Physique de la matière molle

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Françoise Brochard-Wyart Pierre Nassoy Pierre-Henri Puech

Physique de la matière molle

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© Dunod, 2018 11, rue Paul Bert, 92240 Malako www.dunod.com ISBN 978-2-10-077257-5

Table des matières Introduction 1

2

1

Matière molle

5

LEÇON 1. Systèmes complexes mésoscopiques

5

1.1 Mésoéchelle

5

1.2 Désordre

6

1.3 Topologie et géométrie

6

LEÇON 2. Objets fragiles

10

2.1 Interactions faibles

11

2.2 Grandes réponses 2.3 Matière molle et biologie

12 14

LEÇON 3. Forces de Van der Waals

17

3.1 Classification et portée de l’interaction de Van der Waals

17

3.2 Interactions de Van der Waals entre deux milieux

18

LEÇON 4. Interactions électrostatiques

25

4.1 Origine de la charge de surface

25

4.2 Double couche électrostatique

26

4.3 Répulsion entre deux plaques chargées 4.4 Théorie DLVO: stabilité des suspensions colloïdales et des films de savon

28

LEÇON 5. Micromanipulations et microfluidique

34

5.1 Micromanipulations

34

5.2 Microfluidique – MEMS et laboratoires sur puce

37

Interfaces

41

LEÇON 6. Systèmes colloïdaux: classification etfabrication

41

6.1 Caractéristiques générales de l’état colloïdal 6.2 Classification des colloïdes

41 42

6.3 Préparation des systèmes divisés

43

LEÇON 7. Capillaritéettension superficielle

48

7.1 Tension superficielle

48

7.2 Formule de Laplace (1805) 7.3 Adhésion capillaire

51 53

29

III

Table des matières

LEÇON 8. Capillarité et pesanteur

56

8.1

Longueur capillaire

56

8.2 8.3

Montée capillaire – Loi de Jurin Ménisques

57 58

8.4

Forme des gouttes

59

LEÇON 9. Mouillage

63

9.1 9.2

Paramètre d’étalement S Mouillage partiel: S 0 Du mouillage à l’adhérence

65 66

LEÇON 10. Physicochimie du mouillage

70

10.1 Deux catégories de solides

70

10.2 Critère de mouillage – Calcul du paramètre d’étalement

71

10.3 Traitement de surface

71

10.4 Caractérisation des surfaces – Tension critique de Zisman g c

72

10.5 Critère de mouillage: influence de la constante de Hamaker

73

LEÇON 11. Dynamique du mouillage

77

11.1 Vitesse capillaire

78

11.2 Dynamique: mouillage partiel

79

11.3 Dynamique: mouillage total

82

LEÇON 12. Démouillage: retrait des films

86

12.1 Définition du démouillage

86

12.2 Démouillage des films supportés: stabilité des films

87

12.3 Dynamique du démouillage

89

LEÇON 13. Les tissus biologiques: des agrégats multicellulaires 94

3

IV

13.1 Les agrégats cellulaires: des liquides

94

13.2 Mouillage des agrégats cellulaires 13.3 Les agrégats cellulaires: des mousses

97 98

13.4 Les agrégats cellulaires: des matériaux aux propriétés inédites

98

Cristaux liquides

103

LEÇON 14. Cristaux liquides

103

14.1 Phases mésomorphes

103

14.2 Nématiques 14.3 Cholestériques

104 105

14.4 Smectiques 14.5 Cristaux liquides (CL) thermotropes et lyotropes

106 106

Table des matières

4

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5

LEÇON 15. Nématiques

109

15.1 Élasticité des nématiques

110

15.2 Préparation d’échantillon monodomaine 15.3 Alignement dans un champ magnétique: transition de Fredericks

110 110

15.4 Alignement dans un champ électrique: affichage

111

15.5 Textures des nématiques

112

Surfactants

117

LEÇON 16. Molécules amphiphiles

117

16.1 Classification des tensio-actifs

117

16.2 Rôles aux interfaces 16.3 Agrégation dans l’eau

118 118

16.4 Émulsions eau/huile et HLB

120

LEÇON 17. Films monomoléculaires de tensio-actifs

130

17.1 Films insolubles

131

17.2 Films solubles

134

LEÇON 18. Films de savon - Bulles et Vésicules

137

18.1 Films de savon – Bulles – Mousse

138

18.2 Bicouches lipidiques:vésicules, cellules vivantes

141

Polymères

147

LEÇON 19. Molécules géantes

147

19.1 Polymères: longues chaînes de monomères

147

19.2 Procédés de synthèse 19.3 Problèmes principaux

147 149

19.4 États de la matière

150

19.5 Classification des polymères

150

LEÇON 20. Chaîne flexible idéale

154

20.1 Distance bout à bout

155

20.2 Pelote gaussienne: réservoir d’entropie

155

20.3 Ressort entropique 20.4 Déviations

156 157

20.5 Détermination pratique de R, N

158

LEÇON 21. Chaîne gonflée

167

21.1 Volume exclu

167

21.2 Calcul de Flory (1949) 21.3 Généralisation en dimension d 21.4 Théorème n = 0 (de Gennes, 1972)

168 169 170

21.5 Élasticité d’une chaîne gonflée (P. Pincus)

170 V

Table des matières

6

VI

LEÇON 22. Solution de polymères

172

22.1 Polymères en solution: les trois régimes

172

22.2 Modèle de Flory-Huggins 22.3 Lois d’échelle et modèle de «blobs» (P.-G. de Gennes)

173 175

LEÇON 23. Brosses de polymères

180

23.1 Une découverte ancienne (4 000 ans avant J.-C.) : l’encre de Chine

180

23.2 Mécanisme de stabilisation 23.3 Configuration de la brosse de polymère

180 181

23.4 Répulsion stérique 23.5 Applications

182 183

LEÇON 24. La reptation

185

24.1 Viscoélasticité

185

24.2 Modèle de reptation

188

24.3 Vérification expérimentale

190

24.4 Observation de la reptation avec des polymères géants

191

Quelques réalisations prodigieuses

195

LEÇON 25. La magie de la peinture

195

25.1 Généralités sur les latex

195

25.2 Viscosité des latex

196

25.3 Formation d’un film de peinture

196

25.4 Couchage du papier

198

LEÇON 26. Des tissus iridescents

198

26.1 Qu’est-ce qu’un cristal photonique? 26.2 Structures photoniques dans la nature

199 200

26.3 Textiles iridescents

200

Bibliographie

203

Index

211

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Introduction

Naissance de la matière molle

P.-G. de Gennes (1932-2007) est considéré comme l’inventeur de cette science baptisée matière molle. Après un début spectaculaire en physique des solides (magnétisme, supraconductivité), sa carrière en physique théorique de la Matière Condensée va s’ouvrir à un spectre très large de sujets, cristaux liquides, polymères, colloïdes, mouillage et adhésion, biophysique et neuroscience qui constituent la matière molle. Bien que la liste de ses travaux soit très impressionnante, l’importance de son œuvre repose surtout sur son style de recherche en contact permanent avec l’expérience et le monde industriel et basé sur l’idée que tous les phénomènes physiques peuvent être expliqués en termes simples. Ses travaux ont été couronnés par le Prix Nobel de Physique en 1991. Commençons ce livre d’introduction à la physique de la matière molle par quelques extraits de la conférence Nobel de Pierre-Gilles de Gennes prononcée à Stockholm en décembre1991 à l’occasion de la remise de son prix Nobel de Physique.

Qu’entend-on par matière molle? Les Américains préfèrent parler de «fluides complexes» et cette dénomination traduit effectivement deux des principales caractéristiques: Complexité : on peut dire, en schématisant, que la biologie moderne est partie d’études de systèmes modèles simples (bactéries) pour aller vers des organismes multicellulaires complexes, tels que végétaux, invertébrés, vertébrés, etc. De la même manière, la matière molle s’est développée à partir de l’explosion de la physique atomique dans la première

1

Introduction • Naissance de la matière molle

moitié du xx e siècle, et elle englobe les polymères, les tensio-actifs, les cristaux liquides ainsi que les dispersions colloïdales. Flexibilité : j’aime bien illustrer cette notion en partant de la première expérience sur les polymères que nous devons aux Indiens d’Amazonie: ils recueillaient la sève de l’hévéa, l’étalaient sur leurs pieds et la laissaient sécherun petit moment. Et c’est ainsi qu’ils s’étaient fait une botte. Si l’on se place à l’échelle microscopique, on a au départ un système de longues chaînes de polymères flexibles et indépendantes. L’oxygène de l’air crée quelques ponts entre les chaînes, induisant un changement d’état spectaculaire, où l’on passe d’un liquide à un réseau réticulé qui résiste à la contrainte, un caoutchouc. Ce qu’il faut noter, c’est qu’une opération chimique infime a entraîné un changement radical dans les propriétés mécaniques, et c’est bien là un trait caractéristique de la matière molle.

Style de recherche en matière molle Expériences de coin de table Je voudrais maintenant revenir quelques minutes sur le style de la recherche en matière molle. Prenons l’exemple des tensio-actifs; ce sont des molécules constituées de deux parties: une tête polaire qui aime d’eau et une queue aliphatique qui la déteste. Les tensio-actifs permettent ainsi de protéger les surfaces d’eau et d’engendrer ces jolies bulles de savon. Benjamin Franklin a réalisé avec eux une belle expérience. Sur un étang dans un parc de Londres, il a versé une cuillère à café d’acide oléique, un tensio-actif naturel qui a tendance à former des films compacts à l’interface eau-air. Connaissant le volume pour recouvrir tout l’étang dont il connaissait la surface, il a pu en déduire l’épaisseur du film, de l’ordre de trois nanomètres. C’est à ma connaissance la première mesure de la taille des molécules. Et j’aime beaucoup décrire des expériences dans le style Benjamin Franklin à une époque où nous sommes envahis de gros appareils tels que réacteurs nucléaires ou sources synchrotrons. Je vous en donnerai deux exemples. Le premier concerne le mouillage des fibres. D’ordinaire, sur une fibre qui a été plongée dans un liquide, on voit apparaître un chapelet de gouttelette, de sorte qu’on a longtemps pensé que les fibres n’étaient pas mouillables. F.Brochard a fait une analyse théorique de l’équilibre des liquides sur des surfaces courbées et elle a suggéré qu’il pouvait exister un film de mouillage entre les gouttelettes. J.-M.di Meglio et D.Quéré en ont prouvé son existence et mesuré son épaisseur de façon élégante (di Meglio 1986). En posant sur une fibre deux gouttes de taille différente, ils montrent que la petite se déverse lentement dans la grosse, selon les lois de la capillarité. Une mesure de la dynamique du processus permet de déterminer l’épaisseur du film déposé sur la fibre, qui relie les deux gouttes. Une autre expérience élégante en mouillage concerne les modes collectifs de la ligne de contact, qui borde une goutte déposée sur un solide. Si on la perturbe, elle revient à sa position

2

Style de recherche en matière molle

d’équilibre avec un temps de relaxation qui sera fonction de la longueur d’onde de la déformation etque nous aimerions étudier. Mais comment distordre la ligne? J’avais songé à des astuces compliquées, par exemple des champs électriques appliqués sur du métal évaporé avec une géométrie en forme de peigne, et même bien pire encore. Mais Thierry Ondarçuhu (1991) s’en est sorti très simplement. Il prépare d’abord une belle ligne de contact L rectiligne en déposant une grosse goutte sur un support solide. Il plonge ensuite une baguette dans le même liquideet obtient, en la sortant, un chapelet périodique de gouttelettes, en raison de l’instabilité de Rayleigh. Posant la baguette sur le solide parallèlement à L, il réalise un alignement de gouttelettes sur le solide. Il pousse alors L, en inclinant le support, jusqu’à ce que L touche les gouttelettes; par coalescence, il obtient une ligne ondulée dont il peut mesurer le temps de relaxation.

Théorie

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Réduire un problème complexe à l’essentiel. Travaillant avec des expérimentateurs et des ingénieurs de l’industrie, et plus tard avec des biologistes, P.-G. de Gennes, devant des situations faisant intervenir un grand nombre de paramètres, a l’art de démasquer le phénomène physique central. Il est courant d’illustrer cette démarche par le style de Picasso, en particuliers la série si célèbre sur le taureau que Picasso représente avec de moins en moins de détails pour finir avec quelques lignes, et qui a profondément marqué Pierre-Gilles de Gennes «Chacun en nous a son trésor d’images entrevues dans un instant mais jamais oubliées. Un exemple pour moi: Picasso peignant à grands traits blancs sur une vitre et filmé par Clouzot. Tout ce que j’ai essayé de dessiner laborieusement plus tard est né de ces moments-là.» (Pierre-Gilles de Gennes, dans L’émerveillement par Thibaut de Wurstemberger, Saint-Augustin, 1998.)

L’enlèvement des Sabines, dessiné par PGG en 1983, place de la Seigneurie à Florence (Collection privée-Photo FBW)

3

Introduction • Naissance de la matière molle

Le formuler simplement en utilisant des arguments dimensionnels et des lois d’échelles. PGG s’efforce de donner des expressions analytiques simples de ses résultats, même s’ils sont le plus souvent le fruit de gros calculs. Il en donne toujours une interprétation physique et utilise le dessin pour la transmettre, comme l’image des blobs, ou le modèle de reptation, qui ont permis d’ouvrir la physique des polymères à un large public. Posséder une vaste culture pour faire des analogies entre diverses disciplines. Jusqu’ici, j’ai mis l’accent sur les expériences plus que sur la théorie. Mais bien sûr il faut aussi un peu de théorie en matière molle. Et on trouve des analogies théoriques surprenantes entre la matière molle et d’autres domaines. Un exemple majeur est dû à S. F. Edwards (1965) qui a établi une correspondance entre les conformations d’une chaîne de polymère flexible et les trajectoires d’une particule non relativiste. En présence de potentiels extérieurs, ces deux systèmes sont régis par exactement la même équation de Schrödinger! Ce fut là l’étape initiale de tous les développements ultérieurs de la statistique des polymères. Une autre analogie remarquable, qui a été découverte simultanément par W. McMillan et nous-même, relie les smectiques A aux supraconducteurs. Et là encore, on va voir comment une nouvelle forme de la matière en est née! Nous savions que les supraconducteurs de type II présentent en champ magnétique un réseau des vortex quantifiés: l’analogue est un smectique A auquel on ajoute un soluté chiral qui joue le rôle de champ. Dans certaines circonstances favorables, comme l’a prévu T. Lubensky en 1988, on peut obtenir une phase smectique transpercée de dislocations vis, appelée phase A*. Il n’a fallu qu’un an pour qu’elle soit découverte expérimentalement par Pindak et ses collaborateurs, ce qui est une véritable prouesse. Et l’on pourrait citer bien d’autres exemples, comme l’analyse des déformations des membranes flexibles «fermées» (globule rouge, vésicule…) modélisé par PGG en utilisant le modèle sphérique des transitions de phase à 2D (M. Fisher; Ann Phys 1977)

Faire de la science en s’amusant Finissons par ce poème de François Boucher (La souffleuse de savon que P.-G. de Gennes, épris de littérature, a choisi pour clore sa lecture Nobel): «Amusons-nous sur la terre et sur l’onde Malheureux qui se fait un nom Richesses, honneurs, faux éclats de ce monde, Tout n’est que boule de savon»

4

Chapitre

1

LEÇON 1

Matière molle Systèmes complexes mésoscopiques

Les objets de la matière molle, tels que les polymères, cristaux liquides ou détergents sont également baptisés systèmes ou fluides complexes. Leur caractéristique commune est la présence d’une échelle mésoscopique jouant un rôle clé dans la détermination des propriétés du système.

1.1 Mésoéchelle

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Le terme mésoéchelle désigne une échelle intermédiaire entre les objets macroscopiques et ceux de taille atomique, c’est-à-dire comprise entrequelques angströms (Å) et environ 1000Å. C’est l’échelle caractéristique des grandes familles de systèmes de la matière molle que nous étudierons. La Figure1.1 représente quelques exemples de systèmes entrant dans cette catégorie. Le fait qu’un film de savon contienne plusieurs centaines de molécules d’eau dans son épaisseur ou qu’une chaîne de polymères soit composée souvent de plus d’un millier d’unités monomériques suffit à justifier que les théories continues sont encore valables pour décrire ces systèmes. Comme le nombre de particules N est grand (N > 100), la mécanique statistique peut s’appliquer.

Figure1.1– Exemples de systèmes mésoscopiques de la matière molle.

A) Chaîne de polymères (N = 1000 ; R = N νa). B) Micelle de surfactant (N = 100). C) Agrégat de floculation (N = 500). D) Film de mouillage. E) Film de savon. F) Cristal liquide.

5

Chapitre 1 • Matière molle

1.2 Désordre Le désordre caractérise la matière molle. Illustrons cette propriété par deux exemples: – les cristaux liquides possèdent, tout comme les cristaux, un ordre d’orientation. En revanche, les centres de gravité des molécules qui les constituent présentent un désordre de position et ils coulent comme des liquides; – les polymères sont souvent comparés à un plat de spaghettis enchevêtrés [1]. Soumises à l’agitation thermique, les longues chaînes se faufilent par reptation parmi les autres, comme des serpents dans la savane.

Figure1.2– Reptation d’une chaîne parmi les autres.

1.3 Topologie et géométrie a) Connectivité Lorsqu’on disperse un peu d’eau dans de l’huile, on forme une émulsion d’eau dans l’huile. En augmentant la quantité d’eau, on aboutit à la configuration inverse, à savoir une émulsion d’huile dans l’eau. Le passage entre ces deux états correspond à une transition de percolation [2] des gouttes d’eau. C’est un phénomène de seuil. La percolation est un concept qui s’applique à un grand nombre de systèmes très variés. Elle se produit lorsqu’on prépare son café. La première goutte de café qui sort du percolateur correspond à un chemin continu d’eau dans la poudre de café. Dans un tout autre domaine, ces archipels d’îles à marée haute, qui, lorsque la marée baisse, se connectent les unes aux autres, se transformant ainsi en presqu’îles et permettent au voyageur de les explorer à pied. La propagation de maladies infectieuses (comme les épidémies de grippe) ou de feux de forêt illustre aussi ce phénomène de percolation. Pour revenir aux systèmes complexes, le processus de vulcanisation des polymères qui se produit lorsqu’un latex liquide se transforme en un solide (caoutchouc) par pontage des chaînes de polymères (Fig.1.3) fait apparaître une transition de percolation: lorsqu’un nombre critique de points de réticulation est atteint, le système qui était liquide devient un solide.

6

LEÇON

1 Systèmes complexes mésoscopiques

Figure1.3– Vulcanisation des polymères: du latex (liquide) au caoutchouc (solide).

b) Auto-similarité Alors que certains systèmes comme les latex calibrés sont caractérisés par une seule taille caractéristique, d’autres sont des systèmes multi-échelle ou fractals [3]. De manière générale, les structures fractales sont auto-similaires: un zoom sur des parties de plus en plus petites de l’objet présente la même architecture que l’objet dans son ensemble. Citons notamment le cas du chou romanesco, du flocon de neige ou de la côte de Bretagne (Fig.1.4)

Figure1.4– Exemples de fractales.

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A) Chou romanesco. B) Flocons de neige. C) Côte de la Bretagne.

Un système fractal est caractérisé par un paramètre, sa dimension fractale Df . Prenons l’exemple d’une ligne fractale. La longueur L de la ligne dépend de l’échelle de mesure e. Ainsi, une mesure de la longueur L de la côte bretonne avec e =1km ou e =1m ne L Df ε , où L est donnera pas le même résultat. La dépendance L(e) définit Df: L (ε ) = ε la taille globale. On définit de la même façon des surfaces fractales (Tableau1.1). La dimension fractale Df est inférieure ou égale à d, la dimension de l’espace.

()

Tableau1.1 Dimension fractale Df .

Df

Points

Ligne régulière

Surface lisse

Ligne «fractale»

Surface «fractale»

0

1

2

1 70 pN). Mais, c’est aussi un polyélectrolyte, c’est-à-dire un polymère fortement chargé négativement via les charges des groupes phosphate le long de son squelette. Il est souvent considéré que les milieux biologiques sont des milieux

31

Chapitre 1 • Matière molle

salins (K+, Cl -, Ca2+) à des concentrations supérieures à 1 mM, ce qui implique que la distance d’écrantage de Debye est typiquement comprise entre 1 et 10nm (Leçon4), et par conséquent que les interactions électrostatiques sont peu pertinentes à l’échelle cellulaire ou tissulaire. Celles-ci sont cependant cruciales à l’échelle du noyau. En particulier, nous verrons ici comment le compactage de l’ADN et des étapes-clés comme la transcription nécessitent un contrôle fin des interactions électrostatiques ADN-protéine. Le premier ef fet de la forte densité linéique de charge le long de l’ADN se manifeste dans sa « rigidité ». Outre l’enroulement des deux brins en double hélice, quand bien même la longueur d’écrantage est nanométrique, le fait que des charges identiques soient proches les unes des autres empêche un repliement et donc contribue à l’augmentation de la longueur de persistance, qui est lp = 50nm, soit environ 150 paires de bases pour l’ADN double brin. Comme le génome humain est constitué de 3 × 109 paires de bases, cela correspond à un polymère de N = 3 × 109/150 = 2 × 107 segments ou «unités monomériques» d’une chaîne polymère « virtuelle » (de longueur de segment lp ). D’après la Leçon20, la taille de la pelote polymère correspondante, dans un modèle de chaîne idéale, est donc R0 = N1/2 lp =250µm. Cela peut paraître petit par rapport à la longueur bout à bout de 2m. Mais, comment expliquer que ce génome est accommodé dans un noyau d’une taille de l’ordre de 5µm pour des cellules mammifères? De manière surprenante, le compactage nécessaire pour faire rentrer cette pelote de 250µm dans un noyau de 5µm est réalisé en ajoutant des protéines. On pourrait croire que cela ne peut qu’accroître l’encombrement, mais, en particulier les histones ont un rôle déterminant dans le compactage de l’ADN. Les histones sont des protéines qui, sous la forme d’un octamère, ont la forme d’un petit tonneau (de 7nm de diamètre et 6nm de longueur) et qui sont fortement chargées positivement (+146 e). L’ADN, chargé négativement, s’agrège aux histones via des interactions coulombiennes. Une minimisation de l’énergie (gain électrostatique dû aux contre-ions libérés et pénalité en énergie de courbure) conduit à une struc ture mixte ADN-histone, qu’on appelle nucléosome, dans laquelle l’ADN fait 1,7 tour sur chaque octamère d’histone. 140 bp de l’ADN sont en interac tion direc te et 60bp forment les espaceurs entre deux nucléosomes. En moyenne, un nucléosome est donc constitué d’un octamère d’histone et de 200bp. Pour que tout le génome soit compacté en nucléosomes, on a donc besoin de 3 × 109 /200≈10 7 histones. Le nucléosome, représenté sur la Figure4.8, est donc grossièrement un cylindre de 6nm de longueur et 7 +2 × 2 =11nm de diamètre, ce qui signifie qu’il occupe un volume de pd 2 h/4 ≈ 570 nm3 . Le volume occupé par 107 nucléosomes est donc de 0,05 µm3 , soit 100 fois moins que le volume du noyau! L’ajout de 10millions d’octamères d’histones permet donc un enroulement de l’ADN, qui peut être compacté dans le noyau. Notons que cette structure appelée «billes-sur-fil» n’est que la première étape du compactage de l’ADN, qui se poursuit par une fibre de chromatine de nucléosomes compactés, puis par les formes étendue et condensée en chromosome.

32

LEÇON

4 Interactions électrostatiques

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Figure4.8– Structure d’un nucléosome. Si ce compactage par interaction électrostatique forte de l’ADN autour des histones est bénéfique pour accommoder l’ADN dans le noyau, cette structuration fait a priori ressortir une autre difficulté reliée à l’accessibilité des bases de l’ADN pendant la transcription. Ce processus est la première étape qui permettra d’utiliser l’information génétique portée par la succession de bases de l’ADN pour la transformer en protéines ayant des fonctions multiples au sein de la cellule. La fabrication de l’ARN messager, qui est l’intermédiaire entre l’ADN et les protéines passe par la transcription du génome, à savoir qu’un complexe protéique, l’ARN polymérase a pour fonction de «transcrire» un des deux brins d’ADN en une séquence d’ARN (simple brin). Pour ce faire, la double hélice doit être partiellement dénaturée, c’està-dire que localement les liaisons hydrogène entre les bases de l’ADN sont rompues, permettant la fixation de l’ARN polymérase et l’accessibilité des bases (Fig. 4.9). Par une expérience réalisée in vitro sur un ADN libre, S. Block et ses collaborateurs [16] ont montré que l’ARN polymérase exerce une force de quelques 5 pN pour avancer le long d’un ADN tout en l’ouvrant et polymérisant la séquence d’ARN en présence de nucléotides. Cependant, d’autres expériences in vitro ont révélé que l’interaction électrostatique au sein d’un nucléosome entre l’ADN et les histones était telle qu’il fallait appliquer une force d’au moins 20 pN [17] pour «faire sauter» un octamère d’histone et «libérer» l’ADN. En d’autres termes, les nucléosomes jouent le rôle de barrière à la transcription, empêchant l’ARN polymérase d’avancer pour fabriquer l’ARN. Comment expliquer alors que l’ARN polymérase réussit in vivo à effectuer son travail de transcription?

Figure4.9– Transcription de l’ADN par l’ARN polymérase. 33

Chapitre 1 • Matière molle

Carlos Bustamente et ses collègues [18] ont proposé et montré que la transcription était permise (et même régulée) par les fluctuations des nucléosomes, c’est-à-dire par une sorte de «respiration» des nucléosomes. L’expérience consiste à attacher un nucléosome unique, via un espaceur d’ADN, entre deux billes piégées dans une double pince optique. À l’ajout de nucléotides, l’ARN polymérase avance le long de l’ADN. En présence de sel (KCl) en faible concentration, les charges de signe opposé portées par l’ADN et les histones s’attirent fortement. L’énergie d’interaction est, en valeur absolue, élevée. De ce fait, lorsque l’ARN polymérase rencontre une base de l’ADN liée à une histone, elle ne peut pas avancer et reste stoppée à cette étape de la transcription. En revanche, pour des concentrations en sel plus élevées, l’interaction coulombienne est plus labile. L’ADN et l’histone sont tantôt en interaction, tantôt localement détachées. Cette barrière fluctuante permet donc à l’ARN polymérase de n’être stoppée que transitoirement. La fréquence et la durée de ces pauses au cours de la transcription sont donc gouvernées par la force ionique de la solution. Dans ce cas de la transcription de l’ADN, l’ARN polymérase n’a pas besoin de développer des forces importantes pour débobiner les l’ADN enroulé autour des histones; elle doit seulement être «patiente» et attendre les respirations des nucléosomes.

LEÇON 5

Micromanipulations et microfluidique

De nombreuses techniques se sont développées pour analyser et manipuler les objets de la matière molle à des échelles allant du nanomètre au micron. Des laboratoires sur puce (Lab on a Chip) sont nés de la microélectronique, créant une nouvelle discipline, la microfluidique. Nous faisons ici une description succincte et non exhaustive des méthodes expérimentales de manipulation adaptées au monde microscopique et mésoscopique.

5.1 Micromanipulations a) Machine à force de surface (SFA, Surface Force Apparatus), Israëlachvili et Tabor (1972) [19] Cette machine de force permet de mesurer l’interaction entre deux surfaces lisses à l’échelle atomique à l’état nu, et décorées de molécules (polymères, tensio-actifs, colloïdes). La distance de séparation, sondée par une technique interférométrique, peut être contrôlée et mesurée avec une précision de quelques Å au micron. Cette approche a permis de caractériser les interactions de Van der Waals et les répulsions d’origine électrostatique ou stérique. La machine d’Israëlachvili (Fig.5.1), d’un usage délicat, est cependant restée dans le domaine académique et utilisée par un nombre limité de groupes.

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LEÇON

5 Micromanipulations et microfluidique

Figure5.1– A) Dessin de la SFA ou machine d’Israëlachvili (extrait de [20]). B) Schéma des surfaces mises en interaction.

b) Microscope à force atomique (AFM, Atomic Force Microscope), Binnig, Quate, Gerber (1986) [21]

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La microscopie à force atomique est très répandue dans le milieu académique et industriel. Cette technique permet de mesurer les forces normales et tangentielles entre la pointe reliée à un levier ressort (cantilever) et le substrat (Fig.5.2A). C’est un microscope à résolution atomique dans la mesure où un balayage de la pointe permet de reconstituer la topographie du substrat, de visualiser des protéines adsorbées et de suivre leurs changements de conformation sous l’action de la lumière ou de médicaments.

Figure5.2– A) Composants essentiels de l’AFM. B) Version «macro» de l’AFM (A. Buguin, Institut Curie).

Une version «macro» de l’AFM (Fig.5.2B) où la pointe est remplacée par une bille élastique millimétrique a permis d’étudier l’adhésion et la friction de billes dans l’air ou immergées dans un liquide, ainsi que le démouillage de films liquides très fins, mimant ainsi le phénomène d’aquaplaning entre un pneu et la route. La mesure de force par la déflection du levier peut être combinée à une imagerie de contraste par réflexion interférentielle (RICM, Reflection Interference Contrast Microscopy) pour suivre l’évolution du contact.

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Chapitre 1 • Matière molle

c) Pinces optiques, Ashkin (1986) [22] Une bille d’indice de réfraction supérieur à celui de l’eau et de diamètre compris entre 10nm et 10µm peut être piégée au point de convergence d’un faisceau laser sous l’action conjuguée de la force due au gradient d’intensité laser et de la pression de radiation (Fig.5.3A). Ce piège optique permet de manipuler des polymères, des protéines ou des microorganismes. Par exemple, la Figure5.3B montre une chaîne d’ADN greffée sur la bille piégée. Lorsqu’on  déplace l’échantillon, le polymère se déforme sous l’écoulement à vitesse uniforme V . Le piège optique permet de mesurer des forces faibles sur une gamme de 1 à 100piconewtons, particulièrement pertinente en biologie. Il existe aussi des pinces magnétiques, où des billes magnétiques sont manipulées par un gradient de champ magnétique.

Figure5.3– A) Pince optique et B) Élongation de l’ADN (Courtoisie : Steve Chu).

d) Micropipettes et BFP (Biomembrane Force Probe), Evans (1995) [23] Une bille décorée de protéines d’adhésion A est collée à un globule rouge qui sert de capteur de forces (Fig.5.4). Une autre bille est décorée de protéines complémentaires B qui se lient à A (clef-serrure). Cette technique permet d’étudier l’interaction entre deux protéines, et plus particulièrement la force de rupture du complexe AB.

Figure5.4– Micropipettes et Biomembrane Force Probe. La pipette mobile est déplacée avec un translateur piézoélectrique et maintient la bille dite «test» couverte de la protéine B. La pipette fixe aspire un globule rouge (pression de succion DP) fonctionnalisé avec la protéine A.

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LEÇON

5 Micromanipulations et microfluidique

5.2 Microfluidique – MEMS et laboratoires sur puce

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Ce domaine décrit la miniaturisation de systèmes électromécaniques, fluidiques à des échelles submicroniques, avec deux énormes avantages: réduire les volumes et réduire les temps d’analyse. En 1980 les MEMS (Micro Electro Mechanical Systems) permettent de détecter et de traiter un signal sur une puce, qui peut-être dupliquée en millions d’exemplaires. Par exemple, le senseur contenu dans l’airbag d’une voiture est un accéléromètre MEMS. Depuis 1990, les MEMS apparaissent en chimie et en biologie, créant une nouvelle discipline: la microfluidique qui concerne de manière générale l’écoulement de liquides simples ou complexes dans des microsystèmes artificiels. Ces systèmes permettent de réaliser de multiples opérations (Fig. 5.5), comme détecter des molécules biologiques ou des cellules, les transporter et les trier à partir d’un échantillon brut, suivre une cinétique de réaction chimique. Une application importante est le génocryptage, permettant l’identification d’un virus ou d’un type de cancer en identifiant quelques fragments du génome. Le laboratoire de S. Quake (Stanford University) a été pionnier dans la conception de ces systèmes microfluidiques [24]. La microfabrication de canaux, de pompes et de valves est basée sur l’utilisation d’élastomères (comme le PDMS, polydimethylsiloxane). Les puces sont à peine plus grandes qu’une pièce de monnaie. Elles peuvent contenir jusqu’à plusieurs centaines de compartiments et de valves pour actionner les liquides.

Figure5.5– Micrographie d’un laboratoire sur puce (ou Lab on a chip).

ENCART 5 Microfluidique et jeux d’enfants Enfants, nous avons tous joué à ces jeux de labyrinthe pour aider une souris à trouver le bon chemin vers son fromage. Celui dessiné sur la Figure5.6A est particulièrement simple. Lorsque cela devient plus compliqué, la microfluidique peut nous venir en aide.

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Chapitre 1 • Matière molle

Figure 5.6– A) Labyrinthe pour enfant. B) Principe de la lithographie molle à base de PDMS. C) Labyrinthe microfluidique. Adapté de [25].

Le groupe de George Whitesides, précurseur de la lithographie molle pour la fabrication de réseaux microfluidique (Leçon5) a dessiné et moulé un labyrinthe avec du PDMS (polydiméthylsiloxane). Le principe de la lithographie molle est représenté sur la Figure5.6.B. On commence par déposer un film de résine liquide qu’on cuit pour la solidifier sur une lame de verre ou une pastille de silicium (moins rugueuse). On dépose ensuite un masque de silice sur lequel sont imprimés (par des dépôts métalliques) des motifs. En irradiant la surface aux UV, la résine non protégée devient soluble au solvant révélateur si elle est dite «positive » (respectivement insoluble si elle est dite «négative»). On forme donc une surface à relief dans la résine photosensible. Enfin, en coulant du PDMS liquide contenant un réticulant chimique, on forme un élastomère transparent et souple qui épouse les formes imprimées. Au final, le moule de PDMS obtenu reproduit le négatif des reliefs de départ. Pour faire des labyrinthes microfluidiques, les motifs sont des lignes. Dans le cas de la Figure 5.6.C, il n’existe qu’un seul chemin possible entre l’entrée (en haut) et la sortie (en bas). Pour bien le visualiser, les chercheurs de Harvard ont commencé par remplir tous les canaux en bouchant la sortie avec un liquide mouillant pour le PDMS (Leçons 8-9-10). Si un canal est une impasse et se termine par une extrémité fermée, l’air, qui est piégé dans un premier temps, finit par diffuser (car le PDMS est perméable aux gaz) et le liquide remplit tout le labyrinthe. Ensuite, l’injection d’un autre liquide immiscible (avec le premier) et coloré, déplace le

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LEÇON

5 Micromanipulations et microfluidique

premier fluide, sauf dans les impasses car les liquides sont incompressibles et donc sélectionnent le chemin qui conduit à la sortie. Plus difficile, s’il existe plusieurs chemins possibles, le liquide va suivre «le meilleur », ou plus exactement celui de « moindre résistance ». Il existe en effet une analogie directe entre microfluidique et électricité. Le courant électrique i, qui est associé au mouvement des électrons, correspond au débit (volumétrique) du fluide Q. De la même façon que i =





∫∫S j ⋅ dS (avec j la densité de courant et S la section

du conducteur), Q = v ⋅ S, où v est la vitesse moyenne du fluide (celle-ci suit un profil de Poiseuille: elle est maximale au centre du canal et s’annule sur les parois). L’analogue de la tension U est la perte de charge ou différence de pression DP entre l’entrée et la sortie. Enfin, on connaît la loi d’ohm qui définit la résistance électrique RE : U =R E.i. L’analogue microfluidique est DP =R H.Q, avec R H la résistance hydraulique. D’après la loi de Hagen-Poiseuille, pour un canal de longueur L et de

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section circulaire de rayon R, et pour un liquide de viscosité h, on a: ∆P =

8 Lη Q. π R4

Cette expression montre que, pour une différence de pression fixée, le débit va être d’autant plus élevé (donc le temps passé dans le canal plus court) que la longueur est faible et que le rayon est grand. Pour revenir à notre labyrinthe, on pourrait penser qu’il est relativement facile de deviner le meilleur chemin en déterminant celui de plus courte longueur. Cependant, comme pour les résistances électriques, il peut y avoir des «dérivations» ou résistances en parallèle qui affectent le débit sur le chemin principal. D’autre part, le rôle de la section du canal (hauteur × largeur pour des canaux de section rectangulaire) est moins facile à appréhender. En tenant compte du nombre de voies dans le réseau de routes et autoroutes de Boston via la largeur des canaux, cette méthode fluidique a permis de mettre en évidence les chemins les plus rapides, sans avoir à utiliser de GPS. Si la photolithographie molle est bien adaptée pour représenter des cartes routières ou des labyrinthes bidimensionnels par moulage, une de ses limitations est dans la réalisation de structures microfluidiques tridimensionnelles, qui nécessite des alignements précis des différentes couches. Au cours de ces dernières années, avec l’explosion de l’usage des imprimantes 3D, des moules sont maintenant fabriqués en 3D. Des formes très complexes peuvent être conçues et permettent d’associer plusieurs modules remplissant des fonctions microfluidiques différentes. De manière à rendre ces associations les plus modulaires possibles, le groupe américain de A. P. Lee à UC Irvine [26] vient de s’inspirer des jeux Lego® pour créer des plateformes microfluidiques. En imprimant des moules qui sont les négatifs de blocs Lego®, ils ont réalisé des structures en PDMS qu’il est possible d’assembler horizontalement et verticalement (tout en assurant une bonne étanchéité grâce à l’élasticité et l’hydrophobicité du PDMS) pour faire des circuits fluidiques complexes.

39

Chapitre

2

LEÇON 6

Interfaces Systèmes colloïdaux: classification etfabrication

6.1 Caractéristiques générales de l’état colloïdal

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Les systèmes colloïdaux sont omniprésents dans notre vie courante. Nous verrons de nombreux exemples dans le domaine de l’industrie alimentaire, l’agriculture ou encore la formulation des peintures et des produits cosmétiques. L’état colloïdal est caractérisé par: – la dispersion de substances (molécules, macromolécules, particules) dans un milieu continu (gazeux, liquide ou solide); – la présence de « discontinuités » de taille mésoscopique (comprise entre 1nm et quelques centaines de nm - Leçon1). Celles-ci peuvent provenir de la phase dispersée (taille des particules) ou de la phase continue (taille des pores). Les deux critères précédents impliquent que les systèmes colloïdaux présentent un rapport surface/volume élevé. Pour fixer les idées, le broyage d’un cube de 1cm de côté en petites particules de 10nm permet de multiplier par 1million le rapport S/V, et de couvrir l’équivalent de deux terrains de tennis. Les propriétés de ces systèmes divisés seront donc essentiellement contrôlées par les phénomènes et processus physico-chimiques se produisant aux interfaces entre la phase dispersée et la phase continue. Nous avons vu l’importance des effets de double couche électrostatique (Leçon4), déterminants pour la stabilisation (ou non) des systèmes colloïdaux. La modification des interfaces peut être aussi induite par l’adsorption de molécules. Il suffit alors souvent de faibles quantités de ces additifs accumulés dans une couche monomoléculaire pour altérer drastiquement les propriétés physiques des systèmes colloïdaux. Ces molécules qui ont une grande affinité pour les interfaces sont appelées, de manière générique, tensio-actifs ou surfactants (voir Leçon16).

Figure6.1 – Molécule de tensio-actif. La tête polaire (hydrophile) A est attachée à une (ou deux) chaîne hydrocarbonée (hydrophobe) B.

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Chapitre 2 • Interfaces

6.2 Classification des colloïdes On peut trouver plusieurs types de classification de colloïdes. Une distinction entre colloïdes lyophiles (aimant le liquide) et lyophobes (n’aimant pas le liquide) est parfois retenue. Ici, nous établissons une classification basée sur le niveau «d’organisation» du système colloïdal.

a) Systèmes stochastiques Les suspensions colloïdales sont composées de particules dont au moins une dimension est de taille sub-micrométrique. Ces particules sont soumises à l’agitation thermique et se distribuent de façon aléatoire au sein de la phase continue. La nature (liquide ou solide) et la forme (sphérique, allongée) des particules sont très variées (Fig.6.2).

Figure6.2 – Différents exemples de suspensions colloïdales.

Sphérique Liq/Liq. : goutte d’huile/eau ou eau/huile, lait, cosmétique, pharmaceutique, alimentaire. Sphérique Sol/Liq: noir de carbone, latex (peinture). Plaquettes: argiles (kaolin, couchage du papier). Aiguilles : coton, papier. Opale : inclusion de microgouttes dans la silice.

Dans cette même catégorie, on trouve les systèmes poreux (Fig.6.3). Ce sont des solides contenant des vides interconnectés (pores d’un diamètre compris entre quelques nm et quelques µm). Citons comme exemplesl’éponge, le papier, la meringue, les grès, les ciments, les absorbants. Ils sont aussi beaucoup utilisés en chromatographie, catalyse hétérogène, filtration et ultrafiltration.

Figure6.3 – Système poreux.

A) Membrane nucléaire (pores calibrés de diamètre D~ 1 − 100nm). B) éponge, roche poreuse.

b) Systèmes auto-organisés À l’état pur, les tensio-actifs forment des smectiques (ex: savon). En solution aqueuse, les tensio-actifs s’associent en agrégats à faible concentration (ex: micelles) et forment des structures bicontinues organisées à concentration élevée (ex: phase cubique). La Figure6.4 récapitule les différentes structures possibles de systèmes colloïdaux auto-organisés. 42

LEÇON

6 Systèmes colloïdaux: classification etfabrication

Figure6.4 – Différents exemples de systèmes auto-organisés.

c) Systèmes ternaires

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Les tensio-actifs jouent aussi un rôle pour rendre compatibles des composés non miscibles. Par exemple, ils servent à stabiliser les émulsions d’eau dans l’huile ou d’huile dans l’eau. Les mousses ou films de savon peuvent être considérés comme un cas de mélange eau-dans-air (Fig.6.5).

Figure6.5 – Rôle des tensio-actifs dans les systèmes non miscibles.

6.3 Préparation des systèmes divisés Les particules colloïdales de taille mésoéchelle, intermédiaire entre l’échelle macroscopique et l’échelle moléculaire, sont fabriquées soit par dégradation du matériau volumique par une voie mécanique, soit par agrégation de petites molécules par une voie chimique.

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Chapitre 2 • Interfaces

a) Voie mécanique L’augmentation du rapport surface/volume du matériau est obtenue par transformation du travail mécanique fourni en énergie de surface. Pour les solides, le moyen le plus direct est le broyage. Dans le cas des liquides, l’agitation (Fig.6.6A) est efficace pour former des émulsions (ex: mayonnaise, blanc en neige) ou de la mousse. Un autre moyen de former des gouttelettes consiste à former un jet de liquide qui se fragmente spontanément en petites gouttes (par instabilité de Rayleigh – Fig.6.6B). Ici, l’énergie mécanique est fournie au cours de l’injection du liquide. C’est ainsi que l’on fabrique du lait homogénéisé.

Figure6.6 – A) Création d’une émulsion par agitation. B) Création de gouttelettes par l’instabilité de Rayleigh d’un jet liquide.

b) Voie chimique La formation de la phase dispersée a lieu par précipitation d’un mélange binaire. Partant d’une phase homogène où les liquides A et B sont miscibles, si on abaisse brutalement la température, on obtient une séparation de phase par un processus de nucléation et croissance ou de décomposition spinodale (Fig.6.7). Il se forme alors des structures complexes que l’on peut figer par lyophilisation.

Figure6.7 – Diagramme de phase d’un mélange binaire.

En abaissant la température on passe d’un état M monophasique à l’état N biphasique. La courbe en trait plein délimite la zone de démixtion. À l’extérieur de cette zone, les deux composés A et B sont miscibles et ne forment qu’une seule phase. La courbe en traits pointillés délimite la zone de décomposition spinodale pour laquelle le mélange est instable, et se sépare par amplification des fluctuations de concentrations.

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LEÇON

6 Systèmes colloïdaux: classification etfabrication

ENCART 6 Perles de saveur et tumeurs artificielles

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De nombreux aliments bruts (comme le lait) ou transformés par des opérations culinaires simples (comme la mayonnaise) sont des émulsions (Leçon 6). Les gouttelettes d’huile stabilisées par la lécithine de jaune d’œuf sont de taille sub-millimétrique et très nombreuses, ce qui donne son aspect quasi solide à la mayonnaise. Mais les systèmes divisés s’invitent aussi dans la «Grande Cuisine ». Depuis le début des années 2000, une mode en gastronomie moléculaire est l’utilisation d’hydrogels et la technique de sphérification. Cette technique a été brevetée par William Peschardt, chimiste chez Unilever, en 1942 pour des applications culinaires [1] mais seulement mise au point et popularisée en 2003 par le chef cuisinier Ferran Adrià dans le restaurant espagnol El Bulli. À la différence de la gélification qu’on peut réaliser avec de l’agar-agar par exemple, la sphérification consiste en une gélification partielle qui permet d’encapsuler des gouttes de nourriture liquide dans une membrane solide. Pour ce faire, les chefs cuisiniers utilisent deux additifs qui sont l’alginate de sodium et le lactate de calcium. • Formation d’un hydrogel d’alginate L’alginate de sodium est un polymère biocompatible extrait d’algues brunes. C’est plus exactement un polysaccharide constitué de deux types de monomères, l’acide mannuronique (M) et l’acide guluronique (G). La présence de groupes carboxyl (COO– ) sur les résidus G et M rend l’alginate fortement chargé négativement. Aussi, les cations divalents, et en particulier le calcium, peuvent-ils induire des ponts de réticulation en complexant certains COO– au sein d’une même chaîne d’alginate ou entre deux molécules. Pour des raisons conformationnelles, l’affinité de l’interaction est plus grande entre le calcium et le monomère G qu’entre le calcium et le monomère M. Cela conduit à des gels qui ont une structure microscopique en «boîte d’œuf», comme schématisé sur la Figure6.8.

Figure 6.8 – A) Schéma de la réticulation d’alginate par des ions calcium et zoom sur la structure chimique montrant les ponts calcium au sein du gel physique. B) Sphères de saveur reconstituées à partir d’alginate et de jus de fraise ou de mangue.

• Formation de perles de saveur Pour former des perles de saveur, il suffit donc de mélanger une solution diluée d’alginate avec la nourriture qu’on veut encapsuler sous forme de coulis ou de purée. En chargeant la solution dans une seringue et en faisant tomber de petites gouttes dans un bain de calcium, la réticulation des couches superficielle est suffisamment rapide pour que la goutte ne se désagrège pas au cours de l’impact. Les ions calciums pénètrent ensuite lentement de la solution vers l’intérieur de la 45

Chapitre 2 • Interfaces

goutte d’alginate. En négligeant toute convection, et en supposant que le transport des ions calcium, donc la réticulation de la goutte, ne se fait que par diffusion, le temps nécessaire pour gélifier entièrement une goutte de 2mm de diamètre (ce qui correspond à la taille de gouttes à base aqueuse qui tombent sous leur propre poids –Leçon8) est t~R2/2Dcalcium , où R est le rayon de la goutte est D le coefficient de diffusion des ions calcium, D = 10-9m 2 /s, soit t ~1 h. L’astuce consiste donc à retirer les perles du bain de calcium au bout de quelques minutes pour s’assurer que le cœur reste liquide. Il est en effet beaucoup plus agréable gustativement de faire éclater sous ses dents une fine coque d’alginate et de libérer les saveurs plutôt que d’avoir l’impression de mâcher un chewing-gum aromatisé. On peut également faire des gouttes plus grosses en se servant d’une cuillère, et reconstituer des boules à la saveur de fraise ou de mangue (Fig. 6.8B). Pour conserver un cœur liquide, le temps d’incubation optimal est de 2minutes et 30secondes. Avant de se lancer dans cette aventure culinaire comme Ferran Adria, il convient d’insister sur plusieurs points qui rendent cette technique délicate. Tout d’abord, le cœur liquide, qui renferme des molécules d’alginate, finit par gélifier au cours du temps sous l’effet des traces de calcium. Ces perles de saveur ne peuvent pas être conservées, typiquement plus de 48h. Ensuite, le contrôle de l’épaisseur de la membrane d’alginate reste assez empirique et demande donc beaucoup de cycles essai-erreur. Enfin, ces perles sont faites à la main, ce qui limite la production. Nous pouvons mentionner que le restaurant du grand Chef a fermé suite à des attaques de certains de ses confrères qui considéraient que ces additifs pourtant naturels avaient, lorsqu’ils étaient ingérés en grande quantité, des effets nocifs sur la santé (vomissements et diarrhées). Pour limiter la quantité d’alginate, d’autres chefs tels que Thierry Marx ont cherché à modifier la technique de formation de ces perles. En collaboration avec un chimiste de l’École Supérieure de Physique et Chimie Industrielles de Paris, Jérôme Bibette, Thierry Marx a mis au point des perles desaveur dont le cœur liquide ne contient pas d’alginate en utilisant une technique de micro/milli-fluidique développée dans les laboratoires de recherche. Le principe de production repose sur la coextrusion de deux liquides dans un système de capillaires coaxiaux [2]. Les liquides sont en l’occurrence la suspension de nourriture injectée dans le capillaire central et la solution d’alginate injectée dans le capillaire externe. À la sortie de l’aiguille concentrique double, les gouttes sont composites. L’épaisseur de la couche externe de solution d’alginate peut être contrôlée par le rapport des sections des capillaires et des flux. Plus le flux d’alginate est faible par rapport au flux de suspension alimentaire, plus la couche externe sera faible. Les gouttes se détachent ensuite lorsqu’elles ont atteint une taille limite fixée par la longueur capillaire, c’est-à-dire le rapport de la tension de surface à la gravité, au goutte-à-goutte et tombent dans un bain gélifiant de lactate ou chlorure de calcium (Fig.6.9). La réticulation de l’alginate étant quasi-instantanée, on forme ainsi une fine coque d’alginate emprisonnant la suspension alimentaire. L’innovation apportée par Marx et Bibette a été de gérer l’impact de la goutte à la surface du bain de calcium. En ne faisant rien de particulier, l’impact est tel que la fine coque se rompt avant d’être complètement gélifiée. Pour éviter cela, la solution consiste à i) ajouter un peu de tensio-actif à la surface du bain, réduisant ainsi la tension de surface de la solution de calcium et donc l’énergie nécessaire au passage de l’interface, et ii) ajouter un peu de tensio-actif dans la solution d’alginate. Cet effet est plus subtil: la précipitation du surfactant au contact des ions calcium confère à la goutte une rigidité accrue transitoire, qui joue un rôle protecteur vis-à-vis des turbulences provoquées par l’impact [2]. 46

LEÇON

6 Systèmes colloïdaux: classification etfabrication

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Figure 6.9 – Principe de fabrication des perles de saveur à cœur liquide. Adapté de [2]. • Formation de tumeurs artificielles encapsulées Les perles d’alginate ont eu des applications au-delà du domaine culinaire. Récemment, la suspension de nourriture a été remplacée par des cellules cancéreuses [3]. Comme l’hydrogel est perméable, avec une taille de pore de l’ordre de 20nm, tous les nutriments (protéines et oxygène) nécessaires à la division des cellules peuvent diffuser librement au travers de la capsule et permettre la prolifération des cellules encapsulées. Comme l’alginate est par nature non adhérent pour les cellules, celles-ci se regroupent en agrégats et forment des sphéroïdes multicellulaires (Fig.6.10A), qui sont considérés comme un bon modèle in vitro de tumeurs. Cela ouvre la possibilité de tests de criblage à haut débit de nouvelles espèces actives pour la chimiothérapie. Plus récemment encore, à l’Institut d’Optique d’Aquitaine et en collaboration avec le laboratoire d’Aurélien Roux à Genève, Kévin Alessandri, l’étudiant qui a développé cette technologie, et son collègue Maxime Feyeux, un spécialiste des cellules souches pluripotentes, ont réussi à encapsuler des cellules souches et à les transformer (ou différencier) en neurones à l’intérieur des capsules [4] (Fig.6.10B). Les applications sont alors innombrables dans le domaine de l’ingénierie tissulaire (organ on chip) et en médecine régénérative (par exemple pour la greffe de neurones dopaminergiques comme thérapie cellulaire de la maladie de Parkinson).

Figure 6.10 – Images obtenues par microscopie optique de sphéroïdes multicellulaires.

Composition: A) cellules tumorales et stromales (courtoisie Fabien Betillot), ou B) neurones (noyaux, axones) (courtoisie Kévin Alessandri). Le diamètre des sphéroïdes est d’environ 300m m.

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Chapitre 2 • Interfaces

LEÇON 7

Capillaritéettension superficielle

La capillarité est l’étude des interfaces mobiles (liquide/air ou liquide/liquide) qui sont capables de se déformer pour minimiser leur énergie de surface. Elle s’applique à des phénomènes de la vie quotidienne, forme des gouttes, rosé sur l’herbe au lever du jour, montée de la sève, imbibition des milieux poreux. Elle a aussi de nombreuses applications industrielles. Ainsi en industrie cosmétique, alimentaire, peintures, on fabrique des émulsions. Les petites gouttes se vidant dans les grosses, il faut ralentir ce phénomène pour faire des émulsions stables. Du gainage des fibres dans l’industrie textile à la formulation du mascara, elle permet de trouver les moyens pour recouvrir les filaments, les cils d’une gaine régulière et d’éviter la formation d’un chapelet de gouttelettes. Dans cette leçon et les suivantes sur le mouillage, nous décrivons des concepts théoriques fondamentaux. On trouve plus de détails sur ces phénomènes dans les références [5] et [6].

7.1

Tension superficielle

Les liquides coulent, et pourtant ils adoptent des formes géométriques très stables. Une bulle de savon ou une goutte d’huile dans l’eau forment des sphères parfaites. La surface du liquide se comporte comme une membrane tendue (Fig.7.1A), caractérisée par la tension superficielle ou tension de surface. Les vésicules qui sont formées de lipides insolubles minimisent la surface exposée par les lipides et ont une tension nulle! (Fig.7.1B) ce qui les empêche d’éclater comme des bulles de savon (Encart12). En revanche on peut les tendre (Fig.7.1A) en créant un choc osmotique. Elles sont alors sphériques comme des gouttes et des bulles.

Figure7.1 – A) Membrane de vésicule tendue. B) Membrane détendue sous tension nulle. Ces objets font quelques dizaines de microns de rayon (courtoisie: O.Sandre).

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LEÇON 7 Capillaritéettension superficielle

a) Origine physique La région qui sépare deux phases (par exemple l’eau et sa vapeur), ou deux liquides non miscibles (par exemple l’eau et l’huile) est appelée interface. Une interface liquide (habituellement considérée comme infiniment mince) est décrite par sa surface A qui tend à être minimale car elle a une énergie: la tension superficielle. L’origine physique de la tension de surface réside dans les forces intermoléculaires impliquées dans la cohésion des liquides (Van der Waals, liaison H). Si nous considérons une interface liquide/ vapeur, les molécules dans le liquide bénéficient d’interactions attractives avec toutes leurs voisines. En revanche, à la surface, elles perdent la moitié des interactions (Fig.7.2).

Figure7.2 – Une molécule à la surface perd la moitié de ses interactions avec les molécules voisines.

La tension superficielle, ou interfaciale, g mesure directement ce défaut d’énergie par unité de surface. Si a est la dimension moléculaire, a2 la surface exposée par molécule et U l’énergie de cohésion, alors:

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γ≈

U 2a 2

Exemples: pour un liquide de Van der Waals, avec U~ kB T, g ~20mJ.m-2; pour un métal comme le mercure, U~1eV, g ~500mJ.m -2 Tableau7.1 Valeurs de g pour différents liquides. Liquides

éthanol

glycérol

eau

eau/huile

mercure

g (mJ. m -2)

23

63

72

50

485

Remarque. La tension de surface varie avec la température. Généralement, g diminue dγ quand T augmente ( < 0) car l’énergie de cohésion diminue lorsque l’énergie therdT mique augmente, le liquide devenant moins dense. Par exemple, la tension superficielle de l’eau est 72,75mN/m à 20°C, 75,64mN/m à 0,01°C et 59,87mN/m à 95°C.

49

Chapitre 2 • Interfaces

b) Définition mécaniquede la tension superficielle On sait qu’il faut fournir de l’énergie mécanique pour fabriquer de la surface quand on émulsionne de l’eau dans l’huile. Le travail dW à fournir pour augmenter la surface A de dA, qui est proportionnel au nombre de molécules qu’il faut amener à la surface (donc à dA), définit g : dW = γ dA

+

Dimensionnellement, [g]=EL -2 =FL -1 . L’unité est le mJ.m-2 ou mN.m-1 . Donc, g est l’énergie à fournir pour augmenter la surface d’une unité. Remarque. En thermodynamique des surfaces, le travail est relié à des variationsde volume et de surface: dW = − p dV + γ dA et la variation de l’énergie libre,dF = − p dV + γ dA − S ∂F A − S dT, conduit à une définition de la tension superficielle: γ = | T ,V . ∂A

c) Forces capillaires Soit un cadre rectangulaire et une tige mobile plongée dans de l’eau savonneuse. La zone ombrée représente le film de savon sur la Figure7.3. Pour déplacer la tige de dx, on doit effectuer le travail dW = F dx = 2 γ l dx , où 2g correspond au fait qu’il y a deux interfaces eau/air. Cette relation montre que g est aussi une force par unité de longueur, qui s’exerce dans le plan de la surface et qui est dirigée vers le liquide.

Figure7.3 – Cadre rectangulaire et tige mobile plongée dans de l’eau savonneuse.

Ces forces sont appelées les forces capillaires. Elles jouent des rôles remarquables. Ce sont elles qui permettent d’accrocher les brosses à dent au mur, et qui nous collent les cheveux quand on prend une douche. C’est aussi grâce à elles que les insectes peuvent marcher à la surface de l’eau. Si on met du détergent dans l’eau, la tension superficielle diminue et ils coulent! On peut le vérifier en déposant délicatement une aiguille à la surface de l’eau à l’aide d’un papier cigarette, enlever ce dernier et elle flotte. On la fait couler en ajoutant une goutte de produit vaisselle…

50

LEÇON 7 Capillaritéettension superficielle

7.2 Formule de Laplace (1805)

Figure7.4 – A) Film de savon tendu entre deux anneaux: surface de courbure nulle. (K.Mysels). B) Forme «onduloïdale» d’une goutte sur une fibre.

La tension de surface est à l’origine de la surpression qui s’exerce à l’intérieur d’une goutte ou d’une bulle. La formule de Laplace nous permet d’expliquer la forme de la surface d’un film de savon et d’une goutte sur une fibre (Fig. 7.4)

a) Sphère

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Soit une goutte d’huile dans l’eau (Fig.7.5A). Pour abaisser son énergie de surface, la goutte prend la forme d’une sphère de rayon R. Le travail pour déplacer la surface de dR s’écrit dW = − p1 dV1 − p2 dV 2 + γ dA avec dV1 = − dV2 = 4 π R2 dR et dA = 8π R dR. On écrit que ce travail est nul car l’énergie est du système à l’équilibre est minimale. 2γ Ainsi, dW = 0 donne∆ P = P1 − P2 = . R Cette loi due à Laplace montre que la pression est d’autant plus grande que les gouttes sont petites. C’est pour cette raison que, dans une émulsion polydisperse, les petites gouttes disparaissent au profit des grosses. De même, si deux bulles de taille différente sont connectées par une paille, c’est la petite qui se déverse dans la grande (Fig.7.5B).

Figure7.5 – Pression de Laplace. A) Notations et B) Illustration.

b) Surface quelconque Prenons un objet de forme intéressante comme une poire pour définir la courbure.

51

Chapitre 2 • Interfaces

Figure7.6 – Rayons de courbure d’une poire: on enfonce une aiguille en un point M perpendiculairement à la surface. On coupe la poire selon deux plans perpendiculaires.

Pour déterminer la courbure C d’une surface en un point M (Fig.7.6), on trace la  normale N en ce point. L’intersection de la surface avec deux perpendiculaires se coupant en N définit deux courbes de rayon de courbure R1 et R2. Si le centre du cercle est à l’intérieur de l’objet, alors R > 0, et à l’extérieur, R > 0. Ainsi, pour la poire de la Figure7.5, on a R1 0. La courbure C est définie par: C =

1 1 . + R1 R2

La pression de Laplace s’écrit alors de manière générale: 1   1 . ∆P = γ C = γ  +  R1 R2 

c) Surface de courbure nulle • Ménisque sur une fibre Pour des fibres très fines, de rayon inférieur au millimètre, la forme du ménisque est contrôlée par l’énergie de surface. Le profil peut se calculer en écrivant la conservation des forces capillaires (avec les notations de la Figure7.7A): 2 πb γ = 2 π z γ cos θ En exprimant cos q en fonction de tg q , on obtient l’équation z

qui a pour solution:

( )

dz 1+ dx

2

= b,

z = b cosh( x /b) 52

LEÇON 7 Capillaritéettension superficielle

Figure7.7 – A) Ménisque sur une fibre. B) Film de savon (correspondant à la photo de la Figure7.4A).

• Films de savon En plongeant deux anneaux circulaires de rayon R dans une solution d’eau savonneuse et en les écartant très doucement à une distance 2D (Fig.7.7B), on tend un film de savon. Comme l’air à l’intérieur et à l’extérieur communique, la pression est la mêmeet on engendre une surface une surface à courbure nulle, 1 1  +  = 0 R1 R2

∆P = 0 ,

L’expression analytique du profil est celle calculée pour la fibre z = Rm cosh ( x /R1 ) où Rm est le rayon et la constriction est donnée par

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R = Rm cosh (D /Rm ) Si on continue à séparer les deux anneaux, il existe une distance entre les anneaux 4 2 D = R à partir de laquelle il n’existe plus de solution: le film éclate. 3

7.3 Adhésion capillaire Deux surfaces mouillées peuvent coller fortement ensemble. Si le liquide est mouillant (angle de contact inférieur à p /2 - Leçon9), la pression de Laplace dans la goutte entre 1 2 2γ les deux plaques est négative: ∆ P = γ . Cette pression crée une force − ≈− R H H 2γ portante: F = π R2 − . Pour g = 70mN. m-1, R = 1cm, H = 5 m m, F ≈ 10 N ce H qui correspond à un poids de 1kg (Fig.7.8).

( )

(

)

53

Chapitre 2 • Interfaces

Au contraire, si le liquide est non mouillant (angle de contact supérieur à p/2), les surfaces se repoussent.

Figure7.8 – Force due à l’adhésion capillaire.

ENCART 7 Qui peut marcher sur l’eau? Dans sa théorie élémentaire de la capillarité [7], Émile Duclaux écrit en 1872: «Toutes les fois qu’un liquide présente une surface libre, il y est comme enveloppé dans une couche contractile, d’épaisseur très-faible, constamment tendue, se reformant lorsqu’elle est brisée, et dont on peut se faire une idée nette, lorsque tout est en repos, en la comparant à une membrane très-mince de caoutchouc enserrant le liquide ». Cette membrane est-elle suffisamment robuste pour qu’un homme marche sur l’eau? Faut-il nécessairement des skis nautiqueset être en mouvement? Faut-il être léger pour se maintenir, voire marcher à la surface de l’eau? Nous connaissons cette expérience qu’on peut retrouver sur internet qui consiste à déposer un trombone à la surface de l’eau (éventuellement en s’aidant d’un petit morceau de papier pour faciliter l’atterrissage) et à le faire couler en ajoutant une trace de liquide vaisselle qui abaisse la tension de surface de l’eau. De même, les gerridés ou araignées d’eau flottent sur l’eau avec leurs longues et fines pattes. Bien que déformant la surface de l’eau et formant un ménisque, le poids de l’araignée est compensé par les forces de tension superficielle g . p où p est le périmètre des pattes, d’où l’intérêt pour l’araignée de «faire le grand écart», c’est-à-dire de poser ses pattes à l’horizontal. En prenant un diamètre de 100µm et une longueur de patte de 2cm environ, on trouve que la force due à la tension de surface est de l’ordre de 5mN (avec g =72 mN/m) tandis que son poids P =mg est seulement de l’ordre de 1mN (pour une masse m de 100mg). Cet effet qui les fait flotter malgré une masse volumique supérieure à celle de l’eau est accentué par l’existence de nombreux petits poils. En effet, non seulement le matériel cireux qui couvre ces poils contribue à augmenter l’hydrophobicité, mais la rugosité joue aussi un rôle déterminant pour les rendre super-hydrophobes [8] (voir Encart 10). Nous sommes ici dans une situation de mouillage décrite par Cassie, correspondant au comportement des gouttes fakir. La minimisation de l’énergie de surface passe par la création de poches d’air plutôt que d’avoir un contact liquide-solide intime tout au long des poils. C’est également ce qui se passe sur les feuilles de lotus et les surfaces couvertes de noir de carbone. 54

LEÇON 7 Capillaritéettension superficielle

Figure 7.9 – A) Un trombone qui flotte sur l’eau. B) Une araignée d’eau qui marche sur l’eau. C) Une goutte d’eau qui ne s’étale pas sur une surface super-hydrophobe. Comment les araignées d’eau se déplacent-elles ? Elles battent leur paire de pattes intermédiaires à la manière des rames d’un bateau. D’après la troisième loi de Newton, il existe un transfert de quantité de mouvement vers l’eau (et l’air, mais dont on néglige la contribution car sa densité est beaucoup plus faible que celle de l’eau). En filmant les insectes à la surface de l’eau, il est apparu que des ondes se déplaçaient dans la direction opposée au déplacement de l’insecte. Ces ondes capillaires seraient dont naturellement le moyen d’accomplir cet apport de quantité de mouvement. La vitesse (de phase) de ces ondes dépend de l’accélération de la pesanteur g, de la tension de surface g , et de la densité de l’eau r . Un calcul détaillé [9] montre que ces ondes capillaires n’existent que pour une vitesse de

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phase supérieure à c* = ( 4g γ /ρ) 1/ 4 ~23 cm/s pour l’interface eau-air. Ainsi, pour produire des ondes capillaires qui la font avancer, l’araignée d’eau doit bouger ses pattes à une vitesse supérieure à 23cm/s ou les faire tourner à environ 50 tours par seconde ! Cela est apparemment impossible à réaliser par des bébés araignées d’eau. Et pourtant, celles-ci se déplacent également. Ce paradoxe a été levé récemment par le groupe de John Bush au MIT [10], spécialiste de la locomotion des animaux. En filmant les bébés araignées avec des caméras rapides et en faisant du suivi de particules dispersées dans l’eau de manière à reconstituer les flux de liquide, le groupe américain a montré que le transfert de quantité de mouvement était surtout associé à l’émission de petits tourbillons. Le processus est similaire à celui qui permet par exemple aux pigeons de voler ou aux poissons de nager. Dans le cas de l’araignée, le vortex est créé à l’interface eau-air [11].

Figure 7.10 – Illustration des tourbillons générés au cours du déplacement d’une araignée d’eau à la surface de l’eau. 55

Chapitre 2 • Interfaces

Pour tous les animaux plus lourds, caractérisés par un nombre de Baudoin P/g p >1 (ou P est le poids et g p la force de tension de surface), les arguments précédents ne sont plus valables. En effet, un homme de 100kg verrait son poids contrebalancé par une force capillaire uniquement si le périmètre de son pied était d’environ 5km! Dans le cas moins extrême d’un petit lézard de 100g, il faudrait encore que celui-ci ait des pieds de 50cm. Pourtant, les lézards basilic (qu’on appelle aussi lézards Jésus) marchent sur l’eau. C’est donc dans le mouvement qu’il faut chercher l’explication de leur flottaison. La marche, ou plutôt la course, d’un lézard basilic sur l’eau est en effet constituée de deux phases indispensables: une poussée verticale (générée par la claque du pied à la surface de l’eau) et une poussée horizontale (générée par une attaque à l’horizontale) [12]. Pendant la phase de frappe du pied, la quantité de mouvement associée correspond au produit de la masse virtuelle associée au pied par la vitesse à laquelle cette masse virtuelle est accélérée, c’està-dire environ la vitesse du pied au moment du contact. La masse virtuelle est déduite du volume de la cavité d’air créée par l’impact. La vitesse est mesurée à l’aide d’une caméra rapide. La force est déduite en divisant la quantité de mouvement par la durée de l’impact, et vaut environ 0,3N. Au cours de la phase d’attaque sous l’eau, l’eau subit une traînée hydrodynamique qui est proportionnelle au carré de la vitesse et peut être estimée à environ 1N. L’ensemble est donc suffisant pour soutenir le poids d’un lézard de 130g. La dépendance de la traînée avec le carré de la vitesse nous fait comprendre pourquoi il est avantageux de courir vite. En adaptant cette approche pour l’homme, dont les pieds sont petits en proportion de sa taille par comparaison avec le lézard, on trouverait que le recordman du monde du 100 m d’athlétisme, qui court à environ 10 m/s devrait courir au moins trois fois plus vite pour avoir une chance de ne pas couler. Une astuce pour y parvenir, qui n’a rien à voir avec la capillarité, serait par exemple de remplacer l’eau par une suspension de fécule de maïs («maïzena») dont les propriétés rhéo-épaississantes font qu’elle se comporte comme un liquide visqueux (du miel) lorsqu’on la mélange ou «frappe» lentement et comme un solide lorsque la contrainte est brutale. Il est alors possible de courir, même lentement, sur un bain de «maizena» (ou farine de maïs), à condition de ne pas s’arrêter!

LEÇON 8

Capillarité et pesanteur

Si les petites gouttes ont des formes sphériques, les grosses s’aplatissent. C’est l’action combinée de la tension de surface et de la gravité qui donne leur forme aux gouttes. La capillarité est aussi à l’origine de comportements singuliers des liquides qui semblent défier la gravitédans le phénomène de montée capillaire.

8.1 Longueur capillaire La longueur capillaire, désignée par κ −1, est la longueur caractéristique au-dessus de laquelle la gravité devient importante. On peut l’estimer en comparant la pression de Laplace γ /κ − 1 à la pression hydrostatique ρ gκ − 1 à une profondeur κ −1 dans le liquide 56

LEÇON

8 Capillarité et pesanteur

de densité ρ soumis à la gravité de la Terre g. L’égalité de ces deux pressions définit la 1/ 2 γ  longueur capillaire: κ −1 =   .  ρg  Pour l’eau, en prenantγ = 70 mN/m, r =103kg/m 3 et g =9,8m2 /s, on trouveκ −1 ≈ 3mm. Ainsi les gouttes de rayon R > κ −1 sont aplaties par la gravité et forment des flaques. Grâce aux forces capillaires, un liquide mouillant, comme de l’eau dans un verre, forme un ménisque dont l’élévation par rapport au niveau moyen est h ≈ κ − 1 (Fig.8.1). Enfin, dans un capillaire très fin de rayon R < κ − 1, les liquides grimpent spontanément. C’est le phénomène de montée capillaire. κ −1 devient grand en zéro gravité et à l’interface entre deux liquides de densités voisines.

8.2 Montée capillaire – Loi de Jurin

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Figure8.1 – Montée capillaire pour des liquides mouillants (θ E < π / 2) et non mouillants (θE > π / 2).

Si on plonge un fin capillaire dans un liquide mouillant (comme de l’eau), le liquide monte sur une hauteur h. Si on le plonge dans du mercure, le liquide descend. Pour déterminer h, on calcule la pression au point Ajuste sous le ménisque (Fig.8.1): i) par l’hydrostatique. Quand on plonge à une profondeur h, on est soumis à une surpression ρ gh. Donc, au point B à la même altitude que la surface libre (c’est-à-dire à la pression atmosphérique P0 ) du liquide, PB = PA + ρ gh = P0 . ii) par la formule de Laplace. Si le rayon du capillaire R 0, (cas a et b de la Fig.8.1). Application numérique : H~2m pour θ E = 0, k -1 =3mm, R =10mm. Pour un liquide non mouillant: θ E > π / 2, h < 0. C’est le cas du mercure dans un capillaire en verre (cas c de la Fig.8.1). Qui porte le liquide? On peut vérifier que poids du liquide soulevé est égal à la force capillaire s’exerçant sur la ligne de contact: Poids = π R 2ρ gh = 2π R (γ SO − γ SL ) = π 2π Rγ cosθ E en utilisant la relation d’Young (Leçon9). Applications. Ce phénomène est important dans le domaine de l’imbibition des milieux poreux tels que les roches ou les poudres. Par exemple, si on met du cacao naturel dans du lait, on obtient des grumeaux car il n’est pas soluble. Le chocolat en poudre est traité pour se dissoudre spontanément par imbibition capillaire. Citons aussi la montée capillaire de la sève dans les plantes (voir Encart8).

γ

8.3 Ménisques Lorsque l’on verse de l’eau dans un verre, l’eau monte légèrement sur les bords et forme un ménisque. Ainsi tout liquide contenu dans un grand récipient solide a une surface libre horizontale, sauf près de la paroi où elle se déforme sur une distance κ −1 (Fig.8 2). Le liquide monte sur la paroi si elle est mouillante (eau dans un verre) et descend dans le cas non mouillant (mercure dans un verre).

Figure8.2 – Schéma d’un ménisque.

La forme du ménisque résulte de l’équilibre entre forces capillaires et gravité. Si z est la hauteur de l’interface au-dessus du niveau du bain, la pression en un point M sous la surface conduit à l’égalité entre pression hydrostatique et pression de Laplace PM = P0 − ρ gz = P0 + γ / R Si s est la longueur curvilinéaire, le rayon de courbure est donné par ds = − Rdθ . En éliminant ds relié à dz par ds cosθ = dz, on trouve en intégrant avec la condition aux limites qu’à l’infini z = 0 et q = p /2: 1 2 2 κ z = 1 − sin θ , 2 58

LEÇON

8 Capillarité et pesanteur

On en déduit la hauteur du ménisque h en écrivant que l’angle de contact à la paroi est θ E 1 2 2 κ h = 1 − sinθE . 2 Pour θ E = 0 , on trouve h = 2κ − 1. Ce sont les forces capillaires qui portent le poids du liquide déplacé: Poids = ρgzdx = γ SO − γ SL , où l’on a injecté z (x ) dans cette équation. Remarque. La taille des ménisques devient importante en zéro gravité et à l’interface entre deux liquides iso-densités.

8.4 Forme des gouttes On étudie la forme des gouttes posées sur un substrat solide et flottant sur un substrat liquide.

a) Goutte posée sur un substrat solide

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On a représenté sur la Figure8.3 la forme de gouttes de volume croissant.

Figure8.3 – Forme des gouttes de taille croissante.

A) R < κ −1, Calotte sphérique. B) R > κ −1, Flaque. C) Illustration des formes de gouttes de taille croissante (M. Fermigier).

Pour une petite goutte, de rayon R < κ − 1, la pression de la goutte est la pression de Laplace. Comme la pression est uniforme, la courbure est constante, et la forme de la goutte est une calotte sphérique (Fig.8.3A). On s’intéresse maintenant au cas d’une goutte plus grosse, c’est-à-dire de rayon R > κ − 1. La goutte est aplatie par les forces gravitationnelles et forme une flaque (Fig.8.3B).

59

Chapitre 2 • Interfaces

• Calcul de l’épaisseur d’une flaque Pour calculer l’épaisseur des flaques, on écrit l’équilibre des forces (par unité de longueur) sur une portion de la goutte (Fig.8.3B, zone grisée):

γ SO + PH = γ SL + γ avec PH =

ec

∫0

ρgz ⋅ dz =

1 ρ ge2c . 2

PH est la force due à la pression hydrostatique intégrée sur l’épaisseur e c du liquide et γ SO , γ SL et γ les forces superficielles respectivement aux interfaces solide/air, solide/ 1 liquide et liquide/air. En posant S = γ SO − (γ SL + γ ) (Leçon9), on trouve ρge 2c = − S . 2 En utilisant la relation d’Young: γ SO = γ SL + γ cosθ E , qui traduit l’équilibre des forces 1 capillaires sur la ligne de contact, on obtient: ρ gec2 = γ (1 − cosθE ) . Finalement, 2 θ l’épaisseur de la flaque peut s’écrire ec = 2κ − 1 sin E . 2 Application numérique: e c = 6mm pour une flaque d’eau sur une poêle antiadhésive (θ E = π). Remarque. On peut aussi calculer ec par un argument énergétique. L’énergie Fg de la 1 ρ ge2 Ag. En minimisant Fg 2 avec la condition que le volume soit constant (soit Ag e =constante), on trouve e =ec.

goutte en fonction de sa surface Ag est: Fg = F0 − Ag S +

• Problème de la serpillière Plus les flaques sont fines, plus la surface mouillée est grande. La formulation des produits de lavage de sol est telle que ec soit le plus petit possible (θ E petit) pour faciliter le travail de nettoyage et mouiller une grande surface sans effort.

b) Goutte flottante On pose une goutte de liquide B à la surface d’un liquide A. On peut faire l’expérience en déposant une cuillère d’huile à la surface de l’eau. Au fur et à mesure que l’on dépose une plus grande quantité d’huile, la lentille s’aplatit. Sur un substrat liquide, l’angle de contact n’est pas donné par la relation d’Young, mais par la construction de Neumann (voir Leçon9). Le contour de la goutte est parfaitement circulaire car une surface liquide est une surface parfaite, lisse et chimiquement homogène. On peut calculer l’épaisseur de la flaque par l’équilibre des forces. Par définition, S = γ A − (γ B + γ AB ) est le paramètre d’étalement du liquide A sur le liquideB.

Figure8.4– Goutte flottante.

L’égalité des pressions hydrostatiques en N et Q conduit à:

ρ Be = ρ Ae 1 60

LEÇON

8 Capillarité et pesanteur

L’égalité des forces sur la région hachurée s’écrit P1 + γ B + γ AB = P2 + γ A, où P1 = ρA ge12 / 2 et P2 = ρB ge 2/ 2 sont les forces dues à la pression hydrostatique. 1 On trouve: − S = ρ ge 2, où ρ = ρB (1 − ρB / ρA ). 2

ENCART 8 La capillarité au service des plantes

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L’acheminement d’eau et de nutriments vers les feuilles d’une plante et le renvoi des sucres fabriqués grâce à la photosynthèse vers toutes les parties d’une plante peuvent faire penser au réseau de veines et d’artères qui font circuler le sang chez les animaux. À la différence du système vasculaire animal, les processus mis en jeu chez les plantes sont purement passifs. Un des prodiges des arbres est de pouvoir atteindre des hauteurs de près de 100m (Fig.8.5). Immédiatement, en faisant appel à la loi de Jurin (Leçon8), on peut calculer que les rayons des capillaires de xylème 2γ devraient être aussi petits que r ≈ =200nm pour que la capillarité puisse être ρgh efficace. Or les vaisseaux conducteurs de xylème ont une taille minimale de 20µm. Il existe donc d’autres mécanismes. L’osmose permet la pénétration dans les racines cRT et une montée jusqu’à h ≈ = 20 m au maximum (pour des concentrations ρg élevées en sucre de l’ordre de 30g/l et une masse moléculaire de 300g/mole). En fait, c’est l’évaporation au niveau des feuilles qui produit surtout l’aspiration de la sève. Toutefois l’expression de la pression hydrostatique P(H) =P0- ρ gH montre que, pour une pression atmosphérique au niveau du sol, le vide est atteint à H =10m d’altitude. Au-delà, l’eau est donc dans un état métastable de pression négative. La sève doit donc monter en conservant sa cohésion pour éviter les phénomènes de cavitation (embolies). Les recherches se poursuivent dans ce domaine.

Figure 8.5– Capillarité et montée de sève dans un arbre. Si la capillarité ne rend pas un service aussi grand qu’on aurait pu l’imaginer aux arbres, nous allons voir qu’elle joue un rôle prépondérant dans la reproduction de certaines plantes. La dispersion des spores ou du pollen chez les champignons et les plantes 61

Chapitre 2 • Interfaces

est en effet cruciale, car il faut réussir à déplacer le matériel nécessaire pour assurer la génération suivante. En ce qui concerne les champignons, les spores sont des particules plutôt allongées d’une dizaine de microns. Elles poussent sur les lamelles des champignons. L’enjeu est de les éjecter hors des lamelles, avec une trajectoire d’abord horizontale pour les faire arriver à mi-lamelles puis en chute libre (Fig.8.6A) et soumises à la convection de l’air (ou le vent) qui peut les emmener loin. Plusieurs millions de spores peuvent être éjectées en une heure. Les spores ont ensuite la particularité d’être très résistantes à des conditions difficiles (gelée, humidité, sécheresse).

Figure 8.6 – A) Spores tombées des lamelles de champignon. B) Zoom sur une spore. Condensation de la goutte à la base de la spore suivie de l’éjection de la spore. Les flèches indiquent les forces en présence. La force exercée par la goutte et la spore donnent lieu à une force globale exercée au centre de masse par le complexe goutte-spore. La réaction du «support» (appendice hilaire) atteint finalement le niveau de la force de rupture. Adapté de [13].

Ce mécanisme a été complètement élucidé récemment. L’éjection se produit grâce à la naissance d’une goutte d’eau par condensation à la base d’une spore. Plus précisément, cette condensation est induite par l’exsudation de soluté (Mannitol) au niveau de l’appendice hilaire [14]. En atmosphère humide, cette goutte grossit et finit par toucher la spore, qui est mouillante. Ce phénomène (de la goutte qui s’étale sur la spore) se produit à une vitesse caractéristique qui résulte de la compé-

γ . Avec R≈ 5µm le rayon ρR de la goutte, V peut atteindre 10m/s. Le gain énergétique associé à la réduction de surface (≈g R2 ) peut se transformer en libération d’énergie cinétique (≈r R3V 2 ) pour la goutte puis pour la spore. Cette idée proposée par Turner et Webster [15] a été validée, précisée et quantifiée par X. Noblin, chercheur à Nice Sofia Antipolis, alors qu’il effectuait un stage post-doctoral dans le laboratoire de Jacques Dumais à Harvard (États-Unis) [13]. En utilisant une caméra rapide pouvant acquérir des images à une cadence de 25000 images par seconde X. Noblin et ses collègues ont filmé l’éjection de spores individuelles. Le transfert d’énergie (entre la coalescence de la goutte et la propulsion de la spore) a lieu en moins de 4m s. La conversion de cette énergie de surface en énergie cinétique conduit à des vitesses initiales de près de 1m/s et la force exercée par la goutte sur la spore (et réciproquement) est de l’ordre de 1mN. Comme on le voit sur la Figure 8.6B, la séquence de propulsion de la spore fait penser à celle du saut d’un être humain, qui plie ses jambes puis se propulse tition entre capillarité et inertie (ρV

62

2

≈ γ /R ), soit V ≈

LEÇON 9 Mouillage

et dans laquelle la réaction du sol joue le rôle de la coalescence de la goutte et lui permet de sauter. De manière remarquable, la vitesse de décollage des meilleurs sauteurs animaux est aussi de quelques m/s. Dans leur cas, puisque la masse est beaucoup plus importante, la quantité de mouvement l’est aussi mais la friction dans l’air les ralentit ensuite davantage que ces spores micrométriques.

LEÇON 9

Mouillage

Le mouillage est l’étude des gouttes posées sur un substrat solide ou liquide, et plus généralement des interfaces lorsque trois phases sont en contact, le plus souvent liquide/ solide/gaz ou liquide A/liquide B/gaz. Le substrat peut être une surface lisse ou rugueuse ou un milieu poreux. Le mouillage est un phénomène de la vie courante que l’on peut observer les jours de pluie: perle d’eau sur une feuille, chapelet de gouttelettes sur une toile d’araignée, gouttes d’eau accrochée sur les vitres en sont de belles illustrations (voir Fig.9.1).

Figure9.1 – Exemples de mouillage dans la vie courante.

A) Perle d’eau sur une feuille de lotus (photo K. Guevorkian). B) Gouttes d’eau accrochées sur une vitre. C) Toile d’araignée recouverte de rosée. Zoom sur une fibre. D)Collerette de gouttes sur une feuille «intelligente», hydrophobe pour se protéger et hydrophile pour s’hydrater (photo FBW).

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Mais il a aussi une grande importance industrielle parce que de nombreux procédés nécessitent l’étalement d’un liquide sur un solide. Que ce soit une peinture, une crème solaire, un film lubrifiant, il faut l’étaler en film stable et éviter la formation de trous dans le film, correspondant au phénomène de démouillage (Leçon12).

9.1 Paramètre d’étalement S Lorsqu’une goutte d’eau est déposée sur du verre propre, elle s’étale complètement. En revanche, la même goutte déposée sur une feuille plastique reste cohésive et ne s’étale pas. Le paramètre qui distingue les deux régimes de mouillage représentés sur la Figure9.2 est le paramètre d’étalement S, qui mesure la différence entre l’énergie de surface des substrats secs et mouillés: S =Esec - Emouillé . De manière équivalente, S =γSO (γLS + γ), où γ SO , γLS et γ sont les tensions superficielles aux interfaces solide/air, solide/ liquide et liquide/air, respectivement. Ces tensions interfaciales entre les trois phases Solide/Liquide/Gaz (S/L/G) sont les forces capillaires agissant sur la ligne de contact (également appelée triple ligne) par unité de longueur.

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Chapitre 2 • Interfaces

Figure9.2 – Le paramètre d’étalement S = γS0 − ( γSL + γ ) définit les deux régimes de mouillage pour une goutte posée. A) Partiel - Young (1805). B) Total - Joanny, de Gennes (1985).

9.2 Mouillage partiel: S 0 Si le paramètre S est positif, le fluide s’étendra sur une grande partie de la surface afin d’abaisser son énergie de surface. L’état d’équilibre final est un film d’épaisseur nanoscopique, nommé crêpe de Van der Waals, résultant de la compétition entre les forces moléculaires (Leçon3) et capillaires. L’énergie F film par unité de surface du solide recouvert par un film d’épaisseur e s’écrit (Fig.9.5): F film (e ) = γ SL + γ + P( e) Où P(e) est un terme correctif qui apparaît pour des films microscopiques,γ SL etγ étant définis pour des milieux semi-infinis. P(e) satisfait aux conditions limites suivantes: dP P(0) = − S et P (∞) = 0. Par ailleurs, on définit la pression de disjonction π (e ) = − , de qui est la pression agissant sur le film liquide due aux interactions avec le substrat solide.

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Chapitre 2 • Interfaces

Figure9.5 – Énergie Ffilm( e) d’un film liquide correspondant au régime de mouillage total.

L’épaisseur eS des « crêpes de Van der Waals » est obtenue en minimisant Fcrêpe = F0 − S A + P (e) A par rapport à l’aire A à volume constant. On trouve la relation donnant eS : S = eS π (eS ) + P(eS ). La courbe de la Figure9.5 représente F film (e) et montre la construction de la tangente qui donne e S. Pour un liquide dans lequel les interactions moléculaires dominantes sont AH les forces de Van der Waals, comme de l’huile, P(e) = , où A H est la constante 12π e2 3 γ 1/ 2 de Hamaker (Leçon3). On obtientalors: eS = a , où a est une taille moléculaire 2S définie par A = γa2. Si γ ≈ 1, eS ~a; si γ ≈ 100, eS ~10a (crêpe épaisse). Si S → 0, S S 6π eS → ∞, c’est la transition de mouillage. Remarque. Pour l’eau, une surface mouillable peut également être appelée hydrophile et une surface non mouillable hydrophobe.

( )

9.4 Du mouillage à l’adhérence Le mouillage peut être étendu à la description de la liaison ou de l’adhésion de deux matériaux. L’adhésion est le phénomène physico-chimique qui se produit lorsque deux matériaux sont mis en contact. Une fois le contact établi, l’énergie requise pour séparer les matériaux s’appelle l’énergie d’adhésion de Dupré (Fig.9.6).

Figure9.6 – Diagramme de différents cas de clivage. Gauche: liquide; droite: solide/liquide → liquide + solide. 66

LEÇON 9 Mouillage

Le travail d’adhésion est l’énergie requise pour créer deux nouvelles surfaces à partir d’une interface. Si on clive un matériau homogène (le liquide ici), les nouvelles surfaces sont identiques(Fig. 9.6, gauche). Le travail de clivage, appelé travail de cohésion, est Wcohésion =2gLV . Si on clive deux matériaux différents (Fig.9.6, droite), Wadhésion = g SV + g LV – g SL , où g SV et g LV sont les énergies de surface des deux nouvelles surfaces et g SL est la tension interfaciale. On peut ainsi relier S à la différence entre énergie d’adhésion et de cohésion S = gSV - (g LV + g SL) =Wadhésion - 2g LV =Wadhésion - Wcohésion . Les principaux mécanismes d’adhésion proposés pour expliquer pourquoi un matériau s’accroche à l’autre sont les suivants : (1) adhérence structurale : les matériaux adhésifs remplissent les vides ou les pores des surfaces et maintiennent les surfaces par interverrouillage; (2) adhérence chimique: deux matériaux forment un composé à l’assemblage; (3) forces à longue distance : deux matériaux sont retenus ensemble par les forces de van der Waals; (4) adhérence électrostatique : pour les surfaces portant une charge inverse; et (5) adhérence par interdiffusion. Par exemple, deux tubes de polyéthylène (PE) sont collés ensemble en chauffant la jonction: les chaînes PE interdigitent et cicatrisent l’interface.

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ENCART 9 Lévitation et course de gouttes • Évaporation d’une goutte Une goutte d’eau abandonnée sur une table a disparu le lendemain. L’eau s’est de manière évidente évaporée. Cette évaporation est accélérée si la pièce ou la table est chaude. Si la goutte d’eau est maintenant remplacée par une goutte de café, les particules de café vont se déposer sur la table et laisser une trace sèche. Intuitivement, on pourrait penser retrouver des disques plus denses au centre et plus dilués sur les bords, car le volume de liquide au centre (au voisinage du dôme de la goutte) donc le nombre de particules est plus élevé qu’en bord de goutte. En réalité, on observe des motifs en forme de couronne (Fig.9.7A). Presque toutes les particules se sont accumulées à la périphérie de la goutte. Cet effet a été baptisé «effet tâche de café» et expliqué par le groupe de Tom Witten au James Franck Institute de Chicago en 2000 [16]. Il se produit si la ligne de contact de la goutte est «piégée», ce qui est le cas général sur des surfaces réelles non topographiquement lisses et chimiquement homogènes à l’échelle atomique. Comme représenté sur la Figure9.7B, au cours de l’évaporation, le volume de la goutte diminue, mais pour garder la même empreinte (surface de contact), il faut que le liquide retiré près du bord soit compensé par un flux de liquide centrifuge. Ce flux de liquide entraîne les particules de café avec lui. Notons qu’à l’inverse, si la goutte peut se rétracter au fur et à mesure de l’évaporation, le dépôt de grains de café sera plus homogène. 67

Chapitre 2 • Interfaces

Figure 9.7 – A) Photographie d’une tâche de café. B) Dessin d’une goutte avec ligne de contact piégée en train de s’évaporer. Le flux de vapeur J(r) estplus élevé en périphérie car l’aire est plus grande lorsqu’on s’éloigne du centre r=0. La hauteur de goutte h(r) diminue. Mais, en périphérie, le volume perdu correspondant est inférieur à celui perdu par évaporation. Donc, il y a un flux de liquide centrifuge à la vitesse moyenne v (r ) pour compenser ce déficit volumique.

• Lévitation d’une goutte Revenons à notre goutte d’eau pure. Que se passe-t-il si on dépose une goutte d’eau sur une surface très chaude, à une température bien plus élevée que la température d’ébullition de l’eau ? On pourrait s’attendre à une évaporation instantanée ou une entrée en ébullition violente accompagnée d’une explosion de la goutte. Pourtant, ce n’est pas du tout ce qui se passe. Tout le monde en a déjà fait l’expérience dans sa cuisine ou faisant tomber, volontairement ou non, des gout telettes d’eau sur la plaque rougeoyante de la cuisinière. Les gouttes gardent une forme arrondie et acquièrent une grande mobilité: elles se mettent à danser sur la plaque. Ce phénomène est appelé caléfaction ou effet Leidenfrost, du nom du médecin allemand qui s’y est intéressé au XVIIIe siècle [17]. Un siècle plus tard, Jules Verne a utilisé aussi cet effet dans le dénouement de son livre Michel Strogoff (1876), dans lequel son héros eut les yeux exposés à une épée chauffée à blanc, simula la cécité avant de vaincre son ennemi. Ses larmes, en se vaporisant à l’approche de la lame, ont créé un film de vapeur isolant et protecteur. C’est exactement ce qui se passe dans le cas de la goutte, qui n’est pas en contact direct avec la plaque de cuisson, mais repose sur un coussin de vapeur de 100-200µm d’épaisseur (Fig.9.8). Celle-ci, en s’évacuant donne un mouvement erratique à la goutte qui danse sur la plaque. Et elle est immédiatement renouvelée.

Figure 9.8 – A) Goutte d’eau sur une plaque de cuisson rougeoyante. B) Dessin montrant le film de vapeur à l’origine de la lévitation dans l’effet Leidenfrost.

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LEÇON 9 Mouillage

• Auto-propulsion d’une goutte En 20 06, Heiner Linke, professeur à l’Université suédoise de Lund, a déposé des gouttes d’alcool (éthanol) sur des surfaces chauffées à 350 °C de laiton en forme de toit d’usine (ou de dents de scie) [18]. Si les dents de scie sont asymétriques, la gout te est auto-propulsée dans la direction de la pente descendante des dents. Sa vitesse stationnaire peut atteindre 10 cm/s. La topographie permet de « rectifier » ou de canaliser le flux de vapeur. En suivant de petites particules dans la vapeur, on s’aperçoit que celles-ci suivent les pentes faibles avant de heurter la pente plus abrupte et d’être évacuées sur le côté. Ce flux de vapeur génère une force visqueuse qui tire la goutte, d’où le sens du mouvement.

Figure 9.9 – Goutte d’éthanol se déplaçant sur un «toit d’usine» chauffé à

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300°C par effet Leidenfrost rectifié (extrait de [18]).

• Gouttes filantes Une manière totalement différente de faire bouger des gouttes de liquide sur une surface solide a été proposée en 1995 par Thierry Ondarçuhu [19]. Cette expérience consiste à prendre des gouttes d’alcane dans lesquelles est dissous un silane. Comme on le verra à la Leçon 10, les silanes sont des molécules tensio-actives, formées d’une longue chaîne hydrogénée ou fluorée et d’une tête hydrophile qui réagit avec les groupes de surface du verre (Si-OH) pour former des liaisons covalentes. Ainsi, si l’on trempe une surface de verre propre, hydrophile, dans une solution de silane, celle-ci devient hydrophobe. Par suite, lorsque T. Ondarçuhu a déposé une goutte d’alcane contenant des molécules de perfluorodecyltrichlorosilane sur une surface de verre, puis lui a donné une petite poussée avec une pipette de verre, la goutte s’est mise à bouger sur de longues distances dans un mouvement auto-supporté. De façon remarquable, en créant une «figure de souffle», c’est-à-dire en générant de la buée sur le verre par le souffle de notre bouche, celle-ci se condense préférentiellement sur les zones hydrophiles, ce qui a permis de reconstituer la trajectoire de la goutte et de vérifier que celle-ci, en bougeant, déposait des molécules de silane. On notera sur la photographie de la Figure 9.10A que la trajectoire est un peu accidentée, car la goutte est déviée par des irrégularités du verre, mais elle est strictement auto-évitante, i.e. la trajectoire ne se recoupe pas. Le mécanisme sous-jacent à 69

Chapitre 2 • Interfaces

ce mouvement est le suivant. Un calcul précis a été décrit par l’un de nous (FBW [20]). Nous ne donnons ici qu’une explication qualitative. Des molécules de silane se greffent sur le verre sous la goutte déposée et augmentent l’angle de contact. Au moment de la pichenette, une partie de la goutte «voit» une surface de verre nue. Son angle de contact est donc plus faible (Fig.9.10B). Les forces capillaires agissant sur la goutte à l’arrière (point A) et à l’avant (point B), ne sont donc pas compensées. La goutte se déplace dans la direction des énergies interfaciales solide/air les plus élévées. Un calcul d’ordre de grandeur suggère qu’une goutte contenant 50 mMol/L de silane peut se déplacer sur au moins une dizaine de mètres avant que l’effet ne s’épuise.

Figure9.10 – A) Figure de souffle permettant de détecter la trajectoire d’une «goutte filante» (T. Ondarçuhu). B) Dessin montrant la forme de la goutte due à la différence de mouillabilité.

LEÇON 10 Physicochimie du mouillage La physico-chimie du mouillage a pour but de comprendre pourquoi une goutte d’eau s’étale sur du verre et pas sur du plastique, et de trouver les méthodes qui, inversement, vont permettre de rendre le verre non mouillant et le plastique mouillant. De façon générale, il s’agit de savoir comment prévoir et piloter la mouillabilité d’un substrat.

10.1 Deux catégories de solides Il existe deux grandes catégories de solides: – les solides dits «Haute Énergie» (HE). Ce sont les métaux, les cristaux covalents ou ioniques et le verre. Ils sont très mouillables, c’est-à-dire que la plupart des liquides s’y étalent totalement. Leur énergie de cohésion U est de l’ordre de celle d’une liaison covalente soit U~eV (ou 40 kBT) ; – les solides dits «Basse Énergie» (BE). On peut citer les plastiques ou les cristaux moléculaires. Ce sont des surfaces en général moins mouillables; c’est-àdire que les liquides s’y étalent partiellement. Leur énergie de cohésion U est de l’ordre de celle de l’agitation thermique soit U~ kB T. On pourrait penser que leur mouillabilité est due au fait que l’énergie de surface g SO est très élevée pour les solides HE, faible pour les solides BE. Mais on a vu (Leçon9) que c’est le signe du paramètre d’étalement S = γ S 0 − (γ SL + γ ) qui permet de prévoir si le solide sera partiellement ou totalement mouillé.

70

LEÇON 10 Physicochimie du mouillage

10.2 Critère de mouillage – Calcul du paramètre d’étalement Pour calculer S on fait un bilan d’énergie correspondant à une «cicatrisation» des milieux en présence, afin de relier S à la polarisabilité du liquide a L et du solide a S (Fig.10.1).

Figure10.1 – A) Cicatrisation entre deux solides. B) Cicatrisation entre deux milieux liquides. C) Cicatrisation entre un solide et un liquide.

a. Lorsque l’on cicatrise deux solides (Fig.10.1A), on part d’un état initial d’énergie de surface 2γ SO . Après cicatrisation, l’énergie interfaciale est nulle. On fait un bilan d’énergie en partant de l’état initial et en comptant que l’on a gagné Vss, les interactions de Van der Waals solide/solide, et U, l’énergie de liaison chimique entre atomes du solide, en les recollant, ce qui conduit à: 0 = 2 γ S 0 − VSS − U, avec VSS = k α 2S où α S : la polarisabilité du solide, U: l’énergie de liaison chimique, et k une constante. b. De la même façon, lorsque l’on cicatrise deux milieux liquides (Fig.10.1B) on part d’une énergie initiale 2 γ et on récupère VLL , les interactions de Van der Waals liquide/ liquide. Le bilan s’écrit: 0 = 2γ − VLL , avec VLL = k α2L où α L : la polarisabilité du liquide. c. Finalement, la cicatrisation entre un solide et un liquide (Fig.10.1C) donne de la même façon:

γ SL = γ S 0 + γ − VSL , avec VSL = k α S α L.

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On en déduit: S = γ S 0 − ( γ SL + γ ) = VSL − VLL = k α L (α S − α L ) . On remarque que si α S > α L alors S > 0, d’où la règle: un liquide s’étale complètement s’il est moins polarisable que le solide.

10.3 Traitement de surface Le principe d’un traitement de surface consiste à changer la nature moléculaire de la surface d’un solide pour changer ses propriétés de mouillabilité.

a) Comment rendre non mouillante une surface mouillante On dépose une couche moins polarisable que le liquide. 71

Chapitre 2 • Interfaces

L’eau mouille le verre (S >0). Si on greffe sur le verre un tapis moléculaire hydro phobe, la goutte ne s’étale plus (S < 0). On peut utiliser par exemple un trichlorosilane portant une chaîne carbonée Rdu type −(CH 2) n ou − (CF 2) m et qui réagit avec les groupes silanols Si-OH de la surface du verre, (Fig.10.2),

Figure10.2 – Non étalement de la goutte d’eau sur le verre, à cause du tapis moléculaire hydrophobe. Sur le dessin de droite, les molécules ne sont pas représentées à l’échelle. Leur taille est de quelques nm tandis que la goutte peut atteindre le mm.

Applications. Ce traitement de surface permet à des pare-brises de rester secs, à des carlingues d’avions d’éviter l’accumulation de givre, à des poêles d’empêcher les aliments cuits de s’y coller et aux vitres de devenir auto-nettoyantes (Encart10).

b) Comment rendre mouillante une surface non mouillante On dépose une couche plus polarisable que le liquide, par exemple une couche métallique. Ce cas correspond au régime de mouillage pseudo-partiel (Fig.10.4 C): une microgoutte forme une crêpe de van der Waals (épaisseur eS ). Une grosse goutte forme une calotte sphérique, entourée d’un fil de mouillage nanoscopique (épaisseur em) qui recouvre la surface. Applications.Dans les serres, la condensation sur le plastique non mouillant dépose des microgouttes qui diffusent la lumière. Le plastique est rendu mouillant en déposant une couche monoatomique d’or.

10.4 Caractérisation des surfaces – Tension critique de Zisman g c Pour caractériser la mouillabilité d’une surface chimiquement modifiée, on y dépose des gouttes liquides de la série des alcanes. Comme la tension de surface des alcanes g dépend du nombre n de groupes (CH 2), on peut mesurer l’angle de contact q E en fonction de g (Fig.10.3). q E s’annule pour γ = γ C , grandeur intrinsèque caractérisant le substrat et correspondant à α L = α S . γ C est appelée la tension critique de Zisman.

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LEÇON 10 Physicochimie du mouillage

Figure10.3 – Mesure de cos qE en fonction de g.

La détermination du g C de surface permet de prévoir si un liquide de tension superficielle g va s’étaler ou non. RÈGLE : si g < gC le mouillage est total si g > gC le mouillage est partiel

Exemples Verre nu, gC ~150mN.m -1. Verre silanisé, gC ~20mN.m -1. Verre fluoré, gC ~6mN.m-1 .

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10.5 Critère de mouillage: influence de la constante de Hamaker Connaître le signe de S n’est pas suffisant pour prévoir le type de mouillage. Il faut aussi connaître le signe de la constante de Hamaker: A = ASL − ALL (voir Leçon3) qui contrôle la stabilité des films de mouillage. La Figure10.4 montre les trois principaux régimes de mouillagequi se déduisent des courbes F(e) caractérisant l’énergie par unité de surface d’un film de mouillage d’épaisseur e. Comme on l’a vu à la Leçon9: F ( e) = γ SL + γ + P ( e) , A 12 π e 2 A. Mouillage total: A >0 et S >0, aS >aL , ex: eau sur du verre. B. Mouillage partiel: A qE , et la ligne triple recule si qd < q E (Fig.11.1).

Figure11.2 – Écoulement dans un coin de liquide qui avance q d > q E . La vitesse U de la ligne est la moyenne du profil de vitesse esquissé sur le dessin.

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Pour décrire la dynamique du mouillage, il faut connaître la loi U(qd). Cette loi s’obtient en écrivant que la force motrice agissant sur la ligne est égale à la force de friction. * La force motrice FM est la force capillaire non compensée: F M = gSO - g LS - g cos q d = g (cos q E - cos q d) ≈ 1/2 g (q d2 - q E2), où nous avons supposé que les angles de contact statiques et dynamiques sont faibles. * La force de friction est due au frottement exercé par le liquide qui s’écoule sur le substrat (Fig.11.2). Dans la limite dite de lubrification, qui suppose qd petit, la pression dans le liquide en mouvement P(x) ne dépend que de x et pas de z. L’écoulement dans le coin V(z) est un écoulement de Poiseuille:

η

∂ 2V dP = , 2 ∂z dx 79

Chapitre 2 • Interfaces

qui satisfait aux conditions aux limites (CL) suivantes: V (0) = 0 et

∂V ( z = ζ ) = 0, ∂z

où ζ définit le profil du coin de liquide. Après intégration, la solution qui satisfait aux CL est: 1 dP 2 ( z − 2 zζ ) 2η dx

V =

Dans le référentiel de la ligne qui avance à vitesse U, le liquide est immobile, ζ

∫(V − U ) dz = 0

0

d’où: ζ

Uζ = ∫ V (z) dz = 0

−1 dP 3 ζ 3η dx

En éliminant dP/dx, le profil de vitesse s’exprime en fonction de U: V ( z) =

3U ( −z 2 + 2 zζ ) 2 2ζ

La contrainte visqueuse σxz qui s’exerce sur le substrat est:

η

U ∂V (z = 0) = 3 η ζ ∂z

La force globale Fv agissant sur le coin de profil z(x) = qd x est donnée par: x max Fv =



xmin

V dx = 3η ζ (x )

xmax



x min



U dx U  x  = 3η ln max  , θd x θd  x min 

où xmax est une taille de goutte et xmin une taille microscopique. En pratique, Ln = ln(xmax /xmin) est de l’ordre de 20.

Figure11.3 – Vitesse U de la ligne en fonction de qd. 80

LEÇON 11 Dynamique du mouillage

L’équation F M =F V conduit à l’expression de U (qd ) (Fig.11.3): 1 U γ (θ d2 − θ E2 ) = 3η Ln 2 θd et U=

V* θ d (θd2 − θE2 ). 6Ln

Cette loi est en accord avec les observations expérimentales et permet de décrire la dynamique du mouillage, de l’étalement des gouttes au retrait des films. Il est remarquable que la vitesse U(qd ) s’annule pour deux valeurs de q d. Pour qd = 0, parce que la dissipation visqueuse dans le coin devient infinie (théorème dit «du plombier») et pour qd = q E correspondant à l’équilibre de la ligne. Il existe entre ces deux valeurs un minimum de vitesse Um. En dessous de Um, il n’y a plus de solution pour qd : c’est le mouillage forcé. En pratique, pour l’eau avec V* =72m/s, qE =0,3 rad V* et L n = 20, on trouve: U m = θE3 = 6 mm/s L 9 3 n Remarque. Si la goutte est posée sur un substrat présentant un gradient thermique, cela crée un gradient de tension superficielle (car on a vu que g est fonction de la température). Or, le liquide est tiré vers les tensions de surface élevées. Cet effet de transport de liquide induit par un gradient thermique est appelé l’effet Marangoni et peut se retrouver déterminant dans de nombreux phénomènes, comme par exemple, dans la formation des larmes du vin le long des parois d’un verre.

b) Mouillage forcé

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Lorsqu’une plaque est immergée verticalement dans un liquide mouillant (q E < 90°), la surface du bain se raccorde avec le solide avec un angle q E formant un ménisque (Fig.11.4A). Lorsqu’on retire la plaque à petite vitesse, c’est-à-dire U Um, la ligne de contact n’est pas stable et la plaque entraîne un film liquide avec celle-ci. Ce phénomène s’appelle mouillage forcé.

Figure11.4 – A) Ménisque à l’équilibre lorsqu’une plaque est immergée dans un

bain liquide. B) Lorsqu’on retire la plaque à vitesse U Um, la plaque entraîne un film liquide. 81

Chapitre 2 • Interfaces

L’épaisseur e(U) a été calculée par Landau-Levich [23]: e(U) = κ -1.Ca

2/3

et vérifié par D. Quéré [24] dans une expérience très simple et élégante où il souffle sur une goutte piégée dans un tube en téflon. En mesurant la diminution du volume de la goutte en fonction de sa vitesse, il a pu mesurer Um et l’épaisseur du film. Revenons aux gouttes de pluie qui tombent sur le pare-brise. Emportées à grande vitesse par la voiture en marche, elles laissent des traînées derrière elles: c’est une démonstration simple du mouillage forcé. Application industrielle. Le traitement multicouche des verres optiques est réalisé en trempant les verres dans un bain de liquide, et en les ressortant à une vitesse U qui va fixer l’épaisseur du dépôt.

c) Dynamique d’étalement d’une goutte en mouillage partiel (S k -1, les gouttes sont aplaties par la gravité.

ENCART 11 La force du ménisque • Le côté obscur En biologie cellulaire, on ensemence des cellules dans une boîte de Pétri et on les recouvre de milieu de culture qui contient tous les nutriments nécessaires à leur croissance et leur division. Les nutriments sont consommés et un indicateur coloré rouge qui vire au jaune au bout de quelques jours car le milieu s’est acidifié. Cela nous indique qu’il faut remettre du milieu frais. Avec l’avènement de la microfluidique (voir Leçon 5),

83

Chapitre 2 • Interfaces

notamment appliquée à la biologie, de nombreux groupes de recherche ont développé des systèmes microfluidiques de perfusion ou de recirculation de milieu de manière à «automatiser» la culture cellulaire. Un des problèmes pratiques récurrents en microfluidique est cependant la formation de bulles, soit à la connection entre les tuyaux externes et le dispositif, soit avec le temps par dissolution de gaz (car le PDMS est perméable aux gaz). Cela est souvent préjudiciable, car on s’aperçoit que les cellules se détachent ou meurent après le passage de bulles. • Le côté clair À l’inverse, dans un domaine complètement différent, celui de la production de circuits intégrés dans l’industrie électronique, les mémoires vives et microprocesseurs notamment doivent être construites dans des salles sans poussière, avec l’impératif que des particules de plus de 100 nm = 0,1 µm vont nuire à leur bon fonctionnement. Or, en pratique, il est souvent compliqué de nettoyer une surface de ses plus petites saletés. Les jets de gaz (spray) ou les ultrasons ne sont efficaces que pour retirer des particules de plus de 1 µm. Cette limite basse vient du fait que les poussières se collent aux surfaces (comme des pastilles de silicium dans le cas présent) par des forces de Van der Waals. Or, pour une particule sphérique sur R un plan, nous avons vu (Leçon3) que Fsphère − plan = A (dans la limite H ≈ R ), 6 H2 avec A la constante de Hamaker, R le rayon de la poussière assimilée sphérique et H la distance de séparation avec le substrat. Or les forces mises en jeu pour le nettoyage dépendent souvent de la section de la particule ou de son volume, donc augmentent d’un facteur 100 ou 1000 lorsqu’on veut éliminer des particules dont la taille ne diminue que d’un ordre de grandeur. Des observations fortuites faites par Leenars en 1988 [26] ont montré que le passage de bulles permettait un nettoyage efficace. Le principe, schématisé sur la Figure 11.7, est que l’interface air/liquide crée une force capillaire qui s’oppose (partiellement) à la force d’adhésion. Comme on le sait (Leçon 11), la force capillaire est, en oubliant les facteurs correctifs angulaires, Fγ ≈ γ R . Elle ne dépend donc que de la taille de la particule. Empiriquement, il a été vérifié que cela était efficace.

Figure 11.7 – Dessin d’une particule sphérique adhérée sur un substrat solide (force FA) et traversée par une bulle, donc une interface liquide/gaz.

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LEÇON 11 Dynamique du mouillage

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• Le peignage d’ADN En 1994, A. et D. Bensimon ont utilisé cet effet capillaire et la force exercée par le ménisque air/eau pour «peigner» de l’ADN [27]. Comme on l’a vu dans l’Encart2, les molécules d’ADN en solution se comportent comme une pelote de polymère et il est possible de les attacher par une extrémité à une bille, une fibre, ou comme ici à une lame de verre (Fig.11.8A). Le groupe de l’École Normale Supérieure à Paris l’a fait en traitant le verre avec des silanes (voir Leçon 10) portant des groupes vinyl (-CH = CH2) qui ont la spécificité d’interagir uniquement avec les extrémités d’ADN double brin. En solution, entre la lamelle silanisée et une lamelle non traitée, la chaîne est donc greffée comme représenté sur la Figure11.8A. Au cours de l’évaporation de la goutte, on observe qu’après le passage de l’interface eau-air, les molécules sont plaquées et étirées sur la surface (Fig.11.8B), perpendiculairement au ménisque de la goutte qui se retire. Cela signifie que la force capillaire exercée par l’interface est insuffisante pour casser la liaison ADN-verre, mais suffisante pour étirer l’ADN. On peut estimer cette force de tension de surface en assimilant l’ADN à un cylindre de diamètre D = 2 nm par Fc = γ πD ≈ 400 pN. Or, nous avions vu (Encart2) que l’ADN subissait une transition vers un état sur-étiré autour de 70 pN. La technique de piégeage est donc une méthode simple, basée sur la capillarité, qui permet d’immobiliser et d’étirer des molécules d’ADN (Fig.11.8C). En biologie moléculaire, l’hybridation in situ en fluorescence (FISH en anglais) est une méthode qui vise à visualiser le profil d’expression spatial de différents gènes. On injecte des oligonucléotides fluorescents sur de l’ADN pour déterminer le site d’hybridation. Évidemment, cette localisation est d’autant plus précise que l’ADN cible est étiré et immobilisé. Cela permet par exemple de repérer des mutations ou des délétions sur l’ADN.

Figure11.8 – Dessin d’une molécule d’ADN accrochée par une extrémité à une surface et peignée par le passage d’un ménisque.

85

Chapitre 2 • Interfaces

LEÇON 12 Démouillage: retrait des films Le démouillage, retrait spontané de films liquides déposés sur un substrat solide, liquide ou suspendus, est un phénomène de la vie courante qui a fasciné les physiciens et qui a de nombreuses applications industrielles.

12.1 Définition du démouillage On peut observer des phénomènes de démouillage dans la vie de tous les jours (Fig.12.1). En sortant de l’eau, la peau sèche spontanément par ouverture de zones sèches. Les plumes du canard sont plus efficaces que la peau humaine puisque le canard sort sec de l’eau. Avant chaque vol, les avions sont aspergés d’un liquide le rendant super hydrophobe, pour éviter la formation d’un cocon de glace. Enfin dans notre cuisine, si on étale un film d’huile sur une poêle antiadhésive, il est instable et des zones sèches apparaissent et grandissent. Si on roule sur une route mouillée, il faut que le film intercalé entre le pneu et la chaussée démouille pour que des contacts adhésifs se forment et que le pneu ait une bonne adhérence. Si on freine brusquement, le contact se mouille et on perd le contrôle de sa voiture: c’est le phénomène d’aquaplaning. Par contre, dans le cas des lentilles de contact, il faut que le film intercalé soit stable, sinon la lentille se colle à l’œil et c’est très désagréable.

Figure12.1 – Exemples de démouillage: l’eau sur A) la peau du nageur, B) sur les plumes du canard, C) sur la carlingue de l’avion, D) l’eau ou l’huile sur le fond de la poêle.

Ce phénomène de la vie courante a aussi des applications industrielles. En effet, de nombreux procédés industriels consistent à étaler des films et on souhaite que le démouillage soit évité: c’est le cas des rubans adhésifs, ou la colle doit enduire uniformément la surface sans laisser de trous. De même, certains traitements destinés aux cultures sont formulés à partir d’une base aqueuse, mais les feuilles sont très hydrophobes et l’on doit ajouter des substances pour réduire l’effet du démouillage. La formulation des produits de rinçage des lave-vaissellesintègre la problématique du démouillage: il faut éviter que le verre ne sèche par chauffage, car les impuretés restent collées, tandis que s’il démouille, les impuretés sont emportées avec le liquide. Pour éviter l’aquaplaning lorsqu’on roule sur une route mouillée, il faut traiter la surface et la texture du pneu pour que le film intercalé entre le pneu et la chaussée démouille. Les semelles des chaussures de sport sont elles aussi texturées et traitées pour que le sportif ait une bonne adhérence sur sol humide. 86

LEÇON 12 Démouillage: retrait des films

Figure12.2 – Films supportés, intercalés entre un solide dur et un caoutchouc mou ou suspendus.

Le démouillage décrit la rupture d’un mince film liquide, dont la viscosité peut varier sur plusieurs ordres de grandeurs, dans trois géométries (Fig.12.2): A) déposé sur un substrat non mouillant (soit liquide non miscible, soit solide). C’est le processus inverse de l’étalement. Lorsque S > 0 (régime de mouillage total), le liquide tend à couvrir la surface de sorte qu’un film est toujours stable. En revanche, lorsque S 0 , où c est la susceptibilité magnétique et χ / /, χ ⊥ les composantes parallèles et perpendiculaires. Supposons une lamelle nématique alignée parallèlement aux parois et appliquons un champ magnétique B perpendiculaire.

110

LEÇON 15 Nématiques

Il y a alors compétition entre  l’alignement imposé par l’ancrage aux parois et l’orientation dans la  direction de B (Fig.15.3). Une propriété remarquable est l’existence d’un champ seuil BC . Si B < BC , l’échantillon reste non distordu car les forces d’ancrage sont dominantes et l’orientation planaire est maintenue (Fig. 15.3A). Si B > BC , l’orientation dans le champ commence à l’emporter et les molécules s’alignent avec le champ dans le centre de la cellule (Fig.15.3B).

Figure15.3 – Transition de Fredericks: A) B Bc.

Entre polariseur et analyseur croisés, le champ visuel reste sombre jusqu’à BC et s’éclaire soudainement à BC . L’expression de BC résulte de la compétition entre l’énergie de déformation ≈ K/d2 (avec d la distance entre parois, et K la constante de Franck associée au mode de déformation d’intérêt) et le gain d’énergie magnétique ≈Δc B2 : BC =

π ⋅ d

K . ∆χ

15.4 Alignement dans un champ électrique: affichage

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Les nématiques torsadés (Fig.15.4) sont majoritairement utilisés dans tous les écrans à cristaux liquides courants. Il n’existe pas une molécule présentant les propriétés optimales et tous les afficheurs utilisent des mélanges de 10 à 20 cristaux liquides de structure différente.

Figure15.4– Polarisation d’un nématique. À gauche, en l’absence de champ électrique, l’état initial (un nématique twisté) est opaque. À droite, sous champ E, l’échantillon est transparent. 111

Chapitre 3 • Cristaux liquides

Les nématiques sont très polarisables et s’alignent dans un champ électrique car ε / / > ε ⊥, où e est la polarisabilité.  Dans l’état initial E = 0 , les molécules ont  un arrangement twisté. On réalise un guide d’onde. La polarisation de la lumière P suit l’orientation de ñ. Entre  polariseurs  parallèles, il y a extinction totale (Fig.15.4A). Au contraire, dès que E > EC (champ seuil de distorsion), l’échantillon devient transparent (Fig.15.4B). C’est le principe de l’affichage réalisé grâce à des microélectrodes gravées et des filtres colorés (montre, écran plat). Une autre application est la commande électrique de la transparence d’une vitre (Fig.15.5). Lorsque le champ est coupé, le cristal liquide relaxe vers son état initial en 10 à 100ms suivant les paramètres du système.

Figure15.5– Polarisation de la lumière.

15.5 Textures des nématiques Les défauts dans les cristaux sont appelés dislocation. Les dislocations de rotation très fréquentes dans les cristaux liquides sont appelées désinclinaisons. On appelle texture l’image au microscope de ces défauts. L’observation d’un nématique entre polariseurs croisés (Fig. 15.6B) montre une texture formée de filaments noirs qui sont des lignes de singularité de l’alignement moléculaire correspondant aux positions d’extinction, reliés entre eux par des noyaux (défauts points ou lignes perpendiculaires au plan d’observation). Les défauts lignes sont plus courants. Un défaut est de rang s si en se déplaçant autour d’un chemin fermé contenu dans le plan perpendiculaire à la ligne de défauts, le directeur tourne d’une quantité s.2p. On a représenté Figure 15.6A quatre exemples de désinclinaisons correspondants à s = 1/2 et s = -1/2 en haut et s = -1 et 1 en bas.

112

LEÇON 15 Nématiques

Figure15.6– A) Quatre exemples de désinclinaisons dans un nématique. Les bâtonnets représentent les molécules; le point représente la ligne de défaut perpendiculaire au plan de la figure et s désigne le rang du défaut. B) Texture d’un nématique où l’on retrouve les différents types de désinclinaisons répertoriées en (A).

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ENCART 15 Polymersomes stimulables pour la libération contrôlée d’espèces actives Les publicités pour les crèmes de beauté et antivieillissement mettent en avant le fait qu’elles contiennent des liposomes. Ces liposomes, petites vésicules de quelques dizaines à quelques centaines de nanomètres constituées d’une ou plusieurs bicouches lipidiques (voir Leçon 18 et Encart 16) peuvent renfermer dans leur cœur aqueux des principes actifs, qui sont ensuite supposés pénétrer l’épiderme et libérer leurs substances agissant sur les cellules de la peau. Évidemment, il est nécessaire pour cela que ces liposomes ne soient pas détruits avant de pouvoir pénétrer, malgré les massages effectués par l’utilisateur ou l’utilisatrice. Si l’utilisation des liposomes en cosmétique peut être souvent vue comme un argument de marketing avant tout, leur intérêt en pharmaceutique est moins discutable. L’administration de médicaments pour traiter des organes spécifiques ne peut pas toujours être effectuée de manière localisée. En revanche, une administration directe dans l’organisme pour une action ciblée suppose que le médicament puisse «voyager » jusqu’au site à traiter, qu’il ne soit pas dégradé au cours de son voyage par des cellules spécialisées détectrices de substances étrangères (les macrophages) et qu’il sera bien actif à l’arrivée. Pour ce faire, une stratégie naturelle et simple, dans son principe, consiste à encapsuler des médicaments dans des «nano-transporteurs», à la fois résistants ou invisibles (furtifs) face aux macrophages et pouvant être dégradés pour libérer leur contenu une fois l’organe cible atteint. Les liposomes sont toutefois relativement fragiles, peu résistants au cisaillement imposé par le flux sanguin. Aussi, à partir des années 2000, est apparue une alternative qui consistait à utiliser des polymersomes en lieu et place de liposomes. La membrane des polymersomes est constituée de polymères amphiphiles qui s’associent spontanément en bicouches (comme les lipides) qui se referment sur elles-mêmes. La plus grande masse moléculaire des polymères par rapport aux lipides se traduit par l’existence d’une membrane plus épaisse, donc par une plus grande résistance au flux, une plus grande imperméabilité et un temps de vie plus long lorsqu’ils circulent dans la vascularisation sanguine [3]. En revanche, il ne faut pas que cette plus grande résistance devienne un inconvénient au moment de la libération des espèces actives. Puisqu’un relargage passif par diffusion au travers de la membrane devient très long, il faut impérativement pouvoir déclencher le relargage par dégradation, poration ou éclatement du polymersome. Pour ce faire, on utilise les vastes possibilités de synthèse chimique des polymères. 113

Chapitre 3 • Cristaux liquides

Figure 15.7– Liposomes et polymersomes. Deux grands types de stratégies ont été suivis. On peut exploiter des variations de paramètres physiologiques locaux, tels que le pH (qui atteint une valeur de 2 dans l’estomac), la température, l’oxydation (par des espèces réactives oxygénées), la dégradation enzymatique spécifique, ou bien on peut appliquer un stimulus extérieur tel que la lumière, le champ magnétique, les ultrasons ou la température [4], [5]. Par exemple, dans la première catégorie, des polymersomes constitués de copolymères diblocs de poly(ethylene glycol)-b-poly(2,4,6-trimethoxybenzylidenepentaerythritol carbonate) révèlent un relargage accéléré à bas pH.  Ici, nous nous focaliserons sur la deuxième catégorie. Un premier exemple vient du groupe de Sébastien Lecommandoux à Bordeaux. En co-encapsulant avec la molécule d’intérêt thérapeutique des nanoparticules magnétiques (de maghémite, g-Fe2 O3 ), ce groupe a montré qu’un champ magnétique alternatif oscillant à une fréquence de 500kHz augmentait significativement la cinétique de libération, vraisemblablement en conséquence d’une surchauffe locale induisant une augmentation de perméabilité à l’échelle nanométrique. Bien que certaines particules magnétiques soient biodégradables et non toxiques, une inquiétude au niveau éthique demeure encore souvent autour de l’utilisation de nanoparticules dans le corps humain. Un deuxième exemple, en direct lien avec la Leçon 15, vient du groupe de Min Hui Li (en collaboration avec deux des auteurs). Comme pour les muscles artificiels (Encart 13), l’idée consiste à utiliser des cristaux liquides nématiques sensibles à des stimuli physiques externes. En particulier, des mésognènes à base d’azobenzène subissent un changement de conformation transàcis sous une irradiation à 365nm (voir Encart13). Le groupe de Min Hui Li a synthétisé un copolymère dibloc, PEG-b-PMAazo444 («PAzo»), qui s’auto-assemble en polymersome (Fig.15.8). Mais, à notre grande surprise, une illumination prolongée ne produisit aucun effet notable, juste un froissage de la vésicule. Nous avons dû adapter notre approche et former des polymersomes asymétriques, c’est-à-dire dont les deux feuillets de la membrane sont chimiquement différents. Le feuillet externe était composé de PAzo, sensible à la lumière UV, tandis que le feuillet interne était inerte, puisque composé de PEG-b-PBD («PBD») (Fig.15.8). Sous illumination UV, tous les polymersomes disparaissaient en libérant leur contenu coloré. Pour mieux visualiser ce qui se passait, nous avons préparé, non pas des vésicules de quelques 10-100 nm, mais ce que l’on appelle des vésicules géantes, selon la méthode bien établie de l’émulsion inverse [6]. Ces polymersomes géants peuvent atteindre un diamètre de l’ordre de 5 à 50µm et sont donc bien visibles au microscope optique. Dans ce cas, nous observons que toutes nos vésicules asymétriques éclatent et se désintègrent en moins de 300 ms lorsqu’elles sont 114

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LEÇON 15 Nématiques

Figure 15.8– A) Polymères utilisés. PEG-b-PMAazo444 est stimulable. PEG-b-PBD est inerte vis-à-vis d’une illumination dans l’UV. B) Éclatement du polymersome sous éclairement UV et zoom schématique sur les conformations des polymères dans la membrane. éclairées par la lampe d’un microscope avec un filtre à 365nm (Fig.15.9). Bien que nous ne puissions pas voir ce qui se passe réellement à une échelle moléculaire au sein de la membrane, nous avons tout de même pu déchiffrer le mécanisme. En effet, cette expérience trouve une analogie directe avec une expérience très simple qui illustre ce que l’on appelle «l’instabilité des cheveux bouclés » (Fig. 15.9.B). Lorsqu’on dépose une bandelette de papier-calque à la surface de l’eau, celle-ci s’incurve rapidement à ses extrémités et forme deux cylindres de papier roulé. Cette instabilité résulte d’un effet bimorphe causé par le gonflement de la face du papier en contact avec l’eau, alors que la face supérieure du papier demeure sèche pendant les premières secondes car le glaçage du papier-calque réduit la vitesse d’imbibition par l’eau. Dans le cas de la membrane polymère, le feuillet interne, d’abord en conformation trans donc étiré, subit une transition nématique 115

Chapitre 3 • Cristaux liquides

àisotrope, ce qui conduit ( Fig. 15.8) à une diminution de l’épaisseur du bloc polymère cristal liquide, et de manière concomitante, à une augmentation de l’aire projetée du feuillet externe (du fait de la conservation de volume, une diminution dans une dimension génère une augmentation dans les autres). La membrane du polymersome se retrouve donc constituée de deux feuillets couplés l’un à l’autre mais d’une aire significativement différente. Cela génère une frustration au sein de la membrane. Énergétiquement, il devient plus favorable de courber la membrane pour étirer le feuillet externe (en excès d’aire) et comprimer le feuillet interne (en défaut d’aire par rapport à la valeur médiane). Il existe donc une courbure spontanée de la membrane, qui a été modifiée par le changement de conformation du polymère cristal liquide. D’ailleurs, on peut voir sur les instantanés pris avec une caméra rapide (Fig. 15.9.A) qu’une fois qu’un pore a été nucléé (par accumulation d’énergie élastique), celle-ci s’ouvre en s’enroulant vers l’extérieur. En guise de validation, nous avons évidemment inversé la configuration. En plaçant le bloc cristal liquide dans le feuillet interne, cet enroulement vers l’extérieur disparaît. Bien que ce soit plus difficile à voir, on peut deviner que l’enroulement a lieu vers l’intérieur. En bref, ce travail montre comment on peut, une fois de plus, exploiter les propriétés des polymères cristaux liquides nématiques pour déclencher l’éclatement de polymersomes à distance. Il s’agit là d’une preuve de concept, car la dispersion de groupes azobenzène serait toxique pour l’organisme. Des efforts de synthèse chimique pour parvenir à des formulations biodégradables et non toxiques sont encore nécessaires. Par ailleurs, l’utilisation de la lumière comme stimulus externe limite les applications à des traitements superficiels, car les tissus biologiques absorbent beaucoup la lumière, surtout dans l’UV. S’il existe maintenant de plus en plus de stratégies en développement pour déclencher la libération du contenu des polymersomes, il ne faut pas oublier qu’il convient aussi de s’assurer que ceux-ci atteindront leurs cibles. Pour ce faire, une fonctionnalisation de la surface des polymersomes par des ligands qui interagissent spécifiquement avec des récepteurs présents à la surface des cellules ciblées est généralement la voie envisagée [5].

Figure 15.9 – A) Séquence de vidéomicrographies prises avec une caméra rapide d’un polymersome éclatant sous illumination UV. L’intervalle de temps entre chaque image est 10 ms. Barre d’échelle =5m. Sur la 2 e photographie, on voit l’expulsion du liquide interne, permettant de détecter l’instant initial de formation d’un pore. On note la formation d’un «rouleau» de membrane vers l’extérieur (Courtoisie: Elyes Mabrouk). B) Analogie avec l’expérience du papier calque (photos PN). 116

Chapitre

4

Surfactants

LEÇON 16 Molécules amphiphiles Les molécules amphiphiles sont composées de deux parties antagonistes: – une «queue» aimant l’huile (lipophile); – une tête aimant l’eau (hydrophile) (Fig.16.1).

Figure16.1– Représentation schématique d’une molécule amphiphile.

Cette nature duale confère aux molécules amphiphiles une affinité pour les interfaces, ce qui a pour directe conséquence d’abaisser les tensions de surface. C’est pourquoi on les appelle aussi tensio-actifs (TA). Ces molécules jouent un rôle considérable dans l’industrie cosmétique, pharmaceutique, chimique (peintures, détergents). La partie lipophile est formée d’une ou deux chaînes paraffiniques hydrogénées CH3 —[–CH2 –]n — , ou parfois fluorées CF3 —[–CF2 –]n— , pour des traitements superhydrophobes (voir Encart 10). La classification des TA repose sur la nature chimique de la partie hydrophile.

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16.1 Classification des tensio-actifs La tête polaire peut être dérivée de sels dissociés en milieu aqueux. La charge, positive ou négative, confère donc aux TA leur caractère hydrophile. On trouve aussi des parties polaires non ioniques, comme le polyoxyéthylène (polymère hydrosoluble), ou globalement électriquement neutres, comme des groupes amphotères (voir Tableau16.1). Les phospholipides, qui constituent les membranes biologiques sont de ce dernier type: ils s’associent en bicouches et forment des vésicules uni- ou multi-lamellaires. Tableau16.1 Classification des TA. Anionique

Cationique

CO2 - (Na +) sel d’acide gras SO4 - (Na +) sulfate (ex: SDS, sodium dodecyl sulfate) SO3- (Na +) sulfonate (ex: AOT, bis-(2-ethylhexylsulfosuccinate)) sels d’amine ou d’ammonium quaternaire

117

Chapitre 4 • Surfactants

Non ionique

Amphotère (anion +cation)

POE, polyoxyéthylène (également appelé PEG, polyethylene glycol) Choline + groupe phosphate (ex: lécithine du jaune d’œuf)

16.2 Rôles aux interfaces De manière générale, les tensio-actifs se positionnent aux interfaces et réduisent l’énergie interfaciale. À la surface d’un liquide (polaire), ils forment spontanément une monocouche ou film monomoléculaire (Fig.16.2). La tension superficielle diminue: γ = γ 0 − Π , où γ 0 est la tension de surface du liquide pur et P est la pression de surface exercée par les molécules de TA. Les TA s’adsorbent aussi sur des surfaces solides et changent leur mouillabilité (voir Leçons 10 et 11). Ce phénomène trouve des applications importantes dans les domaines de la lubrification, la flottation des minerais et la dispersion des suspensions colloïdales (Fig.16.2).

Figure16.2– À gauche, tensio-actifs à la surface d’un liquide. À droite, tensio-actifs adsorbés sur des solides: application à l’extraction de minerais parflottation.

16.3 Agrégation dans l’eau Dans l’eau, les TA s’associent en micelles. Ce sont des agrégats constituées typiquement d’une centaine de TA. Les micelles apparaissent lorsque la concentration de TA dépasse la concentration micellaire critique ou CMC (Figure16.3). Cette structure micellaire réduit le contact des chaînes lipophiles avec l’eau, donc diminue l’énergie du système.

118

LEÇON 16 Molécules amphiphiles

Figure16.3– Formation micellaire à la CMC.

Étudions l’équilibre chimique entre les deux états tensio-actifs-micelles représenté Figure 16.3. À l’équilibre, on a égalité des potentiels chimiques (notés μ) des molécules de TA libre (à la concentration x 1) et de TA engagé dans une micelle (à la concentration xn). On a:

µ = µ1 + kBT ⋅ ln( x1 ) = µ n +

( knT ) ⋅ ln (xn ). B

n

On doit aussi écrire l’équation de conservation: x1 + xn = c, avec c la concentration totale de TA. L’égalité des potentiels chimiques donne:

( ) , ouCMC = e

xn x1 = n CMC

n

− (µ 1− µ n ) / k BT

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Si c CMC, x1 = CMC et xn = . À partir de la CMC, la concentration en n TA libres reste constante et la tension superficielle devient indépendante de la concentration c en TA.

Figure16.4– Morphologie des agrégats formés en par des amphiphiles en solution aqueuse. A) phase cylindrique et B) phase lamellaire.

119

Chapitre 4 • Surfactants

Le cœur hydrophobe des micelles permet aussi de dissoudre des solutés hydrophobes dans l’eau. À des concentrations élevées, les TA forment des cristaux liquides lyotropes (voir Leçon14 et Fig.16.4).

16.4 Émulsions eau/huile et HLB Lorsqu’on agite de l’eau et de l’huile, on peut former des gouttelettes d’huile dans l’eau ou d’eau dans l’huile. Mais ces émulsions ne sont pas stables. L’huile et l’eau finissent par démixer et former deux couches (l’huile moins dense à la surface de l’eau). Pour stabiliser les émulsions huile/eau et eau/huile, il faut ajouter un tensio-actifs. Il en existe plus de 15000. Le choix du TA approprié est guidé par la «balance hydrophile/hydrophobe», ou en anglais HLB (Hydrophilic-Lipophilic Balance). Cette méthodologie empirique a été introduite par Griffin (1949) et mesure, sur une table allant de 0 à 20, le rapport hydrophobe/hydrophile de chaque TA (Fig.16.5).

Figure16.5– La «balance hydrophile/hydrophobe» HLB. A) Goutte d’eau dans l’huile. B) Goutte d’huile dans l’eau.

Pour émulsionner une huile dans l’eau, on utilisera des TA à caractère dominant hydrophile, c’est-à-dire de HLB > 10 (Fig.16.6 - ex: acide oléique HLB = 17, huile de pin HLB = 16). Pour des émulsions inverses, on privilégiera des TA de HLB UM (où U M est la vitesse critique du mouillage forcé définie à la Leçon 11), de l’eau est entraînée (mouillage forcé) et cela conduit à des défauts dans le film (Fig.17.6).

Figure17.5– Principe du dépôt LB.

133

Chapitre 4 • Surfactants

Figure17.6– Dynamique du dépôt: A) U UM : entraînement d’un film d’eau intercalé.

Applications. Verres antireflets (K. Blodgett, voir Encart 17), verres antisalissures, électronique moléculaire [12].

17.2 Films solubles Les films solubles sont constitués de TA courts (n CMC. B) isotherme de Gibbs.

134

LEÇON 17 Films monomoléculaires de tensio-actifs

ENCART 17 Films antireflets: de Katharine Blodgett aux papillons de nuit

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Katharine Blodgett (Fig. 17.8.A), dont le nom est associé à celui d’Irvin Langmuir pour les films de Langmuir-Blodgett (L-B), c’est-à-dire ces couches moléculaires ordonnées de molécules amphiphiles adsorbées sur une surface solide, a une histoire singulière. Née en 1898 dans l’état de New-York, c’est à l’occasion d’une visite des laboratoires de General Electric où travaillait son père qu’elle rencontra Langmuir. Mais elle partit ensuite en Grande-Bretagne pour faire une thèse avec Ernest Rutherford (Prix Nobel de Chimie en 1906). Elle devint en 1926 la première femme ayant le diplôme de Docteur en physique de l’Université de Cambridge. Elle revint alors aux États-Unis pour travailler à General Electric comme assistante de Langmuir sur les films organiques monomoléculaires (~3 nm) déposés sur liquide, travail qui vaudra le prix Nobel de Chimie à Langmuir en 1932. En formant des films de stéarate de calcium [(C17H35 COO)2Ca], Blodgett s’aperçut qu’en plongeant une lame de verre dans l’eau et en la retirant lentement lorsque le film monomoléculaire était formé à la surface de l’eau, la lame de verre ressortait sèche. Cela lui fit proposer que les têtes hydrophiles (COO)2 - Ca2+ s’attachent au verre en exposant la chaîne hydrophobe à l’air, ce qui provoque le retrait du film d’eau. À partir de là, Langmuir et Blodgett ont pu former des films plus épais en effectuant des trempages successifs. Mais, c’est Katharine Blodgett qui comprit l’importance pratique de ces dépôts L-Bpour produire des films antireflets sur le verre. General Electric breveta l’idée sous le titre cryptique « Structure du film et méthode de préparation » (U.S. patent 2,220,660 -16 March 1938) et Blodgett publia en 1939 dans Physical Review un article intitulé «Utilisation d’interférences pour éteindre la réflexion de la lumière du verre». Elle y montre notamment un instrument avec un cadran en verre illuminé par un flot de lumière et dont une moitié seulement a été traitée par ses soins (Fig.17.8.B). Sur la partie non traitée il y a une forte réflexion et un éblouissement qui empêche de lire les indications sous le verre, ce qui n’est pas le cas pour la partie traitée antireflets.

Figure 17.8– A)Photographie de Katharine Blodgett. B) Photographie extraite de l’article de Katharine Blodgettmontrant l’effet antireflet. C) Principe des traitements antireflets.

Bien que le verre soit transparent, la loi de Fresnel nous indique qu’en incidence normale la réflectivité du verre (indice de réfraction nv = 1,5) dans l’air (n a = 1) est 2

 n − nc R = a ≈ 4%. Pour atténuer cette réflexion, le principe consiste à déposer  n a + n c  un film (d’indice de réfraction nAR ) à la surface du verre et ainsi créer deux interfaces, 135

Chapitre 4 • Surfactants

respectivement air/LB et LB/verre, ce qui conduit à l’émergence de deux faisceaux lumineux réfléchis qui interfèrent. Pour un faisceau lumineux monochromatique (de longueur d’onde l), les interférences seront destructives si la différence de chemin optique entre les deux réflections est la moitié d’un nombre entier de l (Fig.17.8.C). Cela correspond donc à une épaisseur de film d’un multiple de ¼ de longueur d’onde à l’intérieur du film, c’est-à-dire à l /4nAR . Pour que les interférences soient complètement destructives, il faut en toute rigueur que les amplitudes des deux réflections soient égales, ce qui est obtenu si nAR est la moyenne géométrique de l’air est du substrat (n AR = na ⋅ nv =1,22). D’autre part, l’extinction n’est valable que pour une longueur d’onde de la lumière, et non pour tout le spectre. En pratique, Katharine Blodgett n’avait pas la possibilité d’ajuster l’indice nAR de ses dépôts L-B (de l’ordre de 1,54 pour des films d’arachidate de cadmium) et elle a optimisé le nombre de couches par rapport à l = 550 nm, au centre du spectre visible et correspondant au maximum de sensibilité pour l’œil humain. De manière remarquable, la méthode de Blodgett a été utilisée dès 1939 par les réalisateurs du film Autant en emporte le vent pour traiter les lentilles de leurs caméras. Toutefois, si tous les verres de lunette, les lentilles d’appareils photo, les cellules solaires, les écrans de télévision sont maintenant couverts de traitements antiréfléchissants, le procédé a été amélioré depuis cette époque. Un matériau universellement utilisé est le fluorure de magnésium (MgF2 ) dont l’indice (n = 1,38) est plus proche de la valeur théorique et dont l’évaporation sous vide permet une meilleure adhérence au verre qu’un film L-B juste adsorbé. Pour étendre les propriétés antiréfléchissantes à toutes les longueurs d’onde et éviter l’aspect coloré des traitements monocouches, l’idée consiste à concevoir des empilements multi-couches, d’épaisseur et d’indice variable. Cette optimisation demande aux opticiens de calculer précisément les coefficients de réflexion à toutes les interfaces et les amplitudes des faisceaux lumineux réfléchis. Dans cette approche, les milieux d’indice «faible» sont déposés alternativement avec des milieux d’indice plus élevé. Cependant, une approche alternative pour réduire les réflexions a aussi été envisagée. Plutôt que de jouer sur les interférences, le principe consiste à éviter les changements brusques d’indice de réfraction entre un matériau et son milieu environnant. Idéalement, un revêtement à gradient d’indice, qui repose sur l’adaptation progressive de l’indice de réfraction entre le milieu incident et le matériau, typiquement entre l’air et le verre, pourrait être antiréfléchissant. En effet, Lord Rayleigh, dès 1879, a décrit l’effet d’un gradient de densité (donc d’indice) entre deux milieux pour « courber » le trajet d’un faisceau lumineux et ainsi éviter les réflexions. C’est d’ailleurs ce qui conduit à ce que l’on appelle « l’effet mirage » observé sur les routes des vacances l’été. Mais, au lieu de relever le défi technique qui revient à contrôler l’évolution de l’indice de réfraction du revêtement, une autre voie s’inspire de la stratégie de camouflage de certains insectes nocturnes qui possèdent par la même occasion une grande capacité à collecter le faible rayonnement lumineux nocturne. Les papillons de nuit en sont le parfait exemple (Fig. 17.9A). Ils développent à la surface de leur cornée un réseau hexagonal de nanostructures coniques ou cylindriques de taille inférieure aux longueurs d’onde du visible (≈ 100 nm) qui leur permet de réduire les réflexions. Ces structures périodiques ont un effet antiréflectif car elles génèrent un gradient d’indice de réfraction du fait de la géométrie des protubérances nanométriques et permettent

136

LEÇON 18 Films de savon - Bulles et Vésicules

une augmentation progressive de l’indice de 1,54 (chitine) à na = 1, comme schématisé sur la Figure17.9.B. La reproduction de surfaces nano-structurées similaires à celles observées dans la nature fait l’objet de recherches actives. Le groupe de Taiwan du professeur H.H. Yu [13] a montré que l’une des manières les plus efficaces pour préparer de tels réseaux de protubérances est de faire des monocouches de Langmuir-Blodgett de nanosphères de plastique. Pourquoi des billes de latex sont-elles stables à la surface de l’eau et se comportent-elles comme des macroamphiphiles? Cette question a été résolue il y a près de 40 ans par Pawel Pieranski [14]. Des billes de polystryrène sulfonate déposées à la surface de l’eau sont partiellement immergées, et leurs groupes ionisables (sulfonate de sodium) sont dissociés seulement sur cette partie submergée, ce qui conduit à une distribution asymétrique de charges. En présence des contre-ions, cela donne naissance à une double couche électrique et donc à un dipôle macroscopique effectif. La répulsion entre les dipôles tous alignés est à l’origine de la formation de réseaux colloïdaux.

Figure 17.9– Films antireflets à gradient d’indice: A) Papillon de nuit. B) Surface à protubérances nanométriques pour mimer un gradient d’indice.

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Depuis l’Antiquité les bulles (Fig.18.1) ont fasciné les poètes et les savants car elles sont fragiles et éphémères. On souffle sur un film de savon, une bulle colorée s’envole et éclate.

Figure18.1– A) Bulle de savon. B) Sa membrane a une épaisseur de l’ordre d’environ 0,1µm.

137

Chapitre 4 • Surfactants

Les vésicules formées d’une bicouche lipidique (Fig.18.2), les globules rouges, les cellules vivantes sont robustes. Elles n’éclatent pas spontanément.

Figure18.2– Vésicule lipidique d’environ 30mm de diamètre. Sa membrane a une épaisseur de l’ordre de 6nm (Courtoisie: Olivier Sandre)

D’où provient cette différence de robustesse?

18.1 Films de savon – Bulles – Mousse a) Films En lumière monochromatique, des franges d’interférence sont créées sur le film de savon. En lumière blanche, la longueur d’onde de la lumière réfléchie correspond à la condition d’interférence (Fig.18.3 et 18.4).

Figure18.3– Film de savon vertical, obtenu par drainage, avec une épaisseur variable selon l’axe vertical, e(z). Au sommet le film est noir (Courtoisie Karol Mysels)

En incidence normale ( i ≈ 0), le faisceau incident 1 de longueur d’onde l se réfléchit sur deux interfaces et donne naissance à deux faisceaux réfléchis 2 et 3. Le déphasage ∆ ϕ entre 2 et 3 est donné par: 138

LEÇON 18 Films de savon - Bulles et Vésicules

∆ϕ = 2π

δ + π, λ

où δ est la différence de chemin optique ou de marche (δ = distance parcourue × indice optique du milieu= 2 ne – ici n =1,33 pour l’eau). Le déphasage p supplémentaire est le changement de phase (inversion) qui se produit à l’interface au passage d’un milieu de bas indice (air n =1) vers un milieu d’indice plus élevé. Si l’épaisseur e est très petite devant l (de l’ordre de 0,5µm pour la lumière visible), ∆ ϕ  π , les interférences sont destructives et le film est noir. Si δ = ( k + 1/2) λ (avec k un entier), ce qui correspond à des interférences constructives, donc à un maximum d’intensité.

Figure18.4– Interférences des rayons lumineux réfléchis aux deux interfaces d’un film de savon issus d’un faisceau incident (angle d’incidence i).

b) Mousses

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Elles sont formées par la dispersion d’un important volume de gaz dans un faible volume de liquide contenant des tensio-actifs (TA) qui s’adsorbent à l’interface gaz/liquide des bulles formées.

Exemples – les mousses liquides : la bière, fabriquée avec de l’alcool, du CO2 et des polypeptides, les œufs en neige à partir de l’albumine, les mousses carboniques des extincteurs; – les mousses solides : les meringues, les polymères expansés, les roches volcaniques.

c) Stabilité des films de savon Isaac Newton (1704) étudie les films de savon. Il met en évidence deux états d’équilibre: le film noir (Newton black film, NBF) et le film plus épais Common Black Films (CBF). 139

Chapitre 4 • Surfactants

Figure18.5– Deux états d’équilibre du film de savon: A) Newton Black Film. B) Common Black Film.

Les épaisseurs des NBF et CBF sont données par les minima de l’énergie du film F(e) en fonction de son épaisseur. L’énergie du film est la somme de l’énergie superficielle et de la contribution des forces à longues portées P(e) et s’écrit: F (e ) = 2 γ + P (e ), oùeest l’épaisseur du film, et P(e) →0pour e →∞. ALL Si les TA sont chargés: P (e ) = − + B exp( −κ d e) , 12 π e 2 avec A LL laconstante de Hamaker, k d–1 lalongueur de Debye (Leçons 4, 5, 7, 8, 9) et Buneconstante. L’allure de la courbe F(e) est représentée sur la Figure 18.6. Les deux minima de F(e) correspondent aux NBF et CBF. En présence de sel, les interactions électrostatiques sont écrantées, et le minimum secondaire disparaît.

Figure18.6– Allure de la courbe F(e) exprimant l’énergie du film de savon en fonction de son épaisseur.

140

LEÇON 18 Films de savon - Bulles et Vésicules

d) Éclatement des films et des bulles Les bulles de savon naissent, s’amincissent par drainage et éclatent. Un trou se forme dans la bulle de savon, il est souvent créé par une poussière, puis il se propage, s’entourant d’un bourrelet. L’équation d’ouverture du trou est donnée par l’équation fondamentale de la mécanique appliquée au bourrelet de masse M qui récupère le liquide du trou: f =

dP , dt

où P = MV est la quantité de mouvement du bourrelet de masse M par unité de longueur (le long de la circonférence du trou). M augmente au cours de l’ouverture du trou carM = ρ Re avec r la masse volumique de l’eau, R le rayon du trou et e l’épaisseur du bourrelet. Si on fait l’hypothèse (vérifiée expérimentalement) que la vitesse V est constante (ou varie peu devant l’accumulation dP dR de masse dans le bourrelet), alors: = ρe V = ρe V 2 . dt dt La force f par unité de longueur qui tend à ouvrir le film est la tension de surface: f = 2γ (le facteur 2 vient du fait que la tension de surface s’applique sur les deux faces du film). On obtient donc: 2γ = ρ eV2 , 1/2

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2 γ  soit: V =    ρe  Cette vitesse est élevée, typiquement de l’ordre de 10m.s –1.

Figure18.7– Formation et propagation d’un trou dans une bulle de savon.

18.2 Bicouches lipidiques :vésicules, cellules vivantes a) Vésicules Les vésicules sont formées d’une bicouche lipidique étanche, séparant le milieu interne et externe. Les SUV (Small Unilamellar Vesicles), de diamètre ~ 100nm, sont utilisés en industrie cosmétique et pharmaceutique pour le transfert de médicament et la régénération de membrane (Sida, brûlures). Les GUV (Giant Unilamellar Vesicles) ont des tailles

141

Chapitre 4 • Surfactants

comparables à celles des cellules (~1à50 mm) (Fig. 18.8.A). Elles sont formées par «gonflement» d’une phase lamellaire de phospholipides, ou en envoyant un jet sur une bicouche lipidique. Elles sont utilisées comme système modèle de cellules, décrivant la membrane (Fig. 18.8.B et C).

Figure18.8– Vésicules et cellules vivantes: A) GUV(Courtoisie: O. Sandre). B) Globules rouges. C) Représentation artistique d’une cellule.

b) Vésicules «gonflées» et pores transitoires Les phospholipides sont insolubles. À l’équilibre, la vésicule minimise la surface A par ∂F tête polarisée, ce qui signifie que = 0 , ou de manière équivalente σ = 0. En réalité, ∂A il reste toujours une petite tension résiduelle (σ~10–4 mN.m–1). On peut gonfler les vésicules soit par choc osmotique, soit en les éclairant. Mais les vésicules tendues ne vont pas nécessairement éclater pour autant. Un phénomène extraordinaire se produit. Un pore naît et s’ouvre, puis se referme. La force qui ouvre le trou est 2σ. Contrairement au film de savon, la tension de la membrane, dépend du gonflement, comme pour un ballon de baudruche. Dès que le trou apparaît et grandit, la tension chute et le pore arrête de croître. À cause d’une autre énergie, la tension de ligne, le trou va se refermer tandis que le liquide interne fuit pour maintenir la tension de membrane nulle. Les vésicules comme les globules rouges sont des systèmes auto-cicatrisants. Même gonflés, ils n’éclatent pas ce qui explique leur robustesse.

Figure18.9– Pore transitoire. A) Vésicule flasque, tension de membrane (quasi-) nulle. B) Vésicule mise sous tension par éclairage. C) Ouverture d’un pore: R(t) augmente; Séquence de quatre images: fermeture du pore: R(t) diminue. Le temps est indiqué en secondes (Courtoisie: Olivier Sandre). 142

LEÇON 18 Films de savon - Bulles et Vésicules

Figure18.10– Processus d’auto-cicatrisation.

Extension: les pores nucléaires Le noyau des cellules est entouré d’une membrane nucléaire qui protège les chromosomes, et qui filtre le passage de molécules spécifiques. Lorsque les cellules se faufilent dans la matrice extracellulaire, elles se déforment et la membrane du noyau mise sous tension devient poreuse : des pores transitoires s’ouvrent et se referment, laissant partir du matériel génétique. Elle peut même exploser dans des cas extrêmes, ce qui entraîne la libération de l’ADN et la mort de la cellule.

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ENCART 18 Des cyclones dans une bulle de savon Sous l’action de la gravité, l’eau s’écoule dans un film de savon maintenu verticalement. Celui-ci s’affine dans sa partie supérieure. Il devient un film noir avant d’éclater (par adsorption d’une poussière par exemple qui sert de nucléateur). Ce phénomène de drainage peut être ralenti en microgravité ou compensé si une circulation d’eau est mise en place entre le bas et le haut du film, ce qui n’est pas simple en pratique. Pourtant, une façon assez simple, bien que complètement contre-intuitive à première vue, de prolonger la durée de vie d’une bulle est de la chauffer! Le principe consiste à utiliser une instabilité hydrodynamique bien connue en géophysique, météorologie, astrophysique ou océanographie, à savoir l’instabilité de Rayleigh-Bénard. Les cellules de Rayleigh-Bénard représentées sur la Figure 18.11 s’observent lorsque l’on chauffe de l’eau dans une casserole. Comme il existe un gradient de température entre la plaque de cuisson et la surface du liquide, et que l’eau chaude est moins dense que l’eau froide, les molécules d’eau chaudes s’élèvent dans le récipient tandis que les molécules proches de la surface froide descendent et ce cycle s’entretient, ce qui génère des rouleaux de convection. La résolution complète des équations de conservation de la masse, du transport de chaleur et de la dynamique des fluides (Navier-Stokes) montre qu’il existe une valeur critique du gradient de température en dessous de laquelle l’apport d’énergie thermique est insuffisant pour compenser les dissipations thermique et visqueuse, et mettre le fluide en mouvement et qu’au-delà d’un certain seuil, le système devient chaotique. À l’évidence, si on peut espérer contrecarrer le drainage en chauffant un film de savon et générer des rouleaux de convection, le risque est d’évaporer l’eau encore plus rapidement. Le groupe de Hamid Kellay à l’Université de Bordeaux a réalisé un dispositif permettant de former, chauffer, alimenter en eau et visualiser une demi-bulle de savon [16]. Leur dispositif est constitué d’une bague en laiton creuse avec une entrée et une sortie pour la circulation d’eau du thermostat. Cette bague a une fente circulaire remplie d’eau savonneuse qui sert de réservoir d’eau. Les demi-bulles 143

Chapitre 4 • Surfactants

sont soufflées avec une paille. La visualisation de la demi-bulle se fait en lumière blanche au travers d’une feuille de papier-calque pour assurer une bonne diffusion de la lumière sur une grande surface.

Figure 18.11 – Instabilité de Rayleigh Bénard dans une casserole. En l’absence de gradient de température DT, les couleurs d’interférences sont disposées en couches parallèles (Fig. 18.12.A). Cette stratification est caractéristique d’un drainage continu. En présence d’un DT légèrement supérieur au seuil d’apparition de la convection, des «plumes de convection» apparaissent au niveau de l’équateur et remontent vers le pôle (Fig. 18.12.B). Pour DT élevé, les strates de drainage disparaissent complètement et la convection désordonnée tend à homogénéiser l’épaisseur du film de savon (Fig. 18.12.C).

Figure 18.12– Mouvements de convection dans des bulles de savon hémisphériques A) DT =0 - drainage. B) DT =11°C – apparition de plumes de convection. C) DT =40°C – convection désordonnée sur toute la bulle. D, E) Cyclones dans une bulle et dans l’atmosphère terrestre. (A-D : Courtoisie: Hamid Kellay).

Parallèlement à cette convection qui ralentit le drainage et augmente la durée de vie des demi-bulles, Hamid Kellay et ses collègues ont également observé que certaines plumes formées au niveau de l’équateur se transformaient en des vortex vers le pôle. De façon remarquable, ces vortex au sein des bulles de savon sont assez similaires à des ouragans visualisés sur les cartes de météorologie (Fig.18.12F). Moyennant un changement d’échelle, les chercheurs bordelais ont montré, en analysant et comparant les trajectoires, vitesses, durées de vie de 144

LEÇON 18 Films de savon - Bulles et Vésicules

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vortex dans leurs bulles et de cyclones tropicaux, qu’il existe une analogie exacte entre les deux phénomènes. Les deux systèmes peuvent en effet être considérés comme pseudo-bidimensionnels car le rapport de l’épaisseur de l’atmosphère terrestre à la taille de la Terre (100km/12700km) est très inférieur à 1. En particulier, les deux types de cyclones, dont le mouvement est trochoïdal, subissent une intensification de leurs vitesses jusqu’à une valeur maximale, avant de s’atténuer puis disparaître. À l’aide de ce modèle de bulle savonneuse, il a été aussi possible de dégager une loi claire sur le mouvement des cyclones, permettant une prédiction plus fiable. En effet, par une étude statistique des déviations de trajectoire, caractérisées par le déplacement quadratique moyen, r 2 (τ ) = [r (t + τ ) − r (t )]2 ou MSD (Mean Square Displacement) (voir Leçon 1) Kellay et ses collaborateurs ont trouvé que MSD~t1,6 [17]. Cela signifie que le mouvement n’est pas brownien mais sur-diffusif. Plus précisément, ces trajectoires de vortex et cyclones sont celles dites «vols de Lévy», qu’on peut schématiser par une trajectoire erratique dont les intervalles de séparation entre chaque point de déplacement sont irréguliers au cours du temps. Si l’origine de ce type de déplacement est encore débattue, il n’en reste pas moins que cette étude permet a priori d’étudier simplement et donc de mieux comprendre et anticiper les mouvements de cyclones et ouragans.

145

Chapitre

5

Polymères

LEÇON 19 Molécules géantes 19.1 Polymères: longues chaînes de monomères Un polymère est une longue chaîne construite par la répétition de petites unités «monomères» jointes par liaison covalente. Le degré de polymérisation (ou nombre d’unités monomériques) N est de l’ordre de 103 à 105. Si la nature est capable de créer des chromosomes constitués d’ADN long de 108 bases (voir Encart 2), c’est un succès considérable de la chimie de synthèse que d’être capable de répéter une opération 105 fois sans erreur! Les polymères sont devenus des matériaux de première importance (matières plastiques, colles, pneus, textiles, peintures), que l’on trouve partout dans la vie de tous les jours. Le Tableau19.1 en donne quelques exemples

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Tableau19.1 Principaux polymères de synthèse.

19.2 Procédés de synthèse Les polymères naturels (soie, coton, bois…) ont été utilisés depuis des millénaires par nos ancêtres. Le premier procédé industriel utilisant des polymères modifiés chimiquement est l’invention du caoutchouc par Goodyear en 1839, suivi de la modification chimique de la cellulose (1865). Mais la science des polymères stagne parce que le concept de polymère n’est pas compris. C’est seulement en 1920 que le chimiste Staudinger est capable de démontrer l’existence de systèmes à longues chaînes «les polymères». On assiste alors à une explosion de la chimie des polymères. Il existe trois principaux procédés de synthèse de longues chaînes qui reposent sur deux principes de polymérisation: soit par addition successive de monomères selon la 147

Chapitre 5 • Polymères

règle A n + A à An+1 , soit par condensation de chaînes aux extrémités réactives selon la règle An + Am à An+m .

a) Polymérisation radicalaire Il y a une croissance continue des chaînes par ouverture d’une double liaison à chaque étape. Initiation : La réaction est initiée à l’aide d’un radical libre R  (molécule brisée obtenue par rayonnement UV, température élevée), neutre, mais pourvu d’un e- non apparié (ex: CH 3). Cette espèce très réactive peut s’associer à un monomère M. Propagation

R  + M → RM  RM  + M → RM2 

Exemple

Terminaison RM p + RMq → RM p +q R La terminaison par combinaison de deux radicaux est aléatoire, et les chaînes vont être polydisperses.

b) Polymérisation anionique et cationique Cette synthèse est très semblable à la précédente, mais la réaction est initiée par des ions, par exemple d’un cation sur une double liaison C = C.

Contrairement à la synthèse radicalaire, il n’y a pas de recombinaison possible des cations (respectivement des anions). La croissance est bloquée par un agent chimique qui supprime la charge. Les chaînes croissent en même temps et auront la même taille.

c) Polymérisation par condensation Des molécules comportant deux groupes réactifs terminaux réagissent et s’associent en longues chaînes. Polyesters: groupes réactifsCOOH et OH

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LEÇON 19 Molécules géantes

Polyamides (ex: Nylon): groupes réactifs: COOH et NH2

Remarque. La réaction d’hydrolyse inverse qui couperait les chaînes ne se produit pas à cause de la présence des groupes aliphatiques hydrophobes.

• Thermoplastiques et thermodurcissables Si la molécule contient deux groupes réactifs, la réaction donne des chaînes de polymères qui sont dans un état liquide à température élevée (polymère fondu) et le polymère est réutilisable. Ce sont les polymères thermoplastiques. Si la molécule contient trois groupes réactifs, le polymère croît en trois dimensions (polymères branchés). C’est la famille des polymères thermodurcissables. On décrira dans cet ouvrage uniquement les propriétés des thermoplastiques.

19.3 Problèmes principaux a) Polydispersité M La distribution de taille des chaînes polymères est caractérisée par le rapport w où Mn Mn est la moyenne en nombre et Mw la moyenne en poids :

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Mn =

∑ n x M x , M = ∑ nx w ∑ nx ∑ nx

Mx2 Mx

,

où M x = x M 0 ( M0 étant la masse du monomère), et nx est le nombre de molécule de degré de polymérisation (DP) = x. M Pour un système parfaitement monodisperse: w = 1. Mn M Les synthèses radicalaires et par condensation conduisent à w ≈ 2 : c’est le signe Mn d’une grande polydispersité, car la terminaison est aléatoire. Mais la synthèse catioM ninque ou anionique donne w ≈ 1.01 − 1.1Il n’y a pas de polydispersité, mais son Mn coût est plus élevé.

b) Désordre stéréochimique Le polyéthylène (PE) existe sous la forme d’une seule espèce. Mais si le monomère est chiral, comme pour le polystyrène (PS), on peut définir deux états d et g. La chaîne peut pousser aléatoirement avec une succession d, g désordonnée (dgdddgggg…), et le polymère est dit atactique. Si la chaîne croît de façon ordonnée de type (dddddddddd…), le polymère est dit isotactique. Enfin, si la croissance est ordonnée de façon alternée (dgdgdgdgdg…), le polymère est dit syndiotactique. Les synthèses décrites ici donnent des polymères atactiques. Un procédé inventé par Ziegler et Netta en 1954 permet de contrôler l’ordre stéréochimique. Seuls les polymères isotactiques et syndiotactiques pourront cristalliser, les autres donnant des verres amorphes transparents. 149

Chapitre 5 • Polymères

19.4 États de la matière Pour des corps simples, à basse température, on a un cristal qui fond à une température de fusion Tf bien définie. Pour les polymères, l’état à basse température est vitreux. En chauffant, on passe d’un état solide à un état de polymère fondu sur une grande plage de températures Tg. La température de transition vitreuse Tg dépend de la vitesse de refroidissement. Tableau19.2 Température de transition vitreuse Tg pour quelques polymères. Solide

Liquide

Polymère

PDMS

PB (polybutylène)

PVC

PS

Tg (°C)

-123

-23

81

100

L’absence de transition bien définie, habituellement signe de pureté cristalline, a conduit les chimistes dogmatiques du xixe siècle à jeter les polymères à l’évier et à ne pas les reconnaître comme des corps simples. C’est Staudinger qui, en synthétisant des chaînes de plus en plus longues, a montré que les oligomères se comportaient bien comme des corps simples, avec une température T f bien définie, mais que cette propriété était perdue lorsque les chaînes devenaient plus longues.

19.5 Classification des polymères a) Copolymères Il s’agit de polymères issus de la croissance de chaînes avec au moins deux types de monomères chimiquement différents, se succédant en désordre ou régulièrement, du type AAAABBAAABBBBB ou ABABABABA…

b) Polymères branchés ou en étoiles Les polymères branchés présentent au moins une ramification au niveau de laquelle des chaînes latérales sont greffées. Cela peut donner lieu à des configurations diverses représentées sur la Figure19.1.

Figure19.1– Polymère A) en peigne; B) en étoile; C) branché; D) réticulé.

150

LEÇON 19 Molécules géantes

c) Polymères chargés Les polyélectrolytes sont des polymères constitués de monomères ionisables qui deviennent chargés en perdant des ions de faible poids moléculaire appelés les contre ions, tels qu’un proton H+ sur l’exemple ci-dessous.

Exemples. PAA, acide polyacrylique, PSS, polystyrène sulfonate, biopolymères (ADN, alginate - Encarts 2 et 6).

ENCART 19 Des millefeuilles de polyélectrolytes Un millefeuille est une pâtisserie constituée d’une alternance de couches de pâte feuilletée et de crème pâtissière. Un millefeuille moléculaire est un assemblage supramoléculaire constitué d’une alternance de couches de polyélectrolytes cationiques et anioniques (Fig.19.2). Les millefeuilles ou multicouches de polélectrolytes ont été inventés en 1997 à l’Institut Charles Sadron de Strasbourg par Gero Decher [1]. Ils ont suscité beaucoup d’intérêt tant d’un point de vue fondamental qu’appliqué. Nous allons voir comment on les forme, quelles sont leurs propriétés et quelques-unes de leurs applications.

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Figure 19.2 – A) Millefeuille. B) Dessin d’un millefeuille moléculaire. 1. Formation des multicouches polyélectrolytes: mécanisme et réalisations Au premier abord, on pourrait penser qu’il n’y a rien de particulièrement ingénieux dans cette idée, puisqu’on sait bien qu’il y a une attraction coulombienne entre des espèces chargées positivement et négativement. Pourtant, en raisonnant ainsi, on oublie un point important: le principe d’électroneutralité! Considérons un substrat chargé positivement. Si on trempe cette surface dans une solution de polylectrolyte anionique (Fig.19.3), on s’attend à ce que le polymère s’y adsorbe via des interactions électrostatiques. Mais quel processus va limiter la croissance de cette couche? Contrairement à ce que l’on pourrait penser naïvement, ce n’est pas le fait que toutes les charges positives de surface sont compensées par les groupes anioniques du polymère. Si tel était le cas, la seconde étape de construction du millefeuille ne pourrait pas être réalisée. En réalité il y a inversion ou surcompensation de charge.

151

Chapitre 5 • Polymères

Figure 19.3– Adsorption d’un polyélectrolyte anionique sur une surface chargée positivement.

En effet, d’un point de vue général, l’épaisseur de la couche adsorbée résulte d’une compétition entre les interactions électrostatiques attractives polymère-substrat et la force de confinement répulsive due à l’élasticité entropique de la chaîne de polymère (voir Leçon19). Mais, dans cette image, le rôle des contre-ions devient aussi déterminant. Pour des polyélectrolytes fortement chargés, au-dessus d’une certaine densité de charge linéique λ c ∼ e / B (avec  B la longueur de Bjerrum, de l’ordre de 7Å dans l’eau à température ambiante), des contre-ions se condensent sur le polymère. Le polyélectrolyte, avec ses contre-ions condensés, a donc une charge effective inférieure à sa charge nominale. Ce phénomène s’appelle la condensation de Manning [2]. Lorsque la chaîne s’adsorbe sur une surface chargée de signe opposée, les contre-ions condensés sont relâchés dans la solution, parce que leur libération s’accompagne d’une forte augmentation de l’entropie (translationnelle) des contre-ions. Cela conduit donc à une augmentation non compensée de la charge du polymère. Pour des polyélectrolytes moins chargés, l’effet demeure sans avoir à invoquer la condensation de Manning, car, pour des raisons entropiques, toutes les charges portées par le polymère ne sont pas neutralisées par contact intime avec la surface (comme représenté sur la Figure19.3, le polymère forme des boucles qui s’étendent vers l’interface avec l’eau ou l’air). Notons que cela ne signifie pas pour autant que le principe d’électroneutralité est violé. Ces charges résiduelles portées par le polyélectrolyte sont écrantées par des contre-ions. Mais, au cours du dépôt de la seconde couche, ces contre-ions sont remplacés par des groupes chargés du polyélectrolyte de signe opposé (pour les mêmes raisons entropiques). Ceci est un des arguments, donnés «avec les mains» pour expliquer qu’une inversion de charge nécessaire à la construction de l’échafaudage moléculaire est possible. Comment forme-t-on en pratique ces millefeuilles moléculaires? Leur succès vient en grande partie de la simplicité du processus de formation. De manière générale, ils sont préparés par une méthode de déposition couche par couche (LbL – Layer by Layer en anglais). Initialement, Decher [1] a proposé la méthode du trempage du substrat, successivement dans les différentes solutions de polyélectrolytes, séparé par des étapes de rinçage (Fig.19.4A). Ensuite, des protocoles par spin-coating (ou étalement assisté par une tournette - Fig. 19.4B) et par spray (Fig. 19.4C) ont été proposés et validés.

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LEÇON 19 Molécules géantes

Figure 19.4– Représentation schématique des principaux processus utilisés

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pour fabriquer des multicouches de polyélectrolytes. A) Trempage. B) Tournette. C) Spray. (Adapté de [3])

2. Applications Comme on le voit tout au long de ce livre, beaucoup d’interactions d’un objet avec son milieu dépendent directement de la nature de l’interface. En modifiant la surface par adsorption d’une couche d’un matériau différent, on peut donc créer des matériaux aux propriétés nouvelles. Les revêtements antireflets (voir Encar t 16) ou de protec tion antirayures sont couramment utilisés sur nos lunettes. Un intérêt particulier est aussi porté aux films de très faible épaisseur permettant de modifier la couleur apparente de l’objet du fait des interférences lumineuses (voir Leçon 26). Cela permet également de modifier la réactivité chimique de la surface sans affecter les autres propriétés structurales du matériau, avec des applications dans le domaine biomédical (implants, prothèses). Les principales méthodes de dépôts fins de molécules organiques sont le dépôt Langmuir-Blodgett (Leçon 17 et Encart 17) ou la silanisation permettant par exemple de faire des surfaces hydrophobes (Leçon 10 et Encart 10). Toutefois, ces deux techniques sont plus compliquées à mettre en œuvre, l’arsenal de molécules adaptées est beaucoup plus réduit (tensio-actifs ou silanes) ainsi que la nature des surfaces. La chimie de synthèse des polymères est à l’inverse très variée, ce qui donne accès à une chimiothèque quasiment illimitée. Cela fait donc des millefeuilles de polyélectrolytes des revêtements de surface aux propriétés ajustables. Outre la coloration de surface (Fig.19.5), les propriétés mécaniques du revêtement moléculaire peuvent être modifiées à façon. Pour cela, on peut jouer sur la nature chimique des polyélectrolytes, insérer des nanoparticules métalliques entre les différentes couches ou réticuler plus ou moins les couches par des agents chimiques. En utilisant des polymères qui sont modifiés par l’environnement (lumière, pH, etc.), des revêtements «intelligents» ou fonctionnels peuvent être envisagés. En déposant un fin film d’aluminium (de 150nm d’épaisseur) sur une membrane multicouche de PAA/PAH (poly(acrylamide)/acide poly(acrylique)) épaisse de 2 mm, un groupe chinois a réalisé un actuateur sensible à l’humidité. Alors que la couche

153

Chapitre 5 • Polymères

d’aluminium est inerte à l’humidité, l’assemblage PAA/PAH se gonfle en captant l’humidité de l’air. Cet effet bilame entraîne la courbure de l’actuateur. Lorsque l’humidité de l’air diminue, la multicouche se contracte et le dispositif reprend sa forme initiale. Enfin, l’utilisation des multicouches polyélectrolytes n’est pas limitée au revêtement de surfaces planes. Le groupe du Professeur Möhwald à l’Institut Max Planck de Potsdam [4], a utilisé des globules rouges comme patron pour former des capsules de polyélectrolyte après trempages successifs puis digestion (oxydative) de l’hématocyte. À partir de là, de nombreuses stratégies d’encapsulation puis de libération contrôlée d’espèces actives pour des applications médicales sont possibles.

Figure 19.5– Des pastilles de silicium recouvertes d’épaisseurs variables de polyélectrolytes (i.e. d’un nombre de couches variable) ont des colorations différentes. Extrait de https://www.chem.fsu.edu/multilayers/.

LEÇON 20 Chaîne flexible idéale Staudinger (1922) démontre qu’une chaîne de polymère est un enchaînement covalent de N monomères de taille a, mais il pense que la configuration est celle d’un bâton, avec une distance entre extrémités R = Na. Kuhn (1940) comprend que la chaîne forme une pelote à cause de la libre rotation autour des liaisons C-C. On s’intéresse ici à la conformation d’une chaîne unique idéale. Ceci correspond au cas d’une chaîne dans un fondu de polymère, ou en solution à une température T = θ pour laquelle les interactions entre monomères s’annulent. La configuration d’une chaîne idéale est représentée par une marche aléatoire sur un réseau de maille a, la longueur de monomère. Chaque pas vers un site voisin a la même probabilité 1/d (d = 2 pour un réseau plan, d = 3 pour un réseau cubique à trois dimensions). La chaîne est dite fantôme car elle peut recouper sa trajectoire.

154

LEÇON 20 Chaîne flexible idéale

Figure 20.1– Configuration en marche aléatoire d’une chaîne idéale.

20.1 Distance bout à bout

N   On définit la distance bout à bout d’une chaîne de polymère idéale par: R = ∑a i. i =1   Comme la trajectoire correspond à une marche aléatoire ai = 0 , donc R = 0. La  valeur moyenne de R est nulle. Sa valeur quadratique moyenne est définie par:

 R2 =

N



i,j =1

  ai aj = Na2 car ai a j = a2δ ij

 La taille de la pelote est donc R0 = ( R2

)1/2

= N1/2 a .

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20.2 Pelote gaussienne: réservoir d’entropie

  La probabilité P (R ) que la chaîne parte de 0 et arrive au point R est donnée par     Γ N ( R) PN ( R) = R R ( ) où est le nombre de chemins allant de 0 à ; (2 d )N repréΓ N N ( 2 d) sente la somme de tous les chemins.  Comme R est la somme d’un grand nombre de variables aléatoires indépendantes, on peut appliquer le théorème central limite et on trouve une probabilité gaussienne de largeur R0 : 2 3/2  3 3 R   π Na2 P( R ) = exp −  2 Na2  2  L’entropie S( R) est donnée par la formule de Boltzmann:    3 R2 S (R ) = k BLn Γ N (R ) = S0 − kB 2 2 R0

(

)

Une chaîne de polymère est un réservoir d’entropie. Quand la chaîne est complètement étirée, son entropie est nulle. Donc pour R = Na , ΓN ( Na ) = 1, S ( Na ) = 0 conduit à S0 ≈ kB N. 155

Chapitre 5 • Polymères

Si on part d’une configuration étirée, R = Na, et que la chaîne relaxe à R = 0, l’entropie augmente de ΔS ≈ kB N et la chaîne pompe une quantité de chaleur ΔQ ≈ kB T.N au réservoir qui se refroidit. Un caoutchouc est un ensemble de chaînes idéales pontées. Quand on l’étire brutalement, ∆S < 0, ce qui signifie que le système libère de la chaleur qui va réchauffer le matériau. En revanche, quand on relâche le caoutchouc, on obtient un refroidissement. Il se comporte comme une machine thermique.

20.3 Ressort entropique Pour une chaîne de monomères sans interaction, l’énergie libre est:  R2 3 FCH = U − TS = F0 + kBT 2 2 R0    Quand on tire sur une chaîne avec une force f , le travail est dW = f dR.    À f et T constants, il faut minimiser l’énergie totale GCH (R ) = FCH − f R. On en déduit:    ∂FCH   R R20 f  = 3kB T 2 , soit: R = f =  ∂R  R0 3 k BT

Figure 20.2 – Chaîne idéale en traction.

k BT . Comme k est R02 proportionnel à T, la chaîne se rétracte lorsqu’on augmente la température. C’est pour cette raison qu’un caoutchouc se rétracte quand on le chauffe. La chaîne se comporte comme un ressort de rigidité k =

• Argument de lois d’échelles  L’allongement R est une longueur. On a une longueur caractéristique R0. Avec R 0, f et f R0 kB T , on forme une variable adimensionnée u = . Par un argument dimensionnel, k BT on peut écrire R = R0 g(u ). Dans le domaine de la réponse linéaire, l’allongement est proportionnel à la force, p 1/2  R 0 f  p soit R ∼ f . Si on suppose que g(u )~u , alors R = N  ∼ f , ce qui impose  kB T 

156

LEÇON 20 Chaîne flexible idéale

 R2  p = 1. On retrouve: R = 0 f , c’est-à-dire la dépendance de R avec N , f et T obtenue kB T par le calcul complet, mais on perd le coefficient numérique.

20.4 Déviations a) Chaîne semi-rigide • Effets de raideur Les interactions entre proches voisins vont induire une corrélation d’orientation   a i ⋅ a j ≠ 0 pour i, j proches voisins. Exemple: Interaction entre premiers voisins, angle de valence:

Figure 20.3–Définition de l’angle de valence q.

Si V( q) est l’énergie d’interaction, on a:

cos θ =

 −V (θ )  exp ∫  k T  cosθ sin θ dθ B  −V (θ )   sin θ dθ kB T 

∫ exp 

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Angle de valence — CH2 — CH2 : cos q = 1/3 Si a0 estfixé, an est donné par:   a n = cos θ ⋅ a n− 1 = cos θ

2

 ⋅ an−2 = cos θ

n

 ⋅ a0

• Longueur de persistance lp 1∞   ∑ a ⋅ a j pour une chaîne infinie, mais il faut noter que a i =0 0 la série converge rapidement. Pour les interactions entre premiers voisins, Elle est définie par: l p =



l p = a∑ cos θ i =1

n

=

a 1 − cos θ

157

Chapitre 5 • Polymères

Pour le polyéthylène, lp ~ 3Å. Pour la nitrocellulose, l p = 22Å. Les macromolécules biologiques sont souvent semi-rigides: l p ~ 500Å pour l’ADN, ~ 7mm pour l’actine.

• Configuration d’une chaîne semi-rigide Na La chaîne est une pelote gaussienne de bâtons de taille l p. lp 1/2

 N  R0 =   l a 

lp = N 1/2 ( alp )1/ 2

p

Les interactions à courte portée entre proches voisins ne modifient pas les propriétés statistiques de chaînes gaussiennes.

b) Effet de volume exclu Une chaîne idéale est dite fantôme, car les monomères peuvent se recouper. Une chaîne en bon solvant ne peut plus se recouper avec elle-même: elle va gonfler, et ses propriétés statistiques sont modifiées: la configuration n’est plus une pelote gaussienne. Ce cas est traité à la Leçon20.

20.5 Détermination pratique de R, N a) Mesure des masses: osmométrie Deux récipients sont séparés par une membrane semi-perméable, qui laisse passer le solvant mais pas le polymère. On observe que le niveau s’élève dans le compartiment qui contient les chaînes de polymères. L’augmentation de la pression hydrostatique va compenser la diminution du potentiel chimique du solvant due à la pression osmotique.

Figure 20.4–Osmométrie.

La pression osmotique en solution diluée est donnée par la loi des solutions idéales: c Π = kB T , où c est le nombre de monomères par unité de volume. En écrivant l’égalité N du potentiel chimique du solvant, on obtient Π = ρgh , ce qui permet de mesurer facilement N. 158

LEÇON 20 Chaîne flexible idéale

b) Mesure des tailles: viscosité La viscosité d’une solution de chaînes de polymères diluées de taille R est équivalente à la viscosité de sphères de taille R car la chaîne se déplace avec le solvant qu’elle contient. En utilisant la formule d’Einstein pour la viscosité d’une solution colloïdale, on a:

(

η = ηS 1 + α

)

c 3 R , N

c 3 R représente la fraction du volume occupée par les chaînes et a est une constante. N La viscosité intrinsèque pour une chaîne idéaleest définie par: où

[η ] =

R3 η − ηS ~ N 1/2 =α c N ηS

Remarque.C’est la méthode la moins chère et la plus utilisée pour mesurer la taille d’une chaîne de polymère.

Figure 20.5–Viscosité de solutions de polymères: les chaînes se comportent comme des billes de taille R.

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ENCART 20 Les biopolymères du cytosquelette cellulaire Le cytosquelette est l’ensemble des filaments protéiques intracellulaires qui confère à la cellule son intégrité et sa rigidité structurale, qui régule sa morphologie et ses changements de forme et qui exercent des forces pour contribuer à la motilité cellulaire. 1. Les biopolymères du cytosquelette

• Généralités Le cytoplasme désigne le liquide intracellulaire dans lequel sont dispersés les différents organites (mitochondries, appareil de Golgi, lysosomes) et les polymères du cytosquelette. Ces biopolymères se regroupent en trois familles: les filaments d’actine, les microtubules et les filaments intermédiaires (Fig. 20.6). Ils diffèrent notamment par: – la composition chimique (i.e. la nature protéique de leurs monomères); – la largeur (ou diamètre apparent) des filaments: de 7nm pour l’actine à 25nm pour les microtubules.

159

Chapitre 5 • Polymères

Figure 20.6–Dessin de A) filaments d’actine, B) microtubules et C) filaments intermédiaires ainsi que de leurs sous-unités («monomères») respectives.

• Actine (Fig.20.7A) Les filaments d’actine (ou F-actine) sont construits à partir de monomères d’actine globulaire (G-actine) qui peuvent s’associer à une molécule d’ATP (adénosine triphosphate) ou d’ADP (adénosine diphosphate), produit de l’hydrolyse de l’ATP. Ils sont tous associés dans le même sens, ce qui donne une polarité au filament qui a la forme d’une double hélice. On définit une extrémité «barbue» ou «plus», riche en monomères liés à l’ATP, et une extrémité «pointue» ou «moins», riche en monomères liés à l’ADP.

• Microtubules (Fig.20.7B) Les microtubules sont construits à partir d’unités de tubuline. Les monomères, qui sont des dimères de a- et b -tubuline, s’organisent en protofilaments (linéaires). 13 de ces protofilaments s’associent ensuite en cylindres creux. Ils sont aussi polaires, avec une extrémité «plus» (b -tubuline) et une extrémité «moins» (a -tubuline). Les monomères de tubuline ont des sites de fixation pour le GTP (guanosine triphosphate) ou sa forme hydrolysée, le GDP (guanosine diphosphate).

Figure 20.7–Monomères A) de filaments d’actine et B) de microtubules. La représentation cristallographique fait apparaître des hélices a et des feuillets b qui sont les deux formes de structure secondaire des protéines, ainsi que les molécules d’ATP ou de GTP liées. 160

LEÇON 20 Chaîne flexible idéale

• Filaments intermédiaires

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Les filaments intermédiaires forment une famille de biopolymères plus variée, contenant plusieurs classes de filaments tels que la vimentine, desmine, kératine, lamine. Ce sont des dimères de polypeptides qui s’associent de façon antiparallèle en tétramères, puis bout à bout en protofilaments. Enfin, environ huit protofilaments forment un filament intermédiaire qui a une structure de type «corde». Ils ne sont pas polaires et beaucoup moins dynamiques que les microtubules et les filaments d’actine. Ils contribuent essentiellement aux propriétés morphologiques, structurales et élastiques de la cellule. Ils ont été moins étudiés que les filaments d’actine et les microtubules. 2. Rigidité À la différence de nombreux polymères synthétiques ou de l’ADN en solution, qui prennent une configuration de pelote, les filaments d’actine, microtubules et filaments intermédiaires apparaissent comme des bâtonnets (éventuellement légèrement ondulants). Ce sont des polymères semi-flexibles. De manière générale, on caractérise, à l’équilibre thermodynamique, la rigidité d’un polymère par sa longueur de persistance lp (introduite à la Leçon20). Relation entre longueur de persistanceet rigidité Considérons une tige flexible mince de longueur fixe L, soumise à des forces thermiques. Sa forme est complètement spécifiée par le vecteur tangent   t ( s ) = dr (s ) ds ou, de manière équivalente par l’angle tangent q (s) le long de la tige, avec s l’abscisse curviligne On définit la fonction de corréla (Fig.20.8).  tion des tangentes par: g(s ) = t ( s) ⋅ t ( 0 ) . Pour s ≈ 0, g (s)→1 (corrélation) et pour s» l p , g (s )→0 (décorrélation). De telles propriétés sont satisfaites par une fonction exponentielle g (s ) = exp( − s/ lp ). l p est donc définie comme la longueur d’arc caractéristique au-delà de laquelle les fluctuations thermiques de l’angle q (s) deviennent non corrélées.

Figure 20.8– Longueur de persistance d’un polymère et notations utilisées dans le texte.

lp est aussi directement reliée à la rigidité de flexion kf de la tige définie par κ f = E ⋅ I, où E est le module d’Young du matériau (en Pascal) et I = ∫∫ y 2 dA section

161

Chapitre 5 • Polymères

le moment d’inertie géométrique qui caractérise la forme de la tige. L’énergie de courbure d’une tige est donnée par: L

Ec =

κ 1 ⋅ ds ∫ 2 0 r( s) 2

Pour une énergie de l’ordre de l’énergie thermique kB T, la longueur L du fragment de tige et son rayon de courbure R sont tous les deux de l’ordre de pl , ce qui conduit à lp =

EI . kBT

• Mesures expérimentales de la longueur de persistance Expérimentalement, les longueurs de persistance des filaments d’actine et microtubules ont été mesurées par l’analyse de leurs fluctuations thermiques, en enregistrant les formes de filaments et en moyennant sur toutes les configurations (Fig. 20.9a). Une autre méthode, développée pour les microtubules, a consisté à attacher le microtubule par une extrémité à un axonème (servant de poignée pour arrimer la croissance de microtubules qui peuvent former des cils ou des flagelles) et de manipuler l’autre extrémité à l’aide d’une pince optique (Fig.20.9b). Lorsque celle-ci est déviée de son axe et que le laser est coupé, elle relaxe vers sa position d’équilibre. Son mouvement est décrit par l’équilibre entre la force élastique d4y d’une poutre fe = EI ⋅ 4 et la force visqueuse appliquée à un cylindre en mouvedx 2π ⋅ η v( x) , où v est la vitesse du cylindre, et le premier terme est un ment fv ln(L / 2d ) coefficient numérique (avec d le diamètre du cylindre). La constante de temps de la relaxation t , qui peut être calculée complètement, est proportionnelle au rapport de la constante élastique et du coefficient de friction hydrodynamique, soitτ ≅ EI η ∝ lp . Toutes ces expériences montrent que lp ≈ 10-20mm pour les filaments d’actine et lp ≈ 1-6mm pour les microtubules.

Figure 20.9– A) Images de filaments d’actine par microscopie de fluorescence (prises à 10s d’intervalle) et montrant ses fluctuations thermiques (Adapté de [5]). B) Principe d’une expérience de détermination de la rigidité de flexion d’un microtubule à l’aide d’une pince optique (astérisque) qui permet de dévier l’extrémité du microtubule de sa position de repos (Adapté de [6]).

Il existe donc deux ordres de grandeur de différence entre la longueur de persistance de l’actine et des microtubules. D’où vient cette différence? On peut calculer le moment d’inertie géométrique d’un microtubule en l’assimilant à un cylindre creux de rayon interne ri = 9,5nm et de rayon externe re = 12,5nm, et pour l’actine à un cylindre avec ri =0 et r e = 3,5nm: 162

LEÇON 20 Chaîne flexible idéale

I=

re



∫∫section y2 dA = ∫r ∫0 i

(r sin θ )2dr ⋅ rdθ =

π 4 ( re − ri 4 ) 4

On obtient donc comme moment d’inertie: Iactin = 1,2 × 102 nm4 et I microtubule =1,28 × 10 4nm4 . Puisqu’on retrouve le même rapport de 100, cela signifie que les modules d’Young E des «matériaux» tubuline et G-actine sont similaires, ce qui n’est finalement pas étonnant puisque ce sont des protéines, c’est-à-dire des assemblages de peptides dans les deux cas. La rigidité des polymères du cytosquelette vient donc de leur forme. Par ailleurs, une estimation du module d’Young du « matériau » protéique donne E~1-4 GPa, qui, contre-intuitivement, est plus élevé que celui d’un bloc de polyéthylène. 3. Dynamique Les filaments d’actine et les microtubules ont la particularité d’être très dynamiques (à la différence des filaments intermédiaires). Cette propriété est cruciale au regard de leurs fonctions cellulaires.

• Mouvement de tapis roulant de l’actine

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Si l’on prend l’exemple de l’actine, qui est la protéine la plus abondante dans les cellules (à des concentrations de l’ordre de plusieurs grammes par litre), une cellule au repos étalée sur un substrat ressemble à un œuf sur le plat et présente un contour approximativement circulaire. En revanche, en présence d’un gradient de chimio-attractants par exemple, elle se polarise et commence à se déplacer vers la source. Cette polarisation et la motilité cellulaire qui suit sont induites en partie par la polymérisation de filaments d’actine. Si la source de chimio-attractants change de position, ces filaments se désassemblent rapidement et se reforment dans la nouvelle direction (Fig. 20.10). Pour comprendre les phénomènes qui contrôlent cette dynamique d’assemblage et de désassemblage, il faut revenir à la cinétique de polymérisation de ces biopolymères, qui est intrinsèquement réversible puisque basée sur des interactions faibles (non convalentes).

Figure 20.10–Importance de la polymérisation et dépolymérisation des filaments d’actine dans le processus de motilité cellulaire. 163

Chapitre 5 • Polymères

D’une manière générale, on peut traiter la polymérisation et dépolymérisation comme des réactions chimiques du premier ordre ou les réactifs sont Pn (respectivement Pn–1), le polymère contenant n monomères (respectivement (n–1) monomères), et P1 le monomère: [a] Pn + P1  Pn +1 [b] Pn−1 + P1  Pn (n > 1) avec kon et k off les constantes cinétiques d’association et de dissociation telles que: d [Pn ] = k on [Pn − 1] ⋅ [P1] + k off [Pn +1 ] − (k on [Pn ] ⋅ [P1] + k off [Pn ]) dt

(1)

Cette relation exprime la vitesse de production de Pn ([ ] indique la concentration de l’espèce) en faisant un bilan de l’apparition et de la disparition de l’espèce. Le nombre moyen de monomères dans la chaîne polymère est obtenu en prenant la moyenne pour toutes les valeurs n des probabilités d’obtenir un n-mère, Pn. Cette probabilité étant directement proportionnelle à la concentration: n ≈



∑ n [Pn ]

(2)

n =1

En prenant la dérivée par rapport au temps et en utilisant (1), on obtient, après simplification: d n = kon [ P1] − koff dt

(3)

k Donc, en définissant Kd = off , la constante de dissociation à l’équilibre, on trouve k on que: – pour [P1] < Kd , la longueur moyenne des filaments décroît; – pour [P1] > Kd , la longueur moyenne des filaments croît. La concentration locale de G-actine contrôle donc la polymérisation ou le désassemblage de filaments d’actine. Kd =c* est la concentration critique. Mais, dans le cas d’un filament d’actine polaire, on a vu que l’extrémité « + » était riche en monomères liés à l’ATP et l’extrémité « – » était riche en monomères liés à l’ADP. Donc on peut considérer deux réactions de polymérisation/dépolymérisation différentes aux deux extrémités (Fig.20.11 A) : − d n+ + et d n = k +on [P1] − k off dt dt

= k −on [P1] − k −off

+ − − Cela définit deux concentrations critiques c+* = koff+ k on et c *− = koff . Comme k on on le voit sur le graphe de la Figure20.11 B, il existe une concentration cTM pour laquelle la vitesse de polymérisation du bout + est égale à la vitesse de polymérisation du bout –, ce qui signifie que les extrémités sont sans cesse renouvelées mais que la longueur du filament reste constante. Si l’on suit un monomère au milieu

164

LEÇON 20 Chaîne flexible idéale

de la chaîne, celui-ci a un mouvement apparent vers l’extrémité – d’où le nom de Treadmilling (ou mouvement de tapis roulant).

Figure 20.11 –A) Dessin des réactions de polymérisation et dépolymérisation aux deux extrémités d’une chaîne de F-actine. B) Représentation du graphe de la vitesse d’élongation en fonction de la concentration de monomère, mettant en évidence l’existence d’une concentration de Treadmilling.

• Instabilité dynamique des microtubules

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Figure 20.12–A) Dessin d’un filament de microtubule indiquant les

monomères GTP et les monomères GDP. B) Suivi de la longueur de microtubules en fonction du temps mettant en évidence l’existence de dépolymérisations catastrophiques (Adapté de [7]).

Comme les filaments d’actine, les microtubules ont un assemblage particulier dans lequel les dimères de tubuline GTP se retrouvent principalement à l’extrémité + tandis que les dimères liés au GDP sont situés à l’extrémité – (Fig.20.12A). Mais la dynamique est complètement différente. La croissance des filaments s’effectue par ajout de dimères GTP à l’extrémité+. Au cours du temps, le GTP est hydrolysé en GDP. Les unités les plus éloignées du bout + sont les plus «vieilles», donc elles ont une grande probabilité d’être liées à des GDP. En revanche, la coiffe de l’extrémité + est essentiellement GTP. En présence d’un réservoir de tubuline dimérique à la concentration c0 , nous observons une dynamique marquée par des cycles

165

Chapitre 5 • Polymères

de phases de croissance constante suivies de catastrophes correspondant à un effondrement significatif par dépolymérisation (Fig.20.12B). Cette dynamique s’explique si on considère que la coiffe GTP est indispensable pour stabiliser l’extrémité du microtubule. Donc, si la vitesse d’hydrolyse des GTP,ν h = a /τ (avec a la taille d’un dimère et t le temps d’hydrolyse) est plus élevée que la vitesse de polymérisation ν p , la longueur de la coiffe de GTP se réduit. Or, d’après l’équation (3), on a directement: dn G , = a ⋅ kon c 0 − n(t ) ⋅ νp = a dt V où n est les nombres d’unités dimériques dans un filament « moyen», G est le nombre de filaments pré-formés (ou germes) au temps t = 0 et V le volume de la solution. Ici, la dissociation de monomère via la constante cinétique koff est négligée. En faisant v h = v p et en résolvant l’équation différentielle du premier ordre avec second membre, on obtient l’expression du temps critique au bout duquel une catastrophe a lieu: V ln(τ kon c 0). Plus le réservoir est concentré, plus le temps nécessaire à t crit = G ⋅ kon la déplétion en monomères est long, donc plus le temps entre deux catastrophes est long. Ici, le modèle est déterministe et fixe donc une valeur du temps de catastrophe. Expérimentalement, nous observons une distribution des temps critiques. Cette instabilité dynamique a un intérêt biologique prépondérant dans le cycle cellulaire. En effet, au cours de la division cellulaire, les microtubules, qui croissent à partir des pôles du fuseau mitotique (Fig.20.13), doivent capturer les chromosomes en se fixant aux kinétochores, qui sont des assemblages protéiques proches du centre des chromosomes. Il s’agit donc, de cibler une zone quasi-ponctuelle avec une tige (uni-dimensionnelle) dans l’espace intracellulaire. Autant dire que cela revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Pour que cette capture se fasse efficacement, il faut pouvoir faire des cycles «essai-erreur». Si le microtubule en croissance rate sa cible et continue à croître, il n’aura plus aucune chance de toucher le kinétochore. En revanche, on peut s’attendre à ce qu’un processus qui le fait raccourcir rapidement pour lui donner une nouvelle chance de toucher la cible sera optimal.

(

)

Figure 20.13–A) Au cours de la division cellulaires, les chromosomes sont capturés au niveau du kinétochore par les microtubules avant séparation de la cellule mère en deux cellules filles. B) Zoom sur le processus de capture.

166

LEÇON 21 Chaîne gonflée

LEÇON 21 Chaîne gonflée La chaîne idéale se recoupe avec elle-même et décrit une marche aléatoire RW (Random Walk). Si le polymère se trouve dans un bon solvant, chaque monomère préfère être entouré de molécules de solvant plutôt que d’autres monomères, ce qui conduit à un gonflement de la chaîne de polymère. Sur un modèle de réseau la chaîne décrit une trajectoire auto-évitante SAW (Self Avoiding Walk). On va décrire ici le gonflement d’une chaîne de polymère flexible par la méthode de Flory reformulée par de Gennes. Le gonflement des chaînes de polymères contrôle la rhéologie des suspensions de polymères utilisées dans l’industrie chimique, cosmétique et pharmaceutique.

Figure 21.1–Chaîne idéale et gonflée. Les monomères m et n de la chaîne idéale peuvent occuper la même place, ce qui n’est pas le cas pour la chaîne gonflée. Modèle de réseau SAW.

21.1 Volume exclu

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Le paramètre de volume exclu v décrit l’interaction entre paires de monomères. Il est relié au potentiel d’interaction monomère-monomère V(r) qui est attractif à longue distance (van der Waals - voir Leçon3) et répulsif à courte distance (cœur dur) par l’expression: v(T) =



 V (r ) 

∫1 − exp  kB T  d 3r

(1)

L’énergie du volume exclu F VE s’écrit en fonction de la concentration en monomères c: FVE unité de volume =

1 2 vc kB T 2

(2)

Dimensionnellement, v est un volume. Dans un bon solvant, v = a3, où a est la taille d’un monomère. Le volume exclu v s’annule à la température T = θ : la chaîne polymère adopte un comportement de chaîne idéale. Pour T < θ , v devient négatif: la chaîne est en mauvais solvant et s’effondre (ou collapse) en un globule de monomères qui expulse le solvant. Le volume de la chaîne de polymère, proportionnel à R3 (où R est le rayon) est de l’ordre de Na3 avec N le nombre de monomères. 167

Chapitre 5 • Polymères

Figure21.2–Variation du paramètre de volume exclu v en fonction de la température.

21.2 Calcul de Flory (1949) [8] Pour calculer les effets de répulsion entre monomères, la chaîne est assimilée à une goutN telette de monomères de taille R , de concentrationc = 3 . L’énergie de la chaîneFch R s’écrit: 2 R 1 3   = ∫ vc2 d 3 r +  2  2  R0  kB T 2 Fch

(3)

Fch est la somme du terme de volume exclu (obtenu en intégrant Eq. (2) sur le volume de la goutte) et du terme entropique (Leçon19) qui s’oppose au gonflement.

Figure21.3–Chaîne gonflée et énergie Fch en fonction de la taille R.

168

LEÇON 21 Chaîne gonflée

En omettant des facteurs numériques et en prenant v = a3, on obtient:  Fch N2 R2  R 2 ≈ Nvc +  2  ≈ v 3 +  R0  k BT R N a2

(4)

On voit l’allure de Fch sur la Figure21.3. Le terme de volume exclu s’oppose au collapse pour R petit et le terme entropique limite l’extension aux R grands. Fch (R) passe par un minimum qui donne la taille R F de la chaîne. ∂Fch = 0 conduit à: ∂R R = R F = N 3/5a

(5)

21.3 Généralisation en dimension d Le calcul se généralise facilement dans un espace de dimension d quelconque. Le paramètre de volume exclu est v =ad et le volume R d . L’énergie Fch s’écrit:  N 2  d R2 ≈ ad  d  +  R  2 N a2 k BT Fch

(6)

∂F On trouve, en minimisant l’énergie de la chaîne de polymère  ch = 0 , l’expression  ∂R  générale de R F: (7)

RF = N ν a avec l’exposant ν =

3 . d +2

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Tableau21.1 Paramètre de volume exclu v en fonction de la dimension d . d

1

2

3

4

v

1

3/4

3/5

1/2

Exemples d =1: la chaîne est confinée à une dimension (nanotube). d =2: la chaîne est à la surface d’un liquide non miscible. d = 4 : dans un espace à quatre dimensions (ce qui a un sens pour les simulations numériques), le calcul montre que la chaîne redevient idéale. Bien que le calcul proposé ci-dessus soit approximatif, sa validité a été démontrée par P.-G. de Gennes.

169

Chapitre 5 • Polymères

21.4 Théorème n = 0 (de Gennes, 1972) [9] Pierre-Gilles de Gennes démontre que la configuration d’une chaîne de polymère décrivant une marche aléatoire sans recouvrement est reliée fondamentalement à la physique des transitions de phase (voir Encart21). Cette découverte a deux conséquences majeures: 1) elle conduit à un calcul exact de n (n =0,58 à d =3) ; 2) à l’utilisation des lois d’échelles et la physique des «blobs».

21.5 Élasticité d’une chaîne gonflée (P. Pincus) [10] Pour déterminer l’élasticité d’une chaîne gonflée, on applique une force f aux deux extrémités de la chaîne. L’allongement R va être calculé par un argument de loi d’échelle (Leçon20). On écrit: R = RF g( u) f RF avec u = et g (u ) = up (p entier). kB T

Figure21.4– Chaîne étirée: image de «blob».

On peut envisager deux cas limites: f i) u > 1: la chaîne est fortement étirée et R ≈ N . p  f  Or, en utilisant Eq. (7), R = N ν (1+ p)  , ce qui imposeν (1 + p ) = 1 soit p = 2/3.  k BT   fa Par suite: R ≈ Na   k BT 

2/3

.

• Image de blob Le terme de «blob», inventé par P.-G. de Gennes, définit une unité statistique où la chaîne se comporte comme une chaîne isolée contenant gD monomères. Quand on tire de plus en plus fort sur la chaîne, on la défrise à des échelles de plus en plus petites. Une portion de chaîne «blob» de taille D est définie par: f D = k BT . À des échelles r ≤ D, la

170

LEÇON 21 Chaîne gonflée

chaîne est non perturbée (D = gD3/ 5a ). À des échellesr >> D , la force aligne les blobs, 2/3

N  fa D = Na  et on obtient directement: R = .  kB T  gD Il est remarquable que cette loi donnant l’allongement d’une chaîne en bon solvant variant comme f2/3 , calculée en 1974, n’a été démontrée expérimentalement qu’en 2015, en utilisant de l’ADN monobrin flexible.

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ENCART 21 Les lettres de noblesse de la matière molle Pendant toute la première moitié du XXesiècle, la physique du solide et de la matière condensée était une des disciplines reines de la physique. On cherchait à comprendre, grâce notamment à la diffraction des rayons X, l’arrangement atomique des cristaux. Aussi, dans ce contexte, la matière molle faisait office de matière peu noble, car désorganisée et molle précisément. Les groupes de physiciens américains spécialisés en diffraction de neutrons ou de rayons X sur grands instruments refusaient d’étudier les propriétés structurales des cristaux liquides et de polymères qu’ils comparaient à de la precious guano (fiente de pigeon). Alors que la beauté de la biologie réside dans sa complexité et sa variabilité, où toutes les protéines ont des rôles spécifiques et multiples, la valeur d’une théorie en physique est souvent évaluée par l’universalité des lois qu’elle propose. La matière molle a beaucoup gagné en crédibilité lorsqu’un cadre théorique unificateur a pu être formalisé par Pierre-Gilles de Gennes notamment. Après avoir montré l’analogie entre cristaux liquides smectiques et supraconducteurs, P.-G. de Gennes montre, en 1972 [10], que la physique statistique des polymères, considérés comme des trajectoires auto-évitantes, peut se décrire comme une transition de phase dont le paramètre d’ordre a un nombre de composantes nul! Ce vecteur de dimension n, souvent appelé indice de spin car initialement défini dans le cadre des transitions de phase magnétique par Wilson, inventeur de la théorie du groupe de renormalisation (Prix Nobel de physique en 1982), a même un sens pour n =0. Voici comment il raconte sa découverte dans la revue du Collège de France. «Sur le plan théorique, on a pu établir une relation rigoureuse entre statistique des chaînes et transitions de phase. Cette relation est assez abstraite: elle revient à étudier un système magnétique dont l’aimantation possède n composantes indépendantes et à passer au cas (non physique) où n = 0. Toutefois, nous savons, par de nombreux autres exemples en physique théorique, que l’extension de certains résultats à des valeurs non physiques des paramètres peut être féconde. Le “théorème n = 0”, établi par nous en 1972, a permis de transposer aux problèmes de polymères l’énorme arsenal théorique accumulé à propos des transitions de phase. Dans une marche aléatoire sans recouvrement, un voyageur part de A et fait N sauts consécutifs sur un réseau. À chaque saut, le voyageur part dans une direction quelconque, mais il ne peut jamais passer deux fois au même endroit. Ce problème est important en physique des polymères, le «chemin» AB représentant une chaîne flexible. Il est aussi intéressant pour de toutes autres questions, comme la migration d’une tribu qui détruit un certain environnement naturel sur son passage. Grâce au 171

Chapitre 5 • Polymères

théorème n =0, ces problèmes ont été reliés fondamentalement à la physique des transitions de phaseprésentant tous une très grande universalité, c’est-à-dire des lois indépendantes de la structure locale». Ces abstractions subtiles ont sans nul doute contribué à donner ses lettres de noblesse à la matière molle,… à moins que ce ne soit les images simples qu’il affectionnait tout particulièrement (les blobs – Leçons 21, 22; la reptation – Leçon24) appuyées par des références poétiques et parlantes à tout un chacun (théorème de l’albatros «Ses ailes de géant l’empêchent de marcher», Charles Beaudelaire).

Figure21.5– A) Conclusions de l’article original de P.-G. de Gennes sur le théorème «n =0». B) Un albatros.

LEÇON 22 Solution de polymères On décrit principalement les propriétés de longues chaînes de polymères flexibles en solution dans un bon solvant. Les polymères en solution ont de nombreuses applications en biologie, et dans l’industrie où ils sont utilisés comme agent épaississant ou stabilisant. On étend cette analyse au gonflement des gels et aux mélanges de polymères.

22.1 Polymères en solution: les trois régimes On distingue trois régimes pour caractériser une solution de polymères, en fonction de la concentration c en monomères, ou de la fraction en volume Φ = ca 3 (Fig.22.1).

Figure 22.1–Représentation schématique de l’allure des chaînes de polymères dans les différents régimes de concentration croissante (de la gauche vers la droite). 172

LEÇON 22 Solution de polymères

a) Solution diluée Dans le régime dilué, les chaînes sont séparées. La solution de polymères est diluée si Φ < Φ* = N − 4/5. Les chaînes ont une taille RF = N3/5 a . D’après la loi des solutions diluées, la presc c sion osmotique est donnée par: Π = k BT , où est le nombre de chaînes par unité N N N de volume. Elles entrent en contact à la concentration c * = 3 et s’enchevêtrent pour RF c > c*, correspondant au régime semi-dilué.

b) Fondu de polymère Dans la limite des fortes concentrations, on tend vers un fondu. Le fondu de polymère correspond à Φ = 1. C’est une pâte viscoélastique, où les chaînes sont fortement enchevêtrées. Flory a été le premier à affirmer que les chaînes dans un fondu ont une conformation de chaîne idéale, R =R0. Cette hypothèse a été vérifiée par diffusion de neutrons, en marquant au deutérium une faible fraction de chaînes.

c) Solution semi-diluée (Flory-Huggins -P.-G. de Gennes) [11-12] N a3 Les chaînes s’enchevêtrent pour Φ > Φ* = ≈ N − 4/5 , elles forment un réseau de 3 RF maille x (Fig.22.1). On va calculer x et la pression osmotique par i) la théorie de FloryHuggins, qui est une théorie de champ moyen et ii) par les lois d’échelle établies par P.-G. de Gennes grâce à l’analogie avec les transitions de phase.

22.2 Modèle de Flory-Huggins [11]

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a) Solution Polymère-Solvant Jusqu’à la découverte du théorème n = 0 (voir Leçon21 et Encart 21), les solutions de polymères étaient décrites par la théorie de Flory-Huggins. On place les chaînes et le solvant sur un modèle de réseau, et on calcule l’entropie DS et l’enthalpie DH de mélange. L’enthalpie libre DG = DH - TDS, calculée en champ moyen, s’écrit, par unité de k T Φ volume de solution: ∆ G = B3 Ln Φ + (1 − Φ )Ln (1 − Φ) + χ F Φ (1 − Φ) où les a N deux premiers termes représentent l’entropie de mélange et le dernier terme l’enthalpie. Le paramètre cF, appelé paramètre de Flory, prend en compte les interactions monomère1 solvant. Le développement en puissance de c donne le terme de volume exclu vc 2kBT, 2 avec v = a3 (1 − 2χ F ). Le volume exclu s’annule (v = 0 ) pour χ F = 1/2 , ce qui définit la température Θ . En dessous de la température Θ les chaînes sont en mauvais solvant et la solution se sépare en deux, l’une très concentrée en polymère, l’autre très diluée. Au-dessus deΘ , le

( )(

)

173

Chapitre 5 • Polymères

polymère est en bon solvant et la solution est homogène. En solution dans son monomère (χF = 0) et v = a3, le polymère est en très bon solvant. La pression osmotique calculée à partir de ΔG est donnée par la loi des solutions c idéales aux faibles concentrations Π = kB T . Aux concentrations plus élevées corresN 1 pondant au régime semi-dilué, pour ϕ>1/N, on obtient la loi Π = vc 2 k BT ≈ c 2 (au 2 2,25 lieu de c mesurée expérimentalement).

b) Solutions de deux polymères Si on mélange deux polymères, d’indice N et P, l’enthalpie libre de mélange en champ moyen s’écrit (1 − Φ) Φ  a3  ∆G  = LnΦ + Ln(1 − Φ) + χ F Φ (1 − Φ)   k BT  N P 1 ce qui conduit à v = a3 − 2χF . P a3 Si les deux polymères sont chimiquement identiques, v = . Les effets de volume P exclu sont écrantés. Ainsi si on étudie la configuration d’une chaîne unique N dans un fondu de chaînes P, le calcul de Flory montre que la chaîne se dégonfle quand P augmente et devient idéale pour P = N . 1 Si les polymères sont chimiquement différents, dès que χ F > , v est négatif et les 2P polymères se séparent. Pour des interactions monomère-monomère de Van der Waals, χ F ≈ 1 et les polymères ne se mélangent pas. Ceci a des conséquences industrielles considérables car, pour adapter les propriétés des plastiques, on ne peut pas faire des alliages de polymères comme on fait des alliages de métaux. C’est pour cette raison que l’on synthétise des copolymères linéaires ou branchés formés de plusieurs types de monomères, ou des copolymères diblocs AAAAAAAAABBBBBBBBB qui vont permettre de stabiliser des mélanges de polymères A et B, comme les tensio-actifs permettent de mélanger l’eau et l’huile.

(

)

c) Gels gonflés Si on place un gel dans un bon solvant, l’énergie libre de Flory-Huggins avec N infini s’écrit: ∆G =

(ka T ) ((1 − Φ)Ln(1 − Φ) + χ B 3

F

Φ (1 − Φ))

Cette énergie permet de calculer le gonflement d’un gel à l’équilibre. Si le gel est en bon solvant, la concentration à l’équilibre est la concentration c*. Théorème : Un gel formé de polymères réticulés, où N est la distance chimique entre enchevêtrements, immergé dans un bon solvant, gonfle jusqu’à la concentration c*, correspondant à une fraction en volume ϕ* =N -4/5. 174

LEÇON 22 Solution de polymères

22.3 Lois d’échelle et modèle de «blobs» (P.-G. de Gennes) [12] Dès que le théorème n = 0 a été établi, les méthodes théoriques développées pour les phénomènes critiques ont été appliquées aux polymères, en particulier les lois d’échelles. On va voir qu’à partir de la connaissance de la configuration d’une chaîne isolée, on peut en déduire la maille du filet en régime semi-dilué et la pression osmotique.

a) Maille du filet x • Argument de loi d’échelle On exprime x en fonction de l’échelle de longueur R F et de la variable sans dimension Φ u = * . On écrit ξ = RF g( u), avec g(u ) → 1 quand u → 0. Φ Pour u >> 1, g(u) = up , x devient indépendant de N (x ~ N0), ce qui donne p = − 3/4 , donc:

ξ = a Φ− 3/4

(1)

On retrouve bien ξ = RF pour Φ = Φ* et ξ = a pour Φ = 1 .

• Argument de blobs On peut retrouver ce résultat à partir de l’unité statistique de taille x baptisée «blob» par P.-G. de Gennes (Fig.22.1). À des échelles plus petites que la taille dublob, x , la chaîne se comporte comme une chaîne isolée. Si g est le nombre de monomères par blob, la taille du blob est ξ = g 3/5a . Les blobs forment un ensemble compact, ce qui donne une seconde relation g = c ξ3 . En éliminant g, on trouve le résultat (1). x est aussi la longueur d’écran des effets de volume exclu, et mesure la longueur de corrélation de la concentration en monomères. À des échelles petites devant x, la concentration en monomères est très hétérogène et à des échelles grandes devant x, elle devient homogène.

b) Pression osmotique P © Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

De la même façon, on peut écrire: Π=

c kB T h( u), N

avec h(u ) = 1 pour Φ < Φ* 5 et pour Φ > Φ *, h(u ) ≈ u q. Comme Π ≈ N, on obtient q = 4 kB T c kB T 3 2 25 , Ainsi pour Φ > Φ* , Π = 3 = k BT ≈ 3 (c a ) . ξ g a La pression osmotique P est proportionnelle à la densité de chaînes en dilué et à la densité de blobs en semi-dilué. L’exposant 2,25 décrit parfaitement la loi expérimentale P(c).

175

Chapitre 5 • Polymères

c) Rayon R(c)

Figure 22.2– Représentation schématique de R(c).

Lorsque la concentration c augmente, la chaîne «dégonfle» et passe de R F en régime dilué à R0 dans l’état fondu. Pour le régime semi-dilué, on peut calculer R(c) comme la taille d’une chaîne idéale de blobs:  N R( c) =   g

1/2

ξ = N 1/2 a Φ −1 /8

ENCART 22 Démixtion polymère-solvant et polymère-polymère Nous décrivons ici les transitions de phase dans les solutions de polymères. Dans le cas où le polymère est en solution dans un solvant, la séparation en phases riches et diluées en polymère a des applications pratiques pour le fractionnement des polymères, les chaînes les plus longues se séparant les premières lorsqu’on abaisse la température. En faisant précipiter des mélanges de polymères, on peut fabriquer des phases bi-continues utilisées en ultrafiltration. 1. Mélange polymère-solvant

• Résultats expérimentaux Nous décrivons ici le cas du polystyrène pour 4 masses moléculaires (N = 400 (A),860(B),2400(C),12000)(D) dans du cyclohexane [13]. En abaissant la température d’une solution de concentration c en monomères, on voit à l’œil nu le système se séparer en deux phases, l’une trouble, riche en polymère et l’autre plus limpide. En faisant varier la concentration, ou la fraction en volume Φ, on construit le diagramme de phase pour les différentes masses (Fig.22.3). On remarque sur ce diagramme de phase (Fig.22.3A) que les courbes de coexistence ont un maximum qui est le point critique de démixtion correspondant à une température critique Tc et une fraction en monomères Φ c qui dépendent de N, et qu’à concentration élevée, elles ont une asymptote commune. Nous allons calculer la température critique.

176

LEÇON 22 Solution de polymères

Figure 22.3– A) Température de précipitation Tp en fonction de la fraction en volume du PS en solution dans du cyclohexane. B) Définition de la courbe de coexistence, du point critique et de la spinodale.

• Modélisation On a vu (Leçon22) que l’interaction entre monomères pour des chaînes en solution est décrite par le paramètre de volume excluν = a 3 (1 − 2χ F ), qui s’annule à la température Θ. Si n est négatif, il y a séparation en deux phases lorsque l’on abaisse la température à concentration fixée. La courbe Tp(Φ) représentée (Fig.22.3B) est la courbe de coexistence que nous allons décrire. On modélise cette transition à par tir de l’énergie libre de mélange de Flory-Huggins:

(

)

k T Φ k T ∆G =  B3  LnΦ + (1 − Φ )Ln(1 − Φ ) + χF Φ (1 − Φ ) = B3 g( Φ) a  N a L’enthalpie totale est G = Ω DG = nkBTg(Φ), où n = n1 + n2 est le nombre total, n1 le nombre de molécules de solvant et n 2 le nombre de monomères. On a :

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Φ = n2 /(n1 + n 2) et Ω = (n1 + n2 ) a 3 . Thermodynamique des mélanges binaires: Soit μ1 le potentiel chimique du solvant, μ2 le potentiel chimique du monomère, μ le potentiel chimique d’échange, μ = μ1 - μ 2 , et Π la pression osmotique En prenant n1 et n 2, ou Ω et n 2 comme variables indépendantes, on a les relations: dG = µ1dn1 + µ2 dn2 = µ dn2 − Π dΩ qui définissent les potentiels chimiques et la pression osmotique:

µ1 =

∂G  ∂ n1 n

= kB T ( g − Φg ′)

2 ,T

µ2 =

∂G  ∂n 2 n

1 ,T

= kBT ( g + (1 − Φ) g ′)

177

Chapitre 5 • Polymères

µ = Π= −

∂G � ∂n2 ��′

= k BTg ϕ ,T

∂G  k T = B3 ( −g + Φg ′)  ∂n2 n ,T a 1

Stabilité des solutions: Allure de G(Φ) ; construction de la bitangente

Figure 22.4– Allure de G(Φ)correspondant à une séparation de phase (T < Tc). Si G’’ > 0, la solution est stable (Φ < ΦI et Φ > ΦII) ou métastable. Si G’’ < 0, la solution est instable Φ’i < Φ < Φ’’i).

En écrivant l’égalité des potentiels chimiques μI = μII dans les deux phases, on montre que le système se décompose en deux phases de compositions ΦI et ΦII. Si G’’ est positif, le mélange est stable ou métastable, et se sépare par nucléation et croissance de gouttelettes riches en polymères (Fig.22.4) et il devient instable si G’’ est négatif: les fluctuations de concentrations sont amplifiées. G’’ =0 définit la spinodale (Fig. 22.3B). L’allure de μ(Φ) s’analyse par analogie avec les isothermes de Van der Waals (égalité des aires) (Fig.22.5)

Figure 22.5– Courbe (Φ) à différentes températures.

178

LEÇON 22 Solution de polymères

On définit le point critique par: 1 dµ d2 µ soit g′′ = g′′′ = 0 , ce qui donne Φc = = = 0 N d Φ dΦ 2 Tc − Θ 1 =− et 1 − 2 χF = . Θ N

1

1

+ La spinodale est définie par:g ′′ = 0 soit 2 χF = NΦ 1 − Φ 2. Mélange polymère-polymère Si on mélange deux polymères A et B, d’indice N et P, l’enthalpie libre de mélange en champ moyen s’écrit (1 − Φ ) Φ  a3  Ln(1 − Φ) + χF Φ(1 − Φ) ∆ G = Ln Φ +   kBT  N p ou Φ est la fraction de monomères A. 1  v = a 3  p − 2 χ F devient négatif pour des valeurs très faible de cF.   On en déduit un diagramme de phase qui, pour le cas symétrique N = P, a l’allure suivante (Fig.22.6)

Figure 22.6– Allure de la courbe coexistence et de la spinodale pour un mélange

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polymère-polymère symétrique. La zone hachurée est la région biphasique.

Le point critique est défini comme précédemment. Dans le cas symétrique, on trouve Φc = 1/2 et k BT c = NU/2, ou U = c F kB T est l’interaction entre monomères A et B. La température critique est proportionnelle à l’indice de polymérisation N. Elle est donc très élevée, et c’est cela qui explique qu’à température ambiante, il y a toujours séparation entre deux phases. L’équation de la spinodale est donnée par: 2U =

(

)

1 k BT 1 . + N Φ 1− Φ

En conclusion, la séparation de phase pour des longues chaînes de polymère en solution est caractérisée par le fait que Φ c → 0, T c → Θ quand N devient très grand. Pour les mélanges de polymères fondus, si U est l’interaction monomère A – monomère B, il faut comparer NU à kB T. Les polymères se séparent car l’entropie est trop faible comparée à l’enthalpie pour favoriser le mélange.

179

Chapitre 5 • Polymçres

LEÀON 23 Brosses de polymçres Les polymères sont utilisés comme additifs dans la formulation de nombreux produits alimentaires, pharmaceutiques, cosmétiques et peintures. Ils ont un double rôle d’épaississants et de stabilisants.

23.1 Une dècouverte ancienne (4… 000 ans avant J.-C.)… : l–encre de Chine L’encre de Chine que les Anglais appellent Indian Ink est en fait une découverte des Égyptiens! Ils utilisaient du noir de carbone mis en suspension dans l’eau (Fig.23.1). Dans l’eau pure, la suspension colloïdale flocule rapidement. Avec la gomme arabique, la suspension est stable pour des années.

μ L–encre de Chine… : importance Figure23.1… de la gomme arabique dans sa stabilitè.

23.2 Mècanisme de stabilisation Les grains de carbone «nus» s’attirent (par des forces de Van der Waals – Leçon3) k TR et se collent, avec une énergieU ≈ B >> kB T , où R est la taille des particules et d d leur distance au contact (atomique lorsqu’il y a floculation) (Fig.23.2).

μ Floculation de deux grains de carbone   … nus… °. Notations. Figure23.2…

Si on greffe des polymères sur les grains, en bon solvant, ils forment une «corona» qui empêche les grains de s’approcher (Fig.23.3).

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LEÇON 23 Brosses de polymères

Figure23.3– Processus de stabilisation par formation d’une «corona».

23.3 Configuration de la brosse de polymère Les chaînes de polymère greffées sont-elles effectivement étirées comme des cheveux coupés en brosse à la surface des particules? On considère une surface greffée avec des longues chaînes d’indice N. La densité de 1 greffage est Σ = 2 , où D est la distance entre points de greffage. La brosse est immerD gée dans un bon solvant. On distingue plusieurs régimes. i) Régime «champignon». Si D >> RF , les chaînes occupent un volume R 3F où R F = N 3/5 a est la taille de la chaîne libre (rayon de Flory – Leçon20). Elles ne sont donc pas étirées par rapport à la situation en solution diluée (Leçon23) (Fig.23.4).

Figure23.4– Régime «champignon», D >> RF .

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ii) Régime «brosse». Si D Tr ou de manière équivalente, aux fréquences basses ω < 1/Tr, le fondu a le comportement d’un liquide.

b) Module élastique E Le module d’Young E est d’autant plus grand que la distance entre points d’enchevêtrements est petite. On définit la «distance chimique», Ne, c’est-à-dire le nombre de monomères entre enchevêtrements. Pour un élastomère, le module élastique est proportionnel à la densité de points de réticulation: E = ρ

kB T Ne

(2)

avec r = l /a 03 est la densité en nombre de monomères par unité de volume, a 0 la taille d’un monomère et r/ Ne la densité d’enchevêtrements. Le seuil d’enchevêtrements, c’est-à-dire le nombre de monomères minimal nécessaire pour réaliser des enchevêtrements, est de l’ordre de Ne ~ 200.

c) Viscosité h Pour un liquide viscoélastique de type Maxwell, caractérisé par un piston et un ressort en série (Fig.24.1), on a montré la relation entre le temps de Maxwell caractéristique (ici Tr), le module élastique E et la viscosité:

η = E ⋅ Tr –

Cas N > Ne. À partir de (1) et (2), on trouve que:

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η ∼ Na –

(3)

(4)

Cas N