Politique économique de l'Allemagne occidentale

Table of contents :
Couverture
Introduction
TITRE PREMIER. ORIGINES ET DÉVELOPPEMENT DU LIBÉRALISME ALLEMAND
I. Le legs du passé
II. Le bouleversement des structures
III. La renaissance du libéralisme en tant que doctrine économique
IV. Les grandes étapes de l'évolution économique de l'Allemagne depuis 1948
TITRE II. LE LIBÉRALISME EN ACTION
V. Une économie libérée des empiètements de l'Etat
VI. La politique de concurrence
VII. La politique de conjoncture
TITRE III. LE LIBÉRALISME EN QUESTION
VIII. Le financement des investissements
IX. La politique sociale
X. Les secteurs protégés
XI. Libéralisme et nouvelles frontières
Conclusion
Bibliographie
Table des matières

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Politique économique de l' AllemagM occidentale.

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LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE DE

L'ALLEMAGNE OCCIDENTALE

LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE DE

L'ALLEMAGNE OCCIDENT ALE PAR

Jean FRANÇOIS-PONCET Professeur à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris

22,

rue

Editions SI REY Soufflot - 75 PARIS V•

1970

Toute reproduction, même partielle de cet ouvrage est interdite une copie ou reproduction par quelque procédé que ce soit, photographie, microfilm, bande magnétique disque ou autre, constitue une contrefaçon passible des peines prévues par la loi du 11 mars 1957 sur la protection des droits d'auteur. @ - Editions Sirey. 1970

Je tiens à exprimer ma gratitude au Professeur Reimut JOCHIMSEN, Recteur de l'Université de KIBL, dont les suggestions et les réflexions ont, en de nombreux points, corrigé et enrichi le présent ouvrage. Son aide et ses encouragements m'ont été précieux.

Je remercie aussi le Professeur PlETIRE, qui a accepté la présidence de la thèse de doctorat qui est à l'origine de ce livre.

Enfin, je ne veux pas manquer d'adresser mes remerciements au Centre National de la Recherche Scientifique qui, en me dégageant de mes activités professionnelles, m'a permis de conduire à bien cette étude.

INTRODUCTION

DEPUIS vingt ans, il n'est guère d'ouvrages ni d'articles consacrés à la Répub1ique de Bonn qui n'évoquent, pour en célébrer les mérites, ou en prédire Je terme, le >. Manifestation de l'étonnement et de l'admiration qu'a suscités le relèvement exemplaire d'un pays dévasté et divisé par la guerre, l'expression a fait fortune. Elle n'en est pas moins doublement trompeuse. La formule incite d'abord à attribuer le spectaculaire essor de l'Allemagne occidentale à des causes obscures ou mal définies. Or la réalité, si elle n'est pas toujours limpide, apparaît aisément intelligible et le redressement, s'il est étonnant, demeure parfaitement expliquable. L'expression présente un autre inconvénient. Elle donne à penser que l'histoire économique de l'Allemagne de l'Ouest après 1948 forme un tout, qu'elle constitue une période homogène, dont les caractéristiques n'ont pas évolué depuis la réforme monétaire. Rien n'est plus faux. Et si l'on voulait, à tout prix, user pour l'économie d'un vocabulaire religieux, il conviendrait de parler non pas d'un, mais bien de deux miracles. Le premier serait celui de la reconstruction; de cette décennie au cours de laquelle les décombres se muent en logements, les usines détruites ou arrêtées en un appareil de production sans égal en Europe, les exportations inexistantes au départ, en un flot qui envahit les marchés mondiaux. Exceptionnelle, cette époque ne l'est pas seulement par les résultats atteints. Elle l'est aussi par les circonstances qui les expliquent : la défaite, toute proche encore, qui, comme au Japon et en Italie, stimule les énergies et réduit les exigences; l'aide étrangère, limitée mais décisive ; la faiblesse passagère de certaines charges, notamment militaires ; le réarmement du monde occidental, au moment de la guerre de Corée, qui ouvre aux produits allemands des débouchés providentiels; l'afflux de 13 millions de réfugiés, qui fournit à la République Fédérale une main-d' œuvre jeune, formée, mobile, accommodante. Le second> commence vers 1958 lorsque s'estompe le premier. C'est celui de l'expansion poursuivie, de la croissance continuée, d'une progression non dépourvue de heurts, voire de crises, mais rapide, soutenue et surtout réalisée dans la stabilité relative des prix et l'excédent de la balance des paiements. Performance moins spectaculaire, peut-être, que la première, mais, dans le fond, plus remarquable. Les causes particulières, qui expliquaient le redressement initial,

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POLITIQUE ~CONOMIQUE DE L'ALLEMAGNE OCCIDENTALE

ont, en effet, disparu. L'Allemagne partage désormais le sort de ses voisins européens, auxquels elle est associée dans le cadre de la Communauté Economique Européenne. Le plein emploi y provoque, comme ailleurs, des tensions inflationrustes qu'augmentent les excédents commerciaux sans cesse croissants et une spéculation chronique sur la réévaluation du DM. Mais, à la différence de ses partenaires, la République Fédérale surmonte ces obstacles avec un relatif bonheur. Des difficultés rencontrées, elle émerge avec une position consolidée : monnaie plus forte, prix plus stables, exportations plus dynamiques. Les problèmes auxquels, au cours de ces deux périodes, la République de Bonn se trouve confrontée, sont différents, sinon opposés. Mais l'Allemagne y apporte chaque fois des solutions appropriées. Elle écarte, avec une efficacité variable, mais réelle, les périls successifs et contraires qui la menacent. Des hasards heureux, des circonstances propices, des décisions bienvenues l'aident dans sa tâche. Mais ils ne suffisent pas à expliquer tant de continuité dans la réussite. Pour éclairer l'ascension allemande, il faut dégager les constantes, qui, au travers d'époques aussi différentes, ont permis au développement de poursuivre son cours, analyser les éléments durables et les forces permanentes, qui constituent le ressort de la prospérité allemande. Ces facteurs sont de deux ordres. Il y a, d'une part, les forces psychologiques et sociales : le génie du peuple allemand, son aptitude industrielle, son ardeur au travail, son sens de la discipline ; l'attitude des syndicats, revendicatrice, mais empreinte de modération et de maturité ; le dynamisme des entreprises dont les investissements et les exportations ont été les moteurs du système. Il y a, d'autre part, la politique économique du Gouvernement de Bonn, qui en dépit des changements intervenus n'a pas évolué dans ses lignes de force. C'est cette politique qui constitue l'objet de la présente étude. C'est elle aussi qui, depuis vingt ans, a fait couler le plus d'encre, provoqué le plus de discussions, alimenté le plus de polémiques. Cet intérêt, les dirigeants allemands, à commencer par Ludwig Erhard, l'ont eux-mêmes suscité, en attribuant à leurs initiatives les succès économiques de leur pays. Mais il procède plus encore de la nature même de la politique pratiquée. Son libéralisme, bruyamment affiché, a provoqué dans l'Europe dirigiste de l'après-guerre un effet de scandale. A l'heure où la planüication apparaissait comme une nécessité à peine discutée et où les ouvrages de Keynes dominaient la pensée économique, les décisions de Bonn prirent la forme d'un défi. Accueillies d'abord avec scepticisme, elles firent bientôt l'objet d'analyses, le plus souvent orientées. Il s'agissait, pour les uns, de réhabiliter, à partir de 1'exemple allemand, un libéralisme de plus en plus contesté et, pour les autres, de justifier leurs penchants étatiques en démontrant que l'action de Bonn n'était, en dépit des apparences, ni efficace, ni réellement libérale. De ces démarches opposées, et également discutables, se dégage, cependant, une référence commune et utile: celle qui consiste à faire du libéralisme le principe d'approche de Ja politique économique allemande. Dans le dédale des mefüres arrêtées au cours de deux décennies, elle constitue un fil conducteur irremplaçable. Dans l'évaluation des décisions prises et des résultats obtenus, elle offre un critère

INTRODUCTION

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d'appréciation d'autant plus nécessaire qu'il est constamment et hautement invoqué outre-Rhin. C'est pourquoi l'auteur en a fait le thème de son développement. Cette préoccupation l'a conduit à tenter de répondre à trois grandes questions. La première a un caractère historique. L'Allemagne a été la patrie des cartels et des konzerns, l'initiatrice du contrôle des changes, et, sous Hitler, l'adepte d'un dirigisme forcené. Sous l'impulsion de quelles forces, par quels cheminements en est-elle arrivée à se faire, tou,t à coup, le hérault de l'économie de marché? Dans quels domaines, d'autre part, l'inspiration libérale dont se réclament, aujourd'hui encore, les responsables de Bonn, s'est-elle réellement manifestée? Par quelles mesures s'est-elle traduite et quels ont été, en définitive, les résultats de ce « libéralisme en action» ? N'y a-t-il pas eu, cependant, des domaines dans lesquels les dirigeants allemands, en dépit de leurs professions de foi, se sont écartés des principes qui étaient supposés les guider. Leur libéralisme n'a-t-il pas été, souvent, « mis en question» ? L'analyse de ces problèmes, l'auteur s'est efforcé de la conduire sans préjugé, ni parti pris doctrinal et sans chercher, davantage, à tirer de l'exemple allemand une leçon, qu'à son avis, il ne comporte pas. Chaque peuple secrète une politique économique conforme à son tempérament, à ses traditions, aux particularités de sa situation. Les recettes importées sont rarement bonnes et le véritable intérêt de l'expérience qui s'est déroulée outre-Rhin est de jeter quelque clarté sur l'évolution du système économique du monde occidental.

TITRE

PREMIER

ORIGINES ET DJ;VELOPPEMENT DU LIBÉRALISME ALLEMAND

ON imagine parfois que la défaite de 1945 a marqué dans l'histoire de l'Allemagne un «point zéro », une rupture complète avec le passé. Sur cette table rase, un pays nouveau se serait édifié, avec l'aide et sur le modèle de son principal adversaire, devenu son plus puissant allié, les Etats-Unis d'Amérique. De vieilles affinités, les liens de toutes sortes tissés depuis plus de vingt ans entre Bonn et Washington, l'influence que le capitalisme d'outre-Atlantique s'est assurée entre le Rhin et l'Elbe donnent quelque consistance à l'image d'une Alle-• magne dont la réussite comme la politique ne seraient, en définitive, qu'un prolongement en terre européenne de la libre entreprise allemande on passera au pangermanisme et aux projets plus concrets de l'expansion territoriale et politique. A l'origine, cependant, le nationalisme se sert du libre-échange et de sa première expression, l'union douanière, pour forger l'unité de l'Allemagne et mettre un terme au cloisonnement des royaumes et des principautés. Mais dès 1841 Frédéric List met en évidence dans son Système National d' Economie Politique l' opposition entre les principes libéraux et l'intérêt national. Curieuse figure que celle de ce wurtembourgeois, libéral et à l'origine antiprussien, dont les écrits nourriront pendant plus d'un siècle le nationalisme et l'impérialisme allemand. Ni politiquement, ni économiquement il n'a pourtant renié ses prémisses libérales. Sa critique ne concerne que le libre-échange international. Elle lui a été inspirée par un séjour aux Etats-Unis, à l'époque où la concurrence britannique mettait en péril la jeune industrie américaine constituée pendant la guerre d' Indépendance. List en conclut que l'enseignement des libéraux anglais ne convient ni aux EtatsUnis, ni à l'Allemagne ; qu'il est l'expression abstraite et générale des préoccupations particulières, économiques et commerciales, de la Grande-Bretagne. L'intérêt del' Allemagne, comme celui del' Amérique, réside dans un auront acquis la vigueur nécessaire, jouer à son tour le jeu du libre-échange mondial. Le reproche adressé au libéralisme classique de s'en tenir à des apparences, à des abstractions, et d'ignorer la réalité est analogue à celui que formulent à la même époque Marx et Engels d'une part, Ferdinand Lassalle d'autre part. Le point de départ de la critique socialiste, - la condition ouvrière dans la première moitié du x1xe siècle - comme ses conclusions - la dictature du prolétariat - répondent à des préoccupations et à des objectifs totalement différents, et la lutte engagée par Bismarck contre la social-démocratie, ne permettra pas à celle-ci de jouer sur la scène politique un rôle comparable à celui du nationalisme. Mais ses analyses ne resteront ni sans écho, ni sans effets. Tout en continuant à s'opposer et à se combattre, nationalisme et socialisme s'influenceront réciproquement. Le >, ou >, réalisera entre eux une synthèse typiquement allemande dont le rayonnement universitaire, mais aussi l'action pratique, se révéleront importants et marqueront d'une façon caractéristique le climat wilhelmien. C'est en 1872-1873 qu'un groupe de professeurs, inquiets des conséquences sociales de la révolution industrielle, fondent le «Verein für Sozialpolitik >>. La question ouvrière est au centre de leurs préoccupations. Venus d'horizons très différents, des hommes comme Gustav Schmoller 1, Lujo Brentano 11, et Adolf Wagner s'insurgent contre le fait d'abandonner le sort des masses ouvrières au libre jeu des forces économiques. Il est indispensable, selon eux, de rompre avec les conceptions optimistes et attentistes de la qui demeurent fidèles aux principes économiques libéraux. Les mêmes divergences n'existent pas dans le domaine social où tous ceux qu'on appelait par dérision les > sont u,nanimes à réclamer une politique nouvelle, respectueuse des valeurs morales et soucieux d'équité. Tous reconnaissent à l'Etat un rôle primordial, dont dépend à leurs yeux la cohésion future de la communauté nationale. Certains, notamment Schmoller, vont plus loin. Ils s'efforcent de montrer que l'Etat prussien a de tout temps rempli une fonction sociale et pressent le gouvernement impérial de réaliser, dans la fidélité à cette tradition, les réformes qu'appelle l'ère industrielle. Ce qu'ils préconisent est, en définitive, un socialisme d'Etat. Le gouvernement impérial s'inspirera des idées exposées par le Verein, tout en faisant une plus large place à des préoccupations conservatrices. Sur le plan de la doctrine, les > rejoignent l'ancienne école historique, qui contestait la prétention de l'économie politique classique à définir des lois universelles, applicables en tous temps et en tous lieux. La réalité économique, affirmaient les >, ne correspond jamais aux analyses abstraites, faites a priori. Elle est, par définition, particulière, contingente, variable. Elle relève d'études historiques, de l'analyse de cas concrets. Les seules lois valables sont celles auxquelles on parvient par induction, par enquête, par monographie. Ces différentes tendances, même quand elles s'opposent, se rejoignent dans une même réaction anti-libérale qui n'ira pas sans susciter réserves et résistances, mais qui finira par constituer une doctrine quasi officielle, admise par la grande majorité de ceux qui font profession de réfléchir à la chose économique. C. -

L'ÉVOLUTION DES STRUCTURES ÉCONOMIQUES

Dans la pratique, cependant, le système reste libéral et s'apparente à celui que connaissent à la même époque la plupart des autres pays. Mais l'évolution des structures économiques s'éloigne progressivement, sur de nombreux points, surtout après le tournant du siècle, du modèle libéral, généralement admis en Europe. 1° On assiste, en premier lieu, au développement progressif d'un secteur puhlic. A la veille de la première guerre, l'Etat occupe une place non négligeable dans la vie économique. Indépendamment des entreprises héritées de l'ère mercantile, il a étendu son contrôle à partir de 1870, dans trois domaines : les chemins de fer, l'industrie minière et sidérurgique, les banques. La construction du réseau ferroviaire joue, comme ailleurs, un rôle essentiel dans le développement industriel du pays. Constitué rapidement, avant et surtout après la guerre franco-allemande, il est dû pour moitié à l'initiative d'intérêts privés, pour moitié à l'intervention des gouvernements. Les solutions adoptéec; varient selon les Etats. Le pays de Bade et le Wurtemberg créent leur propre réseau. La Prusse se contente d'imposer un cahier des charges à la société conscruc-

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trice. Mais la crise de 1873 bouleverse cet équilibre. Les chemins de fer, qui avaient été au centre de la spéculation, sont durement touchés par la récession. Le problème de leur rachat par les Etats est posé. En Prusse, Bismarck, pour des raisons d'ordre surtout militaires, est favorable à l'étatisation et la réalise en 1879, l'année du tarif protecteur. Des mesures analogues sont prises, peu à peu, dans le reste du pays, de sorte qu'en 1912 sur 60 521 km de voies ferrées, le secteur privé n'en contrôle plus que 3 651 1 • Les pouvoirs publics agissent, d7autre part, sur la fixation des tarifs, notamment pour freiner le développement de la sidérnrgie lorraine. Les interventions des pouvoirs publics dans le secteur industriel prennent un aspect plus délibéré et par-là plus caractéristique. La plus significative est l'achat par l'Etat prussien de la Société Hibernia A.G., propriétaire de 40 mines de charbon et de 12 hauts fourneaux. Le gouvernement de Berlin entend ainsi pénétrer dans le cartel des producteurs de charbon, le surveiller et y faire entendre sa voix. Quant à l'influence des Etats sur le système bancaire, elle est ancienne. Tous disposent de leur propre banque, dont certaines, comme la Banque de l'Etat prussien, la Seehandlung, sont des institutions florissantes et influentes. Ensemble, elles dominent le marché monétaire. Quant à la Banque Centrale, créée en 1875 pour l'ensemble du Reich, elle a un statut privé, mais !'Empereur en nomme le président et ses adjoints, auxquels les actionnaires n'ont pas de directives à donner. Si l'on tient compte, en dehors des entreprises d'Etat, de celles, chaque jour plus nombreus~s, que contrôlent les communes soit dans le domaine financier (caisses d'épargne) soit dans le secteur énergétique (électricité, gaz) par le truchement de sociétés d'économie mixte (ex. Rheinische Westphalische Elektrizitâtswerke), il apparaît qu'une partie non négligeable de l'économie allemande est. à la veille de la guerre, directement ou indirectement soumise aux pouvoirs publics. Il faut souligner, toutefois, que le gouvernement fédéral ne contrôle qu'une faible fraction de ces entreprises, dont la plupart appartiennent aux Etats. Les attributions que la Constitution lui confère en matière économique, les ressources financières dont elle lui laisse la disposition, sont des plus réduites, de sorte que le secteur public en dépit de son extension, n'est guère utilisé, ni utilisable, comme instrument de direction de la vie économique. 2° Il en va tout autrement des cartels qui, dans le dernier quart du x1x8 siècle et au début du xx 8 siècle s'étendent à toute l'économie allemande. Les raisons de leur développement ont été maintes fois soulignées : départ tardif de l'industrialisation permettant aux entreprises d'adopter d'emblée des dimensions importantes, obligation de faire face à la concurrence de firmes étrangères, notamment anglaises, plus anciennes, et qui sont des rivales dangereuses ; expansion rapide coupée de crises profondes qui imposent regroupements et ententes ; rôle capital des banques qui financent le développement industriel et favorisent la concentration. A ces motifs s'en ajoute un autre, de caractère juridique. Alors qu'aux Etats-Unis la 1. Gustav STOLPER, op. cit., p. 47.

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ORIGINES ET DÉVELOPPEMENT DU LIBÉRALISME ALLEMAND

législation interdit les ententes et les monopoles, qu'en France, en Grande-Bretagne, en Autriche, la réglementation, sans les proscrire, leur refuse force légale, en Allemagne les accords de cartel ont valeur juridique, au même titre que tout autre contrat entre particuliers. Les tribunaux, depuis un arrêt célèbre du Reichsgericht du 4 février 1897, reconnaissent et font respecter de tels accords. Il n'est rien qui illustre mieux la faible audience que les principes libéraux se sont acquise en Allemagne et la mauvaise compréhension qu'on en a. Le comportement du gouvernement n'est pas moins caractéristique. Dès qu'il a son mot à dire et qu'il est à même d'exercer son influence, il favorise le processus de cartellisation et collabore avec les ententes. L'exemple le plus typique est celui du cartel de la potasse que le gouvernement rend obligatoire en 1910, pour permettre aux producteurs allemands d'exploiter plus commodément le marché américain. Une coopération de fait s'êtablit ainsi entre les groupements économiques et l'Etat, coopération dans laquelle il n'est pas toujours aisé de déterminer qui a le dernier mot, mais dont la conséquence est assurément de vider le régime libéral d'une bonne partie de son contenu. 3° Les pouvoirs publics s'efforcent, d'autre part, - ce sera l'aspect le plus intéressant et le plus constructif de leur politique - d'améliorer le sort de la classe ouvrière. Nous avons signalé le rôle joué par les dont List appelait de ces vœux le développement, ont pris un étonnant essor. A la veille de la guerre de 1870, l'Allemagne avait encore une économie à prédominance agricole. En 1914, elle est devenue la première Puissance industrielle d'Europe. Cette ascension spectaculaire s'explique en partie par u,n développement démographique extrêmement rapide : 42 millions d'habitants en 1875, 67 millions en 1915. Mais l'orientation prise parla croissance industrielle vaut aussi d'être notée ; dès cette époque les secteurs industriels les plus développés sont les plus modernes, ceux qui ne prendront leur véritable essor qu'au siècle suivant: construction mécanique, qui emploie en 1913 plusd'unmillion d'ouvriers; construction électrique déjà dominée par deux firmes considérables, Siemens et A.E.G.; industrie chimique, qui est la première du monde. DÉVELOPPEMENT DE LA PRODUCTION INDUSTRIELLE EN EUROPE ET AUX U.S.A. ENTRE 1860 ET 1913 (1860 = 100)

Années

Allemagne

Grande-Bretagne

France

U.S.A.

1860 .............

100

100

100

100

1870 .............

129

129

131

138

1880 .............

179

156

165

213

1890 .............

286

182

215

488

1900 .............

464

232

254

675

1910 .............

636

250

342

1115

1913 .............

714

294

385

1250

Source : Die Industriewirtschaft, V J H zur KonjonkturforschW1g, Sonderheft 31, 1933, p. 18.

Contrairement à la Grande-Bretagne, l'Allemagne n'a pas sacrifié son agriculture, dont la production, favorisée par une protection douanière croissante a, au contraire, presque doublé. Cela n'a pas empêché l'Allemagne, jadis exportatrice de denrées alimentaires, d'en devenir importatrice. Le fonctionnement de son appareil industriel exige, d'autre part, l'acquisition à l'étranger de quantités croissantes de matières premières. Pour financer ses achats, l'Allemagne a qua-

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ORIGINES ET DÉVELOPPEMENT DU LIBÉRALISME ALLEMAND

druplé ses exportations entre 1872 et 1913. L'activité inlassable dont font preuve les firmes allemandes et leurs voyageurs de commerce, les pratiques auxquelles elles recourent, le fait que leur expansion s'oriente volontiers vers des régions politiquement névralgiques comme les Balkans, le Proche et le Moyen-Orient, suscitent de vives réactions à l'étranger, notamment en Angleterre, dont les intérêts et l'influence sont directement menacés. Pour préoccupants que puissent paraître de tels développements, il semble que l'économie allemande, à la veille de la première guerre mondiale, ait trouvé son équilibre. La balance commerciale est déficitaire; mais celle des services et des invisibles est excédentaire, grâce aux recettes des chemins de fer, de la marine marchande et des brevets, ainsi qu'aux revenus des capitaux investis en quantités croissantes à l'étranger. Il n'est donc pas tout à fait exact de représenter l'économie de l'Allemagne impériale, comme on l'a souvent fait, sous l'aspect d'une construction dynamique, mais fragile, menacée de surproduction, condamnée à rechercher des débouchés, coûte que coûte, et au besoin par la force. L'inquiétude que ce dynamisme suscite à l'étranger est moins le reflet d'une instabilité réelle que la conséquence d'une certaine vision du monde et de son développement économique. Le partage de la planète entre les grandes puissances s'est achevé à la fin du siècle. Arrivé tard, l'Allemagne a été mal servie. Or, on imagine difficilement que son expansion puisse se poursuivre autrement qu'aux dépens des pays mieux nantis et, le cas échéant, par voie de conquête militaire. Nul ne doute, en effet, que la disposition de matières premières et un contrôle politique sur des débouchés outre-mer ne soient une condition de l'équilibre économique des nations industrielles modernes. L'évolution de l'économie mondiale depuis 1945 a montré le caractère simpliste de ces vues, encore largement influencées par un mode de pensée mercantiliste. Aussi, avec le recul du temps, la situation de l'ancien Reich apparaît-elle plus saine qu'on ne Je croyait à l'époque, son économie plus stable et son équilibre mieux établi. Il est certain, en revanche, que la première guerre mondiale bouleverse cet équilibre et oriente l'Allemagne vers des formes d'organisation économique et politique de plus en plus éloignées des conceptions libérales.

2. LA GUERRE ET LA RÉPUBLIQUE DE WEIMAR

Bien que l'ancienne équipe dirigeante soit restée aux commandes pendant toute la durée des hostilités, la guerre, par les changements profonds qu'elle entraîne, appartient à la période historique suivante. Celle-ci est caractérisée par des mutations surtout politiques et sociales. Mais l'organisation économique subit, elle aussi, le contre coup du bouleversement général. En ce qui la concerne, trois phénomènes méritent plus particulièrement d'être signalés: le développement des compétences et des moyens dont dispose le pouvoir central; l'expérience que le peuple allemand

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fait coup sur coup de l'autarcie, de l'inflation et du chômage; la rationalisation et l'extension de l'appareil industriel allemand. A. -

Pouvorns ACCRUS nu GouvERNEMENT

L'Allemagne impériale avait gardé une structure fédérale, voire confédérale. Un commandement militaire supérieur, une diplomatie commune, un même système postal, plus tard une administration coloniale, tels étaient pour l'essentiel les pouvoirs du gouvernement central. Pour le reste, la compétence des Etats était la règle. Ainsi du domaine économique et financier. Les ressources fiscales dont disposait l'autorité fédérale étaient résiduelles et en fait limitées aux rentrées douanières, aux impôts indirects (sans taxe sur le chiffre d'affaire, introduite en 1916 seulement), aux> 1, aux recettes postales et télégraphiques. Les moyens dont elle bénéficiait restaient inférieurs à ceux du seul Etat prussien. C'est à la République de Weimar qu'échoit la tâche de réaliser l'unité fiscale et financière de l'Allemagne. La constitution de 1919 prévoit qu'une administration financière fédérale sera mise sur pied. Erzberger la crée en 1920, alors que l'inflation est déjà en plein développement. Le Reich se trouve investi de la souveraineté financière et doté d'un système fiscal dont les ressources sont pour ressentie! à la disposition du gouvernement central, à charge pour lui de subvenir aux besoins des Lander. Dans le même temps, il hérite du réseau ferré qui avait été racheté par les Etats avant la guerre, ainsi que des entreprises publiques créées pendant les hostilités pour approvisionner l'Allemagne, notamment en aluminium et en azote. Les révolutionnaires de 1918 entendent aller plus loin. Ils réclament la socialisation intégrale de l'économie, et, pour commencer, les pleins pouvoirs pour les soviets, et la nationalisation des industries clés. Mais leurs projets ne tardent pas à tourner court. Mal organisés, dispersés sur l'ensemble du territoire, divisés en mouvements rivaux, rapidement et efficacement contrés par l'état-major et les corps francs constitués à son initiative, ils perdent complètement la partie. Au début, le Gouvernement provisoire donne des gages. Il annonce en mars 1919 l'élaboration d'une loi de socialisation. Mais le projet ne voit jamais le jour. On se contente de créer, dans certaines industries de base (charbon, acier, potasse) des comités mixtes de gestion, qui fonctionnent, d'ailleurs, fort mal et se transforment peu à peu en cartels obligatoires. La Constitution de Weimar, adoptée en août 1919, porte l'empreinte de ces revendications. Mais elle se limite à des formules vagues, qui, en dehors de la création d'un Conseil Economique, n'ont guère de prolongements concrets. L'Etat intervient, avec plus de vigueur et de succès, dans le secteur de la construction. Les loyers avaient été gelés au début de la guerre. Il ne pouvait être 1. Contributions versées annuellement par les Etats à l'a,utorité centrale pour pallier l'insuffisance de ses ressources et dont le montant faisait l'objet d'âpres marchandages.

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ORIGINES ET DÉVELOPPEMENT DU LIB~RALISME ALLEMAND

question de les libérer sans provoquer de sérieux troubles. Pour éviter que ne se créent deux secteurs, celui des logements neufs et celui des constructions anciennes à loyer contrôlé, l'Etat intervint pour accélérer le rythme et abaisser le coût de la construction. Le système de financement mis sur pied à cet effet est fondé pour partie sur l'impôt et pour partie sur le crédit hypothécaire ; il annonce celui que la République Fédérale mettra en œuvre avec tant de bonheur après 1948. L'Etat développe aussi quelque peu son emprise sur le système bancaire. Une banque commerciale, la Reichskreditgesellschaft, est créée qui ne tarde pas à égaler les quatre grandes banques privées. Des instituts spécialisés sont, d'autre part, chargés de contribuer au financement de la construction, de l'agriculture (Rentenbank, Kreditanstalt) et du commerce extérieur (Golddiskontbank). Ainsi, sans que les structures économiques de l'Allemagne aient été profondément modifiées, des moyens et des pouvoirs accrus sont mis à la disposition du gouvernement, dont il ne se se;rvira guère sous le régime de Weimar, mais qui permettront aux autorités nazies de prendre en main, le jour venu, avec une surprenante facilité, les destinées économiques du 111 8 Reich. B. -

AUTARCIE, INFLATION, CHÔMAGE

Ces trois mots résument à peu de chose près les tribulations économiques que connurent les Allemands de 1914 à 1933. A la majestueuse stabilité du Reich impérial, troublée, il est vrai, par quelques récessions, succède une ère de désordres profonds qui laissera dans le souvenir du peuple allemand une trace durable. 1° Que la guerre entraînerait une rigoureuse autarcie, c'est ce que les dirigeants allemands, qui croient à une victoire rapide, n'ont point prévu. Une économie de rationnement doit être rapidement improvisée, à laquelle le génie organisateur du grand industriel Walter Rathenau confère, du moins au début, une certaine efficacité. A la longue, cependant, malgré les efforts déployés pour compenser, par l'accroissement de la production intérieure, l'arrêt presque complet des importations et pour développer les complémentarités au sein de l'espace économique contrôlé par les Puissances Centrales, 1a pénurie s'installe dans tous les domaines, le ravitaillement des hommes comme l'approvisionnement des industries. Le souvenir de ces penuries persistera longtemps. Les techniques mises en œuvre pour tenter de combler les lacunes de l'approvisionnement national ne seront pas davantage perdues de vue. Le régime hitlérien, vingt ans plus tard, les reprendra en les appliquant, il est vrai, dès le temps de paix et d'une façon beaucoup plus systématique. 20 La guerre, qui impose l'autarcie, provoque aussi l'inflation. Contenue jusqu'en 1918, elle 5e propage aussitôt que s'effondre le système rigoureux de contraintes et de contrôles mis en place par le gouvernement impérial. Elle est entretenue par le déficit budgétaire consécutif aux dépenses exceptionnelles entraî-

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nées par la démobilisation, la reconversion des entreprises, le paiement des réparations, l'occupation de la Ruhr. L'inflation, de son côté, alimente le déficit : plus les prix montent, plus s'accroît l'écart entre les rentrées fiscales fondées sur les revenus de l'année écoulée et les dépenses, qu'il faut aligner sur le niveau constamment ascendant des prix. Tous les efforts entrepris par les autorités pour > les rentrées échouent. Faible et divisé, le Gouvernement ne prend pas les mesures nécessaires à la stabilisation. Il hésite et, finalement, se trompe de diagnostic et de politique. Deux thèses, en effet, s'affrontent. L'une impute l'inflation au déficit de la balance des paiements et à la dégradation du taux de change. L'autre renverse l'ordre des facteurs et soutient que les difficultés extérieures ne sont pas la cause, mais la conséquence de la montée des prix intérieurs. Le président de la Reichsbank, Helfferich, opte pour la première. Il estime qu'il faut d'abord rétablir l'équilibre extérieur à quoi contribuera la hausse des prix intérieurs. Grave erreur de jugement, qu'excusent en partie les phénomènes aberrants suscités par l'inflation (divergence dans l'évolution respective du taux de change, des prix et de la circulation monétaire) mais qui explique la progression fantastique des prix. On a peine à imaginer l'impact de l'inflation sur l'existence quotidienne, les conséquences dramatiques et les situations absurdes auxquelles elle conduit. Pour l'économiste, le phénomène le plus frappant reste l'accroissement vertigineux de la vitesse de circulation de la monnaie. L'argent, à peine encaissé, est aussitôt dépensé. Quiconque attend n'a plus entre les mains que du papier. Aussi les règlements s'effectuent-ils entièrement en espèces. Les dépôts en banque disparaissent. Les salaires et les traitements sont versés à des intervalles de plus en plus rapprochés et, à la fin, quotidiennement. Pour le sociologue, le plus grave est la misère qui s'abat sur toute une classe sociale, celle dont l'existence dépend de valeurs à revenus fixes et que l'inflation ruine de façon totale et définitive. Aux malheurs des uns correspond l'enrichissement scandaleux des autres, notamment de certains industriels, comme Stinnès, qui réussissent à se procurer des crédits bancaires remboursés plus tard en monnaie dévalorisée. L'opération du Rentenmark réalisera comme par miracle un redressement auquel tout le monde aspirait et que la dégradation même de la situation ainsi qu'une meilleure compréhension de ses causes réelles, avaient préparé. Mais elle n'effacera pas de la mémoire du peuple allemand le souvenir de ce qui fut, à ses yeux, une période maudite, un temps de cauchemar. 3° Comme l'inflation, le chômage prend en Allemagne une ampleur qu'il ne revêt nulle part en Europe. En mars 1932, 6 millions de travailleurs sont sans emploi. Si la crise frappe avec tant de brutalité l'Allemagne de Weimar, c'est parce que son économie n'a pas retrouvé, dans le monde d'après-guerre, de véritable équilibre. Les causes du mal sont multiples. Certaines - comme le développement d'industries nouveJles dans les pays sous-développés, ou la crise agricole, qui dure en fait depuis 1880 - affectent toute l'Europe. D'autres sont propres à l'Allemagne.

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ORIGINES ET D~VELOPPEMENT DU LIBtRALISME ALLEMAND

Il s'agit, en particulier, des réparations, dont les pays bénéficiaires ne comprennent pas que l'Allemagne ne peut les acquitter que si on ménage des débouchés à ses exportations. Il s'agit, aussi, du comportement de l'industrie allemande qui finance un intense mouvement de rationalisation à l'aide de crédits à court terme. L'Etat et les municipalités subviennent à leurs propres dépenses par des procédés analogues. Aussi l'expansion repose-t-elle, pour une bonne part, sur des crédits à court terme, d'origine le plus souvent étrangère, notamment américaine. La crise venue, le système bancaire allemand, vulnérable par sa structure même, n'évite la banqueroute totale que grâce à l'intervention de rEtat. L'agriculture connaît un marasme profond. La production industrielle baisse de près de 50%, les exportations de 70%. Obligé d'intervenir, le Gouvernement opte par erreur de jugement, mais aussi par crainte de voir ressurgir l'inflation, pour une politique déflationniste qui aggrave la crise et dresse contre lui tous ceux dont les salaires ou les revenus ont été amputés. En appliquant avec le succès que l'on sait une politique inverse, Schacht fera, quelques années plus tard, figure de magicien.

C. -

L'EXPANSION INDUSTRIELLE

L'après-guerre est pour l'Allemagne un temps de désordre, mais non de stagnation. A peine sortie de l'inflation, l'économie allemande reprend son ascension. De 1923 à 1929 le rythme en est même exceptionnellement rapide. L'industrie redécouvre l'Amérique et, à son école, s'engage dans un vaste effort de modernisation et de rationalisation. Elle ne tarde pas à retrouver une position prééminente dans les branches où e11e disposait avant la guerre d'un quasi monopole, mais où d'autres pays ont, entre temps, développé leurs propres capacités : chimie, mécanique, équipement électrique. La construction et l'u.rbanisme connaissent de leur côté un développement remarquable. Privée de sa flotte commerciale au lendemain de la guerre, l'Allemagne en a reconstitué une en 1930 d'un tonnage équivalent mais entièrement formée de bâtiments neufs. A vrai dire, l'Allemagne n'a pas seulement renoué avec le progrès économique et technique, elle a aussi accentué la concentration et la cartellisation de son économie. Ces années où prospérité et désordre se succèdent, voient naître des entreprises géantes : dans la sidérurgie, les > ; dans la chimie, la, >. Elles n'ont pas leur équivalent en Europe et exercent sur l'ensemble de l'économie allemande une véritable magistrature. On dénombre, d'autre part, 2 500 ententes, qui se sont constituées en dépit de la réglementation anti-cartel édictée par le gouvernement en 1923. Totalement inefficace, celle-ci n'en traduit pas moins l'apparition d'un souci resté jusque là étranger à la pensée économique allemande et auquel la République de Bonn accordera plus tard une place de choix dans ses préoccupations.

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3. LE NATIONAL-SOCIALISME

On a soutenu que le national-socialisme avait, avec des méthodes contestables et parfois monstrueuses, appliqué une politique économique relativement efficace, originale et à certains égards en avance sur son temps. Le jugement est discutable. Il faut souligner, d'abord, l'extraordinaire pauvreté des principes auxquels le nazisme se réfère. Exposée dans les vingt-cinq points du > de 1920, qualifiée d' >, la doctrine économique hitlérienne n'est qu'un catalogue hétéroclite où l'on retrouve pêle-mêle des prises de position philosophiques (>), des revendications d'inspiration socialiste, telles que la nationalisation des grandes entreprises, la confiscation des profits de guerre ou la participation des travailleurs aux bénéfices ; enfin des idées absurdes comme la suppression de>(>). Ce galimatias n'était pas dépourvu de résonnances dans une opinion que les crises successives et les immenses fortunes rapidement accumulées avaient scandalisée et désorientée. Mais il ne définit ni un programme cohérent, ni une politique économique moderne. Dans la pratique, ces principes ne joueront, d'ailleurs, aucun rôle. Après l'éloignement de Gregor Strasser, le régime abandonne, en effet, l'essentiel de ses velléités socialisantes pour s'allier à la grande industrie. Quant aux techniques mises en œuvre, elles avaient été le plus souvent élaborées avant l'avènement du nazisme. C'est à Konrad Adenauer, maire de Cologne, que l'on doit la première autoroute construite entre Cologne et Bonn en 1932 ; l'idée de combattre la crise par un programme de grands travaux avait été conçue par les gouvernements Von Papen et Schleicher ; la loi sur le Kreditwesen qui réforma le système bancaire était depuis longtemps dans les cartons de l'administration ; la politique agricole doit beaucoup à celle qui fut appliquée à partir de 1928, en partie sous l'influence de Hindenburg. De façon plus générale, le nationalsocialisme trouve la voie ouverte. La guerre, l'inflation, la crise ont amené les gouvernements successifs à intervenir de plus en plus fréquemment et largement dans la vie économique, à déterminer les salaires, à régler les conflits sociaux, à fixer les prix. Les instruments d'une direction autoritaire de l'économie ont été progressivement forgés. Le régime de Weimar s'en servira maladroitement. Le national-socialisme les utilisera à plein. A plein et au-delà. Mais avec une efficacité, en fin de compte, discutable. A vrai dire, la politique économique nazie n'a pas cessé d'évoluer au fur et à mesure que surgissaient les difficultés non prévues par elle et sa seule véritable continuité réside dans l'utilisation de plus en plus systématique de méthodes coercitives. De 1933 à 1945, on distingue assez nettement trois périodes. a) La première, qui se termine en 1936, est dominée par la remise en route, sous la direction de Schacht, de l'appareil économique allemand, paralysé par la

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crise et le chômage. En pratiquant avec des techniques inflationnistes, mais d'apparence orthodoxe, une politique d'expansion, en lançant par ce moyen un programme de grands travaux, le président de la Reichsbank, devenu ministre de l'économie, obtient des résultats spectaculaires. Le revenu national double de 1933 à 1938; l'indice de la production industrieJle atteint 125 en 1938 (pour 100 en 1929). Le chômage est résorbé en quelques années. b) A partir de 1936 Hitler engage l'Allemagne dans la préparation intensive de la guerre. Son instrument est l'autarcie. Les premiers jalons avaient été posés, dès 1934, par le > élaboré sous l'autorité de Goring. Il ne s'agit, dans un premier temps, que de tirer les conséquences de la désagrégation de l'économie mondiale après la crise de 1929. La Grande-Bretagne a établi, à la Conférence d'Ottawa, un système de préférences impériales. Les Etats-Unis se sont repliés sur leur marché intérieur, à l'abri d'une protection douanière accrue. La France regarde vers l'empire. Des> fragmentent le marché mondial. L'Allemagne suit le mouvement. Mais la politique nazie change rapidement de nature. Elle prend un aspect systématique et un tour offensif. Ses objectifs cessent d'être économiques et deviennent militaires. Le bilatéraiisme est érigé en principe, en dogme, en système que l'Allemagne oppose aux conceptions multilatérales et mondialistes des anglo-saxons. Les dirigeants du 1118 Reich agissent sur deux plans : intérieur et extérieur. A l'intérieur, ils exploitent sans souci de rentabilité toutes les ressources du sol et du sous-sol allemand (ex. fer du Salzgitter) et se lancent dans la fabrication sur une grande échelle de matières premières de synthèse, tantôt à partir de techniques élaborées avant et après la première guerre mondiale (essence, caoutchouc, textiles, matières grasses), tantôt à partir de procédés récents. Les résultats sont appréciables notamment pour le pétrole et le caoutchouc. Mais ils restent insuffisants. Le degré d'auto-approvisionnement ne dépasse pas 40% des besoins pour les textiles, 50% pour le pétrole, 30% pour le fer. Aussi l'autarcie n'apparaît-elle concevable qu'étendue aux ]imites d'un espace économique plus vaste dont les ressources complèteraient celles de l'Allemagne. Les nazis n'en ont jamais douté et ont entrepris de constituer un >, dès le temps de paix, par l'utilisation de pratiques commerciales bilatérales qui soumettent peu à peu les petits pays à l'Europe centrale et orientale à la domination économique de l'Allemagne. Accords de clearing et de troc, taux de change différenciés, commissions mixtes, déficits non remboursés, créent un système d'exploitation des pays voisins moins développés, au bénéfice de l'Allemagne et de son effort de guerre. Après !'Anschluss, la conquête de la Tchécoslovaquie, l'occupation de la France, de la Belgique, de la Hollande, du Danemark, des Balkans et d'une partie de la Russie, Berlin abandonne les moyens commerciaux au profit des techniques autoritaires. La structure du > apparaît alors nettement. Au centre, un cœur industriel qui comprend, outre l'Allemagne, l'Autriche et la Bohème, territoires qui bénéficieront au même titre que le Reich du développement de leur potentiel

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productif. A la périphérie, les pays chargés d'approvisionner en denrées alimentaires, en matières premières et plus tard en main-d'œuvre le noyau central qui en est aussi l'élément directeur. Le système ne manque pas d'efficacité. Sans donner à l'Allemagne la possibilité de couvrir la totalité de ses besoins, ni la mettre à l'abri de la pénurie et du rationnement, il permettra au national-socialisme de faire tourner jusqu'au dernier instant son appareil industriel et sa machine militaire. c) La troisième période, celle de la guerre, est sans doute la plus surprenante. En effet, de 1940 à 1942, à l'heure où les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, !'U.R.S.S. mobilisent toutes leurs ressources, la production allemande stagne. Loin d'accentuer son effort, le gouvernement allemand ébloui par ses victoires et pensant avoir, grâce à ses conquêtes, assuré l'approvisionnement du pays, juge inutile d'accroître la production industrielle. Hitler annonce même la reconversion de certaines capacités pour la satisfaction des besoins civils. L'heure n'est plus au choix entre le beurre et les canons, mais à la réalisation simultanée des deux objectifs. Ce n'est qu'après les premiers revers de la campagne de Russie, au début de 1942, que les choses changent sous l'autorité d'un nouveau ministre, l'ancien architecte d'Hitler, Albert Speer. Le redressement est alors d'autant plus spectaculaire que l'on avait été au préalable plus négligent. En deux ans, malgré les bombardements, la production industrielle monte en flèche ; la fabrication des chars double en six mois ; celle des avions et des armes de toute nature s'accroît de 60%; l'indice général de la production industrielle augmente de plus de 20%. C'est, au cours de ces deux dernières années, en pleine guerre, que l'organi.. sation économique nazie atteint paradoxalement son point de plus grande efficacité. Certes, l'économie avait été, aussitôt après la prise du pouvoir, soumise à un réseau serré de contrôles. Une loi de 1934 avait décrété l'encadrement de l'industrie sur une double base, régionale et professionnelle. Chaque organisation avait été divisée en gr2upes et en sous-groupes dirigés, en application du« Führer-Prinzip >>, par un responsable unique désigné par le ministre de l'Economie. Ces structures corporatives, où délégués professionnels et représentants de l'Etat siègent côte à côte, sont dotées des pouvoirs les plus étendus : établissement des prix et des marges bénéficiaires ; fixation de la quantité et de la qualité des produits fabriqués, etc ... Un système analogue s'applique à l'agriculture. Il comporte la création d'une corporation paysanne et l'organisation des marchés agricoles ; dispositions que complète un statut de la cc ferme héréditaire» censé assurer le maintien à la terre de familles agricoles « aryennes», sève nourricière de la race allemande (« Blut und Boden »). Une « mise au pas» du même genre s'applique au monde ouvrier, dont les syndicats sont étatisés, et à la jeunesse. L'appareil totalitaire ne comporte en apparence ni lacune ni faiblesse. En fait, ce redoutable édifice dissimule beaucoup de lenteurs, de désordres, de doubles emplois et finalement d'inefficacité. Les organisations les plus diverses se chevauchent, se contrôlent, se paralysent. Le régime a bien élaboré, à l'imitation de !'U.R.S.S. et à l'instigation d'Hermann Gôring, des plans de quatre ans. Mais, en dehors des investissements nécessaires aux industries de guerre et de la régie-

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ORIGINES ET DÉVELOPPEMENT DU LIBÉRALISME ALLEMAND

mentation du commerce extérieur, il ne s'agit que de catalogues d'objectifs dont les conditions de réalisation ne sont pas prévues. Lorsqu'en 1936 les prix commencent à monter parce que l'économie atteint le plein emploi, lorsqu'en 1938 des pénuries apparaissent dans rapprovisionnement intérieur et extérieur, les autorités sont prises de court et décrètent, à la hâte, d'abord le blocage des prix et des salaires, ensuite le rationnement d'un certain nombre de denrées alimentaires. La plupart des décisions sont improvisées, sans programme d'ensemble ni effort véritable de prévision, au fur et à mesure que les difficultés apparaissent. C'est seulement au printemps de 1942 qu'Albert Speer crée un > qui rationalise la production industrielle, ferme les entreprises marginales et substitue, dans l'affectation des matières premières et des moyens de production, la décision des pouvoirs publics aux palabres des organismes paraadministratifs. L'accroissement spectaculaire de la production entre 1942 et 1944 témoigne, a contrario, de l'improvisation qui, en dépit des apparences, avait jusquelà présidé à l'organisation de l'économie.

*** Dans quelle mesure ces tribulations ont-elles ouvert la voie à la politique du Professeur Erhard ? Il est rarement possible d'établir une relation rigoureuse entre le présent et le passé, de démontrer la nécessité d'un enchaînement historique. Les options des dirigeants allemands en 1948 eussent, sans doute, pu être différentes. D'autres orientations étaient imaginables dont certaines eussent paru tout aussi logiques. C'est le mérite propre des hommes qui prirent en main les destinées de l'Allemagne nouvelle que d'avoir engagé sa politique économique dans les voies que nous lui connaissons. Cela posé, il n'est guère contestable que l'orientation choisie s'appuyait sur un fonds commun de réactions, de souvenirs, de répulsions, que l'histoire des dernières décennies avait déposées dans le conscient et le subconscient du peuple allemand. On pourrait, en schématisant, discerner à la base du libéralisme allemand d'après-guerre, un triple réflexe anti-étatique, anti-inflationniste, anti-autarcique, directement lié aux expériences du passé. 1° Les guerres, les crises, l'évolution sociale, technique et scientifique, ont partout accru le rôle de l'Etat dans l'économie. L'Allemagne ne pouvait échapper à cette tendance, qui caractérise la civilisation industrielle. Il reste qu'elle s'y est manifestée plus tôt, y a trouvé un terrain plus favorable et y a pris, sous le régime nazi, une extension et des formes qu'elle n'a connues nulle part ailleurs, du moins en Occident. Que l'effondrement final ait été, dans ces conditions, associé par les Allemands à l'échec de l'étatisme n'a rien que de naturel. Il était inévitable que la catastrophe provoque un renversement des valeurs ; qu'elle conduise à la mise en cause du collectif et du politique, à la réhabilitation de l'intérêt personnel,

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voire à l'égoïsme. La misère et le désespoir qui règnent de 1945 à 1948 renforcent cette tendance. Il faut lutter pour survivre. On ne peut compter que sur soi et ses proches. On voit se répandre à travers l'Allemagne une sorte de nihilisme, un refus systématique d'assurer des responsabilités autres que personnelles ou familiales. Quelques années plus tard, lorsque se pose le problème du réarmement, un slogan fleurit sur les murs des villes, qui caractérise bien cet état d'esprit: « ohne mich », « sans moi». A cette « Staatsm üdigkeit », cette lassitude de la chose publique, à cette volonté bien arrêtée de ne plus s'occuper que de soi, nul système ne pouvait mieux convenir que le régime libéral. Le désh de reconquérir un bien-être matériel jadis possédé, la volonté farouche de sortir du chaos et de mener à nouveau une vie digne et décente, étaient en puissance un formidable levain. Encore fallait-il mobiliser les énergies latentes. C'est à quoi le libéralisme est parvenu parce qu'il est dans sa nature de faire appel à l'intérêt privé et à l'initiative individuelle. Adapté au climat psychologique de l'Allemagne d'après-guerre, le libéralisme tirait aussi une partie de sa force d'attraction de la peur qu'inspirait le communisme. L'étatisme et la planification étaient et restent, jusqu'à un certain point, associés, dans l'esprit des Allemands, au régime soviétique et à celui de Pankow. On les confond dans un même sentiment de crainte et de réprobation. Le libéralisme économique apparaît nécessaire à la liberté politique. Du point de vue des performances et des résultats, le dirigisme du IIIe Reich n'avait pas, au surplus, laissé de bons souvenirs. La planification nazie, nous l'avons vu, avait comporté plus d'improvisation et de désordre que de réelle efficacité. Le rationnement, respecté jusqu'en 1945, n'empêche, après la défaite, ni le marché noir, ni la pénurie. L'organisation autoritaire de l'économie a fait naître une bureaucratie pesante et tracassière. Le dirigisme d'occupation qui en 1945 succède au dirigisme de guerre, accentue cette tendance et achève de discréditer un système décidément lié, a.u.x yeux des Allemands, à tous leurs malheurs, et plus particulièrement à deux d'entre eux, l'autarcie et l'inflation. 2° L'autarcie n'est devenue un but, enmêmetempsqu'unmoyen, dela politique allemande, que sous le national-socialisme. Elle n'entrait d'aucune façon dans les calculs de Bismarck, même après qu'il eut orienté l'économie allemande dans les voies du protectionnisme. Elle était au.x antipodes des préoccupations de Guillaume Il, qui entendait, au contraire, pratiquer une politique mondiale, une « Welt Politik », fondée, à l'instar de celle de la Grande-Bretagne, sur l'acquisition d'un empire colonial, la construction d'une flotte et la constitution au profit de l'Allemagne de zones d'influence, notamment au Moyen-Orient. Cependant, l'idée de regrouper autour d'un Reich, englobant tous les peuples de langue allemande, les nations économiquement et politiquement moins développées de l'Europe orientale, centrale et, dans une moindre mesure, occidentale (Belgique, Hollande, Danemark) avait été développée, avant la première guerre mondiale, par la ligue pangermaniste (alldeutscher Bund) créée en 1893. C'était aussi, quoique dans un éclairage politique assez différent, la thèse défendue avec Politique économique de l'Allemagne occidentale.

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ORIGINES ET D~VELOPPEMENT DU LIB~RALISME ALLEMAND

fracas par Frédéric Naunmann en 1915, dans son livre Mitteleuropa. Les recherches récentes de l'historien allemand Fischer ont révélé que les annexions projetées par le Chancelier Bethmann-Hollweg après l'ouverture des hostilités tendaient, elles aussi, à la constitution d'une >, sous contrôle allemand. Les hostilités de 1914-1918 montrèrent à quel point, au xxe siècle, la puissance militaire est fonction de la puissance économique. La leçon ne fut pas oubliée. L'Allemagne d'Hitler fit de l'autarcie un des objectifs majeurs de sa politique. En regroupant sous sa fémie commerciale puis politique, un ensemble géographique suffisamment vaste et riche, elle entendit s'affranchir de toute dépendance à l'égard de l'extérieur. Ce rêve autarcique qui avait hanté la pensée nationaliste allemande, la défaite de 1945 le réduit à néant. De la tentative hitlérienne on ne retiendra ni les réussites partielles, ni l'impulsion souvent décisive donnée à l'innovation scientifique et technique. On ne se souviendra que des pénuries, des privations, du rationnement. On soulignera la démesure d'une entreprise vouée à la catastrophe. L'espèce de rage qui saisit les Allemands, lorsqu'à partir de 1948 ils se lancent à la conquête des marchés mondiaux, les efforts déployés et les sacrifices consentis pour développer les exportations et regagner les positions perdues, plongent leurs racines dans ce refus de l'autarcie. Il n'est pas jusqu'à certaines réticences à l'égard du Marché Commun et jusqu'aux sympathies professées à l'égard de la zone de libre échange qui ne s'expliquent, dans une certaine mesure, par un parti pris « mondialiste», une méfiance désormais professée à l'encontre des groupements régionaux, des systèmes préférentiels, des horizons limités. 3° Mais, de toutes les expériences du passé, celle dont les Allemands entendent avant tout éviter le retour est sans conteste l'inflation. Si la dépréciation monétaire a été le lot de la plupart des pays depuis 1918, aucun d'eux n'a vécu les heures que connut l'Allemagne en 1923, lorsque 150 imprimeries, occupées jour et nuit à imprimer des billets, ne suffisaient pas à la tâche ; lorsqu'un dollar valait 4 200 milliards de marks et que toute une classe sociale se retrouva finalement ruinée après des années d'indescriptible désordre. Si l'inflation a revêtu ailleurs les aspects d'un mal sournois, elle a pris en Allemagne les proportions d'un fantastique typhon On parle encore outre-Rhin du >.

1. LE POTENTIEL INDUSTRIEL

L'Allemagne avant d'être conquise par les armées alliées a connu, depuis trois quarts de siècle, une expansion économique à peu près ininterrompue. En 1913, elle est, avec 46% de la production européenne d'acier, 48% de la fabrication des machines et 41 % de la production chimique, la première des nations industrielles du continent 1 • Dans le monde, seuls les Etats-Unis la surclassent. Ni les désordres de l'aprts-guerre, ni la crise de 1929-1933 n'interrompent durablement cette ascension. L'inflation accélère le processus de concentration qui favorise pendant les années de prospérité un mouvement intense de modernisation et de rationalisation, réalisé de 1924 à 1929 sur le modèle et avec des crédits américains. Quant aux conséquences de la grande dépression, elles sont surmontées dès 1936 et l'économie allemande connaît, dans les dernières années de l'avant-guerre, une croissance rapide. Nous touchons là à une différence essentielle dans l'évolution comparée des économies française et allemande. Les tableaux ci-dessous montrent, en effet, que, si c;l.e 1919 à 1929 la France a progressé plus rapidement que l'Allemagne, la relation s'est complètement inversée après 1929. A la veille de la guerre, le revenu national français retrouve avec peine le niveau moyen des années 1925-1929, tandis que le revenu national allemand a augmenté de 45 %- Cette disparité se reflètera sur les champs de bataille ; mais elle fera aussi sentir ses effets après la guerre, lorsqu'aura sonné l'heure de la reconstruction et de la concurrence pacifique. 1. SvENNILSON, Growth and Stagnation in the European Economy, Genève, 1954, Commission

Economique pour l'Europe, p. 16.

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LE BOULEVERSEMENT DES STRUCTURES CROISSANCE ÉCONOMIQUE COMPARÉE DE LA FRANCE ET DE L'ALLEMAGNE (1913-1938)

REVENU NATIONAL

(moyenne 1925-1929

PRODUCTION INDUSTRIELLE (2)

(1)

(c,ans mines, ni bâtiment) (moyenne 1925-1929 = 100)

= 100)

Allemagne

France

Allemagne

1913 .........

97

85

92

1929 .........

106

111

107

112

1939 .........

145

100

137

90

PRODUCTION DE CIMENT

France 78,5

CONSOMMATION APPARENTE D'ACIER (4)

(3)

en millions de tonnes (sans correction pour commerce indirect)

en millions de tonnes

Allemagne

France

Allemagne

France

1913 .........

6,6

1,9

11,9

4,8

1929 .........

7,2

6,2

14,5

8,2

1938 .........

15,2

4,1

20,6

4,7

Source : SVENNILSON, Growth and Stagnation in the European Economy, Geneva, 1954, Commission Economique pour l'Europe : (1) P. 233. (2) P. 305-306. (3) P. 202 et 283. (4) P. 276-277.

Dans les premières années du nazisme la production industrielle enregistre une progression générale. Mais à partir de 1939 l'expansion sert surtout le réarmement. Ce sont les industries lourdes et celles fabriquant les biens d'équipement qui bénéficient des taux d'accroissement les plus élevés. De 1936 à 1939 la construction électrique augmente sa production de 89%, le secteur des machines de 70% 1 • A la veille de la guerre, l'appareil industriel allemand s'est développé, rajeuni, renforcé. Celui de la France est devenu fragile et vétuste. 1.

GLEITZE,

Ostdeulschewirtscha~, Duncker et Humboldt, Berlin 1956, p. 171.

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ORIGINES ET DIÊVELOPPEMENT DU LIBÉRALISME ALLEMAND

A. -

LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE

Les hostilités, du moins après 1942, frappent l'Allemagne plus durement que la France. Effacent-elles notre retard? En 1945 et 1946 on a pu le penser. L'Allemagne ne paraît être qu'un fantastique amas de ruines, hanté par des millions de chômeurs. Son économie est comme paralysée. En 1947, la production industrielle française atteint 87 % de son niveau de 1937 ; la production allemande se situe à 40% de cet étiage, lui-même, nous l'avons vu, sensiblement inférieur à celui de 1938 1 • Mais destructions et stagnation dissimulent aux observateurs l' extraordinaire développement des capacités industrielles de l'Allemagne pendant la guerre, fait capital sans quoi ni le redressement opéré après 1948, ni le succès de la politique libérale, ne pourraient s'appliquer. L'histoire de l'effort de guerre de l'Allemagne entre 1940 et 1945 est surprenante. Au moment où les armées nazies déferlent sur l'Europe et s'emparent de ses ressources agricoles et industrielles, à l'heure où la Grande-Bretagne et l'Union Soviétique mobilisent leurs énergies et doublent leur production d'armes, le régime hitlérien laisse régresser la sienne et ralentit son effort. La production mensuelle d'acier qui était de 2,15 millions de tonnes en janvier 1941 tombe à 1,82 million en février 1942. L'indice des fabrications militaires n'augmente que de 1 % en 1941. A partir de juillet 1941, date de l'invasion de !'U.R.S.S., l'armée allemande consomme plus de munitions que son industrie n'en produit et les stocks disponibles fondent dans la proportion des deux tiers. Dans le même temps la production de biens de consommation, qui avait baissé de 6% en 1939-1940, augmente légèrement 2 • Tout indique que Hitler et son entourage considèrent la partie comme gagnée. Victimes de leur propre propagande, ils sous-estiment leurs adversaires, notamment l'U .R.S.S. Ils croient à une victoire rapide et, partant, hésitent à orienter l'économie allemande dans des voies qui se révèleraient sans intérêt, la paix revenue. Ils commettent une erreur capitale et perdent un temps qu'ils ne rattraperont plus. Les investissements, cependant, n'ont pas cessé de se développer et permettront, plus tard, d'opérer un rapide redressement. C'est l'échec essuyé devant Moscou au cours de l'hiver 1941-1942 qui àlerte enfin les dirigeants nazis. La mort accidentelle de l'ingénieur Todt porte à la barre Albert Speer. Les rênes de l'économie de guerre sont reprises en main, une organisation nouvelle mise en place, qui combine, non sans efficacité, une direction autoritaire de l'économie et la gestion des professions par elles-mêmes. Les résultats obtenus sont saisissants. En deux ans, de juillet 1942 à juillet 1944, la production de matériel de guerre triple : les armements fabriqués pendant la seule année 1944 auraient suffi à équiper 225 divisions d'infanterie et 45 divisions cui1. Monthly Bulletin of Statistics, April et Aug. 1951, U.N. Statistical Yearbook, 1949-50.

2. Prof. dr Rolf WAGENFÜHR, Die Deutsche Industrie im Kriege, Zweite Au{lage, Duncker et Humboldt, Berlin 1963, pp. 32-38.

LE BOULEVERSEMENT DES STRUCTURES

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rassées 1 • Pendant la même période, la production d'essence et de caoutchouc synthétique, indispensable à la poursuite des opérations, double. Ces résultats ne sont obtenus que parce que toutes les industries directement ou indirectement liées à l'effort de guerre connaissent de leur côté une expansion rapide: la capacité de production d'énergie électrique augmente de 35 % ; celle des aciers spéciaux de 75 %- L'Allemagne fabriquait 1 688 locomotives et 28 200 wagons en 1940 ; elle en produit respectivement 5 243 et 66 263 en 1943 11 • L'ensemble de l'économie ne progresse pas, il est vrai, au même rythme. Le bâtiment réduit son activité des deux tiers par rapport à 1938 et la quantité de biens de consommation mis à la disposition du pays baisse de 14%. Mais l'indice général de la production industrielle augmente de 15 points pendant la guerre, progression qui atteint 38% dans l'industrie chimique, 53,5 % pour la construction des machines et la mécanique, 27,2% dans la construction électrique et 98% dans la mécanique fine et l'optique. Le parc de machines-outils dont dispose l'économie allemande passe de 1 700 000 en 1968 à 2 100 000 en 1943 3 • L'accroissement de la production est dû, en grande partie, aux progrès de la productivité, particulièrement sensible dans le secteur des fabrications militaires. Pour une production triple, la main-d'œuvre employée n'y augmente que de 28%. Il reflète aussi l'importance des capacités industrielles disponibles. Indication révélatrice : la durée du travail ne s'accroît pas pendant la guerre. De 49,5 heures par semaine en 1941, elle tombe à 48,3 heures en mars 1944 et même dans le secteur névralgique des industries d'armement, elle ne dépassera pas 50,3 heures 4 • Rien qui rappelle la mobilisation intensive de la main-d'œuvre, caractéristique de l'effort de guerre britannique. L'économie allemande était à l'aise, au large, bref, suréquipée. Les bombardements ont-ils, avant l'arrêt des hostilités, affaibli ou anéanti ce potentiel? Jusqu'au milieu de 1944 les dommages restent limités. On a estimé, par exemple, que les agressions aériennes n'avaient pendant toute l'année 1943, réduit la production de charbon que de 1,2% et celle d'acier de 6,4%. La situation change à partir de juillet 1944. En neuf mois les Alliés déversent sur l'Allemagne plus de bombes qu'au cours des quatre années qui précèdent, exactement 60% du total. Le Strategic Air Command américain concentre ses attaques sur des points économiquement névralgiques pour atteindre la puissance militaire allemande dans ses bases industrielles. Les coups portent. Autant les raids relativement dispersés des années précédentes avaient peu gêné l'effort de guerre de l'Allemagne, autant les attaques redoublées de la fin de 1944 et du début 1945 finissent par paralyser complètement son économie. Dans la plupart des secteurs, la production a, en mai 1945, baissé de 35 à 50% par rapport au niveau de l'année précédente. De nombreuses usines, comme Opel et B.M.W., doivent s'arrêter. Mais, qu'on ne s'y trompe pas, cet effondrement des derniers mois ne signifie 1.

2. 3. 4.

WAGENFÜHR, WAGENFÜHR, WAGENFÜHR, WAGENFÜHR,

op. cil., pp. 66-67. op. cit., p. 59. op. cit., pp. 56-60 et 160-177. op. cit., p. 47.

34

ORIGINES ET D~VELOPPEMENT DU LIB~RALISME ALLEMAND

pas que la croissance de l'industrie allemande depuis 1942, voire depuis 1936, se soit trouvée d'un seul coup effacé, ou que les capacités nouvelles aient été anéanties. Les archives du ministère Speer ainsi que les recherches auxquelles se sont livrés, après la guerre, les services de l'aviation américaine montrent que la paralysie finale a eu, pour l'essentiel, trois causes : la rupture quasi complète du système des transports; l'arrêt des approvisionnements en charbon; la destruction des installations fabriquant l'essence synthétique. En s'attaquant aux liaisons ferroviaires, PRODUCTION INDUSTRIELLE BRUTE DE L'ALLEMAGNE OCCIDENTALE DANS LES SECTEURS DE L'INDUSTRIE LOURDE ET DES BIENS D'ÉQUIPEMENT DE 1933 A 1944 (1936 = 100) 1933

1936

1939

1944

Mines ............................

74,4

100

123,5

111,2

Sidérurgie, métaux non ferreux, fonde1"ie ..........................

50,4

100

116,3

153,8

Indu.strie chimique et production d'essence.......................

57,9

100

135,4

186,9

Métallurgie. . .....................

59,6

100

114,2

273,8

Machines, constructions méca,niques (voiture, construction navale et aéronautique) ...................

45,2

100

179,8

276,1

Construction électrique .............

68,6

100

189,2

240,7

Mécanique fine et optique ...........

57,7

100

117

222

Source : Brnno GLEITZE, Ostdeutsche Wirtschaft, Duncker et Humboldt, Berli;n, 1956, pp. 170-

171.

routières et fluviales, en détruisant les gares de triage, les ponts, les écluses, les Alliés frappent l'économie allemande à son point le plus sensible. Ils réussissent, notamment, à isoler la Ruhr et à interrompre ses livraisons de charbon au reste du pays. 22 000 wagons chargés de houille quittaient mensuellement la Ruhr ; il n'en est plus expédié que 5 000 en novembre 1944 1 • Le Reich dans son ensemble ne dispose plus, dans les derniers jours de la guerre, que de 8 % de son approvisionnement en charbon. La production d'énergie électrique s'en trouve réduite des 2/3, et de nombreuses fabriques sont obligées de fermer leurs portes. Les usines de carburant synthétique (à Leu,na) sont un objectif plus directement militaire, mais le manque de fuel contribue aussi à l'arrêt général de l'activité économique. 1.

ALLAN

S.

MILWARD,

The German Economy at War, The Athlone Press 1965, p. 175~

LE BOULEVERSEMENT DES STRUCTURES

35

Les raids alliés ont naturellement d'autres objectifs que les moyens de transport et les sources d'énergie. Le but premier du Haut Commandement allié est d'ébranler le moral de la nation allemande. Aussi les villes constituent-elles une cible privilégiée 1 • Pour ce qui est de l'industrie, on s'efforce, non de la détruire systématiquement, mais plutôt de la paralyser en concentrant les tirs sur certains maillons spécialement sensibles du processus de production (ex. : les usines de roulements à billes de Schweinfurt). De sorte que les attaques, pour sévères qu'elles soient dans certains secteurs comme la sidérurgie ou la chimie, ne détruisent, en définitive, qu'une fraction relativement limitée du potentiel global. Fréquemment les installations atteintes peuvent être remises en route moyennant des réparations limitées. L'infrastructure, si importante dans findustrie moderne, est le plus souvent intacte. Les usines sont endommagées, arrêtées, non anéanties. L'effort qui, de 1936 à 1944, a étendu et modernisé la puissance industrielle de l'Allemagne, n'est pas effacé. Il ne le sera pas davantage par les > pratiqués, après 1945, par les vainqueurs.

B. -

LA

POLITIQUE ALLIÉE Il

On ne rapp~llera ici ni les différents aspects, ni les étapes successives de la politique alliée à l'égard de l'Allemagne vaincue. On tentera seulement d'en évaluer brièvement les conséquences du point de vue de l'industrie allemande. Celle-ci est une > que les vainqueurs entendent se partager au titre des réparations. Tirant la leçon des expériences malheureuses du passé, ils ne veulent ni de paiements en espèces, ni d'un règlement en marchandises. Dans un cas comme dans l'autre, le débiteur, c'est-à-dire l'Allemagne, doit, en effet, pour s'acquitter, étendre ses capacités de production et, partant, accroître sa puissance industrielle. Les Alliés savent les dangers qu'un tel enchaînement comporte pour leur sécurité comme pour leur développement économique. Aussi ont-ils décidé, à Yalta, puis à Potsdam, que l'Allemagne s'acquitterait non en marchandises, mais en biens d'équipement. C'est la politique des >. Elle consiste à transférer non des produits mais des usines et, ainsi, à faire d'une pierre deux coups : > les dommages directs (destructions) et indirects (dépenses de guerre) subis par les victimes de l'Allemagne ; amputer le potentiel industriel de celle-ci et interdire pour l'avenir toute nouvelle aventure militaire. La mise en œuvre de cette politique s'accomplit en deux étapes. A la conférence de Paris, en décembre 1944, on procède d'abord à l'évaluation globale des dommages, qui sont fixés au chiffre fantastique de 326 milliards de $, et à la détermination des droits respectifs des dix-huit parties prenantes. Ensuite, le 26 mars 1946, un plan quadripartite décide la réduction du potentiel industriel allemand. Certaines 1. Hambourg est détruit à 53 %, Cologne à 60 %2. Cf. André PIETTRE, L'économie allemande contemporaine, Editions M. Th. Génin, Librairie Médicis, Paris 1952, pp. 49-167.

36

ORIGINES ET DÉVELOPPEMENT DU LIBÉRALISME ALLEMAND

fabrications sont prohibées; il s'agit de toutes celles qui ont, ou peuvent avoir, une destination militaire (ex. caoutchouc et essence synthétiques). D'autres sont limitées ; ainsi, l'industrie mécanique devra réduire son activité de moitié, celle des machines-outils de 9 /tOe; la sidérurgie ne pourra produire que 7,5 millions de tonnes d'acier. Quant aux capacités excédentaires, elles seront démontées et transférées, sort qui attend 18 000 usines, parmi les plus importantes d'Allemagne. Si ce programme avait été réellement appliqué, la production de l'industrie allemande aurait été ramenée à 50% de son niveau de 1938. En fait, il n'est que très partiellement mis en œuvre. Au moment où les préliminaires diplomatiques sont terminés et où l'on va passer aux actes, le schisme entre l'Est et l'Ouest, la division de l'Allemagne, la naissance de la République de Bonn et son intégration dans le plan Marshall, modifient profondément la situation politique. L'Allemagne devient l'associée des occidentaux et l'on s'emploie à remettre en marche son économie, bien plus qu'à l'affaiblir. La politique antérieurement définie n'en continue pas moins de s'appliquer pendant quelque temps, et un certain nombre d'installations sont effectivement démontées et transférées entre 1947 et 1951. Mais il n'est pas touché aux usines les plus importantes et les crédits Marshall permettent de remplacer les installations déplacées par des équipements neufs, de sorte que le préjudice subi n'est pas considérable. Si l'on se réfère aux évaluations établies par les Allemands, les démontages n'auraient amputé la capacité industrielle globale que de 6 % par rapport à son niveau de 1936. De plus, en provoquant des« goulots d'étranglement», ils auraient réduit en définitive la production courante de 8 %1 • De fait, les prélèvements ont été considérablement plus importants dans certains secteurs: 20% dans la mécanique fine et l'optique; 20% dans la construction métallurgique; 40% dans la construction navale. Dans l'ensemble, cependant, les capacités démantelées sont réduites. Elles le paraissent, plus encore, si l'on tient compte de ce que, dans les années qui suivent 1936, le potentiel industriel allemand s'est, ainsi que nous l'avons montré, considérablement développé. De sorte que par rapport aux capacités existantes à la fin des hostilités, l'incidence réelle des démontages a été, sans aucun doute, sensiblement inférieure à 6 ¾Ces capacités, qui ont donc pour l'essentiel survécu aux destructions comme aux démontages, constitueront un atout capital au moment où s'amorcera le redressement économique de l'Allemagne. Les tableaux des pages suivantes mettent en évidence l'ampleur des investissements effectués pendant la guerre et l'importance des équipements industriels disponibles en 1945. A la fin des hostilités 55% du capital fixe a moins de dix ans d'âge, contre 29% en 1935. 1. Bremer Ausschuss für Wirtschafts Forschung-Am Abend der Demontage, Bremen 1951, p. 26.

37

LE BOULEVERSEMENT DES STRUCTURES DEGRÉ D'UTILISATION DU CAPITAL FIXE BRUT INVESTI DANS L'INDUSTRIE DE L'ALLEMAGNE OCCIDENTALE DE 1938 A 1956 (en pourcentages) Mines, Biens Matières Biens de Premières, d'mvestissement Consommation Biens de Production

Années

1938 ........ 1939 ........ 1940 ........ 1941. ....... 1942 ........ 1943 ........ 1944 ........ 1948/1 ..... 1948/2 ..... 1949 ........ 1950 ........ 1951 ........ 1952 ........ 1953 ........ 1954 ........ 1955 ........ 1956 ........

Source :

100,0 96,3 88,1 82,6 77,6 74,2 79,7 38,8 53,3 62,7 74,6 83,6 82,9 82,7 84,9 87,5 85,6

KRENGEL,

83,9 94,7 96,2 95,2 92,4 89,6 100,0 27,9 43,2 51,8 64,1 78,0 81,0 79,3 86,7 96,4 93,4

87,2 83,1 78,1 74,0 68,8 63,8 60,2 32,5 47,6 62,8 77,3 81,6 77,7 85,7 88,4 91,9 93,1

Produits alimentaires

Ensemble de l' Industrie

90,9 95,8 87,9 80,8 74,0 70,5 69,6 41,1 58,2 71,0 76,6 80,8 82,3 91,3 93,1 98,4 100,0

93,6 93,9 88,3 83,8 79,2 75,7 80,6 35,9 50,9 61,3 73,0 81,8 81,6 83,3 86,6 91,2 89,8

op. cit., p. 87.

ÉVOLUTION DES INVESTISSEMENTS FIXES NETS DANS L'ENSEMBLE DE L'INDUSTRIE (en millions de DM aux prix de 1950) Années

1940 ......... 1941 ......... 1942 ......... 1943 ......... 1944 ......... 1945 ......... 1946 ......... 1947 ......... 1948 ......... 1949 ......... 1950 .........

Investissements Amortissement Destructions Démontages de guerre fixes bruts

5 261 5537 5 869 5 079 3 541 778 847 1 096 2464 3 684 4 710

2 006 2175 2355 2 534 2 587 2 008 1 912 1895 2 016 2 251 2405

-

876 4 515 3 290 -

-

-

-

767 892 372 153

-

Investissements fixes nets

+ 3255 + 3361 +3514 + 1669 -3561 -5287 -1957 -1171 + 296 + 1433 + 2305

Source : Rolf KRENGEL, Anlagevermogen, Produktion und Beschiiftigung der Industrie im Gebiet der Bundesrepublik, von 1924 bis 1956, Ed. DUJ1cker et Humboldt, Berlin 1958, p. 105.

38

ORIGINES ET D~VELOPPEMENT DU LIB~RALISME ALLEMAND

ANCIENNETÉ DU CAPITAL FIXE BRUT DANS L'INDUSTRIE DE L'ALLEMAGNE OCCIDENTALE A DIFFÉRENTES ÉPOQUES

Age

1er janv. 1er janv. 1er janv. 1er janv. 1er janv. 1935 1940 1945 1948 1950

1er janv. 1957

0-5 ans ........................ 5-10 ans ....................... 10-15 an, une coupure économique. L'ensemble allemand, tel qu'il s'était constitué sous le deuxième et le troisième Reich, était, en effet, étroitement soudé, formé de régions complémentaires entre lesquelles les échanges étaient intenses. La rupture de ces rapports, d'ailleurs plus complexes qu'on ne l'imagine généralement, ne pouvait qu'entraîner de profonds bouleversements. La dépendance de l'Ouest à l'égard du Centre et de l'Est 1 était importante dans de nombreux domaines. Elle était manifeste dans le secteur agricole. Avec 58% de la population totale, l'Allemagne Occidentale ne disposait, en effet, que de 50% de la surface cultivée et ne produisait que 45% des céréales, 42% des pommes de terre, 35% des betteraves à sucre. Son agriculture, constituée de petites exploitations adonnées à l'élevage (40% de la surface appartenait à des exploitations de moins de dix hectares, contre 20% dans le reste du pays), était en outre relativement peu productive. Aussi une fraction notable (12% en 1936) de ses besoins alimentaires était-elle couverte à l'aide d'excédents produits par les autres parties du pays. Séparée des terres nourricières de l'Est, l'Allemagne de l'Ouest voit donc s'accentuer sa dépendance à l'égard de l'étranger. D'autant qu'au tarissement de ses sources d'approvisionnement correspond une augmentation brutale de la population. Mais les relations entre l'Ouest et l'Est de l'Allemagne n'étaient pas seulement celles entre l'usine et le grenier à blé. L'industrialisation des provinces centrales et orientales du Reich, relativement ancienne, avait été systématiquement développée par le régime nazi, non seulement pour rendre l'Allemagne moins vulnérable en cas de guerre, mais aussi par souci de déplacer vers l'est le centre de gravité du> hitlérien. De sorte qu'à la veille de la guerre, 21 % des produits industriels nécessaires aux régions de l'ouest provenaient du centre et de l'est du pays. L'industrie Jourde - sidérurgie, métallurgie, charbonnages - restait pour l'essentiel concentrée dans la Ruhr. Mais il n'en allait pas de même pour les industries légères, celles des biens de consommation et d'investissement. Les régions 1. L'expression « Allemagne de l'Ouest• désigne les territoires qui constituent actuellement la, République Fédérale ; « Allemagne du Centre •• ceux qui forment la République Démocratique allemande ; « Allemagne de l'Est • s'applique aux territoires situés à l'Est de la ligne Oder-Neisse.

ORIGINES ET D~VELOPPEMENT DU LIB~RALISME ALLEMAND

situées au-delà de l'Elbe avaient, dans ces secteurs, bénéficié d'une grande expansion. Pour certaines productions elles jouissaient même d'une nette prépondérance : ainsi des cellules d'avions (64,3 %) ; de la bonneterie et du tricot (63 %) ; du sucre (54%); des métiers à tisser (50%); des moteurs d'avion(48,3%) ;del'optique, etc ... 1 Il en allait de même pour quelques matières premières comme la potasse et pour certains métaux non ferreux. C'est pourquoi l'arrêt quasi-total des échanges créé pour les deux parties de l'Allemagne une situation nouvelle et difficile. PRODUCTION INDUSTRIELLE EN ALLEMAGNE CENTRALE ET ORIENTALE EN 1936 (e11 % de la productio11 totale)

Secteurs

Allemagn.e Orie11tale Allemagp.e Ce11trale (zone soviétique (territoires à l'est = R.D.A.) de !'Oder-Neisse)

Mines ..........................................

9,2%

19,5%

......................... ······ ......

2,4%

6,5%

Industrie des métaux non ferreux ..................

1,2%

27,4%

Machines .......................................

3,1%

27,4%

Métallurgie de traJISformation

2,5%

16,4%

lJldustrie automobile

....... ······ ....... ............................

1,2%

24%

0,3%

59,3%

4,4%

27,2%

.... ·········· .. ············ ........... Habillement ...................................

6,3%

34%

8,7%

17,2%

······. ········· .............

1,2%

12,2%

Mécanique fi11e et optique .........................

1,1%

30,1%

..... ········· ...............

0,8%

35%

Chimie .........................................

1,3%

30,4%

9%

24,3%

Sidérurgie

.................... ······ Imprimerie et transformation du papier ............

Industrie Aéronautique

Textiles

lJldustrie électrique

Quincaillerie, jouets

Industries alimentaires Source: Bruno

..........................

GLEITZE,

Ostdeutsche Wirtscha~, Duncker et Humboldt, Berlin 1956, pp.174-

185. 1. Bruno pp. 146-220.

GLEITZE,

Ostdeutschewirtschafl, Duncker et Humboldt, Berlin 1956, A;nnexe statist,

LE BOULEVERSEMENT DES STRUCTURES

41

Pour ce qui concerne l'Allemagne Occidentale, il est clair que, privée d'une partie de son approvisionnement en denrées alimentaires, en matières premières et en produits industriels, elle ne pouvait pas, même si elle le voulait, reprendre à son compte les chimères autarciques du régime précédent. Forcée d'importer ce qu'elle ne peut plus produire, elle est obligée de fonder son équilibre économique sur le développement du commerce extérieur. Le libre échange, pour conforme qu'il soit aux principes du Professeur Erhard, est aussi, pour un pays divisé comme la République Fédérale, une exigence pratique. Exigence qui ne va pas, d'ailleurs, sans soulever de sérieuses difficultés. La coupure de l' Allemagne n'est, en effet, que la manüestation la plus éclatante de la partition de l'Europe toute entière. Aux effets économiques de la première s'ajoutent les conséquences commerciales de la seconde. On sait la part importante que l'Europe Orientale occupait dans le commerce extérieur du Reich. Or, les échanges de Bonn avec l'Est depuis 1949 oscillent entre 3,5 et 5 % du total de ses achats et de ses ventes à l'étranger. Il ne suffit donc pas d'élargir les bases traditionnelles du commerce extérieur allemand : il faut, dans une large mesure, en modifier l'orientation géographique. Il ne s'agit pas seulement de rétablir des courants commerciaux anciens, il est nécessaire d'en développer de nouveaux. Un renversement analogue s'impose à l'intérieur même del' Allemagne Occidentale où la division bouleverse la disposition des grands axes économiques. La politique du deuxième et du troisième Reich, avait, en effet, tendu à développer les liaisons est-ouest. La construction, à partir de 1905, du « Mittellandkanal» qui relie le Rhin à l'Oder, par l'Ems, la Weser et l'Elbe, était l'expression la plus frappante de cette volonté où le calcul économique se mêlait au désir du gouvernement de consolider l'unité du pays et de rapprocher des régions que séparait la géographie des grands fleuves. Une préoccupation semblable s'était manifestée dans la construction des autoroutes. En reliant Cologne, Hanovre et Berlin les pouvoirs publics avaient établi une liaison transversale, alors que l'axe nord-sud n'était qu'ébauché, les tronçons Hambourg-Gottingen et Karlsruhe-Bâle restant à construire. Une jonction Munich-Berlin par Leipzig avait été établie juste avant la guerre, mais elle perd tout intérêt après 1945. Le « rideau de fer» dissocie d'un coup ce qui avait été patiemment uni. Aux horizontales il faut, du jour au lendemain, substituer des verticales. L'axe économique de la République de Bonn est orienté nord-sud et non plus, comme celui du Reich, est-ouest. S'il en fallait une preuve on citerait le fait que la première ligne de chemin de fer électrifiée par les autorités après la guerre a été celle qui longe le Rhin. La tâche à laquelle se trouve confrontée l'Allemagne aux lendemains des hostilités n'est donc pas seulement de relever ses ruines et de remettre en route ses usines. Pour survivre il faut adapter structures et mentalités à une situation entièrement nouvelle. Il faut, dès le premier instant, remettre en cause toutes les routines, secouer toutes les habitudes, prospecter tous les marchés. S'il est vrai que la règle d'or de l'économie moderne est l'adaptation à des situations en constante évolution, on peut dire qu'elle s'est imposée à l'Allemagne avec une salutaire brutalité dès Politique économique de l'Allemagne occidentale.

4

42

ORIGINES ET D~VELOPPEMENT DU LIB~RALISME ALLEMAND

l'immédiat après-guerre. Les entreprises d'outre-Rhin n'ont pas oublié la leçon. On peut y voir une des causes de leur dynamisme, une des explications de leur étonnant succès. 3. LE DÉSÉQUILIBRE DÉMOGRAPHIQUE

Si la division du pays a profondément modifié l'équilibre industriel, agricole et commercial ouest-allemand, sa conséquence la plus importante se situe, cependant, sur un autre plan. Elle est d'ordre humain et réside dans l'installation, en Allemagne Occidentale, en 1945 et 1946, de 9 millions de réfugiés, auxquels s'ajoutent, dans les années suivantes, plus de 4 millions de nouveaux arrivants. Toutes les difficultés qui ont assailli l'Allemagne au lendemain de la défaite ont été amplifiées et aggravées par cette dramatique migration. Nul, cependant, ne conteste aujourd'hui qu'elle a été aussi un puissant facteur de stabilité et d'expansion. Il faut, pour en saisir la portée véritable, analyser séparément ses conséquences démographiques et ses effets économiques. a) Les perspectives démographiques de l'Allemagne après la guerre sont mau,vaises. Deu,x causes sont à l'origine de cette dégradation : la baisse brutale de la natalité et les pertes causées par la guerre. Contrairement au reste de l'Europe Occidentale, l'Allemagne avait conservé jusqu'au début du xxe siècle un taux de natalité élevé, de l'ordre de 35 °/oo- Mais une baisse brutale intervient à partir de 1900. En moins de trente ans et en dépit d'un bref redressement après la première guerre mondiale, ce taux tombe à 14,7 °/oo, en 1933. Temporairement stoppée par la politique démographique du régime hitlérien (20,4 naissances pour 1 000 en 1939) la natalité allemande retrouve en 1945 et 1946, avec 15 à 16 °/00 , à peu près son niveau de l'entre-deux-guerres. Le taux de fécondité compris entre 4 et 6 pour 1 000 est très faible; le vieillissement de la population nettement marqué : la proportion des personnes âgées de plus de 65 ans est de 9,7% en 1950 contre 7,3% en 1939. Les conséquences de la guerre aggravent les effets de cette évolution. Elles s'inscrivent su,r deux plans, celu,i des naissances, celu,i des décès. Au lieu de 5 millions de naissances, il ne s'en produit de 1940 à 1945, en raison des événements, que 2,6 millions. Ce déficit de 2,4 millions d'enfants se fera sentir à partir de 1960. On évalue à 6 millions le nombre des Allemands morts du fait de la guerre. Ce chiffre comprend 3 millions de tués sur les champs de bataille et un nombre équivalent de civils décédés, soit à cause des bombardements, soit pendant le grand exode vers l'ouest, soit après la fin des hostilités, mais des suites de celles-ci. Il est difficile de préciser 1es conséquences de cette formidable hécatombe sur la structure démographique. Si les pertes subies par la Wehrmarcht ont naturellement frappé la population masculine dans des classes actives, on peut penser que la proportion des vieillards était, au contraire, importante parmi les civils tués sous les décombres des villes ou sur les routes de l'exil. De sorte que la guerre n'a pas nécessaire-



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18'

LE BOULEVERSEMENT DES STRUCTURES

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ment accentué le vieillissement de la population. Elle s'est, en revanche, traduite par une incontestable surmortalité masculine : il y avait 79 hommes pour 100 femmes en Allemagne Occidentale en 1946. b) Les pertes de la guerre s'ajoutant à une natalité déclinante auraient fait de la République de Bonn un pays vieilli, manquant de main-d' œuvre, et sans doute de dynamisme, si l'afflux des réfugiés n~avait pendant quinze ans transformé de fond en comble la structure démographique. Sous le terme générique de réfugiés on désigne deux catégories de personnes que distinguent la terminologie et la législation allemandes : les expulsés et les immigrés. L'appellation d'« expulsés>> (. Dans des limites qui restent larges, elle permet donc toutes les politiques. Il n'en demeure pas moins que l'organisation des pouvoirs instaurée par les constituants allemands avec l'accord des occupants, s'adapte moins facilement aux exigences de la planification qu'à celles du libéralisme. Cette constatation vaut, en particulier, pour les structures fédérales qui confèrent aux Etats sinon de larges compétences, du moins un grand degré d'autonomie. Le fédéralisme correspondait à une préoccupation politique : celle de réagir contre les abus de la centralisation nazie, de protéger les libertés en divisant le pouvoir, souci qui est celui des Alliés, et en particulier de la France, aussi bien que celui des nouveaux responsables allemands. Mais il reflétait aussi une situation de fait. Lorsque la Constitution est élaborée, les Etats, créés par l'occupant, ont déjà deux ou trois années d'existence. Ils sont la seule réalité institutionnelle et administrative, la base nécessaire de toute reconstruction politique. Il n~est donc pas surprenant que la Loi Fondamentale leur ait réservé une place importante, sensiblement plus grande que sous le régime de Weimar. La compétence des Lander est la règle. La compétence du Bu,nd est l'exception; elle n'existe que dans les cas stipulés par la Loi Fondamentale, soit, en matière économique, la monnaie, les douanes, les relations commerciales et financières avec l'étranger, les postes et les chemins de fer, les monopoles financiers. A côté des secteurs de compétence exclusive, la Constitution définit un domaine ouvert conjointement aux Etats et à l'autorité fédérale, mais où l'intervention du Bund, lorsqu'elle se produit, exclut celle des Lander. L'étendue de ce domaine (réfugiés, péréquation des charges, sécurité sociale, agriculture, législation économique, droit commercial, recherche scientüique, droit de la concurrence, expropriation, nationalisation) ainsi que l'activité dont le Bund a fait preuve ont conduit à une large extension de ses compétences. La Loi Fondamentale lui confie, d'autre part, la mission de veiller à l'égalité des conditions économiques et sociales sur l'ensemble du territoire. Tâche aussi vaste qu'imprécise, qui a permis à Bonn de développer son action dans de nombreuses directions : logement, transports, réglementation financière, etc ... C'est, en définitive, l'ensemble de la vie économique qui relève peu ou prou de la compétence du pouvoir fédéral. Aussi l'autonomie des Etats se manifeste-t-elle moins sur le plan législatif que sur le terrain administratif et financier. L'application des lois, qu~elles soient fédérales ou locales, est, sauf pour les douanes, du ressort des Lander, dont !"appareil administratif est sensiblement plus développé que celui du Bund. Pour ce qui est des recettes fiscales, la Constitution a procédé à une répartition entre les différentes collectivités publiques, qui donne des garanties précises aux Lander. L'impôt foncier est attribué aux communes. L'impôt sur le capital, les droits de succession et de mutation, les taxes sur les véhicules, la bière et les jeux reviennent aux Lander. Les recettes douanières, les taxes de consommation sauf celle sur la

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bière, la taxe sur le chiffre d'affaires (aujourd'hui remplacée par la T.V.A.) alimentent le budget fédéral. Quant aux impôts directs (sur les revenus et les sociétés), ils font l'objet entre le Bund et les Lander d'un partage qui n'est pas réglé par la Constitution. Celle-ci se borne à prévoir qu'un accord interviendra avant 1952. A cette date, les parties intéressées prorogent le régime transitoire en vigueur depuis 1949. Une décision est prise en 1958 qui attribue 65% des recettes aux Lander et 35 % au Bund. Mais l'accord n'est valable que pour quatre années. En 1964 la part du Bund est portée à 39 %, celle des Lander ramenée à 61 %; modification elle-même limitée dans le temps. Depuis lors, une révision générale du système financier est à l'étude, pou,r parvenir à une solution définitive et surtout adapter les ressources des diverses collectivités aux tâches et aux obligations qui leur incombent. Il est de fait que les moyens dont disposent les Lander ont augmenté plus que ceux de l'autorité fédérale, alors que les responsabilités de celle-ci n'ont cessé de croître. Dans le même temps la situation financière des communes, qui assurent le principal des équipements publics, est devenue précaire. La Constitution (art. 107, § 2) a instauré, il est vrai, un régime de péréquation entre les collectivités : contributions des Etats riches aux Etats pauvres, d'une part (Ausgleichszuweisungen); aides du Bund aux Etats, d'autre part. Ce système a eu son utilité, mais est devenu insuffisant et complexe, et on souhaite le reconstruire sur des bases nouvelles. La difficulté vient de l'opposition des Lander à tout projet susceptible d'entamer leurs prérogatives. Or, la libre disposition de moyens financiers importants est une des bases de leur autonomie. A quoi il faut ajouter l'existence du Bundesrat, chambre haute, composée de délégués désignés par les Etats et dont l'accord est requis pour le vote de tout texte affectant leurs droits constitutionnels. Il est un domaine de la vie économique où cette autonomie a plus particulièrement entravé l'action du Bund : celui de la politique conjoncturelle. La mise en œuvre de moyens budgétaires et fiscaux, réclamée avec insistance par la Bundesbank et rejetée par Erhard s'est, en effet, heurtée aux droits des Etats. 50% des dépenses publiques dépendent de décisions prises par les Lander et les communes. Libres de s'endetter pour couvrir leurs besoins financiers, les collectivités locales ne sont sujettes à aucun contrôle fédéral et le Bund n'exerce qu'une influence réduite sur le volume et la destination de leurs engagements. Les taux d'imposition ne peuvent, d'autre part, être modifiés qu'avec l'accord du Bundesrat. Le plus modeste changement exige d'interminables tractations. Le système est lourd et peu maniable. Bien plus, il comporte des dangers devenus évidents en 1964-196:5, quand la frénésie dépensière des collectivités locales a notablement contribué au débordement de la conjoncture. Aussi la réforme de l'organisation financière estelle devenue un des objectifs du gouvernement de coalition constitué en 1966.

•*• Que le libéralisme triomphe en Allemagne Occidentale, à l'heure oùles théories keynesiennes et l'étatisme l'emportent ailleurs, n'est, en définitive, ni anormal ni

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surprenant. L'orientation choisie en juin 1948 est adaptée à la situation générale du pays. Elle reflète les aspirations d'un peuple fatigué des disciplines collectives comme des aventures politiques, prêt à travailler à condition d'ytrouversoncompte, disposé à l'effort pour retrouver un bien-être perdu, mais non oublié. Elle correspond aux structures industrielles que la guerre a renforcées dans les secteurs mêmes où l'Allemagne va devoir affronter la concurrence étrangère. Elle est imposée par la division du pays et l'afflux des réfugiés, qui n'ouvrent à la République Fédérale qu'une seule voie, celle d'un équilibre économique fondé sur le commerce mondial. Elle s'harmonise, enfin, avec les institutions fédérales adoptées en 1949. Les énergies latentes, les potentiels cachés, les ressources virtuelles, assurent la réussite de l'expérience tentée par le Professeur Erhard; c'est le miracle économique en puissance qui explique le succès du libéralisme, autant et sans doute plus que l'inverse. On aurait tort, cependant, d'en conclure que le choix fait en 1948 et la politique appliquée dans les années qui suivent, sont évidents ou faciles. Le Professeur Erhard se heurte à de vives oppositions, ses thèses sont contestées, ses décisions combattues, parfois avec passion. Son action personnelle, la force de ses convictions et de son obstination, l'aide apportée par un groupe de conseillers et d'amis pèsent d'un poids décisif dans l'élaboration d'une politique, que le terme de , trop imprécis et trop général, qualifie, d'ailleurs, mal. Plus nuancée, plus complexe, plus évolutive qu'il n'y paraît au premier abord, cette politique se réclame d'une doctrine qui prend ses distances à l'égard du libéralisme classique et pose un ensemble original et cohérent de règles et de principes d'action. L'assurance dont les dirigeants de Bonn font preuve, la certitude qu'ils affichent, tiennent en partie à cette doctrine et au sentiment qu'elle leur a donné de posséder une vision économique d'ensemble, de mettre en œuvre des conceptions intellectuellement fondées, bref de détenir une sorte de « vérité» économique.

CHAPITRE

III

LA RENAISSANCE DU LIBÉRALISME EN TANT Q!!E DOCTRINE 13CONOMIQ!!E

LA politique allemande doit son renom dans le monde à ses résultats: il n'est pas de meilleure publicité que le succès. Elle mérite, cependant, de retenir l'attention à un tout autre titre. Elle présente, en effet, l'originalité de n'être pas seulement l'œuvre d'hommes politiques et de fonctionnaires, de n'être pas une construction purement empirique, édifiée par des praticiens, au jour le jour, pour répondre aux préoccupations du moment, mais de se référer à une doctrine, à une conception d'ensemble, à un cata1ogue de principes et de règles, élaborées > par des universitaires. Au moment où Erhard se met au travail cette construction est à peu près achevée. Ni lui, ni ses successeurs n'hésiteront, il est vrai, à s'en écarter, de façon parfois très nette. Mais le « modèle» est là. On lui reconnaît une valeur scientifique, un champ d'application universel. Quand on l'abandonne, c'est avec mauvaise conscience et en s'efforçant d'y revenir. Il confère à la politique allemande, en dépit de son évolution et de ses contradictions, une cohésion et une homogénéité peu communes. Cet édifice doctrinal, dont Je libéralisme est la clef de voûte, s'est paradoxalement développé en Allemagne pendant la période chaotique de l'entre-deux.guerres, où le capitalisme est ébranlé et la dictature hitlérienne installée au pouvoir. Renaissance! compréhensible, cependant, si l'on songe aux réactions psychologiques et intellectuelles qui accompagnent ces bouleversements. L'effondrement, en 1918, du vieux monde a1Jemand du x1x 8 siècle emporte dans la tourmente les valeurs, les vérités, les tabous qui avaient eu cours pendant plusieurs décennies. D'autres influences trouvent une audience. Sur le plan philosophique, on assiste à un regain en faveur de l'idéalisme kantien. Sur le plan écono--

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mi que, les désordres monétaires de l'après-guerre et la crise économique de 1929-33 consacrent la faillite de l'école historique. Celle-ci, au moment où les pouvoirs publics, assaillis tour à tour par l'inflation et le chômage, cherchent leur voie, se révèle incapable de fournir des réponses, de proposer des politiques, d'apporter aux problèmes de l'heure des solutions concrètes. Livrés à eux-mêmes, ballotés par l'événement, fondant leur action sur des analyses erronées, les gouvernants accumulent les erreurs et aggravent le mal. Aussi le besoin se fait-il peu à peu sentir une vi1:ïion plus claire, d'une orientation plus ferme, d'une éthique nouvelle. Climat propice à une renaissance libérale, elle-même facilitée par l'évolution du libéralisme, tant à l'étranger qu'en Allemagne. L'école de Lausanne et celle de Vienne réhabilitent et renouvellent les recherches théoriques. La pensée libérale, d'autre part, tout en s'opposant au marxisme, s'enrichit d'éléments empruntés à la critique socialiste. Elle constate et étudie le développement des monopoles, la répartition inégale des richesses, l'exploitation des non possédants. Au régime capitaliste tel qu'il existe, déformé, perverti, dominé par des intérêts privés, elle oppose le système libéral, tel qu'il devait être et tel qu'il appartient aux pouvoirs publics de le façonner par une action reconnue nécessaire. Elle montre l'importance du marché, en approfondit le fonctionnement, en explique les exigences. La science économique développe un enseignement nouveau, la >. Mais si les libéraux s'élèvent contre le vieux «laisser faire>>, ils réprouvent aussi, notamment en Allemagne, les interventions désordonnées, les politiques >, sans principes directeurs, facteurs de désordre et de désagrégation du système économique. Ils rejettent le dirigisme, le corporatisme, la planification partielle. Ils soulignent, également, avec exemples à l'appui, que la liberté économique et la liberté politique sont indissociables et qu'en supprimant l'une on condamne, tôt ou tard, l'autre. De ce triple refus, celui du capitalisme décadent, du socialisme autoritaire et des politiques de compromis, naîtra un libéralisme à la fois rénové et germanisé, qui s'écartera résolument des sentiers battus de l'économie politique classique. Il ne s'agira pas pour lui d'affaiblir l'Etat à tout prix. Il réclamera, au contraire, un pouvoir suffisamment fort pour imposer sa volonté aux intérêts privés et faire respecter par tous les règles du jeu libéral, mais en même temps doté d'attributions définies et de fonctions clairement délimitées. Il ne rejettera pas l'intervention de l'Etat, mais prétendra la discipliner, l'orienter et établir grâce à elle un régime de concurrence parfaite. A cette conception d'un libéralisme organisé, ordonné, se rallieront spontanément, quoique par des cheminements intellectuels différents, un certain nombre d'esprits. L'économiste Alexander R üstow défend en 1932 à la réunion annuelle du > 1 la thèse d'un > mis en œuvre par un Etat puissant. Au même moment, le juriste Hans Grossmann Doerth montre que les intérêts privés tendent à se substituer à l'Etat dans l'élaboration du > 1 (il s'agit, en fait, du droit commercial et civil), notamment en imposant, comme le font les compagnies d'assurance et les sociétés de transport, des clauses non débattues entre les parties. De son côté, l'ancien fonctionnaire de l'Office des Cartels du Reich, Franz Bôhm, dénonce dans son livre Concurrence et lutte monopolistique, reffet de domination que les entreprises concentrées ou coalisées exercent sur le marché qu'elles soustraient à l'arbitrage des consommateurs. Tous posent, en fait, le même problème : celui du pouvoir économique dans la société capitaliste contemporaine; tous réclament une politique scientüiquement élaborée et systématiquement appliquée par l'Etat, en fonction d'un >. L'Ecole de Fribourg est d'abord une Ecole de politique économique. Ses membres se font une règle de réfléchir aux grands problèmes du, jour et de prendre publiquement position à leur propos. Une revue annuelle Ordo est fondée après la guerre pour publier des études consacrées aux problèmes concrets de politique économique : loi sur les limitations de la concurrence ; législation sociale ; politique agricole et conjoncturelle ; lutte contre le sous-développement ; convertibilité des monnaies etc ... Il se crée, d'autre part, à l'initiative de Rüstow, une« Communauté d' Action pour l'Economie Sociale de Marché>> dont le siège est à Heidelberg. Véritable > libéral, son objectif est de propager la bonne doctrine, d'infléchir, par des prises de position souvent fort critiques 1 , la politique du gouvernement, d'informer l'opinion publique. Elle regroupe non seulement tous les 1. En 1953, la « Communauté d' Action • publie un manifeste intitulé Nous exigeons l'achè-

vement de l'Economie sociale du Marché.

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libéraux, qu'ils soient ou non, membres de l'Ecole de Fribourg, mais aussi des représentants de l'industrie, du commerce, du mouvement coopératif, des professions libérales et des hommes politiques, au premier rang desquels figure le ministre de l'Economie, Ludwig Erhard. Celui-ci associe les économistes libéraux, en particulier Eucken, à l'élaboration de la politique économique par l'entremise du > mis en place auprès de la direction économique de la Bizone et plus tard du Ministère de l'Economie. Le président en est Erwin von Beckerath. Toutes les tendances y sont représentées, mais les libéraux sont les plus nombreux et les avis du Conseil sont adoptés à la majorité. Consultés par les pouvoirs publics, les libéraux entendent aussi exercer une action de formation et d'information sur l'opinion, par les réunions publiques qu'organise la, Ropke se veut sociologue. C'est pourquoi, bien que partisan résolu du système libéral, il donne la priorité au maintien de structures économiques et sociales adaptées aux exigences de l'homme et conformes à la tradition occidentale et chrétienne. Les titres de ses trois principaux ouvrages sont symptomatiques : La Crise de la Société Contemporaine, Civitas Humana, Ordre International. La (>), qui complèteront la constitution économique. On aperçoit ici la place réservée à la science dans la détermination générale du système. Dès lors que le peuple s'est prononcé, la parole est, et doit rester, aux experts. Ces , scientifiquement dégagés, sont les suivants : (1 °) existence d'une monnaie stable, (2°) libre accès au marché, (3°) propriété privée, conçue moins comme un droit que comme une exigence du système, (4°) liberté des contrats et (5°) son corollaire, la pleine responsabilité civile et commerciale des entrepreneurs, (6°) stabilité de la politique économique, nécessaire au développement des investissements et à la prévision économique. Sans entrer dans une analyse détaillée de ces principes, notons la place centrale donnée à la monnaie (>), dont l'instabilité rend impossible le fonctionnement de l'économie de marché. Dans ce domaine, dit Eucken, le meilleur système est celui qui fait appel à des > automatiques. La tentation de promouvoir le plein emploi par une politique d'argent facile est si forte, explique-t-il, qu'on ne peut faire grande confiance aux dirigeants de la politique monétaire. Plus leurs attributions seront limitées, mieux la monnaie sera défendue 1 Si la constitution économique est bien l'élément central, les ordo-libéraux savent qu'il ne suffira pas de l'inclure dans la Loi Fondamentale pour que, par enchantement, le réel se confonde avec l'idéal. Ils admettent que les faits s'écarteront nécessairement du > et qu'une action devra être entreprise pour les en rapprocher, faute de quoi le système tout entier ne serait qu'une construction de l'esprit. Tel est précisément, à leurs yeux, l'objet de la politique économique, dont ils reconnaissent la nécessité et définissent avec précision les buts, Jes moyens, mais aussi les limites. Il ne s'agit pas, en effet, de donner libre cours aux interventions de l'Etat, mais de les subordonner strictement à la réalisation de l'économie de marché. 1. Walter EucKEN, Grundséitze der Wirtschaftspolitik. Rohwolt, p. 160.

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Ils se fondent, pour y parvenir, sur une distinction qu,e nous avons déjà mentionnée entre le > et le >. Le est l'activité économique elle-même, il relève du marché, il est soumis au mécanisme des prix. Les interventions dans le sont considérées comme particulièrement dangereuses, car elles faussent les conditions de la concurrence. Elles doivent être peu nombreuses et se borner à éliminer les obstacles qui s'opposent au fonctionnement normal du marché. A l'égard du «processus>>, la politique ne sera que >. C. -

LA POLITIQUE ORDONNATRICE

Politique ordonnatrice et principes constituants se distinguent en ce que ceux-ci sont promulgués une fois pour toutes, tandis que celle-là implique une action prolongée, des décisions prises au fur et à mesure, mais l'objectif recherché est le même. Il s'agit, dans u,n cas comme dans l'autre, de façonner les données globales, celles qui s'imposent à l'individu, et échappent au marché, de modeler le cadre de la vie économique de telle sorte que le mécanisme des prix fonctionne sans à-coups et sans intervention de l'Etat. Plus la politique ordonnatrice est active et éclairée, moins la politique régulatrice aura à se manifester. Aussi l'Ecole de Fribourg appelle-t-elle l'Etat à une large action sur le >. Le domaine qui lui est ainsi ouvert est considérable. Certains ont fait remarquer qu,e de si vastes attributions, pleinement utilisées, lui conféreraient un pouvoir quasitotalitaire. A vrai dire, les ordo-libéraux ne s'entendent pas complètement entre eux sur le contenu de la politique «ordonnatrice». Pour Eucken, elle consiste à une >. Celles-ci sont de deux sortes. D'une part, il y a l'organisation économiqu,e et sociale. Elément essentiel qui complète et prolonge les principes constituants et à quoi l'Etat doit consacrer le principal de son effort. la conception qu'en a Eucken est large. Il y inclut l'action sur les esprits, le conditionnement psychologique, ce qu,e, sous Erhard, on appellera le >. De même y fait-il entrer la politique économique internationale, qui, s'imposant aux individus, appartient au > et doit être libre-échangiste. Il y a, d'autre part, les >. Ce sont : les besoins, que l'Etat peut façonner par la publicité, l'information, l'enseignement; les ressources naturelles, qu'il lui appartient de développer ; les forces de travail, sur lesquelles il peut agir par une politique démographique et scolaire appropriée ; les techniques, influencées par les mesures prises en faveur de la recherche scientifique ; le capital fixe et les stocks dont l'ampleur dépend en partie du système fiscal. D'autres ordo-libéraux, en particulier Rôpke, mais aussi, dans une certaine

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mesure, Rüstow et Müller-Armack penchent vers d'autres formes d'intervention. Ils préconisent une des classes les plus pauvres. Alors qu'Eucken se borne, pour réagir contre la concentration engendrée par le capitalisme, à préconiser le démantèlement des monopoles. Ropke va plus loin. Il réclame une diffusion de la propriété parmi toutes les couches de la société pour que naisse un capitalisme populaire. Préoccupation qui deviendra une des idées force du gouvernement de Bonn. Certaines de ces interventions tendent à > des modes de vie ou de production dépassés et sont, par là, difficilement conciliables avec les principes libéraux. Aussi sont-elles contestées par les autres membres de l'Ecole.

D. -

LA POLITIQUE RÉGULATRICE

Si l'Ecole de Fribourg autorise et sollicite les interventions concernant le «cadre», elle entend, en revanche, les limiter dès lors qu'il s'agit du «processus». Celui-ci est par excellence le domaine de la libre initiative des individus déterminée par le mécanisme des prix. Encore convient-il de le protéger contre certaines distorsions. Il faut, en premier lieu, que tous se soumettent aux règles du marché et que nul ne cherche par des pratiques monopolistiques à le dominer ou à l'utiliser à son profit. Il importe, en deuxième lieu, que chacun puisse participer au jeu, c'est-àdire dispose d'un revenu, d'un pouvoir d'achat. Il est indispensable, enfin, que l'économie dans son ensemble soit animée d'un dynamisme, d'une expansion suffisante. Aussi les ordo-libéraux admettent-ils la nécessité d'une politique antimonopolistique, sociale, conjoncturelle, ainsi que l'intervention des pouvoirs publics sur certains marchés présentant des caractéristiques spéciales, notamment ceux du travail et des produits agricoles. 1° La lutte contre les monopoles, et les ententes est le premier article du programme des ordo-libéraux, celui sur lequel ils insistent le plus. Les coalitions d'intérêt sont à leurs yeux responsables de la crise du capitalisme contemporain, car la loi du marché n'a de valeur que si chacun s'y soumet. Puisque la tendance à la constitution de monopoles est un fait reconnu, une action s'impose. Un Office des Cartels y pourvoira, assisté dans sa tâche par les tribunaux de l'ordre civil, chargés de faire respecter l'interdiction légale de l'accord d'entente comme de

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toute pratique monopolistique. Cette intervention administrative et judiciaire devra être complétée par une action économique tendant à favoriser des concurrences de substitution, à limiter l'auto-financement et à empêcher l'usage abusif des brevets d'invention. Si ces mesures se révélaient inefficaces on procèderait à la fixation autoritaire des prix pour les rendre artificiellement conformes à ce qu'ils seraient dans une situation de concurrence parfaite. Les ordo-libéraux préconisent, en effet, en cas de nécessité, une politique audacieuse, baptisée politique « comme si» (« ais oh») qui consiste pour les pouvoirs publics à se substituer au marché devenu inopérant et à obJiger les monopoles et les ententes à se comporter ) celles qui tendent à perpétuer des situations protégée5. A la conformité statique correspond l'expression > forgé par Ropke. A la conformité dynamique celle de >, qui s'applique aux interventions contraires aux impératifs du marché mais utiles au > tout entier et à son évolution. Ces distinctions se sont, au long des années, compliquées et raffinées. Les qualificatifs de (conduisant à la destruction du système) et bien d'autres ont fait leur apparition. Ces notions, notamment celle de conformité dynamique, pour utile et intéressante qu'elles soient en principe, ouvrent aux interventions de l'Etat un champ d~action indéterminé et permettent avec un peu d'ingéniosité de justifier toutes les politiques. On n'a pas toujours su, outre-Rhin, résister à cette tentation, de sorte qu'on touche ici au point où Je raffinement de la doctrine confine au verbalisme.

**• La doctrine de l'Ecole de Fribourg n'est-elJe qu'une >, intéressant à souJigner : accu.mulation des énergies, qui se traduira immédiatement après la réforme monétaire par une fureur de produire et de consommer, par un appétit de travail et d'efficacité; accumulation de stocks dans certains secteurs, résultant d'une fuite éperdue devant la monnaie et qui permettra de regarnir les devantures du jour au lendemain en juin 1948. Quant à l'appareil industriel, dont le vieillissement est un 1. Gustav STOLPER, Deutsche Wirtschaft seit 1870, J.C.B. Mohr, Paul Siebeck Tubingen, 1964, p. 239. 2. Helll'y C. WALLICH, Mainsprings of the German Revival, Yale University Press, 1955, p. 345.

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des faits les plus négatifs de cette période, il fait, cependant, l'objet de réparations et de remises en état qui, pour avoir été effectuées en silence et être restées sans effet immédiat, n'en permettront pas moins l'accroissement bru,tal de la production après la réforme monétaire. Si la machine économique allemande est affaissée et immobilisée, elle n'est ni anéantie, ni hors d'état de fonctionner. Le mal affecte le système nerveux et circulatoire plus que l'appareil musculaire. Le marasme est la conséquence d'un immense désordre, monétaire, administratif, politique, non de lacunes ou d'insuffisances matérielles. On comprend mieux dès lors l'extraordinaire efficacité des mesures prises au début de l'été 1948. A. -

LE REVIREMENT DE LA POLITIQUE ALLIÉE

Conquise, sans gouvernement, l'Allemagne ne peut rien qu'avec l'agrément des puissances qui occupent son territoire. Aucune renaissance économique n'est imaginable qui n'implique d'abord la réconciliation du vaincu avec les vainqueurs et l'abandon de la politique dont le secrétaire américain au trésor, Henri Morgenthau, avocat de la « pastoralisation » del' Allemagne, avait été l'inspirateur. Evolution qui, dans le crépuscule de 1945, paraît lointaine, mais dont les événements se chargent de hâter le cours. Dès septembre 1946, le secrétaire d'Etat Byrnes l'annonce dans un discours prononcé à Stuttgart. Un an plus tard, en juillet 1947, rAilemagne occidentale est admise parmi les bénéficiaires du Plan Marshall. Les raisons qui expliquent ce rapide revirement sont de trois ordres. Motifs politiques, d'abord, dont le rôle est déterminant. Le rejet par l'Union Soviétique de toute politique conjointe à l'égard de l'Allemagne, la communisation accélérée de la zone orientale, les menaces de subversion à l'Ouest ont en trois ans bouleversé les données de la situation en Europe. Le danger allemand s'estompe devant le péril soviétique. Lutter contre la misère et le délabrement qui accablent l'ennemi d'hier apparaît tout à coup indispensable pour faire échec à la bolchevisation du continent. Motifs économiques, ensuite. Contrairement à ce qu'avait affirmé H. Morgenthau, il est impossible de fonder la prospérité de l'Europe sur le dénuement de l'Allemagne. Les pays européens ne tardent pas à s'en aviser. Le 12 juillet 1947, ils déclarent que «pour que la coopération européenne soit effective l'économie allemande doit être intégrée dans l'économie européenne de façon à contribuer à u,ne amélioration générale du standard de vie>> 1 • Motifs financiers, enfin. En prenant le contrôle militaire et politique de leurs zones, les Puissances occupantes en assument aussi les destinées économiques. Responsabilité dont elles ne tardent pas à mesurer le coût. Obligées d'assurer, aux dépens du contribuable américain, anglais ou français, la survie d'une population littéralement menacée de famine, elles sont très vite acculées à choisir entre une 1. Comité de Coopération Economique, Vol. I, Rapport Général, Appendice B.

LES GRANDES ~TAPES DE L'~VOLUTION ~CONOMIQUE

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politique «d'aide à la consommation», coûteuse et sans issue, et une politique >. Le marché noir s'effondre. La réforme monétaire, ce sera son premier résultat, crée l'abondance, sans quoi les mesures libérales prises par le Professeur Erhard auraient été vouées à l'échec; le point vaut d'être noté. Elle donne, d'autre part, une impulsion décisive à la production, dont l'indice s'élève de 50% entre Juin et

LES GRANDES ÉTAPES DE L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE

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décembre 1948. Comme par enchantement, la durée du travail s'accroît, les rendements augmentent, l'absentéisme diminue. Tout se passe comme si, d'un coup, le peuple allemand s'était réveillé, avait repris goût à la vie et au travail. Avec une ardeur sans précédent, il se remet à produire, à gagner, à dépenser. La réforme inaugure, enfin, une ère de stabilité monétaire qui est une des caractéristiques en même temps qu'une des causes de la réussite allemande. D'autres facteurs non moins décisifs agissent, il est vrai, dans le même sens : réserves de main-d' œuvre inemployées, capacités de production disponibles, politique monétaire rigoureuse. Il n'en demeure pas moins qu'en apurant de façon radicale le passif de quinze années d'inflation, la réforme a jeté les bases d'un équ,ilibre dont les Allemands avaient la nostalgie et qu'ils défendirent ensuite avec acharnement. Bienfaisante et, en toute hypothèse, nécessaire, la réforme laisse dans son siJlage un cortège de souffrances et de victimes. Un gou,vernement allemand responsable devant une assemblée élue aurait-il trouvé l' au,dace d'en assumer la responsabilité? On peut en douter. La chirurgie monétaire est de celles au,xqu,elles les gouvernements démocratiques recourent le moins volontiers. En l'imposant à l'Allemagne, les Puissances occupantes lui rendent un signalé service. On se tromperait, cependant, si l'on pensait que les Allemands se sont désintéressés du problème ou ont condamné les mesures prises par les Alliés. En fait, la plupart des experts allemands se sont, parfois dès avant la capitulation, penchés sur le problème de l'inflation. Ils en ont clairement analysé les causes et ont élaboré, soit spontanément soit à la demande des Alliés, des projets de réforme 1, très voisins dans leurs grandes lignes de celui qui est mis en œuvre. De nombreux spécialistes allemands ont d'ailleurs été consultés par les Américains Colm, Goddsmith et Dodge, lorsqu'ils ont élaboré le plan qui a servi de canevas à la réforme. Ils ont participé aux côtés des représentants des Puissances d'occupation au > qui, à partir du 20 août 1948, arrête les décisions finales. Instruite par une longue et tragique expérience, l'opinion allemande approuve une solution qui écarte pour longtemps le spectre de l'inflation. C. -

L'OPTION LIBÉRALE

Si la création du Deutsche Mark - ce cadeau royal fait à l'économie allemande - est l'œuvre des Alliés, c'est aux dirigeants allemands que revient le mérite d'avoir cru en l'efficacité d'une politique libérale contestée par l'occupant et d'avoir eu la hardiesse de la mettre en pratique. La réforme monétaire a, il est vrai, préparé le terrain. Décision d'apparence technique, elle engage profondément l'avenir et préfigure la politique des autorités allemandes. Point n'était besoin, en effet, si l'on avait projeté de maintenir contrôles 1. Le Dertmolder Memorandum, nov. 1945; le Zonenbeiratgutachten, sept. 1946; le Homburger Plan au début de 1948, cf. Hans MoLLER, Zur Vorgeschichte der DM, J.C.B. MohrTub., 1961.

Politique économique de l'Allemagne occidentale.

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ORIGINES ET D~VELOPPEMENT DU LIB~RALISME ALLEMAND

et réglementations, de procéder à une ponction monétaire aussi draconienne. Une déflation rigoureuse était, au contraire, indispensable, dès lors qu'on entendait pratiquer u,ne politique libérale. Les Alliés imposent la première. les Allemands choisissent la seconde. Mais l'une et l'autre sont les deux volets d'une même politique. Trois jours après la réforme monétaire, rationnement et contrôle des prix sont supprimés pour 400 produits. La décision est prise par le directeur économique de la bizone en vertu des pouvoirs que les autorités alliées viennent de lui déléguer. Le directeur n'est autre que le Professeur Erhard. Il procède avec une certaine prudence. Les loyers ainsi que les prix des principaux produits alimentaires et des matières premières de base continuent d'être fixés par les pouvoirs publics. Mais la suppression, même partielle, des contrôles existant est une entreprise pleine de risques. Il faut de l'audace pour les assumer; beaucoup d'assurance et de personnalité, aussi, pour répudier le dirigisme à l'heure où la plupart des gouvernements européens cherchent leur salut dans la planification. >, a déclaré plus tard le Professeur Erhard 1 • Sa politique, sur le moment, ne suscite, en effet, que critique et scepticisme. Quel que soit le jugement que l'on porte sur le libéralisme allemand et l'action ultérieure de celui qui en fut l'initiateur, il est difficile de ne pas rendre hommage à l'intuition et au courage dont M. Erhard fait preuve en ces jours de juin 1948. La responsabilité qu'il assume personnellement est lourde. Les décisions qu'il prend engagent pour longtemps l'économie allemande dans les voies qui sont aujourd'hui encore les siennes. Sans doute est-il bon, à ce stade de s'arrêter un instant à la personnalité de celui qu'on allait appeler «le père du miracle allemand». Né en 1897, en Bavière, Ludwig Erhard, en dépit de son titre de professeur, et de son abondante production littéraire 11, est un praticien de l'économie, bien plus qu'un théoricien. Après des études à l'école supérieure de commerce de Nuremberg, puis à l'Université de Munich, il dirige, à partir de 1928, un institut de recherche économique travaillant pour l'industrie. Jusqu'en 1945, il ne se distingue point, si ce n'est par la rédaction pendant la guerre, d'un mémoire destiné à Gôrdeler, maire de Hambourg, et principale figure de la résistance souterraine au nazisme. Après la capitulation, le commandement militaire américain fait appel à lui comme conseiller, puis comme ministre dans le gouvernement bavarois, de tendance socialiste, installé à Munich. Lors de la fusion des zones d'occupation américaine et anglaise, il est nommé directeur de l'économie du >. Fonction qu'il troquera, en septembre 1949, contre le poste de ministre de l'Economie de la toute jeune République Fédérale. Entre temps, il a été élu député C.D.U. de Bavière au Bundestag, après avoir été membre du parlement économique de la Bizone. En 1963, il quitte le Ministère de l'Economie pour la Chancellerie. Ambition longtemps nourrie et qu' Adenauer, agacé sans doute par la popularité de son ministre, mais doutant sincèrement de ses capacités, avait tout fait pour contrecarrer. Les événements donnent raison 1. L. ERHARD, La prospérité pour tous, Pion, 1959, p. 21. 2. L'expansion économique allemande, trad. franc., Paris, 1953. Prospérité pour tous, trad. franc., Paris, 1960. Une politique de l'abondance, trad. franc., Paris, 1962, Wirken und Reden, 1966.

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au vieil homme d'Etat. Erhard fait un médiocre chancelier et, dès la fin de 1966, la dégradation de la situation économique et politique l'oblige à se retirer. Depuis lors, il consacre l'essentiel de son temps à des voyages à travers le monde, au cours desquels il développe devant des auditoires étrangers des thèses dont ses propres concitoyens se sont, en partie, détournés. Il ne faut ni négliger, ni surestimer son rôle dans le relèvement de l'économie allemande. Erhard n'a pas été un penseur. Son apport à la doctrine ordo-libérale est nul. Il souscrit aux enseignements des libéraux, les écoute (Rôpke) leur confie des responsabilités (Müller-Armack), les admet dans ses conseils, mais ne contribue pas lui-même à l'élaboration de leurs thèses. C'est dans raction qu'il s'affirme. Sa grande période est celle des débuts. C'est comme directeur économique de la Bizone, en 1948-1949, avant la naissance de la République Fédérale, qu~il prend ses décisions les plus importantes et les plus courageuses. Son action personnelle est alors capitale, le poids de sa personnalité décisif. L'Allemagne lui doit la . Non seulement l'Allemagne passe en peu de temps de l'extrême misère à l'extrême richesse, de l'anéantissement à la puissance économique, mais elle réussit au cours de ces années à concilier l'inconciliable : une croissance économique extraordinairement rapide (5 millions d'emplois nouveaux créés en dix ans), une stabilité des prix remarquable (l'indice du coût de la vie augmente de 19 points en Allemagne contre 57 en France); des excédents extérieurs qui s'accumulent sans interruption à partir de 1951. Dans le temps où la France sacrifie la stabilité de ses prix à la croissance de sa production et où la Grande-Bretagne est contrainte à la stratégie inverse, l'Allemagne résout, comme en se jouant, la quadrature du cercle économique : l'expansion sans inflation. Mais elle n'y parvient, il faut le souligner, qu'après avoir, à plusieurs reprises, frôlé la catastrophe. A. -

LES PRINCIPALES ÉTAPES

Deux phases, en effet, s'opposent au cours de cette décennie : une ère >, qui va de la réforme monétaire à la fin des remous provoqués par la guerre de Corée, pendant laquelle la politique libérale sera menacée successivement par l'inflation, le chômage et le déficit extérieur ; une ère sereine, de 1952 à 1958, où l'économie, ayant trouvé son équilibre, connaît une expansion sans nuages dans le triomphe sans modestie del'>.

1. LE PÉRIL INFLATIONNISTE.

La réforme monétaire a remis en route l'économie et provoqué un colossal bond en avant de la production industrielle. Mais la demande augmente plus vite que J'offre, tant

LES GRANDES ~TAPES DE L'~VOLUTION ~CONOMIQUE

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à cause de ]a propension à la consommation des particuliers, qu'anime une véritable fringale de denrées alimentaires et de produits fabriquée,, qu'en raison du dynamisme des entrepreneurs aigui1lonnés par ]a perspective de bénéfices importants. Pour radicale qu'elle ait été, la réforme monétaire a, en outre, mis trop de moyens de paiement à la disposition de l'économie. Les besoins en liquidités des banques ont été, en particulier, largement calcu1és. Renouant avec une vieille tradition, elles entreprennent aussitôt de financer avec des crédits à court terme une partie des investissements de l'industrie. En décembre 1948 la circuJation monétaire atteint plus de 12 milliards de DM à quoi s'ajoutent 5 milliards de crédits bancaires. Ces moyens, comme ces pratiques, relancent l'inflation. Les prix montent très rapidement pour les matières premières, de façon moins prononcée pour les produits industriels et les biens de consommation. Le pub]ic allemand est prompt à réagir. 11 reconstitue des stocks. A l'étranger le DM s'effondre. Les AJliés ont un peu arbitrairement fixé le taux de change à 30 cents pour lDM (0,266 gr. d'or). Mais, en l'absence de toute encaisse métallique, la parité dépend entièrement du niveau des prix intérieurs et de la confiance qu'on place à l'étranger dans le relèvement de l'économie allemande. Cette confiance vacille. L'expérience monétaire paraît menacée et les résultats spectaculaires des premières semaines compromis. La stabilisation intervient, cependant, à la fin de 1948. Les éléments qui la rendent possible méritent d'être soulignés. Le plus important est la stabilité des sa1aire5, qui ne bougent pratiquement pas en dépit d'une grève générale, déclenchée le 12 novembre. Entre le prix des marchandises et le pouvoir d'achat de la population un écart se creuse, dont l'effet stabilisateur ~e fait rapidement sentir. Simultanément les rentrées fiscales augmentent. Les excédents budgétaires accroissent l'effet déflationniste des mesures prises par la Bank Deutscher Lander : élévation de 10 à 15% du taux des réserves obligatoires, hausse du taux d'escompte, réduction des possibilités de réescompte, plafonnement des crédits bancaires à leur niveau du 31 octobre 1948. Enfin, dernier facteur, les prix baissent sur les marchés mon-

diaux. Les conditions, dans lesquelles l'inflation est jugulée, sont aussi importantes que le résultat lui-même. De la stabilité des salaires et de l'écart salaires-prix découleront, en effet, pour les entreprises des bénéfices considérables, source d'un autofinancement massif. Un des mécanismes essentiels du relèvement allemand se trouve ainsi forgé.

2. LA

A peine le péril inflationniste est-il conjuré qu'apparaît une nouvelle menace : le chômage. Au cours des années qui précèdent la réforme monétaire, le sous-emploi n'existe pratiquement pas, bien que l'économie soit en complète stagnation. Il se développe, au contraire, au moment où la production prend son essor. Phénomène en apparence paradoxal, mais en réalité facile à comprendre. Aussi Jongtemps que la charge représentée par les salaires est insignifiante parce qu'acquittée en >, les entrepreneurs ont tendance à employer plus de main-d'œuvre que de besoin. La réforme monétaire les oblige à y regarder tout à coup de plus près ; elle MONTÉE

nu

CHÔMAGE.

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transforme un chômage virtuel en chômage réel. A quoi il faut ajouter l'afflux ininterrompu des réfugiés, qui viennent grossir les rangs des chômeurs dont le nombre, en 1948-1949, augmente de 600 000. On ne peut, cependant, parler de récession. De janvier 1949 à mai 1950, la production industrielle passe de l'indice 81 à l'indice 99 (1936 = 100) 1 • Mais la croissance se fait moins rapide et les prix, qui avaient beaucoup monté, commencent à baisser. Le chômage surtout évoque de mauvais souvenirs. Il paraît lourd de périls politiques. Son extension suscite une vive inquiétude et les moyens à employer pour le combattre déclenchent une polémique passionnée. Nombreux sont ceux, qui, dans les rangs du parti socialiste, des syndicats et même chez les Puissances occupantes, demandent un accroissement des dépenses publiques et des mesures destinées à stimuler les investissements privés. Ils réclament une politique expansionniste et affirment qu'en raison des excédents budgétaires, du déficit extérieur et de l'existence d'une masse de chômeurs, une telle politique n'exercerait aucune pression sur le niveau des prix. Si le pire arrivait, il n'y aurait, ajoutent-ils, qu'à rétablir le contrôle des prix et des importations. C'est précisément ce que les libéraux, groupés autour d'Erhard, entendent éviter. Rien ne doit, à leurs yeux, passer avant les deux objectifs cles que sont la stabilité intérieure et l'équilibre de la balance des paiements. La sensibilité du peuple allemand à l'inflation reste grande, estiment-ils, et il ne faut à aucun prix la réveiller. Quant aux exportations, elles ne se développeront que si les producteurs sont contraints de chercher à l'étranger des débouchés qu'une certaine stagnation raréfie à rintérieur. Au surplus, soulignent-ils, le chômage est structurel. Sa résorbtion ne peut être que lente et progressive. Enfin, une confiance plus instinctive que raisonnée dans le dynamisme naturel de l'économie allemande anime le Professeur Erhard. C'est pourquoi, le Gouvernement, tout en incitant la Banque Centrale à desserrer peu à peu les contrôles qu'elle a précédemment instaurés, se refuse à toute intervention jusqu'au début de 1950. A cette date le chômage dépasse la cote de 2 millions. Des pressions s'exercent alors de tous côtés sur Bonn. M. Erhard est contraint malgré lui de préparer un programme de > et de constructions de logements auquel la Bank Deutscher Lander promet un concours financier de deux milliards de DM. Toutefois, avant que ce programme n'entre en vigueur, la guerre de Corée éclate, provoquant u,n qui, du jour au lendemain, bouleverse les données de la situation. Que serait-il arrivé sans ce coup dll destin ? On en a beaucoup discuté. Le Professeur Erhard, pour sa part, a déclaré que dans une politique qui, de 1949 jusqu'à la négociation Kennedy, ne se départira pas de son orientation libre échangiste. Accroc de courte durée, d'ailleurs. Moins d'un an plus tard, en janvier 1952, les échanges de l'Allemagne avec les pays de l'O.E.C.E. seront à nouveau libérés à concurrence de 56%, Entre temps, l'équilibre de la balance des paiements a été rétabli, grâce au contrôle des importations, mais surtout en raison de l'extraordinaire essor des exportations. L'Allemagne profite, en effet, à plein d'une conjoncture internationale exceptionnellement favorable. A une demande mondiale brusquement gonflée par le réarmement, les industries des pays occidentaux, absorbées elles-mêmes par l'effort de défense, ne peuvent suffire. Pour l'industrie allemande, dont les prix sont restés relativement stables et qui dispose de capacités inutilisées, l'occasion 3.

LE COUP DE CHANCE CORÉEN.

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est unique. Elle la saisit à plein. En quelques mois elle reprend pied sur les marchés internationaux dont elle est coupée depuis vingt ans. Les événements justifient ainsi, a posteriori, la prudence dont le Gouvernement a fait preuve en 1949. Les capacités de production dont ses adversaires déploraient qu'eJles restassent inemployées, sont précisément celles qui permettent de répondre à la demande nationale et internationale, de résister à la poussée des prix, de rétablir l'équilibre de la balance commerciale. 4.

Lorsque s'apaisent les derniers remous de la guerre de Corée, l'économie allemande trouve enfin la stabilité intérieure et l'équilibre extérieur. De 1953 à 1958, la navigation se révèle faciJe, les eaux calmes. La politique libérale a reçu le baptème du feu. Elle affiche une totale certitude de soi. Le parti socialiste et les syndicats se rallient progressivement à sa bannière, moyennant quelques réserves et prudences de langage. L'expansion de la production est rapide et régulière. Ni les moments de> (1955-1956), ni les accalmies (1957-1959) ne mettent en péril l'équilibre économique. La croissance est variable selon les secteurs, forte dans le domaine des biens d'investissement, modeste dans les secteurs de base. Mais les a plus tard perdu pied. Qu'est-ce à dire '? Deux interprétations extrêmes sont possibles. La première proclame J' efficacité de la politique pratiquée de 1948 à 1958 et impute ses difficultés ultérieures au fait qu'elle s'est progressivement dénaturée, qu'elle a perdu sa rigueur et sa vigueur au moment où les circonstances en eussent précisément exigées. La seconde conteste que la politique >

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ait jamais exercé su.r les événements une influence décisive et ne voit en elle qu'un accompagnement sonore, qu'une construction verbale sans prise sur le réel et dont la vanité a éclaté le jour où la situation appelait enfin une intervention efficace ? La vérité, nous allons le voir, est complexe et participe de ces deux interprétations. B. -

LES FACTEURS EXOGÈNES

Deux faits majeurs expliquent l'essor de l'économie allemande, en même temps que le succès de la politique du Professeur Erhard : la présence sur le territoire de l'Allemagne Occidentale d'un potentiel considérable, tant industriel qu'humain ; la situation internationale qui entraîne pour la République Fédérale autant de bénéfices économiques que de désagréments politiques. 1. LE POTENTIEL INTÉRIEUR.

a) La meilleure politique du monde n'eut pas réussi en quelques mois, ni même en quelques années, à transformer un champ de ruines en un appareil de production moderne, adapté aux exigences du marché mondial. Aussi bien les destructions infligées à l'Allemagne sont-elles plus spectaculaires oü, si l'on veut, plus « immobilières» que réellement décisives pour son industrie, dont les capacités ont éte étendues et rajeunies pendant la guerre. Ce point a été relevé. Il est superflu d'y revenir, si ce n'est pour souligner à nouveau son importance. Car les performances, qui ont étonné le monde, ne sont explicables que si l'on tient compte de la situation de départ. L'industrie allemande est endommagée, arrêtée, paralysée; elle n'est point anéantie. Des réparations parfois importantes, souvent modestes, le rétablissement des circuits monétaires et des approvisionnements en matières premières, permettent de la remettre en marche et redonnent au pays l'arsenal industriel le plus important et le plus moderne de l'Europe Occidentale. Certes, la remise en route progressive des installations existantes n'est pas une mince entreprise. Mais, en posant le problème en ces termes on le ramène à des dimensions qui le rendent intelligible. Les travaux faits par l'Institut de Recherches Economiques de Berlin, le D.I.W., sont significatifs. Ils montrent que le coefficient d'utilisation du. capital fixe n'a atteint un taux élevé que vers 1956 1 • Jusqu'à cette date, l'Allemagne dispose de capacités partiellement inemployées. Situation qui comporte pour elle deux séries d'avantages: celui de pouvoir matériellement satisfaire à la demande intérieure et surtout internationale au moment où elle s'est le plus vigoureusement manifestée; celui d'atténuer les effets inflationnistes qu'auraient dû normalement entraîner les commandes qui affluent vers la République Fédérale. Il serait contraire à la vérité et au bon sens de prétendre que l'Allemagne s'est bornée, dans un premier temps, à réactiver un appareil existant, dont elle n'aurait entrepris que dans un deuxième temps l'extension et la modernisation. 1. Cf. chap. Il, p. 37.

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En fait, les deux processus ont été, dans une très large mesure, concomittants. L'industrie ouest-allemande a, dès le début, accru et modernisé son potentiel, notamment dans les secteurs que la division du pays a désorganisés ou amputés et dans ceux où la demande mondiale est la plus forte. Soulignons, cependant, qu'un des atouts de l'Allemagne est de posséder, dès le lendemain de la guerre, une industrie dont la structure est adaptée aux exigences du marché international par l'importance qu'y occupe la production de biens d'équipement. PRODUCTION INDUSTRIELLE NETTE POUR CERTAINS SECTEURS (pourcentage par rapport à la production industrielle totale)

Secteur industriel

1950

1955

1960

1964

Charbon ................................. Chimie ................................... Construction métallique ................... Machines ................................. Construction automobile ................... Industrie électro11ique ...................... Textile .................................. Industries alimentaires ....................

10,7 7,9 2,4 9,1 2,8 4,4 7,9 13,7

7,5 7,8 2,2 10,7 4,3 6,1 6,7 12,7

5,8 9,5 1,9 10,3 5,9 7,6 5,9 11,8

4,8 11,3 1,8 9,6 6,5 8,0 5,6 11,6

Source : Deuxième rapport annuel du Comité des Experts pour l'étude de la situation économique, 1965, Drucksache V/123, Bonner Universitats-Buchdruckerei, p. 122.

b) De tous les facteurs qui favorisent l'expansion de l'économie allemande, le plus décisif, cependant, est l'élément humain, sous son double aspect quantitatif et qualitatif. On a montré, dans le chapitre II, comment l'arrivée de 13 millions de réfugiés avait effacé les atteintes que la guerre et une natalité déclinante ont infligées à la démographie allemande. Dans la compétition internationale ces immigrés donnent à l'Allemagne un atout maître : une réserve de main-d'œuvre abondante appartenant aux classes d'âge les plus actives et comportant une proportion élevée de cadres et de techniciens. Encore les travailleurs venus de la zone orientale et des territoires annexés par la Pologne ne sont-ils pas les seuls à affluer vers les usines en expansion. L'Allemagne connaît, comme d'autres pays et souvent plus qu'eux, un fort exode rural, qui, en dix ans, contraint plus d'un million d'agriculteurs à quitter la terre. Le nombre de femmes actives y a, d'autre part, rapidement augmenté. Enfin, la République Fédérale bénéficie jusque vers 19GO d'une structure démographique relativement favorable, la population active y occupant par rapport à la population totale une place sensiblement plus forte qu'en France. Tout s'est donc

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ORIGINES ET D~VELOPPEMENT DU LIB~RALISME ALLEMAND

conjugué pour mettre à la disposition d'une industrie restée puissante un potentiel humain multiplié. Les effets de cette situation se font sentir sur trois plans : croissance de la production, stabilité des prix, financement des investissements. Alors que la plupart des autres pays ne peuvent compter, pour développer leur production, que sur les progrès, nécessairement lents, de la productivité, l' Allemagne a pu accroître la sienne en étendant ses capacités de production. Le fait que sa population active se soit, en dix ans, accrue de 5 millions d'unités donne la mesure de cette croissance > et en explique le rythme extraordinairement rapide. Elle explique aussi la facilité avec laquelle les structures allemandes se sont adaptées aux conditions nouvelJes de l'après-guerre sans se heurter aux > qui freinent habituellement de tels ajustements. La présence en Allemagne, jusqu'en 1954 d'un million et jusqu'en 1958 de 500 000 chômeurs ne peut, d'autre part, que tempérer l'ardeur revendicative des syndicats et freiner la hausse des salaires. De fait, l'augmentation des rémunérations, bien qu'elle soit importante, n'a jamais, au cours de cette période, mis en cause la stabilité des prix. Bien plus, au cours du deuxième semestre de 1948 ce sont les salaires qui, insensibles au mouvement général de hausse, > Ja poussée inflationniste dont la propagation eut compromis les résultats de la réforme monétaire. Dans les années qui suivent, l'accroissement des rémunérations ne dépasse guère Je progrès de la productivité. La > des syndicats est aussi, il est vrai, l'expression du sens civique de leurs dirigeants et de leurs adhérents, en même temps que le reflet d UU état d'esprit général qui n'eut pas toléré que des conflits sociaux vinssent troubler l'effort collectif de relèvement auquel chacun travaillait d'arrache-pied et qui exigeait de tous une conception élevée de la solidarité nationale. On doit également faire une part à l'accord plus ou moins explicite passé entre les syndicats et le Gouvernement, aux termes duquel des réformes de structure, notamment la cogestion, récompenseraient les syndicats de la modération dont ils feraient preuve dans le domaine des salaires. Il reste que (9 % en 1950) 1, notamment dans les secteurs de base où l'autofinancement est difficile en raison du contrôle des prix ; celui du commerce extérieur où l'Allemagne a littéralement vécu pendant trois ans grâce à des importations financées sur crédits américains. De 1947 à 1949 c'est en moyenne 57% de ces achats à l'étranger qui sont ainsi soldés 1 • Les digues dressées contre l'inflation après la réforme monétaire eussent-elles résisté, la politique libérale eut-elle survécu aux critiques dont elle fut l'objet, si l'Allemagne, pendant les années cruciales de son relèvement, de 1948à 1951, n'avait disposé des produits alimentaires et des matières premières dont l'aide américaine seule lui permit l'acquisition? C'est bien peu probable. Le coup d'épaule est décisif. Encore n'est-il pas le seul. b) Union Européenne des paiements.

Le fait d'avoir bénéficié à un moment particulièrement délicat pour elle, celui de la guerre de Corée, d'un crédit de 500 millions de $ accordé par l'U.E.P. n'a pas constitué pour l'Allemagne un avantage négligeable. On peut en dire autant du> de l'O.E.C.E., aux prescriptions duquel l'Allemagne est autorisée à se soustraire pendant une année (févr. 1951-janv. 1952) tout en continuant à profiter des marchés que lui ouvre l'application de ces mêmes clauses par les autres pays européens. Que de telles facilités aient été, si vite après la guerre, accordées à l'Allemagne par des Etats qui eurent tant à souffrir du nazisme est un fait remarquable qui mérite d'être souligné. c) Accord de Londres sur les dettes.

Mention doit être faite, dans le même ordre d'idées, de l'accord sur les dettes allemandes, conclu à Londres le 27 février 1953. Les créances contre l'Allemagne procèdent pour partie d'emprunts contractés avant la guerre (emprunts Dawes et Young, crédits privés) et pour partie de l'aide 1.

WALLICH,

op. cit., p. 356-357.

LES GRANDES ÉTAPES DE L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE

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accordée après la défaite, surtout par les Etats-Unis (crédits GARIOA et Marshall). Pour les premières, on procède d'un commun accord à un rajustement du principal, ramené de 13,5 milliards de DM à 7,3 milliards de DM, ainsi qu'à une réduction des intérêts de l'ordre des deux tiers. Pour la seconde, (au total 16 milliards de DM), les Etats-Unis acceptent de réduire leurs exigences à 5 milliards de DM amortissables en trente ans. L'accord met à la charge de l'Allemagne des versements annuels de 567 millions de DM pendant les cinq premières années et de 750 millions de DM pour les années suivantes. Règlement avantageux, qui permet à l'Allemagne d'apurer dans des conditions acceptables l'ensemble de ses dettes et d'effacer ainsi le souvenir du traitement naguère infligé à ses créanciers. Il est vrai qu'en acceptant de reprendre le service d'une dette interrompue depuis plus de vingt ans, elle fait, de son côté, preuve de bonne volonté et de bonne foi. d) Faiblesse des charges.

Parmi les facteurs d'ordre international qui facilitent le relèvement de l'Allemagne, il faut citer aussi la faiblesse relative des charges qui pèsent sur son économie : charges militaires d'une part, charges découlant de l'aide aux pays sous-développés d'autre part. Bien que le réarmement de l'Allemagne n'ait été, en raison de l'échec de la C.E.D., décidé qu'en 1955 et effectivement entrepris que quelques années plus tard, on ne saurait dire que la défense de son territoire n'ait entraîné, dans l'intervalle, aucune charge pour elle. Les frais d'occupation auxquels les trois Puissances alliées l'ont astreinte représentent en fait une contribution à la défense commune, donc à la sienne propre. Fixés forfaitairement à 7 milliards de DM par an, ces dépenses représentent, dans les premières années, un fardeau important. Mais au fur et à mesure de l'accroissement du revenu national, la charge relative tend à diminuer. Elle est, en tout cas, sensiblement inférieure à celle que supportent, au même moment, d'autres pays, notamment la France. Elle n'entraîne pas, au surplus, la mobilisation d'une partie de son potentiel industriel. La totalité de l'appareil de production allemand reste, au contraire, disponible pour la reconstruction intérieure et la conquête des marchés extérieurs. Quant à l'aide aux pays sous-développés, qui pèse lourdement sur certains pays, le problème ne se pose pour l'Allemagne qu'à partir de 1958-1959. A ces avantages - aide importante, charges limitées - s'en est ajouté un dernier, la chance, sous les espèces de la guerre de Corée qui sauve l'expérience libérale d'un chômage menaçant, sous la forme d'une conjoncture mondiale ascendante qui entraîne, contrairement au premier après-guerre, uneaugmentationrapide des échanges internationaux, sans laquelle les exportations allemandes ne se fussent ni si rapidement, ni si aisément développées.

C. -

L'EFFICACITÉ DE LA POLITIQUE

De bonnes fées se sont donc, en dépit des apparences, penchées sur le berceau de l'économie allemande renaissante. Est-ce à dire que son relèvement doive tout à leurs baguettes et que les soins du médecin aient été sans utilité ou sans effet ?

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ORIGINES ET D~VELOPPEMENT DU LI B~RALISME ALLEMAND

Il faut, pour en juger, examiner tour à tour les principaux chapitres de la politique économique allemande au cours de ces premières années. 1. POLITIQUE LIBÉRALE.

Le retour à la liberté économique est, nous l'avons souligné, la première décision des autorités allemandes. L'option prise dès juin 1948 est non seulement maintenue, mais rapidement étendue et complétée. A l'intérieur, le blocage général des prix, en vigueur depuis 1936, est supprimé en juillet 1948 et la liberté rendue aux salaires, le 3 novembre de la même année. Aux mesures qui visent à éliminer l'emprise de l'Etat, s'ajoutent d'autres dispositions tendant à préserver l'ordre libéral contre les pratiques restrictives des entreprises privées. A l'extérieur, l'Allemagne s'engage, dès 1949, dans une politique de libéralisation des échanges, d'abord bilatérale, ensuite multilatérale dans le cadre de l'O.E.C.E., enfin mondiale par la suppression des restrictions qui limitent son commerce avec la zone dollar et l'abaissement de ses tarifs douaniers 1 • Ces différentes mesures comportent, il est vrai, des limites. Les prix du charbon, de l'électricité, de l'acier, de certains produits agricoles de première nécessité ne sont libérés qu'après des délais parfois longs. Les loyers et les taux d'intérêt sont restés contrôlés jusqu'à ces derniers temps. De même, la libération du commerce extérieur ne s'étend pas à certains produits particulièrement sensibles. Elle ne s'applique notamment, en aucune façon, à l'agriculture. Ces déviations et bien d'autres, sur lesquelles nous reviendrons limitent sensiblement le contenu libéral de la politique pratiquée par le Professeur Erhard. Dans les conditions du moment, cette politique n'en est pas moins originale et audacieuse. Sans l'obstination de son promoteur, elle n'aurait pas résisté à la pression des événements. A trois reprises, le Gouvernement refusa de changer de cours, n'acceptant qu'à la dernière extrémité et pou,r un court laps de temps de suspendre les mesures de libération des échanges prises dans le cadre de l'O.E.C.E. Or, il n'est pas contestable que cette politique correspondait aux aspirations de la population. Aucune autre n'eut pu, au même degré, mobiliser les énergies, susciter les sacrifices, inciter à l'effort. Le peuple allemand a soif de bien-être. Il est prêt à se dépenser sans compter pour l'obtenir. Point n'est besoin de fixer à son ardeur des objectifs précis ou. planifiés. Il suffit de le laisser faire. Les décisions prises en 1948 et complétées dans les années qui suivent sont adaptées à la situation. Ce n'est pas leur moindre mérite. Que le retour rapide à une certaine liberté économique ait stimulé la volonté productrice et l'initiative personnelle, est évident. Mais la croissance économique n'est pas seulement affaire de dynamisme individuel. Elle dépend de l'importance des investissements et de la part qui leur revient dans le produit national. Celle-ci n'a jamais été, le tableau ci-après en témoigne, inférieure à 21,2%, pourcentage qui constitue pour la France, à la même époque, une limite supérieure rarement 2. PoLITIQUE DE CROISSANCE.

1. Cf. infra, pp. 133 et s.

89

LES GRANDES ~TAPES DE l'~VOLUTION ~CONOMIQUE

atteinte. La question est donc de savoir dans quelle mesure et par quels moyens, la politique gouvernementale a contribué à dégager les fonds nécessaires à ces investissements. INVESTISSEMENTS EN POURCENTAGE DU PRODUIT NATIONAL BRUT (aux prix de 1954)

1950 ................ . 1951 ................ . 1952 ................ . 1953 ............... · · 1954 ................ .

23,6% 22,6% 22,1% 21,2% 22,0%

1955 ..............•.. 1956 ................ . 1957 ................ . 1958 ................ .

25,2% 23.8% 23,4% 23,7%

Source: Statistisches Jahrbuch, 1959, p. 488.

Le libéralisme eut exigé que les investissements fussent financés par l'épargne des particuliers, elle-même stimulée par des taux d'intérêt élevés. Solution qui, étant donné le dénuement du marché des capitaux et la très forte propension à la consommation, eut comporté de graves inconvénients. Aussi n'est-elle jamais sérieusement envisagée. On impose, au contraire, le blocage des taux d'intérêt, dont un des objectifs est d'abaisser le coût de la construction des logements. Une approche plus sociale aurait pu, au contraire, conduire à prélever, plus qu'on ne l'a fait, les moyens nécessaires à la croissance de l'économie sur les revenus élevés et les bénéfices des sociétés. Le Gouvernement ne s'engage pas davantage dans cette voie. Plus attaché à la croissance économique qu'au respect de certains principes, il s'appuie sur deux instruments que les circonstances ont forgés et dont la combinaison s'avère particulièrement efficace, d'une part, la fiscalité, que les Alliés ont après la guerre rendue draconienne au point que l'impôt sur le revenu atteint 50% pour un revenu annuel de 2 400 DM; d'autre part, les marges bénéficiaires des entreprises, qui résultent de l'écart entre les prix et les salaires et qui peuvent être maintenues, au long des années, malgré l'augmentation progressive des rémunérations, grâce aux progrès de la productivité. Les autorités allemandes auraient souhaité que la réforme monétaire fût accompagnée d'une détente fiscale. Les Alliés s'y opposent, craignant qu'une telle mesure ne relance l'inflation. Ils autorisent, en revanche, des allègements spécifiques. Décision qui amène le Gouvernement de Bonn, au début malgré lui, puis de propos délibéré, à pratiquer des dégrèvements fiscaux sélectifs dont l'objet est d'inciter les entreprises à investir plutôt qu'à distribuer les bénéfices considérables que les circonstances et leur efficacité leur permettent de réaliser. Une impression.. nante série de mesures sont prises à cette fin. Les unes favorisent les amortissements. Ce sont les plus importantes. Les autres confèrent des privilèges fiscaux aux prêts consentis à certaines branches de l'économie, notamment à la construction de logements et aux chantiers navals (art. 7, § c, d, du Code fiscal). L'article 10 /a Politique économique de l'Allemagne occidentale.

7

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ORIGINES ET D~VELOPPEMENT DU LIB~RALISME ALLEMAND

va jusqu'à dégrever purement et simplement les bénéfices non distribués; mais il est abrogé en 1950. Ces mesures n'ont pas seulement pour but de développer l'épargne des entreprises mais aussi d'orienter les investissements vers les secteurs jugés prioritaires. Il faut, cependant, prendre des dispositions supplémentaires en faveur des industries de base, dont les marges bénéficiaires sont réduites par le blocage des prix. Une loi d'aide à l'investissement oblige l'ensemble de l'industrie à mettre un milliard de DM à la disposition de ces branches défavorisées. Inquiet de l'importance prise par l'autofinancement et désireux de réanimer le marché des capitaux, le Gouvernement prend, d'autre part, à partir de 1953, des dispositions destinées à favoriser l'épargne individuelle. En fait, ce sont les détenteurs de revenus élevés qui profitent de ces mesures, plus que les catégories sociales modestes. Dans le temps où les bénéfices investis des entreprises sont partiellement détaxés et l'épargne favorisée dans les couches élevées, le système fiscal demeure dans son ensemble rigoureux, malgré divers assouplissements. Les taux de l'impôt sur le revenu restent fortement progressifs et la part des taxes indirectes dans les recettes fiscales totales demeure élevée (près de 50%), Ainsi, tout en stimulant l'épargne des sociétés et des particuliers à haut revenu, limite-t-on le pouvoir d'achat des couches populaires, où la propension à la consommation est la plus forte. Ce faisant, on procure en outre à l'Etat des rentrées dont il peut se servir pour procéder lui-même à d'importants investissements 1 • Le mécanisme ainsi monté s'avère efficace. C'est son grand mérite. Il maintient entre l'investissement et la consommation un rapport éminemment favorable à la croissance économique. La répartition entre les différentes sources de financement des investissements des entreprises correspond, en gros, aux incitations du système fiscal. L'autofinancement vient en tête avec 70% des investissements bruts. Les budgets publics en seconde position avec 15 %- Le système bancaire et le marché financier ne contribuent, en revanche, au financement qu'à concurrence de 11 %1 • Enfin, les mesures prises en faveur de secteurs particuliers, tels que la construction de logements, les chantiers navals ou les charbonnages, donnent de bons résultats. Système efficace, mais, en partie, antisocial et antilibéral. Financés par les prix et l'impôt, les investissements sont en fait supportés par le consommateur et le contribuable, moyen et petit. Ils tendent, d'autre part, à rassembler la richesse et le pouvoir économique dans un petit nombre de mains, concentration peu compatible, selon le libéralisme classique du moins, avec les exigences de fluidité et de concurrence d'une économie de marché. En bref, les inégalités, que la guerre et la réforme monétaire ont créées, sont aggravées et le fardeau principal du relèvement est porté par ceux que les événements avaient déjà le plus frappés. La docilité, avec laquelle les Allemands tolèrent un tel système s'explique, d'abord, par sa réussite même: croissance rapide, élévation du niveau de vie, etc ... Mais elle tient aussi à l'existence

3.

POLITIQUE socIALE !.1,

1. Cf. infra, Ch. VIII, pp. 221 et s. 2. Cf. Ch. IX, pp. 24 7 et s.

LES GRANDES ~TAPES DE L '~VOLUTION ~CONOMIQUE

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d'un système de protection sociale qui soulage les misères les plus criardes et permet à ceux qui ne parviennent pas à s'intégrer imméd:atement dans les circuits de l'économie productive de vivre tant bien que mal. Aux assurances sociales, d'origine bismarkienne, se sont ajoutées un ensemble de mesures destinées à apporter aux réfugiés et aux victimes de la guerre une aide immédiate (, soit de personnes trop âgées ou trop instables pour prendre un empJoi. Les poches de chômage qui se sont longtemps maintenues dans certaines régions, notamment dans le Schleswig-Holstein et en Bavière Occidentale, ont disparu. De même, les variations saisonnières, jadis fort importantes, ont été éliminées par des mesures qui ont notamment permis d'accroître l'activité dans le bâtiment pendant les mois d'hiver 1• L'évolution démographique, qui s'est manifestée jusqu'en 1960 par un accroissement naturel, modeste mais régulier de la population active, s'est traduite depuis cette date par une diminution annuelle de l'offre de maind'œuvre 9• Enfin, les réfugiés, grands pourvoyeurs de main-d'œuvre, se heurtent depui1:, août 1961 au mur de Berlin. La frontière est devenue hermétique et la source s'est asséchée, qui apportait à l'Allemagne de 100 000 à 200 000 travailleurs tous les ans. Le nombre des salariés s'est néanmoins accru depuis 1958. Dans l'industrie manufacturière et les mines, l'indice des travailleurs employés (1958 = 100) varie entre 102 et 104 (entre 1963 et 1966) pour l'Allemagne, contre 100 à 101 pour la France 8 • Aiguillonnée par une expansion rapide, l'économie allemande réussit à dégager en son sein ou à faire venir de l'étranger une partie de la main-d' œuvre dont elle a besoin. A l'intérieur, les hauts salaires incitent nombre de personnes 1. Des indemnités sont accordées aux ouvriers du bâtiment que le mauvais temps met dans l'incapacité de travailler (• Wintergeld •). Ils cessent ainsi de compter comme chômeurs. La réduction du chômage d'hiver a donc un caractère un peu théorique. 2. Diminution annuelJe de 50 000 personnes en moyenne. 3. Office Statistique des Communautés Européennes, Bul. gén., p. 54.

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LES GRANDES ~TAPES DE L'~VOLUTION ~CONOMIQUE

qui ont une activité familiale à prendre un emploi rémunéré. Le pourcentage des femmes actives a sensiblement augmenté. L'industrie a, d'autre part, bénéficié d'apports venus d'autres secteurs, à commencer par l'agriculture, où le nombre des personnes actives a baissé, entre 1958 et 1964, de 900 000 personnes 1 • Mais c'est l'afflux de travailleurs étrangers qui constitue le phénomène le plus saisissant de l'évolution récente. Italiens (30%), Espagnols et Grecs (14%), Turcs (12%), Portugais, Yougoslaves, etc ... I!, ont afflué en République Fédérale. Au nombre de 160 000 en 1959, les travailleurs étrangers étaient, au milieu de 1966, 1,3 millions (dont 25% de femmes), ce qui repésentait 5,5% de la main-d'œuvre salariée. Pourcentage modeste comparé à celui de la Suisse (25 %) mais voisin de celui de la France (6%) et qui s'élève considérablement dans les zones industrielles où se concentrent les travailleurs étrangers. 60% d'entre eux sont, en effet, groupés dans deux Lander seulement, la Rhénanie Westphalie et le Bade Wurtemberg. Dans ce dernier Etat, ils constituent 10% de la main-d'œu,vre salariée 8 • En mobilisant jusqu'aux dernières ressources et en devenant la principale importatrice de main-d'œuvre d'Europe, l'Allemagne réussit à compenser les conséquences de son déclin démographique et à augmenter le chüfre de sa population SOURCES DE L'OFFRE DE TRAVAIL SUPPLÉMENTAIRE Changements par rapport à la moyenne de l'année précédente (en milliers) 1955 Mouvements naturels de la population .....................• Çhômeurs .................... Migrations {Allemands originaires de l'Est) ................... Travailleurs étrangers ......... TOTAL • • . . . . . . . . . . . . . . . . .

1960 (1)

1961

1962

1963

1964

1965

- - - --- - - - - - - - - - --- --18 50 33 + 375 + 18 - 58 + 293 + 241 + 90 + 26 - 31 + 17 + 161 + 56 + 116 + 45 + 2 + 2 + 8 + 112 + 196 + 154 + 144 + 130 - - - - - - - - - - - - - - - --+ 837 + 427 + 344 + 192 + 97 + 99

62

+ 24 + 2 + 210 -----+ 174

(1) Sans la Sarre et Berlin. Source : Premier et deuxième rapports annuels du Comité des Experts pour l'étude de la situation économique, 1965, Bonner Universitats-Buchdruckerei, p. 48 et p. 53.

active. Mais le tableau ci-dessus montre à quel point, malgré ces apports, l'évolution enregistrée en dix ans est défavorable : 835 000 travailleurs supplémentaires en 1955, 425 000 en 1960, 99 000 seulement en 1964. 1. S.J.B., 1965, p. 151. 2. Ces pourcentages se réfèrent à l'année 1966, cf. S.J.B., 1967, p. 151. 3. En 1967, quand la crise recrée le chômage, les premier~ touchés sont les travailleurs étrangers. Leur nombre diminue, en effet, de 300 000. Tout se passe comme s'ils constituaient une soupape de sftreté, une armée de réserve, l'Allemagne faisant supporter, aux pays moins développés dont ils sont originaires, les frais de ces récessions.

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ORIGINES ET D~VELOPPEMENT DU LIB~RALISME ALLEMAND

L'avenir s'annonce-t-il plus brillant ? Il ne semble pas. Le secrétaire d'Etat au Travail, faisant état des prévisions de son département, annonçait, au cours de l'été 1966, qu'il fallait envisager jusqu'en 1970 sur une réduction annuelle de 80 000 du nombre des salariés de nationalité allemande, diminution qui se poursuivra jusqu'en 1980. La République Fédérale s'apprêtait, en conséquence, à continuer de faire appel à des étrangers. Les possibilités ne manquent ni en Turquie, ni en Grèce, ni en Yougoslavie, ni au Portugal, ni en Espagne. Mais, passé un certain seuil, les travailleurs étrangers créent un problème social dont témoignent les tensions qui se sont produites en Suisse. Ils entraînent aussi pour la balance des paiements une charge qui n'est pas négligeable. Le montant des transferts effectués a été évalué à 1,9 milliard de DM en 1966. L'Allemagne ne peut donc pas espérer trouver sur les rives de la Méditerranée la solution de toutes ses difficultés.

b) La montée des revendications.

Dans les négociations syndicales, le patronat se trouve le dos au mur. >, dit-on outre-Rhin, de trouver un ouvrier qu'un client>>. De ce dicton, chaque employeur tire les conséquences, cherchant par tous les moyens à s'attacher son personnel, le >, même lorsqu'il n'en a pas l'utilisation immédiate, assuré de ne pas retrouver l'employé qu'il aurait imprudemment laissé partir. Situation qui fait la part belle aux délégués syndicaux et permet aux revendications d'aboutir avec le minimum de grèves (cf. p. 132). La diminution de la durée du travail a figuré en bonne place parmi ces revendications. En 1960, le syndicat de la métallurgie, I.G. Metall. le plus puissant d'Allemagne, celui qui donne le ton, a obtenu, par l'accord de Hambourg, que la semaine de travail soit réduite de 45 à 40 heures 1, par paliers successifs échelonnés jusqu'en 1965. L'échéance a été ensuite retardée jusqu'en 1967. Mais l'impulsion est donnée et la semaine de 40 heures est aujourd'hui assez largement appliquée dans l'économie. Le comité des experts économiques a estimé à 10% la diminution de la durée effective du travail en Allemagne entre 1955 et 1963 2 • On travaille moins en Allemagne qu'en France : avant la récession l'indice s'établit en avril 1966 à 93 en Allemagne et à 100 en France (1958 = 100) 3 • Le mouvement comparé des salaires dans les deux pays révèle une évolution analogue. En 1966, l'indice des salaires horaires bruts dans l'industrie atteint 174 en France (1958 = 100) contre 193 en Allemagne 4, où la charge salariale par unité produite dans l'industrie s'est beaucoup plus rapidement accrue à partir de 1958 (+ 21,6%) qu'au cours de la précédente période ( + 9,3%). Dans le même temps, les prix ont relativement peu monté, surtout pour les produits industriels. De sorte qu'en dépit des progrès accompJis dans le domaine de la productivité, - et ils sont considérables-= ce sont les marges bénéficiaires qui sont entamées. L'autofinancement, clé de la reconstruction économique diminue. 1. 2. 3. 4.

Il s'agit de Ja durée légale, fixée par convention collective, et non de la durée effective. Premier rapport du Comité des Experts Economiques, op. cil., p. 48. Office Stat. des Corn. Européennes, 1967, n° 11, tableau 57. Office Stat. des Corn. Européennes, 1967, n° 11, p. 56, tableau 62.

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LES GRANDES ÉTAPES DE L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE

Les entreprises se voient obligées de recourir plus qu'elles ne le faisaient naguère à un financement extérieur qui pèse sur les prix de revient et rend l'industrie plus sensible qu'autrefois à la politique monétaire de la Banque Centrale.

Dernière conséquence, mais non la moindre, de cette pénurie de maind' œuvre, la conscience professionnelle, la ponctualité, l'application à la tâche, ces qualités traditionnelles du travailleur d'outre-Rhin, qui faisaient la supériorité des produits allemands, ont tendance à s'estomper quelque peu. L'absentéisme, le travail bâclé, le goût des vacances et des longues fins de semaine font leur apparition. La marque > n'est plus tout à fait la garantie de sérieux et de qualité qu'elle était autrefois. 2°

CROISSANCE RALENTIE ET DIFFÉRENCIÉE.

Bien que les conditions qui ont permis le développement exemplaire de la période 1948-1958 se soient dissipées, l'économie allemande n'en poursuit pas moins son ascension. La progression, certes, est moins rapide: 5,7% en moyenne annuelle de 1958 à 1966, contre 8% au milieu de Ja décennie précédente. Mais elle est restée supérieure à celle de la France ou de la Belgique et légèrement plus importante que celle des Etats-Unis (cf. tableau ci-dessous). Aussi, plus que le rythme de l'expansion, sont-ce ses caractéristiques et sa nature qui ont changé. Jadis fondé sur l'utilisation de capacités de production existantes et sur leur extension, le développement économique repose depuis une dizaine d'années presque uniquement sur l'accroissement de la productivité. D'extensive, la croissance est devenue intensive. Cette mutation se décèle à de nombreux indices. L'accroissement annuel de la productivité s'est sensiblement INDICE GÉNÉRAL DE LA PRODUCTION INDUSTRIELLE

(1958

=

100) 1

Années

République Fédérale Allemande

Belgique

France

Italie

GrandeBretagne

Etats-Unis

1958 ............... 1959 ............... 1960 ............... 1961 ............... 1962 ............... 1963 ............... 1964 ............... 1965 ............... 1966 ...............

100 108 122 129 134 139 152 161 163

100 105 113 119 127 137 147 150 153

100 101 111 117 123 130 140 142 152

100 111 129 145 159 173 175 184 207

100 105 113 114 114 119 128 132 134

100 114 117 118 128 135 144 157 172

Source : Office Statistique des Communautés Européennes, Bulletin Général de Statistique,

1967, n° 11, p. 23.

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ORIGINES ET D~VELOPPEMENT DU LIB~RALISME ALLEMAND

accéléré, ainsi qu'en témoigne les tableaux de la page 99. Le rapport existant entre l'augmentation des investissements et celui de la production intérieure brute devient moins favorable : avant 1955, un accroissement de 1 % du P.I.B. était obtenu avec un investissement 1 de 2,4% du P.I.B.; de 1959 à 1964, l'investissement nécessaire est de 4,5% '· Au début il s'agissait avant tout de créer des empJois nouveaux. Plus tard il faut rendre chaque emploi plus productif. Aussi, le capital investi par unité de travail tend-il à s'accroître. (Cf. tableau page 99). Maintenir une expansion, même moins rapide, exige, dans ces conditions, des investissements plus élevés. Les augmenter tient de la performance. Mais ce tour de force, l'Allemagne le réussit. Il expliqu.e la croissance continue de son économie. Les investissements, qui représentent entre 22 et 24% du P.N.B. au cours de la première décennie, entre 24 et 28 % entre 1959 et 1966. L'augmentation de la productivité n'est pas obtenue seulement par l'accroissement des investissements, mais aussi par une meilleure organisation de la production, par une gestion plus moderne et, d'une façon plus générale, par un progrès de la rationalisation. Le dynamisme des entreprises allemandes, leur relative concentration, la qualité de leur direction constituent à cet égard des atouts importants. La productivité accrue de l'économie découle, en outre, dans une mesure non négligeable, de l'évolution des structures, essentiellement des transferts de maind' œuvre des secteurs les moins productifs vers les secteurs les plus productifs. L'exemple le plus significatif numériquement, mais nullement le seul, est celui de l'exode rural. On estime pouvoir attribuer à cet . Il n'est pas nouveau. Depuis 1950, tous les> ont leur origine dans un accroissement subit de la demande extérieure 1 • Il en fut ainsi lors de la guerre de Corée, en 1951, et, de nouveau, en 1955. Mais l'économie allemande disposait alors d'une marge de développement qu'elle a perdue. Elle était capable d'amortir les chocs. Elle pouvait 1. Pour plus de précisions sur ce point essentiel dans le déroulement des cycles économiques en République Fédérale, se reporter ai1 premier rapport des Experts économiques (Jahresgutachten 1964, Deutscher Bundestag - Drucksache 2890) en particulier aux indications chiffrées données aux pages 13 à 25.

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satisfaire une demande accrue en tirant sur sa réserve de chômeurs et en utilisant plus complètement des installations existantes ou facilement extensibles. Il n'en va plus de même à l'heure du plein emploi. Une brusque poussée des exportations, telle qu'elle se produit à la fin de 1963-les ventesallemandesàl'Italies'accroissent de 44% par rapport au trimestre de l'année précédente - risque de mettre l'équilibre économique en péril. La montée des prix, depuis 1959, est, en outre, attisée par lescapitauxétrangers auxquels la convertibilité a ouvert les portes. Cet afflux a des origines variables : jugement favorable sur l'évolution à long terme de l'économie allemande; taux d'intérêt élevés; spéculation, enfin, alimentée par l'attente d'une réévaluation du DM. Quelle que soit leur destination, ces capitaux s'ajoutent aux liquidités créées par les excédents de la balance des paiements, aggravent les tensions inflationnistes et privent de leur effet les mesures de stabilisation prises par la Banque Centrale. L'inflation stimule la demande intérieure et ne tarde pas à entraîner le développement des importations. Celles-ci s'accroissent rapidement et régulièrement. Si la balance commerciale conserve un solde positif, celui-ci compense de plus en plus difficilement le solde négatif de la balance des services, de sorte que l'équilibre de la balance des comptes se trouve périodiquement menacé. Déficitaire en 1962, elle l'est redevenue en 1965. Les tensions inflationnistes comportent pour l'industrie allemande entre autres conséquences un sérieux renforcement de la concurrence étrangère. Les produits italiens, français, ou américains, se sont solidement implantés sur le marché allemand. En 1965, l'accroissement des importations a atteint 19% par rapport à l'année précédente. Les produits finis représentent, d'autre part, une fraction croissante des achats allemands, jadis presqu'exclusivement constitués de matières premières et de demi-produits. Prises entre des coûts intérieurs croissants et une concurrence étrangère aggravée, obligée de financer avec des marges bénéficiaires réduites et un crédit bancaire plus dispendieux des investissements en augmentation, les entreprises allemandes manifestent des inquiétudes qui ne sont pas feintes. Leur capacité concurrentielle reste intacte. Le développement ininterrompu des exportations en témoigne. Mais les temps faciles et heureux sont passés. Les autorités allemandes dont la politique se révèle hésitante et se trouve souvent mise en échec, sont les premières à s'en apercevoir. B. -

L'INADAPTATION DE LA POLITIQUE

D'une modification aussi profonde de la situation économique, le Gouvernement se devait de tirer les conséquences. Mais il semble que sa politique, loin de contrecarrer les déséquilibres, les ait, au contraire, accentués et aggravés. Bonn persévère, comme il est naturel, dans la voie d'un libéralisme auquel il attribue ses succès et dont il s'efforce de parfaire la construction. Mais, à l'heure de la prospérité retrouvée et de l'abondance reconquise, il devient tout à coup difficile de maintenir > des premières années. Sévérité fiscale,

102

ORIGINES ET D~VELOPPEMENT DU LIB~RALISME ALLEMAND

orthodoxie budgétaire, rigueur sociale, ne tardent pas à céder devant les appétits d'une société satisfaite à qui le bonheur fait perdre le godt du sacrifice. Du libéralisme on conserve les tabous, non les disciplines. On continue de s'élever contre les interventions globales qui eussent été, cependant, nécessaires pour maitriser une conjoncture en ébullition, mais on consent aux accommodements particuliers, aux mesures protectrices, aux cadeaux pré-électoraux, aux subventions de toutes sortes. Bref, aux tensions de l'économie s'ajoutent celles des finances publiques, et on laisse à la Banque Centrale le soin d'assurer, seule, une stabilité à laquelle le Gouvernement ne contribue que par des vertueuses exhortations. La crise que traverse l' Allemagne en 1966-1967 procède dans une large mesure de cette contradiction. D'un côté, une situation qui appelle, plus que par le passé, une action globale et vigilante des pouvoirs publics; de l'autre, une politique qui ne refuse pas seulement d'utiliser l'instrument des finances publiques à des fins conjoncturelles, mais dont la pratique budgétaire attise le feu qu'il eftt fallu éteindre. 1o LE LIBÉRALISME

CONTINUÉ.

Les résultats déjà atteints ne peuvent qu'inciter le Professeur Erhard à compléter l'ordre libéral, dont il a jeté les bases. L'adhésion de l'Allemagne au Marché Commun lui enlève l'essentiel de son autonomie vis-à-vis de l'extérieur. Ses initiatives, si l'on excepte l'abaissement anticipé de certains droits de douane, sont désormais subordonnées à l'accord de ses cinq partenaires européens. A l'intérieur, en revanche, la voie est libre et la tâche importante. A commencer par les prix dont la libération n'est pas achevée. En 1962, la décision est prise de supprimer le blocage des loyers, par étapes succes_sives, partout où la demande non satisfaite n'excède pas 3 % du nombre des logements existants. On espère ainsi aboutir à la libération complète en 1965. Echéance, que des considérations politiques ont amené à reporter, mais dont on s'est, cependant, régulièrement rapproché, sans créer de remous sociaux. Sur le plan du financement des investissements, de grands progrès restent également à accomplir pour se conformer au modèle libéral. C'est un des soucis du Gouvernement. Mais on ne saurait dire que l'objectif - ·1a restauration du marché des capitaux dans son rôle de régulateur des investissements - ait été atteint. Si les émissions de valeurs mobilières se développent et si le rôle du crédit bancaire augmente, la part des investissements financés sur fonds publics n'a jamais été plus importante et l'autofinancement, bien qu'en sensible régression, reste la principale source de financement des investissements privés. Les emprunts de plus en plus nombreux des collectivités publiques, la politique anti-inflationniste de la Banque Centrale n'auraient guère permis, en toute hypothèse, au marché financier de retrouver un rôle de premier plan. Plus spectaculaires sont les mesures prises par le Gouvernement pour réduire l'importance du secteur public en> certaines entreprises appartenant à l'Etat : Preussag, Volkswagen, V.E.B.A., Opérations délicates, qui sont, malgré qu,elques avatars, bien conduites et couronnées de su.ccès. Leur portée libérale

LES GRANDES ~TAPES DE L'~VOLUTION ~CONOMIQUE

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n'en reste pas moins discutable, le Gouvernement ayant conservé dans les entreprises restituées au secteur privé une participation qui lui donne la haute main sur leu,r gestion 1 • Fidèle à ses principes, le Professeur Erhard a, d'autre part, engagé la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles des entreprises privées. Une loi contre les limitations de la concurrence avait été adoptée en 1957. Il s'agit de la mettre en application. Les réactions du patronat ne facilitent pas la tâche du Kartellamt, qu,i, dans les limites d'u.n texte plein de lacunes et de faiblesses, n'en développe pas moins une action intéressante. Mais, sur certains plans, notamment celu,i de la concentration, le bilan reste maigre. D'autant que le Gouvernement favorise par de multiples avantages fiscaux, un processus qu'il fait, par ailleurs, profession, de contrôler. Une modification récente de la loi de 1957 donne à l'Office des Cartels des moyens d'action nouveaux. Mais ces pouvoirs ne lui permettent guère de réagir efficacement contre les abus qu'engendre la , mais qui allèrent en diminuant. Le réarmement en entraîne qui connaissent, au contraire, une constante progression. L'admission de l'Allemagne à l'O.T.A.N., la construction du mur de Berlin obligent Bonn à accélérer et à amplifier la reconstitution de ses forces armées. Les finances fédérales s'en ressentent. Les dépenses militaires qui s'établissent en moyenne à 26% des dépenses du Bund de 1953 à 1958 en représentent environ 30% de 1960 à 1966 9 • Aux charges militaires, la souveraineté retrouvée ajoute les dépenses politiques: aide aux pays sous-déveJop1. Pouvoir dont il use, cependant, peu ou pas du tout, cf. infra, chap. V, pp. 145 et s. 2. Bundesministerium der Finanzen, Finanzbericht, Bonn, 1966, p. 108 et S.J.B., 1968, p. 394.

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pés, à laquelle Bonn doit se résigner à apporter une contribution (1 milliard de DM en 1965); indemnisation des victimes du nazisme, à quoi une prospérité retrouvée ne permet plus d'échapper et dont le montant passe de 500 miIJions à 2,2 milliards de DM en 1965. La prospérité développe ses conséquences sur d'autres plans. En particulier, celui des dépenses sociales. Les souffrances, qui avaient été facilement supportées lorsque le malheur collectif exigeait de tous efforts et sacrifices, cessent de l'être lorsque la reconstruction est sur le point d'être achevée et que la richesse tapageuse de certains rend inacceptable l'infortune des autres. Une politique sociale plus complète et plus généreuse est inévitable et d'ailleurs légitime 1 • II s'y ajoute l'incidence du déclin démographique, mais aussi des initiatives démagogiques, un saupoudrage des crédits, électoral dans ses motivations, dispendieux dans ses conséquences financières, souvent contestable dans ses effets. Le taux des prestations est augmenté et leur champ d'application élargi. Les retraites sont revalorisées et indexées par une loi votée en 1957. Les allocations familiales, créées en 1957 sont progressivement étendues jusqu'à comprendre une allocation d'études et sont prises en charge par l'Etat. Les versements aux victimes de guerre s'élèvent de 2,4 milliards de DM à 5,2 milliards en 1965, bien que le nombre des ayants droit soit simultanément tombé de 4,4 millions en 1952 à 2,8 millions en 1965 2 • A l'action sociale au sens strict, s'ajoutent, à partir de 1959, les indemnisations en capital prévues par la loi sur la péréquation des charges, mais longtemps retardées. Modestes, les sommes dispensées à ce titre n'en soulignent pas moins l'évolution qui s'est accomplie. A l'impératif de la croissance s'est, en effet, progressivement, sinon substitué, du moins ajouté celui de la redistribution. A la volonté d'expansion, celle d'une diffusion plus égale de la propriété. Après une décennie où l'autofinancement encouragé par l'Etat a puissamment contribué à la concentration de la richesse et du pouvoir économique, une politique se développe dont l'objectif est, au contraire, de favoriser sous diverses formes l'épargne populaire. Aux subventions allouées à ce titre s'ajoutent celles accordées aux secteurs en difficulté. Parmi ceux-ci, l'agriculture est, de loin, la principale partie prenante. En dix ans, les subventions dont elle bénéficie sont multipliées par six. D'autres secteurs font également appel à l'aide des pouvoirs publics. En particulier, les charbonnages et les chemins de fer, dont le déficit croissant exige une intervention massive du budget fédéral. Celui-ci ne s'est pas contenté de . Il a aussi investi. La remise e:a route et l'extension de l'appareil de production, le développement de la consommation individuelle, les progrès du bien-être et de la richesse générale font naître des besoins nouveaux, dont la satisfaction exige le développement des équipements collectifs, scolaires, sanitaires, routiers, scientifiques. Longtemps négligé, le développement de ces infrastructures devient une nécessité pour la poursuite de 1. Cf. chap. IX. 2. Soziale Sicherung in Deutschland, Bundesmi,nisterium für Arbeit, ja,nv. 1967, pp. 148 et 135.

LES GRANDES ÉTAPES DE L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE

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l'expansion. Il faut combler le retard pris dans les premières années. Les autorités de Bonn s'y emploient. Notamment, dans le domaine routier où deux plans quadriennaux successifs, 1958-1962 et 1963-1966, portent les dépenses fédérales à 8 puis à 13 milliards de DM ; dans le domaine de la recherche et de la formation scientifiques dont les dotations budgétaires augmentent considérablement 1 • Les collectivités locales, Lander et communes, sont prises d'une véritable > de bâtir. Les dépenses d'investissement des communes passent de 6 milliards de DM en 1958-1959 à 14 milliards de DM en 1964, dont 12,5 milliards d'investissements directs consistant, pour l'essentiel, en constructions. VAllemagne, en quelques années, se couvre d'hôtels de ville, de piscines, de théâtres, d'abattoirs, de cimetières, de parcs et aussi, bien entendu, d'écoles. Au début, ces travaux sont financés grâce aux excédents budgétaires des collectivités locales. Les recettes des communes, alimentées par l'impôt sur le revenu, augmentent, en effet, plus que proportionnellement à l'activité économique. Mais progressivement, en dépit de l'aide accrue dispensée par les Lander, les communes doivent s'adresser au marché financier, qu'elles contribuent, par leurs ponctions, à déséquilibrer avant de connaître elles-mêmes une situation difficile, et variable d'ailleurs selon les communes. L'endettement de certaines villes comme Francfort ou Munich prend des proportions inquiétantes. Ainsi, après une longue période d'excédents, les budgets des collectivités publiques connaissent une tendance marquée au déséquilibre. Gonflés par l'accroissement des dépenses fédérales, aussi bien que par celles des collectivités locales, ils accentuent les tensions inflationnistes qu'ils avaient, jusqu'en 1959, efficacement contrecarrées. b) Les budgets des Lander et des Communes.



LA CONJONCTURE MAL MAITRISÉE.

Les finances publiques ne jouant pas le rôle de stabilisateur qu'aurait exigé la situation, la Banque Centrale doit assumer seule la responsabilité de mener, avec des moyens purement monétaires, une politique de conjoncture dont les tribulations remplissent l'histoire économique des années 1959-1966. La Bundesbank fait face à sa tâche avec la volonté de maintenir coûte que coûte la stabilité et utilise à plein l'arsenal des instruments monétaires dont elle dispose; moyens qui sont progressivement perfectionnés et complétés. Dans un premier temps, son action connaît un échec à peu près total. En 1960-1961, les excédents de la balance des paiements et l'entrée massive de capitaux étrangers attirés par la perspective d'une réévaluation du DM, mettent à la disposition du système bancaire des liquidités qui rendent vaines, ou à peu près, les mesures restrictives prises par la Banque Centrale. L'évolution divergente des prix en Allemagne et à l'étranger aurait en toute hypothèse, rendu une réévaluation 1. Cf. Chap. XI.

Politique économique del' Allemagne occidentale.

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ORIGINES ET DÉVELOPPEMENT DU LIBÉRALISME ALLEMAND

du DM nécessaire. Elle n'en est pas moins le signe de l'échec de la politique obstinément et courageusement appliquée par le Président Blessing. La situation change à partir de 1963. L'efficacité des mesures prises pour ralentir les arrivées de capitaux étrangers et surtout le déficit de la balance des paiements ont épongé les liquidités bancaires. Du coup, les mesures restrictives décidées à Francfort font sentir leur effet. Mais les finances publiques prennent alors le relai des excédents extérieurs et annulent, en partie, l'effet déflationniste des mesures monétaires. Le résultat n'est pas plus satisfaisant. Les restrictions imposées par la Banque Centrale apportent une gêne sensible au secteur privé dont elles freinent les investissements et la croissance. Mais les tensions inflationnistes n'en persistent pas moins, entretenues par les budgets publics et la hausse des salaires. Les échecs passés, comme le paradoxe de la situation nouvelle, appelaient une politique de conjoncture associant, dans une même action, instruments monétaires et moyens financiers. Le Chancelier Erhard hésite longtemps à se lancer dans cette voie. Elle est peu compatible avec ses tendances libérales et contraire à la méfiance qu'il porte instinctivement aux politiques qui tentent de prévoir le développement économique et d'agir sur lui. Elle se heurte, en outre, à des obstacles constitutionnels et politiques. Les périls inflationnistes, la pression d'une opinion inquiète où le sentiment s'est répandu que le Gouvernement a perdu le contrôle de la situation, décident néanmoins le Chancelier et son ministre de l'Economie, M. Lücke, à sou,mettre au Parlement un texte, qui, au prix d'une restriction sensible des prérogatives financières des collectivités locales, donne au pouvoir central les moyens d'une action efficace. Ainsi, le plein emploi et les tensions qu'il entraîne, conjugués avec des déséquilibres d'origine extérieure, imposent une évolution de la politique économique. Le principe libéral de la neutralité économique du budget est abandonné ; celui de la programmation pluri-annuelle des investissements publics accepté, assorti d'un système qui règle l'importance des dépenses en fonction des tendances de la conjoncture. Le refus persiste, il est vrai, de fixer à l'avance des taux de croissance du produit national. La marge ne s'est pas moins sensiblement réduite entre la planification française, devenue moins contraignante, et le libéralisme allemand, obligé par les circonstances de sortir de son >.

C. -

LES PRINCIPALES ÉTAPES

L'expression qui revient le plus souvent dans le vocabulaire des dirigeants de Bonn à partir de 1959 est . L'économie allemande poursuit, en effet, sa marche en avant ; le parcours reste ascendant, mais il est devenu plus difficile. Des heurts successifs mettent en péril un équilibre désormais vulnérable et suscitent périodiquement le spectre de rinflation. Jusqu'en 1964, les tensions inflationnistes sont >, ce qui signifie qu'elles sont liées aux excédents de la balance des paiements.

LES GRANDES ~TAPES DE L'~VOLUTION ~CONOMIQUE

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A partir de 1965, elles trouvent, au contraire, leur origine à l'intérieur, dans le dérèglement des finances publiques, avant de conduire, en 1967, la Répuhlique Fédérale au bord de la récession. Après avoir tendu de toutes ses forces à l'expansion et à la consolidation de ses échanges avec l'étranger, l'Allemagne se débat à partir de 1959 avec des excédents chroniques de sa balance des paiements. La première crise débute à l'automne de 1959 et trouve son dénouement le 4 mars 1961 avec la réévaluation du. Deu,tsche Mark. La seconde se développe en 1963 et 1964. Elle se ',erait sans doute dissipée sans heurts majeurs, si des causes intérieures d'inflation n'avaient relaté et aggravé les tensions d'origine extérieure. Le problème de la réévaluation du Deutsche Mark est en fait posé depu,is longtemps, sinon en Allemagne, du moins dans les milieux financiers internationaux. Fixée en 1948 à 3,33 DM pour 1 $, la valeur du DM a été ramenée, après la dévaluation de la livre sterling, en septembre 1949, à 4,20 DM pour 1 $. Cette révision, combattue par la Grande-Bretagne et la France qui la jugent inutile et craignent qu'elle ne favorise indûment les exportations allemandes, est au contraire défendue par les Etats-Unis, soucieux de faciliter le relèvement del' AIJemagne et, ainsi, d'alléger les secours qu'ils lui octroient. Le point de vue de Washington est aussi celui des responsables allemands. Il l'emporte. La relative stabilité des prix allemands maintenue depuis 1949 ne fait qu'accentuer l'avantage initial que ce taux de change confère à l'Allemagne dans la concurrence internationale. Les réserves monétaires del' Allemagne s'accroissent rapidement. Mais en s'accumu.lant, elles deviennent gênantes pour tout le monde. Pour les pays européens qui éprouvent des difficultés à équilibrer leurs propres comptes ; pour l'Union Européenne des Paiements, qui est incommodée par l'importance croissante des excédents allemands ; pour les Etats-Unis enfin, confrontés à partir de 1959 avec le déficit de leur balance des paiements. De sorte qu,e la réévaluation du, DM est unanimement souhaitée. Bonn fait la sourde oreille. Mais la situation inextricable qui se développe en Allemagne à partir de 1960 l'oblige finalement à réaliser > ce qu'il eût sans doute mieux valu faire >. Après deux années de calme relatif, la conjoncture se ranime brusquement en Europe, à l'automne de 1959. Stimulée par le développement des exportations, l'économie allemande reprend son élan. Le produit national brut s'accroît, en prix constants, de 8,5 % en 1960. Mais l'Allemagne ne dispose plus des réserves de maind' œuvre et des capacités de production qui lui avaient permis dans le passé de faire face avec souplesse aux à-coups de la demande. Des tensions se manifestent sur le marché de l'emploi; salaires et prix se mettent à augmenter. Toutefois, loin d'entraîner, comme il aurait été normal, un ralentissement progressif des exportations et un déficit de la balance des paiements, l'inflation naissante s'accompagne d'un accroissement des excédents extérieurs. Situation anormale, paradoxale, dont l'Institut d'Emission et le Gouvernement ne savent pas assez tôt tirer les conséquences. a) La réévaluation du Deutsche Mark.

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ORIGINES ET Dl:VELOPPEMENT DU LIBl:RALISME ALLEMAND

La BUlldesbank, pour parer à la menace inflationniste, met en œuvre ses moyens d'action habituels. Le taux de l'escompte est relevé de 2,75% à 5% 1 et le crédit limité par la majoration du taux des réserves obligatoires et la réduction des contingents de réescompte des banques auprès de l'Institut d'Emission. L'échec de ces mesures est total. A mesure que la Banque Centrale restreint la liquidité du système bancaire, elle se reconstitue du fait des excédents de la balance des paiements et l'économie se procure à l'étranger les moyens financiers qui lui manquent. Les entreprises procèdent par emprunts directs auprès des établissements de crédit étrangers; les banques rapatrient leurs fonds placés à l'extérieur. Les capitaux étrangers affluent d'ailleurs spontanément en République Fédérale. Le malheur veut, en effet, qu'au, moment où la Bundesbank se met à pratiquer Ulle politique de l'argent cher, on s'engage à l'étranger, notamment aux Etats-Unis, dansJa voie inverse. La disparité des taux d'intérêt, attire en Allemagne une avalanche de fonds étrangers que les autorités de Francfort s'efforcent d'endiguer par diverses mesures, notamment par l'interdiction de servir des intérêts sur les dépôts appartenant à des non-résidents ou de vendre à ceux-ci des bons du trésor. Les résultats sont d'autant plus décevants que la spéculation s'en mêle. A l'étranger, chacun s'attend à une réévaluation du DM et cette perspective fait converger vers la République Fédérale des capitaux flottants à la recherche d'un bénéfice de change. La Bundesbank, incapable de restreindre les liquidités et de stopper l'inflation, ne fait en somme qu'accroître par son action les excédents de la balance des paiements. Les difficultés que rencontrent les voisins de l'Allemagne, et plus encore les EtatsUnis, s'en trouvent sensiblement aggravés. La Bundesbank doit finalement admettre son échec. Le 10 novembre 1960, elle renverse sa politique et abaisse le taux de l'escompte. Ne pouvant modérer l'expansion intérieure, elle fait désormais porter tout son effort sur le rétablissement de l'équilibre extérieur. Cette volte-face ne laisse au Gouvernement qu'Ulle issue, réévaluer. Solution que plusieurs économistes allemands préconisent, notamment Rôpke qui, dans une série d'articles, montre qu'en stimulant artüiciellement les exportations, la sous-évaluation engendre l'inflation. La Bundesbank reste sur ses positions. « Il faut comprendre», indique-t-elle après coup, « que pour un Institut d'émissions la parité monétaire est chose sacrée. On ne doit la modifier que si tous les autres moyens d'influer su;r la situation économique et la balance des paiements se révèlent inefficaces. Tout changement de la parité monétaire a de profondes répercussions sur l'économie d'un pays et doit être étudiée sous tous ses aspects» 9 • L'industrie est, elle aussi, hostile à la réévaluation dont elle doit la modifier que si tous les autres moyens d'influer sur la situation économique et la balance des paiements s'avèrent inefficaces. Tout changement de la parité monétaire a de profondes répercussions sur l'économie d'un pays et doit être étudiée sous tous ses aspects 1 • L'industrie est, elle aussi hostile à la réévaluation dont elle estime qu'elle compromettrait la capacité concurrentielle des exportations aile1. En plusieurs étapes, entre septembre 1959 et juin 1960. 2. Bundesbank, rapport mensuel, mal'S 1961.

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mandes. Mais l'insistance du gouvernement américain et les difficultés de la situation finissent par emporter la décision des autorités allemandes. Tardive et réduite, 4,75%, la réévaluation n'a pas, du, moins dans l'immédiat, les effets que certains avaient espérés et d'autres redoutés. Elle ne met fin à la spéculation qu'après un délai de plusieurs mois. A l'étranger on s'attend, en effet, à une nouvelle manipulation monétaire, le taux de la première étant jugé insuffisant. Quant à la balance commerciale, elle ne retrouve pas son équilibre avant la fin de l'année. Encore des remboursements anticipés de dettes (800 millions de S aux Etats-Unis et un prêt de 260 millions de$ au F.M.I.) contribuent-ils davantage à ce résultat que ne le fait la réévaluation. Exportations et importations ne paraissent pas, en effet, avoir été immédiatement affectées par la nouvelle parité. Les exportateurs allemands n'augmentent pas uniformément leurs prix et les acheteurs étrangers ne se laissent pas décourager par le renchérissement des produits allemands. A terme la réévaluation n'en facilite pas moins le retour à l'équilibre intérieur et extérieur. On peut affirmer, avec le recul du temps, que la réévaluation du DM était la moins mauvaise, sinon la meilleure des politiques possibles. L'erreur du Gouvernement a été d'hésiter et d'attendre. Plu,s énergique, déclenchée plus tôt, l'opération eut sans doute permis de mieux préserver u,ne stabilité qui fut, en définitive, assez sensiblement entamée. Bonn manque de clairvoyance et surtout de fermeté. Mais d'autres leçons se dégagent aussi de la crise: d'une part, la nécessité de coordonner les politiques de conjoncture au plan européen : d'autre part, celle de compléter les interventions monétaires de l'Institut d'Emission par une action budgétaire et financière de l'Etat ; action dont le Professeur Erhard ne semble pas avoir su, ou voulu comprendre assez tôt l'importance. Après avoir connu pendant deux ans - de l'été 1961 à l'été 1963 - une période d' accalmie, l'économie allemande entre à l'automne de 1963 dans un nouveau« boom,. Une fois encore, c'est le développement brutal des exportations qui entraîne le reste de l'économie. Les ventes de l'Allemagne aux pays de la C.E.E. augmentent de 21 % en 1963 ; ses livraisons à l'Italie de 45 % au cours du 38 trimestre de la même année. Cette flambée subite s'inscrit dans une expansion générale du commerce mondial. Mais elle tient surtout à l'inflation qui sévit en France et en Italie et qui porte ces pays à accroître leurs achats en Allemagne où les prix sont restés stables et les délais de livraison réduits. Avec l'abaissement des barrières douanières à l'intérieur de la C.E.E. et le développement des échanges commerciaux entre les Six, l'inflation est devenue un mal contagieux. L'Allemagne en fait l'expérience à ses dépens. Les débuts, cependant, sont encourageants. L'économie ayant retrouvé depuis la réévaluation une certaine souplesse, le produit national brut s'accroît de 6,5 % en 1964 dans une relative stabilité des prix ( + 2,3%)- La productivité augmente de façon spectaculaire ( +4,2% en 1964). L'arrivée de travailleurs étrangers en nombre croissant permet d'élever légèrement l'effectif de la population active. b) L'expansfon de 1963-1964.

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ORIGINES ET Dl:VELOPPEMENT DU UB~RALISME ALLEMAND

L'Institut d'Emission n'attend pas, cependant, pour intervenir. L'expérience malencontreuse de 1960 le guide dans son action. En même temps qu'il élève le taux de l'escompte et celui des réserves obligatoires, il prend des dispositions pour empêcher que des importations de capitaux. étrangers ne viennent à nouveau mettre en échec sa politique. Il y parvient cette fois avec un relatif bonheur. Parmi les mesures - elles furent nombreuses - la plus efficace consiste à assujettir les revenus des obligations détenues par des étrangers à un impôt à la source de 25 %Le coup est bien ajusté. L'évasion fiscale explique, en effet, dans une large mesure, l'attrait que l'Allemagne exerce sur les capitaux étrangers. Sans attendre que le Parlement ait voté le texte instituant la nouvelle taxe, les achats pour compte étranger se ralentissent et une vague de ventes se produit à la fin du premier semestre de 1964. Au même moment, la balance des paiements retrouve son équilibre. Les mesures prises par les voisins de l'Allemagne pour lutter contre l'inflation se sont avérées efficaces. Leurs achats en Allemagne diminuent, cependant que leurs exportations s'accroissent, stimulées par l'augmentation de la demande intérieure en République Fédérale. En 1965, l'économie allemande est à la croisée des chemins. La contagion extérieure est stoppée. Les prix ont encore relativement peu augmenté. Mais des tensions commencent à apparaître : la croissance du produit national se ralentit ; le secteur privé donne des signes d'essoufflement. La stabilisation reste possible, mais l'inflation menace. L'avenir dépend dans une large mesure de l'action du gouvernement. La situation exige que l'Etat joigne ses efforts à ceux de l'Institut d'Emission pour freiner l'expansion et remettre l'économie sur la voie d'une croissance plus modérée, plus régulière et par conséquent plus durable. Mais les préoccupations politiques l'emportent sur la sagesse économique, la faiblesse sur la fermeté. L'exécutif, qui, depuis le départ d'Adenauer, n'a pas retrouvé de véritable chef capitule devant les velléités dépensières du Parlement. Ce sont les budgets publics qui, par leur augmentation et leur déficit, attisent l'inflation qu'ils auraient dft contribuer à juguler. Les équipements publics appellent, il est vrai, un effort particulier de développement dans la mesure même où, pendant des années, ils ont été quelque peu négligés. Transports, écoles, universités, urbanisme, recherche scientifique, etc ... autant de rubriques, autant de priorités. Aussi, l'accroissement des dépenses des collectivités publiques (11 %en 1961, 12% en 1962, 9%en 1963 et 1964) dépasse-t-il, depuis plusieurs années, l'augmentation annuelle du produit national. Il excède aussi la progression des recettes, que des mesures de détente fiscale ont à diverses reprises diminuées. De sorte qu'après avoir longtemps connu des excédents budgétaires, l'Allemagne entre dans une ère de déficits. La situation s'aggrave en 1965. L'année est électorale, le climat peu propice à l'austérité budgétaire. De timides efforts sont entrepris pour modérer le rythme des investissements publics, notamc) De l'inflation à

la récession (1965-1967).

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ment par la création au Ministère Fédéral de l'Economie, d'une > chargée d'harmoniser les appels au marché des capitaux du Bund, des Lander et des autres collectivités publiques. Mais, parallèlement, les dépenses de consommation et de transfert s'accroissent dans des proportions importantes. La liste des cadeaux électoraux et des concessions aux revendications des groupes de pression s'allonge et s'avère de plus en plus dispendieuse : augmentation des allocations familiales, création d'une allocation d'études, révision des régimes de retraite, subventions accrues à l'agriculture et aux chemins de fer. Comme une réduction simultanée du taux de l'impôt sur le revenu prive l'Etat de 2 millions de DM de rentrées fiscales, le déficit s'amplifie. Aucun effort ne réussit plus à le combler. Entretenue par les finances publiques, la demande intérieure l'est aussi par l'augmentation des salaires. Ceux-ci progressent depuis plusieurs années au rythme d'environ 10% par an et leur hausse est, en 1965, deux fois plus rapide que celle de la productivité. A l'accroissement de la demande s'ajoute l'inflation des coûts qui réduit les marges bénéficiaires des entreprises et par là leur propension à l'investissement. A ce développement de la demande, l'industrie n'est plus en état de répondre. Sur le marché de l'emploi la tension ext extrême: huit offres d'emploi non satisfaites pour chaque chômeur; 1,3 million de travailleurs étrangers employés en République Fédérale en juillet 1966. La production se heurte à des limites matérielles et humaines. La hausse des prix s'accélère. L'indice du coût de la vie augmente de 4% en 1965 ; les prix industriels de 2 %- >. Parallèlement, la récession incite les entreprises à améliorer leur gestion et à augmenter leurs rendements. L'effort de rationnalisation est intense. Il conduit, en dépit du déclin de la production et de l'utilisation incomplète des capacités, à des gains de la productivité. Ceux-ci deviendront considérables lorsque la reprise de l'activité économique permettra un meilleur emploi du capital fixe : ainsi, au cours du 2° semestre de 1967, la production par heure de travail dépassera de 9% le niveau atteint un an plus tôt. Comme les salaires n'augmentent pratiquement pas les marges bénéficiaires, qui avaient diminué au cours de la période antérieure, se développent à nouveau et avec elles la propension des entreprises à investir. Mais c'est la progression spectaculaire des exportations qui reste le phénomène le plus frappant. Elle soutient la conjoncture et compense, dans une large mesure, la stagnation de la demande intérieure. Les importations connaissent une évolution inverse, de sorte que la balance des transactions courantes, qui avait connu un déficit de 1,5 milliard DM en 1965 et avait été à peu près équilibrée en 1966, enregistre en 1967 un excédent de 16,5 milliards DM. Le retour à la stabilité intérieure, le développement de la productivité, l'extraordinaire essor du commerce extérieur témoignent, en pleine récession, de la vitalité et du dynamisme de l'économie allemande. Alors qu'en Grande-Bretagne, et, dans une moindre mesure, en France, le ralentissement de l'économie n'interrompt ni la hausse des prix, ni celle des salaires et s'accompagne d'une stagnation des exportations, en République Fédérale il suscite des réactions correctrices qui éliminent les causes du déséquilibre. Aussi, les années 1966-67 témoignent-elles, 1. Report of the Deutsche Bundesbank for the year, 1968, p. 24.

LES GRANDES ÉTAPES DE L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE

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plus sûrement peut-être que certaines périodes d'expansion, de la santé et de la vigueur du mécanisme économique allemand. b) On ne saurait, cependant, attribuer la reprise à un enchaînement purement automatique. Tirant la leçon des fautes commises, le Gouvernement et la Banque Centrale s'associent dans l'application d'une politique anti-cyclique commune. Après avoir fait la sourde oreille aux critiques et aux complaintes qui s'élevaient de toutes parts, la Bundesbank se décide, à la fin de 1966, à ouvrir enfin les vannes du crédit. De janvier à mai 1967, elle abaisse le taux de l'escompte, en quatre étapes, de 5 à 3%. De décembre 1966 à septembre 1967, elle réduit à six reprises, les coefficients de liquidité obligatoire, qui se trouvent ramenés au niveau le plus bas depuis 1948. Six milliards DM de liquidités bancaires sont ainsi libérés. Parallèlement, l'institut d'émission procède à d'importants achats de fonds d'Etat en > et s'efforce, par ses interventions sur le marché des changes, de limiter l'exportation de capitaux. Les excédents de la balance des paiements favorisent son action. Le taux de liquidité bancaire, par rapport au montant total des dépôts, passe de 0,4% (fin 1966) à 5% (fin 1967). Cependant, l'efficacité de la politique monétaire apparaît limitée. L'économie réagit lentement. L'expansion de crédits reste faible pendant la majeure partie de 1967. Selon l'expression du ministre de l'Economie,, dans la mesure où il n'est pas la conséquence de facteurs exogènes, est le produit d'une attitude empirique associant étroitement l'intervention de l'Etat à la concertation des grands intérêts privés. Seul un examen détaillé des différents aspects de cette politique peut permettre de répondre, sans parti pris, à cette question, la plus intéressante, peut-être, de toutes celles que posent le relèvement et l'expansion économiques de l'Allemagne occidentale.

Politique économique de l'Allemagne occidentale.

TITRE II

LE

LIBÉRALISME

EN ACTION LoRsou'EN 1948-1949, le Professeur Erhard, comme directeur de la «bizone • et plus tard comme ministre, prend en mains les destinées de l'économie allemande, il possède une vision claire et forte des principes qu'il entend appliquer. Pas plus que ses conseillers, il n'est prêt, pour hâter la reconstruction, à s'écarter de la route qu'il s'est tracée et qui peut seule, à ses yeux, assurer à l'Allemagne u.n relèvement durable, fondé sur la stabilité intérieure et l'équilibre extérieur. Cette voie est celle du libéralisme. Non pas tel que le concevait Adam Smith, mais tel que l'Ecole de Fribourg l'a redéfini et remodelé. En s'y engageant, les responsables allemands font preuve d'au.dace et de courage. Leurs premières initiatives se heurtent à l'opposition des Alliés et suscitent, en Europe comme en Allemagne, plus de scepticisme et de critiques que d'encouragements. Mais, à mesure que le succès récompense leurs efforts et confirme leurs thèses, l'autosatisfaction, l'assurance, un sentiment de supériorité, voire d'infaillibilité, se répandent à Bonn. On y attribue le «miracle• au libéralisme et on conseille volontiers à ceux qui se débattent encore dans les ténèbres de l'étatisme, d'en apercevoir la lumière et d'en accepter les bienfaits. Il est donc juste de faire du libéralisme le fil conducteur d'une étude de la politique économique allemande ; de juger celle-ci, non pas seulement sur ses résultats pratiques, mais aussi sur sa conformité au modèle si souvent et si hautement invoqué. Confrontation légitime, nécessaire même, mais qu'il n'est pas aisé de mener à bien. Répartir, ainsi que nous l'avons fait, les domaines de l'action gouvernementale en deux catégories, celle où les principes libéraux ont été mis en œuvre et celle où ils ne l'ont pas été, est un exercice nécessairement arbitraire et donc discutable. Il n'est pas de secteur, en effet, où le libéralisme ait intégralement prévalu. Il n'en est pas non plus d'où il ait été totalement absent, ne serait-ce qu'à titre de velléité. Mais, si l'analyse révèle partout des demi-teintes, elle fait apparaître aussi les oppositions : d'un côté, des écarts manifestes par rapport aux principes acceptés ; de

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LA POLITIQUE LI B~RALE EN ACTION

l'autre, UJl effort incontestable pour construire , le gouvernement met en place des mécanismes d'observation et d'intervention qui modifient profondément le caractère de la politique économique allemande.

1. LA LIBERTÉ DES PRIX ET DES SALAIRES

A. -

LES PRIX

Le 24 juin 1948, trois jours seulement après la réforme monétaire, une loi sur le rationnement et la politique des prix>> supprime le contingentement des denrées et le blocage des prix institués par le Gouvernement nazi en 1936 et restés en vigueur depuis cette date. La décision est prise par le Professeur Erhard. Elle est conforme à l'avis du conseil scientifique créé peu auparavant et dont Walter Eucken ainsi qu'un certain nombre d'autres économistes de l'Ecole de Fribourg, sont membres. Mais elle n'a été acceptée par les autorités alliées, notamment par les gouvernements français et anglais, qu'avec méfiance et scepticisme. La loi du 24 juin apparaît,avec le recul du temps,comme un mélange d'audace, de perspicacité et de prudence. De l'audace, il en faut pour supprimer restrictions et contrôles dans un pays affamé, surpeuplé, dont l'appétit de consommation risque d'emporter les fragiles barrières que l'on tente d'opposer à l'inflation. La perspicacité dont font preuve, en la circonstance, le futur chef de l'économie allemande et ses conseillers, consiste à prévoir que la ponction opérée sur la demande solvable par la réforme monétaire, rendra le rationnement et le contrôle des prix sans objet. En obligeant ceux qui ont accumulé des stocks à les mettre sur le marché pour , ont été, d'autre part, contestées. Du coup, des pressions de caractère politique ont fait reporter l'échéance, successivement au ter janvier 1967, au ter janvier 1968 2 et enfin au ter janvier 1969. En fait la liberté ne sera complète sur tout le territoire de la République Fédérale et à 1. Sachverstandigenrat zur Begutachtung der Gesamtwirtschaftlichen Entwicklung 19661967, Expansion und Stabilitàt, pp. 109-121, Kohlhammer, Stuttgart, 1967. 2. Pour un résumé de la législation sur les lovers, consulter : Die Wirtschaftsverfassung der Bundesrepublik Deutschland, G. GuTMANN, H-J. HocHsTRATE, R. ScHLUTTER; Gustav Fisher Verlag; Stuttgart, 1964, pp. 219 et s.

UNE ÉCONOMIE LIB~RÉE DES EMPIÉTEMENTS DE L'ÉTAT

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Berlin-Ouest qu'au début de 1970, si d'autres décisions ne retardent pas à nouveau, l'échéance. Les responsables allemands estiment que la politique des loyers et du logement a été > aux principes libéraux. Elle revêt même, aux yeux de certains, un caractère exemplaire. Non pas, il est vrai, dans l'instant. Une réglementation des loyers et le maintien des locataires dans les lieux, appliqués pendant une quinzaine d'années, a créé en Allemagne comme ailleurs des situations absurdes, antiéconomiques et souvent injustes, notamment dans le secteur des logements anciens. Mais, souligne-t-on, il ne pouvait en être autrement. Rétablir la liberté des loyers dans un état aigu de pénurie aurait conduit à des résultats inacceptables. Vieille de près de quarante ans, l'intervention administrative avait entraîné une diminution progressive du pourcentage de ressources que les ménages consacrent au logement. Tombée, après la guerre, à quelque 5 %, cette part ne pouvait être, du jour au lendemain, ramenée au niveau que lui assigne le fonctionnement normal des lois du marché, à savoir 15 ou 20%. La seule attitude possible consistait donc à combler l'écart entre l'offre et la demande de logements et, une fois l'équilibre rétabli, à supprimer aussitôt blocages et contrôles. Ce qui fut fait. Les moyens furent autoritaires mais la fin était libérale. Or, la >, liant la rémWiération réelle aux salaires conventionnels, leur a, dans une assez large mesure, donné satisfaction. L'Etat s'est-il pour autant désintéressé du mouvement des salaires? Bien évidemment, non. Mais si l'on néglige des cas exceptionnels comme la grève de la métallurgie dans le Bade-Würtemberg au printemps 1963, et celle déclenchée en 1966 par la même fédération syndicale, où Erhard, ministre de l'Economie, puis Chancelier, fait accepter ses bons offices, l'action gouvernementale ne prend jamais la forme d'interventions directes. Pour réagir contre des hausses de salaires jugées inflationnistes, le Gouvernement recourt à des mesures plus ou moins efficaces, dont il attend une détente sur le marché de l'emploi : ralentissement de l'activité dans le secteur névralgique de la construction; implantation de travailleurs étrangers etc ... Il s'efforce d'autre part, de freiner la montée des rémunérations dans le secteur public (3 millions de salariés), mais sans grand succès. En réalité, l'arme préférée du Professeur Erhard était l'appel à l'opinion publique. Il ne se passait guère d'année où le ministre de l'Economie ne conjurât ses concitoyens et plus particulièrement les organisations syndicales de faire preuve de modération, faute de quoi l'inflation, disait-il, sonnerait le glas du miracle économique. De quelle utilité ont été ces exhortations, dont on s'est plus d'une fois moqué? Leur efficacité est difficile à apprécier, mais il est possible qu'elle ait été plus grande qu'on ne le pense communément. Une enquête menée par l'Institut Divo dans le Bade-Würtemberg après la grève de 1963 a, par exemple, montré que 38% des ouvriers approuvait l'appel à la modération lancé cette année là par M. Erhard 1 • Nous verrons que M. Schiller, en associant syndicats et patronat, à une >, s'est efforcé d'exercer une influence plus directe, quoique non contraignante, sur le niveau des rémunérations. Si les revendications salariales n'ont pas, dans l'ensemble, mis en péril l'équilibre économique, - on ne peut guère parler d'inflation salariale en Allemagne - le mérite, toutefois, n'en revient guère aux pouvoirs publics, mais plutôt aux conditions qui prévalent longtemps sur le marché de l'emploi, ainsi qu'à la situation subordonnée des syndicats dans la société allemande d'après-guerre. Le chômage 1. Sozial politische Probleme in der Sicht Baden-Wurtembergischer Arbeitnehmer. Divo Institut, Frankfort, 1963.

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ne disparaît que vers la fin des années cinquante. Il ne favorise pas une stratégie syndicale dure. D'autant que le climat psychologique est peu favorable aux organisations ouvrières et à leurs revendications. La peur de l'inflation est répandue dans les couches populaires et, d'ailleurs, systématiquement entretenue par le gouvernement. Quant aux ouvriers, ils n'ont pas oublié le chômage de l'entredeux-guerres et se montrent plus soucieux de sécurité que de salaires élevés. L'enquête menée par l'Institut Divo, a révélé que 64% des ouvriers interrogés en 1963, estimaient que les augmentations de salaires entraînaient des hausses de prix plutôt qu'une réduction des profits. La même enquête a souligné que 47% des travailleurs considéraient la grève déclenchée par leur organisation comme comportant plus d'inconvenients que d'avantages. 23 % seulement étaient d'un avis contraire. Souvent critiqués, accusés d'être les fossoyeurs en puissance de la prospérité allemande, les syndicats ont été longtemps acculés à la défensive, contraints de se justifier auprès d'une opinion publique sceptique, réservée, pour ne pas dire hostile. Il est incontestable, d'autre part, que les syndicats ont fait volontairement preuve de modération. Conscients des sacrifices et de la solidarité que le relèvement du pays exige de tous, ils ont mis une sourdine aux revendications de salaires et concentré leurs efforts sur des problèmes de structure, tels que la cogestion. Le pacte plus ou moins officieux conclu entre l'ancien président du D.G.B., Hans Bockler, et le Chancelier Adenauer les y incitaient d'ailleurs. Il est certain que ces conditions n'étaient guère favorables au développement d'une politique syndicale agressive 1 • On se tromperait, cependant, en pensant que les salaires ont peu monté en Allemagne ou que les syndicats ont été inactifs. Mais le fait est que les hausses de salaires, du moins jusqu'à ces dernières années, n'ont pas, en règle générale, excédé les progrès de la productivité. Ils ont suivi l'expansion générale de l'économie plus qu'ils ne l'ont précédée et n'ont guère, jusqu'en 1960, entamé les marges bénéficiaires des entreprises. Quant à la stratégie syndicale, obligée de tenir compte des réactions de l'opinion et de l'état d'esprit des travailleurs, elle a renoncé, sauf dans un cas - pour imposer la cogestion en 1951 - à déclencher des mouvements d'ensemble qui auraient suscité la réprobation. Le Deutscher Gewerkschaftsbund (D.G.B.), organisation syndicale virtuellement unique, concentre le plus souvent son effort et ses moyens sur un petit nombre d'actions bien choisies et limitées, dont les résultats sont ensuite plus ou moins automatiquement étendus à toute l'industrie. Un syndicat joue dans le développement de cette stratégie un rôle décisif, celui des ouvriers de la métallurgie, I.G. Metall, dont le Président, Otto Brenner, est un peu la figure de proue du mouvement ouvrier allemand. Il déclenche tous les deux ou trois ans une grève spectaculaire, longue, dure, mais géographiquement circonscrite (Bavière en 1953, Schleswig-Holstein en 1956, Bade-Würtemberg en 1963), mouvements qui n'entraînent pas de perturbations économiques générales. Tactique habile, dont les résultats s'avèrent probants, non seulement pour les travailleurs de la métallurgie, mais aussi pour les salariés des autres secteurs industriels dont les rémunérations s'alignent sur ceux des premiers. 1. Voir à ce sujet, The Politics of Wage - Price Decisions, University of Illinois Press, Urbane, 1965, pp. 119-124, Murray Edelman and R.W. Fleming.

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LA POLITIQUE LIB~RALE EN ACTION

Ainsi, en Allemagne, où les pouvoirs publics se sont abstenus d'intervenir dans les négociations de salaires, les rémunérations, tout en augmentant rapidement, n'ont pas menacé la stabilité générale des prix; les conflits du travail ont été relativement peu nombreux et le nombre de jours de grève en treize ans (de 1955 à 1967) n'a guère dépassé un million et demi. En France, au contraire, où les salaires ont été dans une large mesure déterminés par l'action de l'administration et où les conflits du travail ont, en général, éclaté dans le secteur public, la hausse des salaires a le plus souvent mis en péril l'équilibre intérieur et extérieur, cependant que le nombre de jours de grève a excédé 20 millions au cours de la même période. Est-ce à dire que le libéralisme a administré la preuve de sa supériorité et le dirigisme celui de sa nocivité? Il n'est guère possible de tirer de ce rapprochement pareille conclusion. En effet, la situation de l'Allemagne a comporté, nous l'avons déjà montré, des particularités qui, indépendamment de la politique suivie, expliquent la différence des situations française et allemande dans le domaine des salaires. Outre-Rhin, la réforme monétaire, en opérant une déflation brutale, a NOMBRE DE JOURS DE GRÈVE Années

République Fédérale

France

Italie

Grande-Bretagne

1955 ..••........ 1956 ............ 1957 ............ 1958 ............ 1959 ............ 1960 ............ 1961 ............ 1962 ............ 1963 ............ 1964 ............ 1965 ............ 1966 ............ 1967 ............

600 410 52467 45 321 202 614 21648 17 065 21052 79177 100 853 16 700 49 500 27 300 389 600

1060613 981 676 2 963 837 1112 459 939 798 1071513 2 551 821 1472 448 2 646 095 2 496 800 979 900 2 523 500 4 203 500

1403 217 1677750 1226787 1283301 1900321 2 337 906 2 697 770 2 909 831 3 693 715 13 088 600 6 992 900 14 473 500 8 568 400

671 000 508 000 135 900 524 000 646 000 819 000 779 000 4 423 000 592 000 2 277 000 2 925 000 2 398 000 2 787 000

TOTAL ••••••••

1 623 707

25 003 960

66 253 998

19 484 900

Source : S.J.B. 1963, p. internationales 41, S.J.B. 1965, p. i. 44, S. Y.B. 1969, p. i. 47.

permis une relative stabilité des prix, bien faite pour calmer les revendications salariales. Complétée par la dévaluation de 1949 elle avait, d'autre part, sousévalué le DM, ménageant à l'économie une marge pour l'augmentation des salaires et des prix. Le chômage pendant dix ans a poussé les syndicats à la modération. Les progrès de la productivité, l'importance des profits, la nécessité, pour assurer un essor harmonieux des exportations, d'éviter toute interruption de la production, ont incité les entreprises à donner satisfaction aux revendications de salaires plutôt

UNE ÉCONOMIE LIBÉRÉE DES EMPIÉTEMENTS DE L'ÉTAT

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qu'à courir le risque d'un mouvement de grève. Enfin, le niveau de départ des salaires en 1948 étant relativement bas, les hausses ont pu être assez facilement absorbées. A partir de 1960 et surtout de 1963, cette situation a progressivement changé. Le plein emploi a accru le pouvoir de négociation des organisations ouvrières. L'épuisement des capacités de production a contraint le secteur privé à plus de prudence en même temps qu'à un plus grand effort d'investissement. Avec la prospérité retrouvée, l'élévation générale du niveau de vie et la reconstitution de fortunes immenses, le climat psychologique n'a plus été à l'austérité et à l'esprit de sacrifice. Du coup, les augmentations de salaires ont souvent excédé les gains de la productivité 1 et l'inflation, dont les pouvoirs publics donnaient eux-mêmes l'exemple, est devenue menaçante. Le problème des salaires, qui n'avait pas été aigu, s'est trouvé posé dans des termes qui nous sont depuis longtemps familiers et des voix se sont élevées en République Fédérale pour suggérer l'établissement de procédures obligatoires d'arbitrage et réclamer l'élaboration d'une politique des revenus. L'Allemagne et la France, dont les situations économiques se sont rapprochées, sont désormais confrontées avec des difficultés voisines et les réflexions de leurs dirigeants paraissent, dans une certaine mesure, suivre des sentiers parallèles. La stabilisation des salaires en 1967-68, conséquence du choc psychologique créé par la récession et le chômage qu'elle a engendré, ne modifiera pas durablement les données de cette situation.

2. LA LIBÉRATION DES ÉCHANGES EXTÉRIEURS

A l'heure de la réforme monétaire, en juin 1948, l'Allemagne vit depuis plus de dix ans coupée des marchés étrangers. Sa faculté d'exportation est réduite à l'extrême, alors que, divisée et surpeuplée, elle est plus dépendante de l'étranger pour son approvisionnement qu'à aucun autre moment de son histoire. Nourrir une population augmentée d'un tiers, approvisionner une industrie en expansion, équilibrer une balance des paiements lourdement déficitaire, apparaissent comme autant de tâches surhumaines. Conscients de l'immense difficulté de l'entreprise, mais convaincus de son importance décisive, les dirigeants de la République Fédérale mettent tout en œuvre pour permettre à l'économie allemande de retrouver dans le monde, une place dont dépendent à la fois sa survie immédiate et son développement futur. Tous les efforts, tous les sacrifices sont bons au service de cet objectif tenu pour prioritaire, non seulement par les pouvoirs publics mais par le peuple allemand tout entier. L'ouverture et la conquête de marchés étrangers sont élevées. au rang d'un devoir national, dont la réalisation, conduite avec persévérance et méthode, connaît un succès peu commun. 1. Lee, incidences de cette évolution ont été atténuées par l'amélioration, au profit de l' Allemagne, des te1mes de l'échange.

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LA POLITIQUE LI B~RALE EN ACTION

COMMERCE EXTÉRIEUR DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE IMPORTATIONS

EXPORTATIONS

ANNÉES

1952 ....... 1953 ....... 1954 ....... 1955 ....... 1956 ....... 1957 ....... 1958 •...... 1959 ....... 1960 .•..... 1961. ...... 1962 ....... 1963 ....... 1964 ....... 1965 ....... 1966 ....... 1967 ....... 1968 .......

TERMES SOLDE

Total en millions deDM 16 203 16 010 19 337 24472 27964 31697 31133 35 823 42 723 44363 49 498 52 277 58 839 70 448 72 670 70183 81179

Par habitant enDM

Total en millioJ1s deDM

Par habitant enDM

325 318 380 476 538 602 584 659 771 790 869 908 1010 1194 1219 1172 1349

16 909 18 526 22 035 25 717 30 861 35 968 36998 41184 47946 50978 52 975 58 310 64 920 71651 80 628 87045 99 551

339 368 433 500 593 683 694 758 865 907 930 1013 1114 1 214 1352 1454 1655

DE L'ÉCHANGE

(1)

+ + + + + + + + + + + + + + + + +

706 2 515 2 698 1244 2 897 4 271 5 865 5 361 5 223 6 615 3476 6 032 6 081 1203 7 958 16 862 18 372

75,9 82,9 83,6 82,7 83,8 84,4 91,2 93,9 93,7 97,2 100,0 100,8 100,8 100,0 99,5 99,8

••

Source : S.J.B.1968, p. 275, 1969 p. 278, et (1) Jahresgutachten 1968 der SachverstiindigenDrucksache V /3550, p. 156.

**

Chiffre non disponible.

Encore faut-il pour se mettre à l'œuvre, que les autorités disposent des compétences juridiques et de l'instrument monétaire, sans lesquels rien d'utile ne peut être entrepris. C'est chose faite à la fin de 1949. Jusque-là les échanges de l'Allemagne ont été non seulement contrôlés mais encore matériellement dirigés par les puissances occupantes. Ni la réforme monétaire, ni le plan Marshall ne restituent immédiatement à l'Allemagne, la responsabilité de son commerce extérieur. Celui-ci reste dirigé par un organisme angloaméricain, la J .E. I.A 1 , auquel la France adhère. Avec la dissolution de ce service dans les derniers mois de 1949, la République Fédérale retrouve une autonomie de fait, bientôt transformée en compétence de droit. En novembre 1952, la Haute Commission Alliée renonce, en effet, officiellement à ses pouvoirs sur le commerce extérieur et la monnaie ; en septembre 1953 elle prend une décision identique pour les mouvements de capitaux. Quant à l'instrument monétaire, c'est la réforme de juin 1948 qui le forge. Dans l'immédiat après-guerre, les échanges de l'Allemagne avec l'étranger avaient été paralysés faute d'une monnaie remplissant son office. Les taux de change étaient multiples, ce qui compliquait les transactions et décourageait les exportateurs. Ceux-ci préféraient vendre leurs produits en Allemagne aux prix du marché 1. Joint export and import agency.

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noir plutôt qu'à l'étranger à des cours qui, convertis en Deutsche Mark aux taux officiels, étaient dérisoires. La création d'un nouvel étalon monétaire doté d'une parité sur laquelle s'aligne rapidement sa valeur internationale, élimina les difficultés. Libres d'agir, les responsables n'hésitent pas sur la politique à suivre. Dès l'abord leur objectif est arrêté: libérer le commerce extérieur allemand des contraintes contingentaires, douanières et financières qui l'enserrent. Dans aucun autre domaine le libéralisme ne s'impose avec autant de force et de réussite. Rappeler les grandes étapes de ce retour à la liberté, en analyser les motifs, dégager les causes qui en assurent le spectaculaire succès, telles sont les principales questions qui méritent de retenir l'attention. 1° L'Allemagne d'Erhard a successivement éliminé la plupart des obstacles aux échanges que les régimes antérieurs avaient érigés. Le processus a été le même, mais le rythme sensiblement plus rapide qu'ailleurs en Europe. Au départ, seule la voie des accords bilatéraux était ouverte. En 1947, 1948, 1949, les Alliés, puis les responsables allemands, traitent avec de nombreux. pays européens notamment avec la Norvège, le Danemark, la Suède, la Suisse, les Pays-Bas, l'Autriche et la France. A partir de 1949, sonne l'heure de la libération multilatérale des échanges dans le cadre de l'O.E.C.E. L'Allemagne en donne l'exemple. Dès la fin de 1949, elle a libéré son commerce à concurrence de 47%, en 1950 de 60%. La crise de Corée interrompt le mouvement. Mais il reprend dès janvier 1962. Au mois d'août de la même année, le taux de libération atteint 76% et en avril 1963, 90%. En dépit du déficit qui marque ses échanges commerciaux avec les Etats-Unis, l' Allemagne élimine également, quoique progressivement, les restrictions quantitatives qui limitent ses échanges avec la zone dollar. Ayant supprimé l'essentiel des protections contingentaires, l'Allemagne entreprend de réduire sa protection tarifaire. En 1950-1951, elle a remplacé son vieux tarif spécifique par un tarif ad valorem d'un niveau nettement plus élevé. Mais il s'agit surtout d'aborder dans une position de force la coruérence de Torquay, organisée par le G.A.T.T. auquel la République Fédérale adhère. Après quoi, le Gouvernement de Bonn diminue systématiquement ses droits, soit en échange de contreparties négociées, soit unilatéralement pour freiner la hausse des prix intérieurs. Ce désarmement douanier réalisé de propos délibéré et souvent sans chercher à le monnayer est un des exemples les plus frappants du libéralisme de Bonn. L'Allemagne s'attache, enfin, à restaurer la convertibilité monétaire et la libre circulation des capitaux. Elle commence par créer deux secteurs : une zone de libre-convertibilité, comprenant les pays à monnaie forte (zone dollar) et une zone de convertibilité réduite, groupant les pays de l'Union Européenne des Paiements et ceux auxquels l'Allemagne est liée par des accords bilatéraux. Dès 1956-1957, les transferts entre les deux zones ne rencontrent plus guère d'obstacles et lorsque la convertibilité est officiellement décrétée, le 1er janvier 1959, le Gouvernement ne fait qu'officialiser des règles déjà largement appliquées.

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LA POLITIQUE LIB~RALE EN ACTION

Cette progression rapide vers le libre-échange ne comporte qu'une seule interruption, qu'un >, au moment de la guerre de Corée. Les importateurs et les industriels allemands, en procédant à des achats massifs, obligentlesautorités de Bonn à suspendre, de février 1951 à janvier 1952, les mesures de libération déjà prises dans le cadre de l'O.E.C.E. Elles ne s'y résolvent, cependant, qu'à la dernière extrémité, après avoir épuisé, non seulement les droits de tirage de l'Allemagne auprès de l'U.E.P ., mais aussi la qui lui a été accordée. Le fait même que Bonn ait autant attendu pour prendre une décision manifestement inévitable et l'empressement avec lequel, la crise passée, on su,pprime les restrictions qui ont été établies, soulignent à quel point les autorités allemandes sont attachées à l'orientation libérale de leur politique économique extérieure. Cet attachement a, cependant, comporté quelques failles. La plus notable concerne l'agriculture 1 • Les importations de produits agricoles sont restées soumises à un ensemble de restrictions, contingentaires et autres, dont l'objet est de soutenir le niveau des prix et des revenus de la classe paysanne. Exception importante mais, il faut le souligner, à peu près unique à la > de l'économie allemande. Que le libéralisme, en honneur outre-Rhin, puisse s'accommoder, en cas de nécessité, de certains assouplissements, la > promulguée en avril 1961, le confirmerait s'il en était besoin. Ce texte a remplacé la législation introduite par les Alliés en 1946 et qui était restée en vigueur bien que la plupart de ses dispositions aient été progressivement abrogées. La nouvelle loi a mis le droit en harmonie avec le fait. La réglementation ancienne était fondée sur une interdiction générale, tempérée par des autorisations particulières. Le texte de 1961 pose au contraire la liberté en principe. L'article ter est ainsi libellé : «les échanges de biens et de services, les mouvements de capitaux, les règlements monétaires ou autres avec l'étranger ainsi que les transactions en devises ou en or sont en principe libres>>. Principe que les articles suivants permettent, s'il est nécessaire, de vider d'une bonne part de son contenu. Ils prévoient, en effet, deux sortes d'exceptions. Les unes ont une valeur défensive (art. 5 à 7); elles doivent permettre aux pouvoirs publics de réagir contre les pratiques déloyales ou contre les méthodes des pays à commerce d'Etat ; elles peuvent aussi procéder d'un souci politique. Les autres ont une portée nettement protectionniste. L' article 10, en particulier, permet au Gouvernement de prendre des mesures restrictives lorsque l'ensemble de l'économie, certains secteurs ou certaines régions, sont menacés de « dommages sensibles» et qu'il apparaît « conforme à l'intérêt général» de les protéger. Les mesures arrêtées doivent être soumises au Parlement et peuvent être révoquées par lui dans un délai de trois mois. Il reste que la loi de 1961, véritable charte du commerce extérieur allemand, autorise, si les pouvoirs publics jugent nécessaire d'y recourir, des pratiques difficilement compatibles avec les principes libéraux. 1. Les tissus originaires des pays sous-développés et ce1taines marchandises comme les porcelai11es, figure11t aussi au 11ombre des produits protégés.

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De cette faculté, l'Allemagne n'a point, il est vrai, fait usage jusqu'ici 1 • L'agriculture mise à part, elle ne s'est pas écartée d'un libéralisme auquel ne la prédisposaient pourtant ni les expériences du 1118 Reich, ni l'héritage de la République de Weimar, ni même son passé wilhelmien. Aussi peut-on s'interroger sur les motifs profonds d'un choix aussi peu comorme à la tradition allemande. 2° Si rien dans l'histoire de l'Allemagne ne l'incite au libre-échange, la situation de son économie au lendemain de la défaite ne lui laisse guère, en revanche, d'autre issue. La division du pays réduit à néant toute velléité d'autarcie. Ne disposant que de 45% des céréales, de 42% des pommes de terre, de 35% des betteraves à sucre, de 40% du lignite, etc ... produits dans l'ancien Reich, ayant recueilli plus de treize millions de réfugiés sur son territoire, nepossédantqu'unefractiondupotentiel industriel de l'Allemagne d'avant-guerre, ayant perdu une part appréciable de ses débouchés intérieurs, la République Fédérale ne peut regarder que vers l'extérieur. Se suffire à soi-même est un rêve impossible. Le national-socialisme avait tenté de lui donner un semblant de consistance en groupant autour du quadrilatère germano-austro-bohémien, une zone économiquement complémentaire et politiquement subordonnée. Mais le rideau de fer, en ajoutant la division de l'Europe au partage de l'Allemagne, a sonné le glas de ce > cher aux pangermanistes. L'Allemagne ne peut plus espérer pallier les insuffisances de sa production en mobilisant les ressources de ses voisins Polonais, Roumains, Hongrois, Bulgares, Tchécoslovaques. Pour se relever et prospérer, elle n'a d'autre choix que de. s'intégrer au commerce mondial. Le mérite de ses dirigeants et de ses économistes est de l'avoir compris. Le Conseil Scientifique du Ministre de l'Economie dans les avis formulés en 1949, 1950, 1951, à u.n moment où le succès est loin d'être assuré, déconseille formellement de chercher à éliminer le déficit delabalance des paiements par la réduction des importations et le développement de productions intérieures non concurrentielles. Il affirme que l'Allemagne ne trouvera son équilibre économique qu'à un haut niveau de production et d'importation. Cette opinion, largement partagée en Allemagne, correspond aussi au désir de la population qui, emportée par un appétit de consommation et de bien-être, entend tourner le dos aux mythes, comme aux privations, du passé. Ajoutons que, pour frayer des débouchés à ses produits, l'Allemagne doit accepter d'ouvrir son propre marché. Pour exporter, il faut importer, Les exigences de la statégie commerciale rejoignent celles du développement économique. L'intérêt de l'Allemagne, comme jadis celui de l'Angleterre, l'oriente vers le libre-échange. Mais son choix n'est pas seulement le résultat d'un calcul ou le reflet d'un besoin. Pour Erhard, comme pour son Conseil Scientifique, Je libéralisme est un tout, dont les éléments se conditionnent les uns les autres. Si le libre-échange et la division internationale du travail ont des mérites propres, ils ont aussi pour effet d'entretenir et de développer la concurrence sur le marché intérieur, de rendre plus difficile la conclusion d'ententes ou le maintien de situations de monopole. 1. Sauf en 1963 où la République Fédérale met, à l'instigation des Etats-Unis, un embargo sur l'exportation des pipe-lines à destination de !'U.R.S.S. Politique économique de l'Allemagne occidentale.

10

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L'ouverture des frontières est nécessaire au maintien de l'économie de marché. La protection, au contraire, est mère de tous les vices économiques. A l'abri de barrières douanières ou contingentaires, se construisent des positions privilégiées, s' édifient des chasses gardées. Le libéralisme est un bloc ; il ne se partage pas. Ajoutons que le développement des importations a été, jusqu'à l'entrée en vigueur du tarif extérieur commun de la C.E.E., un des instruments préférés du Professeur Erhard dans son effort pour enrayer la hausse des prix intérieurs et l'emballement de la conjoncture. A tous égards, les politiques économiques extérieure et intérieure s'épaulent donc mutuellement. Mais le Gouvernement de Bonn cherche aussi à atteindre des objectifs politiques. En s'associant aux efforts de coopération économique dans le cadre européen et mondial, en participant aux efforts de l'O.E.C.E., du F.M.I., du G.A.T.T., en adhérant à la C.E.C.A. et au Marché Commun, l'Allemagne ne se contente pas de réduire sa protection tarifaire. Elle se « dédouane» politiquement. Mise an banc des nations en 1945, elle refait, grâce à la coopération économique, son entrée dans la communauté internationale et y acquiert, à nouveau, droit de cité. Elle fait la preuve de ses bonnes intentions et de sa bonne foi, rassure adversaires et victimes. 3° Que les dirigeants allemands aient opté pour une politique conforme à leur philosophie économique, aux aspirations de Ja population, aux structures économiques de l'après-guerre, voilà qui, à la réflexion, n'a, en somme, rien de particulièrement surprenant. La République Fédérale est devenue la deuxième puissance exportatrice après les U.S.A., et le troisième pays importateur derrière les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Ses réserves monétaires (or et devises) dépassent 3 milliards de dollars en 1958, lorsqu'elle entre dans le Marché Commun ; elles excèdent 8 milliards de dollars à la fin de 1968. Sa part dans le commerce mondial (11,5% en 1968) 1 est supérieure à celle qu'occupait avant la guerre l'Allemagne toute entière. Sa balance des comptes n'a été déficitaire que trois années sur vingt, en 1950, en 1962 et en 1965. Presque seule en Europe, elle est parvenue à concilier une croissance intérieure rapide et non exempte de tensions inflationnistes avec des excédents extérieurs importants et pratiquement ininterrompus. Lorsqu'on songe aux difficultés où se sont débattues la Grande-Bretagne et la France, on mesure le caractère exceptionnel d'Wle telle performance. Un examen de la structure de la balance des paiements, met en évidence les éléments sur lesquels repose ce succès. Une constatation s'impose d'emblée; c'est le solde positif de la balance commerciale, l'excédent des exportations sur les importations, qui constitue la base de l'équilibre extérieur. La République Fédérale compense grâce à ce solde, passé de 0,7 milliard de DM en 1951 à 8 milliards de DM en 1966, le déficit de la plupart des autres postes de la balance des paiements s. 1. Jahresgutaeh1en 1968 des Schaverstii.ndigen Rates, Bundestag Drucksache, V/3550, p. 32. 2. L'excédent commercial a fait un brusque saut en 1967, 68 et 69. Au cours de chacune de ces deux années, il a dépassé 16 milllards DM, mais il est peu probable que cet accroissement spectacwaire, dft à la récession de 1966-67, soit durable. Il sera, vraisemblablement, entamé par la réévaluation du DM décidée en octobre 1969.

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Il faut noter que ces surplus commerciaux ne résultent pas d'un développement faible ou insuffisant des importations, dont le volume a quintuplé de 1950 à 1962, période pendant laquelle les achats du monde non-communiste ne faisaient que doubler. Ils procèdent de l'extraordinaire dynamisme des exportations, dont l'augmentation a excédé, sauf en 1955, 1962 et 1963, celui des importations et qui constituent non seulement le pilier de l'équilibre extérieur mais aussi un des principaux stimulants de la conjoncture intérieure. A l'actif de la balance commerciale, s'ajoutent, d'autre part, les ventes de biens et de services aux forces Alliées stationnées en Allemagne, versements qui sont loin d'être négligeables pu,isqu'ils atteignent en moyenne quatre milliards de DM par an. Tous les autres postes de la balance des paiements courants présentent en général un solde négatif. Il en est ainsi des services, c'est-à-dire du tourisme, des transports, des commissions, des brevets, des licences, à quoi se sont récemment ajoutés les transferts de fonds des travailleurs étrangers installés en Allemagne (2 milliards en 1965) 1 • Les revenus des investissements enregistrent également un solde négatif en raison des intérêts acquittés au titre des accords de Londres s et parce que les capitaux étrangers investis en Allemagne ont longtemps dépassé les investissements que les ressortissants de la République Fédérale ont eux-mêmes effectués hors de ses frontières. Au passif s'ajoutent, jusqu'en 1965, sous la rubrique de ces entreprises, baptisée outre-Rhin >, devient-elle, à partir de 1953, une des initiatives à grand spectacle de la politique économique de Bonn. A. -

ÛRIGINES ET IMPORTANCE DU SECTEUR PUBLIC

Les entreprises contrôlées par les autorités fédérales ont des origmes très diverses. Les unes furent créées jadis par l'Etat prussien. Animé de préoccupations mercantilistes, il avait voulu, par l'intervention de Ja puissance publique, accélérer la mise en valeur du pays. Il avait, à la fin du x1x 0 siècle, acquis une très importante exploitation charbonnière, Hibernia, ainsi qu'une entreprise d'élec•• tricité, Preussenelektra. Avec la première guerre mondiale, le secteur public prend une nouvelle et sensible extension. Coupée, par le blocus allié, de ses sources d'approvisionnement, l'Allemagne est contrainte de se lancer dans la fabrication de produits de remplacement indispensables à la conduite des opérations. Le Gouvernement s'en charge, créant, notamment, de toutes pièces une industrie de l'azote synthétique. Les préparatüs militaires du Gouvernement Nazi inaugurent une troisième étape, qui verra à partir de 1933 un accroissement, plus marqué encore, des activités industrielles de l'Etat. La politique esquissée en 1914-1918 sous la presc;ion des événements est, méthodiquement développée. Il s'agit de rendre l'Allemagne indépendante des importations de matières premières provenant de pays non soumis à sa domination militaire ou politique. Parmi les initiatives prises, la plus spectaculaire est la création d'un ensemble sidérurgique comprenant les mines de fer du. Salzgitter qui constituera, en 1941, les Reichswerke Hermann Gôring. Les entreprises publiques créées en Allemagne depuis Je début du siècle sont donc moins le reflet d'une volonté arrêtée de l'Etat de > sur l'économie ou de se procurer les moyens de la diriger, que la conséquence d'événements politiques ainsi que d'une orientation autarcique, d'abord subie, puis choisie. Placées sous séquestre allié en 1945, ces entreprises sont rétrocédées au Bund en 1950. Celui-ci se trouve dès lors à la tête d'un domaine industriel considérable. Avec 300 à 400 000 salariés, il est le premier employeur de la République Fédérale après la Bundesbahn, à égalité avec la Bundespost. Il contrôle 55 % du minerai de fer, 70% de l'aluminium, 25% du charbon, 20% de la construction navale et 40% de la production automobile par l'entremise de l'usine Volkswagen, fondée à l'époque du national socialisme, non par l'Etat, mais par l'organisation syndicale officielle du régime, le Front du Travail, pour fabriquer une voiture destinée aux masses populaires. A ces entreprises il faut ajouter celles contrôlées

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par le-, collectivités locales dans des domaines tels que la distribution de gaz, d'électricité et d'eau et aussi, dans le secteur bancaire, les caisses d'épargne, beaucoup plus puissantes et actives qu'en France. B. -

LEs

MOTIFS DU TRANSFERT

Lt! maintien d'un secteur public aussi important n'est guère compatible avec les professions de foi libérales des dirigeants de Bonn. Nombreux sont ceux qui, en Allemagne et à l'étranger, ne se font pas faute de le souligner. Aussi le transfert d'entreprises publiques au secteur privé devient-il, à partir de 1953, un article du programme des chrétiens-démocrates. On doit, cependant, attendre 1957 et l'arrivée à la tête du Ministère du Trésor, chargé de la gestion des biens du Bund, d'un nouveau titulaire, Hermann Lindrath, pour que ces projets entrent dans la voie des réalisations. Dans l'intervalle, la privatisation a revêtu une signification nouvelle. Il ne s'agit plus seulement, ni même principalement, de dénationaliser et de diminuer la place de l'Etat dans l'économie. L'opération projetée, a pris un caractère social et politique. On décide de réserver les actions des entreprises publiques à la grande masse des petits épargnants pour faire accéder ceux-ci à la propriété industrielle. Inspirée de la formule américaine du , actions au petit porteur, ne peuvent être acquises que par des personnes disposant de revenus inférieurs à 8 000 DM pour un célibataire et à 16 000 DM pour un ménage. 2° Personne ne peut acquérir à l'émission plus de cinq actions. 3° CeHes-ci, d'une valeur nominale de 100 DM, sont mises en vente à des cours nettement inférieurs à la valeur réelle de l'entreprise et donc au cours prévisible des actions en bourse, ce qui garantit à l'acheteur un bénéfice immédiat et quasi certain 1 • 4° Comme il est impossible d'interdire la revente des actions sous peine de leur enlever une partie de leur valeur et que J'on entend néanmoins se prémunir contre d'éventuelles manœuvres de rachat, il est décidé que nul ne pourra, aux assemblées générales, disposer d'un nombre de voix supérieur à un miIJième du capital souscrit. On retire ainsi, par avance, tout intérêt pratique à un rachat massif des actions émises. 5° Les ouvriers de l'entreprise dénationalisée bénéficient, en général, d'un traitement privilégié. C'est ainsi qu,e tous les salariés de Volkswagen se voient attribuer gratuitement une action. On votilait ouvrir le feu par un coup d'éclat : la dénationalisation de Volkswagen. Mais les démêlées qui éclatent, quant à leurs droits respectifs, entre le Bund et le Land de Basse-Saxe, sur le territoire duquel sont situées les installations de la firme automobile, obligent Bonn à remettre cette grande opération à plus tard. On se contente dans l'immédiat d'une dénationalisation plus modeste, celle de Preussag qui est réalisée en 1959. Avec 18 000 salariés, un chiffre d'affaires qui atteint 1,3 milliards de DM en 1959, une activité répartie dans trois secteurs - métaux non ferreux, pétrole et houille - Preussag n'en· est pas moins une entreprise importante et d'ailleurs prospère. 300 000 actions nouvelles sont mises en vente dans les conditions indiquées plus haut. Le nombre des acheteurs dépasse largement celui des actions proposées. Satisfait de ce résultat et voulant répondre à la demande, le Gouvernem~nt décide de se dessaisir de 530 000 actions supplémentaires lui appartenant. Le succès de cette première expérience et la conclusion d'un compromis entre Bonn et Hanovre incitent le Gouvernement à reprendre son projet concernant 1. Des réductions supplémentaires de 10 à 20 % sont consenties aux personnes économiquement faibles ou chargées de famille.

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Volkswagen. Il avait été convenu entre le Bund et l'Etat de Basse-Saxe que les deux parties conserveraient chacune 20 % du capital social de Volkswagen, cependant que les 60% restant seraient placés dans le pu,blic, le produit de la vente devant être affecté à une fondation publique chargée de su.bventionner la recherche scientifique et l'enseignement supérieur. Plus encore que pour Preussag, les acheteurs se pressent aux guichets. La première entreprise d'Allemagne, productrice de près de la moitié des véhicules automobiles fabriquées en République Fédérale, passe sous le contrôle de 1500000 petits actionnaires; chiffre record, battu par une seule firme au monde, l' American Telegraph and Telephon Co. La dernière opération est réalisée en 1965. Elle revêt un caractère sensiblement différent. Il s'agit bien encore d'une dénationalisation, et non des moindres, puisqu'elle concerne le plus important des konzerns contrôlés par l'Etat, les Vereinigte Elektrizitats und Bergwerke A.G. 1 , société mère, dont la Preussag avait été une des trois filiales. Les deux autres, Hibernia et Preussen Elektra, employaient ensemble 60 000 salariés et faisaient 3 milliards de chiffre d'affaires. Mais, en l'occurence, le transfert au secteur privé a aussi une arrière-pensée financière. La V.E.B.A. éprouve quelques difficultés à faire face à ses investissements; elle projette, d'autre part, d'absorber la société Hugo Stinnes, important groupe comprenant une cinquantaine d'entreprises à caractère commercial et industriel. La mise en vente d'un paquet d'actions est un moyen commode de se procurer des fonds. On procède d'abord à une massive augmentation de capital comportant l'émission de 3,5 millions d'actions nouvelles. La faveur du public dépasse cette fois encore l'attente et l'Etat, pour répondre à la demande, rajoute 1,5 millions d'actions détenues par lui. L'opération rapporte au konzern la bagatelle de 750 millions de DM d'argent frais. Elle transfère au secteur privé un groupe qui, après l'absorption de Stinnes, emploie 90 000 ouvriers et figure avec Mercédès et Siemens parmi les dix premières entreprises d'Allemagne Occidentale. En 1966, la Lufthansa met en vente, à l'occasion d'une augmentation de capital, un million d'actions nouvelles. Cette initiative ne comporte, cependant, que peu de rapports avec les précédentes. Les actions sont, en effet, cédées à des banques et à des sociétés d'investissement et le Gouvernement conserve la majorité du capital et donc le contrôle de la société.

*** L'aliénation d'entreprises aussi importantes que Preussag, Volkswagen ou V.E.B.A., se heurtait à d'innombrables difficultés dont la moindre n'était pas d'éveiller l'intérêt de couches sociales qui n'avaient jamais détenu d'actions. Atteindrait-on le vaste public auquel on entendait s'adresser? Les nouveaux actionnaires ne se hâteraient-ils pas de vendre leurs titres pour empocher la différence entre le taux d'émission et les cours en bourse ? Bref, parviendrait-on à créer un 1. Plus COJ1J1Ue sous ses initiales V.E.B.A.

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actionnariat populaire stable? Rien n'était moins sûr. L'expérience a montré cependant que les craintes que l'on avait pu nourrir étaient exagérées. Les émissions ont attiré un public considérable et les nouveaux porteurs ont, dans l'ensemble, conservé leurs titres en dépit d'importantes fluctuations des cours en bourse 1 • Le succès technique de l'opération a donc été incontestable. Peut-on, pour autant, parler d'une mutation des structures économiques et sociales de la République Fédérale ? La chose paraît beaucoup plus douteuse. L'Allemagne ne comptait en 1958 que 500 000 actionnaires ; on en dénombre aujourd'hui plusieurs millions. Le capitalisme allemand est-il par-là même devenu «populaire>> "? Il faudrait beaucoup de complaisance pour l'affirmer i. Dans les entreprises dénationalisées, l'organisation des rapports entre la société et la multitude des nouveaux actionnaires a posé des problèmes quasi insolubles. Six mille d'entre eux, munis de provision de bouche, se sont rendu à la première assemblée générale de Volkswagen, la plus importante jamais tenue en Europe. Mais, réu,nie sous la verrière d'un hall d'usine spécialement aménagé pour la circonstance et où régnait, par suite du beau temps, u,ne température torride, l'assemblée dut écarter une série de propositions fantaisistes émanant de l'assistance, avant d'entériner à des majorités massives toutes les propositions sou.mises par la direction. La création d'un bureau spécialement chargé des relations avec les actionnaires, la diffusion d'une feuille d'information mensuelle, la constitution de groupements d'actionnaires dont les représentants siègent au conseil d'administration, n'ont pas réussi à associer réellement les porteurs à la gestion de la firme de Wolfsburg. Le statut juridique de la société a changé. Rien de plus. Si les actions populaires n'ont pas créé l'embryon d'un nouveau capitalisme, ont-elles du moins donné naissance à une nouvelle forme d'épargne? La mauvaise tenue de certains titres et leur faible rentabilité ont suscité quelques doutes sur ce point. On s'est, en effet, demandé s'il y avait intérêt à orienter l'épargne populaire vers des placements aussi aléatoires. Le fait que les actions de V.E.B.A. aient été, peu après leur mise en vente, cotées au-dessous de leur cours d'émission a suscité des remous et sensiblement freiné le zèle de ceux qui proposaient de multiplier les opérations de dénationalisation. De quel poids, d'autre part, pèsent les actionnaires nouveaux que compte aujourd'hui la République Fédérale en face des concentrations industrielles et financières, qui se sont dans le même temps constituées ou développées ? On ne peut s'empêcher, en faisant le rapprochement, de voir dans les dénationalisations effectuées depuis 1959 des initiatives surtout symboliques des manifestations d'intention bien plus que l'amorce d'une évolution réelle des structures du capitalisme allemand. Le démantèlement du secteur public a-t-il, du moins, rendu ces structures plus conformes au modèle libéral ? A peine. Certes, la privatisation est une initiative originale et audacieuse en un temps où il est davantage question de nationaliser 1. Les actions de Volkswagen, émises à 350 DM, atteignirent peu après 1100 DM avant de retomber aux alentours de 400 DM. Leur cours s'est, depuis lors, redressé. 2. Cf. Chapitre IX, pp. 268-269.

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les entreprises privées que de restituer à l'économie de marché celles qui appartiennent au secteur public. Mais la portée réelle des décisions prises semble plus limitée qu'il n'y paraît à première vue. D'abord, parce que le secteur public reste, malgré les mesures qui ont tendu à le restreindre, fort important : ni dans le domaine de la production et de la distribution d'énergie, ni dans celui de la sidérurgie et de l'aluminium, ni dans celui de la construction navale, pour ne citer que quelques exemples, il n'a été le moins du monde réduit. Ensuite, parce que dans les entreprises restituées au secteur privé, l'Etat a conservé une participation qui, bien que minoritaire, lui assurerait s'il voulait en faire usage, une prépondérance de fait. Après le transfert les équipes dirigeantes de ces entreprises n'ont été nulle part écartées des postes de commande qu'elles occupaient. Rien d'essentiel ne paraît donc avoir changé. Peut-on, dès lors, formuler la critique inverse et affirmer que l'Etat, par les .entreprises qui lui appartiennent, pèse sur l'évolution économique et exerce de façon -Occulte un pou.voir de direction qu'officiellement il répudie ? On l'a soutenu. Mais à tort. En vertu de leur statut, les entreprises publiques doivent, en effet, aligner leur gestion sur celle des entreprises privées. Disposition que le Gouvernement a toujours respectée et qui lui interdit de mettre ces entreprises au service de sa politique économique. De plus, l'absence de toute gestion centralisée rend une telle utilisation pratiquement impossible. Ni pour agir sur la conjoncture, ni même pour favoriser l'établissement de prix de concurrence dans des secteurs .à structure oligopolistique - action qui eut été conforme aux préceptes libéraux l'Etat n'a cherché à se servir des entreprises qu'il contrôle. Si la propriété industrielle publique reste contraire aux principes de l'économie de marché, l'anomalie -est plus formelle que réelle. Bref, qu'il s'agisse de l'existence d'un vaste secteur public ou des efforts entrepris pour en réduire l'importance, il semble bien qu'on se trouve, dans un cas comme dans l'autre, en présence de faits et de décisions dont la portée pratique reste, en définitive, limitée.

4. LE REFUS DE LA PLANIFICATION

L'Allemagne est le pays des faiseurs de plans où il est de bon ton d'excommu,nier la planification. Le paradoxe a été fréquemment relevé, mais il est plu,s apparent que réel. Elaborés par les entreprises, les syndicats, l'Etat lui-même, les plans de toutes -espèces foisonnent. En effet, le Gouvernement a doté l'agriculture d'un «plan vert», les transports d'un «plan de quatre ans•, les régions situées en bordure de la zone orientale d'un plan de développement. Quant à l'industrie allemande, -elle fonde, autant et sans doute plus qu'ailleurs, ses investissements et son développement su,r une programmation rigoureuse. Mais ce à quoi la République Fédérale, s'est jusqu'ici refusée, c'est à soumettre la croissance globale de son économie à un plan central établi et imposé

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par les pouvoirs publics. L'administration élabore des programmes lorsqu'elle les juge nécessaires à une action -méthodique; elle rejette, en revanche, toute planification d'ensemble considérée comme inutile, dangereuse et de toute façon incompatible avec le maintien d'une économie de marché. Telle était la doctrine officielle jusqu'à ces dernières années. Mais à mesure que la stabilité monétaire s'est trouvée mise en péril sous l'effet conjugué du plein emploi, des excédents de la balance des paiements et du déficit budgétaire, les responsables allemands ont progressivement admis qu'une intervention plus complète, plus active et mieux coordonnée des pouvoirs publics était nécessaire. Les dangers inverses, engendrés par la récession pendant l'hiver 1966-67, n'ont fait qu'accélérer et confirmer cette évolution. Du rejet de la planification on en est venu à la recherche d'une action > et >. Evolution caractéristique où l'on peut distinguer trois phases : 1° une phase d'indifférence et d'ignorance à l'égard de tout ce qui touche à la planification; 2° une période de discussion intense et de polémique; 3° enfin, l'adoption de certaines techniques jusque-là rejetées. 1° La République Fédérale est un des seuls pays occidentaux dont la reconstruction n'a fait l'objet d'aucun plan. Bonn n'a jamais sérieusement songé, même aux heures les plus sombres, alors que la tâche à accomplir était immense et les moyens disponibles manifestement insuffisants, à fixer des objectifs, à établir des priorités, à définir des progressions. La planification se situe purement et simplement hors de son horizon économique. Un plan à long terme, le >, publié en décembre 1962 dans le grand journal de HambourgDie Welt. L'inflmmce que la France paraît exercer sur les services de la Commission entretient ces alarmes. Son redressement financier et économique a tout à coup assuré à sa politique de > un prestige, une auréole, qui lui avaient fait défaut jusque-là. Erhard affirme avoir détecté dans le mémorandum de la Commission Européenne l'influence de > et son adjoint, le Professeur Müller-Armack déclare à un groupe d'étude de l'Université de Grenoble, en visite à Bonn, qu'il interdira au > l'accès de sa > 1 L'inquiétude qui s'empare ainsi des dirigeants allemands n'est pas seulement le reflet d'une menace venue de l'extérieur, mais aussi l'expression d'un malaise intérieur. Avec les difficultés rencontrées en 1960-61 et la réévaluation du DM, le climat économique est devenu incertain. La crise sévit dans les charbonnages, menace dans le textile et la construction navale, la stabilité monétaire est chroniquement mise en péril, la politique de conjoncture manifestement inadaptée. Pour assurer une croissance sans inflation, les automatismes du marché paraissent insuffisants et des voix s'élèvent, ici et là en Allemagne, pour suggérer que les techniques utiliséef.. par Ja France pourraient bien un jour ou l'autre trouver leur emploi en Allemagne. Notre ambassade est l'objet de nombreuses demandes d'information et nos spécialistes sont invités, aussi bien par le Ministère Fédéral de l'Economie que par divers organi~mes privés, à venir exposer les secrets de leur art. Mais intérêt ne signifie pas approbation. Bien loin de là. Le démon du dirigisme ayant relevé la tête, il fait l'objet d'une attaque en règle. Les défauts de la planification et les motifs pour lesquels il est nécessaire de la rejeter en tant qu'instrument de politique économique sont abondamment développés dans une campagne d'articles et de discours. Il apparaît, au travers de ces discussions, que la principale objection a un caractère émotionnel et une origine historique. La planification reste liée, dans l'esprit des Allemands, aux souvenirs de l'époque hitlérienne. Elle rappelle la pénurie, le marché noir, le rationnement, l'inflation. Elle évoque les années de disette et de malheur.. Elaboré par le Gouvernement, voté par Je Parlement, s'imposant à tous, comment ne se transformerait-il pas en un carcan lourd et contraignant ? La distance qui sépare, chez nous, le droit du fait, les principes de leur application, apparaît fragile dans un pays qui a, plus que le nôtre, le sens de la discipline, le respect de la loi, la conviction innée que tout ce qui procède de l'Etat a force exécutoire. Les Allemands ne font-ils pas, d'ailleurs, preuve de sagesse en se méfiant d'eux-mêmes et en craignant qu'appliquées chez eux dans u,n autre contexte psychologique, nos méthodes ne conduisent à des résultats très diffétents. Les libéraux allemands estiment, d'autre part, que la planification repose sur un postulat erroné, celui de la valeur scientifique des prévisions en matière économique. Les anticipations faites par la C.E.C.A. en 1956, relativement à la consommation énergétique de l'Europe, comme celles du . En s'écartant de ce principe on suscite« des investissements néfastes» et l'on finit par provoquer des crises économiqu,es. La concurrence est indispensable à l'efficacité, comme à l'équilibre du, système économique. Mais elle a aussi, aux yeux du Professeur Erhard, une signification plu,s large. Elle est à la fois le fondement nécessaire de la justice sociale et l'une des bases de la démocratie politique ; > 1 • Aussi n'est-il pas surprenant que la loi de 1957 ait été qualifiée outre-Rhin de ) analogues à ceux qu,i existaient naguère, furent reconstitués, et si les konzern actuels ne correspondent pas exactement à ceux d'hier, le degré de concentration est égal à ce qu'il était avant la guerre. La politique alliée a laissé plus de traces dans l'industrie chimique. La séparation de la I.G. Farben en ses trois éléments constitutifs, ses anciennes > toutes les conventions entre entreprises ou groupes d'entreprises c de nature à agir par une limitation de la concurrence sur la production ou sur le marché des marchandises et des services•· La loi fait appel à la notion d'inefficacité, et non à celle de «nullité•, pour ménager la possibilité d'une validation des cartels «légaux&. Une règle aussi générale ne pouvait, en effet, s'appliquer sans nuances. Dans certaines situations, une limitation partielle ou temporaire de la concurrence peut s'avérer nécessaire. Des exceptions devaient donc être prévues. Elles le furent avec une particulière libéralité, du fait des pressions exercées par les milieux patronaux. Un grand nombre de cartels échappent, en effet, à l'interdit de l'article 1er. 1 ° Les uns, considérés comme anodins, sont valables de plein droit sur simple notification faite à l'Office des Cartels. Il en est ainsi pour les cartels de normalisation et les cartels d'exportation n'affectant pas le marché intérieur. 2° Les autres ne sont autorisés à se constituer que si, dans un délai de trois mois, l'Office des Cartels n'a pas élevé d'objections. Cette catégorie comprend les cartels relatifs aux conditions générales de vente (livraisons, paiement, crédit etc ...), fréquents dans des secteurs tels que le textile et la bonneterie où ils ne font, en général, que codifier des pratiques commerciales largement admises. Elle englobe aussi les , elle ne comporte, en revanche,

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aucune disposition empêchant une entreprise d'occuper ou d'acquérir par voie de fusion, de prises de participation ou par le fait de son propre développement, une position dominante sur le marché. Contrairement à la Federal Trade Comission des Etats-Unis, l'Office des Cartels ne peut, en effet, ni s'opposer à une concentra.. tion, ni prononcer la dissolution d'un konzern. Les moyens qui lui sont donnés, bien qu'ils aient été récemment renforcés, sont fort limités. L'office dispose, en premier lieu, d'un droit d'information. Toutes les fusions ou prises de participation par lesquelles une entreprise vient à contrôler 20 % d'un marché déterminé 1, à acquérir un chiffre d'affaires de 500 millions de DM ou plus, à posséder un bilan d'un milliard de DM ou à compter plus de 10 000 ouvriers, doivent être obligatoirement notifiées. Le Kartellamt peut, si l'importance de la concentration et les menaces qu'elle comporte pour la concurrence le justifient, convoquer les intéressés et les prier de s'expliquer au cours d'une audition publique. On espère par cette procédure, inspirée des concurrentiel ou d'une simple manifestation d'intention, d'un néo-libéralisme conséquent et efficace ou d'une affirmation de principe courageuse mais sans grande portée pratique ? Les années qui se sont écoulées ne permettent pas de trancher de façon définitive. L'expérience reste brève, dans un domaine où les résultats sont nécessairement de longue haleine. On peut, cependant, dégager de l'action menée par le Kartellamt un certain nombre de conclusions. · 1° La première concerne l'Office Fédéral des Cartels, lui-même, son organisation intérieure et son autorité.

LA POLITIQUE DE CONCURRENCE

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Contesté avant que d'exister par un patronat unanime, chargé d'appliquer une loi complexe et contraire à toute la tradition allemande, sa tâche était ingrate, sa route semée d'obstacles. Il est d'autant plus remarquable de constater qu'il a réussi en peu d'années non seulement à acquérir droit de cité, mais à s'imposer outre-Rhin comme une des principales institutions de politique économique 1. La forte personnalité de son président, le Dr. Günther, est pour beaucoup dans ce résultat. Libéral convaincu, autant qu'homme de caractère, il a su donner à l'Office le style et la stature d'une institution de premier plan. Il n'a pas hésité, dans des prises de position publiques, largement reproduites par la presse, à s'exprimer avec une indépendance et une autorité que peu de fonctionnaires possèdent. Ses interventions ont constamment tendu vers un double but : affirmer le rôle de l'Office; faire comprendre et accepter par l'opinion publ:que et les milieux professionnels, les règles et les disciplines de l'économie de marché. Le haut niveau des fonctionnaires dont il a réussi à s'entourer (sur un total de 187 agents, 80 possèdent une formation universitaire) a, lui aussi, servi le prestige de l'institution. A ce succès de > correspond une réussite sur le plan de l'organisation intérieure. L'Office est parvenu, en effet, à résoudre avec bonheur les problèmes délicats que posait la mise en place de ses structures. Un équilibre subtil mais réel a pu être maintenu entre l'autonomie des organes de décision que sont les >, véritables . Le Kartellamt est donc, pour l'essentiel, resté maître de sa jurisprudence. On ne saurait dire pour autant que les points de vue de l'organisme berlinois et ceux du Ministère de l'Economie aient toujours concordé. Des divergences sont, au contraire, apparues en diverses circonstances. On en trouve la trace, généralement atténuée, dans les commentaires dont le Gouvernement Fédéral assortit le rapport annuel de l'Office et où figurent de temps à autre 1. La mise en œuvre progressive, par les instances bruxelloises, des règles de concurrence inscrites dans le traité de 1\.ome ont, cependant, privé le Kartellamt d'llJle partie de son autonomie. Polilique économique de l'Allemagne occidentale. 12

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des appréciations critique5. Elles se manifestent plus nettement dans des cas particuliers où le Gouvernement a imposé, pour des motifs politiques, des positions contraires à celles que préconisait l'Office. Deux affaires récentes méritent, à cet égard, d'être mentionnées. La première concerne la décision prise en 1965, à l'instigation du Gouvernement, par les distributeurs de fuel, de freiner l'accroissement annuel de leurs ventes pour soulager l'industrie charbonnière. Le Kartellamt estima qu'il y avait pratique concertée limitant la concurrence. Le Gouvernement affirma, au contraire, qu'il n'y avait pas entente mais > et qu'au surplus la compétition entre le fuel et le charbon n'était pas . En conséquence de quoi il enjoignit à l'Office de renoncer à poursuivre les· distributeurs de fuel. Une divergence du même ordre s'est produite à propos de l'engagement pris, à la demande du ministre de l'Economie, par les grands magasins, de ne pas ouvrir de succursales dans des villes de moins de 200 000 habitants. Le Kartellamt dut s'incliner devant une décision destinée à protéger le commerce de détail, bien qu'elle fut difficilement conciliable avec les principes qu'il était chargé de faire respecter. L'association de deux firmes de l'industrie électrique, Siemens et Bosch, a, également, donné lieu à des divergences entre le Ministère et l'Office. Ces désaccords ont leur importance. Ils ne paraissent pas, cependant, avoir pesé sur la jurisprudence générale du Kartellamt, ni sérieusement compromis ses rapports avec les autorités fédérales. On retiendra néanmoins que la politique allemande est plus nuancée et plus contradictoire qu'on ne l'admettait jadis à Bonn. La concurrence n'est en définitive qu'un objectif parmi d'autres, nullement assuré de l'emporter lorsqu'il entre en conflit avec d'autres préoccupations, politiques, sociales, voire électorales. Si les relations du Kartellamt avec le Gouvernement Fédéralontété assombries par quelques nuages, ses rapports avec le patronat ont été franchement mauvais. En pénétrant dans l'antichambre du Professeur Günther, le visiteur sait aussitôt à quoi s'en tenir. D'innombrables caricatures extraites de la presse patronale tapissent les murs et soulignent avec humour les obstacles que rOffice et son chef ont rencontrés sur leur route, la méfiance et l'hostilité souvent passionnées que leur action a suscitées. Un changement paraît, cependant, se dessiner depuis quelques années. Sans aller jusqu'à accepter la loi de 1937 et à avaliser ouvertement l'action du Kartellamt, les milieux patronaux semblent moins critiques et paraissent mieux admettre les efforts déployés par l'Office. Cette évolution résulte, en partie, de ce que le Kartellamt, par sa prudence et sa souplesse, a su, au moins en partie, désarmer les préventions et calmer les craintes que sa création avait éveillées. Ce parti pris de mansuétude ne ressort pas seulement des déclarations du Président Günther, mais de la jurisprudence de l'Office, ainsi qu'en témoignent quelques indications chiffrées. Au 31 décembre 1967, sur 357 notifications ou demandes d'autorisation relatives à la constitution de cartels, 21 seulement avaient été rejetées 1 • A la même date, 976 entreprises avaient conclu des conventions de prix imposés pourtant sur 174 992 articles 9, cependant que le nombre des conventions 1. Bericht des Bundeskartellamtes 1967, Deutscher Bundestag Drucksache, V/2841,

2. Dont 70 125 concernent de!.i accessoires ou pièces pour automobiles.

p. 110.

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annulées par l'Office Fédéral, depuis 1958, ne s'élevait qu'à 2 876 1 • Sur un total de 2 066 actions intentées pour comportement abusif, 70 seulement ont conduit à l'interdiction définitive des pratiques incriminées 9 • Enfin, on ne relève que sept cas (sur 4 546 actions) dans lesquels l'Office a requis ouprononcéunepeined'amende pour infraction à la loi 3 • Le moins qu'on puisse dire est que le Kartellamt n'a manqué ni de compréhension, ni de largeur de vues et qu'il a tenu le plus grand compte des> économiques et psychologiques. Partant du point de vue que la loi de 1957 était nouvelle, complexe, contraire aux habitudes allemandes, il a estimé que sa mission était, d'abord, d'informer et d'éduquer, qu'il lui incombait de convaincre plus que de sévir, de persuader plus que de réprimer. La modération a-t-elle confiné à la faiblesse, la tolérance à l'inefficacité '? Certains l'ont prétendu. Il faut rappeler, cependant, que si le Kartellamt n'a pas péché par excès de juridisme, il n'a pas hésité, dans un certain nombre de cas, à intervenir avec vigueur, en dépit de protestations souvent véhémentes. Il faut souligner aussi que l'efficacité de ses interventions a largement dépassé leur nombre. La constitution d'un dossier, l'ouverture d'une enquête ont souvent incité les intéressés à renoncer spontanément aux pratiques incriminées. Il en a été ainsi dans plus de 500 cas où l'Office avait engagé une action pour comportement abusif et dans 1 421 procédures pour infractions'· S'il n'a pas été amené à sévir, c'est donc souvent parce que les entreprises se sont d'elles-mêmes mises en règle avec la loi. Citons un cas récent, celui des compagnies pétrolières qui, pendant l'été de 1967, à la suite de la guerre des six jours entre !'Israël et l'Egypte, avaient relevé les prix de l'essence et les avaient ensuite maintenus à ce niveau malgré la normalisation des conditions d'approvisionnement. L'action intentée contre elles par l'Office les amena à composition: les prix furent réduits en novembre 1967. D'une façon plus générale, il est vraisemblable que la seule existence du Kartellamt, la publicité qui l'entoure, les moyens dont il dispose, ont exercé sur l'économie dans son ensemble un effet de > difficile à mesurer, mais réel. Il n'est pas douteux que sans cet arbitre, sans ce >, le nombre des ententes et des pratiques restrictives serait plus élevé et la concurrence moins développée. De cette réalité, les statistiques ne rendent pas compte. On ne saurait, cependant, la négliger en établissant le bilan de l'activité du Kartellamt. Encore que ce bilan varie grandement selon les domaines considérés. 2° Pour ce qui est des cartels, à l'égard desquels l'Office tenait du législateur des pouvoirs relativement étendus, son action s'est exercée avec une efficacité que souligne le rapprochement de deux chiffres : en 1928-1929, on dénombrait de 2 000 à 4 000 cartels, selon les évaluations; au 1er janvier 1968, à peine plus de 200 cartels avaient reçu l'autorisation de se constituer. 1. Ibid., pp. 9 et 10. 2. Ibid., p. 211. 3. Ibid., p. 214. 4. Ibid., pp. 211 et 214.

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Doit-on conclure que le Go-uvernement a, sur ce plan, pour l'essentiel, atteint l'objectif qu'il s'était assigné ? Un examen attentif conduit à une appréciation plus nuancée. Il n'est guère contestable que l'économie allemande est plus exposée à la concurrence qu'elle l'a été à aucun moment dans le passé et que la cartellisation est en déclin par rapport à l'avant-guerre. Le Kartellamt y est pour beaucoup. Mais d'autres facteurs ont agi dans le même sens. En particulier, l'ouverture des frontières et l'expansion de l'économie. Le libre échange a favorisé l'implantation d'entreprises étrangères sur le marché allemand, où elles se sont attaquées sans ménagements aux situations acquises. Dans le même temps, l'expansion développait chez les chefs dtentreprise des réflexes de croissance plus que de protection, u,n appétit de conquête plu,s que de partage des marchés. La conjoncture économique a donc, autant que l'action du Kartellamt, fait obstacle au développement des ententes. Le nombre réduit des cartels officiellement reconnus ne reflète, dtautre part, que très partiellement le degré réel de cartellisation de l'économie. Parmi les ententes légalement constituées, il s'en trouve qui sont loin d'être inoffensives. II en était ainsi jusqu'en 1967 des cartels du ciment qui existaient avant l'entrée en vigueur de la loi de 1957 et qui avaient réussi à se maintenir malgré les interdits de l'Office grâce à des recours judiciaires successifs 1 • Il en va de même de certains cartels de rabais (notamment ceux qui portent sur le chiffre d'affaires), que l'Office a cru devoir autoriser parce q-u'ils entraient dans le cadre des exceptions prévues par la loi, mais qui réduisent très sensiblement la concurrence dans les secteurs qu'ils affectent (ex. engrais). Au total, 30 à 40 cartels peuvent être considérés comme limitant anormalement la concurrence, bien que leur existence soit conforme à la lettre de la loi. En dehors de ces exceptions légales, il y a le domaine, fort mal connu, des ententes occultes. Ces >, comme on les appelle outre-Rhin, sont des accords que les entreprises passent entre elles sans signer de conventions et qui ont pour objet de tourner la loi. Ils sont, en principe, interdits. En fait, leur statut est imprécis et leur existence difficile po-ur ne pas dire impossible à déceler. Ils ne groupent, en général, qu'un petit nombre d'entreprises, le plus souvent importantes, parfaitement informées des latitudes que leur laisse la législation et capables de ne pas dévoiler leurs engagements. Pour démasquer de telles pratiques, le Kartellamt ne peut guère compter que sur _ses propres moyens d'investigation. Or ceux-ci sont limités. C'est un des points faibles du système. Lorsqu'une instance est officiellement engagée, le Kartellamt peut solliciter directement ou par écrit les informations qui lui paraissent nécessaires et, le cas échéant, prescrire les enquêtes et perquisitions qu'il jugerait utiles. Mais la situation se présente autrement dans l'hypothèse d'un cartel occulte. Avant de recourir à l'arsenal de ses moyens légaux, il doit réunir un faisceau de preuves établis1. Par deux arrêts rendus le 6 janv. et le 17 mars 1967, les tribunaux (le Kammergericht) ont coJ}firmé les décisions prises par le Kartellamt.

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sant une présomption d'infraction et justifiant l'ouverture d'une procédure régu,-lière. Or il est mal armé pour rassembler ces indications. Ainsi ne dispose-t-il pas d'un corps d'inspecteurs pouvant, en permanence, procéder à des contrôles su,r place. Il peut, certes, envoyer en tournées certains de ses agents et il ne s'en prive pas. Mais il s'agit de fonctionnaires de responsabilité, juristes ou économistes, mal préparés à de telles missions. Aussi les contrôles directs, sans être exceptionnels, ne sont-ils pas assez fréquents pour assurer une surveillance efficace. L'Office a aussi la possibilité de mobiliser les services de contrôle des Lander et de faire procéder à des vérifications par leur intermédiaire. Mais les fonctionnaires locaux, ont montré peu de zèle, du moins jusqu'à ces dernières années, à s'acquitter des missions, qui leur étaient prescrites par une autorité lointaine, en fonction d' objectifs souvent mal compris. Il en résulte que le Kartellamt est, en partie, désarmé devant certains types de comportement et devant certaines formes d'ententes qui ne sont pas les moins répandues ni les moins redoutables. Son efficacité, aléatoire lorsqu'il s'agit de grandes firmes habiles à tourner la loi, a paru excessive, au contraire, aux petites et moyennes entreprises qui ont demandé et obtenu que des assouplissements soient apportés aux principes posés en 1957. Ceux-ci, a-t-on souligné, privent les firmes modestes du seul moyen qu'elles puissent utiliser pour résister aux grandes, celui de l'association et de la coopération, dans le même temps où concentrations et fusions se développent librement. On pénalise donc les faibles au profit des forts. Tenant compte de ces arguments et surtout des pressions politiques qui les accompagnaient, le gouvernement a publié en 1963, un Manuel de la coopération 1 où sont exposées les diverses possibilités d'accord qu'autorise la loi de 1957. Il s'est, ensuite, décidé à amender la loi pour faciliter la création de certaines ententes, en particulier des cartels de spécialisation. Cet amendement s'inscrit au. demeurant dans une évolution plus générale. Considérée, à l'origine, comme un danger majeur, la cartellisation fait aujourd'hui l'objet d'appréciations plus nuancées. La situation de l'économie, le développement de la concurrence étrangère, la font juger moins menaçante que naguère. On estime qu'elle peut même, dans certains cas, s'avérer utile. S'inspirant des thèses de Galbraith sur les plus importants représentait, en 1960, 38,8 % du chiffre d'affaires total de l'industrie allemande. Mais, en rapprochant ces données de celles qui caractérisent l'économie d'autres grands pays, l'enquête met en évidence la taille comparativement modeste des entreprises a!lemandes. On ne trouvait, en effet, en 1960, que treize firmes allemandes dans le palmarès des cent plus importantes au plan mondial, la première d'entre elles, Volkswagen, n'occupant que le 35° rang, avec un chiffre d'affaires égal au seul bénéfice de la plus grosse société américaine, Général Motors. Même constatation dans un secteur traditionnellement aussi concentré que la chimie où les entreprises allemandes se classaient respectivement 88 (Bayer), 12° (Hoechst) et 148 (Badische Anilin). Dans l'électronique, l'Allemagne n'occupait que la 6° place avec Siemens et dans la sidérurgie la 158 place avec Thiessen 1 • Les milieux industriels et le Gouvernement se sont fondés sur ces chiffres pour affirmer que le processus de concentration n'avait rien d'anormal, ni d'inquiétant et qu'il n'était point besoin de mesures spéciales pour l'endiguer. Conclusion rassurante, mais, pour le moins, hâtive. Les données réunies par la Commission d'enquête ne permettent pas, de par leur nature même, de se prononcer sur l'existence ou l'absence d'une concurrence dans les différents secteurs de l'économie. Certaines précisions, notamment celles relatives au secteur bancaire, suggèrent, en outre, que des liens, noués par l'intermédiaire des grands établissements de crédit, existent entre les principales entreprises des différentes branches, rapports dont les conséquences économiques ou commerciales sont impossibles à mesurer, mais qui ne peuvent que faciliter les > et les fusions. Cette influence, les banques, notamment les trois plus grandes (la Deutsche Bk, la Kommerz Bk, la Dresdner Bk) l'exercent moins comme collecteurs d'épargne et pourvoyeurs de crédit, domaines où elles sont concurrencées et distancées par les caisses d'épargne, que par leur emprise directe sur le capital social d'un grand nombre d'affaires. Encore ce contrôle ne résulte-t-il qu'accessoirement de participations directes: les banques ne détenaient que 4,9% du capital des sociétés cotées en Bourse. Il découle, pour l'essentiel, de la disposition du droit allemand I qui permet aux banques de représenter leurs clients aux assemblées générales des sociétés dont ils sont actionnaires. Le rapport révèle que 75 % du capital social de 427 so1. Il convient de noter que ce cJac;sement est antérieur aux fuslonc; qui ont eu lieu ces dernières années, notamment dans les industries éJectro-techniques et sidérurgiques. 2. Depotstimmrecht.

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ciétés (représentant les 3 /4 du, capital social des sociétés cotées en bourse) était, en 1960, contrôlé par les banques; sur ce total, la part des était de 70%. Aussi le rôle des banques dans les assemblées générales est-il considérable. On le mesure, entre autres, à leur représentation dans le conseil d'administration des grandes firmes. Un tiers des membres des conseils de surveillance et la moitié des présidents de 312 sociétés étaient désignés par les banques, la part du lion revenant, là aussi, aux >. L'influence de ces trois instituts était encore accrue par la place qu'elles occupaient dans les émissions sur le marché financier, dont elles assuraient la direction dans 74% des cas. L'influence exercée par les banques n'est pas, d'ailleurs, à sens unique. Les liaisons personnelles sont réciproques. Ainsi, la moitié des membres des conseils d'administration des trois grandes banques étaient désignés par des groupes industriels appartenant aux cents plus importants d'Allemagne. Des connexions de toutes sortes existent donc par l'intermédiaire des banques entre les grandes entreprises de la plupart des secteurs. Vieille tradition allemande, que ni la défaite, ni ladéconcentrationn'ontsensiblementinfléchie. Ajoutons que, depuis 1960, la concentration s'est très sensiblement et très rapidement développée outre-Rhin. Le nombre des fusions annuellement notifiées à l'Office, est passé de 15 en 1958, à 38 en 1962, 50 en 1965 et 65 en 1967. L'industrie électro-technique, chimique, automobile, ainsi que celle des machines, figurent en tête du mouvement. Si celui-ci n'a pas mis en péril l'existence des entreprises moyennes et petites, dont le nombre a, au contraire, tendance à s'accroître, il ne s'ensuit pas qu'il soit sans danger pour la concurrence, du, moins dans certaines branches. Dans son rapport pour l'année 1965, l'Office a fait état du développement de structures oligopolistiques dans l'économie allemande et montré les périls d'une telle évolution. Se fondant sur des analyses qui lui sont propres, mais qui tiennent compte de la structure des marchés et du comportement des entreprises, il a estimé qu'il existait, pour près de 75 >, des indicesrévélantunesituationnormale. Parmi ces secteurs, figureraient les huiles minérales, les cigarettes, les détergents, la margarine, l'industrie pharmaceutique, les matières plastiques, certains accessoires pour automobiles, l'aluminium, etc ... La mise sur pied au sein de l'Office d'une section spécialisée dans les problèmes de > ? Existe-t-il une sorte de concertation occulte, un dirigisme privé, assumant en fait les responsabilités que les pouvoirs publics répudient officiellement au nom de leurs principes libéraux ? Rien sur la base des indications disponibles ne permet de formuler un jugement aussi catégorique. Les liens personnels et les imbrications bancaires existent et ils ont, nous l'avons souligné, leur importance. Mais nul ne peut dire dans quelle mesure et dans quels secteurs ils conduisent à des limitations concrètes de la concurrence. Un examen beaucoup plus détaillé serait nécessaire, que nul, jusqu'à présent, n'a entrepris. Aussi, la thèse selon laquelle l'économie allemande serait entièrement cartélisée et dirigée pat un petit nombre de responsables, de capitalistes et de banquiers n'apparaît-elle guère plus

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solide que l'affirmation inverse, d'après laquelle la République Fédérale serait la terre d'élection de la libre concurrence.

La politique de Bonn, lorsqu'on l'analyse de près, apparaît, en définitive plus complexe, plus contradictoire et plus évolutive qu'il ne semble au premier abord. Il n'est point question de sous-estimer la portée de la loi de 1957 ni la signification qu'a revêtue la création d'un Office Fédéral des Cartels. Les prises de position du Gouvernement, à l'occasion des débats qui précédèrent et accompagnèrent l'adoption de la loi, l'audience que s'est acquise le Kartellamt ont beaucoup fait pour accréditer dans l'esprit du, public les mérites de l'économie de marché et les bienfaits de la concurrence. Jadis peu répandues en Allemagne, ces idées ont progressivement acquis droit de cité et sont désormais considérées par l'ensemble de l'opinion comme les fondements de l'ordre économique. Facilitée par les succès remportés depuis 1948, comme par le mauvais souvenir des politiques pratiquées dans le passé, cette mutation est un fait capital et, autant qu'on en puisse juger, durable. L'idée de concurrence s'est aussi, dans une assez large mesure, inscrite dans les faits. En dépit de ses lacunes et de ses défauts, la loi de 1957 a incontestablement contribué à réduire le nombre et l'importance des cartels. De même, peut-on estimer que l'existence et l'action de l'Office ont empêché ou préventivement découragé certaines pratiques restrictives ou discriminatoires auxquelles, en l'absence de tout contrôle, eussent été tentées de se livrer les entreprises maîtresses du marché. D'autres aspects de l'action gouvernementale ont joué dans le même sens et avec une efficacité souvent plus grande. Il en est ainsi, notamment, de la politique économique extérieure qui a systématiquement "déprotégé" le marché allemand et l'a ouvert à la concurrence étrangère. Justice étant ainsi rendue à l'action du Professeur Erhard, force est de constater que l'établissement d'un ordre concurrentiel n'a pas été la règle exclusive de sa politique, ni de celle de son successeur, tant s'en faut. Les libéraux seront fondés, tout d'abord, à dénoncer les concessions faites lors du vote de la loi de 1957. Deux laclU]es apparaissent comme particulièrement graves. La première est relative aux conventions de prix imposés. La seconde, concerne la concentration. Les modifications récemment apportées à la loi de 1957 ont précisé et quelque peu renforcé les pouvoirs de l'Office à l'égard des entreprises· > ; mais ces changements sont restés en deçà de ceux que le Président du Kartellamt estimait nécessaires et ne laissent guère présager une action efficace. L'hésitation du Gouvernement est, d'ailJeurs, apparue clairement, lors de l'enquête sur la concentration, pourtant décidPe à sa demande par le Parlement. En refusant à la Commission les moyens d'investigation qui lui eussent permis de travailler utilement et en s'empressant de tirer d'un rapport sans grande signification des conclusions par trop rassurantes, iJ a montré qu'il n'avait jamais eu réellement le désir de contrôler et, a fortiori, d'enrayer le développement de la concentration. Divers aspects de sa politique ont concouru, au contraire, à accélérer et à

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favoriser ce processus. Il en est ainsi, en particulier, de la réglementation fiscale, sur l'incidence de laquelle le rapport de la Commission d'enquête a donné d'intéressantes précisions. Plusieurs dispositions, introduites après la guerre et d'ailleurs supprimées en 1958, ont, pendant une dizaine d'années, favorisé l'autofinancement et ainsi facilité la concentration : exonération des bénéfices non distribués ; loi sur la conversion des bilans en DM, amortissements spéciaux autorisés dans certains secteurs etc ... Ces faveurs exceptionnelles s'ajoutaient à d'autres avantages plus anciens, dont certains ont d'ailleurs été récemment abrogés. Le plus important dérivait de la taxe sur le chiffre d'affaires 1 • Perçue lors de chaque transaction, son incidence variait selon qu'un même produit changeait ou non de mains, aux différents stades de sa production. La prime fiscale donnée aux entreprises intégrées, avait été étendue en 1958 aux. Si, pour les ordo libéraux, l'essentiel est de forger le , elle fait partie des interventions dans le «processus», acceptées par la plupart d'entre eux. L'accord, en revanche, ne s'est pas fait sur le contenu et les moyens de cette politique. Les uns, comme Eucken, craignent par dessus tout l'inflation. Profondément hostiles aux thérapeutiques keynésiennes, ils prescrivent une rigoureuse neutralité de la monnaie, dont ils ne veulent à aucun prix qu'elle devienne un instrument de la politique économique. Ferme dans ses mises en garde, Eucken reste malheureusement fort vague dans ses recommandations. Après avoir analysé suggestions et plans, il ne formule aucune règle d'action. Les autres, dont Müller-Armack, sont moins restrictifs ou, si l'on veut, plus modernes. Pour eux, comme pour Eucken, la politique monétaire doit avoir la stabilité pour objectif premier. Mais ils concèdent qu'elle doit aussi assurer le plein emploi. Le rôle qu'ils lui assignent, la liberté qu'ils lui laissent, sont, de ce fait, sensiblement plus larges. Le Professeur Erhard se situe dans le camp des premiers. Tout en attribuant à la politique de conjoncture un rôle décisif, il lui a obstinément refusé les moyens qui eussent pu la rendre efficace. Il n'a, cependant, péché ni par manque de confiance en soi, ni par versatilité.

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Sa préoccupation dominante n'a pas varié. L'inflation, évocatrice de tant de mauvais souvenirs, n'a pas cessé d'être pour lui le mal suprême et la défense de la monnaie, une nécessité absolue. Résolu dans son dessein, il a cependant fait preuve de timidité dans l'action. Il n'a voulu faire usage d'aucun des leviers que fournissent au gouvernement les tinances publiques : volume des dépenses, fiscalité, excédent ou déficit budgétaires. Mais, dans le temps où il répudiait ces instruments, ceux sur lesquel~ il se reposait, perdaient peu à peu leur efficacité. L'entrée de la République Fédérale dans le Marché Commun la priva de son autonomie tarifaire et ne lui permit plus de peser sur la conjoncture par l'abaissement de ses droits de douane. Parallèlement, la convertibilité monétaire et la libre circulation des capitaux émoussaient les armes de la Banque Centrale sur qui le gouvernement s'était, en fait, déchargé du .soin d'assurer la stabilité. Enfin, tout en s'obstinant à ne voir dans les dépenses budgétaires qu'un moyen de faire face aux responsabilités de la puissance publique, le ministre de l'Economie (et plus tard le Chancelier) consentit à leur accroissement en même temps qu'il acceptait de· réduire le taux du prélèvement fiscal. De sorte que les Finances pub1iques, bien loin d'être , devinrent un puissant facteur d'inflation. Mais ces erreurs n'apparurent qu'à l'usage. Pendant les dix premières années, la tâche fut relativement simple. Les objectifs intérieur (lutte contre ]'inflation) et extérieur (reconquête des marchés étrangers) étaient concordants. La stabilité des prix était indispensable au développement des exportations et à l'équilibre de la balance des paiements. En travaillant à l'une, il contribuait à l'autre. Les deux préoccupations dominantes du gouvernement convergeaient. L'économie allemande disposait, en outre, de ressources humaines et industrielles inemployées qui permettaient à l'expansion de se développer sans exercer de pressions excessives sur les prix. A partir de 1955 et surtout de 1959, la situation changea. Longtemps souhaités, les excédents commerciaux devinrent structurels et, par leur ampleur, engendrèrent des périls croissants: tensions inflationnistes à ]'intérieur, perturbations du.système monétaire international, à l'extérieur. Nou,s avons exposé l'origine de ses surplus: importance, (plus grande qu'à l'étranger), attachée en Allemagne à la stabilité monétaire ; accroissement plus rapide de la productivité ; évolution favorable des termes de l'échange; structures de l'industrie allemande. La République Fédérale s'efforça de limiter l'afflux des devises et de réduire les surplus de la balance des paiements. Mais elle ne voulut pas pour autant renoncer à la stabilité sacro-sainte de la monnaie. Le malheur fut qu'en freinant la hau,sse des prix, elle favorisait exportations et excédents. Ceux-ci, générateurs de liquidités, contrariaient les mesures restrictives prises par la Banque Centrale. Objectifs internes et externes devinrent contradictoires. Dans le même temps, le plein emploi, d'une part, le déficit budgétaire, de l'autre, accroissaient les tensions inflationnistes au sein de l'économie. De sorte que la nécessité se fit jour, pour restituer à la politique de conjoncture l'efficacité qu'elle avait perdue, d'élargir considérablement l'éventail de ses inter-

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ventions. Pour répondre à ce souci la loi du 8 juin 1967 >.

1. LES MOYENS DE LA POLITIQUE DE CONJONCTURE

La politique anticyclique pratiquée par l'Allemagne Occidentale pendant près de vingt ans a été dominée par un contraste surprenant. D'un côté, un arsenal à peu près complet de moyens monétaires modernes mis à la disposition de la Banque Centrale qui en a fait largement usage. De l'autre, l'absence de toute action systématique de la part des pouvoirs publics, dont le principal instrument, les finances publiques, reste inutilisé 1 • De cette situation est né un déséquilibre que, ni les appels à la modération lancés par le Professeur Erhard à l'opinion publique, ni le maniement épisodique des droits de douane, n'ont suffi à compenser et qui explique les insuffisances et les déboires d'une politique dont l'influence directe sur l'évolution économique est demeurée, en définitive, restreinte. A. -

LES INSTRUMENTS MONÉTAIRES

La responsabilité de la politique monétaire incombe à l'institut d'émission, la Bundesbank, à qui la loi a concédé une large autonomie. a) Organisation de la Bundesbank.

A vrai dire, l'indépendance de la Bundesbank est moins marquée que ne l'était celle de l'institution qui l'a précédée. Jusqu'en janvier 1958, l'Allemagne a, en effet, possédé sous le nom de , cette obligation ne vaut que dans la mesure où elle est compatible avec la tâche propre de la banque qui, selon la brève définition qu'en donne la loi, consiste à > 2 • Aussi des dispositions sont-elles prises pour faciliter la collaboration entre la banque et le Gouvernement. L'institut d'émission doit 1. Juridiquement les nominations sont faites par le Président de la République ; en fait il entérine les choix du Gouvernement. 2. La Banque Centrale a la responsabilité de la politique monétaire; mais c'est au Gouvernement qu'il appartient de fixer le taux de change.

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conseiller celui-ci sur les questions importantes de politique monétaire et son président est convié aux délibérations du Cabinet relatives à ces problèmes. Les membres du Gouvernement Fédéral peuvent, de leur côté, participer aux délibérations du Conseil 1 • Ils ne possèdent pas le droit de vote, mais ils ont la possibilité de présenter des motions et de demander que les décisions du Conseil soient différées de deux semaines. Quant aux moyens dont a été dotée la Bundesbank, ils tiennent compte des recherches et des expériences récentes sur les problèmes monétaires. Ils forment un arsenal qui, à quelques exceptions près, est efficace et complet. La Bundesbank agit sur la masse monétaire par l'influence qu'elle exerce sur la liquidité du système bancaire et, partant, sur le volume du crédit distribué par les banques. Cette action se manifeste, soit indirectement par la politique de réescompte et d'open market, instruments traditionnels mais renforcés par l'institution de plafonds de réescompte, soit directement par la politique des réserves obligatoires, reprise des enseignements de Keynes et de l'expérience américaine.

b) Le réescompte 9.

La loi du 26 juillet 1957 reconnaît à laBundesbankle droit que possédaient déjà ses devancières, laB.d.L. et la Reichsbank, d'acquérir ou de céder des effets privés ou publics à trois mois aux taux fixés par elle. EIJe peut aussi accorder pour une durée de trois mois au plus, contre mise en gage de titres, des prêts productifs d'intérêt dits > - c'est-à-dire la politique du taux et des plafonds d'escompte a-t-elle été presque toujours complétée par d'autres mesures affectant les disponibilités bancaires. La loi sur le crédit (« Kreditwesengesetz >>) de 1934 avait soumis les banques à l'obligation d'entretenir auprès de la Reichsbank des réserves égales à un certain pourcentage de leurs engagements. Mais la signification de cette prescription n'était pas du tout celle que revêt depuis 1948laréglementationrelative aux a assumé avec conviction et indépendance la mission qui lui était ainsi confiée. Ne cédant ni aux injonctions du Gouvernement, ni aux critiques des dirigeants de l'industrie, ni aux pressions syndicales, elle a fait pleinement usage de~ moyens mis à sa disposition. Le bilan de son action n'en est pas moins décevant. Si l'Allemagne a connu jusqu'en 1965 une expansion plus rapide et une stabilité mieux assurée que la plupart de ses voisins, il faudrait une singulière complaisance pour en attribuer 1. Appelée par dérision • Seelenmassage •• littéralement le massage des âmes.

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le mérite à l'institut d'émission, dont la politique a connu plus de déboires qu'elle n'a remporté de succès. Les difficultés rencontrées par la Bundesbank ont été croissantes. 1° Jusqu'en 1958, l'absence de tensionssérieuses(misesàpartcellesprovoquées par la guerre de Corée) a pu faire croire à l'efficacité, au moins relative, des mesures prises. En réalité, la croissance harmonieuse de ces années ne devait pas grand chose à la poJitique monétaire et presque tout à des facteurs économiques, humains, internationa-ux, sur lesquels l'institut d'émission n'avait pas d'action. 2° La fin de la période de reconstruction, le rétablissement, à partir du 1er janvier 1959, de la convertibilité monétaire et de la libre circulation des capitaux, a marqué le début d'une phase nouvelle. Les excédents de la balance des paiements et l'afflux des capitaux étrangers accroissent les pressions inflationnistes et paralysent les initiatives stabilisatrices de la Banque Centrale. Pour sortir de l'impasse, l'Allemagne est contrainte de réévaluer le Deutsche Mark, le 6 mars 1961. 3° La diminution, puis la disparition des surplus extérieurs, en 1964-1965, restituent à la politique monétaire une prise sur l'économie. Mais elles ne lui confèrent pas, pour autant, l'efficacité recherchée. L'augmentation des dépenses publiques et le déficit budgétaire prennent le relais de l'inflation > par lequel elle s'engagent > ; quelques semaines plus tard, elle consentent à réduire ces mêmes crédits d'un milliard de DM en trois mois. De sorte, que pour faire face à la crise déclenchée par la

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guerre de Corée, la plus sérieuse de cetté première décennie, l'Allemagne est obligée de s'écarter des voies du libéralisme, aussi bien sur le plan commercial, où elle rétablit le contingentement des importations, que sur le plan monétaire, où la Banque Centrale recourt à des techniques peu orthodoxes. 4° On objectera peut-être que les résultats atteints sont brillants. Il n'est point question de le contester, mais d'en attribuer le mérite à des facteurs économiques et humains largement indépendants de la politique pratiquée. Nous avons déjà traité du plus important d'entre eux, le fait que l'économie allemande a disposé, jusque vers 1958-1960, d'un potentiel de production incomplètement utilisé ou facilement extensible : instaUations endommagées par la guerre, mais récupérables ; main-d' œuvre inemployée, mais peu exigeante et composée d'éléments qualifiés. Aux brusques accroissements de la demande, l'économie; et singulièrement l'industrie, répondent non par des hausses de prix, mais par des augmentations de production spectaculaires. Immédiatement après la réforme monétaire, de juin à décembre 1948, la production globale s'élève de l'indice 54 à l'indice 79 (base 100 en 1950). Après le déclenchement de la guerre de Corée, de juillet à novembre 1950, l'augmentation est de 25 %- En 1955, le produit national brut s'accroît en un an de 11 %, et en 1960 à nouveau 11 %- De telles performances témoignent de la souplesse d'une économie qui possède une importante marge de développement et qui, de ce fait, « encaisse» les à-coups de la conjoncture en les amortissant. Si donc l'Allemagne a, mieux que d'autres, maîtrisé l'art difficile de l'expansion dans la stabilité, c'est peut~tre moins à cause du génie de ses dirigeants que parce qu'elle a, pendant longtemps, possédé des atouts dont elle était seule, en Europe Occidentale, à disposer. Ce qui est vrai de la capacité de production vaut aussi pour les salaires dont le niveau de départ est bas. Retard, qui ne sera que très progressivement rattrapé. La relative modération des syndicats, entretenue par le chômage, freine la hausse des rémunérations et contribue au maintien de la stabilité, notamment après la réforme monétaire et lors de la guerre de Corée. Parmi les éléments qui jouent un rôle stabilisateur, il faut enfin, mentionner l'excédent budgétaire. Mais, lui aussi malgré les apparences, peut difficilement être inscrit à l'actif des autorités de Bonn. Nous avons indiqué pour quels motifs les responsables allemands renoncent à faire des finances publiques un instrument de leur politique économique. Si le budget exerce, néanmoins, une action importante et heureuse, c'est pour des motifs indépendants de leur volonté. A partir de 1952 et plus encore en 1956 et 1957, le Bund accumule des excédents considérables de trésorerie, dont les origines sont diverses : frais d'occupation puis de stationnement, incomplètement utilisés par les Alliés mais qui, étant dus, ne peuvent être affectés par Bonn à d'autres usages; crédits dégagés pour le réarmement et dont la consommation s'avère plus lente qu'il n'avait été prévu; accroissement rapide des rentrées fiscales du fait de J'expansion économique. A quoi il faut ajouter l'influence personnelle du ministre des Finances, Fritz Schaeffer, qui sousévalue les recettes, sur-estime les dépenses et amasse ainsi un trésor, baptisé

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LA POLITIQUE LIB~RALE EN ACTION

>. Il ne s'agit, cependant, ni dans son esprit, ni dans celui du, Gouvernement Fédéral d'exercer une action sur la conjoncture. M. Schaeffer s'en explique devant le Parlement en 1955 lors du débat budgétaire. «Le ministre des Finances doit préciser>>, indique-t-iJ, , un arrêt pour certains types de constructions. Ces mesures ont des effets techniques heureux; mais leur influence sur le niveau général de l'activité économique est peu sensible. Les décisions de la Bundesbank, de leur côté, pour si énergiques qu'elles soient, ne réussissent pas à resserrer véritablement le crédit qui s'est, au contraire, développé, alimenté par un afflux important de liquidités nouvelles. Les unes proviennent du rappel par les banques de leurs fonds à l'étranger, de la diminution de leurs achats de valeurs mobilières et d'un recours accru au réescompte de la Banque Centrale. Les autres - plus considérables - procèdent des excédents de la balance des paiements et de l'arrivée massive de capitaux étrangers. Ceux-ci affluent en Allemagne, attirés par les taux d'intérêt élevés imposés par l'institut d'émission 1 , dont les mesures restrictives s'annullent ainsi elles-mêmes. Leur inefficacité est manifeste et le sentiment s'accrédite que l'Allemagne sera tôt ou tard contrainte de réévaluer, perspective qui déclenche des achats spéculatüs de Deutsche Mark. Aussi la liquidité des banques et, partant, leur capacité de consentir des crédits se reconstituent-elles à mesure que l'institut d'émission cherche à les éponger. D'octobre 1959 à octobre 1960, alors que les restrictions imposées par la Bundesbank jouent à plein, les crédits à court terme augmentent de 5 milliards de DM, dont une fraction non négligeable sert au financement d'investissements. La circulation monétaire de son côté augmente de 3 milliards de DM. Il apparaît à l'évidence, que la politique suivie n'a d'autre effet que d'accroître les excédents de la balance des paiements et de contribuer à la désorganisation du système monétaire international. Le 10 novembre 1960, les dirigeants de la Bundesbank sont forcés d'admettre leur impuissance; ils abaissent le taux de l'escompte, modifiant ainsi l'orientation de leur politique. 4° Il ne restait plus dès lors qu'une issue : la réévaluation. Plusieurs mois s'écoulent, cependant, avant que le Gouvernement ne se résigne à une décision, attendue par certains, mais vivement combattue par d'autres. Dès 1957, le (Wirtschaftsrat) siégeant auprès du Ministère de l'Economie, avait préconisé un relèvement du taux de change. Mais son rapport demeure secret et n'est publié qu'après la réévaluation. Des économistes, en particulier Ropke et Hahn, avaient de longue date conseillé un réajustement monétaire. Analysant la situation de l'économie allemande, ils avaient montré que la sous-évaluation du DM stimulait artificiellement les exportations, dont le développement était créateur de monnaie et donc générateur d'inflation « importée». Leur démonstration avait convaincu le Professeur Erhard, mais non le patronat. L'industrie redoutait qu'une modification de la parité 1. Qui est obligé d'échanger en DM les devises qui lui sont présentées.

LA POLITIQUE DE CONJONCTURE

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monétaire ne compromette la capacité concurrentielle des exportations allemandes, dont la part ne cessait de s'accroître dans le chiffre d'affaires des entreprises. Quant à la Bundesbank, elle avait été, elle aussi, longtemps hostile à la réévaluation. Elle a exposé ses raisons dans le rapport mensuel de mars 1961 : {< Il faut comprendre>>, expliquait-elle, > tant en fonction d'une appréciation économique globale que des options («Orientierungsdaten >>) prises par le Gouvernement. On peut se demander ce qu'il reste, dans ce schéma, du libéralisme. Essentiellement un refus : celui des interventions directes, des mesures individuelles, des intrusions dirigistes dans le fonctionnement des entreprises. L'action des pouvoirs publics ne s'appliquera qu'au cadre de leurs décisions, non à ces décisions elles-mêmes. Elle ne devra, sous aucun prétexte - point que les débats parlementaires ont mis en lumière - fausser les mécanismes du marché. C'est donc au niveau des techniques et des moyens que se situe la préoccupation libérale ; techniques que l'on souhaite macro et non micro-économiques ; moyens que l'on veut généraux et non particuliers. Il n'est pas jusqu'à l'analyse économique à laquelle on ne prescrive de limiter ses études et ses projections aux quantités globales, à l'exclusion de toute exploration sectorielle. On espère de la sorte concilier la nécessité d'une direction d'ensemble, exercée au niveau des grandes variables économiques, et les bienfaits > de la concurrence, du marché et de l'initiative privée. Combinaison dont il reste à savoir comment elle se traduira dans les faits, mais qui est conforme, pour l'essentiel, aux préoccupations etauxenseignements de l'école de Fribourg.

LA POLITIQUE DE CONJONCTURE

205

3° Analyse de la loi. a) L'article 1er définit les objectifs généraux et le cadre assignés à la politique économique et financière du Bund et des Lander. qui appellent, eux aussi, une révision des conceptions initiales du Professeur Erhard. Bienfaisantes dans la période de reconstruction, celles-ci se sont avérées, en définitive, insuffisantes et partiellement inadaptées aux exigences à long terme de la société industrielle moderne.

CHAPITRE VIII

LE FINANCEMENT DES INVESTISSEMENTS

L'ÉCONOMIE allemande disposait au moment de la réforme monétaire d'un double acquit : des équipements relativement modernes qui avaient été endommagés mais aussi développés au cours de la guerre; un capital humain multiplié par l'arrivée des réfugiés. La qua1ité de la main-d'œuvre, la valeur des chefs d'entreprise, le niveau général de l'instruction étaient des atouts impossibles à chiffrer et cependant décisifs. Mais ce patrimoine matériel et intellectuel ne pouvait être mis en œuvre sans des investissements massifs, nécessaires pour réparer les dommages causés par la guerre, éliminer les) et de réagir contre la baisse de gains qui en résultait, Jes banques ont été amenées à développer les emplois les plus rémunérateurs, c'est -à-dire les crédits longs. Est-ce à dire qu'elJes aient renoncé à financer des investissements à l'aide de crédits à court terme '? La situation sous ce rapport a évolué. Immédiatement après la réforme monétaire, en l'absence de toute autre source de financement, des crédits à court terme ont été utilisés sur une grande échelle pour subvenir à des immobilisations de longue durée. Mais cette pratique régressa rapidement. Elle ne reprit quelque importance qu'en 1960-1961. Il est certain, d'autre part, qu'une fraction non négligeable des > doivent en permanence être considérés comme gelés. Mais l'ensemble des engagements à long terme du système bancaire allemand a toujours été inférieur à ses ressources à long terme. On ne peut donc pas dire que lPs banques soient revenues de façon durable à leurs errements d'avant-guerre. b) Plus , leur action a-t-elle été, pour autant, , c'est-àdire dégagée des contrôles étatiques et soumise aux lois de Ja concu,rrence? L'intervention de l'Etat s'est manifestée, pour l'essentiel, par le plafonnement des taux d'intérêt et ]'octroi d'avantages, fiscaux ou autres, à certaines formes d'épargne 1 • Le marché financier fut assez rapidement soustrait à l'emprise des pouvoirs publics. La réglementation des émissions instaurée par la loi du 2 septembre 1949 fut abrogée au début de 1954 et remplacée par un régime de liberté. Les émissions d'emprunts restèrent sou.mises à autorisation, mais celle-ci n'était plus accordée sur la base de critères de politique économique mais seulement en considération de la régularité de J'opération et de la surface financière de l'emprunteur. Quant aux taux d'intérêt, ils purent s'établir librement, en fonction de l'offre et de la demande. En août 1965, la multiplication des émissions, notamment de la part des collectivités locales, conduisit le Ministère de l'Economie à réunir les représentants de ces collectivités et ceux des grandes entreprises publiques autour d'une > habilitée à statuer sur les appels au marché financier émanant d'organismes publics. Mais il s'agissait de promouvoir une limitation volontaire, une sorte de concertation, et non d'imposer un contingentement autoritaire. Aux termes de la loi de 1967 > 1 doivent simplement être déclarés aux Banques Centrales des Landa. Il n'existe en Allemagne aucune procédure analogue à celle du «moyen terme>> français. Les crédits à moyen et long terme ne sont d'ailleurs pas mobilisables auprès de la banque d'émission. Ajoutons que l'Etat, loin de prélever pour les besoins du Trésor sur les disponibilités du système bancaire, lui a confié des fonds pu.blics importants ; en particulier aux Girozentralen qui en ont disposé librement. Par ces dépôts, il a, de façon indirecte mais nuJlement négligeable, facilité le financement des investissements par le système bancaire. Si l'on excepte la réglementation des taux d'intérêt, les banques ont donc participé au financement des investissements sans être assujetties au moindre contrôle, ni tenues au respect de la moindre directive. Seules les décisions de la Banque Centrale relatives au taux d'escompte, aux réserves minima etc ... se sont imposées à elles. Les « normes de crédit» établies par la loi du 10 juillet 1961 2 et dont l'application est confiée à l'Autorité de Surveillance des Banques qui a son siège à Berlin, ne visent que la saine gestion des établissements bancaires. Elles établissent des rapports minima entre l'importance des engagements et des fonds propres, entre la nature des emplois et celle des dépôts. II est également prévu que les « Gross Kredite »ne doivent pas dépasser 50% de l'ensemble des engagements d'une banque. Ces règles ont un caractère professionnel et ne limitent pas la liberté d'action des établissements de crédit sur le plan économique. c) Reste u,n dernier problème, celui de la concurrence au sein du système bancaire. On serait tenté, à première vue, de penser qu'elle n'a pu être considérable, puisqu'un cartel des taux d'intérêt, avalisé par l'Etat, a exclu toute compétition quant au coût du crédit. Mais il apparaît, à l'examen, que la concurrence a été appréciable sinon entre toutes les banques, du moins entre les différentes catégories d'établissements. Deux facteurs y ont contribué. D'une part, le fait que les banques sont des institutions « à tout faire». 1. Engagements globaux vis-à-vis d'un même débiteur dépassant 15 % des fonds propres d'une banque. 2. Qui a remplacé un ancien texte datant de 1934.

LE FINANCEMENT DES INVESTISSEMENTS

243

Aucune règle ne limite leur activité, ni pa:r conséquent les secteurs où la concurrence peut s'exercer. D'autre part, l'existence d'une vive compétition entre, d'un côté, les banques commerciales, les « Kredit Banken », qui comprennent les quatre grandes banques 1 ,. une centaine de banques régionales ainsi que deux cent douze «banquiers privés• et, de l'autre côté, le système des caisses d'épargne, qui groupe les caisses locales. et leurs centrahs de compensation, les Girozentralen. Cette concurrnnce tient au. développement considérable pris par les caisses d'épargne, qui ont collecté en 1964 51,3% de tous les dépôts, dont 64% des dépôts d'épargne. A quoi s'ajoutent les fonds déposés par les collectivités publiques et ceux recueillis par les Girozentralen grâce à l'émission de lettres de gages et d'obligations communales. Les moyens à leur disposition sont nettement supérieurs à ceux que peuvent mobiliser les banques. Dans l'utilisation de ces ressources, les Caisses et leurs Centrales font preuve d'un esprit d'initiative de plus en plus marqué. A l'origine, le financement de la construction et le crédit aux collectivités pub1iques constituaient le principal de leur activité. Celle-ci déborde aujourd'hui largement sur Je domaine commercial sous. la forme des crédits, à moyen et surtout à long terme, accordés à toutes les sociétés, y compris aux plus grandes. Elle s'étend aussi, désormais, aux opérations sur l'étranger. Bref, les caisses ont pénétré dans toutes les > les charges, mais de mobiliser les énergies ; point de· pratiquer une politique sociale, mais de relever des ruines, de conquérir des marchés, d'équilibrer les comptes. Quant à ceux qui, en raison de leur âge ou de leur état de santé, ne pouvaient être reclassés, des secours leur procurèrent les moyens de survivre. Aide à l'intégration, d'une part, indemnités de subsistance, de l'autre, telle furent pendant une décennie les deux aspects de la politique gouvernementale. La situation changea après 1957. La reconstruction était alors à peu près achevée et la prospérité de l'Allemagne partout citée en exemple. Le trésor fédéral regorgeait d'excédents. Des fortunes rapidement acquises étalaient un luxe tapageur. Bref, la République Fédérale avait retrouvé les moyens de se montrer plus généreuse à l'égard des déshérités et de réaliser enfin cette>. L'égalisation des charges est donc une des premières questions à laquelle est confrontée la République Fédérale naissante. Celle-ci ne mit, pour autant, aucune hâte à la régler. L'administration allemande de la hi-zone, sur laquelle les occupants s'étaient déchargés, déclara ne pouvoir aboutir dans les délais prescrits par eux et proposa l'adoption, à titre proviC1oire, d'une« loi pour l'atténuation des détresses sociales graves». Entrée en vigueur en août 1949, plus connue sous le nom de «loi d'aide immédiate» (« Soforthilfe »), son objet n'était pas de régler au fond le pro1. Bundesministerium f ür Arbeit und Sozialordnung ; Der Lastenausgleich, Dr Peter NAH:M ; Kolhammer, oct. 1962.

LA POLITIQUE SOCIALE

253

blème de la péréquation, mais d'apporter, grâce à un prélèvement annuel de 3% sur la fortune et à une redevance sur les stocks, une série d'aides aux sinistrés et aux réfugiés. Quant à la loi de péréquation, son élaboration s'avéra longue, laborieuse et passionnée. L'année 1952 vit, enfin, l'adoption de deux textes relatifs à l'évaluation des dommages (le Feststellungsgesetz du 20 mars 1952), ~à ll'indemnisation et au financement du système (Lastenausgleichsgesetz du 18 juill. 1952). Dans l'examen des prestations instituées par ces textes, on a coutume de séparer celles qui correspondent pour les bénéficiaires à l'exercice d'un droit et celles qui dépendent, au contraire, d'une décision de l'administration. Juridiquement fondée, cette distinction n'a pas, cependant, grande portée du point de vue économique ou social. Mieux vaut class~r les avantages institués par le Lastenausgleich selon l'objet qu'ils poursuivent : d'un côté, les dispositions destinées à faciliter l'intégration des bénéficiaires dans l'économie et à assurer la subsistance des nécessiteux; de l'autre, l'indemnisation proprement dite, appelée« Hauptentsschadigung ». Cette distinction ne concerne pas le mode de financement qui est unique et s'applique à toutes les prestations, quel que soit leur objet. a) Aide à la réinstallation

et secours de subsistance.

Les aides de ce type ont été les seules que le Gouvernement de Bonn ait versées jusqu'en 1957.

La loi du 18 juillet 1952 n'a fait que reconduire en les modifiant la plupart des subventions créées dans le cadre de > de l'embourgeoisement uni verse} ? On en est loin. Les nombreuses enquêtes faites ces dernières années montrent que l'élévation du niveau de vie n'a dilué ni la réalité, ni la conscience de classe. Habitant dans les mêmes quartiers, assujettis pour le paiement des salaires et des prestations sociales à des règles particulières, ayant conserve à l'égard de ceux , dont la puissance était assise sur de grands domaines agr-icoles qu,e l'occupant polonais et soviétique ou le régime de Pankow leur ont ravis. D'wie façon plus générale, la société fortement hiérarchisée de l' Allemagm( de,.l'Est ~ été laminée par l'occupation, l'expropriation et l'exode. Mais, à l'Ouest, la plupart des grandes familles industrielles ont 'retrouvé leurs biens. Les anciennes constella,;. · tions de richesses et de puissance se sont reformées. Et une génération. de nouv,~au,x · venus, de l'industrie, de la banque ou du journalisme, a comblé les ·vides que la catastrophe avait creusés dans les rangs de l'ancienne classe dirigeante. Une large couche d'imitateurs de la bourgeoisie est née et s'est amalgamee à ce qui restait des > d'autrefois. Si le climat social a, cependant, changé, :cela tient, pour une part, à ce que l'administration et l'armée n'ont pas retro'1vé Iimr rôle et leur prestige d'antan et que les valeurs matérielles ont acquis une prééminence dont ~lles ne jouissaient pas jadis. L'égalité des conditions a, en définitive, peu progressé pendant les an.n.ées de reconstruction. En favorisant l'au,tofinancement. et en dégrevant les revenus investis, le gou,vernement a lui-même contribué à l'accumulation de la fortune et 1. • EvolUtion de~ structures sociales en Allemagne•· Martinus EMoE, Bulletin S.E.D.E.1.S., · ·

no 889, supplément 10 juin 1964.

LA POLITIQUE SOCIALE

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LE COUT HORAIRE DE LA MAIN-D'ŒUVRE DANS L'INDUSTRIE SIDÉRURGIQUE EN 1966 (calculé en Francs belges) Eléments co;pstitutifs du coftt

Allemagne

France

Salaire direct ...................................... . Gratifications et primes de résultat ................... . Rémunérations payées pour journées JJ.On ouvrées ....... . Contributio;ps de sécurité sociale ...................... . Impôts à caractère social ............................ . Frais de recrutement de la main-d'œuvre et formation professionnelle ..................................... . Avantages en nature ............................... . Autres contributions sociales ........................ .

63,54 3,38 8,61 14,46

41,95 2,84 5,66 17,98 2,50

1,81 1,59 1,99

1,69 3,67 1,69

TOTAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

95,38

77,98

Source: Revue Europe, jeudi 25 janv. 1968, n° 18. BIENS DE CONSOMMATION DURABLES

% DES MÉNAGES POSSÉDANT DES

:

Années Télévisions

Frigida,lres

Machines à laver

Cuisinières électriques

1958 .... ; ........

7%

17%

19%

6%

1962 .... ··•:•.•· ....

30%

47%

32%

21%

1965 .... . ·.·.......

49%

61%

46%

30%

Source : Leistung in Zahlen 1966, Bundesministerium für Wirtschaft p. 25.

à la concentration de la propriété, tendance contraire aux représentations des libéraux et qui n'a pas manqué, en outre, de susciter la critique des syndicats, du parti socialiste et de l'aile gauche de la C.D.U. Aussi s'est-on efforcé à Bonn de corriger cette évolution par un ensemble de mesures destinées à conférer un droit de regard aux salariés dans la gestion des entreprises et à développer une participation populaire à la richesse nationale.

B. -

a) Origine-historique:

LA

COGESTION

La cogestion a été introduite en Allemagne, non à la demande des responsables libéraux, mais sous la pression des syndicats dont elle était une revendication depuis plusieurs décennies.

260

LA POLITIQUE LI B~RALE EN QUESTION

En 1918, dans le climat révolutionnaire de l'immédiat après-guerre, des tentatives d'auto-gestion avaient surgi plus ou moins spontanément dans divers secteurs de l'industrie, notamment dans les charbonnages et la potasse. L'article 165 de la Constitution de Weimar stipulait que , a _sens :à leurs yeux.

un

De tous les problèmes, le plus difficile à résoudre a peut-être été celui du recrutement des hommes. Les syndicats se sont, en effet, trouvés du jour au lendemain -obligés .de désigner plusieurs centaines (pour l'ensemble dec, sociétss anonymes, plusieurs milliers) de délégués ayant une formation et une autorité suffisantes pour occuper valablement les postes disponibles dans ·1es conseils de su~e~llance et les comités de direction. Les plus grands efforts furent déployés pour y parvenir et un organisme spécial, la société Hans Boeckler (Stiftung Mitbestimmung), créé pour former les délégués ouvriers. Les -résultats obtenus ne sont pas négligeables. Mais les difficultés rencontrées ont longtemps constitué le point faible du système. Pour le reste, lessombresprédictionsfaitèsparlepatronatnesesontpasréalisées. La structure paritaire des conseils de surveillance n'en a pas paralysé le fonc_tionnement. Les cas de partage des voix ont été rares et les arbitrages, Qnt pu _s'exercer lorsque la nécessité s'en est fait sentir. Les« onzièmes homm~s•, ·dont on avait dit que la situation serait impossible, se sont acquittés sans trop de difficultés de leu,r délicate mission. Après une période de rodage, la pratique s'est. établie de laisser aux actionnaires le ·choix du président du conseil de surveillance et de faire désigner la personnalité « neutre» par les délégués ouvriers. On réalisait ainsi un équilibre qui n'était pas tout à fait celui envisagé par les textes, mais qui s'est avéré satisfaisant et qui traduisait l'existence d'un esprit de collaboration au sein des :eonseils. La personne et le rôle du directeur du travail ont été, en revanche, plus contestés. Sa position, il faut l'avouer, est incommode. En tant que membre du « Vorstand », il fait partie intégrante de la direction. Mais il n'obtient et ne garde son poste et les avantages qui lui sont attachés, que s'il conserve la confiance des .syndicats. Dualité dont il s'accommode assez bien dans les périodes calmes, mais qu.i le met à rude épreuve lorsqu'éclate un conflit. S'il prend le parti du personnel, il faillit à ses responsabilités statutaires. S'il se solidarise avec la direction, il déplai"t à ses mandants syndicaux et court le risque de perdre son siège au prochain renouvellement. >, son espèce est incertaine et sa situation ambiguë. Le patronat; en outre, n'a rien fait, surtout au début, pour faciliter sa tâche. On a tenté de limiter son action au seul•domaine social et de l'écarter des décisions et informations relatives à la marche générale de l'entreprise dont il est pourtant solidairement responsable avec les autres membres de la direction. Ces c) La cogestion dans la pratique.

LA POLITIQUE SOCIALE

263

heurts ont disparu avec le temps. Les syndicats ont mis l'accent sur l'indépendance du directeur du travail à leur égard et le patronat a fait le plus souvent bon ménage avec lui. Le système n'en est pas moins bancal. Si la fonction du directeur du travail est utile en un temps où les problèmes du personnel ont pris une importance décisive, on peut mettre en doute la valeur de son mode de désignation. La cogestion, en modifiant la structure des organes de direction à l'intérieur des entreprises minières et sidérurgiques, a-t-elle influé sur leur développement et leur gestion '? Question décisive, mais difficile à trancher. Il est généralement admis que la réforme de 1951 n'a pas eu d'effet notable sur le niveau des salaires, la durée des congés ou les conditions de travail.. Les syndicats n'en déclarent pas moins qu'elle s'est avérée bénéfique. Ils affirment, en particulier, que les transformations imposées depuis dix ans à la sidérurgie par le progrès technique et l'évolution économique ont été sensiblement facilitées par la cogestion. Celle-ci aurait permis d'associer les salariés à la réalisation des mutations technologiques et d'élaborer des «plans sociaux» qui, sans retarder le rythme du progrès, en ont limité le coût social et l'ont rendu acceptable pour la classe ouvrière. Les organisations patronales rejettent ces arguments. Sans contester que la collaboration avec les syndicats ait été bonne, elles soutiennent que la cogestion n'y a été pour rien. Les mêmes problèmes, assurent-elles, se posaient dans d'autres secteurs de l'industrie, où l'évolution a été tout aussi heureuse, sans que les salariés aient été associés à la direction des entreprises.

d) L'e:,;tension de la cogestion.

A travers le jugement porté sur le passé, e'est en réalité l'avenir de la cogestion qui est en cause. · Après une période de désenchantement et de scepticisme, où les leaders ouvriers parurent douter d'un système qui paraissait émousser la combativité des salariés plus qu'il n'ébranlait le capitalisme, les syndicats firent à nouveau de l'extension de la cogestion paritaire à l'ensemble des grandes entreprises industrielles un point central de leurs revendications. C'est au congrès de Düsseldorf en 1963 que la relance s'amorça et dans le c programme d'action» publié en 1965 qu'elle s'affirma. Deux fédérations s'en firent plus particulièrement les avocats, celles de la métallurgie et de la chimie. Détail révélateur, dans la mesure. où il s'agit de secteurs qui connaissent une évolution technologique rapide dont les conséquences expliquent, précisément, la reprise d'une ;revendication qui sommeillait depuis quelques années. L'argumentation des syndicats est à peu près la suivante. Aux U.S.A., expliquent-ils, les conventions collectives sont conclues dans le cadre de l'entreprise et l'éventail des problèmes traités est large. Il est dont possible d'aborder des problèmes tels que l'automation, les licenciements ou le partage des gains de productivité. En France, le système est autre; c'est l'Etat qui, par la planification et la politique des revenus, défend les intérêts du personnel. L'Allemagne, elle, est assise entre deux chaises. L'économie de marché prohibe l'intervention des pouvoirs publics. Quant aux conventions collectives, elles sont négociées non par entreprises, mais par secteurs industriels, ce qui ne permet pas d'aborder les

LA POLITIQUE LIB~RALE EN QUESTION

problèmes posés pour chaque société par le progrès technique et économique. D'où l'utilité de la cogestion. Elle remplit u,n vide. EJie permet d'associer les salariés aux choix dont dépendent le destin des entreprises et plus particulièrement le maintien, la suppression ou la reconversion des emplois. En réclamant l'extension de la cogestion, les syndicats formulent une revendication à laquelle ils ont intentionnellement ôté tout caractère révolutionnaire. Us n'entendent ni abolir, ni même transformer profondément le capitalisme. Ils s'efforcent, au. contraire, de montrer que leur projet est compatible avec le maintien d'une économie de marché. Il s'agit, en associant les salariés aux décisions dès le stade de leur élaboration, de faciliter la solution des problèmes de l'emploi, de la formation et de la gestion du personnel, dont l'importance ne cesse de croître dans la conduite des entreprises. La cogestion conduit à la bonne gestion. Rien de plus. Elle satisfait aussi, bien sûr, à une exigence dP démocratie et de justice, que l'on voit réalisée sur le terrain politique et qui ne l'est pas encore dans l'économie. Nécessité d'autant plus évidente que la concentration ind11strielle et financière s'est considérablement développée, accentuant la puissance qu'un cercle restreint de privilégiés exerce pratiquement sans contrôle. Dans l'exposé de leurs revendications, les syndicats rejoignent les analyses de M. Bloch-Lainé dans son livre sur La Réforme de l' Entreprise. Ils notent que le fonctionnement de,s sociétés anonymes correspond de moins en moins à la description qu'on en fait traditionnellement, que Je pouvoir réel de l'actionnaire est insignifiant-et qu'un petit nombre de« managers» règne sans partage sur de vastes empires. Que l'on cesse, disent-ils, de faire du droit de propriété, depuis longtemps vidé de son contenu, un argument contre· la 'cogestion. Le patronat rejette, bien entendu, ces ·analyses et s'oppose avec véhémence aux revendications syndicales. L'e~tension de la cogestion n'est pas, selon lui, compatible avec le maintien d'une économie de marché. Si la loi de 1951 n'a pas bouleversé les structures existantes, c'est parce qu'elle n'affectait qu'un secteur limité de l'économie. En généralisantle système on en transformerait la nature. Des principes aussi fondamentaux que l'autonomie des partenaires sociaux, des institutions aussi nécessaires que le marché des capitaux, n'y survivraient pas. La démocratie elle-même serait menacée. Le pouvoir actuellement dispersé entre des centaines d'entreprises, indépendantes les unes des autres, se trouverait tout à coup concentré entre les mains de seize fédérations syndicales que des liens étroits unissent entre elles. Que l'on ajoute ces leviers nouveaux aux moyens d'action que les organisations ouvrières détiennent déjà sur le marché du travail, dans la banque, la construction, le commerce etc ... et l'on aura créé une > syndicale infiniment dangereuse pour l'avenir des libertés publiques. La cogestion, déclare, d'autre part, le patronat, n'intéresse guère les employés. Les enquêtes faites en milieu ouvrier révèlent que si les salariés en approuvent le principe, ils ne lui accordent gu,ère d'importance, et en tout cas moins qu'aux salaires ou aux congés. La cogestion est la chose des dirigeants syndicaux. Elle ne correspond à aucune aspiration populaire. Comment la présence de quelques

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délégués ~upplémentaires dans les conseils de surveillance changerait-elle, d'ailleurs, la situation des travailleurs dans leurs usines. L'aliénation dont ils souffrent tient à la nature de l'entreprise industrielle moderne. On ne l'éliminera que par des efforts patients; le progrès des techniques, la formation des hommes. ·Le· Marché Commun fournit au patronat un dernier argument. La cogestion, remarque..-t-il, n'existe chez.aucun des cinq partenaires de l'Allemagne et ceux-ci n'envisagent nullement de l'adopter. En prenant seu,l une telle décision, Bonn porterait un grave coup à la capacité concurrentielle de l'industrie allemande et créerait un ob!:,tacle supplémentaire à l'harmonisation des structures économiques au sein .de.la C.E.E. L'opposition d~s points de vue est donc totale entre syndicats et patronat:. L'expérience tentée depuis 1951 dans l'industrie minière et sidérurgique n'en est pas m,oins, dans rensemble, positive. Les dirigeants des sociétés intéressée~ en conviennent. volQntiers. dans Je privé. Ils admettent que les entreprises s'en sont bien tretension souhaitable QU dangereu.se, elle n~~ppartient pas ·à l'arsenal libéral. lntrodui,te dans le. droit. allem.wd. en: > ont représenté à cet égard un effort plus important et plu~· efficace. Nous avons déjà exposé les conditions dans lesquelles les opérations avaient été réalisées. Il reste à en apprécier l'incidence sociale. Deux faits paraisseµt à peu p~ès établis_ : - la plupart des acheteùrs d'actions populaires appartiennent réellement à des couches sociales possédant des revenus faibles ou moyens. Pour Volkswagen, 84% des acquéreurs disposaient de 600 à 1200 DM par mois. - la détention des titres s'est avérée relativement stable, puisque 61 % des actions de Preussag et 65% de celles de Volkswagen n'avaientpas changé de niains à la fin de 1965, bien qu'une forte baisse en bourse se soit produite peu après l'émission des .actions. La situation fut moins satisfaisante pour V .E.B.A. En raison de la · chute des cours et· des difficultés rencontrées par cette entreprise, 15 % des acheteurs s'étaient dessaisisdeleurs actions àlafin de 1965, quelques moisaprèsleur acquisition. Le.·succès rèncontré par les émissions d'actions. populaires pouvaient s'expliquer par les perspectives' de plus-values immédiates que comportaient ces expériences. Mais le caractère durable des acquisitions dénote, semble-t-il, la naissance d'un actionnariat populài:re véritable.

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La réussite technique est donc certaine. La mutation sociale l'est moins. Notons d'abord que 5,1 % seulement des acheteurs d'actions Preussag et 7,5% des acquéreurs d'actions Volkswagen étaient des ouvriers; un tiers, au contraire, des employés. Il faut aussi tenir compte des ordres de grandeur. Les trois opérations de dénationalisation ont, au total, porté sur un actif nominal de 970 millions de DM, soit 2 % seu.lement du capital nominal (45,4 milliards de DM) de toutes les sociétés par actions allemandes. Fort peu de chose, en somme. Ilne semble pas,d'autrepart, que l'Etat puisse multiplier les privatisations. Celles-ci ne peuvent concerner que des entreprises rentables. Or les pouvoirs publics se sont déjà dessaisis de leurs plus beaux fleurons. La dénationalisation ne représente donc pas un moyen capable de modifier sensiblement la répartition du capital en Allemagne. Les statistiques ne permettent pas d'appréhender directement cette répartition. Mais certaines approximations sont révélatrices. Ainsi constatait-on,à la fin de 1964, que les comptes inférieurs à 1000 DM (valeur nominale) ne regroupaient que 2,3% des actions et certificats d'investissements déposés dans les établissements de crédit. Ce pourcentage, bien qu'en accroissement sensible sur 1960 (1,3%), est insignifiant. Son augmentation n'apparaît, elle-même, guère probante si on la rair proche.de l'évolution des gros comptes. Ceux qui dépassent 100 000 DM groupaient 40,6% des actifs en 1960 et 45,6% en 1964. Autant dire qu'en dépit des efforts pour créer un action,nariat populaire et des succès remportés, les sociétés anonymes allemandes restent contrôlées par un petit nombre de banques et de gros porteurs. d) Formation de patrimoine

Les résultats limités obtenus tant par I.e système del'aicle à l'épargne que par les émissions·d'·actions populaires ont, en définitive mis en lumière un fait bien cqnnu· .dont l'importance avait .été sons-estimée; ils ont u,ne nouv~lle _fois montré que le développement de l'épargne dépend avant tout du niveau revenu. Les incitations et avantages divers peuvent valoriser telle forme de pla~ment (actions, logement, comptes de dépôt), elles n'ont guère d'effet sur le volume global de l'épargne. Or c'est précisément ce qui importe si l'on entend créer de nouvelles couches de possédants, donner un contenu véritable à la notion de capitalisme pe•.pulaire, modifier les relations de classes. Il ne suffit pas d'inciter les détenteurs .de reven.us modestes à épargner. Il faut leur en donner les moyens. C'est précisément à quoi ont tendu les lois de 1961 et 1965, dites lois des «312 DM». De quoi s'agit-il ? D'amener les entreprises à mettre à la disposition de leurs salariés des moyens supplémentaires, que ceux-ci épargneront pendant au moins cinq ans. L'incitation choisie est fiscale et para-fiscale. Les primes allouées par les sociétés à leur personn~l bénéficient, dans la limite de 312 DM par an, d'une double exemption. ;La première intéresse l'entrepreneur et concerne les cotisations de sécurité sociale. La seco~de profite "aux salariés et porte à la fois sur les cotisations de · sécurité sociale et sur l'impôt sur le revenu.· Mais l'exonération n'est accordée que si les sommes versées sont épargnées. Elles peuvent faire l'objet d'un contrat de capitalisation dans les conditions évoquées plus haut, servir à financer la construction

au profit des salariés.

du

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LA POLITIQUE LIB~RALE EN QUESTION

ou l'acquisition d'Wl logement, être utilisées pour l'achat d'actions de l'entreptise où le salarié est employé, ou être prêtées à celle-ci pour cinq ans. Les primes peuvent prendre la forme de gratifications forfaitaires, ou consister en une participation aux résultats de l'exploitation. L'association aux bénéfices réalisée de façon autoritaire en France n'est ici qu'esquissée et naturellement facultative. Le texte de 1961 n'a pratiquement suscité aucun écho. En dehors de quelques grandes firmes, comme Mercédès et Mannesmann, qui ont mis un point d'hon~ neur à l'appliquer, très peu de sociétés ont fait usage des facilités offertes. Une enquête de l'Office Fédéral de Statistiques couvrant 350 000 sociétés et 12,5 millions de salariés a montré qu'entre 1961 et 1963 2% seulement du personnel des entreprises recensées avait bénéficié de la nouvelle législation. Le sociétés se sont~ d'autre part, contentées de proposer à leur personnel d'appliquer les dégrèvements fiscaux aux avantages sociaux déjà accordés, comme les gratifications de fin d'année. Il ne s'agissait donc pas de prestations supplémentaires. L'expérience se soldait par un échec. Cet insuccès, joint à la prise de position des églises et aux critiques syndicales contre la répartition des revenus, amenèrent le Gouvernement, en mai 1965, à réformer le texte de 1961. On n'en modifia pas l'économie générale, mais on s'efforça d'en soustraire l'application à la décision unilatérale des entreprises. Les accords constitutifs d'actifs peuvent, depuis 1965, être inclus dans des conventions collectives, éventualité que la loi de 1961 avait expressément exclue. La pression syndicale pourra donc s'ajouter à l'incitation fiscale. Pour compenser ce que cette perspective pouvait comporter d'inquiétant, on accorda (art. 4). à chaque salarié le droit de demander à bénéficier à titre individuel, pour une fraction de sa rémunération, des privilèges fiscaux ·institués par la loi. Enfin, le plafond limitant ces avantages fut porté de 312 DM à 468 DM pour les travailleurs ayant plus de 3 enfants 1. Les résultats enregistrés depuis 1965 paraissent plus encourageants. Les caisses d'épargne et d'épargne-construction ont noté une augmentation sensible du nombre de leurs comptes à primes ainsi qu'un accroissement des versements effectués dans les comptes de ce type déjà ouverts. D'autre part, le régime s'étendait, fin 1968, par convention collective, à 1,7 million de salariés, dont 1,6 million appartenaient, il est vrai, au bâtiment, sectem favorable en raison des idées de M. Leber, ancien président du syndicat des ouvriers du bâtiment, Ministre des Transports dans le Gouvernement fédéral depuis 1966.

••• 1. Le texte ainsi amendé présente encore de nombreuses lacunes. a) Les sommes épargnées. n'a)ant acqilltté aucune cotisation de sécurité sociale, ne sont pas prises en compte pour le calcul des retraites. b) Le plafond de 312 DM est insuffisant. c) En période de récession les employeurs ont tendance àlicenclerles ouvriers qui réclament le bénéfice des« 312 DM•· Le S)stème ne fonctionne qu'en phase d'expansion.

LA POLITIQUE SOCIALE

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Le capitalisme populaire a été et, dans une large mesure, reste la grande pensée, le suprême espoir des économistes libéraux. Peut-être les circonstances permettrontelles, un jour, d'en envisager la réalisation sur une grande échelle. Mais le bilan actuel des initiatives prises est modeste. Non que les tentatives aient à proprement parler échoué. Poursuivies avec ténacité et esprit d'invention, elles ont permis des succès techniques, inégaux, mais souvent appréciables. Réussites plus marquées pour la catégorie des employés que pour celle des ouvriers, et qui furent d'autant plus nettes que l'Etat mettait à la disposition des intéressés des moyens supplémentaires d'origine publique, comme ce fut le cas pour le logement. Ces résultats n'en sont pas moins demeurés limités, manifestement impuissants à remodeler les structures sociales et à compenser la concentration de richesse et de pouvoir qui prenait dans le même temps une grande extension. Bref, les efforts de Bonn ont conservé le caractère d'un essai. Qu'on les juge décevants ou prometteurs, ils constituent une expérience plus qu'une politique.

3. EXTENSION DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Freiner le développement de la sécurité sociale, substituer progressivement la prévoyance individuelle à l'assurance collective, tels rnnt les objectifs de la politique libérale. Vingt années d'une expansion économique ininterrompue auraient du permettre au Gouvernement de Bonn de s'en approcher, sinon de les atteindre. La croissance avait quadruplé le revenu par tête, en même temps que le coefficient d'épargue. Un nombre croissant de personnes avaient acquis les moyens de faire face, ou au moins de participer à la couverture des risques de maladies, d'accidents et de vieillesse. Bref, on pouvait s'attendre à ce que la sécurité sociale, sans disparaître, devint un «mal » de moins en moins nécessaire. n'en a rien été. Non seulement l'évolution n'a pas correspondu au schéma annoncé, mais elle a pris un cours inverse. Loin de Mpérir, la sécurité sociale s'est puissamment développée. Maintien des structures anciennes, extension du système à des catégories sociales nouvelles, accroissement notable des prestations, augmentation impressionnante du prélèvement para-fiscal, telles sont les orientations prises par la sécurité. sociale. Les changements sont importants, à bien des égards heureux:, mais difficilement conciliables avec les postulats libéraux.

n

A. -

STRUCTURES ANCIENNES MAINTENUES

Si l'évolution de la sécurité sociale a été marquée, surtout depuis 1957, par des développements de grande portée, ceux-ci n'ont pas affecté les structures du. système. Héritées de l'ère bismarckienne, progressivement complétées et étendues, souvent modifiées et adaptées~ mais jamais refondues ni profondément réformées,

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LA POLITIQUE LIB~RALE EN QUESTION

elles composent, à l'issue d'un long processus de« rapiéçage», un ensemble touffu, dispersé, difficile à embrasser du regard et cependant relativement homogène dans ses principes directeurs. La complexité de l'organisation a une triple origine. - Elle procède d'abord du p,incipe de la séparation des risques, divi~ion non seulement financière mais administrative. Il existe une structure indépendante par la vieillesse, la maladie, les accidents du travail et le chômage. - A la distinction des risques s'ajoute un ali,tre cloisonnement, caractéristique du système allemand, celui qui sépare ouvriers et employés. Il s'explique par des raisons surtout historiques. Les lois bismarckiennes ne concernaient que les ouvriers. C'est eux que le Chancelier voulait arracher à l'extrémisme·'politique en leur octroyant des garanties qui leur faisaient cruellement défaut. Les employés prirent d'eux-même, plus tard, l'initiative de créer un régime de protection!·sociale, dont les caractéristiques furent au départ assez différentes. Facultatif, ce régime devint ensuite obligatoire pour le~. employés bénéficiant. d'un faible revenu. Bien qu,'il soit aujourd'hui' d'application· à peu près générale èt que les particularités qui le distinguaient du régime ouvrier aient eu tendance à s'estomper, il n'en a pas moins conservé son organisation propre, aussi bien pour la maladiequepourla vieille·sse 1 •. . ' • • .· .. - Le système. allemand est, enfin, caractéri~é par un .grand enchevêt~ement de caisses d'assurance-maladie. On en -compte près de 2 000. Les wiesjnt.une compétence territoriale, ce sont les caisses locales.· ~es autres ont tµi caractère professionnel, ce sont les caisses d'entreprise, les c.aisses artisanales et !~.. caisses «su,bsidiaires » généralement réservées aux employés.. Elles tiennent à.· affh-mer leur originalité' et se font volontiers concurrenç.e entre .el~es. . ·· · · Si le régime général est disparate et fragmenté;· les régimes particuliers sont, en revanche, moins nombreux qu'en Frruice. On en compte pour l'essentiel quatre: agriculture, fonction publique, mineurs, gens de mer~ · Cette diversité des structures n'empêche pas prestations et· cotisations •d"être, à quelques variantes près, soumises à· des règles identiques. De· même lès· caisses sont-elles astreintes, qu'il s'agisse de l'assurance-vieillèsse où de 1'assurance-maladie à des principes de gestion communs. Toutes · sont ·autonomes. Tontes· :doivent assurer leur propre équilibre financier. Le système allemand connaît des assoèiations de caisses, mais il ignore, en principe, la péréquation financière 9 • Lit g~sth:m est en général paritaire, les conseils d'administration étant composés par moitié de délégués des assurés et de représentants des employeurs. Fcmt exception à ce principe le régime minier où la représentation ouvrière est des deux tiers, l'assurance chômage, à l'administration de laquelle l'Etat participe pour un tiers, et les caisses 1

1. Toutefois, certaines catégories de caisses d'assurance-maladie ont à la .fois 4es adhérents . . .. . . .. . , , ouvriers et des adhérents employé,. · 2. Toutefois, il y a péréquation entre la Arbeiterrenténversicherung et la· Angéstelltenrentenversicherung. · · · 1 • ·

LA POLITIQUE SOCIALE

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subsidiaires dont les conseils ne comprennent que des délé~és des assurés. Quant au financement, il est assu,ré à partir de cotisations supportées à parts égaJes par les travailleurs et les employeurs 1 • Relevons, toutefois, que l'Etat verse d'importantes contributions à l'assurance-vieillesse et prend, depuis 1964, entièrement à sa charge les allocations familiales. Cette organisation, les réformes réalisées depuis 1948 ne l'ont pas sensiblement modifiée. Il fallut, certes, adapter le système à la division du pays, surmonter les conséquences de la réforme monétaire, supprimer le >, organisme de documentation et d'étude, institué en 1935 par le 1118 Reich, fut recréé sous la nouvelle appellation d'institut pour l'Aménagement du Territoire. En 1959 cet organisme fusionna avec l'Institut d'Etudes Régionales pour constituer l'Office Fédéral des Sciences Régionales et de l'Aménagement du Territoire (>) à qui l'on doit la publication d'un périodique intitulé Raumforschung und Raumordung. Parallèlement le gouvernement développa une action concrète, reclamée par les Lander que l'afflux des refugiés avait placés dans une situtation critique. L'élaboration des mesures à prendre pour leur venir en aide fut confiée à un 11, moyen d'accès normal aux études supérieures, sanctionne le cycle secondaire complet, le constituaient un débouché plus important encore ; ainsi de l'industrie automobile qui avait écoulé en 1958 240 000 véhicules dans la petite zone de libre-échange et seulement 117 000 dans le Marché Commun. Il en allait de même pour les Lander riverains de la Mer du Nord (le Schleswig Holstein, la Basse Saxe, Brême et Hambourg) qui entretenaient des relations commerciales étroites avec l'Angleterre et les pays scandinaves. Le 7 novembre 1959, leurs ministres présidents attirèrent l'attention du Chancelier Adenauer sur la situation desLander maritimes, placés à la péripherie du Marché Commun et à la frontière du bloc oriental, par rapport à la petite zone de libre échange. En 1958, leurs exportations vers la C.E.E. s'étaient élevées à 1 150 milliards de DM, contre 2 237 milliards de DM pour les « Sept». Aussi les ministres présidents soulignaient-ils « les inconvénients qui apparaîtraient pour le commerce extérieur de cette partie de la République Fédérale si un ensemble comprenant tous les pays qui collaborent avec succès au sein de l'O.E.C.E. n'était réalisé ou était ajourné».

2° La politique suivie. a) Le gouvernement allemand consacra toutes ses énergies à empêcher que la C.E.E. ne se replie sur elle-même. Son objectif était double : élargir la Communauté par l'adhésion ou l'association d'autres pays européens; l'ouvrir en abaissant la protection tarifaire. Sur le premier_ point, l'insuccès fut total. La République Fédérale se heurta au veto de la France, dont l'hostilité, tant à la zone de libre échange qu'à l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun, était d'autant plus résolue qu'elle avait aussi une origine politique. Au travers de négociations successives les dirigeants allemands ne se lassèrent pas, cependant, de soutenir la demande britannique et de défendre la thèse de l'élargissement nécessaire de la C.E.E. Mise en échec sur la candidature anglaise, la République Fédérale fut plus hem-euse dans les efforts qu'elle déploya en faveur d'une libéralisation de la politique commerciale commune. Le succès de la négociation Kennedy est dû, en partie, à son insistance. En obligeant les Six à abaisser de 35 % le niveau moyen de leur tarif extérieur, l'accord de Genève a accentué l'ouverture de la Communauté sur

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le monde: un des buts fondamentaux de l'Allemagne était atteint. Le renouvellement de l'accord d'association des « Pays et Territoires d'Outre-Mer», décidé à Yaoundé en 1962, permit, d'autre part, en échange d'une· aide financière accrue, de réduire de moitié la préférence douanière dont bénéficiaient les Etats africains liés au Marché Commun. L'obstination ·de la République Fédérale avait, au moins partiellement, porté ses fruits : le spectre d'un protectionnisme communautaire s'évanouissait. L'évolution de son commerce extérieur contribua, d'autre part, à tranquiliser les esprits. De l'expérience des dix dernières années se dégagent, en effet, des conclusions rassurantes. C'est avec ses partenaires de la C.E.E. que les échanges de l'Allemagne ont connu l'accroissement le plus spectaculaire : + 190 % à l'exportation, + 248 % à l'importation, de 1958 à 1966. Mais cette augmentation n'a aucunement nui aux rapports de la République Fédérale avec les pays tiers. Ses exportations à destination des Etats membres de !'A.E.L.E. ont progressé, au cours de la même période, de 120 % et ses importations de 85 .%- La même évolution s'observe dans les échanges avec le reste du monde. On relève, emin, que le commerce entre la C.E.E. et !'A.E.L.E. s'est développé plus,rapidement que les échanges à l'intérieur de cette organisation. Les inconvénients redoutés d'une > auquel la République Fédérale devra se rallier ou se résigner pour sortir d'une impasse où l'a peu à peu entraînée le refus d'adapter sa politique agricole aux exigences de l'unification économique européenne. La C.E.E. étend à la Communauté toute entière la notion de concurrence dont l'Allemagne a fait un dogme pour elle-même. Sur le plan des principes, la convergence est certaine. Dans la pratique, les articles 85 à 90 du Traité de Rome, de même que l'interprétation qu'en donne progressivement la Commission exécutive, font apparaître quelques divergences avec le droit allemand, mais non pas des différences profondes. Si bien que le Marché Commun ne remet pas en cause les bases de la politique allemande, mais seulement la définition qui en a été donnée, notamment en ce qui concerne le phénomène de la concentration. 3° Définition de la politique de concurrence.

a) Plusieurs éléments, directement ou indirectement liés à l'unüication européenne, ont amené, depuis peu, les autorités de Bonn à adopter à l'égard de la concentration une attitude ouvertement favorable, qui tranche avec la réserve qui a été longtemps de mise. Le facteur le plus immédiat est la dimension élargie du marché. Que celle-ci ne puisse rester sans influence dans l'appréciation portée sur la taille des entreprises, tombe sous le sens. Dominante sur le marché allemand, une firme peut être soumise à une sévère concurrence dans le cadre de la Communauté. Les critères doivent être modifiés, les ordres de grandeur revus. Un autre phénomène a joué dans le même sens: l'emprise acquise en Europe -et singulièrement en Allemagne par les grandes firmes américaines. Une étude publiée en 1965 par la Bundesbank 1 révèle que 16% du capital des sociétés par actions allemandes était détenu par des étrangers et que 34 %de ces participations étaient américaines. Si l'on y ajoute une fraction de celles qui sont officiellement aux mains de sociétés établies en Suisse ou au Licbstenstein (16%) et si l'on tient -compte de leur concentration dans un petit nombre de secteurs clés, comme l'industrie pétrolière ou automobile, on mesure l'importance de la place acquise par le capital américain dans l'économie allemande. La pénétration tend, en outre, à s'amplifier : en 1965-66 les investissements américains en Allemagne ont atteint un milliard de $, c'est-à-dire autant que dans les cinq autres pays du Marché Commun réunis. Ces implantations ne suscitent pas, en elles-mêmes, la réprobation. Contrairement à la France, l'Allemagne ne formule officiellement aucune réserve à l'égard d'un courant qui, à ses yeux, stimule la concurrence et développe le progrès technique. La Bundesbank exprime le sentiment général quand elle -écrit 9 : «Les investissements étrangers présentent des avantages pour l'accroissement de la productivité de l'économie ... car ils sont le plus souvent liés à l'introduction de nouveaux procédés de fabrication&. La main-mise américaine n'en a 1. Rapports mensuels de la. Deutsche BllJldesbank, mai 1965. pp. 84-101. 2. Idem.

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LA POLITIQUE LI B~RALE EN QUESTION

pas moins suscité des réactions qui, pour être plus discrètes et moins politiques, ont été souvent plus efficaces qu'en France. Ainsi les grandes sociétés chimiques allemandes ont, autant qu'elles le pouvaient, barré la route à la pénétration des trusts américains. Les rachats de Perrutz par Bayer en 1961, et de Glasurit par la B.A.S.F. en 1965, n'avaient d'autre objet que de soustraire ces firmes au contrôle de compagnies américaines. La République Fédérale s'est également opposée aux manœuvres dirigées contre les sociétéa pétrolières allemandes Aral et Deutsche Erdol A.G. Mais l'effet le plus intéressant de l'afflux des capitaux > allemande l Si les propos du Professeur Erhard sont empreints de « triomphalisme», les thèses de ses détracteurs manquent souvent d'objectivité. Entre le simplisme de l'ancien Chancelier et le parti pris de certaines critiques, il y a place pour un jugement plus mesuré et plus nuancé.

*** Au départ, une constatation s'impose : la politique allemande ne forme pas l'ensemble homogène, célébré par les uns et dénigré par les autres. Elle est à la fois complexe .et évolutive. Dans son architecture libérale apparaissent des éléments de factures diverses, qui lui confèrent un caractère plus disparate que les déclarations officielles ne l'admettent, sans la priver toutefois, comme on va ju~qu'à le prétendre, de toute cohésion. Elle a, d'autre part, évolué dans le temps, soit pour se rapprocher de ses objectifs, soit, au contraire, pour s'en éloigner. Un jugement équitable doit isoler ces éléments et séparer ces étapes. On distingue, pour l'essentiel, deux grandes phases. La première, marquée par de spectaculaires succès, permet au libéralisme, assez largement étranger à la tradition allemande, de s'implanter dans les structures comme dans les esprits. La deuxième débute, dix ans environ après la réforme monétaire, par de relatifs mécomptes qui conduisent, après l'arrivée aux affaires du Professeur Schiller, en 1966, à une révision de la politique suivie. Le système dans son ensemble n'est pas remis en cause mais « l'économie sociale de marché » assimile des conceptions jugées longtemps hérétiques et prend un visage nouveau. Pour porter sur l'action des responsables allemands un jugement objectif, il faut tenir compte de cette mutation progressive mais profonde, qui affecte aussi bien la nature et l'orientation de leur politique, que son adaptation à l'événement et, partant, son efficacité pratique.

CONCLUSION

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1° Pendant plus d'une décennie, de 1948 à 1960, la politique du Professeur Erhard s'est développée sans subir de changements d'orientation notables. Marquée par la libération des prix et des salaires, par l'ouverture des frontières, par la prohibition des ententes, par la dénationalisation de grandes entreprises publiques, elle fut, à de nombreux égards, conforme aux préceptes de l'Ecole de Fribourg. Mais l'observation révèle aussi d'autres éléments. Des secteurs entiers-agriculture, transports, énergie - demeurèrent soumis au contrôle de l'administration. Ententes et concentrations fleurirent en dépit des textes. L'Etat assura une grande partie des investissements et l'autofinancement fit le reste, en sorte que l'épargne forcée des contribuables et des consommateurs supporta les charges du relèvement et de l'expansion. Bref, l'action du Professeur Erhard, même à l'époque brillante de la reconstruction, apparaît plus hétérogène que ses zélateurs aiment à l'admettre. Doit-on, pour autant, lui refuser le qualificatif de libérale qu'ils revendiquent pour elle ? Les interventions de l'Etat, d'une part, l'influence et les pratiques développées, de façon plus ou moins occulte, par les grandes entreprises et les banques, d'autre part, permettent-elles de conclure qu,e le système a laissé, en définitive, peu de place aux loi~ du marché, qu'il a été à sa manière dirigé. et planifié? a) Que le libéralisme du Professeur Erhard ait eu ses limites et ses lacunes, c'est l'évidence même. Mais on ne saurait porter un jugement sur ses initiatives sans les replacer d'abord dans leur contexte historique. Or, si l'on veut bien se souvenir des conditions qui régnaient alors en Allemagne - pénurie aigüe, marché noir, étatisme draconien établi depuis quinze ans-, si l'on se remémore la vogue dont la planification jouissait dans toute l'Europe, on mesurera le courage et la clairvoyance que comportait, en juin 1948, la décision de libérer l'économie des contraintes qui l'enserraient. Ce choix initial, ce saut dans l'inconnu d'une politique qui rompait non seulement avec les pratiques du IIIe Reich, mais qui s'écartait aussi des solutions adoptées au même moment partout ailleurs, sont le fait du Professeur Erhard lui-même et de ses conseillers. Quelles que soient les insuffisances ultérieures de leur œuvre, les demi-mesures et les compromis auxquels ils consentirent, on ne peut qu'admirer l'esprit de décision et la sûreté de jugement dont ils firent preuve en ces temps incertains et troublés. A mesure que la situation économique européenne tendit à se normaliser, la plupart des pays rejoignirent l'Allemagne dans la voie où elle était engagée. Mais qu'il s'agisse du démantèlement des contrôles intérieurs ou du désarmement contingentaire et douanier, la République Fédérale les avait largement précédés et dépassés. A l'audace s'est ajoutée la continuité. Si le rétablissement de la liberté économique a été progressif et partiel, du moins n'a-t-il pas comporté de retours en arrière. A l'exception du bref intermède coréen, Bonn n'a jamais rétabli, comme le fit, à plusieurs reprises, la France, la taxation des prix, le contingentement des importations ou le contrôle des changes. Par sa pérennité, l'orientation libérale a pris le caractère d'une option fondamentale. Ailleurs, des décisions semblables, mais assez vite révoquées, apparaissent comme des mesures dues davantage aux circonstances ou à des préférences occasionnelles qu'à un choix irréversible.

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Le libéralisme, d'autre part, a exercé son influence sur la politique gouvernementale, même lorsque celle-ci s'en écartait. Mis en échec, il n'a pas entièrement perdu ses droits. L'administration a cherché, quand ses initiatives étaient contraires aux principes libéraux, à ne fausser que le moins possible les mécanismes du marché. Elle s'est appliquée dans le choix de ses interventions à éviter les procédés directs et les moyens autoritaires. Elle a agi par incitation plus que par contrainte, par des décisions générales et non par des mesures particulières ou détaillées. Ainsi, un plafond a été fixé aux taux d'intérêt pour faciliter le financement de la construction, mais la répartition du crédit n'a jamais été soumise à un contrôle comparable à celui qui a été instauré en France. Des entreprises publiques survivent dans de nombreuses branches de l'économie en dépit de la « privatisation», mais le gouvernement n'a jamais tenté d'en faire un instrument de sa politique. C'est la fiscalité dont l'effet n'est ni direct, ni contraignant, qui a constitué l'instrument privilégié du gouvernement. II faut rappeler, aussi, que les libéraux allemands n'ont jamais prétendu établir, d'un seul coup et dans tous les domaines, un ordre qui soit en harmonie avec leurs principes. Ils ont, au contraire, souligné que la marche vers le libéralisme serait nécessairement progressive et qu'elle pourrait s'accommoder, à titre transitoire, d'interventions étatiques. Celles-ci sont admissibles, à leurs yeux, dans certains cas et à la condition que leur objectif ultime soit la restauration de l'économie de marché. La fin peut justifier les moyens et la « conformité» être « dynamique» aussi bien que «statique», s'apprécier dans le temps autant que dans l'instant. Ainsi, l'extrême pénurie de logements, provoquée par la destruction des villes allemandes, interdisait-elle la libération des loyers, qui postulait le rétablissement préalable d'un équilibre entre l'offre et la demande. En attendant, un contrôle administratif était indispensable. De même, la libération des taux d'intérêt était impossible à envisager dans un pays dont les réserves monétaires avaient fondu et dans lequel l'épargne privée était inexistante. Seule une épargne forcée, celle de l'Etat par l'intermédiaire de l'impôt, celle des entreprises par le biais de profits non distribués, pouvait subvenir aux investissements considérables exigés par la reconstruction. De telles mesures étaient inévitables. Bien que contraires au système libéral, elles n'ont pas dénaturé la politique allemande, affirme-t-on outre-Rhin, puisqu'elles n'étaient admises qu'à titre temporaire et que l'effort des autorités a tendu à revenir dès que possible à des pratiques plus « conformes». Complaisante et commode, cette argumentation n'est pas dépourvue de valeur en ce qui concerne les premières années du redressement, lorsque les conditions exceptionnelles de l'après-guerre rendaient la prudence nécessaire et impossible l'application immédiate et générale des principes libéraux. Elle cesse d'être convaincante quand on prétend l'appliquer à des interventions ou à des protections maintenues bien au-delà de ce qu'exigeait la situation. H n'est guère douteux, par exemple, que loyers et taux d'intérêt auraient pu être libérés plus tôt qu'ils ne le furent. JI est non moins clair que l'appareil complexe et multiforme des subventions gouvernementales, constamment critiqué mais toujours conservé et recréé, reflète les exigences de certains intérêts privés plus qu'il n'exprime un principe de

CONCLUSION

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politique économique. Que dire d'un secteur comme l'agriculture où la politique de Bonn n'a cessé de s'éloigner de l'économie de marché, tout en proclamant que son objectif était de s'en rapprocher. Il apparaît, en vérité, que le libéralisme allemand s'est heurté à des barrières, à des obstacles qu'il n'a pas pu ou voulu franchir. Les thèories les plus ingénieuses, la rhétorique la plus habile, ne parviennent pas à rendre compte de certains retards, de certaines pratiques, de certaines enclaves, incompatibles avec la doctrine libérale, même si on l'interprète avec souplesse et complaisance. Doit-on entièrement imputer ces échecs à l'irrésolution et à la faiblesse, conclure que le gouvernement a simplement capitulé devant des groupes de pression actifs et puissants ? On l'affirme souvent en Allemagne et de nombreux indices corroborent cette allégation. Mais on peut penser aussi que Bonn s'est heurté à des limites qu'aucun gouvernement n'eut facilement franchies. Le capitalisme est devenu, en Allemagne comme ailleurs, un régime mixte qui allie à un substrat libéral un grand nombre d'interventions étatiques. La République Fédérale, en dépit des efforts du Professeur Erhard, n'a .pas échappé à l'évolution qui, dans tous les pays industrialisés, tend à augmenter la place de l'Etat dans l'économie. Elle n'a pas davantage réagi contre celle qui.affecte le régime de concurrence et la structure des marchés. Aidée par la fiscalité, la concentration s'est considérablement développée dans l'industrie. Les « Konzerns» se sont reconstitués et ont retrouvé leur ancienne puissance. Le rôle des banques. est redevenu considérable et à travers un petit nombre de représentants, présents dans la plupart des grands conseils d'administration, elles parviennent à régler bien des affaires sans que l'arbitrage du marché trouve à s'exercer. Mais conclure, comme le font certains, qu'une concertation des intérêts privés remplace, avec la bénédiction et la complicité de l'Etat, la planification publique, c'est tirer d'une évolution évidente une conclusion excessive et affirmer ce qu'aucune étude sérieuse ne permet de démontrer. La concentration est un phénomène d'une ampleur mondiale et, comparées aux sociétés américaines, les firmes allemandes paraissent rarement démesurées. Le gouvernement de Bonn est, en outre, :un des seuls en Europe à avoir pris à l'encontre des pratiques restrictives des entreprises privées des mesures qui, si elles sont loin d'être suffisantes, apparaissent, au moins en ce qui concerne les ententes, comme relativement énergiques. A la législation « anti-cartel » s'ajoute une autre mesure qu'on aurait tort de sous-estimer : l'ouverture du marché allemand à la concurrence internationale. Le vent du large, auquel le gouvernement a volontairement ouvert les portes, a soumis les accords de prix, les répartitions de marchés, les pm,itions privilégiées, à une salutaire érosion. Il a fait régner en Répuhlique Fédérale un esprit de compétition auquel l'industrie allemande doit son efficacité technique, son agressivité commerciale, et, en définitive, ses succès sur les marché'3 mondiaux. La « dé-protection » a contribué, plus sûrement que la loi de 1957, à l'instauration outre-Rhin d'un ordre concurrentiel qui, s'il demeure imparfait au ~egard des exigences formulées par les libéraux, est cependant réel.

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Il faut tenir compte, enfin, des formes nouvelles que revêt ·aujourd'hui la concurrence. Jadis conçue comme portant uniquement sur les prix et opposant entre elles des firmes entièrement soumises au marché, elle tend de plus en plus à devenir « oligopolistique», à mettre aux prises des firmes qui sans être maîtresses du marché exercent une influence sur lui. La compétition n'a pas disparu mais elle a cessé de correspondre, en Allemagne comme ailleurs, aux schémas classiques. b) Le débat sur la nature de la politique de Bonn ne prend sa pleine signification qu'en fonction de l'efficacité qu'on lui prête et de l'importance qu'on lui attribue dans le relèvement de l'Allemagne. Question essentielle Que celle-là, mais tout aussi controversée. Pour les uns, l'ascension économique de la République Fédérale ne résulte que très indirectement de l'action gouvernementale. L'aide financiè~e extérieure, notamment les crédits Marshall, la puissance industrielle développée à partir de 1937 par l'effort de guerre et préservée en dépit des bombardements et des démontages, les ressources humaines multipliées par l'afflux des réfugiés, les qualités traditionnelles du peuple allemand, travailleur, discipliné, exportateur dans l'âme, seraient les véritables rauses de ce qu'on a eu tort d'appeler un miracle. Elles suffiraient à expliquer le dynamisme économique allemand, lui-même servi par les circonstances favorables dont la République Fédérale a eu la chance de bénéficier : expansion du commerce mondial, réarmement provoqué par la tension Est-Ouest et dont l'industrie allemande a largement profité sous la forme de commandes étrangères, faiblesse des charges supportées par la République Fédérale. Bref, les titres du Professeur Erhard seraient usurpés. La baguette du « magicien» n'aurait fait que marquer la mesure, qu'accompagner de gestes inutiles les mouvements d'un orchestre dont la conduite lui échappait. Le ministre de l'Economie aurait été non l'artisan, mais la mascotte, non l'instrument, mais le symbole de la résurrection de c,on pays. Nous avons nous-même insisté sur le rôle des. facteurs « exogènes» dans le redressement économique de l'Allemagne, souligné que la levée des contrôles en 1948 n'avait été rendue possible que parce que la réforme monétaire, imposée par .les Alliés, avait amputé la demande et que l'aide américaine avait permis d'approvisionner l'Allemagne en denrées de première nécessité. Nous avons montré que le « coup de chance coréen» avait sauvé l'expérience libérale à un moment où elle était sérieusement menacée et que la possession d'un potentiel industriel et humain préexistant avait seule permis à l'Allemagne d'accroître sa production d'une façon aussi spectaculaire et de répondre avec tant d'aisance aux à-coups de la demande internationale. Nous n'en sommes que plus à l'aise pour reconnaître à la politique du Professeur Erhard les mérites qui lui reviennent. Le plus éclatant est, peut-être, d'ordre psychologique. Il n'est pas douteux, en effet, que l'orientation prise en 1948 correspondait aux aspirations profondes du pays. Après des années de gestion ~utoritaire, de rationnement, de pénurie, d'incertitude monétaire, après une catastrophe militaire et politique sans précédent, le peuple allemand avait soif de bien-être matériel

CONCLUSION

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et de stabilité. Il ne demandait qu'à se mettre au travail, à panser ses plaies, à assouvir son appétit de consommation, à reconstruire ses logements. Le libéralisme tenait compte de ces aspirations. Il a mobilisé les énergies accumulées. Il a ouvert une carrière aux ambitions et aux espérances. En mettant l'accent sur l'initiative individuelle plutôt que sur les disciplines collectives, en supprimant les contrôles et les réglementations, il a répondu au sentiment anti-étatique né des excès du nazisme et de l'ampleur de sa défaite. Il a mobilisé les forces latentes, les dynamismes contenus, les élans réprimés. La politique d'Erhard convenait, plue;; que toute autre, à la situation. Ce fut sa grande vertu. Et l'on ne se trompera guère en lui attribuant, sinon le relèvement économique lui-même, du moins la rapidité spectaculaire de son rythme, le caractère fulgurant de sa progression. Mais la politique de Bonn a eu aussi d'autres effets qui, pour être plus limités, n'en sont pas moins remarquables. Parmi les décisions prises, il en est un grand nombre, en effet, dont la portée a été technique et administrative, mais qui méritent, par leur efficacité et leur succès, de retenir l'attention. Que l'on songe, en particulier, aux procédures financières grâce auxquelles la construction de logements a pris un extraordinaire essor, aux initiatives en faveur de la diffusion de la propriété, aux mesures arrêtés pour faciliter l'intégration des réfugiés, à la politique fiscale, dont le rôle a été capital pour le développement comme pour l'orientation des investissements. Le succès de la politique allemande dans la phase de reconstruction résulte, en définitive, de cette combinaison entre une orientation générale adaptée aux réalités aussi bien qu'aux mentalités et un ensemble de solutions particulières, de recettes pratiques, pas toujours conformes aux principes libéraux, mais efficaces et utiles. 2° Autant la politique du Professeur Erhard avait été heureuse pendant la période de reconstruction, autant elle se révéla insuffisante et inadaptée lorsque l'Allemagne, après avoir relevé ses ruines et donné du travail à ses chômeurs, entra dans l'ère du plein emploi. Les thérapeutiques employées longtemps avec succès apparurent impuissantes, en effet, à résoudre les problèmes nouveaux auxquels était confrontée l'économie allemande : ctlui de l'équilibre global, tour à tour menacé par l'inflation et la récession, celui de la croissance, devenue tout à coup plus différenciée et exigeant, de ce fait, une politique plus sélective. a) Si la République Fédérale avait, comme en se jouant, combiné la stabilité et l'expansion, c'est en partie parce qu'elle disposait sur le plan du potentiel industriel et humain, de «réserves» considérables. Celles-ci s'étaient, peu à peu, épuisées. L'érection, en 1961, du mur de Berlin, en interrompant l'arrivée des réfugiés, avait aggravé les tensions qui se manifestaient depuis quelques années. L'aggressivité syndicale s'était accrue. Les hausses de salaire tendaient à dépasser les progrès de la productivité. La durée du travail avait diminué. La « surchauffe» était devenue une menace permanente. Le gouvernement, cependant, s'en tint à l'attitude qui lui avait longtemps

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réussi. Pour combattre l'inflation, le Professeur Erhard continua de s'en remettre à des > périodiquement lancées à l'opinion, aux syndicats et au,x organisations patronales. Il lui répugna de faire des finances publiques un instrument de sa politique économique. Plus méfiant que jamais à l'égard des techruques keynésiennes et ne pouvant plus, en raison de l'existence de la Communauté Economique Européenne, agir sur les droits de douane, il laissa à la Banque Centrale la charge entière de la politique de conjonctu,re. Or l'action de l'institut d'émission se révéla tout à la fois insuffisante et excessive. Insuffisante dans la mesure où les excédents de la balance des paiements et les facilités que donnait aux banques et aux entreprises la libération des mouvements de capitaux, créaient plus de liquidités que ne parvenaient à en stériliser les restrictions de crédit. Excessive, parce que, à force de rigueur, la Bundesbank avait fini par freiner les investissements du secteur privé sans parve~ür pou,r autant à juguler, quand il l'aurait fallu, les dépenses inconsidérées des collectivités publiques. Obligée de maintenir trop longtemps des mesures trop restrictives, elle «cassa>> l'expansion pour maintenir la stabilité. Le Professeur Erhard, qui croyait avoir éliminé les fluctuations de l'économie, précipita l'Allemagne dans une récession, la première depuis 1948, la plus sérieuse qu'un pays européen ait connue depuis la deuxième guerre mondiale. Après avoir dépassé ses voisins dans l'expansion, la République Fédérale les précéda dans la stagnation. Au souci cie l'équilibre global s'ajoutèrent des problèmes «sectoriels» que les responsables se montrèrent tout aussi impuissants à maîtriser. Problèmes de reconversion d'une part. Le développement qui, dans les premières années, avait été général devint plus diversifié. Des décalages importants apparurent, dont souffrait notamment l'agriculture. La crise frappa les charbonnages, menaça le textile et la construction navale. La réaction du gouvernement fut insuffisante et incertaine. Il hésita entre un régime de concurrence, auquel il aspirait, mais que la résistance des groupes de pression l'empêchait de faire prévaloir et une politique d'assainissement autoritaire qu'il repoussa par libéralisme. Aussi bien s'installa-t-il dans un système de protections et de subventions, contraire aux exigences d'u.ne économie de marché, comme à celles d'une mutation, pourtant nécessaire, des structures. Problèmes de croissance, d'autre part. La priorité accordée, trop longtemps sans doute, aux; investissements industriels s'était soldée par un retard croissant des équipements publics. De sérieux déséquilibres se manifestèrent. Le développement des infra-structures urbaines, routières, culturelles, ne suivit pas la progres. sion du niveau de vie et des phénomènes de congestion et de pénurie apparurent dans de nombreux secteurs de la vie nationale, des autoroutes aux universités. Dans la recherche scientifique, où l'Allemagne s'était jadis illustrée, le retard se manifesta aussi, traduit par le déficit de la balance des brevets. Entre les régions urbaines à revenus élevés, mais coûteuses en investissements, et les zones rurales sous-équipées et en voie de dépopulation, l'écart tendit à s'accroître. Lorsque, à partir de 1960, l'opinion et le gouvernement commencèrent à mesurer les retards

CONCLUSION

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et les disparités, des difficultés financières se firent jour, qui ne permirent pas d'affecter aux grandes infrastructures les moyens qu'exigeait leur développement. La rigueur qui avait été acceptée sans mu,rmure n'était plus de mise. Les dépenses sociales, militaires, extérieures, les cadeaux électoraux, les largesses de toutes sortes multiplièrent les charges supportées par les budgets publics. Les arbitrages étaient inévitables, mais de plus en plus difficiles à imposer. Des prévisions à long terme devenaient nécessaires, ainsi qu'u.ne coordination plus pou.ssée entre l'autorité fédérale et les collectivités régionales et locales. En fait, u,ne réforme profonde des procédures financières s'imposait aussi bien pour les adapter aux mouvements de la conjoncture que pour mieux satisfaire les besoins prioritaires de l'équipement public. L'insuffisance de la politique de conjoncture, pour ne pas dire son absence, les hésitations et l'inefficacité de la politique des structures, le désordre des budgets publics débouchèrent, à l'automne de 1966, sur une double crise, économique et financière. Le gouvernement fédéral fllt contraint de procéder à des économies au moment où la stagnation appelait un accroissement de ses dépenses. Exigences contradictoires qui créèrent une situation inextricable et contribuèrent de façon décisive à la chu.te du Professeur Erhard. Le miracle économique avait fait de lui un héros national. La récession et le déficit le condamnèrent à la retraite. La tâche de ceux qui lui succédèrent aux commandes de l'économie allemande fut d'élaborer les réformes que son irrésolution, ses scrupules libéraux, ou plus simplement son optimisme l'avaient empêché de réaliser, mais que la situation avait rendues nécessaires. b) La désignation de l'expert économique du parti social démocrate, Karl Schiller, au poste qui avait été, pendant dix-huit ans, la citadelle incontestée du libéralisme, était un symbole en même temps qu'un indice des changements à venir. On aurait tort, cependant, d'y voir le signe d'une rupture complète avec le passé. Le nouveau ministre était, en effet, de ceux: qui avaient lutté pour rallier son parti à l'économie de marché. Quant à l'orientation nouvelle donnée à la politique allemande, elle avait été amorcée, dès 1962, par Erhard lui-même et poursuivie par son successeur, M. Schmücker. Ce dernier avait, au printemps de 1966, soumis au Parlement un projet de loi sur «la stabilisation de l'économie», qui prévoyait des mesures aussi nouvelles qu'une planification financière quinquennale et la création d'un fond conjoncturel et qui allait jusqu'à autoriser le gouvernement, pour régulariser la conjoncture, à modifier les taux de l'impôt sur le revenu. et ceux de l'amortissement. Le chemin parcouru, de part et d'autre, dans le sens d'un rapprochement avait été important et l'évolution plus progressive qu'il n'y paraît. La mutation n'en a pas moins été profonde. Loin d'en dissimuler la portée, M. Schiller s'est, d'ailleurs, appliqué, par ses écrits et ses discours, à en dégager la signification doctrinale. L'économie sociale de marché entrait avec lui, a-t-il publiquement proclamé, dans une phase nouvelle de son développement. Les conceptions elles-mêmes ont changé. On admet, désormais, que la concurrence, même lorsqu'elle est effective, ne suffit ni à garantir le plein emploi, ni à Politique économique de l'Allemagne occidentale.

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assurer une protection efficace contre l'iiûlation. On reconnaît qu'elle :µ'influence ni le cré> recueillies servent à orienter aussi bien les décisions du secteur privé, que l'action de l'administration. La neutralité des finances publiques, ·jadis considérée comme· sacro-sainte, est officiellement répudiée. La loi de 1967 pose, au contraire, le principe de leur subordination à la politique économique. Elle prescrit l'adaptation du volume des dépenses publiques aux nécessités de la-conjoncture et crée à cet effet des mécanismes permanents et préventüs 1 aussi bien· que des instruments adaptés au temps de crise 9 • En mettant les finances .publiques au service de la politique économique, le Gouvernement de Bonn a franchi un· pas essentiel. Il en a accompli un autre en instaurant une concertation régulière entre l'administration et· les phischer Verlag, 1967. Wilhelm RoEPKE. - Article Wettbewerb (II). « Ideengeschichte und ordnungspolitische Stellung, dans, Handworterbuch der Sozialwissenscha~en, Band 12. Stuttgart, Gustav Fischer; Tübingen, J. C.B. Mohr (Paul Siebeck); Gottingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1965, pp. 2936. Herbert WILHELM. - Preisbingung und Wettbewerbsordnung. Eine Auseinandersetzung mit den Thesen des Bundeskartellamtes, Berlin-München, C. H. Beck, 1962.

CHAPITRE VII

LA POLITIQUE DE CONJONCTURE

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CHAPITRE VIII

LE FINANCEMENT DES INVESTISSEMENTS

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CHAPITRE IX

LA POLITIQ!lE SOCIALE

Viola von BETHUSY-Huc. - Das Sozialleistungssystem der Bundesrepublik Deutschland, Tübingen, J. C.B. Mohr (Paul Siebeck), 1965. Erik BoETTCHER. - Sozialpolitik und Sozialreform, Tübingen, J. C.B. Mohr (Paul Siebeck), 1957. Goetz BRIEFS (ed.). - Mitbestimmung? Beitrage zur Problematik der paritatischen Mitbestimmung in der Wirtschafl, Stuttgart, Seewald Verl., 1967. BUNDESMINISTER FÜR ARBEIT UND Soz1AL0RDNUNG (ed.). - Ubersicht über die soziale Sicherung in Deutschland, 6. Aufl., Bonn, 1967. BuNDESMINISTER FÜR VERTRIEBE NE (ed.). - Die Eingliederung der Flüchtlinge in die deutsche Gemeinschafl, Bonn, 19 51. Friedrich KAss. - Artikel « Lastenausgleich •· In Hand worterbuch der Sozialwissenschaflen, Bd. 6, Stuttgart, G. Fischer-Ver!., Tübingen, J. C.B. Mohr (Paul Siebeck), Gôttingen, Vandenhoek & Ruprecht, 196 5. Emil KüNo. - Eigentum und Eigentumspolitik. St. Gallener Wirtschaflswissenschaflliche Forschungen, vol. 23, Tübingen, J. C.B. Mohr (Paul Siebeck), Zürich, Polygraphischer Verlag, 1964. Elisabeth LIEFMANN-KEIL. - Okonomische Theorie der Sozialpolitik, Berlin, Gôttingen, Heidelberg, Springer-Verlag, 1961. Alfred MüLLER-ARMACK. - Wirtschaflsordnung und Wirtschaflspolitik. Studien und Konzepte zur sozialen Marktwirtschafl und zur europii.ischen lntegration, Freiburg-Br., Verlag Rombach, 1966. Peter P. NAmt:. - Der Lastenausgliech, 2. Aufl., Stuttgart, Kohlhammer Verlag, 1961. A. F. NAPP-ZINN, H. G. ScHACHTSCHABEL. - Zur Theorie und Praxis der Mitbestimmung. Schriften des Vereins für Socialpolitik, N.F., vol. 24, Berlin, Duncker & Hu.mblot, 1964. Oswald von NELL-BREUNING. - Mitbestimmung, Frankfurt-M., Europaische Verlagsanstalt 1961. Erich PoTTH0FF. - Zur Geschichte der Montan-Mitbestimmung, Koln-Deutz, Bund-Verlag, 1955. Gerhard REICHLING. - Die Heimatvertriebenen im Spiegel der Statistik. Schriften des Vereins für Socialpolitik, N.F., vol. 6, Berlin, Duncker & Humblot, 1958 Wilfried ScHREIBER. - Kindergeld im sozio-okonomischen Prozess· Familienlastenausgleich als Prozess zeitlicher Kaufkraflumschichtung im lndividualbereich, Kôln, Kohlhammer Ve:rlag, 1964. Witfried ScHREIBER. - Soziale Ordnungspolitik heute und morgen. Betrachtungen nach Abschh1ss der Sozialenquête, Kôln, Kohlhammer Verlag, 1968. A. STURMTHAL. - Workers Councils. A Study of Workplace organisation on Both Sides of the Iron Curtain, Cambridge-Mass., Harvard University Press, 1964. Fritz VoIGT, Walter WEDDIGEN (ed.). - Zur Theorie und Praxis der Mitbestimmung. Schriften des Vereins für Socialpolitik, N.F., vol. 24, Berlin, Duncker & Humblot, 1962. Gerhard WEISSER. - « Die Gesetzgebung über den Lastenausgleich •· In Finanzarchiv, N.F., vol. 16, Tübingen, J. C.B. Mohr (Paul Siebeck), 1953.

CHAPITRE X

LES

SECTEURS

PROTÉGÉS

Fritz BAADE. - Die deutsche Landwirtschaft lm Gemeinsamen Markt. Schriftenreihe zum Handbuch für Europaische Wirtschaft, 4. Band, 2. Aufl., Baden-Baden, Lutzeyer, 1963. Pierre BELLIN, Maurice HAssoN. - « L'agriculture en République Fédérale d'Allemagne•, Paris, La Documentation Française, n° 3226, 1965. BuNDESMINISTERIUM FÜR ERNAHRUNG, LANDWIRTSCHAFT UND FoRSTEN (ed.). - Bericht über die Verbesserung der Agrarstruktur in der Bundesrepublik 1966-1967, Berlin-Bonn, Landschriltenverlag, 1967. - Grüne Berichte, Bonn, 1956-1968. - Arbeitsprogramm für die Agrarpolitik der Bundesregierung (Agrarprogramm), Hiltrup b. Münster, Landwirtschaftsverlag, 1968. BuNDESMINISTER FÜR VERKEHR (ed.). - Die Verkehrswege in der Bundesrepublik Deutschland, München, Harbeke, 1964. E. H. BURCKARDT. - « Steinkohlenbergbau und Energiepolitik vor der Entscheidung. Steinkohlentag 1967 •· Dans, Glückauf Bergmannische Zeitschrift (103), Essen, pp. 1239-1292. COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE (ed.). - L'Europe et l'Energie, Luxembourg, Publication Commune, 1967. Nigel DESPICHT. - Policies for Transport in the Common Market, Sidcup Kent, Lambarde Press, 1964. DEUTSCHER BUNDESTAG (ed.). - Verkehrspolicisches Programm für die Jahre 1968-1972, Bonn, Bundestagsdrucksache V /2494, 1968. DEUTSCHES INSTITUT FÜR WIRTSACHAFTSFORSCHUNG (ed.). - • Rationalisierungsma.flnahmen und Rationalisierungserfolg im Steinkohlenbergbau der Bundesrepublik Deutschland • Dans, Vierteljahreshefte zur Wirtschafcsforschung, 3. Heft, Berlin, Duncker & Humblot, 1967. DEUTSCHE LANDJUGEND AKADEMIE (ed.). - Landwirtschaftliche Familienbetriebe, Fredeburg, Selbstverlag, 1967. Olivier de FERRON. - Le Problème des Transports et le Marché Commun, Genève, Librairie Droz, 1965. Wolfgang FLECK, Andrea WôLK, Ingeburg WALTHER. - Wettbewerbs- und Absatzprobleme bei landwzrtschaftlichen Erzeugnissen in der Bundesrepublik Deutschland. Ed. Forschungsgesellschaft für Agrarpolitik und Agrarsoziologie e.V. Bonn, Bonn, Selbstverlag, 1966. GESETZ zur Anpassung des deutschen Steinkohlebergbaus und der deutschen Steinkohlebergbaugebiete vom 15, 5. 1968, Bundesgesetzblatt I, 1968, pp. 365. Franz GROSSE. - Die Problematik einer Anpassung des Bergbaues an die veranderte Marktsituation, Essen, Vulkan Verlag, 1967. Walter HAMM. - Preise ais verkehrspolitisches Ordnungsinstrument, Heidelberg, Verlag Quelle & Meyer, 1964. Günther JoHN. - Die Verkehrsstrome innerhalb der Bundesrepublik Deutschland nach Gütergruppen und Verkehrsarten. Deutsches Institutf ür Wirtschaftsforschung (ed.), Sonderheft Nr. 76, Berlin, Duncker & Humblot, 1967. Franz ..MEHLER. - Zur Problematik der Agrarpreise, Stuttgart, Ulmer, 1962. Helmut MEINHOLD. - Die gro.flen Betribe im innerlandwirtscha~lichen Wettbewerb. ln, Agrarwirtschaft, Hannover, Alfred Strothe Verlag, 1967.

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CHAPITRE XI

LIBÉRALISME ET NOUVELLES FRONTIÈRES

H . .AFHELDT. - lnfrastrukturbedarf bis 1980. Eine Bedarfs- und Kostenschützung notwendiger Verkehrs-, Bildungs- und Versorgungseinrichtungen für die Bundesrepublik Deutschland. Prognos Studien Nr. 2, Stuttgart, Kohlhammer Verlag, 1967. Willi ALBERS, Alois ÛBERHAUSER, Wolfgang M1cHALSKI. - Sozialprodukt, offentliche Haushalte und Bildungsausgaben der Bundesrepublik Deutschland. Eine Projektion bis 1975. Deutscher Bildungsrat, Gutachten und Studien der Bildungskommission, Band 5, Stuttgart, Klett, 1969. Gunther AscHHOFF. - Agrarpolitik und landwirtschaftliche Genossenschaften in der EW G. Karlsruhe, C. F. Müller, 1961. BuNDESMINISTER FÜR WOHNUNGSWESEN UND STADTEBAU ted.). - Stiidtebaubericht 1969, Bonn, 1969. CENTRE DE RECHERCHES EUROPÉENNES (ed.). - Exode des Cerveaux, Lausanne, 1968. DEUTSCHE BUNDESREGIERUNG (ed.). - Bericht über den Stand der Maflnahmen au( dem Gebiet der Bildungsplanung, Bonn, BundestagsdrUcksache V/1580, 1967. DEUTSCHER BUNDESTAG (ed.). - Raumordnungsbericht 1963, Bonn, Bundestagsdrucksache IV/1492, 1963. DEUTSCHER BUNDESTAG (ed.). - Raumordnungsbericht 1966, Bonn, Bundestagsdrucksache V/1155, 1966. DEUTSCHER BUNDESTAG (ed.). - Bundesforschungsbericht I, II, Bonn, 1965 und 1967. DEUTSCHER BUNDESTAG (ed.). - Finanzplanung des Bundes 1967-1971, Bonn, Bundestagsdrucksache V /2065, 1967. DEUTSCHE CEPES-GRUPPE (ed.). - Die deutsche Wirtschaft und die EWG, 2. Aufl., Brüssel, Presse- und Informationsdienst der Europaischen Gemeinschaften, 1968. Ernst DüRR. - Wirkungsanalysen der monetiiren Konjunkturpolitik, Frankfurt a.M., Fritz Knapp Verlag, 1966. Friedrich EDDING. - Okonomie des Bilbungswesens. Lehre und Lernen als Haushalt und als lnvestition, Freiburg i.B. : Verlag Rombach, 1963. Erich EGNER. - «Article Raumwirtschaftspolitik. • Dans, Handworterbuch der Sozialwissenschaften, Band 8, Stuttgart, Gustav Fischer; Tübingen, J. C. B. Mohr (Paul Siebeck); Gôttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1964, pp. 694. Ernst ENGEL, Franz FENDT. - Agrarpolitik im Rahmer der drei groflen Reformprogramme Hocher[, Schiller, Mansholt, Stuttgart, Deutscher Sparkassenverlag, 1969. E. FRIEDWALD. - L'effort de recherche et de développement en Europe Occidentale, Amérique du Nord et Union Sovietique, Paris, O.C.D.E., 1967. Georg P1cHT. - Die deutsche Bildungskatastrophe. Olten und Freiburg, Walter-Verlag, 1964. Wilhelm GrnsEKE. - Die Landwirtschaft in der EWG, Stuttgart, Ulmer, 1966. Reimut JocHIMSEN, Peter TREUNER. - Zentrale Orle in liindlichen Riiumen unter besonderer Berücksichtigung der M oglichkeiten der Schaffung zusiitzlicher ausserlandwirtschaftlicher Arbeitspliitze. Bad Gidesberg, Bundesanstalt für Landeskunde und Raumforschung, 1967.

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TABLE DES MATit3RES

Introduction TITRE PREMIER ORIQINES ET DÉVELOPPEMENT DU LIBÉRALISME ALLEMAND

CHAPITRE I. -

LE LEGS DU PASSÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

7

1. L'Allemagneimpériale ..................................................... . 2. La guerre et la République de Weimar ...................................... . 3. Le national-socialisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

7 16 21

CHAPITRE II. -

1. 2. 3. 4.

LE BOULEVERSEMENT DES STRUCTURES............................

29

Le potentiel industriel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La division du pays . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le déséquilibre démographique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les structures politiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

30 39 42 46

CHAPITRE III. -

LA RENAISSANCE DU LIBÉRALISME EN TANT QUE DOCTRINE ÉCONOMIQUE.

51

1. Walter EucKEN et l'Ecole de Fribourg........................................ 2. Autres économistes néo-libéraux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. La doctrine ordo-libérale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

53 56 58

CHAPITRE rv. - LEs oRANDEs ÉTAPES DE L'ÉvoLuTrnN ÉcoNoM1QuE DE L'ALLEMAGNE DEPUIS 1948. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

67

1. 2. 3. 4.

Les bases du relèvement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 La reconstruction dans la stabilité (1948-1958) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 L'expansion dans l'instabilité (1959-1966) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 Récession, reprise et réévalution (1967-1969) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112 TITRE II LE LIBÉRALISME EN ACTION

CHAPITRE V. -

UNE ÉCONOMIE LIBÉRÉE DES EMPIÉTEMENTS DE L'ETAT ••••••.••.....

125

1. La liberté des prix et des salaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126

2. La'libération des échanges extérieurs .......................................... 133 3. Le transfert d'entreprises publiques au secteur privé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145 4. Le refus de la planification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151

TABLE DES MATl~RES CHAPITRE VI. -

LA POLITIQUE DE CONCURRENCE . . • . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157

1. Origi:ne de la loi contre les limitations de la concurrence. . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . • . . 158 2. Principales dispositions de la loi de 1957 • . . . . • . . . . . • • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162 3. Application de la loi . . . . . • . . • • . . . . . • • • . . . . • . . . • • • . . . . . • • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168 4. L'état de la concentration dans l'économie ..•................................. 175

CHAPITRE VII. -

LA POLITIQUE DE CONJONCTURE . . • . . . . • • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181

1. Les moyeJis de la politique de conjoncture . • • . . • • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183

2. Limites et échec de la politique monétaire • . • • • . • . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191 3. La loi sur la stabilisation et la croissance de l'économie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202

TITRE III LE LIBÉRALISME EN QUESTION

CHAPITRE VIII. 1. 2. 3. 4.

LE FINANCEMENT DES INVESTISSEMENTS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213

Les ressources propres des entreprises ......................................... Les finances publiques • • • • . . • . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L'épargne des ménages • • • • • . . . . . . . • . . . . . . . . . . • • . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le crédit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

CHAPITRE IX. -

215 221 234 238

LA POLITIQUE SOCIALE ......•.....••............................ 247

1. Réparation des dommages personnels et matériels causés par la guerre et la réforme

monétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250 2. Ebauche d'une politique des structures. . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 256 3. Extension de la sécurité sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271 CHAPITRE X. -

LES SECTEURS PROTÉGÉS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285

1. L'agriculture .........•.....•.............................................. 285 2. L'industrie charbonnière. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 302 3. Les transports . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 312 CHAPITRE XI. -

1. 2. 3. 4.

LIBÉRALISME

ET

NOUVELLES FRONTIÈRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . , . . . . . .

Infrastru,ctures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Aménagement du territoire. . . . • . . . • • • • • • . • • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Recherche scientifique et Enseignement supérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Politique économique et Marché comm\ln . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

321

322 327 337 356

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 359

lmp. F. BOISSEAU, RUE ou TAtm, 34 - TOULOUSE (FRANCB) Dépôt légal, 1 •r trimestre 1970