce de dégager une norme à laquelle elle recommande, de façon plus ou moins contraignante, de se conformer31. Pourtant, et le fait ne laisse pas d’être curieux, les Messieurs de Port-Royal, à quelques détails près, font passer les décisions de Vaugelas dans leur Grammaire générale et raisonnée ; fait plus grave et gros de conséquences, ils ne remettent nulle part en doute le droit de Vaugelas à légiférer en matière de grammaire ; mieux encore, les règles leur paraissent raisonnables en leur principe, et le grand Arnauld s’ingénie à justifier en bonne logique les contradictions de l’accord des participes passés. Les règles de Vaugelas jouissent ainsi de l’autorité du consentement universel et de la dignité de la raison32.

30. Sainte-Beuve, Port-Royal, livre IV, éd. M. Leroy, Paris, 1954, t. 2, p. 474. 31. Nous renvoyons à R. Donzé, La grammaire générale et raisonnée : Contribution à l’histoire des idées grammaticales en France, Berne, 1971, ch. 2 « La doctrine du bon usage et la grammaire générale et raisonnée ». 32. Voir Th.  Rosset, « Bouhours continuateur de Vaugelas », Annales de l’Université de Grenoble, 20/2 (1908), p. 193-280.

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Seul, un Claude Lancelot semble conscient de la distance qui sépare un Vaugelas de l’optique de la Grammaire raisonnée : Car il serait plus facile de faire voir que les exemples les plus recherchés qu’il rapporte ont leur fondement et qu’encore que l’usage soit le maître des langues pour ce qui est de l’analogie, le discours n’étant néanmoins que l’image de la pensée, il ne peut pas former des expressions qui ne soient conformes à l’original pour ce qui est du sens, et par conséquent qui ne soient fondées sur la raison33.

Vaugelas, de fait, ne cherche pas la conformité à la droite raison – ce que le grammairien de Port-Royal a très bien saisi –, il cherche à plaire. Or, en rejetant simultanément l’autorité de la grammaire, c’est-à-dire le passé historique de la langue, et celle de la raison, qui ne prévaut pour lui devant l’usage, l’auteur des Remarques met en avant une norme qui repose sur l’arbitraire du goût du moment, et de la convention sociale : avec lui, c’est bien la mode, dans son double aspect de fugitif et d’accidentel, qui l’emporte34. De ce point de vue, le véritable continuateur de Vaugelas est Bouhours, lui aussi grammairien mondain. Il suffit, en effet, pour ce dernier de constater et de suivre l’usage ; l’expliquer est accessoire car si la langue est parfois raisonnable, elle est aussi souvent contraire à la raison et les tournures les plus absurdes sont parfois les plus élégantes35 : Ménage, grammairien savant, défend une norme plus souple et non restreinte au présent ; il développe une démarche scientifique en faisant appel au plus grand nombre d’exemples et de références possibles. Bouhours et Vaugelas, grammairiens de salons, s’appuient sur un nombre limité d’exemples choisis et visent à constituer une norme restreinte, reflet de l’usage de la société aristocratique où ils brillent36.

Le jésuite partage avec les Messieurs de Port-Royal la conviction que la spécificité de la langue française s’appuie sur la coïncidence entre l’ordre de la

33. Sainte-Beuve, Port-Royal, livre IV, t. 2, op. cit., p. 476. 34. K. A. Ott, « La notion du ‘Bon usage’ dans les Remarques de Vaugelas », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, 14/1 (1962), p. 79-94. 35. Th. Rosset, art. cit., p. 200. 36. J.-C. Pellat, « Ménage, un continuateur de Vaugelas influencé par Port-Royal ? », art. cit., p. 119-120.



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pensée raisonnante et l’ordre syntaxique37 ; ainsi si Vaugelas décrète le bon usage, Bouhours décide du bel usage38. Le véritable continuateur de Port-Royal, de son côté, serait alors Ménage39, lequel admire et reprend largement la Grammaire générale et raisonnée de PortRoyal. De fait, les domaines étudiés par les Observations de Ménage et par la Grammaire se recoupent partiellement. Les deux ouvrages traitent de grammaire au sens large : prosodie, prononciation, orthographe, morphosyntaxe, sémantique, rhétorique. Mais surtout, les deux ouvrages partagent la même démarche comparative. Lancelot, dans la Grammaire, se réfère aux nombreuses langues qu’il connaît (latin, grec, hébreu, espagnol, italien, allemand) et renvoie à ses Méthodes latine et grecque ; Ménage, dans ses Observations, se réfère constamment à d’autres langues, le plus souvent au latin et à l’italien. La filiation latine et, plus généralement, l’« analogie des langues » permettent d’expliquer les phénomènes du français. En outre, les auteurs de la Grammaire et des Observations adoptent les mêmes attitudes sur certaines questions en débat. Ainsi, en ce qui concerne l’orthographe, ces deux ouvrages partagent la même conception représentationniste du langage. Enfin, l’idéal esthétique de Ménage est tout proche de l’idéal logique de Port-Royal, tous deux partageant le projet d’une standardisation de la langue, même si cette clarté demeure une notion à la fois unanimement admise et largement ambiguë. De fait, celle-ci va être remise en cause à Port-Royal, quelque temps plus tard, lorsque l’esthétique d’une traduction élégante et libre, formulée par Perrot et appliquée par Vaugelas, va venir se heurter aux principes progressivement dégagés par les Messieurs pour la traduction des textes sacrés40. Perrot avait développé son esthétique, notamment dans l’Epître qui ouvre sa traduction de Lucien : Il s’agit ici de galanterie, non d’érudition. Il a donc fallu changer tout cela pour faire quelque chose d’agréable. […] Il y a beaucoup d’endroits où j’ai

37. Entretiens d’Ariste et d’Eugène du Père Bouhours, Deuxième Entretien, op. cit., p. 127-128 : « Il y aura toujours le même ordre et le même tour dans le style. Quelques mots et quelques façons de parler pourront s’établir ou s’abolir selon la bizarrerie de l’usage mais ce changement sera tout au plus comme une légère maladie qui arrive dans la force de l’âge et qui ne change ni le tempérament ni l’humeur. » 38. G. Declerq, « Usage et Bel usage : l’éloge de la langue, dans les Entretiens d’Ariste et d’Eugène du Père Bouhours », Littératures classiques, 28 (1996), p. 122. 39. Ibidem. 40. Pour l’exposé de l’idéal de la traduction à Port Royal, nous renvoyons à G.  Dotoli, Littérature et société en France au xviie siècle, Paris, 2004, p. 250 et suivantes.

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Hélène Michon traduit mot à mot pour le moins autant qu’on peut le faire dans une traduction élégante41.

Or, cet idéal d’élégance au service de la philosophie et de la vérité a ses lettres de noblesse chez les auteurs profanes comme chez les auteurs chrétiens. Pour les premiers, les textes canoniques sont ceux de Cicéron ou d’Horace, de saint Jérôme et de saint Augustin pour les chrétiens. Ainsi, dans les règles de traduction, nous lisons : La première et la principale règle de la traduction est de traduire non mot à mot mais sens pour sens c’est-à-dire d’exprimer en français le sens du latin ou du grec sans s’attacher servilement ni à l’ordre des mots, ni à la structure de la locution latine ou grecque ni aux phrases42.

C’est bien cette injonction qui a fait admirer le Quinte-Curce : clair et élégant. En outre, il est également sans cesse rappelé qu’il convient d’adapter, de proportionner et de respecter le génie de la langue qui, dans le cas du français, ne serait être chose que la clarté et la netteté : J’ay eu encore plus de soin de demeurer dans une exacte fidélité en ce qui regarde le sens, et de faire parler François à saint Augustin, sans le faire parler autrement qu’en saint Augustin, c’est-à-dire, luy faire changer de Langue, sans lui faire changer de pensées43.

Or, nous savons que l’un des grands enjeux de la traduction de l’Écriture sera de clarifier ou de respecter les obscurités du texte saint, obscurités pouvant aller jusqu’à le rendre incompréhensible : On raconte que dans les conférences de Vaumurier au sujet du Nouveau Testament, les premiers essais qu’y lit M.  de Saci parurent d’un style trop élevé. Il avait cru que la dignité de la parole de Dieu le demandait ainsi. On lui allégua pour l’Evangile la simplicité si essentielle et qu’il négligeait. Il recommença mais cette fois il parut trop humble et trop bas à ces Messieurs ; de sorte qu’il lui fallut trouver une troisième voie et un style mitoyen44.

41. Lucien, de la traduction de N. Perrot Sr. d’Ablancourt, Paris, Thomas Jolly, 1664, 1ère partie, Epistre non paginée. 42. Manuscrit de Le Maistre de Sacy, cité par Basil Munteano, « Port-Royal et la stylistique de la traduction », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, 8/1 (1956), p. 159 ; et cité par Luigi de Nardis (éd.), Regole della traduzione, Naples, 1991, p. 31. Cet ouvrage contient des textes d’Antoine Le Maistre de Sacy, Robert Arnauld d’Andilly et Gaspard de Tende. 43. Arnauld, Des Mœurs de l’Eglise catholique, Paris, Le Petit, 1657, Avis au lecteur, non paginé. 44. Sainte-Beuve, Port-Royal, livre II, t. 1, op. cit., p. 793.



La réception du Quinte-Curce de Vaugelas 375

Ce style, ce travail rhétorique valut à ces traductions un franc succès. Il appliqua, en outre, les critères d’élégance et de clarté. Pourtant, comme le souligne aussi Sainte-Beuve, il eut par la suite des scrupules, se demandant si une telle poétique de la traduction pouvait être compatible avec la rhétorique biblique, expliquée par Augustin et faisant de l’obscurité une stratégie divine : J’ai tâché d’ôter de l’Ecriture sainte l’obscurité et la rudesse ; et Dieu jusqu’ici a voulu que sa parole fût enveloppée d’obscurités. N’ai-je pas donc sujet de craindre que ce ne soit résister aux desseins du Saint-Esprit que de donner comme j’ai tâché de faire, une version claire, et peut-être assez exacte par rapport à la pureté du langage45 ?

Ironiquement La Mothe le Vayer avait relevé la nécessité du mot à mot pour la traduction des textes saints : Selon moi, les seules Lettres saintes demandent ce grand respect de n’y ajouter ni diminuer pas le moindre iota en quelque langue qu’on les traduise46.

Mais il se trompait : ce n’est pas l’élégance qui inquiétait Le Maistre de Sacy, mais la clarté. On peut dire qu’avec les traductions de l’Écriture, Port-Royal modifie son appréhension de la clarté, qui est pour lui synonyme de raison. En effet, il ne convient pas de chercher à rationaliser l’Esprit Saint ou de clarifier l’obscurité divine. Si Le Maistre de Sacy, et avec lui Port-Royal, recherche l’élégance de la traduction et la rationalisation de la langue, la traduction de l’Écriture Sainte demande une poétique qui n’obéisse pas uniquement aux lumières de la droite raison mais s’accorde avec le clair-obscur de la foi. À partir de là, l’esthétique de la clarté est nettement remise en cause, surtout lorsqu’elle se couple avec le désir de plaire, comme c’est bien le cas du Quinte-Curce. Par ce biais, l’esthétique de Vaugelas se trouve alors partiellement remise en cause. On le voit, l’accord des différents partis pour louer la traduction de l’historien latin ne pouvait être, parce qu’ambigu, que ponctuel. L’esthétique du Quinte-Curce fut unanimement saluée, c’était une œuvre dont l’auteur avait trouvé, disait-on, le bon tour : élégance, clarté et netteté contribuaient ainsi à forger une langue dont tout le monde savourait la perfection. D’Ablancourt avait trouvé le style de la prose historique adéquat au gré des courtisans et des gens de lettres, Vaugelas en avait été le parfait disciple. Mais la poétique comme l’esthétique évoluèrent : d’un côté, l’érudition engendra une recherche d’exactitude scientifique inconnue jusque-là, de l’autre, 45. Ibidem, p. 797. 46. La Mothe le Vayer, Mémorial de quelques conférences avec des personnes studieuses, op. cit., p. 103.

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le respect de la rhétorique biblique, cherchant à toucher avant de séduire, déprécia peu à peu une manière de traduire qui visait à plaire aux mondains. La confluence de ces deux exigences sonna alors le glas d’une esthétique qui avait été, un court instant, du goût de tous. Hélène Michon Université de Tours

La traduction allemande des Historiae de Quinte-Curce par Hans Friedrich von Lehsten En 1653 paraît à Rostock sous le titre Von den Tahten Alexanders des Grossen/ Der Macedonier Königs (Des actions d’Alexandre le Grand, roi des Macédoniens) la première traduction imprimée et la première traduction intégrale en langue allemande des Historiae de Quinte-Curce, par Hans Friedrich von Lehsten1 (1621-1678). Cette publication fut un réel succès comme en témoignent les six rééditions qu’elle connut en l’espace d’un demi-siècle, jusqu’après la mort de son auteur, à Rostock, Francfort et Leipzig, en 1653, 1658, 1666, 1676, 1684, 1696, 1705. L’humaniste de la dernière décennie du xve siècle Johann Gottfried a été le premier traducteur en allemand de l’œuvre de Quinte-Curce, dont il n’a cependant translaté que des extraits. Il s’agit d’une traduction littérale telle que la pratiquait notamment son contemporain Nyklas von Wyle. Lehsten ignorait l’existence de ce manuscrit, conservé aujourd’hui à la Staatsbibliothek de Berlin2, de sorte que son travail est plus à considérer comme une traduction première que comme une retraduction. Dans sa préface, il rappelle que les deux premiers livres des Historiae de Quinte-Curce sont perdus et que trois érudits dont le moine bavarois Christoph Bruno et surtout Johannes Freinsheim ont reconstitué les lacunes du texte : outre les deux premiers livres, le chapitre 13 du livre V, le début du livre VI ainsi que les chapitre 1 et 4 du livre X. Le traducteur a choisi d’intégrer les compléments de Freinsheim car ce sont les plus complets. Lehsten n’est au demeurant pas sans affinité avec ce dernier, qui fut l’auteur de poèmes allemands dépeignant notamment les affres de la guerre de Trente Ans3. Le parti pris d’une traduction « réparatrice » fut aussi

1. Quintus Curtius Rufus / Von den Tahten Alexanders des Grossen/ Der Macedonier Königs/ Auß dem Lateinischen verdeutscht Von Hans Friedrich von Lehsten aus Wahrdaw und Dölitz, Rostock, 1653. Cette édition sert de référence pour toutes les citations (L. + pagination). 2. Q. Curtius Rufus, Historia Alexandri, traduction allemande de Johann Gottfried (extraits), dans Klassische Schriften, Berlin, Staatsbibliothek zu Berlin – Preußischer Kulturbesitz, Ms. germ. qu. 1477. 3. Freinsheim a publié à Strasbourg en 1639 un recueil de poèmes intitulé Teutscher Tugendspiegel/ oder Gesang von dem Stamm und Thaten des alten und neuen Hercules. Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 377-403 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115406

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celui, pour le français, de Vaugelas4. Ici les ajouts sont indiqués en manchette, là ils sont matérialisés par des crochets. La première édition commentée des Historiae de Quinte-Curce par Johannes Freinsheim parut en 1639-16405. Les Commentaires de Freinsheim ne seront traduits en allemand, sous son patronyme, qu’en 1799. Entre temps, Vaugelas et Lehsten auront intégré son apport à leur traduction augmentée de Quinte-Curce. Le texte original et les suppléments ne représentent qu’un quart de l’ouvrage de Freinsheim, le reste étant constitué, outre des préfaces et dédicaces diverses, d’un apparat critique volumineux : variantes, commentaire philologique et index analytique. Étonnante coïncidence, Lehsten édite sa traduction l’année même où paraît le Quinte-Curce posthume de Vaugelas et c’est sur la même édition supplémentée de Johannes Freinsheim que l’une et l’autre publications ont choisi de s’appuyer, l’œuvre de Vaugelas ayant été complétée par le travail de l’historiographe du Roi, Du Ryer. Entre cette traduction française, sa cousine germaine et leur matrice commune existent des convergences quant à la lecture qu’elles font, au plan du contenu, de l’œuvre de l’historien antique. Les traductions divergent cependant en raison de leur contexte, qui n’est pas le même de part et d’autre du Rhin, de la personnalité du traducteur et, pour finir, de leur style. Nous examinerons le travail de Lehsten sous chacun de ces aspects pour mettre en avant sa valeur paradigmatique et ses spécificités, au plan historique comme au plan méthodologique. Une étude circonstanciée s’impose, car il convient de se méfier de jugements péremptoires et contradictoires concernant les traductions germaniques : pour les uns, « la belle infidèle » domine l’Europe littéraire du xviie siècle6, y compris l’Allemagne ;

4. Quinte Curce. De la vie et des actions d’Alexandre le Grand, De la traduction de Monsieur de Vaugelas. Avec les Supplémens de Jean Freinshemius sur Quinte Curce, traduits par Pierre Du Ryer, Paris, 1653. Nous citons d’après cette édition (V. + pagination). 5. Alexander Magnus, duobus tomis representatus quorum hic historiam Q. Curtii Rufi cum supplementis et indice copiosissimo complectitur, alter commentarios in Q. Curtii libros superstites exhibet. Edebat Io. Freinshemius, Strasbourg, héritiers Lazar Zetzner, 1639 (partie II, commentaire)-1640 (partie I, texte), in-8°. Sur cet auteur et la réception de Quinte-Curce, voir dernièrement G. Siemoneit, « Lob und Datierung. Johannes Freinsheims Überblick über den Stand der Curtius Rufus-Forschung im Jahr 1639 », dans Der römische Alexanderhistoriker Curtius Rufus : Erzähltechnik, Rehtorik, Figurenpsychologie und Rezeption, éd. H. Wulfram, Vienne, 2016, p. 369-388, et l’article de Lucie Claire dans ce volume. Nous citons d’après l’édition suivante : Johannes Freinshemius, Q. Cvrtivs Rvfvs De rebvs Alexandri regis Macedonum ; cvm svpplementis, commentariis et indice locvpletissimo, Strasbourg, 1670 (Freinsheim, liber, caput, linea). 6. M.  Ballard, De Cicéron à Benjamin. Traducteurs, traductions, réflexions,  Lille, 1992, p. 147-148.

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pour les autres, celle-ci est marquée par le déclin culturel de la guerre de Trente Ans et le retour à la méthode ad verbum7.

Les écrits préfaciels de Lehsten et l’horizon de la traduction Depuis Martin Opitz, le « père de la poésie allemande », qui emboîte le pas aux poètes et érudits français du siècle précédent (Dolet, Du Bellay et Ronsard), l’activité traductrice a comme préoccupation explicite ou sous-­ jacente celle de la défense et de l’illustration de la langue allemande8. À l’instar de Vaugelas, qui publia son ouvrage théorique Remarques sur la langue françoise : utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire avant son Quinte-Curce auquel il n’a cessé de travailler trente années durant, Opitz mena de front une réflexion théorique sur la littérarité de la langue vernaculaire et la démonstration pratique de ses recommandations par le biais de la traduction d’œuvres maîtresses, notamment du répertoire tragique. Lehsten s’inscrit, avec maints autres, dans le sillage de son illustre compatriote. Au xvie siècle, l’entreprise de traduction visait, même pour Érasme, à vulgariser les textes sacrés et profanes, à les « verser » dans la langue de l’homme du commun. Luther, qui écrivait contre les « ânes9 » et pour les « idiots10 », se réclamait du parler des gens simples, quoique le substrat de sa standardisation de l’allemand écrit fût la langue de chancellerie. Or l’allemand défendu par la caste intellectuelle du xviie siècle n’est plus celui du peuple, c’est un allemand purifié, anobli, qui va à la fin du siècle supplanter le latin comme langue de culture. La langue courante du xvie et du xviie siècle regorge de mots d’emprunts, de latinismes et de mots français, un sabir que les écrivains n’auront de cesse de dénoncer. La langue littéraire ne se forge plus par imitation 7. R. Alewyn, Vorbarocker Klassizismus und griechische Tragödie. Analyse der AntigoneÜbersetzung durch Martin Opitz, Darmstadt, 1962, p. 20 (1ère édition 1926) ; J. Albrecht, entrée « Übersetzung », dans Historisches Wörterbuch der Rhetorik, éd. G. Ueding, t. 9, Tübingen, 2009, col. 880-881. 8. Sur ces questions, je renvoie à ma contribution antérieure : F. Gabaude, « Les théories traductives du premier xviie siècle germanique et l’Antigone d’Opitz », dans Traduire les Anciens en Europe du Quattrocento à la fin du xviiie siècle : d’une renaissance à une révolution ?, éd. L. Bernard-Pradelle et C. Lechevalier, Paris, 2012, p. 203-217. 9. Il s’agit des « papistes ». M. Luther, Sendbrief vom Dolmetschen und vier andere Schriften Weltlichen Inhalts (1530), Leipzig, 1924, p. 12, passim. 10. Selon le terme de Castellion dans l’avertissement de sa Bible nouvellement translatée. Voir C. Skupien Dekens, Traduire pour le peuple de Dieu. La syntaxe française dans la traduction de la Bible par Sébastien Castellion, Bâle, 1555, Genève, 2009.

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du parler populaire : là où Luther dit s’en inspirer, Harsdörffer le méprise ; la manie de parsemer le discours de vocables étrangers est une calamité, écrit-il, qui n’est pas l’apanage exclusif de ceux qui maîtrisent d’autres langues : cette pratique déplorable est « biß auf den groben Pövelmann herabkommen/ dem das Latein bekant/ wie dem Blinden die Farben11 » (« descendue jusqu’à la populace grossière qui connaît le latin comme les aveugles les couleurs »). Un monde sépare désormais deux cultures vernaculaires devenues antagoniques, celle du cordonnier nurembergeois Hans Sachs et celle de son coreligionnaire et compatriote, le patricien Harsdörffer. La seconde moitié du xviie siècle voit s’accentuer le recul de la diglossie des élites. Celles-ci ont de moins en moins accès au latin et ont besoin de la traduction. Le latin est désormais dépassé par l’allemand dans les productions éditoriales. L’éclosion et l’épanouissement d’un espace germanique sont dus en grande partie à l’effort de traduction. La langue nationale se forge dans et par la traduction, comme le souligne A. Berman12. L’épître dédicatoire et la préface au lecteur de Lehsten ancrent le travail traductif dans le puissant mouvement historique de recréation d’une langue littéraire allemande, alliant la fonction de médiation interculturelle à l’auto-affirmation de la langue et de l’espace germaniques. Le foisonnement de traductions, qu’évoque Lehsten, dans la seconde moitié du xviie témoigne à la fois d’une volonté d’affirmation linguistique et d’une soif de culture au sortir de décennies de barbarie militaire. Le propos de Lehsten est aussi de vanter la grandeur et l’ancienneté de la langue allemande qui compte au rang des langues fondamentales de l’humanité, la richesse et la variété de son vocabulaire qui la rendent supérieure à toute autre, sans parler de la diversité des idiomes auxquels elle a donné naissance dans des contrées proches et lointaines. Les affres de la guerre n’ont pas altéré le génie créatif de la langue allemande. Cette représentation idéalisante est en tous points conforme à celle qu’énoncent Harsdörffer13, Carl Gustav von Hille14 et Johann Klaj pour qui la perfection de l’allemand égale celle de l’hébreu – matrix omnium linguarum selon saint Jérôme – et surpasse les 11. Georg Philipp Harsdörffer, Schutzschrift/ für die Teutsche Spracharbeit/ und Derselben Beflissene: zu Einer Zugabe/ den Gesprächspielen angefüget. Durch den Spielenden, texte publié avec pagination séparée en appendice aux Frauenzimmer Gesprächspiele, 1. Theil, Nuremberg, Endter, 1644, p. 11. 12. A. Berman, L’épreuve de l’étranger. Culture et traduction dans l’Allemagne romantique, Paris, 1984, p. 43-60. 13. Harsdörffer, op. cit., p. 15-16. 14. Karl Gustav von Hille, Der Teutsche Palmbaum, Nuremberg, 1647, p. 78-81.

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qualités du grec, du latin et des langues européennes : « Le Romain ne sçeut rien enjamber sur l’Alleman15. » Le latin fut la « Dolmetscherin der Welt » (« la langue traductrice universelle ») de l’Antiquité, explique Klaj16 ; c’est désormais l’allemand qui remplit ce rôle. Le poète refuse la secondarité de l’allemand, voire l’égalité entre le latin et la langue vernaculaire telle que la postule le classicisme français17. La lutte confessionnelle des Luthériens contre Rome était déjà un combat national et linguistique contre le latin, langue de l’étranger. Les écrivains de son temps, écrit Klaj, s’emploient à « die Teutsche Verskunst von dem fremddrückkenden Joche [zu] erledige[n] » (« affranchir la poésie allemande du joug de l’étranger18 »). Il affirme la primauté historique, chronologique de l’allemand et des runes nordiques, une culture vieille de quatre mille ans, sur le grec et le latin. Dans cet empire germanique ancestral, « […] der Mässel und Hammer [sind] Feder und Dinten gewesen / ehe die Lateinische Sprache geboren worden19 » (« Le marteau et le burin ont été la plume et l’encre avant même que la langue latine ne vît le jour »). Au xixe siècle, Fichte élargira la revendication de supériorité de l’allemand à la philosophie, dont il devient la langue par excellence20. Lehsten vante dans sa préface les mérites d’Alexandre, se désole de la dévastation effroyable qu’a connue le Saint Empire au cours des décennies passées et se réjouit du redressement du pays et notamment de l’activité éditoriale et traductive. La Zueignungs Schrifft débute par une quintuple référence à la langue germanique. La vitalité de l’allemand se mesure au nombre important de traductions dans cette langue. Aussi, celle de Quinte-Curce vient combler un manque d’autant plus criant que cet auteur modèle regorge d’éloquence dans la relation des exploits véridiques du plus grand des rois. La verve épique de Quinte-Curce fait que l’on goûte son œuvre pour sa « anmuth und ergetzung » (« valeur esthétique et récréative »), au point que le roi Alphonse d’Aragon en fit une médecine pour apaiser ses souffrances et recouvrer la santé. Luther considérait déjà que la littérature de divertissement, quelque immorale qu’elle fût parfois, pouvait avoir une vertu thérapeutique ou prophylactique. 15. Harsdörffer, op. cit., p. 14 (manchette en français). 16. Johann Klajus, Lobrede der Teutschen Poeterey, Nuremberg, 1645, p. 2. 17. Voir G. Siouffi, Le génie de la langue française. Études sur les structures imaginaires de la description linguistique à l’Âge classique, Paris, 2010. 18. Klaj, op. cit., p. 12. 19. Ibidem, p. 8. 20. Johann Gottlieb Fichte, Reden an die deutsche Nation, dans Werke, t. 7, éd. I. H. Fichte, Berlin, 1846, reprint Berlin, 1971, p. 362.

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Les raisons biographiques et historiques d’une traduction Lehsten est le descendant d’une famille de grands propriétaires fonciers d’Allemagne septentrionale, de confession évangélique, originaire de Satow à environ vingt kilomètres au sud-ouest de Rostock. La guerre de Trente Ans atteint, dès 1627, la province du Mecklembourg occupée et mise à mal par les Impériaux jusqu’à ce que Gustave Adolphe, débarqué à Usedom en 1630, les en chasse. Dès 1631, après le décès du père, la famille trouva refuge à Rostock, où un précepteur enseigna le latin au jeune Lehsten. En 1639, à l’âge de 18 ans, il revint sur ses terres pour administrer le domaine. C’est donc en marge de cette activité principale que, plusieurs années durant et jusqu’en 1652, il traduisit les Historiae – du moins officiellement, car la paternité de cet ouvrage lui est contestée et reviendrait selon certains commentateurs à son épouse21. Le paratexte de l’édition princeps de 1653 comprend de nombreuses dédicaces liminaires aux membres de la famille ducale, une épître dédicatoire et une préface signées de Hans Friedrich von Lehsten et datées du 10 juin 1652. Le texte est en outre précédé de plusieurs laudationes, en allemand et en latin, de parents et d’amis du traducteur, dont le poème en néolatin du professeur Andreas Tscherning, disciple d’Opitz, qui occupe à Rostock la chaire de poétique depuis 1644. L’ouvrage comprend enfin une carte de l’empire d’Alexandre sur une double page, mais ni table analytique ni sommaire. Le texte s’achève par une prière « Gott sey lob Ehr und Dank. Amen » et est suivi de quatre pages d’errata. Une nouvelle édition paraît en 1658 avec le même appareil paratextuel, mais remaniée dans sa présentation avec l’introduction de résumés de chapitres, à la fois en tête de chapitre et dans le registre analytique final, et de corrections typographiques avec introduction des majuscules pour les noms communs (« Aus dem Latein übersetzet / in gewisse Capitel abgetheilt / mit Summarien versorget / […] »). Dans l’édition de 1666, l’épître dédicatoire sera remplacée par une dédicace de l’éditeur Joachim Wilde au directeur de cabinet Johann Christoph Hauswedeln, successeur de Lehsten dans cette fonction. Depuis la première publication de l’ouvrage, l’auteur a en effet gravi les échelons de l’administration ducale, devenant conseiller aulique puis directeur de la chancellerie du duc Gustav Adolph von Mecklenburg avant d’être élevé au rang de Landrat (préfet). L’édition princeps de 1653 est dédiée au duc Adolphe-Frédéric  Ier  de Mecklembourg-Schwerin (1588-1658), à sa seconde femme Marie-Catherine, qu’il épouse en 1635, fille de Jules-Ernest de Brunswick-Dannenberg, et à 21. Cf. infra.

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tous les membres vivants de la maison ducale, à savoir sa nombreuse descendance et ses collatéraux : les enfants du premier lit, les princes Christian et Charles, les princesses Sophie-Agnès et Anne-Marie, laquelle épousa en 1647 le duc Auguste de Saxe-Weissenfels ; les jeunes princes du premier lit JeanGeorges et Gustave-Rodolphe et ceux du second lit Frédéric, Philippe-Louis et Henri-Guillaume ; les princesses du second lit Julienne Sibylle, Christine, Marie-Elisabeth et Anne-Sophie ; ainsi qu’à sa belle-sœur, Eléonore Marie d’Anhalt-Bernbourg, veuve de Jean-Albert II de Mecklembourg-Güstrow et à son filleul Gustave Adolphe, qui n’atteindra sa majorité qu’en 1654 ; ses nièces Sophie-Elisabeth de Mecklembourg, duchesse de BrunswickLüneburg, poétesse allemande, et Christine-Marguerite de Mecklembourg, duchesse de Silésie. Pendant la guerre de Trente Ans, le duché soutient successivement les Danois et les Suédois contre les Impériaux. Ce sont les Suédois qui permettront à la famille ducale de récupérer en 1631 ses terres précédemment attribuées à Wallenstein. Mais le territoire a considérablement souffert des ravages perpétrés par les belligérants des deux bords. C’est à cette dure époque de guerre et de souffrances, cette « eiserne zeit » (« siècle de fer »), que l’épître dédicatoire fait allusion dès les premières lignes et qu’il décrit plus amplement par la suite ; cette guerre d’une cruauté inouïe qui a ravagé, durant près d’un demi-siècle, le Saint Empire romain germanique, décimé la population et détruit toute règle sociale. Il est temps désormais de tourner la page. Les braves doivent s’emparer de l’écriture dans une Helden=sprache22 (« langue de héros »), la plume doit remplacer l’épée, comme l’exprime l’épigramme votive de Harsdörffer au frontispice de l’ouvrage de Klaj, Lobrede der deutschen Poeterey : Ihr Edelen Teutschen ermannet im Kriegen/ Nun hasset der Waffen bluttriefendes Siegen: Beliebet den Frieden und jaget ihm nach/ Erhaltet in Würden die dapfere Sprach. Ach/ lasset den DEGEN nicht alles verheeren/ Ergreiffet die FEDER euch selbsten zu Ehren. [Vous, nobles Allemands aguerris par les combats / Haïssez à présent le triomphe sanglant des armes : / Aimez et recherchez la paix / Portez haut l’honneur de la langue valeureuse. / Ne laissez pas l’ÉPÉE tout dévaster / Saisissez-vous de votre PLUME pour votre propre gloire.]

22. Johann Bellin, Syntaxis Praepositionum Teutonicarum, Oder Deudscher Forwörter kunstmäßige Fügung, Lübek, 1661, fol. a iij.

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Lehsten entend, par la publication d’un ouvrage sérieux, se démarquer de l’abondante production romanesque de son temps. Les destinataires de cet ouvrage plus instructif que récréatif étaient a priori les membres de la noblesse férus d’histoire. Il ne s’agit pas d’une œuvre de commande, « alimentaire ». L’auteur veut, grâce à une traduction exigeante, parce que « verticale » (du latin vers le vulgaire), attirer l’attention de la cour, donner la preuve de ses capacités intellectuelles et de son aptitude à jouer un rôle politique de premier plan au sein du duché ; il récoltera vite les fruits de son labeur – ou de celui de son épouse dévouée. Mais pourquoi l’histoire d’Alexandre ? Le jeune traducteur d’une vingtaine d’années et son épouse peuvent fort bien trouver dans le conquérant une figure d’admiration ou d’identification. Et surtout, leur époque est marquée par un conflit quasi universel comme au temps d’Alexandre, dont le héros dans le camp protestant est Gustave Adolphe (1594-1632), tué au combat dans la force de l’âge23 : un stratège exemplaire qui mène une guerre-éclair victorieuse grâce à la suprématie tactique et technique de son armée. Les Hakkapélites, la cavalerie légère finlandaise, rapide et dotée d’armes à feu, enfonçait les carrés de piquiers de l’armée impériale. Gustave Adolphe se fabrique, à l’instar d’Alexandre, une image de monarque clément et magnanime. Aussi n’est-il pas surprenant que la « publicistique » imprimée de l’époque fasse du Leu aus Mitternacht (« lion du septentrion ») ou du ex septentrione lux le nouvel Alexandre24. Il y a assurément dans cette nouvelle mythologie une raison au regain d’intérêt pour les Historiae, pleinement corroborée par le succès éditorial de la traduction. Ce succès s’explique aussi par le goût certain du public contemporain pour le romanesque, même si l’auteur ne semble pas y souscrire. À partir de la deuxième édition, il découpe le récit en chapitres bien marqués, précédés d’un argument dans une taille de police inférieure. Cet usage est celui qui s’est imposé dès le xvie siècle pour l’édition aussi bien des très populaires romans en prose que des traductions des historiographes antiques et renaissants, destinés à un large public et fréquemment assortis d’illustrations. 23. Il faut signaler qu’un proche parent du traducteur, Hans Christoph von Lehsten (16181643), fit carrière comme officier de l’armée suédoise dans laquelle il combattit jusqu’en Hongrie, avant d’être assassiné par des Impériaux, fraîchement démobilisé, à l’âge de 26 ans. 24. Voir notamment la plaquette de huit pages in-4° de Matthaeus Lungwitz, Ettlich Schöne Leßwürdige Vergleichungen/ Deß Durchleuchtigsten […] Herrn Gustav-Adolphi/ der Schweden/ Gothen und Wenden Königes. Mit dem Allerfürtrefflichstem Helden Alexandro Magno/ Königs Philippi in Macedonien Sohn/ von welchem die Historien meldten/ daß er in 12. Jahren/ den gantzen Erdboden unter sich gebracht, Zwickau, 1632. Voir W. Harms, « Gustav Adolf als christlicher Alexander und Judas Makkabaeus. Zu Formen des Wertens von Zeitgeschichte in Flugschrift und illustriertem Flugblatt um 1632 », Wirkendes Wort, 35 (1985), p. 168-183.

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Alexandre, anti-modèle éthique de la société urbaine postmédiévale, devient le parangon de la culture aulique de l’absolutisme princier. Aux lecteurs des pays d’Allemagne protestante qui sortent de la guerre de Trente Ans, il est la préfigure de Gustave Adolphe, grand chef militaire triomphateur des Impériaux, mort au combat à 37 ans, même si l’admiration et la déférence envers le grand général n’effacent pas les sombres réalités de la guerre, la cruauté et les destructions dont ont été victimes les populations autochtones. La traduction de Lehsten participe de l’héroïsation des chefs de guerre, caractéristique d’un xviie siècle absolutiste et martial, autant en France que dans les pays germaniques. Toutefois le portrait équilibré d’Alexandre par Quinte-Curce, laudatif certes mais lucide sur ses exactions, convient à une aristocratie terrienne qui a à la fois soutenu la campagne militaire victorieuse du monarque du Septentrion et souffert des ravages de ses troupes. Ainsi les coreligionnaires du roi de Suède nourrissent-ils un culte raisonné du héros. La reconstruction des deux premiers livres par Freinsheim ne pouvait déplaire à Lehsten en ce qu’elle véhicule un certain nombre d’idéologèmes de la noblesse allemande. La description de la cité de Thèbes est tout à l’avantage des Macédoniens. Les citoyens sont rendus responsables de leur infortune et des massacres subis, punition de leurs vices, de leur orgueil et de leur jusqu’au boutisme. La mise à sac de la ville est imputée aux troupes alliées et non à Alexandre dont on met en exergue, au contraire, le geste de clémence exemplaire lorsqu’il légitima la vengeance de la Thébaine Timoclée violée qui tua par ruse son agresseur (Lehsten, p. 98-99). Freinsheim fustige le « vulgus imperitum & mobile, nulla futuri cura » (I, 14, 19), « der gemeine unbeständige und unwissende pöfel » (Lehsten, p. 118, « la versatilité et l’ignorance de la populace ordinaire ») et loue Alexandre pour avoir soumis la Grèce en faisant preuve à la fois de fermeté et de mansuétude (I, 14, 33 ; Lehsten, p. 122). Dans le texte même de Quinte-Curce, un contresens du traducteur tend à occulter la portée politique du discours sévère de Callisthène, ce « faiseur de dieux25 », qui explique que les grands hommes sont le produit de leur entourage et des historiographes : « Aequis auribus Callisthenes veluti vindex publicae libertatis, audiebatur » (VIII, 5, 20) ; « Dieser des Callisthenes freye rede ward mit guenstigen ohren von jederman angehoeret26 », lit-on au lieu de : « On écoutait volontiers Callisthène comme le défenseur de la liberté publique. » 25. « Scilicet ego & tu Cleo deos facimus ! » (VIII, 5, 18) Sur l’actualité de ces réflexions, cf. C.-G. Schwentzel, La fabrique des chefs. D’Akhenaton à Donald Trump, Paris, 2017. 26. Lehsten, p. 685 : « Le libre discours de Callisthène fut écouté de tous avec des oreilles favorables. »

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Freinsheim relate en outre l’épisode de la rencontre d’Alexandre avec les peuplades du Danube, qu’il assimile aux Germains et qui vont se mettre au service du conquérant : il fait l’apologie de la puissance et de l’impérialisme, à rebours du mythologème romain de Marc-Aurèle repris par La Fontaine d’« un certain paysan des rives du Danube27 ». Freinsheim altère sa source (Strabon) par un anachronisme28. À l’époque d’Alexandre comme au temps de Strabon et de la conquête par Rome des régions cisdanubiennes, la t­ ribu germanique orientale (ou « Tudesque ») des Hérules était encore loin de s’établir sur le bas- et le moyen-Danube (iiie-ve siècle). Strabon consacre certes le chapitre 3 du livre VII de sa Géographie à la « Germanie méridionale », mais les émissaires autochtones qu’Alexandre rencontre sur les rives du Danube ne sont, selon l’auteur, ni à proprement parler des « Gaulois » ni a fortiori leurs cousins « germains », mais des Celtes (des Scordisques), ceux qui disent au grand conquérant ne craindre qu’une seule chose : que le Ciel leur tombe sur la tête. Tacite considère abusivement comme germaniques des tribus dont il vante les qualités physiques et les vertus morales mais qu’il conviendrait davantage de considérer comme celtes. C’est le cas précisément de ces populations qui vivent au bord du Danube. On comprend avec quelle frénésie le xvie siècle allemand a redécouvert ce texte qui fut traduit une première fois par Eberlin, mais non publié, puis par Jacobus Micyllus en 1535. Ces deux traducteurs rapprochent le dieu « germain » Tuisto, qu’évoque Tacite, de l’auto-désignation des Allemands comme Teutsche : « von disen [Tuisco] sey teutsche nation kommen29 » ; Micyllus affirme dans une note marginale : « Von disem Tuistone seind die Teutschen genant worden30. » Lehsten utilise aussi le terme teutsch orthographié avec un « t » et non avec un « d » comme chez Luther. Son maître Tscherning écrit lui-même deutsch mais accepte dans son traité de poétique les deux orthographes31.

27. On connaît la fortune littéraire ultérieure du paysan danubien, de Stendhal à D.  de Rougemont jusqu’à la théoricienne de la traduction D. Seleskovitch ! 28. Strabon, Géographie, VII, 3 (« La Germanie méridionale »), sections 2 et 8. 29. M.  Radlkofer,  « Die älteste Verdeutschung der Germania des Tacitus durch Johann Eberlin », Blätter für das bayerische Gymnasialschulwesen, 23 (1887), p. 1-16, ici p. 4. 30. « C’est à ces Tuistone que les Allemands devraient leur nom » : Cornelius Tacitus, Der Roemischen Keyser Historien : von dem abgang des Augusti an : biß auff Titum vnd Vespasianum… Jtem das Buechlein von der alten Teutschen brauch vnnd leben, trad. Jacobus Micyllus, Mayence, 1535, p. 438. 31. Andreas Tscherning, Unvorgreifliches Bedencken über etliche mißbräuche in der deutschen Schreib = und Sprach= kunst/ insonderheit der edlen Poeterey, Lübeck, 1658, p. 2.

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La position du traducteur Quelles sont maintenant les caractéristiques de cette traduction, au plan de la forme comme au plan du contenu ? Elle s’inscrit dans la continuité du « ciblisme » tempéré de Luther, qui suit la voie tracée par une partie des traducteurs humanistes, celle d’un style traductif assimilateur prôné par Albrecht von Eyb et Heinrich Steinhöwel, contre celle défendue par Niklas von Wyle d’une imitation servile du modèle qui n’hésite pas à gauchir les règles en usage dans la langue cible pour rendre l’élégance latine et recourt à la néologie pour tirer parti d’un vocabulaire réputé plus riche. Luther adopte une position médiane, pragmatique et nuancée. Il germanise le texte biblique autant que faire se peut en s’appuyant sur la langue du peuple, mais n’hésite pas cependant à « acclimater » des tournures propres au texte de départ. Il réduit l’effet d’étrangeté de la traduction sans aboutir à une complète naturalisation. Il s’agit d’éviter une traduction ethnocentrique qui occulterait la distance historique ou géographique du texte source, qui gommerait toute trace d’extranéité linguistique. La traduction de Lehsten s’oppose en outre au modèle français des « belles infidèles », celui d’une libre reformulation de l’original. Nous verrons notamment comment son style traductif s’écarte de l’amplification et de la stylisation de Vaugelas32.

Les adjonctions Les notes font partie, avec l’introduction, le glossaire et les autres éléments paratextuels, de ce que Berman appelle l’« étayage de la traduction33 » qui renseigne sur la position traductive. Nous avons déjà signalé plus haut en quoi le dispositif textuel de Lehsten était très différent de celui de Freinsheim et celui de Vaugelas. Ainsi, les manchettes sont, chez ces derniers, réservées à la mention abrégée de sources. Quant aux notes savantes, Freinsheim les regroupe sous la double forme de Commentarii et d’un index en fin de volume. Lehsten renonce entièrement aux manchettes et la plupart du temps à la référence aux sources et fait le choix exclusif de l’intercalation, en plaçant entre parenthèses ou entre crochets des éléments au statut textuel différent. On peut ainsi distinguer quatre types d’intercalations : – les intercalations entre crochets qui reprennent les ajouts textuels de Freinsheim ; 32. Pour éviter les confusions dans le renvoi aux textes, nous indiquons L. pour Lehsten et V. pour Vaugelas. 33. A. Berman, op. cit., p. 68.

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– des commentaires métadiscursifs entre crochets34 ; – des explications terminologiques entre parenthèses ; – des références savantes entre parenthèses, le plus souvent reprises de Freinsheim. Il est à noter que des commentaires auctoriaux sont aussi donnés entre parenthèses : la discrimination typographique n’est donc pas limpide. Les remarques savantes se multiplient dans la traduction des derniers livres35. La plupart d’entre elles sont inspirées d’indications de Freinsheim, contenues soit dans ses commentaires, soit, ponctuellement, dans l’index qui donne des équivalents allemands (ou français) d’un certain nombre de termes36. Le traducteur reproduit rarement in  extenso37 une note de Freinsheim ; il les condense la plupart du temps38 et, parfois, s’en détache. Ainsi, dans une parenthèse a priori de son cru, le traducteur se livre à des conjectures sur le volume de la garde royale : les conjurés qui projetaient d’assassiner Alexandre étant au nombre de neuf, le nombre total de gardes devait être de soixante-trois, glose-t-il39. Au livre VIII, Alexandre prend la route des Indes. Ce pays, nous dit Quinte-Curce, est plus étendu en longueur qu’en largeur. Le traducteur ajoute une note savante – qui ne démarque pas Freinsheim et s’inspire probablement d’un géographe contemporain – expliquant que « von dem berg Imaus biß an das Camorinische vorgebirge hat das land in die länge 320. teutscher meilweges40 ». À propos du roi indien Erythrus (L. p. 709), il renvoie à Freinsheim, mais aussi à Nicolaus Tuller, 34. Par exemple, L. p. 610-611, le traducteur note entre crochets : « Freinshemius verbessert diesen satz also in seiner erklärung hierüber. » (« Freinshemius améliore cette phrase dans le commentaire qui s’y rapporte. ») Également L. p. 676-677, une longue remarque entre crochets introduite par « NB. » met l’accent sur une incohérence du texte due à une erreur de l’auteur ou à la disparition d’un passage et renvoie aux explications de Freinsheim dans ses Commentaires « sous le mot Cohortanus ». 35. Les notes faisant étalage d’érudition sont une pratique du temps, y compris dans les œuvres littéraires, comme en témoignent les tragédies publiées par Daniel Casper von Lohenstein. 36. Comme celui de Dragoner (« dragons ») (V, 13, 8). Cette traduction pertinente a été soufflée au traducteur par Freinsheim lui-même. Mais Lehsten ne suit pas toutes les suggestions de traduction de Freinsheim : il traduit par exemple virga par rutten là où Freinsheim propose Spißgert (VII, 4, 18). 37. Par exemple L. p. 708, traduction de la note VIII, 9, 11. 38. Par exemple L. p. 707, le traducteur résume la très longue note savante de Freinsheim (VIII, 9, 5) sur l’Acesine qui grossit le Gange. 39. p. 690. Rien de cela chez Freinsheim en VIII, 6, 15. 40. p. 706 (VIII, 9, 1) : « du mont Imaus (l’Himalaya) jusqu’au cap Comorin, le pays a une longueur de 320 milles allemands (soit 3 200 kilomètres). »

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auteur de Miscellanea theologica publiées à Strasbourg en 165041. Plus loin, Lehsten se livre à partir du commentaire de Freinsheim (IX, 3, 24) à un calcul correctif de la vitesse de navigation d’Alexandre qui parcourt quarante stades par jour sur l’Hydaspe : Demnach 8. stadia ein viertel meilweges machen  / als folget hieraus/ Alexander habe nur täglich 5. viertelweges geschiffet / weil das aber nicht seyn kan / als ist zu schliessen das vor 40. 400. stadia stehen sollen / welche außtragen 12. und ein halbe meilweges vide comm.hic. (L. p. 762) [Étant donné que huit stades correspondent à un quart de mille, Alexandre n’aurait pu parcourir chaque jour en bateau que cinq quarts de mille ; comme cela n’est pas possible, on doit en déduire qu’au lieu de 40, il faut lire 400 stades qui représentent 12 milles et demi.]

Incrémentialisation et sous-traduction Le propre d’une traduction libre telle que celle de Vaugelas, outre le souci des bienséances, est la recherche d’effets stylistiques, le souci de la qualité rythmique et sonore par la construction des colâ et les jeux d’assonance. C’est ainsi que Vaugelas se signale par sa concision dans la traduction des sentences qui prennent une forme proverbiale, binaire et rythmée : « Effugit mortem, quisquis contempserit : timidissimum quemque consequitur » (IV, 14, 25) ; « Le moyen d’éviter la mort dans le combat, c’est de la mespriser, qui la craint, la trouve » (V. p. 356). Lehsten recourt à une rime approximative (L. p. 384) : « Wer den tod verachtet/ ist ihm schon halb entrunnen / aber der furchtsame wird umbkommen. » Comparons cet autre exemple d’isocolie et de condensation rhétorique à la platitude du rendu allemand : « leur remonstrant, Que leur terreur est vaine, & l’ennemy loin de là » (V. p. 340) ; « mit vermelden / weiln der Feind noch weit fürbaß stehe/ hätten sie keine Ursach sich zu fürchten » (L. p. 344). Cette brevitas ponctuelle n’est que le revers d’une esthétique de l’abondance. La comparaison de la traduction de Lehsten avec celle de Vaugelas met en évidence la grande sobriété du premier qui s’abstient du surenchérissement et des circonlocutions caractéristiques des « belles infidèles ». Tout d’abord, son style est étranger à la préciosité de Vaugelas pour qui, par exemple, les médecins redoutent que la flèche qui a failli « penetrasse in viscera » (IX, 5, 24 ; L. p. 776, « ins eingeweid durchgedrungen », « pénétrer dans les entrailles ») d’Alexandre ait « offensé les parties nobles » (V. p. 677). 41. Voir Allgemeines Gelehrten-Lexicon, Leipzig, 1751, t. 4, p. 1353.

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Vaugelas recourt volontiers à un style imagé et n’hésite pas à filer la métaphore. La proposition « longa quidem cognatione stirpi regiae adnexum » (IV, 1, 19), rendue ainsi par Lehsten : « welcher zwar dem Königlichen Geblüthe weitläufftig verwand42 », donne chez Vaugelas (V. p. 272) : « Qu’ils ne connoissoient personne plus capable de cette dignité qu’un certain Abdalonyme descendu de la tige royale, quoy que d’une branche un peu éloignée. » En regard de l’urbanité des protagonistes de Vaugelas qui s’expriment de façon plus policée par souci des convenances, Lehsten ne corrige pas la teneur de l’original : Alexandre n’y vouvoie pas ses ennemis dans la correspondance ni dans les dialogues. Il a aussi la colère plus luthérienne : « nos ergo, sceleste, spurij tibi videmur ? » (I, 9, 3) ; « Bin ich dann / du leichter vogel / ein hurensohn43 » ; Vaugelas rend ainsi la réplique véhémente d’Alexandre (V. p. 55) : « Il faut donc meschant, respondit-il à Attalus, que vous me croyez bastard. » Ensuite, l’amplification stylistique est la règle chez Vaugelas qui peut plus que doubler le nombre de mots de l’original, comme pour la phrase « Itaque ultimum omnium mors est, ad quam non pigre ire satis est » (V, 9, 7), qui comporte douze mots en latin, seize dans la traduction allemande44 et vingt-huit pour Vaugelas (V. p. 419) : « […] car la mort estant la derniere de toutes les choses, c’est bien assez d’aller à elle d’un pas asseuré, sans que l’on y coure. » L’ajout d’une parisose permet de reproduire l’homéotéleute. Un deuxième exemple : la phrase de vingt-six mots (IV, 12, 21), « Fluctuari animo rex, & modo suum ; modo Parmenionis consilium sera aestimatione perpendere. quippe eo ventum erat, unde recipi exercitus nisi victor, aut sine clade non posset », est rendue en 41 mots chez Lehsten et 55 chez Vaugelas. Comparez enfin le commentaire suivant – « eximiamque pulchritudinem formae eius non libidinis habuerat incitamentum, sed gloriae. » (IV, 10, 24) –, rendu en dix-sept mots par Lehsten (« Dann er ihre ausbündige schöne nicht vor einen zunder unkeuscher liebe / sondern eine auffmunterung zur tugend hielte45. »), à la traduction de Vaugelas (V. p. 330) : « […] tellement qu’on peut dire que cette beauté si excellente & si rare, ne fut pas un attrait de

42. L. p. 294 : « apparenté à la famille royale, quoiqu’à un degré éloigné. » 43. L. p. 73 : « Suis-je alors un fils de p…, espèce d’écervelé. » À l’inverse du mot « bâtard », le terme Hurensohn ne s’emploie que comme injure. Voir Wörterbuch der Brüder Grimm, Leipzig, 1877, t. 10, col. 1964. 44. L. p. 449 : « Weil auch der tod aller ding end ist /ist gnung/ wann man demselben unerschrocken entgegen gehet. » 45. L. p. 353 : « car il ne considérait pas son exceptionnelle beauté comme un engagement à l’amour impudique, mais comme un encouragement à la vertu. »

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volupté pour ce Prince, mais plûtost une matiere de gloire, & un sujet de faire éclater davantage sa vertu. » Lorsque Lehsten recourt au procédé de l’incrémentialisation46, c’est en revanche à des fins pédagogiques voire axiologiques. Dans le premier cas, les additions sont généralement entre parenthèses : Alexandre « kam in den flecken (Thara) woselbst Bessus den Darius gebunden hatte47 ». Dans sa harangue aux troupes, Darius dit d’Alexandre qu’il « velut quaedam animalia amisso aculeo torpet » (IV, 14, 13, « s’engourdit comme certains animaux qui ont donné un coup d’aiguillon ») ; Lehsten explique par une parenthèse qu’il s’agit de bienen (« abeilles48 »). Ailleurs, il traduit librement par une périphrase interprétative cet objet discoïde adoré comme un dieu par les Hammoniens, habitants de la forêt, ce petit cercle ou ce nombril (umbilicus) qu’il décrit comme « einem runden oben zugespitzten kegel gleich » (L. p. 336, « semblable à un cône circulaire à pointe effilée ») et assimile implicitement à l’omphalos delphique49. Voici deux exemples d’explicitation à contenu axiologique. Au livre VIII, Alexandre est horrifié par le geste de l’épouse de Spitamène qui vient de lui apporter la tête coupée de son mari : « sie solte sich aus dem laeger machen / und mit ihrer groben Barbarischen freyheit die Griechische sitten / und guetige gemuether nicht aergern noch anstecken50. » Les Barbares sont bien des « gens grossiers », comme il est écrit plus haut : « die groben leute (Barbaren) » (L. p. 505). Le cinquième chapitre du livre VI évoque l’homosexualité d’Alexandre. Le maréchal du palais de Darius, Nabarzane, offre en présent à Alexandre un jeune et bel eunuque, le mignon de Darius, auquel Alexandre « s’habitua » à son tour : inter quae Bagoas erat specie singulari spado, atque in ipso flore pueritiae ; cui & Darius fuerat adsuetus & mox Alexander assueuit. (VI, 5, 23) Unter diesen gaben war auch der Bagoas / ein sehr schöner verschnittener knabe / welchen Darius hatte lieb gehabt / und den hernach auch Alexander ungebührlich lieb gewonnen / dann er zum meisten auff seine vorbitte den Nabarzanes zu gnaden annahm. (L. p. 503)

46. Le terme a été forgé par J.-R. Ladmiral, Traduire : théorèmes pour la traduction, Paris, 1979. 47. L. p. 463 : « arriva dans le bourg (Thara) où Bessus avait lui-même enchaîné Darius. » 48. L. p. 380 : « ist nu reine verwegenheit / welche / nach dem ersten angriff / denen thierlein gleich ist / die nach verlohrenen stachel erligen / (das ist/ den bienen). » 49. « Elle est faite comme un nombril » (V. p. 313), écrit Vaugelas qui traduit littéralement. 50. L. p. 670 : « Qu’elle sorte du camp pour ne pas contaminer les mœurs et la générosité de caractère des Grecs avec la licence grossière des Barbares (licentiae barbarae). »

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Florent Gabaude [Parmi ces cadeaux se trouvait aussi Bagoas, un très bel et jeune eunuque que Darius avait aimé et qu’Alexandre aima à son tour d’un amour contre-nature, de sorte que ce fut principalement sur sa prière qu’il gracia Nabarzanes.]

Le traducteur conserve le polyptote (adsuetus/assueuit – lieb gehabt – lieb gewonnen) mais introduit un jugement moral, qualifiant expressément cette relation d’inconvenante (ungebührlich). Les traductions allemandes des xviiie et xixe siècles, tout comme celle de Vaugelas (« ayant esté fort aimé de Darius », V. p. 465), sont plus circonspectes et ne lèvent pas l’ambiguïté du texte latin, conformément à ce que préconise notamment Pierre-Daniel Huet51 contre la règle classique de la perspicuitas. Johann P. Ostertag écrit que le jeune castrat « vorher des Darius Herz besaß » (« possédait auparavant le cœur de Darius ») et Johannes Siebelis que Darius « [mit ihm] häufigen Umgang gepflegt hatte » (l’« avait fréquenté52 »). À rebours de ces explicitations, certains allègements relatifs à des tabous sexuels sont particulièrement notables : « Er hielte 360. Kebsweiber / weil Darius auch so viel gehalten hatte / denenselben folgte eine grosse menge verschnittener weichlinge53. » Vaugelas rend la crudité du texte latin décrivant les « spadonum greges & ipsi muliebria pati adsueti » (« troupes d’eunuques habitués à servir de femmes ») par un sous-entendu appuyé et une réprobation morale explicite54. Lehsten traduit la proposition par un terme péjoratif unique : un Weichling désigne un être efféminé, une femmelette, mais aussi par euphémisme, sous la plume de Luther et de ses successeurs, une forme de « perversion » sexuelle, onanisme ou sodomie55. Au livre VI, Lehsten gomme la dimension physique de la relation homosexuelle, choisissant de traduire exoletus par erwachsen (« adulte ») plutôt que par « débauché » (L. p. 513-514) et expliquant que Dymnus s’est entièrement voué 51. Pierre-Daniel Huet, De interpretatione libri duo, Paris, 1661, p. 24. 52. Q.  Curtius Rufus von dem Leben und Thaten Alexanders des Großen. Mit Johann Freinsheims Ergänzungen übersetzt und mit erläuternden Anmerkungen begleitet von J.  P. Ostertag, t. 2, Francfort, 1785, p. 114 ; Quintus Curtius Rufus, Von den Thaten Alexanders des Großen. Verdeutscht von Johannes Siebelis, Stuttgart, 1861, t. 2, p. 188. Cette dernière traduction fait aujourd’hui référence. Cf. L’Amour Bleu. Die homosexuelle Liebe in Kunst und Literatur des Abendlandes, éd. C. Beurdeley, Cologne, 1977, p. 15-16. 53. L. p. 507 : « Il entretenait trois cent soixante concubines, autant qu’en avait eu Darius, elles-mêmes suivies d’un grand nombre d’eunuques efféminés. » 54. V. p. 468 : « Il avoit fait un Serrail de son Palais, l’ayant remply de trois cens soixante concubines, autant qu’en avoit eu Darius, avec des troupes d’Eunuques, qui se prostituoient à toutes sortes d’ordures. » 55. Wörterbuch der Brüder Grimm, Leipzig, 1955, t. 28, col. 527.

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à Nicomaque par amour pour lui. Il commet au demeurant un contresens puisque c’est au contraire le corps complaisant de l’amant qui est entièrement dévolu à sa personne (« obsequio uni sibi dediti corporis victus », VI, 7, 2). Quant à Vaugelas, il passe purement et simplement ce passage sous silence (V. p. 473). Lehsten édulcore passablement la traduction de l’épisode où la courtisane Thaïs incite Alexandre à mettre le feu au palais royal de Persépolis. Le roi, écrit-il, « hielte er doch alle tage gastereyen / denen auch die weiber beywohneten/ nicht aber ehrliche weiber / sondern die kebsweiber waren über gebühr mit ihm lustig » (L. p. 439, « donnait des festins auxquels assistaient aussi les femmes, ce n’étaient pas cependant d’honnêtes femmes, mais des concubines qui s’amusaient avec lui contre les convenances »). Quinte-Curce est plus explicite : à ces festins assistaient « de die inibat conuiuia, quibus feminae intererant : non quidem quas violari nefas esset ; quippe pellices licentius quam decebat cum armato vivere adsuetae » (Freinsheim, V, 7, 2, « non pas des femmes que l’on ne saurait violer impunément, mais des courtisanes habituées à vivre avec les gens de guerre plus licencieusement qu’il ne convenait »). Vaugelas (V. p. 411) se montre ici plus fidèle à l’original : « Il y appelloit des femmes, non pas de celles à l’honneur de qui c’eust esté un crime d’attenter ; mais des courtisanes, qui n’avoient pris que trop de licence, & ne s’estoient renduës que trop communes dans l’armée. »

Syntaxe et mots culturels Au plan syntaxique, on note chez Lehsten une tendance très forte, qu’il partage avec son époque, aux enchâssements phrastiques (Verklammerung), à l’ouverture maximale du « serre-joint verbal de la phrase » allemande (verbale Satzklammer) théorisée par les linguistes d’outre-Rhin. La seconde moitié du xviie siècle marque bien à cet égard l’acmé de ce type de constructions périodiques : Alexander aestimato locorum situ, agi cuniculos iussit ; facili ac leui humo acceptante occultum opus : quippe multam arenam vicinum mare euomit ; nec saxa cotesque, quae interpellent specus, obstabant. (IV, 6, 8) Als nun Alexander des orts gelegenheit besichtigt/ hieß er die stadt/ weiln das erdreich leicht / und gar bequäm dazu war / sintemal das nahgelegene meer viel Sandes auswirfft/ und keine felsen die Arbeit behindern/ untergraben. (L. p. 326)

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Florent Gabaude [Alexandre, après avoir étudié la nature des lieux et constaté que le sol était léger et meuble, la mer voisine y jetant beaucoup de sable, et qu’aucun rocher n’empêchait la sape, ordonna de creuser des mines.]

Lehsten rallonge aussi souvent la période latine ou préfère l’hypotaxe au style paratactique de l’original. La traduction de Lehsten est parfois très littérale et en retrait par rapport au primat donné par Luther à l’intelligibilité du propos. Il calque par exemple le terme d’adresse latin : « Philippus Aristoteli salutem dicit » (I, 2, 4) donne « Philippus wünschet dem Aristoteles heyl » (L. p. 12 : « Philippe souhaite le salut à Aristote » et non « « Philippe à Aristote, Salut »). On connaît l’exemple fameux de Luther dans sa Sendbrief (Lettre ouverte sur la traduction) de 1530 : au lieu du calque « Je te salue, Marie pleine de grâce » (gratia plena ; vol gnaden, Luc, 1, 28), Luther explique qu’en bon allemand, on devrait dire « Gott grüße dich, du liebe Maria » (« Dieu te salue, chère Marie »), mais opte finalement pour une traduction intermédiaire : « du Holdselige » (« gracieuse Marie56 »). Quant à la réponse épistolaire d’Alexandre à Darius au livre IV, elle n’est guère intelligible en allemand, l’erreur venant toutefois de Freinsheim : « Rex Alexander Dario. Celes, cuius nomen sumpsisti Darius, Graecos qui oram Hellesponti tenent, coloniasque Graecorum Ionas, omni clade vastauit » (IV, 1, 10) ; « König Alexander / dem Darius Celes / dessen nahmen du Darius führest/ hat die Griechen / so am Hellespontus wohnen / und die Jonier ihre besetzleute mit grossem schaden verheeret57. » Les éditions ultérieures corrigent dans le corps du texte en « ille », mais conservent l’entrée « Celes » dans l’index. Vaugelas rectifie de lui-même (p. 270) : « Le Roy Alexandre à Darius. Il n’y a sorte de maux imaginables que cet ancien Darius dont vous avez pris le nom, n’ait faits autrefois aux Grecs, qui tiennent la coste de l’Hellespont, & aux Ioniens nos anciennes colonies. » Samuel Pitiscus, dans une longue note philologique de son édition de 1693, tente de justifier la présence incongrue dans cette phrase du terme de « celes ». Que vient faire ce coursier ? Ce serait une allégorie du roi des Perses, né sous les auspices d’un cheval hennissant58 : « Potuerit etiam celes dici, quod equi hinnientis auspicio sit creatus rex Persarum. »

56. Luther, Sendbrief, op. cit., p. 16-17. 57. L. p. 292 : « Le roi Alexandre, Darius Celes dont tu portes le nom a ravagé et dévasté la côte de l’Hellespont, qu’habitent les Grecs, et les colonies grecques d’Ionie. » 58. Quintus Curtius Rufus, De rebus gestis Alexandri magni historia, éd. Samuel Pitiscus, 1693, note 24, p. 106. Le père de Darius Ier est Hystaspès ou Vishtaspa en grec, ce qui, en vieux perse,

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La traduction des termes à fort contenu culturel obéit à un style traductif tantôt « sourcier » tantôt « cibliste ». Lehsten relève fréquemment du second, tout en étant animé du désir d’enrichir le lexique « civilisationnel » de son lectorat. Une traduction « cibliste » préfère la paraphrase ou l’équivalence dynamique – la transposition dans la langue réceptrice – à l’équivalence formelle. Mais, non moins souvent aussi, la position de Lehsten est plutôt à rapprocher de celle que recommande son contemporain Huet : « Le traducteur ne doit pas inventer une locution équivalente, mais se borner à donner en marge ou en note la signification des mots intraduisibles59. » Beaucoup de termes désignant des fonctions et des mots culturels sont germanisés : les milites deviennent des landsknechte (L. p. 500, « lansquenets ») et la cavalerie d’Alexandre des reisige (L. p. 345), un terme qui relève d’un même anachronisme. Alexandre réunit à la satrapie de la Susiane la nation des Uxiens qu’il venait de soumettre. Le mot allemand pour satrapa est landvogt, utilisé dans la Bible de Luther que Lehsten rend également par landpfleger (L. p. 676, « gouverneur »). Au livre VI, Métron s’est précipité jusqu’à l’endroit où Alexandre prenait son bain pour lui faire part du projet d’assassinat : le bain royal est modernisé et germanisé en badstube, en étuve médiévale (« ut eo ubi lavabar irrumperet » : « und in meine badstube deswegen zu eilen », L. p. 530). Au livre VII, il est question des Branchides – une ancienne colonie grecque dans l’empire perse – qu’Alexandre massacra alors qu’ils venaient de lui faire allégeance (VII, 5, 33) : « Illi inermes passim trucidantur, nec aut commercio linguae, aut supplicum velamentis precibusque inhiberi crudelitas potest. » Au pluriel, velamenta désigne les insignes des suppliants tels que des bandelettes de laine. Le traducteur fait une fois de plus le choix médian qui était celui de Luther entre une traduction gommant toute dissonance culturelle – comme ici Vaugelas qui élude tout bonnement ce détail culturel – et une traduction qui n’est pas immédiatement appréhensible ; il rend donc par verhüllen (« le fait de se voiler ») les « bandelettes » des suppliants : « Also wurden die unbewehrten Branchidae alle erschlagen / und ward weder durch gemeinschafft der sprache / noch durch der fußfälligen ihr verhüllen und flehen der würger grausamkeit ingehalten60. » Pour inspirer la compassion, les signifie « celui qui connaît les chevaux ». Voir R. Kent, « The Name of Hystapes », Language, 21/2 (1945), p. 55-58. 59. Cité par L. Tolmer, Pierre-Daniel Huet (1630-1721) : humaniste-physicien, Bayeux, 1949, p. 223. 60. L. p. 603 : « Alors les Branchidae sans défense furent tous tués et ni la communauté de langage, ni les prières, ni les voiles des suppliants ne purent arrêter la cruauté des égorgeurs. »

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Anciens et notamment les Perses prenaient la posture de suppliant, explique le révérend père Dom, « Or la grande marque de Suppliant etoit de se voiler le visage », et il précise un peu plus loin : « Il prend un voile sur la tête, c’està-dire en langage Syrien, il ceint sa tête d’une corde61. » La traduction oblique de certains termes et expressions par des équivalences ou adaptations entend prévenir l’incompréhension. Ainsi, parricidium est rendu par mordthat (L. p. 609, « meurtre »), abscheuliche mordthat (L. p. 699, « crime horrible ») ou koenigsmord (L. p. 604, « régicide »). Le concept de bellum impium est traduit par unrechtfertiger krieg (L. p. 435, « guerre injuste ») qui parle davantage à l’Occident chrétien. Le parentandum majoribus, le devoir d’apaiser les mânes des ancêtres, est assimilé à une très catholique Seelmesse (L. p. 435, « vigiles des morts »). On peut mettre également au compte de la christianisation cette équivoque ou ce contresens qui traduit probitas par frombkeit (probitas, en son sens archaïque, ou pietas) dans l’édition de 1653 et par frömmigkeit (pietas, devotio) dans celle de 166662, une confusion dénoncée par Pierre Charron63 (« Causa ei paupertatis sicut plerisque probitas erat » (IV, 1, 20) ; « Die ursach seines armuths war/ wie gemeinlich/ seine frombkeit » (L. p. 295, « Sa pauvreté, comme souvent, avait pour cause sa piété »)). Le traducteur a néanmoins à cœur de faciliter à ses lecteurs la compréhension de dénominations spécifiques, non plus par des notes savantes qui font étalage d’érudition, mais par de brèves intercalations. Il indique alors le mot rare, soit assorti d’une parenthèse explicative, soit lui-même entre parenthèses après une équivalence, soit encore lié au terme courant par un « ou » inclusif. Le terme de phalanx est ainsi rendu par « die gevierdte fußvolcksordnung (Phalanx genant) » (L. p. 373) ou « die gevierdte Macedonische Fuß=Volcks Hauffen » (L. p. 325, « la formation d’infanterie macédonienne en carré ») ou encore « den besten fußvoelckern (Phalanx genant) » (L. p. 493, « les meilleurs fantassins (qu’on appelle la phalange) ». De même, le traducteur reprend Cf. R. P. Dom, Explications de plusieurs textes difficiles de l’Écriture, Paris, 1730, explication 75, p. 264-265 : « On prit les Branchides au dépourvû, on les massacra sans qu’ils pussent se défendre : & ni la langue Grecque qu’ils parloient, ni les prières, ni enfin le voile qu’ils avoient sur le visage, ne purent arrêter la fureur du soldat. » Vaugelas se trompe (p. 537) : « Ces miserables, qui ne songoient pas à se défendre, furent esgorgez par les ruës & dans leurs maisons, & il n’y eut ni conformité de langage, ni cris, ni prières, qui peûssent arrester le cours de cette cruauté. » 61. R. P. Dom, ibidem. 62. Quintus Curtius Rufus, Von den Thaten Alexanders desz Grossen, Königes der Macedonier, Rostock, 1666, p. 279. 63. Pierre Charron, Le bon ministre d’estat, Paris, 1649, p. 5.

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le terme d’agema et précise : « das ist/ eine rott » (L. p. 373, « il s’agit d’une unité de combat »). Les tautologies, doublons synonymiques et les mots épaulés par un terme générique sont légion : deux mots coordonnés rendent rhinocerotas ou lectica (L. p. 709, « Rhinoceroten oder Nasehornthiere » ; p. 711, « roßbahr/ oder senffte »). Les Indiens portent des « sohlen oder pantoffeln » (L. p. 710), deux termes pour « sandales », le second étant le méronyme du premier. Les cameli dromades (dromadaires) deviennent des « Dromedarii oder Camelthiere » (L.  p.  411, « dromadaires ou chameaux »), le premier terme étant selon Schottel un hyponyme du second64. A contrario les quasi-synonymes « lixarum colonumque » sont rendus par un seul terme : « troßbuben » (L. p. 674, « vivandier »). Au livre IV, le traducteur mentionne l’Africus et explicite : « un vent de sud-ouest » (L. p. 283). Au livre VII, les soldats d’Alexandre s’enduisent le corps d’huile de sésame (L. p. 591) : « sie presseten einen safft von Sesama (das ist leindotter). » Le traducteur assimile le sésame à la cameline – que l’on appelle aussi il est vrai « sésame d’Allemagne » –, ce que modulera son plagiaire Kritzinger : « Sesam, ist eben das, was bei uns der Leindotter » (« le sésame est chez nous la cameline65 »).

Termes techniques et noms propres Au plan du lexique toujours, nous envisagerons plus en détail deux domaines : les ergonymes, plus particulièrement ceux relevant du registre militaire ou naval ainsi que les unités de mesure, puis les noms propres. Si Vaugelas modernise souvent les termes militaires, Lehsten est plus mesuré en la matière tout en usant avec pertinence de la langue technique, concernant par exemple les engins de guerre tels les harpons et autres grappins ou le vocabulaire poliorcétique. Il utilise ainsi le terme de raben (« corbeaux ») qui, dans le combat naval, désigne une échelle d’abordage. En riverain de la Baltique, il se montre précis dans l’évocation des esquifs de pirates (piratici lembi, Raubweidlinge, p. 305) ou des désignations nautiques. S’il paraphrase prorae et puppes, c’est que les termes de Bug et de Heck ne sont pas encore

64. Justus Georg Schottel, Ausführliche Arbeit Von der Teutschen HaubtSprache, Braunschweig, 1663, p. 1305. 65. Quinte-Curce, De la vie et des actions d’Alexandre le Grand. De la Traduction de M. de Vaugelas. Nouvelle édition corrigée & enrichie de belles remarques allemandes et notes grammaticales par Chrétien Guillaume Kritzinger, Leipzig, David Richter, 1748, t. 2, p. 209.

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usités à l’époque protomoderne66. Il décrit avec précision le type de galère antique avec quatre ou cinq rameurs par rame (« vierrudrige Galleen » ; « eine fünffrudrige wolsegelnde Gallee », p. 297) que sont les quadrirèmes et les quinquérèmes et que Vaugelas67 désigne de façon anachronique comme des « réales ». Les termes de « brigantin » et de « corsaire » que ce dernier emploie (V. p. 301) sont également des anachronismes. Les indications de mesure et les unités monétaires qui ne sont plus en usage font partie des éléments culturels qui déroutent le lecteur. La stratégie de Lehsten est diverse, il oscille entre traduction « cibliste » visant à créer un effet de proximité et une traduction « sourcière » préservant l’effet de distance, avec toutefois le souci de donner à ses contemporains une idée plus ou moins juste des distances ou des sommes en jeu, là où Vaugelas se contente de traduire uniformément stadia par « stades », talenta par « talents » et denarii par « deniers ». Un arpent correspond, écrit Lehsten, à 28 800 pieds68. Tantôt il conserve le vocable original stadia, tantôt il le rend par feldweges (L. p. 402, « schoene »), expression de la Bible luthérienne (cf. 2 Macc. 11, 5), ou par « milles grecs » qu’il convertit à plusieurs reprises en « milles allemands », soit trente-deux stades pour un mille allemand69. Ses conversions de monnaies divisionnaires semblent plus approximatives : un talent équivaut tantôt à six cents florins d’or rhénans, tantôt à neuf cents : « 120000. Talenta (träget aus 108. Millionen) » ; « 4000. talent  / (das ist 2400000. Rheinische goldgulden70) ». Il traduit denarii aussi bien par g­ roschen que par pfennig et explique qu’un groschen vaut un huitième de florin71 et six mille pfennigs un talent72, ce qui corrobore grosso modo les correspondances précédentes. Quant à cinquante sesterces, ils équivalent à 66. L. p. 291 : « Dann die Macedonier hatten je zween vierrudrige Galleen also zusammen g­ estossen / daß die Vordertheil nahe aneinander / die hindere aber so weit möglich voneinander gingen. » (« Car les Macédoniens avaient rapproché des quadrirèmes deux à deux de façon à ce que les avants des navires soient joints et que les arrières soient les plus distants possible les uns des autres. ») 67. V. p. 293 : « La Reale qui estoit à cinq rangs y arriva la premiere comme la plus legere de toutes. » 68. L. p. 405 : « fast einer Jucharten/ oder morgenackers (hält 28800. Schuch). » 69. L. p. 421 : « 1600. feldweges (das ist / 50. teutsche meilen) » ; p. 442 : « 1500. feldweges (die machen 47. teutsche meilen) » ; p. 404 : « Das gantze werck hat im umbkreiß 368. stadia / (oder Griechische meiln welche 11 ½ teutsche austragen). » 70. L. p. 436 : « cent vingt mille talents (cela représente 108 millions) » ; p. 401 : « quatre mille talents (c’est-à-dire 2 400 000 florins d’or rhénans). » 71. L. p. 409 : « 200. Groschen (ein grosche hält einen halben ort eines gulden). » 72. L. p. 485 : « 6000. pfennige (das ist ein talent). »

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1666 florins selon « Freinsheimius in der erklärung dieses worts » (L. p. 691, « Freinsheim dans son explication de ce terme »). Lehsten opte pour le procédé du report des noms propres, comme « Dimachas », là où Vaugelas choisit l’assimilation phonétique et graphique73 : « Dinaches ». Une addition explicative donne entre parenthèses l’équivalent tout à fait adéquat de « dragons », pour désigner des soldats se déplaçant à cheval mais combattant à pied, tels les dimaques d’Alexandre74. Tandis que la métonomasie, la francisation des noms propres, est la règle, le report, a priori marqueur d’étrangeté, est quasi généralisé en allemand. Dans ses parenthèses, le traducteur souligne à plusieurs reprises la polyonymie de certains figures historiques, tel Penidas alias Menidas ou Verdes (L. p. 608 et 648). Inversement, il différencie les homonymes par une note entre crochets : « Arsanes [dieser war des Artabazus Sohn / und nicht derselbe/ dessen droben 3.4.3. gedacht wird/ dann selbiger ist im treffen bey Issus umbkommen75/]. » Il n’est pas rare que Lehsten explicite ce qui peut ne pas être familier à ses lecteurs potentiels, tel terme géographique ou ethnonyme comme le golfe des Syrtes, « ein in den Syrten oder gefährlichsten örtern des meeres wohnendes seeräuberisches freybeuter volck76 ». Le plus souvent, le commentaire figure entre parenthèses, comme celui-ci, qui tire parti d’une note de Freinsheim (VII, 5, 28) : « Er war jtzt in ein kleines städtlein kommen / dessen einwohner (von ihrem ahnherrn Branchus) Branchides heissen77. » Pour les gentilés, le traducteur conserve généralement la forme latine fléchie, contrairement à ce que recommandait Opitz dans son Buch von der Deutschen Poeterey78 : ainsi Trogloditae, Hammonii, Branchidae ou Pharrasii pour les Pharrasiens (Prasiens ou Prasiates) qui, avec les Gangarides, habitaient au-delà du Gange, dans l’actuel royaume de Bengale, ajoute-t-il en commentaire (L. p. 746), 73. Voir R. Zuber, Les « belles infidèles » et la formation du goût classique, Paris, 1995, p. 295. 74. L. p. 463 : « und gab denen 300. Dimachas (Tragoner) zu. Die trugen ihre schwere waffen auff dem rücken/ und ritten auff pferden. » (« Il leur donna 300 dimaques (Dragons). Ceuxci portaient sur le dos leurs armes pesantes, mais étaient à cheval ») ; V. p. 432 : « trois cens hommes qu’ils appeloient Dinaches, pesamment armez, mais qui estoient à cheval. » 75. L. p. 671 : « Arsanes [celui-ci était le fils d’Artabaze et non celui dont il a été question plus haut 3. 4. 3. et qui est tombé à la bataille d’Issus]. » 76. L. p. 335, « un peuple de pilleurs d’épaves habitant dans les Syrtes ou les contrées maritimes les plus dangereuses. » 77. L. p. 601 : « il était arrivé à présent dans une petite ville dont les habitants s’appellent les Branchides (du nom de leur ancêtre Branchus). » 78. Martin Opitz, Buch von der Deutschen Poeterey (1624), Breslau, 1624, reprint Stuttgart, Reclam, 1970, p. 33.

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suivant Freinsheim (IX, 2, 3). Pour beaucoup de toponymes inconnus des lecteurs, le traducteur reprend entre parenthèses les explications de ce dernier79. Dans un surprenant accès d’acribie référentielle, il résume le commentaire que donne Freinsheim sur un hydronyme (VII, 5, 36), n’épargnant au lecteur aucune variante ni référence : « Von dannen zog er an den fluß Tanais (anders genant Jaxartes Plin.6.16.8. oder Orxantes Arrian.3.6.15. oder Orexartes.Plut. Alex.Cap.80 jtzt Rha Volaterran lib.13. Anthropol80.). »

La réception La traduction de Lehsten n’eut pas la même postérité que celle de Vaugelas. Appréciée de ses contemporains, elle fut décriée au siècle suivant tandis que celle de Vaugelas était portée aux nues de part et d’autre du Rhin. « L’excellente Version81 » de Vaugelas fut abondamment démarquée par les compilateurs des siècles suivants, tels Charles Rollin ou Nicolas Antoine Boulanger82. Au mitan du xviiie siècle, la traduction de Lehsten était à ce point tombée dans l’oubli qu’elle fut dégradée au rang de simple appoint clandestin d’une édition à vocation pédagogique. En 1748 paraissaient en effet à Leipzig deux tomes d’une « nouvelle édition » de De la vie et des actions d’Alexandre le Grand de la traduction de M. de Vaugelas, « corrigée & enrichie de belles remarques allemandes et notes grammaticales », par Chrétien Guillaume Kritzinger, « Greffier de l’Impôt de la Grande Consomption de Sa Majesté le Roi de Pologne, l’Electeur de Saxe &c ». L’« ouvrage si accompli(e) » de Vaugelas, selon l’épître dédicatoire, présente un intérêt didactique explicite : l’éditeur 79. VII, 6, 16 : « la ville de Cyropolis (« également appelée Cyreschara  / Aelian. Hyst. Anim. 16.3.). » Alexandre fonde sur le Tanaïs une nouvelle ville qu’il nomme Alexandrie : « Alexandria (« Ptolomaeus nennt sie Exopolis ») » (L. p. 612). Un commentaire toponymique reprend une remarque de Freinsheim VIII, 5, 2 : « la région appelée Bubacene (il s’agit peut-être de Paratacene car on ne trouve nulle autre mention de ce nom) » (L. p. 679). 80. L. p. 603 : « Ensuite il se rendit sur le fleuve Tanaïs (également appelé Jaxartes Plin. 6. 16. 8. ou Orxantes Arrian 3. 6. 15. ou Orexartes Plut. Alex. Cap. 80 et aujourd’hui Rha Volaterran lib. 13. Anthropol.). » 81. Charles Rollin, Histoire Ancienne des Égyptiens, des Carthaginois, des Assyriens, des Babyloniens, des Mèdes et des Perses, des Macédoniens, des Grecs, t. 6, Amsterdam, La Compagnie, 1734, p. 6. Le Quinte-Curce de Vaugelas est réédité à Berlin en 1770 puis à Halle en 1763 dans une « Nouvelle Edition Où l’on a rectifié les accents, & ajouté les Sommaires au commencement de chaque Chapitre ». 82. Nicolas Antoine Boulanger, Œuvres, t. 8 (L’histoire d’Alexandre), Paris, Jean Servières et Jean-François Bastien, 1793.

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le destine à « la jeunesse Teutonique, desireuse d’apprendre le François », et plus exactement à la lecture autonome d’élèves avancés, déjà rompus à celle des Fables d’Ésope en français, qui sauront aussi goûter la traduction des comédies de Térence par « la très savante Dame, Madame Dacier83 ». Le trait de « petit Genie » de l’éditeur pédagogue consiste à assortir le texte français de notes infrapaginales largement empruntées à la traduction de Lehsten – sans que cette dette soit avouée. Ces notes permettent au lecteur non germanophone de comprendre les particularités de la langue française : gallicismes, idiotismes et constructions difficiles. Plus tard, un répertoire analytique des traductions des textes de l’Antiquité gréco-romaine publié en 1785 livre une appréciation négative et de seconde main sur la traduction de Lehsten : Curtius. Von Hans Friedr. von Lehsten, (die Anekdote sagt : Von Madame von Lehsten)  […]. Fabricius ist mit dieser Uebersetzung sehr unzufrieden : Ein sicherer Beweis, daß sie für uns gar keinen Werth hat. Sie ist voll Mecklenburgischer Phrasen84. [Curtius : De Hans Friedrich von Lehsten (l’anecdote dit : de Madame de Lehsten) […]. Fabricius85 est très insatisfait de cette traduction : une preuve sûre qu’elle n’a aucune valeur pour nous. Elle est pleine d’idiotismes mecklembourgeois.]

De fait, la traduction de Lehsten fut détrônée au xviiie siècle par deux éditions scolaires bilingues latin-allemand86. Ce jugement dépréciatif ne fait que conforter l’image que les auteurs des Lumières, à commencer par Lessing et Gottsched, se font du siècle précédent, rejetant en bloc toute la littérature baroque. Quant au particularisme linguistique, Lehsten le concède et l’exagère dans sa préface. Sacrifiant au topos d’humilité, le traducteur en appelle à l’indulgence du lecteur et se justifie de ce que son texte n’est pas exempt de diatopismes. Certes, une coloration dialectale est perceptible dans l’emploi 83. Quinte-Curce, De la vie et des actions d’Alexandre le Grand, éd. par Kritzinger, op. cit., préface non paginée. 84. Johann Georg Karl Schlüter, Vollständige Sammlung aller Übersetzungen der Griechen und Römer : Vom 16. Jahrhundert bis 1734, Francfort, 1785, p. 322. 85. Il s’agit de Johann Albert Fabricius, Bibliotheca latina ou Notice des auteurs latins et de leurs éditions, Hamburg, Schiller, 1697, imprimée en 1773 par Johann August Ernesti avec de grandes améliorations. 86. J. M. H. M. Ph., Curieuse und Compendieuse Vorstellung Aller Länder, Welche Der grosse Alexander unter seine Bottmäßigkeit gebracht, s. l., 1715 (six rééditions jusqu’en 1757) ; Johann Franz Wagner, Q. Curtius Rufus, von dem Leben und den Thaten Alexander des Grossen, mit Freinsheims Ergaenzungen, Lemgo, 1768.

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des cas régis87. La neutralisation flexionnelle dialectale accusatif-datif est vilipendée par Bellin dans la préface de sa Syntaxis. Par un remarquable retournement du credo linguistique luthérien, le grammairien impute ce travers à « der gemeine Man (welcher der Deudschen Sprache nicht eben allezeit mächtig ist) » (« l’homme du commun qui ne maîtrise pas toujours la langue allemande »), pointant à la fois la contamination linguistique du latin et le système morphologique du bas-allemand88. Le lexique de Lehsten comporte également des formes dialectales ou archaïques  comme « schlippferich » pour « schlüpferig » (L. p. 424) ou « wirdig » pour « würdig ». Plus surprenante est, dans l’édition princeps seulement89, la tendance du traducteur à agglutiner les mots à l’instar de Madame de Sévigné (L. p. 366) : « Da fieng erst Alexander anzuwancken. » Enfin, la position de traducteur qu’adopte Lehsten, celle de l’effacement derrière l’auteur, n’est pas seulement corroborée par les protestations topiques d’humilité du traducteur dans la préface. Plutôt que la modernisation et donc l’anachronisme, Lehsten privilégie la périphrase explicative. On sait que Madame Dacier prônait une traduction fidèle, en rupture avec la pratique dominante antérieure des « belles infidèles », mais respectueuse des « bienséances ». On note pareillement chez Lehsten une grande fidélité au texte – jusque dans la traduction des injures qui ne sont pas édulcorées, contrairement à ce que fait Vaugelas – mais avec quelque réserve néanmoins dans l’ordre de la moralité. La traduction est également moins misogyne que celle de Vaugelas, voire embarrassée et pléonastique comme dans la phrase suivante a priori sans aspérités : Ne feminis quidem pro naturae habitu molliora ingenia sunt : comae prominent hirtae : vestis super genua est ; (V, 6, 18)

87. Par exemple de l’accusatif avec la préposition « bei » qui n’est toutefois pas un trait mecklembourgeois mais d’usage courant de Luther jusqu’à Johann Christoph Adelung (Grammatisch-kritisches Wörterbuch der hochdeutschen Mundart, Leipzig, Johann Gottlieb Breitkopf, 1774-1786). 88. Bellin, op. cit., préface non paginée. L’auteur s’en prend à vrai dire au littéralisme des écoles de latin qui suscite néologismes et solécismes et va jusqu’à calquer la rection prépositionnelle du latin. 89. L’édition de 1658 a introduit une normalisation et des corrections orthographiques (« fing » au lieu de « fieng » par exemple), les majuscules aux substantifs et la séparation des mots.

 La traduction des Historiae par Hans Friedrich von Lehsten 403 Auch die weiber seyn nach gemeiner weiberart nicht weiblicher natur  / sie haben lang kraus haar / tragen kleider oben den knien / und binden schlingen umb ihre stirnen90. (L. p. 438) [Les femmes, quant à elles, ne sont pas féminines comme le voudrait leur nature, elles ont de longs cheveux crépus, portent des vêtements au-­ dessus des genoux.] Les femmes mesmes, contre leur naturel, n’y sont pas moins farouches que les hommes. Elles ont les cheveux herissez comme des furies, leur robe ne leur va que jusqu’au genou. (V. p. 409-410)

Si l’on admet la présomption selon laquelle Madame Lehsten aurait été la principale traductrice du texte, elle serait alors, mutatis mutandis, une Anne Dacier allemande, quoique monotraductrice et servante de son époux et pas seulement du texte, travaillant dans l’ombre au profit de la carrière de son mari. Florent Gabaude Université de Limoges

90. Georg Philipp Harsdörffer, Poetischer Trichter, Nuremberg, Endter, 1650, Dritter Theil, p. 40, n’édicte-t-il pas comme règle de base de la traduction de préférer l’omission ou l’équivalence au galimatias ? : « lieber […] auslassen oder gleichmässig austauschen als etwas unverständliches einflechten. »

Le Quinte-Curce espagnol de Mateo Ibáñez de Segovia (1699) et sa réception au xviiie siècle : un manifeste stylistique ? La célébrissime histoire d’Alexandre, telle que l’avait racontée QuinteCurce – modèle antique des souverains modernes et surtout de Charles Quint, dont l’empire enveloppait le monde – avait été traduite en castillan par Gabriel de Castañeda et publiée en 15341. Depuis lors, l’entreprise n’avait plus été tentée. Or, à l’autre extrémité de la domination des Habsbourg en Espagne, en 1699, un peu plus d’un an avant la disparition de Charles II, dernier rejeton de la dynastie, une nouvelle traduction de Quinte-Curce paraissait à Madrid : QUINTO  | CURCIO RUFO,  | DE LA VIDA, Y ACCIONES  | DE  | ALEXANDRO  | EL GRANDE,  | TRADUCIDO  | DE LA LENGUA LATINA  | EN LA ESPAÑOLA  | POR  | D.  MATHEO YBAÑEZ DE SEGOVIA  | y Orellana, Marquès de Corpa, Cavallero  | del Orden de Calatrava; | EL QUAL LE CONSAGRA A LOS REALES | Pies del Rey nuestro Señor | D. CARLOS II. | CON PRIVILEGIO. | EN MADRID : En la Imprenta de los Herederos de Antonio Romàn. Año de 1699. | A costa de Antonio Bizarròn, Mercader de Libros, | vendese en su casa enfrente de S. Felipe el Real2. 1. De los hechos del Magno Alexandre, rey de Macedonia, nuevamente traduzido y suplidos los libros que dél faltan de otros autores, Séville, Juan Cromberger, 1534. Il en exista en réalité encore une version antérieure, dérivée de la version de Pier Candido Decembrio, dont Mateo Ibáñez ne parvint pas à trouver d’exemplaire : Quinto Curcio, Historia de Alexandre Magno, Séville, Juan Varela de Salamanca, 1518. Sur cette traduction et celle de Castañeda, voir A. Bravo García, « Sobre las traducciones de Plutarco y de Quinto Curcio Rufo hechas por Pier Candido Decembrio y su fortuna en España », Cuadernos de filología clásica, 12 (1977), p. 143-185, ainsi que, pour leur comparaison avec celle de Mateo Ibáñez, dans ce même volume, Hélène Rabaey, « Les traductions espagnoles de Quinte-Curce aux xvie et xviie siècles ». 2. Il en existe deux états, avec ou sans titres en rouge. La majorité des exemplaires de l’édition de 1699 semblent bicolores (« a dos tintas »). Parmi les titres seulement en noir, on ne peut mentionner qu’un seul exemplaire en Espagne, sur les trente-quatre actuellement recensés dans le Catalogue du Patrimonio Bibliográfico Bibliográfico Español (http://catalogos.mecd.es/ CCPB/cgi-ccpb/abnetopac/O12210/IDdb2f2ddf/NT1?ACC= 101) : Mondoñedo (Lugo), Seminario Diocesano Santa Catalina, cot. LU-M-SM, 86/125 – du moins si l’on s’en tient aux descriptions des exemplaires, qu’il faudrait toutes vérifier. En dehors de l’Espagne, l’exemplaire BE.2.J.11 de Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, est également seulement en noir (alors Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 405-421 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115407

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L’ouvrage était dû à la plume de Mateo Ibáñez de Segovia y Orellana, caballero de l’ordre de Calatrava, marquis de Corpa. Guère étudié jusqu’à présent, le personnage était remarquable à plus d’un titre. Sa personnalité n’était pas le moindre, mais ce fut surtout le projet de sa traduction qui attira l’attention et exerça une grande influence, au point que ce fut dans cette version que la Vie d’Alexandre fut lue en espagnol jusqu’au xxe siècle3. Affirmé par Mateo Ibáñez dans son « Prologue au lecteur » et confirmé par les censeurs qui en autorisent la publication, le programme du livre est de démontrer que la langue espagnole est capable de créer, par son émulation du latin de Quinte-Curce, considéré comme l’un des plus fins et des plus châtiés, une œuvre égale ou supérieure à celle de Vaugelas, qui avait eu le propos d’illustrer la noblesse de la langue française par une traduction du même auteur – à laquelle il travailla trente ans4. Cette intention générale s’éclaire davantage quand elle est replacée dans les circonstances qui l’ont vu naître : celles d’un traducteur né à l’ombre du pouvoir, mais dans les terres lointaines du Pérou, et qui aspirait à se faire, par les lettres comme par les armes, un nom digne de la noblesse de sa lignée – un peu comme l’avait fait, près d’un siècle plus tôt, l’« Inca » Garcilaso de la Vega, traducteur des Dialogues d’amour de Léon l’Hébreu et premier historien du Pérou.

La carrière d’un noble né au Pérou Le traducteur de Quinte-Curce appartenait à l’aristocratie espagnole. Il hérita le marquisat de Corpa créé en 1683 par Charles II pour son père, Luis Ibáñez de Segovia y Peralta (1638-1695), qui avait fait carrière au Pérou, tout comme son frère Francisco Ibáñez de Segovia5. Né à Cuzco, au Pérou, en 1665 qu’un autre exemplaire de la même bibliothèque, *28.B.29, est bicolore), tout comme un autre exemplaire, collection privée, Paris, provenant de la bibliothèque des comtes de Schönborn (cot. ad. 19). Ce détail matériel semble indiquer une impression en deux temps, peut-être due au succès que la traduction dut rencontrer dès ses débuts. 3. Un examen des rééditions du texte est proposé plus loin. 4. Sur la traduction de Vaugelas, voir D. Ribard et H. Fernandez, « Histoire », dans Histoire des traductions en langue française. XVIIe et XVIIIe siècles, éd. Y. Chevrel, A. Cointre et M. TranGervat, Lagrasse, 2014, ch. X, p. 769-853, ainsi que le résumé historique de la doctrine stylistique de Vaugelas, telle qu’exposée dans ses Remarques, dans F. Brunot, Histoire de la langue française, t. 3 : La formation de la langue classique 1600-1660, Paris, 1966, et W. Ayres-Bennett, Vaugelas and the Development of the French Language, Londres, 1987. 5. Luis Ibáñez était à son tour le fils de Mateo Ibáñez de Segovia (1581-1645), seigneur de Corpa, caballero de l’ordre de Calatrava, membre du Conseil de la Hacienda et trésorier général

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sans doute, Mateo Ibáñez fut élevé dans les arcanes du pouvoir et sa carrière le porta à rechercher les honneurs de la cour6. En 1675, encore au Pérou, il demanda à entrer dans l’ordre de Calatrava. Il avait alors une dizaine d’années7. Il gagna rapidement l’Espagne, où il devint menino de la reine Mariana de Austria8. Mateo Ibáñez eut en outre pour oncle le marquis de Mondéjar, Gaspar Ibáñez de Segovia (1628-1708), qui lui ouvrit grandes, on le verra, les portes de la vie intellectuelle espagnole9. La carrière littéraire de don Mateo consiste pour l’essentiel en sa traduction de Quinte-Curce, mais on trouve sa trace dans d’autres publications, où il ne paraît pas comme auteur mais comme autorité recommandant les travaux d’autrui. Dès 1696, on le voit donner son approbation à l’édition de la traduction espagnole par Joseph de Torquemada des Entretiens de Cléandre de Philippe IV. Luis Ibáñez fit une carrière militaire qui l’emmena d’abord comme colonel en Flandres, puis comme corregidor et justicia mayor du Cuzco, gouverneur de Huencavelica. Son frère don Francisco Ibáñez de Segovia (1644-1712), après avoir servi dans l’expédition de Sicile de 1672, passa aux Indes capitaine et devint gouverneur du Chili (1700-1709), avant de devenir jésuite et de mourir à Lima en 1712. Il semblerait que don Mateo ait accompagné son oncle dans sa mission au Chili. 6. Ce parcours est loin d’être original. On peut citer le cas similaire de Lorenzo de las Llamosas qui, d’extraction plus modeste, pousserait sa quête de la fortune jusqu’à la cour de Louis XIV. Voir à ce propos R. Béhar, « ‘De otro Mundo es la voz, que en mí te aclama’ : el panegírico a Luis XIV de Lorenzo de las Llamosas y la renuncia al encomio mitológico », dans Las Artes del Elogio : Estudios sobre el Panegírico, éd. J. Ponce Cárdenas, Valladolid, 2018. 7. Les papiers du procès de son admission dans l’ordre (Archivo Histórico Nacional, OMCaballeros de Calatrava, exp. 1270) sont une source précieuse pour la connaissance du personnage, du moins jusqu’à l’année 1675. La plupart des témoins ne le connaissent pas personnellement, puisqu’il réside au Pérou. Le neuvième témoin, Cristóbal de Paz, originaire d’Arequipa, affirme que Mateo Ibáñez est né à Cuzco et qu’il est âgé de dix ans au moment de l’interrogatoire, le 20 décembre 1675 (fol. 16 r). Dires corroborés le même jour par le onzième témoin, le docteur Sancho de Salazar, originaire de Lima, qui affirme que don Mateo est alors âgé de « diez años poco más o menos ». De même pour Juan Muñoz, également originaire de Lima, pour Álvaro de Contreras, originaire de Guadalajara (Mexique), qui a connu don Mateo à Lima, et pour d’autres témoins encore. Que Juan Carlos Estenssoro trouve ici l’expression de notre gratitude pour ses indications sur le monde péruvien dont don Mateo provenait. 8. Deux des frères de don Mateo, Gaspar Antonio et Matías, demeurèrent au Pérou, où ils exercèrent des fonctions d’importance : le premier devint à deux reprises recteur de l’université de San Marcos, à Lima, et le second atteignit la dignité d’évêque de La Paz. Voir A. Tauro de Pino, Enciclopedia ilustrada del Perú, Lima, 2001, t. 3, p. 1029-1030. 9. Ce titre était celui d’une branche des Mendoza, qui descendait d’Íñigo López de Mendoza y Quiñones (1440-1515), connu comme « el Gran Tendilla », premier marquis de Mondéjar. Gaspar Ibáñez de Segovia acquit le titre de marquis consort de Mondéjar par sa seconde épouse, María Gregoria de Mendoza y Córdoba, marquise d’Agropoli, devenue par voie d’héritage neuvième marquise de Mondéjar et onzième comtesse de Tendilla.

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et d’Eudoxe – célèbre réponse que le père Gabriel Denis avait adressée en 1694 aux Provinciales de Louis de Montalte, alias Blaise Pascal. Le détail est doublement intéressant : il révèle la connaissance qu’avait Mateo Ibáñez des questions intellectuelles qui agitaient la France, et sa conception du travail du traducteur. Son éloge de la traduction décrit, peut-on supposer, l’idéal qu’il poursuit lui-même dans les mêmes années – sa traduction de Quinte-Curce sera achevée moins de deux ans plus tard10. Ces Conversaciones de Cleandro y Eudoxia brillent, dit-il, par la pureté et la propriété de leur style, par la subtilité et l’efficace des discours, enfin par la sainteté et la gravité du sujet. Leur langage, doux et beau, agréable et instructif, ne manque ni de finesse ni de grâce, et, même quand il blesse, il le fait avec charité et à juste titre11. Peu d’années après sa traduction de Quinte-Curce, en 1704, Mateo Ibáñez apparaît comme encore comme éditeur, à Bruxelles, des Sermons de José de Aguilar, prédicateur de Lima dont il fut le disciple12. On ignore pour l’instant ce qui advint de lui par la suite.

Le cercle espagnol de don Gaspar Ibáñez de Segovia Le marquisat de Mondéjar avait fait de Gaspar Ibáñez un Grand d’Espagne et un personnage influent à la cour. Au début du règne de Charles II, il avait fait partie de ceux qui s’opposèrent à l’influence grandissante de l’infant Juan José de Austria, ce qui l’écarta de la cour lors du triomphe de son ennemi, en 1678. Cela ne l’empêcha pas de réunir autour de lui un cercle intellectuel important, une tertulia dont les entretiens ne versaient plus sur la politique 10. Elle sera publiée seulement trois ans plus tard, en 1699, mais le texte était prêt au plus tard en 1698, l’original de la Suma de privilegio de Bernardo de Solís étant daté du 21 abril 1698. La censura aux Conversaciones de Cleandro y Eudoxia est, quant à elle, de décembre 1696. 11. Voir Conversaciones de Cleandro y Eudoxia, sobre las cartas al provincial, Barcelone, 1696, fol. **2 r, Censura de el Señor Don Matheo Ibáñez, Cavallero de la Orden de Calatrava, Sobrino de el Excelentissimo Señor Marqués de Mondejar, &c. : « De mejor gana fuera Panegyrista, que Censor de las Conversaciones de Cleandro, y Eudoxio, assi en Francès, como en Castellano perfectas. (Son de las Obras, que mas seguramente se alaban, que se censura.) Hermoseanlas muchas perfecciones insignes : la pulidez, y la propriedad de el Estilo : la sutileza, y la eficacia de los Discursos : la Santidad, y la Gravedad de el Assunto. Es su Lenguje dulce, y hermoso. Deleita juntamente, y instruye. Pica con Sal ; moteja con Gracia. Hiere, pero con Caridad, y con tiento. Descubre las Mentiras : revela las Verdades. » 12. José de Aguilar, Sermones varios, predicados en la ciudad de Lima corte de los reynos del Peru. Sacalo a luz, Don Matheo Ibañez de Segovia y Peralta, Cavallero de el Orden de Calatrava, discipulo del Auctor, Bruxelles, 1704.

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mais sur l’histoire – manière de méditer la politique du passé. Un contemporain français, Claude Pellot, président du Parlement de Normandie, décrivit ce cercle intellectuel : Mon fils me mande que toutes les après-diner et soirs, les curieux et les ­habiles s’assemblent chez luy dans sa bibliotheque, qu’on commence par y boire du chocolat et d’autres boissons, apres quoy l’on se met sur les nouvelles et autres conversations agréables et utiles ; il [le Marquis] estoit du party de la reyne mere qui fut éloignée de Madrid pendant le gouvernement de Don Juan ; depuis sa mort, il est revenu, et il ne veut plus se mesler d’affaires, mais seulement se divertir agréablement dans les belles lettres et autres honnestes plaisirs13.

Pellot écrit ces lignes dans une lettre à Étienne Baluze (1630-1718), grand correspondant d’Ibáñez de Segovia, bibliothécaire de Colbert et historien de premier ordre14. La tertulia madrilène de don Gaspar était redoublée par le cercle des amitiés littéraires, cultivées par d’intenses échanges épistolaires. On conserve des lettres que lui ont adressées Baluze, mais aussi Tomás de León15, Daniel van Papenbroeck ou Nicolás Antonio16. D’autres liens peuvent encore être établis, comme ceux que révèle la dédicace que Tomás Pinedo adresse au marquis dans son édition du Lexicon géographique (1678) d’Étienne de Byzance : le réseau du marquis s’étendait jusqu’aux terres hérétiques septentrionales. Son activité érudite, très remarquable dans l’Espagne de son temps, lui fit réunir une bibliothèque considérable – intégrée à la bibliothèque royale sous Philippe V17 – et il composa sur l’histoire d’Espagne des ouvrages 13. Alfredo [sic] Morel-Fatio, « Cartas eruditas del Marqués de Mondéjar y de Etienne Baluze (1679-1690) », Homenaje a Menéndez y Pelayo en el año vigésimo de su profesorado : estudios de erudición española, Madrid, 1899, p. 2, qui cite d’après E. O’Reilly, Mémoires sur la vie de Claude Pellot, Rouen, 1882, t. 2, p. 524. 14. Leurs échanges sont conservés, pour les années 1679-1690, dans deux ensembles de lettres, à Paris (BnF, Collection Baluze) et à Madrid (BNE, Collection Burriel, ms. Ee-93). L’ensemble a été publié par A. Morel-Fatio, ibidem. 15. Sur leur correspondance, voir M. García-Arenal et F. Rodríguez Mediano, « Father Tomás de León and the Marquis of Mondéjar : A Learned Correspondence », The Orient in Spain. Converted Muslims, the Forged Lead Books of Granada, and the Rise of Orientalism, Leyde, 2013, p. 307-334. 16. Auteurs que l’on retrouve dans sa bibliothèque – voir p. ex. fol. 40 v : « Papebrochio en veinte tomos desde el mes de Henero asta Junio », ou fol. 53 r : « Nicolao Antonio hispalensis Bibliotheca hispana Vetus en tabla ». 17. Le catalogue des 5093 ouvrages lui ayant appartenu est transcrit dans l’inventaire réalisé le 28 janvier 1709 (Madrid, BNE, ms. 8399, « Inventario judicial de la librería de D. Gaspar Ibáñez de Segovia, Marqués de Mondéjar, fechado en Mondéjar a 28 de enero de 1709 »). Les livres

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critiques qui retiendraient l’attention des historiens espagnols des Lumières18. Ceux-ci virent en lui un précurseur au point de le qualifier de « meilleur historien du xviie siècle19 ». Don Gaspar fut en somme une figure centrale de la génération connue comme celle des novatores, ces intellectuels qui, sous le règne de Charles II, ouvrirent leur pays aux nouveautés scientifiques de l’Europe et s’efforcèrent de régénérer une Espagne au bord de l’abîme. Quelle pouvait être la connaissance de Quinte-Curce dans le cercle de don Gaspar ? Au vu de la densité des liens intellectuels avec la France, il est impensable que don Gaspar et son cercle n’aient pas su toute l’importance de la traduction de Quinte-Curce par Vaugelas (De la vie et des actions d’Alexandre eux-mêmes furent versés au fonds de la Bibliothèque qui fut alors créée, première bibliothèque libre d’Espagne. Voir G. de Andrés Martínez, « La Bibliofilia del marqués de Mondéjar (1798), y su biblioteca manuscrita », Primeras Jomadas de Bibliografía, Madrid, 1977, p. 583-602. 18. Parmi les œuvres de don Gaspar, il convient de mentionner le Discurso histórico por el patronato de San Frutos. Contra la supuesta cátedra de San Hieroteo en Segovia y pretendida autoridad de Dextro (Saragosse, 1666), les Disertaciones eclesiásticas por el honor de los antiguos titulares contra las ficciones modernas (Saragosse, 1671) et la Predicación de Santiago en España, acreditada contra las dudas del Padre Cristiano Lupo y en desvanecimiento del Padre Nadal Alejandro (Saragosse, 1682). Il rédigea encore, à la demande de la duchesse d’Aveiro, une révision critique des historiens anciens et modernes, qui suscita un grand intérêt parmi les auteurs des Lumières, qui la publièrent au siècle suivant : Noticia y Juicio de los principales escritores antiguos y modernos de la Historia de España : Noticia Y Juicio De Los Mas Principales Historiadores de España Que a Persuasión De La Excma. Señora Doña Maria de Guadalupe, Alencastre y Cardenas, Duquesa de Aveyro, &c. Escribio Don Gaspar Ibáñez de Segovia, Peralta y Mendoza, Marques de Mondejar, &c. Con algunas Cartas al fin, escritas á dicho Señor Marques. Con Licencia, Madrid, 1784, à partir du manuscrit de l’auteur conservé à la bibliothèque royale de Madrid, après une première impression très défectueuse en 1738, dans le Mercurio literario (3e tome). Un exemple de la haute opinion qu’avaient les érudits du xviiie siècle de G. Ibáñez est donné par Gregorio Mayans. Il publia en 1794 les Advertencias á la historia del padre Juan de Mariana por D. Gaspar Ibañez de Segovia, Peralta y Mendoza, Marqués de Mondejar, &c. Con una Prefacio de D. Gregorio Mayáns y Siscár, Censor de la Academia de Valencia ; Noticia y Juicio del Autor sobre los mas principales Historiadores de España, y varias Cartas escritas al mismo, Madrid, 1795, et exprima également ailleurs son estime pour l’œuvre – ainsi dans sa lettre XIV à Joseph Nebot, affirmant que l’Aparato á la Monarquía antigua de España de José de Pellicer fut « justisimamente despreciado por el Marques de Mondejar » (Colección de cartas escritas por Gregorio Mayans y Siscar. a D. Joseph Nebot y Sans, Valencia, 1791, t. 1, p. 84). 19. Expression de J. Cepeda Adán, « Los ‘Novatores’ en la Ciencia Histórica. Bajo los escombros. Un nuevo espíritu », dans Historia de España. Ramón Menéndez Pidal, t. 27, El Siglo del Qujote (1580-1680). Religión, Filosofía, Ciencia. VI. La Historiografía, ch. VIII, p. 633-635. Sur Gaspar Ibáñez de Segovia, voir V. Arizpe, « Don Gaspar Ibáñez de Segovia, marqués de Mondéjar, ‘Rey y Príncipe de la Erudición Española’, un novator de la segunda mitad del siglo XVII », dans Estudios de Filología y Retórica en Homenaje a Luisa López Grigera, éd. E. Artaza, J. Durán, C. Isasi, J. Lawand, V. Pineda et F. Plata, Bilbao, 2000, p. 31-42.

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le Grand, Paris, Augustin Courbé, 1653), devenue en France le modèle ultime de l’art d’écrire l’histoire. Étienne Baluze, par exemple, disposait de multiples exemplaires des Historiae de Quinte-Curce dans sa riche bibliothèque, ce qui témoigne d’une connaissance circonstanciée du texte et de ses éditions successives20.

Le prologue du traducteur : l’illustration de la langue espagnole La qualité et le succès des traductions françaises des classiques grecs et latins donnèrent lieu à une discussion littéraire en Espagne – dans la tertulia de Gaspar Ibáñez de Segovia, peut-on à bon droit supposer –, sur la capacité de la langue espagnole à en faire autant : El universal aplauso que han merecido las Traducciones, que en este siglo se han hecho en la Lengua Francesa, por la aplicación, y felicidad con que se han dedicado sus más eruditas plumas a ilustrarla, reduciendo a ella los más doctos Escritores Griegos, y Latinos, dio ocasión en cierta conferencia literaria a que se controvirtiese si podrían lograr igual, o superior acierto las que en nuestra Lengua Española se hiciesen de los mismos originales Griegos, y Latinos21. [L’universelle estime qu’ont méritée les traductions faites en ce siècle en langue française, par l’étude et le bonheur avec lesquels les plumes les plus érudites se sont employées à l’illustrer en rendant en elle les plus doctes des écrivains grecs et latins, créa lors d’une conversation littéraire l’occasion d’une controverse pour savoir si celles qui pourraient être faites des mêmes originaux grecs et latins en notre langue espagnole atteindraient une perfection égale, voire même supérieure à celles-là.]

20. Les éditions disponibles dans sa bibliothèque étaient, suivant le catalogue qui en fut publié, la Bibliotheca Baluziana, seu catalogus librorum bibliothecae V. Cl. D. Steph. Baluzii Tutelensis. Quorum fiet auctio die Lunae 8. mensis Maii anni 1719. & sqq. a secunda pomeridiana ad vesperam, in aedibus Defuncti, viâ vulgò dictâ de Tournon, Paris, 1719, p. 756 : Bâle, 1556 (Q. Curtius de gestis Alexandri Magni, cum annotationibus diversorum) ; Cologne, 1598 [en réalité 1591], Q. Curtius, ex recognitione Francisci Modii) ; Strasbourg, 1640 (Q. Curtius, cum supplementis, commentariis & indice Joan. Freinshemii, en 2 volumes) ; Leyde, 1649 (Q. Curtius, cum notis variorum) ; enfin, Amsterdam, 1673 (Q. Curtius, cum notis variorum) ; auxquelles il faut ajouter les Valentis Acidalii animadversiones in Q. Curtium (Francfort, 1594). 21. Quinto Curcio Rufo, De la vida, y acciones de Alexandro el Grande…, op. cit., fol. ****2 r. Notre traduction.

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Selon Mateo Ibáñez, c’est précisément le grand cas qui est fait en France de la traduction de Vaugelas – Bougelas dans son orthographe –, qui l’a porté à choisir ce texte dans son désir d’illustrer l’excellence de la langue espagnole, afin de pouvoir effectuer avec plus de force sa démonstration : Movida, pues, mi cortedad […] del crédito de nuestra lengua, venciendo a esfuerzos del natural amor a ella los estorbos que la ofrecía la medrosa desconfianza del propio conocimiento, y fiando de la laboriosidad y el estudio lo que no debía esperar de mi ingenio, resolví reducir a ella algún Historiador Latino, que fuese objeto digno de mi impresa. Y siendo uno de los más celebrados entre los antiguos Q. Curcio, por la hermosa variedad de su materia, por la forma, y el todo de sus circunstancias, y quien hoy corre con más crédito traducido en la Lengua Francesa por el Señor de Bougelas, habiendo comprado éste al precio inestimable de los años, los aciertos, que le confieren, pues si creemos al que publicó este trabajo pasaron de treinta los que gastó en él. […] Me pareció hacer elección de este, para que a vista del cotejo se pudiese decidir mejor la suscitada controversia, atribuyendo los desaciertos en que mi Traducción la fuere desigual a defecto de mi suficiencia, y los primores, en que (por acaso) la fuere superior a la fertilidad de nuestra lengua, cuyas excelsas ventajas a la Francesa son tan notorias a todos los que con desinteresado animo las han juzgado, que solo ella pudieran haberme alentado a esperar lo que de menos poderosa causa no debía prometerme22. [Le crédit dont jouit notre langue ayant inspiré à mon humble esprit la force de vaincre, par mon amour naturel pour elle, les obstacles que la crainte et le manque de foi en mes connaissances lui opposaient, je m’en remis, pour ce que je ne pouvais attendre de mon esprit, à l’application et à l’étude, et décidai de rendre en espagnol quelque historien latin, digne objet de mon entreprise. Quinte-Curce était l’un des plus célébrés des Anciens, pour la belle variété de sa matière, pour sa forme, pour l’ensemble de ses circonstances, et pour le très grand crédit dont il jouit aujourd’hui grâce à la traduction française du sieur de Vaugelas, qui doit ses réussites au prix inestimable d’années de labeur : si l’on prête foi à l’éditeur de son travail, il y employa plus de trente ans. Je fus d’avis de le choisir, afin que la comparaison tranchât mieux la controverse qui s’était élevée. Les erreurs par lesquelles ma traduction serait inférieure dériveraient d’un défaut de ma suffisance, et les réussites, par lesquelles elle la dépasserait peut-être, de la fertilité de notre langue, dont les éminents avantages sur la française sont manifestes à tous ceux qui sans intérêt les ont estimés, car seuls ces avantages auraient pu m’encourager à espérer ce qu’une cause moins puissante n’aurait pu me promettre.] 22. Ibidem, fol. ****2v-****3r. Notre traduction.

Le Quinte-Curce et espagnol de Mateo Ibáñez de Segovia (1699) 413

Vaugelas avait écrit, en un passage célèbre de la Préface à ses Remarques sur la langue françoise : utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire (1647) : […] il n’y a jamais eu de langue où l’on ait escrit plus purement et plus nettement qu’en la nostre, qui soit plus ennemie des equivoques, et de toute sorte d’obscurité, plus grave et douce tout ensemble, plus propre pour toutes sortes de stiles, plus chaste en ses locutions, plus judicieuse en ses figures, qui aime plus l’elegance et l’ornement, mais qui craigne plus l’affectation. […]  Elle sçait temperer ses hardiesses avec la pudeur et la retenuë qu’il faut avoir, pour ne pas donner dans ces figures monstrueuses, où donnent aujourd’huy nos voisins degenerans de l’eloquence de leurs Peres. […] Il n’y en a point qui observe plus le nombre et la cadence dans ses periodes, que la nostre ; en quoy consiste la veritable marque de la perfection des langues23.

L’éloge du français s’appuyait sur une antinomie de vertus – pureté, netteté, gravité, douceur, variété, chasteté, caractère judicieux, élégance, ornement – et de vices – équivoques, obscurité, affectation – qui n’avait rien de nouveau. Depuis l’Antiquité latine, cette construction soutenait les définitions du bon langage, chez Cicéron, chez Quintilien, et la Renaissance s’en était abondamment souvenue, du moins dans les moments de refondation de la langue, moments en quête d’un idéal que l’on pourrait nommer « classique ». Vaugelas oppose la maîtrise, la tempérance, la pudeur et la retenue du français aux excès de ses voisins, qui n’ont su limiter leur hardiesse et cultivent les figures monstrueuses, tombant ainsi dans la dégénérescence et s’éloignant de l’éloquence – jugée naturelle – de leurs pères. Disciple de Malherbe, Vaugelas critique sans le nommer le style du Cavalier Marin, défendu en France par Chapelain dans sa Lettre sur Adonis. De manière similaire à Vaugelas, Mateo Ibáñez, dans le souci de montrer qu’il est un homme de son temps, un homme du règne de Charles II, un homme de la génération des novatores, semble s’en prendre à un autre adversaire. Il devient nécessaire de se détourner du style qui a dominé les lettres espagnoles tout au long du xviie siècle, sous les règnes de Philippe III et de Philippe IV, style de plus en plus jugé excessif et ampoulé. L’imitation de Quinte-Curce, de surcroît aiguillonnée par le modèle de Vaugelas, ne pouvait qu’offrir un antidote contre cette dérive de la langue. L’espagnol, et avec lui l’Espagne, renouait avec les vertus impériales d’une langue qui, depuis l’époque d’Antonio de Nebrija et des Rois Catholiques, était jugée la « compagne de l’empire ». 23. Claude Favre de Vaugelas, Remarques sur la langue françoise, éd. Z. Marzys, Genève, 2009, p. 116 (p. 48-49 de l’édition originale de 1647).

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Dans son Aprobación, Miguel Pérez de Lara écrit ainsi que la traduction de Mateo Ibáñez a démontré que l’élégance latine – l’elegantia cultivée par tous les humanistes depuis Valla – peut parler avec toute la majesté de son éloquence dans la langue espagnole. Elle a su rendre la gravité du profil, la force des lumières, la proportion des ombres : l’image de l’histoire n’est pas moins animée et naturelle sous les atours espagnols qu’en toge romaine24. Traduire, c’est conserver l’âme du texte ; comme dans la légende pythagoricienne de la transmigration des âmes, il faut renoncer aux accidents pour garder la substance : Con el juicio de la elección, la utilidad del asunto, la dificultad del intento, y la felicidad del acierto, satisfaciendo enteramente el motivo que le metió en este empeño, y convenciendo que puede hablar con toda la Majestad de su Elocuencia en nuestro Idioma la elegancia Latina, pues el que con más escrúpulo quisiere conferir la copia con el original, hallará, que ni en la gravedad del semblante, ni en la viveza de las luces, ni en la proporción de las sombras se percibe diferencia, y que no está menos animada, y natural la imagen de la Historia con el adorno Español, que con la Toga Romana. Y aunque citra veritatem, sit similitudo en las Traducciones ajustadas, la diferencia está en los accidentes, no en la sustancia, porque las voces se distinguen no en el valor, sino en el sonido, pareciéndose a la transmigración de Pitágoras que pasan de un cuerpo a otro igualmente perfecto el alma de la Historia sin dejar de ser la misma25. [Par le bien-fondé de son choix, l’utilité de la matière, la difficulté de la tentative et le bonheur de sa réussite, [ce livre] satisfait parfaitement le motif qui en fut la cause et démontre que l’on peut parler en notre langue avec toute la majestueuse éloquence de l’élégance latine. Qui voudra, par scrupule, comparer la copie et l’original, verra que l’on ne perçoit de différence ni dans la gravité du visage, ni dans la vivacité des lumières, ni dans la proportion des ombres, et que l’image de l’Histoire n’est pas moins animée et naturelle sous les ornements espagnols qu’en toge romaine. Bien que, dans les traductions ajustées, citra veritatem, sit similitudo, la différence réside dans les accidents, non dans la substance, car les mots se 24. La comparaison de la traduction avec un changement d’habits est l’une des plus fréquentes à l’époque classique pour décrire la mutation du texte. Voir R. Béhar, « Faire d’un court manteau à l’espagnole une robe à la française : les traductions de la Diane de Montemayor et le langage doctrinal des Dialogues d’amour de Léon l’Hébreu », dans Fedeli, diligenti, chiari e dotti : traduttori e traduzione nel Rinascimento, éd. E. Gregori, Padoue, 2016, p. 513-530. 25. Quinto Curcio Rufo, De la vida, y acciones…, op. cit., fol. **2 v-**3 r. Notre traduction. La citation citra veritatem, sit similitudo est adaptatée de Sénèque (Controversia I praef. 6), « semper citra veritatem est similitudo » (« la copie est toujours moins que la vérité [de l’original] »), lieu commun souvent invoqué pour affirmer l’infériorité de la traduction par rapport à l’original.

Le Quinte-Curce et espagnol de Mateo Ibáñez de Segovia (1699) 415 différencient non pas par leur valeur, mais par leur son : telle les âmes dans la transmigration de Pythagore, qui passent d’un corps à un autre également parfait, l’âme de l’Histoire ne cesse d’être pareille à elle-même.]

À son tour, Juan de Ferreras écrit que le traducteur a pu démontrer toute l’élégance dont il est capable, par la pureté, la douceur et la beauté de son style : s’il a su « aspirer » l’âme de Quinte-Curce, ce n’était que pour mieux la rendre dans sa propre langue26. Les actions d’Alexandre ont été rendues avec une vivacité telle qu’on croit les voir comme si l’on en était témoin, et Ibáñez démontre par là que la langue espagnole ne saurait être égalée par aucune autre de l’univers : En esta ocasión ha satisfecho el empeño de todos la Elegancia del Traductor, mostrando con la pureza, y suavidad hermosa de su estilo, que si supo beber le alma a Curcio, se la restituyó mejorada en nuestro Idioma; y si en él emprendió las Acciones de aquel Monarca, supo a lo heroico de ellas darles tal valentía con su pluma, que quien las atiende escritas, parece que las mira como ejecutadas, ostentando, que no cede nuestra Lengua en majestad, suavidad, y primor a ninguna del Orbe por más esfuerzos que hagan los que estudian su idioma, y no perciben el nuestro27. [En cette occasion, l’élégance du traducteur a satisfait les attentes de tous : la pureté et la douce beauté de son style montrent que, s’il sut aspirer l’âme de Quinte-Curce, il la rendit améliorée en notre langue. S’il entreprit de retracer dans celle-ci les actions de ce monarque-là, il sut conférer à leur caractère héroïque une valeur telle qu’il semblera à qui les consulte par écrit les voir réalisées, montrant ainsi que notre langue ne le cède en majesté, en douceur et en excellence à aucune autre de l’univers, quels que soient les efforts que feront ceux qui étudient leur langue en ignorant la nôtre.]

Allégations qui expriment une réaffirmation de la prééminence espagnole sur l’italien et le français, les deux langues rivales dans leur rapport au latin. Mateo Ibáñez a au demeurant consulté pour sa propre version les traductions de Tommaso Porcacchi (Venise, 155828) et de Vaugelas (Paris, 1653). C’est ainsi 26. Sur l’image de l’âme de l’auteur qui revient et migre à travers les textes, voir R. Béhar, « El fantasma del autor y el intérprete : esbozo de un motivo literario », dans El autor oculto en la literatura española. Siglos XIV a XVIII, éd. M. Le Guellec, Madrid, 2014, p. 147-166. 27. Quinto Curcio Rufo, De la vida, y acciones…, op. cit., fol. **3 r. Notre traduction. 28. Q. Curtio, De’ fatti d’Alessandro Magno Re de’ Macedoni, tradotto per Tomaso Porcacchi, Venise, Gabriel Giolito de’ Ferrari, 1558, avec de nombreuses rééditions. Mateo Ibáñez indique (Quinto Curcio Rufo, De la vida, y acciones…, op. cit., fol. ****3 r) avoir consulté l’édition de Milan, 1628.

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qu’il renouvelle la technique de la traduction en langue espagnole, et qu’il peut à son tour revendiquer un rôle de modèle pour son texte, de même que Garcilaso de la Vega avait pu le faire presque deux siècles plus tôt quand il présentait la traduction que son ami Juan Boscán avait, sous sa relecture, donnée du Courtisan de Castiglione, modèle de savoir-vivre, mais aussi de langue.

Traduire Quinte-Curce : l’exemple de trois passages La traduction de Vaugelas fit foi deux siècles durant, même si au xviiie siècle l’Académie française rédigea sur celle-ci des Remarques, de nature essentiellement stylistique29, si Madame Dacier émit certaines réserves et si Désiré Nisard publia le texte au xixe siècle muni de remarques critiques. Ses « Notes sur Quinte-Curce » recensent certaines déviations de Vaugelas par rapport au texte latin. Ces déviations, suivies par Mateo Ibáñez, montrent à quel point il suivait le texte français dans ses choix de traduction – qu’il suivait aussi dans sa reprise du complément de Freinsheim au texte manquant des deux premiers livres des Historiae. Ainsi, lorsque Darius procède au dénombrement de ses troupes dans la plaine babylonienne (III, 2), Vaugelas avait récrit le passage en séparant le décompte de la cavalerie de celui de l’infanterie, comme l’indique Du Ryer dans sa préface : Dans le troisième livre, il sépare la cavalerie de Darius d’avec son infanterie, bien que Quinte-Curce fasse le dénombrement de l’une et de l’autre conjointement ; car il marque tout de suite ce qu’il y avait de gens de pied et de cheval de chaque nation ; et M. de Vaugelas a cru que cela n’était ni si clair ni si net que d’en faire deux articles séparés, qui continssent l’un la cavalerie et l’autre l’infanterie30.

Quinte-Curce procède au dénombrement en considérant l’ensemble des troupes, augmentant ainsi les chiffres : « Persarum erant centum millia : in quis eques triginta millia implebant. Medi decem equitum, quinquaginta millia peditum habebant […]. » Les cent mille Perses du début du paragraphe sont assurément des plus impressionnants. Vaugelas décompose le décompte :

29. Voir Remarques de l’Académie française sur le Quinte-Curce de Vaugelas [1719-1720], éd. W. Ayres-Bennett et P. Caron, Paris, 1996. 30. Cité d’après Cornelius Nepos, Quinte-Curce, Justin, Valère Maxime, Julius Obsequens, Œuvres complètes avec la traduction en français, dir. M. Nisard, Paris, 1841, p. 94.

Le Quinte-Curce et espagnol de Mateo Ibáñez de Segovia (1699) 417 L’infanterie était composée de deux cent cinquante mille hommes, dont il y avait soixante-dix mille Perses, cinquante mille Mèdes, dix mille Barcaniens armés de haches à deux tranchants, et de légers boucliers faits à peu près comme des rondaches ; quarante mille Arméniens, autant de Derbices armés de piques ou de bâtons durcis au feu, outre huit mille hommes de la mer Caspienne et deux mille autres des contrées d’Asie les moins belliqueuses, avec trente mille Grecs, toute brave jeunesse que Darius avait à sa solde31 […].

Et Mateo Ibáñez de le suivre : Componíase la Infantería de ducientos y cincuenta mil hombres, entre quienes había setenta mil Persas, cincuanta mil Medos, diez mil Barcanos, armados de achas de dos cortes, y de abreviados escudos, casi a manera de rodelas ; cuarenta mil Armenios, y igual número de Dérbices, armados de picas, o palos, endurecidos al fuego ; ocho mil hombres del Mar Caspio, y dos mil de las Regiones menos belicosas del Asia, con treinta mil Griegos, Jóvenes valerosos todos. (op. cit., p. 87-88)

En revanche, un peu plus loin (III, 3), là où Vaugelas omet die iam illustri, « lorsque le jour brillait de tout son éclat », Mateo Ibáñez complète sa traduction32. Il ne suivait donc pas aveuglément son modèle et les endroits où celui-ci avait commis quelque erreur ou omission permettaient d’illustrer la science espagnole. Lorsque Vaugelas traduit, mais en commettant quelque erreur, il arrive que Mateo Ibáñez le suive. Tel est le cas de la description de la chaîne de montagnes enserrant la Cilicie (III, 4 : « rursus altero cornu in diversum littus excurrit »). Selon Vaugelas, « s’élevant du bord de la mer, [elles] se courbent en forme de croissant, et reviennent aboutir au même rivage », alors qu’il conviendrait de traduire, avec Nisard : « cette chaîne de montagnes revient aboutir, par l’extrémité opposée, à une autre partie du rivage33. » Mateo Ibáñez propose :

31. Ibidem, p. 142. 32. Quinte-Curce : « Patrio more Persarum traditum est, orto Sole demum procedere, die iam illustri, signum e tabernaculo regis buccina dabatur. » Vaugelas (éd. Nisard, op. cit., p. 144) : « C’était une ancienne coutume des Perses de ne faire marcher leur armée qu’après que le soleil était levé ; et alors, avec la trompette, le signal était donné de la tente du roi, au-dessus de laquelle était arborée l’image resplendissante du soleil, enchâssée dans du cristal. » De la vida, y acciones, op. cit., p. 90 : « Era costumbre antigua de los Persas no poner en marcha su Ejército hasta haber descubierto sus rayos el Sol, con cuyas resplandecientes luces ilustrado el día, se daba la señal por medio de una trompeta en la Tienda Real […]. » 33. Ibid., p. 146 et 354.

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« descollándose por aquella parte del Mar, a manera de arco, o de media Luna, se estienden en punta hasta la otra de la Ribera34. » Une étude plus approfondie de la traduction de Mateo Ibáñez, fort souhaitable, supposerait un recensement systématique des variantes et des choix de traduction. D’autres comparaisons seraient encore à mener pour établir par le détail la méthode de Mateo Ibáñez et la part qui revient aussi au modèle de Tommaso Porcacchi, qu’il critique dans son Prólogo35. Mais ce sont avant tout les qualités de son style qui retiennent l’attention, comme le soulignaient les auteurs des aprobaciones dès le début du livre. Le Quinte-Curce espagnol se lit agréablement, ce qui est le meilleur gage d’elegantia.

Fortune du texte Les rééditions de la traduction furent nombreuses, preuve de son succès. Après l’édition princeps de 1699, le Quinte-Curce espagnol fut à nouveau imprimé en 1723 – avec une nouvelle dédicace, à Francisco Antonio de Salcedo y Aguirre, corregidor de Madrid –, en 1749, en 1781, en 1794, et même plus tard, jusqu’au xxe siècle36. La présence du livre dans les bibliothèques démontre également combien il fut lu37. La bibliothèque nationale de Madrid en conserve plusieurs exemplaires. La bibliothèque universitaire de Séville en compte deux38. Le secrétaire de Philippe V en possédait un39. Le premier Marquis de Dos Aguas également40. Curieusement, la Bibliothèque du Palais Royal, à Madrid, ne 34. Ibid., p. 92. 35. Voir aussi les passages analysés par Hélène Rabaey, « Les traductions espagnoles », dans ce même ouvrage. 36. Il y en eut des éditions en 1887 (Madrid), en 1914 (Madrid) ou en 1944 (Madrid et Buenos Aires). 37. Voir plus haut, note 2. 38. Un exemplaire de 1699 (A Mont. 02/4/03) et un de 1781 (A 042/351). La bibliothèque compte bien d’autres exemplaires, témoignage de la richesse de la diffusion de Quinte-Curce en terres hispaniques : éd. de Bâle, 1575 (A Res. 21/6/07), de Leyde, 1633 (A P/026), de Madrid, 1675 (A 179/22), de Paris, 1678 (A 208/23) et, en français, de Paris, 1655 (A 54(319)/75), ainsi que plusieurs éditions du xviiie siècle. 39. Voir l’inventaire de ses biens, J. L. Barrio Moya, « La biblioteca del hidalgo trujillano don José Bafi y Parrilla, secretario del rey Felipe V (1738) », dans Coloquios Históricos de Extremadura, Cáceres, 1999, p. 3. 40. J. A. Catalá Sanz et J. J. Boigues Palomares, La Biblioteca del Primer Marqués de Dos Aguas, 1707, Valencia, 1992, p. 291, entrée 1171.

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possède pas d’exemplaire de l’édition princeps. On n’y trouve que celle de 1749, dont la reliure est aux armes du roi Charles IV41. Dès la fin du siècle, l’édition princeps de 1699 devenait une rareté recherchée42. À l’étranger aussi le livre circulait. Tel exemplaire entrait dans la bibliothèque des comtes de Schönborn43, tel autre rejoignait la riche collection de Samuel van Hulst, à la Haye44. Rapidement, la traduction de Mateo Ibáñez atteignait son but : démontrer, en Espagne et au-delà, la capacité de l’espagnol à rendre toute la richesse du latin, faisant de ce nouveau Quinte-Curce espagnol un véritable modèle. Les intellectuels espagnols du xviiie siècle virent en Mateo Ibáñez une autorité, de même qu’ils en virent une en la personne de son oncle, don Gaspar, marquis de Mondéjar. Dans son Essai d’une bibliothèque des traducteurs espagnols (Ensayo de una biblioteca de traductores españoles, 1778), le bibliothécaire royal de Charles III, Juan Antonio Pellicer y Saforcada (1738-1806), cite ainsi Mateo Ibáñez pour le catalogue des traductions en espagnol jugées bonnes, dont il ne partage pas tous les jugements45, mais aussi pour la qualité de sa traduction de Quinte-Curce. Il en dit seulement que, parfois un peu trop aveuglé par son admiration envers Vaugelas, Mateo Ibáñez le suit plus qu’il ne le devrait. Et il observe, à propos de la traduction de Vaugelas que, si les Français y voient le modèle de l’éloquence française, Madame Dacier y a critiqué mainte chose comme affectée et peu raffinée46. Le Diccionario de autoridades, enfin, premier dictionnaire de l’Académie de la langue espagnole instituée à l’arrivée des Bourbons en Espagne, en 1700, 41. Le catalogue indique des apostilles marginales de la p. 1 à la p. 84. 42. Voir la description dans le Catalogue des Livres de la Bibliothèque de M. C. de la Serna Santander, rédigé et mis en ordre par lui-même ; avec des notes bibliographiques et littéraires ; nouvellement corrigé et augmenté, Bruxelles, 1803, t. 3, p. 106, entrée 4147 : « Édition rare d’une version estimée. » 43. Voir note 2. 44. Voir le catalogue de la vente aux enchères : Bibliotheca Hulsiana, sive Catalogus Librorum Quos magno labore, summa cura & maximis sumptibus collegit Vir Consularis Samuel Hulsius […], La Haye, 1730, t. 4, p. 303, entrée 878 (parmi les Libri Hispanici in Folio). 45. Juan Antonio Pellicer y Saforcada, Ensayo de una bibliotheca de traductores españoles donde se da noticia de las traducciones que hay en castellano de la Sagrada Escritura, Santos Padres, filósofos, historiadores, médicos, oradores, poetas, así griegos como latinos, y de otros autores que han florecido antes de la invención de la imprenta […], Madrid, 1778, p. 11 et 140. Sur l’Ensayo, voir A. M. García, « Sobre el Ensayo de una biblioteca de traductores españoles, de J. A. Pellicer y Saforcada », dans La traducción en España (1750-1830). Lengua, literatura, cultura, éd. F. Lafarga, Lleida, 1999, p. 71-78. 46. Ibidem, p. 139 : « la qual proponen los Franceses por modelo de la Eloquencia Francesa, aunque Madama Dacier reprehendia en ella muchas cosas como afectadas y poco castizas. »

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rangea Mateo Ibáñez parmi les « autorités » de la langue dont l’exemple est à prendre en considération, pour toute une suite de termes – soixante-trois47, au total, parmi lesquels des mots qui reflètent typiquement l’ascendant culturel que la cour de Louis XIV exerce déjà, tel que moda48. La première édition de ce Diccionario est de 1726-1739, à un moment où le prestige de Mateo Ibáñez avait sans doute atteint son sommet. La réception de Mateo Ibáñez se révèle par la considération des termes pour lesquels il est le seul auteur cité : hypercorrections latinisantes (ainsi ducientos, I, 949), latinismes (exterminador, I, 6, precisado, I, 13, au sens de « contraint », ou prostituido, VI, 6), gallicismes (flanco, lib. IV, 13), mais aussi mots d’une extrême banalité, de la langue courante (llano, llanura, llegada, lleno) ou du champ des expressions (ganar la gurupa, III, 11). Certains termes sont enfin relevés non pas dans la traduction de Quinte-Curce, mais dans les paratextes du livre d’Ibáñez, jugés tout aussi à imiter : tel est le cas d’ejemplar et d’existir, termes sans équivalents directs en latin classique et que Mateo Ibáñez n’aurait donc pu employer dans sa version du texte historique. Les raisons qui ont fait de Mateo Ibáñez une autorité pour ces termes sont de divers ordres. Sans doute l’importance du personnage à la cour fut-elle essentielle : il était encore vivant au moment de la rédaction du Diccionario. Peut-être par effet de symétrie avec la France, où la traduction de Vaugelas avait acquis rôle de modèle, la version que Mateo Ibáñez donna de Quinte-Curce devint une référence majeure de la langue espagnole. L’étude des termes pour lesquels l’Académie espagnole évoque sa traduction fait néanmoins deviner d’autres raisons encore, davantage liées à l’évolution de la langue espagnole

47. Il s’agit des suivants : cruzado ; da ; ducientos ; cruzado ; ducientos ; duda ; dudable ; dudoso ; duelo ; dueño ; dulce ; estilar ; exemplar ; existir ; extensión ; exterminador ; flanco ; floresta ; ganar ; graciosamente ; impetuosidad ; inesperadamente ; inesperado ; infección ; infelizmente ; interposición ; lago ; lentitud ; lento ; leva ; leñador ; libertad ; libre ; licenciar ; ligadura ; ligeramente ; limitar ; limite ; limpiar ; linage ; liviandad ; llamamiento ; llano ; llanura ; llegada ; lleno ; loablemente ; loor ; lícito ; marítimo ; mediado ; moda ; numerosíssimo ; obscurecer ; ojo ; pelea ; persistir ; precipitoso ; precisado ; premeditar ; preocupación ; preocupado ; prescribir ; profugo ; prostituido ; talento. 48. L’entrée Moda le cite à propos de la « mode phrygienne ». Moda était un gallicisme : vestir a la moda signifiait, sous le règne de Charles II, « s’habiller à la mode française ». Sur cet emploi, voir P. Álvarez de Miranda, Palabras e ideas : el léxico de la Ilustración temprana en España (1680-1760), Madrid, 1992, p. 660-661, et E. Varela Merino, Los galicismos en el español de los siglos XVI y XVII, Madrid, 2009, t. 1, p. 1604-1610. 49. Dérivé de ducenti, tæ, ta –, au lieu de doscientos, plus fréquent alors et maintenant. Le mot apparaît dans le premier des trois passages de la traduction analysés plus haut.

Le Quinte-Curce et espagnol de Mateo Ibáñez de Segovia (1699) 421

au tournant du siècle et au rôle, dans celle-ci, des novatores50. Le Diccionario de autoridades, dont les rééditions perpétueraient jusqu’à nos jours le canon linguistique espagnol, consacrait le traducteur de Quinte-Curce. Roland Béhar École Normale Supérieure, Paris

50. L’oncle de Mateo Ibáñez, Gaspar Ibáñez de Segovia, Marquis de Mondéjar, apparaît également au titre d’autorité. L’Académie retient de ses écrits les trois titres mentionnés plus haut : le Discurso histórico por el patronato de San Frutos, les Disertaciones eclesiásticas et la Predicación de Santiago en España.

Quinte-Curce et la réflexion sur l’écriture de l’histoire

Quinte-Curce vs. Arrien : polémiques et controverses autour des sources de l’histoire d’Alexandre (xvie-xviiie siècles) Doit-on ajouter foi à Quinte-Curce ? Pour son concours de Pâques 1770, l’Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres définit le sujet suivant : Examen critique des anciens historiens d’Alexandre le Grand. Ce n’était pas la première fois que les Académies parisiennes s’intéressaient à l’expédition d’Alexandre, mais c’était la première fois que l’une d’entre elles focalisait son intérêt sur les sources de l’histoire du conquérant. Après un premier concours sans issue ni vainqueur, le prix fut remis en 1772 au baron de Sainte-Croix, un jeune aristocrate du ComtatVenaissin, qui s’était entièrement dévoué à l’étude de l’Antiquité. Comme l’indique une paraphrase du sujet que l’on trouve exprimée en 1787 (« Qui doit être cru préférablement des historiens d’Alexandre ? »), l’Académie pressait les érudits de déterminer quel était ou quels étaient l’auteur/les auteurs les plus fiables pour reconstituer la vie et la carrière du conquérant macédonien. Dès son mémoire manuscrit de 1771, Sainte-Croix donnait une réponse claire à la question posée par l’Académie : face « aux talents et à la réputation d’Arrien », dont le souci de « vérité a dirigé la plume », Quinte-Curce ne fait pas le poids. Certes il a « un style chaleureux, pittoresque et quelquefois enchanteur, une imagination brillante et féconde », mais « il néglige toute la chronologie, [et] son exactitude géographique n’[est] pas son principal mérite ; il n’est pas plus instruit dans l’astronomie », – sans parler « de ses récits fabuleux et exagérés1 ». Le baron ne devait jamais varier de ce diagnostic, ni dans la première version imprimée et révisée de son mémoire (1775), ni dans

1. Guillaume-Emmanuel-Joseph-Guilhem de Clermont-Lodève, baron de Sainte-Croix, Examen critique des anciens historiens d’Alexandre le Grand, manuscrit préparé pour le prix de Pâques (1772), 1771, 47 p. ; voir aussi les éditions Examen critique des anciens historiens d’Alexandre-le-Grand, Paris, Dessain Junior, 1775, et Examen critique des anciens historiens d’Alexandre le Grand, seconde édition considérablement augmentée, Paris, Imprimerie de Delance et Lesueur, An xii-1804. Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 425-442 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115408

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la deuxième édition considérablement augmentée (1804). On aura l’occasion d’y revenir2. Même sans remonter à Vasque de Lucène (1468), l’on observe aisément que les auteurs du xviie siècle qui parlent d’Alexandre aiment à recourir préférentiellement à Quinte-Curce, qu’il s’agisse de Racine dans sa préface de 1666 à son Alexandre le Grand, ou de Samuel Clarke qui, l’année précédente (1665), avait consacré l’une de ses biographies au conquérant macédonien3. Les uns et les autres bénéficiaient des éditions et traductions de l’auteur latin, plus particulièrement, en français, celle de Vaugelas (16534), qui précéda l’édition de Michel Le Tellier dans la collection Ad usum Delphini (16785). Du côté d’Arrien, une traduction italienne parut en 1554 par Leo de Modène ; la première traduction française de l’Anabase date de 1581 sous la plume de Claude Vuitart, qui précéda la « belle infidèle » de Perrot d’Ablancourt (16466), sur lequel Vaugelas prit modèle pour son Quinte-Curce. Les érudits continuèrent sans relâche de publier éditions et traductions. En 1704 (un an avant le Quinte-Curce de Perizonius), Gronovius donna une nouvelle édition d’Arrien, accompagnée d’une traduction latine de Vulcanius dûment 2. Sur Alexandre dans les Académies, sur le concours de 1769-1771 et sur l’Alexandre de Sainte-Croix, on verra P. Briant, Alexandre des Lumières, Fragments d’histoire européenne, Paris, 2012, p. 85-103 et 124-172 ; on dispose maintenant d’une étude biographique exhaustive par S. Montecalvo, Guillaume-Emmanuel-Joseph Guilhem de Clermont-Lodève, baron de SainteCroix (1746-1809). Carteggio e biografia, 2 t., Florence, 2014. 3. The Life and Death of Alexander the Great, First Founder of the Grecian Empire de Samuel Clarke (Londres, 1665) est accompagné de The Life and Death of Charles the Great, First Founder of the French Empire. 4. Quinte Curce, De la vie et des actions d’Alexandre le Grand, De la traduction de Monsieur de Vaugelas. Avec les Supplémens de Jean Freinshemius sur Quinte Curce, traduits par Pierre Du Ryer, Paris, Augustin Courbé, 1653. 5. Sur cette édition, l’auteur et l’apparat critique, on verra la notice « Quinte-Curce », par A. Léonard, dans La collection Ad usum Delphini, éd. M. Furno, t. 2, Grenoble, 2005, p. 143-158. 6. Claude Vuitart, Les faicts et conquestes d’Alexandre le Grand, Roy des Macédoniens, descripts en grec, en huict livres, par Arrian de Nicomédie surnommé le nouveau Xénophon : traduicts nouvellement de grec en françoys, Paris, F. Morel, 1581 ; Nicolas Perrot d’Ablancourt, Les guerres d’Alexandre par Arrian, de la traduction de Nicolas Perrot, sieur d’Ablancourt. Sa Vie, tirée du grec de Plutarque, et ses apophtegmes de la mesme traduction, Paris, Louis Billaine, 1646, puis 1664. Le sujet étant abordé ici même dans d’autres chapitres, j’éviterai de faire l’histoire des éditions et des traductions ; pour Arrien, voir le bilan dressé par S. F. W. Hoffmann, Bibliographisches Lexicon der gesammten Litteratur der Griechen, t. 1, Leipzig, 1838, p. 376-381 ; sur Quinte-Curce, voir p. ex. B. G. Struve, C. G. Buder et I. G. Meusel, Bibliotheca Historica, t. 3/2, Leipzig, 1788, p. 240-243, sur Clarke, voir P. Briant, Alexandre des Lumières, op. cit., p. 36-38, p. 75-76 sur les traductions d’Arrien.



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corrigée7. Un nouveau travail d’éditeur sur les Historiae de Quinte-Curce fut mené par l’Allemand F. Schmieder en 18038, qui, en 1798, avait publié une édition de l’Inde d’Arrien accompagnée d’une traduction latine9. Contrairement à une habitude solidement ancrée10, Schmieder n’a pas inclus les suppléments de Johannes Freinsheim, sur lesquels Sainte-Croix émit de son côté de solides critiques (op. cit., éd. de 1804, p. 114-115). En 1802, P. Chaussard publia une traduction française (médiocre) de l’Anabase d’Arrien, et, dans ses commentaires, il suivit sur l’essentiel les critiques apportées par Sainte-Croix contre les Historiae de Quinte-Curce11. Ces propos s’inscrivaient dans la longue durée des débats entre érudits autour de la fiabilité relative d’Arrien et de Quinte-Curce. En se situant dans la suite d’éditeurs de haute volée comme Sigonius, Vossius et Balthasar Boniface, La Mothe le Vayer (1646) consacre deux chapitres respectivement à Arrien et à Quinte-Curce dans son Jugement sur les anciens et principaux historiens grecs et latins dont il nous reste quelques ouvrages, choisissant d’introduire uniquement « ceux qui nous ont laissé des Histoires plus universelles et dont on peut tirer les loix d’un si important métier qu’était le leur. En effet, une vraie & légitime histoire embrasse bien plus que la simple narration d’une 7. J. Gronovius, Arriani Nicomediensis Libri septem & Historia Indica, ex Bonaventurae Vulcani interpretatione Latina, Leyde, 1704. 8. Q. Curtii Rufi De Rebus Alexandri regis Macedonum, Göttingen, 1803 ; on y trouvera une liste commentée des éditions antérieures, p. 5-21. 9. La parution très récente du Quinte-Curce de Schmieder doit expliquer pourquoi SainteCroix (1804) n’en fait pas état ; en revanche, le baron juge très positivement son Arrien (op. cit., index, p. 916, s.v. « Schmieder ») ; sur l’Inde de Schmieder (Arriani Historia Indica, cum Bonav. Vulcanii Interpretatione Latina per multis locis emendatore, Halle, Jac. Gebauer, 1798) et sa place dans les débats contemporains, voir P. Briant, op. cit., p. 473-474. 10. Ils sont traduits chez Beauzée (Histoire d’Alexandre le Grand par Quinte-Curce, 2 t., Paris, 5e édition, 1810), ce qui fut reproché par le recenseur de la précédente édition dans le Mercure de France de mars 1807, p. 561 : « C’est un soin tout à fait superflu qu’il a pris ; ils ne méritaient guère d’être conservés ; et ce n’était pas la peine de le faire aussi mal ; le français de Du Ryer [le premier traducteur français des Suppléments] vaut encore celui-là » ! 11. P. Chaussard, Histoire des expéditions d’Alexandre, 4 t., Paris, 1802. L’auteur juge QuinteCurce « aussi célèbre par son ignorance en géographie et en physique, que par l’emphase de ses récits, et sa disposition à altérer les faits. [… Son] ouvrage est une brillante amplification, moitié oratoire, moitié poétique. […] Il imita le mauvais goût de Néron. Omissions graves, récits fabuleux, ignorance de la géographie, de la tactique et des premiers éléments des sciences ; tels sont les reproches universels que l’on a fait [sic] à Quinte-Curce » (t. 1, p. x ; p. xxvi-xxvii avec renvoi à l’édition de Le Tellier et à Le Clerc). L’auteur revient régulièrement sur les lacunes et les erreurs de Quinte-Curce au long de son commentaire : voir par exemple t. 1, p. 138-140 ; t. 2, p. 203-218.

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vie de qui que ce soit12 ». Raison pour laquelle il apprécie Quinte-Curce, qu’il considère moins « comme un Écrivain de la vie d’Alexandre le Grand, que comme un Historien de ce grand changement & transport de l’Empire des Perses en celui des Macédoniens13 ». Tout en dénonçant la « vanité » d’Arrien, La Mothe le Vayer (à la suite de Photius) reconnait que l’auteur de Nicomédie a « rang entre les premiers historiens » et que l’Anabase est « un des plus beaux ouvrages de l’Antiquité ». Qui plus est, il est plus précis que Quinte-Curce, surtout dans les descriptions géographiques, au point que son texte permet de « réparer beaucoup d’endroits dans Quinte-Curce ». Celui-ci est néanmoins considéré « certainement [comme] un des plus grands Auteurs que les Latins aient eu [sic]». À ce point, La Mothe le Vayer juge utile de répondre aux critiques émises par Mascardi à propos du discours que Quinte-Curce fait tenir à un ambassadeur scythe devant Alexandre14. En fait, estime-t-il, l’auteur latin est « excellent dans toutes les harangues, soit directes, soit obliques ». Sans en garantir l’authenticité, La Mothe le Vayer rapporte également l’anecdote (qui sera à nouveau citée par Bayle), selon laquelle le roi Alphonse d’Aragon, perdu pour ses médecins, aurait recouvré la santé en lisant les Historiae, un livre qu’une fois guéri, le roi aurait estimé « bien supérieur à Hippocrate et Avicenne » ! Le principal reproche fait par La Mothe le Vayer à Quinte-Curce est d’avoir rapporté l’histoire des rapports coupables entretenus par Alexandre avec l’eunuque Bagôas : « Certainement, la faute ne peut être palliée, quelque licence qu’on puisse alléguer des Gentils, tant Grecs que Latins sur ce sujet15. » Même si certaines allaient se retrouver sous la plume d’autres auteurs, les critiques portées contre Quinte-Curce étaient restées jusqu’alors plutôt douces et aimablement distribuées, par exemple dans l’édition de Le Tellier. Selon son recenseur anonyme du Journal de Trévoux de mai 1704 (p. 828), Gronovius estimait même que « l’authorité [sic] de Ptolomée [sic] réfute 12. Dans Œuvres de François de la Mothe Le Vayer, Nouvelle édition revüe et augmentée, Dresde, t. 4, partie 2, 1756. L’auteur présente quatorze auteurs grecs (entre Hérodote et Agathias) et dix auteurs latins (entre César et Ammien Marcellin). Arrien est traité aux p. 88-99 et QuinteCurce aux p. 222-233. Le chapitre sur Quinte-Curce est reproduit entre la préface et l’adresse au lecteur de la traduction française de Vaugelas. 13. Avant-propos non paginé pour cette citation comme pour la précédente. 14. A. Mascardi, Dell’ arte historica, Trattati cinque, in questa ultima impressione, con ogni diligenza rivisti e corretti, Venise, Paolo Baglioni, 1674. Sur ce débat, voir ci-dessous, « Voltaire face à Quinte-Curce et à Sainte-Croix ». 15. Sur cette histoire et les débats qu’elle a entretenus jusqu’au xxe siècle, voir P. Briant, Darius dans l’ombre d’Alexandre, Paris, 2003, p. 426-439.



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invinciblement la vision de certains Doctes, qui ont voulu faire passer pour un Roman l’Histoire d’Alexandre que Quinte-Curce nous a laissée : il ne faut, pour les confondre, que la conformité de l’Historien Grec avec l’Historien latin, [qui] a sans doute suivi les mêmes guides qu’Arrien a suivis un siècle après lui16 ». Il en fut tout autrement lorsque, en 1697, parut l’Ars critica de Jean Le Clerc, dont la troisième partie se terminait par une analyse sans concession des Historiae (Judicium de Quinto Curcio17). L’auteur dénonçait chez l’auteur latin « le peu d’érudition géographique et astronomique, le désordre narratif, l’omission d’éléments fondamentaux, l’imprécision chronologique », tout en reconnaissant « la beauté et l’élégance du style » ; le reproche principal portait sur l’acceptation par Quinte-Curce d’histoires invraisemblables et donc sur sa tendance à « sacrifie[r] la vraisemblance historique aux exigences oratoires18 ». Les critiques de Le Clerc furent endossées sans réserve par Pierre Bayle dans l’article (très savant) « Quinte-Curce » de son Dictionnaire historique et critique : « Elles mettent dans la dernière évidence plusieurs grands défauts de ce célèbre historien » – estimait-il avec beaucoup d’autorité19. Au passage, Bayle portait le dernier coup contre l’hypothèse de Guy Patin selon laquelle le texte de Quinte-Curce serait un faux, produit en Italie au xive siècle, et il combattait une autre interprétation, chronologiquement irrecevable, au terme de laquelle Quinte-Curce aurait puisé dans Arrien. Même soutenues par Bayle, les thèses de Le Clerc suscitèrent des oppositions très vives, voire violemment exprimées. Si l’on met de côté un curieux auteur qui, en 1703, prétendit « établir invinciblement la certitude de l’Histoire de Quinte-Curce » à l’aide d’une démonstration numismatique des plus alambiquées bientôt ridiculisée par un spécialiste des monnaies anciennes20, les contre-attaques furent déclenchées par des érudits d’une grande renommée 16. [Anonyme], compte rendu de Gronovius 1704, dans Mémoires pour l’histoire des Sciences & des Beaux Arts, à Trévoux, mai 1707, p. 824-840. 17. Ars critica, in qua ad studias Linguarum Latinae, Graecae, et Hebraicae via munitur ; veterandum emandorum, et Spuriorum scriptorum a Genuinis dignoscendum ratio traditur, Amsterdam, 1687. 18. Citations de M. C. Pitassi, Le problème de la méthode critique chez Jean Le Clerc, Leyde, 1988, p. 64-65 ; voir p. 98 à propos de la date de parution de l’ouvrage et des différentes éditions. 19. Éd. de 1740, Amsterdam, Leyde, La Haye et Utrecht, t. 4, p. 10. Notons que, sur des sujets religieux beaucoup plus graves, Bayle et Le Clerc menèrent l’un contre l’autre une longue et violente polémique : voir Éloge historique de feu Mr Jean Le Clerc, tiré de la Bibliothèque raisonnée même revüe et augmentée, avec une Préface de l’Auteur, Amsterdam, 1736. 20. Il s’agit de Pierre Le Lorrain, dit Vallemont, dont j’ai présenté ailleurs la démonstration : voir Alexandre des Lumières, op. cit., p. 82-84.

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à l’échelle de l’Europe : « On a vu s’élever contre Mr Le Clerc des écrivains de différents partis, des Catholiques, des Protestants, des moines, des séculiers ; enfin il semble que tous les Savants aient fait une ligue pour déclarer la guerre à un auteur qui a eu la hardiesse de la déclarer à tous les auteurs21. » Ayant engagé déjà un combat contre Gronovius qui avait mis en doute quelques-unes de ses conclusions sur un autre sujet, Jacob Perizonius fit paraître en 1703 un ouvrage dans lequel, « dans un style piquant », il menait la vie dure au QuinteCurce de Le Clerc22. Même s’il reconnaissait que « le style de Quinte-Curce est plutôt le style d’un rhéteur que celui d’un historien », il contestait les critiques de Le Clerc concernant l’ignorance géographique de l’auteur latin, en montrant que ni Arrien, ni Diodore ne sont exempts de ce genre d’erreur. Le duel à distance entre les deux érudits se poursuivit sans relâche jusqu’à ce que la mort de Perizonius (1715) laisse Le Clerc maître du champ de bataille. On comprend donc que l’impression donnée par le travail de Le Clerc ne s’effaça pas. Bien au contraire, ses critiques furent reprises in extenso en 1729 par John Rooke dans sa traduction anglaise d’Arrien23. L’auteur y intégra (en anglais également) l’essai de Le Clerc, suivi d’une réfutation personnelle des thèses de Perizonius24. Il donne son avis dans la préface (non paginée), où, à deux reprises, le compte rendu d’Arrien est caractérisé comme étant « le plus vrai, le plus juste et le plus précis de tous ceux qui sont disponibles aujourd’hui25 ». Quant à Quinte-Curce (sur l’œuvre duquel il cite une longue série de commentateurs), Rooke renvoie à Le Clerc, qui, selon lui, a montré sainement et définitivement qu’il « confond souvent Vérité et Fiction ». Pour convaincre ses lecteurs, Rooke consacre des centaines de notes infra-­ paginales à confronter les passages parallèles d’Arrien et de Quinte-Curce. Il a 21. Compte rendu anonyme de l’ouvrage de Perizonius (note suivante) dans le Journal des Savants de janvier 1705, p. 27-31 (p. 27). 22. J. A. C. Perizonius, Q. Curtius Rufus, restitutus in integrum & vindicates per modum speciminis a variis accusationibus & immodica atque acerba nimis Crisis Viri Celeberrimi Johannis Clerici, Leyde, Henricum Teering, 1703. Voir les explications dans la longue note de la p. 108 de l’article « Perizonius » du Nouveau Dictionnaire historique et critique pour servir de supplément ou de continuation au Dictionnaire historique et critique de Mr Pierre Bayle, par J. G. de Chaufepié, Amsterdam et La Haye, t. 3, 1753. 23. Arrian’s History of Alexander’s Expedition Translated from the Greek with Notes Historical, Geographical and Critical, to which is Prefix’d Mr. Le Clerc’s Criticism upon Quintus Curtius and some Remarks upon Mr. Perizonius’s Vindication of that Author, Londres, 1729 ; nouvelle édition, Londres, 1814. 24. A Criticism upon Quintus Curtius, p. i-lxxxii ; A Defence of Mr Le Clerc from the Censures of Mr Perizonius in his Treatise intitled Quintus Curtius Vindicatus, p. lxxxiii-lxxxix. 25. « The truest, justest, and most accurate account thereof now extant. »



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beau assurer qu’il a mené son commentaire sans a priori ni biais, on doit bien constater qu’il conclut systématiquement que Quinte-Curce est confus et/ou erroné. Dès lors que l’auteur latin offre un récit différent de celui d’Arrien, il est jugé faux ou au mieux peu probable. La supériorité d’Arrien est avancée comme une évidence en particulier par les spécialistes des choses militaires. Dans son Art de la guerre, paru sous forme posthume en 1748, le Maréchal de Puysegur s’appuie exclusivement sur Arrien, dès lors qu’il analyse les grandes batailles d’Alexandre ou qu’il restitue les grands axes de sa vision stratégique ; il ne juge même pas utile de citer Quinte-Curce ou un autre auteur ancien26. Il en est sensiblement de même chez Charles Guischardt, auteur en 1758 de Mémoires militaires sur les Grecs et les Romains, livre dans lequel il consacre deux forts développements (XIV et XV) à la bataille du Granique puis à celle de Gaugamèles27. La seule restriction porte sur la traduction d’Arrien par d’Ablancourt, jugée imprécise et « peu fidèle », par opposition à la traduction latine de Blanchard28. Au moment même où paraissait l’Art de la guerre de Puységur, Montesquieu faisait paraître son De l’esprit des lois, dont une nouvelle édition (posthume) fut publiée en 1757. Alexandre, on le sait, y était très présent, tant au livre X qu’au livre XXI29. Montesquieu s’est fréquemment interrogé sur la valeur relative des sources qu’il utilisait30. « J’ai des matériaux prêts pour faire une comparaison d’Arrien et de Quinte-Curce », note-t-il en passant dans l’une de ses Pensées (n° 220431). Dans une autre Pensée (n° 217832), intitulée « Littérature et Belles-Lettres : Quinte-Curce », il dit ouvertement sa méfiance vis-à-vis de l’auteur latin qui, affirme-t-il, « a écrit sans connaître une seule des sources où 26. J. F. de Chastenet, marquis de Puysegur, Art de la guerre par principes et par règles, Paris, Ch.-Antoine Jombert, 1748, p. 20-23 : « Remarques sur les guerres d’Alexandre par Arian. » 27. C. Guischardt, Mémoires militaires sur les Grecs et les Romains, où l’on a fidélement rétabli, sur le texte de Polybe et des tacticiens grecs et latins, la plupart des ordres de bataille & et des grandes opérations de la guerre, en les expliquant selon les principes et la pratique constante des Anciens, & en relevant les erreurs du Chevalier de Folard et des autres commentateurs, La Haye, Pierre de Hondt, 2 t., 1758, t. 1, p. 209-223. 28. Nicolas Blanchard [Blancardus], Arriani de expeditione Alexandri Magni Historiarum Libri VII, Amsterdam, J. Janssonium, 1668. 29. Sur l’Alexandre de Montesquieu, je renvoie à mon Alexandre des Lumières, op. cit., passim, et à une courte mise au point dans mon Alexandre. Exégèse des lieux communs, Paris, 2016, p. 352-360. 30. Sur l’érudition de Montesquieu, voir C.  Volpilhac-Auger, L’atelier de Montesquieu, Manuscrits inédits de La Brède, Naples et Oxford, 2001, p. 23-24, 205-212. 31. Montesquieu, Pensées, le Spicilège, éd. L. Desgraves, Paris, 1991, p. 648. 32. Ibidem, p. 641-642.

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il devait puiser », et n’a jamais été cité par les autres auteurs anciens, et qui, paradoxalement, n’est sorti de l’ombre qu’après la fin de l’Antiquité, moment auquel il fut « produit comme un modèle dans les écoles ». La comparaison menée ici entre Quinte-Curce et Arrien sur un événement rapporté par l’un et l’autre (la sédition d’Opis) tourne à l’avantage exclusif du second. Au demeurant, l’examen des notes de bas de page de la seconde édition de l’Esprit des lois montre qu’Arrien constitue la source première de Montesquieu et que, comme l’avait fait Puységur en 1748, c’est de la lecture d’Arrien qu’il construit l’image d’un conquérant raisonnable menant à bien des plans minutieusement élaborés. Montesquieu peut paraphraser Quinte-Curce en fonction des nécessités narratives33, mais il est clair que, dans son esprit, l’auteur latin est inclus dans « ceux qui ont voulu faire un roman de son histoire » (Pensées n° 774, repris dans l’Esprit des lois, X, 1334).

Voltaire face à Quinte-Curce et à Sainte-Croix La méfiance à l’égard de Quinte-Curce est exprimée d’une manière plus brutale encore chez Voltaire, dès lors qu’il aborde l’histoire d’Alexandre, à laquelle il a toujours accordé un intérêt particulier – ce qui doit être remarqué, tant, pour lui, l’histoire ancienne n’a que peu d’intérêt par opposition à l’histoire moderne, car, dans la seconde, « on ne trouve ni prédictions chimériques, ni oracles menteurs, ni faux miracles, ni fables insensées35 ». Dans cette logique, Voltaire aime à dénoncer ceux qu’il appelle les « compilateurs » (anciens et surtout modernes), car « traiter l’histoire ancienne, c’est compiler, me semble-t-il, quelques vérités avec mille mensonges36 ». L’histoire d’Alexandre n’a pas échappé à leurs entreprises : « Il est triste, [en effet], qu’[elle] soit défigurée par des contes fabuleux, comme celle de tous 33. Voir De l’esprit des lois, éd. C. Volpilhac-Auger, dans Œuvres complètes de Montesquieu, t. 3 et 4, Oxford et Naples, 2008, X, 14 : « Qu’est-ce que ce conquérant qui est pleuré de tous les peuples qu’il a soumis ? », à rapprocher de Quinte-Curce, X, 5,17-25. 34. « Ceux qui ont voulu faire un roman de son histoire, et qui avaient l’esprit plus gâté que lui, n’ont pu nous dérober [la sagesse du projet d’Alexandre] », Pensées, op. cit., p. 348. Notons que Montesquieu reprend une expression utilisée par le recenseur anonyme de Gronovius dans le Journal de Trévoux de mai 1707, p. 828, cité ci-dessus. 35. Remarques sur l’histoire (1742), éd. L. Moland, Œuvres complètes de Voltaire, Paris, 1877, t. 16, p. 137. Sur l’Alexandre de Voltaire, je renvoie également à mon Alexandre des Lumières, op. cit., passim, où l’on trouvera une bibliographie. 36. Nouvelles considérations sur l’Histoire (1744), éd. L. Moland, Œuvres complètes de Voltaire, Paris, 1877, t. 16, p. 140.



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les héros et de toutes les nations antiques. Il est encore plus triste que ces fables soient répétées de nos jours, et même par des compilateurs estimables », dont certains sont traités de « modernes perroquets37 ». Parmi les auteurs anciens qu’il critique, vient au premier rang Flavius Josèphe, en raison de son récit controuvé du voyage d’Alexandre à Jérusalem38, mais, dans certains cas, Plutarque et Quinte-Curce ont encore surenchéri dans la fable. De tout cela, une règle s’impose : « Il n’est plus permis de parler d’Alexandre que pour dire des choses neuves, et pour détruire les fables historiques, physiques et morales, dont on a défiguré l’histoire du seul grand homme qu’on ait jamais vu parmi les conquérants de l’Asie39. » Un auteur est critiqué avec une force et une constance particulières, c’est Quinte-Curce. L’une des raisons, c’est la mauvaise influence qu’a eue la lecture de Quinte-Curce sur Charles XII de Suède, « qui a porté toutes les vertus du héros à un excès où elles sont aussi dangereuses que les vices opposés. […] Sa passion pour la gloire, pour la guerre, et pour la vengeance, l’empêcha d’être un bon politique, qualité sans laquelle on n’a jamais vu un bon politique. […] Admirable, plutôt qu’à imiter ». Ce sont les lectures du jeune prince, réduites aux Commentaires de César et aux Histoires de Quinte-Curce40 : Dès qu’il eut quelque connaissance de la langue latine, on lui fit traduire Quinte-Curce ; il prit pour ce livre un goût que le sujet lui inspirait beaucoup plus encore que le style. Celui qui lui expliquait cet auteur lui ayant demandé ce qu’il pensait d’Alexandre : « Je pense, dit le prince, que je voudrais lui ressembler. » Mais, lui dit-on, il n’a vécu que trente-deux ans. « Ah, reprit-il, n’est-ce pas assez quand on a conquis des royaumes ? » On ne manqua pas de rapporter ces réponses au roi son père, qui s’écria : « Voilà un enfant qui vaudra mieux que moi, et qui ira plus loin que le grand Gustave. »

L’explication fut reprise par Marmontel dans l’article « Gloire » de l’Encyclopédie (7. 717) : « Le roman de Quinte-Curce a peut-être fait le malheur de la Suède ; le poème d’Homère, les malheurs de l’Inde. » Il en fut de même de 37. La Bible enfin expliquée (1776), dans Œuvres complètes de Voltaire, Paris, 1837, t. 6, p. 457. 38. Sur les termes et les acteurs du débat, voir mon Alexandre des Lumières, op. cit., p. 159-172. 39. Dictionnaire philosophique, éd. R. Pomeau, Paris, 1964, article « Alexandre » ; voir aussi l’article « Histoire » de l’Encyclopédie (1765) : voir l’édition en ligne, Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, etc., Denis Diderot et Jean le Rond d’Alembert, Université de Chicago : ARTFL Encyclopédie Project (Spring 2016 Edition), éd. R. Morrissey et G. Roe, http://encyclopedie.uchicago.edu/ (dernière consultation 27 septembre 2017). 40. Voltaire, Discours sur l’Histoire de Charles XII, qui était au-devant de la première édition, dans Histoire de Charles XII et Histoire de Russie sous Pierre le Grand, Paris, Firmin Didot, s. d., p. 1-4.

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Volney dans ses leçons à l’École normale en 1795. Y parlant de « l’influence qu’exercent en général les livres d’histoire sur les opinions des générations suivantes, et sur la conduite des peuples et des gouvernements », Volney prend le cas d’Alexandre, dont il estime que les actions furent en grande partie déterminées par sa lecture passionnée de l’Iliade d’Homère, puis déformées par les Histoires de Quinte-Curce. Concernant celui-ci, Volney émet l’opinion suivante : Son Histoire d’Alexandre est devenue le principal moteur des guerres terribles qui, sur la fin du dernier siècle et le commencement de celui-ci, ont agité tout le nord de l’Europe. Vous avez tous lu l’Histoire de Charles XII, roi de Suède, et vous savez que c’est dans l’ouvrage de Quinte-Curce qu’il puisa cette manie d’imitation d’Alexandre, dont les effets furent, d’abord, l’ébranlement, puis l’affermissement de l’empire Russe, et en quelque sorte sa transplantation d’Asie en Europe, par la fondation de Pétersbourg et l’abandon de Moscou, où, sans cette crise, le tzar Pierre Ier eût probablement resté. Que si l’historien [Quinte-Curce] et le poète [Homère] eussent accompagné leurs récits de réflexions judicieuses sur tous les maux produits par la manie des conquêtes, et qu’au lieu de blasphémer le nom de la vertu, en l’appliquant aux actions guerrières, ils en eussent fait sentir l’extravagance et le crime, il est très probable que l’esprit des deux jeunes princes en eût reçu une autre direction, et qu’ils eussent tourné leur activité vers une gloire solide, dont le tzar Pierre Ier, malgré son défaut de culture et d’éducation, eut un sentiment infiniment plus noble et plus vrai41.

Quelques années plus tard (1802), l’avis fut repris par Jean-Baptiste Chaussard dans sa traduction commentée de l’Anabase d’Arrien. Il y explique pourquoi, à son avis, « les mémoires simples et vrais publiés par le sage disciple d’Epictète [Arrien] » l’emportent sur les Histoires de Quinte-Curce. Il en vient à regretter qu’un tel livre soit de son temps « compris au nombre des classiques à l’usage des collèges du Prytanée français », alors qu’il ne devrait pas être mis « aux mains de la jeunesse, car le sujet en est dangereux à présenter dans l’âge où fermentent les passions42 » ! L’avis était largement répandu. On le trouve déjà dans le Jugement sur le caractère d’Alexandre, qui figure dans une édition de 1727 de la traduction de Vaugelas : Il m’a toujours paru que l’Histoire d’Alexandre était une de ces lectures qu’on ne devrait laisser faire aux jeunes gens qu’après de grandes précautions. 41. C-F. Volney, Leçons d’histoire prononcées à l’École Normale en l’an III de la République française (1795), 3e éd., Paris, Rossange frères, 1822, p. 120-121. 42. J. B. Chaussard, Histoires des expéditions d’Alexandre, Paris, Genets, 1802, t. 1, p. x-xi.



Quinte-Curce vs. Arrien : polémiques et controverses 435 Tout y est grand et éblouissant. Ce sont des discours sublimes, des projets vastes, des entreprises étonnantes, un bonheur perpétuel  […]. Tout tombe aux pieds d’Alexandre […]. Il n’y a plus de place pour la raison dans une tête pleine de ces images. […] Il faudrait donc pour la prévenir qu’on donnât à ceux qui veulent lire Quinte-Curce, des idées saines de la valeur, de la gloire, de la grandeur, qu’on fît voir ce qu’il y a de condamnable dans Alexandre, qu’on marquât ce qui fut louable en lui et qu’on distinguât avec soin les succès d’avec sa sagesse et sa valeur43.

Ces avis rendent compte que le jugement porté contre Quinte-Curce procède aussi de considérations de morale politique. Selon ces critiques, l’auteur latin ne donnerait pas d’Alexandre l’image d’un « bon roi », telle qu’on se la représente dans l’Europe moderne, car, loin de susciter les vertus royales, les Historiae de Quinte-Curce porteraient les jeunes princes vers les excès les plus condamnables. C’est pour regretter que les histoires fassent régulièrement référence aux « conquérants destructeurs », mais qu’elles oublient « presque tous les inventeurs des arts utiles », que La Dixmerie, en 1769, cite lui aussi Quinte-Curce en mauvaise part : « Il nous apprend qu’Alexandre brûla le palais de Persépolis, et nous laisse ignorer le nom de l’architecte qui bâtit ce palais44. » Au-delà d’une commune dénonciation, ces avis réitérés illustrent aussi la popularité de l’histoire de Quinte-Curce, qui est alors, de beaucoup, l’ouvrage le plus lu par les amateurs de l’histoire d’Alexandre. Le fait est reconnu paradoxalement par Voltaire lui-même qui, dans l’Avertissement sur La Nouvelle Histoire de Louis XIV (1752), souligne la difficulté d’écrire l’histoire de son temps, surtout en contraste avec une autre forme d’écriture de l’histoire, infiniment plus aisée : « Celui qui parle d’Alexandre n’a qu’à suivre tranquillement Quinte-Curce45. » Autrement dit, l’auteur latin fournit aux auteurs modernes une commode narration continue, qui leur servira de guide. De même, 43. Il s’agit de la traduction de Vaugelas de Quinte-Curce, De la vie et des actions d’Alexandre le Grand, avec les suppléments de Freinsheim traduits par Du Ryer, La Haye, Alberts et Van der Kloot, 1727. Elle comprend, outre la préface de la troisième édition de Paris et le Jugement de Quinte-Curce par La Mothe le Vayer, un Jugement sur le caractère d’Alexandre (sans nom d’auteur), dont est extrait le passage cité. Ce texte, avant la parution de l’Histoire ancienne de Rollin, s’insère bien dans ce que j’ai appelé ailleurs « l’histoire du Dauphin », qui développe des vues hostiles à Alexandre (Alexandre des Lumières, op. cit., ch. 1 et ch. 7). 44. N. B. de La Dixmerie, Les deux âges du goût et du génie français sous Louis XIV et sous Louis XV, ou : parallèle des efforts du génie et du goût dans les sciences, dans les arts, et dans les lettres, sous ces deux règnes, La Haye, Paris, Lacombe, 1769, p. i-iii. 45. Œuvres de Voltaire, éd. M. Beuchot, t. 39, Paris, Lefèvre, 1830, p. 466.

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dès lors que Voltaire aborde la question des rapports entre le grand homme et son biographe, c’est Quinte-Curce qu’il évoque à côté d’Alexandre46. Le constat n’implique pas une admiration sans partage. Bien au contraire, Voltaire n’a jamais abandonné ses réserves. Il dénonce Quinte-Curce tout au long du chapitre IX (« Époque d’Alexandre ») du Pyrrhonisme dans l’Histoire (1768), pour des raisons qui, apparemment spécifiques, ont beaucoup à voir aussi avec l’idée que le philosophe se fait du « Grand homme » et du « Conquérant civilisateur » – deux catégories dans lesquelles il inclut Alexandre le Grand et Pierre de Russie47. Le chapitre s’ouvre ainsi : Si Quinte-Curce n’avait pas défiguré l’histoire d’Alexandre par mille fables, que de nos jours tant de déclamateurs ont répétées, Alexandre serait le seul héros de l’antiquité dont on aurait une histoire véritable. On ne sort point d’étonnement quand on voit des historiens latins, venus quatre cents ans après lui, faire assiéger par Alexandre des villes indiennes auxquelles ils ne donnent que des noms grecs, et dont quelques-unes n’ont jamais existé48.

On le voit : dans une veine qui remonte au moins à Le Clerc, Voltaire y attaque durement la méconnaissance profonde étalée, selon lui, par Quinte-Curce dans la géographie des pays conquis par Alexandre, plus particulièrement des pays qui touchent à l’Inde. Par exemple, « après avoir placé le Tanaïs au-delà de la mer Caspienne, il ne manque pas de dire que le Gange, en se détournant vers l’orient, porte, aussi bien que l’Indus, ses eaux dans la mer Rouge, qui est à l’occident49 » ! De même Voltaire n’accorde pas foi au dire de QuinteCurce, selon lequel « Alexandre et ses généraux [auraient été] étonnés quand ils virent le flux et le reflux de l’Océan50 ». Mais la critique ne s’arrête pas à la géographie. « Continuons l’examen de Quinte-Curce », écrit Voltaire, qui entend réduire à néant la crédibilité du développement que consacre Quinte-Curce aux rapports noués entre Alexandre et les Scythes d’Asie centrale. Il importe de s’y arrêter, car nous sommes là

46. Lettre à M. le Comte d’Argental du 24 juillet 1750 : « Quinte-Curce lui-même aurait-il pu dormir/ S’il eût osé coucher dans le lit d’Alexandre ? » (Correspondance, éd. T. Besterman, Paris, 1975, t. 3, no 2618, p. 203). 47. Voir mon Alexandre des Lumières, op. cit., p. 239-245. 48. Œuvres complètes de Voltaire, t. 27, Mélanges, VI, Paris, Garnier, 1879, p. 250. 49. Ibidem. 50. Histoire de Charles XII, préface de l’édition de 1748, dans Œuvres complètes de Voltaire, Histoire du Parlement II, Histoire de Charles XII, Histoire de l’empire de Russie, Paris, Garnier, 1878, p. 123-129 : voir mon Alexandre des Lumières, op. cit., p. 155-157.



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au cœur d’un débat historique et méthodologique des plus importants, dans lequel les phrases de Quinte-Curce ont joué un rôle déterminant51. Dans son récit de l’incursion menée par Alexandre au-delà de l’Iaxartes (Syr-Darya) – connue par bien d’autres auteurs, singulièrement Arrien52 –, Quinte-Curce est le seul à retransmettre au discours direct un échange entre le roi macédonien et le chef de la délégation que lui avait envoyée le roi scythe (VII, 8,7-30 ; 9,1). Prétendant faire œuvre d’historien, et, au-delà de l’incrédulité attendue de ses lecteurs, affirmant s’appuyer sur des sources crédibles mais anonymes, Quinte-Curce cite un très long discours du Scythe, qui est un véritable réquisitoire contre le conquérant et le fait même de la conquête. Le discours est organisé autour de l’idée d’une opposition radicale entre les modes de vie et les conceptions du monde des uns (les nomades scythes) et les conquérants (représentants de peuples sédentaires) : « Traverse seulement le Tanaïs […]. Notre pauvreté sera plus rapide que ton armée, qui traîne le butin de tant de nations. […] Nous, nous cherchons les déserts, l’absence de civilisation plutôt que les villes et les campagnes opulentes53. » La supériorité scythe est donc évidente face à celui « qui se vante d’aller à la poursuite des bandits (ad latrones persequandos) », et qui, « pour tous les peuples où il est parvenu, est le véritable bandit (omnium gentium quas adisti latro es54) ». Face à cette exaltation du « bon sauvage », la réaction de Voltaire est sans appel : Il lui [Quinte-Curce] plaît d’envoyer une ambassade des Scythes à Alexandre sur les bords du fleuve Jaxartes. Il leur met dans la bouche une harangue telle que les Américains auraient dû la faire aux premiers conquérants espagnols. Il peint ces Scythes comme des hommes paisibles et justes, tout étonnés de voir un voleur grec venu de si loin pour subjuguer des peuples que leurs vertus rendaient indomptables. Il ne songe pas que ces Scythes invincibles avaient été subjugués par les rois de Perse. Ces mêmes Scythes, si paisibles et si justes, se contredisent bien honteusement dans la harangue de Quinte-Curce ; ils avouent qu’ils ont porté le fer et la flamme jusque dans la haute Asie. Ce sont, 51. J’ai consacré une étude spécifique à cet aspect : « Des Scythes aux Tartares et d’Alexandre de Macédoine à Pierre de Russie. L’histoire de l’Europe au passé et au présent », dans Le Siècle des Lumières. IV : L’héritage de l’Antiquité dans la culture européenne, éd. S. Karp et C. Volpilhac-Auger, Moscou, 2012, p. 33-46, dont je reprends ici les principales articulations. 52. Celui-ci fait mention de l’ambassade (IV, 1), mais ne dit rien de l’entrevue, à l’issue de laquelle « Alexandre envoya avec eux [Scythes] des Compagnons comme ambassadeurs, sous le prétexte d’établir un traité d’amitié ». 53. VII, 8, 22-23, éd. et trad. H. Bardon, Paris, 2003 (Ière édition, 1947-1948), t. 2, p. 267. 54. VII, 8, 19, ibidem, p. 266.

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Pierre Briant en effet, ces mêmes Tartares qui, joints à tant de hordes du nord, ont dévasté si longtemps l’univers connu, depuis la Chine jusqu’au mont Atlas. Toutes ces harangues des historiens seraient fort belles dans un poème épique, où l’on aime fort les prosopopées. Elles sont l’apanage de la fiction, et c’est malheureusement ce qui fait que les histoires en sont remplies ; l’auteur se met, sans façon, à la place de son héros. (ibidem, p. 254)

La contre-attaque figure aussi dans l’Essai sur les mœurs, au chapitre 14 de l’introduction, intitulé « Des Scythes et des Gomérites », où QuinteCurce est rapproché de deux autres auteurs latins, Horace et Tacite, qui ont magnifié, l’un, les Scythes, l’autre, un chef breton et son peuple55 : ces trois auteurs, décide Voltaire, « ressemblent à ces pédagogues qui, pour donner de l’émulation à leurs disciples, prodiguent en leur présence des louanges à des enfants étrangers, quelque grossiers qu’ils puissent être56 ». Les Scythes, en effet, ne sont que des barbares, dont les descendants sont appelés Tartares. L’assimilation permet à Voltaire de commenter l’histoire d’Alexandre à l’aide de l’Histoire de Pierre le Grand, car tel est bien l’objectif : saluer les réalisations du conquérant-civilisateur, qui a « changé les mœurs, les lois, l’esprit du plus vaste empire de la terre ; que tous les arts sont venus en foule embellir les déserts, c’est cela qui est admirable57 ». Comment, dans ces conditions, pourrait-on admirer les Scythes et condamner Alexandre ? Quinte-Curce n’est pas plus crédible que ne le sont Horace et Tacite. La conquête d’Alexandre diffusa la civilisation, tout comme le fit Pierre le Grand dans les mêmes régions : Les rhéteurs qui ont cru imiter Quinte-Curce se sont efforcés de nous faire regarder ces sauvages du Caucase et des déserts, affamés de rapines et de carnage, comme les hommes du monde les plus justes ; et ils ont peint Alexandre, vengeur de la Grèce et vainqueur de celui voulait l’asservir, comme un brigand qui courait le monde sans raison et sans justice. On ne songe pas que ces Tartares ne furent jamais que des destructeurs, et qu’Alexandre bâtit des villes dans leur propre pays ; c’est en quoi j’oserais comparer Pierre le Grand à Alexandre : aussi actif, aussi ami des arts utiles, plus appliqué à la législation, il voulut changer comme lui le commerce du monde, et bâtit ou répara autant de villes qu’Alexandre58.

55. Horace, Odes, III, 24 ; Tacite, De vita Agricolae ; Essai sur les mœurs, éd. R. Pomeau, Paris, 1990, t. 1, p. 50-52. 56. Ibidem, p. 51. 57. Ibid., p. 52. 58. Histoire de l’empire de Russie sous le règne de Pierre le Grand, éd. M. Mervaud, dans Œuvres complètes de Voltaire, dir. H. E. Mason, Oxford, 1999, t. 47, p. 923-924.



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Telle est la raison pour laquelle Voltaire repousse également l’opinion des « Orientaux » qui, selon lui, « comparent Tamerlan à Alexandre », alors même que le premier « détruisit beaucoup de villes comme Gengis, sans en bâtir une seule : au lieu qu’Alexandre […] construisit Alexandrie et Scanderon, rétablit cette même Samarcande, […] et établit des colonies grecques au-delà de l’Oxus, […] et changea le commerce de l’Asie59 […] ». Les positions de Voltaire suscitèrent une vive réaction du baron de SainteCroix, qui, en 1804, fit paraître une édition considérablement augmentée de son Examen critique des anciens historiens d’Alexandre-le-Grand. Globalement, Sainte-Croix n’y modifia pas sensiblement les thèses sur Quinte-Curce et Arrien, qu’il avait présentées en 1775, et il resta donc très critique sur le premier (p. 88-11560). Mais il reconnaît aussi qu’il « n’est pas un historien aussi méprisable que quelques critiques ont cherché à le persuader » (p. 111). L’image qu’il donne d’Alexandre « est parfaitement juste ». Très hostile à la conquête, le baron aime à souligner en particulier que « Quinte-Curce ne manque jamais de témoigner de son horreur pour les cruautés d’Alexandre. [… Il] n’est point, comme on le pense assez généralement, un panégyriste d’Alexandre ; […] il n’a ni déguisé ses vices, ni caché ses crimes ». Son jugement sur Quinte-Curce va permettre à l’auteur de reprendre la polémique contre Voltaire qu’il avait engagée dès son manuscrit de 177161, et, plus particulièrement, de donner son point de vue sur le « discours scythe ». Dans l’édition de 1804, il donne une traduction exhaustive du discours, dont il juge qu’il est « le plus beau de tous ceux qu’il [Quinte-Curce] a insérés dans son ouvrage » (p. 324). Sans citer expressément Voltaire, Sainte-Croix entend réagir contre ceux qui ont « attaqué l’invraisemblance de ce discours62 ». Sans cacher les embellissements introduits par Quinte-Curce lui-même, SainteCroix estime que le ton du discours rend un son de vérité et d’authenticité. Pourquoi ? L’auteur tire son assurance du rapprochement et même de l’assimilation qu’il établit « entre les Scythes et les Sauvages du nouveau monde ». À cette fin, il fait référence (p. 328-329, note) à un discours du chef d’une tribu d’Iroquois, qu’il a lu dans le compte rendu d’un Voyage dans la Haute Pensylvanie de M. de Crèvecoeur, paru en 1801. Le rapprochement avec le texte de Quinte-Curce était déjà proposé par Crèvecœur, qui écrivait : « Ce 59. Essai sur les Mœurs, op. cit., LXXXVIII (« De Tamerlan »), t. 1, p. 807 (p. 802-809 pour le ch.). 60. Voir aussi l’index de l’édition 1804, op. cit., p. 913, s. v. « Quinte-Curce ». 61. P. Briant, Alexandre des Lumières, op. cit., p. 151-153. 62. Il se réfère à Mascardi, à Rooke et à Le Clerc.

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discours, dont la mâle et sauvage éloquence est vraiment admirable, rappelle la belle harangue des ambassadeurs scythes envoyés vers Alexandre, que rapporte Quinte-Curce. […] Il y a un langage pour les hommes de la nature, et un langage pour les hommes civilisés63. » C’est à nouveau à Quinte-Curce que recourt Sainte-Croix contre Arrien, pour établir un jugement d’ensemble très critique sur Alexandre (p. 501-506 : « Les ombres n’ont pas échappé à Quinte-Curce », remarque-t-il élogieusement), en l’opposant à l’indulgence jugée excessive d’Arrien pour les fautes du conquérant. L’auteur y revient à nouveau dans la dernière page de son livre, où il combat l’opinion selon laquelle l’expansion européenne sur toutes les mers du globe aurait permis d’y diffuser les avantages et les bonheurs de la civilisation. Sainte-Croix n’en croit rien, et il dénonce « les besoins factices » apportés chez les peuples conquis – « fléau non moins redoutable pour eux que notre cupidité mercantille [sic], l’ennemie du peu d’innocence et de bonheur qui reste encore sur terre, dans quelques déserts, ou au milieu de l’Océan Pacifique » (p. 750). Les « quelques déserts » font le lien entre le passé et le présent, par l’évocation que l’expression suggère avec les Scythes de Quinte-Curce et leur désir de continuer à vivre leur vie traditionnelle, qui leur fait choisir « les déserts, l’absence de civilisation plutôt que les villes et les campagnes opulentes ».

Quinte-Curce et les images d’Alexandre En dépit des critiques nombreuses, la popularité de Quinte-Curce restait au plus haut chez les lecteurs passionnés par la conquête d’Alexandre. En 1804, Sainte-Croix soulignait qu’il n’y avait aucune raison d’être « surpris du succès de cet historien. Son ouvrage a plus de cent éditions, et un grand nombre de traductions, en toutes les langues de l’Europe, avant et après la découverte de l’imprimerie » (p. 11464). En 1810, l’auteur de l’Avertissement de la cinquième édition de la traduction de Quinte-Curce par Beauzée (la première édition était parue en 1781) estime que la lecture de l’auteur latin « est particulièrement utile pour former la jeunesse, dont Quinte-Curce est 63. Michel Guillaume Jean de Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pennsylvanie et dans l’État de New York, par un membre adoptif de la Nation Oneida, traduit et publié par l’auteur des Lettres d’un cultivateur américain, Paris, 1801, t. 1, p. 124-125, note. 64. À ce point (note 1), Sainte-Croix fait mention de l’œuvre de Vasque de Lucène, en précisant que, pour avoir un texte exact, il convient de se reporter « au manuscrit original, conservé à la Bibliothèque nationale, et le même qui avait été présenté à Charles le Téméraire ».



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l’auteur favori, [car] l’héroïsme d’Alexandre et le ton ingénieux de son historien lui plaisent, l’animent et le transportent ». Le contexte politique peut aussi jouer sur les avis des experts, puisque le recenseur de Beauzée, en 1807, souligne que « la lecture de cette histoire acquiert un nouveau degré d’intérêt, aujourd’hui qu’un héros formé sur ce grand modèle, exécute sous nos yeux des projets non moins vastes et plus sensés que ceux du héros de la Grèce, sans abandonner comme lui le soin de ses propres États65 ». Le propos peut paraître courtisan, et il l’est. Il n’en exprime pas moins une réalité : c’est la permanence du modèle antique chez les princes et les rois de l’Europe moderne. On n’en fera pas ici l’inventaire, qui dépasserait de très loin l’objectif de mon article66. Ce que l’on doit souligner ici, en revanche, c’est la récurrence des emprunts que les peintres et les sculpteurs ont faits au récit de Quinte-Curce, où ils pouvaient trouver l’inspiration dans les nombreux « tableaux vivants » qui parsèment les Historiae sous forme d’ekphrasis. Qu’il s’agisse par exemple de la retenue du vainqueur à l’égard des princesses perses tombées en son pouvoir après Issos, ou de la magnanimité d’Alexandre vis-à-vis du roi vaincu Poros, c’est vers Quinte-Curce que se tournent les artistes d’une manière presque systématique. Le Brun ne possédait-il pas une traduction de Quinte-Curce dans sa bibliothèque ? Si l’on prend l’exemple de la Salle d’Alexandre au Château Saint-Ange de Rome (milieu xvie siècle), on remarque que, sur onze scènes peintes, huit ont été tirées de la lecture de Quinte-Curce67 ; celui-ci est également l’une des sources du peintre du Palazzo Sacchetti68. Il en fut de même à la date où paraissait le compte rendu de la réédition du Quinte-Curce de Beauzée (1807). Quels qu’aient été les désirs de l’empereur – plus enclin à mettre en scène une assimilation avec les empereurs romains, en particulier Trajan –, force est de constater que lorsque, en 1812, on commença, sur les ordres de Napoléon, de restaurer le palais du Monte Cavallo à Rome (l’actuel Palais du Quirinal), on fit appel au sculpteur danois Thorwaldsen, auquel on passa commande d’une entrée triomphale d’Alexandre à Babylone. Le thème avait été traité à de très nombreuses reprises avant et après Le Brun. Thorwaldsen sculpta sur la pierre une scène qui, découpée selon les séquences narratives de Quinte-Curce, comprenait 65. Le Mercure de France, mars 1807, p. 555. 66. Voir mon livre Alexandre. Exégèse des lieux communs, op. cit., ch. 1 : « Les images du prince. » 67. A. Piemontese, « Le imprese di Alessandro Magno figurate in Roma », dans Immagine del mito. Iconografia di Alessandro Magno in Italia. (Images of Legend. Iconography of Alexander the Great in Italy), éd. P. Stirpe, catalogue d’exposition, Rome, 2006, p. 43-68, p. 51-52. 68. Ibidem, p. 54.

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les acteurs qu’il avait mis en scène, à savoir le satrape Mazée qui, accompagné de ses enfants, vient accueillir Alexandre, lui-même monté sur un char. Dans les archives du sculpteur figure un exemplaire des Historiae, dont les seules pages coupées et consultées sont précisément celles que Quinte-Curce avait consacrées à l’événement69. On a ainsi l’impression que, tout au long des débats entre érudits, Arrien a été préféré pour ce que l’on pourrait appeler sa précision historienne, et Quinte-Curce pour son art du récit et de la description et que, pour cette raison, le premier est devenu rapidement la source privilégiée des spécialistes de l’histoire d’Alexandre, et le second la lecture favorite des amateurs d’histoires peu soucieux d’exactitude chronologique et géographique, et des artistes ravis par le charme des descriptions et des scènes de mœurs. Cette réputation a longtemps pesé sur les Historiae. Ce n’est que dans une période récente que les historiens ont réintégré Quinte-Curce de plain-pied dans leurs dossiers, en lui reconnaissant une valeur heuristique qu’on lui avait longtemps contestée. Pierre Briant Paris, Collège de France

69. Alexandre. Exégèse des lieux communs, op. cit., p. 86-92 avec bibliographie.

Legitimus historicus: Lipsius, Candidus and Puteanus on Curtius Rufus’s historiographical skills The case of Q. Curtius Rufus provides an excellent example of how an author’s reputation is subject to contemporary preferences and tastes. For a few decades now, he has been thoroughly reassessed and gradually (re)discovered as a skilful narrator and source of historical facts1. In doing so, scholars have healed many wounds that were torn open some 150 years ago. With nineteenth-century positivist historians, previous criticism turned into antipathy, even outright disgust2. Why, then, did the Roman historian enjoy such a good reputation from Renaissance humanism onwards3? What kind of needs did he serve? This paper tries to shed some light on the propagation of Curtius Rufus’s fame on the threshold of the seventeenth century, with Justus Lipsius (15471606) playing a major role4. It is made up of four sections. The first section recapitulates some contemporary views on historiography as articulated by the 1. Two recently-published collective volumes summarise the current state of research and investigate new issues: Der römische Alexanderhistoriker Curtius Rufus. Erzähltechnik, Rhetorik, Figurenpsychologie und Rezeption, ed. H. Wulfram, Vienna, 2016; L’histoire d’Alexandre selon Quinte-Curce, eds. M. Mahé-Simon et J. Trinquier, Paris, 2014. On Curtius’s value as a source of historical facts, see S. Müller, Alexander, Makedonien und Persien, Berlin, 2014, especially p. 137-139. 2. For earlier criticism, see A.  Grafton, What Was History? The Art of History in Early Modern Europe, Cambridge, 2007, p. 1-61. For the nineteenth century, see the short summary in E. Baynham, Alexander the Great. The Unique History of Quintus Curtius, Ann Arbor, 1998, p. 5-7. 3. For various examples of the earlier benevolent reception, see, for example, H. Wulfram, “Tödliche Lektüre, Urban Gardening, Virtuelle Bauten und Edle Wilde. Transformationen von Curtius Rufus’s Alexandergeschichte in der frühen Neuzeit”, in Wulfram, Der römische Alexanderhistoriker, p. 323-368, and the contributions by S. Schreiner and N. Thurn in the same volume. 4. The following studies may serve as an entry point to the ever growing literature on Justus Lipsius: J. Lagrée, “Justus Lipsius and Neostoicism”, in The Routledge Handbook of the Stoic Tradition, ed. J. Sellars, London and New York, 2016, p. 160-173; J. Papy, “Lipsius, Justus (15471606)”, in The Encyclopedia of Political Thought, vol. 5, eds. M. T. Gibbons, D. Coole, E. Ellis and K. Ferguson, Chichester, 2014, p. 2172-2173. Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 443-459 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115409

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authors under consideration. The second section examines Lipsius’s remarks on Curtius Rufus in the supplementary notes to his Politicorum sive civilis doctrinae libri sex (hereafter Politica), published for the first time in 15895. This is where he exposes his concept of legitima historia (legitimate historiography) and introduces Curtius Rufus as a historian who adheres to a specific set of historiographic rules. The subsequent sections study two traces of the reception of this influential concept: Antonius Candidus’s preface to his edition of Curtius Rufus in 15916 and a speech delivered by Erycius Puteanus7 (1574-1646). Both fully accept Lipsius’s judgement, and the latter rejects the criticism expressed by the Flemish scholar8.

Historia magistra vitae Contrary to modern convictions of what historiographic accounts are supposed to achieve, the goal of reading and writing history during Renaissance humanism and the Early Modern Period was, essentially, to improve one’s life9. History was primarily considered a collection of the successes and mis5. Edition, translation and comprehensive introduction by J.  Waszink, Justus Lipsius. Politica, Assen, 2004. The classical study is G. Oestreich, Antiker Geist und moderner Staat bei Justus Lipsius, Göttingen, 1989. On the points of criticism, see, for example, Waszink, Politica, p. 10-14; P. N. Miller, “Nazis and Neo-Stoics: Otto Brunner and Gerhard Oestreich Before and after the Second World War”, Past & Present, 176 (2002), p. 144-186. 6. Fol. *2 v-*5 r in Q. Curtii Rufi historiarum Magni Alexandri Macedonis libri VIII, Lyon [or Geneva? Cf. H. L. Baudrier, J. Baudrier and H. de Terrebasse, Bibliographie lyonnaise. Douzième série, Lyon and Paris, 1921, p. 469-470], 1591. This is item no 63807 in A. Pettegree and M. Walsby, French Books III & IV. Books published in France before 1601 in Latin and Languages other than French, Leiden, 2011 (hereafter FB). Actually, Candidus might just have been the printer, not the editor or the author of the preface. However, as the edition is commonly attributed to him, I will stick to this tradition. “Suivant un catalogue de Francfort” there was a previous edition in 1571 which I was unable to find, see H. L. Baudrier, J. Baudrier and H. de Terrebasse, Bibliographie lyonnaise, p. 482. On Antonius Candidus (1546-after 1621), see ibidem, p. 468-500. 7. The work entitled In Q. Curtii Rufi historiam praefatio was published as oration no 19 in the first tome of his Opera omnia: E. Puteanus, Suada Attica sive orationum selectarum syntagma, Leuven, 1615, p. 452-498. On Puteanus, see the still indispensable study by Th. Simar, Étude sur Erycius Puteanus, Leuven, 1909. 8. Admittedly, my selection of Candidus and Puteanus is arbitrary to some degree. It is of interest, however, insofar as it allows us to compare the reception of Lipsius by authors with different backgrounds and in different contexts. 9. Cf. Lipsius, Politica, ed. Waszink, especially p. 286-291; Puteanus, Praefatio, especially p. 456-462; Candidus, Historiae, fol. *2 r-v. On the theory and practice of history at the time,



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takes of bygone times, that is, lessons to be learned for posterity. By imitating praiseworthy behaviour and avoiding mistakes that have already been made, a reader would adjust his way of life accordingly, gain prudentia (prudence, practical wisdom) and benefit on a very practical level. This view is based on the historia magistra vitae theme (“history is life’s teacher”) that can be traced back to antiquity10. In a nutshell, it centres around human imperfection. The general idea was that the amount of prudentia necessary to successfully master public and private life is impossible to be gained on one’s own. While it can be gained by experience, the process of doing so is too tedious, risky, and time-consuming11. What is more, the insights from past experiences will be gone forever at the moment of death. To remedy this situation, man began writing history. For the benefit of future generations, he created a kind of storage system that was thought to be a virtually full replacement for gaining experience on one’s own. Becoming prudent thus involves nothing more than taking a seat and watching the piece that is provided on stage: life itself12. see, for example, M. Laureys, “The Theory and Practice of History in Neo-Latin Literature”, in Brill’s Encyclopaedia of the Neo-Latin World. Macropedia, eds. Ph. Ford, J. Bloemendal and Ch. Fantazzi, Leiden, 2014, p. 363-375; O. Engels, H. Günther, R. Koselleck and Ch. Meier, “Geschichte, Historie”, in Geschichtliche Grundbegriffe, vol. 2, eds. O. Brunner, W. Conze and R. Koselleck, Stuttgart, 1975, p. 593-717; R. Landfester, Historia magistra vitae: Untersuchungen zur humanistischen Geschichstheorie des 14. bis 16. Jahrhunderts, Geneva, 1972; G. H. Nadel, “Philosophy of History before Historicism”, History and Theory, 3 (1964), p. 291-315. 10. Cf. Cicero’s famous remarks in De oratore 2.36. See also Landfester, Historia, passim. 11. Cf. Puteanus, Praefatio, especially p. 456-466. Diodorus (Bibliotheca historica 1.1) and Galen provide him with precedents: “Etenim cum unius hominis vita ad inventionem omnium non sufficiat, longi temporis observationes Historia colligit, ut quasi e multis tot saeculorum hominibus unus aliquis eruditissimus efficiatur [after Subfiguratio empirica 7]” (“And indeed, because the life of a single man is not sufficient for discovering everything, history collects observations over a long period of time, so that each individual becomes highly instructed, in a way, by many men from a great number of centuries”, Puteanus, Praefatio, p. 468); cf., for example, R. J. Hankinson, “Hellenistic biological sciences”, in Routledge History of Philosophy. Volume II. From Aristotle to Augustine, ed. D. Furley, London and New York, 1999, p. 320-355, especially p. 331-337. 12. “Scena haec quaedam est, & quicquid oblivioni subtractum Litteris perennat, velut in spectaculum venit […]. Sine sumptu, sine periculo adis omnia, & istuc scandis, quo sola mente pervenitur. Aliena non loca tantum, sed tempora lustras” (“This is a kind of drama, and whatever is rescued from oblivion and preserved by written records is brought onto the stage, as it were. You approach everything without expenses, without risk, and ascend to places that can be reached only in your mind. Not only do you survey foreign places, but also foreign times”, Puteanus, Praefatio, p. 473-474). This vision of history as a theatre as well as the underlying conviction of similitudo temporum (the similarity of historical periods) drew on an established

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The greater the expectations, the greater the requirements as to the quality of the historical account. Consequently, scholars took up the theoretical discussion on historiography that was, to some extent, already conducted in antiquity13. From the early sixteenth century onwards, numerous treatises on the preferred way of reading and writing history were published. These ­efforts culminated in the Artis historicae penus (Treasury of the Art of History, 1579), a two-volume collection of relevant texts edited by Johannes Wolfius14. For the normal reader, the most apparent and accessible outcome of these debates was specific criteria for reception and production in the form of Ars historica treatises15 as well as ranked catalogues of ancient and contemporary historians. These allowed readers to infer an author’s integrity, prudence and attitude towards truth from objective, yet somewhat general criteria. Curtius Rufus obviously proved tempting in this regard, as there is no mention of the Historiae in ancient sources. It was in this context that Lipsius, Candidus and Puteanus arrived at their assessment of historical merit.

Justus Lipsius, Notae in Politica 1.9 In 1589, Justus Lipsius engaged in the controversial debate on political and moral philosophy that had already dominated the sixteenth century for decades. The Politicorum libri sex (Six Books of Politics), a practical guide to politics mainly assembled from ancient sources, established his fame as a tradition that was made famous by Machiavelli (Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio 1.39), but ultimately goes back at least to Thucydides (1.22.4). On Lipsius’s view, see, for instance, H. Höpfl, “History and Exemplarity in the Work of Lipsius”, in (Un)masking the Realities of Power. Justus Lipsius and the Dynamics of Political Writing in Early Modern Europe, eds. E. de Bom, M. Janssens, T. van Houdt and J. Papy, Leiden, 2011, p. 43-71. 13. Apart from historians’s statements concerning their own historiographical methods, the more widely read treatises from antiquity include Cicero’s leges historiae (De oratore 2.62-64) and Lucian’s How to Write History. 14. Universal Short Title Catalogue (http://www.ustc.ac.uk/, hereafter USTC) no 613473. The collection comprises 18 texts, some of which are studied in E. Kessler, Theoretiker humanistischer Geschichtsschreibung, Munich, 1971. On one of the major treatises, Bodin’s Methodus, see the recent edition by S. Miglietti, Jean Bodin. Methodus ad facilem historiarum cognitionem. Edizione, traduzione e commento, Pisa, 2013, as well as the older but still useful studies by J. H. Franklin, Jean Bodin and the Sixteenth-century Revolution in the Methodology of Law and History, New York and London, 1963 (reprint 1966), and J. L. Brown, The Methodus ad facilem historiarum cognitionem of Jean Bodin. A Critical Study, Washington, D. C., 1939. 15. Cf. chapters 2-4 in Grafton, History.



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political thinker. At the heart of his observations lies the doctrine of prudentia, a kind of practical wisdom that enables sound decisions16. In Politica 1.9, he specifically deals with how historiography can function as a replacement for gaining experience. However, as Lipsius reminds us, not every historical account is equally useful. To judge a historian’s suitability, ancient and contemporary alike, the reader is presented with a set of criteria borrowed from Tacitus, Polybius, and others. Prudentia, Lipsius claims in the supplementary notes to this chapter, can only be gained if veritas (truth), explanatio (explanation) and iudicium (judgement) are employed. He designates any account that possesses such qualities as legitima et perfecta historia17 (legitimate and complete history). The first precept, veritas, ensures truthful, unbiased narration: Prima Nota, Veritas est. ut nempe res eventusque omnes puriter et ex fide narret, nec quidquam (quo nimis fere inclinant scribentium animi) haustum ex vano velit. […] Ut animanti oculos si eruas, reliquum corpus inutile reddas: sic Historiam, si ab ea hoc lumen. In falsa et errante, quomodo non fallare semper et erres? talis firmiter numquam te diriget, aut tuas actiones18. [The first sign is truth. Of course he should describe all facts and events correctly and faithfully, and also not (to which writers are in general all too prone) include anything that is ill-founded. […] Just as you would render the remaining body useless if you should tear out the eyes of a living being, you would render history useless if you should take this light [or eye] away from it. How can one avoid being mistaken and deceived by false and deceptive history? The like will never guide you or your actions firmly.]

The second precept, explanatio, refers to the arrangement and explanation of events. The historian’s tasks include telling the reasons why an action has been taken, then describing the action itself, and finally reporting the results: Nota altera Explanatio est. ut rem scilicet non fideliter tantum narret, sed disponat etiam atque exponat. Quomodo, et quare, quidque gestum sit, addat: ut non modo casus eventusque rerum, sed ratio etiam caussaeque 16. Lipsian prudentia is based on a variety of ancient as well as contemporary sources, see Waszink, Politica, p. 129-163; M. Morford, “Tacitean Prudentia and the Doctrines of Justus Lipsius”, in Tacitus and the Tacitean Tradition, eds. T. J. Luce and A. J. Woodman, Princeton, 1993, p. 129-151. On the philosophical background and the interpretation of the treatise, see Waszink, Politica, p. 31-48 and 81-113, respectively. 17. Politica, ed. Waszink, p. 731-732. 18. Politica, ed. Waszink, p. 731.

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Gabriel Siemoneit noscantur. […]  Ab Historia siquis auferat, Quare, Quomodo, Quo fine quidque sit actum, et an ex ratione satis ceciderit; quidquid in ea reliqui, id ludicrum magis erit, quam doctrina19. [The second sign is explanation. Evidently, he should not only describe his matter faithfully, but also arrange it and make it intelligible. He should add how and why everything is done, so that you get knowledge not only of the event and the result, but also of the reason and causes. If one takes away from history the “why”, “how” and “what for” of an action which has been taken, and if it sufficiently sprang from reason, what is left in it will be more of an amusement than a lesson.]

Both precepts are of crucial importance to achieving the intended purpose, one concludes: for the new knowledge to be applicable in real life, the historical account must be rooted in reality. Fictitious events or an incorrect sequence of events might lead to false assumptions concerning the general possibilities for action or the relationship between cause and effect. Lipsius emphasises his point by drawing a comparison with a living creature: just as the body would be rendered useless by removing the eyes, history without veritas will never lead the way to wisdom, and without explanatio it is just some kind of amusement. The third precept, iudicium, consists in evaluating actions and making a judgement. After narrating the events, a historian should discern right from wrong and enable the reader to recognize virtues and mistakes: At nota tertia, Iudicium. ut discrimen. lumenque rebus adhibeat: et haec probet, (sed breviter, et quasi aliud agens,) haec damnet20. [The third sign is judgement. He should discriminate between and elucidate things, also approve of one thing (but briefly and as if doing something else), and condemn another.]

On the following pages, Lipsius provides a guide to Greek, Roman and contemporary historiographers, with the above-mentioned criteria being the basis for evaluation and ranking21. Of the Latin historians, Tacitus comes first - “Ante Livium?” (“Before Livy?”), Lipsius asks. The reason for his peculiar ranking is, amongst others, a significant appreciation of practical benefit 19. Politica, ibidem. 20. Politica, ibid. 21. On the Greek side there are Thucydides, Polybius, Plutarch, Xenophon, but also the Byzantine historians Niketas Choniates and Nicephorus Gregoras (Politica, ed. Waszink, p. 732-733).



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rather than rhetorical abilities. While Tacitus admittedly cannot compete in terms of eloquentia (eloquence), it is his prudentia, iudicium, and also the short, instructive writing style that make him stand out: Latini sequuntur, quorum agmen Cornelius Tacitus mihi ducat. Ante Livium? inquies. Non eloquentia, aut aliis virtutibus: sed iis quas nunc consideramus, Prudentiae et iudicii notis. Quis illo verius narrat, aut brevius? quis narrando magis docet? In moribus quid est, quod non tangat22? [Next come the Latin writers, whose march shall be led by my Cornelius Tacitus. Before Livy, you will ask? Not because of his eloquence or other virtues, but because of the signs which we considered just now: prudence and judgment. Who narrates more truthfully than he does, or more briefly? Who teaches more by narrating? Is there anything relating to manners that he does not touch upon?]

Now that this decisive point has been decided in favour of Tacitus, the order of ranking seems less rigid. Places two and three are given to Sallust and Livy. These two are immediately followed by Curtius Rufus, for whom Lipsius is full of praise. He calls him a particularly legitimate historian and underlines Curtius’s ability to make true judgements (iudicium): Q. Curtius: qui me iudice probus est legitimusque Historicus, si quisquam fuit. Mira in sermone eius facilitas, in narrationibus lepos. astrictus idem, et profluens; subtilis, et clarus; sine cura ulla accuratus. Verus in iudiciis, argutus in sententiis, in orationibus supra quam dixerim facundus23. [Q. Curtius: In my opinion a good and legitimate historian, if anyone was. The effortlessness of his language is admirable. There is a charm in his narrations that is at the same time concise and flowing. He is subtle and intelligible, careful without any effort. True in his judgements, acute in his aphorisms, in his speeches indescribably eloquent.]

Of his three precepts, however, this is the only one he touches upon. The remaining aspects do not fit into the scheme directly: Lipsius calls the style of writing pleasing, fine-spun and terse, the sententiae clear, the speeches eloquent. His biggest objection is to the subject matter: the strong focus on military activities, he states, considerably limits the benefits. Curtius would be a source of even more prudentia (civil prudentia, one assumes), if he did not deal with warfare only:

22. Politica, ed. Waszink, p. 733. 23. Politica, ed. Waszink, p. 734. Cf. Grafton, History, p. 5.

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Gabriel Siemoneit Quod si varium magis argumentum habuisset; fallor, aut variae Prudentiae eximium magis specimen praebuisset. Sed Alexander, quid nisi bella24? [If he had had a more diverse subject matter, he would have offered, if I am not mistaken, an even more excellent example of various kinds of prudence. But what does Alexander offer but wars?]

A tangible indication of Lipsius’s appreciation is the fairly large number of citations from the Historiae25. The fragments he extracted can usually be identified as sententiae, that is, maxims or aphorisms that effectively sum up deeper insights26. These were surely considered to be especially suitable for gaining prudentia, of which the following example might give a hint: Scilicet nihil tam firmum est, cui periculum non sit etiam ab invalido. [For of course nothing is so secure that it cannot be in danger even from the weak27.]

Antonius Candidus, In Historias Q. Curtii Rufi praefatio Antonius Candidus was one of those printers whose lives were greatly influenced by the religious conflicts that overwhelmed Europe during the sixteenth century28. He started his own business in Lyon, where he was born a Catholic, and later converted to Protestantism and moved to Geneva. He worked, among others, with Henri Estienne and Jean de Tournes, who shared the same fate. Apparently he left the city soon after 1598, as this is the year his last Genevan prints date from, and moved to Grenoble. The last sign of activity is an oath of allegiance he swore on 12 October 1621. Shortly thereafter, he must have died. During his years in Lyon and Geneva, Candidus arguably had a strong predilection for legal texts. The Opera omnia of the Italian legal scholar Giasone 24. Politica, ed. Waszink, p. 734. 25. Lipsius cites Curtius roughly 70 times, most notably in Politica IV (25 citations) and V (29 citations), the books on civil and military prudentia, respectively. All citations are taken more or less equally from all of the Historiae (book 3: 11 citations; bk. 4: 14; bk. 5: 6; bk. 6: 5; bk. 7: 13; bk. 8: 11; bk. 9: 3; bk. 10: 7). 26. On this topic, see A. Cuttica, Le sententiae in Curzio Rufo. Dallo stile alla cultura di un’epoca, Florence, 1998. 27. Politica, ed. Waszink, p. 338. Translation ibid. p. 339. Fragment taken from Curtius, 7, 8, 15. 28. The following is based on H. L. Baudrier, J. Baudrier and H. de Terrebasse, Bibliographie lyonnaise.



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del Maino29 appeared in 1581, the Corpus Iuris Canonici30 in 1584, the Vetusrenovatus commentarius of monarchomach François Hotman31 in 1588, just to name a few. Over the years, more and more texts dealing with historical or religious matters entered the list: he published, for example, the anti-Catholic Apologie pour Hérodote by Henri Estienne in 159232, and a French translation of Caesar’s Bellum gallicum in 159433. Candidus’s edition of the Historiae comes with some accompanying material. It includes the Ciceronian “laws of history” (fol. *5 v), aphorisms on reading history (fol. *6 r-v), an inventory of speeches (fol. *7 r-*8 v), the supplement by Christoph Bruno (p. 1-17), breviaria for each book, Latin translations of Plutarch’s Life of Alexander and On the Fortune or the Virtue of Alexander34, finally a Gnomologia Curtiana (no pagination from here on) and an Index rerum memorabilium. Interestingly, in the preface (fol. *2 r-*5 r) the words Candidus uses are usually not his own, but those of Juan Luis Vives. Without reference, he follows chapter 3, 3 (“De historia”, “On history”) of De ratione dicendi (1533) freely or even quotes word for word35. Taking the passages that add to his message, he assembles a more or less coherent line of thought and develops a similar argument, but draws a surprisingly different conclusion. Deviating from Vives, he claims that Curtius (not Livy) followed the leges historiae precisely and should therefore be considered a valuable source of prudentia36. 29. FB 64412, 64414 and 64417 can be attributed to Candidus. While there are more prints bearing the same title, these lack the name of a printer. 30. FB 72806. 31. FB 74427. 32. USTC no 11180. 33. USTC no 53080. 34. P. 302-374 (translated by Hermann Cruserius) and p. 374-411 (translated by Guillaume Budé), respectively. 35. For a critical assessment of De ratione dicendi, see P. Mack, “Vives’s De ratione dicendi: Structure, Innovations, Problems”, Rhetorica, 23 (2005), p. 65-92. The page numbers given below refer to the first tome of the early Opera omnia edition (Basel, 1555). Apart from this rhetorical treatise, Vives dealt with history in De causis corruptarum artium (1531) and in De tradendis disciplinis (1531); see I. Bejczy, “‘Historia praestat omnibus disciplinis’: Juan Luis Vives on history and historical study”, Renaissance Studies, 17 (2003), p. 69-83. Generally on Vives, see D. C. Andersson, “Juan Luis Vives (1492/93-1540). A Pious Eclectic”, in Philosophers of the Renaissance, ed. P. R. Blum, Washington, D. C., 2010, p. 133-147, and also A Companion to Juan Luis Vives, ed. Ch. Fantazzi, Leiden, 2008. 36. Vives’s closing words are: “Haec de Livio, atque adeo de historico optimo” (De ratione dicendi, p. 143).

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Candidus starts off by defining the term historiae as “veras et aptas rerum gestarum explicationes” (fol. *2 r, “true and apt accounts of human actions”). Having a wealth of advice for private and public life to offer, they enjoyed the interest of wise men at all times (fol. *2 r). The Historiae should be regarded as legitimate historia in this same sense, he states, and starts collecting the evidence. According to Candidus, Curtius offers many useful examples to princes and lower social classes alike that either encourage people to be virtuous or help to prevent vices by eradicating the desire for glory, money, revenge and lust. Confining the account to the events that really matter, Curtius left out what did not add to the message (fol. *2 r-v). Candidus then addresses the topic “depiction of war” (fol. *2 v), a thread that Puteanus will pick up again. What is the preferred mode of presentation? Are there any lessons of (civil) prudentia that can be learned at all? Wars have to be described, Candidus is convinced, or otherwise the law that demands truth is violated. But they ought to be presented with disgust, as a necessary evil, and not in a way suited to increasing the victor’s fame. Their only purpose should be to demonstrate the destructive effects of vain passion and the vicissitudes of fortune. All things which humans generally trust in are unreliable and will fail more often than not – this is the message that has to be conveyed. In Candidus’s opinion, Curtius managed to do this quite well (fol. *2 v). Next, Candidus deals with the Ciceronian “laws of history”, without following them too rigorously. For reference, they are collected on the page that immediately follows the preface (fol. *5 v). Curtius, Candidus explains, followed the first law (veritas) because he unearthed the truth that lay deeply buried in the abyss of antiquity (fol. *2 v). Second, he did not indulge in adulation or criticism, as this is the encomiast’s task, not the historian’s (fol. *3 v). The third law, originating in rhetorical theory, is equally applicable to historical writing: in addition to just reporting actions, a historian should reveal (possibly secret or undisclosed) motives, plans, and outcomes. If Curtius had only concentrated on the battle scenes and had not related this additional information, Candidus deliberates, his account would be useless (fol. *3 v). Laws number five and six concern the style of writing. According to Candidus, the words Curtius used are completely adequate for the things he described and of such great perspicuity that he is understood by everyone, and even praised by the wise. If every now and then he proves to have been a little licentious, he was so for the ease of reading (fol. *4 r). The narrative mode is completely adapted to the situation in question: if necessary, for example when reporting agreements or proclamations, he paid attention to every single word, did not pass over anything that the reader needs to be acquainted with



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and related nothing but the truth (fol. *2 v-*3 r). On the other hand, he was capable of provoking emotions, delighting the reader and shaping his or her behaviour (fol. *3 r). The inserted speeches, Candidus claims, are indispensable as well. Being either useful or delightful, they do not tackle minor problems and really contribute to the narrative. To point the reader in the right direction, Curtius applied his own judgement (iudicium) from time to time. When describing plans, actions or outcomes, he indicated why a plan was good, what went right and what went wrong. Another important factor that helps in understanding the events is the description of peoples, regions, and the overall geography (fol. *3 r-*4 r). Based on these observations, Candidus draws a far-reaching conclusion: Curtius Rufus is exactly the kind of historian that Cicero had in mind37! Before adding some closing remarks on the editorial work and Curtius’s date, he emphasises the overall message even more by citing Justus Lipsius’s judgement38 (legitimus historicus, see above). From a formal point of view, Candidus’s preface does not try to be original, either in terms of content or language. Essentially, this matters little. While he surely could have come up with something more independent, he probably quite intentionally chose Vives’s well-known treatise as a vehicle. In this way, while Candidus might not have ventured to dethrone Livy altogether, the Valencian humanist (involuntarily) assisted in strengthening Curtius’s standing. By including Lipsius’s judgement, Candidus is even confirmed by a notable scholar and also reinforces the connection of the Historiae to neostoic, prudential concepts.

Erycius Puteanus, In Q. Curtii Rufi historiam praefatio The third and final example under consideration is a speech delivered by Erycius Puteanus at the Palaestra bonae mentis39. Puteanus was born in Venlo in 1574. After studying in Dordrecht and Cologne, he moved to Leuven in 37. “denique eum historicum, quem requirit Cicero, se praestat, magnum videlicet” (fol. *4 r). 38. Fol. *4 v. The quotation could well have been inserted in the second edition. 39. The following is based on Simar, Étude. In this oration, Puteanus includes a detailed discussion of Curtius’s identity and dating (p. 476-478). He is convinced that the historian lived during the time of emperor Claudius and was mentioned by Tacitus in Annales 11.20-21. For an overview of the still ongoing discussion see J. E. Atkinson, Curtius Rufus. Histories of Alexander the Great. Book 10, Oxford, 2009, p. 2-14, and T. Power, “Suetonius and the Date of Curtius Rufus”, Hermes, 141 (2013), p. 117-120. Astonishingly, many of the major points had already been made by the middle of the seventeenth century, cf. G. Siemoneit, “Lob und

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1595, where he attended lectures on ancient history given by his future patron, Justus Lipsius. Two years later, like many scholars educated in the humanities, he gravitated towards Italy. He became a professor of eloquence in Milan, and later also a court historiographer. In 1606, Justus Lipsius died and left vacant the professorship in Latin at the Collegium Trilingue, also known as Collegium Buslidianum, named after its founder Hieronymus van Busleyden. So Puteanus ended his stay in Italy to succeed his former teacher in Leuven and even created his own school of rhetoric there, the Palaestra bonae mentis. In this same city, he died some 40 years later, in 1646. The variety of different topics he taught and published on includes contemporary history, moral philosophy, the theory of rhetoric, ancient chronology and calendar, mathematics, geography and astronomy. After having lectured on Sallustius and Tacitus, Puteanus introduced his audience to Curtius Rufus (p. 453). Other than the title might suggest, his speech is not a mere introduction to the form and content of the Historiae. Large parts read like encomiastically exaggerated praise of historical writing, and particularly of Curtius Rufus. Puteanus emphasises right from the start that his main objective is to get his students interested in history in general, which is why he chose an account with an appealing subject (p. 455). The thoughts Puteanus expresses are not as technical nor as inspired by law as in the cases of Lipsius and Candidus. This is why the standards he calls for are rather vague at times. He develops three key aspects by which he judges any historian: suada (rhetorical sweetness), prudentia (prudence, practical wisdom) and veritas (truth) – all three of them being ancient goddesses whom a historian should worship40. These terms, although never defined properly, seem to be connected with those of Lipsius, or even adopted from him. Puteanus, however, raises them to a more abstract as well as metaphorical level. Because he is rather spontaneous at times, the full meaning usually has to be reconstructed from various sections of the speech. The idea underlying veritas, to begin with, is undoubtedly the same as in Lipsius or Candidus. At first glance, one even gets the impression that it is mentioned just for completeness’s sake: the discussion is confined to few broadly acceptable statements and is never picked up again later. However, veritas might indeed compensate for a potential weakness that comes along Datierung. Johannes Freinsheims Überblick über den Stand der Curtius Rufus-Forschung im Jahr 1639”, in Wulfram, Der römische Alexanderhistoriker, p. 369-387. 40. “Tria sane numina in pulcherrimo historiae opere videtur coluisse: suadam, prudentiam, veritatem” (p. 454).



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with suada: Puteanus’s further remarks suggest that with suada he is referring to “rhetorical sweetness”, as Cicero does in his Brutus41. If rhetorical sweetness is turned into a requirement of historiography, the additional demand that a historian must not write beautifully at the expense of truth seems indeed to be justified42. Prudentia, then, leads to sane judgements and helps to deal with the vicissitudes of life43. For this to work, it is the historian who has to be equipped with a fair amount of it in the first place. According to Puteanus, this is especially true for Curtius Rufus44, as his prudentia becomes apparent from several traits. The Roman historian elucidates, for instance, the reasons and plans of his actors, then explains the outcomes and subjects everything to a review: Sed in historia universa disquirit singula: caussas rerum, consilia, eventus expendit, judex omnium. (p. 487) [But in his whole account he investigates every single aspect: He weighs up the reasons, plans and outcomes; he is the judge of everything.]

Moreover, Curtius Rufus reports vices to warn people and virtues to inspire them, without displaying hate or zealousness. As a side-effect of this highly desirable neutrality, the reader is presented with Alexander’s good and bad characteristics alike (p. 485). Puteanus highlights yet another feature of Curtius’s prudentia: the way he describes actions fits in with reality so well that there doesn’t seem to be a significant difference between speech and action. Curtius personally would not have been a worse soldier, leader, legislator and orator than the people he describes: Narrat Historicus, & cum parem rebus stilum habet, gerere ipse videtur quae exprimit. Ad bellum milites ducit, & ipse miles est; loquitur, & pugnat; urbes obsidet, & capit; hostes invadit, & superat; denique pacem describit, & administrat; narrat leges, & condit. (p. 475) 41. Cf. Brutus 59. Greek Πείθω originally was the personification of (erotic) persuasion. Apparently it was Ennius who rendered it by suada. This “Latin word evoked the idea of ‘pleasing’ and ‘sweetness’” (L. Pernot, Rhetoric in Antiquity, Washington, D. C., 2005, p. 102). 42. It has long been claimed that rhetoric and truth are irreconcilable, see, for example, Pernot, Rhetoric, p. 10-23; Quintilian, Institutio oratoria, 6, 2, 5. 43. For example: “Prudentia, sive collineatio judicii” (p. 469); “Prudentia Fortunam corrigit” (p. 474). 44. For example: “Hic [sc. Curtius] ille, Auditores, ingenium cujusque acuet; subtilissimus scriptor est: judicium roborabit; prudentissimus est: linguam expoliet; facundissimus est” (p. 496).

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In fact, Puteanus fully equates rhetorical and mental abilities. Inspired by common humanist notions, he claims that the most prudent writer is, at the same time, the most eloquent one: Etenim si judicium Historia format, format & linguam: sic prudentissimus quisque Scriptor etiam facundissimus fuit. (p. 475) [For if history shapes judgement, it also shapes language. Thus, the most prudent writer was also the most eloquent.]

The narrative style, finally, is praised as concise, pleasant, fluent and non-sprawling: Tota narratio exacta est, lenitate quadam profluens, non exundans; tanquam ripis clausa, garrulitatis autem imbre non corrupta. (p. 487) [The entire narration is accurate, flowing along with a certain gentleness, thereby never overflowing as if it were enclosed with banks, not ruined by a shower of loquacity.]

Puteanus compares Curtius to a painter: his description of places and c­ ities is so detailed and accurate that the picture emerging in the reader’s mind could not be more vivid. In this regard, the text is even superior to a real painting: Locorum etiam urbiumque tam accurata ubique descriptio, ut picturam censeas. Nulli colores sermonem aequent: nec legere, sed intueri coram videaris quicquid hic expressum est45. (p. 487) [Also, the description of places and cities is so accurate everywhere that it can be considered a painting. No colours could equal the language, you could imagine you were not reading, but observing before your own eyes whatever is portrayed here.]

When reading the Historiae, these qualities create additional pleasure which in turn results in an even greater benefit (p. 484). In the end, Puteanus places Curtius Rufus above virtually any Roman historian. Livy, Sallustius, Caesar, 45. Cf. Candidus, Historiae, fol. *3 v, and Vives, De ratione dicendi, p. 139, who both stress the visual qualities of the Historiae and of history in general.



Legitimus historicus: Lipsius, Candidus and Puteanus 457 on Curtius Rufus’s historiographical skills

Tacitus, Iustinus, Florus and Nepos undergo review. Unfortunately, they fail to convince the scholarly world. At the end, there is only Curtius Rufus: Vnus Curtius, noster ille Curtius, tam feliciter, prudenter, venuste Historiae vestem contexuit, stilum ubique rebus aptans, ut notam omnem evitarit. Elegans est, gravis est, virilis est, & natura sua nunc exsurgens & docens, nunc submittens dictionem & oblectans […]. (p. 483-484) [Only Curtius, our dear Curtius, wove the cloth of history so successfully, prudently and pleasingly, and adapted his style to the subject matter everywhere so that he overcomes any objection. He is elegant, serious and vigorous. It is his nature sometimes to rise and instruct, sometimes to lower the language and entertain […].]

Refuting Lipsius Justus Lipsius claimed that the usefulness of the Historiae was limited to military matters (see above). In Puteanus’s opinion, this is not only simply wrong, but also destroys an otherwise positive assessment. One of his declared objectives is therefore to refute Lipsius in that respect (p. 478). In principle, there isn’t really anything to prove: if Curtius Rufus is a legitimus historicus – an assessment that Puteanus fully accepts – he is consequently an excellent source of prudentia (p. 479). Nevertheless, Puteanus presents two more arguments. First, he detects a civilian dimension that Lipsius failed to recognize. Although warfare is the predominant theme of the Historiae and Alexander indeed subdues enemies by force of arms, it is by legislative and judicative qualities that he remains in lasting control of cities and provinces (p. 479). Second, Puteanus draws an analogy between an army and a state: the common soldier is just as obedient, rebellious, and even seditious as the common citizen. They both place similar demands on their leader, who therefore, at times, might have to defeat not only the enemy, but also his own people (p. 479). Puteanus then elaborates on the dynamics of power at court (p. 479-481): the generals and officials who gather around the prince (that is, Alexander) are actually his enemies, despite their charming attitude. Constantly competing for the royal favour, they are driven by envy, fear and hate, and pursue their very own objectives. Because they are used to committing injustice, all the private quarrels might easily turn against the prince. Alexander, however, successfully copes with this challenge: by means of his mental and physical abilities, he keeps his own people in their place and defeats the enemy on

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the battlefield (p. 479). So Puteanus comes to the conclusion that because Curtius Rufus portrayed a universally prudent Alexander, the Historiae are also a source of universal prudentia: Haec cum ita sint, quis varium adhuc argumentum requirat? varium, quia Alexandrum descripsit Curtius, habuit; & sic variae prudentiae specimen quoque praebuit, atque elegantissime vestivit. (p. 482) [As, then, this is the case, who would still demand diverse subject matter? Curtius had a diverse subject matter because he portrayed Alexander, and hence gave an example of various kinds of prudence too, and even dressed it very elegantly.]

Curtius Rufus arguably never achieved the leading position in any of the occasionally shifting canons that were set up by the end of the sixteenth century and that were headed by the works of Livy, Tacitus, and others. Nevertheless, he had become increasingly popular ever since the editio princeps46. If the purpose of history lies primarily in its practical applicability regarding politics and morality, a historian’s standing is, to a significant degree, determined by the specific requirements of the period under consideration. Cynical as it may sound, the evidence suggests that the reputation of the Historiae benefitted from continuing crises, wars and the rise of absolutism during the sixteenth century. Justus Lipsius obviously considered them a source of prudentia which was compatible with his rationalisation of the monarchic state and neo-stoic Tacitism. Candidus and Puteanus, then, approved of this view and participated in the ongoing discussion on war and power. They all came up with similar thoughts and similar sets of rules, or even “laws47” as necessary conditions for history to be useful. They compared the Historiae with these rules and, of course, always got positive results. One gets the impression, however, that despite an undeniable striving for objectivity it again boils down to personal, or rather contemporary, preferences and expectations. The lists might not even be entirely consistent in themselves. The demand for the reporting 46. For purely statistical evidence, see P.  Burke, “A Survey of the Popularity of Ancient Historians, 1450-1700”, History and Theory, 5 (1966), p. 135-152. Many editions, commentaries and related scholarly works, not least the celebrated contributions of Johann Freinsheim in the middle of the seventeenth century, were obvious symptoms of an “aetas Curtiana” as Wulfram designates the 400 years from the fifteenth up to the nineteenth century (Wulfram, “Tödliche Lektüre”). 47. Of the three authors, it is Candidus who most often resorts to legal terminology. In this regard, he was arguably influenced by the focus of his printing, which, in turn, might have been connected with the rise of legal humanism at the time.



Legitimus historicus: Lipsius, Candidus and Puteanus 459 on Curtius Rufus’s historiographical skills

of (hidden) reasons, for example, may easily conflict with the demand for truth. Furthermore, how would one prove good judgement without running the risk of being subjective? Put positively, instead of being overly theoretical or even taking the path to scepticism, the three authors did not leave the firm ground of tradition and remained pragmatic enough to let history reach its goal, that is, to improve its readers. Gabriel Siemoneit University of Vienna

Du présage heureux à la mise en garde : Le portrait d’Alexandre le Grand par Puget de la Serre (1641) En 1641, Jean Puget de la Serre dédia un Portrait d’Alexandre le Grand1 à celui qui n’était encore qu’à l’orée de son règne, le futur Louis XIV, âgé de trois ans. Il s’agira pour nous d’étudier les nombreux passages qu’emprunte l’historiographe à Quinte-Curce dans son texte, et de voir selon quelles modalités et avec quels objectifs l’interprétation de Quinte-Curce est infléchie. Nous pourrons faire référence ponctuellement à des souvenirs émanant d’autres textes, comme les Vies illustres de Plutarque, traduites par Jacques Amyot en 1565, ce qui pourra nous aider à discerner ce que J. Puget de la Serre emprunte ou non à la version de Quinte-Curce. Nous nous interrogerons en effet sur la réorientation que l’auteur propose de l’image d’Alexandre le Grand afin de comprendre les enjeux du texte, politiques et moraux, en fonction du contexte d’écriture. Le parallèle entre des princes et des héros de l’Antiquité n’est guère nouveau : au fil des ans, les comparaisons entre Anciens et Modernes se multiplient, tournant souvent à l’avantage des seconds. L’Ancien Régime use du parallèle comme d’un instrument pour chanter la gloire du présent, la supériorité de ses valeurs et de ceux qui les incarnent. La figure d’Alexandre le Grand a pu ainsi servir de faire-valoir à différents monarques : Henri IV fut surnommé le « Grand » à l’exemple d’Alexandre, mais c’est surtout sous Louis XIII qu’elle nourrit l’imagerie monarchique en France2. Ce phénomène se poursuit de père en fils et culmine sous le règne de Louis XIV, consolidant ainsi la filiation royale. Ce roi – ou son entourage – exploite l’histoire du héros pour développer une véritable mythologie royale, avant de l’abandonner à la fin des années 1670 alors que son pouvoir est à son apogée. Si l’image d’Alexandre peut être utilisée pour dessiner les contours d’une figure royale idéale, elle peut aussi en montrer les limites : il s’agit donc d’en apprécier les 1. Notre ouvrage de référence est Jean Puget de la Serre, Le portrait d’Alexandre le Grand, dédié à Mgr le Dauphin, Paris, Jean Gesselin, 1641. La pagination indiquée directement dans le texte y fait référence. 2. Nous renvoyons notamment à l’ouvrage de C. Grell et C. Michel, L’École des princes ou Alexandre disgracié, Paris, 1988, qui s’interroge sur l’usage du modèle d’Alexandre dans les discours et les arts dans la France absolutiste. Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 461-478 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115410

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vertus didactiques. C’est à la lumière de ce contexte que nous nous proposons d’étudier le texte de J. Puget de la Serre au moment où l’enfant royal n’est encore que dans l’attente de la couronne. Nous exclurons de notre étude les deux premiers livres de l’ouvrage de Puget, qui suit chronologiquement l’histoire d’Alexandre : ils s’inspirent des suppléments de Johannes Freinsheim, que ce dernier a écrits à partir de fragments d’auteurs différents afin de combler la perte des deux premiers livres de Quinte-Curce.

Structure et effets de structure Une structure adaptée de Quinte-Curce Le début de l’ouvrage, proleptique, promet au futur Louis XIV un destin comparable à celui d’Alexandre le Grand, dans une dédicace rédigée par A. Robinot (p. 1, Épître « À Monseigneur le Dauphin ») : « Si Bucéphale dompté par Alexandre encore jeune, fut à ce Prince un présage de ses victoires, l’Orient de votre âge nous promet l’Empire de l’Univers. » Il désigne aussi ce « livre » comme « un Abrégé des devoirs d’un grand Capitaine » (p. 2). Afin de ne pas paraître sans doute trop didactique et pour flatter le futur roi, les « perfections » du dauphin sont soulignées, comme s’il n’y avait en somme aucun conseil à lui donner si ce n’est celui de suivre son naturel, de même que les « enseignements de sagesse » ne s’auréoleraient de valeur qu’à travers la « considération » royale. Notons du reste que déjà Quinte-Curce relevait le fait que les bona (« qualités ») d’Alexandre émanaient de sa natura (« nature »), tandis que ses vitia (« vices ») étaient dus à sa fortuna (« fortune ») ou son aetas (« âge3 »). Puis, le corps de l’ouvrage constitue le récit des hauts faits d’Alexandre le Grand : il suit à peu près chronologiquement l’histoire telle qu’elle est relatée par Quinte-Curce – à part, de temps en temps, quelques inversions. Alors que nous comptons dix livres chez l’auteur latin (dont les deux premiers perdus), il y en a huit chez l’auteur français. Voici pour les correspondances : le troisième livre chez ce dernier correspond au livre III de Quinte-Curce ; le quatrième livre correspond à la suite des livres III et IV ; le cinquième livre fait référence à la fin du livre IV (les nouvelles de la prise de Tyr) ; le sixième livre correspond au livre V (après la bataille de Gaugamèles, 3. Quinte-Curce, Histoires, éd. et trad. H. Bardon, Paris, 1961 (Ière édition 1947-1948), t. 2, X, 5, 26, p. 412.



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fuite et arrivée de Darius à Arbèles ; mort de Darius, ellipse narrative) ; le septième livre correspond aux livres VI et VII ; enfin, le huitième livre s’inspire des livres VII à X de l’auteur latin. Notons que souvent la fin des livres de J. Puget de la Serre, « à cheval » sur deux livres de Quinte-Curce, se termine par un moment fort commenté par l’auteur. Ainsi en est-il à la fin de son troisième livre. L’exemple de l’échec de Darius lors d’un de ses combats est mis en exergue sous forme d’aphorismes signalant que la grandeur s’évanouit : le passage du soleil au couchant signale la déchéance, les « foibles rayons ne […] servent [plus] que de flambeaux mortuaires pour éclairer ses funerailles » (p. 130). De la même manière, la fin du quatrième livre est très largement commentée. Il s’agit d’abord de présenter un véritable tableau de la désolation de la ville de Tyr à partir de la page 177. Et si l’auteur, comme Quinte-Curce, se met en scène et prend en charge son récit afin de le rendre très auditif et visuel – certains passages constituent de véritables hypotyposes et sont introduits par des formules comme « Representez-vous » (p. 278, ou une variante p. 285) –, nous relevons de longs commentaires, qui, absents chez l’auteur latin, marquent l’appropriation du texte par J. Puget de la Serre. À la suite de l’évocation de Tyr, il écrit (p. 181) : « C’est icy où je suis contraint de m’arrester pour vous faire voir à quelle extremité se porte une Puissance absoluë […]. » Une définition de la tyrannie s’ensuit, ainsi qu’une condamnation de la colère comme source d’injustice et d’ombre à la gloire. C’est bien le volte-face d’Alexandre, sa cruauté à l’égard des vaincus qui est fustigée longuement, puisque « ceux mesmes qui n’avoient jamais ouvert la bouche que pour le loüer luy en faisoient publiquement des reproches » (p. 182). Des motifs baroques émaillent aussi le passage, tels que la métaphore de l’eau avec « [le] mouvement precipité que l’orage excite sur les ondes » (p. 174) ou celle des ruines, pour signaler « l’inconstance des choses du monde » et mettre au même niveau les « ruïnes » et les « grandeurs » (p. 183). Nous reviendrons sur l’exploitation de ces motifs dans la dernière partie de notre étude. L’auteur cherche à appuyer ses propos pour frapper son lecteur avec « ceste verité » (celle qu’il énonce) qui doit être « sensible à un chacun » (p. 184). La fin du sixième livre comble l’ellipse de Quinte-Curce, texte ponctué d’un « je vous laisse ces pensees pour miroir » (p. 292), appel à se regarder soi-même. Quant au livre suivant, il se termine sur le discours des Scythes, mis en valeur à la charnière de deux livres et, du fait de son contenu tout à fait moralisant, énoncé par les personnages cette fois. Ici, Puget semble bien s’inspirer de Quinte-Curce, tous les éléments essentiels y sont : il est question de l’ambition démesurée d’Alexandre, toujours insatisfait dans ses conquêtes ; au lieu d’être un justicier, il s’avère être un voleur de royaumes ;

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l’image de la chute est signalée (celle de l’arbre chez Quinte-Curce) ; enfin, un commentaire souligne le rôle d’un roi, il s’agit de « fai[re] du bien aux hommes » (p. 324-325). J. Puget de la Serre joue sur le rythme de son récit : il peut passer sous silence certains passages ou au contraire, les accélérer. Il arrive ainsi que nous trouvions un résumé de ce que Quinte-Curce a développé, comme dans l’épisode face à Ariobarzanés au livre V, 3-4 : le passage où un Lycien montre un chemin d’accès pour atteindre l’ennemi est passé sous silence. Par contre, J. Puget de la Serre commente l’embuscade qui est tendue par les Barbares et dans laquelle tombent Alexandre et ses soldats, alors aux portes de Suse. Ces derniers sont condamnés à périr sous les coups des pierres, piégés qu’ils sont dans l’espace étroit où leur chef les a engagés, et si ce dernier ressent de la pudor (« honte ») dans les deux récits, l’auteur français commente (p. 269-270) : « Mais apres tout, la gloire d’un triomphe n’a nulle sorte de raport à la perte qu’on peut avoir faite d’une partie de l’armée. » Une pointe d’ironie perce à travers le « après tout », qui, expéditif, met l’accent sur le fait que tous les soldats fidèles sont sacrifiés à la gloire d’un roi. Nous constatons aussi une interchangeabilité des personnages, d’un côté le chef des Barbares et ses soldats, de l’autre Alexandre : tous sont courageux et tous briguent l’honneur et la gloire au lieu de briguer la vie. De la même manière, enfin, lorsque Darius trouve la mort, Alexandre couvre le corps de son manteau afin de cacher ce dernier, la déchéance de Darius faisant écho à ce qui attend Alexandre. Ce passage est absent du texte conservé de Quinte-Curce, la fin du livre V étant perdue. J. Puget de la Serre exploite ici sans doute un souvenir de Plutarque, qui le conduit à un très long commentaire qui s’adresse aux « Grands Rois » et les incite à « contemple[r] [leur] frère germain » (p. 292). Si les conquêtes d’Alexandre sont parfois résumées, l’idée essentielle est formulée : Alexandre ne vit que pour ses conquêtes. Et s’il passe sous silence la succession d’Alexandre, les rivalités des héritiers, le démantèlement du royaume, présents à la fin du livre X chez Quinte-Curce, c’est que son intérêt porte sur la morale qu’il faut dégager de l’histoire. Que doit-on penser des choix d’Alexandre, de ses intérêts et de ses sacrifices en tant que roi ? Quelle position adopter face à la vie ? C’est en ce sens que J. Puget de la Serre ajoute enfin une épitaphe pour conclure l’ouvrage : dans une adresse directe à l’enfant royal appelé à régner, il donne une leçon d’humilité à ce dernier, afin qu’il puisse discerner et acquérir la vraie gloire, seule source d’une « renommée immortelle », motif problématisé au cœur de l’ouvrage.



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Alexandre : un portrait contrasté Le portrait d’Alexandre n’est pas fait d’un seul tenant : à l’instar de Quinte-Curce, J. Puget de la Serre fait une synthèse des aspects positifs du jeune conquérant et de leur détérioration à mesure que son pouvoir grandit. Ainsi en est-il lorsque la mort de la femme de Darius est évoquée au livre IV (livre X chez Quinte-Curce) et au livre V de J. Puget de la Serre. Chez l’un comme chez l’autre sont mentionnées d’une part les lettres de Darius réclamant la tête d’Alexandre, d’autre part la mort de la femme de Darius, qui entraîne les pleurs d’Alexandre et l’organisation de funérailles fastueuses. Cependant, notons que chez l’historiographe français, un lien (« Mais ») est établi entre les deux événements, lien qui permet de louer la générosité du roi : […] on luy apporta des lettres [de] Darius  […]. Mais ceste action noire et indigne d’un Roy ne porta jamais Alexandre à s’en vanger contre les parens de cet ennemi, au contraire, changeant son sentiment en compassion, il celebra d’abord de mille souspirs […] les funerailles de la Reyne Statira femme de Darius […]. (p. 200)

Le « mais » lie bien les deux événements et renforce par leur rapprochement la grandeur d’âme d’Alexandre, qui, bien qu’en danger de mort à cause de son ennemi, se soucie d’offrir des funérailles dignes de ce nom, et plus encore, à la femme de ce dernier. Cependant, quelques lignes plus loin, si, chez QuinteCurce, la beauté de la femme de Darius sert la gloire d’Alexandre, chez J. Puget de la Serre c’est bien plutôt le fait de soupirer au malheur d’autrui qui sert la renommée d’Alexandre (il suggère le caractère intéressé de ces soupirs). Du reste, il écrit, avec le sens fort qu’a le substantif « ennui » au xviie siècle (p. 201) : « S’il fut mort de cet ennuy, il eut deux fois sans doute éternisé la memoire de sa vie. » Surtout, plus loin, il dira que c’est bien l’ambition d’Alexandre qui a contribué à la mort de la femme de Darius, et que le conquérant, pris de remords, masque ses responsabilités4 (p. 202). Ailleurs, au livre VI, 2, Quinte-Curce évoque la débauche de l’armée macédonienne qui adopte peu à peu les coutumes perses, à l’instar de leur chef. Ce point de vue moralisant se retrouve chez J. Puget de la Serre. Néanmoins ce 4. On notera d’ailleurs qu’il en est de même s’agissant de la destruction de Persépolis, incendiée à cause de l’ivresse d’Alexandre : pris de remords, ce dernier trouve une excuse pour atténuer le sort qui a été réservé à la ville. S’il est question de se donner un « prétexte » chez Quinte-Curce (A. Flobert, Histoire d’Alexandre de Quinte-Curce, traduction nouvelle, Paris, 2007, p. 151), il s’agit de chercher du « soulagement […] [dans] les plaisirs de la guerre» chez J. Puget de la Serre (p. 280-281).

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dernier met encore plus en valeur le renversement du « modèle Alexandre » en signalant que, si Alexandre continue à sortir du lot, c’est bien parce qu’il s’érige cette fois en exemple de débauche (p. 298) : « Le merite consistait plus qu’à bien boire […] Et en cela, l’un servait d’exemple à l’autre, & Alexandre seul, à tout le monde ensemble. » Plus tôt dans le texte, à la suite du récit de la bataille d’Issos contre Darius, J. Puget de la Serre fustige le « désastre » (p. 127), comme le faisait QuinteCurce : « nec ulla facies deerat » (III, 11, éd. cit., p. 33, « pas de malheur dont on n’eût le spectacle »), et ce, parce que le « seul Démon de la Renommée d’Alexandre [avait] conjuré [la] ruine [des ennemis] » (p. 125). Mais à peine quelques pages plus loin, contrairement à Quinte-Curce, l’auteur glisse un passage qui met en valeur le roi, l’attitude d’Alexandre tranchant sur celle de ses soldats dans la modération qu’il sait conserver au contraire d’eux (p. 126) : « […] Tout y estoit licite, fors que la Clemence, qui seule regnoit souverainement dans le cœur d’Alexandre. » Comme par effet de compensation, il y a une tension dans le portrait d’Alexandre, tantôt loué dans son attitude digne face aux vaincus, tantôt critiqué dans sa violence et ses vices. Cette tension, ce contraste, semble apparaître parfois davantage que chez Quinte-Curce avec des commentaires disséminés dans le texte et aussi à travers les discours.

Le rôle des harangues et autres discours C’est en effet aussi dans les nombreuses harangues que le portrait d’Alexandre est développé, devenant une sorte de portrait en action. Elles semblent relever du genre de l’éthopée. Nous remarquons que Jean Puget de la Serre amplifie particulièrement les harangues par rapport à celles du texte de Quinte-Curce, elles sont comme un moyen apparent de structuration du texte, où le discours occupe une large place par rapport au récit. Parfois, la simple évocation d’un discours par l’auteur latin, reçu donc en substance par le lecteur, devient harangue sous la plume de J. Puget de la Serre, de même qu’un simple résumé, un discours indirect ou même une ellipse discursive, sont développés. Ainsi, alors que dans le livre III, 8, à la veille de la bataille d’Issos, QuinteCurce évoque le discours de Darius de manière indirecte, les paroles sont retranscrites au discours direct chez J. Puget de la Serre (p. 114) ; il en est de même pour le discours d’Alexandre à ses soldats chez Quinte-Curce au livre III, 10 et dans le livre III de J. Puget de la Serre (p. 117). Ce procédé contribue à rendre les scènes plus vivantes et à les imposer de manière plus nette au lecteur.



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Parfois, le contenu s’en trouve infléchi : après que Darius a appris qu’Alexandre avait bien traité sa femme, il propose la paix à son ennemi (p. 209) via ses ambassadeurs. La harangue au livre V de J. Puget de la Serre correspond globalement à celle chez Quinte-Curce dans son livre IV, 11, mais les valeurs morales d’Alexandre que Quinte-Curce souligne sont sa justitia et sa continentia, tandis que J. Puget de la Serre met en avant sa « clémence » et sa « valeur » (p. 209). Il est aussi question de l’offre de Darius : il propose sa fille en mariage avec une dot, qui correspond au partage de son empire. Le discours se veut flatteur puisqu’il présuppose la sagesse chez le roi et donc l’acceptation de la requête de paix (p. 211). Toutefois, son début est particulièrement emphatique, beaucoup plus que chez Quinte-Curce : il est question de « l’Adorable Monarque dont la renommée a desja fait diverses fois le tour du monde, pour le remplir du bruit de [ses] faits nompareils » (p. 209). Ce type de tournure s’insère dans une rhétorique encomiastique et rappelle le cadre de l’ouvrage : c’est un présent au dauphin. La réponse d’Alexandre, elle, est davantage transformée par rapport à celle chez Quinte-Curce : il n’est plus question d’évoquer le fait que Darius a cherché à le faire tuer par des soldats ou des amis ; il n’est fait aucune mention de la proposition de mariage avec la fille de Darius. Il s’agit bien de faire ressortir l’aspiration d’Alexandre à la domination universelle, comme chez Quinte-Curce, mais notre ouvrage semble insister davantage sur cette ambition en faisant dire à Alexandre (p. 214) : « Je veux que toute la terre soit mon domaine5. » Cette ambition est associée aux concepts d’immortalité et de gloire, ce qui annonce en filigrane l’épitaphe sur la recherche vaine de l’immortalité. Enfin, lorsque les ambassadeurs s’en vont, voyant qu’Alexandre refuse la paix, Quinte-Curce s’en tient aux faits, tandis que J. Puget de la Serre commente : il signale qu’Alexandre n’entend pas raison6, écho à la déduction que le lecteur peut faire de lui-même lorsqu’il met en parallèle les deux harangues, la première soulignant la sagesse d’Alexandre à accepter la proposition et la seconde marquant son refus. Nous voyons par ces exemples que les harangues sont l’occasion pour notre auteur de faire des effets de style, mais c’est aussi un bon moyen pour avertir, persuader ou dissuader. Pour confirmer notre propos, notons que J. Puget de la Serre semble vouloir déployer à l’envi les discours dans ce miroir du prince, jusqu’à en inventer 5. H. Bardon, op. cit., t. 1, IV, 11, 21 p. 90-91, nous lisons : « et quae amisit, et quae adhuc habet, praemia esse belli » (« ce qu’il a perdu, ce qu’il possède encore, sont l’enjeu de la guerre : celle-ci délimitera nos deux royaumes »). 6. J. Puget de la Serre, p. 215 : « Ces Ambassadeurs étonnés d’une telle réponse n’emportèrent avec eux que le regret d’avoir mal employé leur temps. »

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même, puisque le lecteur avisé ne les retrouvera pas tous dans la version de Quinte-Curce. Prenons un exemple : alors qu’Alexandre est encore victime d’un complot visant à l’éliminer dans le livre VIII de Quinte-Curce, ce dernier fait parler l’un des conspirateurs chargés de se justifier, Hermolaus. Tous les complices sont présents, hormis Callisthène, enchaîné et soumis à une autre juridiction selon la réponse d’Alexandre à Hermolaus qui lui reproche de ne pas avoir convoqué celui qu’il considère comme le seul qui sache s’exprimer. Au contraire, J. Puget de la Serre va faire parler Callisthène avant Hermolaus, c’est-à-dire après que ce dernier s’est exprimé quasiment point par point comme chez Quinte-Curce. Nous pouvons nous demander pour quelle raison près d’une page et demie contient une harangue de Callisthène alors que le personnage n’est pas visible à ce stade de l’histoire chez l’auteur latin et que le discours que tient Hermolaus est suffisamment clair dans sa signification : il critique la tyrannie d’Alexandre, son désir d’être considéré comme fils de Jupiter et la mort de ses fidèles serviteurs. J. Puget de la Serre écrit (p. 343) : « Hermolaus fut bien plus hardy encore. » On peut supposer que faire parler Callisthène (p. 340-341) et à sa suite Hermolaus renforce dans une gradation ascendante la condamnation d’Alexandre et met en exergue l’injustice dont peut faire preuve un roi. Immédiatement après, l’auteur commente : La mort de ce sage fit connoistre qu’Alexandre ne l’estait point du tout dans ses passions […]. Mais comme les Rois authorisent tout ce qu’ils font par leur puissance absoluë, il trouva de nouveaux adorateurs de sa tirannie. (p. 342-343)

Par le truchement du présent de vérité générale et de l’expression générique « les Rois », J. Puget de la Serre profite du « cas Callisthène » pour mettre en garde avec insistance contre les dangers du pouvoir absolu, qui peut mener à l’injustice s’il n’est pas utilisé raisonnablement et servir d’instrument aux caprices de celui qui le détient. C’est aussi une façon de pointer du doigt les « adorateurs », autrement dit les flatteurs qui ne sauront guider le roi. Par contrepoint, Callisthène fait figure de sage « absolu » et en cela, il devient une figure exemplaire. En le faisant s’exprimer ainsi, outre la pitié qu’il peut susciter par son éloquence, l’auteur surenchérit sur le discours de Hermolaus, marquant ainsi davantage l’esprit de celui à qui il donne un tel portrait. Ailleurs, chez Quinte-Curce, Alexandre tient un discours à lui-même lorsque, malade, il apprend de Parménion que son médecin Philippe est peutêtre un traître7. Si ce passage teste la capacité du roi à discerner le vrai du faux, la 7. H. Bardon, op. cit., t. 1, III, 6, p. 17.



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version qu’en donne J. Puget de la Serre, bien plus élaborée, semble infléchir son sens8. Elle offre une définition de ce qu’est un roi, vis-à-vis de Dieu, de ses sujets, des autres rois et du monde entier, enfin, de la postérité (p. 98-99). Le discours d’Alexandre chez Quinte-Curce et celui chez J. Puget la Serre ont en commun une culture de l’héroïsme où la peur est une faiblesse opposée au courage, valeur quasiment intrinsèque du prince. Les discours questionnent l’attitude que doit adopter un roi à l’égard de son entourage immédiat. Toutefois, dans cette version précise de J. Puget de la Serre, le texte semble davantage mettre en exergue l’aptitude d’un prince à supporter stoïquement les coups du sort, la mort, puisqu’il ne peut être maître de la fin de sa vie, régie absolument par une puissance supérieure. Du reste, plus loin, l’auteur condamne expressément l’arrogance d’Alexandre, lorsqu’il veut se hisser à hauteur des dieux9 – ce à quoi Quinte-Curce ne fait pas référence à cet endroit précis, puisqu’il se contente de signaler l’hésitation d’Alexandre entre sa décision de refuser les dernières propositions de paix de Darius, à la veille de la bataille de Gaugamèles, et l’avis de Parménion, qui consiste à accepter l’offre de l’ennemi. L’auteur met aussi en évidence le fait qu’Alexandre vit pour sa propre gloire, dans l’exemple cité plus haut : Alexandre est bien loin ici de suivre l’exemple donné par Fénelon qui, dans son Télémaque, invitera les rois à ne pas oublier qu’ils ne « […] règnent point pour leur propre gloire, mais pour le bien des peuples10 ». Si cette recherche absolue de gloire est fustigée dans l’épitaphe de la fin de l’ouvrage et qu’elle est évidemment plus que présente chez Quinte-Curce, l’auteur français accentue davantage ce fil conducteur moralisant à destination du roi. Du reste, plusieurs termes spécifiques constituent de véritables leitmotive et contribuent grandement à la réorientation des souvenirs de Quinte-Curce : citons-en quelques-uns, en relation avec la mort (« tombeau », « sépulture », « cendres », « vers »), avec la gloire (« la vanité », « l’orgueil »), avec le malheur (« misères »). Nous verrons plus loin que ces termes sont au cœur d’un 8. Notons que dans ses Vies illustres, Plutarque décrit essentiellement Alexandre tenant d’une main la lettre de Parménion, de l’autre, le remède de Philippe. Ce discours intérieur n’est pas présent, ce qui montre bien que le texte de Quinte-Curce a servi encore ici de source à J. Puget de la Serre. 9. J. Puget de la Serre, p. 220 : « Dieu punirait son arrogance pour aspirer tout seul à la domination de la Terre : comme s’il voulait partager avec eux leur puissance souveraine et absolue. » 10. François de Fénelon, Les aventures de Télémaque, Paris, Frères Gauthier, 1830, t. 20, p. 437. Cette idée humaniste consistant à accorder ses bienfaits aux hommes sera reprise plus loin, à la page 325, dans la harangue des Scythes au roi, nous y reviendrons. En effet, une fois la figure négative d’Alexandre posée comme contre-exemple en somme, il sera temps de l’éclairer plus directement (et à travers lui, le dauphin).

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courant auquel semble appartenir l’auteur. Ce dernier a d’ailleurs été amené à sacrifier certains passages de Quinte-Curce afin de resserrer peut-être, au profit de la dimension pédagogique, le portrait d’Alexandre11. L’ouvrage a ainsi un but didactique, sans doute nourri de l’espoir de guider le futur roi dans l’exercice de ses responsabilités, et s’inscrit dans le genre du miroir du prince. Si J. Puget de la Serre s’inspire largement de Quinte-Curce quitte à adapter son texte, d’autres sources, celle de Plutarque en l’occurrence, lui permettent aussi de parachever son portrait d’Alexandre à travers les divers aspects que nous avons mentionnés (rhétorique, dramatique, moral, idéologique). La notion de plaisir est bien là, plaisir de l’ornement et de l’invention chez l’auteur, plaisir d’entendre une histoire animée et dramatisée chez le lecteur ; c’est aussi un moyen de donner de la force au propos : pour accentuer le sens que revêtent certains événements, l’auteur sélectionne des détails notables dans l’histoire d’Alexandre et rend plus vivants les personnages afin que leur parcours, leurs erreurs ou leur bonheur soient plus prégnants à l’esprit du Dauphin.

Vers l’image du prince idéal ? Un miroir du prince J. Puget de la Serre, auteur en quête d’honorabilité, fait ainsi preuve d’ingéniosité en 1641 : reprenant un sujet déjà bien inscrit dans la « mythologie royale » et servant de continuité aux différents règnes (Henri IV, 1589-1610 ; Louis XIII, 1610-164312), il loue à la fois le futur roi Louis XIV et la solidité du lien filial entre Louis XIII et le dauphin. Cependant, l’éloge d’Alexandre et à travers lui, du futur Louis XIV, n’est pas continu à travers le texte : s’il est avéré en certains passages, il semble parfois être davantage un passage obligé comme si l’auteur tentait de prévenir la critique, n’oubliant pas que c’est un présent adressé au futur monarque. Ailleurs, la critique d’Alexandre est bien prise en charge par l’auteur. Cette dernière nous invite donc à considérer cet ouvrage comme une sorte de miroir tendu au prince, le prévenant des dangers du pouvoir et participant par là même d’un double mouvement, à la fois parénétique et élogieux, comme en témoigne la structure que nous avons étudiée. 11. Igor Yakoubovitch parle d’ailleurs d’aspects littéraire, rhétorique, dramatique et idéologique déjà pour le portrait que Quinte-Curce fait d’Alexandre (« Échos, diptyques et effets de bouclage : la construction du portrait d’Alexandre chez Quinte-Curce », dans L’histoire d’Alexandre selon Quinte-Curce, éd. M. Mahé-Simon et J. Trinquier, Paris, 2014, p. 125-138). 12. Le cadre limité de notre contribution ne nous permet pas de développer ce point.



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Si le règne de Louis XIII, long de 33 ans, entraîna une diminution du nombre de traités d’éducation, le discours que ces derniers véhiculaient se modifia quelque peu par rapport au Moyen Âge et à la Renaissance. Reprenant toujours à son compte le catalogue de vertus ainsi que l’importance de la religion, le genre se teinte d’un discours plus critique envers le gouvernement royal, conjointement au développement d’un absolutisme de plus en plus fort. La diffusion de tels textes didactiques se développe à nouveau vers la fin du règne du roi avec la naissance de Louis-Dieudonné, le futur Louis XIV. Après l’attente d’un dauphin qui dura presque 23 ans, pas moins d’une vingtaine d’œuvres est ainsi rédigée entre sa naissance en 1638, la mort du roi en 1643 et la fin de la régence d’Anne d’Autriche en 1651. J. Puget de la Serre s’inscrit explicitement dans la tradition du miroir du prince, il écrit « aux Grands Rois » (éd. cit., p. 293) : « Je vous laisse ces pensées pour miroir. » Ce genre du miroir du prince, pratiqué à l’époque médiévale et renouvelé à la Renaissance par celui des « institutions du prince », s’associe à une autre pratique d’écriture bien établie, celle qui consiste à joindre l’utile à l’agréable, c’est-à-dire l’enseignement au plaisir par le biais de la fiction, comment nous avons pu en avoir un aperçu précédemment à travers certains discours imaginés par l’historiographe13. L’image d’Alexandre que nous propose l’auteur, la réorientation du portrait tiré de ses souvenirs de Quinte-Curce, la préservation de certains traits ou leur critique, tout converge à dessiner en creux la figure idéale du prince, tout en l’associant aux mises en garde liées à un discours moralisateur chrétien.

Prudence, générosité, continence et autres vertus Nous évoquions plus haut la sagesse d’Alexandre. Le portrait invite en effet à réfléchir sur la prudence du roi, il montre au prince l’intérêt de préserver la justice et d’éviter la cruauté, il met en avant le courage dans la témérité, la tempérance dans la lenteur ou la tiédeur14. Ce thème est voisin de l’interdépendance des quatre vertus cardinales indissociables que sont le courage, 13. Il est à noter que le terme de « fable » intervient à plusieurs reprises dans le texte et revêt différents sens, parfois celui de fiction : « Alexandre monté sur son Bucephale paressoit […] comme un Mars d’Histoire plustot que de la Fable » (p. 117) ; ailleurs, le terme peut désigner le récit mensonger, en tout cas le mensonge : « Sçaches […] que sa Renommée passe pour fable » (p. 351, épitaphe), ou même avoir le sens de la risée (p. 21) : « […] Philippe, ce grand Roy de Macedoine estoit la merveille de son siecle et dans un clin d’œil, ç’en est la fable […]. » 14. Il est évident que la valeur militaire est aussi une qualité constante. Le cadre limité de notre contribution ne nous permet pas de développer.

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la justice, la prudence, la tempérance. Nous citerons en substance Myriam Chopin-Pagotto15. La prudence est la vertu cardinale des rois liée à la sagesse au point d’être confondue avec elle, au Moyen Âge et en France. Puis, sous l’influence d’Aristote dont l’Éthique à Nicomaque est connue à partir du xiiie siècle, les théoriciens du pouvoir vont la présenter comme une vertu politique à part entière – à distinguer de la sagesse, vertu plus « contemplative » – c’està-dire intellectuelle et morale permettant à l’homme d’orienter ses actions et de choisir les moyens d’atteindre ses fins. C’est une vertu « pratique ». Si le roi doit pouvoir se discipliner lui-même avant de régir les autres – idée maîtresse autour de laquelle est développée l’image idéale du roi – il faut plus : il doit être capable de prévoir afin d’orienter ses actions. Avant tout, le roi doit être bien conseillé – la question de son entourage est une question essentielle. Il s’agit de dénoncer les vanités de la cour, lieu de toutes les convoitises humaines et des conseillers flatteurs qui ne peuvent aider le roi dans l’exercice de son gouvernement. Le roi ne peut décider seul pour gouverner prudemment (idée soutenue par les théoriciens du pouvoir, depuis les Carolingiens). La notion de prudence est valorisée dans les écrits politiques dès le xiiie siècle et amène les intellectuels à penser le pouvoir en terme de modération, vertu qui préserve de la tyrannie. Notre ouvrage s’inscrit pleinement dans ce cadre. Un exemple : Darius demande à l’un de ses conseillers, Charidémus, s’il croit qu’il sera assez fort pour battre Alexandre, à la veille de la bataille en Cilicie (p. 82-84). Le fait, transposé du livre III, 2 de Quinte-Curce, signale l’impossibilité pour le roi Darius d’entendre la vérité. Il condamne en effet à mort sur le champ le conseiller qui lui a répondu par la négative et qui connaît ainsi le malheur de ne pas avoir été flatteur. J. Puget de la Serre ajoute une longue leçon à ce récit, déjà exemplaire en soi (p. 83-84) : « Les Roys ne doivent jamais mépriser les conseils de ceux à qui ils les demandent. […] celuy qui l[es] écoute le[s] doit recevoir à faveur plustot qu’à outrage. […] c’est passer de l’injustice à la tyrannie, de faire mourir un homme […]. » Un bon politique doit être capable d’écouter ses conseillers, de ne pas régner par la peur mais par l’amitié et l’estime. Outre ce commentaire moralisant sur la conduite à tenir vis-à-vis des conseillers, il en va aussi d’une réflexion sur la méfiance à l’égard des flatteurs, dont l’inanité des discours correspond à la vacuité de l’apparat. Les qualités individuelles du roi régulent l’exercice du pouvoir : la mansuétude, en tant que disposition d’esprit qui incline à une bonté indulgente, est indispensable pour éviter que le pouvoir ne verse dans la tyrannie. Dans la lettre 15. M. Chopin-Pagotto, « La prudence dans les Miroirs du prince », Chroniques italiennes, 60/4 (1999), p. 87-98.



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écrite par Sisigambis, mère de Darius, à Alexandre (p. 264-265, les Uxiens, alors sous la coupe d’Alexandre, lui ont demandé d’intervenir auprès du roi en leur faveur), J. Puget de la Serre développe ainsi ce qui n’est que résumé en une phrase par Quinte-Curce (V, 3, éd. cit., t. 1, p. 130). De la même manière, il amplifie la réponse d’Alexandre à Sisigambis (p. 266-267), alors qu’elle ne figure pas en tant que telle chez Quinte-Curce (seuls ses actes la font deviner). L’auteur infléchit le sens du récit de l’auteur latin, en accentuant les qualités du roi : « clemence », « bonté », « magnanimité », « compassion », « generosité », ces termes émaillent la lettre de la demanderesse et soulignent à l’envi la grandeur d’Alexandre, nous pourrions dire sa grandeur d’âme même. La postérité est prise à témoin, argument décisif pour le roi qui s’incline alors devant sa prisonnière. Autre exemple de générosité amplifié chez notre auteur : la rencontre par Alexandre des prisonniers grecs mutilés par les Perses. L’auteur adapte le passage du livre V, 5 de Quinte-Curce, et, si la compassion du roi est déjà mentionnée par l’auteur latin, J. Puget de la Serre ajoute un commentaire (p. 272-273) : « Je ne trouve rien de plus genereux que de secourir les affligez dans leurs infortunes […], cette action de defendre les opressez, & de consoler les miserables, a quelque chose de divin en soy, & il n’appartient qu’aux cœurs vrayment magnanimes, d’en avoir de purs sentimens. » La tournure restrictive « ne […] que » et l’introduction du caractère sacré érigent quasiment la personne royale en thaumaturge. La force morale d’Alexandre vis-à-vis des femmes de Darius est également mise davantage en valeur que dans le texte de Quinte-Curce, lorsqu’un eunuque vient prévenir Darius de la mort de sa femme. J. Puget de la Serre développe en effet à partir d’une phrase de Quinte-Curce (IV, 10, éd. cit., t. 1, p. 87) le discours que tient l’eunuque au roi, pour le convaincre que sa femme n’a pas fait l’objet de mauvais traitements : Sçaches qu’Alexandre est beaucoup plus absolu sur ses passions que sur ses sujets  […] ; toutes ses autres vertus ensemble luy servent continuellement de Maistresse d’Eschole, pour luy enseigner le moyen de triompher de soymesme. (p. 207)

Dans un autre de ses ouvrages, l’auteur souligne déjà l’idée que c’est une marque d’infamie pour un capitaine de savoir le triomphe de ses ennemis et d’ignorer celui de vaincre ses passions16. De même, le sentiment de pudeur ou de honte favorise l’introspection et sert de correcteur naturel plus efficace que le châtiment : nous avons évoqué 16. J. Puget de la Serre, L’entretien des bons esprits sur les vanités du monde, Bruxelles, 1629, p. 217.

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plus haut deux exemples de ce sentiment chez Alexandre, éprouvé lors d’une embuscade et lors de la mort de la femme de Darius ; nous avons montré aussi que parfois, Alexandre se cherchait des excuses. Ce sentiment de honte vient du désir d’éviter ce qui est honteux et ce dont on doit se repentir (comme Darius, qui se repent trop tard d’avoir fait tuer Charidémus) : c’est un premier pas vers une reconnaissance d’une mauvaise action. Enfin, le prince, instauré à la tête des hommes par Dieu, est en premier lieu un chrétien : […] les Rois […] ont beau estre elevez sur le commun, ils ne tiennent leurs Sceptres & leurs couronnes qu’à loüange de ceste Providence Adorable, qui en dispose souverainement comme elle veut, sans leur faire jamais sçavoir le terme qu’elle leur a donné par grace. (p. 128)

Le roi est un homme, simple lieutenant de Dieu, il se doit d’être humble et d’avoir conscience de sa condition humaine, de sa finitude donc. QuinteCurce émet des jugements sur Alexandre, orgueilleux jusqu’à vouloir être divinisé17 : l’idée est bien reprise chez J. Puget de la Serre, avec même une plus grande insistance, comme nous allons le voir. Si le portrait d’Alexandre dessine un univers de victoire et de pragmatisme politique (puissance guerrière, conseillers, stratégies, devoirs), l’enseignement qui en émane prend chez l’historiographe français un tour particulier. Imprégné de stoïcisme, l’auteur exhorte à lutter contre les excès (les passions) au moyen de la force morale, afin d’éviter la tyrannie, mais c’est aussi une invite à renoncer aux choses terrestres, simples vanités, et à prendre conscience de la misère de l’homme, la seule éternité qui soit résidant dans la foi chrétienne. La figure d’Alexandre le Grand devient ainsi, sous la plume de J. Puget de la Serre, un moyen de valoriser un thème qui lui est cher, le contemptus mundi, et, adressé au futur roi, ce portrait semble se lire comme une mise en garde à l’égard des inconstances de la fortune et du monde, de même qu’il appelle à un nécessaire retour sur soi.

La mise en garde : les thèmes du contemptus mundi et de la vanitas vanitatum Le portrait d’Alexandre semble être l’occasion pour l’auteur d’offrir une variation sur un thème qu’il a pu traiter ailleurs18. Si la fortuna est évoquée à maintes reprises chez Quinte-Curce (nous pourrons considérer ici le terme 17. A. Flobert, op. cit., p. 95. 18. J. Puget de la Serre, L’entretien des bons esprits sur les vanités du monde, Bruxelles, 1629 ou encore Le tombeau des délices du monde, Bruxelles, 1632.



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au sens large de « sort »), elle est aussi au cœur du texte de J. Puget de la Serre, qui s’en sert pour présenter le tableau des misères de ce monde. Le motif de la vanité s’appuie souvent sur « l’exemple » des échecs de Darius, qui de « Roi » dans son palais ou sur son char de triomphe, devient un fuyard sur « une infame charrette couverte de peaux » (p. 285-286) puis un moribond, alors ramené à sa condition de simple mortel, tout roi qu’il est. Le champ lexical de la mort se déploie dans le texte à cet endroit précis : « tombeau », « gisant », « mourir », « miseres ». La métamorphose est sans appel : « Ce Roy des Roys, ce Souverain Monarque du monde, le fils unique du Soleil, est esclave de ses sujets […] et ensevely tout en vie dans un tombeau puant et infect » (p. 285-286) (écho à l’épitaphe d’Alexandre). Cette image est un cas d’école pour le futur roi. L’auteur écrit (p. 127) : « […] l’Image de ce désastre et de cette désolation était un fidèle miroir, pour y voir dépeint au naturel la vanité des plus solides Grandeurs de la Terre. » Le récit a valeur d’exemplum (ibidem) : « Cét dans l’Echole de ceste sorte d’infortune où les Rois devroient faire leurs études pour se rendre sçavans à connoistre les malheurs & les miseres qui sont affectez à leur condition. » La leçon est ainsi donnée au roi chrétien : ce qu’il brigue, la gloire, n’est pas définitif ni concret. Les titres honorifiques sont ainsi pure vanité, ils n’apportent aucune certitude à l’homme. Le récit de la mort de Darius après son « enlèvement » par Bessus est suivi d’un long commentaire de J. Puget de la Serre : Et tous ces tiltres de tres haut, tres-puissant & invincible, estant effacez par la derniere goute du sang de celuy, à qui on les donnoit, on y lit à leur place ceux de tres infirme, tres-foible & tousjours vaincu Monarque. Dont la Majesté s’est metamorphosé en horreur, la magnificence en fumier, & toute son armée en un monceau de vers qui l’assiegent desja de toutes parts pour en faire leur curée. (p. 291)

Avec cet autre parallélisme antithétique (puissant/ faible ; magnificence/ fumier), la mort, terrifiante réalité, met en garde celui qui se fait traiter d’invincible (Alexandre) et tous ceux qui se font appeler vainqueurs. La convoitise, la richesse, l’ambition excessive sont des dangers inhérents au pouvoir et guettent tout puissant. Il convient avant tout de définir son mérite personnel en vainquant ses passions : il est à l’intérieur de soi et pas à l’extérieur. Ce sont la constance et la maîtrise de soi qui constituent la gloire immortelle. L’auteur livre une morale de l’ascèse et de l’humilité, qui permet de lutter contre les tentations de la puissance : l’approche éthique se fait politique. La répulsion devant l’anéantissement du corps ou cette complaisance horrifiée est évoquée à plusieurs reprises : déjà présente avec l’évocation de la

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mort de Philippe (« le Malheur et la Mort metamorphosent en un instant le plus grand Monarque du monde à un monceau de cendre. […] donnant de l’effroy dans la pourriture », p. 19-20), elle l’est aussi à l’occasion de la prise de Tyr (« un tel spectacle et de sang et de morts qu’on ne pouvait rien adjouter à l’horreur et à l’effroy », p. 168), à l’orée de la bataille de Gaugamèles, lorsque Darius exhorte ses troupes à combattre (« C’est icy le dernier Theatre où nous devons representer la funeste tragedie de la ruine des Macedoniens, ou la sanglante de nos propres miseres », p. 232). Enfin et surtout, J. Puget de la Serre insiste sur la sépulture d’Alexandre et son épitaphe, par la citation de laquelle il choisit de conclure son ouvrage. Cette dernière est d’autant plus notable qu’elle n’est pas présente chez Quinte-Curce qui évoque, à la toute fin de son livre X, le caractère intact de la dépouille d’Alexandre19. Dans son épitaphe (p. 352), le narrateur lui-même prend en charge le discours qu’il adresse à son interlocuteur à la deuxième personne du singulier et à l’impératif : Cy git ce grand Alexandre, Grand de naissance, comme fils d’un grand Roy, Grand de fortune comme le plus heureux Monarque qui fut jamais : mais plus grand de Renommée n’ayant peu trouver son pareil, et plus grand encore de valeur, puis qu’il a conquis tout le monde. Sçaches toutefois que la couronne de son Berceau n’a peu l’exempter de l’infection de la sepulture, ny la fortune de sa vie, du mal-heur de son trepas precipité. Que sa Renommée passe pour fable, sa valeur pour songe, et que de luy mesme il n’en reste plus que le nom. Il avoit beau eslever son ambition jusques à la conqueste de toute la terre, à peine en a-il peu conquerir sans dispute, ce petit espace que tu vois. Que si tu estois capable de te rendre idolatre de ses grandeurs, laisse toy toucher maintenant a la verité de ses miseres, comme estant si miserable, que n’ayant pu emporter de tous ses thresors qu’une seule chemise, les vers la luy ont encore ostée pour faire voir à découvert la folie de sa vanité. Voila en quoy consiste la Gloire des hommes. Ce Monarque a paru comme un Eclair, a fait du bruit comme la Foudre, mais il s’est dissipé comme un Orage, et a passé comme un Torrent sans nous rien laisser que de la boue. Puisque tu cours apres luy, garde toy de broncher à la mesme pierre qui la fait choir ;

19. H. Bardon, éd. et trad. cit., t. 2, 5, p. 429 : « […] ut tandem curare corpus exanimum amicis vacavit, nulla tabe, ne minimo quidem livore corruptum videre qui intraverant » (« quand enfin les Amis eurent le temps de s’occuper du corps, ceux qui entrèrent le virent intact, sans aucune décomposition, sans même la moindre lividité »). Ceux qui étaient chargés d’embaumer le corps croyaient encore à l’image du dieu-Alexandre : « Deinde, precati, ut jus fasque esset mortalibus attrectare deum, purgavere corpus » (« Ensuite, après avoir prié que le ciel et les hommes permissent à des mortels de toucher un dieu, ils nettoyèrent le corps », ibidem).



Le portrait d’Alexandre le Grand par Puget de la Serre (1641) 477 et aprens que pour meriter en mourant une renommée immortelle, il vaut mieux mépriser le monde que le conquerir.

Ce discours émane de quelqu’un qui semble bien vouloir jouer le rôle d’un guide spirituel, dépositaire de la sagesse divine et du savoir, et invite l’élève à se détourner de la vie terrestre. Il soulève avec force le voile des illusions et des mensonges, comme le souligne le rythme ternaire de l’énumération suivante : « Sçaches […] que sa Renommée passe pour fable, sa valeur pour songe, et que de luy mesme il n’en reste plus que le nom. » Pour toucher voire ébranler celui qui le lit, les sens sont convoqués afin de rendre concrète la vision des misères de l’homme : « […] n’ayant pu emporter de tous ses thresors qu’une seule chemise, les vers la luy ont encore ostée pour faire voir à découvert la folie de sa vanité. » L’image des « vers », déjà présente pour désigner le cadavre de Darius, désigne cette fois la dépouille d’Alexandre. Elle rend le spectacle horrible, au même titre que « l’infection de la sépulture » ou « la boue », et invite d’autant plus le fidèle à recevoir une leçon intérieure. Aux images de la décomposition succèdent celles de « l’Eclair » ou de « la Foudre », qui connotent le bruit de la renommée et en même temps, la fugacité de l’éclat. L’ « Orage » et le « Torrent » marquent la fragilité de l’existence. Ces motifs, qui relèvent de l’esthétique baroque, mettent au premier plan les fins dernières de l’homme : le monarque est ainsi ramené sans complaisance à sa condition humaine. Cette contemplation de la mort rappelle le lyrisme chrétien qui connaît un essor particulier sous les règnes d’Henri IV et de Louis XIII. Il est lié à la Contre-Réforme victorieuse et à la reconquête des âmes entreprise par l’Église catholique après le Concile de Trente (1545-1563). L’inspiration morale et religieuse de J. Puget de la Serre invite à se méfier de la vie, la fortune étant une « roüe, dont le mouvement perpetuel sert de preuve infaillible de l’inquietude, où [les monarques de la terre] doivent estre sans cesse » (p. 128-129). Les apparences sont trompeuses et le renoncement aux choses terrestres s’avère plus sûr. C’est ce que montrent aussi l’exemple de la ville de Persépolis et celui d’Abdalonymus : ce paysan a la capacité d’accéder au statut de roi dès lors qu’il change de vêtements, la transformation est immédiate et tient à bien de peu de choses ; de même, de la ville qui semblait durable, il ne restera plus rien après le passage d’Alexandre. J. Puget de la Serre infléchit le texte de Quinte-Curce par ses développements et ses métaphores liquides pour désigner le monde extérieur : le fleuve instable fuit et l’opposition établie entre les deux s’avère fragile puisque le palais d’abord stable est ensuite réduit (p. 279) comme le cadavre peut l’être à son tour.

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Le portrait d’Alexandre proposé par Jean Puget de la Serre repose largement sur des souvenirs de Quinte-Curce, mais parfois il semble s’inspirer d’autres auteurs, Plutarque surtout, ou développe ses propres jugements et son interprétation chrétienne : lorsqu’il s’évade du pur récit, il se reprend parfois par des formules comme « Allons plus avant » (p. 280) ou « je m’egare sans y penser » (p. 129). Il place sous les yeux du futur roi un portrait qui prévient des vices et des dangers du pouvoir, afin de dessiner les contours d’une figure royale idéale. Les commentaires dont il enrichit son texte, s’ils correspondent globalement au sens moralisant de Quinte-Curce, vont parfois plus loin en les accentuant, ou en les réorientant dans un sens chrétien. La comparaison entre le futur Louis XIV et Alexandre le Grand n’est pas en soi originale, pas davantage que le recours à de nombreux lieux communs – le thème de la domination des passions est bien connu, l’application du thème du contemptus mundi à Alexandre est ancienne. La vision du roi comme simple mortel s’écarte de l’image épique qu’on pouvait en avoir et la leçon tirée de l’infléchissement philosophico-religieux donné au texte trouve son acmé dans l’exhortation à « mépriser le monde » que contient l’épitaphe, car c’est « en la connoissance de [soi] mesme, [que] git le comble de la perfection » (p. 293). Laétitia Lagarde Université de Paris-Sorbonne

Les sciences auxiliaires et le statut de l’histoire dans la critique de Quinte-Curce à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres À qui se penche sur les Tables de l’Histoire de l’Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres au xviiie siècle, le petit nombre d’entrées relatives à Quinte-Curce offre un premier sujet d’étonnement : cet historien naguère célébré, qu’au siècle précédent, dans son traité De l’histoire, le père Le Moyne rangeait parmi le petit nombre qu’on pût qualifier d’authentiques1, auquel Vaugelas avait consacré trente années de sa vie, paraît victime à présent de désaffection, voire de désintérêt. Alors que Salluste, Tacite ou Tite-Live continuent de faire l’objet d’explications, d’observations et de débats2, QuinteCurce semble avoir disparu, ne refaisant surface qu’à l’occasion de travaux portant sur d’autres auteurs et dans lesquels il est le plus souvent réduit à sa fonction documentaire. Pis encore, et seconde surprise : les rares avis formulés à son endroit sont dépréciatifs. Lui dont on louait la sincérité d’avoir « dit le bien et le mal3 » d’Alexandre, une probité essentielle à la fonction magistrale de l’histoire, se fait désormais taxer d’ignorance. Sa lecture avait pourtant été jugée si excellente qu’elle avait passé pour un remède : Il y a tant de charme en ce plaisir que les tristes en ont perdu leur tristesse, et les malades même quelquefois leurs maladies : comme il arriva au sage Alphonse roi d’Aragon qui, abandonné des médecins, après les boutiques 1. Pierre Le Moyne, s.j., De l’histoire (1670), éd. M.-A. de Langenhagen et A. Mantero, dans Traités sur l’histoire (1638-1677), dir. G. Ferreyrolles, Paris, 2013, p. 285 : « La Grèce, qui se vante d’être la mère des arts, n’en peut compter que deux ou trois […]. L’ancienne Rome n’en eut que quatre : elle commença par Salluste, et acheva par Tacite ou par Quinte-Curce. » 2. À titre indicatif, dans les quatre volumes de Tables du périodique (XI, XXII, XXXIII, XLIV), alors que Quinte-Curce ne possède en tout que deux entrées (t. XXV, pour un mémoire de Pierre Nicolas Bonamy, présenté en 1752, intitulé « Réflexions générales sur les cartes géographiques des anciens, et sur les erreurs que les Historiens d’Alexandre le Grand ont occasionnées dans la géographie », et, t. XXIX, pour un mémoire d’Anne Claude de Caylus, présenté en 1758, intitulé « Sur les ruines de Persépolis »), Tacite en compte une quinzaine et Tite-Live, près de vingt-cinq. 3. François de La Mothe le Vayer, Discours de l’histoire (1638), éd. F.  Charbonneau et H. Michon, dans Traités sur l’histoire (1638-1677), op. cit., p. 170 ; René Rapin, s.j., Instructions pour l’histoire (1677), éd. B. Guion, dans Traités sur l’histoire (1638-1677), op. cit., p. 674. Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 479-489 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115411

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Frédéric Charbonneau des apothicaires inutilement épuisées, trouva dans les livres de QuinteCurce la guérison qu’il avait en vain cherchée dans les écoles de Galien et d’Hippocrate4.

On lui reproche désormais sa méconnaissance de la géographie5. L’historien Pierre Nicolas Bonamy montre qu’en son récit de l’ambassade des ScythesAbiens, Quinte-Curce prend le Jarxate (Syr-Daria) pour le Tanaïs (Don), qui en est éloigné de « quatre cens lieues6 », et qu’il transporte, après Clitarque, le pays des Amazones près de l’Hyrcanie, deux mille kilomètres à l’Est, car il « confond sans cesse » la mer Caspienne et le Pont-Euxin7. Son style même, jadis admiré8, est perçu comme une source de confusion par le comte de Caylus, le fameux antiquaire : Quinte-Curce, après avoir rapporté la débauche d’Alexandre & l’incendie qui en fut la suite, ajoute que cette ville puissante [Persépolis], dont les forces avoient fait trembler la Grèce, fut réduite à un état si déplorable que depuis tant de siècles elle n’a pu se relever, & qu’on n’en trouveroit aucun vestige si l’Araxe n’indiquoit son ancienne situation. Sur ce témoignage, que le pathétique de l’expression a fait valoir, on s’est persuadé communément que Persépolis ne subsistoit plus depuis Alexandre ; […] cependant il est certain qu’elle ne fut pas entièrement détruite9.

Or ces erreurs, qui touchent à la géographie, paraissent étroitement liées à une autre science, l’astronomie, récemment promue à cause de son rôle dans 4. Le Moyne, op. cit., p. 316. 5. Voir à l’inverse cet ancien traducteur, Nicolas Séguier, L’Histoire des faicts d’Alexandre le Grand, Roi de Macedoine, Genève, 1614, avertissement non paginé : « Est-il question des païs ? Il n’y a charte ni chirogrophe [sic] qui te les puisse mieux pourtraire : […] tu as une entiere description de ce qu’il en faut sçavoir : tellement qu’avec ceste histoire tu te pourmenes par la Grece, par l’Asie, & par les Indes jusques à l’Océa[n]. » 6. Pierre Nicolas Bonamy, « Réflexions générales sur les cartes géographiques des Anciens, et sur les erreurs que les Historiens d’Alexandre le Grand ont occasionnées dans la Géographie », Histoire de l’Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 1759, t. XXV, p. 49. 7. Ibidim, p. 51. Voir encore, au tournant du siècle, Jean-François de La Harpe, Lycée ou cours de littérature ancienne et moderne, t. III, 1ère partie, Paris, An VII, p. 315 : « On l’accuse aussi, et avec raison, de plusieurs erreurs de dates et de géographie, et en tout il est beaucoup moins exact qu’Arrien, qui a servi à le rectifier. » 8. Quoique non sans réserves, révélatrices de l’atticisme du Grand Siècle : Rapin, op. cit., le dit « trop fleuri » (p. 594), « trop poli » (p. 674) et d’une élégance trop affectée (p. 595) ; Le Moyne, op. cit., p. 345, lui reproche ses amplifications, « qui sont les vertus et qui font le mérite de l’orateur et du poète, [mais] sont défendues à l’historien ». 9. Histoire de l’Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 1764, t.  XXIX, p. 120-121.

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l’établissement des cartes, ainsi que de la chronologie pour les temps reculés. Bonamy explique ainsi que Quinte-Curce comme Diodore de Sicile placent, par suite de la confusion des montagnes et des fleuves, « le pays de Paropamise sous l’Ourse même10 » : Obscura cœli, dit Quinte-Curce, verius umbra quam lux, nocti similis premit terram, vix ut quæ prope sunt, conspici possint. Cependant ce pays si affreux est situé vers le trente-cinquième degré de latitude septentrionale, c’est-à-dire, dans un climat où la chaleur se fait plus sentir que le froid, & où le jour le plus court de l’année est de dix heures & demie ; mais en déplaçant les terres, il a bien aussi fallu transporter le ciel11.

De telles inexactitudes retiennent l’attention des académiciens, soucieux d’établir sur des bases fermes un savoir historique que la critique biblique et le pyrrhonisme des xvie et xviie siècles avaient ébranlé. On sait depuis les travaux de Blandine Kriegel l’importance de cette officine de l’histoire dans le renouvellement des sciences de l’érudition : au cours des années 1722-1724, on y mit clairement en question la possibilité de connaître l’histoire ancienne par les sources « littéraires12 ». On trouve regroupées au tome VI des Mémoires de l’Académie, publié en 1729 à Paris, les principales contributions à ce débat qui mit aux prises Jean-Louis Levesque de Pouilly, l’abbé Claude Sallier, l’abbé Antoine Anselme et Nicolas Fréret13. C’est à ce dernier qu’il faut s’arrêter si 10. Pierre Nicolas Bonamy, op. cit., p. 52. 11. Ibidem, p. 52-53. 12. C. Grell, « Nicolas Fréret, la critique et l’histoire ancienne », dans Nicolas Fréret, légende et vérité, éd. C. Grell et C. Volpilhac-Auger, Oxford, 1994, p. 55 et n. 10. Voir aussi B. Kriegel, L’histoire à l’Âge classique, t. 3, Les académies de l’histoire, Paris, 1996 (1988), p. 221-264. 13. Abbé Anselme, « Seconde Dissertation sur les Monumens qui ont servi de Mémoires aux premiers Historiens », op. cit., p. 1 [une première dissertation, « Des Monumens qui ont suppléé au défaut de l’écriture, et servi de Mémoires aux premiers Historiens », se trouve au t. IV, 1729, p. 380-398] ; Levesque de Pouilly, « Dissertation sur l’incertitude de l’Histoire des quatre premiers siécles de Rome », p. 14 ; abbé Sallier, « Discours sur les premiers Monumens historiques des Romains », p. 30 ; abbé Sallier, « Second Discours sur la certitude de l’histoire des quatre premiers siécles de Rome, ou Réflexions générales sur un Traité qui se trouve parmi les Œuvres Morales de Plutarque sous ce titre, Parallèles des Faits Grecs et Romains », p. 52 ; Levesque de Pouilly, « Nouveaux essais de Critique sur la fidélité de l’histoire », p. 71 ; abbé Sallier, « Troisième Discours sur la certitude de l’histoire des quatre premiers siécles de Rome », p. 115 ; abbé Sallier, « Réflexions critiques sur le caractère de quelques Historiens Grecs, comparés avec les Historiens Romains », p. 135 ; Fréret, « Réflexions sur l’étude des anciennes histoires et sur le degré de certitude de leurs preuves », p. 146-189. Sur cette dernière contribution, voir M. V. David, « Nicolas Fréret (1688-1749) et le cadre de l’histoire ancienne », Journal des savants, 4/1 (1978), p. 241-256.

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l’on veut prendre la mesure des critiques adressées à Quinte-Curce dans la seconde moitié du siècle, non seulement celles que nous avons déjà citées, mais celles surtout du baron de Sainte-Croix, dans son Examen critique des anciens historiens d’Alexandre-le-Grand, couronné par l’Académie en 177214 ; en effet Fréret, secrétaire perpétuel 1742 à 1749, « a accompli un travail gigantesque qui est à l’origine de l’inflexion d’où procède le passage de la philologie aux différentes sciences humaines modernes. Nombre de ses observations sur la chronologie et la géographie de l’Antiquité serviront désormais de référence15 ». La haute figure de Nicolas Fréret, historien et l’un des fondateurs de la sinologie française laïque16, formé aux langues anciennes, au droit, aux mathématiques, à la physique et à l’astronomie, a marqué de sa stature intellectuelle cette académie qu’il aimait, selon la formule de Bougainville, son biographe, « comme un Spartiate aimoit Lacédémone17 ». Il fut vers la fin de l’année 1713 présenté à l’abbé Bignon, rénovateur de l’Académie, par l’abbé Sévin son secrétaire18 ; et Bignon, avant même de le faire admettre dans la classe des élèves en 1714, l’associa à Étienne Fourmont et à Guillaume Delisle pour travailler à un dictionnaire de la langue chinoise auprès d’Arcade Huang, interprète à la Bibliothèque du Roi. Fréret fut proche des frères Delisle : Guillaume (16751726), géographe et disciple de Jacques Cassini, qui introduisit en cartographie le recours aux données astronomiques, et Joseph-Nicolas (1688-1768), astronome avec lequel il collabora dans ses recherches sur la chronologie et auquel à sa mort il laissa ses papiers19. Au cours des années 1720, ses travaux 14. Guillaume-Emmanuel-Joseph Guilhem de Clermont-Lodève, baron de Sainte-Croix, Examen critique des anciens historiens d’Alexandre-le-Grand, Paris, 1775. 15. B. Kriegel, op. cit., t. 3, p. 206. 16. Sur sa biographie intellectuelle, voir surtout R. Simon, Nicolas Fréret, académicien, 16881749, Genève, 1961 (voir en appendice le registre des activités académiques de Fréret, p. 206215) ; D. Elisseeff-Poisle, Nicolas Fréret (1688-1749). Réflexions d’un humaniste du xviiie siècle sur la Chine, Paris, 1978 ; B. Kriegel, op. cit., t. 1, Jean Mabillon, p. 175-223. Sur son œuvre d’historien, on consultera avec profit les actes du colloque de Clermont-Ferrand (1991), Nicolas Fréret, légende et vérité, op. cit., et en particulier, p. 21-48, l’étude chronologique des recherches historiques de N. Fréret, compilée par C. Grell. 17. Antoine de Bougainville, « Éloge de M. Fréret » (14 novembre 1749), Histoire de l’Académie royale des Inscriptions et Belles-lettres, op. cit., 1756, t. XXIII, p. 318. 18. R. Simon, op. cit., p. 15. 19. Ils sont de ce fait conservés aux archives de la bibliothèque de l’Observatoire de Paris (Delisle 149-150 ; 152-157). Voir D. Poisle, « Nicolas Fréret (1688-1749) et la Chine », Annuaire de l’École pratique des hautes études, 98/1 (1965), p. 509. Les recherches incessantes de Fréret sur la chronologie « ont absorbé l’essentiel de ses efforts : sur les vingt tomes de ses œuvres

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dans ce domaine s’intensifièrent, culminant dans une Défense de la chronologie fondée sur les monumens de l’Histoire ancienne, terminée dès 1728, mais parue comme presque toute son œuvre après sa mort, et dans laquelle il s’opposait au système chronologique de Newton, dont il avait déjà traduit et publié trois ans plus tôt avec des notes l’abrégé naguère offert à la princesse de Galles20. Bougainville, lui-même mathématicien, remarquera que « [c]et ouvrage & le traité sur la chronologie Chinoise [1733-1739], remplis l’un & l’autre de calculs effrayans, mais nécessaires, supposent dans M. Fréret une connoissance peu commune de l’Astronomie ancienne & moderne21 ». Pour l’essentiel, on peut affirmer que les savoirs annexes – géographie, chronologie, histoire des langues, des croyances et des religions – étaient chez lui subordonnés à l’investigation historique, fournissant des « preuves indirectes » qui permettaient de faire face à « l’indigence des informations », particulièrement en ce qui concerne le temps des origines, et acquérant de ce fait, « par anticipation, le statut de ‘sciences auxiliaires22 ’ ». Celles-ci pouvaient aider aussi à résoudre les contradictions des témoignages anciens relatifs à des époques moins reculées. Fréret en avait donné un exemple dès 1718 avec la Cyropédie de Xénophon23. C’est à une critique d’inscomplètes (éd. Leclerc de Sept-Chênes, Paris, 1796), celle-ci occupe les t. II-XIV » (B. Kriegel, « Nicolas Fréret chronologiste », dans Nicolas Fréret, légende et vérité, op. cit., p. 90). 20. Abrégé de la chronologie de M. le Chevalier Isaac Newton, Paris, 1725 ; les notes figurent aux pages 48 à 92 et occupent plus de la moitié de l’ouvrage. Une copie de l’abrégé avait été communiquée à Fréret par Levesque de Pouilly, lui-même ami de Newton. Voir Nicolas Fréret, Défense de la chronologie, fondée sur les monumens de l’Histoire Ancienne, contre le système chronologique de M. Newton, Paris, 1758, p. iii (préface de Bougainville). Newton a répliqué par une Réponse aux observations sur la chronologie de M. Newton avec une lettre de l’abbé Conti au sujet de ladite réforme, Paris, 1726. 21. Bougainville, « Éloge de M. Fréret », art. cit., p. 325. Il note également, p. 326, que « [l]es connoissances astronomiques influent beaucoup aussi sur une autre science, que M. Fréret n’a pas moins cultivée que la science des temps, sur la Géographie. […] Le détail en seroit infini. […] [A]ux extraits de la plupart des voyageurs, des journaux d’un grand nombre de Pilotes, de plusieurs Portulans, de tous les itinéraires connus, il a joint des recueils d’observations astronomiques, & des tables de presque toutes les longitudes & latitudes fixées avec précision. Tout ce que M. de Fontenelle observe, dans l’Éloge de M. Deslisle, sur les difficultés de la Géographie, […] peut s’appliquer à M. Fréret. Le nombre prodigieux de cartes qu’il a composées justifiera cette application : il s’en est trouvé parmi ses papiers treize cens cinquante-sept, toutes de sa main ». 22. C. Grell, « Nicolas Fréret, la critique et l’histoire ancienne », art. cit., p. 66-67. 23. « Observations sur la Cyropédie de Xénophon, principalement par rapport à la géographie », Histoire de l’Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres, op. cit., 1723, t. IV, p. 588612 ; « Observations sur la Cyropédie de Xénophon, seconde partie », ibidem, 1733, t. VII,

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piration semblable que s’est livré, un demi-siècle plus tard, le baron de SainteCroix24 (1746-1809). Le jeune capitaine des Grenadiers de France quittait le service du roi lorsque l’Académie des Inscriptions mit au concours pour l’année 1770 l’examen critique des anciens historiens d’Alexandre ; insatisfaite des mémoires qui lui avaient été soumis, elle reporta l’échéance au printemps 1772, date à laquelle Sainte-Croix emporta le prix ; il fut encore lauréat en 1775 – sur les noms et attributs de Minerve – et en 1777 – sur les noms et attributs de Cérès et de Proserpine –, et devint cette même année associé libre étranger – il était Comtadin –, puis membre de l’Institut, à partir de 1803. Une première édition de l’Examen critique parut en 1775, une seconde, « considérablement augmentée », en 180425. Quinte-Curce est l’un des historiens passés au crible par l’auteur, dont l’acribie n’épargne à peu près rien. Il lui concède pourtant quelques bonnes parties (p. 105) : « On trouve dans son ouvrage, malgré tous ses défauts, beaucoup de choses dignes, les unes d’approbation et les autres d’admiration ; il suffit d’y apporter du discernement : et [ – in cauda venenum –] plût à Dieu qu’il en eût eu lui-même ! » Ainsi, SainteCroix reconnaît, comme la majorité de ses prédécesseurs, que Quinte-Curce a « dispens[é] avec justice le blâme et la louange » (p. 112) ; et qu’il n’est pas « un historien aussi méprisable que quelques critiques ont cherché à le persuader26 » (p. 111). Sa réticence reste toutefois perceptible jusque dans les éloges qu’il lui décerne :

p. 427-487. Voir l’analyse de C. Grell, « Nicolas Fréret, la critique et l’histoire ancienne », art. cit., p. 63-66. 24. Bien qu’il ne l’ait évidemment pas connu personnellement, les rapports intellectuels que Sainte-Croix entretenait avec Fréret sont révélés par la recension qu’il fait de l’édition SeptChênes (Magasin encyclopédique, 1797, t. V) où il insiste sur la « recherche exacte et réitérée qu[’il a] faite de tous les papiers de M. Fréret », p. 234. Il le cite d’ailleurs à une douzaine de reprises dans la version définitive de l’Examen critique, y compris pour des textes demeurés manuscrits, comme ses Observations générales sur la géographie ancienne (1735). 25. Paris, Delance et Lesueur, 1804. Cette seconde édition fut réimprimée par Bachelier en 1810 : sauf indication contraire, c’est celle que nous citerons, dans le corps du texte, entre parenthèses. 26. L’édition de 1775, p. 249, nommait au moins l’un de ces zoïles : il s’agit de Jean Le Clerc, dans son Ars critica (1697) : « [L]a censure qu’il exerce contre l’Ouvrage de cet Historien, est souvent injuste & faite sans goût, amère & outrée. » Au contraire, le P. Michel Le Tellier, s.j., qui avant d’être confesseur de Louis XIV avait dans sa jeunesse édité Quinte-Curce ad usum delphini (Paris, 1678), est présenté par Sainte-Croix comme un commentateur sévère, mais impartial (éd. 1810, p. 110, n. 3). Voir La collection Ad usum Delphini, l’Antiquité au miroir du Grand Siècle, dir. C. Volpilhac-Auger, Grenoble, 2000.

LA CRITIQUE DE QUINTE-CURCE à l’académie DES INSCRIPTIONS 485 ET BELLES-LETTRES Ces grâces propres à tous les objets et qui appartiennent exclusivement aux écrivains classiques et originaux, ne peuvent être refusées à Quinte-Curce. On trouve chez lui des métaphores heureuses, des expressions pittoresques et quelquefois énergiques. Il a une imagination féconde et qui ne manque pas de chaleur ; toujours de l’élégance ou du brillant ; enfin on ne peut lui refuser un coloris assez soutenu, de la noblesse et en quelques endroits de l’élévation […]. (p. 105-106)

Mais, en dépit de ces « charmes » dont il est plein, son « élocution est trop asiatique » (p. 106) : « diffus[,] [i]l ne sait pas s’arrêter, et méconnaît cette juste mesure sans laquelle, dit Quintilien, rien n’est louable ni salutaire. Son abondance dégénère en un luxe qui gâte ses tableaux. Il les surcharge de couleurs trop vives ou peu naturelles. » Les excès qui affectent les qualités de son style les tournent en défauts, les fait dégénérer, perdre leur nature bonne et se corrompre ou se gâter ; le pharmakon devient poison. Ce n’est plus ici simple critique des prestiges de sa plume, comme chez Caylus, ni même, comme chez le P. Rapin, attique réprobation de l’afféterie. Sainte-Croix attaque chez Quinte-Curce une pourriture morale qui perce à travers les parfums : Le ton de flatterie et de bassesse qui règne dans cette digression, nous montre d’abord que l’auteur a vécu sous les premiers Césars, où le passage de la liberté à la servitude avoit flétri […] les âmes. (p. 103-104) Une éloquence pleine d’esprit et surchargée d’ornemens, qui s’embarrassoit peu de toucher ou de convaincre, avoit passé de l’Asie à Athènes. Après avoir, comme un astre malfaisant, répandu de toute part la contagion, elle vint à Rome, et séduisit la jeunesse de cette ville. Dès lors l’usage des déclamations fut général, et acheva de corrompre le goût. On ne prit plus de plaisir qu’au vain bruit des applaudissements. De là naquit l’amour désordonné des amplifications ; on enfla de mille pages un stérile volume. Cette décadence des lettres, qui accompagne toujours la perte des mœurs, ne se fait déjà que trop sentir dans l’ouvrage de Quinte-Curce. (p. 107)

Or ce n’est pas affaire de forme seule : n’ayant « jamais eu l’idée de cette vénusté, ou beauté simple qui rejette tout ce qui est superflu, comme nuisant essentiellement à l’objet » (p. 108), Quinte-Curce abîme à force de fards cet objet, et même cet « élément » (p. 109), cette matière de l’histoire, qui est la vérité. Sainte-Croix lui reproche de s’être peu embarrassé « de démêler le faux d’avec le vrai » (p. 109), d’avoir été jusqu’à mentir sciemment lorsque cela pouvait contribuer à le faire briller ; du reste, il « vivoit dans un temps où, suivant Sénèque, les historiens vouloient acquérir de la réputation par des fables, et réveiller sans cesse l’attention publique par du merveilleux. Ils

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connoissoient le goût de la multitude pour le mensonge27 » (p. 110). Cette indifférence de principe pour la vérité et cette soif d’admiration doivent le faire lire avec plus de précaution qu’aucun autre historien de l’Antiquité, car elles lui ont fait négliger « les règles de la critique » (p. 109). Voilà la clef, car elle indique, après cette analyse de causes à la fois individuelles et collectives, la faute commise par Quinte-Curce. Qu’est-ce donc que cette critique dont Sainte-Croix lui-même pare son titre, après tant d’autres, à la façon de Bayle ? C’est, bien sûr, le départ des sources en fonction de la créance qu’il faut leur accorder et, pour reprendre l’expression de Fréret, « du degré de certitude de leurs preuves ». Mais la faculté purement intellectuelle de discernement ne suffit pas : il faut encore qu’elle soit nourrie de connaissances nombreuses – tactique, chronologie, géographie, ces deux dernières étant désormais garanties par l’astronomie – qui seules permettent de l’exercer efficacement. À cet égard, les lacunes des Historiae signalent la présence de taches aveugles chez Quinte-Curce, qui n’a pu bien juger de ses sources faute d’avoir clairement su ce qu’il fallait évaluer. Il déplorait pourtant, rapporte Sainte-Croix, « ‘l’insouciance, ou, ce qui n’est pas un moindre vice, la crédulité de ceux qui ont rassemblé les monumens anciens de l’histoire.’ Ce motif auroit dû naturellement engager Quinte-Curce à les examiner ; mais connoissant les sources, il n’a pas pris la peine d’y puiser, et s’est presque toujours fié au récit de Clitarque » (p. 109), qui n’avait cependant pas pris part aux conquêtes. Cette préférence accordée au compilateur sur les témoins – Ptolémée par exemple, ou Aristobule – éloigne Quinte-Curce d’un idéal d’érudition toujours vivace au sein de l’Académie ; elle accuse également une incompétence qui ne lui permettait pas de voir les failles de son modèle : Son ignorance en tactique le rend souvent inintelligible dans le récit des batailles, où il commet encore bien des fautes inexcusables. Il ne parle que d’une manière vague et obscure des saisons dans lesquelles sont arrivés les différens événemens ; il ne fait pas mention des années, et ne les désigne même pas. De son inexactitude naît un désordre qui empêche de bien saisir le fil de la narration. Il s’embarrasse encore moins de la géographie, et son ouvrage fourmille d’erreurs sur cette matière, comme nous le montrerons dans la suite. Il paroît même n’avoir aucune idée de l’astronomie, ou du moins s’exprime-t-il avec

27. Il s’agit là d’un topos digne du scepticisme des érudits libertins, dans la lignée du traité De l’histoire de Fontenelle. Voir aussi ses Nouveaux Dialogues des Morts, éd. J. Dagen, Paris, 1971, p. 143 : « Vous vous imaginez que l’esprit humain ne cherche que le vray ; détrompez-vous. L’esprit humain et le faux sympathisent extrêmement. »

LA CRITIQUE DE QUINTE-CURCE à l’académie DES INSCRIPTIONS 487 ET BELLES-LETTRES beaucoup d’ambiguité sur les notions les plus communes de cette science28. (p. 110-111)

On ne s’étonnera pas que l’ancien officier d’infanterie accorde à la tactique un rôle déterminant. Il y trouve l’historien ignorant et « confus », faisant jouer au roi le personnage d’un soldat ou d’un « simple capitaine », et produisant des descriptions fautives « et presque ridicule[s] d[e] chars armés de faux » (p. 302). Mais l’attention qu’il porte à la chronologie, à la géographie et à l’astronomie, prolongeant celle d’un Fréret ou d’un Bonamy – qu’il citait à l’appui dans l’édition originale de l’Examen, en 1775 –, paraît plus significative au regard du statut d’une science historique en devenir. Il revient ainsi à deux reprises sur l’épisode de la marche d’Alexandre qui suit la prise de Persépolis, d’abord dans une note29, puis dans un long passage que nous citerons quasi in extenso, étant donné l’importance qu’y revêt la démonstration : Son expédition fut de trente jours, et se fit, suivant les expressions de QuinteCurce, sous la constellation des Pléiades [*Interiorem Persidis regionem, sub ipsum vergiliarum sidus, petiit. Quint. Curt., L. v, C. vi]. Rien n’est plus vague que ces expressions, comme je l’ai déjà observé. Mais supposons que cet auteur ait voulu parler du coucher de cette constellation, ce qui est très-vraisemblable, et tâchons de tirer quelques lumières de son récit. Calippe, astronome célèbre du temps d’Alexandre […], marquoit le coucher des Pléiades au seizième degré du Sagittaire, c’est-à-dire, au quarante-septième jour après l’équinoxe d’automne. Or cet équinoxe tombe cette année, d’après les tables de la Hire, le vingt-sept septembre de l’année julienne [*Au méridien d’Isapahan, le même que celui de Persépolis, et en comptant le commencement du jour, à la manière des Grecs] ; ce qui donne pour le coucher, le onze ou le douze novembre. Ainsi l’expédition de Perse et le séjour d’Alexandre à Persépolis, devroient être fixés à la mi-novembre. Mais Quinte-Curce dit que la marche de ce prince fut contrariée par d’abondantes pluies et par une saison insoutenable, qu’il pénétra dans un pays couvert de neiges éternelles […]. Quoique ce récit soit plein d’exagérations, 28. Voir l’édition de 1775, p. 37 : « L’explication que cet Ecrivain donne de la fameuse éclipse de lune qui précéda la bataille de Gaugamèle [ou Arbèle], prouve encore son ignorance dans les notions les plus communes de l’Astronomie. » Quinte-Curce (IV) y expliquait en effet que la lune pouvait s’éclipser lorsqu’elle passait sous la Terre (« aut Terram subiret ») ou lorsqu’elle était pressée par le Soleil (« aut Sole premeretur »). Sainte-Croix renvoie en note aux Réflexions sur les moyens de perfectionner les bonnes Traductions Françoises des anciens Auteurs (1759), Histoire de l’Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres, op. cit., 1764, t. XXIX, p. 324, où se trouvait une analyse de ce passage. 29. Page 110, note 2 : « Etoit-ce au lever ou au coucher des Pléïades ; la différence est néanmoins remarquable. Je ne cite que cet exemple parmi beaucoup d’autres. Vid. Joan. Cleric. Ars crit., T. II, p. 504. »

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Frédéric Charbonneau […] il indique pourtant que l’expédition fut vers le milieu de l’hiver, au moins un mois après le coucher des Pléiades. Cet exemple prouve le peu d’exactitude de cet historien : parle-t-il de l’éclipse de lune qui précéda la bataille d’Arbèle ! c’est de manière qu’on ne peut s’en servir pour fixer la date de cette action. Il paroît que Clitarque n’avoit pas absolument négligé la chronologie [*Clitarch. ap. Clem. Alex. Strom., L. i op., T. i, p. 403], et que Quinte-Curce, en le suivant, aura retranché tout ce qui auroit été utile à cette science. (p. 620-621)

Cette réfutation, choisie parmi d’autres, montre l’impéritie de l’historien, incapable de choisir ses sources, leur ôtant même ce qu’elles pourraient avoir de bon. Ses indications chronologiques sont imprécises et rares, et elles sont contredites par les circonstances de l’action. Sa géographie est à l’avenant, pleine d’« obscurités et d’erreurs » (p. 695). Sainte-Croix, citant un passage dans lequel Quinte-Curce évoquait la marche des troupes d’Alexandre vers le Caucase, note qu’« il serait difficile de trouver un historien qui ait commis autant d’erreurs dans un si court espace » (p. 695). Sans doute, Quinte-Curce a moins bien résisté que d’autres à la critique factuelle dont il a fait l’objet. Il présentait le double talon d’Achille d’un style asiatique couplé au statut d’homme de cabinet, éloigné de ce qu’il relate non seulement par plusieurs siècles, mais par le défaut d’expérience. Il incarnait ainsi le type de l’historien rhéteur contre lequel s’était élevée en France, aux xvie et xviie siècles, la figure du mémorialiste, témoin compétent, privilégié et qui écrit l’histoire parce qu’il l’a faite30. Quinte-Curce apparaît un peu comme le Paul Jove de l’Antiquité31. Et bien que l’idéal d’un style nu, corollaire d’un récit véridique de première main, eût perdu de son évidence au xviiie siècle, la conception traditionnelle de l’histoire comme opus oratorium maxime ne s’est pas pour 30. Voir à ce sujet les articles fondateurs de M. Fumaroli, « Les Mémoires au carrefour des genres en prose » et « Les Mémoires, ou l’historiographie royale en procès », repris dans idem, La diplomatie de l’esprit, Paris, 1994, p. 183-246. 31. Celui-ci était, selon Bodin (Methodus ad facilem historiarum cognitionem dans Œuvres philosophiques, éd. P. Mesnard, Paris, 1951, p. 302A-B), l’émule de Polybe, à ceci près « que Polybe assista ou présida aux faits, et dans tous les cas compulsa les pièces officielles, alors que Jove se contente d’écrire ce qu’il a entendu, voire le plus souvent ce qu’il n’a pas même entendu raconter. Le premier s’exerça longuement à la guerre et à la politique, le second se contenta de les ignorer toutes les deux ; le premier occupait un poste de choix dans l’État alors que le second n’était que simple particulier ; le premier était général en chef, le second médecin ; le premier parcourut une grande partie de l’Europe, l’Afrique du Nord et l’Asie Mineure pour mieux connaître les mœurs des peuples, le second se fait une gloire d’être demeuré, trente-sept ans durant, au Vatican. […]. Ce Paul Jove, comme on lui demandait pourquoi il s’obstinait à étaler le faux et à dissimuler le vrai, répondit tout uniment : ‘Afin de plaire à mes amis.’ » Voir nos Silences de l’histoire, Paris, 2016 (1991), inter alia p. 50-51.

LA CRITIQUE DE QUINTE-CURCE à l’académie DES INSCRIPTIONS 489 ET BELLES-LETTRES

autant remise des coups de boutoir qu’elle avait reçus. Tirée à hue et à dia par les philosophes et les érudits, l’histoire a peu à peu cessé d’être vue comme un art32 et a été déportée soit dans le domaine des sciences morales et politiques, comme chez Voltaire ou Mably, soit vers celui des sciences positives, comme chez les académiciens que nous avons lus. L’un des aspects frappants de cette seconde redéfinition est qu’elle passe par une association étroite avec ces sciences que l’on qualifiera plus tard d’auxiliaires, parées depuis la fin du xviie siècle de l’aura d’exactitude propre aux disciplines mathématiques et expérimentales, l’astronomie participant des deux. Ainsi l’histoire peut-elle apparaître à des savants comme Fréret ou Sainte-Croix susceptible du type de progrès jusque-là réservé indiscutablement aux seules sciences exactes33, en son sens alors ordinaire d’avancement dans un domaine spécifique, mais un avancement collectif et sans retour, une chaîne de dépassements de stades antérieurs et d’acquis orientée vers l’avenir34. Or une conséquence de cette conception de l’histoire est que, dans sa dynamique de rupture avec un passé d’approximations ou d’erreurs, la pointe du progrès y apparaît comme un curseur dont le mouvement même produit derrière lui l’inactuel, dégradant un savoir autrefois admis en tâtonnement ou en prodrome. Ainsi Quinte-Curce, autrefois historien modèle, incarnant désormais un art suranné, perdit-il au xviiie siècle ce rang enviable et fut-il relégué à celui d’écrivain séduisant mais suspect, loin des chemins escarpés de la connaissance. Frédéric Charbonneau Université McGill 32. Le déséquilibre est patent du xvie au xviiie siècle dans la bibliographie des artes historicæ. Voir les Traités sur l’histoire, op. cit., p. 705-710. 33. À la suite d’emplois sans rapports avec la connaissance et proches de l’étymon – le « progrès des armées » par exemple –, le Dictionnaire de Furetière notait ainsi en fin d’article que « [d]ans ce dernier siecle on a fait de grands progrès dans la Physique » (s. v.) ; voir également Pascal, « Préface au Traité du vide », De l’esprit géométrique. Écrits sur la Grâce et autres textes, éd. A. Clair, Paris, 1985, selon lequel « la géométrie, l’arithmétique, la musique, la physique, la médecine, l’architecture, et toutes les sciences qui sont soumises à l’expérience et au raisonnement, doivent être augmentées pour devenir parfaites. […] De là vient que, par une prérogative particulière, non seulement chaque homme s’avance de jour en jour dans les sciences, mais que tous les hommes ensemble y font un continuel progrès à mesure que l’univers vieillit » (p. 58 et 62). « To a very great extent the term ‘science’ is reserved for fields that do progress in obvious ways », écrivait naguère en ce sens T. Kuhn, The Structure of Scientific Revolutions, Chicago, 1996 (1ère édition 1962), p. 160. 34. Voir La fabrique de la modernité scientifique : Discours et récits du progrès sous l’Ancien Régime, dir. F. Charbonneau, Oxford, 2015.

Quinte-Curce à l’aune de l’histoire critique et la réévaluation d’une lecture morale d’Alexandre dans The History of Ancient Greece de John Gillies L’Histoire de l’ancienne Grèce de John Gillies (1747-1836) a été une œuvre marquante, traduite immédiatement en français, en allemand1 et en italien2, réimprimée en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Italie jusqu’aux années 1820-1825, en France jusqu’en 1841, si l’on prend en compte la forme abrégée d’Émile Ruelle et d’Alphonse Huillard-Bréholles. À la différence du grand William Robertson, à ne pas confondre avec la figure mineure qui a composé une histoire de la Grèce3, et d’Adam Ferguson ou, plus encore, d’Edward Gibbon, Gillies est devenu ensuite une figure marginale de la critique historiographique, même si Pierre Briant4 le place à mi-chemin de Robertson et de l’historien George Grote. D’un point de vue idéologique cependant, le fossé entre Gillies et Grote est immense. Gillies fait partie de cette génération d’intellectuels écossais qui ont regardé la démocratie avec suspicion, voire avec une hostilité non dissimulée5 ; Grote, s’il considère que l’histoire de la Grèce a laissé une trop grande part à Athènes6 aux dépens des autres républiques, 1. John Gillies, Geschichte von Altgriechenland, und von dessen Pflanzstädten und Eroberungen : von den frühesten Nachrichten an, bis zu der Theilung des Macedonischen Reiches in Asien ; mit Innbegriff der Geschichte der griechischen Litteratur, Philosophie und schönen Künste / aus dem Engl. übers. [von Christian Friedrich von Blankenburg], Leipzig, 1797, réédité en 1825. 2. Giovanni Gillies, Storia della Grecia antica e delle sue colonie e conquiste da piu vetusti tempi fino alla morte di Alessandro Magno, traduzione dal testo inglese, Venise, Domenico Fracasso, 1796-1797. Rééditée sous une forme corrigée et augmentée en 1822. John Gillies, Histoire de l’ancienne Grèce, de ses colonies et de ses conquêtes, traduite de l’anglois par M. Carra, Paris, Buisson, 1787-1788 ; Histoire résumée des temps anciens, comprenant l’histoire de la Grèce de Gillies, abrégée et modifiée par Émile Ruelle et Alphonse Huillard-Bréholles, Paris, Pourchet père, 1841. 3. G. Ceserani, « Narrative, Interpretation, and Plagiarism in Mr. Robertson’s 1778 History of Ancient Greece », Journal of the History of Ideas, 66/3 (2005), p. 416. 4. P. Briant, Alexandre des Lumières, fragments d’histoire européenne, Paris, 2012, p. 21. 5. D. Allan, « The Age of Pericles in the Modern Athens : Greek History, Scottish Politics and the Fading of Enlightenment », Historical Journal, 44/2 (2001), p. 393 notamment. 6. George Grote, History of Greece, Reprinted from the London Edition, New York, Harper et Brothers, 1861, t. 1, p. vi, https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id = wu.89096197793;view = Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 491-505 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115412

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était lui beaucoup plus favorable aux gouvernements démocratiques ou républicains, du fait de son radicalisme philosophique7. Au-delà de cette différence toutefois, Gillies et Grote se caractérisent par leurs contacts avec les milieux intellectuels allemands, le premier renvoyant explicitement à Christoph Meiners de l’université de Göttingen pour sa Geschichte des Ursprungs, Fortgangs und Verfalls der Wissenschaften in Griechenland und Rom (1781), ainsi que plus tardivement à Niebuhr8 ; l’autre se référant lui aussi à Niebuhr, mais également à Droysen, qui, comme le montre Hugh Bowden, s’était servi de la figure d’Alexandre pour justifier l’unification de l’Allemagne9. En ce sens, il est possible de voir dans Gillies une étape méconnue dans la constitution d’une historiographie critique, de plus en plus influencée par la pensée allemande, et de considérer le traitement que l’Écossais réserve à QuinteCurce comme emblématique. En effet, par ses notes infrapaginales, le texte de l’Histoire de l’ancienne Grèce témoigne de la volonté de produire un récit à l’épreuve des nouvelles exigences critiques. Comme nous le montrerons, ce sont elles qui justifient le fait qu’il privilégie Arrien aux dépens de QuinteCurce et de Plutarque et qu’il se départ d’une forme de moralisation du récit de la vie d’Alexandre, fondée traditionnellement sur deux temps, un premier où le Macédonien fait preuve de modération et un second où, corrompu par le pouvoir et l’influence orientale, il se comporte avec démesure. Or c’est en affaiblissant ce schéma, conservé ultérieurement par Grote, que Gillies peut construire son éloge de la royauté et bâtir une figure de prince éclairé, loin d’être innocente au moment où s’étend l’entreprise coloniale britannique aux Indes. Le texte de Gillies reflète tout au long son souci de se conformer aux nouvelles normes critiques, que l’auteur évoque avec une pointe de distance en parlant d’un « fashionable scepticism of the times10 » (« scepticisme de bon 1up;seq = 12. 7. Voir compte rendu anonyme, « The Personal Life of George Grote, Compiled from Family Documents, Private Memoirs and Original Letters by Mrs Grote, Londres, 2e edition », Quarterly Review, 135 (1873), p. 98-137, passim, Google-Books-ID: HDwMAQAAIAAJ. 8. P. Briant, op. cit., p. 181. 9. H. Bowden, Alexander the Great : A Very Short Introduction, Oxford, 2014, p. 107. 10. John Gillies, The History of Ancient Greece, its Colonies, and Conquests ; From the Earliest Accounts till the Division of the Macedonian Empire in the East. Including the History of Literature, Philosophy, and the Fine Arts, Londres, A. Strahan et T. Cadell, The Strand, 1787, t. 4, p. 323, n. 56 (2ème édition). Nous avons choisi cette édition car elle était plus complète que la première et parce qu’à la différence des éditions suivantes, on ne pouvait imputer à la Révolution française son discours anti-démocratique (Access Eighteenth Century Collections online).



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ton ») en vigueur à l’époque où Gillies prend la plume. Le fait est connu : la fiabilité des historiens antiques est interrogée et examinée selon leur degré de cohérence interne ou de probabilité de leur discours11. Répondant à un modèle judiciaire dont Carlo Ginzburg conteste la pertinence12, l’auteur se doit le plus grand accord possible entre les écrits-sources. Sa démarche suit ainsi les lignes directrices exposées par Christoph Meiners dans son propre ouvrage sur la Grèce antique : L’art de reconnaître à des signes intérieurs l’importance, l’antiquité et l’autorité des écrits ou fragmens suspects ou anonymes ; de déterminer le degré de confiance que l’on doit accorder à un écrivain, et les témoignages ou les faits qui peuvent être adoptés ou rejetés ; de rechercher l’origine et toutes les variations des expressions et opinions ; de découvrir les auteurs inconnus des fragmens ou passages importans ; de concilier les contradictions de plusieurs écrivains de différents mérites,  etc. ; cet art est, sans contradiction, un des plus difficiles que l’esprit humain ait inventé, et un de ceux auxquels il se soit appliqué le plus tard13.

Le terme de « signes intérieurs » recouvre à la fois la cohérence et la probabilité internes qui relèvent à un niveau minimal du principe logique de non contradiction. Ce principe est ensuite étendu aux différentes versions. De façon idéale, elles ne devraient pas se contredire, toute disparité pouvant signifier que l’une se trompe et tandis que l’autre dit la vérité14, d’où la « recherche de toutes les variations », qui semble effectivement un des points nodaux des notes infrapaginales. Pour le cas où un accord entre les différents auteurs existe, la vérité semble facile à déterminer. Ainsi Arrien, Plutarque et QuinteCurce peuvent être convoqués ensemble pour justifier l’image d’un Alexandre clément et soucieux d’assurer la justice même à ses sujets les plus modestes ou aux vaincus15 ou pour apporter une description concordante de Tyr16. La 11. Voir F. McIntosh-Varjabédian, « Probalility and Persuasion in 18th and 19th Century Historical Writing », dans Tropes for the Past, Hayden White and the History/Literature Debate, éd. K. Korhonen, Amsterdam, 2006, p. 111. 12. C. Ginzburg, « Tactiques et pratiques de l’historien. Le problème du témoignage : preuve, vérité, histoire », Tracés, revue de sciences humains, 7 (2004), p. 94-95. 13. Christoph Meiners, Histoire de l’origine, des progrès et de la décadence des sciences dans la Grèce, Paris, Moutardier, 1798 (1ère édition 1781). 14. F. McIntosh-Varjabédian, « Vérité et fictions : questions de détails et changements de paradigme », dans Littératures, poétiques, mondes. La littérature comparée et ses sentiers qui bifurquent/ Literatures, Poetics, Worlds, Comparative Literature and its many Divergent Paths, éd. M. Symington, Paris, 2015, p. 89 et suivantes. 15. Gillies, op. cit., p. 332. 16. Ibidem, p. 294.

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règle implicite est facile à deviner : s’il y a accord, alors les possibilités que la proposition soit vraie est accrue, mais non absolue, comme en témoignent cependant les doutes de Gillies concernant les exagérations éventuelles des auteurs sans exception. Ces exagérations sapent potentiellement ici tous les récits écrits sur Alexandre car elles peuvent avoir un air de probabilité ou de vraisemblance suffisant pour les rendre trompeuses et l’immensité des chiffres n’est pas un critère suffisant pour les discréditer : Others exaggerated (if indeed it was an exaggeration) with more method and probability, reducing the infantry to six hundred and forty-five thousand (Arrian, Curtius, Diodorus, Orosius, Plutarch), and raising the cavalry to an hundred and forty-five thousand17. [D’autres exagérèrent (si tant est que cela fût des exagérations) avec plus de méthode et de probabilité, réduisant l’infanterie à six cent quarante cinq mille hommes (Arrien, Diodore, Orose, Plutarque) et élevant la cavalerie à cent quarante cinq mille.]

L’incertitude en ce qui concerne les faits, traduite par la parenthèse, reflète ici les débats autour du texte. L’intérêt que Gillies porte à Alexandre est aussi militaire. Le principe de cohérence est encore étendu puisque pour qualifier un passage d’improbable, il suffit qu’il apparaisse des disparités entre l’expérience des lecteurs et de l’historien contemporains d’un côté et les détails tirés de l’Antiquité de l’autre, d’où de nombreuses notes et digressions consacrées aux forces engagées et à l’évaluation du nombre d’hommes, d’équipements ou d’armes sur le champ de bataille. Cette confrontation implicite permet à Gillies de ne pas choisir systématiquement le chiffre médian, alors même qu’il critique les exagérations des auteurs et en particulier celles de Quinte-Curce, ce qui par parenthèse ne manque pas de rendre la notion d’exagération très floue, nous y reviendrons. Aussi retient-il le chiffre de 224 pour les navires grecs à Tyr, s’opposant explicitement à Plutarque qui les évalue à 100 et à Quinte-Curce qui propose 18018. Des débats analogues sur les chiffres et le déroulé des opérations apparaissent de façon plus floue lorsque Gillies veut reconstituer les forces en présence, au moment où il relate l’opposition d’Alexandre et de Darius. L’historien se livre à ce stade à une digression sur les batailles anciennes, sur les apports de la poudre qui a tellement modifié les stratégies militaires que l’évaluation externe du texte antique s’en trouve perturbé, car il s’agit 17. Ibid., p. 310. Ici comme ailleurs, je traduis (sauf mention contraire). 18. Ibid., p. 296.



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encore une fois de motiver les variations. Suite à une remarque dans le texte qui suggère que Gillies a choisi cette fois la version la plus modérée des événements (« According to the least extravagant accounts, with the loss of five hundred men, he destroyed forty thousand of the barbarians », p. 317, « Conformément aux récits les moins extravagants, il détruisit quarante mille barbares, alors qu’il avait perdu cinq cents hommes »), une note vient préciser la nature des débats, entre spécialistes non pas d’histoire comme on pourrait s’y attendre, mais d’art militaire : Soldiers, better acquainted with the practice than with the theory of their art, have often testified a just surprise, that the battles of the ancients should be described with an order, perspicuity, and circumstantial minuteness, which are not to be found in military writers of modern times. Scholars have endeavoured to explain this difference […]. But the difficulty will be better solved, by reflecting on the changes introduced into the art of war by the change of arms. (p. 317, n. 47) [Des soldats qui connaissaient mieux la pratique que les principes de leur art ont souvent témoigné d’une surprise justifiée devant le fait que les batailles des Anciens puissent être décrites avec un ordre, une acuité et un degré de détails qu’on ne trouve pas sous la plume des écrivains militaires modernes. Les spécialistes se sont efforcés d’expliquer cette différence […]. Mais on résoudrait mieux cette difficulté en pensant aux changements qui ont été introduits par la transformation des armes.]

Le récit est mis à l’épreuve de la pratique. Certes, ce n’est pas encore de l’archéologie expérimentale au sens où on chercherait à reproduire les batailles des Anciens, mais il s’agit de l’expérience en quelque sorte reproductible de ceux qui connaissent la guerre. Néanmoins Gillies fait le choix significatif de ne pas disqualifier tous les auteurs antiques, accusés d’être moins compétents en matière militaire que les commentateurs modernes, et d’expliquer les disparités par la fumée des armes qui créerait de la confusion, l’étendue plus grande du champ de bataille due à des tirs de longue portée et la moins grande mobilité des armées modernes liée au poids de l’équipement et des pièces d’armes peu mobiles. En procédant ainsi, Gillies sauve Arrien qui, comme l’a montré Pierre Briant, était considéré comme plus fiable que Quinte-Curce pour ce qui est du compte rendu des opérations. Si les données militaires sont interrogées, il en est de même pour la géographie de l’historien latin, qui est, elle aussi, fortement mise en doute. Comme le rappelle Claude Rapin, les auteurs dits de la Vulgate sur Alexandre (QuinteCurce, Diodore de Sicile, qu’évoque Gillies, Trogue-Pompée et l’Epitomé

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de Metz, qu’il n’évoque pas) « ont été longtemps sous-évalués au profit de l’œuvre d’Arrien », ils ont été corrigés pour de prétendues anomalies et pour des « monstruosités géographiques qui ont de tout temps désorienté les lecteurs19 ». Même si les historiens du xviiie siècle ont conscience de la nature flottante de certaines dénominations de lieux20, au moment où écrit Gillies, on est très loin des tentatives de réévaluation de la géographie des Histoires de Quinte-Curce, comme celle que Claude Rapin précisément a pu mener : Curtius confounds Anti-Libanus with Mount Libanus. It would be endless to notice his errors, exaggerations, and fictions in the account of this siege, which is one of the most romantic passages in his history. Curtius writes to the fancy, not to the judgment; and to readers of a certain taste the picturesque beauties of his style will atone for errors in matter of fact. (p. 296, n. 12) [Quinte-Curce confond l’Anti-Liban avec le Mont Liban. Il serait interminable de relever ses erreurs, exagérations et inventions dans son récit du siège, qui est un des passages les plus romanesques de son histoire. Quinte-Curce écrit pour l’imagination, non pour le jugement et pour les lecteurs qui ont un certain goût pour le pittoresque, les beautés de son style compenseront les erreurs factuelles.]

Les termes employés pour disqualifier Quinte-Curce sont génériques et assez vagues. L’erreur traduit une inexactitude factuelle presque constante puisqu’il n’est pas possible de relever toutes les faussetés ; on a ensuite l’exagération, renforcée par le terme de fiction et par l’adjectif romantic, qui renvoie davantage ici au genre du roman qu’à un mouvement littéraire, et qui met à la fois l’accent sur les qualités littéraires de Quinte-Curce et sur une forme de tromperie. L’exagération est utilisée pour faire effet et la recherche de l’effet l’emporte sur l’exactitude de l’historien, même si Gillies, en reconnaissant à plusieurs reprises les beautés du style du Romain, confère comme malgré lui une certaine valeur à Quinte-Curce. Le vague des termes ici ne manque pas de révéler un certain nombre de problèmes de méthode critique qui se posent à l’historien moderne. En effet, comme on l’a vu quelques pages plus haut, 19. C. Rapin, « Du Caucase au Tanaïs : les sources de Quinte-Curce à propos de la route d’Alexandre le Grand en 330-339 av. J.-C. », dans L’Histoire d’Alexandre selon Quinte-Curce, éd. M. Mahé-Simon et J. Trinquier, Paris, 2016, p. 144. 20. John Gillies, op. cit., p. 325 : « The erroneous geography of the ancients is laboriously compared with subsequent discoveries, in the learned work entitled Examen des Anciens Historiens d’Alexandre ; and may be seen at one glance, by comparing the maps, usually prefixed to Quintus Curtius, with the admirable maps of d’Anville. »



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Quinte-Curce avait été placé aux côtés d’Arrien comme garant de la description de Tyr. Si l’on regarde de plus près les passages visés, on s’aperçoit effectivement que les rêves y occupent une grande place et qu’il est fait mention d’une bête monstrueuse (livre IV, 4), mais ce qui est en jeu semble relever bien plus d’une critique d’une forme de dramatisation du récit que d’une critique du surnaturel à proprement parler. En effet, Gillies poursuit : He may be allowed to raise an imaginary storm, who can describe it like Curtius […]. It is Alexander, whose actions he disfigures and renders incredible, not the reader, whose fancy he amuses, that is entitled to condemn Curtius. (p. 296) [Il peut bien mettre en scène une tempête imaginaire celui qui est capable de la décrire comme Quinte-Curce […]. C’est Alexandre dont il défigure les actions en les rendant incroyables qui peut condamner Quinte-Curce, non le lecteur dont il éveille l’imagination.]

Le style et son efficacité même ne sont plus les garants de la vérité, ce qui n’empêche pas Gillies de mettre en avant une version plus dramatisée des faits lorsqu’il évoque les difficultés extraordinaires auxquelles les Grecs ont fait face, citant, chose exceptionnelle, d’abord Quinte-Curce avant Arrien luimême (p. 299). Il est donc frappant, en examinant les notes et les réflexions à caractère métatextuel et critique, de voir combien les arguments sont susceptibles d’être retournés, dans la mesure où les « absurdités » qui lui sont attribuées ne sont pas constantes et qu’au gré des circonstances Quinte-Curce peut, plus exceptionnellement il est vrai qu’Arrien, être considéré comme fiable. Cette instabilité du jugement sur l’historien romain est accentuée par le fait que Gillies ne met pas en avant les découvertes de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, comme le fait Edward Gibbon à la même période, pour corroborer tel ou tel fait. Les points de comparaison extérieurs aux textes sont tirés des voyageurs contemporains. Les termes pouvant donner lieu à des accusations de fausseté ou d’absurdité sont rarement examinés dans le détail. On n’a pas de véritables réflexions sur la corruption des sources anciennes, si ce n’est sur la partialité des premiers témoins et la volonté de privilégier l’effet esthétique aux dépens de l’exactitude. On n’a pas non plus de tentatives pour expliquer, de façon évhémériste, les prétentions divines d’Alexandre ni ses rêves surnaturels, comme on peut le voir sous la plume des philosophes, si ce n’est l’indication rapide que les rêves et la prétendue filiation divine d’Alexandre s’expliquent par un calcul politique avant que celui-ci n’en devienne à son tour la dupe (p. 380). Enfin, malgré le renvoi à la Scienza Nova de Giambattista Vico, qui par parenthèse sert à justifier ponctuellement

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Quinte-Curce (p. 326), Gillies ne témoigne pas véritablement d’un intérêt profond pour les questions philologiques à la différence non seulement de Grote, mais également de la Dissertation on the Gods of Greece, Italy and India (1784) de William Jones. Or l’orientaliste s’était servi de la philologie pour remonter dans les temps obscurs de l’Antiquité, dont l’image générale avait été pervertie, selon lui, par « l’ignorance, l’imagination, la flatterie ou la stupidité » (« ignorance, imagination, flattery, or stupidity21 »). Gillies respecte indubitablement les usages qui se mettent en place22, notamment en matière de note et d’attribution presque systématique des détails qu’il choisit de reprendre ou de contester, avec cependant un caveat assez remarquable au moment de tirer un bilan de l’action d’Alexandre et de son père : From the part which his father Philip and himself acted in the affairs of Greece, his history has been transmitted through the impure channels of exaggerated flattery, or malignant envy. The innumerable fictions, which disgrace the works of his biographers, are contradicted by the most authentic accounts of his reign, and inconsistent with those public transactions, which concurring authorities confirm. In the present work, it seemed unnecessary to expatiate on such topics, since it is less the business of history to repeat, or even to expose errors, than to select and impress useful truths. (p. 387, je souligne) [À partir du moment où son père Philippe et lui-même sont intervenus dans les affaires de la Grèce, on a transmis son histoire par les voies impures de la flatterie excessive ou de la malveillance envieuse. Les innombrables fictions qui défigurent les œuvres de ses biographes sont contredites par les récits les plus authentiques de son règne et ne correspondent pas à la manière de mener les affaires publiques qui a été corroborée par diverses sources convergentes. Il ne paraît pas nécessaire de s’étendre sur ce sujet dans le travail présent, puisque le travail de l’histoire est moins de répéter les erreurs ou de les mettre en lumière que de choisir et d’imprimer des vérités utiles.]

La fonction morale de l’Histoire (useful truths) semble in fine l’emporter sur le souci d’exactitude du récit et surtout sur celui de dénoncer les erreurs, car la vérité des faits est jusqu’à un certain point inaccessible. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas privilégier la concordance des récits (concurring authorities) 21. William Jones, Dissertation on the Gods of Greece, Italy and India, 1784, dans W. Jones, W. Chambers, W. Hastings, Gen. Carnac et alii, Dissertations and Miscellaneous Pieces Relating to the History and Antiquities, the Arts, Sciences of Asia, Londres, G. Nicol, J. Walter et J. Sewell, 1792, t. 1, p. 2. 22. A. Grafton, « The Footnote from Thou to Ranke », History and Theory, Studies in the Philosophy of History, 33 (1994), p. 52-76, passim.



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lors de la sélection des détails, au contraire, c’est un élément essentiel de la méthode critique en cette fin du xviiie siècle, mais c’est bien l’image d’un procès de l’Histoire, de la mise en balance des qualités et des défauts qui est mise en avant à la fin du récit de l’aventure macédonienne. Toutefois, cette réaffirmation finale de la moralisation de l’histoire ne peut manquer de paraître paradoxale, alors que la mise en cause de QuinteCurce conduit à un affaiblissement notable du portrait en diptyque du grand conquérant et du contraste que l’historien antique dresse entre la clémence du premier Alexandre et les excès barbares que le second Alexandre a pu commettre sous l’influence des peuples conquis23. Cet affaiblissement du schéma narratif qui est également proche de celui que met en avant Plutarque, sert de façon évidente un discours politique annoncé dès le début de l’Histoire de l’ancienne Grèce, à savoir l’illustration des avantages de la monarchie sur la démocratie. En fait, le schéma binaire de Quinte-Curce, assez subtil au demeurant comme l’a montré Igor Yakoubovitch, apparaît plutôt à l’état de trace dans le récit de Gillies et la manière même dont il l’évoque contribue fortement à en réduire la fonction architechtonique : After the battle of Arbele, many of Alexander’s actions, as will appear in the text, deserve the highest praise; but, before that period, few of them can be justly blamed. (p. 328 n. 49) [Après la bataille d’Arbèles, nombreuses sont les actions d’Alexandre telles qu’elles apparaîtront dans le texte, qui mériteront les plus grandes louanges ; mais avant cette période, peu d’entre elles méritent qu’on les blâme avec justice.]

La ponctuation souligne l’opposition qu’il y a entre un avant et un après, Arbèles servant ici de pivot, comme le suggère la rhétorique même de QuinteCurce. En effet, celui-ci, au début du livre V, déclare vouloir mettre l’accent sur les conséquences de la bataille, sur l’enchaînement des faits et sur la Fortune qui avait retranché Darius et ses amis en ce point (V, 1, 2-3). Arbèles a servi de porte d’entrée à Babylone et au déploiement du luxe oriental qui est accusé de corrompre Alexandre (V, 1, 18-23). Dans ce passage, outre cette référence implicite à tout ce que représente la bataille dans la carrière du conquérant, 23. Voir notamment O. Devilliers, « Analogies et contrastes dans les Historiae Alexandri de Quinte-Curce, Alexandre chez les Scythes et les Sudraques », dans L’Histoire d’Alexandre selon Quinte-Curce, éd. M. Mahé-Simon et J. Trinquier, op. cit, p. 121, ou dans le même ouvrage I. Yakoubovitch, « Échos, diptyques et effets de bouclage : la construction du portrait d’Alexandre chez Quinte-Curce », p. 133.

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Gillies construit un autre contraste entre many (« beaucoup ») and few of them (« un petit nombre d’entre elles ») qui permet en fait d’adoucir le schéma attendu de la mesure d’Alexandre d’un côté et sa démesure de l’autre, parce qu’il choisit en quelque sorte d’en prendre presque le contrepied. Ainsi au lieu de souligner les comportements blâmables d’Alexandre après Arbèles, Gillies suggère que le poids de ses actions positives reste quantitativement important ; à l’inverse avant Arbèles, Alexandre n’était pas dénué de fautes. Du fait, l’opposition entre few et many permet de faire une balance des comptes plutôt positive de l’action alexandrine, alors même que l’Écossais est en train d’évoquer l’incendie du palais de Persépolis. Le texte adopte des stratégies comparables à la note 49 : la démesure y est évoquée à titre de concession à un passage obligé attendu (« the burning of the royal palace of Persepolis […] afforded the first indication of his being overcome by too much prosperity », p. 318-319, « l’incendie du palais royal de Persépolis […] montre pour la première fois qu’il était dépassé par un excès de réussite »), et encore il s’agit aux yeux de Gillies d’une réponse aux exactions de Xerxès en Grèce qui l’ont conduit à détruire ce dont il aurait pu profiter. Gillies prend soin de préciser qu’il rejette la narration que fait QuinteCurce de cet événement comme étant la plus extravagante de toutes. L’excès de bonne fortune est d’ailleurs écarté comme mode explicatif car, contrairement aux portraits moraux contenus dans Quinte-Curce et dans Plutarque, la prospérité, selon Gillies, contribue à augmenter les vertus d’Alexandre, non à les diminuer (p. 289). Ce traitement concorde avec d’autres tentatives pour minimiser les excès du conquérant. Les fêtes bachiques qui lui sont attribuées sont traitées avec distance comme simple rumeur (« it is said », p. 367). L’ivresse devient plus un trait de mœurs antique qu’un vice particulier. Bien plus, Gillies a soin de dissocier les exécutions de Cléandre et de Sitalcès du contexte des dissensions macédoniennes et du risque de conspiration. Les premières sont évoquées à quelques trente pages des autres24, alors qu’au livre X, QuinteCurce met en regard les crimes commis, la volonté des coupables de chercher à les adoucir par le meurtre de Parménion tombé en disgrâce et les réactions des Macédoniens, qui, mécontents de la mort de Parménion, se réjouissent que « toute puissance, obtenue par le crime, est éphémère25 ». L’historien écossais fait intervenir le témoignage à charge des propres soldats des deux 24. Voir notamment page 396, inspirée de Quinte-Curce. 25. Quinte-Curce, Histoires, éd. et trad. H. Bardon, Paris, 1948, t. 2, p. 396, X, 1, 6 : « laeti […] nec ullam potentiam scelere quaesitam cuiquam esse diuturnam. »



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commandants accusés de rapine et d’exactions, sans mentionner qu’il pourrait y avoir une forme de vengeance. Il en résulte que non seulement l’exécution paraît justifiée aux yeux même des Macédoniens, et donc de la postérité, mais aussi elle reflète le talent d’Alexandre pour bien gouverner et établir sur le long terme des relations de confiance entre les conquérants et les conquis : This prompt justice gave immediate satisfaction, and served as a salutary example in future ; for of all the rules of government, practiced by this illustrious conqueror, none had a stronger tendency to confirm his authority, and consolidate his empire, that his vigilance to restrain the rapacity of his lieutenants, and to defend his subjects from oppression. (p. 367) [Cette justice rapide donna immédiatement satisfaction et fut un exemple salutaire pour le futur, car, de toutes les règles de gouvernement qui ont été appliquées par cet illustre conquérant, aucune ne contribua plus fortement à confirmer son autorité et à consolider son empire que le soin qu’il apporta à restreindre la rapacité de ses lieutenants et à défendre ses sujets de l’oppression.]

Comme en témoigne le tour hyperbolique (« none had a stronger tendency to »), Alexandre s’affirme comme le protecteur de tous ses sujets, quelle que soit leur origine. Gillies centre son récit sur les peuples conquis qui demandent et obtiennent réparation. Au moment où la Grande-Bretagne bâtit son empire et où les débats font rage sur la nature de la loi qu’il faut appliquer en Inde (loi anglaise ou lois confessionnelles indiennes26), la réflexion prend tout son sens. Plus loin, dans une veine analogue, examinons le cas d’Orsines, lui aussi exécuté. Gillies distingue le jugement légitime, puisque, selon Arrien cité ici, Orsines avait commis des crimes atroces, tandis que les faits paraissent au livre XI beaucoup plus défavorables à Alexandre sous la plume de Quinte-Curce, de la mise en place du châtiment que l’Écossais, toujours sous l’inspiration d’Arrien, semble juger effectivement barbare (p. 368). Même si l’imitation des mœurs perses mécontente les troupes macédoniennes, Gillies y voit un choix politique solide et censé (« sound Policy »), la preuve du discernement du conquérant, de sa prudence sur le long terme, plutôt que d’une forme sérieuse de corruption morale à proprement parler (p. 370). L’affaiblissement volontaire que Gillies fait subir au portrait moral balancé et contrasté que dresse

26. Voir C. A. Breckenridge et P. van der Veer, Orientalism and the Postcolonial Predicament, Philadelphie, 1992, p. 8, à propos notamment de Hastings qui voulait montrer à quel degré de perfectionnement les Indiens étaient parvenus pour justifier le fait qu’il ne voulait pas qu’on appliquât le Common Law en Inde.

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Quinte-Curce, et à l’accusation de démesure furieuse que Plutarque lui porte27 a pour conséquence notable que les anecdotes exemplaires les plus connues ont disparu ou sont évoquées du bout des lèvres, je pense en particulier à tous les excès et les crimes commis sous l’emprise du vin. Ainsi le meurtre de Clitus vient-il rapidement après l’évocation des mœurs spécifiques des Anciens pour qui le vin et les banquets représentaient un idéal de sociabilité et permettaient une certaine forme d’égalité entre les convives (p. 389) ! Pourquoi cette volonté si affirmée d’innocenter Alexandre ? En aucun cas il n’est possible d’attribuer ce fait à l’utilisation des méthodes critiques elles-mêmes et à la modernisation d’une forme d’histoire hostile à l’image du magister vitae. En effet, la récapitulation que fait George Grote de la vie d’Alexandre, détachée par la suite de son Histoire de la Grèce avec les mêmes traits stylistiques que Gillies, et l’abondance des présentatifs relèvent les épisodes qui ont servi à incriminer le conquérant aux yeux de la postérité. Pour Gillies, la conquête est mise au service de la loi, de l’ordre, de la civilisation : « The important design, of uniting by laws and manners, the subjects of his extensive monarchy, was ever present to his mind28. » Elle est également le fruit de réflexions cohérentes, imposées par les circonstances qu’Alexandre a eu chaque fois à affronter, et non pas du souci vain (« idle ambition ») de surpasser en gloire les exploits militaires de ses prédécesseurs, en l’occurrence Cyrus et Sémiramis (p. 365). Le conquérant qui n’a pas manqué de tuer des populations innocentes et de sacrifier la jeunesse macédonienne à son ambition est décrit comme n’ayant que le bonheur de ses sujets à l’esprit29. Aussi les moments où l’Écossais balance par des parallèles les qualités et les défauts ne manquent pas d’être favorables à Alexandre : « The curiosity of Alexander was unbounded ; but his humanity likewise was great30. » Il devient dès lors la figure d’une colonisation bienveillante qui a eu le seul tort de ne pas prendre suffisamment en compte les résistances dues à l’ignorance, aux habitudes et à l’obstination aveugle des populations locales et d’avoir pensé que l’Asie et l’Afrique pouvaient recevoir tout l’héritage grec (p. 386). On ne s’étonnera pas dès lors si Gillies, qui, d’ordinaire, marque la différence qu’il y a entre 27. Ainsi Gillies rejette-t-il l’idée qu’Alexandre aurait organisé une chasse humaine. Voir la note 40 : « Plutarque, on the other hand, most unwarrantly and absurdly tells us, that Alexander, to divert his grief, took the amusement of man-hunting. » 28. Ibid., p. 373 : « Le dessein d’unir par les lois et les mœurs les sujets de sa vaste monarchie était toujours présent à son esprit. » 29. Ibid. : Gillies parle de « zeal for public happiness ». 30. Ibid., p. 383 : « La curiosité d’Alexandre n’avait pas de bornes, mais son humanité était tout aussi grande. »



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l’histoire profane et l’histoire religieuse, semble souscrire à une lecture providentielle de la carrière d’Alexandre, puisqu’il est assimilé davantage à un bienfaiteur de l’humanité qu’à un fléau31. Le bilan de l’action princière est tellement élogieux que ce n’est d’ailleurs pas sans ironie que le lecteur contemporain parcourt les pages où Gillies fait l’éloge d’un prince qui aurait été respectueux des dieux32, alors que l’Écossais a suggéré, plus haut, qu’Alexandre instrumentalisait les superstitions païennes à des fins strictement politiques. Pour comprendre cette transformation, il faut relier Alexandre à la figure du monarque et on le perçoit mieux lorsqu’on rapproche son portrait de celui de son père. En effet, on relève des constantes sous la plume de Gillies. D’abord, on note la capacité de l’un et de l’autre de s’accommoder des coutumes politiques locales. On l’a vu pour Alexandre, Philippe combine, lui, l’autorité d’une monarchie héréditaire (la mention est importante quand on sait que l’absence d’ordre de succession déterminée était lue par les Modernes et notamment par Gillies même, dans sa dédicace royale, comme une faiblesse des Anciens et une force des Modernes33) avec l’esprit de liberté des âges héroïques34. Justice, vigilance et prudence sont également des qualités qui leur sont également attribuées avec les prouesses militaires qui constituent des pièces maîtresses de ces portraits. Gillies souligne tout particulièrement la capacité de décision d’un seul : le monarque a pour rôle de voir plus loin que tous les conseillers qui l’entourent. Cela est particulièrement évident lorsque l’Écossais commente le choix du site d’Alexandrie pour une cité qui défie les siècles et les régimes : Continually occupied with the thoughts, not only of extending, but of improving, his conquests, the first glance of his discerning eye perceived what the boasted wisdom of Egypt had never been able to discover. The inspection of the Mediterranean coast, of the Red Sea, of the lake Maroetis, and the various branches of the Nile, suggested the design of founding a city, which should derive, from nature only, more permanent advantage than the favour of the greatest princes can bestow35. (p. 305) 31. Ibid., n. 48. 32. Ibid, p. 396 : « Of all men (if we believe the concurring testimony of his historians) Alexander was the most mindful of his duty to the gods. » 33. Gillies, op. cit., t. 1, p. iii. 34. Gillies, op. cit., t. 4, p. 232. 35. Ibid., p. 305 : « Constamment préoccupé par l’idée non seulement d’étendre ses conquêtes mais de les cultiver, il perçut au premier coup d’œil ce que la sagesse tant vantée de l’Égypte n’avait jamais pu découvrir. L’observation de la côte méditerranéenne, de la mer Rouge, du lac Maréotis et des diverses branches du Nil lui suggéra le projet de fonder une cité qui tiendrait

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Fiona McIntosh-Varjabédian [Constamment préoccupé par l’idée non seulement d’étendre ses conquêtes mais de les cultiver, il perçut au premier coup d’œil ce que la sagesse tant vantée de l’Égypte n’avait jamais pu découvrir. L’observation de la côte méditerranéenne, de la mer Rouge, du lac Maréotis et des diverses branches du Nil lui suggéra le projet de fonder une cité qui tiendrait de la nature des avantages plus durables que ceux que la faveur des princes est susceptible d’accorder.]

La monarchie, comme le nom l’indique, c’est le pouvoir d’un seul et c’est cette solitude éclairée du pouvoir qui s’incarne en Alexandre car il est décrit ici comme plus clairvoyant que tout un peuple dont la sagesse est traitée avec ironie. La sagacité du conquérant est à la fois confirmée par ce que le lecteur connaît de la destinée d’Alexandrie et par une note où l’expérience du grand voyageur qu’est le Baron de Tott sur les lieux mêmes vient confirmer de façon éclatante l’intelligence du conquérant. Comme à d’autres moments où Alexandre est censé être également en avance sur son temps, notamment dans le traitement des captives, Gillies lui prête la clairvoyance d’avoir su anticiper, par la position géographique et stratégique exceptionnelle de la ville, les projets de commerce entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie36. Bref, ce n’est pas dit explicitement, mais pour le lecteur contemporain la référence à la colonisation moderne est évidente : l’entreprise coloniale et commerciale britannique est censée faire revivre le vieux projet d’Alexandre, après des années de barbarie et d’obscurité (p. 305). Dans la perspective d’un éloge de la royauté, l’aventure macédonienne, qu’elle soit celle du père ou celle du fils, est présentée à la fois comme un juste milieu, entre les excès de la tyrannie d’un côté, et c’est pour cela qu’il est si important que Gillies conserve l’image d’un Alexandre juste jusqu’au bout, et, de l’autre, les excès du pouvoir démocratique. En effet, Gillies par les termes de « dangerous turbulence » qu’il emploie dans sa dédicace au roi, associe le peuple à la tourbe : ce n’est pas encore la Révolution française qui est visée, mais la jeune démocratie américaine qui a fait plier le roi hanovrien. Bien plus, l’action civilisatrice même du conquérant a continué à s’exprimer au-delà de sa mort : si la Grèce n’occupe plus désormais selon Gillies les devants de l’histoire militaire et politique, son apport aux arts et à la philosophie, qui a aussi le sens de sciences à cette époque en anglais, comme le montre le titre anglais de Christoph Meiners37, reste fort et constitue le plus bel héritage du monde hellénique. Le roi britannique, George de la nature des avantages plus durables que ceux que la faveur des princes est susceptible d’accorder. » 36. Pierre Briant montre que cette interprétation n’est pas exceptionnelle ; elle est d’ailleurs contestée par Montesquieu. Voir P. Briant, op., cit., p. 254 et en particulier la note 16, p. 666. 37. Philosophy traduisant Wissenschaften du titre allemand. Voir ci-dessus.



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III, est donc invité à être le protecteur des lois et des libertés ainsi que des arts et du savoir utile (« useful learning »). La construction de l’Histoire de l’ancienne Grèce permet de placer Alexandre en point d’orgue à deux titres. Le récit se termine presque après sa mort, parce qu’après cet événement funeste, la Grèce n’est plus vraiment la Grèce. Enfin Alexandre et Philippe sont les miroirs idéalisés, annoncés en filigrane, du pouvoir monarchique britannique lui-même. Alexandre révèle le projet que poursuit Gillies : apporter une unité à la narration de l’histoire grecque, mais cette unité ne pourrait être incarnée à ses yeux par des républiques-états et par la démocratie, elle doit s’exprimer au travers du génie d’Alexandre, roi conquérant et sage, qui a su, selon Gillies, s’adapter aux mœurs des populations conquises. Dans le contexte d’écriture de ce texte, qui n’est pas encore celui de la Révolution française, mais qui marque à la fois la fin d’une aventure coloniale, celle des Amériques, indépendantes depuis 1783, et le début d’une nouvelle, celle de l’Inde, la geste alexandrine résonne autant comme une promesse que comme un avertissement. En effet, si les terres asiatiques n’étaient pas propices à porter les fruits de la civilisation grecque, qu’en est-il du projet britannique lui-même ? Faut-il y voir l’aboutissement ultime de l’aventure de la conquête d’Alexandre par le développement du commerce ou un avertissement contre un projet risqué ? Si le conquérant est présenté comme le miroir de Georges III, et son action civilisatrice comme l’image de ce que la royauté doit espérer atteindre, elle met en garde et le monarque et le peuple contre le fait que ces succès peuvent être transitoires et fragiles. Gillies néglige Quinte-Curce et le dévalorise non seulement pour des raisons qui relèvent des nouvelles normes critiques, mais aussi et surtout à cause d’un schéma moral qui n’était pas compatible avec le message politique que l’Écossais cherche à transmettre : Alexandre se doit d’incarner jusqu’au bout l’efficacité et la clairvoyance de la monarchie comme mode de gouvernement. Sa prétendue corruption par les mœurs barbares, sa folie croissante, qui sont sous la plume de Quinte-Curce la rançon d’une destinée hors pair, n’ont pas de place dans un récit qui justifie l’entreprise impériale même. Fiona McIntosh-Varjabédian Université de Lille ALITHILA

Transpositions des Historiae dans les arts visuels, le théâtre et le roman

Curtius Rufus, Pier Candido Decembrio and the Impact of the Historiae on Fifteenth-Century Italian Art Writing from Rome to his friend Niccolò Niccoli in February 1429, Poggio Bracciolini could hardly conceal his excitement at the news he had just learned: among the books owned by Nicholas of Cusa there seemed to be a complete volume of Quintus Curtius Rufus’s Historiae1. Sadly, this was not the case2: Poggio’s hopes were soon to be deluded and the lacunose state of Curtius’s text, particularly the loss of the first two books out of the ten it comprised, continued to be greatly lamented by fifteenth-century humanists. In spite of its incomplete text and of the many problematic points still surrounding the Historiae, including its date of composition and the identity of its author, Curtius’s work remains the longest historical account of Alexander’s life surviving from antiquity, recounting his career from his arrival in Phrygia to his death in Babylon; also, it is the only Latin work to be entirely devoted to Alexander3. In addition, and more importantly for my purposes here, the Historiae played a crucial role in the elaboration of the 1. Poggio Bracciolini, Lettere, ed. H. Hart, 3 vols, Florence, 1984-1987, I: Lettere a Niccolò Niccoli, p. 78, no 28 (letter from Rome, 26 February 1429): “Nicolaus ille Treverensis scripsit litteras cum inventario librorum, quos habet. […] Item aliud volumen […] quo magis gaudeas, Q. Curtium, in quo sit primus liber; de fine nil scribit, sed existimo postquam principium est, non deesse reliqua” (“Nicholas of Trier has written a letter with an inventory of the books he possesses […]. To your greatest joy, [among them] there is a volume of Curtius Rufus, containing the first book; he says nothing about the end, but I believe that since the beginning is there, the rest of it must not be missing”). 2. Bracciolini, Lettere, p. 104, no 38 (letter from Rome, 27 May 1430): “De A. Gellio et Curtio ridicula quedam attulit; A. Gellium scilicet truncum et mancum, et cui finis sit pro principio, et unam chartam, quam credebat esse principium Curtii, rem insulsam et ineptam” (“He [Nicholas of Trier] reported certain ridiculous things about the books of Aulus Gellius and of Curtius; that the Aulus Gellius was incomplete and imperfect and that its end was in fact its beginning, and that one leaf that he thought was the beginning of Curtius was ridiculous and silly”). 3. On the vexed question of Curtius Rufus’s identity, see J. E. Atkinson, A Commentary on Q. Curtius Rufus’ Historiae Alexandri Magni Books 3 and 4, Amsterdam, 1980, p. 50-57. On his work and tradition, still essential is S. Dosson, Étude sur Quinte Curce, sa vie et son œuvre, Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 509-523 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115413

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new Alexander imagery that came into being in the fifteenth and sixteenth centuries, when a transition took place from the medieval conception of Alexander as a legendary, almost fairy-tale, figure, to the historical portrait of him as an exemplum of moral virtue and military prowess. The changing cultural atmosphere arising with the Italian Renaissance and the humanist recovery of the ancient Greek and Latin historical sources on Alexander – by Plutarch, Arrian, Diodorus Siculus, and Curtius Rufus – radically c­ hanged the received view of Alexander; in the course of the Quattrocento, the “Alexander of legend” based on the vast and ramifying texts deriving from the Alexander Romance, was gradually superseded by the “Alexander of history”, based on the recently discovered sources from antiquity4. This was a crucial moment in the tradition of the myth of Alexander, which is all the more evident when we take into consideration the iconographic tradition: over the fifteenth century, the medieval repertoire of fabulous stories from the legend progressively disappeared and an entirely different visual repertoire emerged, centring on novel episodes from Alexander’s life drawn from the ancient historical sources; this repertoire first established itself in Italy and then spread to the rest of Europe5. As I will try to show, the account of Curtius made an Paris, 1887; see also E. Baynham, Alexander the Great: The Unique History of Quintus Curtius, Ann Arbor, 1998. 4. The transition from the “Alexander of legend” to the “Alexander of history” is generally acknowledged in the scholarly literature, but rarely has it been fully discussed or adequately addressed. I have devoted my unpublished doctoral dissertation to this transition, as elaborated in fifteenth- and sixteenth-century Italian art: C. Daniotti, On the Cusp of Legend and History: The Myth of Alexander the Great in Italy between the Fifteenth and Sixteenth Century, PhD dissertation, The Warburg Institute, University of London, 2015. Attention has been drawn to this turning point in the tradition by Monica Centanni in several studies, e.g., “Alexander the Great”, in The Classical Tradition, ed. A. Grafton, G. W. Most and S. Settis, Cambridge MA and London, 2010, p. 25-31, esp. p. 30; see also C. Frugoni, La fortuna di Alessandro Magno dall’antichità al Medioevo, Florence, 1978, p. 23-24, and, more recently, T. Noll, “The Visual Image of Alexander the Great: Transformations from the Middle Ages to the Early Modern Period”, in Alexander the Great in the Middle Ages: Transcultural Perspectives, ed. M. Stock, Toronto, Buffalo and London, 2016, p. 244-263, as well as V. Anceschi, Alessandro Magno nella letteratura italiana: la figura del condottiero macedone nell’Umanesimo e nel Rinascimento, Saarbrücken, 2013. 5. On the Renaissance and early modern imagery of Alexander, after it became established in the course of the sixteenth century, see Alexander the Great in European Art (exhibition catalogue, Thessaloniki, Organisation for the Cultural Capital of Europe, 1997-1998), ed. N. Hadjinicolaou, Athens, 1997; Alessandro Magno in età moderna, ed. F. Biasutti and A. Coppola, Padua, 2009; and Figures d’Alexandre à la Renaissance, ed. C. Jouanno, Turnhout, 2012.



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important contribution to the creation of this new Alexander iconography, for its detailed and dramatic narrative provided inspiration for a number of stories from Alexander’s life, which were largely unknown to – or very differently treated in – the medieval visual tradition. I shall examine two different branches of the fifteenth-century artistic production relating to Curtius: on the one hand, painting connected to the furnishing of domestic interiors, where the most popular story from Alexander’s life, namely his meeting with the family of Darius, first emerged; on the other hand, the illuminated manuscript tradition, where the challenging task of illustrating a new text which had never been illustrated before resulted in a significantly innovative depiction of the life and deeds of Alexander. Curtius’s Historiae was not unknown in the Middle Ages, when it also circulated in an expanded version known as “interpolated Curtius”, in which material from various sources was used to fill the lacunae in Curtius’s text and, more importantly, to replace the lost Books I and II6. It was, however, only in the early Quattrocento that the Historiae began to circulate widely, as is evident from the sudden increase in the number of extant manuscripts7. The original Latin text was printed almost simultaneously in Venice and Rome in 1470-1471 (Vindelinus de Spira and Georgius Lauer); by then, however, Curtius’s account had been circulating in Italy for more than thirty years. In 1438 the humanist Pier Candido Decembrio (1399-1477) presented his patron, Duke Filippo Maria Visconti of Milan, with a vernacular (Lombard) translation of the Historiae: it is this translation that triggered the popularity of Curtius’s text, first in Italy, then more widely in Europe. Decembrio did not merely translate Curtius’s text; working from a Latin manuscript of

6. Six manuscript exemplars of the interpolated Curtius survive; five of them, now in Oxford, Paris, and the Vatican Library, date from the twelfth to the fifteenth century and originate from France and Italy. See E. R. Smits, “A Medieval Supplement to the Beginning of Curtius Rufus’s Historia Alexandri: An Edition with Introduction”, Viator, 18 (1987), p. 89-124; Dosson, Étude, p. 322-324, 337-338 and 344; and D. J. A. Ross, Alexander Historiatus: A Guide to Medieval Illustrated Alexander Literature, London, 1963, p. 68. The sixth, unique manuscript, now in Cambridge, was copied in Bruges around 1471-1478; see A. Derolez, The Library of Raphael de Mercatellis, Abbot of St. Bavon’s, Ghent, 1438-1508, Ghent, 1979, p. 41-44, and E. R. Smits, “A Medieval Epitome of the Historia Alexandri by Quintus Curtius Rufus: MS London BL Cotton Titus D.XX and MS Oxford Corpus Christi College 82”, Classica et mediaevalia, 42 (1991), p. 279-300, at p. 282-283, n. 21. 7. Though incomplete, see the list of surviving manuscripts in Dosson, Étude, p. 315-356: against the 36 codices from the ninth to the fourteenth century, nearly 100 exemplars are recorded for the fifteenth century alone.

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the non-interpolated version8, he filled the internal lacunae with appropriate material from Plutarch’s Life of Alexander9 and wrote a Comparatione di Caio Iulio Cesare imperadore et de Alexandro Magno re di Macedonia, in imitation of the synkriseis usually found at the conclusion of Plutarch’s paired biographies. This vernacular version of Curtius, followed by the Comparatione, ­circulated widely in manuscript; it was also translated into Tuscan, Spanish, French and Portuguese and was printed several times, first in 1478 in Florence10. But Decembrio’s version of Curtius was still missing the two initial books, which he supplemented some time after 1438 by translating into the vernacular chapters 2 to 17 of Plutarch’s Life of Alexander (from Alexander’s birth to the immediate aftermath of the battle of the Granicus). Few manuscripts contain the supplement from Plutarch in addition to the translation of Curtius and the Comparatione11: nevertheless, Decembrio conceived the three texts as a whole, referring to them as the Istoria d’Alexandro Magno. Decembrio took great care to present his work as a learned attempt, through use of the vernacular, to make a classical account accessible to a wider public, as well as to his patron Filippo Maria Visconti, who was fond of ancient works but not in command of Latin or Greek. It is no accident that several manuscripts of Decembrio’s translation are written in a humanist

8. G. Resta (Le epitomi di Plutarco nel Quattrocento, Padua, 1962, p. 33-34, n. 2) suggested identifying the Curtius manuscript used by Decembrio for his translation as MS Paris BnF lat. 5720, which in the 1430s was in the library of Pavia and had previously belonged to Petrarch. 9. It is the case, for example, of the death of Darius, a crucial episode which is missing from Curtius’s account and was taken by Decembrio from Plutarch (Alexander, XLIII, in Parallel Lives, ed. B. Perrin, 11 vols, Cambridge MA and London, 1914-1926, VII, p. 351-353). The ­account of Darius’s death was published by E. Ditt, Pier Candido Decembrio: contributo alla storia dell’umanesimo italiano, Milan, 1931, p. 71-72. 10. See M. Pade, “Curzio Rufo e Plutarco nell’Istoria d’Alexandro Magno: volgarizzamento e compilazione in un testo di Pier Candido Decembrio”, Studi umanistici piceni, 18 (1998), p. 101113 (with bibliography and a list of manuscripts and printed editions), and M. Zaggia, “Appunti sulla cultura letteraria in volgare a Milano nell’età di Filippo Maria Visconti”, Giornale storico della letteratura italiana, 170 (1993), p. 161-219, at p. 199-219. See also M. Pade, The Reception of Plutarch’s Lives in Fifteenth-Century Italy, 2 vols, Copenhagen, 2007, I, p. 251-254; Ross, Alexander Historiatus, p. 68, and La fascination pour Alexandre le Grand dans les littératures européennes (xe-xvie siècle). Réinventions d’un mythe, ed. C. Gaullier-Bougassas, 4 vols, Turnhout, 2014, vol. 4, p. 252-253 (M. Campopiano). On Decembrio, see at least P. Viti, “Decembrio, Pier Candido”, in Dizionario biografico degli Italiani, vol. 33, Rome, 1987, p. 488-498. 11. According to Pade, “Curzio Rufo e Plutarco”, p. 107-108 and 111-113, only four codices contain the initial supplement, which was never printed.



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littera antiqua hand, normally employed in Latin manuscripts12. Moreover, Decembrio began his translation by stating that, for the life of Alexander, “only authoritative sources should be trusted”, making it clear that Curtius was just such a source13. Even though Curtius’s work was known throughout the Middle Ages, it can still be regarded as one of the newly recovered sources from antiquity. Not only because, until the fourteenth century, knowledge of the Historiae seems to have been largely indirect – that is, through intermediary sources such as Walter of Châtillon’s Alexandreis – but also, and more importantly, because humanists themselves presented Curtius’s work as a newly available and more reliable account of Alexander’s life. As we have seen, Poggio was eager to find a complete manuscript of the Historiae, the first two missing books of which were particularly sought after. Dedicating his vernacular translation of the Historiae to the Duke of Milan, Pier Candido Decembrio presented Curtius as an auctoritas, while in the De politia litteraria, written in the 1450s, his brother Angelo called on Curtius to disprove and ridicule the fabulous tales of the medieval Alexander legend14. Most European rulers commissioned at least one copy of Curtius’s Historiae, and humanist educational treatises advised children to peruse the work – not least because of its polished Latin15.

12. Zaggia, “Appunti sulla cultura letteraria”, p. 212, has noted that the Turin copy of the vernacular Curtius by Decembrio (Turin, Biblioteca Reale, MS Varia 131), written before 1440, is one of the earliest known examples of a vernacular text copied in the littera antiqua. 13. The passage, which I take from Siena, Biblioteca Comunale degli Intronati, MS I.VII.23, fol. 1 r, reads: “Nelorigine antiqua dalexandro magno si come neglialtre vetustate solo evenire piu alautoritate cha ad altra ragione credere nebisogna poi che daletate e noticia nostra son molto distante” (“In the case of Alexander the Great, as much as in similar ancient examples, only the most authoritative sources should be trusted, as these facts are greatly distant from us both in terms of time and knowledge”). 14. For the passage, which contains a famous attack on the Northern tapestries depicting episodes from the medieval legend of Alexander, see Angelo Decembrio, De politia litteraria, ed. N. Witten, Munich and Leipzig, 2002, p. 428 (VI.68.10). On the subject, M. Baxandall, “A Dialogue on Art from the Court of Leonello d’Este: Angelo Decembrio’s De Politia Litteraria Pars LXVIII”, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 26 (1963), p. 304-326, remains essential; on Angelo Decembrio and the use of Curtius at the court of Ferrara where the De politia litteraria is set, see A. Grafton, What was History? The Art of History in Early Modern Europe, Cambridge, 2007, p. 49-61. 15. See, e.g., Enea Silvio Piccolomini “De liberorum educatione/The Education of Boys”, in Humanist Educational Treatises, ed. C. W. Kallendorf, Cambridge MA and London, 2002, p. 126-259, at p. 224.

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The impact of Curtius’s Historiae on the Renaissance conception of Alexander is best appreciated when we turn to the iconographic tradition. In the vast figurative repertoire of Alexander stories drawn from the ancient historians, there is an episode which is not only the most popular of them all, but also the first to appear in the visual tradition. It is “The Meeting of Alexander with the Family of the Persian King Darius”, also known as “The Magnanimity of Alexander”: this episode, as I will explain, is based on the account of the event given by Curtius Rufus. No historian of Alexander fails to mention the battle of Issus, fought by the armies of Alexander and Darius III of Persia in November 333 BC. After a frontal attack by the Macedonian cavalry led by Alexander, Darius fled from the battlefield on his war chariot, leaving the royal family in the hands of the victorious Alexander. In the aftermath of the battle, Alexander went to meet the women of Darius’s family – his aged mother Sisygambis, his famously beautiful wife and two unmarried daughters – and showed them mercy and magnanimity by sparing their lives and making sure that their royal status would be respected. The most iconic moment in the meeting – Alexander graciously raising Sisygambis from the ground after she had mistaken the king’s friend Hephaestion for the king himself and knelt before him – came to epitomize in visual terms the moral virtues for which this episode became exemplary and continued to be popular in European art until the early nineteenth century: magnanimity, clemency, generosity, friendship and chastity16. The earliest representations of the Meeting are found in a number of cassone panels (the paintings decorating the fronts of wooden cassoni, or marriage chests), of which I have identified six examples17. Most of these works, which present almost identical compositions, are dated to around 1450 and ascribed to the prolific bottega run in Florence by Apollonio di Giovanni and Marco del Buono Giamberti, who specialised in this branch of artistic production18. The present whereabouts of three of these cassone panels are 16. For an overview of the tradition of the theme, see B. Aikema, “Exemplum Virtutis: ‘The Family of Darius before Alexander’ in Renaissance and Baroque Art”, in Alexander the Great in European Art, p. 164-170, and related catalogue entries in the Greek version of the catalogue, p. 418-467. See also my On the Cusp of Legend and History, p. 184-191. 17. This material is discussed at length in my dissertation, On the Cusp of Legend and History, p. 101-112, and is partly presented in my “Tra fabula e historia: sulla ricezione del mito di Alessandro il Grande nel Quattrocento”, Schifanoia, 42-43 (2012), p. 227-239. 18. E.  Callmann, Apollonio di Giovanni, Oxford, 1974, with bibliography, and E.  H. Gombrich, “Apollonio di Giovanni: A Florentine Cassone Workshop Seen through the Eyes of a Humanist Poet”, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 18 (1955), p. 16-34.



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unknown19, while the other three are now in the British Museum20, in the Museu Nacional de Arte Antiga in Lisbon, and in a private collection in Florence21. All of them show a compositional arrangement which is clearly seen, for instance, in the British Museum panel (fig. 1.1): on the right-hand side is the battle of Issus, with Darius fleeing on his towering war chariot; on the left is Alexander meeting the royal family, with the king of Macedon stand­ ing before the Persian women and helping Sisygambis up from the ground. The “Meeting of Alexander with the Family of Darius” became a hugely popular theme from the early sixteenth century onwards – the earliest example on a monumental scale being Sodoma’s fresco of 1518-1519 in the Villa Farnesina in Rome22. But around 1450, when it was introduced into cassone painting, it was not a well-known story, and there were no models for the painters to rely on. In the Middle Ages the episode with Darius’s family was not, of course, unheard of: it was touched on in the Pseudo-Callisthenes (I, 41), mentioned in several accounts of Alexander’s life, and sometimes illustrated in manuscripts. But it had no significance in the narrative and, what matters here the most, no iconographic tradition grew out of it. In the scholarly literature, Plutarch has often been claimed to be the source for these earliest depictions of the Meeting: his Life of Alexander had been translated by Guarino into Latin before 1408 and was therefore available when Apollonio and his workshop worked at the Alexander panels. Yet, this can 19. For the panel once in the art collection of the Earl of Crawford in London, see Callmann, Apollonio, p. 70, no 41. The second piece, which until 1980 was part of the George R. Hann Collection at Sewickley, Pennsylvania, and was then auctioned in New York (Christie’s, New York, Important Paintings by Old Masters, 5 June 1980, lot. 82), is discussed by Callmann, Apollonio, p. 71, no 44. A third panel, formerly in the Artaud de Montor collection, was last seen on the market in 1997, when it was attributed to Lo Scheggia and dated to around 1460 (Christie’s, London, Important Old Master Pictures, 4 July 1997, lot. 74); more on this problematic panel is in my On the Cusp of Legend and History, p. 104-105. 20. See Callmann, Apollonio, p. 71, no 45, and L. Syson and D. Thornton, Objects of Virtue: Art in Renaissance Italy, London, 2001, p. 73. 21. On the Florence painting, which passed from the art collection of the Hungarian-British painter Philip A. De László, where it was until 1937, through several private hands and a complex attribution history, before ending up in its present home, see Moretti. Da Bernardo Daddi a Giorgio Vasari (exhibition catalogue, Florence, Galleria Moretti, 1999), ed. M. P. Mannini, Florence, 1999, p. 138-141, and In the Light of Apollo: Italian Renaissance and Greece (exhibition catalogue, Athens, National Gallery, 2003-2004), ed. M. Gregori, 2 vols, Milan, 2003, I, p. 177178, no I.65 (C. Filippini). As far as I know, the Lisbon panel is unpublished. 22. On Sodoma’s fresco, see R. Bartalini, “Sulla camera di Alessandro e Rossane alla Farnesina e sui soggiorni romani del Sodoma (con una nota su Girolamo Genga a Roma e le sue relazioni con i Chigi)”, Prospettiva, 153-154 (2014), p. 39-73, with previous bibliography.

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hardly be the case, as Plutarch (Alexander, XXI, 1) does not actually mention a meeting between Alexander and Darius’s family; on the contrary, he emphasises Alexander’s resolution not to see the Persian women, stressing his role as an exemplum pudicitiae. As for Arrian and Diodorus Siculus, who also report the Meeting (respectively, Anabasis, II, 12, 3-8 and Bibliotheca Historica, XVII, 37, 3-38, 7), neither of their accounts was yet available around 1450. The Latin translation of the original Greek text of the Anabasis was c­ ompleted only in 1461 and not printed until 150823, whereas Book XVII of the Bibliotheca Historica became available only in 1539, and then only in Greek. Although it has been neglected in the scholarly literature, there is a work which meets all the requirements of the perfect candidate for the source of the iconography of the “Meeting of Alexander and the Family of Darius”, and that is the Historiae of Curtius Rufus. Not only did he provide the most accurate and detailed account of the episode (Historiae, III, 12, 1-26), which matches the depiction on the cassone panels; but also, in the mid-fifteenth century, as we have seen, his text was available in both the original Latin and Decembrio’s vernacular translation. This claim is strengthened by the fact that cassoni were normally produced in pairs (one for the bride, the other for the groom), and the companion to the representation of “The Battle of Issus and the Meeting with the Family of Darius” was usually “Darius Setting Out for the Battle of Issus” (sometimes inaccurately called “The Triumph of Darius”). Several examples of this scene attributed to Apollonio’s workshop survive, though none of them forms a pair with any of the extant Alexander panels. The best preserved of these works today is in the Rijksmuseum in Amsterdam24 and presents a triumph-­ like composition which, as has been shown25, is based on a passage of Curtius (Historiae, III, 3, 8-28). Among the historical accounts of Alexander’s life, only Curtius describes at length Darius’s preparation for the battle of Issus, picturing a chariot parade which corresponds exactly to the procession in the cassone panels, down to the last, and seemingly obscure iconographic detail – including the two women accompanying Darius’s chariot, the s­ acred fire and the statue of the winged Apollo being carried in the procession. Curtius, therefore, provided the inspiration for the ‘marriage sets’ portraying 23. See P. A. Stadter, “Arrianus, Flavius”, in Catalogus translationum et commentariorum. Medieval and Renaissance Latin Translations and Commentaries: Annotated Lists and Guides, 10 vols, Washington DC, 1960-2014, III, ed. F. E. Cranz, p. 1-20, esp. p. 3-12. 24. See Callmann, Apollonio, p. 70-71, no 42. 25. The Florentine Paintings in Holland 1300-1500, ed. H.  W.  van Os and M.  Prakken, Maarssen, 1974, p. 31-33, no 3, esp. p. 32.



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the Alexander stories, not only those in the panels depicting his victory over Darius and magnanimity towards his family, but also the scenes illustrating the prelude to these events, in which Darius is the protagonist. It seems to me, therefore, that there are very strong grounds for maintain­ ing that the representation of Alexander in this series of cassone panels depends on Curtius’s Historiae rather than on the still rare accounts of Plutarch and Arrian, as is usually assumed26. Arguably, the vernacular translation by Decembrio played some role in this. It seems likely to me that a painter such as Apollonio, or anyone from his circle, would have had access to and been able to make use of a work which was widely circulating in Florence not only in the original Latin, but also in the vernacular. Decembrio’s version of the Historiae may have played a more significant role than the one it is usually credited with, contributing not only to a wider knowledge of the text of Curtius but also being instrumental in the elaboration of the theme of the “Meeting with the Family of Darius” and therefore in the emergence of the historical iconography of Alexander. The illustrated manuscript tradition of Decembrio’s translation remains a field to be explored. As noted by David Ross in his 1963 pioneering s­ urvey Alexander Historiatus, “most of the known manuscripts of this work are typical humanist ones with decoration confined to an elaborate title-border and illustration to, at most, a fancy portrait of Alexander in a medallion or historiated capital27”. Further research into the manuscript tradition of Decembrio’s translation has contributed to our understanding of the text28, but, as far as the visual tradition is concerned, this has not much altered the somehow discomforting picture given by Ross over fifty years ago. In this still uncharted, and yet potentially promising, territory there is at least one remarkable exception that stands out: a beautifully illuminated manuscript now in Siena, Biblioteca Comunale degli Intronati, I.VII.23. Despite occasional references to it in the scholarly literature, this codex has not been studied in depth. It is one of the few manuscripts containing the whole of Decembrio’s work, which he referred to as “Istoria d’Alexandro 26. The names of Plutarch and Arrian are put forward, e.g., by G.  Hughes, Renaissance Cassoni. Masterpieces of Early Italian Art: Painted Marriage Chests 1400-1550, Polegate, Sussex and London, 1997, p. 157-158, and J. Klein Morrison, “Apollonio di Giovanni’s Aeneid Cassoni and the Virgil Commentators”, Yale University Art Gallery Bulletin, 1992, p. 27-47, at p. 44, n. 17. 27. Ross, Alexander Historiatus, p. 68. 28. See Pade, “Curzio Rufo e Plutarco”, and Zaggia, “Appunti sulla cultura letteraria”, p. 199-219.

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Magno”, as it contains the Lombard translation of Curtius’s Historiae, supplemented by Plutarch’s chapters 2 to 17 and followed by the Comparatione. While the owner of ms. I.VII.23 and the circumstances of its commission have not been identified, even though there are several mottos and heraldic devices on the frontispiece, a Milan provenance is certain29. The dating is also problematic, but some time around 1450 seems most likely. The text has been corrected by Decembrio himself30, and the eleven illuminated scenes have been ascribed to a follower of the Master of the Vitae Imperatorum (active in Milan between 1430 and c. 1453), an artist who shows some influence from the regions north of the Alps31. The decoration of ms. I.VII.23 has been dismissed as the work of a not terribly gifted artist32; but the unique character of its iconographic programme is of considerable interest and is without parallel in any other Curtius, or Alexander related, manuscript produced in Italy at the time33. The decoration consists of eleven lively scenes, each covering a half page; eight of them are placed at the beginning of each of Curtius’s surviving books (Book III to X), two pictures illustrate the most significant sections supplemented from 29. See Pade, “Curzio Rufo e Plutarco”, p. 111; Zaggia, “Appunti sulla cultura letteraria”, p. 214215 and n. 182. I am unable to identify the owner of the codex, although his initials “IO / AN” are written at the bottom of the title-page. The manuscript entered the collection of the Siena library as part of the 1847 bequest from Marquis Angelo Chigi, but nothing is known of it before that date. I thank Rosanna De Benedictis and Renzo Pepi of the Biblioteca Comunale degli Intronati for their invaluable help during my research on the codex. My thanks are also due to Anna Melograni, who generously discussed the manuscript decoration with me. 30. As reported by Pade, “Curzio Rufo e Plutarco”, p. 111. 31. See Pade, “Curzio Rufo e Plutarco”, p. 110, n. 32, and A. Melograni, “Appunti di miniatura lombarda: ricerche sul Maestro delle ‘Vitae Imperatorum’”, Storia dell’arte, 70 (1990), p. 273314, at p. 312, n. 148. 32. P. Toesca, La pittura e la miniatura nella Lombardia dai più antichi monumenti alla metà del Quattrocento, Milan, 1912, p. 533-534, speaks of a “minuzioso e fanciullesco illustratore”, while C. Mitchell, A Fifteenth-Century Italian Plutarch (British Museum Add. MS 22318), London, 1961, says that “the little men in the Alexander book are no more than puppets” (p. 16). 33. It is worth remembering that north of the Alps, the French translation of Curtius’s Historiae, completed by Vasco da Lucena for the Duke of Burgundy in 1468, is at the origin of an extremely vast and rich illuminated tradition, which featured many of the Alexander episodes also found in ms. I.VII.23. It should be noted, however, that this Northern production flourished in the 1470s and 1480s, and is therefore slightly later than the Italian one discussed here. For this tradition, see C. Blondeau, Un conquérant pour quatre ducs: Alexandre le Grand à la cour de Bourgogne, Paris, 2009, and S. McKendrick, The History of Alexander the Great: An Illuminated Manuscript of Vasco da Lucena’s French Translation of the Ancient Text by Quintus Curtius Rufus, Los Angeles, 1996.



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Plutarch at the beginning and end of Curtius’s account, while the eleventh appears at the opening of the Comparatione. It has been noted that the illustrations are closely related to the text, each illustrating a major episode from the book which it opens34. The exact content of the scenes has not, however, previously been analysed35. The identification of the subject matter of the illustrations is not always straightforward; and in many cases they do not rely on any existing visual tradition. Most are accompanied by a few lines of text, also in the vernacular, which are written in the margins and provide a brief description of the subject of the picture, as well as the reference to the chapter of the book where the episode is narrated36. The “Meeting with the Family of Darius”, although recounted at fol. 31 v, does not feature among the eleven pictures that decorate the codex. The reason for this exclusion may arguably lie in the wishes of the still unidentified patron and the particular destination of the manuscript itself. As I will show below, the episodes selected for illustration in the Siena codex present Alexander first and foremost as a military man, whose moral exemplarity, both in positive and in negative terms, is best expressed on a battlefield and among his soldiers: in such a context, women, as we shall see, appear only occasionally. The illustration on the frontispiece, at fol. 1 r (fig. 1.2), shows the Greek and Persian armies facing each other, separated by a river. The Greeks on horseback are already half way across the water, with Alexander immediately identifiable among them on account of his crown. The Persian archers and cavalrymen, who wear Oriental dress and hats, are ready to engage in battle, though their king cannot be seen in the crowd. The presence of the river, in combination with the absence of the Persian king, indicates that this is the Battle of the Granicus, the first of the three fought by Greeks and Persians and the only one in which Darius did not take part. The episode does not rely on Curtius, whose text is lost for this part, but rather on Plutarch, whose description of the battle was inserted into the Historiae by Decembrio and then carefully followed by the manuscript illuminator. At the opening of Book III, fol. 11 v, there is a picture of the Battle of Issus, while the siege of Tyre (fig. 1.3), a city which in antiquity was considered to be impregnable, is represented with great accuracy at fol. 34 v, and a number of narrative details which 34. Ross, Alexander Historiatus, p. 68. 35. Mitchell, A Fifteenth-Century Italian Plutarch, p. 10, 15-16 and 40, n. 34, gives a general description of the scenes, discussing the style but not the iconography. 36. E.g., the picture at fol. 11 v, at the opening of the third book, showing the Battle of Issus, is labelled “Bataglia fra l’esercito del re Alexandro e del re Dario. Recorre al capitulo XX di questo libro”.

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Curtius describes at length in Book IV – including the Greek soldiers who, in an umpteenth attempt to build a causeway between the coast of the mainland and the island on which the city was located, began to throw whole trees, root and branch, into the water. The siege of Tyre, which took Curtius nearly half of Book IV to describe, was no doubt chosen to illustrate Alexander’s exceptional military prowess. Medieval illuminated manuscripts of the thirteenth and fourteenth century, which were based on far less detailed accounts, had shown only the bare essentials of the story – just a walled city, crested with towers and surrounded by turbulent waters. The episode was not very often represented in the fifteenth-century Italian peninsula and only acquired importance in the visual tradition from the mid-sixteenth century onwards. This means that the illustration in ms. I.VII.23 was one of the earliest representations of the siege of Tyre in Italian art to be based on an historical source. The next picture, at fol. 75 r (fig. 1.4), presents three distinct episodes in the same frame: Alexander’s entry into Babylon, on the left-hand side; a scene in an interior which I interpret as the seduction of Alexander by his mistress Thais, on the right; and the burning of Persepolis, in the background, a controversial event which was reportedly instigated by Thais herself. This is one of the most charming illuminations in the manuscript: the city gate of Babylon with the Hanging Gardens sprouting from the highest tower, the group of young men kneeling in proskynesis before the triumphant Alexander, Thais undressing and seducing Alexander with her beauty, and finally the destruction by fire of Persepolis, in which Alexander himself, sceptre in hand, took part alongside Thais and several other Macedonians. Alexander’s encounter with the queen of the Amazons Thalestris occupies only a small section of Book VI in Curtius’s Historiae; and yet, the visit paid to Alexander by the beautiful queen, who reached the Macedonian camp accompanied by three hundred Amazons and who expressed the wish to conceive a child with Alexander, was certainly too beguiling a story to be left out. At fol. 100 v, the meeting is represented on the left-hand side, with the figure of Alexander partially rubbed out but still identifiable by his crown. On the right, a completely different episode is depicted, one which was very infrequently, if ever, represented in the Italian visual tradition: the arrest of Philotas, commander of the cavalry, who is here being apprehended and was later unjustly put to death, for allegedly conspiring against Alexander. At the opening of Book VII, at fol. 127 r, Philotas’s father, the general Parmenion, is also assassinated on Alexander’s orders. Most of the illustration, however, is taken up by the crossing of the river Tanais (present-day Don), which marked the boundary with the Steppes inhabited by the dreaded



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Scythians. According to Curtius, not only did Alexander manage to get his entire army across the river on rafts – which in the picture take the shape of small boats – but he also heavily defeated the Scythians, who are shown aiming their crossbows at Alexander and his men on the opposite river bank. The opening illustration of Book VIII, at fol. 156 v (fig. 1.5), shows a lavish banquet, with exquisite food, goblets full of wine, elegantly dressed courtiers, musicians and even a falcon. It was, however, the occasion for one of the most terrible crimes committed by Alexander: the murder of his friend Cleitus, who had publicly questioned his military prowess and ridiculed his achievements, as well as his claim to divinity. Blinded by fury and completely inebriated, Alexander picked up a spear and ran it through him. The picture displays a specific version of the murder, which is recounted solely by Curtius, who claims that Alexander did not kill Cleitus in the middle of the banquet room, but rather by the door. Curtius says that Alexander pretended to forgive his friend’s offences, but secretly hid outside the door and, spear in hand, waited for Cleitus to leave the banquet and killed him when he least expected. I do not know any other picture made in Italy where the death of Cleitus is illustrated according to Curtius’s account, that is, not as a rage-driven crime and committed on the spur of the moment, but instead as a premeditated and cold-blooded murder. The illustration at fol.  191 r can be identified as the moment when Alexander, determined to march further into India, is pleaded with by his general Coenus to change his mind and go back for the sake of his soldiers, who longed to return home – another episode which, to the best of my knowledge, is unique in the tradition. Book X has two pictures: the first at fol. 217 r represents the distribution of talents and riches to the army; the second at fol. 224 v depicts the last moments of Alexander’s life, a section which is almost entirely lost in Curtius and was supplied by Decembrio from Plutarch’s text (fig. 1.6). Plutarch says in his Life that when Alexander was ill with a high fever for several days, rumours started to spread that he had died. The Macedonian soldiers demanded to see him and were allowed into his room, where Alexander was lying on his deathbed. Following the text closely once more, the illustration shows a few people weeping outside the room, while the entire army files past Alexander, who had lost his voice but managed to welcome each man anyway. In the final picture of the manuscript, at the opening of the Comparatione, at fol. 236 v, Alexander and Julius Caesar are portrayed as two generic knights wearing fanciful parade armour; they can be told apart only by the labels with their names (fig. 1.7).

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The distinctiveness of the manuscript was aptly summarized by Charles Mitchell: “It is written in the volgare, and is illustrated like a romance text37.” While no work by an ancient author, written in either Latin or in Greek, would be illustrated with such a vast narrative cycle, the vernacular translations gave such books a different status. The meticulously drawn, carefully detailed and delightful pictures in manuscripts like ms. I.VII.23 would have greatly appealed to the readership at which they were aimed. Alexander is depicted as a valorous commander in a fifteenth-century world still in the grip of late Gothic culture, with no attempt made to portray architecture, apparel or weaponry in the all’antica style; the cycle thus reflected the fashion of courts such as those of Milan, Mantua or Ferrara, which had not yet been influenced by the new humanist taste for classical antiquity. In ms. I.VII.23, there is a particular interest in the battle scenes and, more generally, episodes of military life. The illustration on the frontispiece seems to set the tone for the entire iconographic programme. Humanists may have lamented the loss of the first two books of Curtius’s Historiae, in which the early life of Alexander was recounted; yet the illuminator of the Siena manuscript (and arguably the patron who commissioned it) took little advantage of the information about this period, which Decembrio had supplied from Plutarch. He did not illustrate, for example, the birth of Alexander (which would have been the perfect pendant to the depiction of his death at the end of the manuscript), nor the taming of Bucephalus (to which attention is drawn in a marginal annotation on fol. 3 v, stating: “bella prova duno cavallo chiamato Bucephalo”). Instead of these potentially dramatic stories, the illuminator preferred to depict the Battle of the Granicus, even though another battle, Issus, was illustrated later on in the manuscript. Another striking feature of the decorative scheme is that there is no ­attempt to conceal or downplay the most disturbing or problematic episodes from Alexander’s life – the burning of Persepolis, the death of Philotas, the murders of Cleitus and Parmenion – which, as far as Italy is concerned, were not frequently represented in the visual tradition precisely because they cast him in a bad light. The reason for this, in my view, is the close connection between text and images, and the nature of Curtius’s account, as supplemented by Decembrio, which is very dramatic and does not attempt to conceal the unattractive aspects of Alexander’s character and actions. Yet there is more to it than that; for even though Book VIII is full of the glorious achievements of Alexander such as the siege of Aornos, the first glimpse of India and the battle 37. Mitchell, A Fifteenth-Century Italian Plutarch, p. 10.



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against Porus, the episode chosen for illustration is instead his inglorious murder of Cleitus. The two illustrations of Alexander succumbing to female seduction – by Thais, who lures him into the sacrilegious act of destroying one of the capitals of the Persian Empire, and by Thalestris, a female ruler equal to him in power and strength – hardly convey a more positive image of him. Ms. I.VII.23 is a remarkable and unique work, combining the revived text of an ancient author, in a modern vernacular translation, with a style of decoration which was on the verge of dying out. Moreover, the episodes chosen for illustration are unusual. Although the artist had a model for some of them (e.g., the Battle of Issus), for the most part, they rely solely on the text, often creating iconographies with little connexion to the visual tradition that was starting to develop from ancient histories of Alexander. What does stand out, however, is the ambiguous nature of the portrait of Alexander drawn by Curtius and therefore by Decembrio: a prince at the same time good and evil, who was capable of magnanimous gestures as much as of appalling crimes. As such, he was the perfect model for the men of power of the Renaissance, a figure from the past able to encourage them to imitate virtuous behaviour and to warn them to avoid the path of evil. Claudia Daniotti The Warburg Institute, University of London

Traduire des dialogues en peinture ? L’histoire d’Alexandre de Le Brun à la lumière du Quinte-Curce de Vaugelas En histoire de l’art, l’intérêt porté aux sources textuelles est orienté. Afin de rendre compte d’une représentation éloignée des traditions iconographiques, l’herméneute s’interroge sur les textes qui peuvent en constituer l’arrièreplan et s’emploie à évaluer la pertinence d’un retour attentif à ceux-ci, selon le niveau d’éducation de l’artiste et de son public, selon les langues (savantes ou vernaculaires) et les formes (traductions, compilations) dans lesquelles ces sources pouvaient être connues à une date donnée, dans un territoire ou un milieu social donné. Le présent volume, consacré à la fortune d’un texte, invite à un renversement de perspective qui se trouve être historiquement fondé. Nicolas Perrot d’Ablancourt, qui concevait ses entreprises de traduction, passées à la postérité sous l’expression de « belles infidèles », comme le triomphe des lettres françaises, avait publié en 1646 Les guerres d’Alexandre par Arrian, incitant Vaugelas à parfaire sa traduction de Quinte-Curce, débutée dans les années 1620. Vaugelas en vint à concevoir celle-ci comme l’application pratique de ses Remarques sur la langue françoise : utiles à ceux qui veulent bien parler et bien écrire1 (1647), de sorte que l’académie des gens de lettres jugea bon de réexaminer son ouvrage2. Publié pour la première fois à titre posthume en 1653, le Quinte-Curce de Vaugelas fit l’objet de plusieurs rééditions (1657, 1659…) et fut très lu tout au long du siècle. Son importance au regard de l’iconographie d’Alexandre en France est d’autant plus grande que le royaume n’avait pas de grande tradition figurée sur Alexandre avant le règne de Louis XIV, à la différence de Rome ou de Florence (Sodoma à la Villa Farnésine, Perino del Vaga au Château Saint-Ange, Cortone au palais Pitti…). Il a en outre été établi que le jeune Louis XIV, fervent admirateur du roi macédonien, avait une passion spécifique pour Quinte-Curce, qu’il 1. Quinte-Curce, De la vie et des actions d’Alexandre le Grand, de la traduction de M. de Vaugelas, avec les supplémens de Jean Freinshemius traduits par Pierre Du Ryer, Paris, 1653. Nous citerons toujours le texte de Quinte-Curce à travers cette édition de la traduction de Vaugelas. 2. Les remarques de l’Académie française sur le Quinte-Curce de Vaugelas (1719-1720) : Contribution à une histoire de la norme grammaticale et rhétorique en France, éd. W. AyresBennett et P. Caron, Paris, 1997. Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 525-539 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115414

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connaissait selon toute vraisemblance dans la traduction de Vaugelas, et qu’il incita probablement Charles Le Brun à faire du premier tableau qu’il peignit pour lui à l’aube de son règne personnel (1661), les Reines de Perse aux pieds d’Alexandre aussi dit la Tente de Darius (Versailles, musée du château), un nouvel exercice de traduction de l’historien romain, en peinture cette fois3. Le goût personnel du roi pour Quinte-Curce a été mis en évidence récemment, de sorte qu’il n’a jamais été intégré à l’effort pour interpréter les projets de Le Brun sur l’histoire d’Alexandre4. Certes, L. Beauvais a relevé à propos de certains dessins le privilège accordé à la version de Quinte-Curce5. T. Kirchner a élargi le constat, en soulignant que tous les sujets envisagés par le peintre sont tirés de ce dernier6, et en relevant dans les toiles des détails témoignant d’une citation scrupuleuse : « On a le sentiment que Le Brun suit parfois l’historien mot pour mot. Même certains détails qui apparaissent à l’examen des tableaux comme des moyens essentiellement artistiques trouvent leur origine dans le texte de l’historien antique, comme par exemple la répartition de la poussière dans la moitié droite de la Bataille d’Arbelles. » T. Kirchner éclaire deux autres choix de Le Brun par le texte de Quinte-Curce7 : l’aigle de la Bataille d’Arbèles (fig. 2.1) et la statue d’Hercule dans Porus blessé devant Alexandre (fig. 2.2). Si l’enjeu que peut constituer l’historien romain n’est donc pas ignoré par l’historiographie – encore n’évoque-t-on pas spécifiquement le Quinte-Curce 3. M. Cojannot-Le Blanc, « Il avoit fort dans le cœur son Alexandre… L’imaginaire du jeune Louis XIV selon le témoignage de La Mesnardière et la peinture des Reines de Perse par Le Brun », XVIIe siècle, 251 (2011), p. 371-395. 4. D. Posner, « Charles Le Brun’s Triumphs of Alexander », The Art Bulletin, 41 (1959), p. 237-247 ; L. Beauvais, « Les dessins de Le Brun pour l’Histoire d’Alexandre », Revue du Louvre, 4 (1990), p. 285-295 ; T. Kirchner, Le héros épique. Peinture d’histoire et politique artistique dans la France du xviie siècle, Paris, 2008, p. 224-226 ; La tenture de l’histoire d’Alexandre le Grand, catalogue d’exposition, dir. J.  Vittet, Paris, 2008 ; L.  Marchesano et C.  Michel, Printing the Grand Manner. Charles Le Brun and Monumental Prints in the Age of Louis XIV, Los Angeles, 2010 ; T. Kirchner, « L’Histoire d’Alexandre par Charles Le Brun : entre art et panégyrique » et O. Bonfait, « Le Brun et le grand format : un nouveau paradigme visuel » dans Charles Le Brun. Le peintre du Roi-Soleil, catalogue d’exposition, dir. B. Gady et N. Milovanovic, Paris, 2016, respectivement p. 27-33 et 35-43. 5. L. Beauvais, Musée du Louvre. Inventaire général des dessins de Charles Le Brun, Paris, 2000, 2 t., t. 1, p. 524, au sujet du Banquet d’Alexandre et La Mort d’Alexandre. Voir aussi La tenture de l’histoire d’Alexandre le Grand, op. cit., p. 77, à propos du Triomphe d’Alexandre. 6. Dans l’inventaire de la bibliothèque de Le Brun à son décès figure un Quinte-Curce in-8°. Les ouvrages in-4°, nombreux et dont relevait la traduction de Vaugelas, sont inventoriés en vrac à son décès. 7. T. Kirchner, Le héros épique, op. cit., p. 248-249. La représentation de l’aigle, en fait, peut s’appuyer, non sur le texte, mais sur des représentations antérieures.

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de Vaugelas –, il n’a pas fait l’objet d’une étude et d’hypothèses explicatives approfondies. T. Kirchner a souligné qu’« en choisissant Quinte-Curce, Le Brun retenait le plus littéraire d’entre eux [les historiens], lequel répondait particulièrement bien aux préoccupations artistiques du peintre ». Mais les auspices sous lesquels Quinte-Curce, qui avait les faveurs du roi, pouvait retenir en parallèle l’attention presque exclusive d’un peintre pour la production d’un cycle extraordinairement ambitieux, restent à préciser, tout comme les éventuelles limites d’une telle source d’inspiration, puisque les projets de Le Brun sont tout à la fois marqués par un intense effort d’invention et par l’inachèvement.

Le Brun et l’histoire d’Alexandre : rappels Le cycle envisagé par Le Brun est mal connu, ce qui ne laisse pas de surprendre dans le cadre de l’organisation royale des arts par Colbert. On peine à comprendre qu’un projet d’une envergure exceptionnelle, par le nombre de sujets envisagés et les formats monumentaux des peintures exécutées (jusqu’à 12 mètres de longueur), ait laissé si peu de sources d’archives. Son histoire nous échappe ainsi largement, tout comme sa destination, une tenture ou peut-être un décor royal8. Outre les Reines de Perse déjà évoquées et qu’il convient de laisser à part9, on conserve quatre peintures, exécutées entre 1664 et 1673 : Le Passage du Granique, La Bataille d’Arbèles, Porus blessé devant Alexandre et Le Triomphe d’Alexandre aussi dit L’Entrée d’Alexandre à Babylone (Louvre). Elles ont donné lieu à des cartons, au tissage de huit tentures aux Gobelins, ainsi qu’à des estampes exécutées par Gérard Edelinck et Girard Audran entre 1672 et 1678. Le Brun travaillait encore à sa mort, en 1690, à une autre composition monumentale, figurant la bataille d’Alexandre contre Porus. Le Département des arts graphiques du musée du Louvre conserve en outre quelque deux cents dessins10, pour l’essentiel de figures (isolées, en groupe, en mouvement), d’études d’expressions, de draperies, d’animaux (éléphants, chevaux cabrés), qui montrent l’ambition de Le Brun d’atteindre, avec ce cycle, l’excellence de 8. Voir récemment ibidem, p. 251-252, sur l’hypothèse d’un cycle destiné à orner la Grande Galerie du Louvre. 9. Exécutée en premier et dans un format qui n’a pas été repris par la suite, cette peinture a fait l’objet d’un accrochage à part dans les appartements royaux, en pendant des Pèlerins d’Emmaüs de Véronèse. 10. L. Beauvais, Musée du Louvre, op. cit., t. 1, p. 526-531.

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son art. Une petite dizaine de feuilles se distingue, présentant des compositions générales, le plus souvent en grand format, même si celles-ci montrent des degrés d’avancement inégaux, de l’esquisse rapidement jetée à l’étude aboutie et mise au carreau. Claude Nivelon, disciple et biographe de Le Brun, n’est guère fiable sur le plan de la chronologie, mais il évoque l’histoire d’Alexandre en deux temps, le premier, à la suite directe des Reines de Perse, soit vers 1661, où trois sujets « de pareille forme et grandeur » auraient été envisagés « pour représenter le caractère de l’esprit d’Alexandre11 »  (un Alexandre tranchant le nœud gordien, un Alexandre pardonnant à Timoclée et un Alexandre renvoyant la femme de Spitaménès), le second, que Nivelon ne date pas mais que l’on peut situer vers 1664, donnant lieu au dessin des quatre tableaux monumentaux. Le biographe associe à cette seconde phase quatre autres sujets : un Voyage d’Alexandre en Judée, ainsi que trois compositions sur les morts d’Alexandre, de Darius et de la femme de Darius. On regarde souvent ces deux séries sous l’angle thématique, en soulignant le passage du portrait d’un Alexandre vertueux à un Alexandre guerrier, évolution que l’on éclaire par l’affirmation du tempérament guerrier de Louis XIV. On peine en revanche à situer plusieurs dessins conservés, inconnus de Nivelon et abordant les sujets suivants : Alexandre et son médecin Philippe, Alexandre blessé, Alexandre et Cénus, un Banquet d’Alexandre et peut-être une Rencontre d’Alexandre avec la reine des Amazones.

Le Brun, lecteur de Quinte-Curce et des autres historiens d’Alexandre Si Le Brun montre de manière précoce sa connaissance des sources gréco-­latines, ses représentations de l’histoire d’Alexandre, destinées au roi et sans doute soumises à ce titre au visa de la Petite Académie, sont plus encore marquées du sceau de la fidélité aux textes historiques. Le récit de Quinte-Curce semble bien avoir directement inspiré à Le Brun certains détails originaux. Dans Porus blessé (fig. 2.2), la statue d’Hercule, dont on sait par Quinte-Curce qu’elle devait précéder les fantassins pour les inciter à la vaillance, le montre, mais il ne s’agit pas du seul motif tiré De la vie et des actions d’Alexandre le Grand. Si plusieurs historiens évoquent les circonstances 11. C. Nivelon, Vie de Charles Le Brun et description détaillée de ses ouvrages, éd. L. Pericolo, Genève, 2004, p. 277.

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naturelles extraordinaires qui assurèrent la victoire des Macédoniens (orage, sol détrempé, visibilité réduite), aucun ne le fait avec tant d’insistance et de détails que Quinte-Curce, qui pourrait éclairer le choix de figurer une mare au pied du cheval d’Alexandre, au premier plan de la composition au centre, ainsi que le coloris obscur dominant le fleuve Hydaspe à l’arrière-plan à gauche. D’une manière analogue, le détail des faux accrochées aux chars de la Bataille d’Arbèles (fig. 2.1), qui ne figure pas dans la traduction de Plutarque par Amyot et n’est l’objet que d’une fugitive mention dans celle d’Arrien par Perrot d’Ablancourt12, est évoqué de manière très insistante chez QuinteCurce13. Le Brun a certes pu l’emprunter à la composition de Cortone sur le même sujet, dont il s’inspira évidemment (Rome, palais des Conservateurs, fig. 2.3), mais dont il se distingue aussi par plusieurs détails, minutieusement tirés des textes. Il orne ainsi le char de Darius de statuettes et lui donne un joug couvert de pierreries et surmonté d’un aigle aux ailes déployées (fig. 2.4). Ces précisions ne figurent ni chez Plutarque, ni chez Arrien, et Le Brun a pu les trouver chez Quinte-Curce, au livre précédant le récit de la bataille : Ils marchoient devant son chariot dans lequel il (Darius) paroissoit haut eslevé comme sur un throsne. Les deux costez du chariot estoient enrichis de plusieurs images des dieux faites d’or et d’argent, et de dessus le joug qui estoit tout semé de pierreries s’eslevoient deux statues de la hauteur d’une coudée, dont l’une représentoit Ninus et l’autre Belus, et entre deux estoit un aigle d’or consacré, desployant les ailes comme pour prendre son vol. Mais tout cela n’estoit rien en comparaison de la magnificence qui esclatoit en la personne du roy. Il estoit vestu d’un saye de pourpre meslé de blanc et par dessus il avoit une longue robbe toute couverte d’or où l’on voyait deux esperviers aussi d’or qui sembloient fondre l’un sur l’autre et qui s’entredonnoient du bec. Il portoit une ceinture d’or comme les femmes d’où pendoit un cimeterre qui avoit un fourreau tout couvert de pierres précieuses, si délicatement mises en œuvre qu’on eust dit qu’il n’estoit que d’une. Son ornement de teste estoit une thiare bleue ceinte d’un bandeau de pourpre rayé de blanc qui estoit la marque royale ou le diadème que les Perses appellent cydaris. (III, p. 218-219)

Cet extrait de Quinte-Curce montre que le premier peintre y puise avec précision, même s’il ne s’y soumet pas. Tantôt, il s’appuie scrupuleusement sur le texte (le joug, mais aussi le diadème, Le Brun prenant soin de ne pas reprendre 12. Plutarque, Vie des hommes illustres, grecs et romains, comparées l’une avec l’autre, trad. J. Amyot, Paris, 1565 ; Arrien, Les guerres d’Alexandre, trad. N. Perrot d’Ablancourt, Paris, 1646, III, p. 150. Nous citons toujours Plutarque et Arrien à partir de ces traductions. 13. Quinte-Curce de Vaugelas, éd. citée de 1653, IV, p. 320, 338 et 349.

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pour Darius la couronne dorée bien peu barbare retenue par Cortone, fig. 2.3). Tantôt il l’infléchit, sans doute pour assurer la lisibilité de sa composition – des statues ornent le char sous son pinceau, mais ne surmontent pas strictement le joug. Tantôt il s’en affranchit totalement : Darius, ainsi, n’est pas représenté sous les couleurs pourpre et or, dont l’avait justement doté Cortone, mais en bleu. Que la fidélité du peintre à la source textuelle soit variable se comprend bien, notamment parce qu’interfèrent nécessairement les représentations antérieures, non seulement du sujet, mais de sujets connexes (Coriolan, continence et batailles de Scipion, etc.), comme il est établi par exemple à propos des éléphants au fond à droite de la Bataille d’Arbèles (fig. 2.1) qui reprennent ceux de la Bataille de Zama (tenture de l’Histoire de Scipion d’après Jules Romain). Il demeure que le constat de l’adéquation entre des éléments des toiles de Le Brun et le récit de Quinte-Curce ne saurait suffire à démontrer que ce dernier sous-tend l’invention du peintre. Il convient d’évaluer en parallèle ce qui, chez Le Brun, ne semble pas provenir de lui. Nivelon, de manière significative, justifie le Porus blessé (fig. 2.2) au regard des témoignages discordants des historiens et en souligne la qualité de synthèse : Encore que les historiens ne soient point d’accord sur le rapport qu’ils ont fait de ce sujet, les uns disant qu’il arriva dans le camp de Porus, les autres que ce prince fut porté à Alexandre par des soldats, et les derniers qu’il fut mené dans un char14, cependant, quelque différents qu’ils soient, ne s’étant pas expliqués, ces trois incidents sont unis dans ce tableau pour une même fin (…) et la licence que M. Le Brun a prise est si d’accord avec la vraisemblance que cela produit de l’avantage au sujet et donne de l’instruction au spectateur15.

Il n’est en effet guère pensable que Le Brun se soit borné au seul Quinte-Curce ou à une position d’illustrateur, d’autant que d’autres historiens d’Alexandre étaient aisément disponibles en langue française et dans des traductions fameuses. Selon ce que l’on observe ordinairement en matière de peinture de sujets historiques, ses grands tableaux sur l’histoire d’Alexandre s’appuient donc sur plusieurs historiens. La synthèse du peintre au demeurant, loin d’être une infidélité envers l’histoire, peut produire une nouvelle intelligence d’un sujet. Plus prosaïquement, la nécessité d’explorer un grand nombre de sujets – si l’hypothèse d’un cycle de taille exceptionnelle doit être retenue – impliquait 14. Ibid., VIII, p. 647. 15. C. Nivelon, op. cit., p. 318.

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aussi que Le Brun ne se limitât pas à un historien. Il ne faut pas négliger d’ailleurs la commodité de certains textes, pour un peintre qui n’avait ni le loisir ni nécessairement l’ambition de connaître toutes les sources et pouvait se contenter d’une lecture en diagonale. De ce point de vue, l’Arrien de Perrot d’Ablancourt présentait l’avantage d’avoir un plan imprimé en marge, qui permettait d’y trouver un sujet plus aisément que dans la traduction de Vaugelas ; on relèvera ainsi qu’Arrien, s’il ne mentionne pas que Spitaménès ait eu une épouse et évoque en une ligne sa tête tranchée par les Massagettes (IV, trad. cit., p. 218), fait figurer l’épisode de manière très visible dans le plan de son ouvrage, de sorte que Le Brun a pu croiser les auteurs, notamment s’il travaillait vite, repérer le sujet chez les uns et enrichir son expression picturale grâce à Quinte-Curce. Son choix de représenter Alexandre et Cénus, autre sujet rare, pourrait de nouveau procéder d’un tel croisement. Cénus a chez Arrien une importance équivalente à celle de Parménion chez Quinte-Curce. Au livre V (p. 281-288), il répond longuement à la grande harangue d’Alexandre à ses soldats après la victoire sur Porus : les paroles rapportées étant rares chez Arrien, elles pourraient éclairer que cette harangue ait été choisie par Le Brun parmi les nombreuses autres rapportées par Quinte-Curce. Le rapport spécifique à Quinte-Curce pourrait toutefois être envisagé à un niveau plus diffus, mais non moins pertinent, si l’on songe aux conditions de réception et d’élaboration de ce genre de toiles. Plutôt que la citation de la lettre du texte, le peintre exprimerait le souvenir de son esprit. Le QuinteCurce de Vaugelas était particulièrement propre, par ses répétitions, à laisser une empreinte sur le lecteur. Il revient par exemple diverses fois sur l’imposant ordre de marche de l’armée de Darius et sur l’opposition entre l’armée macédonienne, légère et inférieure en nombre, et l’extraordinaire pesanteur de ses opposants, perses ou indiens, alignant les guerriers par milliers, les chariots par dizaines, quand ce ne sont pas de lourds éléphants. Or l’une des réussites de la Bataille d’Arbèles de Le Brun (fig. 2.1), par opposition avec celle de Cortone (fig. 2.3), est de parvenir à transcrire dans la trame perspective, des arrièreplans vers les premiers plans, le tournant et la résolution d’une bataille, où il convenait de briser la supériorité numérique perse, ses armements lourds et l’artifice destructeur de ses faux, pour s’imposer par la valeur des fantassins. La réduction des milliers de combattants suggérés au lointain à des affrontements individuels et l’issue qui en résulte sont génialement synthétisés, au premier plan au centre, par la figure du Perse, défait et pris d’effroi, figure isolée, en fuite, sans même un opposant direct, qui réécrit en l’intensifiant, par sa position et son expression, celle de Cortone (fig. 2.3). Chez ce dernier, elle s’impose comme l’une des quatre figures principales qui participe de l’expression

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du sujet ; chez Le Brun, elle devient le point d’orgue d’un mouvement continu qui, depuis le fond de la représentation jusque vers le spectateur, élimine les ennemis par milliers. L’esprit du combat paraît restitué, dans une expression qui gagne en intensité, qualité imputable au peintre sans doute, mais à un peintre probablement inspiré par Quinte-Curce. Les effets de répétition, fréquents chez Quinte-Curce sous des modalités diverses –mises en parallèle de motifs comme le sort des reines de Perse captives et celui, moins enviable, de Timoclée ; analepses et prolepses, tel le commentaire sur la détérioration future de la continence d’Alexandre lors de sa visite aux reines de Perse ; oracles et présages en grand nombre – peuvent encore éclairer l’attention portée par Le Brun à certains sujets. Si celui de la Mort de la femme de Darius, auquel Le Brun consacre une belle étude (inv. 29530), est, chez Quinte-Curce, une belle mais finalement brève description (« on eust dit qu’Alexandre pleuroit parmi les siens »), il est constitué en pendant des Reines de Perse par le texte même (« Il ne l’avoit veue en tout qu’une seule fois, qui fut le jour qu’elle fut faite prisonnière »), et par ses motifs, avec les mêmes figures éplorées : la mère de Darius, ses enfants, dont le tout jeune héritier du trône de Perse16. Lui sont en outre associés, non seulement le dialogue initial entre Alexandre et les captives à l’issue de la bataille d’Issos, mais encore de manière indirecte, la relation singulière entre Alexandre et Sysigambis (de vive voix ou par lettre) qui émaille l’ensemble du récit. La question de la peinture de sujets historiques, en effet, n’est pas tant celle des textes plus ou moins lus et précisément cités par un artiste, que celle de la manière dont une représentation riche et synthétique pouvait prendre vie chez le spectateur, par le double exercice de son regard et de la mise en relation de ce qu’il voit avec les textes dont il conserve la mémoire. Pareil exercice était propre à satisfaire le spectateur, en particulier le spectateur parisien, souvent encore peu éduqué sur le plan artistique, comme à soutenir une conception haute de la peinture. Le Brun ne représente pas toutes les péripéties d’un récit historique, mais opère une sélection, suffisante pour que le regard sur l’une de ses toiles enclenche un exercice de la mémoire, qui peut paraître aujourd’hui savant, mais qui était une pratique courante et assez désinhibée autrefois. Nivelon constitue de ce point de vue un important témoignage. Le prendre au pied de la lettre et vouloir en faire une source, à critiquer selon la méthodologie historique, nous égare. Nivelon vaut surtout par sa manière même de procéder, proposant non sans subjectivité et à partir de détails relevés dans les peintures, des interprétations fondées sur des associations, parfois fantaisistes 16. Quinte-Curce de Vaugelas, éd. cit., IV, p. 329-330.

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ou inexactes, mais qui ont la vertu de mettre en évidence la présence constante des textes à l’esprit des contemporains de Le Brun. Ainsi lorsque Nivelon voit dans le Porus blessé une allusion claire à la ruse d’Alexandre, qui demande à Ptolémée de tenir une position et franchit l’Hydaspe en amont, prenant de revers Porus17, ruse dont il convient de souligner qu’elle ne paraît guère représentée par Le Brun. Ainsi encore lorsque Nivelon commente la statue d’Hercule, certes remarquable, comme le signe qu’Alexandre s’est rendu dans le camp de Porus, interprétation qui, nous l’avons vu plus haut, n’est pas donnée par Quinte-Curce (même si Quinte-Curce commente la statue), interprétation que nous n’aurions pas nécessairement aujourd’hui, en étant peut-être tentés d’y voir une évocation générale de la valeur d’Alexandre. Le succès du Quinte-Curce de Vaugelas suffit en tout cas à en faire un élément majeur de l’horizon d’attente du xviie siècle en matière de représentation d’Alexandre, ce dont Le Brun ne pouvait qu’être conscient, quand bien même il ne se livre pas toujours à une citation précise et exclusive. L’art du détail, auquel il a souvent recours, s’inscrit probablement dans cette intégration, dès la création, du rôle de la mémoire des textes dans la réception active d’une peinture. Le détail ne doit pas être réduit à la citation d’une source précise, mais entendu comme une condensation18, synthèse de références textuelles. Dans Porus blessé, Le Brun peut se contenter d’un unique éléphant couché à gauche, qui suffit à éveiller le souvenir du long récit de Quinte-Curce, où les éléphants de Porus, en grand nombre, font peur aux Macédoniens et où s’ensuit la description, haute en couleurs, d’un véritable carnage, tandis que le motif de la mare au premier plan condense en quelques dizaines de centimètres de toiles plusieurs pages de considérations météorologiques. On prendra ainsi autant de plaisir à se remémorer les pages absentes qu’à admirer l’art du peintre comme ellipse parlante. Finalement, les peintures de l’histoire d’Alexandre, d’une rare efficacité dans ce qu’elles représentent, fonctionnent en partie avec ce qu’elles ne représentent pas, mais dont elles ménagent l’association. Il en est de même dans le dessin de la Mort d’Alexandre (inv. 29620/27658, fig. 2.5), où Le Brun, par le motif central et isolé de la petite table surmontée de tasses dans les premiers plans de la composition, ne cherche peut-être pas tant à illustrer la thèse de l’empoisonnement, défendue par Quinte-Curce (X, p. 734), qu’à susciter le souvenir de cette question en suspens, débattue par les historiens. 17. C. Nivelon, op. cit., p. 319. 18. Sur le fonctionnement du détail érudit, M. Cojannot-Le Blanc, « Le Brun, peintre savant ? », dans Charles Le Brun. Le peintre du roi-Soleil, op. cit., p. 58-65.

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Quinte-Curce, ainsi, peut être retrouvé sous le pinceau de Le Brun, probablement en raison de son goût pour les descriptions et les détails, par définition utiles en peinture, détails qui deviennent dans les toiles tantôt des citations littérales, tantôt des condensations ou des supports de cristallisations. Mais si Le Brun ne se contentait pas de Quinte-Curce et si ses spectateurs avaient toute l’histoire d’Alexandre en tête, Quinte-Curce ne revêtait-il pas d’autres attraits pour Le Brun et son public ?

Les choix de Le Brun rapportés aux qualités rhétoriques et dramatiques de Quinte-Curce La question de la présence de Quinte-Curce chez Le Brun mérite d’être posée en d’autres termes encore, du moins en ce qui concerne le corpus graphique. L’historien connut en effet les faveurs des Modernes grâce à son intensité dramatique, soutenue par de nombreux et longs dialogues. On souligne ordinairement à son propos l’importance du modèle rhétorique au sein de la trame narrative. Plutarque introduit certes à de nombreuses reprises des paroles d’Alexandre ou de courts échanges, de deux à cinq lignes19. Mais dans la traduction de Vaugelas, dialogues, monologues et harangues aux troupes occupent des pages entières et sont mis en valeur par des italiques, qu’ils soient en style direct ou indirect. Les dialogues sont l’occasion d’exprimer des conflits moraux, de faire assaut de vertus ou d’exalter la noblesse d’Alexandre ainsi que son aspiration à la gloire – Parménion, pouvant servir de faire-valoir en exprimant la pensée vulgaire20 ; les échanges et discours préparent des résolutions, des actions ou des retournements de situation et sont, à ce titre, des condensés de passions, parfois jusqu’au pathos, auquel l’art du traducteur ne répugne pas. Or Le Brun s’était emparé de la question des passions en peinture, en voulant peut-être s’inscrire à la suite, non seulement d’Apelle, mais encore de Polygnote, resté dans les mémoires pour avoir introduit dans la peinture la représentation des caractères21 (ethos). L’exécution des Reines de Perse par Le Brun en 1661 avait déjà été placée sous le signe des passions22, en stricte conformité avec le Quinte-Curce de Vaugelas, qui se distinguait par 19. 20. 21. 22.

Plutarque, trad. J. Amyot, op. cit., f. 464 v-492 v. Ainsi lorsqu’il est favorable à monnayer la liberté des princesses captives. M. Cojannot-Le Blanc, « Le Brun, peintre savant ? », art. cit. M. Cojannot-Le Blanc, « Il avoit fort dans le cœur son Alexandre… », art. cit., p. 62.

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le long dialogue, plein de respect réciproque, entre le roi macédonien et la mère de Darius23. Il est probable que ces échanges aient eu les faveurs des lecteurs, avec ces nobles déclarations que l’on pouvait aisément mémoriser, celle d’Alexandre à propos d’Éphestéion (« Non, ma mère, vous ne vous estes point trompée, car celuy-ci est aussi Alexandre ») ou celle de Sysigambis à Alexandre (« Tu m’appelles ta mère et tu m’honores encore du titre de reyne, et moy je confesse que je suis ta servante24 »). Dans la préface non paginée de l’édition de 1653, la traduction des dialogues par Vaugelas est évoquée. Ceux-ci entendent exprimer, par leurs tournures mêmes, la confrontation avec les Barbares, notamment grâce à l’oscillation concertée entre la deuxième personne du singulier et la deuxième personne du pluriel. Le sujet des Reines de Perse est pris en exemple : Pour ce qui est des harangues qu’il a traduites, il y fait quelquefois parler au nombre singulier ceux qui les font et quelquefois au pluriel, selon les endroits où il a jugé que l’un seroit plus à propos que l’autre. C’est pourquoy quand Alexandre parle à la mère de Darius qui estoit reyne, qu’il appelloit sa mère, et à laquelle il portoit autant de respect que si elle l’eust esté en effet, il luy fait user du pluriel pour marquer plus de tendresse et de déférence, mais quand cette mesme reyne parle à Alexandre, il luy fait user du singulier parce que cela se rapporte mieux aux coustumes des Barbares, qui n’avoient pas la délicatesse ou, pour mieux dire, la mollesse des Grecs. D’ailleurs, c’estoit comme une mère qui parloit à son fils et apres tout, le singulier est plus majestueux et a plus de dignité que le pluriel. Ainsi, quand les Scythes prononcerent devant Alexandre cette admirable harangue qui est dans le septiesme livre, il les fait parler au singulier bien qu’ils parlassent à un roy, afin que cela convinst mieux à la fierté de ces peuples, à la rudesse de leurs mœurs esloignés de toute politesse, et à la manière dont ils avoient résolu de luy parler.

Parmi les références textuelles, les dialogues occupent une place spécifique car ils frappent l’imagination et sont autant mémorables que les a­ ctions. C’est ainsi que, pour revenir un instant aux peintures, le Porus blessé suggère les circonstances de la bataille mais offre, de manière plus essentielle, le portrait d’une rencontre et d’un dialogue : « M. Le Brun a fait le choix de ce moment où ces deux fameux princes se disputent la victoire par une générosité peu ordinaire, Alexandre cédant à Porus tout ce que les droits de la guerre lui avaient acquis et Porus le reconnaissant pour le plus grand et le plus heureux25. » En 23. Arrien traite le sujet en deux pages (II, p. 94-95) ; Plutarque est plus disert et introduit un dialogue (f. 472 v), mais sans commune mesure avec l’ampleur du sujet chez Quinte-Curce. 24. Quinte-Curce de Vaugelas, III, p. 257-260. 25. C. Nivelon, op. cit., p. 318.

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cela, il ne fait pas de doute que le peintre s’est appuyé en priorité sur QuinteCurce, puisqu’Arrien offre un récit très concordant de la bataille (V, p. 256271), à l’issue de laquelle toutefois Porus, à l’opposé de la toile de Le Brun, « ne paroissoit point abattu de sa disgrâce mais s’aprochoit avec une contenance asseurée, comme un prince qui en vient trouver un autre après avoir vaillamment combattu pour la défense de son état », tandis que Plutarque propose un dialogue en style indirect de même teneur que Quinte-Curce, mais d’une grande concision (f. 487 r). On peut faire l’hypothèse que les sujets esquissés par Le Brun entretenaient avec Quinte-Curce un lien plus net et plus exclusif que les peintures achevées, s’appuyant sur des passages particulièrement développés par l’historien, au moyen d’effets dramatiques et, assez souvent sinon toujours, de dialogues, monologues intérieurs ou harangues26. Ainsi en est-il, de manière évidente, pour le sujet rare d’Alexandre et Cénus, renvoyant à l’une des dernières harangues de Quinte-Curce27, où l’officier plaide en vain l’épuisement de ses troupes auprès de son monarque (inv. 29531, fig. 2.6). Ainsi en est-il encore pour Alexandre pardonnant à Timoclée, dont l’évocation repose sur un bref mais très émouvant dialogue28. La tendance de Quinte-Curce à dramatiser certains épisodes a sans doute contribué à les graver dans les esprits et est susceptible d’éclairer les choix un temps envisagés par Le Brun29. Celui-ci, ainsi, ne reprit pas le sujet d’Alexandre et Diogène, pourtant idéal pour souligner la vertu d’Alexandre et qui avait une certaine tradition iconographique. Mémorable mais finalement bien peu passionnel, l’épisode tenait en deux lignes : « S’il n’était Alexandre, il voudrait être Diogène30. » Alexandre et son médecin Philippe, pour lequel Le Brun conçut un dessin d’ensemble (inv. 29506, fig. 2.7) et deux études de figures, prenait à l’inverse chez Quinte-Curce un tour on ne peut plus dramatique31. Alexandre, gra26. Alexandre tranchant le nœud gordien (III, p. 209-210) constitue une exception, étant un sujet brièvement évoqué et sans dialogue. 27. Quinte-Curce de Vaugelas, IX, p. 663-664. 28. Ibidem, I (Suppléments à Quinte-Curce), p. 98-99. 29. En matière de choix des sujets, je ne reviens pas sur le point bien établi par C. Grell et C. Michel (L’École des princes ou Alexandre disgracié. Essai sur la mythologie monarchique de la France absolutiste, Paris, 1988), selon lequel les représentations figurées de l’histoire d’Alexandre reposent sur un nombre limité de sujets, en raison de l’importance de la répétition dans le domaine visuel – tout nouveau sujet court le risque de ne pas être identifié – mais aussi de l’ambivalence d’Alexandre. Si cet aspect sous-tend le mythe chez les historiens et en littérature, la peinture, qui doit être édifiante et sans ambiguïté, privilégie l’Alexandre vaillant et continent. 30. Ibid., I (Suppléments à Quinte-Curce), p. 79. 31. Ibid., III, p. 224-231.

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vement malade, doit attendre trois jours avant de pouvoir boire le remède concocté par Philippe ; survient la lettre de Parménion accusant Philippe de fomenter l’assassinat du roi ; Alexandre hésite pendant deux jours, choisit de cacher la lettre, puis boit sans hésiter le remède de Philippe d’une main, tenant de l’autre la lettre de Parménion qu’il donne à lire à Philippe, dans une scène théâtrale. La version de Quinte-Curce (p. 224-231) est ici beaucoup plus longue et élaborée que celles d’Arrien, de Diodore de Sicile et de Plutarque (f. 471 r.), qui mentionne la lettre mais où Alexandre boit « sans hésiter et sans soupçon32 ». Quinte-Curce intensifie au contraire l’épisode, en multipliant les discours : regrets des soldats voyant Alexandre à l’article de la mort ; regrets de celui-ci à l’idée que sa destinée s’interrompe, suivis de son discours aux médecins, les incitant à ne pas être timides ; réponse des médecins évoquant la possibilité d’une infidélité dans leurs rangs ; monologue d’Alexandre après réception de la lettre de Parménion ; pour finir, discours de Philippe après la lecture de la lettre de Parménion, suivi de la réponse d’Alexandre mettant en valeur sa confiance. Le Brun retient l’apogée de l’intensité dramatique, l’instant où Alexandre, rempli de fides, boit tout en présentant la lettre à Philippe, instant longuement préparé par Quinte-Curce, que le spectateur pouvait d’autant plus intensément goûter qu’il était capable d’associer à ce geste l’ensemble du récit et de la délibération d’Alexandre. S’agissant du Voyage d’Alexandre en Judée (inv. 29498, fig. 2.8), il semble même que le souvenir du dialogue du Quinte-Curce de Vaugelas ait été indispensable à la bonne compréhension de la scène représentée. Nivelon note que « c’est dans ce moment que Parménion lui fit une manière de reproche : qu’il s’étonnait qu’Alexandre se prosternât devant le prêtre des Juifs. La réponse de ce prince fut que ce n’était pas à ce personnage qu’il rendait un devoir mais que c’était pour révérer ce qui était écrit au-dessus de son front33. » La mémoire du dialogue est ici indispensable puisqu’elle permet de comprendre autre chose que ce qui est représenté, de ne pas s’arrêter à l’image apparente et problématique d’un Alexandre prosterné. Les dialogues et les passions, à l’honneur chez Quinte-Curce, pouvaient être augmentés par Vaugelas. On sait que Le Brun envisagea de traiter le sujet de la Mort de Darius en très grand format et qu’il y consacra plusieurs études. Chez Arrien, la mort est seulement mentionnée (les traîtres, voyant 32. I. Yakoubovitch, « Échos, diptyques et effets de bouclage : la construction du portrait d’Alexandre chez Quinte-Curce », dans L’Histoire d’Alexandre selon Quinte-Curce, dir. M. Mahé-Simon et J. Trinquier, Paris, 2014, p. 127. 33. C. Nivelon, p. 324-325.

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Alexandre approcher, s’enfuient après avoir tué Darius de sorte que « quand le prince y arriva, il estoit déjà mort », III, p. 166) et Plutarque, proche de Quinte-Curce sur le fond, est une fois de plus assez bref (f. 481 r). Le QuinteCurce de Vaugelas en revanche donne à son récit des accents particulièrement dramatiques34 : après de longues pages évoquant la trahison de Bessus et Nabarzanès, qui espèrent, en livrant leur propre roi enchaîné, s’attirer les faveurs d’Alexandre, Darius est décrit « esclave de ses esclaves et jeté sur une vile charette couverte de méchantes peaux », livré à la risée, torturé, laissé pour mort. Il prononce alors, dans un ultime effort, un noble discours de remerciement et d’hommage à Alexandre, dont on apprend par une annotation en marge qu’il a « esté supplée de Justin par le traducteur ». Alexandre, auquel on a rapporté les dernières paroles de Darius, vient aussitôt et, pleurant sur le corps de son ennemi, le revêt de son manteau. Il semble donc bien que ce soit le récit détaillé et terrible du Quinte-Curce de Vaugelas qui ait invité Le Brun à exprimer en très grand format ce sujet riche, à propos duquel Nivelon souligne qu’il « en renferme deux autres », la trahison de Bessus et la grandeur d’Alexandre. La composition était centrée sur le geste final d’Alexandre jetant son manteau, geste qui prenait sens par rapport à l’ultime discours de Darius (inv. 29532), mais elle reprenait aussi des éléments marquants du récit, en particulier la charrette sur laquelle avait été jeté le corps. Le choix de Le Brun de représenter la femme de Spitaménès faisant apporter la tête de celui-ci par un esclave en la présence des généraux d’Alexandre repose enfin de nouveau, selon toute vraisemblance, sur un souvenir de Quinte-Curce35. Celui-ci, à la différence d’Arrien par exemple, développe, non sans complaisance, le rôle de l’épouse infidèle, en multipliant les détails sur les mœurs barbares. Lasse de passer une vie itinérante et dangereuse, l’épouse cherche à dissuader Spitaménès de poursuivre sa lutte sans merci contre Alexandre. Celui-ci, passionné et imaginant son épouse encline à passer sous la domination d’Alexandre, menace de la tuer et lui ordonne de disparaître. Mais n’arrivant pas à se consoler avec ses concubines, il la rappelle. Les conjoints se réconcilient, dans un dialogue où l’un, éperdument amoureux, n’entend pas renoncer au combat (« il mourroit plustost que de se rendre ») et l’autre est faussement repentie (« elle n’auroit jamais de volonté que celle de son cher mary »). Tout à sa joie, l’époux s’enivre dans un festin. La nuit, son épouse lui tranche la tête. Elle se rend couverte de sang au camp d’Alexandre, qui se montre partagé entre la joie d’être débarrassé d’un ennemi 34. Quinte-Curce de Vaugelas, V, p. 435-437. 35. Ibid., VIII, p. 587-590.

l’Alexandre de Le Brun à la lumière du Quinte-Curce de Vaugelas 539

et l’horreur suscitée par la barbarie de ce crime, même si ce second jugement finit par l’emporter. L’épisode, qui n’a pas une grande fortune en peinture, fait à l’évidence partie des ornements du récit de l’historien romain (dialogues, coup de théâtre), où Alexandre toutefois n’apparaît que rapidement, à la fin, et non sans ambiguïté sur le plan moral, éléments qui peuvent assez aisément expliquer l’abandon du sujet. S’il avait été relevé que les sujets envisagés par Le Brun étaient tirés de Quinte-Curce, la référence demeurait à expliciter dans ses modalités comme sa nature. Celles-ci engagent la question de la transcription des dialogues au moins autant que celle, réductrice, de la citation de détails précis. Pour honorer la finalité édifiante de la peinture de sujets historiques et les exigences plus spécifiques de la peinture de très grand format, les études de Le Brun substituent le modèle ample du conflit moral et de la délibération à celui, plus concis et incisif, de la sentence. Si cette lecture est exacte, il reste à expliquer pourquoi l’attention particulière portée aux sujets dramatiques tourna court. Il est en effet certain que les peintures achevées obéissent à d’autres principes que les compositions restées à l’état d’étude, décrivant des actions plutôt que des passions, reposant sur des descriptions omniscientes plutôt que sur des dialogues. Il n’est ainsi pas indifférent que Le Brun se soit tardivement mis à peindre une bataille contre Porus, pour compléter ou remplacer son Porus blessé. Les causes externes (contexte politique, attentes royales) ou internes (les limites de l’évocation des dialogues en peinture) sont impossibles à établir avec certitude, mais il est permis de penser que les études de Le Brun pour l’histoire d’Alexandre sont un témoin remarquable de la « peinture d’histoires », comme on l’écrivait encore, en tant que catégorie empirique, et non théorique. Marianne Cojannot-Le Blanc Université de Paris-Nanterre EA 4414 HAR

Quinte-Curce, source de créativité pour les auteurs dramatiques français du xviie siècle À la suite de Jacques de La Taille, dont la tragédie intitulée Alexandre fut publiée de façon posthume en 1573 par les soins de son frère, au moins cinq poètes dramatiques du xviie siècle se sont inspirés d’événements issus de la geste du plus grand conquérant de l’Antiquité : Hardy, avec La Mort de Daire et La Mort d’Alexandre1 (publiées en 1626), Desmarets de Saint-Sorlin avec Roxane (1639), Baro avec Parthénie (1642), Boyer, en donnant Porus ou la générosité d’Alexandre (1648) et enfin, Racine, dont Alexandre le Grand fut la deuxième tragédie, représentée fin 1665. Sur ces cinq auteurs, trois se réfèrent explicitement à l’unique œuvre de Quinte-Curce, les Historiae2, comme si elle avait constitué pour eux une lecture préparatoire. Il convient d’abord d’examiner pour chacun la fiabilité et le but de cette mention. Par ailleurs, écrire qu’un sujet est « puisé » (Hardy) ou « tiré » (Racine) de cet historien3 ne désigne pas une opération précise. Un poète dramatique sélectionne plus ou moins parcimonieusement des faits historiques mais leur abondance dans la constitution de l’action ne constitue pas forcément une garantie de sa fidélité à l’esprit du texte-source. Pour apprécier l’exploitation du récit historique, nous estimons qu’il convient plutôt d’examiner la structure donnée à la pièce, même lorsque la part d’invention n’y est pas négligeable : la réécriture minimale consiste à développer et mettre en vers telle prise de parole du récit historique mais il est un art d’adapter les narrations soit en les insérant au passé dans une tirade soit en changeant leur 1. Cet auteur productif a aussi écrit, probablement d’après « Vertus de femmes », traduites en 1572 par Jacques Amyot dans les Œuvres morales de Plutarque, une tragédie intitulée Timoclée : elle ouvre le Théâtre d’Alexandre Hardy Parisien, Tome cinquiesme, Rouen, D. Du Petit Val, 1628 : l’héroïne, une noble thébaine, qui, violée par un capitaine d’Alexandre après la prise de sa cité, s’en venge en le frappant à mort à coups de pierres, comparaît devant Alexandre, qui la gracie. Cet exemplum devait être évoqué dans les deux premiers livres manquants de Quinte-Curce. 2. La traduction réalisée en français par Vasque de Lucène pour Charles le Téméraire connut une première impression vers 1500 ; après plusieurs autres traductions, Vaugelas donna la sienne en 1653. Cependant les trois auteurs pouvaient lire sans grand effort le texte latin. 3. Cette qualité est parfois contestée à Quinte-Curce parce qu’il se soucie peu de dater avec précision. Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 541-557 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115415

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statut par leur transformation en exposé d’un projet arrêté ou s’élaborant sous les yeux du public par le dialogue, sa réalisation s’effectuant sur ou hors scène ; l’omniscience de l’historien est-elle reflétée par le mode d’enchaînement des scènes et des actes ? Enfin, alors qu’elles prennent souvent leur origine dans une saisie globale de la vie du grand conquérant et les jugements moraux exprimés par Quinte-Curce, cette « part d’invention » et la conception même des caractères environnant le personnage d’Alexandre ne pourraient-elles refléter plus fidèlement l’esprit de l’œuvre latine que l’adaptation minutieuse d’un large extrait ?

La caution de Quinte-Curce À la fin de l’argument de La Mort d’Alexandre, Hardy précise4 : « Plutarque et Quinte-Curce d’où ce sujet est puisé contenteront les curieux qui en désirent savoir davantage. » Cette référence lui permet de montrer qu’il a travaillé de manière sérieuse sur « ce Monarque Macédonien plus grand encore d’effets que de nom5 » pour écrire dans le genre tragique. Néanmoins le dénouement de la pièce se conforme plutôt à la version de l’historien latin qu’à celle de Plutarque car le héros de Hardy périt brutalement, empoisonné comme Quinte-Curce en émet l’hypothèse dans son livre X, tandis que l’historien grec non seulement fait durer plusieurs jours sa maladie mal identifiée mais affirme que le décès par empoisonnement est « une fable faite à plaisir ». Pour les jours qui ont immédiatement précédé l’agonie du conquérant, le texte de Quinte-Curce étant lacunaire, Hardy suit forcément Plutarque, qui évoque nombre de présages funestes, tout en blâmant la superstition, terrible passion, qui « glace de terreur » ; Hardy en mentionne quelques-uns et fait même représenter l’un d’eux, symbole fort de la fin prochaine du grand roi : au début de l’acte III, un page découvre dans la salle des bains et sur le siège royal un intrus inconnu ; son effrayant silence ne cesse que lorsqu’on l’interroge ; comme chez l’historien grec, l’usurpateur symbolique du trône, « Denis » (Dionysos chez Plutarque), se dit originaire de Messine, délivré de sa prison par le dieu Sérapis et chargé par lui de s’asseoir sur le trône. L’emprunt à 4. Théâtre d’Alexandre Hardy Parisien, Tome quatriesme, Rouen, D. Du Petit Val, 1626, p. 77. Dans les Vies parallèles de Plutarque, les vies d’Alexandre et de César forment un diptyque. La traduction que Jacques Amyot en réalisa de 1559 à 1665, les Vies parallèles des hommes illustres, grecs et romains, comparées l’une avec l’autre, remporta un immense succès, prolongé au xviie siècle. 5. Épître en tête du Théâtre d’Alexandre Hardy Parisien, Tome quatriesme, cité, [p. iii].

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Quinte-Curce concerne les préparatifs de l’empoisonnement par Antipater, Cassandre et Iolas (II, 1) ainsi que les effets physiques de la liqueur mortifère bue dans « la coupe d’Hercule », les premiers étant rapportés par le page (IV, 1) puis leur suite vue sur le héros jusqu’à la fin de la tragédie : ces événements ne font l’objet que de dix lignes chez Quinte-Curce (X, 10), fort scrupuleuses (« Je reproduis ici une tradition plutôt qu’une conviction6 ») et écrites avec retard, après qu’il a évoqué la division de l’empire quand il aborde les funérailles du héros, au corps prétendument intact au bout de huit jours. Iolas, fils d’Antipater qui « aspirait à la royauté » aurait versé le poison, apporté de Macédoine par son frère Cassandre. En revanche, la provenance précise du poison, la ville de « Nonacris », nommée par l’Antipatre de Hardy, est donnée par Plutarque au moment même où il réfute la thèse du complot. Pour La Mort de Daire, Hardy n’évoque aucune source7. Toutefois, dans la mesure où Quinte-Curce et Plutarque lui sont familiers pour La Mort d’Alexandre et où les deux pièces paraissent avoir été représentées à des dates proches – respectivement 1619 et 1621 –, les sources en sont vraisemblablement les mêmes et l’on est tenté de penser que Hardy a davantage utilisé QuinteCurce car, n’ayant pas pour projet de comparer deux figures historiques, d’époque et de nationalité différentes, l’historien latin se révèle bien plus précis que Plutarque dans les détails concernant l’histoire des Achéménides, aubaine pour un dramaturge qui fait d’un Perse le héros éponyme de sa tragédie. Fréquemment d’ailleurs, les récits de Quinte-Curce s’opèrent selon une double polarisation, sur le conquérant et son adversaire, quand celui-ci en vaut la peine, car comme l’écrit Racine, « les louanges qu’on donne au Vaincu

6. Nous suivrons constamment la traduction proposée sur la toile par la Bibliotheca Classica Selecta, légèrement retravaillée à partir de celle d’A. Trognon, Œuvres complètes de QuinteCurce, Paris, 3 t., 1828-1830 (http://bcs.fltr.ucl.ac.be/Curtius/Notices.html, dernière consultation le 28 avril 2017). 7. Nous suivrons pour La Mort de Daire le texte de l’édition originale de la tragédie, dans le « Tome quatriesme », cité plus haut, du Théâtre de Hardy. La mort d’Alexandre est le sujet d’une tragédie de Jacques de La Taille et celle de Daire (Darius) a inspiré le même auteur, auquel Hardy a pu se référer. Dans sa dédicace de la pièce de son frère, Jean de La Taille écrit (« À François d’Angennes chevalier, Seigneur de Monlouët », par Jean de La Taille, dans Daire, Tragédie de feu Jacques de la Taille, du Pays de Beauce, Paris, Fédéric Morel, 1573, f. 3 r) : « […] je m’assure que, voyant un si grand monarque trahi et bouleversé du haut en bas de son empire, avec la perte de sa vie et des siens, vous en pourrez au moins recueillir ce fruit d’apprendre à supporter plus patiemment, par le malheur d’un plus grand, toutes nos adversités, ensemble toutes les piteuses et sanglantes tragédies qu’on a depuis dix ou douze ans jouées sur l’échafaud de France. »

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retournent à la gloire du Vainqueur » (1ère préface d’Alexandre8). Le reflet du mode d’exposition des faits historiques, dans la structuration de cette tragédie à deux héros, mérite une étude approfondie. Quant à Balthasar Baro (1596-1650), devenu dramaturge après avoir a­ chevé la rédaction de la partie V de L’Astrée de d’Urfé, dont il était secrétaire, c’est lui qui a le plus précisément exposé sa perception de l’œuvre de Quinte-Curce et le travail d’invention et de dramatisation qu’il a effectué à partir d’elle pour composer sa Parthénie, tragédie à fin heureuse qui ne dit pas son nom9. En libérant son imagination dramatique à partir de quelques lignes jugées trop discrètes de Quinte-Curce, l’auteur propose une sorte de contre-image d’Alexandre arrêté jusqu’à la dernière scène dans sa démarche de conquête. Comme le titre le suggère, le sujet n’est nullement la geste spectaculaire du grand homme mais une crise provoquée par une obsession passionnelle ; Baro estime suivre la même démarche sévère que l’historien latin car il affirme au lecteur que « celui-ci, lui [à Alexandre] a rendu ce mauvais service avant que moi », tandis que les critiques que put leur adresser Plutarque restèrent plutôt discrètes. Porus ou la générosité d’Alexandre de Boyer (1618-169810) n’est pas une tragédie, mais une tragi-comédie, qui, selon l’auteur, aurait remporté une grande approbation sur le théâtre. Écrire dans le genre tragi-comique impliquait une grande liberté et l’on pouvait se passer de toute caution historique. L’action choisie se déroule en Inde. De nombreux spectateurs connaissant les événements, impossible de modifier des éléments essentiels de la conquête de cette lointaine contrée par Alexandre ; en revanche, on pouvait inventer des personnages, modifier ceux qui n’étaient connus qu’approximativement, pratiquer quelques extrapolations. Ainsi Boyer a réutilisé, pour la prêter à Porus, la jalousie infondée qui avait historiquement été celle de Darius III : selon Plutarque et Quinte-Curce, épouse, mère et filles du souverain perse étaient restées prisonnières du roi macédonien après Issus et, apprenant la mort de son épouse, puis, aussitôt après, les funérailles respectueuses et somptueuses qu’Alexandre lui avait organisées, Darius avait un temps soupçonné une liaison du conquérant avec son épouse. Boyer affecte le roi indien de la même jalousie, en lui donnant une épouse prisonnière d’Alexandre mais bien vivante, et il prête à son héros éponyme un comportement des plus romanesques : 8.  Racine, Œuvres complètes, I, éd. G. Forestier, Paris, 1999, p. 126. 9. La Parthenie de Baro, dédiée à Mademoiselle, Paris, Antoine de Sommaville, 1642 ; texte modernisé par L. Picciola, à paraître dans les Classiques Garnier. 10. Porus ou la générosité d’Alexandre, Tragédie, Paris, Toussainct Quinet, 1648.

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Porus s’introduit clandestinement dans le camp d’Alexandre comme s’il faisait partie de la suite de son propre ambassadeur ! Il parvient même à se ménager une entrevue avec sa prétendue épouse, baptisée Argire, qui s’indigne des accusations d’infidélité, fondées sur le témoignage d’un traître. La jalousie que les historiens prêtaient à Darius III, vite née, vite apaisée, n’alimentait qu’une scène chez Hardy ; au contraire, comme Boyer fait d’Argire un personnage présent et réactif, les tourments de Porus, blessé dans son honneur et son affectivité, fournissent matière à plusieurs actes. De surcroît, l’auteur complique l’action en prêtant également des aventures amoureuses aux filles de Porus alors qu’il est fort peu question de celles de Darius chez QuinteCurce ou chez Plutarque11. En conséquence, nous ne nous attarderons guère sur cette dramaturgie12 où le grand conquérant, peu envisagé dans la guerre, se trouve comme au-dessus des agitations de l’amour, cette réserve expliquant et garantissant sa grandeur et son équité. Le Porus de Boyer eut peut-être toutefois le mérite d’attirer l’attention de Racine sur ce moment de la geste d’Alexandre. Le génie inventif du futur rival de Corneille se révèle également fertile puisqu’il introduit une reine indienne imaginaire, Axiane, et que d’une autre, Cléophile, qui eut effectivement un enfant du conquérant13, il fait la sœur du roi indien Taxile. Alors que Quinte-Curce le donne comme promptement et définitivement rallié à Alexandre, cet Indien devient versatile sous la plume racinienne, qui le montre tantôt patriote, tantôt collaborateur, et qui attribue ces revirements non pas à des causes politiques mais aux mouvements de ses sentiments successifs. Malgré la supériorité indéniable de cette tragédie racinienne sur la tragi-comédie de Boyer, les deux pièces sont toutes deux animées du souci d’assurer sur la scène une forte présence de la galanterie, qui plaisait au public. 11. Même si, après la mort du roi perse, Alexandre épousera Statira, fille de Darius. 12. Nous délaissons plus encore la Roxane de Desmarets de Saint-Sorlin dont le seul rapport avec l’histoire consiste dans le mariage d’Alexandre avec la fille éponyme d’un satrape. L’auteur rattache avec la plus grande fantaisie à cette union le meurtre historique de Clitus par le roi macédonien. L’humilité d’Alexandre liée au remords de son geste lui vaut l’amour de Roxane… Voir F. Greiner, « Alexandre revu par Desmarets de Saint-Sorlin : un généreux à la mode galante », dans L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne ( fin xve-xixe siècle). Théâtre et opéra, dir. C. Gaullier-Bougassas et C. Dumas, Turnhout, 2017, p. 205-216. 13. Selon Quinte-Curce (VIII, 10, trad. cit.), Cléophis « ayant mis aux genoux du roi son fils, encore en bas âge, obtint avec son pardon tous les honneurs de son ancienne fortune. Le titre de reine lui fut conservé ; et l’on a cru qu’elle dut cette faveur à sa beauté bien plus qu’à la pitié du vainqueur. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’ayant par la suite donné le jour à un fils, cet enfant, quel que fût son père, reçut le nom d’Alexandre ». Elle est peu responsable de la défaite de sa cité, le roi, son fils, venant de mourir.

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Certes, par le titre donné à la pièce et par l’insistance de la première préface qui débute par le rappel de « tout le huitième Livre de Quinte-Curce14 », Racine semble vouloir parer son œuvre du lustre de l’histoire. Cependant la place importante qu’y occupent les douceurs d’amour en diminue la dignité alors qu’à la même époque, dans la Sophonisbe et le Sertorius de Corneille, l’intérêt d’État prédomine toujours : bien que cet auteur ait autrefois montré les amours d’un conquérant et d’une reine subjuguée, celles de César et de Cléopâtre, Saint-Évremond s’est attaché à montrer la restriction de leur fonction dans l’économie de La Mort de Pompée15. L’historien latin ne serait-il donc mentionné dès la première ligne de la préface de ce jeune auteur sensible aux dramaturgies à la mode que parce que Vaugelas lui avait conféré une grande notoriété par sa belle traduction ? En fait, bien que le grand guerrier s’efface souvent chez Racine au profit d’un Alexandre amoureux, on peut estimer que c’est bien chez Quinte-Curce que le poète a trouvé l’idée que Taxile meurt sous les coups de Porus ; il ne fait que rendre plus motivée et plus théâtrale une opposition entre les deux rois indiens qui est plus indirecte et seulement politique dans les Historiae, où c’est le frère du roi traître que Porus, hors de lui, perce d’un trait.

Des affrontements de l’histoire aux affrontements de la tragédie Structures d’affrontements dans une tragédie irrégulière : Darius et Alexandre dans La Mort de Daire En choisissant pour titre La Mort de Daire, Hardy semblait devoir suivre les pas de Jacques de La Taille et concentrer l’attention des spectateurs sur le seul roi perse, Alexandre n’intervenant qu’in fine pour recueillir et exécuter les dernières volontés de vengeance du Perse mourant, assassiné par le satrape Besse et son complice Nabarzane. De La Taille, en bon humaniste, respectait ainsi l’unité de lieu, précisant que « la scène se représente en Ecbatane, ville métropolitaine de Médie », donc au terme de la longue fuite de l’insaisissable Darius, ainsi que l’unité de jour : oublieux de la structure du récit historique, il s’en tenait à un moment restreint. 14. En fait, l’arrivée d’Alexandre en Inde ne se situe qu’au chapitre 9, ses relations avec Omphis-Taxile occupent la moitié du livre XII, et seuls les chapitres 13 et 14 sont consacrés à la guerre avec Porus. 15. Dans Œuvres meslées (Paris, Claude Barbin, 1670), « Dissertation sur la tragédie de Racine, intitulée : Alexandre le Grand » (1666).

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Au contraire, les événements qu’évoque Hardy embrassent en fait de nombreux chapitres et s’étendent sur une période de plusieurs mois. Au chapitre 9 du livre IV des Historiae, comme le conquérant macédonien se rapproche des troupes de Darius, qu’il poursuit, on assiste aux premières hostilités, qui, tournant au désavantage de Mazée, préparent la bataille d’Arbèles, retardée néanmoins par le décès et les obsèques de la femme de Darius, prisonnière d’Alexandre : ces prémices constituent la matière des deux premiers actes de la tragédie de Hardy, les faits mentionnés dans la pièce étant essentiellement tirés des chapitres 10 à 15. Comme les restes de l’armée de Darius s’évanouissent dans la Médie, les premiers chapitres du livre V sont consacrés par l’historien latin à la consolidation de la victoire remportée à Arbèles, à la jouissance de divers profits tirés par Alexandre de ses conquêtes et à la destruction par le feu de la ville de Persépolis ; puis le récit latin revient à Darius, montré encore comme prêt à se battre parce que lassé d’une honteuse fuite. Hardy puise alors la matière de nouvelles scènes dans les chapitres 8 à 13 de ce livre V : Quinte-Curce les consacre largement au complot de Bessus et de Nabarzanès, ne considérant plus que le côté des Perses jusqu’à ce qu’Alexandre rejoigne tous ceux qui n’ont pu fuir, dont Darius III. De surcroît, certaines allusions, notamment la réponse faite par Alexandre à une lettre de Darius, renvoient aux échanges épistolaires des chapitres 5 et 10 du livre IV. L’évocation des ambitions du satrape Bessus commence chez Quinte-Curce au début du chapitre 6 de ce même livre, bien qu’elle n’y occupe que quelques lignes, mais elle prépare le grand événement tragique que constitue le meurtre du roi perse au livre V. L’action de La Mort de Daire n’est pas non plus confinée dans un espace restreint au camp des Perses, même si chez De La Taille, il convient seulement d’imaginer que Darius puisse légèrement se déplacer, de sa tente au chariot près duquel il mourra, à proximité d’une source. Si les tragédies d’Alexandre Hardy et de Jacques de La Taille produisent des effets aussi opposés, c’est parce que chez le premier on trouve une alternance régulière, et au sein d’un même acte, de scènes ou de tableaux situés dans le camp de Darius et de scènes situées dans le camp d’Alexandre. Par là, Hardy suit avec beaucoup d’exactitude l’ordre de la narration choisi par Quinte-Curce. Qu’on en juge : I, 1, dans le camp de Darius ; I, 2, dans le camp macédonien ; II, 1, dans le camp de Darius ; II, 2 et II, 3 dans le camp macédonien ; III, 1 et III, 2, dans le camp de Darius ; III, 3, dans le camp macédonien ; IV, 1 et IV, 2, dans le camp de Darius ; IV, 3, dans le camp macédonien (ici on doit noter une différence avec le récit de Quinte-Curce, qui ne ramène pas auprès d’Alexandre) ; IV, 4, dans le camp de Darius ; V, 1 dans un lieu proche du camp de Darius ; V, 2 et V, 3 dans l’armée mobile d’Alexandre,

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non loin du lieu précédent, les Perses fuyards ayant été rejoints par le grand conquérant. Cette alternance se révèle porteuse de signification : De La Taille concentrait toute l’attention sur la mort annoncée du roi perse, comme isolé dans son camp devant l’échéance fatale, réduit à son individualité même si sa pensée le libérait et le grandissait en le faisant passer du côté d’Alexandre dont il reconnaissait la générosité ; Hardy, lui, manifeste, comme l’historien, le souci de ne jamais désolidariser les trajectoires respectives des deux adversaires. Chez lui est beaucoup plus sensible l’idée que la chute de l’un et l’ascension de l’autre sont concomitantes. En cela, on peut retrouver chez Hardy le goût quasiment européen de traduire sur scène le mouvement de la roue de la Fortune16. L’élévation de l’un implique la descente dans l’abîme de l’autre mais signale en même temps – on trouve à plusieurs reprises le propos dans la bouche de Daire – qu’il ne saurait rester bien longtemps dans les cimes du succès. De plus, Hardy ne se contente pas d’introduire alternativement le spectateur du côté de Daire et du côté d’Alexandre, car, outre que l’action embrasse une longue période, elle doit faire percevoir des déplacements : La Mort de Daire est la double histoire d’une fuite malheureuse et d’une avancée triomphale. Si plusieurs scènes se déroulent aux alentours de la tente de Daire, cette tente ne se situe pas toujours au même endroit. Le Perse s’est arrêté près d’Arbèles avant la bataille, qui a lieu entre l’acte II et l’acte III, mais on comprend, au dialogue de Besse et Nabarzane qui ouvre l’acte III, que sa fuite l’a amené non loin de la Bactriane ; quand Alexandre va le rejoindre pour la dernière fois, au début de l’acte V, Darius ne se trouve plus près de sa tente mais près d’une source, où Besse et Nabarzane l’ont abandonné, où Polistrate le découvre mourant. Une scène à décors soudés était donc indispensable pour représenter ces trois endroits où Darius s’exprime. Pour autant, Hardy n’a pas renoncé non plus à représenter deux campements macédoniens différents. Une modification dans la liste des acteurs a aussi des conséquences dans la prise de conscience de l’espace parcouru : le personnage de Polistrate, qui assiste le roi perse dans ses derniers moments et recueille ses vœux ultimes, était perse lui-même chez De La Taille et il part chercher Alexandre ; chez Hardy, il est macédonien. Ainsi la découverte de Darius par un des hommes du vainqueur d’Arbèles révèle une avancée de ses troupes encore plus rapide. Toutefois, au sein même du goût de Hardy pour la forte présence de l’histoire, le sens du tragique ne se perd nullement. Chez lui, nous comptons seize personnages, auxquels il convient d’ajouter deux chœurs différents et 16. Qu’on se réfère à cet égard aux pièces historiques de Shakespeare ou d’Antonio Mira de Amezcua.

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une troupe de soldats ; chez De La Taille dix personnages et un seul chœur. Ce qui annonce la mort de Daire, c’est notamment sa solitude. Alors que de nombreux généraux-conseillers, Parménion, Éphestion, Ménide, Perdice, Cratère, entourent Alexandre, Daire n’a auprès de lui, en dehors des deux traîtres, que le vieux et fidèle Artabaze et Masaee ; encore ce dernier, bien discret dans la première scène de l’acte II, disparaît-il à partir de l’acte III17. De beaux couplets sont confiés au chœur des Argyraspides macédoniens, au demeurant longtemps présents dans l’acte II ; si la bataille d’Arbèles n’est pas représentée sur scène, du moins ce chœur devait-il y avoir fière allure, à condition qu’on l’ait bien muni des fameux boucliers d’argent. La troupe de soldats de Darius est bien mentionnée et l’on peut penser qu’au début de l’acte II, leur roi s’adresse à eux en même temps qu’à Masaee mais aucune parole ne leur est prêtée. Effacement scénique des forces militaires de Daire, donc, remplacées symboliquement à la fin de la pièce par un chœur de filles, qui se lamentent… Enfin, si Hardy ne recourt pas au récit de la bataille, celle-ci est néanmoins présente dans l’analyse des forces en présence à laquelle procède Alexandre et surtout dans son long exposé de la stratégie qu’il compte appliquer avec ses généraux et qui coïncide avec le déroulement des combats que décrit Quinte-Curce. En revanche, alors que l’historien latin montre d’abord Darius qui encourage ses troupes en passant parmi elles puis lui prête un très long discours qui fait écho à celui d’Alexandre, Hardy ne lui permet pas de s’exprimer après ce dernier. En quelque sorte, le Daire de la tragédie perd d’abord la bataille de la parole…

Structures d’affrontements dans une tragédie régulière : Porus et Alexandre dans Alexandre le Grand Dans les premières lignes du chapitre 13 du livre X de l’historien, Alexandre croit que l’exemple du roi indien Abisarès va être suivi par d’autres rois, à la seule demande de l’ambassadeur Cléocharès, « pensant que la terreur de son nom pourrait aussi amener Porus à se soumettre ». Bien que l’échange s’opère par des porte-paroles, et au style indirect, ces premières lignes font entendre au lecteur un peu imaginatif et habitué au théâtre un fier dialogue dramatique : Alexandre députa vers Cléocharès, pour lui signifier qu’il eût à se reconnaître tributaire, et à se transporter sur la frontière de ses États, afin d’y recevoir le roi. Porus répondit qu’il satisferait à la seconde de ces injonctions ; qu’on le trouverait à l’entrée de son royaume, mais en armes. (trad. cit.) 17. Il s’est rangé du côté d’Alexandre mais le Daire de Hardy ne le dit pas.

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On perçoit au caractère impérieux du message d’Alexandre et à la sécheresse ironique de la réponse de Porus que les deux grands chefs ne dialogueront pas davantage. Trois lignes plus loin on peut lire : « Alexandre […] gagna les bords de l’Hydaspe : Porus s’était établi sur la rive opposée, pour empêcher le passage de l’ennemi. » L’échange est donc minimal, laissant toutefois l’impression, surtout dans la mesure où ce début de chapitre 13 suit l’évocation de l’allégeance peu contrainte de Taxile, que vont s’affronter deux ennemis vraiment taillés l’un pour l’autre. Leurs deux armées semblent aussi destinées à un gigantesque affrontement car, si le passé glorieux des soldats et chefs d’Alexandre semble leur donner une inévitable supériorité, Quinte-Curce insiste sur la peur inspirée aux troupes de l’irrésistible conquérant par les éléphants utilisés par les Indiens. Il faut une ruse stratégique d’Alexandre pour permettre à une partie de l’armée de traverser l’Hydaspe. Dans la tragédie de Racine, un premier dialogue entre Cléophile et Axiane, bien que doubles féminins de Taxile et Porus, puis un second, entre Taxile et Axiane, qui refuse de l’épouser, même sur l’ordre d’Alexandre, retardent la nouvelle de l’issue du combat. Au contraire, l’histoire faisait commencer promptement le combat historique entre les deux héros, le récit devenant grandiose et digne de l’épopée lorsque Quinte-Curce écrivait : À la vue des éléphants et de Porus lui-même, les Macédoniens s’arrêtèrent un moment. Distribués au milieu des combattants, ces gigantesques animaux ressemblaient de loin à des tours, et Porus était aussi d’une taille qui dépassait presque les proportions humaines. L’éléphant qu’il montait semblait encore ajouter à sa haute stature : il s’élevait autant au-dessus des autres éléphants, que Porus au-dessus des autres hommes. Aussi Alexandre, en contemplant le roi et l’armée des Indiens, s’écria-t-il : « Enfin je rencontre un danger égal à mon courage : j’ai à la fois pour ennemis des animaux et des guerriers redoutables. » (trad. cit., VIII, 14, 12-14)

La valeur des hommes de Porus se trouve exaltée car l’historien dit les soldats indiens « plus sensibles à la honte qu’à la crainte ». Leur roi lui-même, encouragé à se rendre, refuse de le faire. Or Racine spolie le public de ce récit de la bataille, passionnant pourtant, car les forces, quoique de nature différente, s’équivalaient : c’est à Taxile qu’il confie l’évocation des combats et un tel narrateur ne saurait célébrer la valeur de Porus ni le présenter comme symétrique d’Alexandre. Le récit latin insiste au contraire sur l’immense courage de l’Indien : Porus, à cet instant, presque abandonné, commença à lancer contre ceux qui l’environnaient des flèches qu’il tenait dès longtemps en réserve : il blessa

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de loin un grand nombre d’ennemis ; mais, exposé lui-même à leurs traits, il était assailli de toutes parts. Déjà, au dos comme à la poitrine, il avait reçu neuf blessures, et ses mains, affaiblies par le sang qu’il perdait en abondance, laissaient tomber les traits, plutôt qu’elles ne les lançaient. (trad. cit., VIII, 14, 31-32)

Ce n’est que lorsque Porus est presque mourant devant Alexandre et, contre toute attente, rouvre les yeux, que Quinte-Curce introduit un dialogue entre eux : on a alors affaire à un échange entre vaillants, qui reconnaissent mutuellement leur valeur. À Alexandre qui l’interroge sur ce qu’il ferait à sa place, Porus lui répond de se laisser inspirer par la journée, qui lui a montré combien le bonheur est fragile. Propos de philosophe, qui inspire au vainqueur son comportement et qui vaut à Porus de recouvrer ses terres et de devenir l’ami et l’allié d’Alexandre. Si le traitement racinien de cette grande bataille peut décevoir, en revanche, le poète n’abandonne pas la confrontation de deux personnalités. L’échange altier quoique impersonnel entre les émissaires du grand conquérant et ceux du roi indien qui ouvrait le chapitre 14 de Quinte-Curce est repris habilement par le dramaturge : bien qu’il attribue à la demande de Cléophile, maîtresse d’Alexandre, la proposition de négociation, il l’a même grandie en la transformant, dans la scène 2 de l’acte II, en une entrevue entre de grands personnages, Taxile, Éphestion – qui remplace le Cléocharès de Quinte-Curce18 – et Porus ; elle tourne vite à l’affrontement verbal entre ces deux derniers, Taxile se trouvant alors réduit au rôle de figurant. Pour le public, Éphestion, c’est l’ami chéri d’Alexandre et un guerrier valeureux ; l’anecdote selon laquelle la mère de Darius l’avait pris pour le roi macédonien à cause de sa grande taille est célèbre. De quelques lignes bien animées par Quinte-Curce, Racine a ainsi su composer une belle scène et la tirade de quarante-trois vers qu’il prête à Porus pour refuser l’appui d’Alexandre proposé par Éphestion paraît d’autant plus magnifique d’orgueil qu’elle succède à une tirade soumise de Taxile, qui accepte d’emblée l’amitié macédonienne : l’ordre dans lequel l’historien latin évoquait la complaisance de celui-ci dans les derniers paragraphes du chapitre 13 puis aussitôt la fière résistance, verbale et armée, de Porus au chapitre 14 se trouve ainsi respecté dans la transposition dramatique. De surcroît, la tirade de Porus, qui insiste sur la gloire de sa solitude, se clôt par trois vers formant une célébration anticipée et chantée de son attente résistante et de sa victoire : 18. L’idée a pu venir d’introduire Éphestion dans la négociation parce que Quinte-Curce a précisé au chapitre 12 que c’était lui qui avait négocié avec Taxile : « II avait fait à Éphestion un accueil favorable, au point de fournir gratuitement du blé à ses troupes. »

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Liliane Picciola Alexandre vainqueur eût dompté tout le Monde, Mais un Roi l’attendait au bout de l’Univers, Par qui le monde entier a vu briser ses fers. (II, 2, v. 554-556)

Les mots prennent ici une valeur performative car ils provoquent l’émotion d’Éphestion et ils réalisent une synthèse du récit de Quinte-Curce où Porus apparaissait comme celui qui ne vient pas au-devant du conquérant avec des présents, celui qui ne fuit pas, mais qui attend, qui résiste. Bien que le respect de l’unité de lieu empêche le spectateur de voir le combat, le fait que Porus et Éphestion se coupent mutuellement la parole annonce son imminence et sa violence, et le déchaînement de bravoure commence verbalement comme dans une épopée par l’échange des deux derniers vers de la scène (v. 603-604) : « [éphestion] / Bientôt le fer en main vous le verrez marcher. / porus / Allez donc, je l’attends, ou je vais le chercher. » Les reproches qu’on adressa à Racine d’avoir composé non pas la tragédie d’Alexandre mais celle de Porus peuvent sembler justifiés puisqu’Alexandre n’apparaît qu’à la scène de l’acte III et s’exprime donc tard tandis que la fière et abondante parole de Porus semble à l’image de cette taille impressionnante que lui prête Quinte-Curce. Toutefois, bien que très brièvement évoqué dans l’épisode par l’historien latin et en sa seule qualité de chef de guerre appliquant la stratégie du grand roi, Éphestion apparaît bien dans cette scène 2 de l’acte II comme un substitut d’Alexandre. Ainsi, on peut estimer qu’à défaut d’apparaître comme deux hommes de guerre comparables, Alexandre et Porus se partagent la tragédie par leurs caractères. Racine a ensuite imaginé un rebondissement : on annonce à l’acte III la défaite de Porus mais il est introuvable, ce qui, curieusement, n’empêche pas Alexandre de s’occuper à courtiser Cléophile… Malgré les critiques formulées au sujet de ce comportement, on peut voir ici l’habileté d’un dramaturge faisant bientôt renaître un espoir qui avait disparu : Cléophile annonce à la scène 4 de l’acte IV que le roi indien s’est introduit dans le camp des vainqueurs ; certes, l’amante d’Alexandre prétend qu’il vient seulement « enlever sa maîtresse » (v. 1288), Axiane, mais la colère que ce coup de force provoque chez Alexandre restitue à Porus une part de sa valeur au combat, que le récit de Taxile avait minimisée ; de plus, en sa place, Axiane, en double féminin, tient fièrement tête au Macédonien et exprime pour Taxile un mépris d’une violence inouïe. L’idée que le vaillant roi indien a pu ainsi s’approcher si près du camp d’Alexandre a-t-elle été inspirée à Racine par le Porus de Boyer ? Peut-être, mais le Porus de Boyer avançait incognito pour vérifier le bienfondé de sa jalousie ; même motivée par le désir d’ôter Axiane à Taxile, la

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réapparition du Porus racinien a davantage de panache et lui restitue la valeur guerrière que soulignent les Historiae ; cette fois, c’est dans la bouche d’un témoin fiable, Éphestion, que Racine place le récit du dernier et magnifique combat de Porus : Porus était vaincu. Mais au lieu de se rendre, Il semblait attaquer et non pas se défendre. Ses soldats à ses pieds étendus et mourants Le mettaient à l’abri de leurs corps expirants. Là, comme dans un fort, son audace enfermée Se soutenait encor contre toute une armée, Et d’un bras qui portait la terreur et la mort Aux plus hardis guerriers en défendait l’abord. (V, 3, v. 1429-1436)

Éphestion raconte également comment Porus a exécuté non pas le frère de Taxile mentionné par Quinte-Curce mais Taxile lui-même, dans un dernier sursaut d’énergie guerrière. Néanmoins Racine se rapproche fâcheusement de Boyer quand il motive le geste du héros indien non par le patriotisme et la haine de la collaboration avec Alexandre mais par le dépit de voir Axiane entre les mains d’un traître. Chez l’écrivain latin, la mort du frère de Taxile intervient plus tôt dans la bataille et se trouve plus crânement motivée : Cependant le frère du prince indien, Taxile, envoyé en avant par Alexandre, conseillait à Porus de ne pas s’obstiner à tenter les derniers hasards, et de se remettre aux mains du vainqueur. Mais celui-ci, quoique ses forces se fussent épuisées et que le sang commençât à lui manquer, se ranimant à cette voix qui lui était connue : « Je reconnais, dit-il, le frère de Taxile, du traître qui a livré sa patrie et son royaume » ; puis, saisissant un trait, le seul que lui eût laissé le hasard, il le lui lança, de manière à lui traverser de part en part la poitrine19. (trad. cit., VIII, 14, 35-36)

Quinte-Curce, on l’a vu, introduit un dialogue entre Porus et Alexandre dans les dernières lignes de son récit, l’Indien y faisant preuve d’une grande fierté. Racine reprend l’idée de ce dialogue mais, peut-être conscient de ne l’avoir pas assez bien traité dans l’évocation des combats, il rend le roi indien plus provocateur, prévoyant que son renom saura galvaniser des troupes contre l’envahisseur. Surtout, lorsqu’Alexandre lui demande comment selon lui il doit être traité, Racine prête à Porus non pas la réponse – pourtant belle et plus empreinte de sagesse – qu’il fait chez Quinte-Curce mais une 19. Chez Arrien, Taxile s’efforce de s’opposer à Porus vers la fin de la bataille mais parvient à s’enfuir.

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réponse toute cornélienne20, « En Roi », qu’il emprunte en fait à Arrien et à Plutarque21. Cette réponse, comme celle qui est donnée chez Quinte-Curce, frappe Alexandre par sa noblesse et lui inspire l’acte généreux qui consiste à restituer à Porus ses États. Au total, on conclura avec Saint-Évremond que si Racine est parvenu à conférer à une tragédie très sentimentale un peu du lustre de l’histoire, c’est plus au profit de Porus qu’à celui d’Alexandre, la magnanimitas du roi macédonien laissant dans l’ombre la magnitudo animi qui l’a rendu célèbre, tandis qu’éclate celle de l’Indien.

De l’influence de Quinte-Curce dans la fabrication du héros tragique En plaçant l’une après l’autre La Mort de Daire et La Mort d’Alexandre dans le tome IV de son Théâtre, Hardy a formé un diptyque. On notera au reste que Darius rend l’âme au centre de l’œuvre de Quinte-Curce (fin du livre V) et que la mort d’Alexandre la termine. Cette symétrie se trouve renforcée par Hardy, qui fait du Macédonien la victime d’un trio de comploteurs, historiquement hostiles à Alexandre, qui rappellent Besse et Nabarzane. Même irrespectueux des unités prônées par Aristote, Hardy tenait à la fin funeste et à l’impression d’inéluctable répétition célébrées par les dramaturges humanistes. Comme De La Taille, il fait mourir Alexandre d’un empoisonnement, exploitant la voie ouverte au théâtre par certains historiens, critiqués par Plutarque, qui soutenaient cette thèse « comme pour fabriquer le dénouement tragique d’un grand drame et des plus pathétiques22 ». L’association du tour inexorable de la roue de Fortune évoquée supra, qui fait chuter les plus grands, des dangers que fait courir l’envie qui s’éveille dès qu’un pouvoir chancelle, et, dans le cas d’Alexandre, des défauts du héros achemine vers le dénouement funeste. La fable tragique est bien montée à partir de soupçons

20. Comparable à celle que Nicomède fait à son père Prusias quand celui-ci lui demande ce qu’il doit être des exigences des Romains : « Roi. » 21. Respectivement dans l’Anabase (V, 18) et la Vie d’Alexandre le Grand (CIII). 22. « […] ὥσπερ δράματος μεγάλου τραγικὸν ἐξόδιον καὶ περιπαθὲς πλάσαντες » : nous traduisons d’après le texte fourni par A. Pierron, pour les Vies des hommes illustres (Paris, 1853, t. 3) et donné sur le site « L’Antiquité grecque et latine » de P. Remacle, P. Renault, F.-D. Fournier, J. P. Murcia, T. Vebr et C. Carrat (http://remacle.org, dernière consultation le 28 avril 2017).

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empruntés à l’histoire et d’une imperfection23 que Quinte-Curce a souvent soulignée. Ces défauts d’Alexandre sont plus encore soulignés par Baro ; or il se trouve en même temps être l’auteur qui a le plus précisément exposé sa perception de l’œuvre de Quinte-Curce ainsi que le travail d’invention et de dramatisation qu’il a effectué à partir d’elle. Dans l’avis au lecteur, il écrit à propos d’une évocation d’Alexandre par l’historien : […] nous l’ayant représenté, après la conquête de la Perse, dans un abandonnement à toutes sortes de voluptés, il a semblé nous vouloir montrer combien est grande la faiblesse humaine, et qu’il n’y a point de si belle vie qui n’ait quelque intervalle fâcheux.

Bien que l’édition ne précise pas le genre dramatique auquel appartient Parthénie, le rang de ses personnages et les très réels périls de mort encourus par trois d’entre eux, sans qu’aucune faute leur soit imputable, créent la dignité, la crainte et la pitié caractéristiques de la tragédie : conformément au principe aristotélicien du surgissement des violences au sein des alliances24, Alexandre va se faire le bourreau de deux êtres, Parthénie et Éphestion, auxquels il est lié respectivement par l’amour et par une légendaire amitié. Ce surgissement de « faiblesses » en un être dont par ailleurs la vie ne peut être qualifiée que de « belle » prédestinait l’Alexandre conçu par QuinteCurce à devenir un héros tragique tel qu’Aristote le concevait – Corneille contestant pourtant que les grands personnages d’une bonté sujette aux faiblesses des passions fussent les seul héros capables de susciter crainte et pitié. Cependant, à la différence de Hardy, Baro n’a pas envisagé la fin de la carrière du conquérant ni sa mort pour concevoir cette tragédie. Il a au contraire exploité un des nombreux gestes de générosité d’Alexandre à l’égard des vaincus mais il en a imaginé un déroulement difficile et contredisant le rayonnement habituel qui lui est prêté en pareilles circonstances. Quinte-Curce évoque à plusieurs reprises les faiblesses du héros. Au chapitre 7 du livre V, malgré la générosité dont il vient de faire preuve à l’égard de ses royales prisonnières perses, il s’adonne aux festins, à la débauche, aux courtisanes et l’une d’elles, enivrée, l’incite à mettre le feu à la ville de Persépolis :

23. Comme le montre l’article de T. Karsenti, « ‘Ce Lion devenu cruel de magnanime’ : les ambiguïtés du modèle héroïque dans La Mort d’Alexandre d’A. Hardy », dans L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne ( fin xve-xixe siècle). Théâtre et opéra, dir. C. Gaullier-Bougassas et C. Dumas, Brepols, 2017, p. 111-123. 24. Poétique, ch. 14, trad. R. Dupont-Roc et J. Lallot, Paris, 1980, p. 81.

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enivré aussi, il se laisse aller à cette folie destructrice. Au chapitre 2 du livre VI, on peut encore lire : Mais aussitôt que son esprit fut affranchi des soins pressants qui l’occupaient, ce prince, mieux fait pour les travaux de la guerre que pour le repos et l’oisiveté, se laissa aller aux plaisirs ; et, invincible aux armes des Perses, il fut vaincu par leurs vices. Des festins aux heures les moins permises, une passion insensée pour l’excès du vin et des veilles, des jeux, des troupes de courtisanes, tout annonçait en lui le passage aux mœurs étrangères. (trad. cit.)

La violence susceptible d’être exercée par Alexandre sur ses proches est mentionnée par l’historien quand il évoque au livre VII (2) le meurtre de Parménion, soupçonné de comploter, mais surtout dans le livre VIII (1-2), celui, pour un peu d’insolence, de Clitus, son ami, qui lui avait sauvé la vie à la bataille du Granique : « Roi, il avait usurpé l’horrible emploi de bourreau ; il s’était vengé d’une licence de propos, dont le vin était peut-être la seule cause, par un meurtre abominable », écrit Quinte-Curce. Par ailleurs il se montre sévère pour un roi qui, respectueux des femmes de la famille de Darius « se laissa aller à un fol amour pour une jeune fille de bien humble naissance auprès de l’éclat du sang royal », Roxane, fille d’un satrape (VIII, 4). Ce sont toutes ces failles et ces contradictions du caractère d’Alexandre que Baro reprend dans sa pièce en les métamorphosant. Le héros se comporte d’abord en généreux, comme avec Porus, à l’égard du Perse Hytaspe puis, par jalousie, décide de le faire exécuter ; la passion que le poète lui imagine pour une noble captive perse, qu’il baptise Parthénie, tient lieu à la fois de celle qui l’anima pour Thaïs ainsi que pour d’autres courtisanes et de celle qu’il conçut plus tard pour Roxane ; ses menaces de mort (v. 1165-1166), proférées devant Éphestion s’il refuse d’exécuter un ordre injuste, préfigurent le meurtre de Clitus. Baro, certes, comme sa préface le souligne, ennoblit la passion du héros car Parthénie est de naissance royale. Cependant le conquérant contredit sa grandeur guerrière dans l’attirance amoureuse (à l’inverse des données latines qui le montrent sujet aux faiblesses dans l’oisiveté, c’est ici l’amour qui le détourne de la guerre), puis se défigure par la colère, la jalousie, l’autoritarisme, l’incapacité de supporter la moindre contradiction. À l’égard de Parthénie, il exerce un chantage pré-racinien : ou elle lui cède ou Hytaspe meurt. Comme dans maints récits de Quinte-Curce, le remords saisit Alexandre après l’exécution présumée d’Hytaspe et l’ordre donné de tuer Parthénie, mais le revirement qui s’opère hors scène entre l’acte IV et l’acte V, et qui ne relève pas de la dissipation des effets du vin, gagne en mystère et profondeur.

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La sincérité, la véhémence, l’humilité du repentir provoquent le pardon de Parthénie, qui croit pourtant Hytaspe exécuté. Dans les derniers vers de la tragédie, Alexandre est rasséréné, Hytaspe se révélant en vie grâce à la désobéissance d’Éphestion, et véritablement purifié, puisqu’il est capable de renoncer à Parthénie : il annonce son départ vers de nouvelles conquêtes, comme s’il avait résolu en lui la contradiction entre grandeur et petitesses. Ainsi prend fin cette dichotomie du personnage, constamment présente sur scène grâce à l’attitude d’Éphestion qui, tel un double25, ne cesse de rappeler, y compris devant l’intéressé, les vertus guerrières et morales de son ami. Ne pourrait-on voir dans ce dénouement la réalisation d’une sorte de rêve exprimé par Quinte-Curce quand il conclut sur la vie d’Alexandre (X, 5) que « pour la colère et pour la passion du vin, comme la jeunesse en avait augmenté l’ardeur, la vieillesse eût pu les calmer » ? En l’espace d’un jour cette maturation s’est opérée sous la plume de Baro. Parce que le conquérant remonte des abîmes d’une passion qui préfigure celles des héros raciniens, sa magnanimité ressourcée est d’une telle puissance que, contrairement à celle du héros d’Alexandre le Grand, elle paraît prendre son origine dans cette magnitudo animi dont Éphestion a maintenu la présence et les derniers vers font comprendre que ces deux qualités fusionnées vont présider aux campagnes à venir. Si, avant d’envisager comme tragique la trajectoire d’Alexandre, mort bien jeune, Hardy, s’est révélé, avec La Mort de Daire, le meilleur et le plus fidèle adaptateur au théâtre des séquences liées aux batailles du grand Macédonien, Baro, malgré la liberté d’invention qu’il s’est accordée, nous paraît cependant avoir été le meilleur traducteur pour la scène de la perception que Quinte-Curce avait d’Alexandre. Liliane Picciola Université Paris-Nanterre EA 1587

25. On pourra se reporter pour de plus amples analyses à L. Picciola, « La Parthénie de Baro : ombres et lumières sur la figure d’Alexandre », dans L’entrée d’Alexandre le Grand sur la scène européenne, op. cit., p. 217-234.

Réécritures de l’éloquence. Quinte-Curce dans Cassandre de La Calprenède, au prisme des « beaux endroits » du roman La fiction narrative en prose d’Ancien Régime se signale par un emploi remarquable de sujets tirés de l’histoire ancienne. Souvent, les intrigues amoureuses des protagonistes du roman « héroïque » – genre fictionnel très apprécié entre 1630 et 1660 – côtoient les hauts faits de l’histoire grecque et romaine. Outre la fascination pour les exploits des héros, le recours à la matière « antique » relève d’une question de poétique romanesque : le cadre historique fournit à la fiction une caution de vraisemblance. Ainsi les romanciers puisent-ils dans l’histoire ancienne, où ils trouvent des sujets à la fois suffisamment connus du lectorat cultivé et assez éloignés dans le temps pour pouvoir être revêtus de mœurs « modernes », en adéquation avec la vocation morale du roman. S’ils revendiquent à plusieurs reprises l’historicité de leurs ouvrages en alléguant leurs sources, les romanciers n’en prennent pas moins de nombreuses libertés à l’égard des données historiques telles que nous les transmettent les historiens1. De surcroît, la fiction galante se rend parfois coupable d’une véritable mystification de l’Histoire. En particulier, les érudits reprochent aux romanciers de défigurer en quelque sorte l’Histoire, tout d’abord en prêtant aux personnages historiques des traits modernes voire « mondains » censés assurer l’identification des lecteurs aux héros, et ensuite en soumettant les ambitions et les idéaux desdits héros à la passion amoureuse, celle-ci devenant la cause de leurs actions2. En effet, la question des sources du 1. Sur les liens entre le roman et l’histoire, voir G. Berger, « Genres bâtards : roman et histoire à la fin du xviie siècle », dans L’invention du roman français au xviie siècle, éd. W. Matzat et H. Stenzel, XVIIe siècle, 215/2 (2002), p. 297-305 ; P. Dandrey, « Historia in fabula : les noces d’Apollon et de Clio au xviie siècle », dans Les songes de Clio. Fiction et Histoire sous l’Ancien Régime, éd. S. Vervacke, É. Van der Schuren et Th. Belleguic, Québec, 2006, p. 3-32 ; E. Bury, « De l’histoire au roman. Usage et récriture des sources antiques chez Madeleine de Scudéry », dans Par les siècles et par les genres. Mélanges en l’honneur de Giorgetto Giorgi, éd. É. SchulzeBusacker et V. Fortunati, Paris, 2014, p. 103-115. 2. Au xviie siècle déjà, par ailleurs, des voix se levaient contre la transformation des héros antiques en amoureux languissants : voir en particulier les vers célèbres de l’Art poétique de Boileau (III, v. 97-118). Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 559-576 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115416

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roman s’est posée tout naturellement aux spécialistes. Plusieurs études ont par exemple abordé leur traitement dans les romans de Georges et Madeleine de Scudéry, Artamène ou le Grand Cyrus et Clélie3. Ici, nous voudrions nous pencher sur la présence de Quinte-Curce dans la Cassandre de Gautier de Coste La Calprenède, roman héroïco-galant paru en dix volumes entre 1642 et 1645, dont l’intrigue principale se déroule dans le cadre des luttes entre les diadoques4. L’auteur, comme il le déclare luimême dans la pièce liminaire placée en tête de la troisième partie du roman, emprunte massivement aux historiens antiques tels Plutarque, Justin et précisément Quinte-Curce. C’est tout particulièrement le texte des Historiae qui lui fournit la trame sur laquelle greffer les intrigues amoureuses de ses héros. Le rapport de Cassandre à ses sources a suscité un certain intérêt critique, portant surtout sur le repérage précis des emprunts – comme l’attestent les relevés proposés à partir de l’ancienne étude d’Heinrich Körting – et sur le procédé de modernisation auquel sont soumis les personnages et les mœurs antiques5. Nous nous proposons d’adopter comme point d’observation le traitement des séquences « oratoires » telles que les descriptions, les portraits (moraux et physiques), les harangues. Il s’agit des « beaux endroits » du roman, hérités de l’esthétique de l’épopée – dont l’historiographie fait elle aussi un large emploi – et caractérisés par l’appel au pathos aussi bien que par la virtuosité de la composition, censée susciter un plaisir esthétique6. Nous avons choisi de nous concentrer sur deux séquences particulièrement 3. Voir N. Hepp, « L’utilisation d’Hérodote et de Xénophon dans Le Grand Cyrus ou les tabous de Sapho », dans Les Trois Scudéry, éd. A. Niderst, Paris, 1993, p. 359-366 ; N. Aronson, « Mademoiselle de Scudéry et l’histoire romaine dans Clélie », Romanische Forschungen, 88 (1976), p. 183-194 ; A. Niderst, « L’Histoire dans les romans de Madeleine de Scudéry », dans Le roman historique : xviie-xxe siècles, éd. P. Ronzeaud, Paris, 2003, p. 11-22. Voir aussi la rubrique consacrée aux sources du roman dans le site http://www.artamene.org (Institut de Littérature Française Moderne Université de Neuchâtel, dir. Cl. Bourqui et A. Gefen). 4. G. de Coste sieur de La Calprenède, Cassandre [1642-1645], Paris, A. de Sommaville, A. Courbé, T. Quinet et la Veuve N. de Sercy, 1657 (Slatkine Reprints, Genève, 1978). Toutes les citations de Cassandre seront données d’après cette édition (désormais Cassandre). 5. Voir H. Körting, Geschichte des französischen Romans im XVII. Jahrundert, Leipzig, 1891 [1885], t. 1, en particulier p. 282-286 sur les sources du roman. Voir aussi la rubrique consacrée aux sources dans le site www.artamene.org. Sur la « galantisation » des mœurs des héros anciens, voir N. Grande, « La métamorphose galante de l’histoire antique : modalités et enjeux d’une poétique », dans La galanterie des anciens, éd. N. Grande et Cl. Nédelec, Littératures classiques, 77 (2012/1), p. 229-244 ; M.-G. Lallemand, « Galanterie des conquérants : l’Alexandre de La Calprenède et le Cyrus des Scudéry », ibidem, p. 99-112. 6. Sur les « beaux endroits » du roman voir D. Denis, « Le roman, genre polygraphique ? », dans De la polygraphie au xviie siècle, éd. P. Dandrey et D. Denis, Littératures classiques, 49



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significatives, à savoir la description de la bataille d’Issos et la harangue de Darius à ses troupes avant la bataille d’Arbèles. Dans une perspective philologique et stylistique, nous nous attacherons à la confrontation de ces séquences romanesques aux lieux correspondants dans le texte-source. Celui-ci sera envisagé aussi bien dans sa version latine que dans les traductions françaises disponibles à l’époque où le romancier rédigeait sa Cassandre. Nous avons retenu trois traductions procurées entre la fin du xvie siècle et la première moitié du xviie siècle7. Si certains passages s’avèrent repris presque mot à mot, le romancier procède en maints endroits à une manipulation de sa source voire à une réécriture. Cette étude a l’ambition de dégager les raisons de cette adaptation et, sous un angle pragmatique, d’élucider l’effet qu’elle est censée produire sur le lecteur.

La bataille d’Issos La description de la bataille qui vit s’opposer Alexandre et le roi perse Darius III relève de l’ecphrasis pragmatôn ou descriptio rerum. Ornement privilégié du roman baroque et particulièrement propre à attacher l’auditeur au discours par la voie du pathos, l’ecphrasis représente l’un des atouts les plus puissants de l’arsenal de l’orateur. De ce fait, la description fait partie des Progymnasmata ou Praeexercitamina sur lesquels se formaient les élèves de l’âge impérial avant d’accéder aux cours de rhétorique proprement dits. Ces exercices, plusieurs fois édités et commentés, ont été repris par les rhéteurs de la première modernité dans leur programme d’enseignement. La première partie de Cassandre est en grande partie consacrée au récit de la vie du prince scythe Oroondate, livré par son écuyer Araxe à Lysimachus, autrefois général de l’armée d’Alexandre. Le lecteur y apprend notamment la manière dont Oroondate, tombé amoureux de la fille de son ennemi le roi de (2003), p. 339-366 ; C. Esmein-Sarrazin, L’essor du roman. Discours théorique et constitution d’un genre littéraire au xviie siècle, Paris, 2008, p. 381-394. 7. L’Histoire des faicts d’Alexandre le Grand Roy de Macedoine [trad. Nicolas Séguier], Genève, P. de la Rovière, 1614 [réimpression de la 1ère édition, G.  de Laimarie, [Genève], 1598], désormais Histoire des faicts d’Alexandre ; L’Alexandre françois, image de la fortune et de la vaillance à la noblesse française, ou l’Histoire de Quintus Curtius, des faicts d’Alexandre le Grand [trad. Nicolas de Soulfour], Paris, A. de Sommaville, 1629, désormais Alexandre françois ; L’Histoire d’Alexandre le Grand, tirée de Q. Curse et autres [trad. Bernard Lesfargues], Paris, J. Camusat, 1639, désormais Histoire d’Alexandre. Les citations des trois ouvrages seront empruntées à ces éditions.

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Perse, a quitté sa propre famille et son armée pour rejoindre celle de Darius. C’est précisément à l’occasion de la bataille d’Issos qu’Oroondate s’illustre aux côtés de son ancien ennemi. Dans Cassandre comme chez Quinte-Curce8, la séquence qui nous occupe se compose de trois parties, exposant respectivement ce qui précède la bataille, la bataille proprement dite et ses conséquences9. Le romancier suit de près sa source pour les deux premières parties, à quelques exceptions près, consistant tantôt dans le déplacement de divers passages en fonction expressive, tantôt dans la suppression de certains détails peu adaptés au public du roman. La troisième partie subit le remaniement le plus important. La séquence s’ouvre sur l’arrivée d’Oroondate – affligé par la perte de Statira et par la mort du vaillant Memnon – et d’Araxe dans la plaine située près du fleuve Pinarus10. La Calprenède parsème ces quelques lignes liminaires de signaux qui introduisent le passage descriptif. Tout d’abord Araxe précise le moment de leur arrivée, à savoir la veille « de cette sanglante bataille d’Issus » : dès lors, le lecteur attend une description de bataille, qui plus est pathétique. Ensuite, l’attente du lecteur est accrue par la présentation d’un objet saisissant, qui suscite la curiosité et exige, pour ainsi dire, d’être décrit : Nous arrivasmes assez à temps dans une grande plaine prés du fleuve de Pindarus, pour voir passer l’armée en bataille, & parce que son ordre en marchant me parut extraordinaire & magnifique, je le remarquay soigneusement & vous le rediray en peu de mots, si vous ne l’avez desja appris de quelqu’autre. (Cassandre, I, 3, p. 329-330)

Les préparatifs de la bataille sont occupés en grande partie par le défilé des troupes de Darius. On peut y distinguer deux sous-parties. Si la première repose 8. Cassandre, I, 3, p. 329-346 ; Quinte-Curce, III, 2 - III, 12, 17, en particulier III, 2, 1-9 ; III, 3, 8-28 ; III, 7, 8-9 ; III, 11, 8-11 ; III, 12, 7-17. 9. L’ecphrasis pragmatôn consiste en une représentation exhaustive d’un fait reposant sur l’évocation précise de nombreux détails (Aelius Théon, Progymnasmata, 7, éd. M. Patillon, Paris, 2002, p. 68) : « La description des faits aura pour arguments les événements antérieurs, les événements concomitants et les conséquences. Pour une guerre, par exemple, nous exposerons d’abord ce qui l’a précédée, les levées de troupes, les dépenses, les craintes, le pays ravagé, les sièges, ensuite les blessures, les morts, les deuils, enfin la capture et l’esclavage des uns, la victoire et les trophées des autres. » 10. On remarque ici un premier exemple de la manière dont La Calprenède se sert de sa source. Le romancier a soin de préciser qu’Oroondate est touché par la mort de Memnon, son ami et proche de Darius. Or, ce détail est présent chez Quinte-Curce, mais il est attribué à Darius luimême, dans un passage qui précède le dénombrement de l’armée perse. Cassandre, I, 2, p. 267 et I, 3, p. 328 ; cf. Quinte-Curce, III, 2, 1.



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sur une retranscription de la revue des troupes proposée par Quinte-Curce, la seconde, centrée sur le personnage d’Oroondate, est purement fictionnelle. Les effectifs des troupes de Darius sont présentés selon deux critères différents, d’abord par nations et ensuite par corps et fonctions11. Dans le récit d’Araxe, les différents peuples sont répartis en huit groupes : 1. Arrachosiens, Zogdiens et Indiens, qui ne sont pas présents ; 2. Perses ; 3. Mèdes ; 4. Bactriens ; 5. Arméniens ; 6. Dervices ; 7. Caspiens et peuples d’Asie ; 8. Grecs. Les différences par rapport au texte-source sont très peu nombreuses. Tout d’abord, La Calprenède place en tête de l’énumération le groupe des peuples dont la distance a empêché la convocation, qui chez Quinte-Curce figure à la dernière place. La composition de ce groupe, par ailleurs, diffère légèrement entre les deux auteurs, le romancier remplaçant les Bactriens – nommés par l’historien – par les Arrachosiens, comme l’avait déjà fait Soulfour dans sa traduction. Dans Cassandre, en effet, les Bactriens figurent parmi les peuples présents à la bataille, à la place des Barcaniens nommés par Quinte-Curce. Cette variation rapproche encore le texte de La Calprenède de la traduction de Soulfour : Deux mille chevaux Bactrians armez de haches & de petits boucliers, estoient suivis de dix mille hommes de pied armez de mesme. (Alexandre françois, III, p. 148) Les Bactriens [avaient amené] deux mille chevaux armez de haches & de legers & petits boucliers, & dix mille pietons armez de la mesme façon. (Cassandre, I, 3, p. 330)

Ensuite, un léger écart se manifeste à propos des premières nations nommées. Alors que toutes les traductions de l’époque, à une exception près, ne se démarquent pas du texte de Quinte-Curce, La Calprenède donne un texte différent. Plus que d’une erreur de lecture de la source, ce dernier semble relever d’un souci de simplification : Les Armeniens avoient envoyé quarante mille hommes de pied & sept mille chevaux de reputation. Les Hyrcaniens, l’un des braves peuples d’entre toutes ces nations, fournissoient six mille hommes de cheval. Les Derbices fournissoient quarante mille hommes de pied, dont une partie estoient armez de halebardes, les autres n’avoient que des bastons bruslez par le bout, suivis encore de deux mille chevaux de mesme nation. (Alexandre françois, III, p. 148-14912) 11. Cassandre, I, 3, p. 330-337. Cf. Quinte-Curce, III, 2,4 -9 ; III, 3, 9-25. 12. La traduction de Nicolas Séguier, évidemment fautive, repose sur une édition différente (L’Histoire des faicts d’Alexandre, III, ch. 2, p. 32) : « Les Hircaniens […] avoient fourni six

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Roberto Romagnino Les Armeniens [avaient amené] quarante mille hommes de pied, suivis de sept mille chevaux d’Hircanie, les plus beaux de toute l’armée. Les Dervices peuples Barbares, subjets aussi au Roy de Perse, avoient seulement deux mille chevaux, quarante mille hommes de pied, dont la plus grande partie à cause de la disette de fer qui est en leur pays, portoit des piques & des javelines toutes de bois, en ayant fait durcir la pointe au feu. (Cassandre, I, 3, p. 330-331)

Une ultérieure modification concerne l’avant-dernier groupe de nations, provenant « de la mer Caspienne et des provinces d’Asie ». On apprend de Quinte-Curce (III, 2, 8) que « ignobiles Asiae gentes duo millia peditum, equitum duplicem paraverant numerum ». Or, le texte de La Calprenède (Cassandre, I, 3, p. 331) supprime toute référence à la nature ignobilis des gens d’Asie : « De la mer Caspienne & des autres Provinces d’Asie, estoient sortis quatre ou cinq mille chevaux, & dix mille hommes de pied. » Les traductions du xviie siècle proposent plusieurs interprétations de cet adjectif : De la mer Caspie estoit venuë une troupe de huict mille hommes de pied & de deux cens chevaux, & avec eux estoient deux mille hommes de pied & quatre mille chevaux de certaines contrées incognuës de l’Asie. (Alexandre françois, III, p. 149) A toutes ces troupes s’estoient joints ces lasches & infames peuples de l’Asie […]. (Histoire d’Alexandre, III, p. 200) Avec eux il y avoit aussi quelque racaille d’Asie […]. (Histoire des faicts d’Alexandre, III, p. 32)

Nous avançons l’hypothèse que La Calprenède supprime intentionnellement un détail qui pourrait constituer une ombre dans la description du cortège environnant Darius, et ce dans le but de laver la figure du roi perse de tout préjugé négatif. La dimension éthique et la visée exemplaire du roman baroque ne sauraient admettre que le héros Oroondate abandonne sa propre patrie pour rejoindre une armée où figure de la « racaille ». Le texte ainsi expurgé correspond convenablement à l’ambition didactique et morale de la fiction narrative.

mille hommes de cheval, & huit cens mille hommes de pied : desquels il y en avoit plusieurs qui portoient du long bois ferré par le bout, & les autres seulement endurci par le feu […]. » Cette erreur, que le jésuite Matthäus Rader retrouve dans plusieurs éditions, découle de la corruption de « Derbices quadraginta millia peditum » en « iidem vicies quadraginta millia peditum » (voir Matthaei Raderi è Societate Jesu Ad Q. Curtii Rufi De Alexandro Magno Historiam, Prolusiones, Librorum Synopses, Capitum Argumenta, Commentarii, Cologne, 1628, p. 19).



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Après la liste des nations convoquées dans l’armée de Darius, s’ouvre un passage plus long et élaboré, illustrant les différents corps qui défilent face à Araxe émerveillé. Ce passage est introduit par une courte transition (Cassandre, I, 3, p. 331) : « Voilà un leger dénombrement des hommes dont l’armée estoit composée : son ordre en marchant estoit tel. » Le rapprochement des deux séquences descriptives donne une impression d’homogénéité : un premier coup d’œil sur l’ensemble de l’armée est suivi d’une revue minutieuse qui détaille et met « devant les yeux » les différents parties de ce défilé éblouissant. En réalité, cette transition remplace une portion de texte considérable et rapproche deux sections entre lesquelles, chez Quinte-Curce, figurent deux faits que La Calprenède avait tout intérêt à omettre. Il s’agit de l’épisode de Charidémus, qui trouve la mort pour avoir affirmé que la splendeur de l’armée de Darius ne pourrait rivaliser avec l’efficacité des troupes d’Alexandre (Quinte-Curce, III, 2, 10-18), et de l’allusion aux visions de Darius et à sa superstition (Quinte-Curce, III, 3). On le voit, ces deux faits ne pourraient être relatés dans la réécriture fictionnelle de l’Histoire sans compromettre l’image de Darius et, par conséquent, celle d’Oroondate. Par ailleurs, au xviie siècle la réticence face à la représentation d’actions ou de détails malséants voire scandaleux se trouve au cœur de la réflexion et du discours critique sur l’écriture de l’Histoire elle-même13. Par rapport au passage précédent, les interventions du romancier se font ici plus importantes. Tout d’abord, La Calprenède omet un détail saisissant que Quinte-Curce place au début de la description. Dans l’Alexandre françois (III, p. 153-154), nous lisons : « Quand le Soleil estoit levé, & que le jour estoit bien grand, la trompete sonnoit dans le logis du Roy, & sur sa tente s’arboroit l’image du Soleil enchassée en crystal, que tout le monde pouvoit voir, & voicy l’ordre que tenoit son armée. » L’isotopie de la lumière (« Soleil », « jour », « image du Soleil », « crystal ») renvoie au culte du soleil que pratiquaient les Perses et à son association avec la personne du roi. La Calprenède supprime l’allusion à ce culte, dont l’interprétation correcte aurait sous-entendu des connaissances de nature savante, et déplace ce passage dans l’évocation de la fin du défilé. Aussi, l’œuvre d’art qu’est ce soleil enchâssé dans le cristal n’orne plus la tente de Darius, mais le pavillon destiné aux princesses perses (Cassandre, I, 3, p. 337). D’objet de dévotion, le simulacre du soleil se voit ainsi resémantisé en objet d’admiration, un thauma associé non au pouvoir de Darius mais à la splendeur de Statira. 13. Voir B. Guion, Du bon usage de l’Histoire. Histoire, morale et politique à l’époque classique, Paris, 2008, p. 158.

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Les groupes qui défilent devant Oroondate et Araxe correspondent à ceux que décrit Quinte-Curce. Les différences repérables relèvent surtout de questions de nature philologique. La Calprenède, par exemple – à l’instar de Séguier et de Lesfargues – laisse entendre que les « parens du Roy » qui précèdent le chariot de Darius s’identifient aux « Doriphores » (Cassandre, I, 3, p. 333) : « On voyoit paroistre les Doriphores, quinze mille en nombre, autrement appelez les parens du Roy. » Cette version s’accorde avec la plupart des éditions disponibles au xviie siècle, comme celle du jésuite Matthäus Rader : « Exiguo intervallo, quos cognatos regis appellant […]. Haec vero ­turba muliebriter propemodum culta, luxu magis, quàm decoris armis conspicua erat : Doryphori vocabantur14. » D’autres éditeurs, en revanche, parmi lesquels Michel Le Tellier dans son édition procurée pour la collection Ad usum Delphini (Quinti Curtii Rufi de rebus gestis Alexandri Magni, Paris, F.  Léonard, 1678) – postérieure à la parution de Cassandre  –, proposent une ponctuation différente, que l’on retrouve également dans les éditions modernes : « Haec vero turba […] conspicua erat. Doryphori vocabantur proximum his agmen15 […]. » La traduction de Soulfour s’appuie sur cette segmentation du texte (Alexandre françois, III, p. 154-155) : « Un peu loin de ceux-là s’acheminoient quinze mille hommes qu’on appelloit les cousins du Roy […]. Ceux qui suivoient après s’appelloient Dorifores. » La description du somptueux chariot de Darius – véritable cœur de ce défilé – comporte elle aussi une différence intéressante entre le texte-source et la réécriture fictionnelle. Chez Quinte-Curce, parmi les ornements dudit chariot figurent deux statues en or. Les éditions disponibles au xviie siècle donnent des représentations différentes de ces simulacra. Masson et Rader, par 14.  Q. Curtii Rufi De rebus ab Alexandro Magno gestis libri octo in capita distincti, & synopsibus argumentisque illustrati. Accessere Vita Curtii, & Elogia ; Breviarium Vitae Alexandri […] ; Alexander ab antiquis et variis scriptoribus, cum Imperatoribus, Regibus, ducibus compositus per Matthaeum Raderum e Societate Iesu, Munich, Anna Berg et Johannes Hertzroy, 1617, p. 65. L’édition de Jean-Baptiste Masson (Q. Curtii Rufi Historiarum Magni Alexandri Macedonum Regis Libri octo. Quibus accesserunt libri duo ex Victoriano manuscripto exscripti a Ioanne Massono, Bajocensis Ecclesiae Archidiacono, et nunc primum excusi. Omnia vero quae postrema complectitur editio, altera hinc pagina declarat, Lyon, Paul Frellon, 1615, p. 36) et l’édition elzévirienne annotée par Titus van Popma (Quinti Curtii Rufi Rerum Alexandri Magni libri VIII superstites. Accedunt Titi Popmae notae, Leyde, atelier Elzevier, 1622, p. 26) donnent elles aussi cette leçon. 15. Quinti Curtii Rufi de rebus gestis Alexandri Magni, Paris, F. Léonard, 1678 [III, 3, 1415], p. 78-79. Cf. les éditions de Henri Bardon pour la « Collection Budé » (Quinte-Curce, Histoires, Paris, 1961  (Ière édition 1947-1948), t.  1, p.  10) et de Carlo  M. Lucarini pour la « Bibliotheca Teubneriana » (Q. Curtius Rufus, Historiae, Berlin et New York, 2009, p. 10).



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exemple, lisent « alterum in alterum belli gerebat efficiem », alors que l’édition elzévirienne propose « alterum pacis, alterum belli gerebat effigiem ». Une note de Titus van Popma explique que cette leçon relève d’une glose interpolée par quelques demi-savants. Scaliger, ajoute Popma, a proposé cette excellente (« palmaria ») conjecture, « alterum Nini, alterum Beli gerebat effigiem16 », qu’ont retenue les éditions et traductions modernes17. Les traductions de l’époque reposent manifestement sur de mauvaises éditions : Ils cheminoient devant son chariot, dessus lequel ledit Roy paroisssoit eslevé. Les deux flancs de son chariot estoient armez de deux statuës de pied & demi d’or, l’une estoit de la paix, & l’autre de la guerre, & un aigle d’or au milieu qui portoit les aisles estenduës. (Alexandre françois, III, p. 155) Ceux-cy marchoient devant le chariot sur lequel Darius estoit porté, comme avec les plus superbes appareils d’un triomphe, en un trosne eminent, dont les costez estoient embellis des Images des Dieux […] qui estoient eslevées en or & en argent. La flesche du chariot estoit marquetée de pierres d’une valeur inestimable, & qui jettoient des feux brillans & des esclats extraordinaires ; Au milieu de ceste flesche estoient eslevées deux images de la hauteur d’une coudée, dont l’une representoit la mort & l’autre la guerre. (Histoire d’Alexandre, III, p. 210)

Dans un souci de simplification face à l’instabilité textuelle des sources et à la variété des traductions, ou pour éviter à ses lecteurs mondains des détails trop « savants », La Calprenède supprime toute allusion aux deux statues. Oroondate, après avoir remarqué les doryphores – habillés luxueusement mais « incapables de defence » – détourne, irrité, le regard et aperçoit finalement le roi des Perses (Cassandre, I, 3, p. 333-334). La description de Darius, à l’instar de celle de son chariot, est surchargée d’ornements que La Calprenède rajoute au texte-source. On remarque également qu’à la différence des allusions savantes, que le romancier tend à supprimer, certains termes hellénisants ou perses, tels doriphores, cidaris (l’« habillement de teste » de Darius), armamaxa (chariots) sont maintenus – certes pourvus de leur explication – en raison de leur sonorité exotique et pour la caution de vraisemblance qu’ils apportent au récit. 16. Quinti Curtii Rufi Rerum Alexandri Magni Libri VIII superstites, op. cit, non paginé. Cf. J.-J. Scaliger, Opus de emendatione temporum [1583], Genève, Typis Roverianis, 1629, VI, p. 579. 17. Cf. l’édition de H. Bardon (éd. cit. [III, 3, 16], p. 11) : « quorum alterum Nini, alterum Beli » ; et celle de C. Lucarini (éd. cit. [III, 3, 16], p. 11) : « quorum alerum Nini, alterum erat Beli ».

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Après les armamaxa qui transportent les gouverneurs des enfants du roi et les eunuques, La Calprenède supprime toute référence aux regiae pellices, les concubines de Darius que l’on retrouve, en revanche, dans les éditions et les traductions de l’époque, y compris l’édition Ad usum Delphini18. C’est par une même réticence morale que le romancier ne mentionne pas la polygamie d’Alexandre et réduit à deux le nombre de ses épouses. Il lui aurait été en effet impossible d’éliminer l’insidieuse Roxane, dont la rivalité avec Statira recouvre une fonction diégétique importante. Le second volet des préparatifs de la bataille d’Issos relève complètement de l’invention du romancier. La séquence ecphrastique est interrompue par une courte transition reposant sur une variation du locus humilitatis du narrateur, qui fournit à La Calprenède un prétexte pour supprimer la courte description de l’armée d’Alexandre, tout en introduisant le motif amoureux constituant le cœur de l’intrigue fictionnelle : Je ne pûs pas remarquer les dernières choses qui passèrent devant nous avec attention, estant obligé de suivre mon Maistre, qui n’avoit daigné considerer le reste, depuis que sa Princesse estoit passée. (Cassandre, I, 3, p. 337)

Cette partie, consacrée à la préparation d’Oroondate, désormais décidé à rejoindre l’armée de Darius, abrite des références sinon des emprunts précis à Quinte-Curce. C’est par exemple en modifiant un détail du récit historique que La Calprenède attribue à Oroondate la perception de la faute de Darius, lorsque celui-ci décide de s’engouffrer dans des passages « estroits & raboteux » (Cassandre, I, 3, p. 339). Au moyen d’un changement du point de vue (en l’occurrence, le point de vue perse dans le récit d’Araxe) et par le recours à des images frappantes, le romancier suggère l’issue malheureuse de la bataille qui va commencer – évoquée a posteriori –, à laquelle est consacrée la deuxième partie de cette longue descriptio rerum. En réalité, il est surtout question du combat entre Alexandre et Oroondate, qui préfigure la guerre amoureuse que les deux héros se livreront pour Statira, et qui sera repris à l’occasion de la bataille d’Arbèles. En comparaison de la séquence précédente, cet affrontement reste très peu développé. En effet, pour éviter de retranscrire ultérieurement sa source et pour pouvoir ainsi se concentrer sur son héros, La Calprenède recourt au topos de l’inutilité de la description, l’auditeur d’Araxe connaissant déjà les faits pour y avoir participé (Cassandre, I, 3, p. 340) : « Je ne vous diray point les particularitez d’une 18. Voir par exemple Alexandre françois, III, p. 156 : « Derrière eux marchoient les garces du Roy toutes en equipage de Reines, au nombre de trois cens soixante. »



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bataille, à laquelle vous estiez sans doute des premiers […]. » Après une courte description physique qui le montre revêtu d’armes noires, le héros Oroondate accomplit sa première action en sauvant Darius qui est précipité de son chariot. Ensuite, il se rend devant Alexandre et, après une description de ce dernier, les deux s’affrontent. Qu’Oroondate sauve Darius (Cassandre, I, 3, p. 341) marque un écart significatif par rapport aux données historiques. La nécessité de mettre en lumière la valeur d’Oroondate et le scrupule de « blanchir » en quelque manière l’image de Darius, en effet, déterminent un nouveau changement dans les faits relatés qui montre le passage du récit historique à la fiction. Chez Quinte-Curce, Darius abandonne honteusement la bataille en retirant les enseignes royales pour ne pas être reconnu. La fuite du roi est un fait très grave voire déconcertant, que les traductions de l’époque signalent en tant que passage saillant du récit. Or, le roman ne saurait attribuer un acte aussi lâche et malséant au roi que le héros vient de rejoindre. C’est pourquoi dans Cassandre, Darius, environné de ses ennemis après avoir lui-même affronté Alexandre, est sauvé et mis à l’abri par Oroondate. La description de la bataille se réduit à celle d’un combat, très peu développée, entre Alexandre et Oroondate. Une part considérable est consacrée à la réflexion sur la valeur de ce dernier : Alexandre lui-même l’a considéré comme « un prodige, ou [un] homme envoyé des Dieux pour la defense des Perses » (Cassandre, I, 3, p. 345). Malgré la défaite de l’armée de Darius, en effet, Oroondate « se retira, mais se retira en lion » (ibidem, I, 3, p. 346), cette dernière comparaison constituant vraisemblablement une reprise, anti­ phrastique, de l’image historique de Darius fuyant avec les enseignes royales. Quant au combat d’Oroondate et d’Alexandre, il nous permet de mettre en lumière l’une des manières dont le roman à matière historique s’approprie sa source. Un détail de la description nous apprend qu’Oroondate « perça la cuisse [d’Alexandre] d’un coup de javelot » (Cassandre, I, 3, p. 343). QuinteCurce et Plutarque mentionnent la blessure reçue par Alexandre, sans pour autant en préciser l’auteur. En profitant de ce « blanc » de l’Histoire, La Calprenède reprend cette information en la reliant à un exploit d’Oroondate. De même, à l’occasion de la bataille d’Arbèles, c’est encore Oroondate qui a « percé le bras droit à Ephestion, blessé Perdiccas de deux coups d’espée, & porté par terre, Cœnos, & Menidas tres-dangereusement blessez19 ». Ailleurs, des épisodes historiques dont circulent des versions différentes ou que les sources mentionnent sans s’y attarder, deviennent dans la fiction le 19. Cassandre, I, 4, p. 146-147. Cf. Quinte-Curce, IV, 16, 32.

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support pour un développement narratif ou descriptif ultérieur. Nous retiendrons deux exemples : le combat de Lysimachus avec le lion – véritable description d’action où resplendit le courage de Lysimachus –, que QuinteCurce se limite à rapporter comme une « fable » dont le récit du romancier expliquerait l’origine20, et l’épisode macabre de la décapitation de Spitamène, que La Calprenède dramatise par un emploi remarquable de l’hypotypose, en insistant sur les détails les plus répugnants21. Ainsi, par ce jeu de renvois entre l’Histoire et l’univers fictionnel, La Calprenède cherche à intéresser son public. En effet, les lecteurs avertis sinon savants pourront en quelque sorte compléter le récit historique par ces petits détails d’invention. De surcroît, la curiosité et l’engagement du public sont assurés par une sorte de polyphonie énonciative. Les interventions de Lysimachus montrent tout l’attachement de l’auditeur à des faits qu’il connaît pourtant déjà, et ses exclamations témoignent de sa stupeur face à des détails nouveaux. En ce sens, la réaction de Lysimachus figure celle du lecteur lui-même. Mais revenons au combat entre Oroondate et Alexandre. Si la bataille proprement dite est traitée d’une manière rapide et dans une perspective restreinte à Oroondate, les conséquences du combat – que les manuels de rhétorique identifient à la partie la plus pathétique de la description, que l’orateur peut parsemer de détails saisissants sinon macabres par un recours massif à l’hypotypose – sont supprimées, à l’exception d’un très court bilan. Ce qui manque est surtout la scène d’Alexandre au camp de Darius, où le roi macédonien rencontre les princesses perses. Chez Quinte-Curce, c’est tout d’abord Léonnatus qui se rend aux tentes des captives, pour les avertir que Darius est vivant (III, 12, 12). Le lendemain, Alexandre lui-même leur rend visite accompagné d’Héphestion (III, 12, 8-17). La visite du vainqueur aux femmes du vaincu recèle une portée pathétique et exemplaire remarquable, que plusieurs artistes, tels Véronèse ou Charles Le Brun, ont par ailleurs montrée dans leurs œuvres. S’il supprime cette scène de la description de la bataille d’Issos, La Calprenède la réemploie en revanche dans trois passages différents, dont un seul la replace en son contexte d’origine. La première reprise fictionnelle de cet épisode se trouve au début du roman, au cours de la bataille qui voit s’affronter les Scythes, dont le roi est le père d’Oroondate, et les Perses de Darius. C’est Oroondate qui pénètre dans la tente des femmes perses, où il s’illustre par sa clémence et sa modération 20. Cassandre (II, 2, p. 208-216) s’appuie ici sur Justin (XV, 3, 6-9). 21. Cassandre, III, 4, p.  74-75 ; p.  81 ; p.  110-112, où, de surcroît, il y a deux scènes de décapitation.



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(Cassandre, I, 1, p. 46-50). C’est en cette occasion qu’il tombe amoureux de Statira. Ce passage de Cassandre s’inspire en grande partie de la visite de Léonnatus aux femmes de Darius selon Quinte-Curce, dont le romancier reprend presque mot à mot de nombreux détails. Sa dernière partie démarque en revanche le récit que donne l’historien de la rencontre des princesses captives avec Alexandre : [Oroondate] entra l’espée à la main dans les tentes, faisant demeurer tous les autres à l’entrée en tres-bon ordre. Mais, ô Dieux ! quel estonnement fut le sien, lors qu’au lieu des ennemis qu’il cherchoit, il vid à la clarté de cent flambeux une troupe de Dames, qui jetterent d’abord des cris pitoyables, & qui tesmoignoient assez l’espouvante que nostre veuë leur causa. C’estoit […] la vieille Reyne Sisigambis mère de Darius, la Reyne sa femme & les deux Princesses Statira, & Parisatis ses filles […]. Jugez si ces Dames furent effrayées, voyant mon Prince tout couvert de sang l’espée au poing […]. Les jeunes Princesses plus mortes que vives, se rangerent aupres de leur mere, & de la vieille Sisigambis, se voyant en quelque seureté aupres d’une personne si venerable. Cette grande Reyne, à qui les Dieux avoient donné un cœur esgal à sa condition, blasmoit leur desespoir, & attendoit sa destinée en patience, quand le Prince surpris d’un spectacle si peu preveu, & qui le fit demeurer quelque temps tout confus & tout interdit, reprit enfin courage, & l’aborda avec un si profond respect, qu’elle acheva de se rasseurer, & loüa les Dieux qui faisoient tomber la maison de Darius, entre les mains d’un si civil ennemi : Il avoit osté son casque, & mis la pointe de son espée en terre ce qui obligea les Princesses un peu remises à le considerer avec attention. La chaleur du combat, & l’estonnement de cette rencontre avoit adjousté un esclat à sa beauté naturelle, & qui dans l’esprit de ces Dames, le fit d’abord passer pour un Dieu ; mais leur estime s’accreut encore davantage lors qu’il leur dit en s’abaissant jusqu’à terre, & adressant son discours à Sisigambis, en langage Persan, qu’il parle avec la mesme facilité que s’il estoit natif de Persepolis […]. (Cassandre, I, 1, p. 46-50)

Cette scène, qui marque le début de l’amour des deux protagonistes – Araxe précise en effet que « le trouble, & la crainte où [Statira] avoit esté, donnant quelque accroissement à sa beauté, la firent paroistre telle aux yeux de [son] Prince, qu’il ne la considera point comme une personne mortelle », – constitue le modèle de la rencontre d’Oroondate avec les princesses pendant la bataille d’Arbèles (ibid., I, 4, p. 134-143). La perspective y est alors renversée. Statira a cédé à l’insistance d’Alexandre. En reprochant à Oroondate d’être un traître, elle lui intime l’ordre de partir. Il s’agit d’une longue confrontation, reposant sur l’emploi du discours direct et ponctuée de nombreux détails décrivant les regards, les mouvements et les attitudes d’Oroondate et de

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Statira. Cet échange tendu précède un combat entre Oroondate et Alexandre – désormais rivaux pour l’amour de la princesse – à la fin duquel Oroondate est donné pour mort. La dernière reprise de la scène d’Alexandre au camp de Darius se trouve dans l’« Histoire de Lysimachus », récit que Lysimachus lui-même relate à Oroondate (Cassandre, II, 1, p. 35-41). Ici, la description est replacée dans son contexte d’origine, à savoir après la bataille d’Issos. Lysimachus accompagne Alexandre et Héphestion aux tentes des princesses captives et, à l’instar d’Oroondate dans la première partie du roman, tombe amoureux d’une d’entre elles, la sœur de Statira, Parisatis. À l’exception de quelques réaménagements, le récit suit de près le texte de Quinte-Curce, comme on peut le vérifier sur cet extrait : Ephestion […] possedoit [le cœur d’Alexandre] absolument : & […] le Roy ne pouvoit, parmy tous les siens, choisir un homme plus digne de sa faveur ; vous l’avez assez veu, pour vous souvenir qu’il avoit parfaitement bonne mine, & qu’en valeur, esprit & gentillesse, il ne cedoit à aucun des Macedoniens : il avoit beaucoup d’adresse à ménager l’esprit du Roy, il usoit si bien auprés de luy de sa fortune, qu’elle ne fut jamais ébranlée. Comme il avoit la taille plus avantageuse, & le port majestueux d’Alexandre, Sisigambis le prit à l’abord pour luy […] ; mais Ephestion se reculant avec beacoup de modestie, luy montra le Roy […]. Alexandre la relevant avec beaucoup de respect ; Vous ne nous estes point trompée, luy dit-il, car c’est veritablement un autre Alexandre. (Cassandre, II, 1, p. 38-39)

On le voit, l’adaptation fictionnelle d’une séquence élaborée telle l’ecphrasis d’une bataille sous-entend plusieurs modifications du modèle historique. D’abord, il s’agit de réduire le texte pour concentrer l’attention du lecteur sur le héros, en ayant soin de trouver un équilibre entre les données historiques et les éléments d’invention. Ensuite, la bienséance impose d’expurger le texte pour le rendre moralement acceptable et pour lui donner une valeur exemplaire. Le romancier est dès lors amené à manipuler le texte-source, aussi bien dans son aspect matériel (plusieurs séquences peuvent être supprimées ou déplacées) que dans son contenu (la fiction côtoyant l’Histoire et se greffant sur celle-ci). Nous voudrions maintenant analyser le traitement fictionnel des séquences non narratives, en particulier les pièces oratoires insérées telles les harangues, topos de l’historiographie dont le roman héroïque fait un emploi remarquable.



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La harangue de Darius Le deuxième extrait sur lequel nous souhaitons nous pencher est ainsi le discours que Darius adresse à ses troupes avant la bataille d’Arbèles, relatée dans le livre IV de la première partie de Cassandre. D’une manière générale, on retrouve dans cette longue séquence (qui s’étend sur environ quarante pages) les éléments analysés à propos de la bataille d’Issos. Ici aussi, les modifications apportées relèvent notamment d’un scrupule moral, et ce notamment dans la caractérisation de Darius, présenté comme plus modéré et raisonnable que dans le texte-source. Dans Cassandre, par exemple, il n’est pas question de la torture de l’eunuque Tireus, lorsqu’il communique au roi la mort de sa femme et que Darius l’interroge pour savoir si Alexandre est le responsable22. Chez Quinte-Curce, cette scène pathétique est suivie du dénombrement et de la disposition des troupes, ainsi que des harangues des deux rois à leurs soldats. La Calprenède suit assez fidèlement le texte de l’historien et propose le discours de Darius dans une retranscription très proche de l’original. Mise en relief par une présentation typographique recourant à un titre et à l’emploi de l’italique et d’une lettrine introduisant le texte, cette « Harangue de Darius à son armée » se présente comme un véritable « discours inséré », un morceau d’anthologie, détachable et de nature ornementale. Les harangues en effet, issues du modèle de l’épopée, pièces majeures de l’éloquence, constituent l’un des ornements du roman héroïque, dont l’emploi pose cependant des problèmes de vraisemblance et de ce fait est sujet à caution23. Publiée jusqu’au xixe siècle en tant que morceau choisi dans plusieurs recueils oratoires, la harangue de Darius dans le texte de Quinte-Curce devait faire également l’objet de commentaires ponctuels dans les cours d’éloquence sous l’Ancien Régime. Les jésuites Nicolas Caussin et Gérard Pelletier la proposent comme discours exemplaire : le premier la définit comme gravissima parmi les adhortationes militares24, alors que le deuxième en présente la

22. Cassandre, I, 4, p. 111-112 ; Quinte-Curce, IV, 10, 33-34. Le prénom de l’eunuque, qui chez Quinte-Curce se nomme Tyriotès, est tiré de Plutarque, Vie d’Alexandre, 41. Tout le passage consacré aux réactions de Darius à la nouvelle de la mort de son épouse, en effet, relève davantage de Plutarque que de Quinte-Curce. 23. Voir M.-G. Lallemand, Les longs romans du xviie siècle. Urfé, Desmarets, Gomberville, La Calprenède, Scudéry, Paris, 2013, p. 225-230. 24. N. Caussin S. J., Eloquentiae sacrae et humanae Parallela, Paris, S. Chappelet, 1619, XIII, p. 572-573.

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seconde moitié comme exemple d’obsecratio25. Dans cette harangue, Darius exhorte ses soldats à la bataille contre Alexandre. Il souligne la nécessité de cette bataille, dont dépendent l’existence de l’empire perse et leurs propres vies. Il les invite à avoir confiance et les encourage en méprisant les ressources de l’ennemi. Si Alexandre est favori par le sort, affirme le roi, il ne le sera pas toujours. Darius, enfin, dont les proches sont captifs auprès d’Alexandre, implore les soldats d’affronter leur ennemi sans crainte, pour les libérer. La retranscription fictionnelle de cette séquence par La Calprenède suit de près Quinte-Curce26, mais certains réaménagements méritent que l’on s’y arrête. On remarque d’emblée que la réécriture témoigne d’un soin particulier pour l’agencement des mots. Les jeux des consonnes et les figures de diction, ainsi que le recours à l’accumulation, suggèrent la volonté d’offrir aux lecteurs une version adaptée à la déclamation d’un discours que certains d’entre eux avaient probablement déjà apprécié dans la classe de rhétorique. Au xviie siècle, par ailleurs, la lecture à haute voix et collective représentait un moyen privilégié pour s’approprier certaines séquences des longs romans héroïques27. En ce sens, les modifications les plus importantes interviennent dans l’exorde et dans la péroraison, les parties où les maîtres de rhétorique préconisent de mobiliser massivement les affects. Si chez Quinte-Curce Darius identifiait les enjeux de la bataille à la vie et à la liberté, et non pas à la gloire, dans Cassandre son propos – reposant sur l’emploi combiné du parallélisme, de l’anaphore, de la gradation synonymique ainsi que sur l’allitération – est plus élaboré : Nous estions autresfois les Maistres & de tout ce que l’Ocean lave, & de tout ce que l’Hellespont environne ; mais nous avons tout perdu, & ne combattons plus maintenant, ny pour le recouvrement de ces terres, ny méme pour la gloire qui nous est plus considerable que la conservation de nos biens : mais pour nostre propre salut, & pour la liberté qui nous est encore plus chère que nos vies. (Cassandre, I, 4, p. 122)

La recherche d’expressivité se traduit en certains changements qui ne trahissent pas pour autant le texte-source. Malgré le déplacement de quelques passages ou la manipulation de quelques micro-séquences, la réécriture 25. G. Pelletier S. J., Palatium Reginae Eloquentiae, Paris, Veuve N. Buon, J. Camusat et C. Somnius, 1641, Exercitatio IX, Punctum IV, p. 544. 26. Comparer Cassandre, I, 4, p. 122-126 et Quinte-Curce, IV, 14, 9-26. 27. Voir P. Dumonceaux, « La lecture à haute voix des œuvres littéraires au xviie siècle : modalités et valeurs », dans La voix au xviie siècle, éd. P. Dandrey, Littératures classiques, 12 (1990), p. 117-125.



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de Cassandre s’avère plus fidèle à Quinte-Curce que la traduction d’un Lesfargues, qui intervient massivement dans le texte à grand renfort de gloses moralisantes et pathétiques (Histoire d’Alexandre, IV, p. 385-390). Lorsque La Calprenède déplace une courte phrase – par exemple « c’est aujourd’huy la fatale journée qui doit ou establir, ou renverser cet Empire que la terre a seul reconnu », qu’il enchâsse à la fin de la première section du discours –, c’est pour lui conférer davantage de pathos28. Dans Cassandre, en effet, cette réflexion de Darius constitue le résumé sentencieux d’un passage élaboré, où la congeries s’associe à l’anaphore et à l’allitération. D’autres modifications – comme la substitution du présent au parfait (« je lève les trouppes, je les arme, je les mène au combat29 ») – apportent elles aussi un surcroît d’énergie et d’évidence au discours, alors que la suppression de certaines sentences – dont Quinte-Curce fait un emploi massif, comme le faisait remarquer, entre autres, le Père Caussin – et de quelques détails savants, relève d’un souci de simplification. La vocation didactique du roman impose cependant de conserver les énoncés gnomiques censés donner une leçon morale, comme par exemple « [les faveurs de la fortune] ne sont pas eternelles, & la seule raison rend nos felicitez durables30 ». Vers la fin de la harangue, dans la section identifiable à l’obsecratio, La Calprenède dramatise encore le texte, faisant de la femme de Darius – décédée lorsqu’elle était captive – la porte-parole de la famille royale, prisonnière d’Alexandre, qui demande aux soldats de la libérer31 : « Ma femme vostre Reine a expiré sous les chaisnes, & ce qui reste d’elle, & de moy vous tend les mains, & vous conjure par les Dieux […]. » Cette sorte de prosopopée « muette », faisant intervenir l’esprit de la reine défunte, précède l’imploration proprement dite où Darius exhorte ses hommes au nom des Dieux et de la mémoire de l’empire. Aussi La Calprenède amplifie-t-il sa source dans un sens pathétique. Pour ce faire, il recourt à l’anaphore et à l’accumulation de noms abstraits au pluriel, qui remplacent d’une manière emphatique le singulier figurant chez Quinte-Curce, dont est cependant conservée la sentence à la fin du passage :

28. Cassandre, I, 4, p. 123 ; Quinte-Curce, IV, 14, 10. 29. Cassandre, I, 4, p. 123 ; Quinte-Curce, IV, 14, 12 : « exercitum […] comparavi ; equos, arma distribui […] ; locum […] elegi. » 30. Cassandre, I, 4, p. 123 ; Quinte-Curce, IV, 14, 19. La Calprenède supprime néanmoins deux sentences successives sur le même thème. 31. Cassandre, I, 4, p. 125 ; Quinte-Curce, IV, 14, 23.

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Roberto Romagnino Vous portez dans vos mains, vos biens, vos libertez, & vos esperances, & sur vos fronts une victoire toute certaine, je la lis dans vos yeux, & dans votre demarche, celuy qui ne mesprise la mort, l’a desja evitée, & celuy qui la fuit, en est à demy atteint32.

La harangue se clôt par une dernière exhortation de Darius à suivre son propre exemple, « ou de vaillance, ou de lascheté » (Cassandre, I, 4, p. 126). Aussitôt après, avant de fondre sur les ennemis pour se frayer un chemin vers la tente des princesses captives, Oroondate harangue lui-même ses compagnons. Il le fait en reprenant les arguments du discours de Darius, dont il livre une version dépouillée de tout ornement (ibidem, I, 4, p. 129-131). Bon connaisseur des Anciens, La Calprenède est sans nul doute un latiniste averti. En dépit de quelques convergences avec les traductions de l’époque, le romancier ne semble pas dépendre de celles-ci mais travaille vraisemblablement à partir du texte latin33. Certes, il prête une nature amoureuse et galante à certains héros de l’Antiquité, mais il est soucieux de ne pas revêtir les protagonistes de l’Histoire de traits fictionnels qui les rendraient méconnaissables34. À l’instar des autres auteurs de romans à matière antique, ensuite, il joue sur les omissions et les silences de l’Histoire pour offrir au lecteur des épisodes saisissants – inventés ex novo ou reposant sur l’amplification de quelques détails historiques – censés susciter son intérêt. C’est ainsi que certains personnages qui restent dans l’ombre chez Quinte-Curce sont promus à un rôle principal en tant que héros amoureux. Les séquences oratoires dont nous avons esquissé une analyse, enfin, révèlent un travail attentif sur la langue. Les ornements du roman, en effet, constituent des modèles de bien dire offerts aux lecteurs mondains. Avec Cassandre, La Calprenède propose à ses lecteurs des morceaux d’anthologie en langue française, qui rivalisent avec l’original dont ils ambitionnent de retrouver l’efficacité, de surcroît valorisée par la lecture à haute voix. Roberto Romagnino CELLF Université de Paris-Sorbonne 32. Cassandre, I, 4, p. 126 ; Quinte-Curce, IV, 14, 25. 33. Sur la formation de La Calprenède, voir E. Seillière, Le romancier du Grand Condé : Gautier de Coste Sieur de La Calprenède, Paris, 1921, p. 26. 34. Sur cet aspect, voir M.-G. Lallemand, « Galanterie des conquérants : l’Alexandre de La Calprenède et le Cyrus des Scudéry », art. cit.

Postérités anglaises de Quinte-Curce : les influences non avouées de Cassandre (1642-1645) de La Calprenède dans la tragédie de Nathaniel Lee The Rival Queens (1677) Au moment où Nathaniel Lee (1653-1692) publie sa quatrième pièce The Rival Queens, or, the Death of Alexander the Great1 (1677), Quinte-Curce est un auteur dont l’œuvre est peu citée par les littérateurs britanniques, et cette obscurité relative perdure dans les décennies qui suivent2. Tel n’est pas le destin du fameux roman héroïque français qui s’en inspire et qui constitue également une des sources principales de la tragédie de Lee, la Cassandre de La Calprenède, traduite en anglais par Charles Cotterell en 1652 : Henry Fielding dans la préface de Joseph Andrews (1742) et Charlotte Lennox tout au long de son roman The Female Quixote (1752) y feront des références appuyées, qui contribueront – même si c’est surtout pour tourner allègrement le roman en dérision – à en perpétuer la mémoire3. Quant à Quinte-Curce lui-même, rarement nommé dans les ouvrages d’imagination écrits au cours de la période dite « néoclassique » en Angleterre, il s’efface derrière la figure de son personnage, dont il contribue pourtant à nourrir le mythe4. Ainsi, la Cassandre – ou plutôt, Cassandra, pour reprendre le titre du roman paru en anglais – a, 1. L’édition moderne (et la plus récente) utilisée est The Rival Queens, éd. P. F. Vernon, Londres, 1970. 2. Lorsqu’il n’est pas ignoré, Quinte-Curce est parfois moqué, comme dans une satire attribuée à Thomas Burnet, A Second Tale of a Tub (Londres, J. Roberts, [1715]), qui compare Alexandre à « un grand bandit » (« a great Robber », p. xxix), et range Quinte-Curce, aux côtés de Xénophon, Thucydide et Plutarque, parmi les auteurs qui ont su tirer le meilleur parti, en les immortalisant, de la gloire douteuse de ceux qu’il nomme ironiquement des « grands hommes » (« great Men », p. xxix). 3. Le succès du roman peut se mesurer aux réimpressions successives de l’œuvre, en 1661, 1664, 1667, 1725 et 1737. Voir E. Kuehn, « France into England : The Cotterell Translation of La Calprenède’s Cassandre », Romance Notes, 18 (1977), p. 107-114. 4. Voir C. Rawson, « Avatars of Alexander : Jonathan Wild and the Tyrant Thug, from Voltaire to Brecht », dans Henry Fielding (1707-1754). Novelist, Playwright, Journalist, Magistrate. A Double Anniversary Tribute, éd. C. Rawson, Newark, 2008, p. 91-114. Postérités européennes de Quinte-Curce éd. Catherine Gaullier-Bougassas Turnhout, 2018 (Alexander Redivivus, 11), p. 577-592 © FHG DOI 10.1484/M.AR-EB.5.115419

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pendant plusieurs décennies, assez largement occulté dans l’esprit des lecteurs anglais la source antique de l’histoire d’Alexandre. Le paratexte de la pièce de Lee témoigne de cet ascendant pris par la matière fictionnelle déployée dans le roman français au détriment du texte de l’historien romain : en mettant à l’honneur, dès son titre, une scène qui s’inspire en droite ligne du roman de La Calprenède, la confrontation de Statira et Roxana5, les deux « reines rivales » (rival queens) épouses d’Alexandre, il relègue dans le sous-titre ce qui chez les historiens antiques, depuis l’ouvrage de Quinte-Curce, avait eu droit à tous les égards : le récit de la mort du plus grand conquérant que le monde ait connu. Cette inversion dans l’ordre des préséances est tellement déroutante qu’elle donnera lieu à un renversement de la part des éditeurs de la pièce à la fin du xviiie siècle, qui rétabliront les prérogatives dues au roi macédonien : alors que la pièce connaît une fortune qui ne se dément pas, l’œuvre est rebaptisée à la faveur de deux entreprises éditoriales distinctes Alexander the Great, A Tragedy6 […]. Une analyse des sources de la pièce montre qu’en dépit des emprunts faits à La Calprenède, Lee a pris soin d’en dissimuler toute trace visible au moment de sa composition. On s’interrogera sur les raisons qui ont pu conduire le dramaturge à s’exempter de toute forme de reconnaissance de dette à l’égard du romancier français. Pour raconter sa version de l’histoire d’Alexandre, Lee a abondamment puisé dans la matière romanesque d’un récit de fiction en prose français, la Cassandre (1642-1645) de La Calprenède, que le dramaturge a pu lire dans une traduction intégrale publiée dès 1652 par Sir Charles Cotterell, sous le titre de Cassandra. The Fam’d Romance : The Whole Work : In Five Parts Written Originally in French ; Now Elegantly Rendred into English by a 5. Pour les noms de personnages tirés de la pièce de Lee (à l’exception d’Alexandre), on aura ci-après recours à l’orthographe anglaise. Quand on fera référence aux personnages tels qu’ils apparaissent chez Quinte-Curce et Plutarque, on utilisera la graphie des traducteurs de ces auteurs : A. Flobert, pour l’Histoire d’Alexandre de Quinte-Curce, Paris, 2007, et J. Alexis Pierron (texte revu et corrigé par F. Frazier) pour la Vie d’Alexandre de Plutarque, dans Vies Parallèles I, Paris, 1995. 6. La pièce conserve certes son titre initial lors des cinq premières éditions parues au xviie siècle et des quatorze éditions parues au siècle suivant (jusqu’en 1768), mais le paratexte va connaître un bouleversement à partir de 1770 : à cette date, paraissent en effet deux éditions nouvelles « avec des modifications » (« with alterations »). Ces éditions partagent le même titre, Alexander the Great, A Tragedy […], qui remet à l’honneur le conquérant au détriment de l’évocation de la rivalité de Roxana et Statira. Dans les années 1790, une nouvelle version de la pièce paraît, qui insiste elle aussi sur Alexandre, tout en misant sur le nom, désormais célèbre, de son auteur, Lee’s Tragedy of Alexander the Great, Revised by J. P. Kemble (1795, réimprimée en 1796).



Postérités anglaises de Quinte-Curce : NATHANIEL LEE 579

Person of Quality (ci-après Cassandra). Le matériau fictionnel inventé par La Calprenède est exploité par Lee dès la scène d’exposition, qui s’ouvre sur un duel entre Lysimachus et Hephestion. Ces deux généraux d’Alexandre sont bien présents chez Quinte-Curce, où Lysimaque apparaît à plusieurs reprises, prenant part à une chasse au lion (VIII, 1, 14-17), assistant à la mort de Clitus (VIII, 1, 47), et s’adressant à Alexandre mourant (X, 10, 4). Héphestion, quant à lui, présenté par Quinte-Curce comme étant « de loin son ami le plus cher [celui d’Alexandre] » (III, 12, 16), devient dans la traduction anglaise de la Cassandre « that happy favourite » (« l’heureux favori7 »), honneur que Lee met lui aussi en exergue dès la liste des personnages de sa tragédie, où Hephestion est présenté comme « Alexander’s favorite » (« le favori d’Alexandre8 »). Mais Lee s’éloigne de Quinte-Curce dès sa scène d’exposition, en empruntant à La Calprenède l’idée d’une rivalité amoureuse entre les deux généraux, tous deux épris d’une belle captive, Parisatis (seul personnage de la pièce de Lee qui n’apparaît pas chez Quinte-Curce). Chez La Calprenède et Lee, cette rivalité conduit les deux hommes au duel, contre la volonté même d’Alexandre, qui fait emprisonner Lysimachus9. L’intrigue amoureuse qui ouvre la pièce de Lee est loin de représenter le seul emprunt du dramaturge anglais au romancier français. Le plus notable est l’histoire de la rivalité entre les deux reines, Roxana et Statira, qui fournit son titre à la pièce. Comme pour Lysimachus et Hephestion, Lee part de personnages existant chez Quinte-Curce auxquels La Calprenède a prêté des aventures romanesques. Chez Quinte-Curce, « Statire », fille de Darius, apparaît une unique fois, au moment où Darius propose à Alexandre « de lui donner en mariage sa fille Statire ; elle apporterait en dot tout le pays situé entre l’Hellespont et l’Halys » (IV, 5, 1). Roxane occupe une place plus importante dans le récit de l’historien romain, puisque ce dernier s’étend sur son « charme » et sa « distinction naturelle » qui font « succomber » Alexandre (IV, 4, 2324), et qu’à la mort d’Alexandre, on apprend de la bouche de Perdiccas qu’elle est enceinte de six mois (X, 6, 9), susceptible donc de donner un successeur au roi macédonien. Quinte-Curce, on le sait, à la différence de Plutarque, ne commente ni la bigamie d’Alexandre ni la jalousie de Roxana qui conduit cette dernière, chez l’historien grec, à supprimer Statira10. La Calprenède 7. Voir La Calprenède, Cassandra, Londres, Humphrey Moseley, William Bentley et Thomas Heath, 1652, Part II, Book II, p. 213. 8. Lee, The Rival Queens, éd. cit., p. 13. 9. Voir Cassandra, éd. cit., Part II, Book II, p. 216 et The Rival Queens, éd. cit., II, 1, v. 400-403. 10. « Jalouse de Stateira, elle [Roxane] inventa une lettre fallacieuse pour la faire venir et quand elle y eut réussi, elle la fit mourir avec sa sœur et ordonna de jeter leurs corps dans un

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a eu à cœur d’exploiter ce thème plutarquien de la rivalité entre une Roxana cruelle et une Statira douce et vulnérable, situation romanesque dont Lee a voulu, à son tour, utiliser les potentialités dramatiques dans sa fameuse scène 1 de l’acte  V (devenue immédiatement un morceau d’anthologie11), même s’il est vrai qu’il opère un bouleversement capital, comme on le verra plus loin, en substituant à la figure du héros fictionnel de La Calprenède la figure d’Alexandre lui-même, qui devient ainsi l’enjeu d’une rivalité féminine que Quinte-Curce ne lui avait pas prêtée. Enfin, le roman de La Calprenède n’a pas seulement inspiré Lee au plan de l’« invention » et de la « disposition » de son matériau, mais également à celui de l’« élocution » : la pièce culmine en effet avec la mise en scène de la mort d’Alexandre empoisonné, devant ses généraux Lysimachus, Perdiccas et Eumenes. Le roi macédonien y prononce les paroles bien connues des contemporains de Lee. Le passage rappelle dans un premier temps le récit de QuinteCurce12, auquel Lee a pu avoir accès à travers deux traductions anglaises qui circulent au moment où il écrit sa tragédie. La première est une traduction du milieu du xvie siècle due à John Brende, intitulée The Historie of Quintus Curtius, Contayning the Actes of the Greate Alexander […], publiée pour la première fois en 1553, réimprimée en 1561, 1571, 1584, 1592, et encore au début du xviie siècle, en 1602 et 1614. La seconde, signée de Robert Codrington, paraît sous différents titres, qui ne sont pas sans annoncer le sous-titre de la pièce de Lee : c’est d’abord The Ten Books of Quintus Curtius Rufus : Containing the Life and Death of Alexander the Great […], publiée en 1652 et réimprimée en 1673 ; elle paraît également en 1661 sous le titre The Life and Death of Alexander the Great in X Books, Written by Quintus Curtius Rufus […], avant que ne soit imprimée l’édition qui précède de peu la création de la pièce de Lee, The Life and Death of Alexander the Great by Quintus Curtius […] (1674). Ces deux traductions se ressemblent : elles intègrent toutes deux un « supplément » qui résume le contenu présumé des deux premiers livres (perdus) de l’ouvrage de Quinte-Curce13, et proposent des versions souvent extrêmement proches puits qu’elle fit combler avec la complicité et la collaboration de Perdiccas », Plutarque, Vie d’Alexandre, trad. cit., 77, p. 119. 11. John Dryden s’en inspire dès l’année suivante en 1677 dans son All for Love avec son évocation de la rivalité entre Cléopâtre et Octavie. 12. Il n’est pas question chez Plutarque de la remise de l’anneau à Perdiccas, ni des dernières paroles d’Alexandre telles qu’elles sont rapportées par Quinte-Curce. 13. Le « Supplément » fut écrit par le philologue Christoph Bruno, dont l’édition latine de Quinte-Curce fut publiée pour la première fois en 1545 (voir supra, l’article de Margaret Bridges, p. 295-323).



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l’une de l’autre. Ainsi, Codrington reproduit parfois littéralement les propositions de Brende, sans rien changer d’autre que la ponctuation et la graphie de certains termes, modifications d’ailleurs tout autant imputables à l’imprimeur lui-même, étant donnée l’évolution de la typographie au xviie siècle. Le passage nodal de la pièce de Lee auquel on s’intéresse ici, le récit des derniers instants d’Alexandre, s’inspire des traductions de Brende et Codrington, ou, plus probablement, de la version de Codrington qui n’est qu’une modernisation typographique de celle de Brende. Ce dernier traduit ainsi le récit de la fin d’Alexandre : Then taking his Ring from his finger, delivered it to Perdicas ; and gave him therewith a commandment that his body should bee conueyed to Hammon. They demanded whom he would leave his kingdome : He said : to the worthiest. […] Perdicas morover demaunded of him, when he would have divine honours done unto him : at such time (quoth he) as you shall finde your selues in felicitie14.

La traduction de Codrington, parue en 1652, fait plus que s’inspirer de celle de Brende, en proposant une version quasi identique – alors même que son auteur, avec peu de courtoisie, prétendait dans son paratexte corriger les erreurs de son prédécesseur : Then taking his ring from his finger he delivered it to Perdiccas ; and gave him therewith a commandement that his body should bee conveyed to Hammon. They demanded whom he would leave his kingdome ? he said, to the worthiest. […] Perdiccas morover demanded of him, when he would have divine honours done unto him ; at such time, said he, as you shall find your selves in felicity15.

C’est le redoublement du « c » dans « Perdiccas » chez Codrington, choix orthographique qu’on retrouve dans la tragédie de Lee, qui permet 14. The Historie of Quintus Curtius, p. 295 (édition de 1602, Londres, Thomas Creede). Cf. la traduction française moderne (Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre, trad. cit., X, 5, 4-6, p. 347) : « Il […] retira l’anneau qu’il portait au doigt et le donna à Perdiccas puis leur demanda de transférer ses restes auprès du dieu Hammon. Quand on voulut savoir à qui il laissait son royaume, il répondit qu’il le laissait au meilleur […]. Perdiccas lui demanda encore quand il voulait qu’on lui rende les honneurs divins : ‘Quand vous serez heureux’, répondit-il. » 15. The Ten Books of Quintus Curtius Rufus (1652), op.  cit., p.  296. En dehors de l’incise « (quoth he) » modernisée en « said he », les seules modifications concernent la ponctuation et l’orthographe, impliquant essentiellement la suppression de quelques « e » finaux et le remplacement de certains « u » indifférenciés en « v ». Par ailleurs, les noms propres chez Codrington suivent l’usage en vigueur entre le milieu du xviie siècle et le milieu du xviiie siècle, puisqu’ils sont mis en italiques.

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notamment de penser que le dramaturge a probablement travaillé sur la traduction de ce dernier plutôt que sur celle de Brende, qui n’avait par ailleurs pas été réimprimée depuis plus de soixante ans. Dans le dénouement de sa pièce, Lee transcrit assez fidèlement les propos de Quinte-Curce tels qu’ils sont traduits par Codrington, faisant ainsi dialoguer ses personnages : Alexander : Perdiccas, take this ring, / And see me laid in the temple of / Jupiter Ammon. Lysimachus : To whom does your dread majesty bequeath / The empire of the world ? Alexander : To him that is most worthy. Perdiccas : When will you, sacred sir, that we should give / To your great Memory those divine honors / Which such exalted virtue does deserve ? Alexander : When you are all most happy, and in peace. (V, 2, v. 54-62) [Alexandre : Perdiccas, prends cet anneau, / Et veille à ce qu’on m’enterre dans le temple de / Jupiter Ammon. Lysimaque : À qui votre majesté révérée lègue-t-elle / L’empire du monde ? Alexandre : À qui le méritera le plus. Perdiccas : Quand souhaitez-vous, ô majesté, que nous rendions / À votre mémoire les honneurs divins / Que mérite une si haute vertu ? Alexandre : Quand vous serez tous très heureux, et paisibles.]

On ne saurait manquer de noter les échos entre le texte de Quinte-Curce et celui de Lee, qui en suit scrupuleusement l’ordre et la teneur, et, surtout, fait mention des deux dernières paroles d’Alexandre, qui, chez Quinte-Curce et Plutarque, était déjà célébré pour ses « bons mots ». Pourtant, c’est bien à la traduction anglaise du roman de La Calprenède que Lee emprunte les paroles d’Alexandre agonisant. Cette version romanesque de la mort d’Alexandre s’inspire elle aussi, de toute évidence, du texte de Quinte-Curce, auquel elle ajoute quelques digressions narratives : on voit ainsi Alexandre remettre son anneau à Perdiccas, commanding him to take care of his Burial, and to cause his body to be carried to the Temple of Jupiter Hammon ; Perdiccas in the name of all the rest, ask’d him to whom he would leave his Empire ; To him that is most worthy (replyed he) and by that answer he showed the greatness of his courage, which in the last moments of his life, made him preferre vertuous persons, before those whom nearness of blood, and kindred, might have made considerable to another. His brother Aridaeus was living, and amongst us, and



Postérités anglaises de Quinte-Curce : NATHANIEL LEE 583 Queen Roxana was with childe ; and yet these considerations hindred him not from adjudging the Universal command to him that best deserved it. Perdiccas asked him last of all, when he desired to have those honours given him, which are due unto the Gods, and to those who like him, had gloriously acquired a place in the Heavens. When you (said he) are all happy, and in peace16.

Lee a bien « repris » à La Calprenède via Cotterell certains passages de la Cassandre, comme l’orthographe de Perdiccas, et surtout, a réutilisé verbatim les deux répliques d’Alexandre que sont « To him that is most worthy » et (à un mot prêt, pour les besoins de la métrique17) « When you are all […] happy, and in peace ». Lee avait donc bien sous les yeux, posé à côté du métier, au moment où il œuvrait à sa tragédie, « son » Cotterell18. L’examen du dénouement de la pièce montre bien que Lee a scrupuleusement retenu de Cotterell ses tournures (son « élocution »), dont il jugeait probablement qu’elles avaient des vertus plus « théâtrales » que celles du Quinte-Curce « anglicisé » par Codrington, mais qu’il avait aussi et surtout à cœur de procurer par là le tableau dramatique le plus fidèle possible à l’Histoire. Cette fidélité de Lee peut se mesurer a contrario à l’aune de l’autre grand texte qui, en Angleterre, illustre la postérité littéraire de La Calprenède, le roman de Charlotte Lennox The Female Quixote (1752), paru exactement un siècle après Cassandra. Autant Lee dramaturge se montre soucieux de demeurer au plus près du récit historique de la vie d’Alexandre, autant Charlotte 16. Cassandra, éd. cit., Part II, Book II, p. 234-235. Voir La Calprenède, La Seconde Partie de la Cassandre (1643), Paris, Antoine de Sommaville, Augustin Courbé, Toussaint Quinet et la veuve de Nicolas de Sercy, 1657, Livre II, p. 291-292 : « […] lui commandant de prendre le soin de sa sépulture, & de faire apporter son corps au Temple de Jupiter Hammon. Perdiccas lui demanda au nom de tous les autres auquel des siens il vouloit laisser l’Empire : A celui qui en sera le plus digne, répliqua il ; & par cette parole, il fit assez connoistre la grandeur de son courage, qui dans les derniers moments de sa vie lui faisoit préférer les personnes vertueuses à celles que le sang & la proximité eussent renduës considérables à quelqu’autre. Son frere Aridée estoit vivant & parmy nous, & la Reine Roxane estoit enceinte, & toutesfois ces considerations ne l’empescherent pas d’adjuger le commandement universel à celui qui le meritoit le mieux. Perdiccas lui demanda pour la derniere fois, en quel temps il desiroit qu’on lui rendist les honneurs qu’on doit aux Dieux & à ceux qui comme lui avoient glorieusement acquis une place dans le Ciel. Ce sera, lui dit-il lors que vous serez tous heureux & paisibles. » 17. « When you are all most happy, and in peace » (V, 2, v. 62) forme un pentamètre iambique, le vers de rigueur dans les tragédies de la Restauration. 18. Il est vrai que ces emprunts au traducteur de La Calprenède n’ont pas empêché Lee de biffer purement et simplement la digression ajoutée par le romancier français entre ces deux dernières paroles d’Alexandre, mais ce choix témoigne simplement de la licence poétique dont le dramaturge fait preuve dans la « disposition » de son matériau.

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Lennox lectrice de Cassandra prouve que le substrat historique du roman français pouvait tout à fait être laissé de côté, au profit des seuls rebondissements proprement romanesques dont La Calprenède agrémentait son récit. Le roman de Charlotte Lennox dépeint les déconvenues d’Arabella, jeune lectrice de romans héroïques français, victime de ses lectures de La Calprenède et des Scudéry, « not in the original French, but very bad Translations19 » (« non dans le français original, mais dans de très mauvaises traductions »). Or, parmi ces romans français prétendument mal traduits, la Cassandre joue un rôle de premier plan, puisque c’est le tout premier texte qu’évoque la narratrice au début de son récit, et que le nom de son héros fictionnel, Oroondate, est constamment invoqué par Arabella20. Cassandra est citée pour la première fois au moment où un valet, qu’Arabella avait pris pour un gentilhomme policé tout droit issu d’un roman des Scudéry, se voit gratifié de coups de bâton de la part du jardinier de la maison, avant d’être comparé, tout à son désavantage, à l’Oroondate de la Cassandre21. De fait, on peut dire que Charlotte Lennox, en dépeignant les situations ridicules auxquelles est exposée celle qui a eu la faiblesse de se plonger un peu trop naïvement dans des œuvres que plus personne désormais ne lit, laisse de côté le substrat historique de la Cassandre et des autres romans de longue haleine (substrat pourtant revendiqué en leurs préfaces par les romanciers eux-mêmes) pour ne s’intéresser qu’aux lubies romanesques de la malheureuse Arabella et aux souffrances qu’elles engendrent, lorsque, par exemple, la jeune fille confond le réel et la fiction, mettant sur le même plan « Oroondates, Artaxerxes, and the illustrious Lover of Clelia22 » (« Oroondate, Artaxerxès, et l’illustre amant de Clélie »). Symptomatiquement, le fond historique de la Cassandre est réduit chez Lennox à sa plus simple expression, au point que c’est essentiellement « Oroondates » (pour reprendre la graphie anglaise) qui obnubile Arabella, volant la vedette à Alexandre lui-même, qui est rarement mentionné23, dans un roman au demeurant assez long24. 19. Charlotte Lennox, The Female Quixote (1752), éd. M. Dalziel, Oxford, 1970, I, i, p. 7. 20. Les « romans héroïques » de La Calprenède et des Scudéry ont dans le roman de Lennox le même statut que les Amadis et les autres romans de chevalerie chez Cervantès, dans la première partie du Quichotte : ils sont un intertexte permanent. 21. Charlotte Lennox, The Female Quixote, éd. cit., I, vii, p. 24. 22. Charlotte Lennox, The Female Quixote, éd. cit., I, xi, p. 45. 23. Alexandre n’est cité que neuf fois dans le roman de Lennox, tandis que le nom d’Oroondates apparaît une quarantaine de fois. 24. L’édition moderne totalise 383 pages, ce qui, tout en demeurant raisonnable à côté des romans de longue haleine, représente une longueur appréciable pour un roman du milieu du xviiie siècle.



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Si la présence d’Alexandre est pour ainsi dire perdue de vue dans les nombreuses évocations de la Cassandre que propose Charlotte Lennox, on peut constater qu’en revanche, elle est centrale chez Lee : Lennox a très probablement lu La Calprenède sans Quinte-Curce, mais Lee a sûrement lu Cassandra d’une main, en tenant de l’autre The Life and Death of Alexander the Great. Il semblerait que cette déférence à l’égard de l’historien antique aille de pair avec une dissimulation très méticuleuse des emprunts faits au roman de La Calprenède, comme pour conférer à sa pièce une « pureté » historique qu’elle n’aurait pas pu avoir s’il ne s’était constamment reporté au texte de QuinteCurce. Autant Lennox tire Cassandra vers le romanesque, autant Lee cherche à « défictionnaliser » ce roman, donnant ainsi au spectateur l’impression d’assister à des scènes d’Histoire, même lorsque ces dernières proviennent en droite ligne d’un ouvrage d’imagination. Le procédé de défictionnalisation le plus notable est, comme on l’a évoqué plus haut, l’escamotage de la figure romanesque d’Oroondate (qui n’est, dans la Cassandre, rien moins que le protagoniste du roman) au profit de la figure historique d’Alexandre, qui se voit rétabli dans ses prérogatives. L’affaire est connue25. Mais Lee ne s’en tient pas à ce subterfuge, et il a soin, dès le seuil de sa pièce, où figure la liste des personnages, de proposer des figures historiques (presque) toutes attestées chez Quinte-Curce : Alexandre, Clytus, Lysimachus, Hephestion, les conspirateurs que sont Cassander, Polyperchon, Philip, frère de Cassander, et Thessalus « le Mède », les grands commandants Perdiccas, Eumenes, et Meleager, ainsi qu’Aristander le « devin », figuraient déjà parmi les personnages masculins des Historiae ; quant aux personnages féminins de la pièce, Sygigambis, Statira et Roxana, on les trouve eux aussi déjà dans Quinte-Curce26. La pièce déroule ainsi sous les yeux du spectateur une intrigue qui implique essentiellement des figures historiques – même si celles-ci agissent parfois au sein d’épisodes purement fictionnels. Une preuve supplémentaire de cette défictionnalisation de son intrigue par l’utilisation directe de Quinte-Curce est fournie par le traitement du vertueux Clytus, personnage central des Historiae, mais que La Calprenède 25. Les influences de la Cassandre de La Calprenède sur la tragédie de Lee ont été étudiées dans les années 1930 par W. Van Lennep, The Life and Works of Nathaniel Lee, Dramatist (1648?-1692); A Study of Sources, thèse non publiée, Harvard University, 1933. Voir aussi B. Davis, Nathaniel Lee, Boston, 1979, p. 67-79. 26. Parisatis, la sœur de Statira, amante de Lysimachus, qui apparaît aussi chez La Calprenède, a toutefois une origine historique : elle est mentionnée par Justin (Abrégé des Histoires Philippiques, III).

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mentionnait à peine dans son volumineux roman27, et qui (re)devient chez Lee un personnage très important : non seulement c’est à lui qu’échoit l’honneur de prononcer les premières paroles de la pièce en séparant Lysimachus et Hephestion, mais, surtout, l’acte IV roule sur le récit de son meurtre par un Alexandre aviné et aveuglé par l’orgueil28, d’une manière tout à fait conforme au récit de Quinte-Curce29 (ainsi qu’à celui de Plutarque30). Or, ce récit du meurtre de Clytus constitue un épisode qui n’a pas de nécessité absolue du point de vue de l’action, dans la mesure où il ne se rattache pas organiquement aux autres éléments de l’intrigue, dont le nœud se resserre dès la fin de l’acte I avec la description de la conspiration des ennemis d’Alexandre. Clytus n’est là que pour approfondir le portrait d’Alexandre et donc, sans doute, pour renforcer encore davantage l’ambition de peinture historique du dramaturge. Enfin, le soin mis par Lee à donner à son œuvre une perspective résolument historique apparaît dans la remarquable exposition de la conjuration des « vieux » Macédoniens, qui occupe la première scène de l’acte I, et qui fournit à Lee l’occasion de se (re)ssaisir des Historiae pour donner à la conspiration une vraisemblance fondée sur des faits attestés. Lee part des soupçons d’empoisonnement mentionnés par Quinte-Curce à la fin de son récit31, et sur lesquels Plutarque émet par ailleurs des doutes32, pour imaginer un complot de plusieurs macédoniens contre leur roi33, auquel il confère une vraisemblance fondée sur une connaissance approfondie des Historiae. Le portrait des conjurés dépeint des soldats qui, chez les historiens antiques, avaient de très bonnes raisons d’en vouloir au roi : parmi eux, Cassander, fils d’Antipater et chef de 27. Dans la traduction de Cotterell, « Clytus » (parfois orthographié « Clitus ») est très rarement mentionné, et l’est essentiellement pour sa bravoure (il est renversé de son cheval par Oroondates dans Cassandra, éd. cit., Part I, Book III, p. 65), et sa mort n’est pas racontée ; elle est simplement l’objet d’allusions passagères de la part de Lysimachus (Cassandra, Part II, Book II, p. 209, 217). 28. Voir Lee, The Rival Queens, éd. cit., IV, 2, v. 223. 29. Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre, trad. cit., VIII, 1, 19-45. 30. Plutarque, Vie d’Alexandre, trad. cit., 50-51. 31. « Beaucoup pensaient qu’il avait été empoisonné », Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre, trad. cit., X, 10, 14, p. 363. 32. Plutarque, Vie d’Alexandre, trad. cit., 77. 33. Le fait que Lee donne à voir la conjuration n’entre pas en contradiction avec l’Histoire : le poète ne fait qu’imaginer ce qui aurait pu arriver avant la mort d’Alexandre, exploitant les griefs qu’a pu entretenir son entourage. Mais Plutarque comme Quinte-Curce fait état du mécontentement de l’entourage d’Alexandre, lorsqu’il comble de cadeaux Taxile (« Cette conduite déplut fort à ses amis, mais elle lui gagna l’affection d’une foule de barbares » (59)), et lorsque Néarque rejoint Alexandre à Gédrosie (68) : « Partout se répandait une agitation extrême et des idées de révolution. »



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file de la conjuration chez Lee, est déjà soupçonné dans les Historiae d’avoir amené de Macédoine le poison foudroyant qui aurait tué le grand conquérant, et de l’avoir remis à son frère Iollas pour se venger de la violence d’Alexandre34. Polyperchon, chez Lee, voue à son roi « [a] most pernicious hate » (I, 1, v. 164, « une haine des plus insidieuses ») à la suite d’une humiliation racontée dans le récit de Quinte-Curce, où le roi le pousse et le fait tomber visage contre terre (VIII, 5, 24). Cassander et Polyperchon apparaissent aussi de très nombreuses fois chez La Calprenède, en particulier dans les scènes de combat, mais Lee laisse de côté cet aspect pour se concentrer sur la seule évocation de la conspiration. Il sollicite également le récit de Quinte-Curce au cours de cette longue scène de récriminations où les conjurés évoquent la mémoire des victimes macédoniennes d’Alexandre, telles que Philotas35, Parmenio36, Callisthenes37 ou Hermaulaus38, pour ressasser leur haine et fortifier leur dessein. Il évoque par ailleurs un personnage absent de Cassandra et directement issu des Historiae, Pausanias, l’assassin de Philippe39, nommé par un Polyperchon impatient d’en finir avec Alexandre (I, 1, v. 176-178). En retravaillant de première main le matériau de l’historien antique, Lee témoigne donc clairement d’une intention de « défictionnaliser » sa source romanesque, même s’il s’en inspire substantiellement. À quelles fins a-t-il opéré cette occultation de l’influence de La Calprenède, rendue manifeste par le bannissement de la figure d’Oroondate ? Le contexte poétique dans lequel écrit Lee peut aider à comprendre ce parti-pris : The Rival Queens est une pièce à ambition historique, et le genre de la tragédie historique tel qu’il s’élabore 34. Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre, trad. cit., X, 10, 17. Les griefs de Cassander sont explicités chez Plutarque : « Cassandre, venait d’arriver récemment et, voyant les barbares se prosterner devant Alexandre, se mit à rire aux éclats. » Le roi « l’empoigna violemment, à deux mains, par les cheveux et lui frappa la tête contre le mur » (Plutarque, Vie d’Alexandre, trad. cit., 74). 35. Voir Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre, trad. cit., VI, 7-11 ; Plutarque, Vie d’Alexandre, trad. cit., 49. 36. Voir Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre, trad. cit., VII, 2 ; VIII, 1 ; VIII, 7 ; VIII, 8 ; et X, 1 ; chez Plutarque, sa mort est racontée à la suite de celle de Philotas (Vie d’Alexandre, trad. cit., 49). 37. La mort violente de Callisthène est évoquée par les historiens (voir Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre, trad. cit., VIII, 6-7 ; VIII, 8, 21 ; et Plutarque, Vie d’Alexandre, trad. cit., 52-55), et figure chez La Calprenède (Cassandra, éd. cit., Part II, Book I, p. 201). 38. Chez Quinte-Curce, c’est l’un des pages à l’origine du complot de 327, torturé et mis à mort (Histoire d’Alexandre, trad. cit., VIII, 6-8) ; chez Plutarque, « la conjuration d’Hermolaos » est rapportée au chapitre 55. Chez La Calprenède, Hermolaus n’est mentionné qu’une seule fois, en lien avec sa conspiration ; voir Cassandra, éd. cit., Part II, Book I, p. 201. 39. Voir Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre, trad. cit., VII, 1, 6.

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à la Restauration est très fortement marqué par la réflexion théorique de John Dryden, qui rédige, pendant la fermeture des théâtres lors de la Grande peste de 1666, un Essay of Dramatick Poesie (1668). Ce texte, sous la forme d’un dialogue entre plusieurs amateurs de théâtre, acclimate en Angleterre la réflexion théorique de Pierre Corneille sur la tragédie historique. Corneille est présenté par Dryden, dans la bouche de Neander, comme le « poète par excellence » des Français (« their arch-poet40 »). Or, c’est bien dans le champ de la tragédie historique que Corneille a acquis ses lettres de noblesse. Lee, qui devait collaborer plusieurs fois avec Dryden41 et dont la première édition de The Rival Queens (1677) est précédée d’un poème liminaire élogieux de son confrère, semble avoir très tôt voulu se poser en émule de Corneille et des dramaturges français du xviie siècle. L’ambition de rivaliser avec Corneille, en devenant lui aussi un peintre d’Histoire, se construit en effet chez Lee, de pièce en pièce, dès le commencement de sa carrière, puisque le dramaturge anglais puise tous ses arguments dans une matière historique auréolée d’un prestige indubitable : Néron, Hannibal, Auguste, Alexandre, Mithridate et Théodose fournissent les sujets de ses six premières pièces, toutes des tragédies. On pourrait objecter que les tragédies historiques ne sont pas l’apanage des Français, et que les Élisabéthains, Marlowe et Shakespeare en tête, avaient largement illustré le genre. Lee s’inspire d’ailleurs directement du drame shakespearien lorsqu’il fait apparaître sur scène les fantômes de Darius et de la mère de Statira. Pourtant, c’est bien à la tragédie cornélienne qu’il se réfère dans son traitement de l’Histoire, notamment dans sa conduite du dénouement : ainsi que le recommande le poète français, il fait du dénouement – la mort d’Alexandre – le point d’orgue de sa pièce. Comme Corneille dans ses Discours, il ne considère comme intangible que ce qui est de l’ordre de l’« effet » ou du « résultat42 », et il se donne licence de transformer les événements qui y conduisent. Ainsi, il est capital qu’il ait transcrit mot à mot, à la fin de l’acte V, les ultimes paroles d’Alexandre, et qu’il se soit appliqué à mettre en intrigue43 l’hypothèse d’une conspiration 40. John Dryden, An Essay of Dramatick Poesie, dans The Works of John Dryden, t.  17, éd. S. Holt Monk, Berkeley, 1971, p. 44. 41. Ils coécrivent Œdipus créé en 1678 et The Duke of Guise joué en 1682. 42. Voir G. Forestier, « Littérature de fiction et histoire au xviie siècle : une suite de raisonnements circulaires », dans La représentation de l’Histoire au xviie siècle, éd. G. Ferreyrolles, Dijon, 1999, p. 123-237. 43. Même si The Rival Queens, en mettant en concurrence deux actions (la rivalité de deux reines et la mort d’Alexandre) qui ne sont pas indissociables l’une de l’autre, pèche par ce que l’abbé d’Aubignac nommait la « polymythie », Lee se montre soucieux de ménager



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contre le roi macédonien : cette dernière, sans être accréditée par tous les historiens, ne va pas pour autant à l’encontre de ce qui est communément admis par la tradition. Lee prend ainsi soin d’exploiter dès l’acte I les motifs de haine des conjurés à l’égard de leur roi, ce qui prépare l’acte V et l’empoisonnement d’Alexandre, et il fait même découler la confrontation des deux reines de cette même conjuration, puisque c’est Cassander qui attise la haine de Roxana contre Statira44. Les quatre premiers actes de la pièce sont donc, à l’exception du meurtre de Clytus, essentiellement fictionnels, et relèvent de ce que Corneille appelle les « acheminements », l’art de produire un enchaînement de causes et d’effets certes inventés, mais qui conduisent à un fait historique reçu pour vrai. La théorie cornélienne de la tragédie historique est donc en un sens accueillante à la fiction, voire au romanesque45, et on aurait pu trouver légitime que Lee se réclame explicitement, dans sa dédicace par exemple, de La Calprenède, comme l’avait fait avant lui Thomas Corneille dans Timocrate46. Il se trouve cependant que la dignité du genre tragique empêche généralement les auteurs de tragédie de se reconnaître d’autre source que l’Histoire, et la référence à un simple roman, si bien ouvragé fûtil, ferait déchoir l’œuvre aux yeux du public. Corneille a répandu en France, à partir de la querelle du Cid (1637), l’usage de mentionner ses sources, du moins lorsque celles-ci sont historiques, et cette tradition s’est imposée auprès de ses contemporains : Racine, dans la préface de son Alexandre le Grand (1676), s’y conforme lui aussi, citant Quinte-Curce et Justin47. davantage d’unité d’action que ce qu’on peut trouver chez ses prédécesseurs anglais. Comme le dit Lisideius dans l’essai de Dryden, « [the French] do not embarrass, or cumber themselves with too much Plot ; they only represent so much of a Story as will constitute one whole and great action sufficient for a play ; we who undertake more, do but multiply adventures ; which, not being produc’d from one another, as effects from causes, but barely following, constitute many actions in the drama, and consequently make it many Playes » ( John Dryden, An Essay of Dramatick Poesie, éd. cit., p. 37) : « [les Français] ne s’embarrassent ni ne s’encombrent d’un excès d’intrigue ; ils ne retiennent d’une histoire que ce qui constitue une action pleine et entière, et cela suffit pour faire une pièce ; nous, qui entreprenons davantage, ne faisons que multiplier les aventures, qui, ne découlant pas l’une de l’autre comme des effets dérivent des causes, mais, au contraire, ne faisant que se succéder, constituent de nombreuses actions dans la pièce, et fournissent donc matière à de nombreuses pièces. » 44. Voir Lee, The Rival Queens, éd. cit., III, 1, v. 37-134. 45. Voir F. Greiner, « Corneille romanesque », dans Le roman mis en scène, éd. F. Greiner et C. Douzou, Paris, 2012, p. 145-158. 46. La préface de Timocrate (1656) exhibe sa dette envers la Cléopâtre (1646-1657) de La Calprenède. 47. Selon Van Lennep (The Life and Works of Nathaniel Lee, thèse citée, I, p. 170), ni Lyly, ni le comte de Sterling ni Desmarets ni Racine n’auraient influencé Lee.

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L’usage s’impose même en Angleterre chez Dryden qui, peu après la création de The Rival Queens, cite les sources historiques de sa pièce All for Love (1678) : « I have drawn the character of Anthony, as favourably as Plutarch, Appian, and Dion Cassius wou’d give me leave : the like I have observ’d in Cleopatra48. » Cette pratique tranche nettement avec le silence qu’observe Lee sur ce chapitre. Peut-être Lee n’était-il pas vraiment, contrairement à Dryden, enclin à théoriser, ou peut-être ne souhaitait-il pas que voisinent ensemble, au seuil d’une tragédie, des références à un historien antique et à un romancier moderne, scrupule qui l’aurait amené finalement à ne citer aucune de ses sources. Enfin, des raisons d’ordre politique peuvent expliquer les réticences que Lee a pu éprouver à se réclamer de La Calprenède. Un tel geste eût nécessairement abouti à se mettre sous l’égide de Cotterell. Or, Cotterell, dans les avant-textes de sa traduction – non pas dans la première édition de 1652, mais dans la deuxième, parue en 1661 –, avait nettement pris parti pour le nouveau roi d’Angleterre Charles II, comparé, depuis son exil en France, à un second Artaxerxès, et opposé à un Alexandre assimilé au régicide Cromwell49. Plusieurs préfaces de romans qui paraissent en Angleterre dans la seconde moitié du xviie siècle font similairement état d’un attachement à la « cause royale50 » et d’une hostilité au « gouvernement tyrannique de Cromwell51 ». Cotterell fut un traducteur profondément dévoué à la dynastie Stuart. Or, au cours des années 1670, Lee, sans être un révolutionnaire, s’oppose en futur bon whig à ce qu’il considère comme des inclinations absolutistes d’un roi revenu d’exil52. Ces choix politiques transparaissent à travers le traitement nouveau réservé à la figure d’Alexandre, qui se voit beaucoup plus résolument valorisé que dans la préface de Cotterell. Lee 48. Préface : « J’ai exécuté le portrait d’Antoine aussi favorablement que Plutarque, Appien et Dion Cassius me l’ont autorisé ; et j’ai fait de même avec Cléopâtre. » 49. Voir P. Major, « ‘A Credible Omen of a More Glorious Event’ : Sir Charles Cotterell’s Cassandra », The Review of English Studies, 60 (2009), p. 406-430. 50. « [T]he Royall [sic] Cause », préface de The Loving Enemie (1650) de Jean-Pierre Camus, par le traducteur John Wright. 51. « [T]he Tyrannical Government of Cromwel [sic] », préface de The Princess Cloria (1661) de Sir Percy Herbert. 52. Voir l’introduction de J. Loftis à Lucius Junius Brutus, Lincoln, Nebraska, 1967, p. xiixix. En 1678, naissent deux courants politiques opposés, sous les noms de tories et de whigs, qui s’affrontent sur la question des prérogatives respectives du roi Charles II et du Parlement. Les premiers, partisans de l’absolutisme royal contre la monarchie constitutionnelle favorisée par les whigs, se verront écartés du pouvoir à la suite de l’expulsion en 1688 de Jacques II, frère de Charles II, convaincu de catholicisme.



Postérités anglaises de Quinte-Curce : NATHANIEL LEE 591

prend ainsi le contrepied de Cotterell dans sa tragédie même, et s’abstient de faire du roi macédonien un personnage repoussoir, comme le laisse entrevoir d’emblée sa dédicace au comte de Mulgrave, où il propose une défense (certes pondérée) de la grandeur d’Alexandre : le dramaturge, même s’il condamne ses excès sanguinaires, entend malgré tout rendre hommage à sa « majesté » (« majesty ») et à son caractère « illustre » (« illustrious »). L’hommage whig à Alexandre trouvera par ailleurs des prolongements chez d’autres écrivains au cours du xviiie siècle, avec par exemple le poème de Francis Manning The British Hero (1733) dédié à la mémoire de John Churchill, premier duc de Marlborough et soutien éminent de la dynastie de Hanovre, poème encomiastique qui compare les vertus militaires du héros de la guerre de succession d’Espagne à celles d’Alexandre. Pour Nathaniel Lee, en 1677, se placer sous l’autorité de La Calprenède par le biais de Cotterell, c’eût été peut-être donner un peu trop de gages à l’adversaire politique. Si l’on ne saurait mésestimer l’importance prise par la Cassandre comme source de la pièce de Lee, il semble ainsi que le dramaturge ait eu toutes sortes de raisons de ne pas prêter allégeance au romancier français, tant au moment où il travaillait sur son matériau que quand il rédigeait sa dédicace. C’est que, dans les années 1670, roman et histoire ne font guère bon ménage dans les discours sur la tragédie historique inspirée du modèle cornélien. On comprend ainsi pourquoi Lee, dans son épître dédicatoire, s’est tout bonnement abstenu, rompant avec la pratique d’un Corneille, d’un Racine ou d’un Dryden, de faire mention de ses sources : il n’avait d’ailleurs pas procédé autrement dans les dédicaces de ses trois premières pièces, Nero, Emperor of Rome (1675), Sophonisba, or Hannibal’s Overthrow (1676) et Gloriana, or the Court of Augustus Cesar (1676), qui prennent toutes leur sujet dans l’histoire de la République et de l’Empire, sans pour autant faire mention de leurs sources. Et il allait faire de même, trois ans plus tard, avec Lucius Junius Brutus (1681), tragédie qui emprunte silencieusement à la fois à Tite-Live et à la Clélie des Scudéry – même si elle cite par ailleurs Shakespeare et Ben Jonson. Loin d’exhiber ses sources, Lee se contente donc, dans la dédicace de la pièce, d’évoquer avec respect la figure d’Alexandre, qu’il a, dit-il, « ressuscité des morts » (« raised from the dead »), et dont il s’est « contenté de déposer les illustres cendres dans une urne » (« only put his illustrious ashes in an urn53 »). La sobriété du propos et la modestie de la pose convenaient 53. Lee, The Rival Queens, « To the Right Honourable John, Earl of Mulgrave », éd. cit., p. 7.

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mieux à ses yeux, assurément, qu’une référence tronquée au seul matériau historique utilisé lors de la composition de sa tragédie, ou que des aveux d’influence, marqués d’hybridité, sur les différentes sources d’inspiration – qu’elles soient historiques, dramatiques ou romanesques – que pouvaient exhiber les préfaces des romans héroïques54 qu’il avait bien sur sa table de travail. Baudouin Millet Université Lumière – Lyon 2

54. Rappelons que Georges de Scudéry dans la préface d’Ibrahim (Paris, 1641, traduit par Henry Cogan en 1652), se réclame tout autant des historiens antiques que d’Homère, de Virgile, du Tasse et d’Honoré d’Urfé, et que La Calprenède, dans la traduction anglaise de la préface de la troisième partie de la Cassandre, se reconnaît comme modèles Quinte-Curce, Plutarque et Justin, ainsi que « Homer, Virgil, Tasso, and other Writers of that nature » (« Homère, Virgile, Le Tasse, et d’autres écrivains de cette nature »), admirés pour avoir « embelli la vérité » (« beautified the truth »).

Fig. 1.1 : Apollonio di Giovanni, The Battle of Issus and the Meeting of Alexander with the Family of Darius, c. 1450, London, The British Museum, © The Trustees of the British Museum

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Curtius Rufus, Pier Candido Decembrio and the Impact of the Historiae on Fifteenth-Century Italian Art Claudia Daniotti

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Fig. 1.2 : The Battle of the Granicus, from Curtius Rufus, Historiae Alexandri Magni (Italian translation of Pier Candido Decembrio), c. 1450, Siena, Biblioteca Comunale degli Intronati, MS I.VII.23, fol. 1 r, © Autorizzazione Biblioteca Comunale Intronati di Siena, 13.11.2017

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Fig. 1.3 : The Siege of Tyre, from Curtius Rufus, Historiae Alexandri Magni (Italian translation of Pier Candido Decembrio), c. 1450, Siena, Biblioteca Comunale degli Intronati, MS I. VII.23, fol. 34 v, © Autorizzazione Biblioteca Comunale Intronati di Siena, 13.11.2017

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Fig. 1.4 : The Entry into Babylon and the Burning of Persepolis, from Curtius Rufus, Historiae Alexandri Magni (Italian translation of Pier Candido Decembrio), c. 1450, Siena, Biblioteca Comunale degli Intronati, MS  I.VII.23, fol.  75 r, ©  Autorizzazione Biblioteca Comunale Intronati di Siena, 13.11.2017

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Fig. 1.5 : The Murder of Cleitus, from Curtius Rufus, Historiae Alexandri Magni (Italian translation of Pier Candido Decembrio), c. 1450, Siena, Biblioteca Comunale degli Intronati, MS I.VII.23, fol. 156 v, © Autorizzazione Biblioteca Comunale Intronati di Siena, 13.11.2017

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Fig.  1.6 : The Death of Alexander, from Curtius Rufus, Historiae Alexandri Magni (Italian translation of Pier Candido Decembrio), c. 1450, Siena, Biblioteca Comunale degli Intronati, MS I.VII.23, fol. 224 v, © Autorizzazione Biblioteca Comunale Intronati di Siena, 13.11.2017

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Fig. 1.7 : Julius Caesar and Alexander, from the Comparatione complementing Curtius Rufus, Historiae Alexandri Magni (Italian translation of Pier Candido Decembrio), c. 1450, Siena, Biblioteca Comunale degli Intronati, MS  I.VII.23, fol.  236 v, ©  Autorizzazione Biblioteca Comunale Intronati di Siena, 13.11.2017

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Traduire des dialogues en peinture ? L’histoire d’Alexandre de Le Brun à la lumière du Quinte-Curce de Vaugelas Marianne Cojannot-Le Blanc

Fig.  2.1 : Charles Le Brun, La Bataille d’Arbèles, Paris, musée du Louvre (4,7  ×  12,65 m). Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Daniel Arnaudet / Gérard Blot

Fig. 2.2 : Charles Le Brun, Porus blessé, Paris, musée du Louvre (4,7 × 12,64 m). Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Droits réservés

Fig. 2.3 : Pierre de Cortone, La Bataille d’Arbèles, copie par Jacques Courtois, Versailles, Châteaux de Versailles et de Trianon (1,88 × 3,28 m). Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Daniel Arnaudet / Gérard Blot

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Fig. 2.4 : Détail de fig. 2.1. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Daniel Arnaudet / Gérard Blot

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Fig.  2.5 : Charles Le Brun, La Mort d’Alexandre, musée du Louvre, D.A.G., inv. 27658, 0,506 × 0,76 m, lavis gris, pierre noire, sanguine. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Thierry Le Mage

Fig. 2.6 : Charles Le Brun, Alexandre et Cénus, musée du Louvre, D.A.G., inv. 29531. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado

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Fig. 2.7 : Charles Le Brun, Alexandre et Philippe, musée du Louvre, DAG, inv. 27658, fusain, papier beige, pierre noire, sanguine. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michèle Bellot

Fig. 2.8 : Charles Le Brun, Le Voyage en Judée, musée du Louvre, D.A.G., inv. 29498. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado

Index des noms des auteurs, des artistes et des œuvres Abrégé de la chronologie de M. le Chevalier Isaac Newton, p. 483 n. 20 Abrégé des Histoires Philippiques, p. 36, 51, 52, 308 n. 37, 311, 585 n. 26 Acidalius, Valens, p. 141, 337 Ad Alexandrum, p. 243 n. 5 Ad Lucilium, p. 56 n. 2, 69 n. 16 Adelung, Johann Christoph, p. 402 n. 87 Aelius Lampridius, p. 105 Aesop, voir Ésope Æsop’s Fables with his Life: in English, French & Latin, p. 313 Africa, p. 56-74, 83, 95, 97 Aguilar, José de, p. 408 Alamanni, Giovanni, p. 269 Albéric, p. 12 Alciato, Andrea, p. 256 n. 41, 272 Alemand, Louis-Augustin, p. 367 Alessandro Magno in ottava rima, p. 27 Alexander Romance, p. 510 Alexander the Great, voir Rival Queens (The), or, the Death of Alexander the Great Alexandre blessé, p. 528 Alexandre de Paris, p. 11, 12, 57, 236, 237, 238 Alexandre en prose du xiiie siècle, p. 24, 236, 238 Alexandre et Cénus, p. 528, 531, 536, 603 Alexandre et son médecin Philippe, p. 528, 536-537 Alexandre françois, image de la fortune et de la vaillance à la noblesse française (L’), p. 17, 277 n. 14, 561 n. 7

Alexandre le Grand, voir Racine Alexandre pardonnant à Timoclée, p. 528, 536 Alexandre renvoyant la femme de Spitaménès, p. 528 Alexandre tranchant le nœud gordien, p. 528, 536 n. 26 Alexandre, voir La Taille, Jacques de Alexandreis, p. 6, 11, 12, 55, 56, 69 n. 16, 73-74, 80 n. 29, 82-90, 209 n. 67, 295 n. 1, 513 Alfonso de Cartagena, p. 189, 206, 207 Alfonso de Liñán, p. 16, 190, 195, 205, 211, 215, 225 All for Love, p. 580 n. 11, 590 Alonso de Palencia, p. 340 Amadigi (L’), p. 269 Ammien Marcellin, p. 290, 428 n. 12 Ammirato, Scipione, p. 245-246 Amyot, Jacques, p. 163, 165, 278, 287, 289, 461, 529, 534, 541 n. 1, 542 n. 4 Anabase / Anabasis, p. 5, 103, 248, 249, 333, 426, 427, 428, 434, 516, 554 n. 21 Andilly, Robert Arnauld d’, p. 374 n. 42 Angelica innamorata, p. 268 Angelo Decembrio, p. 20, 205 n. 53, 217, 513 n. 14 Animaduersiones, p. 141, 142, 145, 146 Annales et croniques de France, p. 161 Annales, voir Tacite, Anselme, Antoine, p. 481 Antigone, p. 379 n. 7 et 8 Antoine Haneron, p. 218, 227, 228, 233, 234

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Index des noms des auteurs, des artistes et des œuvres

Antonin, p. 333 Antonio Beccadelli, p. 117 n. 108, 217 Antonio, Nicolás, p. 409 Apocolocyntosis Claudii, p. 203 n. 48 Apollonio di Giovanni, p. 24, 514-517, 593 Apologie pour Hérodote, p. 451 Appien, p. 105, 256, 267, 590 n. 48 Aretino, Pietro, p. 267-268, 273 Ariosto, Ludovico, p. 27, 268 Aristote, p. 13, 266 n. 54, 472, 554-555 Arnauld, Antoine, p. 19, 363, 369, 371 Arrian /Arriano /Arrien, p. 83 n. 31, 89 n. 35, 287, 302 n. 24, 311, 332, 333 n. 24 et 25, 334 n. 28, 345, 366, 400, 425-442, 480 n. 7, 492-501, 510, 516, 517, 525, 529, 531, 535 n. 23, 536-538, 553 n. 19, 554 Arrian’s History of Alexander’s Expedition Translated from the Greek with Notes Historical, Geographical and Critical, p. 430 n. 23 Ars critica, p. 21, 429, 484 n. 26 Art de la guerre par principes et par règles, p. 431 n. 26 Art de la guerre, voir Machiavel Art poétique, p. 559 n. 2 Artamène ou le Grand Cyrus, p. 560 Artis historicae penus, p. 446 Astolfo borioso, p. 268 Astrée (L’), p. 544 Asulanus, Franciscus, p. 330 Athis et Prophilias, p. 92-93 Audran, Girard, p. 527 Augustin, p. 332, 340, 374, 375 Aulo Gellio /Aulu-Gelle, p. 70 n. 17, 105 Aurispa, voir Giovanni Aurispa Ausführliche Arbeit Von der Teutschen HaubtSprache, p. 397 n. 64 Ausone, p. 149, 153 Avarchide (L’), p. 269 Aventures de Télémaque (Les), p. 469 n. 10

Avis et dessein nouveau sur le fait de la Religion en l’Eglise Gallicane, p. 278 n. 18 Balbo de Lillo, Lorenzo, p. 130, 330 Balbus Liliensis, Laurentius, voir Balbo de Lillo Baluze, Étienne, p. 409, 411 Balzac, Guez de, p. 368 Banquet d’Alexandre (Le), p. 526 n. 5, 528 Barclay, Alexander, p. 305 Baro, Balthasar, p. 26, 541, 544, 555-557 Bartolomeo della Fonte, p. 242 Bartolomeo Facio, p. 247-248, 333 Bataille d’Arbèles (La), p. 526, 527, 529, 530, 531, 600, 601 Bataille de Zama (La), p. 530 Bayle, Pierre, p. 21, 152 n. 10, 428-430, 486 Beauzée, Nicolas, p. 427 n. 10, 440-441 Belisario, fratello del conte Orlando, p. 268 Bellenden, John, p. 305 Belli, Pietrino, p. 255 n. 41 Bellin, Johann, p. 383 n. 22, 402 Bellum civile, p. 56 n. 2, 73 n. 22, 242 Betussi, Giuseppe, p. 251 Bèze, Théodore de, p. 276, 280, 283, 284, 289, 290 n. 47 Bible enfin expliquée (La), p. 433 n. 37 Bible nouvellement translatée, p. 379 n. 10 Bibliotheca Historica, voir Bibliothèque historique Bibliotheca latina ou Notice des auteurs latins et de leurs éditions, p. 401 n. 85 Bibliothèque historique, p. 103, 260, 263 n. 50, 265, 271, 445 n. 11, 516 Blanc, Antoine, voir Candidus Blancardus, p. 337, 431, 431 n. 28 Blanchard, Nicolas, voir Blancardus Boccaccio, p. 195 n. 23, 197 n. 27, 299 n. 16



Index des noms des auteurs, des artistes et des œuvres 607

Bodin, Jean, p. 6, 348, 446 n. 14, 488 n. 31 Boiardo, Matteo Maria, p. 249 n. 29, 268 Boileau, Nicolas, p. 559 n. 2 Boisregard, Andry de, p. 367 Boke Named the Governour, p. 304 n. 31 Bon ministre d’estat (Le), p. 396 n. 63 Bonamy, Pierre-Nicolas, p. 479 n. 2, 480-482, 487 Boniface, Balthasar, p. 427 Boscán, Juan, p. 416 Bougainville, Antoine de, p. 482-483 Bouhours, Dominique, p. 19, 363, 367-374 Boulanger, Nicolas Antoine, p. 400 Boyer, Claude, p. 26, 541, 544-546, 552-553 Brende, John, p. 26, 295-323, 580-582 Brisson, Barnabé, p. 120 British Hero (The), p. 591 Bruni, Leonardo, p. 178, 196 n. 27, 208 n. 62, 234, 243, 250 Bruno, Christoph, p. 300-313, 377, 451, 580 n. 13 Brusantini, Vincenzo, p. 268 Brutus, p. 125, 455 Buch von der Deutschen Poeterey, p. 399 Budé, Guillaume, p. 105, 138, 451 n. 34 Burnet, Thomas, p. 577 n. 2 Byzance, Étienne de, p. 409 Caesar, voir César Calvin, Jean, p. 283, 289 Camus, Jean-Pierre, p. 590 n. 50 Candidus, Antonius, p. 22, 104, 138, 277, 287, 291, 443-446, 450-459 Cantiques de la Bible, p. 280 Cappelloni, Lorenzo, p. 246 Caroli, Philippus, p. 337 Cassandra, p. 577-592 Cassandre, p. 26-27, 559-576, 577-592 Cassio de Narni, p. 268 Castañeda, Gabriel de, p. 18, 305, 325, 329-336, 339, 341, 342, 405

Castellion, Sébastien, p. 379 n. 10 Castiglione, Baldassare, p. 416 Caussin, Nicolas, p. 311, 573 Cavaliere dal Leon d’oro, qual seguita Orlando Furioso, p. 269 César, Jules, p. 99, 125, 149, 150, 151, 159 n. 23, 162 n. 33, 165, 169, 171 n. 6, 172-174, 176, 189, 194 n. 18, 199 n. 37, 219, 242, 243, 247, 249, 256, 297, 357, 428 n. 12, 433, 451, 456 Chapelain, Jean, p. 18, 346, 353 n. 24, 354, 413 Charles Soillot, p. 219, 220, 228, 233 Charrier, Jean, p. 257 Charron, Pierre, p. 396 Chastenet, J. F. de, marquis de Puysegur, p. 431 Chaussard, Pierre-Jean-Baptiste, p. 427, 434 Christine de Pizan, p. 227 Cicero / Cicerone / Cicéron, p. 38 n. 18, 59 n. 8, 64 n. 12, 86 n. 33, 105, 116, 121, 124-126, 219, 374, 413, 445 n. 10, 446 n. 13, 453, 455 Cid (Le), p. 589 Clarke, Samuel, p. 21, 296, 426 Clélie, p. 348, 359, 560, 591 Cléopâtre, p. 589 n. 46 Clermont-Lodève, GuillaumeEmmanuel-Joseph-Guilhem de, voir Sainte-Croix Codrington, Robert, p. 17, 26, 311320, 580-583 Coeffeteau, Nicolas, p. 345-346, 354, 355 Cogan, Henry, p. 592 n. 54 Collatio inter Scipionem, Alexandrum, Hanibalem et Pyrrum, p. 71 Collatio laureationis, p. 59 n. 8 Colossus angelicus, p. 341 Commentaires sur la Guerre des Gaules, p. 151 n. 7, 357, 433

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Index des noms des auteurs, des artistes et des œuvres

Commentaires de César, voir Jean du Chesne Commentaires, voir Freinsheim Commentarii, voir Commentaires sur la Guerre des Gaules Comparació de Caio Julio Cèsar emperador grandíssim e de Alexandre Gran rey de Macedonia, p. 203 Comparación de Gayo Julio César emperador máximo e de Alexandre Magno rey de Macedonia, p. 199-211, 326 Comparación entre Alixandre, Aníbal y Escipión, p. 209 Comparaçom de Gayo Julio Cesar emperador maximo e Alexandre Magno rey de Maçedonia, p. 201-202, 211 Comparatione di Caio Iulio Cesare imperadore et de Alexandro Magno re di Macedonia, p. 15, 173, 174 n. 12, 175, 182, 184-187, 189-211, 216, 512, 518, 519, 521, 599 Comparatione di Cesare e Alessandro, voir Comparatione di Caio Iulio Cesare imperadore et de Alexandro Magno re di Macedonia Conestaggio, Franchi, p. 149 Conjuration de Catilina, p. 249 Conquestes et Chroniques de Charlemagne, p. 223, 231 Conrart, Valentin, p. 18, 346, 353 n. 24, 354 Considérations sur l’éloquence française, p. 364 n. 5 Continuation des pensées diverses, p. 152 n. 10 Contra eum qui maledixit Italie, p. 76, 86 Conversaciones de Cleandro y Eudoxia, p. 408 Cope, Anthony, p. 301, 305 Corneille, Pierre, p. 27, 545, 546, 555, 588, 589, 591 Corneille, Thomas, p. 589

Cornelius Nepos, p. 104, 339 n. 41, 416 n. 30 Corpus Iuris Canonici, p. 451 Cortone, Pierre de, p. 25, 525, 529-531, 601 Cospi, Angelo, p. 104 Cotta, Fabio, p. 257 Cotterell, Charles, p. 26, 577-592 Courtisan (Le), p. 416 Crèvecœur, Michel de, p. 439-440 Crollius, L., p. 6 Crónica del Sancto rey Don Fernando III, p. 327 Cronique de Flandres, p. 161 Cruser / Cruserius, Hermann, p. 104, 138, 451 n. 34 Curieuse und Compendieuse Vorstellung Aller Länder, Welche Der grosse Alexander unter seine Bottmäßigkeit gebracht, p. 411 n. 86 Cyropédie, p. 213-215, 219 n. 17, 220, 221 n. 21, 228, 483 Dacier, Anne, p. 401-403, 416, 419 Daire, voir La Taille, Jean de Dante, p. 85 n. 33, 97, 195 n. 23, 196 n. 27 Darès le Phrygien, p. 250 n. 32 Davanzati, Bernardo, p. 245, 249 David Aubert, p. 223 De bello civili, p. 78, 151 n. 7, 172, 242 De bello gallico, voir Commentarii et Commentaires sur la Guerre des Gaules De bello punico, voir Polybe De beneficiis, p. 56 n. 2, 64 n. 12 De causis corruptarum atrium, p. 451 n. 35 De civitas Dei, p. 64 n. 12 De consolatione ad Marciam, p. 313 De dictis et factis Alphonsi Regis Aragonum, p. 117 n. 108, 217 De excidio Trojae historia, p. 250 n. 32



Index des noms des auteurs, des artistes et des œuvres 609

De fortuna Alexandri, p. 289 De gestis Cesaris, p. 59 n. 8, 60 n. 9, 95-96 De ira, p. 78 De l’arte militare, p. 256 De l’esprit des lois, p. 431-432 De l’histoire, voir Fontenelle, p. 486 n. 27 De l’histoire, voir Le Moyne p. 479 De l’orateur, voir De oratore p. 116, 125 De la vida y acciones de Alexandro el Grande, p. 18, 19, 336-342, 405-421 De la vie et des actions d’Alexandre le Grand, voir Vaugelas De los hechos del Magno Alexandre, rey de Macedonia, p. 18, 329-336, 405 n. 1 De militia romana, p. 256 De oratore, p. 445 n. 10, 446 n. 13 De politia litteraria, p. 20, 217, 513 De ratione dicendi, p. 451, 456 n. 45 De re militari et bello tractatus, p. 255 n. 41 De re militari, voir Iacopo Porcia De rebus gestis ab Alphonso, p. 247 De remediis, p. 58-59 De republica, voir Cicéron De singulari certamine, p. 256 n. 41 De tradendis disciplinis, p. 451 n. 35 De viris illustribus, voir Giovanni Colonna De viris illustribus, voir Francesco Petrarca De viris illustribus et de originibus, p. 41 n. 27 De vita Agricolae, p. 245, 249, 432 n. 55 De vulgari eloquentia, p. 72, n. 20 De’ fatti d’Alessandro Magno Re de’ Macedoni, p. 16, 241-274 Decameron, p. 299 n. 16 Decem librorum Moralium Aristotelis tres conversiones, p. 267 n. 54 Decembrio, voir Angelo Decembrio et Pier Candido Decembrio

Défense de la chronologie, fondée sur les monumens de l’Histoire Ancienne, contre le système chronologique de M. Newton, p. 483 n. 20 Dell’ arte historica, p. 21, 428 n. 14 Della perfezione della vita politica, p. 248 Della Robbia, Lucca, p. 110, 115, 129 Delle famiglie nobili napoletane, p. 246 n. 16 Denis, Gabriel, p. 408 Des lois, p. 116 n. 105, 122, 125 n. 138 Desmarets de Saint-Sorlin, p. 26, 541, 545 n. 11 Deux âges du goût et du génie français sous Louis XIV et sous Louis XV (Les), p. 435 n. 44 Dialogue des Morts, p. 219 n. 16 Dialogues d’amour, p. 406, 414 n. 24 Dialogus cui titulus Ciceronianus siue De optimo genere dicendi, p. 125 n. 134 Diccionario de autoridades, p. 19, 419, 421 Dictionnaire historique et critique, p. 429 Dictionnaire philosophique, p. 433 Diego Hurtado de Mendoza, p. 198, 209 Dinouart, Joseph-Antoine-Toussaint, p. 343, 344, 360, 361 Diodore de Sicile, p. 10, 103, 132, 135, 163, 260, 263 n. 51, 265, 267, 271, 352, 445 n. 11, 481, 494, 495, 510, 516, 537 Diodorus Siculus, voir Diodore de Sicile Directoire des confesseurs, p. 352 Discorsi politici, voir Paruta Discorsi sopra Cornelio Tacito, p. 246 Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio, p. 446 n. 12 Discours de l’histoire, voir La Mothe le Vayer

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Index des noms des auteurs, des artistes et des œuvres

Discours et Traité monstrant en quoy consiste le discord qui est entre les François, lesquels sont de l’Eglise catholique romaine et ceux de l’Eglise catholique réformée, pour le fait de la religion, et les moyens de les pouvoir réunir les uns avec les autres pour vivre en bonne paix et concorde ensemble, p. 276 Discours sur l’Histoire de Charles XII, p. 433 n. 40 Discours, voir Corneille, Pierre Discurso histórico por el patronato de San Frutos, p. 410 n. 18, 421 n. 50 Discursos para todos los Evangelios de la Quaresma, p. 344 n. 4 Disertaciones eclesiásticas por el honor de los antiguos titulares contra las ficciones modernas, p. 410 n. 18 Dissertation on the Gods of Greece, Italy and India, p. 498 Ditte Candiotto et Darete Frigio della Guerra Troiana, p. 250 n. 32 Divus Aurelianus, p. 77 n. 27 Dolce, Lodovico, p. 246, 251, 256, 267, 269, 273 n. 72 Dolet, Étienne, p. 379 Dom, R. P., p. 396 Domenichi, Ludovico, p. 246, 250, 251, 252, 256, 273 n. 72 Doutes sur la langue françoise, p. 367-368 Douze livres de Robert Valturin touchant la discipline militaire (Les), p. 277 Dragha de Orlando innamorato (La), p. 268 Droysen, Johann Gustav, p. 492 Dryden, John, p. 27, 580 n. 11, 588-591 Du Bellay, Joachim, p. 379 Du Ryer, Pierre, p. 18, 337, 338 n. 35, 343, 345, 346, 350, 353, 354, 355, 356, 358, 361, 363 n. 1, 378, 416, 426 n. 4, 427 n. 10, 435 n. 43, 525 n. 1 Duke of Guise (The), p. 588 n. 41

Duplessis-Mornay, Philippe, p. 280, 282 Eberlin, Johann, p. 386 Edelinck, Gérard, p. 527 Élien le Tacticien, p. 256 Éloge historique de feu Mr Jean Le Clerc, p. 429 n. 19 Eloquentiae sacrae et humanae Parallela, p. 573 n. 24 Elyot, Thomas, p. 304 n. 31 Elzevier, Abraham, p. 116, 117, 123, 128, 143, 146 Elzevier, Bonaventure, p. 116, 117, 123, 128, 143, 146 Emendationes, p. 143 Encyclopédie, p. 5, 433 Enea Silvio Piccolomini, p. 513 n. 15 Énéide / Eneide, p. 73 n. 22, 105 n. 46, 241 Ennius, p. 455 n. 41 Ensayo de una biblioteca de traductores españoles, p. 419 Entrée d’Alexandre à Babylone (L’), voir Triomphe d’Alexandre Entretien des bons esprits sur les vanités du monde (L’), p. 473 n. 16, 474 n. 18 Entretiens d’Ariste et d’Eugène, p. 363 n. 2, 373 n. 37 et 38 Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, p. 407-408 Epistola Alexandri ad Aristotelem, p. 13, 104 n. 40, 236 Epitoma de Justin, voir Abrégé des Histoires Philippiques Epitoma rei militaris, p. 35 n. 6, 302 Épitomé de Jean Zonaras, p. 104 Epitomé de Metz, p. 10 Epitomé des Res gestae, voir Julius Valère Epitome of Pompeus Trogus, voir Abrégé des Histoires Philippiques et Justin Érasme / Erasmus, p. 107, 110, 111, 112, 117, 124, 125, 130, 131, 132, 133, 135, 136, 138, 299 n. 16, 300 n. 18, 301, 337, 379



Index des noms des auteurs, des artistes et des œuvres 611

Ésope, p. 313, 401 Essai sur les mœurs, p. 338-339 Essais, p. 14, 149-165 Essay of Dramatick Poesie, p. 588-589 Estienne, Henri, p. 346, 347, 450, 451 Estoire del Saint Graal, p. 93 n. 44 Estorya de Alexandre Magno, p. 201, 202, 211 Éthique à Nicomaque, p. 266 n. 54, 472 Ettlich Schöne Leßwürdige Vergleichungen/ Deß Durchleuchtigsten […] Herrn Gustav-Adolphi/ der Schweden/ Gothen und Wenden Königes. Mit dem Allerfürtrefflichstem Helden Alexandro Magno/ Königs Philippi in Macedonien Sohn, p. 384 n. 24 Eusèbe de Césarée, p. 333 Eustache, p. 12 Examen critique des anciens historiens d’Alexandre le Grand, p. 425-426, 439 Explications de plusieurs textes difficiles de l’Écriture, p. 396 n. 60 Eyb, Albrecht von, p. 387 Eyghte Bokes of Caius Julius Caesar, p. 298 n. 10 Fables, p. 313, 401 Fabricius, Johann Albert, p. 401 Faicts et conquestes d’Alexandre le Grand, Roy des Macédoniens, descripts en grec, en huict livres, par Arrian de Nicomédie surnommé le nouveau Xénophon (Les), voir Vuitart Faicts et Gestes d’Alexandre le Grand (Les), p. 8 n. 12, 16, 24, 213-240 Faicts et les Conquestes d’Alexandre le Grand (Les), p. 24 n. 43, 236 Faits des Romains, p. 220, 233 n. 40 Fall of Princes, p. 298 n. 13 Falugio, Domenico, p. 27, 270 n. 67 Familiares, p. 59, 72, 81 n. 30, 90 n. 38, 97 Female Quixote (The), p. 26, 577, 583-584

Fénelon, François de, p. 469 Ferguson, Adam, p. 491 Fernand de Lucène, p. 219-220 Ferreras, Juan de, p. 415 Fichte, Johann Gottlieb, p. 381 Fielding, Henry, p. 577 Flavius Josèphe, p. 238, 433 Fleyschbein, N. F., p. 6 Flores moralium auctoritatum, p. 13, 39, 40, 41 n. 28 Floresta de filósofos, p. 190, 207 Florus, p. 345, 357 Fonseca, Cristóbalde, p. 344 n. 4, 346 n. 9 Fontaine, Nicolas, p. 370 n. 28 Fontana, Giovan Battista, p. 255 n. 41 Fontana, Giulio, p. 255 n. 41 Fontenelle, p. 483, 486 n. 27 Francesco Petrarca, p. 13, 14, 20, 40-46, 50, 55-97, 103 n. 35, 171, 182, 196 n. 27, 215 Francini, Antonio, p. 106, 122, 129 Fréculf, p. 35 Freinsheim, Johannes, p. 7 n. 7 et 8, 8 n. 10 et 11, 11, 14, 19, 99-126, 147, 300, 337, 338, 343 n. 1, 377-378, 385-401, 416, 427, 435, 454 n. 39, 458 n. 46, 462 Fréret, Nicolas, p. 22, 481-489 Frontin / Frontinus, p. 256, 302 Fulstin, Herburt de, p. 149-150, 159 n. 23, 165 Gabriel, Leonardo, p. 269 Galen, p. 445 Gautier de Châtillon, p. 6, 11, 13, 5556, 69 n. 16, 86, 209, 295 n. 1, 309 n. 40, 513 Gédoyn, Nicolas, p. 368 General Estoria, p. 333 Géographie, p. 224, 386 Gerusalemme liberata (La), p. 269 Geschichte des Ursprungs, Fortgangs und Verfalls der Wissenschaften in Griechenland und Rom, p. 492

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Index des noms des auteurs, des artistes et des œuvres

Giasone del Maino, p. 450-451 Gibbon, Edward, p. 491, 497 Gillies, John, p. 23, 491-505 Giovanni Aurispa, p. 209, 219 n. 16 Giovanni Colonna, p. 13, 45-46 Giraldi, p. 149 Girone il cortese, p. 269 Giulio Pomponio Leto, p. 101, 107, 109, 112 n. 87, 128 Giulio Valerio, voir Julius Valère Giunti, Filippo, p. 110 n. 74, 129 Giustino, voir Justin Glarean /Glareanus, Heinrich, p. 101, 107, 111, 118, 135, 136, 252, 337 Gloriana, or the Court of Augustus Cesar, p. 591 Golding, Arthur, p. 297-298, 302, 313 n. 51 Gottfried, Johann, p. 16, 305, 377 Gottsched, p. 401 Goulart, Simon, p. 112, 138, 139, 140, 141, 146, 289-291 Grammaire générale et raisonnée de PortRoyal, p. 371, 373 Grammatica hebraeae linguae, p. 284 Grammatisch-kritisches Wörterbuch der hochdeutschen Mundart, p. 402 n. 87 Granada, Luis de / Grenade, Louis de, p. 340, 351 Gronovius, Johann, p. 426-430, 432 n. 34 Grote, George, p. 491-492, 498, 502 Guarino Veronese, p. 15, 16, 178, 179, 183, 192, 204, 206, 215, 216, 224 Guazzo, Marco, p. 268 Guerre civile, voir De bello civili Guerre civili, voir Appien Guerre de Jugurtha, p. 249 Guerre de’ Greci (Le), p. 256 Guerre des Suisses (La), traduite du premier Livre des Commentaires de Jules César, par Louis XIV, Dieudonné, Roi de France & de Navarre, p. 357

Guerre esterne, voir Appien Guerres d’Alexandre par Arrian (Les), p. 345, 366, 426 n. 6, 525 Guglielmo da Pastrengo, p. 40, 41, 45, 75, 77 n. 27 Guillaume Fillastre, p. 218 Guischardt, Charles, p. 431 Gutierre Díaz de Games, p. 209 Hardy, Alexandre, p. 26, 215, 541-557 Harsdörffer, Georg Philipp, p. 380-383, 403 n. 90 Hawes, Stephen, p. 298 n. 13 Heinsius, Daniel, p. 105, 108, 120, 123, 146 Henry V, p. 301 Herbert, George, p. 302 n. 28 Herbert, Percy, p. 590 n. 51 Herodian, p. 305 Hérodote, p. 122, 156, 249 n. 29, 267 n. 54, 328 n. 12, 360 n. 3 Hiéron, p. 218-219, 228, 234 Hille, Carl Gustav von, p. 380 Histoire ancienne des Égyptiens, des Carthaginois, des Assyriens, des Babyloniens, des Mèdes et des Perses, des Macédoniens, des Grecs, p. 400 n. 81 Histoire d’Alexandre (L’), voir Boulanger Histoire d’Alexandre le Grand (L’), voir Lesfargues Histoire de l’Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres (L’), p. 479-489 Histoire de l’ancienne Grèce (L’), voir History of Ancient Greece, its Colonies, and Conquests (The), Histoire de l’empire de Russie sous le règne de Pierre le Grand (L’), p. 436, 438 Histoire de l’origine, des progrès et de la décadence des sciences dans la Grèce (L’), p. 493



Index des noms des auteurs, des artistes et des œuvres 613

Histoire de la guerre de Flandres (L’), p. 355 Histoire de Portugal (L’), p. 289 Histoire de Scipion (L’), p. 530 Histoire des expéditions d’Alexandre (L’), p. 427 Histoire des faicts d’Alexandre le Grand, Roi de Macedoine (L’), p. 16, 275-291, 480 n. 5, 561 n. 7, 563, 564 Histoire du siège de Dunckerke en l’année 1658 (L’), p. 348 Histoire romaine de Lucius Annaeus Florus (L’), p. 345 n. 5 Histoire romaine, contenant tout ce qui est arrivé de plus mémorable depuis le commencement de l’Empire d’Auguste, avec l’Epitomé de Florus (L’), p. 345 n. 5 Histoires (Les), avec les fragments ou extraits du même auteur contenant la plupart des ambassades, voir Polybe Histoires, voir Ammien Marcellin Histoires, voir Fréculf Histoires, voir Polybe Histoires, voir Tacite Historia Augusta, p. 77 n. 27, 245 Historia de Alexandre Magno, p. 16, 18, 199-211, 325-328, 405 n. 1 Historia de la vida y hechos del emperador Carlos V, p. 365 n. 8 Historia de preliis, p. 13, 39 n. 20, 208 Historia de’ detti e fatti notabili di diversi principi e homini privati moderni, p. 246, 273 n. 72 Història del gran rey Alexandre, p. 203 Historia regum Britanniae, p. 93 n. 44 Historia scolastica, p. 196 n. 24, 238 Historia veneta, p. 250 Historiae Florentini populi, p. 250 Historiae, voir Paolo Giovio Historie fiorentine, p. 245 n. 15 Historie of Quintus Curtius, Contayning the Actes of the Greate Alexander, voir Brende John

Historiettes, p. 352 n. 24 History of Ancient Greece, its Colonies, and Conquests (The), p. 23, 291-505 History of Greece (The), voir Grote History of Justine taken out of the four and forty books of Trogus Pompeius (The), p. 313 History of the Life and Death of Alexander the Great by Quintus Curtius Rufus (The), p. 319-320 Höeniger, p. 337 Homer / Homère, p. 5, 117, 163, 303, 304, 433, 434, 592 n. 54 Horace, p. 267 n. 54, 374, 438 Hotman, François, p. 92, 451 Hotman, Jean, p. 276, 277 n. 11, 278 n. 18, 279 How to Write History, p. 446 n. 13 Huet, Pierre-Daniel, p. 367, 392, 395 Iacopo Porcia, p. 255 n. 41 Ibáñez de Segovia y Orellana, Mateo, p. 18-19, 325, 405-421 Ibáñez de Segovia, Gaspar, p. 407-411, 419 Ibrahim, p. 592 n. 54 Il Rota ovvero delle imprese, p. 246 n. 15 Iliad / Iliade, p. 189, 199 n. 37 Iliados, p. 304 n. 31 Imitations chrétiennes, p. 289 Imprese, stratagemi et errori militari, p. 272 Inde, p. 249, 427 Institutio oratoria, voir Institution oratoire Institutio Principis Christiani, p. 301 Institution oratoire, p. 455 n. 42 Instructions pour l’histoire, p. 479 n. 3 Invectiva contra eum qui maledixit Italie, p. 85 Invective contra medicum, p. 63 n. 11 Istoire Cyrus, p. 213, 214, 218, 220, 221, 240 Istoria d’Alexandro Magno, p. 16, 24, 169-188, 189-211, 216, 218, 512

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Index des noms des auteurs, des artistes et des œuvres

Istorie fiorentine, p. 250 Italia liberata da’ Gotti (L’), p. 271, 272 Jacques de Longuyon, p. 93 n. 44, 224 Jacques de Ramecourt, p. 227 Jacques Lefèvre d’Étaples, p. 266 n. 54, 267 n. 54 Jean de Hesdin, p. 85, 89, 90 Jean de Vignay, p. 238 Jean du Chesne, p. 219 Jean Jouffroi, p. 218 Jean Mansel, p. 233 Jean Miélot, p. 213, 219 n. 16, 220, 233 Jean Wauquelin, p. 24, 214 n. 2, 224, 236-238 Jean Xiphilin, p. 105 Jérôme, p. 38 n. 18, 333, 374, 380 Jon, François du, p. 284 Jones, William, p. 498 Jonson, Ben, p. 591 Joseph Andrews, p. 577 Juan Fernández de Heredia, p. 16, 203, 215 Juan Rodríguez del Padrón, p. 220 Jugements sur les anciens et principaux historiens grecs et latins, p. 365 Jugurtha, p. 305 Julius Valère, p. 13, 36, 57, 65 n. 13, 67, 69 n. 16, 73, 75 n. 25, 77 n. 27, 77 n. 27, 89, 236, 238 Justin, p. 10, 36, 42, 50, 51, 52, 78 n. 27, 105, 222, 239, 240, 267 n. 54, 286, 287, 308 n. 37, 311, 313, 314, 316 n. 55, 333, 339 n. 41, 352, 416 n. 30, 538, 560, 570 n. 20, 585 n. 26, 589, 592 n. 54 Klaj, Johann, p. 380, 381, 383 Kritzinger, Chrétien Guillaume, p. 397, 400-401 Kyng Alisaunder, p. 295 n. 1 La Boétie, Étienne de, p. 163 n. 37, 277 La Calprenède, Gautier de Coste, p. 26, 27, 559-576, 577-592 La Dixmerie, Nicolas Bricaire de, p. 435

La Fontaine, Jean, p. 386 La Harpe, Jean-François de, p. 480 n. 7 La Mesnardière, Hippolyte-Jules Pilet, p. 348, 359, 526 n. 3 La Mothe le Vayer, François de, p. 5, 19, 21, 337, 338, 363-376, 427, 428, 435 n. 43, 479 La Taille, Jacques de, p. 26, 215, 541, 543 n. 7, 546-549, 554 La Taille, Jean de, p. 543 n. 7 Lancelot, Claude, p. 372-373 Le Brun, Charles, p. 8, 24, 25, 348 n. 13, 359, 441, 525-539, 570, 600, 603-604 Le Clerc, Jean, p. 20, 427 n. 11, 429, 430, 436, 439 n. 62 Le Lorrain, Pierre, dit Vallemont, p. 429 n. 20 Le Maistre de Sacy, Antoine, p. 370, 374 n. 42, 375 Le Moyne, Pierre, p. 479-480 Le Tasse, voir Tasso, Torquato Le Tellier, Michel, p. 14, 160, 337, 426428, 484 n. 26, 566 Leçons d’histoire prononcées à l’École Normale en l’an III de la République française, p. 434 n. 41 Lee, Nathaniel, p. 26-27, 577-592 Lehsten, Hans Friedrich von, p. 19, 377-403 Lehsten, madame de, p. 401-403 Lennox, Charlotte, p. 26, 577, 583-585 Léon l’Hébreu, p. 406, 414 n. 24 León, Tomás de, p. 409 Leonardo Bruni, p. 178, 196 n. 27, 208 n. 62, 234, 243, 250 Lesfargues, Bernard, p. 17, 277 n. 14, 352, 561 n. 7, 564, 567, 575 Lessing, Gotthold Ephraim, p. 401 Lettre d’Alexandre le Grand sur la localisation de l’Inde et l’immensité des chemins qui s’y trouvent, adressée à son précepteur Aristote, traduite en latin par Cornelius Nepos (La), p. 104



Index des noms des auteurs, des artistes et des œuvres 615

Lettre sur Adonis, p. 413 Lettres touchant les Nouvelles Remarques sur la langue françoise, p. 363-364 Lexicon géographique, p. 409 Libro de Alexandre, p. 208-209 Libro della militia de’ Romani et del modo dell’accampare dell’historia di Polibio, p. 256 Life and Death of Alexander the Great, First Founder of the Grecian Empire (The), p. 426 n. 3 Life and Death of Charles the Great, First Founder of the French Empire (The), p. 296 n. 3, 426 n. 3 Life of Alexander the Great written in Latin by Quintus Curtius Rufus (The), p. 321 Life of Alexander, voir Plutarque Lipse, Juste, voir Lipsius Justus Lipsius, Justus, p. 22, 120, 160, 315, 340 n. 45, 443-459 Livio, voir Tite-Live Livre de Daniel, p. 105, 236 Livre des Maccabées, p. 236, 237, 333 Livre des trois vertus, p. 227-228 Livy, voir Tite-Live Lluís de Fenollet, p. 15, 16, 190, 204206, 211, 305, 328 Lobrede der Teutschen Poeterey, p. 381 n. 16 Loccenius, Johannes, p. 143, 337 Lohenstein, Daniel Casper von, p. 388 n. 35 López de Cortegana, Diego, p. 327 Loving Enemie (The), p. 590 n. 50 Lucain, p. 56 n. 2, 64 n. 12, 73 n. 22, 78, 87, 242 Lucano, voir Lucain Lucian of Samosata, voir Lucien Lucien, p. 105, 209, 219 n. 16, 373, 374, 446 n. 13 Lucius Junius Brutus, p. 590 n. 52, 591 Lucrèce, p. 149, 154, 165

Lungwitz, Matthaeus, p. 384 n. 24 Luther, p. 379-381, 386, 387, 392-395, 402 n. 87 Lycée ou cours de littérature ancienne et moderne, p. 480 n. 7 Lydgate, John, p. 298 n. 13 Mably, p. 489 Machiavel / Machiavelli, p. 245, 247 n. 21, 250, 257, 446 n. 12 Malherbe, p. 413 Manning, Francis, p. 591 Manuel Chrysoloras, p. 171 Marco del Buono Giamberti, p. 24, 514 Mare historiarum, p. 13, 45 Marin, Cavalier, p. 413 Marlowe, p. 588 Marmontel, Jean-François, p. 5, 23, 27, 433 Martín de Ávila, p. 190, 196-198, 207 n. 60, 208, 209, 211 Mascardi, Agostino, p. 21, 428, 439 n. 62 Masson, Jean-Baptiste, p. 103, 141, 566 Mayans, Gregorio, p. 410 n. 18 Mécanique des langues et l’art de les enseigner (La), p. 368 Mecklembourg, Sophie-Elisabeth de, p. 383 Méditation sur le Psalme 101, p. 280 Meiners, Christoph, p. 492-493, 504 Mélanges d’histoire et de littérature, p. 348 Mémoires militaires sur les Grecs et les Romains, p. 431 Mémoires pour servir à l’histoire de PortRoyal, p. 370 n. 28 Mémorial de quelques conférences avec des personnes studieuses, p. 365 n. 6, 375 n. 46 Ménage, Gilles, p. 19, 363, 367-374 Merula, Bartolomeo, p. 114, 115, 122, 129 Métamorphoses, p. 277, 299 n. 16

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Index des noms des auteurs, des artistes et des œuvres

Methodus ad facilem historiarum cognitionem, p. 348, 446 n. 14, 488 n. 31 Micyllus, Jacobus, p. 386 Miroir historial (Le), p. 238 n. 45 Miscellanea theologica, p. 389 Modène, Leo de, p. 426 Modius, François, p. 14, 100, 106, 107, 109, 111-114, 136, 137, 138, 140, 142, 143 n. 6, 144, 147, 337 Montaigne, Michel de, p. 14, 149-165, 277 Montesquieu, p. 21, 150 n. 6, 431, 432, 504 n. 36 Moralia, p. 289 Mort d’Alexandre (La), voir Hardy Mort d’Alexandre (La), voir Le Brun Mort de Daire (La), voir Hardy Mort de la femme de Darius (La), p. 532 Mort de Pompée (La), p. 546 Morte del Danese (La), p. 268 Morte di Ruggiero (La), p. 269 Mutoni, Nicolò, p. 256 Naturales quaestiones, p. 64 n. 12, 80 Nebrija, Antonio de, p. 413 Nero, Emperor of Rome, p. 591 Newton, p. 483 Nicephorus Gregoras, p. 448 n. 21 Nicholas of Cusa, p. 509 Nicholas Smith, p. 305 Nichols, Thomas, p. 305 Nicole Gilles, p. 149, 155 n. 15, 161, 165 Niebuhr, Barthold Georg, p. 492 Niketas Choniates, p. 448 n. 21 Nisard, Désiré, p. 339 n. 41, 416, 417 Nivelon, Claude, p. 528, 530, 532, 533, 535, 537, 538 Noticia y Juicio de los principales escritores antiguos y modernos de la Historia de España, p. 410 n. 18 Nouveau Dictionnaire historique et critique, p. 430 n. 22

Nouveau système et nouveau plan d’une Grammaire françoise, p. 368 n. 19 Nouveaux Dialogues des Morts, p. 486 n. 27 Nouvelle Histoire de Louis XIV (La), p. 435 Nouvelles considérations sur l’Histoire, p. 432 n. 36 Nouvelles Remarques de M. de Vaugelas sur la langue françoise, p. 358 Nova Spagna d’amor et morte dei paladini, p. 269 Novellino, p. 66 n. 14 Observations générales sur la géographie ancienne, p. 484 n. 24 Observations sur la langue françoise, p. 367 n. 17, 368 Odes, p. 438 n. 55 Odissea, p. 304 n. 31 Œdipus, p. 588 n. 41 Œuvres spirituelles, p. 351 On the Fortune or the Virtue of Alexander, voir Sur la fortune ou la vertu d’Alexandre Onasandre, p. 257 Onesicritus, p. 304 n. 31 Opitz, Martin, p. 379, 382, 399 Oratio in historiae laudationem, p. 242 Oriolo, Bartolomeo, p. 269 Orlando furioso, p. 27, 268, 269, 272 Orlando innamorato, p. 268-270, 273 n. 72 Orologgi, Giuseppe, p. 246 Orosio, p. 66 n. 14, 89 n. 35 Osorio, Jérôme, p. 289 Ostertag, Johann, p. 392 Ovide, p. 267 n. 54, 277 Palatium Reginae Eloquentiae, p. 574 n. 25 Palmerino, p. 269 Paolo Giovio, p. 250 Papenbroeck, Daniel van, p. 409



Index des noms des auteurs, des artistes et des œuvres 617

Paradiso, p. 97 Parallel Lives, voir Vies parallèles Paralleli militari ne’ quali si fa paragone delle milizie antiche, in tutte le parti loro, con le moderne, p. 247 n. 21 Parthénie, p. 26, 541-557 Paruta, Paolo, p. 248 Pascal, Blaise, p. 408, 489 n. 33 Passage du Granique (Le), p. 527 Pastime of Pleasure, p. 298 n. 13 Patin, Guy, p. 349, 429 Patrizzi, Francesco, p. 247 n. 21 Patru, Olivier, p. 18, 358-359, 363, 365 Pecatore, Giovambattista, p. 269 Pedro Mexia, p. 246 Pèlerins d’Emmaüs (Les), p. 527 n. 9 Pelletier, Gérard, p. 573-574 Pellicer y Saforcada, Juan Antonio, p. 419 Pellisson, Paul, p. 355, 358 n. 31, 368 n. 22 Pellot, Claude, p. 409 Peloponnesian War, p. 305 Pensées, voir Montesquieu Perceforest, p. 89, 93, 94 n. 44 Pérez de Lara, Miguel, p. 414 Perino del Vaga, p. 25, 525 Perizonius, Jacob, p. 430 Perrot d’Ablancourt, Nicolas, p. 18, 345, 346, 355-357, 359, 364, 366, 367, 370, 426, 525, 529, 531 Petrarca, voir Francesco Petrarca, Pétrarque, voir Francesco Petrarca Pharsale, voir Bellum civile Philippe de Commynes, p. 150, 165 Photius, p. 428 Pier Candido Decembrio, p. 15, 16, 20, 24, 169-188, 189-211, 215-218, 224, 225, 233, 243, 249, 252, 266, 305, 325-328, 333, 336 n. 32, 405 n. 1, 509-523, 593-599 Pierre Bersuire, p. 233

Pierre le Mangeur, p. 238 Pietro Bembo, p. 250 Pinedo, Tomás, p. 409 Plaidoyers et autres œuvres, p. 359 Plato / Platon, p. 189, 199 n. 36, 206, 208 n. 63 Pline le Jeune, p. 9, 121, 219 Pline l’Ancien, p. 105 n. 46, 267 n. 54 Plinio, p. 57, 267 n. 54 Pluche, Noël-Antoine, p. 368 Plutarch / Plutarcho, voir Plutarque Plutarque, p. 7 n. 8, 8 n. 12, 11, 15-16, 23, 104, 105, 138, 141, 143, 145, 146, 155 n.15, 160, 163, 165, 169, 171, 176, 178-187, 190, 192, 193, 195 n. 23, 201-206, 211, 214-216, 218, 225, 245, 267 n. 54 et 55, 277279, 288 n. 41, 304 n. 31, 306, 326, 332, 333, 340, 357, 365, 433, 451, 461, 464, 469 n. 8, 470, 478, 481 n. 13, 492, 493, 494, 499, 500, 502, 510, 512, 515-522, 529, 534-538, 541 n. 1, 542-545, 554, 560, 569, 573 n. 22, 577 n. 2, 578 n. 5, 579, 580 n. 10 et 12, 582, 586, 587 n. 34, 35, 36, 37 et 38, 590, 592 n. 54 Poème de saint Prosper contre les Ingrats, p. 370 Poetischer Trichter, p. 403 n. 90 Poggio Bracciolini, p. 215, 216, 250, 509, 513 Poincts principaux tendans a l’union des Chrestiens qui doibvent estre examinés et mis en deliberation en ung Concile national de l’Eglise Gallicane, p. 276 Polane, p. 352 Poliénos, p. 256 Politica, voir Politicorum sive civilis doctrinae libri sex Politicorum sive civilis doctrinae libri sex, p. 443-459 Poliziano, Angelo, p. 305

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Index des noms des auteurs, des artistes et des œuvres

Polybe / Polybius, p. 169, 172, 176, 178, 189, 199 n. 37, 248, 256, 290 n. 45, 355, 447, 448 n. 21, 488 n. 31 Popma, Titus van, p. 143, 337, 566 n. 14, 567 Porcacchi, Tommaso, p. 16, 18, 241274, 337-339, 415, 418 Port-Royal, p. 363-375 Portrait d’Alexandre le Grand, p. 21-22, 461-478 Porus blessé devant Alexandre, p. 526-527 Porus ou la générosité d’Alexandre, p. 26, 541, 544 Pouilly, Jean-Louis Levesque de, p. 481, 483 n. 20 Predicación de Santiago en España, p. 410 n. 18, 421 n. 50 Priami, Flaminio, p. 113 n. 95, 137 Primaleone, figliuolo di Palmerino, p. 269 Primaticcio, Francesco, p. 25 n. 48 Prime imprese del conte Orlando (Le), p. 269, 273 n. 72 Prince (Le), p. 245 Princess Cloria (The), p. 590 n. 51 Pro Archia, p. 38 n. 18, 59 n. 8 Provinciales (Les), p. 408 Psaumes de David, p. 280 Pseudo-Callistene / PseudoCallisthenes / Pseudo-Callisthène, p. 13, 20, 24, 25, 57, 104 n. 40, 215, 236, 237, 248, 515 Pseudo-Démosthène, p. 243 n. 5 Puget de la Serre, Jean, p. 21, 22, 461-478 Puteanus, Erycius, p. 22, 120, 443-459 Pyrrhonisme dans l’Histoire (Le), p. 5, 436 Q. Curtius Rufus, von dem Leben und den Thaten Alexander des Grossen, mit Freinsheims Ergaenzungen, p. 401 n. 86

Quintilian/Quintiliano/Quintilien, p. 119, 122, 308, 119, 413, 455 n. 42, 485 Racine, p. 26, 360 n. 38, 426, 541, 543546, 550-554, 589, 591 Rader, Matthaeus, p. 14, 100-126, 142145, 337-339, 349, 564 n. 12, 566 Raoul Lefèvre, p. 213 Rapin, René, p. 338, 479 n. 3, 480 n. 8, 485 Reden an die deutsche Nation, p. 381 n. 20 Réflexions sur l’histoire, p. 338 Règles pour discerner les bonnes et les mauvaises critiques des traductions de l’Écriture sainte, p. 363, 369 Reines de Perse aux pieds d’Alexandre (Les), p. 8, 25, 526 Relation contenant l’histoire de l’Académie française, p. 354-355 Relations de guerre, p. 348 n. 13 Remarques de l’Académie française sur le Quinte-Curce de Vaugelas (Les), p. 7, 339 n. 41, 360 n. 37, 416 n. 29, 525 n. 2 Remarques sur l’histoire, p. 432 n. 35 Remarques sur la langue françoise : utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire, p. 18-19, 344, 345, 347, 358, 360, 363-364, 379, 413, 525 Rencontre d’Alexandre avec la reine des Amazones (La), p. 528 René d’Anjou, p. 190 n. 4, 217, 224, 248 Réponse aux observations sur la chronologie de M. Newton avec une lettre de l’abbé Conti au sujet de ladite réforme, p. 483 n. 20 Republic, voir Platon Rerum memorandarum libri, p. 59 n. 8, 85 n. 32, 86 n. 33 Rerum vulgarium fragmenta, p. 59 n. 8 Res gestae, voir Julius Valère Responce a la supplication addressée au Roy pour se faire Catholique avec



Index des noms des auteurs, des artistes et des œuvres 619

moyens nouveaux pour induire Sa Majesté d’aller a la messe, p. 277 Ribadeneira, Pedro de, p. 340 Rinaldo furioso, p. 268 Ritratti d’huomini illustri di Casa Medici, p. 245 Rival Queens (The), or, the Death of Alexander the Great, p. 26, 27 n. 52, 577-592 Robertson, William, p. 491 Rocca, Bernardino, p. 272 Rollin, Charles, p. 400, 435 n. 43 Romain, Jules, p. 530 Roman d’Alexandre, voir Albéric, Alexandre de Paris, Pseudo-Callisthène Ronsard, Pierre de, p. 92, 379 Rooke, John, p. 430, 439 n. 62 Rossi, Giovangirolamo de’, p. 246 Rougemont, Denis de, p. 386 n. 27 Roxane, p. 26, 541, 545 n. 12 Rudolf von Ems, p. 12 Rutgers, Johannes, p. 120-121, 142, 143 Sachs, Hans, p. 380 Sacripante paladino, p. 269 Saint-Évremond, p. 546, 554 Sainte-Beuve, p. 371-375 Sainte-Croix, baron de, p. 8 n.10, 2123, 425-442 Sallier, Claude, p. 481 Sallust / Salluste / Sallustius, p. 99, 105, 165 n. 41, 233, 234, 243-246, 249, 305, 346, 449, 454, 456, 479 Sandoval, Prudencio de, p. 365 Sauvage, Denis, p. 149-150, 159 n. 23, 161, 165 Schlüter, Johann Georg Karl, p. 401 n. 84 Schmieder, Friedrich, p. 106, 110, 114, 127, 142, 427 Schottel, Justus Georg, p. 397 Schutzschrift/ für die Teutsche Spracharbeit/ und Derselben Beflissene, p. 380 n. 11 Scienza Nova, p. 497

Scudéry, Georges de, p. 560, 584, 591, 592 n. 54 Scudéry, Madeleine de, p. 559 n. 1, 560, 584, 591 Sébastien Mamerot, p. 213, 220, 233 Second Tale of a Tub (A), p. 577 n. 2 Séguier, Nicolas, p. 16, 275-291, 350351, 480 n. 5, 561 n. 7, 563 n. 12, 566 Sendbrief, p. 379 n. 9, 394 Seneca, voir Sénèque Sénèque, p. 42, 50-51, 55, 56 n. 2, 59 n. 8, 64 n. 12, 69 n. 16, 78, 80, 84, 105, 150, 160, 203 n. 49, 207, 289, 313, 414 n. 25, 485 Sermons de Fonseque sur tous les Evangiles du Caresme, p. 344 n. 4 Sermons, voir José de Aguilar, Sertorius, p. 546 Sévigné, madame de, p. 347, 366, 367 n. 15, 402 Seyssel, Claude de, p. 305 Shakespeare, p. 295 n. 2, 301, 548 n. 16, 588, 591 Sigonius, Carolus, p. 427 Simiane, madame de, p. 366 Sodoma, p. 25, 515, 525 Solino, p. 57 Solís, Bernardo de, p. 408 Songs and Sonettes, p. 298 n. 13 Sophonisba, or Hannibal’s Overthrow, p. 591 Sophonisbe, p. 546 Soulfour, Nicolas de, p. 17, 275, 277, 279, 286, 351-352, 561 n. 7, 563, 566 Speculum historiale, p. 13, 46 n. 38, 237, 238, 333 Stanze, composte nella vittoria africana novamente havuta dal sacratissimo Imperatore Carlo, p. 267 Statagemi dell’arte della guerra, p. 256 Steinhöwel, Heinrich, p. 387 Stendhal, p. 386 n. 27

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Index des noms des auteurs, des artistes et des œuvres

Strabon, p. 156, 224, 386 Strada, Famianus, p. 355-356 Strateghikos, p. 257 Strategmata, p. 302 Suada Attica sive orationum selectarum syntagma, p. 444 n. 7 Suenzius, Ioannes, p. 141 Suétone, p. 9, 121, 245 Sulpice Sévère, p. 355 Suma de privilegio, p. 408 n. 10 Sur la fortune ou la vertu d’Alexandre, p. 138, 451 Syntaxis Praepositionum Teutonicarum, Oder Deudscher Forwörter kunstmäßige Fügung, p. 383 n. 22, 402 Tacite / Tacitus, p. 9, 100 n. 7, 105, 120, 121, 150, 161, 165, 242, 243, 245, 246, 249, 267 n. 54, 290, 346, 355, 356, 357 n. 29, 386, 438, 447-449, 453 n. 39, 454, 457, 458, 479 Tafuri de Lequile, Diego, p. 341 Tallemant des Réaux, p. 352 Tasso, Bernardo, p. 269 Tasso, Torquato, p. 592 n. 54 Ten Books of Quintus Curtius Rufus : Containing the Life and Death of Alexander the Great (The), p. 17, 311316, 580-581 Tende, Gaspard de, p. 374 n. 43 Tente de Darius (La), voir Reines de Perse aux pieds d’Alexandre Térence, p. 149-150, 401 Teutsche Palmbaum (Der), p. 380 n. 14 Teutscher Tugendspiegel/ oder Gesang von dem Stamm und Thaten des alten und neuen Hercules, p. 377 n. 3 Thomas a Kempis, p. 340 Thomas du Fossé, Pierre, p. 370 Thorwaldsen, Bertel, p. 441 Thucydide / Thucydides, p. 267, 305, 446 n. 12, 448 n. 21, 577 n. 2 Timoclée, p. 541 n. 1 Timocrate, p. 589 n. 46

Tite-Live, p. 197 n. 31, 301, 305, 448449, 451, 453, 456, 458 Tizzone Gaetano di Pofi, p. 256 Torquemada, Joseph de, p. 407 Torresano, Francesco, p. 123, 130 Traicté des vrayes essencielles et visibles marques, p. 280 Trattato di scientia d’arme, p. 255 n. 41 Tre libri della ingiustitia del duello, p. 256 n. 41, 272 Triomfo Magno, p. 27, 270 n. 67 Triomphe d’Alexandre (Le), p. 527 Trissino, Gian Giorgio, p. 271-272 Tristano Caracciolo, p. 245 Triunfo de las donas, p. 220 Tromba di Gualdo, Francesco, p. 268 Tscherning, Andreas, p. 382, 386 Tuller, Nicolaus, p. 388 Tyranni Triginta, p. 77 n. 27 Undici libri di Polibio nuovamente trovati, p. 256 Unvorgreifliches Bedencken über etliche mißbräuche in der deutschen Schreib = und Sprach = kunst/ insonderheit der edlen Poeterey, p. 386 n. 31 Urfé, Honoré d’, p. 544, 573 n. 23, 592 n. 54 Valère Maxime, p. 45, 55, 69 n. 16, 99, 333, 339 n. 41, 416 n. 30 Valerio Massimo, voir Valère Maxime Vallange, monsieur de, p. 368 Vasco da Lucena, voir Vasque de Lucène Vasco Fernandes de Lucène, p. 219 Vasque de Lucène, p. 8 n. 12, 11, 16, 20, 24, 213-240, 275, 285, 295 n. 1, 305, 341, 350, 351, 426, 440 n. 64, 518 n. 33, 541 n. 2 Vaugelas, Claude Favre de, p. 7, 8, 17-19, 25, 275, 337-340, 343-361, 363-375, 378, 379, 387-402, 406, 410-420, 426, 428 n. 12, 434-435, 479, 525-539, 541 n. 2, 546 Vega, Garcilaso de la, p. 406, 416



Index des noms des auteurs, des artistes et des œuvres 621

Végèce, p. 35 n. 6, 256, 302 Vegetius, voir Végèce Véronèse, Paul, p. 570 Vetus-renovatus commentarius, p. 451 Vico, Giambattista, p. 497 Victorial, p. 209 Vida e feitos de Júlio César, p. 220 Vidas semblantes, p. 203 Vie d’Agricola, voir De vita Agricolae Vie d’Alexandre le Grand résumée d’après les Historiae par le moine Jean, mise en latin par Angelo Cospi de Bologne, p. 104 Vie d’Alexandre, voir Plutarque Vie de Charles Le Brun et description détaillée de ses ouvrages, p. 528 n. 11 Vie de Charles Quint, p. 273 n. 72 Vie de saint Martin, p. 355 Vies / Vies parallèles, p. 304 n. 31, 512 Vies de tous les empereurs, p. 246 Vies des hommes illustres, voir Amyot Vigneul-Marville, p. 348 Vincent de Beauvais, p. 13, 237, 239, 333 Vintquatre homelies, p. 275 n. 4, 276, 282, 287 n. 40 Vita Alexandri, voir Francesco Petrarca Vita di Giovanni dalle Bande Nere, p. 246 Vita Philippi Mariae tertii Ligurum ducis, p. 171 n. 7 Vitae Caesarum, p. 245

Vitae parallelae sive illustrium, voir Plutarque Vives, Juan Luis, p. 451, 453, 456 n. 45 Vœux du Paon (Les), p. 93 n. 44, 224, 232 Vollständige Sammlung aller Übersetzungen der Griechen und Römer : Vom 16. Jahrhundert bis 1734, p. 481 n. 84 Volney, Constantin-François, p. 434 Voltaire, p. 5, 21, 23, 347, 432-440, 489, 577 n. 4 Von den Tahten Alexanders des Grossen/ Der Macedonier Königs, p. 19, 377-403 Von Hutten, Ulrich, p. 131, 133 Vossius, Gérard Jean, p. 337, 349, 427 Voyage d’Alexandre en Judée (Le), p. 528, 537 Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l’État de New York, p. 439-440 Vuitart, Claude, p. 163, 426 Wagner, Johann Franz, p. 401 n. 86 Walter of Châtillon, voir Gautier de Châtillon, Wilkins, George, p. 313 n. 51 Wolfius, Johannes, p. 446 Wright, John, p. 590 n. 50 Wyle, Nyklas von, p. 377, 387 Xénophon /Xenophon, p. 213-215, 218-220, 228, 234, 256, 267, 277, 448 n. 21, 483, 560 n. 3, 577 n. 2 Zonaras, Jean, p. 104, 132

Table des illustrations Illustration de couverture : Charles Le Brun, Il est d’un roy de se vaincre soy mesme. La Tente de Darius, gravure de Gérard Edelinck, BnF, estampes, © BnF.

Claudia Daniotti Curtius Rufus, Pier Candido Decembrio and the Impact of the Historiae Alexandri Magni on Fifteenth-Century Italian Art Fig. 1.1 : Apollonio di Giovanni, The Battle of Issus and the Meeting of Alexander with the Family of Darius, c. 1450, London, The British Museum, © The Trustees of the British Museum Fig. 1.2 : The Battle of the Granicus, from Curtius Rufus, Historiae Alexandri Magni (Italian translation of Pier Candido Decembrio), c. 1450, Siena, Biblioteca Comunale degli Intronati, MS  I.VII.23, fol.  1 r, ©  Autorizzazione Biblioteca Comunale Intronati di Siena, 13.11.2017 Fig. 1.3 : The Siege of Tyre, from Curtius Rufus, Historiae Alexandri Magni (Italian translation of Pier Candido Decembrio), c. 1450, Siena, Biblioteca Comunale degli Intronati, MS  I.VII.23, fol.  34 v, ©  Autorizzazione Biblioteca Comunale Intronati di Siena, 13.11.2017 Fig. 1.4 : The Entry into Babylon and the Burning of Persepolis, from Curtius Rufus, Historiae Alexandri Magni (Italian translation of Pier Candido Decembrio), c. 1450, Siena, Biblioteca Comunale degli Intronati, MS  I.VII.23, fol.  75 r, © Autorizzazione Biblioteca Comunale Intronati di Siena, 13.11.2017 Fig.  1.5 : The Murder of Cleitus, from Curtius Rufus, Historiae Alexandri Magni (Italian translation of Pier Candido Decembrio), c. 1450, Siena, Biblioteca Comunale degli Intronati, MS I.VII.23, fol. 156 v, © Autorizzazione Biblioteca Comunale Intronati di Siena, 13.11.2017 Fig. 1.6 : The Death of Alexander, from Curtius Rufus, Historiae Alexandri Magni (Italian translation of Pier Candido Decembrio), c. 1450, Siena, Biblioteca Comunale degli Intronati, MS I.VII.23, fol. 224 v, © Autorizzazione Biblioteca Comunale Intronati di Siena, 13.11.2017 Fig.  1.7 : Julius Caesar and Alexander, from the Comparatione complementing Curtius Rufus, Historiae Alexandri Magni (Italian translation of Pier Candido Decembrio), c. 1450, Siena, Biblioteca Comunale degli Intronati, MS  I.VII.23, fol. 236 v, © Autorizzazione Biblioteca Comunale Intronati di Siena, 13.11.2017

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Table des illustrations

Marianne Cojannot-Le Blanc Traduire des dialogues en peinture ? L’histoire d’Alexandre de Le Brun à la lumière du Quinte-Curce de Vaugelas Fig.  2.1 : Charles Le Brun, La Bataille d’Arbèles, Paris, musée du Louvre (4,7  ×  12,65  m). Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre)  / Daniel Arnaudet / Gérard Blot Fig.  2.2 : Charles Le Brun, Porus blessé, Paris, musée du Louvre (4,7  ×  12,64 m). Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Droits réservés Fig.  2.3 : Pierre de Cortone, La Bataille d’Arbèles, copie par Jacques Courtois, Versailles, Châteaux de Versailles et de Trianon (1,88 × 3,28 m). Photo (C) RMNGrand Palais (musée du Louvre) / Daniel Arnaudet / Gérard Blot Fig.  2.4 : Détail de fig.  2.1. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre)  / Daniel Arnaudet / Gérard Blot Fig.  2.5 : Charles Le Brun, La Mort d’Alexandre, musée du Louvre, D.A.G., inv. 27658, 0,506 × 0,76 m, lavis gris, pierre noire, sanguine. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Thierry Le Mage Fig. 2.6 : Charles Le Brun, Alexandre et Cénus, musée du Louvre, D.A.G., inv. 29531. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado Fig. 2.7 : Charles Le Brun, Alexandre et Philippe, musée du Louvre, DAG, inv. 27658, fusain, papier beige, pierre noire, sanguine. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michèle Bellot Fig. 2.8 : Charles Le Brun, Le Voyage en Judée, musée du Louvre, D.A.G., inv. 29498. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado

Table des matières Lectures des Historiae de Quinte-Curce du xive au xviiie siècle par Catherine Gaullier-Bougassas, Université de Lille, Institut universitaire de France

5

Transmissions et lectures du texte latin : manuscrits, imprimés et annotations La tradition manuscrite des Historiae de Quinte-Curce au Bas Moyen Âge 33 par Silverio Franzoni, Scuola Normale Superiore, Pisa - EPHE, Paris Petrarca e Alessandro : dal mito alla storia par Enrico Fenzi, Università di Genova Les éditions latines des Historiae de Quinte-Curce, de la princeps à Johannes Freinsheim par Lucie Claire, Université de Picardie Jules Verne Bibliographie des éditions latines des Historiae de Quinte-Curce, de la princeps à Johannes Freinsheim par Lucie Claire, Université de Picardie Jules Verne Montaigne lecteur et annotateur de Quinte-Curce par Alain Legros, Université de Tours

55

99

127 149

Les traductions des Historiae et les humanismes vernaculaires des xve et xvie siècles Pier Candido Decembrio : un émule de Plutarque entraîné à l’école de Quinte-Curce par Marta Materni, Université de Grenoble-Alpes Ad Hispaniae fines : The Iberian Translations of Quintus Curtius Rufus and Fifteenth-century Vernacular Humanism par Clara Pascual-Argente, Rhodes College, et Rosa M. Rodríguez Porto, University of Southern Denmark

169

189

626

Table des matières

Le projet humaniste de Vasque de Lucène dans sa traduction de QuinteCurce : les Faicts et Gestes d’Alexandre le Grand (1468) par Catherine Gaullier-Bougassas, Université de Lille, Institut universitaire de France Les Historiae de Quinte-Curce : la traduction de Tommaso Porcacchi (1558) comme speculum principis. Étude des rapports entre la littérature classique et la propagande politique dans l’Italie du xvie siècle par Moreno Campetella, Institut catholique de Lyon, Université de Lyon 3 Traduire Quinte-Curce à la fin du xvie siècle : les préfaces de l’Histoire des faicts d’Alexandre le Grand, Roi de Macedoine de Nicolas Séguier (1598) par Elena Koroleva, Université de Lille

213

241

275

Quinte-Curce et la réflexion sur la traduction du xvie au xviiie siècle : illustration des langues et promotion de modèles d’écriture Englishing Quintus Curtius in the Sixteenth and Seventeenth Centuries : John Brende and his Posterity par Margaret Bridges, Universität Bern

295

Les traductions espagnoles de Quinte-Curce aux xvie et xviie siècles par Hélène Rabaey, Université Le Havre Normandie

325

Le « Quinte-Curce de Vaugelas » par Dinah Ribard, EHESS et Hélène Fernandez, EHESS

343

La réception du Quinte-Curce de Vaugelas : une unanimité ambiguë par Hélène Michon, Université de Tours

363

La traduction allemande des Historiae de Quinte-Curce par Hans Friedrich von Lehsten par Florent Gabaude, Université de Limoges

377

Le Quinte-Curce espagnol de Matheo Ibáñez de Segovia (1699) et sa réception au xviiie siècle : un manifeste stylistique ? par Roland Béhar, École Normale Supérieure

405



Table des matières 627

Quinte-Curce et la réflexion sur l’écriture de l’histoire Quinte-Curce vs. Arrien : polémiques et controverses autour des sources de l’histoire d’Alexandre (xviie-xviiie siècle) par Pierre Briant, Collège de France

425

Legitimus historicus : Lipsius, Candidus and Puteanus on Curtius Rufus’ historiographical skills par Gabriel Simoneit, University of Vienna

443

Du présage heureux à la mise en garde : Le portrait d’Alexandre le Grand par Puget de la Serre (1641) par Laétitia Lagarde, Université de Paris-Sorbonne

461

Les sciences auxiliaires et le statut de l’histoire dans la critique de Quinte-Curce à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres par Frédéric Charbonneau, Université McGill

479

Quinte-Curce à l’aune de l’histoire critique et la réévaluation d’une lecture morale d’Alexandre dans The History of Ancient Greece de John Gillies par Fiona McIntosh-varjabédian, Université de Lille

491

Transpositions des Historiae dans les arts visuels, le théâtre et le roman Curtius Rufus, Pier Candido Decembrio and the Impact of the Historiae on Fifteenth-Century Italian Art par Claudia Daniotti, The Warburg Institute, University of London Traduire des dialogues en peinture ? L’histoire d’Alexandre de Le Brun à la lumière du Quinte-Curce de Vaugelas par Marianne Cojannot-Le Blanc, Université de Paris-Nanterre

509

525

Quinte-Curce, source de créativité pour les auteurs dramatiques français du xviie siècle par Liliane Picciola, Université de Paris-Nanterre

541

Réécritures de l’éloquence. Quinte-Curce dans Cassandre de La Calprenède, au prisme des « beaux endroits » du roman par Roberto Romagnino, Université de Paris-Sorbonne

559

628

Table des matières

Postérités anglaises de Quinte-Curce : les influences non avouées de Cassandre (1642-1645) de La Calprenède dans la tragédie de Nathaniel Lee The Rival Queens (1677) par Baudouin Millet, Université Lumière-Lyon 2

577

Planches en couleur

593

Index des noms des auteurs et des œuvres

605

Table des illustrations

623

Table des matières

625