Nouvelles mosaïques inscrites d'Osrhoène

Table of contents :
Informations
Informations sur les auteurs
Janine Balty http://www.persee.fr/author/auteur_piot_494 Françoise Briquel Chatonnet http://www.persee.fr/author/auteur_piot_510Pagination
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Plan
I. Mosaïque de Prométhée
Description
Étude iconographique
Interprétation
Style
Étude épigraphique
II. Mosaïques à thèmes épiques
1. Mosaïque de Briséis et les servantes
2. Mosaïque de Polyxène et la nourrice
3. Mosaïque d'Achille et Patrocle
4. Mosaïque d'Hécube, Priam et la servante
5. Mosaïque de Troïlos
Conclusion
Illustrations
Fig. 1 - Mosaïque de Prométhée (photo du collectionneur)
Fig. 2 - Rome, Musée du Vatican : sarcophage d'Alceste; détail d'Hadès et Perséphone
Fig. 3 - Damas, Musée National : mosaïque cosmologique de Philippopolis
Fig. 4 - Paris, musée du Louvre : sarcophage de Prométhée, Ma 339 ; ensemble
Fig. 5 - Paris, musée du Louvre : sarcophage de Prométhée, Ma 339 ; détail
Épigraphes
Fig. 6 - Mosaïque de Briséis et les servantes
Fig. 7 - Mosaïque de Polyxène et la nourrice
Fig. 8 - Mosaïque d'Achille et Patrocle
Fig. 9 - Mosaïque d'Hécube, Priam et la servante
Fig. 10 - Mosaïque de Troïlos (photo du collectionneur)
Fig. 11 - Genève, Musée d'art et d'histoire : cratère apulien inv. HR 44; Priam et Troïlos

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Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot

Nouvelles mosaïques inscrites d'Osrhoène Madame Janine Balty, Madame Françoise Briquel Chatonnet

Citer ce document / Cite this document : Balty Janine, Briquel Chatonnet Françoise. Nouvelles mosaïques inscrites d'Osrhoène. In: Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, tome 79, 2000. pp. 31-72; http://www.persee.fr/doc/piot_1148-6023_2000_num_79_1_1372 Document généré le 20/05/2016

NOUVELLES MOSAÏQUES INSCRITES D'OSRHOÈNE par Janine Balty* et Françoise Briquel Chatonnef

Le plus souvent détruites (mais connues par un dessin au cube à cube) ou fragmentaires, les mosaïques d'Édesse et d'Osrhoène ont maintes fois retenu l'attention des chercheurs ces trente dernières années. Essentiellement liées d'abord aux noms de J. B. Segai1 et de J. Leroy2, elles ont été regroupées, dès 1972, en vue d'une étude épigraphique, par H. J. W. Drijvers3. Intégrées ensuite dans une présentation générale des mosaïques du Proche-Orient, elles ont été analysées du point de vue de l'histoire de l'art et définies comme un ensemble demeuré « dans son essence même foncièrement étranger à l'art de l'Empire »4: en effet, si la technique de la mosaïque est de toute évidence gréco-romaine, le style des œuvres est oriental, évoquant, par la frontalité des attitudes et la fixité du regard, la comparaison avec la sculpture palmyrénienne ou les peintures de Doura Europos. Quelques thèmes (poursuites d'animaux, le phénix, Orphée) et une série de motifs géométriques utilisés pour les bordures renvoient cependant directement au répertoire classique traditionnel. C'est sur cet aspect qu'insiste davantage la synthèse présentée par M. A. R. Colledge au IVe Colloque international sur la mosaïque antique, en 19845: s'appuyant sur une nouvelle lecture de trois des inscriptions édesséniennes accompagnant les scènes, cet auteur voit dans les

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' Centre Apaniée de Syrie, Bruxelles. Je remercie vivement Javier Teixidor de m'avoir invitée à participer aux travaux de l'Institut d'Études sémitiques du Collège de France, comme maitre de conférence, d'octobre a décembre 1998. Ce fut l'occasion d'une expérience passionnante à tous égards, qui m'a permis de prendre mieux conscience des problèmes de double culture en Osrhoene et de la nécessité de « ponts » interdisciplinaires. (Test enfin ce qui a rendu possible une féconde collaboration avec Françoise Briquel Chatonnet, d'où est né le présent article, ré-examen attentif des nouvelles mosaïques inscrites publiées dans le recueil de H. ). \V. Drijvers et |. F. Healey (cf. n. 7). ** (ÏNkS, Etudes séwiti(]ues, Paris. J. B. Si-:

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Fig. 1 - Mosaïque de Prométhée (photo du collectionneur).

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Le troisième personnage, accompagné d'une inscription visiblement corrompue, que nous proposons de lire « Kronos », est présenté de trois-quarts vers la droite, orienté donc, lui aussi, vers le « Seigneur des dieux ». Caractérisé par une longue chevelure bouclée, une moustache et une longue barbe, il est vêtu d'une tunique claire qui lui dégage toute la partie droite du torse et le bras de ce côté ; de la main droite, il tient devant lui une sorte de grand cerceau (souvent appelé improprement « roue »), qui peut appartenir à l'iconographie d'Aiôn, divinité du Temps éternel. Du point de vue de la composition, ce personnage - qu'on ne voit qu'à mi-corps - referme le groupe des divinités du cosmos. À l'arrière, dans l'angle supérieur gauche, deux figures debout, un homme et une femme, représentés plus petits et en retrait, occupent ensemble moins d'un tiers de l'espace total ; ils sont placés de trois-quarts, comme les autres, et également orientés en direction de Zeus. L'homme est identifié par une inscription : il s'agit de Prométhée ; le regard lointain, le visage mangé par une chevelure abondante et une barbe drue, le Titan créateur du genre humain est reconnaissable seulement à sa tunique d'artisan, à manches courtes. La femme qui l'accompagne, lui posant la main sur l'épaule gauche, anonyme, reprend, en léger décalage, les lignes essentielles de sa silhouette : même inclinaison de la tête, même position du corps, même geste du bras droit replié sur la poitrine ; coiffée en bandeaux symétriques autour du visage, les cheveux noués en chignon sur la nuque, elle porte - comme Héra - un collier autour du cou ; son vêtement, attaché sur les épaules (la droite seule est visible) et les dégageant, correspond exactement au péplos échancré d'Athéna dont il reproduit jusqu'au détail du repli caractéristique à hauteur de la ceinture (apoptygma) et du plissé très serré qui retombe le long des hanches et des jambes. C'est donc cette déesse, protectrice officielle des potiers (et de tous ceux qui travaillent l'argile) qu'on proposera de voir ici. Si le registre supérieur évoque le monde statique et éternel des dieux, c'est dans le domaine mouvant de la matière que nous ramène la scène du registre inférieur. Se déroulant visiblement de gauche à droite, elle représente un groupe de figures dont l'identification ne pose pas de problème, même si aucune inscription ne les désigne. Arrivant à grands pas de la gauche, le premier personnage - chaussé de petites bottes à lacets et entièrement nu sous une chlamyde qui lui couvre l'épaule gauche et vole derrière lui - est présenté de trois-quarts, le tronc penché vers l'avant, le visage imberbe, la chevelure courte et bouclée dégageant l'oreille ; sur le front, deux ailettes — qui ressemblent plutôt à des cornes - permettent de reconnaître sans hésitation Hermès, identification que confirme la suite de la scène. Hermès amène, en effet, en la poussant par derrière, une petite figure féminine, en long chiton, pourvue des deux ailes de papillon qui caractérisent régulièrement Psyché ; celle-ci, comme d'habitude dans ce contexte, fait un geste de réticence ou d'effroi sur lequel on reviendra. Précédant le groupe mais se retournant vers lui, un petit personnage ailé — sans aucun doute Eros/Amor - semble inviter Psyché à s'approcher du dernier protagoniste de la

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scène. Par la raideur de son attitude - les jambes serrées, les bras collés au corps, le regard fixe - et la couleur sombre de sa carnation, cette figurine ne peut être comprise que comme la créature qu'a modelée en terre Prométhée et à qui manque encore l'âme (\j)i)/rj) pour qu'elle soit véritablement un être humain. C'est donc l'ensemble de la composition en triangle, regroupant Psyché, Eros et la figurine en argile, qui symbolise l'homme, face à l'ordre immuable du monde représenté au registre supérieur ; le groupe Prométhée/ Athéna et Hermès, le médiateur par excellence, relient entre elles les deux zones. Dans l'angle inférieur droit, un peu à l'écart du reste de la scène, sont représentés, en position oblique par rapport à la ligne de sol, deux personnages - un homme imberbe aux cheveux courts et une femme dont la longue chevelure couvre les épaules — l'un à côté de l'autre, étroitement serrés. La tête de face - aux yeux largement ouverts -, les bras dans l'alignement du corps, ils ne sont ni debout, ni couchés mais dans une attitude intermédiaire qui est celle d'un redressement progressif. La couleur des corps n'est ni brune, comme pour la créature de Prométhée, ni chair, comme pour les autres personnages, mais d'un ton moyen entre le gris et le rose pâle. On notera, pour terminer, que tous les personnages de ce registre inférieur sont accompagnés d'une ombre portée, dirigée vers la droite, d'un rendu très schématique. Étude iconographique Exécutée à Édesse ou dans la région, comme en témoignent les inscriptions, cette mosaïque met en oeuvre - pour le rendu de presque tous les personnages - des types ou des schémas iconographiques proprement gréco-romains ; seule la composition d'ensemble pourrait être locale. Maralahe/Zeus - Héra L'image de Zeus/Jupiter, assis de trois-quarts, le torse complètement nu, sans sceptre et dans la seule compagnie d'Héra, ne trouve aucun parallèle satisfaisant, en dépit d'une documentation abondante10. En représentation officielle, le dieu apparaît le plus généralement de face, tenant du bras gauche levé son sceptre, un pan de son manteau lui retombant sur l'épaule gauche ; de surcroît, il est toujours, dans ce cas, entouré d'Héra/Junon et d'Athéna/Minerve, constituant avec ces deux déesses la Triade capitoline, omniprésente dans l'imagerie de l'Empire romain". Or, on constate avec étonnement que le schéma repris ici appartient non pas à l'iconographie de Zeus et

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10 On se reportera aux articles du /./MC VIII. 1-2 (1997), s.v. Zens fin peripheria orientali), p. 384-388 (C. Auge et R l.inant de Bellefonds) s.v. Zeus/luppiter, p. 421-461 (H Canciani). 11 Cf. /./A/C VIII. 1-2 (1997), s.v. Triade capitolina, p. 461-470 (A. Costantini). 12 Cf. IJXU: IY.1-2 (1988), s.v. Hadcs/l'luto, p. 399-406 (R. I.indner) VIII. 1-2 (1997), s.v. Persephone, p. 966-978 (G. Gùntner).

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Fig. 2 - Rome, Musée du Vatican sarcophage d'Alceste; détail d'Hadès et Perséphone (photo DAI. Inst. Neg. 72593). d'Héra mais à celle des dieux infernaux, Hadès et Perséphone12. Un sarcophage du Musée Chiaramonti (Vatican), provenant d'Ostie13, offre à cet égard une confrontation tout à fait frappante (fig. 2) : la figure de notre Maralahe/ Zeus se superpose presque à celle d'Hadès, jusqu'au détail du bras droit tendu et à la position alanguie de la main gauche sur l'accoudoir ; de même, l'attitude d'Héra, tournée vers son époux, répond bien à celle de Perséphone/Proserpine penchée vers Hadès/Pluton et affectueusement appuyée à son épaule tandis qu'elle l'incite à rendre Alceste au monde des vivants14 ; c'est peut-être aussi comme une tentative d'intercession que l'on interprétera le geste d'Héra envers Zeus. En dépit de quelques variantes, qui s'expliquent aisément par les nécessités de la transposition (addition d'une couronne de laurier et d'un nimbe pour le « Seigneur des dieux » ; suppression du flambeau et du voile connotant les Enfers), les deux couples reproduisent à l'évidence un modèle identique ; c'est donc dans le répertoire des thèmes funéraires romains qu'a puisé le pictor, créateur du carton de notre mosaïque.

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13 LIMC IV.1-2 (1988), s.v. Hades/Pluto, no 67 p. 404 S. Wood, « Alcestis on Roman Sarcophagi », A] A 82, 1978, p. 499-510 H. Sichtermann et G. Koch, Griechische Mythen auf rômischen Sarkophagen (Tiibingen, 1975), n" 8, p. 20-21, pi. 16 17, 2 19, 2. 14 LIMC I.1-2 (1981), s.v. Alkestis, n" 8 p. 535 et commentaire p. 542-544 (M. Schmidt).

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Kronos L'inscription qui désigne le dernier personnage de ce groupe pourrait s'être lue à l'origine « Kronos », divinité dont la présence au côté de Zeus - pour traduire l'idée du cosmos - paraît tout à fait conforme au panthéon traditionnel15. Au plan iconographique cependant, on ne manquera pas d'être surpris de ne pas retrouver sur l'image les traits essentiels qui définissent, dans la plupart des cas, la figure de Kronos (ou Kronos/Saturne à l'époque romaine)16 : sans doute est-on bien en présence d'un homme âgé, aux cheveux longs, portant barbe et moustache, revêtu d'un manteau qui lui dégage largement le torse, tout en formant un bourrelet de plis à la taille ; mais ce qui, au-delà de cet aspect général, assure d'habitude formellement l'identification de Kronos, c'est le fait qu'il a la tête voilée et qu'il tient, presque toujours, à la main l'attribut spécifique qu'est la harpe17. Le personnage de notre mosaïque est caractérisé, en revanche, par un autre attribut : un objet circulaire ou elliptique que l'on identifiera sans doute au cercle zodiacal18 ; or, c'est aux représentations d'Aiôn que renvoie cet attribut19. Un intéressant parallèle est, en effet, fourni par une mosaïque d'Antioche que D. Levi date de la deuxième moitié du IIIe siècle20, où l'on voit A'kjo'v — identifié par une inscription — sous les traits d'un homme âgé, chevelu et barbu, assis à une table de banquet, à côté d'une grande « roue » qu'il actionne ; un peu plus loin, sur le même lit, sont installés trois autres convives plus jeunes, désignés comme Xqo'voi par une inscription d'ensemble, chacun étant accompagné de surcroît d'une inscription personnelle : naQa)(i)xïi|iévoç (le passé), 'Evéoicpç (le présent) et MéXkwv (l'avenir). Face à ces temps relatifs de la vie humaine, Aiôn représente sans aucun doute le Temps absolu, immuable, éternel21. Il paraît normal qu'à la notion d'éternité se soit attachée de préférence la figure d'un

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15 Cette théologie cosmique remonte au Timée de Platon cf. A. J. Festugière, La révélation d'Hermès Trismégiste, II. Le Dieu cosmique (Paris, 1949), p. 73-152. 16 Cf. LIMC VI. 1-2 (1992), s.v. Kronos, p. 142-147 (E. D. Serbeti) et surtout LIMC VIII. 1-2 (1997), s.v. Saturnus, p. 1078-1089 (K Baratte). 17 Cf. L/MC VIIII. 1, s.v. Saturnus (F. Baratte), p. 1087 « D'une manière générale, les caractéristiques principales du dieu, la harpe et le voile, constituent des emprunts à Kronos... ». 18 E. Simon, « Zeit-Bilder der Antike », Ausgewàhlte Schriften, IL Rômische Kunst (Mayence, 1998), p. 229 « Das wichtigste Attribut antiker Zeitbilder ist der Zodiacus als Kreis oder als lang gezogene Ellipse... ». 19 Le thème de l'iconographie d'Aión a été maintes fois traité et controversé ces dernières années. Il existe, en fait, deux types iconographiques d'Aiôn bien distincts, le type âgé et barbu propre aux provinces grecques de l'Empire, et le type jeune et imberbe, toujours accompagné des Saisons et associé au zodiaque, qu'on trouve en Occident, et surtout en Afrique (mais sans inscription attestant le nom d'Aiôn). Seul le type âgé, grec, nous intéresse ici il serait donc hors de propos de revenir sur le détail de la sion.On se reportera, pour les généralités et la bibliographie, à l'article du /./MCI. 1-2 (1981), s.v. Aion, p. 399-411 (M. Leglay), jteur distingue les deux types d'Aiôn tout en essayant de les « réconcilier » dans sa conclusion. La mise au point la plus récente - avec toute la bibliographie antérieure - est due à I). Parrish, « The Mosaic of Aion and the Seasons from Haidra d'uni ;ia) an interprétation of its meaning and importance », AnTard, 3, 1995, p. 165-191. 2( D. I.KVi, Antioch Mosaic Pavements (Princeton, 1947), p. 197-198 et p. 625 (tableau chronologique). Pour le commentaire philosophique de la mosaïque, D. Levi, « Aion », Hesperia 13, 1944, p. 269-314 (en particulier, p. 274) que, selon l'auteur, la « roue » que fait tourner Aiôn n'est pas le cercle zodiacal mais le symbole du temps qui passe (p. 284). Ne pourrait-ce être aussi le cas sur la nouvelle mosaique d'Édesse ?

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Fig. 3 - Damas, Musée National mosaïque cosmologique de Philippopolis (photo J. Ch. Balty). vénérable vieillard. Ce type iconographique d'Aiôn âgé est peu représenté toutefois. On citera d'abord l'exemple d'une mosaïque de Nea Paphos, datée du IVe siècle, où Aiôn (identifié par une inscription) est couronné et nimbé, reprenant un type iconographique propre à Zeus et s'identifiant ainsi au dieu cosmique, âme du monde22. Plus intéressant pour notre propos est le relief d'Aphrodisias (fin du Ier siècle avant J.-C), où l'éternité des honneurs rendus à la mémoire de Zoïlos, prêtre d'Aphrodite, bienfaiteur de sa cité, est symbolisée par un personnage âgé, barbu, la tête en partie voilée, représenté assis et désigné par l'inscription A'io/v23: le type iconographique repris ici est celui de Kronos, mais sans la harpe. Le relief d'Aphrodisias et la mosaïque d'Édesse se répondent ainsi étrangement, à des siècles de distance, l'un appelant « Aiôn » une figure de Kronos, l'autre dénommant « Kronos » une figure d'Aiôn, contamination des types icono-

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22 W. A. Daszewski, Dionysos lier Erlôser. Gnechische Mythen un spiitantiken Cypern, Mayence, 1985, p. 33. Sur Aiôn compris comme dieu cosmique, A. J. Festugiere, La révélation d'Hermès Trisniégiste IV (Paris, 1954), p. 180-182 R. Turcan, « Le piédestal de la colonne antonine, à propos d'un livre récent », RA 1975, p. 314 M. Lkglay, loc. cit., p. 409. 23 A. A\.\6w\,Aion in Menda unii Aphrodisias (Mayence, 1979) [- Madrider Beitriige 6\, p. 13-25 cf. aussi IAMCA. 1,5. v.Aion (M Leglay), p. 401.

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graphiques singulièrement significative, qui démontre que les deux figures pouvaient être ressenties comme identiques au point d'être interchangeables pour la représentation du Temps éternel24. Ni l'Aiôn d'Aphrodisias, ni celui de Nea Paphos ne sont associés au cercle zodiacal ; on se demandera d'ailleurs, avec Marcel Leglay25, si cet attribut appartenait bien, à l'origine, au type iconographique du vieillard Aiôn ou s'il ne serait pas plutôt le résultat d'une contamination avec l'image de l'Aiôn jeune, systématiquement accompagné du zodiaque et lié à l'idée de Fécondité garantie par le retour immuable des Saisons. Cette figure n'est toutefois jamais explicitement désignée comme « Aiôn » et, de plus, elle n'apparaît que dans la partie occidentale de l'Empire romain26. Un seul document oriental offre une représentation d'Aiôn - authentifiée par une inscription - sous les traits d'un homme imberbe, dans la force de l'âge, tenant le cercle zodiacal et ostensiblement lié au cycle de la nature et à la richesse qui en découle, c'est la mosaïque de ShahbaPhilippopolis27 qu'on s'accorde aujourd'hui à dater de l'époque de Philippe l'Arabe (fig. 3) ; mais il s'agit ici d'un cas tout à fait particulier où l'image d'Aiôn s'inscrit dans le cadre de la propagande impériale, en liaison avec la célébration du millénaire de Rome en 24828 - la notion romaine (et politique) d3 Aeternitas Augusti se superposant implicitement à la notion grecque (et plus philosophico-religieuse) du « vieil Aiôn », Temps éternel29. Quoi qu'il en soit, c'est assurément à celui-là - l'Aiôn-Kronos - que se réfère notre mosaïque. Prométhée et sa compagne Le personnage de Prométhée, tel qu'il apparaît ici - en spectateur inactif, debout, loin de son œuvre - constitue pratiquement un hapax au plan de l'iconographie30 et serait difficilement reconnaissable sans l'inscription qui l'accompagne et sans la scène

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24 Four l'équivalence Kronos-Aiôn, A. A1.1 oi.di, op. cit., p. 25. Au plan iconographique, il est tentant d'ajouter un troisième parallele, en Occident cette fois la figure de Saecuiitm sur la mosaïque cosmologique de Mérida paraît, en effet, répondre au même type de l'Aiôn âgé sur l'équivalence Saeailum-Aiùn, cf. A. Ai.foi.di, op. cit., p. 5 I). Farrish, loc. cit., p. 184 (qui reconnaît en même temps la présence d'Aiôn jeune dans la figure à'1 Aeternitas) contra, M. -H. Quet, La mosaïque cosmologique de Mérida (Faris, 1981), p. 97-99 (qui reconnaît seulement l'équivalence Aeternitas- Aïôn). 25 LIMC. I. 1, s. v. Aion (M. Leglay), p. 409-410. I). Levi ne reconnaissait pas, quant à lui, le cercle zodiacal comme attribut d'Aiôn (cf. ci-dessus n. 21). 26 Sur les variantes possibles eie cette figure, cf. en dernier lieu D. Farrish, loc. cit., p. 170-184, 187-191 (plus particulièrement sur le problème de son identification comme Aiôn et sur les noms latins proposés en équivalence p. 170-174). 27 E. Win., « L'ne nouvelle mosaïque de Chahba-Fhilippopolis », AAS 3, 1953, p. 24-48 A. J. Festucmère, « La mosaïque de Fhilippopolis et les sarcophages 'au Prométhée' », Hermétisme et mystique païenne (Faris, 1967), p. 313-321 J. Chakbonneaux, « Aiôn et Philippe l'Arabe », MF.FRA 72, i960, p. 252-272 ; M. -H. Quei, op. cit., p. 164-167 J. Bai.ty, Mosaïques antiques du Proche Orient. Chronologie, iconographie, interprétation (Faris, 1995), p. 144 et n. 25 1). Parrish, loc. cit., p. 184-186. 28 Que l'on souscrive ou non a l'identification de Philippe l'Arabe avec Aiôn, proposée par J. Charbonnhaix, loc. cit., il n'est pas douteux que la mosaïque doit être mise en rapport avec cet événement important du règne. 29 S'il est vrai que ces deux visions de l'Eternité puissent paraître conciliables et complémentaires, il est difficile d'imaginer que deux types iconographiques aussi différents aient pu répondre a un seul et même nom, ce qui semble cependant bien être le cas. Cf. dans le même sens, L. Simon, loc. cit., p. 227 « Aion ist in der antiken Kunst keine ikonographisch festumrissene Figur. Er nimmt Ziige anderer (iôtter und Fersonifikationen an, die mit der Zeit in Be/iehung stehen ». 30 Pour l'iconographie de Prométhée, cf. /./ÀfC YII.1-2 (1994), s. v. Prometheus,p. 543-547 et commentaire p. 552 (J.-R. (iisler).

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Illustration non autorisée à la diffusion

Fig. 4 - Paris, musée du Louvre : sarcophage de Prométhée, Ma 339 ; ensemble (photo M. et P. Chuzeville). représentée au registre inférieur ; ajoutons toutefois que le vêtement qu'il porte peut aussi servir d'indice d'identification, on y reviendra. L'épisode de la création de l'homme par Prométhée est bien attesté dans la littérature dès le IVe siècle avant J.-C. et commence à être illustré vers le même moment sur des gemmes31. Mais le schéma iconographique adopté ne correspond pas à celui qui est utilisé ici ; ce qu'on trouve, presque sans exception, c'est l'image du créateur au travail, assis sur un tabouret ou sur un rocher et façonnant dans l'argile une figurine déjà ébauchée, placée devant lui sur une base. Le schéma est stable et perdure jusqu'aux premiers siècles de l'Empire romain. Vers le IIe siècle de notre ère, s'ajoute à la scène Athéna, protectrice des potiers, qui collabore à l'œuvre en lui donnant le voûç oula(pQOvr]Giç sous la forme d'un papillon32. Sur certains documents - notamment une lampe de Pérouse, aujourd'hui détruite mais connue par un dessin du XVIIe siècle33 - Prométhée, un homme adulte, barbu et chevelu, porte la même tunique à manches courtes que sur notre mosaïque ; cette tunique est le vêtement caractéristique de toutes les catégories d'artisans : elle distingue des gens qui portent la toge ceux qui travaillent de leurs mains34. Au flanc des sarcophages - car le thème est passé au domaine funéraire vers le milieu du IIe siècle et surtout dans le courant du IIIe - Prométhée n'est pas ressenti, semble-t-il, comme un artisan ; c'est sur le

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31 Ibid., p. 543-544 H. Kaisf.r-Minn, « Die Erschaffung des Menschen auf den spâtantiken Monumenten des 3. und 4. Jahrhunderts », JAC, Ergànzungsbd 6 (1981), p. 32-33. 32 LIMC VII. 1-2, s.v. Prometheus (J.-R. Gisler), p. 545-546 H. Kaiser-Minn, loc. cit., p. 34-35. L'apport du vovz ou de la qoovTiaiç est l'apanage d'Athéna dont le geste ne fait pas double emploi avec l'apport de l'âme par Hermès cf. R. Turcan, « Note sur les sarcophages 'au Prométhée' », Latomus 27, 1968, p. 633-634 ; H. Sichtermann, « Zwei Darstellungen des Hermès als Seelenftihrer », Rom. Mitt. 77, 1970, p. 113 F. Baratte dans F. Baratte et C. Metzger, Catalogue des sarcophages en pierre d'époque romaine et paléochrétienne (Paris, 1985), p. 115 LIMC VII. 1-2 (1994), 5. v. Psyché, p. 585 (N. Icard-Gianolio). 33 H. Kaiser-Minn, loc. cit., pi. 14b (d'après P. Santi Bartoli, Le antiche lucerne sepulcrali figurate, Rome, 1691, pi. I). 34 G. Zimmer, Romische Berufdarstellungen (Berlin, 1982) [Archàol. Forschungen 12], p. 66-69, 198-201 et fig. 144.

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Titan créateur qu'on met l'accent, en le représentant dans la nudité héroïque, le torse presque complètement dégagé et le bas du corps enveloppé d'un grand manteau35 (fig. 4). La corbeille en vannerie du potier est cependant toujours présente à ses côtés, remplie des boules de glaise préparées pour la fabrication de la figurine ; on la retrouve aussi sur la mosaïque de Philippopolis (fig. 3). Dans la composition des quelque sept sarcophages ou reliefs illustrant le thème de Prométhée-créateur de l'homme, Athéna occupe toujours une place essentielle, le plus souvent derrière Prométhée ou à côté de la créature, qu'elle anime en lui posant le papillon sur la tête. La mosaïque de Philippopolis échappe toutefois à cette règle : la femme à demi-nue qui, appuyée sur une colonnette, suit attentivement par derrière le travail ne répond pas du tout en effet à l'iconographie d'Athéna ; on y a reconnu quelquefois Aphrodite36 ou une nymphe37. C'est aussi une nymphe que, de prime abord, nous aurions été tentées d'identifier dans la compagne de Prométhée sur notre document : ne serait-ce pas une manière de valoriser le rôle primordial de l'eau dans le métier du potier que de montrer Prométhée étroitement lié à une divinité des sources38 ? Une meilleure hypothèse se présente cependant à l'esprit si l'on observe attentivement le vêtement de la femme ; attaché sur l'épaule par une fibule, formant un large repli à hauteur de la ceinture et retombant en un plissé serré sur les jambes, il se définit clairement comme un péplos : sans aucun doute, le péplos d'Athéna - la confrontation avec n'importe quelle statue de la déesse le confirme. Athéna est donc présente sur la mosaïque, mais sans le casque qui d'ordinaire permet de l'identifier sans hésitation ; on remarquera qu'Héra ne porte pas non plus son diadème habituel. Athéna intervient d'ailleurs ici comme protectrice de Prométhée-potier ; elle le met en évidence ; elle fait corps avec lui, se dissimule en quelque sorte derrière lui. Mais elle est aussi sa collaboratrice puisqu'elle a insufflé l'esprit à la créature de boue39. Hermès et Psyché Sans ailettes aux pieds, sans pétase, sans caducée (kerykeion) - et même si ses ailettes frontales ressemblent plutôt à des cornes - Hermès/Mercure est cependant parfaitement reconnaissable40. Jeune, imberbe, d'allure dynamique, marchant vers la droite, chaussé de petites bottes à lacets mais complètement nu sous sa chlamyde, serrant Psyché contre

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35 L/MC VII. 1-2, s.v. Promelheus (J.-R. Gisler), n"s 101-105 P- 545-546, n"s 109-110 p. 547. 36 H. Will, loc. cit., p. 35 ; H. Sichtermann, loc. cit., p. 119 ; H. Kaiser-Minn, loc. cit., p. 40 ; I.IMC VII. 1-2, .s. v. Psyché (N. Icard-Gianolio), n" 74 p. 575. 37 J. Balty, Mosaïques antiques de Syrie (Bruxelles, 1977), p. 28. 38 Prométhée serait le père de Thébé (éponyme de Thèbes en Béotie) qu'il aurait engendrée avec une nymphe cf. L/MC" VII. 1-2, s.v. Promettions (J.-R. Gisler), p. 531. 39 Cf. ci-dessus n. 32. C'est ce que traduit sûrement - en l'absence du traditionnel papillon - le regard déjà vif qui caractérise la créature. 40 Pour l'iconographie d'Hermès/Mercure, I.IMC VI. 1-2 (1992), s.v. Mercurius (Mercurius in philosophischen Mythen), p. 529-530 et commentaire p. 534-537 (E. Simon).

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Illustration non autorisée à la diffusion

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Fig. 5 - Paris, musée du Louvre sarcophage de Prométhée, Ma 339 ; détail (photo M. et P. Chuzeville). lui de la main droite, il apparaît ici en psychopompe, comme sur la série des sarcophages déjà citée ou sur la mosaïque de Philippopolis41. Le schéma iconographique est toutefois différent, car sur la plupart des reliefs et sur la mosaïque, Psyché est représentée derrière Hermès, qui se retourne pour l'attraper et l'entraîner à sa suite ; le plus souvent, le groupe qu'ils forment semble dès lors s'éloigner de Prométhée et de sa créature. Sur la mosaïque d'Édesse, en revanche, Hermès regarde devant lui, poussant Psyché vers la figurine d'argile42. Ces différences de présentation d'Hermès et de Psyché ont donné lieu, on le verra, à une série de controverses dans l'interprétation du groupe.

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41 Cf. ci-dessus n. 35 (sarcophages) et 27 (mosaïque de Philippopolis). 42 C'est le cas aussi sur le relief du Vatican (Sala dei busti 638) daté du me siècle et explicité par des inscriptions latines l.IMC VII. 1-2, s. v. Psyché, n" 109 p. 546 ( J.-R. Cislerj cf. déjà R. Tl'rc:an, loc. cit. (ci-dessus, n. 32), p. 631 et aussi H. Kaisek-Minn, op. cit., p. 45-46.

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L'iconographie de Psyché elle-même ne pose aucune difficulté particulière : ses ailes de papillon permettent de l'identifier au premier coup d'œil et on retrouve aussi le geste d'effroi - ou tout au moins de recul - qui lui est coutumier dans cette scène43. ErosiAmor et la créature d'argile L'identification d'Eros est évidemment assurée par la taille du personnage, sa nudité et les grandes ailes qui le caractérisent ; la présence auprès de lui de Psyché renforce la proposition44. Le personnage d'Eros est visiblement rattaché ici à la créature d'argile qu'il désigne de la main droite, tout en lui touchant le dos de la gauche, comme pour l'encourager à s'avancer. Ce schéma iconographique n'est attesté tel quel sur aucun des documents relatifs à l'épisode de la création de l'homme ; on notera cependant que, sur le sarcophage de Naples45, ce sont deux Erotes qui poussent Psyché réticente vers la créature de Prométhée, encore inanimée, et que, sur le sarcophage du musée du Louvre46, un groupe - de petites dimensions - représentant Amour et Psyché enlacés a été placé, dans la composition, à proximité du groupe d'Hermès et Psyché (fig. 5)47. Quant à la créature d'argile, elle trouve de nombreux parallèles, essentiellement sur les sarcophages ; selon la fantaisie du maître d'œuvre, une ou plusieurs figurines ont été représentées — le plus souvent masculines, mais quelquefois féminines -, toutes caractérisées par le même aspect rigide qui les fait ressembler à des poupées48, les jambes jointes, les bras collés au corps, mais les yeux cependant ouverts, attendant que l'âme leur soit donnée. Le couple Le couple placé dans l'angle pourrait être, à première vue, comparé à ces figurines « en attente d'âme », précisément pour l'aspect rigide dont il vient d'être question. Mais la similitude iconographique n'est qu'apparente : les figurines des sarcophages sont en effet toujours représentées soit debout, soit couchées, mais jamais dans la position oblique du redressement progressif, qui fait la spécificité de notre couple. Nous ne pensons donc pas que ces deux personnages puissent être simplement d'autres créatures de Prométhée, attendant leur tour d'être animées ; on remarquera d'ailleurs que la

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4^ Sur l'iconographie de Psyché en liaison avec le mythe de Promet liée, cf. I.IMC. VII.1-2 (1994), s.v. Psyché, n"s 73-77 p. 575 (\. Icard-(jianolio). 44 Sur l'iconographie d'Amor et Psyché, ibui, p. 576. 45 /./jV/C" VII.1-2 (1994), s.v. Prometheus, n" 110 p. 546 (= Naples, Museo N'azionale 6705, provenant de Pou/.zoles). 46 Ibid., n" 104 p. 546 (= Paris, Louvre Ma 339, piover ant d'Arles) H Barai tk-C. Mi-. t/.gi.r, op. cit., n" 47 p. 115-118 (cf. n. 32). 47 Le groupe pourrait signifier, dans ce contexte, lu ion de l'âme et du corps. 48 H. Kaiskr-Minn, loc. cit., p. 54-55 utilise l'express on « puppenartig Steif » (cf. aussi 1 1. Sich krmann, loc. cit., p. 114-115). L'accord ne se fait toutefois pas sur la signification de ces Igurines gisant au sol certains y voient des défunts (A. J. Fi sïugikkk, loc. cit., p. 316-317 et H. Kaisi.r-Minn, loc. cit., p. 54-55, qu considère qu'ils attendent un retour de l'âme après la mort), d'autres y reconnaissent des créatures de Prométhée, encore inanim es (R. Ti rcan, loc. cit., p. 631 H. Sk.htkrmann, loc. cit., p. 115-116).

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couleur gris rosé qu'on leur a donnée les distingue aussi de la créature en terre. Nous reviendrons plus longuement sur l'interprétation de ce groupe, nous bornant ici à évoquer, au seul plan iconographique, le parallèle que constitue l'épisode de la résurrection de Lazare, où le même schéma a été utilisé parfois49. Interprétation À la lumière de l'étude iconographique et des confrontations qui la fondent, la signification réelle de la scène ne peut échapper : ce qui est mis en évidence, c'est l'union de l'âme et du corps ou, en d'autres termes, la double nature de l'homme - fait d'argile mais doté d'une âme qui lui vient des dieux - et l'espoir de survie qui en résulte. La nouvelle mosaïque se situe bien ainsi dans un contexte funéraire. Symbolisant le cosmos, unique et éternel, Zeus et Kronos/Aiôn trônent au registre supérieur. Ils se complètent sans se confondre ; le concepteur du tableau, en donnant à Zeus - et à lui seul - la couronne et le nimbe, a voulu marquer une adéquation entre le texte et l'image : Zeus est bien le « Seigneur des dieux » et c'est vers lui que sont orientés les autres personnages, même Aiôn qui est ici l'équivalent de Kronos (l'inscription le confirme) et non le « grand dieu cosmique, l'âme du monde coextensive à l'Univers » qu'il est parfois50. Le thème du tableau ne concerne d'ailleurs pas la théologie cosmique mais offre une réflexion sur la nature et le destin de l'homme au sein de l'univers. Le schéma iconographique adopté - qui transpose fidèlement une image du couple Hadès/Perséphone, représenté avec des gestes qui ont un sens dans un contexte précis contribue, de surcroît, à donner à la scène un caractère plus narratif qu'abstrait. Ces gestes ont-ils gardé, dans la transposition, leur signification d'origine ? On peut se le demander car il s'agissait, on s'en souviendra, de consentir à rendre Alceste morte au monde des vivants : or, c'est peut-être aussi de survie qu'il est question ici. Également placé au registre supérieur, mais un peu en retrait des divinités cosmiques, le groupe que forment Prométhée et Athéna sert de transition et d'introduction à la scène qui se déroule au plan inférieur. Figuré debout, l'artisan-créateur est montré non plus en action mais après le travail, assistant, avec Athéna, à l'animation de ce qui n'est encore qu'une poupée d'argile51. Le schéma de composition consistant à disposer, face à face, à l'avant du tableau, l'âme et le corps, vise à mettre en évidence la dualité de la nature humaine. C'est le commentaire qu'avait aussi suscité une fresque très détériorée

49 On citera notamment la « Résurrection de Lazare « de la catacombe des Saints-Pierre-et-Marcellin, généralement datée de la fin du [Ile siècle ( A. Grabar, Le premier art chrétien (200-395), Paris, 1966, fig. 22 p. 25), où la figure est également représentée en oblique pour donner l'illusion qu'elle se relève progressivement. 50 Cf. ci-dessus n. 22. 51 Sans doute a-t-elle déjà reçu d'Athéna l'esprit (vof'ç ou (f oóvr|Oic;), c'est-à-dire, en quelque sorte, le « premier niveau d'âme » (cf. H. Sichtermann, loc. cit., p. 113). Cf. ci-dessus, n. 39.

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découverte sur la paroi d'une tombe à Beit-Ras52, où l'on voit Hermès amenant Psyché (désignée par une inscription) vers un jeune homme étendu sur le sol, identifié comme 7lXào\xa : debout, à droite, Prométhée (inscription) assiste à la scène. Il y trouve, en effet, tout naturellement sa place puisque son œuvre de création ne doit être complète que lorsque l'âme et le corps seront réunis ; à ce moment-là seulement existera l'être humain. Or, la plupart des autres documents qui servent de parallèles à notre mosaïque (sarcophages romains et mosaïque de Philippopolis) ne représenteraient pas, de façon explicite, l'achèvement de l'œuvre, si l'on en croit certains commentateurs53. La controverse porte sur l'interprétation du rôle d'Hermès dans la scène et du geste de recul ou d'effroi que fait Psyché. Selon que l'on comprend qu'Hermès apporte l'âme au corps, à la naissance de l'homme, ou qu'il l'emporte à sa mort, le geste passe pour une manifestation de résistance de l'âme à l'incarnation ou pour la traduction de son effroi devant la perspective de quitter la vie terrestre. Pour A. J. Festugière, il ne fait pas de doute que la deuxième solution s'impose54 ; H. Sichtermann a montré, en revanche, que tout dépend du contexte et qu'il est impossible de trancher de manière générale ; la recherche sur les modèles mis en œuvre l'amène cependant à penser que, dans la composition d'origine, le mouvement de Psyché était l'expression d'une réaction de protestation contre la brusquerie avec laquelle Hermès l'entraînait vers l'Hadès ; mais dans ses utilisations postérieures, le motif aurait pris une autre signification55. La nouvelle mosaïque d'Édesse ne laisse, en tout cas, aucun doute à cet égard : ici, Hermès pousse vers le « plasma » une Psyché visiblement réticente et c'est certainement la répugnance à s'incarner qu'exprime le geste de la main56. Mais une précision supplémentaire, que ne donne aucune des autres images, est fournie : c'est pour répondre à l'insistance d'Eros/ Amor que Psyché acceptera de s'unir à la créature de Prométhée. Il apparaît donc clairement que le couple d'Amour et Psyché symbolise, dans ce contexte, l'union de l'âme et du corps57.

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52 F. Zayadine, « Une tombe peinte de Beit-Ras (Capitolias) », Studiimi Biblicum Franciscanum 22, 1976, p. 285-294 cf. aussi H. Kaiser-Minn, loc. cit., p. 51 (l'auteur pense qu'il s'agit ici de la réunion du corps et de l'âme, post mortem - ce qui nous paraît douteux). 53 A. ). Festugière, loc. cit., p. 316-317 ; H. Kaiser-Minn, loc. cit., p. 42-45. 54 A. J. Festugière, loc. cit., p. 317 cf. aussi, plus récemment W. N. Schumacher, « Die Katakombe an der Via Dino Compagni und mirrisene (ìrankammern » , Riv. arch. crisi. 50, 1974, p. 344-346. 55 H. Sichtermann, loc. cit., p. 116-121. Selon H. Kaiser-Minn, op. cit., p. 74, le mouvement de Psyché sert uniquement a montrer qu'elle est capable de mouvement, alors que la créature est encore inanimée (l'interprétation me paraît peu convaincante). 56 Des 1968, R. TuRCAN./or.n'f. (ci-dessus 11.32), p. 632 attirait l'attention sur un intéressant texte de Porphyre soulignant cette répugnance de l'âme à s'incarner « Sans doute, comme je l'ai vu au théâtre, ceux qui jouent Prométhée sont jorcés de faire entrer l'âme dans le corps... » (Porphyre, L'animation de l'embryon, XI. 1, traduit par A. J. Flstugière, La révélation d'Hennés ï'rismégistc, III. Les doctrines de l'âme, Paris, 1953, p. 285). 57 Sur cette signification du couple enlacé, cf. /./MC VII. 1-2, s.v. Psyché (N. Icard-(iianolio), p. 584.

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Sans doute est-ce le sens qu'on lui conférera aussi sur le sarcophage du Musée du Louvre provenant d'Arles, où il est représenté, enlacé, à proximité d'Hermès : il en résulte que le couple Hermès-Psyché doit être interprété, sur ce sarcophage, comme symbolisant l'arrivée de l'âme dans le corps et non son départ, ainsi qu'il est généralement admis58. Ce qui a contribué sans doute à imposer l'idée qu'Hermès emporte l'âme plutôt qu'il ne l'apporte, c'est qu'on a accordé à la scène une valeur narrative et non symbolique, en tenant compte de ce qu'Hermès semble, par son attitude, s'éloigner de Prométhée et de sa créature. Mais si on considère que le groupe Hermès/Psyché constitue un « motif iconographique », repris tel quel à un modèle célèbre apprécié des sculpteurs, et que ce motif signifie « l'âme » dans le langage codifié de l'iconographie, tandis que le « motif» de Prométhée-artisan signifie « le corps », l'interprétation qu'on peut proposer de l'image du sarcophage arlésien se rapproche beaucoup de celle de notre mosaïque59. C'est en effet, ici aussi, la dualité de la nature humaine qui est soulignée ; et cette dualité débouche nécessairement sur un espoir de survie, la parcelle divine que représente l'âme assurant à l'homme sa chance de pérennité. Cette chance est symbolisée sur les sarcophages par la présence de la silhouette voilée d'Alceste, paradigme du triomphe sur la mort - ainsi que l'a démontré W. N. Schumacher60 -, puisque descendue aux Enfers, la femme d'Admète a reçu des Moires, avec l'assentiment d'Hadès, la grâce de regagner le monde des vivants61. L'interprétation est la même pour la mosaïque de Philippopolis (fig. 3), où l'on voit Hermès qui vient, d'en haut, faire entrer l'âme (Psyché)62 dans le corps modelé par Prométhée - désigné par l'inscription JtowTOTt^aoTOÇ 63 -, tandis qu'apparaît, immédiatement à côté d'Hermès, la figure voilée d'Alceste, qui suffit à évoquer, à elle seule, l'autre volet de la destinée humaine (mort et espoir de survie)64. Placé à l'extrême droite du tableau, le couple « en position oblique » peut être interprété comme la résultante de l'animation du « plasma » ; celui-ci, qui n'était pas encore vraiment un être achevé, serait en quelque sorte explicité ou ainsi concrétisé dans la représentation de l'être humain sous son double aspect, masculin et féminin, le couple

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58 A. ). Festugière, loc. cil., p. 317 W. X. Schumacher, loc. cit., p. 345 n. 62 H. Kaiser-Minn, op. cit., p. 43 F. BarattkC. Metzger, op. cit., p. 116. 59 R. Turcan, loc. cit., p. 631 (« on voit bien que Mercure pousse Psyché de façon a la faire tomber sur le corps gisant au sol ») cf. aussi, mais avec hésitation, H. Sichtekmann, loc. cit., p. 114. 60 W. N. Schumacher, loc. cit., p. 340-351. 61 LIMCÌ. 1-2 (1981), s.v. Alkestis (M. Schmidt), n" 66 p. 542 (citant Hygin, ¥ab. 251 J. 62 K. Wii.l, loc. cit., p. 45 H. Sichtermann, loc. cit., p. 114 LIMC VII. 1-2, s. v. Psyché (N. Icard-Gianolio), p. 74 contra A. ). Festugière, loc. cit., p. 315 H. Kaiser-Minn, op. cit., p. 41-42 (qui précise que, sur la mosaïque, la représentation de la création de l'homme est inachevée). 63 Ce terme (remplaçant rr/.uniio. habituellement utilisé pour désigner la figurine modelée par Prométhée) ne se rencontre que dans la littérature judaïque ou chrétienne (la Septante, Philon le Juif, Clément d'Alexandrie). On peut s'interroger sur cette substitution du terme judéo-chrétien au terme classique marque de sympathie ou de compétition ? 64 Pour ce sens donné à Alceste, VV. X. Schumacher, loc. cit., p. 348 cf. aussi, l.IMCl.i (1981), s.v. Alkestis (M. Schmidt), p. 543.

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primordial. Mais il est sans doute possible d'y voir davantage : le contexte funéraire et la confrontation avec l'iconographie de Lazare invitent, en effet, à se demander si l'image n'évoquerait pas l'espoir d'une survie pour l'homme et ne jouerait pas, dans ce cas, le rôle tenu par Alceste sur les sarcophages et sur la mosaïque de Philippopolis63. Serait-ce par hasard qu'à la catacombe romaine de la Via Latina, on trouve à la fois le tableau de la résurrection de Lazare et celui du retour d'Alceste66 ? On ne verra cependant dans ce rapprochement entre répertoires païen et chrétien qu'un emprunt d'ordre purement iconographique67, qui n'affecte pas le fond même de la croyance. La notion de la résurrection des corps promise aux fidèles du Christ, au jour du Jugement dernier, n'est pas conciliable, en effet, avec l'idée du cosmos éternel figuré au registre supérieur du tableau. C'est bien dans la tradition des conceptions philosophiques gréco-romaines que s'inscrit le présent document mais l'implantation rapide du christianisme à Édesse explique peut-être que le schéma iconographique chrétien de la résurrection de Lazare ait été préféré à celui, plus classique, du retour d'Alceste pour traduire l'idée du triomphe sur la mort. La richesse et la diversité de ce répertoire iconographique proprement gréco-romain pourraient, à première vue, surprendre dans une ville que l'on sait profondément orientale. On se rappellera toutefois le caractère très particulier de cette région largement ouverte à la variété des cultures. Les thèmes qui préoccupaient les esprits dans les milieux cultivés de l'Empire romain au IIIe siècle n'avaient donc pas eu de peine à s'infiltrer en Osrhoène : telle, la figure de Prométhée-créateur de l'homme - qui connaissait depuis le milieu du IIe et au IIIe siècle un regain de succès68, dû sans doute au développement du christianisme - ; et aussi, les problèmes liés à la nature et à la survie de l'âme, qui n'avaient d'ailleurs pas manqué d'intéresser déjà le philosophe édessénien Bardesane, vers le même moment69. Mais avec les idées voyagent également les représentations iconographiques qui s'y rattachent. On n'oubliera pas, à cet égard, le rôle primordial que dut jouer le théâtre - vraisemblablement sous la forme de la pantomime - dans la diffusion de cette culture visuelle : l'intéressant témoignage de Porphyre auquel il a été fait allusion70 vient encore nous le rappeler. On supposera sans difficulté que certains personnages mythiques prenaient, de manière assez définitive, aux yeux du public

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65 Lazare est, en effet, l'exact parallèle d'Alceste puisque, comme elle, il est passé dans « l'autre monde » et en est revenu. 66 Sur la catacombe de la via Latina (à propos de ces scènes plus particulièrement) ]. Link, liildfrotiwiigkeit uiid liekemitiiis. Das Alte Testament, Herakles imd die Herrlichkeit (liristi an der Via Latina iti Rom (1978), p. 94-98 F. P. Baiuìeihiir, The Pamlings of thè 'New' (Aitaci ;//; ofthe Via Latina and the Slmggle of(Jiristianity against Pagatiism ( Heidelberg, 1991 ), p. 92. 67 Pour une :iéme réserve, l.iXW. I. (1981), s.v. Alkestis (M. Schmidt), p. 544. 68 C'est la pé ridde a laquelle remontent toutes les œuvres envisagées ici a titre de confrontations (sarcophages romains et mosaïque de Philippopolis) LIM(.'VI. 1-2 (1994), s.v. Pwmetheus J.-R. Gisler), p. 552. 69 J. lï.IXIIX) ■

Maralahe

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Hera

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Kronos

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Prometheus

Le premier nom divin est en fait un titre, « Seigneur des dieux », qui peut être appliqué à différentes divinités. C'était à l'origine une épithète de Sfn, le dieu lune de Harran, dans les textes babyloniens75. Dans les premiers siècles de notre ère, le titre désignait Sïn dans l'Est de l'Osrhoène car les inscriptions en écriture édessénienne de Sumatar Harabesi, liée à la montagne sainte, évoquent alternativement Si n et Maralahe76

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73 H.J.W. Drijvers, « A tomb for thè life of a King », Le Muséon 95, 1982, p. 167-189. 74 Drijvers et Healey, p. 220-221 et pi. 72 (n" Cm 11). Les références des inscriptions édesséniennes sont données ci-dessous suivant leur numérotation. 75 Sous la forme accadienne ' 30 EN sa DINGIR.MES ou d30 be-li 'â DINGIR.MES. P.-A. Beaulif.u, The Reign cfNabomdus, King of Babylon 556-539 BC, Yale Near Eastern Researches 10, New Haven-Londres, 1989, p. 43-65. Voir particulièrement les inscriptions célébrant la restauration respectivement de l'Ehulhul" ul à Harran et de la ziggurat d'Ur. 76 Sfn As 27, 28. Maralahe As 31, 36, 37.

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et l'équivalence est encore confirmée par certaines monnaies portant le buste d'un dieu avec un croissant sur le front ainsi que la légende SYN MRLH^, d'abord attribuées à Hatra77 mais qui ont probablement une autre origine78. À Édesse même, le titre est appliqué à Zeus79 : le texte de la Peshittâ, en Actes 14, 12 traduit par « Maralahe » le nom de Zeus, dieu que les Lycaoniens reconnaissent en Barnabe après que lui et Paul aient guéri un impotent. La version syriaque des Hypomnemata d'Ambrosios80 emploie systématiquement la même expression pour désigner le fils de Kronos et le séducteur de Danaé, d'Europe et de Lèda81. Zeus se trouve ainsi, sur la mosaïque édessénienne, le seul à être désigné sous un titre sémitique et non sous son nom grec. Le nom de Héra est écrit sous une forme courte inhabituelle. Il est normalement transcrit H^R^82, notamment dans le texte d'Ambrosios. L'absence du Jolaph final est particulièrement remarquable. Les tesselles qui forment le nom du troisième personnage ont manifestement été perturbées, comme le montrent notamment la légère rupture dans l'alignement du cadre et la forme inhabituelle des lettres les plus clairement lisibles. La forme actuelle des traits ne permet pas de lecture cohérente83. La première lettre est sûrement un qoph et la dernière est un semkhat. L'avant-dernière lettre, en restituant la liaison supérieure entre les deux traits verticaux, est sans doute un waw. De même, la seconde, outre un zaïn, peut assez facilement être complétée en dolath ou rish. En effet, quelques tesselles blanches semblent suivre l'orientation du rish de PRMTWS : la restauration moderne a sans doute été faite en conservant la place des tesselles, encore visible, mais en restituant des cubes blancs là où ils étaient noirs à l'origine. La première lecture faisant sens qui nous est venue à l'esprit est QDMWS, c'est-à-dire Kadmos. Mais cette lecture n'aurait pas sa place ici. L'image de la divinité apporte la solution. Comme on l'a vu, elle paraît évoquer Aiôn, dont il est cependant impossible de lire le nom ici. Il semble en revanche que l'on puisse restituer celui de Kronos, qui est écrit en syriaque selon deux orthographes différentes, selon que la première voyelle est notée ou pas : QRWNWS ou QRNWS84. On peut hésiter ici entre ces deux graphies, avec une préférence pour la première étant donné la largeur

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77 J. Wai.kkr, « The coins of Hatra », Numismatic Chronide 1958, p. 167-172 monnaies de Hatra « type B » F. Vattioni, Le iscrizioni di Hatra, Suppl. AION 28 (Naples, 1981), p. 107, n" 7. 78 Four J. T. Milik (Dédicaces faites par des dieux, BAH 92, Paris, 1972, p. 399), elles pourraient être de Singara. J. Teixidor, « Bulletin d'épigraphie sémitique », Syria 51, 1974, p. 334-335, no 164 (= BAH 127, Paris, 1986, p. 306-307), admet aussi qu'elles ne sont pas hatréennes. 79 J. Tubach, Im Schallen des Sonnengottes. l)er Sonnenkult in Edcssa, Harrân und Hatra am Vorabend der ehristlichen Mission (Wiesbaden, 1986), p. 386-387. 80 W. Cureton, Spicilegium syriacum containing remains of Bardesan, Meliton, Ambrosios and Mani Bar Serapion (Londres, 1855), p. 39 (en lettres syriaques). Sur ce texte, A. Baumstark, Geschichte der synschen Litcratur (Bonn, 1922), p. 76, § 12a. 81 On notera cependant que, au début du me siècle sans doute, l'apologie syriaque du Pseudo-Méliton transcrit simplement le nom du dieu ZWS (Spicilegium syriacum, p. 24 [en lettres syriaques]). 82 Payne-Smith, Thésaurus syriacus 1, Oxford, col. 962. 83 Drijvers et Heai.ey, p. 220, proposent QZMSYS mais ne l'interprètent pas. 84 Payne-Smith IV, col. 3735.

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du mot85. La lecture que nous proposons ici suppose une correction et nous ne le faisons qu'avec réserves. Mais le rapport avec l'image semble l'imposer. La place actuelle de certaines tesselles centrales, formant un mem dont la forme serait d'ailleurs curieuse à cette époque, est sans doute liée à la restauration de la mosaïque. Le nom du quatrième personnage, Prometheus, est écrit sous la forme PRMTWS86 qui est la transcription syriaque habituelle. L'écriture suit le ductus édessénien classique des inscriptions gravées et des mosaïques funéraires du IIIe siècle. On note déjà une tendance à la fermeture inférieure des lettres mim (dans Maralahe et Prometheus), he (dans Hera) et waw (tel que nous le restituons à la fin du nom de Kronos). Le semkhat final de Kronos a une forme assez arrondie, déjà bien présente dans des mosaïques comme celle d'Abgar (Am 10). Mais la rupture du trait intérieur signale qu'il a été retouché. Le qoph aplati, et dont la ligature commence en haut de la lettre, est notamment attesté dans la mosaïque d'Abgar et dans une inscription gravée de Sumatar (As 61, 1. 2). II. MOSAÏQUES À THÈMES ÉPIQUES Les cinq panneaux dont il va être question maintenant semblent avoir appartenu à un seul et même ensemble, malheureusement dépecé par la fouille clandestine : quatre d'entre eux sont conservés au Bible Lands Muséum à Jérusalem87, le cinquième est dans une collection privée88. Pour la commodité de l'exposé, on regroupera en un même commentaire deux des panneaux dont l'interprétation est liée. Description ]. MOSAÏQUE DE BRISÉIS ET LES SERVANTES™ (fig. 6) Le panneau, découpé à droite et à la partie supérieure, présente sur la gauche et à la partie inférieure une étroite bordure noire (épaisseur: deux tesselles) qu'on retrouve sur les autres panneaux. La scène comporte trois figures féminines debout, identifiées chacune par une inscription. La première - dont l'inscription est très endommagée - est implantée

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85 (Test aussi la graphie du manuscrit du texte d'Ambrosios. 86 Contrairement à Drijvkrs et Hkaley, p. 220, qui n'ont pas noté le waw, pourtant clairement visible. 87 Drijvhrs et Hhai.ky, p. 211-213. Nous remercions vivement Joan Westenholz du Bible Lands Muséum et Emile Puech, grâce à qui nous avons eu l'autorisation de publier ces documents. 88 Nous remercions son propriétaire de nous en avoir procuré une photo. 89 Drijvkrs et Hhai.ky, p. 212 (Cm 4 a) et pi. 67. Dimensions 1150 x 166 cm (ht/larg.).

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Mosaïque séis et emles-servantes (avec l'autorisation duFiBig.b6le-Lands Muséumde BriJérusal crédit photo Ze'ev Radovan).

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de PolJérusal yxèneeetmla- nourri ce Ze'ev Radovan). (avec l'autorisation duFiBig.b7le- Mosaïque Lands Muséum crédit photo

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légèrement de trois-quarts vers la droite, tournée vers le groupe que forment les deux autres personnages. Elle porte, sur une longue chevelure brune qui lui tombe jusqu'aux épaules, une couronne de feuillage pareille à celle des symposiarques ; elle est vêtue d'une tunique gris-bleu, haut ceinturée : le bras gauche, pendant le long du corps, est recouvert d'un manteau rouge ; le bras droit est dégagé, la main tenant, suspendu à une chaîne, un récipient circulaire dont la paroi est constituée de segments curvilignes, alternativement saillants et rentrants (rendus par une alternance de rouge et de blanc). L'étude iconographique de l'objet permet, grâce à des confrontations précises, d'en démontrer l'usage ; on y reviendra90. La figure suivante, plus petite, presque en position frontale, est identifiée comme Briséis : complètement enveloppée dans un ample vêtement blanc, la tête couverte d'un voile rouge qui repasse par devant, elle s'avance vers la droite, emmenée par le personnage de « DMWS » (= ojionç , la servante) qui la tient par la main. Cette troisième figure féminine est également représentée en position quasi frontale mais la tête tournée vers Briséis qu'elle entraîne avec elle ; elle est vêtue d'une tunique gris-bleu (identique à celle du premier personnage) et d'un manteau moutarde qui lui retombe autour du corps en larges plis (notés en brun) ; le bras gauche est tendu vers l'avant, tenant une sorte de lanière (ou de ceinture), dessinée en rouge, dont les extrémités flottent de chaque côté (une identification en sera proposée). 2. MOSAÏQUE DE POLYXÈNE ET LA NOURRICE 91 (fig. 7) De proportions assez semblables à celles du précédent, ce panneau permet de se faire une meilleure idée de ce qu'a pu être la composition d'ensemble. L'encadrement extérieur est, en effet, bien conservé du côté gauche et à la partie inférieure : il est composé (de l'intérieur vers l'extérieur) de la bande noire déjà notée, suivie d'une bande blanche égale (deux tesselles), d'une ligne de triangles dentelés rouges92 et d'une nouvelle bande noire ; à droite, la mosaïque a été découpée ; à la partie supérieure, elle est également interrompue mais, vers la droite, une partie de l'encadrement intérieur subsiste, démontrant que les thèmes figurés se développaient en quatre bandes de largeur égale, disposées autour d'un carré (ou d'un rectangle) central. Si l'hypothèse est juste, ce panneau devait occuper l'un des angles de la composition d'ensemble. La scène comporte deux personnages féminins dont l'un est à nouveau désigné du nom de « DMWS » (la servante) ; portant une tunique à larges manches, de couleur

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90 Ci-dessous p. 55. 91 Drijvers et Healey, p. 212 (Cm 4 b) et pi. 67 (les auteurs pensent, eux aussi, que les deux panneaux ont appartenu à un même ensemble). Dimensions 111 x 141 cm (ht/larg.). 92 C. Balmelle et ai, Le décor géométrique delà mosaïque romaine (Paris 1985), pi. 10 g (« dents de scie dentelées »).

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brun/vert, et un manteau moutarde drapé autour d'elle, la femme est présentée dans la même attitude que sur le panneau de Briséis, attirant à sa suite une figure qui, cette fois, semble lui résister ; une différence se marque cependant dans les attributs qui la caractérisent : une coiffe, semblable à celle des nourrices, lui couvre la tête par derrière et elle porte un coffret sur l'avant-bras gauche. La figure qu'entraîne « DMWS » est représentée la tête et le torse de face mais les jambes de profil, marchant vers la droite ; le mouvement du corps penché vers l'avant et le geste de la main droite levée traduisent clairement une résistance ; le vêtement que porte ce personnage n'appartient pas à la tradition gréco-romaine mais relève plutôt de la mode locale : c'est une robe moulante, à longues manches étroites - bleu foncé avec des bandes décoratives rouges - comme en portent les femmes dans les groupes familiaux, sur les mosaïques funéraires ; le type de la ceinture lâche, portée bas, est également caractéristique. On notera que cette ceinture est attachée par un double nœud, dit « nœud d'Héraclès ». Étude iconographique et interprétation Les deux scènes que nous venons de décrire ont en commun le personnage féminin de « DMWS » et le schéma iconographique particulier d'une figure en entraînant une autre à sa suite : elles s'éclairent mutuellement. La seule figure qui soit bien connue, tant dans les textes que dans l'iconographie, est celle de Briséis : la belle captive qu'Achille, au chant I de Vlliade93, doit céder à Agamemnon. C'est précisément l'épisode du départ de Briséis qui a été, presque toujours, représenté94. Il est resté célèbre jusqu'à la fin de l'antiquité : sur la plupart des documents conservés, Briséis apparaît tout enveloppée de voiles, emmenée loin d'Achille par les deux hérauts d'Agamemnon, Talthybios et Eurybates ; souvent Patrocle, l'ami fidèle, est présent et parfois on aperçoit Phénix, le précepteur d'Achille. Si l'iconographie de Briséis est aisément reconnaissable, aucun des autres personnages mentionnés ne se retrouve cependant ici : il ne peut donc s'agir de la même scène. Seule l'identification des deux femmes entourant Briséis peut donner la clé de l'interprétation. La difficulté majeure à surmonter dans ce cas a été de comprendre que l'inscription ne livre pas un nom propre, désignant un personnage bien défini95, mais qu'il faut y reconnaître un nom commun, « DMWS », transposant le mot grec ojico'iç (noté plus fréquemment sous la forme ò (icori) qui signifie servante (esclave) dans le langage

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93 Iliade, I. 318-350. 94 Pour l'iconographie de Briséis, cf. L/7WC III. 1-2 (1986), s.v. Briséis (A. Kossatz-Deissmann), p. 157-167 95 Ukijvkks et Healky, p. 212-213 'es auteurs optent pour la lecture « Uamos » et cherchent à identifier un personnage de ce nom.

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homérique96. S'il s'agit d'un nom commun, il est normal que le personnage ainsi caractérisé apparaisse à plusieurs reprises sur la mosaïque, avec la même iconographie de base : tunique ceinturée sous les seins et manteau, soit drapé, soit posé sur l'épaule. La figure de gauche, dont l'inscription est illisible, doit donc être identifiée, elle aussi, comme une servante, en raison de son aspect. Or, l'objet qu'elle tient à la main autorise une confrontation, très révélatrice pour le sens général de la scène, avec un récipient d'argent, absolument identique - mais pourvu d'un couvercle en forme de cloche -, qui est aujourd'hui conservé au British Muséum de Londres97. Cette boîte circulaire, à pans curvilignes (richement décorés de l'image des Muses), contenait des petits flacons en argent, de formes diverses, sans doute destinés à des onguents et à des parfums : objet de luxe en usage dans un contexte typique. Au même « Trésor de l'Esquilin » appartient en effet le fameux coffret de mariage de Projecta, sur la paroi duquel on voit précisément une servante portant, par la chaîne, la même boîte circulaire coiffée de son couvercle98. D'autres servantes sont représentées, l'une chargée d'un miroir, l'autre d'un coffret, une autre encore d'une cruche, évoquant clairement un rituel de toilette féminine, très vraisemblablement ici celle de la mariée avant les noces99. Une autre image, sur mosaïque cette fois, vient confirmer l'hypothèse du contexte nuptial : c'est celle des Noces de Thétis et Pelée provenant de Shahba-Philippopolis, où, face aux protagonistes principaux de la scène, se déroule une procession de servantes, porteuses des objets nécessaires au bain de la mariée100 ; l'inscription -0 escuta iva 1 (les servantes) ne laisse aucune doute sur leur identification et constitue un intéressant parallèle à l'inscription DMWS de notre mosaïque. Ces différentes confrontations invitent donc à situer la scène de Briséis dans un contexte de mariage101. Ainsi s'expliquent au mieux divers détails demeurés jusque-là obscurs : le geste de la petite servante, qui entraîne Briséis vers ses noces, en tenant dans la main gauche la ceinture (déjà dénouée) de la mariée, ainsi que la couronne de feuillage qui coiffe les òjiooai en vue de la fête qui s'annonce. On notera qu'aucun passage précis de Y Iliade ne sert de base à l'image de la mosaïque. Au moment où Briséis, dans le poème homérique, est restituée à Achille par Agamemnon, Patrocle est déjà mort et c'est au milieu de l'affliction générale que la jeune femme réapparaît102. Son mariage avec Achille est cependant évoqué, à cet endroit du texte, sous la forme du rappel d'une promesse

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96 Cf. l'étude épigraphiquc, ci-dessous p. 58-59. 97 K. J. Shelton, The Esquiline Treasure (Londres, 1981), p. 75-77 et pi. 12-17 (en particulier pi. 17). 98 Ibid., p. 72-75 et pi. 9. 99 Ibid., p. 28. 100 M. Dunand, CRAI, 1925, p. 196 lu., Syria 6, 1925, p. 295-296 Id., ■< Rapport sur une mission archéologique au Djebel Druze », Syria 7, 1926, p. 335 et pi. I.XVII. 101 Ce contexte avait été saisi par Driivkrs et Hkai.hy, p. 212-213 niais mal interprété « I). is not easily identifiée! mythologically and it is possible that he is the human patron of the mosaic. Coule! thè scene depict a mythologised marriage of Damos to his Briséis ? ». Le voile rouge de Briséis correspond bien a la couleur habituelle du voile de la mariée (couleur flamme). 102 Iliade, XIX. 238-300.

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qu'aurait faite Patrocle à Briséis : « tu m'assurais que tu ferais de moi l'épouse légitime du divin Achille, qu'il m'emmènerait à bord de ses nefs et célébrerait mes noces au milieu de ses Myrmidons »103. C'est assurément de ce passage que s'inspire la scène représentée sur la mosaïque, sans qu'elle en soit pour autant une véritable illustration. Il apparaît donc, dès cette première image, que le personnage important de l'ensemble que nous présentons ici est Achille. Les conclusions tirées de l'examen iconographique du panneau de Briséis constituent une base de départ pour tenter de comprendre le second panneau. La femme de droite est à nouveau désignée comme « servante » par l'inscription qui l'accompagne et plusieurs détails de son iconographie confirment qu'elle s'inscrit, elle aussi, dans un contexte de noces. La présence du coffret ne saurait tromper : au flanc du coffret de Projecta, déjà cité, figure aussi une servante dans la même attitude104 et un autre parallèle encore peut être signalé sur la mosaïque des Noces de Dionysos et Ariane, récemment découverte à Zeugma, où une servante offre à la mariée un coffret entrouvert rempli de bijoux105. Ainsi, la servante au coffret est-elle incontestablement liée au contexte du mariage : le geste qu'elle fait pour entraîner avec elle le personnage de gauche la rend d'ailleurs presque, en tout point, comparable à la servante de Briséis. Deux détails l'en distinguent toutefois : les manches longues de la tunique et la coiffe caractéristique. Cette coiffe, portée à l'arrière de la tête, appartient à l'iconographie des nourrices106 - catégorie particulière de servantes - ; peut-être est-ce aussi cette désignation comme nourrice - c'est-à-dire une servante plus âgée - qui explique le port d'une tunique à manches longues. Reste à identifier la très jeune fille ainsi entraînée, contre son gré, au mariage. Un détail de l'iconographie confirme, en effet, qu'il s'agit bien de mariage : c'est le fait que la ceinture soit nouée par un « nœud d'Héraclès », type de nœud qui, selon les auteurs anciens, caractérise en propre la ceinture de la jeune mariée107. Mais sur notre mosaïque, il est clair que la jeune femme refuse le mariage, par toute son attitude - surtout le geste de la main - et résiste à la nourrice qui veut l'emmener. Or, ce geste caractéristique du refus ou de l'auto-défense appartient parfois à l'iconographie de Polyxène, la plus jeune fille du roi Priam, liée elle aussi, de diverses manières, à Achille108. Poursuivie par le héros, tandis qu'elle était allée remplir sa cruche à la fontaine selon

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103 Iliade, XIX. 297-299 (trad. P. Mazon, IV p. 14). 104 K. J. Shelton, loc. cit., pi. 8. 105 Sh. Campbell et R. Ergeç, « New Mosaics », fRA, suppl. ser. 27, 1998, p. 109-117 et fig. 7.1 et 7.7 (le vêtement est identique à celui des servantes de Briséis tunique sans manches, ceinturée sous les seins et corsage à pans croisés). 106 Beaucoup de représentations de nourrices sont attestées, notamment dans les scènes relatives à « la maladie d'amour » de Phèdre cf., pour un exemple particulièrement clair, LIMC VII. 2 (1994), s.v. Phaidra, no 6, p. 315. 107 J.-P. Darmon, Nymfarum Domus. Les pavements de la maison des Nymphes à Néapolis (Nabeul, Tunisie) et leur lecture (Leyde, 1980), p. 245 (et n. 1 citant Paulus Festus, 55, 18 ; Macrobe, Saturnalia, 1, 19. 15-17 Sénèque, Ep. 87). 108 Sur l'iconographie de Polyxène, cf. LIMC VII. 1-2 (1994), s.v. Polyxène, p. 431-435 (O. Touchefeu-Meynier) pour le geste du bras, LIMC VII. 2 n° 3 p. 345, n° 16 p. 346.

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certaines traditions, elle est sacrifiée sur sa tombe par Néoptolème selon d'autres, ou encore, lui est promise en mariage, parce qu'il s'était épris d'elle au moment où elle accompagnait Priam venu réclamer le corps d'Hector ; tué par Paris, Achille aurait exigé, après sa mort, que Polyxène soit égorgée sur son tombeau109. C'est à ces noces dramatiques que se réfère sans doute l'image de la mosaïque. Sans qu'il s'agisse d'un véritable parallèle, on notera - non sans surprise - qu'une coupe à figures rouges du musée du Louvre (du début du Ve siècle avant J.-C.) représente Polyxène emmenée pour être sacrifiée à Achille par Néoptolème : or, elle tient ostensiblement à la main sa longue ceinture dénouée, « comme pour signifier l'imminence de ses noces »110. Au mariage festif de Briséis, où de jeunes servantes aux bras nus sont couronnées de feuillage pour le banquet, répondent les noces tragiques de Polyxène, tirée vers son destin par sa nourrice vêtue de couleurs sombres. Les deux scènes se complètent et s'inscrivent parfaitement dans un même programme centré sur le personnage d'Achille. Ces thèmes empruntés à la tradition épique étaient bien connus, semble-t-il, dans la région d'Edesse : on se souviendra, en effet, des Hypomnemata (traduits en syriaque) d'Ambrosios111, où, sous le couvert d'une diatribe contre la stupidité des croyances païennes, sont cités maints héros ou héroïnes de la fable, parmi lesquels Achille, Briséis et Polyxène elle-même - dont Achille serait tombé éperdûment amoureux112. . . Ce texte, sur lequel on reviendra à diverses reprises, fournit sans doute une solide confirmation à l'interprétation proposée pour notre mosaïque. Style Le panneau de Briséis présente deux traces de restauration : l'une à hauteur de la deuxième lettre du nom, l'autre au-dessus de l'épaule droite, à gauche de la tête, où un élément de feuillage semble avoir été ajouté à la couronne et où la première lettre a été modifiée113. Dans le second panneau, les lignes qu'on aperçoit sur le fond blanc doivent correspondre à la limite des zones exécutées par des mains différentes : ainsi, la figure de Polyxène - rendue pratiquement en deux dimensions - révèle une réelle absence de métier par rapport à la figure de la nourrice qui ne manque, en revanche, ni d'aisance, ni de mouvement, ni de sens de la profondeur. C'est peut-être au même praticien que sont dus aussi les trois personnages du premier panneau, si l'on en croit l'exécution identique des pieds et du pan de vêtement balayant le sol. On notera que, même si les œuvres

109 LIMC VII. 1 (1994), s. v. Polyxène, p. 431 (sources littéraires). 110 Ibid.y n" 23, p. 433 (O. Touchefeu-Meynier). 111 W. Cureton, Spkilegium syriacum (cit. n. 80), p. 61-69. 112 Ibid., p. 62. 113 Cf. l'étude épigraphique, ci-dessous p. 58-59.

MONUMENTS PIOT s'inscrivent dans la tradition gréco-romaine par le choix des modèles et la technique des dégradés, elles sont fortement marquées, ici également, par une sensibilité locale : un trait continu détache les silhouettes du fond et donne une impression de présence immobile, encore renforcée par l'accentuation des yeux et l'intensité du regard. Étude épigraphique La première mosaïque représente trois personnages, qui tous étaient identifiés par une inscription. Le nom du premier, sur la gauche, était écrit précisément à l'endroit où la mosaïque a été coupée et les quelques éléments restants ne permettent pas d'en proposer une lecture. On notera seulement que, lue à l'envers, ce qu'autoriserait le parallèle avec le quatrième panneau114, le nom pourrait se terminer par -WS, transcription d'une finale grecque comme -oç, -eue; ou -wç. Le personnage central est surmonté de l'inscription BD/RSY/NS, certainement à lire BRSYS, Briséis, bien que l'avant-dernière lettre soit un peu haute pour un yudh. L'espace entre le rish et le semkhat est large et il semble que l'on puisse voir la fin d'une ligature avant le semkhat : il n'est donc pas exclu qu'il y ait eu un premier yudh entre les deux1 15. Le troisième nom, D/RMWS, apparaît également, et de façon tout à fait claire, sur la deuxième mosaïque. L'absence de point, qui est de règle dans les inscriptions de cette époque, ne permet pas de distinguer le dolath du rish. Dans la mosaïque de Briséis, la première lettre semble précédée d'une ligature, mais à un endroit où les tesselles sont perturbées, comme le montre la rupture dans l'alignement du feuillage de la couronne. Il n'y a donc pas lieu de supposer que le mot comprenait une première lettre, d'autant plus que l'inscription de la mosaïque suivante est manifestement complète. Ce syntagme DMWS est sans doute la transcription du mot grec t)\i(j)ï\, plus

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114 Voir ci-dessous p. 64-65. 115 La transcription du même nom (BRW'S'YWS) dans l'édition des Hypomnemata d'Ambrosios (voir supra n. 80) est totalement différente et phonétiquement très curieuse la présence des deux waw s'explique mal et montre que les transcriptions vocaliques étaient parfois assez fantaisistes dans les noms propres. Une telle indication pousse à relativiser l'alternance WS ou 'S, pour la finale du mot DMYVS/DM'S voir ci-dessous p. 64, 66 et 69.

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probablement sous la forme ò li 0 j l ç, qui désigne la servante. La lettre waw est une semiconsonne allongeant la voyelle loi, qui n'est pas écrite en syriaque, et portant une voyelle /i/, également implicite. Elle sert à noter le hiatus. On remarquera que l'inscription utilise ici, pour un nom commun, une transcription du mot grec plutôt que le mot syriaque de même sens, >amtâ OMT)). Désignées comme DMWS, ces figures féminines n'étaient pas n'importe quelles servantes, mais spécifiquement celles qui interviennent dans Vlliade et YOdyssée. Elles sont également des personnages de l'épopée. 3. MOSAÏQUE D'ACHILLE ET PATROCLE^ lft Description (fig. 8) La scène (de même hauteur que les deux précédentes) est représentée entre deux bordures : bande noire, bande blanche et dents de scie dentelées, en bas ; bande noire, bande blanche et tresse à trois brins (rouge, jaune, gris), en haut. Les deux héros sont assis côte à côte, sur une banquette (klinè) - dont les pieds élégamment tournés (moutarde et jaune) marquent les limites de la scène au premier plan117 : la tête très légèrement orientée vers la gauche et le corps vers la droite, ils sont couronnés de feuillage comme des banqueteurs et vêtus d'une tunique blanche à bandes verticales rouge foncé, que recouvre en partie un ample manteau rouge attaché par une fibule d'or sur l'épaule droite et enveloppant les jambes. Patrocle, à gauche, tient de la main droite un rameau et désigne de la main gauche Achille ; celui-ci a posé la main droite sur le coussin (blanc, avec les ombres en gris), à côté de son ami, et tient de la gauche une cithare118 (tons moutarde/jaune) qu'il appuie sur sa cuisse gauche. Étude iconographique et interprétation On ne peut citer aucun parallèle iconographique précis mais le thème est bien connu : c'est une évocation - mais non une illustration — du passage de Y Iliade, appelé la « Presbeia »119. Tandis que Patrocle écoute Achille jouer de la cithare, arrivent soudain Phénix, Ulysse et Ajax, venus en ambassade de la part des Achéens pour supplier Achille de retourner au combat. Sur une mosaïque, conservée au musée de Malibu120, l'artiste a

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116 Dkijyhks et lltAi.EY, p. 211 (Cm 3) et pi. 66 les auteurs sont tentés, avec raison, de rattacher ce panneau aux deux précédents. Selon eux, l'ensemble proviendrait d'une maison (•< from a large floor-mosaic from a house » mais ils ne précisent pas la source de cette information. Din ensioi s 117,5 x 136 cm (ht/larg.). 117 Ce type de banquette est fié ]uemi lent représenté sur les reliefs funéraires palmyréniens cf. par exemple, M.A.R. Coi.i.kix.i:, l'he Art of Palmyra, Londre 1976 tig. 100, 102, 105. On la retrouve aussi sur la mosaïque de Metiochos et Parthenopé, découverte a Zeugma Sh. Campiseli, e R. Hi (,!-,(,,, op. cit. (supra n. 105), fig. 7.22, p. 12V 118 « Une belle phorminx à barre 'arger t » I Inule, IX. 186. 119 Ilìade, IX. 185-191. 120 Y. vox CoNZhNBACH, " hiii ncucs Briseïsmosaik -, La inosaïcjue gréco-romaine. Il (Paris, 1975), p. 401-408 J. Bai.ïy, • La mosaïque antique au Proche-Orient - I,/\,YWU' II. 12. 2, p. 365 (avec bibl. ant.).

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chil e eetmPatrode (avec l'autorisation du BiFiblge. 8Lands- Mosaïque Muséumd'AJérusal - crédit photo Ze'ev Radovan).

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d'Hécube,Jérusal Priaemm et- crédi la servante (avec l'autorisation Fidug.Bi9 b-lMosaïque e Lands Muséum t photo Ze'ev Radovan).

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combiné, en une composition unique, la scène du départ de Briséis et celle de la « Presbeia » : on y retrouve donc les deux jeunes gens et la cithare ; Patrocle est le parfait alter ego, figuré derrière Achille, dans la même attitude que lui, son visage redoublant celui du héros. La prééminence d'Achille par rapport à Patrocle, évidente sur la mosaïque du musée de Malibu - vu l'espace occupé respectivement par chacun d'eux - est également soulignée ici par le geste de Patrocle, qui attire l'attention sur Achille. Patrocle est en effet, dans Y Iliade, un personnage secondaire qui n'existe qu'en fonction d'Achille : c'est ce que l'iconographie tend aussi à montrer121. Un autre point sur lequel on insistera, c'est la jeunesse qui est ici conférée à Patrocle (son visage arrondi, proche encore de l'enfance) : contrairement aux données de Ylliade, où Patrocle est plus âgé qu'Achille, les images tardives le montrent de préférence comme son jeune compagnon122. Style La mosaïque porte des traces de réfection seulement vers les bords : à gauche, dans la partie inférieure de la banquette et en haut, à droite, dans le fond blanc. La composition est équilibrée et parfaitement claire : deux personnalités sont présentées en parallèle, sans qu'il y ait cependant de doute sur la place réelle de chacune. L'implantation dans l'espace et la répartition des zones d'ombre et de lumière créent la profondeur et le relief ; mais la ligne prime sur le volume. L'exécution manuelle est à la hauteur du projet graphique : le dessin est ferme, la pose des tesselles serrée et régulière, même dans les fonds. Un examen attentif montre toutefois que deux mains d'inégale habileté se sont partagé le travail, l'exécution de la figure d'Achille s'avérant bien moins experte dans le modelé du visage et le rendu des plis du manteau. L'œuvre n'est pas sans évoquer certaines confrontations parmi les mosaïques d'Antioche de la première moitié du IIIe siècle (époque sévérienne)123 : le traitement renforcé des yeux et l'intensité du regard qui en découle, ainsi que l'extraordinaire présence des figures (due sans doute à l'accentuation des contours) attestent cependant le travail d'un artiste local qui a su assimiler parfaitement les techniques gréco-romaines et les mettre au service d'une conception plus hiératique de l'œuvre. Étude épigraphique Les noms inscrits au-dessus des deux personnages ne posent pas de problèmes de lecture.

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« Patroklos 121 Surhatl'iconographie keine eigene Geschichte de Patrocle und en compagnie somit auch dAchille keine Ikonographie cf. LIMC »,I. A.1-2Kossatz-Deissmann) (1981), s.v. Achilleus, p.L/MCVIII. 114-122 (surtout 1-2 (1997), p. 121s.v. Patroklos, p. 950-952 (O. Touchefeu-Meynier). 122 Iliade, XL 787 A. Kossatz-Deissmann, loc. cit., p. 114. 123 D. Levi, Antioch Mosaic Pavements, cit., pi. XVIILd (Maison des Portiques figure de dieu-fleuve) pi. CLIVa (Maison de Dionysos et Ariane figure de Mènade).

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À gauche, on lit PTRQLS, sans aucune voyelle : cette graphie est celle du texte d'Ambrosios. À droite, le nom ^LWS ne note que la diphtongue finale et non la voyelle centrale, présente dans la transcription du texte d'Ambrosios124. Ce deuxième nom se développe largement dans l'espace entre les deux personnages. L'écriture, élégante et bien posée sur la ligne, est très proche de celle des plus anciens manuscrits estrangelâ. Le nom de Patrocle est plus resserré, les lettres se collant les unes aux autres. Mais le découpage ne permet pas de voir si c'est la disposition de la scène située à la gauche de celle-ci qui a déterminé cette écriture compactée. La forme des lettres est conforme à celle des inscriptions édesséniennes de la même époque. On notera par exemple le teth, entièrement au-dessus de la ligne, et le qoph, qui a la forme déjà notée plus haut dans le nom de QRNWS et que l'on retrouvera dans celui d'Hécube. 4. MOSAÏQUE D'HÉCUBE, PRIAM ET LA SERVANTE Description125 (fig. 9) Le panneau n'a conservé de sa bordure inférieure que les étroites bandes noire et blanche mais, comme pour le panneau d'Achille et Patrocle, l'ensemble de l'encadrement supérieur (tresse identique) existe encore. La scène représente trois personnages, dont deux sont assis sur une banquette en tous points semblable à celle du tableau précédent (coussins rosés, fond gris foncé, pieds tournés jaune foncé, imitant sans doute le bois). À droite, trône Priam (désigné par une inscription), vénérable vieillard à la chevelure et à la barbe grises, coiffé d'un diadème dont les rubans retombent à l'arrière ; il porte, sur une tunique couleur or garnie de rubans de passementerie vert foncé126, un grand manteau de couleur moutarde qui lui enveloppe complètement l'épaule et le bras gauche ; il tend la main vers Hécube (inscription) ; la tête et le torse sont presque de face mais les jambes sont orientées de trois-quarts vers la gauche. Dans une attitude identique mais la tête légèrement tournée vers Priam, la reine - au visage très jeune, encadré de longs cheveux - est vêtue d'un chiton rouge, à ceinture blanche haut placée, et d'un ample voile blanc qui lui couvre aussi l'arrière de la tête ; le bras gauche, que lui serre affectueusement Priam, repose sur

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124 'KYI.W'S Spicilegium synaatm {supra n. 8oj, p. 38 (en lettres syriaques). 125 Mosaïque inédite. Dimensions 117,5 x 136 cm (ht/larg.J. 126 Priam porte le même genre de tunique brodée - évocation d'un luxe traditionnellement « oriental » - sur un cratere apulien du musée de (ienéve (daté 340-330 avant J.-C) représentant l'arrivée d'Hélène à Troie (accompagnant Priam, Troïlos enfant) I.1MCVU. 1-2 (1994), s.v. Pnamos, n" îy p. 510 (J. Xeils).

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les coussins, le bras droit est ramené vers la poitrine, dans un geste d'angoisse. Le troisième personnage - une femme, désignée par l'inscription « DMS » - est debout, immédiatement à côté de la banquette, en position frontale mais la tête légèrement tournée vers le couple royal ; ses vêtements sont identiques à ceux de la figure de la nourrice sur la mosaïque de Polyxène : une tunique (gris/brun) lui couvre aussi les bras, sous un manteau rouge, drapé autour du corps et enveloppant l'épaule et le bras gauche - dont seule la main est visible ; celle-ci, de l'index tendu, attire l'attention sur un rouleau que tient la main droite. C'est le message qui va être lu : la servante joue ici le rôle du messager, autre fonction de médiation. Étude iconographique et interprétation L'iconographie de Priam, telle du moins qu'elle nous est connue aujourd'hui, a privilégié surtout deux épisodes : la visite à Achille après la mort d'Hector127 et la mort du vieux roi, au moment de la chute de Troie128. Aussi, Priam n'est-il guère représenté en compagnie d'Hécube : un rare exemple se rencontre sur un vase de Clazomènes (VIe siècle avant J.-C.)129 où les personnages sont vus de profil et n'attestent aucun lien proprement iconographique avec notre mosaïque. Le parallèle ne manque pas d'intérêt cependant car la scène illustre l'arrivée auprès de Priam et d'Hécube d'un messager reconnaissable à son kerykeion - venant annoncer sans doute la mort de Troïlos, puisqu'on voit apparaître, à gauche, les chevaux du jeune homme. Sur la mosaïque d'Édesse, les gestes des personnages (affectueux chez Priam, angoissé chez Hécube) et la présence du rouleau dans la main de la servante inviteraient déjà à interpréter la scène dans le même sens ; or, l'hypothèse est confirmée par l'existence, dans la même série, d'une image de Troïlos. De surcroît, les Hypomnemata d'Ambrosios évoquent Priam et Hécube, pleurant ensemble la perte de leurs enfants (et peut-être Troïlos était-il également cité dans ce passage)130. Style Proche du tableau d'Achille et de Patrocle par la composition et le détail identique du lit à pieds tournés, la scène présentant Hécube et Priam a été exécutée, sans aucun doute, par une main différente. Au classicisme du premier tableau - formes amples et aisées - répond ici un maniérisme décoratif, empreint de naïveté, qui se manifeste surtout dans l'élongation des corps, la petitesse de la tête et les jeux gratuits de lignes

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127 L/MC VII. 1-2 (1994), s. v. Priamos, p. 512-515 (J. Xeils). 128 Ibid., p. 515-520 et commentaire p. 520-522 ( J. N'eils). 129 limi., n" 36, p. 512 (hydrie de Clazomènes, 550-540 avant J.-C.) cf. aussi L1MC. IV. 12 (1988), s.v. Ilekabe (A. -F. I.aurens), n" 9 p. 475 (illustration). 130 \V. Cirkton, Spicilcgium syriacwn {cit. n. 80), p. 62 cf. ci-dessous n" 140, p. 70.

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soulignant les plis des vêtements, les mèches de la chevelure ou de la barbe. L'ensemble ne manque pas de charme mais n'est pas non plus dépourvu d'une certaine maladresse. C'est toujours dans le cadre du même style hiératique que s'inscrit cependant l'œuvre. Étude épigraphique Les trois inscriptions de ce fragment soulèvent de nombreuses questions. Tout d'abord, deux d'entre elles sont écrites à l'envers, le bas de l'écriture tourné vers le haut, alors que la troisième, la plus à gauche, est normalement à l'endroit. Le personnage le plus à gauche, en position de messager, est désigné comme Par rapport au nom de la servante sur les deux mosaïques précédentes, seule une lettre change, la voyelle finale, ici ) au lieu de W. Comme DMWS, DM'S recouvre sans doute le mot ò flanc. Le Jolaph sert ici à noter le hiatus et à porter le son l\l . Cela montre que celui qui a préparé les modèles d'écriture n'était pas très sûr de sa transcription et que la notation du hiatus posait problème. On le retrouvera pour le nom de Troïlos131. Les deux autres noms se lisent en mettant l'image bas en haut. À côté du personnage féminin, on lit HQEP qui est sans doute une transcription du nom d'Hécube. Dans le texte d'Ambrosios, le nom est noté >Q¥>\ Mais on note que le H est parfois utilisé dans les transcriptions du grec pour noter l'esprit rude : c'est sans doute le cas ici132. Les lettres se détachent de façon claire, hormis entre les deux dernières, où la mosaïque est un peu endommagée. Le personnage le plus à droite, Priam, est désigné par l'inscription ^RYMWfS]. La dernière lettre, peut-être déjà endommagée, a été perdue dans le découpage de la mosaïque. La transcription est conforme à celle que l'on lit dans le texte d'Ambrosios, à la seule exception de la présence d'un ^olaph prosthétique. Celui-ci peut cependant s'expliquer par la succession de deux consonnes sans voyelle intermédiaire en début du nom : dans ce cas, le syriaque, comme généralement les langues sémitiques, introduit souvent un ^olaph vocalisé et la première consonne devient la fin d'une syllabe fermée133. La forme des lettres est là encore cohérente avec les inscriptions du IIIe siècle. Les rish, encore plus que dans les noms précédents, sont amples et presque verticaux. Le pe est largement ouvert. Le ^olaph final du nom d'Hécube n'a pas le même développement que les autres, mais cela peut être dû à la perturbation des tesselles à cet endroit précis. La première explication possible du sens d'écriture des noms d'Hécube et de Priam est

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131 Voir ci-dessous p. 66 et 69. 132 Comme dans la transcription des anthroponymes grecs en palmyrénien cf. J. K. Stark, Personal Names in Palmyrene Inscriptions (Oxford, 1971), p. 136. 133 R. Duval, Traité de grammaire syriaque (Paris, 1881, rééd. Amsterdam, 1969), p. 89.

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que cette scène, placée au fond de la pièce face à l'entrée, aurait été destinée à être vue surtout à l'envers. Mais dans ce cas, le nom de DîvPS, à l'endroit, ne s'explique pas. L'autre hypothèse est que le mosaïste disposait d'un modèle à copier, écrit sur un support léger, qu'il a pris à l'envers : cela suppose alors que l'artisan ne connaissait pas du tout l'écriture édessénienne, ce qui paraît curieux. La question doit donc rester ouverte. 5. MOSAÏQUE DE TROÏLOS Description (fig. 10) Ce panneau inédit, aujourd'hui dans une collection privée, pourrait avoir appartenu au même ensemble que les quatre précédents. Il devait être cependant moins bien conservé, car il paraît avoir subi quelques restaurations modernes qu'il est difficile de circonscrire avec précision d'après la seule photographie (pour le personnage : changement de qualité à la jointure entre le torse et le haut des jambes ; bras gauche, pan du manteau et jambe gauche ; peut-être une partie du bras droit ; pour l'autel : partie inférieure et base). Le personnage représenté est identifié comme Troïlos par l'inscription. Debout, le torse nu sous un manteau attaché sur l'épaule droite, il tourne légèrement vers la gauche sa tête aux grands yeux fixes, à la longue chevelure bouclée. Du bras droit tendu, la main ouverte, il fait un geste comme pour montrer quelqu'un ou quelque chose ; le bras gauche ramené contre lui est caché par le manteau à l'exception de la main. Les jambes sont nues, les pieds chaussés de petites bottes. À sa gauche, se dresse un autel. Étude iconographique et interprétation Surpris par Achille alors qu'il allait faire boire son cheval (ou ses chevaux) à la fontaine, à l'extérieur du rempart de Troie, Troïlos, le plus jeune fils de Priam, se réfugie près de l'autel d'Apollon Thymbraios, où Achille le rejoint et le tue134. Les thèmes de la fontaine - avec ou sans Polyxène - et de la poursuite (suivie de la mort de Troïlos) ont connu des périodes de grande vogue dans la céramique grecque aux VIIe-VIc siècles et aux IVc-IIIe siècles avant J.-C.135. Pour l'époque romaine, on n'a guère de témoignage : la mosaïque d'Édesse atteste cependant (comme pour Priam et Hécube) que le thème était encore traité. Deux caractéristiques iconographiques propres à Troïlos se sont conservées à travers les siècles : sa longue chevelure bouclée retombant sur ses épaules,

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134 Ai'oi.LonoRE, Bibl., epitome HI. 32 (éd. G. Frazer, Londres Heinemann II, 1921, p. 201-203, n. 3) pour l'ensemble des sources, A. Lesky, RE XIII, 1939, col. 602-615, s.v. Troïlos. 135 Four l'iconographie de Troïlos, cf. LIMC VIII. 1-2 (1997), s.v.Troilos, p. 91-94 (A. Kossatz-Deissmann) ainsi que L1MC I. 12 (1981 J, 5.;'. Achilleus, p. 72-74 (A. Kossatz-Deissmann) sur le Troilos de Sophocle, cf. L. Sj'.chan, Études sur la tragédie grecque dans ses rapports avec la céramique (Paris, 2e éd., 1967), p. 214-218.

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qui fait allusion à son très jeune âge136 (fig. 11), et la présence de l'autel qui rappelle les circonstances de sa mort137. La figure de Troïlos est proche iconographiquement de celles d'Achille et de Patrocle. Le parallélisme entre Patrocle et Troïlos est plus particulièrement frappant : même attitude du torse et de la tête, même chlamyde attachée sur l'épaule droite et formant un pli horizontal sur le haut de la poitrine avant de couvrir l'épaule gauche, même geste des bras mais inversés. On pourrait aussi rapprocher la figure de Troïlos de celle de Briséis pour la disproportion entre le haut et le bas du corps. Contrairement aux autres panneaux qui gardent la trace des bordures originales et des cassures subies au moment de l'enlèvement, celui-ci a été « ré-encadré » à gauche le mouvement que fait Troïlos du bras droit laisse supposer, en effet, que la scène se poursuivait de ce côté - ainsi qu'à la partie supérieure, on y reviendra. La bande inférieure devrait remonter à l'état d'origine, tout comme celle de droite : ainsi, le panneau de Troïlos constituait sans doute l'un des angles de la composition d'ensemble. Style En dépit des restaurations modernes qui la dénaturent quelque peu, l'œuvre témoigne d'une grande qualité d'exécution : le relief de la chevelure, le modelé du visage et du torse, le dessin ferme du manteau la rapprochent du tableau d'Achille et de Patrocle ; on pourrait aller peut-être jusqu'à l'attribuer à la même main. Étude épigraphique L'inscription située au-dessus du personnage près de l'autel se lit TRW^LWS. Nous proposons d'y voir une transcription du nom du héros grec Troïlos. La difficulté réside dans la manière dont a été transcrite la diphtongue loi -M : si le waw s'imposait, on aurait attendu un yudh ensuite et non un Jolaph, qui transcrit généralement le son /a/. On peut invoquer comme parallèle le nom d'Ajax dans les Hypomnemata d'Ambrosios, transcrit y)S, ou celui de la ville de Beroé, en grec BeQÓT]/BéQOia, qui est transcrit en

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136 Pour un parallèle frappant, cf. le cratère apulien déjà cité (n. 126) où Troïlos est représenté, encore enfant, avec une longue chevelure bouclée, en train de jouer au ballon, tandis que Priam accueille Hélène le modèle iconographique s'était maintenu quasi identique. Nous remercions vivement Jacques Chamay de nous avoir si aimablement envoyé une photographie du cratère de Genève et de nous autoriser à la reproduire. 137 Tant le jeune âge de Troïlos que sa mort au voisinage de l'autel d'Apollon sont des éléments attestés dans la tragédie de Sophocle L. Séchan, op. cit., p. 214 et 218 (citant le scoliaste d 'Homère, //. XXIV, 257) ; sans doute la pièce a-t-elle joué un rôle déterminant dans les choix iconographiques.

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Fig. io - Mosaïque de Troïlos (photo du collectionneur).

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Fig. 11 - Genève, Musée d'art et d'histoire cratère apulien inv. HR 44 Priam et Troïlos (dépôt Association Hellas et Roma).

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syriaque BRW) ou BRW))138. Le yudh est absent de la même façon mais ici le olaph transcrit sans doute le son /a/. Dans le cas de Troïlos, comme dans celui de DMWPS, la transcription phonétique est faite de manière approximative. L'écriture est tout à fait analogue à celle des quatre panneaux précédents. La position respective et la ligature du teth et du rish, dans les noms de Patrocle et de Troïlos, sont notamment identiques. L'étude épigraphique ne contredit donc pas l'hypothèse selon laquelle ce panneau aurait appartenu au même ensemble que les précédents. Commentaire général La cohérence absolue des thèmes traités et les parentés stylistiques qu'on a pu mettre en évidence invitent à formuler l'hypothèse que les cinq panneaux appartiennent à un seul et même ensemble. Celui-ci se présenterait sous la forme d'un quadrilatère constitué de quatre bandes (d'environ 1 m 20 / 1 m 30 de largeur, compte tenu des bordures, mais de longueur difficile à déterminer139), répartis autour d'un espace central carré ou rectangulaire. Trois des angles de ce quadrilatère seraient conservés : la mosaïque de Briséis, celle de Polyxène et celle de Troïlos (dont deux des bordures noires, à gauche et en haut, seraient modernes) ; les panneaux d'Achille et de Priam occuperaient deux des côtés. Il serait assez logique de supposer que le personnage de Troïlos se trouvait dans un angle, entre Achille d'une part et la servante-messagère de l'autre : de cette manière, Achille serait encadré par les gestes antithétiques de Patrocle et de Troïlos et ce dernier serait placé juste à côté du message qui le concerne. On pourrait situer le panneau de Briséis à la gauche de celui d'Achille et Patrocle : ainsi, le « cortège nuptial » s'avancerait vers les deux héros et tous les personnages couronnés de feuillage se trouveraient regroupés. Le panneau de Polyxène occuperait l'angle opposé par la diagonale à celui de Briséis, les figures de Polyxène et de Troïlos entourant dès lors le couple Priam et Hécube. Nous ne pensons pas qu'il soit possible d'aller plus loin dans la reconstitution de l'ensemble. Quelques panneaux manquent assurément : si l'on admet qu'Achille représente l'élément fédérateur du programme, on peut logiquement supposer qu'il existait aussi, par exemple, des références à Hector, Andromaque ou Astyanax. Il est frappant de constater par ailleurs qu'aucune des images n'illustre directement un passage précis de Ylliade ou d'un auteur post-homérique : chacune d'elles condense les traces de différents épisodes. Ces images ne sont donc pas illustratives d'une

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138 R. Paynf.-Smith, Thésaurus syriacus I, (Oxford, 1879), col. 605. 139 II est impossible en effet de savoir si chacun des côtés comportait cinq personnages ou davantage s'il s'agissait d'un rectangle, peut-être y avait-il cinq figures sur les petits côtés et sept sur les longs côtés. On pourrait supposer aussi, au lieu d'une disposition en quadrilatère, que trois couloirs formaient un U dans une salle à manger en T+U. Mais rien ne permet de trancher.

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narration mais synthétiques, comme détachées de l'action elle-même. L'allure de tableau figé qu'elles revêtent pourrait tenir au mode de transmission de l'iconographie, peut-être lié aux spectacles de la pantomime. Si certains lettrés continuaient à lire les auteurs « dans le texte », c'est sans doute plutôt à travers les sélections faites pour la scène que se perpétuait la culture mythologique. Ainsi s'expliquerait l'étonnant parallélisme des « citations », qui se révèle entre nos mosaïques et le texte des Hypomnemata d'Ambrosios : « il se trouva qu'Agamemnon fut prisonnier d'une passion pour Briséis ; et Patrocle fut tué et Achille, fils de la déesse Thétis, se lamentait sur lui ; et Hector fut traîné ; Priam et Hécube pleuraient ensemble la perte de leurs enfants ; et Astyanax, fils d'Hector, fut précipité des murs d'Ilion, et sa mère Andromaque, ce fut le grand Ajax qui la prit... Mais Achille, le fils de Pelée, qui sautant par-dessus la rivière mit Troie en fuite140 et tua Hector, lui, votre champion, devint l'esclave de Polyxène141 et fut vaincu par une Amazone... ». C'est visiblement dans un même contexte culturel que baignent ces images littéraires ou graphiques et c'est au même répertoire que puisent les créateurs, que ce soit pour dénigrer, au nom du christianisme, ces valeurs anciennes ou les prôner en les perpétuant dans les tesselles de pierre des mosaïques. Si l'on examine du point de vue du style ces pavements, c'est davantage dans la première moitié du IIIe siècle (il est impossible de préciser, vu l'absence de motifs géométriques caractéristiques) que les confrontations avec les mosaïques d'Antioche invitent à dater l'ensemble. La distinction de plusieurs mains démontre que l'ouvrage avait été confié à toute une équipe, au sein de laquelle coexistaient deux tendances stylistiques différentes s'inscrivant, l'une et l'autre, dans la tradition édessénienne typique. Reste le problème de savoir à quel type d'édifice pourraient avoir appartenu ces mosaïques : domestique ou funéraire ? La plupart des mosaïques répertoriées jusqu'à présent à Édesse ou en Osrhoène relèvent, on le sait, du domaine funéraire. Mais comme on n'a guère d'informations archéologiques sur la ville elle-même et la région, on ne peut affirmer en toute certitude qu'il n'y avait pas de mosaïques dans les maisons. Par ailleurs, on a souvent insisté sur la polyvalence des thèmes, dont certains conviennent aussi bien à la demeure des morts qu'à celle des vivants. Ceux qui sont développés ici ne seraient pas nécessairement déplacés dans un tombeau : le destin tragique de Polyxène, la référence à Patrocle - célèbre pour les jeux funèbres organisés en son honneur -, la mise en scène de héros morts prématurément, l'évocation du deuil de Priam et d'Hécube. En revanche, l'espace architectural qu'implique la disposition des différents panneaux

140 La phrase devient claire si on suppose que TRW •'WS est une erreur pour TRW'LWS (Troilos), la rivière désignant la fontaine où Achille a surpris le jeune homme. 141 Le nom en syriaque est PLWKSN. On notera la transcription du Y grec par un waw, peu conforme à la prononciation lil. Mais le texte grec de Justin, dont celui d'Ambrosios est une adaptation, a Polyxène. C'est donc certainement elle qui est désignée ici.

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exclut qu'il s'agisse d'un tombeau. On pensera donc davantage à un contexte domestique, en évoquant les galeries d'un péristyle ou les trois branches d'une mosaïque en n dans un triclinium : les images pourraient, dans ce cas, alimenter la réflexion et la conversation des banqueteurs. Quoi qu'il en soit et en dépit des quelques zones d'ombre qui demeurent, on se réjouira de voir se confirmer le rôle primordial joué par Édesse dans la conservation, l'assimilation active et la transmission de la culture grecque. CONCLUSION Ces découvertes fortuites changent en profondeur l'idée que l'on se faisait jusqu'ici de la production de mosaïques à Édesse et en Osrhoéne. Le petit nombre de documents conservés et le caractère assez homogène des représentations - généralement centrées sur la valorisation, par le biais d'images funéraires, d'une même classe sociale - avaient conduit en effet à considérer comme un phénomène plutôt marginal et de portée limitée l'emprunt d'une technique gréco-romaine par quelques familles aristocratiques d'Édesse, pendant une vingtaine d'années, à des fins personnelles : pratiquement une seule génération aurait été concernée, qui aurait utilisé les services d'un seul atelier (deux tout au plus). Cette vision, trop réductrice, doit être sérieusement nuancée. Les thèmes développés sur les panneaux récemment apparus et la variété des tendances mises en œuvre au sein d'un même style, toujours parfaitement reconnaissable, invitent à penser plutôt que ces mosaïques sont, au contraire, le reflet d'une société consciente de sa propre identité mais largement ouverte aux influences extérieures qu'elle était capable d'assimiler, sans rien perdre de son originalité. Reconnue comme centre culturel par la population de langue syriaque dès le début de notre ère, Édesse n'en joua pas moins un rôle qui devint progressivement primordial dans la transmission - grâce aux traductions - des œuvres grecques, littéraires et scientifiques142. C'était une ville de double culture, au plein sens du terme. Le grec était pratiqué comme seconde langue dans les milieux intellectuels et les jeunes gens de bonne famille allaient sans doute parfaire leurs études dans les écoles de rhétorique ou de philosophie des cités hellénisées. Un commerce florissant tissait, de surcroît, des liens permanents entre Édesse et d'autres villes importantes de la région ; à la faveur de ces contacts, s'introduisaient les concepts, les modes et les religions nouvelles.

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142 S. P. Brock, « From Antagonism to Assimilation Syriac Attitude to Greek Learning », East of Byzantium. Syria and Armenia in thè Formative Period, éd. N. Garsoïan, T. Mathews et R. Thompson, Dumbarton Oaks Symposium 1980 (Washington 1982), p. 17-34 (= Syriac Perspectives on Late Antiquity, Variorum Reprints, Londres, 1984) H.J.W. Drijvers, « Hatra, Palmyra und Edessa » cit., p. 888; ). Tf.ixidor, Bardesane d'Edesse. La première philosophie syriaque, cit., p. 24.

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C'est dans un même contexte d'échanges, tant de denrées que d'idées, que s'expliquent aussi l'introduction et le développement d'un art nouveau à Édesse : celui de la mosaïque. Peut-être le séjour que fit Abgar VIII à Rome, sous le règne de Septime Sévère, a-t-il favorisé, davantage encore, l'intérêt pour les techniques romaines ? Le fait est que des mosaïstes ont été formés vers ce moment, soit à Édesse même, où des maîtres venus d'ailleurs leur auraient appris les secrets du métier, soit dans un centre hellénisé (Zeugma ou Antioche ?), où ils se seraient eux-mêmes rendus. Quoi qu'il en soit, ce qui frappe, c'est de constater que le stade de l'initiation et de l'imitation servile a été rapidement dépassé et qu'un style original s'est créé, mettant en œuvre les techniques de l'art gréco-romain mais plongeant ses racines dans le substrat local. Quant aux thèmes traités, ils témoignent eux aussi de l'ambivalence propre à Édesse : à côté des « portraits de famille » qui ne trouvent de parallèles que dans la sculpture locale (ou la sculpture palmyrénienne), figurent des scènes de V Iliade, expression la plus traditionnelle de la culture classique, ou l'évocation de Prométhée et du destin de l'homme. Les sujets empruntés à l'épopée trouvent au même moment leur exacte contrepartie littéraire dans la traduction syriaque des Hypomnemata d'Ambrosios, on l'a vu. Cette convergence surprenante de deux sources isolées montre bien que la culture mythologique faisait partie d'un patrimoine largement répandu en Osrhoène ; c'était vraisemblablement à travers les tableaux de la pantomime qu'il se maintenait vivant. Mais on ne peut manquer de noter aussi la permanence de thèmes ou de détails iconographiques (Polyxène, Troïlos) remontant beaucoup plus haut dans la constitution du répertoire d'images et dont on n'avait jusqu'ici aucune trace ailleurs dans l'Empire romain. L'allusion à Prométhée et la réflexion sur la nature composite de l'homme {nous, psyché, sôma)]43 au sein d'un cosmos éternel s'inscrivent davantage dans un contexte philosophique : sans doute l'ambiance intellectuelle qui régnait à Édesse à l'époque de Bardesane et de ses disciples peut-elle expliquer cet écho des préoccupations qui, vers le même moment, s'étalaient au flanc des sarcophages romains. Si l'on connaissait déjà par les textes le rôle primordial d'Édesse dans l'élaboration d'une double culture, on dispose aujourd'hui, de surcroît, du témoignage des images.

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143 Sur la conception de l'homme et du cosmos chez Bardesane, d'après le « Livre des lois des pays », cf. H. W. J. Drijvers, Bardaisan ofEdessa (Groningue, 1966), p. 76-95 (en particulier, p. 87) J. Teixidor, Bardesane, cit., p. 90-91.