Petit Atlas historique du XXe siècle - 6e éd. [6 ed.] 9782200615789, 2200615787

Plus que jamais, il est nécessaire de connaître le XXe siècle pour comprendre notre présent. Cet ouvrage, devenu un clas

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Petit Atlas historique du XXe siècle - 6e éd. [6 ed.]
 9782200615789, 2200615787

Table of contents :
Sommaire
Vers la Grande Guerre
1 – Les grandes puissances à la veille de la Grande Guerre
2 – L’Afrique, terre d’élection de l’impérialisme colonial
3 – Le face-à-face de deux systèmes diplomatiques à la veille de 1914
4 – Les crises de 1912-1913 et l’effacement du « vieil homme malade »
5 – La crise de juillet 1914
Le premier XXe siècle D’une guerre à l’autre
6 – La Grande Guerre
7 – La nouvelle Europe en 1919
8 – La SDN
9 – Les désordres européens au début des années 1920
10 – Les bolcheviques assiégés
11 – Les frontières du Moyen-Orient contemporain
12 – La première poussée anticoloniale
13 – Les trois temps de la Méditerranée
14 – La crise de 1929 et la dépression des années 1930
15 – Les trois temps des systèmes diplomatiques en Europe (1919-1939)
16 – L’Europe à l’heure allemande
17 – La guerre dans le Pacifique
18 – La Résistance en Europe
19 – Le système concentrationnaire
Le second XXe siècle L’ère des superpuissances
20 – Les temps de la guerre froide
21 – 1946-1948, la déchirure
22 – 1948-1952, la diffusion du modèle américain
23 – La diffusion du modèle soviéto-stalinien (1945/1968)
24 – Les guerres en Chine
25 – Les États-Unis, entre universalisme et régionalisme
26 – La première crise de la diplomatie atomique
27 – Les étapes de la décolonisation
28 – Les trois guerres de la péninsule indochinoise
29 – La contestation de la pax americana
30 – Guerre et paix armée au Proche-Orient
31 – Le nucléaire entre prolifération et contrôle
32 – La Russie soviétique ou l’illusion de la puissance
33 – La construction européenne
34 – Du tiers-monde aux pays sous-développés
35 – La fin de la guerre froide en Europe
Vers le XXIe siècle Mondialisation et Régionalisation
36 – L’intégration régionale
37 – La sécurité collective, une utopie ?
38 – Le religieux, nouvel acteur politique ?
39 – Le « village global »
40 – La nouvelle architecture européenne
41 – L’Asie entre deux âges
42 – La Méditerranée, « limes » ou Andalousie ?
43 – Quelle place pour l’Afrique ?
44 – L’« Extrême-Occident »
45 – Le rapport de faiblesses contemporaines
46 – Sport et politique, les jeux olympiques
47 – Culture américaine, culture mondiale
Les grandes phases du siècle
Index

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Petit Atlas historique du XXe siècle - 6e éd.

MARC NOUSCHI

Petit Atlas historique du xxe siècle Sixième édition

Collection « Petit atlas historique » sous la direction de Marc Nouschi

Dans la même collection Jean-Marc ALBERT, Petit Atlas historique du Moyen Âge Pierre CABANES, Petit Atlas historique de l’Antiquité grecque Jérôme HÉLIE, Petit Atlas historique des Temps modernes Marc NOUSCHI, Petit Atlas historique du xixe siècle

Document de couverture : L’astronaute Buzz Aldrin sur la lune, mission Apollo 11, 1969 © IAM / akg-images

© Armand Colin, 2007, 2016 pour la présente édition © Armand Colin, Paris, 2007, 2010 © Armand Colin/VUEF, Paris, 2002 © Armand Colin/HER, Paris, 1997, 2000 Armand Colin est une marque de Dunod Éditeur 11, rue Paul Bert 92240 Malakoff ISBN 978-2-200-61578-9 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. • Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l’autorisation de l’éditeur, est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d’une part, les reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d’information de l’œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle). Armand Colin Éditeur • 21, rue du Montparnasse • 75006 Paris

Sommaire

FICHE  1

introduction 6 Première partie – Vers la Grande Guerre Fiche 1 Fiche 2 Fiche 3 Fiche 4 Fiche 5

Les grandes puissances à la veille de la Grande Guerre L’Afrique, terre d’élection de l’impérialisme colonial Le face-à-face de deux systèmes diplomatiques à la veille de 1914 Les crises de 1912-1913 et l’effacement du « vieil homme malade » La crise de juillet 1914

Deuxième partie – Le premier Fiche 6 Fiche 7 Fiche 8 Fiche 9 Fiche 10 Fiche 11 Fiche 12 Fiche 13 Fiche 14 Fiche 15 Fiche 16 Fiche 17 Fiche 18 Fiche 19

D’une guerre à l’autre

La Grande Guerre La nouvelle Europe en 1919 La SDN Les désordres européens au début des années 1920 Les bolcheviques assiégés Les frontières du Moyen-Orient contemporain La première poussée anticoloniale Les trois temps de la Méditerranée La crise de 1929 et la dépression des années 1930 Les trois temps des systèmes diplomatiques en Europe (1919-1939) L’Europe à l’heure allemande La guerre dans le Pacifique La Résistance en Europe Le système concentrationnaire

Troisième partie – Le second Fiche 20 Fiche 21 Fiche 22 Fiche 23 Fiche 24 Fiche 25 Fiche 26 Fiche 27 Fiche 28 Fiche 29 Fiche 30 Fiche 31 Fiche 32 Fiche 33 Fiche 34 Fiche 35

xxe siècle.

10 14 18 22 26

xxe siècle.

L’ère des superpuissances

Les temps de la guerre froide 1946-1948, la déchirure 1948-1952, la diffusion du modèle américain La diffusion du modèle soviéto-stalinien (1945/1968) Les guerres en Chine Les États-Unis, entre universalisme et régionalisme La première crise de la diplomatie atomique Les étapes de la décolonisation Les trois guerres de la péninsule indochinoise La contestation de la pax americana Guerre et paix armée au Proche-Orient Le nucléaire entre prolifération et contrôle La Russie soviétique ou l’illusion de la puissance La construction européenne Du tiers-monde aux pays sous-développés La fin de la guerre froide en Europe

Les grandes puissances à la veille de la Grande Guerre

32 36 40 44 48 52 56 60 64 68 72 76 80 84

90 94 98 102 106 110 114 118 122 126 130 134 138 142 146 150

Sommaire 10

3

FICHE 2

Quatrième – Vers le Thèbes xxie siècle. Mondialisation L’Égyptepartie antique : et Régionalisation Fiche 36 Fiche 37 Fiche 38 Fiche 39 Fiche 40 Fiche 41 Fiche 42 Fiche 43 Fiche 44 Fiche 45 Fiche 46 Fiche 47

Index

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Sommaire

L’intégration régionale La sécurité collective, une utopie ? Le religieux, nouvel acteur politique ? Le « village global » La nouvelle architecture européenne L’Asie entre deux âges La Méditerranée, « limes » ou Andalousie ? Quelle place pour l’Afrique ? L’« Extrême-Occident » Le rapport de faiblesses contemporaines Sport et politique, les jeux olympiques Culture américaine, culture mondiale Les grandes phases du siècle

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Introduction Voir le xx e siècle pour en comprendre les évolutions, saisir les rapports conflictuels ou pacifiques entre les acteurs étatiques, analyser les dynamiques d’intégration et d’exclusion, telle est l’ambition du Petit Atlas historique du xxe siècle. La carte historique, au cœur de la dialectique du temps et de l’espace, permet de donner du sens aux événements caractérisant le dernier siècle du IIe millénaire. Commençant vers 1890 avec l’émergence du pôle américain et le début de l’âge de l’impérialisme, ce siècle s’effiloche sous nos yeux depuis vingt ans environ : crise et dépression, effritement et renaissance idéologique, globalisation et régionalisation, convergence et fragmentation…, les temps nouveaux sont contradictoires et difficiles à cerner. Nulle prétention à vouloir ici fournir des réponses à l’anomie contemporaine, mais seulement l’ambition de repérer la nouvelle donne née des bouleversements les plus récents. Car le siècle en devenir, comme ceux du passé, se traduira par un changement dans les rapports intra et internationaux, par des modifications dans la régulation mondiale. Cinquante-six cartes et schémas identifient les processus qui jalonnent l’entrée dans le siècle (première partie), ceux marquant le « premier » xxe siècle (deuxième partie) et le « second » xxe siècle dominé par les superpuissances (troisième partie) suivra une réflexion sur les dynamiques antinomiques à l’échelle globale et continentale (quatrième partie). Chacune des quarante-sept fiches composant le Petit Atlas historique du xxe siècle se

structure autour d’une problématique, point de départ de la représentation cartographique. Dès lors la légende des cartes obéit à la logique du raisonnement. Un texte d’appui, situé en vis-à-vis, fournit des compléments d’explication à ces cartes élaborées pour être vues plus que lues. À l’issue de cette double page, le lecteur trouvera des données complémentaires, biographie d’acteurs clefs, lexique de notions, débat entre les spécialistes de la question, chronologie thématique… ; cette double page, conclue par une ou plusieurs pistes bibliographiques, est comme une ouverture vers d’autres horizons. Un index à triple entrée, thématique, géographique et onomastique, ainsi que des renvois indiqués dans les quarante-sept modules du Petit Atlas permettent une lecture transversale. Identifier pour comprendre et analyser, découper pour mettre en relation, tels sont les objectifs de ce Petit Atlas historique du xx e  siècle, conçu comme complément du xxe siècle (réédition 2011), publié dans la collection « U ». Depuis sa première édition, en 1997, les sources de l’information ont beaucoup changé sous l’effet de la révolution des technologies de l’information et de la communication. Ainsi, par exemple, Wikipédia est devenu un outil se substituant aux grandes encyclopédies traditionnelles, du type Encyclopædia Universalis. Toutes les pistes bibliographiques peuvent être complétées utilement par le recours aux moteurs de recherche sur Internet.

Introduction

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Deux fins de siècle En Europe Les rapports franco-allemands

Nationalités, Frontières

Problèmes internes aux démocraties

L’inconnue russe

La question turque

Avant la Grande Guerre

• Tensions depuis les deux crises marocaines de 1905 et 1911. • Crispation autour des « provinces perdues ».

• Contestations émanant des nationalités dans les empires multiethniques. • Foyers de tensions dans les Balkans.

• Menace de guerre civile en Irlande.

• Des inégalités sociales dues à une croissance déséquilibrée. Un Empire, avant d’être un État au sens occidental du terme.

• Le déclin du « vieil homme malade » dans les Balkans favorise les ambitions révisionnistes des grandes puissances.

À l’aube du xxie siècle

• Amitié, coopération, intégration économique entre les deux « moteurs » de l’UE.

• Menaces de balkanisation en Italie, Belgique… • Guerres dans l’ex-fédération yougoslave.

• Début d’une solution en Irlande du Nord. • Autonomie et violence terroriste en Corse, au Pays basque.

• Problème de la transition à l’économie libérale • Guerres dans le Caucase.

• La Turquie candidate à l’adhésion à l’UE. • Problème du Kurdistan.

Au Proche-Orient Les grandes puissances régionales

Avant la Grande Guerre

À l’aube du xxie siècle

6

Le pétrole, produit stratégique

La question d’Orient

Le monde arabe

Le sionisme

• La faiblesse de l’Empire ottoman, favorise les ambitions anglaises, allemandes, russes et françaises.

• Entente, entre les firmes anglaise et allemande pour exploiter le pétrole moyenoriental.

• La « guerre », (guerres balkaniques de 1912/1913), ultime solution à la « question d’Orient » ?

• Réflexion et quête identitaire autour de la Nation arabe.

• Depuis la parution de L’État juif, affirmation d’un sionisme politique en voie de laïcisation.

• Les ÉtatsUnis, seule « hyperpuissance », depuis la première guerre du Golfe (1991).

• Contre la cartellisation du marché pétrolier dans la main de l’OPAEP, politique de diversification et d’économie d’énergie chez les consommateurs.

• Les logiques de paix l’emportent sur celle de guerre pour résoudre la « nouvelle question du Proche-Orient ».

• La quête identitaire autour de l’islamisme, du fondamentalisme se nourrit de la faillite des idéologies modernistes.

• Le sionisme autour d’Eretz Israël et la colonisation compliquent le processus de paix avec les Palestiniens et les États arabes.

Deux fins de siècle

En Asie L’Inde Avant la Grande Guerre

À l’aube du xxie siècle

La Chine

Le Japon

La Russie

Croissance

• Poussée nationaliste autour du parti du Congrès.

• Break Up de la Chine. • Révolution nationaliste de 1911.

• Affirmation économique du Japon et formation d’un Empire.

• Défaite russe face aux Japonais en 1904/05.

• Hormis le Japon, l’Asie vit dans la dépendance européenne, américaine.

• La crise du parti du Congrès favorise les mouvements extrémistes, dont le BJP. • Rivalité militaire entre Inde et Pakistan.

• Risque de dislocation économique entre une Chine côtière capitaliste et une Chine de l’intérieur. • Nationalcommunisme dirigé contre Taïwan.

• Remise en cause des fondements du « modèle » japonais. • Imitation du mode de croissance à la japonaise par les pays de l’Asie péninsulaire.

• Émergence d’une région économique sibérienne autonome du pouvoir central moscovite. • Les guerres dans le Caucase attestent la fragilité de l’armée russe.

• L’Asie représentera plus de la moitié du PIB mondial d’ici un quart de siècle. • Crise économique en 1998. L’économie japonaise révèle de graves lacunes.

En Amérique Les États-Unis Avant la Grande Guerre À l’aube du xxie siècle

Le reste du continent

• Affirmation d’un impérialisme de proximité et mise en place des moyens de rayonnement.

• Asymétrie subie du fait de la pratique du Big Stick et d’une diplomatie balbutiante du dollar.

• Mondialisation et triomphe du libéralisme.

• Amarrage du continent latino-américain aux États-Unis avec la signature d’accords de libreéchange.

En Afrique L’Afrique blanche du Nord Avant la Grande Guerre À l’aube du xxie siècle

L’Afrique subsaharienne

L’Afrique australe

• Dépendance vis-à-vis de l’Europe.

• Dépendance, colonisation et rivalités entre impérialismes européens en Afrique centrale.

• Dominion dans le cadre de l’Empire.

• Autonomie politique et intégration économique à un espace méditerranéen.

• Dépendance, guerres internes • Émergence d’un pôle dans la région des Grands Lacs de stabilisation. d’Afrique centrale et orientale.

Deux fins de siècle

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FICHE

PREMIÈRE PARTIE

Vers la Grande Guerre

Les grandes phases du siècle

204

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FICHE 1

Les grandes puissances à la veille de la Grande Guerre Une hiérarchie évolutive

« A

u sens le plus général, la puissance est la capacité de faire, produire ou détruire. » Telle est la définition formulée par Raymond Aron dans Paix et guerre entre les nations. En 1914, le monde en compte six qui forment le « concert européen » la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Russie, l’Italie rejointes par deux États extra-européens, les États-Unis et le Japon. Comme par le passé, la puissance repose sur des déterminants « classiques » : la superficie, le nombre d’habitants, les forces armées… Toutefois, depuis la fin du xviiie siècle, l’entrée dans l’âge-industriel bouleverse le rapport de forces entre les nations : la « petite » Angleterre par sa superficie et sa population accède au premier rang mondial, car elle maîtrise précocement le processus d’industrialisation. Dès lors, la hiérarchie entre les puissances est déterminée par des indicateurs* économiques – production de fonte, d’acier, de filés de coton, kilomètres de voies ferrées, nombre des machines à vapeur… « Atelier du monde » qui s’enorgueillit de domestiquer les symboles du xixe siècle – le textile, le charbon et la vapeur –, l’économie britannique est toutefois dépassée par les États-Unis dans les années 1880-1890. Ce renversement dans la hiérarchie internationale atteste du passage de l’ère victorienne au xxe siècle centré sur le modèle américain. Dans le sillage de l’économie américaine, l’Allemagne domine les secteurs moteurs* de la deuxième poussée d’industrialisation.

* Les astérisques renvoient au lexique p. 12.

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Les grandes puissances à la veille de la Grande Guerre

Les vieux États-nations, France et Royaume-Uni, éprouvent à l’aube du siècle nouveau un sentiment de déclin, si ce n’est de décadence, qui contraste avec la volonté de puissance émanant de nations-États plus jeunes, plus dynamiques. Les États-Unis réclament l’application du principe de la « porte ouverte » en Chine, à savoir la défense de l’intégrité territoriale de ce pays au service de l’expansion capitaliste. L’Allemagne entend obtenir la reconnaissance de sphères d’influence en Europe danubienne et orientale ainsi qu’en Afrique centrale (→ fiche 3). Le Japon cherche à renforcer son influence sur la Corée, l’île de Formose et en Sibérie extrême-orientale.

De la persuasion à la force « État capable en certaines circonstances de modifier la volonté des individus, groupes ou États étrangers » (R. Aron), la grande puissance doit maîtriser tous les degrés de l’influence politics et du power politics. Selon Arnold Wolfers, l’influence politics repose sur la persuasion par la raison, le sentiment, la ruse, le mensonge, sur le marchandage, sur la rétorsion, et, degré ultime, sur la menace n’impliquant pas l’usage de la force. Quant au power politics, il implique l’utilisation effective de la force jusqu’à la guerre qui est « la force nécessaire d’affirmer le droit par la seule méthode dont un État dispose et qui est par conséquent éternelle et morale » (Hegel). Tous les États formant le concert européen à la veille de la Grande Guerre sont capables d’user des différentes méthodes de la puissance. Mais seuls quelques-uns d’entre eux parviennent à assurer leur sécurité contre tout autre protagoniste pris isolément.

Les rapports de puissance à la veille de la guerre 1914-1918

FICHE  1

Les grandes puissances à la veille de la Grande Guerre

11

Comment mesurer la puissance ?

FICHE  1

À l’ère industrielle, la puissance est conditionnée par la croissance qui est autant un processus quantitatif, mesurable par une augmentation en longue durée d’un agrégat macro-économique – PIB, population… –, que qualitatif, dit

de « destruction créatrice », selon la formule de Joseph Schumpeter. Aussi à côté des indicateurs quantitatifs, les spécialistes élaborent des indices synthétiques.

Quelques indicateurs de puissance 1. Répartition de la production industrielle et de la population Population industrielle mondiale (%) Pays États-Unis Japon Allemagne France Italie Royaume-Uni Russie

1900 30,1 1,2 16,6 7,1 2,7 19,5 5

Population (millions)

1913 35,8 1 15,7 6,4 3,1 14 5

1901 93 50 56,3 40,6 33,4 37 132

2. Indices synthétiques de puissance en Europe Il est calculé en donnant à chaque critère retenu le commerce total 20 %. L’indice retenu pour la pondération suivante la population repré- chaque critère est proportionnel au maximum sente 25 % du total, la production charbonnière représenté par le plus puissant des cinq États 20 %, la fonte 10 %, la production de blé 25 %, dans le domaine correspondant. Pays Allemagne Autriche-Hongrie France Royaume-Uni Russie

Vers 1885 42,2 21,7 48,7 66,2 52

Vers 1900 54,6 29,6 46,2 59,8 53,8

Vers 1914 63,7 27,8 46,5 57,3 57,3

Lexique : secteur moteur La croissance repose sur le dynamisme de secteurs moteurs. D’après Jean Marczewski, un secteur moteur présente un taux de croissance de 20 % supérieur à la moyenne, un poids relatif de 2 % dans la production industrielle. Le mode de transmission du secteur moteur au reste de l’économie s’effectue selon diverses modalités : par le marché, la branche motrice agit sur l’offre et la demande interne et externe ; par ses effets technologiques, elle conditionne en amont et en aval les « inventions en grappe » au cœur

12

Les grandes puissances à la veille de la Grande Guerre

des vagues de croissance ; par ses conséquences financières, elle donne naissance à de nouveaux circuits financiers. Aux débuts du xxe siècle, les États-Unis et l’Allemagne se spécialisent dans les secteurs moteurs de la deuxième vague d’industrialisation fondée sur la chimie, l’industrie métallurgique, les appareils électriques… Au contraire, le déclin britannique exprime son incapacité a abandonner les secteurs victoriens.

Chronologie : Vers une nouvelle hiérarchie à la veille de la Grande Guerre 1898

Après leur victoire sur les forces espagnoles, les États-Unis contrôlent Cuba, Porto-Rico dans les Caraïbes, Guam et les Philippines dans le Pacifique. Les travaux d’aménagement du transsibérien à travers la Mandchourie heurtent les ambitions régionales japonaises.

1899

Dans son livre, Made in Germany, le journaliste anglais Williams alerte ses contemporains sur le danger commercial allemand.

1901

Mort de la reine Victoria, impératrice des Indes. La banque d’affaires de John Pierpont Morgan prend le contrôle de la Carnegie Steel transformée en U. S. Steel.

1902

Difficile victoire des forces anglaises dans la guerre des Boers commencée depuis 1898. Hobson publie Imperialism. A Study.

1903

Henry Ford crée la première firme automobile. Les Allemands obtiennent du sultan Abdül-Hamid la concession du chemin de fer entre Berlin, Constantinople et Bagdad.

1904-1905

Victoire terrestre et maritime des forces japonaises sur les forces russes à Port-Arthur et dans le détroit de Tsushima.

1906

La question du régime douanier domine la campagne électorale anglaise : les conservateurs défendent le commerce « aménagé » – Fair Trade – proposé par Joseph Chamberlain contre les libéraux et les travaillistes attachés au libre-échange.

1907

Le Premier ministre russe Stolypine prend des mesures favorables à la formation d’une paysannerie aisée pour élargir les bases de la croissance.

1909

Sortie des premières Ford T. Traversée de la Manche en avion par Louis Blériot.

1911

Frederick Winslow Taylor (1856-1915) énonce les principes du taylorisme et ouvre la voie au management scientifique.

1912

Les Britanniques renoncent au Two Power Standard fixant une supériorité de 60 % sur la plus puissante des marines suiveuses. Allemands et Britanniques signent un accord pour créer en commun la Turkish Petroleum Company, chargée d’exploiter les gisements de Mésopotamie.

1913

Avec la formation du FED, Federal Reserve System, les États-Unis sont la dernière grande économie industrielle à se doter d’une banque centrale. Généralisation du travail à la chaîne dans les usines Ford à Detroit : les ouvriers obtiennent 5 dollars à la journée contre les 3 traditionnels.

1914

À la suite du Clayton Act, l’administration américaine peut combattre de façon plus efficace les oligopoles et les positions monopolistiques. Vote au parlement français de l’impôt sur le revenu qui ouvre l’ère de la fiscalité redistributrice.

FICHE  1

Pistes bibliographiques Jean-Charles Asselain, Histoire économique, de la révolution industrielle à la Première Guerre mondiale, PFNSP & Dalloz, 1985. Une brillante synthèse sur la question à l’échelle nationale et internationale.

Les grandes puissances à la veille de la Grande Guerre

13

FICHE 2

L’Afrique, terre d’élection de l’impérialisme colonial L’âge de l’impérialisme

V

ers 1880/1890, la notion d’impérialisme perd sa dimension péjorative pour caractériser la course aux territoires coloniaux entreprise par les puissances européennes (→ fiche 1). Dans les espaces conquis, l’État dominant exerce « une action unilatérale, irréversible ou difficilement réversible » (François Perroux). Il substitue à la structure originelle son mode d’organisation. L’impérialisme traduit donc l’asymétrie entre l’Europe et des mondes périphériques perméables à l’hégémonie de l’homme blanc. L’impérialisme reflète des spécificités nationales de l’époque : l’exaltation d’un peuple prédestiné chez les Anglo-saxons, le jacobinisme pour la France, une dimension messianique pour l’impérialisme russe tendu vers l’Asie centrale et l’Orient-extrême, la recherche de débouchés pour les exportateurs allemands. En Afrique, l’impérialisme aboutit à la formation d’empires coloniaux ; au Proche et Moyen-Orient, en Asie péninsulaire, il détermine des zones d’influence économiques réservées aux grandes puissances. Partout, il renforce la mondialisation des relations diplomatiques.

Le congrès de Berlin Pendant quatre mois, de novembre 1884 à février 1885, les diplomates réunis à Berlin entendent prévenir les litiges nés de la colonisation en Afrique. Chacun des participants a le sentiment d’avoir imposé ses vues : les Allemands, organisateurs de la conférence, les Français défenseurs du principe de la possession réelle du sol, les Britanniques attachés à la

14

L’Afrique, terre d’élection de l’impérialisme colonial

liberté commerciale, les Belges revendiquant le Congo. Tous affirment leur volonté d’apporter le « progrès » en combattant l’esclavage et en respectant les coutumes locales. Néanmoins, sitôt le congrès terminé, chacune des puissances européennes souhaite faire triompher ses propres intérêts.

Le dépeçage du continent noir Durant les décennies 1890/1910, la quasi-totalité de l’Afrique passe sous contrôle européen : l’Afrique blanche, riveraine de la Méditerranée, est dans sa partie occidentale sous influence française, à l’Est sous tutelle anglaise. Au-delà de la barrière saharienne, l’Afrique de l’Ouest est massivement dominée par la France tandis que Londres renforce sa présence sur l’axe Le Caire/Le Cap. Après la crise de Fachoda (Soudan), en 1898, Londres et Paris parviennent à un modus vivendi. Toute autre est l’attitude de l’Allemagne et de l’Italie qui expriment des ambitions révisionnistes. Insatisfaites des « miettes » laissées par les deux Grands, Berlin et Rome aspirent à se faire une « place au soleil ». Et par deux fois, en 1905 et 1911, le Maroc est la caisse de résonance des intérêts divergents opposant Français et Allemands. Par la conquête de la Libye en 1911, Rome cherche à faire oublier l’échec militaire subi à Adoua (Éthiopie) en 1896. La guerre des Boers qui oppose entre 1898 et 1902 les républiques du Transvaal, d’Orange aux Anglais exprime à la fois le déclin britannique et l’aspiration des minorités blanches à l’autonomie vis-à-vis de l’Europe. En 1910, l’Union sud-africaine obtient le statut de dominion dans l’Empire.

FICHE  2

Afrique : la partition

L’Afrique, terre d’élection de l’impérialisme colonial

15

Les théories de l’impérialisme

FICHE  2 Hobson

Lénine

Le journaliste John A. Hobson est le premier, en 1902, à établir une relation entre le fonctionnement du capitalisme et l’impérialisme. Incapables de trouver des débouchés internes, les industriels et les banquiers poussent à l’extraversion impérialiste en s’appuyant sur une opinion publique chauvine, imprégnée d’images simplificatrices diffusées par la presse à grand tirage. Il est vrai que Hobson écrit aux lendemains des manifestations hystériques qui secouent la Grande-Bretagne pendant la guerre des Boers (1898-1902). « C’est ainsi que les forces industrielles et financières de l’impérialisme, par le biais des partis, de la presse, de l’Église, de l’école façonnent l’opinion publique et la politique par de fausses idéalisations des instincts primitifs d’expansion, de domination et d’appropriation, instincts qui ont survécu à travers les âges jusqu’à l’ère industrielle qui est d’essence pacifique. L’exacerbation de ces instincts est indispensable au processus d’agression et d’expansionnisme impérialistes, comme à l’exploitation des races inférieures. » Imperialism. A Study. Toutefois, Hobson estime qu’une augmentation des revenus intérieurs atténuerait les tensions impérialistes et permettrait de redéployer le capitalisme vers la conquête du marché intérieur, devenu solvable.

Rédigeant L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme en pleine guerre mondiale, Lénine exprime un point de vue plus pessimiste, quoique satisfaisant pour ce révolutionnaire professionnel, la guerre impérialiste accouchant de la révolution mondiale. « Ce livre montre que la guerre de 1914-1918 a été de part et d’autre une guerre impérialiste (c’està-dire une guerre de conquête, de pillage, de brigandage), une guerre pour le partage du monde, pour la redistribution des colonies, des « zones d’influence » du capital financier. »

Dans la lignée de Hobson, le leader bolchevique considère que l’impérialisme est l’étape ultime d’un capitalisme présentant les cinq traits suivants. « L’impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s’est affirmée la domination des monopoles et du capital financier, où l’exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s’est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes. »

Rivalités, guerres ou ententes entre impérialismes ? (1890-1914) 1894

Accord entre les banques françaises et allemandes pour agir en commun dans l’Empire ottoman.

1894

Début de l’occupation de Madagascar par les forces françaises.

1896

1898

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Annexion de Madagascar par la France. Les forces du maréchal italien Baratieri sont écrasées à Adoua en Éthiopie. Le Reichstag vote les crédits de la première loi navale proposée par l’amiral von Tirpitz. Guerre hispano-américaine à propos de Cuba. Français et Anglais se disputent à Fachoda la vallée du Haut-Nil ; après une crise marquée par des menaces de conflit, le Soudan devient un condominium britannique.

L’Afrique, terre d’élection de l’impérialisme colonial

1899

La guerre de Boers met aux prises les Afrikaners et les forces anglaises : après un conflit de trois années, les républiques d’Orange et du Transvaal reconnaissent par la paix de Vereeiniging (31 mai 1902) la suzeraineté britannique. Accord entre la Banque impériale ottomane, sous influence française, et la Deutsche Bank sur le financement de la voie ferrée Constantinople-Bagdad. Washington, par l’entremise du secrétaire d’État, Hay, énonce le principe de la porte ouverte en Chine. Accord entre les grandes puissances sur le partage de la Chine en zones d’influence : la Russie au nord, la France au sud, le Royaume-Uni dans le bassin du Yang-Tsé Kiang, l’Allemagne dans le Shandong.

1900-1901

Les grandes puissances européennes mènent une opération de police en Chine pour mater la révolte des Boxers.

1902

La convention anglo-japonaise réaffirme le statu quo en Asie.

1903

Les États-Unis encouragent la sécession de la république de Panama contre la Colombie. Peu de temps après, le président Théodore Roosevelt énonce les principes de la politique du « gros bâton » en Amérique centrale.

1904

L’accord colonial entre Paris et Londres ouvre la voie à l’« Entente cordiale ».

1904-1905 1905 1908 1910 1911

FICHE  2

La guerre russo-japonaise voit les forces nippones triompher sur terre et sur mer. Le traité de Portsmouth partage la Mandchourie entre les deux ex-belligérants, la Corée devient un protectorat japonais. Première crise marocaine. Voyage de Guillaume II dans l’Empire ottoman. Les Russes acceptent la construction de la voie ferrée BBB, Berlin-Byzance-Bagdad, moyennant la reconnaissance de leurs prétentions sur le nord de la Perse. Deuxième crise marocaine. Guerre de conquête menée par l’Italie en Libye.

1913

Accord entre Londres et Constantinople relatif au Golfe persique et aux litiges frontaliers.

1912

Accord anglo-allemand pour créer la Turkish Petroleum Company.

1914

Inauguration du canal à écluses de Panama financé par les États-Unis, après que la Compagnie française du canal de Panama eut fait faillite.

Pistes bibliographiques René Girault, Diplomatie européenne, Nations et impérialismes, 1871-1914, Payot, 2004. Dans la lignée des travaux de Pierre Renouvin et de Jean-Baptiste Duroselle, René Girault présente l’état de la question diplomatique à l’âge des impérialismes. Hélène d’Almeida-Topor dresse un panorama historique dans L’Afrique du xxe siècle à nos jours, coll. « U », Armand Colin, 4e éd. 2013.

L’Afrique, terre d’élection de l’impérialisme colonial

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FICHE 3

Le face-à-face de deux systèmes diplomatiques à la veille de 1914 Du système bismarckien à la politique mondiale

B

ismarck, chancelier de 1871 à 1890, avait élaboré un système complexe d’alliances pour protéger l’Allemagne contre ellemême. Mais son départ en 1890 remet en cause l’édifice diplomatique. Le nouvel empereur, Guillaume II, qui n’a pas les mêmes préventions, exprime l’ambition d’une Allemagne, puissance économique, agissant dans la sphère mondiale (→ fiche 2). Sa Weltpolitik satisfait la bourgeoisie montante – l’industriel Krupp, l’organisateur du syndicat charbonnier rhéno-westphalien, Kirdorff, le directeur de la Deutsche Bank, von Siemens, l’armateur Ballin… – tout en contentant les anciennes classes dirigeantes, les hobereaux prussiens. La mondialisation de la politique extérieure allemande s’inscrit dans le droit fil d’un néo-mercantilisme qui voit les représentants de l’État devenir des voyageurs de commerce vantant le Made in Germany, en même temps qu’elle exprime l’âge de l’impérialisme. Toutefois, la montée en force de l’Allemagne wilhelmienne inquiète les autres États européens car elle implique un nouveau partage des sphères d’influence en Europe comme dans le monde colonial : la Weltpolitik oscille entre deux directions, l’Europe moyenne ou Mitteleuropa, et l’Afrique médiane ou Mittelafrika. « Quand l’Allemagne pensait le monde » (Michel Korinman), elle légitimait ses ambitions à travers une nouvelle discipline : la géopolitique (v. p. 20). Au foyer de tension hérité de la période bismarckienne – Alsace et Lorraine – s’ajoutent de nouveaux points de friction : Europe danubienne, Moyen-Orient, Méditerranée…

À Berlin, la permanence d’un complexe d’insécurité 18

En dépit de remarquables performances économiques (→ fiche 1), malgré des succès diplomatiques non négligeables, par exemple dans l’Empire ottoman, les décideurs allemands éprouvent un complexe paradoxal d’encerclement face à la France qui parvient à briser l’isolement diplomatique dans lequel Bismarck l’avait enfermée. De là, découle un sentiment de nervosité, étudiée récemment par le professeur J. Radkau. Théophile Delcassé, en charge du Quai d’Orsay de 1898 à 1905, sort du dilemme antérieur – conquête coloniale/politique européenne. Il se rapproche de Londres, inquiet de la construction de navires cuirassés allemands, résout le différend colonial avec Rome, tout en préservant l’alliance avec la Russie. Le réseau diplomatique tissé par Paris, l’échec éprouvé par Berlin en 1905 lors de la première crise marocaine, renforcent le sentiment d’insécurité dans le Reich.

Deux systèmes d’alliance Au début du siècle, la Triple-Entente enserre la Triple-Alliance ou Triplice Renouvelée régulièrement depuis 1882, elle est un des héritages diplomatiques de l’époque bismarckienne. Mais la Triplice ne résiste pas à l’antagonisme entre l’Autriche-Hongrie et l’Italie à propos de Trieste et de Trente, les terres « irrédentes » chères à Rome. Dans un échange de lettres secrètes datant de 1902 avec Paris, l’Italie s’engage à la neutralité au cas où l’Allemagne serait l’agresseur de la France (cas déjà stipulé par la Triplice), ou bien si elle estime que la France est obligée de répondre à une provocation allemande. Berlin ne peut donc compter de façon certaine que sur Vienne. Mais l’Autriche-Hongrie est, à la veille de 1914, soumise à des tensions internes émanant des nationalités : dans le Sud, les Slaves, au centre, les Tchèques et les Slovaques, à l’Est, les Polonais aspirent à former des États nationaux qui disloqueraient

Le face-à-face de deux systèmes diplomatiques à la veille de 1914

FICHE  3

L’Europe divisée en deux systèmes d’alliance

la monarchie bicéphale dirigée depuis 1848 par l’empereur François-Joseph. Refusant toute évolution du dualisme austro-hongrois en trialisme ouvert aux Slaves, Vienne ne voit d’autre issue que dans la fermeté et l’aventure militaire. La Triple-Entente, qui s’articule autour de l’axe Paris/Saint-Pétersbourg, semble encore plus fragile : récente puisqu’elle remonte à 1904 et 1907, elle repose sur la fin des contentieux opposant Londres à Paris, et Londres à SaintPétersbourg. Mais les Britanniques, qui se bornent à des promesses générales, gardent les mains libres. Stricto sensu, à la veille de

la Grande Guerre, ils ne concluent d’alliance qu’avec le Japon. Partout en Europe s’impose l’idée de la guerre comme solution aux problèmes intérieurs : ici, pour récupérer les « provinces perdues », là, pour inverser le processus de décadence qui mine la jeunesse, là-bas, pour résoudre la question sociale et politique. L’idée de conflit est aussi la solution apparente à la nervosité généralisée. Depuis l’occupation de la Bosnie-Herzégovine par l’Autriche en 1908, toute crise localisée risque de se transformer en crise généralisée entraînant l’Europe dans une guerre totale (→ fiches 4 et 5).

Le face-à-face de deux systèmes diplomatiques à la veille de 1914

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FICHE  3

Des représentations géopolitiques Le concept de géopolitique est élaboré en 1916 par R. Kjellén, universitaire suédois il exprime « l’étude de l’État considéré comme un organisme géographique, ou comme un phénomène spatial, c’est-à-dire une terre, un territoire, un espace, ou plus exactement un pays ». Mais cette discipline existe bien avant sa définition : depuis le ve siècle avant J.-C., date des travaux d’Hérodote, le corpus de la géopolitique et de la géostratégie, sa « sœur cadette », est nourri des contributions de spécialistes venus d’horizons très différents. « L’application de la géographie aux affaires mondiales », selon l’expression du professeur W. R. Fox, exprime les évolutions et les obsessions de leurs promoteurs. Ainsi l’amiral américain Alfred T. Mahan (1840-1914), inventeur de la notion de Sea Power, insiste-t-il sur la nécessité de contrôler les étendues marines. Au contraire, le biologiste allemand Friedrich Ratzel (18441904), dont l’ouvrage La Géographie politique (1898) est le catéchisme des milieux nationalistes et impérialistes, réfléchit sur l’« espace », condition de la puissance, et sur la « situation », véritable constante qui transcende l’histoire. Le Britannique McKinder (1861-1947) voit dans l’opposition entre puissances continentales et maritimes la clef des relations internationales. D’où ses appels à la vigilance des nations maritimes contre les menaces qui pèsent sur le

contrôle du Heartland, la « zone pivot » centrée sur l’Eurasie… L’ensemble des schémas théoriques et des prétendues lois qui permettraient d’éclairer les hommes politiques n’échappe donc pas à son temps. Les géostratèges sont aussi des hommes d’influence : leur vision modifie les appréciations des diplomates et crée des courants d’opinion. En France, les écrits d’André Chéradame et ses cours renforcent les attitudes hostiles à l’Allemagne. Outre-Rhin, des mouvements pangermanistes, par exemple l’Alldeutsches Verband de Hugenberg et de Peters, appuient leur propagande sur la Geopolitik de Ratzel. Dans l’entre-deux-guerres, Lord Bryce a un grand effet sur ses contemporains à travers l’Encyclopedia Britannica et la Royal Society. Mais c’est avec Karl Haushofer, directeur de l’Institut für Geopolitik de Munich, que la « géopolitique fut la conscience géographique de l’État ». Les thèses de Haushofer sur l’« espace vital » et les frontières mouvantes, « dépendantes de l’élan vital des peuples », s’accordaient assez bien avec les objectifs de la diplomatie hitlérienne. Cet officier, devenu universitaire, milite pour un rapprochement avec le Japon et démontre l’intérêt d’une alliance avec l’URSS stalinienne. Dès lors, la géopolitique devient une discipline suspecte, dénoncée en 1932 comme un « instrument de guerre » par Albert Demangeon.

Les décideurs ont la parole… L’ambition de Guillaume III « L’Empire allemand est devenu un Empire mondial. Partout, dans les régions les plus reculées du globe habitent des millions de nos compatriotes. Les produits allemands, la science allemande, l’esprit d’entreprise allemand traversent les océans. Par milliards se chiffrent les biens que l’Allemagne transporte sur les mers. À vous, Messieurs, incombe le devoir de m’aider à rattacher solidement cette plus grande Allemagne à notre patrie. » Discours de Guillaume II, en 1896, à l’occasion du 25e anniversaire de la fondation de l’Empire, cité

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par Fritz Fischer, Les Buts de guerre de l’Allemagne impériale (1914-1918), Éditions de Trévise, 1970.

Le point de vue de Delcassé « Il faut être aveugle pour ne pas voir que la rivalité d’intérêts et d’ambitions, qui ne peut que s’accentuer entre l’Angleterre et l’Allemagne, nous offre une chance suprême. Nous rendre forts, très forts et rester libres : voilà notre politique. » Lettre à un ami, le 7 février 1898, citée par R. Girault, Diplomatie européenne et impérialismes, 1871-1914, Masson, 1979.

Le face-à-face de deux systèmes diplomatiques à la veille de 1914

L’inquiétude britannique « La responsabilité qui incombe à la marine britannique est lourde et son poids augmente d’année en année. […] Aucune des puissances n’a besoin comme nous d’une marine pour défendre son indépendance ou sa sécurité même. Elles les construisent de façon à jouer un rôle dans les affaires du monde. Pour elles, c’est du sport. Pour nous, c’est la vie ou la mort. » Le Premier Lord de l’Amirauté, W. S. Churchill, 17 mars 1914, cité par R. S. Churchill, Churchill, t. II, Stock, 1969.

Le complexe allemand « Comme la Triplice, la Triple-Entente se présente sous la forme d’un accord défensif. Mais tandis que l’idée défensive domine expressément le traité de la Triple-alliance, celui de la Triple-Entente présente de fortes tendances offensives, c’est-à-dire des buts positifs qui apparaîtront aux États alliés comme valant la peine d’être réalisés. La Russie a le désir compréhensible d’écraser l’Autriche pour imposer l’hégémonie slave en Europe, et, par le moyen de la Serbie, s’ouvrir la route de l’Adriatique. L’Autriche n’a qu’un seul intérêt défensif à s’y opposer.

La France souhaite recouvrer les provinces perdues et prendre sa revanche des défaites de 1870. L’Allemagne ne veut que défendre sa propriété. L’Angleterre cherche à se débarrasser, avec l’aide de ses alliés, du cauchemar de la puissance maritime allemande. L’Allemagne ne pense pas à la destruction de la flotte anglaise : là encore elle ne veut que se défendre. »

FICHE  3

Mémoire du chef de l’État-major, von Moltke, décembre 1912, cité par P. Renouvin, Textes et documents d’histoire, PUF, 1939.

L’objectif franco-russe « Les deux chefs d’État-major, confirmant le point de vue des conférences antérieures, sont parfaitement d’accord sur ce point que la défaite des armées allemandes reste, quelles que soient les circonstances, le premier et le principal objectif des armées alliées, et cela, plus encore qu’antérieurement, en raison de l’accroissement considérable de la puissance militaire relative de l’Allemagne dans la Triple-alliance. » Protocole militaire franco-russe (août 1913), cité par P. Renouvin, op. cit.

Pistes bibliographiques André Beaufre, Introduction à la stratégie, coll. Pluriel, Fayard, 2012. Gérard Chaliand, Anthologie mondiale de la stratégie, coll. « Bouquins », R. Laffont, 2009. Pierre M. Gallois, Géopolitique, les voies de la puissance, Plon, 1990. Yves Lacoste anime la revue Hérodote qui consacre de nombreux articles aux problèmes géopolitiques. Philippe Moreau-Defarges, Introduction à la géopolitique, coll. « Points », Le Seuil, 3e éd. 2009.

Le face-à-face de deux systèmes diplomatiques à la veille de 1914

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FICHE 4

Les crises de 1912-1913 et l’effacement du « vieil homme malade » Le théâtre balkanique

« V

olcan », « poudrière »… les expressions utilisées par les contemporains à propos des Balkans au début du xxe siècle témoignent de la conflictualité de la région. En arrière-plan, l’Empire ottoman est incapable de préserver son indépendance économique et de satisfaire les ambitions modernistes de jeunes officiers réunis dans le Comité Union et Progrès. Dans les territoires européens du « vieil homme malade », les forces nationalistes s’agitent pour redécouper les territoires et accéder à l’indépendance. La faiblesse des acteurs balkaniques donne l’occasion aux grandes puissances européennes d’intervenir : −− Les Britanniques acceptent un partage de l’empire en zones d’influence pour obtenir plus de liberté en Mésopotamie et en contrôler l’extraction du pétrole. −− Les Allemands, en quête de reconnaissance mondiale (→ fiches 2 et 3), jouent un rôle croissant dans la région : Guillaume II fait un voyage officiel à Constantinople en 1889, au ProcheOrient en 1898, et obtient la concession de la ligne ferroviaire Berlin/Byzance/Bagdad. −− Les Russes, humiliés en Extrême-Orient en 1905, renouent avec leur mission traditionnelle de protection des chrétiens orthodoxes. −− L’Autriche-Hongrie, qui a annexé la BosnieHerzégovine en 1908, suscite l’hostilité de la Serbie et rompt le statu quo avec la Russie. −− Quant à la France, elle entend défendre ses intérêts « historiques » au Levant. Dans

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ce contexte, les crises balkaniques révèlent et amplifient les affrontements entre États européens.

Des guerres annonciatrices du conflit mondial Pour les peuples des Balkans, la continuité est totale entre les conflits de 1912-1913 et la Grande Guerre. La première guerre, du 18 octobre à décembre 1912, voit les pays balkaniques – Bulgarie, Grèce, Serbie – remporter une victoire éclair sur les forces ottomanes : l’empire perd tous ses territoires européens. Mais, le conflit reprend après qu’Enver Pacha a chassé le gouvernement officiel turc (23 janvier 1913). Les combats plus acharnés sont encore favorables à la Ligue balkanique. C’est alors que les Bulgares revendiquent la plus grosse part des conquêtes territoriales et dressent contre eux les Serbes alliés des Grecs. La deuxième guerre balkanique (juinjuillet 1913) oppose la Bulgarie à la coalition greco-serbe, à la Roumanie et même à la Turquie qui parvient à récupérer la ville d’Edirne (Andrinople). Le 10 août, la paix est signée à Bucarest. Le nouveau tracé des frontières n’apaise pas les haines ni les rancœurs. D’un côté, les Bulgares aspirent à contrôler la Macédoine, la Thrace et la Dobroudja annexée par la Roumanie ; de l’autre, les Grecs et les Serbes défendent le statu quo. Quant aux grandes puissances européennes qui ont équipé les armées balkaniques, elles tirent des enseignements des opérations militaires pour se préparer au conflit à venir (→ fiche 5).

Les crises de 1912-1913 et l’effacement du « vieil homme malade »

FICHE  4

Source : D’après Georges Castellan, Le Monde des Balkans, poudrière ou zone de paix ?, Vuibert, 1994, p. 97.

La « poudrière » balkanique

Les crises de 1912-1913 et l’effacement du « vieil homme malade »

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FICHE  4

Lexique de la « question d’Orient » Balkanisation : processus de segmentation des zones multi-ethniques entre des nationalités qui revendiquent le contrôle de territoires sanctifiés. En théorie, la balkanisation, conforme au principe des droits des peuples, entend résoudre la question des nationalités. Mais en pratique, elle miniaturise les haines nationales et facilite la satellisation des nouveaux États créés par des puissances plus importantes. Génocide : les Arméniens sont les premiers à être victime d’un génocide défini par Yves Tournon, comme un « crime commis par un État afin de détruire – partiellement ou totalement – un groupe en tant que tel ». Du 1 er avril 1909 à 1915, 1,2 million de personnes, soit la moitié de la population arménienne, meurent dans des conditions effroyables. Illyrisme : sous l’influence de l’Aufklärung, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, du nationalisme et du romantisme, l’Illyrisme cherche à rassembler tous les Slaves du Sud, autour d’une langue, le stokavien. Durant la deuxième moitié du xixe siècle, l’illyrisme éclate en « bulgarisme, croatisme, yougoslavisme. » Megale Idea : la Grande Idée est le mot d’ordre des nationalistes grecs qui entendent réunir tous les territoires helléniques. Elle se cristallise sur la Crète, rattachée à la Grèce en 1908, sur la Macédoine, convoitée elle aussi par la Bulgarie. Panslavisme : exaltation du destin spécifique de la Russie, sous la forme d’un messianisme transcendantal. La « troisième Rome » a pour mission de défendre, y compris par la force, les intérêts des minorités slaves et orthodoxes dans l’Empire ottoman. Le panslavisme, structuré autour de comités à Moscou, Saint-Pétersbourg, Kiev, Odessa… d’une littérature (Danilevski, La Russie et l’Europe, 1869), n’entend pas seulement « délivrer » Constantinople mais aussi glorifier la terre russe, la communauté slave, contre les influences pernicieuses de l’Occident et l’occidentalophilie défendue par une partie de la noblesse et de la bourgeoisie. Pantouranisme : mouvement qui tend à réunir toutes les populations turques des Empires

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ottoman et perse rassemblées sur « une terre vaste et immortelle, le Touran » (Ziya Gölap, 1911). Panturquisme : il peut être considéré comme la mise en forme du pantouranisme. Apparu à la même époque que ce dernier, il se définit par opposition au panslavisme et a pour objectif de renforcer les liens politiques, culturels et militaires entre Turcs, Azeris et Tatars, vivant dans l’Empire russe. « Question d’Orient » : du traité de KutchukKaïnardja en 1774, à celui de Lausanne en 1923, la « question d’Orient » recouvre le démembrement de l’Empire ottoman et la lutte entre les puissances européennes à l’affût de zones d’influence dans les Balkans et le bassin oriental de la Méditerranée. La première crise de la « question d’Orient » (1832-1840) concerne les rapports entre l’Égypte, l’Empire ottoman et la Grèce. La deuxième crise qui couvre la période 18501856, oppose la Russie à l’Empire ottoman. La troisième (1875-1879) se déplace vers les Balkans. La quatrième (1908-1912) aboutit aux guerres balkaniques, répétition générale de la guerre mondiale. Révolution jeune-turque : coup de force mené le 24 juillet 1908 par des officiers de Macédoine, dont Enver Pacha (1881-1922), Mustafa Kemal (1881-1934)… en étroite coordination avec le Comité Union et Progrès. Épris de modernité et même d’un certain jacobinisme, les Jeunes-Turcs s’insurgent contre Abdül-Hamid, accusé de ne pas agir en faveur de la « renaissance nationale ». Rilindja : mouvement d’indépendance des Albanais qui se structure autour de la langue et de la culture, via l’école. Sociétés secrètes : partout dans les Balkans et dans l’Empire ottoman fleurissent des sociétés secrètes qui développent un messianisme nationaliste, exaltent une patrie et des héros fondateurs, instrumentalisent la religion et l’histoire, mêlent libéralisme et action violente… Certaines d’entre elles sont, en fait, infiltrées et manipulées par les services secrets des grandes puissances : ainsi « La Main noire », dont faisait partie le terroriste meurtrier de François-Ferdinand.

Les crises de 1912-1913 et l’effacement du « vieil homme malade »

Chronologie succincte de la formation des États balkaniques aux débuts du xxe siècle

FICHE  4

Albanie 28 novembre 1912 29 juillet 1913

Proclamation de l’indépendance par Ismaïl Qemal. La conférence de Londres décide la création d’une Albanie neutre sous la protection des grandes puissances.

Bulgarie 3 mars 1878 1879 1885 20 août 1886 1908

Par la paix de San Stefano, la Russie impose à la Turquie battue la création d’une « grande » Bulgarie « vassale et tributaire de la Porte sous un prince choisi par la Russie ». Le prince Alexandre de Battenberg, neveu du tsar, règne à la tête de la Bulgarie. Guerre serbo-bulgare. Coup d’État militaire organisé par les Russes contre le souverain bulgare. Agitation nationaliste contre la Russie. Le prince Ferdinand prend le titre de tsar. La Bulgarie devient totalement indépendante.

Monténégro juin 1876

Le Monténégro participe à la guerre contre l’Empire ottoman, obtient une déclaration d’indépendance au traité de San Stefano confirmé par le traité de Berlin.

1910

Nicolas Ier (1860-1918), prince puis roi du Monténégro, établit une frontière commune avec la Serbie dont il est allié.

Roumanie 1881

Reconnaissance de jure de l’indépendance de la Roumanie et débuts du règne de Carol Ier.

Serbie 1878 1881

À l’issue du congrès de Berlin, la Serbie accède à l’indépendance. Proclamation du royaume de Serbie.

Pistes bibliographiques Georges Castellan, dans L’Histoire des Balkans, Fayard, 1999, fait un vaste panorama de la question du xive siècle à nos jours. Bien qu’anciens, les ouvrages de Pierre Renouvin publiés en 1958 par Hachette, Les Relations internationales de 1871 à 1914, continuent à être des références.

Les crises de 1912-1913 et l’effacement du « vieil homme malade »

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FICHE 5

La crise de juillet 1914 Un « événement »

L

a crise de juillet 1914 présente les trois caractéristiques qui, selon Ilya Prigogine, définissent l’« événement » : l’irréversibilité, c’est-à-dire « la brisure de symétrie entre l’avant et l’après » ; l’accidentalité – « un événement ne peut, par définition, être déduit d’une loi déterministe, il implique, d’une manière ou d’une autre, que ce qui s’est produit « aurait pu » ne pas se produire, il renvoie donc à des possibles que nul savoir ne peut réduire » (Entre le temps et l’éternité) ; la cohérence, car l’événement doit « transformer le sens de l’évolution qu’il scande » (→ fiches 7 et 9). La crise de juillet 1914 établit comme une frontière entre l’« avant », le temps de la « Belle Époque », de l’insouciance, de la stabilité, et l’« après », celui des troubles, des convulsions et des affrontements. Le laps de temps entre l’assassinat de l’archiduc héritier, François-Ferdinand, le 28 juin, et la marche à la guerre, la dernière semaine de juillet, met en lumière la récupération d’un « accident » par les gouvernements. Quant à l’exigence de cohérence, elle transparaît dans le lien entre la guerre, la victoire du bolchevisme en 1917 et l’émergence du fascisme dès 1919 (→ fiches 7 et 9).

Un enchaînement de provocations La crise de juillet 1914 apparaît comme une suite de provocations volontaires conduisant les hommes dans l’abîme. Contrairement aux précédentes phases de tension – au Maroc, en 1905 et 1911 –, et même aux guerres limitées de 1912-913, nul contre-pouvoir n’a su, pu ou

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La crise de juillet 1914

voulu éviter l’affrontement entre les grandes puissances européennes, donc mondiales. La conflagration en gestation est l’expression du xixe siècle finissant : elle naît de la question des nationalités dans une zone sensible, les Balkans (→ fiche 4) ; elle sanctionne le déclin du « vieil homme malade » de l’Europe ; elle obéit à une logique conflictuelle qui amène la dynastie des Hohenzollern à soutenir celle des Habsbourg contre les Romanov. Simultanément, la guerre qui s’annonce est le premier des conflits du xxe siècle : sa logique « infernale » repose sur l’appel permanent à l’opinion publique, à travers une presse à grand tirage ; son extension trouve son origine dans les systèmes diplomatiques antinomiques qui divisent l’Europe en deux camps (→ fiche 3) ; son inexorabilité tient à la transformation de l’image de la guerre dans l’esprit des décideurs. En effet, le « bain d’acier » serait une cure de jouvence pour réveiller le corps social qui s’endort et s’amollit sous l’effet de la prospérité retrouvée (phase A dans le troisième cycle Kondratieff entre 1896 et 1912-1913). De même, il est LA solution à toutes les contradictions internes, non résolues par les gouvernants : la question des débouchés et du nouveau partage planétaire pour l’empire wilhelmien, l’équilibre entre les nationalités pour les Habsbourg, le retour des « provinces perdues » pour la France qui porte à la présidence de la République le Lorrain Raymond Poincaré, les détroits et la protection des Slaves pour la camarilla nationaliste qui s’agite dans l’entourage du tsar Nicolas II. Quant à Londres, le flou de ses intentions amène Berlin à appliquer le plan von Schlieffen de 1905 de contournement du système défensif français après violation de la neutralité belge.

FICHE  5

Vers la guerre généralisée en Europe

Chronologie de la crise de juillet du côté de la Triple-Entente et du côté de la Triplice 28 juin 5 juillet • Viviani et Poincaré partent en visite officielle à Saint-Pétersbourg • Retour de Poincaré et Viviani • Rupture des relations diplomatiques entre la Serbie et l’Autriche-Hongrie

15 juillet 17 juillet 23 juillet

30 juillet

1er août 2 août 3 août

• Déclaration de guerre du Royaume-Uni à l’Allemagne

• Déclaration de guerre de l’Autriche à la Serbie

29 juillet

31 juillet • La France annonce qu’elle mobilisera le lendemain

• Rédaction de l’ultimatum autrichien à la Serbie • Remise de l’ultimatum à Belgrade

25 juillet 28 juillet

• Mobilisation de part et d’autre • Mobilisation partielle russe contre l’Autriche • Mobilisation générale russe

• Assassinat de François-Ferdinand à Sarajevo • Berlin assure Vienne de son soutien pour régler la « question serbe »

• Berlin proclame « l’état de danger de guerre ». Envoi d’un ultimatum à Saint-Pétersbourg • Mobilisation générale en Allemagne, déclaration de guerre à la Russie • Ultimatum allemand à la Belgique • Déclaration de guerre de l’Allemagne à la France

4 août

La crise de juillet 1914

27

FICHE  5

Historiographie des causes de la Première Guerre mondiale L’ouvrage de référence est celui de Jacques Droz, Outre-Rhin, les nationalistes assimilent le Les Causes de la Première Guerre mondiale, Essai Diktat de Versailles à une « paix carthaginoise ». d’historiographie, Seuil, coll. « Points », 1973. Dans l’Hexagone, le montant des réparations repose sur l’équation « guerre = faute aux La question de la responsabilité, « Boches » ». La question des responsabilités un problème précoce se déplace donc du champ diplomatique pour La question de la responsabilité est quasi contem- devenir un enjeu de politique intérieure. poraine des débuts de la guerre : le 31 août 1914, un haut responsable allemand suggère de publier Différencier trois niveaux d’appréhension les documents officiels relatifs aux journées décisives de l’été 1914. Comme l’ont noté les D’emblée, trois niveaux d’analyse se mêlent et historiens, par exemple Pierre Renouvin, la lecture rendent difficile le travail de l’historien : la réalité des dépêches diplomatiques démontre que des faits est enveloppée dans un imaginaire chacun des deux camps en présence veut rejeter de l’« Autre » qui donne lieu à une (ré)écriture sur l’autre la responsabilité du conflit : l’« Union sélective. Le mérite revient à Jules Isaac d’avoir cherché sacrée » qui se forme chez les belligérants en est comme l’accomplissement, chacun des protago- à dépasser la vision manichéenne et à s’internistes se croyant légitimement agressé par l’autre. roger sur les responsabilités partagées de part Pendant la guerre, la question de la respon- et d’autre. Son enquête qui fait l’objet d’une sabilité est comme en filigrane dans l’énoncé des publication en 1933 – Un Débat historique. Le buts poursuivis par chacun des deux camps. En problème des origines de la guerre – reflète le dehors de revendications spécifiquement terri- changement de cours dans la diplomatie frantoriales, financières – faire payer à l’autre une çaise. C’est en 1921 que le « pèlerin de la paix », lourde indemnité –, tous les belligérants affirment Aristide Briand, a l’ambition de réintroduire l’Alque leurs ambitions ne sont que « défensives ». lemagne dans le concert des nations. Ses efforts Avec la fin de la guerre, ce problème de la aboutissent en 1925, avec la signature du pacte responsabilité devient crucial à la fois pour de Locarno, et un an plus tard, avec l’admission les décideurs, les opinions publiques, et, bien de l’Allemagne à la SDN. Jules Isaac qui n’échappe entendu, les historiens. Les vainqueurs font pas à « l’air du temps », met l’accent sur la loi des reposer le traité de Versailles sur la responsabilité trois ans votée en 1913, sur la responsabilité russe unilatérale de l’Allemagne et de ses alliés dans le durant les semaines décisives de juillet 1914… Depuis l’ouvrage de Jules Isaac, plus un historien déclenchement de la guerre. ne met l’accent sur la responsabilité unilatérale Article 231. « Les gouvernements alliés et associés de l’Allemagne. déclarent et l’Allemagne reconnaît que l’Allemagne Dans la lignée du travail de Pierre Renouvin, et ses alliés sont responsables, pour les avoir causés, Les Origines immédiates de la guerre, publié en de toutes les pertes, de tous les dommages subis 1925, les spécialistes multiplient les études sur par les Gouvernements alliés et associés et leurs les « forces profondes », sur les lobbies, dont le nationaux en conséquence de la guerre, qui leur a lobby militaire qui prend une place déterminante été imposée par l’agression de l’Allemagne et de ses durant l’été 1914… Ainsi la marche à la guerre alliés. » serait-elle collective.

28

La crise de juillet 1914

FICHE  5

Une responsabilité partagée Allemagne Autriche

• Carte blanche donnée à l’Autriche pour régler la « question serbe » • Rôle croissant des militaires qui prennent le pas sur les diplomates • En finir avec le « cancer » balkanique où s’agitent des forces centrifuges risquant de disloquer la monarchie bicéphale : François-Ferdinand, partisan du Trialisme, est victime d’un véritable complot

Russie

• Nationalisme d’expansion et de compensation de plus en plus virulent dans les Balkans et les détroits

France

• Soutien aux Russes dans leur politique belliciste

Royaume-Uni

• Ne pas avoir été clair sur la question de la neutralité belge

Celui par qui le scandale arrive Tandis que les passions s’apaisent et qu’une commission franco-allemande s’entend sur certains points – « Les documents ne permettent pas d’attribuer en 1914 une volonté préméditée de guerre européenne à aucun gouvernement ou à aucun peuple » –, le scandale éclate en 1961 avec la parution de l’ouvrage de Fritz Fischer, Les Buts de guerre de l’Allemagne impériale : l’historien allemand met l’accent sur le rôle clef d’un lobby belliciste, conduit par le chancelier Bethmann-Hollweg, soutenu par le magnat de l’industrie, Walter Rathenau, financé par le banquier von Gwinner. Le Reich entend réaliser par n’importe quel moyen, y compris par la guerre, un objectif central : la formation d’une Mitteleuropa, d’une Mittelafrika, la vassalisation de la Belgique, la subversion dans les régions périphériques, dont le Proche-Orient… Fritz Fischer s’attache aussi à montrer que les

décideurs allemands sont restés fidèles à ces objectifs alors même que le rapport de forces leur était de plus en plus défavorable et que la guerre s’enlisait. Durant les trente dernières années, la polémique ouverte par Fischer amène les historiens à manier de nouvelles problématiques, à éclairer des zones d’ombre. Georges-Henri Soutou démontre en 1989 dans L’Or et le sang que les tenants d’une Mitteleuropa autarcique heurtent les partisans d’un espace économique mondial ouvert. L’analyse de Fischer pèche donc par une excessive simplification. BethmannHollweg tente d’ailleurs in extremis d’inverser la logique de guerre et de circonscrire le conflit aux Balkans : mais là encore, ne cherche-t-il pas à faire endosser la responsabilité de la conflagration par la Russie ? Ainsi, certains ouvrages ne sont pas seulement des livres d’histoire mais ils font l’histoire.

La crise de juillet 1914

29

DEUXIÈME PARTIE

Le premier e xx  siècle D’une guerre à l’autre

FICHE 6

La Grande Guerre La faillite des stratèges

D

e l’été 1914 à l’automne 1918, la guerre révèle l’inadéquation des stratégies et l’inefficacité des tactiques : les Allemands, qui appliquent le plan von Schlieffen, ne parviennent pas à triompher rapidement. En septembre 1914, le « miracle » de la contre-offensive sur la Marne sauve la France de la défaite. Tandis que les belligérants s’enterrent à l’Ouest dans un système complexe de fronts fortifiés, ils tentent d’arracher la décision en d’autres lieux. Toutes les entreprises périphériques échouent les unes après les autres : les forces de l’Entente clouées pendant neuf mois dans la presqu’île de Gallipoli (Dardanelles) doivent rembarquer en janvier 1916 ; après d’évidents succès, les attaques sous-marines allemandes menées dans l’Atlantique provoquent l’entrée en guerre des États-Unis aux côtés de l’Entente, le 2 avril 1917. Les opérations de concentration de forces en des lieux jugés essentiels par les États-majors tournent à la boucherie inutile : aux hécatombes subies par les armées de l’Entente en Champagne, en Artois en 1915, dans la Somme en 1916, au Chemin des Dames en 1917, correspondent les échecs allemands à Verdun en 1916, autrichiens à Vittorio Veneto… Dès lors, la victoire tient à l’autre combat mené à l’arrière : la décision sur les théâtres d’opérations dépend surtout de facteurs économiques, psychologiques et diplomatiques. La Grande Guerre, première « guerre totale » que l’Europe ait connue, contraint les généraux à tenir compte d’éléments extérieurs aux opérations militaires : capacités productives, état des stocks de munitions, encours en crédits car « l’argent est le nerf de la guerre », soutien de l’opinion publique… Malgré l’effondrement

32

La Grande Guerre

de la Russie en 1917, les forces de l’Entente disposent d’un atout précieux dans le « grand arrière » américain. Au printemps 1918, l’Allemagne se lance dans une ultime offensive jusqu’aux portes de Paris, avant de reculer sous l’action conjuguée des chars et des troupes alliées commandées par le général Foch. L’armistice, conclu le 11 novembre 1918, met un terme à un conflit d’une sauvagerie inouïe, matrice proto-totalitaire des extrêmes à venir.

Les États ont la guerre de leurs structures Le libéralisme, qui avait perdu sa dimension apologétique durant la Grande Dépression (1873-1896), est mis entre parenthèses à partir de 1914. Les grandes libertés qui le caractérisent – liberté des prix, d’entreprise, d’embauche et d’échanges – s’effacent pour un système plus ou moins interventionniste. Bien avant la guerre, le Reich wilhelmien élabore un système de contrôles centralisés. La structure paradoxale de la société allemande, fidèle à son passé conservateur et tournée vers l’industrialisation, facilite les rapprochements entre militaires et magnats de l’industrie : en 1916, l’économie allemande connaît une étatisation autoritaire sous la direction du général Groener. Elle sert d’ailleurs de modèle paradoxal aux Bolcheviques à partir de 1917 (→ fiche 10) ! Dans les pays de l’Entente, l’heure est à l’économie mixte, les pouvoirs publics associant industriels, syndicalistes et militaires à l’effort productiviste. Car la Grande Guerre mobilise toutes les ressources humaines, économiques et financières. Sa durée reflète la richesse de l’Europe en même temps qu’elle l’affaiblit définitivement.

I. Une guerre qui s’étand

II. Les limites spatiales de la guerre

Pays neutre

Avance extrême des forces de la Triplice Le front Blocus naval contre les puissances centrales Statégie périphérique aux théâtres d’opérations principales Ligne d’armistice en 1918

Triple entente 1914- France, R-U, Russie, Serbie 1915- Italie 1916- Roumanie 1917 “grand arrière américain”

FICHE  6

ÉTATS-UNIS

Triplice 1914- Allemagne, AutricheHongrie, Empire Ottoman 1915- Bulgarie

ROYAUME-UNI

PORTUGAL Londres

ESPAGNE

Paris

NORVÈGE

HOLLANDE

FRANCE

SUÈDE

DAN. ALLEMAGNE

SUISSE

Berlin

ALGÉRIE Vienne

ITALIE

TUNISIE

Petrograd

AUTRICHEHONGRIE

GRÈCE

Moscou

Bucarest

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SERBIE Belgrade

R

RO UM AN

MONT. ALBANIE

Sofia BULGARIE

U

S

S

I

E

Constantinople

LIBYE

EMPIRE Le Caire

ÉGYPTE

Alep Jérusalem Damas

Bakou

OTTOMAN Bagdad

PERSE

L’Europe en guerre La Grande Guerre

33

Le film de la guerre

FICHE  6 1914

Me

Maubeuge

Vimy V-VII 1915 IV-VII-IX 1917

Amiens

Maëstricht

3e 4e

Oi s e

Somme VII-XI 1916

Laon

Sedan

Reims Meaux

Verdun II-IX 1916

Luxembourg Thionville

Marne

Se ine

Fortifications françaises

Linge VII-XII 1915

Épinal

Ma

rie zu

RUSSIE

Tannenberg

Varsovie Brest-Litovsk POLOGNE Cracovie

Przemysl Offensives des Austroallemands en 1915

Nancy

Offensives allemandes (août 1914) Contre-offensives françaises (septembre 1914) Front au début de la bataille de la Marne (septembre 1914) Front stabilisé (novembre 1914- mars 1918) «Boucheries»

Vi stu le

Metz

Champagne IX-X 1915

Toul

FRANCE

Prusse

Lemberg

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Aisne

Dvinsk

Dnie p

Argonne V-X 1915

en

Danzig

le sel Mo 5e

LUX.

Chemin des Dames IV 1917

Paris

1re 2e

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armées

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BELGIQUE Bruxelles

Lille

Artois V-IX 1915

Empires centraux États de l’Entente

ALLEMAGNE

t Escau

ALLEMAGNE

Flandres IX 1914 V-VII 1917

e sell Mo

Ostende Dunkerque Calais

1915

Offensive Broussilov (1916)

AUTRICHEHONGRIE Offensives russes de l’été 1914 Front de l’armistice de BrestROUMANIE 0 Litovsk (décembre 1917)

Belfort 50 km

200 km

Fortifications allemandes

4 août

Les Allemands violent la neutralité belge. Les forces françaises perdent la « bataille 18-23 août des frontières ». Offensive russe à Tannenberg et aux lacs 19 août Mazures. Les avant-gardes allemandes sont à 2 sept. Meaux et à Senlis. Début de la contre-offensive menée par 6 sept. Joffre. Von Moltke ordonne le repli de son aile 9-12 sept. marchante. « Course à la mer » et stabilisation du oct.-nov. front.

Débarquement des troupes de l’Entente aux Dardanelles. Hindenburg et Ludendorff font reculer les forces russes de 500 km et mettent hors de mai-oct. combat 2 millions de soldats. Échec des offensives de Joffre en Artois, en Champagne. octobre Offensive bulgare contre la Serbie. 24 avril

1916 Le corps expéditionnaire évacue les Dardanelles pour Salonique. 21 févr. Début de l’offensive allemande à Verdun. 31 mai Bataille navale du Jutland (Danemark). Échec des offensives de l’Entente sur la juin Somme, de l’Allemagne à Verdun. juinÉchec des troupes russes face aux août Autrichiens. oct.Les forces de l’Entente récupèrent leurs déc. positions à Verdun. 9 janv. front le 21 févrie r1 9

Douaumont

Cote 304 Avocourt Verdun

La Grande Guerre

Vaux

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Souville se Meu

34

rée» «Voie sac

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Fort Extrême-avance allemande (juillet) Voie ferrée

0

16

Mort-Homme

Les Éparges

St-Mihiel

10km

1917 31 janv. 21 févr. 2 avril avril mai juin juil.-déc. oct. 7 nov.

Début de la guerre sous-marine à outrance dans l’Atlantique. Révolution en Russie. Entrée en guerre des États-Unis. Batailles de Craonne, du Chemin des Dames, en Champagne. Début des mutineries dans l’armée française. Arrivée des premiers soldats américains. Offensive éclair d’Aqaba à Jérusalem des Bédouins conduits par Lawrence. Succès allemands et autrichiens dans le nord de l’Italie, à Caporetto.

Angora

TURQUIE

21 mars

Zone de la révolution des bédouins du désert encouragée par Londres

LIBAN Damas

Offensive arabe conduite par Fayçal allié des Anglais, et les Bédouins guidés par Lawrence

PALESTINE

Gaza 7-11-1917

Le Caire

Suez

Jérusalem 6-12-1917

Aqaba 6-7-1917

ÉGYPTE Ni

l

26 sept. 27 oct. 29 sept. 30 oct. 3 nov. 11 nov.

Beyrouth

Offensive du Gl. Allenby

ais

18 juil.

SYRIE

Protectorat britannique

Angl

avr.-juil.

Chypre

L’Empire ottoman en 1914

Révolution bolchevique.

Paix séparée entre les Russes et les Allemands à Brest-Litovsk. Début des offensives allemandes à SaintQuentin. Les Allemands multiplient les percées et atteignent la Marne. Deuxième bataille de la Marne et début de la contre-offensive alliée. Offensive générale alliée. Victoire italienne à Vittorio Veneto. Armistice signé par la Bulgarie. Armistice signé par l’Empire ottoman. Armistice signé par l’Autriche-Hongrie. Armistice signé par l’Allemagne.

Alep

L’Offensive de Palestine

1918 3 mars

FICHE  6

Mer Noire Constantinople

0

200 km

El Ouedj

HEDJAZ

Les Anglais au Proche-Orient

Pistes bibliographiques Jean-Jacques Becker, Les Français dans la Grande Guerre, R. Laffont, 1980. – et al., Guerre et cultures, 1914-1918, Armand Colin, 1994 : un ouvrage collectif rédigé par les meilleurs spécialistes sur la culture de la guerre. Des articles du Dictionnaire historique de la vie politique française au xxe siècle, PUF, nelle éd. 2003, sous la direction de Jean-François Sirinelli. Le centième anniversaire de la Grande Guerre a été l’occasion d’établir un site www.centenaire. org/fr. Des colloques ont permis d’actualiser nombre de problématiques, en particulier celles sur la guerre comme matrice au « proto-fascisme ».

La Grande Guerre

35

FICHE 7

La nouvelle Europe en 1919 Le congrès des vainqueurs

L

es xix e et xx e siècles ont en commun de s’ouvrir par des sommets diplomatiques fondateurs d’un nouvel ordre politique : au congrès de Vienne, réuni en 1815, fait écho la conférence de Paris qui se clôt le 28 juin 1919 dans la galerie des Glaces du château de Versailles par la signature du traité du même nom. À Paris, mille délégués représentant 27 nations victorieuses retranscrivent dans l’encre des traités le nouveau rapport de forces tout en tenant compte des « Quatorze points » énoncés le 8 janvier 1918 par le président Wilson. La conférence se déroule sur un fond de tensions sociales, de difficultés économiques aggravées par un mal nouveau, l’inflation. Elle doit faire vite car l’espérance bolchevique embrase l’Europe et alimente les grèves qui secouent les vainqueurs, comme les vaincus. Sans tomber dans une analyse téléologique du traité de Versailles, reconnaissons que les contradictions initiales hypothèquent la négociation du printemps 1919. L’absence des vaincus fragilise d’emblée l’édifice élaboré par le conseil des Quatre se réunissant à partir du 23 mars. À l’inverse du congrès de Vienne qui associe la France à certaines de ses délibérations, la conférence de la paix ignore les puissances centrales ; dès lors, le traité découvert le 7 mai par la délégation allemande est ressenti comme un Diktat : toutes ses clauses faisant de l’Allemagne et de ses alliés les seuls responsables de la guerre (→ fiche 5) nourrissent un ressentiment mis à profit par les partis nationalistes. De même, le rattachement du pacte – Covenant – créant la SDN (→ fiche 8) aux traités de paix jette un discrédit sur la Ligue des Nations. Le refus de prendre en compte l’inconnue bolchevique, « une charade,

36

La nouvelle Europe en 1919

enveloppée dans un mystère, à l’intérieur d’une énigme », selon la formule ultérieure de Churchill, pèse lui aussi. Enfin, les différences de point de vue entre les vainqueurs eux-mêmes expliquent nombre de limites : comment concilier l’ambition des dirigeants français attachés à un anti-traité de Francfort (mai 1871) avec l’attachement des Britanniques à une politique d’équilibre ? Comment réaliser les promesses secrètes faites à l’Italie en 1915 par le pacte de Londres tout en respectant le principe de diplomatie ouverte défendu par le président américain ? La fragilité du système versaillais, qui ne dure qu’une quinzaine d’années, (→ fiche 15), exprime les ambiguïtés d’une paix bancale.

Une « miniaturisation des haines nationales » (F. Furet) En 1919, l’Europe connaît un processus équivalent à une décolonisation interne. En effet, les empires multi-ethniques allemand, austro-hongrois, ottoman et russe cèdent la place à des États fondés sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ainsi s’achève la phase commencée en 1776, avec la révolution américaine, théorisée par les révolutionnaires de 1789/92, et appliquée pendant le xixe siècle. L’émergence de ces petits États-nations en Europe centrale, entourés de frontières plus ou moins hermétiques, reposant sur une réécriture de leur histoire nationale, ne met pas un terme aux litiges frontaliers, aux frustrations de minorités nationales. Les traités de paix sont donc le terreau nourricier des leaders et des partis révisionnistes qui dominent l’entre-deux-guerres.

FICHE  7 0

300

600 km SUÈDE

FINLANDE

NORVÈGE

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RUSSIE

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ALLEMAGNE BEL.

Rhénanie Sarre

TC

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OCÉAN ATLANTIQUE

FRANCE

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MER NOIRE

BULGARIE ALBANIE

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ESPAGNE GRÈCE

PORTUGAL

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MER MÉDITERRANÉE

SYRIE LIBAN

TR AN

PALESTINE

I. Horogénèse des frontières ARABIE

Zone contestée

IRAK

ARABIE

Zone à plébiscite

Frontières tracées en 1919 Nouveaux États

II. Contestations

IE AN RD SJO

Zone démilitarisée Zone placée sous contrôle de la SDN Mandat confié par la SDN à la France Mandat confié par la SDN au Royaume-Uni

L’Europe des vainqueurs L’Europe des vainqueurs

La nouvelle Europe en 1919

37

Paix et violence jusqu’à la signature du traité de Versailles

FICHE  7

8 janvier 1918 11 novembre 14 décembre 16 janvier 1919

Les « Quatorze points » de Wilson. Armistice avec l’Allemagne. Arrivée du président Wilson à Paris. Second renouvellement de l’armistice.

janvier 18 janvier

Échec de l’insurrection spartakiste à Berlin. Séance inaugurale de la conférence de la paix à Paris.

fin janvier

Mutinerie dans les troupes anglaises à Calais.

janvier 15 février 16 février

Conquête de Kiev et de l’Ukraine par l’Armée rouge. Départ de Wilson pour les États-Unis. Troisième renouvellement de l’armistice.

mars

Offensive des armées blanches en Russie.

9-14 mars

Mission de William Bullitt à Moscou. Rejet par les Anglo-saxons des revendications françaises sur la Rhénanie.

22 mars 23 mars avril 24 avril mai

Formation d’un gouvernement de type bolchevique par Béla Kun en Hongrie. Première réunion du conseil des Quatre qui se substitue à celui des Dix. Mutinerie des marins français de la flotte de la mer Noire. Grève générale à Rome, à Milan. Départ de la délégation italienne qui proteste contre l’attitude des Alliés leur refusant Fiume.

7 mai

Répression de la République soviétique de Bavière. Remise à la délégation allemande du projet de traité de paix.

10 mai

Les Quatre délibèrent à propos d’une reprise éventuelle des hostilités.

juin

Mouvements de grèves en France. L’Assemblée nationale allemande accepte le traité de paix. Signature du traité de paix dans la galerie des Glaces du château de Versailles.

23 juin 28 juin

Les décideurs ont la parole Woodrow Wilson (23 mars 1919)

Georges Clemenceau (28 mars 1919)

« Partout, nous avons à modifier les frontières et à changer les souverainetés nationales. Il n’y a rien qui comporte plus de dangers, car ces changements sont contraires à de longues habitudes, changent la vie même des populations. […] Il faut éviter de donner à nos ennemis même l’impression de l’injustice. Je ne crains pas dans l’avenir les guerres préparées par des complots secrets des gouvernements, mais plutôt les conflits créés par le mécontentement des populations. Si nous nous rendons nous-mêmes coupables d’injustice, ce mécontentement est inévitable. »

« [W. Wilson] élimine le sentiment et le souvenir : c’est là que j’ai une réserve à faire sur ce qui vient d’être dit. Le Président des États-Unis méconnaît le fond de la nature humaine. Le fait de la guerre ne peut être oublié. L’Amérique n’a pas vu cette guerre de près pendant les trois premières années ; nous, pendant ce temps, nous avons perdu un million et demi d’hommes. […] Vous cherchez à faire justice aux Allemands. Ne croyez pas qu’ils nous pardonneront jamais ; ils ne chercheront que l’occasion d’une revanche, rien ne détruira la rage de ceux qui ont voulu établir sur le monde leur domination et qui se sont crus si près de réussir. »

David Lloyd George (25 mars 1919) « À tous points de vue, il me semble que nous devons nous efforcer d’établir le règlement de la paix comme si nous étions des arbitres impartiaux, oublieux des passions de la guerre. »

38

La nouvelle Europe en 1919

Les Quatre Woodrow Wilson Âge Appartenance politique Fonction

Objectifs centraux

Modalité d’action

Conseillers

Destin politique

David Lloyd George

FICHE  7 Georges Clemenceau

Vittorio Orlando

64 ans démocrate

56 ans libérale

78 ans radicale

59 ans nationaliste

Président depuis les élections de 1912 et 1916.

Premier ministre en novembre 1916.

Président du Conseil depuis novembre 1917.

Premier ministre en octobre 1917.

• SDN. • Paix durable par l’application du principe des nationalités et par la libéralisation des échanges.

• « Droit de la disposition de soi-même ou du consentement des gouvernés ». • Limitation des armements et adhésion à la Ligue des Nations. • Retour à une politique d’équilibre en Europe continentale. Sens de l’équilibre et aptitude à manier les contradictions. Arthur Balfour, ministre des Affaires étrangères. Henry Wilson, chef de l’État-major impérial. Il abandonne le pouvoir en 1922.

• Sécurité de la France par la neutralisation de la rive gauche du Rhin et par une Pologne antiallemande. • Maintenir l’entente entre les Alliés. • Obtenir des réparations pour les dommages de guerre.

• Obtenir des alliés les terres « irrédentes » dans le HautAdige, en Istrie, en Adriatique.

Penchant pour l’autoritarisme, culte du secret. Stephen Pichon, ministre des Affaires étrangères.

Propension à mener la politique selon ses vues personnelles. Sydney Sonnino, ministre des Affaires étrangères

Diplomatie-spectacle, appuyée sur l’opinion publique. Lansing, secrétaire d’État. Colonel E. House.

Après le refus du Congrès de ratifier le traité de Versailles, il se retire de la vie publique en 1920. Il obtient le Nobel de la paix la même année.

Il échoue aux élections En juin 1919, il cède le présidentielles en pouvoir à F. Nitti. 1920.

Pistes bibliographiques François Furet, dans Le Passé d’une illusion, Essai sur l’idée communiste au xxe siècle, Le livre de poche, 2003, analyse les conséquences de la guerre sur les grandes transformations idéologiques du siècle, le communisme et le fascisme.

La nouvelle Europe en 1919

39

FICHE 8

La SDN Les origines du « palais de la paix »

L

a Société des Nations se nourrit d’une triple filiation : au « Siècle des lumières », William Penn, l’abbé de Saint-Pierre et Emmanuel Kant élaborent des « Projets de paix perpétuelle ». Un siècle plus tard, les efforts de Léon Bourgeois, auteur en 1896 de Solidarité dans lequel il prône le « solidarisme », aboutissent à la conférence de La Haye et à la création d’une Cour permanente d’arbitrages. Le choc de la première « guerre suicide » est l’occasion pour Wilson de parachever le projet d’une Société des Nations. Dans son quatorzième et dernier point formulé en janvier 1918, le président américain déclare : « Il faut qu’une association générale des nations soit constituée en vertu de conventions formelles ayant pour objet d’offrir des garanties mutuelles d’indépendance politique et d’intégralité territoriale aux petits comme aux grands États. » La SDN, comme plus tard l’ONU (→ fiche 36), est une association intergouvernementale, un mode nouveau d’organisation des relations internationales et une source de règles juridiques et jurisprudentielles plus ou moins respectées par l’ensemble des acteurs étatiques.

Organiser la société internationale Le but principal de la SDN est « de respecter et de maintenir l’intégrité territoriale et l’indépendance politique présente de tous les membres de la Société » (art. 10). La diplomatie traditionnelle, secrète au xixe siècle, doit laisser la place à un système ouvert, reposant sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le Pacte de la nouvelle organisation internationale entend limiter la logique de guerre par des procédures

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La SDN

de dialogue, par des mécanismes de « sécurité collective », par l’arbitrage et même par l’application de sanctions contre l’État agresseur (art. 16). Cette dynamique de paix préludera au désarmement général. Pour parvenir à ses fins, la SDN se dote de structures permanentes qui transposent dans la vie internationale les principes internes de la démocratie. L’Assemblée qui se réunit en session, chaque année au mois de septembre, en est le cœur : les décisions adoptées par tous les États membres obéissent à la règle de l’unanimité. Composée de 48 États en 1920, elle en comprend 59 en 1934. Le Conseil s’ouvre aux cinq grandes puissances, Empire britannique, États-Unis, France, Italie, Japon, et à quatre États délégués par l’Assemblée. Avec le temps, il se « démocratise » en accueillant deux nouveaux membres permanents – l’Allemagne, en 1926, la Russie, en 1934. Quant aux sièges non permanents, ils passent à six en 1922, neuf après 1926, onze en 1936. Le secrétariat, assumé par sir Robert Drummond, puis, à partir de 1932, par Joseph Avenol, coiffe l’administration permanente et les organismes ad hoc (art. 24) : parmi eux, les plus célèbres sont l’Institut international de coopération intellectuelle (Paris), l’Organisation internationale du travail (Genève), la Cour permanente de justice internationale, l’Office international Nansen pour les réfugiés, les Commissions de lutte contre l’esclavage, contre les trafics de drogues… Construit à partir de 1926 par une équipe d’architectes internationaux, le Palais des Nations domine la rive droite du lac Léman à Genève. Mais le refus du Congrès américain de ratifier le traité de Versailles, auquel est attaché le pacte fondateur de la SDN, limite d’emblée la notion de « communauté internationale ».

FICHE  8

Organigramme de la Société des Nations

La SDN

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Splendeur et misère de la SDN

FICHE  8 8 janvier 1918 28 juin 1919 1920-1921 10 janvier 1920 19 mars 1920 juillet 1920 1921 avril 1921 novembre 1921 février 1922

Les « Quatorze points » du président Wilson. Signature du traité de Versailles dont le préambule comporte le Pacte de la SDN. La SDN trouve une issue au conflit opposant la Suède et la Finlande à propos des îles d’Aland. Première réunion officielle de la SDN. Non-ratification du traité de Versailles par le Congrès américain. La conférence de Spa fixe la répartition des réparations entre les vainqueurs. Création du haut-commissariat aux réfugiés. « État des paiements » imposé à l’Allemagne. La conférence de Washington établit le rapport des forces navales pour l’avenir.

1921-1922

Le Conseil de la SDN réussit le partage de la Haute-Silésie entre l’Allemagne et la Pologne.

16 avril 1922

Traité de Rapallo entre la Russie bolchevique et l’Allemagne contre l’Europe de Versailles. Le Conseil ne parvient pas à empêcher l’occupation de la Ruhr par les troupes franco-belges. Le traité de Lausanne avalise le coup de force de Mustafa Kemal contre le traité de Sèvres. La SDN ne réussit pas à trouver une issue à la crise opposant l’Italie et la Grèce à propos de Corfou. La Yougoslavie doit accepter l’annexion de Fiume par l’Italie.

11 janvier 1923 juillet 1923 octobre 1923 janvier 1924

L’« esprit » de Genève juillet-août

Adoption à la conférence de Londres du plan de rééchelonnement des réparations allemandes ou plan Dawes. Rejet du protocole de Genève qui préconisait un arbitrage obligatoire des différends, assorti de sanctions militaires.

À Locarno, les représentants de l’Allemagne, de l’Italie, de la France, du Royaume-Uni, de la Belgique, de la Tchécoslovaquie et de la Pologne confirment et garantissent les frontières occidentales de l’Allemagne définies à Versailles. octobre 1925 Le Conseil résout le conflit frontalier entre la Grèce et la Bulgarie. 10 septembre 1926 Admission de l’Allemagne comme membre permanent au Conseil de la SDN. 1927 Fin du contrôle interallié en Allemagne. 27 août 1928 Pacte Briand-Kellogg de renonciation mutuelle à la guerre. juin 1929 Plan Young qui échelonne jusqu’en 1998 les réparations allemandes. Projet de Briand relatif à une Fédération européenne. 5 septembre 1930 Les dernières troupes françaises évacuent avec cinq ans d’avance la région de Mayence et le Palatinat. 20 juin 1931 Le moratoire Hoover suspend les versements allemands. 16 octobre 1925

Un théâtre d’ombres 18 septembre 1931 1932 février 1932 1933 14 octobre 1933 décembre 1933 juillet 1934 septembre 1934

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La SDN

Agression japonaise en Mandchourie transformée en Mandzoughuo. Tous les fonctionnaires de la SDN prêtent un serment de loyauté à l’égard de la Société et d’indépendance vis-à-vis de leur propre gouvernement. Ouverture à Genève de la conférence de désarmement. Fin des dettes interalliées. Joseph Avenol remplace sir Eric Drummond au secrétariat général de la SDN. Départ du Japon de la SDN sans réactions du Conseil. Retrait de l’Allemagne de la conférence de désarmement et de la SDN. Litvinov, le ministre soviétique des Affaires étrangères, rend publiques les nouvelles orientations de la politique extérieure de son pays : apaisement, participation critique à la SDN. Échec de la première tentative d’Anschluss de l’Allemagne sur l’Autriche. Admission de l’URSS comme membre permanent du Conseil de la SDN.

16 mars 1935 14 avril 1935 2 mai 1935 3 octobre 1935 7 octobre 1935 28 décembre 1935 7 mars 1936 juillet 1936 octobre 1936 25 novembre 1936 7 juillet 1937 13 mars 1938

L’accord franco-anglo-italien de Stresa exprime la volonté de conserver le statu quo en Europe. Pacte franco-soviétique d’aide et d’assistance « immédiate » en cas d’agression contre l’un des deux signataires et d’incapacité de la SDN. Agression de l’Italie contre l’Éthiopie, membre de la SDN. La SDN condamne l’Italie à des sanctions économiques et financières. Dénonciation des accords de Stresa par l’Italie. Entrée de soldats allemands dans la zone démilitarisée de la Rhénanie. Incapacité de la SDN à trouver une issue pacifique à la guerre d’Espagne. Signature à Berlin d’un traité d’amitié italo-allemand : naissance de l’« Axe » le 1er novembre. Signature entre l’Allemagne et le Japon d’un pacte anti-Komintern. Invasion de la Chine par le Japon.

30 septembre 1938 15 mars 1939 22 mai 1939

Plébiscite des Allemands et des Autrichiens en faveur de l’Anschluss. La conférence de Munich entérine l’annexion des Sudètes par les Allemands. L’armée allemande pénètre en Bohême et en Moravie. Pacte d’acier entre l’Italie et l’Allemagne.

23 août 1939

Pacte de non-agression entre l’URSS et le Reich.

I  septembre 1939 er

3 septembre 1939 11 décembre 1939

FICHE  8

Rétablissement du service militaire obligatoire en Allemagne.

Agression de l’Allemagne contre la Pologne. Le Conseil de la SDN ne compte plus que deux membres permanents. Déclarations de guerre du Royaume-Uni et de la France à l’Allemagne. Exclusion de l’URSS par le Conseil de la SDN.

Les Nations unies

14 août 1941

Le secrétaire général de la SDN, Avenol, suspecté de sympathie pour l’« ordre nouveau » hitlérien est obligé de démissionner. Son successeur, Sean Lester, fait transférer les activités économiques et financières de la Société à l’université de Princeton (États-Unis). Charte de l’Atlantique.

Ier janvier 1942

Déclaration des Nations unies en faveur d’un système de paix et de sécurité.

septembre 1940

octobre 1943 sept.-oct. 1944 4-11 février 1945 26 juin 1945 18 avril 1946 décembre 1946

La conférence de Moscou proclame la « nécessité d’établir […] une organisation générale fondée sur le principe d’une égale souveraineté de tous les États pacifiques, afin d’assurer le maintien de la paix et de la sécurité internationale ». La conférence de Dumbarton-Oaks définit les structures de la nouvelle organisation. À Yalta, les trois Grands élaborent la procédure de vote au sein du Conseil de sécurité et admettent un « cinquième gendarme », la France, aux côtés de l’URSS, des États-Unis, du Royaume-Uni et de la Chine. Signature de la charte de San Francisco qui entre en vigueur le 24 octobre. Dernière séance de la SDN à Genève avant sa dissolution. Le siège de l’ONU est fixé à New York.

Pistes bibliographiques Marie-Claude Smouts et Guillaume Devin replacent Les Organisations internationales, coll. « U », Armand Colin, 2011, dans une perspective historique, sociologique et politique.

La SDN

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FICHE 9

Les désordres européens au début des années 1920 Cette « grande lueur à l’Est »

A

vec la Grande Guerre, disparaît définitivement le « concert » européen imaginé un siècle plutôt par Metternich pour combattre le libéralisme, la démocratie et le sentiment national. À partir de 1917, le bolchevisme, les désordres économiques et les frustrations nationales minent l’ordre des vainqueurs (→ fiche 7). La Russie bolchevique qui n’est pas un État traditionnel mais une « idéocratie », ou théocratie sécularisée, alimente les déséquilibres. La vague rouge qui secoue l’Europe, de l’Est vers l’Ouest, reflue à partir de 1920. Néanmoins, les chancelleries s’interrogent sur l’attitude à adopter vis-à-vis de ce « corps étranger ». Faut-il entourer l’« abcès » bolchevique d’un « cordon sanitaire », anticipation du containment (→ fiches 10 et 21) ? le refouler par la force ? ou discuter avec ses dirigeants selon les modalités classiques de la diplomatie ? Tour à tour, les pays capitalistes ont ces trois attitudes tandis que le traité de Rapallo, 16 avril 1922, scelle le rapprochement entre les deux oubliés de la conférence de Versailles, l’Allemagne et la Russie.

Un mal nouveau, l’inflation L’inflation qui atteste des rigidités nées de la guerre remplit deux fonctions processives : pendant la conflagration, elle permet le financement des opérations militaires ; dans l’après-guerre, « extraordinaire jeu d’écriture » (A. Sauvy), elle facilite le désendettement des États et des industriels qui reconstruisent.

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Les désordres européens au début des années 1920

À l’inverse, le mal inflationniste désoriente l’opinion publique peu au fait de ce processus inconnu avant 1914 ; l’inflation ruine les titulaires de revenus fixes ; elle affaiblit le lien entre les gouvernés et leurs gouvernants accusés de ne rien faire pour préserver la monnaie. La géographie des convulsions économiques, monétaires et sociales, va décroissante de l’Est vers l’Ouest. Les États vaincus sont plus atteints que les vainqueurs ; les pays du front sont plus vulnérables que ceux de l’arrière… Partout, les pouvoirs publics accumulent les erreurs de politique économique. Pouvait-il en être autrement alors même qu’ils ne disposent ni d’indicateurs statistiques, ni de théories adéquates, ni de références historiques comparables ?

La fragilité de la démocratie Le bouleversement des valeurs déstabilise les sociétés européennes : en Allemagne, l’opinion publique s’enthousiasme pour le « sorcier » Schacht qui parvient « miraculeusement » à résoudre la terrible crise inflationniste de 1923 ; en France, Poincaré accède au rang de sauveur de la France en faisant reculer l’inflation, fossoyeur du Cartel des Gauches en 1926, et en rétablissant le lien de confiance entre les Français et leur « franc à quat’sous ». Et comme un immense arc périphérique, l’Europe méditerranéenne, mais aussi certains pays d’Europe orientale, basculent dans la dictature plus ou moins conservatrice. Frustrations nationales, fragilité de la démocratie, crise économique, rôle de leaders charismatiques sont quelques-uns des facteurs favorables à la mise entre parenthèses de la démocratie.

FICHE  9

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Les fragilités de l’Europe au lendemain de la Grande Guerre

Les désordres européens au début des années 1920

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FICHE  9

Lexique : l’inflation Le xxe siècle est celui de l’inflation par opposition à un xixe siècle qui l’ignorait, exceptions faites des guerres, des révolutions et des crises « pénurieuses » nées d’une offre insuffisante de céréales. D’emblée, l’inflation pose problème car elle se confond avec ses symptômes : l’augmentation des prix, la dévalorisation de la monnaie… La pluralité des définitions de l’inflation exprime cette ambiguïté. Dans la lignée des quantitativistes, le théoricien monétariste, Milton Friedman, envisage l’inflation comme « partout et toujours un phénomène d’origine monétaire ». Une telle définition met l’accent sur le rôle clef des Instituts d’émission chargés de fournir les liquidités aux agents économiques. La Grande Guerre place la banque centrale au cœur de l’État : à côté de ses fonctions traditionnelles, prêteur en dernier ressort, émetteur de monnaie et régulateur des taux d’intérêt, l’institut d’émission en acquiert une nouvelle, celle de bailleur de fonds. Dès lors, la banque, partenaire essentiel dans le circuit de financement du Trésor, se croit investie d’une nouvelle mission, cette fois très politique : celle de restaurer la confiance dans la monnaie en respectant des principes libéraux. La carrière de Hjalmar Schacht, président de la Reichsbank en 1923, ministre du Reich dix ans plus tard, vérifie cette dimension politique du banquier. Selon d’autres spécialistes, l’inflation naît « lorsque le débit des flux monétaires augmente par rapport à celui des flux réels, composés de biens et de services ». Cette définition de Jean

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Les désordres européens au début des années 1920

Marczewski met l’accent aussi bien sur l’offre de monnaie trop abondante que sur les rigidités de la demande. Aux lendemains de la guerre, en particulier dans les pays du front, le marché du travail est durablement déséquilibré par l’hécatombe démographique ; à cela s’ajoutent les pénuries de toute sorte qui pèsent sur l’appareil productif : la France, la Belgique, l’Italie du Nord manquent de charbon, ont des difficultés de transport… à un moment où la demande différée des ménages, des entreprises et de l’État est très forte, du fait de la reconstruction. L’inflation est autant un mode de résorption des déséquilibres qu’elle enfante de nouveaux dysfonctionnements. L’historien, quant à lui, insiste sur la durée de l’inflation, sur ses effets généraux, sur les déphasages entre le processus inflationniste et la culture des hommes politiques. Jean Bouvier écrit ainsi que l’inflation est un « gonflement non éphémère et non homogène du niveau général des prix, de l’ensemble des revenus et de la masse monétaire ». L’inflation, qui chemine dès 1915-1916, enfle en 1917, pour éclater aux lendemains de la conflagration. À la fin de 1918, la disparition des mécanismes de surveillance, contrôle des marchés de change, fixation autoritaire des prix… facilite la dérive des prix, des salaires et de la masse monétaire à laquelle les décideurs ne sont pas préparés. Le mot même d’inflation n’existe pas avant 1914 ou alors, quand il est utilisé, il n’a qu’une signification médicale : c’est un traumatisme, une enflure d’un muscle !

La crise inflationniste de 1923 en Allemagne

juillet 1914

Le cours du dollar en reichsmarks 4,2

Les facteurs d’évolution L’encaisse or de la Reichsbank diminue du fait des achats de céréales outre-Atlantique. Reconnue coupable par l’article 231 du traité de Versailles, l’Allemagne signe le 28 juin 1919 un « chèque en blanc » puisque le montant des réparations n’est pas fixé.

1919

janvier 1920 juillet 1920

64,8 39,5

janvier 1921

76,7

janvier 1922

191,8

juillet 1922

493,2

janvier 1923

17 792

juillet 1923

353 410

août 1923

4 620 455

sept. 1923

98 860 000

oct. 1923

25 260 203 000

15 nov. 1923

FICHE  9

4 200 000 000 000

Début de la conférence de Spa qui doit fixer l’état des paiements. Les forces franco-anglaises occupent Düsseldorf et Duisbourg pour obtenir l’exécution des clauses de désarmement et des réparations. En avril, le montant des réparations de 132 milliards de marks-or équivaut à deux années et demie de revenu national d’avant-guerre. Raymond Poincaré remplace Aristide Briand à la tête de la présidence du Conseil. Walter Rathenau, ministre allemand des Affaires étrangères, assez proche des milieux financiers anglo-saxons, est assassiné par des nationalistes. Le 14 novembre, le nouveau chancelier Cuno décide de ne pas exécuter le traité. Le 11 janvier, Poincaré ordonne l’occupation de la Ruhr par des forces militaires franco-belges : l’outil productif est administré par la MICUM, Mission interalliée de contrôle des usines et des mines. Résistance passive des travailleurs allemands : la production de charbon diminue. Démission de Cuno le 12 août et remplacement par Gustav Stresemann. Le 26 septembre, le nouveau chancelier annonce la fin de la résistance passive. Les industriels de la Ruhr entrent en contact avec la MICUM. 1er octobre : tentative de putsch de la Reichswehr noire. 8 novembre : putsch de la brasserie à Munich par Hitler. Le 15 novembre, le ministre Luther et le gouverneur de la banque centrale, Schacht, prennent en main les finances de la République : émission du Rentenmark. Sur les marchés des changes, le franc est attaqué.

Pistes bibliographiques Le Monde d’hier, Souvenir d’un Européen, Belfond, rédigé par Stefan Zweig, juste avant son suicide au Brésil, en 1942, est un exceptionnel témoignage sur les ruptures induites par la Première Guerre mondiale. Marc Nouschi, La Démocratie aux États-Unis et en Europe (1918-1989), coll. « U », Armand Colin, 1999.

Les désordres européens au début des années 1920

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FICHE 10

Les bolcheviques assiégés Un empirisme total

H

uit jours pour prendre le pouvoir en octobre 1917, quelques semaines pour transformer l’armistice de Brest-Litovsk en une paix « carthaginoise » avec l’Allemagne, le pouvoir bolchevique improvise la construction de la cité idéale prolétarienne. Nulle référence, Karl Marx et Friedrich Engels sont plus les théoriciens des contradictions du capitalisme que les architectes du socialisme en devenir ; nulle expérience à laquelle se raccrocher si ce n’est l’éphémère Commune de Paris, revue et corrigée par la mystique marxiste-léniniste ; Lénine, surnommé le « vieux » par ses compagnons révolutionnaires, édifie l’« État bolchevique » en se référant souvent à l’économie de guerre allemande (→ fiche 6). Le Conseil des commissaires du peuple est comme dévoré par l’urgence qu’il contrôle peu ou pas du tout.

Les guerres de la Russie bolchevique Entre 1918 et 192 1, le pouvoir bolchevique fait face à quatre guerres qui s’enchevêtrent les unes aux autres. La première oppose les partisans de Lénine aux SR, socialistes-révolutionnaires, hostiles aux conditions de la paix de mars 1918. Le prix à payer à l’Allemagne est énorme : perte des provinces baltes, de l’Ukraine et de la région caucasienne (→ fiche 6), soit la moitié des ressources industrielles et agricoles. L’appel des bolcheviques à la lutte des classes dans les campagnes fournit aux SR des soutiens en nombre croissant. Pour retrouver une légitimité contestée, le Sovnarkhom confie à la police politique, la Tcheka, les pleins pouvoirs.

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Les bolcheviques assiégés

La deuxième guerre voit les rouges combattre une coalition hétéroclite composée de prisonniers tchèques libérés qui occupent le transsibérien, de forces occidentales débarquant dans les régions périphériques de la Russie. Dès le printemps 1918, Trotski imagine un système mixte mêlant conscription obligatoire et encadrement des officiers par des commissaires politiques : ainsi naît l’Armée rouge. La troisième guerre met aux prises les bolcheviques aux verts, les paysans, et aux blancs qui, regroupés à l’est de l’Oural, occupent la vallée de la Volga en mai 1918. Un an plus tard, l’amiral Koltchak, venant de Sibérie, marche sur Moscou. Et à la fin de l’été 1919, les généraux Dénikine et Yudenitch convergent de l’Ukraine et de l’Estonie vers les centres de pouvoir. La guerre est alors très fluide, avec des avancées et des reculs aussi rapides que surprenants. La quatrième guerre est faite d’appels à la révolution mondiale lancés de Moscou, de Bakou aux « esclaves colonisés » : son GQG est la IIIe Internationale, « parti mondial de la révolution socialiste », son arme essentielle, la radio, ses bataillons, les partis communistes formés à partir de 1920. Au total, les rouges profitent de leur position centrale alors que leurs adversaires mal coordonnés opèrent à la périphérie ; la force de l’idéologie quasi messianique qui les anime fait du parti-État un instrument d’une efficacité redoutable ; enfin, les blancs ne parviennent jamais à rallier les verts, les masses rurales, qui redoutent plus que tout le retour à l’avant 1917. Le « communisme de guerre » peut certes s’enorgueillir de la victoire en 1921. L’appellation même pose problème car Lénine ne bâtit pas le communisme mais un « capitalisme d’État » capable de soutenir la dictature du parti qui s’exerce contre les soviets.

ESTONIE

Yudenitch

LETTONIE

Méditerranée

Wrangler

Varsovie

POLOGNE

B LITUANIE

Mer Noire

Kiev

Toula

Moscou

Petrograd Kazan Omsk

Koltchak

Décem bre 19 1 9

Décembre 1920

Transib érien

Vladivostok

Déconstruction d’un empire et reconquête des bolcheviques

Bakou

Transibérien

Printemps 1919

Territoires sécessionnistes, indépendants

Territoires restés constamment sous contrôle bolchevique

Armée blanche

Intervention occidentale

Nouveaux États créés

Océan Pacifique

Transibérien

Frontières de l’URSS en 1922

Territoires occupés en 1921

Territoires occupés en 1920

Territoires perdus par la Russie bolchevique

Limites de l’occupation allemande (X/1818)

II. la reconquête Territoires occupés en 1919

FINLANDE

LITUANIE

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tiq

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Frontières de 1914

I. la nouvelle donne née de la guerre et de la révolution

FICHE  10

Les bolcheviques assiégés

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Lénine (1870-1924) ou la « résistible ascension » d’un révolutionnaire

FICHE  10 1870

Naissance de Vladimir Ilitch Oulianov dans une famille anoblie du fait des fonctions occupées par le père.

1887-1893

Étudiant en droit, il découvre le Capital de Marx. Son frère qui complote contre le tsar, Alexandre III (l881-1894), est exécuté. La famille Oulianov est ostracisée. Vladimir Ilitch est exclu de l’université de Kazan.

1895

Avocat marxiste, il rencontre en Suisse Plekhanov qui avait quitté la Russie en 1880. Ce dernier traduit Marx en russe et veut faire connaître dans son pays cette « algèbre de la révolution ». Après sa rencontre avec Plekhanov, Lénine est convaincu de la nécessité de créer un groupe révolutionnaire, l’Union de lutte pour la libération de la classe ouvrière. L’Union joue un rôle clef dans la grève du textile en 1896. En décembre 1895, Lénine est arrêté par la police politique, l’Okhrana.

1895-1900

Après un an de prison, Vladimir Ilitch est assigné à résidence en Sibérie, à proximité de la Léna : il y acquiert le pseudonyme de Lénine. Libéré, Lénine, Martov et Potresov lancent un journal clandestin, l’Iskra, L’Étincelle, pour diffuser leurs thèses : le premier numéro paraît à Leipzig en décembre 1900. Lénine, comme tant d’autres révolutionnaires exilés, partage sa vie entre Londres, Paris (1908-1912), l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie.

1903

Dans ses articles et ses ouvrages, Que faire ? (1902), Lénine exalte l’ancrage idéologique du parti, plaide pour un noyau de « révolutionnaires professionnels » mettant en œuvre la dictature du prolétariat. Une telle conception divise le parti ouvrier social-démocrate russe, POSDR, réuni en congrès à Londres en 1903 : aux bolcheviques s’opposent les mencheviques, partisans d’un grand mouvement de masse, de type occidental, à la structure plus souple. Trotski dénonce alors les méthodes léninistes qui « conduisent l’organisation du parti à se substituer au parti, le Comité central à l’organisation du parti, et finalement le dictateur à se substituer au Comité central. »

1905

Pendant la révolution de 1905, Lénine qui déteste le spontanéisme révolutionnaire, se borne à un rôle d’observateur critique de la « grande répétition ». L’échec de la révolution de 1905 conduit Lénine à souhaiter une alliance – la smyc̃ka – entre la paysannerie et la classe ouvrière.

1912

En janvier, Lénine réunit ses partisans à Prague où il crée un parti bolchevique indépendant, coiffé par un Comité central (CC) de sept membres, diffusant ses analyses et ses mots d’ordre dans la Pravda.

1913

1914-1917

1917

50

Lénine demande à Staline d’écrire un article sur Le Marxisme et la question nationale : le futur État bolchevique sera centralisé tout en reconnaissant le droit à la sécession à chaque nationalité. Tandis que Plekhanov adhère à l’Union sacrée, Lénine participe aux conférences pacifistes de Zimmerwald (septembre 1915) et de Kienthal (avril 1916). Là il prône le slogan : « La paix aux chaumières, la guerre aux palais, la paix au prolétariat et aux travailleurs, la guerre à la bourgeoisie. » Durant son exil en Suisse, il rédige L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme. Les bolcheviques qui n’avaient que 2 000 militants en Russie, profitent de l’amnistie décidée par le gouvernement provisoire (GP) : leurs dirigeants exilés rentrent en Russie, la Pravda reparaît. Lénine quitte la Suisse le 9 avril, arrive à Petrograd, une semaine plus tard. Le 17, il expose les dix thèses d’avril : défensisme révolutionnaire, hostilité au GP, édification d’une république des soviets. L’audience des bolcheviques croît dans les soviets ; en juillet, ils tentent un coup de force, échouent, se réfugient en Finlande. Lénine rédige L’État et la révolution, utopie consacrée à « l’État-commune ». Les 24-25 octobre, une poignée d’activistes s’empare du pouvoir à Petrograd. « Tout cela donne le vertige ». Le 8 novembre, Lénine préside le Conseil des commissaires du peuple. Il dirige la Russie bolchevique, devenue URSS, en décembre 1922, jusqu’à sa mort, le 21 janvier 1924.

Les bolcheviques assiégés

La formation de l’URSS juin 1917

Déconstruction… • Gouvernement autonome d’Ukraine

… Reconstruction de l’Empire • Premier gouvernement soviétique d’Ukraine

décembre 1917 4 janvier 1918

• Indépendance de la Finlande

janvier 1918

• Proclamation de la République d’Ukraine dont l’indépendance est reconnue dans le traité de Brest-Litovsk de mars 1918

mars 1918

• Proclamation de la République soviétique tataro-bachkire

avril 1918

• Proclamation éphémère de la République fédérale transcaucasienne qui se scinde en trois États en mai

mai 1918

• Indépendance de l’Arménie, de la Géorgie, de l’Azerbaïdjan • Proclamation de la RSFSR

juillet 1918

• République soviétique de Biélorussie

janvier 1919 avril 1919

FICHE  10

• Occupation de la Biélorussie par les armées polonaises • Les troupes bolcheviques occupent l’Ukraine

décembre 1919 2 février 1920

• Traité de paix signé avec l’Estonie

7 mai 1920

• Traité garantissant l’indépendance de la Géorgie

12 juillet 1920

• Traité de paix signé avec la Lituanie

11 août 1920

• Traité de paix signé avec la Lettonie

avril 1920

• Coup de force bolchevique en Azerbaïdjan

juin 1920

• Intégration de l’Ukraine

août 1920

• République soviétique de Biélorussie

novembre 1920

• Traité d’alliance avec l’Azerbaïdjan République soviétique d’Arménie

décembre 1920

• Traité avec l’Ukraine

février 1921

• Invasion de la Géorgie par les troupes bolcheviques

mars 1921

• Union des républiques socialistes, soviétiques du Caucase

avril 1921

• Rép. socialiste, soviétique d’Arménie

mai 1921

• Traité avec la Géorgie

juin 1921

• Traité avec la Biélorussie

septembre 1921

• Traité avec l’Arménie

30 novembre 1922

• Proclamation de l’URSS qui réunit la RSFSR, l’Ukraine, la Biélorussie et la Transcaucasie

D’après M.-P. Rey, De la Russie à l’Union soviétique : la construction de l’Empire, 1462-1953, Hachette, 1994.

Pistes bibliographiques Martin Malia a écrit une remarquable synthèse du système soviétique dans La Tragédie soviétique, Histoire du socialisme en Russie, 1917-1991, col. « Points », Le Seuil, 1999.

Les bolcheviques assiégés

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FICHE 11

Les frontières du Moyen-Orient contemporain La question du Moyen-Orient

L

a question du Moyen-Orient s’inscrit dans le droit fil de celle dite d’Orient (→ fiche 4). Elle surgit avec l’effondrement de l’Empire ottoman aux lendemains de la Grande Guerre pour perdurer jusqu’à nos jours (→ fiche 30). Vingt-cinq ans avant la décolonisation en Asie, la région moyen-orientale connaît un processus complexe mêlant indépendances inachevées, formation de consciences nationales et frustrations déstabilisatrices. Le vide provoqué en 1918 par la défaite de l’Empire ottoman, allié de la Duplice, suscite l’espoir chez les Arabes auxquels Londres avait promis la constitution d’un Royaume. Mais ces engagements, mis en pratique par le colonel Lawrence, sont contradictoires avec la déclaration Balfour relative à la constitution d’un « Foyer national juif » en Palestine et avec les accords secrets conclus en mai 1916 entre les diplomates Sykes et Picot. Le Royaume arabe dure moins d’un an, tandis que Paris et Londres travestissent leurs visées stratégiques sous couvert des mandats confiés par la SDN. Les deux puissances n’hésitent pas à modifier au gré de leurs intérêts les frontières : ainsi, Londres annexe la zone de Mossoul, riche en pétrole, placée à l’origine sous influence française. De même, le Foreign Office crée la Transjordanie pour renforcer son influence dans une région considérée comme une chasse gardée. Disposant en permanence de plusieurs fers au feu, souvent contradictoires, Londres n’hésite pas à changer brutalement de politique : jusqu’en 1931, l’Angleterre joue la carte du sionisme pour s’appuyer ensuite sur le monde arabe (→ fiche 30). Les ambitions révisionnistes d’une puissance régionale changent aussi le tracé des

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Les frontières du Moyen-Orient contemporain

frontières : entre 1920 et 1923, Mustafa Kemal récupère par la force la région côtière de Smyrne. Ce faisant, il refuse le projet d’un Kurdistan, prévu au titre du traité de Sèvres, nourrissant les frustrations du peuple kurde divisé entre cinq États (→ fiche 13). Le rêve atrophié de l’autodétermination profite aux organisations secrètes pratiquant l’activisme politique et militaire : du côté arabe, les Frères musulmans, du côté juif, la Haganah, l’Irgoun et le groupe Stern. Plus tard, durant la guerre, le parti ba’th entend adapter le socialisme aux pays arabes, en particulier en Syrie et en Irak.

Une multiplicité de grilles de lecture Le Moyen-Orient est sans aucun doute la région qui se prête le plus aux explications imprégnées de culturalisme et d’historicisme (→ fiche 41). Les culturalistes objectivent les faits culturels pour, par exemple, démontrer l’inadaptation de l’État territorial, avec des frontières fixes, aux zones désertiques parcourues par des tribus nomades ; de même, ils insistent sur le décalage entre l’origine occidentale de la nation et la tradition musulmane de l’Umma, ou communauté. L’accent pourra être mis sur les affrontements séculaires entre les adeptes des grandes religions du Livre. L’école historiciste invoque les « contraintes immuables » de l’histoire : à l’exception de l’Égypte, de la Turquie et de quelques autres, tous les pays ne seraient que des « tribus avec des drapeaux », selon la formule de l’ancien conseiller politique d’Anouar El Sadate, Tahsin Bechir.

FICHE  11

Les pesanteurs de l’histoire : les frontières du Moyen-Orient contemporain

Les frontières du Moyen-Orient contemporain

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Nationalisme, frustrations et affrontements au Proche-Orient

FICHE  11

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1906

• Révolution en Perse, proclamation d’un gouvernement constitutionnel.

1909

• Création de l’Anglo Persian Oil Company (APOC).

1912

• Formation de la Turkish Petroleum Company (TPC).

1914

• Accord entre Londres et Berlin relatif à la TPC. • L’Empire ottoman entre en guerre aux côtés des Allemands. • Londres établit son protectorat sur l’Égypte.

1915

• Les forces de l’Entente échouent dans leur tentative de débarquement dans la région des détroits. • Le haut-commissaire anglais au Caire, McMahon, promet dans sa correspondance avec le chérif Hussein de La Mecque la formation d’un royaume arabe regroupent les régions arabes de l’Empire ottoman.

1916

• Accord Sykes-Picot relatif au partage de l’Empire ottoman. • Le colonel Lawrence encourage le chérif Hussein à se révolter : son fils Fayçal prend la tête des tribus bédouines qui marchent vers le nord.

1917

• Par la déclaration Balfour, le gouvernement britannique approuve « l’établissement en Palestine d’un Foyer national juif ».

1918

• Armistice conclu avec l’Empire ottoman.

1919-1920

• De Damas, proclamation d’un éphémère royaume arabe indépendant. • Pendant les conférences de paix, des délégations venues des pays arabes réclament l’application du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Émeutes en Egypte à l’initiative du Wafd, parti nationaliste formé par Sa’d Zaghlul. • À l’issue des conférences de paix, la France et le Royaume-Uni exercent des mandats au Levant : l’Agence juive accueille les migrants en Palestine.

1920

• Proclamation du Grand-Liban « du Nahr-el-Kebir aux portes de la Palestine et aux crêtes de l’AntiLiban » (général Gouraud). • Insurrection en Irak contre la présence britannique. • Le Royaume-Uni annexe à sa « zone réservée » la région de Mossoul concédée par la France (accords de San Remo, 1920). • Par le traité de Sèvres, les Kurdes ont l’espoir de former un Kurdistan indépendant.

1920-1923

• Mustafa Kemal (1881-1938) révise par la force le traité de Sèvres.

1921

• Le colonel Reza-Khan impose son autorité en Iran : il limite au maximum le rôle reconnu au clergé chi’ite et joue la carte occidentale. • La Transjordanie accède à l’indépendance sous l’autorité de l’émir Abdallah, fils du chérif Hussein.

1922

• L’Égypte et l’Irak deviennent indépendants. En Égypte, Londres continue à protéger « ses » lignes de communications avec l’empire. • Fixation des frontières du Koweït, ancien protectorat anglais.

1923

• Le traité de Lausanne annule la formation d’un Kurdistan et d’une Arménie indépendants.

1925

• La région de Mossoul est attribuée à l’Irak par la SDN. • Concession de l’Irak à la TPC, rebaptisée Irak Petroleum Company. • Ibn Saoud chasse de La Mecque le chérif Hussein.

1925-1926

• Rébellion en Syrie, dans le Djebel Druze, contre la domination française.

1926

• Formation du royaume d’Arabie Saoudite avec le soutien de la Grande-Bretagne.

1927

• Par le traité de Djeddah, Londres entérine le coup de force d’Ibn Saoud en Arabie. Aqaba est rattaché à la Transjordanie.

1928

• Naissance du mouvement des Frères musulmans en Égypte autour du professeur Hassan al-Banna. • Entrée des capitaux américains dans l’IPC.

1929

• Affrontements violents entre Arabes et Juifs en Palestine.

1930

• Le mufti de Jérusalem et son Conseil islamique agrège le nationalisme arabe en Palestine. • Le roi d’Égypte Fu’ad abolit la constitution et réprime les partisans du Wafd.

1931

• Le congrès arabe de Jérusalem rameute l’opinion publique contre l’immigration juive.

1932

• La SDN arbitre le différend frontalier entre la Syrie et l’Irak qui accède peu après à l’indépendance. Abdel Aziz III, plus connu sous le nom d’Ibn Saoud, réunifie les tribus de la péninsule arabique et proclame l’indépendance de l’Arabie Saoudite.

Les frontières du Moyen-Orient contemporain

FICHE  11 1933

• Le roi d’Arabie Saoudite accorde une concession à la Californian Arabian Standard Oil.

1936

• Insurrection armée contre la présence française en Syrie, contre les Anglais en Palestine, en Transjordanie : des phalanges armées par les Frères musulmans combattent les Juifs en Palestine. • Mussolini appelle au soulèvement des Arabes contre les Français et les Britanniques.

1937

• La commission Peel élabore un plan de partage de la Palestine entre un État juif, un état arabe et la région de Jérusalem, placée sous mandat. • Fin du régime des capitulations en Égypte.

1938

• Le pétrole jaillit dans la région du Hassa, en Arabie Saoudite.

1939

1939-1945 1943

• Le sandjak d’Alexandrette est enlevé à la Syrie et remis à la Turquie. • Le Livre blanc britannique envisage la formation d’un seul État binational en Palestine et des restrictions sur l’immigration juive. • Pendant la guerre, de jeunes officiers égyptiens, dont Nasser, sont perméables à la propagande anti-anglaise développée par l’Axe. • La Haganah et l’Irgoun combattent l’Axe et le terrorisme arabe. • Michel Aflak, chrétien orthodoxe, fonde à Damas le parti ba’th, parti socialiste de la renaissance arabe.

1944-1947

• L’Irgoun pratique un terrorisme anti-anglais et anti-arabe.

1945

• À l’instigation de Londres, formation de la Ligue des États arabes.

1947

• L’ONU vote le partage en Palestine. • Le parti ba’th adopte sa constitution : unité, liberté et socialisme.

1948

• Formation de l’État d’Israël et début de la guerre contre les Arabes. • Le parti ba’th déçu de l’attitude occidentale et soviétique face à Israël, prône le non-alignement.

Pistes bibliographiques Rafic Boustani et Philippe Fargues présentent dans l’Atlas du monde arabe. Géopolitique et société, Bordas, 1993, une série de cartes commentées, regroupées autour de thèmes, qui permettent de débrouiller l’écheveau complexe de la question proche-orientale.

Les frontières du Moyen-Orient contemporain

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FICHE 12

La première poussée anticoloniale Le nouveau rapport de forces entre métropoles et colonies

À

 la suite des travaux de Julius Bonn, Crumbling of Empire (1939), la notion de décolonisation perd sa dimension péjorative pour exprimer le processus de « déconstruction » des empires coloniaux. Pendant la Grande Guerre, les colonies ont combattu, participé au financement du conflit et produit des matières premières stratégiques pour alimenter les machines de guerre européennes. En 1918, les attentes des élites colonisées, appuyées sur les « Quatorze points » du président Wilson et stimulées par les appels lancés par les bolcheviques aux « esclaves colonisés », cèdent vite la place à la déception (→ fiches 7, 8). Le même sang versé ne permet pas d’acquérir les mêmes droits ! Dans les métropoles au contraire, l’aveuglement est total : Paris, Londres et Tokyo récupèrent les colonies allemandes et célèbrent la grandeur retrouvée. Ainsi, l’Europe refuse les réformes nécessaires tandis que l’opinion publique s’enthousiasme pour l’expansion impériale : la presse, le cinéma, les expositions coloniales, dont celle de 1931 à Vincennes, témoignent de l’activisme du lobby colonial qui diffuse l’idée du salut par l’empire. La grande crise de 1929 accentue cette évolution : pour échapper à la spirale déflationniste, certains milieux patronaux plaident pour le renforcement de la préférence impériale. En 1932, la conférence d’Ottawa instaure des relations commerciales privilégiées entre Londres et les nations du Commonwealth (→ fiche 14).

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La première poussée anticoloniale

Les temps des colonies Les rythmes et les modalités de la première poussée anticoloniale varient selon les aires géographiques concernées (→ fiche 27). L’Amérique latine, ayant accédé à l’indépendance politique depuis un siècle déjà, subit l’hégémonie de Washington qui pratique une politique du dollar, appuyée sur des débarquements de Marines dans la « Méditerranée » des Caraïbes. Contre cet impérialisme transformant l’Amérique centrale en une nouvelle frontière, le Mexique entend défendre son indépendance politique et économique. Des révoltes fomentées par de jeunes partis communistes imités du modèle léniniste agitent l’Asie côtière. La répression dont sont victimes les communistes chinois au printemps 1927 à Shanghai les contraint à découvrir les campagnes (→ fiche 23). Dans les villes investies par les forces du Guomindang, Jiang Jieshi (1887-1975) mène une politique de modernisation économique et abolit le système des concessions. Mais à partir de 1937, la Chine « utile » excite la convoitise du Japon, déjà maître de la Mandchourie (→ fiches 17, 24 et 28). En Asie du Sud, le parti du Congrès se rallie à l’indépendance en septembre 1920. Gandhi (1869-1948) fait alors alterner campagnes de non-violence, résistance passive et négociations avec la couronne britannique. Quant à l’Afrique, elle se fragmente entre révolte ouverte – Abd el-Krim (l882-1963) est l’un des premiers à envelopper sa lutte contre la France dans un panarabisme militant – et recherche de l’assimilation. L’abaissement du prestige de l’Europe n’implique pas encore une remise en cause de sa dimension idéologique : l’Occident est encore porteur de modernité et même de liberté.

FICHE  12

La première poussée anticoloniale (1914-1930)

La première poussée anticoloniale

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Portraits de nationalistes asiatiques

FICHE  12 Gandhi (1869-1948) 1869

1893

1908

19141918

19201922 19281930 1931 1934 1937

Né dans une famille appartenant à la caste des marchands, Gandhi suit en 1888 des études de droit en Angleterre. Jeune avocat, Gandhi choisit de vivre en Afrique du Sud où il défend la communauté indienne. Durant les vingt ans de son séjour, il élabore les principes moraux et la méthode qu’il suivra tout au long de sa vie. La satyagraha, ou « revendication civique du vrai », repose sur la non-violence, la résistance passive et même le boycott. Son action permet d’améliorer le sort des Indiens en Afrique du Sud qui échappent à des mesures vexatoires ; simultanément, il incite la communauté indienne à corriger ses faiblesses et ses défauts pour la délivrer de son sentiment d’infériorité. Présent en Angleterre en août 1914, Gandhi se rallie à la cause britannique et incite les volontaires indiens à s’enrôler. Un an plus tard, il rejoint l’Inde. Au sein du parti du Congrès, il joue un rôle de premier plan, tout en prenant la défense des plus défavorisés : pour faire triompher ses revendications, Gandhi recourt au jeûne, à la désobéissance civile et à la non-violence. « Non-violence oppose toute la force de l’âme à la volonté du tyran. Un seul homme peut ainsi défier un empire et provoquer sa chute. » Un an après la loi Rowlatt qui suspend les libertés publiques et individuelles, le Congrès adopte la motion d’indépendance dans ou hors du cadre de l’Empire et organise la première campagne de désobéissance civile. En 1922, Gandhi ordonne d’arrêter le mouvement de grève générale. Arrêté, condamné à six ans de prison, il est libéré en 1924. Deuxième campagne de désobéissance civile : Gandhi mène alors la marche du sel pour diminuer les rentrées fiscales du gouvernement. Échec de la deuxième Conférence de la table ronde Il démissionne du parti pour se consacrer aux questions sociales. Son jeûne à mort fait céder les autorités anglaises qui avaient décidé la création de collèges électoraux séparés pour les Intouchables. Gandhi incite le parti du Congrès dominé par Jawaharlal Nehru à participer aux élections prévues au titre de la constitution de 1935.

1940

Après une nouvelle campagne de désobéissance civile, Gandhi lance en 1942 son slogan « Quit India ». Arrêté, il est emprisonné.

19471948

La partition de l’Inde en deux entités brise le rêve du Mahâtma d’une Inde unie ouverte aux deux communautés musulmane et hindoue réconciliées. Ses efforts heurtent le fanatisme des hindous qui décident de l’éliminer. Il meurt assassiné le 30 janvier 1948.

Mao Zedong (1893-1976) 1893 1919 1926 1927

1935

1942

1949

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Fils d’un paysan du Hunan, il entre à l’âge de vingt ans à l’école normale de Changsha. Bibliothécaire à Pékin, il s’initie au marxisme, rencontre les fondateurs du PCC, participe à la création du parti à Shanghai en juillet 1921. « Mao est alors un anarchiste éclectique fasciné par le peuple et l’organisation » (Robert A. Scalapino). Dans la lignée de Peng Pai (1896-1929), concepteur de la révolution paysanne, Mao prône l’adaptation du communisme au monde rural. Après l’écrasement des bases urbaines par les nationalistes du Guomindang, Mao organise la guérilla révolutionnaire dans le Jiangxi. Il ruralise son discours et sa pratique pour organiser la vague contestataire paysanne. La dernière campagne d’encerclement décidée par les troupes du Guomindang contraint le PCC et son armée forte de 300 000 hommes à quitter la ville de Riujin et à entreprendre la « Longue Marche ». Mao impose alors sa stratégie militaire au parti financé par le narcotrafic. L’agression japonaise le conforte dans ce choix et l’incite à vouloir réaliser un front patriotique regroupant nationalistes et communistes. Pour la première fois, Zhang Ru-Xin utilise le terme de « maoïsme » : en fait, la pratique empirique, souvent contradictoire, mêle des emprunts staliniens – centralisme démocratique, homogénéité idéologique, purges… –, moralisme confucéen – « lignes de masse », « rectification du parti » –, nationalisme et ruralisme. Vainqueur de Jiang Jieshi, après une guerre civile de trois années, Mao proclame le 1er octobre la République populaire de Chine.

La première poussée anticoloniale

Sukarno (1901-1970) 1915

1926

1929 1933 1941

1945

FICHE  12

Fils d’instituteur, le jeune Sukarno est adopté par Tjokroaminoto, chef du Sarekat Islam qui mêle affirmation de l’islam, hostilité anticoloniale et défense des intérêts économiques des commerçants. Tandis que le Sarekat Islam, qui regroupe en 1919 deux millions de fidèles, éclate en plusieurs branches, l’une tournée vers le modernisme de Mustafa Kemal, l’autre vers le socialisme marxiste, Sukarno rédige son premier grand texte politique intitulé Nationalisme, islamisme et marxisme : il ambitionne de réunir toutes les composantes nationalistes dans un grand parti, le Parti nationaliste indonésien (PNI). Arrêté par les autorités indonésiennes, condamné à quatre ans de détention, Sukarno est libéré en 1931. Peu de temps après la publication d’un ouvrage violemment nationaliste, Sukarno est emprisonné pour neuf années. Libéré par les Japonais occupant les Indes néerlandaises, Sukarno collabore à l’émergence d’une Indonésie dans la « sphère de coprospérité asiatique » tout en encourageant la résistance. Deux jours après la capitulation du Japon, Sukarno proclame l’indépendance de son pays autour des cinq principes du Pantjasila : nationalisme, internationalisme, démocratie, bien-être social, croyance en un seul Dieu. Après cinq années de troubles et de déchirements entre les différentes composantes du nationalisme, Sukarno devient en 1950 le premier président de l’Indonésie indépendante.

Pistes bibliographiques Marc Ferro dans Histoire des colonisations, des conquêtes aux indépendances, coll. « Points », Le Seuil, 1996, rédige une synthèse sur les rapports entre les métropoles et leurs colonies.

La première poussée anticoloniale

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FICHE 13

Les trois temps de la Méditerranée Une mer, caisse de résonance

M

 are clausum, divisée par la péninsule italienne en bassin occidental et oriental, la Méditerranée a été dominée au cours de son histoire par des puissances à la fois continentales et maritimes. Mare apertum, en termes économiques, politiques et culturels, elle est une caisse de résonance des grandes transformations introduites par la Grande Guerre (→ fiches 9, 10 et 11). En 1918, la Méditerranée bascule sous l’hégémonie française et anglaise qui se partagent les possessions arabes de l’Empire ottoman (→ fiche 11). Cette asymétrie favorable aux deux grandes puissances heurte les ambitions révisionnistes de l’Italie vainqueur et de la Turquie vaincue. Toutes deux utilisent la force pour rectifier le tracé des frontières et annexer des territoires ; toutes deux voient émerger des leaders nationalistes, D’Annunzio et ses arditi, Mustafa Kemal et son armée. Mais l’Italie échoue là où Kemal réussit si bien que Benito Mussolini n’a de cesse de revendiquer sa place dans la Mare nostrum. À partir de 1936, la logique de guerre l’emporte aux deux extrémités de cet espace maritime de 3 800 sur 700 kilomètres, entre Gênes et Tunis : la guerre d’Espagne est d’emblée un conflit « hyperbolique » (G. Ferrero), certes limité à la péninsule, mais annonciateur de la guerre mondiale en devenir. En Palestine, s’affrontent communautés juives et arabes (→ fiches 11 et 30) tandis que la conquête de l’Éthiopie atteste de l’impuissance du mécanisme de sécurité collective. Pour la première fois de son histoire, en 1945, la Méditerranée passe sous l’influence de la superpuissance américaine : le sabordage de

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Les trois temps de la Méditerranée

la flotte française à Toulon en 1942, la défaite de l’Italie fasciste, les difficultés financières de Londres sont mis à profit par Washington qui fait de l’espace méditerranéen une mare americanum. Car les tentatives staliniennes d’implantation dans cette zone stratégique sont circonscrites à la Yougoslavie jusqu’en 1948 et à l’Albanie.

Une mer, laboratoire Laboratoire du nationalisme arabe en quête d’identité (→ fiche 11), la Méditerranée est aussi la chambre d’écho du sionisme qui rêve de transformer le « Foyer national juif » en un État (→ fiche 29). Avec la fin de la Grande Alliance, elle est le banc d’essai du containment, défini par George Kennan en février 1946, et énoncé par le président Truman, le 12 mars 1947 (→ fiche 21). Le bassin méditerranéen présente la même fonction durant les périodes conflictuelles : en Espagne, en 1937, les escadrilles de la légion Condor expérimentent les bombardements stratégiques pour terroriser les populations ; en Crète, en mai 1941, les troupes aéroportées allemandes réalisent une opération éclair et occupent la totalité de l’île ; en novembre 1942, la réussite du premier débarquement anglo-saxon en Algérie prépare la libération de la totalité de l’Europe (→ fiche 16). Voilà qui atteste du rôle stratégique de l’espace méditerranéen : le pétrole, dont l’importance est révélée par la Grande Guerre, l’isthme de Suez, point de passage essentiel sur la route de l’Inde, les détroits turcs, régis depuis 1936 par la convention de Montreux, nourrissent les rivalités entre puissances méditerranéennes et celles extérieures à cette mer.

FICHE  13

La Méditerranée entre le premier et le deuxième

xxe siècle

Les trois temps de la Méditerranée

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La guerre d’Espagne (1936-1939)

FICHE  13

18 juillet 1936

• Soulèvement des officiers sous la direction du général Mola et du général Franco : le coup d’État réussit en Vieille Castille, au Maroc espagnol et dans quelques villes d’Andalousie. Burgos devient la capitale de la junte nationaliste. Ailleurs, les troupes du Frente popular résistent. L’objectif de la Junte de Défense nationale d’Espagne est de « rétablir l’ordre » en collaboration avec la droite et les phalanges.

Une guerre de mouvement

août

29 septembre

octobre

6 novembre

• « Sans doute, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie doivent-elles considérer notre combat avec sympathie » (Franco, le 30 juillet). • Tandis que les démocraties se cantonnent à une stricte politique de non-intervention, les puissances dictatoriales aident les nationalistes. Contre l’aide humaine et matérielle de l’Italie – 50 000 soldats en 1937 – et de l’Allemagne – 16 000 hommes –, seuls le Mexique, l’URSS et la Tchécoslovaquie expédient des armes aux républicains. • Franco qui symbolise l’« armée » devient généralissime, chef de l’État. Dans sa grande majorité, l’Église voit dans la guerre une croisade contre le marxisme athée. • Les troupes nationalistes venues du Maroc avancent de l’Andalousie vers Madrid ; au nord, la Navarre est occupée par les « rebelles » franquistes. Chaque ville, chaque région est le théâtre de la guerre civile. La Phalange devient un parti de masse, imitant les partis fasciste et nazi. • Début de la bataille de Madrid et arrivée à Séville des escadrilles de la légion Condor – une centaine d’avions, 6 500 hommes placés sous le commandement direct des Allemands.

Une guerre idéologique hiver 1936 18 novembre 1937 janvier-mars 26 avril mai 18 juin 6 juillet 26 août décembre janvier 1938 mars 16-18 mars

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• Le Komintern incite à la création des Brigades internationales qui atteignent l’effectif maximum de 40 000 hommes, dont 10 000 Français. • Reconnaissance par Berlin et Rome du gouvernement de Franco. Une semaine plus tard, signature du pacte anti-Komintern. • De « mystérieux » sous-marins, en fait italiens, attaquent les navires de commerce livrant du matériel militaire aux forces républicaines. • Trois batailles opposent les républicains et les nationalistes soutenus par les troupes fascistes italiennes autour de Madrid, sur la route de La Corogne, le long du Jararna, à Guadalajara. • Bombardement de la ville de Guernica par l’aviation allemande : 2 000 morts. Comme le souligne le général Goering, « les Allemands font des essais en Espagne ». • Affrontements violents entre communistes et anarchistes à Barcelone : les anarchistes – le POUM et les partisans de Durruti sont écartés du pouvoir. Juan Negrín forme un nouveau gouvernement. • Évacuation de Bilbao par les forces républicaines. • Pour soulager les troupes combattant au Nord, les républicains attaquent à Brunete, à proximité de Salamanque. • Sur le front du Nord, prise de Santander par les nationalistes. Un mois plus tard, c’est au tour des Asturies de connaître le même sort. • Bataille de Teruel, occupée par les républicains, avant d’être reprise par les nationalistes. C’est là que Malraux tourne le film L’Espoir. Les offensives et contre-offensives épuisent les forces nationalistes mal pourvues de matériels lourds. • Au début de l’année 1938, Franco peut compter sur 470 000 hommes et 87 000 réservistes, contre 342 000 soldats pour les républicains, aidés de 120 000 réservistes. • Les nationalistes appuyés par les escadrilles de Stukas allemands coupent, la Catalogne du reste de la zone républicaine. • Les avions italiens écrasent Barcelone sous les bombes.

Les trois temps de la Méditerranée

La victoire franquiste 24 juillet16 novembre

septembre

23 décembre 26 janvier 1939 14 février 9 mars 27 mars

31 mars

FICHE  13

• La dernière bataille de l’Èbre décide du sort final de la guerre civile : pendant les quatre mois d’affrontements, 100 000 combattants meurent. Le 16 novembre, les Républicains sont contraints de se replier sur leurs lignes de juillet. • Pendant la crise de Munich, Franco informe Londres et Paris qu’il adopterait une position de neutralité en cas de conflit européen. • Départ des 13 000 hommes des Brigades internationales alors que Franco peut toujours compter sur le matériel livré par l’Axe, via les ports contrôlés en Méditerranée et sur l’Atlantique. Un cinquième des soldats italiens quittent le théâtre d’opérations espagnoles. • Offensive sur le front de Catalogne : en six semaines, les nationalistes atteignent la frontière française, provoquant l’exode de 400 000 personnes vers la France. • Prise de Barcelone. • Gérone tombe. • Sitôt la frontière française passée, les troupes républicaines sont internées. À Madrid, les partisans communistes de Negrín et les socialistes du général Casado s’affrontent dans un combat suicidaire. • Adhésion de Franco au pacte anti-Komintern. • Fin de la guerre : les troupes italiennes défilent dans Alicante. Au même moment, l’occupation de la Tchécoslovaquie par les forces nazies provoque un revirement chez certains dirigeants des démocraties : Churchill, Roosevelt considèrent que la neutralité a facilité la victoire des forces nationalistes soutenues sans limites par les nazis et les fascistes. Par ses enjeux, ses modalités et son bilan – 1 200 000 morts –, la guerre d’Espagne anticipe sur la Seconde Guerre mondiale.

Pistes bibliographiques André Nouschi, La Méditerranée au xxe siècle, coll. « U », Armand Colin, 2009. L’article « Méditerranée » de l’Encyclopaedia universalis, et les revues Hérodote no 45, 1987 et Relations internationales, no 87, 1996.

Les trois temps de la Méditerranée

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FICHE 14

La crise de 1929 et la dépression des années 1930 Une crise rétrospective

L

a crise de 1929, souvent confondue avec la dépression des années Trente, n’est pas tant s’en faut la première crise du système capitaliste. Mais par ses caractéristiques caricaturales – effondrement du commerce mondial de 50 % en dix ans, chômage de plusieurs dizaines de millions de salariés, baisse de la production de moitié et plus… – et par ses implications politiques majeures, elle marque une rupture dans l’histoire du xxe siècle. La « Grande » Crise de 1929 sanctionne les dysfonctionnements nés de la Première Guerre mondiale (→ fiche 9) : le premier naît du refus américain d’assumer la charge du leadership. Absente de la conférence monétaire de Gênes réunie en 1922, l’Amérique protectionniste – tarif Fordney-McCumber en 1922 – ne donne pas aux pays endettés les moyens de régler leurs créances. Les États-Unis accumulent ainsi des excédents commerciaux et financiers vis-à-vis de l’Europe qui souffre d’un « dollar gap » (→ fiches 22 et 24). Le deuxième facteur de fragilité réside dans la distorsion entre les taux de croissance nationale et les flux commerciaux, plus atones. Un tel décalage pèse sur tous les pays producteurs de matières premières, des États-Unis aux économies coloniales. Dernière anomalie, le fossé entre l’offre abondante de produits du fait des gains de productivité et la demande réduite car les comportements d’épargne sont hérités du siècle passé. Ainsi, toutes les économies accumulent des contradictions favorables à l’explosion d’une « Grande » Crise qui commence, à New York, par un krach* boursier, le 24 octobre 1929. * Voir le lexique p. 66-67.

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Une crise prospective La dépression destructrice en termes de richesses et d’emplois se développe sous l’effet de sa propre dynamique et d’erreurs politiques : les gouvernants conduisent en effet des politiques économiques sans appareils statistiques élaborés, ni référence historique, ni même de théorie ad hoc. Dès lors, Brüning en Allemagne, Hoover aux États-Unis, Laval en France ne voient d’autres issues que dans le libéralisme économique et la déflation*. John Maynard Keynes n’expose qu’en 1936, dans La Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, les raisons de l’équilibre de sous-emploi et fournit des solutions pratiques aux blocages de l’investissement et de la consommation. L’échec de la conférence de Londres* en 1933 signifie le triomphe du chacun pour soi : dévaluations* sauvages, protectionnisme, repli impérial à l’image de la conférence d’Ottawa où Londres abandonne le libre-échange pour la préférence commerciale avec le Commonwealth. (→ fiche 12). L’heure est à la venue de l’homme providentiel qui incarne des solutions économiques empiriques : F.D. Roosevelt et ses New Deals, McDonald, Léon Blum et son programme « Pain, paix, liberté », tentent de préserver la démocratie tout en agissant contre la spirale déflationniste* ; Hitler, Mussolini, quant à eux, incarnent des dictatures productivistes tendues vers la guerre. Hormis le Reich hitlérien et le Royaume-Uni qui vit mieux les années Trente que la décennie précédente, toutes les autres économies présentent en 1939 un bilan ambigu : en dépit de l’extension des fonctions de l’État, la dépression n’est pas résolue.

Crise nationale, crise mondiale Facteurs de transmission

années 1920

1928

Baisse des prix des matières premières : pays commerciaux colonisés, ÉtatsUnis, France

financiers

À la suite des plans Dawes en 1924 et Young en 1929, les banques américaines multiplient leurs opérations de prêts à court terme à l’Allemagne.

1929 Stagnation du commerce mondial durant l’été, suivi d’un repli brutal à l’automne.

Réduction des exportations de capitaux américains du fait de la spéculation* au NYSE*.

Le krach* à New York, le 24 octobre, provoque la faillite des banques engagées dans la spéculation*.

monétaires

FICHE  14 1930

1931

Le protection-nisme se généralise – tarif Hawley-Smoot aux É-U – et pèse sur les économies ouvertes : R.-U., France. La faillite des banques américaines exerce des contraintes déflationnistes sur l’activité économique. Le chômage se traduit aussi par une baisse de la consommation. L’arrivée de capitaux flottants en France accentue la déflation* dans les autres économies.

La dévaluation anglaise amène de nombreux pays à renforcer le protectionnisme. Faillite du Kredit Anstalt autrichien, de la Danatbank allemande : adoption du contrôle des changes en Europe centrale, moratoire Hoover du 20 juin. La tempête financière en Europe centrale fragilise la livre : dévaluation du sterling en septembre. Les banques centrales n’entravent pas la contraction de la masse monétaire.

NB : en gras, les facteurs de déclenchement et d’amplification de la dépression ; les pays atteints par la crise sont soulignés ; les astérisques renvoient au lexique p. 66-67.

Lexique de la crise et de la dépression Autarcie : la politique d’autosuffisance menée dans le cadre d’une économie fermée est définie dès le xixe siècle, mais la pratique autarcique caractérise les années trente. L’autarcie défensive entend remédier au manque de devises par une politique de repli sur soi : aux importations se substituent les productions nationales, aux échanges des accords de troc et de clearing (compensation). Assez rapidement, l’autarcie défensive laisse la place à une politique agressive de satellisation et de conquête de territoires jugés indispensables à l’économie autarcique. L’Italie fasciste, l’Allemagne hitlérienne, le Japon militariste et l’URSS stalinienne pratiquent ce type de politique.

Bloc-or : à l’issue de la conférence de Londres, six pays, France, Belgique, Italie, Pays-Bas, Pologne et Suisse, proclament leur volonté de rester fidèles aux principes de l’étalon de change-or. Néanmoins, la libre convertibilité des monnaies en or et le refus de la dévaluation* aggravent la contrainte déflationniste. Call loans : prêts aux courtiers obtenus par téléphone auprès d’une banque. Grâce à ce type de liquidités qui facilitent les achats à la marge, le NYSE, marché au comptant, fonctionne dans les années vingt comme un marché à terme. Conférence de Londres : du 12 juin au 27 juillet 1933, les experts et les ministres des Finances des principaux pays industrialisés se réunissent

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FICHE  14

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à Londres pour tenter de prendre des mesures collectives contre la dépression. Préparée sous les auspices de la SDN, la réunion mêle l’ancien et le neuf : l’attachement à l’étalon de change-or, le contrôle concerté de la production de matières premières, d’inspiration malthusienne, s’inscrivent dans le droit fil de l’orthodoxie libérale. À l’inverse, une nouvelle répartition de l’or monétaire en faveur des pays qui en sont dépourvus, l’appel à la réduction des tarifs douaniers, l’incitation au déséquilibre budgétaire anticipent sur les décisions de 1945, créant le FMI, Fonds monétaire international, le GATT, Accord général sur les tarifs douaniers et les échanges. La conférence ne parvient pas toutefois à dégager de consensus. Déflation : inspirée du libéralisme économique, la déflation a pour objectif de faire baisser les prix internes et externes des marchandises et du travail pour faciliter le retour à la croissance. La déflation revient donc à contracter les prix, les salaires, les dépenses publiques et la masse monétaire par des moyens directs et indirects : dans la première catégorie, la fixation autoritaire des prix et des salaires par décrets-lois, dans la deuxième catégorie, la contraction des dépenses publiques, l’élévation des taux d’escompte… Le choix unanime de la déflation au début des années trente exprime d’abord la conception morale de l’économie : la crise, normale, accidentelle et temporaire, selon les libéraux, sanctionne les désordres antérieurs, en particulier les dépenses publiques excessives. L’État doit donner l’exemple aux agents économiques et restaurer les grands équilibres internes, le budget, et externes, balances commerciales et des paiements. Refusant la dévaluation, assimilée à une « manipulation » intolérable, les gouvernements pratiquent une déflation aussi brutale qu’intolérable en terme social. Dévaluation : la diminution de la valeur officielle d’une monnaie par rapport à un étalon – l’or – ou par rapport à d’autres devises devient, dans le courant des années trente, une solution à la dépression économique. Le premier pays à y avoir recours est le Royaume-Uni, en septembre 1931, suivi, après neuf mois de flottement, des États-Unis en janvier 1934, de la France en septembre 1936. La diminution de pouvoir

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d’achat d’environ 50 % de la monnaie présente alors trois avantages : elle dope les exportations et freine les importations ; elle inverse la spirale déflationniste en allégeant la charge de la dette pesant sur les agents économiques ; elle met un terme aux fuites de capitaux et à la spéculation à la hausse du métal précieux. Réalisées dans le cadre national, sans accord international, depuis l’échec de la conférence de Londres, les dévaluations en chaîne expriment la « guerre des monnaies » et contribuent à dégrader les échanges commerciaux internationaux. Dow Jones : indice boursier datant de 1891, calculé sur les valeurs phares du NYSE. FED : le Federal Reserve System, formé en 1913, est la plus jeune des banques centrales des grandes nations occidentales. Indépendant du pouvoir politique, le FED fonctionne sur une base fédérale, le pays étant divisé en douze districts de taille inégale, chapeautés par une banque de réserve ayant la charge de mettre en œuvre à l’échelle locale la politique décidée par le Bureau des gouverneurs. La mort en 1928 de Benjamin Strong, le premier président du FED, contribue à nourrir les tensions entre les districts et donc à alimenter les mouvements erratiques de capitaux flottants. Krach : effondrement brutal du cours des actions sur le marché boursier. Le 24 octobre 1929, Wall Street connaît une activité anormale puisque plus de douze millions de titres sont échangés dans la journée, mais le cours des actions ne s’effondre pas. C’est le mardi 29 octobre, avec 16 millions de titres échangés et une baisse des cours, que le krach débute. Il dure près de trois semaines. La place du krach dans le cours de la dépression pose problème : pour Milton Friedman, « il n’est même pas un facteur essentiel de la sévérité de la dépression » ; pour John Kenneth Galbraith et Charles Kindleberger, le krach ne doit pas être banalisé, tant il est traumatisant et nourrit la crise de confiance des agents économiques. NYSE : le New York Stock Exchange, établi à Wall Street, est le plus important marché boursier mondial. Relance d’inspiration keynésienne : fondée sur la théorie hérétique de Keynes, la relance implique une dévaluation de la monnaie, un déficit

budgétaire volontaire, des incitations à l’investissement et à la consommation, en particulier celle des couches sociales les plus défavorisées. Spéculateur : le spéculateur cherche à optimiser ses gains dans le court terme, Sa force dépend de son degré d’information : « le spéculateur connaît mieux que l’opinion moyenne ce que l’opinion moyenne pense d’elle-même. » (L. Robbins). Par ses opérations d’achats et de ventes, il assure la liquidité du marché boursier. En 1929, 1,5 million de spéculateurs, soit 1 % de la population totale américaine, interviennent sur les places boursières.

Syndrome du 157e  jour : 157 jours après le krach, la crise financière se transforme en une dépression complexe. Trust d’investissement : « Pyramides à la fois spatiales et temporelles » fondées sur l’émission de titres financiers – actions ou obligations – qui sont des participations à d’autres firmes. Via l’effet de levier, le trust d’investissement amplifie les variations à la hausse ou à la baisse du marché boursier. Il se crée un trust d’investissement par jour aux États-Unis en 1929 ! La faillite du trust anglais, Hatry, le 20 septembre 1929, anticipe sur l’effondrement d’octobre.

FICHE  14

Pistes bibliographiques Jean-Charles Asselain dans L’Histoire économique du xxe siècle, La montée de l’État (1914-1939), Presse de Sciences Po & Dalloz, 1995, fait un point complet sur les déséquilibres de la croissance durant l’entre-deux-guerres. Isaac Johsua, La Crise de 1929 et l’émergence américaine, PUF, 1999. Une analyse décapante de la crise de 1929, mettant l’accent sur les effets du salariat dans la propagation de la crise.

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FICHE 15

Les trois temps des systèmes diplomatiques en Europe (1919-1939)

C

es trois cartes sur les systèmes d’alliance entre 1919 et 1939 expriment l’échec de la diplomatie française et le succès de la diplomatie allemande. L’accession de Hitler au pouvoir, le 30 janvier 1933, ne modifie pas l’objectif central de la politique extérieure du Reich : effacer les conséquences du traité de Versailles tout en formant un espace économique dans la Mitteleuropa satellisée autour du pivot allemand. Seule diffère entre l’avant et l’après 1933 la modalité de réalisation d’un tel projet : Gustav Stresemann (1878-1929), chancelier, puis ministre des Affaires étrangères, compte sur des moyens pacifiques pour bâtir une Europe allemande, tandis que Hitler n’hésite pas à recourir à tous les moyens, de l’influence au power politics (→ fiches 1 et 8). Confronté au danger allemand, le Quai d’Orsay s’attache d’abord à réaliser l’architecture élaborée par Aristide Briand (1862-1932), secondé par Philippe Berthelot, secrétaire général du Quai, jusqu’en 1921 : Paris s’appuie sur les nouveaux États d’Europe centrale,

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Tchécoslovaquie et Pologne, et encourage la formation de la Petite Entente. La réinsertion de l’Allemagne dans le « concert européen » par le pacte de Locarno signé le 16 octobre 1925 est toutefois contradictoire avec les engagements précédents de la France. Jusqu’à sa mort en 1934, Louis Barthou s’attelle à un système plus complexe passant par Rome et Moscou. Cette politique poursuivie par le président du Conseil, Pierre Laval, ne résiste ni à la crise éthiopienne qui rompt le front de Stresa, ni à l’hostilité traditionnelle des diplomates français à la Russie communiste. À la veille de la conflagration mondiale, la France découvre son isolement diplomatique : après avoir sacrifié en vain l’allié tchécoslovaque à Munich en septembre 1938, Paris ne peut compter que sur le Royaume-Uni tandis que le Reich, fort de ses annexions, dispose d’alliés et parvient à s’assurer de la neutralité soviétique par le pacte de non-agression signé le 23 août 1939.

Les trois temps des systèmes diplomatiques en Europe (1919-1939)

FICHE  15

statu quo

Le système d’alliances en Europe (1918-1924)

Les trois temps des systèmes diplomatiques en Europe (1919-1939)

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Trois architectes de la diplomatie européenne dans l’entre-deux-guerres Aristide Briand (1862-1932) 1862 1906 1909

1921

1925

1928 1929

Né à Saint-Nazaire, Aristide Briand devient avocat, proche des milieux socialistes. Membre de la SFIO, il fait preuve de réelles qualités de conciliation en 1905 lors de la préparation de la loi de séparation entre l’Église et l’État. De 1906 à sa mort, il est vingt-deux fois ministres, dont quinze fois en charge des Affaires étrangères. Pour la première fois, il occupe la fonction de président du Conseil. Il l’est à nouveau entre 1915 et 1917, et en 1921-1922. C’est à cette date que Briand renonce à la fermeté à l’encontre de l’Allemagne – « Il faut abattre une main ferme sur le collet de l’Allemagne » – pour une politique de conciliation. Désavoué par le président de la République Millerand et par le Bloc national, Briand démissionne aux lendemains de la conférence de Cannes, en janvier 1922. Aux lendemains de la démission de Herriot, Briand devient pour sept ans l’inamovible titulaire des Affaires étrangères. Le « pèlerin de la paix » cède à Locarno sur la question des frontières orientales de l’Allemagne. Un an plus tard, accueillant l’Allemagne à la SDN, il prononce son fameux discours : « Arrière les canons, les mitrailleuses, les voiles de deuil ; place à l’arbitrage, à la conciliation, à la Paix ! » Il obtient avec Stresemann le prix Nobel de la paix en 1926. Ayant échoué dans son projet de traité bilatéral avec les États-Unis, Briand et Kellogg, secrétaire d’Etat américain, proposent un pacte visant à mettre la guerre hors-la-loi. Le 5 septembre, il évoque à Genève une « sorte de lien fédéral » entre les peuples européens. Ce projet annonciateur de la Communauté européenne échoue du fait de la crise de 1929 et de la montée du nationalisme. Trois années plus tard, il meurt.

Gustav Stresemann (1878-1929) 1878

Après des études de droit et d’économie, Gustav Stresemann contribue à fonder une organisation patronale des industries de transformation. Élu député au Reichstag en 1906, il symbolise l’affirmation de la bourgeoisie nationaliste attachée à l’émergence d’une Allemagne, « puissance mondiale ».

19141918

Pendant la guerre, Stresemann milite en faveur de la guerre sous-marine, adopte des positions assez proches de celles du général Ludendorff, tout en plaidant pour l’intégration du peuple au Reich. Il apparaît comme un leader national-populiste.

1919

1923

1924

19251929

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Fondateur du DVP, Deutsche Volkspartei, parti conservateur hostile à la République, anti-marxiste et partisan de la révision du traité de Versailles, Stresemann prend ses distances avec l’extrêmedroite conduite par Ludendorff pour se rapprocher de la gauche. Son parti devient l’un des pivots des coalitions de la République de Weimar. En pleine débâcle financière, en août, il assume la charge de chancelier. Il entend d’abord préserver l’unité de l’Allemagne et rétablir la confiance dans la monnaie. Désireux de faire cesser la « guerre froide » (Raymond Poidevin et Jacques Bariéty) qui oppose son pays à la France, Stresemann s’appuie sur les Anglais et, en arrière-plan, sur les États-Unis. Après sa démission de la chancellerie, en novembre 1923, Stresemann devient ministre des Affaires étrangères, jusqu’à sa mort en 1929. Il négocie le premier plan de rééchelonnement des réparations en 1924 – plan Dawes – et obtient la fin de l’occupation de la Ruhr. En apparence, Stresemann paraît avoir consacré sa vie à la paix : la conférence de Locarno, l’admission de son pays à la SDN, la signature du pacte Briand-Kellogg illustrent le ralliement du nationaliste à l’« esprit de Genève ». Mais Stresemann n’aurait-il pas « finassé » pour endormir la vigilance des vainqueurs, encourager en secret des associations pangermanistes, et, finalement, œuvrer pour les mêmes objectifs que Guillaume II, trente ans plus tôt ?

Les trois temps des systèmes diplomatiques en Europe (1919-1939)

Louis Barthou (1862-1934) 1862

1919

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Après des études d’avocat, Barthou « entre en politique » à l’âge de 27 ans. Député, ministre, dreyfusard rallié à la politique de défense républicaine conduite par Waldeck-Rousseau, Barthou est un homme du centre, qui fait la synthèse entre quelques principes du radicalisme – laïcité, intervention correctrice de l’État… – et le nationalisme de Poincaré. Rapporteur du projet de loi portant approbation du traité de Versailles, Barthou gagne la réputation de spécialiste des questions internationales. À l’image du Bloc national, il prône l’exécution du traité « dans un esprit de justice, mais avec une rigueur inexorable ». Conduisant la délégation française à la conférence monétaire de Gênes, il manifeste un violent anticommunisme.

1922

Doumergue, l’« ermite de Tournefeuille », revenu au pouvoir après la manifestation du 6 février, confie à Barthou le portefeuille des Affaires étrangères ; l’« ère Barthou » (Jean-Baptiste Duroselle, La Décadence) peut commencer. Courte, puisqu’elle ne dure que quelques mois, cette « ère » est pourtant déterminante car elle renoue avec la « grande » diplomatie. En outre, elle est suivie par Pierre Laval pendant l’année 1935. L’objectif central en est la sécurité de la France. Méfiant vis-à-vis de la SDN, incapable de contrôler le réarmement allemand, Paris se libère de la tutelle britannique pour amorcer un rapprochement avec Moscou et Rome tout en rassurant les « petits alliés », en Europe centrale. Barthou est donc l’architecte d’un « Locarno oriental ».

1934

Le 9 octobre 1934, il est victime de sa politique : il est en effet blessé mortellement à Marseille aux côtés du roi de Yougoslavie qui tombe sous les balles d’oustachis croates. « Pour la France, sa mort marquait la fin d’une grande politique, la seule peut-être qui pouvait encore la protéger de la guerre et de l’agression » (Jean-Baptiste Duroselle).

Pistes bibliographiques René Girault et Robert Frank présentent un panorama complet des relations internationales dans Turbulente Europe et nouveaux mondes, 1914-1941, coll. « Petite Bibliothèque », Payot, 2004.

Les trois temps des systèmes diplomatiques en Europe (1919-1939)

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FICHE 16

L’Europe à l’heure allemande Le Blitzkrieg, « une façade rutilante » (Albert Seaton)

E

ntré dans la guerre « les yeux grands ouverts », selon la formule de TrevorRoper, Hitler assume d’emblée les choix stratégiques et la conduite tactique des opérations militaires. Pour édifier l’Europe allemande, Hitler, chef du haut commandement de la Wehrmacht (OKW) depuis 1938, mise sur des offensives rapides conduites par le couple divisions blindées/aviation. Expérimentée dans les camps d’entraînement soviétiques dans le cadre du traité de Rapallo et sur le terrain espagnol (→ fiche 13), la guerre-éclair (v. p. 74) triomphe au cours des campagnes de 1939, 1940 et 1941. Hitler confie à de jeunes généraux, Guderian, Rommel, von Kleist… le soin de conduire le Blitzkrieg. Les succès spectaculaires obtenus jusqu’au coup d’arrêt subi aux portes de Moscou et de Leningrad dans l’hiver 1941, témoignent de l’efficacité d’une telle guerre d’anéantissement. L’effet de surprise, la vitesse quotidienne des déplacements des divisions blindées, l’esprit d’initiative des officiers généraux sont quelques-unes des clefs de compréhension de la victoire allemande. Car du côté allié, le GQG reste attaché aux dogmes de la Grande Guerre : le mythe du front continu, l’éparpillement des chars dans des unités d’infanterie, l’absence de moyens de communication modernes sanctionnent l’obsolescence d’une pensée militaire qui n’a pas évolué depuis 1918. Pourtant, l’armée allemande n’est pas prête à supporter une guerre longue : les choix techniques – absence de bombardiers à long rayon d’action, méfiance à l’égard des armes dites « nouvelles » –, les options militaires – volonté de conquérir le front soviétique, dix fois plus grand que le front occidental, avec

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L’Europe à l’heure allemande

un nombre d’avions équivalent à celui mis en œuvre à l’Ouest –, les défaillances de l’appareil productif du fait de la faible productivité de la main-d’œuvre concentrationnaire fragilisent les victoires allemandes.

Une polycratie de plus en plus anarchique En apparence, le système nazi pousse à l’extrême l’autoritarisme caractéristique de l’économie de guerre élaborée par Walter Rathenau dès 1914 et appliquée par Ludendorff en 1916 (→ fiche 6). Mais l’appareil militaro-idéologique hitlérien cache une anarchie autoritaire tiraillée entre plusieurs centres décisionnels. L’appareil de la SS, en particulier l’Office central de gestion économique, SS-WVH, évolue en un véritable État dans l’État. La Wehrmacht, fière de ses succès, supporte mal les incohérences stratégiques et tactiques imposées par Hitler. Car les GQG des différentes armes se situent en général dans des endroits différents de celui du Führer. Il en découle des problèmes de coordination préjudiciables à la conduite des opérations. Les rivalités entre les différents hiérarques du régime, Goebbels, Goering, Sauckel…, se répercutent sur l’appareil militaire. Une seule exception dans ce désordre de plus en plus anarchique étudié par l’historien Ian Kershaw, les efforts d’Albert Speer. Désireux d’adapter l’économie du IIIe Reich à une guerre longue, Speer fait preuve de qualités d’organisateur pour rationaliser l’appareil productif et fournir les armes indispensables à une guerre longue. Néanmoins, les efforts déployés par les Soviétiques dans les déplacements de leurs usines et de la main-d’œuvre et la montée en puissance de la machine de guerre américaine donnent aux Alliés une supériorité incontestable.

FICHE  16

Reich

Les offensives éclairs de Hitler (1939-1942)

L’Europe à l’heure allemande

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La guerre éclair, théorie et pratique

FICHE  16 Les prophètes

Dès le premier après-guerre, les pères de l’arme blindée, le général Estienne du côté français, Fuller, chez les Anglais, comprennent les bouleversements tactiques et stratégiques induits par l’utilisation du char d’assaut en 1918. « Voici d’abord les chars de rupture qui s’avancent dédaigneux des détours, sous le couvert, soit de la nuit, soit d’un épais brouillard naturel ou artificiel, écrasant tous les obstacles ; l’infanterie blindée, l’artillerie d’accompagnement les suivent, profitant du chemin tracé ; les premières lignes ennemies surprises sont bientôt rompues ; et voici les rapides chars d’exploitation, comme jadis la cavalerie pour achever la victoire. » Général Estienne, cité par E. Bauer, La Guerre des blindés, Payot, 1962.

« […] L’introduction du char d’assaut révolutionne entièrement l’art de la guerre en ceci que : 1. cette introduction accroît la mobilité en substituant la force mécanique à la force musculaire ; 2. elle accroît la sécurité en utilisant la plaque de blindage pour parer l’effet des balles ; 3. elle accroît la puissance offensive en épargnant au soldat d’avoir à porter ses armes et au cheval d’avoir à les tirer, elle multiplie la puissance destructrice des armes du fait qu’elle accroît le ravitaillement en munitions. » John Frederick Charles Fuller, Memoirs of an Unconventional Soldier, Londres, 1962, cité par Gérard Chaliand, Anthologie mondiale de la stratégie, des origines au nucléaire, Robert Laffont, 1990.

Les partisans de l’arme blindée À la veille de la Seconde Guerre mondiale, les généraux Charles de Gaulle, Guderian en Allemagne, préconisent le regroupement de chars dans des divisions blindées autonomes appuyées par l’aviation. « Un instrument de manœuvre répressif et préventif, voilà de quoi nous devons nous pourvoir. Instrument tel qu’il puisse déployer du premier coup une extrême puissance et tenir l’adversaire en état de surprise chronique. Ces conditions de brutalité et de soudaineté, le moteur donne le

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L’Europe à l’heure allemande

moyen d’y satisfaire, lui qui s’offre à porter ce que l’on veut, où il le faut, à toutes les vitesses, pourvu toutefois qu’il soit manié très bien. Demain, l’armée de métier roulera tout entière sur chenilles. Chaque élément des troupes et des services évoluera par monts et par vaux, sur véhicules appropriés. » Charles de Gaulle, Vers l’armée de métier, Plon, 1934, édition 1971.

« Mais précisément les expériences de nos adversaires nous font croire que les chars sont capables d’obtenir des succès par une attaque rapide, suffisamment étalée en largeur et en profondeur, et menée simultanément contre les diverses articulations défensives de l’ennemi ; de tels succès serviraient mieux la décision d’ensemble que des percées limitées comme celles de la Guerre mondiale. Si l’attaque a la densité, la largeur et la profondeur suffisantes, notre feu précis, loin de passer par-dessus la tête de l’ennemi comme un tir sur zone exécuté au prix d’un gaspillage insensé de munitions, ouvrira une brèche dans la défense adverse, par la destruction effective des objectifs repérables, et les réserves seront susceptibles de suivre dans cette brèche plus rapidement qu’en 1918. Nous désirons que ces réserves soient constituées sous forme de divisions blindées parce que nous ne pouvons plus reconnaître aux autres armes la puissance offensive, la vitesse, la mobilité que requièrent l’exécution de l’attaque et celle de la poursuite. » H. Guderian, Revue de l’état-major général de l’armée, 15 octobre 1937, cité par G. Chaliand, op. cit.

La pratique Basil Liddell Hart, officier d’infanterie de la Première Guerre mondiale, adepte précoce de l’arme blindée, est aussi l’un des historiens de référence de la Seconde Guerre mondiale. « Loin de posséder la supériorité écrasante qu’on leur attribuait, les armées de Hitler étaient en fait inférieures en nombre […]. Les offensives blindées de Hitler se révélèrent décisives, mais ses chars étaient moins nombreux et moins puissants que ceux de ses adversaires. C’est seulement dans le domaine de l’aviation, ce facteur le plus vital de tous, qu’il possédait une supériorité.

facilement pu être empêché sans les occasions qui leur furent offertes par les erreurs des Alliés, erreurs qui furent dans une large mesure dues à la persistance d’idée démodées. […] Les chefs d’unités français, formées aux lentes méthodes de 1918, étaient mentalement incapables de faire face à la vitesse des Panzer et cela entraîna parmi eux une paralysie croissante. »

De plus la décision fut virtuellement emportée par une petite fraction de son armée avant que le gros de ses forces n’entrât en action. Cette fraction décisive comprenait du côté de l’aviation, 10 divisions blindées, 1 division de parachutistes et 1 division aéroportée, sur un total de quelque 135 divisions qui avaient été rassemblées. Les résultats éclatants remportés par ces éléments nouveaux ont fait oublier, non seulement leur taille relativement réduite, mais aussi la marge étroite par laquelle ce succès fut atteint. Ce succès aurait

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Basil Liddell Hart, Histoire de la Seconde Guerre mondiale, Fayard, 1974.

Zone rattachée au commandement allemand de Bruxelles

Zone interdite Zone d’occupation allemande

Zone “libre” (jusqu’en nov. 1942)

Zone annexée

Ligne Maginot

Zone réservée Zone Dunkerque d’occupation 28 maiitalienne 3 juin 1940

Armée française

PAYS-BAS

Armée allemande

Anvers Bruxelles

Lille

ALLEMAGNE

Amiens Rouen Brest 19 juin

u 10 j

Territoires contrôlés par l’armée allemande

in

Paris Reims 14 juin Orléans 17 ju 17 juin in

Ligne de démarcation

BELGIQUE

12 mai Nancy

18 mai

FRANCE

26 mai 4 juin

Dijon 2 2 ju in

St-Nazaire 23 juin

SUISSE Vichy

0

150 km

La campagne de France (mai-juin 1940)

La campagne de France (mai-juin 1940)

Pistes bibliographiques Le Dictionnaire critique, 1938-1948, Les années de tourmente, de Munich à Prague, Flammarion, 1995, dirigé par Jean-Pierre Azéma et François Bédarida, présente une multitude de pistes.

L’Europe à l’heure allemande

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La guerre dans le Pacifique Le retour du Japon ou Kokutai

L

a Seconde Guerre mondiale, qui commence en Chine en juillet 1937, avec l’opération « Triple sept », se termine en 1949 par le triomphe des armées communistes dirigées par Mao Zedong (→ fiches 12 et 24). Atteint par la crise de 1929, l’Empire du Soleil levant mêle des thérapies internes similaires à celles des autres économies (→ fiche 14) – dévaluation de 40 %, protectionnisme, étatisation et militarisation de l’appareil productif – et des solutions externes – conquête de la Mandchourie en 1931, suivie de l’agression contre la Chine, Le retour du Japon ou Kokutai aboutit en 1940 à la formation de la sphère de coprospérité asiatique, comprenant une large part de la Chine, l’Indochine, le Siam, la Birmanie, les Indes néerlandaises, la NouvelleGuinée, les Philippines. Attaché à la réalisation d’objectifs continentaux en Asie, Tokyo se lance toutefois dans l’attaque de la base navale de Pearl Harbor : la guerre contre les États-Unis débute comme celle de 1904 contre la Russie. Le raid surprise, le 7 décembre 1941 – « une date marquée par le sceau de l’infamie » (Roosevelt) –, donne une supériorité momentanée aux forces nippones. Elles emportent des victoires éclair à l’Est, dans la péninsule malaise, dans les Indes néerlandaises, aux Philippines, abandonnées avec précipitation par le général McArthur. Préparé à une guerre courte, le Japon, commet la même erreur que l’Allemagne hitlérienne (→ fiche 16) : rien n’est en effet prévu pour un conflit de longue durée.

Une guerre plurielle Les opérations sur les fronts du Pacifique présentent une exceptionnelle diversité : à la guerre de mouvement de l’année 1937-1938 et de 1941-1942, succèdent des batailles de tranchées – à Guadalcanal d’août 1942 à 76

La guerre dans le Pacifique

février 1943, à Iwo Jima de février à mars 1945… La résistance des 23 000 Japonais, terrés dans cette île, contraint les 250 000 Américains, appuyés par 900 navires, à combattre mètre par mètre. Après deux mois d’une lutte féroce, il ne reste plus que 213 survivants japonais ! Les affrontements terrestres sont éclipsés par les spectaculaires batailles aéronavales « au-delà de l’horizon » : en mai 1942, dans la mer de Corail, à Midway, un mois plus tard, les escadrilles embarquées des deux camps se livrent une lutte à mort. Le succès américain est surtout une victoire de l’espionnage : « en essayant de jouer la surprise, les Japonais furent eux-mêmes surpris ». Depuis que les chiffreurs de Washington ont cassé le code adverse, l’amiral Nimitz anticipe sur l’offensive ennemie et la contre. Un an plus tard, prévenue du déplacement de l’amiral Yamamoto dans les îles Salomon, l’aviation américaine abat son appareil. Mois après mois, la machine de guerre américaine fournit le matériel indispensable aux forces commandées par l’amiral Nimitz et par le général McArthur : dès le début de l’année 1944, la flotte américaine comprend 20 grands porte-avions transportant plus de 1 000 avions. Les attaques suicides des Kamikazes ne changent rien à ce rapport de force toujours plus favorable aux États-Unis capables de mener une guerre en Europe et dans le Pacifique. Comme sur le théâtre d’opérations européen, l’US Air Force entreprend des raids stratégiques pour casser le moral de la population japonaise et hypothéquer son effort de guerre : dans la nuit du 9 au 10 mars 1945, Tokyo reçoit dix fois plus de bombes que Londres pendant le premier Blitz, en septembre 1940, et la surface rasée est dix fois plus importante que dans la capitale anglaise. Au total, ce soir-là, 197 000 personnes disparaissent dans le grand incendie de la capitale. Une étape décisive est franchie les 6 et 9 août 1945, avec l’utilisation

FICHE  17

L’expansion japonaise et son reflux

des deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. L’empereur Hiro Hito décide alors d’accepter la capitulation sans conditions, signée le 2 septembre dans la baie de Tokyo. Au total, la guerre totale dans le Pacifique et en Asie provoque la disparition de 8 à 9 millions de Chinois, de 3 millions de Japonais, contre moins de 400 000 Américains morts sur tous les fronts. Ce déséquilibre exprime la volonté d’économiser la vie des Boys en

recourant à un soutien logistique élaboré. Ces chiffres cachent mal la réalité tragique d’une guerre d’anéantissement : le sac de Nankin à l’automne 1937, les marches de la mort organisées en février 1942 à Bataan, les « expériences » bactériologiques et chimiques réalisées par l’unité japonaise 731, basée à Harbin, l’holocauste nucléaire… témoignent de la férocité de la lutte dans cette partie du monde (→ fiche 24). La guerre dans le Pacifique

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Chronologie avant, après Hiroshima et Nagasaki

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• À la veille de la guerre, le Reich est le seul pays à disposer d’un laboratoire de recherches nucléaires dirigé par Werner Heisenberg, Otto Hahn… 1939 • Par deux fois, les 2 août 1939 et 7 mars 1940, Albert Einstein écrit au président américain pour l’encourager à développer les travaux sur l’utilisation militaire de l’atome. • En octobre, Roosevelt crée le Comité consultatif sur l’uranium. 1940

• Deux atomistes allemands, réfugiés en Grande-Bretagne, alertent les autorités sur les potentialités militaires de la fission atomique.

1941

• Le Maud Committee, formé à l’initiative du Premier ministre britannique, estime pouvoir construire une bombe d’ici trois ans. Mais le manque de crédit, le risque de voir l’usine de séparation isotopique bombardée, contraignent les Anglais à s’en remettre aux Américains. • Le 6 décembre, la Maison-Blanche décide de produire une bombe atomique dans les plus brefs délais.

• Le 19 juin, le Manhattan Project est confié à l’armée sous le nom de code S-1. Dirigé par le général Leslie R. Groves, le projet bénéficie de 2 milliards de dollars de crédits : l’usine d’Oak Ridge, dans la vallée du Tennessee, procède à la séparation isotopique de l’uranium, celle d’Handford produit du plutonium, 1942 les 6 000 atomistes, enfermés à Los Alamos, mettent au point la bombe. • En décembre, Roosevelt décide de limiter le transfert d’informations nucléaires aux Britanniques de peur de les voir divulguer aux Soviétiques. • Après avoir eu l’assurance que Londres n’informerait pas Moscou, les États-Unis signent le 19 août avec 1943 l’Angleterre le Quebec Agreement on Atomic Energy, établissant un rapprochement avec leur allié sur l’atome mais excluant les Soviétiques. • Le 19 juillet, par le protocole de Hyde Park, Washington et Londres s’engagent à respecter un strict secret en matière nucléaire, les deux pays décident une utilisation éventuelle contre le Japon et 1944 esquissent une collaboration en matière civile et militaire pour l’après-guerre. • Groves présente en décembre un mémorandum au président Roosevelt, recommandant d’utiliser la bombe atomique contre le Japon. • À la fin avril, le président Truman est mis au courant par le secrétaire d’État, Stimson, de l’existence du programme de recherche nucléaire. Le 2 mai, il confie au nouveau Comité intérimaire le soin d’examiner toutes les implications de l’énergie nucléaire. Le 6 juin, le rapport final du Comité préconise l’utilisation immédiate de l’arme atomique contre le Japon, sans avertissement préalable. • Douze jours plus tard, une réunion des chefs d’état-major précise les modalités de la fin de la guerre contre le Japon. Le 3 juillet, le président Truman décide de lancer la bombe atomique contre le Japon. Le lendemain, les Anglais se rallient à cette décision. • Les atomistes allemands capturés en juillet par les Anglo-Saxons sont soumis à l’isolement total à Farm Hall (Angleterre) pour éviter qu’ils ne communiquent leurs connaissances aux Soviétiques. • Expérimentation de la bombe dans le désert du Nouveau-Mexique, à Alamogordo, le 16 juillet. • Lors de la conférence de Potsdam, Truman informe Staline de l’existence d’une nouvelle arme de très grande puissance mais refuse de partager avec l’URSS les secrets atomiques. • Le 26 juillet, envoi de l’ultimatum américain au Japon. 1945 • Lancé sur Hiroshima le 6 août, Little Boy, chargé de 10 kg d’uranium 235, a une puissance équivalente à 13 000 tonnes de TNT. Dans un rayon de 2 500 mètres autour de l’épicentre, tout est volatilisé ; à 4 000 mètres du point 0, les victimes mettent de quelques jours à deux semaines pour disparaître. En quinze jours, 150 000 personnes meurent. Aujourd’hui, on comptabilise 240 000 victimes sur les 370 000 habitants de la ville. 92 % des bâtiments sont détruits. • Fat Man, une bombe au plutonium 239, atomise Nagasaki le 9 août. La bombe explose sur le quartier catholique de la ville : 70 000 habitants meurent, 36 % des bâtiments sont rasés. • Un jour plus tard, le Japon décide de capituler. • Le général Eisenhower, mis au courant de l’utilisation opérationnelle de la bombe, écrit à la mi-juillet dans son journal : « Le Japon essayait à ce moment même de se rendre sans perdre complètement la face. […] Il n’était pas nécessaire de frapper [le pays] avec ce truc abominable. » • Depuis 1945, les hibakusha, ou victimes atomisées, au nombre de 370 000, sont l’objet d’un complot du silence de la part des autorités. De 1945 à 1947, la censure la plus totale entoure l’après-bombe, l’armée américaine refusant de communiquer une quelconque information sur les deux cités atomisées.

78

La guerre dans le Pacifique

• Après la signature du traité de San Francisco, le 8 septembre 1951, l’État japonais doit assumer seul la 1951 responsabilité pour les victimes de la tragédie atomique. Toutefois, les hibakusha sont toujours rejetées par la nation japonaise.

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1955 • Fondation du musée de la Paix et du parc commémoratif de la Paix à Hiroshima et à Nagasaki. 1961 • Les Nations unies condamnent les bombardements atomiques comme « crimes contre l’humanité ». 1994

• Le gouvernement japonais accorde une indemnité aux parents des victimes et instaure le principe d’égalité devant les soins pour les hibakusha.

Pistes bibliographiques Robert Guillain, journaliste qui couvre pour l’agence Havas la guerre sino-japonaise, vit le deuxième conflit mondial dans l’archipel japonais. Il rédige en 1979 La Guerre au Japon, Stock. Il livre les souvenirs de sa vie passée en Asie dans Orient-Extrême, Le Seuil/Arléa, 1986. La revue Autrement consacre le n° 39 de septembre 1995 à Hiroshima 50 ans. Internet fournit de nombreuses images sur les explosions atomiques de 1945.

La guerre dans le Pacifique

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FICHE 18

La Résistance en Europe Un mouvement protéiforme

L

a Résistance naît de la violence de l’occupation durant une guerre « hyperbolique ». Elle s’oppose à l’« ordre nouveau » voulu par Hitler et entend préparer l’avenir. Il s’agit « de pouvoir respirer librement, de pouvoir se lever chaque matin sans sentir sur soi l’œil des gendarmes, d’aller soi-même à un travail qu’on a choisi, sans être mobilisé de force dans un camp de travail, de pouvoir critiquer le gouvernement. […] De se marier sans avoir à passer d’abord chez le vétérinaire, ni à se demander si on a une grand-mère de sang soi-disant impur, de pouvoir élever ses enfants à son idée et de dire devant eux tout haut ce qu’on pense […] De pouvoir diriger soi-même une vie d’homme et de préparer des jours où on vivrait plus justement et plus humainement » (Jacques Maritain en 1940). L’histoire de la Résistance en France et dans les pays occupés connaît trois phases d’accélération : les isolés de la lutte initiale contre les nazis et les fascistes sont rejoints par une deuxième vague avec la mondialisation du conflit en 1941, puis par de plus gros effectifs en 1943, du fait du STO, Service du travail obligatoire. Mais dans ce cadre général, chaque pays occupé obéit à des rythmes spécifiques (→ fiches 16 et 17). Les modalités de la Résistance fluctuent aussi de l’écoute de la BBC au sabotage, de l’adoption de la mode zazou à l’exfiltration* d’aviateurs alliés abattus, de la distribution de tracts à l’organisation de maquis* (→ fiche 39)… Derrière toutes ces attitudes, une évidence : la Résistance naît d’un engagement individuel, volontaire, illégal, souterrain, connoté d’une plus ou moins grande dimension idéologique.

Les * renvoient au lexique de la page 82.

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La Résistance en Europe

Cartographier les opérations de la Résistance est donc une gageure. Toutefois, la carte ci-contre met l’accent sur le rôle clef de Londres où se pressent les figures emblématiques des généraux de Gaulle et Sikorsky, de la reine Wilhelmine des Pays-Bas… Les mouvements* de résistance en Europe occupée sont sollicités soit par des envoyés du SOE*, Service d’opérations spéciales, conçu par Churchill pour « incendier l’Europe », soit par des émissaires obéissant aux directives de leurs chefs politiques. Le bilan militaire de l’action de la Résistance varie selon la zone considérée : la Yougoslavie est l’un des rares pays à s’être libéré quasiment tout seul. En Russie, en Norvège, dans certaines régions françaises, les Glières, le Vercors, le plateau du Limousin, l’action des maquisards immobilisent des contingents allemands. Ailleurs, elle a pu faciliter les débarquements anglo-saxons.

Un terreau nourricier de l’avenir La fraternité entre des hommes et des femmes venus d’horizon différent alimente la volonté de bâtir l’Europe une, réconciliée autour des frontières devenues des zones de contacts entre les peuples. L’hostilité à la barbarie nazie renforce la volonté de défendre les droits de l’homme. La nécessité de rompre avec le passé qui a conduit dans l’abîme implique un nouvel équilibre entre les pouvoirs publics, les entreprises et leurs salariés. À la Libération, la mise en œuvre de ces projets conduit parfois à des affrontements violents et même à des guerres civiles entre résistants de sensibilité opposée : la Yougoslavie, la Grèce, et dans une moindre mesure l’Italie et la Pologne, se déchirent sitôt l’occupant vaincu (→ fiches 21 et 32).

FICHE  18

Foyers et opérations de la Résistance en Europe occupée

La Résistance en Europe

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Lexique de la Résistance

FICHE  18

BBC : durant la guerre, la BBC, dirigée par R. H. Bruce Lockhart, joue un rôle clef non seulement par le sérieux de ses bulletins d’information mais aussi par ses appels à la résistance, lancés à tous les auditeurs de l’Europe occupée. Précédés des quatre notes de l’ouverture de la Cinquième Symphonie de Beethoven, ces messages, composantes de la guerre psychologique, coordonnent les opérations militaires réalisées par les maquis. Exfiltration : rapatriement vers l’Angleterre des soldats, des aviateurs, des opérateurs radio, des agents du SOE… présents en Europe occupée. Maquis : les réfractaires deviennent des combattants de l’ombre en s’appuyant sur leur bonne connaissance de la région souvent montagneuse et forestière, pour réaliser des opérations de guérilla contre l’occupant. Le massif du Vercors, la région du Bugey, le plateau limousin… sont quelques-uns des hauts lieux de la France combattante. Mouvement : regroupement de résistants qui cherchent par les tracts, les journaux, les slogans, les affiches… à agir sur l’opinion publique pour la retourner contre l’occupant et les collaborateurs. OSS : L’Office of Strategic Services, installé par les Américains en 1943, cherche à jouer le même rôle que le SOE. Pour accroître son efficacité, il crée avec les services britanniques une structure commune en janvier 1944. Partisan : irrégulier, combattant l’ennemi. En Russie, en Yougoslavie, la guerre des partisans menée contre les envahisseurs atteint son paroxysme en 1943-1944.

Presse clandestine : entre le début et la fin de la guerre, les quelques pages ronéotypées cèdent la place à de véritables journaux – en France, près de cent titres nationaux et 500 régionaux, tirant à deux millions d’exemplaires. La presse clandestine exprime la réalité de la Résistance intérieure et semble refléter l’opinion publique. Elle joue un rôle déterminant dans la renaissance des partis politiques au moment de la Libération. Réseau : organisme chargé d’une opération militaire précise, le renseignement, le sabotage, l’évasion, l’exfiltration… Certains dépendent des Anglo-Saxons – par exemple le réseau Buckmaster en France –, d’autres sont le bras armé des gouvernements réfugiés à Londres : le BCRA, Bureau central de renseignements et d’action, formé en octobre 1941, coordonne toutes les opérations de la Résistance intérieure en France occupée. SOE, Secrete Operation Executive : créé en juillet 1940, à Londres, le Service des opérations spéciales est le ministère de « guerre des malappris ». Ses 7 000 agents couvrent une douzaine de pays dont les résistants sont approvisionnés en armes parachutées. Nulle ligne politique directrice puisque le SOE soutient les titistes en Yougoslavie, les royalistes en Grèce, les gaullistes et les antigaullistes en France, les antifascistes en Italie… « Terroriste » : nom donné par les Allemands aux combattants de la Résistance. En cas d’arrestation, le « terroriste » est exécuté après avoir été en général torturé. « Pas de procédures légales, ça ne marche pas » (Général Keitel, 1943).

La Résistance en France, repères chronologiques 1940 18 juin

82

• « Quoi qu’il arrive la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. » Appel radiodiffusé et placardé du général de Gaulle à la Résistance.

11 novembre

• Manifestations de lycéens sur la tombe du soldat inconnu.

1er décembre

• Premier numéro de Libération Nord.

15 décembre

• Premier numéro de Résistance, publication du groupe du musée de l’Homme.

La Résistance en Europe

1941

FICHE  18

6 mai juillet

• Premiers parachutages clandestins d’armes. • Le PCF adopte une ligne de libération nationale, jacobine et antifasciste.

juillet septembre

• Premier numéro de Libération Sud. • Jean Moulin gagne Londres.

novembre

• Formation du mouvement Combat.

1942 1er janvier mars avril 14 juillet août septembre 11 novembre

• Constitution de maquis dans le Vercors, l’Ain et le Sud-Ouest. • Parachutage de Jean Moulin, alias « rex », en Provence. • Naissance des FTPF, Francs-tireurs et partisans français. • Formation de l’Armée secrète en zone libre. • La France libre devient la France combattante. • Le BCRA prend en charge l’action politique en France. • Formation du Comité national des écrivains clandestins dont font partie Paul Éluard, Jean Guéhenno. • Occupation de la zone libre par les armées allemandes. • Formation de maquis en zone Sud.

1943 26 janvier 30 janvier 16 février 27 mai 21 juin 9 septembre novembre 29 décembre

• Installation de maquis en zone Nord. • Naissance des MUR, Mouvements unis de résistance, qui regroupent les trois grands mouvements de Résistance de la zone sud. • Création de la Milice chargée de lutter contre les « terroristes ». • Début de l’application du STO, Service du travail obligatoire. • Première réunion du CNR, Conseil national de la résistance. • Arrestation de Jean Moulin à Caluire-et-Cuire. • Formation des FFI, Force Françaises de l’intérieur. • Soulèvement des résistants corses. • Guérilla en Corrèze.

1944 février-mars

15 mars 10 juin juin 26 juin-14 juillet juillet 19-25 août

• La Résistance compte environ 1 million de personnes réparties en 250 réseaux et plusieurs dizaines de mouvements. • Bataille sur le plateau des Glières (Haute-Savoie) où 500 maquisards combattent 5 000  Waffen SS. • Des combats opposent plusieurs milliers d’Allemands aux maquis de l’Ain. • Programme du CNR. • Massacre d’Oradour-sur-Glane par la division das Reich. Exécution de 99 otages à Tulle. • Bataille au mont Mouchet (Cantal). • 180 forteresses volantes parachutent 2 200 conteneurs d’armes dans le Limousin, sur le plateau de Vassieux, dans le Jura. • Des SS arrivés par planeurs sur le plateau du Vercors y écrasent les maquisards. • Libération de l’Ardèche, de Paris, de la Savoie, de la région lyonnaise.

Pistes bibliographiques Le Dictionnaire historique de la vie politique française au xxe siècle, sous la direction de Jean-François Sirinelli, coll. « Quadrige », PUF, 2003 ; Les Années de tourmente, 1938-1948, Flammarion, 1995, dirigé par Jean-Pierre Azéma et François Bédarida offrent de nombreuses entrées lexicales. La Résistance en Europe

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FICHE 19

Le système concentrationnaire « Le terrifiant secret » (Walter Laqueur)

P

armi tous les génocides du xxe siècle, définis comme la destruction programmée par un État de toute ou partie d’une population, le génocide hitlérien présente trois traits exceptionnels : le secret l’entourant, son organisation, son ampleur. À la mise en œuvre bruyante de l’antisémitisme virulent exprimé dans Mein Kampf succède le silence le plus absolu à partir de 1940. Les hiérarques du Reich travestissent alors dans une sorte de langage codé leur ivresse d’anéantissement (→ fiche 16) : la « solution finale » pour la mort programmée, les « exécutions spéciales » pour les fusillades, les camions « spéciaux » pour les chambres à gaz roulantes, les « regroupements » pour la déportation… La localisation des « usines de la mort » à l’Est obéit à cette même logique : cacher la réalité pour éviter des révoltes des futures victimes et pour accroître l’efficacité du système concentrationnaire. Sur la fin de la guerre, les SS et les Sonderkommando ou commandos spéciaux dynamitent les chambres à gaz, les crématoires, pour étouffer ce « terrifiant secret ». Averties dès la fin de l’année 1941 sur la réalité de la déportation, les autorités alliées ne veulent pas y croire parce qu’elles ne peuvent imaginer l’indicible. En outre, priorité est donnée à la destruction des objectifs militaires. Tous les survivants des camps éprouvent d’ailleurs une grande difficulté à retranscrire dans le langage quotidien les horreurs de l’enfer.

Un système concentrationnaire La carte des camps créés entre 1933 et 1941 exprime le triomphe d’un système soumis à la toute-puissance de l’administration centrale

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Le système concentrationnaire

économique de la SS. Après avoir caressé le projet de la formation d’une grande réserve de Juifs en Afrique, les « bourreaux de bureaux » décident de regrouper les Juifs de l’Europe orientale dans des ghettos. L’impossibilité de gagner rapidement la guerre sur le front oriental transforme les intentions en réalité. Le système concentrationnaire est alors tiraillé entre la volonté de liquider les « soushommes », Juifs, Tsiganes, politiques résistants, « rebuts » sociaux, homosexuels… et le désir d’utiliser cette main-d’œuvre gratuite dans d’immenses complexes industriels situés à proximité. Les camps d’Auschwitz sont un réservoir inépuisable pour les usines de Krupp, de Siemens, de l’IG Farben à Buna… Même mort, l’homme reste une source de matières premières : une trentaine de kilos d’or étaient fondus chaque mois à Auschwitz grâce à la récupération des couronnes dentaires en or –, les montres des gazés récompensaient les soldats de la Wehrmacht sur le front oriental ; les cheveux étaient utilisés pour confectionner les bottes des sous-mariniers ; les cendres provenant de l’incinération des cadavres servaient d’engrais…

Une rupture dans l’histoire Plus que les millions de morts victimes de la guerre d’anéantissement menée par Hitler, les camps d’extermination expriment une cassure dans la conscience universelle. Anus mundi, selon la métaphore dantesque, Auschwitz possède en effet une « dimension d’horreur inédite : son caractère orienté, méthodique, sélectif » (V. Jankélévitch, L’Imprescriptible). Le silence entourant la machine concentrationnaire nazie, la solitude des victimes qui n’eurent jamais droit à des communiqués militaires nourrissent le « délaissement », selon la formule d’Emmanuel Levinas.

DANEMARK

FICHE  19 Kaunas

Königsberg Dantzig

Kiel Hambourg

Poméranie

Neuengamme

PAYS-BAS

Bergen-Belsen Berlin

Bois-le-Duc Cologne

Lux.

Mittelbau-Dora

Varsovie

Chelmno Lodz Breslau

Dachau

Alsace

Munich

SUISSE

UKRAINE

Maïdanek

Mielec

Belzec

Cracovie

Protectorat de Bohême-Moravie

Nuremberg

Sobidor

Lublin

Auchwitz Birkenau

Prague

StruthofNatzwelier

OSTLAND Bialystok

Treblinka

Francfort

Lorraine

FRANCE

Silésie

Posnanie

Gross Rosen

Buchenwald

Prusse Orientale

Stettin

Ravensbrück SachsenhausenOranienburg

Esterwegen

Osnabrück

Stutthof

Vilna

Gouvernement Général

SLOVAQUIE

Vienne

HONGRIE

Mauthausen

Autiche ITALIE

0

I. Camps de concentration Allemagne de 1937 Ouvert avant 1939 Ouvert après 1939

100

200 km

II. Camps d’extermination Nombre de morts Plus de 1 million De 200 000 à 1 million De 75 000 à 200 000 Moins de 75 000

Grand Reich de 1942 1941-1945 Ghettos principaux

L’”industrie de mort” nazie

L’« industrie de mort » nazie

Passé le choc de la découverte des camps, il faut encore vingt-cinq ans pour que la réalité du génocide, la Shoah (Cl. Lanzmann), s’impose dans l’opinion publique et devienne un sujet de débats entre historiens.

Expliquer la genèse et la spécificité de la Shoah ne suffit pas car « l’holocauste transcende l’histoire » (Elie Wiesel). Dès lors, il y a bien un avant et un après Auschwitz, devenu de nos jours lieu de mémoire.

Le système concentrationnaire

85

Camps de concentration, camps d’extermination

FICHE  19

Localisation

Fonction (E = extermination ; C = concentration)

Morts dans les camps d’extermination

Auschwitz

Pologne

E, C

1 000 000

Belzec

Pologne

E

550 000

Bergen-Belsen

Allemagne

C

Buchenwald

Allemagne

C

Nom

Chelmno ou Kulmhof Dachau

Pologne

E

Allemagne

C

Maïdaneck

Pologne

E

Mauthausen

Autriche

C

France

C

Allemagne

C

Natzweiler-Struthof Ravensbrück Sobibor

Pologne

E

Theresienstadt

Bohème

C

Treblinka

Pologne

E

150 000 50 000

200 000 750 000

• Total des victimes juives

5 100 000

selon les estimations de Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe

5 800 000

selon le Congrès juif mondial (1946)

5 980 000

selon une estimation de Eichmann datant de 1944

5 000 000

selon les calculs faits au procès de Nuremberg

6 000 000

• Les camps de concentration, ouverts dès 1933, regroupent les personnes jugées indésirables et soumises au travail forcé. À partir de 1941, les camps d’extermination servent à « liquider » les populations jugées « impures », Juifs, Tziganes… • Cette liste n’est pas exhaustive, l’Allemagne nazie disposait de 25 camps en Europe.

Chronologie de l’organisation du génocide 1933 28 février

• Décret sur la « défense contre les actes de violence communiste dangereux pour l’État ».

28 mars

• Les camps de Dachau, Oranienburg dépendent de la SA. 1934

26 avril

• Les camps passent sous le contrôle de la SS. 1935

15 septembre

• Lois raciales de Nuremberg.

25 janvier

• Les ordonnances de détention sont enlevées aux autorités judiciaires et confiées à la Gestapo.

9 et 10 novembre

• Les pogroms de la « nuit de cristal » préludent à l’intensification des mesures antijuives.

21 septembre

• Projet de « réserve juive » en Pologne.

27 septembre

• Formation du RSHA, Office central de sécurité du Reich. 1940

1938

1939

• Construction des ghettos de Łodž, de Varsovie.

86

Le système concentrationnaire

FICHE  19

1941 • Constitution des ghettos de Cracovie, de Lublin. juin

• Extermination de 750 000 Juifs dans les territoires occupés orientaux par les Groupes d’intervention, Einsatzgruppen, d’abord au moyen de fusillades, puis par l’utilisation de chambres à gaz roulantes.

31 juillet

• Lettre de Goering à Heydrich annonçant la « Solution finale ».

octobre

• Déportation des Juifs du Reich dans les ghettos d’Europe orientale.

7 décembre

• Ordonnance Nacht und Nebel (Nuit et Brouillard) : toute personne susceptible « d’intenter à la sécurité de l’armée allemande » dans les territoires occupés est remise à la Gestapo pour exécution ou envoi dans un camp.

décembre

20 janvier

• Ouverture du premier camp d’extermination à Chelmno (Pologne) et début du gazage des prisonniers. 1942 • La conférence de la Wannsee avalise les modalités de la Solution finale déjà mise en œuvre.

30 septembre

• Tous les camps dépendent du WVHA, Administration centrale économique de la SS.

mars-juillet

• Aménagement de camps d’extermination à Belzec, Treblinka, Sobibor, Maïdaneck, situés non loin des ghettos surpeuplés.

juin

• Utilisation du Zyklon B ou acide cyanhydrique à Auschwitz-Birkenau.

décembre

• L’Auschwitz Erlass, signé le 16 par Himmler, ordonne la déportation des Tziganes du Grand Reich à Auschwitz. 1944 • L’extermination atteint son paroxysme à Auschwitz du fait de la déportation des Juifs hongrois. Les gazages cessent à l’automne. 1945 • Plusieurs dizaines de milliers de survivants des camps meurent dans les « marches de la mort » organisées par les SS. Le camp d’Auschwitz est libéré par l’Armée rouge le 27 janvier.

Pistes bibliographiques Parmi les nombreux ouvrages sur le génocide, je retiendrai le récit autobiographique de Primo Levi, Si c’est un homme, Julliard, 1987 ; le livre de Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, Fayard, 1989, et celui de Philippe Burrin, Hitler et les Juifs, genèse d’un génocide, coll. « Points », Le Seuil, 2016. Nombreux sont les films, de Nuit et brouillard (A. Resnais, 1955) au Fils de Saul (L. Nemes, 2015) sur la Shoah.

Le système concentrationnaire

87

TROISIÈME PARTIE

Le second e xx  siècle L’ère des superpuissances

FICHE 20

Les temps de la guerre froide Entre durée et crises

L

e schéma ci-contre laisserait supposer que la guerre froide débute en 1945-1946, sitôt abattu l’ennemi commun de la Grande Alliance. Or, « l’hétérogénéité des systèmes » est contemporaine de la formation de l’« idéocratie » bolchevique, en 1917 (→ fiches 9 et 10), pour ne disparaître qu’avec la dislocation de l’URSS en 1991. Hormis la période de communisme de guerre durant laquelle des troupes occidentales tentent de refouler par la force les rouges, les années Vingt et Trente sont marquées par la réintroduction de l’URSS dans le concert des nations suite au rétablissement des relations diplomatiques avec l’Allemagne (1922), l’Angleterre et la France (1924), les ÉtatsUnis (1933). Et en 1934, l’URSS devient membre permanent du Conseil de la SDN. Toutefois, l’ampleur des problèmes intérieurs – dépression dans les pays capitalistes (→ fiche 14), violence stalinienne exercée contre la société – réduit les relations entre les deux systèmes à un faceà-face assez statique. Unie dans la lutte à partir de 1941 jusqu’à la victoire contre l’Allemagne, le Japon et leurs alliés, la Grande Alliance se brise durant l’été 1945 : la mort de Roosevelt et l’arrivée au pouvoir de Truman, les bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki (→ fiches 17 et 21), l’attitude vis-à-vis des vaincus, le besoin de Staline d’inventer un ennemi extérieur pour réaliser un nouveau coup de force contre la société alimentent les ressentiments et la méfiance réciproque. La guerre froide, stricto sensu, peut débuter. L’hostilité contrôlée, dominée par le choc de deux idéologies antinomiques, se manifeste sous la forme de crises ponctuelles

90

Les temps de la guerre froide

et itératives du fait de la possession de l’arme atomique. Ces moments de tension s’inscrivent dans des phases plus ou moins « glaciales » : à la guerre froide succèdent la coexistence pacifique, puis la détente et la nouvelle guerre froide. Ces dénominations expriment la contradiction entre la raison d’État conduisant à entretenir des relations avec l’« autre » et l’ambition idéologique imposant de jeter l’anathème et même de faire reculer l’ennemi.

Entre le monde et des points chauds Durant ce demi-siècle, le monde vibre telle une caisse de résonance du choc des deux systèmes. Aux actions diplomatiques directes et indirectes, s’ajoutent les opérations de subversion et de déstabilisation dans les zones périphériques. Ainsi, les crises se développent d’abord en Europe et en Asie (décennie cinquante) pour concerner l’Amérique latine (années soixante), avant de s’étendre à la totalité des continents de 1975 à 1985. La guerre froide ne se limite pas à des affrontements directs (guerre de Corée) ou indirects impliquant l’un des deux Grands (Vietnam et Afghanistan), conventionnels ou faisant intervenir l’arme atomique (crise des fusées de Cuba, crise des euromissiles au début des années Quatre-vingt). (→ fiches 26, 31, 32 et 37). Elle envahit aussi d’autres enceintes : les jeux olympiques, par exemple ceux de 1952 à Helsinki, les productions culturelles (cinéma, littérature), la vie politique intérieure des pays appartenant à l’un ou l’autre des deux camps (→ fiche 46). Même la conquête spatiale est l’enjeu de la rivalité entre Moscou et Washington.

Les temps de la guerre froide selon les grandes aires continentales

FICHE  20

Les temps de la guerre froide

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Historiographie de la guerre froide

FICHE  20

« L’historiographie américaine de la guerre froide en dit très peu sur celle-ci, et beaucoup sur l’histoire intellectuelle entre 1960 et 1970 » D. C. Watt.

École réaliste 1951

George KENNAN

American Diplomacy 1900-1950

1952

Hans J. MORGENTHAU

In Defense of National Interest : a Critical Examination of American Foreign Policy

1966

Martin HERZ

Beginnings of the Cold War

Thèse : La guerre froide se situe au point de rencontre entre les velléités agressives soviétiques et l’approche « moralisatrice » de Roosevelt.

École traditionaliste ou orthodoxe 1957

Herbert FEIS

Churchill, Roosevelt, Stalin. The War They Waged and The Peace They Sought

1973

Lisle A. ROSE

After Yalta

1974

Adam ULAM

The Rivals. America and Russia since World War II

Thèse : Les actions américaines sont la réponse aux menaces soviétiques.

École révisionniste 1970

Lloyd C. GARDNER

Architect of Illusion : Men and Ideas in American Foreign Policy 1941-1949

Thèse : Les États-Unis portent la responsabilité de la guerre froide.

L’école révisionniste se divise en « soft » et « hard » – Dans le premier groupe : 1965

Gar ALPEROWITZ

Atomic Diplomacy : Hiroshima and Potsdam. The Use of the Atomic Bomb and the American Confrontation with Soviet Power

Thèse : Le changement d’équipe à la tête de la Maison-Blanche accroît la méfiance des Soviétiques et détériore rapidement les relations avec Moscou. – Dans le second groupe : 1959

William A. WILLIAMS

The Tragedy of American Diplomacy

Thèse : La diplomatie américaine est conditionnée par les lobbies économiques qui aspirent à la domination mondiale.

École post-révisionniste 1972

John L. GADDIS

The United States and The Origins of The Cold War 1941-1947

Thèse : L’arrivée au pouvoir de Truman ne correspond nullement à la fin de toute coopération avec l’Union soviétique. Le nouveau président entend fonder sa politique sur la réciprocité avec l’Union soviétique.

Conclusion 1992

Melwyn LEFFLER

A Preponderance of Power

La politique américaine résulte d’une vision globale des rapports de forces géostratégiques : empêcher qu’une puissance hostile ne contrôle le continent eurasiatique. Liste établie d’après la revue Relations internationales, no 9, 1977, et d’après l’article de Pierre Mélandri, « Les origines de la guerre froide », in 1938-1948, Les Années

92

Les temps de la guerre froide

de tourmente, de Munich à Prague. Pierre Grosser se livre à un recensement des différentes thèses dans Les Temps de la guerre froide, Éditions Complexe, 1995.

Points de vue sur la guerre froide « Paix impossible, guerre improbable », selon la formule de Raymond Aron, « décadence compétitive » (Léo Labedz), « paix des cimetières » (Jacques Delors), la notion de guerre froide apparaît sous la plume de Walter Lipmann en 1947. Elle présente d’emblée une triple spécificité.

FICHE  20

Une « paix belliqueuse »

« La conjoncture dite de guerre froide n’en présente pas moins des traits originaux qui tiennent les uns à la paix de terreur, les autres à la double hétérogénéité, historique et idéologique d’un système étendu aux limites de la planète entière. Ces traits originaux me paraissent résumés par les trois mots Les caractéristiques de la guerre froide de dissuasion, persuasion, subversion qui désignent « C’est le moment où l’on découvre que les objectifs les trois modalités de la stratégie diplomatico-milirespectifs deviennent ou apparaissent incompa- taire de la guerre froide. » tibles. […] Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Le langage devient brutal, sinon grossier. Surtout, Calmann-Lévy, 1962. on a recours à des moyens lourds, des moyens militaires, mais on les montre pour n’avoir pas à Le « gel » nucléaire s’en servir : blocus de fait non de droit, incidents, « Le facteur nucléaire a toujours présenté cette menaces, pressions, campagnes d’opinion. Pas d’af- double caractéristique de rendre plus difficile la frontement direct. […] guerre interétatique, mais aussi la solution poliLe conflit ne se développe pas à l’extrême. Il est tique des problèmes. Les zones couvertes par lui ont soumis à une rationalité pragmatique du côté des incontestablement été moins exposées à la guerre, Américains, à une rationalité, disons, dialectique mais leurs problèmes y ont eu moins de chances de du côté soviétique. Cette rationalité s’explique par progresser. La logique du fait nucléaire est celle du deux motifs : la menace de l’arme atomique bien statu quo ou de la pétrification. Il gèle les situations sûr, mais aussi le caractère relatif des enjeux. La acquises, maintient villes, pays ou continents dans guerre froide porte sur des enjeux qui ne touchent une division ou sous une domination qui, sinon, pas ce qu’on appelle les intérêts vitaux, territoires, auraient pu faire place à la guerre, mais aussi, ressources essentielles, survie des deux grands peut-être, à la libération ou à la réunion. Un jour rivaux. […] les frustrations refoulées par le couvercle nucléaire Incompatibilité des buts, hostilité contrôlée, ratio- peuvent déborder, surtout si ce couvercle s’ouvre nalité. Le résultat, c’est l’impasse. » légèrement. » Jean Laloy, « À propos des origines de la guerre froide », in Crises et guerres au xxe siècle : analogies et différences, IFRI, 1981.

Pierre Hassner, « Force et politique aujourd’hui », Revue de Défense nationale, décembre 1971.

Les temps de la guerre froide

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FICHE 21

1946-1948, la déchirure Le temps de l’opinion publique

L’

opinion publique perçoit en 1947 et surtout 1948 un nouveau cours dans les relations internationales. Le discours de George Marshall à Harvard le 5 juin 1947, le coup de Prague en février 1948, la reprise de la guerre civile en Chine expriment les débuts de la guerre froide (→ fiche 23). Simultanément, dans de nombreux pays européens éclatent les coalitions d’union nationale nées de la Résistance (→ fiche 18). L’heure est à la division idéologique du monde entre deux camps : l’Occident, défenseur de la liberté, fait face au « camp anti-impérialiste et démocratique », selon la formule d’Andreï Jdanov. La guerre froide se cristallise en certains lieux : Berlin, Prague, Pékin et Séoul, situés sur les lignes de contact entre les deux systèmes (→ fiche 20). À l’occasion de ces crises, les deux Grands découvrent les limites qu’ils ne sauraient transgresser à moins de s’affronter dans une guerre totale (→ fiches 26 et 31). Dès lors, l’Allemagne et la Corée subissent une partition qui s’étend au reste des continents européens et asiatiques le long de « rideaux de fer ».

Le temps des décideurs La rupture de 1947-1948 entre Moscou et Washington est en filigrane dans l’année 1946. Le 9 février 1946, Staline affirme dans un de ses rares discours publics qu’il ne saurait y avoir de paix durable aussi longtemps qu’existe le capitalisme, générateur d’impérialisme. Le 22 février, George Kennan expédie un long télégramme dans lequel il énonce la nécessité

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1946-1948, la déchirure

d’un retour à une diplomatie de la sphère d’influences. « Le containment long, patient, mais ferme et vigilant des tendances expansionnistes russes » doit être mené en certaines régions stratégiques pour la défense des États-Unis. À Fulton, le 5 mars, en présence du président Truman, Churchill lance un appel à la défense du « monde libre ». Le remplacement de la plupart des membres du cabinet rooseveltien par des diplomates issus du monde des affaires, ayant tous suivi avant la guerre les cours de Robert Kelly sur la culture et la civilisation russe, dénote le nouvel état d’esprit du président Truman. Conscient des responsabilités mondiales de l’Amérique, désireux de remplacer l’Angleterre en Méditerranée orientale (→ fiche 13), le président américain entend défendre une communauté atlantique irriguée par une diplomatie du dollar. Déjà pratiquée durant l’entre-deux-guerres (plans Dawes de 1924 et Young de 1929), la diplomatie du dollar cherche, en comblant le « dollar gap » dont souffre l’Europe, à favoriser la prospérité interne des États-Unis. Les accords de Bretton Woods de juillet 1944 consacrent le rôle clef du billet vert. L’UNRRA, United Nations Relief and Rehabilitation Administration, distribue entre 1944 et 1947 pour près de 14 milliards de dollars d’aide aux populations européennes des territoires libérés. Voilà qui anticipe sur le plan Marshall mis en œuvre peu après (→ fiche 22). Contre cette stratégie de la prospérité qui facilite la reconversion du Warfare State, Moscou réplique par un verrouillage idéologique : créé le 5 octobre 1947, le bureau d’information communiste, ou Kominform, est le creuset de la solidarité anti-occidentale (→ fiche 23).

FICHE  21

I. Les fondements de la théorie Les États-Unis Zone qui, selon G. Kennan, est vitale à la défense des États-Unis: Europe occidentale Scandinavie Méditerranée Maroc Côte africaine du Maroc au Sénégal Moyen-Orient (Iran inclus) Amérique latine Japon

URSS

ÉtatsUnis

II. La Réalité du “containment” Après l’annonce du retrait britannique, intervention des États-Unis (Grèce et Turquie) L’URSS, “nouveau barbare” Glacis territorial contôlé par l’URSS en 1948 Diplomatie du dollar (UNRRA et plan Marshall) Pays où éclate en 1947 la coalition politique comprenant des communistes Les lieux de la guerre froide en 1948-1949 (Prague, Berlin, Pékin, Séoul) Le rideau de fer sépare les 2 Europes.

Principes et réalité de l’endiguement

1946-1948, la déchirure

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Quelques artisans de la déchirure

FICHE  21

La guerre froide est une affaire d’hommes qui s’invectivent, se livrent à des parties de « poker menteur » ou à un jeu codé, tout en étant capables de coups d’éclat et de revirements spectaculaires, en prenant à témoin l’opinion publique internationale. Plus la guerre froide se développe et plus l’ignorance sur les objectifs de l’autre se renforce. Seul le contact direct entre les deux parties peut mettre un terme à cette logique. Or de 1945, conférence de Potsdam, à 1959, rencontre entre le vice-président Nixon et Khrouchtchev, nul contact au plus haut sommet.

DU CÔTÉ AMÉRICAIN Dean Acheson (1893-1971), sous-secrétaire d’État, le plus anglais des diplomates américains à cause de son élégance, est l’exemple type de « l’upper class elite ». Sous-secrétaire au Trésor en 1933, vice-président de la Brooking Institution, secrétaire d’État de 1949 à 1953, il « fut le balancier, le coordinateur, le pourvoyeur de continuité et du sens à suivre dans ces temps déconcertants » (Gaddis Smith, Dean Acheson). C’est lui qui est au centre de toutes les crises – le contrôle international des armes atomiques, la crise à propos de la Grèce, de la Turquie, de l’Iran, les prêts aux Britanniques, la mission de Marshall en Chine pour tenter de réconcilier les parties prenantes dans la guerre civile. Byrnes était tout au long de l’année 1946 en Europe, d’où le rôle déterminant d’Acheson, apprécié par Truman. George Kennan, né en 1904, diplomate de carrière, chargé d’affaires à Moscou, après avoir occupé différentes fonctions dans les ambassades américaines en Europe dans le courant des années trente, célèbre pour son télégramme n o 511. Ce télégramme expédié le 22 février 1946, lu par le président des Etats-Unis, apporte la justification intellectuelle au changement de politique préconisé par Acheson. D’autant que l’ancien ambassadeur des États-Unis à Moscou, Averell Harriman, secrétaire au Commerce en septembre 1946, en remplacement de Wallace, fait la même analyse. James Forrestal, secrétaire à la Marine, ne cesse de dire depuis mai 1945 que la moitié de l’Europe

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1946-1948, la déchirure

allait tomber sous la mainmise des Soviétiques. Il est tellement impressionné par l’analyse de Kennan qu’il lui demande de venir initier les officiers supérieurs du National War College aux problèmes géostratégiques contemporains. George Marshall (1880-1959), chef d’État-major pendant la guerre, organise l’acheminement des livraisons au titre du prêt-bail. Il fait preuve d’exceptionnelles qualités d’« organisateur ». À la demande de Truman, il devient secrétaire d’État, entre 1947 et 1949. Il élabore alors le plan d’assistance à une Europe souffrant de la faim et du froid, tout en amorçant les négociations préalables à la signature du traité de l’Atlantique Nord. Harry Truman (1884-1972) révèle sa vraie personnalité dès la mort de Roosevelt. Il décide seul d’utiliser la bombe atomique contre le Japon. Soumis aux pressions contradictoires des « colombes » (Wallace et Byrnes) et des « faucons », il se rallie à la fermeté réclamée par Churchill dans le discours de Fulton (Missouri). Le 12 mars 1947, dans son message au Congrès, il oppose aux visées soviétiques le containment, reposant sur une aide matérielle et sur l’engagement militaire de son pays. Le président parvient ainsi à rallier l’électorat américain à un nouveau consensus fondé sur la défense de sphères d’influence limitées. Pour la première fois, la politique extérieure devient l’enjeu central de la campagne présidentielle de 1948. Au Congrès, il nous faut aussi évoquer les rôles essentiels de Tom Connaly, sénateur du Texas, et d’Arthur Vandenberg, président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, qui accompagnent Byrnes dans tous ses déplacements en Europe.

DU CÔTÉ SOVIÉTIQUE En 1938, Béria (1889-1953) succède à Ejov en 1938 à la tête du NKVD, la police politique, bras armé du Parti. À la fin de la guerre, il est chargé par Staline de diriger le programme nucléaire soviétique. Aidé par un certain nombre d’atomistes occidentaux, transfuges des services soviétiques, il parvient à ses fins : en septembre 1949, l’URSS

fait exploser sa première bombe atomique. « Notre Himmler », tel était le surnom que lui donnait Staline, manigance avec Malenkov en 1949 l’éviction et l’exécution de Nikolaï Voznesenski, économiste, membre du Bureau politique. C’est le signal d’une nouvelle purge qui vise Molotov, Vorochilov et Mikôyan. En 1952, il fait emprisonner de nombreux médecins juifs accusés d’avoir empoisonné Jdanov. En juin 1953, Béria est arrêté, jugé à huis clos et exécuté en décembre de la même année. Jdanov (1896-1948), ce « soldat du parti », selon l’expression utilisée par les Izvestia en 1986, est l’homme de la rupture avec les Anglo-Saxons. Les discours de Jdanov sur la culture – « Culture et vie », « Pour l’esprit Bolchevique », (1946) – anticipent sur la rupture diplomatique. Jdanov focalise sa critique sur les poèmes d’Anna Akhmatova, « nonne et fornicatrice ». Mais en fait il s’en prend à Eisenstein qui n’aurait pas assez insisté sur la grandeur intellectuelle d’Ivan le Terrible. De même, il fustige le penchant des intellectuels soviétiques à admirer « la culture bourgeoise de bas étage qui sévit en Occident ».

Et au passage, il met en cause les choix musicaux de Chostakovitch, Prokoviev, Khatchatourian, trop imprégnés de « musique occidentale décadente ». Contre cette soumission à l’impérialisme culturel, il prône la « normalité ». Même attaque contre les philosophes attirés par l’existentialisme de Sartre, l’immoralité de Jean Genet, « pestilentiel et pourri ». Il s’agit bien d’édifier un mur impénétrable de défense contre un Occident corrupteur et tentateur. L’URSS doit se réarmer moralement. Staline (1879-1953), après quelques années de relative libéralisation durant la « grande guerre patriotique », entend en 1945 restaurer son autorité absolue. Renouant avec le volontarisme économique le plus irréaliste, Staline a besoin d’inventer un ennemi extérieur pour mobiliser toutes les énergies et combattre les éventuelles déviances. Le fascisme abattu, cet ennemi est l’impérialisme américain. Artisan de l’expansionnisme soviétique, Staline éprouve d’autant plus de méfiance que l’Ouest cherche à le contenir.

FICHE  21

Pistes bibliographiques Denise Artaud dans La Fin de l’innocence, les États-Unis de Wilson à Reagan, Armand Colin, 1985, explique les raisons de la déchirure vue du côté américain. Jacques Lévesque dans L’URSS et sa politique internationale de Lénine à Gorbatchev, coll. « U », Armand Colin, nelle éd. 1997, l’analyse du côté de Moscou. Les numéros 47 et 48 de la revue Relations internationales éclairent les raisons, les modalités et les implications de la rupture de 1946. Pierre Grosser multiplie les pistes explicatives dans Les Temps de la guerre froide, coll. « Questions au xxe siècle », Éditions Complexe, 1995.

1946-1948, la déchirure

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FICHE 22

1948-1952, la diffusion du modèle américain Le plan Marshall, une réponse de circonstances

L

es deux après-guerres présentent une remarquable similitude : à une Europe affaiblie, asphyxiée par un manque de liquidités – dollar gap –, fait face une Amérique surpuissante. Tirant les leçons du passé, Washington ne commet pas en 1947 les mêmes erreurs que dans les années Vingt (→ fiche 9). L’impossibilité de rétablir la convertibilité de la livre durant l’été 1946 dénote l’état catastrophique des finances anglaises. En dépit de l’aide délivrée par l’UNRRA (→ fiche 21), cent millions d’Européens ne disposent pas des 1 500 calories par jour qui marquent le seuil de la famine. En France, par exemple, la ration quotidienne en pain est inférieure à celle distribuée durant la guerre ! L’administration américaine élabore dans l’urgence un plan cohérent de relèvement des structures européennes. Peu après l’échec de la conférence de Moscou à propos des réparations allemandes, George Marshall en fait l’annonce à Harvard, le 5 juin 1947 : « L’Europe a besoin d’une aide extérieure substantielle, faute de laquelle elle connaîtrait une détérioration économique, sociale et politique du caractère le plus grave. » L’offre américaine concerne en théorie la totalité du continent européen. Après quelques journées d’hésitation, Staline prétexte l’une des conditions mises par Washington, la communication d’informations statistiques sur les potentiels de production, pour la refuser et forcer les autres pays de son glacis à en faire de même. Seize pays occidentaux acceptent le plan Marshall mis en œuvre par l’OECE, Organisation européenne de coopération économique, créée le 16 avril 1948 (→ fiche 25).

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1948-1952, la diffusion du modèle américain

Un laboratoire d’expérimentation Pour les pays bénéficiaires, l’ERP, European Recovery Program, accélère le relèvement économique et l’apprentissage de solidarités : la disparition des goulots d’étranglement fait reculer l’inflation et offre un cadre favorable aux échanges commerciaux. Pour les populations européennes, « c’est l’assurance de disposer de moyens de travail et de matières premières indispensables au relèvement de leur niveau de vie » (Jean Monnet). Pour les entrepreneurs, le plan Marshall facilite l’apprentissage du système américain de fabrication : le Commissariat général au plan français organise ainsi des missions de productivité aux États-Unis pour initier des patrons aux méthodes en vigueur dans les grandes entreprises d’outre-Atlantique. Pour les partis communistes regroupés dans le Kominform, la « marshallisation » signifie la colonisation de l’Europe par les États-Unis. Le 20 juin 1948, la réforme monétaire aboutissant à la création du deutsche mark dans les zones occidentales de l’Allemagne ouvre la première grande crise de la guerre froide (→ fiche 20). Le rideau de fer évoqué par Churchill en 1945 devient donc une réalité tangible pour l’opinion publique : à l’Europe de l’Ouest, vivant sous assistance américaine, s’oppose celle de l’Est soumise à la voie stalinienne (→ fiche 23). Le plan Marshall (1948-1952), reflet des interdépendances entre les deux rives de l’Atlantique, contribue à renforcer l’atlantisme qui plonge ses racines dans l’entre-deux-guerres.

FICHE  22

L’aide américaine à la France en 1948

Ce schéma illustre l’interdépendance entre la France et les États-Unis. L’ECA travaille en étroite coopération avec l’administration française pour débloquer les sommes octroyées, les francs de contrevaleur. L’essentiel de ces crédits finance le plan Monnet. Source : Gérard Bossuat, « Le poids de l’aide américaine sur la politique américaine et financière de la France et 1948 », revue Relations internationales, n° 37, 1984.

1948-1952, la diffusion du modèle américain

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Le plan Marshall

FICHE  22 L’ambition de George Marshall

« Notre politique n’est dirigée contre aucun pays, ni doctrine, mais contre la faim, la pauvreté, le désespoir et le chaos. Son but devrait être le rétablissement d’une économie mondiale saine de façon à permettre le retour à des conditions politiques et sociales dans lesquelles peuvent exister des institutions libres. […] Il ne serait ni convenable ni efficace de mettre en application unilatéralement un programme destiné à remettre l’Europe sur ses pieds, économiquement. C’est l’affaire des Européens. » Extrait du discours de George Marshall, le 5 juin 1947, cité par Harry S. Truman, Mémoires, t. II, Plon, 1956.

Le témoignage du premier secrétaire général de l’OECE « Cette idée [il s’agit du plan Marshall] consistait essentiellement à traiter l’Europe comme une

unité, bien plus à demander aux pays européens de se comporter comme une unité et de prendre ensemble, aidés par l’Amérique, les mesures nécessaires pour assurer le redressement du continent pris dans son ensemble. […] Le plan Marshall fut moins un geste purement désintéressé qu’un acte politique suprêmement intelligent. Les États-Unis entreprirent de sauver l’Europe une seconde fois. Bien entendu, ils cherchèrent à imposer leur volonté, mais leur volonté visait à mettre fin au drame européen et coïncidait avec l’intérêt de l’Europe. Cela explique que, d’une part, aucune décision économique importante ne pouvait être prise en Europe sans l’accord des Américains et que, d’autre part, ceux-ci ne cherchèrent jamais à faire que les Européens se comportent d’une façon contraire à leur intérêt profond. » Robert Marjolin, Le Travail d’une vie, mémoires 1911-1986, Robert Laffont, 1986.

Répartition des crédits du plan Marshall (1948-1952) Pays

Total en millions de $

%

dont prêts

%

Tous pays Angleterre France Italie RFA Pays-Bas Autriche Grèce Belgique-Luxembourg Danemark Norvège Autres

12 992,5 3 165,8 2 629,8 1 434,6 1 317,3 1 078,7 653,8 628,0 546,6 266,4 241,9 515,4

100,0 24,4 20,2 11,0 10,1 8,3 5,0 4,8 4,2 2,1 1,8 3,9

1 139,6 336,9 182,4 72,0

100,0 29,6 16,0 6,4

150,7

13,2

68,1 31,0 35,0 263,5

6,0 2,7 3,1 23,0

Le « miracle » du plan Marshall « Les fonds de contrepartie provenaient de la transformation en monnaies européennes des recettes obtenues par la vente de produits américains. Ces sommes pouvaient alors être mises à la disposition du gouvernement bénéficiaire pour ses investissements intérieurs, le remboursement de sa dette ou d’autres usages. Le système était particulièrement ingénieux en ce qu’il permettait à l’aide américaine de servir, pour ainsi dire, deux fois. Il résolvait, en le contournant, le problème de la pénurie de billets

100

1948-1952, la diffusion du modèle américain

verts en même temps qu’il stimulait l’investissement intérieur et le développement économique et contribuait à limiter l’inflation. » Irwin M. Wall, L’Influence américaine sur la politique française, 1945-1954, Balland, 1989.

Le point de vue du journaliste « On a souvent célébré la générosité des Américains. Et il est vrai qu’il faut toujours de la générosité à une collectivité pour investir dans de grands projets

à long terme au lieu de tirer le meilleur profit dans l’immédiat des ressources à sa disposition. Mais la générosité ne pouvait mieux coïncider, en l’occurrence, avec l’intérêt bien compris. Car il était grand temps, pour les États-Unis, s’ils voulaient éviter non seulement l’effondrement des régimes démocratiques d’Europe occidentale mais la poursuite d’une charité pratiquement à fonds perdu, de procéder à une vaste redistribution des billes, de donner à leurs partenaires les moyens d’acquérir le minimum de puissance économique sans lequel ceux-ci n’avaient aucune chance d’échapper à leur condition d’assistés. »

Washington la participation de l’Union soviétique. Elle augmentait le coût de l’opération au point de la rendre inacceptable par le Congrès. Qui plus est, l’impossibilité de déboucher sur un accord au sujet des traités de paix avec l’Allemagne et l’Autriche lors de la conférence de Moscou (10 mars-25 avril) a montré une fois encore l’extrême difficulté de s’entendre avec les Soviétiques. Dans ce contexte, les faire participer au plan Marshall, n’était-ce pas condamner cette initiative à l’échec ? Mais à l’inverse le gouvernement américain ne voulait pas assumer l’odieuse responsabilité de laisser l’Europe de l’Est démunie de toute assistance. D’où la formulation de sa proposition, qui est un risque calculé. Car, André Fontaine, Le Monde, 4 juin 1977. pour la bonne marche de l’opération, il demandait à ses futurs partenaires des informations claires et « Le plan Marshall, bonne action chiffrées sur leur situation économique, et en cette ou bonne affaire ? » matière comme dans d’autres, la transparence a « La proposition américaine n’a-t-elle pas été savam- rarement l’heur de plaire au Kremlin. En dernière ment calculée pour provoquer le refus soviétique ? analyse, le refus soviétique n’était pas seulement De ce fait, n’a-t-elle pas accentué la fracture de souhaité, mais attendu. » l’Europe ? En d’autres termes, les États-Unis ne Denise Artaud, La Fin de l’innocence, seraient-ils pas indubitablement le « vilain » de les États-Unis de Wilson à Reagan, Armand Colin, 1985. l’histoire ? Assurément, on ne souhaitait pas à

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Pistes bibliographiques André Fontaine, Histoire de la guerre froide, 2 vol., coll. « Points », Le Seuil, 1983 et La Guerre froide 1917-1991, coll. « Points », Le Seuil, 2006. La revue L’Histoire a réuni dans un volume des articles relatifs au Temps de la guerre froide, coll. « Points », Le Seuil, 1994. Jacques Lévesque dans L’URSS et sa politique internationale de Lénine à Gorbatchev, coll. « U », Armand Colin, 1988, évoque la guerre froide du point de vue soviétique.

1948-1952, la diffusion du modèle américain

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FICHE 23

La diffusion du modèle soviéto-stalinien (1945/1968) De l’occupation à la stalinisation

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ès le début de l’année 1945, l’Armée rouge présente en Europe orientale deux visages contradictoires : force de libération aux yeux de l’opinion publique occidentale, elle est en fait une armée d’occupation qui agit en faveur des intérêts supérieurs de l’URSS. La résistance polonaise non communiste paie chèrement ses velléités d’indépendance en septembre 1944 et ce, au plus grand profit du Comité communiste de Lublin. Malgré la signature de la déclaration sur l’Europe libérée, à Yalta, en février 1945, Staline reste fidèle à la position définie en octobre 1944, lors de la venue de Churchill à Moscou : l’Europe orientale est un glacis défensif indispensable à la sécurité de l’URSS ; c’est aussi la zone d’expansion « naturelle » du système soviétique car « cette guerre ne ressemble pas à celles du passé. Quiconque occupe un territoire y impose son système social », déclare Staline à Tito en avril 1945. En moins de trois ans, les gouvernements de coalition réunissant les communistes, les partis « bourgeois » et nationalistes de la résistance, laissent la place à des équipes staliniennes qui suivent la voie du « grand frère » (→ fiche 21). Hormis le « coup de Prague » conduit par Klement Gottwald en février 1948 du fait du souvenir de la conférence de Munich (1938), la stalinisation des autres « démocraties populaires » a des échos atténués à l’Ouest. Dès 1948, les pays du « bloc » socialiste connaissent la même planification centralisée et déséquilibrée au profit des industries de biens de production, la collectivisation agraire, et subissent des transferts massifs en faveur de l’URSS. Contrairement au plan Marshall

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La diffusion du modèle soviéto-stalinien (1945/1968)

(→ fiche 22), le CAEM, Conseil d’assistance économique mutuelle (1949), prélève des produits bruts et ouvrés pour renforcer le système de puissance soviétique. Le Kominform soumet le « bloc » à un strict contrôle idéologique. De même que l’URSS connaît une nouvelle phase de stalinisation, ces pays « situés géographiquement au centre de l’Europe, mais dépendants politiquement de l’Est » (Milan Kundera) vivent de grands procès qui rappellent ceux de Moscou des années 1930. L’ennemi à abattre est alors le « sioniste » ou l’espion « titiste », accusés d’être à la solde de l’Occident.

Des révolutions brisées dans l’œuf Berlin en juin 1953, Budapest en novembre 1956, Prague au printemps* 1967, Gdansk en 1970… à chaque fois, les manifestations « bourgeoises », anti-soviétiques, sont écrasées dans le sang par les chars de l’armée rouge. Ces convulsions expriment l’opposition de la société civile à la tutelle post-stalinienne. Le retour à la « légalité socialiste », qui prend un tour spectaculaire lors du XXe congrès du PCUS en février 1956, libère les énergies et nourrit une contestation multiforme : identitaire en Pologne, du fait du rôle clef de l’Église catholique, nationale en Hongrie, intellectuelle en Tchécoslovaquie… (→ fiche 35) Le refus de toute réforme satisfaisant les aspirations des sociétés et des élites ruine les fondements mêmes des « démocraties populaires » soumises aux pénuries quotidiennes, à la grisaille idéologique et à la « normalisation » (v. p. 105) brejnevienne.

FICHE  23

Des pays sous contrôle

La diffusion du modèle soviéto-stalinien (1945/1968)

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Les grands procès en sorcellerie de la fin des années 1940

FICHE  23

1947 6* : Épuration du PCP

Pologne

Hongrie

Bulgarie

Albanie Tchécoslovaquie Roumanie

1948 1949 9 : Gomulka Secrétaire général du parti, écarté pour 11 : Gomulka exclu du PCP « dévia­tionnisme » 9/11 : Rajk, accusé d’être un « espion des puissances impérialistes et des 9 : Rajk, ministre de agents trotskistes et titistes » est l’Intérieur limogé arrêté et condamné à mort 4/12 : Kostov, vice-président du Conseil est destitué, arrêté, condamné à mort pour titisme 5 : Dodze, vice-président du Conseil, secrétaire du PCA, est jugé et condamné à mort 10 : épuration dans le PCT

1950

1951

1952

Pologne Hongrie 3 : procès d’« espions à la solde de la Yougoslavie »

Bulgarie Albanie

Tchécoslovaquie

10/11 : Husak, Clémentis sont dénoncés pour « nationalisme bourgeois »

Roumanie

8 : procès d’espions à la solde de la Yougoslavie

2 : Husak, Clémentis arrêtés 11 : Slansky, Secrétaire général du PCT, est arrêté

11 : Slansky et dix accusés sont jugés et condamnés à mort 5 : Anna Pauker et Luca sont exclus du PCR pour « déviationnisme » et relevés de leurs fonctions

6* : sixième mois de l’année (juin).

Les trois temps du « printemps de Prague » Aux origines Un homme : Alexandre Dubcek (1921/1993), formé à l’École supérieure du Parti à Moscou, secrétaire général du PCT, entend « humaniser » le socialisme. Des soutiens : des cadres plus nombreux, mieux formés, depuis la réforme appliquée en 1965 aux entreprises. Une mémoire retrouvée : le renouveau intellectuel avec les œuvres des cinéastes Milos Forman, Jiri Menzel, avec les ouvrages de Milan Kundera dont La Plaisanterie… De tout temps, les intellectuels tchèques se sentent investis d’une mission, celle d’incarner leur histoire nationale. Bien que

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La diffusion du modèle soviéto-stalinien (1945/1968)

soumis à la censure, ils transforment en tribunes certaines structures comme l’Union des écrivains ou comme les Congrès officiels, par exemple celui de juin 1967. Sans le soutien permanent d’une population en quête de mémoire, jamais ce mouvement contestataire n’aurait pu acquérir sa plénitude. Un contexte international propice : la coexistence pacifique, l’ouverture timide au tourisme occidental, les contacts entre universitaires de l’Ouest et de l’Est réveillent des tendances assoupies durant la guerre froide.

Le « cours d’après janvier » ou « printemps » de Prague « C’est d’abord une révolution qui s’adresse à l’imaginaire et à la conscience collective, le retour des valeurs morales dans la politique qu’elles avaient désertée depuis le grand traumatisme stalinien. » Bernard Michel, La Mémoire de Prague.

Les grandes questions soulevées par la population et l’équipe dirigeante : l’origine et le sens de la nation tchèque et slovaque, les rapports avec les autres pays européens, la nature du socialisme,

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les relations avec Moscou et les « démocraties populaires »… Les tabous transgressés : élection des responsables du PC, réapparition des petits partis du Front national de l’avant 1948, et même discussion pour créer un parti socialiste d’opposition, responsabilité des entreprises devant le marché… Le danger : un risque de contagion à la Pologne voisine, l’affolement des dirigeants de la RDA.

La « normalisation » La décision : dans la nuit du 20 au 21 août 1968, après avoir beaucoup hésité, la direction soviétique décide d’intervenir « à l’appel de camarades tchécoslovaques ». Les 500 000 hommes de troupes et les 7 000 chars de l’Organisation du Traité de Varsovie se heurtent alors à la résistance passive de tout un peuple dont il faut détruire la cohésion sociale, briser la résistance, casser la mémoire. La lobotomie : les bibliothèques des universités sont vidées des ouvrages jugés contestataires et subversifs, les intellectuels réduits au silence ou à l’exil, par exemple Milan Kundera, Milos Forman…, l’ancienne équipe dirigeante progressivement bâillonnée, la société civile de plus en plus enrégimentée. La société a beau se rebeller contre la « normalisation » stalino-brejnevienne,

tel le jeune étudiant Jan Palach qui s’immole par le feu sur la place Venceslas en janvier 1969. Rien n’y fait et progressivement la société tchèque accepte de se taire : « En effet, la « normalisation » réussit dès lors que la violence ouverte ne s’avère plus nécessaire. » (Jacques Rupnik, L’Autre Europe.) La « doctrine » Brejnev : en réussissant le « deuxième » coup de Prague, la « doctrine Brejnev » sur la souveraineté limitée condamne le polycentrisme admis par Khrouchtchev, au moins jusqu’en novembre 1956, et réduit l’Union soviétique à une façade de puissance. À Prague, les chars du Pacte de Varsovie ont fait disparaître toute possibilité de réformer le système soviétique. Gorbatchev en paie durement les conséquences vingt ans plus tard.

Pistes bibliographiques Dans Misère des petits États d’Europe de l’Est, L’Harmattan, 1986, l’historien hongrois Istvan Bibó se penche sur la situation des États d’Europe centrale. Milan Kundera rédige un remarquable article dans le n° 27 de la revue Le Débat, novembre 1983. Parmi tous les spécialistes de l’Europe centrale, citons François Fejto, Histoire des démocraties populaires, coll. « Points », Le Seuil, 1992 ; La Fin des démocraties populaires, coll. « Points », Le Seuil, 1997, et Bernard Michel, La Mémoire de Prague, Perrin, 1986.

La diffusion du modèle soviéto-stalinien (1945/1968)

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FICHE 24

Les guerres en Chine

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e la fin des années 1920 à 1949, la Chine connaît une longue phase de divisions et de désordres. Les guerres qui dévastent les régions côtières et deltaïques sont comme une transition entre le premier et le deuxième xxe siècle. La première guerre civile (1928-1937) oppose les communistes aux nationalistes du Guomindang (→ fiche 12). Tous souhaitent pourtant construire une Chine nationaliste tournée vers une modernité d’inspiration

occidentale. En dépit de sa dimension tragique et des pertes subies lors des campagnes d’encerclement conduites par le général Jiang Jieshi, la « Longue Marche » est une chance pour les forces de Mao Zedong (→ fiche 12) : le madisme se ruralise et se stalinise durant la guerre révolutionnaire de partisans (→ fiche 28). La deuxième guerre (1937-1944) voit le Japon, maître de la Mandchourie depuis 1931, envahir la Chine « utile ». Les civils en sont les premières victimes : l’horreur atteint son

La guerre de Chine, 1937-1944

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Les guerres en Chine

FICHE  24

g Yan

zi

La guerre civile en Chine, 1947-1949

comble à Nankin en décembre 1937. Face aux troupes japonaises, les nationalistes alliés des communistes « échangent de l’espace contre du temps », selon la formule de Jiang Jieshi. La troisième guerre (1947-1949) sanctionne l’échec de la négociation entreprise en 1945 sous les auspices du général Marshall. Pendant plus de deux ans, la lutte oppose « le millet

et les fusils » des 500 000 hommes de l’Armée Populaire de Libération aux tanks et avions de Jiang. À l’issue de ces trois guerres, quatre Chine se font face : la République populaire proclamée en octobre 1949, la Chine nationaliste de Formose, Hong Kong et Macau sous tutelle anglaise et portugaise. Les guerres en Chine

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Jiang Jieshi ou Tchang Kai-chek (1887-1975)

FICHE  24 18871905 1911

Naissance dans une famille de commerçants habitant une ville située au sud de Shanghai. Entré premier à l’académie militaire de Paoting, il passe quatre années au collège militaire impérial de Tokyo. Comme beaucoup d’officiers chinois, il fréquente des cercles nationalistes et républicains. Il rallie la révolution nationaliste du docteur Sun Yat-sen, s’engage dans plusieurs campagnes militaires, avant de s’établir agent de change.

1923

Il participe à la reconquête de Canton par Sun. Après l’accord signé entre le Komintern et le Guomindang, Jiang se rend en URSS. Là, il apparaît comme l’archétype du dirigeant nationaliste.

1924

Assisté de Zhou Enlai, il dirige l’école militaire de Whampoa d’où sort une génération d’officiers qui rallient soit les communistes, soit les nationalistes. À la mort de Sun, le 25 février 1925, le général Jiang Jieshi élimine l’aile gauche du Guomindang.

1926

Prétextant une menace communiste, Jiang chasse tous les membres du PCC des postes de direction, renvoie les envoyés du Komintern. Il prépare l’expédition du Nord contre les Dujun, ou seigneurs de guerre. Après les succès militaires, Jiang entre à Shanghai le 23 mars. Le 12 avril 1927, il fait massacrer des dizaines de milliers de communistes. Jiang, qui unifie le Guomindang et contrôle la moitié de la Chine, décide de se retirer de la vie politique. Il voyage au Japon avec son épouse, issue d’une famille de banquiers.

1928

Jiang retourne dans la capitale, Nankin. Là, après avoir reconquis la totalité de la Chine du Nord, il se consacre à la modernisation des structures du pays. Chef du parti, chef du gouvernement et chef de l’armée, il souhaite réformer la société par le Mouvement de la vie nouvelle –  li, yi, lian, zhi – rites, justice, intégrité, honneur. Parallèlement à ce réarmement moral, son gouvernement récupère 20 concessions internationales sur 33.

1934 1936

1937

1947

Tandis que le Japon, maître de la Mandchourie, étend sa sphère d’influence aux régions du Nord, Jiang, conseillé par le général nazi von Falkenhausen, dirige les campagnes d’encerclement des « bandits rouges ». Arrêté en décembre à Xi’an par un membre de son état-major, Jiang est relâché, moyennant son ralliement à un second Front uni anti-Japonais. Malgré une résistance acharnée et la destruction des digues du fleuve Jaune pour retarder l’avance japonaise, les forces de Jiang évacuent les régions côtières et se réfugient à Chungking. Durant la guerre, la corruption gangrène son armée qui combat mollement les Japonais. En 1943, les Alliés acceptent la fin du régime des concessions, de l’extraterritorialité datant de 1842 et des traités inégaux. Jiang est reconnu en 1945 comme l’un des « cinq gendarmes » du monde. D’août à octobre 1945, la négociation avec les communistes échoue du fait de ses exigences. La trêve est toutefois reconduite avec Mao en 1946. Soutenues par les Américains, ses forces se lancent dans la conquête du Nord. Après quelques succès, l’année rouge contre-attaque. L’armée nationaliste, minée par la corruption généralisée, reflue. Jiang décide alors de se replier sur l’île de Taïwan. C’est chose faite en 1949. Il préside alors aux destinées de la Chine nationaliste jusqu’à sa mort en 1975.

La sinisation du communisme et l’émergence du maoïsme Si le terme de « maoïsme » est employé pour la première fois le 19 février 1942 par un communiste chinois, Zhang Ru-Xin, il existe dès les débuts des années vingt : tour à tour, jusqu’en 1949, il passe par quatre phases. 1. Le « maoïsme » des débuts des années 1920 est un populisme, Mao étant « un anarchiste éclectique fasciné par le peuple et par l’organisation » (Robert A. Scalapino). 2. Le deuxième « maoïsme » est le fait d’un homme n’ayant pas suivi d’études supérieures,

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Les guerres en Chine

n’appartenant pas au groupe de Shanghai mais qui a de solides racines provinciales dans le Hunan. Mao ruralise sans difficultés son discours et sa pratique. Il est alors porté par la « vague paysanne » qui secoue le pays après 1927. Dans l’histoire de l’Asie, les mouvements paysans se structurent moins autour de thèmes nationaux qu’ils ne cherchent à remédier à l’insécurité alimentaire – famines de 1921, 1928, 1942, 1945… – et à établir des rapports jugés plus équitables avec le pouvoir. La trop grande pression fiscale,

l’érosion des terres les plus riches nourrissent les révoltes. Cette agitation endémique n’a pas de dimension idéologique ou politique bien nette. Toutefois, les campagnes chinoises ont « une propension chronique à tenter de se saisir du pouvoir plutôt. que de s’attacher à résoudre leur propre pauvreté » (Tetsuya Kataoka), 3. Après 1935, succède un troisième « maoïsme » : c’est à Zunyi, dans la province du Guizhou, que Mao impose sa stratégie militaire et parvient à prendre la tête du PCC. Mao Zedong établit le lien entre la guerre régulière, primordiale pour arracher la décision, et celle auxiliaire, de partisans, qui doit empêcher l’ennemi de « s’établir solidement dans les territoires occupés », le tout étant financé par le commerce de la drogue. 4. Le quatrième maoïsme envisage l’édification d’un État très imprégné de stalinisme (centralisme démocratique, homogénéité idéologique, purges et déportations). « Apprendre au peuple la ligne juste » implique le recours à des pratiques spécifiques, ligne de masse », « rectification du

Parti »… pour « changer l’homme dans ce qu’il a de plus profond ». Le maoïsme une pensée pragmatique et contradictoire, fondée sur l’expérience chinoise et destinée à la seule Chine. La différence est grande avec l’URSS qui entend s’identifier à la voie unique d’accession au socialisme. Staline, très critique à l’égard de celui qu’il appelait le « communiste à la margarine », le trouvait trop ondoyant, trop éloigné aussi du « dogme ». Le rôle déterminant de la paysannerie et le nationalisme de Mao heurtent les Staliniens qui assimilent la Chine à une espèce de laboratoire d’expérimentation quitte à lui imposer des retournements aussi spectaculaires qu’inattendus. Le fossé entre la « voie » chinoise et celle du grand « frère » soviétique est momentanément occulté par la guerre froide et par le conflit coréen (1950-1953) auquel participent plusieurs centaines de milliers de combattants chinois. Mais le malentendu des origines pèse sur les relations bilatérales entre Pékin et Moscou jusqu’à l’incompréhension (1956-1958) et la rupture (1960).

FICHE  24

Pistes bibliographiques Lucien Bianco analyse Les Origines de la Révolution chinoise (1915/1949), coll. « Folio », Gallimard, nelle éd. 2007. Parmi tous les ouvrages généraux sur la Chine, j’en retiens deux : celui de Nora Wang, L’Asie orientale du milieu du xixe siècle à nos jours, coll. « U », Armand Colin, nelle éd. 2014, et celui de François Godement, La Renaissance de l’Asie, Odile Jacob, 1996. Chalmers A. Johnson montre l’ancrage du communisme dans le nationalisme dans Nationalisme paysan et pouvoir communiste. Les Débuts de la révolution chinoise, coll. « Bibliothèque historique », Payot, 1969. Mao et la révolution chinoise d’Yves Chevrier, publié chez Casterman en 1993, présente non seulement une riche iconographie sur ce nationaliste asiatique, mais aussi de nombreuses problématiques. Jean-Luc Domenach et Pierre Richer fournissent une synthèse dans La Chine 1949-1985, Imprimerie Nationale, 1987.

Les guerres en Chine

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FICHE 25

Les États-Unis, entre universalisme et régionalisme Une ambivalence permanente

D

epuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, Washington oscille entre un universalisme conforme à sa « destinée manifeste » et une diplomatie de la sphère d’influence pour contenir le nouvel ennemi idéologique, l’URSS et ses alliés (→ fiches 21, 23, 29). La charte de l’ONU, mise en œuvre autant par les cinq « gendarmes » que par des organismes spécialisés dans les domaines économiques et sociaux, exprime l’ambition universaliste chère à Roosevelt. Dans l’esprit du président américain, la sécurité collective devait être défendue à l’échelle locale, (partie VIII de la Charte des N.-U.) par des organisations régionales définies comme des « unités de coordination ayant des frontières identifiables et fonctionnant de façon relativement continue en vue d’atteindre un objectif ou un ensemble d’objectifs partagés par les membres participants » (S. P. Robbins) (→ fiches 35 et 36). Mais la guerre froide transforme ces organisations régionales en instruments d’une compétition menée à l’échelle mondiale (→ fiches 20, 22, 23).

Un système concentrique Au cœur, l’« hémisphère occidental » s’inscrit dans le droit fil de la déclaration Monroe (1823), complétée par la théorie du « big stick » énoncée par Théodore Roosevelt en 1904, jusqu’à la doctrine Truman de 1947 (→ fiche 44) : « Toute activité communiste en Amérique latine est une intervention dans les affaires intérieures américaines. » La signature du TIAR, Tratado Interamericano de Asistencia Reciproca, le 2 décembre 1947, des accords bilatéraux ainsi que la formation de l’OEA,

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Les États-Unis, entre universalisme et régionalisme

Organisation des États américains, doivent garantir la paix et la sécurité du continent. Jusqu’à la prise du pouvoir par Fidel Castro à Cuba, en 1959, l’OEA remplit sa mission : toute remise en cause des intérêts américains est sévèrement réprimée. (→ fiches 26, 29 et 44). Sur le « vieux continent », l’OECE, Organisation européenne de coopération économique, rassemble les bénéficiaires du plan Marshall. Entre 1950 et 1958, l’UEP, Union européenne des paiements, sert de cadres aux échanges commerciaux, condition sine qua non du relèvement économique. La CECA, Communauté européenne du charbon et de l’acier, est le laboratoire d’expérimentation de la construction européenne qui prend un nouvel essor avec la formation de la CEE, Communauté économique européenne, en 1957 (→ fiches 33 et 40). Aux lendemains du coup de Prague qui symbolise la menace soviétique (→ fiche 23), la France, le Royaume-Uni et le Bénélux concluent à Bruxelles, le 17 mars 1948 un premier traité de défense et de sécurité. Le vote de la résolution Vandenberg par le Congrès le 11 juin 1948 rend possible l’adhésion de l’Amérique à ce type d’alliance défensive. Un an plus tard, le traité de Washington complété par l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, OTAN, remplit sur le plan régional des fonctions confiées jusque-là à l’ONU. La présence de 200 000 à 300 000 soldats américains en Europe démontre le couplage entre les deux rives de l’Atlantique. La signature des traités donnant naissance à l’ANZUS (1951), à l’OTASE (1954) et le pacte de Bagdad (1955) parachèvent le système imaginé à Washington par le secrétaire d’État John Foster Dulles. Au total, le limes définissant le périmètre américain de sécurité repose sur une cinquantaine de pays et sur une force de frappe nucléaire stratégique confiée au Strategic Air Command et à l’US Navy.

CHINE

Guam

Nouvelle-Zélande

Hawaï

1ère Flotte

OTAN (Belgique, Canada, Danemark, E-U, France, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal, R-U, Grèce et Turquie (1952), RFA (1955)

OEA et Pacte de Rio (Traité interaméricain d’assistance réciproque)

“ Western Hemisphère ”

3e Flotte

Bermudes

Escadre aéro-navale

Réseau de base du SAC, Strategic Air Command

Un réseau de bases

2e Flotte

Porto Rico

2e Flotte

Açores

Un système mondial de défense

Le bloc socialiste

OTASE (Australie, France, Nlle-Zélande, Pakistan, Philippines, R-U, Thaïlande)

Un système mondial d’alliances

Australie

Philippines

Japon Corée 7e Flotte du Sud

URSS

Thulé

Arabie Saoudite

6e Flotte

Japon

Australie

OECE (zone d’occupation alliée en Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, France, Grèce, Irlande, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal, R-U, Suède, Suisse, Turquie)

Une diplomatie du $

Diego Garcia

Corée du Sud Philippines Guam

CHINE

Thaïlande

Iran Pakistan

URSS

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Les États-Unis, entre universalisme et régionalisme

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FICHE  25

Les implications du nucléaire dans les doctrines américaines de défense (1954-1983) Stratégie : la stratégie « est l’art de combiner toutes les forces d’un ou plusieurs États en vue d’obtenir un résultat déterminé par une politique » (général Beaufre). La tactique serait l’art de combiner les armes et les armées en vue d’atteindre un objectif concret déterminé par la stratégie militaire. En URSS, la stratégie est subordonnée à la politique, entendue comme « un système de points de vue adopté officiellement, par un État donné, sur le caractère de la guerre et les procédés de sa conduite, la manière d’y préparer le pays et l’armée » (maréchal Gretchko, Les Forces armées de l’État soviétique). L’expérimentation par l’URSS de la première arme atomique, le 22 septembre 1949, ainsi que l’impossibilité d’emploi de l’arme nucléaire pendant le conflit coréen (1950-1953), amènent les responsables américains à s’interroger sur les spécificités de ce nouvel armement. Les stratégies nucléaires américaines connaissent depuis 1954 une certaine évolution tandis que les stratégies soviétiques restent plus stables. Toutes deux reposent sur la dissuasion. Dissuasion : comme le souligne le général Beaufre, « la dissuasion repose d’abord sur un facteur matériel : il faut avoir une grande puissance de destruction, une bonne précision et une bonne capacité de pénétration ». Mais la dissuasion nucléaire, dont la crédibilité résulte aussi de la comparaison entre le risque et l’enjeu, dépend surtout de facteurs psychologiques. « De cette montagne d’évaluations conjecturales, d’hypothèses et d’appréciations fondées sur des intuitions complexes, n’émerge qu’un seul facteur de valeur certaine : l’incertitude. C’est en fin de compte l’incertitude qui constitue le facteur essentiel de la dissuasion. » (général Beaufre, Introduction à la stratégie). Par opposition à la conception occidentale, la dissuasion soviétique repose moins sur le calcul risque/enjeu que sur celui de coût/efficacité. De même tandis qu’à l’Ouest, l’arme nucléaire cherche à empêcher un conflit, à l’Est, le nucléaire est intégré à une stratégie offensive dont l’objectif principal est

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Les États-Unis, entre universalisme et régionalisme

« l’écrasement décisif et total de l’adversaire » (maréchal Gretchko) précédant « l’occupation du territoire ennemi, l’installation d’un autre régime politique et son contrôle » (maréchal Sokolvsky, Stratégie militaire, 1968). On peut distinguer deux types de dissuasion, celle du faible au fort et celle du fort au fort. Reposant sur le pouvoir égalisateur de l’atome, le principe de la dissuasion du faible au fort vise à menacer l’agresseur supposé, aussi puissant soit-il, de représailles insupportables pour son économie et sa population. Il s’agit donc de défendre le sanctuaire national et les intérêts vitaux du pays par une frappe anticités. Cette conception du « tout ou rien » n’est pas fondamentalement modifiée par l’existence des armes tactiques qui doivent délivrer l’« ultime avertissement » à l’adversaire. Seuil nucléaire : il s’agit du moment dans l’escalade d’un conflit à partir duquel ordre est donné par le pouvoir politique d’utiliser l’arme nucléaire. Aux États-Unis, il existe cinq degrés de mise en état d’alerte des forces militaires, de Defense Condition 5, situation normale, à Def Con 1, état de guerre. Les évolutions doctrinales : dissuasion du fort au fort, ou dissuasion symétrique, subit aux ÉtatsUnis une série d’inflexions : 1/ 1954, doctrine Eisenhower de « représailles massives » (« Massive Retaliations ») : « Il n’est pas de défense locale qui puisse, seule, contenir la puissante force terrestre du monde communiste. Les défenses locales doivent être renforcées par l’élément de dissuasion à l’agression que constitue la faculté d’exercer des représailles massives » (J. F. Dulles, 12 janvier 1954). Il s’agit d’une stratégie anticités reposant sur l’arme thermonucléaire transportée par les avions de bombardement stratégique du SAC, Strategic Air Command (1946), en état d’alerte permanente. 2/ 1961, doctrine McNamara de « riposte graduée » : née de la situation de dissuasion réciproque, la « Flexible Response » envisage de répondre à toute agression au niveau choisi par

l’ennemi. Ainsi, à la riposte conventionnelle, succédera automatiquement l’utilisation des armes nucléaires tactiques avant de recourir au bombardement nucléaire stratégique, conduisant à la « destruction mutuelle assurée », MAD en américain, « intimidation réaliste par l’épouvante » en russe. Une telle stratégie inquiète Les Européens qui la perçoivent comme une diminution de l’engagement américain sur le « vieux continent » : en effet, la riposte graduée implique la possibilité de combats nucléaires sur le territoire censé bénéficier de la protection du « parapluie atomique » américain. Cette éventualité avait été envisagée par Henry Kissinger dans son ouvrage paru en 1957, Nuclear Weapons and Foreign Policy. Toutefois, cette gradation redonne aux diplomates un rôle important puisque des possibilités de négociations sont à nouveau envisageables. 3/ 1972-1974, doctrine Schlesinger de « riposte adaptée » (« Measured Deterrence ») : « Étant donné l’éventail des situations politico-militaires possibles devant lesquelles nous pourrions être placés, notre politique stratégique ne doit pas se fonder uniquement sur la capacité d’infliger aux villes et à l’industrie des dommages dont il est probable qu’ils dépasseraient le niveau qu’il peut accepter » (Richard Nixon, message au Congrès, 9 février 1972). Cette doctrine, conséquence de

la précision croissante des vecteurs, repose sur la sélection d’objectifs adverses symboliques mais significatifs, tout en insistant sur les possibilités de riposte à une attaque massive par surprise. Autrement dit, la doctrine Schlesinger cherche à élever le seuil de nucléarisation pour ne pas être entraîné fatalement dans l’apocalypse. Il s’agit aussi de corriger l’effet d’escalade automatique induit par la doctrine McNamara : l’accent est dès lors mis sur les notions de « sélectivité », de « flexibilité » et de « suffisance » stratégique. Elle ouvre donc la voie à la parité entre les arsenaux nucléaires des deux Grands et aux processus de limitation des armements. 4/ 1983, IDS, Initiative de défense stratégique : « Néanmoins, il sera toujours nécessaire de tabler sur le spectre des représailles – sur la menace réciproque – et c’est là un bien triste commentaire, s’agissant de la condition humaine. Ne serait-il pas plus préférable de sauver des vies humaines plutôt que d’avoir à venger leur perte ?… Des consultations approfondies m’ont amené à penser qu’il y a une solution. Entamons un programme visant, par des mesures défensives, à contrecarrer la terrible menace que les missiles soviétiques font peser sur nous. Tournons-nous vers la puissance technologique… » (23 mars 1983, discours de Ronald Reagan au Congrès.)

FICHE  25

Pistes bibliographiques Paul-Marie de La Gorce brosse un tableau des stratégies et de leurs implications sur les relations Est/Ouest dans La Guerre et l’atome, Plon, 1985. Marie-Hélène Labbé s’interroge sur La Tentation nucléaire, coll. « Documents », Payot, 1995.

Les États-Unis, entre universalisme et régionalisme

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FICHE 26

La première crise de la diplomatie atomique Une crise rupture

L

a guerre de Corée en 1950-1953, la double crise à Suez et à Budapest en 1956, la crise des fusées de Cuba en 1962 jalonnent les débuts de l’âge atomique (→ fiche 20). Les deux Grands disposent depuis 1952-1953 d’armes thermonucléaires au pouvoir de destruction mégatonnique et commencent à installer des missiles à moyenne portée. La satellisation d’un engin artificiel réussie par l’Union soviétique en 1957 brise l’invulnérabilité du territoire américain. En 1950, le refus du président Truman d’utiliser l’arme atomique contre les forces nord-coréennes et chinoises traduit une forme d’autodissuasion. Quant aux Soviétiques, ils assimilent l’arme nucléaire à une bombe plus puissante mais similaire aux armes conventionnelles. En 1956, l’arme atomique – 900 charges soviétiques contre 4 000 américaines – apparaît comme un instrument de coopération et même d’intégration entre les deux Grands vis-à-vis des puissances moyennes, la France et le Royaume-Uni, lors de la crise de Suez. En 1962, le monde connaît une diplomatie de bord du gouffre qui donne l’occasion au secrétaire général du PCUS, Khrouchtchev, d’apprendre la dissuasion (→ fiche 24). La crise des fusées est paradoxale ; elle éclate peu après que les deux Grands ont décidé de signer des accords de désarmement – celui de 1959 dénucléarise l’Antarctique –, et d’interdire les essais nucléaires atmosphériques ; la négociation amorcée à la fin de la décennie 50 aboutit au traité d’août 1963 (→ fiche 31).

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La première crise de la diplomatie atomique

Les leçons d’une crise La première crise de la diplomatie atomique transforme en profondeur les relations entre les deux Grands. Tous deux décident d’améliorer leurs moyens d’information réciproques qui font défaut durant la semaine décisive du 22 au 29 octobre 1962, Une ligne téléphonique directe cryptée relie Moscou et Washington à partir de 1963. En rupture avec les principes développés par le maréchal Sokolovski, chef d’État-major de l’Armée rouge entre 1953 et 1960 (→ fiche 25), les dirigeants soviétiques renoncent à une stratégie atomique offensive et à la quête d’une supériorité nucléaire. En 1962, le déséquilibre en faveur des États-Unis est écrasant avec 27 000 charges dont 3 000 capables d’atteindre le territoire adverse contre 3 000 à 7 000 charges nucléaires dont 480 aptes à détruire les villes américaines. La direction soviétique n’a qu’une ambition, atteindre une parité stratégique avec Washington. C’est chose faite avec les traités SALT 1 et 2, Strategic Arms Limitation Talk, signés en 1972 et 1979. (→ fiches 31 et 32). Tirant les leçons de leur échec en 1962, les militaires soviétiques souhaitent disposer de navires de haute mer capables de rivaliser avec la flotte américaine. Dix ans plus tard, l’URSS parvient à desserrer la contrainte continentale. L’Eskadra patrouille sur les mers du monde entier et peut compter sur des bases dans les pays « frères » du tiers-monde (→ fiches 32 et 34). Toutefois, l’éviction de Khrouchtchev en 1964 sanctionne l’échec de son coup de poker dans les Caraïbes.

FICHE  26 Sagua la Grande LA HAVANE St-Cristobal

Candelaria

Guanajay

CUBA

Remedios Santa Clara

Cap Maisi

Baie de Cochons

Guantanamo (base navale américaine)

Santiago

CANADA

New York Chicago Washington

Denver Los Angeles

ÉTATS-UNIS 00 18 km Key West La Havane

MEXIQUE

BAHAMAS

Miami

RÉP. DOMINICAINE

CUBA HOND. BRIT.

Mexico

HAÏTI JAMAÏQUE

HOND. GUATEMALA NICARAGUA EL SALVADOR COSTA RICA

Canal

San José

I. La menace nucléaire

PANAMA

Porto Rico

VENEZUELA COLOMBIE

Les sites des missiles Le rayon d’action des missiles à moyenne portée, IRBM, Intermediate range ballistic missile II. La réplique américaine

0

500

1000 km

La “quarantaine” navale Une base au cœur de Cuba : Guantanamo

Cuba, dede la la crise de de 1962 Cuba,au aucentre centre crise 1962 La première crise de la diplomatie atomique

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FICHE  26

Les acteurs ont la parole • Le 14 octobre, un avion U2 fait des photo- • Le 24 octobre, tandis que l’US Navy réalise le graphies de l’installation de bases de missiles blocus de l’île, des avions américains la survolent nucléaires à Cuba par les forces soviétiques. à basse altitude. • Le 25, Khrouchtchev fait parvenir un message Discours de John F. Kennedy, secret à Kennedy dans lequel il reconnaît l’insle 22 octobre 1962 tallation des fusées et propose un marchandage « Bonsoir, mes concitoyens. Ce gouvernement, planétaire. comme il l’a promis, a maintenu la plus étroite Une conception offensive du nucléaire surveillance sur le renforcement militaire soviétique dans l’île de Cuba. Durant les dernières semaines, « Il y a deux possibilités : la première et la plus des preuves irréfutables ont établi qu’une série de probable, c’est l’attaque aérienne contre des rampes de lancement de missiles offensifs était en objectifs précis avec pour seul but de les détruire ; construction sur cette île prisonnière. La raison d’être la seconde, moins probable mais possible, c’est l’inde ces bases ne peut, être que de fournir une force vasion. Je comprends que celle-ci pour être réalisée, de frappe nucléaire contre les États américains. […] exigerait une grande quantité de forces et, de plus, Nous ne prendrons pas prématurément et sans c’est la forme la plus répugnante d’agression, ce qui nécessité le risque d’une guerre nucléaire mondiale peut l’empêcher. […] dans laquelle même les fruits de la victoire se transSi la seconde hypothèse se réalise et si les impériaformeraient en cendres dans notre bouche – mais listes envahissent Cuba, dans le but de l’occuper, le nous ne reculerons pas devant ce risque chaque fois danger pour l’humanité d’une telle politique agresqu’il faudra y faire face. » sive est si grand qu’après cela l’Union soviétique ne devrait jamais laisser se créer une situation dans • Le 22 octobre, la marine de guerre américaine laquelle les impérialistes pourraient frapper contre applique une « quarantaine » au trafic d’armes elle le premier coup d’une offensive nucléaire. » offensives vers Cuba. • Le 23 octobre, les forces de l’OTAN sont placées Lettre de Fidel Castro à Khrouchtchev, le 26 octobre 1962. en état d’alerte maximum. Les délégués américains et soviétiques s’affrontent au Conseil de • Le 27 octobre, Khrouchtchev propose de retirer sécurité de l’ONU. les fusées de Cuba moyennant le démontage de La décision d’installer des fusées à Cuba missiles Jupiter (de toutes les façons dépassés « L’essentiel pour moi, c’était cette idée que la techniquement) en Turquie. Ce jour-là, la défense présence de fusées soviétiques à Cuba dissuaderait antiaérienne cubaine abat un avion U2. les Américains de lancer une attaque-surprise contre Cuba pour abattre Fidel Castro et son régime. En outre, tout en protégeant Cuba, nos fusées rétabliraient ce que les Occidentaux se plaisent à appeler « l’équilibre des forces ». Les Américains avaient entouré notre pays de bases militaires –, ils nous tenaient en permanence sous la menace de leurs armes nucléaires. Ils allaient savoir ce qu’on ressent quand on sait que des fusées ennemies sont pointées sur vous ; nous ne faisions jamais que leur rendre – en plus petit – la politesse. » Nikita S. Khrouchtchev, Souvenirs, Robert Laffont, 1970.

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La première crise de la diplomatie atomique

L’apprentissage de la dissuasion « Notre message du 27 octobre au président Kennedy permet de régler la question en votre faveur, de défendre Cuba de l’invasion et du déclenchement de la guerre. La réponse de Kennedy, que, semble-t-il, vous connaissiez aussi, offre les garanties suivantes : non seulement les États-Unis n’envahiront pas Cuba avec leurs forces, mais ils ne permettront pas à leurs alliés de réaliser l’invasion. Le président des États-Unis répond ainsi positivement à mes messages des 26 et 27 octobre. […]

Hier, vous avez abattu l’un d’eux [il s’agit des avions de reconnaissance U2], alors qu’avant vous ne les abattiez pas quand ils survolaient votre territoire. Les agresseurs vont utiliser ce fait pour atteindre leurs objectifs. C’est pourquoi nous aimerions vous conseiller amicalement : faites preuve de patience, montrez de la fermeté et encore de la fermeté. Bien entendu, s’il y a une invasion, il faudra la repousser par tous les moyens. Mais il ne faut pas se laisser entraîner par les provocations. » Khrouchtchev à Fidel Castro, le 28 octobre 1962.

Un jeu à somme nulle « Dans votre câble du 26 octobre, vous nous avez proposé d’être les premiers à asséner le coup nucléaire contre le territoire de l’ennemi. Bien sûr, vous comprenez où cela nous entraînerait. Ce ne serait pas simplement un coup, mais le commencement de la guerre mondiale thermonucléaire. Cher camarade Fidel Castro, je trouve votre proposition incorrecte bien que j’en comprenne les raisons. Nous avons vécu un moment extrêmement grave, la guerre thermonucléaire mondiale aurait pu être

déclenchée. Évidemment, les États-Unis auraient subi d’énormes pertes, mais l’Union soviétique et tout le camp socialiste auraient aussi beaucoup souffert. Il est même difficile de dire comment cela aurait pu se terminer pour le peuple cubain. Premièrement, dans le feu de la guerre, Cuba aurait brûlé. Sans aucun doute le peuple cubain aurait lutté courageusement mais – sans aucun doute aussi, héroïquement –, il aurait péri. Si nous luttons contre l’impérialisme, ce n’est pas pour mourir mais pour tirer parti de toutes nos potentialités, pour perdre le moins possible dans cette lutte et gagner ensuite davantage, afin de vaincre et de faire triompher le communisme. »

FICHE  26

Lettre de Khrouchtchev à Fidel Castro, le 30 octobre 1962. Toutes ces lettres ont été publiées par Le Monde, en date du 24 novembre 1990.

• Le 30 octobre, la marine américaine lève le blocus pour 48 heures, le temps de la visite du secrétaire des Nations unies à Cuba. Le 2 novembre, les travaux de démantèlement des bases commencent.

Pistes bibliographiques Un volume de la collection « La Mémoire du siècle » aux éditions Complexe est consacré aux Crises à Cuba, 1961-1962 par Claude Delmas.

La première crise de la diplomatie atomique

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FICHE 27

Les étapes de la décolonisation Un processus global

L

a décolonisation dont les prémices apparaissent au début du siècle est la grande affaire de l’après 1945 (→ fiche 12). En l’espace de vingt ans, trente si l’on considère la fin de l’empire portugais en Afrique, les peuples colonisés accèdent à l’indépendance. À la décennie asiatique succède celle africaine. Entre les deux vagues, la conférence afro-asiatique réunie à Bandung (Indonésie) en 1955 marque un tournant majeur, avec la formation du groupe des non-alignés. Le tiers-monde fait son entrée sur la scène mondiale, avec son pédagogue, Tito, ses leaders, Nehru, Nasser, Sukarno… et ses espoirs modernistes. Le Caire est le refuge des leaders et des mouvements indépendantistes (→ fiche 37). Le mouvement de décolonisation est trop puissant pour être entravé. Paris et Londres en prennent conscience en novembre 1956 avec l’échec de l’opération menée à Suez (→ fiche 30). Tout concourt pour expliquer une telle dynamique : l’épuisement de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale, l’écho des thèses wilsoniennes martelées par l’Amérique de Roosevelt, la force du modèle stalinien, l’existence d’élites indigènes dans les territoires colonisés… Ainsi, un demisiècle après l’âge de l’impérialisme triomphant (→ fiche 2), commence un cycle trentenaire de décolonisation. La transition de la tutelle coloniale à l’indépendance s’accompagne de troubles plus ou moins graves. Ici des incidents, là l’enchaînement troubles/répressions, comme en Kabylie en 1945, à Madagascar en 1947, parfois même des guerres longues et « sales » comme celles d’Indochine, d’Algérie… (→ fiche 28).

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Les étapes de la décolonisation

Les conséquences de la décolonisation L’écho de ces convulsions ne se limite pas aux territoires colonisés mais envahit les métropoles. Les intellectuels y trouvent de nouvelles causes pour se mobiliser, les forces politiques se reclassent autour de la décolonisation tandis que l’opinion publique se passionne pour ou contre le fait colonial. Certains régimes incapables de conduire la marche à l’indépendance, la IVe République en France, le régime dictatorial de Salazar au Portugal, par exemple… disparaissent pour laisser la place à de nouvelles équipes capables de sortir du « bourbier » colonial. À l’échelle planétaire, l’émancipation des peuples colonisés modifie l’équilibre interne de l’Assemblée générale des Nations unies et des organismes spécialisés chargés d’appliquer la Charte. Elle conduit aussi à la multiplication des organisations régionales plus ou moins capables de faire respecter leurs principes directeurs (→ fiches 36 et 40). De tous les continents, c’est l’Afrique qui vit le plus mal la période postcoloniale : la persistance du sous-développement, l’instabilité chronique des régimes politiques, les tensions récurrentes à la fois inter et intra-étatiques témoignent de ces difficultés (→ fiche 43). En dépit des affrontements entre puissances régionales et du surarmement, l’Asie orientale réussit son émancipation ne serait-ce qu’à travers ses performances économiques (→ fiche 41). Quant à l’Amérique latine, elle vit les effets de l’hégémonie économique et culturelle de son voisin nord-américain (→ fiche 45).

Les temps de la décolonisation (1945-1975)

FICHE  27

Les étapes de la décolonisation

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FICHE  27

Lexique de la décolonisation française Accords d’Évian : signés le 18 mars 1962, après deux années de tractations secrètes entre les émissaires français, Louis Joxe, et algériens, Belkacem Krim, ils prévoient l’indépendance de l’Algérie moyennant des garanties dans le domaine militaire et en matière de coopération. Anticolonialisme : exprimé par la droite nationaliste et par les radicaux au xixe siècle, il est véhiculé presque exclusivement par l’extrême gauche après la Grande Guerre. Raoul Girardet dans L’Idée coloniale en France, coll. « Pluriel », 1995, distingue quatre types d’anticolonialisme : −− le messianisme révolutionnaire développé par Aimé Césaire, Jean-Paul Sartre qui préface, en 1961, Les Damnés de la terre de Frantz Fanon ; −− la protestation humaniste exprimée par de nombreux intellectuels, Jules Roy, Pierre-Henri Simon… contre la répression, la torture, la terreur pratiquée par la métropole lors de la décolonisation ; −− le souci de grandeur nationale pour préserver les valeurs fondatrices de la France républicaine (attitude d’Alain Savary), pour retrouver une place dans le concert des nations (Raymond Aron), pour redéployer des dépenses du Zambèze vers la Corrèze (Raymond Cartier) ; −− la légitimité nationale pour éviter des ­d échirements internes et renforcer l’unité nationale (position du général de Gaulle peu avant la signature des accords d’Évian). Communauté : avec la fin de la IVe République, l’Union française cède la place à la Communauté qui définit les rapports entre la métropole et ses territoires d’outre-mer. Ces derniers peuvent avoir le statut de république autonome membre de la Communauté. La plupart des pays africains préfèrent accéder à l’indépendance au début de la décennie soixante, suivant en cela la voie ouverte par la Guinée en septembre 1958. Conférence afro-asiatique de Bandung (14-24 avril 1955) : les 29 États indépendants d’Asie et d’Afrique rappellent la nécessité de respecter le droit des peuples à disposer d’euxmêmes et invitent la France à trouver une issue pacifique à la question coloniale. Le mouvement

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Les étapes de la décolonisation

des non-alignés et les réunions ultérieures sont de précieux appuis pour les mouvements d’émancipation. Conférence de Brazzaville (30 janvier-8 février 1944) : le général de Gaulle et René Pleven, commissaire aux Colonies, esquissent une nouvelle architecture de l’empire, Nulle autonomie, ni indépendance mais une plus grande représentation de l’Outre-mer, accompagnée d’une large décentralisation administrative et économique dans la perspective de l’assimilation des populations à un ensemble de type fédéral. Conférence et accords de Genève : la négociation qui débute aux lendemains de la chute de Dien Bien Phu aboutit à l’accord du 21 juillet 1954 par lequel le Vietnam est partagé provisoirement le long du 17e parallèle en attendant des élections libres. Discours de Carthage : accompagné par le maréchal Juin, le président du Conseil Pierre Mendès France annonce le 31 juillet 1954 le rétablissement de l’autonomie interne de la Tunisie et la volonté française de transférer à son protectorat les compétences de souveraineté. DOM, département d’outre-mer : par la loi du 19 mars 1946, les colonies de Guyane, Guadeloupe, Martinique et Réunion deviennent des départements. FLN : le Front de Libération nationale, formé en septembre 1954, a pour ambition de restaurer « l’État algérien, souverain démocratique et social dans le cadre des principes islamiques et le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de races et de confessions ». G p r a  : le gouvernement provisoire de la République algérienne, créé en septembre 1958, regroupe toutes les tendances du FLN pour obtenir l’indépendance. Istiqlal : parti indépendantiste marocain qui réussit à rallier à ses vues le sultan Mohammed ben Youssef. Ce dernier, déposé en 1953, exilé, négocie les accords de La Celle-Saint-Cloud qui prévoient l’indépendance de son pays. Loi-cadre de 1956, dite aussi Defferre : elle renforce les pouvoirs des territoires d’outre-mer en facilitant la mise en place d’un exécutif local.

Néo Destour : à l’initiative de Habib Bourguiba, le Néo Destour regroupe depuis 1934 les partisans d’une Tunisie indépendante, laïque, démocratique et moderniste. Dissous en 1946, le Néo Destour sort de la clandestinité en 1954. OAS : l’Organisation de l’armée secrète se forme au lendemain de l’échec du putsch des généraux en avril 1961. Structurée en différentes branches – opérations, renseignements, action de propagande –, l’OAS séduit les Français d’Algérie en 1961, pratique des attentats et des meurtres au début de l’année 62, avant de livrer une politique de la terre brûlée au lendemain des accords d’Évian. Pieds-noirs : surnom donné aux Européens d’Afrique du Nord, soit 150 000 en Tunisie, 420 000 au Maroc et plus d’un million en Algérie. L’indépendance des pays du Maghreb se traduit par un exode massif vers la France. En général, leur réinsertion sociale réussit sur la côte méditerranéenne, en Corse et dans les grandes métropoles urbaines. La question de l’indemnisation de leurs biens perdus est résolue avec difficulté.

Plan de Constantine : le 3 octobre 1958, le général de Gaulle présente un plan de développement économique de l’Algérie pour tenter de contrer les revendications indépendantistes. RDA : le Rassemblement démocratique africain, fondé par Félix Houphouët Boigny en octobre 1946, a pour objectif « l’émancipation des divers pays africains par l’affirmation de leur personnalité politique, économique, sociale et culturelle ; l’adhésion librement consentie à une union de nations et de peuples fondée sur l’égalité de droits et de devoirs ». Il s’implante dans les pays de l’Afrique occidentale avant d’éclater en 1958. Union française : de 1946 à 1958, elle tente de redéfinir les rapports entre la métropole et tous les territoires d’outre-mer avec leur pluralité de statuts. Oscillant entre assimilation et association, l’Union française innove peu par rapport au passé. Viet Minh : le Front de l’indépendance du Vietnam regroupe depuis 1941 toutes les composantes communistes et nationalistes. Pratiquant une guérilla, il parvient à ses fins en 1954.

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Pistes bibliographiques De l’Empire français à la décolonisation, coll. « Carré histoire », Hachette, 1991, rédigé par Guy Pervillé ; Les Décolonisations de Bernard Droz, coll. « Mémo », Le Seuil, 1996, sont des synthèses commodes. Du même, Histoire de la décolonisation au xxe siècle, coll. « Points », Le Seuil, 2009. Des articles – « Décolonisation », « Guerre de libération en Asie du Sud-Est » – dans les dictionnaires historiques – Dictionnaire de la vie politique française au xxe siècle, PUF, 1994 ; 1938-1948 : Les Années de Tourmente, Flammarion, 1995.

Les étapes de la décolonisation

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Les trois guerres de la péninsule indochinoise La guerre d’Indochine

L

e jour même de la capitulation sans conditions des Japonais, le 2 septembre 1945, Hô Chi Minh proclame la République démocratique du Vietnam. Le gouvernement français refuse cette indépendance unilatérale, synonyme d’affaiblissement de l’empire. Malgré un an de négociations, le bombardement de Haiphong le 23 novembre 1946 ouvre la guerre. De 1946 à 1950, l’affrontement de type colonial oppose les forces françaises à une guérilla (v. p. 124) vietminh mal équipée et isolée. Avec la victoire de Mao en 1949, les troupes du général Giap peuvent désormais compter sur le « grand arrière chinois ». La prise de Cao Bang en octobre 1950 et de Lang Son confirme la capacité du Viet Minh à mener des offensives conventionnelles. Malgré l’engagement croissant des ÉtatsUnis qui assurent la moitié du financement d’une guerre sur le front du containment (→ fiche 21), les 150 000 soldats du CEFEO – Corps expéditionnaire français en ExtrêmeOrient – aidés par 300 000 supplétifs sont « aveugles » (l’ennemi est insaisissable), « sourds » (manque de renseignements) et « boiteux » (vulnérabilité des lignes logistiques). La victoire sino-vietnamienne à Dien Bien Phu (13 mars-7 mai 1954) contraint la France à abandonner sa colonie. Par les accords de Genève (21 juillet), le Vietnam est coupé de part et d’autre du 17e parallèle, en attendant des élections générales. La non-application de ce processus par Saigon conduit à la deuxième guerre.

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Les trois guerres de la péninsule indochinoise

La guerre du Vietnam La guerre du Vietnam montre l’attachement des présidents Kennedy et Johnson au containment et à la théorie des dominos en pleine coexistence pacifique (→ fiches 20, 21 et 25). À la phase d’intervention occulte (1961-1963), succède en 1964 un engagement massif des forces américaines. Malgré les 500 000 soldats commandés par le général Westmoreland, en dépit du bombing carpet pratiqué par les avions B-52 sur le Nord Vietnam l’Amérique découvre sa vulnérabilité lors de l’offensive vietcong du Têt en janvier 1968. Cinq ans d’affrontements poursuivis jusqu’au Cambodge et au Laos sont encore nécessaires pour que Washington sorte du bourbier vietnamien par les accords de Paris (1973). Le bilan est lourd. Pour les Américains, 56 000 morts, une société divisée par les images télévisées de la guerre, des dépenses d’armement facteurs d’inflation, l’échec du parti démocrate aux élections de 1968… Du côté des vainqueurs occupant Saigon en 1975, la perte de plus d’un million d’hommes, une économie désorganisée, une population traumatisée…

La « déchirure » La principale victime de la troisième guerre provoquée par les ambitions régionales du Vietnam est la population civile : accueillis en 1979 comme des libérateurs par les Cambodgiens soumis au délire totalitaire de Pol Pot, les soldats vietnamiens se transforment en occupants. La fuite des boat people, l’entassement des réfugiés dans des camps, l’état de guerre endémique enfoncent pour un temps la péninsule indochinoise dans le sous-développement.

FICHE  28

Une guerre post-coloniale (1963-1975)

Une guerre coloniale (1946-1954)

La « déchirure » : la 3e guerre d’Indochine (1978-1992)

Les trois guerres de la péninsule indochinoise

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La guerre révolutionnaire

FICHE  28

À partir de la victoire des forces communistes en et atteindre leurs buts : conserver et accroître leurs 1949 sous la direction de Mao Zedong, Beijing forces, détruire et chasser celles de l’ennemi. » devient la référence pour les mouvements révo- Mao Zedong, Écrits militaires de Mao Zedong, Pékin, 1968. lutionnaires asiatiques.

Discours de Liu Shaoqi à la Conférence des « Une base révolutionnaire doit remplir les condisyndicats d’Asie et d’Australie « La lutte armée doit être la forme principale de lutte du mouvement de libération nationale dans beaucoup de colonies et de semi-colonies. C’est la voie fondamentale suivie par le peuple chinois pour obtenir la victoire dans son pays. Cette voie est la voie de Mao Zedong. Elle peut être la voie fondamentale à suivre pour les peuples des colonies et semi-colonies dans leur lutte pour la libération. » Extraits du discours prononcé le 23 novembre 1949.

La voie chinoise de guerre révolutionnaire Six traits la caractérisent : « 1. Initiative, souplesse et plan dans la conduite des opérations […] ; 2. Coordination avec la guerre régulière ; 3. Création de bases d’appui ; 4. Défense stratégique et attaque stratégique ; 5. Passage de la guerre de partisans à la guerre de mouvement ; 6. Établissement de rapports justes dans le commandement. » Mao Zedong, Problèmes stratégiques de la guerre de partisans contre le Japon, 1938, cité par N. Wang, L’Asie orientale du milieu du xixe siècle à nos jours, coll. « U », Armand Colin, 1993.

« L’appui sur les paysans et la création des bases à la campagne, l’encerclement des villes à partir de la campagne et la prise des villes, telle est la voie victorieuse empruntée par la révolution chinoise. » Lin Piao, Vive la victorieuse guerre du peuple, Pékin, 1965.

Les bases révolutionnaires sont « des bases stratégiques sur lesquelles les détachements de paysans s’appuient pour accomplir leurs tâches stratégiques

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Les trois guerres de la péninsule indochinoise

tions suivantes : 1/ une bonne base de masse, 2/ une forte organisation du Parti ; 3/ une Armée rouge suffisamment puissante ; 4/ un terrain propice aux opérations militaires ; 5/ des ressources économiques importantes. » Ton That Tien, revue Relations Internationales no 36.

« Dans la guerre de Résistance considérée dans l’ensemble de son déroulement, les opérations régulières jouent le rôle principal et les opérations de partisans un rôle auxiliaire, car seules les opérations régulières décideront de cette guerre. » Mao Zedong, Écrits militaires de Mao Zedong, Pékin, 1968.

La solidarité du camp anti-impérialiste « À l’époque où l’impérialisme existe encore, une véritable révolution populaire, dans quelque pays que ce soit, ne peut être victorieuse sans une aide des forces révolutionnaires internationales ; de même il est impossible de consolider la victoire si l’on n’obtient pas cette aide. » Mao Zedong, La Dictature de la démocratie populaire, Pékin, 1968.

« On ne saurait parler de lutte armée, d’édification des forces armées révolutionnaires sans aborder le problème des arrières. Il s’agit d’une question importante ayant une signification stratégique, une portée décisive tant pour l’avenir de la lutte armée que l’édification des forces armées. […] Le problème des bases et des arrières a été posé dès le début des hostilités, et tout le long de la résistance, notre Parti a toujours considéré comme extrêmement important le maintien de nos bases et la consolidation de nos arrières. » Général Vo Nguyen Giap, Guerre du peuple, armée du peuple, Hanoi, 1961.

« Sous la direction personnelle du président Ho Chin Minh, et avec l’aide des camarades Chen*, Wei Guoqing** et des autres conseillers chinois, le Vietnam est sorti vainqueur de la bataille en brisant tout le système de défense français de Cao Bang et Lang Son, ce qui a permis de rétablir les communications entre le Vietnam et la Chine, et de renverser la situation en notre faveur cette fois. *La Chine est devenue dès lors l’arrière, combien vaste, du Vietnam. La mission de conseillers militaires chinois nous a aidés par la suite à organiser les batailles de Trung Du (moyen Tonkin), de Dong Bac (Nord-Est), de Ninh Binh et du haut Laos, mettant à chaque fois * Chen Geng était en 1950 vice-ministre chinois de la Défense nationale. ** Wei Guoqing était à la même époque chef du département politique général de l’Armée de libération du peuple.

hors de combat d’importants contingents de forces vives de l’armée française. La brillante victoire de Dien Bien Phu en 1954 fut, certes, la conséquence du courage et des sacrifices de l’armée et de la population vietnamienne. Toutefois, cette victoire est aussi le fruit de l’énorme aide matérielle et d’une collaboration directe de conseillers militaires chinois. Il est à noter que sans les pièces d’artillerie fournies par la Chine, nous aurions été incapables de détruire les points d’appui français regroupés, et sans la participation personnelle du camarade Wei Guoqing au commandement sur le front même, il aurait été difficile de remporter la victoire. »

FICHE  28

Hoang van Hoan, « L’amitié militante vietnamochinoise ne saurait être falsifiée », Renmin Ribao, 29 novembre 1979.

Pistes bibliographiques Pour une histoire de la première guerre, Jacques Dalloz dans La Guerre d’Indochine, 19451954, coll. « Points », Le Seuil, 1987 ; pour une analyse plus globale, André Collet, Armements et conflits contemporains de 1945 à nos jours, Armand Colin, 1993. Le point de vue américain est exprimé par Henry Kissinger dans Diplomatie, Fayard, 1996, celui relatif à la Chine est traité par François Joyaux dans La Politique extérieure de la Chine, coll. « Que sais-je ? », PUF, 1993. Quant à la position de l’URSS en Extrême-Orient, elle est analysée par Jacques Lévesque dans L’URSS et sa politique internationale de Lénine à Gorbatchev, coll. « U », Armand Colin, 1988. De nombreux films ont été consacrés au Vietnam, de Full Metal Jacket (S. Kubrick, 1987) à Apocalypse Now (F. Coppola, 1979) en passant par la série des Rambo, un ancien des forces spéciales, immortalisée par S. Stallone.

Les trois guerres de la péninsule indochinoise

125

FICHE 29

La contestation de la pax americana Le déclin américain

L

oin d’exprimer le « défi américain », les années 1960 et 1970 sont celles du déclin de la première puissance mondiale. La charge du leadership asphyxie les potentialités du géant américain. La « surexpansion » impériale, selon l’expression de Paul Kennedy, découle non seulement de la participation à cinq réseaux de défense régionale (→ fiche 25) mais aussi de l’entretien de plus d’un million d’hommes dans des bases ouvertes dans trente pays alliés. Ayant signé des traités de défense avec 42 nations, situées sur la ligne du containment, le Pentagone doit se préparer à n’importe quel type de guerre, de la lutte contre la guérilla castriste – les focos en Amérique latine – à la dissuasion nucléaire contre l’URSS, en quête d’égalité stratégique (→ fiche 25). L’échec au Vietnam (→ fiche 28) alimente une interrogation sur la légitimité des opérations menées par Washington. La contestation de la jeunesse estudiantine secoue, à partir de 1965, les campus américains de la côte Est et de Californie avant de se diffuser à l’ensemble des villes universitaires européennes. L’affaiblissement de l’hégémonie américaine est mis à profit par certains pays alliés, dont la France gaullienne, pour mener une politique d’indépendance entre les deux blocs. La voie ouverte par le général de Gaulle anticipe sur l’Ostpolitik conduite par le chancelier Willy Brandt à partir de 1969. Toutes deux expriment le polycentrisme qui s’affirme dans le monde. Quant aux pays non alignés, ils tentent d’approfondir la voie ouverte à Bandung en 1955 (→ fiches 27 et 34).

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La contestation de la pax americana

Une hégémonie déstabilisatrice En arrière-plan de cette contestation planétaire, l’économie d’outre-Atlantique présente des signes dans le courant des années 1960 de dysfonctionnements inquiétants. Les gains de productivité ont tendance à stagner si bien que la profitabilité des entreprises se dégrade. L’inflation se rigidifie à partir de 1965. Les déficits à répétition de la balance des paiements courants alimentent un flux d’eurodollars qui s’accélère. La livre sterling, bastion avancé du dollar, est attaquée et dévaluée en 1967 tandis que l’or devient une valeur refuge. La création d’un double marché pour le métal précieux et la mise à la disposition des pays du FMI (→ fiche 21) de DTS, Droits de tirages spéciaux, traduisent la crise du dollar. Le modèle américain reposant sur une production et une consommation de masse est rattrapé et même dépassé par les économies européenne et japonaise. Les Six, regroupés dans la CEE, Communauté économique européenne, négocient à partir de 1969 l’adhésion de trois nouveaux membres, le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark. La montée en puissance de l’Europe implique une redéfinition des rapports transatlantiques (→ fiches 32 et 40). La perte de pouvoir d’achat du dollar se répercute dans le cours des matières premières, en particulier dans celui du pétrole qui augmente dès le début des années 1970. L’arrivée au pouvoir du colonel Kadhafi en septembre 1969 durcit le face-à-face entre producteurs – OPEP et OPAEP – et consommateurs. Le déficit de la balance commerciale américaine en 1971 sanctionne l’affaiblissement de l’économie et sonne le glas du système monétaire établi en 1944 à Bretton Woods.

La contestation de l’ordre américain

FICHE  29

La contestation de la pax americana

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L’économie américaine sur la sellette

FICHE  29 L’Amérique rattrapée

1. Croissance annuelle comparée des PIB au prix du marché (en %) Royaume-Uni 1950-1962 1962-1973 1950-1975 1913-1950

France

2,7 3,1 2,5 2,1

RFA

4,6 5,4 4,8 116,0

8,0 4,6 5,7 0,9

États-Unis 3,4 4,2 3,3 2,4

Japon 8,4 10,2 7,8 4,0

Source : OCDE et A. Maddison, Economic Growth in the West, Londres, 1964.

2. Comparaison des PNB PNB 1950 États-Unis France RFA R.-U. Japon

100 13,2 12,0 19,2 8,5

Consommation par habitant

PNB par habitant 1970

1950

100 18,6 21,0 17,1 30,8

100 45 36 56

1970 100 74 74 62 61

1970 100 68,1 61,5 63,6 47,5

H. Van Der Wee, Histoire économique mondiale, 1945-1990, Academia Duculot, 1990.

3. Indice comparatif du niveau de la productivité (produit national par heures travaillées) indice 100 pour les États-Unis 1950 France Allemagne Royaume-Uni Japon

41,5 33,6 58,6 13,9

1973 74,7 72,8 68,8 43,8

1984 97,5 90,5 80,6 55,6

A. Maddison, « Growth and slowdown in advanced capitalist economies », Journal of Economic Litterature, vol. XXV, 1987.

L’Amérique critiquée Conférence de presse du général de Gaulle, le 4 février 1965 : « La convention qui attribue au dollar une valeur transcendante comme monnaie internationale ne repose plus sur sa base initiale, à savoir la possession par l’Amérique de la plus grande partie de l’or du monde. Mais, en outre, le fait que de nombreux États acceptent, par principe, des dollars au même titre que de l’or pour compenser, le cas échéant, les déficits que présente à leur profit la balance

128

La contestation de la pax americana

américaine des paiements, amène les États-Unis à s’endetter gratuitement vis-à-vis de l’étranger. […] Cette facilité unilatérale qui est attribuée à l’Amérique contribue à faire s’estomper l’idée que le dollar est un signe impartial et international des échanges, alors qu’il est un moyen de crédit approprié à un État. Pour toutes ces raisons, la France préconise que le système soit changé. […] Nous tenons pour nécessaire que les échanges internationaux s’établissent, comme c’était le cas

avant les grands malheurs du monde, sur une base monétaire indiscutable, et qui ne porte la marque d’aucun pays en particulier. Quelle base ? En vérité, on ne voit pas qu’à cet égard il puisse y avoir de critère, d’étalon, autres que l’or. Eh oui ! l’or qui ne change pas de nature, qui se met indifféremment en barres, en lingots ou en pièces, qui n’a pas de nationalité, qui est tenu, éternellement et universellement, comme la valeur inaltérable et

fiduciaire par excellence. […] Mais la loi suprême, la règle d’or – c’est bien le cas de le dire – qu’il faut remettre en vigueur et en honneur dans les relations internationales, c’est l’obligation d’équilibrer, d’une zone monétaire à l’autre, par rentrées et sorties effectives de métal précieux, la balance des paiements résultant de leurs échanges. »

FICHE  29

Général de Gaulle, Discours et messages. Pour l’effort, 1962-1965.

La contre-attaque des États-Unis Trois présidents successifs, John F. Kennedy (19611963), Lyndon B. Johnson (1963-1968) et Richard Nixon (1969-1974) élaborent des plans de défense du dollar. Bien que de plus en plus rustiques, ces mesures répétées permettent aux États-Unis de 1960 1961 1962 1965 1968 1969

1971

contre-attaquer au début des années soixante-dix. Leurs concurrents commerciaux européens et japonais subissent les décisions monétaires prises en général de façon unilatérale par Washington.

Les États-Unis proposent au Royaume-Uni, à la Suisse et aux Six de la CEE de former le pool de l’or par lequel les signataires s’engagent à alimenter le marché en or et à défendre la parité définie de 35 dollars l’once. Vote par le Congrès des crédits de recherche pour le programme de conquête de la Lune. Le Congrès vote le Trade Expansion Act, cadre de la nouvelle négociation commerciale multilatérale avec les pays contractants au GATT, L’administration Kennedy établit un système d’aide à la reconversion industrielle pour doper les exportations américaines. L’élévation des taux d’intérêt, la politique fiscale et les appels lancés par le président Johnson doivent inciter les firmes multinationales américaines à moins investir à l’étranger. Les pays du pool de l’or (moins la France qui l’a quitté un an plus tôt) décident que les stocks d’or sont réservés aux règlements entre Banques centrales au cours de 35 dollars l’once. Un marché libre pour les transactions privées fonctionne. Tous les pays du FMI reçoivent des DTS, monnaie de compte équivalant à un dollar. Le 15 août, sans avoir consulté ses alliés, le président Nixon annonce l’abandon de la convertibilité du dollar et une surtaxe de 10 % sur tous les produits importés. Le 18 décembre, une nouvelle grille de parité est établie entre le dollar et les autres monnaies occidentales (Accords du Smithsonian Institute). Les marges de fluctuation de chacune des monnaies sont ouvertes jusqu’à ± 2,25 %.

Pistes bibliographiques Paul Kennedy dans Naissance et déclin des grandes puissances, Payot, 1989, et Jean-Baptiste Duroselle dans Tout Empire périra, Armand Colin, 1992, ouvrent des pistes de réflexion. Henry Kissinger dans Diplomatie, Fayard, 1996, replace dans une perspective historique le rôle et la place de son pays dans les relations internationales.

La contestation de la pax americana

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FICHE 30

Guerre et paix armée au Proche-Orient Une guerre toujours recommencée

D

e l’indépendance d’Israël à nos jours, la région proche-orientale connaît cinq conflits majeurs : du 16 mai 1948 à juin/ juillet 1949, d’octobre à novembre 1956, en juin 1967, en octobre 1973 et de 1982 à 1985. Hormis la première guerre déclenchée par les armées arabes et celle du Kippour, Israël croit devoir livrer des combats préventifs pour assurer sa sécurité. La stratégie élaborée par les généraux israéliens repose sur la surprise pour porter les opérations hors d’un territoire exigu, densément peuplé. À partir de 1956, les victoires israéliennes tiennent à l’utilisation combinée du couple chars/avions. À chaque occasion, les belligérants peuvent compter sur le soutien d’alliés : du côté de l’État hébreu, les États-Unis, du côté arabe, l’Union soviétique (→ fiche 24). L’efficacité de la guerre-éclair est toutefois remise en cause par les récentes évolutions dans les armements : depuis la guerre irako-iranienne (1979-1988), les armées du Proche-Orient s’équipent en missiles sol/sol. Et pour la première fois, en 1991, pendant la première guerre du Golfe, le territoire israélien est atteint par des fusées Scud tirées d’Irak. Dès lors, le front n’est plus à l’avant mais à l’arrière dans les agglomérations urbaines. Cette inversion remet en cause les motifs avancés pour légitimer l’occupation de territoires depuis 1967 et débloque, paradoxalement, la question palestinienne.

La question palestinienne Depuis l’exode de 1948-1949, la diaspora palestinienne, composée aujourd’hui de plus de 3 millions de personnes, lutte pour la

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Guerre et paix armée au Proche-Orient

reconnaissance de ses droits nationaux. Tour à tour, les organisations palestiniennes usent différentes stratégies : jusqu’en 1967, l’OLP agit dans le cadre des pays arabes. Après la guerre des Six Jours, l’occupation des territoires peuplés de centaines de milliers de Palestiniens et l’implantation de colonies juives de peuplement amènent la résistance palestinienne à recourir au terrorisme, par exemple par les détournements d’avions pour prendre en otage l’opinion publique internationale. Simultanément, Yasser Arafat, leader de l’OLP, recherche et obtient la reconnaissance internationale. C’est chose faite le 13 novembre 1974 quand Arafat s’adresse à l’Assemblée générale des Nations unies à Genève. Lâchée par certains État arabes, dont l’Égypte qui signe un traité de paix avec Israël en 1979, l’OLP est dans une impasse : l’intifada ou révolte des pierres qui agite les territoires occupés de 1987 à 1993 exprime la crise du mouvement palestinien. Menée par les jeunes qui représentent les deux tiers de la population des camps de Gaza et de Cisjordanie, l’intifada porte le conflit au cœur d’Israël et contraint les dirigeants à une remise en cause de leurs choix politiques (→ fiches 11 et 42). Après la guerre du Golfe (1991), des délégations israéliennes et palestiniennes se rencontrent secrètement pour trouver une issue diplomatique à un blocage qui profite aux mouvements extrémistes soutenus par l’Iran et l’Arabie Saoudite. Il en découle les accords de Washington signés le 13 septembre 1993 prévoyant l’établissement de l’autorité nationale palestinienne dans les territoires occupés. Mais la présence des colonies juives de peuplement (120 000 personnes en Cisjordanie, 4 000 à Gaza), le statut de Jérusalem-Est et la gestation d’un État palestinien entravent l’application de l’accord et renforcent des logiques dites sécuritaires (→ fiche 37).

FICHE  30

I. L’héritage de l’histoire

Limite du mandat britannique sur la Palestine (1920-1948)

LIBAN

Les colonies juives durant l’entre-deux-guerres État juif État arabe Lieux Saints internationalisés

Le plan de partage de l’ONU (1947)

II. La guerre fondatrice

SYRIE

Territoires conquis par l’armée et la milice israélienne Frontière à l’armistice en 1949 Les camps de réfugiés palestiniens

Galilée

Safad G o l a n

Acre Haïfa

III. La guerre de 1956 Avance des troupes israéliennes :

du 29 au 30-10. du 30-12 au 2-11 du 2 au 5-11

Nazareth

Irbid

Opérations aéroportées israéliennes Opération amphibie franco-britannique du 5 au 7-11 Parachutages de troupes franco-anglaises Ligne de retrait des troupes israéliennes Interposition des casques bleus (1957-1967)

IV. La guerre des 6 jours

Lac de Tibériade

Naplouse

Tel Aviv Jaffa

Jéricho

Ramala

Aérodromes bombardés par les Israéliens 5-06-1967

Ashqelon J u d é e

Territoires occupés depuis1967

Gaza

El Arich

Port Saïd

Jérusalem Hébron

Mer Morte Néguev

Kantara

JORDANIE

Ismaïla

Suez

Col de Mitla

Eilat

ÉGYPTE

Aqaba

GO DE

E D’A QUA

BA

LFE SU

GOLF

EZ Les coalitions arabes Guerre de 1948 : Égypte, Jordanie, Syrie, Irak, Iran, Arabie Saoudite Guerre de 1956 : Égypte Guerre de 1967 : Égypte, Jordanie, Syrie, Irak Guerre de 1973 : Égypte, Syrie, Irak Guerre de 1982 : Liban

ARABIE SAOUDITE

0

40

80 km

Tiran

Charm el Cheikh

MER ROUGE

Une région belligène Une région belligène

Guerre et paix armée au Proche-Orient

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Le sionisme

FICHE  30

Le sionisme est le mouvement national du peuple juif qui a pour but le retour des Juifs en terre d’Israël. Son émergence est à la confluence de l’histoire européenne et de la tradition religieuse si bien que le sionisme présente, selon l’expression de Zeev Sternhell, « un caractère de moralité qu’un nationalisme tribal “normal” n’a pas. »

Naissance du sionisme politique Le sionisme naît du refus de l’abandon de la culture juive, donc de l’assimilation, et de la réaction à l’antisémitisme qui se développe durant le dernier quart du xixe siècle. Contre les pogroms de 1881 se forme le groupe des amants de Sion ; ulcéré par la condamnation du capitaine Dreyfus, le journaliste viennois Herzl entre en politique. Ce dernier était moins le « Moïse de l’époque contemporaine » que le « Bismarck des Juifs ». Dans le sillage des mouvements des nationalités, le sionisme politique récupère les thèmes développés par le sionisme messianique de type religieux. D’emblée, c’est un nationalisme de survie, une nécessité existentielle pour les juifs qui se définissent par une forte identité culturelle et religieuse. La publication de L’État juif en 1896, la réunion du premier congrès sioniste de Bâle, un an plus tard, et la formation de l’OSM, Organisation sioniste mondiale, jalonnent les débuts du mouvement initié par Théodore Herzl (1860-1904). Le programme de Bâle est explicite : « Le sionisme vise à obtenir, pour le peuple juif, la création d’un foyer reconnu et garanti par le droit public en Palestine. À cette fin, le Congrès envisage d’employer les moyens suivants : 1/ l’encouragement de principe à la colonisation de la Palestine par des agriculteurs, des artisans et des travailleurs juifs ; 2/ l’unification et l’organisation de tous les Juifs en associations locales et générales, en conformité avec les lois des différents pays ; 3/ le renforcement de l’identité et de la conscience nationale juive ; 4/ des démarches en vue d’obtenir des gouvernements l’accord qui sera nécessaire pour permettre la réalisation des buts du sionisme. »

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Guerre et paix armée au Proche-Orient

À la veille de la Grande Guerre, le mouvement comprend 150 000 membres et des colonies agricoles commencent à s’implanter en Palestine. Regroupant des Juifs de toute origine, orientaux ou occidentaux, religieux ou socialistes, la force du mouvement tient à son organisation et à la volonté de son fondateur d’en faire un acteur diplomatique. Le sionisme est toutefois encore minoritaire au sein du judaïsme.

Le sionisme étatique Avec la déclaration Balfour du 2 novembre 1917, le sionisme devient une pièce centrale dans le jeu britannique au Proche-Orient. Conformément au principe des nationalités développé par Wilson, Londres a besoin de s’appuyer sur l’Organisation sioniste pour contrôler la voie de Suez et le transport du pétrole dans une région stratégique. Le mandat confié par la SDN au Royaume-Uni (1922) stipule que les autorités doivent « placer le pays dans des conditions politiques administratives et économiques garantissant l’établissement d’un foyer national juif ; étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte aux droits civiques et religieux des communautés non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique des Juifs, dans tout autre pays ». L’arrivée de migrants venus d’Europe centrale et orientale dont une minorité se regroupe dans des exploitations coopératives (kibboutz) s’accompagne de l’émergence de structures institutionnelles : l’Organisation sioniste, devenue Agence juive en 1922, évolue en un véritable gouvernement. L’élection de David Ben Gourion (1886-1973) à la tête de l’exécutif de l’Agence accélère cette évolution. Le sionisme étatique s’appuie sur des structures, telle la Histradout, la Fédération générale des travailleurs d’Eretz Israël (1920), des organisations à finalité éducative (écoles enseignant l’hébreu…), sociale (caisse d’assurance maladie, associations sportives…), politique (partis, journaux…), militaire (Irgoun de Menahem Begin à la fin des années Trente). Derrière le mythe mobilisateur d’une société égalitaire, la réalité est plus terre à terre : la

société juive de Palestine reproduit les inégalités observables en Europe. Contre cet État juif en devenir, les Arabes protestent par des émeutes antijuives en 1920, 1921, 1929 et par une véritable guerre entre 1936 et 1939.

Le sionisme d’après 1948 La découverte du génocide hitlérien conforte le sionisme dans sa légitimité et nourrit les ralliements autour de sa quête d’un État. Après trois années de troubles grandissants en Palestine, marqués par des attentats contre l’« occupant » britannique, les sionistes voient enfin leur objectif se réaliser avec la proclamation de l’État d’Israël, le 14 mai 1948. Contrairement aux espoirs caressés par David Ben Gourion, le sionisme ne disparaît pas en 1948. Il continue d’avoir une existence autonome quoique liée à la vie même de l’État hébreu. L’Organisation sioniste mondiale est surtout une machine à collecter des fonds envoyés en Israël. C’est aussi un groupe de pression influent aux États-Unis qui intervient dans les moments difficiles traversés par l’État juif.

Mais l’occupation de territoires depuis 1967, les excès commis par la droite israélienne arrivée au pouvoir en 1977 fissurent le consensus général de la diaspora et de l’OSM autour d’Israël. L’intifada, ou révolte des pierres, qui enflamme les territoires occupés à partir de 1987, et la répression menée par Tsahal, transformée en armée d’occupation, alimentent la critique à l’égard de Jérusalem. Nombreux sont les responsables du lobby juif aux États-Unis, principal bailleur de fonds, à ne plus cacher leur ressentiment à l’égard d’une politique de colonisation qu’ils jugent suicidaire. La crise contemporaine du sionisme est donc multiforme : crise d’indépendance, le sionisme de l’extérieur ne partage plus les thèses développées par les partisans d’un Eretz Israël dont les frontières correspondraient à celles de l’Ancien Testament ; crise idéologique, le sionisme a certes réalisé l’objectif central des pères fondateurs, mais il ne réussit pas à mettre un terme à la diaspora juive à travers le monde ; crise spirituelle, le sionisme a perdu de sa dimension visionnaire, idéaliste même, celle de l’« âge d’or » des origines.

FICHE  30

Pistes bibliographiques Les articles « Israël », « Sionisme » de l’Encyclopædia Universalis présentent une synthèse commode sur la question. Yves Manor étudie la Naissance du sionisme politique, coll. « Archives », Gallimard, 1981. Zeev Sternhell consacre un ouvrage à la question des origines, Aux origines d’Israël, Entre nationalisme et socialisme, coll. « Folio », Gallimard, 2004. Georges Corm, dans Le Proche-Orient éclaté, 1956-2012, coll. « Folio », Gallimard, nelle éd. 2007, replace les dernières guerres dans le cadre géopolitique local.

Guerre et paix armée au Proche-Orient

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FICHE 31

Le nucléaire entre prolifération et contrôle Un club de moins en moins fermé

D

e 1945 à 1964, les cinq « gendarmes du monde », membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, acquièrent la technologie leur permettant de faire exploser des bombes atomiques du type d’Hiroshima puis des engins à hydrogène à la capacité destructrice mégatonnique (→ fiche 17). Washington et Moscou s’accommodent tant bien que mai de l’élargissement du club des nations nucléaires. Trois facteurs principaux expliquent la prolifération de l’atome militaire : la volonté politique de « sanctuariser » le territoire national, le souci de renforcer son autorité planétaire et l’ambition de démontrer son savoir-faire. La maîtrise du nucléaire nécessite en effet des laboratoires scientifiques de qualité, des usines d’enrichissement de l’uranium et de gros moyens financiers. La crédibilité de l’arme nucléaire implique aussi la mise au point de vecteurs, missiles intercontinentaux, avions à long rayon d’action et sous-marins lance-engins, considérés comme les plus efficaces car difficilement détectables. Derrière cette « aristocratie » nucléaire, les États du « seuil » ont officieusement des capacités atomiques. Situés dans des zones instables et conflictuelles, ces pays détiennent une telle arme pour des raisons stratégiques de type sécuritaire, parfois doublées d’ambitions hégémoniques. L’Inde entend ainsi affirmer sa primauté en Asie du Sud contre les prétentions du Pakistan. De même l’Afrique du Sud et Israël sont confrontés à des coalitions jugées hostiles, là, les pays de ligne du front (Angola, Mozambique), là-bas les pays arabes (→ fiche 30).

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Le nucléaire entre prolifération et contrôle

Une dernière catégorie est constituée par les États menant des programmes clandestins de recherche appuyés sur des transferts technologiques.

Les contre-feux à la prolifération Très tôt, les détenteurs de l’arme atomique cherchent à contrôler la prolifération et à retarder le moment où ils devraient partager leur monopole. Depuis 1959 et la signature du traité de Washington qui dénucléarise l’Antarctique, d’autres zones connaissent un processus similaire : l’Amérique latine (1967), le fond des océans et des mers (1971), le Pacifique (1985) et même l’espace orbital et les corps célestes (1967). Parallèlement à cette dénucléarisation géographique, les deux Grands se lancent dans des négociations dites de contrôle des armements (→ fiche 25). Elles aboutissent à la conclusion des traités SALT 1 et 2 en 1972 et 1979 qui, loin de stabiliser la course à l’armement, l’ont au contraire relancée dans des domaines qualitatifs. Il s’est ensuivi l’une des crises les plus graves des relations internationales, celle des euromissiles au début des années 1980 (→ fiche 20). L’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev permet de sortir de l’impasse et de conclure le premier traité de désarmement de l’âge nucléaire : par le traité de Washington (1987), les deux Grands décident de détruire un système entier d’armements sur le continent européen. Suivent les traités START 1 et 2 qui concernent les systèmes centraux d’armement. Hormis les accords bi- ou multilatéraux, la Communauté mondiale dispose du TNP, Traité de non-prolifération, conclu en 1968, et de son bras exécutif, l’AIEA, Agence internationale pour l’énergie atomique.

FICHE  31

Le monde entre prolifération, dénucléarisation et stabilisation du nucléaire (1945-1985)

Le nucléaire entre prolifération et contrôle

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La prolifération

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Nombre d’essais nucléaires dans le monde

États-Unis URSS (puis Russie) France Royaume-Uni Chine Inde Pakistan

Essais aériens

Essais souterrains

215 207 45 21 23 1

815* 508* 153* 24* 20* 3* 3*

* Non compris douze essais de sécurité.

Une arme de destruction massive Selon les estimations du Congrès américain, il aurait existé au milieu des années 1990 l’équivalent de 650 000 bombes d’Hiroshima sur la planète.

Typologie des formes de prolifération – la prolifération verticale concerne une nation déjà nucléaire qui améliore sa famille d’armements ou qui augmente le nombre de vecteurs, d’ogives, déjà en service, – la prolifération échoue : par exemple Cuba Nature de la matière proliférante après la crise des missiles en 1962, – de la matière fissile, – la prolifération gèle la situation dans une zone – des technologies permettant d’enrichir et d’ob- conflictuelle, tenir du combustible nucléaire, – la prolifération réussit et élargit la dissémina– des spécialistes détenteurs d’un savoir et d’un tion du nucléaire militaire. savoir-faire, Le débat autour de la prolifération – des armes prêtes à l’emploi, des vecteurs… – Selon certains, tel Kenneth Waltz, la possession Acteurs de la prolifération de l’arme atomique rend responsable et introduit du côté de l’offre : une forme de rationalité dans le comportement – les pays signataires du TNP qui forment des du décideur. Ce serait le cas de l’URSS durant la spécialistes venus de pays du seuil, guerre froide. – les firmes qui fournissent des technologies dites – Selon d’autres, telle Marie-Hélène Labbé, la « sensibles » ; prolifération rend plus difficile le dialogue, du côté de la demande : l’équilibre et accentue les risques de guerre – les pays non-signataires du TNP, accidentelle. En outre, avec le délitement – des groupes terroristes. contemporain de nombre d’États, la prolifération concerne des acteurs infraétatiques et risque de Les résultats de la prolifération déboucher sur des formes de terrorisme nucléaire. – la prolifération horizontale concerne un nombre croissant d’États, « La prolifération nucléaire est la dissémination de matières, de technologies et de savoir-faire permettant de fabriquer une arme nucléaire » (M.-H. Labbé).

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Le nucléaire entre prolifération et contrôle

Les instruments de sûreté nucléaire Le traité de non-prolifération nucléaire (le 1er juillet 1968)

L’Agence internationale pour l’énergie atomique

Article premier : « Tout État doté d’armes nucléaires qui est Partie au Traité s’engage à ne pas transférer à qui que ce soit, ni directement ni indirectement, des armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires explosifs, ou le contrôle de telles armes ou des tels dispositifs explosifs ; et à n’aider, n’encourager ni inciter d’aucune façon un État non doté d’armes nucléaires, quel qu’il soit, à fabriquer ou acquérir de quelque autre manière des armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires explosifs, ou le contrôle de telles armes ou de tels dispositifs explosifs. » L’article 2 interdit la réception des armes par un État non nucléaire. L’article 3 cherche à protéger les installations et les produits nucléaires via les garanties et le contrôle de l’AIEA. Les articles 4 et 5 promeuvent l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire. L’article 6 prône la poursuite des négociations de contrôle des armements pour parvenir au désarmement. La France, la Chine, Israël, l’Inde, le Pakistan, l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Brésil ont refusé jusqu’au début de la décennie quatre-vingt-dix de signer le TNP qu’ils jugent discriminatoire. Actuellement, tous les pays sauf Israël, l’Inde, le Pakistan, la Syrie et l’Iran ont signé le TNP, reconduit pour une durée indéterminée, et s’interdisent par le Comprehensive Test Bar Treaties, CTBT, de pratiquer des essais nucléaires souterrains.

Créée en 1956 dans le cadre des organisations onusiennes, l’AIEA a pour mission de « hâter et accroître la contribution de l’énergie atomique à la paix, la santé et la prospérité dans le monde entier » et, depuis l’entrée en vigueur du TNP, de surveiller les transferts de technologie pour éviter le détournement de l’énergie civile à des fins militaires. Ses quelque 200 inspecteurs secondés par plusieurs centaines de spécialistes effectuent chaque année plus de 2 000 inspections. Mais respectueuse de la souveraineté des États, l’AEIA éprouve des difficultés à surveiller toutes les installations nucléaires, en particulier dans les pays non-signataires du TNP.

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Le comité Zangger Né en 1974, ce comité élabore des listes de technologies sensibles qui, si elles sont exportées, doivent amener l’AIEA à intervenir.

Le club de Londres Formé en 1975, ce club réunit le groupe des fournisseurs nucléaires (États-Unis, Canada, RFA, Japon, Royaume-Uni et France) qui s’efforcent de respecter un code de bonne conduite. Son attitude est plus restrictive que celle de l’AEIA.

Pistes bibliographiques Marie-Hélène Labbé dresse une synthèse de l’aventure et de la prolifération nucléaire dans La Tentation nucléaire, coll. « Documents », Payot, 1995. Pierre Hassner étudie les implications philosophiques et politiques du nucléaire dans La Violence et la paix, De la bombe atomique du nettoyage ethnique, Éditions Esprit, 1995.

Le nucléaire entre prolifération et contrôle

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La Russie soviétique ou l’illusion de la puissance Empire intérieur et glacis extérieur

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usqu’en 1940-1945, les dirigeants soviétiques renoncent au projet d’une révolution européenne pour bâtir le socialisme dans un seul pays (→ fiche 10). Avec Staline triomphe une voie nationale-communiste. La révolution mondiale mise en œuvre par la « lavochka » ou « petite boutique », surnom donné par Staline au Komintern, est alors soumise à la raison d’État. L’écrasement des communistes chinois en 1927 (→ fiches 12 et 23), le choix de la politique de Front populaire en 1934, la signature du pacte de non-agression avec Hitler en août 1939 témoignent de la priorité à défendre l’empire intérieur formé de la RSFSR, République fédérative soviétique de Russie, et des quatorze autres Républiques (→ fiche 15). Le deuxième cercle se forme aux lendemains de la victoire de 1945 sur les « hordes barbares nazies » : en moins de trois ans, les forces militaires soviétiques, qui occupent la moitié de l’Europe, aident les partis communistes, en général minoritaires, à prendre le pouvoir. Hormis Tito en Yougoslavie, les « petits » Staline suivent pas à pas la voie adoptée par l’URSS depuis 1928 : une croissance de puissance fondée sur le sacrifice de l’agriculture dans un contexte de sur-idéologisation (→ fiches 20, 21, 22 et 23). Le temps des démocraties populaires est synchrone de celui de l’empire intérieur car Moscou impose des solidarités économiques, via le Conseil d’assistance économique mutuelle ou COMECON (1949), culturelles, politiques et militaires avec la formation de l’Organisation du Traité de Varsovie en 1955. Dès lors tout changement au centre se répercute de façon plus ou moins brutale à la périphérie : en 1956, la Pologne, la Hongrie mais aussi la Chine, en 1968, la Tchécoslovaquie accusent

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La Russie soviétique ou l’illusion de la puissance

durement les « réformes » adoptées par les secrétaires généraux du PCUS. En chaque occasion, la « normalisation » militaire et idéologique soumet les tendances déviationnistes. La « doctrine de souveraineté limitée » ou doctrine Brejnev triomphe avant que Brejnev ne soit secrétaire général de 1965 à 1982 : la répression des manifestations à Berlin en 1953, l’écrasement de la révolution populaire de novembre 1956 à Budapest, la mise au pas de la Pologne en 1956, 1970 et 1980, la violence exercée contre la société tchèque et slovaque en 1968 expriment les tensions internes au deuxième cercle (→ fiche 23).

La surexpansion impériale En apparence, l’URSS est un système de puissance capable de rattraper son rival américain (→ fiche 25). Par les accords SALT 1 et 2, elle obtient de Washington la reconnaissance de la parité nucléaire. L’URSS se veut aussi depuis 1948 le chef de file de la lutte anti-impérialiste (→ fiches 21 et 27). Le voyage triomphal de Khrouchtchev au Caire ouvre les nations arabes à l’influence du Kremlin. Vingt ans plus tard, Moscou profite de l’effondrement de l’empire portugais pour se lancer dans des opérations militaires en Angola, au Mozambique (→ fiche 27). Dans toutes les zones stratégiques, les forces soviétiques peuvent compter sur des facilités offertes par un pays « ami ». Mais à la fin de l’année 1979, l’intervention en Afghanistan révèle la limite d’un système rongé par la surexpansion impériale : le coût des opérations militaires et du soutien aux pays « frères », la nécessité d’entretenir un outil de défense de plus en plus sophistiqué asphyxient l’économie soviétique incapable de relever le défi d’une nouvelle course à l’armement imposée par la Maison-Blanche.

L’Empire russe à la mort de Brejnev (1982)

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La Russie soviétique ou l’illusion de la puissance

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Trois tentatives de réformes

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En 1956, 1965 et entre 1985 et 1991, l’URSS cherche à rompre avec les choix précédents pour emprunter une nouvelle voie. Le constat effectué par les responsables politiques brille par son acuité, mais les solutions apportées déçoivent si bien que le système soviétique semble impossible à réformer.

Les pères de la réforme

soir : en 1956, ce sont les « crimes » de Staline et les excès du culte de la personnalité, en 1965, c’est le « spontanéisme » et « l’aventurisme » khrouchtchevien, en 1986, la « stagnation » brejnevienne. Immédiatement après ces dates ruptures, la société soviétique comme celles des « pays frères » espèrent des lendemains qui chantent. Des signes matériels et des modifications dans la sphère politique interne et externe attestent des changements. Mais après un laps de temps plus ou moins bref, le pays se heurte aux blocages si bien que la nécessité d’une nouvelle réforme se fait sentir. La dynamique cyclique ne se limite pas à l’URSS car tout bouleversement dans le pays, gardien du socialisme réel, a des implications dans le glacis constitué par les démocraties populaires. Les années passant, la notion de réforme perd de son pouvoir mobilisateur. Dès lors, Mikhaïl Gorbatchev fonde la perestroïka * moins sur le mouvement émanant du centre que sur celui relayé par la base. La « transparence » ou glasnost* est la condition sine qua non de la réussite de la « transformation » totale voulue par le secrétaire général. Mais en 1986, la société soviétique ne répond plus aux impulsions données par Moscou ; trop de déconvenues, trop de déceptions jalonnent les réformes avortées des décennies antérieures. Malgré la concentration de pouvoirs toujours plus nombreux, Gorbatchev voit son champ d’action géographique se réduire jusqu’à l’été 1991, moment où il est renversé par un putsch fomenté par des membres du PC.

Nikita Khrouchtchev, Alekseï Kossyguine, Mikhaïl Gorbatchev sont les maîtres d’œuvre de réformes majeures. Le premier agit dans le cadre solennel du XXe congrès du PCUS réuni à huis clos à la fin février 1956. Le second utilise la presse, en particulier la Pravda, pour préparer le parti à la réforme des entreprises conduites à partir de 1965. Le troisième annonce un changement de cours, la perestroïka*, lors du XXVIIe congrès du PCUS en février 1986. Le mouvement est initié par le centre formé de la seizième république, le parti communiste, qui chapeaute les quinze autres composantes de l’Union soviétique. Les dirigeants proposent des réformes non pour abattre le système de puissance mais pour le renforcer. Ce souci d’efficacité entend satisfaire la demande sociale interne émanant des Soviétiques lassés de l’économie de pénurie, permettre le rattrapage de l’Occident et faciliter le passage du socialisme au communisme. Khrouchtchev et Gorbatchev, deux spécialistes des problèmes agricoles, mêlent dans leurs discours-programmes des propositions de type économique et politique, tandis que Kossyguine, un spécialiste des industries de biens Une hiérarchie de convulsions de consommation, n’envisage que de nouveaux La déstalinisation conduite de façon… stalimécanismes* économiques. nienne par Khrouchtchev ébranle en profondeur Un espoir vite éteint le système soviétique : les pays de la périphérie, Le Rapport* secret lu par Khrouchtchev devant intégrés de force au bloc socialiste, la Hongrie, les délégués stupéfaits du XXe Congrès, comme la la Pologne, vivent de véritables révolutions réforme dite Liberman proposée par Kossyguine populaires plus ou moins bien écrasées par et la perestroïka* esquissée par Gorbatchev l’Armée rouge. La répression de ces mouvements nourrissent l’attente. En chaque occasion, les populaires libertaires hypothèque l’avenir de la « réformateurs » utilisent le passé comme repous- déstalinisation et limite la réforme au strict champ de l’économique. Les entreprises soumises aux normes d’efficacité élaborées par les économistes * Les astérisques renvoient au lexique p. 141.

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La Russie soviétique ou l’illusion de la puissance

de Leningrad, conduits par Liberman, tentent d’intensifier leur production sans remettre en cause les présupposés politiques. Paradoxalement, le pays qui a le plus tôt et le plus profondément adopté le « communisme de marché » est la Hongrie de Janos Kadar, secrétaire général imposé par Moscou aux lendemains de la répression de novembre 1956. Dès qu’une équipe au pouvoir tente de remettre en cause les fondements de politique intérieure et extérieure imposés depuis 1945, elle est combattue, évincée et condamnée.

Le sort d’Alexandre Dubcek, un communiste formé à l’école des cadres de Moscou, qui avait souhaité bâtir un « socialisme à visage humain » en Tchécoslovaquie est exemplaire. La répression et la « normalisation » du « Printemps* de Prague » à la fin de l’année 1968 enterrent toute possibilité de réforme véritable. Une occasion historique de rompre avec la voie stalinienne est à jamais perdue. Moscou en paie les conséquences vingt ans plus tard avec l’échec de la perestroïka*.

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Lexique de la réforme Glasnost : la transparence, revendiquée dès le siècle passé par les libéraux, s’oppose au mensonge officiel qui caractérise la Russie de Potemkine à Brejnev. Nouveau mécanisme économique : fondé sur une association étroite entre la direction planifiée et les mécanismes du marché – prix, primes, fonds de stimulation –, le NME s’oppose à l’ancien système centralisé stalinien. Perestroïka : le mot, lui aussi hérité du xixe siècle, signifie la réforme de chacun dans ses comportements et la réforme des structures générales de l’économie et de la société.

Printemps de Prague ou « Cours d’après janvier » : comme le souligne Bernard Michel dans La Mémoire de Prague, le Printemps de Prague ne débute pas en janvier 1968 mais au début des années soixante autour d’intellectuels qui réaffirment leur appartenance à l’Europe, le respect des libertés, les principes démocratiques dans le cadre du socialisme à visage humain, valeurs persécutées depuis 1948. Rapport secret : dans la nuit du 24 au 25 février 1956, Khrouchtchev lit son rapport sur le culte de la personnalité dans lequel il dénonce les excès du stalinisme, les crimes commis, la violation de la légalité socialiste.

Pistes bibliographiques En dehors de la remarquable Tragédie soviétique de Martin Malia, Le Seuil, 1999, quatre ouvrages présentent les réformes : Branko Lazitch, Le Rapport Khrouchtchev et son histoire, coll. « Points », Le Seuil, 1976 ; Jean-Charles Asselain, Plan et profit en économie socialiste, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1981 ; Moshe Lewin, La Grande Mutation soviétique, coll. « Cahiers libres », La Découverte, 1989 ; Jacques Sapir, Feu le système soviétique ?, coll. « Cahiers libres », La Découverte, 1992.

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La construction européenne La crise, facteur d’intégration

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epuis 1950, la construction européenne procède par bonds successifs. Les « pères de l’Europe » mobilisent les États autour d’enjeux économiques reposant sur un ordre juridique et jurisprudentiel favorable à l’intégration politique. Après le charbon et l’acier, symbolisant l’affrontement récurrent entre la France et l’Allemagne, les Six choisissent de s’unir, en 1957, autour d’un marché commun et d’une Communauté européenne de l’énergie atomique, la CEEA. Rejoints en 1973 par le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark, les Neuf élaborent le Système monétaire européen, SME, indispensable aux politiques communes, avant de décider par l’Acte unique (1986) un grand marché unique. Chacun de ces objectifs, conforme à la « méthode » Monnet qui voulait construire l’Europe « par des réalisations concrètes, créant une solidarité de fait », alimente la convergence entre les États membres. Cependant, la crise accidentelle survient en 1954 et en 1965, du fait de la France, en 1975 et 1980, à la suite de la renégociation imposée par les cabinets travailliste puis conservateur britanniques. L’opposition de ces vieux Etats-nations ouvre une phase de divergence. Mais le « miracle » européen tient à sa capacité à transformer des blocages momentanés en moteur d’intégration. La légitimité de l’Europe sort renforcée de ces crises qui ne peuvent toutefois aller jusqu’à leur terme, aucun des État membres n’ayant osé sortir de la Communauté.

La crise contemporaine, une crise gigogne Depuis 1993, la panne dans la construction européenne est beaucoup plus complexe, car elle se développe dans un contexte fluide et menaçant. La dépression contemporaine, ou 142

La construction européenne

« trente piteuses », fragilise plus l’Europe que les autres pôles de la « triade », les États-Unis et le Japon (→ fiche 36). La cristallisation du chômage à un niveau élevé, les déficits publics dont ceux des systèmes de protection sociale, la montée de l’endettement expriment l’ampleur des dysfonctionnements. La deuxième rupture est d’ordre géostratégique : l’écroulement du « camp » socialiste entre 1989 et 1991 (→ fiche 32) efface le « rideau de fer » (→ fiches 20, 21, 22, 23) auquel était adossée l’Europe. Hier bâtie sur la peur du « rouge », l’Europe doit apprendre de nos jours à vivre avec les peuples dont elle était momentanément séparée. Épris de liberté et désireux de profiter de la consommation de masse occidentale, les pays situés à l’est de l’Ouest souhaitent en effet intégrer l’Union. Néanmoins, tout élargissement à de nouveaux États moins riches retardera l’achèvement et l’approfondissement des politiques actuelles. (→ fiche 39). Confrontés à ces bouleversements qui rendent possible la réunification de l’Allemagne, les Douze devenus Quinze depuis 1995, choisissent de transformer la Communauté en Union. Sur le socle d’une citoyenneté européenne (art. 8 du traité de Maastricht), l’Europe décide de se construire dans les domaines monétaire, diplomatique et judiciaire. La dépossession des attributs régaliens de souveraineté alimente dans un premier temps l’opposition de tous les États : l’Allemagne qui s’est construite en 1948 autour du deutsche mark craint de se fondre dans l’Union économique et monétaire (titre VI du traité de Maastricht) ; la France redoute de perdre sa défense nucléaire autonome et son siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. L’Angleterre cumule ces deux peurs. L’Italie et l’Espagne accusent les contraintes déflationnistes induites par les critères de convergence prévus pour participer à la monnaie unique en

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Les cycles dans la construction européenne Comme l’illustre ce schéma, l’intégration européenne obéit à une dynamique cyclique intradécennale. Chaque cycle comprend quatre phases : un objectif mobilisateur (1) permet de renouer avec l’« europtimisme » (2) qui s’essouffle du fait de l’opposition d’un ou plusieurs États. La crise (3) annonce une période d’« europessimisme » (4) dominée par la divergence entre les partenaires. Mais aujourd’hui, l’augmentation du nombre des adhérents, les modifications du contexte géoéconomique (Trente Glorieuses suivies de Trente Piteuses) et du cadre géostratégique (guerre froide jusqu’en 1989) compliquent les cycles.

1999. Quant aux « petits » États de l’Union, ils se méfient de la prééminence des « Grands ». Tous ces refus se cumulent alors que les Quinze sont dans la nécessité de réformer le triangle institutionnel inadapté au nombre croissant de partenaires. Cette déstabilisation des États se double d’une opposition larvée dans l’opinion publique. Objet de débat public et même facteur de recomposition de la vie politique, l’Europe est toujours aussi opaque : ses institutions, le partage de compétence entre les différents pôles, le processus de décision obéissent à une logique de type technocratique, faiblement démocratique.

Incapable de répondre aux attentes des citoyens, l’Union alimente les phobies de type identitaire et sécuritaire et amplifie les inquiétudes économiques et sociales. L’Europe, devenue un bouc émissaire, est donc en danger. L’incapacité à trouver une issue aux conflits qui ont divisé l’ex-Fédération yougoslave et qui agitent le Proche-Orient (→ fiche 30) accentue un peu plus la crise de méfiance, si ce n’est de défiance, à l’égard de l’Union. Et pourtant, malgré cet « europessimisme », onze pays forment l’« Euroland » pour parvenir à la monnaie unique en 2002. Cet achèvement monétaire ne résout pas le déficit politique interne et externe. La construction européenne

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Lexique de la construction européenne

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Pères de l’Europe : chacun des États membres de l’Union compte un ou plusieurs hommes qui ont consacré leur vie au rêve européen. Hier, Victor Hugo, Frédéric Nietzsche, Stefan Zweig, Romain Rolland, dans le premier xx e siècle, Richard Coudenhove-Kalergi, Aristide Briand, après 1945 Konrad Adenauer, Robert Schuman, Jean Monnet, Guy Mollet, Paul-Henri Spaak, Alcide de Gasperi et le comte Sforza ont déployé tout leur talent au service de la cause européenne. Aujourd’hui, nombre de responsables politiques de premier plan, Helmut Kohl, Jacques Delors, Felipe Gonzalez… inscrivent leur action dans le sillage des pères fondateurs. Société des Européens : bien avant la construction européenne, la société des Européens repose sur des réseaux variés, plus ou moins structurés. Les clercs du Moyen Âge, les marchands-banquiers et les humanistes de la Renaissance, les philosophes du siècle des Lumières, et plus près de nous, les intellectuels, alimentent des échanges transfrontières. Certains d’entre eux, dont Victor Hugo en 1849, lancent des appels pour former les États-Unis d’Europe. L’utopie prend corps dans les années 1920. L’horreur de la guerre mondiale, la crainte de l’effacement alimentent les projets développés par Richard Coudenhove-Kalergi, Aristide Briand… La société des Européens se retrouve en mai 1948 au congrès de La Haye sous la présidence de Winston Churchill. La formation de l’OECE, du Conseil de l’Europe et surtout la CECA satisfont en partie ces hommes et ces groupements attachés à l’idée d’une Europe unie. Pour agir sur les gouvernements et l’opinion publique, Jean Monnet décide de créer le 13 octobre 1955 le Comité d’action pour les États-Unis d’Europe, réunissant des représentants officiellement mandatés par leurs organisations : délégués des partis politiques libéraux, chrétiens-démocrates, sociaux-démocrates et socialistes, responsables de syndicats non communistes, hauts fonctionnaires, le « réseau » Monnet se voue au « pouvoir fédéral européen ». Il joue un rôle essentiel durant la phase de négociations précédant la signature

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La construction européenne

des traités de Rome, CEE et CEEA, et s’implique dans la construction européenne. Depuis la dissolution du Comité, en 1975, la société des Européens est à la fois plus organisée et moins efficace. Formée en général de groupes de pression agissant en marge des institutions européennes, elle ne parvient plus à séduire les opinions publiques nationales ni à donner naissance à une véritable conscience identitaire européenne. Triangle institutionnel : « Rien n’est possible sans les hommes, rien n’est durable sans les institutions. […] Les institutions peuvent, si elles sont bien construites, accumuler et transmettre la sagesse des générations successives », écrivait Jean Monnet dans ses Mémoires. Jusqu’à la Conférence intergouvernementale de 1996, les institutions de l’Union ne sont pas comparables à celles des États démocratiques la formant, ni assimilables aux catégories classiques du droit international. Les trois composantes du triangle institutionnel sont le Conseil européen, le Parlement et la Commission. Le Conseil créé en 1974 en marge des traités, à l’initiative de la France, réunit les chefs d’État et de gouvernements des pays membres. Il règle certains problèmes fondamentaux pour le progrès de l’Europe et donne l’impulsion nécessaire au franchissement de nouvelles étapes. Il est tour à tour présidé pour six mois par l’un des chefs d’État et de gouvernement des Quinze. Le Parlement représente les peuples des États de l’Union. Formée de députés élus au suffrage universel depuis 1979, l’assemblée de Strasbourg participe au pouvoir législatif, à l’élaboration du budget et contrôle les dépenses communautaires, il détient le droit de demander à la Commission de présenter une proposition, investit et contrôle la Commission. Il peut la renverser à la majorité des deux tiers. Cette dernière est composée de représentants des États nommés d’un commun accord par les gouvernements des États membres. Indépendante, la Commission est à la fois la gardienne des traités, un organe de proposition et d’exécution.

À ces trois pôles qui ne sont pas clairement un exécutif, un législatif et un judiciaire, s’ajoutent des organismes essentiels : la Cour de Justice, la Cour des comptes, et un grand nombre de comités spécialisés. Adaptées tant bien que mal à une Communauté à douze, les institutions de l’Union doivent être réformées en tenant compte de plusieurs impératifs. L’entrée d’un nombre croissant de nouveaux États membres implique une transformation complète du système de présidence et des mécanismes de vote. L’extension des pouvoirs communautaires à de nouveaux champs, monétaire, diplomatique, judiciaire, écologique… nécessite une redéfinition des processus décisionnels et des attributs de compétence de chacune des instances institutionnelles. La différenciation croissante entre certains États désireux d’approfondir rapidement les politiques communes pour réaliser une Europe fédérale et d’autres hostiles à un tel projet impose de repenser les institutions. Un simple ajustement pragmatique n’aurait aucun sens et porterait les risques d’un blocage et d’une opacité croissante de l’Europe. Droit européen : très rapidement les États membres acceptent la prééminence du droit européen sur le leur. Comme n’importe quelle

organisation internationale, la Communauté devenue Union produit des normes juridiques et jurisprudentielles qui constituent le droit européen. Les différents traités signés depuis 1951 définissent cinq types d’actes. Le règlement a une portée générale, est obligatoire dans sa totalité, s’impose à tous et est directement applicable dans le droit des États membres. La décision est plus restreinte mais obligatoire, elle s’impose aux États membres, aux entreprises et aux individus visés. La directive est un moyen d’action indirecte qui comporte pour tous les États une obligation de résultat. Les avis et recommandations n’ont pas de caractère contraignant et sont donnés à titre consultatif. Les actes innomés sont les actes non définis par les traités, ainsi les actes internes concernant l’organisation et le fonctionnement des organes institutionnels, les règlements intérieurs… De plus, la Cour de Justice qui juge les recours de la Commission contre les gouvernements, ceux des Gouvernements contre la Commission et les recours des particuliers, produit une jurisprudence. Ainsi le droit communautaire exprime un fédéralisme rampant en vigueur depuis 1951.

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Pistes bibliographiques Pierre Gerbet consacre un volumineux ouvrage à La Construction européenne, coll. « Notre siècle », Imprimerie nationale, 1999. Jean Monnet évoque dans ses Mémoires, Fayard, 1976, son action militante au service de l’Europe. Dans En quête d’Europe. Construction communautaire et légitimité nationale, Vuibert, 1994, j’ai analysé la construction européenne à partir des États membres.

La construction européenne

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Du tiers-monde aux pays sous-développés Les Sud

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e terme générique de Sud qui s’est substitué à celui de tiers-monde recouvre une pluralité de situations. Il concerne des pays qui accèdent à l’indépendance, au siècle passé pour l’Amérique latine, après 1945 pour l’Asie et dans la décennie soixante pour l’Afrique (→ fiches 27 et 28). Il englobe des pays qui adoptent des voies diplomatiques différentes pendant la guerre froide : aux États latino-américains regroupés dans l’OEA (→ fiche 25), s’opposent ceux alliés de Moscou et ceux non alignés*. Il comprend des États très différents par leur position géographique, leur poids démographique, leurs potentialités économiques et leurs traditions culturelles. Depuis le premier choc pétrolier en 1973, l’espoir de type messianique mis dans le Nouvel Ordre économique international * s’efface pour une réalité plus contrastée. Tous ces pays regroupant les quatre cinquièmes de la population mondiale connaissent des problèmes communs dominés par la dépendance à l’égard de mécanismes qui leur échappent, mais tous ne sont pas dans la même impasse : aux régions et aux pays industrialisés qui parviennent à s’intégrer à l’espace mondial s’opposent les zones enclavées condamnées à l’enfoncement dans la misère, les PMA (pays les moins avancés). Les pays qui parviennent à connaître un libéralisme économique et politique coexistent avec d’autres déchirés par des guerres civiles et des troubles endémiques.

La ligne de partage Nord/Sud Tandis que le Sud implose en de multiples cas particuliers, le Nord industrialisé continue à voir

* Les astérisques renvoient au lexique p. 148.

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Du tiers-monde aux pays sous-développés

dans les nations en voie de développement un bloc menaçant qui se substituerait à l’ancien camp soviétique : la fracture Nord/Sud remplacerait celle de la guerre froide entre l’Ouest et l’Est (→ fiche 20). Le Sud nourrit en effet un imaginaire fait de périls pour les nations opulentes. Les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979-1980 alimentent le spectre de la pénurie d’une ressource énergétique indispensable au bon fonctionnement des économies développées. La concurrence industrielle et commerciale des NPIA, suivis des NNPIA (→ fiche 41), constituerait la principale cause de la grande dépression contemporaine. L’essor des trafics de toutes sortes, de l’économie de la drogue à celui plus récent d’armes utilisées par des réseaux terroristes, serait le seul facteur des désordres des sociétés occidentales. La montée en puissance des intégrismes et des fondamentalismes religieux (→ fiche 38) accentuerait les risques de fragmentation des nations occidentales, terres d’accueil d’immigrés venus du monde arabe. De récents ouvrages, comme L’Empire et les nouveaux barbares de Jean-Christophe Rufin, projettent le schéma en vigueur durant la guerre froide sur un Sud diabolisé. Le colonel Kadhafi, le général Saddam Hussein, les ayatollahs au pouvoir en Iran depuis le départ du Shah en 1979, remplaceraient les figures de Staline et autres Hitler. Leurs pays sont d’ailleurs placés sous embargo par la communauté internationale. Le Nord doit sortir du dilemme culpabilité, peur : la première voit le tiers-mondisme* céder la place à l’action moralisatrice de type humanitaire, la deuxième débouche sur la définition d’« États tampons » dont la stabilité est indispensable à la sécurité du Nord. (→ fiches 37 et 42).

BRÉSIL

La Havane

Maîtrise de la technique spatiale

New York

Le Caire

ISRAËL

AFRIQUE DU SUD

Alger

Belgrade

New Delhi INDE

CHINE

Bandoung

NPIA, Nouveau pays industrialisé asiatique, NNPIA, et nouvelle région industrielle

PMA, pays moins avancé

Pays placé sous embargo par la communauté internationale

Zone de conflits éndémiques

III. Les déchirures et l’éclatement du Tiers Monde

PAKISTAN

CORÉE DU N.

Le tiers-monde entre affirmation et désagrégation

ISRAËL Détenteur officiel ou officieux de l’arme atomique

Exportateur d’hydrocarbures

Voie de passage maritime essentielle

II Les atouts des pays du Tiers Monde

Alger Capitale de la conscience du Tiers Monde

“Pédagogue” du Tiers Monde

Limite économique entre les pays développés et ceux du Tiers Monde

I. L’affirmation du Tiers Monde

Santiago

FICHE  34

Du tiers-monde aux pays sous-développés

147

Lexique des tiers-mondes

FICHE  34

CNUCED : la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement devient rapidement une structure onusienne avec son secrétariat, ses réunions régulières et ses programmes. Lors de la première CNUCED, en mai-juin 1964, se forme le « groupe des 77 » réunissant divers États du tiers-monde. Jusqu’en 1976, la CNUCED semble être efficace : elle fait adopter en 1964 le système des préférences généralisées, favorables aux exportations des pays sous-développés ; elle parvient en 1972 à définir les critères définissant le groupe des PMA, pays les moins avancés ; elle élabore en 1976 un programme intégré organisé autour d’un Fonds commun destiné à financer les interventions sur les marchés des matières premières. Mais depuis vingt ans, la CNUCED perd de son utilité et devient de nos jours une structure inefficace. Non-alignement : peu après la conférence de Bandung, les non-alignés se réunissent au Caire en septembre 1961 : « Les pays participants considèrent que la coexistence pacifique […] est la seule solution si l’on veut sortir de la guerre froide et du risque d’une catastrophe universelle. […] Les pays non alignés représentés à la Conférence ne prétendent pas créer un nouveau bloc et ne peuvent pas constituer un bloc. » Un certain nombre de thèmes développés par le groupe des non-alignés est récupéré par les deux Grands, par exemple, la dénucléarisation, le désarmement, l’affirmation d’une politique de sécurité collective… Mais paradoxalement, au moment même où triomphe cette thématique, les pays initiateurs de cette politique sombrent dans des convulsions : explosion de l’ex-Fédération yougoslave, crise du modèle nehruiste en Inde, deuxième guerre

d’Algérie, attentats islamistes en Égypte, crise de la voie castriste… NOEI : le Nouvel Ordre économique international semble triompher en 1974 à l’ONU avec l’adoption de la Charte des droits et des devoirs économiques des États. Ce code de conduite destiné à réglementer les relations économiques internationales suscite l’espoir dans les pays du Sud devant bénéficier d’un élargissement de l’accès aux marchés du Nord, de l’augmentation de l’aide internationale et de la stabilisation du cours des matières premières. Mais le NOEI ne résiste pas à l’air du temps libéral, à la déréglementation et aux politiques conduites par les experts du FMI, Fonds monétaire international. Tiers-mondisme : attitude idéologique ou politique, contemporaine de l’affirmation du tiers-monde, consistant à dénoncer l’action malfaisante de l’homme blanc, coupable de tous les maux du Sud. Le tiers-mondisme, virulent chez un certain nombre d’intellectuels français, Frantz Fanon, Jean-Paul Sartre…, s’inscrit dans le droit fil de l’anti-européisme, le tiers-monde prenant alors la place du « bon sauvage ». « Voilà des siècles que l’Europe a stoppé la progression des autres hommes, écrit en 1961 F. Fanon dans Les Damnés de la terre, et les a asservis à ses desseins et à sa gloire ; des siècles qu’au nom d’une prétendue « aventure spirituelle » elle étouffe la quasi-totalité de l’humanité. Regardez-la aujourd’hui basculer entre la désintégration atomique et la désintégration spirituelle. » Le tiers-mondisme militant s’effondre avec la découverte de l’ethnocide commis par Pol Pot dans le Kampuchéa (Cambodge) et avec la fuite des Boat People.

Pistes bibliographiques L’économiste suisse Paul Bairoch analyse dans Le Tiers-Monde dans l’impasse, coll. « Idées », Gallimard, 1971, éd. 1983, les contraintes qui pèsent sur les pays du tiers-monde en se livrant à des comparaisons de type historique avec la situation de l’Europe pré-industrielle. Philippe Braillard et Mohammad-Reza Djalili écrivent un ouvrage consacré au Tiers-Monde et relations internationales, Masson, 1984. Pierre Moussa dresse un bilan des Sud dans Caliban naufragé. Les Relations Nord/Sud à la fin du xxe siècle, Fayard, 1994. André Nouschi étudie Pétrole et relations internationales depuis 1945, coll. « U », Armand Colin, 1999.

148

Du tiers-monde aux pays sous-développés

Typologie des tiers-mondes

FICHE  34

Classification de type économique Organisme

Critère (en vigueur dans le courant de la décennie 1990)

Type

• Pays à faible revenu. • Pays à revenu intermédiaire divisé en trois sousensembles : – pays exportateur de pétrole Banque mondiale – pays exportateur de marchandises – pays fortement endettés • Pays exportateurs de pétrole à revenus élevés. • Pays à économie planifiée non-membres de la BM.

PIB/hab. inférieur à 450 $ PlB/hab. jusqu’à 1 600 $ PIB/hab. de 1 600 à 7 500 $

OCDE

Pays à revenus faibles Pays à revenus intermédiaires

PIB/hab. inférieur à 700 entre 700 et 1 300 $/hah. pour la tranche inférieure, plus de 1 300 $ pour celle supérieure

ONU

Groupement géographique par lettre A B C D Deux listes spécifiques pour les pays les plus désavantagés :

Pays afro-asiatiques OCDE Pays latino-américains Pays à économie planifiée

• MSAC, Most Seriously Affected Countries

Pays du tiers-monde atteints par les chocs pétroliers et l’endettement

• LDC, Least Developped Countries ou PMA Une mention supplémentaire tient compte de la position géographique pour les pays enclavés ou Landlocked Countries, dépourvus de débouchés maritimes.

Les principales aires culturelles dans l’espace formant le tiers-monde Aire

Localisation

Confucéenne

Asie péninsulaire et extrême-orientale

Malaise et javanaise

Asie péninsulaire et insulaire du Sud-Est

Hindoue

Asie du Sud

Chrétienne

L’Amérique latine surtout

Africaine

Du Sahel au cap de Bonne-Espérance

Musulmane

De Marrakech au Bangladesh et à l’Indonésie

Caractéristique essentielle L’harmonie sociale en groupe par le respect et l’obéissance Communautés mêlant animisme, hindouisme L’ordre social repose sur le système des castes Une Église qui renforce aujourd’hui les tendances panaméricaines Culture villageoise mêlant islam et animisme, avec une exception pour l’Afrique du Sud évangélisée Une religion totalisante qui conditionne l’organisation sociale, politique, économique de la cité et même la morale des individus.

Du tiers-monde aux pays sous-développés

149

FICHE 35

La fin de la guerre froide en Europe

N

i les spécialistes, ni les décideurs n’ont vu arriver l’impensable, à savoir l’effondrement du bloc de l’Est en Europe, ni, par là même, la fin de l’URSS. Il est, toutefois, possible de fournir, a posteriori, des hypothèses explicatives à cet événement majeur dans l’histoire du « vieux continent », car 1989 sépare bien un « avant » d’un « après » ; accidentelle, l’année 89 est porteuse de sens (→ fiche 5).

L’effondrement des dominos Le système de puissance bâti avec une continuité sans failles de Lénine à Brejnev qui obéit à partir de 1968 à la théorie dite de la « souveraineté limitée », était fondé sur une triple ambition : fournir à l’URSS, gardienne du socialisme réel, les moyens économiques et énergétiques de son fonctionnement ; contrôler les frontières extérieures du bloc/camp soviétique (→ fiche 23) et réprimer dans le sang toute remise en cause des fondements de l’idéocratie soviétique comme, par exemple, le rôle dirigeant du parti communiste. De la Pologne qui connaît dès 1980 une vague de grèves, à la RDA, les démocraties populaires sont en fait confrontées à une crise permanente de leur économie, d’autant plus insupportable pour les citoyens que l’Ouest profite de tous les avantages de la société de consommation de masse (voir p. 142). La fragilité du système socialiste tient à son incapacité à résoudre les problèmes d’approvisionnement au quotidien aggravés par les dépenses d’armement (→ fiche 32). Sur ce fond de crise structurelle, la société de plus en plus éduquée, formée, échappe en partie à des régimes qui n’offrent nulle espérance, ni promotion, si ce n’est à une infime minorité. Rien n’est plus symptomatique que d’observer le bouillonnement culturel créatif clandestin qui a pour cadre les appartements privés des intellectuels habitant dans les grandes métropoles. Alors quand

150

La fin de la guerre froide en Europe

Gorbatchev décide de ne pas faire intervenir l’armée rouge pour réprimer les mouvements contestataires, la dynamique révolutionnaire met un terme à l’édifice interne et externe : dix ans pour la Pologne, dix mois pour la Hongrie, dix semaines pour la Tchécoslovaquie, dix jours pour la Roumanie… les dominos s’effondrent avec une surprenante facilité et une grande rapidité. La télévision et la transmission des nouvelles, dont celle de la chute du mur de Berlin dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989, sont à l’origine d’une telle contagion qui se nourrit, en arrière-plan de l’élection du premier pape polonais de l’histoire, Karol Wojtyla devenu Jean-Paul II, en 1978.

L’implosion de l’URSS Comme l’indique la chronologie ci-contre, le démantèlement de l’URSS commence dans les républiques les plus récemment annexées, les trois pays baltes, conquis par la force à la suite du pacte de non-agression signé avec l’Allemagne nazie en août 1939. Dans la brèche ouverte par les Baltes, se sont engouffrés tous les autres peuples allogènes. L’éclatement a d’autant été plus rapide qu’en arrière-plan, s’effondre la 16 e république, celle formée par le Parti communiste, qui tenait unies les quinze autres. Le 25 décembre 1991, l’Union soviétique cesse d’exister et laisse la place à la CEI, Communauté des États indépendants, formée le 8 décembre par la Biélorussie, la Fédération de Russie, l’Ukraine auxquelles se joignent deux semaines plus tard le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, l’Azerbaïdjan, l’Arménie, la Moldavie. Contrairement aux autres empires disparus au cours du xxe siècle, l’URSS s’écroule en dehors de toute guerre et de toute révolution. C’est le principal des mérites à mettre à l’actif de Mikhaïl Gorbatchev et de la perestroïka (→ fiche 45).

La désunion des Républiques soviétiques

Nom Superficie

Capitale

Population (en million) dont Russes (en %)

Part dans la production soviétique

Proclamation de la souveraineté

FICHE  35

Indépendance reconnue par Moscou

États baltes • Estonie 45 000  km2 • Lettonie 64 000  km2 • Lituanie 65 000  km2 États slaves • Biélorussie 208 000  km2 • Moldavie 34 000  km2 • Russie 17 075 000  km2 • Ukraine 604 000  km2 États caucasiens • Arménie 30 000  km2 • Azerbaïdjan 87 000  km2 • Géorgie 70 000  km2 États d’Asie centrale • Kazakhstan 2 717 000  km2 • Kirghizie 45 000  km2 • Ouzbékistan 447 000  km2 • Tadjikistan 143 000  km2 • Turkménistan 488 000  km2

Tallin Riga Vilnius

Minsk Kichinev Moscou Kiev

Erevan Bakou Tbilissi

Alma-Ata Froundzé Tachkent Douchambé Achkabad

1,6 28 % 2,7 33 % 3,7 9 %

1,6 %

mars 1990

septembre 1991

1,7 %

mai 1990

septembre 1991

1,5 %

mars 1990

septembre 1991

10 11,9 % 4,3 12,8 % 147

4,2 %

juillet 1990

août 1991

1,3 %

juin 1990

décembre 1991

58,8 %

juin 1990

51,7 21 %

16,8 %

août 1991

1,1 %

août 1990

1,8 %

septembre 1990

1,7 %

avril 1991

4,3 %

août 1990

décembre 1991

0,9 %

décembre 1990

août 1991

3,9 %

juin 1990

août 1991

0,9 %

juin 1990

septembre 1991

0,8 %

juin 1990

octobre 1991

3,3 2,3 % 7 8 % 5,4 7,4 % 16,6 40,8 % 4,3 26 % 20 11 % 5,1 12 % 3,5 12,6 %

décembre 1991

septembre 1991

En italiques : pays membres de la CEI à la fin de l’année 1991. La chronologie atteste l’erreur d’interprétation d’Hélène Carrère d’Encausse.

La poussée révolutionnaire de 1989 dans une perspective historique L’historien allemand, Hartmut Kaelble, rédige en 2001 un ouvrage – Wege zur Demokratie, von der französischen Revolution zur europäischen Union, DVA éditeur – consacré à une analyse comparative des différentes poussées de révolutions qui ont embrasé l’Europe, en 1789, 1848, 1918/19, 1945/57 et en 1989/1991. Les

événements de 1989 peuvent, à la fois, par leur dimension spatiale et leur sens polysémique, être comparables à ce que les historiens qualifiaient de « printemps des peuples ». En 1848, la fièvre révolutionnaire qui secoue l’Europe, de Naples à Berlin, de Paris à Budapest, a une triple dimension, libérale, si ce n’est libertaire, nationale et démocratique ; elle alimente le pacifisme, l’utopie fraternelle, l’émergence d’une Europe unie sans frontières, réunie autour de la modernité mise en œuvre par une diplomatie fondée La fin de la guerre froide en Europe

151

FICHE  35

sur le contrat. Mais contrairement à ce qui s’est passé en 1849, le processus de 1989 n’a pas été réprimé dans la violence ; il se développe jusqu’à son terme, à savoir l’intégration de la plupart des anciennes démocraties populaires dans l’OTAN et dans l’Union européenne. En outre, il renoue avec la mémoire, vieille de 140 années, si ce n’est la mythologie dont les peuples ont Dates

1789

1848

Démocratique

X

X

National

X

X

Libéral

X

X

Caractères

besoin pour vivre. En 2004, l’élargissement de l’Union européenne aux anciennes « démocraties populaires » en est l’aboutissement. Les « pays de l’Est » sont devenus les nations orientales de l’Europe occidentale ! Ce tableau ci-dessous entend permettre la comparaison entre ces différents processus historiques. 1918

1945-57

1989-91

X

X

X

X X

Facteurs de transmission

Libelles, colportage

Chemin de fer, télégraphe

Radio, affiches, Radio cinéma = « affiche animée »

Foyer initial

France

France

Russie et pays vaincus

Démocraties dites Pologne, « populaires » Allemagne

Conséquences principales

Diffusion du « modèle » français

Utopie fraternelle interrompue par une terrible répression

Triomphe des totalitarismes en Europe

Coupure de Élargissement l’Europe en deux de l’OTAN et blocs de l’Union européenne à l’ouest de l’Est

Télévision

Mikhaïl Gorbatchev Né en 1931 dans la région rurale de Stavropol, Mikhaïl Gorbatchev connaît le parcours de l’enfant soviétique méritant : issu d’un milieu défavorisé, les talents du jeune Mikhaïl lui permettent d’accéder en 1950 à la prestigieuse université de Moscou où il étudie le droit. Là il rencontre, outre sa femme, Raïssa, des étudiants comme Abel Aganbeguian (chef de file des économistes réformateurs en 1985), Valtr Komarek (vice-Premier ministre en Tchécoslovaquie après la « révolution de velours » de décembre 1989), Ion Iliescu (l’homme fort du régime après le renversement de Ceaucescu)… Membre de la jeunesse communiste en 1950, du PC à partir de 1952, Gorbatchev devient un apparatchik dans sa région natale qui, à l’époque khrouchtchevienne, est une espèce de refuge abritant tous les dirigeants limogés. Durant cette période, Gorbatchev ne marque aucune sympathie à Khrouchtchev et vit dans l’ombre de Koulakov, un spécialiste de l’agriculture. Premier secrétaire du territoire en 1970, député au Soviet 152

La fin de la guerre froide en Europe

Suprême, membre du Comité central du Parti, Gorbatchev dénote par son jeune âge au milieu des gérontes. Brutalement en l’espace de trois ans, 1978-1981, il franchit des étapes décisives : il devient en effet Secrétaire du CC du PCUS, spécialiste des questions agricoles, membre du Politburo, assez proche de l’homme fort du régime, Youri Andropov, alors dirigeant du KGB. C’est d’ailleurs cette « protection » qui lui permet d’accéder aux plus hautes fonctions dans la hiérarchie du Parti en 1985. Gorbatchev est donc un homme produit par le système pour trouver une issue à ce qui est insupportable, à savoir un dépassement du PIB soviétique par le Japon qui est, depuis 1905, le grand rival de la Russie. Le nouveau Secrétaire général du PCUS diffère de tous ses prédécesseurs dans la mesure où il n’a jamais connu ni les purges staliniennes, ni n’a participé à la « grande guerre patriotique ». Il incarne cette génération de spécialistes – des technocrates (?) – née des transformations de la gestion des entreprises et des priorités données à l’économique.

Les grèves de 1980 en Pologne Les propositions du comité inter-entreprises de Grève, du chantier naval de Gdansk, 16 et 16 août 1980 : 1. Accepter des syndicats libres, indépendants du Parti et des employeurs, sur la base de la Convention n° 87 de l’Organisation Internationale du travail, ratifiée par la République Populaire de Pologne. 2. Garantir le droit de grève et la sécurité aux grévistes et à ceux qui les aident. 3. Respecter la liberté de parole, d’édition et de publication garantie par la Constitution polonaise ; par conséquent ne pas réprimer les éditions indépendantes et permettre l’accès de tous les cultes aux mass media. 4. Restituer les droits perdus aux : A/ personnes licenciées en 1970 et en 1976, aux étudiants renvoyés des universités pour leurs convictions. B/ libérer les prisonniers politiques. 5. Divulguer par les mass media l’information sur la formation du Comité inter-entreprises de grève et publier ses revendications. 6. Engager une action concrète et effective pour sortir le pays de la crise : – En divulguant une information complète sur la situation économique et sociale ; – En donnant à tous la possibilité de participer à la discussion sur le programme des réformes. 7. Payer à tous les grévistes une indemnisation pour la période de la grève, comme pour un congé de repos, sur le fonds du Conseil Central des Syndicats. 8. Augmenter le salaire nominal de chaque travailleur de 2 000 zlotys par mois, en compensation de la hausse des prix à ce jour. 9. Garantir l’augmentation automatique des salariés, correspondant à la hausse des prix et à la dépréciation de la monnaie.

FICHE  35

10. Assurer un approvisionnement nécessaire du marché intérieur en produits alimentaires et exporter uniquement le surplus de la production. 11. Instaurer des tickets de rationnement pour la viande et ses sous-produits jusqu’à la maîtrise totale du marché. 12. Supprimer les prix spéciaux pour la viande et la vente dans les magasins où les produits sont payés en devises étrangères. 13. Établir les principes du choix des cadres supérieurs sur la base de leur qualification et non de leur appartenance au parti. Abolir les privilèges de la Milice, du Service de Sécurité et des cadres du Parti, en égalisant les allocations familiales, en liquidant les distributions spéciales… 14. Instaurer le droit à la retraite au bout de 35 ans de travail, en abaissant l’âge de celle-ci à 50 ans pour les femmes et à 55 ans pour les hommes. 15. Égaliser les pensions et les retraites de l’ancien régime au niveau actuellement en vigueur. 16. Améliorer les conditions de travail du service médical afin d’assurer une assistance médicale convenable à tous les travailleurs. 17. Assurer un nombre de places suffisant de places dans les écoles maternelles et les crèches. 18. Instaurer le congé maternité payé de trois ans. 19. Raccourcir les délais d’attente pour les logements. 20. Augmenter l’indemnité de repas de 40 à 100 zlotys et l’indemnité d’éloignement 21. Généraliser les samedis libres ; donner une compensation aux travailleurs soumis au travail par équipe, pour le travail les samedis, sous la forme de jours de congé supplémentaire. (Tract disponible au musée consacré au mouvement Solidarnósc à Gdansk en Pologne.)

La fin de la guerre froide en Europe

153

QUATRIÈME PARTIE

Vers e le xxi  siècle Mondialisation et Régionalisation

FICHE 36

L’intégration régionale Une tendance du long terme

L

’intégration régionale comme la mondialisation s’inscrivent dans le temps long, si ce n’est séculaire, tandis que la prise de conscience en est plus récente. Les conférences réunies durant la guerre dessinent les contours de l’architecture planétaire devant reposer sur le FMI, Fonds monétaire international, la BIRD ou Banque mondiale, et l’Organisation internationale du commerce… Mais la guerre froide perturbe cette intégration mondiale qui se réalise dans chacun des deux blocs (→ fiches 22 et 23) : ainsi l’Europe se divise entre l’OECE chargée de distribuer l’aide américaine et le COMECON servant à transférer de la richesse de la périphérie vers le centre soviétique (→ fiches 23 et 32). À cette échelle régionale, les gouvernements occidentaux concilient des politiques de la demande d’inspiration keynésienne et des politiques de l’offre de filiation ricardienne. Toutefois dans les années Soixante, la « révolution » dans les moyens de transport, le développement des flux d’eurodollars et l’inefficacité grandissante du keynésianisme, réduit à une simple pratique budgétaire (→ fiche 29) rompent cet équilibre. Le lien entre les firmes multinationales* et le territoire d’origine de la maison mère se distend si bien que « tout ce qui est bon pour la GM n’est plus forcément bon pour les États-Unis » ! Confrontées à la Grande Dépression qui débute moins avec les chocs pétroliers qu’avec la crise de la régulation fordiste, les entreprises se mondialisent et les organisations internationales, FMI, GATT… perdent de leur sens. L’abaissement spectaculaire des coûts de transferts du fait de la révolution informatique * Les astérisques renvoient au lexique p. 158-159.

156

L’intégration régionale

et « satellitaire » accroît la fluidité du capital et la transmission de l’information. La dérégulation et la déréglementation, qui se diffusent de la Californie au reste du monde, accentuent la « marchéisation » de l’économie : le commerce ricardien s’infléchit dans un sens darwinien. Ainsi, des firmes globales* se livrent à une « troisième guerre mondiale » (Daniel Esambert) dont l’enjeu est la Triade*. Pour vaincre, une arme, la recherche d’une masse critique, d’où des opérations de « meccano » planétaire ; pour gagner, une tactique privilégiée, la course à la productivité, quel qu’en soit le coût social et ce, au plus grand bénéfice des actionnaires à la recherche de versements maximum de dividendes (→ fiche 44).

Une intégration variable Toutes les organisations créées à l’échelle régionale ne présentent pas le même degré d’intégration : certaines, telle l’Union européenne, se bâtissent sur des transferts d’attribut, étatiques (→ fiches 33 et 40). La plupart d’entre elles, l’ASEAN, l’ALENA… sont des zones de libre-échange. Toutes n’ont pas le même âge, ni ne concernent des partenaires de même taille et de niveau de développement similaire. Pourtant la carte de l’intégration commerciale régionale révèle une inégalité continentale symptomatique. L’Afrique souffre d’une déficience d’institutions efficaces et de polarisation, hormis l’Afrique du Sud qui commence à structurer la zone australe (→ fiches 27 et 43). L’Amérique s’organise à l’initiative de Washington qui tente d’amarrer son voisin immédiat, le Mexique, partenaire au sein de l’ALENA. L’Asie, si diverse (→ fiche 41), est à la recherche d’une identité régionale forte.

L’intégration commerciale régionale

FICHE  36

L’intégration régionale

157

Lexique de la mondialisation

FICHE  36

Concurrence globale : « La concurrence globale est avant tout une compétition entre firmes, mais l’idée se profile de plus en plus qu’une dynamique de succès de certains pays, comme le Japon, et des échecs d’autres, peut-être les États-Unis et certains pays d’Europe, influence indirectement l’environnement des firmes et donne également à cette lutte concours entre firmes le caractère d’une confrontation entre blocs économiques. » P. Saucier, cité par Jean-Charles Asselain, Histoire économique du xxe siècle, La réouverture des économies nationales (1939 aux années 1980), PFNSP & Dalloz, 1995.

Économie mondiale, économie-monde : « L’économie mondiale s’étend à la terre entière ; elle représente, comme disait Sismondi, « le marché de tout l’univers », « le genre humain ou toute cette partie du genre humain qui commerce ensemble et ne forme plus aujourd’hui, en quelque sorte qu’un seul marché ». L’économie-monde ne met en cause qu’un fragment de l’univers, un morceau de la planète économiquement autonome, capable pour l’essentiel de se suffire à lui-même et auquel ses liaisons et ses échanges intérieurs confèrent une certaine unité organique. » Fernand Braudel, Le Temps du monde, Armand Colin, 1979.

Firmes multinationales, firmes globales : « [Les stratégies multinationales] consistent à produire sur plusieurs marchés nationaux des biens adaptés à chaque marché. La production des filiales n’est donc pas spécialisée. Chaque filiale est un centre de profit en soi qui entretient des relations verticales avec la maison mère mais non avec les autres filiales. À l’inverse, la stratégie globale vise à unifier la gamme des produits au niveau mondial et à faire de chaque filiale une unité spécialisée dans la fabrication d’un composant particulier du produit fini. On retrouve là ce que Bernard LassudrieDuchêne a appelé la décomposition internationale des processus productifs, qui peut du reste aussi bien s’appuyer sur un réseau de sous-traitants. La

158

L’intégration régionale

coordination de la production au niveau mondial est assurée par la maison mère, qui centralise les activités de RD. La localisation de la production entre les différents pays est effectuée en fonction des avantages comparatifs de chacun et de considérations logistiques. » Jacques Adda, La Mondialisation de l’économie, t. 1, Genèse, La Découverte, 1996.

« La firme moderne de la fin du xx e siècle ne ressemble que superficiellement à son aînée du milieu du siècle. Les noms et les logos des grandes firmes américaines sont toujours emblématiques de l’économie américaine : General Electric, AT & T, General Motors, Ford […]. Leurs noms continuent à évoquer l’image d’une grande richesse et d’une mainmise sur l’économie. Elles sont toujours dirigées à partir d’immenses immeubles de verre et d’acier ; leurs patrons frayent avec les hommes politiques et les célébrités, ils rédigent des autobiographies où ils se congratulent sur leur sagesse et leur audace. Mais, en réalité, tout a changé. La grande firme américaine ne planifie et ne réalise plus la production de grandes quantités de biens et de services ; elle ne possède ni n’investit plus dans de vastes déploiements d’usines, de machines, de laboratoires, d’entrepôts, et d’autres actifs réels ; elle n’emploie plus une armée d’ouvriers et de cadres moyens, elle ne sert plus de voie d’accès à la classe moyenne. En fait, la grande firme n’est même plus américaine. Elle est, de plus en plus, une façade, derrière laquelle fourmille une multitude de groupes et de sous-groupes décentralisés, qui passent sans cesse, à travers le monde, des accords avec des unités de production tout aussi diffuses. » Robert Reich, L’Économie mondialisée, Dunod, 1993.

Firmes transnationales : « Des firmes géantes, associées étroitement à l’économie privée et publique du plus puissant des États-Continents, méritent d’être appelées transnationales parce qu’elles dévalorisent les frontières à leur avantage. Organismes privés, observant la loi du profit marchand, elles exercent des influences plus ou moins acceptées et des dominances, des

effets irréversibles pendant une période, auxquels considérablement diminué. Les modes de régulation fondés sur le primat de la régulation interétatique il n’est pratiquement pas possible de résister. » sont devenus insuffisants. Faut-il alors laisser au François Perroux, L’Europe sans rivages, PUG, 1990. libre jeu du marché le soin d’assurer la régulation en laissant s’entrechoquer les intérêts particuliers Interdépendance : « L’internationalisation de la finance et du selon le modèle des boules de billards et « que le commerce a complètement transformé les struc- plus fort gagne » ? » tures du pouvoir à l’échelle mondiale. Le jeu se Bertrand Badie, Marie-Claude Smouts, déroule à présent de façon très subtile entre des Le Retournement du monde, Sociologie de la scène autorités étatiques qui ont cédé au marché une internationale, PFNSP & Dalloz, 1992. grande part de leur compétence et des acteurs transnationaux qui maîtrisent les éléments clefs de Triade : la puissance (accès au financement, au marché, à « Le terme a été popularisé par l’économiste la technologie) et assurent plus ou moins entre eux japonais Kennichi Ohmae pour désigner les trois l’autodiscipline par une forme de contrainte sociale. grands pôles de développement de l’économie Tout cela à l’intérieur d’un système économique mondiale. […] Ohmae analyse l’économie mondiale à la fois polycentrique et tripolaire (Amérique, à partir des procédures d’échanges et d’alliances Asie, Europe) où le triomphe du modèle capita- des grandes entreprises basées aux États-Unis, au liste comme unique mode de production de la Japon ou en Europe. La concurrence ne se fait plus richesse – et peut-être d’organisation sociale – ne entre pays mais entre triades, associations de firmes laisse plus qu’un seul chemin ouvert sur la voie des émanant des trois zones. En outre, les relations d’aflendemains qui chantent : l’accroissement illimité frontement entre grandes firmes oligopolistiques se de la production et du capital. Le keynésianisme a dédoublent d’accords de coopération. » reculé (au moins pour un temps), la part des déci- Dictionnaire d’histoire, économie, finance, géographie, sions publiques dans le domaine économique a coll. « Major », PUF, 1995.

FICHE  36

Pistes bibliographiques En 1990, la réédition de L’Europe sans rivages, par les Presses universitaires de Grenoble souligne l’apport déterminant de François Perroux dans l’élaboration du concept d’« économie-monde ». Jacques Adda, La Mondialisation de l’économie dans la collection « Repère », 2 vol., La Découverte, nelle éd. 2012.

L’intégration régionale

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FICHE 37

La sécurité collective, une utopie ? L’échec de l’ONU

A

u triptyque « arbitrage, sécurité, désarmement » mis en œuvre par la totalité des États membres de la SDN (→ fiche 8), l’ONU substitue un système plus proche du « concert des nations » en vigueur avant la Grande Guerre : les cinq « gendarmes », les membres permanents du Conseil de sécurité disposant du droit de veto, doivent prendre « les mesures efficaces collectives en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix ». Mais dans l’esprit des rédacteurs de la Charte, la sécurité collective dépend autant d’obligations fondées par et sur le droit, sanctionnées par la coercition, que sur le progrès économique et social : la diffusion de la prospérité facilitera l’adhésion aux principes démocratiques et libéraux, facteurs de paix. La Charte des Nations unies vibre en effet d’un accent humanitaire totalement absent du Pacte de la SDN. Pourtant, la pérennité de la Grande Alliance entre les vainqueurs de 1945 éclate avec la guerre froide (→ fiches 20, 21, 22 et 45), si bien que l’ONU enregistre le désaccord entre les deux blocs. L’impossibilité de faire jouer les dispositions du chapitre VII de la Charte conduit le Conseil ou l’Assemblée générale, depuis le vote de la résolution 377 en 1950, à ordonner l’envoi de forces de maintien de la paix dites de Peace Keeping. Dans les zones périphériques non couvertes par le « gel » nucléaire, les soldats de la paix remplissent diverses missions : observation, depuis 1948 sur le front entre le Pakistan et l’Inde ; surveillance, le long du canal de Suez après novembre 1956 (→ fiche 30) ; intervention, au Congo en 1960 ; interposition, à Chypre en 1964… La transformation de ces opérations ponctuelles et temporaires en garnisons durables témoigne de l’échec de l’ONU, incapable de sauvegarder la sécurité collective. En une occasion même, l’intervention des Nations unies revêt la dimension d’une

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La sécurité collective, une utopie ?

véritable guerre menée sous sa bannière, avec la caution du Conseil abandonné il est vrai par l’URSS. La guerre de Corée (1950-1953), conduite en fait par les États-Unis appuyés sur l’Organisation, entend répondre à l’agression nord-coréenne. Elle parvient à ses fins tout en ne s’inscrivant pas dans le cadre de la sécurité collective.

Le déblocage contemporain de l’ONU Avec la fin de la guerre froide et la disparition de l’URSS, l’ONU dispose de marges de manœuvres supplémentaires pour faire respecter la Charte dans le cadre d’un système de sécurité collective. Depuis 1988, l’Organisation lance plus d’opérations que durant les quarante années précédentes. Elle déploie près de 40 000 « soldats de la paix » dans une quinzaine de pays où ils remplissent les mêmes missions que par le passé tout en étant investis d’objectifs plus ambitieux. La permanence perce à travers les modalités de l’intervention américaine dans le Golfe en 1991, similaires à celles mises en œuvre durant la guerre de Corée. Mais conformément à la typologie élaborée en 1992 par le secrétaire général, Boutros Boutros-Ghali, l’ONU entend réaliser des opérations du « deuxième type », du Peace Building au Peace Enforcement : plus que la surveillance du cessez-le-feu, les casques bleus doivent restaurer les fondements mêmes de la paix ; pour quelques opérations exemplaires, celles menées en Namibie de 1989 à 1990, au Cambodge de 1991 à 1993, nombre de missions échouent. Les échecs en Somalie en 1994, dans l’ex-Fédération yougoslave, en Angola… expriment la faillite de la sécurité collective et la défaillance de l’Organisation face à des guerres intranationales. Mal préparées, insuffisamment définies par les diplomates, ces opérations révèlent l’antinomie entre les exigences militaires et les objectifs politiques, l’opposition

FICHE  37

L’ONU, gendarme de la paix

entre le droit international et le fait accompli, conduite par des factions jusqu’au-boutistes.

L’impuissance de l’ONU Malgré ses échecs, l’ONU parvient néanmoins à prévenir un certain nombre de crises latentes ; les « conversations de couloir », la diplomatie multilatérale sont irremplaçables pour éviter des affrontements armés. Pour éviter son dessaisissement en faveur de structures créées de façon informelle, tels le G7, les clubs de créanciers… L’ONU doit procéder à une réforme de son fonctionnement et, pourquoi pas, de sa

Charte. Un demi-siècle après 1945, le Conseil de sécurité reflète de moins en moins le rapport de force internationale, le Secrétaire général est trop isolé, les modalités d’envoi des casques bleus trop lentes, les interventions humanitaires inefficaces… L’ONU est toujours une association d’États rassemblés pour la réalisation, au coup par coup, de tâches peu contraignantes. Elle est ainsi en retard par rapport aux processus de mondialisation et de déconstruction des territoires et des frontières. Sa réforme, inéluctable et indispensable, devrait permettre au monde de répondre aux nouvelles menaces et aux défis du xxie siècle. La sécurité collective, une utopie ?

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Le cadre juridique de la défense de la paix La Charte de l’ONU, adoptée à San Francisco, le 26 juin 1945, par 51 États, affirme dans son préambule son désir de « préserver les générations futures du fléau de la guerre qui, deux fois en l’espace d’une vie humaine, a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances ». Pour ce faire, les « peuples des Nations unies » proclament leur volonté de « vivre en paix l’un avec l’autre dans un esprit de bon voisinage », d’unir leurs forces « pour maintenir la paix et la sécurité internationales », d’« accepter des principes et instituer des méthodes garantissant qu’il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l’intérêt commun ». Le chapitre VII de la Charte définit l’action du Conseil en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression. Par les articles 39, 40 et 41, le Conseil de sécurité est chargé de prendre les mesures nécessaires pour « rétablir la paix et la sécurité internationales ». L’article 41 prévoit « l’interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et des autres moyens de communication ainsi que la rupture des relations diplomatiques ». L’article 42 exprime le franchissement d’une étape supplémentaire puisque le Conseil peut

« entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales ». L’embargo cède la place au blocus. Par l’article 43, « tous les membres des Nations unies […] s’engagent à mettre à la disposition du Conseil de sécurité, sur son invitation et conformément à un accord spécial ou à des accords spéciaux, les forces armées, l’assistance et les facilités, y compris le droit de passage, nécessaires au maintien de la paix et de la sécurité internationales. » Les casques bleus sont donc des contingents nationaux « prêtés » au Conseil (art. 45). L’article 46 prévoit l’élaboration des « plans pour l’emploi de la force armée » par le Conseil et le Comité d’état-major, formé par les chefs d’étatmajor des membres permanents du Conseil de sécurité. Par l’article 47, « il est établi un Comité d’état-major chargé de conseiller et d’assister le Conseil de sécurité pour tout ce qui concerne les moyens d’ordre militaire nécessaires au Conseil pour maintenir la paix et la sécurité internationales, l’emploi et le commandement des forces mises à sa disposition, la réglementation des armements et le désarmement éventuel ». Enfin l’article 51 réaffirme le droit à la légitime défense pour un État agressé.

Le droit d’ingérence Apparu dans les relations internationales avec la fin de la guerre froide, lors de la première guerre du Golfe en 1991 et du conflit dans la Fédération yougoslave, le droit d’ingérence rompt avec les principes de la Charte des Nations unies énoncés dans son article premier : l’organisation vise « à développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des peuples et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Il traduit le triomphe d’un principe moral, d’origine occidentale, destiné à faire respecter le droit international, en particulier les droits de l’homme, et à venir

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La sécurité collective, une utopie ?

au secours des populations menacées dans leur survie même. L’ingérence consiste à s’immiscer indûment, sans en être requis ou sans en avoir obtenu le droit, dans les affaires d’autrui. Elle est matérielle quand elle comporte une intervention physique sur le territoire étranger, immatérielle, en cas de prise de position dans les affaires intérieures d’un pays. L’assistance humanitaire vise à la sauvegarde d’individus situés sur le territoire même de l’État qui les persécute ou les laisse sans recours face à un danger.

« L’intervention d’humanité » met en œuvre capables de fournir les moyens d’assistance logisdes forces armées destinées à protéger les natio- tique – avions gros porteurs… Appuyée sur une naux de l’État intervenant. mobilisation de l’opinion publique sensibilisée par des images de massacres de victimes civiles, Le droit d’ingérence entend répondre à trois l’ingérence est toutefois inefficace. L’échec de types de situations : l’intervention humanitaire en Somalie – opération – les catastrophes naturelles : résolution 43/31 « Rendre l’espoir » – suivie du départ précipité des de l’Assemblée générale des Nations unies, votée forces onusiennes au printemps 1994 expriment le 8 décembre 1988, à l’initiative de la France, la faillite d’une opération hâtivement préparée suite au tremblement de terre en Arménie ; et mal conduite sur le terrain. Il en est de même – la répression des populations : résolution 688 pour l’ingérence humanitaire au Rwanda qui ne des Nations unies, du 5 avril 1991, relative à parvient pas à ramener les civils réfugiés dans les « l’accès immédiat des organisations humanitaires pays voisins, Burundi et Zaïre. À l’inverse, il est internationales à tous ceux [les Kurdes, les Chi’ites impossible au Conseil de sécurité de voter une irakiens] qui ont besoin d’assistance dans toutes résolution concernant l’assistance aux populations les parties du pays ». Le 16 décembre de la même tchétchènes en Russie ou tibétaines en Chine. année, l’Assemblée générale adopte la résolution Le droit d’ingérence reflète donc des rapports 46/182 institutionnalisant le devoir d’entraide ; de force politique –, il concerne surtout des zones – les désastres écologiques dans la mesure où interstitielles dans le tiers-monde. Il sanctionne ils mettent en danger les populations d’un État, les échecs de la communauté internationale incapable de prévenir des conflits souvent prévisibles. voire la totalité de l’humanité. Il produit souvent des effets nocifs dénoncés par La carte des interventions humanitaires, de l’opé- les Organisations non gouvernementales. ration Provide Comfort de décembre 1991 en Comme le souligne Pierre Hassner, les enjeux Irak, à la Somalie en décembre 1992, au Rwanda suscités par le droit d’ingérence sont en définidurant l’été 1994, et au Zaïre à l’automne 1996, tive le symbole de deux faces du droit : d’un côté, démontre la nécessité d’un accord entre plusieurs protecteur de l’ordre établi, de l’autre, défenseur puissances, en particulier les États-Unis, seuls des faibles et des démunis.

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Pistes bibliographiques Les Institutions des relations internationales de Claude-Albert Colliard, Dalloz, et le « Que sais-je ? » no 748 font le point sur l’ONU. Marie-Claude Smouts et Guillaume Devin fournissent un éclairage problématique dans Les Organisations internationales, coll. « U », Armand Colin, 2011, et dans L’ONU et la guerre, La diplomatie en kaki, coll. « Espace international », Éditions Complexe, 1994. La revue Le Débat a consacré plusieurs articles à la question de l’ingérence dans les relations internationales.

La sécurité collective, une utopie ?

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Le religieux, nouvel acteur politique ? Dans le reflet de la religion

L

’élan mystique contemporain profite sans doute de la faillite des grands modèles idéologiques laïques, le socialisme soviétique, le kémalisme, le nasserisme, le nehruisme, la crise de la démocratie… Cependant, la recherche d’une explication globale au renouveau religieux est porteuse de contresens (→ fiches 42 et 43). Nulle date précise pour repérer ce mouvement, nul schéma univoque. Les religions, toutes différentes dans leurs dogmes, leurs traditions, leurs rapports au politique et à la société, aspirent à une vocation universelle, mais n’occupent pas toutes la même place dans la Cité. Leur rayonnement tient autant à leur contenu spirituel qu’à des facteurs extérieurs dans les pays en voie de développement, les religions bénéficient du dynamisme démographique des populations tandis que celles du Nord sont victimes de la dénatalité. Ainsi, depuis le début de la décennie 1990, l’islam est la première religion pratiquée au monde. Le devenir religieux dépend aussi des potentialités économiques et techniques des États qui les relaient : l’islamisation tient au rôle déterminant des pétromonarchies, en particulier l’Arabie Saoudite, qui finance mosquées, émissions, maisons d’édition et même mouvements religieux à travers le monde. L’affirmation du catholicisme dans les ex-démocraties populaires est autant facilitée par l’élection de Jean-Paul II en 1978, premier pape slave de l’histoire du christianisme, que par la crise interne du socialisme (→ fiche 32). Il serait tout aussi maladroit de croire que la conflictualité embrasant l’Europe balkanique, l’Irlande ou tel pays du monde arabe est

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Le religieux, nouvel acteur politique ?

inscrite dans un religieux, intolérant et exclusif par essence. Là, les factions politiques qui se déchirent, prenant en otage les civils, instrumentalisent la religion pour légitimer leurs ambitions expansionnistes. C’est le cas de la guerre civile dans l’ex-Fédération yougoslave (→ fiche 42), du drame irlandais et même de la deuxième guerre d’Algérie (→ fiche 43).

Les paradoxes contemporains Le monde contemporain offre des contradictions surprenantes : sur fond de reflux de la pratique religieuse dans les sociétés occidentales, la morale d’inspiration religieuse remet en cause des acquis de la fin des années soixante, le droit à l’avortement ou le contrôle des naissances, en particulier aux États-Unis tentés par un nouveau puritanisme. Tandis que la crise des vocations à la prêtrise risque d’altérer le fonctionnement de l’Église catholique, jamais pape n’est plus médiatisé que Jean-Paul II, voyageur infatigable. Le décalage est tout aussi grand entre les ambitions proclamées des théocraties iraniennes, soudanaises… et leur inefficacité diplomatique : exception faite du succès remporté par les Moudjahidins afghans combattant les soldats soviétiques de 1979 à 1988, les batailles menées par les « frères » musulmans de Bosnie, de Tchétchénie échouent dans l’indifférence de la Conférence des États islamiques. Le religieux est donc un acteur paradoxal : il donne l’illusion de régenter la vie interne de nombreux pays en crise, par exemple sur les pourtours de la Méditerranée (→ fiche 42), et pourtant il ne parvient ni à offrir de solutions adaptées, ni à se constituer comme partenaire alternatif.

La religion et la Cité au milieu des années 1990

FICHE  38

Le religieux, nouvel acteur politique ?

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FICHE  38

Lexique du renouveau pour les trois religions du Livre Fondamentalisme : « Le mot est chrétien, c’est un mot américain qui date de 1910 environ. À l’époque, des Églises voulaient se différencier et ont publié une série de pamphlets qui s’appelaient The Fondamentals. Cela n’a rien à voir avec l’islam ! Pourtant, on peut toujours le retenir, car il est maintenant d’usage courant et moins trompeur que les autres mots. Ainsi, le mot « intégrisme », qui correspond un peu au « fondamentalisme » dans l’Église catholique. Ou le mot « islamisme », apparu plus tard. Ce dernier est le pire parce qu’il donne l’idée que ces mouvements sont quelque chose de typique, de normal, de central, que c’est cela l’islam, la religion musulmane, la civilisation musulmane. Ce qui n’est pas le cas. […] C’est un phénomène qui n’est pas nouveau, qui est engendré par l’islam lui-même, qui a existé de façon discontinue, qui revient de temps en temps. Mais ce n’est pas central. Ces mouvements de crise ne sont pas universels, mais presque toujours limités à une région, à une période, suivant les circonstances. Ils ont une chose en commun ; ils ont tous échoué. Il y a deux façons d’échouer : d’abord, la façon facile, c’est-à-dire être supprimé, ne pas réussir à saisir le pouvoir. C’est la faillite la plus commode, on a même l’avantage de devenir martyr. L’autre façon d’échouer est plus pénible et prend plus de temps, ces mouvements échouent après avoir conquis le pouvoir, parce qu’ils n’ont pas de réponses aux questions posées par la société. » Bernard Lewis*, Le Monde, 16 novembre 1993.*

Intégrisme : « Le catholique intégriste n’est pas plus que quiconque ami du formalisme et donne une grande attention à la vie intérieure. Mais : 1°/ il est enclin à penser que tout est une question de morale et que si on commence à se réformer soi-même, à devenir plus pur, plus zélé, plus homme de caractère, cela suffira ; 2°/ il voit cette réforme se faire par un retour à des règles fixées ; dans l’ordre pratique, * Bernard Lewis est un orientaliste anglo-américain, auteur de nombreux ouvrages tels Juifs en terre d’islam (Calmann-Lévy), Comment l’islam a découvert l’Europe (La Découverte), Islam et laïcité (Fayard), Le Retour de l’islam (Gallimard).

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Le religieux, nouvel acteur politique ?

il ne pense qu’à la détermination par en haut, à un alignement sur l’autorité ; 3°/ il ne voit guère le domaine des réformes d’adaptation, tenant à l’obligation où l’Église se trouve de suivre, au sens que nous avons précisé plus haut, le mouvement du monde. Dans ce qu’il voit en mouvement autour de lui, il confond un peu dans une même réprobation les choses saines et celles qui le sont moins ou ne le sont pas du tout ; il semble que le mouvement soit jugé comme tel malsain. On a le sentiment de se trouver devant une méfiance générale à l’égard de tout ce qui naît ; 4°/ ainsi la vie semble-t-elle parfois être ressentie comme une offense à la vérité. Et comme, quoiqu’on fasse, on est entouré de vie, on éprouve le sentiment d’être assiégé, environné par des périls plus ou moins identifiés à tout ce qui vit, se meut, aspire à être. » R. P. Congar, Vraie et fausse Réforme dans l’Église, Éditions du Cerf, 1950.

Islamisme : voir Fondamentalisme. Réislamisation : « La réislamisation par « le haut », c’est-à-dire par la conquête de l’État, à l’instar de la stratégie khomeiniste, se perdit en définitive dans les méandres du terrorisme libanais, dans le racket et les prises d’otages « islamiques » à Beyrouth à partir de 1985. Et Téhéran avait dû épuiser toutes ses forces pour résister à l’agression militaire de Bagdad, qui bénéficiait à l’époque de l’appui de l’Occident et de la mansuétude soviétique. Au début de la décennie 1990, le langage politique de l’islam a conquis une prégnance idéologique bien plus considérable qu’il y a dix ans. Les régimes en place dans le monde musulman, pour éteindre l’incendie des groupes islamistes radicaux qui les menaçaient, ont allumé des contre-feux en favorisant une réislamisation « par le bas ». Ils ont laissé se développer des mouvements qui avaient toute latitude pour prêcher la plus stricte adhésion aux normes de l’islam dans tous les domaines de la vie quotidienne, mais ne devaient jamais intervenir – en principe – dans les affaires politiques. L’objectif était de donner une apparence pieuse à l’organisation sociale, pour ne pas offrir de prétexte à la critique des groupes radicaux tant redoutés. Ces

mouvements piétistes ont prôné, et mis en œuvre, le « décrochage » de leurs adeptes d’avec les mœurs et les usages de la société ambiante, lorsque celle-ci ne se référait pas exclusivement aux textes sacrés de l’islam. Ils ont organisé l’existence des croyants réislamisés par leurs soins autour de réseaux de mosquées, d’écoles, d’ateliers, de dispensaires, dans tout un tissu de solidarité et d’activités caritatives qui palliaient les carences d’États corrompus et inefficaces. […] De ce fait, le langage de l’islam est devenu, peu à peu, le principal mode d’expression des rapports sociaux dans le monde musulman, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans. Il s’est aussi imposé, en conséquence, comme le vecteur obligé du discours politique, pour conforter, mais aussi pour critiquer l’ordre établi. » Gilles Kepel, Le Monde, 11 janvier 1991.

Sionisme radical, sionisme religieux : « Eh oui, la paix [il s’agit des accords de paix de Washington en 1993] est un danger mortel pour le sionisme du sang et du sol, de la terre et des morts, un sionisme qui ne veut même pas imaginer possible, quels qu’en soient les bienfaits matériels et contingents, de remettre de bon gré un pouce du

territoire sacré de la terre d’Israël. Les colons juifs des territoires de Judée et de Samarie et leurs alliés ont cent fois raison de soutenir que la reconnaissance de la légitimité des revendications nationales des Palestiniens marquent la fin d’une époque. […] Dans la nouvelle génération, ceux qui comptent sont aussi éloignés de l’enseignement rabbinique que peut l’être le ciel de la terre. De même que ne cesse de se creuser l’écart entre les Israéliens (juifs) qui veulent définir l’« israélianité » en termes politiques et juridiques et considèrent tous les hommes nés libres et égaux et ceux qui perçoivent la société israélienne (juive) comme une tribu qui s’est donnée un État. En fait, le sionisme radical, prétendument laïc, et le sionisme religieux savent bien qu’ils sont du même bord. Les idéologues des implantations de Judée et de Samarie, rabbins et laïcs, sont persuadés que pour éviter ou stopper tout processus social et culturel qu’ils estiment dangereux à long terme pour le caractère juif d’Israël, il faut que l’occupation [des territoires palestiniens] persiste, il faut que l’état de tension perdure, il faut qu’Israël demeure un camp retranché. »

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Zeev Sternhell, Aux origines d’Israël, Entre nationalisme et socialisme, Fayard, 1996.

Pistes bibliographiques Dans La Revanche de Dieu, Chrétiens, juifs et musulmans à la reconquête du monde, Le Seuil, 1991, Gilles Kepel dresse un bilan du renouveau religieux depuis la décennie soixante-dix. L’ouvrage collectif G. Kepel (dir.), Les Politiques de Dieu, Le Seuil, 1993, fait le point sur les bouleversements les plus contemporains.

Le religieux, nouvel acteur politique ?

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FICHE 39

Le « village global » Une réalité

D

e Lénine qui voit dans la radio « un journal sans papier et sans frontière », à Ted Turner, le fondateur en 1980 de CNN, Cable News Network, qui transforme la télévision de « monsieur tout-le-monde » en une sorte de régie des événements mondiaux, la continuité est totale. Au xxe siècle, le temps réel triomphe dans la transmission des informations grâce aux progrès spectaculaires des moyens de communication : les médias radiophoniques, visuels, puis audiovisuels, soumettent le monde à une anamorphose structurelle et facilitent le « contournement de l’État », de son territoire et de sa frontière. Durant le « court » xxe siècle, la communication est d’abord un amplificateur de la souveraineté étatique et un moyen utilisé par des leaders politiques : Lénine, Hitler, Roosevelt… recourent à la radio pour s’adresser directement à leurs concitoyens, galvaniser les foules et renforcer leur image. Les médias sont aussi un instrument de déstabilisation de l’adversaire en temps de guerre : l’appel à la Résistance lancé par le général de Gaulle le 18 juin 1940 n’aurait jamais eu cette portée symbolique sans la BBC (→ fiche 18). Loin de cesser en 1945, la guerre des ondes se renforce du fait de la bipolarisation entre deux camps et de l’affrontement idéologique : à Radio Free Europe, à La Voix de l’Amérique, répondent les émetteurs soviétiques et ceux des pays « frères » dénonçant l’impérialisme américain (→ fiches 20, 21, 22 et 23). Les discours nationalistes radiodiffusés depuis les stations de radio du Caire facilitent la lutte anticolonialiste et la coordination de la résistance à la présence française (→ fiche 27). Et en 1989-1990, les médias sont plus que jamais les acteurs des révolutions qui

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Le « village global »

mettent un terme à la parenthèse socialiste en Europe (→ fiche 40) : avant la réunification des deux Allemagnes, tous les Allemands de RFA et de RDA sont réunis devant leurs téléviseurs diffusant les programmes de l’Ouest.

Le paradoxe contemporain Bien que dépendants des ressources publicitaires et soumis à la dictature de l’audimat, les réseaux* multimédias mettent à profit l’intense déréglementation* voulue par les pouvoirs publics depuis le début de la décennie 1980. Quelques monopoles dominent de nos jours le « village* global » : le groupe de Rupert Murdoch, la compagnie Disney, Microsoft de Bill Gates, Hachette… contrôlent de véritables empires diffusant une « culture mondiale » hégémonique. Certains se féliciteront de cette uniformisation facilitant les échanges entre des peuples et des civilisations hier séparées. Mais la généralisation d’images souvent vides de sens, l’essor d’une culture de clips, diffusée par exemple par le réseau musical MTV, sont porteurs d’un universalisme réducteur. Paradoxalement, la globalisation alimente les replis identitaires mis à profit par des leaders démagogiques et extrémistes : l’intégrisme religieux (→ fiche 38) comme la poussée d’ordre moral se définissent par un refus bruyant d’une modernité jugée perverse. En cette fin de siècle, les États ont encore les moyens pour infléchir des logiques ultralibérales et redéfinir le rapport entre le citoyen, le politique et les moyens de communication. Les réseaux*, tel Internet, peuvent être aussi bien des forums planétaires que des instruments délictueux minant la société.

* Les astérisques renvoient au lexique p. 170-171.

Un seul monde ?

Terrae incognitae

FICHE  39

Le « village global »

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Les États et les médias

FICHE  39 Période

Acteurs

Années 1930

Années 1960

Politique des pouvoirs publics

Réglementation respectée par des firmes privées

Instrument de communication

Presse dominante Début de la radio

Mode de transmission Perméabilité à l’information

Câbles en cuivre et système hertzien Enclavement possible pour un ou plusieurs pays

Années 1990 Déréglementation volontaire

Débuts de la télévision Satellites et câbles De plus en plus forte

Presse en crise Multimédias compatibles avec les ordinateurs, Net Satellites et fibres optiques Situation de « village global »

Médias et domination Pays développés Monopole de l’invention et de l’innovation Domination sur l’orbite géostationnaire des satellites

Technologie Banques de données Agences de presse Politique menée par les pouvoirs publics

Pays en voie de développement Montage d’appareils dans des filiales des entreprises multinationales Fabrication de composants de base

Monopole

Dépendance vis-à-vis du Nord

Publiques ou (et) privées à réseau mondial

Publiques à réseau local

Déréglementation croissante

Survivance de la réglementation

Lexique : la « révolution » des communications « Autoroute de l’information » : formés de câbles en fibre optique, pilotés par des logiciels et relayés par des satellites, les réseaux d’« autoroutes de l’information » relieront d’ici peu les utilisateurs du monde entier. Une technologie plus économique mise au point par les laboratoires d’ATT consiste à utiliser les lignes téléphoniques existantes en cuivre et à « comprimer » le flux d’informations pour accélérer le débit de transmission. Déréglementation : commencée aux États-Unis en 1982, puis étendue aux pays européens, la déréglementation entend modifier les règles d’organisation en vigueur pour accroître la concurrence. Paradoxalement, la déréglementation des communications marquée par un reflux

170

Le « village global »

du monopole étatique se traduit par une hypertrophie réglementaire fixant les obligations de chaque opérateur. Interactivité : « Trois niveaux techniques d’interactivité sont à distinguer : le niveau zéro consiste dans le maniement d’un interrupteur (mise en marche, arrêt, zapping…) ; le niveau premier se traduit par l’influence exercée sur le déroulement des images (retour en arrière, ralenti, accéléré… sur un magnétoscope) ; le niveau second amène l’utilisateur à rechercher et à choisir des informations sur un micro-ordinateur, sur un réseau* télématique… » Francis Balle, Christine Leteinturier, La Télévision, MA Éditions, 1987.

Numérisation : « Dans le réseau numérique la parole, les textes, les images et les données sont associés en une transmission commune et acheminés au point de destination à travers un circuit commun » Rapport Ramsès, 1989.

géostationnaire peuvent maintenant balayer toute la planète. Cette capacité de diffusion mondiale via les satellites possède d’indiscutables avantages, mais laisse aussi prévoir nombre de difficultés. L’un de ces problèmes est la limitation de la transmission par satellite aux frontières nationales, problème encore plus difficile quand les nations sont trop petites et leurs frontières trop irrégulières »

FICHE  39

Réseaux : « Toute relation qui, par volonté délibérée ou par D. R. Mankekar, One Way, Free Flow. Neo-colonialism destination, se construit dans l’espace mondial via News Media, cité in Savoirs no 3, Le Monde au-delà du cadre étatique national et qui se réalise diplomatique, Les conquêtes de l’espace. en échappant au moins partiellement au contrôle ou à l’action médiatrice des États » Télématique : Néologisme formé par Simon Nora en 1978 dans son rapport sur l’informatisation Bertrand Badie, Marie-Claude Smouts, Le Retournement du monde, Sociologie de la scène de la société signifiant la combinaison entre internationale, PFNSP, 1992. télécommunications et informatique. Le Minitel De tous les réseaux développés, Internet est celui mis en service à partir de 1979 symbolise le qui connaît la croissance la plus dynamique. programme télématique français. Satellite : « La technologie en rapide évolution et l’arrivée de la révolution électronique, en particulier la communication spatiale, ont créé une situation nouvelle et ébranlé jusqu’aux bases de la doctrine de la liberté de l’information. Trois satellites situés en orbite

Village global : Marshall McLuhan, auteur en 1962 de La Galaxie Gutenberg, est le concepteur de la notion de village global. « Sur le vaisseau Terre ou dans le théâtre global, l’audience et l’équipage deviennent des acteurs, des producteurs plutôt que des consommateurs. »

Pistes bibliographiques Frédéric Barbier et Catherine Bertho Lavenir replacent L’Histoire des médias, coll. « U », Armand Colin, nelle éd. 2009, dans une perspective historique. Patrick Flichy fait le point dans Une Histoire de la communication moderne, La Découverte, 1991. Armand Mattelart analyse La Communication-monde, Histoire des idées et des stratégies, La Découverte, 1992 (format électronique 2013). Les moteurs de recherche, sur internet, offrent le meilleur comme le pire.

Le « village global »

171

FICHE 40

La nouvelle architecture européenne Des élargissements successifs

L’

Europe exerce un pouvoir d’attraction sur les pays du « vieux » continent puisque de 1951 à 1995 elle passe de 6 à 15 membres. À terme, douze nouveaux postulants sollicitent leur adhésion à l’Union européenne : ils y entrent en 2004 et 2006. Ces élargissements successifs témoignent donc de la réalité de l’« effet Europe ». L’Union européenne est d’abord une communauté de sécurité capable de mettre un terme à l’antagonisme séculaire qui opposait la France et l’Allemagne (→ fiches 1, 4, 7, 8, 15, 16 et 18). En dépit de son échec à prévenir et à arrêter la guerre dans l’ex-Fédération yougoslave, l’Union est un modérateur de réactions tel que le conflit resta limité à ce pays (→ fiche 42). L’Europe communautaire est aussi un espace d’échanges de plus en plus déréglementé favorable au consommateur qui bénéficie d’une gamme élargie de produits à des prix plus compétitifs. Quant au producteur, il peut compter sur un marché solvable en expansion. L’« effet Europe » qui dynamise autant l’offre que la demande, permet donc de réconcilier Ricardo et Keynes. L’Europe unie est à ses débuts un amplificateur de souveraineté pour ses parties constitutives. En poursuivant un objectif égoïste, le partenaire de la Communauté travaille à faire rayonner l’Europe dans le monde. En 1957, chacun des Six avait des raisons particulières de souhaiter l’Europe : la France entendait ainsi faire oublier l’humiliation subie à Suez un an plus tôt, l’Allemagne, continuer à retrouver sa souveraineté, l’Italie, se guérir de son complexe méditerranéen… L’inversion récente de ce mécanisme est l’une

172

La nouvelle architecture européenne

des composantes de la crise contemporaine de l’Europe (→ fiche 33) : l’UE implique en effet des abandons de pouvoir dans des domaines existentiels pour les États, telles la monnaie, la défense, la diplomatie, demain, la justice.

Une hétérogénéité croissante Jusqu’à l’adhésion de la Grèce en 1981, les pays de la CEE avaient une grande homogénéité de niveau de développement économique et social. Grosso modo, seule la taille différenciait les partenaires de l’aventure européenne. Mais les élargissements de 1981, 1986, et ceux à venir, concernent des économies moins développées, présentant des inégalités régionales. L’UE, en charge de la « transition » dans les anciennes démocraties populaires (→ fiche 32), doit donc transférer des aides au développement en faveur des régions déprimées – l’arc périphérique atlantique et méditerranéen et la zone orientale. Une telle contrainte budgétaire pèse sur les États les plus riches qui ont déjà fort à faire pour corriger les effets dépressifs de la conjoncture économique. Elle renforce les préventions vis-à-vis des nouveaux partenaires. Enfin, les élargissements en direction des pays de l’Europe centrale et septentrionale modifient le centre de gravité de l’Europe. Hier centrée sur la France qui occupait une position clef entre les États méditerranéens et continentaux, l’Europe du xixe siècle bascule vers l’Est. Confronté à cette mutation, Paris éprouve un sentiment d’éloignement tandis que l’Allemagne déplace sa capitale de Bonn à Berlin en 1999. Ainsi, un fossé paradoxal se creuse entre une Europe attractive pour ceux qui en sont exclus et une Europe répulsive pour ceux qui l’ont bâtie.

FICHE  40

Finlande Norvège Royaume-Uni

Estonie

Suède Danemark BERLIN

Allemagne

Pologne

BONN PARIS

France

Russie

Lettonie Lituanie

Suisse

Rép. Tchèque uie Slovaq Autriche Hongrie

Biélorussie Ukraine Moldavie Tchétchénie

Portugal

Géorgie

Mer Noire Espagne

Italie

Mac. Alb.

Azerb. Iran

Turquie

Grèce Maroc

Algérie

Tunisie

Malte

Liban Israël

0

400

800 km

I. De la Communauté à l’Union

Irak

Syrie

Chypre

Jordanie Arabie Saoudite

Égypte

Libye

II. L’Union élargie

Les Six de l’Europe lotharingienne

Les Pays associés à l’Union

L’élargissement septentrional (1973)

Les candidatures officielles ou prévisibles*

L’élargissement méridional (1981 et 1986)

L’Europe refusée par les membres de l’Espace économique européen

L’élargissement de 1995 Le couple franco-allemand (Berlin, capitale depuis 1999)

III. Un environnement instable

La frontière abolie par les eurorégions Le séparatisme intranational Les limites de l’UE après 2006

Zone d’instabilité majeure Pays placé sous embargo par la Communauté internationale Les “États tampons”, dont la stabilité est indispensable à l’équilibre européen *1- Slovénie

L’Union européenne, un facteur de stabilité en Europe, avant l’élargissement de 2004 La nouvelle architecture européenne

173

Europe et organisations régionales

FICHE  40

De tous les continents, l’Europe est celui qui est le plus structuré par des organisations régionales. À celles nées dans le cadre de la guerre froide – OTAN, CSCE… – se surajoutent celles développées depuis l’implosion de l’ex-URSS – la CEI par exemple. Toutes n’ont pas la même finalité, les unes ayant une vocation économique, les autres politiques et (ou) militaires. Toutes n’impliquent pas le même degré d’intégration : certaines sont purement intergouvernementales – le Conseil

de l’Europe, club de nations attachées à la démocratie –, d’autres pourraient évoluer en structure de type fédéral, à l’image de l’UE. Cette floraison d’organismes est à la fois une chance et une faiblesse pour l’Europe : une chance car les intégrations régionales permettent de vaincre la méfiance entre les peuples et de rapprocher les gouvernements ; une faiblesse car, trop nombreuses, elles expriment la dilution et l’impuissance de l’Europe.

OSCE

OTAN États-Unis Canada

Conseil de l’Europe

Turquie

UE

AELE

UEO Benelux Espagne France Portugal Italie Allemagne Royaume-Uni Grèce

Danemark Irlande Autriche Finlande Suède

Norvège Islande Suisse Liechtenstein

Andorre Lituanie Estonie Roumanie Bulgarie Malte Chypre Saint-Marin Hongrie Pologne République tchèque Russie Slovaquie Slovènie

Chine Tadjikistan* Turkménistan* Ouzbékistan* Bosnie-Herzégovine Croatie Géorgie* Arménie* Azerbaïdjan* Belarus* Monaco Saint-Siège Bulgarie Yougoslavie Albanie Russie* Kazakhstan Kirghizie* Lettonie Moldavie* Ukraine*

Sigle

Nom de l’organisation

Date fondatrice

OTAN UEO AELE OSCE CEI* UE

Conseil de l’Europe Organisation du traité de l’Atlantique-Nord Union de l’Europe occidentale Association européenne de libre-échange Organisation de sécurité et de coopération en Europe Communauté des États indépendants Union européenne

1949 1949-1950 1948-1954 1960 1975-1993 1991 1993

Une pléthore d’organisations

L’Europe et le nouvel ordre mondial Un regard rétrospectif « La Communauté européenne est sans doute la plus longue expérience de gestion des interdépendances, dans un cadre commun et sans hégémonie d’une nation – une expérience qui a ses limites, mais

174

La nouvelle architecture européenne

qui reste vivante et continue de s’enrichir. À ce titre, elle vaut certainement d’être observée lorsque l’on parle de nouvel ordre mondial, même si les principes qui la gouvernent ne sont pas toujours reproductibles. […] Quels sont en effet ces principes ?

Premier principe, qui avec l’anesthésie de notre mémoire, collective peut sembler bien lointain : l’échange et la coopération entre les peuples. À l’heure où la haine, ou simplement l’ignorance et la peur de l’autre, agitent la partie de l’Europe qui sort de la nuit totalitaire. […] Les pères de l’Europe ont su embarquer nos pays dans un engrenage de solidarités et de coopérations qui semble rendre impossible le retour aux vieux démons. Nos peuples ont appris à se connaître, à dialoguer, à s’apprécier ; c’est la clé de tout, elle n’exclut évidemment pas les différends et les contentieux, mais la volonté existe, en dernier ressort, de trouver des compromis positifs. Deuxième principe : la maîtrise de l’interdépendance économique. Elle connaît, dans la Communauté, trois visages. D’abord la compétition qui stimule. Ensuite la coopération, qui renforce […]. Enfin, la solidarité, qui rapproche […]. Troisième principe : l’importance du droit, qui permet que les règles du jeu soient acceptées par tous, évitant ainsi le diktat et l’hégémonie d’un État sur les autres. Chaque pays membre, quelle que soit sa taille ou sa force, peut dire son mot et apporter sa pierre à l’édifice commun. La Communauté européenne est une communauté de droit, où la Cour de justice joue un rôle essentiel, où l’un des devoirs de la Commission est précisément de faire appliquer par tous la règle du jeu. D’où la naissance d’un espace politique assez inclassable, avec des souverainetés qui sont, selon les cas, limitées, concurrentes ou conjuguées. […] Enfin quatrième principe : la nécessité d’un processus efficace de décision. C’est l’idée que sans institutions fortes, la seule volonté de coopérer n’est pas suffisante : il faut que le schéma institutionnel

pousse à une obligation de résultat, c’est-à-dire à la décision et à l’action. »

FICHE  40

Intervention de Jacques Delors devant le Royal Institute of International Affairs, 7 septembre 1992.

Un regard prospectif « Premier objectif : renforcer la Politique étrangère et de sécurité commune. La France, vous le savez, a proposé de créer une nouvelle fonction, celle d’un haut représentant. Cette idée se heurte encore, chez certains de nos partenaires, à la crainte qu’une telle innovation affaiblisse les compétences de la Commission et de la présidence. Qui ne voit pourtant qu’il s’agit de remplir une mission aujourd’hui non assurée, comme l’a montré l’absence regrettable de l’Europe dans plusieurs crises récentes, en mer Égée, au Liban, ou ailleurs ? Deuxième objectif : accroître l’efficacité des institutions et leur caractère démocratique. Là encore, un effort d’explication est nécessaire car nos positions sur la repondération des voix au Conseil, sur la composition de la Commission ou sur le rôle accru des parlements nationaux, ne sont pas suffisamment comprises. Troisième objectif : instituer des coopérations renforcées qui permettraient aux États qui le veulent et le peuvent de mener ensemble, au sein de l’Union européenne et avec l’approbation du Conseil, des actions communes plus ambitieuses. Dernier objectif : développer la coopération pour les affaires intérieures et de justice, c’est-à-dire le troisième pilier. Sécurité intérieure, lutte contre la criminalité, le terrorisme, la drogue : voilà de grands enjeux sur lesquels l’Europe est attendue. […] » Discours de Jacques Chirac devant les ambassadeurs de France réunis à l’Élysée, le 29 août 1996.

Pistes bibliographiques Yves Doutriaux analyse dans Le Traité sur l’Union européenne, coll. « U », Armand Colin, 1992, les implications des choix du début de la décennie 1990. Laurent Cohen Tanugi évoque dans L’Europe en danger, Fayard, 1992, le brouillage récent des finalités européennes. Dans Le Syndrome du diplodocus, Albin Michel, 1996, Yves-Thibault de Silguy analyse les défis contemporains que doit relever l’UE.

La nouvelle architecture européenne

175

FICHE 41

L’Asie entre deux âges Les trois expressions de l’Asie

L

’Asie existe surtout dans le regard porté par les Occidentaux sur cet espace immense qui se dilate des rivages du golfe Persique à ceux de l’océan Pacifique et du détroit de Béring à l’archipel indonésien. Fragmentée en de multiples sous-ensembles, Proche-Orient, Asie du Sud centrée sur l’Inde, ExtrêmeOrient…, une Asie autonome se manifeste toutefois durant le siècle à travers trois poussées : la première, contemporaine des années 1930 et 1940, se traduit par un nationalisme anti-occidental récupéré en partie par le Japon qui crée en 1942 le ministère de la Grande Asie orientale (→ fiches 12 et 17). La deuxième s’épanouit durant la décennie cinquante et aboutit à la décolonisation du continent (→ fiches 27 et 28). La troisième, très récente, est de nature économique. L’émergence asiatique s’exprime à travers les « miracles* » commerciaux du Japon, des NPIA*, Nouveaux pays industrialisés asiatiques, et des NNPIA*. L’insertion des rivages asiatiques à l’espace économique mondial se réalise en dehors de toute organisation régionale. Le « modèle » asiatique est donc aux antipodes de la voie suivie par l’Europe (→ fiche 39). La croissance, souvent spectaculaire, est à la confluence de multiples facteurs : la guerre froide et la transformation de ces régions du limes en zones privilégiées d’investissement pour les multinationales américaines, le nationalisme de dirigeants qui font de l’État un instrument de modernisation du marché, la réévaluation du yen et la délocalisation des investissements japonais vers les NPIA (→ fiche 34). * Les astérisques renvoient au lexique p. 178-179.

176

L’Asie entre deux âges

Les menaces Malgré les réussites économiques qui permettront à l’Asie de concentrer la moitié de la richesse mondiale à l’horizon 2025, nombreuses sont les menaces pesant sur la région. Le surarmement conventionnel et nucléaire accentue les rivalités entre des Etats déchirés par des contentieux* hérités de l’histoire et aggravés par une guerre froide qui n’est pas close (→ fiches 20 et 31). Nulle synergie entre ces pays si différents par leur poids démographique, par leur niveau de développement économique et par leur régime politique, mais au contraire un nationalisme intact. Les sources de conflits opposant l’Inde et le Pakistan, l’Inde et la Chine, la Chine et ses voisins, la Russie et le Japon sont plus que jamais d’actualité. Et nombre d’équipes dirigeantes pourraient trouver une solution à leurs problèmes internes dans des aventures extérieures. Les décalages entre les transformations économiques, sociales, et les blocages politiques, culturels, accentuent les désordres potentiels. Ainsi la Chine « communiste de marché », la Malaisie et la Birmanie, soumise à la poigne de militaires enrichis par le trafic de drogue, refusent avec violence les droits de l’homme, assimilés à une création occidentale. La stabilité de l’Asie implique pourtant le renforcement du dialogue bi- et multilatéral. La formation de l’APEC*, Asia Pacific Economic Cooperation, les progrès de la démocratie aux Philippines, en Chine nationaliste et en Corée du Sud, nouveau membre de l’OCDE, l’inflexion de régimes dictatoriaux en autoritarismes, à l’image de l’évolution en Indonésie, sont des contre-feux modestes aux ambitions maritimes de la Chine populaire et à la crise du « modèle » indien (→ fiche 35).

FICHE  41 Kouriles

JAPON

RUSSIE

CORÉE DU NORD

MONGOLIE CORÉE DU SUD

IRAK

CHINE IRAN

CHINE NATIONALISTE

AN IST AN H G AN AF ST KI A P

BOUTHAN NÉPAL

PHILIPPINES

BANGLADESH

INDE

Îles Paracel VIETNAM

BIRMANIE

Îles Spratley

PAPOUASIENlle-GUINÉE

THAÏLANDE CAMBODGE

MALAISIE SRI LANKA

SINGAPOUR INDONÉSIE

ÎLES MALDIVES

TIMOR

AUSTRALIE I. Théâtre de la guerre froide Pays qui a connu une guerre marquée par l’intervention de l’un des deux acteurs de la bipolarité Mur symbole de la guerre froide (38e parallèle) (en particulier, en 1969) Incidents frontaliers russo-chinois Pays communiste

II. Des conflits périphériques à la guerre froide Couple ennemi La question des “territoires du Nord” Frontière contestée Zone maritime revendiquée par la Chine Pays nucléaire officiel ou officieux Opposition au libéralisme d’origine occidentale, en particulier aux droits de l’homme

III. L’intégration par le marché Zone de développement économique fondée sur la valorisation des exportations “Modèle” japonais et ses investissements ASEAN, Association of South East Asian Nations APEC, Asian Pacific Economic Cooperation* SAARC, South Asia Association for Régional Cooperation *dont: Canada, Éats-Unis, Mexique, Chili, Nlle-Zélande.

Fractures et recomposition de l’Asie Fractures et recomposition de l’Asie

L’Asie entre deux âges

177

Les principaux foyers de tension en Asie

FICHE  41

LES CONTENTIEUX TERRESTRES

niveaux de développement séparent la péninsule coréenne en deux univers antagonistes.

Cachemire : convoité par l’Inde, le Pakistan et la Chine, le Cachemire est un abcès majeur LES CONTENTIEUX MARITIMES en Asie du Sud. Les guerres indo-pakistanaise de 1948 et de 1965, le conflit indo-chinois de 1962 Détroit de Formose ou de Taïwan : situé entre laissent entier le problème, plus vif que jamais les deux Chines, communiste et nationaliste, le depuis 1999. détroit de Formose est régulièrement le théâtre Fleuve Oussouri : durant l’hiver 1969, plusieurs d’incidents militaires. Les manœuvres aéronadivisions soviétiques et chinoises se heurtent avec vales du printemps 1996, organisées par Pékin, violence le long de ce fleuve séparant les deux cherchent à peser sur la consultation électorale pays. Brejnev a alors la tentation d’utiliser l’arme organisée dans l’île et à exprimer les revendicanucléaire contre Pékin mais y renonce devant tions maritimes de la Chine populaire. l’opposition des Roumains. Aujourd’hui encore, Îles Diaoyu-Senkaku : cet îlot minuscule Pékin invoque le tracé frontalier datant de la dynastie Qing (1644-1911) pour légitimer ses oppose Japonais et Chinois. Îles Paracels et Spratleys : les premières, prétentions sur l’Extrême-Orient sibérien, tandis que la Russie s’appuie sur les traités inégaux de ou Xisha en chinois, sont situées à 300 kilomètres à l’est des côtes vietnamiennes, les 1858-1860 et de 1881. deuxièmes, ou Nansha, entre les Philippines et Fleuves Yalu et Tumen : longtemps cachée la Malaisie. Depuis 1951, Pékin revendique ces du fait de l’alliance idéologique entre la Chine archipels, avant d’y affirmer sa souveraineté en maoïste et la Corée du Nord de Kim Il-sung, la février 1992. Bravant le Vietnam, la Malaisie question des territoires mandchous divise les et les Philippines, la Chine entend-elle ainsi deux pays. Au nom du passé, la Corée revendique obtenir des concessions en d’autres lieux ? Ou en effet ces régions peuplées aujourd’hui de deux bien s’agit-il d’une fuite en avant émanant d’un pays traditionnellement continental en quête millions de Coréens. d’un espace maritime ? Frontière sino-vietnamienne : prétextant le Kouriles : l’archipel des mille îles forme un flou cartographique hérité de l’époque coloniale, la Chine communiste mène en 1979 une opéra- arc de cercle de 1 200 km enfermant la zone tion militaire contre Hanoi pour récupérer des Nord-Ouest du Pacifique ou mer d’Okhotsk. collines frontalières. Mais la question des Kouriles qui oppose Tokyo et Moscou depuis 1945 concerne seulement les 38e  parallèle : depuis l’armistice de Pam Mun îles Etorofu, (3 139 km2), Kunashari (1 500 km2), Jom, en juillet 1953, les deux Corées sont sépa- Shikotan (255 km 2) et un groupe d’îlots, les rées par une ligne de fortifications le long du Habomai (102 km2). Derrière le problème terri38e parallèle. Symbole de la guerre froide, ce torial, l’enjeu est à la fois économique – la mer rideau de fer survit à l’implosion de l’URSS. Il d’Okhotsk est très poissonneuse – et surtout straoppose deux frères ennemis que tout différencie : tégique – les îles contrôlent les voies de passage le régime politique, les choix économiques, les utilisées par les sous-marins nucléaires russes.

178

L’Asie entre deux âges

Lexique des réussites économiques (1969-1995) « Miracle » japonais : en 1969, le journaliste Robert Guillain décrit dans Le Japon, troisième grand les causes et les manifestations du « miracle » japonais. L’expression la plus tangible en est le taux de croissance « à la japonaise »… et les excédents commerciaux après 1965. « Modèle » japonais : le « miracle » évolue en « modèle » durant la Grande Dépression contemporaine. Soumis aux mêmes contraintes que les autres économies occidentales, le Japon parvient cependant à en amortir les effets récessifs. La production en flux tendus, la politique du « zéro défaut » grâce aux cercles de qualité associant les acteurs de l’entreprise, le « toyotisme », la délocalisation systématique des secteurs à forte intensité en main-d’œuvre, la conquête incessante de nouveaux marchés… sont quelques-uns des traits du « modèle », imité depuis par les autres pays de l’OCDE. NPIA, NNPIA : de vingt ans en vingt ans, la vague de développement économique concerne un nombre plus important de nouveaux pays industrialisés asiatiques. Dans les années 1950-1960, tout commence avec l’émergence du Japon, puis c’est au tour de la Corée du Sud, de Taïwan et des deux cités-États, Hong Kong et Singapour. Aujourd’hui, les économies de l’ASEAN et les régions côtières de la Chine populaire connaissent des mutations industrielles et commerciales

FICHE  41

spectaculaires. L’émergence de ces nouveaux pôles de croissance tient surtout au rôle moteur d’États nationalistes qui cherchent à imposer par en haut la modernisation. Le manque de capitaux pousse ces économies à se tourner vers l’étranger et à multiplier les zones franches industrielles et portuaires. Situés sur la ligne du front de la guerre froide, la Corée du Sud, Taïwan… bénéficient d’investissements américains. Après une réforme agraire, les dirigeants sont capables de faire évoluer FISI, industrialisation de substitution aux importations, en IPE, industrialisation de promotion des exportations. Loin d’incarner un libéralisme sauvage, les NPIA, jusqu’à la crise de 1995, expriment l’efficacité de l’interventionnisme public et le volontarisme de politiques commerciales. APEC : créée en 1989, l’Asia Pacific Economic Cooperation est un forum regroupant dix-huit États limitrophes du Pacifique désireux de coordonner leur action en matière économique et commerciale. ASEAN : formée en 1967, l’Association des nations du Sud-Est réunit l’Indonésie, la Malaisie, la Thaïlande, les Philippines, Singapour, le sultanat de Brunei et, d’ici peu, le Vietnam. Ces pays entendent faire de la péninsule indochinoise une zone de paix et renforcer leurs échanges économiques.

Pistes bibliographiques Jean-Luc Domenach et François Godement codirigent les Communismes d’Asie : mort ou métamorphose, coll. « Espace international », Éditions Complexe, 1994. François Godement consacre un ouvrage à La Renaissance de l’Asie, Odile Jacob, nelle éd. 1996.

L’Asie entre deux âges

179

FICHE 42

La Méditerranée, « limes » ou Andalousie ? Échecs, crises et guerres

L

a tentative pour conduire des voies socialistes et nationales disparaît avec la mort de Nasser en Égypte, de Tito en Yougoslavie et de Boumediene en Algérie (→ fiche 27) : l’« autre » politique internationale fondée sur le non-alignement et sur un « nouvel ordre économique international » ne survit pas à la fin de la guerre froide et à la vague de déréglementation libérale (→ fiche 34). La crise de ces « modèles » alternatifs prend des proportions tragiques en Algérie déchirée par une deuxième guerre et en Bosnie, théâtre d’atrocités commises par des factions extrémistes serbes contre la population civile. En Turquie, en Égypte…, les efforts de laïcisation résistent de plus en plus mal à la tentation islamiste véhiculée par des partis religieux (→ fiche 38). Ailleurs, en Tunisie, Syrie… le calme précaire tient à la surveillance et à la répression conduites par les militaires au pouvoir soutenus par une partie de la population. Même la rive nord de la Méditerranée n’est pas à l’abri de la violence : dérive politico-mafieuse en Sicile et en Corse, extension des zones de non-droit dans les métropoles urbaines, criminalisation des économies et des sociétés atteintes par des taux de chômage importants… Simultanément, les dynamiques de fragmentation infranationale ébranlent l’unité politique de l’Italie, de l’Espagne. La Méditerranée semble donc être comme une chambre d’écho de toutes les menaces pesant sur le siècle finissant.

L’enjeu méditerranéen L’avenir des États arabes dépend de leur aptitude à répondre aux aspirations contradictoires

180

La Méditerranée, « limes » ou Andalousie ?

de sociétés déchirées entre l’imitation et le refus de l’Occident. Les élites doivent d’abord renouer les fils du dialogue avec une jeunesse déstabilisée par des taux de chômage dramatiques. Les succès des mouvements fondamentalistes se nourrissent en effet de la misère et de l’absence de perspective d’avenir pour les exclus de la croissance (→ fiche 38). Quant à l’Europe engagée dans une compétition avec les deux autres pôles de la « triade » (→ fiche 36), les convulsions subies par de nombreux pays du Maghreb et du Machreq sont un handicap majeur. En effet, le destin du Nord tient à sa capacité à intégrer les pays bordiers du Sud. Cette question est particulièrement cruciale pour la France qui, par tradition et du fait de son histoire coloniale, entend développer une politique méditerranéenne. Le souvenir d’une « politique arabe » qu’aurait conduite le général de Gaulle amène nombre de capitales du monde arabe a se rallier aux initiatives de Paris. Mais l’ambition des dirigeants français rencontre des obstacles grandissants : une crispation identitaire manifestée par des électeurs de plus en plus séduits par les thèses du Front national ; des entraves légales croissantes aux mouvements de populations entre le Sud et le Nord ; une réduction des programmes d’assistance du fait des restrictions budgétaires. Pour faire de la Méditerranée une nouvelle Andalousie, creuset de métissage entre des cultures et des civilisations aussi brillantes qu’anciennes, et non un « limes » opposant deux univers, les nations riveraines n’ont d’autre issue que le dialogue et l’entente autour d’enjeux communs : l’eau, l’éducation, les échanges, la sécurité.

FICHE  42

placés

La Méditerranée une chambre d’écho des rapports Nord/Sud (1995)

Sarajevo, crise de l’Europe (1992-1996) La crise bosniaque marquée par une guerre plurielle, d’avril 1992 aux accords de Dayton en 1996, n’est ni un « Munich, fin de siècle », ni une nouvelle « guerre d’Espagne ». C’est un conflit de l’après guerre froide annonciateur des dangers à venir et du rôle de moins en moins crédible de la dissuasion nucléaire.

L’impasse des explications historicistes Nombreux sont les spécialistes de la question à chercher dans le passé des explications au drame de la Bosnie. Les uns, comme Jeno Szùcs – Les Trois Europe  –, insistent sur la ligne de séparation fragmentant la Yougoslavie en deux ensembles : à l’Est, un nationalisme messianique développé par le peuple serbe, élu de Dieu ; à l’Ouest, au contraire, la laïcisation de la religion aurait permis à la société civile de se détacher de l’État et donc de donner à un modèle plus démocratique. Ainsi

à la transition post-communiste pacifiste connue par la Slovénie et par la plupart des pays d’Europe centrale, s’oppose celle conflictuelle de type balkanique. Les autres, comme François Fejtö – Le Requiem pour un Empire défunt –, mettent l’accent sur les conséquences perverses de la disparition de l’Empire austro-hongrois en 1919, creuset de peuples et de cultures différentes. Dans De Sarajevo à Sarajevo, Jacques Rupnik développe la thèse selon laquelle la guerre froide aurait « congelé » des situations conflictuelles qui évoluent de façon tragique depuis 1991, année de l’effondrement du centre soviétique, somme toute stabilisateur.

L’impasse des grilles culturalistes Les « culturalistes » objectivent les spécificités sociologiques pour comprendre les drames contemporains.

La Méditerranée, « limes » ou Andalousie ?

181

FICHE  42

John PLAMENATZ, Ernest GELLNER – Nations et nationalisme – opposent les processus de formation de l’identité nationale en Europe : dans les zones orientales, la conscience nationale précéderait l’émergence de l’État, si bien qu’elle n’agit pas au nom d’une « haute culture nationale déjà existante, bien définie et bien codifiée ». Il s’ensuivrait des rivalités entre des populations présentant « des allégeances linguistico-génétiques et historiques ambiguës ». Plus récemment, Samuel HUNTINGTON, dans un article publié dans la revue Foreign Affaires en 1993, évoque le « clash » inéluctable entre musulmans et chrétiens. L’analyse culturaliste présente une première faiblesse : la religion, les spécificités culturelles ne sont pas à l’origine des affrontements récents, même si, par la suite, elles sont instrumentalisées et récupérées par les leaders des factions en présence. En outre, les perspectives culturalistes s’inscrivent dans le droit fil de… la guerre froide : même mobilisation contre une menace, les « rouges » cédant la place aux Serbes, aux musulmans, même appel à la vigilance de l’Occident menacé par des dangers extérieurs, même exaltation d’une limite, d’une frontière à défendre…

Les spécificités du conflit contemporain Le conflit dans l’ancienne Fédération yougoslave est l’une des conséquences tragiques des accords d’Helsinki, signés en 1975, qui proclament le droit à l’autodétermination des peuples et la volonté de préserver l’intégrité territoriale des États signataires. Le drame vécu par les populations bosniaques s’intègre à La Fin des territoires analysée par Bertrand BADIE : la communauté internationale assimile toujours le territoire comme une donnée incontournable d’une scène mondiale dont la stabilité dépend de sa nature interétatique. Or, depuis peu, le territoire est laminé par en haut, par des mécanismes de mondialisation, et par en bas, par des pulsions intranationales de type tribal : « la violence se révèle à la mesure des apories territoriales auxquelles se trouvent confrontées des collectivités dont l’identité s’est

182

La Méditerranée, « limes » ou Andalousie ?

construite à travers une histoire fait de mobilités, de dispersion et d’enchevêtrement. » La guerre et l’ethnocide dont sont victimes les musulmans et les Croates de Bosnie sanctionnent l’incapacité de l’Union européenne et de la France, en particulier, à faire triompher le principe de la Nation entendue comme un « vouloir vivre ensemble » face à une définition allemande fondée sur le sang et le sol. C’est ce qu’écrit Alain JOXE dans L’Amérique mercenaire : « Un Land qui surgit sur la base du droit de sang devient aisément une tribu sanguinaire et « purificatrice ». Une « balkanisation » produit, au hasard d’une histoire médiévale, des nations de toutes tailles, des sous-États furieusement nationalistes, en général trop petits pour se constituer en instance souveraine sur le plan économique ou militaire. À cette échelle, les hommes politiques nouveaux en quête de légitimité construisent partout dans l’effusion de sang, sur le désarroi des masses face au désordre, de nouvelles nations tribales. » La cantonisation des populations dans le cadre des plans Vance, Owen, et des accords de Dayton, revient à reconnaître les opérations d’« épuration ethnique » entreprises sur le terrain ; ainsi, l’équivalent des bantoustans sud-africains, définis par l’appartenance ethnique, naissent sur les décombres d’une Bosnie dont l’unité était la diversité. Les cinq années de conflit dominées par le projet d’une grande Serbie révèlent la distorsion grandissante entre la société organisée, celle que les sociologues appellent la Gesellschaft, développée dans le cadre de l’Union européenne, et la Gemeinschaft, la communauté charnelle, envahie de mythes fondateurs à travers une réécriture de l’histoire : Slobodan Milosevic, Radovan Karadzic ont réussi à séduire une partie de leur opinion publique en développant le projet ultra-nationaliste d’une Grande Serbie. La crise bosniaque exprime donc la mélancolie contemporaine de l’Europe incapable d’intégrer le tragique d’une histoire qu’elle ne veut pas voir. « La guerre froide, soulignait Jacques Delors, c’est-à-dire la paix des cimetières, était un monde intellectuellement plus facile pour les décideurs que ne l’est le monde actuel dans lequel il faut incorporer le

tragique, ce que les décideurs ont du mal à faire, obsédés qu’ils sont par les médias, mais rassurés aussi, parce que l’opinion publique, au bout de huit jours, oublie et laisse tomber. » Enfin et surtout, le drame bosniaque est comme un conflit opportuniste, cachant une autre menace plus inquiétante pour la communauté

internationale : le cauchemar de l’Europe, c’est la désintégration de la Russie. « Accepter la désintégration de la Yougoslavie, c’était donner le feu vert à la désintégration de la Russie et les Occidentaux étaient prêts à payer en 1991-1992 n’importe quel prix afin de l’éviter » (Victor-Yves Ghebali). Et ce prix a été la Yougoslavie…

FICHE  42

Pistes bibliographiques Parmi les récents travaux, l’ouvrage de Benedict Anderson, L’Imaginaire national, La Découverte, 1996, apporte un éclairage nouveau sur les origines et les modalités revêtues par le nationalisme. Astrid von Busekist adopte une approche sociologique dans Nations et nationalismes. xixe-xxe siècle, coll. « Synthèse », Armand Colin, 1998. André Nouschi fait le bilan de La Méditerranée au xxe siècle, coll. « U », Armand Colin, 2009.

La Méditerranée, « limes » ou Andalousie ?

183

FICHE 43

Quelle place pour l’Afrique ? L’Afrique dans le regard occidental

« A

frique ambiguë », « Afrique mal partie »…. l’« afro-pessimisme », bien qu’ancien, est plus que jamais d’actualité. Représentant moins de 2 % du commerce mondial, le continent noir subit un processus d’enclavement généralisé auquel seule échappe l’Afrique du Sud. Aucun nouveau pays industriel, ni même nouvelle région industrielle (→ fiche 41), mais au contraire une augmentation du nombre des PMA, pays moins avancés, qui cumulent misère et blocages socio-économiques (→ fiche 34). Dans la zone subsaharienne, la diagonale de la famine se déplace avec la désertification vers le sud. L’entassement de déracinés du monde rural dans les grandes métropoles côtières, qui tournent en général le dos à leur « hinterland », aggravent les problèmes de vie quotidienne. Aux famines, aux épidémies, dont celle du sida, s’ajoutent les effets désastreux des guerres : guerres civiles qui déchirent la région des Grands Lacs, guerre clanique qui embrase la Somalie, guerre aberrante, révélatrice de l’anomie contemporaine, au Liberia, guerre d’annexion menée par la Libye en direction du Tchad, guerre identitaire des Sahraouis contre le Maroc, jacquerie paysanne dans le sud du Sénégal… la liste des conflits, avec leur cortège de réfugiés, témoigne de la crise de légitimité du politique et de la fragilité des États aux frontières héritées de la colonisation. Tout autre est le regard des « Afrooptimistes » qui soulignent la jeunesse des États accédant à l’indépendance depuis quarante ans à peine. De même, ils insistent sur la diversité de sociétés civiles émergentes, sur le dynamisme de réseaux favorables à l’intégration,

184

Quelle place pour l’Afrique ?

sur la richesse de cultures concrètes capables de faire la synthèse entre tradition et emprunts extérieurs.

Les trois « Îles » de l’Afrique La grande barrière saharienne sépare le continent en une Afrique blanche, arabe et musulmane, d’une Afrique noire. La première vit douloureusement l’impasse des voies cherchant à conjuguer modernité, socialisme et nationalisme (→ fiches 30 et 42). La faillite du nasserisme, les échecs de la « partitocratie » incarnée par le FLN algérien profitent aux mouvements fondamentalistes (→ fiche 37) soutenus par les pétromonarchies, via le Soudan et la Libye. Au-delà du Sahara, les pouvoirs publics sont pris entre les impératifs imposés par la communauté internationale – plans d’ajustement structurels dictés par le FMI – et les besoins sociaux de populations très jeunes : avec la baisse du cours des matières premières, les politiques d’équilibre du budget et de la balance des paiements courants prolétarisent les masses. Comment dans ces conditions s’étonner des progrès de la criminalisation à tous les échelons de la société ? L’Afrique occidentale et l’Afrique orientale deviennent ainsi des plaques tournantes des trafics de stupéfiants réexportés vers le Nord. La bataille pour le contrôle de l’État redistributeur de prébendes gagne en violence, déstabilisant un peu plus les élites en charge du pouvoir. La sortie de ce cercle vicieux dépend de la capacité des pôles potentiels – Nigeria, Zaïre… – à remplir leur rôle stabilisateur. De même, l’abolition de l’apartheid, réussie par Frederik De Klerk et assumée par Nelson Mandela, est la chance de l’Afrique australe.

FICHE  43

“Île du Maghreb Machreq”

Rabat

TUNISIE

Alger

Tripoli

Alexandrie

Casablanca

Le Caire

LIBYE

ALGÉRIE

ÉGYPTE

TCHAD

MALI

LIBERIA

Abidjan

Accra

SOUDAN

NIGERIA Lagos

Détroit de Bad-elMandeb

Khartoum

NIGER

Dakar

CÔTE D'IVOIRE GHANA

Canal de Suez

AddisAbéba

RÉP. CENT.

ÉTHIOPIE

Yaoundé

CAMEROUN RÉP. DÉM. DU CONGO

“Zone d’enclavement”

KENYA OUGANDA Nairobi

M SO

I AL

E

RWANDA

Kinshasa

BURUNDI

Dar-es-Salam

Luanda

ANGOLA

MOZA

Harare

ZIMBABWE

NAMIBIE

Johannesburg

“Île Sud-Africaine”

AFRIQUE DU SUD Ca

p

de

I. Le présent accentue les handicaps du passé Contournement par les courants transocéaniques Fuites des élites et de la main d’œuvre vers les “Eldorados” développés Barrière saharienne, un facteur d’enclavement supplémentaire Diagonale de la famine Littoralisation de grandes métropoles africaines (> 1 million d’habitants)

Le Cap

B o n n e E s p éran

QU Ca E na l du Mo zam biqu e

TANZANIE

M

BI

Antananarivo

Maputo

Durban East London

ce

II. Les maux de l’Afrique politique Trouble endémique Zone de guerre civile Pays menacé d’implosion RWANDA Ambition expansionniste libyenne III. Les “Îles” de l’Afrique Pôle potentiel Pays polarisant

L’Afrique, une périphérie délaissée ? (1999) L’Afrique, une périphérie délaissée ? (1999)

Quelle place pour l’Afrique ?

185

Chronologie du génocide au Rwanda

FICHE  43

La convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations unies, le 9 décembre 1948, le définit ainsi : « il s’entend comme l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel : a) meurtre de membres du groupe ;

b) atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe ; c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »

1898

• Proclamation de la souveraineté allemande sur le Rwanda.

1924

• Mandat belge sur le Rwanda et le Burundi où les royautés (tutsies) sont maintenues ; elles exercent leur autorité sur des masses rurales hutues.

1959

• « Toussaint rwandaise » : révolte sanglante des Hutus et exil de nombreux Tutsis dans les pays voisins.

1961

• Grégoire Kayibanda, « Hutu du Centre », élu président de la République.

1962

• Indépendance du Rwanda.

19631964

• Massacres de civils tutsis et exécution de membres tutsis du gouvernement.

1972

• Massacre au Burundi où l’armée tutsie réprime une insurrection hutue.

1973

• Coup d’État sans effusion de sang et prise de pouvoir par Juvénal Habyarimana, Hutu.

1987

• Formation du FPR, Front patriotique rwandais, composé majoritairement de Tutsis.

1990

• Le gouvernement doit faire face aux revendications démocratiques internes et à la guérilla menée par le FPR : spirale répression/violence… La France et la Belgique interviennent militairement.

1993

• Sur fond de violence et de diabolisation réciproque, signature des accords d’Arusha qui prévoient un partage du pouvoir. Mais le retard dans l’application des accords alimente les factions extrémistes. En avril, la Radio-Télévision des Mille Collines lance des appels à la liquidation des Hutus modérés et des Tutsis.

1994

• Le 6 avril, avec l’attentat contre l’avion présidentiel organisé par les factions hutues les plus radicales, commence le massacre des Tutsis et des Hutus d’opposition par l’armée rwandaise : le FPR en profite pour se rendre maître du pays. Les Hutus, civils, militaires, miliciens, fuient en masse devant l’avance du FPR pour se réfugier au Zaïre et dans la « zone humanitaire sûre » créée par la France dans le Sud-Ouest du pays, conformément à la résolution 929 du Conseil de sécurité des Nations Unies adoptée le 24 juin. En trois mois, de 500 000 à un million de personnes, des Tutsis dans leur grande majorité, sont exécutées par la milice soutenue par deux partis hutus, le MNRD et le CRD, hostiles au multipartisme et à la démocratisation du régime : aux yeux de ces Hutus extrémistes, les Tutsis sont des « invenzi », des cafards qu’il faut écraser. • Le 4 juillet, le FPR s’installe dans Kigali. • Le 8 novembre, conformément à la convention pour prévention et la répression du crime de génocide, un tribunal international est créé. Il s’installe peu après à La Haye pour enquêter et juger les responsables des massacres. Des centaines de milliers de réfugiés se pressent dans les pays voisins de la zone des Grands Lacs.

Quelles responsabilités ? La grille de lecture ethnique, teintée de considérations pseudo-culturalistes, avançant la « barbarie naturelle de telle ou telle tribu » est à rejeter : Tutsis et Hutus parlent la même langue, vivent depuis des siècles sur le même territoire où ils ont élaboré des règles subtiles de cohabitation.

186

Quelle place pour l’Afrique ?

Mais depuis la fin des années 1950, les extrémistes, surtout du côté hutu, réécrivent l’histoire, présentent les Tutsis comme étrangers à la région, venant d’Abyssinie pour coloniser les Bantous autochtones. L’instrumentalisation de l’histoire est une composante essentielle du génocide.

La grille d’analyse politique met l’accent sur l’opposition des hutus extrémistes à toute évolution vers le pluripartisme et le multiculturalisme : bien avant la mort du président Habyarimana, la liste des noms des Hutus modérés et des Tutsis à abattre circulait à Kigali. En arrière-plan la responsabilité de Paris est écrasante : dès 1990, la France soutient matériellement et militairement les forces hutues qui pratiquent une forme d’épuration ethnique. Car le FPR est composé de cadres anglophones, formés en Ouganda. Paris, « gendarme de l’Afrique », entend conserver le Rwanda dans sa zone d’influence ; toute modification dans la région ne manquerait pas d’avoir des répercussions sur le Zaïre voisin et ébranlerait le pouvoir du général Mobutu. Depuis 1991, ce dernier livre des armes aux factions en présence pour attiser les haines interethniques et avaliser le pouvoir des militaires amis des pays limitrophes.

À plus long terme, le renversement du pouvoir hutu au Rwanda traduit un changement global de l’équilibre géostratégique dans la région : après la dévaluation du franc CFA, la crise du Rwanda, les menaces pesant sur le régime du général Mobutu et la déstabilisation du Burundi signifient pour Paris la fin d’une époque marquée par une domination sans partage dans une région francophone. L’intervention « humanitaire » des États-Unis, la prise du pouvoir par le FPR expriment le basculement de l’Afrique vers d’autres tutelles. Le désir formulé par certains de voir se former un « Hutuland » séparé d’un « Tutsiland » reviendrait à organiser un partage territorial fondé sur la base de l’ethnicité, un cauchemar que, depuis la fondation de L’OUA, Organisation de l’Unité africaine en 1963, tous les pays africains ont voulu éviter en garantissant les frontières issues de la colonisation.

FICHE  43

Pistes bibliographiques Hélène d’Almeida-Topor présente un panorama historique dans L’Afrique au xxe siècle, coll. « U », Armand Colin, 4e éd. 2013. L’ouvrage collectif, Les Afriques politiques, La Découverte, 1991, réunit les meilleurs spécialistes de la question. Jean-François Bayart ouvre une problématique nouvelle sur L’État en Afrique. La politique du ventre, Fayard, 2006.

Quelle place pour l’Afrique ?

187

FICHE 44

L’« Extrême-Occident » Un laboratoire de l’avenir

L

e temps de l’Amérique latine est précurseur des évolutions en devenir observables dans les autres aires continentales. Premier à connaître la décolonisation au début du xixe siècle, le continent latino-américain est le laboratoire d’expérimentation du sea power* théorisé par l’amiral Mahan (→ fiches 3 et 12), le champ d’action du big stick* défini par Th. Roosevelt, en 1904, le terrain d’élection de la diplomatie du dollar*… C’est là aussi que Washington met en œuvre le power politics, du coup d’État en 1954 au Guatemala à celui organisé au Chili en 1973. Les États-Unis y expérimentent aussi les formes de l’influence politics, de la diplomatie à l’âge nucléaire lors de la crise des fusées de Cuba (→ fiche 26) au financement des contras, les « combattants de la liberté » opposés au régime sandiniste du Nicaragua. Cette fonction première, l’Amérique latine la conserve à l’heure des nouveaux désordres mondiaux. L’incapacité du Mexique à assurer la charge de sa dette en 1982 et 1994 amène les États-Unis, et derrière eux, le FMI et les clubs de créanciers, à faire preuve d’imagination pour trouver des solutions. L’instabilité induite par les flux de travailleurs clandestins du Sud vers le Nord développé ainsi que le mouvement inverse de délocalisation des entreprises vers des zones plus attractives en termes salariaux ou fiscaux, incitent le gouvernement américain à entreprendre une recomposition de l’Extrême-Occident : l’ALENA, l’APEC, plus que l’OEA*, ont pour objectif d’amarrer les Sud (→ fiches 34, 36 et 41). Contre les trafics de drogue et les narcoÉtats, Washington mêle action diplomatique, * Les astérisques renvoient au lexique p. 190-191.

188

L’« Extrême-Occident »

intervention économique et opération militaire de grande envergure : en décembre 1989, les Marines interviennent au Panama et renversent le général Noriega accusé de contrôler le trafic des stupéfiants expédiés vers les États-Unis.

À l’heure des incertitudes En dépit des progrès de la démocratie, des performances économiques et du renoncement aux armements nucléaires (→ fiche 31), les pays latino-américains connaissent des dysfonctionnements inquiétants. Confrontées à une logique marchande accusée du fait de la mondialisation, les populations éprouvent un sentiment de désarroi aggravé par le désengagement des pouvoirs publics, interventionnistes par tradition. La révolte du Chiapas (Mexique) depuis le début de l’année 1994 traduit ce refus d’une insertion dans l’espace-monde et la volonté de conserver son identité. Le basculement du rapport de force en faveur des créanciers accentue les pressions déflationnistes qui pèsent sur les populations les plus pauvres : contraintes à abandonner leurs terres, elles se pressent dans les immenses bidonvilles des mégalopoles qui deviennent des zones de non-droit et de violence endémique. Certes l’économie informelle, dominée par la drogue, joue le rôle d’amortisseur social mais, simultanément, elle mine la démocratie. Les Églises, catholique et réformée, l’indianité entendue comme force politique, et les sectes profitent de la crise sociale. L’avenir du continent dépend en grande partie de la réponse apportée aux problèmes de la terre et de la misère.

I. La drogue, nouveau désordre mondial Grande zone de production: de coca (cocaïne) d’opium (héroïne) de cannabis Plaque tournante des flux Siège des principales organisations criminelles Narcoéconomie Pays participant aux sommets interaméricains anti-drogue

FICHE  44

II. La Misère, facteur de fragilité de la démocratie Conflit armé endémique Mégalopole, terre d’élection de la violence urbaine

CANADA

New York

Los Angeles

Chicago

Washington

ÉTATS-UNIS

Miami

MEXIQUE Mexico

RÉP. DOMINICAINE

CUBA HAÏTI NICARAGUA PANAMA

GUATEMALA

Afrique Europe,

Caracas

GRENADE

VENEZUELA

Medelin COLOMBIE

Bogota

Quito ÉQUATEUR

Belem

o pe Eur e iqu Afr Recife

Fortaleza

BRÉSIL

Salvador

Lima PÉROU

La Paz BOLIVIE

Rio de Janeiro

CHILI

III. La recomposition autour des États-Unis Cuba excle de l’OPEA, “ministère des colonies de Washington” (Fidel Castro) Intervention directe ou indirecte des États-Unis

Sao Paulo ARGENTINE

Santiago

Montevideo Buenos Aires

ALENA APEC Pays soutenu pour le règlement de sa dette

Les fragilités de l’”Extrême-Occident” Les fragilités de l’« Extrême-Occident »

L’« Extrême-Occident »

189

FICHE  44

L’Amérique latine vue de Washington, « Si loin de Dieu, si près des États-Unis » (Porfiro Diaz) « Arrière-cour » : la zone de contact située sur le flanc sud des États-Unis se compose de l’espace terrestre formé par les pays d’Amérique centrale et de la mer des Caraïbes. C’est là que Washington expérimente une diplomatie mêlant principes moralisateurs et défense de ses intérêts économiques. Jusqu’à la prise du pouvoir par Fidel Castro en 1959, l’arrière-cour est totalement sous emprise. Renonçant à reconquérir par la force Cuba après l’échec du débarquement dans la baie des Cochons (15-17 avril 1961), l’administration républicaine soumet l’île à un strict blocus économique et combat toute tentative d’exportation de la voie castriste sur le continent. À la fin des années 1960, les forces spéciales américaines aident les gouvernements latino-américains à écraser les focos implantés par le Che, Ernesto Guevara. Dans le courant de la décennie Quatrevingt, Ronald Reagan exalte, finance et soutient la lutte des contras au Nicaragua : « La sécurité de toutes les Amériques est en jeu en Amérique centrale. Si nous ne sommes pas capables de nous y défendre, nous ne pouvons espérer prévaloir ailleurs. Notre crédibilité s’effondrerait, nos alliances s’effriteraient et la sécurité de notre patrie serait mise en danger. » (Discours au Congrès du 27 avril 1983). Depuis l’effondrement de l’URSS et la fin de la guerre froide, Washington renoue avec la politique de « bon voisinage » conduite par Franklin D. Roosevelt dans l’entre-deux-guerres. Big stick : « Dans l’hémisphère occidental, l’adhésion des États-Unis à la doctrine Monroe peut les forcer, dans des cas flagrants où ils se trouvent confrontés à telle mauvaise conduite ou à telle impuissance, à exercer, quelle que soit leur répugnance à la faire, un pouvoir de police international. » L’énoncé, le 6 décembre 1904, de la politique du « gros bâton » par le président Théodore Roosevelt exprime l’émergence d’une diplomatie, synonyme de lutte, les États les plus aptes étant seuls capables de triompher. Cette conception darwinienne marque une rupture flagrante avec le moralisme des pères fondateurs de la nation américaine.

190

L’« Extrême-Occident »

Diplomatie du dollar : dès 1902, Washington contraint Haïti à rembourser sa dette aux banques européennes. Trois années plus tard, il établit un protectorat financier sur la Républicaine dominicaine. Par la diplomatie du dollar, Washington renforce son influence dans son « arrière-cour » et prépare son intervention militaire : en 1906, les troupes américaines occupent Cuba. La diplomatie du dollar, relayée par la « dollar diplomatie » mise en œuvre par les multinationales, dont la célèbre United Fruit Company, renforce la domination des États-Unis sur le reste du continent. Doctrine Monroe : « Nous avons estimé, dit le président Monroe, le 2 décembre 1823, que l’occasion était favorable d’affirmer comme un principe qui met en cause les droits et intérêts des États-Unis que les continents d’Amérique, de par l’état de liberté et d’indépendance qu’ils ont acquis et maintenu, ne doivent plus, désormais, être considérés comme susceptibles d’être colonisés à l’avenir par aucune puissance européenne […] Nous n’avons jamais pris part aux guerres dans lesquelles les puissances européennes sont entraînées par des problèmes qui les concernent, et il n’est pas conforme à notre politique de le faire. C’est seulement lorsqu’on a porté atteinte à nos droits ou qu’on les a gravement menacés que nous réagissons et prenons des mesures de défense. […] La bonne foi et les relations amicales qui existent entre les États-Unis et les puissances européennes nous obligent, en conséquence, à déclarer que nous considérerions de leur part toute tentative pour étendre leur système politique à une partie quelconque de cet hémisphère comme dangereuse pour notre paix et notre sécurité. » Par la doctrine Monroe, les États-Unis tournent le dos à l’Europe, définissent une zone exclusive d’influence dans leur hémisphère en conciliant les principes moralisateurs des origines – le refus de la guerre – et l’expansion économique. Hémisphère occidental : représentation géopolitique utilisée par des auteurs nord et latino-américains correspondant à une division

de la Terre en deux entités. À l’« Ancien » Monde formé de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie, s’oppose le « Nouveau » qui s’étend de l’Alaska à la Terre de Feu. Alain Rouquié définit l’Amérique latine comme un « Extrême-Occident inachevé », en raison de ses retards économiques, et un « tiers-monde imparfait », vu les processus de développement. Cet hémisphère occidental se fragmente en une zone de contact, en bordure de la « Méditerranée américaine », la mer des Caraïbes, et l’Amérique du Sud. OEA : l’Organisation des États américains est créée le 30 avril 1948 par la charte de Bogota dans le cadre de l’ONU. Adaptant, la doctrine Monroe au temps de la guerre froide, elle institutionnalise le principe de « l’Amérique aux Américains ». Structure intergouvernementale, l’OEA entend garantir la paix et la sécurité du continent, maintenir la solidarité entre les États membres, renforcer leur collaboration, tout en respectant leur intégrité territoriale et leur indépendance. Depuis sa création, l’OEA reste subordonnée aux impératifs décidés à et par Washington : en mars 1954, la conférence de Caracas condamne le communisme, trois mois plus tard, l’OEA ne réagit pas au coup d’État fomenté par la CIA contre le président ; en 1962, elle décide d’exclure Cuba ;

en 1965, elle approuve l’intervention militaire en République dominicaine ; huit ans plus tard, elle fait de même lors du renversement du président Salvador Allende. Ce n’est qu’en 1982, lors de la guerre des Malouines, qu’une fracture oppose les États latino-américains favorables à l’Argentine, à Washington, allié du Royaume-Uni. Les divergences s’accroissent un an plus tard avec le débarquement des Marines dans l’île de Grenade. Depuis, une OEA plus indépendante de Washington prend des initiatives pour promouvoir la paix dans l’isthme, pour renforcer la dynamique des droits de l’homme et lutter contre les trafics de stupéfiants. Sea power : définie par l’amiral Alfred T. Mahan (1840-1914), la puissance maritime, conséquence de déterminants géographiques, implique pour un pays la nécessité de disposer d’une marine de guerre apte à combattre tout adversaire et capable de protéger ses voies commerciales. Le plaidoyer de Mahan pour le contrôle des principaux passages entre la mer des Caraïbes et les océans Atlantique et Pacifique amène le gouvernement américain de Théodore Roosevelt à organiser un coup d’État au Panama en 1903. Le nouvel État consent aux Américains la libre disposition de la zone du canal, inauguré en 1914.

FICHE  44

Pistes bibliographiques Amérique latine : Introduction à l’Extrême-Occident, coll. « Points », Le Seuil, 1987, d’Alain Rouquié et Réinventer la démocratie : le défi latino-américain, PFNSP, 1992, de Georges Couffignal font le point sur la situation contemporaine du continent. Dans Diplomatie, Fayard, 1996, Henry Kissinger analyse les fondements de la politique étrangère américaine.

L’« Extrême-Occident »

191

FICHE 45

Le rapport de faiblesses contemporaines La fin d’un monde

« P

ost guerre froide », « post-stratégique », « post-nucléaire »… les spécialistes du monde contemporain abusent du préfixe « post » pour caractériser le monde né de l’après 1989/1991. Avec l’écroulement des démocraties populaires et de l’URSS, disparaît le facteur structurant le « court » xxe siècle né en 1917 (→ fiches 9 et 10). La guerre froide prend fin, sans bataille, ni affrontement direct entre les deux Grands (→ fiches 20, 25 et 32). Pour la première fois dans l’histoire contemporaine, une nouvelle situation émerge non d’une guerre mondiale, comme en 1815, en 1914 ou même en 1945, mais de l’implosion d’un pays, l’URSS. L’idéocratie soviétique s’effondre du fait des défaillances de l’État… post-stalinien. Il est vrai que la Russie est, avant même 1917, un Empire plus qu’un État moderne au sens occidental du terme. Après l’échec de la déstalinisation en 1956, l’impasse de la réforme économique en 1965, la perestroïka, mise en œuvre par le dernier des croyants, Mikhaïl Gorbatchev, échoue (→ fiche 32). L’écroulement de la seizième république formée du PC entraîne l’effondrement des quinze autres réunies dans l’URSS. Dès lors, une seule super ou même « hyper » puissance assume le leadership planétaire.

Une République devenue Empire Nombreux sont les géopoliticiens contemporains, Alfredo Valladao, Jean-Christophe Rufin…, à établir une comparaison entre le triomphe américain sur l’ex système de puissance soviétique et la victoire romaine sur

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Le rapport de faiblesses contemporaines

Carthage aux lendemains de la seconde guerre punique. De même que la République cède la place à l’Empire romain, la République des États-Unis d’Amérique s’effacerait en faveur d’un Empire mondial. Tout semble conforter une telle vision : l’activisme diplomatique déployé par Washington, la suprématie du couple libéralisme économique et politique à l’échelle planétaire, la généralisation d’une World culture, la maîtrise de la nouvelle économie « informationnelle » (→ fiches 39, 47), la diffusion de normes juridiques et d’une culture entrepreneuriale fondée sur le corporate governance, favorable à la toute-puissance des actionnaires… Mais derrière cette façade, nombreuses sont les interrogations sur la capacité des États-Unis à assumer cette charge du leadership. Dans L’Amérique mercenaire, Alain Joxe s’appuie sur l’intervention dans la première guerre du Golfe en 1991 pour affirmer que les États-Unis sont aujourd’hui une puissance mercenaire, faisant payer par d’autres États, les pétromonarchies, la RFA, le Japon, le coût de ses opérations militaro-diplomatiques. Les guerres de Bosnie, du Kosovo confortent cette appréciation. L’après 1989 révélerait moins un rapport de force que de faiblesse entre Washington et le reste du monde. D’autant que la face cachée de l’économie et de la société américaines atteste de dysfonctionnements graves : insécurité urbaine, violence scolaire généralisée, durcissement des inégalités avec, par exemple, l’absence de couverture sociale pour plus de 40 millions d’Américains… La montée en puissance de l’abstention lors des consultations électorales – moins d’un Américain sur deux se déplace à l’occasion des présidentielles – accroît les difficultés et limite l’audience de l’homme qui se dit être le « plus puissant » de la planète.

Le monde vu des États-Unis

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Les trois atouts des États-Unis

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« Les valeurs anglo-saxonnes jouent sur trois plans. D’abord, l’Amérique a la fonction directrice de l’invention, de l’innovation. Ce point est illustré par les prix Nobel, mais aussi par le fonctionnement de tout l’appareil universitaire et industriel de recherche. Sur un deuxième plan, l’Amérique

exerce la domination économique et militaire. Sur un troisième plan, les États-Unis sont les grands pourvoyeurs du divertissement par le cinéma et la chanson. C’est la première fois qu’une seule puissance règne trois fois. » Entretien avec Paul Ricœur, Le Figaro, 26 mars 1998.

« Penser global, agir localement… » La fin de la guerre froide est à l’origine d’une nouvelle définition du rapport des États-Unis au reste du monde. Le cadre étatique, le territoire, la frontière, et ses corollaires, l’identité, la souveraineté, volent en éclat sous l’effet des nouvelles contraintes technologiques, économiques et idéologiques. Depuis une dizaine d’années, le Avant 1989

territoire américain est à la fois un moteur et un laboratoire de la globalisation. Le tableau ci-dessous a pour ambition d’opposer un avant à un après 1989. La date retenue l’est pour des raisons de simplification car des signes avant-coureurs attestaient d’un changement plus profond.

Après 1989/1991 Le cadre général et ses implications territoriales

Enlargement par la démocratie de marché et la signature des accords commerciaux de libre-échange. Il s’agit en fait d’un retour à l’idéologie rooseveltienne de 1944, selon laquelle les guerres peuvent être combattues par la démocratie de marché (→ fiche 22). Le terrain stratégique est le monde avec toutefois l’appel aux alliés pour les crises locales. La doctrine de sécurité Sécurité globale s’étendant aux questions économiques, écologiques, de terrorisme, de drogue… Sécurité assurée par le nucléaire (→ fiches 25, 31). Sécurité coopérative reposant sur l’adhésion des autres Sécurité collective dans le cadre onusien nations à la vision de l’« ordre » américain, Washington se (→ fiche 37) ou action directe sur la ligne du réservant d’intervenir dans les zones… containment (→ fiches 26, 28). Fascination pour la formation d’un bouclier anti-missiles protégeant les États-Unis. …considérées comme stratégiques, le Golfe, par exemple. Des actions militaro-diplomatiques… Des actions de police pour maintenir l’ordre, la loi… américaine. Le primat géoéconomique L’économique est la composante déterminante de l’action L’économique est un moyen diplomatique parmi diplomatique. d’autres. L’Amérique dispose de trois atouts : le plus grand Affirmation des « modèles » allemands, japonais… marché homogène de la planète, la maîtrise des secteurs Doute sur l’efficacité du « défi américain », crise du informationnels (→ fiche 39), une croissance durable. dollar (→ fiche 29). La politique extérieure est une composante essentielle de Certaine séparation entre les questions intérieures l’équilibre et de l’action interne. La mondialisation est la et celles internationales. nouvelle « frontière » de l’Amérique (→ fiche 36). Les questions pour le futur L’économique et le commercial sont-ils suffisants pour répondre à tous les défis contemporains, en particulier aux aspirations politiques ? La dictature de l’actionnaire et des marchés financiers, souvent panurgiques et même cannibales, ne se sape-telle pas les fondements mêmes de l’économie sociale, d’inspiration keynésienne ? La dérégulation et la déréglementation ruinent l’efficacité de l’État, acteur central de la vie diplomatique dans l’histoire récente. Le cadre des relations internationales doit donc être redéfini. Containment de type idéologique et militaire. Une hiérarchie de zones jugées stratégiques pour défendre le cœur du système, l’« Hémisphère occidental » (→ fiches 21, 44).

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L’impuissance de la puissance « On peut sans doute parler d’une certaine hégémonie globale américaine, les États-Unis étant la seule puissance qui ait une certaine présence dans tous les domaines et dans toutes les régions, mais à condition d’ajouter aussitôt que cette hégémonie a de plus en plus de mal à s’exercer à la fois à cause de la société américaine et à cause de l’impossibilité

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de contrôler les phénomènes transnationaux et les résistances locales. C’est l’anarchie et l’émiettement qui me paraissent le phénomène essentiel et qui mettent en cause le calcul des forces, voire la notion de puissance. » Entretien avec Pierre Hassner, Le Monde, 27 octobre 1992.

Pistes bibliographiques L’historien anglais marxiste, Éric Hobsbawm trace le bilan du « court » xxe siècle dans Le Siècle des extrêmes, Éditions André Versailles/Le Monde diplomatique, 2008. Pierre Mélandri et Justin Vaïsse étudient la nouvelle douve de l’après 1989 dans L’Empire du milieu. L’Amérique et le monde après la guerre froide, O. Jacob, 2001.

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Sport et politique, les jeux olympiques

D

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e leur renaissance en 1896 à nos jours, et ce en dépit des proclamations officielles de leur père spirituel, Pierre de Coubertin, les jeux olympiques n’ont pas réussi à échapper à une politisation évidente ni aux grands conflits caractéristiques du xxe siècle.

dirigeants politiques : le nombre de médailles remportées est l’un des symboles de la puissance du régime dans sa course aux records. Dès lors, l’effondrement du bloc socialiste européen entre 1989 et 1991 semble mettre un terme à cette idéologisation du sport.

Le sport comme symbole de supériorité

Les jeux olympiques pris en otage

Dès leur origine, la gymnastique et le sport sont intrinsèquement liés au service militaire et donc à la guerre à venir. En outre, ils semblent préserver la jeunesse des périls idéologiques et physiologiques de la société industrielle. Présentés par les régimes quels qu’ils soient comme des révélateurs de la bonne santé physique et morale de leur jeunesse, les jeux olympiques n’échappent pas au contexte politique. Par trois fois, en 1916, 1940 et 1944, les jeux prévus à Berlin, Helsinki et Londres sont annulés du fait de la guerre européenne devenue mondiale. Dans l’entre-deux-guerres, les jeux transposent sur le stade la violence de l’affrontement entre les démocraties et les régimes totalitaires bruns plus que rouges puisque l’URSS refuse jusqu’en 1952 d’adhérer au mouvement olympique qualifié de « petit bourgeois ». Les victoires de Jesse Owen*, sprinter noir américain aux jeux de 1936 à Berlin, filmés par Leni Riefenstahl*, sont vécues comme une défaite par le régime nazi désireux de montrer la supériorité de la race aryenne sur les autres, dites « dégénérées ». Durant la guerre froide, les rivalités entre les deux super grands, les États-Unis et l’URSS, mais aussi entre les deux Allemagnes atteignent une intensité extrême, en particulier lors des matchs* de hockey. Tout est bon pour parvenir à montrer la supériorité de l’un des deux blocs sur l’autre. Depuis l’effondrement du bloc socialiste, les révélations sur les méthodes utilisées par les médecins encadrant les équipes des pays de l’Est témoignent de la soumission totale du sport aux objectifs idéologiques fixés par les

L’action spectaculaire conduite par un commando palestinien durant les jeux de Munich en 1972 contre les sportifs israéliens pris en otage puis exécutés lors de l’intervention des forces de police allemande témoigne de la fragilité de l’esprit olympique. Contrairement à l’Antiquité où les jeux se traduisaient par une trêve dans les conflits, ceux de l’époque contemporaine sont comme une chambre d’écho des problèmes présents en arrière-plan. Ainsi, les jeux sont régulièrement boycottés. Pour protester contre la répression de la révolution hongroise en 1956 par l’Armée rouge, les Pays-Bas, l’Espagne et la Suisse refusent de participer aux JO de 1956. Au même moment, le Cambodge, l’Égypte, l’Irak et le Liban s’abstiennent du fait de la crise de Suez. Durant les décennies Soixante et Soixante-dix, de nombreux pays africains refusent de voir leurs athlètes aux côtés de ceux de l’Afrique du Sud, le pays de l’apartheid. Trois ans après l’invasion de l’Afghanistan, Washington, suivi par 64 délégations, boycotte les jeux de Moscou en 1980. Quatre ans plus tard, les délégations soviétique et de quatorze autres des « pays frères » s’abstiennent de participer à ceux de Los Angeles. Pour alerter l’opinion publique sur les violations répétées des droits de l’homme en Chine, l’association « Reporters sans frontière » appelle à un boycott des Jeux de Pékin prévu en 2008. Ces boycotts répétés tout au long du xxe siècle démentent le rêve universaliste de Pierre de Coubertin. Les jeux sont l’otage de la politique et des politiques rivales.

Sport et politique, les jeux olympiques

Localisation Jeux olympiques d’été Ville hôte Pays Athènes (1) Grèce (1) Paris (1) France (1) Saint Louis (1) États-Unis (1) Athènes Grèce Londres (1) Royaume-Uni (1) Stockholm (1) Suède (1) Berlin (annulés) Allemagne (annulés) Anvers (1) Belgique (1) Paris (2) France (2) Amsterdam (1) Pays-Bas (1) Los Angeles (1) États-Unis (2)

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Année 1896 1900 1904 1906 1908 1912 1916 1920 1924 1928 1932

N° I II III Intercalés IV V VI VII VIII IX X

1936

XI

Berlin (1)

Allemagne (1)

IV

1940

XII

Helsinki (annulés)

Finlande (annulés)

(V)

1944

XIII

Londres (annulés)

1948 1952 1956 1960 1964 1968 1972 1976 1980 1984 1988 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016 2018

XIV XV XVI XVII XVIII XIX XX XXI XXII XXIII XXIV XXV

Londres (2) Helsinki (1) Melbourne Rome (1) Tokyo (1) Mexico (1) Munich (1) Montréal (1) Moscou (1) Los Angeles (2) Séoul (1) Barcelone (1)

Royaume-Uni (annulés) Royaume-Uni (2) Finlande (1) Australie (1) Italie (1) Japon (1) Mexique (1) Allemagne (2) Canada (1) URSS (1) États-Unis (3) Corée du Sud (1) Espagne (1)

XXVI

Atlanta (1)

États-Unis (4)

XXVII

Sydney (1)

Australie (2)

XXVIII

Athènes (2)

Grèce (2)

XXIX

Pékin (1)

Chine (1)

XXX

Londres (3)

Royaume-Uni (3)

XXXI

Rio de Janeiro (1)

Brésil (1)

Les jeux présentent une grande inégalité par aire continentale. De leur création à ceux de 2000, l’Europe les a accueillis quinze fois, l’Amérique six fois, l’Asie et l’Océanie, chacune deux fois. L’Afrique, depuis la décolonisation*,



I II III

Jeux olympiques d’hiver Ville hôte Pays

V VI VII VIII IX X XI XII XIII XIV XV XVI XVII

Chamonix (1) Saint-Moritz (1) Lake Placid (1) GarmischPartenkirchen (1) GarmischPartenkirchen (annulés) Cortina d’Ampezzo (annulés) Saint-Moritz (2) Oslo (1) Cortina d’Ampezzo (1) Squaw Valley (1) Innsbruck (1) Grenoble (1) Sapporo (1) Innsbruck (2) Lake Placid (2) Sarajevo (1) Calgary (1) Albertville (1) Lillehammer (1)

Suisse (2) Norvège (1) Italie (1) États-Unis (2) Autriche (1) France (2) Japon (1) Autriche (2) États-Unis (3) Yougoslavie (1) Canada (1) France (3) Norvège (2)

XVIII

Nagano (1)

Japon (2)

XIX

Salt Lake City (1)

États-Unis (4)

XX

Turin (1)

Italie (2)

XXI

Vancouver (1)

Canada (2)

XXII

Sotchi (1)

Russie (1)

XXIII

Pyeongchang (1)

Corée du Sud (1)

(V)

France (1) Suisse (1) États-Unis (1) Allemagne (1) Allemagne (annulés) Italie (annulés)

n’a jamais été retenue par le CIO*. Il est vrai que les questions économiques, les problèmes d’infrastructure excluent de fait les pays en voie de développement.

* Les astérisques renvoient au lexique p. 198.

Sport et politique, les jeux olympiques

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Lexique des jeux olympiques Charte olympique : Dès les débuts des Jeux modernes, la charte codifie les principes fondamentaux et les règles adoptées par le CIO. Elle régit l’organisation et le fonctionnement du mouvement olympique et fixe les conditions de la célébration des JO. « L’Olympisme est une philosophie de la vie, exaltant et combinant en un ensemble équilibré les qualités du corps, de la volonté et de l’esprit. Alliant le sport à la culture et à l’éducation, l’Olympisme se veut créateur d’un style de vie fondé sur la joie dans l’effort, la valeur éducative du bon exemple et le respect des principes éthiques fondamentaux universels. » (Article 2, Principes fondamentaux, Charte Olympique.) CIO : Fondé par le baron Pierre de Coubertin, le CIO est une organisation non gouvernementale, autorité suprême du mouvement olympique, articulée sur les comités nationaux et les fédérations sportives. Puissance financière établie à Lausanne en Suisse, ses revenus proviennent de ses droits exclusifs sur le drapeau, la devise, l’hymne et les Jeux Olympiques. Sa responsabilité principale réside dans la supervision et l’organisation des Jeux Olympiques d’été et d’hiver. Les membres du CIO sont les représentants du CIO dans leurs pays respectifs et non les délégués de leur pays au sein du CIO. Les membres se rencontrent une fois par année à la Session du CIO. Le CIO choisit et élit ses membres parmi les personnalités qu’il juge qualifiées. Tout membre de la famille olympique a le droit de poser sa candidature. Pierre de Coubertin (1863-1937) : Comme nombre de ses contemporains, Pierre de Coubertin, qui se destinait à la carrière militaire, est persuadé de l’importance du sport et de l’éducation physique dans le développement individuel et collectif de la jeunesse. « Le grand élément de lutte, le véritable protecteur pour les générations d’aujourd’hui, c’est le sport, qui peut seul à la fois créer des forces et apporter du calme en grande proportion au sein d’une société trépidante. » Tout au long de sa vie, il n’eut de cesse de diffuser ses idées via de nombreux articles et la fondation de multiples sociétés sportives. « Je rebronzerai une jeunesse, aimait-il à répéter, […] j’élargirai

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Sport et politique, les jeux olympiques

sa vision et son entendement par le contact des grands horizons […] et cela sans distinction de naissance, de caste, de situation, de métier. » En 1894, devant des représentants de quatorze nations, il propose de recréer les jeux olympiques. Deux ans plus tard et ce jusqu’en 1925, il assume la présidence du Comité international olympique (CIO*) fondé à son initiative. La même année le rêve de Coubertin, largement inspiré par les idées de son ami, le père Hubert Didon, se réalise. Devise : La devise latine des jeux olympiques est, depuis 1894, année du congrès olympique, citius, altius, fortius… plus vite, plus haut, plus fort… Pierre de Coubertin propose cette devise empruntée à son ami l’abbé Henri Didon (18401900), sportif émérite qui place le sport au cœur de sa pédagogie comme moyen de socialisation et de moralisation de la jeunesse. Drapeau : Dessiné par Coubertin lui-même, il est constitué de cinq anneaux enlacés sur fond blanc mais le drapeau flotte pour la première fois lors des jeux d’Anvers en 1920. Les six couleurs (bleu, noir, rouge, jaune, vert et blanc) du drapeau sont le signe de l’universalité des jeux. Comme le précise le CIO dans un document publié sur son site web : « Les six couleurs (y compris le fond blanc du drapeau), combinées de cette façon, sont représentatives des couleurs de toutes les nations sans exception. Il est donc faux de croire que chacune des couleurs est associée à un continent précis. » Pourtant, le professeur Pastoureau dans le Dictionnaire des couleurs de notre temps souligne que trois couleurs semblent avoir été choisies pour des raisons ethniques, si ce n’est racistes ; le noir pour l’Afrique, le jaune pour l’Asie, le rouge pour l’Amérique. Quant au bleu pour l’Europe, il exprime la dimension culturelle et historique de cette couleur dans la civilisation occidentale européenne. Le vert pour l’Océanie serait moins un choix motivé qu’un « choix par soustraction, effectué en dernier, une fois le blanc éliminé et les quatre autres couleurs attribuées » (Michel Pastoureau). Remarquons qu’aux lendemains de la disparition de l’URSS en 1991, les sportifs de l’ex-Union présents aux jeux de Val d’Isère en 1992 ont défilé derrière le drapeau olympique.

Flamme : Employée depuis 1928 pour symboliser le lien entre les jeux modernes et l’Antiquité, elle est allumée lors de l’ouverture officielle. Portée par des athlètes du pays d’hôte qui se relaient, elle connaît un long périple d’Olympie jusqu’au stade accueillant la cérémonie d’ouverture. Hymne : Il est composé et joué lors des premiers jeux olympiques mais aujourd’hui, il n’est qu’une des musiques coexistant avec d’autres en général écrites et interprétées par des artistes de renom. Langue officielle : Le français a aujourd’hui de plus en plus de difficultés à s’imposer comme langue des jeux aux côtés de l’anglais, la deuxième langue officielle du mouvement olympique moderne. Mascotte : Elle apparaît officiellement pendant les Jeux d’hiver de 1968 à Grenoble. Depuis, chaque édition crée sa propre mascotte afin de symboliser les valeurs de l’olympisme. Vendue à plusieurs millions d’exemplaires, elle exprime aujourd’hui la dimension commerciale des jeux. Match de hockey : Durant la guerre froide, les matchs de hockey entre les équipes d’URSS et des États-Unis ont une dimension symbolique très forte. Retransmises en direct par les télévisions du monde entier, les parties déchaînent les passions de part et d’autre. La victoire en finale de l’équipe américaine en 1952 contre celle soviétique dope le bloc occidental mis à mal en Corée. Mouvement olympique : Selon la Charte Olympique, établie par Pierre de Coubertin, le Mouvement olympique a pour but de contribuer à bâtir un monde pacifique et meilleur en éduquant la jeunesse par le moyen du sport pratiqué sans discrimination d’aucune sorte et dans l’esprit olympique qui exige la compréhension mutuelle, l’esprit d’amitié, la solidarité et le fair-play. Jesse Owen (1914-1980) : La quadruple victoire de cet athlète noir d’exception aux 100, 200, quatre fois 100 mètres et saut en hauteur lors des jeux

olympiques de Berlin en 1936 est le plus flagrant démenti aux thèses raciales et racistes exaltées par le régime nazi. Dans la tribune officielle, Hitler ne cache pas sa colère et quitte le stade pour ne pas avoir à remettre ses médailles d’or au sprinter américain. Président du CIO : Le président du CIO est élu par les membres du CIO au scrutin secret pour une période initiale de huit ans, renouvelable une seule fois pour quatre ans. Le président préside toutes les activités du CIO et le représente de manière permanente. Hormis Avery Brundage, Américain en charge de la présidence de 1952 à 1972, tous les autres présidents sont issus des pays européens. Leni Riefenstahl (1902-2003) : Deux ans après avoir réalisé un film de commande sur le congrès du parti nazi à Nuremberg, Le Triomphe de la volonté, la cinéaste couvre les jeux de Berlin de 1936. Dans son film, Les Dieux du stade, elle utilise une technique révolutionnaire qui, depuis soixante-dix ans, n’est pas remise en cause : caméra montée sur un traîneau roulant sur des rails pour suivre les courses des athlètes, caméra enterrée dans la fosse de saut à la perche et de saut en hauteur pour filmer l’envol des sportifs, caméra immergée dans les piscines pour filmer le corps des plongeurs entrant dans l’eau. En dépit de sa dimension raciale si ce n’est raciste évidente, le long-métrage de Leni Riefenstahl est un film fondateur du lien entre le sport, la propagande et le cinéma. Télévision : Les retransmissions télévisées diffusées à travers le monde entier assurent l’universalité des JO et du sport, en particulier le football. Sources essentielles de revenus pour le CIO, les droits télévisés achetés à prix d’or par les plus grands réseaux internationaux contribuent à l’équilibre économique des jeux, objectif ouvertement proclamé par les villes organisatrices depuis les jeux de Los Angeles en 1984.

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Pistes bibliographiques Outre les histoires culturelles qui consacrent une part importante au sport moderne, le site web du CIO est une source précieuse d’indications sur le mouvement olympique.

Sport et politique, les jeux olympiques

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FICHE 47

Culture américaine, culture mondiale

S

ans les guerres mondiales, les États-Unis auraient été de toutes les façons un « modèle » de référence pour les pays suiveurs. Dès 1880/90, leur économie fondée sur le triptyque « grands espaces + immigration + nouveaux procédés de production », les propulsait à la première place. Le siège d’une certaine « modernité » avait basculé de Londres, de Paris, de Berlin…, vers New York et Chicago, à la fin du xixe siècle. La folie belliciste qui déchira et ensanglanta le « vieux » continent, entre 1914 et 1945, accélère une montée en puissance pressentie par quelques esprits éclairés, dont Alexis de Tocqueville (1805-1859), premier sociologue de l’époque contemporaine, à avoir perçu les fondements et les conséquences de La Démocratie en Amérique (1835/40).

Un « soft power », aux effets planétaires De nombreux essayistes, dont Raymond Aron, auteur de la République impériale. Les ÉtatsUnis dans le monde (1945-1972), Régis Debray, in Les Empires contre l’Europe, ont noté combien le « modèle » américain avait transformé en profondeur les sociétés et les cultures des pays suiveurs. La matrice en est une langue à vocation universelle ; une langue véhiculant un imaginaire de liberté, symbolisée par la statue du même nom, éclairant, depuis 1886, le monde de son flambeau ; une langue porteuse de concepts élaborés dans les Think-Tanks de la côte Est et Ouest : la plupart des notions que nous utilisons, du containment à l’enlargement, de la « fin de l’histoire » au « choc de civilisation » et au mainstream, signifiant grand public, dominant, populaire, sont made in USA. Et comme le souligne, P. Hassner, « un concept n’est jamais innocent » car, il induit et conditionne une certaine vision du monde. La dynamique du « modèle » tient à la conviction installée au plus profond des Américains, quant à leur « destinée manifeste ». 200

Culture américaine, culture mondiale

Utilisant tous les moyens, du « power politics » à « l’influence politics », les États-Unis ont exporté tout ou partie de leur organisation économique – un « modèle » managérial –, et même leurs institutions politiques : pensons aux agences fédérales créées pendant le New Deal et imitées, par la suite, en Europe, avec la CECA, Communauté économique du charbon et de l’acier, par exemple. L’Allemagne de l’après1949 est aussi très imprégnée du fédéralisme américain ; les « États-Unis d’Europe », souhaités par Jean Monnet (1888-1979), vibrent d’une référence identique. Cette influence « par en haut » n’aurait été si profonde sans le « désir » d’Amérique ressenti par des sociétés rêvant d’American Way of Life. Certains esprits chagrins peuvent s’élever contre la « coca-colonisation » du monde (R. Kuisel, Le Miroir américain), d’autres contre la « mal-bouffe » induite par les McDonald et autres Burger King, mais l’adoption du jean, des baskets… par les jeunes des cinq continents sonne comme un plébiscite conscient ou inconscient. Le cinéma produit dans la « fabrique de rêves », les studios d’Hollywood (→ fiche 52), suivi, à partir des années soixante par les séries télévisées « B », dont le fameux « Dallas », la musique – du jazz au rock-an-roll –, la littérature – des romans noirs (→ fiche 46) aux ouvrages de science-fiction – véhiculent une charge idéologique dont on a pu mesurer l’influence avec la chute du mur en Europe et l’effondrement des régimes communistes de type soviétique, incapables d’enfanter une culture aussi attractive.

Les nouvelles formes de domination Le rayonnement culturel américain ne se borne pas à la diffusion de l’Entertainment, symbolisé par l’implantation de parcs de loisirs de type Dysneyland, mais concerne aussi, depuis l’entrée dans l’ère numérique, les nouvelles

technologies de l’information et de la communication : la domination des moteurs de recherche conçus en Californie pour maîtriser ce nouveau labyrinthe que peut être internet, la constitution de banques de données – numérisation de la quasi-totalité des œuvres d’art financée par Bill Gates –, assurent aux États-Unis une confortable avance dont les conséquences ont été esquissées, en 1977, par S. Nora et A. Minc : « l’information est inséparable de son organisation, de son mode de stockage […]. Le savoir finira par se modeler, comme il l’a toujours fait, sur les stocks d’informations. » Dès lors, l’organisation scientifique du savoir qui a succédé à l’organisation scientifique du travail, a de beaux jours dans cette « île-monde », les États-Unis, siège de la multinationalisation, suivie de nos jours de la globalisation, jugée par les uns comme un

nouvel impérialisme, par les autres comme la solution à la pauvreté.

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Le paradoxe américain Alors que dans l’histoire occidentale, la culture est en général l’expression d’une volonté politique mise en œuvre par un pouvoir centralisé, le rayonnement culturel américain est moins l’expression d’un gouvernement que d’un faisceau d’opérateurs : les fondations privées mécènes de musées au rayonnement planétaire, les associations philanthropiques, les galeristes dans le champ artistique, les laboratoires et les universités dans le domaine de la recherche… sont les piliers de ce « système culturel » et cela, sans ministère de la culture, ni budget fédéral assigné à cette mission (F. Martel, De la culture en Amérique).

Les fondements de la culture américaine

Seattle

Madison Chicago

San Francisco Asie

Europe Cornell MIT Pennsylvania Yale John Hopkins Washington

Berkeley Stanford

Los Angeles Univ. Californie San Diego Amérique centrale, latine

L’Imaginaire dans la tête: le far west et sa “mythologie” Le rôle des deux guerres mondiales: le brain drain vers les États-Unis Le creuset de la culture américaine Les grandes villes de la côte Est La Californie et la “nouvelle culture” de l’après 1960

Boston Harvard

Columbia Princeton

«Vieux continent» artistes, scientifiques, universitaires,

Afrique Nouvelle-Orléans

Les ”fabriques de rêves” La Louisiane et le jazz Les studios d’Hollywood Les premières universités dans le classement de Shanghai

Le rayonnement planétaire

Culture américaine, culture mondiale

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« Le modèle dans les têtes » (J. Vaïsse) Au moment même où les États-Unis accèdent à la première place et deviennent un modèle, d’abord en matière économique, se développe une nouvelle invention caractéristique de l’époque contemporaine, le cinéma. Né en Europe, le « septième art » est d’emblée très marqué par les États-Unis qui lui donnent quelques-unes de ses principales caractéristiques : d’abord, les moyens énormes – des milliers de figurants, des décors grandioses reconstitués –, ensuite, une grammaire nouvelle – mobilité de la caméra grâce à des travellings, gros plans, montage parallèle…, dans le cadre de la définition de genres spécifiques – film « noir », film policier, western, film historique… David Wark Griffith (1875-1948) est à l’origine de nombre de ces ruptures dans Naissance d’une nation (1915) et Intolérance (1916). Cette spécificité est perçue par quelques spécialistes, dont Pierre Reverdy, qui écrit, prophétiquement, en 1918 : « Les Américains ont réalisé au ciné une perfection, dont les gens des autres nations qui s’occupent de cette industrie, de cet art, n’ont même pas l’air de soupçonner la possibilité, ni l’importance. » Aux lendemains de la Grande Guerre, les fabriques à images, installées à Los Angeles, attirent des metteurs en scène européens : Max Linder (1883-1925), Louis Gasnier (1882-1963), Maurice Tourneur (1878-1961), Murnau (18881931), Ernest Lubitsch (1892-1947) par exemple, y dirigent les stars américaines. Certains, comme Murnau, Lubitsch… parviennent à s’adapter au système d’Hollywood, tandis que d’autres, Pabst (1885-1967), Dupont…, échouent. Paradoxalement, les succursales des maisonsmères françaises ouvertes outre-Atlantique, avant 1914, servent surtout à inonder l’Europe de films américains. À Hollywood, dès les années Vingt, le cinéma est une industrie organisée selon des principes tayloriens et contrôlée par quelques maisons de production – Universal, Paramount, MGM, Artistes associés, Warner Bros ; chacune des grandes compagnies californiennes a une

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Culture américaine, culture mondiale

identité marquée : Universal brille dans le fantastique, Warner dans le réalisme social, MGM dans les valeurs familiales… Le Studio system prouve son efficacité par opposition au cinéma d’auteur dominant l’Europe. Et quand, sous la pression de régimes totalitaires, quelques grandes figures du cinéma allemand cherchent à fuir, ils n’hésitent pas longtemps pour continuer à tourner à Hollywood ; après une courte étape à Paris, Fritz Lang (1890-1976) débute en 1936 une deuxième phase de création américaine, jusqu’à son retour en Allemagne, en 1958. Dix jours après Pearl Harbor, Roosevelt confie à Lowell Mellet le soin de coordonner la production cinématographique. L’Office War Informations’Bureau of Motion Pictures réalise des documentaires à vertu pédagogique pour expliquer les mobiles poursuivis par les démocraties et pour dénoncer l’idéologie nazie, ses buts et ses méthodes. Chacun des films de propagande confiés à Frank Capra (1897-1991) était annoncé par la cloche, la Liberty Bell, qui avait sonné lors de l’indépendance en 1776. Plusieurs grands metteurs en scène européens qui ont fui le nazisme – Ernest Lubitsch, Jean Renoir, Fritz Lang… – combattent à travers leurs œuvres la tyrannie. Walt Disney, lui-même, est proclamé « ambassadeur de bonne volonté » : pour nourrir la sympathie des voisins latino-américains, ses dessins animés intègrent des figures populaires mexicaines et brésiliennes. Durant la guerre froide, la relation idéologique entre le cinéma et les valeurs constitutives des États-Unis se renforce ; le « programme de loyauté » lancé par Truman en mars 1947 incite à la chasse aux agents étrangers infiltrés depuis de nombreuses années. La Commission spéciale de la Chambre des Représentants pour l’investigation des activités non américaines, créée en 1938, est alors réactivée. John Rankin, puis John Parnell Thomas en font un redoutable instrument au service du conformisme et d’une présupposée « pureté » américaine. Le 30 octobre 1947, dix

professionnels du cinéma, les « Dix d’Hollywood », accusés d’offense au Congrès, sont condamnés à un an de prison et à 1 000 dollars d’amende pour avoir refusé de répondre aux questions de la Commission. Cette « épuration » du milieu cinématographique atteint son paroxysme en 1952, en pleine hystérie mccarthyste, quand Elia Kazan (1909-19) dénonce ses anciens camarades communistes devant la Commission des activités anti-américaines. Même si les noms de ces sympathisants étaient déjà connus avant le témoignage de Kazan, il n’en demeure pas moins que l’affaire de la « liste noire » d’Hollywood illustre la position du cinéma américain, conditionné par deux impératifs : à celui de rentabilité, fait écho celui d’acceptabilité. Ainsi, le 31 mars 1930, William Hays (1879-1954), président de la MPPDA, Motion Pictures Producers and Distributors of America, fait adopter un code de censure très strict qui pèsera sur la production hollywoodienne jusqu’à la décennie 1960 : interdiction est faite de faire l’apologie à l’écran des « actes cruels

et inhumains », des « perversions sexuelles », du « mensonge », de l’« euthanasie » et de la « miscégénation », c’est-à-dire des relations entre acteurs de couleurs différentes.

FICHE  47

Dans la lignée de ces normes, un demi-siècle après, le « cinématographiquement correct » aboutit à la prohibition du tabac à l’écran, à l’instauration de quotas concernant les acteurs noirs, latinos, qui ne doivent pas être cantonnés dans le rôle des « méchants »… Cette auto-régulation, qui trouve son origine dans la volonté d’être en phase avec la société, est aussi l’expression du désir de conquérir le public le plus large possible. Car les productions dont les coûts augmentent de façon abyssale doivent être rentabilisées par le maximum d’entrées et par la vente de produits dits « dérivés » – jeux, musique… C’est ainsi que le cinéma américain s’inscrit dans une logique d’entertainment, de divertissement, ce qui n’exclut pas, bien au contraire, des chefs-d’œuvre.

Culture américaine, culture mondiale

203

Les grandes phases du siècle Tableau à la veille de la Grande Guerre Pays

Allemagne

AutricheHongrie France Italie Royaume-Uni

Russie

États-Unis

Type de régime • Empire parlementaire. Guillaume II, empereur depuis 1890

Suffrage univer. Majorité en 1914 masculin • Depuis 1871 • Grand bloc de la gauche, mais absence de majorité gouvernementale

• Depuis 1906 • Empire François-Joseph, empereur depuis 1848 • Depuis 1848 • République parlementaire • Depuis 1912 • Monarchie parlementaire • Depuis 1886 • Monarchie parlementaire • Suffrage • Empire censitaire autocrate, Nicolas II, empereur depuis 1894 • Exclusion des Noirs du S.U • République

Problème dominant • Complexe d’encerclement. Ambitions révisionnistes en Europe et en Afrique centrales

• Question des minorités slaves. Du dualisme au trialisme ? • Gauche radicale

• Culte des provinces perdues

• Coalition « giolitienne »

• Crispation autour des terres irrédentes

• Parti libéral et travailliste

• Question irlandaise

• L’assassinat de Stolypine en 1911 met un terme à une évolution de type bismarckien, mêlant réformes et autoritarisme

• Question ouvrière, tensions rurales du fait de la croissance démographique

• Démocrates, depuis 1912 : • Régulation des trusts. Wilson se fait élire autour Mise en place d’instruments du thème de la New de rayonnement international Freedom

L’épreuve de la Grande Guerre (1914-1918) Pays

Duplice

Entente

• Pressions inflationnistes, après 1917 • Naissance d’une économie mixte, associant patronat et pouvoirs publics

Russie

États-Unis

204

Troubles économiques • Tensions inflationnistes violentes du fait du blocus économique • Mobilisation de toutes les énergies dans la guerre totale

Élections

• Suspension des élections

Majorité • Union sacrée, jusqu’en 1917. Rupture du fait des partis socialistes. • Multiplication des grèves au cours de l’« année terrible », 1916/1917

Évolution du pouvoir • Militarisation et étatisation de l’économie et de la société autour des généraux Hindenburg, Ludendorff et Groener • Recours à l’homme providentiel, Clemenceau en France, Lloyd George en Angleterre

• Incapacité à organiser une économie de guerre • Pénuries dans les grandes villes, grèves et misère

• Radicalisation des oppositions sociales et politiques en 1916 • Révolutions, désordres et vide politique en 1917, dont profitent les bolcheviques

• Contestation du tsar à la suite des grandes défaites de 1915

• Interruption des relations commerciales, avec l’Entente, en 1916 • Prêts à l’Entente

• Jeu normal des institutions

• Big Governement autour de W. Wilson qui esquisse les contours de la paix dans les 14 points

Les grandes phases du siècle

• Démocrates reconduits en 1916. • Premier déplacement d’un président en exercice en Europe

De l’après-guerre à l’avant-guerre (1918-1939) Zone Enjeux économiques géographique Europe occ. • Retour progressif à la normale en matière monétaire, avec une forte instabilité inflationniste en 1923 (All.), 1924 (F.) • Maintien d’un niveau élevé de chômage, avant même la dépression des années 1930 • Restrictions commerciales

Système politique

Diplomatie

• Crise de la démocratie, recours à l’homme providentiel (Schacht en All., Poincaré en France, Churchill au R.-U.) pour restaurer de façon nostalgique les parités monétaires de l’avant 1914 • Formation des partis communistes au début des années 1920 • Les partis fascistes et nazis profitent de la crise sociale et idéologique en Italie (1922), en Allemagne (1933). • Tentation autoritaire en Europe • Recul de la démocratie

• Après cinq années, la SDN s’ouvre aux pays vaincus, dont l’All. admise en 1926 • Renégociation des conditions économiques imposées à l’All. (Plans Dawes et Young de 1924 et 1929)

• Totalitarisme, incomplet en Italie, achevé en Allemagne après 1937/38 • Préparation du génocide antisémite dès 1941 dans la partie orientale de l’Europe conquise par les armées du IIIe Reich • Naissance de la « deuxième » république avec la présidence de F. D. Roosevelt : Big Government, multiplication des agences fédérales, budget contracyclique en 1938

• Volonté révisionniste dirigée contre le traité de Versailles et ce, quel qu’en soit le coût diplomatique • Préparation d’une guerre-éclair

Italie fasciste, Allem. nazie

• Nés de la crise économique, les régimes fascistes et nazis entendent la juguler par un capitalisme organisé, étatisé et militarisé

États-Unis

• Refus d’assumer la charge du leadership planétaire, au moins jusqu’en 1937/1941 • Isolationnisme douanier

« Périphérie » coloniale

• Crise importée de l’Europe, du fait de la guerre • Déflation du prix des matières premières après 1919

• Maintien du système colonial hérité du xixe siècle, en contradiction avec l’égalité devant la mort imposée aux combattants pendant la guerre européenne

• Dépendance diplomatique vis-à-vis de l’Europe

Russie soviétique

• Phases pragmatiques, dites de « communisme de guerre », de NEP, attestant du désordre général • La planification à partir de 1928 cache mal la désorganisation et l’anarchie productiviste

• Dictature bolchevique après les élections de décembre 1917. Mais maintien des tendances au sein du parti bolchevique jusqu’à la fin des années 1920 • Stalinisation du parti et brutalisation de la société dans le courant des années 1930 • Dictature d’un seul homme après les « nuits des longs couteaux » à répétition, les grands procès de Moscou

• 1922, signature du traité de Rapallo avec l’Allemagne • 1934, entrée à la SDN • 1935, signature du pacte franco-soviétique • 1939, signature du pacte de non-agression avec le Reich hitlérien

• Refus de participer à la SDN • Quotas migratoires de 1921 et 1924 Volonté de voir le R.-U., la France rembourser leurs dettes de guerre

Les grandes phases du siècle

205

De la Seconde Guerre mondiale aux temps glorieux (1939-milieu des années 1960) Zone géographique Enjeux économiques internes

206

Système économique externe

Système politique

Diplomatie

Europe occ.

• Le keynésianisme fait du plein-emploi la priorité et de l’inflation une variable résiduelle • « Miracles » économiques français, allemand, italien…

• Libération du commerce dans le cadre du GATT.

• Généralisation du suffrage universel aux femmes

• Protection et assistance américaine. Débuts de la construction européenne après 1950

États-Unis

• La forte multinationalisation de l’appareil de production généralise le système de production à l’américaine dans les pays suiveurs

• SMI fondé sur le dollar. • Accords de crédits atténuant les effets déflationnistes potentiels.

• Acceptation de la charge du leadership dans le cadre d’accords zonaux de sécurité. Interventions militaires sur la ligne de front du containment en Asie

Eur. orient.

• Satellisation par l’URSS dans le cadre du CAEM • Conseil d’assistance économique mutuelle

URSS

• Planification de moins en moins autoritaire • Impossibles réformes en 1956, 1965

• Rôle clef de la télévision à partir de la campagne électorale de 1960 • Lutte contre la discrimination raciale mais maintien des inégalités entre les Noirs et les Blancs • Stalinisation de l’appareil politique • Grands procès à la fin des années 1940 • « Deuxième mort » de Staline en 1956 • Répressions dans les « démocraties populaires » en 1953, 1956, 1968 et 1970.

Asie

• Satellisation soit sur Moscou, soit sur Washington • Rupture entre le national-communisme maoïste et l’URSS en 1960

• Décolonisation dès 1947 et triomphe des régimes autoritaires

Afrique

• Dépendance, sous- ou mal-développement, y • Décolonisation compris pour les pays exportateurs de matières à partir de la premières décennie 1960

• Terrain d’affrontement entre les deux blocs : guerre de Corée (1950/53), du Vietnam (1963/1975) • Terrain d’affrontement entre les deux blocs dans le courant de la décennie soixante-dix

Amér. latine

• Problème de l’inégale répartition des terres

Les grandes phases du siècle

• Division socialiste du travail • Commerce avec l’Ouest

• Dépendance vis-à-vis des É.-U.

• « Démocratures », coups d’États, populisme

• Alignement sur Moscou

• Diplomatie de guerre froide : « dissuasion, persuasion, subversion » (R. Aron)

• Exclusion de Cuba de l’OEA et première crise de l’âge atomique en 1962

Vers un nouveau monde Zone Évolutions économiques géographique Europe • Affirmation du « modèle » allemand • Dérégulation et déréglementation dans le cadre de l’Union européenne • Priorité à la lutte contre l’inflation • Poursuite de l’intégration européenne avec les élargissements de 1973, 1985, 199, 2004/2006 • Dérégulation, États-Unis déréglementation, mondialisation autour de la nouvelle économie informationnelle Amérique • Généralisation des accords de libre-échange, mondialisation de l’économie Moyen-Orient • Augmentation des recettes d’exportation pétrolière en 1973, 1979/80 et 1999/2000

Asie

Afrique

• Intégration accélérée de l’économie asiatique, émergence de nouvelles puissances industrielles et commerciales, inspirées du « modèle » japonais, interrompue par la crise de 1998 • Enclavement et sousdéveloppement de l’Afrique sub-saharienne • Fin de l’apartheid en Afrique du Sud

Système politique

Diplomatie

• Alternance régulière dans les démocraties autour de la question du chômage • Implosion des régimes socialistes entre 1989 et 1991 et généralisation de la démocratie

• Extension du système diplomatico-militaire à l’Est : adhésion à l’OTAN de la Pologne, de la Hongrie, de la République tchèque • Guerres dans les exfédérations soviétique et yougoslave

• Montée en puissance de l’abstention et hyper violence dans la société

• « Hégémonie déstabilisatrice » (A. Joxe) des É.-U.

• Démocratisation des régimes latinoaméricains

• Maintien de l’embargo autour du « cancer » cubain

• Insécurité régionale avec les affrontements entre Israël, la Syrie et le Liban, entre l’Iran et l’Irak de 1979 à 1988

• La guerre du Golfe en 1991 est le premier conflit post-guerre froide, dirigé contre l’Irak, ayant enfreint l’ordre international et désireux de se doter d’un armement non conventionnel • Permanence de la guerre froide en Corée • Hostilité durable entre Inde et Pakistan, entre la Chine et ses voisins • Surarmement conventionnel et nucléaire • Incapacité de l’OUA, de l’ONU… à résoudre les conflits internes et externes

• Démocratisation des régimes. • Le régime national-communiste chinois emprunte des éléments du système économique capitaliste

• Instabilité persistante : guerres civiles en Algérie, Soudan, Liberia, Zaïre…

Les grandes phases du siècle

207

Index Les noms de personnes sont en petites capitales, les noms géographiques en italiques et les notions en romain.

A Abd el-Krim 56 Accord Sykes 52, 54 Acheson, Dean 96 Adda, Jacques 158, 159 Adenauer, Konrad 144 Adoua 14, 16 Afghanistan 90, 138, 196 Aflak, Michel 55 Afrique 14, 15, 18, 56, 58, 118, 120, 121, 146, 156, 184, 185, 187 – australe 14, 120, 137, 184 AIEA 134, 137 Akhmatova, Anna 97 Albanie 25, 60, 104 ALENA 156, 188 Algérie 60, 118, 120, 121, 148, 164, 180, 207 Allemagne 10 sqq., 14, 18 sqq., 26 sqq., 28 sqq., 32 sqq., 36 sqq., 40 sqq., 46 sqq, 68 sqq., 72 sqq., 76, 90 sqq., 94 sqq., 98 sqq., 142 sqq., 168, 172 sqq., 202 Alperowitz, Gar 92 Amérique : voir États-Unis Amérique centrale 56 Amérique latine 56, 90, 110, 118, 126, 134, 146, 149, 188, 190, 191 Anderson, Benedict 183 Angola 134, 138, 160 Anschluss 42, 43 Antarctique 114, 134 Anticolonialisme 56, 57, 120 Apartheid 184, 196, 207 APEC 176, 179, 188

Arabe 52, 54, 55, 60, 130, 133, 134, 138, 146, 164, 180 Arabie Saoudite 54, 55, 130, 164 Arafat, Yasser 130 Argentine 137, 191 Armistice 32, 35, 38 Aron, Raymond 10, 93, 120, 200 Artaud, Denise 97, 101 ASEAN 156, 179 Asie 118, ssq., 134 sqq., 146 sqq., 156 sqq., 176 sqq. – côtière 56 – du Sud 56, 134, 149, 176, 178 Asselain, Jean-Charles 13, 67, 141, 158 Atlantique, charte 43 Atome 78, 79, 90, 96, 112, 134 ATT 170 Auschwitz 84, 85, 86, 87 Autarcie 65 Autriche-Hongrie 10, 12, 18, 22, 27, 35, 50, 204 Avenol, Joseph 40, 42, 43 Azéma, Jean-Pierre 75, 83

B Badie, Bernard 159 Balfour, Arthur 39, 52, 54, 132 Balkanisation 6, 24, 182 Balkans 6, 22, 23, 25, 181 Ballin 18 Bandung 118, 120, 126, 148 Banques 13, 16

Banques centrales 13, 46, 47 Barbier, Frédéric 171 Bariéty, Jacques 70 Barthou, Louis 71 Bataille voir au nom du lieu de combat 83 Bavière 38 Bayart, Jean-François 187 Beaufre, André 21, 112 Becker, Jean-Jacques 35 Bédarida, François 75, 83 Begin, Menahem 132 Belgique 42, 46, 65, 186 Belle Époque 26 Ben Gourion, David 132, 133 Béria, Lavrenti P. 96 Berlin 13, 14, 17, 18, 25, 26, 27, 38, 43, 54, 62, 94, 102, 138, 150, 172, 196, 199, 200 Berthelot, Philippe 68 Bethmann-Hollweg, Theobald von 29 Bibó, Istvan 105 BIRD 156 Birmanie 76, 176 Bismarck, Otto von 18 Blériot, Louis 13 Blindés 74, 130 Blitzkrieg 72, 74 Blum, Léon 64 Boers 14 Bolchevique 32, 48, 49, 50, 51, 97 Bolchevisme 26, 44, 48 Bombe atomique 77, 78, 96, 97 Bonn, Julius 56 Bosnie-Herzégovine 19, 22, 164, 180, 181, 182, 192 Bossuat, Gérard 99 Index

209

Bourgeois, Léon 40 Bourse de valeurs 64, 65, 66, 67 Boustani, Rafic 55 Boutros-Ghali, Boutros 160 Bouvier, Jean 46 Braillard, Philippe 148 Brandt, Willy 126 Braudel, Fernand 158 Brazzaville 120 Brejnev, Leonid 105, 138, 139, 141, 150, 178 Brésil 47, 137, 197 Brest-Litovsk 35, 51 Bretton Woods 94, 126 Briand, Aristide 28, 47, 68, 70, 144 Briand-Kellogg, pacte 42 Brüning, Heinrich 64 Bruxelles 110 Bryce, Lord 20 Budapest 102, 114, 138, 151 Bulgarie 22, 24, 25, 35, 42, 104 Bullitt, William 38 Burrin, Philippe 87 Burundi 163, 186, 187 Byrnes, James 96

C Cachemire 178 CAEM 102, 206 Cambodge 122, 148, 160, 196 Camps de concentration 86 Camps d’extermination 84, 86, 87 Cannes, conférence de 70 Cao Bang 122, 125 Caraïbes 13, 56, 114, 190, 191 Cartel des Gauches 44 Cartier, Raymond 120 Casques bleus 160, 161, 162 Castellan, Georges 23 Castro, Fidel 110, 116, 117, 190 Ceaucescu, Nicolae 152 CECA 110, 144, 200 CED 143 CEE 110, 126, 129, 144, 172

210

Index

CEEA 142, 144 CEI 150, 151, 174 Césaire, Aimé 120 Chaliand, Gérard 21, 74 Chamberlain, Joseph 13 Chemin de fer 13, 152 Chéradame, André 20 Chili 188 Chine 17, 42 sq., 56 sqq., 76 sqq., 106 sqq., 137, 176 sqq. Chirac, Jacques 175 Choc pétrolier 146 Chostakovitch, Dimitri 97 Chungking 108 Churchill, Winston S. 21, 36, 63, 80, 92, 94, 96, 98, 102, 144, 205 CIA 191 CIO 197, 198, 199 Cisjordanie 130 Clayton Act 13 Clemenceau, Georges 38, 39, 204 Clémentis 104 CNUCED 148 Coexistence pacifique 90, 104, 122, 148 Cohen Tanugi, Laurent 175 Collet, André 125 Colliard, Claude-Albert 163 Colonisation 6, 7, 14, 98, 132, 133, 184, 187, 200 COMECON 138, 156 Comité Zangger 137 Commerce 12, 13, 18, 62, 64, 65, 148, 156, 158, 159, 184, 206 Commision Peel 55 Commonwealth 56, 64 Communisme de guerre 48, 90, 205 Concert européen 10, 68 Conférence voir au lieu de réunion Conférence d’Ottawa 56, 64 Conférence, voir au lieu de réunion Congo 14, 160 Constantinople 13, 17, 22, 24

Construction européenne 110, 142, 143, 144, 145, 206 Containment 44, 60, 94, 96, 122, 126, 194, 200, 206 Corée 10, 17, 90, 94, 114, 160, 176, 178, 179, 197, 199, 206, 207 Corm, Georges 133 Corse 6, 121, 180 Coubertin, Pierre de 196, 198, 199 Coudenhove-Kalergi, Richard 144 Couffignal, Georges 191 Crète 24, 60 Crise de 1917 48 Crise – de1923 en Allemagne 44, 47 – de 1929 56, 64, 65, 67, 70, 76 – de 1938 63, 68 – de juillet 1914 19, 26, 27 – de la guerre froide 90 sqq., 94 sqq., 98 sqq., 114 sqq. – du dollar 126, 128, 129, 194 Croissance 10 sqq., 64 sqq., 98 sqq., 126 sqq., 142 sqq., 156 sqq. CSCE 174 Cuba 13, 16, 90, 110, 114, 115, 116, 117, 136, 188, 190, 191, 206 Culturalisme 52

D Dalloz, Jacques 125 Damas 54 D’Annunzio, Gabriele 60 Dardanelles 32, 34 Débarquement 34 Debray, Rgéis 200 Décolonisation 36, 52, 56, 118, 119, 120, 121, 176, 188, 197 Déflation 64, 65, 66 De Gasperi, Alcide 144 De Klerk, Frederik 184

Delcassé, Théophile 18, 20 Delmas, Claude 117 Delors, Jacques 93, 144, 175, 182 Demangeon, Albert 20 Dénikine, général 48 Dénucléarisation 134, 135, 148 Dépression 64, 65, 66, 67, 90, 156, 179, 205 Déréglementation 148, 156, 168, 170, 180, 194, 207 Désarmement 40, 42, 47, 114 Déstalinisation 140, 192 Détroits 26, 29, 60 Dévaluation 64, 65, 66, 76, 187 Diaz, Porfirio 190 Dien Bien Phu 120, 122, 125 Diplomatie du dollar 94, 188, 190 Dissuasion 93, 112, 114, 116, 126, 181, 206 Djalili, Mohammad-Reza 148 Doctrine Brejnev 138 Dollar gap 64, 94 Domenach, jean-Luc 109, 179 Dominion 14 Drogue 109

E Écologie 163 Économie 10 sqq., 64 sqq., 98 sqq., 126 sqq., 142 sqq., 156 sqq. – de guerre 32 sqq., 72 Égypte 24, 52, 54, 55, 130, 148, 180, 196 Einstein, Alfred 78 Eisenhower, général 78, 112 Élargissement européen 142, 152, 172, 173, 207 El Sadate, Anouar 52 Empire(s) 14 Empire ottoman 6, 16, 17, 18, 22, 24, 25, 35, 52, 54, 60 Empires coloniaux 6, 14, 56 Enlargement 194

Enver, Pacha 22, 24 Esambert, Daniel 156 Espagne 60, 62, 142, 180, 196, 197 Estienne, général 74 États-Unis 10 sqq., 17, 32, 36 sqq., 40 sqq., 76 sqq., 90 sqq., 94 sqq., 98 sqq., 110 sqq., 114 sqq., 122 sqq., 126 sqq., 130 sqq., 160 sqq., 187, 188 sqq., 192 sqq., 202-205 Éthiopie 14, 16, 43, 60 Europe 57, 73, 80 sqq., 90 sqq., 94 sqq., 98 sqq., 110, 142 sqq., 156 sqq., 172 sqq., 176, 182 sq. – balkanique, voir Balkans 164 – centrale 36, 65, 68, 71, 105, 132, 172, 181 – danubienne 10, 18 – orientale 102 sqq. – Fédération 42, 142 sqq. Évian 120, 121

F Fanon, Frantz 120, 148 Fargues, Philippe 55 Fédération européenne 42 Feis, Herbert 92 Ferrero, Guglielmo 60 Ferro, Marc 59 Firmes multinationales 129, 156 Fischer, Fritz 20, 29 Flichy, Patrick 171 Foch, général 32 Fondamentalisme 146 Fontaine, André 101 Ford, Henry 13 Forman, Milos 104 Formose 10, 107, 178 Forrestal, James 96 Fox, William M. 20 France 10 sqq., 21, 26 sq., 28 sq., 36 sqq., 40 sqq., 52 sqq., 56 sqq., 72 sqq., 90 sqq., 94 sqq., 98 sq.,

137, 142 sqq., 172 sqq., 180 sqq., 186 sqq. Francfort 36 Franco, général 62, 63 François-Ferdinand 24, 26, 27, 29 Frank, Robert 71 Frères musulmans 52, 54, 55 Frontières 36 sqq., 52 sqq., 56 sqq., 178 sqq. Fuller, Charles 74 Fulton 94, 96 Furet, François 36, 39 Fusées 90, 114, 116, 130, 188

G Gaddis, John L. 92 Gallipoli 32 Gallois, Pierre 21 Gandhi 56, 58 Gardner, Lloyd C. 92 Gates, Bill 168 GATT 66, 129, 156, 206 Gaulle, Charles de 74, 80, 82, 120, 121, 126, 128, 129, 168, 180 Gaza 130 Gdansk 102, 153 Gellner, Ernest 182 Gênes 60, 64, 71 Genet, Jean 97 Genève 40, 42, 43, 70, 120, 122, 130 Génocide 24, 84, 85, 86, 87, 133, 186, 205 Géopolitique 18, 20 Gerbet, Pierre 145 Gestapo 86, 87 Ghebali, Victor-Yves 183 Ghetto 84, 86, 87 Giap Vo Nguyen, général 122, 124 Girardet, Raoul 120 Girault, René 17, 71 Glières 80, 83 Globalisation, voir Mondialisation 168, 194, 201 Godement, François 109, 179 Goebbels, Joseph 72

Index

211

Goering, Hermann 62, 72, 87 Gomulka, Wladyslaw 104 Gonzalez, Felipe 144 Gorbatchev, Mikhail 105, 134, 140, 150, 152, 192 Gottwald, Klement 102 Grande Guerre, voir Première Guerre mondiale Grèce 22, 24, 42, 80, 82, 96, 100, 172, 197 Gretchko, maréchal 112 Griffith, David Wark 202 Groener, général 32, 204 Grosser, Pierre 92 Groves, général 78 Guadalcanal 76 Guam 13 Guatemala 188 Guderian, général 72, 74 Guérilla 58, 82, 121, 122, 126, 186 Guernica 62 Guerre – civile 6, 58, 62, 63, 94, 96, 106, 107, 164 – d’anéantissement 72, 77 – de Corée 90, 114 – des Boers 13, 14, 16, 17, 160, 206 – des Malouines 191 – des ondes 168 – d'Indochine 118, 122, 123 – du Golfe 6, 130, 162, 192, 207 – du Vietnam 122, 125 – en Chine 56, 58, 106, 107, 108, 109, 124 – en Espagne 43, 60, 62, 63, 181 – en Russie 48 – en Yougoslavie 29, 181, 182, 183 – froide 70, 90, 92, 93, 94, 96, 97, 101, 148, 176, 178, 181, 182, 190, 192, 194, 196, 199, 202, 206, 207 – Historiographie de la 92 – irako-iranienne 130 – israélo-palestinienne 130 – révolutionnaire 106, 124 – russo-japonaise 17 – totale 19, 32, 77, 94, 204

212

Index

Guevara, Ernesto 190 Guillain, Robert 79 Guillaume II 17, 18, 20, 22, 70, 204 Guomindang 56, 58, 106, 108 Gwinner von 29

H Habsbourg 26 Habyarimana, président 186 Hachette 168 Hahn, Otto 78 Harriman, Averell 96 Hassner, Pierre 93, 137, 163, 195, 200 Haushofer, Karl 20 Hays, William 203 Hegel 10 Heisenberg, Werner 78 Helsinki 90, 182 Hémisphère occidental 110, 191, 194 Hérodote 20 Herriot, Édouard 70 Herz, Martin 92 Heydrich 87 Hibakusha 78 Hilberg, Raul 86 Hindenburg, général 204 Hiro Hito 77 Hiroshima 77, 78, 79, 90, 92, 134, 136 Historicisme 52 Hitler, Adolf 47, 64, 68, 72, 73, 74, 80, 84, 138, 146, 168, 199 Hobsbawm, Eric 195 Hobson, John Atkinson 13, 16 Ho Chin Minh 125 Hohenzollern 26 Hollywood 200, 202, 203 Hong Kong 107 Hongrie 18, 38, 102, 104, 138, 140, 150, 207 Hoover, Herbert 42, 64, 65 Houphouët Boigny, Félix 121 Hugo, Victor 144 Humanitaire 146, 160, 162, 163, 186, 187 Huntington, Samuel 182

Husak 104 Hussein, Saddam 54, 146

I Ibn Saoud 54 Idéocratie 44, 90, 150, 192 Illyrisme 24 Impérialisme 14, 16, 50, 56, 58 Inde 7, 58, 60, 134, 136, 137, 148, 160, 176, 178, 207 Indes néerlandaises 59, 76 Indicateurs économiques 10, 12 Indochine 76 Indonésie 59, 118, 149, 176, 179 Inflation 44, 46, 47, 98, 100, 126, 204, 205, 206, 207 Informatique 156, 171 Ingérence 162, 163 Intégrisme 166, 168 Interactivité 170 Internationale ouvrière 48 Internet 79, 168, 171 Intifada 130, 133 IPC 54 Irak 52, 54, 130, 163, 196, 207 Iran 54, 96, 130, 137, 146, 207 Irrédentisme 204 Isaac, Jules 28 Islam 164, 166, 167 Israël 6, 55, 130, 132, 133, 134, 137, 167, 207 Italie 10 sqq., 14, 33 sqq., 30, 60, 80, 168 sqq., 176 sqq.

J Jankélévitch, Vladimir 84 Japon 10 sqq., 19, 42 sqq., 56 sqq., 76 sqq., 108, 142, 176 sqq., 192 Jazz 200 Jdanov, Andreï 94, 97 Jean-Paul II 150, 164

Jérusalem 35, 54, 55, 130, 133 Jeux olympiques 90, 196, 198, 199 Jiang Jieshi 56, 58, 106, 107, 108 Joffre, général 34 Johnson, Chalmers A. 109 Johnson, Lyndon 122, 129 Joxe, Alain 182, 192 Joxe, Louis 120 Joyaux, François 125

K Kadar, Janos 141 Kadhafi, colonel 126, 146 Kaelble, Hartmut 151 Kant, Emmanuel 40 Karadzic, Radovan 182 Kayibanda, Grégoire 186 Keitel, général 82 Kelly, Robert 94 Kemal, Mustafa 24, 42, 52, 54, 59, 60 Kennan, George 60, 92, 94, 96 Kennedy, John F. 116, 129 Kennedy, Paul 126, 129 Kepel, Gilles 167 Kershaw, Ian 72 Keynes, John Maynard 64, 66, 172 Khatchatourian, Aram Ilitch 97 Khrouchtchev, Nikita 96, 105, 114, 116, 117, 138, 140, 141, 152 Kienthal 50 Kirdorff 18 Kissinger, Henry 113, 125, 129, 191 Kjellén, Rudolf 20 Kleist, général von 72 Kohl, Helmut 144 Koltchak, amiral 48 Kominform 94, 98, 102 Komintern 43, 62, 63, 108, 138 Kondratieff, Nikolai 26 Kosovo 192 Kouriles 178

Koweït 54 Krach 64, 65, 66, 67 Kuisel, Richard 200 Kundera, Milan 102, 104, 105 Kurdes 52, 54, 163

L Labbé, Marie-Hélène 113, 136, 137 Lacoste, Yves 21 La Gorce, Paul-Marie de 113 Laloy, Jean 93 Lang, Fritz 202 Lang Son 122, 125 Laqueur, Walter 84 Laval, Pierre 64, 68, 71 Lawrence d'Arabie 35, 52, 54 Lazitch, Branko 141 Le Caire 14, 118 Le Cap 14 Leffler, Melwyn 92 Lénine 16, 48, 50, 150, 168 Leningrad 72, 141 Lester, Sean 43 Levant 22, 54 Lévesque, Jacques 97, 101, 125 Levinas, Emmanuel 84 Levi, Primo 87 Lewis, Bernard 166 Liban 54, 166, 175, 196, 207 Libération 80, 82, 83 Liberia 184, 207 Liberman 140, 141 Libre-échange 7, 13, 156, 194, 207 Libye 14, 17, 184 Liddell Hart, Basil 74, 75 Lin Piao 124 Lipmann, Walter 93 Litvinov 42 Liu Shaoqi 124 Lloyd George, David 38, 39, 204 Locarno 28, 42, 68, 70, 71 Londres 80 – conférence de 64 sq. Longue Marche 58, 106 Lubitsch, Ernst 202

Ludendorff, général 34, 70, 72, 204

M Maastricht 142 Macau 107 Madagascar 16, 118 Maddison, Angus 128 Maghreb 121, 180 Mahan, Alfred T., amiral 20, 188, 191 Malaisie 176, 178-179 Malenkov, Gheorgi 97 Malia, Martin 51, 141 Malraux, André 62 Management 13 Mandchourie 13, 17, 42, 56, 76, 106, 108 Mandela, Nelson 184 Manhattan Project 78 Mankekar, D. R. 171 Manor, Yves 133 Mao Zedong 58, 76, 106, 109, 124 Maoïsme 58, 108-109 Maquis 80, 82-83 Marché commun 142 Marczewski, Jean 12, 46 Marine 13, 20-21, 32, 35, 56, 70, 96, 116-117, 188, 191 Maritain, Jacques 80 Marjolin, Robert 100 Maroc 6, 14, 17-18, 26, 62, 120-121, 184 Marshall, George 94, 96, 98, 100, 107 Marshall, plan 95, 101, 102, 110 Martel, Frédéric 201 Mattelart, Armand 171 McArthur, général 76 McDonald 64, 200 McKinder, Harald 20 McLuhan, Marshall 171 McNamara, Robert 112, 113 Médias 168, 170-171, 183 Méditerranée 3-4, 7, 14, 18, 24, 44, 56, 60-61, 63, 94, 121, 164, 172, 180-181, 183, 191 Mégalopole 188, 189 Index

213

Mélandri, Pierre 92, 195 Menzel, Jiri 104 Mexique 56, 62, 78, 156, 188, 197 Michel, Bernard 105, 141 Midway 76 Milice 83, 153, 186 Milosevic, Slobodan 182 Minc, Alain 201 Mittelafrika 18, 29 Mitteleuropa 18, 29, 68 Mobutu, général 187 Mollet, Guy 144 Molotov 97 Moltke von, général 21, 34 Mondialisation 4, 7, 14, 18, 80, 155-156, 158-159, 161, 182, 188, 194, 207 Monnet, Jean 98, 142, 144, 145, 200 Monroe 110, 190-191 Monténégro 25 Montreux, convention de 60 Morgenthau, Hans J. 92 Moscou 24, 38, 43, 48, 68, 71-72, 78, 90, 92, 94, 96-98, 101-102, 104-105, 109, 114, 134, 138, 140-141, 146, 151152, 178, 196-197, 205-206 Mossoul 52, 54 Moulin, Jean 83 Moussa, Pierre 148 Moyen-Orient 3, 6, 14, 18, 52-53, 207 Mozambique 134, 138 Munich, conférence de 43, 102 Murdoch, Rupert 168 Mussolini, Benito 55, 60, 64

N Nagasaki 77-79, 90 Namibie 160 Nankin 77, 107-108 Nansen 40 Nasser, colonel 55, 118, 180 Nationalisme 24, 29, 54, 58-60, 70-71, 104, 109, 132133, 167, 176, 181-184 Nationalités 6, 18, 24, 26, 39, 132

214

Index

Nations unies 43, 79, 117-118, 130, 134, 142, 148, 160, 162-163, 186 Negrín, Juan 62, 63 Nehru, Jawaharlal 58, 118 Nicaragua 188, 190 Nietzsche, Frédéric 144 Nigeria 184 Nimitz, amiral 76 Nixon, Richard 96, 113, 129 NNPIA 146, 176, 179 NOEI 148 Non-alignés 118, 120, 148 Non-violence 56, 58 Nora, Simon 171 Nord 6-7, 17, 35, 46, 54, 62, 82-83, 96, 108, 110, 114, 118, 121-122, 125, 146, 148, 160, 164, 170, 178, 180-181, 184, 188, 190 Noriega, général 188 NPIA 146, 176, 179 Numérisation 171, 201

O OAS 121 Occident 56, 90 sqq., 94 sqq., 98 sqq., 126 sqq., 146 sqq., 180 OCDE 128, 149, 176, 179 OEA 110, 146, 188, 191, 206 OECE 98, 100, 110, 111, 144, 156 OLP 130, 152 OPAEP 6, 126 OPEP 126 Oradour-sur-Glane 83 Orient, question d’ 24 sqq., 52 sqq. OSCE 174 Ostpolitik 126 Ostpolitik 126 OTAN 110, 116, 152, 174, 178, 207 OTASE 110 OTASE 110, 111 Ottawa, conférence d’ 56, 64 OUA 13-14, 16, 52, 66, 97, 187, 205, 207 Owen, Jesse 196, 199

P Pacifique 76-77, 134 Pacte – anti-komintern 43, 62 – d’acier 43 – de Bagdad 110 – de Londres 36 – de non-agression 43, 68 sqq., 138 – de Varsovie 102 sqq. – franco-soviétique 43 Paix 36 sqq., 40 sqq., 160 sqq. Pakistan 7, 134, 136-137, 160, 176, 178, 207 Palestine 52, 54-55, 60, 132133 Panama 17, 188, 191 Pangermanisme 20, 70 Panslavisme 24 Pantouranisme 24 Panturquisme 24 Paracels 178 Parti communiste 140, 150 Pauker, Anna 104 Pax americana 3, 126-129 PCUS, XXe congrès du 102, 140 Pearl Harbor 76, 202 Peel, Commission 55 Penn, William 40 Perestroïka 140-141, 150, 192 Perroux, François 14, 159 Perse 17, 24, 54 Pervillé, Guy 121 Pétrole 6, 22, 52, 55, 60, 126, 132, 148-149 Philippines 13, 76, 176, 178179 Pichon, Stephen 39 Picot, Accord Sykes 52, 54 Plamenatz, John 182 Plekhanov 50 PMA 93, 146, 148-149, 184 Poidevin, Raymond 70 Poincaré, Raymond 26, 27, 44, 47, 71, 205 Pol Pot 122, 148 Pologne 39, 42-43, 65, 68, 80, 86-87, 102, 104-105, 138, 140, 150, 152-153, 207 Porto-Rico 13, 111, 115 Potsdam, conférence de 78, 96

Prague 50, 75, 92, 94, 102, 104-105, 110, 141 Première Guerre mondiale 6, 7, 9, 10, 13, 19, 22, 32, 35, 44, 45, 46, 52, 56, 60, 72, 120, 132, 160, 202, 204 Prokoviev, Serge 97 Prolifération 3, 134-137 Protectionnisme 64-65, 76 Puissance 10-12, 126, 138140

Q Quatorze points 36, 38, 42, 56

R Radio 48, 82, 152, 162, 168, 170, 186 Radkau, Joachim 18 Rajk 104 Rapallo 42, 44, 72, 205 Rathenau, Walter 29, 72 Ratzel, Friedrich 20 RDA 105, 150 Reagan, Ronald 97, 101, 113, 190 Reich, Robert 158 Relations internationales – avant 1914 13, 14 sqq., 18 sqq., 22 sqq. – en 1914 26 sqq. – après 1994 36 sqq., 40 sqq. – à la veille de 1939 43, 55 62 sqq., 68 sqq. – pendant la guerre 43, 78 sqq. – après 1945 90 sqq., 94 sqq., 98 sqq. 110 sqq. – dans les années 1960 114 sqq. – depuis 1973 130 sqq., 134 sqq. 138 sqq., 412 sqq., 156 sqq., 160 sqq. – depuis 1989 172 sqq., 176 sqq.

Religion 24, 52, 149, 164166, 181-182 Renouvin, Pierre 17, 21, 25, 28 Rentenmark 47 Réparations 28, 39, 42, 47, 70, 98 Réseaux 83, 126, 144, 146, 167-168, 170-171, 184, 199 Résistance 3, 47, 56, 58-59, 76, 80-83, 94, 102, 105, 108, 124, 130, 168, 195 Révolution – chinoise 56 sqq., 106 sqq. – de 1989 168 – Jeune-Turque 24 – russe 27, 35, 36, 44, 48, 50 Rhénanie 38, 43 Ricardo, David 172 Ricœur, Paul 194 Rideau de fer 98, 142, 178 Riefenstahl, Leni 196, 199 Rolland, Romain 144 Romanov 26 Rome 14, 18-19, 24, 36, 38, 54, 62, 67-68, 71, 137, 144, 175, 197 Rommel, général 72 Roosevelt, Théodore 17, 188, 191 Roosevelt, Franklin Delano 63, 64, 76, 78, 90, 92, 96, 110, 118, 168, 190, 202, 205 Rose, Lisle A. 92 Roumanie 22, 25, 104, 150 Rouquié, Alain 191 Royaume arabe 52, 54 Royaume-Uni 10, 12, 17, 27, 29, 42-43, 54, 64, 66, 68, 110, 114, 126, 128-129, 132, 136-137, 142, 191, 197, 204 Rufin, Jean-Christophe 146, 192 Ruhr 42, 70 Rupnik, Jacques 105, 181 Russie 3, 7, 10, 12, 17-18, 21-22, 24-25, 27, 29, 32, 35, 38, 40, 42, 44, 48, 50-51, 68, 76, 80, 82, 136, 138-139, 141, 150-152,

163, 176, 178, 183, 192, 197, 204-205 Rwanda 163, 186-187

S Salonique 34 SALT 114, 134, 138, 197 San Francisco – charte de 43, 162 – traité de 79 Sapir, Jacques 141 Sarajevo 27, 181, 197 Sartre, Jean-Paul 97, 120, 148 Satellites 170-171 Sauckel 72 Savary, Alain 120 Schacht, Hjalmar 44, 46, 47, 205 Schlesinger, James 113 Schlieffen, plan von 26, 32 Schumpeter, Joseph 12 SDN 3, 28, 36, 39-40, 42-43, 52, 54, 66, 70-71, 90, 132, 160, 205 Seaton, Albert 72 Secteur moteur 12 Sécurité collective 4, 40, 60, 110, 148, 160, 194 Serbie 21-22, 25, 27, 34, 182 Sforza, comte 144 Shanghai 56, 58, 108, 201 Sibérie 7, 10, 13, 48, 50, 178 Sicile 180 Siemens 18, 84 Silguy, Yves-Thibault de 175 Sionisme 6, 52, 60, 132-133, 167 Sirinelli, Jean-François 35, 83 Slansky 104 Slaves 18-19, 24, 26, 151, 204 SME 142 sqq. Smouts, Marie-Claude 43, 159, 163, 171 Sokolovski, maréchal 114 Solidarisme 40 Solution finale 84, 87 Somalie 160, 163, 184 Somme 32, 34, 36, 96, 99100, 117, 181, 190 Sonnino, Sydney 39 Index

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Soudan 14, 16, 164, 184, 207 Sous-marins 62, 134, 178 Soutou, Georges-Henri 29 Spa, conférence de 42, 47 Spaak, Paul-Henri 144 Spartakistes 38 Spéculation 65-66 Speer, Albert 72 Sphère de coprospérité 59, 76 Spratleys 178 SS 72, 84 sqq. Staline, Joseph 50, 78, 90, 94, 96, 97, 98, 102, 109, 138, 140, 146, 206 START 134 Sternhell, Zeev 132, 133, 167 Stimson 78 STO 80, 83 Stolypine Piort 13, 204 Stresa, conférence de 43, 68 Stresemann, Gustav 68, 70 Sud 146 sqq., 180 sqq. Sudètes 43 Suez 60, 114, 118, 132, 160, 172, 196 Sukarno 59, 118 Surexpansion 126, 138 Sykes 52, 54 Syrie 52, 54-55, 137, 180, 207 Szùcs, Jeno 181

T Taylor, Frederick Winslow 13 Tchad 184 Tchécoslovaquie 42, 62-63, 68, 102, 104, 138, 141, 150, 152 Tcheka 48 Tchétchénie 164 Télévision 150, 152, 168, 170, 186, 199, 206 TIAR 110 Tiers-monde 114, 118, 146, 147, 148, 149, 163, 191 Tiers-mondisme 148 Tirpitz von, amiral 16

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Index

Tito 102, 118, 138, 180, 184 TNP 134, 136-137 Tokyo 56, 76-77, 108, 178, 197 Toulon 60 TPC 54 Transjordanie 52, 54-55 Trevor-Roper 72 Triade 142, 156, 159, 180 Triple Alliance 18, 21, 27 Trotski, Léon 48, 50 Truman, Harry 60, 78, 90, 92, 94, 96, 100, 110, 114, 202 Tsushima 13 Tunisie 120-121, 180 Turner, Ted 168 Turquie 6, 22, 25, 52, 55, 60, 96, 116, 180

U UEO 174 Ukraine 38, 48, 51, 150-151, 173, 174 Ulam, Adam 92 Union européenne 110, 152, 156, 172-173, 175, 182, 207 UNRRA 94, 95, 98 URSS 42 sq., 51, 90 sqq., 94 sqq., 98 sqq., 102 sqq., 144 sqq., 126, 130 sqq., 138 sqq. 150 sqq., 160 sqq., 192

V VaÏsse, Justin 195, 202 Valladao, Alfredo 192 Van Der Wee, Herman 128 Vandenberg, Arthur 96, 110 Vercors 80, 82-83 Verdun 32, 34 Versailles 28, 36, 38-40, 42, 44, 47, 68, 70-71, 195, 205 Victoria, reine 13

Vienne, congrès de 36 Vietnam 90, 120-122, 125-126, 178-179, 206 Vincennes 56 Vittorio Veneto 32, 35 Viviani, René 27 Voznesenski, Nikolaï 97

W Wall Street 66 Wall, Irwin M. 100 Waltz, Kenneth 136 Wang, Nora 109, 124 Wannsee 87 Warfare State 94 Washington – accords de 130 – conférence de 42 – traité de 110, 134 sqq. Weimar, République de 70 Weltpolitik 18 Westmoreland, général 122 Wiesel, Elie 85 Williams, William A. 13, 92 Wilson, Woodrow 38 Wolfers, Arnold 10

Y Yalta, conférence de 43, 102 Yamamoto, amiral 76 Yougoslavie 42, 60, 71, 80, 82, 104, 138, 180-181, 183, 197 Young, plan 42, 94, 205 Yudenitch, général 48

Z Zaïre 163, 184, 186-187, 207 Zimmerwald 50 Zunyi 109 Zweig, Stefan 47, 144