Passible Des Historiens: Jesus De Nazareth 9789042948167, 9042948167

Quasi universellement, Jesus de Nazareth est reconnu comme personnage historique. Comme tel, il est soumis aux sciences

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Passible Des Historiens: Jesus De Nazareth
 9789042948167, 9042948167

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SOMMAIRE
LISTE DES ARTICLES PAR ORDRE DE PARUTION1
LISTE DES ABRÉVIATIONS
INTRODUCTION
À LA RECHERCHE DES  TRACES  DE JÉSUS*
RECHERCHES CANADIENNES SUR LE JÉSUS DE L’HISTOIRE*
DE QUELQUES PRÉSENTS DÉBATS DANS LA TROISIÈME QUÊTE*
REPLONGÉE DANS LE JÉSUS DE L’HISTOIRE
EFFERVESCENCE AUTOUR DE LA SOURCE DES PAROLES DE JÉSUS Q
QUELLES COMMUNAUTÉS DERRIÈRE LA SOURCE Q ?*
DE LA SOURCE Q COMME REFLET DES  TÉMOINS OCULAIRES  DE LUC 1,2*
JÉSUS DE L’HISTOIRE ET ÉCRITS APOCRYPHES CHRÉTIENS*
SITUATION SOCIALE DE LA GALILÉE D’ANTIPAS ET DE JÉSUS
LA GALILÉE DE JÉSUS
LUC 1,14 : LES ORIGINES DE LA TRADITION ÉVANGÉLIQUE*
MISE À JOUR
BIBLIOGRAPHIE1
INDEX DES AUTEURS MODERNES1
INDEX DES TEXTES ET DES AUTEURS ANCIENS
TABLE DES MATIÈRES

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TERRA NOVA 10

Passible des historiens : Jésus de Nazareth par Jean-Paul Michaud

PEETERS

PASSIBLE DES HISTORIENS : JÉSUS DE NAZARETH

Collection Terra Nova La collection Terra Nova – Perspectives théologiques canadiennes / Canadian Theological Perspectives, de la Société canadienne de théologie, entend diffuser des travaux théologiques issus du Canada ou qui se rapportent aux théologies de ce pays. Elle accorde une attention particulière à la production franco-canadienne, mais ouvre aussi ses portes à des ouvrages en anglais. Elle s’applique à refléter la créativité et le dialogue caractéristiques d’une société encore jeune. Elle publie des travaux soucieux de rigueur intellectuelle et de pertinence sociale, et marqués par le milieu interdisciplinaire de l’Université publique. Dirigée par Alain G, Université de Montréal (Montréal, QC, Canada)

Comité scientifique de la collection Terra Nova Maxime A, Collège universitaire dominicain (Ottawa, ON, Canada) Marc D, Université de Sherbrooke (Sherbrooke, QC, Canada) André G, Université Concordia (Montréal, QC, Canada) Louis P, Université Saint-Paul (Ottawa, ON, Canada) Jean-François R, Université de Montréal (Montréal, QC, Canada) Nadia-Elena V, Université Laval (Québec, QC, Canada)

TERRA NOVA 10

PASSIBLE DES HISTORIENS : JÉSUS DE NAZARETH

par

JEANPAUL MICHAUD

PEETERS LEUVEN – PARIS – BRISTOL, CT

2023

A catalogue record for this book is available from the Library of Congress. ISBN 978-90-429-4816-7 eISBN 978-90-429-4817-4 D/2023/0602/7 © 2023, Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven, Belgium No part of this book may be reproduced in any form or by any electronic or mechanical means, including information storage or retrieval devices or systems, without prior written permission from the publisher, except the quotation of brief passages for review purposes.

SOMMAIRE L       .................................... VII L   .........................................................................

IX

I ..........................................................................................

1

Première partie La recherche sur le Jésus de l’histoire C 1. À la recherche des « traces » de Jésus (2008) ............

7

C 2. Recherches canadiennes sur le Jésus de l’histoire (2009)................................................................................

21

C 3. De quelques présents débats dans la troisième quête (2010) ................................................................................

55

C 4. Replongée dans le Jésus de l’histoire. À propos du livre de Daniel  Marguerat, Vie et Destin de Jésus de Nazareth (2021) .........................................................

79

Deuxième partie Les sources littéraires C 5. Effervescence autour de la source des paroles de Jésus (Q) (2005, 2011) .................................................... 103 C 6. Quelle(s) communauté(s) derrière la Source Q ? (2001)

157

C 7. De la Source Q comme reflet des « témoins oculaires » de Luc 1,2 (2011) ............................................................. 187 C 8. Jésus de l’histoire et écrits apocryphes chrétiens (2012) 205 Troisième partie La Galilée C 9. Situation sociale de la Galilée d’Antipas et de Jésus. Modèles sociaux et/ou archéologie (2013).................. 257

VI

SOMMAIRE

C 10. La Galilée de Jésus. Le chant du cygne de Seán Freyne (2018) ................................................................................ 281 Conclusion C 11. Luc  1,1-4 : les origines de la tradition évangélique (2018) ................................................................................ 293 C 12. Mise à jour (2021) .......................................................... 313 B .......................................................................................... 321 I    ............................................................. 359 I      ...................................... 367 T  ................................................................................ 373

LISTE DES ARTICLES PAR ORDRE DE PARUTION1 « Quelle(s) communauté(s) derrière la Source Q ? », dans Andreas L (dir.), The Sayings Source Q and the Historical Jesus (BETL, 158), Leuven, University Press – Peeters, 2001, 577-606. « À la recherche des “traces” de Jésus », dans Philippe A (dir.), Aujourd’hui, lire la Bible. Exégèses contemporaines et recherches universitaires, Lyon, Profac, 2008, 27-44. « Recherches canadiennes sur le Jésus de l’histoire », dans Chrystian B – Gérard R (dir.), Le Jésus de l’histoire à travers le monde / The Historical Jesus Around the World, Montréal, Fides, 2009, 13-46. « De quelques présents débats dans la troisième quête », dans De Jésus à Jésus-Christ. I. Le Jésus de l’histoire. Actes du colloque de Strasbourg, 18-19 novembre 2010 (Jésus et Jésus-Christ. Colloques), Paris, MameDesclée, 2010, 189-214. « De la Source Q comme reflet des “témoins oculaires” de Lc 1,2 », dans André G – Alain G – Sylvie P L (dir.). Le Vivant qui fait vivre. Esprit, éthique et résurrection dans le Nouveau Testament. Mélanges offerts à Odette Mainville (Sciences bibliques, 22), Montréal, Médiaspaul, 2011, 151-172. « Effervescence autour de la source des paroles de Jésus (Q) », dans Études Théologiques et Religieuses 86 (2011) 145-194. « Jésus de l’histoire et écrits apocryphes chrétiens », dans André G et Jean-François R (dir.), En marge du canon. Études sur les écrits apocryphes juifs et chrétiens (L’écriture de la Bible, 2), Paris, Cerf, 2012, 33-84. « Situation sociale de la Galilée d’Antipas et de Jésus. Modèles sociaux et / ou archéologie », dans Théologiques 21 (2013) 141-171. « La Galilée de Jésus. Le chant du cygne de Seán Freyne », dans Science et Esprit 70 (2018) 231-239.

1. Remerciement aux éditeurs et aux revues d’avoir accordé aimablement l’autorisation de publier à nouveau ces textes.

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LISTE DES ARTICLES PAR ORDRE DE PARUTION

« Luc 1,1-4 : les origines de la tradition évangélique », dans Maxime A – Emmanuel D – Marie de L (dir.), Fins et commencements. Renvois et interactions. Mélanges offerts à Michel Gourgues (Biblical Tools and Studies, 35), Leuven – Paris – Bristol, CT, Peeters, 2018, 193-211. « Revue critique. Replongée dans le Jésus de l’histoire. Daniel Marguerat, Vie et destin de Jésus de Nazareth », dans Science et Esprit 73 (2021) 241-260.

LISTE DES ABRÉVIATIONS AB ABD AEC AGJU AnBib BAR BASOR BBR BECNT BETL BI Bib BTB BZNW CaE CBQ CNT CUP EC ECL EKK ETL ETR EvT ExpTim HP HTR ICC JBL JECS JR JSHJ JSNT JSNTSS

Anchor Bible Anchor Bible Dictionary (New York, NY, Doubleday, 1992) Avant l’ère commune Arbeiten zur Geschichte des antiken Judentums und des Urchristentums Analecta Biblica Biblical Archaeology Review Bulletin of the American Schools of Oriental Research Bulletin for Biblical Research Baker Exegetical Commentary on the New Testament Bibliotheca Ephemeridum theologicarum Lovaniensium Biblical Interpretation Biblica Biblical Theology Bulletin Beihee zur Zeitschri für die neutestamentliche Wissenscha Cahiers Évangile Catholic Biblical Quarterly Commentaire du Nouveau Testament Cambridge University Press Ère commune Early Christianity and its Literature Evangelisch-katholischer Kommentar zum Neuen Testament Ephemerides theologicae Lovanienses Études théologiques et religieuses Evangelische Theologie The Expository Times Héritage et projet Harvard Theological Review International Critical Commentary Journal of Biblical Literature Journal of Early Christian Studies Journal of Religion Journal for the Study of the Historical Jesus Journal for the Study of the New Testament Journal for the Study of the New Testament. Supplement Series

X JTS LD LNTS LTP MdB NICNT NovT NovTSup NTAbh NTS NTTS OUP PTMS RBL RevScRel RevQ RSR RTL SBL SBLSP SBLDS SJT SNTSMS SNTU SR TOB TSAJ WBC WMANT WUNT ZThK

LISTE DES ABRÉVIATIONS

Journal of Theological Studies Lectio divina Library of New Testament Studies Laval théologique et philosophique Le Monde de la Bible New International Commentary on the New Testament Novum Testamentum Supplements to Novum Testamentum Neutestamentliche Abhandlungen New Testament Studies New Testament Tools and Studies Oxford University Press Pittsburgh eological Monograph Series Review of Biblical Literature Revue des sciences religieuses Revue de Qumrân Recherches de science religieuse Revue théologique de Louvain Society of Biblical Literature Society of Biblical Literature Seminar Papers Society of Biblical Literature. Dissertation Series Scottish Journal of Theology Society of New Testament Studies. Monograph Series Studien zum Neuen Testament und seiner Umwelt Studies in Religion / Sciences religieuses Traduction œcuménique de la Bible Texte und Studien zum antiken Judentum Word Biblical Commentary Wissenschaliche Monographien zum Alten und Neuen Testament Wissenschaliche Untersuchungen zum Neuen Testament Zeitschrift für Theologie und Kirche

INTRODUCTION Tout ce qui suit en ce volume relève de ce qu’on a qualifié de recherche sur le Jésus de l’histoire. Une recherche donc d’historien, qui entend s’en tenir, concernant Jésus, à ce que les seuls outils de l’historien permettent d’en connaître. Mais cette histoire, comme toute histoire, il faut sans cesse le rappeler avec Henri-Irénée Marrou, « est inséparable de l’historien1 ». Inséparable donc, du théologien ou exégète croyant que je suis. Ce qui, pour certains, n’est certes pas une qualité, mais un profond handicap2. Le titre du présent recueil, Passible des historiens, entend se souvenir d’une page remarquable de Charles Péguy, qui révèle parfaitement, à mon avis, comment foi et rigueur historienne, non seulement peuvent aller de pair, mais que c’est la foi même en l’incarnation qui exige cette rigueur au plus haut point. Parce qu’entré en notre histoire, Jésus de Nazareth, comme tout personnage historique, est soumis aux sciences historiques et doit en souffrir, en un sens en « pâtir », toutes les tortures. Je n’ai pas retrouvé tel quel, chez Péguy, ce « Passible des historiens » que je lui prêtais volontiers. Mais, à sa manière, il en a déployé le sens magnifiquement, en parlant de ces évangiles « qu’il nous fallait ». Il faut bien l’écouter : C’est pour cela qu’il nous fallait les Évangiles. Ici encore Jésus n’a pas voulu être un saint extraordinaire. Il a été un saint ordinaire, le premier dans l’ordre, mais dans l’ordre. Il a eu besoin de ses notaires et chroniqueurs. Il a eu besoin des Évangiles… […] Il n’a point voulu être attesté, remémoré 1. Henri-Irénée M, De la connaissance historique (Points Histoire, 21), Paris, Seuil, 1954, p. 47-63. 2. Comme on peut le voir, par exemple, dans l’article de Simon-Claude M, « Jésus de l’histoire. À propos des travaux de John P. Meier », dans RSR 99 (2011) 529-550 – en référence aux nombreux volumes de A Marginal Jew de Meier. Faisant une distinction entre « histoire en milieu scientifique » et « histoire en milieu théologique », Mimouni semble oublier que dans les deux cas il s’agit bien d’histoire et oppose immédiatement – ce qu’il fera tout au long de l’article – l’« historique » et le « théologique » (« les deux démarches, l’historique et la théologique… », p. 529). Ce qui lui fait conclure que « l’histoire en milieu théologique ce n’est pas de l’histoire mais de la théologie, ou à la limite de la théologie de l’histoire, ce qui n’est pas de l’histoire mais de l’idéologie » (p. 549). Dans cette recherche du Jésus de l’histoire, qu’on soit « scientifique » ou « théologien », si on prétend faire de l’histoire, on doit s’en tenir aux règles du métier et tenter de rejoindre ce que Jésus fut en son temps, « en ce temps-là », non pour le « temps présent ».

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 par un miracle constant. Par un miracle permanent. Il n’a pas voulu faire appel à d’autres moyens que les moyens de l’homme et de l’histoire et de la mémoire de l’homme. Il lui a fallu des écritures. […] Il a voulu être la matière et l’objet de l’exégète et de l’historien, la matière, l’objet, la victime de la critique historique. Il a voulu donner matière à l’exégète, à l’historien, au critique. Il s’est livré à l’exégète, à l’historien, au critique comme il s’est livré aux soldats, aux autres juges, aux autres tourbes. […] Il s’est livré aux controverses comme il s’était livré aux autres injures. Et les historiens crient après lui mort et vivant comme les scribes et comme les greffiers criaient après lui présent et muet. S’il s’était dérobé à la critique et à la controverse, s’il s’était soustrait à l’exégète, au critique, à l’historien, si son histoire avait été soustraite à l’historien, si sa mémoire n’était point entrée dans les conditions générales, dans les conditions organiques de la mémoire de l’homme, il n’eût point été un homme comme les autres. Et l’incarnation n’eût point été intégrale et loyale. Il faut toujours en revenir là. Pour que l’incarnation fût pleine et entière, pour qu’elle fût loyale, pour qu’elle ne fût ni restreinte ni frauduleuse, il fallait que son histoire fût une histoire d’homme, soumise à l’historien, et que sa mémoire fût une mémoire d’homme, humainement, défectueusement conservée. En un mot il fallait que son histoire même et que sa mémoire fût incarnée. Il fallait que sa mémoire et son histoire fût querellée. Qu’elle fût livrée au même vulgaire. C’est la même exposition, de la même victime aux mêmes bourreaux. L’incarnation n’eût pas été pleine, elle eût été réticente si dans toute la suite des siècles, dans toute l’éternité temporelle il n’eût point été livré, dans son histoire et dans sa mémoire, au même interrogatoire. […] Tel est l’un des aspects du mystère de l’incarnation3.

C’est dans cette perspective que voudraient se présenter les articles rassemblés dans ce volume. Ils appartiennent aux querelles infligées à la mémoire et à l’histoire de Jésus. Ils sont nés, au cours des années, en lien avec la répétition et l’évolution des débats autour du Jésus historique et présentent, en somme, une certaine histoire de ces débats. Écrits indépendamment et parfois à plusieurs années de distance, mais affrontant des problèmes qui restent, en général, toujours les mêmes et sont sans cesse repris, on ne s’étonnera pas de rencontrer, dans ces textes, quelques répétitions. Ce sont mes réponses, reprises parfois telles quelles, mais en d’autres contextes où elles restaient pertinentes. Je n’ai pas cru nécessaire 3. Charles  P, Note conjointe sur M.  Descartes et la philosophie cartésienne (Bibliothèque de la Pléiade, 122), Paris, Gallimard, 1968 (1961), 1478-1480 (je souligne). C’est tout récemment que j’ai fait la découverte de l’excellent article d’Étienne T, « Jésus livré aux historiens » dans Foi et Vie 78/4 (1979) 1-18 – dont le titre nous rapprocherait de la perspective de Péguy (mais Trocmé ne fait aucune allusion à Péguy).



3

de les modifier4. Elles font partie de cette histoire. On trouvera ainsi, dans cette « collection d’essais », une porte d’entrée dans plus de quarante ans de recherche, marquée par une accumulation colossale de publications. Ces textes ne sont pas classés ici, cependant, selon leurs dates de parution, mais plutôt selon leur contenu. La première partie présente une vision globale de la recherche sur le Jésus de l’histoire : pertinence, objectif, principaux débats… Parmi les problèmes qu’affrontent ces débats, apparaissent très tôt les enjeux qui sont repris dans les deuxième et troisième parties : en particulier, la question des sources et l’importance du contexte socio-culturel de la Galilée du premier siècle. Les trois premiers chapitres se recoupent donc, publiés à quelques années d’intervalles (2008, 2009, 2010), sous la forme de bilans. Les chapitres 1 et 3 sont issus de deux importants colloques tenus à Lyon et Strasbourg. Le chapitre 2 a ceci de particulier qu’il brosse un panorama de la recherche sur le Jésus de l’histoire au Canada. Enfin, le chapitre 4, centré sur un nouveau portrait de Jésus de Nazareth proposé par l’exégète suisse Daniel Marguerat, illustre la manière dont un historien peut se risquer à proposer sa propre synthèse. La seconde partie, puisque la recherche historique se fait essentiellement à partir de documents5, s’occupe spécialement des sources : d’abord des sources littéraires, principalement évangéliques et liées souvent au problème synoptique, mais aussi de ces autres sources qu’on appelle écrits apocryphes chrétiens. Les chapitres 5, 6 et 7 s’intéressent donc à la Source Q sous trois angles distincts : un bilan de la recherche, la question de l’existence (ou non) d’une communauté derrière la Source Q, et le rapport entre celle-ci et les témoins oculaires mentionnés dans le prologue de l’évangile de Luc. Le chapitre 8 revisite (et relativise) l’importance des écrits apocryphes quant à la recherche du Jésus de l’histoire : ces documents nous renseignent d’abord sur la situation des divers christianismes aux IIe et IIIe siècles. Mais en plus des textes qui ont parlé de Jésus, l’historien doit essayer de rejoindre le contexte dans lequel Jésus a vécu. C’est l’objet de la troisième partie qui traite de la Galilée de Jésus et, en particulier, de ce que

4. Le texte des diverses publications rassemblées ici est donc demeuré intact, sans mise à jour, si ce n’est un souci d’uniformisation quant à la forme (spécialement les références en note qui ont exigé quelques reformulations). Le chapitre 12 propose toutefois quelques éléments de mise à jour. Par ailleurs, selon les lieux de publication d’origine, les citations des auteurs sont le plus souvent en langue originale, mais parfois traduites en français (de ma part). 5. M, « L’histoire se fait avec des documents », dans De la connaissance historique, 64-91.

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

l’archéologie peut nous en dire. Le chapitre 9 confronte les données archéologiques que nous avons et les modèles sociologiques auxquels certains spécialistes du Jésus historique n’hésitent pas à recourir (modèles dont il a été question dans les deux premières parties). Le chapitre 10 reconstitue la trajectoire exemplaire du regretté historien Seán  Freyne dans sa quête pour mieux saisir le contexte galiléen du Ier siècle. Le chapitre 11 revient à nouveau sur le prologue de Luc, mais cette fois en s’intéressant au processus de transmission du souvenir et de l’enseignement de Jésus. Ce dernier chapitre, sur la tradition évangélique, qui pourrait se trouver dans la première partie, m’a paru pouvoir fournir une conclusion à l’ensemble de cette recherche. Il s’agit en quelque sorte de ma propre synthèse. Jean-Paul Michaud Université Saint-Paul Ottawa, ON, K1S 1C4 Canada

PREMIÈRE PARTIE

LA RECHERCHE SUR LE JÉSUS DE L’HISTOIRE

C 

À LA RECHERCHE DES  TRACES  DE JÉSUS* Cent ans après qu’Albert Schweitzer eut mis un point final à ce qu’on a appelé la première quête, la recherche sur Jésus, sur celui que l’histoire nous permettrait enfin de découvrir, se poursuit toujours et nous en serions à la troisième quête. Il serait plus exact de dire que cette quête n’a jamais cessé. Elle a connu pourtant depuis les années 1980, et connaît encore, une nouvelle ferveur : il convient alors de regarder l’état du chantier. Il s’agit donc ici d’histoire, de connaissance du passé, d’un personnage du passé, Jésus dit de Nazareth, qu’on ne peut connaître, comme historien, que d’une manière « indirecte ». Selon le mot de Marc Bloch, l’histoire est « une connaissance par traces1 », « ces indices [en particulier] que, sans préméditation, le passé laisse tomber le long de sa route ». On affirme aussi, couramment, que l’histoire se fait à partir de documents, mais, dit encore Bloch, « qu’entendons-nous […] par documents, sinon une “trace”, c’est-à-dire la marque, perceptible aux sens, qu’a laissée un phénomène lui-même impossible à saisir ? » Quelles sont donc les « traces » que le passé de l’homme Jésus a laissées sur sa route ? Ou plus précisément, pour notre propos, les traces nouvelles que la troisième quête aurait découvertes ou qu’elle privilégie, en tout cas, pour dessiner son portrait du Jésus de l’histoire ? Sans prétendre d’aucune manière être exhaustif2, je retiendrai trois secteurs en particulière ébullition. Les deux premiers s’attachent aux sources littéraires. Aux évangiles * Texte paru dans Philippe A (dir.), Aujourd’hui, lire la Bible. Exégèses contemporaines et recherches universitaires, Lyon, Profac, 2008, 27-44. 1. Marc B, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris, Armand Colin, 1974 (1949), p. 21 – où il attribue la paternité de l’expression « connaissance par traces » à François Simiand. Paul R, La mémoire, l’histoire, l’oubli (L’ordre philosophique), Paris, Seuil, 2000, p.  214-222, a commenté cette vision historienne de Bloch. Ricœur propose de compléter la contribution de Bloch par celle de Carlo Ginzburg concernant le « paradigme indiciaire », pour ouvrir « une dialectique de l’indice et du témoignage à l’intérieur de la notion de trace et [pour donner] ainsi au concept de document son entière envergure » (p.  221). Voir Carlo  G, « Traces. Racines d’un paradigme indiciaire », dans Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire (Nouvelle Bibliothèque scientifique), Paris, Flammarion, 1989 (italien 1986), 139-180. 2. Dans le présent contexte, je ne dirai rien, par exemple, de l’historien Flavius  Josèphe, évidemment l’une des sources capitales pour l’étude de la Palestine du Ier siècle.

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 

canoniques d’abord, et particulièrement aux études minutieuses qui portent sur le problème synoptique et sur la célèbre, mais toujours énigmatique, Source Q. En second lieu, à l’immense champ, nouvellement labouré, des évangiles non canoniques, dits apocryphes. Le troisième secteur enfin relève des modèles sociologiques qu’élabore l’histoire sociale, spécialement attentive aux témoignages non écrits, à ces « vestiges du passé », qui font le miel de l’archéologie3. 1. Les évangiles canoniques et la source Q 1.1 Les évangiles canoniques Nous savons tous que les évangiles canoniques ne sont pas des écrits d’historiens, des livres d’histoire, mais des documents de foi. Documents de foi, mais qui, en vertu même de leur prétention de foi chrétienne (« le christianisme étant [pour citer de nouveau Marc  Bloch] une religion d’historiens », « par essence religion historique4 »), exigent un ancrage historique. On peut le voir aussi bien dans le prologue de l’évangile de Luc (Lc  1,1-4) que dans la conclusion de l’évangile de Jean (Jn  20,30), comme aussi d’ailleurs, fondamentalement, dans le kérygme paulinien, où Paul affirme très clairement que c’est le crucifié de l’histoire qui est le ressuscité (1 Co 15,3-4). L’historien doit savoir lire ces textes. Mais, parmi toutes les sources pouvant servir à l’histoire de Jésus, les évangiles restent les documents privilégiés, à tel point que John P.  Meier, l’un des plus célèbres ténors de la troisième quête, n’a pas craint d’affirmer : « Pour le meilleur ou pour le pire, notre recherche du Jésus historique trouve globalement ses limites dans les évangiles canoniques5. » 1.2 Source Q Ce confinement n’a pas découragé les chercheurs qui, scrutant ces évangiles, particulièrement les évangiles synoptiques, ont cru y reconnaître des sources plus profondes, les menant au plus près du Jésus de l’histoire, c’est-à-dire, pour beaucoup d’entre eux, du Jésus non encore 3. B, Apologie pour l’histoire, p. 20. 4. B, Apologie pour l’histoire, p. ix (Introduction) et p. 6. 5. John P. M, Un certain Jésus. Les données de l’histoire. Vol. 1 : Les sources, les origines, les dates (LD, hors collection), Paris, Cerf, 2004 (anglais 1991), p. 100. L’original – I, A Marginal Jew. Rethinking the Historical Jesus. Vol. 1 : The Roots of the Problem and the Person (AB Reference Library), New York, NY, Doubleday, 1991 – disait : « For better or for worse, in our quest for the historical Jesus, we are largely confined to the canonical Gospels. » (p. 140).

    «  »  

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contaminé par la foi pascale. J’évoque ici la grande aventure qui a mené à l’édition critique d’un texte dont on n’a jamais trouvé de manuscrit, la Source Q (que Dan Brown, dans son Da Vinci Code, attribuait à la main de Jésus, rédigeant la chronique de son ministère6 !). La Source Q (du mot Quelle en allemand, lequel veut dire source, tout simplement) est un texte hypothétique qu’une majorité d’exégètes postulent comme source, avec l’évangile de Marc, des évangiles de Matthieu et de Luc. En d’importants passages, en effet, les textes grecs de Mt et de Lc se suivent à l’identique, mot à mot, ce qui exige une dépendance littéraire. Il faut en déduire ou bien qu’un des évangélistes a connu l’autre, ou bien qu’ils ont tous les deux copié la même source. Cette énigme des ressemblances et des dissemblances entre les trois évangiles de Mc, Mt et Lc constitue ce qu’on appelle le problème synoptique. Même après quelques centaines d’années de recherche, il y a toujours problème et l’énigme persiste. Mais la théorie des Deux-Sources (Mc et Q utilisés indépendamment par Mt et Lc) reste encore, à mon avis, la solution la plus satisfaisante du problème synoptique. La troisième quête cependant ne s’est pas contentée d’admettre l’existence du document hypothétique Q. Elle a tenté de le reconstituer. Ce qui est assez facile quand on s’en tient aux textes qui se retrouvent tels quels en Mt et Lc. Mais qui dit que Mt et Lc ont reproduit cette source en entier ? Qui dit que les passages qui sont propres à Mt ou à Lc (qu’on ne retrouve pas en Mc) ne viendraient pas aussi de cette Source, l’un des deux évangélistes ayant tout simplement décidé, pour une raison ou pour une autre, de ne pas reprendre ce passage ? Quelles seraient alors les limites de ce texte hypothétique ? On peut soulever encore bien d’autres questions, mais on voit déjà sur quelles bases incertaines s’est élevée la reconstruction de ce texte qu’on appelle désormais l’édition critique de  Q.  Entreprise légitime (et travail remarquable à nombre d’égards), mais qu’il ne faut pas canoniser. On est allé plus loin encore et on a voulu faire l’histoire de la rédaction et de la composition de ce texte, croyant pouvoir distinguer dans ce document, à partir de critères littéraires mais également de perspectives thématiques, différents niveaux, différentes strates : par exemple, un premier niveau de sagesse (appelé Q1) et un autre, postérieur (Q2), caractérisé par des éléments prophétiques, eschatologiques ou apocalyptiques. 6. James MC R – Paul H – John S. K (dir.), The Critical Edition of Q. A Synopsis including the Gospels of Matthew and Luke, Mark and omas with English, German and French Translations of Q and omas (Documenta Q), Leuven, Peeters, 2000. Voir Dan B, Da Vinci Code, Paris, J.-Cl. Lattès, 2003 (anglais 2003), p. 415.

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Cette stratification fut fortement rejetée par certains, mais embrassée et utilisée avec enthousiasme par d’autres, qui y virent l’ouverture d’une voie royale pour rejoindre le Jésus de l’histoire7. Ce fut le cas tout spécialement de John Dominic Crossan et de Burton L. Mack qui, se fondant exclusivement sur la première strate (Q1) ne contenant que des paroles de sagesse, concluaient que le Jésus de l’histoire avait été, tout simplement, un sage itinérant, à la manière des philosophes cyniques8. Reflétant la situation d’avant Pâques, cette source de logia, de paroles de Jésus, ne comportait évidemment ni récit de la passion ni mention des apparitions du Ressuscité. Ce qu’elle conservait, c’était les souvenirs des tout premiers disciples qui accompagnaient Jésus dans son itinérance en Galilée. On toucherait là vraiment le christianisme primitif, ce que Gerd eissen appelle « le mouvement de Jésus ». S’appuyant singulièrement sur les passages radicaux de la Source et avant tout sur le discours d’envoi en mission (Q 10,2-4)9, eissen a présenté ce mouvement comme un mouvement de charismatiques itinérants, qui serait le groupe responsable, le groupe porteur de la Source Q. J’ai contesté, pour ma part, et l’existence d’une véritable et radicale itinérance (en particulier celle d’une communauté itinérante) dans l’exiguïté du territoire de la Galilée de Jésus10, et surtout l’existence, du moins après la mort de Jésus, d’une communauté chrétienne porteuse du document Q, qui aurait exprimé par ce seul document, où il n’est question ni de la passion ni de la résurrection, toute sa foi en Jésus. Il paraît inconcevable qu’il ait existé dans le territoire limité de la Galilée une communauté chrétienne, ignorante du kérygme pascal ou s’opposant à lui, totalement séparée des autres chrétiens de Galilée et de leur réseau de communication11.

7. Cette stratification a été proposée très spécialement par John S. K, The Formation of Q. Trajectories in Ancient Wisdom Collections, Philadelphia, PA, Fortress, 1987. Il y soulignait déjà (p. 287), cependant, qu’on ne pouvait passer naïvement d’une conclusion littéraire à un verdict historique. Il est revenu plusieurs fois sur ce point, en particulier dans I, « L’évangile “Q” et le Jésus historique », dans Daniel M – Enrico N – Jean-Michel P (dir.), Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d’une énigme (MdB, 38), Genève, Labor et Fides, 1998, 225-268, spécialement, p. 244-245. 8. John Dominic C, The Historical Jesus. The Life of a Mediterranean Jewish Peasant, San Francisco, CA, HarperSanFrancisco, 1992 ; Burton L. M, The Lost Gospel. The Book of Q and Christian Origins, San Francisco, CA, HarperSanFrancisco, 1993. 9. Par convention, la Source est citée en référence au texte de Luc. 10. Jean-Paul M, « Quelle(s) communauté(s) derrière la source Q ? », dans Andreas L (dir.), The Sayings Source Q and the Historical Jesus (BETL, 158), Leuven, Peeters, 2001, 583-584 – repris au chapitre 6 de ce livre. 11. Voir aussi Jean-Paul  M, « Effervescence in Q Studies », dans SNTU  30 (2005) 61-103, p. 100.

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2. Les évangiles non canoniques ou apocryphes Si, classiquement, les évangiles canoniques étaient et restent encore, pour d’excellents chercheurs de la troisième quête, la source principale, beaucoup d’autres se sont tournés vers les textes apocryphes, leur accordant souvent une importance égale et parfois même plus grande encore qu’aux évangiles canoniques. Le « mystère apocryphe12 » fascine. On connaît la fameuse découverte de la bibliothèque gnostique de Nag Hammadi en 1945. Parmi les textes anciens récupérés se trouvait la version intégrale en langue copte du désormais célèbre Évangile de omas. Il s’agit là de 114 paroles ou logia de Jésus, dont beaucoup ont des parallèles dans les synoptiques et dans la Source Q. La découverte de cet évangile et de son genre littéraire particulier apportait comme une confirmation à l’hypothèse de la Source Q, autre évangile de paroles ! Cet évangile a connu un énorme succès dans la troisième quête, en particulier aux États-Unis, dans le groupe appelé le Jesus Seminar. Le premier ouvrage publiant les résultats des recherches de ce groupe sur les paroles authentiques de Jésus s’intitulait d’ailleurs The Five Gospels13, plaçant donc l’Évangile de omas sur le même pied que les quatre évangiles canoniques. On y datait ce texte de l’an 100 environ, mais en affirmant qu’une édition plus ancienne aurait existé vers 50 ou 60 (avant même l’évangile de Marc !)14. John Dominic Crossan, par exemple, dans la stratification chronologique des documents qu’il établit pour tracer le portrait de son « paysan juif méditerranéen », date un premier niveau de l’Évangile de omas dans les années 50, puis un autre dans les années 60 ou 70 (en même temps que les épîtres de Paul et que la Source Q15). Ces dates sont farfelues, et l’ensemble des commentateurs considèrent tout au plus « la première moitié du IIe siècle comme la période vraisemblable de la formation du recueil16 ». Mais l’Évangile de omas est un « évangile de sagesse17 », reproduisant l’enseignement, non pas d’un prophète, mais d’un sage. Ce qui nous 12. Voir Jean-Daniel K – Daniel M (dir.), Le Mystère apocryphe. Introduction à une littérature méconnue (Essais bibliques, 26), Genève, Labor et Fides, 1995. 13. Robert W. F – Roy W. H – T J S (dir.), The Five Gospels. The Search for the Authentic Words of Jesus. New Translation and Commentary, New York, NY, Macmillan, 1993. 14. Ibid., p. 474. 15. C, The Historical Jesus, p. 427. Il situe à la même époque le papyrus Egerton  2 (qu’il appelle « Egerton Gospel »), de même que l’Évangile de la Croix (« Cross Gospel ») qu’il pense découvrir dans l’Évangile de Pierre (p. 428-429). 16. Claudio  G, « Évangile selon omas », dans François B – Pierre G – Sever J. V (dir.), Écrits apocryphes chrétiens I (Bibliothèque de la Pléiade, 442), Paris, Gallimard, 1997, 21-53, p. 29. 17. « [A] wisdom gospel », F et al., The Five Gospels, p. 501.

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ramène, encore une fois, à la figure d’un Jésus sage, à l’exclusion d’un Jésus prophète. Mais faut-il choisir entre les deux ? Au terme d’une remarquable étude qui maintient les deux : « Jésus le sage et Jésus le prophète », Daniel  Marguerat conclut que « l’identité [de Jésus] se fixe dans cette intersection entre une théologie de sagesse et l’attente du Règne de Dieu18 ». C’est, à mon avis, la bonne réponse. À tout le moins – car il est sans doute possible d’en dire plus –, le Jésus de l’histoire est lieu de rencontre, tout ensemble, du sage et du prophète. D’autres textes apocryphes sont aussi exploités, à grand renfort de publicité, pour redessiner ou retoucher le portrait de Jésus. L’Évangile secret de Marc, entre autres, dont le Marc canonique serait une version expurgée. John Dominic  Crossan inclut dans sa stratification ce texte, prétendument découvert au monastère de Mar Saba, près de Jérusalem en 1958, par un exégète américain du nom de Morton Smith, et le date des années 60. Plusieurs auteurs prennent ce texte très au sérieux. Pour ma part, avec beaucoup d’autres, j’estime qu’il s’agit probablement d’un faux créé par Morton Smith lui-même. Mais la controverse sur le sujet continue de plus belle19. On sait par ailleurs la publicité que le succès quasi planétaire du roman de Dan Brown, le Da Vinci Code, a donnée aux Évangile selon Philippe et Évangile selon Marie. Ces textes gnostiques, qui datent tout au plus du milieu du IIe siècle, n’ont gardé aucune trace du Jésus de l’histoire. Il en va de même pour le texte copte de l’Évangile de Judas, récemment célébré (Pâques, 2006), issu sans doute d’un original grec du IIe s., qui ne nous apprend rien du « Judas historique ». Tous ces textes sont importants pour l’histoire des premières communautés chrétiennes, beaucoup plus diversifiées qu’on ne le croyait auparavant, malgré certains indices que nous en avaient tout de même laissés les Pères de l’Église (dont, en particulier, Irénée de Lyon, vers 180). L’apport des apocryphes aura-t-il permis d’ouvrir une faille « dans le système de reconstitution du Jésus historique sur la base des synoptiques », de briser en ce domaine ce qu’on a appelé « la tyrannie du Jésus synoptique20 » ? J’y reviendrai en conclusion, mais je crois qu’il est permis, déjà, d’en douter. 18. Daniel  M, « Jésus le sage et Jésus le prophète », dans M – N – P (dir.), Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d’une énigme, 293-317, p. 317. 19. Voir, entre autres, Stephen C. C, The Gospel Hoax. Morton Smith’s Invention of Secret Mark, Waco, TX, Baylor University Press, 2005, auquel s’oppose la thèse de Scott G. B, Mark’s Other Gospel. Rethinking Morton Smith’s Controversial Discovery, Waterloo, ON, Wilfrid Laurier University Press, 2005. 20. Enrico N, « La question des sources », dans M – N – P (dir.), Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d’une énigme, 567-572, p. 568 et 572, où il reprend de Charles W. Hedrick l’expression « la tyrannie du Jésus synoptique ».

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3. Le contexte ou l’histoire sociale Mais il est un autre genre de « traces » auxquelles la troisième quête accorde une importance nouvelle et souvent primordiale, c’est celui des témoignages non écrits. Les chercheurs ont pris une conscience plus vive du fait que les documents littéraires, les textes, ne suffisent pas pour dire exactement ce que Jésus a été. Le langage, les mots qu’on emploie, tout cela est enchâssé dans un monde social, emmaillé, tricoté dans un réseau social qui en marque le sens. Le sens des textes n’advient que dans un contexte socioculturel. L’histoire est ainsi devenue « sociologie historique du passé21 » (Bourdieu). C’est dans ce cadre des sciences sociales que les recherches historiques et archéologiques concernant la Galilée ont pris récemment un très grand essor. Elles sont devenues tellement nombreuses que la recherche sur le Jésus de l’histoire, on l’a dit22, est en danger de devenir la recherche de la Galilée historique. Ces études sont passionnantes et pour la « concrétude », si j’ose dire, du récit historique, souvent déterminantes. Il est en effet important, pour le portrait que l’historien tente de se faire de Jésus, de connaître son pays, l’état des villes et des villages qu’il a fréquentés, les relations, commerciales ou autres, conflictuelles ou pacifiques, que les populations y entretenaient. Important de savoir quelles étaient les conditions de travail des habitants du pays ; si les travailleurs aux grandes constructions lancées par Hérode Antipas, à Sepphoris ou à Tibériade, étaient payés, salariés ou corvéables à merci23. Quel était le véritable degré de taxation auquel les populations étaient soumises ? Le degré de monétisation ? Depuis au moins une vingtaine d’années, ces questions et bien d’autres ont fait, à l’aide des modèles sociologiques, l’objet d’études intensives, alimentées par une exploration archéologique extraordinaire de la Galilée. Ces méthodes cependant ne sont pas innocentes. Les modèles, élaborés à partir d’analyses statistiques, aboutissent à des généralisations qui risquent d’oublier la singularité, qui fait l’essence même de toute figure historique. Il n’est pas sûr que le modèle de ce que John Dominic Crossan appelle le « paysan méditerranéen » s’applique au paysan de la Galilée 21. Voir Christophe C – Daniel R, « Pierre Bourdieu et l’histoire », dans le quotidien Le Monde, 6 février 2002. 22. Seán F, Jesus, a Jewish Galilean, London, UK – New York, NY, T&T Clark International, 2004, p. xi. 23. L’allusion à l’angaria que fait Freyne à propos de Tibériade – sur la base d’un texte de Josèphe (Antiquités juives 18,37) qui dit bien que des gens furent « forcés » de s’établir dans la nouvelle ville – ne suffit pas cependant à établir qu’ils furent forcés d’y travailler et sans salaire. Voir Seán  F, « Jesus and the Urban Culture of Galilee », dans Galilee and Gospel. Collected Essays, Boston – Leiden, Brill, 2002, 183-207, p. 193.

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juive de Jésus, autour du lac de Génésareth. Le possible, issu des modèles, n’est pas forcément le réel. Le possible de Jésus ne devient pas automatiquement le réel de Jésus. Ainsi que le note un philosophe, traitant de « l’écriture de la contingence » qu’est le discours historique, le réel, c’est le contingent, cet être faible qui est un pouvoir ne pas être. De ce réel, il ne peut y avoir de discours fort, qui rende raison de son dit, car on ne peut rendre raison que du général, or ce réel est irrémédiablement singulier24.

On disait autrefois qu’il n’y avait pas de science du singulier. Et comment vérifie-t-on d’ailleurs, dans la recherche sur Jésus – vérification qui est comme une tentative de rejoindre le singulier du personnage de Jésus –, la pertinence des conclusions qu’on tire des modèles sociologiques, sinon en recourant sans cesse aux textes évangéliques, pourtant réputés a priori non fiables historiquement ? Il suffit, pour le constater, d’ouvrir un ouvrage consacré spécifiquement à la « sociologie du mouvement de Jésus », comme celui, tout récent, de Gerd eissen, Le Mouvement de Jésus25. Presque à chaque page, les citations évangéliques y sont appelées comme témoins. Je m’arrêterai à deux points qui ont particulièrement retenu l’attention des chercheurs : le premier sur lequel un consensus paraît désormais établi, le second qui reste encore débattu. Le premier concerne l’hellénisation de la Galilée au Ier siècle. Plusieurs auteurs de la troisième quête, mêlant l’antique tradition qui parle de « la Galilée des nations » (Is 9,1 ; 1 Mac 5,15 ; Mt 4,5) aux découvertes archéologiques récentes, celles tout spécialement de Sepphoris, à cinq kilomètres environ de Nazareth, une ville hellénistique comportant, disait-on facilement au début, un théâtre et un temple païen, en avaient conclu, bien rapidement, qu’un éthos hellénistique prévalait dans toute la Galilée, que l’itinérance de Jésus avait même pris l’allure de celle des philosophes cyniques dans un environnement semi-païen, tout à fait hellénisé26. On a 24. Jocelyn B, « L’écriture de la contingence. Sur le sens et l’objet du discours historique », dans RSR 84 (1996) 253-265, p. 255. 25. Gerd  T, Le mouvement de Jésus. Histoire sociale d’une révolution des valeurs (Initiations), Paris, Cerf, 2006 (allemand 2004). Et c’est aussi ce que fait Freyne en affirmant que « Les Évangiles nous proposent un excellent miroir de la situation en Galilée » – Seán F, « La Galilée et la Judée. L’environnement social de Jésus », dans Histoire du christianisme (Des origines à nos jours), Vol. 14 : Anamnèsis, Paris, Desclée, 2000, 324-355, p. 338. 26. Burton L. M, A Myth of Innocence. Mark and Christian Origins, Philadelphia, PA, Fortress, 1988, p. 66 : « Galilee was […] an epitome of Hellenistic culture on the eve of the Roman era » ; Ibid., p. 73-74 : « the Hellenistic ethos known to have prevailed in Galilee » ; Robert W.  F, Honest to Jesus, San Francisco, CA, HarperSanFrancisco, 1996, p. 33 : « semipagan Galilee […] despised by the ethnically pure Judeans living to the south » ; Ibid., p. 189 : « a largely pagan environment. »

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vite pris conscience des anachronismes commis (« l’anachronisme : entre tous les péchés, au regard d’une science du temps, le plus impardonnable », disait encore Marc Bloch27) : les monnaies découvertes à Sepphoris qui portent l’effigie d’un temple païen – la seule donnée pouvant témoigner d’un temple à Sepphoris28 – datent d’Antonin le Pieux (empereur de 138 à 161) et du temps de Caracalla (211-217) et ne prouvent d’ailleurs pas, même à ces époques, l’existence d’un temple à Sepphoris ; la date du théâtre est toujours discutée29, mais d’excellents spécialistes le datent de la fin du siècle30, après donc la destruction de Jérusalem en 70, longtemps après Jésus. Plus encore, les fouilles de Sepphoris ont mis à jour des indicateurs qui témoignent de l’identité religieuse juive de ce qui semble avoir été la majorité de la population : nombreux vases en pierre et non en céramique pour l’observance des règles de pureté, miqwaoth ou bains rituels dans les maisons privées, absence d’ossements de porc dans les couches du Ier siècle, sépultures selon les rites juifs (en particulier ossuaires témoignant de secondes sépultures). Pratiquement tous les chercheurs reconnaissent actuellement que la ville de Sepphoris, au Ier siècle, était majoritairement juive31. Même (re)bâties par Hérode Antipas sur le modèle des villes hellénistiques, Sepphoris et Tibériade n’avaient pas le statut des villes hellénistiques indépendantes de la Décapole32. On parle tout au plus à leur propos d’un mince vernis hellénistique, plus, selon eissen, « une forme d’expression “moderne” du judaïsme qu’une expression de la 27. B, Apologie pour l’histoire, p. 88. 28. Voir Mark A. C, The Myth of a Gentile Galilee (SNTSMS, 118), Cambridge, MA, CUP, 2002, p. 82. 29. J.F. Strange prétend que les fragments de poterie découverts sous le théâtre datent du début de la période romaine ; E.M. Meyers maintient une date plus tardive, peut-être même le milieu du IIe  siècle. Voir toutes les références dans C, The Myth of a Gentile Galilee, p.  75 et, plus récemment encore, James H.  C, « Jesus Research and Archaeology. A New Perspective », dans James H. C (dir.), Jesus and Archaeology, Grand Rapids, MI – Cambridge, UK, Eerdmans, 2006, 11-63, p. 51-55 [trad. fr. : Jésus et les nouvelles découvertes archéologiques, Paris, Bayard, 2007]. 30. Voir Zeev  W et Ehud  N, « Hellenistic and Roman Sepphoris. e Archaeological Evidence », dans Rebecca M. N (dir.), Sepphoris in Galilee. Crosscurrents of Culture, Raleigh, North Carolina Museum of Art, 1996, 29-37, p. 32 ; Ed Parish S, « Jesus’ Relation to Sepphoris », dans Ibid., 75-79, p. 76. 31. Voir C, The Myth of a Gentile Galilee, p. 79-81 ; John Dominic C – Jonathan L. R, Excavating Jesus. Beneath the Stones, beneath the Texts, San Francisco, CA, HarperSanFrancisco, 2001, p. 165-172 ; James D.G. D, Christology in the Making. Vol. 1 : Jesus Remembered, Grand Rapids, MI – Cambridge, UK, Eerdmans, 2003, p.  299-300 ; F, Jesus, a Jewish Galilean, p.  82 et 144 ; Jonathan L. R, Archaeology and the Galilean Jesus, Harrisburg, PA, Trinity Press International, 2000, p. 124, 127-128 ; S, « Jesus’ Relation to Sepphoris », p. 75-79 ; T, Le mouvement de Jésus, p. 184-185. 32. F, « Jesus and the Urban Culture of Galilee », p. 194.

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culture grecque33 ». La Galilée de Jésus n’était sans doute pas le pays bucolique rêvé par Renan. Mais elle restait, en très grande partie, rurale et juive. La loi y était juive, les cours de justice étaient juives, l’éducation juive également. C’est dans ce contexte juif que Jésus a vécu et proclamé son message. À mon avis, il faut accepter sur ce sujet les conclusions de Mark A. Chancey, bien résumées dans le titre même de son ouvrage : The Myth of a Gentile Galilee. L’autre point regarde la situation sociale de la Galilée qui fait l’objet de deux interprétations opposées, qu’on peut appeler l’interprétation de paix ou d’harmonie et l’interprétation de crise. L’interprétation de crise34 décrit une situation catastrophique où les paysans, écrasés par de lourdes taxes, s’endettent de plus en plus et, incapables de rembourser, sont finalement dépossédés de leurs terres, réduits à la mendicité ou condamnés à rejoindre les groupes de bandits sociaux qui écument le pays. À l’opposé, l’interprétation de paix35 maintient qu’à

33. T, Le mouvement de Jésus, p. 185. 34. L’interprétation de crise est soutenue principalement par Richard A. H en ses nombreux ouvrages, particulièrement dans Jesus and the Spiral of Violence. Popular Jewish Resistance in Roman Palestine, San Francisco, CA, Harper & Row, 1987 ; I, Sociology and the Jesus Movement, New York, NY, Crossroad, 1989 ; I, Jesus and Empire. The Kingdom of God and the New World Disorder, Minneapolis, MN, Fortress, 2003 ; mais aussi, avec des variantes, par John Dominic C, The Birth of Christianity, San Francisco, CA, HarperSanFrancisco, 1999, et par C – R, Excavating Jesus, ainsi que dans plusieurs ouvrages de Freyne, seconde manière. Celui-ci, en effet, a modifié sa position à partir de 1995 : Seán F, « Herodian Economics in Galilee. Searching for a Suitable Model », dans Galilee and Gospel,  86-113 (paru d’abord dans Philip E (dir.), Modelling Early Christianity. Social-Scientific Studies of the New Testament in its Context, London, UK – New York, NY, 1995, 22-44). Freyne y emprunte le modèle élaboré par omas F. C, The Shape of the Past. Models in Antiquity, Lawrence, KA, Coronado, 1975. La présentation de F, « La Galilée et la Judée », p.  324-355, qui se conclut par la distinction entre deux stratégies du ministère de Jésus  (une stratégie sociale pour la Galilée et une stratégie religieuse pour Jérusalem), dépend entièrement du modèle de Carney (surtout pour les p.  338 à 351). Voir encore F, Jesus, a Jewish Galilean. Or, Morten Hørning J, Herod Antipas in Galilee. The Literary and Archaeological Sources on the Reign of Herod Antipas and its Socio-Economic Impact on Galilee (WUNT, 2.215), Tübingen, Mohr Siebeck, 2006, a démontré que les données archéologiques actuelles sur la Galilée ne confirment en rien les hypothèses de Carney (voir ses conclusions, p. 249-251). Voir aussi à ce sujet (surtout pour la prétendue intensification de la monoculture en Galilée) la longue recension de C – R, Excavating Jesus, de la part de Gary G, RBL (06/2003). 35. L’interprétation de paix fut soutenue, au début de sa carrière, par Seán F, Galilee from Alexander the Great to Hadrian, 323 BCE to  135 CE. A Study of Second Temple Judaism, Wilmington, DE – Notre Dame, IN, Glazier – Notre Dame University Press, 1980, et défendue entre autres par Ed Parish  S, Judaism Practice and Belief 36 BCE to 66 CE, London, UK – Philadelphia, PA, SCM – Trinity Press International, 1992, surtout p.  157-169, et I, « Jesus in Historical Context », dans Theology Today 50 (1993) 429-448.

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l’époque de Jésus, qui correspond à peu près au gouvernement d’Hérode Antipas (de -4 à 39), la Galilée était exempte de grandes tensions et de conflits importants. Gerd eissen a tenté une sorte de synthèse entre ces deux positions, tout en conservant le langage de crise, fidèle à la « théorie des conflits », la méthode sociologique qu’il adopte36, même s’il reconnaît que le mouvement de Jésus est né dans une phase de relative stabilité, « entre deux périodes de crise, dit-il, entre la “guerre des brigands” et Judas le Galiléen d’un côté (6 après J.C.) [et] la crise de Caligula de l’autre (39-40 après J.C.)37 ». Faut-il encore parler de crise pour qualifier l’espace qui sépare « deux périodes de crise » ? Je préfère parler de période de calme, même si ce calme est relatif. Je ne dirai donc pas que la situation, en Galilée, était idyllique, que les gens vivaient dans le bonheur parfait, que les tensions n’existaient pas, qu’on était heureux de payer les taxes, qu’il n’y avait ni pauvres ni exploités, que tout le monde se réjouissait de la domination romaine. Mais le long règne de quarante-trois ans d’Hérode Antipas, dans une Galilée qui ne compte aucune révolte durant tout ce temps, fait pencher vers l’interprétation de paix38. Et cela, même s’il faut admettre que la prédication du prophète Jésus, dont le thème central était le règne de Dieu, avait nécessairement des implications politiques et n’était pas sans danger. On connaît d’ailleurs le sort qu’Antipas réserva à Jean Baptiste. Le silence des évangiles sur les deux capitales hérodiennes de Galilée, Sepphoris et Tibériade, indique sans doute que Jésus percevait là une possible zone de danger. On le voit, toutes ces recherches sont passionnantes, importantes mais, comme bien d’autres en histoire, n’aboutissent le plus souvent qu’à des hypothèses, entre lesquelles il n’est pas facile de trancher. Sciences historiques, « petites sciences conjecturales » avait dit Renan autrefois39… ! 4. Conclusion Je conclurai en rappelant le mot d’Henri-Irénée Marrou : « Les Évangiles ne sont pas des témoignages directs sur la vie du Christ, ils sont un document primaire, et d’une valeur incomparable, sur la communauté 36. T, Le mouvement de Jésus, p. 15 et 31. 37. T, Le mouvement de Jésus, p. 310. Voir aussi p. 8 et 244. 38. C’est l’interprétation que me paraît avoir établie la toute récente thèse de J, Herod Antipas in Galilee. 39. Ernest R, Souvenirs d’enfance et de jeunesse, ch.  IV : Le Séminaire d’Issy [texte établi et présenté par Jean  P], Paris, Armand  Colin, 1959 (1883), p.  151. Selon Pommier (p. xix), ce chapitre aurait été écrit en 1881.

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chrétienne primitive : nous n’atteignons Jésus qu’à travers l’image que ses disciples se sont faite de lui » (je souligne). Ce qui, ajoutait-il, « ne veut pas dire que cette image soit trompeuse, encore qu’elle ne soit pas celle que l’historien événementiel aimerait qu’elle eût été40 ». En un sens, James D.G. Dunn vient de reprendre, de façon brillante, cette affirmation dans un ouvrage qui fera date sans doute : Jesus Remembered41. Dunn rappelle que la tradition concernant Jésus n’a pas commencé par des textes. Cette tradition est née d’une rencontre avec Jésus, jaillie de l’impact que cette rencontre a produit sur des gens qui se sont mis à le suivre et sont devenus disciples. Des gens qui se racontaient les uns aux autres, le soir, quand il n’y avait rien d’autre à faire, ou revenus dans leur milieu, quand ils devaient expliquer le pourquoi de leur curieuse itinérance, ce qui les avait frappés chez ce personnage charismatique, ses gestes, ses paroles, et pourquoi ils continuaient à le suivre, pourquoi ils mettaient en lui leur foi. Car c’est bien de foi qu’il s’agit, de foi prépascale, mais qui déjà, au plus près du Jésus de l’histoire, inaugure et façonne une tradition. Après la mort de Jésus et l’événement de Pâques, les disciples n’ont pas cessé d’être disciples ni de se remémorer les traditions de Jésus. Continuité historique donc entre le Jésus d’avant Pâques et le Christ de la foi, la même tradition d’avant Pâques, le même contenu pré-pascal, continuant à se dire dans le nouveau contexte de la foi pascale. Continuité qu’une grande partie de la recherche sur le Jésus de l’histoire, commencée, on le sait, en opposition au Christ de la foi, avait éliminée. Ce que les disciples ont raconté, à Paul par exemple et à d’autres, c’est ce que peu à peu ils ont mis par écrit, plusieurs d’entre eux entreprenant, comme dit Luc dans son prologue, « de composer un récit des événements accomplis parmi nous » (Lc 1,1). Si bien que, dans cette perspective, reprenant la question des « sources », on retrouve l’importance capitale des évangiles synoptiques. Certains en appelleront sans doute à nouveau de cette « tyrannie du Jésus synoptique », mais il paraît incontestable que toute la tradition concernant Jésus est née là, de l’impact produit par la personne de Jésus sur les premiers disciples, tradition transmise d’abord oralement et finissant sa trajectoire dans les évangiles canoniques.

40. M, De la connaissance historique, p. 102-103. 41. D, Jesus Remembered, p. 173-254, où il souligne à bon droit l’importance de la tradition orale pour l’analyse des données synoptiques. Dunn a ramassé ses conclusions dans un petit ouvrage intitulé A New Perspective on Jesus. What the Quest for the Historical Jesus Missed, Grand Rapids, MI, Baker Academic, 2005.

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« À son mieux, dit Dunn, le Jésus de l’histoire ne peut être autre que le Jésus-qui-a-produit-l’impact-qui-est-à-la-source-de-la-tradition-deJésus » (avec des traits d’union entre tous les mots). « Le seul Jésus qui nous soit accessible est le Jésus qui a été vu et entendu par ceux qui, les premiers, ont formulé les traditions que nous avons42. » « Nous n’atteignons Jésus qu’à travers l’image que ses disciples se sont faite de lui » (Marrou).

42. « e historical Jesus at best can be none other than the Jesus-who-made-theimpact-which-is-the-beginning-of-the-Jesus-tradition » ; « e only Jesus available to us […] is Jesus as he was seen and heard by those who first formulated the tradition we have… », D, A New Perspective on Jesus, p. 30-31.

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RECHERCHES CANADIENNES SUR LE JÉSUS DE L’HISTOIRE* Recherches faites par des auteurs canadiens travaillant au pays ou ailleurs ? Recherches faites au Canada par des auteurs étrangers ? Ces points d’interrogation trahissent le caractère en un sens ambigu et artificiel de l’entreprise. Comme telle, en effet, la recherche n’a pas de frontières. Elle est nécessairement internationale, mondiale. À première vue d’ailleurs, les biblistes canadiens, surtout anglophones, se distinguent très peu des chercheurs américains : ils enseignent souvent dans les mêmes universités de part et d’autre de la frontière, font partie des mêmes sociétés savantes (Society of Biblical Literature en particulier et Catholic Biblical Association), participent ou ont participé aux mêmes groupes de recherche (notamment aux entreprises quasi industrielles du Jesus Seminar et surtout de l’International Q Project), subissent les mêmes influences. L’article qui suit tente néanmoins de dessiner, à grands traits, un certain paysage canadien de la recherche sur Jésus, en regroupant, arbitrairement parfois1, les principaux travaux autour des points suivants : – – – –

Méthode et histoire de la recherche Contexte historique : la Palestine du Ier siècle, avant 70 Sources disponibles Conclusion : la mort de Jésus, reflet du chemin singulier qui fut le sien.

1. Méthode et histoire de la recherche L’enjeu est clair : la recherche porte sur le Jésus que l’historien peut découvrir. Mais quels chemins, quelles méthodes, emprunte l’historien pour cette découverte ? Il devrait sembler évident qu’on ne s’engage pas * Texte paru dans Chrystian B – Gérard R (dir.), Le Jésus de l’histoire à travers le monde / The Historical Jesus Around the World, Montréal, Fides, 2009, 13-46. 1. Les divisions proposées ne sont pas étanches : de même qu’on ne traite pas de questions de méthode de façon purement abstraite sans offrir d’exemples concrets, on n’étudie pas non plus un point particulier sans préciser, normalement, la méthode ou les principes qui sous-tendent l’argumentation. Dans le cadre de cet article, il est par ailleurs impossible de rendre justice à tous les secteurs de la recherche et le tableau, forcément, restera incomplet.

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dans un travail d’historien sans avoir en tête une théorie de l’histoire. Mais la plupart des chercheurs de Jésus ne semblent pas trop s’en préoccuper. C’est ce à quoi voulait remédier l’important ouvrage de Ben F. Meyer (McMaster University, Hamilton, ON), The Aims of Jesus2, en liant intimement philosophie et histoire, en particulier dans son chapitre intitulé « Jesus and Critical History » (76-94). La première partie de son livre traite de questions herméneutiques. Il emprunte sa théorie de la connaissance au philosophe-théologien Bernard  Lonergan3 et sa conception de l’histoire à d’importants théoriciens comme R.G. Collingwood, conception qu’Henri-Irénée  Marrou a brillamment développée dans son livre De  la connaissance historique, philosophie critique de l’histoire4. Meyer pose les fondements et énonce des principes sans lesquels toute recherche du Jésus historique ne peut qu’aboutir à l’échec. Je retiens deux de ces principes : l’histoire est une connaissance (d’où la nécessité d’une épistémologie, et c’est le recours à Lonergan) ; la connaissance historique est inférée, non immédiate (d’où l’apport de l’historien dans l’interprétation des données). On rejoint ici l’énoncé capital de Marrou : « L’histoire est inséparable de l’historien5. » Dans son Introduction, N.T.  Wright, luimême spécialiste du Jésus de l’histoire, ne craint pas d’affirmer que si les principes de Meyer avaient été observés, « much of the nonsense that has been written about Jesus in the last twenty years, not least the so-called “Jesus Seminar”, could have been avoided6 ». 2. Ben F.  M, The Aims of Jesus. With a New Introduction by Nicholas omas  W (Princeton eological Monograph Series,  48), San Jose, CA, Pickwick Publications, 2002 (1979). Nicholas omas W, Jesus and the Victory of God, Minneapolis, MN, Fortress, 1996, p. 116, avait écrit que ce livre de Meyer était « one of the most learned, patient and methodologically thorough of the last fieen years [la période de la “troisième quête”] – perhaps in the last 150 » [ce qui nous ramènerait au début de la « première quête » !]. Dans l’introduction qu’il donne à la réédition du livre de Meyer (p. 9a), Wright confesse en plus que l’expression « troisième quête », qu’il avait lui-même créée dans Stephen  N – Nicholas omas W, The Interpretation of the New Testament 1861-1986, Oxford, UK – New York, NY, OUP, 1988, p. 379, ne devrait pas, en réalité, lui être attribuée mais plutôt à Meyer, car c’est ce dernier qui, « almost prophetically, provided a thought-out methodological basis for the ird Quest which all intending writers on Jesus would do well to study carefully » (W, Jesus and the Victory of God, p. 83). 3. Voir Bernard J.F. L, « History and Historians », dans Method in Theology, New York, NY, Herder and Herder, 1972, 197-234, où il reprend largement les idées de H.-I. Marrou. 4. M, De la connaissance historique. 5. Voir ibid., p. 47-63. 6. Nicholas omas W, « Introduction for the New Edition », dans M, The Aims of Jesus, p. 9a. Voir à ce propos la brève mais percutante recension que Meyer fait du livre de John Dominic C, The Historical Jesus. The Life of a Mediterranean Jewish Peasant, San Francisco, CA, HarperSanFrancisco, 1991 : un chef-d’œuvre

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Cette compréhension de la connaissance historique entraîne des conséquences dans le débat concernant les différents critères d’authenticité ou d’historicité. Dans un article important intitulé « Objectivity and Subjectivity in Historical Criticism of the Gospels7 », Meyer fait le point de manière remarquable. Il préfère parler d’« indices » d’historicité plutôt que de critères, car aucun des prétendus critères d’historicité ne constitue une norme d’où l’on pourrait, quasi automatiquement, déduire, inférer l’historicité. Après des remarques extrêmement pertinentes sur les faiblesses du critère de dissimilarité (ou de discontinuité) face aussi bien au judaïsme du Ier siècle qu’à l’Église d’après Pâques, ainsi que sur les dérives du critère d’attestation multiple (par exemple chez Crossan) où le multiple tend à s’imposer comme ancien et l’ancien comme historique, Meyer met le doigt sur ce qui constitue, à son avis, le vrai problème : le rôle de la subjectivité dans l’acte même du connaître. Il note que la critique néotestamentaire, restée profondément positiviste8, oppose inconsidérément objectivité et subjectivité. En appelant à Lonergan, Meyer montre avec brio que « the ontological home of truth is the subject9 ». Les critères ou indices d’historicité ne sont que des outils heuristiques, mais le jugement d’historicité (qui suppose non seulement les données brutes, mais leur questionnement et leur arrangement) relève de l’historien10. On retrouve, par un autre biais, les positions de Collingwood ou de Marrou sur l’histoire inséparable de l’historien.

littéraire, peut-être, rempli d’informations sur l’anthropologie récente et les systèmes sociaux, économiques et politiques anciens, mais qui, « as historical-Jesus research […], is unsalvageable », Ben F. M, CBQ 55 (1993) 576. Meyer a développé ses vues sur la méthode historique et son application au Nouveau Testament en deux autres ouvrages importants : Ben F. M, Critical Realism and the New Testament (PTMS, 17), Allisson Park, PA, Pickwick Publications, 1989, et I, Reality and Illusion in New Testament Scholarship, Collegeville, MN, Liturgical Press, 1994. 7. Ben F. M, « Objectivity and Subjectivity in Historical Criticism of the Gospels », dans David L. D (dir.), The Interrelations of the Gospels (BETL, 95), Leuven, University Press – Peeters, 1990, 546-560 (suivi de la réponse de Reginald H. F et de l’« Aerword » de M, p. 561-565). 8. M, « Objectivity and Subjectivity in Historical Criticism », p. 558. 9. Ibid., p. 557. 10. L, « Data and Facts » dans Method in Theology, 201-203, distingue entre la démarche critique qui discerne les données et la démarche interprétative qui seule établit les faits historiques. Un « fait historique » est donc un construit, dépendant tout à fait de l’historien : « e facts ascertained in the critical process are not historical facts, but just data for the discovery of historical facts. e critical process has to be followed by an interpretative process, in which the historian pieces together the fragments of information that he has gathered and critically evaluated. Only when this interpretative process of reconstruction is terminated do there emerge what may properly be called the historical facts » (p. 203 ; les italiques sont ajoutés).

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Ce que l’histoire recherche donc, ce n’est pas simplement une collection de données, mais ce que Meyer appelle « the inside », l’intérieur ou l’âme de l’événement, la pensée ou le but dont cet événement est chargé, ce qui lui donne sens et direction11. Ce qui importe, ce n’est pas telle donnée en elle-même, par exemple, le baptême de Jésus par Jean Baptiste, mais le pourquoi de ce baptême, ce qu’il nous révèle des buts de Jésus, de sa visée, de ses intentions : The Aims of Jesus. Dans cette perspective, la deuxième partie du livre place Jésus dans le judaïsme du Ier siècle, un judaïsme tout tendu vers la restauration d’Israël. Sans écarter une dimension future de fin du monde, c’est cette restauration qui est impliquée, pour Meyer, dans le mot « eschatologique ». Le commencement de la carrière publique de Jésus a été inextricablement mêlé à la mission de Jean Baptiste12. Or celle-ci visait la restauration d’Israël dans une perspective rigoureusement eschatologique. Découvrir le sens de la mission du Baptiste, c’est donc ouvrir une fenêtre sur les orientations mêmes de Jésus. Mais ce n’est là qu’une première étape. Après l’arrestation de Jean, Jésus commence une carrière indépendante toute centrée, en paroles et en gestes, sur la proclamation du règne de Dieu. Parmi ces gestes à résonance eschatologique, Meyer range l’appel des Douze, les miracles, la communauté de table avec les pécheurs13, mais surtout ce qu’il appelle « the entry-cleansing-riddle complex14 », c’est-àdire l’entrée à Jérusalem, la parole mystérieuse sur le Temple et l’action de Jésus dans le Temple. C’est là notamment que Jésus apparaît et se perçoit lui-même comme « the messianic builder of the house of God15 ». 11. Voir Ben F. M, « e “Inside” of the Jesus Event », dans Critical Realism and the New Testament, 157-172, en particulier p. 166-167, qui reprend la distinction de Collingwood entre « the “outside” and the “inside” of an event » : Robin George C, The Idea of History, Oxford, UK, OUP, 1946, p. 213-215. Selon Meyer, l’inside qui donnait sens à toutes les paroles et tous les actes de Jésus, c’est la restauration eschatologique d’Israël annoncée dans les Écritures. Ce qui l’autorise à conclure, et ce, sur le plan même de l’histoire, à la conscience messianique de Jésus (voir p. 169). Fait-on, dans cette perspective, de l’histoire ou de la théologie ? Meyer a répondu à l’objection en rappelant que, dans l’histoire d’Israël, toutes les questions et tous les acteurs étaient « immersed in religious schemes and visions », M, The Aims of Jesus, p. 222. 12. M, The Aims of Jesus, p. 115. 13. Un point que M, The Aims of Jesus, p. 158-162, souligne déjà fortement, en 1979, bien avant que C, The Historical Jesus, p. 261-264, en fasse un thème important de sa reconstruction, en 1991. 14. Dans un remarquable article de synthèse : Ben F. M, « Master Builder and Copestone of the Portal. Images of the Mission of Jesus », dans Toronto Journal of Theology 9 (1993) 187-209, p. 199. 15. M, The Aims of Jesus, p. 221 – qui a développé ce point de vue dans un autre ouvrage : I, Christus Faber. The Master Builder and the House of God, Allisson Park, PA, Pickwick Publications, 1992, et dans un de ses derniers articles, I, « Appointed Deed, Appointed Doer. Jesus and the Scriptures », paru d’abord dans William R. F

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Ces derniers événements recoupent, en fait, la troisième étape de la carrière de Jésus, inaugurée par la question cruciale : « Qui suis-je, au dire des hommes ? » et suivie par l’annonce à ses disciples de sa propre mort (cf. Mc  8,27.31). Dans cet enseignement privé (Meyer dit « esoteric »), Jésus livre à ses disciples le secret du règne de Dieu, secret qu’ils ne comprendront vraiment qu’après la résurrection (cf. Jn 2,22 ; 12,16 ; 14,26)16. Tout cela implique, de la part de Jésus, une pleine conscience du caractère eschatologique de sa mission. Il est le porteur conscient de la mission décisive et définitive à Israël. Comme historien, Meyer estime que cette conclusion est établie. C’est là pour lui « a fact [un fait historique !] of the consciousness of Jesus17 ». En insistant sur cette dimension « religieuse » de la figure de Jésus, Meyer s’oppose explicitement à la figure quasi totalement sécularisée que présentent les études récentes qui s’en tiennent au contexte social, économique et politique du monde de Jésus18. C’est grâce à une réflexion importante sur la méthode historique que Meyer peut ainsi mettre en évidence l’« inside » de la carrière de Jésus. Dans sa recherche, quasi utopique, de la réalité passée, l’histoire doit utiliser tous les outils disponibles. Parmi ceux-ci, les méthodes proposées par les sciences humaines, en particulier les modèles sociologiques (paysan méditerranéen, cité hellénistique, itinérance cynique), sont devenues populaires. Ces modèles, généralisations obtenues par procédés d’abstraction, ne permettent pas d’atteindre le concret, le singulier, qui est l’objet de l’historien. Mais ils ont une fonction heuristique menant, quand il y a coïncidence entre les données étudiées et le modèle, à une compréhension partielle, mais authentique, du passé ; permettant même, quand la confrontation est négative, d’atteindre une connaissance du singulier en tant que tel, insaisissable dans son autonomie, mais que la comparaison permet d’entrevoir19. C’est dans cette perspective que Pierluigi Piovanelli (Université d’Ottawa, ON), engagé dans un projet où il tente d’établir les contours d’une typologie idéale à la Max  Weber, analyse le concept de (dir.), Crisis in Christology. Essays in Quest of Resolution, Livonia, MI, Dove, 1995, 311332, et repris dans Bruce C – Craig A. E (dir.), Authenticating the Activities of Jesus (NTTS, 28/2), Boston – Leiden, Brill, 1999, 155-176. 16. Ben F. M, « Jesus’ Ministry and Self-Understanding », dans Bruce C – Craig A. E (dir.), Studying the Historical Jesus. Evaluations of the State of Current Research (NTTS, 19), Leiden – Boston, Brill, 1998 (1994), 337-352, p. 350. Pour les étapes de la carrière de Jésus, voir Ben F. M, « “Phases” in Jesus’ Mission », dans Gregorianum 73 (1992) 5-17. 17. M, « Master Builder and Copestone of the Portal », p. 193. « A fact », au sens défini dans la note 10. 18. M, « Master Builder and Copestone of the Portal », p. 187-191. 19. Je reprends cela de la présentation critique des « types idéaux » de Max Weber, que fait M, La connaissance historique, p. 153-161.

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« leader charismatique » qui expliquerait l’extraordinaire autorité (exousia) qui fut celle de Jésus20. Ce faisant, il se rapproche beaucoup de eissen-Merz, qui utilisent aussi les éléments de la définition de Weber pour conclure que Jésus était avant tout « a Jewish charismatic21 ». Mais en reconnaissant aussitôt que le sociologue de la religion et le théologien ne donnent pas le même sens au mot « charismatique », eissen et Merz avouent à leur manière, me semble-t-il, que la singularité de Jésus échappe encore au modèle sociologique. C’est aussi en s’en tenant à l’approche uniquement sociologique, en étudiant « les structures sociopolitiques de l’époque [plutôt] que de s’appesantir sur les traditions particulières touchant Jésus lui-même », qu’André  Myre (Université de Montréal, QC), dans « Jésus s’est-il pris pour le Messie ? », reprend l’enquête sur la conscience messianique de Jésus22. Si on « confine23 » le titre de Messie à la fonction royale, au sens très politique de pouvoir humain, il est évident que Jésus ne s’est pas pris pour le Messie, que « la conscience messianique de Jésus au sens d’une prétention de ce dernier à être un roi de type davidique ne se pose pour ainsi dire plus24 ». Mais le titre de Messie réveillait peut-être, dans le judaïsme du temps, des échos religieux autres que simplement sociopolitiques, comme en témoigne à Qumrân ce texte appelé l’Apocalypse messianique (4Q  521). Les bienfaits messianiques sont au futur eschatologique en 4Q 521. En évoquant ces mêmes bienfaits, mais au présent, pour justifier son action (Mt 11,5 ; Lc 7,22), Jésus colore eschatologiquement sa propre activité. Quand il laisse entendre en fin d’article que « la foi chrétienne dans le messie Jésus » dépend de l’expérience pascale25, Myre reconnaît peut-être aussi que, concernant Jésus, l’approche sociologique ne dit pas le dernier mot des choses. Un autre bibliste qui a fortement marqué et continue de marquer la recherche sur la scène canadienne, autant comme auteur que comme 20. Pierluigi P, « Jesus’ Charismatic Authority. On the Historical Applicability of a Sociological Model », dans Journal of the American Academy of Religion 73 (2005) 395-427. Piovanelli oppose de façon convaincante le modèle du « leader charismatique » de Weber à celui de la « reputational authority » de Malina, qui a la faveur aux États-Unis. Voir Bruce M, The Social World of Jesus and the Gospels, London, UK – New York, NY, Routledge, 1996. 21. Gerd T – Annette  M, The Historical Jesus. A Comprehensive Guide, Minneapolis, MN, Fortress, 1998 (allemand 1996), p. 236. Voir p. 185-186 pour la reprise des éléments de Weber. 22. André  M, « Jésus s’est-il pris pour le Messie ? », dans Robert  D (dir.), Faut-il attendre le Messie ? Études sur le messianisme (Sciences bibliques, 5), Montréal, Médiaspaul, 1998, 77-94. En p. 78 n. 3, Myre reprend l’orientation de Richard A. Horsley. 23. M, « Jésus s’est-il pris pour le Messie ? », p. 88 n. 24. 24. Ibid., p. 87. 25. Ibid., p. 94.

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éditeur, est Craig A. Evans (Acadia Divinity College, NS). Comme il s’est engagé globalement dans la recherche, nous le retrouverons plusieurs fois dans les pages qui suivent. Signalons d’entrée de jeu son livre Life of Jesus Research. An Annotated Bibliography26, qui comprend plus de 2000 entrées. Les introductions, celle à la discussion générale (avec les données bibliographiques des ouvrages parus de 1768 à 1995, que l’auteur divise en douze périodes), mais aussi celles à chacun des thèmes retenus (démythologisation ; critères d’authenticité ; compréhension que Jésus avait de luimême ; miracles ; mort de Jésus ; résurrection ; vies de Jésus ; sources non canoniques ; Jésus et Jean Baptiste) font de cet ouvrage une initiation remarquable à l’ensemble de la recherche sur le Jésus de l’histoire. Malgré son ampleur, cette bibliographie n’est évidemment pas exhaustive. L’auteur reconnaît aussi que le choix des titres retenus, comme les commentaires qui les accompagnent, même s’ils se veulent uniquement descriptifs, implique des évaluations et donc une certaine dose de subjectivité. Mais par cela même cet ouvrage constitue une contribution originale à la recherche. Il se présente d’ailleurs comme un « companion volume » à l’ouvrage collectif édité par B. Chilton et C.A. Evans, Studying the Historical Jesus. Evaluations of the State of Current Research27. Ensemble, ces deux ouvrages nous font entrer bellement dans la « troisième quête ». Par ailleurs, dans le premier chapitre de son Jesus and His Contemporaries, Evans présente un bilan des développements récents de cette troisième quête28. Il les ramène à trois points : une évaluation plus positive de l’historicité des évangiles canoniques due, et c’est le deuxième point, à une plus grande rigueur dans l’utilisation des critères d’authenticité29. Le troisième trait caractéristique de la recherche actuelle serait l’utilisation des sources non canoniques, utilisation fort discutable selon Evans, qui a mené à des portraits trompeurs et excentriques du Jésus de l’histoire30. Sur le plan de la méthode et de l’histoire de la recherche, il faut mentionner également la contribution de Stanley E. Porter (McMaster Divinity College, Hamilton, ON) concernant les critères d’authenticité. Dans 26. Craig A. E, Life of Jesus Research. An Annotated Bibliography. Revised edition (NTTS, 24), Leiden, Brill, 1996 (1989). 27. C – E (dir.), Studying the Historical Jesus. 28. Craig A. E, « Recent Developments in Jesus Research. Presuppositions, Criteria, and Sources », dans Jesus and His Contemporaries. Comparative Studies (AGJU, 25), Leiden, Brill, 1995, 1-49. Voir également Jean-Paul M, « Un état de la recherche sur le Jésus de l’histoire », dans Église et Théologie 26 (1995) 143-163 – à propos des sources et du milieu socio-culturel de la Galilée du Ier siècle. 29. Selon E, « Recent Developments in Jesus Research », p. 13, la meilleure présentation de ces critères est celle de M, A Marginal Jew, Vol. 1, p. 167-195. 30. E, « Recent Developments in Jesus Research », p. 47.

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The Criteria for Authenticity in Historical-Jesus Research31, ouvrage d’une très grande érudition, bardé de références bibliographiques non seulement sur le Jésus de l’histoire, mais sur presque toute l’exégèse du NT, Porter conteste d’abord la séquence devenue classique : « Old or First Quest » : 1778-1906 ; « No Quest » : 1906-1953 ; « New or Second Quest » : 1953198832 ? » ; « ird Quest » (1988 ?- ). Pour lui, ces divisions sont tout à fait arbitraires, comme le démontre le flot des publications sur Jésus de Nazareth qui n’a jamais cessé. Pas même dans cet intervalle qu’on qualifie de « No Quest » (de 1906, après Schweitzer, à Käsemann, en 1953), où Porter trouve facilement près de trente grands noms (parmi lesquels il suffit de citer J. Klausner, M.-J.  Lagrange, T.W.  Manson, M.  Goguel, C.H. Dodd, A. Loisy, R.H. Lightfoot, J. Jeremias, sans compter le Jesus de Bultmann en 1926). Porter fait ensuite l’histoire des critères d’authenticité, qu’il montre liée au développement de la critique biblique (Formgeschichte, Redaktionsgeschichte). Il retrouve en gros les mêmes critères chez des auteurs récents, comme J.P. Meier et G. eissen (discontinuité, attestation multiple, cohérence, embarras, rejet et exécution [on pourrait parler ici « d’explication suffisante » de la mort de Jésus]). Porter conclut33 que, malgré sa critique, souvent pertinente, des critères traditionnels, eissen les reprend au fond, un à un, pour fonder un critère qu’il estime nouveau et qu’il appelle « critère de plausibilité historique34 ». En fait, si on trouve chez eissen des déplacements d’accent, la méthode est toujours la même. Et chez lui aussi, le critère de dissimilarité reste fondamental. Porter croit pouvoir innover dans ce champ des critères en se tournant vers le grec. Au temps de Jésus, cette langue était devenue lingua franca dans tout l’Empire romain. En plus de l’araméen, et possiblement de l’hébreu, Jésus a dû parler grec. Porter retient sept situations où, selon lui (étant donné l’origine des interlocuteurs, le contexte et les thèmes de la discussion), Jésus a très vraisemblablement parlé grec : ses conversations avec un centurion, avec une samaritaine, avec une Syrophénicienne, avec 31. Stanley E. P, The Criteria for Authenticity in Historical-Jesus Research. Previous Discussion and New Proposals (JSNTSS, 191), Sheffield, Sheffield Academic Press, 2000. 32. Cette date étant celle où N.T. Wright, le premier, dans le chapitre qu’il ajoute en 1988 au livre de N, The Interpretation of the New Testament, p. 379, forge l’étiquette « the third Quest ». Voir note 2 du présent chapitre. 33. P, The Criteria for Authenticity in Historical-Jesus Research, p. 121. 34. Critère que eissen a élaboré à partir de la thèse de son étudiante Dagmar Winter. Voir Gerd T – Dagmar W, The Quest for the Plausible Jesus. The Question of Criteria, Louisville, KY, Westminster John Knox Press, 2002 (allemand 1997). Ces positions avaient été popularisées dans T – M, The Historical Jesus.

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Lévi le collecteur d’impôt, avec des pharisiens et des Hérodiens à propos de la pièce d’argent à l’effigie de César, avec ses disciples (dont plusieurs portent des noms grecs) dans la ville hellénisée de Césarée de Philippe et, finalement, avec Pilate. Porter raffine son premier critère général en faisant appel à un second critère plus pointu, celui des variantes textuelles grecques des paroles attribuées à Jésus. Au terme d’un long processus, il conclut que les deux mots de Jésus à Pilate (su legeis : Mc 15,2) sont presque certainement des ipsissima verba de Jésus ; que nous avons probablement quelques paroles authentiques de Jésus dans sa réponse à la Syrophénicienne : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux petits chiens » (Mc 7,27 et par.) et dans les questions de Jésus à Césarée : « Qui suis-je au dire des hommes ? » (Mc 8,27), « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » (Mc 8,29). L’entreprise est courageuse, mais elle n’est pas sans faille : elle présuppose un peu vite l’historicité même de ces situations où Jésus aurait parlé grec et on peut estimer, malgré tant d’efforts, que les résultats sont bien modestes35 ! 2. Contexte historique. La Palestine du Ier siècle, avant 70 La recherche sur tous les aspects de la Palestine d’avant 70, aspects politiques, économiques, socioculturels ou religieux, devient, naturellement, recherche sur Jésus. Jésus vit dans ce monde et de ce monde. Les études qui suivent décrivent ce contexte historique. On peut les regrouper, artificiellement encore une fois, sous les titres suivants : hellénisme et judaïsme à l’époque hérodienne et mouvements religieux au Ier siècle. 2.1 Hellénisme et judaïsme à l’époque hérodienne Parmi les ouvrages importants qui présentent le contexte historique de la Palestine du Ier siècle, il faut signaler l’excellente étude de Peter Richardson (Université de Toronto, ON) sur Hérode le Grand36. Il y est peu question de Jésus, sauf pour souligner que Jean  Baptiste (Lc  1,5) et Jésus (Mt 2,1) sont nés vers la fin du règne d’Hérode. Mais il suffit de parcourir la liste des constructions d’Hérode (entre autres, un théâtre à Jérusalem et probablement un hippodrome ou amphithéâtre, selon Josèphe37), pour imaginer que le paysage parcouru par Jésus n’a pas été que champêtre et 35. On peut lire une judicieuse recension de l’ouvrage de Porter par Joseph A. F, dans Biblical Interpretation 9 (2001) 410-413. 36. Peter R, Herod. King of the Jews and Friend of the Romans, Columbia, SC, University of South Carolina Press, 1996. 37. Ibid., p. 186-188.

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qu’il était plus familier du monde urbain déjà hellénisé que ne le laissent entendre, à première vue, les récits évangéliques. Au passage, Richardson fait allusion au fait qu’Hérode aurait été autorisé à frapper des sicles d’argent de Tyr38. Selon la Mishnah, c’était cette monnaie tyrienne qui était requise par les autorités religieuses pour le paiement de l’impôt dû au Temple. Mais il faut savoir que ce sicle d’argent de Tyr portait sur une face la tête du dieu Melkart (ou Héraclès) et sur l’autre, un aigle. Cette combinaison de figures contrevenait à la prohibition d’images qui était de règle chez les Juifs à la fin de l’ère du Second Temple. Or ce serait tout de même cette ancienne monnaie de Tyr, cette monnaie païenne, que les changeurs assis à la porte du Temple auraient fournie aux pèlerins venant s’acquitter de l’impôt du Temple. Pourquoi Jésus renverse-t-il les tables des changeurs ? Avons-nous là un symbole prophétique annonçant la destruction du Temple ? Ou une réaction contre les abus et le commerce illicite dans le Temple ? Dans un article fort bien documenté, Richardson soutient que Jésus renverse les tables des changeurs parce que le sicle d’argent de Tyr, réclamé par les autorités du Temple, offense la sainteté du Temple39. Ce que l’incident mettrait en évidence, ce n’est pas la destruction du Temple ou la fin du Temple, mais bien plutôt le respect dû au Temple. Mais c’est évidemment à la Galilée d’Antipas, fils d’Hérode le Grand, que s’arrêtent les chercheurs de Jésus. Sur les plans sociopolitique et économique, deux interprétations, en gros, se font face. L’une, qu’on peut appeler l’interprétation de crise, défendue notamment par R.A. Horsley, décrit une situation catastrophique où les paysans, écrasés par de lourdes taxes, s’endettent de plus en plus et, incapables de rembourser, sont finalement dépossédés de leurs terres, réduits à la mendicité ou condamnés à rejoindre les groupes de bandits sociaux qui écument le pays. C’est la position que retient et développe André  Myre40. À l’opposé, JeanPaul  Michaud (Université Saint-Paul, Ottawa, ON) défend l’interprétation de paix, soutenue particulièrement par S. Freyne (première manière) 38. Ibid., p. 212 n. 78. 39. Peter  R, « Why Turn the Tables ? Jesus’ Protest in the Temple Precincts », dans Eugene H. L (dir.), SBL Seminar Papers 1992 (SBLSP, 31), Atlanta, GA, Scholars Press, 1992, 507-523. Il maintient cette lecture dans : I, « Enduring Concerns. Desiderata for Future Historical-Jesus Research », dans William E. A – Michel D (dir.), Whose Historical Jesus ? (Studies in Christianity and Judaism / Études sur le christianisme et le judaïsme, 7), Waterloo, ON, Wilfrid Laurier University Press, 1997, 296-307, p. 300 et 306. 40. André M, « Jésus et son mouvement », dans Odette M (dir.), Écrits et milieu du Nouveau Testament. Une introduction (Sciences bibliques,  7), Montréal, Médiaspaul, 1999, 57-95.

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et E.P. Sanders41, selon laquelle, à l’époque de Jésus, qui correspond à peu près au gouvernement galiléen d’Hérode Antipas, la Judée, mais surtout la Galilée, étaient exemptes de grandes tensions et de conflits importants. Malgré les passages évangéliques qui parlent de dettes à rembourser, de gens mis en prison pour dettes et de travailleurs sans emploi (Mt 20,3-7), la Galilée du temps de Jésus n’était pas réduite à la misère42. Dans cette perspective, si Jésus était attentif aux démunis, il ne faisait pas figure de révolutionnaire social. Sa prédication du règne de Dieu, qui avait bien sûr des retombées sociopolitiques, était avant tout religieuse et ne s’attaquait pas d’abord à l’Empire. On peut rattacher à l’étude générale du contexte le livre récent de Craig A. Evans, Jesus and the Ossuaries43. Occasionné par le débat entourant la découverte d’un ossuaire portant l’inscription « Jacques, fils de Joseph, frère de Jésus », dont l’authenticité est toujours discutée, le livre traite des pratiques funéraires juives dans l’Antiquité et dresse surtout (incluant une impressionnante bibliographie) le catalogue des inscriptions funéraires et non funéraires ainsi que la liste des ossuaires significatifs pour la recherche sur Jésus. Au passage, adoptant les vues de M.A. Chancey44 contre la thèse de l’hellénisation massive de la Galilée avant 70, Evans souligne comment celle-ci était restée juive et attachée aux obligations religieuses de la Loi. L’archéologie éclaire ici de façon étonnante plusieurs passages évangéliques. Qu’on pense à l’ossuaire, probablement du Ier siècle avant l’ère commune, qui mentionne la pratique du qorban contestée par Jésus en Mc 745 ; à l’inscription qui établit que Pilate était bien préfet et non procurateur46 ; aux inscriptions d’avant 70 qui montrent que le titre de rabbi était alors un titre d’honneur donné à des personnages importants, sans référence à une ordination quelconque (qui ne viendra qu’après 70), et qu’il n’était donc pas anachronique pour désigner Jésus47 ; à l’inscription de éodotos qui permettrait d’établir l’existence de synagogues-bâtiments au temps même de

41. F, Galilee from Alexander the Great to Hadrian ; I, Galilee, Jesus and the Gospels. Literary Approaches and Historical Investigations, Philadelphia, PA, Fortress, 1988, surtout p. 135-175 ; Ed Parish S, Judaism. Practice and Belief, surtout p. 157-169 ; I, « Jesus in Historical Context », dans Theology Today 50 (1993) 429-448. 42. Jean-Paul M, « La Palestine du premier siècle », dans M (dir.), Écrits et milieu du Nouveau Testament, 11-56, en particulier p.  19-34 : « La Galilée du premier siècle ». 43. Craig A.  E, Jesus and the Ossuaries. What Jewish Burial Practices Reveal about the Beginning of Christianity, Waco,TX, Baylor University Press, 2003. 44. C, The Myth of a Gentile Galilee. 45. E, Jesus and the Ossuaries, p. 96-98. 46. Ibid., p. 45-47. 47. Ibid., p. 44, 54.

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Jésus48 ; ou, surtout peut-être, à la découverte des ossements d’un crucifié trouvés (en 1968) dans un ossuaire à Giv’at ah-Mivtar, au nord des limites de Jérusalem, qui établit qu’un crucifié pouvait avoir une sépulture honorable et qu’il n’était pas nécessairement jeté à la fosse commune ou dévoré par les corbeaux et les chiens, comme John Dominic Crossan en faisait l’hypothèse pour le crucifié Jésus de Nazareth49. Même si peu de choses sont définitivement prouvées en archéologie, Evans conclut avec raison qu’on y apprend beaucoup50. C’est aussi à cette idée de « contexte » qu’on rattachera quelques contributions parues dans The Missing Jesus51. Ce « missing Jesus » serait « Jesus within Judaism52 ». Dans un premier article, « e Misplaced Jesus. Interpreting Jesus in Judaic Context », C.A. Evans s’oppose avec force au supposé caractère hellénistique qu’aurait pris la Galilée du temps de Jésus, d’après des auteurs comme Burton L. Mack, Gerald Downing et J. Dominic Crossan53. Sur trois points : le sabbat, l’autel ou les sacrifices, et la vie éternelle, Evans s’emploie à montrer que Jésus respectait tout à fait la Tôrah, même s’il se séparait à l’occasion de l’interprétation qu’en donnaient certains contemporains, notamment des pharisiens. Sur la base de Mt  5,23-24 (se réconcilier avec son frère avant d’offrir son offrande à l’autel), Evans pense même que Jésus se préoccupait fortement de la qualité des sacrifices offerts au Temple. Si cela paraît exagéré, il faut admettre que le milieu permettant de comprendre Jésus est avant tout celui du judaïsme du Ier siècle et que le Jésus des évangiles est bien un « Jésus

48. Contre Howard Clark Kee, qui a soutenu dans une série d’articles que les synagogues, comme bâtiments, n’apparaissent qu’à partir du milieu du IIe siècle et que l’inscription de éodotos datait de la fin du IIe siècle ou du IIIe siècle Voir Howard Clark K, « e Transformation of the Synagogue Aer 70 C.E. Its Import for Early Christianity », dans NTS 36 (1990) 1-24 ; I, « e Changing Meaning of Synagogue. A Response to Richard Oster », dans NTS 40 (1994) 281-283 ; I, « Defining e First-Century CE Synagogue. Problems And Progress », dans NTS 41 (1995) 481-500. Dans un article qu’Evans qualifie de « devastating » contre les vues de Kee (E, Jesus and the Ossuaries, p.  41), Kloppenborg a confirmé que l’inscription date bien d’avant  70. Par ailleurs, on a trouvé une inscription datée de 56 EC, dans la ville de Bérénice en Cyrénaïque, où le mot synagogue est employé expressément à la fois dans le sens de communauté et dans celui de bâtiment. Voir John S. K V, « Dating eodotos (CIJ II 1404) », dans Journal of Jewish Studies 51 (2000) 243-280. 49. C, Who Killed Jesus ?, San Francisco, CA, HarperSanFrancisco, 1995, p. 188. Hypothèse reprise dans C – R, Excavating Jesus, p. 245-247. 50. E, Jesus and the Ossuaries, p. 124. 51. Bruce C – Craig A. E – Jacob N (dir.), The Missing Jesus. Rabbinic Judaism and the New Testament, Boston – Leiden, Brill, 2002. 52. Ibid., p. vii. 53. Craig A. E, « e Misplaced Jesus. Interpreting Jesus in a Judaic Context », dans C – E – N (dir.), The Missing Jesus, p. 11-39.

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juif54 ». Herbert W. Basser (Queen’s University, Kingston, ON), dans « e Gospels and Rabbinic Halakah », pense, quant à lui, que les disputes de Jésus avec les pharisiens sont à comprendre comme débats légitimes à l’intérieur du pharisaïsme. La littérature rabbinique, bien que postérieure souvent de plusieurs siècles, permettrait en plus de comprendre plusieurs passages évangéliques marqués par la même culture55. Peut-être. Mais dans une « réponse » à ce texte, Evans, tout en reconnaissant l’intérêt de certains textes rabbiniques pour la lecture de passages évangéliques (par exemple, le Midrash Tehillim du Psaume 43, où l’on retrouve Moïse et Élie, pour éclairer le récit synoptique de la transfiguration), fait bien remarquer que ce sont surtout les textes de l’Ancien Testament (ici, le récit du don de la loi au Sinaï dans le livre de l’Exode) qui fournissent le contexte juif des évangiles. Ces auteurs sont très près (on retrouve leurs noms dans les mêmes publications) d’autres auteurs qui ne se contentent pas de voir en Jésus un Juif véritable mais en font, comme Bruce Chilton, un rabbi préoccupé avant tout de la pureté du Temple56. 2.2 Mouvements religieux au Ier siècle Plusieurs chercheurs canadiens se sont penchés sur ces groupes religieux, qui furent souvent aussi, au Ier siècle, sources d’agitations sociales et politiques. 2.2.1 Apocalyptique Gérard Rochais (Université du Québec à Montréal, QC) a montré comment certaines « idées-forces de l’apocalyptique » ont influencé les « mouvements messianiques et prophétiques populaires juifs du Ier siècle » : Venue prochaine d’un libérateur, souvenir des traditions du passé, sentiment d’impatience devant l’état d’oppression et d’injustice qui perdure, espoir dans la restauration de la justice, ont pu servir de déclencheurs et de soutien, en raison de leur pouvoir évocateur, de l’imaginaire qui les soustend, aux mouvements messianiques populaires qui se sont manifestés à la mort d’Hérode le Grand et aux mouvements prophétiques populaires qui sont apparus sous les procurateurs57. 54. Ibid., p. 39. 55. Herbert B, « e Gospels and Rabbinic Halakah », dans C – E – N (dir.), The Missing Jesus, 77-99, p. 82. 56. Bruce C, Rabbi Jesus. An Intimate Biography. The Jewish Life that Inspired Christianity, New York, NY, Doubleday, 2000. 57. Gérard R, « L’influence de quelques idées-forces de l’apocalyptique sur certains mouvements messianiques et prophétiques populaires juifs du 1er siècle », dans

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Rochais pense que cette influence s’exerçait par l’enseignement synagogal où l’Écriture était lue, traduite et commentée58. C’est elle qui a donné lieu à une attente, à une espérance messianique qui fut avant tout celle de groupes marginaux. Les figures de ces différents mouvements populaires nous sont connues par Flavius  Josèphe. Rochais les passe en revue : d’abord, les mouvements prophétiques populaires (prophète samaritain vers 36 ; eudas vers 44-48 ; prophète égyptien entre 52-60), puis les mouvements messianiques populaires ou insurrections, conduits par des hommes « qui s’auto-proclamaient ou étaient acclamés “rois” par leurs partisans59 ». Ils se produisirent à des moments de crises historiques : après la mort d’Hérode le Grand en -4, mais surtout au milieu de la première guerre juive (66-70) et lors de la deuxième révolte (132-135). En milieu juif, ces aspirations à la royauté supposent presque toujours un arrière-plan d’espérance religieuse 60. Il faut noter que tous ces mouvements populaires, à l’exception de la révolte à la mort d’Hérode le Grand en -4, surgissent bien après Jésus (qui meurt très probablement en l’an 30) et lors des soubresauts qui aboutiront à la révolte de 66. Il reste que ces idées apocalyptiques et certaines attentes messianiques étaient dans l’air dès le début du siècle. Elles ont marqué le message de Jésus que les évangiles nous révèlent61. Dans un ouvrage original sur saint Saul, un historien de l’Université Queen’s (Kingston, ON), D.H. Akenson, a magnifiquement mis en lumière l’immense variété d’idées religieuses, de figures et de symboles qui tourbillonnaient dans le judaïsme du Ier siècle, ce temps qu’il ne craint pas d’appeler « la plus grande période de créativité religieuse qui ait existé dans l’histoire 62 ». C’est ce monde qui habitait aussi l’imaginaire de Jésus.

M – N –  P (dir.), Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d’une énigme, 177-208, p. 198. 58. Ibid., p. 191. 59. Ibid., p. 203. 60. Ibid., p. 206. 61. Ce qu’on entend cependant par apocalypse, apocalyptique et eschatologie n’est pas toujours facile à saisir. Humphrey (Université McGill, Montréal, Qc) l’a très bien montré dans un article où elle analyse le sens de ces mots chez neuf des principales vedettes de la recherche récente sur Jésus : Edith M. H, « Will the Reader Understand ? Apocalypse as Veil or Vision in Recent Historical-Jesus Research », dans A – D (dir.), Whose Historical Jesus ?, 215-237. 62. Donald H. A, Saint Saul. Clé pour le Jésus de l’histoire, trad. par Jean-Paul M, Montréal, Fides, 2004 (anglais 2000), très particulièrement le chapitre 2 : « Une époque passionnante : le monde religieux de Saul de Tarse et de Yeshoua », p. 33-88.

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2.2.2 Jean Baptiste D’autres chercheurs canadiens se sont intéressés à ces différents groupes révolutionnaires du Ier siècle63. Robert L. Webb (McMaster University, Hamilton, ON) l’a fait d’une manière originale dans le cadre de sa thèse sur John the Baptizer and Prophet64. Reprenant les données fournies par Flavius Josèphe, Webb ramène toutes les figures prophétiques de la fin du judaïsme du Second Temple à trois groupes, selon une typologie qui lui est propre65 : les prophètes cléricaux (parmi lesquels il place le prince et prêtre Jean Hyrcan Ier et Flavius  Josèphe lui-même), les prophètes sapientiaux (prophètes esséniens et pharisiens) et, finalement, les prophètes populaires, qu’il subdivise en deux catégories : les prophètes leaders de mouvements révolutionnaires (le prophète samaritain, eudas, plusieurs prophètes anonymes sous le procurateur Félix entre 52-60, le prophète égyptien) et les prophètes solitaires (Jésus, fils d’Ananias)66. Son analyse sociohistorique lui fait classer Jean Baptiste parmi les prophètes leaders de mouvements de masse. Jean aurait été à l’origine d’un mouvement sectaire juif67. C’est même, affirme-t-il, « the major and overarching conclusion » de son travail68. Flavius  Josèphe raconte, il est vrai, qu’Hérode Antipas, voyant les foules se rassembler autour de Jean, craignit un soulèvement et écarta la menace en arrêtant Jean et en le faisant exécuter. Les données dont nous

63. Par exemple, l’universitaire de Saskatoon, SK : Terence L.  D, « Rural Bandits, City Mobs and the Zealots », dans Journal for the Study of Judaism 21 (1990) 19-40. Plutôt qu’aux bandits sociaux, forme de protestation paysanne issue d’un sentiment d’oppression et d’injustice (p. 27), Donaldson pense que ce sont des rebelles urbains qui auraient plutôt noyauté les révolutionnaires – à l’encontre de Richard A. H et John S.  H, Bandits, Prophets and Messiahs. Popular Movements in the Time of Jesus, Minneapolis, MN, Winston-Seabury, 1985, pour qui ce sont les paysans (bandits sociaux) de Galilée, refoulés par les troupes de Vespasien, qui auraient formé à Jérusalem le noyau des Zélotes, 64. Robert L.  W, John the Baptizer and Prophet. A Socio-Historical Study (JSNTSS, 62), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1991. Dans cet ouvrage, Webb s’en tient à l’« historical John » et n’étudie pas les relations entre Jean et Jésus. Il le fera cependant dans deux articles importants : I, « John the Baptist and His Relationship to Jesus », dans C – E (dir.), Studying the Historical Jesus, 179-229, et I, « Jesus’ Baptism. Its Historicity and Implications », dans BBR 10 (2000) 261-309. 65. Webb – bien qu’il reconnaisse avoir été inspiré et influencé par les « social typologies » des différents types de leaders et de mouvements dans la Palestine du Ier siècle présentées par Richard A. Horsley (voir W, « John the Baptist and His Relationship to Jesus », p. 182) – présente ses propres catégories (W, John the Baptizer and Prophet, p. 315-317). 66. W, John the Baptizer and Prophet, p. 307-348. 67. Ibid., p. 381. 68. Ibid., p. 383.

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disposons, cependant, semblent bien indiquer que la majorité de ceux qui se faisaient baptiser par Jean ne restaient pas avec lui mais retournaient chez eux. Un texte comme celui de Lc  3,12-14 (même s’il est difficile d’établir d’où Luc tient ces informations), où Jean ne demande même pas aux collecteurs d’impôts ni aux militaires (qui devaient être des mercenaires d’Hérode Antipas69) de renoncer à leur métier, n’a rien de révolutionnaire. En tout cas, rien n’indique que tous les baptisés se seraient regroupés autour de Jean pour marcher à sa suite, comme Josèphe le raconte d’un certain prophète samaritain (Antiquités  18,85-87) ou de eudas (Antiquités 20,97-98). Et il ne semble pas non plus, comme le fait remarquer J.P. Meier70, que les disciples de Jean aient été perçus comme un danger par les autorités, qui ne les ont pas massacrés comme elles l’ont fait des partisans du prophète samaritain et de eudas. Le mouvement de Jean était différent, me semble-t-il, plus explicitement religieux que sociopolitique71 : ce que Jean proclamait, c’était un baptême de conversion en vue du pardon des péchés. Comme rite servant de médiation au pardon divin, ce baptême entrait en compétition avec les sacrifices du Temple offerts en expiation des péchés. Webb n’ose pas dire que le baptême de Jean s’opposait au système sacrificiel comme tel. Il y voit une critique, non pas du Temple lui-même, mais de l’aristocratie sacerdotale, sadducéenne, liée au Temple, qui recevait de celuici autorité religieuse et politique, mais aussi s’enrichissait à ses dépens72. L’opposition ne porterait donc pas sur le système sacrificiel en soi, mais sur l’illégitimité du sacerdoce en place. Elle serait, en ce cas, tout à fait semblable à celle des gens de Qumrân qui ne s’opposaient pas au système des sacrifices, mais au sacerdoce qui officiait à Jérusalem dans ce système. À mon avis, Jean va plus loin. L’opposition se situe au niveau du rite : le baptême d’eau en vue de la rémission des péchés vs le sacrifice expiant le péché73. Tout cela, évidemment, entraîne d’importantes 69. François B, L’Évangile selon Luc (1,1 – 9,50) (CNT 2e, IIIa), Genève, Labor et Fides, 1991, p. 170 n. 39. 70. John P. M, A Marginal Jew. Rethinking the Historical Jesus. Vol. 2 : Mentor, Message, and Miracles (AB reference library), New York, NY – Toronto, Doubleday, 1994, p. 98-99. C’est pour répondre à cette objection, semble-t-il, que W, « John the Baptist and His Relationship to Jesus », p. 218-219, distingue plus nettement deux types de disciples : ceux qui retournaient chez eux après avoir été baptisés et ceux qui restaient avec Jean et l’accompagnaient. 71. Même s’il faut reconnaître avec Webb, John the Baptizer and Prophet, p. 355-359, que le religieux pris au sérieux, particulièrement à cette époque, avait des implications sociopolitiques importantes. 72. Ibid., p. 203-205. 73. Ibid., p. 205, vient tout près de le dire : la condamnation de Jean « does indicate that John’s baptism is not offered as an alternative to an equally valid Temple rite, but it

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répercussions pour situer Jésus, disciple de Jean, par rapport au judaïsme de son temps. Dans ses deux articles, Webb souligne les éléments importants de la relation entre Jean et Jésus. Jésus, tout d’abord, a bel et bien été baptisé par Jean. Reprenant l’examen des données sur le baptême de Jésus, Webb conclut, sur la base des critères d’attestation multiple et d’embarras, à son historicité74. Cela suppose que Jésus acceptait non seulement ce baptême, mais le sens que Jean lui donnait dans sa proclamation : rémission des péchés et dimension eschatologique75. Dans cette perspective, « a noneschatological Jesus » (comme le voudrait M.J.  Borg, par exemple) est assurément à écarter. Jésus lui-même, pendant un certain temps, devient disciple de Jean et participe à son mouvement. Mais après l’arrestation de Jean, Jésus change d’orientation et cesse de baptiser. Pourquoi ? Webb pense à la vision et à l’appel prophétique que raconte la théophanie liée au récit du baptême. Cette expérience et son lien avec le baptême sont plus difficiles à établir historiquement. Il se peut d’ailleurs que Jésus n’en ait compris la portée que progressivement, durant ce temps, précisément, où il baptisait à la manière de Jean. À un moment donné, cependant, Jésus met l’accent non plus sur la restauration future annoncée par Jean, mais sur la présence même du royaume de Dieu se manifestant dans son activité de guérisseur et d’exorciste (cf. Mt  12,28 ; Lc  11,20). On peut penser que cette prise de conscience rejoint l’autocompréhension messianique de Jésus dont B.F. Meyer parlait comme d’un « fait76 ». Grâce au baptême de Jean et à ses implications, comme Webb l’a bien montré, il nous est ainsi donné d’entrer dans les vues mêmes du Jésus de l’histoire.

is problably a replacement for the Temple rite, at least temporarily ». Donc, au moins pour un temps, le rite du Temple est écarté. Webb écrit encore : « Finally, John’s repentance-baptism, as a rite which mediated forgiveness, indicated that the usual means of forgiveness, the Temple cultus, had been made invalid [donc inefficace, incapable d’enlever le péché ! Même si l’auteur ajoute aussitôt] probably by the actions and policies of the Temple establishment » (p. 215-216). Dans W, « John the Baptist », il semble opposer plus directement le baptême de Jean aux rites du Temple (p. 197, 203 : « as an alternative to the Temple sacrifices » ; p.  228 : « offer of forgiveness through the rite of baptism rather than through the recognized Temple rites »), mais n’en tire pas, ni pour Jean ni pour Jésus, les conséquences que j’appellerais « théologiques ». Il fera référence (p. 228 n. 175) au débat entourant l’action de Jésus dans le Temple (entre Sanders et Evans, par exemple), mais sans prendre position personnellement. 74. « As a historical event, Jesus’ baptism by John is highly probable, to the point of being virtually certain », W, « Jesus’ Baptism », p. 274, 307. 75. Ibid., p. 305-307. 76. Voir en note 10 la définition d’un « fait historique » que donne Lonergan et que reprend Meyer.

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2.2.3 Qumrân Craig A. Evans s’est aussi intéressé aux manuscrits de Qumrân, en particulier aux textes récemment publiés de la grotte 477. Il soutient l’interprétation messianique de 4Q  246, l’Apocalypse araméenne, où l’on trouve les deux expressions « Fils de Dieu » et « Fils du Très-Haut », comme en Lc 1,32-33. Cette lecture n’est pas admise par tous les spécialistes78, mais le passage reflète bien le contexte apocalyptique du judaïsme du Second Temple, qui est aussi celui du Nouveau Testament. Un autre texte, 4Q 521, l’Apocalypse messianique, daté de -100 à -80, « témoigne de l’existence d’idées messianiques dans le judaïsme avant l’émergence du christianisme79 » et est très proche du passage où Jésus répond aux envoyés du Baptiste (Mt 11,5 et Lc 7,22). Comme les textes évangéliques, il ajoute aux bienfaits eschatologiques évoqués par les textes d’Is 35,5-6 et 61,1-2 celui de la résurrection. Que l’auteur de ces bienfaits soit Dieu agissant seul ou par son Prophète, Nouvel Élie, ou son Messie, « ces signes sont certainement liés à la venue du royaume messianique80 ». Le parallèle entre 4Q  521 et les paroles de Jésus est remarquable. Étant donné l’importance de la tradition d’Isaïe pour la compréhension que Jésus avait de lui-même, 4Q 521 supporterait, selon Evans, l’opinion traditionnelle selon laquelle Jésus s’est en fait considéré comme le Messie d’Israël81. Evans souligne encore que la publication récente de 4Q 525, un 77. Craig A.  E, « e Recently Published Dead Sea Scrolls and the Historical Jesus », dans C – E (dir.), Studying the Historical Jesus, 547-565 ; I, « Jesus and the Messianic Texts from Qumran. A Preliminary Assessment of the Recently Published Materials », dans Jesus and His Contemporaries, 83-154 ; I, « Jesus and the Dead Sea Scrolls from Qumran Cave 4 », dans Craig A. E – Peter W. F (dir.), Eschatology, Messianism, and the Dead Sea Scrolls (Studies in the Dead Sea scrolls and related literature, 1), Grand Rapids, MI, Eerdmans, 1997, 91-100. 78. L’interprétation messianique de 4Q 246 est contestée par Joseph A. F et particulièrement par Émile  P, « Les manuscrits de la mer Morte et le Nouveau Testament », dans Ernest-Marie  L (dir.), Qoumran et les manuscrits de la mer Morte, Paris, Cerf, 1997, 253-313, p. 284-288, où l’on trouvera toutes les références nécessaires à la discussion. D’autres spécialistes, dont John J. Collins à plusieurs reprises, et Lawrence H. S, Les manuscrits de la mer Morte et le judaïsme, trad. par Jean D, Montréal, Fides, 2003 (anglais 1994), p. 378, pensent que « l’expression “Fils de Dieu” désigne un personnage messianique ». Jean D, « Les messies dans les textes de Qumrân », dans Robert D (dir.), Faut-il attendre le Messie ? (Sciences bibliques, 5), Montréal, Médiaspaul, 1998, 57-76, présente les positions (p. 61-62) sans se prononcer. Ce spécialiste de Qumrân enseigne à l’Université de Montréal. 79. S, Les manuscrits de la mer Morte, p. 385 ; voir aussi p. 382-386. 80. Émile P, « Les esséniens croyaient-ils à la résurrection ? », dans L (dir.), Qoumran et les manuscrits, 409-440, p. 433. 81. E, « Jesus and the Dead Sea Scrolls from Qumran Cave 4 », p. 97, mais déjà dans E, « Jesus and the Messianic Texts from Qumran », p. 128-129. C’était aussi la position de M, The Aims of Jesus, p. 157-158.

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texte où l’on trouve des béatitudes étonnamment semblables à celles énoncées par Jésus dans le Sermon sur la montagne (Mt 5,3-12) ou dans la plaine (Lc 6,20-23), montre bien, à l’encontre du Jesus Seminar et de ses épigones, que l’arrière-plan de l’enseignement de Jésus n’est pas à chercher du côté de la philosophie gréco-romaine, en particulier celle du cynisme, mais bien du côté de la tradition sapientiale juive. Ce texte est en effet « un pur produit palestinien par un auteur imbu de l’arrière-fond vétérotestamentaire et de culture hébraïque82 ». Jésus a repris une manière juive de parler, tout en lui donnant une pointe eschatologique qui lui est propre83. L’apport principal de ces textes est peut-être, comme le souligne Evans, de révéler le Sitz im Leben Jesu, de montrer que le christianisme plonge ses racines dans le terreau juif. Evans trouve stupéfiant que le Jesus Seminar ait minimisé l’importance de ces textes dans l’étude du Jésus historique, préférant rattacher Jésus au monde grécoromain84. Il faut encore mentionner l’excellent article de Wayne O. McCready (Université de Calgary, AB) qui, à partir d’une comparaison où il souligne disparités et similarités entre les Qumranites et Jésus, propose une intéressante reconstruction de Jésus85. Parmi les différences : les rites d’initiation (d’un côté, période intense et prolongée de probation ; de l’autre, repentir personnel, volonté de suivre Jésus et peut-être le baptême) ; l’élitisme des gens de Qumrân (lié à la rigueur des règles de pureté du Temple appliquées strictement à la vie quotidienne des sectaires) opposé à la large hospitalité de Jésus mangeant avec les pécheurs (l’encouragement, qu’on trouve en Lc 14,12-24, à inviter à sa table pauvres, estropiés, boiteux, etc., s’oppose directement à la liste qumranienne des invités au banquet messianique) ; le calendrier (Jésus s’en tient au calendrier lunaire pour le sabbat et les jours de fête) ; le commandement d’aimer ses ennemis, qui va à l’encontre de l’exclusivisme de Qumrân. McCready rappelle ensuite les nombreuses ressemblances retenues par les chercheurs. Mais il insiste sur trois aspects en particulier : l’eschatologie et la primauté des attentes futures, que Jésus résume dans sa proclamation du royaume de Dieu ; la conviction que la révélation contenue

82. P, « Les manuscrits de la mer Morte et le Nouveau Testament », p. 299. 83. E, « Jesus and the Dead Sea Scrolls from Qumran Cave 4 », p. 95-96. 84. E, « Jesus and the Messianic Texts from Qumran », p. 153-154. 85. Wayne O. MC, « e Historical Jesus and the Dead Sea Scrolls », dans A – D (dir.), Whose Historical Jesus ?, 190-211. Pour les besoins de cet article du moins, McCready retient que les Qumranites représentent un groupe parallèle aux Esséniens décrits par Josèphe, Philon et Pline l’Ancien, mais n’identifie pas les responsables des manuscrits de Qumrân avec les Esséniens.

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dans les Écritures est valable pour tous les temps, même si Jésus et les Qumranites diffèrent grandement relativement aux applications pratiques de la Loi (Jésus est minimaliste quant à son observance, les Qumranites sont maximalistes) ; et finalement, leur vue négative du Temple de Jérusalem. Les Qumranites, cependant, ne s’étaient retirés du culte sacrificiel que temporairement et attendaient avec impatience le moment où ils contrôleraient Jérusalem et le Temple. Jésus, de son côté, aurait minimisé et relativisé tout ce qui concernait le Temple en parlant contre lui et en annonçant symboliquement sa destruction. À cette lumière, le Jésus que McCready reconstruit est un leader charismatique à la façon des prophètes, proclamant la fin des temps et des jours meilleurs où tous les désavantagés et marginalisés feront partie du royaume de Dieu. C’est cette vue eschatologique qui l’aurait entraîné à prendre une position négative à l’égard du Temple86. 2.2.4 Judas Iscariote Aux figures contemporaines de Jésus, on ajoutera celle de son disciple, Judas Iscariote, qui a retenu particulièrement l’attention des historiens. William Klassen (qui a enseigné aux universités de Toronto et de Waterloo, ON) a tenté notamment, dans Judas. Betrayer or Friend of Jesus ?87, de retrouver le « Judas historique » et d’éclairer son mystère…, ce qui n’est pas sans répercussion sur l’image du Jésus historique. Comment cet homme « établi » (le verbe poiein évoque même un geste créateur !) par Jésus lui-même parmi les Douze « pour être avec lui » et pour prêcher « avec pouvoir de chasser les démons » (Mc 3,14) aurait-il pu trahir Jésus ? Le titre de l’ouvrage porte un point d’interrogation, mais l’auteur cherche par tous les moyens à réhabiliter l’image de Judas. Selon Klassen, le rôle de Judas est exigé par le récit même des évangiles. Jésus « doit » mourir (le dei théologique) et c’est pour accomplir cette volonté divine que Jésus demande à Judas, son ami (Mt 26,49), de le « livrer » au grand prêtre. Judas ne fait qu’obéir. 86. Ibid., p. 211. 87. William K, Judas. Betrayer or Friend of Jesus ?, Minneapolis, MN, Fortress, 1996. Sur un ton moins affirmatif, il avait donné un premier aperçu de ses vues dans son article : I, « Judas Iscariot », dans ABD, vol. 3, 1091-1096. Il a redit ses positions, sans éléments vraiment nouveaux : I, « e Authenticity of Judas’ Participation in the Arrest of Jesus », dans C –  E (dir.), Authenticating the Activities of Jesus, 389-410. Il aura été conforté dans sa position par la publication récente du manuscrit copte de l’Évangile selon Judas (Pâques, 2006), où Judas, selon une première interprétation, actuellement contestée cependant, aurait fait figure de héros, obéissant simplement à la volonté de Jésus, et de Dieu !

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Il ne trahit pas Jésus, il le livre selon le plan de Dieu. Quand Jésus lui dit : « Ce que tu as à faire, fais-le vite » (Jn 13,27), il l’envoie en mission : Judas remplit une tâche théologique88. C’est sa vocation ! Jésus et Judas sont donc parfaitement d’accord, et le baiser que Jésus donne à Judas (on notera que c’est plutôt Judas qui a l’initiative et embrasse Jésus en Mc 14,45 et Mt 26,49 !) scelle cet accord89. Dans cette étreinte, les deux hommes se confortent l’un l’autre dans le rôle que Dieu leur demande de jouer 90. L’image est séduisante (elle a séduit, de fait, romanciers et cinéastes) et ingénieuse l’hypothèse « théologique » qui la fonde, mais ce n’est pas ainsi que les textes du NT comprennent et présentent les choses. Il est vrai – et c’est peut-être l’apport principal du livre de Klassen – que paradidômi signifie livrer et non trahir. Mais les mots prennent sens dans leur contexte, et l’acte du disciple livrant son maître aux ennemis déclarés qui cherchent « comment [l’]arrêter par ruse pour le tuer » (Mc  14,1) ne peut être qu’une trahison. Sans hésiter, Luc qualifie Judas de traître (prodotês : 6,16). Et le portrait qu’en tracent les évangiles et les Actes (indépendamment même de l’évangile de Jean qui caricature le personnage et en fait un symbole du mal, habité par Satan : Jn  6,70 ; 13,2.27) est tout à fait négatif. Malgré les tentatives de Klassen, on ne peut écarter ou diluer l’insistance des textes sur l’argent accepté, qualifié de « salaire de l’iniquité » (Ac 1,18), sur les remords et la confession de Judas : « j’ai péché » (Mt  27,4 : hêmarton), sur ce « en livrant » (paradous) et, finalement, sur sa mort tragique (Mt  26,3-10 et Ac  1,16-20). Il ne suffit pas de supposer que l’affaire imaginée par Judas – une rencontre entre Jésus et le grand prêtre qui aurait dû régler tous les problèmes ! – a tout simplement mal tourné. L’intention est généreuse, mais elle n’est appuyée par aucun texte. D’ailleurs, ce Jésus théâtral arrangeant lui-même sa propre arrestation n’est pas celui des évangiles et rien ne permet de dire, non plus, qu’il soit celui de l’histoire. 2.3 Sources disponibles Un autre secteur où des chercheurs canadiens ont particulièrement laissé leur marque, c’est celui des sources. Après l’examen des différents documents pouvant servir à l’histoire de Jésus, J.P.  Meier avait conclu, avec beaucoup d’autres, qu’en ce domaine les chercheurs, pour le meilleur 88. K, Judas. Betrayer or Friend of Jesus ?, p. 203. 89. Ibid., p. 111. 90. Ibid., p. 112.

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ou pour le pire, devaient pratiquement s’en tenir aux évangiles canoniques91. Cette conclusion n’est pas partagée par tous et beaucoup, pensant y trouver un Jésus non interprété théologiquement, se tournent aujourd’hui vers des documents hypothétiques comme la source Q ou vers des évangiles non canoniques, qu’ils estiment indépendants des synoptiques et souvent plus anciens qu’eux. 2.3.1 Source Q John S. Kloppenborg (Université St. Michael’s College et Toronto School of eology, Toronto, ON) peut être considéré comme le champion de la source Q, non seulement au Canada mais dans l’ensemble de la recherche biblique internationale. L’histoire de ce document hypothétique est longue92 , mais elle a pris depuis une vingtaine d’années une étonnante vigueur. Kloppenborg est l’un de ceux qui non seulement ont remis la source Q en pleine actualité, mais ont contribué à créer autour d’elle une véritable industrie. Il l’a fait en de très nombreuses publications, depuis sa dissertation doctorale à St. Michael’s, intitulée d’abord « e Literary Genre of the Synoptic Sayings Source » (1984), mais publiée sous un titre nouveau rendant mieux compte de l’apport principal de la thèse : The Formation of Q. Trajectories in Ancient Wisdom  Collections (1987)93, jusqu’à Excavating Q (2000)94, ouvrage de synthèse désormais incontournable pour quiconque s’intéresse à la source Q. C’est dans The Formation of Q qu’on trouve l’exposé le plus remarquable de l’histoire de la rédaction ou de la composition de Q. L’auteur distinguait dans ce document hypothétique différentes strates. Un premier ensemble qualifié de sapientiel constitué d’éléments parénétiques, d’instructions et d’exhortations (appelé Q1) ; puis un deuxième niveau caractérisé par divers éléments « prophétiques » : jugements, cycle de

91. M, A Marginal Jew, vol. 1, p. 140. 92. Dans l’introduction de R – H – K (dir.), Critical Edition of Q, p. -, J.M. Robinson présente l’« History of Q Research » et décrit en détail les différentes étapes de l’aventure qui, à partir du Q Seminar de la Society of Biblical Literature (1985-1989), devenu l’International Q Project (1989-1996) dirigé conjointement par J.M. Robinson et J.S. Kloppenborg, aboutit à la publication de l’édition critique de Q. 93. K, The Formation of Q. 94. John S. K V, Excavating Q. The History and Setting of the Sayings Gospel, Minneapolis, MN, Fortress, 2000. Voir également I, « Discursive Practices in the Sayings Gospel Q and the Quest of the Historical Jesus », dans L (dir.), The Sayings Source Q, 149-190.

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Lot et vue deutéronomique de l’histoire (violence faite aux prophètes) (Q2) ; enfin, un troisième niveau moins développé comportant quelques éléments narratifs (principalement le récit de la tentation) et d’autres éléments touchant la Loi (Q 11,42c, 16,17) (Q3). Cette stratification fut fortement rejetée par certains95, mais embrassée et utilisée avec enthousiasme, non sans certaines modifications contestables, par d’autres qui y virent l’ouverture d’une voie royale pour rejoindre le Jésus de l’histoire. Ce fut le cas tout spécialement de John Dominic Crossan et de Burton L. Mack96 qui, se basant exclusivement sur Q1, la première strate de cette source, concluaient que le Jésus de l’histoire avait été, tout simplement, un sage itinérant à la manière des philosophes cyniques (les éléments eschatologiques étant considérés comme appartenant à Q2, un stage postérieur). Mais c’est, semble-t-il, le Canadien Leif E. Vaage (Emmanuel College, Toronto, ON) qui a développé le plus carrément « l’hypothèse cynique97 ». Se basant sur la stratigraphie de Kloppenborg, qu’il modifie cependant pour légitimer sa thèse98, il présente Q1, le niveau le plus ancien du document, comme « a Cynic Q » et conclut un article en affirmant que « the formative stratum of Q was for all intents and purposes

95. À ceux, nombreux, qui avaient cru comprendre que Kloppenborg établissait sa stratification à partir d’une distinction thématique, soulignant particulièrement l’incompatibilité entre sagesse et apocalyptique ou sagesse et eschatologie, Kloppenborg a répondu vigoureusement qu’il n’en était rien, qu’évidemment sagesse et apocalyptique ou sagesse et prophétie pouvaient se trouver dans un même document et que ses critères pour distinguer les strates étaient purement littéraires (apories, brusques disjonctions, changements rhétoriques). Voir récemment K V, Excavating Q, p. 145146 n. 61 et p. 150 n. 71. Tuckett, autre spécialiste de la question, a bien noté cependant qu’en faisant appel à des motifs communs ou caractéristiques ou dominants et à certaines unités thématiques, Kloppenborg ne s’en tenait pas toujours à ses principes et qu’en plus des critères littéraires il utilisait aussi des critères de contenu pour établir sa stratification ; voir Christopher M. T, « e Son of Man and Daniel 7. Q and Jesus », dans L (dir.), The Sayings Source Q, 371-394, p. 383-384. 96. C, Historical Jesus ; M, The Lost Gospel. 97. Leif E. V, Galilean Upstarts. Jesus’ First Followers According to Q, Valley Forge, PA, Trinity Press International, 1994 ; I, « Q and Cynicism. On Comparison and Social Identity », dans Ronald A. P (dir.), The Gospel Behind the Gospels. Current Studies on Q (NovTSup, 75), Leiden – New York, NY – Köln, Brill, 1995, 199-229. 98. Pour plus de détails sur ces changements, voir M, « Quelle(s) communauté(s) derrière la source Q ? », p. 586 n. 37 – repris au chapitre 6 de ce livre. Notons que Kloppenborg a lui-même confirmé que la stratigraphie de Vaage, se basant sur le contenu et non plus sur les éléments formels que relève la critique littéraire, est intenable et mine toute son entreprise : K V, « A Dog Among the Pigeons », p.  107-108. Dans la reprise quelque peu modifiée qu’il fait de cet article, Kloppenborg a laissé tomber ce passage critique sur la stratigraphie de Vaage et se contente d’une allusion fort adoucie : K V, Excavating Q, p. 187 n. 25.

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a “Cynic” document99 ». Dans toute sa crudité (Vaage prend à la lettre Q 7,34 et Q 9,58 et fait de Jésus un clochard qui reprend son itinérance au petit matin après avoir cuvé son vin100), la thèse cynique a été quasi unanimement rejetée101. Ce qui n’empêche pas Kloppenborg Verbin, dans un long article, repris par la suite dans Excavating Q102, de défendre, avec la ferveur d’un redresseur de torts, la légitimité de la comparaison avec les cyniques et de critiquer sévèrement tous les adversaires de l’hypothèse. Ferveur étonnante en effet, puisqu’il conclut tout de même que « Q was not cynic103 » et qu’il ne sait pas s’il pouvait y avoir des Cyniques en Galilée104. Mais Kloppenborg s’est exprimé plus directement sur les relations entre la source Q et le Jésus de l’histoire105. À plusieurs reprises, il a affirmé que l’étude de Q n’était pas à confondre avec celle de Jésus. Si jamais Q a existé comme document autonome – ce que présupposent évidemment ceux qui parlent désormais non plus d’une source ou d’un texte qu’on peut reconstruire à partir de Matthieu et de Luc, mais d’un évangile de plein droit, l’évangile Q106 –, ce document a aussi interprété les traditions qu’il a reçues concernant Jésus. Kloppenborg a souligné plusieurs fois que ses 99. V, « Q and Cynicism », p. 228. Malgré les dires de K (V), dans sa recension du livre de Vaage, dans SR 25 (1996) 505, et dans Excavating Q, p. 420 n. 10, il ne s’agit pas chez Vaage d’une simple comparaison. Christopher M. T, Q and the History of Early Christianity, Studies on Q, Peabody, MA, Hendrickson, 1996, p. 373 n. 59, l’a bien compris : « Vaage’s approach argues not just for similarity but virtual identity. » Il reste que les derniers mots de V, « Q and Cynicism », p. 229, cultivent peut-être intentionnellement l’ambiguïté : « If the first followers of Jesus in Galilee were not “just” Cynics, they were at least very much like them. » 100. V, Galilean Upstarts, p. 89. 101. Tout spécialement, par James M. R, « Galilean Upstarts. A Sot’s Cynical Disciples ? », dans William L.  P – Johan S.  V – Henk J.    J (dir.), Sayings of Jesus. Canonical and Non-Canonical. Essays in Honour of Tjitze Baarda (NovTSup, 89), Leiden, Brill, 1997, 223-249 ; Christopher M. T, « A Cynic Q ? », dans Bib 70 (1989) 349-376 ; I, Q and the History of Early Christianity, p. 372-373. 102. K, « A Dog Among the Pigeons » ; I, Excavating Q, p. 420-444 (aussi p. 184-188 : « e Q People as Cynics »). Il faut dire que Kloppenborg avait proposé cette analogie dès 1987, lorsqu’il comparait les dits de sagesse de Jésus aux collections de « chries cyniques », I, The Formation of Q, p. 306-316. 103. K, « A Dog Among the Pigeons », p. 87 ; dans I, Excavating Q, p. 432, il dit moins catégoriquement : « In my view, the case for a cynic Q has yet to be made effectively. » 104. K, « A Dog Among the Pigeons », p. 103, repris dans Excavating Q, p. 429. 105. John S. K V, « e Sayings Gospel Q and the Quest of the Historical Jesus », dans HTR 89 (1996) 307-344, repris en traduction française sous le titre I, « L’évangile “Q” et le Jésus historique ». 106. En portant attention aux titres, on peut voir le glissement qui s’est fait rapidement entre l’édition critique de 2000 : R – H – K (dir.), The Critical Edition of Q, et l’édition abrégée qui en a été publiée en 2002 : I (dir.),

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analyses stratigraphiques concernaient Q, sa composition et, possiblement, le groupe porteur de ce document107, mais qu’elles ne donnaient pas accès directement au Jésus de l’histoire. Il ne faut pas confondre, dit-il avec raison, l’histoire littéraire de Q avec la tradition historique sur Jésus. Dans cette perspective, l’article qu’il consacre aux relations entre Q et le Jésus de l’histoire se montre tout d’abord très réservé : « Les efforts pour comprendre la dynamique et l’histoire de la composition de Q ne peuvent pas être naïvement traduits en affirmations sur le Jésus historique » ; « il est clair que les éléments rédactionnels de Q ne peuvent être utilisés dans la reconstruction du Jésus historique108. » Pourtant, même après avoir affirmé très clairement qu’« il est injustifié de s’appuyer sur l’absence d’éléments en Q pour dire […] que ces éléments ne peuvent être attribués à Jésus109 », c’est malgré tout sur certains « silences » qu’il se base (silence relatif sur les miracles, activité qui n’aurait donc pas caractérisé Jésus ; silence sur le caractère salvifique de la mort de Jésus ; absence de controverses sur le sabbat et rareté des logia sur la Tôrah110) pour finalement tracer un portrait de Jésus. Ce qui l’amène alors à conclure que « le rôle de Q dans la recherche sur le Jésus historique est […] crucial111 ». On se prend à soupçonner que les chercheurs qui s’intéressent à la source Q ne le font pas uniquement pour résoudre, plus ou moins platoniquement, le puzzle synoptique. Les résultats de leurs recherches deviennent comme autant de coups de crayon esquissant le portrait du Jésus de l’histoire. Burton Mack disait que rien ne nous approchait plus de Jésus que le texte

The Sayings Gospel Q in Greek and English with Parallels from the Gospels of Mark and Thomas, Minneapolis, MN, Fortress, 2002. 107. J’ai contesté pour ma part, dans M, « Quelle(s) communauté(s) derrière la Source Q ? » (repris au chapitre 6 de ce livre), qu’il ait existé une communauté Q, communauté bien distincte qui aurait exprimé dans ce seul document toute sa foi en Jésus, un document où il ne serait question ni de la passion et de la mort de Jésus, ni de sa résurrection. Voir encore M, « Effervescence in Q Studies », spécialement p. 96-101 (« Independent kerygma and Q community »). 108. K, « L’évangile “Q” et le Jésus historique », p. 245 et 248. 109. Ibid., p. 252. 110. Ibid., p. 252-258. 111. Ibid., p. 257. Claire C, « La troisième quête du Jésus historique et le Canon. Le défi de la réception communautaire », dans M – N – P (dir.), Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d’une énigme, 541-558, dira, en commentant l’article de Kloppenborg, qu’« on est passé de prudentes précautions à un enthousiasme certain » (p. 545) ! On trouve dans K V, Excavating Q, p. 362, un bel exemple de ce passage du document Q au Jésus historique. En raison du silence de Q sur l’interprétation salvifique de la mort de Jésus, Kloppenborg conclut qu’il serait difficile d’admettre que le theologoumenon de la mort de Jésus « pour nous » (1 Co 15,3) puisse avoir un enracinement quelconque dans le Jésus de l’histoire. Le silence de Q devient ainsi quasi normatif et impose ses limites.

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de Q112. Tout en affirmant (autre précaution…) qu’il ne faut pas privilégier « le portrait particulier de Jésus dressé par Q113 », Kloppenborg ne dit finalement pas autre chose : En supposant que la communauté de Q se situait d’une façon ou d’une autre dans une continuité géographique et sociale avec les premiers disciples de Jésus, et étant donné la nature généralement conservatrice du processus de transmission, on peut penser que le fossé entre Jésus et Q n’est probablement pas trop grand114.

Mais en plus d’écrire, Kloppenborg a inspiré plusieurs autres chercheurs – dont il a d’ailleurs souvent dirigé les thèses – qui se sont consacrés à la source Q. Par un côté ou l’autre, ces travaux ont un impact sur la recherche du Jésus de l’histoire. À signaler un article de L. Ann Jervis (Toronto, ON) qui, rattachant la persécution des disciples en Q aux souffrances et à la mort de Jésus, conteste l’interprétation deutéronomique qui en est généralement donnée (et par Kloppenborg lui-même)115. Le Jésus de Q n’est pas seulement un prophète rejeté, dit-elle. Ce qui le caractérise, c’est son lien intime avec le règne de Dieu. Le Jésus de Q déclare qu’il y a une différence qualitative entre être dans le royaume de Dieu et faire partie du temps de l’attente et de la préparation (Q 7,26-28). Cette déclaration signifie implicitement que Jésus connaît la nature du règne de Dieu et que ce Règne, en un certain sens, « is present in his presence116 ». C’est bien ce que dit Q 11,20, où les exorcismes accomplis par Jésus sont signes de la présence du règne de Dieu. Interprétation théologique de Q ? Sans doute. Mais dirait-on, ici encore, que le fossé entre Jésus et Q n’est pas trop grand ? William E. Arnal (Université du Manitoba, Winnipeg, MB), dans une thèse dirigée par Kloppenborg, s’est attaqué pour sa part au problème des origines de la source Q117. De façon convaincante, son analyse sociologique montre que la thèse de l’itinérance, lancée par G.  eissen et toujours défendue par lui118, est une vue romantique et n’est pas plausible 112. M, The Lost Gospel ; I, Who Wrote the New Testament ? The Making of the Christian Myth, San Francisco, CA, HarperSanFrancisco, 1995, p. 47 : « Q puts us as close to the historical Jesus as we will ever be. » 113. K, « L’évangile “Q” et le Jésus historique », p. 257. 114. Ibid., p. 267. 115. L. Ann J, « Suffering for the Reign of God. e Persecution of Disciples in Q », dans NovT 44 (2002) 313-332. 116. Ibid., p. 329. 117. William E. A, Jesus and the Village Scribes. Galilean Conflicts and the Setting of Q, Minneapolis, MN, Fortress, 2001. 118. Se basant particulièrement sur Q 10,2-16, eissen rattache l’origine de Q à des prédicateurs itinérants. Il a lancé cette thèse en 1973 dans un article devenu célèbre, Gerd

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dans le contexte géographique et démographique de la Palestine, et spécialement de la Galilée du Ier siècle. Arnal développe la thèse, déjà suggérée par Kloppenborg119, que les responsables de la source Q, document écrit et rhétoriquement bien structuré, étaient des scribes de villages en Galilée, dans le voisinage probable de Capharnaüm120. Ils auraient composé ce texte pour répondre à une crise provoquée par la domination romaine laquelle, par l’intermédiaire d’Antipas qui avait relevé Sepphoris en 4 AEC et fondé Tibériade entre 17 et 23 EC (au temps même de la « jeunesse » de Jésus !), entendait siphonner vers l’Empire les richesses de la Galilée121. De son propre ave, Arnal n’a pas traité du Jésus de l’histoire et affirme, lui aussi, qu’il n’y a pas continuité directe entre Jésus et le mouvement suscité en son nom que représente Q122. Il ajoute néanmoins que si certains éléments de Q remontent à Jésus123, même s’ils sont réinterprétés par Q, ils pourraient servir à montrer que Jésus luimême avait déjà réagi à la politique romano-hérodienne à la manière T, « Wanderradikalismus. Literatursoziologische Analyse der Überlieferung von Worten Jesu im Urchristentum », dans ZThK 70 (1973) 245-271 – traduit en français en 1996 seulement sous le titre « Radicalisme itinérant. La transmission des paroles de Jésus au sein du christianisme primitif du point de vue de la sociologie de la littérature », dans Histoire sociale du christianisme primitif (MdB, 33), Genève, Labor et Fides, 1996, 17-46. Il maintient toujours cette thèse en 1998 : T – M, The Historical Jesus, p. 28, 190 ; T, « Jésus et la crise sociale de son temps », dans M – N – P (dir.), Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d’une énigme, 125-155, p. 130. Il vient de la reprendre très affirmativement, bien qu’avec quelques nuances : T, Le mouvement de Jésus. Tout en admettant, cette fois, que sans la Didachè « nous ne pourrions pas conclure de façon sûre à l’existence d’un charismatisme d’itinérance à partir des seuls textes du N.T. » (p. 65, n. 2), il maintient fortement, en raison du radicalisme éthique de plusieurs textes évangéliques (qu’on rattache notamment à la source Q), que des charismatiques itinérants en furent le groupe porteur. Il y répond aux différentes critiques qui lui avaient été adressées, parmi lesquelles celle que je lui avais faite concernant l’exiguïté du territoire de la Galilée, ne permettant pas d’imaginer dans la Galilée de Jésus une véritable et radicale itinérance (voir M, « Quelle(s) communauté(s) derrière la Source Q ? » – repris au chapitre 6 du présent livre). À l’encontre de ma critique, eissen invoque (p. 187 n. 2) les déplacements de Jésus hors de la Galilée (vers Tyr et Sidon, Césarée de Philippe et la Décapole), mais il s’agit là, me semble-t-il, de déplacements exceptionnels. 119. K V, Excavating Q, p. 195, 200-201. 120. A, Jesus and the Village Scribes, p. 159-164 (« e Immediate Setting of Q ») et p. 168-172 (« e Q People as Village Scribes »). 121. Cette hypothèse s’appuie sur une longue présentation de la situation socioéconomique de la « Galilée romaine », A, Jesus and the Village Scribes, p. 97-155 (où certaines données – notamment l’écrasement de la population sous le fardeau de taxes superposées – sont facilement répétées sans être parfaitement établies). Voir M, « La Palestine du premier siècle », p. 23-26 (« Taxes et impôts »). 122. A, Jesus and the Village Scribes, p. 203. 123. Ibid., p.  257 n.  69 : Arnal, fait remarquer que 11 des 15 paroles de Jésus auxquelles le Jesus Seminar attribue la couleur rouge (rouge = paroles authentiques de Jésus) viennent de Q ; voir Robert W. F – Roy W. H, The Five Gospels, p. 549.

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des responsables de Q. Je retiendrais, pour ma part, que le sort qu’Arnal fait à la thèse de l’itinérance a un impact certain sur la figure de Jésus. 2.3.2 Autres textes anciens En plus des évangiles canoniques et de la source Q probablement utilisée par Mt et Lc, il existe d’autres textes anciens qui parlent de Jésus. En collaboration avec J.H. Charlesworth, C.A. Evans a fait une présentation critique des agrapha (paroles non écrites) de Jésus, absentes des évangiles mais connues de la tradition et des évangiles non canoniques (ou apocryphes) exploités en particulier dans la recherche américaine sur le Jésus de l’histoire124. Ces agrapha sont pour la plupart des variations de paroles qu’on trouve dans les synoptiques et n’apportent rien de neuf au message de Jésus125. Quant aux évangiles non canoniques, Evans prend nettement parti contre ceux qui prétendent y voir des documents indépendants plus anciens que les évangiles canoniques. Bien qu’issu luimême de Claremont126, il s’écarte de la tendance américaine qui semblerait, dans son ensemble, considérer l’Évangile de omas comme un texte indépendant des synoptiques, compilé entre le milieu et la fin du Ier siècle. Ce quasi-consensus est d’ailleurs une illusion. Evans montre bien que les tenants de cette position sont presque tous d’anciens étudiants d’Helmut Koester (Harvard) et de James M. Robinson (Claremont). Mais cet axe (Harvard-Claremont) ne représente pas l’ensemble de la recherche américaine. Il se peut qu’un texte ou l’autre de Thomas soit ancien et indépendant. Il faut donc tenir compte de cet évangile, mais cela ne justifie pas la quasi-priorité qu’on lui accorde notamment au Jesus Seminar. De même, selon Evans, l’Évangile de Pierre et son prétendu noyau l’Évangile de la Croix (Crossan), le Papyrus Egerton 2 (Crossan, Koester) et le fantomatique Évangile secret de Marc127 (Morton Smith) n’offrent 124. James H. C – Craig A. E, « Jesus in the Agrapha and Apocryphal Gospels », dans C – E (dir.), Studying the Historical Jesus, 479-533. Repris en résumé dans E, Jesus and His Contemporaries, p. 26-40. 125. Deux d’entre eux particulièrement pourraient être authentiques, celui d’Ac 20,35 et la parole du Seigneur en 1  4,15-17. 126. Craig A. E, Isaiah 6:9-10 in Early Jewish and Christian Interpretation. èse de doctorat, Claremont Graduate University, CA, 1983. 127. On sait que Neusner, qui a bien connu Morton Smith, maintient que l’Évangile secret de Marc est « the forgery of the century », Jacob N, « Who Needs “e Historical Jesus” ? An Essay-Review », dans BBR 4 (1994) 113-126, p.  115. Par contre, dans la réponse qu’il donne à Neusner, Evans ne veut pas croire que Morton Smith ait pu écrire un commentaire de 450  pages sur un texte qu’il aurait lui-même inventé et préfère attribuer le tout à la crédulité, bien connue par ailleurs, de Clément  d’Alexandrie : Craig A. E, « e Need for the “Historical Jesus”. A Response to Jacob

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rien de sérieux pour la recherche de Jésus. Ce n’est pas tout à fait l’opinion de P. Piovanelli, spécialiste de la littérature apocryphe chrétienne, qui, tout en gardant une distance critique, donne plus d’importance aux travaux de Koester et de Crossan128. Par contre, et curieusement129, Evans estime que les traditions rabbiniques, bien que très postérieures au temps de Jésus, peuvent éclairer la recherche sur Jésus, pourvu que ces parallèles ne soient pas contaminés par le Nouveau Testament et qu’ils aient quelque chance de remonter avant l’ère rabbinique130. Il concède que cette littérature nous parle avant tout de la polémique contre les chrétiens qui a sévi durant les quatrième, cinquième et sixième siècles EC et « tells us virtually nothing, perhaps nothing at all, about Jesus himself131 ». En effet, sauf les cas de critiques contre la corruption des autorités du Temple remontant au Ier siècle, et qui rendent au moins plausible, s’ils ne l’expliquent pas, l’action de Jésus au Temple, cette littérature n’illustre aucun point très précis. Il reste que les formes littéraires employées (paraboles, proverbes, prières) et l’existence de certaines traditions messianiques montrent bien que le contexte Neusner’s Review of Crossan and Meier », dans BBR 4 (1994) 127-133, p. 129. Voir aussi C – E, « Jesus in the Agrapha and Apocryphal Gospels », p. 526-532. Brown (Université de Toronto) s’est rangé, lui, du côté de l’authenticité dans sa thèse : Scott G. B, Mark’s Other Gospel, et a pris la défense de Morton Smith en plusieurs articles (en particulier contre Stephen C. C, The Gospel Hoax. Morton Smith’s Invention of Secret Mark, Waco, TX, Baylor University Press, 2005) : Scott  G.  B, « e Secret Gospel of Mark. Is It Real ? And Does It Identify “Bethany beyond the Jordan” ? » dans BAR 31 (2005) 44-49, 60-61 ; I, « Reply to Stephen Carlson », dans ExpTim 117 (2006) 144-149 ; I, « e Question of Motive in the Case against Morton Smith », dans JBL 125 (2006) 351-383. 128. Voir en particulier Pierluigi P, « Pre- and Post-Canonical Passion Stories. Insights into the Development of Christian Discourse on the Death of Jesus », dans Apocrypha 14 (2003) 99-128. On trouve une version abrégée de ce texte : I, « D’un récit de la Passion (Marc  14-16) à l’autre (Livre du coq) », dans Daniel M (dir.), La Bible en récits. L’exégèse à l’heure du lecteur, Genève, Labor et Fides, 2003, 431-441. En préparation de l’édition critique, avec commentaire, d’un texte éthiopien : I, « Livre du coq », dans Pierre  G – Jean-Daniel  K (dir.), Écrits apocryphes chrétiens II (Bibliothèque de la Pléiade, 516), Paris, Gallimard, 2005, 135-203, Piovanelli avait aussi présenté un texte important : I, « Exploring the Ethiopic Book of the Cock. An Apocryphal Passion Gospel from Late Antiquity », dans HTR 96 (2003) 427-454. 129. Car c’est à l’opposé de l’opinion générale (bien exprimée par exemple en M, A Marginal Jew, vol. 1, p. 93-98), qui estime que les sources rabbiniques n’apportent rien à la recherche sur Jésus. 130. Craig A.  E, « Early Rabbinic Sources and Jesus Research », dans Bruce C – Craig A. E, Jesus in Context. Temple, Purity, and Restoration (AGJU, 39), Leiden, Brill, 1997, 27-57. En p. 30, Evans propose quatre critères permettant d’établir la pertinence des parallèles. Sur la corruption des autorités du Temple, voir aussi I, « Jesus’ Action in the Temple and Evidence of Corruption in the First-Century Temple », dans Jesus and His Contemporaries, 319-344. 131. E, « Early Rabbinic Sources and Jesus Research », p. 31.

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culturel et idéologique de Jésus était bien juif et non gréco-romain comme certains le prétendent aujourd’hui. Il faut enfin mentionner, parmi les contributions canadiennes à l’étude des textes chrétiens anciens, la prestigieuse entreprise de la Bibliothèque copte de Nag Hammadi, patronnée par l’Université Laval de Québec. C’est la seule entreprise d’édition critique et de traduction en français, sous la direction de Louis  Painchaud, Wolf-Peter  Funk et PaulHubert Poirier, de la collection de manuscrits coptes découverts en 1945 près de la ville de Nag Hammadi, en Égypte. Ces textes ressuscitent pour nous des formes du christianisme primitif que la tradition postérieure a combattues et s’est efforcée de faire disparaître, mais qui ont joué un rôle essentiel dans sa formation. Quelques-uns de ces ouvrages, comme l’Évangile selon omas, l’Évangile selon Philippe et l’Évangile selon Marie132, qui appartiennent à la tradition des apparitions du Sauveur ressuscité, sont devenus des textes importants pour certains courants de la recherche du personnage historique de Jésus. 3. Conclusion. La mort de Jésus comme révélation de son chemin singulier Faute de pouvoir ici signaler tous les aspects du judaïsme du Ier siècle ou de la vie de Jésus auxquels se sont consacrés des chercheurs canadiens133, je terminerai en revenant sur la mort de Jésus. Étant la conséquence de ce qu’il a dit et de ce qu’il a fait, cette mort reflète en effet les positions prises durant toute sa vie. De ce point de vue, C.A.  Evans a bien souligné le lien entre la vie galiléenne de Jésus et sa mort en Judée134. Ce lien, il le voit principalement dans la proclamation du Royaume faite par Jésus (dans les paraboles, les miracles, les prières et certaines références à David qui ont des implications politiques). Cet ensemble expliquerait l’écriteau de la croix portant le motif de condamnation : « roi des Juifs ». Mais Evans note 132. Anne  P (Université Laval, Québec, QC) a donné l’édition critique de l’Évangile selon Marie, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1983. Ces textes gnostiques sont également exploités par certains romanciers, dont Dan  Brown assurément dans son Da Vinci Code (2003), pour rétablir la véritable figure de Jésus, prétendument falsifiée par les évangiles canoniques. 133. Notons néanmoins, de la part d’un universitaire de Wilfrid Laurier University, ON : Harold R, « Miracle (NT) », dans ABD, vol. 4, 856-869, n. 62 ; I, Jesus as Healer, Cambridge, UK, CUP, 1997. 134. Craig A.  E, « From Public Ministry to Passion. Can a Link Be Found between the (Galilean) Life and the (Judean) Death of Jesus ? », dans Jesus and His Contemporaries, 301-318.

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bien que l’événement spécifique qui a précipité l’arrestation de Jésus a été son action dans le Temple135. Cette action de Jésus reste l’un des grands points discutés de l’histoire de Jésus. D’aucuns en nient l’historicité, estimant qu’une telle action aurait été incompréhensible dans le milieu juif, parce qu’elle aurait signifié que le Temple était une institution inutile136. L’implication est correcte, en effet. Une telle action était scandaleuse, mettait Jésus en danger et le rendait passible de jugement. Les accusations qui seront faites au procès, évoquant certaines paroles de Jésus contre le Temple (voir Mc 14,58 ; 15,29, mais aussi 13,2), en témoignent suffisamment. Evans a repris la question dans une série d’études complémentaires137. Il maintient l’historicité de l’action de Jésus au Temple. Mais au lieu d’y voir un geste prophétique annonçant la destruction du Temple (comme E.P. Sanders), il pense que cette action a été provoquée par le spectacle de la corruption s’étalant dans l’enceinte du Temple. Jésus a voulu purifier le Temple. Sans adopter tout à fait la position de son collègue Bruce Chilton, qui croit que le rabbi Jésus se préoccupait avant tout de questions de pureté – en particulier de la pureté des sacrifices offerts au Temple138 –, Evans le cite néanmoins avec sympathie. L’hypothèse aussi de P. Richardson pour qui, nous l’avons vu, c’est par souci de pureté que Jésus rejetait la monnaie officielle du Temple, le sicle d’argent portant l’image d’un dieu païen, rejoint tout à fait ce que j’appellerai ici la thèse de purification. C’est contre une pratique « impure » que Jésus se serait soulevé. Tous ces auteurs prennent bien soin, d’ailleurs, de souligner que l’action 135. Ibid., p. 313. 136. Par exemple, David S, « Jesus’ Temple Act », dans CBQ 55 (1993) 263-283, p.  265, s’appuyant particulièrement sur Jacob  N, « Money-Changers in the Temple. e Mishnah’s Explanation », dans NTS 35 (1989) 287-290. 137. Craig A. E, « Jesus’ Action in the Temple. Cleansing or Portent of Destruction ? », C – E, dans Jesus in Context, p. 395-439 ; I, « From “House of Prayer” to “Cave of Robbers”. Jesus’ Prophetic Criticism of the Temple Establishment », dans Craig A. E – Shemaryahu T (dir.), The Quest for Context and Meaning. Studies in Biblical Intertextuality in Honor of James A. Sanders (Biblical Interpretation Series, 28), Leiden, Brill, 1997, 417-442 ; I, « Jesus’ Action in the Temple and Evidence of Corruption in the First-Century Temple », dans Jesus and His Contemporaries, p. 319-344 ; I, « Jesus and the “Cave of Robbers”. Towards a Jewish Context for the Temple Action », dans Jesus and His Contemporaries, p. 345-365. S, « Jesus’ Temple Act », p. 265-271, conteste cette thèse de la purification défendue par Evans. 138. Voir Bruce C, The Temple of Jesus. His Sacrificial Program within a Cultural History of Sacrifice, University Park, PA, Pennsylvania State University Press, 1992, en particulier : « Jesus’ Occupation of the Temple », p.  91-111. Voir aussi I, Rabbi Jesus, p. 225-230. Malgré quelques réserves, E, Jesus and His Contemporaries, p. 352357, le cite longuement et pense que la réaction des autorités aurait été provoquée par une déclaration prophétique de Jésus évoquant celle de Jérémie 7,11 : le « repaire de brigands ».

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de Jésus ne s’opposait pas au Temple comme tel ni, par conséquent, au système sacrificiel qui était sa raison d’être. Cette image du rabbi Jésus éminemment préoccupé par les minuties de la Loi concernant les règles de pureté ne paraît pas correspondre aux récits évangéliques. Quelles que soient ses variantes, ce courant de pureté me semble réduire l’action de Jésus au Temple et la mort qui s’ensuit à une revendication purement rituelle : une protestation contre les pratiques commerciales du Temple, qui corrompent l’acte sacrificiel lui-même. Tout au plus, l’action de Jésus rejoindrait la contestation générale des gens de Qumrân s’opposant au sacerdoce de Jérusalem qu’ils estimaient corrompu. C’est la position d’Evans, me semble-t-il. À mon avis, la singularité historique de Jésus ne saurait se ramener à une simple fidélité au système sacrificiel de jadis. Elle est « rupture instauratrice », dirait Michel de Certeau. Rupture eschatologique : la nouveauté du Royaume est présente en sa personne. L’agir décisif de Dieu, par lui, entre en notre monde. Rupture théologique dès lors, instauratrice d’un nouveau mode de relation à Dieu. Non plus sous ce mode qui, s’il n’est pas intrinsèquement de type compensatoire (sacrifice pour apaiser Dieu, dans une relation donnant-donnant), glisse souvent vers un tel régime et est source de l’autojustification dénoncée par Jésus (Lc 18,9-14), mais par un mode de relation qui rejoint Dieu dans l’autre, tel que Matthieu l’énonce en 25,31-46. Le chemin probable de l’histoire passe par là. Parmi tous les « judaïsmes » du Ier siècle – pharisien, sadducéen, essénien –, Jésus choisit la voie inaugurée par Jean  Baptiste : le baptême de repentir pour la rémission des péchés (Mc 1,4 ; Lc 3,3). Ce baptême n’est pas une simple ablution de pureté. Il est le geste du pardon de Dieu, du salut eschatologique déjà à l’œuvre. Ce que Matthieu traduit très bien dans son passage parallèle, en remplaçant la mention du baptême par ce qu’il signifie : « le Royaume des Cieux s’est approché » (Mt  3,2). Jusque-là, ce pardon des péchés était lié au système sacrificiel du Temple. Prétendre remettre les péchés autrement, c’est entrer en compétition directe avec le Temple. Or c’est précisément cette proclamation de Jean qui tire Jésus hors de Nazareth et le lance sur les routes de Palestine. Historiquement, Jésus est d’abord disciple de Jean. Il baptisera lui-même pendant un certain temps (Jn 4,1), mais prendra bientôt ses distances de Jean, rattachant le pardon des péchés à ses propres gestes et à sa personne, ramenant finalement l’immersion baptiste à sa souffrance et à sa mort : « Pouvez-vous être baptisés du baptême dont je vais être baptisé ? » (Mc 10,38). Après l’action de Jésus dans le Temple, les grands prêtres, les scribes et les anciens lui demandent : « En vertu de quelle autorité fais-tu cela ? » (Mc 11,28). Et Jésus de répondre, très curieusement à première vue, en évoquant le

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baptême de Jean. C’est une manière d’assimiler son geste au baptême de Jean, tous les deux, à leur façon, contestataires du Temple139. Singularité inacceptable qui l’a mené à la mort. La quête du Jésus de l’histoire se ramène, au fond, à deux tâches : replacer Jésus dans son propre monde et montrer en quoi il s’en distingue. On peut dire, je crois, que la recherche canadienne s’est appliquée à ces deux tâches avec un certain bonheur.

139. Je me rattache ici aux analyses de Charles  P, Jésus et l’histoire (Jésus et Jésus-Christ,  11), Paris, Desclée, 19932 (1979), p.  112-118  (« Le baptême qui sauve ») et p. 123-131 (« La question du Temple »). C’est un point que relève aussi Chrystian B, Jésus contre le temple ? Analyse historico-critique des textes (HP,  68), Montréal, Fides, 2005, en soulignant à plusieurs reprises les « origines baptistes » de Jésus (p. 64, 65, 70, 124 surtout et 131). Boyer, qui est rattaché à l’Université du Québec à Montréal, QC, reconnaît l’historicité du geste de Jésus dans le temple (p. 135) et n’y voit pas une purification, « en tant [que ce geste] exprimerait une critique de l’état actuel du temple ou de son usage » (p. 93-94), mais bien plutôt, se basant sur la convergence des données évangéliques, « une annonce prophétique de la destruction du sanctuaire » (p. 119-120).

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DE QUELQUES PRÉSENTS DÉBATS DANS LA TROISIÈME QUÊTE* Parmi toutes les études portant sur le Nouveau Testament, la recherche sur le Jésus de l’histoire a pris récemment une place quasi prépondérante, autant dans l’enceinte plus ou moins réservée des spécialistes que dans le grand public. Nous en serions à la troisième quête du Jésus de l’histoire. Je ne dirai rien de la première ni de la seconde qui sont bien connues. D’ailleurs, ces divisions sont arbitraires et la recherche sur Jésus n’a jamais cessé. Elle s’est intensifiée cependant de façon extraordinaire récemment, particulièrement aux États-Unis, ce qui lui a valu le titre de troisième quête. Créée par N.T. Wright en 19881, l’expression est devenue courante, malgré de fortes contestations, car on ne s’entend ni sur ce qui pourrait la définir, ni même sur son commencement. On pourrait néanmoins situer son origine vers la fin des années 1970 et le début des années 1980, par exemple avec le livre de Ben F. Meyer, The Aims of Jesus2 en 1979 ou le Jesus and Judaism de E.P. Sanders3 en 1985, l’année qui vit aussi le lancement du Jesus Seminar avec Robert  Funk et John Dominic Crossan. Et depuis les trente dernières années d’innombrables publications, articles et livres sur Jésus, comme un véritable tsunami, ont déferlé, impliquant, par ricochet, tous les secteurs de la recherche néotestamentaire et celle des origines du christianisme. Il est impossible de tenir un compte détaillé de ce déferlement et tous les bilans restent fragmentaires4 et, bien sûr, orientés par celui qui s’y risque. La présente tentative n’y échappe pas. J’ai choisi de présenter la * Texte paru dans De Jésus à Jésus-Christ. I. Le Jésus de l’histoire. Actes du colloque de Strasbourg, 18-19  novembre 2010 (Jésus et Jésus-Christ. Colloques), Paris, MameDesclée, 2010, 189-214. 1. N – W, The Interpretation of the New Testament, p. 379. 2. M, The Aims of Jesus. 3. Ed Parish S, Jesus and Judaism, Philadelphia, PA, Fortress, 1985. 4. Il en est d’excellents : celui, par exemple, de Vittorio F, « La quête du Jésus historique. Bilan et perspectives », dans M – N – P (dir.), Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d’une énigme, 25-57 ; celui de Daniel M, « La “troisième quête” du Jésus de l’histoire », dans RSR 87 (1999) 397-421 ; ou celui de D, Jesus Remembered, 17-97.

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situation actuelle, non pas en convoquant les différents Jésus qui circulent actuellement, mais en m’arrêtant à quelques secteurs importants de la présente recherche, qui sont aussi les plus débattus : 1. tout d’abord la question de la légitimité elle-même de cette quête et de ce qu’il faut entendre par recherche historique ; 2. ensuite la situation socio-culturelle de la Galilée d’Hérode Antipas ou le contexte historique qui fut celui de Jésus ; 3. enfin, ce qu’on a appelé la « lutte incessante avec les sources5 », sources canoniques et non canoniques. 1. Justification de la recherche et réflexions sur l’histoire Cette quête du Jésus de l’histoire est-elle légitime ? Pour ceux qui estiment que le personnage Jésus de Nazareth est pure fiction, que ce Jésus n’a jamais existé, la réponse négative va de soi. On peut s’en étonner, mais, à côté de négationnistes radicaux, tel l’américain Robert Price, tout un groupe de chercheurs, à la suite de Jonathan Z. Smith et de Burton Mack, considèrent qu’en ses origines l’entreprise chrétienne relève de la fabrication du mythe (myth-making)6. D’autres rejettent la recherche du Jésus historique pour des raisons théologiques. On connaît la phrase de Bultmann affirmant que ce n’est pas la personne du Jésus historique qui est objet de foi, mais plutôt le Christ du kérygme et qu’il ne faut pas remonter en deçà du kérygme, pour y chercher une légitimation que fournirait la recherche historique7. Plus récemment, l’exégète catholique Luke Timothy Johnson, dans un ouvrage polémique, The Real Jesus8, a soutenu fortement que le « Jésus réel » n’était pas celui des historiens mais celui de la foi. Le Jésus réel n’est pas le Jésus reconstruit par une recherche historique contingente et en constante révision, mais une figure du présent, le Seigneur Jésus vivant. En affirmant, avec raison, que la foi chrétienne dépend de la résurrection du Christ, qui n’est pas un événement historique mais eschatologique, Johnson semblait pratiquement rejeter toute recherche historique sur 5. N, « La question des sources », p. 568. 6. Robert M. P, « Jesus at the Vanishing Point », dans James K. B – Paul R. E (dir.), The Historical Jesus. Five Views, Downers Grove, IL, IVP Academic, 2009, 55-83. Pour J.Z. Smith et B.L. Mack, voir le même ouvrage, p. 32 n. 85. 7. Rudolf B, Das Verhältnis der urchristlichen Christusbotschaft zum historischen Jesus, Heidelberg, Winter, 19623, p. 7. 8. Luke Timothy J, The Real Jesus. The Misguided Quest for the Historical Jesus and the Truth of the Traditional Gospels, San Francisco, CA, HarperSanFrancisco, 1996.

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Jésus9. En réalité, sa position est plus nuancée. Dans un essai récent, en confrontation avec d’autres vétérans comme John Dominic Crossan et James D.G. Dunn, il établit clairement que Jésus doit être soumis à la recherche historique « because he is a historical figure », ajoutant même que refuser de s’engager dans cette recherche serait « a refusal to take the incarnation seriously10 ». Au fond, il ne dit pas autre chose que John P. Meier : « le Jésus de l’histoire n’est pas et ne peut pas être l’objet de la foi chrétienne11 », même si, par contre, Meier s’est lancé dans une colossale entreprise historienne. Ce débat entre histoire et foi se poursuit toujours, comme en témoignent les dossiers des Recherches de science religieuse, en 1999 et 2000, repris en volume dans Le cas Jésus Christ12 et dans le tout dernier dossier de 2010, sur « Christologie et histoire de Jésus13 ». Il est bien senti aussi en Amérique, comme semblent l’indiquer les titres de deux ouvrages récents, dus à des chercheurs chevronnés, celui de Dale C. Allison, The Historical Christ and the Theological Jesus14, où les qualificatifs habituels sont inversés, le Christ devenant historique et Jésus théologique, et celui de Craig S. Keener, The Historical Jesus of the Gospels15, le Jésus historique des Évangiles. Il me paraît que le Jésus de Nazareth de Joseph Ratzinger-Benoît XVI reflète le même débat. Après un avant-propos important, où Benoît XVI défend la méthode historico-critique et affirme fortement que l’histoire, le factuel, fait partie de l’essence même de la foi chrétienne16, c’est « une interprétation proprement théologique de la Bible » qu’il propose, « audelà de l’interprétation historico-critique17 ». Le dialogue qu’il engage 9. Luke Timothy J, « e Real Jesus. e Challenge of Current Scholarship and the Truth of the Gospels », dans Leonard J. G – Dennis H (dir.), The Historical Jesus Through Catholic and Jewish Eyes, Harrisburg, PA, Trinity Press International, 2000 – où il écrit : « Historical Jesus research is irrelevant to Christian faith because the resurrection is not a historical but an eschatological event […] », p. 59. 10. Luke Timothy J, « Learning the Human Jesus. Historical Criticism and Literary Criticism », dans B – E (dir.), The Historical Jesus. Five Views, 153-177, p. 157, 160. 11. M, Un certain juif Jésus, vol. 1, p. 121 = I, A Marginal Jew, vol. 1, p. 197. 12. Pierre G – Christoph T (dir.), Le cas Jésus Christ. Exégètes, historiens et théologiens en confrontation, Paris, Bayard, 2002. 13. RSR 98/4 (2010). 14. Dale C. A, The Historical Christ and the Theological Jesus, Grand Rapids, MI – Cambridge, UK, Eerdmans, 2009 ; I, Jesus of Nazareth. Millenarian Prophet, Minneapolis, MN, Fortress, 1998 ; I, Resurrecting Jesus. The Earliest Christian Tradition and its Interpreters, New York, NY – London, UK, T&T Clark, 2005. 15. Craig S. K, The Historical Jesus of the Gospels, Grand Rapids, MI – Cambridge, UK, Eerdmans, 2009. 16. Joseph  R-B  XVI, Jésus de Nazareth, Paris, Flammarion, 2007, p. 11. 17. Ibid., p. 19.

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avec Jacob Neusner, le « grand érudit juif18 », auteur d’un petit livre intitulé A Rabbi Talks with Jesus19, est un dialogue entre croyants. D’un côté un Neusner qui rejette toutes les figures de Jésus historique fabriquées par l’imagination studieuse des chercheurs20 et s’en tient au Jésus de Matthieu, un Jésus qui se situe au-dessus de la Torah, dit-il, en prend même la place et fait à ses disciples des demandes que Dieu seul peut faire21. De l’autre, Benoît XVI qui, passant à l’exégèse canonique (laquelle postule, par un acte de foi, l’unité de l’Écriture entière), tente « de représenter le Jésus des Évangiles [celui des synoptiques comme celui de Jean] comme un Jésus réel, comme un “Jésus historique” au sens propre du terme22 ». Ce Jésus de Nazareth, comme le notait le cardinal Martini au lendemain de sa parution, est le livre d’un théologien23. Inspiré par la foi, il présente un Jésus que l’historien, avec ses seuls instruments, ne saurait atteindre. On voit que le sens des mots « réel » et « historique » n’est pas donné d’avance et peut être source de malentendus. Mais qu’en est-il alors de l’historien croyant ou du croyant qui se trouve être aussi historien24 ? Lui est-il loisible, dans sa recherche historienne, de mettre entre parenthèses sa foi chrétienne ? C’est la position adoptée, on le sait, par John P. Meier, dans les quatre volumes parus à ce jour de sa série, Un certain juif Jésus, que lui-même avait intitulée A Marginal Jew25. Plaidant pour la pertinence de la distinction méthodologique entre « Jésus de l’histoire » et « Christ de la foi », Jacques Schlosser adopte dans son Jésus de Nazareth une position semblable à celle de Meier. Il s’en tient exclusivement aux méthodes et approches qui ont cours dans la pratique historienne, renonçant, « par nécessité de méthode, 18. Ibid., p. 90 ; voir p. 125-145. 19. Jacob N, A Rabbi Talks with Jesus, Montréal – Kingston, McGill – Queen’s University Press, 2000. Neusner a d’ailleurs écrit un article percutant contre les entreprises de Crossan et Meier : Jacob N, « Who Needs “e Historical Jesus” ? An Essay-Review », dans BBR 4 (1994) 113-126. Craig A. E lui a répondu dans le même numéro de la revue, p. 127-134. 20. N, A Rabbi Talks with Jesus, p. 7, 11. 21. Ibid., p. 49, 68, 89. 22. R-B XVI, Jésus de Nazareth, p. 17 ; voir aussi p. 133. 23. Carlo Maria M, présentation à Paris, 23 mai 2007, reproduite dans le Corriere della Sera, Giovedi 24 Maggio 2007, p. 43. 24. Pour retenir la distinction faite par Jacques S, « La recherche historique sur Jésus : menace et/ou chance pour la foi ? », dans RevScRel 80 (2006) 331-348, p. 331. 25. John P. M, A Marginal Jew. Rethinking the Historical Jesus (AB Reference Library), 4 vol., New York, NY, Doubleday, 1991-2009. Cette mise entre parenthèses de la foi lui a été fortement reprochée par Rino F, dans sa recension de A Marginal Jew dans Biblica 74 (1993) 123-129. Mais voir la réaction de Jean-Noël A, « Exégète et théologien face aux recherches historiques sur Jésus », dans RSR 87 (1999) 423444, p. 439.

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dit-il, à l’éclairage que la foi chrétienne jette sur le personnage et, dans la mesure du possible, [faisant] abstraction de sa foi personnelle26 ». Prise de distance méthodologique, avec laquelle, en principe, je suis d’accord, en me permettant néanmoins de souligner le « dans la mesure du possible », où l’on pressent peut-être une question laissée sans réponse… Si, en effet, « selon l’axiome fondamental de [la] philosophie critique de l’histoire […], l’histoire est inséparable de l’historien », comme le répète Henri-Irénée Marrou et si elle est bien, comme dit encore Marrou, « une aventure spirituelle où la personnalité de l’historien s’engage tout entière27 », il reste permis de se demander comment la foi, qui interpelle si profondément le croyant, peut être écartée totalement de l’aventure spirituelle de l’historien28. Tout ceci, en tout cas, exige qu’on s’entende sur les mots. Strictement, le Jésus de l’histoire, c’est celui que l’historien peut atteindre par ses propres outils. Ce Jésus de l’histoire, des historiens, n’est pas objet de foi. Ce n’est pas non plus le Jésus réel. Pour le croyant, par contre, le Jésus de la foi est bien celui qui est venu réellement en histoire humaine, historique en ce sens – c’est le sens que retient Benoît  XVI quand il dit du Jésus johannique qu’il est le Jésus historique29. Mais ce n’est plus là le Jésus de l’historien, le Jésus reconstruit par l’historien, le Jésus de l’histoire. C’est à ce dernier, il me semble, pour éviter les ambiguïtés et savoir de quoi on parle, qu’on devrait réserver le mot historique. L’enjeu est clair : la quête porte sur le Jésus que l’historien peut découvrir. Mais quel est le statut de cette connaissance historienne ? Qu’en est-il de la connaissance historique ? La plupart des chercheurs ne se préoccupent guère d’épistémologie. C’est ce à quoi a voulu remédier l’important ouvrage de Ben F. Meyer, The Aims of Jesus, qui emprunte sa conception de l’histoire à d’importants théoriciens comme R.G. Collingwood, conception que Marrou a brillamment développée dans son livre De la 26. Jacques S, Jésus de Nazareth, Paris, Viénot, 2002 (1999), p. 23. 27. M, De la connaissance historique, p.  297 et 197. Voir encore : cette « connaissance historique, que nous avons définie comme un mixte indissoluble d’objet (le passé [ici, le Jésus passé]) et de sujet (l’historien) », p. 308. 28. J’avais soulevé la question dans Jean-Paul M, « Jésus de l’histoire et Jésus des évangiles. À l’occasion du Jésus de Nazareth de Jacques  Schlosser », dans Theoforum 32 (2001) 223-233, p. 232-233. S, « Rigueur et intuition dans la recherche historienne sur Jésus », dan Théohilyon 13 (2008) 36-50, présente sa réponse à ce questionnement, dans ses considérations sur l’histoire. 29. C’est aussi, il semble, le sens retenu par Joseph M, « Réponses préalables à quelques interpellations », dans G – T, Le cas Jésus Christ, 207-218, p. 215 : « Le Jésus de l’histoire, pour moi, c’est le Jésus de l’évangile, celui auquel je crois ; […] Le Jésus de l’histoire est le Jésus de l’évangile, parce que l’évangile est son histoire et qu’il n’y en a pas d’autre. »

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connaissance historique30. Ce qu’il faut ici retenir avant tout, c’est le rôle de la subjectivité dans l’acte du connaître, la présence de l’historien dans ce qu’il présente comme historique. Ce que Marrou exprimait si bien dans son quasi-slogan : l’histoire est inséparable de l’historien. Il faut notamment bien distinguer entre les données (data) fournies à l’historien par les sources dont il dispose (qui ne sont jamais complètement objectives, d’ailleurs) et ce qu’on appelle un « fait historique », qui, lui, découle de l’interprétation du chercheur. Le « fait historique », le Jésus historique, n’existe pas quelque part, à l’extérieur, indépendamment de l’historien. Ce n’est pas un quelconque artéfact, qu’il suffirait de déterrer, à la manière des archéologues, au fond d’un tell littéraire, en le débarrassant des couches de tradition qui l’ont recouvert. Le fait historique est un construit, dépendant tout à fait de l’historien. Le Jésus de l’histoire est une construction, conjecturale, provisoire, révisable, à la merci de quelque nouveau document31… C’est à cette construction du sens qu’appartient une autre distinction importante, que Meyer emprunte encore à Collingwood, entre « the outside » et « the inside » d’un événement32. Ben Meyer estime que l’historien doit chercher à saisir l’intérieur ou l’âme de l’événement, la pensée ou le but dont cet événement est chargé, ce qui lui donne sens et direction. Ce qui importe, ce n’est pas telle donnée en elle-même, par exemple le baptême de Jésus par Jean Baptiste, mais le pourquoi de ce baptême, ce qu’il nous révèle des buts de Jésus, de sa visée, de ses intentions : The Aims of Jesus. Ce regard d’historien n’est pas un regard de foi, mais ce n’est pas rien… 2. La Galilée d’Hérode Antipas ou le contexte historique de Jésus Il est indispensable, pour le portrait que l’historien tente de se faire de Jésus, de connaître son pays, l’état des villes et des villages qu’il a fréquentés, les relations, commerciales ou autres, conflictuelles ou pacifiques, que les populations y entretenaient. Ces questions et bien d’autres ont fait l’objet, depuis une trentaine d’années, à l’aide de modèles sociologiques, d’études intensives, alimentées par une exploration archéologique extraordinaire de 30. M, The Aims of Jesus ; C, The Idea of History ; M, De la connaissance historique. 31. Qualificatifs que S, « La recherche historique sur Jésus », p.  340, applique à l’histoire comme science. Voir aussi D, Jesus Remembered, p.  101-111 (« What Can History Deliver ? ») et p. 672. 32. M, « e “Inside” of the Jesus Event », p. 166-167. Voir C, The Idea of History, p. 213-217.

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la Galilée, à ce point que la recherche du Jésus de l’histoire est en danger, on l’a dit, de devenir la recherche de la Galilée historique33. Ces méthodes ne sont pas innocentes. Les modèles, élaborés à partir d’analyses statistiques, aboutissent à des généralisations qui risquent d’oublier la singularité, qui fait l’essence même de toute figure historique34. Il n’est pas sûr que le modèle de ce que Crossan appelle le « paysan méditerranéen » s’applique au paysan de la Galilée juive de Jésus, autour du lac de Génésareth. Le possible, issu des modèles, n’est pas forcément le réel, ni même le probable de l’historien. Ainsi que le note un philosophe traitant de « l’écriture de la contingence » qu’est le discours historique, « le réel, c’est le contingent, cet être faible qui est un pouvoir ne pas être. De ce réel, il ne peut y avoir de discours fort, qui rende raison de son dit, car on ne peut rendre raison que du général, or ce réel est irrémédiablement singulier35. » On disait autrefois qu’il n’y avait pas de science du singulier. 2.1 Hellénisation et situation sociale de la Galilée du Ier siècle Deux points ont particulièrement retenu l’attention des chercheurs. Le premier concerne l’hellénisation de la Galilée au Ier siècle. Le second, la situation sociale de la Galilée de Jésus. Concernant l’hellénisation, rappelons seulement l’opinion de plusieurs chercheurs qui, marqués par les découvertes archéologiques récentes, dont celle de Sepphoris, à cinq ou six kilomètres de Nazareth, une ville hellénistique comportant, disait-on allègrement au début, un théâtre et même un temple païen, en avaient conclu qu’un ethos hellénistique prévalait dans toute la Galilée, que l’itinérance de Jésus s’était déroulée dans un environnement semi-païen, tout à fait hellénisé36. 33. F, Jesus, a Jewish Galilean, p. xi, et encore I, « Galilean Studies.  Old Issues and New Questions », dans Jürgen K. Z – Harold W. A – Dale B.  M (dir.), Religion, Ethnicity, and Identity in Ancient Galilee (WUNT,  210), Tübingen, Mohr Siebeck, 2007, 13-29, p. 13. 34. T, Le mouvement de Jésus, p.  153-154, reconnaît bien que « [d]ans la mesure où l’on conclut à des causes sociales en passant par des analogies, l’analyse sociologique se limite à ce qui est typique, qui se répète, et qui est analogue. On explique les traits que le mouvement de Jésus a en commun avec des manifestations du monde contemporain, mais non ce qu’il a de singulier et de propre » (je souligne). Ou encore, ibid., p. 274 : « Une explication sociologique saisit ce qui est typique, mais pas ce qui est individuel. Elle délimite un cadre ; l’intérieur de ce cadre lui échappe. » 35. B, « L’écriture de la contingence », p. 255. 36. M, A Myth of Innocence, p. 66 : « Galilee was […] an epitome of Hellenistic culture on the eve of the Roman era » ; Ibid., p. 73-74 : « the Hellenistic ethos known to have prevailed in Galilee » ; F, Honest to Jesus, p. 33 : « semipagan Galilee […] despised by the ethnically pure Judeans living to the south » ; Ibid., p. 189 : « a largely pagan environment ».

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Cette vision des choses est totalement renversée. Après les fouilles de Sepphoris, pratiquement tous les chercheurs reconnaissent actuellement que cette ville, au Ier siècle, était majoritairement juive37. Même (re)bâties par Hérode Antipas sur le modèle des villes hellénistiques, Sepphoris et Tibériade n’avaient pas le statut des villes hellénistiques indépendantes de la Décapole38. On parle tout au plus à leur propos d’un mince vernis hellénistique, plus, selon eissen, « une forme d’expression “moderne” du judaïsme qu’une expansion de la culture grecque39 ». La Galilée de Jésus restait, en très grande partie, rurale et juive. La loi y était juive, les cours de justice étaient juives, l’éducation juive également. C’est dans ce contexte juif que Jésus a vécu et proclamé son message. À mon avis, il faut accepter à ce sujet les conclusions de Mark A. Chancey, bien résumées dans le titre même de son ouvrage : The Myth of a Gentile Galilee, thèse qu’il a reprise et confortée dans son livre plus récent Greco-Roman Culture and the Galilee of Jesus40. C’est en 67 seulement que les légions de Vespasien, en route vers Jérusalem, envahissent la Galilée et vont totalement (économiquement et socialement) changer la face des choses. Il faut s’en souvenir quand on parle d’hellénisation et de romanisation de la Galilée : la situation de la fin des années 60 est totalement différente de celle qui existait trente ans auparavant, au temps du ministère de Jésus. L’autre point regarde la situation sociale de la Galilée qui fait l’objet de deux interprétations opposées, qu’on peut appeler interprétation de paix ou d’harmonie et interprétation de crise. L’interprétation de crise, soutenue principalement par Richard  A.  Horsley41, décrit une situation catastrophique où les paysans, écrasés par de lourdes taxes, s’endettent de plus en plus et, incapables de rembourser, sont finalement dépossédés de leurs terres, réduits à la mendicité ou condamnés à rejoindre les groupes de bandits sociaux qui écument le pays. À l’opposé, l’interprétation

37. C, The Myth of a Gentile Galilee, p. 79-81 ; C – R, Excavating Jesus, p. 165-172 ; D, Jesus Remembered, p. 299-300 ; F, Jesus, a Jewish Galilean, p. 82, 144 ; R, Archaeology and the Galilean Jesus, p. 124, 127-128 ; S, « Jesus’ Relation to Sepphoris », p. 75-79 ; T, Le mouvement de Jésus, p. 185. 38. F, « Jesus and the Urban Culture of Galilee », p. 193-194. 39. T, Le mouvement de Jésus, p. 185. 40. Mark Alan C, Greco-Roman Culture and the Galilee of Jesus (SNTSMS, 134), Cambridge, UK, CUP, 2005. 41. Particulièrement : Richard A. H, Jesus and the Spiral of Violence ; I, Sociology and the Jesus Movement ; I, Jesus and Empire. Interprétation soutenue également, avec des variantes, par C, The Birth of Christianity ; C – R, Excavating Jesus – ainsi que par Seán Freyne seconde manière en plusieurs publications (revoir chapitre 1, note 34).

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de paix42 maintient qu’à l’époque de Jésus, qui correspond à peu près au gouvernement d’Hérode Antipas (de -4 à 39), la Galilée était exempte de grandes tensions et de conflits importants. Gerd eissen a tenté une sorte de synthèse entre ces deux positions mais – fidèle à la méthode sociologique qu’il privilégie, la « théorie des conflits43 » – en conservant le langage de crise, même s’il reconnaît que le mouvement de Jésus est né dans une phase de relative stabilité, « entre deux périodes de crise, dit-il, entre la “guerre des brigands” et Judas le Galiléen d’un côté (6 apr. J.-C.) [et] la crise de Caligula de l’autre (39-40 apr. J.-C.)44 ». Il parle cependant de « crise permanente » dans le pays45, de la présence de beaucoup de déracinés sociaux au temps de Jésus46, de concentration de la propriété, de conflits entre les villes et les villages et de bandits sociaux47. Mais fautil encore parler de période de crise pour qualifier l’espace qui sépare « deux périodes de crise48 » ? Je préfère, pour toute la période du règne d’Antipas, parler de période de paix et de calme, même si ce calme reste relatif. La discussion, cependant, a pris un tour nouveau récemment. Tout d’abord, Seán  Freyne, grand spécialiste de la Galilée et promoteur au début, avec E.P.  Sanders, de l’interprétation de paix, a changé d’idée. À partir de 1992 et jusqu’à ses toutes récentes publications, s’arrêtant tout spécialement au programme d’urbanisation d’Antipas, la reconstruction de Sepphoris et la fondation de Tibériade, il estime, sur la base désormais de modèles sociologiques (entre autres, celui de T.F.  Carney), que ces constructions ont dû changer complètement la situation politique et sociale de la Galilée d’Antipas49. La description qu’il fait de cette Galilée, dans son Jesus, a Jewish Galilean (villes qui parasitent la campagne, 42. Soutenue, au début de sa carrière, par F, Galilee from Alexander the Great to Hadrian, et défendue, entre autres, par S, Judaism. Practice and Belief, surtout p. 157-169 ; I, « Jesus in Historical Context ». 43. Pour l’analyse du mouvement de Jésus palestinien : T, Le mouvement de Jésus, p. 15, 149-150, 271, 330. 44. T, Le mouvement de Jésus, p. 310. Voir aussi p. 8, 244. 45. Ibid., p. 231, 235, 243. 46. Ibid., p. 162. 47. Ibid., p. 159. 48. Voir M, « À la recherche des “traces” de Jésus », p. 41 – repris au chapitre 1 de ce livre. 49. Cette nouvelle position est bien présentée dans F, « La Galilée et la Judée », p. 339 : « L’hypothèse que le modèle de Carney permet de tester est que le développement de ces deux villes nouvelles dans la Galilée d’Antipas apporta un rapide changement économique, qui laissa des gens plus marginalisés qu’auparavant, situation critique que Jésus tente d’affronter dans et par son ministère. » Freyne renvoie lui-même à deux de ses articles : I, « Herodian Economics in Galilee » ; I, « Jesus and the Urban Culture of Galilee », où il exploite les modèles sociologiques.

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accroissement des taxes sur les paysans, monoculture, crise issue de l’économie de monnaie…) rejoint tout à fait les positions de Horsley50. Mais un ouvrage capital vient, à mon avis, de renverser toute cette vision des choses issue des modèles. Dans son Herod Antipas in Galilee51, en autant de chapitres extrêmement documentés, Morten Hørning Jensen, jeune chercheur danois, reprend toutes les sources qui nous parlent de la Galilée d’Antipas : Antipas et Josèphe, Antipas et le Nouveau Testament, surtout Antipas et l’archéologie de Galilée (Tibériade, Sepphoris mais, ce qui est plus nouveau et important, les villages de Yodefat, Khirbet Cana, Capharnaüm, Gamla) et compare la monnaie d’Antipas avec toute la monnaie du Second Temple. Ne pouvant reprendre ici son argumentation, je retiendrai simplement quelques-unes de ses conclusions : Comparée aux périodes qui la précèdent et qui la suivent, la période du règne d’Antipas ne montre aucun signe d’intense monétisation, urbanisation ou scribalisation. De même, on n’a pu trouver dans les zones rurales d’impacts négatifs causés par les centres administratifs urbains. De plus, il n’existe aucun indice de monoculture intensifiée ou de spécialisation. Au contraire, d’après ce que révèlent les sites de Yodefat, Cana, Capharnaüm et Gamla, il semble qu’on poursuivait plusieurs types d’activité industrielle à petite échelle, parallèlement à différentes sortes de cultures52.

Jensen note que même les analyses utilisant un modèle qui soulignent le caractère parasite de l’environnement urbain par rapport à la campagne ne produisent pas de résultats « that substantiate a picture of conflict to any notable degree53 ». Les fouilles archéologiques dans les villages choisis indiquent que la Galilée rurale était florissante et en expansion jusqu’à la guerre de 66-7054. On n’y perçoit aucun déclin55. La conclusion qu’il tire laconiquement est qu’on ne peut justifier (« substantiate ») un portait de 50. Cette description, issue de modèles, n’est pas confirmée par les données disponibles qui ne parlent ni de monoculture ni de grands domaines, dans la Galilée de l’époque. Voir la longue recension de C – R, Excavating Jesus proposée par G dans RBL (06/2003). 51. J, Herod Antipas in Galilee. 52. Ibid., p. 249 (ma traduction) : « When compared to the periods before and aer, the period of Antipas does not yield evidence of intense monetization, urbanization or scribalization. Likewise, negative impacts from the administrational urban centres could not be found in the rural areas. In addition, there are no indications of intensified monocropping or specialization. Rather it seems from Yodefat, Cana, Capernaum and Gamla that several types of small-scale industrial activity were conducted parallel with different kinds of farming. » 53. Ibid., p. 250. 54. Voir l’article de Sharon Lea M, « Jesus and the “Middle Peasants” ? Problematizing a Social-Scientific Concept », dans CBQ 72 (2010) 291-313, qui va tout à fait en ce sens et invalide le modèle de Horsley. 55. J, Herod Antipas in Galilee, p. 256.

       

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conflit (« a picture of conflict ») durant le règne d’Antipas56. Il en résulte que présenter le ministère de Jésus comme affrontant Antipas et s’opposant à son règne, comme le fait Freyne, n’est pas justifié par le contexte social vérifiable57. Ce sont là les conclusions – auxquelles je me rallie – d’un ouvrage à mon avis incontournable sur le contexte historique de Jésus, qui obligera, je crois, à revoir bien des hypothèses. Je ne dirai donc pas que la situation, en Galilée, était idyllique, que les gens vivaient dans le bonheur parfait, que les tensions n’existaient pas, qu’on était heureux de payer les taxes, qu’il n’y avait ni pauvres ni exploités, que tout le monde se réjouissait de la domination romaine. Mais le long règne de quarante-trois ans d’Hérode Antipas, dans une Galilée qui ne compte aucune révolte durant tout ce temps, fait pencher vers l’interprétation de paix. 2.2 Itinérance en Galilée et bandits sociaux En avant-propos de son livre, Le mouvement de Jésus, Gerd eissen réaffirme « la thèse du radicalisme vécu dans l’itinérance », thèse qu’il avait lancée dans son article devenu fameux : « Wanderradikalismus » ; et il se réjouit de constater que les « charismatiques itinérants » continuent de pérégriner à travers les têtes des exégètes58. En fait, la thèse a eu un énorme succès et elle est reprise couramment dans la troisième quête, en particulier par ceux qui comparent l’itinérance de Jésus à celle des philosophes cyniques. Tout en rejetant la thèse d’un Jésus cynique, G. eissen maintient qu’avec ses disciples Jésus pratiquait l’itinérance « dans des conditions de vie extrêmes et marginales59 ». Je voudrais rappeler que ce « radicalisme d’itinérance » est, dans toute la rigueur de l’expression, un

56. Ibid., p. 258. 57. Ibid., p. 258. Reprenant le débat entre les portraits d’harmonie et de conflit, Jensen analyse, dans un autre article, le degré de monétisation au temps du règne d’Antipas et conclut : « Returning at last to the question of the socio-economic situation of early 1st c. Galilee [question présentée en début d’article, p. 277-279], the numismatic evidence does not seem to support a “picture of conflict” », Morten Hørning J, « Message and Minting. e Coins of Herod Antipas in their Second Temple Context as a Source for Understanding the Religio-Political and Socio-Economic Dynamics of Early First Century Galilee », dans Z – A – M (dir.), Religion, Ethnicity, and Identity in Ancient Galilee, 277-313, p.  312-313. De ce point de vue monétaire, le programme d’urbanisation d’Antipas, qui aurait dû tout bouleverser, suppose-t-on, n’a guère changé les choses. 58. T, Le mouvement de Jésus, p. 7-8 ; voir sa bibliographie (p. 358-361), où l’article T, « Wanderradikalismus », donne pour ainsi dire le ton aux deux pages et demie de références aux publications de eissen. 59. Ibid., p. 89.

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« fait historique », c’est-à-dire une construction d’historien, une interprétation historienne des données disponibles. Ces données viennent surtout des synoptiques. Mais il faut les prendre toutes. Il est vrai que Jésus dit n’avoir pas de pierre où reposer sa tête, qu’envoyés en mission, les disciples ne doivent avoir ni or, ni argent, ni monnaie à mettre dans leurs ceintures, ni sac pour la route, ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton (Mt 10, 9). Et on doit supposer que si Jésus ose demander cela à ses disciples, c’est qu’il devait le pratiquer lui-même. Mais il ne faut pas oublier que Jésus a été perçu aussi comme un glouton et un ivrogne, qu’il a peut-être une maison où se retirer à Capharnaüm, que sa troupe partage une bourse commune et ne fait pas figure de mendiants couchant à la belle étoile. On ne peut d’ailleurs identifier tous les disciples de Jésus à des charismatiques itinérants. La suivance de Jésus n’est pas synonyme d’itinérance. eissen admet d’ailleurs lui-même, à la suite de Markus Tiwald, « que sans la Didachè nous ne pourrions pas conclure de façon sûre à l’existence d’un charismatisme d’itinérance à partir des seuls textes du NT60 ». J’ai soutenu, pour ma part, que l’itinérance de Jésus, itinérance pour la mission qui n’est pas nécessairement absence de domicile, itinérance localisée surtout dans la basse Galilée, selon la tradition synoptique, comme le reconnaît eissen, était très limitée géographiquement61. L’activité principale de Jésus se déroule autour du lac. On a calculé qu’à partir de Sepphoris on pouvait atteindre, en une courte journée de marche, 40 villages des alentours62. Au nord du lac, les disciples pouvaient retourner chez eux chaque soir. Bien sûr, Jésus est monté à Jérusalem plusieurs fois, bien sûr il y a eu des déplacements vers les territoires de Tyr et Sidon (qui touchent à la Galilée), vers Césarée  de Philippe ou quelques villes de la Décapole, mais ces voyages sont l’exception et le territoire parcouru par Jésus n’est pas par là « grandement élargi63 ». Je mets donc un bémol à l’itinérance de Jésus et en particulier au radicalisme de cette itinérance.

60. Ibid., p. 65 n. 2. Voir aussi Markus T, Wanderradikalismus. Jesu erste Jünger. Ein Anfang und was davon bleibt (Österreichische Biblische Studien, 20), Frankfurt am Main, Peter Lang, 2002, p. 221-243. 61. T, Le mouvement de Jésus, p.  187. Voir aussi M, « Quelle(s) communauté(s) derrière la Source Q ? », p.  584 (repris au chapitre 6 de ce livre). T, Q and the History of Early Christianity, p. 367, a fait une distinction qui s’impose entre « itinerancy » et « homelessness » – distinction que Schmeller estime « capitale et féconde », omas S, « Réflexions socio-historiques sur les porteurs de la tradition et les destinataires de Q », dans Andreas D – Daniel M (dir.), La source des paroles de Jésus (Q). Aux origines du christianisme (MdB,  62), Genève, Labor et Fides, 2008, 149-171, p. 155 et 167. 62. K V, Excavating Q, p. 211. 63. T, Le mouvement de Jésus, p. 187.

       

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Autre point important pour l’image de la Galilée de Jésus, celui des bandits sociaux, prépolitiques, qui n’ont rien à voir avec les zélotes du temps de la guerre juive. On en parle communément dans la 3e quête. La notion se rattache aux travaux d’Eric Hobsbawm64. Ce qui fait le « social » de ce banditisme, c’est sa solidarité, sa connivence avec le monde des paysans exploités, qui s’opposent à l’élite gouvernant le pays. Le bandit social est une sorte de Robin des Bois, attaquant les riches et aidant les pauvres à obtenir justice. Dans un article récent, intitulé « Unsocial Bandits », paru dans un livre d’hommage à Seán  Freyne, au titre tout à fait approprié : A Wandering Galilean, John S. Kloppenborg vient de mettre à mal l’existence de ce type de bandits dans la Galilée de Jésus65. Encore ici, il s’agit d’un modèle, davantage un phénomène littéraire, une image romantique, selon Kloppenborg, qu’un phénomène social et dont les caractéristiques qui le définissent – à savoir la prétendue solidarité entre paysans et bandits et la défense des valeurs paysannes par ces bandits – « are so poorly attested as to raise doubts on the utility of the model as a whole » ; « there is no direct evidence of disaffection by the Galilean peasantry with the ruling class. We have no peasant sources66. » Ce qui rejoint tout à fait les conclusions tirées par Jensen des données archéologiques67. De ces considérations, il ressort donc que les débats sur la Galilée de Jésus sont toujours bien vivants. 3. La « lutte incessante avec les sources » (Enrico Norelli) Un autre secteur où les discussions se poursuivent est celui des sources littéraires pouvant servir à l’histoire de Jésus, d’un côté les sources 64. Voir Eric J. H, « Social Banditry », dans Henry A. L (dir.), Rural Protest. Peasant Movements and Social Changes, London, UK, Macmillan, 1974, p. 142-157. 65. John S. K, « Unsocial Bandits », dans Zuleika R – Margaret D-D – Anne F MK (dir.), A Wandering Galilean. Essays in Honour of Seán Freyne (Supplements to the Journal for the Study of Judaism, 132), Boston, MA – Leiden, Brill, 2009, 451-484 (avec une importante bibliographie). 66. Ibid., p. 462 et 459. H, Jesus and the Spiral of Violence, p. 37, le principal défenseur du modèle banditisme, sinon son créateur, notant que Josèphe ne mentionne jamais expressément l’existence de bandits redresseurs de torts, n’en conclut pas moins que « since social banditry is so consistent from society to society and from period to period in peasant societies, perhaps we should posit similar individual protests or righting of wrongs by Jewish brigands » (je souligne). 67. Parlant des « bandits sociaux prépolitiques », T, Le mouvement de Jésus, p. 159, affirme que leur existence est attestée sous le règne d’Hérode Ier et à l’époque de la guerre juive, c’est-à-dire en -4 environ et plus tard vers 66, mais aucune attestation entre les deux. Il me paraît donc inexact d’affirmer qu’« on peut prouver leur activité depuis le début du règne d’Hérode jusqu’à la guerre juive ».

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canoniques, de l’autre les textes non retenus parmi les écrits faisant autorité et qu’on appelle aujourd’hui écrits apocryphes chrétiens. Dans le premier volume d’Un certain Juif, Jésus, John P. Meier conclut son examen des sources disponibles en affirmant carrément que, dans notre recherche du Jésus de l’histoire, nous sommes pratiquement limités aux évangiles canoniques68. Cela lui a été fortement reproché, en particulier par ceux qui parlent de la « tyrannie du Jésus synoptique69 ». 3.1 Évangiles canoniques C’est un fait que les chercheurs de Jésus ont privilégié les évangiles synoptiques, et non seulement ces évangiles, mais aussi leurs sources, en particulier ce qu’on appelle la Source Q, une des composantes, avec Marc, de la solution au problème synoptique qu’offre la théorie des Deux-Sources. Cette théorie reste partout dominante, comme l’a récemment brillamment exposé Christopher Tuckett à la Conférence d’Oxford sur le problème synoptique70. Je m’en tiens aussi à cette théorie et admets donc l’existence d’une source commune à Mt et à Lc (dite la Source des logia Q) qui, à première vue, nous mènerait au plus près du Jésus de l’histoire71. L’existence de cette source, en effet, me paraît exigée, du moins en ce que j’appellerais sa version ascétique, celle défendue longuement à Louvain par Frans Neirynck qui ne retient, dans sa reconstruction, que les passages attestés à la fois par Mt et par Lc72. Avec Neirynck encore, je maintiens que ce document est une source et refuse de l’appeler 68. John P. M, A Marginal Jew, vol. 1, p. 140 = I, Un certain Juif Jésus, vol. 1, p. 100. 69. Charles W. H, « e Tyranny of the Synoptic Jesus », dans The Historical Jesus and the Rejected Gospels, Semeia  44 (1988) 1-8. Repris par Enrico  N, « La question des sources », p. 572. 70. Christopher M. T, « e Current State of the Synoptic Problem », dans Paul F – Andrew G – John S. K – Joseph V (dir.), New Studies in the Synoptic Problem. Oxford conference, April 2008. Essays in Honour of Christopher M. Tuckett (BETL, 239), Leuven, Peeters, 2011, 9-50. 71. Pour un panorama de la recherche sur la Source Q, voir M, « Quelle(s) communauté(s) derrière la Source Q ? » (chapitre 6 de ce livre), et I, « Effervescence in Q Studies » (chapitre 5 de ce livre). Aussi l’article magistral de Christopher M. T, « Q and the Historical Jesus », dans Jens S – Ralph B (dir.), Der historische Jesus. Tendenzen und Perspektiven der gegenwärtigen Forschung (BZNW, 114), Berlin – New York, NY, de Gruyter, 2002, 213-241. Il faut, depuis, saluer la parution en français du collectif important par D – M (dir.), La source des paroles de Jésus (Q), en 2008. 72. Frans N, « Recent Developments in the Study of Q », dans Frans N – Frans V S, Evangelica II. 1982-1991. Collected Essays (BETL, 99), Leuven, Peeters, 1991, 409-464, p. 415-416 ; I, « QMt and QLk and the Reconstruction of Q », dans Evangelica  II, 475-480, p.  475 ; I, « Literary Criticism, Old and

       

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un évangile, comme il est devenu courant de le faire73, surtout quand, s’appuyant sur le fait que ce texte n’a pas le récit de la passion-résurrection, on en fait le témoin d’un kérygme différent, celui d’une prétendue communauté galiléenne qui, dans le contexte même d’après Pâques, n’aurait rien su de la résurrection de Jésus (ou l’aurait contestée). C’est la position que défend à nouveau John S. Kloppenborg dans le petit livre qu’il vient de publier : The Earliest Gospel74. À mon avis, s’il n’est pas question de la résurrection dans ce texte hypothétique de Q, ce n’est pas qu’il s’agit d’un évangile différent, que Mt et Lc auraient tout de même intégré, sans répugnance, à leur propre évangile, mais parce qu’on retrouve là, tout simplement, les traditions que Luc dit avoir reçues de ceux qui avaient d’abord vu Jésus de leurs yeux (autoptai) et qui sont devenus par la suite serviteurs de la Parole (Lc  1,2). Traditions de ces lointains autoptai d’avant Pâques, dont Luc nous révèle l’existence, et qui auront permis à beaucoup (polloi) « de composer un récit des événements accomplis parmi nous » (Lc 1,1). Parmi ces polloi, il faut placer le ou les responsables de cette source de paroles de Jésus (Q), qui aura gardé de cette « autopsia » la couleur primitive de la Galilée d’avant Pâques. Mais ce n’est pas un évangile différent, qui nous donnerait un autre Jésus. Autre nouveauté à signaler au niveau des sources canoniques, l’importance plus grande que certains donnent actuellement à l’évangile de Jean. La tendance générale écarte toujours l’évangile « spirituel » de la recherche historique, même si Jean est souvent le seul à nous fournir des indications précises, à la fois sur le déroulement du ministère de Jésus (lequel baptise, par exemple, au début, à la manière de Jean Baptiste et monte au moins trois fois à Jérusalem pour la Pâque) et sur la topographie de la Jérusalem du temps de Jésus75. Récemment, aux États-Unis, des chercheurs se sont donné pour tâche d’étudier la dimension historique de la tradition johannique et son rôle dans la recherche du Jésus de l’histoire. Ils ont produit déjà deux volumes importants, sous le titre commun : John, Jesus, and History (2007 et 2009), dans lesquels ils contestent à la fois la « déhistorisation » de

New », dans Evangelica III. 1992-2000. Collected Essays (BETL, 150), Leuven, University Press – Peeters, 2001, 65-92, p. 81-82. 73. Frans N, « e Reconstruction of Q and IQP – CritEd Parallels », dans L (dir.), The Sayings Source, 53-147, p. 57. 74. John S. K, The Earliest Gospel. An Introduction to the Original Stories and Sayings of Jesus, Louisville, KY – London, UK, Westminster John Knox Press, 2008. 75. Voir le long article de Urban C.  W, « Archaeology and John’s Gospel », dans C (dir.), Jesus and Archaeology, 523-586, p. 560.

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l’évangile de Jean et la « dé-johannisation » du Jésus historique76. Je retiendrai seulement, comme donnant le ton de cette nouvelle recherche, un passage de la conclusion de Mark Allan Powell que je paraphrase légèrement : à supposer, dit-il, que l’évangile de Jean ne soit pas devenu canonique, qu’il ait été perdu et qu’on vienne tout juste de le découvrir, son impact sur la recherche du Jésus de l’histoire serait révolutionnaire. Imaginez ! Un livre sur la vie et les enseignements de Jésus, presque aussi ancien que les synoptiques, qui prétend venir d’un témoin oculaire, qui contient des éléments certainement très anciens, indépendants peut-être des autres évangiles tout en les confirmant en plusieurs points, et qui présente finalement, sous un angle différent, mais non complètement incompatible, l’histoire de Jésus. L’implication d’une telle découverte serait phénoménale : tous les ouvrages déjà écrits sur le Jésus de l’histoire apparaîtraient comme dépassés et tous les chercheurs se presseraient pour découvrir ce que cette tradition différente pourrait offrir. La chose ne s’est pas produite, mais plusieurs chercheurs semblent dire actuellement : « Nous possédons un tel livre ; on pourrait peut-être s’en occuper77 ! » Le promoteur principal de cette orientation, Paul N. Anderson, rêve même d’une « quatrième quête » où, dit-il, l’évangile de Jean aurait une place au moins aussi importante que celle qu’on accorde souvent à l’Évangile de omas78 ! Une telle quête nous ramènerait, je crois, au débat inaugural entre histoire et foi. Plusieurs articles du deuxième volume, entre autres celui de Craig  S.  Keener qui s’intitule « We Beheld His Glory » vont déjà en ce sens79. Le prologue qui ouvre l’évangile de ce disciple qui se dit témoin (Jn 21,24) en donne la clé de lecture : nous avons vu : c’est l’ancrage historique ; sa gloire : c’est l’interprétation strictement théologique. Ce prologue se termine par : « Dieu, personne ne l’a jamais vu […] le Fils nous l’a dévoilé, expliqué… » (Jn 1,18). Et immédiatement après, vient le comment 76. Paul N. A – Felix J – Tom T (dir.), John, Jesus, and History, Vol. 1 : Critical Appraisals of Critical Views (Symposium Series, 44), Atlanta, GA, Society of Biblical Literature, 2007 ; I (dir.), John, Jesus, and History, Vol. 2 : Aspects of Historicity in the Fourth Gospel (ECL, 2), Atlanta, GA, Society of Biblical Literature, 2009. 77. Mark Allan P, « e De-Johannification of Jesus. e Twentieth Century and Beyond », dans A – J – T (dir.), John, Jesus, and History, Vol. 1, 121-132, p. 132. 78. Paul N. A, « Getting a “Sense of the Meeting”. Assessments and Convergences », dans A – J –  T (dir.), John, Jesus, and History, vol.  1, 285-289, p.  288 ; I, « Aspects of Historicity in the Fourth Gospel. Consensus and Convergences », dans A – J –  T (dir.), John, Jesus, and History, vol. 2, 379-386, p. 386. 79. Craig S. K, « “We beheld his glory !” (John 1:14) », dans A – J – T (dir.), John, Jesus, and History, vol. 2, 15-25.

       

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de cette exégèse, l’entrée en histoire : « voici quel fut le témoignage de Jean […] lorsque de Jérusalem… » (Jn 1,19). Foi et histoire, Dieu dans la chair, le « Paradoxe des paradoxes80 ». Peut-on finalement y échapper ? 3.2 Écrits apocryphes chrétiens81 Mais si les débats se poursuivent dans le champ des évangiles canoniques, ils sont ignorés par le grand public et complètement surpassés par la fascination du « mystère apocryphe82 ». C’est John Dominic Crossan qui a donné le ton, semble-t-il, dans The Historical Jesus. The Life of a Mediterranean Peasant (1992), en introduisant dans son inventaire des sources sur Jésus un premier niveau de textes – bien avant les évangiles canoniques – qu’il situe entre les années 30 et 60, comprenant spécialement l’Évangile de omas, l’Évangile de paroles Q et l’Évangile de la Croix, qu’il reconstruit à partir de l’Évangile de Pierre, ajoutant ensuite parmi d’autres, à un deuxième niveau (entre 60 et 80), l’Évangile secret de Marc83. Nous avons déjà rencontré l’Évangile Q. Je dois me limiter ici à quelques aperçus sur l’Évangile de omas, celui de Pierre et l’Évangile secret de Marc, en gardant en tête deux questions, liées entre elles, et qui ont un impact direct, il semble, sur la recherche du Jésus de l’histoire : la dépendance ou l’indépendance de ces écrits par rapport aux évangiles canoniques et la datation de ces textes. 3.2.1 Évangile de omas Depuis sa découverte en 1945 et la publication de l’édition princeps en 1959, l’Évangile de omas n’a pas cessé de passionner les esprits. Soit qu’on s’intéresse à omas tel qu’en lui-même, si j’ose dire, soit qu’on le mette en relation avec les évangiles canoniques, soit qu’on y cherche, plus récemment peut-être, le portrait du Jésus de l’histoire. Je devrai m’en tenir ici à quelques monographies nord-américaines importantes, celles de Stephen J. Patterson, d’April DeConick et de Nicholas Perrin, confrontées à quelques études européennes récentes.

80. Le paradoxe suprême de l’Incarnation, au dire des Pères de l’Église, qu’évoquait Henri  L, Paradoxes (Œuvres du Cardinal Henri de Lubac, 31), Paris, Cerf, 1999, p. 8. 81. La question des sources apocryphes est reprise différemment et de manière plus approfondie au chapitre 8 de ce livre : « Jésus de l’histoire et écrits apocryphes chrétiens ». 82. K – M (dir.), Le mystère apocryphe. 83. C, The Historical Jesus, p. 427-430.

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Selon Patterson, omas est une collection de paroles de Jésus, sans liens apparents entre elles, une liste à laquelle il était facile d’ajouter ou de retrancher des items84. Dans cette anthologie qui s’est constituée à la manière d’une boule de neige, on peut donc trouver des logia très anciens, remontant à son avis au milieu même du Ier  siècle, sinon à Jésus luimême, alors que d’autres pourraient dater du IIe siècle. Dès lors, ce qu’on peut dire d’un logion ne s’applique pas automatiquement à l’ensemble de l’écrit. Patterson finira néanmoins par dater le recueil autour des années  70-80. Si la collection n’est pas totalement indépendante des synoptiques, elle refléterait cependant, selon Patterson, une tradition autonome. Par ailleurs, le portrait de Jésus dessiné par ce texte serait celui d’un maître de sagesse. Patterson se rallie au « non-eschatological Jesus » défendu par Crossan et la majorité des membres du Jésus Seminar, dont il a fait lui-même partie. April DeConick est devenue une spécialiste de l’Évangile de omas, auquel elle a consacré, en plus de sa thèse (publiée en 1996), une liste impressionnante de publications, dont deux ouvrages importants, une histoire de cet évangile et de sa composition, suivie d’une traduction originale du copte et d’un commentaire de chaque logion85. Elle estime que omas est bien un agrégat, une collection de paroles de Jésus. Elle reprend, en lien avec sa théorie de la composition, toute la question de datation. omas serait à la fois très ancien et très récent. Un noyau primitif (son Kernel), dont elle place l’origine entre 30 et 50 (ce qui situe le premier état de omas avant Q et les textes de Paul) regrouperait des paroles de Jésus toutes marquées par l’urgence eschatologique. Mais cette attente eschatologique de la première communauté se trouvant déçue, la communauté a dû rationaliser cette non-venue du Royaume ; rationaliser, c’est-à-dire intérioriser ce Royaume, passer de l’eschatologie à la mystique. Ce dont témoigneraient ce qu’elle appelle les « accrétions », les ajouts au noyau primitif, qui se poursuivent de 50 à 120, attribuant ainsi à l’évangile complet une date autour de 120. Mais ce qui est plus important – et passionnant – c’est qu’en maintenant l’urgence eschatologique dans le noyau primitif de cette tradition, elle sape toute la construction, en grande partie nord-américaine, qui se basait sur les traditions anciennes de Q et de omas, pour faire du Jésus de l’histoire, non pas 84. Stephen J. P, The Gospel of Thomas and Jesus, Sonoma, CA, Polebridge, 1993. 85. April D. DC, Recovering the Original Gospel of Thomas. A History of the Gospel and its Growth (LNTS,  286), London, UK – New York, NY, T&T Clark, 2005 ; I, The Original Gospel of Thomas in Translation (LNTS,  287), London, UK – New York, NY, T&T Clark, 2007.

       

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un prophète proclamant l’imminence de l’arrivée du Royaume, mais un simple maître de sagesse. Aux monographies de Patterson et de DeConick, il faut joindre celles de Nicholas  Perrin, sa thèse d’abord, publiée en 2002 : Thomas and Tatian. The Relationship between the Gospel of omas and the Diatessaron et, en 2007, Thomas, the Other Gospel86. Perrin soutient que omas dépend de Tatien. Le Diatessaron étant daté de 173, omas serait alors de la fin du IIe siècle. La thèse de Perrin, qui repose sur l’existence de mots crochets en syriaque, qu’il dit pouvoir retrouver après une première rétroversion du texte copte de omas en grec, puis une deuxième du grec au syriaque, n’est pas facile à admettre. Plus important pour le présent débat me paraît un article de 2007 où il donne une vue remarquable de la recherche sur omas et ses relations avec le Jésus de l’histoire et les synoptiques de 1991 à 200687. Il montre très bien que, malgré quelques hautes protestations méthodologiques ou théoriques, omas a, de fait, été peu exploité dans la recherche sur le Jésus de l’histoire, même par ceux qui semblaient tombés en amour avec cet évangile. L’ancienneté et l’authenticité des logia de omas restant largement controversées, j’endosse pleinement la conclusion de Perrin, selon qui il serait peu raisonnable de se baser sur omas pour reconstruire le Jésus de l’histoire. À ces trois monographies, j’ajouterai les études de Claudio Gianotto, Jean-Marie  Sevrin et Jean-Daniel  Kaestli. Gianotto a donné une introduction très dense à l’édition de l’Évangile de omas parue dans le premier volume des Écrits apocryphes chrétiens (Pléiade, 1997)88. Il estime que la Syrie orientale reste le lieu de composition le plus probable et place la formation du recueil dans la première moitié du IIe siècle, donc avant 150, ce qui n’exclut pas la présence dans ce recueil de logia très anciens. Encore ici, l’apport pour le Jésus de l’histoire reste minime : le portrait d’un Jésus enseignant, mêlant paroles de sagesse et énoncés prophétiques, et quelques paraboles inédites peut-être. Jean-Marie  Sevrin, dans sa notice présentant l’Évangile de omas dans la récente édition des Écrits gnostiques (Pléiade, 2007), voit en omas un écrit de sagesse où Jésus, soustrait à l’histoire, n’a d’autre rôle, comme être transcendant, que de

86. Nicholas  P, Thomas and Tatian. The Relationship between the Gospel of omas and the Diatessaron (Academia Biblica, 5), Atlanta, GA, Society of Biblical Literature, 2002 ; I, Thomas, the Other Gospel, Louisville, KY – London, UK, Westminster John Knox, 2007. 87. Nicholas  P, « Recent Trends in Gospel of omas Research (1991-2006). Part I : e Historical Jesus and the Synoptic Gospels », dans Currents in Biblical Research 5 (2007) 183-206. 88. G, « Évangile selon omas ».

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« donner l’accès à la connaissance, en guidant (log. 114), notamment par ses paroles cachées89 ». Malgré des traces d’aramaïsmes, Sevrin croit que la langue originale de ce texte était le grec et qu’il faut le situer au IIe  siècle, probablement dans la seconde moitié, après 150. Selon cette lecture, on est longtemps après les synoptiques et ce texte n’ajoute guère de traits nouveaux, historiquement vérifiables, au portrait du Jésus canonique. Enfin, Jean-Daniel  Kaestli a présenté une excellente étude sur « L’utilisation de l’Évangile de omas dans la recherche actuelle sur les paroles de Jésus » (1998). Il reproche à John P. Meier d’avoir négligé omas dans sa recherche sur Jésus. Il précise bien aussi qu’on ne peut porter de jugements globaux sur le rapport de omas avec les synoptiques et qu’il faut étudier chaque logion pour lui-même. Malgré tout, au moment du bilan, Kaestli ne peut retenir comme possibles « paroles authentiques » de Jésus que la brève parole du logion 82 : « Celui qui est près de moi est près du feu, et celui qui est loin de moi est loin du Royaume » et deux paraboles, celles des log. 97 et 9990. N’est-ce pas cette maigre moisson, apportant bien peu de neuf au portrait du Jésus synoptique, qui invitait John P. Meier à s’en tenir globalement aux évangiles canoniques ? 3.2.2 Évangile de Pierre Ce texte, découvert en 1886-1887, est particulièrement célèbre pour la description qu’il fait de la résurrection de Jésus ou, plus précisément, de la sortie du tombeau. Alors qu’il suivait jusque-là d’assez près le récit de la passion des évangiles canoniques, il insère entre le récit de la garde au tombeau (proche de Mt) et celui de la garde auprès de Pilate une scène singulière, où trois hommes sortent du tombeau – la tête de deux d’entre eux atteignant jusqu’au ciel, alors que celle du troisième dépasse les cieux – et sont suivis d’une croix qui répond : « Oui » à la question : « As-tu prêché à ceux qui dorment ? ». Depuis le début des études sur cet écrit, les questions débattues ont été, encore ici, celles de la date de cet écrit et de sa relation aux évangiles canoniques, les deux se trouvant toujours liées. Dans un ouvrage qui a fait grand bruit, J.D.  Crossan a prétendu pouvoir dégager du document composite de l’Évangile de Pierre un 89. Jean-Marie S, « Évangile selon omas (NH II, 2) », dans Jean-Pierre M – Paul-Hubert P (dir.), Écrits gnostiques. La bibliothèque de Nag Hammadi (Bibliothèque de la Pléiade, 538), [Paris], Gallimard, 2007, 297-332, p. 304. 90. Jean-Daniel  K, « L’utilisation de l’Évangile de omas dans la recherche actuelle sur les paroles de Jésus », dans M – N – P (dir.), Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d’une énigme, 373-395, p. 395.

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noyau primitif, « e Cross Gospel », l’Évangile de la Croix91. Ce document très ancien, enchâssé dans l’Évangile de Pierre, tout comme Q est disparu dans Mt et Lc92 et qu’il date du début des années 4093, serait la source des quatre récits canoniques de la passion. Beau joueur, Crossan a reconnu que sa théorie avait été reçue « with almost universal rejection94 ». En fait, la grande majorité des chercheurs soutiennent que l’Évangile de Pierre est dépendant des synoptiques et situent ce document au IIe siècle, dans sa première moitié (avant 150, selon Éric Junod) ou dans sa deuxième (après 150, selon Paul  Foster)95. En conséquence, pour ce qui nous intéresse ici plus précisément, ce texte, qui ne mentionne même pas le nom de Jésus, nous donne des aperçus fascinants sur le développement, au IIe siècle, des traditions relatives à la passion et à la résurrection, mais il est sans valeur historique pour ce qui regarde le Ier siècle. 3.2.3 L’évangile secret de Marc Ou le « Marc long » ou encore, sans doute pour rester le plus neutre possible, « l’autre évangile de Marc », ce qui est le titre du livre récent de Scott G. Brown : Mark’s Other Gospel96. C’est le plus contesté de tous les documents auxquels fait appel actuellement la recherche du Jésus de l’histoire. Il s’agit d’une lettre de Clément d’Alexandrie (c. 150-215), que Morton Smith dit avoir découverte en 1958 dans le monastère orthodoxe de Saint-Sabas (Mar Saba du désert de Juda). Mais Smith ne la publie qu’en  1973 en deux ouvrages, un académique : Clement of Alexandria and a Secret Gospel of Mark, et l’autre populaire : The Secret Gospel. The Discovery and Interpretation of the Secret Gospel according to Mark97. Ce texte grec a été copié par une main moderne (XVIIIe siècle) à la fin d’un 91. John Dominic C, The Cross That Spoke. The Origins of the Passion Narrative, San Francisco, CA, Harper & Row, 1988. Il avait déjà énoncé ses positions dans I, Four Other Gospels. Shadows on the Contours of the Canon, Minneapolis, MN, Winston Press, 1985, p. 124-181. 92. C, The Cross That Spoke, p. xii. 93. C, The Birth of Christianity, p. 511. 94. Ibid., p. 486. 95. Éric J, « Évangile de Pierre », dans B – G – V (dir.), Écrits apocryphes chrétiens I, 239-254, p. 242 ; Paul F, « e Gospel of Peter », dans ExpTim 118 (2007) 318-325, p. 325b. Voir aussi M, A Marginal Jew, vol. 1, p. 117 = I, Un certain Juif Jésus, vol. 1, p. 77. 96. B, Mark’s Other Gospel. 97. Morton S, Clement of Alexandria and a Secret Gospel of Mark, Cambridge, MA, Harvard University Press, 1973 ; I, The Secret Gospel. The Discovery and Interpretation of the Secret Gospel according to Mark, New York, NY, Harper & Row, 1973.

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livre imprimé au XVIIe  siècle98, au recto et au verso d’une page finale restée blanche et au recto d’une feuille attachée à la reliure. Telle est la description qu’en fait Morton Smith, car personne d’autre que lui n’a vu l’original de ce texte99. Le débat sur toute la question est devenu très envenimé. La majorité des chercheurs estiment qu’il s’agit d’un faux, probablement créé par Morton Smith lui-même. D’autres pensent que le Marc canonique est une version purifiée du Marc secret, lequel était réservé à un enseignement supérieur. Scott G. Brown, dans sa thèse et en de nombreuses publications, s’est fait le défenseur acharné de l’authenticité contre tous les adversaires de Smith et de l’Évangile secret. Je reste pour ma part dans le groupe des sceptiques. À tout le moins, je maintiens, avec J.-D. Kaestli, qu’« un doute subsiste quant à l’authenticité du document découvert par Morton Smith » et que, tant que le Patriarcat grec de Jérusalem n’aura pas autorisé l’étude du manuscrit (si tant est qu’il existe toujours !) et sa vérification scientifique, « il subsistera autour du document un mystère d’un tout autre type que ceux dont parlent Clément et l’extrait de l’Évangile secret100 ». On ne peut donc rien fonder sur ce texte et on peut affirmer, je crois, que l’Évangile secret de Marc (s’il existe bien) ne modifierait en rien le portrait du Jésus canonique. Enrico Norelli, dans son article sur « La question des sources », à la fin du volume Jésus de Nazareth. Nouvelles approches, décrit la quête du Jésus historique « comme une lutte incessante avec les sources101 ». Pour lui, « tous les textes, canoniques et apocryphes, deviennent, au même titre [je souligne], des témoins des procédés d’élaboration des traditions sur Jésus dans le christianisme des origines102 ». Sur ce point, je suis d’accord. Mais faut-il utiliser les apocryphes, comme il dit, « pour relativiser les canoniques » ? Je pense, avec James Dunn, qu’on ne doit pas travailler avec le présupposé que Jésus [sous-entendu le vrai Jésus, celui

98. I[saacus] V (Isaac  Voss), Epistulae genuinae S. Ignatii Martyris, Amsterdam, 1646. 99. C’est du moins ce qu’on croyait jusqu’à ce qu’un professeur israélien, Guy G. Stroumsa, raconte en 2003 avoir fait une équipée à Mar Saba au printemps de 1976, avec David Flusser, Shlomo Pines et un moine grec nommé Méliton et avoir vu, de ses propres yeux, non seulement le livre de Voss, mais la lettre de Clément dans les dernières pages ! Voir Guy G. S, « Comments on Charles Hedrick’s Article. A Testimony », dans JECS 11 (2003) 147-153. 100. Jean-Daniel K, « L’Évangile secret de Marc. Une version longue de l’Évangile de Marc réservée aux chrétiens avancés dans l’Église d’Alexandrie », dans K – M (dir.), Le mystère apocryphe, 85-102, p. 101-102. 101. N, « La question des sources », p. 568. 102. Ibid., p. 571.

       

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de l’histoire] doit être différent du Jésus de la tradition synoptique103. Avec en tête, cette idée, sans cesse reprise par Bart Ehrman dans ses Lost Christianities104, que les vainqueurs ont écrit l’histoire et donc que les textes supprimés et ignorés doivent avoir été les meilleurs du fait même de cette censure. Comme si le seul fait d’avoir perdu la bataille les rendait plus authentiques105 ! Et si le plus important de ces écrits, l’Évangile de omas, reste, après un minutieux examen, une plate-forme bien mince sur laquelle bâtir le Jésus de l’histoire, si l’Évangile de Pierre est sans valeur historique pour ce qui regarde le Ier siècle, si l’Évangile secret de Marc reste pour l’historien une source inutilisable, si, finalement, ce que nous pouvons savoir de mieux de la source Q a été intégré dans les évangiles canoniques de Mt et de Lc, il me paraît difficile de ne pas donner raison à Meier : nos sources les meilleures restent les évangiles canoniques. 4. Conclusion La quête du Jésus de l’histoire se ramène, au fond, à deux tâches : replacer Jésus dans son propre monde, dans le contexte historique qui fut le sien, et montrer en quoi il s’en distingue, ce qui, en ce monde, fait sa singularité. Cette singularité, je crois, se perçoit dans l’attitude de Jésus face au Temple, face au mode de relation à Dieu que suppose le système du Temple. Le chemin probable de l’histoire passe par là. Parmi tous les « judaïsmes » du Ier siècle : pharisien, sadducéen, essénien, Jésus choisit la voie inaugurée par Jean  Baptiste : le baptême de repentir pour la rémission des péchés (Mc 1,4 ; Lc 3,3). Ce baptême n’est pas une simple ablution de pureté. Il est le geste du pardon de Dieu, du salut eschatologique déjà à l’œuvre. Ce que Matthieu traduit très bien dans son passage parallèle, en remplaçant la mention du baptême par ce qu’il signifie : « le Royaume des Cieux s’est approché » (Mt  3,2). Jusque-là, ce pardon des 103. James D.G. D, « “All that Glisters Is not Gold”. In Quest of the Right Key to Unlock the Way to the Historical Jesus », dans S – B (dir.), Der Historische Jesus, 131-161, p. 147 : « We should not work methodologically with any assumption that Jesus must have been different from the Jesus of the Synoptic tradition. » 104. Bart E, Lost Christianities. The Battles for Scripture and the Faiths We Never Knew, New York, NY, OUP, 2003. Traduction française : Les christianismes disparus. La bataille pour les Écritures : apocryphes, faux et censures, trad. par Jacques B, Paris, Bayard, 2007. 105. Comme le note P, Thomas, the Other Gospel, p.  7, « while it is true that history is generally written by the winners, this fact does not make the losers any more right ».

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péchés était lié au système sacrificiel du Temple. Prétendre remettre les péchés autrement, c’est entrer en compétition directe avec le Temple. Or c’est précisément cette proclamation de Jean qui tire Jésus hors de Nazareth et le lance sur les routes de Palestine. Historiquement, Jésus est d’abord disciple de Jean. Il baptisera lui-même pendant un certain temps (Jn 4,1), mais prendra bientôt ses distances de Jean, rattachant le pardon des péchés à ses propres gestes et à sa personne, ramenant finalement l’immersion baptiste à sa souffrance et à sa mort : « Pouvez-vous être baptisés du baptême dont je vais être baptisé ? » (Mc 10,38). Après l’action de Jésus dans le Temple, les grands prêtres, les scribes et les anciens lui demandent : « En vertu de quelle autorité fais-tu cela ? » (Mc 11,28). Et Jésus de répondre, très curieusement à première vue, en évoquant le baptême de Jean. Une manière d’assimiler son geste au baptême de Jean, tous les deux, à leur façon, contestataires du Temple. Singularité inacceptable qui l’a mené à la mort. À ce propos, il y aurait lieu, en historiens, de poursuivre à nouveau le débat106.

106. Débat bien inauguré par P, Jésus et l’histoire, p. 112-118 (« Le baptême qui sauve ») et p. 123-131 (« La question du Temple »).

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REPLONGÉE DANS LE JÉSUS DE L’HISTOIRE À propos du livre de Daniel Marguerat, Vie et destin de Jésus de Nazareth* L’ouvrage de cet exégète de haut niveau nous invite à replonger dans la recherche du Jésus historique, qui s’est un peu essoufflée récemment1. Daniel Marguerat [DM désormais] se pose, dès la Préface, en historien, reconstructeur du passé de Jésus de Nazareth, historien toujours impliqué dans ce travail de reconstruction. Cette implication soulève immédiatement la question de la pertinence du travail de l’historien croyant. Peut-il, dans sa recherche, faire abstraction de sa foi2 ? Ou, plus radicalement, cette recherche même n’invite-t-elle pas à rejeter cette croyance, le Jésus historique éliminant le Christ de la foi ? DM n’évite pas le problème et, dans cette préface, affirme que « le travail de l’historien n’asphyxie pas la croyance ; il participe à son intelligence et à sa structuration, et ce n’est pas un mince service qu’il lui rend » (p. 12). Il confère, en effet, de « l’épaisseur à l’humanité du Nazaréen » (p. 12), ce qui est l’aspect charnel (Jn 1,14), historique je dirais, du mystère chrétien, l’aspect divin ne relevant pas de l’historien. Il reste que les documents, qui sont la source de ce que l’historien peut dire, laissent néanmoins percer quelque chose de ce dernier aspect, qui crée justement le mystère du personnage. DM ne s’attardera pas à cette transcendance, l’évoquant néanmoins subtilement, il me semble, dans le chapitre sur la vocation de Jésus, en rappelant à l’occasion des titres christologiques et en lien avec

* Texte paru dans Science et Esprit 73 (2021) 241-259. 1. Daniel  M, Vie et destin de Jésus de Nazareth, Paris, Seuil, 2019. Pour alléger la mise en page, les références à ce livre sont insérées directement au fil du texte. 2. Rappelant, comme le répétait M, De la connaissance historique, que « l’histoire est inséparable de l’historien », j’ai soulevé la question à l’occasion de la parution de Schlosser, Jésus de Nazareth, dans mon article : Jean-Paul M, « Jésus de l’histoire et Jésus des évangiles. À l’occasion du Jésus de Nazareth de Jacques Schlosser », dans Theoforum 32 (2001) 223-233, et de nouveau dans : I, « De quelques présents débats dans la troisième quête », dans De Jésus à Jésus-Christ. I. Le Jésus de l’histoire. Actes du colloque de Strasbourg, 18-19 novembre 2010 (Jésus et Jésus-Christ. Colloques), Paris, Mame-Desclée, 2010, 189-214 – repris au chapitre 3 de ce livre.

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le surgissement du Royaume dans le présent, que si « Jésus n’a pas dit ce qu’il était, il a fait ce qu’il était3 » (p. 202). L’ouvrage est divisé en trois parties : « Les commencements », « La vie du Nazaréen » et « Jésus après Jésus ». 1. « Les commencements » Le premier chapitre, « Que sait-on de Jésus ? », fournit, sans débats académiques, un bon tableau de toutes les sources disponibles, soulignant, en particulier, la proximité et l’abondance des témoignages non chrétiens et chrétiens qui parlent de Jésus et ne mettent jamais en doute son existence4. Concernant l’histoire de Jésus, ce chapitre d’introduction est fondamental, puisque l’histoire ne s’écrit qu’à partir de documents et qu’elle n’est, selon le mot de l’historien Marc Bloch, repris par DM (p. 17), qu’une « connaissance par traces5 ». Sur quelques points, il est permis de n’être pas toujours complètement d’accord (ainsi je ne vois pas que Mt et Lc aient voulu amender le portrait rugueux de la Source [p. 31], puisqu’ils ont tous les deux adopté cette Source, qui, il faut s’en souvenir, n’existe pas ailleurs que dans leurs propres textes…), mais DM navigue très bien dans ces eaux qu’agitent bien des tempêtes. Notant spécialement que les évangiles canoniques, bien que documents de foi, ne congédient pas l’histoire, et que les extra-canoniques, comme ces « évangiles sauvés des sables », nous restituent « la chatoyante diversité des spiritualités chrétiennes aux origines » (p. 36-37). Mais, grande question, comment lire ces documents ? Comment rejoindre le Jésus de l’histoire à travers ces interprétations diverses de la vie et des paroles de Jésus ? Malgré les réticences actuelles concernant les critères d’authenticité, DM retient, avec raison, cinq grands critères qui permettent d’évaluer la « fiabilité historique des sources » (p.  43). Ce n’est pas le lieu d’en discuter ici, il suffira de les énumérer : le critère d’attestation multiple (paroles et gestes de Jésus attestés en plusieurs sources indépendantes) ; critère de l’embarras (actes ou paroles de Jésus 3. Dans les citations, l’italique est toujours celui de DM (sauf indication contraire). 4. Ce qui anéantit la thèse d’un « Jésus imaginaire » basée sur des mythes anciens, thèse reprise encore récemment par le philosophe Michel  O, Décadence, Paris, Flammarion, 2017. Voir, dans un ouvrage collectif contemporain et souvent parallèle à celui de DM, et qui sera cité plusieurs fois par la suite, l’excellent article d’Andreas  D, « Jésus a-t-il bel et bien existé ? La question des sources », dans Andreas D (dir.), Jésus de Nazareth. Études contemporaines (MdB, 72), Genève, Labor et Fides, 2017, p. 13-44. 5. B, Apologie pour l’histoire. Voir M, « À la recherche des “traces” de Jésus » – repris au chapitre 1 de ce livre.

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qui n’ont pu être inventés par les communautés chrétiennes en raison des difficultés qu’ils créaient) ; critère d’originalité (ce qui est propre à Jésus et absent de son milieu), mais ce dernier critère doit être joint, absolument, au critère de plausibilité historique, qui est double : plausibilité en amont, retenant ce qui est plausible dans le cadre du judaïsme palestinien (car, tout original qu’il fût, Jésus appartient bien à son temps), et plausibilité en aval, retenant aussi ce qui explique l’évolution de la tradition de Jésus après Pâques ; finalement une logique de crise (toute reconstruction de l’histoire de Jésus doit faire apparaître les raisons qui ont conduit à sa mort) (p. 43-45). Le deuxième chapitre, « Un enfant sans père », nous retiendra plus longtemps. C’est, dans l’œuvre de DM, ce qui est, je crois, le plus nouveau et, en tout cas, le plus inattendu. L’enjeu est l’origine de Jésus : « D’où vient Jésus ? » (p. 47). On connaît ce qu’on appelle les évangiles ou les récits de l’enfance de Jésus qu’on trouve en Mt et en Lc. Les deux parlent de la conception virginale de Jésus, d’une conception sans intervention masculine (et non de naissance virginale, distinction qui n’est pas toujours faite en ces pages6). Ces récits seraient tardifs (ou « récents », p. 47), selon DM. Il est vrai qu’ils sont en Mt et en Lc et non en Mc, et qu’aucune mention n’en est faite ni en Paul ni dans les autres textes du NT. Il est vrai aussi que ces récits de l’enfance ont pu être ajoutés après la composition du reste de l’évangile, sinon pour Mt (dont l’évangile aurait bien commencé avec 1,1 et été composé dans l’ordre où il nous est parvenu), du moins pour Lc dont l’évangile a pu commencer avec le début solennel de 3,1-2, en référence au baptême de Jean, comme chez Mc et Jn (ce que Lc lui-même noterait en Ac  1,22). Mais il est bien assuré que c’est Luc lui-même qui a ajouté à son évangile ces deux premiers chapitres. Ce qui nous maintient aux années  80-90, une dizaine d’années après Mc, qu’on date autour de 70. Ce qui n’est pas très « tardif 7 » ! Il est vrai aussi que ces deux récits, celui de Luc spécialement, sont très théologiques. Ils sont, néanmoins, indépendants l’un de l’autre et comportent beaucoup de traits (noms de lieux, de personnes, etc.) qui, très plausiblement, renvoient à des traditions issues d’événements historiques. 6. La conception virginale relevant de la christologie, et la naissance virginale de la mariologie. Mais DM fait tout de même la distinction en p.  59, et plus nettement en p. 284. 7. Pour les relations entre ces récits de l’enfance et le reste des évangiles de Mt et Lc, voir les fines analyses de Raymond B, The Birth of the Messiah, London, UK, Chapman, 1993, p. 50 et 240 (pour Mt, chez qui le récit de l’enfance est « an integral part of his Gospel plan ») et p. 239-241 (« the reverse order of composition » en Lc).

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Peut-être, alors, ne faut-il pas les qualifier de « contes8 savants » (p. 48). Mais il est évident qu’un engendrement « qui vient de l’Esprit Saint » (Mt 1,20), de « l’Esprit Saint et de la Puissance du Très Haut » (Lc 1,35) n’est pas facilement admissible en dehors de la foi. D’où les autres explications de cette étrangeté, comme celle d’une naissance illégitime. Ainsi, selon certains, « Matthieu et Luc auraient travesti en conception surnaturelle ce qui était la suite d’un viol ou d’une union hors mariage9 » (p. 49). Une hypothèse qui date de l’Antiquité (on la trouve chez le philosophe païen Celse, combattu par Origène), comme le rappelle DM, reprise par la suite dans les écrits rabbiniques et plus tard les Toledot Yeshu, comme encore aujourd’hui par des auteurs modernes. Mais, en un sens, DM va plus loin et soutient que « les doutes sur la naissance de Jésus sont perceptibles au sein même du Nouveau Testament » (p. 51). C’est le point important de ce chapitre qui va mener DM à reprendre la thèse proposée par Bruce Chilton « de voir en Jésus un manzer » (p.  53), le manzer étant un bâtard, un enfant né hors mariage. Important aussi pour tout le livre, car ce stigmate qui marquerait la personne de Jésus et aurait pesé sur toute sa vie sera rappelé plusieurs fois au cours de l’ouvrage (p. 96, 168, 312, 319, 347)10. Mais sur quoi se base cette prise de position ? DM évoque d’abord à ce propos la législation juive, d’une extrême sévérité, telle qu’énoncée en Dt 23,3 (texte qui date sans doute de la période perse, VIe-IVe siècles AEC)11. Cette directive était-elle toujours valide et courante au Ier siècle EC, au temps de Jésus ? Le NT, en tout cas, n’y fait aucune claire allusion. Seule la Mishna s’y réfère quelques fois – ce qu’exploitent Bruce Chilton 8. Conte : « récit […] de faits, d’aventures imaginaires ; conte de fée : récit merveilleux…. Péjor. … récit mensonger : conte à dormir debout », Isabelle J-M – Jacques F (dir.). Le petit Larousse illustré [2012] en couleurs, Paris, Larousse, 2011. Sens que semble reprendre DM, quand il parlera, en épilogue, de « l’imaginaire chrétien qui s’est emballé quand il s’est agi de décrire sa naissance et son enfance » (p. 347). 9. Comme le soutient Jane S, The Illegitimacy of Jesus. A Feminist Theological Interpretation of the Infancy Narratives, San Francisco, CA, Harper and Row, 1987. 10. Voir Bruce C, Rabbi Jesus. An Intimate Biography, p. 3-22 ; I, « Jésus, le manzer (Mt 1,18) », dans NTS 47 (2001) 222-227 ; I, « Manzerut and Jésus », dans Tom  H (dir.), Jesus from Judaism to Christianity. Continuum Approaches to the Historical Jesus (LNTS, 352), London, UK – New York, NY, T&T Clark, 2007, 17-33. Dans un article quasi contemporain de son Jésus de Nazareth, DM a présenté de nouveau, et en termes très proches, sa vision de la généalogie en Mt et de Jésus le manzer : Daniel M, « “Livre de la genèse de Jésus Christ” (Mt 1,1). Commencer l’évangile selon Matthieu », dans Maxime A – Emmanuel D – Marie  L (dir.), Fins et commencements. Renvois et interactions. Mélanges offerts à Michel  Gourgues (Biblical Tools and Studies, 35), Leuven, Peeters, 2018, 177-191. 11. « Le manzer (bâtard) ne sera pas admis à l’assemblée de Yahvé ; même ses descendants à la dixième génération ne seront pas admis à l’assemblée de Yahvé. »

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et DM à sa suite (p. 53) – mais sans que les rabbins puissent même s’entendre sur le sens à donner au mot manzer (comme on peut voir en Yebamoth 4,13). Mais peut-on reporter au Ier siècle ce que dit la Mishna au début du IIIe siècle EC ? Il est vrai que les traditions rabbiniques que rapporte la Mishna ont dû précéder l’écriture de ce texte. Mais remontentelles au Ier siècle ? On ne peut le garantir. Ni son contraire, sans doute. Mais cela suffit, je crois, pour que l’historien n’utilise pas la Mishna pour soutenir l’hypothèse de la manzerut au temps de Jésus. Il reste les textes du NT qui évoqueraient discrètement, à propos de Jésus, cette condition dramatique du manzer. Il s’agit essentiellement de Mc 6,3, qui parle du « charpentier, fils de Marie », et marginalement de Jn 8,18 et 8,41. « Fils de Marie », en effet, contrevient à l’usage juif qui est de toujours mentionner le nom du père (comme le font le « fils de Joseph » de Lc 4,22 et de Jn 6,42). L’exégèse de ce texte de Mc reste fort débattue. Plusieurs exégètes et historiens y voient une allusion à une naissance illégitime12. Par contre, le « consensus traditionnel », celui de la majorité des commentateurs de Mc, rejette la référence à une naissance suspecte. Jean  Delorme l’exprimait parfaitement, à mon avis. Tout en reconnaissant que parler de Jésus comme « fils de Marie » contrevenait à l’usage juif traditionnel, il maintenait fermement que « chercher une allusion, sur les lèvres des Nazaréens, à une naissance de père inconnu ou, au niveau de la rédaction du livre, à la croyance chrétienne en la conception virginale de Jésus, c’est dépasser l’horizon du texte et le charger d’interprétations postérieures13 ». Il paraît plus naturel de penser que cette mention de Marie par les Nazaréens, qui connaissaient bien la famille de Jésus (Mt 13,55-56 ; Mc 6,3), s’expliquait tout simplement par « la mort précoce de Joseph14 » (p. 56). Quant aux textes de Jean (8,19 : « ton père, où est-il ? » et 8,41 : « Nous ne sommes pas nés de la prostitution. Nous n’avons qu’un seul père, Dieu ! »), ils appartiennent à un débat théologique où c’est Jésus qui attaque les juifs qui se réclament de la « descendance d’Abraham » et leur oppose sa propre descendance, lui, sorti et venu de Dieu (8,42). Cette prétention de Jésus s’inscrit dans toute la théologie johannique qui, dès le Prologue et 12. Pour en citer quelques-uns, c’est le cas d’Étienne  Trocmé, de Jane  Schaberg, de Bruce Chilton et maintenant de Daniel Marguerat. 13. Jean D – Jean-Yves T, L’heureuse annonce selon Marc. Lecture intégrale du deuxième évangile (LD, 219), Paris – Montréal, Cerf – Médiaspaul 2007, vol. 1, p. 381. Ajoutons, dans le même sens, Simon Légasse, Camille Focant, John P. Meier, confirmant les études antérieures de Harvey K. MA « “Son of Mary” », dans NovT 13 (1973) 38-58, ou de B, The Birth of the Messiah, p. 537-541. 14. Que souligne DM lui-même. Mais, selon lui, l’absence du père légal n’aurait fait que favoriser « l’expansion de la rumeur » (p. 56).

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tout au long de l’évangile, le présente comme « Fils unique ». À ce niveau théologique, il n’est pas question de la naissance humaine de Jésus et il n’y a pas non plus à s’étonner que le Jésus johannique – et non « l’enfant sans père » (p. 347) – n’ait appelé Dieu que par le nom de Père. Un indice « massif » (p. 51) de la présence de doutes sur la naissance de Jésus serait, selon DM, la généalogie de Jésus en Mc  1,1-17. Ce qui frappe singulièrement dans cette généalogie juive, c’est la présence tout à fait incongrue de quatre femmes et de quatre femmes qui auraient toutes une « réputation sulfureuse », en « situation d’irrégularité sexuelle face à la norme conjugale » (p. 52). Mt aurait évoqué ces quatre destins de femmes hors normes pour préparer son lecteur à l’irrégularité de la conception de Jésus hors mariage. « L’explication qui s’impose [je souligne], selon DM, est que Matthieu est au courant de rumeurs entourant la paternité de Jésus » (p. 53), et qu’il veut les contrer en invoquant une intervention divine. La conclusion est sans appel. L’emplacement de la généalogie juste avant l’annonce de la conception selon l’Esprit Saint (Mt 1,20) s’y prête évidemment. Et il faut aussi, possiblement, reconnaître, avec Raymond Brown, – en Mt, mais non en Lc – « a discernible apologetic interest15 ». Mais le fait que cette intervention divine dans la conception de Jésus se retrouve en Mt et Lc, deux évangiles considérés comme indépendants, suggère bien selon Brown, « that it predates the two evangelists ». Ce n’est donc pas une invention de l’apologétique de Mt, une « pure theological creation16 ». Néanmoins, cette présentation matthéenne signifierait, selon DM, « que les rumeurs de naissance illégitime datent déjà du 1er siècle », disons de la fin du siècle au moins, et il pose alors la question importante : « Circulaient-elles du temps de Jésus ? » (p.  53), entre 28 et 30. DM en est convaincu et fait appel, pour l’établir, à toute une série d’indices qui lui paraissent confirmer cette hypothèse. Il les a résumés en p. 58 : « Séparation de la famille, célibat, compassion pour les marginaux, relativisation des règles de pureté : ces accents forts de l’éthique de Jésus portent, à mon avis, dit-il, les stigmates d’une enfance exposée au soupçon d’impureté et d’une volonté de transcender cette exclusion sociale. » Je reprends chacun de ces « indices ». DM attribuerait la tension entre Jésus et sa famille (qui s’exprime en particulier en Mc 3,21), à « son statut anormal au sein du cercle familial » (p. 57), malgré Mc 3,20, qui pourtant fournissait déjà une bonne explication 15. B, The Birth of the Messiah, p. 527. « Visée apologétique » comme le souligne M, « “Livre de la genèse de Jésus Christ” (Mt 1,1) », p. 191. 16. B, The Birth of the Messiah, p. 527-528.

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de cette tension17 ! Plus que l’hypothèse d’une naissance suspecte, l’extravagance (vagari : errer à l’aventure) de la conduite nouvelle de Jésus et, en particulier, son activité de thaumaturge et de chasseur de démons qui, en plus de sa parole, entraîne les foules derrière lui (Mc 1,37.45 ; 2,13.15-16 ; 3,7-8.20 ; 4,1… et, bien sûr, ce passage de Mc 6,1-3, où la foule s’étonne de sa sagesse face à l’humble condition de sa famille) explique fort bien, à mon avis, que les gens de sa parenté aient trouvé étrange cette conduite toute nouvelle. Au passage, on peut d’ailleurs trouver curieux que, tout au long de son activité publique, cette « infamie » n’ait pas « coulé » la réputation de Jésus : que les foules aient continué à le suivre et qu’il ait pu enseigner dans les synagogues et même au Temple, alors que sa condition de manzer aurait dû le bannir de toute « congrégation religieuse18 » ! Autre indice de cette manzerut, de cette ignoble situation, le célibat de Jésus (p.  57). Tous les rabbis devaient être mariés et créer une famille. Pourquoi Jésus, qui en assumait pratiquement le rôle, ne l’était-il pas ? Parce que, dit DM, « le Talmud impose de strictes restrictions de mariage aux individus suspectés de manzerut19 » (p. 57). En fait, les sources historiques disponibles ne permettent pas de décider si oui ou non Jésus a été marié. Les évangiles, ainsi que Paul, n’en disent rien, alors qu’ils connaissent le mariage de ses disciples (voir Mc 1,30, qui parle de la bellemère de Pierre, et 1 Co 9,6). Mais comment ne pas penser que Jésus, lors de sa discussion avec les pharisiens (Mt  19,1-9), qu’il prolonge avec les disciples (v. 10-12), savait de quoi il parlait et qu’il pouvait s’appliquer à lui-même ce qu’il dit des « eunuques pour le Royaume des cieux » ? Eunuque pour le Royaume, « exception eschatologique », dit bien la TOB (Mt  19,12), ce qui était la situation du prophète eschatologique qu’était Jean Baptiste et plus encore de Jésus. Le Baptiste était célibataire, Paul l’a été, de même que d’anciens prophètes en Israël. Pourquoi pas Jésus ? Tout cela paraît plus solide que le très hypothétique stigmate de la manzerut et ne fait pas du célibat de Jésus « un sujet d’énigme » (57). La « relativisation » que Jésus fait des règles de pureté était sans doute une « anormalité » en Israël au temps de Jésus. On sait que ces règles de pureté se rattachaient à l’idéal de pureté lévitique et sacerdotale. Les diverses catégories d’impureté empêchaient d’entrer en contact avec 17. Mc 3,20 : « Jésus vient à la maison, et de nouveau la foule se rassemble, à tel point qu’ils ne pouvaient même pas prendre leur repas » ! 18. De « l’assemblée de Yahvé » de Dt 23,3, comme l’indique M, « “Livre de la genèse de Jésus Christ” (Mt 1,1) », p. 186. 19. Selon la Mishna, leur mariage devait se faire avec une manzereth. Notons que les Talmuds (du IVe siècle au VIIe siècle ou VIIIe siècle), commentaires de la Mishna, ont été compilés plusieurs siècles après Jésus.

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Dieu, empêchaient, en pratique, de s’approcher du sanctuaire, du Temple. En ce domaine, Jésus suivait encore Jean  Baptiste qui « proclamait un baptême de conversion en vue du pardon des péchés » (Mc 1,4), un pardon qui n’était plus lié aux sacrifices du Temple qui seuls, selon la loi juive, pardonnaient les péchés. Le geste du Baptiste était donc un geste révolutionnaire, qui concurrençait les gestes du Temple et finalement tout le système de pureté rituelle. Ce que DM reconnaîtra lui-même très bien dans son chapitre sur le Baptiseur, affirmant que le baptême de Jean « se substituait de fait au système sacrificiel du Temple pour la rémission des fautes » (p. 87). Jésus proclame le même message de base. C’est, pour moi, ce qui explique « la marginalité sociale pour raison de pureté » qui a été celle de Jésus, et non sa « dure expérience » d’enfant manzer (p. 58). Pour ce qui est de la sensibilité de Jésus aux marginaux, je suivrais volontiers Charles Perrot, qui affirme, en lien avec ce qui précède, que Jésus, refusant de se plier, au moins en partie, à ces règles de pureté qui fragmentaient la société, « cherche délibérément à atteindre le peuple des petits, des pauvres et des impurs, bref le peuple du pays20 », toutes ces personnes empêchées par leur condition même de se soumettre aux multiples règles de pureté. Encore une fois, en ces « indices », qui expliqueraient « quelques particularités de l’activité du Nazaréen » (p.  56), DM croit voir « les stigmates d’une enfance exposée au soupçon d’impureté et d’une volonté de transcender cette exclusion sociale » (p. 58). Sur tous ces points et sur la conclusion qui en est tirée, laquelle ne me paraît pas refléter les évangiles, je dois donc dire mon désaccord. Le troisième chapitre, « À l’école de Jean le Baptiseur », touche des points importants. D’abord, « le lien fort et reconnu entre le prophète du désert et l’homme de Nazareth » (p.  79), que les évangiles ont exhumé. Puis le baptême de Jésus par Jean, qui a sans doute plongé les premiers chrétiens dans le plus grand embarras, mais que les évangiles ont conservé, et qui reste l’un des points les plus assurés de la recherche historique. Jésus a été disciple de Jean et fait partie de son groupe pendant un certain temps, avant de s’en séparer (voir principalement Jn 3,22-30 et 4,1-3). Matthieu résumera même la prédication de Jean et de Jésus en termes identiques : « Convertissez-vous ; le Royaume de Dieu s’est approché » (Mt 3,2 ; 4,17). Mais ce qui est capital, et que DM montre très bien, c’est qu’en acceptant le baptême de Jean, Jésus en faisait sienne toute la dimension « révolutionnaire ». Ce baptême en vue du pardon des péchés, reçu 20. Charles P, Jésus (Que sais-je ?, 3300), Paris, Presses universitaires de France, 20075 (1998), p. 47.

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délibérément par Jésus, « se substituait de fait, on l’a dit, au système sacrificiel du Temple pour la rémission des fautes » (p. 87). Le baptême de Jean, qui était unique, contrastait aussi avec la multiplicité des ablutions requises pour l’observance de la pureté rituelle. C’est bien de là que viendrait, de la part de Jésus, la relativisation des règles de pureté. Mais, abandonnant le geste baptiste, Jésus ira plus loin encore en se désignant lui-même « comme le lieu du pardon de Dieu sans l’entremise de l’eau21 » (Mc 2,5-7). Ce qui sera assurément un élément à retenir dans la recherche des raisons qui ont mené les autorités religieuses à condamner Jésus. DM souligne aussi très bien une ou la grande différence entre la prédication de Jean et celle de Jésus. Alors que « tout le poids » de la prédication de Jean reposait « sur l’extermination des pécheurs par le feu » (p. 84), sur la colère à venir, Jésus prêchait la patience de Dieu, envisageant « le présent comme la manifestation de la grâce de Dieu » (p. 95). En fin de chapitre, par contre, DM évoque plusieurs thèmes débattus dans la recherche actuelle sur le statut social de la Galilée de Jésus, sur le banditisme social (p. 91), sur la misère économique des paysans galiléens et le petit peuple écrasé par les taxes (p. 92), ou sur l’itinérance de Jésus (p.  95, mais « nomadisme » corrigé en p.  144), thèmes sur lesquels j’ai déjà pris, personnellement, quelque distance22. C’est ainsi que se termine la première partie de l’ouvrage. La deuxième, « La vie du Nazaréen », qui comprend six chapitres, me paraît la meilleure. On y retrouve le grand Marguerat, au style éblouissant et aux trouvailles merveilleuses. 2. « La vie du Nazaréen » Le chapitre sur « Le guérisseur » offre une synthèse très éclairante. Au départ, DM souligne que « la pratique thérapeutique de Jésus est l’un des éléments historiquement les plus sûrs de son activité » (p.  100). C’est ce

21. P, Jésus, p. 49-51. Perrot développe ici le lien entre le baptême de Jean et le pardon des péchés, ce geste révolutionnaire « qui concurrençait par le fait même les gestes du Temple » (p. 53) – ce qu’il avait traité jadis (en 1979) dans I, Jésus et l’histoire, p. 129-131. 22. Voir M, « De quelques présents débats dans la troisième quête », p. 196-203 – repris au chapitre 3 de ce livre. Sur l’économie de la Galilée au temps de Jésus, voir, tout récemment, Jürgen K. Z, « Jésus, un Juif de la Galilée », dans D (dir.), Jésus de Nazareth. Études contemporaines, 45-64, principalement p. 54-61 et l’importante conclusion, en p. 63 : « Choisissant la Galilée géographique de son temps comme point de départ, nous pouvons dire que l’attention active de Jésus à l’égard des milieux ruraux, des pauvres et des marginalisés [je souligne] était plutôt un choix délibéré qu’une réaction directe contre le fait que la Galilée aurait été particulièrement pauvre et sans ressource. »

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qui le distingue de Jean Baptiste et, d’une certaine manière, spécifie son message par rapport à lui. DM traite successivement des exorcismes, des guérisons comme telles, des revivifications de morts et des prodiges naturels. Chaque type de miracles soulève des problèmes particuliers. Ce n’est pas le lieu d’entrer ici dans les détails. Je retiens plutôt que c’est à propos des exorcismes que Jésus proclame le sens profond de toute cette activité contre le mal : « si c’est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons, alors le règne de Dieu vient de vous atteindre » (Mt 12,28). Luc a conservé une autre version de cette parole de Jésus : « … si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, alors le règne de Dieu vient de vous atteindre » (Lc 11,20). L’affirmation est extraordinaire : « les exorcismes font du Règne attendu une réalité présente » (p. 110). Cela vaut de toutes les guérisons, comme DM le dit bellement : « les guérisons de Jésus inscrivent au corps de l’homme l’irruption du Règne de Dieu » (p. 112). Exorcismes et guérisons « concrétisent dans le présent la visibilité du Règne de Dieu » (p. 119), toute cette activité thaumaturgique marquant « le début du temps du salut eschatologique23 ». Faute de pouvoir discuter de la diversité des types de miracles, c’est bien, je crois, la signification fondamentale à retenir de toute cette activité. Mais c’est peut-être dans le chapitre sur « Le poète du Royaume » qu’on retrouve le meilleur, autant théologiquement que littérairement. DM commence par présenter en quoi cette expression « la royauté de Dieu » (malkut YHWH) exprimait le cœur de « la foi monothéiste d’Israël et [de] sa théologie de la création » (123-124). Après l’exil à Babylone et la destruction du premier Temple, cette idée de royauté de Dieu s’est déplacée vers le futur, le présent ne donnant pas de signes évidents de sa présence. La foi s’exprime désormais en termes d’espérance, d’attente fébrile de la venue de ce Règne qui sera la fin de ce monde mauvais : attente eschatologique. C’est à cette espérance que répond l’annonce par Jésus non seulement de l’approche mais, avec lui, de l’arrivée même de ce règne de Dieu : « Le temps est accompli, et le règne de Dieu s’est approché24 » (Mc 1,15).

23. Ces derniers mots sont d’Annette M, « Les miracles de Jésus et leur signification », dans D (dir.), Jésus de Nazareth. Études contemporaines, 173-194, p. 189 – une étude qui complète et confirme en général celle de Marguerat. 24. Marguerat dit très bien que « le temps des verbes, même si l’araméen nous échappe, est révélateur en grec : eggiken, “s’est approché”, est au parfait, un temps qui désigne un événement passé mais dont les effets se déploient dans le présent. Le Règne de Dieu attendu depuis des siècles ne s’approche pas ; il s’est approché » (127). C’est déjà fait ! Grappe notait, dès le début de son article, que les premiers mots du message en Mc 1,15 : « le temps est accompli », sont aussi au parfait grec, indiquant que « l’accomplissement du temps fixé relève aussi d’une forme d’eschatologie réalisée », Chris-

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C’est dans la proclamation de cette annonce qu’intervient « le poète du Royaume », poésie qui s’exprime très particulièrement dans les paraboles, qui sont « le miroir du Royaume » (p.  128). Sur la question des paraboles, DM est un maître25. S’écartant d’une théorie de la comparaison qui a dominé longtemps l’étude de la parabole, depuis l’exégète allemand Adolf Jülicher, DM la voit plutôt comme une métaphore, à la suite de Paul  Ricœur (132)26. Il définit la parabole, cette « mèche d’un sou » (p. 128, 130), comme « un petit récit de fiction qui a) emprunte une réalité connue des auditeurs (le signifiant), mais b) comporte un signal de transfert de sens sur un autre plan (le signifié) » (p.  129). Comme la métaphore, qui génère une surprise et innove par « un effet de choc imaginatif », la parabole s’affilie de la sorte à la poésie, car « elle construit un nouveau regard sur la réalité27 » (p. 132). « Le poète est un créateur… Il est celui qui fait avec les mots. Mieux encore : le poète est celui dont les mots font, dont les mots ont un effet, touchent, émeuvent, frappent, choquent, surprennent l’auditeur » (p.  132). C’est ce que font les paraboles de Jésus. DM en distingue deux types, la parabole-évidence, basée sur l’observation et l’expérience des auditeurs, et la parabole-événementielle qui relate un fait divers tiré de la vie quotidienne. Chaque fois, « le matériau narratif est issu de ce que les auditeurs de Jésus peuvent observer, et qui ne relève pas du registre religieux ; la parabole est un discours non religieux sur Dieu » (p. 133), mais qui rend néanmoins « visible le Royaume » (p. 136), et offre ainsi « une lecture théologique du monde » (p. 137). Puisque le matériau des paraboles vient de ce que les auditeurs peuvent observer, c’est-à-dire de « l’environnement géographique et social de Jésus », DM a raison d’y voir « un reflet précieux de la basse Galilée » (p. 142), bien qu’en reprenant la vision discutable, à mon avis, du régime fiscal et de l’endettement des paysans (p. 143)28. Le chapitre 6, « Le maître de sagesse », s’ouvre sur la mention du « changement le plus spectaculaire » dans la recherche du Jésus historique :

tian G, « Jésus et l’irruption du Royaume », dans D (dir.), Jésus de Nazareth. Études contemporaines, 125-146, p. 125. 25. Marguerat a déjà publié beaucoup sur le sujet, depuis Daniel M, Parabole (CaE, 75), Paris, Service biblique Évangile et vie – Cerf, 1991. En plus d’en traiter ici à nouveau, il le fait encore en discutant de l’extravagance de la parabole, dans une étude contemporaine : I, « Jésus le poète, maître de sagesse. Une rhétorique de l’excès », dans D (dir.), Jésus de Nazareth. Études contemporaines, 147-172, spécialement p. 149-158. 26. Paul R, La métaphore vive, Paris, Seuil, 1975. 27. Selon Ricœur, l’idée de transgression, d’« attribution aberrante », qui est au cœur de la métaphore, produit du sens, elle « “re-décrit” la réalité », Ibid., p. 31-32. 28. Voir mes réticences mentionnées en note 22 de ce chapitre.

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la reconnaissance de sa « judaïté », Jésus « un juif à 100 % » (p. 145). C’est en effet l’apport singulier de ce qu’on a nommé « la troisième quête ». Cette compréhension nouvelle commande aussi, sans doute, la solution qui semble devenir la plus commune, et à laquelle se range DM, au problème du « parting of the ways », la séparation entre judaïsme et christianisme. Cette séparation aurait été plus tardive qu’on ne l’imaginait : elle ne débuta pas avant la fin du Ier siècle et fut un processus long, variable selon les régions (plus avancée en Asie Mineure – où le mot christianisme est né chez Ignace  d’Antioche, autour des années  100, en opposition au judaïsme29 – qu’en Syrie-Palestine). Si bien qu’« imputer à Jésus la création d’une nouvelle religion est tout simplement anachronique » (p. 149). Il reste que Jésus est entré en profond conflit avec le judaïsme de son temps et ses autorités religieuses, qui finirent par réclamer sa mort. Sa singularité se marque principalement dans son enseignement, « et qui dit enseignement pour un rabbi juif, dit interprétation de la Torah » (p.  150). Jésus ne met pas en cause l’autorité de la Torah, comme on l’affirme souvent à partir des antithèses du Sermon sur la montagne : « vous avez appris qu’il a été dit… Et moi, je vous dis… » (Mt 5,21-22 ; 27-28 ; 31-32 ; 33-34 ; 38-39 ; 43-44). Ce serait, en effet, difficile à concilier avec l’affirmation en tête même de ces antithèses : « N’allez pas croire que je sois venu pour abroger la Loi ou les prophètes : je ne suis pas venu abroger, mais accomplir. Car, en vérité, je vous le déclare, avant que ne passent le ciel et la terre, pas un iota, pas un trait sur le iota ne passera de la loi que tout ne soit arrivé » (Mt 5,17-18). La Torah garde toute son autorité, mais Jésus l’interprète de manière singulière (à propos de l’observance du sabbat, de l’amour des ennemis, des prescriptions concernant la pureté rituelle, en particulier les codes alimentaires30 et les repas avec les pécheurs). Martin Ebner, dans « Jésus, critique fervent de la Torah ?31 », a démontré de manière rigoureuse, en distinguant « le double courant de la Torah du Sinaï, à savoir la “Torah écrite” et la “Torah orale” », que « le débat autour de l’interprétation de la Torah est inhérent à la loi juive », comme en témoignent les écrits rabbiniques, autant la Mishna que les Talmuds. Jusqu’à nos jours, apprendre la Torah continue de se faire « dans le débat et en tant que 29. I ’A, Magn. 10,1.3 ; Romains 3,3 ; Philadelp. 6,1. 30. Heureux de voir que DM (p. 161) attribue Mc 7,15 au Jésus historique : « Il n’y a rien d’extérieur à l’homme qui puisse le rendre impur […], mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur », une affirmation que Paul reprendrait en Rm 14,4 : « Je le sais, j’en suis convaincu par le Seigneur Jésus : rien n’est impur en soi ». 31. Martin  E, « Jésus, critique fervent de la Torah ? », dans D (dir.), Jésus de Nazareth. Études contemporaines, 195-214.

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débat32 ». C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre l’attitude de Jésus face à la Loi. Tout en rappelant que l’enseignement de Jésus articule bien les thèmes centraux de la foi juive (l’espérance du Règne, l’autorité de la Torah, la pureté-sainteté du peuple…), DM maintient donc fortement, avec raison, « la singularité des positions adoptées par Jésus » (p.  165). Le sujet où apparaîtrait au plus haut point la singularité de Jésus : son attitude face au Temple, qu’on doit inclure dans les raisons de sa condamnation à mort par les autorités religieuses, « est effacé » (p. 165) dans l’enseignement de Jésus et DM n’en parle guère en ce chapitre, renvoyant à celui du « Mourir à Jérusalem » (p. 234-237). Terminons ce point, en rappelant que toujours, dans toutes ses interprétations de la Loi, Jésus s’oppose à la « violence qui pourrait être faite à autrui » (p. 158). Tout comme les paraboles avaient pour but de rendre visible le règne de Dieu « au sein du monde ordinaire » (p. 159), l’interprétation que Jésus fait de la Loi vise à faire un monde où l’amour humain rejoindrait l’amour illimité de Dieu pour ses créatures : « Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait » (Mt  5,48) et « compatissant » (Lc  6,36) comme lui, qui « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons » (Mt 5,45). C’est là toute l’éthique de Jésus le sage, la manière qu’il propose de vivre la Loi. Le chapitre 7, « Ses amis, ses concurrents », est aussi révélateur de la personnalité de Jésus. D’après les sources évangéliques, comme le montre DM, l’entourage de Jésus se composait de trois cercles concentriques : « les Douze, puis les disciples, et enfin les sympathisants » (p. 174). Tous ces gens, hommes et femmes, qui s’étaient mis à la suite du prophète (et non du rabbi, p.  177) Jésus, partageaient son programme : « visibiliser dans le présent l’espérance du Royaume » (p.  175). DM détaille pour chaque groupe les implications de cette suite. Avec d’autres auteurs, comme Gerd eissen et Enrico Norelli, DM insiste particulièrement sur la radicalité de l’appel, même s’il reconnaît « un degré d’exigence différencié » (p. 180) selon les groupes33. On peut discuter sur la radicalité exigée par cette suivance de Jésus. Concernant les liens familiaux, il semble avéré historiquement, on l’a vu, 32. Ibid., p. 196. 33. Enrico N, « Jésus en relation – des adeptes, des alliés et des adversaires », dans D (dir.), Jésus de Nazareth. Études contemporaines, 87-124, spécialement p. 101-116. C’est Gerd eissen qui semble à l’origine ou aurait, en tout cas, donné une « impulsion décisive » (p. 101) à la figure d’un Jésus « charismatique itinérant ». De fait, cette thèse a été lancée dans un article devenu fameux : T, « Wanderradikalismus » – qui a, pour ainsi dire, donné le ton à toute sa carrière. Voir I, Le mouvement de Jésus, p. 7-8 et principalement p. 37-89, sur le radicalisme d’itinérance de la tradition synoptique : « Un mouvement de marginaux et de charismatiques itinérants ».

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que Pierre a gardé des liens avec sa famille (belle-mère, maison…). Jésus lui-même semble bien avoir eu un pied-à-terre, qu’on a pu considérer comme sa maison (voir Mc 3,20 ; 7,17)34. J’estime, par ailleurs, que cette itinérance est exagérée. Dans nos sources, principalement les évangiles qui restent nos documents de base, l’itinérance est bien localisée, limitée surtout, à part quelques voyages exceptionnels hors de la Galilée, à la basse Galilée et principalement autour du lac. On a calculé qu’à partir de Sepphoris on pouvait atteindre, en une courte journée de marche, 40 des villages d’alentour35. Pour ce qui est du groupe des Douze, DM montre bien que « le nombre douze est biblique et renvoie aux tribus de l’ancien Israël » (p. 187). Instituer un groupe de douze hommes, « c’est signifier symboliquement l’Israël nouveau des derniers temps », autre exemple de configuration « dans le présent [de] l’espérance de Jésus » (p. 188). Ce groupe n’est pas une invention d’après Pâques. Il est mentionné dans la formule de foi archaïque que Paul cite en 1 Co 15,5, credo qu’il a lui-même reçu sans doute dans les années 30, peu après la mort de Jésus. Et « qui, de plus, aurait inventé après coup la théorie de Jésus trahi par “l’un des Douze” ? » (p. 186). Autres belles pages de ce chapitre, l’attention portée aux femmes disciples et, parmi toutes celles qui suivaient Jésus, l’importance particulière de Marie de Magdala (p. 189-193). La fin du chapitre porte sur les « concurrents » de Jésus, ceux qui ont réagi négativement à sa provocation (p. 193). De courtes pages (p. 193199) qui s’arrêtent brièvement aux groupes classiques, aux pharisiens surtout, stricts observateurs de la Torah, dont ils faisaient une lecture différente de celle de Jésus, et aux sadducéens, liés à l’élite sacerdotale du Temple et qui « portent la responsabilité du projet d’éliminer Jésus » (p. 198). Avec le chapitre 8, « Jésus et sa vocation », DM affronte directement le mystère, celui de la conscience de Jésus : que pensait Jésus de luimême ? Christologie implicite, christologie explicite (celle qui s’accroche aux titres donnés à Jésus), on entre en théologie. L’historien ne peut qu’hésiter. DM renonce sagement à la piste des titres, « trop souvent labourée » (p. 202). À partir des sources, il affirme en une belle formule : « Jésus n’a pas dit qui il était, il a fait ce qu’il était » (p. 202). On revient ainsi à l’exorciste et au guérisseur installant « dans le présent le nouveau 34. DM reconnaît que « la référence fréquente à “la maison” dans l’évangile de Marc [Mc 1,29 ; 2,1 ; 3,20 ; 7,17 ; 9,28.33 ; 10,10, textes cités p. 367 n. 129] fait penser que Jésus et son groupe avaient élu ce lieu, à Capharnaüm, comme base résidentielle d’où ils rayonnaient » (144). 35. K V, Excavating Q, p. 211.

     ’

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monde promis par Dieu » (p.  203), le règne de Dieu ; à son enseignement : aux paraboles qui rendent visible le Royaume ; à son discours sur la Torah, qui place son « je » face à l’autorité de Moïse ; à sa prétention de pardonner les péchés, où le Fils de l’homme, qui s’identifie au « je » de Jésus en Mc 2,10-11, est empreint, selon S. Légasse, d’une « incontestable transcendance36 » ; à « l’amen » surprenant qui « met en relief l’autorité non dérivée de sa propre parole » (p. 207). Jésus ne s’est pas dit Messie, mais « il est pratiquement certain que l’expression “Fils de l’homme” a fait partie du langage de Jésus » (p. 219). Après avoir renoncé à la voie des titres (p. 202), DM est bien forcé d’entrer dans le débat qui concerne celui de Fils de l’homme (p.  218-223). Choisissant entre les paroles où Jésus se désigne lui-même par cette expression (comme en Mt 26,2 ou 26,24 ; Mc 14,21), (et particulièrement celles appartenant au Fils de l’homme souffrant, que DM écarte du débat parce qu’« elles ont toutes les chances de dater d’après Pâques » [p. 220] – ce qu’il faudrait prouver) et celles où Jésus semble parler d’un autre personnage, DM s’en tient à cette dernière position. Sans écarter pourtant, il me semble, toute ambiguïté. Affirmer, en effet, que « si Jésus avait la ferme espérance que Dieu allait prochainement révéler son statut de Fils de l’homme… » [je souligne] (p. 223), c’est bien supposer que Jésus se savait posséder ce statut, qui inclut la dimension eschatologique, celle-là même qui, selon Jésus lui-même, faisait irruption dans le présent de son dire et de son faire. C’est évidemment après Pâques que les disciples percevront cette profonde identité entre Jésus et le Fils de l’homme, mais pourquoi cette lumière pascale ne leur aurait-elle pas fait découvrir alors clairement, bien qu’après coup, ce que le Jésus d’avant Pâques avait laissé entrevoir de lui-même déjà dans ses gestes et ses paroles et qu’en ce temps-là ils n’avaient pas saisi ? Sans discuter des titres de haute christologie de Seigneur et de Fils de Dieu, qu’il évoque néanmoins, DM termine de belle manière, en historien cette fois, affirmant que « pour ce qui concerne la proximité avec Dieu, il n’est pas possible d’ignorer l’intimité que Jésus revendique » et que ce qui est « décisif », c’est « sa conscience d’une exceptionnelle intimité avec Dieu » (p. 224). Historiquement, comme le note bien DM dans son chapitre sur le « Mourir à Jérusalem », la mort de Jésus est un tournant. Elle aurait fait naître « deux courants puissants au sein de la civilisation occidentale : l’un est le christianisme, l’autre l’antisémitisme » (né de l’accusation portée contre les juifs d’avoir « tué le Seigneur ») (p. 225). DM retient « le vendredi 36. Simon L, L’évangile de Marc (LD. Commentaires, 5), 2 vol., Paris, Cerf, 1997, vol. 1, p. 173.

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7 avril de l’an 30 », comme date probable de la mort de Jésus (p. 226, ce qui est largement admis). Mais autour de cette mort restent de nombreuses zones d’ombre, que DM affronte en détail. Entre autres, Jésus a-t-il prévu, ou même voulu, sa mort ? pour quel motif précis a-t-il été condamné ? Quoi qu’il en soit des annonces de la Passion-résurrection, qui seraient un « montage de l’évangéliste Marc (8,31 ; 9,31 ; 10,33-34) » (p. 220, 229), il n’est pas exclu, selon DM, que par elles « Marc fasse écho à un pressentiment du maître » (p. 229). Il est en effet très probable que Jésus ait pressenti que le destin des prophètes serait le sien (p. 232). Quant aux raisons précises qui auraient amené les autorités religieuses juives de Jérusalem à décider rapidement de la mort de Jésus et à le livrer aux autorités romaines, elles sont débattues. La plus vraisemblable touche au Temple et à ses sacrifices (voir Mc 11,18). DM parle du « Temple outragé » (p. 234), en référence au scandale de Jésus chassant les vendeurs du Temple. Il rattache ce geste de Jésus à son combat contre les rituels de pureté, le commerce des marchands se situant dans le parvis des païens, qui aurait fonctionné « comme un sas protecteur de la sainteté du Temple » (p. 236), une « procédure de blanchiment par laquelle les croyants s’achètent une pureté pour accéder à Dieu » (p. 237). Et qu’il ne fallait donc pas attaquer ou supprimer, comme Jésus tente de faire. L’explication paraît très compliquée. Plus évidente, à mon avis, celle attribuée ici à Jacob Neusner37 : « Jésus bloque la pratique sacrificielle qui impliquait l’activité des marchands » (p. 235). C’était celle soutenue déjà par Charles Perrot, dans son Jésus et l’histoire38. Et ce serait même celle, véritablement, de DM lui-même, à en juger par ce qu’il dira en Épilogue : « Le véritable délit était l’outrage fait au Temple par le geste violent de Jésus, qui bloquait les opérations liées aux sacrifices » [je souligne] (p. 349). Par ailleurs, DM traite longuement des procès de Jésus, religieux et politique, le religieux, devant le sanhédrin, aboutissant à un « délit religieux devant être “converti” en délit politique » (p. 247) pour la condamnation à mort par le gouverneur romain. Dans ce procès religieux, je crois que DM minimise l’impact de la réponse de Jésus telle que présentée en Mc 14,62 : « Vous verrez le Fils de l’homme siégeant à la droite du Tout Puissant et venant avec les nuées du ciel. » Selon DM, Jésus déclarerait par là que lors de la venue du Règne, le Fils de l’homme (un autre que Jésus) justifierait Jésus (p.  249). Mais à cette déclaration, le grand prêtre déchire son vêtement et crie au blasphème. Y aurait-il blasphème 37. Jacob N, « Money Changers in the Temple », dans NTS 35 (1989) 287-290. 38. P, Jésus et l’histoire, p. 147 : « Jésus arrête donc la marche du culte sacrificiel. »

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si Jésus n’avait évoqué qu’une approbation future de la part de quelqu’un d’autre, qualifié de Fils de l’homme ? Il n’y a blasphème, me semble-t-il, que si l’accusé s’identifie lui-même avec ce Fils de l’homme, siégeant à la droite de la Puissance. Mais peut-être s’agit-il d’une mise en scène de Marc (plus explicite que ce qu’on trouve en Mt 26,65 ou Lc 22,69) ! Jésus aurait-il prononcé une telle parole ? Et qui aurait pu en témoigner ? Ici, sommes-nous encore au niveau de l’histoire ? Ne serait-ce pas plutôt une confession chrétienne que Marc aurait mise sur les lèvres de Jésus, comme l’insinue S. Légasse, une amorce alors du « débat essentiel qui, du 1er siècle à nos jours, oppose les Juifs aux chrétiens39 » ? C’est l’ambiguïté de nos sources. 3. « Jésus après Jésus » Après la vie de Jésus, la troisième partie, « Jésus après Jésus », passe à son « destin…  dans les trois grands monothéismes (christianisme, judaïsme, islam) » (p. 13). Cette partie est aussi importante, mais s’éloigne du Jésus de l’histoire. Dans le chapitre 10, sur « Ressuscité ! », on se risque au méta-historique. Comme telle en effet, ainsi que le dit très bien Jean Zumstein : « La résurrection de Jésus n’entre pas dans le champ d’analyse balayé par la méthode historico-critique40. » Où fallait-il placer ce chapitre ?, se demande DM : « La résurrection de Jésus est-elle l’achèvement de sa vie ou le début du christianisme (“Jésus après Jésus”) ? » (p. 261). En se rangeant à ce dernier avis, DM tentera néanmoins de relever ce qui reste plausible au regard de l’historien. Il notera d’abord, cependant, le point de vue théologique, soulignant très fortement « la continuité entre le Jésus d’avant Pâques et le Christ d’après la mort » (p. 271) : c’est bien le Crucifié qui est Ressuscité. « La foi de Pâques est donc une lecture théologique de la croix » (p. 272), le « oui » de Dieu à la mort de Jésus. Mais ce « oui » de Dieu à la mort est, par le fait même, le « oui » de Dieu à toute la vie qui a mené à cette mort, le « oui » de Dieu donc à l’histoire de Jésus, l’objet de la présente recherche ! DM le dit autrement : « Du coup, son message et son action s’en trouvent validés, car approuvés par Dieu » (p. 273). C’est dans cette perspective, on le comprend, que nos évangélistes (Marc, Matthieu, Luc et Jean) auront raconté l’histoire de Jésus. DM rappelle très bien que « l’originalité de Jésus a été de proclamer un Règne à 39. L, L’évangile de Marc, vol. 2, p. 927. 40. Jean Z, « Jésus après Jésus – l’événement pascal et les débuts de la christologie », dans D (dir.), Jésus de Nazareth. Études contemporaines, 235-249, p. 238.

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venir, mais déjà visualisable dans le présent ». La résurrection, « c’est l’attestation de la présence de ce Règne » (p.  274). DM montre ainsi « l’absolue nouveauté du christianisme : le lien entre la résurrection de Jésus et la résurrection finale des croyants » (p. 274). Mais cette lecture théologique, cette lecture d’après Pâques, relève de la foi, « méta-historique », il faut le redire. Tout n’échappe pas pourtant aux prises de l’historien. « Son enquête, dit DM en terminant, enregistre en effet deux faits : 1) la dispersion et la fuite des disciples à la mort du maître ; 2) la recomposition relativement rapide à Jérusalem du cercle des onze disciples… » (p.  278). Deux faits que l’historien, pourtant, à son propre niveau, n’arrive pas à relier. Trois solutions se présentent à lui, en effet. La théorie psychologique d’autopersuasion, explication à laquelle les textes résistent. La théorie de la falsification, vol du cadavre ou supercherie, qui demeure gratuite. La théorie des évangiles : « L’expérience visionnaire, par laquelle la transcendance fait irruption dans l’histoire » (p. 278). Cette dernière, invérifiable aussi, il faut le reconnaître, est celle de la foi chrétienne. Les trois derniers chapitres, bien qu’ils portent sur des sujets importants, s’éloignent davantage du Ier siècle, le temps de Jésus. Au début de son livre, dans l’examen des documents à partir desquels s’écrit l’histoire de Jésus, DM avait parlé brièvement des évangiles extracanoniques, entre autres de ces évangiles « sauvés des sables » (p. 37). Se demandant si on y apprenait quelque chose de neuf sur Jésus (p. 36)41, il n’y répondait pas directement, affirmant que le jugement de l’historien devait « être livré au cas par cas » (p. 36). Mais il soulignait par ailleurs l’intérêt extraordinaire soulevé par la découverte de nouveaux manuscrits : de Qumran en 1947, renouvelant nos connaissances du judaïsme au temps de Jésus, et de Nag Hammadi en 1945, manuscrits qui nous restituaient « la chatoyante diversité des spiritualités chrétiennes aux origines » (p. 36). C’est à cette « chatoyante diversité » que DM consacre son chapitre 11, « Jésus apocryphe ». Adhérant – c’est mon hypothèse – à un courant assez répandu actuellement (celui des « trajectoires42 » ?), lequel, s’inspirant lointainement de Walter  Bauer (Orthodoxy and Heresy in Earliest 41. C’est pour répondre à cette question que j’ai fait l’analyse de ces différents textes dans Jean-Paul M, « Jésus de l’histoire et écrits apocryphes chrétiens », dans André  G – Jean-François  R (dir.), En marge du canon. Études sur les écrits juifs et chrétiens (L’écriture de la Bible, 2), Paris, Cerf, 2012, 33-84 – repris au chapitre 8 de ce livre. Je concluais par la négative avec plusieurs autres auteurs. 42. Voir la présentation qu’en fait James Paget C, « e Second Century from the Perspective of the New Testament », dans James Paget C – Judith L (dir.), Christianity in the Second Century. Themes and Developments, Cambridge, UK, CUP, 2017, 91-105, p. 96-99 (« Trajectories »).

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Christianity, 1934) et plus récemment de Helmut Koester et James M. Robinson (Trajectories through Early Christianity, 1971), attribue, contre le modèle d’Irénée  de Lyon, canonisé par Eusèbe  de Césarée, une très grande diversité au christianisme des origines, DM déclare que « l’unité du christianisme ancien est une chimère… La chrétienté a été plurielle dès l’origine » (p. 280). Il est permis d’être moins enthousiaste, si on parle d’unité de doctrine. La confession de foi très ancienne (datant des années 30) que Paul rappelle en 1 Co 15,3-5, est celle qu’il a proclamée en toutes ses missions à travers l’Asie Mineure et jusqu’à la ville même de Rome, ce dont témoignent ses lettres jusqu’aux années 60. Ce qui sera repris par les évangiles canoniques jusqu’à la fin du Ier siècle43 et tous les écrits du NT. Repris aussi au IIe siècle par les premiers Pères de l’Église (Ignace d’Antioche autour de 100 et Irénée de Lyon – qui n’a pas inventé une « chimère » [p. 280] – vers 150…). Il reste qu’à partir du IIe siècle, selon les documents désormais disponibles44, naissent de nouveaux portraits de Jésus, très différents de celui des quatre évangiles reconnus par la Grande Église. « L’image perceptible de Jésus » que DM dégage des six centres d’intérêt sur lesquels il se concentre (p. 282) dit bien, à mon avis, ce que certains ont pensé plus tard de Jésus, mais elle n’est pas celle du Jésus de l’histoire. On peut conclure avec DM que toutes ces images se sont inspirées de « l’événement Jésus », mais « pour en exploiter une dimension qui satisfasse leurs besoins et leur culture » (p. 302). « Jésus au regard du judaïsme » (ch.  12) retrace « l’histoire pathétique » (p.  305) de la réception juive de Jésus. DM y distingue trois périodes, celle qui va du IIe siècle au VIIIe siècle, le « temps du dédain », qui est celui de la littérature rabbinique ; la deuxième, appelée « siècles de plomb », du IXe au XIXe siècle ; celle enfin du « dégel », au XXe siècle. Évoquée en ouverture (p. 27), la vaste littérature rabbinique, particulièrement les deux Talmuds qui se situent entre les IVe et VIIe ou VIIIe siècles, ne laisse émerger « qu’un nombre très réduit de mentions de Jésus » (p.  306). C’est tardivement que Jésus y apparaît, et dès lors ceci explique que « les rabbins réagissent au christianisme qu’ils ont sous les yeux plutôt qu’à une image de Jésus issue des évangiles » (p.  308). On aurait ici une certaine « rabbinisation » de Jésus, perçu comme un sage d’Israël, « un rabbi qui a mal tourné » (p. 309). C’est dans le Talmud et 43. On date très généralement Marc autour de 70, Matthieu et Luc vers 80-90, et Jean à la fin du siècle. 44. B – G – V (dir.), Écrits apocryphes chrétiens I ; G –  K (dir.), Écrits apocryphes chrétiens  II ; Jean-Pierre M – Paul-Hubert P (dir.), Écrits gnostiques. La bibliothèque de Nag Hammadi (Bibliothèque de la Pléiade, 538), Gallimard, 2007.

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dans les Toledot Yeshu, où elle fleurira plus tard, que DM retrouve « la réputation de bâtard, manzer, affectée à Jésus » (p. 319). Les « siècles de plomb » seraient le « temps de la chrétienté triomphante, celui des croisades et du confinement des juifs en ghettos » (p. 319). En tant qu’écrit polémique le Sefer Toledot Yeshu (« Livre des histoires de Jésus »), à partir du IXe siècle, présente un « contre-évangile » et offre à la population juive « un véritable manuel de déconstruction de la prédication chrétienne » (p. 322). Ce que DM appelle le « dégel » est « la sortie des positions figées entre juifs et chrétiens en vue d’ouvrir un débat qui ne soit pas idéologiquement verrouillé » (p. 324), disons un dialogue, strictement au niveau de l’histoire. Du côté chrétien, dans les années 1970, on prendrait mieux en compte la judaïté de Jésus. Du côté juif, des historiens commencent à se réapproprier Jésus de Nazareth, tâchant de mettre en valeur son appartenance au monde de pensée juif. « Jésus est dès lors réclamé par le judaïsme, ni comme fils de Dieu ni comme Messie, mais comme fils d’Israël » (p. 326). C’est un aspect important de la recherche actuelle du Jésus de l’histoire. Avec « Jésus en islam », nous sommes loin de la vie de Jésus, dans sa destinée plutôt. Pour beaucoup, ce sera une surprise sans doute d’apprendre que, dans le Coran, Jésus est une figure marquante45. « Né de Marie par naissance miraculeuse, il est réputé sans péché, figure éminente parmi les prophètes, Messie, Esprit et Parole de Dieu… » (p. 327). Mais, et c’est l’important pour l’islam dont le dogme fondateur est l’unicité d’Allah contre toute autre divinité, Jésus n’est pas de nature divine. Il appartient à la chaîne des envoyés de Dieu, « mais son statut est recadré pour en faire le précurseur de Mahomet » (p. 342), ce qui permet à DM d’affirmer, de façon brillante, que « le Coran procède avec Jésus de la même manière que les chrétiens avec Jean le Baptiseur » (p. 343). Il dira bien, en terminant, après avoir cité le Coran : « Oui, le Messie, Jésus, fils de Marie, est le prophète de Dieu… » (4,171), que finalement le Coran « corrige l’Évangile et pose Jésus contre Jésus. La prédication du Règne est occultée, la mort en croix niée, la résurrection renvoyée à la fin des temps, la filialité divine récusée plutôt qu’interprétée » (p. 346). Sur ce dernier point, selon DM, le Coran ne corrige pas tant le Jésus de l’histoire que l’image que s’en faisait « la chrétienté orientale du VIIe siècle » (p. 346). Puisque le bref « Épilogue » (p.  347-351) résume très bien toute la démarche du livre, j’y retrouve, en même temps que mes nombreux accords, quelques-unes de mes réticences (le manzer, la non-identification 45. Bien que peu mentionné, « quatre-vingt-treize versets sur plus de six mille » (p. 327), concentrés dans les sourates 3, 4, 5 et 19.

     ’

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de Jésus avec le Fils de l’homme…). Pour ce qui est de « Pâques qui ne fait pas du Nazaréen un dieu » (p. 350), je tiendrais grandement compte, pour ma part, de l’uperupsoô de Ph 2,9, de cette superexaltation introduisant l’humanité même de Jésus dans la divinité et qui sous-tend la lecture que font les évangiles de toute l’histoire de Jésus. Mais j’ai salué avec plaisir la reprise du « Jésus n’a pas dit qui il était, il a fait qui il était » (p.  349). Et on retiendra les derniers mots de cet important ouvrage : « Revenir au Jésus de l’histoire demeure une tâche permanente » (p. 351). En préface, DM avait renoncé, très légitimement, à rouvrir à chaque fois le dossier de la critique historique et à s’engager dans les débats avec ses « collègues chercheurs » (p. 13). Mais ses notes et les bibliographies y remédient amplement. Mes quelques désaccords reflètent simplement quelques-uns de ces débats. Par ailleurs, littérairement parlant, on retrouve ici la brillance du style de DM, l’abondance de ses formules heureuses et ce qu’on pourrait appeler la « brisance » de son langage (pour reprendre le joli mot explosif qu’il utilise pour désigner celui de la foi chrétienne, p.  29). Si le poète est vraiment « celui qui fait avec les mots » ou, mieux encore, « celui dont les mots font » (p.  132), sans le comparer au « poète du Royaume », on dira néanmoins que le titre convient très bien à Daniel Marguerat.

DEUXIÈME PARTIE

LES SOURCES LITTÉRAIRES

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EFFERVESCENCE AUTOUR DE LA SOURCE DES PAROLES DE JÉSUS Q* S’il est un domaine de la recherche biblique en particulière ébullition, c’est bien celui de ce qu’on appelle classiquement la Source Q, le document que Matthieu et Luc auraient utilisé, en plus de l’évangile de Marc, comme source de leur propre évangile. On assiste à une prolifération non seulement d’articles, mais d’ouvrages complets spécialisés sur le sujet1. Une littérature qu’il est devenu quasi impossible de maîtriser. J’essaierai néanmoins de présenter ici un certain état des études, non seulement sur l’existence de Q, mais sur toutes les questions que suscite cette source hypothétique, plus étudiée peut-être que les évangiles réels que nous possédons. 1. L’existence de la Source Q Q fait partie de la théorie des deux sources qui, pour expliquer les relations, accords et désaccords, qu’on trouve entre les évangiles de Matthieu (Mt) et de Luc (Lc), pose en hypothèse d’abord la priorité de Marc (Mc), puis l’existence d’une autre source (appelée Q, de l’allemand Quelle signifiant source), qui rendrait compte des accords entre Mt et Lc que * Texte paru dans ETR 86 (2011) 145-194. Une première version de cette étude a paru en anglais sous le titre : « Effervescence in Q Studies », dans la revue autrichienne SNTU 30 (2005) 61-103. 1. On peut s’en rendre compte en consultant le « Q Bibliography Supplement » publié chaque année à l’occasion de l’Annual Meeting de la Society of Biblical Literature, dans les Seminar Papers (de 1990 à 2004). Voir encore les bibliographies dans : T, Q and the History of Early Christianity, p. 451-476 ; dans K V, Excavating Q, p. 460-518 (particulièrement critique, de Maurice C, « e State of Play », dans An Aramaic Approach to Q. Sources for the Gospels of Matthew and Luke [SNTSMS, 122], Cambridge, UK, CUP, 2002, 1-50). À quoi on ajoutera désormais en langue française le volume de Babut, qui commente le contenu de la Source : Jean-Marc B, À la recherche de la Source [la page-titre intérieure porte plutôt le titre : À la découverte de la Source]. Mots et thèmes de la double tradition évangélique (Initiations bibliques), Paris, Cerf, 2007 ; l’article de Daniel M, « Pourquoi s’intéresser à la source ? Histoire de la recherche et questions ouvertes », dans D – M (dir.), La source des paroles de Jésus (Q), 19-49 ; ainsi que l’ouvrage de Nathalie S – Denis F, « Q » ou la source des paroles de Jésus (Lire la Bible, 162), Paris, Cerf, 2010.

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n’explique pas leur commune dépendance de Mc. C’est l’hypothèse la plus généralement retenue comme solution au problème synoptique2. Mais cela reste une hypothèse, violemment prise à partie par certains, et qui prend d’ailleurs, chez ceux-là mêmes qui la soutiennent, de multiples facettes. L’état actuel des recherches sur la Source Q dépend évidemment des études sur le problème synoptique. Un tour d’horizon des positions qui sont actuellement défendues à ce propos définira, par le fait même, ce qu’il en est de l’existence de Q. 1.1 La théorie des Deux Évangiles ou Griesbach redivivus Reprenant une théorie soutenue par J.J. Griesbach, à la fin du XVIIIe siècle, W.R. Farmer a combattu avec passion, depuis 1964, la priorité de Marc, renversant les positions pour faire de Matthieu le premier évangile, réédité par Luc, alors que Marc, le dernier des évangiles, aurait fait la synthèse (très abrégée) des deux premiers3. Lc ayant connu Mt, ceci suffit pour expliquer les accords de Mt-Lc en dehors de Mc, et dès lors on n’a plus besoin du document hypothétique Q. W.R. Farmer a fait école et sa thèse est aujourd’hui défendue avec force par tout un groupe de disciples, qui se sont regroupés dans le Research Team of the International Institute for Gospel Studies4. 2. C’est-à-dire le problème des ressemblances et des différences entre les évangiles de Mt, Lc et Mc, dits synoptiques. Pour la longue histoire du problème et de ses solutions, voir Claude C, Synoptique (Le Problème), dans Supplément du dictionnaire de la Bible, vol. 13, fasc. 75 (2005) col. 786-828, et aussi Bo R, « e History of the Synoptic Discussion », dans D (dir.), The Interrelations, 1990, 291-316. Pour un aperçu rapide des positions récentes, voir Craig L. B, « e Synoptic Problem. Where We Stand at the Start of a New Century », dans David Alan B – David R. B (dir.), Rethinking the Synoptic Problem, Grand Rapids, MI, Baker Academic, 2001, 17-40. Mais pour une évaluation critique de tout ce qui s’est publié concernant le problème synoptique depuis la fin des années  1960, les ouvrages de Frans Neirynck restent indispensables : Frans N – Frans V S, Evangelica I (BETL,  60), Leuven, University Press – Peeters, 1982 ; I, Evangelica II ; I, Evangelica III. Voir enfin F et al. (dir.), New Studies in the Synoptic Problem. 3. William R. F, The Synoptic Problem. A Critical Analysis, New York, NY, Macmillan, 1964. Voir I, « e Two-Gospel Hypothesis. e Statement of the Hypothesis », dans D (dir.), The Interrelations, 125-156 ; I, « e Minor Agreements of Matthew and Luke against Mark and the Two-Gospel Hypothesis », dans Georg S (dir.), Minor Agreements, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1993, 163-207, et, ce qui est peut-être son dernier exposé (il est décédé le 30/12/2000), où il présente sa thèse en 16 points : I, « e Case for the Two-Gospels Hypothesis », dans B – B (dir.), Rethinking the Synoptic Problem, 97-135. 4. Voir d’abord David L. D, « Response to the Two-Source Hypothesis », dans D (dir.), The Interrelations, 201-216 ; I, A History of the Synoptic Problem. The Canon, the Text, the Composition and the Interpretation of the Gospels (AB Reference Library), New York, NY, Doubleday, 1999. Également, Allan J.  MN – David

         105 Ce n’est pas le lieu de discuter en détail de cette hypothèse. C.M. Tuckett l’a examinée de près dans sa dissertation doctorale, The Revival of the Griesbach Hypothesis5 et ses réflexions dans Q and the History of Early Christianity sont toujours valables6. Assurément, les néo-griesbachiens soulignent avec raison que la théorie des deux sources n’est pas sans difficulté, en particulier pour ce qui concerne les accords mineurs entre Mt et Lc contre Mc. Mais il faut reconnaître, avec Kloppenborg, « qu’il est beaucoup plus facile de s’accommoder des quelques accords mineurs significatifs contre Marc, pour lesquels différentes explications ont été proposées, même si elles ne sont pas totalement satisfaisantes, que d’accepter un Luc qui aurait considérablement réarrangé Matthieu ou un Marc qui aurait fusionné et abrégé Matthieu et Luc7 ». Et la question posée par W.D. Davies et D.C. Allison dans leur commentaire sur Matthieu, que reprend M. Goodacre : « Peut-on envisager sérieusement que quelqu’un aurait récrit Matthieu et Luc en omettant d’un côté la naissance miraculeuse de Jésus, le sermon sur la montagne et les apparitions de la résurrection, tout en ajoutant, de l’autre, l’histoire du jeune homme nu, un miracle de guérison que Jésus n’accomplit que difficilement et la remarque que la famille de Jésus pensait qu’il avait perdu la tête8 ? », est toujours pertinente. Il faut noter que l’une des dernières positions prises par M.-É.  Boismard concernant le problème synoptique le rapproche, ainsi qu’il le reconnaît, « de la théorie des Deux Évangiles (Griesbach redivivus) », mais seulement « sur un point très précis : par rapport à notre théorie L. D – David B. P (dir.), Beyond the Q Impasse – Luke’s Use of Matthew. A Demonstration by the Research Team of the International Institute for Gospel Studies, Valley Forge, PA, Trinity Press International, 1996 ; David B. P – Lamar C – A J MN (dir.), One Gospel from Two. Mark’s Use of Matthew and Luke. A Demonstration by the Research Team of the International Institute for Gospel Studies, Harrisburg, PA, Trinity Press International, 2002. De ces derniers ouvrages, voir le compte rendu du premier par Christopher M. T dans JBL 117 (1998) 363-365, et du second par Harry T. F dans CBQ 66 (2004) 498-500. 5. Christopher M. T, The Revival of the Griesbach Hypothesis. An Analysis and Appraisal (SNTSMS, 44), Cambridge, UK, CUP, 1983. 6. T, Q and the History of Early Christianity, p. 11-16. 7. K V, Excavating Q, p. 38-43 (citation, p. 43). Dans ce chapitre, les citations sont traduites de ma part en français. Voir également Philippe R, « Les faiblesses de la théorie de Griesbach », dans Les premiers évangiles. Un nouveau regard sur le problème synoptique (LD, 116), Paris, Cerf, 1984, 26-31, et récemment Mark G, « Setting in Place the Cornerstone. e Priority of Mark », dans The Case Against Q, Harrisburg, PA, Trinity Press International, 2002, 19-45, qui, en établissant fortement la priorité de Marc, rejette automatiquement l’hypothèse de Griesbach. 8. William D. D – Dale C. A J, A Critical and Exegetical Commentary on the Gospel According to Saint Matthew (ICC, 40), Edinburg, T&T Clark, 1988, vol. 1, p. 109. Voir G, The Case Against Q, p. 37.

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précédente, nous admettons maintenant un nombre de cas beaucoup plus considérable où effectivement le texte actuel de Mc fusionne les textes des traditions matthéenne et lucanienne9 » Le Mc actuel dépend donc ici, à la fois, d’un Matthieu intermédiaire et d’un proto-Lc. Ce qui rejoint, comme le note encore Boismard, la théorie élaborée par P.  Rolland, « selon laquelle Mc ne ferait que fusionner les textes, non pas de Mt et de Lc sous leur forme actuelle, mais d’un pré-Matthieu et d’un préLuc10 ». Mais sur deux points, Rolland se sépare de la théorie de Griesbach : il maintient l’indépendance des évangiles actuels de Mt et de Lc et maintient également la source commune à Mt et à Lc (Q), qu’il appelle l’Évangile des Craignant-Dieu11. C’est aussi la position d’Étienne Nodet, de l’École biblique de Jérusalem, qui souligne les difficultés de la théorie des deux sources, en particulier les accords mineurs de Mt et Lc contre Mc dans la triple tradition12 et se range finalement du côté de Griesbach13, mais principalement pour deux raisons externes qui font, selon lui, considérer Mc comme postérieur à Mt et à Lc : d’abord la combinaison de témoignages patristiques qui indiquerait « qu’une certaine forme de Mc dépend d’autres sources, qui ne peuvent être que certains états plus ou moins archaïques de Mt et de Lc14 » et, deuxièmement, le fait que Mc ne connaissant pas la Galilée juive serait « très éloigné du milieu d’origine15 ». Nodet ne tient pas vraiment compte, à mon avis, des réponses qui ont été données au problème des accords mineurs et la solution qu’il retient traîne son bagage 9. Marie-Émile B, L’évangile de Marc. Sa préhistoire (Études bibliques n.s., 26), Paris, Lecoffre-Gabalda, 1994, p. 9. Voir à ce propos Frans N, « Urmarcus révisé. La théorie synoptique de M.-É. Boismard nouvelle manière », dans Evangelica III, 399-411 (article de 1995). 10. B, L’évangile de Marc, p. 9, et R, Les premiers évangiles. 11. R, Les premiers évangiles, p.  26-31 et 158-180. Sur cette « adaptation de l’hypothèse de Griesbach » par Rolland, voir Frans N, « Les expressions doubles chez Marc et le problème synoptique », dans Evangelica II, 293-320, p. 305-307 ; I, « Marc 6,14-16 et par. », dans Evangelica II, 325-329. 12. Étienne  N, Le Fils de Dieu. Procès de Jésus et Évangiles (Josèphe et son temps, 4), Paris, Cerf, 2002, p. 89, 99, 144. 13. Ibid., p. 115 et finalement 145 : « Disons brièvement qu’il n’y a aucune difficulté à reprendre la théorie de Griesbach, et de considérer que Mc dépend de Mt et Lc, avec ce qu’il faut de menus remaniements, de rédaction progressive, etc. ! » 14. Ibid., p. 108. Argument que l’auteur renforce en faisant appel à l’hypothèse que Mc serait une composition liturgique (« Sitz im Leben rituel initiatique », p. 108), ce que suggérerait notamment la titulature proprement chrétienne de Mc 1,1, « Jésus Christ » et « Fils de Dieu » : « déclaration liturgique faite au moment où cet évangile est proclamé » (p. 108). Tout ceci, si je comprends bien, exigeant une date tardive pour le Mc canonique. 15. Ibid., p.  115. Ces considérations externes donneraient l’avantage, selon lui, à la théorie de Griesbach.

         107 d’ hypothèses non vérifiables, dont témoigne le « ce qu’il faut de menus remaniements, de rédaction progressive », et le « etc. » qu’il lui faut ajouter pour rendre compte des problèmes subsistants. Tout ceci illustre, on ne peut mieux, la complexité du problème synoptique et pourquoi, encore aujourd’hui, il s’agit toujours d’un problème. 1.2 Priorité de Q ? Si l’on excepte la théorie de Griesbach, que ses partisans préfèrent appeler maintenant la théorie des Deux évangiles (Mt et Lc)16 – théorie qui prône la priorité de Matthieu –, c’est la priorité de Marc qui restait, jusqu’à tout récemment, la pierre d’angle de toutes les autres tentatives de solution du problème synoptique. Mais cette priorité est remise en cause dans l’impressionnant commentaire que Harry T. Fleddermann a donné en 2005 de la source Q17. Se basant sur une étude des passages où Mc et Q se « recouvrent » (les Mc-Q overlaps), Fleddermann soutient en effet fortement que Mc a connu et utilisé Q, ce qui remet en cause toute la question synoptique. Ici, Mc n’est plus le premier évangile. C’est Q qui serait plutôt à l’origine de la tradition évangélique, c’est lui le premier « évangile » et c’est son auteur qui en a créé le genre18. Mc avait devant lui, quand il écrivait, le document entier de Q19. Q serait donc un évangile de plein droit (l’appeler une « source », c’est souligner que d’autres auteurs s’en sont servis, mais ne rien dire de ce qu’il est en lui-même20). Dans ce commentaire, sont intégrées et maintenues21 toutes les positions que Fleddermann avait défendues dans son étude Mark and Q. A Study of the Overlaps Texts, parue en 199522. À ce point de vue, les critiques faites au premier ouvrage restent donc tout à fait valables pour le nouveau. Rappelons d’abord qu’en acceptant Mark and Q dans la Bibliotheca 16. David L. D, « Two-Gospel Hypothesis », dans ABD, vol.  6, 671-679, explique ce nouveau titre, qu’il attribue à Bernard  O, A Synopsis of the Four Gospels in a New [English] Translation Arranged According to the Two Gospel Hypothesis, Macon, GA, Mercer University Press, 1982. Michael D. G, « Luke’s Knowledge of Matthew », dans S (dir.), Minor Agreements, 143-162, p. 143 n. 1, a contesté cette appellation : « my own theory […] is also a Two-Gospel Hypothesis » (Lc utilisant Mc et Mt). 17. Harry T. F, Q. A Reconstruction and Commentary (Biblical Tools and Studies, 1), Leuven, Peeters, 2005. 18. Ibid., p. 110, 172, 183, 215. 19. Ibid., p. 182. 20. Ibid., p. 101. 21. Ibid., p. 181-183. 22. Harry T. F, Mark and Q. A Study of the Overlaps Texts (BETL, 122), Leuven, Leuven University Press – Peeters, 1995.

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de Louvain, Fr. Neirynck lui avait ajouté, de façon étonnante, un « Assessment » très critique, reprenant chacun des 28 overlaps signalés par Fledderman et montrant que chacun pouvait s’expliquer sans recourir à une connaissance de Q par Mc23. En somme, une quasi-réfutation de la thèse dans l’ouvrage même qui la présentait 24. Ce qui est en jeu, et que Neirynck défendait, c’est l’indépendance de Mc et de Q. Ce qui est d’ailleurs la seule manière de sauver la théorie des deux sources. Dans son explication des textes qui se recouvrent en Mc et Q, Fleddermann estimait avoir apporté non seulement un raffinement, mais une confirmation supplémentaire à cette théorie des deux sources25. Mais il s’agissait là, comme l’a noté C. Focant, « d’un curieux aveuglement26 », car une dépendance de Mc par rapport à Q brise le système même de cette théorie27. Si Q, en effet, est à la source de Mc, « tout le matériel de la triple tradition, qui n’est pas attribué à Q ordinairement, devient potentiellement du matériel Q28 ». Ayant priorité absolue, Q devient l’origine de tout. Alors que la théorie des deux sources suppose, par définition, deux courants séparés dans la tradition évangélique (triple tradition et double tradition), la connaissance de Q par Marc ramène tout à un seul, démolissant par le fait même « l’un des arguments les plus forts en faveur de l’existence même de Q29 », le document même que Fleddermann s’emploie si longuement, par ailleurs, à commenter. En toute logique, il faudrait alors parler de « théorie de l’unique source Q » ou considérer Q, tout simplement, comme une espèce de « protoMarc30 ». Alors qu’elle est présentée comme « Reconstruction » de Q, la

23. Frans N, « Assessment », dans F, Mark and Q, 263-303. 24. Christopher M. T, d’accord dans l’ensemble avec Neirynck, note la chose avec un brin d’humour dans la recension sévère qu’il fait de F, Mark and Q. A Study of the Overlap Texts : « e book contains its own critical review ! », dans Biblica 78 (1997) 279-283, p. 279. 25. F, Mark and Q, p. 215. 26. Camille F, dans RTL 29 (1998) 75-78, p. 77 (recension de F, Mark and Q). 27. Voir Ismo D, « Q and the Beginning of Mark », dans NTS 41 (1995) 501-511, p. 503. 28. Christopher M. T, « Mark and Q », dans Camille F (dir.), The Synoptic Gospels. Source Criticism and the New Literary Criticism (BETL, 110), Leuven, Peeters, 1993, p.  151. Ce que D, « Q and the Beginning of Mark », p.  503, indépendamment, notait aussi : « An extreme, but nevertheless logical consequence of the Markan knowledge of Q would be that any synoptic passage having triple attestation by Matthew, Mark, and Luke can derive from Q. » 29. T, « Mark and Q », p. 153 : « A theory of direct dependence of Mark on Q would thus appear to demolish one of the strongest arguments in favour of the very existence of Q in the first place. » 30. Comme le remarque encore F, dans ETL 29 (1998) p. 77.

         109 tentative de Fleddermann, méthodologiquement, semble plutôt conduire à sa disparition31. Ce commentaire a été salué comme « a landmark [un tournant décisif] in Q scholarship32 » et il est, de fait, d’une grande richesse33. Mais il reste celui d’un texte reconstruit selon une théorie (la priorité de Q) qui, logiquement, met en cause l’existence même de la double tradition, c’est-àdire de la source Q elle-même. Ce paradoxe ne peut que nous ramener à la théorie classique des deux sources où, par définition, Mc et Q sont indépendants et où Mc reste le premier des évangiles synoptiques34. 1.3 Priorité de Marc et ses variantes La priorité de Marc reste en effet au principe de toutes les autres tentatives de solution du problème synoptique. Mais cette priorité est vue de bien des manières et se trouve plus ou moins modifiée par l’acceptation d’une forme ou l’autre différente du Marc actuel, qu’il s’agisse d’une forme de proto-Marc ou d’une forme de deutéro-Marc. 1.3.1 Proto-Marc C’est la difficulté classique que constituent les accords mineurs Mt-Lc contre Mc qui est surtout à l’origine de la théorie d’un Urmarkus, dont dépendraient Mt et Lc et que le Mc actuel aurait quelque peu modifié35. 31. Ce que souligne Joseph V, « Mark and Q », dans ETL 72 (1996) 408417, p.  413 : « What is presented as a support turns out to be a frontal attack on the Two-Sources hypothesis ; the refinement indeed leads to its end. » Commentant récemment « l’idée aventureuse » de Fleddermann, M, « Pourquoi s’intéresser à la source ? », p. 38, montrait bien qu’« admettre que Marc a connu et utilisé la Source modifie principiellement l’hypothèse Q, dont la définition axiomatique selon la théorie des deux sources, exclut tout rapport avec le deuxième évangile ». 32. Paul F, « New Scholarship on Q », dans ExpTim 117 (2006) 478-479, p. 478. 33. Voir particulièrement deux sections de F, Q. A Reconstruction and Commentary : « e Internal Coherence », p. 65-67, et « e eological Unity of Q », p. 151-154. 34. La thèse de Fleddermann entraîne d’autres conséquences qu’il peut être utile de signaler : par exemple, que la dépendance de Mc par rapport à Q réduit les possibilités de recours, dans la recherche du Jésus de l’histoire, au critère d’attestation multiple ou que le délai de la parousie, qui amène à dater le document Q autour de 75 (p. 159), reporterait très tard la rédaction de Mc qui en dépend… 35. Sur les variantes les plus anciennes de l’hypothèse, voir Frans N – eo  H – Frans  V S, The Minor Agreements of Matthew and Luke against Mark with a Cumulative List (BETL, 37), Leuven, University Press, 1974, p. 12-14 ; sur de plus récentes, voir Timothy A. F, « e Matthew-Luke Agreements against Mark. A Survey of Recent Studies: 1974-1989 », dans Frans N (dir.), L’évangile de Luc. Problèmes littéraires et théologiques (BETL,  32), Leuven, Leuven

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M.-É.  Boismard a repris l’hypothèse à sa manière. Les études qu’il a menées, avec A. Lamouille, sur les Actes des Apôtres36 et le relevé qu’il a fait des caractéristiques de Luc l’ont amené à reprendre en profondeur la théorie qu’il avait proposée en 1972 dans la Synopse des quatre évangiles en français37. Boismard, on le sait, défend une « théorie des niveaux multiples » (The Multi-Stage Hypothesis), selon laquelle les rapports entre les évangiles doivent s’expliquer, non par dépendance directe des textes actuels, mais en faisant appel à des sources hypothétiques plus anciennes dont ils dépendent38. Il affirme avec raison que le problème synoptique étant un problème complexe « ne peut être résolu que par une solution complexe39 ». En relisant Mc avec ces préoccupations lucaniennes en tête, Boismard croit percevoir des influences lucaniennes importantes sur le texte actuel de Mc, qui l’obligent à « distinguer au moins deux niveaux de rédaction dans cet évangile, le dernier niveau étant fortement influencé par le style de Lc40 ». En éliminant du Mc actuel toutes les influences lucaniennes, Boismard en arrive à un proto-Marc réduit à sa « simplicité primitive », en fait fort diminué et même décapité, puisqu’il s’arrête au récit de l’institution de l’eucharistie (Mc 14,22-25) et ne comporte pas le récit de la passion et de la résurrection41. La théorie que développe Philippe Rolland dans Les premiers évangiles, théorie complexe aussi, comporte un proto-Marc, son document C, l’évangile primitif qu’il appelle Évangile des Douze42. Rolland ne parle pas de proto-Marc, mais cet Évangile des Douze, étant une forme plus ancienne de la tradition marcienne, équivaut bien à ce que d’autres désignent ainsi. Cette théorie rejette donc la priorité du Mc actuel, lequel, selon Rolland, dépend de deux textes parallèles qu’il appelle d’abord Pré-Matthieu et University Press – Peeters, 19892 (1973), 335-392, p. 341-343. Un Proto-Mk (Mk1) a aussi été proposé par N.  W, voir Frans N, « e First Synoptic Pericope. e Appearance of John the Baptist in Q ? » dans Evangelica III, 209-244, p. 210 n. 5. 36. Marie-Émile B – Arnaud L, Le texte Occidental des Actes des Apôtres. Reconstitution et réhabilitation, Vol. 1 : Introduction et textes ; Vol. 2 : Apparat critique, Index des caractéristiques stylistiques, Index des citations patristiques (Synthèse, 17), Paris, Éditions Recherche sur les civilisations, 1984. 37. Marie-Émile B – Arnaud L – Pierre S, Synopse des quatre évangiles en français, t. II, Paris, Cerf, 19802 (1972) (2e éd. corrigée par Lamouille). 38. Marie-Émile B, « éorie des niveaux multiples », dans D (dir.), The Interrelations, 231-243, en a donné un exposé et une justification fort éclairante. 39. Ibid., p. 232. 40. B, L’évangile de Marc, p. 22. 41. Ibid., p. 47 et 241-242, synthèse finale où l’auteur s’en explique. Voir la réaction de N, « Urmarcus révisé » 42. R, Les premiers évangiles, p. 147.

         111 Pré-Luc43, avant de les nommer Évangile helléniste44 et Évangile paulinien45. Sa théorie se rapproche donc de celle de Boismard : il refuse comme lui toute liaison directe entre les évangiles actuels de Mt, Mc et Lc ; leurs ressemblances s’expliquent exclusivement par l’utilisation de documents communs ; il admet, par ailleurs, avec Boismard, l’existence d’un document Q (qu’il appelle Évangile des Craignant-Dieu), qui rend compte de la double tradition commune à Mt et à Lc46. Delbert Burkett, dans une théorie qu’il reconnaît être très voisine de celle de Rolland, laquelle n’a pas reçu, dit-il, toute l’attention qu’elle mérite, vient à son tour de ressusciter ce que d’aucuns ont appelé le « fantôme du Ur-Marcus47 ». Pour lui aussi, la solution du problème synoptique exige une théorie complexe48. Selon lui, aucun évangile synoptique ne dépend directement d’un autre (ni Mc et Lc de Mt, et surtout ni Mt et Lc directement de Mc). Mais ils dépendent tous de sources plus anciennes. Ce que Burkett rejette avant tout, c’est la priorité du Mc canonique. Estimant que Mt et Lc omettent régulièrement et communément toutes les caractéristiques rédactionnelles du Mc actuel – c’est là, il me semble, son principal argument49 –, il conclut que Mt et Lc n’ont pas utilisé comme source le Mc que nous connaissons50. Il suppose donc 43. Ibid., p. 109. 44. Ibid., p. 152-153. 45. Ibid., p. 156. 46. Ibid., p. 234-235, montre bien que l’existence d’un document Q indépendant de Mc est « injustifiable » chez Boismard, puisque son ultime rédaction de Mc (le Mc actuel) aurait connu par le Mt intermédiaire et le Proto-Luc les traditions attribuées au document Q. 47. Delbert R. B, Rethinking the Gospel Sources. From Proto-Mark to Mark, New York, NY – London, UK, T&T  Clark International, 2004 (voir sa remarque sur Rolland, p. 139-141). L’expression « the phantom of an “Ur-Markus” (or an earlier version of Mark) » vient de Burnett H. S, The Four Gospels. A Study of Origins, London, UK, Macmillan, 1924, qui pensait bien s’en être débarrassé. 48. B, Rethinking the Gospel Sources. From Proto-Mark to Mark, p. 5, 134, 263. Dans cet ouvrage, Burkett s’intéresse avant tout à la tradition marcienne, d’où son soustitre. Pour ce qui regarde la « double tradition » qu’on trouve en Mt et Lc, il dit ne pas contester la validité de l’hypothèse Q : « my own theory includes something that could be called Q » (p.  5). En fait, il traite de ce document dans la suite de son étude, sur laquelle je reviendrai : I, Rethinking the Gospel Sources, Vol. 2 : The Unity and Plurality of Q (ECL, 1), Atlanta, GA, Society of Biblical Literature, 2009. 49. Voir B, « Benign Features of Mark absent from Matthew and Luke », dans Rethinking the Gospel Sources. From Proto-Mark to Mark, 13-42, où il s’emploie à montrer que des thèmes entiers et des caractéristiques stylistiques qui reviennent constamment en Mc sont complètement absents à la fois chez Mt et chez Lc. Il qualifie ces éléments de « benign » – disons d’« inoffensifs » –, s’agissant d’éléments auxquels Mt et Lc n’auraient aucune raison de s’objecter, ni stylistiquement, ni idéologiquement. Si tous les deux les omettent tout de même en même temps, c’est qu’ils n’ont pas connu ces éléments rédactionnels de Mc (p. 14). 50. Ibid., p. 42.

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l’existence d’un évangile présynoptique qu’il appelle « Proto-Mark », lequel aurait été révisé en deux endroits différents pour créer un « ProtoMark A » utilisé par Mt et un « Proto-Mark B » utilisé par Lc51. En reposant sur la seule considération de sources écrites et des dépendances littéraires entre elles, la théorie de Burkett ne laisse place, pour expliquer les variations entre ces textes, à aucune influence possible ni de la tradition orale ni de la mémoire (personnelle, liturgique) des évangélistes. Oralité et mémoire, dont on tient un plus grand compte dans la recherche récente sur les origines des évangiles. C’est un point que David J. Neville signale dans les différences qu’il relève entre ce premier volume de Burkett et le Jesus Remembered de J.D.G. Dunn, deux ouvrages susceptibles, selon lui, de sonner le glas de la théorie des deux sources52. Mais ce qui est en jeu est peut-être autre chose. Tout au long de son article, Neville remarque que Burkett maintient que les évangélistes fonctionnent comme des éditeurs-compilateurs, reproduisant scrupuleusement leurs sources sans presque rien y changer, et non comme des auteurs53. C’est un point que Burkett lui-même admet sans discussion54. La critique rédactionnelle nous a pourtant appris que les évangélistes n’étaient pas, comme on le pensait au temps de la critique des formes, de simples compilateurs, de simples « enfileurs de perles », mais des auteursthéologiens capables de retoucher et d’adapter leurs sources. On ne voit pas bien, d’ailleurs, en quoi l’activité de ces compilateurs-éditeurs – qui, pour combiner diverses sources (Mc, Q, M ou L), doivent faire des adaptations parfois majeures pour incorporer le matériel d’une source (p. ex.,

51. Notons que le maintien de notre Mc comme premier évangile, celui utilisé par Mt et Lc dans la théorie des deux sources, ne règle pas le débat concernant la tradition marcienne elle-même : la composition de ce Mc, la question de ses sources. Voir N, « e Two-Source Hypothesis », p.  4 : « e assumption that Mark is the first Gospel does not close the debate about its composition and its sources (the pre-Markan passionnarrative, pre-Markan collections or individual pericopes and sayings), about the unity of its style and its theology. » 52. David N, « e Demise of the Two-Document Hypothesis. Dunn and Burkett on Gospel Sources », dans Pacifica 19 (2006) 78-92, p. 91. Il fait aussi allusion à cette influence très probable de la tradition orale dans son long compte rendu du livre de Burkett : David  N, « e Phantom Returns. Delbert Burkett’s Rehabilitation of Proto-Mark », dans ETL 84 (2008) 135-173, p. 168 (il s’agit du fantôme de l’Ur-Markus de Streeter). 53. N, « e Demise of the Two-Document Hypothesis », p. 149, 151, 152, 157, 158, 160, surtout 168. 54. Voir Delbert B, « e Return of Proto-Mark. A Response to David Neville », dans ETL 85 (2009) 117-134, p. 123 : « As he [Neville] correctly infers, I think that the evangelists functioned primarily as compilers rather than as true authors. » Il le redit maintes fois dans son deuxième volume : I, The Unity and Plurality of Q, p. 102, 111, 134, 169, 205, 214.

         113 Q) dans le contexte d’une autre (par exemple, Mc)55 ou le rendre pertinent pour leur communauté56 ; qui éditent leurs sources, jusqu’à y ajouter possiblement, comme Mt le ferait en 5,32, une exception au divorce57 ; qui interprètent en clarifiant le sens de Q58 ; ou qui agissent comme rédacteurs59 – se distingue de l’activité que la critique rédactionnelle attribue aux évangélistes comme auteurs-compositeurs véritables. Concernant cette utilisation de multiples sources par les évangélistes, il convient ici de renvoyer à l’important ouvrage de R.A. Derrenbacker, qui confronte la plausibilité des différentes solutions suggérées pour le problème synoptique à ce que nous savons des pratiques de composition des écrivains du monde gréco-romain60. Derrenbacker note que les critiques imaginent souvent, implicitement, que la production des textes et des manuscrits se faisait autrefois comme aujourd’hui. Comme si Mt et Lc, par exemple, avaient sur une table devant eux des copies (identiques61 ?) de Mc et de Q et utilisaient un équivalent du « couper/coller » de nos ordinateurs pour transcrire des portions de leurs sources sur leur rouleau de papyrus62. Il faut tenir en tête que, pour tisser ensemble Mc et Q, Mt et Lc devaient travailler à partir de rouleaux, presque certainement pour Mc, possiblement aussi pour le document Q (bien que ce dernier ait pu se trouver déjà sous forme 55. B, Rethinking the Gospel Sources, Vol. 2 : The Unity and Plurality of Q, p. 112. 56. Ibid., p. 215. 57. Ibid., p. 129. 58. Ibid., p. 215. 59. Ibid., p. 175, 182, 210. 60. Robert A. D, Ancient Compositional Practices and the Synoptic Problem (BETL, 186), Leuven, Peeters, 2005, p.  4. Voir également F. Gerald D, « Compositional Conventions and the Synoptic Problem », dans JBL 107 (1988) 69-85 et Sharon Lea M, « A Question Too Oen Neglected », dans NTS 41 (1995) 199-217. 61. Mt et Lc avaient-ils des copies identiques de Mc et Q ? C’est possible, mais peu probable. La priorité de Mc selon la théorie des deux sources n’exige pas cette identité. Plusieurs versions de Mc et de Q ont dû circuler. Écrivant de manière indépendante, à distance l’un de l’autre, géographiquement et ecclésiastiquement, Mt et Lc ont dû avoir en mains des textes au moins légèrement différents. Voir D, Ancient Compositional Practices, p. 48. 62. Les tables pour écrire (writing desks) ne seraient venues en usage que quelque temps après le IVe siècle EC. Les scribes écrivaient, soit accroupis avec une tunique étendue sur leurs genoux comme surface rudimentaire où maintenir leur rouleau, soit assis sur un tabouret, le rouleau soutenu sur un genou. Dans ce contexte, on peut deviner la difficulté qu’il y aurait à fusionner plusieurs sources (deux mains étant requises pour dérouler chaque rouleau), comme le supposent nos théories ! Pour les études concernant la posture des copistes dans l’Antiquité, voir D, Ancient Compositional Practices, p. 4 et 38. M, « A Question Too Oen Neglected », p. 214-216, met bien en évidence le problème, très prosaïquement physique, que les auteurs anciens devaient affronter pour utiliser en même temps plusieurs sources, ce dont devrait davantage tenir compte notre critique des sources.

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de codex, selon Derrenbacker63). Tout cela laisse place à des variations possibles dans l’utilisation des sources, celle qu’ils avaient devant leurs yeux64 et les sources parallèles qu’ils connaissaient par ailleurs, pour les avoir sans doute lues (ou entendues) et dont ils pouvaient garder mémoire65. Ce qui nous éloigne de l’image de compilateurs transcrivant passivement leurs sources. Il existe, par ailleurs, différentes manières d’expliquer les omissions, par Mt et Lc, de certains traits rédactionnels de Mc. Il ne semble donc pas que l’Ur-Markus de Burkett puisse invalider la thèse de la priorité du Mc canonique. 1.3.2 Deutéro-Marc Forme radicale : rédaction nouvelle de Marc C’est encore pour expliquer en particulier les fameux accords mineurs Mt-Lc contre Mc, qu’Albert Fuchs a proposé une variante à la thèse de la priorité de Marc. Mt et Lc ne dépendraient plus d’un Mc antérieur au Mc actuel, mais plutôt d’un Mc postérieur, d’un Deuteromarkus, qui serait une rédaction nouvelle et augmentée du Mc canonique, utilisée indépendamment par Mt et Lc66. Donc, non plus la théorie classique des deux sources, mais « il faudrait préférer à la place une théorie en trois étapes (i.e. Marc, Deutéro-Marc, Matthieu/Luc67) ». Au départ, A.  Fuchs ne

63. Voir sa proposition : D, Ancient Compositional Practices, p.  253255, mais aussi p.  223-225, où il évoque le cahier de notes ou livre à feuilles mobiles (Ringbuch), par lequel Migaku Sato explique la composition de Q. Il faut néanmoins souligner, avec Christopher M. T (recension de Derrenbacker dans JTS 58 [2007] 187-190, p. 189), une hypothèse oubliée par Derrenbacker. Celui-ci suppose que les évangélistes (comme auteurs) étaient aussi (physiquement) les scribes transcrivant leur travail. Mais les évangélistes ont-ils écrit leurs textes eux-mêmes ? Ou les ont-ils dictés à d’autres ? Dans ce dernier cas, les difficultés physiques des scribes aux prises avec plusieurs documents à la fois seraient beaucoup moindres ! Pour la pratique de la dictée chez les auteurs anciens, voir M, « A Question Too Oen Neglected », p. 215-216. 64. Dans leur travail, les auteurs anciens ne suivaient en général qu’une seule source à la fois, D, Ancient Compositional Practices, p. 116. 65. Pour l’utilisation libre par les auteurs anciens de la mémoire de textes écrits, voir Ibid., p. 46-47 ; pour la mémoire de la tradition orale (ou d’un texte oral !), p. 252-255. 66. C’est la théorie que Fuchs a exposée dans sa thèse : Albert F, Sprachliche Untersuchungen zu Matthäus und Lukas. Ein Beitrag sur Quellenkritik. Die Blindenheilung : Mt  9,27-31. Das Zeugnis der Christen in der Verfolgung : Lk  21,14-15 (AnBib,  49), Rome, 1971, et qu’il a précisée et développée par la suite en de nombreux articles et recensions traitant du problème synoptique, parus notamment, depuis 1974, dans SNTU. Pour une présentation critique, voir F, « e Matthean-Luke Agreements », p. 360-365. 67. Albert F, « Die “Seesturmperikope” Mk 4,35-41 parr im Wandel der urkirchlichen Verkündigung », dans S (dir.), Minor Agreements, 65-92, p.  92. Voir déjà : I, « Die Behandlung der mt/lk Übereinstimmungen gegen Mk », p. 55.

         115 contestait pas, du moins directement, les composantes de la théorie des deux sources : priorité de Marc, indépendance réciproque de Mt et de Lc et existence même d’une seconde source (Q). Plus tard, Fuchs enlèvera de Q certains passages de la double tradition conservés aussi par Mc (Marc-Q overlaps) : la prédication de Jean Baptiste, la tentation de Jésus, la controverse à propos de Béelzéboul, la parabole de la graine de moutarde. Ce qui l’amènera à réclamer une définition plus rigoureuse de la source Q, demandant qu’elle soit vraiment « Redequelle » or « Logienschri », sans éléments narratifs68. Pour ce qui est des accords mineurs, ils sont vus – et c’est là l’important – comme secondaires par rapport au Mc canonique, ce qui exclut toute explication qui se ferait à un niveau pré-marcien. En plus, ces accords sont perçus comme un phénomène global, le produit d’une seule main, auquel il faut aussi répondre globalement, c’est-à-dire en supposant que Mt et Lc dépendent d’une rédaction de Mc, i.e. le Deutéromarc, faite par un même auteur, dont il serait même possible de dégager certaines préoccupations théologiques (par  exemple, mise en valeur des affirmations christologiques et attention aux éléments ecclésiologiques). Et cela même si, en principe, on reconnaît que plusieurs de ces accords mineurs pourraient s’expliquer par les corrections du texte de Mc par Mt et Lc, deux rédacteurs indépendants. À la suite de Fuchs et sous sa direction, plusieurs « disciples » ont défendu, toujours pour expliquer principalement les accords mineurs Mt-Lc contre Mc, bien qu’avec des nuances, l’existence d’un Deutéromarc. Parmi eux, Franz Kogler (1988), Christoph Niemand (1989) et Johann Rauscher (1990)69. Avec ces auteurs, l’hypothèse d’un Deutéromarc a continué d’évoluer. Ce document, proposé principalement au début pour expliquer les accords mineurs Mt-Lc contre Mc dans la triple tradition, qui en était venue à inclure des textes de la double tradition localisés dans le contexte  de Mc, comprend maintenant, selon Kogler, du « Matthean 68. Albert F, « Die Wiederbelebung der Griesbachhypothese oder Wissenscha auf dem Holzweg », dans SNTU 5 (1980) 139-149, p. 141-142 ; I, « Versuchung Jesu », dans SNTU 9 (1984) 95-159, p. 144. 69. Franz K, Das Doppelgleichnis vom Senfkorn und vom Sauerteig in seiner traditionsgeschichtlichen Entwicklung. Zur Reich-Gottes-Vorstellung Jesu und ihren Aktualisierungen in der Urkirche (Forschung zur Bibel,  59), Würzburg, Echter, 1988 ; Christoph N, Studien zu den Minor Agreements der synoptischen Verklärungsperikopen. Eine Untersuchung der literarkritischen Relevanz der gemeinsamen Abweichungen des Matthäus und Lukas von Markus 9,2-10 für die synoptische Frage (Europäische Hochschulschrien, 23/352), Frankfurt-am-Main, Lang, 1989 ; Johann R, Vom Messiasgeheimnis zur Lehre der Kirche. Die Entwicklung der sogenannten Parabeltheorie in der synoptischen Tradition (Mk 4,10-12 par Mt 13,10-17 par Lk 8,9-10), Dissertation doctorale, Linz, Katholisch-eologische Hochschule, 1990.

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special material ». De même Niemand, dans sa thèse sur la transfiguration, rapporte presque tous les accords mineurs à un Deutéromarc et rejette comme insuffisante, sauf pour quelques accords de style, l’explication d’une rédaction indépendante de la part de Mt et de Lc. Dans les passages où les accords ne sont pas strictement identiques (ses accords 3, 6, 14, 15 et 17), Niemand croit que Mt aurait mieux préservé la version du Deutéromarc. Ce qui fait dire à Neirynck : « En fait, le Deuteromarkus de Niemand est en réalité un (post-Markan) Proto-Matthieu70. » J. Rauscher développe la même hypothèse et chez lui aussi le Deutéromarc prend une coloration de plus en plus matthéenne. À ce propos, la remarque faite par Timothy  A.  Friedrichsen semble tout à fait pertinente : « Alors que le Deuteromarkus se rapproche de Matthieu, Q commence à perdre son sens et l’emploi par Luc du Deuteromarkus se rapproche de l’hypothèse de Goulder soutenant que Luc dépend de Matthieu71. » Dans la théorie du Deutéromarc, il y aurait donc comme un abandon graduel de la source Q, intégrée d’abord en partie par Fuchs dans la rédaction deutéromarcienne et se rapprochant finalement, avec Kogler, Niemand et Rauscher, d’un proto-Matthieu (postérieur au Mc canonique) qui dispense alors de Q, un peu à la manière de Goulder, comme nous le verrons. Y a-t-il vraiment avantage à remplacer la source Q par un autre document qui paraît encore plus hypothétique et qu’il ne serait certainement pas facile de reconstruire ? Il faudrait pour cela qu’on ne puisse pas expliquer autrement les accords mineurs, démontrer en particulier l’impossibilité d’une rédaction indépendante de la part de Mt et de Lc. Je reviendrai sur ces accords. Ajoutons simplement, pour terminer, qu’il serait tout de même très curieux qu’au lieu de ce Marc amélioré, à jamais disparu, la tradition manuscrite n’ait conservé que notre pauvre Marc canonique… Forme mitigée : une recension de Marc Ulrich Luz, dans son commentaire sur Matthieu, maintient la théorie des deux sources et donc l’existence de Q. Mais, à l’occasion, en raison d’accords mineurs difficiles à expliquer, il croit aussi que Mt et Lc ont 70. Frans N, « e Minor Agreements and the Two-Source eory », dans Evangelica II, 3-42, p. 36. 71. Timothy A. F, « New Dissertations on the Minor Agreements », dans ETL 67 (1991) 373-394, p. 390. Voir également N, « e Minor Agreements and the Two-Source eory » (qui discute Niemand, p. 34-40) ; I, dans ETL 65 (1989) 440-441 (recension de K, Das Doppelgleichnis vom Senfkorn) et 441-442 (recension de N, Studien zu den Minor Agreements).

         117 connu Mc dans une recension « qui, sur un certain nombre de points, est postérieure à notre Marc72 ». Un Deutéromarc donc, « un remaniement deutéro-marcien du texte de Marc73 », mais qui serait très peu différent du Marc canonique. Et qui n’est pas la seule solution au problème des accords. Il écrit en effet : Mais, à mon avis, les accords mineurs ne nécessitent pas une révision fondamentale de l’hypothèse des deux sources. Puisque ces accords ne manifestent clairement aucun profil commun, ni linguistiquement ni théologiquement, il n’est pas requis de limiter leur explication à une seule hypothèse. Dépendant du passage, on peut invoquer plutôt différentes hypothèses. On peut souvent supposer des corrections du texte de Marc par Matthieu et Luc, qui auraient été faites indépendamment74.

Dans son deuxième volume, il souligne à plusieurs reprises le grand nombre de ces accords mineurs. S’il s’en tient la plupart du temps à une explication rédactionnelle, il se sent parfois obligé, comme à propos de Mt 9,18-26, d’accepter comme source un Marc révisé : « Notre texte est l’un de ces textes synoptiques qui manifestent clairement l’existence d’une recension deutéro-marcienne75. » Mais Luz reste modeste dans ses conclusions et semble devenir de plus en plus indécis. Il dira, par exemple, à propos de Mt 17,1 (récit de la transfiguration), « qu’une recension deutéro-marcienne qui serait la source de Matthieu est une possibilité. Cependant, on ne peut être certain ; plusieurs accords mineurs dans ce texte peuvent relever d’une rédaction indépendante76 ». Dans son troisième volume (édition allemande), les accords mineurs significatifs sont encore plus réduits77 et Neirynck ajoute à ce sujet : « On peut encore ramener leur nombre au-dessous du minimum requis pour constituer une “recension” (ou texte révisé) de Marc78. » Au symposium de 1991, U. Luz concluait lui-même que l’existence d’une recension deutéromarcienne – « plus probablement un Deutéro-Marc (comme le propose Ennulat), qui est légèrement différent de Marc » –, introduisant « un texte inconnu additionnel, vers lequel je dois me tourner “faute de mieux” 72. Ulrich L, Matthew 1-7, trad. par Wilhelm C. L (Hermeneia), Minneapolis, MN, Augsburg, 1989, p. 48. 73. Ulrich L, Matthew 8-20, trad. par James E. C (Hermeneia), Minneapolis, MN, Fortress, 2001, p. 237. La même solution est invoquée pour les accords en Mt 9,18-26 (p. 41) ; 12,3-4 (p. 179) ; 16,21 (p. 381) ; 17,1-3 (p. 395). 74. L, Matthew 1-7, p. 48. 75. L, Matthew 8-20, p. 41. 76. Ibid., p. 395. 77. Ulrich L, Das Evangelium nach Matthäus. Vol. 3 : Mt 18-25 (EKK 1/3), Neukirchen-Vluyn – Zürich, Neukirchener Verlag – Benziger, 1997. 78. Frans N, « e Sources of Matthew. Annotations to U. Luz’s Commentary », dans Evangelica III, 371-398, p. 378.

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[en français dans le texte] pour résoudre quelques-uns de mes problèmes », n’était finalement pas établie et « ne devait être utilisée qu’en dernier ressort (“Verlegenheitshypothese”)79 ». Sur ce point, Luz renvoie principalement et fréquemment à Andreas Ennulat – dont il a dirigé la thèse – qui a surtout développé cette hypothèse d’une recension partielle et modérée de Mc80. Après avoir étudié quelque 1000  accords mineurs, Ennulat, en effet, ne propose une rédaction deutéro-marcienne comme seule solution acceptable que pour 4  % des accords mineurs. Parmi ces derniers, trois ou quatre appartiennent au récit de la Passion, dont le principal, Mt  26,28/Lc  22,64 contre Mc  14,65, pose un problème particulier sur lequel je reviendrai plus loin. Pour le reste, il paraît plus simple de penser à une rédaction indépendante de la part de Mt et Lc que d’imaginer une entité nouvelle, un Marc légèrement retouché, dont il n’existe aucune trace81. 1.3.3 Priorité de Marc, sans Q et postériorité de Luc Nous avons vu que l’hypothèse des Deux Évangiles (Griesbach redivivus) faisait dépendre Luc de Matthieu. Mais la nouveauté proposée par Austin Farrer a été de combiner la priorité de Marc avec cette connaissance de Mt par Lc82. Michael  Goulder a repris cette hypothèse avec grande ferveur et l’a popularisée dans de nombreux articles, mais surtout dans Luke. A New Paradigm, son ouvrage principal83. Dans ce nouveau 79. Ulrich L, « Korreferat zu W.R. Farmer, e Minor Agreements of Mathew and Luke against Mark and the Two-Gospel Hypothesis », dans S (dir.), Minor Agreements, 209-220, p. 220. 80. Andreas E, Die « Minor Agreements ». Untersuchungen zu einer offenen Frage des Synoptischen Problems (WUNT, 2/62), Tübingen, Mohr Siebeck, 1994. La dissertation date de 1990. Voir la longue recension proposée par Timothy A. F dans ETL 67 (1991) 373-385. 81. Il faut pourtant toujours se rappeler, comme l’a très bien souligné M. Eugene B, « e Synoptic Problem, “Minor” Agreements, and the Beelzebul Pericope », dans Frans V S – Christopher M. T – Gilbert V B – Joseph V (dir.), The Four Gospels 1992. Festschri Frans Neirynck (BETL, 100), Leuven, University Press – Peeters, 1992, 587-619, p. 617 : « that it is inherently probable that all of our early documents circulated in different recensions. » Dans cette perspective, il conclut : « Positing such a Deutero-Markan recension [comme celle de Luz] is only a minor adaptation of the classic 2SH. » 82. éorie présentée par Austin F, « On dispensing with Q », dans Dennis Eric N (dir.), Studies in the Gospels. Essays in Memory of R.H. Lightfoot, Oxford, UK, Blackwell, 1955, p. 55-88, mais suggérée avant lui par James Hardy R, The Synoptic Problem, Cambridge, MA, Harvard University Press, 1934. 83. Michael D.  G, Luke. A New Paradigm (JSNTSS,  20), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1989. Pour un résumé de sa position, voir : « Alternative Paradigm », p. 22-26. Gundry « join[ed] arms with M.D. Goulder to argue that Luke used Matthew

         119 paradigme remplaçant celui de la théorie des deux sources, Mc reste premier, il a été utilisé par Mt, et Lc a connu et utilisé les deux. En 1978 déjà, Goulder concluait un article intitulé : « On Putting Q to the Test », en disant : « Le témoignage des accords montre que Luc a connu Matthieu et donc que Q n’est plus une hypothèse valable84. » Il maintient cette conclusion dans son ouvrage considérable Luke. A New Paradigm : « Si Luc a connu Matthieu, nous aurions perdu la seule bonne raison pour croire à l’existence de Q […]. S’il existait un seul accord mineur, clair et significatif, dans le récit de la Passion, il faudrait alors reconnaître que Luc reprenait Matthieu ; ce qui entraînerait la destruction de Q et de toute la structure avec lui85 […] » Il a repris son argumentation, avec quelques corrections, au congrès de Göttingen en 1991. Il conclut, pour écarter certaines interprétations de sa position qu’il estime fausses, qu’« assurément, il est vrai que la multiplication des débats sur les accords mineurs ne va pas “détruire automatiquement l’hypothèse Q”86 ». Ce qui ne l’empêche pas d’affirmer aussitôt : « Ainsi, une série impressionnante d’accords mineurs est suffisante pour mettre à l’épreuve [l’hypothèse] Q ; et j’ai soutenu dans mon Luke que Q avait complètement raté cette épreuve87. » Sa véritable position cependant est peut-être énoncée à la page suivante : « On ne peut prouver que l’hypothèse des deux sources

as well as Mark […] though [ajoute-t-il] I disagree heartily with Goulder’s replacement of Q with Matthew and therefore would add that Luke used Q as well as Mark and Matthew », Robert H.  G, « Matthean Foreign Bodies in Agreements of Luke with Matthew Against Mark. Evidence that Luke used Matthew », dans V S et al. (dir.), The Four Gospels 1992, 1467-1495, p. 1468. 84. Michael G, « On Putting Q to the Test », dans NTS  24 (1978) 218-234, p. 234. Voir aussi I, « Is Q a Juggernaut ? », dans JBL 115 (1996) 667-681. 85. G, Luke. A New Paradigm, p. 6. Goulder en appelle ici au concept de « falsifiabilité » qu’il emprunte au philosophe des sciences Karl Popper : une hypothèse peut être réfutée ou falsifiée, si on peut établir que l’hypothèse ne rend pas compte d’un point, fût-il unique. Ainsi, « “all swans are white” can be refuted by the discovery of a single black swan » (Luke, p. 3). Il soutient dès lors que « if there were any significant Minor Agreement (MA) of Matthew and Luke against Mark in the Passion story, that would imply that Luke knew Matthew (since Luke wrote later than Matthew, and there is no Q in the Passion story ex hypothesi) » (p.  6). Or cet accord mineur décisif existe, selon Goulder, et c’est celui sur lequel il faudra revenir : l’accord de Mt 26,68 / Lc 22,64, contre Mc 14,65. Parmi tous les accords mineurs dont on peut discuter, celui-ci est décisif : c’est le cygne noir qui suffirait à renverser la théorie des deux sources ! 86. Michael G, « Luke’s Knowledge of Matthew », dans S (dir.), Minor Agreements, 143-162, p.  159. Les guillemets dans la phrase renvoient à une remarque faite par F, « e Matthew-Luke Agreements Against Mark », p. 384 : « Moreover, if Matthean influence on Luke were the ultimate conclusion from close study of the minor agreements, that would not, as Goulder emphatically urges, automatically undo the Q hypothesis. » 87. G, « Luke’s Knowledge of Matthew », p. 159.

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est fausse. Mais elle doit rivaliser en plausibilité avec les autres théories88. À l’évidence, cependant, d’après ses analyses des accords mineurs, Goulder croit que la théorie des deux sources n’est pas plausible. Les attaques de Goulder ne sont pas restées sans échos, et les fervents défenseurs de la théorie des deux sources, en particulier F.  Neirynck et C.M. Tuckett, ont relevé le gant à plusieurs reprises. Neirynck, qui n’a cessé de reprendre la question des accords mineurs dans sa longue défense de la théorie des deux sources89, a répondu à Goulder en maintenant en général la thèse de l’interprétation indépendante. Ainsi, alors que Goulder voyait dans l’accord Mt  16,21/Lc  9,22 contre Mc  8,31 « une accumulation de changements non caractéristiques de Luc », « la combinaison de changements non vraiment lucaniens, tous dans un même verset et tous en accord avec Matthieu » et concluait, sinon de chaque accord du moins de leur accumulation, que Lc avait Mt devant lui lorsqu’il écrivait90, Neirynck a répondu (avec T.A. Friedrichsen) que Lc 9,22 « n’était pas non-lucanien et pouvait très bien avoir été le remaniement par Luc lui-même de Mc 8,3191 ». Seul l’accord exceptionnel de Mt  26,68/Lc  22,64 contre Mc  14,65 oblige Neirynck à une autre solution : il doit, pour ce cas unique, recourir à une correction conjecturale (conjectural emendation) du texte de Mt92. Tuckett, quant à lui, avait déjà répondu, dans un article de 198493, au défi lancé par les articles de Goulder en 1978 et 198094. Pour établir que Lc a connu Mt, Goulder avait bien précisé que les accords entre Mt et Lc devaient être « à la fois positivement matthéens et positivement non-lucaniens95 ». Il présentait douze exemples qui remplissaient, selon lui, ces 88. Ibid., p. 160. 89. Voir la série de six articles dans N, Evangelica II, p. 3-138, et celle de huit articles dans I, Evangelica III, p. 209-339. 90. G, Luke. A New Paradigm, p. 48-50, 185 n. 51, et 438-439. 91. Frans N – Timothy A. F, « Note on Luke 9, 22. A Response to M.D. Goulder », dans N, L’évangile de Luc, 393-398 (= N, Evangelica II, 43-48). 92. Il avait déjà eu recours à cette hypothèse : Frans N, « ΤΙΣ ΕΣΤΙΝ Ο ΠΑΙΣΑΣ ΣΕ. Mt 26:68/Lk 22:64 (diff Mk 14:65) », dans ETL  63 (1987) 5-47 (= I, Evangelica II, 95-138) ; il la maintient toujours dix ans après : I, « Goulder and the Minor Agreements », dans ETL 73 (1997) 84-93 (= I, Evangelica III, 307-318, spécialement p. 315-317). Sur la légitimité d’invoquer une correction conjecturale pour résoudre « a source-critical problem », voir Christopher M. T, « e Minor Agreements and Textual Criticism », dans S (dir.), Minor Agreements, 119-143, p. 135-141. 93. Christopher M. T, « On the Relationship Between Matthew and Luke », dans NTS 30 (1984) 130-142. 94. G, « On Putting Q to the Test », et le court article, un peu cavalier : I, « Farrer on Q », dans Theology 83 (1980) 190-195. 95. T, « On the Relationship », p.  130. G, « Farrer on Q », p.  195, concluait son article de 1980 en disant que, pour établir que Lc a connu Mt, les accords entre les deux devaient satisfaire deux conditions : « First the words must be in some way

         121 conditions et qui, en conséquence, entraînaient « la fin de Q96 ». Tuckett a repris chacun de ces exemples, en montrant que « ou bien ils s’avèrent n’être pas clairement matthéens, ou bien on ne peut montrer qu’ils sont non-lucaniens. Dès lors, ces exemples n’indiquent pas que Luc a connu Matthieu » et ils n’invalident pas « the Q hypothesis97 ». Dans son livre Q  and the History of Early Christianity, Tuckett a, par ailleurs, fort bien répondu à l’objection inspirée du principe de « falsifiabilité » de Popper, invoqué à plusieurs reprises par Goulder. Ce principe, note Tuckett, s’applique dans les sciences empiriques et si l’on peut parler de « neutestamentliche Wissenscha », dans la mesure où les études néotestamentaires sont menées avec une totale rigueur intellectuelle, cette discipline cependant a ses règles propres qui ne sont pas celles des sciences empiriques98. Tuckett rappelle en plus que Popper lui-même admettait la possibilité d’introduire « des hypothèses auxiliaires » dans une théorie générale pour rendre compte de détails inexplicables autrement. Et, selon lui, la théorie d’une correction conjecturale du texte de Mt, pour rendre compte du cas exceptionnel de l’accord Mt-Lc contre Mc 14,65, « entrerait facilement et parfaitement dans cette catégorie d’une hypothèse auxiliaire99 ». Toutes ces réponses, malgré tout, n’ont pas réussi à convaincre tout le monde et, en 1996, Mark S. Goodacre entreprenait à son tour d’examiner de près le New Paradigm de Goulder100. Bien que sympathique à la thèse de Goulder, Goodacre critique néanmoins plusieurs de ses arguments. characteristic of Matthew […]. Second, the words must be in some way uncharacteristic of Luke […] » 96. G, « On Putting Q to the Test », p. 234. 97. T, « e Minor Agreements and Textual Criticism », p. 140. Mais les adversaires ne se rendent pas facilement et G, Luke. A New Paradigm, a réagi à son tour. Friedrichsen a regroupé ces dernières réactions à Tuckett dans un excursus de son long « Survey » : F, « e Matthew-Luke Agreements against Mark », p. 378-380. 98. T, Q and the History of Early Christianity, p. 24 n. 58. Kloppenborg a aussi contesté, dans un long examen des textes de Kuhn (qui a popularisé le terme « paradigme » dans omas K, The Structure of Scientific Revolutions, Chicago, IL, University of Chicago Press, 1970 [1962]) et de Karl Popper, l’utilisation faite par Goulder du mot paradigme et du concept de falsifiabilité : John S. K V, « Is ere a New Paradigm ? », dans David G. H – Christopher M. T (dir.), Christology, Controversy and Community. New Testament Essays in Honour of David R. Catchpole (NovTSup, 99), Leiden, Brill, 2000, 23-47. 99. T, Q and the History of Early Christianity, p. 24 n. 59. C’est aussi en grande partie en réponse à Goulder que David R. C, « Did Q Exist ? », dans The Quest for Q, Edinburg, T&T Clark, 1993, 1-59, a montré, à partir de 16 exemples, que « Luke gives us access to an earlier version than that in Matthew » (p. 7) et que « the Q hypothesis […] permits a sensible reconstruction of the tradition history as a whole » (p. 59). 100. Mark S. G, Goulder and the Gospels. An Examination of a New Paradigm (JSNTSS, 133), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1996. Il y consacre tout un chapitre, 42 pages (p. 89-130), aux « Minor Agreements ».

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Il maintient, bien sûr, que les accords mineurs constituent une difficulté sérieuse pour la théorie des deux sources, mais il affirme carrément que l’argumentation de Goulder « en faisant appel à du langage caractéristique de Matthieu et non caractéristique de Luc ne prouve pas […] que Luc a connu Matthieu101 ». Dans son ouvrage de 2002, The Case against Q, Goodacre reprend la question des accords entre Mt et Lc contre Mc102, et particulièrement l’accord mineur contre Mc 14,65 où il rejoint Goulder : « cet accord mineur en est un en effet qui met à l’épreuve la théorie des deux sources et montre qu’elle laisse à désirer103. » Goodacre déplace pourtant légèrement la question pour insister sur ce qui était implicite dans l’argumentation de Goulder. Il cite la phrase de Goulder : « Le témoignage des accords montre que Luc a connu Matthieu », mais en lui ajoutant des mots entre crochets : « et [puisque cela va à l’encontre du principe fondamental qui fonde l’hypothèse Q, à savoir que Matthieu et Luc sont indépendants l’un de l’autre] que Q n’est donc plus une hypothèse acceptable104. » Sur le fond de l’argumentation, cependant, Goodacre apporte, me semble-t-il, peu de nouveau. S’il établit très solidement la priorité de Marc105, l’attaque qu’il porte à l’indépendance de Mt et Lc, à mon avis, ne porte pas ses fruits. À la suite de Goulder, mais plus fidèlement que lui, il reprend en fait la thèse d’Austin Farrer106 : connaissance 101. Ibid., p. 129-130. 102. G, The Case Against Q, p. 152-169 : « Major and Minor Agreements ». 103. Ibid., p. 160. 104. « e evidence from the agreements shows that Luke knew Matthew and [since this runs contrary to the basic premise behind the Q hypothesis, that Matthew and Luke are independent of one another] that Q is therefore no longer a valid hypothesis », Ibid., p. 168. 105. Ibid., p. 19-45 : « Setting in Place the Cornerstone ». Et ceci est très important alors que le groupe des Deux Évangiles continue toujours sa bataille, notamment dans son plus récent ouvrage (2002), qui défend évidemment la postériorité de Marc : P – C – MN (dir.), One Gospel from Two. Mark’s Use of Matthew and Luke. 106. Goodacre propose d’ailleurs de laisser tomber l’expression « Farrer-Goulder theory », souvent employée (par Tuckett, Neirynck, Kloppenborg Verbin), pour s’en tenir à « Farrer theory ». Il entend ainsi prendre quelque distance de Goulder, à qui il reproche les « theses of the lectionary origin of Scripture and the notion that the evangelists were highly creative authors who used minimal source material », G, The Case Against Q, p. 14. Après avoir cité Ed P. S – Margaret D, Studying the Synoptic Gospels, London, UK – Philadelphia, PA, SCM – Trinity Press International, 1989, p. 116-117 : We think that Matthew used Mark and undefined other sources, while creating some of the sayings material. Luke used Mark and Matthew, as well as other sources, and the author also created sayings material. […] us far Goulder has not persuaded us that one can give up sources for the sayings material. With this rather substantial modification, however, we accept Goulder’s theory : Matthew used Mark and Luke used them both, Goodacre déclare, plus précisément encore : « is modified version of Goulder’s thesis is essentially the one that will be argued in this book », G, The Case Against Q, p. 13 n. 53.

         123 et utilisation de Mc et de Mt par Lc. Son épilogue tente une description de ce que pourrait être « un monde sans Q107 » et fait des adieux à l’hypothèse Q qui sont, je crois, un peu prématurés108. 1.3.4 Priorité de Marc avec Q et postériorité de Matthieu Dans un ouvrage important109, Martin Hengel renverse l’ordre d’origine des évangiles110 et explique de manière nouvelle les dépendances littéraires : ce n’est plus Lc qui dépend de Mt mais, à l’inverse, c’est Mt qui a connu et utilisé Lc. L’hypothèse de la postériorité de Mt avait été parfois évoquée, en passant, mais comme une hypothèse extrême qu’on ne prenait même pas la peine de discuter. Tuckett remarque que « la dépendance de Matthieu par rapport à Luc n’est quasi jamais invoquée, bien qu’on s’en étonne parfois, étant donné la tendance de plusieurs à croire que la version de Luc est très souvent la plus originale111 ». Hengel

107. G, The Case Against Q, p.  187. Expression reprise par Perrin, dans l’ouvrage Mark G – Nicholas P (dir.), Questioning Q. A Multidimensional Critique, Downers Grove, IL, InterVarsity Press, 2004, un collectif d’auteurs sympathiques à l’hypothèse Farrer-Goulder. Voir les recensions sévères de Paul F dans ExpTim  116 (2005) 354-355, et de Joseph  V, dans RBL (09/2005). Eric E, « e Synoptic Problem Without Q ? », dans F et al. (dir.), New Studies in the Synoptic Problem, 551-570, semble aussi tenté par la même position, même s’il conclut plus modestement : « it is certainly the case that the existence of Q should no longer be taken for granted » ! 108. C’est aussi le sentiment de Delbert B dans Rethinking the Gospel Sources. Vol. 2 : The Unity and Plurality of Q, qui, à la fin de son chapitre sur « e Necessity of Q » (p. 1-32), ne craint pas d’affirmer que le rêve de Goodacre (« a world without Q ») « is destined to remain a dream so long as the evidence strongly supports the Q hypothesis and fails to support the view that Luke used Matthew » (p.  32). Il reste, il est vrai, l’hypothèse de la postériorité de Matthieu que reprend Edwards, à la suite de Martin Hengel : James R. E, The Hebrew Gospel and the Development of the Synoptic Tradition, Grand Rapids, MI – Cambridge, UK, Eerdmans, 2009. Cette hypothèse, qui suppose que Mt a connu Lc, entraîne aussi un « Adieu to “Q”« (p. 209-242). 109. Martin H, The Four Gospels and the One Gospel of Jesus Christ. An Investigation of the Collection and Origin of the Canonical Gospels, Harrisburg, PA, Trinity Press International, 2000. 110. « Presumably Mark was the first “written” Gospel, which was also used in worship in Rome ; around ten to fieen years later Luke, and a further ten to fieen years later the first “apostolic” Gospel “according to Matthew” followed », ibid., p. 130. 111. T, Q and the History of Early Christianity, p. 4 n. 10. Dans sa réponse à Goulder, T, « On the Relationship Between Matthew and Luke », p. 137, notait à propos de l’accord Mt 26,68 / Lc 22,64 que la question : « Qui est-ce qui t’a frappé ? », « fits Luke’s context and not Matthew’s, and hence could be used to show Matthew’s knowledge of Luke ». T, « e Current State of the Synoptic Problem », n’ajoute rien à ce propos, bien qu’il se dise surpris (« this is surprising », sa note 66) qu’on n’en fasse pas plus de cas, étant donné tous les passages où les tenants de Q estiment que, dans les accords entre Mt et Lc, la version de Lc est plus originale !

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rappelle qu’« en de très rares cas seulement, on a considéré une possible dépendance de Matthieu par rapport à Luc, ce qu’a fait, par exemple, C.G.  Wilke, un des premiers champions de la priorité de Marc112 ». D.R. Catchpole avait pourtant noté que « logiquement, même si la discussion n’a pas porté beaucoup d’attention à cette possibilité, l’utilisation de Luc par Matthieu ne devait pas être exclue113 ». Certaines hypothèses qui font état d’un proto-Luc utilisé par Mt (Boismard) se rapprochent évidemment de cette solution. Le seul auteur récent que Hengel cite avec faveur est R.V. Huggins, dont l’article sur la Matthean Posteriority a été ignoré par les chercheurs114. « Le seul problème avec Huggins, écrit Hengel, c’est qu’il n’envisage pas la possibilité que Matthieu ait eu encore à sa disposition, en plus de Marc et Luc, d’autres sources comportant des éléments de discours, des sources que Luc aurait pu utiliser aussi, d’une manière assez différente peut-être115. » Pour Huggins, en effet, « [c]e qui avait été le document perdu Q deviendrait maintenant simplement la somme des passages non-marciens que Matthieu aurait repris de Luc116 ». Hengel, pour sa part, et malgré cette connaissance de Luc par Matthieu, maintient l’existence de Q : Certainement, l’existence de « Q », quel que soit ce qu’il faut entendre par là, ne peut être écartée au départ. Même si on peut être certain que Matthieu suit Marc en règle générale et l’a largement utilisé, et nous supposons à bon droit qu’il a aussi emprunté des éléments à Luc, la somme totale de ses sources nous demeure aussi inconnue que les polloi de Luc 1, 1117.

112. H, The Four Gospels, p. 170 n. 663, p. 303-304, où il expose certains des arguments tirés de Christian G.  W, Der Urevangelist, oder exegetisch-kritische Untersuchung über das Verwandtschaftsverhältnis der drei ersten Evangelien, Dresden & Leipzig, G.  Fleischer, 1838. L’hypothèse de Wilke est mentionnée en passant par R, Les premiers évangiles, p. 24-25 ; par G, Luke. A New Paradigm, p. 47, qui affirme que l’« aberrant factor » des accords mineurs « already in 1838 seduced Wilke into thinking that Matthew had read Luke » ; et par N, dans « e Minor Agreements », p. 12, et I, « Note on a Test Case. A Response to W.R. Farmer », dans Evangelica II, 49-58, p. 51, qui fait allusion à une « Matthean dependence upon Luke (Wilke) ». Seul R, « e History of the Synoptic Discussion », p.  295, s’y arrête un instant, concluant que « Wilke’s purely literary analysis yielded an extreme form of the utilization hypothesis [sens de cette expression en p. 292], implying the sequence Mark – Luke – Matthew ». 113. C, The Quest for Q, p. 2 n. 5. 114. Ronald V. H, « Matthean Posteriority. A Preliminary Proposal », dans NovT 34 (1992) 1-22. H, The Four Gospels, p. 304 n. 666, dit qu’il a pris connaissance de ce texte « only aer finishing [his] own studies ». 115. H, The Four Gospels, p. 171. 116. H, « Matthean Posteriority », p. 1-2. 117. H, The Four Gospels, p. 171. Il ajoute plus loin : « at means that I do not dispute the existence of “Q”, but only the possibility of demonstrating its unity and reconstructing it in any way which is at all reliable, since a whole series of indications suggest that the later Matthew used the earlier Luke. Here Matthew, too, could have one

         125 Hengel pose enfin la question : « Peut-on prouver de façon vraiment satisfaisante que Luc précède essentiellement Matthieu ? » Et il répond : « À mon avis, il existe tellement de bonnes raisons pour cela que je parlerais presque d’une preuve décisive118. » En plusieurs pages, Hengel s’efforce de montrer « la priorité chronologique de l’évangile de Luc sur l’évangile de Matthieu119 ». De ses exemples, je retiens combien facilement l’accord mineur de Mt 22,35/Lc 10,25 contre Mc 12,28 (selon Hengel, « l’un des accords mineurs les plus frappants120 »), où l’on trouve l’unique présence de nomikos en Mt, s’expliquerait par l’emprunt à Lc 10,25. Je retiens en tout cas, ce qui me paraît évident, la date tardive, par rapport à Lc, que suppose la formule baptismale trinitaire de Mt 28,19121. Bien sûr, P. Rolland a énuméré quelques-unes des « étrangetés » qu’entraînerait cette postériorité de Mt122. À ce propos, Hengel a présenté quelques réponses, en montrant, entre autres, « combien Matthieu en est venu à s’écarter de Luc, le disciple de Paul123 ». Une certaine dépendance, qu’autoriserait la postériorité de Mt par rapport à Lc, résoudrait évidemment toute la question des accords mineurs124. Elle ne supprime pas automatiquement l’hypothèse Q, même si elle rend cette source plus difficile à construire. La thèse est séduisante125 et même si or more logia sources at his disposal » (p. 173). Un récent défenseur de la postériorité de Matthieu, Evan P, The Myth of the Lost Gospel, Las Vegas, Symposium Press, 2006, rejette tout à fait, pour sa part, l’existence de Q. 118. H, The Four Gospels, p. 186-187. 119. Ibid., p. 186-204. 120. Ibid., p. 318 n. 767. L’accord Mt 26,28 / Lc 22,64 contre Mc 14,65, avec d’autres, est expliqué facilement par la postériorité de Mt, p. 307 n. 677. 121. Ibid., p. 199 : « By contrast Luke – who is earlier – still exclusively, like Paul, has a one-member baptismal formula. » Mais les références qu’il donne sont : Actes  2,38 ; 8,16 ; 10,48 ; 19,5 ; cf. Rm 6,3 ; Ga 3,27 (p. 319 n. 779). 122. R, Les premiers évangiles, p. 25-26. 123. H, The Four Gospels, p. 181-184 (citation, p. 182). 124. Ibid., p. 228 n. 125 : « e problem of the minor agreements disappears if one assumes that Matthew used Luke, which seems to me to be fairly certain. » 125. Elle vient d’être reprise par James R. E, « Matthean Posteriority », dans The Hebrew Gospel, 245-252, qui cite également Wilke et Huggins, mais s’inspire avant tout de Hengel. Pour lui, cependant, cette hypothèse entraîne le rejet de Q (« Adieu to “Q” », p. 209242). Foster a fait une présentation plutôt dévastatrice de la théorie synoptique d’Edwards : Paul F, « e Synoptic Problem and the Fallacy of a Hebrew Gospel », dans ExpTim 121 (2010) 453-455. On trouve une recension moins sévère, mais aussi très critique, par Timothy A. F, dans RBL  (07/2010). Il ne faudrait pas oublier l’étonnant ouvrage de George A. B, The Synoptic Gospels Compared (Studies in the Bible and Early Christianity, 55), Lewiston, e Edwin Mellen Press, 2003 (qui n’a cependant pas recueilli beaucoup d’échos, semble-t-il). Selon lui, l’ordre de composition des synoptiques (le seul qui soit simple, logique et compréhensif) est le suivant : Mc au départ, puis une révision de Mc par Lc, et enfin Mt, « the last Gospel written », « the definitive Gospel » qui révise les deux (p.  311). Blair rejette toute source hypothétique, en particulier le « mythical manuscript » qu’est Q (p. 308).

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F.  Neirynck ne croit pas « qu’il existe un futur pour la théorie de la dépendance de Matthieu par rapport à Luc126 », il me semble que cette « postériorité de Matthieu » doit être prise plus au sérieux. 1.4 Excursus : Note sur l’Évangile des Hébreux Pier Franco  Beatrice, dans un long et savant article intitulé « e “Gospel according to the Hebrews” in the Apostolic Fathers127 », propose une vision du développement de la tradition évangélique depuis ses origines jusqu’à la fin du IIe siècle qui renverse plusieurs positions devenues pourtant de quasi« dogmes » en histoire de la formation des évangiles. À partir d’une étude comparative des lettres d’Ignace  d’Antioche (dont il assume l’authenticité dans sa discussion) et des informations fournies par Papias et Justin, il en déduit que toute la tradition évangélique remonte à deux sources seulement : l’Évangile araméen de Matthieu (écrit hebraidi dialektô, disait Papias ; ce serait, selon lui, l’unique Évangile des Hébreux, utilisé ensuite par les Nazaréens et les Ébionites qui n’avaient pas d’autre évangile que celui-là) et l’Évangile de Pierre écrit en grec par Marc (qui ne formerait qu’un seul ouvrage avec ce qu’on met d’ordinaire sous différents titres :  Prédication de Pierre, Doctrine de Pierre)128. Si cela est vrai, dit Beatrice, en quel sens peut-on encore parler de la source Q, la collection des paroles de Jésus ? Selon lui, « the Greek source Q seems to be condemned to remain a “bodiless demon” [allusion au passage de la lettre d’Ignace aux Smyrniotes (3, 2), où le Ressuscité dit à Pierre : touche-moi et vois que je ne suis pas un démon sans corps (daimonion asômaton)], or more simply an optical illusion ». Beatrice conclut que toute la matière qu’on attribue aujourd’hui, de façon approximative, à la source Q « is in fact no more than that portion of the Aramaic Gospel of the Hebrews which was reused and altered in various ways in the Greek canonical gospels of Matthew and Luke129 ». Il semble penser cependant que les tenants de la source Q se basent encore, pour fonder l’hypothèse de la source Q, sur l’interprétation que F.D.E. Schleiermacher avait donnée en 1832 des logia de Jésus dont parle Papias (paroles de Jésus en araméen mais sans récits)130. James M. Robinson, dans l’impressionnante « History of the Q Research » qui ouvre la Critical Edition of Q, a montré que, même si cette interprétation de Schleiermacher a été le point de départ des études sur Q, cette référence à Papias est désormais complètement remplacée par des critères objectifs « based on empirical observation of Matthean and Lukan redactional traits131 ». Kloppenborg, dans Excavating Q, donne les raisons pour lesquelles 126. N, « A Symposium on the Minor Agreements », dans Evangelica  III, 333-339, p. 339. 127. Pier Franco B, « e “Gospel according to the Hebrews” in the Apostolic Fathers », dans NovT 48 (2006) 147-195. 128. Ibid., p. 152. 129. Ibid., p. 194. 130. Ibid., p. 194. 131. James M. R, « History of the Q Research », dans James M. R – Paul H – John S. K (dir.), The Critical Edition of Q. A Synopsis

         127 le témoignage de Papias n’est plus invoqué en faveur de Q : ce dernier document est écrit en grec, ce n’est pas une collection de logia araméens ; en outre, ce document est plus lucanien que matthéen. Ce qui détruit les deux liens principaux avec Papias132. C.-B. Amphoux estime aussi que l’Évangile selon les Hébreux, cité par Ignace et mentionné par Papias, « se présente […] comme la première source de la rédaction lucanienne133 ». L’étude de Beatrice reste néanmoins importante et nous rappelle que l’histoire de la formation des évangiles pourrait encore cacher quelques mystères ! 

1.5 Sommaire sur les accords mineurs Il est donc évident que les accords Mt/Lc contre Mc constituent pour beaucoup « le talon d’Achille de la théorie des deux sources134 », « une épine dans le côté de la théorie courante135 » et mettent en jeu l’existence même de la source Q. En réalité, c’est chaque théorie qui doit tenir compte de ces accords. Celles qui impliquent soit une connaissance de Mt par Lc (Farrer-Goulder-Goodacre), soit une connaissance de Lc par Mt (Huggins-Hengel) en offrent une solution facile. D’autres théories font appel à des avatars hypothétiques du texte de Mc – soit un proto-Marc dont dépendent Mt et Lc, soit, postérieur au Mc actuel, un deutéro-Marc – qui rendraient compte des recoupements entre Mt et Lc qu’on ne retrouve pas dans le Marc canonique. Mais tout autant, sinon plus, que la théorie des deux sources, ces théories restent hypothétiques. Malgré tout, il me semble que les tenants de la théorie des deux sources, en particulier F.  Neirynck et C.M.  Tuckett, ont suffisamment répondu à la difficulté des accords mineurs. Neirynck, qui s’en est occupé depuis son livre The Minor Agreeements de 1974, est resté fidèle à l’explication générale qu’il énonçait à nouveau au Symposium de Göttingen en 1991 : « Il est de bonne méthode pour les tenants de la priorité de Marc de maintenir qu’on n’a besoin d’aucune solution de rechange pour expliquer les accords mineurs, tant que l’hypothèse d’une rédaction indépendante fournit une solution satisfaisante. L’objection principale vient de la

including the Gospels of Matthew and Luke, Mark and omas with English, German and French Translations of Q and omas (Documenta Q), Leuven, Peeters, 2000, xixlxxi, p. xix. 132. K V, Excavating Q, voir p.  72-80 : « e language of Q » et p. 338-343 : « From Aramaic Logia to Greek Q ». 133. Christian-Bernard A, « L’Évangile selon les Hébreux, source de l’Évangile de Luc », dans Apocrypha 6 (1995) 67-77, p. 77. 134. G, The Case Against Q, p. 152. 135. G, Luke. A New Paradigm, p. 50.

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difficulté de quelques cas individuels d’accord, mais […] l’ampleur de ce “reste non expliqué” n’est pas irréductible136. » Seuls deux accords restent néanmoins difficiles à expliquer : celui de Mt 22,35/Lc 10,25 contre Mc 12,28 et celui de Mt 26,68/Lc 22,64 contre Mc 14,65. 1) Dans le premier cas, c’est surtout l’emploi simultané de nomikos qui fait problème. Il est vrai que la tradition manuscrite semble ici incertaine et aussi bien le texte des United Bible Societies que celui de Nestle-Aland27 mettent nomikos entre crochets en Mt 22,35137. Évidemment, l’élimination de nomikos du texte de Mt supprimerait radicalement le problème. Neirynck, qui a examiné de près tout le dossier, reste ici indécis et n’écarte pas la possibilité qu’un copiste, voyant la ressemblance entre les textes de Mt et de Lc, « aurait intensifié cette ressemblance en ajoutant nomikos en Matthieu138 ». Mais si l’accord était original ? Neirynck s’en tiendrait alors à l’explication rédactionnelle : « S’il est original, on peut lire nomikos à la lumière de en tô nômô (v. 36), holos ho nomos… kai ; hoi prophêtai (v. 40) […] et du penchant de Matthieu pour les mots apparentés nomos – anomia...139. » Donc rédaction de Mt, avec possibilité

136. N, « e Minor Agreements and the Two-Source eory », p.  29. En 1995, il répétera son principe, cette fois pour écarter un recours inutile à la source Q – qu’il admet par ailleurs, bien sûr – pour les « accords majeurs » : « in triple-tradition passages where Matthew’s and Luke’s independent redactions provide a satisfactory explanation of their agreement against Mark there is no need to suggest the existence of a second non-Markan source (Q) », I, « e Minor Agreements and Q », dans Evangelica III, 245-266, p. 249. 137. Voir l’explication qu’en donne Bruce M. M, A Textual Commentary on the Greek New Testament. Corrected edition, London, UK, United Bible Societies, 1975, p. 59 : « Despite what seems to be an overwhelming preponderance of evidence supporting the word nomikos, its absence from family 1 as well as from widely scattered versional and patristic witnesses takes on additional significance when it is observed that, apart from this passage, Matthew nowhere else uses the word. It is not unlikely, therefore, that copyists have introduced the word here from the parallel passage in Lk 10.25. At the same time, in view of the widespread testimony supporting its presence in the text, the Committee was reluctant to omit the word altogether, preferring to enclose it within square brackets. » L, Das Evangelium nach Matthäus. Vol. 3 : Mt 18-25, p. 269 n. 1, remarque très justement à ce propos : « Nur ganz wenige Textzeugen (f1, e, sys, arm, geo, Or) streichen nomikos. Daß bei diesem Textbefund die Herausgeber des GNT und von Nestle26 nomikos in [ ] setzen, ist textkritisch unbegreiflich und nur vor den Schwierigkeiten der Quellenscheidung her verständlich. » 138. Frans N, « e Minor Agreements and Lk 10,25-28 », dans Evangelica III, 283-294, p.  289 ; voir aussi I, « Luke 9,22 and 10,25-28 », dans Evangelica III, 295-306, p. 304 ; I, « Luke 14,1-6. Lukan Composition and Q Saying », dans Evangelica II, 183-203, p. 191-193. 139. N, « e Minor Agreements and Lk 10,25-28 », p. 289.

         129 d’intervention d’un copiste influencé par le texte de Lc, s’il était établi que nomikos n’appartient pas au texte original de Mt. Tuckett, pour sa part, retient nomikos dans le texte original de Matthieu140. Mais il ne retient pas cette fois l’explication rédactionnelle : « cependant, le fait que le mot n’est pas employé ailleurs en Matthieu rend encore difficile de penser ici à une origine rédactionnelle de la part de Matthieu [“a MattR origin”]141. » Il croit plutôt qu’une version de l’histoire du grand commandement se trouvait « en Q [Mt 22,34-40/Lc 10,25-28] aussi bien qu’en [Mc 12,28-34] ». Sa solution : « La présence dans une source [en l’occurrence la source Q] semble une explication plus satisfaisante qu’une création rédactionnelle ou une addition postérieure due à un copiste142. » A. Fuchs rejette aussi, dans le cas présent, l’explication rédactionnelle : « L’obligation qui reste celle de la théorie des deux sources d’avoir recours à une (triple) interprétation rédactionnelle des accords apparaît une fois de plus comme une petitio principii, qui ne prouve absolument pas ce qu’elle affirme143. » Il opte, lui aussi, pour la présence dans une source, mais cette fois dans le Deutéro-Marc. On peut sans doute rester insatisfait. Mais il faut tout de même reconnaître que les tenants de la théorie des deux sources ont fourni plusieurs explications possibles de l’accord Mt  22,35/Lc  10,25 et que cet accord n’est donc pas « irréductible » (irreducible), comme disait Neirynck. Il ne met pas en jeu l’existence de Q. 2) Un autre accord est présenté comme plus dangereux encore pour l’existence de Q. Dans la scène de moquerie à la Passion, en effet, Mt 26,68 et Lc 22,64 ont tous les deux la question posée à Jésus : « Qui est-ce qui t’a frappé ? », question qui est absente de Mc (14,65). Comment expliquer 140. T, Q and the History of Early Christianity, p. 417 n. 81 : « e possibility that nomikos is not part of Matthew’s text should probably be rejected. e manuscript evidence for omitting the word [f1 e syrsin] is very weak and would not be considered seriously were it not for the difficulty of explaining the word in Matthew. » Il reprend donc la remarque de Luz (voir n. 137). 141. Christopher M. T, « e Temptation Narrative in Q », dans V S et al. (dir.), The Four Gospels 1992, 479-507, p. 485 n. 30. 142. T, Q and the History of Early Christianity, p. 417 n. 81. Neirynck ne retenait pas « the Great Commandment » dans sa reconstruction de Q ; voir Frans N, « Recent Developments in the Study of Q », p. 416-417 ; I, « e Minor Agreements and Q », p. 256. 143. « Der ständige Zwang der Zweiquellentheorie zu (dritt-)redaktioneller Interpretation der agreements stellt sich also nochmals als petitio principii heraus, die keineswegs beweist, was sie vorgibt […] », Albert F, « Die Last der Vergangenheit. Bemerkungen zu J. Kiilunen, Das Doppelgebot der Liebe in synoptischer Sicht – Ein redaktionskritischer Versuch über Mk 12,28-34 und die Parallelen », dans SNTU  16 (1991) 151-168, p. 167 n. 36.

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cette rencontre Mt/Lc contre Mc ? Encore ici, on a fait appel à l’explication rédactionnelle. Celle-ci est tout à fait légitime dans le cas de Luc : la question est en effet bien préparée dans le contexte de Lc, où Jésus est voilé. Lc n’a fait alors qu’expliciter le « fais-le prophète » de Mc. Mais la solution rédactionnelle n’est pas possible pour Mt, dont le contexte (il n’a pas le voile) ne justifie pas la question. D’où vient alors le tis estin ho paisas se ? en Mt ? D’une source que Mt aurait eu sous les yeux ? D’un Marc retravaillé où Mt l’aurait trouvé ? C’est la solution proposée par Fuchs qui explique ainsi aussi bien le texte de Lc que celui de Mt144. On a aussi parlé d’une « source pré-lucanienne » connue par Mt145. D’autres parlent de la tradition orale : Mt et Lc auraient cueilli ces cinq mots dans la tradition orale146. Mais Neirynck s’est demandé avec raison « si on pouvait réduire une tradition orale commune à ces cinq mots147 ». En conséquence, et pour ce cas unique, les tenants de la théorie des deux sources se voient obligés d’invoquer une interpolation dans le texte de Mt (harmonisation avec le texte de Lc) par un copiste postérieur. Neirynck retient en effet l’hypothèse « d’une interpolation ancienne et largement répandue dans le cas de Mt 26, 68 », « le cas exceptionnel où une assimilation de Matthieu à Luc a envahi tous les témoins textuels148 ». Neirynck admet qu’une telle « solution textuelle » ou « correction conjecturale » est en soi une hypothèse discutable. Il reconnaît donc que « le débat [la discussion théorique] n’est pas clos », mais il ajoute aussitôt : « je vois un nombre croissant de chercheurs pour qui un cas exceptionnel de lecture conjecturale n’est plus inacceptable méthodologiquement149 ». 144. Albert F, « Die Behandlung der Mt/Lk Übereinstimmungen gegen Mk durch S.  McLoughlin und ihre Bedeutung für die Synoptische Frage », dans Probleme der Forschung (SNTU/A 3), Wien – München, Herold, 1978, 25-57, p. 41-42 (= SNTU 3 [1978] 24-57). 145. Joseph A. F, The Gospel according to Luke (X-XXIV) (AB, 28b), Garden City, NY, 1985, p. 1458 et 1466, attribue ce passage à « L », le Sondergut de Lc. 146. C’est la solution de Marion L. S, « A Literary Analysis of the Origin and Purpose of Luke’s Account of the Mockery of Jesus », dans Biblische Zeitschrift 31 (1987) 110-116, p. 113 : « One best understands this striking agreement by inferring that Luke and Matthew knew the same non-Markan tradition ; and, the dissimilarities between the accounts of Luke and Matthew make it unlikely this tradition was written. erefore, it seems justified to conclude that Luke and Matthew had access to the same oral tradition in Greek. » Repris tel quel dans I, The Passion According to Luke. The Special Material of Luke  22 (JSNTSS,  14), Sheffield, JSOT Press, 1987, p.  102. Raymond E.  B, From Gethsemane to the Grave. A Commentary on the Passion Narratives in the Four Gospels, New York, NY, Doubleday, 2006 (1994), p. 579, s’est rallié à cette solution. 147. N, « ΤΙΣ ΕΣΤΙΝ Ο ΠΑΙΣΑΣ ΣΕ », p. 119 n. 136. 148. Ibid., p. 137. 149. N, « « Literary Criticism, Old and New », dans Evangelica  III, 65-92, p. 73 ; aussi I, « Goulder and the Minor Agreements », dans Evangelica III, 307-318, p. 317. Voir Albert V, « L’intérêt de Luc pour la prophétie en Lc 1, 76 ; 4, 16-30

         131 Cette solution est aussi celle retenue par Tuckett : « La théorie selon laquelle la question additionnelle [“Qui t’a frappé ?”] est une interpolation postérieure de Luc dans le texte de Matthieu n’est pas le moins du monde impossible150. » Dans un article important, au congrès de Göttingen, il avait bien montré la légitimité d’une telle possibilité en critique textuelle151. Au terme de ce parcours, je retiens comme tout à fait acceptable la conclusion de Tuckett : La théorie des deux sources est considérée par beaucoup comme fournissant une explication raisonnable des textes que nous avons des évangiles partout dans la tradition, à une exception près. Faire appel, pour cet unique point, à un développement par ailleurs invisible dans la tradition textuelle n’est probablement pas un prix trop cher payé pour expliquer par cette théorie une partie du développement de toute la tradition152.

1.6 Conclusion Ce tour d’horizon a mis en évidence l’immense effort déployé par les chercheurs pour résoudre le fameux problème synoptique. Le problème demeure néanmoins et on peut penser que la solution qui rendrait compte de toutes les difficultés relève de l’impossible, étant donné la documentation que nous avons en main. Kloppenborg Verbin l’a bien noté à propos des accords mineurs. Comment arriver à un consensus et 22, 60-65 », dans V S et al. (dir.), The Four Gospels  1992, 1529-1548, p. 1548, qui reconnaît aussi que la question « “Quel est celui qui t’a frappé” est à sa place dans le texte de Luc et ne l’est pas dans celui de Matthieu. L’hypothèse du Prof. F. Neirynck trouve donc là un appui très ferme ». Simon L, Le procès de Jésus (LD, 156), Paris, Cerf, 1995, p. 206, qui a aussi lu Neirynck, en arrive à la même conclusion : « Reste une solution qui, tout bien pesé, est la meilleure : quoique toute garantie manuscrite lui fasse défaut, elle consiste à envisager que le texte de Matthieu a été glosé sous l’influence de celui de Luc et que c’est par cette voie que la question devinette y est entrée. » 150. T, « On the Relationship Between Matthew and Luke », p. 137. Voir aussi I, Q and the History of Early Christianity, p. 17 n. 41 ; p. 24 n. 59. 151. T, « e Minor Agreements and Textual Criticism », spécialement p. 135141. Dans un article fort bien documenté et peu souvent cité, Swithun  ML, « Les accords mineurs Mt-Lc contre Mc et le problème synoptique. Vers la théorie des deux sources », dans ETL 43 (1967) 17-40, avait aussi accepté l’hypothèse d’une harmonisation dans le texte de Mt 26,68. Voir son analyse de ce verset (p. 31-35), et sa conclusion : « Ainsi, la question (posée en Mt., XXVI, 68 par ceux qui frappaient Jésus) n’est pas une objection à la théorie des Deux-Sources : elle se classe tout simplement comme non authentique » (p. 35). 152. T, « e Minor Agreements and Textual Criticism », p.  138. Tuckett ajoute, avec raison, que les théories qui postulent une édition ou une révision de Mc utilisée par Mt et Lc, qui n’ont laissé aucune trace dans la tradition manuscrite du texte de Mc, font aussi appel, par le fait même, à « such “invisible” developments in the textual tradition » (p. 138-139).

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quand « 1) il est impossible de reconstruire avec une précision absolue le texte grec d’aucun des évangiles ; et que 2) les processus de transmission par lesquels un évangile en vint à être utilisé par un autre évangéliste ne sont pas du tout connus153 ». On peut ajouter, avec Martin Hengel, que 85 % des écrits chrétiens du IIe siècle dont on connaît les titres ont été perdus et que la perte véritable doit être encore plus grande154. Ce qui rend plus problématique encore toute affirmation catégorique sur les dépendances littéraires entre les textes. Plusieurs solutions logiques du problème sont possibles, chacune soulignant des points réels, nous faisant mieux connaître les textes évangéliques et leurs multiples nuances. Mais ce ne sont que des hypothèses et nous n’aurons jamais rien d’autre155. La chose en soi n’est pas négative : si les hypothèses ne reproduisent pas la réalité, elles demeurent des outils importants, « des modèles heuristiques visant à favoriser compréhension et découverte156 ». En ce sens, la théorie des deux sources est donc une hypothèse, rien de plus. Mais parmi toutes les hypothèses proposées, et malgré quelques rares difficultés, elle reste toujours, à mon avis, la plus plausible157. En plus de Mc, en plus d’autres sources possibles dont les polloi de Lc 1,1 évoquent mystérieusement l’existence, en plus de la tradition orale qui ne s’est pas éteinte brusquement, elle suppose que Mt et Lc ont connu et utilisé une autre 153. K V, Excavating Q, p. 36. T, « e Current State of the Synoptic Problem », p. 15-16, a rappelé, que « le » texte même des évangiles de Mt, Mc et Lc, que nous donne par exemple un Nestle-Aland, est un « scholarly construct », dépendant d’une foule d’hypothèses et de théories venant de la critique textuelle et d’ailleurs : « dependent on a whole host of hypotheses and theories from textual criticism and elsewhere ». 154. H, The Four Gospels, p. 55, qui dit dépendre de C. Markschies, lequel s’est basé, pour ces calculs, sur le Geschichte der altchritlichen Literatur bis Eusebius de A. Harnack (Ibid., p.  n. ). 155. Kloppenborg vient à nouveau de l’affirmer à propos de Q, dont il est pourtant l’un des plus fervents défenseurs : John S.  K, Q, The Earliest Gospel. An Introduction to the Original Stories and Sayings of Jesus, Louisville, KY – London, UK, Westminster John Knox Press, 2008, p. vii, 20 et 38-40. 156. K V, Excavating Q, p. 51. 157. Lors de la Conférence d’Oxford sur le problème synoptique (2008), c’est ce que conclut, modestement, C.M.  T, « e Current State of the Synoptic Problem », p. 50 : « […] the weaknesses of the 2ST [Two-Source eory] are possibly less than those of other competing hypotheses today. » De même, D, Ancient Compositional Practices, p. 258, termine sa comparaison entre les pratiques anciennes de composition et les différentes solutions du problème synoptique en disant : « In the end, it appears that the 2DH [Two-Documents Hypothesis] has the fewest problems in light of the compositional practices of antiquity. » Plus catégoriquement, B, « e Necessity of Q », dans Rethinking the Gospel Sources. Vol. 2 : The Unity and Plurality of Q, 1-32, discute et rejette spécialement la thèse de la connaissance de Mt par Lc telle que la défend Mark Goodacre ; il conclut que « any plausible theory of Synoptic relations requires the Q hypothesis » (p. 213).

         133 source commune, le document Q. Mais dans l’étude de ce document hypothétique, jusqu’où faut-il accumuler de nouvelles hypothèses ? C’est une tout autre question. Ce sera l’objet de la seconde partie de cet article. 2. Les abîmes de la recherche sur Q Une fois admise l’existence d’une source commune à Mt et à Lc, on s’est efforcé, en d’innombrables études, de décrire la nature de cette source, d’en reconstruire le texte, de préciser les étapes de sa composition, d’en analyser le contenu et de la rattacher même à une communauté précise de disciples de Jésus. Pourquoi toute cette recherche ou cette curiosité ? Pour résoudre un simple problème de dépendances littéraires ? Peut-être bien : les érudits ont des passions surprenantes. Je soupçonne pourtant que l’engouement pour la source Q est secrètement motivé par une autre recherche, par le rêve, non seulement de mieux connaître les origines du christianisme, mais de rejoindre enfin, à travers le brouillard qui entoure ce document, le Jésus de l’histoire. Ce sont ces différents points qu’il faut examiner, en s’aventurant prudemment dans « les abîmes de la recherche sur Q158 ». 2.1 La nature de Q 2.1.1 Tradition orale ou document écrit ? Comment concevoir cette source que Mt et Lc ont utilisée tous les deux ? Plusieurs auteurs, parmi lesquels J.  Jeremias est sans doute la figure la plus connue, ont soutenu ou soutiennent que la tradition orale suffit pour expliquer les textes communs à Mt et à Lc159. Néanmoins, le haut degré d’accords verbaux entre de longs passages où Mt et Lc ne dépendent pas de Mc (voir Q 3,7-9 ou Lc 3,7-9 // Mt 3,7-10, où l’on trouve au moins 60 mots identiques à la suite, ou encore Q 11,24-26), exige une dépendance littéraire, un texte écrit160. De même, l’ordre commun des séquences parallèles suggère très fortement que la source de ce matériel

158. « e abysses of “Q” research » : l’expression est de H, The Four Gospels, p. 172. 159. Voir Joachim J, New Testament Theology, London, UK, SCM, 1971, vol. 1, p. 38-39. 160. John S. K, « Variation in the Reproduction of the Double Tradition and Oral Q ? », dans ETL  83 (2007) 53-80, p.  53, donne une liste de 7  péricopes communes à Mt et Lc, comportant un tel degré d’accords verbaux (entre 85 % et 98 %) qu’elles exigent comme source un document écrit.

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était un document unifié, et sous une forme écrite161. P. Vassiliadis, dans un article toujours utile, discute plusieurs variantes de la thèse de l’oralité. S’il tient que Q était certainement un document écrit, il remarque sagement qu’« il faut permettre l’influence de la tradition orale à la fois au temps de la circulation pré-canonique du document Q, mais surtout au niveau rédactionnel, celui des évangélistes eux-mêmes162 ». Kloppenborg Verbin a signalé un aspect particulier de cette influence orale. Il rappelle que les documents anciens étaient écrits scripta continua, sans séparation de mots ni ponctuation. Leur lecture publique impliquait alors une certaine interprétation, les textes « fonctionnant davantage comme notation musicale (musical script) que comme livre moderne. […] Chaque proclamation orale de Q pouvait varier, selon les occasions. Les copies subséquentes de Q ne pouvaient échapper à l’influence de telles interprétations163. » Ce qui expliquerait facilement certaines variantes entre Mt et Lc. Mais c’est James D.G. Dunn, dans son Jesus Remembered, qui redonne de façon convaincante une très grande place à la tradition orale164. Même si pratiquement tout le monde admet que la tradition concernant Jésus a été orale à ses débuts, l’étude des évangiles, en particulier des synoptiques, s’est attachée quasi uniquement à la tradition littéraire. Dunn exhorte les chercheurs à se débarrasser de ce « paradigme littéraire ». Il les invite à « changer l’option par défaut (the “default setting”) du paradigme littéraire, la préférence pré-établie mise en place par une mentalité littéraire vieille de plusieurs siècles et à envisager la possibilité qu’un tel paradigme est beaucoup trop limité pour rendre compte des complexités de la tradition de Jésus165 ». Il est convaincu « que la forme et les variations verbales de la plupart des traditions synoptiques 161. Voir l’exposé de K V, Excavating Q, p.  56-60 ; T, Q and the History of Early Christianity, p. 3-4, 38, 83. 162. Petros V, « e Nature and Extent of the Q-Document », dans NovT 20 (1978) 49-73, p. 54 (qui reprend le chapitre 2 de sa thèse écrite en grec). 163. K V, Excavating Q, p. 60. 164. D, Jesus Remembered, spécialement le ch. 8 : « e Tradition », p. 173-254. La méthode de Dunn a été mise en question par deux chercheurs de l’école scandinave : Bengt  H, « Questions of Method in James Dunn’s Jesus Remembered », dans JSNT 26 (2004) 445-457 et Samuel B, « A New Perspective on the Jesus Tradition. Reflections on James D. G. Dunn’s Jesus Remembered », dans JSNT 26 (2004) 459-471. Mais dans sa réponse, Dunn me semble avoir bien justifié son entreprise : James D.G. D, « On History, Memory and Eyewitnesses. In response to Bengt Holmberg and Samuel Byrskog », dans JSNT 26 (2004) 473-487. 165. D, Jesus Remembered, p.  336. Dunn a développé ce point de vue dans un article novateur qui, s’il était pris sérieusement, pourrait changer toute l’approche du problème synoptique : I, « Altering the Default Setting. Re-envisaging the Early Transmission of the Jesus Tradition », dans NTS  49 (2003) 139-175. En fin d’article (p. 172-173), Dunn évoque les répercussions quasi sismiques de cette approche pour la

         135 s’expliquent mieux par une telle hypothèse orale qu’exclusivement en termes de dépendance littéraire166 ». Dunn admet la priorité de Mc et l’existence de Q comme document écrit167. Mais lui aussi rappelle que « dans un âge d’analphabétisme élevé, les documents étaient écrits pour être entendus et qu’une lecture peut aussi être comparée à une prestation oratoire (to a performance) 168 ». C’est dans ce contexte de « performances169 », de « prestations/re-proclamations de la tradition170 », que Dunn situe aussi la source Q et pense que Mt et Lc n’auraient pas connu seulement un document écrit, « mais regardaient Q comme une forme de re-proclamation orale (ils auraient entendu la lecture/proclamation d’éléments de Q), de telle sorte que leur propre reprise de ces éléments gardait les caractéristiques orales du processus de transmission de la tradition171 ». Ce qui vaut évidemment pour les passages de la double tradition où les accords entre Mt et Lc sont moindres. Solution trop facile des désaccords entre Mt et Lc ? La thèse est séduisante et il faudra sans doute redonner plus d’importance à la tradition orale, à la « combinaison de fixité et de flexibilité, de stabilité et de diversité » qui la caractérise ou, si l’on veut, à son principe de « variation à l’intérieur du même », que Dunn rappelle à plusieurs reprises172. 2.1.2 Un seul document ? La plupart des chercheurs s’entendent pour attribuer à une source unique les passages où Mt et Lc s’accordent indépendamment l’un de l’autre en de longues séquences (voir Q 3,7-9 encore une fois). Il semble qu’il faille s’en tenir à cette conclusion. Mais quand les accords sont source Q, pour ce qui touche en particulier la reconstruction de son texte et le caractère de la communauté qui aurait possédé ce texte. 166. D, Jesus Remembered, p. 336. 167. Ibid., p. 144, 147-149, 222, 234, 237 et 253. 168. Ibid., p. 204. 169. Ibid., « Not Layers but Performances », p. 248-249. 170. Ibid., p. 336. 171. Ibid., p. 237. 172. Ibid., p. 234, 236, 336 ; D, « Altering the Default Setting », p. 154-155, 173, 175. C’est aussi la voie retenue par Terence  C.  M, Oral Tradition and Literary Dependency (WUNT,  195), Tübingen, Mohr Siebeck, 2005 (une thèse rédigée sous la direction de Dunn), qui pense lui aussi qu’on ne peut rendre compte de tous les accords dans la double tradition, à partir exclusivement de dépendances littéraires, et fait appel à la tradition orale là où les accords sont moindres. En réponse à Dunn et Mournet, par contre, dans un article très technique où il étudie la pratique des écrivains de l’antiquité, Kloppenborg a montré que le bas degré d’accords verbaux en Mt et Lc, dans certains passages attribués à Q, pouvait avoir plusieurs explications autres que ce recours à la tradition orale : K, « Variation in the Reproduction ».

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moindres ? Dans le contexte du « paradigme littéraire », pour reprendre l’expression de Dunn, les solutions sont diverses. Si on estime que Mt et Lc ont utilisé la source commune de façon indépendante, il est normal de penser qu’ils ont pu ou bien retenir très fidèlement les mots mêmes de la source, ou bien y apporter des variations. S’ils n’ont pas gardé une fidélité absolue au texte de Mc qu’ils utilisaient, pourquoi auraient-ils agi autrement pour la source Q ? On peut donc penser que des passages de la double tradition non identiques appartenaient néanmoins à la source Q. C’est la position tenue par Neirynck qui, au lieu de faire appel à des versions différentes pour expliquer les variantes, s’en tient à l’intervention rédactionnelle des évangélistes. Il applique ici le principe qui lui faisait rejeter « une étape intermédiaire entre Mc et Mt/Lc dans une recension deutéro-marcienne » : le recours à différentes recensions de la source commune ou à plusieurs sources de logia est, selon lui, la conséquence « d’une conception trop restrictive des rédactions matthéenne et lucanienne173 ». De son côté, Tuckett a bien souligné que, étant donné les conditions de l’écriture au Ier siècle et la difficulté technique de multiplier facilement des copies identiques d’un même texte, « il a dû exister plus qu’une copie de Q. La copie de Matthieu n’aurait pas été la même que la copie de Luc et, en conséquence, étant donné la nature de la production des textes à cette époque, il est hautement vraisemblable que la version de Q utilisée par Matthieu n’était pas identique à celle de Luc174 ». Qu’il y ait eu des copies différentes de Q, d’accord. En plus de l’intervention rédactionnelle, c’est une autre raison qui rendrait compte, à côté des passages identiques entre Mt et Lc, de certaines différences verbales. Mais faut-il aller plus loin et penser que la copie utilisée par Mt contenait du matériel ignoré de Lc et vice versa ? Autrement dit, peut-on attribuer à Q quelques « Sondergut passages » ? Ce problème touche la question de la reconstruction et de l’étendue de Q. J’y reviendrai. Mais il faut signaler d’abord la position de M. Casey, qui n’admet pas que Q ait été « un document unique ». Croyant pouvoir établir que Q a d’abord été écrit en araméen, Casey soutient « que quelques parties de 173. Frans N, « QMt and QLk and the Reconstruction of Q », dans Evangelica II, 475-480, p. 480 ; B, Rethinking the Gospel Sources. Unity and Plurality of Q – malgré le sous-titre de son livre, ce dernier ne conclut pas non plus à la pluralité de documents Q et explique les différences entre Mt et Lc (l’« apparent plurality », p. 214), soit par l’activité rédactionnelle des évangélistes, soit par leur connaissance, en d’autres sources (Mc, M et L), de traditions parallèles à Q (p. 214-215). 174. T, Q and the History of Early Christianity, p. 97. K V, Excavating Q, p. 109, dit la même chose : « At a minimum, it should be conceded that the copies of Q used by Matthew and Luke differed in at least some minor respects. »

         137 Q ont rejoint les deux évangélistes dans la même traduction grecque et que d’autres parties proviennent de deux traductions différentes faites soit par les évangélistes et leurs assistants ou venant de sources plus éloignées175 ». Il résume ainsi sa thèse : […] certaines parties du matériel de Q ont été transmises en araméen et traduites à deux reprises au cours du processus qui les a fait devenir ce que nous lisons maintenant en Matthieu et Luc. On a noté bien souvent, toutefois, que certaines parties de Q sont verbalement identiques en Matthieu et Luc, ce qui signifie qu’une certaine portion des matériaux de Q n’a été traduite qu’une seule fois et transmise en grec. Il s’ensuit qu’il faut adopter pour Q un modèle relativement chaotique [je souligne]. Ces seuls faits exigent au moins deux niveaux de Q, un niveau araméen traduit en grec à deux reprises, et un niveau grec traduit de l’araméen une seule fois176.

La thèse d’un Q araméen reste à prouver, on va le voir. Cependant beaucoup d’observations de Casey sont valides et si on peut hésiter à parler d’un « modèle chaotique de Q », ses observations renforcent l’idée que le document utilisé par Mt n’était pas en tous points identique à celui de Lc. Intervention rédactionnelle, copies différentes de Q, « modèle chaotique », il ne faudrait pas oublier en plus que ce ou ces documents écrits circulaient dans un milieu de tradition orale. 2.1.3 En quelle langue ? Personne ne conteste que les traditions véhiculées par Q aient pu exister en araméen d’abord, beaucoup de ce matériel pouvant d’ailleurs remonter à Jésus lui-même qui parlait sans doute principalement araméen. Mais il s’agit ici du document Q, sous la forme utilisée par Mt et Lc, et non des traditions qui ont précédé. L’existence en ce document de certains traits d’origine sémitique est donc normale et n’oblige pas à conclure que le document a été écrit en araméen. Les accords verbaux des textes grecs de Mt et de Lc en de longs passages, qui exigeaient tout à l’heure que Q soit un document écrit, exigent tout autant que ce document soit écrit en grec. Si ceci est très largement reconnu177, certains 175. C, An Aramaic Approach, p. 2. 176. Ibid., p. 103. En conclusion, p. 189, Casey présente son « chaotic model of Q » en cinq points. 177. En termes modestes, T, Q and the History of Early Christianity, p.  92, affirme : « […] it seems most likely that the Q material was available to Matthew and Luke in a written, Greek form. Oral and/or Aramaic traditions do not really explain the evidence adequately. » En termes plus catégoriques, K V, Excavating Q, p. 80, affirme que « the likelihood of demonstrating an Aramaic Q [is reduced] to near zero ». Après un aperçu de positions plus anciennes, V, « e Nature and

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chercheurs pensent encore à un document Q original en araméen. M. Casey, on vient de le voir, a relancé le débat dans son livre An Aramaic Approach to Q. Casey paraît souvent très sûr de lui. Il conteste en tout cas très fortement les analyses que Kloppenborg avait faites de certains traits araméens dans son ouvrage de 1987, The Formation of Q (analyses reprises en 2000 dans Excavating Q)178. Mais il faut reconnaître que le titre de l’ouvrage de Casey parle seulement d’« Approach » et non de thèse établie. Et bien qu’il présuppose que l’original de Q était en araméen, « la quantité d’accords verbaux » en de nombreux passages de la source l’oblige à reconnaître que ces textes « ont rejoint les deux évangélistes en grec179 ». Je retiens, pour ma part, que si Q a d’abord été un document araméen (ce qui n’est pas prouvé), le texte que les évangélistes ont eu en main était un document grec, même s’il s’agissait d’une traduction. Et c’est d’ailleurs à ce document grec qu’il faut réserver le sigle de « Q », comme Tuckett l’a réclamé plusieurs fois180. 2.2 Reconstruction de Q Est-il possible de reconstruire le texte même de cette source commune ? Même parmi ceux qui acceptent la théorie des deux sources et reconnaissent que Q a bien été un document écrit en grec, les avis sont partagés. M.  Hengel, par exemple, estime que cette reconstruction est impossible : Il n’y a aucun moyen de faire une reconstruction directe de « Q », ce qui semblait possible auparavant, après avoir exclu tout le matériel commun venant de Marc, en retranchant les textes qui se correspondent les uns les autres en Matthieu et Luc. Ce matériel pourrait trop souvent avoir été repris de Luc par Matthieu et il pourrait aussi provenir d’une variété de collections de logia (ou différentes versions d’une collection) que les deux auraient eues à leur disposition181.

Extent », p. 57, concluait : « We may, therefore, safely say that Q was a Greek document with only pre-literary connexion with Aramaic. » Voir encore l’article dévastateur de Heinz O. G, « e Sayings Gospel Q and the Quest for Aramaic Source. Rethinking Christian Origins », dans Semeia  55 (1991) 41-76 et sa conclusion, p.  73 : « e Aramaic hypothesis is thus in all its forms and at all levels based on ideology, not on textual evidence. » Ces derniers mots, pourtant, pourraient sembler curieux dans un long article qui « does not discuss a single Aramaic word », comme le lui reprochera C, An Aramaic Approach, p. 42. 178. C, An Aramaic Approach, p. 22-25. 179. Ibid., p. 114 ; voir p. 115, 129, 144, 149. 180. T, Q and the History of Early Christianity, p. 84. 181. H, The Four Gospels, p. 206. Voir aussi p. 178 et p. 310 n. 696.

         139 De même, J.D.G. Dunn se montre extrêmement sceptique, du moins pour la récupération de la totalité du texte de Q : « car si beaucoup du matériel que partagent Matthieu/Luc témoigne d’une dépendance orale plutôt que d’une dépendance littéraire, alors la tentative de définir la complète amplitude et les limites de Q est vouée à l’échec182 » (c’est Dunn qui souligne). Parmi les grands ténors, Neirynck est toujours resté très réservé sur ce point, s’en tenant rigoureusement à un « minimal Q », c’est-à-dire, en pratique, aux textes de la double tradition. Dès 1982, il écrivait : Même s’il existe quelque hésitation au sujet de l’une ou l’autre parole isolée, on peut observer une tendance plutôt générale à n’inclure que les passages attestés à la fois en Matthieu et en Luc et à les inclure tous. La possibilité qu’un passage Sondergut puisse venir de Q n’est pas niée, mais elle est vue comme trop incertaine pour qu’on en tienne compte183.

C’était aussi le premier principe proposé par Vassiliadis pour la reconstruction du document : « Il est pratiquement certain que tout ensemble important de paroles consécutives qui montrent, en Matthieu et Luc, un accord presque mot à mot dans leur formulation appartient à Q184. » Tuckett, pour sa part, retient comme hypothèse de travail « la théorie que Q contient au moins tous les passages où Matthieu et Luc s’accordent en substance et en termes (quelques-uns du moins) et où leur accord n’est pas dû à la dépendance de Marc185 ». Mais il croit que Q « contenait aussi probablement plus d’éléments, dont quelques-uns ont pu être conservés uniquement par Matthieu ou par Luc186 ». Donc, quelques « passages

182. D, « Altering the Default Setting », p. 172 : « […] then the attempt to define the complete scope and limits of Q is doomed to failure. » H, The Four Gospels, p. 178, irait dans le même sens : « is logia source (or sources) can now no longer be reconstructed in any way, especially as it had no single form in Greek, but evidently circulated in different forms of language and probably also with different extents. » 183. N, « Recent Developments in the Study of Q », p. 415-416. Il a repris ce texte tel quel en 1990 (I, « QMt and QLk and the Reconstruction of Q », p. 475) ; en 1993 (I, « Literary Criticism, Old and New », où il ajoutait : « If I had to rewrite my survey […], I would mention that some scholars now tend to include again minor agreements [from the triple tradition] and Sondergut passages », p.  81-82) ; en 1995 (I, « e Minor Agreements and Q », p. 245) et finalement, même après l’édition critique de Q, en 2001 dans I, « e Reconstruction of Q », p. 53. 184. V, « e Nature and Extent », p. 66. Voir son « state of the debate », p. 60-66, et l’ensemble de ses principes, p. 66-71. Edwin K. B, « e Extent of the Sayings Tradition (Q) », dans L (dir.), The Sayings Source Q, 719-728, a contesté cette approche minimaliste qui restreint pratiquement le contenu de la source Q à la double tradition. Il croit devoir inclure dans the « Sayings tradition » certains éléments de la triple tradition ; il pense que Mc a pu aussi y puiser et que certains passages du Sondergut de Mt et de Lc appartenaient à cette tradition. 185. T, Q and the History of Early Christianity, p. 93. 186. Ibid., p. 96.

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Sondergut », en particulier Lc 4,16-30, particulièrement important selon lui pour la christologie de Q, en raison de la référence à Is 61187. Kloppenborg Verbin pense que l’approche minimaliste est la plus simple, « mais pas la plus raisonnable188 » et accepte, quant à lui, certains passages de la triple tradition (des passages où Marc et Q se recoupent : « Mark-Q overlaps ») ou du Sondergut de chaque évangéliste189. Mais d’autres auteurs, soulevés sans doute par ce qui devint l’entreprise extraordinaire et quasi industrielle de l’International Q Project (IQP), sont beaucoup plus enthousiastes et affirment carrément, comme R. Cameron : « Nous avons assurément un texte de Q, ce que nous n’avons pas c’est un manuscrit190. » En 1983, en effet, James M. Robinson lançait un grand projet sur Q à Claremont, CA, en collaboration avec la Society of Biblical Literature. Le but : « À la fin d’une décennie, pouvoir avoir en main, comme résultat d’un tel travail d’équipe, une reconstruction, une traduction et un commentaire de Q191. » Le travail s’est poursuivi, avec des rapports annuels dans JBL et finalement la présentation du « IQP text » en 1997192. Ce n’était pas encore la reconstruction finale et, après d’autres révisions, The Critical Edition of Q parut en 2000, le résultat de près de

187. Ibid., p. 236. Tuckett a fait une excellente présentation de la manière dont on peut légitimement reconstruire Q : Christopher M. T, « e Search for a eology of Q. A Dead End ? », dans ExpTim 113 (2002) 291-294. Il répondait à Christopher S. R, « e End of the eology of Q ? », dans ExpTim 113 (2002) 5-12, qui avait soutenu que « we do not know and there is no way in which we can possibly know » le contenu de Q (p. 11). 188. K V, Excavating Q, p. 98. 189. Voir l’ensemble de sa présentation : K V, « Reconstructing Q », dans Excavating Q, 87-111, et son argumentation pour l’insertion en Q de la parabole lucanienne de la drachme perdue (Lc 15,8-10), p. 96-98. 190. « We do have a text of Q ; what we do not have is a manuscript », Ron C, « e Sayings Gospel Q and the Quest of the Historical Jesus. A Response to John S. Kloppenborg », dans HTR 89 (1996) 351-354, p. 352. Cependant, voir à ce propos la réaction de Michael W, « Reconstructing Q ? », dans ExpTim 114 (2004) 115-119, p. 119, et ses remarques sur l’illusion (« wrong impression since it suggests a non-existing certainty », p. 117-118) que représente la reconstruction de « the actual wording of Q » tentée par le IQP et la Critical Edition (voir R, « History of the Q Research », p. lxix) et la réaction, plus forte encore, de Jens S, « Les toutes premières interprétations de la vie et de l’œuvre de Jésus dans le christianisme primitif. La source des paroles de Jésus (Q) », dans D – M (dir.), La source des paroles de Jésus (Q), 295-320, p. 296 n. 7. 191. Pour l’historique du projet, voir l’introduction de R – H K (dir.), The Critical Edition of Q, p.  lxvi-lxxi, ainsi que N « e Reconstruction of Q », p. 53-56. 192. Voir Milton C. M – James M. R, « e International Q Project Editorial Board Meetings 1-10 June, 16 November 1995, 16-23 August, 22 November 1996. Work Sessions 17 November 1995, 23 November 1996 », dans JBL 116 (1997) 521525 (« e Cumulative Critical Text of Q 1989-1996 », p. 524-525).

         141 vingt ans d’efforts193. Ce fut le triomphe. Dans la préface déjà, signée par les trois éditeurs : « On n’a plus besoin d’imaginer le texte de Q seulement comme une boîte noire cachée quelque part derrière certains versets de Matthieu et de Luc dont il serait la source ; il peut apparaître au grand jour comme un texte, de plein droit194 ». Mais surtout dans l’article de J.M.  Robinson : « Avant que The Critical Edition of Q soit disponible, Q fonctionnait d’ordinaire uniquement comme une source […]. Il était rarement traité comme un texte, encore moins comme un évangile, de plein droit, lequel, comme les évangiles canoniques, aurait sa propre manière de façonner le matériel qu’il a repris de la tradition195. » Il ajoutait, avec satisfaction : « En termes plus pratiques, il est plus difficile de rejeter Q comme une simple hypothèse, en un tour de main simpliste, quand on a The Critical Edition of Q ouvert sur son bureau196 » ! Il faut mentionner également, accompagnant cette édition, la parution de la base de données, Documenta Q. Reconstruction of Q through Two Centuries of Gospel Research (compilant tous les arguments invoqués par les chercheurs pour la reconstruction de Q depuis 1838), qui doit comprendre 31 volumes. Chaque volume commence par une même introduction qui donne les principes de la reconstruction et affirme sa confiance dans l’entreprise : « [L]a reconstruction de Q n’est pas en fait un projet si désespéré ou hypothétique qu’on l’imagine parfois197. » Mais, tout en saluant ces travaux impressionnants, d’autres ont gardé leur esprit critique. À ce point de vue, il faut lire la longue évaluation 193. R – H – K (dir.), The Critical Edition of Q. L’édition critique est précédée par une longue introduction de Robinson qui refait l’entière « History of Q Research ». Elle se termine par une « Concordance [du texte grec] of Q » due à Kloppenborg (p. 563-581). Plusieurs éditions abrégées ont immédiatement paru : I, The Sayings Gospel Q in Greek and English (dans le titre même, Q est ici devenu Gospel, sur le même pied que Marc et omas) ; Paul H – Christoph H (dir.), Die Spruchquelle Q. Studienausgabe Griechisch und Deutsch. Griechischer Text nach der « Critical edition of Q » des International Q Project, Darmstadt – Leuven, Wissenschaliche Buchgesellscha – Peeters, 2002. 194. R – H – K (dir.), The Critical Edition of Q, p. xiii. 195. James M. R, « e Critical Edition of Q and the Study of Jesus », dans L (dir.), The Sayings Source Q, 27-52, p. 27. 196. Ibid., p. 28. 197. Ces bases de données, qui compilent les opinions des auteurs (dans leur texte original) depuis deux cents ans sur chaque verset ou élément de verset pouvant appartenir à Q, représentent une entreprise colossale. Elles fourniront une masse impressionnante d’informations difficilement accessibles autrement. Huit volumes (variant chacun de 200 à 800 pages) ont paru jusqu’ici sur les passages suivants (par simple convention, les versets de Q reçoivent la numérotation de Lc ; l’ordre même de Q n’a pu être maintenu pour la parution) : Q 11:2b-4 ; Q 4:1-13, 16 ; Q 12:49-59 ; Q 12:8-12 ; Q 22:28,30 ; Q 6:2021 ; Q 7:1-10 ; Q 12:33-34. Le neuvième sur Q 6:37-42 est annoncé. La collection Documenta Q est publiée à Leuven par Peeters.

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qu’a fait F. Neirynck de l’édition critique198. Il refuse d’abord de suivre Robinson qui insiste pour donner le titre de Gospel à la source Q et s’en tient à sa position de 1995 : « Je considère, personnellement, qu’il y a avantage à conserver la pleine désignation “la Source (synoptique) de Paroles Q”, parce que cela nous rappelle le fait que nous n’avons pas d’accès direct au texte de Q, qui demeure un texte-source hypothétique que nous pouvons reconstruire à partir de Matthieu et de Luc199. » Il semble également s’en tenir à un « minimal Q200 ». D’autres chercheurs ont aussi souligné les dangers qu’entraîne avec elle la réussite remarquable de l’édition critique201. J.D.G. Dunn rappelle avec raison qu’« il 198. N, « e Reconstruction of Q ». 199. Ibid., p. 57. Voir son article de 1995 : N, « Q, From Source to Gospel », dans Evangelica III, 419-431. L’article commençait par ces mots : « What’s in a name ? » C’est sans doute à cet article que répond K V, Excavating Q, p. 398408, en intitulant son chapitre : « Q as a “Gospel”. What’s in a Name ? » – un chapitre qui constitue une très forte défense du mot Évangile pour qualifier Q. Il y a plus ici qu’une simple question d’appellation. Kloppenborg termine son argumentation en évoquant la plausibilité que le christianisme primitif ait pu comporter différents kérygmes et que Q ait pu représenter, en tout cas, « [a] different way of thinking of death and vindication and [a] differentness in framing a message of salvation » (p. 408). On le voit, l’enjeu est important. Cette supposée différence kérygmatique sera exploitée par le Jesus Seminar et la recherche américaine en général dans la quête du Jésus de l’histoire. C’est d’ailleurs à une suggestion de Crossan faite au SBL Q Seminar, 1987 que K V, Excavating Q, p. 98 n. 63, attribue l’expression anglaise « the Sayings Gospel Q ». C, Who Killed Jesus ?, p. 25, le dira très clairement : « I term it, to give it full honor, the Q Gospel because I do not think of it as just somebody else’s source. » Dans son livre, Arland D. J, The First Gospel. An Introduction to Q, Sonoma, CA, Polebridge Press, 1992, p. 3, disait clairement : « Le terme “Évangile” est utilisé de façon provocatrice (provocatively) pour suggérer que, dans sa compréhension de Jésus, le document Q n’a pas nécessairement besoin de se focaliser sur sa mort et sa résurrection. » C’est pour s’opposer à cette « sorte de provocation » que Sato refuse d’employer le mot Évangile (Gospel) et s’en tient à l’appellation « document Q » ou « texte Q », et évite aussi le terme « source », puisque ce texte n’était pas forcément destiné à devenir une source pour Mt et Lc : Migaku S, « Le document Q à la croisée de la prophétie et de la sagesse », dans D – M (dir.), La source des paroles de Jésus (Q), 99-122, p. 101. 200. N, « e Reconstruction of Q », p. 92. 201. Le danger, devant cette « édition critique », c’est d’oublier, par exemple, que cette source « n’est justement qu’une hypothèse de travail », selon la recension publiée par Élian  C, ETR  76 (2001) 428 ; de penser aussi que ce texte doit être considéré désormais « as the received text of Q », ce dont Harry T.  F nous met en garde par une autre recension dans CBQ 64 (2002) 391-392. Schröter, qui estime qu’il est « tout aussi impossible de reconstruire Q que Marc à partir de Matthieu et de Luc », a aussi réagi fortement contre ceux qui minimisent le caractère hypothétique du texte de Q de la Critical Edition : S, « Les toutes premières interprétations », p. 298 et p. 318 (voir aussi p. 296 note 7). Dans le même collectif, M, « Pourquoi s’intéresser à la source ? », p. 43, s’est élevé contre le titre même donné à l’ouvrage : « Intituler l’hypothèse textuelle Critical Edition of Q et non Critical Reconstruction of Q est un coup de force langagier inadmissible ; on ne peut éditer qu’un manuscrit existant physiquement, sinon on le reconstitue. »

         143 ne faudrait pas présumer que la publication de The Critical Edition of Q (Robinson/Hoffmann/Kloppenborg) a réglé la question du contenu et de l’étendue du document. Et on ne devrait certainement pas conclure que le matériel de Q existait seulement sous forme écrite ou documentaire202. » On pourrait penser que ces auteurs ne font pas le poids face aux spécialistes de Q que sont Robinson ou Kloppenborg. Mais quand la mise en garde vient d’un autre spécialiste comme C.M.  Tuckett, il convient peut-être d’écouter. Dans une courte recension de Die Spruchquelle Q, publié par Hoffmann et Heil203, Tuckett rappelle à cinq reprises le caractère hypothétique de cette reconstruction : « tout texte de Q est au mieux une reconstruction à partir des évangiles de Matthieu et de Luc » ; « toute reconstruction d’un “texte” tel que Q doit rester jusqu’à un certain point conjecturale » ; « tout texte ainsi reconstruit va demeurer, de façon permanente, provisoire et sujet à reconsidération » ; « on ne doit pas perdre de vue la nature provisoire des “résultats” de son [de l’International Q project] travail » ; « il serait certainement dommage (“a shame”) si la réimpression répétée de son texte reconstruit lui procurait à elle seule un statut supérieur à celui auquel ce texte peut légitimement prétendre204. » Le danger existe ! 2.3 Histoire de la composition de Q Si la reconstruction du texte de Q vise à établir son texte final, celui utilisé par Mt et Lc, ce texte cependant aurait eu une histoire. On peut au moins penser à deux étapes : « une première tradition-Q utilisée par un rédacteur-Q postérieur205 ». Mais, selon D.C. Allison, « la plupart des chercheurs modernes » vont beaucoup plus loin et soutiennent « que Q  n’a pas été créé en une seule fois, mais produit par étapes : c’est un document composite fabriqué à partir essentiellement d’unités qui ont d’abord circulé isolément, un document dont plusieurs mains ont assuré

202. D, Jesus Remembered, p. 237 n. 261. Voir aussi M, Oral Tradition and Literary Dependency, p. 43. 203. H – H (dir.). Die Spruchquelle Q. 204. Recension publiée par T, dans JTS 55 (2004) 228-230. D’ailleurs l’emploi extensif, dans The Critical Edition of Q, des doubles crochets [square brackets] [[ ]], i.e. « reconstructions that are probable but uncertain » (p. lxxxii) ou « probably in Q, but only with an evaluation of {C} », cette lettre signifiant « that there is considerable degree of doubt » selon la procédure de critique textuelle qui semble ici acceptée (p. lxxx), témoigne fortement de ce caractère provisoire. 205. Christopher M. T, « On the Stratification of Q. A Response », dans Semeia 55 (1991) 213-222, p. 221.

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la croissance206 ». C’est la thèse de J.S. Kloppenborg, The Formation of Q, qui a eu sur ce point le plus d’influence207. L’auteur distinguait dans le document Q trois strates. Un premier ensemble qualifié de sapiential constitué d’éléments parénétiques, d’instructions et d’exhortations ; puis un deuxième niveau caractérisé par divers éléments « prophétiques » : annonces de jugements, cycle de Lot et vue deutéronomiste de l’histoire (violence faite aux prophètes) ; enfin, un troisième niveau moins développé comportant quelques éléments narratifs (principalement le récit de la tentation) et d’autres touchant la Loi (Q 11,42c ; 16,17)208. Malgré sa popularité, le schéma de Kloppenborg n’a pas fait l’unanimité. D.C.  Allison, par exemple, a contesté la distinction faite entre « niveau sapiential et niveau prophétique », « ensembles sapientiaux et ensembles prophétiques » et maintenu que « la reconstruction d’un document primitif de sagesse n’est pas convaincante209 ». Il a lui-même proposé son « histoire de la composition en trois étapes210 » . Q1 aurait été pour lui « un ancien document destiné à la formation et à l’encouragement des missionnaires211 ». Cette première collection, « centrée étroitement sur les itinérants, a été […] transformée en document d’exhortations chrétiennes générales212 », Q2. Enfin, une troisième partie, Q3, très riche christologiquement, aurait compris Q 3,7–7,35 et 11,14-52213. Alors 206. Dale C. A, The Intertextual Jesus. Scripture in Q, Harrisburg, PA, Trinity Press International, 2000, p.  206. Selon K V, Excavating Q, p.  130, « two decades of close analysis of Q has convinced most specialists that a fairly complex compositional history preceded the “final text” ». 207. La dissertation doctorale de Kloppenborg (1984) s’intitulait « e Literary Genre of the Synoptic Sayings Source » mais, reçue par James M. Robinson dans la collection « Studies in Antiquity and Christianity », elle devint The Formation of Q. Trajectories in Ancient Wisdom Collections. K V, « e Composition and Genre of the Sayings Gospel Q », dans Excavating Q, 112-165, reprend complètement son exposé. 208. Selon Mack, ce serait en 1988, dans le Q Seminar de la Society of Biblical Literature, pour qui « the three layers of textual tradition in Q had already become an acceptable working hypothesis », que les notations devenues communes, Q1+Q2+Q3, ont été créées « in order to refer to each layer », M, The Lost Gospel, p. 44. 209. Dale C. A, The Jesus Tradition in Q, Harrisburg, PA, Trinity Press International, 1997, p. 7. 210. Ibid., p. 40. 211. Ibid., p. 31. 212. Ibid., p. 32. 213. Ibid., p.  34. Voir aussi Dale C. A, « e Compositional History of Q », dans The Jesus Tradition in Q, 1-66, contesté évidemment par K V, Excavating Q, p. 117 n. 7. Voir également l’évaluation que fait Sato de la « stratigraphie » de Kloppenborg, à l’occasion de sa longue présentation de la « prophétie sapientiale » de Q : S, « Le document Q à la croisée de la prophétie et de la sagesse », p. 102-122. Dans le même ouvrage, Kloppenborg a présenté ses accords et désaccords avec la thèse de Sato : K, « Sagesse et prophétie dans l’évangile des paroles Q », dans D – M (dir.), La source des paroles de Jésus (Q), 73-98.

         145 que Neirynck, à part quelques allusions, ne s’est guère prononcé sur le sujet, me semble-t-il, Tuckett, de son côté, a formulé plusieurs fois ses réticences. En 1992 d’abord où, invité à donner ses réactions, il soulevait plusieurs questions de méthode, s’inquiétant en particulier de la continuité ou discontinuité entre les différents stades de composition : « si on suppose un trop grand écart entre les niveaux […] se pose alors la question de savoir pourquoi un éditeur postérieur aurait jamais utilisé la tradition plus ancienne214 ». En 1992 encore, son article « e Temptation Narrative in Q » avait pour but de mettre en question la nécessité « pour la théorie, de supposer que Q a passé, dans sa croissance, par une série d’étapes différentes215 ». En 1996, il concluait son analyse de The Formation of Q216 comme suit : En conclusion, le modèle détaillé de stratification proposé par Kloppenborg pourrait n’être pas aussi sûrement fondé que certains l’ont supposé […]. Si, comme j’ai essayé de le montrer, il n’est pas nécessaire de postuler un Q3 à la suite de Q2, et si le matériau qui précède Q2 est peut-être plus disparate [pas complètement sapiential], et si on ne peut montrer que la strate supposée de Q1 a existé comme unité littéraire de plein droit avant Q2, on se retrouverait peut-être alors avec un modèle beaucoup plus simple, notamment celui d’un éditeur-Q reprenant et utilisant (possiblement une variété) de matériaux plus anciens217.

En 2001, il revenait de façon critique sur les trois strates de Kloppenborg et redisait : « On ne peut si facilement prétendre discerner des strates clairement identifiables du texte de Q lui-même218. » Enfin, J.D.G. Dunn, dans son Jesus Remembered, après s’être interrogé en plusieurs pages sur « A Redactional Q ?219 », rejette la stratification et déclare que « l’hypothèse “alternative” d’un seul acte de composition rend pleinement compte des données disponibles220 ». Je ne sais s’il est exact de dire, comme il le fait, que « le mouvement du balancier pourrait avoir commencé à prendre 214. T, « On the Stratification of Q », p.  214. F. Gerald D, « WordProcessing in the Ancient World. e Social Production and Performance of Q », dans JSNT 64 (1996) 29-48, rejette également la stratification proposée par Kloppenborg. 215. T, « e Temptation Narrative in Q », p. 479 n. 1. 216. K (V), The Formation of Q. 217. T, Q and the History of Early Christianity, p. 73-74. 218. T, « e Son of Man and Daniel 7. Q and Jesus », p. 383. 219. D, Jesus Remembered, p. 152-158. 220. Ibid., p.  157. Pour une vue de l’état actuel de la discussion et des différents modèles proposés – évolutif (Schürmann), macro-rédactions intermédiaires (Jacobson, Sato, Allison, Kloppenborg) ou rédaction unique (Schröter, Kirk ) –, voir Jacques S, « La composition du document Q », dans D – M (dir.), La source des paroles de Jésus (Q), 131-147. Schlosser lui-même semble plutôt pessimiste, estimant que, devant l’énorme disparité des résultats, « la voie qui mènerait à [l’]élucidation de la composition du document Q est définitivement bouchée » (p. 147).

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une direction opposée à celle de Kloppenborg, dans les récentes présentations de Q qui optent pour une seule étape de composition221 », mais je pense que, dans l’étude de Q, il est plus indiqué de suivre la recommandation de Tuckett : Avant de chercher à dire la moindre chose à propos du sens possible de telle donnée à quelque niveau pré-Q que ce soit ou dans une strate plus ancienne de Q, on devrait peut-être commencer par « Q lui-même » (en autant qu’il nous est accessible) […], la forme « finale » de Q, [précisant en note qu’il entendait par là] la phase atteinte dans le développement des traditions Q, quand Matthieu et Luc utilisent le document 222.

2.4 Kérygme indépendant et communauté Q ? La remarque de Tuckett vaut assurément pour toute étude rédactionnelle qui tenterait un exposé précis de la théologie de Q. Certains ont nié la possibilité même d’établir une telle théologie. Parce qu’on ne saura jamais – à moins d’en découvrir un manuscrit – les dimensions exactes du document Q, C.S. Rodd concluait qu’« essayer de présenter la théologie de Q est une folie totale223 ». Tuckett a répondu sagement qu’il ne fallait pas essayer de bâtir une théologie de Q à partir de ce qui n’est pas dans Q, mais à partir « de ce qui s’y trouve » (disons, la double tradition ou le minimal Q selon Neirynck) : Ainsi les affirmations concernant l’importance possible d’une « christologie du Fils de l’homme », d’une christologie sapientiale, de concepts sapientiaux, le thème du jugement présenté dans une vue deutéronomiste de l’histoire, sont toutes reconnues (par certains) comme caractéristiques de la théologie de Q, en raison des matériaux qui s’y retrouvent selon un commun accord224.

C’est d’ailleurs pour cette raison que Tuckett se dit méfiant des théories qui prônent différentes strates en Q, comportant des perspectives radicalement différentes en chacune. Mon propre essai pour donner un aperçu des aspects de la « théologie » de Q [dans Q and the History] a voulu adopter de fait une telle approche « littéraire », mais en tenant compte de la contribution de tout le matériel de Q, de Q comme un tout225.

221. D, Jesus Remembered, p.  156 n.  80, où il cite aussi plusieurs auteurs, dont J. Schröter, A. Kirk, P. Hoffmann, D. Lührmann. 222. T, « e Son of Man and Daniel 7. Q and Jesus », p. 372 et n. 7. 223. R, « e End of the eology of Q ? », p. 12. 224. T, « e Search for a eology of Q », p. 292. 225. Ibid., p. 294 n. 14.

         147 Mais cette théologie est-elle différente de ce que nous trouvons ailleurs dans le NT ? Selon S. Schulz, derrière Q, se cache une zone spéciale de tradition, comportant une tradition kérygmatique indépendante, c’est-à-dire une communauté distincte qui a préservé et continué de proclamer le message de Jésus dans la situation d’après-Pâques226.

Mais c’est Burton Mack qui a tiré de ce qu’on ne trouve pas dans Q l’interprétation la plus provocatrice : La chose remarquable concernant les gens de Q (« Q people »), c’est qu’ils n’étaient pas chrétiens. Ils ne voyaient pas Jésus comme un messie ou le Christ […]. Ils ne percevaient pas sa mort comme un événement divin, tragique ou sauveur. Et ils n’imaginaient pas qu’il avait été ressuscité des morts pour régner sur un monde transformé […]. En conséquence, ils ne se réunissaient pas pour rendre un culte à son nom, pour l’honorer comme un dieu, ou entretenir sa mémoire par des hymnes, des prières et des rites. Ils n’ont pas élaboré un culte du Christ comme celui qui émergea parmi les communautés chrétiennes familières à ceux qui lisent les lettres de Paul. Les gens de Q étaient les gens de Jésus, ce n’était pas des chrétiens227.

Il me semblait que D.C. Allison avait fait justice des prétendues conclusions qu’on a voulu tirer de ces silences de Q228. J’ai moi-même souligné l’ambiguïté de cet argument et montré par ailleurs qu’il n’était pas établi que Q ne comportait aucune allusion à la mort-résurrection de Jésus229. Par contre, J.S. Kloppenborg, dans un petit livre intitulé Q, The Earliest Gospel, vient de reprendre la question et redit avec force que Q était

226. Siegfried S, « Die Gottesherrscha ist nahe herbeigekommen (Mt 10, 7/ Lk 10, 9). Der kerygmatische Entwurf der Q-Gemeinde Syriens », dans Horst B – Siegfried S (dir.), Das Wort und die Wörter. Festschri Gerhard Friedrich, Stuttgart, Kohlhammer, 1973, 57-67, p. 58. Je traduis ici en français la traduction anglaise de la citation de Schulz offerte par K, The Formation of Q, p. 26. Kloppenborg ajoutait plus loin : « a discrete group in which Q functioned as the central theological expression […]. As indicated above [this position] has the most to recommend it. Consequently, Q must be understood without recourse to theological harmonization (je souligne) with either the passion kerygma or the passion stories. » (p. 39). 227. M, The Lost Gospel, p. 4. 228. A, The Jesus Tradition in Q, p.  43-46. Voir aussi, à propos de Q, les réflexions de Larry W. H, Lord Jesus Christ. Devotion to Jesus in Earliest Christianity, Grand Rapids, MI – Cambridge, UK, Eerdmans, 2003, p.  239-244 (sur « e Argument from Silence »). Traduction française : I, Le Seigneur Jésus Christ. La dévotion envers Jésus aux premiers temps du Christianisme (LD, 220), Paris, Cerf, 2009. 229. M, « Quelle(s) communauté(s) derrière la source Q ? » (chapitre 6 de ce livre). Voir Jans S, « Les toutes premières interprétations » – particulièrement la section « Le destin de Jésus Fils de l’homme selon Q », p.  315-318, où il explique la manière dont il entend « la forme particulière de “foi pascale” » qu’on rencontre chez Q (p. 317).

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a different kind of Gospel230. Après un premier chapitre qui souligne avec une étonnante clarté que toutes les solutions du problème synoptique restent des hypothèses non prouvées231, il affirme par la suite, avec une assurance qui ne tient plus aucun compte de ce caractère hypothétique232, que Q est un évangile différent : différent des quatre évangiles canoniques et de l’évangile prêché par Paul233 ; différent pour le cœur de son enseignement qui ne porte plus sur l’identité de Jésus en tant que Fils de Dieu, comme en Marc, mais sur le comportement et les attitudes qui reflètent le règne de Dieu234 ; différent en particulier pour sa manière de comprendre la justification de Jésus après sa mort 235. La nouveauté, peutêtre, porte sur ce dernier point. Dans Excavating Q, en 2000, Kloppenborg reconnaissait, avec Marinus de Jonge : il est extrêmement improbable […] que les communautés dans lesquelles les paroles de la collection Q ont été transmises n’aient pas connu d’autres traditions au sujet de la vie, de la mort, et de la résurrection/exaltation de Jésus. […] On ne peut certainement pas parler du rejet de Jésus par les leaders d’Israël sans raconter ce qui était arrivé par la suite236.

Il ne reprend plus cet argument dans ce nouveau livre de 2008, mais se demande s’il est possible que les gens de Q [the Q people] aient cru simplement que Jésus, comme les prophètes tués avant lui, aurait dû attendre la résurrection générale pour être justifié [for vindication]. Mais cela aurait impliqué que ces gens [the Q folk] étaient suffisamment isolés des autres courants du mouvement de Jésus pour ne pas avoir entendu parler d’histoires de

230. K, Q, The Earliest Gospel. An Introduction to the Original Stories and Sayings of Jesus (2008). Ces mots : « A different kind of Gospel » (introduction, p. ) pourraient être le titre même du livre ! Dans une recension qu’il en fait – un peu trop élogieuse, il me semble – T, dans RBL (07/2009), critique uniquement l’adjectif « Original » du sous-titre qui pourrait laisser entendre que les récits et les paroles en Q nous donnent « the most authentic (perhaps even the “original”) form of the Jesus tradition ». 231. K, Q, The Earliest Gospel, p. , 20, 38. 232. Ibid., p. 62-97 (tout le chapitre trois : « What a Difference Difference Makes ») et p. 121. 233. Ibid., p. 64. 234. Ibid., p. 97. Aussi : « [T]his lost Sayings Gospel gives us […] a different Gospel with a different view of Jesus’ significance. It is not a dying and rising savior that we see in Q, but a sage with uncommon wisdom, wisdom that addressed the daily realities of small-town life in Jewish Galilee », Ibid., p. 121. 235. Ibid., p. 80-84. 236. K V, Excavating Q, p.  374-375, citant Marinus  J, Christology in Context. The Earliest Christian Responses to Jesus, Philadelphia, PA, Westminster, 1988, p. 83-84.

         149 tombeau vide et d’apparitions de Jésus à ses disciples. Ce scénario est effectivement difficile à imaginer. Mais alors, si Q connaissait bien le concept de résurrection, pourquoi ne l’a-t-il pas appliqué à Jésus237 ?

Comme réponse possible, Kloppenborg fait appel à l’hypothèse proposée par son élève D.A. Smith (à la suite de Dieter Zeller) qui remplace la métaphore de la résurrection par celle de l’assomption, de l’enlèvement238. Élie et Hénoch, enlevés auprès de Dieu, disparaissent et on ne les voit plus (Gn 5,24 ; 2 R 2,12). Se basant sur l’affirmation de Jésus aux Jérusalémites : « Et je vous le dis, vous ne me verrez plus jusqu’à ce que vienne le temps où vous direz : Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient » de Q 13,35 (Q maintient de cette manière un rôle à Jésus au-delà de la mort, une fonction eschatologique), Kloppenborg estime que la résurrection n’aurait pas été la seule métaphore disponible pour imaginer la justification de Jésus après sa mort 239. Il observe que cette vue des choses a été complètement obscurcie quand Q a été incorporé en Mt et Lc. Pourtant, malgré les deux études de D.A.  Smith, Kloppenborg doit finalement admettre que cette spéculation à propos de la justification de Jésus « est basée sur la plus mince des indications : la moitié d’une phrase en Q  13, 35240 ». L.W. Hurtado, dans l’excellent chapitre qu’il consacre au  document Q dans son Lord Jesus Christ241, avait très bien montré l’existence côte à côte, en divers écrits chrétiens, de modèles christologiques différents qui, loin de s’opposer se recoupent et se retrouvent sans problème dans les mêmes écrits242. Si la métaphore de l’assomption se 237. K, Q, The Earliest Gospel, p. 82. 238. Daniel A. S, « Revisiting the Empty Tomb. e Post-Mortem Vindication of Jesus in Mark and Q », dans NovT 45 (2003) 123-137. éorie reprise dans I, The PostMortem Vindication of Jesus in the Sayings Gospel (LNTS, 338), London, UK – New York, NY, T&T Clark International, 2007. Voir Dieter  Z, « Entrückung zur Ankun als Menschensohn (Lk 13,34f. ; 11,29f.) », dans François R (dir.), À cause de l’évangile. Études sur les Synoptiques et les Actes, offertes au P. Jacques Dupont, O.S.B. à l’occasion de son 70e anniversaire (LD, 123), Paris, Publications de Saint-André – Cerf, 1985, 513-530. 239. K, Q, The Earliest Gospel, p. 84. 240. « We must admit that this speculation about Q’s view of Jesus’ vindication is based on the slenderest of evidence : half a sentence in Q 13:35 », K, Q, The Earliest Gospel, p. 84. 241. Voir H, « Q and Early Devotion to Jesus », dans Lord Jesus Christ, 217257, où cet exégète, en dialoguant avec l’Excavating Q de Kloppenborg, rejette plusieurs positions de Kloppenborg, positions que ce dernier a tout de même reprises dans Q, The Earliest Gospel, sans correction et sans référence à Hurtado – dont il a pourtant connu un premier état du texte, puisqu’il lui reprochait d’y faire une « retrospective harmony », selon H, « Q and Early Devotion to Jesus », p. 232 n. 38 (revoir dans le présent chapitre, à la note 226, la theological harmonization) et p. 254 n. 94. 242. Il suffit de voir qu’en Ph 2,6-11 on trouve le schéma mort–exaltation (acclamation), mais tout à côté dans la même épître celui de mort–résurrection (3,10-11) et celui aussi, semble-t-il, de mort–assomption en 3,20-21. De même, l’Épître aux Hébreux parle

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retrouvait effectivement en Q, elle ne serait donc, d’aucune manière, l’indice d’un évangile différent. À mon avis243, s’il n’est pas question de la résurrection dans ce texte hypothétique de Q, ce n’est pas qu’il s’agit là d’un évangile différent, mais parce qu’on y retrouve, principalement, les traditions conservant des paroles du Jésus d’avant Pâques. Les traditions que Luc, précisément, dit avoir reçues de ceux qui avaient d’abord vu Jésus de leurs yeux (autoptai) et qui sont devenus par la suite (après Pâques) serviteurs de la Parole (Lc 1,2). Traditions de ces lointains autoptai d’avant Pâques, dont Luc nous révèle l’existence, et qui auront permis à beaucoup (polloi) « de composer un récit des événements accomplis parmi nous » (Lc  1,1). Parmi ces polloi, il faut placer le ou les responsables de cette source de paroles de Jésus (Q), qui aura gardé de cette « autopsia » la couleur primitive de la Galilée d’avant Pâques244. Mais ce n’est pas un évangile différent, qui nous donnerait un autre Jésus. On le voit, cette question d’un évangile ou kérygme indépendant est souvent liée à celle d’une supposée communauté, elle aussi indépendante, dont on apercevrait le reflet dans la source Q. Je ne reprendrai pas ici l’examen des différentes hypothèses socio-historiques imaginées pour décrire les responsables de ce document 245 : la thèse de l’itinérance (G. eissen), l’hypothèse cynique (G. Downing, B.L. Mack, L. Vaage)246, principalement, tout au long de son exposé de christologie sacerdotale, d’entrée dans le sanctuaire, dans le ciel, devant la face de Dieu (He  9,24), mais évoque néanmoins la résurrection dans la doxologie finale (He 13,20-21). 243. Je reprends ici un point que j’ai touché ailleurs : M, « De quelques présents débats dans la troisième quête », p. 196-203 – repris au chapitre 3 de ce livre ; I, « De la Source Q comme reflet des “témoins oculaires” de Luc 1,2 », dans André G – Alain G – Sylvie P L (dir.), Le Vivant qui fait vivre. Esprit, éthique et résurrection dans le Nouveau Testament. Mélanges offerts à la professeure Odette Mainville (Sciences bibliques, 22), Montréal, Médiaspaul, 2011, 151-172 (chapitre 7 du présent livre). 244. Je note avec plaisir que Marguerat pense aussi que la source des paroles de Jésus pourrait être du nombre des polloi de Lc 1,1 : M, « Pourquoi s’intéresser à la source ? », p. 19. 245. Voir M, « Quelle(s) communauté(s) derrière la source Q ? », p. 581-593 – repris au chapitre 6 de ce livre. Il faut voir, plus récemment, l’article de S, « Réflexions socio-historiques sur les porteurs de la tradition et les destinataires de Q ». Je retiens, pour ma part, la distinction empruntée à T, Q and the History of Early Christianity, p. 367, entre l’itinérance (itinerancy) et l’absence de foyer (homelessness), que Schmeller considère « comme absolument capitale et féconde » (p.  155 et 167) : « Les messagers de Q n’étaient pas des radicaux itinérants, au sens où ils auraient rompu durablement tout lien avec leur famille, leur bien et leur patrie. Il est à supposer que lorsqu’ils étaient envoyés, ils rentraient, une fois leur tâche effectuée, et réintégraient les communautés sédentaires de Q » (p. 167). 246. Il faut néanmoins signaler la ferveur étonnante avec laquelle Kloppenborg, sans adhérer lui-même à l’hypothèse, défend la légitimité de la comparaison avec les cyniques – notons qu’au départ ce n’était pas une simple comparaison pour Mack et Vaage – et

         151 le mouvement de renouveau dans les villages de Galilée (R.A. Horsley), les scribes plus ou moins dissidents des villages de Basse-Galilée en conflit avec les hautes formes d’écriture qui avaient cours à Jérusalem (J.S.  Kloppenborg)247. Mais y a-t-il vraiment une communauté derrière tout texte ? Et faut-il, à plus forte raison, présumer l’existence d’une communauté différente pour chaque niveau de texte ? Avec J.D.G. Dunn, en tout cas, il faut certainement rejeter la fausseté qui suppose l’existence d’un seul document par communauté [the “one document per community” fallacy]. Il n’est pas acceptable d’identifier tout simplement le caractère d’une communauté avec le caractère d’un document qui lui est associé. Un tel document révélera sans doute des préoccupations et des accents qui se retrouvent dans l’enseignement de la communauté. Mais c’est seulement si on peut être assuré que ce document unique était le seul document (ou matériel traditionnel) de la communauté, qu’on pourrait légitimement inférer que les préoccupations et les croyances de la communauté ne dépassaient pas ce qui est exprimé dans le document. Et on ne peut avoir une telle assurance248.

La question du lien des évangiles avec une communauté particulière vient, par ailleurs, de soulever de nouveaux débats. Après avoir rappelé qu’en Marc, le mot évangile prend le sens de proclamation universelle liée à un récit concernant Jésus (cf. Mc 13,10, mais surtout 14,9 ; en n’oubliant pas 16,15 dans la conclusion secondaire de Mc, qui semble faire le lien entre Mc  13,10 et 14,9 et la finale de Mt  28,18-20), qui ne s’adresse pas uniquement à la communauté de Rome ou aux Églises d’Italie, M. Hengel a montré, de manière convaincante à mon avis, que, contrairement à une vue très répandue, aucun des quatre évangiles n’a été écrit pour une seule communauté particulière ; ils reproduisent encore moins les vues d’une seule communauté individuelle. Ils présentent avant tout les vues de leurs auteurs […]. On devrait donc cesser de parler automatiquement de la « communauté de Marc », ou « de Luc », ou « de Matthieu », ou « de Jean », comme étant la véritable responsable de la composition d’un écrit évangélique et de sa théologie. Les quatre évangiles n’ont rien à voir avec des « lettres » qui étaient occasionnées par une communauté […]. Parler critique sévèrement tous ceux qui osent s’opposer à l’hypothèse : K V, Excavating Q, p. 420-444, qui reprend son long article polémique : I, « A Dog among the Pigeons ». 247. William E. A, Jesus and the Village Scribes. Galilean Conflicts and the Setting of Q, Minneapolis, MN, Fortress, 2001, p. 170, a développé la suggestion de Kloppenborg (son directeur de thèse) « that the persons responsible for Q were scribal figures, and, more particularly, were villages scribes (komogrammateis) ». Voir K V, Excavating Q, p. 201. Tout en retenant la stratification de Kloppenborg, A, Jesus and the Village Scribes, p.  162, pense cependant « that a single group was responsible for its various stages ». 248. D, Jesus Remembered, p. 150.

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  d’une « communauté Q », c’est-à-dire de la communauté de la source des Logia, est encore un plus grand non-sens [nonsensical... term] en fait, on ne sait même pas sous quelle forme cette source [ou ces sources] a existé249.

C’est cette même possibilité, qu’un évangéliste écrivant un évangile s’attendait à ce que son travail circule largement parmi les églises, qu’il n’avait en vue aucun auditoire particulier, mais envisageait comme auditoire toute église (ou toute église où le grec était compris) où son travail pourrait parvenir,

qu’avait défendue, de façon vigoureuse, Richard  Bauckham dans son article « For Whom Were Gospels Written ?250 ». Cette présentation des évangiles comme littérature écrite pour toutes les Églises a provoqué et provoque encore des remous considérables251. Elle rappelle en tout cas, fort pertinemment, que « le tout premier mouvement chrétien […] n’était pas un éparpillement de communautés isolées, se suffisant à elles-mêmes, avec peu sinon pas de communications entre elles, mais tout à fait à l’opposé, c’était un réseau de communautés entretenant de constantes et proches communications entre elle252 ». Pour revenir à la source Q, il est impensable qu’il ait existé, surtout si on la situe dans le territoire restreint de Galilée, une communauté de chrétiens, totalement séparée des autres chrétiens et de leurs réseaux de communication et qui aurait maintenu un tout autre kérygme, ignorante du kéryme pascal ou s’y opposant253. Comme si cette communauté avait 249. H, The Four Gospels, p. 106-107. Sur cette vue des évangiles comme « narrative proclamation » ou « kerygmatic biography of Jesus », voir p. 97, mais aussi p. 92, 94, 108 et 210 n. 5. 250. Richard B, « For Whom Were Gospels Written ? », dans Richard B (dir.), The Gospels for All Christians. Rethinking the Gospel Audiences, Grand Rapids, MI – Cambridge, UK, Eerdmans, 1998, 9-48, p. 11. Hengel ne cite pas cet ouvrage mais énonce, indépendamment, des idées très voisines. 251. Voir Philip F. E, « Community and Gospel in Early Christianity. A Response to Richard Bauckham’s Gospels For All Christians », dans SJT 51 (1998) 235-248, et Richard B, « Response to Philip Esler », dans SJT 51 (1998) 249-253 ; David C. S, « e Gospels for All Christians ? A Response to Richard Bauckham », dans JSNT 84 (2001) 3-27. 252. B, « For Whom Were Gospels Written ? », p. 30. Sur le haut degré de mobilité dans le monde romain du Ier siècle, voir Michael B.  T, « e Holy Internet. Communication Between Churches in the First Christian Generation », dans B (dir.), The Gospels for All Christians, 49-70. ompson conclut : « It is thus less likely that the gospels were produced for a select few, and more likely that they were written with an eye to their dissemination » (p. 70). Sur les communications entre communautés, voir D, Jesus Remembered, p. 152, et, en référence à Bauckham, p. 251. 253. C’était une hypothèse évoquée par K, The Formation of Q, p. 21-22 : « We must either posit two somewhat asymmetrical “kerygmas” existing side by side in the same churches, or alternatively presume that Q’s “kerygma” derives from circles different from those which created the “Crucified and Risen Lord” kerygma. »

         153 été entourée d’un mur la séparant du reste des communautés chrétiennes connues par ailleurs. Et cela même si elle incluait des missionnaires itinérants (voir Q 10,2-4) qui, après avoir sillonné la Palestine ou la Syrie, devaient bien rapporter dans la communauté quelques échos de ce qui se disait et célébrait ailleurs, quelques échos de cette tradition pascale que Paul évoque en 1 Co 15,1-5 et qui remonte à sa « conversion » vers 35, quelques années à peine après la mort de Jésus254. Le fait que Mt et Lc aient inséré cette tradition Q dans leur propre ouvrage montre bien qu’ils n’y voyaient pas une opposition à leur propre « Évangile ». Je continue de penser que le rédacteur de Q est à ranger parmi ces polloi qui auraient entrepris, selon Lc  1,1, « de composer un récit des choses accomplies parmi nous255 ». 3. Conclusion : Q et le Jésus de l’histoire J’ai laissé entendre, en m’engageant dans les « abîmes » de la source Q, que cette recherche n’était pas purement platonique et semblait souvent orientée vers la quête du Jésus de l’histoire256. Le Colloquium Biblicum Lovaniense de 2000, qui est à l’origine de l’imposant ouvrage The Sayings Source Q and the Historical Jesus, montre bien, me semble-t-il, qu’il en est ainsi257. On peut penser que ce thème a retenu l’attention en raison de l’utilisation qui a été faite, dans cette perspective, des résultats de la recherche sur Q, par certains membres du Jesus Seminar (B.L.  Mack, L.  Vaage, J.D.  Crossan, M.  Borg) et d’autres scholars en Amérique du Nord. En particulier, la stratification proposée par Kloppenborg semblait ouvrir une voie royale pour rejoindre le Jésus de l’histoire. En s’en tenant à Q1, le niveau sapiential présumé le plus ancien, on en déduisait, puisque ce document nous plaçait « aussi près du Jésus de l’histoire qu’on ne le sera jamais258 », que le Jésus réel avait été un sage itinérant à la manière 254. Voir M, « Quelle(s) communauté(s) derrière la source Q ? », p. 597-598 – repris au chapitre 6 de ce livre. 255. Voir M, « Quelle(s) communauté(s) derrière la source Q ? », p.  605 – repris au chapitre 6 de ce livre. 256. Vont dans ce sens, par exemple, l’affirmation de James M. R, « e Critical Edition of Q and the Study of Jesus », p.  44 : « It is in the archaic collections imbedded in Q that one can with the most assurance speak of material that goes back to sayings of Jesus himself » ; voir aussi ses remarques finales où il dit que « the text of the Q movement, the Sayings Gospel Q », fournit « the most reliable information we have about the historical Jesus » et que « the Jesus of Q points more to the historical Jesus than to […] the kerygmatic Christ » (p. 52). 257. L (dir.), The Sayings Source Q and the Historical Jesus. 258. M, Who Wrote the New Testament ?, p. 47. Voir aussi I, The Lost Gospel, p. 203.

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 

des philosophes cyniques. La tradition, par la suite, lui avait indûment rattaché des préoccupations apocalyptiques ou eschatologiques259. Le Jésus que la strate la plus ancienne du document Q permettrait d’entrevoir était bien, comme le Jesus Seminar aimera le présenter, « un Jésus non eschatologique260 ». Pourtant, Kloppenborg lui-même avait expressément déclaré : Affirmer que les éléments sapientiaux ont été formateurs de Q et que les oracles de jugement prophétique et les apophtegmes décrivant les conflits de Jésus avec « cette génération » sont secondaires n’implique rien à propos de la provenance traditionnelle historique ultime d’aucune des paroles. Il est en effet possible, voire probable, que certains des matériaux de la seconde phase de composition viennent de Jésus [are dominical] ou soient au moins très anciens, et que certains des éléments formateurs soient, du point de vue de l’authenticité ou de l’histoire de la tradition, relativement récents. L’histoire de la tradition ne se confond pas avec l’histoire littéraire, et c’est de l’histoire littéraire que nous traitons ici261.

Dans l’article qu’il consacre expressément au Jésus de l’histoire, il se montre d’abord réservé : « Les efforts pour comprendre la dynamique théologique et l’histoire de la composition de Q ne peuvent pas être naïvement traduits en affirmations sur le Jésus historique262. » Pourtant, même après avoir affirmé très clairement qu’« il est injustifié de s’appuyer sur l’absence d’éléments en Q pour dire que ces éléments n’étaient pas connus des éditeurs ou encore moins que ces éléments ne peuvent être attribués à Jésus263 », c’est malgré tout sur certains « silences » qu’il se base (silence relatif sur les miracles, activité qui n’aurait donc pas caractérisé Jésus ; silence sur le caractère salvifique de la mort de Jésus ; absence de controverses sur le sabbat et rareté des logia sur la Tôrah) 259. Ce n’était pas le seul argument, mais cette stratification a certainement été perçue comme un facteur important dans leur présentation, même si K, « Discursive Practices in the Sayings Gospel Q », p. 159, estime que « it is an error […] to conclude that the stratification theory of Q is the logical basis of either Mack’s or Crossan’s proposals ». Voir les commentaires de T, Q and the History of Early Christianity, p. 76 n. 23 (sur M, The Lost Gospel) et p. 369-373 (sur V, Galilean Upstarts). 260. Marcus J. B, Jesus in Contemporary Scholarship, Harrisburg, PA, Trinity Press International, 1998. p. 7-9, 30-31, 47-96, mais aussi F – H (dir.), The Five Gospels, p. 4. 261. K, The Formation of Q, p.  244-245 (l’auteur souligne). C’est une déclaration que Kloppenborg n’a cessé de reprendre pour se distinguer de ceux qui utilisaient sa stratigraphie, plus ou moins fidèlement d’ailleurs, pour accéder au Jésus de l’histoire : voir I, Excavating Q, p. 351 n. 43 ; et I, « Discursive Practices in the Sayings Gospel Q », p. 159 n. 29. 262. K, « L’Évangile “Q” et le Jésus historique », p.  244-245 (l’auteur souligne), traduction française de « e Sayings Gospel Q and the Quest of the Historical Jesus », p. 323. 263. K, « L’Évangile “Q” et le Jésus historique », p. 252.

         155 pour tracer un portrait de Jésus264. Ce qui l’amène à conclure : « Le rôle de Q dans la recherche sur le Jésus historique est donc crucial265. » Ses derniers mots rejoindront la position de B.L. Mack : En supposant que la communauté de Q se situait d’une façon ou d’une autre dans une continuité géographique et sociale avec les premiers disciples de Jésus, et étant donné la tendance naturellement conservatrice du processus de transmission, on peut penser que le fossé entre Jésus et Q n’est probablement pas trop grand266 .

Peut-être. Mais on devine encore, en ces mots, la tentation toujours présente de passer d’un texte à la réalité qu’il interprète. Pour retrouver le Jésus de l’histoire, et malgré le rêve des chercheurs, la source Q n’est pas en meilleure position que le reste de la tradition synoptique. Elle aussi interprète. Nous n’aurons jamais un accès direct à Jésus lui-même. Le Jésus que nous atteignons est un Jésus médiatisé par les yeux et le souvenir des témoins, que ce souvenir ait été conservé par le document reconstruit que nous appelons Q, par les synoptiques, l’évangile de Jean, le reste des textes du NT ou d’autres textes encore qui n’auraient pas été retenus dans le canon des Écritures. Quel que soit son domaine de recherche, l’historien sait aujourd’hui qu’il lui sera toujours impossible de rejoindre le passé tel qu’il s’est effectivement déroulé, « wie es eigentlich gewesen267 » (Ranke). Il n’en va pas autrement pour Jésus. Condamnés en ce sens à la modestie, il nous suffirait peut-être d’accepter avec sagesse que « le seul objectif réaliste pour toute “quête du Jésus historique” est le Jésus dont on a gardé la mémoire (“Jesus remembered”)268 ». Le document Q, même en ses éléments les plus anciens, ne nous offre pas autre chose.

264. Ibid., p. 252-258 = K, « e Sayings Gospel Q and the Quest of the Historical Jesus », p.  329-334 – section qui avaient pour sous-titre : « Interpreting Q’s silence ». C’est aussi sur ce qui ne se trouve pas en Q qu’insiste fortement K, Q, The Earliest Gospel, p. 62 : « Q is also distinctive for what it lacks. » I, Excavating Q, p. 362, est un bel exemple de ce passage du document Q au Jésus historique : « If Q’s silence concerning a salvific interpretation of Jesus’ fate makes it difficult or impossible to conclude that the historical Jesus considered his own death vicarious […], one might still wish to claim the notion of Jesus’ death “for us” (1  Cor  15:3) as a key Christian theologoumenon, but it would be difficult to affirm any rootedness of this doctrine in the historical Jesus. » Le silence de Q devient ainsi quasi normatif et impose ses limites. 265. K, « L’Évangile “Q” et le Jésus historique », p. 257. 266. Ibid., p. 267 (je souligne). 267. Leopold  R, Preface : Histories of the Latin and Germanic Nations from 1494–1514, éd. Fritz S, « e Ideal of Universal History : Ranke », dans The Varieties of History. From Voltaire to the Present, London, UK, Macmillan, 1970 (1956), 54-62, p. 57. 268. D, Jesus Remembered, p. 882.

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QUELLES COMMUNAUTÉS DERRIÈRE LA SOURCE Q ?* Le thème du Colloquium (The Sayings Source Q and the Historical Jesus) présuppose qu’on puisse passer de cette entité académique hypothétique qu’on appelle la source des logia, ou Source Q, au Jésus de l’histoire. Qu’on puisse, de ce point de vue, apercevoir quelque chose de ce que l’homme, Jésus de Nazareth, a été. Un portrait de Jésus qui pourrait être assez différent de celui dessiné par les évangiles canoniques, si, comme l’affirment des études récentes, Q est bien un document, reflétant une communauté particulière avec sa propre vision de Jésus. Pour aller du « texte1 » de Q au Jésus de l’histoire, il semble donc qu’il faille passer par la communauté porteuse ou responsable de ce texte. C’est l’objet de la présente étude. Cette enquête présuppose un long parcours à travers une masse de travaux devenus difficilement maîtrisables2 et implique un certain nombre de prises de position, concernant notamment l’existence de Q, sa nature et l’histoire de sa composition, qu’il n’est pas question de justifier ici, mais qu’il faut tout de même énoncer brièvement. Je tiens tout d’abord que la théorie des Deux-Sources, malgré certaines difficultés3, reste la solution la plus satisfaisante au problème synoptique. Mt et Lc auraient donc eu à leur disposition, en plus de Mc, une autre source commune, qu’il est convenu d’appeler Q. Très généralement, cette * Texte paru dans Andreas L (dir.), The Sayings Source Q and the Historical Jesus (BETL, 158), Leuven, Leuven University Press – Peeters, 2001, 577-606. 1. Bien qu’on soit toujours en domaine hypothétique, les chercheurs parlent communément et avec assurance du « texte » de Q. Par exemple, C, « e Sayings Gospel Q and the Quest of the Historical Jesus », p. 352, l’affirme carrément : « We do have a text of Q ; what we do not have is a manuscript. » 2. On peut s’en rendre compte en consultant les bibliographies fournies dans JBL depuis 1981. Voir encore Semeia 55 (1991) 245-265 ; John S. K (dir.), Conflict and Invention. Literary, Rhetorical, and Social Studies on the Sayings Gospel Q, Valley Forge, PA, Trinity Press International, 1995, p. 207-231 ; T, Q and the History of Early Christianity, p. 451-476. 3. Pour une vue classique de ces « faiblesses », voir Hans C – Andreas L, Guide pour l’étude du Nouveau Testament, trad. par Pierre-Yves B (MdB, 39), Genève, Labor et Fides, 1999, p.  104-105. Voir aussi l’étude minutieuse de William D. D – Dale C. A, The Gospel according to Matthew, p. 97-121.

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source rendrait compte des éléments communs à Mt et Lc que n’explique pas leur commune dépendance de Mc. Cette source n’aurait pas été simplement orale. Les accords entre Mt et Lc, qui vont parfois jusqu’au mot à mot dans leurs textes grecs (par exemple, Q 3,7-9 ; 11,9-10), semblent exiger un document écrit. Cette reconnaissance d’un document écrit est capitale4. Elle ouvre la porte aux hypothèses de reconstruction de ce texte, à l’étude de sa composition et de ses caractéristiques comme texte. Ce document ne doit pas être considéré comme un fourre-tout5 où se serait ramassé, sans ordre ni organisation, un ensemble de traditions disparates. L’étude de l’ordre dans lequel les matériaux de Q se retrouvent en Mt et Lc, sans être décisive (puisqu’il y a aussi du désordre !) suggère néanmoins que Q était bien une source unifiée6. Ce document enfin, tel qu’utilisé par Mt et Lc, était écrit en grec7. On peut laisser en suspens d’autres questions qui seront reprises en cours d’argumentation. Il suffit d’en énoncer quelques-unes qui montrent bien la complexité et la ramification des problèmes. Quelle était l’étendue précise de cette source ? Y a-t-il des passages que Mt aurait gardés mais que Lc aurait omis, ou l’inverse ? Mt et Lc avaient-ils la même version de Q, la même recension ? Qu’en est-il de l’histoire de la composition de ce texte ? Est-il vraiment possible de discerner, dans le document qu’on arrive hypothétiquement à reconstruire8, des indices de développement

4. Même Horsley, malgré son hypothèse de composition orale et bien qu’il pense que « scribes are not required for the composition of Q » (dans Richard A. H – Jonathan A. D, Whoever Hears You Hears Me. Prophets, Performance, and Tradition in Q, Harrisburg, PA, Trinity Press International, 1999, p. 294), doit reconnaître que le texte final de Q, celui utilisé par Mt et Lc, était bien un écrit : « […] that Matthew and Luke present so much of Q in verbatim parallels suggests that Q did indeed exist as a written document before it disappeared from historical view into their respective Gospels » (p. 145). 5. Comme le fait, par exemple, M, A Marginal Jew, vol. 2, p. 180 : « Taken as a whole, Q is something of a theological as well as form-critical grab bag. » Ce que K, « e Sayings Gospel Q and the Quest of the Historical Jesus », p. 322, a contesté fortement : « Q is not a simple recueil but is a construct of one sector of the “Jesus movement,” with its own christological, generic and compositional integrity. » Il y reconnaît « [a] deliberate composition » impliquant des stratégies argumentatives, une dispositio, dont doit tenir compte l’interprétation (p. 326-329). 6. Voir T, Q and the History of Early Christianity, p. 34-38. 7. Ce qui n’exclut pas que les traditions véhiculées par Q aient pu exister en araméen d’abord, beaucoup de ce matériel pouvant d’ailleurs remonter à Jésus lui-même qui parlait sans doute principalement araméen. Voir Ibid., p. 83-92. 8. Voir le texte fourni par l’équipe de l’International Q Project : Milton C. M – James M. R, « e International Q Project. Work Sessions 23-27 May, 22-26 August, 17-18 November 1994 », dans JBL 114 (1995) 475-485, et désormais, sous la responsabilité éditoriale de R – H – K, The Critical Edition of Q, 2000.

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littéraire permettant d’établir des strates d’époques et de contenus différents ? Y a-t-il, par exemple, une théologie ou une christologie caractéristique du document global, ou chaque strate comporte-t-elle une orientation différente, peut-être même divergente ? Les questions sont nombreuses et complexes. Celle sur laquelle je veux ici m’arrêter porte sur les responsables de ce document. Y a-t-il, derrière ce texte, une ou des communautés qui en seraient responsables, un ou plusieurs groupes qui en seraient porteurs ? Peut-on, à partir de ce document reconstitué, dessiner l’image complète de ces groupes ou communautés ? La ou les communautés, ainsi hypothétiquement reflétées, n’avaient-elles comme message à elles adressé, comme source de leur cohésion, comme expression de leurs convictions religieuses, que ce seul document Q ? Après quelques remarques de méthode, j’examinerai les réponses qu’on a fournies à ces questions, en reparcourant les hypothèses courantes sur l’existence de ces groupes ou communautés. Une troisième partie essaiera de situer, sur la carte du christianisme primitif que nos sources permettent de dessiner, le lieu d’ancrage d’une communauté qui se définirait uniquement par le contenu de la Source Q. 1. Quelques remarques de méthode La première remarque relèverait peut-être d’une philosophie du langage : peut-on vraiment sortir d’un texte ? Passer de l’univers textuel à son référent historique ? Les méthodes synchroniques de l’exégèse contemporaine, attentives aux « théories du texte », sont souvent devenues sceptiques face à la démarche historienne, veillant soigneusement, en tout cas, à se préserver de toute « illusion référentielle9 ». S’il faut se garder d’une certaine naïveté, il reste pourtant légitime de chercher dans un texte ce qui trahit l’époque et le milieu qui l’a vu naître. Selon leur genre, cependant, les documents n’ont pas tous la même référence à l’histoire. On ne tirera pas les mêmes conclusions d’un poème, d’une biographie ou d’une liste d’épicerie ! Or, quel est précisément le genre du document Q ? Une collection de dits de sagesse (J.M. Robinson, 9. Philosophe et historien, Michel F, L’archéologie du savoir (Tel, 354), Paris, Gallimard, 1969, p. 13-15, a témoigné de cette nouvelle forme d’histoire, qui met en cause le document, refusant d’y lire la « trace fragile » du passé, de « reconstituer, à partir de ce que disent ces documents – et parfois à demi-mot – le passé dont ils émanent et qui s’est évanoui maintenant loin derrière eux », et se contentant de le visiter comme un monument, d’en faire simplement la description intrinsèque, comme faisait autrefois l’archéologie, « comme discipline des monuments muets ».

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J.S.  Kloppenborg) ? Un écrit prophétique (M.  Sato) ? Un vade-mecum pour missionnaires itinérants ? Un manuel d’instructions pour communauté bien établie ? Ou encore un testament où le Maître enseignerait aux disciples comment se comporter durant son absence (Q 12,45)10 ? En n’oubliant pas les éléments biographiques que Q transmet tout de même (tentation de Jésus : Q  4,13 ; récit de guérison : 7,1-10). La conclusion s’impose : Q est un écrit composite et il faut sans doute y voir, avec H.D. Betz, « a collection of collections11 ». Ce qui complique la recherche de la communauté visée par un tel texte. Autres questions. Y a-t-il vraiment une communauté derrière tout texte ? Faut-il, à plus forte raison, présumer l’existence d’une communauté différente pour chaque niveau de texte12 ? Encore faut-il se rappeler qu’un texte n’est pas un simple reflet de la réalité, qu’au lieu de renvoyer à l’image de ce qui est, il peut, au contraire, vouloir corriger une situation, proposer un style de vie qui dépasse le régime actuel de la communauté à laquelle il s’adresse, évoquer un idéal plus ou moins utopique. Des documents ont pu être conservés, non parce qu’ils représentaient les points de vue d’une communauté, mais, au contraire, parce qu’ils les contestaient. Et cette contestation n’a peut-être rien changé. On ne peut donc conclure automatiquement, à partir des descriptions d’un document, à l’existence de la communauté idéale que ce document évoquait. Sur ce fond de scepticisme, on retiendra tout de même la validité de certaines procédures d’inférences et de reconstructions13. S’inspirant de eissen pour sa description de la communauté chrétienne porteuse de

10. Hypothèse suggérée par A, The Jesus Tradition in Q, p. 42. 11. Hans D. B, « e Sermon on the Mount and Q. Some Aspects of the Problem », dans James E. G (dir.), Gospel Origins and Christian Beginnings. In Honor of James M. Robinson, Sonoma, CA, Polebridge, 1990, 9-34, p. 34. 12. Comme le fait, par exemple, Wendy C, « Prestige, Protection and Promise. A Proposal for the Apologetics of Q2 », dans P (dir.), The Gospel Behind the Gospels, 117-138, en se basant sur la stratigraphie défendue par Kloppenborg. Selon cette perspective, Q1 ne compterait que 85 versets environ, Q2 une centaine et Q3 serait représenté par 15 versets. Avons-nous là suffisamment d’informations pour établir le portrait de trois communautés différentes ? Faudrait-il également penser à des communautés distinctes pour rendre compte du matériel propre (Sondergut) à Mt et Lc ? 13. Les considérations méthodologiques exposées par eissen, il y a vingt-cinq ans déjà, restent fort utiles : T, « e Social Interpretation of Religious Traditions. Its Methodological Problems as Exemplified in Early Christianity », dans The Social Setting of Pauline Christianity, Philadelphia, PA, Fortress, 1982 (allemand 1975), 175-200. La « méthode analytique », en particulier, qui permet d’inférer certaines conditions sociales à partir d’événements historiques, de normes sociales et de symboles religieux, paraît fort pertinente dans le cas qui nous occupe. Ce qui ne signifie pas que eissen ait lui-même toujours appliqué avec rigueur ces principes méthodologiques… Une manière de souligner les difficultés de l’entreprise !

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l’Évangile de omas (Thomas Christianity), S.J. Patterson croit, pour sa part, que seules les paroles qui ont une allure de lois (les legal sayings) ou les règles communautaires qui visent directement le comportement du groupe qui les a formulées, conservées et/ou transmises peuvent fournir des informations permettant de décrire une éventuelle communauté14. C’est la même méthode qui est reprise par A.D.  Jacobson à partir des passages de Q qui appellent au radicalisme le plus total à propos de la richesse ou des liens familiaux15. L’application de procédures semblables est à l’origine des différentes images qui sont actuellement présentées de la communauté de Q. Malgré certains accords intéressants, cette diversité même montre bien les risques de l’entreprise. 2. Les hypothèses socio-historiques courantes Les tentatives de description du groupe de chrétiens ou de la communauté chrétienne dont on apercevrait le reflet dans la Source Q sont nombreuses. Sans qu’il soit possible de les présenter en détail, ni surtout d’en examiner minutieusement la pertinence, je vais parcourir les hypothèses les plus généralement proposées actuellement, en soulignant, à leur propos, les objections qui paraissent les plus importantes. Bien que la division ne soit pas rigoureuse, il peut être utile de distinguer entre les hypothèses qui se basent principalement sur certains passages de Q et celles qui exploitent davantage les silences de ce texte. 2.1 À partir de ce que dit le « texte » 2.1.1 Radicalisme et itinérance C’est sans doute G.  eissen qui a défendu le plus fortement, ou en tout cas popularisé, la thèse que « le radicalisme éthique de la tradition

14. P, The Gospel of Thomas and Jesus, p. 125. 15. Arlan D. J, « Jesus against the Family. e Dissolution of Family Ties in the Gospel Tradition », dans Jon M.  A – Kristin D T – Marvin W. M (dir.), From Quest to Q. Festchri James M. Robinson (BETL, 146), Leuven, University Press – Uitgeverij Peeters, 2000, p. 189-218. L’auteur avait traité du même thème dans une autre étude : I, « Divided Families and Christian Origins », dans P (dir.), The Gospel Behind the Gospels, 361-380. Sur ce sujet encore et les conclusions qu’on en peut tirer concernant la situation sociale du « Q people » et des éditeurs du document Q, voir le long article de Ronald A.  P, « Wealth, Poverty, and Subsistence in Q », dans A – D T – M (dir.), From Quest to Q, p. 219-264, surtout la conclusion, p. 260-264.

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des paroles est un radicalisme itinérant16 ». Il a présenté le christianisme primitif comme un mouvement de charismatiques itinérants qui reconnaissaient Jésus comme Fils de l’homme et porteur de révélation divine, itinérants qui dépendaient pour leur subsistance de communautés locales de sympathisants. Pour sa reconstruction, eissen se base sur la tradition synoptique des paroles de Jésus en général. Mais le modèle qu’il propose s’appuie singulièrement sur les passages radicaux de Q (comme Q 6,22-23 ; 9,57-60 ; 10,2-4 ; 11,47-51 ; 12,22-31 ; 14,26) et avant tout sur le discours de mission (10,2-4). Sa thèse a eu un impact considérable17, mais elle a aussi été fortement critiquée, en particulier par R.A. Horsley18 et J.A. Draper. Après examen de la base textuelle et des présuppositions méthodologiques de la thèse qui présente les origines du christianisme comme un mouvement de charismatiques itinérants, Draper conclut que cette vision des choses est une chimère. Cette thèse « is a modern scholarly construct, not an identifiable historical type of behavior19 ». Si des groupes de charismatiques itinérants ont existé (la seule base de cette affirmation restant, semble-t-il, le discours d’envoi en mission de Q 10, 2-16) – et on pourrait alors leur devoir la conservation des passages les plus radicaux de Q20 – ils n’ont pas, à eux seuls, formé de communauté. Il n’y a pas eu de communautés itinérantes. On peut penser qu’il y a eu 16. Voir T, « Radicalisme itinérant », p. 25 (c’est la traduction de « Wanderradikalismus »). En fait, eissen reconnaît (p.  25 n.  20) sa dépendance par rapport à Paul H, Studien zur Theologie der Logienquelle (NTAbh, 8), Münster, Aschendorff, 1972. Mais sa reconstruction emprunte aussi fondamentalement à la sociologie de la religion de Max Weber et à l’interprétation donnée par A. Harnack (en 1884) du texte de la Didachè alors tout récemment publié (l’édition princeps est de 1883, mais le document avait été découvert dix  ans plus tôt à Constantinople, voir Jean-Paul  A, La Didachè. Instructions des Apôtres, Paris, Gabalda, 1958, p. 1). Voir à ce propos l’article de Jonathan A. D, « Wandering Charismatics and Scholarly Circularities », dans H – D, Whoever Hears You Hears Me, 29-45. 17. Cette thèse est reprise avec quelques corrections par John Dominic C, « Itinerants and Householders in the Earliest Jesus Movement », dans A –D (dir.), Whose Historical Jesus ?, 7-24. C, The Historical Jesus. The Life of a Mediterranean Jewish Peasant, 1992, s’y référait déjà. Il y renvoie encore avec grand respect dans I, The Birth of Christianity, p. 278-282 ; 330 ; 353-354, précisant que « For the itinerants we have the Q Gospel document, for the householders [la communauté des sympathisants] we have the Didache document » (p. 354). 18. Voir H, Sociology and the Jesus Movement, p. 13-64 (toute la première partie), et, plus récemment, H – D, Whoever Hears You Hears Me, p. 300-301. C, The Birth of Christianity, p. 280-281, reconnaît la pertinence de plusieurs de ces critiques. 19. D, Wandering Charismatics, p. 45. 20. Si ces consignes n’avaient pas été mises en pratique, on les aurait oubliées, soutient T, Radicalisme itinérant, p. 21. Ce que reprend C, The Birth of Christianity, p. 353.

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certains disciples qui ont pris les paroles de Jésus à la lettre et renoncé « à tout domicile, à la famille, aux biens, au droit et à la défense21 ». Mais cette conception extrême de la suite de Jésus n’a évidemment pas été adoptée par tous les disciples, ni même par tous les membres d’une éventuelle communauté Q. Les instructions du discours de mission lui-même supposent (Q 10,2 ; 10,5) qu’il y avait dans la communauté d’autres personnes qui supportaient les missionnaires, des gens qui avaient des maisons et de quoi nourrir les itinérants (cf. Q 12,33-34 ; 16,13)22. En plus et indépendamment des autres difficultés, il me paraît que la thèse de l’itinérance ne s’accorde pas avec ce que nous connaissons de la Galilée du Ier siècle. Les villages y étaient nombreux et très rapprochés. Il ne faut pas imaginer les voyages des « travailleurs » de Q 10,7-8, sur une grande échelle. Rien de comparable aux voyages de Paul. Il ne fallait qu’une heure de marche ou moins encore pour atteindre la prochaine ville, et quelques heures seulement pour aller d’un grand centre à un autre23. Dans une étude récente24, D.C. Duling a dressé le « réseau spatial » de Galilée : réseau des villages agraires de la Basse-Galilée (Nazareth, Cana, Naim) et des centres de la région du Lac (Capharnaüm, Chorazin et Bethsaïda de Q 10,13, Gennésareth, Magdala), ainsi que le réseau routier et le réseau des communications sur le lac. Il conclut lui aussi son analyse en constatant que l’itinérance de Jésus et des disciples restait très limitée : Capernaum was a physical center, not more than a day’s walk from Galilean villages to the West and South or a boat rides (sic) to the NE, East, and South. Nearby were Chorazin and Bethsaida. Whether or not these towns were condemned together by Jesus for not repenting, they are linked in the Q tradition and it is likely that Jesus was active in them. All this suggests that if the « itinerants radicals » shook the dust off their feet [cf. Q 10, 11] and moved on, they could easily have returned to either Peter’s or Jesus’ house in Capernaum, from whence they could have gone in many directions25.

21. T, Radicalisme itinérant, p. 25. 22. T, Q and the History of Early Christianity, p. 360. 23. Kloppenborg parle à ce propos de « promenades matinales », « it would have looked more like morning walks », John S. K V, « e Sayings Gospel Q. Recent Opinion on the People behind the Document », dans Currents in Research. Biblical Studies  1 (1993) 9-34, p.  22 ; voir aussi : I, « A Dog Among the Pigeons. e “Cynic Hypothesis” as a eological Problem », dans A – D T – M (dir.), From Quest to Q, 73-117, p. 78. 24. Dennis C. D, « e Jesus Movement and Social Network Analysis. Part I. e Spatial Network », dans BTB 29 (1999) 156-175 ; I, « e Jesus Movement and Social Network Analysis. Part II. e Social Network », dans BTB 30 (2000) 3-14. 25. D, « e Jesus Movement and Social Network Analysis. Part I », p. 170.

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La distinction proposée par C.M. Tuckett26 est d’ailleurs à retenir : il faut distinguer entre itinérance et absence de domicile (homelesness). L’itinérance est normale en temps de mission et pas négative en soi. L’absence de domicile, par contre (qu’évoquent, par exemple, Q 9,58 et 10,11), suppose qu’on n’a pas été accueilli (comme en Q 10,7-8) et devient symbole de rejet. Malgré un texte comme Q 9,58, la tradition évangélique en général ne montre pas un Jésus obligé de coucher chaque soir à la belle étoile. Les références à Capharnaüm, notamment, suggèrent d’y voir le centre stratégique de l’activité de Jésus (Lc 4,23.31 ; 7,1 ; 10,15) et peutêtre même le lieu de sa maison (Mt 4,13 : « abandonnant Nazara, il vint habiter Capharnaüm » ; cf. encore Mc 2,1 ; 9,33 et même Jn 2,12 et les implications possibles de Jn 6,17.24.59). Itinérance pour la mission, d’accord ; mais non vagabondage quotidien et errance sans but. Paul Hoffmann, qui avait inspiré eissen, avait déjà, pour caractériser la suite de Jésus, parlé de « charismatiques itinérants, hors-la-loi, sans domicile et sans protection, qui parcouraient le pays sans possessions et sans travail27 ». Mais sa lecture du récit des tentations (Q 4,1-13), de l’envoi en mission et de divers passages du sermon sur la montagne (Q 6,2728 ; 36-39) l’amène à suggérer que le groupe de Q formait, dans le conflit suscité par l’occupation romaine de la Palestine, un « parti de la paix » en opposition à un parti zélote. Cette lecture est forcée28 et son Sitz im Leben peu vraisemblable, si l’on maintient qu’il n’y avait pas, avant la guerre juive, de zélotes proprement dits et que Q a été écrit bien auparavant. Donc, pas de parti de la paix avant l’existence d’un parti zélote. Encore ici, d’ailleurs, ce type d’itinérance ne semble pas convenir à la situation de la Galilée et emporte peu la conviction. À plus forte raison, la proposition de Luise Schottroff qui pense que les responsables de Q étaient aussi des itinérants, prêcheurs d’une fin du monde prochaine29, mais que leur groupe était formé d’hommes et de femmes, de prophétesses et de prophètes30. Se basant sur des textes comme

26. T, Q and the History of Early Christianity, p. 367 ; voir aussi p. 182. 27. Le texte français ici vient de T, Radicalisme itinérant, p. 24. Voir H, Studien zur Theologie der Logienquelle, p. 327-329. 28. Ainsi que l’ont montré K, The  Formation of Q, p. 254-256, et T, Q and the History of Early Christianity, p. 357-363. 29. Luise S – Wolfgang S, Jesus and the Hope of the Poor, Maryknoll, New York, NY, Orbis Books, 1986, p. 38. 30. Luise S, « Wanderprophetinnen. Eine feministiche Analyse der Logienquelle », dans EvT 51 (1991) 332-344 = I, « Itinerant Prophetesses. A Feminist Analysis of the Sayings Source Q », dans P (dir.), The Gospel Behind the Gospels, 347-360. Voir aussi I, Lydia’s Impatient Sisters. A Feminist Social History of Early Christianity, Louisville, KY, Westminster John Knox Press, 1995, p. 10-11.

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Q 12,51-53 qui évoque des conflits familiaux entre femmes ; Q 17,27 : « on épousait, on était épousé » : situation présentée comme négative, qui impliquerait que désormais on ne doit plus prendre mari, mais laisser tout (Q 14,26) pour se mettre à la suite de celui qui n’a pas où reposer sa tête (Q  9,58), Schottroff conclut qu’il y avait bien, dans le groupe de Q, des prophétesses itinérantes. Ces arguments sont insuffisants. Parlant de la vie itinérante qui paraît requise du groupe de chrétiens représentés par l’Évangile de omas, S.J. Patterson, après d’autres, a souligné en plus les dangers que les femmes devaient affronter dans la société, un danger « infinitely greater in a situation of itinerancy31 ». Il en aurait été de même pour les prophétesses itinérantes du groupe de Q32. Ces invraisemblances s’ajoutent à une itinérance elle-même peu vraisemblable dans la Galilée du Ier siècle. 2.1.2 L’hypothèse cynique Dès 1972, Paul Hoffmann avait considéré que le style de vie des missionnaires de Q pouvait ressembler à celui des philosophes cyniques33. Mais c’est encore eissen, sans doute, qui a le plus contribué à en répandre l’idée. Dans son article sur le « radicalisme itinérant » (1973), il établissait un parallèle avec les philosophes itinérants cyniques : L’ethos de la tradition des paroles au sein du christianisme primitif et celui de la philosophie cynique sont comparables dans leurs trois traits les plus importants : il s’agit d’un ethos de l’absence de domicile, de famille et de possession. Étant donné que l’ethos cynique a été transmis par des philosophes itinérants, nous pouvons conclure per analogiam que les porteurs de la tradition sur Jésus font partie d’un type sociologique comparable. Cette déduction repose sur des ressemblances structurelles, non sur des relations historiques34.

eissen soulignait bien qu’il s’agissait d’une analogie, comportant des ressemblances structurelles, mais aussi, et davantage encore comme en toute analogie, des différences et qu’il ne faisait aucun lien historique entre les disciples de Jésus et les philosophes cyniques. La comparaison a été reprise tout spécialement par F.G. Downing35 et défendue par un groupe de chercheurs plus ou moins rattachés à la 31. P, The Gospel of Thomas and Jesus, p. 155. 32. Voir C, The Birth of Christianity, p. 378-379, réflexions sur la possibilité de prophétesses itinérantes dans le mouvement de Jésus. 33. H, Studien zur Theologie der Logienquelle, p. 318. 34. T, Radicalisme itinérant, p. 29. 35. Dans une série de publications dont je retiens ici : F. Gerald D, « Quite Like Q. A Genre for “Q”. e “Lives” of Cynic Philosophers », dans Bib 69 (1988) 196225 ; I, « A Genre for Q and a Socio-cultural Context for Q. Comparing Sets of

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Claremont Graduate School de Californie, parmi lesquels R.  Cameron, B.L.  Mack et surtout L.  Vaage, qui en a fait son cheval de bataille36. Il n’est pas facile de savoir s’il s’agit là d’une simple comparaison, d’une simple mise en parallèle, ou si ces auteurs voient vraiment en Q un document cynique. Ils soulignent évidemment les ressemblances avec force : Q est « Cynic-like » ! Ce qui, en soi, ne fait pas problème : les comparaisons sont légitimes, même si on peut se demander avec Robinson ce que celle-ci apporte de nouveau37. Mais Vaage va plus loin, semble-t-il. Se basant sur la stratigraphie de Kloppenborg, qu’il modifie cependant pour soutenir sa thèse, et d’une façon que Kloppenborg lui-même trouve injustifiable38, il présente carrément Q1, le niveau le plus ancien du document, Similarities with Sets of Differences », dans JSNT 55 (1994) 3-26 ; I, Christ and the Cynics. Jesus and Other Radical Preachers in First-Century Tradition (JSOT manuals, 4), Sheffield, JSOT Press, 1988. Aux arguments de Downing, ont particulièrement répondu T, « A Cynic Q ? », et H, Sociology and the Jesus Movement, p. 116-119. 36. Leif E. V, Galilean Upstarts. Jesus’ First Followers According to Q, Valley Forge, PA, Trinity Press International, 1994 (sa thèse non publiée, The Ethos and Ethics of an Itinerant Intelligence, Claremont Graduate School, datait de 1987) ; Ron C, « “What have You Come Out To See ?” Characterisations of John and Jesus in the Gospels », dans Semeia 49 (1990) 35-69 ; M, A Myth of Innocence, p. 67-69, 73-74 ; mais surtout, I, The Lost Gospel. James M. R, « Galilean Upstarts. A Sot’s Cynical Disciples ? », dans William L. P – John S. V – Henk J.  J (dir.), Sayings of Jesus. Canonical and Non-Canonical. Essays in Honour of Tjitze Baarda (NovTSup, 89), Leiden – New York, NY – Köln, Brill, 1997, 223-249, est un article très sévère sur le livre de Vaage. Robinson, lui-même de Claremont, fait la généalogie de l’hypothèse cynique et montre bien l’ordre des dépendances entre ces trois auteurs : Vaage d’abord, ensuite Cameron, puis Mack (p. 223-224, notes 1-4). 37. « Yet to maintain that the Q people were “like” the Cynics does not say much, since it remains unclear whether they are more or less “like” the Cynics than they are to other alternatives with which they could be – but in fact have not been – carefully compared », R, « Galilean Upstarts. A Sot’s Cynical Disciples », p. 224-225. Hans D. B, « Jesus and the Cynics. Survey and Analysis of a Hypothesis », dans JR 74 (1994) 453-475, propose une importante critique de toute l’hypothèse et termine par contre sur une note positive : « Even if in the final analysis the slogan “Jesus the Cynic” should turn out to be a contradiction in terms, many of Jesus’ sayings would appear in a different light, as would those of Cynics, and historians and exegetes would learn an immense amount in the process ! » (p. 475). 38. Ce que lui reprochaient déjà T, Q and the History of Early Christianity, p. 369-373, et R, « Galilean Upstarts. A Sot’s Cynical Disciples », p. 232 : « But Vaage’s stratigraphical method, giving exclusive priority to the earliest written layer, requires him to ascribe what he wants to build upon precisely to that layer […] » Voir aussi H – D, Whoever Hears You Hears Me, p. 231-232. Mais Kloppenborg, dans un article où il défend curieusement la légitimité de la comparaison avec les cyniques et critique sévèrement tous les adversaires de l’hypothèse, tout en répétant que, selon lui, « Q was not cynic » (p. 87) et qu’il ne sait pas s’il pouvait y avoir des Cyniques en Galilée (p. 103), a lui-même confirmé que la stratigraphie de Vaage, qui se base sur le contenu, et non plus sur des éléments formels que relève la critique littéraire, est intenable et mine toute son entreprise ; voir K V, « A Dog Among the Pigeons », p.  107-108. Il avait auparavant soutenu l’utilité de l’analogie cynique dans

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comme « a Cynic Q39 ». Il conclut un article en disant : « summarizing briefly, the formative stratum of Q was for all intents and purposes a “Cynic” document40. » Ses derniers mots, néanmoins, restent ambigus : « If the first followers of Jesus in Galilee were not “just” Cynics, they were at least very much like them41 », laissant entendre, peut-être à contrecœur, que la thèse cynique reste bien fragile. Il est vrai qu’à première vue, si on accepte l’existence d’un groupe d’itinérants pratiquant à la lettre les directives de Q 10,4 : « N’emportez pas de bourse, pas de sac, pas de sandales… », on pense immédiatement au style de vie des philosophes cyniques. À première vue seulement, car si on y regarde de plus près, on s’aperçoit que ce passage même (qui a un parallèle encore plus radical dans la triple tradition, plus en Mt 10,10 et Lc  9,3 qu’en Mc  6,8 qui concède le bâton !) contredirait plutôt la thèse cynique : « manteau, sac et bâton sont les caractéristiques des philosophes itinérants cyniques42 » alors qu’ici ils sont interdits. Pour les uns, prendre un sac et un bâton était un signe d’indépendance et de suffisance personnelle. Pour les autres, ne pas en prendre indiquait bien plutôt qu’on dépendait des autres, de Dieu, à qui on s’en remettait, et de la communauté qui accueillait (cf. Q  10,5-8)43. Plutôt qu’à l’ethos cynique, cette réduction à l’extrême de l’équipement missionnaire renvoie à la perspective eschatologique de l’arrivée du règne de Dieu : « On porte le vêtement minimum des derniers temps44. » Tuckett a particulièrement bien montré que le contenu eschatologique de Q est primordial et que cette arrivée du Royaume, cette eschatologie « réalisée », explique parfaitement le I, « e Sayings Gospel Q. Recent Opinion on the People behind the Document », p. 26 ; il terminait cet article en disant que le « Q people » occupait « a position in Galilean society analogous in some respects to that occupied by the cynics in the Greek polis » (p. 27-28). 39. Voir V, « Q and Cynicism », p. 199. Le fait qu’il prenne à la lettre et comme donnée historique Q 7,34 et considère Jésus comme un véritable ivrogne (alors qu’à propos de Jean il traite bien Q 7,33 comme une insulte malveillante), qu’il prenne aussi à la lettre Q 9,58 comme décrivant la situation de « tout clochard » (« every tramp and streetperson », p.  89), montre qu’il penche bien pour un cynisme réel ! Voir à ce propos les réflexions de R, « Galilean Upstarts. A Sot’s Cynical Disciples », p. 235-243. 40. V, « Q and Cynicism », p. 228. C’est ce que T, Q and the History of Early Christianity, p. 373 n. 59, a aussi compris : « Vaage’s approach argues not just for similarity but virtual identity : Q is Cynic ! » 41. V, « Q and Cynicism », p.  229. La thèse de Vaage a été particulièrement contestée par T, Q and the History of Early Christianity, p. 368-391 et R, « Galilean Upstarts. A Sot’s Cynical Disciples ». 42. T, Radicalisme itinérant, p. 32. 43. Dans les pages où il clarifie sa position sur l’hypothèse cynique, C, The Birth of Christianity, p. 333-335, souligne parfaitement ce point. 44. François B, L’évangile selon saint Luc  (9,51–14,35) (CNT 2e, IIIb), Genève, Labor et Fides, 1996, p. 445.

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radicalisme des exigences de Q45. En conséquence, si certains membres de la possible communauté Q, quelques missionnaires peut-être, ont pu avoir un air cynique (!), la communauté comme telle, dans son ensemble, n’avait rien à voir avec ces philosophes et leur itinérance. Les objections faites à propos du radicalisme itinérant valent d’ailleurs, à plus forte raison, pour l’hypothèse cynique. 2.1.3 Mouvement de renouveau dans les villages de Galilée R.A. Horsley s’est opposé fortement aussi bien au radicalisme itinérant qu’à la thèse cynique. Il a particulièrement bien souligné l’erreur méthodologique de ces thèses qui considèrent les textes de Q isolément et les séparent de tout contexte46. Mais sans contexte les textes n’ont pas de sens. On sait, par exemple, combien il est difficile d’interpréter les logia de l’Évangile de omas en l’absence de tout tissu narratif. À partir de certaines analogies empruntées à des contextes étrangers, eissen et les interprètes cyniques de Q se construisent, en fait, des contextes imaginaires dont on ne connaît aucune attestation dans le milieu judéo-chrétien du Ier siècle. Contre ces « construits » académiques, Horsley réinterprète les textes de Q dans les contextes fournis par la tradition évangélique, les seuls qui soient à notre disposition. Il donne en exemple Mc 10,29 et paral., où il question de quitter maison, frères, sœurs, mère, père, enfants et champs. Très radical quand on l’isole, ce texte ne prend sens qui si on continue la lecture, 10,30 parlant alors de centuple, « maintenant, en ce temps-ci », en maisons, frères, sœurs, mères, enfants et champs ! Ce qui est souligné, ce n’est donc pas le radicalisme du dépouillement, mais le renouveau de la vie familiale et villageoise. Q 10,4, également, éclairé par ce que Jésus dit par ailleurs du mariage en Mc 10,2-9.10-12, ne paraît plus antifamilial, mais devient une consigne temporaire pour le temps de la mission47. Selon Horsley, il ne faut pas concevoir Q comme une collection de paroles indépendantes, mais comme une série de discours qui traitent chacun d’un thème répondant aux besoins de la communauté. Ces logia, en effet, ne s’adressent pas à des individus, mais à des groupes plus larges de personnes. Un texte comme Q 12,22-32, adressé à un individu, pourrait s’entendre d’une exhortation à la pauvreté volontaire, d’une invitation à embrasser un style de vie de type cynique. Mais 45. T, Q and the History of Early Christianity, p. 389-391. 46. Voir H – D, Whoever Hears You Hears Me, p. 230-233. 47. Richard A. H, « Jesus, Itinerant Cynic or Israelite Prophet ? », dans James H. C – Walter P. W, Images of Jesus Today, Valley Forge, PA, Trinity Press International, 1994, 68-97, p. 81.

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adressée à un groupe de personnes (cf. le « petit troupeau » de 12,32), l’exhortation répond plutôt à leur situation réelle de pauvreté. Horsley pense donc que les paroles de Jésus conservées par le document Q visaient le renouveau religieux et social – les deux étant inséparables – des petites gens des villages de Galilée48. En rappelant le souvenir d’Élie et d’Élisée (1 R 19,19-21), Q 9,57-62 présente Jésus comme un prophète engagé dans le renouveau du peuple d’Israël. C’est dans cette perspective aussi qu’il faut lire Q 22,28-30, qui ne parle pas de « juger » Israël, mais bien de lui « rendre justice », en somme de le libérer49. Quelle communauté alors derrière Q ? Pour le préciser, Horsley reprend le portrait des relations socio-culturelles de la Palestine du Ier siècle, qu’il n’a cessé de reproduire dans ses nombreux ouvrages. Dans la société palestinienne récemment soumise aux Romains, il y a d’un côté ceux qui collaborent avec le pouvoir, les Hérodiens et les grandes familles sacerdotales de Jérusalem, de l’autre, le petit peuple de Judée et de Galilée, vivant dans des villages agraires, écrasé par les taxes cumulatives des pouvoirs civils et religieux. Entre les deux, comme médiateurs auprès du peuple, les scribes et les pharisiens, représentants du pouvoir sacerdotal. C’est au milieu de ce petit peuple (apparemment en Galilée50) que Q aurait pris forme. Les textes en étaient régulièrement proclamés dans une ou plusieurs communautés51. Non pas des paroles indépendantes, mais de petits discours répondant aux besoins des auditeurs. Quels besoins ? Horsley pense qu’un texte comme Q 11,2-4.9-13 ouvre toutes grandes les fenêtres sur la situation sociale de ceux à qui Q s’adressait et qui auraient aussi conservé et transmis le document. La demande de pain pour la subsistance et la requête pour l’annulation des dettes laissent supposer que les auditeurs et proclamateurs (performers) de ce texte étaient de petites gens, économiquement marginalisées, en conflit nécessairement avec les autorités qui les exploitaient. Ce qui explique les imprécations de Q  11,39-52, ainsi que les lamentations sur Jérusalem en Q  13,34-35. En somme, les performances communautaires qui ont abouti au texte de Q auraient eu pour but, sur fond de proclamation de l’arrivée du royaume de Dieu, de soutenir le mouvement de réforme socio-religieux inauguré par le prophète Jésus. 48. « Far from an individualistic Cynic sage, therefore, Jesus must be understood as the prophetic leader of a movement of Israelite renewal based in the villages, the fundamental units of social life », Richard A. H, Archaelogy, History, and Society in Galilee. The Social Context of Jesus and the Rabbis, Valley Forge, PA, Trinity Press International, 1996, p. 188-189. 49. Voir H – D, Whoever Hears You Hears Me, p. 238-241 (Q 9,57-62) ; p. 262-263 (Q 22,28-30) ; p. 268-270 (Q 12,22-32). 50. Ibid., p. 11, 277. 51. Ibid., p. 7, 303.

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La reconstruction est séduisante. Est-elle historiquement vérifiable ? J’ai contesté ailleurs le portrait, à mon avis exagérément pessimiste, que trace Horsley de la Galilée du Ier siècle52. D’autres questions demeurent. Y avait-il une ou des communautés où se répétaient régulièrement ces performances qui ont façonné Q ? Quelle différence entre cet écrit composé oralement et les autres écrits utilisés peut-être par Luc et qu’évoque, en tout cas, le prologue de son évangile ? Chacun de ces écrits représentait-il lui aussi une communauté particulière ? Les données de Q sontelles à ce point aberrantes qu’elles exigent une communauté différente, marginale par rapport aux autres qui ont gardé le reste des traditions évangéliques ? On pourrait être d’accord, me semble-t-il, avec l’ensemble des analyses que fait Horsley des passages essentiels que sont Q 6,20-49 et 9,57–10,1653, sans qu’il soit jamais nécessaire de postuler, derrière ces textes, cette sorte de communauté. 2.1.4 Groupes de dissidents galiléens et de leurs scribes face à l’hégémonie sacerdotale de Jérusalem J.S. Kloppenborg n’offre pas d’image précise de ce qu’aurait pu être la communauté Q54. Il pense à un réseau de groupes locaux, en Basse-Galilée55, dont les leaders étaient peut-être des chefs de famille. Partisans de Jésus, ils affrontaient les problèmes de leur vie quotidienne, celui des relations avec les autres (Q 6,27-31), des dettes (Q 11,4), du divorce (Q 16,18), des poursuites judiciaires (Q 12,57-59), en ne faisant appel ni à Moïse ni à la Loi, mais à une présence active déjà du règne de Dieu parmi eux, tout en espérant beaucoup plus pour un proche avenir (Q 13,28-29 et 22,28-30, qui appartiennent à Q2 dans la stratigraphie de Kloppenborg)56. Qui aurait rassemblé leurs traditions pour en faire un document ? Contre Horsley, Kloppenborg ne pense pas à des processus de composition orale. Il fait appel à des scribes ou petits notaires de villages, car « Q is far from unreflective, unsystematic oral tradition ; it is the product of scribal activity57 ». Ces scribes étaient-ils au service des leaders ? Ont-ils 52. M, « La Palestine du premier siècle », p. 20-26. 53. H – D, Whoever Hears You Hears Me, p. 195-249 (chapitres 9 et 10). 54. Même pas dans K, « e Sayings Gospel Q. Recent Opinion on the People behind the Document » (malgré son sous-titre !). 55. Ibid., p. 22. Dans John S. K, « Literary Convention, Self-Evidence and the Social History of the Q People », dans Semeia 55 (1991) 77-102, p. 93, il écrivait : « It is unclear whether Q attained its final form in Galilee or in some adjacent Gentile area. » 56. K V, « A Dog Among the Pigeons », p. 115. 57. K, « e Sayings Gospel Q. Recent Opinion on the People behind the Document », p. 25.

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pris eux-mêmes, peu à peu, la place des leaders ? Kloppenborg ne répond pas à ces questions. La communauté, selon lui, est traversée par un conflit que manifestent les accents polémiques contre « cette génération » (Q  7,31-35 ; 11,29-32.49-51). Sur le plan de la critique littéraire, « cette génération » ferait référence à Israël dans son ensemble. Mais socialement l’expression désigne les scribes et légistes influents qui véhiculent l’idéologie sacerdotale de Jérusalem (le long discours de Q 11,39-51, qui s’attaque aux pharisiens [11,39.42-43], puis aux légistes [11,45-46.52], avant de passer à « cette génération » [11,50-51], montre que ces termes sont plus ou moins interchangeables). Ce qui rejoint les critiques contre Jérusalem et l’annonce de l’abandon du Temple (Q 13,34-35). Derrière les traditions de Q, on aurait donc une communauté juive, probablement galiléenne, plus ou moins dissidente. Organisant sa vie, en effet, non plus d’après la vision des élites d’Israël, où toutes les affaires humaines étaient polarisées par le sanctuaire central, avec ses prêtres et les scribes qui les représentaient, mais autour de l’arrivée du royaume de Dieu proclamée par Jésus. Comme document, Q serait le reflet d’un conflit entre scribes de villages et les hautes formes d’écriture qui avaient cours à Jérusalem. Kloppenborg souligne donc que cette communauté avait pris quelque distance avec ce qu’on peut appeler la religion « officielle » de Jérusalem. Mais n’est-ce pas ainsi que devait apparaître aussi l’ensemble de ceux et celles qui se réclamaient de Jésus ? Kloppenborg ne réussit pas à montrer qu’à l’intérieur de la tradition évangélique la communauté Q aurait été particulièrement singulière. Il n’y a peut-être pas à s’étonner alors que Mt et Lc aient intégré si facilement ces traditions à leur propre récit ! 2.1.5 Mouvement de réforme, mais toujours à l’intérieur d’Israël En conclusion de son livre, C.M. Tuckett essaie de préciser de quelle manière les chrétiens Q se situaient face au judaïsme58. C’est aussi une manière de définir la communauté Q. Cherchant le Sitz im Leben du groupe qui a préservé Q, il croit que ce groupe de chrétiens se situe toujours à l’intérieur du périmètre que dessine l’observance de la Loi. Après avoir consacré tout un chapitre aux relations entre Q et la Loi, il conclut que si on peut déceler une intense hostilité entre ces chrétiens et les scribes, légistes et pharisiens non chrétiens, Q n’en garde pas moins une attitude conservatrice face à la Loi et se range même du côté de l’interprétation pharisienne de cette Loi (voir, par exemple, la pratique de la 58. T, Q and the History of Early Christianity, p. 425-450.

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dîme en Q 11,42)59. Les passages qui semblent « judaïser » Jésus et que d’aucuns estiment être des additions postérieures (comme Q  11,42c ; 16,17, qui maintiennent la validité de la Loi, et 4,1-13, qui montre Jésus obéissant à l’Écriture) vont dans le même sens et sont ajoutés pour corriger certains éléments de Q (comme les imprécations de Q 11,39-51 ou Q  11,16) qui semblaient indiquer que l’ère de la Loi et de ceux qui la défendaient était finie. On serait donc en présence de partisans galiléens de Jésus60, s’efforçant de rester à l’intérieur des frontières du judaïsme, sans conscience apparente encore du fait que ces frontières pourraient être trop étroites pour les contenir eux et leurs contemporains juifs61. Mouvement de réforme, mais toujours à l’intérieur d’Israël. Tuckett souligne donc fortement la continuité de ce groupe avec son environnement juif. Il note pourtant des éléments de discontinuité qui pourraient, à mon avis, affaiblir sa thèse. Comme groupe, en effet, les premiers chrétiens ont dû paraître très tôt, à leurs propres yeux comme à ceux de l’extérieur, différents de leurs voisins juifs, aussi bien au plan social qu’à celui de leurs convictions ou de leur idéologie62. Au plan social des villages, toute forme de rencontre communautaire dont les autres étaient absents aurait dû attirer l’attention et rapidement les singulariser. Sur le plan de leurs convictions, leur attitude à l’égard de Jésus et de ses enseignements devait aussi les distinguer. Tuckett le dit très bien : « ose who support the Christian cause are distinguished from those who do not – the non Christians are not Christians63 ! » Il me semble pourtant que Tuckett minimise ces différences et ne tire pas vraiment les conclusions de ses analyses. Ce qu’il a développé dans son chapitre sur la christologie, où Jésus apparaît comme le prophète eschatologique dans la ligne d’Is 61 et, dans son chapitre sur le Fils de l’homme, où, par le détour de la souffrance, cette figure rejoint l’envoyé de la Sagesse64 ; son insistance également sur l’eschatologie et l’importance de la venue du Royaume qui commande toute l’éthique, c’est-à-dire tous les aspects de la vie quotidienne de ces chrétiens, tout cela ne les distinguait-il pas davantage des juifs non chrétiens que Tuckett ne le dit en conclusion ? S’il faut maintenir 59. Ibid., p. 393-424 (chapitre 12), notamment p. 412 et 424. 60. Pour la Galilée, voir Ibid., p. 449 n. 74 et p. 102. 61. Ibid., p. 436. 62. C’est d’ailleurs très tôt, à Antioche, s’il faut en croire Luc (Ac  11,26), que les milieux non chrétiens donnent aux disciples le nom de Christianoi. 63. T, Q and the History of Early Christianity, p. 434 ; voir aussi p. 426. 64. N’a-t-il pas reconnu ailleurs que « even if Jesus’ death is not explicitly stated to be qualitatively different from other prophetic deaths, it is clear from elsewhere in Q that Jesus himself is regarded as unique [je souligne] (cf. Q 6, 6:46-49 ; 7:22-23 ; 10:16 ; 10:2122) », T, « On the Stratification of Q », p. 216.

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la continuité – la séparation d’avec le judaïsme ne viendra que plus tard, après 70, ou plus tard encore vers la fin du siècle et les traditions de Q sont bien antérieures à ce temps65 –, il reste que des éléments essentiels du message chrétien (christologie, eschatologie), que la séparation durcira après coup, sont ici déjà présents. Tout en accordant que le judaïsme du Ier siècle était fort diversifié (pharisiens, sadducéens, esséniens de Qumrân, mouvements baptistes), ces éléments chrétiens, à mon avis, devaient les distinguer déjà, religieusement et socialement, de leurs contemporains juifs. Ceci les distinguait-il, également, du reste de la tradition évangélique ? C’est là, me semble-t-il, une tout autre question. 2.2 À partir des silences du « texte » Les propositions examinées jusqu’ici cherchaient toutes, à partir du texte même de Q, à dégager des traits caractéristiques qui auraient tracé un certain profil de la communauté responsable de ce document. D’autres propositions se basent, elles, sur ce que le texte ne dit pas, sur ces silences qui seraient significatifs, plus encore, peut-être, que les données positives ! C’est sans doute Burton L. Mack qui a fourni de ces silences l’interprétation la plus provocatrice : e remarkable thing about the people of Q is that they were not Christians. ey did not think of Jesus as a messiah or the Christ. [...] ey did not regard his death as a divine, tragic, or saving event. And they did not imagine that he had been raised from the dead to rule over a transformed world. Instead, they thought of him as a teacher whose teaching made it possible to live with verve in troubled times. us they did not gather to worship in his name, honor him as a god, or cultivate his memory through hymns, prayers, and rituals. ey did not form a cult of the Christ such as the one that emerged among the Christian communities familiar to readers of the letters of Paul. e people of Q were Jesus people, not Christians66.

Il n’est pas le seul. R. Cameron en concluait, aussi catégoriquement, que « Q demonstrates that there is no need to appeal to the crucified and

65. Cette vision s’oppose à celle de Paul H, « e Redaction of Q and the Son of Man. A Preliminary Sketch », dans P (dir.), The Gospel Behind the Gospels, 159-198, p.  196, pour qui la dernière rédaction de Q (QR, autour de 70) « marks the decisive turning point in the separation of those Jewish-Christian groups of followers of Jesus out of the hitherto clearly evident national-religious association with the Jewish national community, and it marks the constitution of a separate religious grouping which was conscious of its own identity in its belonging, as the “children of wisdom” and as “chosen recipients of the revelation of the Son” [Q  10, 21-22], to Jesus, the SM [Son of Man] ». 66. M, The Lost Gospel, p. 4.

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risen Christ in order to imagine the origins of Christianity67 ». De même, J.S. Kloppenborg, en préface à un important dossier sur Q, affirmait simplement, comme une évidence : « It is clear that the persons represented by Q could think of themselves as followers of Jesus without ascribing any special saving significance to his death or resurrection68. » 2.2.1 L’argument du silence Réagissant au dossier de Semeia, H.W. Attridge a souligné l’ambiguïté de cet argument du silence. Quand on s’en tient, par exemple, au niveau supposé de Q1, dit-il, on ne peut savoir ni ce que Jésus a pensé de luimême, ni s’il a fait des gestes qu’on aurait pu interpréter comme miracles ou signes ; on ne sait pas non plus quelle sorte d’ordre social prévalait parmi les disciples, si certains rituels accompagnaient leurs prières quotidiennes, etc. Mais cette ignorance « does not warrant the assumption that there was no assessment of Jesus among the tradents of these sayings, that they had no eschatological beliefs, community structures or rituals69 ». Dale  C.  Allison, à mon avis, a fait justice des prétendues conclusions qu’on a voulu tirer des silences de Q70. Il n’est pas question de reprendre cette réfutation en détail. Il suffira de s’arrêter à ce qui étonne le plus : l’absence de mention explicite de la mort et de la résurrection de Jésus. 2.2.2 La mort de Jésus Q n’a pas de récit de la passion. Il serait pourtant absurde71 de supposer que les responsables de Q ne connaissaient pas la mort de Jésus. Malgré la multiplicité des interprétations qu’on lui donne, la métaphore de la croix en Q 14,27 semble bien indiquer que ces disciples connaissaient la crucifixion de celui à la suite duquel ils étaient invités à marcher. Cette mort, ils lui ont même donné un sens. Non pas à la manière de Mc 8,31. 67. C, « e Sayings Gospel Q and the Quest of the Historical Jesus », p. 353. 68. John S. K, « Preface », Early Christianity, Q and Jesus, dans Semeia 55 (1991) vii-viii, p. viii. 69. Harold W. A, « Reflections on Research into Q », dans Semeia 55 (1991) 223-234, p. 228. K, « e Sayings Gospel Q and the Quest of the Historical Jesus », p. 330, reconnaît lui-même que « It is illegitimate […] to argue from silence that what is not in Q was not known to the editors or, still less, that what is not in Q cannot be ascribed to Jesus ». 70. A, The Jesus Tradition in Q, p. 43-46. 71. Comme le note lui-même K, « e Sayings Gospel Q and the Quest of the Historical Jesus », p. 331.

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Mais en l’interprétant dans la perspective deutéronomique de l’histoire du rejet des prophètes et de la violence qui leur est faite (Q  11,47-51 ; 13,34-35)72. Tuckett a montré par ailleurs qu’en Q les textes concernant l’activité, aussi bien eschatologique que présente, du Fils de l’homme apparaissent régulièrement dans le même contexte d’hostilité et de rejet que ceux qui traitent de la Sagesse et des prophètes73. Jésus est présenté comme l’envoyé de la Sagesse, identifié comme l’un des prophètes, mais aussi comme Fils de l’homme. Cette identification entraîne, sur fond d’allusion à Dn 7,13 et à Is 52,13–53,12, l’idée de justification de la part de Dieu et de jugement après le temps de la souffrance. Plus encore, H.E. Tödt a reconnu en Q 12,8-9, sans admettre en ce logion une identification stricte entre Jésus et le Fils de l’homme, l’existence cependant d’une relation sotériologique entre les deux74. C’est peu sans doute, mais suffisant pour qu’on s’abstienne d’écarter trop vite en Q toute allusion à la valeur salvifique des souffrances et de la mort de Jésus. Ce quasisilence n’a d’ailleurs rien d’étonnant quand on sait la discrétion de l’ensemble de la tradition synoptique sur cette valeur rédemptrice de la mort de Jésus. Mc, par exemple, malgré son récit de la passion, n’a qu’un texte, 14,24, sur cette valeur de la mort de Jésus. 2.2.3 La résurrection de Jésus Q n’a pas non plus de référence explicite à la résurrection de Jésus. Mais encore ici, il faut être nuancé. Kloppenborg a écrit, il est vrai, que la notion de résurrection était absente de Q parce que « this metaphor is 72. Voir l’étude classique d’Odil Hannes S, Israel und das gewaltsame Geschick der Propheten. Untersuchungen zur Überlieferung des deuteronomistischen Geschichtsbildes im Alten Testament, Spätjudentum und Urchristentum (WMANT, 23), NeukirchenVluyn, Neukirchener, 1967. Edward P. M, Jesus, the Messianic Herald of Salvation, Peabody, MA, Hendrickson, 1997, p.  305-307, a soutenu, avec de bonnes raisons, que cette « deuteronomistic tradition » n’était pas caractéristique de Q. On la trouve en Mc, en effet, et la parabole des vignerons meurtriers (Mc 12,1-11) serait même « the climax to the “deuteronomistic” pattern ». 73. Voir ses conclusions dans T, Q and the History of Early Christianity, p. 274-276. 74. Heinz Eduard T, The Son of Man in the Synoptic Tradition, London, UK, SCM, 1965, p. 57, 59-60, 63, 227, 252, 254, 259, 309-310. Ce point de vue est repris dans l’exposé très averti et nuancé de Arland J. H, The Rise of Normative Christianity, Minneapolis, MN, Fortress, 1994, p. 39 (sur « e Q Community »). Les pages précédentes (p. 33-35) fournissent d’autres arguments établissant que la communauté Q connaissait les traditions concernant la mort et la résurrection de Jésus. Sa conclusion est éloquente : « In sum, there are allusions in Q to Jesus’ rejection, death, resurrection, and coming again – the main points of the common Christian tradition, which normative Christianity maintained », p. 111.

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fundamentally inappropriate to the genre and theology of Q75 ». On a pu lui répondre que cette métaphore apocalyptique est pourtant présupposée dans les évocations du jugement en Q 10,14 ; 11,31-32 ; 13,28-2976 . On connaît aussi l’interprétation que nombre d’auteurs donnent à Q 12,10, voyant dans ce texte une distinction entre la situation des disciples avant Pâques (paroles contre le Fils de l’homme) et celle après Pâques (paroles contre le Saint-Esprit)77. Dans cette perspective, Q donnerait une signification importante à cette ligne de séparation des eaux que constitue l’événement pascal78. Un indice, peut-être, que tout n’est pas explicitement développé en Q. Un autre indice serait Q 10,22. Selon Charles Perrot, ce logion quasi johannique, unique dans la tradition Q, « doit sûrement porter l’écho de la toute première affirmation pascale79 ». Après avoir examiné l’usage des titres de Fils de Dieu et de Fils dans les synoptiques, chez Paul, dans la tradition Q et chez Jean, C. Perrot conclut : Le titre est donc partout reçu, y compris dans la tradition Q. C’est même un cas unique […], tous parlent du Fils. Tous reflètent à leur manière ce premier bouillonnement herméneutique judéo-chrétien sous le coup de l’événement pascal, dans leur recherche éperdue et jamais épuisée de la figure filiale de Jésus […]. Il est le Fils, d’une manière débordante, et cela, pour toutes les premières communautés. Sans doute est-ce là le plus ancien des titres alloués à Jésus […], plus que le titre de Messie qui fleurit surtout dans l’un des milieux judéo-chrétiens de Jérusalem, et plus que le titre de Seigneur dans l’expansion de la mission helléno-chrétienne […]. Ces désignations [qui] sont d’abord fonctionnelles, n’ont pas apparemment l’amplitude du titre identitaire par excellence, celui de Fils. Et cela ne pouvait que provoquer plus fortement encore la rupture entre les Juifs qui confessaient

75. John S. K, « “Easter Faith” and the Sayings Gospel Q », dans Semeia 49 (1990) 71-99, p. 90. 76. M, Jesus, the Messianic Herald, p. 307-308. Meadors pense même qu’entre l’enseignement terrestre de Jésus et la venue future de Jésus identifié au Fils de l’homme en Q 17, 22. 24. 30, il faut supposer la résurrection de Jésus (p. 308). 77. T, Q and the History of Early Christianity, p. 249. Voir aussi : T, Son of Man, p. 119 ; Siegfried S, Q. Die Spruchquelle der Evangelisten, Zürich, eologischer Verlag, 1971, p.  247-248 ; H, Studien zur Theologie der Logienquelle, p.  152 ; James M. R, « Jesus. From Easter to Valentinus (or to the Apostles’ Creed) », dans JBL 101 (1982) 5-37, p. 24. 78. Reprenant la formule célèbre de Bultmann selon laquelle Jésus est ressuscité dans le kérygme, Robinson interprète Q 12,10 comme si Jésus était ressuscité « as the revalidation of his word, into the Holy Spirit ». Q serait alors, en ce sens, imprégné par la réalité de Pâques (!) : « us, rather than narrating a resurrection story, Q demonstrates its reality by presenting Jesus’ sayings in their revalidated state as the guidance of the Holy Spirit. Easter is then not a point in time in Q, but rather permeates Q as the reality of Jesus’ word being valid now », R, « Jesus. From Easter to Valentinus », p. 24. 79. Charles P, Jésus, Christ et Seigneur des premiers chrétiens (Jésus et JésusChrist, 70), Paris, Desclée, 1997, p. 232.

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Jésus et ceux qui ne le recevaient pas. On peut se disputer un maître ou un messie. L’identité filiale pose autrement la question80.

Ces réflexions placent l’événement pascal aux origines de toute la pensée chrétienne sur Jésus, y compris dans la tradition Q. Elles vont contre toutes les tentatives de minimiser la christologie de la tradition Q. Il faudra évaluer leurs retombées aussi sur l’identité même de cette communauté. 2.2.4 Un « autre » kérygme, un « autre » évangile ? En raison de l’absence de référence explicite au kérygme pascal, on a parlé pour Q d’un kérygme différent, d’une théologie de « seconde sphère81 » qui n’aurait pas été influencée par l’affirmation de la valeur salvifique de la mort-résurrection de Jésus. Un évangile différent, donc, par lequel, aux origines du christianisme, un groupe de partisans de Jésus se serait défini. On n’aurait plus besoin, comme le disait Cameron, de se référer au kérygme pascal pour imaginer les origines du christianisme. Qu’en est-il vraiment ? Il faudrait d’abord écarter ici un certain nombre de présupposés que sous-entend cette proposition. Présupposé que ce groupe de disciples se définissait parfaitement, totalement et uniquement par le contenu de Q qui nous est disponible. Comme si cette communauté avait été entourée d’un mur la séparant du reste des premières communautés chrétiennes connues par ailleurs. Et cela bien qu’elle ait comporté des missionnaires itinérants, lesquels pourtant, après avoir sillonné la Palestine ou la Syrie, devaient bien rapporter dans la communauté quelques échos de ce qui se disait et se passait ailleurs82 ! Présupposé également que cette Source Q serait le texte idéal pour retracer les origines chrétiennes83.

80. Ibid., p. 240-241 – je souligne. 81. K, « “Easter Faith” », p. 71. Voir aussi John S. K – Leif E.  V, « Early Christianity, Q and Jesus. e Sayings Gospels and Methods in the Study of Christian Origins », dans Semeia  55 (1991) 1-14, p.  5-8 (« Q as a Second Kerygma »). 82. Remarque de H, The Rise of Normative Christianity, p. 38. 83. Privilège que contestent A, « Reflections on Research into Q » : « My overarching point is that a focus on Q, particularly Q1, as the surest path to the origins of Christianity is methodologically flawed », dans Semeia 55 (1991), p. 233, mais également K, « e Sayings Gospel Q and the Quest of the Historical Jesus », p.  344 : « Q (or Q1) should not be privileged, however, even if it is early and probably from Galilee. Q is perspectival, selecting particular sets of materials that serve its rhetorical aims. »

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Mais surtout, c’est oublier un peu vite que le kérygme pascal est le plus ancien qu’on connaisse et celui qui fut, dès le départ, le plus répandu. Le texte de Paul en 1 Co 15,1-5 évoque une « tradition » qui remonte à sa conversion (vers 35), tradition qu’il a probablement reçue de la communauté primitive de Jérusalem, au temps où Pierre en était encore la figure dominante (Ga 1,18-19). Le fait que Paul et les « colonnes » de Jérusalem s’entendent sur l’Évangile qu’il prêche aux païens (Ga  2,2-10), indique bien que ce christianisme kérygmatique représentait la foi commune, partagée par un groupe qui incluait plusieurs des tout premiers disciples de Jésus et des gens mêmes de sa parenté. Mc n’est donc pas le seul à représenter ce courant du christianisme. Pour reconstituer les origines du christianisme, ces chrétiens « kérygmatiques » ont autrement plus d’importance que les éventuels chrétiens de Q84. Il n’est d’ailleurs pas établi que ces derniers proclamaient un évangile différent, encore moins un évangile divergent. Pour le prouver, il faudrait pouvoir avancer un texte de Q niant explicitement la valeur salvifique de la mort de Jésus, rejetant ou contestant sa résurrection. On n’a pas de tels textes. Le cœur de ce document, son kérygme, reste sans doute, il est vrai, la proclamation de l’arrivée du royaume de Dieu, royaume à la fois présent et futur (cf. Q 10,9 ; 13,28-30 ; 16,16). On serait, en un sens, encore proche du kérygme d’avant Pâques, de celui prêché par Jésus. Mais Q a bien été composé après la mort de Jésus, et après Pâques. Comme en fait foi, on l’a vu, l’importance des allusions qu’on y trouve, aussi bien à la mort salvatrice de Jésus qu’à sa résurrection. Si on ajoute les références à la venue future du Fils de l’homme, on retrouve les points principaux du kérygme commun de la tradition chrétienne. Malgré tout ce qu’on a dit, Q n’apparaît d’aucune manière comme un évangile aberrant. 3. Une place sur la carte historique du christianisme primitif ? À supposer qu’elle ait bien existé, où situer cette communauté particulière qui aurait produit le document Q ? La conclusion dépend évidemment des analyses qui précèdent. Une fois écartée l’hypothèse des itinérants cyniques ou charismatiques, on n’aurait plus à leur chercher un ancrage historique. Il faut néanmoins essayer de voir s’il n’y aurait pas place pour eux, tout de même, dans le paysage. Les autres propositions

84. Voir A, « Reflections on Research into Q », p. 229 et les cinq ensembles de données sur lesquelles il suggère de s’appuyer pour reconstruire les origines du christianisme. Voir aussi les pages de H, The Rise of Normative Christianity, p. 26-31 (sur les premières Églises de Palestine).

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réclament-elles des communautés différentes de celles que nous connaissons ? J’y reviendrai. Il faut d’abord préciser les coordonnées du document lui-même. 3.1 Date et lieu de composition de Q Utilisé par Mt et Lc, Q n’a pas été écrit plus tard que dans les années 70. Si Mc avait aussi connu Q, mais la chose est discutée85, il faudrait placer Q un peu avant 70. Cette dernière date est celle que propose P. Hoffmann pour la dernière rédaction de Q, en lien avec sa thèse anti-zélote86. Ce serait aussi la date de Q3, selon B.L.  Mack87. Mais pour l’ensemble du document, cette date paraît invraisemblable. Si on admet cette hypothèse de couches rédactionnelles, Q1 et Q2 sont évidemment plus anciens. On trouve un bon exemple de ces contraintes en D.C. Allison, qui présente une stratigraphie différente de celle de Kloppenborg : « If Q’s third state incorporates a document produced in the 30s (Q1) as well as a second document dependent upon that first (Q2), and if it further shows no knowledge of the Jewish War, then a date in the 40s or 50s seems feasible88 ». Mais plus loin, en raison d’une dépendance possible de 1  2,15-16 (écrit vers 50) à Q 11,49-51, il opte pour les années 4089. La plupart des auteurs placent la composition du document entre 40 et 7090. On peut s’en tenir à cette position prudente : Q aurait été composé vers le milieu du Ier siècle. À quel endroit ? On répond généralement : en Palestine, et plus précisément en Galilée. À part Jérusalem, en effet, les seuls noms de lieux mentionnés par Q sont des villes de Galilée : Capharnaüm (Q  7,1 ; 10,15), Chorazin et Bethsaïda, Tyr et Sidon n’apparaissant que comme exemples (Q 10,13). Élargissant les perspectives (étude des images agricoles et urbaines) pour tracer « e Social Map of Q », J.L. Reed localise lui aussi la communauté en Galilée91. Plusieurs auteurs, cependant, 85. Voir Harry T. F, Mark and Q. A Study of the Overlap Texts (BETL,  122), Leuven, Leuven University Press – Peeters, 1995, mais aussi l’« Assessment » critique de Frans Neirynck qui l’accompagne, p. 261-307 ! 86. H, The Redaction of Q, p. 195-197. 87. M, The Lost Gospel, p. 204-205. 88. A, The Jesus Tradition in Q, p. 54. 89. A, The Jesus Tradition in Q, p. 60. 90. Helmut K, Ancient Christian Gospels. Their History and Development, London, UK – Philadelphia, PA, SCM – Trinity Press International, 1990, p.  170 : « within the first three decades aer the death of Jesus », donc avant 60 ; T, Q and the History of Early Christianity, p. 101-102. 91. « e place-names in Q point to Capernaum as an important site to the Q community, and Q’s combination of agricultural, rural, and urban imagery makes good sense

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pencheraient plutôt pour la Syrie. Si ce document était écrit en grec, il faut en effet penser à une communauté de juifs parlant grec. Même si bon nombre de Galiléens étaient quelque peu frottés de grec, l’ensemble de la population parlait toujours araméen92. Un document grec ne se serait pas adressé à une communauté judéo-chrétienne de Galilée. Ce qui oblige à remonter vers le nord, en Syrie, jusqu’à Antioche peut-être. C’est ce que défend H. Koester, bien qu’il doive alors distinguer entre la communauté de Q et celle de l’Église d’Antioche ouverte aux Gentils93. On sait par ailleurs qu’Antioche reste « the best educated guess » pour le lieu de composition de Mt94. C’est en Syrie également qu’un bon nombre d’auteurs situent la composition de l’Évangile de omas95. Le fait que Mt, et peut-être aussi l’Évangile de omas, aient utilisé Q s’expliquerait très bien si on situait Q dans cette zone syrienne grecque, quelque part au nord-est de la Galilée96. 3.2 Une Église en Galilée ? Mais y avait-il même des chrétiens en Galilée ? Selon les synoptiques, le ministère de Jésus se passe presque entièrement en Galilée. Jean nuance les choses et décrit plusieurs voyages à Jérusalem et aux environs. Mais quel a été le succès de ce ministère galiléen de Jésus ? Des passages comme Q  10,12-15 ou 11,29-32, le rejet de Nazareth et le logion sur le prophète méprisé en son pays (qu’on trouve aussi bien dans la triple tradition synoptique : Mc 6,4 ; Mt 13,57 et Lc 4,24 qu’en Jn 4,44) semblent plutôt négatifs97. De Galilée, Jésus a au moins attiré un certain nombre in a Galilean environment not just for the historical Jesus, but for the Q community as well », Jonathan L.  R, « e Social Map of Q », dans K (dir.), Conflict and Invention, 17-36, p.  18 ; voir aussi Richard A.  H, « Social Conflict in the Synoptic Sayings Source Q », dans Ibid., 37-52, p. 42. 92. M, « La Palestine du premier siècle », p. 32-33. 93. Alors que l’Église d’Antioche en était venue à la conclusion que les gentils n’étaient pas tenus de se soumettre à toutes les directives de la Loi, la communauté Q, elle, aurait pris la décision inverse de rester dans le cadre de la Loi ; voir K, Ancient Christian Gospels, p. 170-171. Ce qui s’accorde avec les perspectives de T, Q and the History of Early Christianity (développées plus haut). 94. D – A, The Gospel according to Matthew, p. 147. 95. P, The Gospel of Thomas and Jesus, p. 118-120. 96. Ce qui n’expliquerait pas nécessairement, cependant, l’utilisation de Q par Lc ! 97. Selon Haenchen (citant Alfred  L, La naissance du christianisme, Paris, Nourry, 1933, p. 149 n. 1), ces textes inviteraient à conclure « that there were no groups of believers in Galilee in apostolic times », Ernst  H, The Acts of the Apostles, Oxford, UK, Blackwell, 1971, p.  333 n.  2. Ce que Joseph A.  F, The Acts of the Apostles. A New Translation with Introduction and Commentary (AB, 31), New York, NY, Doubleday, 1998, p. 441, met en doute.

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de disciples98 qui l’ont suivi jusqu’à Jérusalem. C’est là que s’est joué l’essentiel avec la mort-résurrection. Les disciples galiléens sont-ils retournés en Galilée, par la suite, retrouver leur famille ? La thèse de Luc, qui fait de Jérusalem le point de départ de toute l’histoire de l’Église, efface les détails. Rassemblés à Jérusalem (Ac 1,2), les disciples y reçoivent l’Esprit et semblent s’y installer. Les accroissements de l’Église qu’enregistre Luc concernent majoritairement Jérusalem (Ac 2,41.47 ; 4,4 ; 5,14 ; 6,1-7). On n’y entend jamais parler de la Galilée, hormis la mention faite en passant en 9,31 : « L’Église, sur toute l’étendue de la Judée, de la Galilée et de la Samarie vivait en paix […] et s’accroissait. » Comme si Luc ne disposait d’aucune information sur l’évangélisation en Galilée. Conspiration du silence ? Selon la plupart des auteurs, il semble plus probable qu’il n’y avait que peu de chrétiens en Galilée. Ac 9,31 n’aurait été qu’une formule, indiquant que toute l’Église judéo-chrétienne était en paix, sans présumer d’une communauté organisée en Galilée99. É.  Nodet et J. Taylor ont contesté cette vision des choses. Pour eux, le récit lucanien des Actes présente à la fois un ensemble de faits mais aussi une thèse100. En effet, si la finale de Lc et le début des Actes sont centrés sur Jérusalem, Mc, Mt et Jn se terminent sur une note galiléenne. Ces auteurs pensent donc que le groupe des apôtres est revenu en Galilée après le pèlerinage correspondant à la mort de Jésus101. Et c’est de cette base galiléenne, selon eux, que serait partie la mission chrétienne102. Les trois régions indiquées en Ac 9,1 « correspondent, en les élargissant, aux récits précédents, qui sont situés à Jérusalem, en Samarie et à Damas ; cette dernière se trouve ainsi 98. Les disciples en Lc  10,17 sont 72, comme l’exige le nombre symbolique des nations. Historiquement, ils ne sont pas connus. 99. C’est la position de Charles K. B, The Acts of the Apostles (ICC, 44/1), Edinburgh, T&T  Clark, 1994, p.  473, qui ajoute : « Christianity never became established in Galilee. » Voir aussi Martin H, Acts and the History of Earliest Christianity, London, UK, SCM, 1979, p. 76 : « it is striking […] that Paul and Luke agree that Galilee played no part in the further development of earliest Christianity […] Out-of-the-way, “backwoods” Galilee quickly lost its significance for the further history of earliest Christianity and could not regain it even aer the destruction of Jerusalem in AD  70. » Ou encore, H, Archaelogy, History, and Society in Galilee, p.  189 : « Neither literary nor archaeological sources […] provide evidence for “Christian” communities or remains in Galilee prior to Constantine’s establishment of Christianity » (p. 108) et « Whether or not any local communities of the Jesus movement survived the great revolt, “Christianity” was first established in Galilee as a series of pilgrimage sites under the sponsorship of Constantine ». 100. Étienne N – Justin T, Essai sur les origines du christianisme (Initiations bibliques), Paris, Cerf, p. 325. 101. Ibid., p.  309, 326 – les disciples n’ayant d’ailleurs « aucune attache définie et stable avec la Judée » (p. 307). 102. Nodet et Taylor supposent même que la dispersion relative à la violente persécution en Ac 8,1 « est d’abord un retour en Galilée, plus ou moins précipité, après un autre pèlerinage », Ibid., p. 326.

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rattachée à une Galilée élargie103 ». Les disciples que Saul poursuit à Damas seraient nés de cette mission galiléenne et non de celles des hellénistes fuyant Jérusalem d’après Ac 8,1104. W. Schmithals avait soutenu une position semblable : « An original church remained active in Galilee and disseminated its influence not only in Jerusalem by way of Samaria, but also in Syria, Damascus, Antioch, all places where the Acts takes early Christian churches for granted105. » Reprenant avec hésitation l’hypothèse suggérée par E. Lohmeyer (Galiläa und Jerusalem, 1936) de deux Églises originaires (une à Jérusalem et une en Galilée), il lance à son tour une autre hypothèse : celle de deux kérygmes. À côté du kérygme pascal de l’Église de Jérusalem, « there remained in Galilee to start with and for some time active churches who in imitation of the historical Jesus were expecting not Jesus as the Son of Man but the coming of God in his heavenly Kingdom106 ». Par ce détour, et à l’exclusion de la référence au Fils de l’homme, on croirait retrouver le kérygme de la Source Q ! Cette Église de Galilée, qui a bien reçu l’annonce pascale, mais qui reste proche encore des enseignements de Jésus sur le Royaume, paraît le lieu idéal pour situer la Source Q. C’est elle qui en aurait gardé les traditions. Mais cette Église reste plus ou moins fantomatique. Qu’est-elle devenue ? S’est-elle dispersée pendant ou après la guerre juive ? S’est-elle jointe à d’autres, assimilée par l’Église de Matthieu dans les territoires de Syrie ? Autant de questions qui restent sans réponses. Église de Galilée ou communauté Q ? De ce paysage brumeux, une chose cependant ressort clairement, c’est qu’il faut écarter l’existence, en ce milieu restreint, de deux kérygmes mutuellement exclusifs, de deux christologies rivales. Écarter, plus exactement, l’idée d’une communauté qui aurait gardé son attachement à Jésus, en rejetant cependant la dimension salvifique de sa mort-résurrection. Il faut reprendre, de ce point de vue, les considérations de M. Hengel sur la « Christologie et la chronologie du NT ». S’appuyant sur une analyse serrée de la chronologie paulinienne, il conclut que l’essentiel de la christologie de Paul était pleinement développé dès la fin des années 40, avant même le début de ses voyages vers l’ouest107. Ce qui signifie que la christologie primitive 103. Ibid., p. 306 n. 1. 104. « À Damas, Paul a rencontré des disciples… Il s’agit certainement de judéochrétiens, directement ou non disciples de Jésus, mais non messianisants, et assez éloignés du groupe de Jérusalem », Ibid., p. 309. 105. Walter S, Paul and James (Studies in Biblical eology, 46), London, UK, SCM, 1965, p. 33-34. 106. Ibid., p. 34 n. 71. 107. Martin H, « Christology and New Testament Chronology. A Problem in the History of Earliest Christianity », dans Between Jesus and Paul. Studies in the Earliest History of Christianity, Philadelphia, PA, Fortress, 1983, 30-47, ici p. 31.

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aurait mis moins de vingt ans pour atteindre l’état qu’on lui connaît dans les premiers exposés de Paul (de 30 à 50 environ). Un temps qui se raccourcit considérablement si on remonte à la conversion de Paul, vers 35 ou 36-37, et à l’évangile qui lui fut alors transmis (1  Co  15,1-5). Quels chrétiens ou quelle communauté ont alors influencé le nouveau converti qu’était Paul ? Les Actes parlent des disciples de Damas (Ac  9,19-23). Mais il fallait que la christologie de ces disciples – ce qu’ils pensaient du Messie Jésus – soit déjà fort claire, pour qu’elle paraisse à ce point contraignante à l’ancien pharisien formé par les scribes, qu’il va remplacer la Loi par Jésus comme seul chemin de salut. Et qu’il va se mettre à le prêcher partout immédiatement : à Damas d’abord (9,20 : Jésus-Fils de Dieu ; 9,22 : Jésus-Messie), puis à Jérusalem (9,28 : Jésus-Seigneur). Cette christologie, quinze ans avant les lettres de Paul, était déjà fort élaborée. Ce bouillonnement christologique a dû se continuer. On connaît les formules dites « pré-pauliniennes », ces passages des épîtres où Paul semble citer des hymnes ou reprendre des formules qui circulaient par ailleurs dans la tradition chrétienne. M.  Hengel pense qu’il faudrait changer l’appellation, car Paul a très probablement contribué lui-même à ces formulations. On oublie parfois que le Paul des lettres a déjà un « passé chrétien » de quelque quinze années108, durant lesquelles il est loin d’être resté inactif, d’après Luc assurément (Ac 9,30 : Tarse ; 11,26 : Antioche), mais aussi d’après son propre témoignage (Ga 1,17-18 ; 2,1). C’est donc dire que très tôt, quelques années à peine après la mort de Jésus, le kérygme pascal avait retenti partout, particulièrement dans cette grande Galilée, qui incluait la Syrie de Damas, où l’on aimerait situer le groupe responsable de la Source Q. Il n’y a pas place, dans ce contexte, pour une communauté de partisans de Jésus qui n’auraient vu en lui qu’un maître de sagesse, semblable à ceux qui, dit-on, sillonnaient l’Empire, ou qu’un autre, tout simplement, de ces prophètes d’Israël mis à mort par les autorités. 4. Conclusion. Groupe marginal ? Communauté singulière ? Ou traditions anciennes ? Le détail de toutes ces discussions confirme amplement la difficulté de passer du littéraire au sociohistorique. Les hypothèses proposées, à partir aussi bien des éléments du document Q que des silences de ce texte, n’ont créé aucune unanimité. On ne peut déduire, du texte de Q dont nous disposons, l’existence d’une communauté formée essentiellement ou 108. Ibid., p. 32, 36.

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majoritairement d’itinérants, qu’on qualifie ceux-ci de charismatiques ou de cyniques. Les autres propositions, exploitant de manière privilégiée tel texte ou tel thème, montrent bien la richesse et la complexité des traditions ramassées en Q. Mais ces traditions ont très souvent leurs parallèles dans le reste de la tradition évangélique et ne réclament pas comme Sitz im Leben une communauté singulière, par ailleurs inconnue. Si on retrouve les consignes missionnaires de Q 10,4, soi-disant si caractéristiques de la Source Q, dans la triple tradition (Mc  6,8-9 ; Mt  10,9-10 ; Lc 9,3), c’est donc que ces traits d’allure cynique n’étaient pas propres à Q : le caractéristique de Q appartient ici à la tradition commune ! Selon C.M. Tuckett, il est vrai, la « christologie de sagesse » serait, elle, une exception. On ne la retrouve ni en Mt, ni en Lc, ni nulle part ailleurs dans sa manière de combiner les motifs de prophètes et de Sagesse rejetés109. « As such it may then reflect the beliefs of a specific group of Christians within early Christianity110. » Tuckett admet pourtant, avec L.E. Keck, que la christologie d’un texte n’est toujours qu’une expression partielle de ce qu’un auteur pense de l’identité de Jésus et de sa signification111. Peut-être aurait-il dû citer la suite du texte de Keck : Just as there is no reason to think that any Evangelist wrote into his gospel everything he knew about Jesus [cf. Jn  20, 30-31] [...], so too, there is no adequate reason to equate the christology of a text or of its sources with the christology of a particular group. To assume that the christology of Q or John or the Pastoral Epistles is a profile of the christology of distinct communities, and then to assume that each community had but this one christology so that one can use discrete christologies to reconstruct diverse groups is surely an unwarranted procedure112.

Il faudrait sans doute nuancer quelque peu, mais il est clair que les orientations théologiques particulières de Jn ou des Pastorales ne s’éloignent pas de la foi pascale commune. Le fait enfin que Mt et Lc, indépendamment l’un de l’autre, intègrent cette christologie de Q dans leur propre récit montre bien que celle-ci ne s’opposait pas à leurs propres perspectives christologiques. éologiquement ou christologiquement, on n’a donc pas à rattacher le document Q à une communauté particulièrement distinctive.

109. T, Q and the History of Early Christianity, p. 38-39 ; 218-221. 110. Ibid., p. 39. 111. Ibid., p. 213, où il cite Leander E. K, « Toward the Renewal of New Testament Christology », dans NTS 32 (1986) 362-377, p. 371 : « Given the occasional character of the NT texts, as well as their several genres and functions, a text’s christology is but a partial expression of what the writer thought about Jesus’ identity and significance. » 112. K, « Toward the Renewal », p. 371.

() ()     

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La recherche historique va dans le même sens. Dans tout ce qu’on connaît du christianisme primitif, on ne trouve aucune trace d’un groupe de partisans de Jésus ou de chrétiens qui s’en seraient tenus, dans leur enseignement, au Jésus d’avant Pâques ou qui, ignorant le kérygme pascal, auraient proclamé un kérygme autre ou, le rejetant, un kérygme rival. Les traditions qu’on veut attribuer à une communauté Q correspondent tout à fait à celles qu’on rattacherait, me semble-t-il, à une Église de Galilée. Autrement dit, on se trouve en présence de traditions anciennes, mises par écrit, non seulement en une mais en plusieurs versions, puisque Mt et Lc semblent en avoir connu des états différents. On sait par le prologue de l’évangile de Luc que les écritures anciennes concernant Jésus ont été nombreuses. On n’a pas gardé leur texte. Il paraît d’autant plus naturel de ranger le document Q parmi ces écrits qu’il fait certainement partie des sources de Luc. Le rédacteur de Q serait donc un de ces polloi qui auraient entrepris de composer un récit des choses accomplies (pragmatôn) parmi nous (Lc  1,1)113. Comme il n’y a pas à imaginer des communautés différentes derrière tous ces textes, il n’y a pas, non plus, à en chercher une derrière le document Q. En conséquence, et malgré qu’il soit devenu courant de parler de « communauté Q », de « Q people » ou d’utiliser des expressions équivalentes, cette « soi-disant communauté Q114 » paraît bien n’être qu’une de ces entités académiques parmi d’autres qui semblent être « modern fabrication rather than historical realities115 ». Cette hypothèse, à mon avis, n’a pas à s’ajouter, en la rendant moins crédible encore aux yeux de certains, à l’hypothèse bien fondée, elle, de l’existence du document Q. 113. On pourrait objecter que Q est une collection de logia et non un récit d’événements ! Mais, outre que Q raconte bien quelques faits de la vie de Jésus (4,1-13 : tentation ; 7,1-10 : guérison), les discours de Jésus sont aussi « choses accomplies » (cf. le sermon de 6,20-49, qui est suivi immédiatement d’éléments narratifs et même topographiques : entrée à Capharnaüm). Ces logia sont d’ailleurs liés aux agirs de Jésus, et spécialement à son enseignement (cf. 13,26). 114. L’expression est de P, Jésus, Christ et Seigneur, p. 189. Il exprime ailleurs ses doutes : « si communauté il y a » (p. 199) ; « est-il bien sûr que les éléments drainés par cette tradition reflètent l’existence d’une communauté bien constituée ? » (p.  202). Plus catégorique, M, A Marginal Jew, vol. 2, p. 179, est plus catégorique et ne craint pas d’écrire : « I do not see any historical proof that one and only one community either created, gathered, or carried the Q tradition through early Christianity until it wound up in the Gospels of Matthew and Luke. On the contrary, the very fact that Q apparently existed and functioned for some time in each of these evangelists’ churches before it was absorbed into their Gospel tells against this idea of one Q community. » 115. H, Acts and the History, p. 26. Dans son adresse présidentielle au congrès de la SNTS 1993, Hengel a redit son scepticisme à l’égard de cette « Q-Gemeinde » : « an der Existenz ich selbst schon zweifle », I, « Aufgaben der Neutestamentlichen Wissenscha », dans NTS 40 (1994) 321-357, p. 336.

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DE LA SOURCE Q COMME REFLET DES  TÉMOINS OCULAIRES  DE LUC 1,2* Malgré la persistance des débats, les solutions proposées au problème synoptique n’ont guère changé depuis une centaine d’années, comme le remarque Christopher Tuckett dans « e Current State of the Synoptic Problem1 », et la théorie des Deux-Sources, même si elle n’est pas sans faiblesses, demeure la solution dominante2. Selon cette hypothèse, à laquelle je me range, c’est la Source Q, commune (au moins en gros) à Matthieu et à Luc, qui rend le mieux compte, entre ces deux évangiles, des accords qui ne dépendent pas de Marc, accords qui vont parfois jusqu’au mot à mot dans leurs textes grecs (voir Mt  3,7-10//Lc  3,7-9 ; Mt  7,7-8//Lc  11,9-10 ou encore : Mt  9,37//Lc  10,2 ; Mt  12,41//Lc  11,32 ; Mt 13,33//Lc 13,20-21) et paraissent donc exiger un document écrit utilisé par les deux évangélistes. L’auteur de Matthieu ne nous dit rien de ses sources. Celui de Luc, par contre, dans un Prologue remarquable (Lc 1,1-4), dit prendre la suite des πολλοὶ qui « ont entrepris de composer un récit des événements accomplis parmi nous » (Lc  1,1). Dans la perspective de la théorie des DeuxSources, il est tout naturel d’inclure le document Q parmi les écrits de ces πολλοὶ, que ressuscite le premier verset de son évangile3.

* Texte paru dans André G – Alain G – Sylvie P L (dir.), Le Vivant qui fait vivre. Esprit, éthique et résurrection dans le Nouveau Testament. Mélanges offerts à la professeure Odette Mainville (Sciences bibliques, 22), Montréal, Médiaspaul, 2011, 151-172. 1. T, « e Current State of the Synoptic Problem », p. 9-50. 2. Ce que Tuckett, avec sa modération et sa modestie habituelles, maintient dans sa conclusion : « the 2DH (in some form) remains probably the most widely hold theory », et encore : « the weaknesses of the 2DH are possibly less than those of other competing hypotheses today » (Ibid., p. 50). 3. M, « Pourquoi s’intéresser à la source ? », p. 19 (section « Histoire de la recherche et questions ouvertes »), écrit : « Outre Marc, à qui Luc se réfère-t-il en parlant de ses nombreux prédécesseurs, les πολλοὶ ? Même s’il n’est pas certain qu’ἀνατάξασθαι implique la consignation écrite d’un récit, la source des paroles de Jésus pourrait être du nombre. » Il est permis d’être un peu plus affirmatif.

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1. L’absence de la mort salvatrice et de la résurrection de Jésus en Q Or il est courant, parmi les spécialistes de la source Q, d’affirmer que ce document ne parle guère ni de la croix de Jésus ni de sa résurrection. Arguant de ce fait, d’aucuns ont prétendu (ou prétendent toujours) que Q serait le reflet d’une communauté de disciples de Jésus qui auraient professé un kérygme différent, non influencé par l’affirmation de la valeur salvifique de la mort-résurrection de Jésus, un autre évangile4. J’ai pour ma part contesté l’existence d’une communauté Q qui aurait exprimé toute sa foi dans cet unique document, constitué principalement de paroles de Jésus5, au temps même de Paul, en Galilée, et à l’encontre du reste des premières communautés chrétiennes connues par ailleurs6. En réalité, les positions sont devenues plus nuancées. Selon Kloppenborg, Q connaît bien la mort de Jésus (Q 14,27 la suppose, en effet, clairement7), mais pour lui le point à bien remarquer est que Q n’attribue jamais à cette mort « a soteriological function8 ». Il estime que la mort de Jésus est comprise dans la perspective deutéronomiste de la violence faite aux prophètes. Perspective différente de celle de Paul, mais qui serait aussi ancienne que la sienne9. Concernant la résurrection, Kloppenborg, dans Excavating Q, commence par dire son accord avec la conclusion de Marinus de Jonge : It is extremely unlikely […] that communities in which the sayings of the Q collection were handed down knew no other traditions about Jesus’ life, death, and resurrection/exaltation […] For one thing, one could not speak 4. Voir, entre autres : K, « “Easter Faith”« ; K – V, « Early Christianity, Q and Jesus », p. 5-8. K, Q, the Earliest Gospel, p. 97, parle à nouveau de Q comme d’un « Different Gospel » : « ere is not much evidence [quelque chose néanmoins peut-être ?] that this Jesus [celui de Q] was memorialized as a savior, as he was in the Christ-confessing churches of Paul. […] us, the Sayings Gospel Q represents a different gospel » (italiques de l’auteur). 5. Mais je crois qu’il faut accorder une grande attention à la thèse de Stephen H, Narrative Elements in the Double Tradition. A Study of Their Place within the Framework of the Gospel Narrative (BZNW,  113), Berlin – New York, NY, de Gruyter, 2002, qui met en évidence les éléments narratifs, ordinairement négligés, dans le matériel attribué à la Source Q. 6. M, « Quelle(s) communauté(s) derrière la source Q ? », p. 597-598 – repris au chapitre 6 de ce livre ; I, « Effervescence in Q Studies », p. 96-101 (« Independent kerygma and Q community ? »). 7. Par convention, la Source est citée d’après les versets de l’évangile de Luc. 8. Voir K V, Excavating  Q, p.  371. Ceci est contesté néanmoins par H, Narrative Elements in the Double Tradition, p. 114, qui soutient, notamment après son analyse du récit de la tentation (de Q 4,9-12 en particulier), que ce récit « comes from circles that had an intimate knowledge of the church’s passion narrative and passion kerygma ». 9. K V, Excavating Q, p. 373-374. Ce qu’il reprend dans I, Q, the Earliest Gospel, p. 73-79.

       «   » 189 of Jesus’ rejection by Israel’s leaders without telling what happened aerward. […] ose who handed down the Q material believed in a God who had vindicated Jesus, his work and his message, and they believed that he would come again to share with them the full bliss of the kingdom of God10.

Mais pour rendre compte de cette vindication, de cette justification par Dieu, il en appelle à la lecture que Dieter Zeller faisait de Q 13,35b, où Jésus dit : « Vous ne me verrez plus jusqu’à ce que vienne le temps où vous direz : “Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient”. » Par ces seuls mots : « vous ne me verrez plus », Jésus ferait allusion à l’enlèvement d’Élie en 2 R 2,12, où Élisée cesse de voir Élie : « il ne le vit plus ». Un enlèvement, une assomption, qui serait le « direct result » de la persécution des prophètes, évoquée précisément en Q 13,33-34a, tout juste avant le « vous ne me verrez plus » de Q 13,35b11. Kloppenborg revient sur la résurrection de Jésus dans Q, the Earliest Gospel : « Is Jesus Raised12 ? » Il rejette cette fois, et à bon droit, le scénario selon lequel les responsables de Q auraient été « sufficiently cut off from other early streams of the Jesus movement that they had not heard of the tales of the empty tomb or the appearances of Jesus to his followers ». Il le dit bien : « is scenario is indeed difficult to imagine13 ». Mais alors pourquoi Q ne parle-t-il pas de la résurrection de Jésus ? Kloppenborg reprend l’hypothèse proposée par Zeller : celle de l’enlèvement de Jésus à la manière d’Élie, liée au « vous ne me verrez plus » de Q 13,35b. La résurrection n’aurait pas été la seule métaphore disponible pour imaginer la justification de Jésus après sa mort. Même si, cette fois, il s’appuie principalement sur deux études de Daniel A. Smith14, Kloppenborg doit finalement admettre que « this speculation

10. Marinus  J, Christology in Context. The Earliest Christian Responses to Jesus, Philadelphia, PA, Westminster, 1988, p.  83-84, cité par K V, Excavating Q, p. 374-375. 11. K V, Excavating Q, p.  377-378 ; Dieter  Z « Entrückung zur Ankun als Menschensohn (Lk 13,34 f. ; 11,29f.) ». 12. K, Q, the Earliest Gospel, p. 80-84. 13. Ibid., p. 82. 14. Voir Daniel A. S, « Revisiting the Empty Tomb. e Post-Mortem Vindication of Jesus in Mark and Q », dans NovT 45 (2003) 123-137 ; I, The Post-Mortem Vindication of Jesus in the Sayings Gospel Q (LNTS, 338), London, UK – New York, NY, T&T Clark International, 2007. Smith est plus nuancé que Kloppenborg : en conclusion de ce livre, après avoir rappelé que l’approche de Q, selon Kloppenborg, « was significantly different [italiques de Kloppenborg] from those of Paul and his immediate predecessors » [voir K V, Excavating Q, p. 379], il se permet de citer l’opinion différente de Hurtado, qui a montré que « the death-ascension schema of Q is neither incompatible with the other christological schemas nor unique to Q » (Ibid., p. 171) ; voir en effet H, « Is Q Peculiar ? », dans Lord Jesus Christ, 235-239, p.  237. Quant à lui, S, The

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about Q’s view of Jesus’ vindication is based on the slenderest of evidence : half a sentence in Q 13:3515 » ! À mon avis, il faut redire avec Kloppenborg qu’il aurait été inimaginable que les responsables de Q n’aient jamais entendu parler de la résurrection de Jésus. Inimaginable, ajouterais-je, que connaissant l’existence du kérygme tout centré sur la mort-résurrection de Jésus et entourés par l’ensemble des premiers chrétiens qui le proclamaient, ils aient choisi de s’en tenir à la théorie d’un enlèvement de Jésus auprès de Dieu à la manière d’Élie (ou d’Énoch). Mais alors pourquoi ce silence quasi complet sur la mort salvatrice de Jésus et sa résurrection d’entre les morts dans cette source de Matthieu et de Luc qu’on appelle Q ? 2. Ceux qui ont vu de leurs yeux (αὐτόπται) et sont devenus serviteurs (ὑπηρέται) de la Parole Une réponse plausible à cette question tient, à mon avis, à la nature même de cette source. Et à la nature de cette source telle que Luc me paraît l’évoquer dans le fameux Prologue où il fait état des traditions qu’il a reçues. C’est ce que je tenterai de montrer dans les pages qui suivent en m’arrêtant tout particulièrement au verset 2 du Prologue : Καθὼς παρέδοσαν ἡμῖν οἱ ἀπ᾽ ἀρχῆς αὐτόπται καὶ ὑπηρέται γενόμενοι τοῦ λόγου.

2.1 Deux groupes ou un seul ? La traduction de ce texte n’est pas aussi simple qu’il pourrait paraître à première vue. J’en retiens deux qui sont quasi emblématiques et l’écho, en quelque sorte, de nombreuses discussions sous-jacentes. Celle de la Bible de Jérusalem (BJ) se lit actuellement : « […] d’après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la Parole16. » Par contre, celle de la Traduction œcuménique de la Bible Post-Mortem Vindication, p. 171, estime qu’on ne pourra sans doute jamais établir « how far Q was in dialogue (or disagreement) with other groups or views ». 15. K, Q, the Earliest Gospel, p. 84. 16. Mais la traduction de la première édition en fascicules de la BJ, due au chanoine Osty, portait, dans le texte : « tels que nous les ont transmis ceux qui, témoins oculaires du début, sont devenus ensuite serviteurs de la Parole » et en note seulement : « Ou : “ceux qui furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la Parole”, c’est-à-dire de l’Évangile » ; Émile O, L’évangile selon saint Luc, Paris, Cerf, 1948, p. 25. Mais à partir de la deuxième édition (1953), les choses sont inversées : ce qui était en note passe dans le texte principal et le texte principal se retrouve en note. C’est ce qu’on a désormais dans le texte de l’édition en un volume (mais sans note !). Dans la BNT, le texte de Lc 1,2

       «   » 191 (TOB) dit : « […] d’après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et qui sont devenus serviteurs de la parole » [je souligne]. Une première question se pose : les deux mots αὐτόπται et ύπηρέται désignent-ils les mêmes personnes ou deux groupes différents ? Grammaticalement, la phrase, avec son unique article οί, doit être prise comme une unité et les αὐτόπται et les ὑπηρέται […] τοῦ λόγου, liés ensemble par le καὶ, désignent un seul et même groupe. Sur ce point, la plupart des commentateurs s’entendent17. Le désaccord porte sur le rôle et le sens à donner au participe aoriste γενόμενοι. Se rattache-t-il aux deux noms αὐτόπται et ὑπηρέται, ce que comprend la traduction de la BJ ? Ou uniquement à ὑπηρέται […] τοῦ λόγου, comme l’entend le texte de la TOB ? La position de la BJ semble reprendre celle énoncée, en un premier moment, par le père  Lagrange, dans son commentaire de l’évangile de Luc : « L’art[icle] οί dominant tout ce qui suit, il ne faut pas entendre qu’ayant été témoins d’abord ils se sont faits ensuite serviteurs de la parole18. » Pourtant, à peine quelques lignes plus loin, il semble avoir oublié ce qu’il vient de dire et écrit : « Dans Lc, αὐτόπτης se rapporte aussi à πραγμάτων qui précède [les événements accomplis parmi nous]. On était témoin oculaire des faits avant de devenir ministre de la parole dont ils confirmaient la vérité19. » Dans cette dernière perspective, il y a bien un seul groupe, mais deux temps à distinguer : un avant, celui de la vision ou de l’expérience des faits, puis un après (il faut bien dire : ensuite), le temps du ministère de la parole. se lit comme suit : « conformément à ce que nous ont raconté ceux qui en furent, dès le commencement, les témoins et qui sont depuis devenus les serviteurs de la Parole », Pascalle  M – Pierre  L, « Luc », dans Frédéric B – Jean-Pierre P – Marc S (dir.), Bible. Nouvelle traduction, Paris – Montréal, Bayard – Médiaspaul, 2001, 2316-2372, p. 2316. 17. Voir, entre bien d’autres, par ordre chronologique : Édouard D, Études grecques sur l’évangile de Luc (Études anciennes), Paris, Belles Lettres, 1976, p.  7 ; Richard J.  D, From Eye-Witnesses to Ministers of the Word (AnBib, 82), Rome, Biblical Institute Press, 1978, p. 271 n. 114 ; Joseph A. F, The Gospel According to Luke (I-IX) (AB,  28a), New York, NY, Doubleday, 1981, p.  294 ; John  N, Luke 1-9:20 (WBC, 35a), Dallas, Word Books, 1989, p. 7 ; B, L’évangile selon saint Luc (1,1-9,50), p. 39 ; Loveday A, The Preface to Luke’s Gospel (SNTSMS, 78), Cambridge, UK, CUP, 1993, p. 119 ; Darrell L. B, Luke. 1:1-9:50 (BECNT, 3), Grand Rapids, MI, Baker Books, 1994, p.  58 ; Joel B.  G, The Gospel of Luke (NICNT), Grand Rapids, MI – Cambridge, UK, Eerdmans, 1997, p. 41 ; Richard B, Jesus and the Eyewitnesses. The Gospels as Eyewitness Testimony, Grand Rapids, MI – Cambridge, UK, Eerdmans, 2006, p. 30 et 122. 18. Marie-Joseph L, Évangile selon saint Luc, Paris, Gabalda, 1921, p. 4. 19. Ibid., p. 5 (je souligne).

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André Feuillet a repris la première lecture de Lagrange et contesté la lecture en deux temps : La grammaire, dit-il, indique que la détermination de « la Parole » se rapporte tout autant à « témoins oculaires » qu’à « serviteurs » ; en effet un unique article gouverne les deux noms, et ceux-ci sont enclavés entre l’article et le participe génoménoi : les mêmes hommes ont donc été à la fois témoins oculaires du logos et serviteurs du logos.

« Les mêmes hommes », on sera d’accord. Mais Feuillet continue : « On ne pourrait à la rigueur comprendre les choses autrement que si le complément déterminatif “de la Parole” était appelé par le second nom seulement, à l’exclusion du premier. » Et, refusant toute succession, toute évolution dans l’histoire des porteurs de la tradition, il traduit : « […] ceux qui furent dès le commencement les témoins oculaires et serviteurs de la Parole20. » Il est vrai que le verbe grec εἰμί est défectif et irrégulier, qu’il n’a que trois temps (présent, imparfait et futur) et complète sa conjugaison à l’aide du verbe γίγνομαι, devenir. Et qu’il serait donc légitime, grammaticalement, de traduire simplement le γενόμενοι de Lc 1,2 par « qui furent21 ». Mais ce participe aoriste peut aussi garder son sens propre, comme c’est le cas ici à mon avis, quand un même groupe de personnes passe d’un état à un autre. On rattachera donc γενόμενοι, avec le sens de devenir, au seul mot ὑπηρέται22. À ceux qui objecteraient, par ailleurs, que si Luc avait voulu rattacher γενόμενοι à ce seul mot avec le sens de devenir, il aurait dû répéter l’article défini (le οἱ) après καὶ, Dillon a bien répondu que « this would have implied that the αὐτόπται and ὑπηρέται were at least partially different groups, whereas Lk clearly intends to characterize one and the same groups in two successive stages23 ». Mais la véritable raison pour laquelle Feuillet rattache τοῦ λόγου à αὐτόπται et non à ὑπηρέται seulement n’est pas grammaticale mais 20. André F, « “Témoins oculaires et serviteurs de la Parole” (Lc 1 2b) », dans NovT 15 (1973) 241-259, p. 244. 21. Ce qu’exploite D, Études grecques sur l’évangile de Luc, p. 6, pour justifier une position semblable à celle de F en rattachant aussi γενόμενοι aux deux noms, ύπηρέται et αὐτόπται. 22. Malgré A, The Preface to Luke’s Gospel, p. 119, qui soutient que « there is not justification for the view […] that the participle denotes a different point in time when the αὐτόπται “became” ministers of the word ». 23. D, From Eye-Witnesses to Ministers of the Word, p.  271 n.  114. Même s’il estime qu’il ne faut pas insister, autant que Dillon, sur le fait que ceux qui ont été témoins oculaires depuis le commencement sont devenus par la suite ministres de la parole (ce que le titre même du livre de Dillon met en évidence), Bauckham finit par reconnaître que « Nevertheless it is clear that “from the beginning” qualifies only “eyewitnesses,” and it must be assumed that these eyewitnesses became also ministers of the word only at a later stage », B, Jesus and the Eyewitnesses, p. 123 (je souligne).

       «   » 193 théologique. Pour Feuillet, la Parole de Lc 1,2 est hypostasiée, comme dans la tradition johannique. Il y voit un strict parallèle avec 1  Jn  1,1-2 : les αὐτόπται de Lc 1,2 rejoignant ceux qui ont entendu et « vu de leurs yeux » le « Verbe de vie » (τοῦ λόγου τῆς ζωῆς) en 1  Jn  1,1. Sans mentionner l’étude de Feuillet, c’est le même parallèle entre Lc 1,2 et la tradition johannique que reprend, avec moins de nuance, Édouard Delebecque. Pour lui, « le λόγος, au singulier, signifie le Verbe incarné, comme dans le prologue de Jean, et le mot, dans ce sens solennel, est réservé lui aussi au prologue du troisième évangile24 ». Ce Verbe unique, dit-il, « a des témoins oculaires et des serviteurs ». Et c’est pourquoi il faut éviter « de donner, comme il arrive souvent, le sens de “devenir” au verbe γίγνεσθαι et de traduire “ceux qui dès le début furent témoins oculaires (sous-entendu ‘des faits’) et (ensuite) sont devenus serviteurs de la Parole”25 ». Malgré son grand intérêt, cette lecture théologique ne peut être retenue. Ni le ton général du prologue de Luc, en effet, ni aucun autre emploi du mot λόγος, aussi bien dans l’évangile de Luc que dans les Actes, n’autorise cette vue des choses. 2.2 Différence entre αὐτόπτης et μάρτυς De son côté, François Bovon hésite aussi à rattacher γενόμενοι au seul ὑπηρέται : « Le passage parallèle d’Ac 26,16 (ὑπηρέτην καὶ μάρτυρα, “serviteur et témoin”), comme l’usage grec selon lequel on “devient” témoin, impliquent qu’il convient de choisir la seconde solution [qui relie γενόμενοι aux deux noms] : témoins et serviteurs ils le sont devenus26. » En fait, cependant, le passage n’est pas exactement parallèle : en Lc  1,2 c’est αὐτόπτης qui est lié (en le précédant) à ὑπηρέτης et non μάρτυς comme en Ac  26,16. Or, dans un article remarquable, Étienne  Samain a montré que μάρτυς et ὑπηρέτης sont quasi-synonymes en Luc. Il ajoutait : « Nous croyons être autorisé à voir dans le ὑπηρέτης du prologue lucanien une expression de la μαρτυρία et à rapprocher plus valablement encore Lc., 1,2 et Act., 1,21-2227. » Un peu auparavant en effet, il avait brillamment exposé le parallélisme de contenu existant entre Lc 1,2 et Ac 1,21-22 : Des deux côtés, [nous trouvons] la notion d’« autopsia » : Lc., 1, 2 αὐτόπται par. à Act., 1,21 où nous n’avons certes pas le terme mais bien l’idée : l’homme qui a été témoin oculaire de Jésus terrestre (ἐν παντὶ χρόνῳ ᾧ εἰσῆλθεν καὶ ἐξῆλθεν ἐφ’ ἡμᾶς ὁ κύριος Ἰησοῦς) [TOB : « durant tout le 24. D, Études grecques l’évangile de Luc, p. 5-6. 25. Ibid., p. 6. 26. B, L’évangile selon saint Luc (1,1-9,50), p. 39. 27. Étienne S, « La notion de ἀρχή dans l’œuvre lucanienne », dans N (dir.), L’Évangile de Luc, 209-238, p. 229.

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  temps où le Seigneur Jésus a marché à notre tête »] ; enfin la notion de μάρτυς (témoin) : Ac 1,22 : μαρτυρία a un contenu analogue à celui de ὑπηρέται de Lc., 1,228.

Autrement dit, ὑπηρέταιi tοῦ λόγου est synonyme de μάρτυς tel qu’on le trouve dans les Actes29. Mais il n’en va pas de même de αὐτόπτης et μάρτυς. Dans la perspective de Luc, ces deux mots ne sont pas synonymes, même si, en français, on les traduit malheureusement tous les deux par « témoin30 ». Il faut bien voir que les apôtres, qui ont été avec Jésus depuis le commencement, αὐτόπται donc, ne deviennent μάρτυρες, selon Luc, qu’après la réception de l’Esprit, comme le dit aussi clairement que possible Ac 1,8 : « Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint-Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins (μάρτυρες) à Jérusalem… » Il  ne  faut pas se laisser tromper par la traduction que nous donnons, quasi spontanément, au mot αὐτόπται. Cet hapax, non seulement du Nouveau Testament mais de toute la Bible grecque, désigne ceux qui ont vu de leurs yeux et, comme Jacques Dupont le faisait très bien remarquer : pour traduire αὐτόπται, il serait « maladroit d’employer déjà le mot “témoin” en parlant de “témoin oculaire” : les αὐτόπται ne sont pas encore des martyres, ils remplissent seulement une condition indispensable pour le devenir ». Et en note, il traduisait Lc 1,2 par « ceux qui ont vu de leurs yeux et sont devenus “serviteurs de la Parole”31 ». Les apôtres 28. Ibid., p. 227 n. 64. 29. Sur le témoignage apostolique et son vocabulaire dans les Actes, voir Jacques D, « L’apôtre comme intermédiaire de salut dans les Actes des Apôtres », dans Nouvelles études sur les Actes des Apôtres (LD, 118), Paris, Cerf, 1984, 119-128 – l’article original avait paru dans la Revue de théologie et de philosophie 112 (1980) 342-358. 30. B, Jesus and Eyewitnesses, p.  385, souligne aussi qu’en anglais les mots witness, testify et testimony, par lesquels on traduit les mots se rattachant à μαρτυρέω, appartiennent au langage légal, celui des cours de justice. Mais il y a confusion quand on traduit par eyewitness (témoin oculaire) le terme technique grec αὐτόπτης, qui n’appartient pas au domaine légal mais plutôt à celui de l’historiographie. Voir encore A, The Preface to Luke’s Gospel, p. 120, pour les forensic links que le mot eyewitness comporte. Sur « the convention of autopsia » et l’emploi technique de αὐτόπτης en littérature grecque, dans les discussions méthodologiques (en particulier en médecine avec Galien et en histoire avec Polybe et Josèphe, Contra Apionem 1,55, lorsqu’il s’agit de vérification des sources), voir Ibid., p. 34-41, 87, 121-122. Néanmoins, Alexander reste réticente concernant la pratique des historiens. Ce que corrige Samuel  B, « Story as History. Autopsy as a Means of Inquiry », dans Story as History – History as Story (WUNT, 123), Tübingen, Mohr Siebeck, 2000, 48-65, p. 48-49 pour sa critique d’Alexander. 31. D, Nouvelles études sur les Actes des Apôtres, p. 122. La phrase de Luc lui semblant aussi désigner un seul groupe, F, The Gospel according to Luke, p. 294, allait également en ce sens : « the double description [of one group] would refer to the disciples of Jesus, who were the “eyewitnesses” of his ministry, and would eventually became the “ministers of the word”. »

       «   » 195 ne parviennent au statut de témoins qu’après un devenir dû à l’Esprit. Il faut donc, à leur sujet, parler de deux étapes. Ils ont d’abord été avec Jésus depuis le commencement, l’ἀρχή de son « activité terrestre » (voir l’ἀρχή de Lc 1,2 et l’ἀρξάμενος d’Ac 1,22), à partir du baptême de Jean. Avant Pâques. C’est le temps de l’« autopsia », condition nécessaire pour devenir témoin de la Résurrection, comme le précise Pierre en procédant au remplacement de Judas (Ac  1,22). Selon Luc, on ne peut être apôtre et témoigner à ce titre du Ressuscité, si on n’a pas connu le Crucifié et la vie qui a mené à cette mort32. On peut même penser que cette première étape s’est poursuivie pour les apôtres pendant les quarante jours où le Ressuscité les entretient du règne de Dieu (Ac  1,3). Ils semblent en effet, selon Luc, n’avoir pas encore bien compris et demandent à Jésus s’il est arrivé le temps d’établir son Royaume. C’est uniquement le baptême dans l’Esprit  Saint qui les fait μάρτυρες et les transforme en serviteurs (ὑπηρέται) de la Parole33. C’est alors la situation d’après Pâques, celle que l’évangile de Jean appelle le temps de la ressouvenance (14,26), mais qui introduit cette fois, grâce à l’Esprit de vérité, dans « la vérité tout entière » (16,13). 3. Q, comme source ou reflet d’avant Pâques… Avant Pâques comme αὐτόπται, après Pâques comme ὑπηρέται : […] τοῦ λόγου. Telles sont donc aussi les sources de Luc, sources d’avant Pâques et sources d’après Pâques. Or, c’est bien le reflet d’avant Pâques qu’on retrouverait principalement, à mon avis, dans la source de paroles de Jésus qu’on appelle Q. Principalement, car on n’accède à cette Source qu’à travers Matthieu et Luc, qui l’ont intégrée, et sans doute adaptée, à leurs écrits d’après Pâques. Reflet d’avant Pâques qui ne donne pas un accès direct au Jésus de l’histoire cependant – il faut bien le noter –, car là encore, il s’agit de paroles transmises et donc interprétées. Mais tout de même de paroles reçues, transmises et interprétées avant Pâques, de paroles non encore marquées par l’événement de la mort-résurrection qui, si j’ose dire, « spiritualisera » tous les souvenirs (voir encore Jn 14,26 et 16,13). Si la source des paroles de Jésus, comme document finalement rédigé, date très certainement d’après 32. Sur le statut particulier de Paul comme témoin, cependant, voir D, Nouvelles études sur les Actes des Apôtres, p. 126-127, mais aussi TOB 1972 : Ac 13,31 et la note o, 22,15 et la note v, et 22,21 et la note b. 33. Odette M, L’Esprit dans l’œuvre de Luc (HP, 45), Montréal, Fides, 1991, p. 284-318, à qui je suis heureux d’offrir cet essai en hommage, a bien décrit l’impact de ce « baptême de la Pentecôte », par lequel les disciples sont « faits prophètes » et deviennent « annonceurs de la Parole ».

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 

Pâques34, son contenu général et les paroles de Jésus qu’elle a conservées remonteraient aux αὐτόπται, à « ceux qui ont vu de leurs yeux35 ». Durant leurs courtes itinérances de villages en villages avec Jésus, par la Judée entière en commençant par la Galilée (Ac  10,37), les disciples ont vu les gestes posés par Jésus, comment il était passé partout en faisant le bien (Ac 10,38). Ils ont aussi entendu ses paroles et se les sont répétées les uns aux autres, les fixant dans leur mémoire avec leur résonance galiléenne, primitive, d’avant Pâques36. Qui le nierait ? Peut-être même en avaient-ils déjà mis un certain nombre par écrit37. 3.1 Carnets de notes Il y a quelques années, Claude Tresmontant, dans son Christ hébreu, avait supposé que les disciples prenaient des notes dans leur suivance du rabbi galiléen, qu’ils les avaient prises en hébreu, et non en araméen, parce que l’hébreu était la langue écrite, celle des scribes. Par après, pour ceux qui ne 34. T, Q and the History of Early Christianity, p. 102, place la tradition commune à Mt et à Lc entre les années 40 et 70 ; K V, Excavating Q, p. 87, situe la rédaction finale après les événements de  70, même si la plus grande partie du document a été rédigée, selon lui, avant la Première Révolte ; F, Q. A Reconstruction and Commentary, p. 159, pour sa part, en raison de la théologie du délai de la Parousie qu’il découvre en Q, date le document de 75. 35. Bien qu’il estime que le document Q est une œuvre littéraire et un évangile de plein droit, et qu’en conséquence son Jésus est une figure littéraire et théologique, comme celui des autres évangélistes, et non le Jésus historique, F, Q. A Reconstruction and Commentary, p. 171, n’en écrit pas moins : « Most of the words we find in Q come from Jesus’ lips [je comprends : des lèvres du Jésus d’avant Pâques]. Jesus speaks out of the past to the reader of Q in the present. » C’est à ces paroles du passé que je m’arrête ici. 36. Voir D, Jesus Remembered, p. 201, qui rappelle les positions de Heinz Schürmann et de Werner Kelber sur l’origine pré-pascale de la tradition synoptique : « [e] oral retelling of Jesus’ words [would] already have begun during Jesus’ lifetime ; the Bultmannian thesis of a tradition which began to be transmitted only aer Easter is highly questionable. » Voir aussi Ibid. p.  130 n.  108 pour Schürmann et l’origine de la tradition des logia dans le cercle pré-pascal des disciples. Dunn a bien souligné que Pierre et ses compagnons ne sont pas devenus disciples le jour de Pâques. Il ose même parler en terme de foi d’une « pre-Easter response » des disciples envers Jésus : « a response of faith, already a bond of trust », assurant dès lors « a continuity between pre-Easter memory [des paroles et gestes de Jésus] and post-Easter proclamation », Ibid., p. 132-133. 37. Bauckham rappelle que le langage de tradition « does not require that an account be handed on orally. It can refer to the writing of recollections. So, when Luke’s preface claims that “those who from the beginning were eyewitnesses and ministers of the word handed on (paredosan) to us [the tradition of the events]” (Luke 1:2), the reference could be to or could include written accounts by the eyewitnesses », B, Jesus and the Eyewitnesses, p.  37-38 (je souligne) ; sur la question des notebooks, voir p.  287-289. E.  Earle  E, The Making of the New Testament Documents (Biblical Interpretation Series,  39), Leiden, Brill, 1999, p.  21-22, 24, 32, 352, a également soutenu, à plusieurs reprises, l’existence de traditions écrites circulant déjà au temps du ministère de Jésus.

       «   » 197 lisaient pas l’hébreu, ces cahiers ou recueils de notes auraient été traduits en grec38. Dans un ouvrage très polémique contre ce Christ hébreu, et dans l’ensemble pour de très bonnes raisons, Pierre  Grelot s’était cependant moqué, au passage, de cet « audacieux postulat : celui des notes prises sur le vif par les autoptai eux-mêmes39… » et de cette « petite Sorbonne ambulante que Jésus emmenait avec lui dans les campagnes de Galilée et de Judée40 ». Il semble que, sur ce point, il n’y ait plus lieu de se moquer. Dans son livre récent, Jesus and Gospel, Graham N. Stanton, traitant de l’histoire du codex, revient sur ces carnets de notes : « e third and much more direct predecessors of the codex were parchment or papyrus notebooks (membranae, μεμβράναι)41. » Et il renvoie aux paroles attribuées à Paul en 2 Tm 4,13, où celui-ci demande à Timothée de lui rapporter les livres (τὰ βιβλία : sans doute des rouleaux), mais surtout les parchemins : μάλιστα τας μεμβράνας, ce que Stanton traduit par « parchment notebook42 ». Or, toujours selon Stanton, l’existence de ces carnets de notes aurait d’importantes implications pour l’hypothèse de la source Q : If we take seriously the possibility that Jesus traditions were transmitted both orally and in written form, then an explanation is to hand. Q passages where there is close agreement may come from a written document or from more than one set of notes ; where the level of agreement is low, oral traditions may have been used43.

De même, Ulrich Luz, dans son commentaire sur Matthieu, considère que la Source de paroles de Jésus s’est constituée à partir de collections plus petites, comme celle sur le Sermon sur la montagne ou dans la plaine, pour aboutir à la version qu’on peut reconstruire à partir de Matthieu et de Luc. Et il affirme en conclusion que : Paleographically one might assume : the collection of Q material was a rather large notebook, bound together with strings on the margin. It permitted an 38. Claude T, Le Christ hébreu. La langue et l’âge des évangiles, Paris, O.E.I.L., 1983, p. 18-21. Pierre G, Évangiles et tradition apostolique. Réflexions sur un certain « Christ hébreu », Paris, Cerf, 1984, s’oppose sans ménagement à ce philosophe croyant, philosophe estimé mais qui, s’aventurant dans le domaine de l’exégèse, se pose en redresseur de torts et s’en prend aux exégètes qui feraient perdre la foi à la masse des fidèles. Estimant que les quatre évangiles sont traduits à partir de textes hébreux, Tresmontant rejette, concernant la composition des évangiles, tout l’acquis des méthodes historico-critiques, pourtant parfaitement reconnu par le concile Vatican  II lui-même (voir la constitution Dei Verbum, no 19). 39. G, Évangiles et tradition apostolique, p. 143. 40. Ibid., p. 41-42. 41. Graham N. S, Jesus and Gospel, Cambridge, UK, CUP, 2004, p. 176. 42. Ibid., p. 177. Pour 2 Tm 4,13, voir Ceslas S, Saint Paul. Les épîtres pastorales (Études bibliques), Paris, Gabalda, 1969, vol. 2, p. 814-816. 43. S, Jesus and Gospel, p. 188.

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  insertion of new leaves at any time. e Gospel of Mark, however, was a solidly bound codex and therefore a literary work which for this reason continued to be handed down even aer its expansion by Matthew44.

Il y a plusieurs années déjà, bien avant Tresmontant, Robert  Horton Gundry concluait, au terme de son étude sur l’utilisation de l’Ancien Testament dans l’évangile de Matthieu, qu’une seule hypothèse rendait compte des données qu’il avait mises au jour : that the Apostle Matthew was a notetaker during the earthly ministry of Jesus and that his notes provided the basis for the bulk of the apostolic gospel tradition. e use of notebooks which were carried on one’s person was very common in the Graeco-Roman world45.

Il ajoutait même à propos de Q : us also we can account for the wide variation in the degree of agreement between Mt and Lk in Q-material [...]. e difficulty in fixing exact boundaries of Q is accounted for, because such notes would have circulated in varying forms. eir brevity on occasion may have called for expansion ; and some sections may have circulated independently46.

3.2 Degré d’alphabétisation dans la Palestine hérodienne L’existence de carnets de notes n’est donc pas une hypothèse farfelue. Elle est liée, il est vrai, au débat qui se poursuit sur le degré d’alphabétisme ou d’illettrisme existant dans la Palestine hérodienne. D’un côté, Alan Millard, dans Reading and Writing in the Time of Jesus, estime que l’écriture y était largement répandue et soutient comme très vraisemblable que les évangélistes aient eu à leur disposition des notes écrites par les auditeurs de Jésus47. De l’autre, Catherine Hezser, qui tient une position minimaliste concernant l’éducation et l’alphabétisation au temps de la Palestine romaine, dans Jewish Literacy in Roman Palestine, ne partage pas ce point de vue48. Ainsi, dans son étude sur la composition littéraire 44. L, Matthew 1-7, p. 46-47 (je souligne). 45. Robert H. G, The Use of the Old Testament in St. Matthew’s Gospel. With Special Reference to the Messianic Hope (NovTSup, 18), Leiden, Brill, 1967, p. 182. 46. Ibid., p. 183. 47. Alan M, Reading and Writing in the Time of Jesus, Sheffield, Sheffield Academic Press, 2001, p. 223-229. 48. Catherine H, Jewish Literacy in Roman Palestine (TSAJ,  81), Tübingen, Mohr Siebeck, 2001. Millard a répondu à certains de ses arguments : Alan  M, « Zechariah Wrote (Luke 1:63) », dans Peter J. W – Bruce William W (dir.), The New Testament in Its First Century Setting. Essays on Context and Background in Honour of B.W. Winter on his 65th Birthday, Grand Rapids, MI – Cambridge, UK, Eerdmans, 2004, p.  46-55. Birger  G, « e Secret of the Transmission of the

       «   » 199 dans l’Antiquité, elle rejette l’affirmation de Colin H. Roberts disant que Pline l’Ancien, entre autres écrivains anciens, aurait utilisé des carnets de notes en préparation de son travail littéraire49. Elle ne nie pas que Pline ait pris des notes, ou qu’il ait eu un secrétaire (notarius) qui l’accompagnait constamment à cet effet. Mais elle estime, à la suite de Jocelyn Penny Small50, qu’en pratique Pline se fiait avant tout à sa mémoire, qu’il n’aurait pas pu utiliser des piles de petites tablettes ou de fragments de papyrus et qu’il ne se serait pas retrouvé, non plus, dans ses notes prises sur rouleaux51. Reportant, trop facilement à mon avis, ces considérations grécoromaines sur le monde juif, elle conclut sa section sur le « Jewish Literary Writing in Roman Palestine », en affirmant que « the usage of scraps and pieces of written notes was largely unknown to the ancients52 ». C’est peut-être trop dire. En fait, la pratique semble bien attestée, et même en milieu juif, comme en témoigne, à Qumrân53, la découverte de collections de Testimonia (enchaînement de versets d’Écriture autour d’un thème, comme celui de la promesse d’un prophète, successeur de Moïse,

Unwritten Jesus Tradition », dans NTS 51 (2005) 1-18, p. 14, a rappelé : « We can discuss what percentage of the population in Judaea or Galilee was literate, but […] when it comes to the leading Jewish groups – sages, teachers, prophets, scribes, rabbis – we must reckon with a considerable scribal learning. […] Even when it comes to the young church, it is probable that it had within its ranks many men with scribal learning. » 49. Colin H. R, « Books in the Graeco-Roman World and in the New Testament », dans The Cambridge History of the Bible, Cambridge, MA, HUP, 1989, vol.  1, p.  54. Voir ce que dit de Pline l’Ancien son neveu et fils adoptif Pline le Jeune : « … adnotabat excerpebatque. Nihil enim legit quod non excerperet » (Lettres, 3, 5), dans P  J, Letters, Vol. 1 : Books 1-7 / trad. par Betty R (Loeb Classical Library, 55), Cambridge, MA, HUP, 1969, p. 176. 50. Jocelyn P. S, Wax Tablets of the Mind. Cognitive Studies of Memory and Literacy in Classical Antiquity, London, UK – New York, NY, Routledge, 1997, p. 188-189. Small soutient que les auteurs anciens se fiaient avant tout à leur mémoire pour composer et que, de toutes façons, n’ayant encore inventé aucun moyen d’organiser leurs notes, il leur aurait été impossible de s’y retrouver (voir son chapitre sur « e Organization of Collections of Words », p. 41-52, et celui sur « Retrieval. Documents and Texts », p. 53-71). 51. H, Jewish Literacy, p. 423. 52. H, Jewish Literacy, p. 434. 53. Curieusement, H, Jewish Literacy, p.  426, écarte les écrits de Qumrân de sa recherche : « e Qumran group cannot be considered representative of contemporary Palestinian Judaism as a whole. » Même si Qumrân paraît avoir été un milieu d’activité littéraire d’une intensité extraordinaire, on ne voit pas bien pourquoi les pratiques qui s’y trouvent attestées auraient été tout à fait uniques en Palestine romaine. Sur ce point, voir le constat de Shemaryahu T, « Oral Tradition and Written Transmission, or the Heard and the Seen Word in Judaism of the Second Temple Period », dans Henry W (dir.), Jesus and the Oral Gospel Tradition (JSNTSS, 64), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1991, 121-158, p.  129 : « [In] their totality the Qumran writings mirror a socio-religious tradition which was current in Second Temple Judaism. In part it was contemporaneous with the sacred traditions of nascent Christianity, in part it preceded them. »

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en 4QTestimonia54) ou d’extraits de passages d’Écriture (reflétant une simple prise de notes au cours de la lecture continue d’un livre biblique, par exemple du Second Isaïe dans 4QTanhumim55). Christopher D. Stanley a particulièrement souligné l’originalité et l’importance de ce dernier texte : e fact that all of the excerpts in 4QTanhumim were copied down in sequential order from a single roll of Scripture is more significant than it first appears. What we have here is [not] a thematic conglomeration of scattered verses such as appears in 4QTestimonia [...]. What we see instead is a written record of one person’s progressive reading through a limited portion of Scripture (Second Isaiah) in which certain passages that appeared to speak to the concerns of the reader and/or his broader community were copied down for later reference56.

À ce propos, Stanley rappelle en effet la nécessité de prendre des notes pour un lecteur qui ne tourne pas encore les pages d’un codex, mais doit s’affronter à un rouleau de parchemin, qu’il lui faut rouler et dé-rouler pour retrouver un passage précis : « e absence of any functional system of references made note-taking a necessity if the reader had any hopes of referring back to a passage at a later date57. » 4QTanhumim 54. Voir le texte dans Florentino G M – Wilfred G.E. W, The Dead Sea Scrolls Translated, Brill, 19962 (1994), p.  137-138. Allegro, responsable de la publication de ce fragment, en a donné l’édition définitive : John M. A, Qumrân Cave 4 : I (4Q158-4Q186) (Discoveries in the Judaean Desert of Jordan, 5), Oxford, UK, Clarendon Press, 1968, p. 57-60. Dans une édition préliminaire, I, « Further Messianic References in Qumran Literature », dans JBL 75 (1956) 174-187, p. 182-187, il soulignait que ce document était caractérisé « by carelessness and a rather strange orthography », ajoutant que « it is clearly not part of a scroll » (p. 182). On peut donc penser, avec Martin C. A, « And Scripture Cannot Be Broken ». The Form and Function of the Early Christian Testimonia Collections (NovTSup, 96), Leiden, Brill, 1999, p. 90, que ce feuillet détaché « was not intended for wider destination, but was compiled by an individual for his own reference ». Cette pratique n’était pas seulement « pré-chrétienne » et Albl, dans son important ouvrage, a vraiment démontré, à mon avis, que les auteurs du NT ont aussi utilisé des collections de textes d’Écriture, collections de testimonia (voir ses conclusions : pour Paul, p. 178-179 ; pour Matthieu, p. 190 ; pour Luc dans les Actes, p. 201 ; et pour Hébreux, p. 207). Dans la conclusion de son premier chapitre : « Central Issues Raised by the Testimonia Hypothesis », Albl dresse une liste d’enjeux soulevés par cette hypothèse qui éclairent de façon étonnante toute la question de la « Transmission of Tradition in Early Christianity » (p. 65-69). 55. G M, The Dead Sea Scrolls Translated, p. 208-209. 56. Christopher D. S « e Importance of 4QTanhumim (4Q176) », dans RevQ no 59 (1992) 569-582, p. 576 (je souligne les derniers mots) – sujet qu’il avait abordé dans sa thèse : I, Paul and the Language of Scripture. Citation Technique in the Pauline Epistles and Contemporary Literature (SNTSMS, 74), Cambridge, UK, CUP, 1992, p. 76-77. 57. S, « e Importance of 4QTanhumim », p. 578. Stanley montre que la prise de notes est amplement documentée dans les sources gréco-romaines et cite, avec textes à l’appui, Xénophon, Aristote, Plutarque, Cicéron et aussi… Pline l’Ancien (p. 578-579). Voir encore A, « “And Scripture Cannot Be Broken” », p. 73-81.

       «   » 201 permet donc de penser que d’autres auteurs, juifs ou chrétiens, ont pu compiler de semblables collections de versets d’Écriture. Stanley attribue même la grande diversité des citations de l’Écriture dans les lettres de Paul « to a developed habit of taking notes from whatever rolls of Scripture happened to be available during his extensive travels throughout the eastern Mediterranean basin58 ». On pense encore aux μεμβράνας de 2 Tm 4,13 ! 3.3 Les notes des auditeurs de Jésus et leur contenu Sans imaginer autour de Jésus une troupe de disciples armés de leurs carnets de notes, comme des journalistes d’aujourd’hui à une conférence de presse, il est tout à fait légitime de penser que les premiers disciples ont pu retenir, non seulement de mémoire, mais aussi par écrit, certaines paroles de Jésus. La reconstitution par Alan Millard de ce qui se produit dans un village de Galilée à l’arrivée du « maître de Nazareth » – les notes que le teacher de la synagogue peut prendre des paroles bouleversantes de ce Jésus qui ose s’égaler à Moïse : « Vous avez entendu dire… Moi, je vous dis… », les lettres envoyées peut-être à Jérusalem pour informer les prêtres que Jésus paraît contester leur statut d’interprète de la Loi, ou la lettre que le centurion dicte à son secrétaire pour raconter à son frère la guérison d’un serviteur – peut paraître romanesque59. Cette reconstruction pourtant reste plausible et il faut accepter avec Millard, à mon avis, l’existence de « numerous random notes and reports, oen about the same words and events, some preserved by individuals, some perhaps collected by interested believers60 ». En auraient gardé la trace les traditions transmises par les αὐτόπται de Lc 1,2, ceux qui avaient vu Jésus et entendu ses paroles avant de devenir serviteurs de la Parole, c’està-dire avant les événements de la mort-résurrection, incluant le don de

58. S, « e Importance of 4QTanhumim », p. 582. Dans I, Paul and the Language of Scripture, rejetant l’idée qu’en écrivant ses lettres Paul citait de mémoire les passages de l’Écriture, Stanley soutient que Paul citait bien à partir de sources écrites, mais à partir de collections de textes bibliques, d’anthologies qu’il aurait lui-même constituées, et non à partir d’encombrants rouleaux d’Écriture (p.  69-79, 341, et p.  17 pour « the difficulties associated with looking up specific verses in a bulky scroll while composing a letter »). Voir aussi dans E. Randolph R, The Secretary in the Letters of Paul (WUNT, 42), Tübingen, Mohr Siebeck, 1991, p. 158-165, l’usage que Paul faisait, dans ses lettres, des traditions existant avant lui (« preformed traditions » : confessions de foi, hymnes, doxologies…) et de ses notes personnelles prises vraisemblablement sur carnets de notes ou μεμβράναι. 59. M, Reading and Writing in the Time of Jesus, p. 225-226. 60. Ibid., p. 227.

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l’Esprit61. Quel était le contenu de ces notes d’avant Pâques ? Tout simplement, celui de la prédication, surtout galiléenne, du Jésus d’avant Pâques. En somme, un contenu qui devait ressembler à celui que les spécialistes tentent de reconstituer pour la Source Q, fait en grande partie de paroles, prononcées par un prophète s’identifiant à un Fils d’homme mystérieux, et annonçant l’arrivée du royaume de Dieu62. Mais évidemment, en ce temps de la parole de Jésus, sans récit de la passion-résurrection, ni mention même de la mort, sinon en un clin d’œil peut-être et comme une ombre que le sort bien connu réservé aux prophètes63 pouvait jeter déjà sur le paysage galiléen64… Par la suite, après Pâques, ces αὐτόπται sont devenus serviteurs de la Parole. Ils n’ont pas oublié les paroles du prophète de Galilée, les paroles répétées autrefois, mémorisées autrefois, notées autrefois. Mais au temps du service de la Parole, ces paroles de Galilée, passées dans les évangiles de Matthieu et de Luc comme le suppose l’hypothèse Q de la théorie des Deux-Sources, devenues en quelque sorte paroles du Ressuscité, y prendront une coloration nouvelle sous la lumière de l’Esprit. 4. Conclusion Pourquoi le silence sur la mort et la résurrection de Jésus dans ce texte de Q qu’on tente laborieusement de reconstituer ? Parce qu’il s’agissait d’un évangile différent, répond Kloppenborg, un évangile qui adoptait « significantly different views of miracles, Jesus’ death, and Jesus’ vindication than 61. D, « On History, Memory and Eyewitnesses », où il répond aux critiques de son livre Jesus Remembered ; il fait bien remarquer que « the Galilean and non-passion character of so much of the Q material is best explained as a reflection of the Galilean and pre-passion mission of Jesus » (p. 486). 62. Pour le contenu de la Source Q, voir F, Q. A Reconstruction and Commentary, p. 92-100, qui parle principalement de discours et de dialogues, auxquels s’ajoutent paraboles, questions rhétoriques, citations de l’Écriture, béatitudes… 63. Sur le sort réservé aux prophètes, voir Q 6,22-23 ; 11,47-51 ; 13,34-35 et, bien sûr, 14,27 qui assimile le sort des disciples à celui du prophète Jésus. 64. H, Narrative Elements in the Double Tradition, p. 113, l’a bien noté : « It has become a commonplace in Q scholarship that the q material [à la suite de Dunn, il emploie « q » pour désigner « the actual material common to Matthew and Luke, and “Q” for the hypothetical document from which q was drawn » (p. 60) ; voir D, Jesus Remembered, p. 148] represents a tradition, document, or even a community that had no interest in the church’s kerygma of Jesus’ passion, death and resurrection. But there have always been good reasons to doubt this view. For one thing, most of q is sayings of Jesus so that one can hardly expect to find the imprint of the church’s kerygma over vast stretches of the material. » F, Q. A Reconstruction and Commentary, dit bien, pour sa part, et de façon pittoresque, que Q est avant tout un évangile de paroles : « e whole gospel message appears compressed on Jesus’ lips » (p. 93) ; « Q contains no passion narrative because Q ends when Jesus stops talking » (p. 106) !

       «   » 203 what is found in the Synoptics and Paul65 ». Mais comment proclamer avec tant d’assurance cette différence, quand ce document, en toute réalité, n’existe qu’en Matthieu et Luc, et pas ailleurs66 ? En Matthieu et Luc, qui l’ont intégré à leur propre évangile, parfaitement et sans répugnance, sans laisser soupçonner jamais qu’il s’agirait là d’une tradition étrangère ou opposée à leur kérygme. J’estime que les différences, et surtout l’absence de référence à la mort salvifique de Jésus et à sa résurrection, s’expliquent au mieux par le recours aux traditions que Luc nous dit avoir reçues de ceux qui avaient vu Jésus et entendu ses paroles. Traditions de ces lointains αὐτόπται d’avant Pâques, dont il nous révèle l’existence, qui auront permis à beaucoup (πολλοὶ) « de composer un récit des événements accomplis parmi nous » (Lc 1,1). Parmi lesquels πολλοὶ il faut placer le ou les responsables de cette source de paroles de Jésus (Q), qui aura gardé de cette autopsia la couleur primitive de la Galilée d’avant Pâques67.

65. K, Q, the Earliest Gospel, p. 97 ; aussi p. 121. 66. Il faut sans cesse se rappeler que Q n’existe pas de manière autonome, comme document indépendant, ainsi que K, Q, The Earliest Gospel, p. 2, le dit luimême très bien : Q « is a document whose existence we must assume… » et donc, tant qu’on n’en aura pas trouvé de manuscrit, « we must rely on what can be deduced about this document from the two Gospels which used it ». 67. L’article de John N. C, « Rethinking “Eyewitnesses” in the Light of “Servant of the Word” (Luke  1:2) », dans ExpTim 121 (2010) 447-452, dont je n’ai pu tenir compte ici, propose une lecture qui rattache le τοῦ λόγου Lc 1,2 non plus à ὑπηρέται seulement, mais également à αὐτόπται (αὐτόπται… τοῦ λόγου), λόγος prenant alors pour lui, non pas le sens théologique de Verbe (comme chez Feuillet et Delebecque), mais celui de document, de texte ou écrit comme en Ac 1,1.

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JÉSUS DE L’HISTOIRE ET ÉCRITS APOCRYPHES CHRÉTIENS* Il s’agira ici d’histoire, de connaissance du passé, et plus précisément d’un personnage du passé, Jésus dit de Nazareth, le Jésus de l’histoire. Mais l’histoire se fait à partir de documents, elle est, selon la définition de Marc Bloch, « connaissance par traces1 » et devient donc, dans le cas présent, recherche des « traces » que le passé de l’homme Jésus a laissées sur sa route. Ces traces ou documents sont multiples. Je m’en tiendrai aux sources littéraires et, parmi elles, à ces textes qu’on appelle aujourd’hui écrits apocryphes chrétiens et non plus, comme autrefois, apocryphes du Nouveau Testament2. Dans la quête du Jésus de l’histoire, cette moderne abstraction, autant dans la première que dans la seconde, les documents privilégiés retenus par les historiens ont été les textes canoniques. C’est encore le cas pour beaucoup de chercheurs qui appartiennent à ce qu’on appelle depuis 1988 la troisième quête. John P. Meier, par exemple, conclut son examen des sources disponibles, au terme de son chapitre sur les agrapha et les évangiles apocryphes, en affirmant carrément que, pour le meilleur ou pour le pire, dans notre recherche du Jésus de l’histoire, nous sommes largement réduits (largely confined) aux évangiles canoniques3. Cela lui a été vertement reproché et j’y reviendrai.

* Texte paru dans André G – Jean-François R (dir.), En marge du canon. Études sur les écrits apocryphes juifs et chrétiens (L’écriture de la Bible,  2), Paris, Les éditions du Cerf, 2012, p. 33-84. 1. B, Apologie pour l’histoire, p. 21, où il attribue la paternité de l’expression à François Simiand. Paul R, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, p. 214-222, a commenté cette vision historienne de Bloch. 2. Voir Éric J, « “Apocryphes du Nouveau Testament”. Une appellation erronée et une collection artificielle. Discussion de la nouvelle définition proposée par W. Schneemelcher », dans Apocrypha  3 (1992) 17-46. La définition de Junod est désormais largement acceptée, ainsi que l’indique Stephen J. S dans « Defining “Christian Apocrypha” », dans Susan A H and David G. H (dir.), The Oxford Handbook of Early Christian Studies, Oxford, UK – New York, NY, OUP, 2008, p. 528-532. 3. M, A Marginal Jew, vol. 1, p. 140. La traduction française dit : « Pour le meilleur ou pour le pire, notre recherche du Jésus historique trouve globalement ses limites dans les évangiles canoniques », I, Un certain Juif Jésus, vol. 1, p. 100.

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Par contre, chez un très grand nombre de chercheurs, la tendance s’est inversée, radicalement. On a fortement contesté ce que Charles W. Hedrick a appelé « la tyrannie du Jésus synoptique4 » et l’intérêt (il faudrait dire l’engouement) est passé du côté de ces écrits anciens qui n’ont pas été inclus dans le canon des Écritures chrétiennes ou de ces « évangiles qui sont devenus apocryphes5 ». John Dominic Crossan a particulièrement donné le ton en introduisant dans les sources primaires de sa recherche sur Jésus – bien avant les évangiles canoniques – l’Évangile selon omas, l’Évangile Egerton, l’Évangile Q et l’Évangile de la Croix qu’il reconstruit à partir de l’Évangile de Pierre6. Je voudrais, dans ce contexte, présenter une vue générale de ces documents considérés comme sources possibles du Jésus de l’histoire. Vue générale et critique des écrits apocryphes eux-mêmes, mais plus encore peut-être de la littérature immense consacrée récemment à ce mystère apocryphe7, qui paraît aujourd’hui si fascinant. J’examinerai donc cinq des principaux documents constamment invoqués ou exploités dans la recherche actuelle : l’Évangile selon omas, le papyrus Egerton 2, l’Évangile de Pierre, l’Évangile secret de Marc et, bien qu’elle ne figure pas expressément dans la liste des apocryphes, mais parce qu’on la trouve toujours en leur compagnie, celle surtout de l’Évangile selon omas, la source cachée dans les profondeurs de Matthieu et de Luc, que d’aucuns appellent l’Évangile Q. Je le ferai en ayant en tête, plus ou moins consciemment, deux questions qui ont un impact direct, il semble, sur la recherche du Jésus de l’histoire et qui sont liées entre elles : la dépendance ou l’indépendance de ces écrits par rapport aux évangiles canoniques et la datation de ces textes8.

4. H, « e Tyranny of the Synoptic Jesus ». 5. Comme aime à dire omas  K, dans Tobias N – Michael J. K – omas J. K (dir.), Gospel Fragments (Oxford Early Christian Gospel Texts), Oxford, UK – New Yoyk, NY, OUP, 2009, p. 1 et 238, reprenant l’expression frappée par Dieter L – Egbert S, Fragmente apokryph gewordener Evangelien, Marburg, Elwert, 2000. 6. C, The Historical Jesus, p. 427-429. 7. Pour reprendre le titre du petit livre publié par Jean-Daniel K – Daniel M (dir.), Le mystère apocryphe. Introduction à une littérature méconnue (Essais bibliques), Genève, Labor et Fides, 1995. 8. Ce que P, « Recent Trends in Gospel of omas Research (1991-2006). Part I », p. , note à propos de l’Évangile selon omas vaut ici de tous les écrits apocryphes : « e failure of Jesus scholars to achieve a shared understanding as to the proper role of the Gospel of Thomas in reconstructing Christian Origins only underscores the importance of the question of dating. Dating in turn is closely tied to the question as to whether or not the author of Thomas knew and used the synoptic Gospels. »

  ’    

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1. Évangile selon Thomas 1.1 Découverte et premières études 1.1.1 éologie On connaît l’histoire de la découverte (en 1945). James M. Robinson l’a maintes fois racontée, avec une certaine amertume souvent pour son côté rocambolesque, concernant en particulier le codex I, d’abord appelé Jung Codex9. Vers la fin des années  1950 – l’édition princeps paraît en 1959 –, les études se multiplient et se préoccupent principalement de doctrine, de théologie ou, si l’on veut, d’idéologie. Une première vague, où se retrouvent les noms des pionniers H.-Ch. Puech et G.  Quispel, rattache l’Évangile selon omas au mouvement ascétique appelé encratisme, qui prévalait dans le christianisme syrien10. Quispel pense que ce texte dépend aussi d’un évangile judéo-chrétien, la faction hébraïque de l’Église de Jérusalem11. À ces deux sources, il ajoutera plus tard (après le colloque de Québec en 1978), sous l’influence de J.-P.  Mahé, une référence à l’hermétisme12. Mais il refusera longtemps de qualifier omas d’écrit gnostique. Dans les années  1960 émerge tout un groupe de chercheurs qui, eux, rattachent l’Évangile selon omas à la gnose ou au gnosticisme. Cet évangile, d’ailleurs, n’a-t-il pas été découvert dans la bibliothèque d’un groupe gnostique ? C’est l’un des arguments mis de l’avant par exemple, en 1960, par l’un des grands spécialistes de omas, Robert McLachlan Wilson. 9. Voir James M. R, « e Jung Codex. e Rise and Fall of the Monopoly », dans Religious Studies Review 3 (1977) 17-30, puis I, « Nag Hammadi. e First Fiy Years », dans John D. T – Anne MG (dir.), The Nag Hammadi Library after Fifty Years. Proceedings of the 1995 Society of Biblical Literature Commemoration (Nag Hammadi and Manichaean Studies, 44), Leiden, Brill, 1997, 3-33 – repris en abrégé, avec le même titre, dans Stephen J. P – James M. R et al. (dir.), The Fifth Gospel. The Gospel of Thomas Comes of Age, Harrisburg, PA, Trinity Press International, 1998, 77-110. Pour un bref compte rendu de cette histoire, voir Raymond K – Jean-Daniel  D, Nag Hammadi. Évangile selon Thomas. Textes gnostiques aux origines du christianisme, Paris, Cerf, 1987, p. 9-11 (avec des renseignements précieux sur les premières traductions de ces textes). 10. Antoine G – Yassah A--M – Gilles Q – HenriCharles P, L’évangile selon Thomas, Paris, Presses universitaires de France, 1959. 11. Gilles Q, « L’Évangile selon omas et les origines de l’ascèse chrétienne », dans Centre d’Études Supérieures Spécialisé d’histoire des Religions de Strasbourg (dir.), Aspects du judéo-christianisme. Colloque de Strasbourg, 23-25 avril 1964, Paris, Presses universitaires de France, 1965, 35-52. 12. Gilles Q, « e Gospel of omas Revisited », dans Bernard B (dir.), Colloque international sur les textes de Nag Hammadi. Québec, 22-25 août 1978 (Bibliothèque copte de Nag Hammadi. Section Études, 1), Québec – Louvain, Presses de l’Université Laval – Peeters, 1981, 218-266.

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Dans ses différentes publications, il trace l’histoire de la composition de omas. Il y discerne des éléments d’une tradition ancienne, retenant possiblement des paroles authentiques de Jésus ; d’autres éléments parallèles et peut-être indépendants de nos évangiles ; des éléments aussi qui dépendent des évangiles canoniques ; mais il maintient une rédaction gnostique de l’ensemble et une construction gnostique de certains logia13. En 1961, Rodolphe  Kasser (lié aussi au récent Codex Tchacos contenant l’Évangile de Judas) donne un commentaire de omas qui va dans la même ligne14. Ernst Haenchen remarque bien que omas ne fait aucune allusion au mythe cosmologique faisant intervenir un démiurge, mais il estime que l’évangile n’en reste pas moins marqué par un gnosticisme général et montre la Tendenz gnostique qui existe dans beaucoup des logia de omas15. À cette époque, on se préoccupe beaucoup de la définition de la gnose et du gnosticisme. À la conférence de Messine en 1966, on tenta d’en définir un usage scientifique précis, en réservant le « gnosticisme », comme fait déterminé et historique, aux groupes du IIe siècle retenant la vision mythologique d’une chute du divin qui aurait produit le monde et laissé en l’homme cette étincelle divine qu’il faut réveiller par la gnose. Mais on admettait que le mot gnose lui-même pouvait désigner « la connaissance des mystères divins réservée à une élite16 ». L’entreprise de Messine échoua et on continua à parler de gnose et de gnosticisme au sens vague et à inclure omas parmi les écrits gnostiques, malgré les hauts cris de certains17. Toujours est-il que le commentaire de Jacques Ménard représentera en 1975 un quasi-consensus académique sur la question18 : omas a été écrit par un auteur gnostique, il est tardif et dépendant des synoptiques. En ce sens, il n’a pas grandchose à apporter à la recherche du Jésus de l’histoire. Aujourd’hui, Jean-Pierre  Mahé et Paul-Hubert  Poirier estiment, dans les Écrits gnostiques, que « l’appellation commune de “gnostiques” n’est pas illégitime : 13. Robert ML W, Studies in the Gospel of Thomas, London, UK, Mowbray, 1960, p. 147-148 ; mais aussi dans I, « “omas” and the Growth of the Gospels », dans HTR 53 (1960) 231-250. 14. Rodolphe K, L’Évangile selon Thomas. Présentation et commentaire théologique (Bibliothèque théologique), Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1961. 15. Ernst H, Die Botschaft des Thomas-Evangelium, Berlin, Töpelman, 1961. Plus récemment, Stephen J. P, The Gospel of Thomas and Jesus, p. 198 n. 2, s’est rangé sur ce point à l’avis de Haenchen. 16. Voir Ugo B (dir.), Le origini delle gnosticismo. Colloquio di Messina 13-18 Aprile 1966 (Studies in the history of religions, 12), Leiden, Brill, 1967, p. xxiii-xxvi. 17. En particulier de Michael Allen W, Rethinking “Gnosticism”. An Argument for Dismantling a Dubious Category, Princeton, NJ, Princeton University Press, 1996. 18. Jacques-É. M, L’Évangile selon Thomas (Nag Hammadi Studies, 5), Leiden, Brill, 1975.

  ’    

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elle exprime une forme spécifique de religiosité19 ». Et dans sa notice en tête des Sentences de Sextus, P.-H. Poirier, parlant de la cohérence de la bibliothèque de Nag Hammadi (dans laquelle non seulement on trouve Thomas, mais en plus dans un même codex au côté du Livre des secrets de Jean [l’Apocryphon de Jean]), ajoute que « c’est encore le gnosticisme qui rend le mieux compte de l’unité de cette bibliothèque : le corpus de Nag Hammadi est une collection d’écrits rassemblés par et pour des gnostiques20 ». 1.1.2 Genre littéraire Mais, sensiblement à la même époque, la recherche s’oriente autrement. James M. Robinson reprend une étude qu’il avait publiée en allemand en 1964 et en donne, en 1971, un développement qui paraît sous le titre : « Logoi Sophon. On the Gattung of Q21 », qui opère un virage important. Robinson s’intéresse d’abord à Q qu’il considère comme une collection de paroles de sagesse, mais il refait toute l’histoire de cette Gattung, de ce genre littéraire, depuis Papias, cité par Eusèbe de Césarée, qui parle des logia de Jésus recueillis en hébreu par Matthieu, jusqu’à la littérature juive de sagesse : Testaments des Douze Patriarches et Pirke Aboth de la Mishna (Chapitres des Pères, qui se présentent comme devarim, comme paroles des Pères). L’Évangile selon omas appartient à ce monde. Pour Robinson, Thomas montre comment la tradition de Sagesse qu’on retrouve dans les  paroles de Jésus en Q se termine dans le gnosticisme22. La thèse de John S. Kloppenborg, The Literary Genre of the Synoptic Sayings Source (en 1984), que Robinson reçoit dans la collection qu’il dirige (Studies in Antiquity and Christianity), donnera une force nouvelle à sa position. 19. M – P (dir.), Écrits gnostiques, p. xx. 20. Ibid., p.  1590. Bernard  Barc appelle l’Apocryphon de Jean la « Bible gnostique » (Ibid., p. 208). Birger A. P, Ancient Gnosticism. Traditions and Literature, Minneapolis, MN, Fortress, 2007, p. 8, estime quant à lui qu’il y a quelque utilité à retenir le terme, il suffit de définir ce qu’on entend par là et d’indiquer quelles sortes de doctrines et de pratiques on fait entrer dans la catégorie du gnosticisme – on trouve une recension très élogieuse de cet ouvrage par John Dominic T dans CBQ  78 (2008)  387-389, p. 389 : « the best introduction to Gnosticism available ». 21. James M.  R, « Logoi Sophon. On the Gattung of Q », dans James M. R – Helmut K (dir.), Trajectories through Early Christianity, Philadelphia, PA, Fortress, 1971, 71-113. 22. Ibid., p. 104. En Q, cette propension gnostique (« gnosticising proclivity ») aurait disparu, selon lui, du fait même de l’insertion de cette tradition de paroles par Matthieu et Luc dans le cadre de l’évangile de Marc (Ibid., p. 112-113). Voir aussi James M. R, « e Problem of History in Mark, Reconsidered », dans Union Seminary Quarterly Review 20 (1965) 131-147, où il parle de « Matthew and Luke imbedding Q in Mark and thus blocking the gnosticizing proclivities of sayings sources leading to the Gospels of omas and Philip », p. 137 (je souligne ; aussi p. 135).

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Mais c’est Helmut Koester qui aura, dans cette perspective, le plus d’influence. En 1965, il publie un article qui deviendra fameux : « Gnomai Diaphoroi. e Origin and Nature of Diversification in the History of Early Christianity23. » Pour lui, omas et Q sont indépendants, même s’ils appartiennent au même genre littéraire (Gattung) de paroles de Jésus24. Koester place l’écriture de omas, possiblement dans la deuxième moitié du Ier siècle (après 50) ; aucune influence des évangiles canoniques, donc. omas rapporterait même quelques paroles de Jésus sous une forme plus primitive que la forme dont témoignent les évangiles canoniques. Ces vues de Koester seront suivies par tout un groupe de chercheurs américains, qu’on a appelé « the Koester School of ought », ou « the American School », à laquelle se rattachent des auteurs comme Ron Cameron, Stevan Davies, James Robinson et Dominic Crossan. Se pose encore la question : origine judéo-chrétienne ou origine gnostique ? Il paraît évident à Koester que, si cet évangile a possiblement préservé des traditions remontant à la première ou à la deuxième génération chrétienne, ces traditions seront judéo-chrétiennes, autant que les logia de  Q, ou les textes de Paul, ou l’évangile selon Matthieu25. Pourtant, même si la référence à Jacques le Juste dans le logion 12 est impressionnante, le logion qui suit immédiatement montre bien que c’est omas, le récipiendaire de paroles secrètes, qui l’emporte dans cette tradition. D’ailleurs l’attribution de cet écrit au Jumeau (Didyme) Jude omas renvoie à des traditions syriennes. Par ailleurs, Koester maintient, à la suite de Haenchen, le vernis gnostique de omas, c’est-à-dire une certaine propension gnostique (la « gnosticising proclivity » de Robinson). Mais il ne pense pas alors aux écrits gnostiques du IIe siècle et range omas parmi les « early forms of Gnosticism26 ». 1.2 Situation présente L’Évangile selon omas continue de passionner les esprits. Soit qu’on s’intéresse à omas tel qu’en lui-même, si j’ose dire, soit qu’on le mette en relation avec les évangiles canoniques, soit qu’on y cherche, plus récemment peut-être, le portrait du Jésus de l’histoire.

23. Helmut K, « Gnomai Diaphoroi. e Origin and Nature of Diversification in the History of Early Christianity », dans HTR 58 (1965) 279-318, repris dans R – K, Trajectories through Early Christianity, p. 114-158 (édition à laquelle je ferai référence ici). Gnomai Diaphoroi est une expression empruntée à Hégésippe et désigne des opinions différentes ou des doctrines chrétiennes hérétiques. 24. Ibid., p. 135. 25. Ibid., p. 136. 26. Ibid., p. 137.

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Parmi les acteurs qui se disputent présentement la scène, je ne retiens, hélas, parmi d’autres aussi qui ont leur importance27, que les noms de Stephen J. Patterson, d’April D. DeConick et de Nicholas  Perrin. À leurs monographies, j’ajouterai les introductions de Claudio Gianotto et de JeanMarie  Sevrin, éditeurs récents de l’Évangile selon omas, et quelques réflexions critiques de Jean-Daniel Kaestli et de James D.G. Dunn. 1.3 Monographies 1.3.1 Stephen J. Patterson Patterson est l’un de ceux qui se sont le plus intéressés à omas, depuis sa thèse défendue à Claremont Graduate School, sous la direction de James M. Robinson et, fortement révisée, publiée en 1993 sous le titre The Gospel of Thomas and Jesus. Parmi les aviseurs de Patterson se retrouve Gerd eissen, mais aussi Helmut Koester, Burton L. Mack, Ron Cameron qui, avec Robinson et d’autres, constituent le groupe américain appelé « the Koester School ». On est à la même école. Des différentes publications de Patterson28, je dégage cinq points touchant tour à tour 1) le genre de cet écrit qui en conditionne aussi la date ; 2) sa provenance ; 3) ses relations avec la tradition synoptique ; 4) sa théologie ou son idéologie ; et finalement 5) son apport à la recherche du Jésus de l’histoire. Genre et date Étant donné son genre, une collection de paroles, sans liens apparents entre elles, une liste29, à laquelle il est facile d’ajouter et de retrancher des 27. Notamment, Stevan L. D, The Gospel of Thomas and Christian Wisdom, New York, NY, Seabury Press, 1983, et Elaine P, Beyond Belief. The Secret Gospel of Thomas, New York, NY, Random House, 2003. 28. Je retiens les cinq publications suivantes : P, The Gospel of Thomas and Jesus (1993) ; P – R (dir.), The Fifth Gospel ; Stephen J.  P, « e Gospel of Thomas and Christian Beginnings », dans Jon M. A – April D. DC – Risto U (dir.), Thomasine Traditions in Antiquity. The Social World of the Gospel of Thomas (Nag Hammadi and Manichaean Studies,  59), Leiden – Boston, Brill, 2006, 1-17 ; I, « e Gospel of omas and Historical Jesus Research », dans Louis P – Paul-Hubert P (dir.), Coptica – Gnostica – Manichaica. Mélanges offerts à Wolf-Peter Funk (Bibliothèque copte de Nag Hammadi, Section Études, 7), Québec – Leuven, Presses de l’Université Laval – Peeters, 2006, 663-684 ; I, « e Gospel of (Judas) omas and the Synoptic Problem », dans F et al. (dir.), New Studies in the Synoptic Problem, p. 783-808. 29. Voir John Dominic C, « Lists in Early Christianity. A Response to Early Christianity, Q and Jesus », dans Semeia  55 (1991)  235-243. Aussi P, « e

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items, il est difficile de dater ce document. Patterson entrevoit sa composition à partir d’un noyau initial, auquel se seraient ajoutés des logia au cours d’une période assez longue. Dans cette anthologie, qui s’est constituée à la manière d’une « boule de neige », on peut donc trouver des logia très anciens, remontant à son avis au milieu même du Ier siècle, sinon à Jésus lui-même30, alors que d’autres pourraient dater du IIe siècle31. Dès lors, ce qu’on peut dire de l’origine d’un logion ne s’applique pas automatiquement à l’ensemble de l’écrit32. Patterson finira néanmoins par dater le recueil autour des années 70-8033. Provenance Patterson rattache omas au christianisme syriaque de la région d’Édesse. Mais la mention au logion 12 de Jacques le Juste invite à penser Gospel of omas and Historical Jesus Research », p.  672 ; I, « Gospel of (Judas) omas and the Synoptic Problem », p. 784-785 30. F – H (dir.), The Five Gospels, reconnaissent comme paroles authentiques de Jésus les logia 20, 54 et 100 (qui ont reçu la couleur rouge !). Mais seuls deux logia non synoptiques (log. 97, 98) sont considérés comme probablement authentiques. Le logion  82, cité par Origène, pourrait être un agraphon de Jésus. Ce que pense aussi D, Jesus Remembered, p. 172. 31. Notamment le logion 7 du lion, qui pourrait refléter la situation des moines ascétiques d’Égypte. Voir Howard J, The Lion Becomes a Man. The Gnostic Leontomorphic Creator and the Platonic Tradition (SBLDS, 81), Atlanta, GA, Scholars Press, 1985. 32. Conclusion fortement soulignée par James M. R, « A Pre-Canonical Greek Reading in Saying 36 of the Gospel of Thomas », dans Louis P – PaulHubert P (dir.), L’évangile selon Thomas et les textes de Nag Hammadi. Colloque international, Québec, 29-31 mai 2003 (Bibliothèque copte de Nag Hammadi, Section Études, 8), Québec – Leuven, Presses de l’Université Laval – Peeters, 2007, p.  515-557. Reprenant en grande partie des arguments défendus dans au moins cinq autres articles, Robinson date d’avant la rédaction de Q, soit au milieu du Ier siècle, le logion 36 de omas. Ce qui ne permet pas de conclure cependant, ajoute-t-il, « that the Gospel of Thomas itself is to be dated to such an archaic period. […] e earlier attempts by some to date the Gospel of Thomas en bloc to circa 50 C.E. have proven as untenable as earlier attempts to date it en bloc to circa 150 C.E. » (p. 553). Cette vue des choses a permis à certains de relativiser l’importance des études de Christopher M. T, « omas and the Synoptics », dans NovT 30 (1988) 132-157 et I, « Q and omas. Evidence of a Primitive “Wisdom Gospel” ? A Response to H. Koester », dans ETL  67 (1991) 346-360, études qui avaient établi la dépendance littéraire de certains logia par rapport aux synoptiques. Ce qui vaut pour un logion ne prouverait rien pour l’ensemble. Tenant compte des objections, Tuckett maintient néanmoins la « possible dependence » de l’ensemble de omas par rapport aux Synoptiques : I, « Forty Other Gospels », dans Markus B – Donald A. H (dir.), The Written Gospel, Cambridge, University Press, 2005, 238-253, p. 252-253. 33. P, The Gospel of Thomas and Jesus, p. 120. Mais, dans l’article qui paraît en 2011, il dit : « one might reasonably argue for a core collection in Syria by the end of the first century or beginning of the second », I, « e Gospel of (Judas) omas and the Synoptic Problem », p. 804 n. 82.

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qu’une phase initiale de la collection viendrait de Jérusalem et de ses environs. Ce qui implique donc un étalement dans le temps de la collection. Relations avec la tradition synoptique Patterson a longuement traité, dans sa thèse, de la question cruciale des relations de cet écrit avec les synoptiques. Il s’y oppose quasi systématiquement à W. Schrage, le minutieux défenseur de la dépendance34, et conclut, malgré certaines traces d’influence synoptique, sinon à la totale indépendance de omas, du moins à son autonomie. omas doit être considéré comme représentant d’une ancienne tradition chrétienne autonome35. Les recoupements entre omas et les synoptiques s’expliqueraient par un fond commun de tradition orale. Très récemment, en 2011, il en appelle à ce qu’on nomme la « seconde oralité » (secondary orality)36. Le phénomène a dû jouer un rôle important dans la transmission des textes anciens, lesquels étaient lus et relus en public (performances et re-performances), ce qui entraînait une mémorisation et une tradition nouvelles de ces textes, mais où chaque fois pouvaient se mêler aisément des souvenirs de traditions différentes. Depuis le temps de sa composition originale (en grec selon Patterson), jusqu’à sa lointaine traduction en copte (le seul exemplaire de cet ouvrage que nous ayons, à part quelques fragments grecs), omas aurait donc pu facilement, en de multiples occasions, subir l’influence des textes synoptiques, sans qu’on puisse parler strictement de dépendance littéraire37.

34. Wolfgang S, Das Verhältnis des Thomas-Evangeliums zur synoptischen Tradition und zu den koptischen Evangelienübersetzingen. Zugleich ein Beitrag zur gnostischen Synoptikerdeutung (BZNW, 29), Berlin, Töpelmann, 1964. P, The Gospel of Thomas and Jesus, p. 18-81. 35. P, The Gospel of Thomas and Jesus, p. 17-93 et sa conclusion, p. 93. 36. P, « e Gospel of (Judas) omas and the Synoptic Problem », p. 786. 37. Mais il faut désormais reprendre toute la question à partir des analyses fournies par l’impressionnant ouvrage de F, Q. A Reconstruction and Commentary. Examinant les parallèles entre Q et Thomas, Fleddermann affirme catégoriquement que omas dépend des synoptiques (p. 194-198). Selon lui, omas reflète le Mt rédactionnel 23 fois, le Mc rédactionnel 5 fois et le Luc rédactionnel aussi 23 fois. Il ajoute : « As far back as we can trace omas we find dependence on the redactional text of the synoptics […] omas does not help us with the genre of Q, the reconstruction of Q, or the historical Jesus » (p. 197-198, je souligne) ! Selon Fleddermann (p. 605-607), cela vaut également pour le fragment grec du logion 36 du P. Oxy. 655 qui n’est pas « pre-canonical » (selon la thèse de R, « A Pre-Canonical Greek Reading »), mais reflète la rédaction de Luc. Fleddermann affirme sans ambages : « P. Oxy. 655 is post-canonical, not pre-canonical » (p. 606).

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Idéologie ou théologie Peut-on néanmoins trouver dans ce texte une orientation générale qui en assure une certaine cohérence ? Patterson parle d’une idéologie anticosmique, qui s’exprimerait dans la propension gnostique (la « gnosticizing proclivity » de Robinson) de l’Évangile selon omas. Mais cette idéologie, selon Patterson, ne reste pas en l’air. Elle s’exprime concrètement et s’incarne dans un style de vie, un ethos radical, qui rejoint ce que Gerd eissen avait appelé le Wanderradikalismus (1973), un radicalisme d’itinérance. La thèse de eissen se référait au document Q. Mais Patterson la modifie et l’applique à omas38. L’accent mis par Richard Valantasis sur l’ascétisme dans l’Évangile selon omas39 fournit à Patterson d’autres arguments pour renforcer sa théorie d’un ethos radical. Jésus de l’histoire Quel est donc le portrait de Jésus dessiné par omas selon Patterson ? Le spécifique de Jésus serait son enseignement : « one must be ready to entertain the hypothesis that Jesus offered in his preaching a strong dose of radical social criticism40. » Contrairement aux synoptiques, omas offrirait le portrait d’un « non-eschatological Jesus41 ». Patterson se rallie à ce « nonapocalyptic understanding of Jesus42 » défendu par Crossan et la majorité des membres du Jesus Seminar43. Ce que omas offrirait semble donc se résumer à ce « more sapiential understanding of Jesus44 ».

38. En 1973, eissen ne parlait pas de l’Évangile selon omas. En 2006, dans T, Le mouvement de Jésus, p.  24, influencé par Patterson, il en dit un mot prudent : « L’Évangile de omas, découvert en 1946, témoigne de traces de charismatiques itinérants dont la vie s’est développée et transformée en un mode de vie radical de “solitaires” (monachoi = moines). Son exploitation donne lieu à des discussions, mais si on ne lit pas ce qu’il dit dans un sens figuré seulement, on peut y voir des réminiscences des charismatiques itinérants du temps des origines chrétiennes en Syrie. » Le ton est ici beaucoup moins affirmatif que celui de Patterson. Voir encore Stephen J.  P, « Didache 11-13. e Legacy of Radical Itinerancy in Early Christianity », dans Clayton N. J (dir.), The Didache in Context. Essays on its Text, History and Transmission (NovTSup, 77), Leiden, Brill, 1995, 313-329, p. 323-329. 39. Richard V, The Gospel of Thomas (New Testament Readings), London, UK, Routledge, 1997, et I, « Is the Gospel of omas ascetical ? Revisiting an Old Problem with a New eory », dans JECS 7 (1999) 55-81. 40. P, The Gospel of Thomas and Jesus, p. 237. 41. P – R (dir.), The Fifth Gospel, p. 74. 42. Ibid., p. 74. 43. Voir aussi Stephen J. P, « e End of Apocalypse. Rethinking the Eschatological Jesus », dans Theology Today 52 (1995) 29-48. 44. P, « e Gospel of omas and Historical Jesus Research », p. 683.

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1.3.2 April D. DeConick April DeConick est devenue, à coup sûr, une spécialiste de l’Évangile selon omas, pour lequel elle se passionne depuis la fin des années 198045. Sa thèse (Seek To See Him), publiée en 1996, s’ouvre par un long chapitre où, répondant à la question classique : est-ce que omas est gnostique ?, elle renverse le courant des opinions, pour affirmer que ce sont les gnostiques qui ont utilisé omas, et non pas omas, les gnostiques. En 2001, elle publie Voices of the Mystics où elle soutient que l’évangile de Jean polémique contre la communauté thomasienne qui a fait de omas son héros46. Empruntant à la Morphologie du Conte de Propp et à la Sémantique structurale de Greimas les notions de héros et d’actants47, elle s’efforce de montrer que chaque fois que Jean parle de l’apôtre omas (Jn 14,3-7 ; 14,20-23 [où elle identifie le Jude en question avec omas] ; 20,24-29), il le présente comme l’anti-héros, le faux héros, un fou qui ne comprend pas les voies du salut48. Cela implique évidemment que la tradition de omas précède celle de Jean ou lui est au moins contemporaine. Mais si Jean écrit en réponse, non pas à une tradition, mais à un texte, il faut alors placer la composition de l’Évangile selon omas autour des années 70 à 80. Elle rejoint donc alors la position de Patterson dont elle trouve les arguments convaincants49. Mais ce n’était là, pour ainsi dire, que des études préliminaires. En 2002, DeConick publie un article dans Vigiliae Christianae, « e Original Gospel of omas », qui va se déployer en deux publications-sœurs. D’abord, Recovering the Original Gospel of Thomas. A History of the Gospel and its Growth (2005), puis The Original Gospel of Thomas in Translation (2006), prévu d’abord comme un appendice au volume précédent mais qui est devenu, à mes yeux, encore plus important50. C’est 45. La liste de ses publications sur omas est impressionnante : April DC, Seek To See Him. Ascent and Vision Mysticism in the Gospel of Thomas (Vigiliae Christianae, Supplements Series), Leiden, Brill, 1996 ; I, Voices of the Mystics. Early Christian Discourses in the Gospels of John and Thomas and Other Ancient Christian Literature (JSNTSup, 157), Sheffield, Sheffield Academic Press, 2001 ; I, « e Original Gospel of omas », dans Vigiliae Christianae 56 (2002) 167-199 ; I, Recovering the Original Gospel of Thomas (2006) ; I, The Original Gospel of Thomas in Translation (2007) ; I, « e Gospel of omas », dans ExpTim 118 (2007) 469-479. 46. DC, Voices of the Mystics. Elle avait déjà évoqué cette polémique dans DC, Seek To See Him, p. 72-73. 47. Algirdas Julien G, Sémantique structurale. Recherche de méthode, Paris, PUF, 2015 ; Vladimir Iakovlevitch P, Morphologie du conte, trad. par Claude L (Bibliothèque des sciences humaines), Paris, Gallimard, 1970. 48. DC, Voices of the Mystics, p. 85. 49. Ibid., p. 85, n. 51. 50. Revoir note 45.

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un commentaire minutieux et d’une grande clarté de chaque logion, avec texte copte, traduction anglaise et discussion des sources et des parallèles. On n’a pas besoin d’être d’accord avec tous ces exposés pour en apprécier la richesse. De tout ceci elle a donné un excellent résumé dans un article de The Expository Times (2007)51. Vision générale et langue originale Selon elle, omas est bien un agrégat, une collection de paroles de Jésus, une accumulation de traditions et de leurs interprétations. Le texte copte que nous avons serait la traduction d’un manuscrit grec, lequel était lui-même la traduction d’un « original » sémitique : en araméen d’abord (« the Western dialect from Palestine »), auquel se serait ajouté plus tard un second niveau de traditions en syriaque (« the dialect of the east, Syriac »)52. Composition et datation Dans les pages de conclusion de Recovering, elle reprend, en lien avec sa théorie de la composition de omas, toute la question de la datation53. En un sens, omas serait à la fois très ancien et très récent. Car il s’est d’abord formé à la manière d’une boule de neige (son « Rolling Corpus Model ») au cours d’une assez longue période54. Son noyau primitif (le Kernel), constitué par cinq discours regroupant des paroles de Jésus autour de certains thèmes, tous marqués par l’urgence eschatologique, devait servir dans la première mission chrétienne à redire (reperform) les enseignements de Jésus. DeConick place l’origine de ces discours dans la mission à Jérusalem entre les années 30 et 5055. Ce qui situe le premier état de omas avant Q et avant même les textes de Paul. La christologie de ce texte primitif est aussi très ancienne et précède ce qu’on trouve dans la source Q. Jésus y est présenté comme le Prophète (comme dans le corpus pseudo-clémentin) et l’Ange du jugement (log. 13.2). Mais cette « angelic Christology » s’est développée et a fini par voir en Jésus la

51. DC, « e Gospel of omas ». 52. DC, Recovering the Original Gospel of Thomas, p. 244. 53. Ibid., p. 238-249 54. Ibid., p. 55-63. Comme elle le dira à la toute fin de son livre, ce « rolling corpus » permet de rendre compte de la présence en omas de logia contradictoires, les uns relevant d’une perspective juive, alors que d’autres présentent très clairement les vues de convertis venus du paganisme (Ibid., p. 248). 55. Ibid., p. 97, 238.

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manifestation même du Nom divin, « Yahweh manifest on earth56 ». DeConick identifie les trois paroles secrètes que Jésus révèle à omas (log. 13) à ‘ehyeh ‘asher ‘ehyeh, le Nom divin révélé à Moïse57. Le parallèle avec la christologie johannique est ici très étroit. Parti de Jérusalem, le mouvement missionnaire aurait abouti à Édesse en Syrie, où le noyau des traditions primitives se développa – c’est l’origine de ce qu’elle appelle les accretions, dans l’environnement oral des reperformances58, qui s’adaptent aux besoins et à l’idéologie de la communauté chrétienne de Syrie, au moment, en particulier, où les convertis du paganisme en vinrent à dominer cette communauté (questions concernant les lois alimentaires, la circoncision). Par ailleurs les attentes eschatologiques de la première communauté se trouvant déçues, la communauté a dû rationaliser cette non-venue du Royaume, opérer un changement et passer de l’eschatologie à la mystique, c’est-à-dire à l’intériorisation du Royaume. Ce dont témoigneraient les ajouts (les accretions) au Kernel primitif. Cette révision de l’évangile primitif s’opéra, selon DeConick, en différentes étapes qu’elle se permet de dater approximativement : de 50 à 60, pour répondre au passage en Syrie et à la crise de leadership (cf. le log. 12) ; puis de 60 à 100, en lien avec les convertis du paganisme, la crise du retard eschatologique et son interprétation mystique ; enfin une dernière étape de 80 à 120, marquée par la disparition des témoins oculaires, les développements christologiques et l’influence de plus en plus forte des tendances encratiques et hermétiques. « is places the complete Gospel of Thomas at a date no later than 120 CE, making the accretions contemporary to the composition of the Johannine literature and the Pastoral Epistles59. » Cette vision des choses a des conséquences importantes. D’abord pour la question de la dépendance des synoptiques, mais surtout pour le portrait du Jésus de l’histoire. Dépendance par rapport aux synoptiques En raison de l’histoire de la composition de omas qu’elle propose (« rolling corpus » : un noyau, se développant par des ajouts successifs), DeConick estime qu’on ne peut plus parler de l’indépendance de omas par rapport aux synoptiques et que des relations ont nécessairement 56. DC, The Original Gospel of Thomas in Translation, p. 84. 57. DC, Seek To See Him, p. 111-115 ; I, Recovering the Original Gospel of Thomas, p. 148 ; I, The Original Gospel of Thomas in Translation, p. 84-85. 58. DC, Recovering the Original Gospel of Thomas, p. 98, 239 59. Ibid., p. 240.

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existé entre les communautés responsables de ces textes. Elle rejetterait cependant une dépendance directe. Sa solution récurrente étant que « It is more reasonable to explain these variants as independent developments within the field of oral performance than developments out of a genealogy of literary dependence60 ». Il semble donc plus « tendance » en exégèse, actuellement, d’expliquer les variations en référence à la tradition orale plutôt que d’essayer de chercher une dépendance littéraire. Jésus de l’histoire L’histoire de la composition de omas qu’elle propose renverse totalement ce qui était devenu pour beaucoup un consensus académique – qui voyait dans ce texte un très ancien évangile de sagesse reflétant le message d’un Jésus sage ou philosophe, sans aucune dimension apocalyptique ou eschatologique. Pour elle, la première version de omas était au contraire un discours apocalyptique qui insistait sur l’imminence de la Fin. C’est la non-venue de cette Fin qui opéra un changement herméneutique et fit passer d’une interprétation eschatologique à une interprétation mystique des paroles de Jésus. Selon elle, 50  % des logia du Kernel auraient des parallèles avec la source Q. Par contre, il n’y aurait aucun parallèle, au deuxième niveau, celui des accretions. Elle en conclut que « the sayings in the Kernel omas are some of our oldest witnesses to the Jesus traditions61 ». D’où viennent alors ces parallèles anciens ? Sa conclusion (qui me semble assez unique parmi les chercheurs américains) est à retenir : tous ces parallèles suggèrent que Q and omas were familiar with a very old (pre-50  CE) set of sayings which were largely apocalyptic in nature and which each text developed in its own way – the apocalyptic expectations were intensified in Q [Q2, par exemple, ajoutant les logia sur le Fils de l’homme] while they were deintensified by the addition of the later accretions of Thomas [dans la ligne de l’encratisme et de la mystique]. The vogue thesis that the early stratifications of Quelle were non-apocalyptic may need to be reassessed62.

Les thèses de DeConick invitent à repenser l’histoire des origines du christianisme, telle du moins que tend à l’imposer un certain consensus nord-américain, à partir de la Source Q et de l’Évangile selon omas63. 60. 61. 62. 63. dirigé

DC, « e Original Gospel of omas », p. 267. DC, Recovering the Original Gospel of Thomas, p. 243. Ibid., p. 243 (je souligne). DeConick ne craint pas de s’opposer en particulier aux conclusions du Séminaire par Ron C – Merrill P. M (dir.), Redescribing Christian Origins

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Bien qu’elle ne s’implique pas directement dans la question du Jésus de l’histoire, son apport à la discussion me paraît néanmoins d’une très grande importance : du fait qu’elle met en doute toutes les constructions qui, se basant précisément sur les traditions anciennes de Q et de omas, faisaient du Jésus de l’histoire non pas un prophète proclamant l’imminence de l’arrivée du Royaume, mais un simple maître de sagesse. 1.3.3 Nicholas Perrin Aux monographies consacrées à l’Évangile selon omas par Stephen J. Patterson et April D. DeConick, il faut ajouter celles de Nicholas Perrin, sa thèse d’abord Thomas and Tatian. The Relationship between the Gospel of omas and the Diatessaron et, plus récemment, Thomas, The Other Gospel64. Dès la découverte de omas pratiquement, plusieurs chercheurs (dont H.-Ch. Puech, G. Garitte, A. Guillaumont et G. Quispel) avaient signalé la présence de sémitismes dans ce texte, ce qui a contribué grandement à en situer l’origine dans un milieu araméen ou syriaque et à le rattacher à Édesse. Nicholas Perrin a poursuivi dans cette ligne, pensant pouvoir établir que l’auteur de omas dépendait de sources évangéliques écrites en syriaque, et plus précisément du Diatessaron de Tatien. Ce faisant, il prenait ainsi position, simultanément, sur deux questions capitales dans les débats actuels sur omas : sa relation avec les évangiles canoniques et, en conséquence, la date de sa rédaction. Alors que les chercheurs se séparent en deux groupes, ceux qui défendent l’indépendance de omas par rapport aux évangiles canoniques (particulièrement les synoptiques) et ceux qui estiment pouvoir établir que omas dépend de la rédaction finale de ces mêmes évangiles, Perrin se glisse entre les deux et prône une dépendance, mais indirecte, médiatisée par une harmonie évangélique syriaque, le Diatessaron de Tatien. Ce dernier étant communément daté de 173, omas, qui en dépend, serait donc de la fin du IIe siècle.

(Symposium, 28), Atlanta, GA, Society of Biblical Literature, 2004, selon lesquelles omas et Q1 représentent un christianisme ancien, pré-synoptique, de type philosophique, sans référence à la Croix ni à l’eschatologie ; voir DC, Recovering the Original Gospel of Thomas, p.  244-248. Pour une lecture critique de cet ouvrage, voir Jean-Paul  M, « Les premières communautés chrétiennes. Diversité et unité », dans Science et Esprit 59 (2007) 153-172. 64. P, Thomas and Tatian ; I, Thomas, the Other Gospel. Parfaitement informé de la recherche, il a donné une vue remarquable des études parues sur omas de 1991 à 2006 : I, « Recent Trends in Gospel of omas Research (1991-2006). Part I » (avec une bibliographie de 126 titres).

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Dépendance par rapport à Tatien Cependant, comment établir cette dépendance de omas par rapport au texte syriaque du Diatessaron ? Perrin soutient que omas n’est pas une collection de logia de Jésus faite au hasard, mais un texte cohérent, structuré à partir de mots crochets (catchwords). Ce qui n’est pas sans causer quelques problèmes. Premier problème : le seul texte complet de omas dont nous disposons étant écrit en copte, il faut d’abord en faire une rétroversion en grec (un état du texte avéré cependant par les fragments grecs subsistants des papyrus d’Oxyrhynque65) puis, de là, remonter au syriaque. Parce qu’il compte 502 mots crochets en syriaque, pour 263 en grec et 269 en copte, Perrin conclut que omas a été écrit en syriaque66. On a contesté le caractère fortement hypothétique d’une telle reconstruction, arguant qu’il aurait été difficile à Perrin, consciemment ou inconsciemment, de ne pas introduire dans cette reconstruction les mots crochets dont il avait besoin67. Autre problème : le texte original de l’Harmonie de Tatien n’existe pas, il faut aussi le reconstruire. Reconstruction que Perrin ne tente pas, mais qu’il ne serait pas facile de faire68. 65. Il s’agit des papyri d’Oxyrhynque 1, 654 et 655, publiés par Bernard P. Grenfell et Arthur S Hunt en 1897 et 1904. Voir le texte en Appendice de l’« Évangile selon omas (NH II,2) », dans M – P (dir.), Écrits gnostiques, p. 330-332. 66. Peter J. W, « Alleged Syriac Catchwords in the Gospel of omas », dans Vigiliae Christianae 63 (2009) 71-82, p. 82, après avoir examiné quelques exemples représentatifs de mots-crochets dans la rétroversion syriaque de omas par Perrin, conclut que ce travail « does not provide a solid basis on which to hypothesize that the Gospel of omas was originally composed in Syriac ». 67. P, Thomas and Tatian, a suscité plusieurs recensions. Ainsi, Robert F. S, dans JBL 122 (2003) 387-391. Mais à lire le compte rendu destructeur que William L. P, dans JBL 122 (2003) 391-395, fait de l’ouvrage de ce même Robert F. S, Tatian and the Jewish Scriptures. A Textual and Philosophical Analysis of the Old Testament Citations in Tatian’s Diatessaron (Corpus scriptorum Christianorum Orientalium, 591), Leuven, Peeters, 2003 – compte rendu ironiquement placé dans les pages de la même revue et qui suivent immédiatement –, on se sentirait invité à relativiser les critiques que Shedinger fait à Perrin. Voir encore les comptes rendus de Robert ML W, dans JTS 54 (2003) 758-660, et celui de Paul-Hubert P dans Hugoye. Journal of Syriac Studies 6 (2003), en ligne (https ://hugoye.bethmardutho.org/article/hv6n2prpoirier). Perrin a synthétisé sa thèse dans un article : Nicholas P, « e Aramaic Origin of the Gospel of omas – Revisited », dans Jörg F – Enno Edzard P – Jens S (dir.), Das Thomasevangelium. Entstehung – Rezeption – Theologie (BZNW, 157), Berlin – New York, NY, de Gruyter, 2008, p. 50-59. Dans sa note critique sur cet article, Paul-Hubert P, « Quelques perspectives récentes sur l’Évangile selon Thomas », dans LTP 66 (2010) 599-615, p. 602, maintient que « si la thèse de Perrin n’est pas absolument improbable, elle est au mieux indémontrable et plusieurs des indices qu’il a accumulés en sa faveur ne valent tout simplement pas ». 68. Tâche difficile, si cette reconstruction, selon ce qu’en dit Petersen, doit se faire à partir à la fois de la famille orientale des témoins (en syriaque, en arabe et en perse) et de la famille occidentale (latin, vieil allemand et néerlandais moyen) datant de 350 environ

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P.-H.  Poirier note qu’en fait c’est par défaut, que Perrin se rabat sur le Diatessaron, puisque l’Harmonie de Tatien était vraisemblablement le seul texte évangélique disponible en syriaque à cette date69. Dans Thomas, the Other Gospel, Perrin, après avoir présenté et discuté les positions de Stephen J. Patterson, d’Elaine Pagels et d’April DeConick, reprend tout à fait la même thèse70, mais en la complétant par des développements importants sur l’ascétisme en omas et l’influence de la tradition encratique qui va fleurir dans le christianisme syriaque après Tatien, à la fin du IIe siècle71. C’est à la fin du IIe siècle également qu’il rattache l’influence de l’hermétisme qu’on décèle dans les logia de omas. Perrin répond, très bien à mon avis, à certaines objections qui lui ont été faites, concernant très spécialement, comme on devait s’y attendre, la date tardive qu’il donne à omas72. On sait que Grenfell et Hunt avaient daté les fragments grecs des papyri d’Oxyrhynque de 200 environ. Dans l’édition critique qu’il en donne, H.W. Attridge situe le P. Oxy. 1, le plus ancien des trois fragments, « shortly aer A.D. 200 », et les deux autres autour de 25073. Par ailleurs, Hippolyte  de Rome (220-235) parle de l’Évangile selon omas comme s’il était bien connu, comme aussi Origène (en 233)74. Cela semble laisser peu de temps pour la composition de omas en syriaque après 173, pour sa traduction en grec et sa diffusion jusqu’en Égypte avant ces dates. Perrin a répondu qu’Édesse étant bilingue, un texte grec pouvait être disponible en quelques semaines et, à 1550 environ ; voir à nouveau la recension de William L. P, JBL  122 (2003) p.  391. En signalant que, pour établir sa thèse, Perrin devrait comparer sa rétroversion syriaque au texte du Diatessaron – « provided that it can be reconstructed with some certainty » – P marque aussi un certain scepticisme (dans sa recension, Hugoye 6, [2003] §7). Mais Paul F, « Tatian », dans ExpTim 120 (2008) 105-118, p. 116, est plus radical et estime que la théorie de Perrin, « since neither the Gospel of Thomas nor the Diatessaron can confidently be determined to have been composed in Syriac […] is perhaps best considered as a curiosity in the scholarship of early Christianity ». 69. Ce qu’affirme P, Thomas and Tatian, p.  17 : « Since Tatian’s harmony was presumably the only gospel record available in the Syriac language at that time, the evidence points ineluctably to Diatessaronic influence. » Et p. 193 : « Tatian’s Diatessaron is the only Syriac text of the Synoptic tradition that could have been available to omas. » 70. P, Thomas, the Other Gospel, p. 73-106. 71. Ibid., p. 104-105, rattache l’encratisme syriaque à l’influence de Philon d’Alexandrie, lequel aurait influencé Justin et par lui Tatien, et finalement, au terme de cette trajectoire ascétique, l’Évangile selon omas. 72. Sur la datation de omas, voir P, Thomas, the Other Gospel, p. 8-12 et 97-99. 73. Harold W. A, « Appendix. e Greek Fragments », dans Bentley L (dir.), Nag Hammadi Codex II,2-7. Vol. 1 : Gospel According to Thomas, Gospel According to Philip, Hypostasis of the Archons, and Indexes (Nag Hammadi and Manichaean Studies, 20), Leiden, Brill, 1989, 96-128, p. 96-99. 74. A, « Appendix », p. 103-109, fournit les textes originaux de ces « Testimonia to the Gospel According to omas ».

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qu’étant donné les grands échanges entre la Syrie et l’Égypte, un passage en Égypte dans les vingt ou trente années suivantes était plus que vraisemblable. Si un texte d’Irénée écrit à Lyon en 180 pouvait se retrouver en Égypte vingt ans plus tard, il n’y avait rien d’étonnant à ce que omas ait pu faire aussi un pèlerinage rapide75. Jésus de l’histoire Mais le Jésus de l’histoire ? Perrin refuse d’aborder directement la question. Ce qu’il a voulu faire, dit-il, c’est situer l’Évangile selon omas dans ce qu’il appelle le « puzzle » des origines chrétiennes76. omas, selon lui, appartient au christianisme syriaque, où il apparaît au terme d’une trajectoire qui va de Philon d’Alexandrie en passant par Justin et Tatien. Craig Evans, qui a été convaincu par l’argumentation de Perrin, a peut-être énoncé clairement ce qui était implicite dans la position de Perrin : écrit en syriaque, après 170, en dépendance du Diatessaron, omas « does not offer [...] early, independant material that can be used for critical research into the life and teaching of Jesus77 ». Dans l’article où il résume les quinze dernières années de la recherche sur l’Évangile selon omas et ses relations avec le Jésus de l’histoire et les évangiles synoptiques, Perrin montre très bien, malgré quelques hautes protestations méthodologiques ou théoriques, répercutées notamment par les critiques de J.-D. Kaestli à Meier et Crossan, que omas, de fait, a été peu exploité dans la recherche sur le Jésus de l’histoire, même par ceux qui semblaient tombés en amour avec cet évangile78. Il est donc tout à fait raisonnable et légitime de penser, il me semble, l’ancienneté et l’authenticité des logia de omas restant largement controversées, que « it makes little sense for the Jesus scholar [...] to rely heavily on Thomas79 ». Selon Perrin, omas « will likely remain a little-used platform on which to build the historical Jesus80 ».

75. Pour la présence d’un texte d’Irénée à Alexandrie vers 200, voir Colin H. R, Manuscript, Society, and Belief in Early Christian Egypt, London, UK – New York, NY, OUP, 1979, p. 14 et 23-24. 76. P, Thomas, The Other Gospel, p. 138. 77. Craig A.  E, Fabricating Jesus. How Modern Scholars Distort the Gospels, Downers Grove, IL, InterVarsity Press, 2006, p. 77. 78. Voir son paragraphe, « e Limited Use of omas in Historical Jesus Research », dans P, « Recent Trends in Gospel of omas Research (1991-2006) : Part I », p. 188-189. Il avait évoqué, en p. 187, les critiques méthodologiques faites par Kaestli à Meier et Crossan. 79. P, « Recent Trends in Gospel of omas Research (1991-2006) : Part I », p. 191. 80. Ibid.

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1.4 Introductions et recensions critiques 1.4.1 Claudio Gianotto Dans une introduction très dense à l’édition de l’Évangile selon omas parue dans les Écrits apocryphes chrétiens81, Claudio Gianotto souligne le genre littéraire de cet écrit (une anthologie de paroles de Jésus, sans structure narrative, ni pratiquement aucun élément biographique, ni « référence aux mystères salvifiques de la passion, de la mort [malgré la mention de la croix dans le logion 55 !] et de la résurrection de Jésus82 », et met en évidence ses rapports avec les évangiles canoniques et les traits gnosticisants qu’il comporte. On trouve en omas des paroles sapientielles, des paraboles et proverbes, mais aussi des paroles prophétiques (annonçant le jugement de Dieu : log. 18, 22, 51, 111) et même eschatologiques (log. 3-5, 10-11 : ce qui exclut donc qu’on en fasse un pur écrit de sagesse), mais aussi des enseignements ésotériques où Jésus apparaît – c’est sa « seule fonction » dans ce texte83 – comme révélateur des mystères du salut (log. 1-2, 17, 29, 49, 67). Y trouve-t-on des paroles « authentiques » de Jésus ? Très sagement, Gianotto affirme que « les logia de l’Évangile selon omas ne sont pas plus “authentiques” que ceux des Évangiles canoniques84 » et qu’il faut tenir compte, ici aussi, de l’histoire rédactionnelle de ce document. Beaucoup de logia de omas ont des parallèles dans les synoptiques, plus encore dans la source Q et plus rarement dans Jean. Il semble parfois que le texte de omas soit plus primitif, comme dans le célèbre logion 65 qui présente la parabole des vignerons homicides dans une version dépourvue des traits allégoriques ordinairement reconnus comme secondaires85. Il reste néanmoins quelques passages sans parallèles, en particulier trois paraboles (log. 21, 97 et 98), qui pourraient témoigner d’une tradition orale encore vivante86. C’est le plus près que Gianotto se permette d’aller en direction du Jésus de l’histoire. Il estime que la Syrie orientale, où le nom et le prestige de Jude omas sont le mieux attestés, reste le lieu de composition le plus probable et place la formation du

81. G, « Évangile selon omas », p. 25-29. 82. Ibid., p. 28 n. 4. 83. Ibid. 84. Ibid., p. 26. 85. Mais D, Jesus Remembered, p. 722, fait bien remarquer que les Juifs n’avaient pas besoin de traits allégoriques pour se reconnaître dans ces vignerons, la seule mention de la vigne devait suffire à enclencher l’allégorie. 86. G, « Évangile selon omas », p. 28.

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recueil dans la première moitié du IIe siècle, donc avant 150 (ce qui n’exclut pas l’existence dans ce recueil de logia très anciens)87. Encore ici, l’apport pour le Jésus de l’histoire reste minime : le portrait d’un Jésus enseignant, mêlant paroles de sagesse et énoncés prophétiques, et quelques paraboles inédites peut-être. 1.4.2 Jean-Marie Sevrin La notice de Jean-Marie Sevrin, qui présente l’Évangile selon omas dans les Écrits gnostiques, est plus développée88. Sevrin voit en omas « un écrit de sagesse qui guide son lecteur vers un salut, dont il suggère les moyens et les effets89 ». Ce moyen est essentiellement la connaissance, une gnose salutaire, qui ne s’obtient qu’au bout d’une ascèse laborieuse. « Cette construction de l’homme accompli par la connaissance » s’accompagne donc d’une vision négative des réalités du monde. S’agit-il là d’une manifestation d’encratisme chrétien ou doit-on y lire une orientation gnostique ? Selon Sevrin, « une interprétation de type gnostique90 » de cet ouvrage, où Jésus « n’est pas considéré comme un acteur de l’histoire […] tout entier dans ses paroles, qui ne renvoient pas à son agir91 », est possible. Soustrait à l’histoire, Jésus n’a d’autre rôle, comme être transcendant, que de « donner l’accès à la connaissance, en guidant (log. 114), notamment par ses paroles cachées92 ». L’Évangile selon omas recueille, selon Sevrin, « un matériel hétéroclite de paroles de Jésus, qu’il puise tant aux évangiles canoniques que dans des traditions indépendantes […]. Il se situe dans cette zone floue où l’écrit coexiste avec des modes de transmission qui sont encore ceux de l’oralité et où la tradition demeure vivante, continuant à assimiler, à créer et à transformer93 ». D’où vient ce texte ? On a fait l’hypothèse d’un milieu judéo-chrétien (à cause du log. 12), mais omas réagit aussi avec vigueur contre des pratiques juives, contre le sabbat (log. 27), contre la circoncision (log. 53), ce qui suppose plutôt une rupture avec le judéo-christianisme. Malgré les traces d’aramaïsme, Sevrin croit que la langue originale de ce texte n’était pas « l’araméen en usage en Syrie », mais le grec. Quant à la datation, si 87. 88. 89. 90. 91. 92. 93.

G, « Évangile selon omas », p. 29. S, « Évangile selon omas (NH II, 2) », p. 299-305. Ibid., p. 301. Ibid., p. 304. Ibid., p. 302. Ibid., p. 304. Ibid., p. 303-304.

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certains pensent au Ier siècle, comme à une collection primitive de paroles de Jésus, Sevrin croit le IIe siècle plus probable et la seconde moitié (après 150) plutôt que la première. Selon cette lecture, on serait donc après les synoptiques et, bien que ce texte reflète ici ou là une tradition encore vivante, il n’ajoute guère de traits nouveaux, historiquement vérifiables, au portrait du Jésus canonique. 1.4.3 Jean-Daniel Kaestli J.-D.  Kaestli a présenté une excellente étude sur « L’utilisation de l’Évangile de omas dans la recherche actuelle sur les paroles de Jésus94 ». Sur le plan méthodologique, il s’oppose aussi bien à l’approche de John P. Meier qui ne retient pas l’Évangile selon omas dans sa recherche sur Jésus qu’à celle de John Dominic Crossan qui lui donne une toute première place dans la stratification chronologique de ses sources. Kaestli met en garde contre les jugements globaux qu’on serait tenté de porter sur le rapport de omas avec les évangiles synoptiques et précise bien que chaque logion doit être étudié pour lui-même. Un accord avec des traits rédactionnels d’un évangile, par exemple, démontre peut-être la dépendance du logion analysé, mais ne permet pas de conclure à la dépendance de tout l’évangile. De même une affinité particulière de certains logia avec le gnosticisme ne permet pas de faire une interprétation exclusivement gnostique de l’ensemble de omas. Kaestli a aussi raison de réclamer pour omas une bonne place dans la recherche néotestamentaire, dans l’étude « qui prend en compte à la fois la genèse, la transmission et les multiples réinterprétations des paroles de Jésus95 ». Malgré tout, au moment du bilan, Kaestli ne peut retenir comme possibles « paroles authentiques » de Jésus, que la brève parole du logion 82 : « Celui qui est près de moi est près du feu, et celui qui est loin de moi est loin du Royaume96 » et deux paraboles, celles des logia 97 et 98. On perçoit comme un certain reproche dans sa conclusion : « Ceux qui, comme Meier, dit-il, ne s’intéressent qu’aux paroles remontant au

94. K, « L’utilisation de l’Évangile de omas dans la recherche actuelle ». 95. Ibid., p. 395. 96. Edwin K.  B, « An Authentic Saying of Jesus in the Gospel of omas ? », dans NTS 46 (2000) 132-149, est celui qui a le mieux montré la probable authenticité de cette parole, dont la mention du feu rattache Jésus à la prédication de Jean Baptiste, alors que la proximité du Royaume est bien au cœur de celle de Jésus, telle que la tradition synoptique la présente. Ainsi, selon Broadhead, « the most authentic-looking piece of Gom does not support the image of Jesus as a non-eschatological sage » (p. 149).

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Jésus historique jugeront certainement la moisson fort maigre97 ». Mais « ces paroles remontant au Jésus historique », n’est-ce pas là précisément l’objet même de la recherche historique ? Et n’est-ce pas cette maigre moisson, apportant bien peu de neuf au portrait du Jésus synoptique, qui invitait Meier à s’en tenir globalement au Jésus des évangiles canoniques ? 1.4.4 James D.G. Dunn Dans son Jesus Remembered, James Dunn signale, d’entrée de jeu, que traiter de omas est une question délicate étant donné l’énorme importance que lui ont accordée Koester et ceux que Dunn appelle les chercheurs « néo-libéraux98 ». Touchant la question des relations de omas avec les synoptiques, en raison de la complexité de l’histoire de la tradition (des jeux en particulier entre tradition écrite et tradition orale, qu’on parle dans ce dernier cas de simple oralité ou de seconde oralité), Dunn conclut, avec Tuckett99, tout à fait sagement à mon avis, que le problème des relations entre omas et les synoptiques est probablement insoluble. Tout ce qu’on peut dire, c’est que certaines formes des logia peuvent venir d’un « early stage of the traditioning process100 ». Pour lui, le meilleur qualificatif qu’on peut donner à omas reste celui de document gnostique101. Ce qui implique, si on pouvait montrer qu’une tradition particulière à omas est primitive, qu’une réponse gnostique à l’enseignement de Jésus serait aussi ancienne (et respectable) que le christianisme des évangiles canoniques. Dunn conteste cependant (contre Koester et cie) que omas témoigne d’une couche ancienne non apocalyptique de la tradition de Jésus (se rapprochant ainsi de la position de DeConick). L’idée que la couche la plus ancienne de la tradition de Jésus ait été non apocalyptique relève d’une analyse tendancieuse de Q et de omas102. À la différence de Meier, Dunn renvoie constamment dans son livre aux parallèles qu’on trouve en omas103. Mais l’usage que Dunn fait de omas ne change en rien le portrait de Jésus que lui offre la tradition 97. K, « L’utilisation de l’Évangile de omas dans la recherche actuelle », p. 395. 98. D, Jesus Remembered, p. 161. Voir sa description de la résurrection du Jésus libéral, après soixante-dix ans de silence, ce Jésus à qui on avait pourtant donné, dit-il, les derniers sacrements (!), I, « Re-Enter the Neo-Liberal Jesus », dans Jesus Remembered, p. 58-65. 99. T, « omas and the Synoptics ». 100. D, Jesus Remembered, p. 162. 101. Ibid., p. 162-163. 102. Ibid., p. 165. 103. Pour un exemple, voir sa discussion du logion 65, sur la parabole des vignerons : D, Jesus Remembered, p. 720-721.

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synoptique. Cette dernière, selon lui, reste la norme (il l’affirme à plusieurs reprises104), même quand on prend au sérieux, dit-il, l’avertissement de C.W. Hedrick contre la « tyrannie du Jésus synoptique105 » ! De ce panorama de la recherche sur l’Évangile selon omas, il semble qu’on peut conclure avec Jens Schröter que cet évangile est à situer dans le paysage théologique du IIe siècle et qu’avant de fournir un témoignage sur le Jésus historique, il a quelque chose à dire de la réception au IIe siècle des paroles de/sur Jésus émanant notamment de la tradition synoptique. L’Évangile selon omas constitue une alternative à la christologie narrative des évangiles reconnus – ou en passe de l’être – comme canoniques, une représentation de Jésus dans laquelle sa mort et sa résurrection cèdent la place à une « interprétation “philosophique” de la tradition sur Jésus106 ». L’Évangile selon omas nous ferait voir un christianisme engagé dans un processus de réception de la pensée platonicienne. C’est là que réside d’abord son intérêt et non « dans le fait qu’il constituerait une autre voie d’accès au Jésus historique107 ». 2. Le papyrus Egerton 2 Parmi les documents que John Dominic Crossan place au premier niveau de sa stratification chronologique (qui va des années 30 à 60), se trouve ce qu’il appelle l’Egerton Gospel, le papyrus Egerton 2, ou « l’Évangile inconnu », comme l’avaient appelé ses premiers éditeurs108. Il s’agit de trois fragments (plus un quatrième qui ne comprend qu’une lettre) de trois feuillets d’un codex qui est l’un des plus anciens manuscrits chrétiens, daté des environs de 200, le texte qu’il contient étant, bien sûr, encore antérieur. Deux feuillets ont, sur chaque page (recto verso), du texte grec plus ou moins cohérent. Le troisième fragment n’a que quelques mots109.

104. Ibid., p. 165, 167, 172. 105. Ibid., p. 165, n. 126. 106. Jens S, « Die Herausforderung einer theologischen Interpretation des omasevangeliums », dans F – P – S (dir.), Das Thomasevangelium, 435-460, p. 456. 107. Ibid., p. 458. C’est ce que semble accepter Paul-Hubert Poirier dans son résumé de la conclusion de Schröter, dans LTP 66 (2010) 613-614, dont je reprends ici les propos. 108. Harold I. B et eodore C. S (dir.), Fragments of an Unknown Gospel and Other Early Christian Papyri, London, UK – Oxford, British Museum – e University Press, 1935. 109. On trouvera une notice à ce propos et une traduction française par Daniel A. B, « Papyrus Egerton 2 », dans B – G – V (dir.), Écrits apocryphes chrétiens I, p. 411-416.

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Le texte n’est pas facile à lire et on peut l’arranger en différentes séquences pour en faire un tout cohérent. On admet généralement que, dans le fragment  1, le verso précédait le recto110. Suivant cet ordre, le texte commence par une discussion entre Jésus et des légistes à propos de la Loi. Les parallèles avec l’Évangile selon Jean sont ici nombreux et le débat s’achève par une tentative de lapidation, à laquelle Jésus échappe « parce que l’heure où il devait être livré n’était pas encore venue ». Suit immédiatement le récit de la guérison d’un lépreux, proche d’un récit qu’on trouve dans les synoptiques. Le fragment 2, très mutilé, porte au recto une version de la question sur l’impôt et au verso un bref fragment qui raconte une action symbolique ou miraculeuse (une semence jetée sur les eaux) sur les bords du Jourdain. Son genre littéraire ? Malgré le père Lagrange qui se refusait à qualifier cet écrit d’évangile, mais parlait tout de même de « papyrus évangélique111 », cet écrit peut être qualifié d’évangile, et d’évangile narratif pour le distinguer des évangiles de paroles (les « sayings gospels » des anglophones) tels que l’Évangile selon omas. La recherche s’est intéressée quasi exclusivement à la question de la dépendance ou de l’indépendance de ce texte par rapport aux évangiles devenus canoniques. Aux États-Unis, H. Koester, défend l’indépendance et voit dans ce texte le témoin d’une étape de la tradition sur Jésus où ce qui devait devenir la ligne johannique et la ligne synoptique n’était pas encore séparé112. Ce qui impliquerait une très haute antiquité pour cet écrit. Mais ailleurs la vaste majorité des chercheurs supposent une dépendance littéraire de ce texte par rapport à l’un des évangiles canoniques, sinon aux quatre. Frans Neirynck a été l’un des défenseurs les plus rigoureux de ce point de vue113. Dans un article extrêmement minutieux, Enrico Norelli paraît avoir établi que l’auteur de l’écrit Egerton a puisé 110. C’est l’ordre suivi par B – G – V (dir.), Écrits apocryphes chrétiens I, et également par Tobias N, « Papyrus Egerton 2 – the “Unknown Gospel” », dans ExpTim 118 (2007) 261-266. 111. Marie-Joseph L, « Un nouveau papyrus évangélique », dans Introduction à l’étude du Nouveau Testament. Deuxième partie, Critique textuelle. Vol. 2 : La critique rationnelle, Paris, Gabalda, 1935, 633-649, p. 647. 112. Helmut K, « Évangiles apocryphes et Évangiles canoniques », dans François B – Helmut K, Genèse de l’Écriture chrétienne (Mémoires premières), Turnhout, Brepols, 1991, 80-87. L’indépendance a été aussi défendue par Jon B. D, The Egerton Gospel. Its Place in Early Christianity, Ann Arbor, MI, University Microfilm International, 1990 (une thèse soutenue en 1989, à Claremont Graduate School, sous la direction de James  M.  Robinson), et évidemment par C, The Historical Jesus, p. 428. 113. Frans N, « Papyrus Egerton and the Healing of the Leper », dans ETL 61 (1985) 153-160, repris dans I, Evangelica II, 773-784 (avec notes additionnelles).

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dans l’évangile de Jean des énoncés de Jésus et de ses adversaires114. Mais le rapport avec les synoptiques est plus ambigu. Il se peut, selon Norelli, que l’auteur de l’écrit n’ait utilisé, en fait, aucun des synoptiques, mais qu’il ait connu des paroles de Jésus et des unités narratives sous des formes proches de celle attestée par la tradition synoptique. Quant à ce qui ressemble à un mystérieux miracle de nature dans le fragment  2, l’auteur, s’il ne l’a pas inventé, l’a reçu d’une source étrangère aux synoptiques. Tobias Nicklas (Regensburg), pour sa part, pense que cet évangile inconnu dépend littérairement de Jean, que son auteur a connu des traditions synoptiques et très probablement même des textes synoptiques écrits115. Cet écrit a-t-il quelque chose à nous apprendre sur le Jésus de l’histoire ? On dira, en général, qu’un document qui se fonde sur Jean a peu de chances, a priori, de nous mener très près du Jésus historique116. En fait, on a ici un Jésus johannique, en conflit avec des nomikoi, des légistes, à propos de la Loi et, comme chez Jean, l’autorité de Jésus est légitimée par le recours aux Écritures. Jésus y est qualifié de Kurios. On est en présence d’une haute christologie et la citation d’Is  29,13 (au verso du fragment 2, à la fin) applique à Jésus ce qui était dit de Dieu : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. » Si notre écrit n’utilise pas les synoptiques, il pourrait nous ramener à des traditions présynoptiques. Serait-ce le cas de l’amorce de miracle au verso du fragment 2 ? C’est en tout cas bien mince et rien de neuf n’est ajouté non plus 114. Enrico N, « Le papyrus Egerton 2 et sa localisation dans la tradition sur Jésus. Nouvel examen du fragment  1 », dans M – N –  P (dir.), Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d’une énigme, 397-435, voir spécialement p. 424, 427, 429 et 432. 115. N, « Papyrus Egerton  2 – the “Unknown Gospel” », p.  266. Il est plus nuancé dans les conclusions de son commentaire en 2009 : I, « e “Unknown Gospel” on Papyrus Egerton 2 (+ Papyrus Cologne 255) », dans N – K – K (dir.), Gospel Fragments, 11-120, où il parle de traditions parallèles à celles des synoptiques, partiellement dérivées ou influencées par les évangiles synoptiques, et possiblement par « written synoptic texts » (p. 99). Il ajoute néanmoins plus loin (p. 104) qu’on ne peut exclure que la guérison du lépreux et la dispute à propos des taxes reflètent des traditions parallèles, mais indépendantes de celles qu’on trouve dans les évangiles synoptiques. Une indépendance qui, en vertu du critère d’attestation multiple, favoriserait alors l’historicité des événements racontés par ces textes. C’est la perspective qu’exploite Robert L. W, « Jesus Heals a Leper. Mark 1.40-45 and Egerton Gospel 35-47 », dans JSHJ 4 (2006) 177-202, qui conclut à l’historicité probable de la guérison du lépreux par Jésus. 116. Un point de vue contesté par un mouvement récent qui réintroduit Jean dans la recherche sur Jésus : voir Paul N. A – Felix J – Tom T (dir.), John, Jesus, and History, Vol. 1 : Critical Appraisals of Critical Views (Symposium Series, 44), Atlanta, GA, Society of Biblical Literature, 2007, et P N. A, The Fourth Gospel and the Quest for Jesus, London, UK, T&T Clark, 2006.

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dans les paroles mêmes de Jésus. Rappelons d’ailleurs qu’un texte qui ne dépend pas des évangiles canoniques ne livre pas automatiquement des informations sur le Jésus historique. J’endosse tout à fait la conclusion de Tobias Nicklas, à la fin de son article sur le papyrus Egerton : « e “unknown Gospel” should not be taken as one of our primary witnesses for a reconstruction of the historical Jesus117. » 3. L’Évangile de Pierre Un autre « évangile inconnu » qui a pris une grande importance, sinon dans la recherche pointue sur le Jésus de l’histoire, du moins dans l’histoire des origines du christianisme, The Birth of Christianity, pour reprendre le titre d’un ouvrage de Crossan118, c’est l’Évangile dit de Pierre. Évangile inconnu qu’on dit de Pierre parce que son auteur-narrateur se nomme Pierre (v. 60 et 26) et qu’on connaît aussi, par Eusèbe de Césarée (HE 6.12.26), l’existence d’un Évangile de Pierre qui était lu dans une communauté de Syrie et qui fut ensuite interdit par Sérapion, évêque d’Antioche (vers 190). De ce texte grec, on ne possède qu’un seul manuscrit découvert en 18861887 et publié pour la première fois en 1892. Il est incomplet, commençant et se terminant au milieu d’une phrase, comme si le copiste avait eu devant lui un texte mutilé119. Le fragment retrouvé raconte le procès du Seigneur (le nom de Jésus n’est jamais employé), sa mort et sa résurrection. De nouveaux fragments, découverts plus récemment, pourraient laisser entendre que le document portait sur tout le ministère du Seigneur120. Ce texte est particulièrement célèbre pour la description qu’il fait de la résurrection de Jésus ou, plus précisément, de la sortie du tombeau. Alors qu’il suivait jusque-là d’assez près le récit de la passion des évangiles canoniques, il insère entre le récit de la garde au tombeau (proche de Mt) 117. N, « Papyrus Egerton 2 – the “Unknown Gospel” », p. 266 ; aussi I, « e “Unknown Gospel” on Papyrus Egerton 2 », p. 103, où il écrivait : « […] the fragmentary condition of the text does not make it very useful in any quest for the historical Jesus » ; I, « Traditions About Jesus in Apocryphal Gospels (with the Exception of the Gospel of omas) », dans Tom H – Stanley E. P (dir.), Handbook for the Study of the Historical Jesus, Vol. 3 : The Historical Jesus, Leiden – Boston, Brill, 2011, 2081-2118, où il dit encore que « the “unknown gospel” in P. Egerton 2 and P. Cologne 255 can be used only to a very limited extent as a witness in the quest for the historical Jesus », mais en entretenant tout de même « the possibility that it may once have contained extra-canonical information about Jesus » (p. 2092). 118. C, The Birth of Christianity. 119. F, « e Gospel of Peter », p. 320b et la note 11, qui reprend à ce propos le commentaire de Henry B.  S, The Akhmîm Fragment of the Apocryphal Gospel of St Peter, London, UK, Macmillan, 1893, p. xlvi. 120. Voir J, « Évangile de Pierre », p. 243-244.

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et celui de la garde chez Pilate une scène singulière, où trois hommes sortent du tombeau – la tête de deux d’entre eux atteignant jusqu’au ciel, alors que celle du troisième dépasse les cieux – et sont suivis d’une croix qui répond : « oui » à la question : « As-tu prêché à ceux qui dorment ? » Depuis le début des études sur cet écrit, les questions débattues ont été, encore ici, celles de la date de cet écrit et de sa relation aux évangiles canoniques, les deux se trouvant toujours liées. La grande majorité des chercheurs soutiennent que l’Évangile de Pierre est dépendant des synoptiques et situent ce document au IIe  siècle, dans sa première moitié (avant 150, selon Éric  Junod) ou dans sa deuxième (après 150, selon Paul  Foster)121. Mais cette datation a été mise en question, radicalement, par J.D. Crossan dans un ouvrage qui a fait grand bruit : The Cross That Spoke : The Origins of the Passion Narrative122. Crossan reconnaît qu’il y a dans ce texte des signes très clairs de dépendance des évangiles canoniques. Mais il considère que cet Évangile de Pierre est un document composite et qu’en le dégageant de certaines additions, on y retrouve un noyau primitif qu’il appelle « the Cross Gospel », l’Évangile de la Croix, un document très ancien, enchâssé dans l’Évangile de Pierre, tout comme Q est disparu dans Mt et Lc123 et qu’il date du début des années 40124. Un texte qui précède donc, et de beaucoup, les quatre récits canoniques de la passion. À quelques exceptions près, dont celle de Paul Mirecki dans Anchor Bible Dictionary qui reprend en 1992, avec grande ferveur, la thèse de Crossan et affirme que le texte final de cet évangile circulait, sous l’autorité de Pierre, au milieu du Ier siècle (vers 50) et qu’une première forme de cet évangile a servi de source majeure pour les évangiles canoniques125, l’hypothèse de Crossan n’a pas soulevé beaucoup d’enthousiasme. Bon prince, Crossan le reconnaît lui-même : « that theory was greeted, I think it fair to say, with almost universal rejection126 ». 121. Ibid., p. 242 ; F, « e Gospel of Peter », p. 325b. Contre ceux qui affirment que l’Évangile de Pierre ne trahit aucune connaissance des évangiles canoniques, Schneemelcher répond que « the verbal agreements between the GosPet and the canonical Gospels are too numerous to allow us to uphold so sharp a rejection of their knowledge and use », Wilhelm S, New Testament Apocrypha. Vol. 1 : Gospels and Related Writings, traduit et édité par Robert ML W, édition mise à jour, Louisville, KY – Cambridge, UK, Westminster John Knox – James Clarke, 1991, p. 219. 122. C, The Cross That Spoke. Il avait déjà énoncé ses positions dans I, Four Other Gospels. Shadows on the Contours of the Canon, Minneapolis, MN, Winston Press, 1985, p. 124-181 (pour l’Évangile de Pierre). 123. C, The Cross That Spoke, p. xii. 124. C, The Birth of Christianity, p. 511. Cet Évangile de la Croix se compose des versets 1-2, 5c-22, 25, 28-42, 45-49 (dégagé donc de 3-5b, 23-24, 26-27 et 43-44). 125. Paul M, « Peter, Gospel of », dans ABD, vol. 5, 278. 126. C, The Birth of Christianity, p. 511.

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Raymond E. Brown a été, peut-être, son principal opposant. Brown a traité de l’Évangile de Pierre à plusieurs reprises, d’abord dans son adresse présidentielle à la SNTS en 1986, où il réfutait en détail la thèse de Crossan, en montrant que les différentes scènes du récit de Pierre ne présentaient pas une forme plus originale que celles des récits canoniques de la passion, puis dans un long exposé ajouté en appendice en 1994, à The Death of the Messiah127. Dans ce dernier texte, Brown compare avec une minutie extrême, non seulement les épisodes mais aussi tout le vocabulaire de l’Évangile de Pierre avec chacun des récits évangéliques de la passion et démontre, parfaitement à mon avis, d’un côté que Pierre n’a jamais eu devant lui aucun des évangiles canoniques écrits, mais que les évangiles canoniques non plus n’ont jamais eu à leur disposition le texte de Pierre, ou plus précisément le prétendu Évangile de la Croix de Crossan. Comment Brown entrevoit-il alors la composition de cet écrit ? Il estime que si l’auteur de l’Évangile de Pierre n’avait devant lui aucun évangile écrit, il avait néanmoins subi l’influence dominante de Matthieu, qu’il avait lu autrefois ou souvent entendu lire dans la liturgie du Jour du Seigneur (cf. le dimanche des v. 35 et 50). Il a dû aussi entendre parler des gens qui étaient familiers des récits de Luc et de Jean. Il  connaissait par ailleurs, mêlées à tout cela, des anecdotes populaires qu’on racontait à propos de la passion de Jésus. On trouve en effet dans Pierre des traits légendaires : la mention, par exemple, que Joseph était « ami de Pilate et du Seigneur » ; Petronius, le nom du centurion ; le tremblement de terre au contact avec le sol du cadavre de Jésus détaché de la croix ; les sept sceaux apposés au tombeau. Ces traits ne se retrouvent pas dans les évangiles canoniques. Il faut les rattacher, sans doute, à cette transmission orale du récit de la passion et de la résurrection, à laquelle appartiennent aussi le géant Jésus qui sort du tombeau et la croix qui parle… C’est avec ce bagage que l’auteur écrit son texte, un évangile qui n’était pas destiné à être lu à la liturgie, mais reflétait un christianisme populaire128. Un écrit, donc, non pas produit à une table de travail par quelqu’un qui avait des sources écrites devant lui, mais par 127. Raymond E. B, « e Gospel of Peter and Canonical Gospel Priority », dans NTS 33 (1987) 321-343 ; I, « Appendix I. e Gospel of Peter – A Noncanonical Passion Narrative », dans The Death of the Messiah. From Gethsemane to the Grave. A Commentary on the Passion Narratives in the Four Gospels, New York, NY, Doubleday, 2006 (1994), 1317-1349. C, The Birth of Christianity, p. 55-58 et 481-525, a longuement répliqué à Brown. Je n’ai pas eu accès à son article : I, « e Gospel of Peter and the Canonical Gospels », Forum n.s. 1 (1998) 7-51. 128. Voir H, Lord Jesus Christ, p. 444, qui parle « of a gospel-like writing that shows a creative combination of phrasing and traditions from (and inspired by) the canonical Gospels and the wider stock of material about Jesus that circulated then ».

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quelqu’un qui avait gardé en mémoire ce qu’il avait lu (surtout Matthieu) et entendu, en ajoutant un peu d’imagination et un bon sens dramatique129. En somme, comme le note favorablement James  D.G.  Dunn, Brown fait appel ici à cette « second orality » qui devient à la mode aujourd’hui dans les études de la tradition évangélique130. Paul  Foster, récemment, dans un article de l’Expository Times, où il annonce aussi la parution d’un commentaire : A Commentary on the SoCalled Gospel of Peter, à paraître aux presses universitaires d’Oxford, déclarait carrément que les théories qui tentaient de ramener au Ier siècle le texte de Pierre, ou une source enchâssée en ce texte, sont « not sustainable131 ». Pierre présente une réflexion sur des traditions canoniques et témoigne de trajectoires théologiques qui appartiennent à un christianisme plus tardif. Je relève, parmi ces notes théologiques tardives, une haute christologie : le nom de Jésus n’est jamais employé, mais 14  fois celui de Seigneur, plus 4 fois celui de Fils de Dieu, 2 fois Roi d’Israël et le titre extraordinaire de Sauveur des hommes que lui attribue l’un des malfaiteurs crucifiés avec Jésus (v. 13 ; cf. le ὀ σωτὴρ τοῦ κόσμου de Jn 4,42), sans compter, en finale, la proclamation quasi johannique du jeune homme assurant que Jésus est ressuscité et « s’en est allé là d’où il avait été envoyé » (v. 56) (allusion à la préexistence ?). Ce texte est donc orthodoxe (ou proto-orthodoxe, comme dirait Bart Ehrman132), et les deux passages évoqués pour l’accuser de docétisme (le v. 10 sur l’impassibilité du crucifié et le grand cri du v. 19 : « Ma force, ô ma force, tu m’as abandonné ») ne sont pas à lire en ce sens. Tardif aussi et caractéristique du IIe siècle, le fort anti-judaïsme de ce texte133, où il est précisé que, « parmi les Juifs, personne ne se lava les mains, ni Hérode, ni aucun de ses juges » (v. 1), où ce sont les Juifs qui crucifient Jésus et veulent empêcher la nouvelle de sa résurrection et dont les disciples ont tout à craindre (v.  26,

129. Voir B, The Death of the Messiah, p. 1332-1336. 130. Voir D, Jesus Remembered, p. 170 n. 157. Ce que Meier reprend aussi, presque tel quel, quand il dit que l’Évangile de Pierre « is a 2nd-century pastiche of traditions from the canonical Gospels, recycled through the memory and lively imagination of Christians who have heard the Gospels read and preached upon many a time », M, A Marginal Jew, vol. 1, p. 117-118. 131. F, « e Gospel of Peter », p. 324b. 132. Évoquant les conflits qui ont divisé le christianisme primitif, Bart Ehrman rappelle que les chrétiens qui ont gagné la bataille vers le IVe siècle ont déclaré leurs vues orthodoxes et qualifié d’hérétiques celles de leurs opposants. Il a mis en vogue l’expression proto-orthodoxe pour désigner ceux qui, avant la victoire finale, partageaient déjà les vues du futur parti vainqueur. Voir E, Lost Christianities, p. 13-14. 133. Pour quelques études sur cet anti-judaïsme au IIe siècle, voir H, Lord Jesus Christ, p. 444 n. 52.

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50)134. Tardive aussi, sans doute, la désignation du dimanche comme « jour du Seigneur » (v.  35 et 50, traduit par dimanche dans les Écrits apocryphes chrétiens I), appellation qui n’apparaît que dans un écrit tardif du NT, l’Apocalypse de Jean (1,10) et qui se serait répandue au début du IIe  siècle (Did. 14,1 ; Ignace, Magn. 9,1)135. Avec un brin d’ironie, Brown fait aussi remarquer qu’un auteur écrivant en Palestine au Ier siècle n’aurait pas imaginé qu’Hérode (Antipas) était le chef suprême de Jérusalem et que Pilate lui était soumis (dans Pierre, c’est Hérode qui ordonne de s’emparer du Seigneur [v. 1], et c’est à lui que Pilate doit réclamer le corps de Jésus [v. 4])136. On est donc tout à fait justifié de dater ce document du IIe  siècle137. Comme Brown l’a bien démontré, je crois, on ne peut prouver strictement une dépendance littéraire de ce texte par rapport aux synoptiques. Mais il reste clair qu’il dépend des évangiles canoniques et qu’il se situe particulièrement dans la trajectoire de Matthieu : lavement des mains et demande de gardes pour le tombeau qu’on ne trouve qu’en Mt, ce à quoi on peut ajouter une vue plus positive de Pilate, déjà amorcée, me semblet-il, par la mention de la femme de Pilate en Mt 27,19. On y trouve par ailleurs des échos de Luc et de Jean, tous composés à la fin du Ier siècle. En conséquence, pour ce qui m’intéresse ici plus précisément, ce texte, qui peut, bien sûr, refléter des traditions ayant circulé en dehors des évangiles canoniques, n’ajoute rien de neuf au Jésus des synoptiques et n’apporte rien à la connaissance du Jésus de l’histoire, dont le nom n’est même pas mentionné. Il nous donne des aperçus fascinants sur la façon dont se sont développées, au IIe siècle, les traditions relatives à la Passion et à la Résurrection. Il est sans valeur historique pour ce qui regarde le Ier siècle. 4. L’Évangile secret de Marc Ou le « Marc long » ou encore, sans doute pour rester le plus neutre possible, « l’autre évangile de Marc » (ce qui est le titre du livre de Scott

134. À l’encontre de E, Lost Christianities, p. 18, qui affirme que cet évangile fragmentaire « is far more virulently anti-Jewish than any of those that made it into the New Testament », Crossan, lui, précisait que cet anti-judaïsme vise surtout les autorités juives et non le peuple qui, de fait, reconnaît un « juste » en Jésus à la vue des signes qui entourent sa mort (v. 28) ; voir C, The Birth of Christianity, p. 493-498, surtout 497. Il avait déjà précisé ce point dans I, Four Other Gospels, p. 176-178. 135. Voir B, The Death of the Messiah, p. 1342. 136. Voir Ibid., p. 1341. 137. Position aussi de M, A Marginal Jew, vol. 1, p. 117.

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G. Brown : Mark’s Other Gospel138). C’est le plus contesté de tous les documents auxquels fait appel actuellement la recherche du Jésus de l’histoire. De l’Indiana Jones à son meilleur. Il s’agit d’un document, d’une lettre de Clément d’Alexandrie (c. 150215), que Morton Smith dit avoir découvert en 1958 dans le monastère orthodoxe de Saint-Sabas (Mar Saba du désert de Juda). Mais Smith ne le publie qu’en 1973139 en deux ouvrages, l’un académique, Clement of Alexandria and a Secret Gospel of Mark, et l’autre, populaire, The Secret Gospel. The Discovery and Interpretation of the Secret Gospel according to Mark140. Ce texte grec a été copié par une main moderne (XVIIIe siècle) à la fin d’un livre imprimé au XVIIe siècle141, au recto et au verso d’une page restée blanche et au recto d’une feuille attachée à la reliure142. Telle est la description qu’en fait Morton Smith, car personne d’autre que lui n’a vu l’original de ce texte143. 138. B, Mark’s Other Gospel. 139. Smith en avait fait l’annonce cependant à une assemblée de la Society of Biblical Literature en 1960. 140. Morton S, Clement of Alexandria and a Secret Gospel of Mark, Cambridge, Harvard University Press, 1973, et I, The Secret Gospel. The Discovery and Interpretation of the Secret Gospel according to Mark, New York, NY, Harper & Row, 1973. 141. I[saacus] V (Isaac V), Epistulae genuinae S. Ignatii Martyris, Amsterdam, 1646. 142. Voir la description qu’en fait Smith dans le catalogue des manuscrits grecs du monastère de Saint-Sabas qu’il a rédigé et dont Stephen C. C, The Gospel Hoax. Morton Smith’s Invention of Secret Mark (avec un Foreword de Larry W. H), Waco, TX, Baylor University Press, 2005, p. 100, donne un extrait. 143. C’est du moins ce qu’on croyait jusqu’à ce qu’un professeur israélien, Guy G. Stroumsa, raconte, en 2003, avoir fait une équipée à Mar Saba au printemps de 1976 avec David Flusser, Shlomo Pines et un moine grec nommé Méliton et avoir vu, de ses propres yeux, non seulement le livre de Voss, mais la lettre de Clément dans les dernières pages. Voir Guy G. S, « Comments on Charles Hedrick’s Article. A Testimony ». Par ailleurs, Guy G. S, Morton Smith and Gershom Scholem. Correspondence 19451982 (Jerusalem Studies in Religion and Culture, 9), Leiden, Brill, 2008, p. xx-xxi, répète, dans son introduction, à quelques mots près, le même récit. En ajoutant que, selon le principe de Heisenberg d’après lequel – dans l’usage populaire qui en est fait – l’acte même de l’observation altère le phénomène observé, « it was our journey of discovery that led to someone’s excision, and possibly destruction, of the Clementine manuscript » (p. xxi). En fait, le groupe aurait rapporté le volume de Voss à la bibliothèque du Patriarcat grec de Jérusalem, sans même examiner les pages manuscrites ni les photographier, en espérant cependant faire exécuter une analyse chimique de l’encre de ces pages (étaitce bien une encre du XVIIIe siècle ou quelque chose de plus récent ?). Mais, pour cet examen, il aurait fallu confier le livre à la police israélienne, ce à quoi le Patriarcat s’opposa. Par la suite, le bibliothécaire d’alors, l’archimandrite Kallistos Dourvas (qui dit, lui, n’avoir reçu le livre de Voss qu’en 1977), admet avoir détaché les pages manuscrites avant de procéder à la restauration de l’ouvrage contenant les lettres authentiques d’Ignace. En prenant soin néanmoins de les photographier, au cas où elles seraient égarées. En 2000, Dourvas vendait ces photos à Nikolaos Olympiou de l’Université d’Athènes, qui les communiqua à Charles  W.  H, « Secret Mark. New Photographs, New Witnesses »,

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Très tôt, la controverse a éclaté, à partir de l’article, en 1975, de Quentin  Quesnell, dans le Catholic Biblical Quarterly, réclamant la preuve matérielle de l’authenticité du manuscrit (âge de l’encre, sorte de plume employée, irrégularité de l’écriture). Sans qualifier Smith de faussaire, Quesnell notait par ailleurs combien il aurait été facile de créer une imitation de Clément, étant donné la publication de l’édition en quatre volumes des œuvres de Clément par Otto Stählin (en 1936), qui comportait une liste complète du vocabulaire de Clément avec même la fréquence de leur emploi (ouvrage auquel Smith faisait d’ailleurs référence pour établir l’authenticité clémentine de la lettre)144. Smith vit là une insinuation maligne, suggérant en quelque sorte qu’il avait forgé le document. Malgré une polémique intense, on n’a pas, jusqu’à aujourd’hui, répondu définitivement à cette question, aussi bien du côté de ceux qui affirment avec ferveur son authenticité que du côté de ceux qui proclament avec non moins de conviction qu’il s’agit d’un faux, magnifiquement fabriqué. On reconnaît certes que pour cette fabrication il aurait fallu une extrême compétence, mais une compétence qu’un seul auteur, parmi les modernes, possédait vraiment, Morton Smith145.

dans The Fourth R 13.5 (2000) 3-11 et 14-16 (une revue du Westar Institute de Californie). Depuis, on ignore ce que sont devenues les fameuses pages manuscrites. Voir à ce sujet la note de Jean-Daniel K, « Évangile secret de Marc », dans B – G – V (dir.), Écrits apocryphes chrétiens I, 55-69, p. 59-60 n. 4, qui dit cependant que ce sont « les deux folios manuscrits […] détachés du volume imprimé [qui] étaient alors en cours de restauration », et non le livre de Voss ! Charles W. H, « e Secret Gospel of Mark. Stalemate in the Academy », dans JECS  11 (2003) 133-145, p.  140, confirme tout ceci, en ajoutant que si le manuscrit n’a pas été détruit il se trouve à la bibliothèque du Patriarcat grec orthodoxe de Jérusalem, « either misplaced [ce serait l’opinion de Kallistos Dourvas] or sequestered ». Étant donné le bruit fait autour de ce document, bruit certainement connu par les moines et leur bibliothécaire, la « séquestration » paraît plus vraisemblable ! E, Lost Christianities, p.  83-84, a raconté aussi cette visite de Stroumsa à Mar Saba. Voir encore la version de B, Mark’s Other Gospel, p.  25-26. N, « Traditions About Jesus in Apocryphal Gospels », p.  2107 n. 107, dit bien, à mon avis, que « the fact that G.G. Stroumsa […] now asserts that he himself once saw the manuscript (which is still lost), ultimately proves nothing ». 144. Quentin Q, « e Mar Saba Clementine. A Question of Evidence », dans CBQ 37 (1975) 48-67. Voir Otto  S, Clemens Alexandrinus, Vol.  1 : Protrepticus und Paedagogus (Die Griechischen christlichen Schristeller der ersten drei Jahrhunderte, 12), Leipzig, J.C. Hinrichs, 1936 ; plus le vol. 58 de la même série (Die Griechischen christlichen Schriftsteller der ersten drei Jahrhunderte) paru en  1980, dans lequel on a ajouté, mais provisoirement, dit-on (« provisorisch abdrucken », p. viii), le texte grec de la lettre de Clément (p. xvii-xviii). 145. E, Lost Christianities, p. 89 : « But maybe Smith forged it. Few others in the late twentieth century had the skill to pull it off. » Notons néanmoins, l’incertitude persistant, qu’Ehrman ajoute aussitôt l’autre branche de l’alternative : « Or maybe this is a genuine letter by Clement of Alexandria » (p. 89).

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Pierluigi Piovanelli a présenté dans la Revue biblique, en un long article extraordinairement bien documenté, un bilan de tous ces débats146. À lire les grands éloges qu’il fait de Morton Smith147, on aurait pu penser qu’il admettait l’authenticité de la lettre de Clément et celle, par conséquent, du Marc long. Mais il semble, en conclusion, refuser de se prononcer et laisse le lecteur « libre de se forger sa propre opinion et de tirer les conclusions qui lui sembleront s’imposer148 ». Je reste pour ma part dans le groupe des sceptiques et j’estime qu’on ne pourra rien fonder sur ce texte tant qu’on n’aura pas répondu, par exemple, aux dix questions que Bart Ehrman a soulevées dans Lost Christianities149. Je maintiens, avec Kaestli, qu’« un doute subsiste quant à l’authenticité du document découvert par Morton Smith » et que, tant que le Patriarcat grec de Jérusalem n’aura pas autorisé l’étude du manuscrit (si tant est qu’il existe toujours !) et sa vérification scientifique, « il subsistera autour du document un mystère d’un tout autre type que ceux dont parlent Clément et l’extrait de l’Évangile secret150 ». Aucune certitude donc. Mais récemment le débat est devenu encore plus envenimé, avec d’un côté le Mark’s Other Gospel de Scott G. Brown (2005 : qui est la reprise de sa thèse, la première à être faite sur l’Évangile secret de Marc, et qui avait alors pour titre : The More Spiritual Gospel. Markan

146. Pierluigi P, « L’évangile secret de Marc trente-trois ans après, entre potentialités exégétiques et difficultés techniques », dans Revue Biblique 114 (2007) 52-72, 237-254. Pour un état plus ancien de la situation : Saul  L, « e Early History of Christianity, in Light of the “Secret Gospel” of Mark », dans Aufstieg und Niedergang der Römanischen Welt (ANRW, II.25.6), Berlin – New York, NY, de Gruyter, 1988, p. 42704292. 147. P, « L’évangile secret de Marc », spécialement en première partie : regretté spécialiste, grandeur du savant (reconnaissable à la grandeur des fruits que sont ses élèves, p. 53 n. 1 ; mais parmi lesquels il est un peu ironique de retrouver Jacob Neusner, qui deviendra sans doute le plus farouche dénigreur de Smith !), trésors d’érudition du savant américain, précurseur de la 3e quête, comportement exemplaire de Smith… 148. Ibid., p. 254 – même s’il affirme en cours d’article que les recherches menées par John D, Decoding Mark, Harrisburg, PA, Trinity Press International, 2003 et B, Mark’s Other Gospel, sembleraient constituer « un pas significatif vers la reconnaissance définitive de l’authenticité et de la valeur de l’Évangile secret de Marc » (p.  241). Par contre, quelques années plus tard, il conclut à propos de la Lettre à Théodore qu’ « il s’agit, vraisemblablement, d’un faux construit de toutes pièces par un savant à l’usage d’autres savants », Pierluigi P, « “Une certaine ‘Keckeit, Kühnheit und Grandiosität’… ”. La correspondance entre Morton Smith et Gershom Scholem (1945-1982). Notes critiques », dans Revue de l’histoire des religions 228 (2011) 403-430, p. 430. Enfin, à la Secret Mark Conference, tenue à l’Université York de Toronto (le 29 avril 2011), il redira que « it seems far more plausible that Smith created the document himself ». 149. E, « e Forgery of an Ancient Discovery ? Morton Smith and the Secret Gospel of Mark », dans Lost Christianities, 67-89, p. 84-87 (« Issues to Be Addressed »). 150. K, « L’Évangile secret de Marc », p. 101 et 102.

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Literary Technique in the Longer Gospel of Mark, 1999)151 et de l’autre, en 2005 aussi, The Gospel Hoax (le canular évangélique) de Stephen C. Carlson, affirmant que la lettre de Clément est un faux moderne152. Tout récemment, Peter  Jeffery a lancé un livre incendiaire, The Secret Gospel of Mark Unveiled : Imagined Rituals of Sex, Death, and Madness in a Biblical Forgery153. Scott Brown a réagi dans un texte de 47 pages paru dans Review of Biblical Literature (9/15/2007), auquel Jeffery a répliqué à son tour en 21 pages154. Entre-temps, les blogues bibliques au Canada et aux États-Unis ne dérougissent pas (New Testament Gateway de Marc Goodacre ; The Forbidden Gospels blog d’April DeConick et de nombreux autres, dont celui encore de Robert Webb, l’éditeur du nouveau Journal for the Study of the Historical Jesus155). Le tout alimenté encore par un panel tenu au Claremont Graduate University’s  Institute for Antiquity and Christianity (28 février 2008), où des gens comme Birger Pearson et Dennis MacDonald se prononcent sans hésitation pour la thèse de la falsification, alors que d’autres comme John Dart et Marvin Meyer défendent l’authenticité. Il ne semble pas qu’on puisse avoir de réponse définitive156.

151. Au terme d’un long chapitre (p. 23-74) sur l’authenticité de la Lettre à Théodore, Scott G. B, Mark’s Other Gospel, p. 74, conclut : « It is my position that the evidence in favour of viewing this document as an authentic letter by Clement about an early, expanded version of Mark greatly outweighs the existing evidence against that conclusion. Consequently, I am going to proceed on the assumption that the two longer versions of the Gospel of Mark did exist, and that Clement wrote the letter. » En plusieurs publications, B s’est fait le défenseur infatigable de l’authenticité contre tous les adversaires de Smith et de l’Évangile secret. 152. C, The Gospel Hoax. 153. Peter J, The Secret Gospel of Mark Unveiled. Imagined Rituals of Sex, Death, and Madness in a Biblical Forgery, New Haven – London, UK, Yale University Press, 2007. 154. Pages que les responsables de Review of Biblical Literature, qui ne se reconnaissent pas le mandat de favoriser les débats, ont refusé de publier, mais qu’on peut trouver sur le blog d’April DC, The Forbidden Gospels blog, en date du 23 avril 2008. 155. C’est dans cette revue que vient de paraître : Allan J. P – Scott G. B, « Morton Smith as M. Madiotes. Stephen Carlson’s Attribution of Secret Mark to a Bald Swindler », dans JSHJ 6 (2008) 106-125. C’est une contestation de l’identification faite par Carlson d’un certain scribe nommé M. Madiotes avec Morton Smith luimême. Dans son rapport sur les manuscrits de Mar Saba qu’il cataloguait, Smith parle, à propos du manuscrit numéroté  22, pourtant daté de 1656, d’un scribe nommé M. Madiotes qu’il identifie, entre parenthèses, comme « hand-writing of the 20th cen. » ! Carlson pense qu’il s’agit d’un indice planté là volontairement par Smith, un clin d’œil à l’adresse des happy few capables de découvrir que c’est bien lui qui a forgé la lettre de Clément, voir C, The Gospel Hoax, p. 43. 156. Voir E, Lost Christianities, p. 81. C’est ce qui ressort encore de la Secret Mark Conference tenue à l’Université York, à Toronto (le 29 avril 2011), où tous les participants sont restés sur leur position : authenticité (selon C.W.  Hedrick, H.  Shanks, M.  Meyer, A.J.  Pantuck et S.G.  Brown), ou, plus plausiblement, falsification (selon C. Evans, B. Chilton, P. Piovanelli et P. Jeffery).

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4.1 État actuel de la recherche Dans l’état actuel des choses, voici néanmoins ce qu’il me paraît responsable de dire, concernant les deux questions en jeu : 1) d’abord la question patristique ou celle de l’authenticité de la lettre de Clément. Ceci relève des spécialistes du christianisme d’Alexandrie. C’est à ce chapitre qu’appartiennent les dix questions soulevées par Ehrman157. Mais il faut reconnaître, ce qui serait peut-être en faveur de l’authenticité, que, parmi les Pères de l’Église, Clément est celui chez qui se retrouve le plus fortement ce qu’on peut appeler « la dimension ésotérique du christianisme ». Clément, en effet, utilise très souvent le vocabulaire des cultes à mystères, bien que dans un sens métaphorique d’ordinaire, et parle aussi d’enseignement réservé aux chrétiens avancés et d’une gnose secrète158. 157. Voir la note  149. Aussi : Annick M, « À propos de la lettre attribuée à Clément d’Alexandrie sur l’évangile secret de Marc », dans P – P (dir.), L’évangile selon Thomas et les textes de Nag Hammadi, 277-300. Dans cet article très nuancé, la patrologue s’interroge sur « l’implication de la lettre sur l’histoire des origines et des traditions chrétiennes de l’Église d’Alexandrie » (p.  281). Elle estime que le lien entre l’évangile de Marc et l’Église d’Alexandrie relève de la légende (p. 293). Mais plus précisément, elle met en doute l’existence même d’un codex de lettres de Clément, qu’ignore totalement Eusèbe  de Césarée, lequel cite bien les œuvres de Clément, mais « ne renvoie à aucune lettre » (p. 296 et 300), ajoutant que, « dans ces conditions, l’hypothèse d’un faux moderne reprend de la vigueur » (p.  300). Par ailleurs, l’argument de S, Clement of Alexandria, n.  94, p.  285, 288, selon lequel Jean  Damascène aurait résidé et travaillé au monastère de Mar Saba, ne tient pas, comme semble bien l’avoir démontré Vassa S. C, « Jean Damascène », dans Richard G (dir.), Dictionnaire des philosophes antiques, Paris, CNRS Éditions, 2000, vol.  3, 989-1012. Dans cet article hautement technique, Conticello établit que Jean Damascène a été moine et prêtre de l’Église patriarcale de l’Anastasis de Jérusalem de 705 à 735 environ, soit de l’âge de 50 ans à l’âge de 80, et met en doute le séjour à Mar Saba aux p. 991, 992, 999, 1001 et 1002. À tout ceci, il faut encore ajouter le long et minutieux article de Francis  W, « Beyond Suspicion. On the Authorship of the Mar Saba Letter and the Secret Gospel of Mark », dans JTS 61 (2010) 128-170, qui, sur la base d’une comparaison entre les écrits incontestés de Clément  d’Alexandrie et les propres travaux de Morton Smith, conclut, au-delà de tout doute possible, dit-il (« Beyond Suspicion » !), que la lettre de Clément à éodore est un faux, et un faux de la main de Morton Smith. 158. Je serais plus réticent quant à l’emploi ici du mot « ésotérique », mais le court exposé que fait K, « L’Évangile secret de Marc », p. 89-92, sur le recours, par Clément, « à la terminologie des mystères », me paraît convaincant. Il faut peut-être rappeler, cependant, que plusieurs textes du NT parlent tout naturellement de degrés dans l’enseignement chrétien, des « tout premiers éléments des paroles de Dieu », par exemple, et de « lait » opposé à « la nourriture solide » (He 5,12-13) ou « d’enseignement élémentaire » opposé à « une perfection d’adulte » (He 6,1). Mais cet enseignement supérieur n’y est jamais présenté comme quelque chose de secret, d’ésotérique. La nature même de l’Évangile qui doit être prêché partout au grand large (voir les panta de Mt 28,20) « prevented any enduring form of esoteric Christianity », selon Charles K, dans

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2) puis la question exégétique ou le rapport du Marc secret avec le Marc canonique. Écoutons d’abord ce que nous en dit Clément : À éodore (l’inconnu) qui l’interroge à propos des choses que les carpocratiens répètent sur l’Évangile de Marc, Clément raconte ce qu’il sait de cet évangile : a) que Marc, à Rome, a mis par écrit les actes du Seigneur, pour faire croître la foi de ceux qui reçoivent l’enseignement (les catéchumènes), mais non les actes secrets du Seigneur. Première édition, donc, sous forme publique. C’est l’original, le Marc canonique. b) mais qu’après le martyre de Pierre, Marc vint à Alexandrie où il composa un évangile plus spirituel à l’usage de ceux qui se perfectionnent (συνέταξε πνευματικώτερον εὐαγγέλιον εἰς τὴν τῶν τελειουμένων χρῆσιν)159. Deuxième édition, ce serait la forme ésotérique. Il y a donc ici amplification, sur la première édition. C’est le texte long. Il comprend un premier extrait (la résurrection d’un jeune homme et son initiation nocturne au mystère du Royaume de Dieu), qui s’inscrirait en Mc  10 entre les versets 32-34 et 35-45 du Mc canonique. Ce premier extrait se termine ainsi : « Après cela viennent les mots “Et Jacques et Jean The Journal of Religion 78 (1998) 269, compte rendu du livre de Guy G. S, Hidden Wisdom. Esoteric Traditions and the Roots of Christian Mysticism (Studies in the history of religions, 70), Leiden, Brill, 1996. Grand connaisseur des Pères de l’Église, Kannengiesser affirme même que cette collection des essais de Stroumsa « demonstrates in perfect clarity, though unwillingly it seems, that a quest for proper esotericism in early Christianity leads nowhere » (p. 269). Je dois cette référence à P, « L’évangile secret de Marc », p. 252 n. 98, qui rejette cependant l’opinion de Kannengiesser et cite à l’encontre un article de R.A. B, « e Secret Oral Tradition of Jesus in Clement of Alexandria’s Stromateis », dans Pauline A – Wendy M – Lawrence C (dir.), Prayer and Spirituality in the Early Church, Vol. 2, Brisbane, Australian Catholic University, 1999, 229-243. Mais Baker n’est pas convaincant : il parle sans distinction de tradition orale (citant Papias, Irénée, Origène), tradition qu’il identifie trop facilement à la tradition secrète, ésotérique, ce qui n’est pas le cas dans les textes qu’il cite (sauf, bien sûr, dans la lettre de Clément à éodore qu’il estime authentique). Voir aussi : Jérôme R-L, Ésotérisme et christianisme. Histoire et enjeux théologiques d’une expatriation (Cogitatio fidei, 258), Paris, Cerf, 2007. S’appuyant explicitement sur Guy G. S à qui il emprunte la plupart de ses références patristiques (p. 261 n. 3), Rousse-Lacordaire affirme que « l’on a cru, à partir du IIe siècle EC, que Jésus avait transmis à ses apôtres un enseignement secret qui fut ensuite transmis oralement » (p. 268). Encore ici, ce que les Pères appellent « mystère » (ce que par nature on ne peut pas dire) est souvent assimilé à enseignement ésotérique (ce qu’on ne doit pas dire). Rousse-Lacordaire évoque aussi, dans ce contexte, l’Évangile secret de Marc, mais sans discuter l’authenticité de la lettre de Clément (p. 279-281, 291-292). Il conclut son parcours sur « Un ésotérisme originairement chrétien » (p. 261-292) en affirmant, correctement à mon avis, malgré que cette conclusion aille un peu à l’encontre de l’orientation générale de sa thèse, que « précisément parce qu’il s’agirait d’enseignements réservés et oraux, il n’est aucune preuve documentaire que de tels enseignements aient effectivement été le fait de Jésus et de ses premiers disciples ; les indices le suggèrent mais ne le prouvent pas » (p. 292). 159. Ce langage de perfection est le langage tout à fait caractéristique de l’Épître aux Hébreux : voir la τελείωσις en He 7,11 et les emplois de τελειόω en 2,10 ; 5,9 ; 7,19.28 ; 9,9 ; 10,1.14 ; 11,40 ; 12,23.

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s’approchent de lui” [Mc  10,35] et toute la péricope (καὶ πᾶσα ἡ περικοπή). Quant aux mots “nu à nu” et aux autres propos desquels tu m’as écrit, ils ne s’y trouvent pas (τὸ δὲ “γυμνὸς γυμνῶι” καὶ τἆλλα περὶ ὦν ἔγραψας οὐχ εὑρισκέται) ». Puis, sans coupure, vient l’annonce du deuxième extrait : « Après “et il [au singulier] arrive à Jéricho”, il ajoute seulement (μετὰ δὲ τό “και ἔρχεται εἰς Ἰεριχώ”, ἐπάγει μόνον) » et suit le deuxième extrait (« Et là se trouvaient la sœur du jeune homme que Jésus aimait, et sa mère, et Salomé. Et Jésus ne les reçut pas. »), à placer donc comme au beau milieu de Mc 10,46, réglant du coup le problème de ce verset qui fait entrer Jésus et ses disciples à Jéricho et en fait sortir Jésus seul, immédiatement, sans rien dire de ce qu’il a fait là. c) mais, ajoute Clément, Carpocrate a réussi à enjôler un presbytre de l’Église d’Alexandrie et à mettre la main sur une copie de cet évangile spirituel (ἀπόγραφον τοῦ μυστικοῦ εὐαγγελίου). Troisième édition, c’est la forme en usage dans la secte gnostique libertine des carpocratiens160.

Ce serait ce que dit Clément. Mais comment Smith comprend-il les choses ? Quelle version, selon lui, a été la première ? On écrit souvent que Smith pensait que le Marc secret, le texte long, était l’original161. En fait, la position de Smith restait ambiguë. Tantôt, s’en tenant aux considérations stylistiques, il voyait le Marc long comme une expansion du Marc original162. Puis, se rabattant sur le contenu, c’est le texte long qui devenait l’original et le Marc canonique en était une abréviation, un abrégé163. En 1975, répondant à R.H. Fuller, il affirmait ne pas soutenir que le « longer Mark was earlier than canonical Mark and canonical Mark an abridgement of the longer form » et maintenait, comme Clément, que le texte long avait été « produced by expansion of canonical Mk ». Mais il ajoutait aussitôt : « the expansion used at least some earlier material164 », d’où tout cet imbroglio. Malgré cet enfantement difficile, Scott  Brown, au terme d’une étude minutieuse de la « Longer Mark’s Relation to Canonical Mark », conclut que, pour Smith, le Marc long était une expansion plus tardive de l’évangile canonique165.

160. Les carpocratiens sont une secte gnostique dont la doctrine, prônant la communauté des biens et des femmes, est évoquée notamment dans le roman pseudo-clémentin, Rec. X, 5,5 (G – K (dir.), Écrits apocryphes chrétiens  II, p.  1956). Voir C, Stromates III, 2, 5-11. 161. Ainsi E, dans Lost Christianities, p. 79. 162. S, Clement of Alexandria, p. 145 ; I, Secret Gospel, p. 43, 142. 163. S, Clement of Alexandria, p. 193 ; I, Secret Gospel, p. 70-71. 164. Voir Morton S, « Response », dans Reginald H. F (dir.), Longer Mark. Forgery, Interpolation, or Old Tradition ? Protocol of the Eighteenth Colloquy, 7 December 1975, Berkeley, Center for Hermeneutical Studies and Modern Culture, 1976, 12-15, p. 12-13. 165. B, Mark’s Other Gospel, p. 111. Voir aussi P, « L’évangile secret de Marc », p. 57 n. 9.

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C’est Helmut Koester qui aurait été le premier à renverser carrément les choses, en 1980. Pour lui, le Marc secret a précédé le Mc canonique. Ce dernier en est un abrégé, une version censurée, « purifiée », une révision qui aurait éliminé les passages cités par Clément susceptibles d’être mal interprétés166. C’est aussi, avec des nuances importantes, la position de Crossan167, celle encore de Robert W. Funk et du Jesus Seminar168. Scott Brown, quant à lui, maintient que « longer Mark was an Alexandrian expansion of the canonical gospel by an author who had independent access to oral traditions also used in the Gospel of John169 ». Quel aurait été l’auteur de ce Marc secret et quand ce document auraitil été composé ? S.G. Brown retient la position qu’on trouve dans la lettre attribuée à Clément d’Alexandrie : l’auteur de l’évangile secret est bien Marc, celui qui est aussi l’auteur du Marc canonique, quelle que soit, 166. Helmut K, « History and Development of Mark’s Gospel (From Mark to Secret Mark and “Canonical” Mark) », dans Bruce C (dir.), Colloquy on New Testament Studies. A Time for Reappraisal and Fresh Approaches, Macon, GA, Mercer University Press, 1983, 35-57, article suivi d’une discussion en séminaire, p.  59-85. Il dit clairement que le « canonical Mark is derived from Secret Mark » et que le « “canonical” Mark was a purified version of that “secret” Gospel » (p. 56 et 57). Il a repris plusieurs fois son histoire de l’évangile de Marc, entre autres dans Helmut K, Ancient Christian Gospels. Their History and Development, London, UK – Philadelphia, PA, SCM – Trinity Press International, 1990, p. 273-286 et 293-303, ce qui est résumé en une seule page : Helmut K – Stephen J. P, « e Mystical Gospel of Mark », dans Robert J. M (dir.), The Complete Gospels. Scholars Version, San Francisco, CA, HarperSanFrancisco, 1994, 411-416, p. 413-414. Koester précise, en cette page, que le Marc canonique n’est pas le descendant direct de la version utilisée par Mt et Lc, lesquels auraient utilisé un premier Marc (ou « Ur-Mark »), mais plutôt de l’Évangile secret. Concernant cette sorte de « Ur-Mark » proposé par Koester, en se basant en partie sur des relations possibles entre le Marc canonique et l’Évangile secret, Tuckett vient de rappeler délicatement à l’Oxford Conference in the Synoptic Problem (2008) que, « given the enormous uncertainty today about the authenticity of the Clement letter and the text of the SGM [Secret Gospel of Mark] in it, it would probably be unwise to build too much on this evidence » : T, « e Current State of the Synoptic Problem », p. 36. 167. Voir l’exposé de C, The Historical Jesus, p. 328-332, 411-416 et 429-430, qui suggère que l’extrait cité par Clément était utilisé « in the nude baptismal practice of his community and thereby received an erotic interpretation among some believers » (p. 329). D’où le texte censuré du Marc canonique ! 168. R W. F (dir.), The Acts of Jesus. The Search for the Authentic Deeds of Jesus, San Francisco, HarperSanFrancisco, 1998, p. 117. 169. B, Mark’s Other Gospel, p.  120 (je souligne) ; aussi : I, « e Longer Gospel of Mark and the Synoptic Problem », dans F et al. (dir.), New Studies in the Synoptic Problem, 753-781, où il maintient cette idée d’expansion du Mc canonique par le Mc spirituel mais, se rapprochant de Koester (revoir références en n. 166), il propose cette fois que le Mc canonique lui-même (« the published gospel ») serait une expansion de la première version de Mc, celle utilisée par Mt et Lc. À mon avis, Brown détruit luimême son hypothèse en avouant, dans sa dernière phrase, ne pas pouvoir expliquer pourquoi (why) ou comment Mt et Lc auraient pu, tous les deux, avoir accès à cette première forme de Mc plutôt qu’à l’évangile publié (Ibid., p. 779).

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historiquement, la personne que ce Marc représente170. Quand ce Marc secret a-t-il été écrit ? Quelques années à peine après le Marc canonique. Dans le cadre de la théorie des Deux-Sources, ce serait au début des années 70. Avant Jean, en tout cas, et le Marc secret pourrait représenter un intermédiaire entre les synoptiques et Jean171. 4.2 Mais le Jésus de l’histoire ? Au jugement des historiens, un document comme celui du Marc secret, inaccessible et dont on ne peut établir l’authenticité, reste un texte fantôme, intéressant comme tous les fantômes, mais sur lequel on n’a aucune prise et à partir duquel on ne peut rien bâtir de solide. Pour le moment, la disparition des feuillets originaux rend impossible toute datation scientifique du manuscrit, ce qui laisse subsister le soupçon de contrefaçon. Supposons néanmoins que ce texte soit authentique – at dato, non concesso – qu’apporterait-il à l’image de Jésus ? Piovanelli remarque que la récolte est plutôt maigre pour ce qui est du Jésus historique « et se limite à la question de savoir si nous pouvons lui attribuer des rituels d’initiation de type baptismal172 ». Deux points, il me semble, sont à considérer, celui d’une pratique possible d’un enseignement ésotérique de la part de Jésus et celui du Jésus baptiseur. La lettre de Clément parle de différents degrés d’enseignement dans l’Église d’Alexandrie, de diverses versions de Mc, dont l’une réservée à des initiés. De même l’initiation nocturne du jeune homme, à qui Jésus enseigne le royaume de Dieu, présente Jésus comme un maître de la gnose. Les évangiles canoniques ne disent-ils pas précisément que Jésus réservait 170. B, Mark’s Other Gospel, p. 230. 171. Ibid., p. 235. 172. P, « L’évangile secret de Marc », p. 252 ; voir aussi Per B, « Was Jesus a Magician ? », dans Strange Tales about Jesus. A Survey of Unfamiliar Gospels, Philadelphia, PA, Fortress, 1983, p. 96-103 et 129-130. Dans ce chapitre qu’il consacre à l’Évangile secret, Beskow affirme que le fragment n’apporte aucune connaissance nouvelle sur Jésus (p. 103). Dans une recension, Morton S, dans JBL 103 (1984) 624, lui a répondu que « the new gospel fragment brought a completely new understanding of Jesus’ use of baptism as a mystery rite by which his followers were united to him, admitted to the kingdom of Heaven, and freed from the law ». Par ailleurs, P, « L’évangile secret de Marc », dans sa conclusion, parle d’une « redécouverte de la dimension authentiquement humaine et juive du Jésus historique », qu’aurait permise « l’exploitation » du document problématique de la Lettre à Théodore (p. 254). Je ne vois pas bien ce que l’auteur entend ici par « dimension authentiquement humaine et juive ». Serait-ce une allusion aux « pratiques shamaniques de Jésus » (p. 254), mises en évidence par les travaux de Smith sur les miracles de Jésus, en particulier dans Morton S, Jesus the Magician, New York, NY, Harper & Row, 1978, et qu’on retrouverait ici dans l’initiation nocturne ?

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aux disciples un enseignement différent de celui qu’il accordait à la foule ? On pense immédiatement au parler en parabole en Mc 4,11, où Jésus dit : « À vous, le mystère du Règne de Dieu est donné, mais pour ceux du dehors tout devient énigme (paraboles) […] » L’exégèse cependant a bien expliqué, à mon avis, que l’enseignement en paraboles est un procédé essentiellement didactique173. Jésus parle en paraboles pour se faire comprendre et quand, dans certains cas, il donne une explication, c’est devant le même auditoire qu’il le fait. D’ailleurs, tout de suite après en Mc 4,13, quand Jésus reproche aux disciples de ne pas avoir compris la parabole, il devient clair que celle-ci aurait dû être comprise sans plus d’explications. En Mt 13,11.13, il est vrai, il semble qu’on ait bien deux formes d’enseignement : la révélation des « mystères » du Royaume au petit groupe des disciples, et un enseignement en paraboles, voilé, peu compréhensible aux foules. Pour M.-É Boismard, ceci s’explique par un contexte de littérature « apocalyptique » (cf. Mt 11,25-26//Lc 10,21 = Q, où il est parlé de choses cachées aux sages et de révélation [ἀποκαλύπτω] aux « tout-petits ») et il rattache la formulation matthéenne du logion à des courants apocalyptiques de l’Église primitive, mais « non à Jésus lui-même174 ». J’ai déjà noté plus haut que si les textes du NT parlent de degrés dans l’enseignement chrétien, il ne s’agit jamais d’enseignement ésotérique réservé à des initiés. Autre point, le Jésus baptiseur. Au dire de Smith, l’initiation nocturne dans le Marc secret est bien une scène de baptême, où le baptisé s’unissait spirituellement à Jésus, une expérience qui entraînait un voyage visionnaire avec lui dans le royaume de Dieu, voyage magique. Une union spirituelle qui pouvait même culminer, dit Smith, dans une union physique175. Il est vrai qu’historiquement Jésus a été disciple de Jean le Baptiseur. On  connaît aussi le passage du 4e  évangile affirmant que Jésus baptisait

173. Voir B – L – S, Synopse des quatre Évangiles en français, t. II, p. 184-185. 174. Ibid., p. 185. 175. Voir S, The Secret Gospel, p.  114 et p.  113 n.  12. Aspect érotique souligné par E, Lost Christianities, p. 80-81. S.G. B, « e Question of Motive in the Case against Morton Smith », soutient qu’il ne faut pas donner au mot libertin employé par Smith un sens d’immoralité ou de promiscuité, mais que dans l’usage de Smith le mot désigne seulement « Jews (and Gentile Christians) who did not feel constrained to keep the Mosaic Law » (p. 356). Ce sens adouci n’est pas celui que Smith lui-même donne à ce mot libertin, comme on peut le voir dans sa correspondance avec G. Scholem : Guy G. S, Morton Smith and Gershom Scholem. Correspondence 1945-1982. Voir la lettre 72 (13 juin 1961), p. 128, et la note 301 où Stroumsa rapproche le mot libertin des « homoerotic practices between Jesus and his disciples ». Voir aussi la lettre 97 en date du 12 juillet 1974 – cette fois après la publication des ouvrages sur le Marc secret – où Smith lui-même appelle l’eucharistie « a rite of erotic magic » (p. 161). Ce qu’il développera dans S, Jesus the Magician, p. 122-123 n. 122.

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(Jn 3,22), suivi du verset curieux où l’auteur, après avoir répété que Jésus baptisait, se corrige aussitôt pour dire que Jésus lui-même ne baptisait pas, mais ses disciples (Jn 4,1-2). Selon ce que j’en lis en Piovanelli176, le Marc secret apporterait ici un « témoignage historique » important à la thèse de John Dart177 qui pense pouvoir retrouver les traces d’un rituel baptismal initiatique, dans les documents les plus anciens des origines chrétiennes : chez Paul, en Marc, dans la source Q et l’Évangile selon omas. Rattachet-il ce rituel à Jésus, en suivant une trajectoire baptismale commençant peut-être avec Jean Baptiste178 ? Il est vrai que Jésus, dans la péricope de Marc qui suivrait immédiatement l’extrait du Marc secret (Mc 10,35-45), parle d’un baptême : « Pouvez-vous… être baptisés du baptême dont je vais être baptisé ? » Mais par ce baptême Jésus désigne alors sa propre mort. On change de registre et il ne s’agit pas là d’un rite. C’est cette théologie de la plongée dans la mort-résurrection du Christ qu’on trouve rattachée, chez Paul, au rite du baptême en Rm 6,1-5. Cette fois, il s’agit de rite, mais non d’initiation secrète. D’ailleurs, on se souvient que Paul ne semble pas trop porté sur le baptême d’après ce qu’il dit en 1 Co 1,13-17, lui que le Christ n’a pas envoyé « baptiser, mais annoncer l’Évangile ». Ce qui serait étonnant, me semble-t-il, si un rituel initiatique avait été lié à la fondation de ses Églises. Je ne sais pas de quel texte il est question pour la source Q. Quant à l’Évangile selon omas, on évoque le logion 37 où Jésus parle du temps « où vous ôterez vos vêtements… et les piétinerez ». C’est Jonathan Z. Smith, il semble, qui serait à l’origine de l’interprétation baptismale de ce log. 37179. Dans son commentaire de omas, April  DeConick rejette expressément cette interprétation de Jonathan  Smith et se réfère aussi à Margaretha Lelyveld (une disciple de Jacques Ménard), qui, dans sa thèse, hésite à voir dans le log. 37 « une description de liturgie baptismale180 ». Pour Claudio Gianotto, comme pour Jean-Marie Sevrin, le « vêtement » dont il est parlé ici est un symbole du corps et le fouler aux pieds, c’est mépriser le corps par la pratique ascétique181.

176. P, « L’évangile secret de Marc », p. 240. 177. D, Decoding Mark. 178. P, « L’évangile secret de Marc », p.  58 : « Le fait que la pratique du baptême, qui remonte à Jean le Baptiste, ait été reprise par les premiers chrétiens révèle l’existence d’une trajectoire qui va de Jean à Paul en passant par Jésus lui-même. » 179. Jonathan Z. S, « e Garments of Shame », dans History of Religion 5 (1966) 217-238. S, Clement of Alexandria, p. 176, renvoie aussi à ce logion. 180. DC, The Original Gospel of Thomas in Translation, p.  153. Margaretha  L, Les logia de la vie dans l’Évangile selon Thomas. À la recherche d’une tradition et d’une rédaction (Nag Hammadi Studies, 34), Leiden, Brill, 1987, p. 84. 181. G, « Évangile selon omas », p. 41 ; S, « Évangile selon omas (NH II, 2) », p. 316.

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Dans Le mystère apocryphe, J.-D.  Kaestli fait aussi l’hypothèse que l’amplification du Marc canonique aurait été composée dans le style de Marc pour répondre à un besoin précis de l’Église d’Alexandrie, celui « d’ancrer l’institution baptismale dans la pratique de Jésus ». « Le texte de l’Évangile secret se présente donc comme une sorte de récit d’institution. L’origine du baptême chrétien est inscrite dans le ministère de Jésus ; il a lui-même pris l’initiative de célébrer ce rite d’initiation, comme l’indique l’ordre donné au jeune homme (III, 7)182. » Une amplification qui relèverait donc des préoccupations de l’Église d’Alexandrie, reportant dans le temps de Jésus l’origine de ses rites. « Il est exclu, conclut cependant Kaestli, de voir dans ce récit un reflet de la pratique du Jésus historique, comme le voudrait Morton Smith183. » Un discours ésotérique, une pratique baptismale ? Sur ces deux points, susceptibles de rejoindre le Jésus de l’histoire, il ne semble donc pas que l’Évangile secret de Marc (s’il existe bien et n’est pas une création de faussaire) puisse vraiment modifier le portrait du Jésus canonique. 5. La Source Q Je termine avec la Source Q, qui n’est pas un apocryphe proprement dit (bien qu’on puisse l’estimer aussi secrète et cachée), mais un texte qui n’existe pas, malgré qu’on en ait depuis peu une édition critique184 ! Celle-ci est le fruit d’un énorme travail et est très importante, mais elle serait dangereuse si elle nous faisait oublier que la source Q reste une hypothèse seulement, hypothèse proposée pour la résolution d’un problème immense : le problème synoptique185. 182. K, « L’Évangile secret de Marc », p. 99. 183. Ibid. 184. Voir R – H – K (dir.), The Critical Edition of Q. 185. Ce serait grand dommage, note T, « Q and the Historical Jesus », p. 219, si le volume intitulé The Critical Edition of Q était perçu comme mettant fin aux discussions. Malgré sa grande valeur, il ne représente en fin de compte qu’une vue parmi d’autres et ne peut prétendre qu’à être A Critical Edition ! Il faut peut-être se rappeler l’énormité de ce qui est en jeu quand on parle du problème synoptique. Il s’agit, en fait, d’essayer d’expliquer le développement de l’ensemble de la tradition sur Jésus dans sa globalité, depuis la personne de Jésus lui-même, en passant par une période de temps qui précède les synoptiques, quand les traditions concernant Jésus peuvent avoir été transmises en partie oralement et en partie déjà sous forme écrite, à travers l’époque de la composition des synoptiques eux-mêmes, puis à travers cet autre temps où circulaient encore des traditions indépendantes (incluant celles qu’on retrouvera dans des documents non canoniques), pendant que circulaient aussi et qu’étaient copiés les textes évangéliques, jusqu’à l’époque où nous avons enfin des données concrètes sous la forme des manuscrits évangéliques, au IIIe siècle et après. Autrement dit, dans le jargon des exégètes, il s’agit d’un continuum impliquant recherche du Jésus de l’histoire, critique des

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Ce n’est pas le lieu de reprendre le débat sur l’existence de cette Source Q186. Sur le problème synoptique, je m’en tiens pour ma part à la théorie des Deux-Sources, qui postule la priorité de Mc et une source de paroles de Jésus, la source ou Quelle. Cette théorie n’est pas complètement sans problèmes, mais elle reste, à mon avis, la solution la meilleure187. J’estime que si Mt et Lc sont indépendants l’un de l’autre, mais se suivent néanmoins mot à mot en de longs passages absents de Mc, ils doivent avoir un même texte devant eux, dépendre d’une même source littéraire. La tradition orale ne pourrait expliquer ces passages identiques. Mais la recherche récente ne s’est pas contentée d’affirmer l’existence d’une source commune à Mt et à Lc, elle s’est efforcée, en d’innombrables études, d’en décrire la nature, d’en reconstruire le texte, de préciser les étapes de sa composition, d’en analyser le contenu et de la rattacher même à une communauté particulière de disciples de Jésus, professant un autre kérygme que celui de Paul et des évangiles canoniques, sans mort ni résurrection de Jésus. Il n’est évidemment pas question de s’aventurer ici dans les abîmes de cette recherche188. Je m’en tiendrai à l’aspect qui semble avoir influencé formes, critique des sources, critique de la tradition, critique de la rédaction, histoire de la réception et critique textuelle. De quoi, si j’ose dire, alimenter nos modesties ! Je paraphrase ici légèrement les remarques de T, « e Current State of the Synoptic Problem », p. 15, sur la « simplicité » des solutions offertes au problème synoptique. 186. F, dans Q. A Reconstruction and Commentary, p.  41-68, défend « e Existence of Q », avec de puissants arguments. 187. Voir la présentation sur l’existence de cette source, appelée à la rescousse pour expliquer les accords entre Mt et Lc qui ne relèvent pas de l’emploi commun de Mc, et les réponses données aux principales objections des tenants des autres théories, que propose T, « e Current State of the Synoptic Problem ». Il conclut son intervention en affirmant que la théorie des Deux-Sources, ou des Deux-Documents, malgré les variantes qu’elle peut comporter, spécialement pour ce qui regarde le statut, la nature et l’extension de la source Q, demeure probablement la théorie la plus largement acceptée. Tuckett prend soin néanmoins de rappeler que toutes les solutions du problème synoptique sont « provisional » (p. 50), provisoires, et qu’il existe sans doute, entre nos solutions et la réalité historique, un gouffre infranchissable. Une remarque récente d’April DC, mise en ligne sur The Forbidden Gospels blog, 4 avril 2008, pourrait laisser entrevoir la profondeur de ce gouffre. Elle affirme que le problème synoptique est insoluble, du fait qu’on ne possède pas les manuscrits du Ier siècle, encore moins les autographes, d’autant plus d’ailleurs que le processus de transmission du matériel évangélique ne relevait pas seulement de copies manuscrites, mais également d’une « creative reperformance », où se mêlaient oralité et textualité. Conclusion de T, « e Current State of the Synoptic Problem », p. 50 : toutes les solutions ont leurs faiblesses, même s’il a essayé de montrer « that the weaknesses of the 2DH [Two Document Hypothesis] are possibly less than those of other competing hypotheses today ». Cette conclusion n’est pas infirmée par l’article de E, « e Synoptic Problem Without Q ? », p. 551-570. 188. Je m’y suis risqué en deux articles : M, « Quelle(s) communauté(s) derrière la Source Q » (repris au chapitre 6 de ce livre) ; I, « Effervescence in Q Studies » – une révision de cet article, en français, a paru dans ETR 86 (2011) 145-194 (repris au chapitre 5 de ce livre).

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le plus la quête du Jésus historique, celui de la stratification de cette source primitive. C’est la thèse de J.S. Kloppenborg, parue sous le titre The Formation of Q, qui a eu sur ce point le plus d’influence189. L’auteur distinguait trois strates dans le document Q. Une première, qualifiée de sapientielle et constituée d’éléments parénétiques, d’instructions et d’exhortations ; puis une deuxième, caractérisée par divers éléments « prophétiques » : annonces de jugements, cycle de Lot et vue deutéronomique de l’histoire (violence faite aux prophètes) ; un troisième niveau enfin, moins développé, comportant quelques éléments narratifs (principalement le récit de la tentation) et des passages touchant la Loi (Q 11,42c ; 16,17)190. La stratification proposée par Kloppenborg semblait ouvrir une voie royale pour rejoindre le Jésus de l’histoire et nombre de chercheurs, membres du Jesus Seminar en particulier (Burton L. Mack, Leif Vaage, John Dominic Crossan, Marcus Borg) s’y engouffrèrent avec passion. En s’en tenant à Q1, le niveau sapientiel présumé le plus ancien, on en déduisait, puisque ce document nous ramenait « as close to the historical Jesus as we will ever be », disait B.L. Mack191, que le Jésus réel avait été un sage itinérant à la manière des philosophes cyniques. C’est après coup seulement que la tradition lui aurait indûment rattaché des préoccupations apocalyptiques ou eschatologiques192 . Le Jésus que la strate la plus 189. La dissertation doctorale de Kloppenborg (1984) s’intitulait « e Literary Genre of the Synoptic Sayings Source » mais, reçue par Robinson dans les Studies in Antiquity and Christianity, elle devint The Formation of Q. Trajectories in Ancient Wisdom Collections. K V a repris tout son exposé sous le titre « e Composition and Genre of the Sayings Gospel Q », dans Excavating Q, 112-165. 190. Selon M, The Lost Gospel, p. 44, ce serait en 1988, dans le Q Seminar de la Society of Biblical Literature, pour qui « the three layers of textual tradition in Q had already become an acceptable working hypothesis », que les notations devenues communes, Q1+Q2+Q3, ont été créées « in order to refer to each layer ». Tuckett, qui propose de réserver le sigle Q à la forme finale du texte, tel qu’il fut utilisé par Mt et Lc, s’est toujours montré très réticent face à cette stratification du document ; voir T, « Q and the Historical Jesus », p. 220, où il renvoie à I, Q and the History of Early Christianity, p. 70-75, et à I, « On the Stratification of Q ». F, Q. A Reconstruction and Commentary, défend, de façon très convaincante, l’unité à la fois littéraire et théologique de la source Q et rejette toutes les hypothèses de stratification (voir le chapitre « Compositional History », p. 172-180). 191. M, Who Wrote the New Testament ?, p. 47. Voir aussi I, The Lost Gospel, p. 203. T, « Q and the Historical Jesus », p. 224, a bien souligné que, dans beaucoup d’études, l’équation est faite entre Q1 et le Jésus historique, alors que Q2 est regardé comme un développement post-pascal. 192. Ce n’était pas là le seul argument, mais cette stratification a certainement été perçue comme un facteur important dans leur présentation, même si K, « Discursive Practices in the Sayings Gospel Q », p. 159, estime que « it is an error […] to conclude that the stratification theory of Q is the logical basis of either Mack’s or Crossan’s proposals ». Voir les commentaires de T, Q and the History of Early

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ancienne du document Q permettait d’entrevoir était, comme le Jesus Seminar aimera le répéter, « a non-eschatological Jesus193 ». Pourtant, Kloppenborg lui-même a répété à plusieurs reprises que le sujet de ses études était la source Q et non Jésus, que ses analyses portaient sur l’arrangement littéraire et la composition de Q et non sur l’ultime provenance ou l’authenticité des paroles attribuées à Jésus, que du matériel appartenant au second niveau de composition (Q2) pouvait remonter à Jésus (être dominical) ou du moins être très ancien et que, par contre, des éléments du premier niveau (Q1) pouvaient être relativement récents, du point de vue de l’authenticité ou de l’histoire de la tradition. L’histoire de la tradition n’est pas convertible avec l’histoire littéraire, et c’est de cette dernière qu’il s’occupe194. S’il ne fut pas entendu par ceux qui se réclamaient de lui, Kloppenborg ne fut pas lui-même, à ce point de vue, sans défaut. Dans un article qu’il consacre expressément au Jésus de l’histoire, il se montre d’abord réservé : « Les efforts pour comprendre la dynamique théologique et l’histoire de la composition de Q ne peuvent pas [sic] être naïvement traduits en affirmations sur le Jésus historique195. » Pourtant, même après avoir affirmé très clairement qu’« il est injustifié de s’appuyer sur l’absence d’éléments en Q pour dire que ces éléments n’étaient pas connus des éditeurs ou encore moins que ces éléments ne peuvent être attribués

Christianity, p. 76 n. 23, sur M, The Lost Gospel, et p. 369-373 sur V, Galilean Upstarts. Il faut voir à ce propos la mise au point de Christopher M. T, « Jesus Tradition in Non-Markan Material Common to Matthew and Luke », dans H – P (dir.), Handbook for the Study of the Historical Jesus, vol.  3, 1853-1874, et sa remarque sur la défense de Mack par Kloppenborg (p. 1864 n. 36). 193. Voir B, Jesus in Contemporary Scholarship, 7-9, 30-31, 47-96, mais aussi F, The Five Gospels, p.  4, qui présente « [t]he liberation of the non-eschatological Jesus of the aphorisms and parables from Schweitzer’s eschatological Jesus [as] the fih [of his seven] pillar of contemporary scholarship ». 194. K, The Formation of Q, p. 244-245 : « To say that the wisdom components were formative for Q and that the prophetic judgment oracles and apophthegms describing Jesus’ conflict with “this generation” are secondary is not to imply anything about the ultimate tradition-historical provenance of any of the sayings. It is indeed possible, indeed probable, that some of the materials from the secondary compositional phase are dominical or at least very old, and that some of the formative elements are, from the standpoint of authenticity or tradition-history, relatively young. Tradition-history is not convertible with literary history, and it is the latter which we are treating here. » C’est une déclaration que Kloppenborg n’a cessé de reprendre pour se distinguer de ceux qui utilisaient sa stratigraphie, plus ou moins fidèlement d’ailleurs, pour accéder au Jésus de l’histoire : voir K V, Excavating Q, p. 351 n. 43, et I, « Discursive Practices in the Sayings Gospel Q », p. 159 n. 29. 195. K, « L’Évangile “Q” et le Jésus historique », p 245, qui est une reprise de I, « e Sayings Gospel Q and the Quest of the Historical Jesus », p. 323.

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à Jésus196 » , c’est malgré tout sur certains « silences » qu’il se base (silence relatif sur les miracles, une activité qui n’aurait donc pas caractérisé Jésus ; silence sur le caractère salvifique de la mort de Jésus ; absence de controverses sur le sabbat et rareté des logia sur la Tôrah) pour tracer un certain portrait de Jésus197. Ce qui l’amène à conclure : « Le rôle de Q dans la recherche sur le Jésus historique est donc crucial198 ». Ses derniers mots rejoindront ceux de B.L. Mack : En supposant que la communauté de Q se situait d’une façon ou d’une autre dans une continuité géographique et sociale avec les premiers disciples de Jésus et étant donné la tendance naturellement conservatrice du processus de transmission, on peut penser que le fossé entre Jésus et Q n’est probablement pas trop grand199.

Peut-être. Mais on devine encore, en ces mots, la tentation toujours présente de passer d’un texte à la réalité qu’il interprète. Pour retrouver le Jésus de l’histoire, et malgré le rêve des chercheurs, la source Q n’est pas en meilleure position que le reste de la tradition synoptique. Elle aussi interprète, elle théologise. On ne peut identifier le Jésus de Q avec le Jésus de l’histoire. Le Jésus de Q est une figure littéraire, tout comme celui de Mt, de Mc, de Lc ou de Jn200. Nous n’aurons jamais un accès direct à Jésus lui-même. Le Jésus que nous atteignons est un Jésus médiatisé par les yeux et le souvenir des témoins, que ce souvenir ait été conservé par le document reconstruit que nous appelons Q, par les synoptiques, l’évangile de Jean, le reste des textes du NT ou d’autres

196. K, « L’Évangile “Q” et le Jésus historique », p. 252. 197. Ibid., p. 252-258. On trouve dans K V, Excavating Q, p. 362, un bel exemple de ce passage du document Q au Jésus historique : « If Q’s silence concerning a salvific interpretation of Jesus’ fate makes it difficult or impossible to conclude that the historical Jesus considered his own death vicarious […], one might still wish to claim the notion of Jesus’ death “for us” (1 Cor 15:3) as a key Christian theologoumenon, but it would be difficult to affirm any rootedness of this doctrine in the historical Jesus. » Le silence de Q devient ainsi quasi normatif et impose ses limites sur ce qu’on peut savoir de Jésus. T, « Q and the Historical Jesus », p. 228-233 analyse l’argumentation de Kloppenborg sur ces silences de Q (sabbat, Tôrah…). Dans un plus récent ouvrage, K, Q, The Earliest Gospel. An Introduction to the Original Stories and Sayings of Jesus, c’est encore en se basant sur ces mêmes silences (« Q is also distinctive for what it lacks [sic] », p. 62) que l’auteur fait de Q un « évangile différent » (« a different Gospel with a different view of Jesus significance », p. 121), voir encore p. 62, 68, 70, 97. T, dans RBL (07/2009), a relevé l’ambiguïté du mot « original » dans le sous-titre, qui pourrait laisser croire que ce qu’on rattache à Q serait la forme la plus authentique, peut-être même la forme originale de la tradition de Jésus. 198. K, « L’Évangile “Q” et le Jésus historique », p. 257. 199. Ibid., p. 267 (je souligne). 200. Voir à ce propos F, Q. A Reconstruction and Commentary, p. 169172 (« Q and the Historical Jesus »).

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textes encore qui n’ont pas été retenus dans le canon des Écritures. HenriIrénée Marrou l’avait dit autrefois : « Les Évangiles ne sont pas un témoignage direct sur la vie du Christ, ils sont un document primaire, d’une valeur incomparable, sur la communauté primitive201. » Il en va de même de tous les autres textes chrétiens, évangiles ou non, reflets de ces Lost Christianities dont on parle tant, mais reflets de communautés qui sont plutôt du deuxième siècle, à mon avis, que du premier. Quel que soit son domaine de recherche, l’historien sait aujourd’hui qu’il lui sera toujours impossible de rejoindre le passé « wie es eigentlich gewesen » (Ranke), tel qu’il s’est réellement produit. Il n’en va pas autrement pour Jésus. Condamnés en ce sens à la modestie, il nous suffirait peut-être d’accepter avec sagesse, comme le dit James  Dunn en conclusion de son ouvrage, que « the only realistic objective for any “quest of the historical Jesus” is Jesus remembered202 ». La source Q, même en ses éléments les plus anciens, ne nous offre pas autre chose. 6. Conclusion Enrico Norelli, dans son article sur « La question des sources », à la fin du volume Jésus de Nazareth, décrit la quête du Jésus historique « comme une lutte incessante avec les sources ». Pour lui, « tous les textes, canoniques et apocryphes, deviennent, au même titre, des témoins des procédés d’élaboration des traditions sur Jésus dans le christianisme des origines203 ». La phrase est belle et je suis d’accord. Mais il poursuit en affirmant que « dans la pratique, la tâche la plus urgente est d’aller à l’encontre de la démarche traditionnelle et d’utiliser les apocryphes pour relativiser les canoniques – ce qui ne veut pas dire, dit-il, qu’il faille privilégier a priori les apocryphes204 ». Mais le mot relativiser entraînant une certaine dépréciation, n’est-ce pas quasi insinuer qu’il faut alors préférer les non canoniques ? Je pense, avec James Dunn, qu’on ne doit pas travailler avec le présupposé que Jésus [sous-entendu le vrai Jésus, celui de l’histoire] doit être différent du Jésus de la tradition synoptique205. Avec en tête cette idée, sans cesse reprise par Bart Ehrman dans ses Lost Christianities, que les vainqueurs ont écrit l’histoire et donc 201. M, De la connaissance historique, p. 102-103. 202. D, Jesus Remembered, p. 882. 203. N, « La question des sources », p. 568 et 571 (je souligne). 204. Ibid., p. 571. 205. « We should not work methodologically with any assumption that Jesus must have been different from the Jesus of the Synoptic tradition », D « “All that Glisters Is not Gold” », p. 147.

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que les textes supprimés et ignorés doivent avoir été les meilleurs du fait même de cette censure. Comme si le seul fait d’avoir perdu la bataille les rendait plus authentiques206 ! On a fortement critiqué John P. Meier pour n’avoir pas assez tenu compte, dans sa recherche, des écrits apocryphes. David  E.  Aune s’est spécialement moqué du « “nothing new” refrain » qui ponctue la discussion des sources chez Meier207. Stephen J. Patterson lui reproche aussi d’avoir complètement ignoré l’Évangile selon omas dans son œuvre208. Pierluigi Piovanelli, dans une critique très sévère, déplore le « traitement problématique » réservé par Meier aux écrits apocryphes en général et à l’Évangile selon omas en particulier et lui reproche de manquer à ce propos « de discernement critique209 ». Mais si le plus important de ces écrits, l’Évangile selon omas, reste, après minutieux examen, une plate-forme bien mince sur laquelle bâtir le Jésus de l’histoire, si le papyrus Egerton ne peut pas être retenu comme source primaire de la reconstruction de Jésus, si l’Évangile de Pierre est sans valeur historique pour ce qui regarde le Ier siècle, si l’Évangile secret de Marc reste pour l’historien une source inutilisable, si, finalement, ce que nous pouvons savoir de mieux de la source Q a été intégré dans les évangiles canoniques de Mt et de Lc, il me paraît difficile de ne pas donner raison à Meier. Il faut que l’historien reçoive en un premier temps tous les témoins qui se présentent à lui pour lui parler de Jésus, tous les témoins, au même titre, en un premier temps. Mais ce premier temps passé, après examen minutieux de ces témoins, le plus respectueusement, le plus scrupuleusement, le plus scientifiquement possible, l’historien n’est-il pas en droit d’en congédier quelques-uns, jugés non crédibles, et de leur préférer les témoins qui ont réussi l’examen ? Pour moi, le processus même qui a mené à la canonisation des écrits, processus étalé dans le temps et l’espace, est, par essence, une opération critique qui ne peut que conforter l’historien. Cette formation du canon a eu comme effet négatif, et il faut le regretter, la marginalisation et la perte de textes, importants pour les chrétiens qui les avaient produits et conservés. Ce que nous récupérons aujourd’hui de leurs manuscrits nous 206. Comme le note P, Thomas, The Other Gospel, p. 7, « while it is true that history is generally written by the winners, this fact does not make the losers any more right ». 207. David E. A, « Assessing the Historical Value of the Apocryphal Jesus Traditions. A Critique of Conflicting Methodologies », dans S – B (dir.), Der Historische Jesus, 244-258, p. 246. 208. P, « e Gospel of omas and Historical Jesus Research », p. 669-670. 209. Pierluigi P, « Œuvres en vue. À propos de quelques traductions récentes de livres nord-américains sur le Jésus historique », dans SR 35 (2006) 327-335, p. 333.

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permet de mieux comprendre comment les premiers chrétiens ont utilisé et développé leurs traditions, spécialement durant le deuxième siècle, la période qui a suivi immédiatement l’écriture des évangiles canoniques. Mais ces écrits retrouvés, qui n’ont pas été inclus dans le canon des Écritures chrétiennes ou, si l’on préfère, ces « évangiles devenus apocryphes210 » n’ajoutent guère, à mon avis, de traits nouveaux à la figure de Jésus211. Dans la « lutte incessante avec les sources », le chemin qui mène au Jésus de l’histoire passe toujours et de façon privilégiée, dois-je dire après tout ce parcours, non pour des raisons théologiques auxquelles n’obéit pas l’historien, mais en raison de leurs qualités documentaires, par les évangiles canoniques.

210. Voir N – L – K, Gospel Fragments. 211. C’est la constatation d’Andrew G et de Christopher  T, éditeurs de la série « Oxford Early Christian Gospel Texts », dans leur préface à N – L – K, Gospel Fragments, p. x : « […] we would say that, for the most part, the non-canonical gospels treated in this series are not likely to extend our knowledge about the person of Jesus significantly beyond that provided by the canonical gospels. » De même, N, « Traditions about Jesus in Apocryphal Gospels », p. 2116, conclut son panorama par ces mots : « In general, most of them contribute nothing that could take us beyond what we know from the canonical texts or lend new accents to the portrait of the historical Jesus. »

TROISIÈME PARTIE

LA GALILÉE

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SITUATION SOCIALE DE LA GALILÉE D’ANTIPAS ET DE JÉSUS Modèles sociaux et/ou archéologie* Le sous-titre, tel que proposé, semblerait opposer deux manières d’approcher la situation sociale de la Galilée du Ier siècle, celle, très spécialement, de la Galilée d’Antipas qui va de -4 à 39 EC et coïncide pratiquement avec celle de Jésus de Nazareth, exécuté probablement au temps de la Pâque juive de l’an  30. On pourrait penser que les modèles sociaux sont des constructions tout à fait hypothétiques, inventées de toutes pièces, alors que l’archéologie, elle, a les deux pieds sur terre et rejoint vraiment la réalité. Mais il suffit d’étudier quelque peu la question des modèles et de plonger dans l’histoire de l’archéologie, en essayant de démêler les différents courants qui l’agitent, pour s’apercevoir que les choses ne sont pas si simples, que les modèles sociologiques, d’une certaine manière, sont aussi ancrés dans la réalité historique et que l’archéologie est devenue de plus en plus déductive et se sert couramment de modèles. Par ailleurs, c’est dans une perspective de recherche historienne, celle du Jésus de l’histoire, que je me suis heurté aux mondes des modèles sociaux et de l’archéologie récente. La recherche sur Jésus, en effet, est devenue largement, ces dernières années, l’étude du contexte dans lequel Jésus a vécu, du contexte social, de la manière de vivre des gens de son pays. Si, historiquement, on veut comprendre quelque chose à son message, il faut forcément le mettre en lien avec la situation des gens auxquels il s’adressait. C’est ainsi que les recherches sur la Galilée d’Antipas, principal contexte de l’activité de Jésus, se sont multipliées depuis quelques années, dans un grand bouillonnement où se mêlent modèles théoriques et vestiges archéologiques. Dans une première partie, je jetterai un regard global sur les modèles sociaux et le statut actuel de l’archéologie dans le champ des sciences humaines, mais toujours dans la perspective de l’histoire. Regard sur la nature des modèles sociaux, leur valeur et leur apport précieux. Sur l’archéologie, non pas précisément sur les théories qui la motivent, mais sur ce qu’elle recueille sur le terrain, sur les restes, les vestiges, en un mot sur *

Texte paru dans Théologiques 21 (2013) 141-171.

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les traces du passé, cette réalité singulière, à laquelle l’histoire, qui n’est pas autre chose qu’une « connaissance par traces1 », s’intéresse. Dans une deuxième partie, je m’en tiendrai à la question de la relation entre les villes et villages de Galilée, telle qu’elle résulte du programme d’urbanisation d’Hérode Antipas, qui, au début de son règne, reconstruit Sepphoris (détruite en -4 lors des soulèvements qui suivirent la mort d’Hérode le Grand) et fonde ensuite Tibériade en 19/20 EC. Donc, situation sociale de la Galilée selon les modèles sociaux et situation sociale de la Galilée selon les archéologues du terrain. Ou, si l’on veut, les deux portraits qui circulent actuellement parmi les spécialistes de la Galilée d’Antipas. 1. Modèles sociaux et archéologie 1.1 Modèles sociaux 1.1.1 L’Idéaltype de Max Weber Ainsi que l’entend Max  Weber, la construction d’idéaltypes ou de modèles, utilisés dans la recherche sociologique, n’est pas un but dont on pourrait se satisfaire, mais uniquement un moyen de connaissance2. Confrontés à la réalité empirique ou historique, confrontation toujours nécessaire, les modèles ont une valeur heuristique importante. Retenons, avec Weber, que l’idéaltype3 ou les types idéaux ne sont pas déduits a priori, intellectuellement, logiquement, à partir de principes. Ils sont construits à partir de la réalité sociale dont, par synthèse et abstraction, on extrait et accentue certaines caractéristiques jugées représentatives d’un fait ou d’un ensemble de faits ayant cours dans l’histoire4. Les types idéaux ne naissent donc pas de la pure imagination, ils ont un ancrage dans l’histoire. Ils sont construits à partir de constatations réelles, mais, parce qu’idéaux justement, ils ne retiennent que le récurrent et s’éloignent ainsi de la réalité concrète. Ils s’écartent de ce qui n’apparaît qu’une seule fois, à un seul endroit, de ce qui différencie, de ce qui distingue, du singulier que cherche à retrouver l’histoire. Ce sont bien 1. B, Apologie pour l’histoire, p. 21. 2. Max  W, Essais sur la théorie de la science (traduits de l’allemand : Gesammelte Aufsätze zur Wissenschaftslehre [1951] et introduits par Julien Freund), Paris, Plon, 1965, p. 183. 3. Sur la conservation en français de la terminologie wébérienne, voir Julien F, dans W, Essais sur la théorie de la science, p. 485. 4. Voir Bernard D, « Les “idéaltypes” de Max Weber, leurs constructions et usages dans la recherche sociologique », dans Textes de méthodologie en sciences sociales, version numérique, août 2004, p. 4. DOI : 10.1522/cla.wem.ide. Extrait de : Max W, Economie et société. Vol. 1 : Les catégories de la sociologie / trad. par Julien F, Paris, Plon – Agora, 1965, p. 28-29, 35, 48-52 et 55-57.

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des formes d’approche de la réalité, mais elles n’en sont pas des descriptions. Les idéaltypes sont des généralisations5. La sociologie est en quête de règles générales du devenir. Par là, elle s’oppose à l’histoire qui, dans son analyse des actes, des structures et des personnalités, s’attache à l’individuel. S’attache, si l’on veut, au contingent, c’est-à-dire à ce qui pourrait ne pas être. Un philosophe l’a bien dit récemment : le discours historique, c’est « l’écriture de la contingence ». L’objet de l’histoire est le réel. Mais le réel C’est ce qui est ontologiquement faible […] Le réel, c’est le contingent, cet être faible qui est un pouvoir-ne-pas-être. De ce réel, il ne peut pas y avoir de discours fort [scientifique, qui en dégagerait les lois cachées, comme tente de faire la sociologie], qui rende raison de son dit, car on ne peut rendre raison […] que du général [ce à quoi s’attache la sociologie], or ce réel est irrémédiablement singulier6. La sociologie est une science, l’histoire, en ce sens, est un art.

Pourtant, les modèles sociaux (que j’assimile ici aux idéaltypes) entendent bien dire quelque chose de la réalité et, dans le cas présent, de la réalité sociale de la Galilée d’Antipas. C’est ici qu’intervient ou devrait intervenir l’étape de la vérification. Il faut bien examiner, en effet, si les modèles s’appliquent7. Il faut comparer les faits, que nous connaissons par ailleurs (par les sources littéraires – le Nouveau Testament notamment et, pour la Galilée, Flavius Josèphe très spécialement – ainsi que par l’archéologie), avec ces types idéaux censés les expliquer. Quand les faits correspondent aux types idéaux, ils sont alors mis en relief, arrachés à la confusion de la complexité, « compris » (c’est le service à la connaissance que prétend ou veut rendre la sociologie). Mais si les faits ne correspondent pas à l’idéaltype, ils 5. W, Essais sur la théorie de la science, p. 185, dit très bien que « l’idéaltype est un tableau de pensée, il n’est pas la réalité historique ». Un tableau de pensée, qui n’existe nulle part tel quel, « il est une utopie » (Ibid., p.  181, souligné par l’auteur). Ajoutant aussitôt : « Le travail historique aura pour tâche de déterminer dans chaque cas particulier combien la réalité se rapproche ou s’écarte de ce tableau idéal » (Ibid., p. 181). 6. Jocelyn B, « L’écriture de la contingence. Sur le sens et l’objet du discours historique », dans RSR 84 (1996) 253-265, p. 255 (l’auteur souligne, j’insère des gloses). 7. « Pour savoir si le cours empirique [de tel phénomène analysé] a été effectivement le même que celui qu’on a construit, il faut le vérifier à l’aide de cette construction prise comme moyen heuristique, en procédant à une comparaison entre l’idéaltype et les “faits” » (W, Essais sur la théorie de la science, p. 198). Les sciences sociales sont des sciences, mais dont les conclusions n’ont absolument pas le degré de fiabilité (de reliability) que possèdent les sciences naturelles (physique, chimie, biologie). Il faut donc être prudent quand on s’appuie sur leurs conclusions pour prédire comment les gens vont se comporter dans telle ou telle situation ou pour reconstruire comment les gens ont dû se comporter dans le passé (ce qui est, il me semble, comme une prédiction à l’envers, comme à rebours). Voir, à ce propos, les réflexions de Gary G, « How Reliable Are the Social Sciences », dans Opinionator, The New York Times, May 17, 2012.

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sont aussi mis en relief – et c’est encore plus passionnant pour l’histoire – mais cette fois par leur écart. « Les types idéaux permettent [alors] de dégager la singularité historique du ou des faits concernés, en sortant de l’universel, qui n’apporte pas de connaissance sur les particularités toujours historiques de la vie sociale8. » En ce sens, les types idéaux ou les modèles sont particulièrement, paradoxalement, utiles à l’histoire, très précisément quand les faits ne s’accordent pas avec eux ! Henri-Irénée Marrou l’a dit parfaitement : Une fois en possession de cette idée pure [l’Idealtypus], l’historien, revenant au concret, s’en sert pour mieux saisir dans la connaissance les cas singuliers, les seuls « réels », que présentent nos documents, et cela de deux manières : d’une part, dans la mesure où les exemples particuliers, une fois superposés à l’image théorique du Type-idéal, révèlent une coïncidence plus ou moins grande avec celle-ci, le réel se trouve désormais avoir acquis une intelligibilité, partielle sans doute, mais authentique ; en second lieu, dans la mesure où la confrontation aboutit à un jugement négatif (celle où le cas réel se révèle n’être pas identique à l’Idealtypus), ce jugement permet d’atteindre une connaissance précise du singulier en tant que tel, jusque-là insaisissable dans son autonomie, son hétérogénéité absolue9.

L’écart qui est alors manifesté permet justement de dégager la singularité historique du ou des faits concernés. À l’opposé, quand les faits correspondent (et plus ils correspondent) au type idéal, ils s’évanouissent pour ainsi dire dans l’universel, échappant d’une certaine manière à l’histoire. 1.1.2 La Galilée dans les modèles Les recherches sur la situation sociale de la Galilée se sont évidemment tournées vers les modèles censés rendre compte, permettre de comprendre ou d’expliquer10. Mais il semble que les chercheurs n’ont pas toujours bien réfléchi aux enjeux de la construction des modèles et qu’ils se contentent facilement d’appliquer automatiquement leurs généralisations à la situation de la Galilée d’Antipas, de les imposer comme des corsets, ou comme « une sorte de lit de Procuste dans lequel on introdui[t] de force l’histoire11 ». 8. D, « Les “idéaltypes” de Max Weber », p. 5. 9. M, De la connaissance historique, p. 154-155 (je souligne). Alors qu’en philosophie classique on affirme qu’il n’y a pas de science du singulier, il faut bien reconnaître que ce concept d’écart du modèle ou d’approximation du modèle (scientifique) ouvre la voie à une quasi-connaissance scientifique du singulier ! 10. Comme le dit Paul  V, Comment on écrit l’histoire (Points  Histoire, 226), Paris, Seuil, 1971, p.  350, on sait expliquer quand on peut dire quelle cause, en gros, entraîne régulièrement tel effet donné. 11. W, Essais sur la théorie de la science, p. 187. Sur la nature et le fonctionnement des modèles, il faut voir les très pertinentes réflexions de Marianne S, « e

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En particulier, je ne me souviens pas d’avoir rencontré, dans l’immense littérature sur la Galilée, cette notion d’écart et d’approximation soulignée par Weber et si utile à l’historien. Dans les présentations qu’on fait des modèles, on ne parle jamais d’écart : le modèle est proposé, accepté et on conclut qu’il reflète parfaitement la réalité, que les choses ont dû se passer comme le modèle le prévoit. Bien qu’il s’agisse de suppositions, que le modèle comme tel soit simplement suggestif et ne fournisse aucune « donnée », la littérature sur la Galilée de Jésus, on le verra, est pleine de « it must have been », de « would », etc. Ce que la sociologie construit, ce sont des modèles abstraits. Et, d’une certaine manière, c’est grâce à cette abstraction qui l’éloigne du réel concret, qu’elle sert le mieux l’histoire. Paradoxalement en effet, selon ce qu’en dit Dantier, « plus la construction des idéaltypes est rigoureuse, c’est-à-dire plus elle est étrangère à la réalité en ce sens, mieux elle remplit son rôle du point de vue […] de la recherche12 ». Mieux elle remplit son rôle, notamment dans sa relation à l’histoire, en raison précisément de l’écart qu’elle permet de vérifier, entre le type « pur » (idéal justement) et la réalité concrète ; écart qui spécifie et singularise l’objet ou le matériel analysé. Mais pour ce faire, il faut passer au travail de confrontation avec le réel. Et c’est ici, à mon avis, qu’entre en jeu l’archéologie, qui ramène au jour les restes du passé, les traces de ce qui a existé autrefois, de ce qui a été la réalité, permettant la vérification ou la falsification des hypothèses ou reconstructions proposées par les modèles. 1.2 Archéologie ou référence à la réalité 1.2.1 Les révolutions en archéologie L’archéologie se présente souvent comme auréolée de mystère, de gloire et d’aventures : Heinrich Schliemann dans la poussière lumineuse de Troie ou Indiana Jones à la recherche de l’Arche perdue. Mais la réalité scientifique ne correspond pas tout à fait à cette vision romantique. Dans sa période classique, l’archéologie est étroitement liée à l’histoire. C’est une discipline dont l’objectif est de reconstituer l’histoire de l’humanité depuis la préhistoire (avant l’écrit) jusqu’à l’époque contemporaine à travers les vestiges matériels qui ont subsisté. C’est en cela qu’elle se distingue de l’histoire dont les sources principales restent les textes. Elle était perçue avant tout comme science auxiliaire de l’histoire. Mais

Trouble With Models », dans Crossing Galilee. Architectures of Contact in the Occupied Land of Jesus, Harrisburg, PA, Trinity Press International, 2000, 61-80. 12. D, « Les “idéaltypes” de Max Weber », p. 9.

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l’archéologie a connu une croissance rapide, en particulier aux États-Unis où elle est devenue non seulement indépendante, autonome, mais surtout multidisciplinaire. Le grand tournant s’est opéré au cours des années 1970. Jusque-là, les archéologues s’intéressaient surtout à la poterie, aux artéfacts, aux restes d’édifices et, à partir de là, de façon inductive, essayaient – comme avec les pièces d’un puzzle – de refaire, de reconstruire une image du passé. Désormais, la nouvelle approche cherche à savoir principalement comment les gens vivaient autrefois : ce qu’ils mangeaient, ce qu’ils cultivaient, quelle sorte d’élevage ils pratiquaient, quelles relations économiques et sociales ils entretenaient. Pour atteindre cet objectif, toutes les sciences exactes sont appelées à la rescousse : géologie, chimie, physique, biologie, mathématiques, mais aussi hydrologie, sciences de la terre, climatologie, paléontologie, paléo-ethnobotanique, palynologie (étude des pollens) et autres. C’est la perspective ultra-scientifique de ce qu’on a appelé « the New Archaeology ». Une archéologie non plus tournée, comme autrefois, vers la vérification des récits historiques, mais s’efforçant de comprendre et d’expliquer l’évolution, les processus des changements culturels (processual archaeology). On se détourne donc d’une certaine histoire, pour se tourner vers l’anthropologie, et ce, d’une manière radicale, en proclamant comme loi nouvelle le slogan de Gordon Willey et de Philip Phillips : « L’archéologie américaine est anthropologie ou elle n’est rien13. » Dans les universités américaines, l’archéologie est l’une des quatre branches de l’anthropologie (avec l’ethnologie, la linguistique et l’anthropologie physique). L’archéologie est donc passée d’une phase plutôt intuitive, descriptive, classificatrice et historique, fonctionnant de manière inductive, à une phase explicative, fortement déductive, avec une orientation qu’on appelle « nomothétique14 », c’est-à-dire axée sur la recherche des lois cachées du comportement humain. Cette nouvelle archéologie s’efforçait et s’efforce toujours (même si on est désormais passé à la post-processual archaeology qui critique fortement le positivisme scientifique – à la Carl G. Hempel – de la New Archaeology15) de bâtir des modèles vérifiables (testing 13. « American Archaeology Is Anthropology or It Is Nothing », Gordon W – Philip P, Method and Theory in American Archaeology, Chicago, IL, University of Chicago Press, 1958, p. 2. Sur la New Archaeology, voir Colin R – Paul B, Archaeology. Theories, Methods and Practice, London, UK, ames & Hudson, 20126, p. 40-43, 469-476, 488-489. 14. R – B, Archaeology, 465-476. William G. D, « e Impact of the “New Archaeology” on Syro-Palestinian Archaeology », dans Bulletin of the American Schools of Oriental Research 242 (1981) 15-29, p. 15. 15. Sur la post-processual archaeology, voir R – B, Archaeology, p. 43-45, 484-489. Carl Gustav Hempel (1905-1997) était un philosophe des sciences, une figure majeure de l’empirisme logique.

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hypotheses) pour expliquer la dynamique de la société humaine. Dans cette révolution, non seulement archéologues et scientifiques sont devenus collègues, mais l’archéologue lui-même a dû devenir un scientifique et acquérir des compétences dans de multiples sciences. Désormais d’ailleurs, les fouilles ne sont plus entreprises par un seul ou une seule archéologue – le Grand Archéologue entouré d’une troupe de travailleurs bédouins – comme au temps d’Albright en Palestine, de Miss Kenyon à Jéricho et Jérusalem, ou de Roland  de  Vaux à Qumrân et Ain Feskha, mais par toute une équipe intégrant des compétences très diverses. 1.2.2 L’impact sur l’archéologie galiléenne16 Tous ces changements ont affecté petit à petit l’archéologie du ProcheOrient et notamment celle de la Palestine. On peut diviser cette dernière en quatre périodes, étroitement liées aux bouleversements politiques qui ont secoué la Palestine. Dans sa période de formation (1838-1914)17, l’archéologie, en Palestine, est une branche des études bibliques et on parle alors d’archéologie biblique. En 1890, Sir William Flinders Petrie – celui qui a découvert la stèle de Mérenptah (ou Merneptah) en Égypte (Luxor, 1896) où l’on trouve la première mention d’Israël dans un document profane – développe plus ou moins intuitivement ce qui allait devenir les principaux outils des fouilles postérieures : la stratigraphie et une typologie de la céramique permettant d’établir une chronologie. Notons qu’en 1890, c’est aussi le père Lagrange et la fondation de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem. De 1918 à 1940, l’archéologie passe d’une phase plutôt intuitive à une discipline systématique (sinon encore scientifique) avec W.F. Albright, qui maîtrise si bien la poterie et la stratigraphie que le cadre chronologique qu’il propose pour les âges du bronze et du fer (3500 à 600  AEC) serait encore utile aujourd’hui. La troisième période de 1948 à 1970 fut très florissante. Les conditions politiques sont à nouveau complètement changées. L’État d’Israël est fondé en 1948 et les Israéliens se lancent dans de grandes entreprises de retrouvailles nationales. Les thèmes centraux de l’archéologie biblique 16. D, « e Impact of the “New Archaeology” ». Pour ce qui suit, je dépends de D, « Archaeological Method in Israel. A Continuing Revolution », dans Biblical Archaeologist 43 (1980) 41-48. 17. D, « Archaeological Method in Israel », p. 41, rattache le début de l’exploration moderne de la Palestine en 1838 au voyage d’Edward Robinson (1794-1863), bibliste américain, qui se présentait non comme archéologue, mais comme géographe biblique.

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tournent autour de la recherche du contexte des hauts faits du nationalisme des temps anciens : récits des patriarches, Exode, conquête militaire de Canaan18. Parmi les fouilles spectaculaires de l’époque, mentionnons celles de Yigaël Yadin à Hazor (1955-1958) et Masada (1963-1965), celles de Miss Kenyon à Jéricho (1952-1958) et Jérusalem (1961-1967) et celles de Roland de Vaux à Qumrân et Ain Feskha (1949-1956). À partir de 1970, l’influence américaine devient prédominante. On ne parle plus alors d’archéologie biblique, mais d’archéologie syro-palestinienne, sortie du cloître, pour parler comme William G. Dever19, qui devient une discipline indépendante, une branche séculière de l’archéologie générale. En Eretz-Israel, l’archéologie est alors entraînée dans le tourbillon de la New Archaeology et en suit tous les développements. Il en est ainsi également pour l’archéologie strictement galiléenne, bien que ce ne soit pas les archéologues de Galilée qui lancent les grands débats théoriques. Seul James F. Strange (directeur, entre autres, de l’une des grandes fouilles à Sepphoris), semble-t-il, a situé son entreprise dans un cadre théorique20. Ce sont surtout les historiens et les biblistes qui ont fait intervenir les modèles, des modèles issus d’ailleurs de la sociologie et non pas tellement des « testing hypotheses » des archéologues. Retenons seulement, pour l’instant, que la Galilée de la période grécoromaine est probablement la zone la plus intensément fouillée de cette Palestine, qui appartient déjà à l’une des régions les plus connues du monde méditerranéen ancien. Ces fouilles ont porté sur les deux principales villes du territoire d’Hérode Antipas, Sepphoris et Tibériade, mais aussi, plus récemment, sur la Galilée rurale et, tout dernièrement, sur Magdala 21. Ce sont ces données archéologiques que je vais tenter de 18. Sur l’aspect « nationaliste » de l’archéologie en Israël, voir Halvor M, « e Construction of Galilee as a Place for the Historical Jesus – Part II », dans BTB 31 (2001) 64-77, p. 65-67. 19. William G.  D, What Did the Biblical Writers Know and When Did They Know It ? What Archaeology Can Tell Us about the Reality of Ancient Israel, Grand Rapids, MI – Cambridge, UK, Eerdmans, 2001, p. 62. 20. Voir J, Herod Antipas in Galilee, p. 132. Je rappellerai plusieurs fois l’importante thèse de Jensen. L’auteur en donne lui-même un bon résumé : I, « Herod Antipas in Galilee. Friend or Foe of the Historical Jesus », dans JSHJ  5 (2007) 7-32. Voir James  F.  S, « Some Implications of Archaeology for New Testament Studies », dans James H. C – Walter P. W (dir.), What Has Archaeology to Do With Faith ?, Philadelphia, PA, Trinity Press International, 1992, 23-59 ; I, « e Sayings of Jesus and Archaeology », dans James H. C – Loren L. J (dir.), Hillel and Jesus. Comparative Studies of Two Major Religious Leaders, Minneapolis, MN, Fortress, 1997, 291-305. 21. Pour un survol, rapide mais bien informé, de l’archéologie en Galilée, voir Seán F, « Galilee, Jesus and the Contribution of Archaeology », dans ExpTim 119 (2008) 573-581.

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comparer aux reconstructions proposées par certains modèles sociologiques, données archéologiques dont les chercheurs du Jésus de l’histoire ne se sont guère préoccupés au dire de l’archéologue James F. Strange22. 2. Le contexte socio-économique de la Galilée d’Antipas et de Jésus La question en jeu est bien celle de l’impact du programme d’urbanisation d’Antipas sur la situation socio-économique de la Galilée rurale (celle des paysans). Deux portraits circulent actuellement dans le monde des spécialistes, entraînant deux visions fortement opposées du ministère de Jésus se déroulant dans ce contexte23. L’interprétation de crise ou de conflit, issue des modèles, décrit une situation catastrophique où les paysans, soudainement écrasés de lourdes taxes en raison de cette urbanisation, s’endettent de plus en plus et, incapables de rembourser, sont finalement dépossédés de leurs terres, glissant au statut de fermiers ou de locataires (obligés de payer un loyer) ou à celui de simples travailleurs journaliers, pour être souvent, à la fin, réduits à la mendicité ou condamnés à rejoindre les groupes de bandits sociaux qui écument le pays24. À l’opposé, se basant principalement sur les données archéologiques, l’interprétation d’harmonie ou de paix maintient qu’à l’époque d’Antipas (de 4 AEC à 39, plus de quarante ans) la Galilée était exempte de grandes tensions et de conflits importants, que l’urbanisation, malgré un impact certain sur la vie des villages, pouvait avoir des effets positifs, entraînant par exemple des possibilités de travail pour les artisans, possibilités aussi d’activités commerciales et même d’un certain essor économique25. 22. S, « e Sayings of Jesus and Archaeology », p. 291. 23. Il semble que ce soit M, « e Construction of Galilee », p. 71-73, qui ait le premier proposé la distinction ou l’opposition devenue quasi classique entre « a conflict perspective » et « a model of social harmony ». 24. Voir la présentation globale qu’en fait Mark Alan C, « Disputed Issues in the Study of Cities », dans Craig A. E (dir.), The World of Jesus and the Early Church. Identity and Interpretation in Early Communities of Faith, Peabody, MA, Hendrickson, 2011, 53-67, p. 54 n. 2. Il s’agit d’un excellent article qui combine les exposés de différents auteurs (cités en note). 25. Un des archéologues de la zone rurale de Galilée, Douglas E, « e SocioEconomic and Cultural Ethos of the Lower Galilee in the First Century. Implications for the Nascent Jesus Movement », dans Lee I. L (dir.), The Galilee in Late Antiquity, New York, NY – Jérusalem, e Jewish eological Seminary of America, 1992, 53-73, p.  62-63, a fortement souligné ce point, même s’il pense que la situation favorable n’a peut-être pas duré, après que la plus grande partie de la construction de Tibériade ait été achevée vers la fin des années  20. Il fait à ce propos un certain parallèle avec ce que raconte Josèphe (Antiquités 20,219-220), selon qui 18 000 (!) travailleurs se seraient trouvés au chômage quand la construction du Temple à Jérusalem fut terminée au milieu des années 60 EC. Voir encore Milton  M, « e Galilean Response to Earliest

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C’est ce qu’il faut regarder de plus près. En fait, ce qui divise et sépare ces deux positions, c’est leur vision des relations entre villes et villages que suscite la reconstruction de Sepphoris par Antipas au début de son règne (autour de 4 AEC ou de l’an 1 EC) – j’emploie le mot règne même si Antipas n’était pas roi mais tétrarque, étant entendu qu’il était vraiment maître de la Galilée – et la fondation de Tibériade vers 19/20 EC. 2.1 Relations entre les villes et villages de Galilée selon les modèles sociologiques Il n’est évidemment pas question de faire le tour de tous les modèles auxquels font appel historiens de Jésus et biblistes pour définir la situation socio-économique de la Galilée du Ier  siècle26. L’utilisation qui est faite de certains d’entre eux par quelques grands ténors de la recherche sur Jésus nous suffira. 2.1.1 Moses I. Finley et omas F. Carney Le parcours de Seán Freyne, qui est passé de l’interprétation d’harmonie qu’il défendait d’abord27 à l’interprétation de crise qu’il a soutenue pendant plusieurs années (à partir de 1992), pour revenir actuellement à une position moyenne28, peut nous servir d’exemple. Freyne fait d’abord appel au Christianity. A Cross-cultural Study of Subsistence Ethic », dans R. Edwards D (dir.), Religion and Society in Roman Palestine. Old Questions, New Approaches, London, UK – New York, NY, Routledge, 2004, 37-48, p.  43, qui, évoquant les études de James C. Scott, rappelle que « Scott notes that urbanization, at least in the short run, is generally a condition of more prosperous economic times ». 26. Il faudrait tenir compte, par exemple, du modèle transculturel de résistance paysanne développé par James C. S, The Moral Economy of the Peasant. Rebellion and Subsistence in Southeast Asia, New Haven – London, UK, Yale University Press, 1976, et I, Dominion and the Arts of Resistance. Hidden Transcripts, New Haven – London, UK, Yale University Press, 1999 – modèle exploité par M, « e Galilean Response to Earliest Christianity ». Ce modèle est particulièrement mis en valeur dans Richard A. H (dir.), Oral Performance, Popular Tradition, and Hidden Transcript in Q (Semeia Studies, 60), Atlanta, GA, Society of Biblical Literature, 2006, p. 141-216 – une série d’articles (Horsley, Moreland, Kirk, Johnson-DeBaufre et Herzog II) regroupés dans la deuxième partie du livre, intitulée : « Moral Economy and Hidden Transcript. Applying the Work of James C. Scott to Q ». 27. F, Galilee From Alexander the Great to Hadrian. 28. Seán Freyne, « Jesus in Context. Galilee and Gospel », dans Robert L-K (dir.), Jesus of Galilee. Contextual Christology for the 21st Century, Maryknoll, NY, Orbis Books, 2011, 17-38. Sous l’influence, semble-t-il, de l’« important study » de Morten Jensen, qu’il cite, mais sans adhérer pleinement à sa position, Freyne cherche « some middle ground » (p. 29). Voir aussi I, « Jesus and Galilee. Implications and Possibilities », Early Christianity 1 (2010) 372-405, p. 393. Dans ce dernier texte, il questionne même la typolo-

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modèle de Moses I. Finley qui, dans The Ancient Economy et dans Economy and Society in Ancient Greece29, soutient que les cités anciennes sont des centres de consommation exploitant la campagne par l’imposition de taxes, de tributs, de loyers, et non des centres de production vendant leurs biens à des consommateurs ruraux. Les cités, selon Finley, parasitent et exploitent les campagnes. Mais il faut bien voir qu’il tire son modèle des cités grecques, de la polis, la cité-État (que les Anglais appellent city-state, et les Allemands Stadtstaat), ville autonome, indépendante, autosuffisante. Mais autosuffisante parce que la cité comme telle, comme unité, comprenait la ville mais aussi le territoire qui lui est lié, la chora : c’est-à-dire la campagne et les villages des alentours. Le contrôle des terres était assuré par les gens de la cité, où se trouvait le centre administratif, l’élite qui exploitait les paysan30. On pourrait faire remarquer immédiatement que même (re)bâties par Hérode Antipas sur le modèle des villes hellénistiques, Sepphoris et Tibériade n’avaient pas le statut de villes indépendantes, comme celles de la Décapole31. Que Sepphoris, par exemple, n’a battu sa première monnaie qu’en 66 (longtemps après Jésus) et que Tibériade a dû attendre pour le faire à l’an 100 EC, par une faveur de Trajan32. gie de Finley, qu’il avait d’abord endossée (p. 390-391). Dès 1997, il avait d’ailleurs admis que « the prevalent idea of the ancient city as being totally parasitic on the surrounding countryside, following the influential studies of Moses Finley […] is perhaps overstated », I, « Cities of the Hellenistic and Roman Periods », dans Eric M.  M (dir.), The Oxford Encyclopedia of Archaeology in the Near East, New York, NY – Oxford, UK, OUP, 1997, vol. 2, 29-35, p. 33. Notons, avec regret, que S. Freyne est décédé en août 2013. 29. Moses I. F, The Ancient Economy, London, UK, Chatto and Windus, 19772 (1973) – traduction française de la 1re éd. : I, L’économie antique, Paris, Les éditions de Minuit, 1975 – et I, Economy and Society in Ancient Greece, New York, NY, e Viking Press, 1982. Ce dernier ouvrage s’ouvre par un article important intitulé « e Ancient City. From Fustel de Coulange to Max Weber and Beyond » (p. 3-23). Mais on a remarqué récemment que les historiens remettaient de plus en plus en question le modèle de Finley, si bien qu’on parle désormais de « post-Finley era » (voir C, « Disputed Issues in the Study of Cities », p. 56-58). À la décharge de Finley, il faut dire qu’il avait lui-même mis en garde les historiens, en disant que l’unité « city-countryside » isolée (selon laquelle le modèle fonctionnerait parfaitement) « exists only in very primitive societies or in the imagination of Utopian writers ». Il affirmait d’ailleurs, tout juste auparavant, que « the economic relationship of a city to its countryside […] can range over a whole spectrum, from complete parasitism at one end to full symbiosis at the other », F, The Ancient Economy, p. 125. 30. Voir F, « Herodian Economics in Galilee », p. 89. 31. Comme F, « Jesus and the Urban Culture of Galilee », p. 193-194, le faisait lui-même remarquer en 1996 (date de la parution de l’article original). 32. Même si on a trouvé récemment une pièce de monnaie qu’Antipas semble avoir frappée à Sepphoris l’année même de sa nomination comme tétrarque de Pérée et de Galilée, en l’an -4 ou l’an 1 EC, en très petite quantité cependant et peut-être uniquement comme essai. Voir J, Herod Antipas in Galilee, p.  204-205 ; C, GrecoRoman Culture and the Galilee of Jesus, p. 180, et surtout David H, « A New Coin Type of Herod Antipas », dans Israel Numismatic Journal 15 (2006) 56-61.

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Pour vérifier (ou falsifier) le modèle de Finley, Freyne fait appel à celui développé par omas F. Carney, The Shape of the Past. Models in Antiquity33, modèle capable de mettre en évidence les changements économiques rapides, changements que le programme d’urbanisation d’Antipas a dû produire dans la Galilée du temps de Jésus. Ces projets de construction auraient entraîné une grande demande de travailleurs, d’ouvriers spécialisés, de matériaux, d’amélioration des routes pour le transport, de systèmes d’aqueduc. Freyne en conclut que ces constructions provoquant une situation économique nouvelle, auraient : 1) bouleversé la manière générale de vivre de la société galiléenne ; 2) causé un changement d’ethos ou de système de valeurs ; 3) amené une spécialisation du travail et le passage de la terre familiale à de grands domaines, de la polyculture de subsistance à la monoculture ; 4) entraîné une augmentation rapide de la circulation de la monnaie34. 2.1.2 Gerhard Lenski et John H. Kautsky En plus des modèles de Finley et de Carney, Horsley et Crossan ont repris les modèles des empires agraires avancés, développés par Gerhard Lenski, Power and Privilege. A Theory of Social Stratification et John H. Kautsky, The Politics of Aristocratic Empires35. Ces modèles décrivent la stratification sociale qui s’installe dans les sociétés où l’organisation du travail vise à fournir un surplus plutôt qu’une agriculture de subsistance. Horsley a publié et publie encore énormément (en reprenant et raffinant toujours les mêmes thèses). Ses premiers travaux (de 1979 à 1988), à partir d’études de l’historien Josèphe, présentaient, au temps d’Antipas, une Galilée secouée par les injustices sociales et traversée de groupes de bandits sociaux, redresseurs de torts36. Mais à partir de 1989 (Sociology and Jesus Movement), et sans relâche par après, Horsley applique à la Galilée le modèle de conflit qu’il dérive de Lenski et Kautsky, et soutient 33. omas F. C, The Shape of the Past. Models in Antiquity, Lawrence, KS, Coronado Press, 1975. 34. F, « Herodian Economics in Galilee », p. 93. 35. Gerhard L, Power and Privilege. A Theory of Social Stratification, New York, NY, McGraw, 1966 ; John H. K, The Politics of Aristocratic Empires, Chapel Hill, NC, University of North Carolina Press, 1982. Sur les modèles de Lenski et Kautsky, voir S, « e Trouble With Models », p. 63-67. 36. K, « Unsocial Bandits », a mis en doute l’existence de ces bandits sociaux dont nous n’avons aucun témoin. Même en l’absence de sources, ce qu’il admet, H, Jesus and the Spiral of Violence, p. 37, n’en conclut pas moins que « since social banditry is so consistent from society to society and from period to period in peasant societies, perhaps we should posit similar individual protests or righting of wrongs by Jewish brigands » (je souligne).

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l’existence d’une hostilité profonde entre les nouvelles cités d’Antipas et les villages de Galilée. Les nouveaux centres urbains auraient frappé au cœur la vie des villageois les obligeant, pour nourrir la population des villes, à changer leur pratique de l’agriculture, à passer de la polyculture qui assurait leur subsistance à la monoculture risquée, instaurant une spirale, impossible à arrêter, de dettes, de prêts et d’endettements37. C’est dans ce contexte de grandes pressions économiques, de conflits entre élites et paysans, entre l’empire (représenté par Antipas) et les Galiléens de souche (qui s’opposent en plus aux Judéens de Jérusalem et du Temple38) que Jésus lance son mouvement de protestation. Selon Horsley, 37. On peut en lire une description impressionnante dans H, Jesus and Empire, p.  61 : « us during the generations before Jesus and especially during the first two decades of Jesus’ generation, the Roman client rulers Herod and Antipas ratcheted up the economic pressure on the villages of Galilee. e distress in families and village communities, however, would have been more complex than economic deprivation by itself. For economic hardship would have quickly resulted in social disintegration as well. Under pressure, families that had extended loans to other families would themselves have come to need repayment in order to survive. But the debtors would have been unable to repay […] Families that had fallen heavily into debt would have been vulnerable to their creditors, who were most likely the Herodian elite, taking control of the production process, perhaps even taking their land outright. » Il suffit de remarquer le grand nombre de « would » (que j’ai soulignés) pour se rendre compte qu’on est ici dans les suppositions et les hypothèses non vérifiées. 38. Selon Horsley (dans ses multiples publications, entre autres, H, Jesus and Empire, p. 59-60), les Galiléens étaient descendants des anciens Israélites qui n’auraient pas été déportés lors de l’invasion assyrienne de 732/733 AEC et qui auraient développé leurs propres traditions en opposition à la monarchie de Juda et au Temple de Jérusalem. C’est l’origine de cette « little tradition », qu’on oppose à la « great tradition » qui serait celle de l’élite de Jérusalem ; voir en ce sens H, Archaeology, History, and Society in Galilee. The Social Context of Jesus and the Rabbis, Valley Forge, Trinity Press International, 1996, p.  73-175 ; une « routine anthropological distinction » dont A, Jesus and the Village Scribes, p. 154, conteste néanmoins l’utilisation dans le contexte des relations entre Galilée et Judée. C’est cependant la perspective adoptée aussi par André M, La Source des Paroles de Jésus, Montrouge – Montréal, Bayard – Novalis, 2011, p. 94-95. Mais les données archéologiques indiqueraient plutôt que la Galilée a été largement dépeuplée lors de l’invasion assyrienne au VIIIe siècle et que ce sont les Judéens, venus avec la conquête hasmonéenne au début du Ier siècle AEC, qui auraient surtout repeuplé la Galilée. Cette opposition entre Galiléens et Judéens ne serait donc pas fondée. S’appuyant sur différentes prospections ou explorations de surface, les « pedestrian landscape survey[s] » – comme dit Jürgen K. Z, « Archaeological News from the Galilee. Tiberias, Magdala and Rural Galilee », dans Early Christianity 1 (2010), 471-484, p. 481 – entrepris par Zvi Gal, Mordechai Aviam et Uzi Leibner, Freyne conclut que « the theory of a continued Israelite presence in Galilee down to the 1st century […] is now largely discredited » (F, « Galilee, Jesus and the Contribution of Archaeology », p. 576). Il redit l’équivalent en F, « Jesus and Galilee. Implications and Possibilities », p. 396. Voir aussi Uzi  L, Settlement and History in Hellenistic Roman, and Byzantine Galilee. An Archaeological Survey of the Eastern Galilee (Texte und Studien zum Antiken Judentum, 127), Tübingen, Mohr Siebeck, 2009, p. 320 : « e view by some scholars that the beginning of Jewish settlement was based on remnants of the Israelite kingdom who survived

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Jésus est une figure socio-économico-politico-religieuse, qui s’est donné comme mission le renouveau socio-économique de la vie des villages d’Israël. Son activité est politique ; ce sont les exégètes qui ont « dépolitisé » les évangiles39. En accord avec le biais marxiste du modèle, il est clair que c’est l’exploitation économique qui est à la racine de la situation permanente de conflit40. Crossan utilise aussi les modèles anthropologiques transculturels (crosscultural) de Lenski et de Kautsky pour interpréter les sources qui parlent de Jésus. Dans The Historical Jesus, Crossan se sert uniquement de Lenski qui, selon lui, équilibre mieux ce qu’on appelle en sociologie la tradition fonctionnelle et la tradition des conflits, la tradition qui souligne les intérêts qui unissent villes et villages (fonctionnelle) et celle qui souligne les intérêts qui les divisent (conflit)41. Mais dans The Birth of Christianity, il incorpore le modèle de Kautsky qui accentue le conflit. Sa définition du paysan reflète tout à fait cette approche : « Le paysan est, tout simplement, un  fermier exploité42. » En 2007, il le redit carrément : « […] une paysannerie est, par définition, un groupe exploité43. » C’est à ce groupe exploité the Assyrian exile is pure conjecture » ; encore : « e view that the roots of Galilean Jewry during the Early Roman period lie in the Kingdom of Israel has neither a historical nor an archaeological basis » (p. 335). Également, Mark A. C, « Archaeology, Ethnicity, and First-century C.E. Galilee. e Limits of Evidence », dans R – D – D – F MK (dir.), A Wandering Galilean, 205-218, p. 205-206, et I, « Disputed Issues in the Study of Cities », p. 61-62. 39. Richard A. H, Jesus and the Powers. Conflict, Covenant, and the Hope of the Poor, Minneapolis, MN, Fortress, 2011, p. 155. 40. Voir F, Galilee and Gospel, p.  18. En référence à Horsley et Crossan (qui utilisent le modèle de Kautsky) Groh, autre archéologue, critique l’emploi de modèles marxistes : « Twentieth century Marxist models that invent a tension between town or city and countryside have absolutely nothing to do with Palestine during any part of the common era », Dennis E. G, « e Clash Between Literary and Archaeological Models of Provincial Palestine », dans Douglas R. E – omas C. MC (dir.), Archaeology and the Galilee. Texts and Contexts in the Graeco-Roman and Byzantine Periods, Atlanta, GA, Scholars Press, 1997, 29-37, p. 29 et 30-32. Il peut être intéressant de savoir que le grand-père de John H. Kautsky était Karl Kautsky (1854-1938) – à qui d’ailleurs est dédié K, The Politics of Aristocratic Empires, p. xiii – un des théoriciens les plus connus de la IIe  Internationale au côté de Lénine, et considéré jusqu’en 1914 par beaucoup de socialistes comme le « pape du marxisme ». 41. Voir C, The Historical Jesus, p. 44-45. Sur l’opposition entre le fonctionnalisme et les théories du conflit en sociologie, voir une mise au point de T, Le mouvement de Jésus, p. 14-15. 42. « A peasant is, quite simply, an exploited farmer. » C, The Birth of Christianity, p. 158. 43. « […] a peasantry is by definition an exploited group », John Dominic C, « e Relationship between Galilean Archaeology and Historical Jesus Research », dans Douglas R. E – C. omas MC (dir.), The Archaeology of Difference. Gender, Ethnicity, Class and the “Other” in Antiquity. Studies in Honor of Eric M. Meyers, Boston, MA, American Schools of Oriental Research, 2007, 151-162, p. 155.

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qu’appartient son Jésus, lui-même A Mediteranean Jewish Peasant. Parmi les éléments qui, selon Crossan, accentuent les inégalités entre l’élite dirigeante et les paysans, je retiens l’urbanisation et la monétisation sur lesquelles je reviendrai. 2.2 Relations entre les villes et villages de Galilée selon l’archéologie Que nous dit l’archéologie sur les conditions économiques de la Galilée du Ier siècle ? Strictement parlant, les fouilles qu’on peut rattacher à Antipas sont celles de Sepphoris et de Tibériade. Mais comme la question cruciale porte sur les relations entre ces villes et les villages qui les entourent, les fouilles menées dans les zones rurales et dans les alentours sont ici extrêmement importantes. 2.2.1 Les principales fouilles de Galilée44 Les deux villes d’Antipas Selon Josèphe, c’est Antipas qui fonda Tibériade, presque certainement en 19/20 EC (ce que confirme une pièce de monnaie frappée à cette date). À Tibériade, peu de matériel du Ier siècle a été découvert45, car la ville a fleuri au temps d’Hadrien (117-138) et plus tard dans la période byzantine. Les grandes constructions de ces dernières époques ont réutilisé les matériaux préexistants et fait disparaître en grande partie les traces du Ier siècle46. Malgré la connaissance limitée que nous avons de la Tibériade du Ier siècle, on a recueilli cependant assez de données pour affirmer que la ville, avec son ordonnancement de cité romaine, ses maisons aux murs couverts de plâtre blanc, un palais et d’autres édifices monumentaux, devait contraster fortement avec les villages ruraux des alentours. Sepphoris, en revanche, a une histoire beaucoup plus longue, faisant partie de l’État de Judée dès l’époque hellénistique (de  333 à  63  AEC), puis devenue capitale régionale après la conquête de Pompée (en 63 AEC), rasée ensuite lors des troubles qui suivirent la mort d’Hérode le Grand (en 4 AEC) et rebâtie par Antipas au début de son règne. Après les deux révoltes contre les Romains, beaucoup de Juifs s’y installèrent au IIe siècle EC et Sepphoris continua de prospérer jusqu’à l’époque byzantine. Mais 44. Pour les informations générales sur ces fouilles, je dépends largement de J, Herod Antipas in Galilee, 126-186 (chap. 5. « Herod Antipas and the Archaeology of Galilee »). 45. Ibid., p. 138. 46. Sur ces traces, Ibid., p. 139.

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au Ier siècle, selon les archéologues, Sepphoris n’était qu’une petite entité bâtie sur une acropole47. Il est vrai qu’on a trouvé beaucoup de choses à Sepphoris, qui ont enflammé les imaginations48, mais presque tout le matériel (dont la fameuse « Mona  Lisa ») date des IIe et IIIe  siècles49. Restent quelques éléments, comme le théâtre, dont la date est toujours débattue, certains l’attribuant à Antipas (J.F. Strange, R.A. Batey), donc au temps même de Jésus, d’autres le situant à la fin du siècle, après 70, longtemps après Jésus (Meyers, Chancey, Reed)50. Il n’est pas impossible qu’Antipas ait bâti un théâtre à Sepphoris. Son père en avait construit plusieurs bien avant lui. La solution est peut-être qu’Antipas en aurait bâti un premier, peu développé, mais qui aurait été élargi et embelli vers la fin du Ier  siècle51. Il reste qu’au temps d’Antipas, Sepphoris était encore dans son « enfance urbaine52 », méritant à peine le titre de polis, si on la compare aux zones urbaines environnantes, les villes de la Décapole. Perspective régionale – Les villages de la Basse Galilée Quel fut l’impact de ces constructions sur les villages des alentours ? Selon les modèles sociologiques et les portraits de la Galilée que des historiens en tirent, l’impact aurait dû être brutal (c’est une supposition), bousculant toute la vie de la Galilée rurale et, au bout d’une spirale

47. Voir J, Herod Antipas in Galilee, p.  160, qui cite, parmi les archéologues, Meyers, Netzer et Weiss. 48. Voir en ce sens Richard A.  B, Jesus and the Forgotten City. New Light on Sepphoris and the Urban World of Jesus, Grand Rapids, MI, Baker Books House, 1991. 49. Chancey a souligné cet oubli de la chronologie chez beaucoup d’auteurs qui utilisent sans discernement les données archéologiques, reportant sur le début du Ier siècle ce qui ne date que des IIe siècle et IIIe siècle, Mark A. C, « Galilee and GrecoRoman Culture in the Time of Jesus. e Neglected Significance of Chronology », dans SBL Seminar Papers 2003 (SBLSP, 42), Atlanta, GA, Society of Biblical Literature, 2003, 173-187, repris dans C, Greco-Roman Culture and the Galilee of Jesus, p. 124-133 et 161-165, dont la conclusion importante est que : « to retroject data from the second or third century into the early first century is to misunderstand the Galilee of Jesus » (p. 165). 50. J, Herod Antipas in Galilee, p.  154-156 ; aussi : C, Greco-Roman Culture and the Galilee of Jesus, p.  84-85, 98 et 105 : « probably not constructed until aer the Revolt » ; R, Archaeology and the Galilean Jesus, p. 95 : « e theater […] may well be late first century. » Même chose en C – R, Excavating Jesus, p. 68 : « […] the theater may well date to the late first century C.E., decades aer Jesus and Antipas. » 51. C’est la solution que C, « Jesus Research and Archaeology », p. 51-55, aimerait retenir. Dans le même ouvrage, Batey répond fortement par l’affirmative à sa propre question, formulée dans son titre : Richard B, « Did Antipas Build the Sepphoris eater ? », dans C (dir.), Jesus and Archaeology, p. 111-119. 52. « in its “urban infancy” », J, Herod Antipas in Galilee, p. 162.

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d’effets négatifs, réduisant les paysans à la mendicité ou au banditisme. Que nous dit l’archéologie sur l’influence, positive ou négative, de l’urbanisation d’Antipas sur les zones rurales ? Plusieurs fouilles importantes ont été faites ou se font toujours sur des sites (petites villes ou villages) de la Basse Galilée : à Yodefat (Iotapata), à Khirbet Cana (par Douglas  R.  Edwards, décédé en 2008), à Capharnaüm et Gamla, auxquels il faut maintenant ajouter Magdala (Tarichées). Yodefat est située à 2,5 km de Cana, à quelques kilomètres au nord de Sepphoris53. La ville date de la fin de la période hellénistique ou du début de l’ère romaine et fut détruite par Josèphe lors de la révolte juive en 67 et jamais rebâtie par la suite. Ses restes sont donc un témoignage quasi intouché de son état au Ier siècle. Yodefat, Cana et Gamla (dans le Golan) formaient des communautés rurales, proches d’une des capitales, mais aucune d’elles n’était une véritable polis54. Toutes les données témoignent d’une économie relativement prospère, soutenue par la combinaison d’une agriculture régulière et d’activités industrielles à petite échelle55. La ville semble avoir prospéré jusqu’à sa destruction, avec des industries de petite taille capables de supporter une haute classe sociale (comme en témoigne la surprenante découverte, dans une maison, d’une fresque dans le style de celles de Pompéi)56. Selon ces données, Yodefat aurait donc été un site florissant. Khirbet Cana, qu’un consensus identifie désormais avec le Cana du Nouveau Testament, est un autre village situé à 8 kilomètres environ de Sepphoris (2,5 km de Yodefat) et 13 km de Nazareth Illit (la Haute Nazareth située près de la ville arabe de Nazareth, construite à partir de 1956)57. Les fouilles à Cana ont révélé une vie villageoise semblable à celle de Yodefat. On y a trouvé les restes de deux édifices publics datant du début de l’époque romaine ; un signe que l’activité économique devait être suffisante pour les supporter. En fait, on a dégagé dans les strates romaines du Ier  siècle un quartier industriel comportant un columbarium, des ateliers de soufflage du verre, de teinture, de tannerie et des pressoirs à huile58. Un autre exemple, semble-t-il, de village florissant. 53. Sur Yodefat et Cana, voir Peter R, « Khirbet Qana (and Other Villages) as a Context for Jesus », dans C (dir.), Jesus and Archaeology, 120-144. 54. La question semble s’être posée parce que Yodefat et Gamla, comme les poleis grecques, étaient entourées de murs, mais selon R, « Khirbet Qana (and Other Villages) », p. 124-127, ces murs auraient été bâtis principalement (ou du moins complétés et renforcis pour ce qui est de Yodefat) au temps de la révolte juive. 55. J, Herod Antipas in Galilee, p. 165. 56. R, « Khirbet Qana (and Other Villages) », p. 134, 142, 143. 57. Dans le but de développer le peuplement de la Galilée, selon R, « Khirbet Qana (and Other Villages) », p. 120. 58. J, Herod Antipas in Galilee, p. 169.

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Capharnaüm, situé sur le bord du lac, à la frontière entre les tétrarchies de Philippe et d’Antipas, pouvait compter, au temps de Jésus, entre 800 et 1500  habitants59. C’était un village modeste, vivant d’agriculture et de pêcheries, mais profitant probablement aussi d’un certain commerce régional, passant par la route qui entourait le lac60. Le texte de Mc 1,20 (Capharnaüm est mentionné en 1,21) qui parle des salariés de Zébédée, le père de Jacques et Jean, pointe vers l’existence de petits entrepreneurs dans ce village de pêcheurs61. C’était un des gros villages autour du lac, en rien comparable à Tibériade, mais dont rien non plus ne dit qu’il était misérable. Bien que dans la tétrarchie de Philippe, Gamla était étroitement liée à la Galilée, entre autres par ses relations commerciales et c’est là qu’on a découvert le plus grand nombre de monnaies d’Antipas. Gamla aussi a été détruite en 67 et jamais rebâtie par la suite, témoignant ainsi de façon importante de la situation du Ier  siècle62. Là encore, en plus du grand nombre de pièces de monnaie (plus de 6000, la plupart en cuivre, mais 27 en argent), on a découvert une zone commerciale et industrielle. Comme à Cana et Yodefat, s’y trouvait également un quartier de bien nantis, avec de larges maisons aux murs plâtrés, et des édifices publics. Aucun signe, autrement dit, d’un déclin économique au Ier siècle. À ce contexte de villes et villages qui paraissent prospères, il faut ajouter désormais Magdala/Tarachées, site fouillé par le franciscain Stefano de Luca depuis 2007. Selon Zangenberg, Magdala serait à mettre dans la même catégorie que les grandes villes hellénistiques de Grèce ou d’Asie Mineure. Elle était la seule vraie cité sur la rive occidentale du lac avant la fondation de Tibériade, une cité beaucoup plus hellénisée qu’on ne l’avait cru. Son port était le cœur économique de la ville, sa richesse venant de la pêche et de l’industrie du poisson (salé à Tarichées ; taricheia : salaison, salage) ainsi que du commerce avec les villes de la Décapole63. Perspective interrégionale – Les cités voisines Pour mettre en meilleure perspective l’urbanisation de la Galilée au temps de Jésus, Jensen examine encore, dans une perspective interrégionale,

59. Selon R, Archaeology and the Galilean Jesus, p. 152. Chiffres ramenés à 1000 dans C – R, Excavating Jesus, p. 81. 60. J, Herod Antipas in Galilee, p. 172, 175. 61. Douglas R.  E, « Identity and Social Location in Roman Galilean Villages », dans Z – A – M (dir.), Religion, Ethnicity, and Identity in Ancient Galilee, 357-374, p. 367. 62. J, Herod Antipas in Galilee, p. 175. 63. Z, « Archaeological News from the Galilee ».

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ce qu’il en était des villes autour de la Galilée, les poleis de la Décapole dont les chorai se trouvaient en bordure du lac : Hippos, Gadara et, plus au sud, Scythopolis. Hippos était juste en face de Tibériade. On aurait pu voir ses lumières de l’autre côté du lac64 ! C’était une ville souveraine, avec l’autorité de battre monnaie, un temple et une chora de petits villages tout autour. Gadara, au sud de Hippos, était une autre ville de la Décapole, dont les frontières touchaient le lac. À l’époque romaine, Gadara contenait, entre autres, deux théâtres, des portes monumentales, des bains publics, un stadium65. Plus au sud encore (même si Josèphe la dit voisine de Tibériade ! Guerre  3,446 ; Vie  42,340-349), se trouvait Scythopolis, avec un grand théâtre, cinq temples, de larges rues à colonnades : dans l’horizon de la Galilée, c’était, au Ier siècle, une vraie ville grecque. Il faudrait encore mentionner la Césarée maritime d’Hérode le Grand, une polis véritable, avec un port extraordinaire, un théâtre face à la mer, un amphithéâtre, un hippodrome pour les courses de chars et un temple dédié à Auguste. Alors que les modèles sociologiques supposent, par déduction, que les petites villes et les villages ruraux autour des deux cités d’Antipas auraient dû souffrir de ces présences urbaines, les fouilles archéologiques, bien que limitées encore, peignent sans équivoque le portrait d’une Galilée économiquement florissante au Ier siècle66. 2.2.2 Les arguments en faveur de l’interprétation conflictuelle Que retenir de tout cela ? Parmi les points invoqués pour fonder le portrait de conflit, je reprends ceux sur lesquels on a le plus insisté : l’urbanisation, la monétisation et la question des grands domaines et de la monoculture67. 64. J, Herod Antipas in Galilee, p. 179. 65. Ibid., p. 180. 66. C’est la conclusion de J, Herod Antipas in Galilee, p. 178 : « In the first part of the first century CE, the villages surveyed all appear to have flourished. » 67. Je ne peux discuter ici de la question du niveau de taxation auquel les Galiléens étaient soumis. Étaient-ils écrasés par trois niveaux de taxation : un imposé par les Romains, un autre par Antipas et un troisième pour le Temple de Jérusalem ? C’est ce que soutiennent beaucoup d’auteurs, dont par exemple Richard A.  H, Galilee, History, Politics, People, Valley Forge, Trinity Press International, 1995, p.  139-140, et Jonathan A. D, « Jesus “Covenantal Discourse” on the Plain (Luke 6:12-7:17) as Oral Performance. Pointers to “Q” as Multiple Oral Performance », dans H (dir.), Oral Performance, 71-98, p. 78. Dans l’étude la plus complète qui existe actuellement sur le sujet, Fabian E. U, To Caesar What is Caesar’s. Tribute, Taxes, And Imperial Administration in Early Roman Palestine (63 B.C.E.-70 C.E.) (Brown Judaic Studies, 343), Providence, RI, Brown Judaic Studies, 2005, p. 285, conclut, on ne peut plus catégoriquement : « e usual generalizations which claim that taxation in early Roman Palestine was excessive and oppressive

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Urbanisation Cette vue sur les villes et villages de la Basse Galilée et des régions voisines montre à l’évidence que le programme d’urbanisation d’Antipas n’était pas une nouveauté qui aurait tout bouleversé. Son programme paraît même assez médiocre. Antipas n’a fait que hausser légèrement la Galilée à un niveau déjà présent tout autour d’elle et qui lui était de beaucoup supérieur. Dans ce grand contexte, Sepphoris et Tibériade n’étaient que de petites cités68. Le portrait qu’on peut dessiner de l’urbanisation d’Antipas reste donc modeste. Le modèle selon lequel les villes parasitent la campagne et réduisent ainsi les paysans à la pauvreté sinon à la misère n’est pas confirmé par les fouilles archéologiques, menées non seulement dans la Galilée rurale, mais dans le contexte interrégional. Monétisation On soutient en sociologie que le degré de petites monnaies en circulation reflète en général le degré d’urbanisation69. En effet, quand le travail se divise et se spécialise, les travailleurs ne pouvant plus assurer directement leur propre subsistance doivent faire des transactions quotidiennes, ce qui entraîne une grande demande de petites monnaies. On en déduit qu’un accroissement soudain de frappes de monnaies de cuivre (la monnaie courante) serait un indicateur de grande urbanisation, impliquant des travailleurs spécialisés et un déclin de l’autosuffisance. C’est en tenant compte de ces considérations que Jensen a fait une étude poussée de la monnaie de Palestine en circulation au Ier siècle, monnaie hasmonéenne, hérodienne et romaine, afin d’interpréter, dans ce grand contexte, celle d’Antipas70. Il note d’abord qu’Antipas a respecté, clairement et sans ambiguïté, la tradition juive aniconique excluant les images, en utilisant seulement des assert more than we can actually know. […] I restate my previous observation more definitely : the general view that excessive taxation of the Jewish state in the early Roman period was the cause of observable economic depravity in the first century C.E. is not supported by the evidence. […] e arguments used to build an impression of continuous tax oppression and economic depravity in Palestine do not stand up to scrutiny. Palestine was not continually “oppressed” by three levels of ruinous taxes from 63 B.C.E. until the Revolt of 66 C.E. ». Ce sont, dit-il, des présuppositions théologiques (p. 284) plutôt qu’une analyse minutieuse des faits, qui présentent le ministère de Jésus comme une réponse révolutionnaire à un système économique oppressif. 68. J, Herod Antipas in Galilee, p. 185. 69. Morgan K, « Unpublished article. Division of Labour in the Long Run. Evidence From the Small Change », cité par J, Herod Antipas in Galilee, p. 191. 70. J, Herod Antipas in Galilee, p. 187-217 ; aussi I, « Message and Minting ».

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décorations florales et, notamment, le fameux roseau, plante commune dans la région de Tibériade, auquel Mt 11,7 : « Qu’êtes-vous allés voir au désert ? Un roseau agité par le vent ? » semble faire allusion. Mais ce qui m’intéresse ici, c’est la quantité de monnaies émises par Antipas. Si on excepte la pièce découverte récemment, qui pourrait dater de la première année de son règne, on n’en connaît, pendant ses 43 ans de règne, que cinq séries, tardives et modestes. La première, qui date de la 24e année de son règne et porte l’inscription TIBERIAC, est reliée à la fondation même de Tibériade en 19/20 EC ; les autres ne viennent qu’une dizaine d’années plus tard, dans les 33e, 34e et 37e  années de son règne et une autre, dans la 43e année. D’après Danny Syon71, le nombre de pièces de monnaie frappées par Antipas reste très modeste72. Elles n’étaient donc pas émises pour des raisons économiques, pour répondre aux besoins du marché qui aurait réclamé une grande quantité de petites pièces ou pour permettre une collecte des taxes plus facile et plus efficace73, mais très particulièrement pour des raisons de prestige politique. Si on revient à la thèse de Kelly, il faut donc dire que le degré de monétisation du règne d’Antipas, malgré les dires de plusieurs chercheurs (Freyne, Horsley, Crossan-Reed, Arnal, Kloppenborg Verbin)74, ne témoigne en rien d’une intense urbanisation75. Grands domaines et monoculture On tient souvent pour acquise l’existence de grands domaines en Palestine76. On croit, par exemple, que le besoin de nourrir de nouvelles 71. Danny S, Tyre and Gamla. A Study of the Monetary Influence of Southern Phoenicia on Galilee and the Golan in the Hellenistic and Roman Periods, Jerusalem, Hebrew University, 2004. èse non publiée, mais mise à la disposition de Jensen, comme il l’indique, Herod Antipas in Galilee, p. 190 n. 180. 72. J, Herod Antipas in Galilee, p. 213. 73. Comme le suggèrent A, Jesus and the Village Scribes, p. 138, et C – R, Excavating Jesus, p. 70. Voir à ce propos J, « Message and Minting », p. 309 n. 150, et les réflexions de C, Greco-Roman Culture and the Galilee of Jesus, p. 181. 74. Sur le portrait conflictuel que les auteurs rattachent à l’intensification de la monétisation, de la taxation et des dettes, en lien avec l’urbanisation d’Antipas, voir F, « Herodian Economics in Galilee », p. 112 ; et plus fortement encore : I, « La Galilée et la Judée », p. 134-135 ; H, Archaeology, History, and Society in Galilee, p. 36, et H – D, Whoever Hears You Hears Me, p. 58 ; C – R, Excavating Jesus, p. 70 ; enfin, A, Jesus and the Village Scribes, p. 134-150 – dont K V, Excavating Q, p. 234-242, endosse la position. 75. J, Herod Antipas in Galilee, p. 215 ; I, « Message and Minting », p. 313. 76. Voir, par exemple, David A. F, The Social History of Palestine in the Herodian Period. The Land Is Mine (Studies in the Bible and Early Christianity,  20), Lewiston – Queenston – Lampeter, e Edwin Mellen Press, 1991 – en particulier son chapitre important sur les « Large Estates » dans la Palestine hérodienne. Il s’inspire beaucoup de la situation en Égypte, dans la période hellénistique, estimant (à l’aide d’un modèle interculturel)

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populations urbaines en Galilée aurait nécessité une intensification de la production agricole, entraînant à la fois la création de grands domaines (latifundia), où l’agriculture était plus efficace que l’agriculture de subsistance, toujours limitée, et forçant peu à peu les paysans à passer de la polyculture à la monoculture, ou tout simplement à vendre leurs terres. Ces vues sont encore inspirées des modèles et ne sont pas confirmées par les données archéologiques disponibles. On a d’ailleurs montré77 que si, en théorie, les grands domaines semblaient plus efficaces, ils comportaient cependant de grands désavantages : la monoculture, par exemple, concentrait le travail dans une seule période durant l’année, alors que la polyculture s’étendait sur des temps différents et permettait aux travailleurs agricoles d’étaler leurs efforts et d’être plus productifs. Les données provenant d’autres parties de l’Empire romain démontrent que les grands domaines n’étaient pas recommandés et n’étaient pas la pratique commune78. On pourrait reprendre ici, mais à propos de la Galilée, les réflexions de Paul Veyne sur la fameuse affirmation de Pline : « les latifundia ont ruiné l’Italie79 ». Ce jugement, dit Veyne, a « une valeur exactement nulle pour l’histoire économique ». Ce qu’il explique en note : Disons seulement […] 1º  que Pline ne disposait d’aucun document d’archives lui permettant d’affirmer une chose pareille. Une affirmation d’ordre quantitatif, démographique ou économique, exige des archives et un travail qu’il devait en être de même en Palestine. Il avoue que « the evidence is simply not available » pour affirmer l’existence de grands domaines, mais ajoute néanmoins : « But at least we can say that large estates must [must : le modèle l’exige… !] have been common in Galilee at the time of Jesus » (p. 57). Mais Fiensy aurait changé depuis sa position, en raison justement de l’absence de données strictement galiléennes, et remettrait en question l’importance des grands domaines qui auraient absorbé les fermes privées, de même que le fait que les élites urbaines auraient entraîné les villageois galiléens dans les dettes et la pauvreté : David A. F, « Assessing the Economy of Galilee in the Late Second Temple Period. Five Considerations », dans Ralph K. H – David A. F (dir.), The Galilean Economic Life in the Time of Jesus (ECL, 11), Atlanta, GA, Society of Biblical Literature, 2013, 165-186. Les seules allusions à de grands domaines dans le NT se trouvent dans les paraboles de Jésus. Mais il ne faut pas trop généraliser à partir des paraboles… Sur cette question des paraboles et la lumière qu’elles peuvent jeter sur les conditions économiques de la Galilée, voir C, « Disputed Issues in the Study of Cities », p. 53 et 65-66. 77. Voir la longue recension de C – R, Excavating Jesus, par G, dans RBL (06/2003). 78. G, dans sa recension de RBL (06/2003), cite en ce sens Caton, Varon et Columelle (qui ont écrit chacun un De re rustica). Il s’inspire de Richard D-J, The Economy of the Roman Empire. Quantitative Studies, Cambridge, UK, CUP, 1974, qui montre bien dans son « Appendix 1. Estate-Size in Italy », p. 323-326, qu’on n’encourageait pas les grands domaines dans l’Empire. Duncan-Jones note aussi que « None of the agricultural writers [i.e. Caton, Varron, Columelle] specifically advocates complete monoculture (that is, concentration of a single crop to the exclusion of others) », p. 37. 79. P ’, Histoire naturelle, éd. Jean B (Collection des universités de France), Paris, Les Belles Lettres, 1950, 18.7.35.

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de statisticien. L’État romain ne disposait pas d’archives de ce genre et la statistique n’existait pas. 2º Même si Pline avait disposé d’archives et compilé des colonnes de chiffres, en tirer la conclusion que la grande propriété était responsable de la ruine de l’agriculture en Italie aurait exigé une étude technologique et économique qui était inconcevable à cette époque : à notre époque même, ce serait un thème à discussions scientifiques sans fin. Or l’économie n’existait pas plus que la statistique au temps de Pline80.

Ajoutons seulement que les archives de Galilée ou d’Antipas, si elles existaient, ne nous sont pas davantage disponibles… 3. Conclusion Modèles sociaux et/ou archéologie ? Il faut sans doute supprimer l’opposition et maintenir l’utilité ou peut-être la nécessité (selon la New Archaeology) des deux approches. Comme moyens de connaissance, les modèles ont assurément une grande valeur heuristique. Les hypothèses qu’ils élaborent ouvrent, à la recherche sur le terrain, des perspectives souvent inédites. Mais ils ne sont pas le dernier mot. Celui-ci appartient au terrain, à la vérification et, en ce sens, à l’archéologie. D’ailleurs, là où les modèles sont particulièrement utiles à l’histoire – pour revenir à Weber – c’est quand, au stade de la confrontation avec le réel, on découvre l’écart qui sépare les phénomènes analysés de ce qu’ils auraient dû être selon ces modèles. C’est alors que jaillit le singulier que recherche passionnément l’historien. C’est, me semble-t-il, ce service paradoxal que rendent les modèles sociologiques sur l’état des relations entre les villes et villages de la Galilée d’Antipas. Ils nous permettent, comme à rebours, d’en saisir le vrai visage historique. On pourrait objecter que l’archéologie n’est pas non plus assurée d’objectivité. Devant les mêmes données, il est trop clair que les archéologues diffèrent d’opinion. Les pierres, en effet, ne parlent pas. Il faut, comme pour tous les textes, les interpréter. Entrent donc en jeu, ici, de nécessaires précautions. On connaît le principe d’Heisenberg, selon lequel, ce qui est observé est automatiquement modifié par la démarche même de l’observateur. On connaît aussi le grand principe, si souvent rappelé par Henri-Irénée  Marrou, qui dit que l’histoire est inséparable de l’historien81. Mais en gardant scrupuleusement en tête toutes ces précautions, il reste que les pierres, les données archéologiques, nous disent des choses de la réalité d’autrefois, qui sont a posteriori, et non a priori comme les

80. V, Comment on écrit l’histoire, p. 337 et n. 2 81. M, De la connaissance historique, p. 47-63.

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pistes que nous offrent les modèles. A posteriori : les données nous viennent du passé, de ce passé qui subsiste sur le terrain, et ce sont elles qui ont priorité. En montrant que les modèles projetés sur la situation sociale de la Galilée du Ier siècle ne rendent pas compte des traces que la réalité du passé a laissées sur le terrain, l’archéologie nous oblige donc, à mon avis, en fin de parcours, à rejeter le portrait de conflit et toutes les interprétations du ministère de Jésus issues de ce modèle, au profit d’un portrait d’harmonie, exempt, en tout cas, d’exploitations systématiques ou de grandes tensions. On ne saurait dire non plus, il me semble, que l’apparition des deux figures prophétiques, au temps d’Antipas, de Jean le Baptiseur et de Jésus de Nazareth, ait été provoquée par la situation sociale, devenue intolérable, des paysans de Galilée. Entendu et mis en pratique, le message de Jésus ne pouvait pas ne pas avoir de répercussions sociales. Mais il est inexact de faire de Jésus, en particulier, de ce sage et prophète, une figure strictement politique ou un révolutionnaire social, le pourfendeur inlassable de l’Empire, miniaturisé en Antipas. Le Royaume que Jésus prêchait pouvait s’opposer à celui d’Antipas (ou de l’Empire, si l’on veut) sur un grand nombre de points, il ne se réduisait pas à la réhabilitation sociale des paysans, mais visait une réalité d’un autre ordre, comme dirait Pascal, sur laquelle ce n’est ni le lieu ni le moment d’élaborer82. 82. La rédaction finale de ce texte, présenté en juin 2012 au congrès de l’ACÉBAC (sur le thème Bible et Archéologie), date de septembre 2012. Depuis lors est paru, rejoignant parfaitement la thématique du présent article, l’ouvrage de F – H (dir.), The Galilean Economy in the Time of Jesus. La question débattue est la même : quelle était la situation sociale de la Galilée du Ier siècle : exploitation et extrême pauvreté des paysans ou société égalitaire et même un certain bien-être ? L’enjeu méthodologique surtout est le même : les données de l’archéologie ou les projections des modèles sociaux ? D’un côté, des archéologues reconnus, Mordechai Aviam et C.  omas  McCollough, à partir des données archéologiques (fouilles de Sepphoris et des villages du Golan et de Basse-Galilée : Gamla, Yodefat et Khirbet Qana), soutiennent que personne aujourd’hui ne devrait affirmer que les gens de la ville étaient riches et les villageois, de pauvres paysans. Ce que confirment Sharon  Lea  Mattila, d’après les fouilles faites à Capharnaüm, et F, « Assessing the Economy of Galilee » (article de synthèse qui clôt le volume). D’un autre côté, Douglas E. Oakman s’en tient, lui, aux seules projections des modèles sociaux et estime que les paysans galiléens du Ier siècle, en raison des relations nouvelles qu’aurait créées l’urbanisation de la Galilée (Sepphoris, Tibériade), étaient réduits à la pauvreté, dans un système économique qui les exploitait et n’existait que pour le bénéfice de Rome et de ses agents. Après d’excellentes pages sur la fonction des modèles en science sociale, Fiensy, « Assessing the Economy of Galilee », qui a corrigé ses vues sur les grands domaines (p.  179), termine l’ouvrage en affirmant que l’historien doit boire aux deux puits et tenir compte à la fois du travail archéologique et des hypothèses des sciences sociales (p. 181-182). Mais auparavant il avait bien noté – ce qui rejoint le présent article – qu’on ne pouvait soutenir qu’un endettement général existait en Galilée dans la première partie du Ier siècle et que c’était là l’arrière-plan, le contexte historique et économique du ministère de Jésus (p. 172).

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LA GALILÉE DE JÉSUS Le chant du cygne de Seán Freyne* Seán  Freyne, décédé le 5  août  2013, n’aura pas vu  la parution de ce volume, la synthèse et l’achèvement de toute son œuvre1. Connu pour avoir, à la suggestion de Martin  Hengel, consacré sa vie académique à l’étude de la Galilée des périodes hellénistiques et romaines, à partir de son livre qui a constitué le grand tournant de ces recherches, Galilee From Alexander the Great to Hadrian  323  BCE to  135  CE : A Study of Second Temple Judaism2, Freyne a été amené à se préoccuper non seulement du Jésus de l’histoire3, des évangiles4, mais aussi de différents aspects de l’histoire du christianisme et du judaïsme. Son étude de la Galilée s’attachait surtout à révéler le contexte, qui permettait de saisir le sens des premiers textes qui parlent de Jésus et du mouvement chrétien. Contexte si déterminant, qu’il est devenu courant de dire, selon un mot de Freyne lui-même, que la recherche du Jésus de l’histoire était en passe de devenir la recherche de la Galilée historique5. Le présent ouvrage est une œuvre de synthèse qui présente l’état final de la pensée de l’auteur sur des questions qu’il a longuement traitées, dans ses livres et de multiples articles, ainsi qu’en témoignent les références à ses nombreuses publications (dans plus de quarante notes). Synthèse d’autant plus importante et utile que Freyne, au cours de ses années de recherche et de débats, marquées de nombreuses découvertes, a su bellement et courageusement évoluer sur plusieurs points6. Il divise son

* Texte paru dans Science et Esprit 70 (2018) 231-239. 1. Seán F, The Jesus Movement and Its Expansion. Meaning and Mission, Grand Rapids, MI, Eerdmans, 2014. Pour alléger la mise en page, les références à ce livre sont insérées directement au fil du texte. 2. F, Galilee From Alexander the Great to Hadrian (1980). 3. F, Jesus, a Jewish Galilean (2004). 4. F, Galilee and Gospel (2002). 5. « One occasionally gets the impression that the quest for the historical Jesus is in danger of becoming the quest for the historical Galilee », F, Jesus, a Jewish Galilean, p. xi. 6. Il rappelle, au passage, ces différents changements de cap : F, The Jesus Movement, p. 123, 129, 140…

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livre en trois parties, espérant que le lecteur pourra faire le lien entre elles, parties qu’il intitule : « matrix, ministry, and mission » (p. 3). La première comprend trois chapitres : « “Galilee of the Gentiles” ? » ; « e Roman Presence » et « Palestinian Economy and Society ». Il ne s’agit pas là, selon Freyne, d’un banal arrière-plan mais, dit-il, d’une véritable matrice, d’un environnement vivant et dynamique, qui interfère constamment à tous les plans de la vie humaine et de l’activité en Galilée. Et qui marque donc, inévitablement, Jésus lui-même et son mouvement. Ce qui est évident dans la 2e partie, qui ne comprend qu’un chapitre sur le ministère de Jésus, « Situating Jesus ». Mais beaucoup moins apparent dans la 3e partie, la mission, dont traitent les quatre derniers chapitres : « e Jesus Movement in Jerusalem and Its Later History » ; « Remembering Jesus and Broadening Horizons in Galilee I : e Sayings Source » ; « Remembering Jesus and Broadening Horizons II : e Gospels of Mark and Matthew » ; et « Into the Second Century ». Il vaut la peine de signaler la superbe Introduction (p. 1-10), qui précise ce que l’auteur entend présenter, les lecteurs qu’il vise (pas seulement les spécialistes, mais aussi le grand public : average reader…) et révèle déjà, pour chaque chapitre, les positions qu’il va tenir sur l’essentiel des questions à débattre. Un texte auquel il est très utile de revenir après lecture de l’ensemble de l’ouvrage. Il n’est pas possible ici de relever les multiples points d’intérêt de cet ouvrage. Je retiens ce qui touche particulièrement la Galilée et ce qui paraît le plus important dans les débats actuels, qui concernent spécialement la recherche du Jésus de l’histoire. 1. Relation entre la Galilée et Jérusalem En tout premier lieu, et ce que Freyne appellera lui-même « one of the major emphases of this study » (p. 273) : la relation entre la Galilée, Jérusalem et son Temple. Un certain nombre d’auteurs modernes, s’inspirant en partie de textes bibliques qui parlent de la « Galilée des nations » (1  Mc  5,15 ou même Is 8,23–9,1, repris par Mt  4,15-16), ont soutenu et soutiennent que la Galilée avait continué à avoir une population païenne ou, à tout le moins, non juive, et cela jusqu’au temps de Jésus. Suivant en cela Albrecht Alt qui maintenait que la conquête assyrienne du nord de la Palestine au VIIIe  siècle AEC (-732) avait entraîné uniquement la déportation de l’élite en Israël7, laissant sur place une population qui, 7. Albrecht A, « Die Assyrische Provinz Megiddo und ihr späteres Schicksal », dans Kleine Schriften zur Geschichte des Volkes Israels, München, Beck, 1953-1964, vol. 2, 374-384.

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coupée de la Judée, de Jérusalem et de son Temple, aurait développé sa propre manière de vivre, ses coutumes et ses croyances. Dans cette perspective, la reconquête hasmonéenne au temps d’Aristobule (104-103 AEC) aurait été perçue par les Galiléens comme une invasion, une imposition venue du sud, créant alors en Galilée une situation permanente de conflit. Situation de conflit où la population indigène était soumise au pouvoir de la Judée, laquelle agissait, par ailleurs, au temps de Jésus, pour le compte des Romains. D’où l’affirmation d’une opposition séculaire entre la Galilée et la Judée, entre la Galilée et Jérusalem et la religion du Temple. C’est la position reprise constamment par Richard Horsley dans ses très nombreuses publications8, et par d’autres auteurs à sa suite, comme André Myre, pour qui le Galiléen qu’était Jésus, comme aussi les rédacteurs de la Source Q, considéraient « Jérusalem, le Temple, le messie [… comme un] territoire étranger9 ». Freyne lui-même avait tenu cette position de Alt et Horsley. Mais dans un article de 1997, il reconnaissait que les nouvelles données archéologiques ne permettaient plus de supporter cette hypothèse d’une continuité ou permanence de la population israélite de la Galilée après l’invasion assyrienne10. Des recherches archéologiques indiquaient, en effet, que la très grande partie de la Galilée était restée quasi totalement inoccupée pendant les VIIe et VIe  siècles  AEC, contredisant l’opinion que seule l’élite de la population aurait été déportée. Jonathan L. Reed, entre autres, a présenté le détail de ces données et montré que la nouvelle population, qui s’est installée en Galilée à la fin du IIe siècle AEC, venait de Judée et apportait avec elle une culture religieuse qui maintenait clairement le lien avec Jérusalem et la religion du Temple11. Le fait que Freyne revienne plusieurs fois dans ce dernier ouvrage pour rejeter cette « putative Jerusalem-Galilee opposition » (p.  242 ; voir aussi p. 1-2 ; 17-18, n. 7 ; 48 ; 124 ; 140 ; 242 ; 251 ; 273), en écartant explicitement les positions de Alt et Horsley (p.  17-18, n.  7), montre bien l’importance

8. Voir, entre autres, H, Archaeology, History, and Society in Galilee, p. 22-28. 9. M, La source des paroles de Jésus, Q, p. 94-95, 203-204. 10. Seán F, « Town and Country Once More. e Case of Roman Galilee », dans Galilee and Gospel, 59-72, p.  67 – d’abord paru dans E – MC (dir.), Archaeology and the Galilee, 49-56. Par la suite, il est revenu plusieurs fois sur cette nouvelle perspective, notamment : Seán  F, « e Geography of Restoration. Galilee-Jerusalem Relations in Early Jewish and Christian Experience », dans NTS  47 (2001) 289-311 (surtout p. 297-299) et F, Jesus, a Jewish Galilean, p. 15 et 61-62. 11. Jonathan L.  R, Archaeology and the Galilean Jesus, p.  23-61. Voir spécialement : « e Identity of the Galileans. Ethnic and Religious Considerations », p. 29-34, où Reed conclut que « e position of Alt and its revival by Horsley must be abandoned » (p. 34). J, Herod Antipas in Galilee, p. 6-7 et 22, va dans le même sens.

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qu’il accordait à ce lien de la Galilée de Jésus avec Jérusalem et la religion du Temple. C’est une conclusion, désormais incontournable, qui oblige à réorienter une grande partie de la recherche sur le Jésus de l’histoire. 2. Les modèles et l’archéologie Un autre point important sur lequel Freyne s’attarde, et qui a aussi des répercussions sur la recherche du Jésus de l’histoire, est celui de l’utilisation des modèles, dans l’exploration notamment de la situation sociale et économique de la Galilée d’Antipas (de -4 à 39), qui est précisément celle aussi de Jésus (de -6 environ à 30). Encore ici, l’objectif est de bien comprendre la situation de la population à laquelle Jésus s’adresse, le contexte, quand il commence son ministère public autour de l’an 28. Différents scénarios ont été proposés pour décrire cette situation, différences dues, selon Freyne, à une utilisation trop rigide des modèles d’interprétation des anciennes sociétés agraires. Les dangers sont réels, en effet, de permettre aux modèles abstraits de dicter le résultat du portrait, en l’absence même de données le justifiant. La procédure que Freyne propose ici consiste à combiner l’approche déductive des modèles et l’approche inductive basée sur les données recueillies sur le terrain (p.  6, 91). Deux visions de la situation socio-économique de la Galilée rurale du Ier  siècle circulent actuellement parmi les spécialistes12. D’un côté l’interprétation de crise ou de conflit, issue des modèles, décrit une situation catastrophique où les paysans, soudainement écrasés par de lourdes taxes en raison de l’urbanisation entreprise par Antipas (Sepphoris et Tibériade), s’endettent de plus en plus et, incapables de rembourser, sont finalement dépossédés de leurs terres, glissant au statut de fermiers ou de locataires (obligés de payer un loyer) ou de simples travailleurs journaliers, pour être finalement réduits, très souvent, à la mendicité ou condamnés à rejoindre les groupes de bandits sociaux qui écument le pays. De l’autre, l’interprétation d’harmonie ou de paix, qui se base principalement sur les données archéologiques et maintient qu’à l’époque d’Antipas la Galilée était exempte de grandes tensions ou de conflits importants, que l’urbanisation, malgré un impact certain sur la vie des villages, pouvait avoir des effets positifs, entraînant par exemple des possibilités de travail pour les artisans, possibilités aussi d’activités commerciales et même un certain essor économique.

12. Je reprends, dans ce qui suit, quelques éléments de mon article « Situation sociale de la Galilée d’Antipas et de Jésus » (chapitre 9 du présent livre).

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Parmi les modèles utilisés, celui de Moses I. Finley, qui soutient que les cités (antiques) parasitaient et exploitaient les campagnes, a exercé ici une grande influence13. C’est à partir de ce modèle, emprunté aux cités grecques, qu’on déduisait que le fait de rebâtir Sepphoris et de construire Tibériade ne pouvait que taxer et exploiter lourdement les paysans et les réduire à la misère. Un autre modèle, celui du sociologue omas  Carney14 , capable d’expliquer les mutations économiques rapides, semblait tout à fait pertinent pour décrire les changements de la Galilée de Jésus provoqués par le programme d’urbanisation d’Antipas : soudainement, grande demande de travailleurs, d’ouvriers spécialisés, de matériaux ; monétisation ; amélioration des routes pour le transport ; systèmes d’aqueduc ; etc. S’appuyant sur ces modèles et d’autres15, Richard  Horsley, en particulier, a appliqué à la Galilée le modèle de conflit et soutenu l’existence d’une hostilité profonde entre les nouvelles cités d’Antipas et les villages de Galilée16. C’est dans ce contexte de pression économique et de conflit entre l’élite et les paysans, entre l’empire (représenté par Antipas) et les Galiléens de souche (qui s’opposeraient aux Judéens de Jérusalem et du Temple, et à Rome indirectement), que Jésus lancerait son mouvement de protestation. Selon Horsley, Jésus est une figure socio-économico-politico-religieuse, qui s’est donné comme mission le renouveau socio-économique de la vie des villages d’Israël. Son activité est politique, ce sont les exégètes qui ont « dépolitisé » les évangiles17. Cette vue des choses a été contredite par les recherches archéologiques18, qui ont démontré que « l’urbanisation de la Galilée » n’a pas mené à l’appauvrissement des communautés rurales et des villages19. Les fouilles menées dans les zones rurales ont révélé, par exemple, l’existence de petites industries, sous-entendant certaines activités économiques. Si bien que Jensen peut conclure son important exposé sur les « Villages of Lower Galilee » en disant simplement, comme s’il s’agissait d’une

13. F, The Ancient Economy (1977) ; I, Economy and Society in Ancient Greece (1982). 14. C, The Shape of the Past. 15. En particulier ceux de L, Power and Privilege et de K, The Politics of Aristocratic Empires. 16. À partir de 1989, avec H, Sociology and the Jesus Movement. 17. Voir H, Jesus and Empire, p. 155. 18. J, Herod Antipas in Galilee, p. 126-186 (chap. 5 : « Herod Antipas and the Archaeology of Galilee »), qui présente les différentes fouilles faites dans la Basse-Galilée. 19. Ce que F, The Jesus Movement, reconnaît : « us the proposal that “urbanization of Galilee” as reflected in Sepphoris and Tiberias led to a major impoverishment of the country people is not corroborated by the archaeological discoveries », p. 128-129.

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évidence, que : « In the first part of the first century CE, the villages surveyed all appear to have flourished20. » C’est dans ces longs débats que s’est développée la carrière de Seán Freyne. Son parcours ne s’est pas déroulé en ligne droite et a plusieurs fois évolué. Tenant de la position d’harmonie dans son premier ouvrage, Galilee from Alexander the Great to Hadrian (1980), il est passé à l’interprétation de crise, qu’il a soutenue pendant plusieurs années, à partir de 199221, l’accentuant fortement en 199522, à l’aide des modèles de Finley et de Carney, qui supposaient l’exploitation des campagnes par les villes. Appliqués à la Galilée d’Antipas, ces modèles présumaient que la reconstruction de Sepphoris aurait exploité les villages et campagnes autour de la cité et provoqué un bouleversement social radical dans la Galilée du temps de Jésus. Mais c’est dans son Jesus, a Jewish Galilean, en 2004, que Freyne pousse le plus loin les choses, décrivant l’augmentation des taxes, l’endettement des petits propriétaires et l’accroissement des bandits sociaux qui parcourent le pays, rejoignant alors tout à fait les positions de Richard  Horsley23. C’est pour contrer cette situation que Jésus établit son mouvement, même si, selon Freyne, c’est dans une perspective plus religieuse que révolutionnaire24. Mais, à partir de 2011, sous l’influence de l’« important study » du chercheur danois Morten Jensen qui souligne qu’il n’existe aucun indice de déclin dans les sites des villages où on a fait des fouilles25, Freyne donne plus d’importance à l’archéologie et cherche une voie moyenne (a middle ground) entre archéologie et modèles26. Or, dans l’ouvrage qui est l’objet de la présente note critique, il dit son dernier mot. Il rappelle que dans une précédente étude (« Herodian Economics in Galilee » de 1995), « I, too, have attempted to model the Galilean economy under Antipas » (p.  123). Il reconnaît qu’une nouvelle génération de chercheurs commence à mettre en doute l’énorme crédit 20. J, Herod Antipas in Galilee, p. 178. 21. Seán F, « Urban-Rural Relations in First-Century Galilee. Some Suggestions from the Literary Sources », dans Lee I. L (dir.), The Galilee in Late Antiquity, New York, NY, e Jewish eological Seminary of America, 1992, 75-91. 22. Dans F, « Herodian Economics in Galilee » (1995). 23. F, Jesus, a Jewish Galilean, p. 134-135. Il admet alors volontiers son accord avec Horsley : « I share Horsley’s depiction of Judean society as conflictual » (p. 137). 24. Ibid., p. 138. 25. Jensen, Herod Antipas in Galilee, p. 186, concluait tout son chapitre sur l’archéologie de la Galilée en disant : « Based on the villages and towns that have been investigated, it seems clear that the first century until the war of 66 CE was a period that provided the stable conditions needed for expansion and growth. No dramatic impact has been verified. » 26. F, « Jesus in Context », p. 29.

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accordé à l’utilisation des modèles et concède que le caractère encore très modeste de Sepphoris au temps de Jésus n’autorise pas à en parler comme d’une cité parasitaire telle que celles décrites par Finley (p. 126). Il admet, étant donné la découverte de vestiges industriels dans plusieurs secteurs des villages où des fouilles ont été réalisées, les possibles liens commerciaux existant entre ces villages et le centre urbain (p. 127). Ainsi, dit-il, l’affirmation que « l’urbanisation de la Galilée » avait mené à un appauvrissement majeur des gens de la campagne « is not corroborated by the archaeological discoveries » (p.  129). Malgré tout, il ne se laisse pas convaincre tout à fait qu’il existait en Galilée, au temps de Jésus, « a vibrant economic environment » (p.  130) – sous le poids, peut-être, de toutes ses publications antérieures ? Pour lui, les seules données archéologiques ne seraient pas décisives pour déterminer les réalités économiques d’autrefois. Il revient donc à ce qu’il appelle « a middle ground » (p. 131). Tout en acceptant désormais que « there is no trace of economic and social decline in some of the larger villages », il conclut que l’organisation sociale de la Galilée était mixte, ainsi que son économie, et qu’on ne peut assumer que tous profitaient également de la prospérité (p. 132). On ne peut qu’être d’accord. Ainsi se terminent les trois chapitres d’ouverture centrés principalement sur la Galilée, l’objet essentiel des recherches de Freyne. La suite du volume reste de grande qualité, mais la présence de la Galilée y diminue progressivement. Freyne entre alors dans les débats qui marquent la recherche du Jésus de l’histoire et dans l’analyse des documents qui fondent cette histoire, soit principalement les textes canoniques du Nouveau Testament (surtout Q, Mc et Mt), et termine, plus brièvement, avec les textes alternatifs du IIe siècle. 3. Le Ministère de Jésus La Galilée, cependant, reste fortement présente dans le chapitre  4, « Situating Jesus », que Freyne appelle « the central chapter of the book » (p. 6). Il dit y reprendre substantiellement ce qu’il avait présenté dans son Jesus, a Jewish Galilean en 2004, malgré plusieurs ajouts et révisions. En fait, les révisions sont importantes. Il y affirme explicitement qu’il ne suit plus l’idée de Alt et Horsley « that there was an old Israelite population still living in Galilee in the first century C.E. » (p. 140). Quant à la situation économique et sociale de la Galilée, il reconnaît qu’il y a eu à ce sujet « considerable recent discussion » et annonce qu’il en reparlera plus loin (p. 140). En fait, il n’y revient que brièvement dans un commentaire des deux demandes du Pater sur le pain quotidien et l’oubli des dettes, qui

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reflètent, à son avis, « a social situation of mere subsistence and indebtedness indicative of the daily struggle for survival in peasant societies generally, one that would have been familiar to some, at least, of the Galilean crowds that followed Jesus » (p. 158-159). L’expresssion « some, at least » reconnaît qu’on ne peut généraliser la situation d’indigence. Mais on voit bien que Freyne reste ambivalent et n’accepte pas totalement ce que l’archéologie, selon Jensen, semblait démontrer et s’en tient à une nouvelle formulation de son « middle ground ». Par ailleurs, alors que l’insistance récente sur le ministère galiléen de Jésus a fait lever le spectre d’un Jésus non-juif, Freyne souligne fortement la judéité de Jésus dans une Galilée juive. C’était le sens du titre même de son livre : Jesus, a Jewish Galilean. Il maintient ainsi la naissance de Jésus à Nazareth (en Galilée donc), bien que dans une famille provenant possiblement de la Judée, lors de la grande expansion hasmonéenne (p.  135, 243). Il voit, dans l’établissement du groupe des Douze par Jésus, l’intention délibérée d’associer sa mission aux espoirs de restauration des tribus d’Israël, ce que confirme sa promesse annonçant aux disciples qu’ils jugeront les douze tribus d’Israël en Q 22,28-30 (p. 141). À la suite de G. eissen, il revient plusieurs fois sur la « révolution des valeurs » opérée par Jésus (p. 125, 139, 162, 164 spécialement et 184). Même si, à la suite de John P. Meier, il ne reconnaît aucune valeur historique au passage de Mc 7 sur les traditions de pureté, il maintient que Jésus, sans prendre de position formelle sur ces questions (d’où les débats qui continueront dans la première communauté : Ga  2,11-14 ; Ac  10,44-46 ; 15,18-20), aurait manifesté une certaine indifférence à ce sujet : il touche, en effet, les cadavres, permet aux femmes menstruées de le toucher, déclare que le sabbat doit céder face aux besoins humains… Bref, Freyne conclut, comme il l’avait fait dans son Jesus, a Jewish Galilean27, que la vision de Jésus « was more Abrahamic than Mosaic », envisageant la restauration d’Israël dans une perspective universelle plutôt que purement ethnique (p. 182, 289). 4. La Mission C’est l’objet des quatre derniers chapitres, où la présence de la Galilée s’estompe. En effet, si tout a commencé en Galilée, c’est Jérusalem, après la résurrection de Jésus, qui devient le centre. Tout part de là désormais, suivant une voie qui mène jusqu’à Rome. C’est la perspective retenue par Luc dans les Actes des Apôtres. Mais le succès de ce récit de Luc, s’en tenant quasi exclusivement à l’axe Jérusalem-Rome, a fait oublier, selon 27. F, Jesus, a Jewish Galilean, p. 67-70, 97-105.

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Freyne, cette autre direction qu’on pourrait appeler l’axe Jérusalem-Babylone (p.  241). En contraste, Freyne insiste sur l’importance de Jacques, qui garde vivante la participation juive dans l’universel plan de Dieu (p. 241). Il doit par ailleurs reconnaître qu’on n’a toujours aucune donnée archéologique ou littéraire (sauf Ac 9,31) permettant, avant Constantin, de parler d’une chrétienté en Galilée. Ce qui reste étrange quand on pense au succès du ministère de Jésus en ce coin du pays. Certains, il est vrai, tentent de rattacher à la Galilée la Source Q ou à l’évangile de Marc. Mais le fait que Q soit écrit en grec « ab initio » indique que ce document ne s’adressait pas à des villages juifs de la Basse-Galilée. Il faut plutôt penser, selon Freyne, à la Haute-Galilée ou à la Syrie (p. 257). Quant à Marc, si Freyne ne retient pas l’hypothèse romaine ni la tradition rapportée par Papias qui fait de Marc l’interprète de Pierre (p. 280) et reste plutôt vague : « somewhere in Galilee, or its immediate environs », le fait que Mc soit aussi écrit en grec et qu’il reconnaisse l’importance des Gentils (Mc  7,24-30 ; 7,31 et le second récit des pains en 8,1-10), lui fait conclure que Mc « belonged to the Hellenistai rather than the Hebraioi trajectory within earliest Christianity » (p.  295). Une trajectoire qui s’éloigne donc de la Galilée. Le dernier chapitre, « Into the Second Century », suit l’histoire du développement du mouvement de Jésus et nous entraîne au-delà des confins de la Judée et de la Galilée, vers Rome d’abord et les chrétiens du reste de l’Empire romain (p. 318-325), s’arrête ensuite aux relations entre juifs et chrétiens, où se prépare lentement et de façon diversifiée le Parting of the Ways, qui ne sera définitif, selon Freyne, qu’au IVe  siècle (p. 326-342) et se termine avec la floraison des écrits d’allégeance gnostique du IIe siècle et les premières hérésies combattues par Irénée. Mais on a quitté la Galilée depuis longtemps. Voilà donc le dernier mot de Seán Freyne. Ce qu’on retiendra surtout de toute sa carrière, ce sont ses études, virtuellement sans parallèles, de la Galilée, depuis les invasions assyriennes du VIIIe  siècle  AEC. Mais surtout il est devenu impossible de parler de la Galilée du temps de Jésus, sans rencontrer son nom à tous les tournants. Ce dernier ouvrage, autant par ce qu’il nous révèle de cette Galilée, et aussi de la grande probité du chercheur qui lui a consacré sa vie, sera reconnu comme le chant du cygne de Seán Freyne.

CONCLUSION

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LUC 1,14 : LES ORIGINES DE LA TRADITION ÉVANGÉLIQUE* Si, comme on a dit, « le commencement est le lieu de l’insaisissable, du radicalement impossible à percevoir », cet insaisissable, pourtant, n’a cessé « d’engendrer des récits1 ». Quand on reste, malgré tout, fasciné par le commencement, c’est à partir de ces récits et pas ailleurs, qu’il faut lancer la quête. C’est dans cette perspective qu’on peut regarder les récits évangéliques, nos évangiles canoniques. D’où viennent ces récits ? Ni Marc, ni Matthieu, ni Jean ne nous disent ce qui a précédé leur écriture. Luc est le seul, dans la préface remarquable de son évangile (Lc 1,1-4), à révéler jusqu’à un certain point, avec ses intentions, le secret de ses sources. C’est à partir de cette préface que je voudrais tenter d’appréhender quelque chose de ce qui n’est sans doute pas totalement saisissable : les origines de la tradition évangélique. Voici une traduction de cette préface, qui reflète évidemment une lecture du texte grec qui sera justifiée en cours de route : 1

  Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements accomplis parmi nous, 2 d’après ce que nous ont transmis ceux qui, dès le début, ont vu de leurs yeux et sont devenus serviteurs de la parole, 3 il m’a paru bon, à moi aussi, après m’être soigneusement informé de tout à partir des origines, d’en écrire pour toi un récit ordonné, très honorable éophile, 4 afin que tu puisses constater la solidité des enseignements que tu as reçus.

1. Paratexte historiographique… Avant d’aborder l’analyse de chaque verset, il faut jeter un regard plus général sur cette préface de l’évangile de Luc.

* Texte paru dans Maxime A – Emmanuel D – Marie  L (dir.), Fins et commencements. Renvois et interactions. Mélanges offerts à Michel Gourgues (Biblical Tools and Studies, 35), Leuven – Paris – Bristol, CT, Peeters, 2018, 193-211. 1. Pierre  G, Bible, mythes et récits de commencement (Parole de Dieu), Paris, Seuil, 1986, p. 8.

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Au début d’un récit, la préface est pour ainsi dire en « surplomb », un hors-texte, ou métadiscours (discours sur un discours), qui se prononce sur l’intention de la narration et fournit en quelque sorte un cadre herméneutique. La préface appartient, en effet, à ce que Gérard  Genette a appelé le paratexte, « l’un des lieux privilégiés de la dimension pragmatique de l’œuvre, c’est-à-dire de son action sur le lecteur », le « lieu particulier de contrat ou pacte générique2 » de lecture. C’est le rôle que joue Lc 1,1-4, la préface de l’œuvre de Luc, qui en indique le genre, en effet, et commande toute sa lecture. D’aucuns n’y ont vu, cependant, qu’une « convention littéraire », dont on n’aurait rien à tirer. En ce sens, on a plusieurs fois souligné le « flou rhétorique » de ces quatre premiers versets. Il est vrai que ni le nom de ses prédécesseurs, ni celui des témoins oculaires devenus serviteurs de la Parole, pas plus d’ailleurs que l’identité du mystérieux pronom à la première personne du pluriel (v. 1 : ἐν ήμῖν ; v. 2 : ήμῖν) ou celle du « je » qui pointe dans la préface (v. 3 : κἀμοί) ne sont livrés3.

Mais ce n’est là qu’une première vue et il est permis de penser autrement. C’est ce qui ressort, en tout cas, de l’analyse sémiotique que présente Agnès Gueuret des « trois paliers d’énonciation » du prologue de Luc, mettant en évidence les relations entre narrateur et narrataire, soulignant le nombre des acteurs (ou sujets performants) impliqués dans ce texte, le tout au service d’un certain pouvoir transmis à éophile, le constituant « garant de la /vérité/  du discours [c’est-à-dire du reste de l’œuvre de Luc, évangile et Actes] qui lui est destiné4 ». Ces quatre versets, bien loin d’être coupés de la suite de l’œuvre de Luc ou de prêter à confusion, nous disent au contraire – c’est ce que cet article voudrait 2. Gérard G, Palimpsestes, Paris, Seuil, 1982, p. 9, et précisé dans l’introduction d’un autre ouvrage I, Seuils, Paris, Seuil, 1987, p. 7-20. 3. Simon D. B, « L’événement contesté. Les actes des apôtres, chronique d’une rupture annoncée », RSR 102 (2014) 79-94, p. 82. Flou rhétorique relevé aussi par Jean-Noël A, L’art de raconter Jésus-Christ. L’écriture narrative de l’évangile de Luc (Parole de Dieu), Paris, Seuil, 1989, p. 221, et Loveday A, The Preface of Luke’s Gospel (SNTSMS, 78), Cambridge, UK, CUP, 1993, qui souligne « the obscurity of the preface », p.  105. Ce que Létourneau a porté à l’extrême en affirmant que « l’effet qui domine à l’issue du préambule s’approche de la confusion et de la perplexité, plutôt que de la solidité promise à éophile. Bref, au plan de la communication, la préface lucanienne ne paraît guère réussie », Pierre L, « Commencer un évangile : Luc », dans D.  M (dir.), La Bible en récits. L’exégèse du texte à l’heure du lecteur, Genève, Labor et Fides, 2003, p.  328. Pour une position tout à fait opposée, voir John M, « Luke’s Preface. e Greek Decree, Classical Historiography and Christian Redefinitions », dans NTS 57 (2011) 461-482, p. 482, qui n’hésite pas à dire que la préface de Luc est « one of the greatest of all Classical historiographical prefaces ». 4. Agnès G, L’engendrement d’un récit. L’Évangile de l’enfance selon saint Luc (LD, 113), Paris, Cerf, 1983, p. 245-259, spécialement 246 et 252.

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montrer – comment, en fait, on est passé de Jésus aux évangiles et, d’une certaine manière, à tout le NT, révélant, autant que faire se peut, les origines de la tradition évangélique. Revenons tout de même à quelques points hautement discutés, avant de passer à l’analyse proprement dite. Il est acquis, parmi les critiques, de ranger la préface de Luc parmi les textes grecs de haut niveau. Qu’il suffise de rappeler le commentaire de Blass-Debrunner : « e prologue to the Gospel of Luke is a beautiful period, [déployant] a beautiful relationship between the protasis with its three members and the corresponding structure of the apodosis5. » Mais à quel genre littéraire faut-il la rattacher ? Un consensus quasi complet la rangeait dans la tradition historiographique. Henry J. Cadbury, en particulier dans The Making of Luke-Acts – où il avait démontré que l’évangile de Luc et les Actes n’étaient pas deux ouvrages indépendants, bien que de la plume d’un même auteur, mais « a single / continous work » auquel il donna le nom de « Luke-Acts » – en avait donné l’expression définitive 6. Loveday Alexander, dans The Preface of Luke’s Gospel (étude fouillée basée sur sa thèse de 1978) s’est opposée à cette vue générale, soutenant que la préface de Luc appartenait plutôt à une prose technique, qu’elle finira par qualifier de scientifique, au sens de l’allemand wissenschaftlich, qu’on retrouve dans différents traités (médecine, philosophie, mathématiques, ingénierie et beaucoup d’autres). Plusieurs auteurs ont critiqué cette thèse et maintenu l’approche historique7. Mais Alexander elle-même, dans un article remarquable, où elle avoue sa « (reluctant) conversion to authorial unity » de Lc-Ac, est amenée à conclure que Luc a conçu son travail dès le début (donc, dès la préface de l’évangile) comme un ensemble de deux volumes dans lequel l’histoire de l’évangile serait équilibrée et poursuivie par les histoires des apôtres8. Deux histoires, en somme… Tout en refusant toujours de rattacher Luc à l’historiographie grecque (principalement parce que Luc n’écrit pas le grec classique, cette « haute » écriture

5. Friedrich B – Albert D – Robert W. F, A Greek Grammar of the New Testament and Other Early Christian Literature, Chicago, IL – London, UK, e University of Chicago Press, 1961, p. 464. 6. Henry J. C, The Making of Luke-Acts. With a New Introduction by Paul N. A, Peabody, Hendrickson, 19993 (19582, 1927), p. 8-9. 7. On peut voir une excellente réponse aux arguments d’Alexander dans Nathalie S-W, « Le projet littéraire de Luc d’après le prologue de l’évangile (Lc 1,14) », dans RevScRel 79 (2005) 39-54, p. 40-42. 8. Loveday A, « Reading Luke-Acts from Back to Front », dans Acts in its Ancient Literary Context (LNTS, 298), London, UK – New York, NY, T&T Clark, 2005, 207-229, p. 223-224) ; article paru d’abord dans Joseph V (dir.), The Unity of Luke-Acts (BETL, 142), Leuven, Peeters, 1999, 419-446.

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caractéristique des livres d’histoire), elle finira tout de même par concéder que Luc « may well be (in fact I believe he is) attempting to write a different kind of history 9 ». Elle ne dit pas ce que serait cette histoire d’un nouveau genre ! Il revient à Daniel Marguerat, dans le livre où il présente Luc comme « le premier historien du christianisme10 » d’avoir précisé en quelque sorte cette histoire nouveau genre et définit la « position d’historien » de Luc. S’inspirant du Comment écrire l’histoire de Lucien de Samosate11, il montre que « l’écrit lucanien [Lc-Ac] correspond aux standards historiographiques gréco-romains12 ». Mais si Luc se coule dans le moule des procédures narratives gréco-romaine13, il s’en sépare spécialement par le sujet qu’il traite et sa lecture de l’histoire est croyante, comme toute l’historiographie juive. Marguerat endosse ainsi tout à fait la position de Cadbury qui recherche la clef de la démarche lucanienne « au carrefour des historiographies grecque et juive14 ». Ce qui se vérifie dès le départ du texte de Luc quand, après la préface de style tout à fait grec, il passe en 1,5 au style sémitique où sa datation : « il arriva dans les jours du roi Hérode » reprend une formule courante dans la Septante (1  Ch  4,41 ; 5,10.17 ; 2  Ch  14,1 ; Is  7,1 ; Jr  1,2.3, etc.)15. On retiendra donc, avec F. Bovon que, dans la préface de son évangile, Luc « déclare ouvertement ses intentions littéraires, historiques et théologiques16 ». 2. Analyse de Lc 1,1-4 Mais, à la recherche des origines de la tradition évangélique, il faut entrer dans la singularité de la préface de Luc. Le premier mouvement de la période est constitué par les deux premiers versets. 9. A, Acts in its Ancient Literary Context, p. 19. 10. Daniel M, La première histoire du christianisme. Les Actes des apôtres (LD, 180), Genève – Paris, Labor et Fides – Cerf, 1999, p. 26-42, spécialement 9 et 11. Ce que Marguerat a magnifiquement repris et développé sous le titre : I, « Luc, pionnier de l’historiographie chrétienne », dans L’aube du christianisme, Genève – Paris, Labor et Fides – Bayard, 2008, 377-402. 11. L  S, Comment écrire l’histoire, éd. André H (Roue à livres, 55), Paris, Les Belles Lettres, 2010. 12. M, La première histoire du christianisme, p. 28. 13. Ibid., p. 36. 14. M, L’aube du christianisme, p. 383 ; I, La première histoire du christianisme, p. 42. 15. Simon B, « Luc  1-2, prélude d’un récit tragique », dans ETR  87 (2012) 487-508, p. 496-497, souligne « l’orgie de grec sémitisant » de l’Évangile de l’enfance et rappelle les constructions exclusivement adoptées par Luc qui ont de nombreux parallèles dans la Septante. 16. B, L’évangile selon saint Luc (1,1-9,50), p. 44.

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2.1 Lc 1,1 : Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements accomplis parmi nous… 2.1.1 Les événements Ce qui est en jeu et dont va traiter tout le long récit que Luc annonce à éophile, ce sont les πράγματα accomplis parmi nous, ce qu’on traduit par événements. Ce mot (choses, affaires, événements) est on ne peut plus vague. On comprend qu’on puisse l’utiliser pour confirmer le caractère purement conventionnel de cette préface. Mais heureusement, en commençant son deuxième livre, Luc a lui-même pris la peine de nous éclairer : « J’avais consacré mon premier livre, éophile, à tout ce que Jésus avait fait et enseigné depuis le commencement jusqu’au jour […] où il fut enlevé » (Ac 1,1). Les événements en question concernent ce que Jésus a fait et dit, une biographie « condensée dans le binôme faire et enseigner (cf. Lc  24,19)17 ». Dans sa courte préface aux Actes, Luc fait donc luimême la relation avec son premier livre et nous invite à comprendre que la préface que nous lisons au début de l’évangile vise également les événements qui seront racontés dans le deuxième livre, événements qui, dès lors, font aussi partie des « choses accomplies parmi nous18 ». On peut d’ailleurs penser, comme Cadbury l’a suggéré, que Luc n’a écrit Lc 1,1-4 qu’après avoir terminé l’ensemble de son œuvre, comme les préfaces sont souvent écrites, ou, plus précisément, entre les deux récits, après la fin de l’évangile et au moment d’attaquer le second livre19. 2.1.2 Accomplis parmi nous Au point de départ de la tradition évangélique : le Jésus de l’histoire, des faits et des paroles. D’où, en passant, l’importance et la pertinence des recherches sur le Jésus de l’histoire. Mais Luc n’est pas qu’historien, 17. D  M, Les Actes des apôtres (1-12) (CNT,  Va), Genève, Labor et Fides, 2007, p. 37. 18. Voir : C, The Making of Luke-Acts, p. 9 ; F, The Gospel According to Luke (I-IX), p. 289 ; S-W, « Le projet littéraire de Luc », p. 43 ; B, « L’événement contesté », p. 79. Dans son commentaire des Actes, M, Les Actes des apôtres (1-12), p. 37 a bien montré comment Luc, en reformulant dans le prologue des Actes les derniers versets de l’évangile, construit « une unité sans failles entre Luc et Actes ». 19. Charles K. B, « e ird Gospel as a Preface to Acts ? Some Reflections », dans V S et al. (dir.), The Four Gospels 1992, 1451-1466, p. 1463 : « Prefaces are oen the last part of a book to be written, and, if this be true in the case of Luke, the consequence will be that Luke 1,1-4 was written between the two parts and with reference to both… »

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il est aussi théologien. Et on ne comprend le sens de ces πράγματα qu’en lien avec les mots qui leur sont accolés : πεπληροφορημένων ἐν ήμῖν. Les événements mentionnés ne sont rattachés à aucune circonstance d’espace ou de temps. Leur lieu est un lieu humain, ces πράγματα ont trouvé leur plénitude en nous20. Un « nous » qui inclut au moins, évidemment, le « je » du narrateur et son narrataire ou destinataire, éophile. Si le mot événement nous renvoie à de l’historique, le verbe accomplir, en contexte biblique, fait résonner une connotation religieuse, les événements sont « ce que Dieu a voulu qu’ils soient21 ». Πεπληροφορημένων est un parfait passif qui décrit l’agir de Dieu. Ce parfait qui désigne, en tant que tel, des événements passés aux effets qui perdurent fonde ce qu’on a appelé récemment « l’effet éophile ». L’effet que vise ici l’écriture lucanienne n’est pas seulement d’instruire ou d’informer éophile ou les lecteurs à venir, mais un effet de reconnaissance de cette parole qui doit ainsi trouver un écho en eux. Quelque chose de cette parole (au singulier au v. 2), parole de Dieu prêchée par les apôtres (comme le rapportent les Actes : 4,31 ; 6,2.7 ; 8,14 ; 11,1, etc.), a déjà atteint éophile à travers les paroles (au pluriel, v. 4) qu’il a reçues, lui et les lecteurs qu’il symbolise. Luc se propose d’écrire pour confirmer ce que éophile a déjà en lui. Son récit et la lecture qui en sera faite constituent une « mise en œuvre de la résonance de la “parole” déjà entendue22 ». Alors qu’on a parlé à ce propos d’une « ambiguïté quasi totale23 », Marguerat a fort bien énoncé la portée de ces « nous » (celui du v. 1 et celui du v. 2), qui renvoie[nt] à une communauté de lecture théologique, une communauté de foi, célébrant les événements narrés comme événements de salut. Dit autrement : Luc fait d’emblée référence à une réception croyante de l’histoire qu’il va raconter, réception garantie par l’appartenance à une tradition qui lie émetteur et récepteur du message24.

C’est là l’établissement d’un « pacte de lecture » entre Luc et éophile et, au-delà de ce dernier, les lecteurs potentiels. Ces lecteurs potentiels 20. Voir François  M, Actes des apôtres. Lecture sémiotique, Lyon, Profac – Cadir, 2002, p.  16-17 : « […] dans le prologue, ces pragmata ne sont définis ni par le temps ni par le lieu géographique où ils se sont passés. » 21. B, L’évangile selon Luc (1,1-9,50), p. 38. 22. Anne F, L’annonce de la bonne nouvelle aux pauvres. Une théologie de la grâce et du Verbe fait chair, Montréal, Médiaspaul, 2005, p. 32. C’est Anne Fortin qui semble avoir créé l’expression « effet éophile », tout en s’inspirant des lectures sémiotiques de Louis P, La naissance du fils de Dieu. Sémiotique et théologie discursive. Lecture de Luc 1-2 (Cogitatio fidei, 164), Paris, Cerf, 1991, et de M, Actes des apôtres. 23. L, « Commencer un évangile », p. 331. 24. M, L’aube du christianisme, p. 391.

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sont pour ainsi dire définis par le statut de éophile, déjà chrétien ou catéchisé (1,4). L’évangile prend donc place « dans une relation faite d’une foi partagée à des événements salutaires (les “événements accomplis parmi nous”) et d’une adhésion partagée à une tradition (“ce que nous ont transmis les témoins”)25 ». Bien sûr, ce que Luc va raconter, aussi bien dans l’évangile que dans les Actes, relève de l’histoire profane, universelle26, « mais surtout d’une histoire singulière qui appartient à Dieu […] Au travers d’une narration des faits advenus, c’est à une anamnèse croyante et édifiante des origines chrétiennes que Luc convie son lectorat27 ». 2.1.3 Les « beaucoup » qui ont entrepris de composer un récit… Pour certains, la mention de ces πολλοὶ relèverait d’un « procédé rhétorique », dont il ne faudrait pas trop forcer le sens28. Il reste que Luc a connu des récits antérieurs de ces « événements accomplis parmi nous ». Faut-il y voir ses sources ? Il ne dit pas s’en être inspiré. Il ne dit pas non plus vouloir les corriger. Il n’est pas nécessaire de donner au verbe ἐπιχειρέω, entreprendre, un sens négatif (malgré la nuance péjorative en Ac  9,29 et 19,23)29. Ces devanciers ont écrit comme Luc s’apprête à le faire, d’après les « témoins oculaires et serviteurs de la parole ». Ils n’ont pas été mal informés. Le κἀμοὶ du v. 3 laisse entendre qu’à ce point de vue la situation de Luc est semblable à la leur. On admettra tout de même que si Luc pense devoir encore écrire, c’est qu’il possède un surplus d’informations, quelque chose en tout cas, que n’offraient pas les récits antérieurs pour raffermir la foi de éophile. Quels étaient ces récits antérieurs ? Comme l’a noté Marguerat, « la perspective de pouvoir identifier un jour ces “beaucoup” qui ont précédé le travail de Luc est excitante30 ». D’une certaine manière, cette question est familière aux recherches sur la composition des évangiles, spécialement aux recherches infinies sur le problème synoptique. Selon la solution la plus courante, la théorie des Deux-Sources – que j’estime être toujours la meilleure –, Lc dépend de l’évangile de Marc et d’un autre 25. M, La première histoire, p. 40. 26. Voir Lc 2,1 et Ac 11,28 (πᾶσα/ὄλη ὴ οικουμένη). 27. B, « L’événement contesté », p. 82. Voir encore, pour cette « histoire marquée de l’intervention de Dieu », S-W, « Le projet littéraire de Luc », p. 47. 28. S-W, « Le projet littéraire de Luc », p. 45. 29. Et malgré ce qu’en pensait Eusèbe de Césarée, estimant que Luc aurait jugé nécessaire « de nous débarrasser des suppositions incertaines faites par les autres […] » (Hist. Eccl. III, 24, 15). Voir E  C, Histoire ecclésiastique, éd. Gustave B – Louis N (Sagesses chrétiennes), Paris, Cerf, 2003. 30. M, L’aube du christianisme, p. 382.

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texte, connu aussi de Mt mais non de Mc, texte hypothétique contenant surtout des paroles de Jésus qu’on appelle la source Q31. En Ac 1,1, Luc nous disait avoir consacré son premier livre à ce que Jésus avait fait et enseigné. Comme il est notable que Mc contient moins de discours que Mt et Lc et rapporte plutôt les faits de la vie de Jésus32, il est tentant de voir en Mc la source des faits racontés par Luc, et en Q la source des paroles qu’il attribue à Jésus. Mais ces écrits, comme ceux de l’ensemble des πολλοὶ évoqués par Luc, ne sont pas la source première de la tradition évangélique. Ils sont tous « d’après », leurs auteurs n’ayant écrit que καθὼς, selon ce qu’on leur a transmis, dépendants de témoins et serviteurs de la Parole qui les ont précédés. C’est ce qu’exprimait déjà d’ailleurs, en un sens, au v. 1, le verbe composé ἀνα-τάσσομαι, remettre en ordre, compiler, qui n’exprime pas l’idée d’une nouvelle création, mais la mise en ordre de matériaux préexistants33. Passons donc à ceux qui ont précédé ces écrits. D’où viennent ces matériaux ? 2.2 Lc  1,2 : d’après (ou selon) ce que nous ont transmis ceux qui, dès le début, ont vu de leurs yeux et sont devenus serviteurs de la parole La traduction de ce texte n’est pas aussi simple qu’il pourrait paraître à première vue34. On en rencontre deux qui sont quasi emblématiques et l’écho de nombreuses discussions : celle de la Bible de Jérusalem (BJ) qui se lit actuellement (édition de 1998) : « d’après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la Parole35 » ; et 31. Il n’est pas question d’entrer ici dans les débats sur l’existence d’un proto-Marc ou d’un proto-Luc. Même si Marie-Émile  B, En quête du Proto-Luc (Études bibliques n.s., 37), Paris, Gabalda, 1997, pensait avoir décelé « un document archaïque qui court tout au long de l’évangile de Luc, à commencer par l’évangile de l’enfance, et qui se poursuivra dans les Actes des apôtres » (p. 335), qui aurait été composé par « le même auteur qui accompagna Paul dans ses voyages par mer et tint un Journal précis des étapes de ses déplacements » (p. 341). 32. Voir Samuel B, Story as History – History as Story. The Gospel Tradition in the Context of Ancient Oral History (WUNT,  123), Tübingen, Mohr Siebeck,  2000, p. 287 : « Although the Markan narrative depicts Jesus as an authoritative teacher, the initial impression it conveys is that the actual teaching material plays only a minor role. Instead, in accordance with Acts 10:38-39a, his deeds are in focus. » 33. A, The Preface to Luke’s Gospel, p.  110 : « […] the ordering of preexistent material rather than creation de novo ». 34. Lc 1,2 : καθὼς παρέδοσαν ἡμῖν οἱ ἀπ᾽ ἀρχῆς αὐτόπται καὶ ὑπηρέται γενόμενοι τοῦ λόγου. Je reprends dans ce qui suit des éléments de l’étude plus développée que j’ai consacrée à cette question, M, « De la Source Q comme reflet des “témoins oculaires” de Lc 1,2 » (chapitre 7 du présent livre). 35. Mais la traduction de la première édition en fascicules, due au chanoine Osty, portait, dans le texte : « tels que nous les ont transmis ceux qui, témoins oculaires du début, sont devenus ensuite serviteurs de la Parole », et en note seulement : « Ou : “ceux

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celle de la Traduction œcuménique de la Bible (TOB) qui dit : « […] d’après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et qui sont devenus serviteurs de la parole » (je souligne). Le désaccord porte sur le rôle et le sens à donner au participe aoriste γενόμενοι. Se rattache-t-il aux deux noms αὐτόπται et ὑπηρέται, ce que comprend la traduction de la BJ ? Ou uniquement à ὐπηρέται […] τοῦ λόγου, comme l’entend le texte de la TOB ? La position de la BJ semble reprendre celle énoncée, en un premier moment, par le père Lagrange dans son commentaire de l’évangile de Luc : « L’art[icle] οἰ dominant tout ce qui suit, il ne faut pas entendre qu’ayant été témoins d’abord ils se sont faits ensuite serviteurs de la parole36. » Pourtant, à peine quelques lignes plus loin, il semble avoir oublié ce qu’il vient de dire et écrit : « Dans Lc, αὐτόπτης se rapporte aussi à πραγμάτων qui précède. On était témoin oculaire des faits avant de devenir ministre de la parole dont ils confirmaient la vérité37. » Dans cette dernière perspective, il y a bien un seul groupe, mais deux temps à distinguer : un avant, celui de la vision ou de l’expérience des faits, puis un après (il faut bien dire : ensuite), le temps du ministère de la parole. À ceux qui objecteraient que si Luc avait voulu rattacher γενόμενοι au seul mot ὑπηρέται, avec le sens de devenir, il aurait dû répéter l’article défini (le οἱ) après καὶ, R.J. Dillon a bien répondu que : « […] this would have implied that the αὐτόπται and ὑπηρέται were at least partially different groups, whereas Lk clearly intends to characterize one and the same group in two successive stages38. » A. Feuillet aussi a contesté la lecture en deux temps, rattachant τοῦ λόγου aussi bien à αὐτόπται qu’à ὐπηρέται, mais principalement pour une raison théologique. Sans voir une « hypostase de la Parole » en Lc 1,2, il pressentait en Luc « un acheminement remarquable vers la christologie johannique »,

qui furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la Parole”, c’est-à-dire de l’Évangile » ; O, L’évangile selon saint Luc, p.  25. Mais, à partir de la deuxième édition (1953), les choses sont inversées : ce qui était en note passe dans le texte principal et le texte principal se retrouve en note. C’est ce qu’on a désormais dans le texte de l’édition en un volume (mais sans note !). Voir aussi B –  B, Synopse des quatre Évangiles en français avec parallèles des Apocryphes et des Pères, Paris, Cerf, 20016 (1965), t. I, p. 2 : « ceux qui furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la Parole ». 36. L, Évangile selon saint Luc, p. 4. 37. Ibid., p. 5 (je souligne). 38. D, From Eye-Witnesses to Ministers of the Word, p.  271 n.  114. Même s’il estime qu’il ne faut pas insister autant que Dillon sur le fait que ceux qui ont été témoins oculaires depuis le commencement sont devenus par la suite ministres de la Parole (ce que le titre du livre de Dillon met en évidence), B, Jesus and the Eyewitnesses, p. 123, finit par reconnaître que « nevertheless it is clear that “from the beginning” qualifies only “eyewitnesses,” and it must be assumed that these eyewitnesses became also ministers of the word only at a later stage » (je souligne).

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où les αὐτόπται de Lc  1,2 rejoindraient ceux qui ont entendu et « vu de leurs yeux » le « Verbe de vie » (τοῦ λόγου τῆς ζωῆς) en 1 Jn 1,139. É. Delebecque a repris le même parallèle entre Lc 1,2 et la tradition johannique, où le λόγος au singulier désigne le Verbe incarné40. Malgré son grand intérêt, cette lecture théologique ne peut être retenue. Ni le ton général du prologue de Luc, ni aucun autre emploi du mot λόγος, aussi bien dans l’évangile que dans les Actes, n’autorise cette vue des choses. F. Bovon hésite aussi à rattacher γενόμενοι au seul ὑπηρέται : « Le passage parallèle d’Ac 26,16 (ὑπηρέτην καὶ μάρτυρα, “serviteur et témoin”), comme l’usage grec selon lequel on « devient » témoin, impliquent qu’il convient de choisir la seconde solution [qui relie γενόμενοι aux deux noms] : témoins et serviteurs ils le sont devenus41. » En fait, cependant, le passage n’est pas exactement parallèle : en Lc 1,2 c’est αὐτόπτης qui est lié (en le précédant) à ὑπηρέτης et non μάρτυς comme en Ac 26,16. Dans un article remarquable, É.  Samain a montré que μάρτυς et ὑπηρέτης sont quasi-synonymes en Luc. Il précisait : « Nous croyons être autorisé à voir dans le ὑπηρέτης du prologue lucanien une expression de la μαρτυρία et à rapprocher plus valablement encore Lc., I,2 et Act., 1,21-2242. » Mais il n’en va pas de même de αὐτόπτης et μάρτυς. Dans la perspective de Luc, ces deux mots ne sont pas synonymes, même si, en français, on les traduit malheureusement tous les deux par « témoin ». Il faut bien voir que les apôtres, qui ont été avec Jésus depuis le commencement, αὐτόπται donc, ne deviennent μάρτυρες, selon Luc, qu’après la réception de l’Esprit, comme le dit aussi clairement que possible Ac 1,8 : « vous allez recevoir une puissance, celle du Saint-Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins (μάρτυρες) à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre ». Il ne faut pas se laisser tromper par la traduction que nous donnons spontanément au mot αὐτόπται. Cet hapax, non seulement du NT mais de toute la Bible grecque, désigne ceux qui ont vu de leurs yeux, et, comme J. Dupont le faisait très bien remarquer : pour traduire αὐτοπται, il serait « maladroit d’employer déjà le mot “témoin” en parlant de “témoins oculaires” : les autoptai ne sont pas encore des martyres, ils remplissent seulement une condition indispensable pour le devenir ». Et en note, il rendait Lc 1,2 par : « ceux qui ont vu de leurs yeux et sont devenus “serviteurs de la Parole”43 ». Les apôtres ne parviennent au statut de témoins qu’après un devenir dû à l’Esprit. Il faut donc, à leur 39. 40. 41. 42. 43.

F, « “Témoins oculaires et serviteurs de la Parole” (Lc 1,2b) », p. 246 et 253. D, Études grecques sur l’évangile de Luc, p. 5-6. B, L’évangile selon saint Luc (1,1-9,50), p. 39. S, « La notion de ἀρχή dans l’œuvre lucanienne », p. 229. Jacques D, Nouvelles études sur les Actes des Apôtres, p. 122.

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sujet, parler de deux étapes. Ils ont d’abord été avec Jésus depuis le commencement, l’ἀρχή de son « activité terrestre » (voir l’ἀρχή de Lc 1,2 et l’ἀρξάμενος d’Ac 1,22), à partir du baptême de Jean. Avant Pâques donc. C’est le temps de l’« autopsia », condition nécessaire pour devenir témoin de la Résurrection (voir Ac  1,22). Selon Luc, en effet, on ne peut être apôtre et témoigner à ce titre du Ressuscité si on n’a pas connu le Crucifié et la vie qui a mené à cette mort44. Mais qui étaient ces αὐτόπται ? Est-il possible d’en rejoindre quelquesuns au tout début de la tradition évangélique ? 2.2.1 À partir de Marc… D’abord, à partir de Marc, cela paraît possible. Nous savons, en effet, d’après Papias45 que l’évangéliste Marc aurait été l’interprète de Pierre (ἑρμενευτὴς Πέτρου), rapportant « sans ordre tout ce dont il [Pierre] se souvenait de ce qui avait été dit et fait par le Seigneur46 ». À la source de Mc, on a donc Pierre, un de ces αὐτοπται auxquels Luc rattache l’origine de la tradition évangélique47. Simon, qui deviendra Pierre (Mc 3,16), est le premier disciple mentionné en Mc (1,16) et aussi le dernier (16,7), comme en inclusion. Comme il le dira lui-même plus tard chez le centurion

44. Sur le statut particulier de Paul comme témoin, cependant, voir D, Nouvelles études sur les Actes des Apôtres, p. 126-127, mais aussi TOB 1972 en Ac 13,31 (note o) et les notes en Ac 22,15 et 22,21. 45. Selon Eusèbe  de Césarée, Hist. Eccl. III,39,15, mais la référence à Marc comme interprète de Pierre est aussi confirmée par Irénée de Lyon, Contre les hérésies III,1,1. Voir I  L, Contre les hérésies. Livre III, éd. Adelin R – Louis D (Sources chrétiennes, 210), Paris, Cerf, 2002 (1977). Sur le passage du « système de Papias » dépendant de la tradition orale à celui mis au point par Irénée, selon lequel c’est dans les écrits (voir l’évangile tétramorphe, Contre les hérésies  III,11,8) que l’on doit chercher le message évangélique authentique, voir Enrico N, « Papias de Hiérapolis a-t-il utilisé un recueil “canonique” des quatre évangiles ? », dans Gabriella A – Éric J – Enrico N (dir.), Le canon du Nouveau Testament. Regards nouveaux sur l’histoire de sa formation (MdB, 54), Genève, Labor et Fides, 2005, 35-85. 46. Il est vrai qu’Eusèbe ne semble pas prêter une grande intelligence à Papias, qu’il traite de « petit esprit » (σπόδρα γάρ τοι σμικρὸς ῶν τὸν νοῦν, Hist. Eccl. ΙΙΙ,39,13), en raison peut-être de son millénarisme. Mais Papias, le premier à nommer deux évangélistes, Marc et Matthieu, était en très bonne position, semble-t-il, pour connaître des faits intéressants sur l’origine des évangiles. Norelli dit avec raison que « ce que nous connaissons de Papias est de première importance pour nous permettre d’étudier le chemin qui mènera à la fixation d’un canon d’écritures chrétiennes » ; N, « Papias de Hiérapolis », p. 35. Voir encore sur Papias les longs développements de B, Jesus and the Eyewitnesses, p. 12-38 et 417-437. 47. Sur les relations entre Marc et Pierre dans le NT (1 P 5,13 le nomme son « fils ») et spécialement l’importance de Pierre dans le récit de Marc, voir l’excellente étude de B, dans Story as History, p. 272-292.

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Corneille, au dire de Luc, alors que « l’événement » (ῥῆμα48) commencé en Galilée avait gagné la Judée entière, Pierre fut témoin « de tout ce que Jésus avait fait sur le territoire des Juifs et à Jérusalem » (Ac  10,39), le témoin oculaire par excellence (voir toutes les mentions de son témoignage dans les Actes : 1,22 ; 2,32 ; 3,15 ; 4,20 ; 10,39…). C’est ce Pierre que Paul ira rencontrer à Jérusalem pour faire sa connaissance (ἰστορῆσαι : s’informer, connaître par information). À partir de Pierre, Paul va, pour ainsi dire, remonter lui aussi aux origines de la tradition évangélique. Paul, on le sait, n’a pas connu Jésus. Il parle peu, non plus, de Jésus de Nazareth (celui des évangiles), mais prêche surtout le Ressuscité rencontré sur son chemin… Ce n’est pas dire qu’il ignorait les traditions venues de Jésus. J.D.G.  Dunn a fait un relevé des échos de la tradition synoptique dans les lettres de Paul, même si celui-ci ne les rattache pas directement à l’autorité de Jésus. Le fait que presque toutes les références à la tradition évangélique, dans les lettres du NT (celles de Paul, mais celle aussi de Jacques et la première de Pierre), soient sous forme d’allusions ou d’échos confirme seulement, comme le note Dunn, que ces lettres « were not regarded as the medium of initial instruction on Jesus tradition to new churches49 ». On peut présumer qu’au temps de leur établissement les Églises recevaient, en tout premier lieu, une bonne connaissance de ce que Jésus avait fait et dit. Mais que connaissait Paul, en fait, du Jésus d’avant Pâques ? Les « quelques jours » (Ac 9,19) passés avec les disciples à Damas après sa « conversion » furent sans doute consacrés à s’entretenir de ce Jésus qu’il avait persécuté (Ac 9,4-5). Mais la rencontre avec Pierre, trois ans plus tard, fut plus décisive : « je suis monté à Jérusalem pour faire la connaissance de Céphas et je suis resté quinze jours auprès de lui, sans voir d’autre apôtre, sinon (εἰ μὴ) Jacques le frère du Seigneur » (Ga 1,18)50. Ce n’était pas pour une visite quelconque. Deux semaines de conversation avec Pierre, c’est, comme on a dit, beaucoup de conversation51. Qu’a-t-il appris durant ces jours ? On peut penser que Pierre lui aura raconté avant

48. « Événement – une intervention de Dieu dans l’histoire – éclairé par la Parole » (TOB, Ac 10,22 z). 49. D, Jesus Remembered, p. 184 (je souligne). 50. À la différence de Luc, Paul ne réserve pas le titre d’apôtre aux Douze (voir 1 Co 15,7). 51. Richard B, Jesus and the Eyewitnesses, p.  266. Birger G, Memory and Manuscript. Oral Tradition and Written Transmission in Rabbinic Judaism and Early Christianity, Lund – Uppsala, C.W.K.  Gleerup – Ejnar  Munksgaard, 1961, p. 298, l’a relevé de façon piquante : « A Paul does not go up to Jerusalem to Peter, the “Rock”, merely to talk about the weather (Dodd). And a man with Peter’s commission does not waste a fortnight talking rubbish. It can be little doubt that during this time the word of Christ “was between them” […] ».

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tout ce qu’il avait vécu avec Jésus, ce qu’il avait vu, lui le témoin, et entendu (voir Ac  4,20). Informé à son tour de toute l’œuvre de Jésus (paroles et gestes), Paul est, en un sens, ramené au tout début de la tradition évangélique. Entre lui et Jésus, il n’y a qu’un seul intermédiaire, le témoignage de ceux qui ont vu et entendu Jésus. Si l’on donne quelque importance aux dires de Papias, on pourrait croire que ce que Paul a appris des souvenirs de Pierre ressemblait, en quelque sorte, à ce qu’on trouve dans l’évangile de Marc ! Le kérygme pascal qu’il a transmis aux Corinthiens (1 Co 15,34) est ce que lui-même avait reçu après l’événement de Damas qu’on placera autour de 36-37. Si on estime, avec Dunn, que ce kérygme « was formulated as tradition within months of Jesus’ death52 », on datera donc de l’an 30 l’origine de cette tradition. Sans être témoin oculaire, Paul est néanmoins devenu, à cette date, serviteur de la Parole. Luc le range parmi ces ὑπηρέται γενόμενοι τοῦ λόγου dont tout le livre des Actes, ce deuxième λόγος (Ac 1,1), fera l’histoire, racontant la suite des « événements accomplis parmi nous » (Lc 1,1). 2.2.2 Q et le Jésus d’avant Pâques Mais avec le livre des Actes, on est après Pâques. Existe-t-il une autre voie par laquelle nous pourrions atteindre le Jésus d’avant Pâques ? À mon avis, la Source Q pourrait nous ramener au plus près du Jésus de l’histoire. Il n’est pas question d’entrer dans le dédale des études sur Q. Je soulignerai seulement que c’est bien le reflet d’avant Pâques qu’on retrouverait principalement dans cette source de paroles de Jésus. Principalement, car on n’accède à cette Source qu’à travers Matthieu et Luc, qui l’ont intégrée, et sans aucun doute adaptée, à leurs écrits d’après Pâques. Reflet d’avant Pâques qui ne donne pas un accès direct au Jésus de l’histoire, cependant – il faut le noter – car, là encore, il s’agit de paroles transmises et donc interprétées. Mais tout de même de paroles reçues, transmises et interprétées avant Pâques, au temps de l’« autopsia », de paroles non encore marquées par l’événement de la mort-résurrection qui, si j’ose dire, « spiritualisera » tous les souvenirs (voir Jn 14,26 et 16,13). Si, comme document finalement rédigé, la source des paroles de Jésus date très certainement d’après Pâques (on la situe d’ordinaire vers l’an  50), son contenu général et les paroles de Jésus qu’elle a conservées remonteraient globalement aux αὐτόπται, à « ceux qui ont vu de leurs yeux53 ». Durant leurs 52. D, Jesus Remembered, p. 855 (l’auteur souligne). 53. Bien qu’il estime que le document hypothétique Q soit une œuvre littéraire et un évangile de plein droit – ce qu’il est permis de contester –, et qu’en conséquence son Jésus

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courtes itinérances de village en village avec Jésus, par la Judée entière en commençant par la Galilée (Ac 10,37), les disciples ont vu les gestes faits par Jésus, comment il était passé partout en faisant le bien (Ac 10,38). Ils ont entendu ses paroles et se les sont répétées les uns les autres, les fixant dans leur mémoire avec leur résonance galiléenne primitive, d’avant Pâques. Au passage, notons que cette origine prépascale rend compte de l’absence de référence à la mort salvifique de Jésus et à la résurrection dans ce document hypothétique qu’on tente de reconstruire et il n’y a pas lieu d’y supposer, comme on a dit, un kérygme différent54. Donc, dès avant la mort de Jésus, une tradition sur Jésus s’élabore et prend forme. N’oublions pas que Jésus a choisi les Douze « pour être avec lui et les envoyer prêcher » (Mc 3,14). Et de fait, il enverra les Douze en mission proclamer que « le Règne de Dieu s’est approché » (Mt 10,7 ; cf. Lc 9,2.6) et, selon Luc, il envoya soixante-douze autres disciples annoncer « dans toute ville ou localité où il devait aller lui-même » [que] le Règne de Dieu est arrivé jusqu’à vous » (Lc 10,1.9). Que pouvaient prêcher ces envoyés ? Il est clair que Jésus « would have taught them what to say55 » et qu’ils auraient donc transmis déjà quelque chose de l’enseignement de Jésus que présenteront plus tard les évangiles. Se joindre à Jésus dans son ministère « was to repeat to some extent what he proclaimed56 », en accord tout à fait avec la parole de Jésus en Lc 10,16 : « Qui vous écoute m’écoute. » Dunn affirme avec raison : « We may be confident that a good deal at last of the retellings of Jesus tradition now in the Synoptic Gospels were already beginning to take shape in that early pre-Easter preaching of the first disciples57. » C’est principalement Heinz Schürmann qui paraît à l’origine de cette prise de conscience. Comme l’a souligné S. Byrskog : « He had the ambition of bridging the

est figure littéraire et théologique comme celui des autres évangélistes, et non le Jésus historique, F, Q, A Reconstruction and Commentary, p.  171, a raison d’écrire : « Most of the words we find in Q come from Jesus’ lips. » Je comprends : des lèvres du Jésus d’avant Pâques. 54. Ainsi que Kloppenborg l’a soutenu dans plusieurs de ses écrits. Dans un ouvrage plus récent, K, Q, the Earliest Gospel, il est plus nuancé, mais maintient encore que « the Sayings Gospel Q represents a different gospel » (p.  97, italiques de l’auteur). La position sur ce point de James D.G. D, The Oral Gospel Tradition, Grand Rapids, MI, Eerdmans, 2013, p. 75, est, à mon avis, la bonne : « e very features that Q specialists read as evidence of a post-Easter community that knew nothing of the passion narrative are much more naturally read as evidence of Jesus’ own pre-passion Galilean mission. » 55. D, Jesus Remembered, p. 243. 56. Dale C. A, Constructing Jesus. Memory, Imagination, and History, Grand Rapids, MI, Baker Academic, 2010, p. 26. 57. D, Jesus Remembered, p. 243.

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gulf between the post-Easter community and the pre-Easter group of disciples58. » Rappelant l’insistance de Schürmann à affirmer « the preEaster beginning of the Synoptic tradition », Dunn traduit comme suit un passage de son Jesus. Gestalt und Geheimnis : With the help of form-critical principles it can be shown […] that the beginnings of the logia tradition [pensons à Q…] must lie in the pre-Easter circle of disciples, and therewith in Jesus himself […] for the « historical Jesus » is now himself a factor in the history of the tradition (as its initiator)59.

Tout à fait récemment, Rainer Riesner a bien noté que ce que Luc appelle « l’enseignement des apôtres » (τῆ διδακῆ τῶν ἀποστόλων) (Ac 2,42), auquel les premiers chrétiens étaient assidus, comprenait certainement les traditions venant d’avant la mort de Jésus, créant ainsi, en l’an 30, un pont de traditions vivantes entre le temps d’avant et le temps d’après Pâques60. 2.2.3 Carnets de notes… Ces traditions d’avant Pâques se sont élaborées sans doute oralement, principalement et avant tout, dans la période présynoptique61. Mais c’est une période obscure et il reste que le seul accès possible à cette tradition ne peut se faire que par les sources écrites des évangiles. Luc connaît, bien sûr, la tradition orale et l’évoque (Lc 1,2), mais il n’en parle guère et s’attarde aux écrits (1,1) et à sa propre écriture (γράψαι : 1,3). Peut-on d’ailleurs éliminer complètement, à l’origine même, toute tentative d’écriture, notamment des diverses collections qu’on retrouve dans les évangiles synoptiques62, collections que les évangélistes n’ont pas inventées, qu’ils ont recueillies et qui existaient et circulaient probablement déjà sous forme de courts récits… ? Récits à inscrire parmi ceux mentionnés en Lc 1,1 ? C’est ici que se rattacherait toute la question des carnets de notes. 58. Samuel B, « e Transmission of the Jesus Tradition. Old and New Insights », dans Early Christianity 1 (2010) 441-468, p. 445. 59. Heinz S, Jesus. Gestalt und Geheimnis, Paderborn, Bonifatius, 1994, p. 103, cité par D, Jesus Remembered, p. 130 n. 108. 60. R. R, « e Orality and Memory Hypothesis », dans Stanley E. P – Bryan D (dir.), The Synoptic Problem. Four Views, Grand Rapids, MI, Baker Academic, 2016, 89-112, p. 104. 61. Je ne puis tenir compte ici des recherches foisonnantes qui portent actuellement sur cette tradition orale depuis, entre autres, l’ouvrage important – bien que souvent exagéré – de Werner H. K, Tradition orale et écriture (LD, 145), Paris, Cerf, 1991 (original 1983). 62. Voir la série des cinq controverses en Mc 2,1–3,6 ; la suite des paraboles en Mc 4 ; les dix miracles consécutifs en Mt 8,1–9,34.

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Dans une étude précédente, j’ai discuté assez longuement de l’existence de ces « notebooks63 ». Malgré les réticences de quelques auteurs, l’utilisation de « notebooks » par les évangélistes est admise par beaucoup d’autres. Birger Gerhardsson, par exemple, la met en relation avec les notes privées que les disciples des rabbins prenaient de l’enseignement de leurs maîtres, malgré l’interdiction de la transmission par écrit de la Torah orale64. Plus récemment, Bauckham a lui aussi signalé que Such notebooks were in quite widespread use in the ancient world (2 Tim 4:13 refers to parchment notebooks Paul carried on his travels). […] In such a context it does seem unlikely that no one would have even noted down Jesus tradition in notebooks for the private use of Christian teachers. Such notebooks […] may account for some of the so-called Q passages where Matthew and Luke are in almost entirely verbatim agreement65.

Dans son étude impressionnante de la Torah in the Mouth, M.S. Jaffee a maintenu que « despite the well-attested rabbinic perceptions of the basically oral character of the tradition […] written versions of rabbinic teaching did exist at the earliest origins of the tradition in the first century or earlier66 ». Ce qui suppose une prise de notes de l’enseignement des rabbins par leurs disciples. Mises par écrit des enseignements rabbiniques qui seront reprises dans la compilation finale que constitue la Mishnah. S’il en fut ainsi pour la tradition rabbinique profondément allergique à l’écrit, on ne voit pas pourquoi il en aurait été autrement, même dans le premier milieu juif de la tradition évangélique. C’est ce que confirme S.  Lieberman : « Now the Jewish disciples of Jesus, in accordance with the general rabbinic practice, wrote the sayings which their master pronounced not in form of a book to be published, but as notes in their pinaces, codices, in their note-books (or in private small rolls)67. » 63. M, « De la Source Q comme reflet des “témoins oculaires” de Lc 1,2 » – repris au chapitre 7 de ce livre. 64. G, Memory and Manuscript, p. 202 ; aussi p. 196, 201, 335. Tout en minimisant ces prises de notes soulignées par Gerhardsson, K, Tradition orale et écriture, p. 55-56, n’en admet pas moins que « l’idée d’une phase principalement orale n’a pas pour but de nier totalement l’existence de notes et d’aide-mémoire écrits », ajoutant même que « d’autres collections de dits, des anthologies de courts récits, de paraboles, de miracles, etc. tout cela a pu exister sous forme écrite ». 65. B, Jesus and the Eyewitnesses, p. 288-289. Sur la prise de notes dans le monde grec (en se souvenant que le NT est une collection de documents grecs), l’article de l’humaniste George  K, « Classical and Christian Source Criticism », dans William O. W J (dir.), The Relationships Among the Gospels. An Interdisciplinary Dialogue, San Antonio, TX, Trinity University Press, 1978, 125-155, est inestimable. 66. Martin S. J, Torah in the Mouth. Writing and Oral Tradition in Palestinian Judaism 200 BCE-400 CE, Oxford, UK, OUP, 2001, p. 124. 67. Saul L, Hellenism in Jewish Palestine, New York, NY, e Jewish eological Seminary of America, 1950, p. 205.

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En quelle langue prenaient-ils ces notes ? En araméen, la langue que devait parler Jésus ? Mais les évangiles sont en grec et il y aura donc eu traduction à un moment donné. Ce problème de traduction devrait être pris en compte dans la genèse de la tradition. Mais Luc n’en parle pas. Sans pouvoir en discuter ici, il faut tout de même admettre un écart avec les paroles mêmes de Jésus (les ipsissima verba, si l’on veut), en se rappelant avec Umberto Eco que traduire, au mieux, c’est « dire presque la même chose 68 ». Par contre, l’image du palimpseste employé par G. Genette reste valide : celle du parchemin « gratté », mais où on peut lire, en transparence, l’ancien (l’accent de Jésus ?) sous le nouveau69. Ce qui maintient le lien avec Jésus. De tout ceci, il faut retenir que les origines de la tradition évangélique se situent avant Pâques, au plus près du Jésus de l’histoire. Mais revenons à la préface de Luc et à son apodose aux versets 3 et 4. 2.3 Lc  1,3 : il m’a paru bon, à moi aussi, après m’être soigneusement informé de tout à partir des origines, d’en écrire pour toi un récit ordonné, très honorable Théophile L’auteur que nous appelons Luc définit là son projet. Son « moi aussi » (κὰμοὶ) indique qu’il se situe dans le sillage de ses devanciers : mêmes sources, les αὐτόπται des événements, ceux qui ont vu et entendu Jésus avant sa mort et qui, après l’illumination par la lumière de Pâques des gestes et paroles de Jésus, sont devenus serviteurs de la Parole. Lui aussi entend mettre de l’ordre dans ces traditions, c’est le sens de son ἀκριβῶς, avec rigueur, qui renchérit sur le ἀνα-τάσσομαι (v. 1) des premiers récits. Mais son récit est une parole adressée : Luc l’adresse à éophile, dont il est dit, au v.  4, qu’il a déjà reçu quelque chose, qu’il a été enseigné (κατηχέω) et, sans aucun doute, qu’il a enseigné des πράγματα accomplis parmi nous. Une parole adressée qui attend donc une réponse de cette écriture (γράψαι) rigoureuse, produisant, Luc l’espère, une résonance en éophile, un écho confirmant les paroles déjà entendues. C’est « l’effet éophile » que l’on a évoqué. La préoccupation théologique de Luc semble ici évidente. Mais Luc entend le faire en historien. Il a fait son enquête : il s’est soigneusement informé de tout depuis les origines. Le participe parfait passif παρηκολουθηκότι a fait naître d’âpres discussions. Le verbe παρακολουθέω 68. Umberto E, Dire presque la même chose. Expériences de traduction, Paris, Grasset, 2003. 69. G, Palimpsestes.

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veut dire accompagner, suivre, être acolyte. Luc n’a pas été disciple de Jésus, il ne l’a pas accompagné. Il n’est pas à compter parmi les αὐτόπται. Mais il a suivi les serviteurs de la Parole, Paul peut-être en particulier. Et, au sens propre, le verbe pourrait s’entendre de sa participation à certains événements racontés au livre des Actes. Mais le mot a aussi un sens figuré : suivre par la pensée et donc s’enquérir, s’informer. Ce qui s’applique d’abord aux πράγματα du temps de Jésus. Luc travaille en historien : il s’est informé de tout (πᾶσιν) depuis les origines (et n’a rien oublié, la permanence de ses connaissances est évoquée par le parfait…). Ce πᾶσιν peut être au neutre et se rapporter aux événements ou au masculin et désigner les personnes en lien avec ces événements. En maintenant l’ambiguïté, on parlera d’une enquête exhaustive ! 2.3.1 Récits de l’enfance ? Ceci nous amène au ἄνωθεν : par en haut, au sens de remonter par en haut, depuis les origines. Cet adverbe, pour beaucoup d’auteurs, a le même sens que le ἀπ᾽ἀρχῆς du v. 2 et renverrait au baptême de Jean, au commencement du ministère de Jésus70, excluant dès lors les récits de l’enfance de l’enquête de Luc. On peut oser plus. On a remarqué depuis longtemps qu’il aurait été illogique que le prologue de Luc soit suivi immédiatement des récits de l’enfance, sans que ceux-ci ne relèvent aussi d’informations recueillies auprès de ceux qui avaient vu. Bien au courant de la recherche, K.A.  Kuhn a pris courageusement position en ce sens, affirmant que les personnages des récits de l’enfance « like others throughout Luke-Acts, serve as eyewitnesses and ministers of the word71 ». C’est ici que s’accomplit, en fait, la jonction des historiographies grecque et juive. D’où Luc aurait-il reçu des informations sur l’enfance de Jésus ? Y aurait-il là d’ailleurs quelque chose d’historique ? Avec C.  Perrot, on retiendra du moins que les récits de Matthieu et de Luc étant littérairement indépendants, « les rares éléments parallèles qui existent entre eux obligent l’historien du texte à remonter à la tradition des communautés 70. Voir les ἄρχομαι de Lc 3,23 ; Ac 1,1 ; 1,22 ; et 10,37. 71. Karl A.  K, « Beginning the Witness. e αὐτόπται καὶ ὑπηρέται of Luke’s Infancy Narrative », dans NTS  49 (2003) 237-255, p.  253. On peut voir aussi Schuyler G. B, « e Role of the Prologues in Determining the Purpose of Luke-Acts », dans Charles H. T (dir.), Perspectives on Luke-Acts, Edinburg, T&T Clark, 1978, 99-111, qui cite et traduit Heinz  S, Das Lukasevangelium, Freiburg, Herder, 1982 : « Here Luke has us consider that his […] careful investigation went beyond the traditions derived from the legitimated apostolic eyewitnesses (vss. 1-2) ap’arches, i.e. that it brought to light the “prehistories” of Luke 1-2. »

 ,- :      

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antérieures pour expliquer la convergence72 ». Les mentions de temps et de lieu et, en particulier, les noms des différents personnages (Zacharie, Élisabeth, Marie, mais aussi Syméon et Anne, fille de Phanuel) ne semblent pas des inventions. Comme source on a pensé au milieu judéochrétien de Jérusalem, autour de Jacques, frère du Seigneur. Les « frères de Jésus » et Marie, sa mère, réapparaissent au tout début des Actes (1,14) et on sait que Jacques tiendra une place prépondérante dans l’Église de Jérusalem (Ac  12,17 ; 15,13 ; 21,18). Si on se fie aux Mémoires d’Hégésippe, que rapporte Eusèbe, ce Jacques aurait été le premier « évêque » (!) de Jérusalem (Hist. Eccl. II,1,2) et la famille de Jésus y aurait conservé longtemps une grande influence (Hist. Eccl. III,11 et IV, 22,4). Sans pouvoir remonter plus « haut », on ne peut ignorer la mère de Jésus qui, selon le même Luc, « gardait tous ces événements dans son cœur » (Lc 2,19.51) et que Raymond Brown, présentant Marie comme disciple de Jésus, n’a pas craint de compter parmi les « serviteurs de la parole73 ». 2.4 Lc 1,4 : afin que tu puisses constater la solidité des enseignements que tu as reçus L’ἀσφάλεια, en position emphatique comme dernier mot de la période, révèle le pourquoi de toute l’écriture de Luc : assurer la solidité, la fiabilité des enseignements reçus par éophile. L’objectif de Luc est sans doute théologique avant tout. Sa préoccupation première n’est pas celle d’un historien, mais il reste que si son écriture s’éloignait de la vérité, de l’authenticité des événements (les πράγματα de 1,1, correspondant, comme le confirme Ac 1,1, à tout ce que Jésus a fait et dit), elle ne pourrait plus remplir son rôle de consolidation de la catéchèse reçue par éophile. D’où la justification que Luc prend soin d’établir de ses sources, qui nous ramènent aux origines mêmes de la tradition évangélique. 3. Conclusion Si tout n’est pas saisissable, il est néanmoins possible à partir de la préface de l’évangile de Luc d’approcher les tout débuts de ce qui allait devenir la tradition évangélique. 72. Charles P, Les récits de l’enfance de Jésus (CaE, 18), Paris, Cerf, 1976, p. 59. Je serais plus affirmatif que je ne l’ai été autrefois – dans Jean-Paul M, Marie des évangiles (CaE, 77), Paris, Cerf, 1991, p. 32 –, pour faire remonter la recherche personnelle de Luc jusqu’aux sources (ἄνωθεν) de ses récits de l’enfance. 73. B, The Birth of the Messiah, p. 319 : « It is in this sense that Luke has learned from Mary as a “minister of the word” (1:2), the first Christian disciple. »

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Au point de départ de tout, il y a un personnage historique, Jésus de Nazareth, l’initiateur. La tradition n’a pas commencé par des textes. Elle est née de la rencontre de ce Jésus, elle a jailli de l’impact74 que cette rencontre a produit sur des gens qui se sont, en conséquence, mis à le suivre et sont devenus disciples. Des gens qui avaient vu et entendu ce qu’il avait fait et dit (αὐτόπται) et qui, après sa mort, en ayant perçu « la vérité tout entière » (Jn  16,13) à la lumière de sa Résurrection, en sont devenus témoins (μάρτυρες : Ac 1,8), proclamant cette vérité « à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). C’est cette proclamation qui a façonné la tradition évangélique, telle qu’elle nous est parvenue. Tradition qui est avant tout message de foi, assurément, mais ancré solidement dans l’histoire. C’est ce que, depuis les origines, raconte l’œuvre complète de Luc, à la fois histoire et théologie, comme l’annonçait la préface même de son évangile.

74. C’est autour de ce mot que Dunn a pour ainsi dire bâti son Jesus Remembered. Ce qu’il rappelle dans un petit ouvrage qui ramasse ses conclusions : « […] we have access to none other than to Jesus as he was remembered. e historical Jesus at best can be none other than the Jesus-who-made-the-impact-which-is-the-beginning-of-the-Jesus-tradition », James D.G. D, A New Perspective on Jesus, Grand Rapids, MI, Baker Academic, 2005, p. 30.

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MISE À JOUR La recherche concernant le Jésus de l’histoire et, particulièrement, la Galilée du temps de Jésus se poursuit toujours. Parmi les études récentes, deux questions ont spécialement retenu l’attention et mené à des conclusions qu’on peut croire définitives : la judéité de la Galilée et sa relation avec la Judée, Jérusalem et le Temple, ainsi que la situation économique de la Galilée au temps d’Antipas et de Jésus. Ces deux points ont des répercussions importantes sur l’image qu’on se fait du Jésus historique. Sur chacun d’eux, j’ai pris clairement position. Je suis heureux de constater que la recherche récente confirme ces propositions. 1. Judéité de la Galilée et relation avec la Judée, Jérusalem et le Temple La thèse d’une hostilité latente de la Galilée envers la Judée et Jérusalem, au temps de Jésus, est basée sur l’hypothèse d’Albrecht Alt, selon laquelle les Galiléens descendraient des Israélites du Nord qui auraient survécu à la conquête assyrienne au VIIIe siècle AEC et gardé leurs traditions, différentes de celles imposées plus tard par la Judée hasmonéenne. C’est l’hypothèse ravivée par Richard Horsley, qui lui greffe une orientation socio-économique et fait de Jésus une figure socio-économicopolitico-religieuse qui s’est donné comme mission le renouveau socio-économique des villages d’Israël. Les recherches archéologiques récentes montrent plutôt que la Galilée a été totalement dévastée par la conquête assyrienne et n’a été vraiment repeuplée qu’à partir de la conquête hasmonienne au Ier  siècle AEC, par des Juifs venus de Judée. C’est ce que Jonathan  L.  Reed avait exposé déjà en  2000, dans Archaeology and the Galilean Jesus, où il concluait : « e position of Alt and its revival by Horsley must be abandoned1. » D’autres recherches sont venues confirmer cette position. Je retiens les suivantes. Mais il importe, d’abord, de rappeler que Seán Freyne, le grand spécialiste de la Galilée, qui avait d’abord soutenu les positions de Alt et Horsley, 1. R, Archaeology and the Galilean Jesus, p.  34. Voir tout son chapitre : « e Identity of the Galileans. Ethnic and Religious Considerations », p. 23-62.

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a complètement changé ses positions, prenant en compte les nouvelles contributions de l’archéologie : « erefore, the theory of a continued Israelite presence in Galilee down to the 1st century, a claim that was first made by the German scholar, Albrecht Alt, and one that I also originally accepted, is now largely discredited. » Il constate, en note, que Richard Horsley « despite the archaeological evidence still maintains that the population of Galilee continued subsequently to have an Israelite component that resisted the Judean take-over of their region ». Et il conclut finalement : « Taken together, the results of these surveys [il s’agit de l’apport de l’archéologie] give a clear picture of the Galilean population as being strongly Jewish in its cultural and religious affiliations from the 2nd century BCE onwards. e use by some modern scholars of the Isaian depiction “Galilee of the Gentiles” (Isa 8:23) as an accurate description of the population at the time of Jesus, is therefore, wholly unfounded2. » L’étude particulièrement importante ici est celle de Mordechai Aviam, « Reverence for Jerusalem and the Temple in Galilean Society3 ». On a qualifié cet article de « contribution majeure […] sur la judéité de la population galiléenne, au 1er  siècle EC, et sa loyauté à l’égard du Temple de Jérusalem4 ». Aviam y passe en revue les éléments mis au jour par l’archéologie qui témoignent de l’adhésion des Galiléens au judaïsme et à la religion du Temple : mikvaot, ustensiles en pierre, lampes à huile fabriquées à Jérusalem et tout spécialement la découverte de la synagogue de Magdala (en 2009) et sa fameuse pierre décorée d’une ménorah, montrant clairement le lien de cette synagogue avec le temple de Jérusalem. Avec Richard Bauckham, dans un article paru plus récemment5, Aviam revient fortement sur ce lien : cette pierre, au centre même de la synagogue, reflète « very strong feelings toward the Temple in Jerusalem. For the people of this congregation, the Temple was a center of longing from a distance, a place to which one wanted to be connected even at daily or weekly meetings for reading the Torah. As it is dated to the first half of the first century CE, it clearly reflects the spirit of Galilean Jews at the time of Jesus6 ». 2. Seán F, « Galilee, Jesus and the Contribution of Archaeology », dans ExpTim 119 (2008) 573-581, p. 576-577. 3. Mordechai A, « Reverence for Jerusalem and the Temple in Galilean Society », dans James H. C (dir.), Jesus and Temple. Textual and Archaeological Explorations, Minneapolis, MN, Fortress, 2014, p. 123-144. 4. Recension de Ibid., par Pierluigi P, dans Judaïsme ancient/Ancient Judaism 3 (2015) 304-308, p. 305. 5. Mordechai A – Richard B, « e Synagogue Stone », dans Richard B (dir.), Magdala of Galilee. A Jewish City in the Hellenisticc and Roman Period, Waco, TX, Baylor University Press, 2018, 135-159. 6. Ibid., p. 150 (je souligne).

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C’est ce que Richard Bauckham et Stefano De Luca (responsable des fouilles de Magdala) avaient déjà mis en évidence : e synagogue, the first excavated example of the many in which Jesus taught, was not merely a place for discussing civic affairs, but, as its remarkable decorated stone reveals, a context intentionally related to the Jerusalem Temple. All this confirms the picture of Galilean Judaism as observant of Torah and oriented to the Temple, which most recent study has tended to endorse7.

Bradley W. Root, dans First Century Galilee, confirme tout à fait cette orientation religieuse de la Galilée au Ier siècle : e evidence overwhelmingly suggests that Early Roman Galilee’s population was predominantly Jewish and that the local religious practices strongly resembled those of the Judean countryside. Galilee’s inhabitants observed the Jewish Sabbath, observed Jewish purity regulations, abjured idols, paid taxes to the Jerusalem Temple’s priesthood, made regular pilgrimages to the Temple, accepted the authority of Jewish religious officials, and considered the Jewish scriptures sacred8.

C’est ce qu’il reprend à la fin de l’ouvrage, dans le sommaire de ses conclusions : « e evidence clearly demonstrates that most of Galilee’s inhabitants were ethnically Jewish, followed Jewish religious customs, and maintained strong cultural ties with Judea9 ». Dans une synthèse importante des recherches sur le contexte galiléen du ministère de Jésus, Jürgen K. Zangenberg va lui aussi dans le même sens. Reprenant la question de l’hellénisation de la Galilée, il affirme que si l’hellénisation de la Galilée avait déjà commencé avant la conquête hasmonéenne autour de 100 AEC, [à] partir de cette époque, l’influence culturelle est venue depuis le sud, à savoir depuis la monarchie du Temple des Hasmonéens à Jérusalem, et non plus de la côte phénicienne. Ce changement a eu des conséquences fondamentales : non seulement les Hasmonéens ont apporté de nouveaux habitants (des colons) depuis le sud, dont les établissements ont presque entièrement effacé les traces plus anciennes des Galiléens-Phéniciens, mais ils ont aussi importé leur forme spécifique de la religion juive et une structure sociale orientée sur le modèle de Jérusalem. Nous voyons apparaître les premiers bassins pour les bains rituels (les mikva’ot) et des synagogues (à Gamla), de même que de nouveaux types de poterie et des jarres en pierre. […] Puisqu’aucune trace de la culture galiléenne préhasmonienne n’a survécu jusqu’à l’époque de Jésus, nous pouvons ainsi supposer avec assurance que la plupart des Galiléens 7. Richard B – Stefano D L, « Magdala as We Know It », dans Early Christianity 6 (2015) 91-118, p. 115. 8. Bradley W. R, First Century Galilee. A Fresh Examination of the Sources (WUNT, 378), Tübingen, Mohr Siebeck, 2014, p. 167. 9. Ibid., p. 182.

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  étaient des Juifs dans le sens le plus large du terme et qu’ils n’étaient pas moins pieux ou moins zélés que leurs compatriotes judéens. Cela signifie que les Juifs de la Galilée et de la Judée partageaient plusieurs convictions religieuses fondamentales, comme l’appréciation du Temple, de la Loi, de son prophète Moïse et des patriarches, ainsi qu’un nombre de normes pratiques élémentaires, constitutives de la formation de l’identité, comme le fait de ne pas manger de porc, la circoncision et le souci d’une pureté rituelle10.

2. Situation économique de la Galilée au temps d’Antipas et de Jésus Il était devenu courant, avec R. Horsley encore, tout spécialement, de supposer que la reconstruction de Sepphoris et la fondation de Tibériade avaient entraîné, en Galilée, un régime de taxation qui écrasait les paysans. De même, ces nouveaux centres urbains auraient frappé lourdement la vie des villageois obligés, pour nourrir la population des villes, d’abandonner leur polyculture de subsistance pour passer à la monoculture risquée, instaurant une spirale de dettes, de prêts et d’endettement. C’est dans ce contexte de pressions économiques et de conflits entre élites et paysans, entre l’Empire (représenté par Antipas) et les Galiléens de souche que Jésus aurait lancé son mouvement de protestation, prenant figure de révolutionnaire dans une activité essentiellement politique. C’est à cette image de la Galilée, à cette « économie politique », dépendante du modèle de Moses Finley sur le parasitage des campagnes par les villes, modèle qui a influencé de nombreuses reconstructions d’historiens, que s’opposent les études récentes. Parmi les premiers à rejeter cette image de détresse, on doit mentionner Douglas  R.  Edwards. En plusieurs interventions, s’inspirant des découvertes archéologiques, il a soutenu la présence d’une activité économique originale dans les villages de Galilée (comme la fabrique de poteries à Kfar  Hananiah et Jotapata). Il maintient que « [t]he stability brought to Galilee with the 34 [sic ; en fait 43] years rule by Herod Antipas allowed diverse economic activity to flourish widely11 ». Alors que de nombreuses études maintiennent qu’au temps d’Antipas une rapide détérioration économique se généralisait en Galilée, Morten Hørning Jensen, monnayant les recherches qui ont mené à son très important ouvrage Herod Antipas in Galilee (2006), soutient le contraire. Dans un premier article de 2012, il affirme : To conclude this « survey of surveys », the following may be noted : In all the surveys presented here, there is an unambiguous trend of growth in the 10. Z, « Jésus, un Juif de la Galilée », p. 51-52. 11. E, « Identity and Social Location in Roman Galilean Villages », p. 368.

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settlement density in Galilee and other Jewish regions from the Hellenistic period and onwards until at least the late Roman period. There is no sign of decline in the first century12.

Il ajoute encore : « It is striking that the local villages and towns seemed to have been expanding and thriving in the same period as the two urban centers, namely Sepphoris and Tiberias, were also expanding. No general economic decline is attested13. » Cela contredit tout à fait les projections fondées sur le modèle de Moses Finley. Dans un autre article où il étudie l’impact du climat de la Galilée sur la stabilité socio-économique de la région, dont le déclin aurait suscité l’activité réactionnaire de Jésus, Jensen conclut que : « first-century Galilee did not seem to have experienced rapid climatic changes that would have provided us with a plausible explanation as to why Jesus arose at this time and place » ; et il termine en affirmant : « In consequence, though this survey constitutes only part of the socioeconomic picture, it points in direction of relatively good conditions for rural agricultural life in first-century Galilee, and the picture of Galilee on the brink of meltdown due to, among other things, climatic instability cannot be supported14. » C’est aussi la conclusion des analyses de B.W. Root : « However, there is very little evidence to support claims that economic conditions deteriorated in first century Galilee or that such conditions were worse in Galilee than they were in the average Mediterranean society15. » En dernière conclusion, il dira : Overall, the evidence suggests that Galilee was relatively prosperous and politically stable between Herod the Great’s death and the outbreak of the Jewish Revolt. During this time, the region experienced the unusual combination of aggregate economic growth, urbanization, and significant population growth without suffering a concomitant decline in living standards16 12. Morten Hørning J, « Rural Galilee and Rapids Changes. An Investigation of the Socio-Economic Dynamics and Developments in Roman Galilee », dans Biblica 93 (2012) 43-67, p. 55 (je souligne). 13. Ibid., p. 59. 14. Morten Hørning J, « Climate, Droughts, Wars, Famines in Galilee as a Background for Understanding the Historical Jesus », dans JBL 131 (2012) 307-324, p. 323-324. Au passage, dans cet article, Jensen prend position sur l’ethnicité des Galiléens à l’époque romaine : « e Hasmonean takeover of Galilee is an old crux interpretum in research. However, new archaeological material seems to tip the balance in the direction of the view that the Galileans in the Roman period were mainly Hasmonean settlers rather than old Israelites or forcefully converted Itureans », p. 316 n. 48. 15. R, First Century Galilee, p. 159. 16. Ibid., p. 182.

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Après avoir rejeté la thèse de R.A. Horsley sur l’ethnicité des Galiléens17, Root reprend, en dernière page, la distinction faite par M.H. Jensen entre l’interprétation de crise ou de conflit et l’interprétation d’harmonie ou de paix pour décrire la situation de la Galilée au Ier  siècle et conclut : « In short, the preponderance of evidence concerning Galilee’s socio-economic conditions is more consistent with the picture of harmony18. » Dans son article de synthèse, Jürgen  K.  Zangenberg confirme cette stabilité économique de la Galilée rurale dans la première moitié du Ier siècle : Malgré toutes les difficultés, les villages étaient un modèle de succès. Des enquêtes montrent que durant la fin du 1er siècle avant notre ère et du début du 1er siècle de notre ère, le nombre de villages augmenta, atteignant son paroxysme. De nouveaux villages ont même été trouvés dans des endroits qui n’avaient pas été habités jusque-là. Ce n’est pas concevable sans une croissance constante de la population régionale qui était elle-même le résultat de conditions politiques et économiques fondamentalement stables, en particulier sous le règne d’Hérode Antipas. […] Dans un sens, cette image, plutôt positive, est difficilement compatible avec la supposition générale selon laquelle les Galiléens étaient une population opprimée et frappée de pauvreté. La plupart d’entre eux n’étaient certainement ni riches ni « libres », mais ceci ne permettrait en rien de distinguer un Galiléen d’un Judéen ou d’un autre habitant d’une région voisine19.

D’où une conclusion importante pour l’image de Jésus : Choisissant la Galilée géographique de son temps comme point de départ, nous pouvons dire que l’attention active de Jésus à l’égard des milieux ruraux, des pauvres et des marginalisés était plutôt un choix délibéré qu’une réaction directe contre le fait que la Galilée aurait été particulièrement pauvre et sans ressources20. 17. Ibid., p. 147-149. 18. Ibid., p. 184. 19. Z, « Jésus, un Juif de la Galilée », p. 56. 20. Ibid., p. 63. C’est une dimension que Zangenberg avait particulièrement soulignée dans un très long article : « On the basis of all we know about Galilean society and the contours of Jesus’ message, it seems beyond doubt that the urgency and selectivity of Jesus’ activity is not a direct reflection of the conditions of Galilean society. Jesus did not particularly address the poor and destitute because Galilean society was on the verge of social collapse and the situation so unbearable, but – to put it theologically – because Jesus’ God is partial and targets his liberating Kingdom especially to those who have nobody else on their side but God himself and nothing else to hope for than that God himself will soon establish his justice. Jesus’ social eclecticism is motivated by his very particular interpretation of the theological traditions of Israel », Jürgen K. Z, « From the Galilean Jesus to the Galilean Silence. Earliest Christianity in the Galilee until the Fourth Century CE », dans Clare K. R – Jens S (dir.), The Rise and Expansion of Christianity in the First Three Centuries of the Common Era (WUNT, 301), Tübingen, Mohr Siebeck, 2013, 75-108, p. 77.

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À signaler finalement la très récente parution de deux ouvrages, dont je n’ai pu lire que les recensions par Benjamin D. Gordon (University of Pittsburg) dans la Review of Biblical Literature. D’abord celui d’Anthony Keddie, Class and Power in Roman Palestine21 : Keddie focuses on some of the main institutions of life in the period (63 BCE-70CE) : civic administration, agricultural tenancy, taxation, and the temple in Jerusalem. He demonstrates that institutional shis within these areas of society consolidated power among the ruling classes but brought benefits to the lower classes, too. He thus problematizes the view that the local economy in this period was intrinsically oppressive. […] He also pushes back against the notion, which has been forwarded by some scholars of the historical Jesus, that the Galilean economy was marked by urban parasitism, where city dwellers benefited disproportionately from village labor. He notes that the development of Sepphoris and Tiberias in the early Roman period, which was relatively modest and gave rise to Roman urban institutions in Galilee on a very limited scale, likely benefitted village peasants by offering them, among other things, a bustling place of commerce (RBL 11/2020).

Et celui d’Alex J. Ramos, Torah, Temple, and Transactions. Jewish Religious Institutions and Economic Behavior in Early Roman Galilee22 , qui va dans le même sens : e archaeological remains indicate that those cities [Sepphoris and Tiberias] were relatively undeveloped in the Early Roman period, while certain villages have le evidence of social stratification. All of this would seem to challenge earlier reconstructions of the urban framework, which saw the cities as parasitic entities in line with Moses Finley’s « consumer city » and the villages as overtaxed, exploited and poor (RBL 12/2020).

Ces reconsidérations récentes de la situation économique de la Galilée de Jésus dépendent toutes des nouvelles découvertes archéologiques. Comme l’indiquait Jürgen  K.  Zangenberg, « l’archéologie s’est établie comme un outil indispensable pour la recherche sur le Jésus historique, parallèlement aux études textuelles23 ». Il confirmait ainsi, à sa manière, la fine remarque de Seán  Freyne notant que « la recherche du Jésus de l’histoire était en danger de devenir la recherche de la Galilée historique24 ». Mais certainement, ce qui permet de replacer Jésus dans le 21. Anthony K, Class and Power in Roman Palestine . The Socioeconomic Setting of Judaism and Christian Origins, Cambridge, UK – New York, NY, CUP, 2019. 22. Alex J. R, Torah, Temple, and Transactions. Jewish Religious Institutions and Economic Behavior in Early Roman Galilee, Lanham, MD, Lexington – Fortress Academic, 2020. 23. Z, « Jésus, un Juif de Galilée », p. 63. 24. F, Jesus, a Jewish Galilean, p. xi : « the quest for the historical Jesus is in danger of becoming the quest for the historical Galilee ».

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monde qui fut le sien ne sera pas perçu comme un danger par l’historien. Si la quête du Jésus de l’histoire se ramène vraiment à deux tâches : replacer Jésus dans son propre monde et montrer en quoi il s’en distingue (ce singulier que cherche l’historien), on peut penser que si l’archéologie révèle particulièrement ce monde de Jésus, les études textuelles alors, centrées sur les évangiles, témoigneraient principalement de sa personne et de la singularité de son message. Comme l’insinuait discrètement Zangenberg25, l’historien, en faisant strictement son métier, nous mènerait ainsi au seuil de la théologie. Jean-Paul Michaud, janvier 2021

25. Z, « Jésus, un Juif de la Galilée », p. 56. Revoir note 20.

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1. Les recensions critiques mentionnées dans ce livre non pas été incluses dans la bibliographie générale. Merci à Catherine de Guise pour la compilation de la bibliographie.

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INDEX DES AUTEURS MODERNES1 Abadie, Philippe, 7 Abd-Al-Masih, Yassah, 207 Akenson, Donald H., 34 Albl, Martin C., 200 Albright, William F., 263 Aletti, Jean-Noël, 58, 294 Alexander, Loveday, 191, 192, 194, 294, 295, 296, 300 Allard, Maxime, 82, 293 Allegro, John M., 200 Allen, Pauline, 240 Allison, Dale C., 57, 105, 143, 144, 145, 147, 157, 160, 174, 179, 180, 306 Alt, Albrecht, 282, 283, 287, 313, 314 Amphoux, Christian-Bernard, 127 Anderson, Paul N., 70, 229, 295 Aragione, Gabriella, 303 Arnal, William E., 30, 34, 39, 46, 47, 48, 151, 162, 269, 277 Asgeirsson, Jon M., 161, 163, 211 Ashbrook Harvey, Susan, 205 Attridge, Harold W., 61, 65, 174, 177, 178, 221, 274 Audet, Jean-Paul, 162 Aune, David E., 252 Aviam, Mordechai, 269, 280, 314 Baarda, Tjitze, 44, 166 Babut, Jean-Marc, 103 Bahn, Paul, 262 Baker, Richard A., 240 Balz, Horst, 147 Barc, Bernard, 207, 209 Bardy, Gustave, 299 Barrett, Charles K., 181, 297 Basser, Herbert W., 33 Batey, Richard A., 272 Bauckham, Richard, 152, 191, 192, 194, 196, 301, 303, 304, 308, 314, 315

Bauer, Walter, 96 Beatrice, Pier F., 126, 127 Beaujeu, Jean, 278 Beck, David R., 104 Beilby, James K., 56, 57 Bell, Harold I., 227 Benoist, Jocelyn, 14, 61, 259 Benoît  XVI. Voir aussi Ratzinger, Joseph, 57, 58, 59 Benoit, Pierre, 301 Bertrand, Daniel A., 227 Beskow, Per, 243 Betz, Hans D., 160, 166 Bianchi, Ugo, 208 Black, David A., 104 Blair, George A., 125 Blass, Friedrich, 295 Bloch, Marc, 7, 8, 15, 80, 205, 258 Blomberg, Craig L., 104 Bock, Darrell L., 191 Bockmuehl, Markus, 212 Boismard, Marie-Émile, 105, 106, 109, 110, 111, 124, 244, 300, 301 Bonnet, Jacques, 77 Borg, Marcus J., 37, 153, 154, 248, 249 Boring, M. Eugene, 118 Bovon, François, 11, 36, 75, 97, 167, 191, 193, 227, 228, 236, 296, 298, 302 Boyer, Chrystian, 21, 53 Boyer, Frédéric, 191 Broadhead, Edwin K., 139, 225 Brown, Dan, 9, 12, 50 Brown, Raymond E., 81, 83, 84, 130, 232, 233, 234, 311 Brown, Schuyler G., 310 Brown, Scott G., 12, 49, 75, 76, 235, 236, 237, 238, 241, 242, 243, 244 Brucker, Ralph, 68, 77, 252 Bultmann, Rudolf, 28, 56, 176

1. Merci à Félix Eduardo Salcedo pour la confection des index.

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   

Burkett, Delbert, 111, 112, 113, 114, 123, 132, 136 Butticaz, Simon D., 294, 296, 297, 299 Byrskog, Samuel, 134, 194, 300, 303, 306, 307 Cadbury, Henry J., 295, 296, 297 Cameron, Ron, 140, 157, 166, 173, 174, 177, 210, 211, 218 Carleton, James P., 96 Carlson, Stephen C., 12, 49, 235, 238 Carney, omas F., 16, 63, 266, 268, 285, 286 Casey, Maurice, 103, 136, 137, 138 Catchpole, David R., 121, 124 Chancey, Mark A., 15, 16, 31, 62, 265, 267, 270, 272, 277, 278 Charles, Christophe, 13 Charlesworth, James H., 15, 48, 49, 69, 168, 264, 272, 273, 314 Chilton, Bruce, 25, 27, 32, 33, 35, 38, 40, 48, 49, 51, 82, 83, 238 Clivaz, Claire, 45 Collingwood, Robin G., 22, 23, 24, 59, 60 Collins, John J., 38 Collins, John N., 203 Conticello, Vassa S., 239 Conzelmann, Hans, 157 Cope, Lamar, 105, 122 Corley, Bruce, 242 Cotter, Wendy, 160 Couch, James E., 117 Coulot, Claude, 104 Cross, Lawrence, 240 Crossan, John D., 10, 11, 12, 13, 15, 16, 22, 23, 24, 32, 43, 48, 49, 55, 57, 58, 61, 62, 64, 71, 72, 74, 75, 142, 153, 154, 162, 165, 167, 206, 210, 211, 214, 222, 225, 227, 228, 230, 231, 232, 234, 242, 248, 268, 270, 272, 274, 277, 278 Cuvillier, Élian, 142 Daniels, Jon B., 228 Dantier, Bernard, 258, 260, 261 Dart, John, 237, 238, 245 David, Robert, 26, 38

Davies, Margaret, 122 Davies, Stevan L., 210, 211 Davies, William D., 105, 157, 180 de Certeau, Michel, 52 de Jonge, Henk J., 44, 166 de Jonge, Marinus, 148, 188, 189 de Lovinfosse, Marie, 82, 293 de Lubac, Henri, 71 de Luca, Stefano, 274, 315 de Samosate, Lucien, 296 De Troyer, Kristin, 161, 163 de Vaux, Roland, 263, 264 Debrunner, Albert, 295 DeConick, April, 71, 72, 73, 211, 215, 216, 217, 218, 219, 221, 226, 238, 245, 247 Delebecque, Édouard, 191, 192, 193, 203, 302 Delorme, Jean, 83 Derrenbacker, Robert A., 113, 114, 132 Desjardins, Michel, 30, 34, 39, 162 Dettwiler, Andreas, 66, 68, 80, 87, 88, 89, 90, 91, 95, 103, 140, 142, 144, 145 Dever, William G., 262, 263, 264 Dillon, Richard J., 191, 192, 301 Dodd, Charles H., 28, 304 Donaldson, Terence L., 35 Doutreleau, Louis, 303 Downing, F. Gerald, 32, 113, 145, 150, 165, 166 Draper, Jonathan A., 158, 162, 166, 168, 169, 170, 275, 277 Dubois, Jean-Daniel, 207 Duhaime, Jean, 38 Duling, Dennis C., 163 Duncan-Jones, Richard, 278 Dunderberg, Ismo, 108 Dungan, David L., 23, 104, 105, 107, 110 Dunn, James D.G., 15, 18, 19, 55, 57, 60, 62, 76, 77, 112, 134, 135, 136, 139, 142, 143, 145, 146, 151, 152, 155, 196, 202, 211, 212, 223, 226, 233, 251, 304, 305, 306, 307, 312 Dupont, Jacques, 149, 194, 195, 302, 303 Durand, Emmanuel, 82, 293 Dyer, Bryan R., 307

    Ebner, Martin, 90 Eco, Umberto, 309 Eddy, Paul R., 56, 57 Edwards, Douglas R., 265, 270, 273, 274, 283, 316 Edwards, James R., 123, 125 Ehrman, Bart, 77, 233, 234, 236, 237, 238, 239, 241, 244, 251 Ellis, E. Earle, 196 Ennulat, Andreas, 117, 118 Esler, Philip F., 16, 152 Evans, Craig A., 25, 27, 31, 32, 33, 35, 37, 38, 39, 40, 48, 49, 50, 51, 52, 58, 222, 238, 265 Eve, Eric C.S., 123, 247 Farmer, William R., 24, 104, 118, 124 Farrer, Austin, 118, 120, 122, 123, 127 Feuillet, André, 192, 193, 203, 301, 302 Fiensy, David A., 277, 278, 280 Finley, Moses I., 266, 267, 268, 285, 286, 287, 316, 317, 319 Fisichella, Rino, 58 Fitzmyer, Joseph A., 29, 38, 130, 180, 191, 194, 297 Fleddermann, Harry T., 105, 107, 108, 109, 142, 179, 196, 202, 213, 247, 248, 250, 306 Flinders Petrie, William M., 263 Flint, Peter W., 38 Flusser, David, 76, 235 Focant, Camille, 83, 108 Fortin, Anne, 298 Foster, Paul, 68, 75, 104, 109, 123, 125, 211, 221, 230, 231, 233, 242 Foucault, Michel, 159 Freund, Julien, 258 Frey, Jörg, 220, 227 Freyne, Seán, 4, 13, 14, 15, 16, 30, 31, 61, 62, 63, 65, 67, 264, 266, 267, 268, 269, 270, 277, 281-289, 313, 314, 319 Fricker, Denis, 103 Friedrichsen, Timothy A., 109, 114, 116, 118, 119, 120, 121, 125 Fuchs, Albert, 114, 115, 116, 129, 130 Fuller, Reginald H., 23, 241

361

Funk, Robert W., 11, 14, 47, 55, 61, 154, 212, 242, 249, 295 Funk, Wolf-Peter, 50, 211 Fusco, Vittorio, 55 Fustel de Coulanges, Numa D., 267 Gagné, André, 96, 150, 187, 205 Gal, Zvi, 269 Garcia Martinez, Florentino, 200 Garitte, Gérard, 219 Genette, Gérard, 294, 309 Geoltrain, Pierre, 11, 49, 75, 97, 227, 228, 236, 241 Gerhardsson, Birger, 198, 304, 308 Gianotto, Claudio, 11, 73, 211, 223, 224, 245 Gibert, Pierre, 57, 59, 293 Gignac, Alain, 150, 187 Gilbert, Gary, 16, 64, 278 Ginzburg, Carlo, 7 Goehring, James E., 160 Goguel, Maurice, 28 Goodacre, Mark S., 105, 121, 122, 123, 127, 132, 238 Gordon, Benjamin D., 319 Goulder, Michael, 107, 116, 118, 119, 120, 121, 122, 123, 124, 127, 130 Gourgues, Michel, 82, 293 Grappe, Christian, 88, 89 Green, Joel B., 191 Greenspoon, Leonard J., 57 Gregory, Andrew, 68, 253 Greimas, Algirdas J., 215 Grelot, Pierre, 197 Grenfell, Bernard P., 220, 221 Griesbach, Johann Jakob, 104, 105, 106, 107, 115, 118 Groh, Dennis E., 270 Guenther, Heinz O., 138 Gueuret, Agnès, 294 Guillaumont, Antoine, 207, 219 Gundry, Robert H., 118, 119, 198 Gutting, Gary, 259 Haenchen, Ernst, 180, 208, 210 Hagner, Donald A., 212 Hamm, Dennis, 57 Hansen, eo, 109 Hanson, John S., 35

362

   

Harnack, Adolf, 132, 162 Hawkins, Ralph K., 278, 280 Hedrick, Charles W., 12, 68, 76, 206, 227, 235, 236, 238 Heil, Christoph, 141, 143 Hempel, Carl G., 262 Hendin, David, 267 Hengel, Martin, 123, 124, 125, 127, 132, 133, 138, 139, 151, 152, 181, 182, 183, 185, 281 Herzog II, William R., 266 Hezser, Catherine, 198, 199 Hobsbawm, Eric, 67 Hoffmann, Paul, 9, 42, 44, 126, 140, 141, 143, 146, 158, 162, 164, 165, 173, 176, 179, 246 Holmberg, Bengt, 134 Holmén, Tom, 82, 230, 249 Hoover, Roy W., 11, 47, 154, 212 Horrell, David G., 121 Horsley, Richard A., 16, 26, 30, 35, 62, 64, 67, 151, 158, 162, 166, 168, 169, 170, 180, 181, 266, 268, 269, 270, 275, 277, 283, 285, 286, 287, 313, 314, 316, 318 Huggins, Ronald V., 124, 125, 127 Hultgren, Arland J., 175, 177, 178 Hultgren, Stephen, 188, 202 Humphrey, Edith M., 34 Hunt, Arthur S., 220, 221 Hunter, David G., 205 Hurtado, Larry W., 147, 149, 189, 232, 233, 235 Jackson, Howard, 212 Jacobson, Arland D., 142, 145, 161 Jaffee, Martin S., 308 Jeffery, Peter, 238 Jefford, Clayton N., 214 Jensen, Morten H., 16, 17, 64, 65, 67, 264, 266, 267, 271, 272, 273, 274, 275, 276, 277, 283, 285, 286, 288, 316, 317, 318 Jeremias, Joachim, 28, 133 Jervis, L. Ann, 46 Johns, Loren L., 264 Johnson, Luke T., 56, 57 Johnson-DeBaufre, Melanie, 266 Jülicher, Adolf, 89

Junod, Éric, 75, 205, 230, 231, 303 Just, Felix, 70, 184, 229 Kaestli, Jean-Daniel, 11, 49, 71, 73, 74, 76, 97, 206, 211, 222, 225, 226, 236, 237, 239, 241, 246 Kannengiesser, Charles, 239, 240 Käsemann, Ernst, 28 Kasser, Rodolphe, 208 Kautsky, John H., 268, 270, 285 Keck, Leander E., 184 Keddie, Anthony, 319 Kee, Howard C., 32 Keener, Craig S., 57, 70 Kelber, Werner H., 196, 307, 308 Kelly, Morgan, 276, 277 Kennedy, George, 308 Kenyon, Kathleen M., 263, 264 Kirk, Alan, 145, 146, 266 Klassen, William, 40, 41 Klausner, Joseph G., 28 Kloppenborg (Verbin), John S., 9, 10, 32, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 66, 67, 68, 69, 92, 103, 105, 121, 122, 126, 127, 131, 132, 133, 134, 135, 136, 137, 138, 140, 141, 142, 143, 144, 145, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 157, 158, 160, 163, 164, 166, 170, 171, 174, 175, 176, 177, 179, 180, 188, 189, 190, 196, 202, 203, 209, 246, 248, 249, 250, 268, 277, 306 Koester, Helmut, 48, 49, 97, 179, 180, 209, 210, 211, 212, 226, 228, 242 Kogler, Franz, 115, 116 Kraus, omas J., 206, 229, 253 Kruger, Michael J., 206, 229 Kuhn, Karl A., 121, 310 Kuhn, omas, 121 Kuntzmann, Raymond, 207 Lagrange, Marie-Joseph, 28, 191, 192, 228, 263, 301 Lamouille, Arnaud, 110, 244 Landsberger, Henry A., 67 Laperrousaz, Ernest-Marie, 38 Lasalle-Klein, Robert, 266 Layton, Bentley, 221 Légasse, Simon, 83, 93, 95, 131 Leibner, Uzi, 269

    Lelyveld, Margaretha, 245 Lenski, Gerhard, 268, 270, 285 Létourneau, Pierre, 191, 294, 298 Levin, Saul, 237 Levine, Lee I., 265, 286 Lieberman, Saul, 308 Lieu, Judith, 96 Lightfoot, Robert H., 28, 118 Lindemann, Andreas, 10, 42, 43, 69, 139, 141, 153, 157 Linss, Wilhelm C., 117 Lohmeyer, Ernst, 182 Loisy, Alfred, 28, 180 Lonergan, Bernard, 22, 23, 37 Lovering, Eugene H., 30 Lührmann, Dieter, 146, 206, 253 Luz, Ulrich, 116, 117, 118, 128, 129, 197, 198 MacDonald, Dennis, 238 Mack, Burton L., 10, 14, 32, 43, 45, 46, 56, 61, 144, 147, 150, 153, 154, 155, 166, 173, 179, 211, 248, 249, 250 Mahé, Jean-Pierre, 74, 97, 207, 208, 209, 220 Mainville, Odette, 30, 31, 150, 187, 195 Malina, Bruce, 26 Manson, omas W., 28 Marguerat, Daniel, 3, 10, 11, 12, 34, 45, 47, 49, 55, 66, 68, 71, 74, 76, 79-99, 103, 109, 140, 142, 144, 145, 150, 187, 206, 229, 294, 296, 297, 298, 299 Markschies, Christoph, 132 Marrou, Henri-Irénée, 1, 3, 17, 18, 19, 22, 23, 25, 59, 60, 79, 251, 260, 279 Martin, Annick, 239 Martin, Dale B., 61, 65, 274 Martin, François, 298 Martini, Carlo Maria, 58 Mattila, Sharon L., 64, 113, 280 Mayer, Wendy, 240 McArthur, Harvey K., 83 McCollough, C. omas, 270, 280, 283 McCready, Wayne O., 39, 40 McGuire, Anne, 207 McLachlan Wilson, Robert, 207, 208, 220, 231

363

McLoughlin, Swithun, 130, 131 McNichol, Allan J., 104, 105, 122 Meadors, Edward P., 175, 176 Meier, John P., 1, 8, 27, 28, 36, 41, 42, 49, 57, 58, 68, 74, 75, 77, 83, 158, 185, 205, 222, 225, 226, 233, 234, 252, 288 Ménard, Jacques, 208, 245 Merz, Annette, 26, 28, 47, 88 Metzger, Bruce M., 128 Meyer, Ben F., 22, 23, 24, 25, 37, 38, 55, 59, 60 Meyer, Marvin W., 161, 163, 238 Meyers, Eric M., 15, 267, 270, 272 Michaud, Jean-Paul, 10, 27, 30, 31, 34, 43, 45, 47, 59, 63, 66, 68, 79, 80, 87, 96, 147, 150, 153, 170, 180, 188, 219, 247, 300, 308, 311, 320 Millard, Alan, 198, 201 Miller, Merrill P., 218 Miller, Robert J., 242 Mimouni, Simon-Claude, 1 Mirecki, Paul, 231 Moingt, Joseph, 59 Moles, John, 294 Monnier, Pascalle, 191 Moreland, Milton C., 140, 158, 265, 266 Mournet, Terence C., 135, 143 Moxnes, Halvor, 264, 265 Myre, André, 26, 30, 269, 283 Nagy, Rebecca M., 15 Neill, Stephen, 22, 28, 55 Neirynck, Frans, 68, 69, 104, 106, 108, 109, 110, 112, 116, 117, 118, 120, 122, 124, 126, 127, 128, 129, 130, 131, 136, 139, 140, 142, 145, 146, 179, 193, 228 Netzer, Ehud, 15, 272 Neusner, Jacob, 32, 33, 48, 49, 51, 58, 94, 237 Neville, David J., 112 Neyrand, Louis, 299 Nicklas, Tobias, 206, 228, 229, 230, 236, 253 Niemand, Christoph, 115, 116 Nineham, Dennis E., 118 Nodet, Étienne, 106, 181 Nolland, John, 191

364

   

Norelli, Enrico, 10, 12, 34, 45, 47, 55, 56, 67, 68, 74, 76, 91, 228, 229, 251, 303 Oakman, Douglas E., 280 Onfray, Michel, 80 Orchard, Bernard, 107 Osty, Émile, 190, 300, 301 Pagels, Elaine, 211, 221 Painchaud, Louis, 50, 211, 212, 239 Panier, Louis, 298 Pantuck, Allan J., 238 Paquette, Sylvie, 150, 187 Pasquier, Anne, 50 Patterson, Stephen J., 71, 72, 73, 161, 165, 180, 207, 208, 211, 212, 213, 214, 215, 219, 221, 242, 252 Peabody, David B., 105, 122 Pearson, Birger, 209, 238 Péguy, Charles, 1, 2 Perrin, Nicholas, 71, 73, 77, 123, 206, 211, 219, 220, 221, 222, 252 Perrot, Charles, 53, 78, 86, 87, 94, 176, 185, 310, 311 Petersen, William L., 44, 166, 220, 221 Phillips, Philip, 262 Pines, Shlomo, 76, 235 Piovanelli, Pierluigi, 25, 26, 49, 237, 238, 240, 241, 243, 245, 252, 314 Piper, Ronald A., 43, 160, 161, 164, 173 Poffet, Jean-Michel, 10, 12, 34, 45, 47, 55, 74, 229 Poirier, Paul-Hubert, 50, 74, 97, 208, 209, 211, 212, 220, 221, 227, 239 Pommier, Jean, 17 Popkes, Enno E., 220, 227 Popper, Karl, 119, 121 Porter, Stanley E., 27, 28, 29, 230, 249, 307 Powell, Evan, 125 Powell, Mark A., 70 Prévost, Jean-Pierre, 191 Price, Robert, 56 Propp, Vladimir I., 215 Puech, Émile, 38, 39 Puech, Henri-Charles, 207, 219

Quesnell, Quentin, 236 Quispel, Gilles, 207, 219 Racine, Jean-François, 96, 205 Radice, Betty, 199 Ramos, Alex J., 319 Ranke, Leopold von, 155, 251 Ratzinger, Joseph (B XVI), 57, 58 Rauscher, Johann, 115, 116 Reed, Jonathan L., 15, 16, 32, 62, 64, 179, 180, 272, 274, 277, 278, 283, 313 Refoulé, François, 149 Reicke, Bo, 104, 124 Remus, Harold, 50 Renan, Ernest, 16, 17 Renfrew, Colin, 262 Richards, E. Randolph, 201 Richardson, Peter, 29, 30, 51, 273 Ricœur, Paul, 7, 89, 205 Riesner, Rainer, 307 Roberts, Colin H., 199, 222 Robinson, Edward, 263 Robinson, James M., 9, 42, 44, 48, 97, 126, 140, 141, 142, 143, 144, 153, 158, 159, 160, 161, 166, 167, 176, 207, 209, 210, 211, 212, 213, 214, 228, 246, 248 Rochais, Gérard, 21, 33, 34 Roche, Daniel, 13 Rodd, Christopher S., 140, 146 Rolland, Philippe, 105, 106, 110, 111, 124, 125 Root, Bradley W., 315, 317, 318 Ropes, James H., 118 Rothschild, Clare K., 318 Rousseau, Adelin, 303 Rousse-Lacordaire, Jérôme, 240 Samain, Étienne, 193, 302 Sanders, Ed P., 15, 16, 31, 37, 51, 55, 62, 63, 122 Sanders, James A., 51 Sandevoir, Pierre, 110, 244 Sato, Migaku, 114, 142, 144, 145, 160 Sawicki, Marianne, 260, 268 Schaberg, Jane, 82, 83 Schiffman, Lawrence H., 38 Schlarb, Egbert, 206

    Schleiermacher, Friedrich D.E., 126 Schliemann, Heinrich, 261 Schlosser, Jacques, 58, 59, 60, 79, 145 Schmeller, omas, 66, 150 Schmithals, Walter, 182 Schneemelcher, Wilhelm, 205, 231 Scholem, Gershom, 235, 237, 244 Schottroff, Luise, 164, 165 Schrage, Wolfgang, 213 Schröter, Jens, 68, 77, 140, 142, 145, 146, 147, 220, 227, 252, 318 Schulz, Siegfried, 147, 176 Schürmann, Heinz, 145, 196, 306, 307, 310 Schweitzer, Albert, 7, 28, 249 Scott, James C., 265, 266 Seeley, David, 51 Sévin, Marc, 191 Sevrin, Jean-Marie, 73, 74, 211, 224, 225, 245 Shanks, Hershel, 238 Shedinger, Robert F., 220 Shoemaker, Stephen J., 205 Siffer, Nathalie, 103, 295, 297, 299 Sim, David C., 152 Simiand, François, 7, 205 Skeat, eodore C., 227 Small, Jocelyn P., 199 Smith, Daniel A., 149, 189 Smith, Jonathan Z., 56, 245 Smith, Morton, 12, 48, 49, 75, 76, 235, 236, 237, 238, 239, 241, 243, 244, 245, 246 Soards, Marion L., 130 Spicq, Ceslas, 197 Stählin, Otto, 236 Stanley, Christopher D., 200, 201 Stanton, Graham N., 197 Steck, Odil H., 175 Stegemann, Wolfgang, 164 Stern, Fritz, 155 Strange, James F., 15, 264, 265, 272 Strecker, Georg, 104, 107, 114, 118, 119, 120 Streeter, Burnett H., 111, 112 Stroumsa, Guy G., 76, 235, 236, 240, 244 Swete, Henry B., 230 Syon, Danny, 277

365

Talbert, Charles H., 310 Talmon, Shemaryahu, 51, 199 Taylor, Justin, 181 Thatcher, Tom, 70, 229 Theissen, Gerd, 10, 14, 15, 16, 17, 26, 28, 46, 47, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 91, 150, 160, 161, 162, 163, 164, 165, 167, 168, 211, 214, 270, 288 Theobald, Christoph, 57, 59 Thériault, Jean-Yves, 83 Thompson, Michael B., 152 Tiwald, Markus, 66 Tödt, Heinz E., 175, 176 Traduction Œcuménique de la Bible, 190, 300 Tresmontant, Claude, 196, 197, 198 Trocmé, Étienne, 2, 83 Tuckett, Christopher M., 43, 44, 66, 68, 103, 105, 108, 114, 118, 120, 121, 122, 123, 127, 129, 131, 132, 134, 136, 137, 138, 139, 140, 143, 145, 146, 148, 150, 154, 157, 158, 163, 164, 166, 167, 168, 171, 172, 175, 176, 179, 180, 184, 187, 196, 212, 226, 242, 246, 247, 248, 250, 253 Turner, John D., 207, 209 Udoh, Fabian E., 275 Uro, Risto, 211 Vaage, Leif E., 43, 44, 150, 153, 154, 166, 167, 177, 188, 248, 249 Valantasis, Richard, 214 Van Belle, Gilbert, 118 Van Segbroeck, Frans, 68, 104, 109, 118, 119, 129, 131, 297 Vanhoye, Albert, 130 Vassiliadis, Petros, 134, 138, 139 Verheyden, Joseph, 68, 109, 118, 123, 295 Veyne, Paul, 260, 278, 279 Voicu, Sever J., 11, 75, 97, 227, 228, 236 Vos, Johan S., 44, 166 Vossius, Isaac, 76, 235 Wahlde, Urban C. von, 69 Walker, William O., 308 Walter, Nikolaus, 110

366

   

Wansbrough, Henry, 199 Watson, Francis, 239 Watson, Wilfred G.E., 200 Weaver, Walter P., 168, 264 Webb, Robert L., 35, 36, 37, 229, 238 Weber, Max, 25, 26, 162, 258, 259, 260, 261, 267, 279 Weiss, Zeev, 15, 272 Wilke, Christian G., 124, 125 Willey, Gordon, 262 Williams, Michael A., 208 Williams, Peter J., 198, 220

Winter, Bruce W., 198 Winter, Dagmar, 28 Wolter, Michael, 140 Wright, Nicholas T., 22, 28, 55 Yadin, Yigaël, 264 Zangenberg, Jürgen K., 61, 65, 87, 269, 274, 315, 316, 318, 319, 320 Zeller, Dieter, 149, 189 Zumstein, Jean, 95

INDEX DES TEXTES ET DES AUTEURS ANCIENS Auteurs grecs et latins Aristote 200 Cicéron 200 Clément d’Alexandrie 75-76, 235-243 Eusèbe de Césarée 97, 209, 230, 239, 299, 303 Hist. Eccl. II,1,2 311 Hist. Eccl. III,11 311 Hist. Eccl. III,24,15 299 Hist. Eccl. III,39,15 303 Hist. Eccl. IV,22,4 311 Hégésippe 210, 311 Ignace d’Antioche 90, 97, 126, 127 aux Magnésiens 9,1 234 aux Magnésiens 10,1.3 90 aux Philadelphiens 6,1 90 aux Romains 3,1 90 aux Smyrniotes 3,2 126 Irénée de Lyon 12, 97, 303 Contre les hérésies III,1,1 303 Josèphe, Flavius 7, 29, 34, 35, 36, 39, 64, 67, 259, 268, 271, 273, 275 Antiquités 18,37 13 Antiquités 18,85-87 36 Antiquités 20,97-98 36 Antiquités 20,219-220 265 Contra Apionem 1,55 194 Guerre 3,446 275 Vie 42,340-349 275 Justin 126, 221, 222 Papias d’Hiérapolis 126, 127, 209, 289, 303, 305 Philon d’Alexandrie 39, 221, 222 Pline l’Ancien 39, 199, 200, 278, 279 Pline le Jeune 199 Plutarque 200 Polybe 194 Tatien 73, 219, 220, 221, 222 Xénophon 200 Qumrân 4Q246 (Apocalypse araméenne)

38

4Q521 (Apocalypse messianique) 26, 38 4Q525 38 4QTanhumim 200 4QTestimonia 200 Ancien Testament Genèse 5,24 149 Deutéronome 23,3 82, 85 1 Rois 19,19-21 169 2 Rois 2,12 149, 189 1 Chroniques 4,41 296 5,10.17 296 2 Chroniques 14,1 296 1 Maccabées 5,15 14, 282 Isaïe 7,1 296 7,6 140 8,23–9,1 282 9,1 14 29,13 229 35,5-6 38 52,13–53,12 175 61 172 61,1-2 38 Jérémie 1,2.3 296 7,11 51 Daniel 7,13 175 7,43 145, 146 Nouveau Testament Matthieu 1,1 82, 84, 85 1,18 82

368

      

1,20 82, 84 2,1 29 3,2 52, 77, 86 3,7-10 133, 187 4,5 14 4,13 164 4,15-16 282 4,17 86 5,3-12 39 5,17-18 90 5,21-22 90 5,23-24 32 5,27-28 90 5,31-32 90 5,33-34 90 5,38-39 90 5,43-44 90 5,45 91 5,48 91 7,7-8 187 8,1–9,34 307 9,18-26 117 9,27-31 114 9,37 187 10,7 147, 306 10,9 66 10,9-10 184 10,10 167 11,5 26, 38 11,7 277 11,25-26 244 12,3-4 117 12,28 37, 88 12,41 187 13,10-17 115 13,11.13 244 13,33 187 13,55-56 83 13,57 180 16,21 117, 120 17,1 117 17,1-3 117 19,1-9 85 19,10-12 85 19,12 85 20,3-7 31 22,34-40 129 22,35 125, 128, 129 25,31-46 52

26,2 93 26,3-10 41 26,24 93 26,28 118, 125 26,49 40, 41 26,65 95 26,68 119, 120, 123, 128, 129, 130, 131 27,4 41 27,19 234 28,18-20 151 28,19 125 28,20 239 Marc 1,1 106 1,1-17 84 1,4 52, 77, 86 1,15 88 1,16 303 1,20 274 1,21 274 1,29 92 1,30 85 1,37 85 1,45 85 2,1 92, 164 2,1–3,6 307 2,5-7 87 2,10-11 93 2,13.15-16 85 3,7-8 85 3,14 40, 306 3,16 303 3,20 84, 85, 92 3,21 84 4,1 85 4,11 244 4,13 244 6,1-3 85 6,3 83 6,4 180 6,8 167 6,8-9 184 6,14-16 106 7,15 90 7,17 92 7,24-30 289 7,27 29 8,27 29

       8,27 25 8,29 29 8,31 25, 94, 120, 174 9,28 92 9,31 94 9,33 92, 164 10,2-9 168 10,10 92 10,10-12 168 10,29 168 10,30 168 10,32-34 240 10,33-34 94 10,35 241 10,35-45 240, 245 10,38 52, 78 10,46 241 11,18 94 11,28 52, 78 12,1-11 175 12,28 125, 128 12,28-34 129 13,2 51 13,10 151 14,1 41 14,9 151 14,21 93 14,22-25 110 14,45 41 14,58 51 14,62 94 14,65 118, 119, 120, 121, 122, 125, 128, 129 15,2 29 15,29 51 16,7 303 Luc 1,1 18, 23, 35, 69, 124, 132, 150, 153, 185, 187, 297, 307 1,1-4 8, 187, 293, 294, 295, 296, 297 1,2 21, 23, 31, 32, 33, 37, 69, 150, 187, 190, 192, 193, 194, 195, 300, 308 1,2b 192, 302 1,3 37, 309 1,4 311 1,5 29 1,32-33 38 1,35 82

369

1,76 130 2,1 299 2,19 311 3,3 52, 77 3,7-9 133, 187 3,12-14 36 3,23 310 3,51 311 4,16-30 130, 140 4,22 83 4,23 164 4,24 180 4,31 164 6,16 41 6,20-23 39 6,36 91 7,1 164 7,22 26, 38 9,2.6 306 9,3 167, 184 9,22 120 10,1 306 10,2 187 10,9 306 10,15 164 10,16 306 10,17 181 10,21 244 10,25 125, 128, 129 10,25-28 129 11,9-10 187 11,20 37, 88 11,32 187 13,20-21 187 14,12-24 39 15,8-10 140 18,9-14 52 22,60-65 131 22,64 118, 119, 120, 123, 125, 128, 129 22,69 95 24,19 297 Jean 1,14 79 1,18 70 1,19 71 2,12 164 2,22 25 3,22 245

370

      

3,22-30 86 4,1 52, 78 4,1-2 245 4,1-3 86 4,42 233 4,44 180 6,17 164 6,24 164 6,42 83 6,59 164 6,70 41 8,18 83 8,19 83 8,41 83 12,16 25 13,2 41 13,27 41 14,3-7 215 14,20-23 215 14,26 25, 195, 305 16,13 195, 35, 312 20,24-29 215 20,30 8 20,30-31 184 21,24 70 Actes des apôtres 1,1 23, 35, 297, 300, 310, 311 1,2 181 1,3 195 1,8 32, 194, 312 1,16-20 41 1,18 41 1,21 193 1,21-22 193, 302 1,22 33, 34, 81, 194, 195, 310 2,32 304 2,38 125 2,41 181 2,42 307 2,47 181 3,15 304 4,4 181 4,20 34, 305 4,31 298 5,14 181 6,1-7 181 6,2 298 6,7 298 8,1 181, 182

8,14 298 8,16 125 9,1 181 9,4-5 304 9,19 304 9,19-23 183 9,20 183 9,22 183 9,28 183 9,29 299 9,30 183 9,31 181, 289 10,22 304 10,37 36, 196, 310 10,38 196, 306 10,38-39a 300 10,39 304 10,44-46 288 10,48 125 11,1 298 11,26 172, 183 11,28 299 12,17 311 13,31 195, 303 15,13 311 15,18-20 288 19,5 125 19,23 299 20,35 48 21,18 311 22,15 195, 303 22,21 195, 303 26,16 193, 302 Romains 6,1-5 245 6,3 125 14,4 90 1 Corinthiens 1,13-17 245 9,6 85 15,1-5 153, 178, 183 15,3 45, 155, 250 15,3-4 8, 305 15,3-5 97 15,5 92 15,7 304 Galates 1,17-18 183 1,18 304

       1,18-19 178 2,1 183 2,2-10 178 2,11-14 288 3,27 125 Philippiens 2,6-11 149 2,9 99 3,10-11 149 3,20-21 149 1 essaloniciens 2,15-16 179 4,15-17 48 2 Timothée 4,13 197, 201, 308 Hébreux 2,10 240 5,9 240 5,12-13 239 6,1 239 7,11 240 7,19 240 7,28 240 9,9 240 9,24 150 10,1 240 10,14 240 11,40 240 12,23 240 13,20-21 150 1 Pierre 5,13 303 1 Jean 1,1 193, 302 1,1-2 193 Apocalypse 1,10 234 Source Q 3,7–7,35 144 3,7-9 133, 135, 158 4,1-13 164, 172 4,1-13.16 141 4,9-12 188 4,13 160 4,16 141 6,20-21 141 6,20-49 170 6,22-23 162, 202

6,27-28 164 6,27-31 170 6,36-39 164 6,37-42 141 6,46-49 172 7,1 179 7,1-10 141, 160 7,22-23 172 7,26-28 46 7,31-35 171 7,33 167 7,34 44, 167 9,57–10,16 170 9,57-60 162 9,57-62 169 9,58 44, 164, 165, 167 10,2 163 10,2-4 10, 153, 162 10,2-16 46, 162 10,4 167, 168, 184 10,5 163 10,5-8 167 10,7-8 163, 164 10,9 178 10,11 163, 164 10,12-15 180 10,13 163, 179 10,14 176 10,15 179 10,16 172 10,21-22 172, 173 10,22 176 11,2-4 169 11,2b-4 141 11,4 170 11,9-10 158 11,9-13 169 11,14-52 144 11,16 172 11,20 46 11,24-26 133 11,29-32 180 11,29-32 171 11,31-32 176 11,39 171 11,39-51 171, 172 11,39-52 169 11,42 172 11,42c 43, 144, 172, 248

371

372

      

11,42-43 171 11,45-46.52 171 11,47-51 162, 175, 202 11,49-51 171, 179 11,50-51 171 12,8-9 175 12,8-12 141 12,10 176 12,22-31 162 12,22-32 168, 169 12,32 169 12,33-34 141, 163 12,45 160 12,49-59 141 12,51-53 165 12,57-59 170 13,28-29 170, 176 13,28-30 178 13,33-34a 189 13,34-35 169, 171, 175, 202 13,35 149, 190 13,35b 189 14,26 162, 165 14,27 174, 188, 202 16,13 163 16,16 178 16,17 43, 144, 172, 248 16,18 170 17,22 176 17,24 176 17,27 165 17,30 176 22,28-30 141, 169, 170, 288 Autres écrits chrétiens Didachè 47, 66, 162 14,1 234 Évangile de la Croix 11, 48, 71, 75, 206, 231, 232 Évangile de Pierre 11, 48, 71, 74-75, 77, 126, 206, 230-234, 252

Évangile secret de Marc 12, 48, 71, 76, 77, 206, 234-246, 252 Évangile selon Judas 12, 40 Évangile selon les Hébreux 127 Évangile selon Marie 12, 50 Évangile selon Philippe 12, 50 Évangile selon omas 48, 50, 70-74, 77, 114, 161, 165, 168, 180, 206, 207211, 214-228, 245, 252 logion 1-2 223 logion 3-5 223 logion 7 212 logion 10-11 223 logion 12 210, 212, 217, 224 logion 13 216, 217 logion 17 223 logion 18 223 logion 20 212 logion 21 223 logion 22 223 logion 27 224 logion 29 223 logion 36 212, 213 logion 37 245 logion 49 223 logion 51 223 logion 53 223, 224 logion 54 212 logion 55 223 logion 65 223, 226 logion 67 223 logion 82 74, 212, 225 logion 97 74, 212, 223, 225 logion 98 212, 223, 225 logion 99 74 logion 100 212 logion 111 223 logion 114 74, 224 Papyrus Egerton  2 11, 48, 206, 227230, 252

TABLE DES MATIÈRES S ..................................................................................................

V

L       .................................... VII L   .........................................................................

IX

I ..........................................................................................

1

Première partie La recherche sur le Jésus de l’histoire C . À    «  »  J .............. 1. Les évangiles canoniques et la source Q .................................... 1.1 Les évangiles canoniques ...................................................... 1.2 Source Q .................................................................................. 2. Les évangiles non canoniques ou apocryphes .......................... 3. Le contexte ou l’histoire sociale .................................................. 4. Conclusion ....................................................................................... C . R    J  ’.......................................................................... 1. Méthode et histoire de la recherche ............................................ 2. Contexte historique. La Palestine du Ier siècle, avant 70 ......... 2.1 Hellénisme et judaïsme à l’époque hérodienne ................ 2.2 Mouvements religieux au Ier siècle ...................................... 2.2.1 Apocalyptique.............................................................. 2.2.2 Jean Baptiste................................................................. 2.2.3 Qumrân ........................................................................ 2.2.4 Judas Iscariote.............................................................. 2.3 Sources disponibles ................................................................ 2.3.1 Source Q ....................................................................... 2.3.2 Autres textes anciens .................................................. 3. Conclusion. La mort de Jésus comme révélation de son chemin singulier............................................................................. C . D        ............................................................................... 1. Justification de la recherche et réflexions sur l’histoire ........... 2. La Galilée d’Hérode Antipas ou le contexte historique de Jésus

7 8 8 8 11 13 17 21 21 29 29 33 33 35 38 40 41 42 48 50 55 56 60

374

  

2.1 Hellénisation et situation sociale de la Galilée du Ier siècle 2.2 Itinérance en Galilée et bandits sociaux ............................ 3. La « lutte incessante avec les sources » (Enrico Norelli)......... 3.1 Évangiles canoniques............................................................. 3.2 Écrits apocryphes chrétiens.................................................. 3.2.1 Évangile de omas .................................................... 3.2.2 Évangile de Pierre ....................................................... 3.2.3 L’évangile secret de Marc........................................... 4. Conclusion .......................................................................................

61 65 67 68 71 71 74 75 77

C . R   J  ’. À     D  M, Vie et destin de Jésus de Nazareth ................................................. 1. « Les commencements » ............................................................... 2. « La vie du Nazaréen ».................................................................. 3. « Jésus après Jésus » .......................................................................

79 80 87 95

Deuxième partie Les sources littéraires C . E        J (Q) .................................................... 1. L’existence de la Source Q ............................................................. 1.1 La théorie des Deux Évangiles ou Griesbach redivivus ... 1.2 Priorité de Q ? ........................................................................ 1.3 Priorité de Marc et ses variantes ......................................... 1.3.1 Proto-Marc ................................................................... 1.3.2 Deutéro-Marc .............................................................. 1.3.3 Priorité de Marc, sans Q et postériorité de Luc..... 1.3.4 Priorité de Marc avec Q et postériorité de Matthieu 1.4 Excursus : Note sur l’Évangile des Hébreux ..................... 1.5 Sommaire sur les accords mineurs ..................................... 1.6 Conclusion ............................................................................... 2. Les abîmes de la recherche sur Q ................................................ 2.1 La nature de Q ........................................................................ 2.1.1 Tradition orale ou document écrit ? ........................ 2.1.2 Un seul document ? .................................................... 2.1.3 En quelle langue ? ....................................................... 2.2 Reconstruction de Q .............................................................. 2.3 Histoire de la composition de Q.......................................... 2.4 Kérygme indépendant et communauté Q ? ...................... 3. Conclusion : Q et le Jésus de l’histoire .......................................

103 103 104 107 109 109 114 118 123 126 127 131 133 133 133 135 137 138 143 146 153

   C . Q() ()   S Q  1. Quelques remarques de méthode ................................................ 2. Les hypothèses socio-historiques courantes .............................. 2.1 À partir de ce que dit le « texte »........................................ 2.1.1 Radicalisme et itinérance........................................... 2.1.2 L’hypothèse cynique ................................................... 2.1.3 Mouvement de renouveau dans les villages de Galilée 2.1.4 Groupes de dissidents galiléens et de leurs scribes face à l’hégémonie sacerdotale de Jérusalem.......... 2.1.5 Mouvement de réforme, mais toujours à l’intérieur d’Israël........................................................................... 2.2 À partir des silences du « texte » ........................................ 2.2.1 L’argument du silence ................................................. 2.2.2 La mort de Jésus .......................................................... 2.2.3 La résurrection de Jésus ............................................. 2.2.4 Un « autre » kérygme, un « autre » évangile ?...... 3. Une place sur la carte historique du christianisme primitif ? 3.1 Date et lieu de composition de Q ........................................ 3.2 Une Église en Galilée ?.......................................................... 4. Conclusion. Groupe marginal ? Communauté singulière ? Ou traditions anciennes ? .............................................................

375 157 159 161 161 161 165 168 170 171 173 174 174 175 177 178 179 180 183

C . D  S Q    «   »  L , ................................................ 1. L’absence de la mort salvatrice et de la résurrection de Jésus en Q .................................................................................................. 2. Ceux qui ont vu de leurs yeux (αὐτόπται) et sont devenus serviteurs (ὑπηρέται) de la Parole ............................................... 2.1 Deux groupes ou un seul ? ................................................... 2.2 Différence entre αὐτόπτης et μάρτυς .................................. 3. Q, comme source ou reflet d’avant Pâques… ............................ 3.1 Carnets de notes ..................................................................... 3.2 Degré d’alphabétisation dans la Palestine hérodienne .... 3.3 Les notes des auditeurs de Jésus et leur contenu .............. 4. Conclusion .......................................................................................

190 190 193 195 196 198 201 202

C . J  ’     ....................................................................... 1. Évangile selon omas .................................................................. 1.1 Découverte et premières études ........................................... 1.1.1 éologie ...................................................................... 1.1.2 Genre littéraire ............................................................

205 207 207 207 209

187 188

376

2. 3. 4.

5. 6.

   1.2 Situation présente ................................................................... 1.3 Monographies ......................................................................... 1.3.1 Stephen J. Patterson .................................................... 1.3.2 April D. DeConick ...................................................... 1.3.3 Nicholas Perrin ............................................................ 1.4 Introductions et recensions critiques.................................. 1.4.1 Claudio Gianotto......................................................... 1.4.2 Jean-Marie Sevrin ....................................................... 1.4.3 Jean-Daniel Kaestli ..................................................... 1.4.4 James D.G. Dunn ........................................................ Le papyrus Egerton 2 .................................................................... L’Évangile de Pierre ....................................................................... L’Évangile secret de Marc ............................................................. 4.1 État actuel de la recherche .................................................... 4.2 Mais le Jésus de l’histoire ? .................................................. La Source Q ..................................................................................... Conclusion .......................................................................................

210 211 211 215 219 223 223 224 225 226 227 230 234 239 243 246 251

Troisième partie La Galilée C . S    G ’A   J. M  / .. 1. Modèles sociaux et archéologie ................................................... 1.1 Modèles sociaux ..................................................................... 1.1.1 L’Idéaltype de Max Weber ......................................... 1.1.2 La Galilée dans les modèles ...................................... 1.2 Archéologie ou référence à la réalité ................................... 1.2.1 Les révolutions en archéologie .................................. 1.2.2 L’impact sur l’archéologie galiléenne ....................... 2. Le contexte socio-économique de la Galilée d’Antipas et de Jésus............................................................................................. 2.1 Relations entre les villes et villages de Galilée selon les modèles sociologiques...................................................... 2.1.1 Moses I. Finley et omas F. Carney ...................... 2.1.2 Gerhard Lenski et John H. Kautsky ........................ 2.2 Relations entre les villes et villages de Galilée selon l’archéologie............................................................................. 2.2.1 Les principales fouilles de Galilée ............................ 2.2.2 Les arguments en faveur de l’interprétation conflictuelle ........................................................................

257 258 258 258 260 261 261 263 265 266 266 268 271 271 275

  

377

3. Conclusion ....................................................................................... 279 C . L G  J. L     S F ............................................................................. 1. Relation entre la Galilée et Jérusalem......................................... 2. Les modèles et l’archéologie ......................................................... 3. Le Ministère de Jésus ..................................................................... 4. La Mission .......................................................................................

281 282 284 287 288

Conclusion C . L ,- :      ................................................................................. 1. Paratexte historiographique… ..................................................... 2. Analyse de Lc 1,1-4 ........................................................................ 2.1 Lc  1,1 : Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements accomplis parmi nous… ........... 2.1.1 Les événements ............................................................ 2.1.2 Accomplis parmi nous ............................................... 2.1.3 Les « beaucoup » qui ont entrepris de composer un récit…...................................................................... 2.2 Lc 1,2 : d’après (ou selon) ce que nous ont transmis ceux qui, dès le début, ont vu de leurs yeux et sont devenus serviteurs de la parole............................................................ 2.2.1 À partir de Marc… ..................................................... 2.2.2 Q et le Jésus d’avant Pâques ...................................... 2.2.3 Carnets de notes…...................................................... 2.3 Lc  1,3 : il m’a paru bon, à moi aussi, après m’être soigneusement informé de tout à partir des origines, d’en écrire pour toi un récit ordonné, très honorable éophile. ................................................................................ 2.3.1 Récits de l’enfance ? .................................................... 2.4 Lc  1,4 : afin que tu puisses constater la solidité des enseignements que tu as reçus.............................................. 3. Conclusion .......................................................................................

293 293 296 297 297 297 299

300 303 305 307

309 310 311 311

C . M   .................................................................... 313 1. Judéité de la Galilée et relation avec la Judée, Jérusalem et le Temple ..................................................................................... 313 2. Situation économique de la Galilée au temps d’Antipas et de Jésus ........................................................................................ 316

378

  

B .......................................................................................... 321 I    ............................................................. 359 I      ...................................... 367 T  ................................................................................ 373