Nicolas de Staël
 9781780426440, 1780426445, 9781781607114, 1781607117

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Nicolas de

Staël

Texte : Tom Parsons Traduction : Karin Py Mise en page : BASELINE CO LTD 33 Ter - 33 Bis Mac Dinh Chi St., Star Building, 6e étage District 1, Hô-Chi-Minh-Ville Vietnam © Parkstone Press International, New York, USA © Confidential Concepts, worldwide, USA © Nicolas de Staël Estate, Artists Rights Society (ARS), New York / ADAGP, Paris Remerciements tout particuliers à la galerie Jeanne Bucher, spécialement à monsieur Jean-François Jaeger, pour leur précieuse collaboration. Tous droits d’adaptation et de reproduction réservés pour tous pays. Sauf mention contraire, le copyright des œuvres reproduites se trouve chez les photographes qui en sont les auteurs. En dépit de nos recherches, il nous a été impossible d’établir les droits d’auteur dans certains cas. En cas de réclamation, nous vous prions de bien vouloir vous adresser à la maison d’édition. ISBN : 978-1-78042-644-0

Nicolas de Staël

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INTRODUCTION

Ce que j’essaie, c’est un renouvellement continu, vraiment continu, et ce n’est pas facile. Ma peinture, je sais ce qu’elle est sous ses apparences, sa violence, ses perpétuels jeux de force, c’est une chose fragile dans le sens du bon, du sublime. C’est fragile comme l’amour. Nicolas de Staël, lettre à Jacques Dubourg, Antibes, décembre 1954.

A

u regard des récits de ceux qui l’ont connu, Nicolas de Staël était un personnage imposant. Grand, beau, et quelque peu longiligne, les photographies prises de lui dans son atelier au début des années 1950 évoquent les statues de bronze de Giacometti, fines, sèches, éloquentes de fierté et de dignité. Cosmopolite dans ses attitudes et sa conversation, il avait beaucoup voyagé. Appréciant la compagnie des autres artistes, des musiciens et des écrivains, il avait une vision très claire du fonctionnement du marché de l’art et de sa presse. Par ailleurs, il était absolument intransigeant quant à son développement en tant qu’artiste, ne tenant pas compte de l’effet que ses changements de style pouvaient avoir sur l’appréciation des critiques ou sa propre situation matérielle. Pendant les cinq années dernières années de sa vie, il était reconnu comme un membre éminent, si ce n’est le plus important, de l’École de Paris. Ce succès critique lui apporta une prospérité financière certaine, grâce aux prix que les plus grands musées et collectionneurs d’Europe et d’Amérique étaient prêts à payer pour son travail. Est-ce alors l’impact des expressionnistes abstraits américains, suivis, dans les années 1960, par les néodadaïstes du Pop Art qui poussa de Staël à mettre fin à ses jours au moment même où sa réputation amorçait une courbe résolument ascendante ? Est-ce parce qu’il sentait qu’il avait effleuré du doigt l’indicible et qu’il ne pourrait faire mieux ? Toujours est-il que ce suicide reste aujourd’hui encore incompréhensible et inexpliqué.

1. Le Lavandou, 1952. Huile sur toile marouflée sur bois, 195 x 97 cm. Musée national d’art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris.

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Face aux assauts ultérieurs du conceptualisme, l’attachement de de Staël aux vertus de la peinture et sa préférence pour des types de sujets traditionnels entraînèrent effectivement la désaffection des critiques. Pour autant, la technique intuitive de de Staël et sa foi en l’expression d’idées émouvantes, voire spirituelles, s’appuyant sur des qualités principalement formelles font qu’il demeure aujourd’hui encore le peintre de l’espace et de l’aspiration, celui auxquels tant d’artistes se réfèrent, le prince de la fugacité et de l’insaisissable. Nicolas de Staël naquit à Saint-Pétersbourg en 1914 au sein d'une famille d’origine balte appartenant à la noblesse russe. Enfant, de Staël et sa famille furent contraints

2. L’Orage, 1945. Huile sur toile, 130 x 90 cm. Collection privée. 3. Portrait de Jeannine, 1941-1942. Huile sur toile, 81 x 60 cm. Collection privée.

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de quitter la Russie suite à la révolution bolchévique de 1917. Ils s'installèrent d'abord en Pologne où ses parents moururent peu de temps après. Orphelins à l’âge de huit ans, Nicolas de Staël et ses deux sœurs furent élevés par des amis de la famille à Bruxelles. C’est là qu’il étudia les beaux-arts à l’Académie Royale des Beaux-Arts, dont il sortit, diplômé, en 1935. Bien qu’il soit né en Russie, son travail semble clairement appartenir à la tradition d’une avant-garde spécifiquement européenne qui remonte aux pionniers de l’abstraction, du cubisme, du fauvisme

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4. Composition sur fond gris, 1944. Huile sur toile, 89 x 115 cm. Musée d’art moderne Lille Métropole, Villeneuve-d’Ascq, donation Geneviève et Jean Masurel. 5. Composition Nice, 1943. Huile sur toile, 114 x 72 cm. Musée d’art moderne et d’art contemporain, Nice, don de Jacques et Madeleine Matarasso.

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jusqu’au post-impressionisme. De Staël lui-même, par exemple, parlait de son amour pour les lettres de Van Gogh (comme lui un homme du nord qui finit foudroyé par la lumière méditerranéenne du sud de la France) ; il éprouva une profonde admiration pour Matisse, et vécut une amitié durable avec Braque. À la fin des années 1930, de Staël vécut en France et obtint la nationalité française en 1948. En avril 1952, de Staël se rendit au Parc des Princes de Paris entièrement illuminé à l’occasion d’un match de football opposant la France à la Suède. Le spectacle allait transformer sa peinture ; il avait trente-huit ans. Il décrivit cela dans une lettre à son ami, le poète René Char : Entre ciel de terre sur l’herbe rouge ou bleue une tonne de muscles voltige en plein oubli de soi avec toute la présence que cela requiert en toute invraisemblance […] Alors j’ai mis en chantier toute l’équipe de France, de Suède et cela commence à se mouvoir un tant soit peu […] C’est son paradoxe qui rend cette description remarquable : il souligne avec emphase la « présence » de ses protagonistes et fait remarquer simultanément leur « complet oubli de soi ». L’expérience allait jouer le rôle d’une épiphanie ou d’un catalyseur, l’incitant à délaisser le style purement abstrait qu’il avait adopté en 1942, pour une expression plus figurative ; un style dans lequel, le sujet identifiable réaffirmait sa propre présence tandis que les distorsions et les simplifications des couleurs et des textures caractéristiques de ses surfaces peintes suggéraient des sentiments ou des réactions allant au-delà des simples apparences du sujet lui-même. Ce dernier, comme les footballeurs en cette nuit de 1952, était menacé d’oubli de soi dans cette nouvelle réalité peinte que de Staël s’acharnait à créer. À l’époque, cette transformation ressembla plus à une volte face. Cela semblait aller à contre-courant des pratiques contemporaines. En adoptant dix ans plus tôt un style abstrait, de Staël avait, en toute conscience, rejoint les rangs d’une multitude d’autres artistes qui, depuis Kandinsky, Delaunay, Mondrian et Malevitch avant eux, luttaient pour s’affranchir de tout sujet identifiable dans leur peinture. Cependant en 1952, de Staël, selon certains critiques, sembla résolument

6. Composition en noir, 1946. Huile sur toile, 200 x 150,5 cm. Kunsthaus Zürich, Zurich.

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régresser. À partir de ce jour et jusqu’à sa mort, il allait concentrer sa production sur des thèmes figuratifs. Parmi ceux-ci figurent certaines de ses œuvres les plus connues et les plus admirées. Aujourd’hui, le débat semble avoir perdu de son caractère d’urgence, il paraît moins crucial de déterminer l’engagement d’un artiste à l’aune du caractère radical et novateur de son travail. À l’époque, ce changement fut perçu par nombre de ses adeptes de l’avant-garde comme un acte proche de la trahison.

LES INFLUENCES DE L’ABSTRACTION

7. La Vie dure, 1946. Huile sur toile, 142 x 161 cm. Musée national d’art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris. 8. À Piranèse, 1948. Huile sur toile, 101 x 73 cm. Henie-Onstad Kunstsenter, Høvikodden, Norvège. 9. Ressentiment, 1947. Huile sur toile, 100 x 81 cm. Collection privée, Paris.

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Dans Parc des Princes (p.32-33), le déploiement athlétique qui impressionna tant de Staël dans les actions des joueurs est exprimé de deux façons – d’abord, à travers les poses des personnages massifs et rouges, en blocs agrégés, qui, s’affrontant dans une poussée ascendante, basculent dans leur élan légèrement au-delà de la verticale ; et ensuite, à travers l’énergie avec laquelle le pigment a été appliqué en couche épaisse. La liberté d’exécution que l’on perçoit dans la plupart des esquisses préparatoires (p.36 et 37) du tableau transmet certainement ce sentiment d’énergie de manière encore plus tangible. Par-delà le sujet, c’est notre capacité à identifier le sujet qui nous invite à associer toutes les simplifications et distorsions du style de de Staël avec la masse de figures humaines mouvantes. Ceci, précisément, nous permet de comprendre la raison de son détachement d’un style purement abstrait. S’il ne l’avait pas fait, nous n’aurions certainement pas ressenti dans cet arrangement de blocs de couleur la même sensation de puissante énergie collective. Afin de reconnaître l’oubli de soi, il nous faut au moins avoir le droit d’entrevoir cette entité condamnée à s’effacer de nos mémoires. Bien que le retour de de Staël à un style figuratif fût qualifié de trahison, peindre une manifestation sportive d’une manière aussi moderne créa en réalité une innovation sans précédent pour précédent irréprochable pour la peinture française d’avantgarde. Lorsqu’il choisit ce sujet, de Staël devait connaître le tableau de Delaunay, L’Équipe de Cardiff, une toile cubiste majeure datant de 1912. L’œuvre de Delaunay est constituée d’une multitude de surfaces cubistes brillamment colorées, offrant à

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l’époque le plus moderne des langages disponibles. Les joueurs de rugby gallois évoluent au pied d’une Tour Eiffel stylisée, elle-même une référence architecturale du triomphe de la modernité. Les footballeurs de de Staël n’ont, pour leur part, aucun lien aussi évident avec des références symboliques. La connexion sert néanmoins à illustrer que de Staël connaissait la tradition artistique française et l’art de ses prédécesseurs auquel il souhaitait se rattacher. Parmi les artistes qu’il admirait, Robert Delaunay, était l’un des pionniers de l’abstraction européenne. Ses premières toiles non-figuratives étaient issues de la riche tradition picturale française de la fin du XIXe siècle. Il avait absorbé la richesse chromatique de l’impressionnisme, mais c’est plutôt auprès de Seurat, Cézanne et des cubistes, qu’il puisa sa première inspiration. Ses peintures des années 1912-1913 réinvestissent les motifs géométriques monochromes du cubisme de Picasso et de Braque avec en plus la plénitude et l’opulence des couleurs de Cézanne. En Allemagne, le peintre d’origine russe, Vassili Kandinsky, (autre grande influence de de Staël) était sur le point d’emprunter une voie similaire. Ayant laissé s’exprimer dans sa peinture une fascination précoce pour l’art paysan des campagnes bavaroises proches de sa ville d’adoption, Munich, il entama ensuite une série de paysages empreints d’une liberté toujours plus grande. Le passage de ces derniers à un véritable style abstrait fut difficile mais les premières toiles qu’il réalisa dans cette nouvelle manière sont plus fougueuses, turbulentes et volatiles que celles de Delaunay. Elles vibrent d’énergies apparemment fébriles. Contrairement à celles de Delaunay, les couleurs ne se déploient pas en obéissant aux lois spectrales, elles se fondent et saignent l’une dans l’autre comme si elles étaient instables et sujettes à de perpétuelles métamorphoses. Toujours contrairement à Delaunay, Kandinsky considérait que son art jouait un rôle central dans la régénération des valeurs spirituelles au sein d’une société moderne et laïque. Le peintre hollandais, Piet Mondrian, allait élaborer son propre style sur des fondements largement similaires et allait également influencer de Staël. Lui aussi était profondément dévoué à un art censé raviver les aspirations spirituelles de ses

10. Calme, 1949. Huile sur toile, 96,5 x 162,5 cm. Collection Conrad et Carroll Janis, New York. 11. Composition, 1949. Huile sur toile, 162,5 x 114 cm. Musée national d’art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris.

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spectateurs. En outre, son style abstrait évolua lui aussi après s’être adonné à une étude prolongée des paysages. Mondrian avait passé de nombreuses années à peindre des images de la côte hollandaise toujours plus inspirées des idéogrammes. À partir de ces études extrêmement conceptualisées du rythme et du mouvement de la mer, il développa le style abstrait qui le caractérise, fait de blocs de couleur géométriques contenus dans un cadre monochrome de lignes verticales et horizontales. En outre, à peu près au même moment, c’est-à-dire durant les années précédant la Première Guerre mondiale, le peintre russe Casimir Malevitch élabora un style abstrait propre et également géométrique – en réaction, tout d’abord à sa prédilection pour l’idéalisme et le mysticisme et ensuite, à l’idéalisme dominant la Révolution bolchévique. Aussi, lorsque de Staël acheva ses études d’art, en 1935, l’année même où mourut Malevitch, les fondements solides d’un style abstrait européen avaient déjà été posés. La décision, prise en 1942, de travailler d’une manière similaire, l’inscrit clairement dans une tradition déjà existante. Il s’agissait, de toute évidence, d’une décision prise après d’abondantes délibérations, réflexions théoriques et discussions. En 1949, se penchant sur le portrait de sa première épouse Jeannine Guillou, l’une des rares œuvres figuratives ayant survécu au début des années 1940, de Staël écrivit :

12. Composition, 1950. Huile sur panneau, 124,8 x 79,4 cm. Tate Modern, Londres. 13. Composition en gris et bleu, 1950. Huile sur toile, 162,5 x 114 cm. Collection privée.

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Quand j’étais jeune, pendant des années j’ai peint le portrait de Jeannine, un portrait, un vrai portrait. C’est tout de même un sommet de l’art. J’ai peint ainsi deux tableaux. Les regardant, je m’interrogeais : qu’ai-je peint là ? Un mortvivant ? Un vivant- mort ? Puis peu à peu, j’ai commencé à me sentir mal à l’aise en peignant un objet de façon réaliste, parce que confronté à n’importe quel objet, je me sentais gêné par le nombre infini d’autres objets existants… j’ai donc cherché une forme d’expression plus libre. Le fait que de Staël ait détruit nombre de ses travaux antérieurs à 1942, vient simplement renforcer notre perception de ses débuts comme ceux d’un peintre abstrait de seconde génération. Il semble donc tout à fait justifié qu’il ait exposé

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ses œuvres aux côtés de celles de Kandinsky en 1944, à l’occasion d’une de ses premières expositions parisiennes. Kandinsky allait mourir cette même année. Ces premières œuvres abstraites, peintes entre les débuts des années 1940 et le début des années 1950, peuvent se diviser en deux périodes. Tout d’abord, elles se caractérisent par des tons foncés et sombres, par de violentes formes linéaires barrant la surface qui créent un sentiment de conflits d’énergies et de tensions rythmiques (p.14). Ces « terribles symétries » sont comprimées entre les quatre côtés du cadre, ajoutant une dimension claustrophobe et évoquant les perspectives menaçantes et irraisonnées des esquisses de prison réalisées par de Piranèse au XVIIIe siècle. Bien plus tard, lorsque ses tableaux avaient commencé à atteindre de bons prix, il acheta un recueil des Carceri. Vers la fin des années 1940, sa palette et l’atmosphère de ses toiles s’allégèrent ostensiblement. Il commença à élaborer ses compositions à partir d’emboîtements et de blocs abandonnant les violentes diagonales en zigzags (p.29). Il est intéressant de mentionner que le changement d’humeur durant cette phase de sa carrière pourrait être lié à certains épisodes biographiques. L’atmosphère sombre et claustrophobe des œuvres abstraites du début des années 1940 pourrait être due à sa situation financière désespérée, et plus particulièrement à la mort de Jeannine Guillou en 1946 (elle décéda d’une maladie induite par une sévère malnutrition). Les compositions les plus sereines de la fin des années 1940 coïncident avec le début de sa relation avec Françoise Chapouton (qui allait lui donner une fille et deux garçons) et la signature d’un contrat avec le marchand d’art Jacques Dubourg. Dans les deux cas, les tableaux se caractérisent par la texture épaisse de la peinture et par l’usage de la spatule plutôt que du pinceau. De façon intéressante, les carnets de de Staël nous révèlent que nombre de ses œuvres furent inspirées d’études et d’esquisses faites directement d’après nature – souvent des objets qu’il avait sous la main à la maison ou dans son atelier : marteaux, tenailles, arbres, racines, viande. Ceci suggère que la transformation et la révélation de sujets quotidiens étaient une source d’inspiration même lorsque de Staël peignait dans son style abstrait le plus radical et par conséquent qu’il ne se débarrassa jamais

14. Grande Composition bleue, 1950-1951. Huile sur isorel, 200 x 150 cm. Collection privée, Paris.

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de l’attrait pour la figuration avec la même détermination que des artistes comme Kandinsky ou Mondrian. Il est certain que de Staël ne manifesta jamais leur réticence dogmatique dans le choix de ses titres. Bien que la plupart de ses œuvres se voyaient attribuer le nom délibérément neutre de Composition, d’autres images de cette période suggèrent des parallèles avec le monde tangible. Par exemple, le titre de la toile Les Toits (p.29), peinte en 1950, incite immédiatement le spectateur à se précipiter sur des analogies dans la nature, dans ce cas, une vue aérienne d’un paysage urbain septentrional. Ceci dit, il est évidemment erroné de chercher à rapprocher les formes, les couleurs et les textures que de Staël nous propose, d’une vue spécifique ou d’un point de vue en particulier. Nous sommes plutôt invités à relier ces mêmes caractéristiques picturales à des expériences ou à des souvenirs d’ordre plus général de la géographie urbaine. De telles connexions ne seraient en tout cas qu’une voie, une introduction, vers notre appréciation de la peinture pour elle-même.

15. Le Parc de Sceaux, 1952. Huile sur toile, 161,9 x 113,9 cm. The Phillips Collection, Washington D.C.

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On ne peut qu’être saisi par le contraste de texture qu’offrent les carrés de couleur, variant en taille et en épaisseur, ponctués de noir, et par le gris transparent du « ciel ». De Staël crée toute une série d’autres contrastes entre les deux sections fortement différenciées de la peinture – le calme s’oppose à la frénésie, la monochromie à la diversité des couleurs, la concentration de l’espace à son dégagement. On remarque en outre la manière dont la palette principalement monochrome a été discrètement et judicieusement relevée par l’aura de rouge discernable dans le coin inférieur droit, ou encore par les couches de pigment rose et bleu visibles en-dessous. En examinant le ciel, lui-même modulé par d’infimes traces de couleur et subtilement articulé par la texture légère de la peinture, on réalise que le sujet n’était peut-être qu’un prétexte ; qu’il n’a servi à l’origine que de catalyseur afin d’exprimer quelque chose de tellement nébuleux que toute connexion plus directe entre l’image et le monde tangible aurait annihilé sa délicate existence. On se remémore alors la description de Kandinsky, parue dans son livre Du Spirituel dans l’art (1911), du pouvoir expressif de la couleur grise : Il suffit de pouvoir illuminer un gris pour que la couleur, recélant un espoir caché, puisse à la fois s’affirmer et s’ouvrir, aussi, aux soupirs qui la pénètrent.

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16. Composition, 1951. Huile sur toile, 73 x 100 cm. Galerie Gimpel & Hanover, Zurich. 17. Les Toits, 1952. Huile sur isorel, 200 x 150 cm. Musée national d’art moderne, Centre GeorgesPompidou, Paris.

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En d’autres termes couleur et forme, aspect et texture, peuvent en eux-mêmes être puissamment et poétiquement évocateurs des plus fragiles et délicats états émotionnels. Pour qu’il en soit ainsi, de Staël se servait parfois de références résiduelles du monde des apparences afin de déclencher chez lui comme chez nous, des réactions émotionnelles. Dans d’autres œuvres, par contre, il ne le faisait pas. Un tableau tel que Composition de 1951, aujourd’hui à la Kunsthaus de Zurich, est résolument inexplicite dans ses références au monde extérieur. Ici, la composition est constituée de carrés alignés verticalement et horizontalement, agrégés autour du centre, s’estompant et disparaissant complètement en direction des bords et des angles. À nouveau, de Staël utilise une palette monochrome, révélant encore une fois des couches de couleurs radieuses sous les noirs, les gris et les ocres : ce ne sont que des flashes, des visions furtives en quelques sortes, d’un univers plus plein, plus riche. C’est comme si les splendeurs d’une mosaïque de tradition byzantine avait été obscurcies par une palette cubiste subtilement variée mais sourde. Les références sont ici d’autres formes artistiques, et force est de constater que de Staël éprouvait un intérêt passionné pour l’art byzantin. La même année il avait visité à Paris une importante exposition d’art byzantin de Ravenne. Ces taches de couleur carrées, stratifiées et juxtaposées comme de la mosaïque offraient d’autres possibilités à de Staël. Il ne s’en servit pas uniquement dans ses compositions abstraites mais l’utilisa aussi dans une série de sujets sur les fleurs, peinte au début des années 1950 (p.51). Elles pourraient aussi être une référence au style néo-impressionniste de Seurat et de Signac et une traduction de ce dernier dans ses propres termes. Nous sommes invités à voir cela comme un exemple de la manière dont de Staël combinait les influences orientales et occidentales, à l’instar de sa vie partagée entre la Russie et la France. En ce sens, on ne peut s’empêcher de penser à l’exemple du peintre du XVIe siècle El Greco, qui se forma au style byzantin en Crète avant de faire carrière dans l’Espagne de la Contre-Réforme. El Greco était un artiste que de Staël admirait, mais non sans réserves. Il n’aimait pas le parfum, selon ses propres termes, « saturé d’encens » qui flottait sur les œuvres d’El Greco – c’est-à-dire, les effluves d’un dogme religieux romanesque. Néanmoins, son portrait de Jeannine Guillou, l’une des rares œuvres figuratives peintes avant 1942 ayant

18. Composition, 1951. Huile sur toile, 60 x 73 cm. Collection privée. 19. Parc des Princes (Les Grands Footballeurs), 1952. Huile sur toile, 200 x 350 cm. Collection privée, Paris.

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survécu, s’inspire énormément de la truculence des traits anguleux présente dans les portraits d’El Greco. Dans la même veine, il faut mentionner ici que la couleur dramatiquement sombre de ses premières compositions abstraites était en partie inspirée par le rythme dépouillé et l’éclairage dramatique des films de guerre soviétiques que de Staël ne se privait pas d’esquisser lorsqu’ils étaient projetés dans les cinémas parisiens – une autre traduction d’une source orientale plus contemporaine. Le point commun entre toutes les peintures de de Staël évoquées jusqu’ici, qu’elles soient figuratives ou abstraites, est l’extraordinaire épaisseur de ses surfaces peintes. Une part cruciale de leur attrait visuel s’exerce précisément en termes de texture, plus encore que de couleur et de forme. Dès 1942, de Staël travailla presque exclusivement à la spatule plutôt qu’au pinceau. Sa peinture se laissait moins caresser sur la toile que poser en couches et gratter comme du plâtre. Le résultat de cette insistance sur la substance physique de la peinture est, pour le spectateur, un rappel constant que la peinture est un objet en soi, indépendamment de ce qu’elle décrit réellement. Parfois, et ceci est visible même sur les photographies des œuvres de de Staël, les arêtes de peinture incrustées dépassent de la surface plane du tableau et projettent leurs propres ombres sur lui. En outre, cet accent énergique mis sur la texture nous donne une impression puissante de l’aptitude manuelle de l’artiste, de son énergie, même si le sujet de l’image elle-même est d’une tranquillité sobre, presque symétrique - par exemple, sa nature morte à la bouteille de 1952.

20. Parc des Princes, 1952. Huile sur carton, 19 x 23,7 cm. Collection privée, France. 21. Footballeurs, 1952. Huile sur toile, 80 x 65 cm. Collection privée, Suisse.

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Comme nous le verrons, cette longue obsession pour l’impasto n’allait pas durer indéfiniment. Mais ici, il semble nécessaire de mentionner que ce trait particulier reliait la peinture de de Staël à celle d’un peintre français du XIXe siècle dont il admirait le travail par-dessus tout : Gustave Courbet.

LE LIEN AVEC GUSTAVE COURBET Dans ses lettres, de Staël décrivait Courbet comme une force de la nature, « Comme une rivière qui s’écoule vers la mer ». Il affirmait même que Cézanne, si souvent

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22. Coin d’atelier à Antibes, 1954. Huile sur toile, 130 x 89 cm. Kunstmuseum Bern, Berne.

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23. Coin d’atelier fond bleu, 1955. Huile sur toile, 195 x 114 cm. Collection privée.

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24. Paysage, 1952. Huile sur carton, 38 x 55 cm. Collection privée, Paris.

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acclamé comme la figure du père de la peinture du XXe siècle, « n’était qu’un enfant à côté de lui ». C’est en grande partie à Courbet que nous devons l’émergence d’une tradition de peinture européenne d’avant-garde au XIXe siècle. Courbet est donc un aïeul direct, quoique distant, de de Staël. Courbet contribua en effet à instituer une tradition de peinture radicale, particulièrement moderne, qui refusait délibérément de se conformer aux principes artistiques établis de son temps. Dans les années 1850, son entêtement à dédaigner tout thème mythologique ou religieux le plaça de façon irrévocable en dehors des standards invoqués et rigoureusement entretenus par l’Académie. Si de Staël se mouvait entre les pôles jumeaux de la figuration et de l’abstraction, Courbet était résolument attaché à dépeindre les sujets du monde tangible : La peinture est un art essentiellement concret et ne peut consister que dans la représentation de choses réelles et existantes. C’est un langage totalement physique, dépourvu de mots, mais plein d’objets visibles. Un objet abstrait, invisible et non-existant, ne fait pas partie du domaine de la peinture. Ces mots, énoncés par Courbet en personne, parurent dans un journal parisien le jour de Noël 1861. Ils ne révèlent pourtant pas toute l’histoire. Certes réaliste pour le choix de ses sujets, Courbet était avant tout un maître de l’impasto, un magicien des possibilités de textures qu’offre la peinture à l’huile à un artiste. De Staël était profondément séduit par cet aspect de l’art de Courbet, sa façon de manipuler physiquement la peinture capable d’amplifier, voire de transformer, le sujet lui-même. En fait, on va même jusqu’à soupçonner que c’est cette présence éloquente de la peinture qui ensorcelait les yeux de de Staël. En tout cas, indépendamment des exigences de Courbet à l’égard des sujets, de Staël lui-même déniait tout conflit entre le figuratif et l’abstrait. Avec le Parc des Princes de 1952, il laissait derrière lui le style abstrait qu’il avait exploré au cours des dix années précédentes pour revenir à des thèmes figuratifs. L’expérience au stade en cette nuit d’avril semble avoir déclenché chez de Staël un élan soutenu d’énergie créatrice – une émulation dans laquelle les aspects figuratif et abstrait se

25. Ciel à Honfleur, 1952. Huile sur toile, 100 x 73 cm. Collection privée.

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nourrissaient et s’amplifiaient mutuellement. Entre 1952 et sa mort en 1955, de Staël produisit 750 toiles. En 1955, au cours d’une brève période de 60 jours il peignit 90 tableaux.

DÉPASSER L’OPPOSITION ABSTRACTION / FIGURATION

26. Cinq Pommes, 1952. Huile sur toile, 38 x 61 cm. Collection privée, Paris. 27. Mantes, 1952. Huile sur toile, 89 x 116 cm. Collection privée.

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Dans une déclaration publiée en 1952 de Staël écrivait : « Je n’oppose pas la peinture figurative à la peinture abstraite. Une peinture devrait être à la fois abstraite et figurative. Abstraite en tant que mur, figurative en tant que représentation d’un espace ». Ailleurs, il décrivait la satisfaction des exigences doubles du figuratif et de l’abstrait comme un « va-et-vient ». En d’autres termes, il devait se plier aux deux – les exigences de la toile pour son organisation abstraite et les besoins descriptifs du sujet. Ce conflit, en fin de compte, ne devait pas susciter une opposition exclusive ou destructive mais une démarche de fertilisation réciproque. Il s’agit bien sûr aussi d’un conflit qui s’était déjà déroulé plus tôt au XXe siècle, à travers les œuvres des Fauves et des cubistes. En effet, Matisse et Picasso, les chefs de file respectifs de ces mouvements, avaient parfois poussé l’exploration de leurs styles jusqu’à de tels extrêmes dans l’expression et la distorsion que leurs toiles avaient fini par friser l’abstraction. À ce moment-là, Matisse comme Picasso s’étaient rétractés. L’abstraction n’était que l’une des conséquences logiques de leur travail, une voie qu’ils choisirent de ne pas suivre. Certains, arrivant un peu plus tard, tels que Mondrian et Kandinsky, le firent. Un autre de leurs contemporains, Léger, fit quelques expériences dans un style abstrait avant de revenir à des sujets figuratifs. D’ailleurs, au début de sa carrière, de Staël avait passé trois mois à travailler comme assistant dans l’atelier de Léger. Delaunay pour sa part, se sentit capable de naviguer plus aisément entre les deux. Pour la génération de de Staël, le débat comportait quelques résonances politiques et idéologiques particulières. Certains critiques français, à la fin des années 1940, avaient soutenu la nécessité d’un genre de figuration politisée pour lutter contre l’instabilité de la société européenne d’après-guerre. De Staël, bien sûr, avait ignoré ces attentes en s’orientant vers un style abstrait. Au début des années 1950,

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d’autres critiques avaient défendu le besoin des peintres de mettre le passé (c’està-dire la figuration) résolument derrière eux afin de contribuer à la création d’une Europe nouvelle et spirituellement rajeunie. À nouveau, de Staël s’orienta vers la direction opposée. Cette démarche pouvait mettre en péril son succès critique comme sa réussite sociale. À la fin des années 1940, de Staël était depuis longtemps l’une des principales figures de l’abstraction de sa génération. Il avait aussi décroché un contrat avec un marchand parisien et en 1950 l’État français avait acheté l’une de ces œuvres. En 1952, son travail fut exposé pour la première fois à Londres et à New

28. Figures au bord de la mer, 1952. Huile sur toile, 161,5 x 129,5 cm. Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf. 29. Paysage du Lavandou, 1952. Huile sur toile, 65 x 81 cm. Collection privée.

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30. Agrigente, 1953. Huile sur toile, 88,3 x 128,3 cm. The Museum of Contemporary Art, Los Angeles, collection Rita et Taft Schreiber, don de Rita Schreiber en souvenir de son mari Taft Schreiber.

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York où, à la consternation de certains écrivains et artistes, il avait intégré des peintures à la fois figuratives et abstraites. En résumé, la stratégie de de Staël en tant que peintre n’était pas dictée par les positions établies par les débats critiques de son époque. Pour lui, en tout cas, le véritable sujet d’une peinture était, ainsi qu’il l’exprimait lui-même : « le rapport entre le peintre et ce qu’il voit ». C’était un moyen de formuler les réactions de l’artiste (par-dessus tout, celles dictées par les émotions) au sujet choisi. Cette notion d’expression subjective, où le sujet n’est qu’un point de départ pour l’artiste, remonte à l’un des textes fondateurs de l’art du XXe siècle, Notes d’un peintre de Matisse, publié en 1908. La différence essentielle est la suivante : alors que Matisse n’osa jamais s’aventurer vers un style purement abstrait, les dernières œuvres figuratives de de Staël renferment toute son expérience. Notre jugement est donc affecté par le fait qu’elles ont vu le jour après un engagement important vers un style abstrait.

LA DERNIÈRE PÉRIODE

31. Fleurs grises, 1953. Huile sur toile, 81 x 65 cm. Collection privée. 32. Les Indes galantes, 1953. Huile sur toile, 162 x 113 cm. Collection Gail et Harry Theodoracopulos. 33. Les Indes galantes, 1953. Huile sur toile, 162 x 114 cm. Collection privée.

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Parmi ses œuvres tardives, le plus bel ensemble est sans conteste celui des paysages. On peut relever deux événements pouvant expliquer la présence d’aussi nombreux paysages dans l’œuvre qu’il produisit de 1952 à sa mort en 1955. D’abord, lors d’un voyage en Hollande qu’il fit en 1949, de Staël demeura stupéfié devant le paysage d’un peintre flamand relativement peu connu du XVIIe siècle, appelé Hercules Seghers. Les nombreuses études que produisit de Staël sur les imposants ciels nordiques, dont il peignit un certain nombre durant cette période (p.40), sont le produit direct de cette influence. Ensuite, de Staël séjourna sur la Côte d’Azur durant l’été 1952, où il fut émerveillé par l’intensité de la lumière méditerranéenne. Dans des lettres écrites depuis le Lavandou il déclarait : « La lumière est tout simplement fulgurante ici, bien plus que je m’en souvenais » ; « les contrastes sont toujours aussi violents et frappent la lumière » ; « La couleur est littéralement dévorée […] je consomme de la couleur en quantité » ; « à force de flamber sa rétine sur le « cassé-bleu », comme dit Char, on finit par voir la mer en rouge et le sable violet ».

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Ceci nous rappelle la réaction similaire éprouvée par Matisse et Derain durant l’été 1905 à Collioure, sur la côte du Roussillon – une expérience qui donna lieu aux débordements chromatiques du fauvisme. Pour commencer, les paysages de de Staël utilisaient les mêmes procédés pour essayer de traduire cette lumière éclatante en termes picturaux. Il poussait la couleur dans ses retranchements descriptifs. Par exemple, dans une peinture comme Ciel Rouge de 1952 (p.69), c’est le titre qui, paradoxalement, nous aide à réaliser qu’il n’y a aucun sujet reconnaissable. En 1953, de Staël La méthode de de motif, se servant travaillait sur les marchand :

voyagea en Sicile. Ce voyage se révéla immensément productif. Staël consistait à esquisser ou à dessiner directement devant le de ces notes visuelles ultérieurement dans son atelier où il toiles achevées. Voici ce qu’il écrivit dans une lettre à son

Je rapporterai un bon nombre d’études mais aucune peinture dans le sens où j’entends ce mot ; des peintures à faire, oui, dans mon atelier parisien. J’ai besoin de m’éloigner, de prendre de la distance de tout, de l’atelier… et de calme. La ville méridionale d’Agrigente fournit les sujets d’un grand nombre de paysages. L’un d’entre eux, Agrigente de 1953, aujourd’hui à la Kunsthaus de Zurich, compte parmi les œuvres les plus célèbres de de Staël. Cette peinture pourrait illustrer deux points importants. D’abord, qu’à peu près à cette époque, de Staël commença à diluer sa peinture à la térébenthine et à l’appliquer au pinceau plutôt qu’à la spatule. On peut apercevoir les traces du pinceau dans le ciel par exemple. Les textures densément empâtées si caractéristiques de son travail disparurent. D’après ses lettres, il apparaît qu’il était sensible aux effets du hasard dans sa façon d’appliquer le pigment sur la toile. De Staël recourait parfois à une certaine hésitation tactique pour que survienne quelque événement fortuit, bien qu’il faille également rappeler que savoir quand relâcher le contrôle de la main est en soi une forme d’expression ; un talent même. Courbet, affirmait de Staël, ne s’était jamais répété dans son art – pas plus que de Staël à cet égard. En 1955, il écrirait au critique anglais Douglas Cooper : « moi j’ai

34. Nu debout, 1953. Huile sur toile, 145 x 89 cm. Collection privée, Zurich.

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besoin pour me renouveler, pour me développer, de fonctionner toujours différemment d’une chose à l’autre, sans esthétique à priori ». Le second point est que dans cette toile en particulier, de Staël semble avoir inversé la tactique qu’il appliquait dans ses autres paysages méridionaux. La terre ellemême est presque blanche, blanchie comme si la couleur avait été littéralement consumée, comme il le dit dans une lettre à Char. C’est précisément l’opposé de la technique fauviste. Mais ce n’est pas tout. La mer a été transformée en un rouge violent, livide – dans une autre lettre il avait déclaré : « Rien de neuf à part le soleil ici fulgurant, à force d’être bleue la mer devient rouge ».

35. Les Musiciens, 1953. Huile sur toile, 162,2 x 114,3 cm. The Phillips Collection, Washington D.C. 36. Nu debout, 1954. Huile sur toile, 146,1 x 97,2 cm. The Museum of Contemporary Art, Los Angeles, collection Rita et Taft Schreiber, don de Rita Schreiber en souvenir de son mari Taft Schreiber. 37. Portrait d’Anne, 1953. Huile sur toile, 130 x 89 cm. Musée d’Unterlinde, Colmar.

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Au centre, un bloc du même rouge doit représenter un bâtiment, non pas la mer – une réjouissante complication dans une œuvre qui séduit principalement par sa simplicité. On remarque en outre une touche de vert au cœur des gris pâles et doux du premier plan ainsi que d’autres verts mêlés au noir du ciel qui viennent égayer encore plus le rouge. L’autre surprise est le ciel, noir – faisant résonner la lumière plutôt que la détruisant. Étrange est également cette architecture qui semble si vaporeuse et irréelle alors que la mer et le ciel sont si définis. Ces éléments de surprise sont percutants et résolument visuels. L’année suivante, de Staël passa les mois d’été à peindre des paysages septentrionaux. Chenal à Gravelines, par exemple, décrit le même port que Seurat avait distillé à travers quelques rares harmonies de couleurs prismatiques près de 50 ans auparavant. La palette de de Staël est plus adoucie. De façon atypique, il utilise de puissantes diagonales pour créer une perspective spectaculaire. Pourtant de grands blocs de couleur pâle viennent en même temps l’écraser. De subtiles indications de tonalité sont introduites en estompant les couleurs ou en les faisant se chevaucher l’une et l’autre – par exemple sur la côte lointaine. De minuscules rigoles de peinture crémeuse viennent nous rappeler discrètement l’ancien amour de de Staël pour l’impasto – mais à travers ses propres termes modérés, une œuvre telle que celle-ci révèle quand même sa sensibilité aux variations de texture. Globalement, le jeu de lignes horizontales et diagonales,

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38. L’Orchestre, 1953. Huile sur toile, 200 x 350 cm. Musée national d’art moderne - Centre Georges Pompidou, Paris, don de Sophie et Jérôme Seydoux. 39. Nature morte en gris, 1954. Huile sur toile, 65 x 81 cm. Collection privée, France.

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le contraste entre les formes naturelles et celles créées de main d’homme, et la tranquillité raffinée de sa palette indiquent une sérénité inaltérable, jamais vue dans ses œuvre antérieures. La Route d’Uzès, également peinte en 1954 (p.65), utilise une nouvelle fois de puissantes diagonales et des couleurs adoucies, pour créer et dénier tout à la fois le sentiment de distance. Ici, des falaises noires opaques, et peintes en aplat nient quasiment la perspective. À nouveau, de Staël semble réagir à la puissance des émotions que suscitent les paysages désertiques éclairés par la lumière grise et diffuse des ciels du nord. Il émane de l’image une certaine tranquillité mais plus encore, la fuite dramatique de la route vers un point, couplée avec l’usage du noir, crée un sentiment de nostalgie et de solitude. Comme cela est si souvent le cas avec l’imagerie du paysage, nous nous voyons offrir la promesse, et non le présent réel, d’une libération.

La simplicité apparente de ces œuvres, dont la structure s’articule autour de blocs de couleurs sobres et complètement dépourvue de dessins ou de détails, révèle avec quelle finesse de Staël était capable de traduire ce qu’il voyait : il savait exactement ce qu’il pouvait se permettre d’omettre. On retrouve les mêmes caractéristiques de contrôle – de tonalité, de texture, de concision – dans les paysages maritimes méditerranéens qu’il peignit durant l’hiver 1955. À la fin de l’année 1954 il s’était installé dans un nouvel atelier sur le port d’Antibes, offrant une vue magnifique sur la zone portuaire et l’ancienne forteresse à l’arrière-

40. La Palette, 1954. Huile sur toile, 89 x 116 cm. Collection privée.

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plan. Dans Le Fort d’Antibes un traitement des plus délicats du gris, du bleu et du mauve pare l’eau de nuances whistlériennes tout à fait inattendues. Ces légères variations de tonalité sont contrebalancées par d’infimes touches de rouge éclatant (une bouée) et de bleu (une cheminée) sur deux bateaux amarrés. Une nouvelle fois, de Staël s’adonne à un jeu délicieux avec notre perception de l’espace. Car tandis que les tons calmes traduisent une certaine distance, celle-ci est niée par un violent chatoiement ou reflet vertical sur la surface de l’eau qui se prolonge jusque dans la masse rocheuse de la forteresse. Dans tous ces paysages, nous assistons à la transformation de la beauté naturelle en celle, abstraite, de la peinture. Cette transformation reste délibérément incomplète – car il demeure assez de vestiges de la première pour donner au spectateur le plaisir intense de goûter le délicat équilibre établi entre les deux. Nous sommes conviés à regarder simultanément dans deux directions différentes. Cette oscillation subtile et élégante aurait-elle été possible sans l'abstraction ? De Staël aurait-il été capable de créer cette dualité s’il n’avait pas exploré un langage pictural abstrait auparavant ? Serions-nous capables de l’apprécier si nous n’avions pas approché son travail en connaissant à la fois son art propre et celui issu de l’abstraction européenne ? La gamme de ces paysages tardifs est plus étendue qu’on ne l’a laissé entendre jusqu’ici. Chemin de fer au bord de la mer, soleil couchant, 1955 (p.66-67), possède une énergie sublime qui nous rappelle la fusion poétique que pratiquait Turner entre le pouvoir de la nature et celui de l’industrie. De Staël eut d’ailleurs l’occasion d’admirer l’œuvre de Turner lors d’un voyage à Londres en 1952. Dans Le Pont des Arts, la nuit, de 1954, l’atmosphère est complètement différente. Les tours brillamment éclairées de Notre-Dame s’élèvent au-dessus de la masse sombre des immeubles étroitement blottis sur l’Ile de la Cité. Le choix de ce sujet est pour le moins intriguant. De Staël a évité les boulevards animés et bondés et choisi à la place cette île solitaire, désolée et fantomatique du cœur de la cité. La cathédrale étincelle de la lumière blanche des projecteurs qui l’éclairent, mais de notre point de vue elle demeure hors de portée. 41. La Route d’Uzès, 1954. Huile sur toile, 60 x 81 cm. Collection privée.

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Le paysage n’était pas le seul sujet auquel s’est attaqué de Staël durant ces dernières années. Il travailla sur un large éventail d’autres thèmes et sur d’autres

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42. Chemin de fer au bord de la mer, soleil couchant, 1955. Huile sur toile, 73 x 100 cm. Collection privée.

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43. Ciel rouge, 1954. Huile sur toile, 60 x 81 cm. Collection privée, Paris.

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44. Montagne Sainte-Victoire, 1954. Huile sur toile, 89 x 130 cm. Collection privée, Paris.

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media également. Il produisit des images monumentales, intimes et mélancoliques de son propre atelier (p.79), et des natures mortes inspirées des accessoires de son atelier avec une modestie et une simplicité semblable à celle de Morandi. Avec Le Saladier, il réalisa une transcription assez spirituelle d’une croquante salade verte dont les énergiques petites feuilles sembleraient presque comiques, si ce n’étaient les funestes ténèbres de son fond noir. Il aborda le nu (p.73) ; il s’adonna à la sculpture et au collage, à l’estampe pour une édition des poèmes de René Char (1951), à la tapisserie et à une tentative inachevée de conception de décors pour le ballet « Les Indes Galantes » (p.52 et 53). Les ambitions de de Staël dans l’univers des arts plastiques étaient considérables. Sa mort précoce signifia que nombre de ces aspirations demeureraient inassouvies. Sachant que sa mort était imminente, et connaissant son modus operandi, il est presque impossible de ne pas lire certaines de ses œuvres de la période comme autant de prophéties morbides. Il s’agit là bien sûr d’une lecture a posteriori qu’il faut manipuler avec précautions. Ses images de mouettes ou de poissons, par exemple, ne doivent probablement pas être interprétées comme des présages conscients ou directs de ce qui allait arriver. Néanmoins, Poissons est un puissant symbole de mortalité, bien qu’il s’agisse d’un thème communément associé à la thématique des natures mortes depuis le XVIIe siècle au moins. Les Mouettes (p.76) furent peintes, nous le savons, après que de Staël eut lu « La Mouette » de Tchekhov à sa fille Anne. L’oiseau du drame de Tchekhov pourrait représenter les rêves éphémères et frustrés de ses personnages. De même, les mouettes de de Staël, s’éloignant en volant du spectateur, pourraient aussi être vues comme les symboles d’une nostalgie, d’un désir de libération, comme ses ultimes images de bateaux peuvent l’être. Ces thèmes sont aussi présents, comme nous l’avons vu, dans ses paysages. Le tableau sur lequel travaillait de Staël lorsqu’il est mort est Le Concert (p.74-75). Ses résonnances thématiques sont d’un ordre complètement différent. D’après les récits de ceux qui l’ont connu, nous savons que de Staël aimait la musique. Il écoutait Bach, Bartok, Satie et Stravinsky dans son atelier. Comme Mondrian, il aimait les rythmes syncopés du jazz américain – dont il exprima la joyeuse exubérance dans une série d’œuvres inspirées de concerts de Sidney Bechet

45. Les Martigues, 1954. Huile sur toile, 146 x 97 cm. Collection privée.

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auxquels il avait assisté (p.57). Quelques jours avant sa mort, il avait assisté à deux concerts de Webern au Théâtre Marigny de Paris. Son programme comporte les notes suivantes : « violons rouges… ocre/rouge… jeux de transposition ».

46. Figure accoudée, 1954. Huile sur toile, 89 x 130 cm. Collection privée. 47. Nu couché, 1955. Huile sur toile, 114 x 162 cm. Collection privée.

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Un massif piano à queue noir et un grand violoncelle, ou une contrebasse, pâle et translucide se détachent sur une intense surface de rouge brillant et uni. Il n’y a pas de musiciens. À cet égard, le tableau est silencieux. Pourtant une série de carrés blancs et de formes grises semble émaner des clefs monochromes du piano et venir effleurer la contrebasse. Ils semblent vouloir évoquer le souvenir de la musique jadis jouée ou annoncer des sons latents encore à créer. Ainsi, la toile peut être considérée comme une méditation sur le potentiel de l’art – un potentiel qui, pendant un terrible instant du 16 mars 1955, de Staël a dû penser qu’il ne pourrait jamais accomplir.

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BIOGRAPHIE 1914

Nicolas de Staël naît le 5 janvier à Saint-Pétersbourg. Il est le frère cadet de Marina, de deux ans son aîné. Son père, le baron Vladimir Ivanovitch de Staël-Holstein, est général de l’armée impériale et vice-gouverneur de la forteresse de Saint-Pierre-et-Saint-Paul. Il est issu d’une famille noble de la Baltique. Sa mère descend d’une famille bourgeoise aisée.

1916

Nicolas de Staël est nommé page à la Cour impériale. Naissance de sa sœur Olga.

1917

Son père est contraint de démissionner par le gouvernement provisoire mis en place après la Révolution bolchevique.

1918

Pendant la révolution, la famille Staël est forcée de quitter la Russie. Elle s’installe à Ostrow, en Pologne.

1921

Mort du père de Nicolas de Staël.

1922

Mort de la mère de Nicolas de Staël. Nommée tutrice légale des enfants Staël, Ludmila von Lubimov, amie de la famille et épouse du sénateur Dmitry von Lubimov, peu concernée par leur éducation, les envoie vivre à Bruxelles, chez Émmanuel et Charlotte Fricero. Kandinsky et Chagall quittent la Russie.

1922-31 Nicolas de Staël reçoit une éducation classique dans une école jésuite de Bruxelles. 1932

Il s’inscrit en architecture à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles.

1933

Il suit un cours de dessin à l’Académie.

1934

Nicolas de Staël voyage en France, en Provence et dans le Midi, puis à Paris où il découvre Cézanne, Matisse, Soutine et Braque.

1935

À l’occasion de l’Exposition universelle de Bruxelles, Nicolas de Staël, en collaboration avec Georges de Vlamynck, réalise plusieurs panneaux décoratifs. En juin, il voyage en Espagne où il est impressionné par El Greco. Cette même année, il termine ses études à l’Académie. Mort de Malevitch.

1936

Nicolas de Staël voyage au Maroc. Plus tard, il détruira la plupart des œuvres de cette période. Il expose des icônes et les aquarelles de ses voyages en Espagne.

1937

Il rencontre Jeannine Guillou, également peintre. Ils voyagent ensemble au Maroc et en Algérie. Exposition d’ « Art dégénéré » à Munich.

1938

Le couple se rend en Italie : Naples, Frascati, Pompéi, Paestum, Sorrente et Capri. Ils rentrent en France où Staël travaille, pendant trois semaines, dans l’atelier de Léger.

48. Le Concert, 1955. Huile sur toile, 350 x 600 cm. Musée Picasso, Antibes. 49. Les Mouettes, 1955. Huile sur toile, 195 x 130 cm. Collection privée.

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1939

Lorsque la guerre éclate, Nicolas de Staël s’engage dans la Légion étrangère.

1940

Il est mobilisé et envoyé en Tunisie. En septembre, il est démobilisé et rejoint Jeannine à Nice, où il fait connaissance des peintres Alberto Magnelli, Sonia Delaunay, Jean Arp et de Le Corbusier. Ils vivent dans des conditions financières difficiles.

1942

Naissance de sa fille Anne. Nicolas de Staël peint le portrait de Jeannine puis se tourne vers un style plus abstrait.

1943

La famille s’installe à Paris. Durant cette période, le travail de Nicolas de Staël puise ses origines dans l’expérience des rythmes formels d’objets concrets : marteaux, tenailles, arbres, racines, viande. Il commence à travailler au couteau.

1944

Les œuvres de Nicolas de Staël sont présentées, lors d’une exposition de groupe, à Paris, aux côtés des toiles de Kandinsky. Juste avant sa mort, il rencontre ce dernier et un autre peintre russe abstrait, André Lanskoy. Sa première exposition individuelle se tient à la Galerie Jeanne Bucher. Cette même année, il fait également connaissance avec Braque, qui deviendra un ami et un mentor important. Mort de Kandinsky, de Maillol et de Munch, figures majeures de l’art moderne.

1945

Deuxième exposition individuelle à Paris, toujours à la Galerie Jeanne Bucher. Il expose pour la première fois au Salon de mai. Tout au long de cette période, la situation financière de Nicolas de Staël demeure délicate, il est constamment en proie à des angoisses matérielles.

1946

Mort de Jeannine Guillou. Nicolas de Staël épouse Françoise Chapouton, une lointaine parente de Jeannine.

1947

La situation matérielle de Nicolas de Staël s’améliore quelque peu lorsqu’il signe un contrat avec la Galerie Jacques Dubourg. Naissance de sa fille Laurence. Mort de Marquet et de Bonnard.

1948

Nicolas de Staël obtient la nationalité française. Naissance de son fils Jérôme. Ses travaux retiennent l’attention favorable de la presse artistique. Il expose avec Braque, Lanskoy et Laurens. Constitution du groupe « Cobra ».

1949

À l’occasion d’un voyage en Hollande, Nicolas de Staël découvre l’Œuvre gravé d’Hercules Seghers, artiste du XVIIe siècle, qui le fascine. Son Œuvre commence à attirer l’attention des collectionneurs américains : Duncan Phillips lui achète un premier tableau.

1950

Le Musée national d’art moderne à Paris acquiert une première toile. Une petite rétrospective, de quinze toiles, tenue à la Galerie Jacques Dubourg, à Paris, éveille sérieusement l’attention de la critique.

Nicolas de Staël rend visite à Denys Sutton à Londres afin d’y organiser une exposition. Dans le sud de la France, il rencontre Stravinsky, Messiaen et Boulez. 1951

Première exposition à New York. Nicolas de Staël fait la connaissance du poète René Char. Il consacre une grande partie de l’année à une série de gravures illustrant la poésie de Char. L’une de ces œuvres fait l’objet d’un don au MoMA de New York. Il visite une exposition de mosaïques de Ravenne, qui lui fait forte impression et semble avoir un effet direct sur sa peinture.

1952

Sa première exposition londonienne, organisée par Denys Sutton, est saluée par des critiques enthousiastes bien que certains s’inquiètent de la réapparition de sujets figuratifs (sept œuvres sur vingt-six exposées sont figuratives : nature morte, paysage). En mars, Nicolas de Staël assiste au match de football, France – Suède, en nocturne, au Parc des Princes. Il ressent une grande exaltation à la vue de ce spectacle coloré, plein de mouvements, sous la lumière intense des projecteurs. Il commence immédiatement une série de peintures figuratives inspirées de cet événement. Au Salon de mai, il expose Parc des Princes. Durant l’été, il séjourne sur la Côte d’Azur, où il est émerveillé par la puissance et l’intensité de la lumière méditerranéenne. Au cours de cette période, il taille également deux blocs de marbre, supervise la production de tapisseries inspirées de ses dessins et travaille à un projet de décor destiné au ballet Les Indes galantes.

1953

Nicolas de Staël se rend à New York, à l’occasion de l’exposition de son Œuvre à la Galerie Knoedler, où il est acclamé par la critique. Il visite les grands musées américains de New York et Philadelphie. Le marchand Paul Rosenberg lui offre un contrat, pour la vente de ses œuvres en Amérique, qui va lui assurer la sécurité matérielle. De retour à Paris, Nicolas de Staël visite une exposition de vitraux français. Cette année-là, il effectue également deux voyages en Italie et en Sicile.

1954

Exposition d’œuvres récentes chez Rosenberg, à New York. Nicolas de Staël passe l’été à travailler à Martigues et Marseille. Naissance de son fils Gustave. Exposition controversée à la Galerie Jacques Dubourg, à Paris, en raison de son retour à un style figuratif. Nicolas de Staël passe l’été à peindre à Paris et à Gravelines, dans la lumière des plages de la mer du Nord. En septembre, il installe son atelier à Antibes. Sa peinture évolue vers plus de fluidité. Il voyage en Espagne, avec Pierre Lecuire, où il est particulièrement impressionné par Velázquez. Mort de Matisse et Derain.

1955

À Antibes, Nicolas de Staël travaille intensément à deux expositions, une à la Galerie Jacques Dubourg et l’autre au musée d’Antibes. Au début du mois de mars, il rentre à Paris et assiste à deux concerts au Théâtre du Petit Marigny : Schönberg – Webern. De retour à Antibes il travaille à deux grandes toiles : Le Piano et Le Concert. Le 16 mars, Nicolas de Staël met fin à ses jours.

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LISTE DES ILLUSTRATIONS A

M

À Piranèse Agrigente

14 48-49

C Calme

16-17

Mantes Les Martigues Montagne Sainte-Victoire Les Mouettes Les Musiciens

44-45 70 69 76 57

Chemin de fer au bord de la mer, soleil couchant

66-67

Ciel à Honfleur

40

Ciel rouge

68

Cinq Pommes

43

Coin d’atelier à Antibes

36

Coin d’atelier fond bleu

37

Composition Composition en gris et bleu Composition en noir

18, 21, 28, 30 22-23 10

Composition Nice

9

Composition sur fond gris

8

Le Concert

74-75

F Figure accoudée

72

Figures au bord de la mer

46

Fleurs grises

51

Footballeurs

35

N Nature morte en gris Nu couché Nu debout

62 73 54, 58

O L’Orage L’Orchestre

6 60-61

P La Palette Le Parc de Sceaux Parc des Princes Parc des Princes (Les Grands Footballeurs) Paysage Paysage du Lavandou Portrait d’Anne Portrait de Jeannine

63 27 34 32-33 38-39 47 59 7

R G Grande Composition bleue

24

I Les Indes galantes

80

15 65

T 52, 53

L Le Lavandou

Ressentiment La Route d’Uzès

Les Toits

29

V 4

La Vie dure

13